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HISTOIRE

DE
L’ARMÉE
ALLEMANDE
HISTOIRE DE L'ARMfiE ALLEMANDE
(19184946)
I
L'effondrement (1918-1919).
II
La discorde (1919-1925).
III
L'essor (1925-1937).
IV
L'expansion (1937-1938)
Y
Lea dpreuvea de force (1938-1939).
VI
L'apogée (1939-1942).
VI1
Le tournant (1942-1943). .
YI11
Le reflux (1943-1944).
IX
L'agonie (1944-1945).
X

Le jugement (1945-1946).
BENOIST-MECHIN

HISTOIRE
DE
L’ARMÉE
ALLEMANDE
III
L’ESSOR
(1925-1937)
Avec 2 cartas
et 2 graphiques

ÉDITIONS ALBIN MICHEL


22, RUE HUYGHENS
PAR IS
IL A ÉTÉ TIRE DE
L’ a HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE 1) :
110 EXEMPLAIRES SUR VÉLIN D U MARAIS,
DONT CENT NUMÉROTÉS D E 1 A 100
ET DIX EXEMPLAIRBS HORS COMMERCE,
NUMÉROTÉS H.. C. I. A H. C. X,
LE NUMÉRO JUSTIFICATIF D E C E A Q U E SERIE
SB TROUVANT EN TÊTE D U DERNIER TOME D E L’OUVRAGE.

D m b da bdwtwn s i de reproduction rheruls pour tous pay’.


0l@dSd 1964 by $ornon8 ALBINMICHEL.
Les faits sont patents; lout le
monde peut les voir. Et cependant, si
nous voulons être honndtes, il nous
faut avouer qu’en fin de compte, nul
ne peut dire comment un simple
fantassin de la Grande Guerre,
nommé Hitler, a p u faire tout cela.
JOSEPHGCEBBELS.
PREMIERE PARTIE

LA RÉVOLUTION
NATIONALE-SOCIALISTE
(1925-1933)
I

LE NATIONAL-SOCIALISME
REPREND L’OFFENSIVE
(20 décembre 1924-31octobre 1930)

Le 20 décembre 1924, Hitler a été amnistié par le gouverne-


ment bavarois. Sa détention, commencée le 12 novembre
1923, a duré exactement treize mois et sept jours. N Quand j ;
sortirai d’ici, a-t-il déclaré à Rudolf Hess, il me faudra cinq
ans pour reprendre le Parti en main. ))
Mais la situation qu’il trouve à sa sortie de prison est
beaucoup plus mauvaise qu’il ne s’y attendait. E n dehors
de Rudolf Hess, qui a partagé sa détention, et d’une poignée
de militants fidèles, ses amis les plus sûrs sont morts ou en
exil : Gœring, toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt,
est exilé en Italie où il assiste à l’essor du fascisme
mussolinien; Rossbach s’est enfui en Autriche; Dietrich
Eckart a succombé à une crise cardiaque, quelques semaines
après son arrestation.
Quant aux autres, ils ont voulu poursuivre l’œuvre amor-
cée par Hitler, parfois avec loyalisme, mais parfois aussi
avec l’arrière-pensée de devenir eux-mêmes les chefs du
Mouvement1. Ils ont fondé une dizaine de petits partis racistes
qui se réclament plus ou moins ouvertement du National-
socialisme, tout en cherchant secrètement à en évincer
son chef. Ainsi sont nés en Allemagne du Nord, la Deutsch-
oolkische Freiheitspartei de von Græfe, Wulle et du comte
Reventlow; en Allemagne du Sud, le Volkischer Block in
Bayern, présidé par Gregor Strasser; enfin la National-Sozia-
Zistiche Freiheitsbewegung, dont les dirigeants pour le Reich
sont Ludendorff, Gregor Strasser et von Graefe.
1. i~Lomque je suis sorti de Landsberg, dira plus tard Hitler, tout s’était disse
ci6 et dispersé en bandes parfois rivalea. a (Libres Propos, I, p. 164.)
12 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Ces différents partis, qui forment une coalition assez lâche,


semblent jouir tout d’abord de la faveur populaire. Aux
élections du 4 mai 1924, ils recueillent 1.924.000 voix e t
envoient au Reichstag 32 députés dont 9 Nationaux-socia-
listes. Mais, derrière cette façade trompeuse, le plus grand
désarroi règne dans le camp nationaliste. Réunis en congrès
à Weimar, les 16 t t 17 août 1924, les groupements rivaux
ne parviennent à s’entendre sur rien. L’intrigue et les ambi-
tions personnelles dressent les chefs de faction les uns contre
les autres. Quelques mois plus tard, les mouvements en ques-
tion sont en pleine régression. Aux élections du 7 décembre,
ils n’ont plus que 14 députés au Reichstag, dont 4 Nationaux-
socialistes.
(( Ce que des esprits bornés avaient détruit en un an,

écrira plus tard Joseph Gœbbels, u n cerveau, même génial,


ne pouvait le reconstruire du jour au lendemain. On ne voyait
c.2 tous côtés que ruines e t décombres. Beaucoup des meil-
leurs militants avaient quitté le mouvement e t se tenaient
à l’écart, dans une résignation découragée ... Les querelles
des chefs avaient profondément ébranlé la charpente du
Parti et il semblait impossible d’y restaurer l’autorité et la
discipline. La crise offrait un caractère nettement personnel.
Ce qui divisait les groupes, ce n’était pas des différences de
structure ou de doctrine : c’était le fait que chacun d‘eux
rivalisait avec les autres pour hisser son homme à lui à la
tête du Mouvement l. n
Hitler se trouve donc devant une tâche des plus ardues :
il s’agit de reconstituer l’unité du Mouvement, de reprendre
en main sa direction e t de faire rentrer dans le rang tous
les comparses e t les sous-chefs qui ont pris, pendant sa
détention, un goût u n peu trop vif pour l’autorité person-
nelle.
La nouvelle fondation d u Parti a lieu le 27 février dans
la salle du Bürgerbrau. Quatre à cinq mille personnes assis-
tent & la réunion e t font à Hitler un accueil enthousiaste.
Après avoir fait le tour de la situation politique e t rendu u n
hommage ému aux morts du 9 novembre, le Führer exhorte

1. DI Joseph GEBBELS,Kampf urn Berlin, vol. I. p. 19-22.


2. La date primitivement choisie avait 6th le 24 février, anniversaire de la
première grande réunion du Parti en 1920. (Voir vol. II, p. 249.) Mais cette
année-la, le 24 fhvrier tombait le jour du mardi gras, et il avait fallu reculer la
réunion de trois joura.
LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 13
les rivaux à enterrer leurs querelles et à unir leurs efforts,
comme ils l’ont fait dans le passé. La séance se termine
par une réconciliation générale. Julius Streicher, Gottfried
Feder, Hermann Esser, le Dr Frick, Rudolf Hess, Max
Amann, d’autres encore se groupent autour d’Hitler e t jurent
de lui obéir avec une loyauté inconditionnelle l. Le noyau
initial de la niuvelle N. S.D. A. P. est constitué.
Dix jours auparavant, la National-Sozialistische Freiheits-
bewegung s’était dissoute. Ludendorff, Gregor Strasser e t
Græfe avaient donné leur démission d u Comité directeur. A
présent, la Grossdeutsche Volksgemeinschaft et le Volkischer
Block in B a y e r n en font autant. Les quatre députés natio-
naux-socialistes du Reichstag quittent la Freiheitsbewegung
pour rentrer dans le sein de la N. S. D. A. P.
Pourtant, l’unité d u Parti est encore très précaire. Sans
doute Hitler a-t-il groupé autour de lui un certain nombre de
partisans. Mais ils représentent ce que l’on appelle la (( vieille
garde munichoise)), le petit carré de ceux qui ont adhéré
au Mouvement dès le début de sa formation. I1 lui reste
à imposer sa volonté aux groupements de l’Allemagne du
Nord surgis depuis sa détention et dont les militants ne le
connaissent pour ainsi dire pas. 11 lui reste également à se
rallier quelques chefs moins dociles que les autres e t moins
disposés à abandonner leurs prérogatives personnelles, tels
Ernst Rohm e t Gregor Strasser.

* *
Ce qui sépare Rohm d’Hitler n’est pas une question de
doctrine, c’est une question de tactique. Rohm a servi, avant
1923, d’agent de liaison entre les S. A. et la Reichswehr.
I1 a joué un rôle prépondérant dans la création du Kampf-
bund. Peut-être même est-ce lui qui a décidé Ludendorff à
se joindre à la coalition (en tout cas, il a gardé d’excellentes
relations avec l’ancien Grand Quartier-Maître Général). Mili-
taire dans l’âme e t d’une bravoure indéniable - ne fut-il
pas un des premiers à pénétrer dans le fort de Vaux? - il
considère l a a propagande 1) comme une invention d’intel-
lectuels, une arme douteuse qui ne saurait en aucun cas
remplacer l’action directe.
1. Alfred Rosenberg est absent, mais il a envoyé son adhésion.
14 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

Malgré l’échec d u coup d’État et ses quelques semaines


d‘emprisonnement, il est resté comme autrefois un despe-
rado, un condottiere auquel il faut, pour être heureux, une
atmosphère de tumulte et d’illégalité. Tout en maintenant
des contacts étroits avec la Reichswehr, jamais il ne se
plierait aux disciplines rigides imposées à ses unités par le
général von Seeckt.
Le 4 mai 1924, il a été élu député au Reichstag sur la
liste de la Nationale Freiheitsbewegung; mais l’atmosphère
du Parlement lui a paru irrespirable et il n’a pas tardé à
revenir à son occupation favorite : grouper autour de lui
des partisans, des soldats.
Conspirer, comploter, fomenter des coups de main et des
insurrections, c’est là, semble-t-il, sa vocation particulière.
Sanguin et bagarreur, il ne croit qu’à la vertu de la violence
physique. Après l’exil forcé de Rossbach en Autriche, il
regroupe avec son ami Heines, les débris de son corps franc
et cherche à l’amalgamer aux S. A. encore existantes. Puis
il fonde, le 30 mai 1924, une association nouvelle, la Front-
b a n n , dont il assume le commandement et dont Heines
devient le chef d’État-Major. Aussi Rohm paraît-il à Hitler
l’homme tout indiqué pour organiser les nouvelles Sections
d‘Assaut.
Rohm accepte avec empressement cette mission de
confiance. Mais, très vite, le désaccord éclate entre Hitler
et lui. Rohm, en effet, veut incorporer les S. A. à la Front-
b a n n dont les effectifs formeront, sous le haut patronage
de Ludendorff, les troupes de choc de l’ensemble des partis
racistes.
Or, Hitler ne veut pas entendre parler de cette combinai-
son. I1 refuse de laisser les S. A. se transformer une seconde
fois en formations militaires, e t ce pour le compte d’une
coalition dont il n’entend pas faire partie. Le chef du Mouve-
ment national-socialiste a profité de sa détention pour faire
son autocritique. L’échec du 9 novembre lui a prouvé que
la tactique employée était mauvaise et qu’il fallait en chan-
ger. I1 ne s’agit plus de contraindre les Allemands par la
force, mais de les convaincre par l’idée. I l ne faut p a s cher-
cher à renverser I‘Etat, m a i s y pénétrer par les voies légales,
pour s’en rendre maître et le transformer. On objectera que
Mussolini a agi autrement. Mais cela ne prouve rien, si
ce n’est qu’il se trouvait devant d’autres problèmes. Une
LA R ~ V O L U T I O N NATIONALE-SOCIALISTE 15
marche sur Berlin, calquée sur les principes de la marche
sur Rome est irréalisable en Allemagne. D’abord, la Reichs-
wehr s’y opposerait de toutes ses forces. Ensuite, l’unité
allemande n’y résisterait pas : on assisterait à un déferle-
ment de mouvements séparatistes en Thuringe, en Saxe, en
Bavière, en Westphalie ...
De plus, la situation n’est plus la même qu’en 1923. La
création du Rentenmark a consolidé le régime. L’ère des
coups d’État est close et il faut d’autant moins la rouvrir
que chacune de ces tentatives s’est soldée par un échec. Une
tactique différente s’impose : battre la démocratie avec ses
propres armes e t parvenir à la dictature grâce au suffrage
universel.
- L’instrument de la prise du pouvoir est la propagande,
assure Hitler. C’est par la propagande qu’il faut nous rallier
peu à peu toutes les couches de la population e t en faire
une avalanche qui balaiera tous les obstacles. I1 faut main-
tenir la nation en état de crise permanente et arracher,
d’élection en élection, des sièges toujours plus nombreux
au Reichstag e t dans les Assemblées des Pays, jusqu’à ce que
les Nationaux-socialistes y détiennent la majorité ...
- I1 faudra des années pour y parvenir, objecte Rohm
- Qu’importe? réplique Hitler. Vingt ans, cent ans peut-
être s’écouleront avant que notre idée soit victorieuse. Peut-
être ceux qui croient aujourd‘hui à notre mission seront-ils
morts quand elle triomphera. Moi-même je ne suis qu’un
tambour dont les roulements préparent la venue de celui qui
prendra le pouvoir. Une seule chose compte : le succès final.
Nous écarter de cette voie, c’est aller à l’échec ...
Rohm ne cache pas le peu de confiance que lui inspire
cette u tactique nouvelle ».I1 n’est pas un Messie travaillant
pour l’éternité; il est un combattant qui veut jouir rapide-
ment des fruits de sa victoire. Mais malgré ses objurgations,
Hitler demeure inébranlable.
Découragé par cette discussion, Rohm décide d’abandon-
ner la direction des S. A. ainsi que celle de la Frontbann.
Dans une lettre ouverte publiée le l e r mai 1925 par le V6Z-
kischer Beobachter, il annonce d’un ton amer qu’il se démet
de ses fonctions e t se retire définitivement de la vie poli-
tique.
16 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

