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2002
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Sarr, Awa Coumba, "Du feminisme de Calixthe Beyala" (2002). Graduate Student Theses, Dissertations, & Professional Papers. 2115.
https://scholarworks.umt.edu/etd/2115
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Maureen and Mike
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Date: y^ Zl^ ? m
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8 /9 8
D U FEM IN ISM E DE C A LIX TH E BEY A LA
by
A w a Coum ba Sarr
Presented in partial fulfillm ent of the requirem ents for the degree of
M aster of Arts
2002
A pproved by:
;X-
d of E xam iners
; 7 - 0 ° X-
D ate^ /
UMI Number: EP35364
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UMT
OiMMtation PuUialiing
UMI E P 35364
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P.O. Box 1346
Ann Arbor, Ml 4 8 1 0 6 - 1346
Sarr, A w a Coum ba, M .A., May 2002 French
C hair : C ( \ >_______________________________
C alixthe Beyala est une cam erounaise née en 1961 à Douala. Séparée trop tôt de sa mère
à l’âge de cinq ans, elle fut élevée par une sœ ur aînée de quatre ans. Son enfance est
m arquée par la solitude m ais Beyala dit avoir été entourée de fem m es solides,
particulièrem ent sa tante et sa grand-m ère, qui n ’étaient pas des « esclaves » soum ises,
pour cause q u ’elles avaient le pouvoir de décision dans la famille. A pparem m ent ces
fem m es ont eu une grande influence dans sa vie, pour avoir éveillé chez elle l ’am our de
la liberté, de l’autonom ie et de la responsabilité qui font d ’elle le rebelle dont elle est
qualifiée aujourd’hui.
Une des rares écrivaines du continent à vivre de sa plum e, elle ne s ’est pas éclipsée à la
publication de deux ou trois livres. La tram e de ses rom ans qui se com ptent à la dizaine
est toujours axée et centrée sur la fem m e africaine et les conditions déplorables dans
lesquelles elle vit. Notre étude se propose d ’analyser son fém inism e et d ’en faire la
critique.
Table des M atières
S ynopsis.................................................................................................................................................... ü
Introduction............................................................................................................................................. 1
1.2 « Je » p luriel................................................................................................................................... 20
2.1 Le fém inism e de Beyala ou la fém initude :pour une différence égalitaire.....................29
C onclusion............................................................................................................................................. 84
B ibliographie.........................................................................................................................................87
111
Introduction
C alixthe Beyala est une écrivaine cam erounaise très prolifique qui a à son actif
une douzaine de publications dont une dizaine est constituée de rom ans q u ’elle a publiés
dans un intervalle de tem ps record de douze ans. Si elle n ’est pas l ’écrivaine francophone
du sud du Sahara la plus connue et la plus lue hors du continent, elle est certainem ent la
plus controversée. E m m anuel M atateyou la décrit com m e une écrivaine qui « choque,
dérange, trouble, provoque et nargue à la lim ite ses détracteurs » (605). Cependant, son
écriture que les uns caractérisent de m arginale et les autres de « déplacée » ne fait que
s ’inscrire dans une logique de continuum . Elle est l’expression d ’un engagem ent à son
Parler de la littérature africaine, c ’est évoquer ses fils et ses filles qui à travers les
années, les mois et les saisons se sont investis dans un art qui n ’était pas leur, pour
s ’affirm er et redresser une situation souvent tordue sinon dénigrante. Si toute littérature
écrite n ’est pas et ne doit pas être engagée, la littérature trouve en A frique son sens et son
essence dans l’engagem ent, ce qui fait que l ’aliénation entraînée par le fait m êm e d ’écrire
a acquis une valeur positive et se justifie. En effet, dans cette partie du m onde à l’origine
soin de parler de leur propre destin selon la com préhension q u ’ils en avaient, des enfants
du continent se sont engagés dans une aventure tum ultueuse q u ’est l ’écriture, pour
O w om oyela nous fait part dans son livre. H istory o f Tw entieth-century A frican
Literatures, que si Chinua Acheba est aujourd’hui cité parm i les grands pionniers de la
littérature africaine, c ’est parce que les dénigrem ents de Joyce Cary, un des écrivains
britannique de fiction coloniale les plus influents du vingtièm e siècle, lui sont allés droit
au cœur. “In response to C ary’s four published “ A frican” novels, particularly M ister
Johnson (1947), which were set in Nigeria, C hinua A chebé, a young m an in his m id
tw enties in the m id-1950s, becam e determ ined to w rite about his people, w hom he felt
pour des raisons que nous allons passer sous silence, et m êm e si les thèm es q u ’ils
abordent diffèrent d ’un m om ent à l’autre, toujours est-il que, la littérature africaine dans
son ensem ble est une littérature de réaction. Ce qui lui a conféré et continue ju sq u ’à
l ’on se lim ite à une lecture superficielle, toute m anifestation d ’engagem ent peut être
réfutée. C ependant quand Paul H azoum é publiait son D oguicim i c ’était pour dém entir la
thèse des colons selon laquelle l ’A frique était une table rase ; thèse dans laquelle ils
croyaient trouver une justification de leur im périalism e. Priscilla C lark nous dit que « his
affirm ation o f African culture and history firm ly rejected the notion that A frica lay in
darkness before the European arrived” \ C ’est dans la m êm e perspective que s ’écrivent
presque toutes les prem ières publications littéraires en A frique occidentale. On peut citer
en exem ple les oeuvres d ’O usm ane Socé et d ’A bdoulaye Sadji. A insi, s ’il nous fallait
Cité par Oyekan Owomoyela dans History o f Twentieth Century African Literatures, p 175.
em prunter des term es pour qualifier cette prem ière phase ou ces prem iers soubresauts
« classicism e ». Ses débuts sont situés vers les années 1920 avec la publication par le
Sénégalais A hm adou M apaté Diagne d ’une oeuvre intitulée Les Trois Volontés de Malic.
Les années 1930 vont coïncider avec un renouveau de cette littérature. Avec les poètes
de la négritude, c ’est une nouvelle form e d ’engagem ent qui voit le jour. Influencés d ’une
part par les sym bolistes et plus précisém ent par les surréalistes français et d ’autre part par
les écrivains Noirs A m éricains des années 1920, ces poètes vont à travers leurs écrits,
rendre aux N oirs une dignité longtem ps confisquée. A près eux, plus rien ne sera com m e
avant. La couleur noire sortait d ’une prison où les adjectifs d ’annihilation des
im périalistes l ’avaient séquestrée ju sq u ’alors. Après cette période que l’on pourrait
qualifier de renaissance puisque le Noir évoluait dans un m onde où il sem blait y avoir
l ’A frique des années 50 et 60 est sym ptom atique de cette période. E t bien sûr, com m e le
dit E dgar Coly, « la disparition de l ’adm inistration coloniale, cible privilégiée des
écrivains du C ontinent N oir [va] engendrer une transform ation [...] de la production
rom anesque pour ne pas dire littéraire. Une diversité de thèm es fut abordée et traitée et
ce ne fut que vers le m ilieu des années 1960 avec la m ultiplication des coups d ’État et
son corollaire, le désillusionnem ent, que le « flottem ent » dans la recherche de nouveaux
thèm es prendra fin. E dgar Coly dira que « les écrivains venaient de trouver, sans doute à
que ju s q u ’ici, l’écriture en Afrique occidentale francophone a été l ’apanage des hommes.
L ’avènem ent, et peut être certains diront l ’im m ixtion de la fem m e dans l ’écriture, est
généralem ent situé dans les années 1980, bien que Jean-M arie V olet ait révélé que
N gonda, prem ière oeuvre fém inine publiée par la C am erounaise M arie-C laire M atip,
rem onte de 1958. U ne autre oeuvre, Rencontres Essentielles, est dite être publiée en 1969
par une autre cam erounaise du nom de T hérèse K uooh. L ’arrivée de la fem m e dans
l’arène littéraire constitue un phénom ène social et littéraire aussi bien intéressant
africain. En rupture avec leurs prédécesseurs, les écrivaines du continent rom pent avec
les thèm es jusque là développés par leurs pairs m asculins. É loïse B rière dira que
« Phénom ène de la période néo-coloniale, le discours rom anesque fém inine se distingue
En effet, le genre privilégié par les écrivaines francophones est le rom an, et à ses
im plicite la politique sans jam ais l ’exclure. Les écrivaines de la prem ière génération
puisaient dans leur vécu quotidien de fem m e pour accoucher de leurs oeuvres. Com m e à
l ’aube de la littérature m asculine, elles ne sont pas venues à l ’écriture pour étaler un
géni, m ais plutôt pour lancer un cri, dénoncer, dire « non » et rom pre un silence qui
com m ençait à leur peser. Ainsi, l ’écriture fém inine africaine du sud du Sahara a été dès
Dans son livre. Em ancipation Fém inine et Romati A fricain publié en 1980, Ariette
C hem in déclarait q u ’il était prém aturé de parler d ’une écriture véritablem ent fém inine
dans l ’univers francophone africain^. En 1984, l’ém inent critique français Jacques
C hevrier était toujours du m êm e avis^. Nous dem eurons cependant convaincue à l ’image
la fem m e francophone du sud Sahara fut rom pu et q u ’on put effectivem ent parler d ’un
rom an au fém inin, m êm e si certains le récusent. Elle ne fut pas radicale, m ais elle fut
révolutionnaire. L ’ordre sym bolique, qui de tout tem ps a gouverné et peut être continue-t-
il toujours de gouverner la fem m e africaine dans le m oindre de ses m ouvem ents, n ’a pas
été globalem ent rem is en cause ( le faudrait-il ?), m ais fut grandem ent secoué. Gailim ore
écrit :
S ’il est vrai que le m utism e des fem m es-écrivains en A frique francophone
révolté par des pratiques afro-m usulm anes opprim antes. C ’est un « je »
qui éclate soudainem ent en colère et m anifeste le désir ardent de rom pre
le silence (17).
Souvent com parée ou m ise en opposition avec M ariam a Bâ, C alixthe Béyala est
un radical, une « post nouveau rom ancière » qui sans aucun doute va plus loin que toutes
plus avancé. Quand la plupart de ses consœ urs se refusent l ’étiquette de fém iniste, à
l ’instar d ’A m inata Sow Fall, de M ariam a B â ou de sa com patriote W ere were Liking, elle
form ules et des thèm es qui lui ont perm is de rester dans les norm es du système de
référence » com m e le dit Adèle K ing, B eyala ne s ’en soucie guère et y est com plètem ent
exclue. Aussi bien le contenu que la form e de ses oeuvres sont, dans une grande m esure,
innovatrice ; ce qui expliquerait l’intérêt qu elle suscite de la part de ses adm irateurs et
détracteurs à la fois.
Dans son article “W hose H ouse is T h is’’, M ildred M ortier écrit: “Ken Bugul,
W ere were Liking, Calixthe Beyala and others w ould take B â ’s attack on African
patriarchy a step further with texts that w ould prove to be m ore aggressive, more
rebellious, and more audacious in content and form ’’(467). E n référence à A nny-Claire
Jaccard, Éloïse Brière dira que « les oeuvres de W erew ere L iking et de C alixthe Beyala
ont sorti la littérature cam erounaise des lim ites du réalism e conventionnel, raison pour
laquelle la littérature fém inine cam erounaise est la plus originale et la plus novatrice de
toutes les littératures fém inines de l ’A frique noire francophone » ( 96). W erew ere Liking
et Calixthe Beyala sont certes sans égales en m atière d ’innovation form elle. L a prem ière
rapproche plus du « réalism e m agique des écrivains sud-am éricains » com m e le suggère
toujours B rière (96). Seulem ent, sur le plan de la thém atique, elles s ’inscrivent toujours
dans la tradition cam erounaise de critique social. L ’illustration parfaite de cette tradition
est l’oeuvre de Joseph Ow ono, Tante Bella, prem ier rom an francophone cam erounais s ’il
faut en croire Oyekan O w om oyela , qui, publié en 1959 n ’était pas « an anticolonial work
B eyala n ’a pas de pairs, pour paraphraser Adèle K ing qui dit q u ’elle a « peu de
pairs » (102). Son oeuvre, jusqu'à aujourd’hui, est la célébration de la fem m e libre ou
libérée de corps et d ’esprit qui n ’hésite pas à s ’éloigner ou à assassiner l’hom m e si c ’est
le prix q u ’elle lui faut payer pour accéder à l ’affirm ation et/ou l ’obtention de la liberté.
D ’une m anière souvent originale parfois m agique m ais toujours intéressante, la libération
de la fem m e s ’échappe, découle de ses écrits, fluide sans jam ais être lim pide, radicale
la taxent d ’im pudique et l ’accusent de vouloir com m ercialiser l ’érotism e africain. Entre
les deux groupes se situent ceux qui lui refusent toute originalité et la qualifient tout
bonnem ent de plagiaire. D ans notre étude, nous m ettrons l'accent sur le déploiem ent de
son fém inism e et nous essayerons de ne pas nous lim iter aux ovations pour nous pencher
sur les lim ites de son fém inism e. N ous poserons la problém atique du fém inism e en terme
d ’identité pour voir si ce q u ’elle suggère est faisable. Nous chercherons à voir si
réellem ent l ’ennem i de la fem m e en A frique noire était ces dernières années ou est
présentem ent l ’homme. Ainsi, notre étude se subdivisera en deux grandes parties. La
prem ière exposera son fém inism e d ’après ses oeuvres que nous avons lues et les analyses
q u ’on leur a consacrées ainsi que la notre personnelle. L a deuxièm e sera consacrée à la
enferm ent, encerclent et assignent à dem eure cette identité nouvelle, vieille
tradition en Afrique. C ’est à peine un siècle et dem i depuis que cet art est pratiqué dans le
continent. D ’une m anière générale, et com m e partout ailleurs, les fem m es s ’y sont m ises
beaucoup plus tardivem ent que les hom m es. En A frique francophone occidentale, cinq
décennies se sont écoulées avant que les fem m es aient pu rejoindre les hom m es dans le
dom aine. C ’est ainsi que pendant une période de tem ps q u ’on peut qualifier de long, les
l ’occurrence O usm ane Sem bène et Henri Lopès), les personnages fém inins ont toujours
occupé des places secondaires dans les oeuvres des rom anciers. En tant que sim ples
subalternes, leur présence se lim itait à faire valoir l’om niprésence et l ’om nipotence du ou
des héros. En poésie, elles ne sont vues que de l’extérieur, et de m anière exagérée.
M agnifiées pour ne pas dire m ythifiées ou m ystifiées dans leur rôle de m ère, elles sont
chantées pour leur abnégation, candeur, douceur et plus superficiellem ent encore, pour
leur beauté. On peut se référer ici au célèbre poèm e du président Senghor : « Fem m e
N oire ». Joseph N dinda dira que « les prem iers discours littéraires fém inins sont en
réalité des contre-discours venant invalider l ’im age de la fem m e qui surgit de la plume
des écrivains africains des périodes avant et im m édiatem ent après les indépendances »
(28).
N éanm oins, il faut rom pre avec l ’idée que les écrivaines sont les pionnières d ’un
m ouvem ent qui a donné à la fem m e un rôle et une place de prem iers im portances. Dans
son livre Le Pleurer-Rire, Henri Lopès écrit: « je ne dirais pas ses [ celles de l ’Afrique]
couleurs que le soleil m et en valeur com m e sur une diapositive. Je ne dirai rien de ses
sons, de ses odeurs, du rythme des hanches des fem m es qui s ’en vont, des charges en
équilibre sur la tête^ ». Ce q u ’il dira en effet, c ’est une autre A frique avec d ’autres
réalités, d ’autres descriptions plus préoccupantes que celles sur lesquelles les poètes de la
négritude se sont focalisés. Dans son oeuvre. Les B outs de B ois de Dieu, Sem bène
O usm ane a dévoilé un visage de la fem m e africaine q u ’on a ju s q u ’alors voulu ignorer.
C ependant, nul ne connaît m ieux la fem m e et les conditions dans lesquelles elle vit
que la fem m e, donc, nul ne peut m ieux parler de la fem m e et de son existence que la
fem m e. Aucun récit à propos de la fem m e ne peut ainsi égaler celui de la fem m e par la
fem m e.
A l’instar de ce qui s ’est passé dans d ’autres cieux, à un m om ent que l ’histoire
fem m e dans la littérature en tant q u ’auteur m ais aussi en tant q u ’héroïne [..] qui voit, vit
et dit la condition déplorable de la fem m e en A frique com m e jam ais aucun hom m e ne
10
1.1 L A F E M M E A U C E N T R E D E L ’É C R IT U R E D E B E Y A L A
Si nous nous référons à la théorie lacanienne, la subjectivité s ’acquiert en prem ier lieu
grâce au langage. C ’est le pont qui perm et le passage de l ’im aginaire au sym bolique.
