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CHApITRE I APPROCHE PRAGMATIQUE DE LA BIBLE 1.0. Introduction Avant d'entrer en contact direct avec les dialogues sur Jésus et Jean-Baptiste dans Vevangile selon Saint Matthieu, ce premier chapitre entend fixer les conventions de lecture. Nous expliquons en fait approche pragmatique que nou interpreter ces textes bibliques. D*abord, nous donnons I"explication étymologique du mot pragmatique, et nous précisions le sens de l"approche pragmatique en exégese biblique. Ensuite, nous démontrons que la pertinence scientifique de I'approche pragmatique en exégése biblique se fonde sur I’Eeriture Sainte elle-méme. Enfin, dans les points qui suivent, nous exposons les enjeux interprétatifS de la Bible sous la perspective pragmatique : intention de communication d’un texte; le schéma de communication et l’acte de la lecture; le texte et la coopération interprétative du lecteur; les modéles de communication et la lecture de la Bible; la notion de la précompréhension du lecteur ; la théorie de actes de langage. Quelques observations sont données en guise de conclusion chapitre utilisons_ pour LI. Sig Le terme pragmatique est employé en fran comme un adjectif. Il dérive de la langue grecque. En tant que substantif, il dérive du gree prdgma (xpayua) qui signifie action de faire, agissement. Il serait synonyme de praxis (Ie fait d’agir, action), mot utilisé dans le titré du livre des Actes des Apétres. [’adjectif pragmatique dérive du gree prdgmatikos (npéryuuturds) qui signifie) ce qj cation de la pragmatique is soit comme un substantif, soit concerne Waction, capable dagir, elficace’. Les deuy mots grees pragma et prmatikos dérivent du verbe prassé (npdcow) qui veut dire agir, faire, accomplir, réaliser, mais, du point de vue morphologique, ils se rattachent au parfait passif pepragmai (aéxpayuat) Le parfait en grec déerit une action réalisée dans passée. mais dont les effets persistent dans le temps success. i La pragmatique releve de la science du langage ordinaire. Le philosophe Austin, considéré comme le pére de cette science. est parti d'un constat : Quand nous parlons, nous ne transmettons pas que des informations. ou nous ne Faisons pas que déerire ta réalité, mais nous agissons, Par exemple. quand Ic prétte dit: « Je te baptise au Nom du ere, et du Fils et du Saint Esprit», il agit, car il change état de la personne en la faisant devenir ehrétienne. Dans une eérémonie de mariage, quand les mariés se disent : ? BAILY, A. Dictionnaire gree-feancais rédigé avec le concours de E. Kgger. Patis, 1950. p. 1616. 167, «Je te prends pour époux / épouse », ils agissent par le moyen de la parole qui va désormais les lier. II s’avére done que « parler. c'est agir »”, La pragmatique, en tant que science, étudie spécifiquement les actes de langage. c"est-i-dire. des actions que nous posons par Ie biais du langage. En exegése biblique. la pragmatique est une approche nouvelle, par laquelle les exégétes appliquent les théories de la communication et des actes de langage a I’étude des textes bibliques. En tant qu’approche, la pragmatique permet done de lire la Bible en Eglise, c’est-a-dire, en tant que Parole de Dieu en langage humain. En définissant ainsi la Bible. I'Eglise reconnait que. pour accéder la vérité révélée dans Bible, il faut prendre au sérieux Je fonetionnement du langage humain. Lvenjeu de la lecture Pragmatique des textes bibliques consiste & étudier les stratégies de I’écriture permettant au texte écrit de produire des effets, ou d’agir sur son lecteur. On se sert dés lors de la tiple distinction entre la syntaxe, Ja sémantique et la pragmatique. La syntaxe est étude des relations formelles ou grammaticales entre les signes. Elle se focalise done sur la cohésion du texte. La sémantique s’intéresse a la cohérence du texte, c’est--dire, 8 la signification des termes mis en relation avec les éléments du monde auxquels ils renvoient. La pragmatique s‘intéresse la relation entre les signes et ceux qui les utilisent, aux actes de langage ainsi qu’a la relation entre les signes et leurs contextes 4 d'emploi, afin de dégager les effets du texte sur