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Assises Nationales de l'Urbanisme, MHU, Palais des Nations, Alger, 19&20 juin 2011

URBANISME DE DEMAIN: AUTRE REGARD, AUTRES OUTILS


Ewa Berezowska-Azzag
Professeur, Directrice de recherche
Ecole Polytechnique d'Architecture et d'Urbanisme EPAU Alger
ewaazzag@yahoo.fr, cell: 05.50.12.98.31

Résumé

Depuis que la notion de la science de l'urbanisme a été définie au début du XXe siècle, la
discipline a énormément évolué, en passant par des phases aux connotations et objectifs très
diversifiés, dont aucune n'a réussi à produire une "ville heureuse".

Au début du XXIe siècle, l'ancrage des pratiques et des politiques urbaines dans la démarche
de développement durable a conféré à l'urbanisme de nouvelles responsabilités et a
considérablement élargi ses prérogatives, dans le but de parvenir à s'approcher d'un modèle
urbain capable de satisfaire les attentes sociales et économiques, tout en préservant le capital
naturel et en protégeant l'environnement.

L'urbanisme se pare alors de nouveaux atouts et "bombe le torse", mais gagne aussi en
difficulté d'action et en complexification des échelles et des problèmes à affronter. Incapable
souvent de soutenir le poids de cette charge, l'urbanisme entre dans une phase de crise, d'où
devrait émerger, dans un effort commun quasi-convulsionnaire, le nouvel urbanisme de
demain.

Progressivement, voient ainsi le jour de nouveaux concepts, nouveaux savoirs et savoir-faire


de l'urbain, qui imposent, avec la mondialisation, un nouveau regard sur la façon de voir et de
concevoir la ville. Les expériences se croisent, les réflexions s'alimentent mutuellement et
s'évaluent, en produisant un nouveau "cahier des charges" d'un urbanisme contemporain,
encore balbutiant certes, mais qui cible l'avenir de nos villes comme enjeu majeur.
L'urbanisme de demain devra faire sa mue et s'adapter aux exigences de cette nouvelle vision,
en Algérie aussi.

A tous les acteurs de l'urbain, de plus en plus nombreux, de s'emparer de la dynamique de ce


mouvement devenu incontournable et d'en saisir l'importance dans notre contexte local,
marqué par les incohérences des politiques urbaines passées et par les incertitudes liées au
contexte mondial de crises multiples déjà déclarées ou à venir. La ville algérienne de demain
sera "heureuse" ou ne sera pas – en fonction du degré de conscience, de sensibilité et de
compétence que parviendra à construire la société en mettant à contribution aussi bien notre
communauté scientifique et professionnelle, que les responsables et décideurs à tous les
niveaux de la hiérarchie de l'écosystème urbain.

L'objet de la communication est de dessiner les contours de cet autre regard sur l'urbanisme
contemporain, dont les ingrédients commencent à surgir déjà dans les réflexions partagées à
divers niveaux scientifiques et professionnels, mais pas encore dans les pratiques de
l'urbanisme algérien. Quatre grands objectifs à satisfaire y transparaissent: la nécessité de
changer notre regard sur la ville, celle de moderniser nos outils de planification et de gestion
urbaine, l'obligation de concevoir le milieu urbain autrement face aux enjeux et aux attentes
citoyennes et enfin l'impératif de relever les défis urbains à venir.

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URBANISME DE DEMAIN: AUTRE REGARD, AUTRES OUTILS
Ewa Berezowska-Azzag
Professeur, Directrice de recherche, EPAU Alger

1. Crise de l'urbanisme dans le monde et en Algérie

La notion d’urbanisme est aujourd’hui une énigme. Mal ou pas suffisamment définie,
comprise à la fois comme science, art et technique d’organisation spatio-fonctionnelle des
villes, la discipline d’urbanisme doit ses racines à l’approche, tout à fait novatrice à l’époque,
de l’ingénieur-architecte espagnol Ildefonso Cerda (Teoria general de l’urbanizatión, 1867),
qui fondait une nouvelle science vouée à la découverte et la théorisation des lois qui régissent
le processus d’urbanisation, pour mieux maîtriser la conception et l’organisation de l’espace
bâti (Merlin, 2005).