Tout autre est la nature du différend qui sépare Hitler


de Gregor Strasser. Ancien étudiant en pharmacie, celui-ci
a adhéré a u Parti dès février 1921. I1 a fondé peu après à
Landshut le second groupe nazi situé en dehors de Munich.
E n janvier 1922, il est devenu le chef des S. A. de Basse-
Bavière et c’est en cette qualité qu’il a été chargé par Gœring
de défendre le pont de Wittelsbach au matin du 9 novembre.
Arrêté dès le lendemain, il a réussi à se faire élire député au
Landtag de Prusse en avril 1924, ce qui a obligé les autorités
bavaroises à le remettre en liberté.
Malgré cette activité plutôt militaire, Gregor Strasser n’a
rien d‘un soldat, C’est un idéologue. D’opinions nettement
révolutionnaires, il se place à l’extrême gauche du parti
nazi, dont il cherche à accentuer les tendances socialistes,
car il désapprouve formellement sa collusion avec les milieux
réactionnaires.
Son terrain d’action est Berlin, OUil s’est rendu acquéreur,
avec son frère Otto, d‘un journal socialiste en faillite, la
Berliner Arbeiter Zeitung. Sous son impulsion, les Sections
de l’Allemagne du Nord sont devenues rapidement les plus
étoffées du Parti, et Gregor Strasser s’est taillé une situation
enviable parmi les milieux politiques de la capitale. Ambi-
tieux et énergique, chef de la Freiheitsbewegung à Berlin et
président, en Bavière, d u Volkischer Block, il voit s’ouvrir
devant lui des perspectives très brillantes et n e se sent nul-
lement enclin à céder sa place à d’autres.
Rohm, emporté par son tempérament fougueux, a terminé
sa discussion avec Hitler par un éclat, tandis que Strasser,
plus souple, évite la rupture. Après quelques semaines d’hési-
tation, l’ancien chef de la Freiheitspartei finit par se rallier
au National-socialisme. I1 s’incline - du moins en appa-
rence - devant les directives d‘Hitler, qui lui confie, en
octobre 1925, la direction du service de la propagande de
la N. S. D. A. P.

* *
Tandis que ces discussions se poursuivent parmi les diri-
geants, le Parti recommence lentement à recruter des adhé-
LA REVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 17
rents, non seulement en Bavière, mais dans toutes les régions
du Reich. A la fin de 1925, il comptevingt-sept mille membres
répartis en vingt-trois régions (Gaue), ayant chacune sa
Section d’Assaut.
Cependant Strasser, qui a maintenu son quartier général
à Berlin, continue à agir comme si les Sections de 1’Alle-
magne du Nord ne dépendaient que de lui et n’applique
qu’avec réticence les directives du Führer. I1 se crée ainsi
dans la capitale une sorte de fronde contre la (( clique muni-
choise »,réactionnaire et déviationniste, que l’on accuse de
ne rien comprendre à la situation. Hitler décide de couper
court à cette tendance, car elle risque, en se prolongeant,
de créer une scission au sein du Parti.
Une initiative malencontreuse de Strasser lui en fournit
le prétexte. Celui-ci a fait cause commune avec les Socia-
listes, à l’occasion d’un référendum demandant la confis-
cation de tous les biens princiers saisis pendant la révolution.
Cette décision est d’autant plus grave qu’elle risque de brouil-
ler le Parti avec les milieux monarchistes et qu’elle est
contraire à sa doctrine sur la question essentielle de la pro-
priété privée.
Hitler convoque aussitôt un congrès des chefs du Parti, à
Bamberg, en Bavière. La réunion a lieu le 14 février 1926. Le
Führer s’indigne contre (( l’hypocrisie de ceux qui s’allient
aux marxistes, quand un des premiers buts du Parti est de
les expulser du pays )), et flétrit en termes violents (c ceux qui
confondent la propagande avec la démagogie, dans l’espoir
de se rallier une fraction de la classe ouvrière 1). A mesure
qu’il développe ses arguments, ses auditeurs, originaires pour
la plupart de l’Allemagne du Sud, comprennent que ses
attaques visent l’initiative de Strasser et lui témoignent
leur approbation par des applaudissements nourris.
Strasser n’est pas venu au congrès, sachant fort bien qu’il
y sera mis en accusation. I1 y a envoyé à sa place un de
ses meilleurs collaborateurs, qui n’a joué jusqu’ici qu’un rôle
effacé mais dont l’influence dans le Parti ira sans cesse en
grandissant : c’est le Dr Joseph Gœbbels.
i
4 *

Ce que Strasser a fait en Allemagne du Nord, Gœbbels l’a


accompli en Rhénanie et dans la Ruhr. Né à Reydt le
III 2
18 HISTOIRE D E L’ARM$E ALLEMANDE

29 octobre 1896, membre de la N. S. D. A. P. depuis 1922,


il n’a cependant pas pris part au putsch du 9 novembre.
C’est à Heidelberg, qu’il déploie son activité, puis à Cologne,
où il se signale très rapidement par ses qualités d’agita-
teur. Expulsé de Rhénanie par les autorités alliées, il s’est
installé à Elberfeld, dans la Ruhr, oii il a pris en 1924 la
direction d’un journal, la Volkische Freiheit. I1 a fait péné-
trer les idées racistes dans les milieux ouvriers et a posé,
avec le capitaine von Pfeffer, les hases de ce qui sera plus
tard une des sections les plus florissantes du Parti.
Comme Strasser, Gœbbels est un intellectuel, mais sa for-
mation est plutôt littéraire que scientifique. Dévoré d’intel-
ligence, ses joues creuses, son teint mat, ses yeux sombres
et mobiles, profondément enfoncés sous l’arcade sourcilière,
lui donnent un type plutôt méridional que nordique. Ses
ennemis l’accusent d’allier le fanatisme de Savonarole au
cynisme de Machiavel, ce qui n’est pas entièrement faux.
Car ce polémiste incomparable sait être, quand il le veut,
un diplomate e t un calculateur. Quelques secondes lui suf-
fisent pour passer de la fureur au sarcasme et de l’invective
à la plaisanterie. S’il n’a pas la rigueur doctrinaire de Strasser,
il possède en revanche un mordant e t une vivacité d’esprit
dont Strasser, pour sa part, est totalement dépourvu.
Atteint d’ostéomyélite à l’âge de sept ans, il a dû subir
une grave opération à la hanche, d’où il est sorti avec un
raccourcissement de dix centimètres de la jambe droite.
Depuis lors, il a été obligé de porter des souliers spéciaux
e t des bretelles orthopédiques. Ses camarades de classe l’ont
tourné en dérision et l’ont appelé (( le pied bot D. I1 a accepté
ce qualificatif sans jamais le démentir parce qu’il flatte son
orgueil. Ne l’apparente-t-il pas à certains grands boiteux de
l’histoire, à Talleyrand, à Byron, à Méphisto ou encore à
ces personnages contrefaits des légendes antiques qui for-
geaient des armes pour les guerriers et les demi-dieux? Mais
au fond de lui-même, il en a beaucoup souffert. Déclaré
inapte au service militaire, il ne sera jamais le héros qu’il
aurait rêvé d’être. I1 a pleuré de tristesse, le l e r août 1914,
en voyant les trains remplis de soldats traverser en grondant
les ponts du Rhin, en route pour le front de l’ouest. I1 a
souffert plus encore, après la défaite, de ne pouvoir parti-
ciper à l’action des corps francs. Le complexe de frustration
qui le ronge n’a d’égale que sa soif de domination. C’est elle
LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 19
qui l’incite à vouloir compenser son infériorité physique par
une supériorité intellectuelle qui lui permettra d’écraser tous
ceux qui le méprisent. Car Gœbbels a découvert, au fond
de son humiliation, une arme plus efficace que toutes celles
que son corps malingre lui interdit de manier, plus terrible
que la gueule chargée d’un canon : la propagande. Cette
(( stratégie intellectuelle I), comme il l’appelle, n’est pas seu-

lement capable de modifier les opinions; elle peut fracasser


la réalité pour lui substituer une réalité différente, à condi-
tion de lui donner un degré d’intensité suffisant.
Or, Gœbbels ne lui donnera pas seulement (( un degré d’in-
tensité suffisant )); il la portera à un paroxysme jamais atteint
avant lui. Faisant appel aux réflexes les plus primitifs de la
psychologie collective, il apprendra à pétrir et à brasser
les foules, à leur imposer une sorte d’hypnose collective, à
les précipiter comme des torrents vers les objectifs qu’il leur
assigne. I1 organisera des démonstrations de masse, des
défilés monstres, des retraites aux flambeaux qui strieront
les nuits allemandes de leurs longues traînées de feu. Tra-
vailleur infatigable, trouvant chaque jour mille idées nou-
velles, maniant comme un chef d’orchestre la presse, la
radio, le théâtre, le cinéma, il inventera des centaines de
slogans, dont certains demeureront célèbres : Un peuple,
((

un Reich, un Führer! )) - (( Les Allemands préféreront tou-


jours les canons au beurre! )) - L ü Force par la Joie. n
((

- (( Que toutes les roues tournent pour la victoire! ))