le lecteur’ 1.2. Fondements bibliques de Mexégese pragmatique D Tétude du fonctionnement du langage est une conditio sine qua non pour son interprétation. Le bindme Parole et langage. qui définit ainsi le statut herméneutique de Ja Bible. est au centre d’intérét de M'exégese pragmatique. Austin se référait a loralité, mais la Bible est un texte éerit. Dans la Bible, en effet, la parole de Dieu n'est pas immédiate, comme dans une communication orale, mais médiatisée par \’Ecriture. Grice a approche pragmatique des textes de la Bible, 'exégése biblique est orienté vers lesthétique de la réception. L’exégése pragmatique oriente en effet investigation scientifique vers les stratégies communicatives utilisées par les auteurs sacrés pour conférer au texte biblique le pouvoir de transmettre lefficacité de la Parole Divine. L’enjeu de la lecture pragmatique consiste a étudier les mecanismes littéraires permettant au texte écrit de produire des effets, ou dagir sur son lecteur. Il existe done ir Ja Bible comme « Parole de Dieu en langage humain »’ implique que “SL. Aust, Quand dive. c'est faire, Introduction, wraduction et commentaire par Gilles Lane, posiface de Francois Kécanati, Patis 1970. p.42. "C.Biancitt, Pragmticu del linguagsio. RomaBari 2003, 2005" p. 4-5 * Conch: VATICAN Il, Dei Ferbum. 0.2.13, aujourd'hui une pragmatique du texte éerit par T'application des théor communication et des actes de langage a I"étude de I" la criture Sainte. La pertinence scientifique de la pragmatique tient également au fait que son approche correspond 4 Ia notion biblique de la Parole de Dieu. Dans le Pentateuque, le récit sacerdotal de la création (Gn 1,1-2.4a) ouvre la Bible par la confession d'un Dieu unique dont la parole est agissante. La structure communicative de ce texte repose sur la consécution pragmatique entre l'agir verbal de Dieu et l'effet de la création. Le corpus des prophetes développe aussi une pragmatique de la Parole de Dieu. Dans Is $5,10-1, le prophéte compare I'efficacité de la Parole de Dieu a celle d’une pluie qui, une fois tombée du ciel, doit produire ses effets : « Comme descend la pluie ou la neige, du haut des cieux, et comme elle ne retourne pas li-haut sans avoir saturé la terre, sans l’avoir fait enfamer et bourgeonner, sans avoir donné semence au semeur et nourriture a celui qui mange. ainsi se comporte ma parole du moment qu’elle sort de ma bouche : elle ne retourne pas vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plait et fait aboutir ce pour quoi je U'avais envoyé » (Is 55,10-11). La Parole de Dieu est vivante. Créatrice, la Bible enseigne que la parole divine est toujours a Mceuvre. Elle n’a pas seulement présidé au surgissement de univers (Cf. Gn 1; Ps 33,6; Sir 39,17-31). mais elle continue & porter tout ce qui existe, Elle continue a régir toute histoire humaine. Isaie écrit que « I'herbe séche, la fleur se fane. mais la parole de notre Dieu subsistera pour toujours » (Is 40,8). Elle est done une parole éternelle, qui parcourt l'histoire de bout en bout (Cf. Mt 5,18), car celui qui I’a proférée est |'Alpha et l'Omega, le commencement et la fin, le Vivant (Ap 21.6). Forts de cette conviction, les sages d’Israé] ont compris que l’ordre divin continue 4 régir l"univers créé par sa parole (cf. Sg 9,1), et de ce fait, «le commencement de toute sagesse, c'est la crainte du Seigneur (Pr 1,7). Les prophétes n'ont cessé de rappeler que Dieu ne retire pas ce qu'il dit (Is 31,2). il ne revient jamais en arrigre (Jr 4,28). C’est ce qui retentit en d'autres termes dans le Psautier : « Je ne violerai pas mon alliance, je ne changerai pas ce qui est sorti de ma bouche » (Ps 89,35) ; « a jamais, Seigneur, ta parole se dresse dans les cieux...Ta parole, est une lampe pour mes pas, une Iumiére pour mon sentier... La découverte de tes paroles illumine, elle donne du discernement aux simples» (Ps 119.89.105.130). Concrétement, Dieu intervient constamment dans Mhistoire humaine par sa parole. Quant 4 histoire du salut, tout événement accomplit la Parole de Dieu, La libération d’E-gypte. la conquéte de la terre promise. I'événement de evil. fe retour de Fexil, tout cela est ceuvre