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La Magie de La Concentration - Jean-Philippe Lachaux
La Magie de La Concentration - Jean-Philippe Lachaux
ISBN 978-2-7381-5319-7
www.odilejacob.fr
Guide de lecture
CHAPITRE 1
Faire bien attention
Attentif, oui… mais à quoi ?
Attentif, oui… mais pourquoi ?
À moitié vide ou à moitié plein ?
Voir les choses en grand
Comme une roue de vélo
Un œil d'expert
CHAPITRE 2
Apprendre à se concentrer
Perception, Intention, Manière d'agir
Une connexion active
Un mode d'emploi pour se concentrer
Alchimie cérébrale
Se concentrer, juste par plaisir
Cours de jonglage
CHAPITRE 3
Une attention stable
Un chapelet de petites bulles d'attention
Deux forces qui bousculent l'attention
Qui est le capitaine du navire ?
Le sens de l'équilibre attentionnel
Le cercle des pensées distrayantes
Utiliser les vents et les courants
CHAPITRE 4
Une intention claire
Droit devant !
Plein de bonnes intentions
Se fixer un cap et tirer des bords
Quatre niveaux de concentration
Évaluez-vous
Naviguer sur une mer agitée
Vue d'ensemble
L'attention au quotidien
Épilogue
Remerciements
Collection
Prologue
– Salut Anatole.
– Bonjour, c’est vous le chercheur ?
– Oui. Tu sais ce que c’est un chercheur ?
– Quelqu’un qui cherche ?
– Oui, on peut dire ça comme ça. On peut aussi dire qu’un chercheur,
c’est quelqu’un qui cherche des réponses aux questions auxquelles ni
tes copains, ni tes parents, ni tes profs ne peuvent répondre, ni même
qui que ce soit sur Internet.
– Et vous cherchez des réponses sur quoi ?
– Sur l’attention. On peut se tutoyer, tu sais. Tu t’intéresses à
l’attention, il paraît ?
– Non, pas vraiment. Mais on m’a dit de venir quand même.
– Bon… tu sais déjà un peu ce que c’est, l’attention ? Ça t’arrive parfois
qu’on te demande d’être attentif ?
– Oui, en classe, souvent.
– Tu peux me donner un exemple ?
– Oui. La semaine dernière, à un moment, la prof de maths m’a
demandé…
– Attends, excuse-moi, je pensais à autre chose. Tu peux répéter ?
– Je disais que la semaine dernière, la prof de maths m’a fait une
remarque parce que j’étais en train de regarder ailleurs.
– Tu n’écoutais pas ?
– Ben non. Je pensais à ce que m’avait dit un pote.
– Et toi, ça t’arrive qu’on ne t’écoute pas quand tu parles, comme je
viens de le faire à l’instant ? Je t’avoue que j’ai fait un peu exprès…
– Oui, avec mes parents parfois. Je leur pose une question ou je leur
demande quelque chose et ils ne répondent pas. Je suis obligé de
répéter parce qu’ils ont pas écouté.
– Et ça t’énerve un peu ?
– Oui, c’est super énervant.
– Donc tu sais déjà un peu ce que c’est, l’attention. En tout cas, tu sais
te rendre compte de ce que ça peut changer, d’être attentif ou non.
C’est un bon début.
– Je sais pas, pour me déplacer dans la forêt et voir des sangliers sans
qu’ils me voient ?
– Très bon exemple : disons que tu veux approcher d’un sanglier dans
une clairière pour le prendre en photo. Tu vas donc essayer d’avancer
sans te faire remarquer pour ne pas le faire fuir. Autrement dit, tu vas
essayer de passer inaperçu.
– Je vais me faire tout discret. Pour pas qu’il me voie ou qu’il
m’entende.
– C’est ça, ou qu’il te sente. Parce que ton sanglier peut percevoir un
mouvement, un son, mais aussi une odeur ou même un goût, si tu te
rapproches trop… Tu vois : percevoir quelque chose, c’est un peu comme
le remarquer. Tu peux dire ensuite que tu as vu, entendu ou senti
quelque chose, ou même ressenti une sensation au niveau d’une
partie de ton corps : si quelqu’un essayait de défaire ton lacet pendant
que je te parle, sans que tu t’en rendes compte, il faudrait qu’il fasse
bien attention à ce que tu ne perçoives rien au niveau de tes pieds.
Donc une perception, c’est quelque chose qu’on remarque.
– Donc, c’est un peu comme les cinq sens ?
– Oui, les sens servent à percevoir. Tu peux aussi percevoir un petit
goût d’orange très léger dans un gâteau. Un assassin qui voudrait
empoisonner le roi essaierait au contraire que le poison qu’il va mettre
dans son vin passe totalement inaperçu.
– Donc, pour que quelqu’un ou un truc passe inaperçu, il faut qu’il soit
à peine visible ou qu’on le sente à peine ?
– Non, non, je les laisse bien sur le point avec le C, mais j’ai
l’impression que les lignes changent, comme si elles apparaissaient ou
un truc comme ça.
– Et du coup, il mène à quel point, ce chemin ?
– Au point A, je crois.
– Très bien. C’est amusant de voir ce que change l’attention à ce que
tu perçois, non ?
– Oui, j’avais jamais vraiment remarqué.
– Tiens, regarde à nouveau les deux visages. Si tu veux continuer à
voir le visage de la vieille femme, qu’est-ce que tu dois faire ?
– Continuer à voir… Attends, j’essaie. [Il essaie.] C’est comme si je
continuais à y faire attention.
– Très bien ! Alors là, on arrive quand même à quelque chose
d’étonnant, parce qu’il faut que tu fasses attention au visage de la
vieille femme pour le percevoir. Comme si ton attention était une sorte de
pouvoir magique qui pouvait faire apparaître des perceptions. Mais, en
même temps, ton attention se pose ensuite sur cette perception, donc
elle se pose sur quelque chose qu’elle vient de créer. C’est comme si
un oiseau faisait apparaître un perchoir au moment où il voulait se
poser quelque part, et que le perchoir disparaissait au moment où il
s’envole à nouveau.
– Je suis pas sûr de comprendre.
– Bon, comment t’expliquer différemment… Cette perception du
visage, est-ce que tu penses qu’elle existe là, sur la feuille ?
– Ben, oui.
– Mais dans ce cas, comment tu expliques qu’au moment où tu
perçois la vieille femme, moi, je puisse percevoir la jeune femme ?
Alors qu’on regarde le même dessin ?
– Tu m’embrouilles, là…
– Ce qu’il y a sur la feuille, ce sont des traits. Le visage, c’est ton
cerveau qui le construit en faisant attention d’une certaine manière :
c’est ton attention qui crée cette perception de la vieille femme, dans
ta tête à toi. C’est un peu comme quand tu regardes des nuages, tu ne
vas pas me dire qu’il y a vraiment un perroquet ou un bonhomme dans
le ciel…
– Ah, OK, je comprends. Mon cerveau fabrique le perroquet ou le
bonhomme à partir du nuage que je vois. Il fabrique la perception.
– Oui, et à ce moment-là, tu vas remarquer une forme de bonhomme
ou de perroquet, et faire attention à cette forme que tu perçois. Ton
attention peut faire apparaître ou disparaître des perceptions et se
poser dessus, comme un oiseau. Ton attention se pose toujours sur des
perceptions, c’est le truc à retenir une fois que tu as compris ce qu’est une
perception.
– Mais quand même, les deux visages, ils sont un peu sur la feuille,
non ? Je veux dire : s’il y a plus la feuille, ils sont plus là…
– Bon, essaie de voir la vieille femme et la jeune femme en même
temps.
– [Il essaie.] J’y arrive pas. Je vois soit la vieille soit la jeune.
– Les deux visages passent leur temps à apparaître et disparaître,
donc c’est bien qu’ils ne sont pas sur la feuille. Par contre, les traits,
eux, restent toujours là, ils ne s’effacent pas. C’est donc bien ton
cerveau qui crée ces perceptions des visages quand tu y fais
attention. Et tu vois en plus que ton attention ne peut pas se poser en
même temps sur les deux visages, elle doit choisir. On dit que
l’attention est sélective.
– Mais du coup, ça va m’aider en classe ou dans la vie de savoir tout
ça ?
– Bien sûr, tiens, tu peux me le passer s’il te plaît ?
–… Te passer quoi ?
– Le sel, j’aurais dû le préciser, excuse-moi.
– Tiens !
– Fais bien attention maintenant
– OK.
– Non, tu ne dois pas dire OK.
– Ah bon ?
– Non, tu dois dire « à quoi ? ». C’est comme pour le sel, je n’ai pas dit
à quoi tu devais faire attention.
– Ah, OK… À quoi ?
– Tu vois où je veux en venir ? Essayer de faire attention, ou
demander à quelqu’un de faire attention, ça n’a pas de sens : on peut
faire attention aux nuages, à ses chaussures, à son voisin. Pour être
attentif, la première chose, c’est de savoir à quoi on doit être attentif.
– Oui, ça paraît logique.
– Et donc, ça veut dire qu’il est très important que tu comprennes tout ce
à quoi tu peux faire attention, et c’est ce qu’on va voir toutes les
prochaines fois.
« Pour savoir si la lumière est allumée quand la porte est fermée, il faut
ouvrir la porte. »
– [Il sourit.] On a déjà appris une chose importante : l’attention est
sélective et elle sert à percevoir tout d’un coup ce qu’on ne percevait pas
avant…
– Avant quoi ?
– Avant d’y faire attention. Tiens d’ailleurs, sans regarder, dis-moi si tes
pieds touchent le sol en ce moment, et s’ils sont parallèles ou plutôt
comme ça ? [Il mime avec les mains plusieurs positions.]
– Oui, ils touchent et ils sont un peu comme ça, là, comme tu faisais
avec tes mains.
– Tu as dû faire attention à tes pieds pour me répondre ?
– Ben oui.
– Et maintenant tu perçois comment sont tes pieds, tu es d’accord ?
– Oui.
– Et je pense que juste avant que je te pose la question, tu ne
percevais pas forcément comment ils étaient, pas vrai ?
– Ben, je sais pas en fait.
– Ah, je sais, je te pose une question difficile. Comment savoir si tu
faisais attention à tes pieds avant d’y faire attention… Tiens, est-ce que
tu peux aller ouvrir la porte du frigo s’il te plaît ?
– Oui, pourquoi ?
– Vas-y et je te dirai.
– [Il y va.] Bon, ça y est.
– Est-ce que la lumière du frigo est allumée ?
– Oui.
– Referme vite la porte et dis-moi si la lumière est toujours allumée.
– Comment je peux regarder si la porte elle est fermée ?
– C’est vrai que ça pose un problème : pour savoir si la lumière est
allumée quand la porte est fermée, il faut ouvrir la porte. Eh bien, c’est
la même chose avec l’attention : pour me dire si tu perçois tes pieds,
tu dois y faire attention et tu auras du mal à savoir si tu perçois tes
pieds quand tu n’y fais pas attention… C’est comme quand la porte du
frigo est fermée.
– Je sens venir le mal de tête.
– Ne t’inquiète pas. Tout ce que tu dois retenir, c’est que l’attention est
sélective : on ne fait pas tout le temps attention à tout. Et il faut déplacer
son attention pour percevoir ce qu’on a besoin de percevoir pour, par
exemple, répondre à une question. Tu comprends un peu ?
– Oui, ça vient…
– Bon, je vais te poser d’autres questions pour t’aider encore à
comprendre. Goûte-moi ce petit pois et dis-moi s’il est plutôt salé ou
fade.
– [Il goûte.] Ni trop salé ni trop fade, juste bien.
– OK, et pour répondre à ma question, tu as dû faire attention à quoi ?
– Au petit pois.
– Tu es sûr que ce n’était pas au goût du petit pois, plutôt ?
– C’est pas la même chose ?
– Disons que, là, pour pouvoir répondre à la question, c’est vraiment
son goût qui t’intéressait, non ?
– Euh… oui.
– Et il n’était pas trop chaud ?
– Non, ça allait.
– Et là, pour me répondre, tu as fait attention à quoi ?
– Hmmm… pas au petit pois ?
– Moi, je dirais plutôt que c’était à la température du petit pois que tu
percevais dans ta bouche
– Ah oui, si tu veux.
– Ben, oui, pas à son goût…
– Ah oui, je suis bête, c’est vrai.
– Oui, mais attends, j’ai dû me tromper, parce que le petit pois, tu l’as
déjà mangé donc tu ne l’as plus dans la bouche.
– Non, et alors ?
– Comment tu peux faire attention à sa température si tu ne l’as plus
dans la bouche ?
– Ben, je m’en souviens.
– Ah OK ! Donc, en fait, tu faisais attention au souvenir que tu avais de
la sensation que tu avais ressentie dans ta bouche. Tu me suis ? Ce
que tu as dû percevoir pour me répondre, c’est un souvenir. Le
souvenir de la sensation que tu venais d’avoir.
– Ah d’accord… Mais bon, c’est presque pareil, non ?
– Tu peux avoir l’impression que je joue sur les mots, mais si je te dis
ça, c’est pour qu’on soit bien d’accord que tu peux aussi percevoir des
souvenirs, et pas seulement ce qui est là tout de suite devant toi, et
que ton attention peut se porter dessus. C’est un peu comme si je te
disais : « Écoute ce que je viens de dire ! », ce serait étrange, non ?
– Ah, oui, dit comme ça…
– Mais ça permet de mieux comprendre tout ce sur quoi peut se
porter ton attention. Tiens d’ailleurs, tu te souviens de ce que tu as
mangé hier ?
– Hmmmm. Oui, des pâtes carbonara.
– Et là, pour me répondre, tu as dû faire attention à un souvenir.
– Ah oui, je comprends, forcément.
– Et encore une fois, comme pour les visages, la perception de ce
souvenir, elle est dans ta tête, c’est ton cerveau qui la fabrique et tu y fais
attention.
– OK, ça y est, je comprends.
– Tiens, j’ai encore une question : comment tu te sens maintenant,
plutôt triste ? Plutôt de bonne humeur ?
– Plutôt de bonne humeur, ça m’intéresse, ce qu’on dit.
– Super. Eh bien pour me répondre, même si tu ne t’en es pas
forcément rendu compte, tu as dû faire attention à une perception
particulière, quelque chose qui n’est peut-être pas très facile à décrire.
Tu saurais me dire à quoi je dois faire attention, moi, pour te dire
comment je me sens ?
– Je sais pas… si tu te sens bien…
– Oui, mais à quoi je dois faire attention, précisément ? Tu ne vois
pas ?
– Je sais pas… À tes émotions ?
– Je vais te poser la question autrement. À quoi est-ce que je dois
faire attention pour savoir si j’ai bien mis les verres sur la table ?
– Y a pas de piège… ? À ce qu’il y a sur la table ?
– Bonne réponse : je dois percevoir visuellement, avec mes yeux, ce
qui est sur la table. C’est à ça que je dois faire attention. Il y a des
perceptions, des cibles pour l’attention, qui sont évidentes à désigner
à quelqu’un d’autre parce qu’elles concernent des choses externes
que tout le monde peut voir ou entendre : ce qu’il y a sur la table, le
bruit des voitures… Et puis il y en a d’autres qui sont moins évidentes
parce qu’elles concernent des choses qui n’existent qu’à l’intérieur de nous,
et que les autres ne peuvent pas percevoir. Ça peut être un vague
sentiment, un souvenir ou une impression. Mais tu peux quand même
y faire attention, ça peut être une cible pour ton attention.
– D’accord, ça commence à venir.
– Tu vois ce qu’on est en train de faire tous les deux ? On est en train
de faire la liste de tout ce à quoi tu peux faire attention, parce que c’est
important pour la suite.
– OK, je te suis.
– Donc, c’est ce qu’on disait juste avant : on réagit plus vite quand on fait
attention.
– Oui, c’est sûr, ça.
– C’est là où je voulais en venir. Et dans le jeu du bouchon, quand je
bouge la main, tu te mets à bouger aussi, donc je te fais réagir.
– C’est normal, c’est ce que je dois faire.
– Mais si tu ne faisais plus du tout attention, tu ne réagirais plus. C’est
pour ça que tu faisais attention au bouchon, tu es d’accord ?
– Oui.
– OK. J’ai encore une autre question pour toi : quand tu appuies sur le
frein de ton vélo, qu’est-ce qui se passe ?
– Ça freine, ça bloque la roue.
– Oui, mais c’est quoi, le mécanisme qui fait que la roue se bloque
quand tu appuies sur le frein ?
– Je sais pas, ça tire sur un câble et il y a une sorte de truc qui pince la
roue, et ça freine.
– Et si je coupe le câble ?
– Tu veux couper mon câble de frein ?
– Mais non, c’est juste pour réfléchir ensemble : tu es d’accord que si
le câble est coupé, la connexion entre ta main et ce qui pince la roue
est rompue, et cette espèce de pince ne réagit plus. Tu vois ce que
c’est une connexion ? C’est quelque chose qui connecte une chose
avec une autre et qui fait que [il montre en serrant une main, puis
l’autre], si tu fais quelque chose ici, ça a un effet là… Ça ne te rappelle
pas le jeu avec le bouchon d’ailleurs ? Quand tu serrais le poing
comme ça, comme pour freiner, moi je réagissais en m’arrêtant,
comme la roue de ton vélo… Mais le câble dans ce cas, c’était quoi à
ton avis ?
– Tu veux dire, ce qui faisait que quand je fermais la main, t’arrêtais de
bouger ?
– Oui, ce qui faisait la connexion entre ton geste et le mien.
–…
– Je t’aide : tu viens de me dire que quand tu ne faisais plus attention,
tu ne réagissais plus. Et moi aussi, d’ailleurs, si je n’avais pas fait
attention à ton geste de la main, j’aurais sans doute continué à attraper
le bouchon, je ne me serais pas arrêté.
– Ah oui, donc c’est ton attention… ou la mienne ?
– Excellent ! Ce qui nous connectait dans ce jeu, c’était l’attention. Tu
serrais le poing, comme pour freiner, et ma main s’arrêtait
immédiatement de bouger, parce que je faisais attention à ta main. Et
toi, tu réagissais dès que je commençais à bouger, parce que tu faisais
attention à mes mouvements…
– Mais, y a pas de câble là…
– Non, c’est l’attention qui joue le rôle du câble. Dès que tu fais
attention à autre chose, la connexion est rompue : tu te déconnectes
et tu ne réagis plus quand je bouge. C’est comme si on avait enlevé le
câble.
– Ah, OK. Donc, faire attention, c’est un peu comme se connecter, c’est
ça ?
– Oui, et si le sprinteur est si attentif aux sons au moment du départ,
c’est pour établir une connexion entre son corps et le tout petit
mouvement que la personne qui donne le départ va faire avec son
doigt en appuyant sur la gâchette. Sans l’attention du sprinter, il n’y
aurait pas cette connexion qui lui permet de réagir immédiatement en
faisant un bond en avant.
– C’est comme une sorte de fil alors !
– Eh oui, l’attention, c’est comme un fil invisible qui permet de percevoir et
de réagir…
J’ai bien compris que l’attention est sélective, ça veut dire qu’on peut pas faire
attention à tout à la fois et que, le reste, on le remarque pas (on le perçoit pas,
quoi). Du coup, c’est super gênant si c’est des trucs importants parce qu’on va
pas y réagir. Problème. Par exemple, si je remarque pas que j’ai un épi dans les
cheveux, je vais me pointer en classe coiffé n’importe comment… J’ai compris
aussi que l’attention, ça sert à se connecter à quelque chose (ou à quelqu’un). Et
ça, ça me rappelle les patineurs que j’ai vus à la télé : s’ils font plus attention l’un
à l’autre, ils vont faire chacun leurs trucs dans leur coin et ça va pas marcher.
Donc quand on est attentif, on réagit à ce que dit l’autre ou à ce qu’il fait. Bon,
après c’est vrai qu’ils se tiennent la main aussi pour pas se perdre, mais pas tout
le temps, et dans ce cas, y a vraiment que l’attention qui fait le contact entre eux,
comme le câble entre mon frein et la roue (tiens d’ailleurs, je pense à un autre
exemple marrant : si j’explorais une grotte toute noire avec un pote, je devrais
faire super attention pour pas le perdre… mais bon).
D’ailleurs ça, c’est un autre truc que j’ai bien compris : si on fait pas attention à
quelqu’un, c’est comme s’il était pas là. Donc, s’il nous parle, on comprend rien et
on retient rien de ce qu’il dit parce que notre cerveau réagit pas (ah oui, j’ai oublié
de dire que notre cerveau peut aussi réagir en faisant des trucs intellectuels
quand on est attentif).
En discutant un peu plus hier, j’ai appris aussi que parfois, on peut nous forcer à
faire attention à quelque chose, comme si on nous accrochait avec un fil pour tirer
sur notre attention. Et c’est vrai : par exemple, quand quelqu’un rentre tout d’un
coup dans la classe, ça attire l’attention de tout le monde et on a tous le réflexe de
se tourner. On est un peu comme des marionnettes tirées par des fils. Et ça, ça
m’arrive hyper souvent, je m’en étais pas rendu compte. Du coup, je vais essayer
de pas réagir à chaque fois comme ça, parce que mince, je suis pas une
marionnette ( ! ! !).
D’ailleurs, je me suis rendu compte dans le bus que quand quelqu’un regarde
quelque part, on a tendance à regarder au même endroit et ça, c’est dingue :
quand tu fais hyper attention à un truc, les autres ont tendance à y faire attention.
Trop fort, et le pire c’est que c’est vrai aussi sur les réseaux sociaux : tout le
monde parle de la même chose ! Le chercheur m’a précisé après que ça
s’appelait l’attention conjointe et que je pouvais essayer de l’utiliser quand je
parlais, en faisant hyper attention à ce que je dis pour donner l’impression que
c’est super important (et qu’on m’écoute enfin !).
« Le cortex auditif, c’est une partie du cortex qui reçoit les messages qui
viennent des oreilles. »
– Frontal, c’est pour dire que c’est près du front et préfrontal, pour dire
que c’est en avant, là [il pointe son doigt sur son front]… Un peu
comme la préhistoire qui est avant l’histoire, je suis clair ?
– Oui, ça va.
– Bon. Là, derrière ton front, il y a des régions du cerveau qui sont
capables de choses un peu plus intelligentes qui ne peuvent pas être
faites par le cortex auditif, comme décider de comment tu dois réagir.
– Ça y est, je suis perdu…
– C’est simple, pourtant ; je prends un exemple : je vais te dire des
mots, et toi, à chaque fois que je dirais « voiture », tu devras dire
« moto ». Le reste du temps, tu ne devras rien dire, compris ?
– Compris.
– Camion…
–…
– Voiture…
– Moto…
– Très bien.
– C’est tout ?
– Oui, c’est tout, mais ça nous suffit pour l’instant. D’après toi,
comment ton cerveau a réussi à bien suivre la consigne ? Je précise
ma question : que s’est-il passé dans ton cortex auditif ?
– Je sais pas. Il y avait un détecteur pour le mot « voiture » et quand il
a entendu « voiture », il était content, il a appelé les pompiers ?
« Là, derrière ton front, tu as des régions du cerveau qui sont capables
de choses un peu plus intelligentes… comme décider comment tu dois
réagir. »
– Non.
– Tant mieux ! On va le regarder ensemble.
– D’accord. Qu’est-ce que je dois faire ?
– Tu vois les personnes avec des T-shirts blancs, tu dois simplement
compter le nombre de passes qu’elles se font avec leur ballon. Tu es
prêt ?
– Oui. [Il lance le film.]
– Alors ?
– 15.
– Bien, et tu n’as pas vu quelque chose d’étrange à un moment ?
– Non.
– Tiens, regarde [il remontre le film].
– C’est dingue !
– Je te rassure, la plupart des gens qui découvrent le film ne le voient
pas non plus. Et pourtant, ils le voient quand même d’une certaine
façon…
– C’est-à-dire ? Ils le voient ou ils le voient pas ?
– Il est bien dans leur champ visuel, donc il fait bien partie de l’image
qui s’imprime sur la rétine, dans les yeux. Simplement, leur cerveau n’a
pas fabriqué la perception du gorille à partir de l’image, même s’il avait
tout pour y arriver.
« Le cerveau n’a pas perçu le gorille. Il n’a pas fabriqué la perception du
gorille à partir de l’image qui arrivait aux yeux. »
– Je comprends pas.
– Eh bien, c’est comme avec la rougeole. Il y a des détecteurs dans le
cortex visuel qui ont détecté quelque chose de noir qui bougeait sur
l’écran, mais ça n’a pas suffi à alerter le Samu et aucun spécialiste n’a
été appelé pour reconnaître qu’il y avait un gorille.
– Parce que la personne du Samu était occupée à compter les
passes ?
– Oui, le Samu ne s’intéressait qu’aux détecteurs qui pouvaient l’aider
à compter le nombre de passes, les détecteurs spécialisés dans les
mouvements des choses blanches. Pour voir le gorille, il aurait fallu que
tu y fasses attention.
– Il n’y avait pas une deuxième personne au Samu qui pouvait
s’occuper du gorille ?
– Eh non, on manque de monde dans le cortex préfrontal. Il aurait fallu
qu’il s’intéresse tout d’un coup à ces petits signaux envoyés par
d’autres détecteurs plus sensibles aux formes sombres, pour
comprendre avec l’aide des spécialistes qu’il y avait un gorille, à partir
de ce qu’indiquaient tous ces autres détecteurs ensemble. Tu me
suis ?
– En fait, c’est toujours la même histoire, que ce soit pour voir le gorille
ou la passe que se font les joueurs en blanc…
– C’est exactement ça. Les médecins peuvent reconnaître que c’est
un gorille parce que les détecteurs indiquent qu’il y a tout ce qu’il faut
pour un gorille. C’est comme pour la rougeole : quand il y a tous les
signes que c’est la rougeole, alors les médecins reconnaissent
immédiatement la rougeole. Mais pour ça, il faut regarder les bons
détecteurs.
– Et donc, il faut faire attention au bon endroit.
TRANQUILLE SUR SA VIE MENTALE
Beaucoup de gens entretiennent une relation frustrée avec leur attention,
parce qu’ils pensent qu’elle devrait leur obéir au doigt et à l’œil, mais ce
n’est pas si simple. Comme le corps, l’attention est contrainte par la biologie
et a donc aussi des limites, mais comme elles ne se voient pas, elles sont
plus difficiles à admettre que celles qui nous empêchent de courir le cent
mètres en trois secondes. Mais posez simplement vos deux index sur une
table et essayez de basculer attentivement votre attention d’un doigt à
l’autre, en vous concentrant sur le contact avec la table à chaque fois :
remarquez-vous que cette bascule n’est pas immédiate ? Elle prend un peu
de temps, tout comme le passage de la perception de la jeune femme à
celle de la vieille femme. On ne peut donc pas faire ce qu’on veut avec son
attention, même si on le veut très fort.
C’est un peu comme avec un poney, finalement. Quiconque est déjà monté
sur un poney sait qu’il est beaucoup plus facile de le diriger avec des
petites touches régulières et intelligentes, plutôt que par la force brute. Pour
amener son poney ou son attention là où on le souhaite, il faut d’abord
apprendre à les connaître. Il faut exercer une maîtrise douce, qui prend en
compte la manière dont l’attention réagit : ce qu’elle « aime », ce qu’elle
« n’aime pas », ses mouvements spontanés… car la sacro-sainte volonté
n’est pas d’une très grande aide.
J’aime bien dresser un parallèle avec l’alimentation, qui est devenue une
obsession de nos jours, à travers toute une série de régimes pour contrôler
ce qui entre dans son ventre. Quand on est assis dans le métro avec un
gros écran sous les yeux, cet écran a bien été posé là pour donner à
manger à notre cerveau ! On peut donc parler de « mentalimentation » pour
désigner l’attention, et soigner notre mentalimentation au moins autant que
notre alimentation ! Mais c’est plus facile à dire qu’à faire tant qu’on ne sait
pas contrôler les mouvements de sa fourchette… Voilà pourquoi il faut
commencer par apprendre à maîtriser son attention et, donc, par la
comprendre.
Je peux expliquer à partir d’exemples pourquoi l’attention peut
totalement changer ce qu’on perçoit du monde et de soi-même. Je peux
expliquer cet effet et le rôle de l’attention en m’aidant de la métaphore du
Samu et des détecteurs.
J’ai compris l’importance de bien choisir ma cible et l’impact que
cela peut avoir sur mon rapport au monde. J’ai compris l’intérêt d’une
bonne maîtrise de l’attention. J’ai aussi compris pourquoi il m’arrive de
remarquer des choses auxquelles je ne faisais pas forcément attention
juste avant, mais j’ai compris les limites de cette forme de perception
périphérique.
Voir les choses en grand
– Oui, mais tu vois la différence ? Quand les deux billes sont rouges au
milieu de billes bleues, ton cerveau peut très facilement les regrouper en les
distinguant des autres. Et tu peux y faire attention globalement. Tu
comprends ?
– Oui, là, c’est simple. Mais comment mon cerveau sait s’il peut
regrouper plusieurs objets, j’ai toujours pas compris.
– Il le sait, c’est tout.
– Super, ça m’aide beaucoup.
