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Feuilleton HPE
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Publié le 15/01/2005
Auteur(s) : Jean-Pierre Potier
SOMMAIRE
Mais une approche plus globale de l'histoire de la pensée économique doit aussi
prendre en compte les premières réflexions sur la vie économique développées
de l'Antiquité jusqu'à la scolastique médiévale, avant d'aborder la naissance de
l'économie politique dans la période dite «mercantiliste».
L'approche « continuiste »
Cette première approche, représentée par exemple par Georges J. Stigler et
Mark Blaug, consiste à mettre en évidence une continuité, une succession de
progrès analytiques au cours du temps. Cette approche «continuiste» offre une
interprétation cumulative de la science économique, qui présuppose une
séparation entre le travail analytique et les jugements de valeur, les «visions»
(pré-analytiques) des auteurs. Le discours économique est déconnecté de
l'évolution globale des sociétés. La progression de la science peut être
envisagée de manière plus ou moins régulière selon les historiens, admettant en
général la possibilité de «retards» et d'incidents de parcours. Elle aboutit à la
théorie économique moderne, qui constitue une sorte de «terre promise». Cette
démarche était déjà revendiquée par l'économiste classique Jean-Baptiste Say.
Celui-ci explique en effet que l'histoire d'une science «ne peut être que l'exposé
des tentatives, plus ou moins heureuses [...] pour recueillir et solidement établir
les vérités dont elle se compose. Que pourrions-nous gagner à recueillir des
opinions absurdes, des doctrines décriées et qui méritent de l'être ? Il serait à la
fois inutile et fastidieux de les exhumer. Aussi l'histoire d'une science devient-elle
de plus en plus courte à mesure que la science se perfectionne» (Cours complet
d'Economie Politique Pratique, 1ère édition, 1828-29). Ce point de vue jette un
doute sur l'utilité de l'histoire de la pensée économique, ou du moins celle qui
remonte avant Adam Smith. On qualifie aujourd'hui cette démarche de
rétrospective (Mark Blaug, Economic Theory in Retrospect, 1ère édition 1968).
Parmi les démarches qui s'inscrivent dans cette approche, l'une vise à
rechercher des «précurseurs». Cette démarche qualifiée de généalogique aboutit
à prêter des conceptions modernes à des auteurs anciens. Par exemple, on peut
faire de François Quesnay un «précurseur» de l'analyse input-output de W.
Léontieff ; il existe, en effet, une représentation du «Tableau économique» sous
la forme d'une matrice input/output (A. Phillips). Cette démarche fait l'objet de
critiques. Par exemple, Georges Canguilhem (Etudes d'histoire et de philosophie
des sciences, 1968) met en garde contre une telle conception positiviste de
l'histoire des sciences. Le "précurseur" aurait établi pour ses successeurs une
carte du savoir dans ses grandes lignes, qu'ils n'auraient plus qu'à préciser. On
extrait le précurseur de son cadre culturel pour l'insérer dans un autre, plus tardif.
Naturellement, refuser de parler de "précurseurs" ne doit pas nous empêcher de
travailler sur les filiations historiques des théories, de repérer des permanences
de projets, d'intentions chez les économistes.
Bibliographie d'ensemble
Quelques ouvrages de référence :
Béraud (Alain) et Faccarello (Gilbert), sous la direction de : Nouvelle histoire de
la pensée économique, Paris : La Découverte, tome 1, Des scolastiques aux
classiques, 1992, tome 2, Des premiers mouvements socialistes aux
néoclassiques, 2000, tome 3, Des institutionnalistes à la période contemporaine,
2000.
Blaug (Mark) : Economic Theory in Retrospect, Cambridge : Cambridge
University Press, trad. française, La pensée économique - Origine et
développement, 4e éd., Paris : Economica, 1986, 5e éd., 1998.