des paroles de Dieu. Une parole irévocable et irrésistible, capable de transformer le cours de histoire. C’est ainsi que, dans son vibrant testament, Josué veut gu’Israél garde en mémoire l"efficacité de la Parole de Diew : « Voici que je m’en vais aujourd'hui comme s*en va toute chose terrestre, mais vous, reconnaissez de tout votre cceur et de tout votre étre que pas une seule parole n’est restée sans effet de toutes les paroles qu’avait dites le Seigneur, votre Dieu. & votre sujet, Tout s'est accompli pour 10 vous, pas une de ces paroles n'est restée sans effet » (Js 23.14). Dans le Nouveau Testament, la vie et l’ceuvre salvifique de Jésus sont I"accomplissement des paroles de Dieu. Cette certitude de foi ressort de fagon éclatante de I"évangile de Matthieu qui est parsemé des formules d’accomplissement : « Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophéte... » (MU 1,22 : 2,15.17.23 : 4,14; 817; 13,35, 21.4; 27,9). Jésus en personne est done le témoin de la puissance opérante de toute parole sortie de la bouche de Dieu. La force vivifiante, irrésistible et irréversible de toute parole divine est due justement au fait que Dieu, son auteur, est l’omnipotent, i est le seul Maitre de histoire : « Sur moi-méme, j'ai prété serment, de ma bouche sort ce qui est juste, une parole irréversible » (Is 45,23). Il ressort que [économie de la parole de Dieu dans les textes bibliques légitime l'exégese pragmatique des Ecritures. Cette approche nouvelle consiste & appliquer les atouts des sciences du langage et de la communication a l'étude des textes bibliques. 1.3. Exégése et intention de communication Toute méthode ou approche biblique se base sur un présupposé herméneutique ou du texte. L'approche pragmatique de la Bible définit le texte comme un. munication entre Dieu et "homme, est le sur une théori acte de communication. La Bible. liew de produit d°une intention de communication. A la question ~ que dit l'auteur 2— s'ajoute celle qui conceme ~ ce que veut dire "auteur ou mieux ce qu’attend auteur de son lecteur ?-. De ce fait, on est de plus en plus convainew que « l’exégese ne se réduit pas & wer ce que auteur attendait de la compréhension du sens des phrases. Elle doit déterm ses lecteurs en réponse a son texte [...]. La valeur illocutoire d°un énoneé est un aspect important de ce que le locuteur veut communiquer. L'identifier fait done partie de la eae! détermination du sens, de l'exégese » ———— © 5 ROME ROWSKI, Lev sciences di langage et [ude de la Bible, Excelsis. 2011, p. 566.576, i 1.4, Schéma de communication et acte de la lecture Dans la compréhension du texte biblique comme un acte de communication. le schéma élaboré par le linguiste et sémioticien Roman Jakobson est de grande utilité. It est constitué de six facteurs Contexte Destinateur Message Destinataire Code Le pole du destinateur ou de ’émetteur renvoie a l'auteur du texte biblique. En exégése pragmatique, l'auteur ne s’identifie pas au rédacteur empirique ou historique du texte, mais la stratégie textuelle, 4 auteur implicite reconnaissable par ses compétences d’écrivain et de théologien. Par exemple, auteur implicite de Evangile selon Matthieu se fait reconnaitre dans le texte par la langue (grec), les citations d'accomplissement, le théme théologique de la Justice, affirmation de T'identité messianique de Jésus-Emmanuel. L’auteur implicite dans I’ Evangile selon Marc se fait reconnaitre par les injonctions au silence, le motif de la voie ou du chemin dans la construction de la christologie du Fils de Dieu. Pour Luc, auteur implicite se caractérise par exemple par le motif de la prigre comme lieu de révélation divine, Fimérét historiographique. Dans I’Evangile selon Jean, les signes, la christologie de Fenvoyé sont autant de traits caractéristiques de l’auteur implicite. Le péle du destinataire ou du récepteur s'identifie au lecteur. Le lecteur dont il est question n’est pas simplement celui de l'époque biblique, mais aussi et surtout celui que Ie texte construit. Lenjew herméneutique s’énonce en ces termes : « tout texte construit son propre lecteur & travers la stratégie textuele. ... Prévoir son Lecteur Modéle