– Non, mais je ne plaisante pas. Il y a une maladie très bizarre qui
s’appelle la simultagnosie*. La simultagnosie, c’est une incapacité à voir
deux objets en même temps. En gros, si tu mets une assiette et un verre
l’un à côté de l’autre devant une personne qui a ce trouble, elle voit
soit le verre, soit l’assiette. Si son attention est braquée sur le verre,
elle peut très bien te dire qu’il n’y a pas d’assiette sur la table.
– Un peu comme moi avec le gorille ? J’ai quoi, une agorillie ? Je peux
pas voir les gorilles ?
– Non, mais pour elle, il n’y a vraiment rien à côté du verre.
Apparemment, c’est comme si elle ne voyait que ce à quoi elle fait
attention, comme si tout le reste avait disparu.
– C’est horrible, elle peut rien faire de sa vie !
– C’est très invalidant, en effet. Mais c’est encore plus bizarre que ça
en a l’air : si tu dessines sur une feuille deux cercles, elle n’en voit
qu’un seul à la fois, tu es d’accord ? [Il dessine deux cercles.]
– Oui, du coup.
– Mais si tu les relies par un petit trait… tout d’un coup, elle voit les
deux. Magique !
– Quoi ! ?
« Elle voit une sorte d’haltère, et c’est un seul objet. »
– Eh oui, elle voit une sorte d’haltère, et c’est un seul objet. Donc
comme je te disais : le cerveau sait très bien si plusieurs choses
ensemble forment vraiment un seul objet.
– C’est du délire !
– Et pourtant, c’est comme ça.
– Bon, mais pour moi qui n’ai pas de sinul…
– Simultagnosie.
– Oui, ça me sert à quoi concrètement tout ce que tu m’as expliqué ?
Je dis pas que c’est pas intéressant, mais…
– Eh bien, c’est toujours la même chose : depuis le début, j’essaie de
voir avec toi tout ce que tu peux prendre comme cible avec ton
attention. Et là je suis en train de t’expliquer que cette cible n’a pas
forcément à être petite, qu’elle peut être étendue, et que tu peux faire
attention à plusieurs choses à la fois pour jouer au foot, mais à
condition que ton cerveau arrive à en faire des gros objets en
regroupant plusieurs objets.
– Et ça arrive souvent ?
– Oui, ça arrive souvent pour répondre à des questions, ou remarquer
certaines choses. Tiens, si je te demande de ramasser rapidement
tous tes couverts, tu dois faire attention à quoi ?
– Je sais pas… aux couverts ?
– Un par un ?
– Oui, d’abord à la fourchette, puis au couteau…
– Mais tu peux aussi essayer de faire attention globalement à tous les
couverts que tu vois, tu y arrives ?
– Je crois, oui… Je suis pas sûr, mais j’ai l’impression de pas en
regarder juste un à la fois… Mais, attends, du coup je comprends plus :
je peux faire attention à un seul objet ou à plusieurs objets à la fois ?
– Encore une fois, ça dépend si ton cerveau les regroupe ou non.
– Mais il a intérêt à tout le temps les regrouper, parce que ça permet
d’en voir plus, non ?
– Pas forcément, parce que tu ne vois pas vraiment la même chose
selon que tu fais attention à l’ensemble ou à un élément seulement.
Quand tu fais attention globalement à ta fourchette, ton couteau et ta
cuillère, tu vas remarquer comment ils sont posés les uns par rapport
aux autres, mais si tu as besoin de voir des détails sur un des objets, il
vaut mieux faire attention à celui-là en particulier. On va faire plusieurs
petites expériences si tu veux. [Il prend les couverts et les dispose
pour former un cercle.] Tu vois la forme globale là ?
– Ben oui, ça fait un cercle.
– Et si je commence à les disposer un peu plus au hasard, tu
continues à pouvoir faire attention à tous les couverts globalement ?
– Oui, j’y arrive.
– Maintenant, essaie de focaliser ton attention pour me dire ce que
reflète ta cuillère, comme un petit miroir.
– Euh… la lampe du plafond.
– Et plus précisément ?
– J’ai du mal à voir… Une autre lampe aussi, je crois.
– Tu continuais à voir comment étaient disposés les couverts les uns
par rapport aux autres ?
– Non, j’avoue.
– Bon, maintenant, fais à nouveau attention à tous les couverts à la
fois, et ramasse-les d’un coup.
– Facile. Hop !
– C’était rapide ! Tu te demandes peut-être pourquoi je t’ai demandé
de faire ça ?
– J’imagine que c’était pour me faire comprendre qu’on peut faire
attention à plusieurs objets globalement, comme si c’était un seul…
– Pas seulement, je voulais aussi te montrer que selon ce que tu
cherches à faire ou à savoir, tu as plutôt intérêt à faire attention de façon
focale à un objet unique ou globalement à plusieurs objets à la fois.
Quand
tu fais attention globalement à plusieurs objets, qui deviennent du
coup pour ton cerveau un seul objet, il y a des choses que tu ne
remarques plus. Ça peut être un désavantage.
– Mais alors*, quand est-ce qu’il faut que je fasse attention à un truc en
particulier ou à un ensemble ? D’ailleurs, moi, je préfère faire attention
à l’ensemble. J’ai envie de tout voir.
– Ce n’est pas parce que tu vois plus globalement que tu vois tout.
N’oublie pas, l’attention est sélective. Tiens, regarde ce film… [Il lui met
le film « Change blindness – classic demo – plane » référencé dans la
note.]
« Maintenant, fais à nouveau attention à tous les couverts à la fois, et
ramasse-les d’un coup. »
Ce qui m’a vraiment marqué, c’est le nombre de détails qu’on voit pas quand on
regarde quelque chose. Par exemple, là, même si on a l’impression de faire
attention à tout ce qui est écrit, en fait, on serait incapable de recopier le mot
« recopier » exactement comme il est écrit ici, sans regarder : par exemple, le
« r » serait pas exactement pareil, etc. En fait, c’est normal, parce que notre
cerveau se fiche de ce genre de détails, ça lui sert à rien pour lire, tout ce qui
compte c’est les mots qui sont marqués, pas comment ils sont marqués.
Mais le truc dingue, c’est que ça marche aussi avec la couleur d’un pull par
exemple. On a regardé un film où une personne demande un renseignement à
quelqu’un dans la rue (on va l’appeler Tom, celui qui demande), et puis il y a deux
personnes qui passent au milieu en portant une porte (je sais, c’est bizarre). Donc
pendant un moment, elles ne se voient pas et Tom est remplacé par une autre
personne habillée différemment, mais le gars continue son explication sans se
rendre compte que c’est plus le même Tom ! Ça montre bien que son cerveau se
fichait totalement des détails (même de qui c’était, de comment il était
habillé, etc.), il faisait juste attention à « une personne qui demande un
renseignement ». En gros, tu changes la personne, mais pour le cerveau, c’est
toujours « une personne qui demande », ça fait aucune différence (j’y crois pas !).
Il paraît que c’est pour ça qu’on fait des fautes d’orthographe, parce que du
moment que le mot qu’on écrit est vaguement ressemblant, c’est pareil, on voit
pas la différence parce qu’on y fait pas attention. Du coup, ça veut dire que
parfois, il faut apprendre à faire attention plus aux détails et parfois plus au truc
global (comme au foot). En fait, ça dépend de ce qu’on a à faire, quoi.
JOUER AVEC
SON ATTENTION
Il suffit d’un livre ou d’un magazine pour s’habituer à jouer avec son
attention. Faites-en l’expérience avec le paragraphe suivant, en suivant une
à une les instructions ci-après.
Le texte :
L’homme portait un large chapeau noir, qu’il avait gardé malgré la chaleur
étouffante de ce 12 juillet. Il avait posE sa valise au-dessus de lui, à
l’emplacement prévu à cet effeT dans chaque compartiment de seconde
classe des trains de la ligne Paris-Milan. C’était une valise sans signe
distinctif particUlier. La poignée était un peu élimée, signe de voyages
fréquents. Il avait sorti un journal, qu’Il feuilletait avec une certaine
nonchalance en regardant de temps en temps par la fenêtre. À cet endroit
de la plaine, les rails n’étaient pas droits, mais légèrement courbes, et il
pouvait apercevoir au loin les wagons en tête du train. Il repensait aux
personnes qu’il avait laissées à Paris et qu’il ne reverrait que l’an prochain
en mai. Mais il ramena rapidement ses pensées vers Milan… Milan !
Les consignes :
1. Placez votre regard au milieu, vers le haut du texte. Autant que possible,
vous devrez le laisser à cet endroit pendant tout l’exercice (à part pour lire
ces consignes, évidemment. L’idéal serait d’ailleurs de les retenir avant de
faire l’exercice, ou de vous les faire lire).
2. Déplacez votre attention vers un mot avec une lettre rouge un peu sur la
gauche. Vous entendez-vous prononcer spontanément ce mot
mentalement, « dans votre tête » ?
3. Déplacez maintenant votre attention sur le mot à droite de celui que vous
regardez. Constatez-vous le même phénomène de « petite voix » que
précédemment ?
4. Faites attention à toutes les lettres rouges en même temps. Que lisez-
vous ?
6. La pièce dans laquelle vous vous trouvez est-elle bruyante ? Quel type
de bruits entendez-vous ?
10. Vous pouvez maintenant déplacer votre regard pour fixer le centre du
premier mot avec une lettre rouge. Une fois en place, élargissez votre
attention pour englober également, et tous ensemble, un ou deux mots sur
la gauche et sur la droite. Une fois que votre attention est bien élargie,
maintenez cette ouverture et promenez votre regard le long du texte, ligne
après ligne, en posant votre regard deux à trois fois par ligne, de manière à
le parcourir en entier et au rythme qui vous semble confortable. Où est le
mot « wagon » ?
Pour les plus jeunes, la capacité à alterner rapidement entre une attention
très focale et une attention très globale est particulièrement intéressante à
développer, parce que leur attention est souvent bloquée à l’un de ces
deux niveaux, particulièrement pendant l’utilisation des écrans où l’attention
est souvent très restreinte. Pour y remédier, voici un deuxième exercice qui
peut être intéressant, aussi bien pour les enfants et les adolescents que
pour les adultes d’ailleurs. Il est très simple et consiste simplement à allumer
votre téléphone pour regarder le dernier SMS que vous avez reçu. Une fois
votre regard placé sur le message, élargissez simplement votre attention
pour englober tout l’écran, selon le principe de l’exercice précédent. En
gardant toujours votre regard fixe, élargissez encore votre champ
d’attention pour inclure votre main, et tout ce qui est visible autour de
l’écran (la table, le mur…). Vous pouvez même vous lever et essayer de vous
déplacer en évitant les obstacles, tout en tenant votre téléphone de la
même manière. Êtes-vous capable d’utiliser votre smartphone pour aller voir
d’autres messages, en gardant le plus possible cette attention large ? Est-ce
« comme d’habitude », ou un peu différent ? Ce faisant, pouvez-vous
également faire attention à ce que vous vous dites mentalement, à ce que
vous vous prononcez dans votre tête ? Étonnant, non ? Ressentez-vous une
impression d’ouverture, en ayant moins la sensation d’être enfermé dans un
« tunnel » ?
Je peux donner des exemples de cibles attentionnelles globales
ou plus focales, en expliquant ce que permettent les unes et les autres, je
peux donner des exemples de manières dont je peux changer de cible
attentionnelle (d’un son à une image, d’une cible focale à une cible
globale, etc.). Je peux donner des exemples illustrant la variété des cibles
possibles, à un même moment et dans un même contexte.
Je sais maintenant jouer avec mon attention pour la déplacer
d’une perception à une autre, y compris pour la basculer d’un niveau focal
à un niveau global. J’ai compris comment envisager plusieurs cibles
possibles pour trouver celle qui me rendra plus facile ce que j’ai à faire.
Comme une roue de vélo
– D’accord.
– Cette flèche veut dire que le rond central est particulièrement
sensible à ce que ces détecteurs sont censés détecter, il a même
augmenté leur sensibilité pour les rendre encore plus efficaces. Mais
tu vois que les autres détecteurs du cercle continuent de fonctionner,
donc tu continues de voir ce qu’il y a autour de ma main, tu continues
d’entendre les bruits dans la pièce, etc., mais ils font juste leur travail
de détecteurs, rien de plus intelligent. Simplement ils sont moins
sensibles que ceux qui sont boostés par l’attention, si je puis dire,
c’est-à-dire visés par la flèche.
– Bon, mais quand je fais attention au gorille… tu la mets où, la cible de
l’attention, dans ton dessin ?
– Bonne question. Dans ce cas, le Samu s’intéresse surtout à ce que
lui indique le spécialiste, que ce soit pour le gorille ou pour la
rougeole, donc ce serait logique de l’insérer, sur une sorte de zone
intermédiaire, ton spécialiste. [Il dessine un cercle intermédiaire entre
le cercle externe et le rond central.]
– Donc le rond central fait attention au spécialiste ?
– On va dire qu’il fait attention à ce que dit le spécialiste, et pas aux
détails.
– Mais justement, on a l’impression que ton spécialiste, il bloque la vue
à ton cortex préfrontal et qu’il peut plus voir les détecteurs.
– Eh bien c’est pas mal, non ? C’est un peu ce qu’on vient de voir
ensemble, tu ne crois pas ? Ça ne veut pas dire que tu ne peux pas
voir les détails, mais c’est surtout l’ensemble, que tu vas surtout voir.
– Je vois…
AVANT TOUT,
SE SIMPLIFIER LA VIE
Les spécialistes de l’attention ont longtemps débattu de ce qu’il était
possible de remarquer même quand on n’est pas attentif. L’une des
observations qui les intriguait particulièrement est qu’il arrive parfois au
restaurant de remarquer quand une personne prononce notre prénom à la
table d’à côté alors qu’on ne faisait pas du tout attention à cette
conversation. En conservant l’idée que le cerveau contient des petits
détecteurs actifs en permanence pour détecter certains stimuli, il fallait
admettre que certains d’entre eux sont quand même sacrément
sophistiqués ! Il en existe effectivement pour certaines choses
particulièrement importantes pour nous, et ces détecteurs peuvent même
se former au fil du temps dans notre cerveau, à force d’accorder de
l’importance à certains stimuli en particulier. Mais c’est un processus lent et
qui ne peut pas fonctionner pour tous les stimuli complexes. Le phénomène
de conjonction illusoire illustre bien cette limite : quand on flashe sur un
écran un carré rouge à côté d’un rond vert, une personne qui n’a pas bien
fait attention à ces formes peut avoir l’impression d’avoir vu un rond rouge
et un carré vert, ce qui n’arriverait jamais s’il y avait dans le cerveau des
détecteurs de « ronds verts » et de « carrés rouges ». Par contre, cette
même personne ne dira jamais avoir vu un triangle ou du jaune, parce qu’il
existe bien des détecteurs pour ces caractéristiques simples
(Treisman A. M., Gelade G., « A feature-integration theory of attention »,
Cognitive Psychology, 12 (1), 1980, p. 97-136).
« Tu ne peux pas percevoir cet équilibre des saveurs, tu ne peux pas y
faire attention, tandis que le cuisiner, lui, le peut. »
– Oui, ça, ça va encore…
– Mais il y a plein de cibles qui sont trop complexes pour toi. Si on est
face à un mur d’escalade et que je te demande de trouver une bonne
prise, ou le bon moment pour attaquer ton adversaire au taekwondo,
comment tu trouves ça ? À quoi tu dois faire attention, précisément,
pour trouver une bonne prise ou le bon moment pour attaquer ?
– Je sais pas… Aux prises ? Au gars en face ?
– Eh bien non, il faut que tu fasses attention à un aspect particulier des
prises que tu ne sais pas voir si tu ne fais pas d’escalade. Et en
taekwondo, il faut que tu fasses attention à une certaine manière qu’a
ton adversaire de bouger.
– Ah oui…
– Et au contraire, quand je t’ai demandé si le visage que tu voyais
dans la figure était celui d’une jeune femme ou d’une vieille femme, tu
as pu percevoir le visage et y faire attention pour répondre à ma
question… Mais tu ne peux pas faire attention à l’équilibre des saveurs,
à de bonnes prises sur un mur, tu ne peux pas trouver la bonne
perception ni même la reconnaître : ce n’est pas une cible simple pour
toi, mais pour d’autres, ça l’est.
– Et si j’essaie quand même ?
– Tu peux essayer de deviner, mais tu vas sans doute te tromper. À toi,
on va te poser des questions plus simples, par exemple si tu sens plus
le goût de la carotte que celui de l’oignon. À quoi tu ferais attention
pour me répondre ?
– Ben, au goût de l’oignon et à celui de la carotte…
« Tu vas recommencer ta roue en faisant bien attention à ce que tes
jambes soient droites, mais elles seront peut-être encore un peu sur le
côté sans que tu le remarques. »
– Ça, tu sais faire. Le goût de l’oignon dans le plat, c’est une cible
simple pour toi. Celui de la carotte aussi, et tu peux les comparer. En te
posant cette question, je te donne des cibles simples à viser avec ton
attention, des cibles plus simples que l’« équilibre des saveurs ».
D’ailleurs,
un cuisinier ne saurait peut-être même pas te dire vraiment à quoi ça
correspond comme perception. C’est évident pour lui, mais sans qu’il
puisse l’expliquer. C’est ce « je-ne-sais-quoi »… Ce « petit quelque
chose »…
– Mais ça arrive, d’essayer de faire attention à une cible qu’on peut
pas trouver ?
– Ça arrive surtout qu’on te demande de faire attention à quelque
chose, sans prendre la peine de savoir si c’est une cible que tu peux
trouver facilement. Dans ce cas, toi, de ton côté, tu vas te sentir un peu
perdu : tu auras l’impression qu’il y a quelque chose qui ne va pas, que
tu ne fais pas bien, mais sans trop savoir quoi.
– Par exemple ?
– Eh bien, imagine que tu sois en train d’apprendre à faire la roue en
gym, et qu’en te voyant faire, le prof remarque que tes jambes ne sont
pas assez verticales. Il va te dire : « Tends bien tes jambes vers le
haut. » Mais toi, comme tu ne te vois pas, tu dois faire attention à une
perception particulière que tu ressens dans ton corps pour savoir si
tes jambes sont bien comme il faut. Et cette perception peut ne pas
être la bonne : ça peut être la perception que tes jambes sont
simplement bien tendues par exemple, et si c’est le cas, tu vas
recommencer ta roue en faisant bien attention à ce que tes jambes
soient droites, mais elles seront peut-être encore un peu sur le côté
sans que tu le remarques.
– Et le prof va me crier dessus.
– Pas forcément, mais il va sans doute te redonner le même conseil
qu’avant : « Tends tes jambes vers le haut », et toi tu vas refaire la
même erreur encore et encore. Et c’est normal, puisque tu t’es trompé
de cible : tu n’as pas de moyen de savoir si tes jambes pointent
vraiment vers le haut. Et je pourrais te citer plein d’exemples comme
ça, en musique, en sport, en théâtre, en classe ou n’importe où, où un
élève va refaire plusieurs fois la même erreur parce qu’il ne se rend pas
compte qu’il ne fait pas comme il faut, simplement parce qu’il ne fait pas
attention à la bonne cible. Comment sais-tu par exemple si tu as la
bonne attitude à cheval, si tu joues ton morceau de piano de manière
assez expressive, si tu es crédible dans ton rôle au théâtre, si tu es
convaincant quand tu expliques quelque chose ou si ton mouvement
de danse est gracieux ? À quoi dois-tu faire attention pour te rendre
compte si ce que tu fais est bien ou pas, et ce que tu dois corriger ?
– Et donc qu’est-ce qu’il faudrait faire dans le cas de la roue ?
– Je pense qu’il y a plein de profs qui le font, mais il devrait t’aider à
trouver la sensation que tu dois rechercher et ce à quoi tu dois faire
attention, de ton point de vue et pas de celui de quelqu’un qui
t’observe de l’extérieur. Par exemple, en te faisant ressentir la
différence entre la perception que tu as de ton corps quand les
jambes pointent vers le haut et quand elles pointent de côté, c’est-à-
dire en t’aidant à reconnaître la bonne position, telle que tu peux la
sentir toi. Et c’est là, où parfois tu peux tomber sur une cible qui n’est pas
une cible simple pour toi, une perception à laquelle tu ne peux pas
facilement faire attention, une cible qui ne te dit rien.
Moi par exemple, qui
suis nul en gym, je ne sais pas si j’arriverai facilement à trouver avec
mon attention cette perception que mes jambes pointent bien vers le
haut. Il faudrait peut-être que je cherche au niveau des sensations
dans mes abdominaux et dans mon dos, pour voir si tout ça n’est pas
un peu plié…
– Donc, tu cherches des sensations… plus précises, c’est ça ?
– Oui, peut-être plus concrètes. Tu vois, on peut se demander si une
posture est tonique, si une défense au foot est désorganisée, si une
phrase est bien écrite, si un champignon est comestible… Pour
répondre à ces questions, il faut avoir ce qu’on appelle un « œil
d’expert », c’est-à-dire une capacité à faire attention à un ensemble de
détails bien précis, qui, ensemble, forment une perception que des novices
ne peuvent pas avoir. Tu as déjà entendu parler de l’intelligence
artificielle ?
– Euh oui, comme tout le monde, un peu.
– Tu as déjà remarqué que sur les téléphones, il y a un programme qui
peut reconnaître les gens que tu connais sur les photos ?
– Oui, il met un petit carré autour.
– Le programme qui fait ça est construit avec des petits neurones
électroniques. Ce ne sont pas des vrais neurones, mais des mini-
programmes qui travaillent ensemble, comme les neurones dans le
cerveau. On appelle ça un réseau de neurones artificiels.
– OK, et alors ?
« Il y a certains éléments dans l’image qui vont plus intéresser [ton
réseau de neurones] que les autres, parce que ce sont eux [que ton
cerveau] doit prendre en compte pour savoir qui est la personne. C’est
comme s’il y faisait attention. »
C’est vrai qu’on peut pas faire attention à tout ce qu’on veut, parce que ça dépend
de ce qu’on a appris. Par exemple, parfois quand je relis ce que j’ai écrit en
français, ça commence à m’arriver de trouver qu’un mot est écrit bizarrement. Du
coup, en regardant bien, je me rends compte que j’ai fait une faute d’orthographe.
Ça veut dire que je commence à pouvoir me relire en faisant surtout attention à
cette sensation (qu’il y a un truc écrit bizarrement). Et franchement, je vois pas
comment j’aurais pu faire ça en CE2 par exemple, sauf peut-être pour des fautes
énaurmes (ah, ah, j’ai fait exprès). Donc ça veut bien dire que quand on devient
plus fort dans un domaine, on peut faire attention à des cibles qu’on aurait jamais
trouvées avant. Ça me motive à fond pour progresser parce que ça doit être pareil
pour tout ce que je fais, et d’ailleurs, au foot, je commence à remarquer quand un
joueur de l’autre équipe va rater sa passe ; je sais pas comment dire, mais je le
sens, donc c’est un truc auquel je peux faire attention maintenant pour le
remarquer plus vite et en profiter. Bon, donc j’ai compris qu’il y avait des cibles
simples (c’est facile d’y faire attention) et d’autres, c’est même pas la peine parce
qu’on a pas appris. Mais ce qui est bien du coup, c’est quand tu découvres tout
d’un coup une nouvelle cible à laquelle t’avais jamais vraiment fait attention avant
parce que tu pouvais pas, parce que là, ça veut dire que t’as vraiment progressé !
UN CERVEAU
MAL FICHU ?
C’est un peu gênant de ne pouvoir faire attention qu’à une chose à la fois,
et on peut même se demander comment l’espèce humaine a réussi à
survivre jusqu’ici avec un cerveau qui ne perçoit à chaque instant qu’une
toute petite partie du monde qui l’entoure. Comment ne pas se faire
dévorer par des prédateurs ou renverser par un bus ?
À deux ou à plusieurs, posez-vous à tour de rôle des questions qui obligent à faire
attention à quelque chose de particulier.
Exemples : « Es-tu détendu au niveau des épaules ? », « Les voisins sont-ils là ? »,
« Est-ce que tu respires calmement ? »…
Demandez :
– À quoi est-ce que l’autre personne a dû faire attention ?
– Est-ce qu’elle percevait cette sensation avant (d’y faire attention) ?
2 La peur de ne pas réagir à quelque chose d’important qu’on
aurait ignoré
En quoi l’attention est-elle nécessaire pour réagir dans les conditions suivantes :
– Jouer à « 1,2,3 soleil ».
– Retourner le service de l’adversaire au tennis.
– Danser avec un partenaire.
– Danser tout seul.
– Jouer d’un instrument dans un groupe.
Que se passe-t-il quand la connexion est rompue ?
L’attention doit-elle être continue ou juste être portée à certains moments ?
Trouvez des situations où l’attention doit simplement se porter à des moments très
précis. Exemples : faire brûler une allumette jusqu’au bout en la tenant dans les
doigts, rejoindre sa porte d’embarquement à l’heure à l’aéroport…
Les signes qui traduisent la qualité de la connexion entre deux
personnes lors d’une conversation
Quels signes vous permettent de vous rendre compte que la personne à laquelle
vous parlez, par exemple, ne vous écoute pas vraiment ?
Cherchez des situations où on évite de faire attention à quelque chose à cause des
réactions spontanées que cela pourrait évoquer de notre part (ou de la part de
quelqu’un d’autre). Exemples : éviter de regarder les gens droit dans les yeux dans la
salle d’attente du médecin ou dans le métro (pour ne pas rougir si on est timide), ne
pas regarder le vide au bord d’un précipice…
Trouvez des exemples où vous utilisez votre attention pour ressentir, amplifier ou
diminuer une sensation physique. Exemples : une sensation de glisse
particulièrement agréable en nageant ou en skiant, une sensation gustative très
plaisante en mangeant un gâteau… et, à l’inverse, une douleur dans le dos, une
pensée négative…
Y a-t-il des bruits, des odeurs ou d’autres formes de stimuli sensoriels qui attirent
particulièrement votre attention et auxquels vous êtes plus sensible que d’autres
personnes ? Exemples : le bruit des talons de la voisine, un détail dans le visage
d’une personne que vous connaissez, un tic de langage, la façon dont les gens
s’habillent…
Se sentir attentif
Que feriez-vous pour vous préparer à trouver le plus rapidement possible un objet
rond dans un sac, simplement au toucher ?
4 et 5 Bien choisir entre une attention globale et une attention
focale
Cherchez des situations où une attention globale est préférable à une attention très
focale. Exemples :
– Juger si des habits vont bien ensemble.
– Réfléchir à l’organisation des meubles dans une pièce.
– Jouer de la musique à plusieurs.
– Parcourir rapidement des documents (images, graphes…).
– Se faire une idée de la difficulté d’un devoir de maths et définir une stratégie pour
avoir la meilleure note possible.
– Prendre connaissance d’un texte.
– Parler avec des amis.
Promenez-vous dans la rue ou dans un centre commercial avec une attention très
globale : portée sur la forme générale des bâtiments ou des boutiques et leur
organisation dans l’espace, sur les mouvements des personnes ou des véhicules les
uns par rapport aux autres. Essayez de maintenir cette attention très globale et
comparez les sensations ce que vous ressentez à celles que vous éprouvez
habituellement avec une attention plus séquentielle et focale, portée sur les
différents objets, les différents messages, les différentes enseignes, les différentes
personnes, les uns après les autres. Une attention plus globale diminue-t-elle la
sensation éventuelle de fatigue et de surcharge mentale que vous pourriez
éprouver ?
Trouvez des exemples de métiers, de tâches ou d’activités qui exigent une attention
très focale. Exemples :
– Réparer une montre.
– Relire un texte.
– Répéter précisément un nouveau mot d’anglais.
– Remarquer qu’on n’a mal reproduit la figure de l’exercice de maths.
Quels sont les problèmes que pourrait causer une attention trop globale ici ?
Identifiez des situations où vous pourriez être tenté de vous dire qu’« en gros, ça
va », mais où, non, ça ne va pas. Exemples : relire un calcul, évaluer la logique d’un
raisonnement, regarder une carte pour trouver un itinéraire, retenir un mot de passe
(sans faire attention aux majuscules/minuscules), retenir l’orthographe d’un nom de
famille…
Trouvez un exemple de cible dont vous avez l’habitude et qui vous est utile, mais
que vous auriez beaucoup de mal à décrire à quelqu’un d’autre. Exemple : un fan de
rap qui sait tout de suite repérer les rimes qui « claquent » et celles un peu molles.
Comment expliquer ce qu’est une rime qui sonne bien et comment aider quelqu’un à
faire spécifiquement attention à ces rimes pour les trouver ? Est-ce une cible simple
ou complexe ?
Décrivez précisément à la personne que vous avez en face de vous ce à quoi il faut
faire attention pour :
– Dire si ça sent le brûlé (ou non).
– Décider si un bleu est plus clair qu’un autre.
– Relâcher les tensions musculaires dans son corps.
– Sentir une ambiance (et éventuellement la calmer ou, au contraire, l’énergiser).
– Cerner son interlocuteur (qui il est, ce qu’il veut, son type de personnalité).
– Remarquer si la personne qui nous parle manque d’assurance ou non.
– Évaluer si la décoration d’une pièce est harmonieuse.
– Évaluer si quelqu’un nous inspire confiance.
Est-il possible de passer d’une impression vague à une perception très précise de ce
qui va ou ne va pas, en ayant compris ce à quoi on fait attention ?