Mais à cette époque, il n’est encore qu’un petit intel-


lectuel inconnu, dont la plupart des éditeurs ont refusé les
manuscrits et qui cherche fiévreusement sa voie, c’est-
à-dire la cause à laquelle il apportera son intelligence acérée
et ses passions frénétiques.
Un soir de février 1921, ses pas l’ont mené a u cirque
Krone, à Munich, où un nouveau parti nationaliste a orga-
nisé une réunion. Un certain Adolf Hitler doit y prendre
la parole. I1 ne l’a encore jamais vu. Tout ce qu’il sait de
lui est que certains le considèrent (( comme un homme poli-
tique très doué ». Mais dès que Gœbbels l’entend, il en reçoit
un choc comparable à celui qu’a ressenti Alfred Rosenberg.
Écoutons ce qu’il nous dit de cette soirée mémorable :
(( Près de huit mille personnes étaient rassemblées dans

la salle. La foule était amorphe, somnolente, comme endor-


mie. Tout B coup, sans avoir attiré l’attention, quelqu’un se
20 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

leva et commença à parler, avec hésitation et timidement


d’abord, comme s’il cherchait les mots parfaitement appro-
priés à l’expression de pensties dont la grandeur ne pouvait
s’adapter aux limites étroites du langage courant. Soudain,
le discours conquit l’auditoire. J’étais saisi, j’écoutai ...
N La foule se réveilla. Une lueur d’espérance illumina les
visages gris, ternes, hagards. Au fond de la salle, quelqu’un
se leva en brandissant le poing. Mon voisin ouvrit son col
et essuya la sueur de son front. Près de moi, deux sièges
plus loin, à ma gauche, un vieil oficier pleurait comme un
enfant. J’avais chaud, puis froid : je ne savais pas ce qui
m’arrivait. J’avais l’impression que des canons tonnaient ...
J’étais emporté au-delà de moi-même et j’ai crié :K Hourrah! ))
Personne ne parut étonné. L’homme qui parlait là-bas
me regarda un moment. Ses yeux bleus, brûlants comme
une flamme, croisèrent mon regard. C’était un comman-
dement l! D
Sitôt la séance terminée, Gœbbels marche comme un som-
nambule vers une table située près de la porte de sortie.
On y prenait les noms de ceux qui désiraient s’inscrire au
Mouvement. I1 remplit un formulaire, le tend comme dans
un rêve à un fonctionnaire du Parti et reçoit en échange
une carte d’adhérent, portant le no 8762.
Ce soir-là, Joseph Goebbels a trouvé son chemin de Damas.
Lui le sceptique, taraudé par le doute, il a rencontré l’homme
auquel il vouera une admiration sans bornes, justement
parce qu’il est totalement imperméable au doute, parce qu’il
a une foi invincible en la victoire de son Mouvement et, à
travers elle, en la résurrection de l’Allemagne 2.
Dans le feu du premier enthousiasme, il a adressé à Hitler
une lettre exaltée: Comme une étoile qui se lève, lui écrit-
il, vous êtes apparu devant nos yeux étonnés; vous avez
accompliun miracle pour éclairer nos esprits et, dans un monde
de scepticisme et de désespoir, vous nous avez donné la foi. 1)
Mais l’échec du putsch de Munich semble devoir réduire
tous ces espoirs à néant. Hitler a été mis en prison, où il
rédige Mein Kampf. Lorsque le livre paraît, Gœbbels le lit
attentivement et note dans son Journal :
1. Cf. Curt RIESS,Gϝbels, p. 51.
2. u Cet homme est irrésistiblc, écrit Goebbels dans son Journal, parce qu’il a
la foi, parce qu’il croit en ce qu’il dit...Lo secret de sa force c’est sa croyance fana-
tique dans son Mouvement et, par lui, dans I’Ailemngne. I)
LA REVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 21
N 14 octobre 1925 : J e viens de finir la lecture du livre
d’Hitler. J e suis plus qu’enthousiasmé. Qui est cet homme?
Demi-plébéien, demi-dieu? Christ ou saint Jean-Baptiste? n
hlais malgré ses offres de service exaltés, Hitler ne l’a pas
chargé de la Propagande dans l’Allemagne du Nord. I1 a pré-
féré confier cette tâche à ce lourdaud de Strasser. Le Führer
n’a donc pas reconnu ses talents? Ou bien a-t-il été rebuté
par son physique inquiétant? Quelle que soit la raison de
son refus, Gœbbels en a été profondément mortifié. De plus,
Strasser l’a mis en garde contre l’inorganisation et la cor-
ruption qui règnent au sein du parti munichois, contre la
médiocrité des hommes qui forment l’entourage d’Hitler 1.
Gœbbels en tombe malade. Le doute rongeur s’insinue de nou-
veau en lui. Aussi, lorsqu’il arrive au Congrès de Bamberg,
le 14 février 1926, 2st-il animé de sentiments contradictoires :
il oscille entre une sourde rancune envers Hitler, la crainte
d’être victime de ses sortilèges oratoires et le souvenir ébloui
de leur première rencontre.
Mais à peine 17a-t-ilrevu qu’il se sent de nouveau conquis.
Même si les critiques de Strasser sont fondées, elles ne sau-
raient prévaloir sur ce fait évident : l’atout principal du Parti
est Hitler lui-même. Lorsqu’il l’entend parler, il éprouve le
même sentiment inexplicable qu’à Munich : une adhésion
fanatique, plus totale que jamais.
Lorsque le Führer a terminé son exposé, Gœbbels monte
à la tribune e t donne raison à Hitler sur toute la ligne. I1
déclare qu’il votera la motion présentée par le bureau poli-
tique et adjure tous les membres du Congrès de suivre son
exemple. Si brûlants sont les termes de sa péroraison que la
motion est adoptée à l’unanimité.
Lorsqu’il quitte Munich, le 17 avril, après avoir eu plu-
sieurs entretiens privés avec Hitler, il est complètement
subjugué. Trois jours plus tard (20 avril), il lui adresse pour
son anniversaire, cette lettre pour le moins étrange :
Cher et honoré Adolf Hitler,
J’ai tant appris par vous! Par vos attentions amicales, VOUS
m’avez niontré des chemins entièrement nouveaux, qui m’ont
1. Joi<rnal de Gœbbels. - 21 août 1925 : u Strasser raconte beaucoup de choses
terribles h propos dc Munich, l’organisation inefficace et corrompue. Hitler est
mal entouré. n - 26 septembre 1925 : II Le Mouvcmcnt de Munich sent mauvais.
Je suis complètement dégoûté de la clique de Munich. u - 1 1 février 1926 : a Per-
sonne ne croit en Munich. Elberfeld deviendra La Mecque du Socialisme allemand. s
22 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

enfin fuit voir la lumière ... Le jour peut venir où tout se brisera,
où la foule autour de vous écumera, grondera et hurlera :N Cru-
cifiez-le! )) Mais d o r s nous nous tiendrons ferines et sans bron-
cher, nous crierons et chanterons : (( Hosanriah ))

Le ralliement de Gœbbels sème le désarroi dans l’oppo-


sition de l’Allemagne du Nord. Venu en porte-parole de
Strasser, il a pris ouvertement position contre lui! Sentant
tourner le vent, von Græfe, chef de la Deutschvolkische Arbei-
terpartei s’empresse d’offrir son alliance à Hitler. Mais Hitler
repousse cette proposition avec dédain.
- J e ne crois pas, a-t-il déclaré quelques jours aupara-
vant, à la valeur des blocs, des alliances et des coalitions, à
moins qu’ils ne procèdent d’une direction unique. C’est
au parti le plus fort à prendre la tête, ou à céder la place
à d’autres 2.
Du coup, M. Gracfe se soumet sans conditions e t le comte
Reventlow ne tarde pas à en faire autant.
Voulant exploiter immédiatement la victoire qu’il vient
de remporter, Hitler convoque, le 26 mai, l’Assemblée géné-
rale des membres du Parti. I1 relit à la tribune les 25 points
du programme, élaboré en 1921, qu’il déclare être la Charte
intangible de la N. S. D. A. P. 3. Après quoi l’on passe au
vote. Hitler est élu président à l’unanimité. Pourtant ce
succès ne lui sufit pas :
- J’accepte ce poste, déclare-t-il, mais à une condition :
je n’aurai à rendre compte de mes actes qu’aux membres
du noyau initial de Munich.
Cette exigence équivaut à l’octroi des pleins pouvoirs, car
la section de Munich est à son entière dévotion. Ainsi, dix-
sept mois après sa sortie de prison, ayant écarté les tièdes,
brisé l’opposition et rallié les indécis, Hitler est de nouveau
dictateur du Parti national-socialiste.
Jusqu’ici, tous ces événements sont passés pour ainsi dire
inaperçus du grand public. Maintenant, il s’agit de frapper
les imaginations et de donner une manifestation éclatante de
la résurrection du Parti. Pour cela, Hitler organise à Weimar,
les 3 et 4 juillet, le second Congrès national, ou Reichspartei-

1. Cité par Curt RIES, op. cit., p. 66.


2. V6lkisclirr Bcobachter, numéro du I 9 mars 1926.
3. Voir vol. II, p. 249.
LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 23
tag 1. Six mille S. A. en chemise brune défilent devant lui.
A l’issue de la parade, Hitler remet huit étendards nouveaux
aux Sections d’Assaut. Cette remise s’accompagne d’une
sorte de cérémonie mystique : tenant de la main gauche
le drapeau maculé du sang des martyrs du 9 novembre,
Hitler saisit de la main droite un coin du nouvel étendard,
comme pour transmettre un fluide invisible de l’ancien
emblème au nouveau. Ce rite se répétera invariablement à
chaque nouvelle remise d’emblèmes. I1 a pour objet de sym-
boliser l’unité morale du mouvement et le principe sacré sur
lequel il se fonde.
t
* i

Gœbbels était venu à Bamberg avec l’intention de défendre


les sections de l’Allemagne du Nord contre les empiéte-
ments du (( clan n munichois. I1 en est reparti complètement
retourné, ayant reconnu en Hitler le dictateur de demain.
Mais Hitler, de son côté, a discerné très rapidement les Capa-
cités exceptionnelles de Gœbbels. Au cours des entretiens
qu’il a eus avec lui, il a été séduit par son dynamisme intel-
lectuel et la fertilité quasi inépuisable de son imagination.
On l’avait mis en garde contre (( ce personnage méphisto-
phélique ». Or il s’est aperçu qu’il a enfin trouvé le seul
homme capable de diriger sa propagande.
Le l e r novembre 1926, il le nomme chef du secteur Berlin-
Brandebourg. Ce poste est d’autant plus important que,
depuis mars 1925, la plupart des gouvernements de Pays
ont interdit à Hitler de prendre la parole en public, ce qui
l’oblige - en dehors de la Bavière - à se faire remplacer
par des doublures et entrave considérablement la croissance
du Parti. Nanti de pouvoirs exceptionnels et n’ayant de
comptes à rendre qu’au Führer en personne, le futur ministre
de la Propagande entreprend alors la conquête de la capi-
tale. C’est le début d’une bataille de plus de six années,
poursuivie jour après jour avec une violence croissante, et
qui ne se terminera qu’avec la prise du pouvoir.
Kampf um Berlin, - le combat pour Berlin, c’est ainsi
que Gœbbels a intitulé le livre où il retrace les péripéties
de sa lutte. Mais pour comprendre pleinement le sens de
i. On SC souvirnt q u r IC prtmirr Congrés avait CU lieu, h Munich, le 21 janvier
1921. (Voir vol. II, p. 250.)
24 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

ces mots, il faut savoir qu’Hitler l’a chargé d’une double


mission : conquérir par la propagande l’opinion berlinoise,
mais aussi imposer l’autorité d u Comité de Munich aux sec-
tions encore réticentes de l’Allemagne du Nord.
Pour cela, Hitler commence par restreindre les attribu-
tions de Strasser. Afin d’éviter tout chevauchement de
compétences, il lui retire en janvier 1927 la direction de la
propagande, pour lui confier le poste, non moins important
sans doute, mais moins spectaculaire, de chef de la Première
Section d’organisation 1.
Aussitôt débarrassé de ce rival encombrant, Gœbbels se
rue à l’assaut avec un dynamisme stupéfiant. Le 4 juillet
1927 parait le premier numéro de son nouveau quotidien,
l’dngrif, dont le succès éclipse bientôt le journal d’Otto
Strasser. Puis les réunions de groupe et les réunions de masse
se succèdent à une cadence vertigineuse qui rappelle les
débuts du National-socialisme à Munich.
Lorsque le IIIe Congrès national se tient à Nuremberg, le
21 août 1927, le Parti a fait u n nouveau bond en avant :
30.000 S. A. défilent devant Hitler et la N. S. D. A. P.
compte plus de 70.000 membres.
t
* I