Com m e nous l’explique D arian Leader et Judy Groves: “ speaking determ ines one’s
position as a speaker, it gives one a place” (59). C ’est par la parole done que l’individu se
is that response from the other which m akes m eaningful the feelings, intentions,
and actions o f the self. It allows the self to realize its agency and authorship in a
tangible way. But such recognition can only com e from another w hom we in turn,
C om m e nous l'avons dit un peu plus haut, dans sa m ajorité, la littérature m asculine
voir la fem m e q u ’en tant q u ’objet. A utrem ent dit, contrairem ent à la dialectique de la
reconnaissance, la fem m e ne se positionne pas en sujet dans ces écrits au m asculin. Dans
son article « W om en w ithout M en: The Fem inist N ovel in A frica », K atherine Frank
écrit : « By and large wom en characters are defined in [the m ale A frican] novels by their
relations to m en : they are som eone’s daughter or wife or m other, shadow y figures who
hover on the fringes o f the plot, sucking infants, cooking, plaiting their hair » (15).
R aison pour laquelle Sélom K .G banou dira que « la création littéraire perm et à la femme
de m ieux se dire afin de ne plus être l’étem el sujet (d)écrit, la sauce aux épices
m asculines conform ém ent à la logique aristotélicienne qui oppose la fem m e (être passif)
11
à r hom m e (être actif) sorte de D ieu créateur doté du pouvoir vital et enfin présence »
(12). C'est parce que donc l’écriture de la fem m e est une réaction à un tel état des choses
que le “ je ” , fém inin pourrait-on dire, est si présent dans ses écrits. De l ’autobiographie la
plus vraisem blable à la fiction la plus im aginative, la fem m e est au centre des récits
racontés par la femme. L ’hom m e n ’y est évoqué q u ’en tant q u ’oppresseur, agresseur,
causeur de peine à la fem m e. Il n ’y a pas de doute que dans l ’œ uvre de Beyala, il n ’est
pas ce D ieu om nipotent dont parle Sélom , m ais plutôt un dieu im potent, déchu. La
fem m e par contre y occupe l ’espace et le tem ps. K ing Adèle dira que « son oeuvre
Si après lecture de son prem ier rom an on nous dem andait de résum er l ’œuvre,
nous dirions certainem ent que C ’est le soleil qui m ’a brûlée est l ’histoire dram atique
d ’une jeune fille de dix-neuf ans du nom d ’Ateba. Après avoir été abandonnée par sa
m ère qui m ène une carrière de prostituée, A teba vit avec sa tante A da qui ne la m énage
guère physiquem ent aussi bien q u ’ém otionnellem ent; non pas par m échanceté ou autre
bassesse, m ais parce q u ’elle s ’est assignée le rôle de lui « program m er » une destinée
com m e la sienne, com m e celle de « sa m ère, q u ’avant elle la m ère de sa m ère » ( C ’est le
Soleil qui m 'a brûlée 5). Soum ise, elle vit sa vie de fem m e africaine, c ’est à dire,
m onde extérieur com m e s ’il ne l ’intéressait pas, ou plus exactem ent, parce q u ’il ne la
concernait pas. Seulem ent, à la fin elle tue un hom m e et l ’on se dem ande si sa folie, à la
lim ite son délire, est antérieure ou postérieure à l ’acte crim inel. A insi, C ’est le soleil qui
m ’a brûlée est centré sur le personnage d ’Ateba. C ependant, ce n ’est pas elle en tant
q u ’individu de chair et d ’os qui nous raconte les événem ents, m ais plutôt « M oi » qui
12
nous dit être son âme parlant. Ceci est d ’autant plus sym bolique q u ’on associe souvent la
prem ière oeuvre d ’une fem m e à un « cri de cœ ur » sorti des tréfonds de l ’âme.
A teba est la fem m e qui cherche à libérer la parole pour se libérer, m ais elle doit
soleil qui m 'a brûlée 7). Après s ’être donnée au plus anonym e des hom m es (ce qui lui
confère le statut de représentant du genre) elle veut se libérer de son em prise, de son
d ’autres, com m e il a toujours retenu la fem m e par sa force, ses actes, m ais surtout par sa
parole qui fait de lui l’étem el sujet et de la fem m e l ’étem el objet. D ’un coup de cendrier
q u ’elle lui assène sur le crâne, Ateba put se libérer de l ’hom m e et par ricochet de sa
glottophagie^. Elle hurle le nom de son amie Irène et ce fut à cet instant seulem ent, quand
sa langue avait fini de se délier, q u ’elle put lui déclarer tout son am our. Par contre,
p u isq u ’elle sem ble perdre toute notion de la réalité, puisqu’elle prend pour la défunte
faudra donner à ce qualificatif toute la positivité que lui confèrent de nos jours bons
nom bres de défenseurs de la fem m e pour ne pas dire fém inistes. D ans son essai
« Hystéria, Fem inism , and G ender »®, Elaine Show alter nous dit ;
until recently, stories about hysteria w ere told by m en, and wom en were always
the victim s in the stories rather than the heroines. In the past few decades,
how ever, the story of H ysteria has been told by wom en historians as well as by
m ale doctors and psychoanalysts. They have argued that hysteria is caused by
^ Terme employé par Éloïse Brière pour décrire l’impossibilité de la femme africaine à s ’exprimer.
®Plubié dans Hysteria Beyond Freud: une coproduction.
13
w om en’s oppressive social roles rather than by their bodies or psyches, and they
have sought its sources in cultural m yths of fem inity and in m ale dom ination
fem inism »^. D onc, il faut com prendre dans l ’hystérie une m anière particulière de la
fem m e de réagir contre la dom ination m asculine. Q uand Lacan se dem ande « où sont
passées les hystériques de jad is Show alter répond q u ’elles sont devenues les
fém inistes d ’aujourd’hui! Par ailleurs, si l’hystérie est considérée com m e la m aladie de la
fem m e par excellence, c ’est que depuis les tem ps im m ém oriaux, cette dernière n ’a cessé
d ’être objet de dom ination. L ’hystérie n ’est pas spécifiquem ent fém inine, elle est le, ou
un, com portem ent de celle, de celui, de ceux qui sont victim es d ’injustices sociales.
W hen unhappiness and protest go unheard for a long tim e, or when it is too
their sense of hum our and their powers of self criticism , w hether they are
fem inists, people with AIDS, black activists, or East G erm ans, R um anians, and
B ulgarians. A nger that has social causes is converted to a language o f the body
(335).
N ous pensons que ceci s ’applique bien au cas d ’A teba car B eyala fait exister la fem m e en
la présentant de l ’intérieur, m ais elle la présente aussi sous différents angles. Ainsi,
lim itait l ’intrigue de C ’est le soleil qui m 'a brûlée à la seule histoire d ’Ateba, c ’est privé
un individu de ses m em bres, couvrir un tableau d ’un voile. Le rom an est certes l ’histoire
14
d ’A teba m ais il est aussi celle de Betty, d ’Ada, d ’Ekassi, de M m e Com bi, de la vieille et
M m e Com bi sait que son mari la trom pe et elle profère des m enaces : « si la vie
n ’arrête pas de me prendre à la gorge » dit-elle, « je m ange le corps qui me vole mon
hom m e » (5). Lorsque la m ort de la prostituée du quartier est annoncée, tous les regards
tournent vers elle. Isolée, m éprisée, sûrem ent crainte, elle se retrouve dans une situation
de paria. N ous savons pourtant q u ’elle n ’a pas pu la tuer. L a narratrice nous informe tout
au début du rom an que « toute l ’année, dès que l ’aube levait son rideau gris » Ateba
accom plissait son rituel m atinal de réveil et que « tous les jours, Com bi racontait la même
antienne » (5). Si elle avait le pouvoir d ’accom plir ce q u ’elle proférait, elle l’aurait certes
fait depuis belle lurette. Les causes de la m ort d ’Ekassi sont à chercher dans sa profession
ou ailleurs. M alheureusem ent, dans une Afrique où l ’on croit toujours à la magie et aux
pouvoirs surnaturels, les langues et les yeux se sont déchaînés et ils interrogent, Combi
en hiver, est cuirassée contre les blessures des m ots m ais non contre celles de la
conscience [...] D ans la pénom bre toutes les peines entreront par son regard
T el est com m ent la narratrice résum e la situation de Com bi! D ans cette pénom bre elle
finira sa vie, dans cet état elle m ettra fin à son destin de fem m e. On pourrait se demander,
si cela en valait la peine, à qui la faute? Qui blâm er? O u bien encore, que fallait-il faire?
M ais com m e nous allons le voir, Beyala ne se préoccupe que de présenter des situations.
15
dresser des portraits. A m broise Kom dira : « chacun des récits de Beyala révèle une
galerie de portraits de fem m es ». Et ces fem m es sont de « tous âges, m ais de conditions
généralem ent m odeste ; m aîtresse d ’école, fem m e au foyer, bonne, secrétaire, et [...]
prostituée » (65).
Sans aucun doute, la prostituée occupe une place privilégiée dans l’œ uvre de
C alixthe Beyala. Dans C ’est le soleil qui m 'a brûlée, en plus de la « sacrée Ekassi » qui
« se soum ettait à tous les désirs » (40), il y a Betty et Irène, respectivem ent m ère et amie
d ’A teba, qui sont présentées et décrites dans leurs vies de prostituées. Ekassi s ’est mise à
la prostitution parce que son am ant l ’a abandonnée après q u ’elle s ’est donnée à un
policier pour avoir sa libération de prison. « Il était resté sourd à toutes les lam entations, à
tous ses cris, à tous ses plaidoyers », nous dit la narratrice avant d ’ajouter que
Ce verbe revient souvent dans la plum e de Beyala, m êm e s ’il est difficile de lui
lesquels il est em ployé, il n ’en dem eure pas m oins l ’expression du futur de la femme.
A m broise K om soutient que les personnages fém inins de B eyala ont toutes « l ’ambition
de voler la parole pour réaliser un grand rêve : D evenir » (66). Q u ’il s ’agit de voler ou de
sens p o sitif ou ironique où K om l ’entend. Celui d ’Irène est dans tous les cas la mort. En
voulant se libérer de ce que l ’hom m e a fait germ er dans son ventre, pour prendre le vol
du D evenir ou pour ne pas le m anquer, elle a atterri dans les ténèbres insondables du
16
A da et Betty connaissent aussi de nuits noires parce q u ’elles ne peuvent pas ou ne
savent pas se passer de l’hom m e alors que sous la plum e de Beyala, hom m e rime presque
toujours avec m alheur de la fem m e. A da ressem ble à un « corossol » parce que son amant
l’a battue (83). Elle l ’a m is dehors m ais A teba sait que dem ain ou après dem ain un autre
Ceci n ’est q u ’une illustration pour m ontrer com bien la fem m e et ses histoires sont
au centre des écrits de Beyala. Ju sq u ’ici nous n ’avons fait m ention que de son prem ier
rom an, m ais il en est de m êm e pour tous les autres qui vont suivre. N ous pouvons
affirm er que chaque oeuvre de Beyala est structurée au tour d ’une paire ou couple de
fem m es com plété par une infinité de récits de destins d'autres fem m es ébauchés et narrés
ci et là.
t ’appelleras Tanga. « Fem m e-fillette » exploitée par sa mère, T anga se retrouve en prison
après avoir enjam bé sa vie de m alheurs et de rêves brisés. Elle partage sa cellule avec
A nna Claude, une Française qui était à la recherche d ’une A frique exotique et utopique.
C ’est dans cet univers carcéral où se déploie le récit. T anga raconte son histoire à Anna
C laude qui se charge de la diffuser. Dans la bouche de Tanga, nous découvrons en même
tem ps q u ’A nna Claude, une A frique post-coloniale au bord du gouffre prête à ébouler.
Une A frique où les parents se nourrissent de la chair de leurs enfants au sens sym bolique
où ils l ’utilisent com m e gagne-pain, m ais aussi, au sens où ils en usent com m e bon leur
sem ble. U ne A frique où il est im possible d ’avoir une m aison, un m ari, un jardin et un
chien com m e le veut Tanga. U ne A frique qui ensevelit les rêves de ses enfants et ceux
d 'au tres cieux. Tu T ’appelleras Tanga est ainsi l ’histoire de cette princesse qui assista à
17
l ’écroulem ent de son royaume juste parce q u ’elle était fem m e. L ’hom m e voulait ses
trésors, s’en appropria et tout fut dit. Il est aussi l ’histoire de La Cam illa, la femme
séduite puis abandonnée qui traîne sa vie de m isère ne sachant q u ’en faire.
Dans ces deux prem iers rom ans, tous les événem ents se passent en Afrique. Il va
s ’opérer un changem ent de cadre dans les autres qui vont suivre sans pour autant que la
position de la fem m e s ’altère tant soit peu. Dans La N égresse R ousse initialem ent publié
sous le titre de Seul le diable le savait, la paire M égri-L aetitia est la plus saillante.
C om m e l ’indique les deux titres, l ’univers de ce rom an relève plus de l’irréel que du réel.
Liée à l ’É tranger par un am our que les dieux interdisent, M égri est obligée de s ’exiler à
Paris (où elle nous livre l’histoire) à la m ort de son amant. Laetitia, elle, se suicide après
avoir tué deux de ses amants. En filigrane, Bertha, la m ère de M égri vit une union
D ans A ssèze l'Africaine, l'héroïne qui s'est décidée à m ettre son histoire sur du
Je vous parlerai de grand-m ère dont les espoirs ont été déçus, de m am an qui a cru
s'en sortir parce que, quinze ans après m a naissance, elle a accouché d'un fibrome
de sexe m asculin qui pesait trois kilos sept cents gram m es, je vous parlerai d'une
com tesse qui s'en est tirée, vous n'échapperez pas au suicide de Sorraya, aux
raisons qui l'ont poussée à cette extrém ité, et com m ent je l'ai laissée m ourir
(1 2 -3 ).
D onc, son oeuvre ne sera pas seulem ent le récit de sa vie m ais celui de toutes ces fem m es
m entionnées. A utrem ent form ulé, son histoire est l'histoire com binée de ces femmes.
18
N ous pourrions continuer sur cette lancée et tracer à la lim ite du possible tous les destins
de fem m e que Beyala s ’est chargée de décrire dans ses oeuvres m ais nous préférons nous
lim iter à ces quatre rom ans. Nous nous accordons avec N ana W ilson-T ago pour dire que
“African wom en writers first departure from m ale tradition o f inscription and
representation occurs, through the very centrality given to w om en characters [...] the
privileging of the fem ale voice and w orld” (W riting A frican W oman 14).
confondue dans les angoisses d ’hom m e à la m ère A frique ne [...] suffisent plus » ( « La
fonction des littératures africaines écrites » 7). En effet, Les écrivaines du continent ne
sem blent pas être touchées par ces chants. Elles ont rom pu avec l ’idéalism e en parlant
d ’elles-m êm es et par elles-m êm es. C alixthe Beyala fait parler toutes sortes de femmes, se
faisant ainsi la bouche de celles qui n ’ont point de b o u c h es". R aison pour laquelle nous
disons que le « je-narrant » de ces rom ans n ’est pas un « je » singulier m ais plutôt un
« je » pluriel.
" Aimé Césaire : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche » Cahier d ’un
retour au p a y s natal. Présence Africaine, 1983. p22.
19
1.2 “J E ” P L U R IE L
de toute intrigue, mais aussi en faisant appel à une certaine prise de conscience, il
sem blerait que l ’écriture fém inine s ’adresse de prim e abord à la fem m e. Les écrivaines au
sud du Sahara écrivent d ’une part pour subvenir la représentation patriarcale, mais plus
rem arquablem ent, à travers l ’écriture, la fem m e africaine se redéfinit pour se donner une
nouvelle identité différente de celle que lui assigne l ’hom m e. E lle se cherche et veut
retrouver la fem m e, étoile originelle, celle qui n ’est encore pas brûlée par le soleil, pour
avant d ’être écrite. Ainsi les légendes et les contes sont-ils une bonne source pour nous
im portant encore, ils nous inform ent de la conception que se fait l ’hom m e de la fem m e et
le regard q u ’il projette sur elle. Ndinda Joseph rapporte que dans le conte « la perceuse
d ’yeux^“ » du cam erounais Beling-N koum ba, un père donne des conseils à son fils en ces
term es:
Ce n ’est pas ainsi q u ’un hom m e doit traiter sa fem m e. N os pères disaient, bien
sur, que la fem m e est une chèvre q u ’il ne faut pas attacher avec une corde très
longue. Ils disaient aussi que la fem m e est un panier de chenilles q u ’il convient de
secouer très fréquem m ent de peur de les voir s ’en aller. T out est vrai, aujourd’hui,
com m e autrefois. C ’est ce que tu fais m ais tu exagères. T u oublies que la femme
20
est aussi l’om bre. Elle te suit quand tu la fuis. Elle te fuit quand tu la suis. Les
fem m es, mon fils il faut les aim er sans en avoir l’air. Il faut m êm e de tem ps en
tem ps les m entir. Car elles sont ainsi faites : quand on les trom pe, elles croient
q u ’on leur dit la vérité: quand on leur dit la vérité, elles pensent q u ’on les trompe.