Pour certaines de ces situations, imaginez que la personne à laquelle vous décrivez
ces cibles ne comprenne pas ce à quoi elle doit faire attention et cherchez des cibles
plus simples qui peuvent l’aider (mais qui ne sont, malgré tout, « pas tout à fait ça »).
Trouvez dans des situations de la vie courante – au travail, à l’école ou dans vos
loisirs – des moments précis où le changement de cible attentionnelle doit être
rapide. Exemples : un conducteur qui regarde dans son rétroviseur, puis la route
devant lui, un joueur de basket qui s’approche du panier, une personne qui prend
des notes pendant qu’elle est au téléphone…
Essayez pendant cinq minutes de ne pas quitter des yeux les objets que vous
manipulez tant que vous ne les avez pas lâchés. Cela peut-il vous éviter de perdre
des affaires, quand vous êtes pressé par exemple ?
Apprendre à jouer avec son attention
Apprendre à se concentrer
« Déplacer son attention vers quelque chose qu’on n’aime pas, ce n’est
pas plus difficile que de déplacer son attention vers quelque chose qu’on
aime. »
– Juste y faire attention, oui.
– C’est toujours bon à savoir. Il y a évidemment des choses qu’on
aime moins que d’autres, mais on peut quand même les prendre
comme cibles de son attention. Tu peux décider de faire attention à
une explication de maths sur un sujet que tu n’aimes pas, sans avoir
peur que ça te fatigue ou que ça te fasse mal.
– Je vois où tu veux en venir…
– Tu es bien installé ? Parce que je vais t’expliquer ce qu’est la
concentration, maintenant.
– OK. Je dois faire quoi ?
« Je ne comprends pas : j’ai bien fait ce qu’on a dit, j’ai vraiment bien
visé la bonne cible avec mon attention ! »
– Arrête ! T’as fait n’importe quoi ! Et c’est pas moi qui nettoierai !
– Je m’en occupe. Mais tu vois qu’une fois encore, ça ne suffit pas
d’être attentif à la bonne cible. Il faut également faire attention à bien faire
quelque chose…
– Oui, à pas bouger le verre comme un malade mental.
– C’est ça. Je devais faire attention à contrôler finement les
mouvements de ma main, mais ce n’est pas tout. Car j’avais également
une intention très précise : je veillais à ce que l’eau ne se rapproche pas
du bord. Donc si je résume, il y avait : quelque chose auquel je devais
bien faire attention, une perception – je te rappelle – qui était ma cible
[il montre son pouce], une intention précise, donc quelque chose que
je cherchais à faire [il montre son index] et aussi quelque chose que je
devais faire attention à bien faire, une Manière particulière d’agir. [Il montre
son majeur.]
– Ça fait beaucoup de « faire ».
– Oui, et beaucoup d’attention. Écoute bien : « Je fais attention à une
cible », « Je fais attention à bien faire quelque chose » et « Je cherche
à faire quelque chose »… Le sens est un peu différent à chaque fois.
Une Perception qui est plus importante, et qui est ma cible ; avec un P
comme Pouce [il montre à nouveau son pouce], une Intention avec un
I comme Index [il montre son index], et une Manière d’agir avec un M
comme Majeur [il montre son majeur]. Pouce, Index, Majeur :
Perception, Intention, Manière d’agir.
– Ça a l’air important pour que t’insistes autant.
– Oui, et tiens, tu sais faire un caramel ?
– Faire, non. Manger, oui. Tu me donnes envie.
– Pour faire un caramel, tu commences par mélanger du sucre avec
de l’eau dans une casserole que tu mets sur le feu, mais ensuite tu
dois faire bien attention à ne pas chauffer trop fort ni trop longtemps,
sinon ton caramel est raté.
– Beurk.
« Sans être expert en caramel, je vois qu’il y a quelque chose qu’il faut
surveiller et quelque chose qu’il faut faire pour contrôler que tout se
passe bien. »
– Donc quand tu fais ton caramel, tu dois régler ton feu pour qu’il ne
soit ni trop fort, ni trop faible et comment tu règles le feu ?
– Ben, avec le bouton rond, sur le côté.
– Exactement. Tu règles la température de ton mélange en tournant le
bouton de ta plaque de cuisson. Mais comment sais-tu si tu dois
chauffer plus fort ou moins fort, et comment tu dois régler le bouton ?
C’est la couleur de ton mélange dans ta casserole qui te le dit.
– Eh oui, et alors ?
– Sans être expert en caramel, je vois qu’il y a quelque chose qu’il faut
surveiller et quelque chose qu’il faut faire pour contrôler que tout se
passe bien. C’est comme avec le verre d’eau, finalement. Tu contrôlais
les mouvements de ta main en surveillant l’espace entre l’eau et le
bord.
– Et là, je contrôle la couleur du caramel ?
– Pas directement. Ce que tu contrôles, c’est la température, et tu la
contrôles en agissant d’une Manière bien précise : en tournant le
bouton de la plaque. La couleur du caramel, c’est ce que tu surveilles.
– C’est ma cible en fait, celle à laquelle je dois faire attention, non ?
– Exactement. Et si tu cesses de faire attention à la couleur du
caramel, tu n’as plus aucun moyen de savoir comment tu dois régler le
bouton, tu es perdu.
– Tout perdu devant mon caramel qui brûle.
– Tu sais, le mot « contrôle » a deux sens différents, qu’on retrouve ici.
Tu contrôles que tout va bien ou qu’un élève a bien appris sa leçon…
– C’est comme « vérifier » ?
– Oui. Et tu peux aussi contrôler un ballon de foot qui t’arrive, ou
contrôler la température.
– Là, c’est comme… euh, « contrôler ».
« À quoi dois-tu faire attention, quelle est ta cible (c’est le P), qu’est-ce
que tu cherches à faire (c’est le I) et qu’est-ce que tu dois contrôler pour
que tout se passe bien (c’est ton M). »
Je me suis bien fait avoir avec cette histoire de banane et d’équation. Donc ça
veut dire que faire attention à quelque chose, c’est pas dur même si c’est un truc
qu’on aime pas. Et le pire, c’est que je pensais que faire attention, c’était fatigant,
mais même ça, c’est pas vrai parce qu’en fait, on est toujours attentif à quelque
chose. Ben oui, quand j’écoute plus le prof et que je regarde par la fenêtre, je fais
attention à ce qu’il y a dehors… Et si je pense à ce que je vais faire ce soir, c’est
que j’y fais attention aussi. Le chercheur m’a dit après qu’on pouvait pas être
fatigué de faire attention parce qu’à la fin de la journée, on continue de faire
attention à des choses, et que c’est comme voir (on devient pas aveugle le soir
parce qu’on a trop vu de choses dans la journée… c’est pas faux).
Mais du coup, pourquoi j’arrive pas à rester attentif longtemps ? Le chercheur m’a
demandé ce que je faisais pendant les pauses et je lui ai dit que je discutais avec
des potes. Là, il s’est moqué de moi en disant : « Ah, ah, pour te reposer de faire
attention à ce que dit ton prof pendant le cours, tu fais attention à ce que te
racontent tes amis ? » Il m’a dit que ce qui était fatigant, c’était peut-être de faire
attention à quelque chose en ayant envie de faire plutôt attention à autre chose, et
qu’on en reparlerait plus tard. Bon, comme ça au moins, je saurai…
Sinon, il m’a aussi expliqué que se concentrer c’était comme faire un caramel. Et
là, j’ai commencé à comprendre. En fait, c’est simple (je prends un autre exemple
que le caramel pour voir si j’ai compris). Par exemple, quand tu fais une bulle de
savon et que tu veux la faire la plus grosse possible sans qu’elle explose, tu peux
regarder les couleurs sur la bulle (c’est vrai que c’est joli), sauf que ça sert à rien.
Tu dois faire attention à la taille de la bulle qui augmente ! Mais tu dois pas juste
regarder, tu dois aussi faire super attention à souffler comme il faut, pas trop fort,
donc tu dois aussi faire attention à bien faire quelque chose, et ça, c’est ce qui te
permet de contrôler comment ta bulle grossit. Donc c’est comme avec le caramel,
tu dois bien avoir un moyen de contrôler que tout se passe comme tu veux. Et
justement, tu dois forcément savoir ce que tu veux, et ça, c’est ton Intention
(sinon, tu sais pas sur quoi te concentrer, logique). Donc voilà, pour se concentrer,
il faut bien choisir ce qu’on doit Percevoir (P comme Pouce), il faut avoir une
Intention (I comme Index) et il faut un moyen d’agir (on dit Manière d’agir, il paraît,
pour faire M comme Majeur). Ça fait « PIM ». Un PIM, ça explique comment se
concentrer.
Une connexion active
– Mais ton histoire de PIM, ça veut dire qu’il y a qu’une seule façon de
se concentrer à chaque fois ?
– Ça, c’est une bonne question. Et la réponse est non : il n’y a pas
forcément une seule manière de se concentrer pour arriver à un bon
résultat. L’idée, c’est de choisir le PIM qui te convient le mieux,
mais on en
reparlera plus tard. Pour aujourd’hui, ce qui m’intéresse c’est cette
idée de PIM et que tu comprennes bien que faire attention et se
concentrer, ce n’est pas pareil.
– Si je comprends bien, faire attention, c’est juste le P du PIM ?
– Exactement. L’attention sert à établir une connexion avec ta cible,
mais avec le PIM, cette connexion est active.
– Ça veut dire quoi ?
– Une connexion active, c’est une connexion où tu fais quelque chose de
spécial, où tu ne te contentes pas de faire attention tout simplement. Être
actif, c’est faire quelque chose. Tu es passif, au contraire, quand tu te
contentes de regarder ou d’écouter. Tu vois, quand tu fais attention à
l’eau dans le verre pour qu’elle ne touche pas le bord, tu es actif parce
que justement, tu ne te contentes pas de regarder. Donc c’est une
connexion active. On verra plein d’autres exemples ensemble ensuite.
– Mais j’ai vraiment besoin de savoir tout ça pour me concentrer ?
Quand j’ai déplacé le verre d’eau, j’étais concentré ; et pourtant tu
m’avais encore rien expliqué. J’ai vraiment besoin de ton histoire de
PIM ?
– Tu me demandes comment faire pour te concentrer, donc moi, je
t’explique. Tu préférais que je te dise que pour bien te concentrer, il
faut essayer très fort de te concentrer en fronçant les sourcils ? Ça
t’arrive qu’on te demande de te concentrer ?
– Oui, tout le temps.
– Et on t’a déjà expliqué comment faire ?
– Ben non. On trouve ça tout seul.
– Tu es sûr ? Si c’était vrai, tout le monde saurait se concentrer et il n’y
aurait pas de problème. Mais ce n’est pas le cas, loin de là ; donc c’est
bien que la plupart des enfants, et même des adultes, ne savent pas se
concentrer. Mais si personne ne leur a appris, c’est normal qu’ils ne sachent
pas, non ?
– Euh… Oui, en fait.
– Bon, eh bien les PIM décrivent précisément ce qu’il faut faire pour se
concentrer. Et pour l’instant, on n’a vu que deux ou trois exemples très
simples, mais tu vois déjà que « se concentrer », en soi, ça ne veut rien
dire : ce qu’il faut faire précisément pour se concentrer dépend vraiment de
ce qu’on a à faire.
Il faut donc apprendre à se concentrer pour réussir un
caramel, apprendre à se concentrer pour réussir un double salto
arrière, apprendre à se concentrer pour comprendre un énoncé de
maths…
– Quoi ? Mais j’ai pas que ça à faire !
– Rassure-toi, c’est tout l’intérêt de ces PIM : une fois que tu as
compris le principe, tu peux deviner toi-même le PIM dont tu as besoin
à chaque fois. Mais pour ça, il faut que tu saches ce que tu peux
utiliser comme P, comme I et comme M.
– Quelle Perception je peux prendre comme cible et de quelle
Manière je peux agir, et avec quelle Intention ?
– Exactement.
–…
– Ça va ?
– Il y a quelque chose que je comprends pas dans ton histoire de
connexion active.
– Dis-moi.
– J’ai l’impression que quand je me connecte avec mon attention à
une cible, il se passe toujours quelque chose dans mon cerveau.
Même quand je regarde la télé dans le canapé, je rigole quand c’est
drôle, je regarde pas comme un zombie.
– Je vois ce que tu veux dire. Tu as raison, je dois préciser ce que je
veux dire avec ces termes de connexion active. Une connexion active,
c’est une connexion où tu décides de la manière dont tu dois réagir. Tu ne
réagis pas juste de manière automatique, sans rien décider.
– J’ai rien compris à ce que tu viens de dire.
– Bon, pour t’aider, on va faire un petit jeu que tu connais peut-être,
qui s’appelle le test de Stroop. Tiens [il montre une série de noms de
couleurs, « JAUNE » écrit en jaune, etc.]. Lis rapidement à haute voix
les mots de cette liste.
Incroyable ! L’attention, ça sert aussi à gérer les émotions ! On discutait plus tard
avec le chercheur, et je lui ai raconté un problème que j’ai en classe, avec une
pote qui me calcule plus (j’ai pas envie de dire son nom dans le journal). Il m’a
demandé ce que je ressentais quand j’y pensais. Alors je lui ai dit que ça
m’énervait et tout… Et là, il m’a demandé où était le problème. Au début, j’ai pas
compris sa question, mais il voulait que je lui montre vraiment où était le
problème, là, dans la pièce pendant qu’on parlait, comme si je devais lui montrer
où était le verre ! J’ai pas pu. Alors il m’a expliqué qu’il voulait savoir où étaient les
sensations que je ressentais, parce qu’à ce moment-là, le problème existait pas
ailleurs que dans mes sensations.
Du coup, j’ai vu que j’avais l’image de ma pote dans la tête (ex-pote, pardon), que
j’avais une boule dans la gorge, et que j’étais tendu dans le cou et les bras (parce
que j’avais envie de lui arracher la tête, normal). Il m’a expliqué que c’était mon
cerveau qui créait toutes ces sensations pour que j’aie l’impression que le
problème était vraiment important et que je m’en occupe, et que sinon, je m’en
ficherais totalement et je ferais juste autre chose. Il m’a dit que c’était comme un
film au cinéma où on oublie que ce qu’on voit, c’est juste un film sur un écran, et
que c’est une sorte d’illusion qui marche que si l’attention est placée bien comme
il faut. Et si, par exemple, on commence à regarder si les lèvres des acteurs
bougent bien avec les paroles (quand le film est doublé), on est plus du tout dans
le film : l’illusion marche plus.
« Ce n’est pas parce que tu es concentré que tu vas forcément réussir. »
– Bon, mais tu n’as pas réussi, on est d’accord ? Donc ce n’est pas parce
que tu es concentré que tu vas forcément réussir.
– Ben, non, je le vois bien, malheureusement.
– Tu vois, même si tu es bien concentré, tu n’as pas la certitude que tu
vas réussir, surtout si c’est la première fois que tu essaies. Ça, c’est la
mauvaise nouvelle. La bonne, c’est que tu t’es quand même mis dans les
meilleures conditions possibles pour réussir et pour apprendre et ça, c’est
très, très important.
– Mais c’est presque impossible, ton truc.
– Je pense que ça dépend un peu du Sopalin. Mais ça dépend aussi
de ton expertise et du nombre de fois où tu as déjà essayé. Si tu veux
y arriver, tu n’as pas d’autre solution que de recommencer plusieurs
fois pour comprendre comment tu dois changer ton geste pour que ça
marche. Mais tu ne peux le découvrir qu’en observant attentivement
l’effet qu’a ton geste sur l’équilibre des deux feuilles. Tu vois ce que je
veux dire par là ?
– Oui : ce qui se passe quand je pose la feuille comme ça ou comme
ça…
– Exactement. Et c’est précisément ce que tu as fait à l’instant en étant
totalement concentré sur ton geste et sur les feuilles de Sopalin : en
étant concentré de cette façon-là, avec ce PIM, tu finis par voir ce qui ne va
pas et ce que tu dois changer. Tu es donc dans les meilleures conditions
pour apprendre.
– Apprendre à faire tenir deux feuilles de Sopalin l’une sur l’autre, c’est
pas hyper utile, quand même, comme compétence…
– Non, mais c’est vrai pour apprendre quoi que ce soit. Tiens, imagine
que tu apprennes à jouer la gamme de do au piano, OK ? Tu sais la
jouer ?
– Oui, comme tout le monde, non ? Mais j’aime pas trop le piano, je
préfère la batterie, ça défoule plus.
– Je vais rester sur le piano et la gamme de do, si tu veux bien ; et tu
verras que ce que je vais te dire marche aussi pour la batterie. Donc,
imagine que tu es face à ton clavier et que tu commences à jouer les
premières notes : do, ré, mi, etc. Au début, quel serait ton PIM, si c’est
la première fois que tu joues du piano ?
– Je sais pas… Déjà, je pense que je regarderais les touches du
clavier, pour savoir où mettre les doigts.
– Ça paraît logique. Le P de ton premier PIM est donc visuel, la
perception que tu privilégies, c’est cette image des touches. Et ton M,
tu viens de le dire, ta Manière d’agir, c’est de contrôler les
mouvements de tes doigts pour les amener sur les bonnes touches, et
évidemment, le I, c’est que chaque doigt appuie sur la bonne touche
dans l’ordre.
– Oui, ça paraît évident.
– Oui, mais rapidement, une fois que tu as joué ta gamme plusieurs
fois, en restant positionné face au clavier de la même manière, tu n’as
plus forcément autant besoin de regarder où sont les touches et ton
attention peut se décaler sur autre chose. Quel autre P peux-tu choisir
comme cible ?
– Je sais pas, le son des notes que je joue ?
– Oui, mais en fait, tu as plein de choix possibles : parmi tout ce que tu
peux percevoir à ce moment-là, il y a aussi l’intervalle de temps entre
chaque note que tu joues, tu vois ? Si ça fait comme ça [il chante : do-
ré-mi] ou comme ça [il chante dooooo-ré-mi]. C’est ce à quoi tu ferais
naturellement attention si je te demandais de jouer la gamme à un
rythme bien régulier. Mais tu peux aussi prendre comme cible une
perception tactile : la pression que tu ressens au moment où chacun
de tes doigts appuie sur sa touche, ou bien encore l’impression que tu
as quand tes doigts bougent, quand l’un se lève et que celui d’à côté
appuie. Tiens, d’ailleurs, tu peux essayer maintenant sur la table en
imaginant que tu as un clavier de piano. [Il le laisse essayer.]
– Oui je vois… Ou si je joue chaque note en appuyant aussi fort…
– Tout à fait, tu peux surveiller le volume des notes que tu joues, pour
savoir si tu joues toutes les notes exactement avec la même force, ou
bien encore l’attaque de chaque son, c’est-à-dire si ta note est douce
ou au contraire comme ça… « tac ». [Il fait un bruit très sec.]
– OK, mais à quoi ça sert ? Le but, c’est juste de savoir jouer la
gamme, non ?
– Oui, mais en gardant la même Manière d’agir – ce que tu contrôles,
c’est toujours les mouvements de tes doigts – et en l’associant à des
Perceptions différentes, au sein de PIM différents, tu vas naturellement
ajuster progressivement ces mouvements pour arriver à jouer avec un
volume régulier, ou bien à un rythme régulier, ou bien de façon très
douce, etc. En somme, tu ne vas pas apprendre la même chose. À
chaque fois, tu vas constater une petite erreur d’une certaine sorte –
par exemple, une note jouée un peu trop fort dans un cas, ou bien
une note jouée un peu trop tôt dans un autre cas – et tu vas
naturellement t’adapter, et donc apprendre ce que tu dois corriger
pour jouer plus juste, plus régulièrement, plus doucement, etc.
« Tu ajustes ton mouvement au fur et à mesure pour obtenir le son que
tu souhaites, mais cela t’oblige à être bien concentré sur cette relation
entre les deux. »
« Certains neurones vont dire que c’est le rythme qui est le plus
important, et d’autres vont dire que ce sont les notes. »
– Tester quoi ?
– Que c’est devenu automatique. En faisant autre chose en même
temps et en regardant si tu y arrives malgré tout.
– Mais qu’est-ce qui se passe si j’essaie de me concentrer avec
plusieurs PIM en même temps ? Si je fais attention au rythme et à jouer
les bonnes notes par exemple ?
– Ça peut te poser des problèmes, à un moment, tu vas hésiter.
– Attends, j’essaie d’imaginer… Si je veux vraiment garder le même
rythme, je crois que je vais appuyer au hasard, tant pis… Et si je veux
vraiment appuyer sur les bonnes touches, je vais ralentir, tant pis pour
le rythme.
– Exactement, parce que le problème dans ce cas-là, c’est que tu n’as
pas encore suffisamment bien appris le clavier pour pouvoir trouver
les touches de manière automatique, sans avoir à te concentrer là-
dessus. C’est pourquoi tu commences par faire des séries de gammes
en te concentrant pour jouer les bonnes notes et une fois que c’est
appris, tu commences à te concentrer sur le rythme, par exemple.
Sinon, il y a un conflit dans ton cerveau : certains neurones vont dire que
c’est le rythme qui est le plus important, et d’autres vont dire que ce sont
les notes.
– Mais quand même, quand je suis concentré sur le rythme, j’entends
quand même si je joue juste ou non. Le P du PIM, c’est pas juste le
rythme, si ?
– Le P désigne la Perception que tu privilégies avec ton attention, ce que tu
prends le plus en compte pour ajuster ta Manière d’agir, mais ça ne veut pas
Je te rappelle que notre cercle a des
dire que tu ne perçois rien d’autre.
bords qui sont capables de détecter beaucoup de choses différentes…
– Donc si je fais une fausse note, je vais la remarquer même si je suis
vraiment focalisé sur le rythme.
– Oui, mais l’inverse n’est pas forcément vrai. Parfois, il y a des élèves
qui se mettent à ralentir sans s’en rendre compte dans un morceau
parce qu’ils hésitent. Il faut que leur professeur le leur fasse remarquer,
ou qu’ils aient un métronome…
– Et là, c’est la panique.
– Oui. Parce qu’ils cherchent à se concentrer sur le rythme alors qu’ils
doivent encore apprendre sur quelles touches appuyer, et ça peut
faire un gros embouteillage dans leur cerveau !
– Ils cherchent à utiliser plusieurs PIM en même temps.
– Eh oui. Et tu vois qu’ils peuvent nous jouer des tours, ces petits
détecteurs au bord du rond : l’élève peut être en train de jouer en se
concentrant sur son rythme, justement, et tout d’un coup, bam… une
fausse note, qu’il va remarquer même s’il n’était pas concentré là-
dessus, à cause du bord de son cerveau… Donc les neurones du rond
central reçoivent un signal d’alerte qui leur indique qu’il y a un
problème au niveau du choix des touches : du coup, la priorité
change, l’élève se concentre sur ce nouveau PIM pour jouer juste et il
abandonne le PIM d’avant ou alors, ce qui est pire, il essaie de faire les
deux en même temps…
– Et là c’est à nouveau l’embouteillage.
– Exactement.
UNE PAR UNE, S’IL VOUS
PLAÎT !
Quand une foule arrive à un passage étroit dans le métro, cela crée un
ralentissement parce que tout le monde ne peut pas passer en même
temps ; c’est le principe de l’embouteillage.
– Attends, je croyais que l’attention était sélective, elle peut être sur
une image et sur un son ?
– Dans certains cas, oui. Je t’en ai parlé, mais sans te donner le nom.
C’est un phénomène que les chercheurs en psychologie et en
neurosciences appellent « liage perceptif » : plusieurs perceptions sont
reliées pour n’en former plus qu’une seule, comme avec une petite
ficelle. C’est ce phénomène qui te permet de voir des poissons
identiques qui nagent ensemble comme un seul banc de poissons et
de faire attention à la forme de ce banc…
– Et du coup, ça marche aussi avec un son et une image ?
– Oui, ce n’est pas forcément gênant de faire attention globalement à
deux sensations de nature différente quand elles vont bien ensemble.
Je m’explique : quand tu sens que ton couteau bouge dans ta main, tu
le vois aussi bouger par rapport à la pomme. Les deux sensations sont
liées : quand l’une change, l’autre aussi.
– OK, je commence à comprendre. Dans un PIM, mon P peut vraiment
être quelque chose de très précis, et une perception seulement visuelle par
exemple, ou alors une perception plus globale, qui met ensemble d’autres…
Perceptions, c’est ça ?
– C’est ça. Et c’est très utile de savoir jouer à passer d’une perception
plus locale à une perception plus globale. Selon les situations, il vaut
mieux l’un ou l’autre. On en a beaucoup parlé, tu te souviens ?
– Oui, oui. Avec les billes et tout ça.
– Bon, pour la pomme, il reste le I et le M.
– Oui, tu as raison. Et du coup quelle était ta Manière d’agir, qu’est-ce
que tu essayais de bien contrôler ?
– Je dirais que c’est l’angle du couteau par rapport à la pomme, avec
ma main, en tournant délicatement la pomme.
– Ça me paraît bien. Et est-ce que par hasard, là aussi, tu ne contrôlais
pas deux mouvements à la fois ?
– Tu veux dire : pour faire tourner la pomme et ajuster l’angle de mon
couteau ?
– Oui.
– Ah oui, mince, c’est vrai, c’est deux mouvements différents.
– On a bien l’impression, mais là encore, ils vont bien ensemble, ce
sont deux mouvements lents et bien réguliers, et tu y arrivais très bien.
Je pense que ça aurait été beaucoup plus difficile si l’un des
mouvements avait été rapide et saccadé, comme ça [il mime], et l’autre
lent régulier. Il y a donc aussi des mouvements qui vont bien ensemble et
que tu peux contrôler globalement.
– C’est la même idée que pour la Perception du coup ?
– Oui. Et heureusement, parce que si tu devais choisir entre contrôler
la main qui tient le couteau et contrôler celle qui tourne la pomme, ce
serait impossible d’éplucher une pomme.
– Tu me perds, là. Du coup, comment je peux savoir quel M je dois
avoir dans mon PIM ?
– En fait, c’est simple. Et c’est comme pour le P. Le M dans ton PIM doit
toujours correspondre à quelque chose que tu sais contrôler, quelque
chose que tu peux faire dès lors que tu l’as décidé.
– C’est un peu compliqué ton truc, je comprends pas.
– Je vais te donner un exemple. Quand on apprend à conduire, on
apprend à faire ce qu’on appelle un démarrage en côte. C’est quand
tu es arrêté dans une côte et que tu dois redémarrer en évitant de
reculer dans la pente et de rentrer dans la voiture de derrière.
– Oui, je vois bien le problème.
– Quand tu regardes bien, il y a plein de gestes à faire, mais le
conducteur ne se concentre pas sur chaque geste individuellement, il
se concentre sur la séquence globale, c’est-à-dire la suite de gestes.
Ce qu’il cherche à bien faire, c’est tout cet ensemble de petits gestes.
– Il se concentre pas sur chaque geste un par un ?
– Il peut s’il le veut, mais ça le gênerait certainement. Il vaut mieux qu’il
considère le geste globalement.
– Donc son M, c’est un geste global ?
– Oui, ce qu’il cherche à bien faire, au moment où le feu passe au vert,
c’est ce geste global.
– Mais du coup, comment moi je pourrais utiliser ce M dans un PIM, si
je sais pas conduire ?
« Pour faire un démarrage en côte, il y a plein de gestes à faire, mais le
conducteur ne se concentre pas sur chaque geste individuellement. »
– C’est un bon exemple parce qu’il montre bien que la même Manière
d’agir peut paraître simple à une personne et difficile, voire impossible à une
autre.Ta Manière d’agir, c’est ce que tu fais. C’est ce que tu contrôles
quand tu es concentré, et qui te permet de faire en sorte que tout se
passe comme tu le veux, comme tu en as l’intention. Mais évidemment, ça
doit être quelque chose que tu peux vraiment décider de faire et de
contrôler. Si tu ne sais pas enchaîner les gestes d’un démarrage en
côte, ça ne va pas du tout.
– Alors du coup, comment est-ce qu’on apprend à les faire, les
démarrages en côte ?
– Avec des PIM plus simples, où la Manière d’agir est plus simple. Si je
te demande de serrer ou desserrer un frein à main, ça, tu sais peut-
être le faire… Dans un PIM, la Manière dont tu agis doit être simple et
adaptée à ce que tu sais faire sans hésitation.
Le journal d’Anatole
Bon, j’avoue, j’ai commencé à me poser des questions quand on a ensuite discuté
du PIM qu’il fallait pour découper un concombre. Mais après, j’ai compris que
parfois, ça vaut le coup de se concentrer aussi pour des trucs tout bêtes, parce
que ça vide la tête et parce qu’en fait, c’est agréable. En discutant, on a parlé de
plein d’exemples comme ça où les gens se concentrent pour le plaisir ou parce
que ça les calme (ou les deux), comme faire des coloriages ou écouter de la
musique ou manger un truc bon (ou tricoter ou jouer au golf, mais ça, je connais
moins). Mais ça marche que si on arrive à se concentrer sans se crisper, et les
PIM, ils servent à ça : comme t’as compris exactement ce que tu devais faire pour
te concentrer, tu te crispes pas, parce que ça sert à rien. En fait, un PIM, c’est un
mode d’emploi pour se concentrer et se crisper, c’est pas dans le mode d’emploi.
