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Circuit Musiques contemporaines Les trois sonorités xenakiennes Three Special Sonorities in Xenakis Gerassimos M. Solomos Volume 8, numéro 2, 1994 Espace Xenakis URI: hupsijid.eruditorgiiderudiv902105ar DOI: https:doi.org/10.7202/902105ar Aller au sommaire du numéro Editeurts) Les Presses de Université de Montel Iss 1182-1683 Gmprimé) 1485-9692 (nurnerque) Découvrir la revue Citer cet article Solomos, GM. (1998), Las tos sonoriés xenaklennes Cirul, (2), 21-40 hps:doorgit0.7202}02103ar Tous droits réservés © Les Preses de [Université de Montréal 1994 CRCUT Résumé de Vartiele ans son texte, M. Solomos démontre que on peut contourner aspect hermaique de la musique de Xenaks et insert Tanalyse de ses oeuvres dans leprolongement de a tradition musicale», Pour ce faire il aborde la question sous angle des «sonorites » qu'il applique des traits ypiques de Pérttre ‘xenakienne, {ce document es protégé parla ol sur le droit auteur 1ruisation des services erudity compris la reproduction) est astujetie asa politique ‘utlistion que vous pouver consulter en ligne. -npsifapropes erudtorgiefusagers/pliique dutlstion érudit Ccetaricl est dite et préservé par Eruait ‘Université de Montréal, Universite Laval et Un epsiwwweruaitorg 21 Les trois sonorités xenakiennes Gerassimos M. Solomos La notion de sonorité A bien des égards, Xenakis apporait comme un prophéte : «prophéte de Vinsensibilté"> [porce quil évacue le sentimentolisme av profit des sens); prophéle du fomeux «alliage orts/sciences» sous la forme d'un transfert de modele; prophéte de lo sortie de la musique coniemporaine de son ghetto (& la difference d'un Boulez, plus technicien, Xenakis plait dovaniage av public amateur qu’aux professionnels qui l'accusent souvent de trahir la tradition occidentale de Iéeriture musicole) — pour nous en tenir 6 trois exemples. Et i est vici que la musique la plus récente est une musique du sensible, que lo notion de modéle li est centrale et quelle lente de dépasser le fossé qui, av 14" siécle, s'est profondément creusé entre la création arisique et sa récep- fon Cependont, le discours légitimant l'ceure par son contenu prospect ne peut plus étre lenu aujourd'hui. On sait désormais que les récils «@ la limite du pays lerlle!s comportent certains dangers. Roppelons que, en 1969, Xena- iis disci: «Lo musique de demain, en procédant & une siucturation inédite, paticuliére de 'espace el du temps, pourrait devenir un outl de transformation de homme, en infant sur so. skuctue mentale» (1969, p. 39), chose inadmissible pour laudiieur de cette fin du siécle, qui serait certainement porisan d'une éihique musicole, du refus de toucher & so structure meniole pour un averirincertain, Par ailleurs, analyser le second modernisme musical {les années 1950-1960) en fonction des prévisions qu'il contient conduit & sa ‘marginalisation, étant donné la sitvation actuelle. Lo rupture qui s’est produite dans la musique ‘écente passe par son rejel idéologique'”” De ce fai, les prophéties de Xenakis, méme si elles se son! réalisées, ninléressent plus. Enfin, Scacerocher aux prophéiies d'un compositeur, c'est satiacher surtout & son discours ou, du moins, aux éléments «miltanis» de so musique, de sorle que cette derniére passe ou second plan (1) Tite d'un bref mois tas bel dex de Mion Kundero (1981) [2] Tie - emprunté 8 Paul Klee - din cotticle de Pierre Boulez (1955), (3) Cestadire un jet qui tient plus de Fnlantion que de la véakié : pour prendre un exemple extrme, meme le misimalisme classique, qui tenie pourant toute filtion avec lo musique de lovont igorde européenne, ee! préfiguré dan le procédé de la transformation coninve cher & Xerokis 22 Pour toutes ces raisons, nous avons décidé de meitie de c6té la prophéiologie. Cette décision contient une double implication : nous recher- herons dans la musique méme de Xenakis les éléments qui nous permeltent de I'aimer (ses théories n’en éclairent le plus souvent que les aspects prophé- fiques}; nous tenterons de t'insérer dans la tradtion musicle. Foisons donc lable rase du fuluret essayons