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TD 4. Comment Danone Implique Ses Salariés Dans Sa Stratégie
TD 4. Comment Danone Implique Ses Salariés Dans Sa Stratégie
Comment impliquer les salariés dans la vie de leur entreprise ? À l’heure du management agile,
la question est sur les lèvres de tous les dirigeants. Si, dans les petites structures, la proximité
entre les employés et les ambitions de leurs responsables peuvent paraître évidentes, dans les
grands groupes, la déconnexion entre les objectifs du groupe et ceux des salariés est plus grande.
C’est pour tenter de réduire cet écart que Danone a annoncé, lors de sa dernière assemblée
générale, la mise en place du programme. Une personne, une voix, une action. Le principe :
octroyer une action à chaque salarié du groupe et, en contrepartie, lui demander de participer à
l’élaboration de la feuille de route de l’entreprise pour les dix prochaines années. Le
développement des hommes est la première des responsabilités de l’entreprise envers ses
collaborateurs. C’est aussi pour elle l’un des leviers les plus puissants d’amélioration de ses
performances. Pour reprendre une conviction défendue par DANONE depuis plus de trente ans,
il n’y a pas de développement économique durable sans développement des hommes.
Développer les hommes suppose au préalable le respect et la défense de principes élémentaires.
A commencer par la sécurité au travail. C’est le sens du projet Wise destiné à renforcer
l’exigence de sécurité à tous les niveaux de l’entreprise .A commencé aussi par la conformité
avec les pratiques sociales recommandées par l’Organisation internationale du travail. Dans ce
domaine, DANONE a souhaité aller un cran plus loin à la fois en intégrant ces principes sociaux
fondamentaux dans les accords signés avec ses partenaires syndicaux au niveau mondial et en
s’assurant que l’ensemble de ses fournisseurs puisse se mettre en conformité. Développer les
hommes, c’est également développer leurs compétences professionnelles. Celles dont ils ont
besoin dans le poste qu’ils occupent mais aussi celles dont ils pourront avoir besoin demain.
Celles qui leur permettront de prendre d’autres fonctions, avec plus de responsabilités, ou même
des postes dans d’autres domaines, d’autres métiers, voire d’autres pays. La politique de
formation, l’organisation de la mobilité fonctionnelle ou géographique et le développement de
l’employabilité à travers l’obtention de diplômes répondent à cette ambition. Et participent dans
le même temps à développer le niveau d’engagement des hommes et des femmes du Groupe.
C’est en tout cas ce que mettent en évidence les différentes études et enquêtes internes.
L’expression « base de la pyramide » (parfois désignée par son acronyme anglais BOP) est
issue des travaux de C. K. Prahalad et S. Hart. Elle est utilisée pour désigner les populations à
bas revenus ; elle désigne aussi les modèles économiques mis en place pour donner à ces
populations l’accès à un certain nombre de produits et services. Il s’agit de réconcilier lutte
contre la pauvreté et recherche du profit : l’objectif social rejoint l’objectif économique.
La littérature académique n’offre aujourd’hui que des réponses insatisfaisantes aux questions
posées par cet article. Dans le champ de la stratégie et de la Responsabilité sociale de
l’entreprise (RSE), par exemple, une littérature pléthorique s’intéresse au pourquoi : pourquoi
l’entreprise devrait-elle adopter des comportements plus responsables ? Est-ce le gage d’une
plus grande compétitivité ? Mais peu de travaux portent sur le comment, à savoir les modalités
de mise en œuvre de la RSE, et sur l’innovation stratégique et la transformation des entreprises
permettant de répondre aux intenses défis environnementaux et sociétaux qui se posent à notre
économie.
Il est donc possible d’étudier ce cas non pas à l’aune des principes et des valeurs (« Danone est-
il fidèle aux valeurs qu’il affiche ? »), mais d’une façon beaucoup plus opérationnelle, en
s’appuyant sur les cadres d’analyse des spécialistes de la stratégie (« Les choix de Danone ont-
ils permis son renouveau stratégique ? »).
L’approche développée par Crossan et Bedrow, deux chercheurs en stratégie, offre un cadre
d’analyse efficace pour comprendre et évaluer les choix de la multinationale alimentaire.