Cependant, l’année 1928 est marquée par u n retour offensif


des partis de gauche. Aux élections d u 20 mai, les Socialistes
l’emportent sur les partis nationaux. Le chancelier Marx est
remplacé par Hermann Müller, assisté par MM. Severing
et Hilferding. Le général Grœner, qui a succédé depuis le
20 janvier au Dr Gessler, conserve le poste de ministre de la
Reichswehr. M. Stresemann demeure à la Wilhelmstrasse.
1. A partir de ce moment, le Parti se composera de deux Sections d’organisa-
tion. La première, dirigée par Gregor Strasser, a pour but de battre era brèche k
régime ezistnnt. Elle comprend trois subdivisions : l’étranger (Dr H. Nielandj, la
presse (DrDietrich) et le développement des cellules d’entreprise (W. Schumann).
La deconde, dirigée par le colonel Hierl, est chargée d’édifier les cadres da I’État
futur. Elle comprend : l’agriculture (Dr W. Darré), l’économie (Dr Wagener),
race et culture (M.Konopath), l’intérieur (DI Nicolaï), les questions juridiques
(Dr Frank), les questions techniques (Gottfried Feder), le service du travail (Iieu-
tenant Schulz).
En dehors de ces deux sections, un certain nombre de nervicm sont directement
rattaches à Hitler : la propagande, confiée i l’automne de 1928 a u Dr h b h e l r .
la Commission de discipline et d’hpuration (Uachka) dirigée par le major Busch,
(l’ancien chef des S.A. de Nuremberg), les Jeunesses hitlériennes, dirigea par
Baldur yon Schirach, etc.
LA R$VOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 25
Quant aux Nationaux-socialistes, ils ne remportent que
12 sièges avec 809.000 voix, ce qui est un recul sérieux par
rapport à 1 9 2 4 l . A l’énoncé de ces chiffres, l’opposition
déclare que la N. S. D. A. P. est en pleine débandade. Elle
ne se doute pas que l’un de ces douze députés sera bientôt
président du Reichstag : c’est Hermann Gœring, revenu
d’Italie depuis quelques mois, grâce à l’amnistie promulguée
par le Maréchal Hindenburg.
Devant cet échec manifeste du Parti nazi, les partis de
gauche se rassurent. Décidément, Hitler n’est pas aussi dan-
gereux qu’on l’avait prétendu. (( C’est un fou, déclare Otto
Braun, président du Conseil de Prusse, un hystérique, inca-
pable d‘une action suivie et qui jamais au grand jamais ne
prendra le pouvoir. )) La courbe ascensionnelle des chemises
brunes, ayant atteint son apogée, est maintenant en régres-
sion. Le Mouvement finira par s’effondrer de lui-même, miné
par ses dissensions intérieures et étouffé par la concurrence
des autres partis nationaux.
Est-il bien utile, dans ces conditions, de maintenir l’inter-
diction de parler en public promulguée contre Hitler? C’est
lui donner à bon compte l’auréole du martyre et laisser croire
que sa parole a un pouvoir invincible. Après de longs pour-
parlers, l’interdiction est levée en Prusse, le 28 septembre
1928 2. Les partis de gauche soulignent que ce geste (( est
une preuve de magnanimité à l’égard de leur adversaire ».
Ne doit-on pas l’attribuer plutôt au fait qu’ils ne le craignent
plus?
C’est en quoi ils commettent une erreur qui leur coûtera
cher. Mais tandis que les Socialistes et le Centre se félicitent
de leur victoire, des nuages toujours plus sombres s’amon-
cellent à l’horizon.

* *
L’ère de prospérité factice inaugurée en 1924 par la créa-
tion du Rentenmark touche à sa fin. Le déficit augmente dans
des proportions alarmantes (6 milliards de francs pour le seul
exercice 1929-1930). Les banques américaines, durement tou-
chées par le krach de Wall Street, cherchent à retirer l’argent
qu’elles ont placé en Allemagne. Les recettes fiscales flé-
1. OÛ ils avaient recueilli 1.926.000 voix. (Voir plus haut, p. 12).
2. Elle a Bt4 levCe en Bavihe quelque temps auparavant.
26 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

chissent. Les dépenses inconsidérées des partis de gauche


accroissent le déséquilibre budgétaire. Cette courbe qui
((

s’abaisse, écrit Max Hermant, cette ligne inexorable sur une


feuille de papier, c’est comme une retraite tracée sur une
carte, la signature du destin. En peu de temps, la trésorerie
est aux abois, les expédients épuisés, les emprunts a u x
banques usés jusqu’à la corde. Le pari de l’inflation budgé-
taire est perdu. Des nécessités immédiates imposent la défla-
tion N
C’est de nouveau la ruine des classes moyennes avec son
cortège de faillites, de misères et de troubles sociaux. Les
usines ferment leurs portes, le marché du travail se restreint.
Le chômage qui avait baissé en 1927 passe à 1.200.000 pen-
dan t l’été de 1929 et dépasse 3.200.000 au cours de l’hiver
suivant.
Aussitôt le Parti communiste sort de sa torpeur et cherche
à profiter de la situation, car l’accroissement du nombre
des chômeurs équivaut à une augmentation des réserves
parmi lesquelles il n’a qu’à puiser, pour constituer une armée
de guerre civile. Après la régression qu’il a subie depuis
1923, il se sent le vent en poupe e t se met de nouveau sur
les rangs pour la conquête du pouvoir. Pour la première fois
depuis cinq ans, le l e r mai 1929 est marqué par des incidents
sanglants. Les éléments extrémistes élèvent des barricades
à Wedding, faubourg ouvrier de Berlin oii l’agitation per-
siste pendant plusieurs jours; des collisions ont lieu entre
miliciens rouges et agents de la police. On compte 19 morts
et 36 blessés graves.
Le 6 mai, le gouvernement ordonne la dissolution de la
Ligue des combattants d u Front rouge, mais le Parti commu-
niste fonde aussitôt une association nouvelle : la Ligue de
combat antifasciste, ou A n t i f a .
Parallèlement à cette recrudescence de l’agitation ouvrière,
on assiste dans les campagnes à des révoltes de paysans. Le
23 mai, une bombe est lancée SUF la mairie d’Itzehoe e t des
attentats du même genre se renouvellent presque quotidienne-
ment à Lüneburg et à Oldenburg. Des bandes de paysans
portant les drapeaux noirs des jacqueries médiévales par-
courent le Schleswig-Holstein e t la région de Neumünster,
brûlant les mairies e t terrorisant les habitants.

1. Max HERMANT,
Idoles aUemander, p. 127-128.
LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 27
Cependant, le mécontentement général ne profite pas seu-
lenient aux formations d’extrême gauche : les Nationaux-
socialistes y trouvent eux aussi un milieu favorable à la
propagation de leurs idées. Au IVe Congrès, tenu à Nurem-
berg du l e r au 4 août 1929,GO.OOO S.A. et 2.000 membres des
Jeunesses hitlériennes défilent devant le Führer et les prin-
cipaux chefs du Parti. Ce sera d’ailleurs le dernier Congrès
avant la prise du pouvoir, car on entre à présent dans une
période d’activité intense, où les S. A. et les S. S. seront
constaminent sur la brèche.

* *
A leur tour, les partis réactionnaires et le Casque d’Acier
entrent en lice. Jusqu’icî le Stahlhelm, dirigé par deux anciens
officiers de l’armée impériale, le lieutenant Seldte et le lieu-
tenant-colonel Düsterberg, s’était contenté d’être une simple
formation paramilitaire, placée sous la présidence d’honneur
du Maréchal Hindenburg. Le 22 septembre 1928, sortant
de sa réserve, le Casque d’Acier a lancé un référendum
demandant que l’on accroisse les pouvoirs du Président du
Reich, marquant ainsi sa volonté d’intervenir activement
dans la politique du pays.
Peu après (20-22 octobre), le parti Deutsch-national OU
D. N. V. P., place hl. Hugenberg à sa tête e t le désigne
comme leader unique de l’opposition nationale.
Président du Conseil d’administration des aciéries Krupp
et homme de confiance des magnats de l’industrie lourde, le
Conseiller privé Alfred Hugenberg a mancleuvré de tout temps
dans les coulisses du Reichstag et c’est par le seul pouvoir
de l’argent qu’il est devenu le chef du Parti national. Bras-
seur d’affaires ambitieux et brutal, le (( renard argenté »,
comme on l’appelle à cause de sa grosse moustache blanche
et de ses cheveux grisonnants, a acquis grâce aux capitaux
des maîtres de forges, le plus grand consortium de journaux
allemands, les Éditions Scherl, l’Union télégraphique et
l’Agence de publicité Ala. I1 possède également l’Ufa, la plus
puissante compagnie cinématographique d’Outre-Rhin. Dis-
posant de moyens de publicité formidables, il s’en sert à la
1. Schidz-Sfnflel, ou Échelons d e protection. Alors que les membres des Sec-
tions d’Assaut portent des chemises brunes, ceux des kchelons de protection sont
revêtus d‘un uniforme noir.
28 HISTOIRE D E L’ARM$E ALLEMANDE

fois pour gagner de l’argent et pour réaliser un programme


politique dont la partie négative n’est pas sans analogie avec
celui des Nationaux-socialistes : renverser la République,
abolir le traité de Versailles, abattre les syndicats et écraser
les Communistes. Secondé par le Stahlhelrn qu’il subventionne
largement, il décide au cours de l’été 1929 de lancer un réfé-
rendum contre l’adoption du plan Young et demande à
Hitler de lui prêter son concours.
Hitler accepte. L’aile gauche de son Parti est stupéfaite de
le voir s’allier avec le représentant le plus authentique de
la réaction capitaliste. Strasser ne cache pas sa désappro-
bation. Mais Hitler sait parfaitement pourquoi il agit ainsi.
I1 ne se fait guère d’illusion sur le résultat du référendum.
Ce qu’il veut, c’est profiter des énormes moyens de diffusion
dont dispose le parti Deutsch-national.
Toute la campagne contre le plan Young sera orchestrée
par les Nationaux-socialistes -c’est à cette seule condition
qu’Hitler accepte de prêter son concours -mais c’est Hugen-
berg, e t lui seul, qui en paiera les frais. Ses agences d’infor-
mation e t ses journaux devront diffuser les discours d’Hitler
d’un bout à l’autre du pays. Hitler fournira les slogans et
les propagandistes, Hugenberg les rotatives et les moyens
financiers. Pour le reste, rien ne sera changé aux buts ni
à la politique de la N. S. D. A. P., et seules demeureront
valables les instructions émanant de la direction centrale du
Parti. Une fois la campagne terminée, la lutte reprendra
comme si de rien n’était. (( On constatera alors, déclare Hitler
à ses lieutenants, que la victoire appartient au parti le plus
audacieux, à celui dont la doctrine est la plus dynamique
et la plus neuve. n
Et les semaines qui suivent confirment la justesse de ces
vues. Le référendum ne recueille que 6 millions de voix,
ce qui est insufisant pour empêcher le plan Young d’être
adopté par le Reichstag. Mais le vaincu n’est pas Hitler,
c’est Hugenberg. Alors que des craquements symptoma-
tiques se font entendre dans le Parti Deutsch-national, les
adhérents affluent par milliers à la N. S. D. A. P. l. Celle-ci
compte 176.500 membres à la fin de l’année. De plus, sur les
6 millions d’électeurs qui ont participé au référendum, 3 niil-
1. C’est B cette Cpoque qu’Hitler se fait un allié d’importnnce en la personne
du Di Schacht, et que le prince Auguste-Guillaume de Hohenzollern adhère au
Parti.
LA R ~ V O L U T I O NNATIONALE-SOCIALISTE 29
lions a u moins - qui votaient pour Hugenberg il y a un
an encore - sont maintenant acquis au National-socialisme.