d'analyser une piéce quelcon- que de Xenakis en fonciion des cotégoties tradiionnelles : de la forme d'un c6ié, du matériau de autre. Une telle aliiude semble déboucher sur une impasse, D'une part, lo forme chez Xenakis est d'une simplicilé désarmante Ele tient méme, oserionsnous die, de la démonstration pédagogique. le plus souvent, elle consiste dans le simple enchainemen’ arbitrate de pans enters de musique (collage de sections. lle se résume en une luile amnésique en vant: les jeux avec lo mémoite qui foiscien! le charme de lo musique du passé sont bonnis. D'aure par, le matériau est certes enrich, mais il n’est plus, perinent. lorsque, pour prendre un exemple, Xenakis tente de reslaurer la diférenciation tonale"’ por le biois de la fameuse «théorie des crbles» (un ciible consitue, pour simplifer, une échelle), nous restons sur notre foim. Dans une ceuvte comme Nomos alpha {1966}, non seulement les crbles defilentls 2 une vitesse offolante tout en étont res dificiles & soisc (0 la diférence des échelle tradionnelles, qui se répétent & l'octave, les cibles de Nomos alpha peuvent comprendre jusqu’é 143 quotis de ton — presque six octaves — avant de se répéier], mais en outre, Xenakis luiméme n'est pos Wes cespectueux & egard de so propre théorie [des écarts parfois considérables ene les havteurs que prévoi le crible et celles qui se touvent sur la partion impliquent souvent que, méme oprés étude lrés minulieuse de celle derniére, analyste ne peut en déduire le crible!). En somme, de méme que dans les productions séielles, lo hauteur a cessé deve pettinenie chez Xenakis: elle ne peut inslauter lo diférenciation fonctionnelle qui foisoi! tout Vatrait de la musique tonale — la hauteur {une quanité) s'est défintivement substiuée au ton june quod). len va de méme du rythme : dans so musique, comme dans celle de ses contemporains, on ro plus tant offaie & des durées qu’d des rythmes, Cestadire 6 des combinaisons de valeurs tolalement quonifiées dont nous ne percevons pas les diférenciations comme signfianies et qui, pour cele raison, nous loissent indifférentst Une telle analyse sercit donc décevante. Cependani, ce portiprs lappré hender loeuvie en fonction de ce quelle est et non de ses inlentions qu'on est patfois tenté invoquer pour qualifier certains aspecis de la création xenckienne. Por rappor & la hauteur stable, le glissando instaure la continité tonale et il est, veal que, plus générolemeni, Xenakis fut un des premiers compositeurs & téagit contre lexime fragmentation et disconfinulé des ceuvres sérelles du début des années 1950 — couvres que l'on a justement quolfiées de poinilis tes, Or, on pourrait penser que celle quéle de la contiuié implque son! «}rése00x parllleshovizontoux Bb) téseoux pores (gissondi oscen- dons; ] ése0ux poraliées glasond descendonis; d) réseoux paroles os oxen ot dcendont| €] nvoges de pizzicatf) oimosphéres de hoppes col legno avec. des courts dont parle Olivier Messiaen (1959, p. 5} 6 de propos de certoins passages dune ceuve électoacousique de 1957, Diomorphoses; 6) les sons glissés commencent & se contracter dons leur globalité [cos tres frequent dans Nomos olpha du fait de lo fragmentation extreme de Iceuvee|; 7} juxtapose tion de brefs blocs de glssandi (exemple : les mesures 16:21 de Polla to dhiaa datant de 1962); 8) le glissando est Waité comme un objel en soi {meme lorsquiil est composé de plusieurs sons glissés) et communique ainsi Fautorié du geste, de la présence intationnelle, c'esté-die de 'enlité non constvite {c’es le cas des mesures 128-131 ou 205.210 de Nuits, 1967} Bien quil opporaisse dés Metastoseis (ses tes brels blocs de glissandi des mesures 202-308, tels les «éclats» bouléziens, se sitvent av dernier niveau de note gradation hypolhéiique, contrastant forlement avec les sons glissés du début et de lo fin de I'ceuvee, le geste pur se généralse seulement & paar du milieu des onnées 1960. Poradoxalement, alors que, en quelque sorte, Xenakis a congu le glissando pour dépasser la notion d'obiet {en loccur rence, la hauteur figée), pour nous obliger & nous immerger dons sa vie intérieure, son évolution I'y roméne. C'est peutéite lo raison pour laquelle il 7 (10} Cite graphique de Xenokis qui a servi & lo composiion de ces glssondi dons ibid, p. 22. (11) Ch.le grophique de lo premiée version de Metostseis dons ibid, p. 8. 