M on fils ne te livre pas entièrem ent à une fem m e, quelle q u ’elle soit [...] Mon
fils, si tu n ’écoutes pas m a voix qui est celle de la sagesse et de l’expérience, à qui
te plaindras-tu? (24)
D ans d ’autres contes et légendes, la fem m e y subit la m êm e description. Si elle n ’est pas
l ’odieuse m arâtre sans pitié, l’indiscrète en qui il ne faut pas avoir confiance, elle est la
sorcière sem euse de désordre. Presque toujours vue, pensée et représentée de m anière
opaque, on pourrait facilem ent l’associer avec la figure du mal. Si elle est valorisée, c ’est
q u ’elle est épouse fidèle et soum ise, m ère couveuse dévouée. La fem m e africaine va
écrire contre tout cela. Le dit et le non-dit. Ce qui l’étouffe. Son écriture est ainsi de
rupture. R upture d ’avec le m onde extérieur, rupture d ’avec soi m êm e. Et puisque, comm e
le disait M ariam a B â dans Une Si Longue Lettre : « toutes les fem m es ont presque le
m êm e destin que des religions ou des législations abusives ont cim enté » (129), le « je »
de « l ’écrivaine- héroïne » qui refuse, réfute, se révolte, englobe toutes les fem m es qui
sont dans la m êm e situation q u ’elle. Béatrice G allim ore dira que « le je narrant est
présenté com m e l ’allégorie d ’une conscience collective » avant d ’ajouter que « Ce n ’est
pas seulem ent un je individuel qui [...] s ’exprim e m ais un « je » préoccupé par la
com m ence la narration de son histoire dans Le B aobab Fou p ar : « Les êtres écrasés se
21
rem ém o ren t... »; ce qui confère à son récit un caractère « com m unautaire » et il est vrai
pas une grande différence. L ’histoire racontée reste toujours celle de la fem m e africaine.
Sélom K. G hanou nous dit en ce sens que « l ’écriture ne saurait s ’inscrire chez la femme
africaine/antillaise com m e sim ple opérateur des diverses m entalités qui caractérisent la
tem poralité et la spécialité m ais com m e une activité d ’énonciation qui déborde le cadre
contingent de la personne de l ’écrivain » (14). Voici com m ent B eyala décrit ou se réfère
à sa propre écriture
J ’écris le désir
J ’écris la renaissance
La perpétuation
22
Je les c o n v ie au d în er de leur
Barbarie
J ’écris la fem m e.
En véritable porte-parole en effet, B eyala écrit la fem m e en abordant les sujets qui
A teba pense à se suicider, la narratrice la dissuade en ces term es : « vas-y, fem m e, tombe.
C ’est ton destin ; allum er le flam beau des ténèbres avant de regagner la légende. Il s ’agit
d ’une route, fem m e... D ’une route en sens unique. [...] Et après? Rien fem m e... » (12).
L ’écrivaine-narratrice pourrait bien form uler sa pensée en utilisant le nom propre Ateba,
puisque c ’est d ’elle q u ’il s ’agit. Donc, si elle a choisi l ’em ploi du nom com m un nous
pensons que c ’est dans le but d ’étendre son appel à toutes les fem m es. De plus,
sied bien au contexte car, la fem m e, quelle q u ’elle soit, doit « regagner la légende » avant
« d ’allum er le flam beau des ténèbres ». A utrem ent dit, elle ne doit pas fuir la bataille
m ais la gagner. « A utrefois »-avant la chute- quand « A teba était fem m e, elle était des
m illiers de fem m es. [...] elle était A teba et toutes les fem m es étaient elle » (13). Ainsi,
’Vivre dans l ’anonym at- elle est désignée soit par « fem m e », soit par « la ’Vieille » -
23
m ourir de souffrance devant l ’indifférence d ’un m onde extérieur si près et si loin à la
fois! La vieille
était toute fripée, caricaturée par le temps. E lle restait des journées entières tapie
dans sa cabane, rongeant des feuilles de tabac [...] quelques fois, elle allait traîner
son sac à provision. D es gens s ’écartaient sur son passage, d ’autres se retournaient
[...] Un matin, A teba a vu passer deux hom m es. Ils portaient au cim etière un
E lle est m orte de tuberculose, dira-t-on plus tard. Ateba se dem ande alors, de quoi elle va
m ourir, elle. Au bout du com pte, d ’une m ort à l ’autre, la seule différence est l’alibi de la
mort.
Nous som m es tentées d ’affirm er que Calixthe Beyala procède dans la description
M adeleine B orgom ano nous dit après analyse que, dans le récit de leur vie, les écrivaines
individuels. Elles m ettent [...] au prem ier plan, la partie publique de leur existence et
tendent à m inim iser ou effacer les traits particulisants pour constituer leur personnage en
m odèle ou en type » Ju sq u ’ici, B eyala n ’a écrit q u ’une sorte de biographie. La petite fille
du Réverbère, m ais dans son ensem ble, son oeuvre s ’adresse et fait appel à la fem m e
Q uand A nna-C laude interpelle T anga en lui disant : « Je le sais, fem m e, je sais
que le tem ps est là, le tem ps qui attaque, dessèche et flétrit la fleur épanouie » (49), elle
24
s ’adresse à toutes les fem m es d ’A frique en souffrance pour leur expliquer com m e elle
essaie d ’expliquer à Tanga, que le fait q u ’elle soit blanche ne lui em pêche pas de
com prendre leur mal de vivre. De la mêm e m anière, M égri s ’adresse à Laetitia m ourante
en la nom m ant fem m e. C ertainem ent, son étreinte et le réconfort qu elle essaie de lui
procurer, elle voudrait l’adresser à toutes celles qui se trouveraient ou se trouvent dans
une situation analogue. Il serait intéressant de voir com bien de fois le m ot « fem m e »
apparaît dans une oeuvre de Beyala! Ceci pour dire com bien il est au centre de son
écriture.
25
2 L E C O N T R E -D IS C O U R S
été de tout tem ps une littérature d ’engagem ent et depuis presque toujours, c ’est une
A frique généralisée et non pas un pays spécifiquem ent donné qui préoccupe les écrivains.
Pour la fem m e africaine, l ’avènem ent à l ’écriture a été « un pèlerinage vers des lieux
interdits » selon les term es de Sélom (22). En effet, confinée q u ’elle était dans un silence
dicté par des lois et des règles venus seul le diable savait d ’où, com m e aurait dit Beyala,
c ’était faire preuve de rébellion que de se m ettre à l ’écriture. Jugée dangereuse, les
sociétés africaines n ’ont pas lésiné sur les théories et les m oyens de s ’assurer le contrôle
de la parole de la fem m e. D ans son article, « Paroles de Fem m es », O ger Kaboré écrit :
Le caractère prolixe du verbe fém inin est très répandu dans les sociétés
africaines : Chez les M oose, on pense que la fem m e est congénitalem ent
26
pour laisser libre cours à ses paroles désordonnées dont les conséquences peuvent
être im prévisibles'^.
Il sem blerait aussi que « la femme étant privée de la pom m e d ’A dam ...est
incapable de retenir ses paroles ». D om inique Zahan quant à lui explique que la pratique
du tatouage de la bouche chez les Bam bara a pour visée une m aîtrise de cette parole'^.
N ous savons néanm oins que les choses n ’ont pas toujours été pensées de la sorte. Toutes
les données concourent pour dém ontrer que le silence de la fem m e est une construction
phallocratique ; il n ’a donc rien de naturel. Rangira B éatrice G allim ore dira que « c ’est un
fém inine est l ’acte d ’écrire lui-même. Sans nul doute, « la prise d ’écriture par la femme
C ependant, la fem m e africaine n ’est pas seulem ent opprim ée dans sa parole entravée.
D ans son corps et son désir aussi, elle est parfois bafouée, à la lim ite ignorée. Les
écrivaines du continent vont écrire pour m anifester leur révolte contre un tel ordre tout à
fait établi à leur détrim ent. Rien d ’étonnant donc que leurs écrits soient qualifiés de
M êm e si elles refusent dans leur grande m ajorité l ’étiquette de « fém iniste » pour
des raisons que nous considérons idéologiques, leurs oeuvres n ’en dem eurent pas moins
fém inines. Irène A ssiba d ’A lm eida nous éclaire en la m atière dans son article « Fem m e?
Idem 14.
on entend une prise de conscience de la fem m e réalisant q u ’elle fait partie
d ’un groupe social opprim é en raison de son « sexe » et ayant une ferme
l ’A frique noire se situe bel et bien dans un courant fém iniste (50).
« fém iniste » m ais, elle tient à faire une distinction entre fém inism e et « fém initude ».
28
2.1 L E F É M IN IS M E D E B E Y A L A O U LA F É M IN IT U D E : P O U R UN E
D IF F É R E N C E É G A L IT A IR E
C ’est dans son essai L ettres d ’une A fricaine à ses sœ urs occidentales que Beyala
définit son term e. Elle écrit que sa fém initude est « très proche du fém inism e », mais
« divergente dans la m esure où elle ne prône pas l ’égalité entre l ’hom m e et la fem m e
m ais la différence-égalitaire » (20). Sans récuser donc le fém inism e elle rejette l ’égalité
m athém atique entre l ’hom m e et la femme. Selon ses dires, on ne saurait parler d ’égalité
car seule la fem m e a le privilège de la m aternité ; ce qui pourrait nous faire penser q u ’elle
adhère à la théorie irigarayenne. Cependant, dans le cadre d ’une stratégie de lutte, elle
accepteront de dire que nous som m es leurs égales » {Lettre d ’une A fricaine à ses sœurs
occidentales 153).
N éanm oins, bien que dans la théorie de sa fém initude B eyala s ’accroche à la
m aternité, dans ses fictions, elle se méfie dram atiquem ent de l ’hom m e. Son écriture est
M ariam a Bâ, Beyala rejette totalem ent l’idée d ’une quelconque com plém entarité entre
relation entre l ’hom m e et la fem m e. Son radicalism e peut se lire aussi à travers la
D ans son oeuvre ju s q u ’ici publiée, rare ( Nous pensons q u ’il n ’y en a q u 'u n ou
deux) sont les cas où on a une présentation positive d ’une relation am oureuse entre
hom m es et fem m es. D ans son prem ier rom an, la relation entre A teba et Jean est
29
im possible car celui-ci, habitué à m altraiter et à disposer des fem m es com m e il veut, n ’a
com pté changer en rien son attitude. Et m êm e si A teba a été séduite tout au début, elle
cependant, Jean qui sent sa m asculinité m enacée va essayer de soum ettre la fem m e à son
désir bon gré mal gré. Après q u ’Ateba l ’ait interrom pu alors q u ’il jouissait d ’une autre
bouche contre son sexe, elle se dit q u ’il est devenu com plètem ent fou, q u ’elle est
devenue com plètem ent folle, puisqu’elle est responsable de ce qui arrive [...] à
genou le visage levé vers le ciel... la position de la fem m e fautive depuis la nuit
des tem ps.... assise. A ccroupie. À genoux... Ainsi le veulent la lune, le soleil, les
étoiles (28).
Chez Beyala, la fem m e est représentée par l ’étoile et l ’hom m e par le soleil, non
pas le soleil réchauffant qui éclaire, m ais plutôt, le soleil agressif qui brûle et détruit tout
sur son passage. S ’il faut en croire Nicki H itchott, “the negative presentation of
heterosexuals couples is reflected in the im possibility o f relationships betw een the natural
elem ents that represent them; the stars and the sun rarely appear together”(130). Dans Tu
t ’appelleras Tanga, toute relation harm onieuse entre l ’hom m e et la fem m e est présentée
com m e fictive. Aussi bien A nna-C laude que T anga se laissent em porter par des rêveries.
O usm ane est l ’idéal d ’hom m e d ’A nna-C laude m ais nous savons q u ’il n ’existe pas, il est
directem ent sorti de l ’im agination de la fem m e. T anga par contre se rend com pte au fil de
son introspection q u ’un fossé sépare le H assan de ses rêves et celui de la réalité. Dans les
H onneurs P erdus, Saïda doit s ’inventer un am ant im aginaire pour avoir l ’attention de sa
30
com m unauté et elle com pose des chansons q u ’elle lui destine. Beyala ne semble
percevoir la possibilité d ’un am our authentique et sincère digne du nom que dans
l’im aginaire.
C elles qui acceptent la relation dans le réel sont présentées com m e des
m asochistes. Pour faire plaisir à Ibrahim , Saïda qui à cinquante ans garde toujours son
certificat de virginité-que le pharm acien du village lui a rem is le jo u r de son départ pour
Paris-est obligée de faire du jogging tous les m atins parce que son am ant la trouve un peu
grosse. Au grand m alheur de Saïda cependant, Ibrahim n ’est pas le séducteur rom antique
q u ’elle croyait. Il s ’est révélé expert en torture et il sem blerait que c ’est par chance que
On pourrait être tenté de dire que M égri et l ’É tranger ont réussi leur relation, mais
dans ce rom an les événem ents sont plus près de l ’im aginaire que du réel et à un m oment
donné, M égri n ’a pas hésité à se chosifier pour plaire ; « je m ’étais efforcée d ’être une
fem m e docile dont il aurait pu user à sa guise » (37). À la lum ière de tout cela, nous
pouvons nous m ettre d ’accord avec Nicki H itchott pour dire que « the generally negative
portrayal o f heterosexual relationships suggests that rom antic love betw een wom en and
l ’hom m e endosse toute la responsabilité d ’un tel état de fait. Sans aucune nuance ou
que les fem m es y « sont toutes trom pées, bafouées d ’une façon ou d ’une autre. M êm e si
lesbianism e et les scènes descriptives qui nous y font penser ne m anquent pas dans son
31
oeuvre.- « Elle veut cette bouche malgré la fatigue qui en affaisse les coins [...] Elle
avance une m ain, elle veut la poser sur le genou d ’Irène, elle trem ble, son corps lui dit
q u ’elle pèche, son regard lui dit q u ’elle pèche, son sang lui dit q u ’elle pèche, tout son être
lui dit q u ’elle pèche. Et elle reste le corps trem blant, essayant d ’écraser cette chose
intérieure qui la dévore (C ’est le Soleil qui m ’a brûlée 110) ; - Oui il faut vivre le rêve.
C e soir tu seras O usm ane, mon rêve.- Je te donnerai la fertilité. - Je m ’offre à toi. - Je te
ferai des gosses pour perpétuer d ’autres hum anités.- A im e-m oi. Leurs corps s ’embrasent.
A nna C laude pleure T anga trace sur son coup et son flanc des sillons de tendresses ( Tu
t ’appelleras Tanga 65) ; j ’étais prise d ’un ardent désir de tendre les m ains et la pincer
afin de faire vibrer son unique note trem blante. Je me dis q u ’il devait être plus équilibrant
pour elle de dorm ir à côté de moi, plutôt que de connaître ces expériences sexuelles
débridées avec Frédéric Feuchoux » (Les H onneurs perdus 332)- Cependant, Calixthe
B eyala refuse de voir du lesbianism e dans ces écrits et qualifie de « pervertis » ceux qui
en verraient*^. R angira Béatrice Gallim ore inscrit ces affections entre fem m es dans le
un lesbianism e qui va au-delà des expériences sexuelles pour inclure tous les
rapports d ’échange, d ’amitié et de solidarité, tous les liens fém inins capables de
N ous pensons en ce qui nous concerne que, que B eyala le nie ou non, les textes parlent
d ’eux-m êm es. N ous som m es néanm oins d ’accord avec G allim ore pour dire que le
lesbianism e dépasse certainem ent le seul cadre sexuel pour inclure des sentim ents com m e
la solidarité et peut être aussi la haine ou du m oins le rejet de l ’hom m e. De plus, nous
« Je pense que ceux qui voient du lesbianisme dans mes écrits sont tout simplement des pervertis car la
tendresse entre femmes n’implique pas forcement le lesbianisme » Cité par Nicki hitchott, p 137.
32
voulons croire que ce lesbianism e latent ou patent, entre dans le cadre de la révolte
fém inin qui subvertit les représentations m asculines qui ju s q u ’ici ont été les seules
valables. A utrem ent dit, la fém initude com m e le fém inism e n ’est q u ’un cri de cœur.