Mais au fil du temps, le terme d’urbanisme, introduit en 1910 en Europe, a pris des
connotations aussi diversifiées qu’incertaines, au point qu’aujourd’hui une véritable confusion
règne dans sa compréhension. Depuis le début du XIXe siècle, en passant par plusieurs étapes
d’évolution allant de l’urbanisme progressiste (fonctionnaliste, hygiéniste, techniciste)
promoteur du hard (contenu : lieu, infrastructures, équipements, nature), par l’urbanisme
culturaliste promoteur du soft (contenant : société et ses activités, identité symbolique,
patrimoine) à l’urbanisme écologiste chantre de la nature (support : milieu naturel,
ressources, usages), la discipline a fait sa mue douloureusement. Ballottée entre l’urbanisme
directif, règlementaire, centralisé et planifié, elle est passée à l’urbanisme libéral, régi par
les lois du marché, en subissant en même temps l’explosion du spontané, de l’informel, voire
de l’illégal, en brassant au passage de nouvelles problématiques et en faisant appel à de
nouvelles catégories d’acteurs que personne, avant, n’avait soupçonné de pouvoir l’influencer.

Dans quelle catégorie doit-on finalement classer l’urbanisme : sciences humaines et sociales,
sciences de la terre ou de l’environnement, comme le font les praticiens français ? Sciences
techniques classées sous le terme de Stadtbau, comme ont l’habitude de le faire les urbanistes
allemands ? Art de composer les paysages urbains et d’aménager les espaces comme le
comprennent les anglo-saxons, pour différencier les échelles d’approche de l’urbanism de
celles de l’urban design ou de town planning ?

Est-ce une discipline vouée à planifier, programmer et réglementer, à aménager et composer,


ou plutôt à évaluer, peser et équilibrer ? Le tout à la fois ? Quel est le rôle de l’architecture,
qui fournit la matière première du "contenant", des tissus bâtis composant la ville, sans
lesquels elle n’existerait pas ? L’urbanisme peut-il réellement être dissocié de l’architecture ?

Autant de questions qui se posent avec acuité aujourd’hui, alors que, tant dans le monde qu’en
Algérie, l’urbanisme est en crise. Son incapacité soudaine de réagir à l'accumulation des
problèmes en ville résulte peut-être, en partie, de son inclinaison à vouloir "paraître" plutôt
qu’à chercher à "être". Ce problème n’est pas spécifique à un tel ou tel pays – partout dans le
monde des voix s’élèvent pour dénoncer la perte des valeurs d'urbanité autrefois considérées
comme identifiant l’urbain: concentration, protection, stockage et redistribution, échanges, et
en même temps l'exacerbation de spécialisation économique, de la complexité des relations
fonctionnelles et spatiales (Noisette & Vallérugo, 2010), attribuée à la faiblesse des politiques
urbaines, à l’inertie des réflexes de l’urbanisme et à l’inefficacité des méthodes de la gestion
urbaine.

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Fig.1. Evolution des centres d’intérêt des courants de l’urbanisme à travers le temps

Courant Urbanisme Eléments Présence en


socioculturel prédominants Algérie
romantique esthétiste composition, art
(XVIIe-XVIIIe siècle, Europe) urbain, géométrie
progressiste hygiéniste nature, hygiène des quelques
(XIXe siècle, colonies) milieux expériences
techniciste techniques,
(révolution industrielle) technologies courants
fonctionnaliste fonctions, réseaux marquants
(XXe siècle, Charte d'Athènes) en Algérie
culturaliste symboliste génie de lieu,
(XXe siècle, Europe) patrimoine
naturaliste écologiste écosystèmes naturels
(XXe siècle, Amériques)
rupture
durable écosystème urbain
(XXIe siècle, Europe & Amériques)
organique organisme urbain
(nouvelles perspectives)

Fig.2. Evolution des modes de gestion et de conception d’aménagement de l’espace urbain

Courant Urbanisme Eléments Présence en


politico-institutionnel prédominants Algérie
socialiste règlementaire, règlements, normes, courant
(directif, centralisé, opérationnel prescriptions prédominant
opposable aux tiers, non (Charte d'Athènes, Europe en Algérie
négociable) centrale, anciennes colonies
occidentales, Asie)
capitaliste libéral, tactique marché de l'offre et quelques
(incitatif, décentralisé, (XXe siècle Amériques, de la demande, prémices
opposable aux tiers mais Europe occidentale, XXIe règlements flexibles,
négociable) siècle Asie) codes de référence
rupture
durable régulateur, stratégique codes, mesures
(inductif, incitatif, (XXIe siècle, Europe & inductives et
décentralisé, consultatif, Amériques, certains pays incitatives,
concerté, flexible, d'Afrique) régulation des flux,
adaptable, négociable) des rapports
offre/demande, des
formes et typologies,
des cycles de vie,
cycles métaboliques