* *
Le 27 mars 1930, le Cabinet Müller est renversé. L’ère d u
chancelier Brüning commence.
Le lendemain (28 mars), Hitler crée les S. A. de réserve
pour les hommes de plus de trente-cinq ans et, deux jours
plus tard ( i e r avril), les corps de troupes motorisées placés
sous les ordres du commandant Hühnlein. Grâce à ces for-
mations nouvelles, les rassemblements de masse deviendront
plus faciles e t l’on pourra transporter rapidement les S.A.
d’un point à l’autre du territoire.
Cependant un vent d’insubordination souffle sur le Parti.
Ses causes? I1 est dificile de les dégager exactement. Diver-
gences de points de vue entre sous-chefs, énervement des
hommes (on a interdit le port de l’uniforme à Berlin, puis
en Prusse), travail harassant imposé à tous, contribuent à
créer une atmosphère d’inquiétude et de fièvre. Le premier
à manifester ouvertement son mécontentement est Otto
Strasser, dont le journal est sérieusement handicapé par
l ’ h g r i f f de Gœbbels. Hitler exige qu’il vende son quotidien
et ses hebdomadaires à la maison Eher, éditeur officiel du
Parti, e t qu’il vienne travailler à Munich. Otto Strasser
refuse. Hitler ordonne à Gœbbels de l’expulser du Parti.
Cette sanction est immédiatement appliquée. Otto Strasser
quitte la N. S. D. A. P. avec une poignée de partisans et
fonde un groupe dissident, le (( Parti national-socialiste
révolutionnaire »,qui deviendra plus tard le K Front noir 1).
Gregor Strasser, en revanche, qui ne s’entend plus très
bien avec son frère, s’incline devant la décision du Führer.
Plus diflicile à réprimer est la révolte fomentée au début
de septembre par le capitaine Stennes, chef des Sections
d’Assaut pour la région Est, qui commande de ce fait tous
les S. A. de Berlin. Celui-ci est l’ancien commandant du
4e bataillon de la Reichswehr noire, dissoute par le général
von Seeckt au lendemain du putsch de Küstrin’. I1 a été
placé à la tête des S. A. de la capitale par le capitaine von
Pfeffer, auquel Hitler, accaparé par les questions politiques,
1. Voir vol. II, p. 282.
30 HISTOIRE D E L’ARM$E ALLEMANDE

a confié depuis quelque temps le commandement des che-


mises brunes. Le capitaine von Pfeffer, lui aussi, n’est pas
un inconnu pour nous. Nous l’avons déjà v u à l’œuvre dans
les provinces baltes, où il a pris part au putsch contre le
gouvernement Ulmanis l, puis dans la Ruhr, où il a lutté
contre les formations rouges, en liaison avec les troupes du
général von Watter.
Hitler est obligé d’intervenir en personne pour calmer
les esprits. I1 doit faire le tour des permanences de Berlin
pour y rétablir la discipline, ce qui n’est pas toujours facile,
car les membres des Sections d’Assaut berlinoises sont des
N durs )) auxquels il faut parler sans mâcher les mots. Le
capitaine Stennes qui les a incités à la révolte est exclu
du Parti. Quant au capitaine von Pfeffer, qui ne s’est pas
révolté lui-même mais a fait preuve d’un regrettable man-
que d’autorité, il est destitué de ses fonctions de comman-
dant des S. A. (En guise de compensation, Hitler lui donnera
un peu plus tard un siège a u Reichstag.)
A qui le Führer va-t-il confier le commandement en chef
des Sections d’Assaut? Gœring, qui a occupé ce poste en
1923, ne demande qu’à le reprendre. Mais Hitler réserve
l’ancien commandant de l’escadrille Richthofen pour les
négociations avec les milieux o h i e l s et les partis de droite.
En réalité, Hitler considère qu’un seul homme est capable
de diriger les S.A. comme il le désire, et cet homme, c’est
Rohm. Mais Rohm a quitté l’Allemagne : il est parti pour
l’Amérique du Sud oii il occupe un poste d’oficier instruc-
teur dans l’armée bolivienne. Aussi Hitler conserve-t-il pour
l’instant la direction des S. A,

+ *

Tandis qu’Hitler jugule ces velléités de révolte à l’intérieur


du Parti, le chancelier Brüning a engagé la lutte avec le
Reichstag. Soutenu par la gauche et les partis modérés, il
est entré résolument dans la voie de déflation. Mais lorsqu’il
présente au Parlement un ensemble de mesures destinées
à remettre de l’ordre dans les finances allemandes, celui-ci
se cabre e t refuse de les voter. Faisant alors usage du
paragraphe 48, Brüning a promulgué par décret les impôts

1. Voir vol. II, p. 22 e t 30.


LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 31
nécessaires à l’équilibre du budget. Une seconde fois, le
Reichstag refuse de ratifier ces mesures. Ne pouvant réussir
à sortir de cette impasse et ne disposant pas d’une majorité
sufrisante, Brüning demande au président Hindenburg de
dissoudre l’Assemblée. Les nouvelles élections sont fixées a u
14 septembre 1930.
Les premiers résultats d u scrutin doivent être connus dans
la nuit du 14 a u 15 septembre. Hitler, qui les attend à
Munich, est allé a u théâtre. (( Soudain, raconte-t-il, Adolf
Müller arrive, tout excité, et déclare : (( J e crois que c’est
(( une victoire. Ça peut donner de 60 à 70 mandats. J e lui ))

réponds que si le peuple allemand était correct, il nous en


donnerait davantage. Intérieurement, j e me disais : (( Si ça
(( pouvait être I O O ! 1) Tout à coup, c’est la certitude de

300 mandats assurés. Müller offre une tournée. C’est allé


jusqu’à 107! Comment exprimer ce que j’ai ressenti à cet
instant l ?
Le lendemain matin, l’Allemagne apprend avec stupeur
que le nombre des voix nationales-socialistes est passé de
800.000 à 6.500.000 et que les hitlériens remportent 107 siè-
ges au Reichstag (au lieu de 12), ce qui fait de la N. S. D. -4.P.
le deuxième parti politique allemand z. (( La voie légale dans
laquelle Hitler s’était engagé lors de la seconde fondation
du Parti en 1925, écrit Gerhard Riihle, et qu’il avait suivie
depuis lors avec une invincible obstination, était bien l’arme
qu’il fallait pour lutter contre le système érigé par la révolu-
tion de novembre 3. ))
Le 13 octobre, les 107 députés nazis font leur entrée au
Reichstag. Ils traversent l’hémicycle au pas cadencé et vont
s’asseoir à leurs places, revêtus de leurs uniformes.
I1 y a exactement cinq ans et dix mois qu’Hitler est sorti
de prison.
1. HITLER,Libres Propos, I, p. 164-165.
2. Le premier est le Parti socialiste avec 143 sièges, sur 577 (voir le tableau,
p. 98).
3. Gerhard RÜBLE, Das Dritte Reich, vol. I, p. 167.
II

INTRIGUES AUTOUR DE QUATRE ARMEES

Un vaste échiquier sur lequel se meuvent quatre armées


politiques, avec leurs drapeaux et leurs états-majors, leurs
formations de combat et leurs troupes de protection, quatre
blocs antagonistes qui évoluent dans une atmosphère de
passions chauffées à blanc, tantôt alliés, tantôt ennemis, se
côtoyant sans incident, puis se’heurtant soudain en échauf-
fourées sanglantes, et, au milieu de ces quatre masses en
mouvement, une Reichswehr immobile et hiératique, dont
la seule présence les empêche de tecourir à u n coup de
force, telle est l’image qu’offre l’Allemagne au tournant des
années 1931-1933.
Pendant le court répit qui a suivi la période révolution-
naire et l’ère des coups d’État, on a pu croire que le régime
de Weimar allait se stabiliser. Grave erreur. Déjà s’annonce
la crise nouvelle qui va balayer ce qui subsiste des institu-
tions républicaines. Le gouvernement s’avère impuissant à
endiguer le bouillonnement de forces qui soulève le pays.
Les Cabinets ne se maintiennent au pouvoir qu’en recourant
à des mesures exceptionnelles qui, pour être inscrites dans
la Constitution, n’en faussent pas moins le jeu normal des
institutions. Désormais ce n’est plus le Reichstag qui gou-
verne, mais les masses. Le pouvoir n’est plus dans l’hémi-
cycle du Parlement, mais dans les rues et sur les places
publiques, dans les salles de réunion et sur les stades, où des
centaines de milliers d‘hommes acclament des orateurs tou-
jours plus passionnés, toujours plus frénétiques.
Front rouge, Front de fer, Front brun, Front gris se dis-
putent avec la dernière violence les suffrages de la nation.
LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 33
Une nouvelle révolution est en marche dont nul ne peut
prévoir l’issue, mais qui ne saurait avoir d’autre terme qu’une
dictature nationaliste ou la bolchévisation du pays.
Que veulent ces quatre groupes? Quels sont leurs pro-
grammes, leur structure, et les forces sur lesquelles ils s’ap-
puient?
t
* *

Sous le drapeau rouge à étoile soviétique, orné de la fau-


cille et du marteau, le Front rouge groupe les membres les
plus actifs du Parti communiste allemand (1CP.D) e t les
divers groupements de combat qui s’y rattachent. Suivant
les données fournies par les Communistes eux-mêmes 1, les
forces du Front rouge se répartissent en trois catégories :
I. Les organisations de base; II. Les organisations de Front
unitaire; III. L e s organisations de choc.
Parmi les organisations de base se trouvent le Parti com-
muniste allemand (section allemande de la IIIe Internatio-
nale), qui forme le bastion central de l’édifice révolution-
naire, l’Union de la Jeunesse communiste allemande (section
des Jeunesses communistes internationales) e t l’Union des
combattants du Front rouge, ou Roterfrontkürnpfer Verband,
qui fournit les cadres à l’ensemble des formations militaires
du Parti.
L’Union des combattants du Front rouge comprend une
Direction centrale, des Directions régionales et une dizaine
de Directions locales. Chaque Direction locale se compose
de quatre divisions et de plusieurs (( groupes de fabrique))
(cellules d’entreprise). La plus petite formation de combat
est le groupe, qui se compose de 8 hommes habitant
autant que possible le même îlot, de façon à être facilement
mobilisables en cas d’alerte. (Par la suite, les effectifs d u
groupe seront réduits à 5 hommes2.) Quatre groupes forment
1. Cf. A. NEUBERG (Neumann), Der bewaflnek ilufstand, 1928; Alfred LANGER
(Hans KIPPENBERGER), Der Weg m i n Sieg, et Ernst TIIÆLXANN, Richtlinien über
den Aufbau der Organisufion, Rotiront Verlag, 1929.
2. LL Chaque chef doit se rendre compte que le groupe de cinq est notre forma-
tion de base, lit-on dans la circulaire transmise le 25 février 1933 par le Comifé
central du Parfi communiste aux diverses Directions régionales. Nos chefs de groupe
doivent faire preuve du maximum d’initiative. Un très bon service d’alerte et
d’information doit être organisé entre les différents groupes, permettant de les
mobiliser à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. P
ni 3
34 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

une section (Abteilung) et trois sections, une équipe (Kame-


radschaft).
Dissoute le 6 mai 1929 à la suite des émeutes de Wedding,
l’Union des combattants du Front rouge s’est transformée
en Ligue de combat antifasciste, ou Antifa l. Cette Ligue
a reçu à peu près la même structure que la précédente.
Parmi les organisations de Front unitaire se trouvent l’Op-
position syndicale révolutionnaire (section de 1’Internatio-
nale syndicale rouge) qui groupe les ouvriers des fabriques,
l‘Aide rouge d’Allemagne (section de l‘Aide rouge inter-
nationale) et les formations ZAutoprotection des masses
rouges, divisées elles aussi en groupes de cinq, en sections
et en équipes, réparties en groupes d’îlot, de rue et de quar-
tier 2. Leur insigne est une étoile soviétique montrant, sur
un fond argenté, un poing tendu avec un drapeau rouge
flottant a u vent. L’uniforme se compose d’une blouse russe,
d’une casquette de l’Armée rouge, de culottes de cheval, de
bottes e t d‘un ceinturon avec un baudrier.
Parmi les organisations de choc, on relève les Pionniers
rouges, les Associations sportives rouges, et les Comités de
combat. Ceux-ci ont pour mission de recruter et d’instruire
des groupes de terroristes comprenant de 10 à 200 hommes
chargés des besognes particulièrement difficiles (destruction
à la dynamite des ponts et des voies ferrées, attentats contre
les chefs des formations ennemies, sabotages des gares, des
centres télégraphiques et téléphoniques, etc.).
Ligue antifasciste, Autoprotection des masses rouges e t
Comités de combat s’emboîtent les uns dans les autres et
forment un réseau occulte qui couvre toute l’Allemagne. I1
est très difficile d’évaluer leurs effectifs totaux car, jusqu’à
la fin, ces groupements resteront dans la clandestinité. Seuls
quelques chiffres isolés permettent de se faire une idée de
leur force. Au moment de son interdiction, l’Union des
combattants du Front rouge comptait, d’après Neuberg,
100.000 hommes répartis en 545 groupes, la Ligue Antifa
environ 250.000. E n septembre 1932, il y avait à Essen
1.290 membres de la Ligue antifasciste et 183 membres de
1’Autoprotection; à Duisburg, 1.622 membres de la Ligue