ne signifie pas uniquement “espérer” qu'il existe, cela sigifie aussi agir sur le texte de fagon a le construire. Un texte repose done sur une compétence mais, de plus. il contribue a la produire »*, La notion de ta construction du lecteur par le texte est essentielle a l’approche pragmatique de Ja Bible. Chaque évangéliste construit un ecteur Modéle particulier sur la base de ses insistances théologiques, de ses caractéristiques littéraires, des motifs christologiques. de la caractérisation des personnages.... De ce fait acte de Ta lecture implique que le lecteur empirique. e"est-a- Fire. cell qui lit Ie texte, arrive a sidenfifier au Lecteur Modéle que la stauégie _ BR JAKOUSON, Essai de linguistique générale, Arguments 14, Paris, 1963p. 14, -, Leetor in fabula, Le re du lecteur ou lu coopération inerprstative dans lex textes marratfy Paris, 1985, p. 63.69.72-73, ON 12 textuelle entend construire. En effet, I Heriture Sainte ne réduit pas 4 un compendium de doctrine, elle vise 4 modeler ses lecteurs en les intégrant dans le monde des valeurs qu'elle propose. ___ Le message constitue objet ou le contenu de la communication, son analyse est Fobjet de la sémantique. La question conceme le quis du texte : que dit le texte? La sémantique établit la cohérence communicative et améne & prendre part aux débats théologiques, L"incidence pragmatique du facteur message est de taille : « Un texte fait sens en fonction de I’interaction entre l'information qu'il véhicule et la connaissance du monde et les croyances du lecteur, voire éventuellement, la connaissance que le lecteur posséde du monde et de la vision du monde de l’auteur. La compréhension d’un texte nécessite une certaine conformité entte univers conceptuel du texte et les eroyances et savoirs du lecteur»”, Pourtant, la Bible est un texte lointain, & cause de I’époque historique, de la culture lointain de Ja langue originale. La prise en compte de cette distance est la conditio sine qua non & tout travail d’interprétation. Dans ce sens, le travail d"interprétation tente de réduire la distance en eréant la convergence des mondes du texte et de celui du lecteur pour une meilleure appropriation de sens. Quant au code, "attention doit porter sur le double processus d'encodage et de décodage du message. Rappelons qu’aujourd’hui l'exégése biblique est & I"heure du lecteur : « Nous assistons a un glissement marqué du péle de l'auteur a celui du lecteur, de I'analyse des conditions d’éeriture & observation des régles de lecture. Ce qui est vrai de la littérature en général l"est aussi de la littérature biblique : l'exégése s'est mise a Mheure du lecteur »"”. Toute communication n’advient que lorsque le récepteur est en mesure de décrypter la cohésion ou la texture linguistique du message. Le code confére au message une structure formelle inhérente & la nature du texte. En effet, le code fait du texte «un systéme complexe et coherent composé de sous-systemes distinets mais reliés entre eux»''. Dans ce sens, le texte est défini comme «une configuration réglée par divers modules ou sous . 2 ; -systémes en constante interaction entre eux». Ainsi, «il y a 85 RomEROWSKY, Les sciences du langage et lé1ude la Bible, Excelsis, 2011, p. 480-481 1 D MARGUERAT, « L’exéyése biblique a Pheure du lecteur», in Ib., ed., Lu Bible en récits Lexdigose bibligque d Pheure dy lecteur. Colloque international d'analyse narrative des textes de la Bible, Lacie, mara 2002, MoBi 48, Geneve, 2005, p. 13. A. KAnASTTE MUKENGT. « Le changement d2 paradigme dans ’excgese biblique. Application @ fa lecture afrieuine du livre de Jb», in L. Saxtept KINKUPU-M. MALUNYIMI, Epistémologie et thévlogie. Les enjews du diakygue for-science-ethiyue pour Tavenir de Uhumanité, Fs. S. Exc, Tharcisse TSHIBANGU TSHISHIKU, Recherches Atricaines de Théologie 18, Kinshasa, F.C.K., 2006, p. 17-42 11M. ADAM, «Pragmatique linguistique du texte écrit. Aspects des recherches actuelles», in P. Berirk —C. KARAKASH, ed Quand interpréter c'est changer. Pragmatigue et lectures de la parole. “peter du Congrés international d'herméneutique, Neuchitel, 12-1 septembre 1994, LiTh 28 Genbve, 1995, p. 34 "poem, 36 13 