Beyala sem ble n ’écrire que et pour des fem m es m arginales. A insi, son écriture se
présente com m e un contre-discours qui expose « l ’établi » pour ensuite le rem ettre en
cause. Elle est aussi une écriture d ’exploration. À travers ses écrits, elle propose à la
fem m e africaine d ’autres perspectives d ’être et d ’action pour m ener sa vie. Com m e elle
l ’explique elle-m êm e, ces propositions et suggestions, elle le fait avec « ses tripes et ses
instincts » {Lettre d 'u n e A fricaine à ses Sœurs Occidentales 9). Ce qui expliquerait la
33
2.2 F U R E U R S E T C R IS D E B E Y A L A
Nous avons em prunté le titre de cette sous-partie à N tygw etondo Angèle Ravviri
qui décrit dans son rom an, D es fu re u rs et des cris de fem m es, les troubles physiques mais
m aternité qui se fait désirer et qui tarde à se m anifester dans une société où la femme sans
enfant est autom atiquem ent associée à l'arbre qui n'offre ni fruits ni om bre, donc bon à
rien, inutile. T out en s'inscrivant dans le m êm e cadre, « les cris et fureurs » de Beyala
vont au-delà de la m aternité pour essayer d'englober d ’autres situations qui assujettissent
la fem m e africaine. Son discours certes, « a tendance à fonctionner com m e une machine
de décom position des idées reçues en vue de rejeter com m e dit K risteva tout ce qui est
fini, défini, structuré, pourvu de sens, des états existants de la société » (Ghanou 20). Et
peut être q u ’à l ’opposé de ce qui se fait ailleurs, la littérature africaine fém inine en
continent. Il suffit de je te r un coup d ’œil à une oeuvre de B eyala pour se convaincre que
son écriture « s ’insère dans la société où elle est née » et q u ’en plus « c ’est par cet
univers social q u ’elle se définit et c ’est contre lui q u ’elle ré a g ii^ » ( G allim ore 36).
D e ce fait, il faudra noter avec quelle précision tem porelle et spatiale, Beyala situe
ses personnages. Ils vivent presque tous dans une A frique post-coloniale avec ce que cela
d ’expatriation et d ’ém igration d ’autre part. A nny Claire Jaccard a noté une différence de
perception du tem ps chez les rom anciers et les rom ancières d ’Afrique. Si les prem iers, à
17
Les italiques sont à moi.
34
quelques exceptions près, nous dit-elle, « situent leurs personnages fém inins dans un
la part du tem ps anti-historique dim inue sensiblem ent... le tem ps historique est
conception occidentale m oderne du tem ps. Cela est d ’autant plus vrai que le
rom an fém inin décrit surtout des m ilieux urbains, m arqués de diverses m anières
N ous pensons que les personnages fém inins sont situés dans un tem ps historique
déterm iné aussi souvent chez les rom ancières que chez les rom anciers m ais, il reste vrai
que la deuxièm e partie de la citation est plus spécifique à la représentation fém inine. Si
l’écriture fém inine est guidée par quelle que théorie qui soit, c ’est bien de l’idéologie
fém inine dont il s’agit, qui, pourrait-on dire, est structurée autour d ’une lutte contre la
particulier, est ainsi synonym e de subversion. « Subversion par le choix des thèm es et par
la m anière d ’aborder ces thèm es d ’un point de vue fém inin » ( A lm eida « Fem m e ?
IS
Rapporté par Gallimore, p 37.
35
2.2.1 R É V O L T E C O N T R E L E M É P R IS D E L ’H O M M E
É crire pour la fem m e, c ’est rom pre un silence pesant, un silence imposé. La
fem m e qui lutte, se débat, écrit pour dire q u ’elle existe et q u ’elle souffre est
J ’écris pour un m onde qui est plus enclin que d ’autres à som brer dans l ’oubli. Je
fais une épopée de l ’intérieur. Je sais q u ’on ne m e lira pas. D ’ailleurs, ce livre est
survie est bien com prise. Je suis née en voie de développem ent. Je vis en voie de
V oilà com m ent A ssèze essaie de cerner son acte d ’écriture. Il est avant tout, une
lettres q u ’elle adresse à des fem m es inconnues pour leur dire que « le m onde n ’est plus,
que la vie n ’est plus, seul règne le Rien » (27). Il ne sera pas étonnant de constater que
ses lettres n ’ont pas de destinataires précises, puisque c ’est l ’acte en soi qui est
déterm inant. À l ’instar d ’Assèze, elle écrit ses lettres plus pour elle-m êm e que pour
quiconque d ’autre. En écrivant, elle ne fait que converser avec son m oi intérieur,
néanm oins, elle voudrait sûrem ent partager ses réflexions avec ses pairs, ces fem m es qui
partagent avec elle une com m unauté de destin, de rêves et d ’aspiration. La narratrice
nous dit que « pas une fois, elle n ’a écrit à un hom m e. Cette idée m êm e n ’a jam ais
effleuré son esprit » (27). Peut être qu'elle se dit qu'un hom m e ne serait pas en m esure de
la com prendre. Le contenu de la lettre que nous avons cité ci-dessus pourrait lui paraître
absurde, dénudé de toute signification. D ’ailleurs, nous savons que depuis le lycée
36
« A teba avait toujours eu la réputation d ’être une cham pionne en raisonnem ent absurde.
Elle triom phait de ses adversaires en les entraînant dans des discussions pseudo
philosophiques qui se term inaient par des engueulades et un « V ous ne com prendrez
jam ais rien » qu elle lâchait d ’un air dépité » avant de s ’isoler dans son coin (26). Nous
présupposons que les interlocuteurs d ’A teba étaient du sexe opposé car com m e le dit si
W ithin or from their locked room s [or spaces], w hat these wom en [like Ateba]
have to say m akes no sense to those around them . T heir discourse is exclusively
“other”, incom prehensible to the hegem onic gram m ar of m ale authority that only
R evenant à sa lettre, nous pensons q u ’elle peut bien être com préhensible. Peut-on
castration, désirs ignorés ? Com m e elle l ’explique elle-m êm e, « seules com ptent les
paroles des autres : patrons, flics, coutum es. A bolies les sensations personnelles. Et le
tem ps passe grenu, dur, obstruant les gorges » (67). Cette im possibilité de s ’exprim er
qu'É loïse B rière nom m e glottophagie, on le retrouve chez T anga qui éprouve tout le mal
du m onde à « exprim er son m oi profond » et transm ettre son m essage: « Ces phrases
fem m e est souvent réduite au silence car l ’hom m e m onopolise la parole pour parler de
choses abstraites ou de théories qui lui sont faciles de fom enter m ais q u ’il s ’engage
rarem ent à m ettre en pratique. Face à un interlocuteur qui ne lui laisse aucune chance de
37
Ateba se tait. Elle continue de se taire. Elle adopte son air « tu as raison mais je
n ’en pense pas m oins » et elle l’écoute déballer ses salades, parler, parler, les
yeux dém ents, les narines folles, il ne se contrôle plus. Si elle ne fait pas attention
T radition (98).
E t c ’est parce q u ’A teba n ’en pouvait plus d ’écouter q u ’elle l ’arrête par la formule:
« trêve de bavardages, allons danser » (98), qui contient toute l ’am ertum e et le ras le bol
q u ’elle essaie de contenir. W ere were Liking a consacré tout un rom an-chant à cette
situation où la fem m e n ’arrive pas à s ’exprim er tant le discours m asculin est long et
encom brant ! Elle sera de Jaspe eî de corail est l ’histoire d ’une fem m e qui décide
d ’écrire un journal q u ’elle veut dédier « à la prochaine race » m ais qui, m alheureusem ent,
n ’y parvient pas. À la fin du rom an elle n ’a réussi q u ’à en rédiger neuf pages puisque les
discussions et les réflexions récurrentes de Grozi et de Babou ne lui ont pas perm is plus
D ’après une étude détaillée de Gallim ore, la fragm entation de la phrase chez
B eyala peut se lire com m e « une allégorie de la ruine, voire du chaos du processus
com m unicatif » (154). Le m onologue qui ouvre le rom an Tu t ’appelleras Tanga est en ce
sens une illustration. Face au m utism e de T anga q u ’A nna-C laude a du mal à supporter,
elle se fait narratrice et, selon les term es de Béatrice R angina G allim ore, « nous avons
l ’im pression que les m ots s ’échappent de sa bouche sans aucune logique réelle » :
Je vais m ourir, fem m e. Les blancs m eurent aussi, tu sais ? Plonger dans la mort
com m e dans la vie. Sans visa, sans passeport. Q ue faire ? L a m ort est abondante
38
un m archant son cahier de com ptes. Longtem ps, j 'a i refusé de m ’em m êler dans
ses calculs. Ce que je voulais, c ’était changer d ’univers. P artir avec mes affaires
dans un sac en plastique roulé sous mon bras. P artir vers des lieux sans terre ni
ciel (5)
et ainsi de suite, A nna-Claude parle et divague. Q uelle im portance si son sac de voyage
est en plastique ou en bois et que fera-t-elle dans des lieux sans terre ni ciel ? Cette
écriture, nous pouvons dire, est une révolte, une lutte contre et pour la parole car malgré
l ’oppression, les protagonistes de Beyala baissent rarem ent les bras ; définies comme
« autres », elles cherchent presque toujours les m oyens de se défaire de ce qui les étouffe.
En effet, dans C ’est le Soleil qui m ’a brûlée, Jean le séducteur catégorise les femmes en
« épousables » et « les autres ». « Les prem ières » nous dit-il, « sont belles, distinguées,
elles savent prodiguer le bonheur autour d ’elles » et les autres sont « celles que la
tradition récuse m ais qui poussent com m e des ronces sauvages » (48).
elle ne va pas se lim iter à sublim er son am our pour lui, elle se détourne définitivem ent de
tout ce qui est hom m e pour déverser tout son am our et sa tendresse aux fem m es (non
anti-fem m e) pour et par qui elle vit. Que cet am our soit authentique ou q u ’elle se le soit
Fem m e tu com bles mon besoin d ’am our [...] J ’aim e à t ’im aginer à mes côtés,
incohérent [...] J ’im agine ta nuit quand cesse à tes yeux l ’agitation triviale et q u ’à
39
ton visage transparaît la lim pidité de tes eaux. Tu m ’as appris la passion, la joie de
vivre. Sans toi je serais l ’om bre d ’une vie qui s ’excuse de vivre.
On peut déduire de cette lettre la m ultiplication par zéro de l ’hom m e qui se réduit à un
S ’il faut en croire Jacques Lacan, le désir de l ’hom m e (hom m e et fem m e) est le
désir de l’Autre, ce que V alentin N usinovici nous traduit par « le désir spécifiquem ent
hum ain à com m e seul objet le désir de l ’A utre et q u ’il est désir d ’être reconnu par lui »
On peut donc dire que la lettre d ’A teba traduit un refus de reconnaissance. Et nous savons
d ’après Hegel, à qui d ’ailleurs Jacques Lacan a em prunté sa form ule pour l ’appliquer au
garder sa position de maître. « D om ination does not repress the desire for recognition »
dira Jessica B enjam in (219) avant de souligner que « to recognize is to affirm , validate,
acknow ledge, know, accept, understand, em pathize, validate, take in, tolerate, appreciate,
see, identify with, find fam iliar, ...lo v e ». A pparem m ent, A teba détourne la relation de
reconnaissance qui ne va plus de la fem m e vers l ’hom m e m ais plutôt de la fem m e vers la
fem m e. Jean ou aucun autre hom m e ne pourra lire dans son regard la confirm ation de son
m ais nous reviendrons sur ce point ultérieurem ent. Ce q u ’il faut noter pour l ’instant, c ’est
19
http:// www.A-eud-lacan.com/documents/docs/vnusinovici050398.shtml
40
fem m e et en ce sens, la disponibilité d ’un espace ou d ’un lieu qu elles peuvent
Selon M ildred M ortim er « the attem pt to recover the protective hearth is integral
to the pro tag onist’s search for self-realization » (« W hose H ouse is this » 468). C ’est dans
l ’intim ité de sa cham bre, loin de la voix autoritaire d ’A da et de ses amants q u ’Ateba écrit
ses lettres. C ’est aussi dans cette m êm e intim ité spatiale qu elle se libère de ses tensions
sexuelles par la m asturbation pour se passer définitivem ent de l ’hom me. En effet, les
lum ière, retrouver la fem m e et abandonner l ’hom m e aux incuries hum aines » (82).
T anga quant à elle, s'enferm e pour écrire à un hom m e qu'elle ne connaît pas donc à tous
les hom m es qui usent d'elle, pour leur dire ses frustrations:
M onsieur,
V otre odeur m 'assaille et m'écœure. Les m ots d'am our vous m anquent. Pourtant,
votre sexe. D es cris sortent de ma bouche alors que m on ventre se tait. J'accueille
votre océan et lis mes blessures. C om m ent vous dire. M onsieur, la tristesse du
jard in sans fleurs? Vous payer cash. V ous détourner le regard. Vous regagner le
trottoir avec dans vos narines mes effluves vénériens. M erci, M onsieur! (52)
Bien que souvent défini com m e la place de la fem m e par excellence, le foyer
fam ilial offre peu de confort à la fem m e dans les rom ans de Beyala. Elle peut disposer
d ’une cham bre m ais pas d ’une m aison au sens ou Y i-Fu Tuan la définit en tant que
41
« space enriched with hum an experience and understanding “°». La m aison est lieu
d ’exploitation et d ’abus pour T anga au mêm e titre q u e l l e l ’est pour Ateba, S aida, la mère
de S aida et toutes celles qui sont m ariées. Com m e le souligne M ichelle M assalé, avec le
spécifiquem ent de l ’héroïne du rom an gothique elle écrit: « T he m arriage that she
thought w ould give her voice (because she w ould be listened to), m ovem ent (because her
status w ould be that o f an adult), and not ju st a room of her ow n but a house, proves to
have none o f these attributes » (20). On peut se dem ander ju s q u ’à quel point la situation a
réel cet « espace heureux » com m e le nom m e G aston B achelard, elles se le créent dans
l'im aginaire ou bien il s'im pose à elles. C ’est en prison que T anga et A nna Claude
trouvent l ’espace qui leur perm et de se penser et de se dire, ce que M ildred appelle
« inner journey that provides know ledges through self exam ination and m aturity through
personal transform ation » ( Journeys through the African N ovel 137). En l’absence d ’une
vraie m aison avec une vraie m ère, Ateba se réfugie dans l ’im aginaire, se rem ém orant ou
se créant des souvenirs pleins de tendresse et d ’am our qui n ’ont peut-être jam ais existés.
héroïnes de Beyala. L ’espace est nécessaire à la fem m e plus q u ’à aucun autre car du fait
m êm e de sa position sociale, son égo est plus lacéré q u ’aucun autre égo ; donc elle a
besoin de plus d ’espace pour rassem bler son moi fragm enté. A teba regrette le foyer que
B etty a déserté, faisant d ’elle un enfant sans enfance, alors que T anga essaie de retrouver
20
Cité par Mildred Mortier dans son article, 468
42
avec M ala, le petit garçon qu elle adopte com m e fils, l’enfance q u ’elle n’a jam ais eue.
l ’im pression q u ’à l’état actuel des choses, cet espace ne peut être que carcéral. Au-delà de
T anga qui a échoué en prison pour pouvoir se raconter et se saisir, nous savons que Ateba
va probablem ent y continuer ou term iner son « inner journey ». On pourrait parler d ’une
récupération de la part des protagonistes de l ’espace négatif que constitue la prison pour
en faire un espace positif et d ’action. D ans son livre. A u to u r du Rom an Beur, Michel
L aronde analyse le phénom ène de transform ation par les jeunes issus de l’im m igration
m aghrébine de l ’espace carcéral (prison, m aison de correction, asile, usine, école) pour en
panoptique, il n ’est plus surveillé m ais se surveille lui-m êm e. Ce que Laronde appelle la
« prolifération du panoptism e »,
réunion par un glissem ent du term e surveillant vers le term e surveillé qui rend
sim ultaném ent les deux rôles [..] le R egard se replie sur soi-m êm e pour assurer
ou m oins déguisée » (137), et c ’est ce qui est arrivé à Tanga. En prison elle échappe au
finalem ent y laisser sa vie. V u sous un autre angle néanm oins, sa m ort est un assassinat.
43
C om m e le fait rem arquer Anna-Claude, elles ont été tuées par la m ère, le pouvoir.
l ’affirm ation d ’une prise de pouvoir politique qui sert à dénoncer » (139).
Les personnages de Beyala développent toutes des discours de refus qui leur
perm ettent de se resituer dans l ’espace et le temps. L ’acte m eurtrier d ’Ateba peut être
interprété com m e le geste révolutionnaire qui seul peut m ettre fin à une fragm entation
crée par une existence non-choisie. Sélom k G hanou nous dira que « le personnage
m aintenant com m ent dans ses écrits Beyala subvertit-pour ne pas légitim er-la mère
patriarcale.