28 Exemple 2 : Pithoprokio : mes. 105-121 oe: pizz, 7 Gliss. arco # : gliss. - pizz. 7: gliss. arco avec attaque doublée en pizz. imagine, vers la fin des années 1960, ce quill nommera par la suile « arbores ences». Une autre raison aussi l'y conduit: la dificulé pour les venis et les claviers d'obéir & la figure du glissando, Ecoutons Nouritza Matossian : au début des années 1970, « Xenakis es intrigué par le mouvement brownien ou marche au hasard.[..]IIs'agit d'un mouvement d'oscillation ondulatoire ob les, positions forment une succession trés liée, comme si la particule se souvencit 29 de son emplacement précédent. Un certain nombre de fonctions de probabi liés peuvent créer ce mouvement. [..] Si cela peut créer une ligne, pourquoi {..] pas plusieurs, courant dans la méme direction, grosso modo paralléles entre elles?» (1981, pp. 281-282.) [Pus i] «les organise en figures disincles appelées arborescences ov formes dentiques, qui porient dune origine commune et se romient vers | (12) Nowns que, dons co conceno Vextérieur comme les branches d'un arbre, les bifurcations de I'éclair, les | four pono le ole [ove pores uaqu'® canaux de Mars, les affluents d'un flewve ». (ibid, p. 285}. Sic lignes simulonémen, préfigurom les — . cexigences d'un Femeyhough qui obligent les arborescences sont déjé & l'ceuvre dans une piece pour piono et | finerpyste «iterprelersva chor ce corchestie de 1969, Synaphai. Considérons l'exemple 3 avec lequel nous y | qui pourra réaizer. Ironscrivons graphiquement les mesures 150-162, jouges por le piano. Bien | {1} D'aileurs, dans lo pation, les entendu, nous n’avons pos offaire & des glissandh: les lignes qui relient les | oles de piaisle son! ous eliées por : des ignes; Xenakis indique(Synopho, roles jouses parle pao les points de fo Niguel son magnates, Ceper- ss cetera iouges parle piano {les po ig 9 is portion, p. 20): «les gles. ne son ie dont, il sagit presque de glissemenis""!: en d'autres termes, les arborescen- | Ene expression gophique do es entren! cisément dans la calégorie des sons glissés. Fagotssimolquide mpsrat Exemple 3 : Synaphoi: mes. 150-162 POR Dp fh PPLE P ES fp OMY pp). Sons ponctuels De méme qu'il o aplani la mélodie & ses contours extérieurs (sons glissés) et enflé a I'infini les unités de I'harmonie (sons statiques), Xenakis a pulverisé la troisiéme dimension tradtionnelle de I'écriture, le conlrepoint. Nous sommes Inés proches ici des champs poinillisies de la musique sérielle des années 1950, Cependant, en intioduisant le calcul des probobiliés ainsi que lo 33 Exemple 4: Polyiope de Montréal: mes. 165-186 Accord ten des cordes 15m 34 Exemple 5 : Pollo to dhina: mes. 138-141 4 Toms Tim. Vibe fon. Cn eg 7 : lus notion de masse, Xenakis o implicitement iransmuté la pulvérisation du conte- poinl. Dans sa musique, non seulement un espace global s‘estil substivé & la superposiion des voix du contrepoini, mais en oulte, la houteur, comme transcendée, donne naissance au surplus que nous avons nommé sonorté: les gigantesques accumulations de sons ponciuels consiiuent chez lui une sono- fl & par entigre'"® — Xenakis parle & leur propos de «nvages» les (Ibid, p. 122.) Nous ojoulerons que, mame vec le Polylope de Cluny (1972), qui ullise pourtant ordinateur, le sésultot ne suffi pas & «confimer Vhypoihese» (Mache, 1981, p. 159). Pourtant, l'essentiel n’es! pas la véracité d’une telle hypothese Que cette préseniation de la micro-siucture du son comme aspect postculer de lo théotie des particules présente ou non un iniérétscientfique, cela importe en défiitve 03522 peu; important reste qu'elle permete de comprendie combien 35 118} Cote consiotaion ne vout pos pour les counes de Kenakis qui ne Imetien! pos réellement en jeu des mosses du fait de densités nop foibles ~ ‘Achonipsis (1956-1957), les couwes informatisées des années 1956-1962 et ‘Alta (1964-1965) en elles, les textures de sons ponctuels ne se transmuen! pas en sonoriés; pte, elles sonent comme de mawises couves séiilles (19) Cres un des «événements> sonores dune ceuve dotani de 1959 1960, Duel [cl Xenokis, 1963, p. 141). 