Ainsi, fruit des évolutions consécutives liées au changement des contextes sociopolitiques,
économiques et socioculturels, l’urbanisme des époques passées a fait sa mue en servant la
cause d’une politique de gestion en place et des objectifs qui s’imposaient au fil du temps et
en se servant des acquis technologiques pour contourner les contraintes que lui imposaient les
sites. Cependant, sous l’effet d’influence des politiques de développement durable, une

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véritable rupture de ce processus s'opère actuellement. Une nouvelle vision de l’urbanisme
contemporain impose à la place de l’urbanisme fonctionnaliste, l’écourbanisme et
l’urbanisme durable ; à la place de l'urbanisme quantitatif d'exploitation, l'urbanisme
qualitatif des équilibres; à la place de l’urbanisme règlementaire, opérationnel, les approches
stratégiques et tactiques de l’urbanisme régulateur.

Aujourd’hui, trois directions majeures d’évolution de l’urbanisme se dessinent:


• celle du patient travail de renouvellement des tissus bâtis malmenés par le temps et
les changements des besoins et des modes de vie (revitalisations, régénérations,
restructurations, reconstructions, réhabilitations, requalifications, etc.), qui introduit
progressivement dans ses actions les colorations de la durabilité ;
• celle d’accueil de l’urbanisation nouvelle, qui tente de se démarquer des anciennes
approches par des audacieuses propositions aux connotations durables (écoquartiers,
villes nouvelles durables);
• celle enfin de l’urbanisme "bling-bling ", qui ne vise que la visibilité de ses exploits,
confiés souvent aux architectes stars, et qui se prévaut souvent des innovations éco-
technologiques pour adhérer à la démarche du développement durable devenue à la
fois un principe et un objectif à cibler.

Toutefois, malgré les avancements, nous ne sommes toujours pas parvenus à mettre un terme
à la "guerre des tranchées" que se livrent les différentes professions qui se revendiquent
aujourd'hui légitimement urbanistes. Les sociologues urbains, les géographes urbains, les
historiens, les anthropologues urbains, les économistes urbains, les ingénieurs de génie urbain,
les aménageurs et les paysagistes - chacun ciblant des aspects plutôt monodisciplinaires de
l’urbain, indispensables mais non holistiques - veulent gagner la compétence d’urbaniste. La
corporation des architectes n’a pas encore osé définir le statut spécial de la maîtrise d’œuvre
urbaine dévolue de droit aux architecte-urbanistes, du fait de leurs compétences
pluridisciplinaires, analytiques, conceptuelles et créatrices à la fois, du fait de
l'interdisciplinarité de leur formation qui leur permet de jouer le rôle de chef d’orchestre à la
fois des équipes de projets, des processus et des procédures de la mise en œuvre.

N’est-ce pas quelque part cette instabilité d’approches et de visions, historiquement prouvée
et professionnellement identifiée, qui fait que l’urbanisme est en crise et que la ville est
aujourd’hui malade ?

2. Ville, malade de son urbanisme

Depuis 2007, plus de la moitié de la population mondiale est désormais citadine. En Algérie,
selon le SNAT 2030 (Loi n°10-02), en 2008 la population était déjà urbanisée à 70%, or
l’inadaptation du système urbain actuel aux exigences de la quantité, de la qualité, de
l’attractivité et de compétitivité, n’augure rien de bon pour le développement urbain. La
dynamique d’urbanisation va se poursuivre, malgré les tentatives de renversement des
tendances. La diversification des formes de cette urbanisation sous l’effet de la mondialisation
rend sa maîtrise d’autant plus difficile : si nous n’avons pas (encore) des villes mégapoles, les
métropoles internationales et régionales, villes moyennes et petites, portuaires, littorales, du
désert, les périphéries et les franges, les villages rurbains, imposent leurs problématiques
spécifiques de manière de plus en plus insistante et complexifient les approches de
l’urbanisme local qui se veut moderne.

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Les nombreuses incohérences que la vie quotidienne relève en conséquence en milieu urbain
en général, et dans la ville algérienne en particulier, effraient par leur ampleur. On pourrait les
classer en sept groupes :