cohésion si Vinterprétation sémantique de chacune des phrases d'un texte dépend de Finterprétation de la séquence de phrases qui la précéde : ou, plus précisément si le lecteur peut intégrer et relier information apportée par chaque nouvelle phrase a la construction mentale du sens du texte qu'il s‘est faite a la lecture de ce qui précéde cette Phrase». La pragmatique se joue déja au niveau de l'emploi du code, car [auteur commence 4 manipuler son lecteur a travers la lettre du texte. Le facteur contexte est décisif dans la lecture pragmatique de la Bible. En effet, pour determiner ce qu’un auteur biblique attend de ses lecteurs, il faut absolument situer {e texte dans son contexte. IIlustrons la notion du contexte par une petite histoire : «Il était une fois. au cours d'une réunion, il se mit & pleuvoir. Le vent était tres violent. Les portes de la maison craquaient. D'une voix forte, le président de la réunion S‘écria : « La porte est ouverte » ! Sans rien dire, quelqu’un se leva et ferma la porte. Dans le contexte dune pluie torrentielle, dire « la porte est ouverte » signifie « fermez Ja porte, s'il vous plait » ! Le lendemain, la méme personne alla chez son chef. II arriva en retard et, sans permission, il entra dans le bureau du chef. Ce dernier, dun ton grave, lui dit: « La porte est ouverte » ! Le subalterne sortit du bureau et s’en alla sans rien dire. Dans ce contexte professionnel, dire « la porte est ouverte » signifie « sortez de mon bureau » ! Une méme phrase, prononeée dans deux contextes différents, change de signification ou d'intention de communication. Dans les études bibliques. le contexte reste un terme-ombrella, aux contours sémantiques fluides, allant de Venvironnent linguistique immédiat au cadre fittéraire Jointain, du phénoméne synoptique a Tintertextualité'". Quant a approche pragmatique de la Bible, la distinction entre le contexte sémantique et le contexte pragmatique est importante, Le contexte sémantique est constitué de I"identité des interlocuteurs, du cadre spatio-temporel, du genre littéraire qui conditionnent I'agir communicationnel dans un texte. En toute communication, il est important de savoir qui parle 4 qui, ot quand ct comment. Ces questions permettent de faire la sémantique du contexte. Le contexte pragmatique est l'ensemble des croyances. des déterminations culturelles, des intentions. des object des préjugés des interlocuteurs, qui mobilisent te proc: 5. des attentes. des idées ou us de communication. Cette distinction entre le contexte sémantique et le contexte pragmatique comporte une double implication. D'une part, le sens d°un texte ne se limite pas & ce qui est dit il faut surtout saisir ce que Mauteur entend dire ou communiquer. Alors que ce qui est dit ressort du contenu, ce qui veut étre dit reléve de Mintention de communication, Souvent, on dit une chose pour vouloir dire une autre, Dans ce sens, le paradigme d"interprétation prong par la praymatique est de type inférentiel "5 Row ROWSKY, Les setencey dir langage et l'étude lu Bible, Excelsis 2011, 480. Che, RMI YN. Traité de rhétorique biblique. RbSem IV, Paris 2007, p. 345-802 Le contact est le fait de lire ou d°écouter Mautre, ou le texte, La communication s'établit quand le message transmis par l"émetteur atteint effectivement le récepteur. Mais. pour que le contact soit complet, il faut que les autres facteurs soient pris en compte, Autant dire que lire ou écouter ne suflit pas. il faut en plus comprendre ce qui est dit. Le contact est un « appel a écouter et & comprendre |...) Il se présente comme tune main tendue, continuellement, dans un renouvellement permanent, plagant le destinataire devant un défi & relever : écouter & nouveau, dans l'aujourd’hui »'"- Dans te domaine biblique, la notion de la distance entre Je texte et le lecteur d’aujourd’hui est importante. La Bible appartient a une autre Epoque. elle a été écrite dans des langues étrangéres (I"hébreu, Faraméen et le grec ont évolué), elle baigne dans un contexte socioculture! diffrent du nétre. Instaurer Je contact avec un texte biblique requiert nécessairement le recours a ce cadre socioculturel. Mais, on ne s’arréte pas 1a, il faut gue le texte entre aussi en contact avec la réalité actuelle de son lecteur. Ces exigences ont des implications sur la notion de interpretation. 