Du coup, il m’a demandé à quoi j’allais faire attention. Comme je savais pas, il m’a
donné des exemples : à la balle, à un petit bout de la balle, ou à la trajectoire de la
balle (à faire : regarder une vidéo* de base-ball en accéléré, on voit que la balle
fait une sorte de courbe en cloche, et quand on a l’habitude, on peut se
concentrer dessus, j’en parle en dessous). Bref, il m’a montré que j’étais bien
obligé de savoir à quoi j’allais faire attention. Un point pour lui (le P du PIM). Et
puis, il m’a demandé si j’allais juste rester là à regarder ou si j’allais aussi faire
quelque chose. Évidemment, je vais essayer de la taper, la balle. Donc, je vais
faire attention à bien faire quelque chose, un bon mouvement avec la batte :
deuxième point pour lui (le M du PIM). Et puis évidemment, tout ça, c’est pour
l’envoyer loin, donc troisième point pour lui : il faut une Intention. Donc voilà, si je
veux me concentrer, faut que je réfléchisse à un PIM, sinon, je vais faire un peu
au hasard et je ferai pas de mon mieux.
J’ai fini, mais j’ajoute un truc qu’on a vu, parce que c’est top pour le sport : c’est
pour apprendre à faire attention à la trajectoire d’une balle ou d’un ballon. Tu
commences en demandant à quelqu’un d’écrire quelque chose avec le doigt dans
l’air, et t’essaies de deviner ce que c’est. Ça t’oblige à pas seulement voir le doigt,
mais tout le mouvement du doigt (sa trajectoire). Et quand t’as compris ce qu’écrit
l’autre, tu peux presque voir toute la trajectoire d’un coup, même s’il a pas fini. Tu
le vois pas vraiment, parce que c’est dans ta tête, mais c’est pareil et, du coup, tu
peux deviner où va être le doigt après ! Et quand tu fais ça avec une balle, c’est
encore plus simple, parce que c’est pas des lettres, mais une cloche et bingo : tu
« vois » en avance où elle va retomber et comment elle va rebondir ! C’est top et
ça peut aller dans un PIM pour bien se placer par rapport à la balle (c’est le P du
coup).
Je peux donner des exemples d’activités simples où un PIM
m’aide à être bien concentré, même pour des tâches relativement faciles.
Je peux expliquer, en quelques mots et sur un exemple, pourquoi il est
naturel de s’interroger sur les trois composantes d’un PIM quand on doit
se concentrer. Je peux donner des exemples de PIM pour des activités
corporelles avec des P ou des M composites, c’est-à-dire regroupant
plusieurs perceptions plus simples ou plusieurs gestes. Je peux donner
des exemples de Manières d’agir qui sont trop complexes pour moi.
J’ai compris comment utiliser les PIM en dehors du cadre de
tâches corporelles très simples et je peux réfléchir de manière créative à
des PIM pour des tâches un peu plus complexes, qui n’impliquent encore
que des actions du corps.
Alchimie cérébrale
– J’ai bien écouté ce que t’as dit l’autre fois sur les PIM et je pensais
avoir bien compris. Donc j’ai essayé de m’en servir, mais je me suis
tout de suite arrêté parce que je voyais pas comment faire.
– Ah bon ? Tu voulais te concentrer sur quoi ?
– J’avais emprunté un jeu à la ludothèque et au moment de
commencer à lire la règle, je me suis rendu compte qu’il fallait que je
me concentre parce que je relisais trois fois la même phrase sans rien
comprendre. Donc, je me suis dit que c’était un bon moment pour
essayer les PIM…
– Je crois voir le problème. Vas-y, dis-moi ce qui s’est passé…
– J’étais bien motivé et j’ai commencé par me dire : « Concentre-toi ! »
Mais au lieu de juste essayer de me concentrer, comme avant, je me
suis rappelé ce que tu m’avais dit : que vouloir se concentrer, c’est
trop vague, et qu’il faut réfléchir à ce qu’il faut vraiment faire
concrètement pour y arriver. Et c’est là que j’ai pensé aux PIM, normal…
– Normal, puisqu’on venait d’en parler.
– Donc, j’ai d’abord réfléchi au P : à quoi je devais faire attention…
– C’est ça : parmi tout ce que tu pouvais percevoir, qu’est-ce qui était
le plus important…
– Ça, ça m’a paru assez évident, pour moi c’était le texte de la règle,
mais peut-être que c’était trop vague ?
– Non, ça me paraît très bien. Tu commences par regarder ce qui est
écrit, c’est normal, et le M ?
– Attends… déjà, le I, c’était de comprendre la règle… enfin, c’est ce
que j’ai pensé…
– On va voir ça juste après, parle-moi de ton M d’abord, je pense que
c’est là que tu as bloqué…
– Oui, le M, je voyais pas du tout ce que c’était. À part « bouger les
yeux » ou « tourner les pages »… Mais je me suis dit que ça pouvait pas
être ça… Du coup, j’ai juste lu la règle, mais sans être vraiment plus
concentré que d’habitude et j’ai dû la relire deux fois. En plus, et c’est
ça le pire, plus je réfléchissais au PIM et moins je comprenais la règle…
– Aïe !
– Bref, échec total. Du coup, les PIM, je pense que ça peut servir, mais
quand on fait des choses… comment dire…
–… manuelles ?
– Oui, manuelles, comme faire la cuisine ou du bricolage, ou du sport.
Mais le problème c’est que moi, quand je dois me concentrer, c’est
surtout en classe ou pendant mes devoirs, sur des tâches…
– Des tâches plus intellectuelles, c’est ce que tu veux dire ?
– Oui, et justement, c’est là-dessus que j’ai vraiment besoin
d’apprendre à me concentrer. Donc, problème…
– D’accord. J’ai compris, et je te rassure tout de suite, tu peux tout à
fait utiliser des PIM pour te concentrer sur des tâches intellectuelles,
mais, avant, il faut que tu élargisses ton petit catalogue de Manières
dont tu peux agir.
– D’accord, je t’écoute. Je me connecte.
– Eh bien, sache que le cerveau a une capacité formidable : il peut
convertir un son en une image, une image en un son, une image en une
sensation tactile… Il peut faire des conversions. Tu sais ce que c’est
qu’une conversion ?
– C’est comme une transformation ?
– C’est ça. Les alchimistes, dans le passé, essayaient de trouver la
formule pour convertir du plomb en or et devenir immensément riches.
– Et ils ont réussi ?
– Non, parce que pour fabriquer de l’or, il faut faire exploser une
grosse étoile et ce n’est pas à la portée de n’importe qui. Par contre, le
cerveau, lui, sait faire des conversions, et je vais tout de suite te
donner un exemple. Je vais te dire des noms de fruits ou de légumes
et tu devras me dire s’ils sont plus grands ou moins grands qu’une
carotte, tu es prêt ?
– Oui, ça va, ça devrait être facile… Je suis prêt.
« BANANE »
– Un concombre…
– Plus grand.
– Un petit pois…
– Facile. Plus petit.
– Une banane…
– Hmmm… plus grand ?
– Bon. Comment as-tu fait pour me répondre ?
– Ben… Pour la banane, c’était un peu plus dur… J’ai imaginé une
banane et une carotte, et la banane me paraissait plus grande, mais ça
doit dépendre de la carotte.
– Tu l’as vu dans ton image ?
– Oui.
– Elle était où, cette image ? Moi, je n’ai pas vu d’image.
– Non, elle était dans ma tête.
– OK. C’était une vraie image ? Avec la couleur de la banane, les
petites taches noires et tout ?
– Non, non. Une sorte de banane, je m’en fichais en fait… Juste un truc
un peu courbé quoi, même pas jaune d’ailleurs, plutôt clair…
– Tu peux me montrer comment elle était courbée, où étaient les
pointes ?
– Comme ça.
– Ah, oui. Il y avait quand même deux pointes et une forme de lune,
donc c’était bien une image.
– Oui, tu pensais que c’était quoi ?
– Je sais pas : un son.
– Un son ? Le son d’une banane ?
– Non, mais c’était juste pour vérifier : si ton image avait un haut et un
bas, c’était bien une image. Tu vois, un son n’a pas de haut et de bas ;
par contre, il peut être plus aigu ou plus grave, ou plus fort…
– Mais pourquoi tu me dis ça ? C’est évident.
– Figure-toi qu’il y a des gens qui disent ne jamais voir d’images
mentales. Et si tu discutes avec eux, tu t’aperçois qu’en fait, souvent,
ce sont des gens qui pensent qu’on parle de vraies images, aussi
précises que des photos. Et c’est seulement quand tu leur dis que ça peut
être juste quelques vagues traits qui apparaissent un peu comme un flash
qu’ils admettent que, effectivement, ils ont parfois des images mentales.
À
part quelques rares personnes qui ne peuvent vraiment pas avoir
d’images mentales…
– Moi, ça me paraît évident.
– Oui, mais ça dépend des gens. En tout cas, certains y arrivent mieux
que d’autres, et d’ailleurs, la qualité de l’image dépend aussi de
comment on se sent. Quand on est stressé par exemple, c’est plus dur
de se former des belles images mentales un peu stables.
– Moi, c’est plutôt des flashs. Un peu comme quand je rêve, sauf que
dans mes rêves, les images sont plus jolies, avec plus de détails,
comme dans un film.
– Oui, quand on est réveillé, c’est très difficile de fabriquer des images
aussi complètes que dans les rêves. Il y a un lien entre les images
mentales et le sommeil, d’ailleurs, parce qu’une des techniques pour
s’endormir c’est de se rappeler une image mentale familière et de la
développer progressivement et tranquillement… C’est beaucoup plus
efficace que de compter des moutons, crois-moi. Mais pour revenir à
nos conversions, là, pendant que tu m’as entendu prononcer le mot
« banane » – donc quand tu entendais ce son – tu l’as converti en une
image : l’image de la banane. Tu as donc converti un son en une
image…
– C’est ça, une conversion ?
– C’est ça que moi, je vais appeler une conversion.
– Aaahh, et je sais ce que tu vas me dire ensuite : une conversion,
c’est une Manière d’agir, c’est ça ?
– Exactement. Rappelle-toi que dans notre vocabulaire, une Manière
d’agir désigne toujours quelque chose que tu peux décider de faire, quelque
chose que tu peux contrôler. Mais je n’ai pas dit que c’était une action que tu
faisais avec tes muscles et qu’on pouvait observer de l’extérieur…
Ça peut
tout à fait être quelque chose que tu fais, mais que personne ne peut
voir à part toi, quelque chose que tu fais dans ta tête, quelque chose
de mental… Par exemple, fabriquer une image mentale, justement.
– Mais si je pense tout d’un coup à un cheval, enfin à l’image d’un
cheval, je convertis quoi en quoi ?
« Tu as aussi fait une conversion, puisque tu as transformé quelque
chose que tu voyais – le mot écrit – en un son dans ta tête. »
– Dans ce cas, il n’y a pas de conversion, mais c’est bien une Manière
d’agir. Si je veux que tu comprennes ce que j’appelle « conversion »,
c’est parce que dans bien des cas, la concentration sur des tâches
intellectuelles implique des conversions. Mais tu as raison, je peux tout
à fait aussi me parler dans ma tête, et c’est une Manière d’agir
mentale, mais qui n’est pas vraiment une conversion. Par contre,
quand tu lis ça… [Il montre un mot.] Est-ce que tu te prononces le mot
dans ta tête ?
–… Maintenant que tu le dis, oui.
– Eh bien, tu as aussi fait une conversion, puisque tu as transformé
quelque chose de visuel, que tu voyais – le mot écrit –, en un son dans ta
tête.
– Un son dans ma tête… Ça fait bizarre de dire ça comme ça, j’ai
l’impression d’entendre des voix comme Jeanne d’Arc.
– Et pourtant, c’est un des phénomènes les plus naturels qui soient.
– Donc, transformer quelque chose qu’on voit en un son dans sa tête,
c’est aussi une conversion pour toi ?
– J’appelle ça une conversion, oui. En fait, c’est assez simple cette
histoire de conversion finalement, parce que l’on convertit quelque
chose dans une modalité sensorielle…
– Attends, c’est quoi pour toi une modalité machin ?
– La vision, c’est une modalité sensorielle par exemple. Donc toutes
les formes d’images font partie de cette modalité sensorielle. Mais il y
a aussi la modalité auditive pour les sons…
– Ah oui, c’est comme les cinq sens.
– Si tu veux, mais ça me permet de parler de modalité sensorielle
interne ou externe…
– Pardon ?
Ça y est, j’ai réussi à expliquer les PIM à un pote, et en plus, c’est moi qui ai
trouvé l’idée ! On a joué au jeu où l’autre tend ses deux mains devant lui paumes
vers le bas, et toi, tu mets tes mains en dessous paume vers le haut et tu dois
taper le dessus des siennes avant qu’il les enlève (c’est super connu, j’espère que
j’ai bien expliqué). L’astuce, c’est que je lui ai tout de suite tapé les mains sans lui
dire que ça avait commencé. Évidemment, il a râlé en disant que je l’avais pas
prévenu et là, je lui ai demandé ce qu’il aurait fait si je lui avais dit qu’on avait déjà
commencé. Il m’a dit qu’il aurait fait plus attention à mes mains et qu’il se serait
préparé à enlever les siennes. Et là, j’avais réussi mon coup, parce qu’il aurait fait
bien attention à quelque chose (mes mains, le P du PIM) et il aurait fait attention à
bien faire quelque chose (enlever ses mains, le M du PIM). Le I, c’est évident,
c’est de pas se faire toucher et quand il pensait que le jeu avait pas commencé, il
avait pas encore cette Intention. Donc, il a compris ce qu’était un PIM, et pourquoi
ça aidait à se concentrer (il a même compris qu’être prêt, c’est avoir un PIM).
J’ai même pu lui expliquer les Manières d’agir mentales et les conversions. On
était à la cantine et je lui ai dit de bien regarder la table parce qu’il allait devoir
fermer les yeux pendant que j’enlevais un objet, et il allait devoir deviner lequel. Il
a compris qu’il devait convertir ce qu’il voyait en une image mentale, qu’il gardait
dans sa tête pendant qu’il avait les yeux fermés.
Pour constater leur utilité et leur omniprésence dans notre vie mentale, je
vous propose deux petits exercices très simples. Le premier se joue à
deux : le premier joueur ferme les yeux tandis que le second commence
par disposer sur la table quatre objets de gauche à droite (une bouteille,
une fourchette…), avant de les nommer l’un après l’autre soit dans leur ordre
de disposition, soit dans un autre ordre qu’il aura choisi… Au top, l’autre
joueur doit ouvrir les yeux et dire le plus vite possible si les objets sont
placés dans l’ordre où ils ont été énoncés. La meilleure stratégie pour
répondre vite consiste à fabriquer une image mentale au fur et à mesure
que les objets sont nommés, et à comparer ensuite celle-ci à ce qu’on
découvre en ouvrant les yeux. Il faut donc bien réaliser une conversion,
pour transformer les mots qu’on entend en des images mentales, et cette
Manière d’agir peut se révéler très utile pour se concentrer sur une
description par exemple.
Ça commence à venir, les PIM. J’en ai appris deux pour bien écouter quand on
me parle et je suis sûr que ça va me servir. Y en a un, c’est juste de te faire des
images des mots que te dit la personne (par exemple, si elle te dit qu’il faut
tourner un bouton sur la gauche, tu t’imagines le faire, donc c’est une conversion).
Le P auquel tu dois faire attention, c’est ce que dit la personne, c’est évident, et le
M, c’est la conversion. Ton Intention, c’est de te faire un petit film dans ta tête que
tu pourrais raconter à quelqu’un d’autre après. C’est super pratique quand on
t’explique comment aller quelque part ou comment te servir d’un truc (ou une
consigne en classe).
L’autre PIM, il est super bizarre, mais il est marrant. Ça commence par une
énigme de Fort Boyard : « Je commence la nuit et je termine le matin, qui suis-
je ? » Là, si tu te fais pas une image mentale des mots écrits dans ta tête, c’est
impossible que tu trouves (la réponse, c’est N). Et si tu sais faire ça, tu peux
essayer de voir les mots dans ta tête quand quelqu’un te parle (c’est pas possible
de le faire pour tous les mots parce que ça va beaucoup trop vite, mais c’est pas
grave et on s’en fiche aussi si c’est pas la bonne orthographe). Donc là, le P, c’est
encore ce que dit la personne qui parle, et le M, c’est de faire ça (c’est encore une
conversion d’un truc en un autre). Le I, c’est de te faire comme des sous-titres
dans ta tête, quoi. Il paraît qu’il y a quelqu’un qui était nul en classe parce qu’il
écoutait rien et qui a trouvé ce PIM tout seul (sans savoir que c’était un PIM), et
du coup, il a réussi à bien écouter et il est devenu médecin : trop fort ! Par contre
attention : il faut pas que ça soit fatigant à faire, sinon ça marche pas. Il paraît
même qu’il y a des gens pour qui c’est tellement facile qu’ils font ça tout le temps
(les sous-titres), même avec leurs pensées : ils les voient écrites, ils peuvent pas
s’en empêcher (ça s’appelle ticker-tapper en anglais) ! Moi, ça me rendrait fou.
Sinon, voilà mes PIM préférés. D’abord, y a celui du pilote de Formule 1 : c’est un
pilote qui ferme les yeux et qui voit dans sa tête tout le circuit en faisant des coups
de volant (avec un volant en plastique) au fur et à mesure qu’il avance (dans sa
tête). Donc son P, c’est l’image qu’il a dans la tête et le M, c’est de convertir ce
qu’il voit en un mouvement (pour bouger le volant). Si t’as compris que tu pouvais
convertir une image mentale en un mouvement, t’as compris que c’est le PIM que
t’utilises aussi pour dessiner un truc auquel tu penses (par exemple, un
bonhomme, ou une figure de géométrie… oui, parce que dessiner, c’est faire des
mouvements), et ça marche même pour tirer un coup franc, parce que tu vas
essayer de faire le bon geste pour dessiner avec le ballon la trajectoire que t’as
dans la tête. Donc, dessiner et tirer un coup franc, c’est pareil en fait, c’est le
même PIM ! J’adore ! J’ai essayé pour lancer une boulette de papier dans la
poubelle et ça a marché, j’avais bien vu la cloche dans ma tête et je l’ai dessinée
avec la boulette en la lançant (j’ai déjà expliqué cette histoire de cloche quand j’ai
parlé de trajectoires, avec le base-ball).
Autre PIM super utile : tu regardes ton prof de sport qui montre un geste (au
karaté, par exemple) – donc ça, c’est ton P, tu fais attention à ce que montre le
prof – et toi, tu essaies de t’imaginer en train de faire le mouvement avec les
sensations que tu ressentirais dans ton corps – c’est ton M et c’est encore une
conversion. Et le I, c’est évident, c’est d’avoir bien la sensation de faire le
mouvement en même temps que lui, la plus nette possible. C’est facile de
s’entraîner à faire ça, il suffit de regarder une vidéo de sport et d’essayer de
refaire le mouvement. Le mieux, il paraît, c’est même de regarder une partie du
corps du prof, par exemple son poignet ou son coude ou comment il tourne ses
épaules, c’est plus simple, ou alors tu regardes global (comme quand les profs
surveillent les enfants pendant la sortie scolaire). Ça, c’est super utile, parce
qu’avant, on pouvait me montrer le mouvement dix fois et je retenais pas, alors
que d’autres y arrivaient sans problème. Peut-être que ceux qui ont l’air plus
doués, c’est simplement qu’ils utilisent le bon PIM sans le savoir.
Autres PIM marrants : quand tu dois choisir entre deux pizzas au restaurant, tu
t’imagines leur goût (le M, c’est encore une conversion) et quand tu dois
apprendre à prononcer un mot en anglais, tu l’écoutes et ensuite tu te le répètes
dans ta tête avec ta petite voix, donc ton P, c’est le mot que t’écoutes et le M, c’est
de le convertir en un son que tu te répètes dans ta tête (encore une conversion).
Tu peux même utiliser un PIM pour te ronger les ongles, et en général après,
t’arrêtes de te ronger les ongles, parce que ça fait vraiment bizarre de faire super
bien attention à la sensation que t’as au moment où tu croques dans ton ongle…
Bon, je crois que j’ai compris le principe.
« Prépare-toi à me demander le sel, sans crier, mais avec une très grosse
voix. »
Moi ce que j’aime bien, c’est quand les PIM servent à rendre la vie plus agréable
(ou moins désagréable). Le chercheur m’a parlé après d’un match de tennis entre
deux joueurs où les spectateurs encourageaient à fond un des deux et pas du tout
l’autre (c’était Roger Federer qu’ils aimaient bien, et l’autre, c’était Djokovic). Et
Djokovic, quand il entendait le public qui criait « Roger, Roger ! », il se disait dans
sa tête « Djoko, Djoko », comme si c’était luiqu’on encourageait ! C’était un PIM
parce qu’il convertissait ce qu’il entendait en un son mental, avec sa petite voix.
Trop fort. Et, évidemment, il a gagné… Sinon, j’aime bien l’idée d’aller chercher
avec son attention des sensations agréables et d’utiliser un PIM pour bien les
garder. En voiture (ou à moto), on a la sensation que la voiture, c’est un peu ton
corps et que tu sens la route, les accélérations et tout comme si on te touchait (je
sais, c’est bizarre, mais c’est comme quand t’as une canne et que tu touches les
objets en fermant les yeux, c’est un peu comme si c’était ton corps). J’ai essayé à
l’arrière du Berlingo et j’avais l’impression d’être un pilote de Formule 1 !
Bon, le risque, on a l’impression que c’est d’avoir plein de PIM dans tous les sens
et de plus s’y retrouver, mais en fait, j’ai compris que c’est pas vraiment un
problème, parce que les PIM, c’est un peu toujours les mêmes. Une fois que t’as
compris le principe, tu peux trouver ton PIM facilement pour ce que t’as à faire. En
plus, c’est vrai qu’on fait pas non plus des millions de choses différentes. Les
tâches qu’on fait et où il faut se concentrer, c’est toujours un peu les mêmes
aussi. Donc une fois que t’as ton petit sac de PIM dont t’as l’habitude, tu les
utilises toujours. Faut juste faire attention (ça, il le répète tout le temps) que dans
le PIM, ta Manière d’agir soit bien un truc évident à faire, et que la Perception, tu
puisses tout de suite y faire attention. Mais ça, j’ai bien compris.
Cours de jonglage
– Je crois que j’ai bien compris les PIM, mais du coup, j’ai l’impression
qu’il y a quelque chose qui va pas avec ta technique…
– Ah oui ? Mince, dis-moi.
– Je crois qu’en réalité on se concentre toujours sur plusieurs choses
à la fois, pas juste sur une seule.
– Tu as un exemple ?
– Ben, tu disais qu’on peut se concentrer sur une sensation dans le
corps quand on court, alors j’ai essayé, et je me suis rendu compte
que je faisais aussi attention à ce qui se passait autour de moi. Tu vois,
c’est normal quand on court, on regarde où on va, sinon on se cogne…
– Tu as l’impression que si tu étais totalement concentré sur tes
sensations dans ton dos ou dans tes jambes par exemple, tu rentrerais
dans les gens ou dans des obstacles ?
– Oui, c’est un peu ce que tu dis, non ? Et je sais ce que tu vas dire,
qu’on peut à la fois faire attention aux sensations dans le corps et aux
gens, parce qu’ils vont bien ensemble…
– Non, non. Pas du tout, je ne dirais pas ça, parce que justement, ils ne
vont pas bien ensemble, tu ne peux pas faire attention aux deux en
même temps.
– Mais alors du coup, je vais rentrer dans tout le monde, merci les
PIM…
– Alors, ça pourrait effectivement se produire si tu étais vraiment
totalement focalisé sur tes sensations, à l’exclusion de toutes les
autres, mais ce n’est pas le cas heureusement.
– Alors ça veut dire qu’on est pas si concentré que ça avec le PIM ?
On fait un peu attention à autre chose… Du coup, ça sert à rien !
– Attends, rappelle-toi : la première chose déjà, c’est qu’il y a toujours
ce rond qu’on a dessiné autour de ton cerveau, avec ces neurones qui
guettent en permanence tout ce qui se passe dans le monde autour
de toi et qui sont capables de t’alerter s’ils remarquent quelque chose
d’important. Ils savent parfaitement détecter que tu es en train de
foncer dans un poteau.
– Oui, mais justement, ils vont chercher à attirer mon attention vers le
poteau, et donc ils vont me distraire, non ? Alors que dans mon PIM, la
flèche de ton rond, elle doit toujours être vers les sensations de mon
corps. Ça marche pas ton histoire, je suis désolé…
LE…
Si ce n’est pas la peine de surveiller à chaque instant le lait ou la position de
l’escargot sur la table, c’est grâce à la capacité formidable qu’a le cerveau
humain de prédire (un peu) l’avenir. Notre cerveau a bien intégré qu’on ne
vit pas dans un monde magique où des petits lutins lancent des sorts pour
déplacer les escargots d’un coup ou faire bouillir le lait. Si c’était le cas, il
faudrait tout surveiller en permanence et le monde serait terrifiant.
L’exemple de l’éclair dans le ciel montre aussi qu’il est possible, quand c’est
nécessaire, d’adopter une attitude de « curiosité impatiente » pour écouter
attentivement tout ce que dit notre interlocuteur et « boire » littéralement ses
paroles. Il suffit pour cela d’essayer constamment de deviner ce qu’il va dire
juste après. C’est une chose qu’on peut décider de faire, et c’est donc une
bonne Manière d’agir, qu’on appliquera à ce que nous entendons notre
interlocuteur nous dire : c’est le P du PIM, la Perception à privilégier.
« Tu dois regarder un mot, fermer les yeux et me le dire tout de suite,
puis rouvrir les yeux, regarder le mot suivant, fermer les yeux, me le dire,
et ainsi de suite. »
– Donc ça veut dire que j’étais tout le temps concentré ?
– Du coup oui, tu n’as pas eu cette impression ?
– Si, si.
Le discours d’Anatole :
« Mes chers compatriotes,
C’est une tradition bien établie que celle de cette rencontre à laquelle
je vous remercie d’être venus si nombreux aujourd’hui, au cours de
laquelle le ministre échange ses vœux avec les corps de métiers. Je
m’y plie d’autant plus volontiers que cette tradition est en l’espèce
agréable et c’est donc de tout cœur que je vous présente, pour vous
et tous ceux qui vous sont chers, mes vœux les plus chaleureux pour
l’année 2020. J’espère que, cette année, nous saurons vous fournir,
comme l’an dernier, maintes occasions de commenter nos actions.
Cette tradition des vœux est une belle tradition, mais c’est peut-être
l’une des rares que je souhaiterais voir maintenir à terme dans ce
ministère qui doit être celui du mouvement et du changement. »
« Il fait un carrefour avec les assiettes, en utilisant une cuillère comme
voiture. »
« Tu dois aussi te concentrer pour être à chaque fois au bon endroit
quand la balle arrive. »
– Tu te débrouilles ? Mais ça veut dire quoi, se débrouiller ? Tu me
donnes plein d’explications super précises depuis le début, et là, tu
me dis juste de me débrouiller ?
– Mais c’est vrai ! Regarde, imagine que tu apprennes à jouer au
volley. Tu sais jouer au volley ?
– Non.
– Bon, ce n’est pas grave. Mais il y a au moins deux moments où tu
dois être concentré pour bien frapper la balle et qu’elle aille où tu
veux…
– Ça, je comprends.
– Oui, mais ça ne sert à rien si tu n’es pas bien placé à l’endroit où
arrive le ballon. Donc tu dois aussi te concentrer pour être à chaque
fois au bon endroit quand la balle arrive. Alors qu’est-ce que tu vas
faire ? Tu vas d’abord t’entraîner avec un autre joueur qui te lance la
balle, avec un PIM pour bien te placer à chaque fois pour la recevoir et
sans chercher à la relancer. Par exemple, tu vas essayer de bien
percevoir la courbe en forme de cloche que dessine le ballon dans
l’air quand il arrive vers toi – c’est donc ton P – et tu vas veiller à bien
placer ta ligne d’épaule là où il va retomber – c’est ton I – en te
déplaçant pour contrôler justement la position de cette ligne – ça,
c’est ton M. Et quand le ballon t’arrive dessus, tu te contentes de
l’attraper comme tu peux, parce que tu ne te concentres pas encore
pour apprendre à bien le relancer. Donc tu répètes ce PIM plusieurs fois,
jusqu’à ce que ça devienne plus naturel de te concentrer de cette façon
quand le ballon t’arrive dessus. On en avait déjà un peu parlé quand je
t’avais dit que les PIM servaient à apprendre.
« À chaque moment, quasiment tout le monde a sa petite intention, qui
lui demande de faire attention à quelque chose en particulier. »
« Le PIM fait une petite ligne pointillée comme ça, avec des petits trous
pour faire autre chose. »
– Tu veux que tout le monde utilise des PIM à la plage ?
– Non, mais ça vaut le coup d’observer. À chaque moment, quasiment
tout le monde a sa petite intention, qui lui demande de faire attention à
quelque chose en particulier : lire son livre, trouver un coin pour poser
la serviette, rentrer dans l’eau sans se faire éclabousser, rattraper un
ballon. Tu peux t’amuser : tu regardes les gens et tu imagines tout d’un
coup que le temps s’arrête et pour chacun, tu te demandes ce qu’il
cherche à faire, à cet instant précisément.