• Incohérences socio-spatiales:
Désir de mixité, de compacité et d’identité versus la non maîtrise de la
fragmentation, ghettoïsation, perte de notion de proximité et syndrome NIMBY,
universalisme des styles et des typologies, perte d’urbanité, etc.
• Incohérences socioéconomiques:
Accroissement démographique des populations urbaines versus crise d’emploi,
spécialisation non organisée, montée de l’informel et du spontané, spéculation
foncière et immobilière, etc.
• Incohérences environnementales:
Raréfaction de l’offre des ressources environnementales face à l’augmentation
de la demande en sol, eau, énergie, végétation;
Etendue et dangerosité des pollutions urbaines versus la faiblesse des capacités
environnementales d’absorption et de recyclage;
Exposition et vulnérabilité aux risques majeurs versus la concentration des
populations et activités en ville, etc.
• Incohérences urbaines:
De structuration:
Préservation des terres agricoles versus étalement spatial, non maîtrise de la
forme urbaine et des relations interurbaines, absence des limites claires de
croissance spatiale;
Absence d’organisation de la centralité versus demande des espaces
d’investissement, non définition des unités de structuration, l'inadéquation des
systèmes de transport avec la polarisation en cours;
De fonctionnement:
Ambitions d’attractivité et de compétitivité versus l'incohérence d’équipement et
l'inefficacité des services, vieillissement des infrastructures, faiblesse des TIC;
D’image:
Souci de protection du patrimoine et de valorisation patrimoniale versus perte de
qualité paysagère, perte d’identité du bâti, absence de lisibilité de composition
urbaine, pollution visuelle, absence de qualité du cadre de vie, etc.
• Incohérences de gestion urbaine:
Volonté de modernisation et de gestion de proximité versus la politique urbaine
non clarifiée, l'absence de stratégie de développement, la centralisation exagérée
de la décision, absence de cadre de concertation, faiblesse de participation,
faiblesse des finances locales, faible niveau des compétences, communication et
information inexistante, non maîtrise des techniques de marketing urbain,
faiblesse de formulation des cahiers des charges, etc.
• Incohérences de planification urbaine:
Absence de stratégie d’aménagement et de renouvellement, inadéquation des
périmètres, inadéquation des instruments de planification aux évolutions des
besoins, absence d’interactivité des échelles spatiales et temporelles,
uniformisation des règlements sur tout le territoire national, faiblesse des
normes, absence des référentiels, etc. versus l’affichage des objectifs de
développement durable urbain.

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• Incohérences de formation en urbanisme:
Inadéquation des offres de formation aux besoins du terrain, faiblesse de
formation des architectes aux aspects urbains, absence de diversification des
métiers, rareté de formation en techniques d’ingénierie urbaine, absence des
formations intersectorielles et pluridisciplinaires, confusion des prérogatives
entre la maîtrise d’œuvre urbaine et les métiers d’accompagnement, faiblesse de
définition de la maîtrise d’œuvre urbaine, etc. versus les ambitions des objectifs
de développement urbain formulés par le SNAT.

Quatre dangers de rupture à affronter dans l’avenir se dégagent de ce constat:

• Dichotomie d’intérêts entre le global et le local


Montée de pression sur le contexte local des spéculations internationales sous
l’effet de mondialisation, opposition entre la quantité des flux divers et la qualité
de vie attendue et la qualité des lieux.
• Dichotomie d’enjeux entre le niveau stratégique et celui de proximité
L’urbanisme de stratégie et l’urbanisme de proximité n’ont pas les mêmes
logiques, clash entre les besoins de faire face à la concurrence et les aspirations à
l’équité, entre le nécessaire rayonnement d’une ville (local, régional,
international) et le désir de la ville à vivre, proche de ses habitants.
• Dichotomie d’objectifs entre le quantitatif et le qualitatif
Clash entre les besoins quantitatifs en augmentation et les attentes de qualité de
vie, qui pourrait provoquer un conflit des objectifs entre l’urbanisme du contenu
(soft) et l’urbanisme du contenant (hard).
• Dichotomie de cibles entre l’image attractive à l’international et l’identité locale
Montée de l’urbanisme "bling-bling", recherche de visibilité internationale des
exploits par des projets confiés aux architectes-stars et abandon des acquis
locaux, face aux résistances des traditions et des modes de vie locaux.

3. Que faire ?

L’urbanisation est aujourd'hui un phénomène mondial dominant qui inquiète. La ville est
devenue plus que jamais un enjeu, sinon principal, du moins prioritaire. Et c'est à ce moment
le plus crucial de l'histoire urbaine que l’urbanisme entre en crise.

Dans le monde, face aux constats alarmistes, bien des rencontres internationales ont été
organisées autour de cette question. L’inquiétude a commencé à s'exprimer avec la
Conférence des Nations Unies sur les établissements humains Habitat II à Istanbul en 1996,
qui a posé le problème d’un habitat adéquat pour tous et de la ville durable. Depuis, un Forum
mondial des villes se tient régulièrement. Sa 5e session annuelle, qui a eu lieu en mars 2010 à
Rio de Janeiro et affichait un titre accrocheur "La ville est partout, où est l’urbaniste ?",
témoigne de l’importance des ambigüités dans lesquelles se débat l’urbanisme aujourd’hui,
alors que sa compétence est mise à rude épreuve face aux attentes et enjeux. Le site officiel de
l’UN Habitat, sous-titré « For a better urban future », expose les axes de la nouvelle politique
urbaine mondiale et la Banque Mondiale a élaboré en 2009 sa nouvelle « Stratégie pour les
villes et collectivités locales », qui insiste à juste titre : « Il y a lieu de repenser notre
approche et nos méthodes ».