5. Texte et coopération interprétative du lecteur Deux notions entrent en jeu dans linterprétation de la Bible sous la perspective pragmatique ou communicative: [intention communicative de auteur et la coopération interprétative du lecteur. Un texte. écrit ou oral, est le produit d'une intention. L’interpréter signifie chercher 4 comprendre l'intention communicative sous- jacente, car « par son texte, l'auteur a la volonté de communiquer quelque chose ses lecteurs et il met en ceuvre sa compétence linguistique dans le but que ceux-ci puissent saisir cette intention en lisant le texte ».'" En fait, « toute production verbale est une manifestation ostentatoire d’une intention de communication, Comprendre-interpréter un énoneé émis par un locuteur. c'est étre capable d’accéder & un ensemble mission verbale»’” auteurs historiques d*hypothéses intentionnelles gui motivent et expliquent Macte Mais, en réalité, le lecteur d’aujourd"hui ne se trouve pas en face des des textes bibliques. De ce fait, intention communicative sidentifie a | intentio operis du texte, c’est-a-dire, influence que I’auteur entend exercer sur le lecteur au moyen de la stratézie communicative du texte. Ainsi, « Mexégese ne se réduit pas a la compréhension du sens des phrases. Elle doit determiner ce que auteur attendait de ses lecteurs en réponse a son texte [...]. La valeur illocutoite d'un énoneé est un aspect " Exvais bibliques, Recherches Atvicaines de SA. KABASELE MUKENGE, Ecomer ef comprendr Kinshasa, Presses de l'Université Catholique du Congo. 2019. p. 13. Théologie 23. © ROMLROWSKY, Op. cit. p. 482 JM. ADAM, Op. ci, P. 39. 15 important de ce que le locuteur veut communiquer. L’identifier fait done partie de la determination du sens, de l'exégese »"* Partant de cette notion de ‘intention communicative, Vinterprétation d'un texte doit prendre en compte les inférences ou les implicarures, dans la mesure ol « un discours ne contient pas toutes les informations nécessaires sa compréhension. Mais lorsquun discours est bien construit, I'auditeur peut, par inférence, en fonction des régles de la langue et en fonction de la connaissance du monde, en titer un certain nombre d'informations qui lui permettront de construire sa compréhension du discours. Un texte doit done remplir les conditions d’inférence nécessaires a sa compréhension» Ce phénoméne se véi fie dans la Bible quand il faut interpréter les paraboles, les proverbes, les questions rhétoriques, les citations. La coopération du lecteur est indispensable a I’interprétation du texte, car un texte est une entreprise paresseuse. faite des blancs textuels, des structures appellatives, qui requigrent la coopération du lecteur afin d’en actualiser le sens, Cette coopération est un processus dappropriation de sens, dont le but est de rendre intelligible I'intention communicative et de transformer 'expérience du lecteur, Pour reprendre les mots de Paul Ricoeur, « interpréter. c'est nous approprier hic ef mune intention du texte [...} 5 dés lors, interpréter, pour Mexégéte. c“est se mettre dans le sens indiqué par cette relation d’interprétation supportée par le texte »"”, Le sens plénier d'un texte biblique ne peut étre élucidé que dans Mancrage existentiel : « Ceux-la ont été mis par écrit, pour que vous eroyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant, vous ayez la vie en son nom » (In 20,31) 1.6. Modéles de communication et lecture de la Bible La communication peut s’établir sous trois modéles: linéaire, interactif, dialogique. fr Modile linéaire Emetteur = Récepteur VY Le modéle linéaire consiste dans la simple transmission du message de l’émetteur au récepteur, 5, ROMEROWSKY, /dem, p, $66,576. "idem, p.481 ™ b RicccuR, Du texte @ l'action, Exsuis dherméneutique, I, Paris, 1986, p. 155.138. 