– Ils cherchent tous à faire quelque chose…
– Oui, même celui qui se repose : il cherche à se reposer. Et puis, je te
rappelle que les PIM, ce n’est pas barbant ni triste, c’est juste pour être plus
dans ce qu’on fait.
– C’est bon, j’ai compris.
– Du coup, j’ai fini par répondre à la question que tu m’avais posée,
non ?
– Laquelle ?
– Tu me demandais comment on fait pour ne pas rentrer dans les
poteaux, quand on court et qu’on est concentré sur ses sensations…
– Ah oui, ouh là, ça fait loin ! Mais oui : on utilise pas un PIM continu, le
PIM fait une petite ligne pointillée comme ça, avec des petits trous
pour faire autre chose.
– Et tu as bien compris que la durée de ces petits trous s’adapte
souvent toute seule, sans qu’on ait vraiment à y réfléchir ?
– Oui, et parfois, dans ces trous, il y a un autre PIM.
– Exactement, c’est quand on alterne deux PIM, par exemple, comme
pour recopier ce qui est au tableau, prendre des notes ou jouer au
volley.
– Et ça donne deux lignes comme ça.
– Tout à fait, ou trois lignes s’il y a trois PIM. Et je peux te dire que j’ai
discuté avec beaucoup de sportifs de haut niveau pour comprendre
leurs PIM, et c’est toujours un peu comme ça. Ils suivent une séquence
de PIM bien précise : 1 puis 2, puis 3 puis 4, par exemple quand tu es
défenseur au foot et que l’attaque tire un corner par exemple, ou une
alternance entre deux PIM, 1 et 2, et 1 et 2, quand tu dribbles et que tu
dois savoir par où passer et à qui faire la passe… Mais attention, c’est
parce que ce sont des PIM qu’ils ont répétés de nombreuses fois à
l’entraînement, sans savoir que c’étaient des PIM d’ailleurs. Si tu
commences à essayer de retenir que tu dois faire ça, puis ça, puis ça,
puis ça, tu vas dépasser la limite d’une mémoire qu’on appelle la
mémoire prospective.
– Dépasser quoi ?
– La mémoire prospective. C’est un gros mot pour désigner la
mémoire des intentions, la mémoire de ce que tu as l’intention de faire
juste après.
– Je retiendrai pas ce mot. Aucune chance.
– C’est pas grave, on en reparlera de toute façon.
– Et finalement, tu es tout le temps concentré, il n’y a aucun moment
sans un PIM ?
– Ça dépend, mais plus ta ligne est complète, plus tu es concentré, ça,
c’est sûr. Mais là encore, on reparlera de cette question : est-ce qu’il
faut être tout le temps concentré.
– Oui, je veux bien.
– Et je peux déjà te donner la réponse : « Bien sûr que non. »
Je peux donner des exemples où la concentration sur une tâche
demande d’alterner plusieurs PIM. Je peux expliquer la signification de la
ligne interrompue ou continue.
Je sais alterner deux PIM, je sais analyser une tâche et
reconnaître quand une alternance entre plusieurs PIM est nécessaire.
Le journal d’Anatole
J’avoue qu’à un moment, j’ai eu un doute avec les PIM, mais là, ça va mieux. Ce
que j’avais pas compris, c’est comment, par exemple, tu peux recopier un truc au
tableau sur ta feuille avec un PIM, parce que faut faire attention au tableau, mais
aussi à ta feuille, tu vas pas écrire en regardant le tableau… Mais en fait, t’as
deux PIM et tu passes de l’un à l’autre. Tu regardes ce qui est écrit au tableau
(c’est ton P) et soit tu prends une photo dans ta tête avec une image mentale, soit
tu te dis ce que t’as lu avec ta petite voix (c’est ton M, donc y a deux M possibles).
(Le I, je le dis pas à chaque fois parce que c’est évident.) Ensuite, tu regardes ta
feuille et cette fois, tu fais surtout attention à ton image mentale ou à ta petite voix
(ton P) et t’écris ce que tu te dis ou ce que tu vois dans ta tête (c’est ton M). Donc
t’utilises un PIM, puis l’autre, etc. Et t’arrêtes de recopier n’importe quoi en faisant
des fautes… Le coup de prendre la photo, j’y avais pas trop pensé, mais ça
m’aide bien. Y a même un truc assez cool, c’est quand tu fais comme si tu voyais
sur ta feuille ce que tu dois écrire, comme si tu t’imaginais que c’était déjà écrit :
t’as plus qu’à repasser dessus avec ton stylo ! On dirait un truc d’extraterrestre,
mais c’est juste comme avec le discours en fait, quand tu prends une photo dans
ta tête des mots que tu viens de lire, et ensuite tu les vois écrits pour les lire. C’est
pas si dur, finalement. Et ça marche à fond pour recopier des nombres en maths,
par exemple, sans faire d’erreurs (je faisais tout le temps des erreurs en recopiant
avant). En plus, si quelqu’un parle à côté et que ça te distrait, c’est plus facile
avec la photo que si t’utilises ta petite voix, parce que t’entends pas deux voix en
même temps.
Quand t’y réfléchis, c’est super souvent qu’on doit faire un PIM, puis un autre, puis
le premier, etc. Par exemple quand on prend des notes, et même en sport : si
t’étais bloqué sur un seul PIM, à juste regarder tes adversaires au foot, par
exemple… Le truc c’est d’être bien à l’aise avec les PIM dont t’as besoin pour les
enchaîner rapidement. Après, tu sais toujours te concentrer et ça, c’est quand
même pratique.
À vous de jouer
1 Découvrir et comprendre les PIM dans sa vie quotidienne
Réfléchissez au(x) PIM nécessaire(s) pour :
– Saler un plat (mais pas trop).
– Manger un hamburger sans en mettre partout.
– Se servir de la soupe sans renverser.
– Servir des parts d’un gros gâteau avec un couteau.
– Verser du thé sans faire de goutte.
– Verser de l’eau d’une bouteille dans une autre.
– Arroser des plantes.
– Prendre un selfie.
– Rester sérieux quand quelqu’un essaie de vous faire rire.
– Regonfler un pneu de voiture.
– Écrire un mot de façon bien lisible.
– Démêler un casque audio emmêlé.
– Chercher une clef en particulier sur son trousseau.
– Refermer une porte sans faire de bruit.
– Sortir un plat du four.
Essayez ensuite certains de ces PIM. Est-ce plus difficile de réaliser ces actions en
utilisant ces PIM (plutôt qu’en faisant comme d’habitude) ?
Imaginez que vous vous êtes fracturé l’index de la main droite (ou de la main gauche
si vous êtes gaucher) et essayez de faire quelques gestes de votre vie quotidienne.
Remarquez que vous avez spontanément tendance à utiliser un PIM pour ajuster vos
mouvements et minimiser la douleur. Quel est ce PIM ? En quoi cette concentration
particulière peut-elle interférer avec la concentration sur une autre tâche et créer un
conflit entre deux PIM (par exemple, en vous ralentissant ou vous faisant hésiter à
faire certains mouvements nécessaires pour l’autre tâche, comme sortir un plat du
four, porter un objet fragile ou attraper un ballon) ?
Chaque jour de la semaine, pendant une semaine, choisissez une activité simple que
vous réalisez régulièrement et trouvez un PIM pour la réaliser en étant bien
concentré. Si vous le pouvez, expliquez ce PIM le soir à un membre de votre
entourage en racontant comment il vous a permis d’être plus concentré. Le
lendemain, changez d’activité et recommencez.
Trouvez des énigmes sur Internet et essayez de les résoudre sans utiliser d’image
mentale. Exemple : « Une corde brûle en une heure, mais de façon irrégulière.
Comment l’utiliser pour mesurer une demi-heure ? » Essayez ensuite de trouver la
solution en utilisant cette fois une image mentale de la situation décrite. Trouvez des
exemples de tâches scolaires ou professionnelles qu’il est difficile d’accomplir sans
image mentale. Exemples : comprendre une description, résoudre un problème de
géométrie, prévoir une réception pour plusieurs personnes…
Choisissez une règle du jeu ou un récit de conte et lisez-les en utilisant le PIM dont
la Manière d’agir consiste à convertir certains des mots en images mentales pour
visualiser ce qui est décrit. Expliquez ensuite à une autre personne ce que vous avez
lu et compris du texte. Dans quelles autres situations ce PIM peut-il vous être utile ?
Exemples : comprendre la notice d’un appareil électronique ou une consigne…
Ne pas forcer son cerveau à travailler plus vite que ce dont
il est capable
Prenez un chronomètre et mesurez le temps dont vous avez besoin pour lire
quelques phrases d’un texte décrivant une scène (ou une règle du jeu ou un mode
d’emploi) en prenant le temps de générer des images mentales de ce qui est décrit.
Relisez ensuite un paragraphe de taille équivalente en essayant d’aller deux fois plus
vite. Les images mentales qui vous viennent à l’esprit sont-elles aussi nombreuses et
aussi claires ? Est-ce aussi facile d’expliquer après coup ce que vous avez lu ?
Essayez d’en déduire la bonne vitesse pour lire un texte en utilisant ce PIM.
Deux ou trois fois dans la semaine, cherchez sur Internet une vidéo décrivant la
règle d’un jeu et écoutez-la les yeux fermés (plusieurs chaînes YouTube en
proposent, par exemple Ludochrono). Appliquez le PIM d’écoute où la Manière d’agir
consiste à convertir ce que vous entendez sous forme d’images mentales. Que
retenez-vous de la règle ? Comme YouTube permet de ralentir ou d’accélérer la
vitesse de lecture de la vidéo, observez l’impact qu’a cette vitesse sur votre capacité
à utiliser ce PIM et à comprendre la règle.
Demandez ensuite à quelqu’un de vous lire une règle du jeu et appliquez à nouveau
ce PIM, en lui demandant d’ajuster sa vitesse de lecture jusqu’à trouver celle qui
vous permet de bien comprendre tout ce qu’il vous explique [sans accès à Internet,
contentez-vous de la dernière partie de l’exercice].
Choisissez une date au hasard – par exemple une date d’anniversaire – et utilisez un
PIM pour convertir cette date en une image mentale de cette même date, sculptée
comme une forme en métal que vous vous imaginez toucher et saisir avec vos deux
mains. Ce PIM peut-il vous aider à mémoriser une date ?
Imaginez un PIM pour gagner au jeu suivant : un certain nombre d’objets sont placés
sur la table devant vous et vous devez les regarder, avant de fermer les yeux
pendant qu’un autre joueur enlève un des objets. Vous gagnez si vous pouvez dire
quel objet a été enlevé en rouvrant les yeux.
Expliquez l’intérêt des PIM à une personne de votre choix. Essayez de voir avec elle
si elle utilise déjà des PIM sans le savoir pour certaines activités et essayez
éventuellement ses PIM dans les situations qu’elle aura décrites. Exemples : pour se
concentrer quand quelqu’un parle une langue étrangère dans un environnement
bruyant, pour gagner au poker…
Posez un texte devant vous (un journal, un livre…) et allumez la radio en choisissant
une émission où des personnes parlent. Utilisez un PIM de lecture et un PIM
d’écoute attentive, tels que présentés dans les exercices précédents, pour basculer
rapidement d’une concentration sur la lecture à une concentration sur l’écoute, et
vice versa. Arrivez-vous à passer rapidement d’une activité à l’autre ?
Analysez votre jeu vidéo préféré (si vous en avez un) pour identifier sur certaines
séquences quels PIM permettent d’être bien concentré que ce soit pour enchaîner
des séries d’actions très rapidement dans un jeu de combat, ou pour réfléchir à où
placer ses troupes dans un jeu stratégique. S’agit-il de PIM corporels pour des
tâches d’adresse ou de PIM impliquant une composante mentale au niveau du P ou
du M ? Une personne novice pourrait-elle utiliser ces PIM pour apprendre à jouer ?
Faut-il fréquemment changer de PIM ?
Êtes-vous d’accord avec chacune des affirmations suivantes et si oui, avez-vous des
exemples qui le prouvent ?
Être bien concentré permet de :
– Gagner du temps.
– Gagner en efficacité.
– Être plus soigneux.
– Être moins débordé.
– Mieux communiquer avec les autres.
Avez-vous des choses à rajouter à cette liste ?
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Chapitre
3
Une attention stable
« Tu devras faire pareil en continuant comme moi dans ta tête à te dire la
suite de l’alphabet au même rythme. »
– « O ».
– Génial, moi aussi ! Alors attends voir… « O », c’est la quinzième lettre
de l’alphabet, et au rythme où j’allais, ça a dû nous prendre à peu près
trente secondes. Donc tu vois : tu es resté bien concentré trente
secondes, mais cette fois, en faisant une vraie action mentale, avec ta petite
voix, donc quelque chose d’intellectuel.
Ce n’est pas très différent de ce
que tu ferais pour te répéter des mots à apprendre par cœur, tu sais…
– Oui, mais trente secondes, c’est vraiment court… Il y a un jeu comme
ça où tous les joueurs ont une pièce de monnaie dans la main…
–… et ils la tiennent au-dessus d’un verre ? Je connais. Il y a quelqu’un
qui regarde sa montre et qui donne un « top » de départ, et ensuite,
tous les autres doivent compter jusqu’à 60 dans leur tête pour lâcher
la pièce dans le verre au bout d’une minute exactement, et c’est celui
qui est le plus proche qui gagne.
– Oui, c’est le jeu auquel je pensais.
– C’est le même principe… Avec le jeu qu’on a fait tous les deux, on
aurait sans doute pu tenir une minute et aller au bout de l’alphabet. Je
connais plein d’activités qui demandent principalement des moments
de concentration de cet ordre ou plus courts… Tiens, si tu veux, on va
regarder une ou deux vidéos de sport sur Internet. [Il lui montre une
vidéo d’un penalty de foot, puis d’un échange de tennis.] Tu as vu ? À
chaque fois, l’action qui demande de la concentration ne dure pas
beaucoup plus de trente secondes, et même moins parfois.
– Ah oui, c’est vrai…
« Apprendre à faire un collier de bulles de concentration, ça me parait
déjà un premier objectif intéressant. »
– Oui, ça va.
– Mais quand ça va trop vite, tu as l’impression que ce n’est plus toi
qui décides parce que tu n’as plus le temps. Au foot, on considère
donc qu’il n’y a pas faute si le joueur n’a pas eu le temps de choisir
d’éviter le ballon.
– Ça paraît normal quand même. Et le temps dont on a besoin, c’est
celui dont on parlait ? Un tiers de seconde ?
– C’est de cet ordre-là. C’est à peu près le temps qu’il te faut pour
pouvoir vraiment décider de ton action, faire exprès, en avoir
l’intention… Tu vois, tous ces mots expriment que tu as eu le temps de
choisir entre plusieurs options.
– Mais quand ça va vite et que j’ai plus le temps de choisir, je bouge
quand même un doigt…
– Oui, et alors ?
– Eh ben, qui est-ce qui a choisi ?
– D’après toi ? C’est toi ?
– Ben non, du coup.
– Ah bon ? C’est moi, alors ?
– Non ! [Rires.]
– Des extraterrestres qui dirigent ton cerveau depuis l’espace ?
– Arrête.
– Qui veux-tu que ce soit ? C’est ton cerveau qui choisit le doigt que tu
plies !
– Sans que je le sache ? Mais c’est quoi ce délire ! Mon cerveau, c’est
moi…
– C’est bizarre, non ? Mais ça t’est déjà arrivé de dire quelque chose
que tu regrettais ensuite ?
– Oui, pourquoi ?
– Qui en veut à qui, dans ce cas-là ?
– Ben, je m’en veux. C’est moi qui en veux à… moi.
– Mais si tu pensais qu’il ne fallait pas le dire, pourquoi tu l’as dit ?
– C’était plus fort que moi.
– Qui était plus fort que toi ?
– Non, mais je veux dire que c’est parti tout seul…
– Les mots sont sortis tout seuls de ta bouche ? Ils étaient tout seuls
sans personne autour ? Et toi, tu étais où à ce moment-là ? Tu n’étais
pas là ?
– Non, mais…
– Tu vois, elles sont amusantes toutes ces expressions… Elles donnent
l’impression qu’on est là quelque part, à côté de notre cerveau qui vit
sa petite vie. Mais évidemment, il n’y a personne d’autre que toi. C’est
bien toi qui as dit ces mots, c’est bien toi qui as bougé l’index plutôt que le
majeur, même quand ça allait vite. Simplement, ce n’est pas la partie de toi
avec laquelle tu t’identifies, celle qui choisit délibérément. Tu me suis ?
– Oui, je crois, à peu près… mais c’est vraiment, vraiment bizarre. Mais
alors, qu’est-ce qui décide de mes actions, dans mon cerveau ?
– On en a déjà parlé rapidement : quand tu dis « c’est moi qui ai
décidé », tu t’identifies avec une partie de ton cerveau qui prend son
temps pour envisager plusieurs options, et qui choisit celle qui paraît la
meilleure en fonction des circonstances. Cette partie du cerveau, elle
se situe à l’avant. [Il dessine un bateau.] Elle regarde un peu devant, un
peu derrière, et elle dit : « C’est là qu’il faut aller, ou c’est ça qu’il faut
faire. » Comme une vigie sur un bateau… Que je dessine… Ici.
– Ah oui ! C’est encore le rond du milieu ! Le capitaine du bateau qui
regarde avec ses jumelles…
– C’est ça, un capitaine qui serait monté dans la vigie. [Il montre
l’image d’un bateau en forme de cerveau, avec un personnage dans la
vigie, ses jumelles pointées vers le large.]
– Donc ma vigie et mon capitaine, ils sont là ? [Il montre l’avant de son
cerveau.]
– Oui, mais il ne faut pas croire que tu as un petit personnage installé
là tranquillement à prendre des décisions. Ce que tu as là, c’est tout un
système très complexe avec des milliards de neurones qui forment
une sorte de gros centre de calculs pour essayer de prédire ce qui va
se passer si tu fais ceci ou cela, et qui choisissent en conséquence.
Mais toi, de ton point de vue, tu ne ressens évidemment rien de tout
ça, tu as juste l’impression de décider de plier l’index plutôt que le
majeur ou d’aller voir un film plutôt qu’un autre…
– L’impression de décider…
« Tu t’identifies avec une partie de ton cerveau qui prend son temps
pour envisager plusieurs options, et qui choisit celle qui paraît la
meilleure, en fonction des circonstances. Cette partie du cerveau, elle se
situe à l’avant. »
– OK, mais faut peut-être que je les prévienne en début de cours que
je veux écouter quand même, sinon je vais avoir des soucis.
– Qui ? Tes distracteurs ? Tu ne vas pas non plus prévenir les oiseaux
dans le ciel ou les trousses qui tombent en faisant du bruit que tu vas
leur mettre un vent…
– Donc, c’est pas un problème de remarquer les bruits et tout ça ?
– Non seulement ce n’est pas un problème, mais ça te demanderait
sans doute un effort énorme et tu ne serais même pas sûr d’y arriver.
Le vrai problème, c’est qu’une fois que quelque chose a attiré l’attention, il y
a de fortes chances que tu y réagisses de manière automatique. Et là, au
lieu que ton attention soit déviée un petit bout de seconde, tu
décroches franchement pendant cinq minutes. Tu comprends le
souci ?
– Oui, c’est OK de remarquer ce qui se passe autour, mais il faut éviter tous
les automatismes qui suivent…
– Oui, et ceux-là, tu peux apprendre à les éviter. C’est ce que je
voulais dire quand je te disais que tu pouvais apprendre à mettre un
vent à tes distracteurs : ça ne veut pas dire « ne pas les remarquer »,
mais « ne pas y réagir automatiquement ».
– Et comment je fais, pour ne pas réagir ?
– Je t’en parlerai un peu plus tard, mais bon… tu sais faire du vélo ?
– Euh, oui.
– Et est-ce que tu penses tout le temps à ne pas tomber ?
– Non, j’ai pas à y penser. C’est naturel.
– Exactement, et c’est parce que tu as acquis des automatismes : quand tu
commences à pencher, tu t’en rends compte et tu corriges
immédiatement ta posture pour rester stable.
– Quel rapport avec ce dont on parlait ?
– L’idée, pour éviter les automatismes qui te distraient, c’est de développer
d’autres automatismes qui t’aident, au contraire, à stabiliser ton
attention.
– Ah, OK. Mais au fait, il est pas sur ton dessin, ton système
préattentif ?
– Non, mais on pourrait le mettre. Je sais pas trop où d’ailleurs… Ah si,
tiens, pourquoi pas là, comme un deuxième rond à côté du rond
central ?
– Pourquoi là ?
– On ne peut pas le mettre au niveau du cercle extérieur, parce qu’il
utilise les détecteurs, mais ce n’est pas un détecteur. C’est un peu
comme le rond central, qui utilise aussi les détecteurs quand tu
essaies de remarquer quelque chose en particulier… Une étoile filante
dans le ciel par exemple.
– C’est pour ça que je me laisse distraire en cours ?
– Oui, si quelqu’un te fait un signe ou s’il y a un bruit dehors, il va
réagir.
– La prochaine fois, je dirai à mon prof que c’est lui qu’il faut coller.
– Tu peux toujours essayer…
– Si je mets sous tes yeux 1 € sous un bol à ta gauche et 2 € sous un
bol à droite et que tu as le droit de soulever un des deux bols, tu
soulèves lequel ?
– Ben, celui avec les 2 € évidemment. Mais après, je soulève l’autre.
– Oui, mais imagine qu’immédiatement après que tu as reposé le bol
de droite, il y ait à nouveau une pièce de 2 € qui apparaisse dessous…
Tu fais quoi ?
– Ben, je resoulève le bol de droite.
– Et le bol de gauche, tu ne le soulèves pas du coup ?
– Non, c’est vrai.
– Tu as tout compris. À quoi ça aurait servi au rat de manger ou de
boire, vu que sa récompense était toujours plus grande quand il
appuyait sur la pédale ? Ça ne lui servait à rien de perdre son énergie,
mieux valait pour lui continuer à appuyer sur la pédale. C’est logique,
non ?
« Son capitaine ne pouvait pas monter dans la vigie pour voir qu’il allait
mourir ? – Il faut croire que non, le capitaine du rat n’était pas assez
fort. »
– Oui, enfin non. Je sais pas. Mais il pouvait bien se rendre compte
qu’il allait mourir de faim ou de soif ?
– Peut-être, mais pour manger ou boire, il fallait qu’il décide de le faire.
Et pour décider de le faire, il fallait que quelque chose dans son
cerveau estime que c’était plus important que d’appuyer sur la pédale.
Mais ça veut dire quoi « plus important » ? Important en fonction de
quoi ?
– Tu me perds, là…
– Entre deux choix possibles, « aller manger » ou « continuer
d’appuyer », il fallait bien que quelque chose dans son cerveau les
compare et préfère l’un à l’autre, tu comprends ?
– Oui, ça, je comprends.
– Eh bien le critère pour décider, dans le cerveau de ce rat à ce moment-là,
c’était tout simplement : « Qu’est-ce qui stimule le plus mon circuit de la
récompense ? » Donc, en fonction de ce critère, son comportement était
totalement logique.
– Mais son capitaine pouvait pas monter dans la vigie pour voir qu’il
allait mourir ?
– Il faut croire que non, le capitaine du rat n’était pas assez fort, ou la
vigie pas assez haute, je ne sais pas.
– C’est vraiment mal fichu, un rat… J’espère qu’on a pas ça dans la
tête, nous, si ?
– Le dispositif de stimulation électrique, non. Par contre, le circuit de la
récompense, si, et comment !
– C’est comme ça que tu veux me transformer en esclave ?
– Oui. Mais ça sera dur, j’avoue.
– Mais du coup, c’est quoi le rapport avec l’attention ?
« On peut dessiner un troisième petit rond vers le centre, qui va
représenter le circuit de la récompense, puisque lui aussi cherche à
diriger l’attention. »
À chaque fois que nous ressentons une sensation agréable dans une
situation particulière, les neurones de notre circuit de la récompense le
détectent et s’en souviennent, grâce à une forme de mémoire. Par exemple,
dans le cerveau d’un enfant qui aime bien jouer avec sa console, le circuit
de la récompense s’active dès qu’il aperçoit la console. Le but de ce
système est de déclencher un comportement d’approche qui permet de
renouveler l’expérience agréable. Cette mémoire est associative, c’est-à-
dire qu’elle enregistre également tout ce qui est associé à la situation
plaisante : le coin de salon où se trouve la console, l’heure à laquelle on y
joue, etc. Une fois enregistrés, ces petits éléments vont pouvoir être
reconnus comme autant de signaux qui indiquent que ce qu’on aime est
possible. Le circuit de la récompense commence alors à vraiment s’activer
pour inciter à jouer.
Ce circuit est au cœur de toutes les addictions, notamment aux drogues, qui
peuvent agir comme de véritables clefs chimiques qui l’allument aussi
efficacement que la clef de contact démarre le moteur d’une voiture. La
personne « addict » est alors condamnée à rechercher encore et encore
cette clef, jusqu’à ne plus ressentir aucun plaisir, mais simplement un
manque physique quand elle est privée de celle-ci : la quête de sa
substance est devenue une habitude dont elle ne peut plus se détacher.
C’est la dépendance, qui n’est qu’une forme d’esclavage chimique.
– Oui, enfin, il ne fait pas que bouger la flèche. La console, je fais pas
que la regarder, je l’allume aussi… et j’y joue !
– Et ce qui est curieux, c’est que tu avais aussi envie de regarder le
papier avec le nom écrit dessus…
– Ah oui, tiens, c’était qui ?
– Tiens. [Le nom sur le papier est « Pierre-Henri ».]
– Ah, mais c’est un nom de papi ça…
– Peu importe. Ce qui est intéressant, c’est que ton circuit de la
récompense est aussi sensible à ce qu’on pourrait appeler la curiosité.
Tu avais envie de savoir, même s’il n’y avait rien à gagner et que tu le
savais.
– Ça m’intriguait.
– Tu vois, souvent on a envie d’allumer son téléphone juste pour avoir
les dernières nouvelles, poussé par cette espèce de curiosité, même
si on n’est pas du tout concerné ; il semble que ce soit aussi le circuit
de la récompense qui pousse l’attention dans cette direction.
– Il est vraiment tout le temps à pousser sur l’attention…
– Oui. D’ailleurs, imagine-toi les yeux fermés dans une petite barque
sur une rivière avec du courant…
– J’ai du mal à te suivre parfois, mais bon, OK, et alors ?
– Si la rivière coule tranquillement, toujours à la même vitesse, tu ne
vas pas forcément te rendre compte qu’il y a du courant, tu es
d’accord ?
– Euh… oui.
– Mais si tu t’accroches tout d’un coup à une branche, tu vas sentir
une force incroyable tirer sur tes bras. C’est au moment où tu essaies
de résister que tu sens vraiment la force du courant…
– OK, et… ?
– Eh bien, c’est pareil avec le circuit de la récompense, pour vraiment sentir
sa force, il faut essayer d’y résister, même si ce n’est que quelques secondes.
Si tu le laisses tout le temps glisser dans le courant, tu ne te rendras
même pas compte qu’il est là.
Là, j’avoue, ça a été une belle claque, cette histoire de circuit de la récompense.
Avant, je pensais que quand j’allais sur mon téléphone, c’est juste que j’en avais
envie, parce que c’est ce que je voulais faire, c’est tout. Mais c’est flippant de
penser que c’est parce que dans mon cerveau, y a des neurones qui cherchent à
m’obliger à le faire. Quand le circuit de la récompense veut un truc, on en a envie,
et il lâche pas facilement l’affaire…
Mais c’est bizarre de se dire qu’on a le droit de pas lui obéir, parce que quelque
part, ça veut dire qu’on obéit pas à son cerveau… Le chercheur m’a dit que le
problème, c’est qu’il y a plusieurs parties dans le cerveau qui ne sont pas toujours
d’accord entre elles, mais que c’est pas grave et que ça veut pas dire qu’on est
schizo, parce qu’on est tout ça à la fois. Bon, OK. Mais du coup, ça veut quand
même dire que si j’arrive à bien remarquer quand mon circuit de la récompense
cherche à être le chef, « je » suis pas obligé d’obéir (je mets des guillemets
exprès à « je », parce que, là, c’est plutôt de la partie « capitaine du cerveau »
que je parle).
– Oui. C’est lui qui a décidé de ne pas bouger ton regard quand
quelque chose attirait ton attention sur le côté. Continuer à regarder la
cuillère, c’était une décision volontaire de ta part.
– Je vois. Et donc, pendant ce petit jeu, tout le monde a essayé de
prendre le contrôle de ma flèche ; chacun des trois ronds ?
– Tout le monde. Une vraie foire d’empoigne.
– Mais attends, y a un truc que je comprends pas. Si j’ai réussi, c’est
parce que j’avais envie de gagner 1 €, donc c’est mon circuit de la
récompense qui m’a aidé, non ?
– Excellente remarque. C’est un peu vrai. Sauf que ton circuit de la
récompense n’aurait sans doute pas réussi tout seul à te maintenir
motivé.
– Pourquoi ?
– Parce que ce qu’il aime, ce sont les récompenses qui arrivent
rapidement. Plus une récompense est lointaine et incertaine, et moins elle
intéresse ton circuit de la récompense. Donc pour arriver à se motiver
pour des récompenses un peu lointaines et qu’on n’est pas sûr d’avoir,
il faut l’action du cortex préfrontal, toujours lui, qui va faire croire au
circuit de la récompense que la récompense va arriver là, tout de
suite.