44
2.2.2 R E J E T D E LA M È R E P A T R IA R C A L E
Si Senghor, Cam ara Laye, D avid D iop ou Bernard D adier ont évoqué dans leurs
écrits un visage sublim e de la m ère q u ’ils se plaisaient à se rem ém orer au-delà des
années, des frontières et des océans ; si M ariam a B â a présenté au m onde une mère
adm irable qui se range du côté de sa fille, lui apportant confort et soutien m algré les
exigences d ’une société aux règles rigides ; si encore Sim one Schw arz-B art a décrit des
m ères au courage sans égal qui assum ent, seules, les charges de leurs progénitures dans
des foyers où les hom m es ne sont que de passage ; Calixthe Beyala, elle, nous peint des
m ères déserteuses, des m ères sangsues, des m ères bafoueuses de dignité. En effet, à
travers ses personnages, elle tente de dénoncer la mère patriarcale com plice de l’homme
qui assure, perm et et fait perdurer la dom ination du m asculin sur le fém inin. Il faudra
entendre par m ère patriarcale, la m ère phallique, celle que, selon Lacan, l ’ordre
sym bolique investit du pouvoir. Elle n ’est donc pas nécessairem ent la m ère naturelle.
de la com m ercialisation du corps de la jeune fille par ses parents, la m ère plus
particulièrem ent. Elle dénonce aussi la passivité des m ères face à l ’arrogance des pères et
rom pu le silence sur l ’exploitation des fem m es dans leurs corps. D ans son livre à
m ontrer com bien le corps était un lieu d ’oppression de m illiers de fem m es à travers le
45
en question des traditions, elles n ’étaient pas satisfaites de leur condition de femmes
m utilées.
T out à leur contraire, les héroïnes de B eyala n ’ont aucune gêne, elles pointent du
doigt, accusent et usent des m ots pour tenter de se libérer de leur dégoût et de leur mépris
m ais aussi, pour libérer leurs corps em prisonnés ou enfouis sous des « bananiers ». Voici
com m ent T anga décrit ses sentim ents envers sa m ère qui la soum et au rite de l ’excision :
ju s q u ’ici je n ’ai eu q u ’une honte, la vieille m a mère. Cette honte est mon souffle
kaba im m aculé, un fichu noir dans les cheveux, criant à tous les dieux :
-Elle est devenue fem m e, elle est devenue fem m e. Avec ça, ajoute-t-elle en
psychique et après cet acte, elle fait part aux hom m es que désorm ais ils peuvent
s ’approprier le corps de sa fille, com m e elle-m êm e venait de le faire; elle leur appartient!
dem onstrates that clitoridectom y does not only define her daughter as a woman, i.e., she
has crossed over from childhood to w om anhood, but also captures the right that this act
gives m en to possess T anga’s body”( 104). D ’après des études effectuées, il s’avérerait
que l ’excision ou l ’initiation à la sexualité est plutôt égale à la m ort sexuelle. Cosm e
46
Si circoncire et exciser, c ’est dans les deux sens, retrancher du corps hum ain une
partie de lui-m êm e, les deux form es d ’ablation sont dissem blables du point de vue
anatom ique : on enlève chez l’hom m e un m orceau de peau tandis q u ’on supprime
à la fem m e un organe, si bien q u ’à titre com paratif, on peut dire q u ’au niveau
G allim ore conclut de là que « l ’excision ou l ’ablation du clitoris est une m utilation
physiologique qui dérobe à la fem m e la plénitude de son plaisir sexuel » (72). Quoi q u ’il
en soit, T anga soutient qu elle est sortie de cette épreuve dépossédée d ’une partie d ’elle-
m êm e m ais stoïque puisqu’elle n ’a versé aucune larme : « J e n ’ai pas pleuré. Je n ’ai rien
dit. J ’héritais du sang entre m es jam bes. D ’un trou entre m es cuisses. Seule me restait la
loi de l ’oubli » (20). Elle aurait pu com pter sur les m annes de l ’oubli si sa m ère s ’était
lim itée à ce forfait m ais, elle se rendra à l ’évidence quand elle la je tte dans les rues pour
q u ’elle m onnaie sa chair. A insi, non contente de m utiler sa fille, elle en fait un objet, une
m achine à plaisir q u ’on se paie. C hosifiée, Tanga perd tout contrôle de son corps et se
robotise : « J ’am enais m on corps au carrefour des vies. Je la plaçais sous la lumière. Un
hom m e m ’abordait. Je souriais. Je suivais. Je défaisais mes vêtem ents. Je portais mon
corps sur le lit, sous ses m uscles » (15). Cependant, ce n ’est pas sans am ertum e q u ’elle
constate son objectification et le cœ ur touché, elle accuse. Si H assan fait la ronde autour
d ’elle, « com m e les enfants autour de l ’arbre de Noël » (29), c ’est parce que la vieille la
m ère le veut, le perm et et plus encore, elle l ’exige. T anga est « fem m e-fillette », « enfant-
parent », parent de ses parents qu elle doit nourrir non pas à la sueur de son front mais au
bafouillage de son corps. E t ainsi, elle dénonce et elle accuse : « T anga », se parle-t-elle
47
avec tristesse et haine, « C ’est la faute du vieux et de la mère si tu es condam née à la
boue » ( 124). Ailleurs elle s'écrit: «Ma m ère ne voyait pas l'arbre endeuillée que j'étais,
l'arbre dressé dans la nuit » (46). Indéniablem ent, avec Tu T ’appelleras Tanga Beyala
Un autre mythe que Beyala attaque dans ses oeuvres est celui de la virginité.
Aussi bien dans C ’est le soleil qui m ’a brûlée, Lxi négresse rousse que dans Assèze
l ’A fricaine, les héroïnes sont toutes soum ises au rite de l ’œ uf pour la vérification de leur
virginité. A ssèze se souvient q u ’elle ne restait pas trente jours sans passer au test :
« grand-m ère s ’acharnait à faire de moi une épouse. Tous les m ois, je subissais l ’épreuve
de l ’œ uf » (20). On peut com prendre l’obsession de la grand-m ère car la mère d ’Assèze
est tom bée enceinte peu avant son m ariage. Ce qui a entraîné l ’annulation de ce dernier et
l ’obligation pour sa m ère de rem bourser la dot déjà em pochée et consom m ée. Pour cette
raison, et parce q u ’aussi le corps de sa fille représente de l’argent pour elle, la grand-mère
d ’A ssèze en veut à m ort à sa fille et répète avec am ertum e q u ’elle leur a fait tout perdre.
Si seulem ent sa fille avait su garder sa virginité et se m arier avec le riche Awono!
Ada, la tante-m ère d ’A teba souhaite aussi que cette dernière se conserve pour
q u ’elle puisse espérer une dot considérable. Elle qui change d ’am ants com m e elle change
de vêtem ents, n ’hésite pas à traiter de « pute » A teba qui s ’est perm is de sortir sans l’en
avoir avisée, et m aquillée de surcroît. La crainte q u ’elle ait pu avoir une relation avec
Q u ’elle s ’en aille... Q u ’elle parte où elle veut... Je ne veux plus la voir... Je
l ’oublie... Je la renie... E lle n ’est plus m a fille. D ’abord le nom ... dem ande-lui
48
d ’abord le nom de l’hom m e [et tout d'un coup] M es sous... M es sous... Q u ’elle me
rem bourse tout ce que j ’ai dépensé pour elle... Elle va me tuer... Ingrate » (51).
Et ainsi de suite, elle s ’affole craignant avoir perdu un capital. De ce fait, la virginité
apparaît pour les m ères com m e un investissem ent qui doit rapporter gros ; elles y veillent
com m e une action placée à la bourse des valeurs. T anga dira q u ’elle scellait entre les
jam bes « à titre de capital, une virginité encom brante » (65). D ans son livre je, tu . nous
Luce Iragaray développe l ’idée selon laquelle la virginité doit être conçue com m e
appartenant au dom aine spirituel avant d ’affirm er q u ’elle est m alheureusem ent devenue
de nos jours, un objet de com m erce entre parents et futurs m aris (116). Sans aucun doute,
la virginité doit être repensée et considérée com m e une possession de la fem m e qui en est
m aîtresse et responsable.
seulem ent les m ères pouvaient se douter, au-delà des peines physiques foudroyantes
q u ’éprouvent leurs filles lors de ses vérifications (régulières ou espacées), de toutes les
ém otions qui naissent en elles pour ne jam ais les quitter, elles cesseraient peut être une
J ’avais quant à moi expérim enté la chose, à cet instant où elle m 'av ait pénétré
bafouant par là m êm e m on honneur. J ’en avais éprouvé tant de honte que dès lors
Q uant à A teba qui devait la subir pour que sa tante sache où elle en était de son
investissem ent, elle en perdit presque la conscience. O n dirait que pour supporter
49
Un excès d ’am ertum e s ’em pare d ’elle et la soum et au rite de l'œ uf... Elle cesse de
com prendre q u ’elle a un corps, que des doigts la fouille, que le contact de l'œ u f
est froid, que la vieille est m alodorante com m e un tas d ’ordures. Travail achevé
en deux m inutes? En dix heures? A teba ne sait plus. A teba ne veut pas savoir. La
voix chevrotante de la vieille clam ant q u ’elle est intacte la sort de son
engourdissem ent torpide. Elle ouvre les yeux sur la mine triom phante d ’Ada (54).
Après cette épreuve, A teba se pose la question : « Si Ateba est la fem m e, est-elle aussi
A da ? ». On se rappelle que son « M oi-âm e » nous avait dit q u ’elle, Ateba, était toutes les
fem m es et toutes les fem m es étaient elle. M aintenant elle doute pu isq u ’elle ne peut
expliquer com m ent Ada, la fem m e, peut faire subir à Ateba, la fem m e, une telle torture
et une si grande hum iliation! Ainsi, Ateba va lui nier à la fois et la qualité de femme et
celle de mère. Son esprit revient à tout détour vers Betty l’absente, et elle regrette à tout
instant « son enfance tom bée trop tôt » (55). Elle pense que si Betty était restée tout serait
différent et peut être bien que oui, m ais elle l’a abandonnée pour suivre un homme. Alors,
elle peut toujours essayer de localiser « son ailleurs caché » sous ses secrets (54).
Ceci, pour m ontrer que la critique de Beyala ne se lim ite pas seulem ent à la mère
dévorante m ais s ’étend à la mère déserteuse et à celle passive qui supporte tout de
M êm e si elle n ’a pas déserté le foyer fam ilial, la m ère de T anga n ’est d ’aucun
soutien pour sa fille. Elle laisse le père incestueux abuser de sa progéniture sans rien dire
et au bout du com pte, lorsqu’elle se retrouve avec un ventre ballonné, elle « embobine
tout le m onde avec l ’étem el conte de l ’enfant venu on ne sait d ’où, de la gamine
perverse » (46). En effet, c ’est la gam ine de douze ans qui reçoit le qualificatif et non le
50
dem i-dieu. C om m ent pourrait-elle la défendre d ’ailleurs, elle qui n ’a su se défendre et se
faire respecter par le vieux le père! Pour ju stifier son infidélité, ce dernier l ’insulte et la
dénigre et elle, com m e le décrit Tanga « l’air d ’un gosse débile, écoutait ram assée sur
une natte, sans révolte » (45). Cette description de la fille cam oufle mal son amertume et
sa rancœ ur face à la passivité de la mère qui, en plus du déjà m entionné, accepte qu'il
am ène ses m aîtresses sous le toit familial. Q uand elle n ’en peut plus, la mère espère, en
elle riait, disait que l ’hom me a péché contre la fem m e et que la punition devrait
être égale à l’étendue de la faute. Elle disait que de leurs arbres, les ancêtres
descendront pour laver la faute m ais q u ’il faudrait une nouvelle marque de
Joseph N dinda com m entera ainsi que « la m ère sym bolique et réelle n ’est pas
m agnifique. Elle est la figure tragique représentant des coutum es ancestrales désuètes qui
L ’une de ses coutum es privilégie à tous les niveaux le m asculin sur le féminin.
l ’écœ urant. E lle est convaincue q u ’avec la naissance de celui-ci, la m isère va lui faire ses
adieux. E t com m e on peut s ’y attendre, elle lui consacre toute son attention et tout son
am our, oubliant du coup que sa fille aînée n ’avait pas encore rejoint les ancêtres. Blessée,
51
Je com pris q u ’elle était désorm ais avec lui, et que m oi, elle m ’avait effacée. Elle
avait dit que c ’était un garçon, donc un hom m e, et un hom m e peut faire ce q u ’il
veut : rester im m obile pendant trente-six heures d ’affilée et attendre que la nuit
tom be ; com battre victorieusem ent un pangolin à m ains nues ; regarder rôtir les
tripes d ’un frère au soleil sans pleurer, pour que ce frère sache ce q u ’est justem ent
un hom m e, et c ’est bien ; bien tout ce q u ’il fera, bien tout ce q u ’il dira, bien tout
ce q u ’il ne fera pas, bien le mal q u ’il fera. Je claquai la porte et sortit en courant
(140).
On lit entre ces lignes une critique acerbe de la m asculinité et le ras le bol d ’Assèze
coïncide avec celui de l ’écrivaine. Par leurs actes et leurs paroles, ces m ères que
Loin d ’être une figure positive, la mère patriarcale qui perpétue ces pratiques est
l’ennem i redouté, l ’obstacle à franchir par la jeune fem m e pour accom plir sa libération.
Chez Beyala, cette libération passe nécessairem ent par l’annihilation de la femme
« anti-fem m e », la m ère patriarcale, com plice de l ’autorité m asculine. Ceci devient patent
l ’indestructibilité du lien de sang! Bêtise de croire que l ’acte d ’exister dans le clan
am arrons notre bateau! [...] Com m e le tem ps, com m e l ’oracle, je suis im m obile
m algré le désir de la vieille m a m ère de m ’im poser des repères pour m ieux me
52
T anga doit couper les liens qui la relient à la mère pour renaître et devenir autre que ce
q u 'e lle veut faire d ’elle : m ourir pour renaître : « un acte de naissance ». C ependant, étant
donné que la mère n ’est q u ’investie de son rôle par la société qui fait d ’elle la gardienne
des traditions, rom pre avec la m ère revient à rom pre avec la société. Inéluctablem ent
n ’hésite pas à vivre cette m arginalisation q u ’elle sem ble préférer à ce qu'on veut lui
T R A N C H ER . Couper. D onner un coup de pied dans la fam ille com m e dans une
respecte plus aucun tabou. La haine et la violence des propos indiquent aussi une
rom pre avec la mère, la fam ille ou la société et de tourner une page de sa vie.
La prem ière phrase que prononce A teba dans C ’est le soleil qui m ’a brûlée est
une négation de la mère: « Ada n'est pas m a mère » (11). Sym boliquem ent, elle rejette la
relation m ère/fille que Jean et la société établissent entre A da et elle. É tant donné qu'Ada
est une m ère substitut, il lui est facile de la rejeter ; elle n ’arrête pas de fantasm er sur ce
q u ’aurait été la vie avec Betty. M ais com m e nous l ’avons vu avec Tanga, les relations
m ères/filles sont plus des relations sociales que biologiques. P ar ailleurs, avant leur
séparation, A teba était « enfant-parent ». C ’est elle qui soignait Betty, la servait, la
défendait contre ses am ants, sans oublier le soutien moral q u ’elle ne cessait de lui offrir.
Enfant, étendue sur son lit, les yeux grands ouvert, A teba attendait Betty. Elle
laissait décroître les bruits de la nuit et la lum ière se diluer à travers les interstices.