1. Voir plus haut, p. 26.


2. Après les élections du Reichstag en août 1932, les groupes de maison, de
rue et de quartier s’appeldrent respectivement E t d e s , Orfiammes et Bannières.
LA REVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 35
antifasciste e t 1.132 membres de YAutoprotection l. Vers la
même époque, 500 échelons de 1’Autoprotection étaient
constitués à Berlin, 50 à Stuttgart, 260 à Altona, comprenant
environ 13.000 membres. E n février 1933, on comptait à
Hambourg 150 groupes de surveillance d‘îlots comprenant
5.500 hommes, dont 2.500 étaient constamment en état
d’alerte. Quand on sait que le nombre total des militants
communistes enrégimentés s’élevait à plus de 1 million, et
que le Parti communiste a recueilli jusqu’à 6 millions de
voix à certaines élections (soit 13,5 yo du corps électoral),
on mesure la force que représentait une telle organisation.
Assermentés a u drapeau rouge 2, équipés et armés à l’aide
de matériel e t d’explosifs dérobés dans les fabriques e t les
arsenaux, financés par le Komintern 3, grâce à l’entremise
de l’Aide rouge internationale et de la délégation commerciale
soviétique de Hambourg 4, les organisations de combat com-
munistes constituent une véritable armée étrangère, cam-
pant sur le territoire du Reich. Étroitement soumises au
Comité central du Parti, elles se trouvent - comme lui -
sous la dépendance directe, organique e t financière de Mos-
cou, à laquelle elles doivent une obéissance absolue.
Instruits par des agents secrets du Guépéou munis de
faux passeports 5, e t par d’anciens chefs de centuries prolé-
tariennes ayant fait le coup de feu au cours des luttes révo-
lutionnaires de 1918, 1919 et 1920, les membres des for-
mations communistes sont surtout initiés à la tactique de
l’insurrection e t a u x combats des rues (attaques des points

1. Circulaire de la Direction régionale (I Ruhr B de la Ligue Antifa, Essen, 18 mai


1932.
2. Extrait d’un carnet de Parti, saisi chez un membre de l’Union des combat-
tants du Front rouge.
3. Le budget global du Parti communiste allemand pour l’année 1932 était
de 3,7 millions dc marks-or. Le déficit du budget de l’Aide rouge s’élevait h
231.000 marks. L’un et l’autre furent réglés directement par hfoscnu. Lcs princi-
paux agents de liaison entre le Komintcrn et le Parti communistr allernand étaient
Walter Stocker et le Juif Willi Münzcriberg, que l’on appelait le Y IIugciihcrg rouge..
Ce dernier devint, en 1936, - après son expulsion d’Allemagne - un des Tepré-
sentaiits omciels du Komintern, e n France.
4. E n particulier, la Société anonyme russo-alicmande de transports (Derirtrn)
et la Compagnie germano-russe des petroles (Derop), qui, dcrriére leurs façade3
commerciales, n’étaient en rbalité que des oficines de la section étrangére du
Guépéou (InoGPU).
5 . L’organisation secrète de l’Aide rouge internationale entretenait, avec l’aide
du Guépéou, des onicines de falsification de passeports, entre autres i Berlin, à
Hambourg e t à Dantzig. Celles-ci ne délivrèrent pas moins de 5.000 faux pas-
seports et 10.000 certificats irrbguliers entre 1929 et 1933.
36 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

stratégiques des agglomérations urbaines, érections de bar-


ricades, défense de pâtés de maisons, etc.). Leur but est la
conquête révolutionnaire du pouvoir e t l’instauration de la
dictature du prolétariat. Cette conquête devra s’effectuer en
trois temps : 10 une période préliminaire d’agitation et de
noyautage; 20 l’insurrection armée; 30 la prise en main du
pouvoir l.
Pendant la première période, les révolutionnaires s’eff or-
ceront de gagner les masses à l’idéologie marxiste, de désor-
ganiser les cadres de la société bourgeoise, d’intimider le
gouvernement par des grèves et des démonstrations de
masse, enfin de noyauter l’armée et la police a.
Sitôt ce travail sufisamment avancé, les formations de
combat entreront en jeu : ce sera l’insurrection armée. Les
formations rouges attaqueront l’adversaire à l’improviste, au
moment OU ses forces seront dispersées et désarmeront les
régiments de la Reichswehr et les formations de la police, déjà
gangrenées par la propagande soviétique 3. Les groupes de
terroristes s’empareront à coup de dynamite des bâtiments
publics, des centres d’émission de T. S. F., des immeubles
des journaux, des gares et des banques 4, tandis que les syn-
dicats extrémistes e t les cellules d’entreprise paralyseront
la vie économique du pays en proclamant la grève générale 6.
Ce sera alors le moment de passer à la troisième étape :
la prise en main du pouvoir, après une courte période de
terreur.
Celle-ci a pour .objet({l’anéantissement physique des enne-
mis de la classe ouvrière ».Par des fusillades massives et

1. Les grandes lignes de ce plan d’action, inspiré des écrits militaires d’Engels
et de Lénine,ont été élaborées par la XIIeAsscmbIée plénière du Comité exécutif
de l’Internationale communiste, siégeant iMoscou au début de septembre 1932.
Le plan a été transmis en octobre 1932 à l a IIIeConférence des ouvriers du Parti
communiste allemand, qui l’a adopte sans modification;
2. On signalc, pdur la période allant du 1” janvier au 31 décembre 1932,
1.225 tentatives de corruption dans la Reichswehr e t dans la police, mais ce chiffre
ne comprend quo les cas portés à la connaissance des autorités militaires.
3. Impossible dc fixer à l’avance la date de l’insurrection : elle dépend unique-
ment des progrés de la désagrégation préliminaire. (I Un mouvement de masses
révolutionnaires ne se développe pas d’après le calendrier. D (Alfred LANGER, Der
W e g zum Sie& p. 17.) D’où la nbcessité pour les formations de combat d’être
constamment en état d’alerte.
4 . Cf. Règlement provisoire de guerre de l’Armée rouge & I’Union des Soviets,
p. 414. Cité par NEUDERG, Der bewaflneie &+;and, p. 277 et S.
5. a Lorsque les formations communistes’allemandespasseront aux actea, l’Ar
mée rouge soviétique se portera h leur secours. D Déclaration du député commu-
niste Pieck, au cours d‘une démonstration de masse à Moabit, le l m août 1931.
LA REVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 37
une répression méthodique, les Rouges extermineront les
forces de la réaction l. Ce jour-là, la révolution marxiste
déferlera sur l’Allemagne. On assistera (( au choc le plus
violent entre classes antagonistes qu’ait jamais connu l’his-
toire n j ce sera (( l’étape la plus importante de la révolution
mondiale, après les journées glorieuses d’octobre 1917 »,
car (( par la plaie allemande, la dictature soviétique s’étendra
à toute l’Europe occidentale ».

Tout autre est le Front de Fer, constitué le 23 décembre


1931 pour lutter (( contre les ennemis de la démocratie et ))

qui groupe sous le drapeau noir-rouge-or de la République


les membres du Parti socialiste (S. P. D.), les syndicats libres
et la Reichsbanner ou Bannière d’Empire.
Des quatre armées en présence, la Bannière d’Empire est
numériquement la plus forte, puisqu’elle comporte en 1932
près de 2 millions d’adhérents. Fondée le 24 février 1924 et
dirigée par M. Horsing, membre influent du Parti socialiste,
elle possède elle aussi ses étendards, ses troupes de protec-
tion e t son insigne : trois flèches parallèles, la pointe tournée
vers le bas. Et pourtant, comme elle paraît amorphe, à côté
des formations de combat communistes, d u Stahlhelm et des
Sections d’Assaut hitlériennes!
Appuyée sur les centaines de milliers de membres du Parti
social-démocrate, contrôlant, à travers lui, 2 millions 1/2 de
travailleurs syndiqués, disposant de fonds de propagande
considérables, soutenue par les 171 journaux socialistes e t
tirant sa force de ses 2.500 sections locales, la Reichsbanner
n’en demeure pas moins ( ( u n grand corps flasque et sans
âme, réagissant médiocrement aux attaques qui lui viennent
de tous côtés, non par défaut de combativité, mais par
manque d’une position claire, d’un programme qui soit autre
chose enfin que les pauvres lieux communs rebattus, déteints,

1. Alfred LANGER, Der Wsg zum Sisg, p. 11. Cette tactique s’inspire du précepte
de Lénine : On ne doit jamais jouer avec la rkvolution et, dès qu’on l’a commencée,
(I

il faut la poursuivre jusqu’au bout. a (Corneils donnés de b i n ) .


2, 3, 4. Déclarations officielles de la XII0 Assemblée pleniére du Comité ex&
outif de l’Internationale communiste (Moscou, septembre 1932).
38 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

qui ne sortent pas du domaine de l’élémentaire e t semblent


faits de la poussière des décors des autres partis D.
Sans doute ses défilés sont-ils impressionnants par le
volume des effectifs qu’ils mettent en mouvement, mais, a u
point de vue dynamique, son efficacité est presque nulle.
Libérale et généreuse, mais timorée et opportuniste comme
la fraction parlementaire dont elle est l’émanation, aucun
soume ne la soulève. On dirait que le régime qu’elle est
chargée de défendre lui a transmis son complexe d‘infério-
rité. Aussi ne jouera-t-elle qu’un rôle de second plan dans
la partie dramatique qui va se dérouler. Au dernier moment,
beaucoup de ses membres, déçus par son inertie, iront grossir
les rangs des Sections d’Assaut hitlériennes ou rejoindront
leurs camarades d’atelier dans les formations de combat
communistes. Le reste s’écroulera sans gloire sous les coups
de ses ennemis.

* *
En face de ce Front de Fer,qui mérite si peu son nom, se
dressent les légions grises et disciplinées du Stahlhelm et du
Kyffhaüserbund. Nous avons déjà parlé du Casque d’Acier,
fondé à Magdebourg, à la fin de 1918, par le lieutenant
Seldte (( pour perpétuer la camaraderie du front et donner
aux jeunes gens une trempe physique et morale équivalente
à celle qu’ils recevaient jadis pendant leur service militaire a D.
Très vite, le Stahlhelm a pris une extension considérable :
fort de 23.000 adhérents à la fin de 191g3, il en compte
60.000 en 1920, 175.000 en 1923, 425.000 en 1929 et près
de 1million en 1932. I1 se compose de quatre sections, d’im-
portance inégale : 10 le Kernstahlhelm, où ne sont admis que
les anciens combattants ayant au moins six mois de front;
20 te Ringstahlhelm, pour ceux ayant moins de six mois de
front; 30 le Jungstahlhelm pour les recrues de dix-sept à
vingt-trois ans. Enfin, le Scharnhorstbund pour les jeunes
gens de treize à dix-sept ans.

