You are on page 1of 2

Pour un Chant National

Dans les premières années du XXe siècle, les poètes expriment leur enthousiasme
devant les transformations du monde moderne. Cette révolution trouve un aboutissement
après la Première Guerre mondiale dans les mouvements surréaliste. La poésie du XX e
siècle se caractérise par une volonté constante de renouveau. Devant la cruauté de la
guerre et l’absurdité d’une société déshumanisée, mais aussi devant la beauté intacte de
l’univers et des passions, chaque poète retrouve du sens au monde à travers ses recherches
sur les mots et les formes. Les poètes qui sont marqués cette période sont : Guillaume
Apollinaire (1880-1918), Albert Lozeau (1878-1924), Louis Aragon (1897-1982). Ce
dernier a été un enfant illégitime, Aragon n’est pas reconnu par son père, ancien préfet de
police et ambassadeur, il étudie la médecine et rencontre André Breton en 1917. Il traverse
héroïquement la Grand guerre, mais en sort révolté. Sa rencontre avec une jeune femme
d’origines russe, Elsa Triolet. Ses poèmes exaltent son amour pour elle.

« Ah sourdra-t-il de la bataille une mélodie à la taille immense de nos horizons »


(Pour un chant national, p. 77)

Dans un pays ravagé par la guerre, « donner voix aux morts, aux vivants et plonger
ses doigts dans la cendre y débâillonner les grillons » (p. 77), tel est le devoir de chaque
poète. C’est dans ce contexte que se justifie l’écriture de cinq poèmes où, reprenant la
tradition de la poésie didactique, il expose le rôle et les devoirs d’un écrivain dans un pays
privé de liberté. Quatre de ces poèmes : « Richard Cœur de Lion », « Pour un chant
national », « Contre la préssipure », « Ce que dit Elsa » sont rassemblés dans le recueil Les
Yeux d’Eisa. Le cinquième, « Langage des statues », paraîtra plus tard, en 1943, dans En
français dans le texte (Éditions Ides et Calendes). Les destinataires sont les poètes
contemporains qui sont invités à adapter leurs activités poétiques aux exigences de
l’époque. Chaque texte met l’accent sur des aspects différents de la poétique préconisée
par Aragon et nécessite la recherche de clefs particulières. Le poète lui-même s’en
expliquera en 1968 dans l’interview accordée à Dominique Acahn :

« J’expérimentais un vers dont le but était d’amener les gens à rechercher la clef,
laquelle était pour bien des raisons plus faciles à trouver pour ceux qui éprouvaient les
mêmes sentiments que moi »

(Aragon parle avec Dominique Arban. Editions Seghers 1968)

« Richard Cœur de Lion » reprend le cri d’un prince captif au retour de la croisade,
privé — comme Louis Aragon — de toute possibilité de s’exprimer autrement qu’à mots
couverts :

« Je ne dois pas dire ce que je pense, / Ni murmurer cet air que j’aime tant. » (p. 73)

Mais sa chanson « pure comme l’eau fraîche », « blanche à la façon du pain


d’autrefois » (p. 74), franchira les murs de la prison pour porter son message à tout un
peuple, celui des « bergers », des « marins » et des « mages »... qui répondra « au chant de
Richard Cœur de Lion » (p. 74) et
« Quel que soit le nom dont nous l’appelions, / La liberté comme un bruissement
d’ailes Répond au chant de Richard Cœur de Lion »

« Pour un chant national » répond sans doute à un recueil d’un jeune poète Alain
Borne, intitulé Neige et 20poèmes (« Poésie 41 »).

Jouant sur le rapprochement de deux noms, Alain Borne / Bertrand de Born


(troubadour du XIIe siècle), Aragon, parodiant les thèmes de la poésie élégiaque, affirme,
non sans ironie, qu’il est temps de renoncer à une poésie amoureuse,

« Où les demoiselles choisies Comme au beau temps de l’unicorne Attendent un


Bertrand de Born » (p. 75)

Il faut « partir pour la croisade » suivant, d’ailleurs, l’exemple de ce même poète qui
sut, « lorsque vint la grêle », moduler son chant au gré des événements. Car « la flûte se
perd dans les cuivres » (p. 77).

L’élégie doit céder la place à la poésie de combat, et Aragon entonne le péan, chant
patriotique, inventé par les poètes grecs pour exciter le courage des soldats partant à la
bataille : « O chanteurs enflez vos narines D’une musique alexandrine » (p. 78)

La poésie se fait discours ou harangue : « Mais qui saura ce cri reprendre ?» (p. 77)

L’exhortation de Louis Aragon s’adresse aux poètes qui, renonçant aux « mots bleus
dont nous nous grisons », sont invités à choisir une « poésie active », selon l’expression de
Dominique Arban, et à inventer un langage adapté aux combats et à la révolte, un langage
communicable à tous :

« Il faut une langue à la terre Des lèvres aux murs aux pavés Parlez parlez-vous qui
savez Spécialistes du mystère Le sang refuse de se taire » (p. 77)
Car la poésie ouvre accès à la connaissance et à la prise de conscience, à l’heure où «
le malheur... étreint ». La rencontré avec Elsa Triolet, belle-sœur de l’écrivain soviétique
Maïakovski, laisse une marque profonde sans l’œuvre d’Aragon. Cantique à Elsa, en 1941,
Les Yeux d’Elsa, l’année suivante, comme Le Fou d’Elsa en 1963 sont autant d’hymnes à
l’amour, écrits à la gloire de la compagne du poète. Mais l’influence d’Elsa s’exerce
également à travers l’engagement politiques d’Aragon, qui dénonce l’occupation
allemande dans de nombreux poèmes, puis devient le chantre quasi officiel en France de
l’Union soviétique. En célébrant son amour pour Elsa, le poète redonne également à la
poésie son pouvoir de révolte devant l’oppression et les injustices.

You might also like