Le soleil noir du paroxysme, Nazisme, violence guerre, temps présent, Christian In-

grao, Odile Jacob 2021, 321 p. 24,90€

On ne prétendra pas ici résumer un livre dont la densité ainsi que les aperçus qu’ils ouvre
sur la pratique de l’Histoire valent d’être suivis ligne à ligne. D’autant plus que ces aperçus, simple-
ment énoncés, pourront surprendre. Au premier chef l’utilisation des avancées de la physique
quantique dans la démarche de l’historien. Rapprochement étonnant mais qui, dans la démonstra-
tion conduite par Christian Ingrao, montre toute sa capacité heuristique. Il s’agit là non de pré-
tendre accéder à la vérité (l’Histoire n’a pas cette prétention) mais de conduire une expérience de
pensée qui consiste à « essayer de réfléchir aux conséquences d’une appréhension quantique
des objets de l’historien ». Soit de prendre en compte qu’un phénomène historique peut appartenir
à plusieurs états différents, selon que l’historien porte son attention sur tel ou tel aspect de ce phé-
nomène. Ainsi de l’entreprise génocidaire nazie (dont Christian Ingrao est l’un des grands spécia-
listes) qui revêt à la fois un aspect formel, rationnel, bureaucratique certain mais également, et si-
multanément, se signale aussi par des accès de sauvagerie pure sur le terrain. Ni seulement ceci,
ni seulement cela, mais tout autant les deux dimensions qui, étudiées séparément, donnent des in-
terprétations différentes d’un même épisode et peuvent chacune apporter une part de vérité. De
même que la lumière manifeste une dualité onde-particule. De cela découle sans doute une
moindre ambition de certitude mais également un gain net de complexité, soit une meilleure com-
préhension de ce qui a été réellement.
Ch. Ingrao se saisit également ce cet objet singulier qu’est le paroxysme, ce qui outrepasse
le langage par sa puissance ou plutôt ne s’exprime plus que par le langage du corps (stupeur, fris-
sons, tremblements…). Il apparaît au travers des exemples que sont les suicides massifs de civils
ou de militaires au Japon et en Allemagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale mais aussi dans
ce passage à l’acte (acting out), ce basculement dans la folie meurtrière telle qu’elle s’est expri-
mée durant les Guerres de Religion par exemple. Et puisqu’il faut également se faire l’historien du
temps présent, Ch. Ingrao utilise les outils de l’historien (mais également ceux de l’anthropologue)
pour revenir sur les pratiques urgentistes (lors du paroxysme qu’ont représenté les attentats du 13
novembre 2015). Ce faisant, il ouvre de nouveaux chantiers à l’historien tout en maintenant l’exi-
gence de regarder « bien en face » ce qu’est la violence de l’homme.