36 lo prise en comple du son comme objet premier de la musique débouche sur ovénement d'un nouvel espace musical (Viend, 1988, pp. 96-97). Lintérat de cette hypothase réside dans le fait qu'elle nous confime que les mosses xenakiennes visent bel et bien la production de sonoriés : si les wages d'Anologique A doivent produire des sonoviés « de second ordre> {ce {que nous nommons sonorités tout cout il en va de méme pour lous les autres, wages xenakiens ~ méme si ces sonoriés ne sont pos & prendre au sens lial, c'estadire comme des sons physiques Les types de « grains sonores» nécessaires & la sonorité des sons poncivels sont és variés. II peut étre question, comme dans Analogique A, de pizzicati de cordes. Mais on pourra aussi avoir affaire & des pizzicatiglissandi; c'est diaileurs avec eux que, dans les mesures 52-59 de Pithoprakia, Xenokis inttoduisit simulianément cette sonorié ainsi que le calcul des probabiliés. Dans Herma {1960-1961} ainsi que dans Eonto, les grains sonores sont matérialisés par les staccatos du piariste. Ailleurs, nous irouvons des battuli col legno des cordes; c'est le cas d'un des passages les plus saisisanis de Pithoprakta, les mesures 172-179 (cf. sa schématisation dans I'exemple 6), 4, chague instument pousont une ligne mélodique autonome mais aux mouvements de plus en plus serrés, on aboutit & un cluster irés dense dans le médium. les percussions contribuent souvent & la construction de ces sonor- 15: citons seulement une ceuvre pour six percussionnisies, Persephassa (1969), Pls rarement, Xenakis met en ceuvre des « bruits» : pensons aux insiuctions de Pihopraka ou de Stratégie (1956-1962], qui exigent des instrumentistes & cordes quils frappent sur la caisse de leur insitument, Enfn, c'est bien entendu ‘avec ses ceuvies électroacoustiques que Xenokis tenle de créer des sons globaux composés d'une myriade de particules homogenes {oulie Analog que A, mentionnons les «sons de broises ardentes & peine monipulés» (Mache, 1983, p. 131) d'une ceuvre pour bande de 1958, Concret PH). Remarquons enfin que les « grains sonores» ne sont pas nécessairement de nature ponciuelle : de bréves tenues peuvent irés bien s'y substiver. Une ceue iluste & elle seule toutes les possibiliés qui viennent d'etre énumérées Nomos Gamma; les cordes sont souvent employées pour tisser ce que Xenakis (1971, p. 239] oppelle des «tapisseties sonores», c'estédire de gigantesques mélanges aléatoires de huit timbresmodes de jeu, mélanges dont la densité extraordinaire nous conduit & les percevoir comme de vérito- bles brits de fond au sens quasi mélaphysique du terme. Sons glissés, sons slatiques, sons ponciuels: ces ttois sonorités de bose issues des trois dimensions Kradtionnelles de l'éciiure gréce & une subiile transmutation et que Xenakis varie & l'nfni suffsent pour décrie la totalité de univers xenakien, Répélonsle : loule ceuvre de Xenakis n'est que succession de sonorités. Bien str, cette écoute n'est pas la seule possible: on peut 37 Exemple 6 : Pihoprakia : mes. 172-179 38 continver & recherche les ropporls tonals ov ryihmiques; ov encore, il serait Smusort dover velion sur les «moyenne soisigues» les «tonsomaions de groupes» ov foule autre opération logicomathémalique. Mois l'ntérét de ces lypes découle est pratiquement nul: d'un cB, les dimensions radiionnel- les du son se sont dissoules; de l'autre, les sruclurations complexes mises en jeu por Xenakis ne sont, en fin de compie, que des moyens pour produire des sonore ADORNO, Ta. W. (1962), Philosophie de lo nouvelle musique, Peis, Golimord ANDERSON, |.(1989], «Dons le contests, Enetemps n° 8, pp. 13:23. BAYER, F.(1981], De Schonberg & Cage. Essai su la notion d'espace sonore dons la musique contemporaine, Pris, Klincksieck BOULEZ, P. (1955), «A fo lite de poys lr, in Pe Bouts, Relevés appre, Ps, Soul, 1966, pp. 205221 BOULE?, P. 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