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En Algérie, le flou qui entoure la profession d'urbaniste n'arrange pas la clarification des
missions de l'urbanisme contemporain, qui aurait pu contribuer à l'amélioration de la
production et de la gestion urbaine. Les villes algériennes n'arrivent plus à soutenir le rythme
des changements et répondre aux exigences nouvelles que leur impose la pression
démographique, les changements de modes de vie, la mondialisation et la globalisation des
échanges économiques, culturels, scientifiques et technologiques. Elles s'essoufflent, polluent,
usent et abusent de leurs ressources vitales, détruisent leurs héritages patrimoniaux, banalisent
leur image, briment les rares initiatives citoyennes de participation dans la vie urbaine,
freinent les dynamiques économiques positives et, en fin de compte, au lieu de s'autoréguler,
elles s'autodétruisent à petit feu.

Dans la précipitation devant l'urgence des programmes à réaliser, nous nous sommes souvent,
trop souvent même, contentés de copier les solutions proposées ailleurs sans vraiment nous
donner la peine de vérifier si leur faisabilité dans le contexte local est possible, et nous avons
souvent démissionné devant la complexité de la tâche. Or, les solutions ne peuvent surgir que
des contextes locaux, s’appuyer sur la connaissance profonde des lieux, des sociétés et sur
l’inventivité des populations.

Lourd de conséquences, ce constat n'est pas gratuit. De nombreuses études scientifiques et


l'expérience pratique du terrain démontrent l'ampleur des problèmes que vit aujourd'hui la
ville algérienne, quelque soit sa taille ou sa situation géographique, et qui concernent aussi
bien sa structure et son fonctionnement, que son image, sa sécurité, sa planification et sa
gestion.

Le poids des incohérences passées pèse lourdement sur l'avenir des villes. La quasi-
répétitivité de problèmes énumérés dans les villes de l'ensemble du territoire national
démontre bien que leur cause principale réside dans une absence, jusqu'à très récemment,
d'une politique de la ville capable de mettre en place une véritable stratégie de développement
urbain, en harmonie avec le développement du milieu rural.

Face aux multiples défaillances, face à l'incapacité des anciennes méthodes et le dépassement
des concepts traditionnels, nous voilà devant un dilemme: comment ausculter, diagnostiquer,
soigner, guérir et suivre pour protéger le développement de nos organismes urbains ? Il n’est
pas difficile de prévoir que, au vu des avancements actuels dans le monde, il nous serait
nécessaire d’effectuer quatre ruptures radicales d’avec la façon actuelle d’agir:

3.1. Changer notre regard sur la ville

L’urbanisme de demain sera probablement non seulement durable, mais aussi organique.
Cette perspective implique de traiter la ville non plus seulement comme un établissement
humain, mais désormais comme un organisme vivant, doté d’une morphologie, d’une
physiologie et d’une intelligence urbaine, qu’il s’agirait de savoir ausculter, analyser, guérir,
aider à se développer, maintenir et suivre, tout comme le fait le médecin pour un organisme
humain. Elle met en avant le fait que l'homme, bien que sujet principal de préoccupation, n'est
qu'un maillon d'un système environnemental qui lui impose certaines limites. Adossés
ensemble, imbriqués, l'homme et son environnement constituent un organisme vivant qui naît
à un certain moment de l'histoire, croisse, grandisse, arrive à la maturité, se développe, subit
des aléas, tombe en défaillance, décline et meurt aussi, si les conditions fondamentales de sa
subsistance ne peuvent être remplies.

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Fig.3. Fonctions vitales de l'organisme urbain

Source: E.Berezowska-Azzag, 2011

Dans ce "cycle de vie", nous nous trouvons aujourd'hui à la croisée des chemins. Notre
urbanisme contemporain n'a produit que des effets néfastes. Pour que la ville, considérée
souvent comme moteur de développement civilisationnel, puisse jouer aussi son rôle de
"déclencheur" d'un développement humain et territorial, elle doit remplir un certain nombre
des conditions de performance et de qualité qui conditionnent son évolution vers la durabilité:
en un mot, elle doit se montrer capable de "soutenir" son propre développement et de le
rendre "soutenable" pour des générations futures.