– Ouah, mais comment il fait ?
– C’est un jeu assez subtil, mais prenons l’exemple d’un petit qui
continue de marcher à la fin d’une longue randonnée parce que ses
parents lui ont promis une glace au chocolat. Pour lui, c’est comme s’il
allait avoir la glace tout de suite : il la voit, la glace, quasiment sous ses
yeux, il n’arrête pas d’y penser… alors que ce n’est pas vrai, il aura la
glace bien plus tard, et encore, si le magasin est encore ouvert. Et tout
ça, c’est parce que son cortex préfrontal l’aide à se concentrer sur
l’image de la glace, pour la faire « miroiter » au circuit de la
récompense. Ça suffit à stimuler ce circuit qui se fait avoir et qui
encourage un comportement d’approche vers la glace : et le gamin
continue de marcher. Sans l’aide du cortex préfrontal, le circuit de la
récompense choisirait une récompense plus immédiate : le plaisir de
s’arrêter quand on est fatigué. Donc dans le cas de notre jeu, c’est le
cortex préfrontal qui compense l’attirance du circuit de la récompense
pour cette récompense immédiate.
– Mais dans mon cas, c’était quoi, la récompense immédiate ?
– C’était d’arrêter de regarder le rond, d’arrêter de faire ce truc hyper
ennuyeux.
– Ah OK, je commence à comprendre.
– Et si le chien et l’abeille ne peuvent pas décider de rester sur place quand
il n’y a rien, c’est parce qu’ils n’ont pas l’équivalent du cortex préfrontal
surdéveloppé de l’être humain. C’est pour ça que je t’ai félicité d’avoir
passé ton brevet d’être humain. Évidemment, ça aurait été encore
mieux si tu l’avais fait gratuitement, sans que j’aie à te promettre 1 €…
– Mais si on promet au chien une grosse récompense plus tard, il
pourrait rester bien sage au même endroit ?
– Si on arrive à lui faire comprendre, à force d’entraînement, qu’il va
certainement avoir cette récompense, oui, on peut y arriver parce qu’il
n’y aura pas cette dimension d’incertitude.
– Mais parfois, les chiens font des trucs incroyables, ils sauvent des
gens dans la neige…
– J’imagine qu’il n’y a pas que la nourriture qui puisse constituer une
récompense pour un chien ; l’affection ou la reconnaissance de son
maître sont sans doute aussi ressenties comme des récompenses.
Mais comme je ne suis pas un chien, je ne peux pas en être sûr.
– Donc l’abeille et le chien, ils ont moins de volonté que les êtres
humains ?
– Ils n’ont pas cette capacité à se fixer tout d’un coup une intention et
à la maintenir bien active pendant longtemps… À part peut-être dans
certaines intentions stéréotypées, comme pour rentrer à la maison ou
je ne sais pas quoi. Mais nous, les humains, nous pouvons nous fixer
quasiment n’importe quelle intention et la tenir, et ça, c’est vraiment
remarquable. C’est la raison pour laquelle nous avons réussi à
construire des pyramides ou à découvrir l’Amérique, malgré le temps
et les efforts qu’il fallait pour y arriver. Nous avons la capacité de guider
nos actions par une vision à long terme et, ça, seuls les humains en sont
capables.Tu te souviens de l’image de la vigie sur le bateau ? Les êtres
humains ont cette vigie qui leur permet de voir ce qui va se passer s’ils
continuent dans une direction. C’est parce que le capitaine voit une île
au loin depuis sa vigie qu’il décide de continuer vers l’avant même si
le vent est contraire et que ce serait plus facile de faire demi-tour. Tu
comprends ?
« C’est dans ces moments où tu sens que ça fait “CRAC” que tu peux
marquer une petite pause pour monter dans ta vigie, pour voir quelle est
l’image d’après. »
– Pas mal tout ça, mais il faut vraiment que je prenne l’habitude*.
– Oui, il faut que ça devienne une habitude pour arriver à le faire
rapidement. Tiens, regarde, je vais mimer quelque chose, tu sais ce
que c’est ? [Il mime un funambule sur un fil avec l’index et le majeur.]
– On dirait quelqu’un qui marche sur un fil ou une poutre.
– Oui, c’est un funambule.
« Tu dois garder le contact alors que tu es attiré sur le côté, comme le
funambule qui doit rester au contact. »
– Mais attends, pourquoi, dans ton système, il faut réagir vraiment tout
de suite ?
– Je te l’ai dit : parce qu’à ce moment-là, ton cerveau a encore
l’intention de rester concentré. Une fois que tu as allumé ton
téléphone, cette intention est complètement oubliée parce que tu es
complètement passé à autre chose. Tu t’es vraiment distrait. C’est ce
que je t’ai déjà expliqué : c’est normal que tu remarques ce qu’il y a
autour de toi, tu n’as pas à lutter contre. Ce que tu peux essayer
d’éviter, c’est de réagir à ce qui a capturé ton attention : en prenant
ton téléphone dans la main, en le regardant, et ainsi de suite… Ça,
c’est vraiment ce que j’appelle tomber du fil.
– C’est chaud quand même de réagir tout de suite.
– Encore une fois, ça s’apprend. Tu vois, quand un poney est en train
de manger de l’herbe sur le chemin, c’est très dur de lui faire relever la
tête, à cause des sacrés muscles qu’il a dans le cou. Alors que c’est
beaucoup plus facile si tu tires au moment où tu sens qu’il commence
à peine à baisser la tête. Là, c’est encore facile.
– Ah oui, je comprends l’image.
– Et c’est même encore plus facile si tu anticipes qu’il va se laisser
distraire, et que tu tires un tout petit coup avant l’herbe. Eh bien, c’est
pareil avec ton attention, plus tu la ramènes tôt, plus c’est facile.
– OK, je vois.
– Tu veux faire un dernier exercice ?
– Pourquoi pas ?
– On va imaginer que ton Regard, c’est une abeille, on peut aussi dire
un chien si tu veux…
– Non, l’abeille, c’est bien, du moment qu’elle pique pas.
– Je vais te demander de le poser sur le bouchon en imaginant
d’abord que c’est une abeille super dynamique et qu’elle ne tient pas
en place…
– Du coup, elle va pas rester sur le bouchon…
« Quand un poney est en train de manger son herbe sur le chemin, c’est
très dur de lui faire relever la tête. »
DE L’ATTENTION
Apprendre à garder son attention stable, c’est devenir un vrai funambule de
l’attention. Comme dans de nombreuses activités comme la slackline, le
judo ou le surf, il s’agit d’abord d’apprendre à garder son équilibre et
accepter que cet apprentissage prenne du temps.
Le plus évident de ces signes, c’est le Regard qui part : quand on se laisse
distraire par quelque chose, le premier réflexe, c’est d’aller voir ce que c’est.
Et même si le Regard ne bouge pas, l’Attention est attirée. C’est ce qu’a
ressenti Anatole quand il regardait la cuillère. Et puis, il y a souvent un
mouvement au niveau du torse, des épaules, du cou, de la tête… : la Posture
s’ajuste pour ne pas se tordre les yeux. Quand le Regard, l’Attention et la
Posture commencent à bouger, c’est qu’il y a de la distraction dans l’air : le
funambule est en train de perdre l’équilibre.
MIS MES CLEFS ?
Qui ne s’est jamais retrouvé en pleine conversation avec lui-même,
complètement déconnecté du réel ? S’il est parfois intéressant et utile de se
perdre dans ses pensées, cette aspiration de l’attention vers l’« intérieur »
peut aussi se produire dans des moments où la connexion avec le monde
extérieur est importante, voire essentielle. C’est pourquoi il est bon
d’apprendre à éviter la saisie de l’attention par ses pensées au moment
précis où on sent qu’elle est en train de se produire, comme un joueur de
rugby qui éviterait de justesse d’être plaqué. Et comme avec les distractions
externes, tout est affaire d’équilibre pour réagir à l’élément distracteur dès
qu’on l’a remarqué, car après c’est trop tard : l’intention précédente est
oubliée.
Prenez garde toutefois à ce que l’exercice soit bref, pour au moins deux
raisons. D’abord parce qu’il est tout de même un peu difficile de garder
longtemps en tête cette étrange consigne et puis parce qu’au bout d’un
moment, cela commence à faire beaucoup de pensées (mais bon, personne
ne vous demande de les retenir toutes). Certes, c’est un peu distrayant
quand on fait quelque chose qui demande de la concentration, mais comme
le pensoscope sert surtout à vous désengluer de vos pensées, c’est un
moindre mal.
C’est quoi encore, ce truc ? C’est ce que je me suis dit quand le chercheur m’a
demandé où était le couteau sur l’assiette quand je m’étais parlé dans ma tête.
J’avoue que là, comme ça, si j’essaie d’expliquer ça à mes potes, ça va être
chaud. Du coup, je garde cette technique pour moi, et le pire, c’est qu’elle
marche ! De toute façon, personne le voit quand je le fais, alors… J’ai essayé en
cours, quand le prof nous montrait des trucs et que d’habitude, je partais
complètement dans mes pensées et que j’écoutais plus rien. Là, j’ai tout de suite
vu que je commençais à me raconter des histoires et, tac, comme un funambule,
j’ai pas perdu le contact avec ma slackline. Du coup, j’ai pas décroché. Merci le
pensoscope machin.
Ce qui est bien, c’est que tu peux faire ça avec ce que tu veux du moment que
c’est une perception interne. Le tout, c’est de décider à l’avance de ce que tu dois
remarquer, parce que si t’essaies de tout regarder à la fois, ta petite voix, tes
émotions, tes images mentales, etc. tu t’y perds. Mon préféré, c’est avec le circuit
de la récompense, quand il réclame comme un gamin en disant : « J’ai envie
de…, j’ai envie de… » Maintenant, je sais ce que je ressens dans ces moments-
là : c’est comme une sorte de petite excitation (CRAC, comme dit le chercheur).
Du coup, c’est ça que j’essaie de remarquer et j’essaie de voir ce que je suis en
train de faire exactement au moment où je ressens ça, et devinez quoi : je le fais
quand je suis sur mon téléphone ou sur ma tablette (évidemment). Hier, je me
suis souvenu de la technique du pensoscope au moment où je venais de finir de
regarder une vidéo, et j’ai tout de suite remarqué mon circuit de récompense qui
se mettait à réclamer. C’était quand j’ai aperçu les autres vidéos qu’ils proposaient
sur le côté, surtout la première avec les plus beaux buts de Mbappé. Et là où ça
m’a aidé, c’est qu’au lieu de passer à l’autre vidéo comme avant comme un
zombie, j’ai remarqué ce qui se passait et j’ai éteint, parce qu’en fait, ça me
servait à rien de regarder une autre vidéo, j’avais d’autres choses à faire. Au lieu
de Foncer et d’Obéir, j’ai Freiné et Observé.
Demain, je vais essayer avec les PAM dont le chercheur m’a un peu parlé après.
PAM, ça veut dire « Passons à Autre chose de Mieux », c’est un mot qu’il a
inventé parce que ça ressemble à « spam » (les mails de pub), et que justement,
c’est comme une pub dans ton cerveau. C’est quand tu fais un truc et que tout
d’un coup, t’as ton cerveau (ou ton circuit de la récompense, j’imagine) qui te
rappelle que tu pourrais faire autre chose (de mieux, donc) à la place. Après, c’est
la même technique qu’avec l’assiette et la petite voix, sauf que c’est avec les
PAM. Le chercheur m’a expliqué après que je pouvais utiliser le pensoscope avec
n’importe quelle chose que je remarque dans ma tête, et pas seulement la petite
voix. Il m’a dit que du moment que je savais bien à l’avance ce que je dois
remarquer, ça marchait et que ça pouvait aussi être l’envie tout d’un coup de faire
autre chose, ou même une image mentale (genre l’image de mon téléphone que
j’ai envie d’allumer)…
Sinon, tu peux aussi le faire avec l’inverse d’une envie, quand rien que de penser
à faire un truc, ça te rend malade. Comme c’est une perception interne, ça
marche pareil. J’ai essayé avec un livre que j’ai vraiment (vraiment !) pas envie de
lire. J’ai quand même commencé à le lire, mais au bout de trois lignes, j’ai ressenti
comme une envie de vomir et des frissons, et j’avais envie de hurler et de le jeter
par terre. J’en ai parlé au chercheur et il m’a dit qu’il fallait que j’accepte cette
sensation et que j’apprenne à la connaître, et que sa technique du pensoscope
allait m’aider. Il m’a expliqué qu’il fallait être courageux et la regarder droit dans
les yeux, comme si c’était un lion que je voulais dompter, mais que ça me
prendrait peut-être du temps pour y arriver. Mais du temps, j’en ai, pour devenir…
Anatole, le dompteur de lions !
Utiliser les vents et les courants
– C’est le mode « à la coule », quoi. Comme quand on lit au bord d’une
piscine…
« La clef pour pas trop se fatiguer, c’est de faire confiance à son cerveau
et de le laisser faire ce qu’il fait très bien tout seul. »
– Oui, c’est une lecture presque sans effort. C’est très pratique pour
rentrer dans un texte, surtout quand tu n’as pas envie de lire. Tu n’as
qu’à poser ton regard au début de la première ligne, et lui faire faire sa
petite promenade tranquillement, sans courir. Et hop, la magie du
cerveau opère. Mais il faut quand même que tu saches que parfois, ça
ne suffit pas ; tu peux avoir besoin d’être un peu plus actif pour
vraiment comprendre le texte et le retenir…
– Dans quel cas ?
– Si le texte explique un mécanisme par exemple, ou bien la manière
de se servir d’une machine à laver, ou bien la façon de jouer à un jeu
de société… c’est ce qu’on avait vu : dans ce cas, tu as besoin d’un
PIM pour te concentrer sur ta lecture d’une façon bien précise, en te
représentant sous forme d’images mentales ce qui est décrit dans le
texte. Comme ton cerveau ne va pas forcément spontanément
fabriquer ces images à partir des mots que tu lis, il faut que tu le fasses
de manière volontaire.
– Et cette façon de lire, elle peut être fatigante ?
– Oui, elle peut l’être, parce que tu dois engager un processus
volontaire à chaque fois. Mais c’est à toi d’en faire l’expérience, en
faisant bien attention à bien régler ta vitesse de lecture : pas trop vite !
Si tu forces ton cerveau à fabriquer des images mentales plus vite qu’il
ne le peut, tu vas te crisper et t’épuiser. La clef, c’est donc de trouver la
bonne vitesse, celle qui te convient, pour lire et pour tout ce que tu fais. Et
puis n’oublie pas qu’il n’y a pas grand-chose que tu ne puisses pas réaliser
avec un chapelet de petites bulles de concentration assez courtes. Tu peux
lire n’importe quel texte compliqué, petit bout par petit bout.
– Donc, la clef pour pas trop se fatiguer, c’est de faire confiance à son
cerveau et de le laisser faire ce qu’il fait très bien tout seul. C’est ça ?
– Oui, c’est une des clefs pour être concentré en se fatiguant le moins
possible, en lui laissant bien le temps dont il a besoin. C’est rarement
très long.
« La seule manière de ne pas entendre quelqu’un qui nous parle, c’est de
se concentrer sur autre chose. »
Celui qui se montre généreux avec son attention est comme le client d’un hôtel
cinq étoiles qui est récompensé par mille petits services parce qu’il a fait un gros
chèque. Mais à la différence de l’argent, tout le monde dispose d’un solide compte
en banque attentionnel qui, de plus, se remplit sans cesse. Le monde de
l’attention est moins inégalitaire que celui de l’argent.
Il est donc primordial de déployer des trésors d’imagination pour attirer l’attention
du client potentiel, ce qui n’est pas si compliqué une fois qu’on a compris sa
mécanique, et celles du système préattentif et du circuit de la récompense.
Comme les gens maîtrisent en général assez mal leur attention – surtout quand ils
sont stressés ou fatigués –, il est assez facile de la manipuler comme on veut
(cela fait longtemps que les magiciens et les pickpockets l’ont compris). Il s’agit
simplement de présenter de la manière la plus flashy et la plus séduisante
possible un contenu qui va sembler important à la personne que l’on vise. Pour y
arriver, il faut comprendre sa psychologie, la manière dont elle raisonne, ses
centres d’intérêt et ses préoccupations du moment.
Et, comme tous les grands commerçants du Web se livrent une compétition
farouche pour capturer l’attention et la garder le plus longtemps possible (Citton
Y. [éd.], L’Économie de l’attention : nouvel horizon du capitalisme ?, La
Découverte, 2014), c’est une vraie course aux armements où beaucoup de coups
sont permis sans vraies lois ni règles du jeu : enchaînement des vidéos les unes
après les autres sans pause pour ne pas perdre l’attention de l’internaute, endless
scrolling (des textes sans fin, sans interruption pour empêcher de passer à autre
chose), annonces courtes en début de vidéo pour qu’on n’ait pas le temps de
partir faire autre chose, petite croix cachée qui change de place à chaque fois
pour fermer l’écran de pub, questionnaires sur les produits préférés, publicités
déguisées en articles dans les journaux en ligne, titres courts et attirants pour
donner envie de lire, petites récompenses quand on est bien attentif aux
messages… Tous les mécanismes de l’attention expliqués dans ce livre sont
utilisés, avec une très grande efficacité, parce que nous ne sommes pas si malins
et pas si maîtres que ça de notre attention.
Mais, alors, comment décider réellement par nous-mêmes de ce qui occupe notre
vie mentale, plutôt que de laisser les autres nous l’imposer ? Comment organiser
soi-même la rébellion à son échelle ? D’abord, en apprenant à connaître son
attention, comme le fait Anatole dans ce livre, afin d’en comprendre les limites.
Apprendre aussi à observer les forces qui la dirigent et qui sont utilisées pour la
manipuler, comme avec l’acronyme RAPPEL qui nous rappelle les points à
surveiller pour remarquer rapidement que notre attention est en train d’être
captivée. Et apprendre, enfin, à légèrement ralentir pour prendre le temps de
monter dans sa vigie et de jeter un œil à l’« image d’après » : est-ce que je ne
ferais pas mieux de me coucher plutôt que de regarder cette cinquième vidéo ?
Utilisez un PIM de lecture ou d’écoute pendant une minute dans le but de pouvoir
réexpliquer à la fin ce que vous aurez lu ou entendu. S’il s’agit d’une lecture,
comptez le nombre de lignes que vous avez lues pour vous rendre compte de ce
qu’il est possible de lire en une minute. Répétez ce test avec des activités simples
(en utilisant par exemple un micro-ondes comme un chronomètre, en faisant
chauffer de l’eau) afin d’apprécier tout ce que vous pouvez faire pendant ce temps.
Si vous avez besoin d’une courte pause après une minute, réfléchissez à ce qui vous
reposerait le plus : boire une gorgée d’eau ? Malaxer de la pâte à modeler ? Vous
lever et faire des étirements ? Respirer ? Répétez l’expérience en vous plaçant cette
fois en tant qu’observateur pour constater ce que d’autres peuvent faire en une
minute. Enfin, si vous avez l’occasion de jouer à un jeu vidéo, utilisez un minuteur
pour faire une pause toutes les minutes : avez-vous l’impression de vous interrompre
trop souvent ? Une minute de concentration, est-ce plutôt long ou plutôt court ?
Quand vous aurez l’occasion d’observer quelqu’un dans un lieu public ou au travail
(ou en classe), notez cinq signes extérieurs qui vous indiquent que cette personne
se laisse parfois distraire. Les mouvements du corps trahissent-ils ceux de
l’attention ?
Imaginez tous les moyens possibles de distraire quelqu’un sans le toucher (au
travail, pendant un match, devant un écran…). Parmi ces façons de faire, quelles sont
celles qui impliquent de créer une connexion avec cette personne, par l’attention ?
Quelles sont celles qui impliquent le système préattentif ? Celles qui impliquent le
circuit de la récompense ? Exemples : agiter un foulard blanc dans son champ de
vision, faire un bruit soudain dans un moment de calme, le regarder droit dans les
yeux, allumer un téléphone sous ses yeux… Peut-on forcer quelqu’un à se
concentrer ? Quels sont les distracteurs auxquels vous êtes, vous, le plus sensible en
ce moment ? Dans l’heure qui vient de s’écouler, avez-vous été distrait par une
« envie soudaine » de faire autre chose ?
Décrypter la publicité
Déplacez lentement la pointe d’un stylo le long d’un texte à la vitesse d’un
centimètre par seconde environ. Marquez un petit point sous le texte à chaque fois
que votre regard est attiré ailleurs, à l’endroit où vous avez interrompu votre lecture,
puis continuez à lire à partir de là… et ainsi de suite. À la fin de chaque paragraphe,
essayez de vous souvenir de ce qui a fait dévier votre regard. Les forces décrites
dans ce livre étaient-elles à l’œuvre (le système préattentif, le circuit de la
récompense) ? Parvenez-vous à vous souvenir de ce que vous avez ressenti au
moment où votre attention a décollé du texte ? Répétez cet exercice de temps en
temps dans différentes conditions de stress et de fatigue, pour voir si le nombre de
distractions que vous remarquez évolue (et diminue quand vous êtes plus calme et
moins fatigué).
Profitez d’une occasion où vous devez écouter quelqu’un parler (ou en écoutant une
émission) pour chercher à deviner, à chaque fois que cette personne marque une
petite pause, ce qu’elle va dire après, dans un état d’anticipation semblable à celui
qui serait le vôtre si vous attendiez avec impatience qu’un certain mot soit prononcé.
Notez éventuellement sur une feuille une petite croix à chaque fois que vous vous
rendez compte d’avoir « décroché » au point de ne plus remarquer ces petits
silences (une variante consiste à réaliser le même exercice pendant la lecture d’un
livre).
Pendant une activité routinière d’une durée de dix à trente secondes, au cours de
laquelle il vous arrive de faire des erreurs, utilisez la technique du pensoscope en
associant les pensées verbalisées (votre petite voix) avec vos gestes pour remarquer
ce que vous étiez en train de faire précisément, ou quel objet vous étiez en train de
manipuler au moment où vous avez remarqué vous être dit quelque chose.
Recommencez l’exercice à d’autres moments en visant cette fois les « envies subites
de passer à autre chose de mieux » (les PAM).
Une intention claire
« C’est comme si on tirait tellement sur mon pull pour que j’arrête
d’écouter et qu’il finit pas se déchirer. »
« Je comprends que ce soit la bagarre du coup, si chacun veut aller dans
une direction. »
Alors, là… j’avais jamais remarqué qu’à chaque moment, j’essayais de faire plein
de trucs en même temps. Mais c’est parce que je m’en rends pas compte : c’est
vrai que par exemple, quand je joue à la console au lieu de faire les devoirs
pendant que ma mère est partie faire les courses, je surveille quand même si
j’entends pas sa voiture arriver. Il vaut mieux pas que j’oublie de faire attention
aux bruits dans le parking, parce que sinon ça peut mal se passer pour moi. Donc,
j’ai pas que l’intention de jouer, j’ai l’intention de surveiller aussi, et puis sans
doute plein d’autres encore (tiens oui, regarder si je reçois pas des messages…).
« Ce que tu attends, c’est que j’oublie mon intention… mon intention de
ne dire ni “oui” ni “non”. »
« Qu’est-ce qui me dit que cinq minutes plus tard, tu ne vas pas être en
train d’essayer de faire trois exercices en même temps ? »
« Tu avais cette image en tête de ce que tu devais faire, et boum, c’est
parti, tu t’es lancé. »
– Du coup, pour voir si j’ai bien compris, quand tu dis qu’il faut se fixer
plein de petites missions, comme « ranger les livres », « ranger les
habits », ça me rappelle un peu les listes que fait ma mère sur un bout
de papier, c’est ça qu’elle fait ?
– Oui et non. Ça dépend de ce qu’elle met dans ses listes. Souvent,
on y écrit des intentions un peu vagues, par exemple : « faire les
courses », ou bien « préparer les affaires », « ranger l’appartement ».
Mais ce ne sont pas des intentions très claires, très précises…
– Mais c’est quoi la différence entre une intention précise et une
intention pas précise ?
– Une intention, ça définit une sorte de mission que tu dois réaliser, tu
es d’accord ?
– Oui, ça, j’ai fini par comprendre.
– Eh bien, il y a des missions simples et précises et des missions plus
vagues. Comme je te disais, une mission simple et précise, c’est une
mission que tu vois tout de suite comment réaliser. J’aime bien appeler ça
des mini-missions. Tu vois tout de suite comment t’y mettre et par quoi
commencer, tu vois le fil ou la poutre jusqu’au bout, pour reprendre
l’image du funambule. Et tu peux même dire à peu près combien de
temps ça va te prendre. Si tu dois t’arrêter au milieu pour réfléchir à ce
que tu dois faire ensuite, ce n’est pas une mission simple et précise.
C’est une mission vague. Ce n’est pas une mini-mission. Un funambule
ne s’arrête pas au milieu de son fil pour réfléchir au chemin qu’il doit
suivre.
– Oui, mais faire les courses, c’est précis ou c’est vague ?
– Aller dans un supermarché bien précis, et acheter ce qu’il y a sur ta
liste, c’est très précis. Par contre, si c’est juste « aller faire les courses »
et que tu ne sais pas trop où aller ni quoi acheter, ce n’est pas une
mission précise. Au début d’une mission précise, tu dois être comme
tout à l’heure quand tu mettais le couvert : comme une flèche prête à
filer vers sa cible.
– Mais ma mère, elle arrive quand même à faire ses courses, même si
elle a juste marqué « faire les courses »…
– Oui, mais en fait, elle doit enchaîner ensuite avec deux missions
simples qu’elle n’a pas notées. La première, c’est de prendre un bout
de papier et de réfléchir à sa liste de courses, et ça, c’est simple et
précis. Elle n’a qu’à se poser avec le papier et le stylo pour
commencer… Et la deuxième, c’est d’aller acheter tout ça.
– Attends, tu viens de dire qu’il fallait pas réfléchir, mais là, tu me dis
que sa première mission, c’est de réfléchir.
– Ah oui, excuse-moi, désolé… je n’ai pas été clair. Une mission simple –
ce qu’on va appeler une mini-mission –, c’est une mission dans laquelle tu
peux te lancer directement sans avoir à réfléchir à la manière dont tu dois la
mener. Tu vois ce que je veux dire ?
– Non, pas bien.
– Quand elle fait sa liste, ta mère réfléchit à ce qu’elle doit acheter.
Mais elle n’est pas en train de réfléchir à la manière dont on fait une
liste de courses. C’est la différence entre, disons, changer un pneu de
vélo et « réfléchir à tout ce qu’il faut faire pour changer un pneu de
vélo ». Tu comprends ? Là, elle voit tout de suite ce qu’elle doit faire
pour réfléchir à sa liste de courses, et elle peut même sans doute te
dire que ça va lui prendre cinq minutes. Donc c’est une mini-mission
précise pour elle.
« À 3 heures du matin, on n’est pas forcément dans le bon état pour
réfléchir à des trucs compliqués. »
– Je crois que je vois.
– Je ne sais pas comment mieux t’expliquer… tiens, si : une mini-
mission, c’est un truc que tu verrais tout de suite comment faire, même
si on te réveillait au milieu de la nuit. Tu serais peut-être un peu
énervé, mais tu saurais tout de suite comment t’y mettre.
– Je pense pas que ce soit une bonne idée de réveiller ma mère au
milieu de la nuit, ou alors faudra pas la croiser le matin.
– C’est juste pour te faire comprendre à quel point la mini-mission doit
être simple. À 3 heures du matin, on n’est pas forcément dans le bon
état pour réfléchir à des trucs compliqués.
– Mais c’est bien de réfléchir. Toi, tu veux que les gens arrêtent de
réfléchir ?
– Non, ce n’est pas ce que je veux dire. Le but, c’est de se mettre
dans les meilleures conditions pour se concentrer, avec la mission la
plus claire possible à chaque fois. Une mission qui permet au cerveau
de faire rapidement le tri entre ce qui est important et ce qui ne l’est
pas. Bien sûr qu’il faut réfléchir : dès que tu fais quelque chose d’un
peu complexe dont tu n’as pas l’habitude, tu dois réfléchir à la manière
dont tu dois t’y prendre. Et justement, si tu fonces tête baissée sans
réfléchir, c’est là que tu risques de te retrouver à hésiter et à essayer
de te concentrer en même temps sur des choses qui ne vont pas du
tout ensemble.
« Dans une mini-mission, tu vois la ligne d’arrivée et le fil jusqu’au
bout. »
Donc à part quand on doit faire quelque chose qu’on sait vraiment bien faire parce
qu’on a l’habitude (il appelle ça une mini-mission), on doit réfléchir. T’as
l’impression que le truc est évident, mais en fait y a plein de choses à faire
auxquelles t’avais pas pensé. Moi, j’appelle ça les « mais avant » : tu vas sur
Internet pour chercher ta recette, « mais avant » faut savoir sur quel site tu vas
aller, « mais avant » faut retrouver ton téléphone, etc. Faut tout le temps réfléchir.
INTELLIGENT
Quand nous réfléchissons ou quand nous rêvassons, nous redirigeons
notre attention vers l’intérieur. Dans le cerveau, cela se traduit par
l’activation d’un ensemble particulier de régions appelé « réseau par
défaut », dont certaines servent à se plonger dans ses souvenirs ou à
imaginer l’avenir.