Intitulée les « 4I » (Intuition, Interprétation, Intégration, Institutionnalisation), cette approche
permet d’analyser le processus d’apprentissage organisationnel conduisant au renouveau
stratégique d’une entreprise.
Mais l’apprentissage ne se réduit pas à la diffusion « top down » des intuitions des dirigeants.
Il s’agit également de s’intéresser aux compétences développées sur le terrain par les acteurs
des initiatives Social Business ou BOP, en se demandant si ces compétences se diffusent dans
l’organisation et selon quelles modalités. On ne peut enfin faire l’économie d’une interrogation
de fond : les compétences ainsi développées présentent-elles un caractère stratégique ?
Chez Danone, la réponse est positive : les projets social business ou BOP ont joué un rôle
significatif dans le processus de renouveau stratégique du groupe entamé au début des années
2000. Loin d’être une simple affaire de communication, ces projets sont des leviers de
transformation de l’organisation ; à quelques conditions que nous tenterons de souligner.
Les modèles mis en place par Danone, tels que Grameen Danone au Bangladesh ou Lématéki
au Sénégal, sont de véritables laboratoires d’innovations de rupture, qui remettent en cause de
manière radicale l’ensemble de la chaîne de valeur.
La chaîne d’approvisionnement subit également une petite révolution avec la mise en œuvre
d’un approvisionnement local en matière (lait et céréales), et d’une distribution locale des
produits ; notamment par le biais d’un réseau de pousse-pousse et de ladies, qui vendent les
produits en porte-à-porte.
Enfin des financements innovants sont mis en œuvre, tels que l’épargne salariale solidaire et la
Sicav danone.communities, ou des dispositifs nouveaux de garantie créés pour l’occasion par
l’Agence française de développement et consistant à couvrir 50% des éventuelles pertes de
valeur des projets de Social Business.
Ces nouveaux savoir-faire, qui concernent aussi bien l’organisation dans son ensemble que les
individus, se doublent de nouveaux savoir-être, fondés sur des représentations elles aussi
nouvelles.
Les acteurs commencent donc par désapprendre, par remettre en cause leurs manières de penser
et d’agir. Partant d’un comportement centré sur les produits, dans une recherche de
sophistication toujours plus grande et une certaine déconnexion d’avec la réalité et les
consommateurs, ils apprennent à observer, écouter, s’immerger à nouveau dans le réel ; ils
inversent la démarche et partent à nouveau des besoins, attentes, habitudes et contraintes des
personnes pour concevoir des offres souvent plus simples et plus adaptées.
Ils comprennent ainsi qu’ils connaissent très mal l’univers des consommateurs à bas revenus,
et qu’il importe aussi de co-créer avec ces derniers et avec des acteurs qui en sont proches
(ONG, associations). A l’origine des initiatives Social Business, le partenariat avec Grameen a
été déterminant : il a relié les salariés de Danone aux consommateurs pauvres du Bangladesh et
a constitué un levier majeur d’innovation de rupture : c’est en effet Yunus qui a proposé aux
dirigeants de Danone un modèle relocalisé fondé sur des petites unités de production avec un
double objectif de lutte contre la malnutrition et de création d’emplois.
On peut dès lors identifier un certain nombre de facteurs clés qui permettent de comprendre le
succès de ce renouveau stratégique. L’expérience de Danone permet de mesurer le potentiel de
transformation que sous-tendent les projets sociétaux d’accès aux biens et services, la
confrontation avec la réalité de la pauvreté et la mise en œuvre d’initiatives pour et avec les
personnes à bas revenus. L’impact économique direct des premiers projets menés par le groupe,
tels que les social business du Bangladesh et du Sénégal est encore limité ; aussi bien en termes
d’impact social que de profitabilité pour les filiales concernées : le temps d’apprentissage requis
pour atteindre le point mort est plus long que prévu. L’enjeu est cependant plus vaste : il est
dans ce rôle de levier transformationnel : porteur d’un retour à la réalité, d’une reconnexion aux
besoins des populations, d’une démarche nouvelle de co-création avec ces dernières et de modes
d’actions plus frugaux et entrepreneuriaux.