1. Maurice LAPORTE, Sous le casque d’acier, p. 52-53.


2. W.-E. Freiherr von MEDEM, Seldte-Duesterberg, p. 7.
3. Dès le mois de mars 1919,le Stahlhclmafourni les cadres del’Einwofinerwehr
deMagdebourg. En aoiit de la mCme année, il a mis quatre compagnies complètes
à la disposition du gouvernement pour lutter contre les Spartakistes. (Cf. von
MEDEM,op. cit., p. 36.)
LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 39
AU point de vue territorial, les sections du Stahlhelm
se répartissent en bataillons (Ortsgruppen), en régiments
( K r e i s g r u p p e n ) et en brigades (Landesgruppen). Leurs
membres, vêtus de l’uniforme de campagne feldgrau e t d’une
casquette portant comme insigne un casque d’acier, sont
astreints à des périodes d’exercice régulières : marches de
jour et de nuit, manœuvres sur le terrain, exercices de recon-
naissance, lectures sur la carte, etc. Leur drapeau est l’an-
cien étendard de guerre de l’armée impériale, blanc à croix
noire, avec au centre l’aigle des Hohenzollern et, dans
l’angle gauche, la croix de fer.
Au début, le Stahlhelm n’avait pas d’autre ambition que
d’être une formation patriotique et paramilitaire. Peu à peu,
la composition de ses effectifs et l’évolution des événements
l’ont amené à accentuer sa couleur politique. Commandé par
deux anciens officiers de l’armée impériale, le lieutenant
Seldte e t le colonel Duesterberg 1, placé sous le haut patro-
nage du Maréchal Hindenburg, groupant dans ses rangs un
grand nombre d’officiers réactionnaires et monarchistes, tels
le major von Stephani et le capitaine Ehrhardt, travail-
lant en liaison étroite avec le Kyffhaüserbund du colonel
Reinhard 2, financé par Hugenberg et le Parti deutsch-natio-
nul, le Casque d’Acier est devenu, à partir de 1929, l’armée
permanente de la réaction. Ce qui fait la force du Stahlhelm,
c’est son identification étroite avec l’esprit prussien tradi-
tionnel. Mais c’est aussi sa faiblesse : car il ne possède aucune
vision originale de l’État, et l’avenir auquel il travaille n’est
que la restauration du passé.

1. Le lieutenant Seldte, ancien chimiste et industriel, appartenait oriqinelle-


ment au Parti populiste allemand (D. V. P.). Ce n’est pas un oficier de ïarriére,
mais il s’est battu vaillamment au front. Duesterberg, par contre, est un ancien
Cadet. I1 a participé en 1900 i l’expédition de Chine contre les Boxers.En 1914,
il est au ministere de la Guerre. I1 prend part à la bataille d‘Ypres, puis est envoyé
en mission à Bucarest. La fin des hostilités le trouve au G. Q. G., à Spa, puis à la
Commission d’armistice, où il entame une violente campagne contre Erzberger.
(Cf. von MEDEM, op. cii., p. 81-86.) I1 s’inscrivit, après la guerre, au Parti natio-
nal allemand (D. N. V. P.).
3. Le Kyflhaiiserbund, commandé par le colonel Reinhard, le rlibérateur de
Berlin D, et présidé par le maréchal von Mackensen, est une association d’anciens
combattants forte d’environ 100.000 membres. Beaucoup d’entre eux appartien-
nent au Kernstahlhelm. C’est pourquoi ces deux groupes collaborent, tout en rea-
tant distincts.
40 HISTOIRE DE L’ARMSE ALLEMANDE

4 4

(( Un peuple, déclare Seldte, est comme un jardin qu’il

faut émonder, cultiver et entretenir sans cesse. Un É t a t est


comme une grande et noble firme commerciale qu’il faut
administrer honnêtement. La politique, c’est la direction
sage et raisonnée de cette firme l. n A quoi Hitler répond :
(( La nation est le contenu et la substance du Reich. Le

peuple, créé par Dieu, est ce qui est et ce qui demeure; il


est le but unique de toute activité humaine et de toutes
les institutions de 1’Etat 2. ))
Rapprocher ces deux formules, c’est souligner le contraste
qui existe entre Seldte et Hitler : l’un est un chef d’entre-
prise réaliste et pratique, d’une honnêteté scrupuleuse mais
sans grande imagination; l’autre, un visionnaire animé d’une
foi irrationnelle dans les destinées de son pays.
C’est par ses discours torrentiels qu’Hitler a rassemblé les
400.000 membres de son Parti. Mais si la parole peut gal-
vaniser une foule, elle ne saurait faire surgir une armée. En
face du Stahlhelrn et des formations communistes, Hitler sent
la nécessité de développer et de structurer plus fortement
ses Sections d’Assaut.
Jusqu’en 1923, les S. A. n’ont été que des formations
presque exclusivement bavaroises, réparties en cohortes
(Hundertschaffen) sous le commandement de Gœring. C’est
seulement après 1925 qu’elles commencent à s’étendre à tout
le Reich, mais leur structure est encore trop vague pour
pouvoir se mesurer avec leurs émules du Stahlhelm.
Le l e r octobre 1930, c’est-à-dire quinze jours après les
élections du Reichstag, Hitler adresse un appel pressant à
Rohm, qui se trouve en Bolivie. Celui-ci est sur le point
d’être promu Conseiller au ministère de la Guerre, à La Paz.
Mais en recevant l’appel du Führer, il abandonne tout pour
regagner l’Allemagne. Le 5 janvier 1931, il est nommé chef
d’État-Major des S. A. et des S. S. ce qui lui donne la haute
main sur tout l’appareil militaire du Parti.
Aussitôt l’ancien chef de la Reichskriegsflagge procède à
une refonte compléte des Sections d’Assaut. Celles-ci sont
ramenées partout à un type uniforme. Quatre à douze
1. Cf. von MEDEM,op. cît., p. 63.
2. V(llkischtv Beobachter, numéro du 30 janvier 1936.
LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 41
hommes constituent une escouade (Schar). Trois à six
escouades forment une section ( T r u p p ) . Quatre sections
forment une compagnie ( S t u r m ) , commandée par un capi-
taine et un officier instructeur. Trois à cinq bataillons ( S t u r m -
b a n n ) constituent un régiment (Standarte) dont les effectifs
varient de 1.000 à 3.000 hommes. Trois régiments consti-
tuent une brigade (Untergruppe). Quatre à sept brigades
constituent une division ( G r u p p e ) 1.
Le territoire allemand est divisé en 21 régions qui cor-
respondent chacune à une division. Ces groupes sont com-
mandés soit par d’anciens chefs de corps francs, soit par
des jeunes gens qui se sont distingués par leur énergie et
leurs dons d’organisation, ou qui ont été promus au grade
de général par la faveur de Rohm : Peter von Heydebreck,
qui a perdu un bras en Argonne et dont nous avons
déjà cité le nom lors des combats de Hau te-S ih ie 2, com-
mande la division de S. A. de Poméranie; Schneidhuber,
celle de Bavière; Wilhelm Schmidt, celle de Munich; Karl
Ernst, celle de Berlin. La division de Hanovre est commandée
par Victor Lutze; celle de Westphalie, par Scheppmann;
celle de Prusse-Orientale, par Litzmann; celle de Saxe par
Hans Hayn, etc.
Les S.S., ou Échelons de protection, sont également placés
sous le contrôle de Rohm. Commandées successivement par
Schreck, Heiden et, à dater du 9 janvier 1929, par l’aspirant
Himmler, ces formations sont issues du petit commando spé-
cial appelé Stosstrupp Hitler, qui joua un rôle important
dans le putsch du Bürgerbraükeller 3.
Les S. S., qui servent de garde personnelle au Führer et
veillent sur le drapeau du 9 novembre -l’emblème sacré
du Parti 4, - se distinguent des S. A. par leur uniforme
noir et l’insigne à tête de mort qui orne leur casquette.
Fortes de 400 hommes environ au moment de leur création,
elles comptent 60.000 hommes en 1932, et 100.000 en jan-
vier 1933.
Outre les S. A. et les S. S.,l’armée brune comprend une
centaine de colonnes motorisées, commandées par le major
1. Cf. Jacques BARDOUX, Le Temps, numéro du 11 novembre 1933 et Ceschichia
dcr S. A., I’blkischer BeobachUr, numéro du 30 janvier 1936.
2. Voir vol. II., p. 199.
3. Voir vol. II., p. 303.
4. C’est celui que tenait le volontaire Bauriedl au moment de sa mort e t qu’il
a teint de son sang lors de la fusillade devant la Feldherrnhalle. (Voir p. 309).
4s HISTOIRE D E L’ARMSEALLEMANDE

Hühnlein, des corps de motocyclistes, des formations de


cavalerie et même une escadrille d’aviation. Les qualités
principales des milices hitlériennes sont l’esprit offensif et la
mobilité l, ce qui ne s’obtient qu’au prix d’une discipline
très sévère 2.
Plus la lutte se prolonge, et plus les S. A. sont astreints à
un service rigoureux. Dès 1930, les membres des Sections
d‘Assaut sont convoqués quatre à cinq fois par semaine,
pour des défilés de propagande ou pour assurer la protection
des réunions publiques. Aussi faut-il créer bientôt une réserve
de S. A., (ou S. A. R.), qui comprend les miliciens âgés
de plus de trente-cinq ans et ceux que leur travail empêche
de prendre part à toutes les manifestations du Parti 3.
Au fur et à mesure que s’accroissent les effectifs, les uni-
formes acquièrent leur style déenitif. On voit apparaître aux
cols des éciissons aux couleurs des Pays auxquels appar-
tiennent les unités, et des chiffres représentant le numéro
des bataillons. E n 1931, le numérotage par bataillons dispa-
raît e t les Standarten reçoivent les numéros correspondants
des régiments de l’ancienne armée impériale. A Gorlitz, la
Standarte de S. A. porte le no 19, pour marquer qu’elle rem-
place l’ancien 19e régiment d’infanterie von Courbière 4. Les
officiers d’Etat-Major - depuis les Groupes en montant
- portent comme dans l’armée régulière des écussons et des
bandes de pantalon amarante. Leurs grades sont indiqués
par des étoiles et des feuilles de chêne.
Parallèlement à ce travail de réorganisation et de recru-
tement, Rohm centralise les organes du commandement.
L’État-Major des S. A. comprend alors tout un ensemble
de services, indépendants de ceux du Parti : les services de
la direction, du personnel, de la justice et de l’hygiène; les
sections de l’État-Major, de l’instruction et de l’adminis-
1. Au Congrès de Nuremberg en 1933, 350.000 hommes de S. A. et de S. S.
seront transportés en trois jours et rcconduiis en deux, grice h 1.500 horaires de
convois et a 350 parcs de matériel. Le débarqucmcnt de cette énorme masse
d‘hommes ne demandera que cinq à sept minutes. (Jacques BAnDoux, le Temps
numéro du 11 novembre 1933.)
2. Ccttc discipline est d’autant plus dificile h maintenir qu’elle est purement
volontaire. II est impossible, en cfïet, d’imposer des sanctions disciplinaires à
des miliciens bénévoles. Les S. A. qui se rendent coupables de négligences dans le
service ou d’actes d’insubordination sont l’objet d’un blâme. Après le deuxiéme
blâme, ils sont cassés de leur grade ou expulses de la troupe.
3. L’unité la plus haute des S. A. R. est la Standark
4. Dans toutes les garnisons où il y avait, avant 1914, des régiments de Chas-
seurs, Rohm installera des Jdgerslandorle.
LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 43
tration; enfin une École de cadres ou Reichsführerschule.
Ainsi s’édifie, sous l’impulsion de Rohm, une immense armée
politique, qui comptera bientôt plus de 400.000 hommes,
financée et entretenue par des moyens privés, une armée
dont les adversaires les plus acharnés du National-socialisme
devront reconnaître eux-mêmes (( qu’on peut la considérer,
dans l’ordre de l’organisation, comme une des plus grandes
réussites des temps actuels ».