De là à dire que la distraction rend idiot, il n’y a qu’un pas. A-t-on jamais
mesuré le QI d’un père et d’une mère de famille entourés de trois enfants
qui hurlent ? Einstein aurait-il pu faire se livrer à ses fameuses expériences
de pensée, s’il n’avait pas pu stabiliser son attention plus de trente
secondes ? Il faut quand même une bonne concentration pour réfléchir à ce
qui se passerait si on allumait une lampe dans un train filant à la vitesse de
la lumière… D’ailleurs, cet exemple prouve bien que concentration et
créativité vont aussi de pair : qu’aurait peint Picasso si à chaque fois qu’il
s’était posé pour chercher l’inspiration, il s’était mis à penser à sa liste de
courses ?
Tout cela nous amène à une grande question : comment agir de façon
intelligente quand on n’a pas le temps de réfléchir ? Que l’on soit confiné
avec ses enfants à la maison ou avec ses collègues dans un open space,
rares sont les moments où on peut se couper des sollicitations ambiantes
pour se concentrer et être intelligent. La solution existe pourtant : il suffit
d’être intelligent avant d’affronter la tempête. Au calme devant sa tasse de
thé ou de café, vous décomposez vos tâches complexes en mini-missions
simples qui pourront être réalisées sans hésitation pendant la journée
« comme si on vous réveillait pour les faire à 3 heures du matin ». Vous êtes
comme un chef de bataille commandant à ses troupes… Sauf que les
troupes, c’est vous, mais après. C’est vous qui exécuterez une par une
toutes ces petites missions, sans être gêné par les interruptions parce que
les tâches sont courtes et que vous n’avez plus besoin de réfléchir.
– Tiens, j’ai une bonne idée de jeu pour mettre tout ça en pratique. Tu
vas débarrasser la table après le repas.
– T’es sérieux, là ? C’est ça, ton jeu ?
– Je suis très sérieux, tu ne veux pas débarrasser la table ?
– C’est déjà moi qui l’ai mise, c’est pas à moi de tout faire !
– Bon, si tu préfères, on va simplement imaginer que tu débarrasses la
table. Et je vais te poser la question autrement : si tu avais un robot qui
puisse débarrasser la table à ta place, qu’est-ce que tu lui
demanderais de faire ?
– De débarrasser la table.
– J’ajoute que ce robot n’a pas une bonne mémoire, tu dois donc lui
donner les instructions une par une, sous forme de petites missions
justement.
– OK. Alors, je lui demande d’abord de tout apporter sur la table de la
cuisine.
– C’est la première mission. Je vois bien l’image avec cette table vide
et toutes les affaires posées sur la table de la cuisine… Il a besoin de
combien de temps d’après toi ?
– Je sais pas, deux minutes.
– OK. Et l’image d’après ?
« C’est pas très fatigant non plus de rester là sur sa chaise à donner des
ordres à un robot imaginaire. »
« Ils lisent ce que le robot cuisinier leur dit de faire et ils le font. Et c’est
tellement clair que même s’ils ont trois petits enfants qui leur braillent
dans les oreilles, ils peuvent y arriver. »
– Mais le robot devient ton chef alors ?
– Je dirais plutôt que c’est ton assistant. Ça dépend comment tu vois
les choses, mais, oui, on peut dire que Maximoi est l’assistant de
Minimoi, après tout… Donc tu vois, quand tu notes les petites missions
que tu dois faire dans ta journée, c’est comme si tu préparais tes
instructions à l’avance. Comme le robot cuisinier.
« L’intérêt de noter tout ça sur une liste, c’est que tu pourras la reprendre
la prochaine fois, comme ça tu n’as pas à réfléchir à nouveau. Ça
s’appelle une check-list. »
– Tu me rassures.
– Mais tu sais, c’est vraiment pratique, les check-lists. Tu notes chaque
mission dans une liste, tu l’affiches quelque part et tu n’as plus qu’à la
relire le soir. Ça t’évite d’avoir à réfléchir à des moments où tu n’en as
pas le courage ni l’envie. Tiens, d’ailleurs, je vais te poser une
question : dis-moi ce que tu as mangé avant-hier soir au dîner.
– Aucune idée.
– Prends le temps de réfléchir.
– [Il prend son temps.] Du poulet avec des champignons.
– Et tu as pris un dessert ?
– [Il réfléchit moins longtemps.] Oui, une pomme.
– Très bien. Je voulais que tu te rendes compte que replonger dans
ses souvenirs, ça prend du temps, ce n’est pas immédiat, ça demande
de la concentration. Donc, ce n’est pas forcément facile à faire quand
tu es occupé à autre chose.
– Oui, tu me l’as déjà dit.
« Replonger dans ses souvenirs, ça prend du temps, ça demande de la
concentration. Donc, ce n’est pas facile à faire quand tu es occupé à
autre chose. »
Je trouve que les mini-missions, c’est le truc le plus facile à comprendre depuis le
début. Ça me rappelle les recettes de cuisine qui sont expliquées avec des
images : tu vois d’abord une table avec tous les ingrédients, ensuite les œufs
dans le bol avec la farine… Du coup, c’est super simple à comprendre : t’as qu’à
faire comme c’est montré dans l’image à chaque fois. C’est comme des mini-
missions, mais presque comme dans une bande dessinée. On pourrait faire un gif
aussi avec les images qui s’enchaînent, ce serait cool : on verrait bien tout ce qu’il
faut faire pour réussir la recette.
J’avoue que je préfère les images plutôt que de noter. Le chercheur m’a dit qu’il
fallait noter quand c’était trop long de dessiner les images, mais moi, par exemple,
je vais tout de suite m’imaginer tous les ingrédients sur la table, comme dans
l’image d’après qu’on a vue ensemble. Je vais pas noter : « préparer le
sucre », etc. Donc, maintenant, je fais ça : je me fais une image de ce que je dois
faire juste après, et je fais ma mini-mission ; ensuite, je fais une autre image, et
ainsi de suite (attention : je m’embête pas à imaginer une super image, ça serait
débile). Il paraît que ça marche parce que je me programme bien avant de faire
les choses à chaque fois (et pas pendant) et que c’est des missions précises. Le
chercheur m’a dit qu’il y avait plein de sportifs qui faisaient comme moi. Il m’a
même parlé d’un champion de squash, qui voit le coup qu’il va faire (image
mentale) juste avant de le faire. Donc comme le sucre sur la table, mais pour une
amortie ou je sais pas quoi.
Par contre, j’ai quand même eu un problème après quand j’ai essayé la technique
pour faire mon exposé d’histoire (sur la révolution industrielle à Roubaix). Je
voyais pas du tout comment découper en petites missions et je voyais pas du tout
les images. Du coup, je lui ai demandé et il m’a conseillé de prendre d’abord cinq
minutes pour noter toutes les questions évidentes qu’on peut se poser quand on
n’y connaît rien (genre : c’est où, Roubaix ? Pourquoi Roubaix plutôt qu’une autre
ville ? C’est quoi comme époque ?, etc.). Et il m’a dit que ça, c’était déjà une
première mini-mission parce que l’intention était claire. Après, je lui ai dit que je
voyais pas trop comment faire ça quand on te réveille à 3 heures du matin, mais il
m’a dit que si, parce qu’on voyait au moins comment faire pour commencer à y
réfléchir. La deuxième mini-mission, c’était de réfléchir pour chaque question à un
endroit où je pourrais trouver la réponse, etc. Du coup, même si c’est plus dur de
se faire des images qu’avec la recette de cuisine, c’est quand même plus clair.
Comme ça, je perds pas d’énergie à essayer de faire plusieurs trucs en même
temps. Je suis focus comme un laser. Bam, que la Force soit avec toi, mon gars.
Ce que je trouve vraiment bien dans tout ça, c’est que je peux deviner à peu près
combien de temps va me prendre chaque mission, et du coup, je sais qu’en deux
heures, j’ai fini si je suis bien concentré. Et ça, ça me déstresse à fond, parce
qu’avant, j’aurais tout le temps pensé à mon exposé en me disant que j’aurais
jamais fini à temps. Ça m’aurait pas empêché de faire plein de trucs au lieu de
bosser, mais j’aurais tout le temps eu cette pensée. Maintenant, quand je suis sur
la console, j’oublie vraiment l’exposé, ça me dérange plus parce que je sais que
j’aurai le temps de le préparer. Donc c’est cool.
« Tu avais besoin d’un PIM. Tu devais surveiller attentivement la position
de l’eau par rapport au bord du verre. »
– Sinon je tombe.
– Oui, c’est ce qui se passerait si tu oubliais ton objectif. Donc au
niveau 2, tu dois juste bien garder en tête ce que tu cherches à faire.
– T’aurais pas un exemple ?
– Si, bien sûr. Imagine que tu sois en ville pour faire des courses avec
tes parents et que ce soit l’heure de rentrer. Ils te font signe de sortir
du magasin, mais toi, tu as encore absolument besoin de trouver un
jean bleu, et là, ton père te dit…
– « Je te donne cinq minutes ! »
– Exactement. Donc qu’est-ce que tu fais ?
– Je fonce au rayon jean.
– C’est ça, tu es totalement concentré sur ce seul objectif. Pas
question de te laisser distraire par les blousons ou les bonnets parce
que tu n’as pas de temps à perdre.
– Mais c’est pas le niveau 3 ?
– Non, parce que tu n’as pas besoin de réfléchir à ce à quoi tu dois
faire attention précisément et à ta Manière d’agir. Tu n’as pas vraiment
à utiliser un PIM. Tu peux, mais tu n’es pas obligé. Et puis, si tu te
laisses déconcentrer quelques secondes, ce n’est pas hyper grave
non plus : tu n’es pas en train de dévaler une pente de ski pleine de
bosses.
– Ah oui. Il faut juste que je garde bien mon Intention en tête.
– Voilà, c’est le niveau 2 : tu ne dois pas perdre de vue ce que tu
cherches à faire, c’est tout. Tu es sur une poutre et tu ne dois pas
l’oublier, mais cette poutre est assez large et pas très haute. Ce n’est
pas si grave si tu tombes, c’est juste un peu embêtant.
– Alors là, c’est pas trop les PIM qui me servent, mais c’est plus
RAPPEL.
– Oui, pour rester sur ta poutre, tout à fait. Tu dois surtout éviter de te
laisser distraire complètement. Et effectivement, en étant sensible aux
tout premiers signes de la distraction, avec les indices que te
rappellent les lettres de RAPPEL – au niveau de ton regard, de ta
posture, etc. – il y a moins de risque que ton attention se laisse
captiver et que tu oublies ton intention.
– Et le niveau 1, pendant qu’on y est ?
– À ton avis, ce serait quoi ? Tiens, tu peux me resservir en légumes
s’il te plaît ?
– Euh… oui, tiens.
– Tu as utilisé l’image d’après ?
– Pardon ?
– Avant de me servir en légumes, est-ce que tu as visualisé les
légumes dans mon assiette ?
– Ah, non, mince.
– Mais non, c’est normal, tu n’avais pas besoin de le faire. Tu aurais pu,
mais ça ne servait à rien. Tu aurais aussi pu utiliser un PIM pour me
servir parfaitement, de manière très élégante comme dans un grand
restaurant, mais franchement, quel intérêt ? Tu as juste fait comme tu
fais d’habitude et c’était très bien comme ça. Il n’y avait aucun risque
que tu oublies de me servir en légumes, ou que tu te laisses
complètement distraire, ou que tu hésites… C’est ça, le niveau 1.
– C’est le niveau 1, ça ?
– Oui. Au niveau 1, tu n’as même pas à faire cet effort de bien garder en
mémoire ce que tu dois faire, parce que tu ne peux pas vraiment l’oublier…
Quand tu avances dans la queue du supermarché ou quand tu
récupères ta boisson dans un distributeur, c’est pareil : il faudrait être
sacrément distrait pour ne pas le faire, non ?
– C’est pas la peine de se concentrer, c’est ça ?
– Pas vraiment, il faut juste éviter d’être complètement dans la lune.
C’est une énorme poutre très large et très basse.
– Ah d’accord. Et y a pas des moments où je peux y être dans la lune,
justement ?
– Alors si, bien sûr, et ce serait le niveau 0. Au niveau 0, il n’y a même
plus de poutre, tu as les deux pieds sur le sol. C’est sans doute ton
niveau de concentration quand tu es devant la télé sur ton canapé à
regarder un truc sans importance, ou quand tu es allongé sur ta
serviette à la plage. Dans ces moments, tu peux même t’endormir.
– Donc, avec le niveau 0, ça fait quatre niveaux…
– Oui, du coup.
– Et à quoi ils servent ?
– Ces niveaux servent à te préparer à te concentrer, tout simplement…
À ne pas bêtement oublier de te concentrer à un moment important.
Souvent, quand on fait une erreur, c’est parce qu’on a oublié de se
concentrer au bon niveau alors qu’on aurait pu. On n’a pas estimé que
c’était nécessaire et on s’est trompé. C’est ce qui se passe avec les
erreurs d’étourderie. Ça t’arrive d’en faire ?
– Euh… oui, parfois.
– Je pense que si on te prévenait que tu risques de faire une erreur, tu
ferais plus attention, non ?
– C’est sûr que si on me tapait sur l’épaule pour me dire de bien me
concentrer à ce moment-là, je ferais pas l’erreur.
– C’est quand même amusant de se rendre compte qu’une façon
simple d’être plus concentré, c’est juste d’y penser. Mais
apparemment, ce n’est pas si facile. Donc ça peut t’aider de temps en
temps de te demander avant de faire quelque chose à quel niveau de
concentration tu dois te placer, non ?
– Ça reste un peu abstrait tout ça quand même…
– Écoute, je te propose un truc. Tu vas essayer de te souvenir de tout
ce que tu as fait pendant l’heure qui vient de s’écouler et tu me diras
ensuite si tu as parfois eu besoin d’un niveau 2 ou 3 de concentration,
comme on les a définis ensemble. Et tu vas te rendre compte de
quelque chose que tu ne savais peut-être pas…
– [Il réfléchit.] C’est surtout du 1 en fait, avec un peu de 2. À un
moment, j’ai dû prendre un ticket de métro à la machine alors que le
métro arrivait, et du coup j’étais bien concentré sur ce que je cherchais
à faire pour pas perdre de temps, mais c’était pas vraiment du
niveau 3 non plus. J’avais pas de PIM, par exemple.
– Ça ne m’étonne pas. On est très souvent au niveau 1, et puis de
temps en temps au niveau 2, avec une intention bien claire pour ne
pas se disperser sur plusieurs choses à la fois. Mais tu n’as jamais été
au niveau 3 ?
– Si, mais vraiment pas souvent… À un moment, je cherchais à lire une
BD mais la personne à côté de moi dans le métro parlait fort, et j’ai dû
utiliser un PIM pour me concentrer, pour vraiment bien entendre ma
petite voix prononcer les mots que je lisais, plutôt que ce que disait
mon voisin.
– C’est drôle, non ? C’est assez rare finalement qu’on ait vraiment
besoin d’une concentration de niveau 3. Et ton exemple révèle aussi
quelque chose d’important par rapport aux dimensions de la poutre
dont je parlais tout à l’heure : tu as besoin d’être au niveau 3 quand la
poutre est étroite et haute, mais ce n’était pas le cas dans la situation
que tu me décris. Donc on peut aussi se placer au niveau 3 même
quand la poutre est basse.
– C’est vrai que c’était pas si important que ça d’arriver à lire la BD.
– On voit donc qu’il y a plein de petits moments où tu vas passer au
niveau 3, mais plus par plaisir que par obligation : pour savourer ton
café ou ton chocolat, pour descendre l’escalier léger, pour te glisser
entre les gens dans la foule du métro, pour vraiment écouter ton ami
qui t’appelle au téléphone alors que tu as la tête à autre chose ou
pour lire ton journal… pour être fluide et relax, et tout simplement
réussir ce que tu essaies de faire. Et c’est bien de s’en rendre compte,
parce que ce n’est pas là qu’on s’attendrait forcément à trouver ce
niveau 3.
– Tiens, c’est vrai.
– En plus, ces moments de niveau 3 sont souvent assez brefs, comme
les petites bulles du collier dont je t’ai parlé l’autre jour. Je t’encourage
à te poser de temps en temps pour réfléchir à ce que tu as fait l’heure
d’avant, en te rappelant à quel niveau de concentration tu t’es placé à
chaque fois et si c’était suffisant. C’est une très bonne façon de
comprendre ces niveaux et, au bout d’un moment, cela te permet de
mieux anticiper les niveaux de concentration dont tu vas avoir besoin
pour l’heure ou la demi-heure d’après, parce que tu vas retrouver des
activités que tu as déjà faites et que tu as déjà évaluées.
– J’ai compris du coup. Ça m’avait l’air compliqué au début, mais j’ai
hâte d’essayer.
– Parfait. Eh bien tu peux commencer tout de suite en débarrassant la
table… Tu as déjà fait la moitié du travail !
– Bien vu.
Le journal d’Anatole
Ça me plaît bien cette histoire des niveaux de concentration. C’est vrai, c’est un
truc qu’on sent bien, mais qu’on nous dit jamais en classe. Nous, on se dit que
quand on arrive en classe, le prof veut qu’on soit hyper concentré tout le temps.
Mais comme c’est pas possible, personne le fait ou alors pas aux bons moments.
J’aimerais bien que nos profs nous disent quand ils ont vraiment besoin qu’on soit
concentré, avec les niveaux de 0 à 3 (surtout le niveau 0…). D’ailleurs j’ai trouvé
un moyen pour me souvenir des quatre niveaux de concentration : pour le
niveau 3, je tends mon Pouce, mon Index et mon Majeur (pas que le majeur, ah,
ah…). Ça fait Perception, Intention et Manière d’agir parce qu’il faut un PIM au
niveau 3. Au niveau 2, je replie juste le majeur, et avec l’index, je pointe dans une
direction : ça me rappelle qu’il faut que je me souvienne de ce que je veux faire,
de là où je veux aller. Le niveau 1, faut juste pas être complètement dans la lune,
donc c’est cool, je lève juste le pouce pour montrer que tout va bien et que c’est
facile. Pour le 0, je sais pas, je peux juste ouvrir la main en grand comme si je
demandais qu’on me fiche la paix (genre : « Parle à ma main »). Au niveau 0,
m’embêtez pas avec vos techniques pour se concentrer !…
J’ai essayé ensuite avec un devoir d’histoire pour voir si ça marchait aussi, eh oui,
ça marche. Il fallait lire un texte et répondre à des questions du genre « présenter
le contexte historique ». D’abord, j’ai tout lu en me faisant des images pour bien
comprendre de quoi ça parlait (avec le PIM où on convertit les mots en images,
pour bien me concentrer). Ça, on va dire que c’était ma première mini-mission.
Ensuite, le contexte historique, c’est où et quand ça s’est passé et tout ce qui se
passait d’autre à ce moment-là… Donc j’ai utilisé un PIM pour lire le texte en
cherchant ces infos. J’ai regardé chaque bout de phrase et s’il disait où ça se
passait ou quand, je le notais. C’est un peu comme chercher Charlie dans les
dessins, sauf qu’il faut être capable de voir qu’une phrase te dit où et quand se
passe l’histoire (et pas juste si tu vois un pull rayé rouge), mais ça, quand même,
je sais faire (donc c’est une bonne Manière d’agir pour le PIM, et le P, c’est les
mots qu’on regarde évidemment). Deuxième mini-mission : facile. D’ailleurs, j’ai
pas eu besoin de faire une mission pour voir quand ça se passait et une autre
pour savoir où parce que j’ai réussi à tout faire en une seule fois, du coup j’ai bien
vu qu’il fallait pas couper trop petit quand même. Moi, ça m’allait de faire les deux
ensemble (où et quand). À la fin, j’ai vu que j’avais pas tous les indices et que je
devais en chercher d’autres dans le cours, et ça m’a fait une troisième mini-
mission pour aller les chercher, etc. Et voilà, c’est pas compliqué finalement d’être
bien concentré sur une chose à la fois. Appelez-moi Sherlock Anatolmes !
Naviguer sur une mer agitée
– Je comprends pas.
– Si tu sais que, ce jour-là, tu risques d’être interrompu toutes les cinq
minutes environ, tu profites d’un temps calme la veille ou le matin pour
découper ta longue tâche en petites missions très courtes. Ça peut
être de lire et de répondre à un ou deux messages. Ça peut être de
lire un paragraphe en soulignant ce qui est important… L’idée, ensuite,
c’est de pouvoir avancer dans ce que tu as à faire par petites étapes
qui tiennent à peu près entre deux interruptions.
– Des tout petits coups de golf ?
– Oui, des mini-missions très claires que tu peux terminer en cinq
minutes sans réfléchir ou presque. Et si, par moments, tu es moins
dérangé, tant mieux : tu peux enchaîner plusieurs étapes d’un coup.
C’est un peu comme le collier dont je t’avais parlé : tu apprends à
placer tes petites bulles de concentration les unes après les autres,
dans ces tout petits moments où on te fiche la paix.
– Mais ça peut me servir à moi ? Je travaille pas dans un open space
comme mon père…
– Parfois, oui. Imagine que toutes les cinq minutes, tu reçoives un
message pour l’organisation d’une fête ce week-end, pendant que tu
essaies de relire un texte que tu viens d’écrire. Ça peut t’arriver, ça ?
– Ça, oui.
– Bon, évidemment, l’idéal serait d’éteindre ton téléphone et de te
concentrer uniquement sur ton texte, mais je prends cet exemple
parce que plus tard, dans ta vie d’adulte, ça t’arrivera souvent d’être
constamment dérangé.
– Ça a déjà commencé.
– Bon, eh bien dans ce cas, tu aurais intérêt à te fixer des petites
missions très courtes, par exemple : relire un seul paragraphe en te
concentrant sur la manière dont il « sonne », comme on l’a fait tout à
l’heure. C’est court, et entre deux missions, tu peux répondre à un
message. Mais je te répète que ce n’est pas l’idéal : c’est vraiment à
réserver à des situations où tu es obligé de fonctionner comme ça.
« Tu fais patienter trente secondes la personne qui vient te voir, le temps
de noter ce que tu voulais faire juste ensuite. »
DE MON MIEUX
Une bonne concentration permet avant tout de se placer dans les
meilleures conditions pour réussir ce qu’on entreprend. Dans notre cerveau,
nous effectuons les réglages fins qui nous permettent de prendre en
compte et de bien réagir aux sensations et aux informations qui sont les
plus importantes pour ce que nous nous donnons à faire, pour notre
intention.
Je ne peux pas décider d’avoir une idée géniale pour le repas du Nouvel
An, mais je peux me concentrer pour me rappeler les plats que mes amis
ont aimés, et d’autres que j’ai goûtés ailleurs et qui m’ont plu. Et peut-être
que de ces souvenirs émergera l’idée. Je ne peux rien faire de mieux en
attendant : en me concentrant de la bonne façon, je me mets dans les
meilleures conditions pour arriver à mes fins. Je contrôle tout ce que je
peux contrôler, et vogue la galère.
J’ai dit un jour à des élèves de classe préparatoire que leur but n’était pas
de réussir les concours à la fin de l’année, mais d’être jugés sur leur juste
valeur le jour J, c’est-à-dire sur ce qu’il pouvait faire de mieux ce jour-là.
C’est un objectif beaucoup moins stressant pour l’élève, parce qu’il
concerne quelque chose qui ne dépend que de lui et qu’il peut contrôler.
Cela ramène une consigne floue (« réussir ») à une instruction précise : faire
de son mieux au moment clef, c’est-à-dire « bien se concentrer sur ce qui
est important ». Gagnant ou perdant, il aura la certitude d’avoir fait de son
mieux et n’aura aucun regret. Ce n’est pas rien.
Mais ce n’est pas parce qu’on est bien concentré qu’on va forcément
réussir, car tout dépend du bagage accumulé au cours des mois ou des
années d’apprentissage qui ont précédé. Même bien concentré, on ne peut
pas espérer jouer avec brio une sonate de Chopin sans avoir déjà passé
des années devant son clavier. Cette longue phase d’apprentissage
(concentrée, elle aussi) aura permis de sculpter son cerveau pour le doter
des automatismes qui permettront de jouer l’œuvre. Mais le moment venu,
c’est la concentration, et elle seulement, qui permettra d’utiliser de la plus
belle façon qui soit ce cerveau modelé.
– Je peux faire une remarque sur tout ce qu’on a dit, sans te vexer ?
– Bien sûr.
– Toute ta technique avec les mini-missions, au départ c’est pour éviter
de se concentrer sur deux choses en même temps, non ?
– Tout à fait.
– Le problème, c’est que j’ai remarqué que, moi, j’aime bien faire
plusieurs choses en même temps. Mes capitaines, ils se débrouillent
très bien à plusieurs dans le bateau.
– Et quels genres de choses tu aimes bien faire en même temps ?
– Ben, par exemple, quand je regarde une série, on s’envoie des
messages avec les potes, ou des petites vidéos. Du coup je les
regarde, mais j’arrive quand même à regarder la série.
– Tu regardes ta série et les vidéos, en même temps ?
– Oui, ça me dérange pas. Je pense que c’est peut-être parce que
nous les jeunes, on a l’habitude, plus que les adultes. On fait ça depuis
qu’on est tout petits.
– Tu ne penses pas que ça dépend de ce que tu essaies de faire « en
même temps » ?
– Non, pas trop. C’est juste qu’on est peut-être plus rapides que vous,
les vieux… C’est tout.
– J’ai un petit doute quand même. Tu me permets de vérifier quelque
chose ? Tiens, essaie de plier ton index, comme ça, et en même
temps de le tendre, bien droit.
– Pardon ?
– Oui, tu m’as bien entendu : je te demande de plier ton index
complètement et en même temps de l’étendre, vraiment…
– C’est pas possible ! Pourquoi tu me demandes ça ?
– Bon d’accord, c’est impossible, mais pourquoi ?
– Je dois vraiment te répondre ?
– Oui.
– Eh bien parce que c’est le même doigt, donc je peux pas le plier et
l’étendre en même temps, voilà pourquoi.
– Ça me paraît une bonne explication : tu devrais à la fois contracter et
détendre les mêmes muscles, et ça pose un problème, je suis
d’accord. En plus, c’est non seulement impossible pour toi, mais aussi
pour tout le monde, parce que c’est comme ça qu’est construit le
corps humain.
– Édith.
– Édith… Ah, OK, d’accord, très drôle.
– Même si je t’avais donné la réponse pendant que tu continuais à
compter, je ne suis pas sûr que tu aurais compris la blague.
– Tu me prends pour qui ?
– Tiens. Maintenant, je vais te montrer un petit texte et tu devras
compter le plus vite possible le nombre de « e ». Tu es prêt ?
– Vas-y.
– Tiens. Le voilà. [Il commence à compter.] Stop, arrête-toi. De quoi
parlait le texte ?
– Ben, je sais pas, j’ai pas fait gaffe, tu m’as demandé de compter les
« e ».
– On dirait que tu as été gêné dans ta lecture.
– Ben oui, je cherchais même pas à lire.
– Bon. On va essayer de comprendre ensemble ce qui s’est passé.
D’abord, il faut savoir qu’il y a toute une partie de ton cerveau qui
s’occupe du langage, pour te permettre de parler et de lire
notamment. Par exemple, il y a une région ici [il montre la région en
question, sur le côté gauche de la tête] qu’on appelle l’aire de Broca
(une aire, c’est comme une région). Paul Broca était un médecin du
e
XIX siècle qui a découvert que quand cette région est abîmée, on ne
peut quasiment plus parler. Or cette petite région fait aussi partie d’un
réseau qui dans le cerveau sert à lire et à retenir des choses avec sa
petite voix. Tu comprends pourquoi tu étais gêné ?
– Elle était occupée à compter « un, deux, trois… » et, du coup, elle
pouvait pas s’occuper de lire le texte ou réfléchir à ta blague ?
– Exactement. C’est comme pour les muscles, à la différence près que
quand on demande deux choses différentes à la même région du
cerveau, c’est moins évident qu’avec les muscles.
– Pourtant j’ai entendu dire que le cerveau, c’est comme un muscle…
– On dit beaucoup de bêtises, tu sais. On dit ça pour rappeler qu’il
peut devenir plus efficace pour certaines tâches avec de
l’entraînement, mais il ne fonctionne pas du tout comme un muscle. Là,
je te dis simplement qu’une même région du cerveau, bien spécialisée, ne
peut pas faire deux choses en même temps. C’est comme si tu voulais
faire fondre du chocolat et cuire du riz avec une seule casserole, ce
n’est pas possible. Tu dois d’abord t’occuper du chocolat, puis du riz et
nettoyer la casserole entre-temps. Là, l’aire de Broca, c’est ta
casserole : comme il n’y a qu’une seule casserole de Broca, tu ne
peux pas lire et en même temps compter à voix basse.
– Je vais t’épater : ça s’appelle un goulot d’étranglement.
– Bien vu !
– Donc si j’ai bien compris, on peut faire deux choses en même temps,
à condition qu’une au moins soit automatisée ? Et c’est pour ça que
j’arrive à envoyer des messages en regardant ma série ?
– Oui, c’est ça, c’est l’un des deux trucs pour donner l’impression de
faire deux tâches simultanément. Je t’en avais déjà parlé, mais je suis
content qu’on ait pris le temps de vraiment comprendre pourquoi. Je
ne pense pas que ta série ni même tes messages te demandent
beaucoup de concentration. Tu leur écris des longs messages très
élaborés à tes amis ?