3.2. Moderniser les outils de planification et de gestion urbaine

L'urbanisme contemporain en Algérie s'est essentiellement focalisé sur le "faire", au détriment


de "penser". Quoi faire, où faire, combien, comment ? Il s'est figé sur les rétrospectives, trop
souvent nostalgiques, sur les analyses statiques et les actions ponctuelles, en négligeant
obstinément de s'interroger sur l'avenir. Quelles menaces, quelles réponses, quel projet de
ville, quelle stratégie d'action ?

C'est un urbanisme règlementaire au souffle court, qui ne réglemente finalement rien et


capitule devant l'énormité de la tâche: prolifération de l'informel, dégradation patrimoniale,
insuffisance de l'offre urbaine face à l'accroissement de la demande dans tous les domaines:
logement, équipements, infrastructures, ressources, incapacité de satisfaire l'exigence de la
qualité du cadre de vie. C'est aussi un urbanisme hésitant entre réglementation et le marché,
dans une véritable danse de "ni, ni". Il s'est livré, pieds et poings liés, à la cause économique,
aux lois du marché de l'offre et de la demande, aux calculs des rapports pertes/profits, en

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évacuant la cause humaniste. L'humanisme et l'écologie peinent à percer dans cette approche
et si l'on ne prend pas garde, l'on risque fort, comme nous le rappelle Alain Bourdin (2010),
de voir exploser des "bulles urbanistiques", comme ont explosé ailleurs, il n'y a pas si
longtemps, des "bulles financières". Il faut crever l'abcès, avant qu'il ne soit trop tard.

Le danger est d'autant plus grand, que l'urbanisme piétine dans le copié/collé, stérilisant toute
pensée créative locale par des démarches bureaucratiques et l'accumulation des
incompétences à tous les niveaux. Il manque de la hauteur de vue, de recherche prospective,
de vision stratégique, d'un traitement d'ensemble. Il sera obligé de s'y mettre, sous peine de
précipiter les villes dans un chaos urbain.

L’avenir de l’urbanisme responsable passe par l’indispensable modernisation des outils


actuellement en place, totalement dépassés. Il s'agira essentiellement de penser à:

™ Intégrer les nouvelles complexités, se servir des modélisations systémiques:


9 des échelles temporelles interactives (court, moyen et long terme)
9 des échelles spatiales imbriquées (territoriale, communale, du site)
9 des dimensions et champs thématiques des projets
9 des périmètres spatiaux divers (administratifs, des projets, des bassins
thématiques, statistiques, etc.)
9 des logiques des acteurs souvent incompatibles (sectoriels, de décision, de
gestion, de financement, des usagers)
9 des tâches du management des projets urbains

™ Passer de la logique du plan à la logique du projet:


La ville algérienne est passée par des périodes successives de planification
centralisée et directive, qui octroyait des programmes d'équipement et
d'aménagement non soutenus par une vision stratégique d'ensemble et distribuait
des budgets en fonction des prévisions linéaires à court et moyen terme. La
politique de développement était alors réglementaire, non incitative. Elle
s'appuyait sur des outils et instruments d'aménagement et d'urbanisme (PMU,
ZHUN, PUD, puis PDAU/POS, PAW, PPSMV) et non sur des outils de
développement urbain, puis elle en a rajouté d'autres qui n'ont cependant toujours
pas de force d'action escomptée en absence des décrets exécutifs (PPR, PDU,
PAC, SDAAM, PAVN, etc.).

La majorité de ces outils procède encore de la démarche descendante, non


concertée et non négociée. Tous procèdent d'une même vision sur l'ensemble du
territoire national, pourtant si riche en diversités, et traitent les villes sans aucune
distinction de situation, du contexte géo-climatique ou socioculturel spécifique.
Tous enfin ne traitent que du contenu intra urbain, sans prendre en considération
des relations interurbaines, locales, régionales, nationales ou internationales, qui se
tissent de plus en plus dans le réseau des villes algériennes. De plus, la ville ne
dispose toujours pas d'un code d'urbanisme ni d'un code de la construction, qui
auraient pu empêcher la prolifération de la ville illégale.

Après 40 années d'efforts de développement, malgré des moyens importants


engagés et malgré la bonne volonté des autorités responsables, les résultats
néfastes, facilement perceptibles, de ce type de démarche entravent sérieusement

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le fonctionnement des ensembles urbains. Il est alors temps de comprendre que le
plan n’est pas un projet !