53
Alors, elle quittait sa cham bre à petits pas pour ne pas faire de bruit. Elle
Betty revenait ou ne revenait pas A teba attendait. Q uand elle revenait [...] Ateba
ouvrait ses bras pour l ’accueillir et la conduisait ju s q u ’à sa cham bre [...] Elle se
réveillait [...] A teba lui préparait son café [...] et quand elle avait fini de boire, elle
Peut être que si elle n ’était pas partie, elle se serait lassée de la servir de la m êm e manière
que T anga s ’en est lassée et com m e elle-m êm e en avait assez d ’être la bonne à tout faire
Certes, elle obéit com m e toujours et, com m e toujours, elle lave, elle cuisine, elle
m asse. M ais, en son dedans, naissent d ’autres discours q u ’elle s ’acharne à garder
de peur d ’Ada, des autres et surtout d ’elle-m êm e [...] elle construit des barrages
pour l ’endiguer [..] elle lutte et pourtant elle sait q u ’un jo u r viendra une marée
C ette m arée est la m ort de son amie. D ’un geste révolté qui terrasse toute peur en elle,
elle oublie Ada, ses fureurs et ses tests, pour se débarrasser de sa virginité et de l’homme
qui a em porté son am ie et pour qui, au bout du com pte, tout est régi en sa faveur et pour
son plaisir. D éfiant la m ère et la société, elle se m arginalise et les portes de la prison
s ’ouvrent sur elle. Peut être en ce lieu elle trouvera l ’espace « bachelardien » qui lui
m anquait chez Ada. E t à ce m om ent seulem ent cette dernière pourra crier q u ’elle la
m éprise sans pour autant avoir le privilège de la chasser. « E lle m e m éprise [...] Q u ’elle
54
Adrienne Rich nom m e m atrophobie le désir de la fille de se libérer du lien
G allim ore
peut se concevoir com m e une auto-scission fém inine dans le désir de nous
débarrasser une fois pour toutes du joug m aternel pour acquérir plus d ’autonom ie
désespérée de savoir où se term ine la mère et où com m ence la fille, nous réalisons
A insi pour leur survie, les héroïnes de Beyala n ’ont d ’autre alternative que cette chirurgie
qui doit leur perm ettre d ’entrer en (re)possession de leur corps afin q u ’elles puissent
exister et se définir selon leurs propres termes. Ainsi nous voilà prête à exam iner ce
55
2.2.3 L A R E C O N Q U Ê T E DU C O R P S E T D E S O I
L a m ère patriarcale confisque le corps de sa fille parce que son corps à elle a été
confisqué et avant elle celui de sa m ère l ’avait été et ainsi de suite. Luce Irigaray raconte
q u ’une am ie italienne lui a confié que, par expérience, elle sait que toutes les mères sont
m échantes. D ans le cadre de son travail, des fem m es plus âgées q u ’elle et qui avaient
presque toutes des enfants, n ’ont cessé de l’intim ider, de la blesser, en gros, de lui faire
I think it’s ... the result of w hat right to existence society accords to wom en who
have suffered giving birth. From w om en’s point of view, I w ould call it a one-way
ordeal. W om en don’t m ake the return journey, or at least, m ost of them do n ’t.
l’aider à rom pre la chaîne. Certainem ent, elle n ’aim erait pas que l'enfant subisse les
horreurs q u ’elle a eues à souffrir : « On ne peut pas échapper aux lois de la vie, on ne
peut pas. Les saisons se succèdent. Le pied gauche s ’accorde au pied droit, l’œil droit à
l’œ il gauche. Et ça continue ainsi, inlassablem ent et ça ne s ’arrête jam ais. Il faut briser
cette chaîne. Aide moi à la briser... , aide-m oi à protéger notre enfant » (288).
chaîne n ’est pas chose facile et requiert beaucoup de courage et d ’audace de la part de
celle qui veut l ’entreprendre. Les héroïnes de Beyala, chacune à sa m anière, vont tenter
l ’expérience et on a l’im pression que les unes réussissent alors que les autres s ’arrêtent en
56
reconquérir le corps, est l’aboutissem ent d ’une prise de conscience q u ’une crise finit par
déclencher. La reconquête du corps devient ainsi l ’ultim e phase d ’une recherche de soi.
D éflorée par son père à l’age de douze ans, puis poussée et entretenue dans la
prostitution par une m ère dévorante, T anga est restée, ju s q u ’à l ’âge de dix-sept ans, la
chose de ses parents. Progressivem ent, elle cherchera à se libérer de leur étreinte
Très tôt elle a su défier son père qui se voulait m aître de sa vue et pourquoi pas de
enfant doit garder les yeux baissés. » Et j ’ai toujours tout regardé [...] je regarde, je suis
forte, je suis la puissance, je peux, à l ’insu de tout le m onde, traquer une jam be, une
cheville, un pied » ( 16-7). Ce qui procure à T anga sa puissance n ’est certainem ent pas la
sim ple fixation de ses jam bes, chevilles ou pieds m ais plutôt l ’autorité niée de son père,
rien... n ’éprouvai[t] rien », m êm e si son corps s ’était à son insu « peu à peu transformé
événem ent ou avènem ent q u ’on peut qualifier de crise chez elle, p u isq u ’il n ’est pas dans
l ’ordre des choses q u ’une prostituée s ’attache affectueusem ent à un ou des clients, va
sem er le désordre en elle. E lle se regarde et ne voit que ce q u ’on a fait d ’elle,
une fem m e-fillette du départ. Une histoire qui passe sans vie, dans toutes les vies.
U n amas de chair déversé par les dieux pour annoncer la venue de la femme, une
57
De découverte en découverte, Tanga se met à détester, à accuser, surtout à désirer. Son
présent lui pèse et l ’avenir sem ble im pénétrable. Enferm ée dans l ’im aginaire, le
conditionnel s ’im pose à elle, et toute lucide, elle rejette le passé pour entrevoir l ’avenir :
J ’aurais aimé lui dire : je n ’ai plus envie de partir nulle part, au hasard, trop de
vide résonne encore sous m es pas. J ’aurais aim é lui dire : je veux troquer mes
rêves, j ’ai envie d ’une m aison aux fenêtres bleues, d ’un lit, de la mêm e voix
J ’aurais aimé dire le café, des cris d ’enfants, le chien, la pie au bout du pré.
décide de retirer son corps « au carrefour des vies », pour se lancer vers la reconquête
d ’une virginité perdue bien longtem ps. «D ésorm ais », clam e-t-elle avec déterm ination,
je m 'arm erai contre le m alheur, j ’arrangerai mon histoire [...] pour me dérober
aux réalités, aux m iasm es inhalés chez la vieille m a m ère, j ’entrerai dans le
et sept nuits. Puis, j ’ém ergerai vierge de ces eaux purificatrices et glisserai dans
C om m e le suggère Luce Irigaray, la femme naît certes vierge, m ais elle doit aussi
apprendre à la devenir en vue de libérer son corps et son esprit des entraves culturelles et
58
For me, becom ing a virgin is synonym ous with a w o m an ’s conquest of the
spiritual. A nd it’s not always a m atter of gaining som ething m ore but one of being
capable of som ething less. Feeling m ore free vis-à-vis your fears, your fantasies
about others, freeing yourself from useless know ledge, possession, and obligation
V raisem blablem ent, c ’est à cette virginité iragarayenne que T anga fait référence et c ’est
elle q u ’elle veut conquérir. Ce ne sera ni la réunion fam iliale tenue pour l ’am ener à la
« raison », ni les m alédictions de sa mère qui vont l ’en détourner. Q uand cette dernière
accom plit le rite d ’exécration consistant à faire tom ber quelques gouttes de lait maternel
par terre, T anga les récupère et se lèche les doigts. Cet acte de défi trouble la mère au
point quelle crie à la sorcière et à l ’assassinat ; « Sorcière! Sale sorcière! Tu veux rentrer
dans m on ventre par les pieds! Au secours! Elle veut me tuer. M on D ieu...M on Dieu »
(58). Effectivem ent, T anga souhaiterait retourner dans ce ventre et puis renaître, vierge
de toute aliénation.
Parce que T anga cherche par tous les m oyens à m ettre fin à la com m ercialisation
de son corps, et parce que toutes les prostituées qui ne se sont pas engagées dans cette
voie de reconquête finissent leur vie de m anière prém aturée (Irène m eurt d ’avortem ent ;
Ekassi brusquem ent et de cause que l ’on ignore ; L aetitia se suicide), nous ne pouvons
pas nous accorder avec B éatrice Rangira G allim ore pour affirm er que dans l ’œuvre de
B eyala « la prostituée apparaît com m e une figure positive » (88). Son argum entation
repose principalem ent sur la désérotisation du corps. Selon ses term es « la prostituée
refuse d ’être un être qui fait jo u ir en adoptant la désérotisation volontaire de son propre
59
(89). Certes, la prostituée a une certaine attitude distante envers l'hom m e qui la sollicite
m ais, pouvons-nous parler de « dissociation »? Elle peut avoir « la volonté » mais sur le
présence. Elle peut s ’absenter m oralem ent et se robotiser com m e fait Tanga m ais à notre
l’aura, q u ’elle la partage ou non. De par sa présence m êm e, elle y participe, elle le lui
procure. N ous ne pouvons pas donc lire une grande subversion dans la seule
désérotisation d ’un corps qui reste soum is à tous les assauts. En retirant son corps du
m arché, T anga accom plissait le geste libérateur. D élivrée des incitations et des
injonctions de sa mère, elle peut penser à son avenir. M alheureusem ent pour elle. Hassan
n ’est pas prêt pour le m ariage m ais son passage dans sa vie n ’aura pas été sans
im portance. Grâce à lui elle a pu se ressaisir et se faire une nouvelle vie, une nouvelle
identité.
Elle peut ne plus se définir en tant que « fem m e-fillette » et se nom m er « mère-
fillette », « m ère-enfant », ou toute autre com binaison où préfigurera « m ère » car, dans
cette page neuve du livre de sa vie, le m ot y est transcrit en gros caractères. En effet, pour
s ’occuper, m eubler le vide de ses jours où elle n 'a plus à parcourir les rues, ou pour
expérim enter cette étape de la vie q u ’on nom m e enfance et q u ’elle n ’a jam ais eue, ou
sim plem ent, à la recherche d ’un rem ède pour son coeur saignant de m anque d ’affection,
et peut être pour toutes ses raisons à la fois, T anga s ’est voulue m ère. Ce ne sera pas sans
peine qu elle réussit à vaincre les réticences de M ala ou pieds-gâtés q u ’elle adopte
com m e fils. D ans ses souvenirs, ces m om ents passés avec l ’enfant « fils de personne »
60
devenu le sien, ont été les plus heureux de sa courte vie. « D urant cette période », confie-
t-elle à A nna-C laude, « j ’avais la sensation du bonheur. Pieds-gâtés était mon fils. Il se
collait à m a poitrine. Il disait : - J ’ai faim. Ma. Je sortais un sein. Il tétait. Il s ’endormait.
Je m e souciais de son bonheur dans mon bonheur » (180). G râce à l ’am our de M ala,
T anga a eu pour une prem ière fois, l ’apparence d ’une vie heureuse qui peut se justifier. A
sa m ère qui s ’indigne de son abstinence obstinée, elle aurait aim é répondre que « Mala,
l ’enfant aux pieds-gâtés a ferm é [son] sexe avec sa tendresse m orveuse » (181).
contradictoire que cela puisse paraître, cette attitude est en conform ité avec l’esprit de
reconstruction dans lequel elle s ’est engagée. T anga veut être m ère quand c ’est son choix
et q u ’elle le désire. Elle n ’a aucunem ent l ’intention d ’être une terre généreuse qui fait
pousser les sem ences d ’un m onsieur qui espère faire une bonne récolte. Cul-de-jatte est
un m arginal qui s ’est fabriqué une société d ’enfants bien organisée q u ’il exploite. Tanga
s ’est fait kidnapper lors d ’une « tournée ». De peur de m ourir sans laisser de progéniture
qui puisse continuer son oeuvre, il veut que T anga lui donne un fils. Ce q u ’elle refuse par
la réplique im agée que voici : « Je ne veux pas me m ultiplier. C ’est le rôle du vent, de la
pluie. Il appartient à l ’un de déblayer, à l ’autre d ’ensem encer, de nourrir la vie. Tant
d ’enfants traînent par la ville! Je déteste alim enter les statistiques » (166). Tanga rejette
ici l ’association « terre-m ère », rejet q u ’on peut percevoir com m e une m anière de se
déchosifier. D ’autre part, on pourrait dire q u ’elle veut être m ère m ais ne souhaite pas
enfanter. L a raison qu'elle donne est classique, concevable m ais peut être aussi q u ’elle a
l’im age de ces « fem m es-m ères » que H assan lui a décrite pour la décourager à vouloir
se m arier : « H évoque les fem m es-m ères, assises sous la véranda, le ventre flasque. D dit
61
leurs seins bas, leur voix acide d ’épouses déçues et qui peu à peu som bre dans le
m utism e » (130). Ou pense-t-elle aux « pondeuses », ces fem m es qui assum ent avec fierté
pour « service rendu à la patrie » et qui peut ne jam ais être offerte, com m e c ’est le cas
avec la vieille la m ère qui la réclam e désespéram m ent (83). Le refus de T anga d ’enfanter
pourrait être aussi assim ilé à une volonté de vouloir épargner de la peine à l’enfant ou aux
enfants qu elle aurait pu m ettre au monde. En effet, com m e le suggère Irigaray, la haine
dirigée à l’enfant est parfois en rapport direct avec les douleurs de l’enfantem ent. Cul-de-
jatte ne la dem ande pas en m ariage mais, m ariée ou pas m ariée, la fonction principale que
presque toutes les sociétés assignent à la fem m e est celle de reproduction. À l’instar de
toutes les fém inistes, Beyala va signifier que fém inité ne rim e pas nécessairem ent avec
m aternité (m ais phonologiquem ent si!). Juliana M akuchi N fa-A bbenyi dira que “Beyala
articulates a liberatory sexual politics, one that need not necessarily define wom anhood in
Sur ce, nous dirons q u ’à l ’heure de l’em prisonnem ent T anga avait fini sa
conquête du corps et sa redéfinition. Dans l’enchaînem ent, elle libérera la parole avec
l’aide d ’A nna Claude. Ainsi, nous pensons q u ’elle m eurt tout en accord avec elle-m êm e ;
ce qui devait être fait a été fait et ce qui devait être dit a été dit.
fem m e pour explorer d ’autres horizons, d ’autres possibilités de relations à soi différentes,
sinon divergentes de celles q u ’on lui prépare. Une autre m anière de s ’affirm er est le
refus du m ariage. L ’institution m atrim oniale est en effet vu par certains com m e le plus
astucieux procédé q u ’ait inventé l’hom m e pour assujettir la fem m e. C onsidéré comm e un
62
com m erce entre hom m es, le m ariage séquestre et em prisonne le corps de la fem m e dans
une servitude program m ée pour durer à vie. Dans son livre, Ce sexe qui n ’en est p a s un.
la fem m e est traditionnellem ent valeur d ’ usage pour l’hom m e, valeur d ’échange
entre hom m es. M archandise, donc. Ce qui la laisse gardienne de la m atière, dont
le prix sera estim é à l ’étalon de leur travail et de leur besoin-désir par des
« sujets » [...] les fem m es sont m arquées phalliquem ent par leurs pères, maris,
proxénètes » (31).
D ’après ce discours et d ’autres sem blables, l ’hom m e qui offre une dot à sa future femme
ne fait que l’acheter d ’un père, frère ou m ère patriarcale. A insi, on peut com prendre
pourquoi le thèm e de la dot revient sans cesse dans l ’œ uvre de Beyala. Si les m ères de ses
protagonistes s ’acharnent à faire conserver à leurs filles leur virginité, c ’est apparem m ent
La fille qui n ’a pas su se garder n ’est pas bien dotée, et si par m alheur une m am an, ou
grand-m ère a dévoré l ’argent avant le Jour-j, alors que m onsieur a été devancé, il faudra
payer d ’une m anière ou d ’une autre. Dans A ssèze l ’Africaine, A w ono réclam e la venue
d ’A ssèze chez lui pour tenir com pagnie et servir de m odèle à sa fille com m e
rem boursem ent. De m êm e, dans La négresse rousse, B ertha doit renoncer à son bébé
q u ’elle vient de m ettre au m onde parce q u ’elle ne veut pas du m ari que sa m ère lui a
choisi et q u 'e lle a décidé de quitter. M égri raconte : « Elle avait porté plainte. Le juge
De cette expérience, Bertha, la m ère de M égri, va ju rer sur le m ariage. E lle vivra
pendant treize années, une relation polyandrique avec un pygm ée et un bâtard gréco-
63
bantou, plus des infidélités à en plus finir. Sans être une reconquête de soi, ces relations
A près le départ du gréco-bantou - qui ne peut plus souffrir ses hum iliations - et la
m ort du pygm ée d ’un arrêt cardiaque occasionné par un excès d ’am our et peut être de
haine, B ertha fut dans l’obligation de s’arrêter et de se penser. L a tâche lui sera d ’autant
plus facilitée q u ’on l ’accuse de la m ort de son amant. A u m om ent de quitter sa maison
toute m a vie j ’ai voulu devenir une autre, je ne sais qui m ais je voulais devenir.