16 Emetteur Récepteur Le modéle inferaciif implique la réciprocité des interlocuteurs qui interagissent dans la réciprocité d'un Je et d'un Tu Modite dialogique Emetteur () } (a Le modéle dialogique ou circulaire, se distingue par le fait que le récepteur agit en méme temps en émetteur coopérant a la construction du message. La communication. dans ce cas, est un processus que l'on fait avec autre. Denis Vernant essaie de structurer la complexité du phénoméne dialogique a plusicurs niveaux : transactions intersubjectives ou co-consiruction des interlocuteurs : transactions intramondaines ou Ja co-construction des mondes. Ceci n’est rendu possible que parce que le dialogique est un processus ouvert, car « les actes langagiers visent indirectement, et plus ou moins médiatement, la transformation du monde par Je truchement d'une action d’autrui provoquée par I’échange d’informations vy, pas lors, le dialogique est un processus dans lequel I’interaction communicationnelle des interlocuteurs génére la transformation mutuelle des états mentaux et fonctionne comme un facteur de co-construction des mondes. Dans toute communication, le sens plénier ne peut advenir sans la prise en compte des eroyances et des connaissances, des désirs et des intentions, des valeurs ct des interdits, des sentiments et des Emotions des interlocuteurs, Dans la perspective terprétation suit la structure dialogique de la communication, pragmatique.!" Précompréhension du lecteur Tout texte obéit au principe de Vinéarité. De ce fait, la disposition des informations les unes aprés les autres est un premier élément de comprehension. Prenons Vexemple whe deux verbes d'action famer et prier. Deus jeunes en formation voulaient obtenit la permission de fumer, sachant bien que c’é\ait interdit. Le premier alla trouver le responsable et Iui demanda : « Monsieur, estil permis de fumer pendant qu'on prie ?» 7 virwant, « Dialectique » in D. LUZZATI = al, ed. Le dialoniq Colloque international sur sex ome phitosophngnes, inguin, tires et cxtines lore eens te oe ierodernes de T'Universié du Afaine 15-16 septembre 1094, Bem ~ Bertin = rartement de ie mn. 1997, 2: Frankfurt New York Paris W 17 La réponse du Responsable était néyative : « Non ! Quand on pric, on ne fait pas autre chose. il faut tre concentré ! », Le second. avec les mémes verbes. changea l'ordre, vint trouver le responsable et lui demanda : « Monsieur, esti permis de prier pendant qu'on fume?» Il obtint une réponse positive: « Bien sir que oui. car le Seigneur nous demande de prier en tout temps !» On le voit. le changement de [ordre narratif modifie Je sens du texte et oriente son interprétation ou sa réception. Les textes bibliques. narratifs. discursifS. poétiques et autres obéissent au méme principe. Mais plus encore Gans les textes narratifs, les épisodes antécédents fonetionnent aussi comme des prévisions de lecture pours les subséquents. Commencer Pexégése ’un texte par I"étude de la précompréhension consiste & comprendre comment la narrativité dans le contexte linguistique précédent attribue au lecteur les compétences interprétatives de la péricope étudige. Sont également étudiés les liens intelligibles entre le texte et son co-texte™. et aussi la comparaison synoptiaue Dang étude du probléme synoptique aujourd'hui, on tient compte de I'approche sonchronique pronée par les nouvelles méthodes d'analyselitérure, Seton Fekkelman, oe but de la lecture latérale et de le comparaison qu’elle permet est d'alfiner davantage Trimage que nous possédons d'un évangile. [.... Les réits évangeliques n'ony été tert pour se compléier ou se contredire les uns les autres, et encore moins Pour répondre a vee conceptions modemes de vérifibilité ou de fdelité historique. Chaque éerivain veut ‘tre entendu et jugé selon ses propres mérites : chaque récit posséde sa propre wérité mere, Aussi, le Nouveau Testament laisse résonner, grce aux accents et aux themes puntvaliers & chacun des quatre évangiles, une polyphonic @ laquelle chaque vols apporte sa participation originale 2 Lanalyse rhétorique. quant a elle, s"intéresse de la composition des textes synoptiques : « étude synoptique va done comparer aussi les Sirteentes compositions. cest#-die Ia fagon paniuliére selon laquelle chacun des trois premiers évangiles a organisé. ou a constrult. son récit »', On sintéresse done la sro ivité ow a la composition rhetorigue propre & chague évangéliste pour dégager le Fpessage du eqte canonigue) ‘Si Je fexte| ciulié: 63) Un prologue, alors sa précompréhension est délerminée par st fonction programmatique. En effet, un profogue sort établir les conventions de leetre, 8 ‘4 annoncer, comme dans une ipation narrative, fe thanes majeur de Pensemble une ovsre linsraire anti _ ® Nous entendons par co-tente, environne! 