Fig.4. Processus de conception de développement urbain

Source: E.Berezowska-Azzag, 2011

™ Forger nos propres concepts urbains et définir, notamment:


9 la notion de maîtrise de l’ouvrage urbaine (commande)
9 la notion de maîtrise d’œuvre urbaine (conception)
9 la notion de maîtrise d’usage en milieu urbain (gestion)
9 les modèles de développement urbain
9 les périmètres urbains pertinents

™ Compléter l’éventail des outils:


9 de diagnostic urbain: ratios, normes, référentiels, instruments stratégiques
(PER, profils environnementaux, sociaux, économiques et urbains, SIG, études
de définition)
9 de prospective urbaine: audits, instruments stratégiques de développement et
d’aménagement, Agendas 21 locaux, chartes
9 d’ingénierie urbaine: de certification et de labellisation, de marketing urbain,
de management OPC et d’AMO, des SIAD, etc.

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9 d’encadrement juridique et règlementaire: contrats, cahiers des charges
types, décrets exécutifs, codes d’urbanisme, de la construction, de l’habitat.

™ Corriger les méthodes de gouvernance urbaine sans reproduire les schémas


étrangers :
9 renforcer la concertation (cadre juridique local et intercommunalité, méthodes
de négociation)
9 définir et introduire la participation PPP (financements mixtes, public/privé
des investissements, méthodes et moyens d’incitation)
9 mettre en place des systèmes de communication et d’information citoyenne
(TIC, sites web, forums, journaux locaux, événementiel, publicité, etc.)
9 coordonner, suivre et rendre accessibles les banques des données (SIG,
statistiques, cartographie, études techniques, etc.)
9 intégrer le monitoring quantitatif et qualitatif, selon les principes de
développement durable

™ Former aux nouveaux métiers urbains:


9 programmation urbaine
9 prospective urbaine et construction des scénarios
9 aide à la décision et assistance à la maîtrise d’ouvrage
9 modélisation urbaine
9 audits et certifications urbaines
9 ingénierie urbaine
9 autres
Ces six groupes d'outils méritent l'attention particulière dans l'avenir proche, afin de jeter les
bases d'un processus de conception différent, qui ne pourrait se faire sans disposer de
nouveaux moyens de réflexion et de réalisation des projets.

3.3. Concevoir autrement face aux enjeux

Désormais, il faut rompre avec la "planification par régularisation des coups partis". Cette
manière de réagir à la prolifération de l'illicite est non seulement significative de l'aveu de
faiblesse des autorités locales responsables, mais aussi témoigne de l'absence de souplesse, de
réactivité des conceptions et de l'absence d'une vision stratégique commune. Il faudrait donc,
à notre avis:

™ Penser stratégie:
Définir la politique de la ville nationale et locale (Agir sous la pression des besoins
? Avec quels moyens ? Agir selon les enjeux et objectifs à atteindre ? Pour quels
enjeux prioritaires ?), formuler une vision d'avenir de développement (Sociale,
économique, avec quels objectifs ? Environnementale ? Quels principes ? Urbaine
? Quelles modèles, structures ? Quelles formes, images?). Identifier enfin une
stratégie d'action (Plans d’action ? Quels phasages, montages financiers, fonciers ?
Quels moyens de réalisation ? Quelles méthodes d’action, de concertation, de
communication ?)

™ Concevoir flexible et concerté, en admettant que:


9 les principes fondateurs du projet sont non négociables (enjeux prioritaires,
ambitions, visions globales d’aménagement)

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9 les modalités d’application des ces principes sont en revanche amandables
(tracés, localisations, typologies, ratios)

™ Programmer durable:
9 programmer itératif, non linéaire
9 calculer les états limites de capacité de charge urbaine à terme
9 calculer les capacités de charge environnementales
9 évaluer les cycles métaboliques urbains

™ Évaluer, diagnostiquer par domaines de l’écosystème:


9 établir les profils environnemental, social, économique, urbain
9 identifier les périmètres d’évaluation pertinents
9 associer les acteurs en place

3.4. Relever les défis urbains à venir

De nouveaux enjeux urbains se profilent dans le monde, menaçant sérieusement leur devenir.
Les villes algériennes et le système urbain local ne peuvent pas les ignorer. Quatre d'entre eux
paraissent notamment particulièrement importants:

™ Les changements climatiques et leurs conséquences:


9 Raréfaction des ressources en eau, végétation, désertification
9 Diminution des terres irriguées et menaces sur la sécurité alimentaire
9 Aggravation des microclimats urbains et pollutions
9 Recrudescence des catastrophes naturelles
Il faudrait donc redéfinir les règles d’usage du sol, d’usage des ressources, de
conception d’aménagement (éco²urbanisme), les modèles de développement
urbain, de réticulation des noeuds TOD, etc.).