A près cette prise de conscience, le courage va lui venir : elle décide de rester et
d ’affronter ses juges. Elle choisit aussi ce m om ent pour rendre com pte à sa fille des
erreurs de sa vie :
toute m a vie j ’ai fui et j ’en ai marre! (Elle cracha) J ’ai fui la responsabilité de
t ’élever sans père. (Elle cracha). J ’ai fui la faiblesse de l’H om m e : avec deux
am ants, l ’un com plétait les m anques de l ’autre (Elle cracha). A ujourd’hui j ’en ai
A insi la crise lui a perm is de réfléchir sur les choses, principalem ent sur son état de
Seulem ent, pour une histoire d ’argent et de dot, elle a voulu pousser sa fille vers un
m ariage qu elle abhorre. On peut donner raison à Irigaray qui disait que la plupart des
64
fem m es ne se rem ettent pas de leur traum atism e et q u ’elles essaient toujours de faire
payer d ’autres, spécialem ent leur(s) fille(s) {Je, tu .nous 102). C ’est cette volte-face que
C ependant, M égri ne se soum ettra pas au désir de la m ère ; elle prend la fuite le
jo u r de son m ariage. Les réflexions pleines d ’ironie q u ’elle consacre à sa fugue, dénotent,
une fois de plus, le caractère m ercantile du m ariage : « J ’avais volé m a personne. Il était
norm al que l ’on cherche à restituer l ’objet volé à son véritable propriétaire » (292). Elle
ne sera pas restituée à son prétendu « véritable propriétaire », m ais elle sera chassée du
village où elle s ’était réfugiée. N éanm oins, c ’est toute décidée q u ’elle affirm e son
intention de se refaire une vie où elle ne sera le bien de personne : « J ’em prunterai le
chem in de ces collines pour dépasser la triple servitude de l ’am our, de la femme, du
destin. Oui dem ain j ’irais à Paris... [...] Je reconstruirais m a vie. Je bâtirais d ’autres
projets... » (310).
Si M égri pense que se défaire de l’am our (am our de l ’É tranger et non du mari
im posé) est une voie de libération, M ’am m aryam , personnage principal du rom an M aman
a un amaijt, cherche à le retrouver pour l ’affirm ation de son moi. Puisque dans les deux
cas les protagonistes sont à la recherche d ’un soi identitaire, il nous faudra convenir q u ’il
n ’existe pas une identité fém inine qui est là prête à être recueillie m ais que chacun se la
fabrique, ce qui peut poser problèm e quand B eyala veut enferm er tout le m onde dans
l’enclos d ’un fém inism e universel. Nous allons ainsi voir com m ent M ’am m aryam ,
65
D ’une m anière générale, on voit par le titre du livre que B eyala veut déconstruire
une certaine pratique qui voudrait dissocier sensualité et m aternité. C e n ’est pas en effet
M ’am m aryam veut retrouver les gestes d ’am our et de tendresse que son mari,
A bdou, a cessé de lui tém oigner depuis que son ventre refuse de m ettre au monde
quelque progéniture que se soit. Contrairem ent à l ’habituel que des écrivaines comm e
Raw iri et N w apa ont peint avec réalism e, M ’am m aryam n ’est pas handicapée par ce
phénom ène naturel et ne s ’en blâm e pas. E lle condam ne plutôt l ’anim alité des relations
qui n ’ont pour finalité que la reproduction et elle clam e sa révolte : « Avec ma tête, j ’étais
bonne pour la reproduction, non pas les caresses » (61) et plus loin : « fem m e enracinée
dans le passé, je ne dois pas chercher l ’amour. J ’ai désobéi, et j ’ai cherché l ’am our »
( 183 ). E lle va trouver cet am our lors d ’un voyage fam ilial en cam pagne quand elle se
qui est l ’innocente voix narratrice de cette histoire. C ependant, c ’est à travers ses lettres
q u ’on a une plus grande connaissance de l ’héroïne et des raisons qui la poussent à l ’acte
conjugale pour rejoindre son am ant, la com m unauté africaine bellevilloise s ’indigne
q u ’une fem m e soit aveuglée par l’am our pour oublier ses obligations, et les hom mes
coupable de trouver le relais de tendresse q u ’A bdou m e refusait » (238). Il faut dire q u ’en
A frique la fem m e qui cherche le plaisir est m al vue. T oujours passive, elle est supposée
ne rien entreprendre et tout subir. L a fém iniste L aetitia dira dans La négresse rousse :
66
Q u ’une femme puisse avoir des pensées, un sens aiguisé de la perception des
choses, développer une stratégie m entale subtile et prétendre être totalem ent
Elles racontent que vous êtes d ’une perversité confondante, une nym phom ane
Q uand on attend d ’elle q u 'elle soit une m achine à reproduction, M ’am m aryam se voit en
individu qui a droit à la jouissance. Nous lisons donc en ce rom an, un appel à la
reconquête du plaisir. On se dem ande seulem ent, puisque Beyala a opté de la m arquer
religieusem ent, pourquoi elle n ’a pas choisi le divorce à la place de l ’adultère. Ceci ne
soit, M ’am m arayam va retourner chez son mari et s ’il faut l’en croire, son retour est
uniquem ent m otivé par l ’am our q u ’elle éprouve pour ses enfants adoptifs : ce qui prouve
q u ’elle n ’est pas une obsédée sexuelle. Le fait q u ’elle a quitté un hom m e pour en
rejoindre un autre et q u ’elle finit par lui revenir pourrait voiler sa déterm ination et nier sa
lutte, m ais tel ne devrait pas être le cas. En cessant de se définir par rapport à son mari,
elle s ’est donnée une nouvelle identité, identité q u ’on peut questionner m ais qui n ’en
dem eure pas m oins une q u ’elle s ’est faite elle-m êm e. Sur un autre plan, elle a annulé la
relation de dom ination qui sous-tendait son m ariage. « A bdou m on m aître? », s ’interroge-
t-elle railleuse, « il est m on dieu déchu » ( 292). D e plus, en se redéfinissant, elle oblige
A bdou à se redéfinir lui aussi. Puisque la fem m e ne reconnaît plus l ’autorité du mari,
celui-ci doit réapprendre à devenir un nouveau type d ’hom m e. D e ce fait, aussi bien
l ’hom m e que la fem m e sont conviés dans ce rom an, à un recul et une redéfinition des
67
Dans les H onneurs perdus, c ’est la relation que la fem m e entretient avec son
corps qui est appelée à une certaine reconsidération. M usulm ane, Saïda a su garder sa
essayé de dém ontrer que cette virginité était gênante et oppressante. En effet, c ’est avec
soulagem ent que Saïda accueille sa nouvelle vie avec M arcel Pignon M arcel, ses
exclam ations le prouvent ; « Je m e sentais une fem m e neuve [...] term iné l’esclavage!
A bolies les colonisations! Finies les néocolonisations! » Elle dira aussi q u ’elle se sentait
« indestructible. Com m e à la fin d ’une grande épidém ie quand les m orts sont enterrés et
que les survivants jettent leurs chapeaux en l ’air parce q u ’ils y ont échappé, [elle] était
contente com m e une ressuscitée » (341). Ainsi, le rom an peut être considéré comm e une
harangue pour la décolonisation du corps et le parcours de Saïda l ’effigie qui affiche q u ’il
n ’est jam ais trop tard pour entrer en repossession de ce corps. N ous doutons seulem ent
que Saïda ne soit pas aussi décolonisée ou dénéocolonisée q u ’elle le pense. Serait-il en
des exclam ations ou des interrogations q u ’elle nous parlerait de ce q u ’elle a fait de son
identité? B eyala a quant à elle préféré y répondre en points de suspension. Ceci pour dire
qu'elle n ’hésite pas à se boucher les oreilles et à se couvrir les yeux sur certaines réalités
pour réclam er la libération de la fem m e, de toutes les fem m es selon un seul modèle. Ce
qui nous am ène m aintenant à devoir parler de certaines lim ites du fém inism e de Beyala.
68
« One can only give o n e’s audience the chance of draw ing their own conclusions as they
observe the lim itation, the prejudices, the idiosyncrasies o f the speaker. »
69
3.1 L ’IN E X IS T E N C E D ’U N E R A C E D E FEMIVIE
À lire ses œ uvres, il sem blerait que Beyala est en faveur d ’un fém inism e universel
q u ’elle essaie de théoriser et de m ettre en pratique. On peut sûrem ent saisir et apprécier
dans cette plaidoirie pour un discours fém iniste universel, une volonté de dépassem ent et
de rassem blem ent pour venir à bout des divisions qui fragilisent le m ouvem ent fém iniste
dans son ensem ble. Cependant, nous ne pensons pas que B eyala puisse se défaire des
différences aussi facilem ent q u ’elle le fait, sans que cela ne pose des problèm es et ne
D ’une certaine m anière, ses rom ans peuvent se résum er en des com m unications,
des com m unions et des fusions de fem m es de toutes les couleurs, de toutes les cultures et
de toutes les religions. La solidarité fém inine est poussée dans son oeuvre à son
fusion. En effet, africaine, « fem m e-fillette » sans éducation qui s ’est débattue toute seule
pour se libérer des contraintes d ’une fam ille et d ’une société vam pire, Tanga avait du mal
à com prendre la naïveté d ’A nna-Claude qui lui parle de justice et de droits de l ’homme.
se dem ande com m ent elle a fait pour endurer tant d ’horreurs. R assurée de la véracité des
d ’âm e, m ais de corps aussi, T anga put « tuer le vide du silence » (13). H faut rem arquer
que le contact corporel est très présent dans le texte. T out le long du récit les deux
fem m es se touchent. E lles se serrent l ’une contre l ’autre ou se tiennent les m ains. On a
70
l’im pression que les paroles de Tanga ne sortent pas d 'u n e bouche pour atteindre des
oreilles m ais q u ’elles s ’échappent d ’un corps pour en intégrer un autre. La transm ission
de son histoire apparaît com m e une transfusion. Une transfusion de paroles pourrait on
dire. À la fin du récit T anga meurt et A nna-C laude, restée seule, se dit être la défunte.
Q uand l ’officier de police lui dem ande son nom , âge et profession, elle répond :
« Fem m e-fillette, noire, dix-sept ans, pute occasionnelle » (173). Et lorsque la m ère de
T anga vient à la prison s ’enquérir des nouvelles de sa fille, A nna-C laude lui lance à la
figure ; « Vous nous avez tuées. M adam e » (190). Le « nous » de cette phrase peut être
interprété de deux m anières, mais dans tous les cas, il est à notre avis l’expression d ’une
En rapport avec la fusion totale intervenue entre les deux personnages, on ne peut
pas faire référence à l ’une sans im pliquer l’autre. A utrem ent dit, dans le tem ps et
l’espace, A nna-C laude sem ble être, mais elle n ’est pas puisqu’elle a fondu en Tanga et
cette dernière n ’est plus. Aussi, la m ort de T anga équivaut à la m ort d ’Anna-Claude dès
lors qu A nna-C laude juive, française et intellectuelle n ’existe plus. En troquant son
identité contre une autre, A nna-Claude s ’est sym boliquem ent suicidée. C ’est cette lecture
que nous faisons de cette fin de rom an doublem ent tragique. E t nous ne pensons pas que
C om m e nous l ’avons déjà m entionné un peu plus haut, T anga avait réussi à se
faire une identité à elle à la suite d ’une longue lutte. Grâce à sa déterm ination, elle a su
enjam ber les obstacles pour se réaliser. A nna-C laude en s ’identifiant à elle, la fait vivre
au-delà de la m ort, m agnifie sa réalisation, se créant du coup une identité q u ’elle ne s ’est
pas construite m ais qu elle adopte en se déconstruisant. G allim ore dira que Tu
71
T 'appelleras Tanga constitue « un hymne à l’universalité fém inine » (138). Nous ne
pouvons cependant nous em pêcher d ’ajouter ou de préciser que cette universalité est une
universalité dans la m ort. Juliana M akuchi com m entera quant à elle que: « no m atter
w hat the sim ilarities, or where their sym pathies lie, w om en cannot speak for others or the
O ther at the expense o f erasing identity ( and, in the process agency), and difference”
( 110 ).
religieuses ou de tout autre ordre au nom de la solidarité fém inine. À la m ort de son amie
prostituée, A teba se jette dans la rue et tue son prem ier client pour la vengeance de son
amie et de toutes celles qui sont abusées de la sorte. Après lui avoir tout fait subir en
A frique, Sorraya découvre et accepte après un long et difficile parcours sem é d ’em bûches
à la recherche de son m oi, q u ’A ssèze et elle étaient soeurs en leur destin de fem m e, sœurs
dans leurs m alheurs. A u-delà de cette reconnaissance elle veut faire d ’A ssèze une amie et
un m iroir, q u elq u ’un à qui elle pourrait s ’identifier. « A ssèze », lui dit-elle, « C ’est bon,
tu sais d ’avoir une am ie. U n m orceau de toi-m êm e. Les m orceaux que tu es, quand ils se
cassent, elle les rassem ble et te les rend tout en ordre » (296). L ’expression « m orceau de
toi-m êm e » signale encore une fois cette fusion que B eyala ne cesse de célébrer. Parce
que Sorraya était un m orceau d ’elle et q u ’elle-m êm e en avait assez de souffrir, Assèze va
laisser Sorraya m ourir. Elle n ’a pas su ou n ’a pas voulu l ’arrêter dans son élan suicidaire.
Sorraya m eurt et A ssèze épouse celui qui était son m ari. E t ce fut à ce m om ent seulem ent
q u ’A ssèze a un sem blant de vie. Com m e si elle attendait, et q u ’elle avait besoin de la
essentialist fem inist utopia for m arginalized w om en or those O thers o f society” (110).
72
Quoi q u ’il en soit, à l’instar des relations T anga/ A nna-C laude, Ateba/Irène,
L aetitia/ M égri, il faut que l ’une des protagonistes m eure pour donner la survie à l’autre.
Adèle K ing com m entera en ce sens que m algré le pessim ism e apparem m ent de ce que
nous appelons des « unhappy endings », les rom ans de B eyala ne sont pas dépourvus
d ’espoir, « cet espoir », nous explique-t-elle, « sem ble résider surtout dans une
com m unauté de fem m es, m ais une com m unauté que B eyala ne peut guère encore
envisager q u ’entre une fem m e vivante et une fem m e m orte » (107). Nous espérons que
dans l ’avenir la vision de Beyala se transform era car il nous est difficile d ’avoir de
l’espoir dans cette « com m unauté de fem m es » qui ne peut s ’effectuer que par l ’entremise
de la m ort. E t sym boliquem ent, c ’est le prix à payer pour atteindre l’universalism e que
prône Beyala.
une universalité de celles-ci, il faut nécessairem ent abattre toutes les autres qui n ’ont pas
été sélectionnées après que le choix de l ’unité fut fait. De cette m anière, on com prend
pourquoi cela n ’a pas posé de problèm e à Saïda et M ’am m aryam de disposer de leur
corps com m e elles l ’ont fait sans se soucier de leur identité culturelle ou religieuse. Dans
son essai Lettre d ’une Africaine à ses sœ urs occidentales, B eyala nous dit q u ’elle écrit
pour une race en voie de disparition : la race fem m e (112). N ous voulons croire aux
théories des fém inistes françaises en l ’occurrence Irigaray, C ixous et K risteva pour
réfuter l ’existence d ’une race de fem m e. Luce Ir agar ay écrit qu'en réalité « les femmes
ne form ent pas à strictem ent parler une classe » {Ce sexe qui n ’en est p a s un 34), et nous
ajouterons q u ’elles ne form ent pas non plus ni une ethnie, ni un clan ou toute autre
73
division ou classification de ce genre qui présuppose une certaine hom ogénéité de
groupe.
fem m e porte en elle un passé et une histoire dont elle ne peut se défaire sans risque de les
nier. La colonisation s ’est im prim ée dans le corps com m e dans la vie de la fem m e
africaine et elle lui incom be d ’assum er ce pan de son histoire. D e m êm e, la fem m e noire
am éricaine porte en elle les stigm ates de l’esclavage. Si toutes les fem m es sont en état de
« sous-développem ent venant de leur soum ission par/à une culture qui les opprim e » (Ce
sexe qui n'en est pas un 31), leur lutte contre cette oppression ne peut s ’opérer de la
m êm e m anière. Le fém inism e africain ne peut être sim ilaire à tous points de vue au
fém inism e occidental. En guise d ’exem ple, de par la divergence de leurs expériences, la
quelconque aliénation alors que tel n ’est pas le cas pour la fem m e du Sud. Et cette
distinction ne peut pas et ne doit pas se lim iter à l ’opposition binaire N ord/Sud puisque
au sein m êm e d ’un groupe il n ’y a jam ais convergence à tout égard. Ignorer cette réalité
n ’avance en rien la lutte des fem m es et peut être interprété négativem ent. Selon les
term es de Susan Z. A ndrade qui cite Eson W anne dans son article, “ any em ancipatory
strategy w hich does not take into account the m aterial dim ension of im perialism or the
patriarchal violence” (95). P our cet auteur, l’hétérogénéité des fem m es est évidente,
parler de la fem m e au singulier. La fem m e n ’existe pas dira-t-il, il n 'y a que des femmes.