– Non, c’est plutôt des petites blagues, ou des remarques.
– Donc, c’est presque une façon de s’exprimer qui est automatique…
Ça va ?
– Ben, oui, ça va, pourquoi ?
– Je voulais juste te donner un exemple de conversation quasi
automatique. On te demande si « ça va », tu réponds que « ça va ». On
te dit bonjour, tu réponds « bonjour », si tu es poli. On te demande de
venir à table, tu réponds « j’arrive ». On t’envoie un message avec une
blague, tu réponds avec un smiley. Il y a comme ça plein de petits
échanges dans les conversations qui ne sont presque que des suites
d’automatismes.
– On peut parler de manière automatique ?
– Si tu as compris ce qu’est un automatisme, tu vois bien que oui. C’est une
réaction stéréotypée de ta part à quelque chose que tu perçois
souvent.
– Euh… Tu peux me la refaire au ralenti, celle-là ?
– Une réaction stéréotypée, c’est une réaction qui se répète toujours
de la même façon ou presque. La même réaction à chaque fois.
– OK, et la suite ? Une réaction à quoi ?
– À quelque chose que tu perçois souvent et auquel tu réagis un peu
tout le temps de la même façon, avec une petite équipe de neurones
spécialisée dans ton cerveau. Et ça marche tout à fait pour le langage.
Répondre à quelqu’un, c’est bien réagir, non ?
– Oui, oui.
– Tiens, si tu veux bien, on va refaire l’exercice où tu dois choisir un
nouveau doigt à chaque fois que je tape sur la table. Mais cette fois, je
te demande de ne pas te programmer à l’avance, comme la dernière
fois. Tu dois vraiment décider à chaque fois du doigt que tu utilises,
comme au tout début, d’accord ?
– Si tu veux.
– Je vais donner le rythme en tapant avec cette cuillère, et tu dois bien
bouger un doigt à chaque fois ; mais la nouveauté, c’est qu’en même
temps, je vais te poser des questions. Tu comprends la consigne ?
– Oui, c’est bon. [Il commence à un rythme lent, une fois toutes les
cinq secondes environ.] OK, tu peux maintenant me parler un peu de
ce qu’on a vu depuis le début ?
– On a parlé des automatismes, du fait que quand on répète de
nombreuses fois la même chose, on finit par faire un petit circuit dans
le cerveau qui peut… [le rythme s’accélère légèrement] qui peut le
faire tout seul.
– Et on parlait du rond aussi… [Il accélère encore, jusqu’à une fois par
seconde.]
– Oui, oui.
– Oui, oui quoi ?
– Oui, on a parlé du rond.
– Et alors, ce rond ?
– Eh bien… il peut faire des trucs… des trucs tout seuls…
– Quel genre de trucs ?
– Des trucs qu’on sait faire.
– Mais encore ?
– Des automatismes.
– Stop, tu peux t’arrêter. Est-ce que tu continuais à bien choisir à
chaque fois le doigt que tu allais bouger ?
– Oui, mais c’était chaud.
– Pourtant, j’ai été moins vite que l’autre fois. Normalement, tu avais
encore bien le temps de choisir.
– Oui, mais là, tu me parlais en même temps.
– Et alors ?
– Ben, fallait que je réfléchisse.
– Ah, ah ! On y est : tu n’arrivais pas à trouver le temps pour réfléchir.
– Non.
– Mais, pourtant, tu arrivais toujours à me répondre.
– Oui, j’arrivais quand même à parler.
– Mais tu as remarqué que vers la fin, tu me répondais de façon
beaucoup moins précise qu’au début, avec des phrases de plus en
plus courtes ?
– Euh… oui.
– J’ai même l’impression que tu me répondais de façon un peu
automatique : « ça va ? », « ça va », etc. Ça montre qu’on peut donner
l’impression de pouvoir discuter avec quelqu’un, ou d’échanger des
messages, tout en étant concentré sur autre chose. Mais, en fait, on ne
dit pas grand-chose d’intéressant. La conversation reste très
superficielle.
– OK, je commence à comprendre. Donc une vraie conversation
demande de la concentration ?
– Oui, mais pas une concentration crispée, il s’agit juste d’être présent
avec l’autre, sauf évidemment quand on parle de choses vraiment très
simples. Tu comprends ?
– Oui, ça y est.
– Tu peux donner l’impression d’être à l’écoute quand tu fais autre
chose, mais tu feras toujours des réponses brèves qui ne demandent
pas de réflexion. C’est ce qu’on appelle répondre de façon machinale,
comme une machine. On peut répondre de façon machinale en jouant
à un jeu vidéo ou en regardant une série, mais ça ne donne pas des
conversations très élaborées. C’est un peu comme ces balles qui
rebondissent dans tous les sens contre les murs, ou les boules de
billard : à partir du premier rebond, on peut en principe deviner tous
les autres. Quand quelqu’un réagit de façon machinale, on peut
pratiquement deviner ce qu’il va dire ou faire : son comportement est
prédictible.
ÇA,
ÇA NE LUI RESSEMBLE PAS
Ma voisine ne m’a pas retourné mon bonjour ce matin, ça me surprend
d’elle, ça ne lui ressemble pas ( j’espère qu’elle va bien). Chaque individu se
définit aussi par des comportements stéréotypés, qui tendent à se répéter
dans les mêmes circonstances. Il en existe des très simples, comme le tic
de se passer la main dans les cheveux, et d’autres beaucoup plus
sophistiqués, comme les automatismes de conduite, de langage, voire de
raisonnement ou de stratégie. Dans tous les sports d’opposition par
exemple, on apprend à reconnaître les comportements automatiques de
son adversaire – ses « patterns » – pour anticiper ses réactions et le mettre
en difficulté.
Et, bien sûr, les automatismes peuvent aussi avoir des effets néfastes ou
désastreux quand ils ne sont pas adaptés à la situation du moment. Un
enfant peut courir après son ballon dans son jardin, mais pas pour le
rattraper sur la route. Tout est affaire de contexte et il faut savoir reprendre
le contrôle. La capacité à adapter son comportement au contexte est une
des grandes caractéristiques de l’intelligence humaine.
Ça m’a un peu fait flipper, cette histoire d’automatismes. Le chercheur m’a dit que,
par exemple, je choisissais pas vraiment les mots que je disais quand je parlais
parce que ça allait trop vite. Au début, je l’ai pas cru, mais quand il m’a demandé
de choisir vraiment quel mot j’allais dire juste après à chaque fois, ça m’a pris une
heure de dire une phrase… Donc il a raison et, ça, pardon, mais c’est quand
même flippant… En gros, tu te dis que tu peux te mettre à dire n’importe quoi à
n’importe qui sans t’en rendre compte. Mais, du coup, ce qui est incroyable, c’est
que justement, ça se passe pas (de dire n’importe quoi).
Il y a des trucs comme ça qu’on fait de façon tellement automatique qu’on peut
leur faire confiance, aux automatismes. D’ailleurs, c’est pour ça qu’on nous fait
souvent répéter la même chose plein de fois, en classe ou en sport (des calculs,
des passes…) : c’est pour avoir plein d’automatismes dans notre cerveau
auxquels on peut faire confiance. Moi qui détestais faire plusieurs fois la même
chose, maintenant j’ai enfin compris à quoi ça servait ! En plus, après, tu peux
faire plusieurs choses à la fois.
Un super truc que j’ai trouvé pour me concentrer, c’est de changer le contexte
dans ma tête. Par exemple, si je sers de l’eau à table à mon frère, je vais pas
forcément faire super gaffe et je vais peut-être renverser. Mais si j’imagine dans
ma tête que je suis serveur dans un super restaurant à Monaco, je vais
naturellement être plus concentré, instinctivement. C’est évident que tu dois être
super concentré quand tu sers un verre d’eau à Monaco, et qu’il faut faire bien
attention à comment tu verses… enfin les PIM et tout ça. Du coup, maintenant,
quand un prof va expliquer quelque chose d’important, je vais m’imaginer que
c’est le grand méchant dans James Bond qui décrit tout son plan pour détruire la
planète (bon, j’éviterai quand même de lui sauter dessus pour l’en empêcher).
– Mais ça veut dire quand même que je sais écouter au bon moment,
non ?
– Oui, mais ton dessin te demande juste de te concentrer de temps en
temps : pour décider ce que tu vas dessiner ensuite, ou comment tu
vas faire le nez, je ne sais pas… Et tu as l’impression de pouvoir
t’absenter un peu de ce que dit le prof parce que tout ce qu’il dit ne te
semble pas essentiel.
– Oui, c’est vraiment ça. J’aimerais bien que tu viennes l’expliquer à
mon prof.
– Mais tu dois aussi bien comprendre que quand tu regardes ta feuille,
tu ne fais pas attention à ce qu’il peut te montrer à ce moment-là, et
que tu peux rater des explications importantes. Et tu dois réaliser aussi
que tu n’es pas vraiment concentré sur ce qu’il dit, la connexion n’est
pas vraiment active : s’il te décrivait des choses qu’il faut que tu imagines,
tu serais sans doute gêné parce que tu ne peux pas utiliser ton cortex
visuel – la partie de ton cerveau qui sert à la vision – à la fois pour
regarder ton dessin, et pour fabriquer des images mentales. C’est
l’histoire du cerveau qui se referme.
– Avec les lumières du jardin et de la maison qui ne peuvent pas être
allumées en même temps ?
– C’est ça.
– Maintenant, j’aimerais quand même qu’on éclaircisse cette histoire
de bascule d’une tâche à une autre pour mieux comprendre comment
tu fais. – D’accord, mais pour ça, j’ai besoin que tu ailles chercher de
l’huile et de l’eau. Tu peux faire ça pour moi ?
– Oui, j’y vais. [Il part chercher de l’huile et de l’eau.]
– Et si tu as une paille aussi, je veux bien.
– OK. Je t’amène ça… Tiens.
– Merci. Maintenant, verse un peu d’huile et d’eau dans ce verre, et
mélange bien. [Il mélange.] Ça y est ? C’est bien mélangé ?
– Non. Ça fait des bulles.
– L’huile fait des bulles ?
– Oui, elle se mélange pas avec l’eau.
– Ah c’est vrai. L’huile et l’eau ne se mélangent pas. Et on dirait même
que l’huile forme des sortes de petites poches, à l’abri de l’eau.
– Et c’est même pas joli.
– Non, mais ça me rappelle qu’il y a des tâches qu’on ne peut pas faire
en même temps parce qu’elles ne se mélangent pas.
– C’est une image, c’est ça ?
– Oui. Et comme les deux tâches ne se mélangent pas bien, tu dois
passer sans arrêt de l’une à l’autre.
– C’est tes lignes pointillées ?
– Oui. D’ailleurs, regarde ce qui se passe si j’aspire le mélange avec
une paille.
– Tu vas quand même pas… Ah non, beurk !
– Je te rassure, je n’ai pas avalé, je voulais juste remplir la paille. [Il
bouche les deux bouts avec les doigts, et met la paille à l’horizontale.]
Regarde les bulles d’huile, elles forment une ligne pointillée… On va
dire que l’eau, c’est ta première tâche, et l’huile la deuxième, et la
paille montre ce que tu fais pendant une minute : tu commences à te
concentrer sur la première tâche, puis sur la deuxième, puis sur la
première… Et comme tu ne peux pas faire la deuxième tâche au même
moment que la première, tu la fais par petits bouts, dans des toutes petites
bulles.
– Je vois l’idée, mais là, c’est pas hyper clair dans ta paille,
honnêtement…
– Oui, mais tu retiendras cette image ? Elle te fait penser à quoi, par
exemple ?
– Quand je mets la télé pour regarder le foot, mais que je discute en
même temps avec mes potes, sur mon téléphone. Je lève la tête
quand j’entends qu’il se passe un truc intéressant dans le match. Du
coup, le match, c’est mes bulles d’huile.
– Donc ça veut dire que tes petites bulles d’huile, elles ne sont pas
placées n’importe comment. Elles sont à des moments bien précis…
Qu’est-ce qui te fait revenir sur le match ?
– Les commentaires : quand j’entends que c’est chaud, je regarde.
– Ah oui, c’est pratique.
– En classe, ce serait bien que les profs nous préviennent quand ils
vont nous dire quelque chose d’important, comme les commentateurs
pendant le match.
« C’est ça qui est vraiment difficile : être bien concentré sur ce qu’on est
en train de faire avec une intention claire et unique, mais avec toujours
en tête cette vue d’ensemble. »
– En fait, bien placer les bulles dans sa paille, c’est comme s’organiser,
non ?
– Oui, mais je ne pense pas que tu aies l’habitude de t’organiser à
cette échelle de temps aussi fine, en gardant bien en tête cette vue
d’ensemble de tout ce que tu dois faire, sans que ça te distraie. C’est
ça qui est vraiment difficile : être bien concentré sur ce qu’on est en
train de faire avec une intention claire et unique, mais avec toujours en
tête cette vue d’ensemble comme un horizon qui te permet de bien
choisir à quel moment basculer sur autre chose.
– Je crois que c’est ça que j’aime bien chez James Bond.
– C’est une sorte d’attention double : une attention à la fois très globale sur
tout ce qu’il y a à faire, et une attention très focale sur la petite tâche du
moment.
– C’est l’attention double de l’agent double. Mais du coup, c’est
presque comme si Maximoi et Minimoi travaillaient au même moment ?
Comment c’est possible ?
– Tu as raison : garder la vue d’ensemble, c’est le boulot de Maximoi.
Et faire les choses les unes après les autres, c’est le boulot de
Minimoi.
– Oui, mais, du coup, y a un truc qui va pas : on avait vu que Maximoi
et Minimoi ne pouvaient pas être actifs ensemble ; sinon, c’était
comme allumer les lumières de la maison et du jardin en même temps,
et ce n’est pas possible.
– Peut-être que le secret, c’est d’allumer et d’éteindre très rapidement
pour qu’on ait l’impression que le jardin et la maison sont allumés en
même temps ?
– Trop fort !
– C’est ce dont je te parlais avant : c’est possible, si tu fais confiance à
tes automatismes. En faisant confiance à tes automatismes, tu peux
suffisamment libérer ton attention de la tâche en cours – pendant que
tu es en train de la réaliser – pour te concentrer sur la vue d’ensemble.
– Ah, mais ça, c’est tes deux lignes de PIM en pointillé !
– Tu as compris. Elle est là, la solution.
– Mais c’est méga dur !
– Ce n’est pas infaisable, mais j’avoue que c’est du haut niveau. Ne
t’embête pas avec ça pour l’instant.
– Merci. Je crois que je verrai ça un peu plus tard, si ça t’ennuie pas.
J’ai déjà pas mal de trucs à digérer.
GARDER UNE VISION
LARGE
Le problème avec les téléphones portables, c’est qu’ils engloutissent
l’attention comme un trou noir avale la matière. Les yeux rivés sur ce tout
petit écran, nous perdons tout contact avec le monde qui nous entoure et
avec notre corps. En nous connectant, nous nous déconnectons. Et la
raison principale, c’est que le monde virtuel dans lequel il nous plonge est
une source infinie de petits plaisirs immédiats et d’informations que nous
jugeons importantes. S’en priver est considéré par notre cerveau comme
une forme de danger, jusqu’à développer une phobie d’être sans son
portable : la nomophobie – « no mobile phobia ».
Bon, ça y est, c’est fini, et la bonne nouvelle c’est que j’ai tout compris. J’ai même
compris que ça me prendrait encore du temps pour bien savoir utiliser toutes les
techniques qu’on a vues. Normal, c’est comme apprendre un instrument ou un
sport : si on pouvait apprendre à se concentrer en deux jours, ce serait un peu
louche quand même. Donc en gros, va falloir que je m’entraîne, mais au moins, je
sais comment faire.
Et là où je suis super fier, c’est que j’ai même trouvé un moyen de tout expliquer à
mes potes en dix minutes. Je fais comme on avait fait au début : je pose un
bouchon sur la table, et je dis au pote qu’il doit m’empêcher de le prendre, en
serrant le poing comme j’avais fait. Et là, avant de commencer, je lui demande
comment il va faire. Il va me répondre qu’il doit faire bien attention au bouchon (ou
à ma main), et qu’il va se préparer à serrer le poing avant que je le touche. Donc
ça veut bien dire qu’il a une cible (comme ça, je lui parle de perception… le P,
quoi), une manière de réagir (le M) et évidemment une intention, le I. Et voilà, je
lui ai expliqué les PIM. En plus, je lui ai aussi expliqué que l’attention, ça sert à se
connecter pour réagir (la connexion active, le frein de vélo, etc.). Et le pote voit
qu’il sait déjà se concentrer trente secondes, ou une minute, etc. Ça veut dire qu’il
peut déjà faire plein de choses (parce que je lui explique que l’objectif de tout ça,
c’est d’arriver à se faire des petites bulles de concentration, et pas d’être
concentré super longtemps).
Pour les distractions, c’est facile. J’essaie de le distraire, soit en faisant du bruit
(système préattentif), soit en mettant mon portable allumé à côté sur la table
(circuit de la récompense) et je lui montre que son Regard bouge pour aller voir
(et son Attention et sa Posture, le R, A, P, quoi). Du coup, je lui explique qu’être
bien concentré, c’est être comme un funambule : qu’il faut rester stable sur ton fil
même s’il y a des trucs qui te font tomber (ça marche aussi avec la poutre). C’est
facile aussi de lui parler des pensées, parce que si je mets trop de temps pour
attraper le bouchon, il va se mettre à penser à autre chose et il aura envie
d’arrêter, forcément (les PAM). Et c’est le bon moment pour lui faire faire le
pensoscope aussi : je lui explique ce que c’est que la petite voix en lui faisant
compter des boulettes de pain dans sa tête et ensuite, je fais le tour de l’assiette
avec mon couteau en lui demandant à quel endroit de l’assiette il s’est parlé dans
sa tête. Sinon, quand je parle du funambule et de la poutre, je peux aussi lui
parler des niveaux 3, 2, 1, 0… parce qu’il faut vraiment que la connexion soit
continue pour pas que l’autre prenne le bouchon (donc, niveau 3). Et j’ai plus qu’à
terminer en lui expliquant que pour se concentrer, faut avoir une intention bien
claire et une seule (parce que avec le bouchon, si je lui demande en plus de faire
autre chose, par exemple de compter les doigts de mon autre main, ce sera plus
facile pour moi et plus dur pour lui). Donc il a besoin de savoir découper en mini-
missions, comme le grand chef dans son fauteuil avec son petit assistant. Ça, je
sens que ça va lui plaire.
Regardez un film en vous concentrant sur la gestuelle et les mimiques d’un acteur.
Parmi celles-ci, lesquelles peut-il vraiment avoir décidées à l’avance ? Répétez cette
expérience en observant cette fois le comportement des personnes autour de vous.
Puis, à votre tour, essayez de vous mettre dans la peau d’un acteur en vous
préparant à jouer une courte scène de cinéma pour un acte banal de la vie
quotidienne (manger une tartine, se lever pour prendre un sac…). En quoi cela
consiste-t-il de se préparer à manger sa tartine d’une certaine façon ? Que faut-il
faire pour décider de ses actions à l’avance ?
Imaginez que dans cinq minutes, vous alliez devoir avaler une pilule qui vous
procurera un bien-être incroyable, mais qui vous fera oublier totalement, jusqu’à
demain matin, tout ce que vous avez à faire d’ici là. Heureusement, on vous donne la
possibilité de noter rapidement toutes ces choses « à faire » pour qu’elles soient
accomplies par un assistant. Que noteriez-vous sur cette liste, maintenant (répondre
au message de X ? Faire des courses…) ? Cet exercice doit vous faire prendre
conscience de toutes les tâches qui peuvent générer une impression de surcharge
mentale en s’accumulant dans votre mémoire prospective et nuire ainsi à votre
concentration. Parmi celles-ci, quelles sont celles auxquelles vous aurez du mal à ne
pas penser pendant la réalisation d’autres tâches (par peur de ne pas les réussir ou
de ne pas être prêt à temps, par exemple) ? Est-il envisageable de ne plus y penser
du tout pendant : une heure, deux heures, trois heures ou simplement dix minutes, le
temps de vous concentrer sur une autre tâche ? Sinon, pourquoi ?
Prenez une feuille de papier et représentez grossièrement les différentes heures de
la journée par des traits horizontaux les uns au-dessus des autres. Choisissez
ensuite l’une des tâches ci-dessus et marquez avec une croix sur cette feuille le
moment auquel vous devrez réellement commencer à la traiter pour qu’elle soit faite
à temps. Placez ensuite un rond pour marquer le moment où vous devrez
commencer à y penser pour être efficace au bon moment (s’il s’agit d’un coup de
téléphone, vous pouvez avoir besoin d’un peu de temps pour vous y préparer par
exemple). Barrez ensuite tous les moments de la journée où cette tâche peut être
complètement laissée de côté. Enfin, entourez sur ce dessin toute la zone horaire où
cette tâche risque malgré tout d’être présente dans votre esprit. Exemples : pour un
enfant, un rendez-vous avec des amis pour une activité particulièrement
intéressante ? ; pour un adulte, une réunion où vous jouerez un rôle important, une
fête à organiser…
Essayez de trouver un exemple récent de situation où vous avez ressenti une gêne
pour vous concentrer, à cause d’une autre tâche à réaliser à un autre moment (« ne
surtout pas oublier de… »). L’étymologie du mot « distraire » (distrahere, « étirer »,
« déchirer ») vous semble-t-elle parlante au regard du sentiment que vous avez pu
ressentir à ce moment-là ? Cette tâche « à ne pas oublier » aurait-elle été moins
distrayante si vous aviez eu une vision claire du temps et des étapes nécessaires
pour la mener à bien ? Exemples : être prêt pour un rendez-vous téléphonique
important, être prêt pour une activité spéciale l’après-midi ou le lendemain, qui
demande une préparation…
Découper les tâches complexes en étapes ni trop longues ni trop
courtes
Notez au fur et à mesure, pendant une journée, le temps que vous passez sur
chaque tâche (comme d’autres notent le nombre de calories qu’ils ingèrent).
Combien de temps consacrez-vous en moyenne de manière continue à la même
tâche, avant d’être interrompu ou de passer à autre chose ? Quelle est la durée la
plus fréquente ?
Déduisez-en à quel « grain » vous devez découper l’essentiel de ce que vous avez à
faire pour que ces tâches tiennent dans des bulles de concentration de cette durée
(lire un seul mail à la fois, une dizaine ?…).
Selon le principe du premier exercice, imaginez avant certaines tâches simples que
vous allez être filmé. Vous devez donc vous préparer comme un acteur en
visualisant précisément ce que vous allez faire (ou comme un metteur en scène, si
vous préférez). Exemples :
– Descendre chercher du lait à la cave.
– Faire du thé.
– Sortir toutes les affaires pour préparer un gâteau.
Notez rapidement un certain nombre de tâches que vous avez à faire, puis appliquez
à chacune la « règle des 3 heures du matin » : si on vous réveillait au milieu de la
nuit, sauriez-vous immédiatement et rien qu’en vous relisant comment vous lancer
dans ces tâches sans hésitation et de manière efficace en sachant combien de
temps elles vont nécessiter ? Si ce n’est pas le cas pour certaines d’entre elles,
essayez de les préciser davantage ou de les décomposer en étapes plus simples qui
répondent à ce critère. Il est fréquent en fin de journée (et même avant) d’atteindre
un niveau de lucidité proche de celui du milieu de la nuit…
Trouvez un test de QI sur Internet, ou bien tentez de résoudre des énigmes dans des
conditions extrêmement distrayantes (éventuellement en demandant à quelqu’un de
vous distraire, en échangeant les rôles juste après). Comparez vos performances à
celles réalisées au calme, bien concentré. Si le QI mesure une certaine forme
d’intelligence, êtes-vous plus intelligent quand vous êtes bien concentré ?
Réfléchissez aux conditions et aux moments de la journée dans lesquels vous vous
sentez le plus à l’aise pour découper vos tâches complexes en étapes simples (les
mini-missions). Est-ce assis tranquillement à une table ? Allongé dans votre lit ? Avec
un thé, un café ou un chocolat ? Réfléchissez éventuellement au système qui vous
semble le plus pratique pour noter ces petites étapes : ne rien noter et simplement
visualiser l’image d’après pendant de courtes pauses ? Noter sur une feuille de
papier ou sur un ordinateur ? Utiliser une application de gestion des tâches comme il
en existe beaucoup pour cela ? Dicter ces étapes sur votre téléphone ?
Demandez à quelqu’un de faire la liste de tout ce qu’il faut faire pour préparer un
voyage en Australie. Essayez à deux de découper toutes ces tâches en mini-
missions ( jusqu’à ce que vous en ayez assez).
6 Identifier les situations où il est possible (et peu coûteux)
de faire deux choses en même temps
Demandez à quelqu’un d’épeler le nom d’un acteur connu tout en vous donnant
trois noms de fromage.
Sur le principe de la bataille navale, avec un partenaire qui vous fait face, notez
secrètement sur une feuille de papier l’organisation d’une journée habituelle, sous la
forme d’une petite grille verticale indiquant les heures du lever au coucher. Chacun
doit ensuite indiquer les trois créneaux les plus propices à une utilisation continue
de son téléphone portable, en plaçant deux créneaux d’une demi-heure et un
créneau d’une heure (la règle est à adapter en fonction des usages). Chaque joueur
essaie ensuite à tour de rôle d’identifier les « périodes smartphones » selon les
règles de la bataille navale (« à 8 h 30 ? », « dans l’eau », etc.). Prenez conscience de
la place prise par le téléphone dans vos journées et en déduire des créneaux
d’utilisation raisonnée de celui-ci.
Conclusion
Vers une attention maîtrisée
« Tu as ta phrase en tête que tu veux lui dire, mais tu n’oses pas la
couper, et du coup tu ne l’écoutes plus. »
– Je l’utilise dans certains cas. Comme tout le monde, ça m’arrive
parfois que quelqu’un me parle et qu’au lieu de l’écouter, je me mette
à penser à ce qu’elle me dit et que je décroche, ou bien que j’ai envie
de lui répondre et que ça m’empêche de l’écouter. Ça t’arrive parfois ?
– Tout le temps !
– Tu as ta phrase en tête que tu veux lui dire, mais tu n’oses pas
l’interrompre, et du coup tu ne l’écoutes plus
– Oui, ou tu la coupes carrément sans la laisser finir.
– Exactement. J’ai tendance à le faire, comme si je devais absolument
dire tout de suite le truc qui m’est venu à l’esprit.
– Ah, ah. Moi, c’est pareil.
– Bon, eh bien, là, j’utilise le pensoscope. Je guette les pensées qui
me viennent – avec ma petite voix, c’est important – et j’essaie de
remarquer ce qu’est en train de dire l’autre personne au moment où la
pensée survient, exactement comme dans l’exercice du pensoscope.
– Ah oui, ton repère, c’est pas une horloge, c’est ce que dit l’autre.
– C’est ça. Mais je n’essaie même pas forcément de retenir ce qui me vient
comme pensée, je cherche juste à remarquer le moment où ces pensées
arrivent. Et comme mon attention est aussi sur ce que dit l’autre –
parce que, sinon, je n’ai plus de repère –, eh bien, je continue
d’écouter.
– Et tu arrives à comprendre ce que dit l’autre personne en faisant ça ?
– Sans problème, c’est tellement léger que ça ne me dérange pas.
– Tu utilises beaucoup le pensoscope ?
« Je ressens des mouvements légers vers les couleurs et les lumières,
vers les masses qui se déplacent. »
« J’ai quand même été sévère », songea Dame Nature, assise près
d’un ruisseau. Et elle convoqua l’Homme et la Femme pour prendre de
leurs nouvelles :
– Alors, comment vous portez-vous, mes chères créatures, depuis
toutes ces années ?
– Franchement, ça va, répondirent-ils avec une mine ravie. On ne
peut pas vraiment se plaindre.
– Mais votre imagination ? protesta-t-elle. Cela ne vous gêne pas
qu’elle se dissipe aussi sûrement que le sable dans le vent ?
– En fait, nous n’en avons plus besoin, ô noble Dame, répliquèrent-
ils en chœur. Regardez cette fine plaque de verre conçue par nos
soins. Elle s’illumine pour nous montrer maintes merveilles auxquelles
même vous n’aviez jamais songé.
Dame Nature ouvrit de grands yeux :
– Mais cette lumière doit vous éblouir ! Comment faites-vous
maintenant pour contempler mes clairs de lune, mes nuages ?
L’Homme et la Femme la regardèrent, embarrassés :
– Eh bien, comment vous dire… Avec le temps, nous avions
l’impression d’en avoir un peu fait le tour.
Le visage de Dame Nature se figea dans une expression mêlée de
sidération et de colère. Puis vinrent la pitié et le dépit :
– Décidément, vous êtes incorrigibles. Puisque votre création suffit
à vous combler, je vous cacherai désormais les miennes. Dès que
vous allumerez cette lumière, elle retiendra votre attention comme une
glu, emportant toute conscience de ce que vous venez d’ignorer.
Maintenant, allez en paix et laissez-moi tranquille, je ne vous
dérangerai plus.
La Femme et l’Homme la saluèrent respectueusement et
s’éloignèrent, un peu perplexes, mais surtout très pressés de rentrer
chez eux pour y rallumer leur lumière.
Remerciements