Breton (Yves) et Lutfalla (Michel), sous la direction de, L'économie politique en
France au XIXe siècle, Paris : Economica, 1991.
Bruhns (Hinnerk), sous la direction de, Histoire et économie politique en
Allemagne de Gustav Schmoller à Max Weber. Nouvelles perspectives sur
l'école historique de l'économie, Paris : Ed. de la Maison des sciences de
l'homme, 2004.
Cartelier (Jean) : Surproduit et reproduction - La formation de l'économie
politique classique, Grenoble/Paris : P.U.G.-Maspero, 1976.
Denis (Henri) : Histoire de la pensée économique, Paris : PUF, 1e éd., 1966, 11e
éd., 1999.
Dockès (Pierre) : L'espace dans la pensée économique du XVIe au XVIIIe siècle,
Paris : Flammarion, 1969.
Gide (Charles) et Rist (Charles) : Histoire des doctrines économiques des
Physiocrates à nos jours (1e éd., 1909), 7e éd., Paris : Sirey, 1948, réédition
2001.
Hutchison (Terence) : Before Adam Smith - The Emergence of Political
Economy, 1662-1776, Oxford : Blackwell, 1988.
Pribram (Karl) : A History of Economic Reasoning, Johns Hopkins U. Press,
1983, trad. française, Les fondements de la pensée économique, Paris :
Economica, 1986.
Schumpeter (Joseph-Alois) : History of Economic Analysis, Londres : G. Allen
and Unwin, 1954, trad. française, Histoire de l'analyse économique, Paris :
Gallimard, tome 1, L'âge des fondateurs, tome 2, L'âge classique, 1983, réédition
coll. Tel, 2004.
Quelques manuels :
Barrère (Alain) : Histoire de la pensée et de l'analyse économiques, tome 1 (seul
paru), La formation des premiers systèmes d'économie politique (des origines à
1870), Paris : Cujas, 1994.
Baslé (Maurice), Gélédan (Alain) et autres : Histoire des pensées économiques -
Les fondateurs, Paris : Sirey, 2e éd., 1993.
Boncoeur (Jean) et Thouément (Hervé) : Histoire des idées économiques, Paris :
Nathan, tome 1, De Platon à Marx, tome 2, De Walras aux contemporains, 3e
éd. 2004.
Deleplace (Ghislain) : Histoire de la pensée économique, Paris : Dunod, 1999.
Etner (François) : Histoire de la pensée économique, Paris : Economica, 2000.
Jessua (Claude) : Histoire de la théorie économique, Paris : P.U.F., 1991.
Martina (Daniel) : La pensée économique, Paris : A. Colin, coll. "Cursus", tome
1, Des mercantilistes aux néo-classiques, 1991, tome 2, Des néo-marginalistes
aux contemporains, 1993.
Montoussé (Marc), sous la direction de : Histoire de la pensée économique -
Cours, méthodes, exercices corrigés, Rosny : Bréal, 2000.
Wolff (Jacques) : Les grandes oeuvres économiques, Paris : Cujas, tome 1, De
Xénophon à Adam Smith, 1973, tome 2, De Malthus à Marx, 1976, tome
3, Walras et Pareto, 1981, Lénine, Schumpeter, Keynes, C. Clark, Von
Neumann, Morgenstern, 1983.
Wolff (Jacques) : Les pensées économiques - Les courants, les hommes, les
œuvres, Paris : Ed. Montchrestien, tome 1, Des origines à Ricardo, 1988, tome
2, De Ricardo à nos jours
Jean-Pierre POTIER [1].
Note :
[1] Jean-Pierre Potier est actuellement Professeur émérite de sciences
économiques à l'Université Lumière Lyon-2 et chercheur au laboratoire Triangle
(UMR 5206). Il est spécialiste en histoire de la pensée économique, en particulier
des XIXe et XXe siècles en France et en Italie, et des théories économiques
classique (J.-B Say) et marginaliste (L. Walras)