La fem m e devient ainsi « barrée ». Ceci pour dire que toute m ondialisation du fém inism e
74
va nécessairem ent poser problèm e, et vraisem blablem ent, c ’est ce que tente l’auteur de
que Lauren D analson appelle "the M iranda effect." Pour la com préhension de cette
m étaphore nous allons em prunter l’expression de D eidre Lashgari qui l’explique dans
"The M iranda effect" [is] the tendency am ong fem inists to construct and then be
econom ic, class, and culture, one falls into blindness akin to the blindness that
Q uand Ateba « écrit aux Jeanne, aux Pauline, aux Carole, aux Nicole, aux M olé,
aux K am biw a, aux A kkono, aux C h antai... A toutes les fem m es qui peuplent son
im aginaire et lui volent ses nuits » (26), nous ne pouvons que nous en réjouir. Si toutes
les fem m es du m onde pouvaient entrer en com m unication ou en com m union, elles ne
blesse quand A teba se m et à leur écrire « avec les m êm es m ots, les m êm es phrases »
(27). Si ces m ots et ces phrases se lim itent à des appels pour une certaine prise de
conscience, il n ’ y a rien à dire là dessus, m ais si c ’est pour exhorter tout le m onde à agir
ou réagir selon un m odèle donné, on chem ine vers un « uniform ism e » aveugle,
N ous ne som m es pas contre l ’esprit syndicaliste (les fem m es ne form ent pas à
proprem ent parler une race m ais elles peuvent se constituer en syndicat pour la défense
de leurs intérêts), m ais nous disons qu'il faut s ’unir dans la différence. Nous pensons
75
m êm e q u ’il faut ouvrir les portes de ce cadre de réflexion à toutes les bonnes volontés de
tous les sexes. De ce fait, un autre point qui nous sem ble problém atique dans l’œuvre de
B eyala est en rapport direct avec son radicalism e, son dénigrem ent et sa négation sans
borne de l ’Africain. Nous considérons le séparatism e q u ’elle prône com m e une « non-
solution ».
76
3.2 L E S E P A R A T IS M E O U LA N O N -S O L U T IO N
souffre de la dom ination m asculine. Le fait q u ’on ait jam ais entendu parler de
« m asculinism e » m ais seulem ent de fém inism e, dém ontre q u ’à l ’état actuel des choses
un groupe en oppresse un autre, et bien sur, il faut agir pour m ettre un term e à une telle
situation.
A teba n ’aim e pas voir sa tante en com pagnie de ces am ants. L a narratrice nous dit
q u ’« elle ne veut pas regarder la fem m e coudre sa présence autour de l ’hom m e » (16). Ce
n ’est pas spécifiquem ent le pair A da/ Yossep qui la dérange m ais le couple
Pour Beyala, le problèm e est tout sim ple. L ’hom m e est un anim al dom iné par ses
instincts qui ne cherche q u ’ à soum ettre la fem m e à son désire. D onc, pour ne pas être
subjuguée ou n ’avoir pas à se soum ettre, la fem m e doit prendre ses distances par rapport
à l ’hom m e, couper toute relation avec lui, son m onde et tout ce qui est en relation avec sa
personne. Ce radicalism e se lit à travers ses écrits, com m e le souligne N dachi Tagne:
n ’entrevoir en la fem m e q u ’un instrum ent de plaisir >r*. En effet, la description que
B eyala nous fait de l ’hom m e dans ses rom ans n ’est pas des plus séduisantes et son
21
Cité par Ambroise Kom, p 68.
77
vocabulaire en tém oigne. Dans La négresse rousse Bertha s ’adresse à ses deux amants en
Vous oubliez, m essieurs, que vous êtes d ’un égoïsm e m onstrueux, que vous êtes
lâches. Vous ne respectez rien que vos pires instincts. Des larves, des larves, voilà
Sorraya dira quant à elle que « tous les hom m es ont leur bangala dans leur cervelle »
(65). La narratrice de C'est le soleil qui m ’a brûlée conseille à A teba d ’user de la parole
pour échapper au viol auquel l ’hom m e en face de lui se prépare: « Fais lever en lui les
m ots », lui dit-elle, « les m ots du m ensonge- les hom m es n ’aim ent que cela - afin q u ’il
oublie sa chair dressée » (74). Face à tant d ’anim alité, Ataba en vient à sentir un sem blant
de pitié pour l ’hom m e et de son destin q u ’elle qualifie de m isérable: « Elle était com m e
nantie d ’une terrible com préhension des hom m es et de leur m isérable destin » (86).
Dans l ’œuvre de Beyala, l ’hom m e est décrit com m e un m onstre, aussi bien
physiquem ent que m oralem ent. Il est présenté com m e vulgaire de nature, extrêm em ent
expert en brim ades, dégoûtant par conséquent. A teba trouve le cavalier « dressé sur
pattes en X » qui l ’invite à danser vulgaire, « indiciblem ent vulgaire » avec « ses yeux de
hiboux » (101). Un autre a la bouche « très m ince com m e celui d ’un blanc, le nez épaté
avec des narines trop larges, la peau trop jaune, les cheveux ondulés, très som bres. Laid?
Parlant de violence, B etty a un am ant qui la bat tous les quinze jo u rs et Ateba a eu
la m alchance, dans ses huit ans, d ’assister à ce rituel de torture q u ’ elle ne parvient pas à
78
encore, plus fort, elle [Betty] saigne du nez et de la bouche. Il frappe m aintenant partout,
la tête, les côtes, le ventre, elle tom be » (89). C om m ent ne pas éprouver de la haine face à
tant de bestialité et de brutalité ! T anga pour sa part étouffe de dégoût pour l’homme,
p o u r tous les hom m es. Rien qu'à penser à M onsieur John, la nausée lui vient. Elle veut
« V om ir! Vom ir! Vomir! M onsieur John. U n corps m oisi. Une pétrification. Un chicot
dans une bouche qui a bouffé de tout, aussi bien des sucreries que de l ’am er », quelqu’un
q u ’ « il faut sauter ou il vous pourrit le palais » (55-6). Indignée par l'attitude de Jean et
de ses sem blables, A teba exam ine des possibilités de résolution du problèm e avec
l’hom m e et voici à quoi elle pense : « Et si elle arrêtait le cours de l ’histoire en arrachant
son sexe d ’un coup de dents ? Et si de la pointe acérée de ses ongles, elle lui labourait le
bas-ventre ? Avec les poils, elle ferait un ragoût noir et doux com m e l ’om bre qui apaise
ses sens après les agressions de la lum ière » (28). Elle ne se fera pas de ragoût de poils
m ais elle s'en d u ira du sang de l ’hom m e après l ’avoir assassiné. E t ce sang est supposé la
En effet, l’hom m e ne se lim ite pas à brutaliser la fem m e, il la souille aussi. Les
héroïnes de B eyala évoluent presque toutes dans des environnem ents fangeux et leur
corps violé et m alm ené est entaché de cette boue que l’hom m e leur couvre. A teba fait
appel aux larm es pour se laver des souillures ; « E lle pleure, elle dem ande aux larm es de
sa vie. Puisque l ’hom m e l ’a obscurcie avec ses calom nies, p u isq u ’il l ’a souillé avec ses
M a chère, dans la réalité tout hom m e a le droit de nous saisir pour un oui ou pour
un non. Pas seulem ent pour nous faire travailler, nous tuer ou nous m utiler, mais
79
pour nous salir. Nous salir si profondém ent que nous en oublions qui nous
som m es et ne pouvons même plus nous rappeler qui nous étions (311).
A utrem ent dit, l ’hom m e anéantit le passé et le présent de la fem m e et c ’est à elle de
P our se faire, Beyala propose la fuite. L a fem m e doit fuir l ’hom me, s ’en éloigner,
aussi loin que possible, et si tout cela ne m arche pas elle n ’a q u ’à se débarrasser de lui par
un coup de cendrier com m e fait A teba ou par une coupe de poison com m e opère Laetitia
ou tout autre m oyen qui s’offre à elle. M idiohouan dira que « certaines oeuvres de
C alixthe B eyala sont de véritables appels au m eurtre » (259). N ous som m es convaincus
avec Beyala que pour une grande part, l’hom m e est responsable du m alheur de la femme.
C ependant, nous ne som m es pas aussi persuadés q u ’elle pour soutenir que la solution
sans la collaboration intelligente, voire sans la com plicité de bon aloi des deux entités qui
la com posent, à savoir les fem m es et les H om m es » (Ce sexe qui n ’en est p a s un 158).
Les hom m es ont certes abusé et placé la fem m e sous le joug, m ais ce dont il doit s ’agir
m aintenant, c ’est une rectification et non une inversion des choses. II faut restituer à la
fem m e sa dignité confisquée m ais le faire sans pour autant retiré celui de l’homme.
M ichelle M assé écrit; « Every binary split creates a tem ptation to m erely reverse its
term s, to elevate w hat has been devaluated and denigrate w hat has been overvalued [...]
to reduce dom ination to a sim ple relation o f doer and done to is to substitute moral
outrage for analysis, such a sim plification m oreover, reproduces the structure of gender
polarity under the guise of attacking it” (In the N am e o f L ove 9-10). Sous peine done de
80
ne réaliser q u ’une transposition au lieu d ’un changem ent, toute polarisation doit être
évitée. Nous ignorons si on peut réduire la société à l’hom m e puisque c 'e st lui qui dicte
sa structure et son fonctionnem ent m ais, il est évident que tout ce qui est fait peut être
défait avec le tem ps. Les rapports actuels entre les hom m es et les fem m es sont le résultat
de constructions sociales bien définies. Dans un dialogue serein et franc, on peut les
aucune entité. N ous n ’im pliquons pas que c ’est une tâche facile qui s ’accom plit en un
clin d ’œil car, com m e un arbre m illénaire dont les racines se perdent dans les profondeurs
de la terre, il est ancré en l ’hom m e q u ’il a le droit de s ’approprier la fem m e et d ’en user
com m e il l ’entend. N ous savons aussi q u ’on ne renonce jam ais à un privilège sans avoir
rendra à l ’évidence et agira en conséquence. Et c ’est dans ce contexte que nous voyons la
solidarité fém inine com m e une nécessité. Toutes les fem m es du m onde doivent se lever
pour dire à tous les hom m es, où est ce q u ’ils se trouvent, que les choses doivent et vont
changer, par la suite chacune prendra le chem in qui lui convient le m ieux pour sa
réalisation.
gagner, chacun de son coté, la terrible lutte sociale de libération ? » ( K om 69) Si c ’est
possible quelque part dans le m onde, la libération par le biais d ’un quelconque
séparatism e est sans nulle doute sujet à caution en A frique. D ans ce continent,
81
excellence, c ’est parce que q u ’il n ’existe plus ailleurs de sécurité-vieillesse. Comme le
clarifie Tanga,
Elle n ’est pas poussée par la cupidité, la vieille la mère. Non. Il n ’y a que le
désire forcené d ’arrêter les bourrasques du m alheur. Elle ne veut pas être comme
m arna M édé qui, rongé par le m anque de sous, avait term iné la bouche ouverte
dans sa cabane, pourrie de partout, aussi puante q u ’un chien crevé. [...] La vieille
Sûrem ent que si la vieille la m ère avait des « sous » qui lui auraient perm is de vivre
décem m ent, elle n ’aurait pas été hantée par la m ort de m am a M édé et n ’aurait pas poussé
sa fille à la débauche. Peut être aussi que si les hom m es que nous décrit Beyala avaient à
s ’occuper, s ’ils n ’étaient pas aussi frustrés par un systèm e qui les pousse à transform er la
fem m e en dépotoir, ils seraient m oins violents, m oins laids, m oins stupides et moins
dégoûtants aux yeux de la fem m e. Certes si l ’équation société = hom m e est posée, ce
systèm e c ’est eux-m êm es qui l ’auront crée. Quoi q u ’il en soit, nous réfutons tout
séparatism e com m e solution, de peur de voir l’histoire revenir finalem ent au même.
A près l ’analyse q u ’Irène A ssiba d ’A lm eida fait du term e, nous som m es plus
héroïnes de Beyala. E n effet, ignorant l ’étym ologie de sa création qui veut littéralem ent
signifier « celle qui déteste les hom m es », W erew ere Liking atténue le contenu de son
néologism e en le définissant autrem ent. « Une m isovire est une fem m e qui n ’arrive pas à
trouver un hom m e adm irable D ’A lm eida conclut de là que « cette définition lui évite
de pratiquer une scission essentialisante entre hom m es et fem m es et lui perm et de mettre
“■La définition est tirée de l’article d ’Irène Assiba D ’Almeida « Femme ? Fém iniste ? M isovire ? »
82
l’accent sur les insuffisances des hom m es dans les sociétés africaines m odernes » (52).
le faire com prendre à l’hom m e et pourquoi pas l ’aider à les com bler ou à y remédier.
83
C O N C L U S IO N
Après cette analyse, nous pouvons conclure sans hésitation que l ’écriture de
B eyala est par et pour la fem m e, et les thèm es q u ’elle développe peuvent être facilem ent
qualifiés de fém inins. Elle traite du m utism e des fem m es en A frique q u ’un patriarcat
la parole s ’accom pagne d ’une récupération du corps car, la fem m e africaine n ’est pas
seulem ent oppressée dans son discours entravé, elle l ’est aussi dans son corps.
jeu n e fille en est dépossédée très tôt par des pratiques traditionnelles que des mères
sym boliques font perdurer pour des raisons égoïstes. Ces pratiques renforcent le pouvoir
m asculin et confirm ent à l ’hom m e son droit de disposer et d ’user du corps de la femme
com m e bon lui semble. Fem m es rebelles, fem m es com battantes, les héroïnes de Beyala
se désolent de leur situation m ais elles ne croisent pas les bras dans une attitude
déconcertante. Elles défient père, mère et société pour aller à la reconquête d ’un corps et
d ’une identité confisqués. Soum ises ou indolentes en se croyant sans recours face à un
sort scellé, une crise les m ène vers une prise de conscience qui se m atérialise par la
révolte. R évolte contre la m ère, révolte conte la société et ses règles pro-phalliques,
révolte contre soi-m êm e pour avoir tout endossé. A insi, les personnages de Beyala se
refusent d ’être des m archandises à écouler ou des objets q u ’on se procure, elles rejettent
le m ariage q u ’elles assim ilent à un contrat d ’esclavage. Elles souhaitent être des m ères à
leur m anière, se refusant d ’être des porteuses ou des pondeuses soum ises à d ’étem elles
douleurs pour engendrer des enfants sans enfance. E lles parlent de leurs désirs et
84
cherchent la jouissance rom pant avec des tabous et des règles qui les confinaient dans
A tout cela nous avons applaudi, cependant nous som m es devenus préoccupés
quand dans la colère, le m épris et le dégoût, B eyala dénigre l’hom m e et le montre sous
son habit le plus affreux pour ensuite plaider en faveur d ’un séparatism e absolu. Comme
nous le dit Lashgari « conscious anger is not necessary productive; it may simply be
reactive, a lashing out harm ful to self and others” (8). L ’hom m e a certes fauté ou péché
contre la fem m e, com m e s ’en plaint la mère de T anga (45), et nous pouvons comprendre
la fureur de la rom ancière et celle de ses héroïnes, néanm oins, nous n ’avons pas pensé
Ce que nous n ’avons pu com prendre pour le partager par contre, c ’est la volonté
de B eyala d ’avoir voulu fagoter toutes les fem m es sous la bannière d ’un féminisme
personal grow th and individual fulfillm ent over any larger com m unal needs or
good. A frican society, of course, even in its m ost w esternized m odem form,
places the values of the group over those o f the individual with the result that the
notion o f an A frican fem inist alm ost seem s a contradiction in term s (“Fem inist
Indéniablem ent, l ’écriture de Beyala s ’inscrit dans une m ouvance individualiste. Comme
l ’écrit G allim ore, dans les rom ans de Beyala, « le destin de la fem m e n ’est plus inscrit au
sein de la collectivité, il n ’est plus régi par le groupe social, il est fondam entalem ent un
85
destin individuel » (83). Dans ce contexte, on peut seulem ent se dem ander dans quelle
m esure l’écriture et l’engagem ent de Beyala peuvent avoir un quelconque impact dans la
vie de la fem m e africaine. En effet, nous nous accordons avec D enise Brahim i et Anne
T ravarthan pour dire q u ’« aucune littérature n ’a le pouvoir [...] de résoudre les problèmes
politiques, économ iques, sociaux [..], aussi urgents q u ’ils soient. Cependant, et c ’est une
certitude non m oins forte, la littérature perm et de s ’en approcher » (8). Nous nous
86
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