2 3p FOKKLLMAN, Comment lire fe réitBibliqne, Une 2002. p. 217. 2 MnYNED, Line nouvelle introduction ans evan sment linguistique immediat. introduction pratique. LeR O13, Brovelles kes synopigues, RhSen IV, Paris, 2009. P48 1.8. Classification des actes de langage En linguistique. un énoneé comporte trois niveaux de performance : locutoire, illocutoire et perlocutoire. L’acte locutoire consiste dans le fait de dire ou d’énoncer quelque chose. L’acte illocutoire est I’action qu’on accomplit en disant quelque chose. It est souvent reconnu par les verbes performatifs : promettre. jurer, baptiser.... L'acte perlocutoire indique effet produit par Magir verbal sur le destinataire. Les cing catégories d’acte de langage auxquelles on se référe aujourd'hui dans la pragmalinguistique reléve de la force illocutoire du langage. I! s’agit de : Acte linguistique expressif. |] s'agit d’un acte par lequel le locuteur ou le sujet parlant exprime ou extériorise son émotion, son état d’4me ou ce qui reléve de son intériorité (oie, douleur, amour, coleére. tristesse, espérance. préjugé....). Acte de langage commissif. 11 consiste dans une promesse donnée ou d"un engagement pris envers une autre personne et qui conceme le futur. II doit étre en principe énoncé & Ja premigre personne du singulier «Je». Par exemple, une promesse, un voeu, un serment sont des actes linguistiques commissifs. Acte linguistique directif. Par V'acte de langage directif, on entend un acte par lequel on agit sur Pautre en Mineitant & faire quelque chose. II est normalement formulé & Vimpératif. 11 s’agit d’un ordre donné qui doit étre exéouté par linterlocuteur. Acte linguistique déclaratif': Il s’agit de Vagir verbal qui transforme ou modifie l'état des choses, des personnes ou des circonstances. Par exemple, un roi qui déclare une guerre contre un autre royaume modific le cours de histoire. Aete linguistique représentatif ou constaiatif. Par cet acte, le sujet parlant s'engage & soutenir la vérité dune proposition, Par exemple. affirmer, croire, conelure, nier. Toutefvis, cette différentiation est d’ordre heuristique, les énoneés assument souvent plusieurs fonctions illocutoires. 1.9. Conclusion Dans approche pragmatique. la Bible est Ive et interprétée en tant que Parole de Dieu en langage humain. Qui dit parole ou langage dit communication. La Bible instaure done la communication entre Diew et "homme. La pragmatique prend au sérieux le fait que la Parole de Dieu communiquée & "homme par la médiation biblique advient que sous la modalité du langage humain, Ceci implique que, pour écouter et comprendre 1a Parole Divine dans I'Beriture Sainte, il est néeessaire de connaitre le fonctionnement du langage humain, La tiche spéeifique de approche pragmatique éories du langage humain a étude de Ta Bible. Elle souligne homme. consiste a appliquer les th Vefficacité de la Parole de Dicu, sur la base de la théorie des actes de langage. it par sa parole, L'insistance sur l'action produite agit par la parole, de méme, Dieu a 19 par la parele est un tuurnant hermencutigue important. Elle fait eomprendre quinterpreter Ja Bible ne se reduit pas a detinir le sens des mots ¢t des phrases. Liapproche pragmatique oriente interpretation duc texte biblique vers la vie, vers Faction. Elle nous iny ite des lors a lire la Bible comme un texte gut a pour vocation de changer les vies humaines. de proposer des modsles a imuter. Wotlnr un monde de valeur a adopter pour que l'homme corresponde a amour de Digu dans le Christ C'est Pourquoi. Vinterét pour les cftets du texte sur le lecteur determine la lecture Pragmatique que nous farsons des dia! Fvangile, sues sur Jesus et Jean-Baptiste dans le premier

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