™ La possibilité de crise énergétique:


9 Épuisement des ressources fossiles
9 Guerres pour de l’or noir
9 Course aux énergies renouvelables
Il s'agirait alors de définir les objectifs de la politique énergétique nationale et
locale, introduire les nouvelles technologies, promouvoir des innovations locales.

™ L'accroissement démographique et urbanisation accélérée:


9 Menaces de gigantisme urbain, vulnérabilité aux risques majeurs
9 Statut des franges urbaines entre l’urbain et le rural
9 Difficultés de gestion et de maîtrise spatiale
9 Perte de la qualité de vie et du cadre de vie
Ce qui impliquerait de renouveler la ville, d'identifier les états limites de
croissance urbaine, de prospecter pour le développement urbain, de déconcentrer,
de revitaliser le rural, etc.

™ L'essoufflement économique et mondialisation:


9 Croissance de la pauvreté et des inégalités sociales
9 Troubles sociaux
9 Course à l’attractivité et la compétitivité internationale

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Ce qui nous obligerait à identifier les zones urbaines en déclin, revitaliser,
promouvoir les initiatives locales, inciter à la compétition pour la qualité, renforcer
les finances locales pour le développement, etc.

4. Urbanisme de demain, changeons d'optique

Pour conclure, il nous faut quand même rappeler que des efforts considérables ont été
déployés en Algérie durant les quarante dernières années pour atténuer les difficultés,
augmenter l'offre urbaine, améliorer la qualité de vie et résoudre les nombreux problèmes qui
se posent en milieux urbains. La vision pessimiste du tableau urbain qui vient d'être brossé
pour la ville algérienne, résulte du fait que tous ces efforts ont été mal canalisés, pas
suffisamment maturés, insuffisamment encadrés. C'est aujourd'hui un phénomène qui touche
la majorité des villes des pays en voie de développement, mais aussi de certains pays
développés, et nous pouvons y apporter des solutions en puisant dans la force de l'expérience
urbaine locale, en cherchant des idées dans les traditions ancestrales éprouvées et en
s'inspirant des expériences étrangères diverses.

"Les villes, et plus généralement les territoires, concentrent les hommes et les activités,
accumulent la valeur ajoutée et l'intelligence collective, régulent l'économie et les apports
sociaux" (Haentjens, 2010), mais doivent aussi gérer l'accumulation des conflits de tout genre
et faire face aux menaces, tant endogènes qu'exogènes. La crise urbaine résulte de
l'insatisfaction générale quant à leur capacité de résilience, fait naître une conviction que
demain il nous faudra d'autres villes, d'autres milieux urbains. Ils ne pourrons cependant
s'inventer qu'en modifiant sensiblement les pratiques et les méthodes d'urbanisme. Ainsi, le
développement de la ville pourrait être réellement encadré et guidé, non seulement
règlementé, comme c'est le cas aujourd'hui.

Il nous faut admettre que 20 ans d’exercice de vieux réflexes et d’utilisation des vieux outils,
10 ans de retard dans les processus de modernisation de la conception urbaine et de la
formation des cadres professionnelles compétents, enfin 10 ans de retard dans la prise en
charge des principes de la démarche de développement durable en milieux urbains nous ont
amené au point de non retour, où seul un sursaut vigoureux nous permettrait de rebondir sur
de nouvelles bases. Les institutions existent pour mener une réflexion constructive sur une
vision d’avenir commune pour la ville algérienne dans toute sa diversité, sur la mise en place
d'une ingénierie d’appui conceptuel et technique et sur une dynamique collective d’action
sereine pour tracer les contours d'un avenir meilleur pour nos milieux de vie. Sachons mettre à
profit la nouvelle dynamique qui apparaît.

Références bibliographiques:
* Haëntjens J., Urbatopies, L'Aube, Paris 2010
* Bourdin A., L'urbanisme d'après crise, L'Aube, Paris 2010
* Berezowska-Azzag E., Programmation urbaine en Algérie, nouveaux défis, in
"Programmation urbaine, socle d'un développement spatial durable maîtrisé", Vies de
Villes, HS n°2, juin 2011
* Berezowska-Azzag E., Prospecter pour façonner le devenir de la ville, in "Programmation
urbaine, socle d'un développement spatial durable maîtrisé", Vies de Villes, HS n°2, juin
2011
* Loi n°10-02 du 29 juin 2010 portant approbation du Schéma National d'Aménagement du
Territoire SNAT 2030

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