t
* *
I1 serait vain de prétendre que la Reichswehr ne ressent
aucune inquiétude devant les progrès continus de ces quatre
blocs rivaux. Elle a beau s’arc-bouter de toutes ses forces
pour les tenir en respect, elle sait qu’un seul geste maladroit,
un seul incident fâcheux sufirait à rompre l’équilibre et
à mettre le feu aux poudres.
I1 serait également naïf de croire que la Reichswehr, mal-
gré la neutralité qu’elle professe, éprouve des sentiments
identiques à l’égard de ces divers groupes. Entre elle et
les formations de combat communistes règne une hostilité
ouverte. Vis-à-vis de la Bannière d’Empire, cette hosti-
lité se tempère d’une nuance de mépris. L’armée n’ignore
pas que le Front rouge et le Front de fer ont des attaches
occultes plus étroites que ne le laisseraient supposer les que-
relles de leurs chefs 2, et que la révolution, si elle éclatait,
aurait de fortes chances de les trouver côte à côte.
Quant à l’armée brune, la Reichswehr fait preuve, vis-
à-vis d’elle, d’une réserve hautaine. Rohm a beau être lié avec
Schleicher et Ludendorff, Hitler a beau répéter : (( Nous
n’avons aucun intérêt à détruire l’armée, ce serait à mes
yeux le plus grand des crimes. Mon seul désir est de voir
la Reichswehr s’imprégner, comme le peuple allemand, de
l’esprit nouveau n, les généraux de la Bendlertrasse n’en
1. Conrad HEIDEN, Hiller, p. 291.
2. En apparence le Front rouge et le Front de fer sont opposés. Mais les contacts
se poursuivent à l’intérieur des groupes, car les Communistes s’efforcent de noyauter
les syndicats libres et la Bannière d’Empire. On lit ainsi, dans l’Ordre d’alerte
adressé A ses adhérents le 25 février 1933 par la Direction ccntrale de l’Union des
combattants du Front rouge : a Contact permanent avec la Bannière d’Empire,
formations et chefs : l’atmosphère nous y est favorable. On doit y organiser des
travaux en commun. 9
. 3. Déposition d’Hitler devant la Cour suprême de Leipzig, le 25 septembre
44 HISTOIRE DE L’ARMSE
ALLEMANDE

considèrent pas moins le Mouvement national-socialiste avec


un mélange d’inquiétude, de condescendance e t d‘aversion.
C’est cet (( esprit nouveau D, justement, qu’ils réprouvent, car
la turbulence explosive du mouvement et la démagogie de
ses chefs s’accommodent mal avec le silence auquel les a
habitués von Seeckt. N’oublions pas que la Reichswehr a
conservé de ses expériences révolutionnaires, une phobie
instinctive des masses (car la masse est la seule force capable
de la submerger) et que la foule lui déplaît souverainement,
qu’elle soit vêtue de brun, de rouge ou de gris. Pour les
militaires de profession, les hommes des Sections d‘Assaut
ne sont pas de (( vrais soldats )), mais des braillards en uni-
forme qui se croient tout permis. De plus, cette façon de
donner aux formations de S. A. les mêmes numéros d’ordre
que les anciens régiments impériaux les irrite au plus haut
point car il fait double emploi avec les compagnies de tra-
dition instaurées ù l‘intérieur de l’armée. La Reichswehr se
considère comme la seule héritière des traditions militaires
allemandes et ce privilège, elle n’entend le partager avec
personne.
Tout autre est son attitude envers le Stahlhelm, en qui
elle voit non un rival éventuel, mais un auxiliaire précieux.
Le haut patronage du Maréchal Hindenburg et la présence
dans ses rangs d’innombrables officiers en retraite, ne peuvent
que renforcer la sympathie qu’elle ressent pour elle. Cette
sympathie va même plus loin qu’une simple affinité morale,
car les milieux de 1’Etat-Major assignent au Stahlhelm une
tâche bien définie.
Jusqu’ici, la Reichswehr a pu compter, en cas de conflit,
sur un grand nombre de réserves formées par les anciens
combattants, mais d’année en année ces réserves s’ame-
nuisent. On estime, en effet, que passé trente-cinq ans, les
hommes ont des soucis de famille qui diminuent leur esprit
combatif et ne les rendent plus aptes à servir que dans la
Landwehr. Or, la dernière classe ayant pris part à la guerre
et qui fut d’ailleurs mal instruite - celle née en 1900 -
approche de cette limite. Jusqu’en 1935, qui sera l’année
cruciale, la Reichswehr dispose encore de quatre à cinq
classes d’anciens combattants. A partir de 1935, il n’y en
1930, au cours du proch des lieutenants Ludin et Schwinger, du 5’ régiment
d’artillerie, accusés d’avoir constitué des cellules nationales-socialistes à l‘intérieur
de la Reichswehr.
LA REVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 45
aura plus. Le moment n’est donc pas loin où elle devra rem-
placer ses volontaires, dont le contrat d’engagement viendra
à expiration, par des recrues n’ayant aucune notion d u
métier des armes.
Or, les dirigeants de la Reichswehr sont en train de mettre
sur pied un projet de réorganisation de l’armée, basé sur
un abaissement de la durée d’engagement et sur un accrois-
sement sensible des effectifs, qui se trouveraient portés aux
environs de 200.000 hommes. Ce projet nécessitera un appel
annuel de 30.000, 40.000 ou 50.000 recrues. S’il est adopté,
il faudra choisir les jeunes soldats parmi les membres des
associations spoJtives et patriotiques, et de préférence dans
le Stahlhelm. L’Etat-Major attribue donc aux Casques d’Acier
le rôle d’un réservoir de forces, susceptible de lui fournir
des jeunes gens dotés d’un commencement d’instruction
militaire e t offrant toutes les garanties au point de vue
moral.
Aussi la politique de la Reichswehr vis-à-vis du Stahlhelm
consiste-t-elle, sinon à le favoriser ouvertement, du moins à
le protéger contre les attaques de ses ennemis, car son main-
tien lui paraît lié à son développement futur.
III

LA REPUBLIQUE AUX ABOIS


(15 octobre 1930-31 juillet 1932)

Tandis que les milieux militaires sont absorbés par ces


problèmes, le gouvernement civil présidé par le chancelier
Brüning lutte contre une situation chaque jour plus dificile.
Durement frappées par la crise, les industries les plus
importantes se voient contraintes de licencier une partie
de leur personnel. Le mécontentement ainsi créé et la
misère croissante profitent largement aux Communistes,
qui poursuivent méthodiquement leur travail de sape.
Le 15 octobre 1930,126.000 ouvriers berlinois de l’industrie
métallurgique se mettent en grève pour protester contre la
réduction de leurs salaires. Le 2 janvier 1931, les syndicats
communistes de la Ruhr cessent également le travail. Le
l e r mai, durant la nuit, le drapeau soviétique est planté
sur le toit de l’université de Berlin et, à Moabit, un batail-
lon de S. A. qui rentre dans ses quartiers, tombe dans une
embuscade tendue par les Rouges : il y a 3 morts et 28 blessés.
La situation s’aggrave encore au cours de la semaine sui-
vante. Le 8 juin, les extrémistes élèvent des barricades à
Hambourg et des bagarres éclatent à Chemnitz, Beuthen,
Brême, Dusseldorf et Duisburg. Le 11, on signale des échauf-
fourées à Cassel, à Francfort-sur-le-Main, et encore à Ham-
bourg, qui reste un des principaux foyers de l’agitation
communiste l. Le surlendemain, l’effervescence gagne la
Ruhr, Kiel, Cologne et Leipzig.
Ces grèves tournantes et les troubles qui les accompagnent
achèvent de désorganiser la vie économique. Telle une vague

1. Rappelons que Hambourg est lo siége de la Délégation commerciale soviétique.


LA RAVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 47
qu’aucune force humaine ne parvient à endiguer, le chômage
augmente d’une façon effrayante. Le 15 novembre 1930,
on comptait 3.484.000 chômeurs; le l e r décembre, ils sont
3.762.000; le 15 décembre, 3.977.000; le l e r janvier 1931,
4.357.000; le 15 janvier, 4.765.000.
La crise finit par atteindre les établissements de crédit
les plus solides. Le 13 juillet, la Darmstiidter und National-
bank suspend ses paiements. La Dresdner Bank elle aussi
est en difficulté. Pris de panique, les déposants se ruent à
l’assaut des guichets. Le 14 juillet, le gouvernement est
obligé d’ordonner la fermeture de toutes les banques e t de
la bourse; la réouverture n’a lieu, le lendemain, (( que pour
les paiements d’importance vitale ».La Reichsbank vient au
secours des banques privées. Mais cet effort épuise ses dis-
ponibilités; elle porte son taux d’escompte à 10 %, et à
15 % celui des avances sur titres.
A bout de ressources, le gouvernement se voit contraint de
limiter la durée des indemnités de chômage. Après un certain
temps, les ouvriers sans travail seront abandonnés à leur
sort. Parallèlement à ces restrictions - qui acculent toute
une partie de la population au désespoir - le gouvernement
réduit le traitement des fonctionnaires et ne leur verse plus
qu’un quart de leurs émoluments.
E t tandis que les usines ferment leurs portes, que les plus
puissantes citadelles du capitalisme vacillent sur leurs bases
et que les colonnes de chômeurs s’allongent de jour en
jour, les routes sont sillonnées de troupes en marche,
précédées de leurs étendards rouges, blancs, ou tricolores,
avec leurs insignes symboliques - marteau et faucille, croix
gammée, flèches parallèles ou croix de fer - saluant les
unes le bras levé, les autres le poing tendu : parades monstres
du Stahlhelm à Coblence et à Breslau, à Munich et à Berlin;
rassemblements de S. A. à Chemnitz, à Meiningen et à Gera;
défilés de la Reichsbanner à Berlin, à Munich et à Cologne;
démonstrations du Front rouge à Weimar, à Berlin, à Essen
et à Hambourg.
Telle est l’atmosphère dans laquelle a lieu, le 10 octobre
1931, la première rencontre d’Hitler et du Maréchal Hinden-
burg1. Gœring, qui se trouve en Suède, au chevet de sa

1. Cette rencontre a été ménagée par Schleicher, à la suite de démarches


ditérées de Rohm.
48 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

femme mourante 1, revient exprès à Berlin pour assister à


l’entrevue. Mais celle-ci ne donne pas les résultats espérés.
Hindenburg reçoit Hitler avec une froideur glaciale. L’an-
cien commandant en chef des armées de Guillaume II refuse
de collaborer avec un (( caporal autrichien )) que son entou-
rage lui dépeint comme un vulgaire batteur d’estrade. I1
conserve, comme par le passé, toute sa confiance à Brüning
qui s’efforce de barrer la route au National-socialisme et de
l’empêcher, coûte que coûte, d’arriver au pouvoir.
Dépité par le résultat négatif de cette rencontre, Hitler
accepte alors l’alliance que lui proposent les milieux de
droite. Le 11octobre a lieu à Hamburg une réunion des chefs
du parti Deutsch-national et des Casques d’Acier. Hugenberg,
Schacht, Seldte, Düsterberg et des représentants influents
de la grosse industrie y assistent 2. Hitler s’y rend, accom-
pagné de Rudolf Hess et de plusieurs bataillons de chemises
brunes. I1 annonce officiellement qu’il adhère au front unique
constitué par l’opposition nationale pour abattre Brüning.
Les S. A. défilent côte à côte avec le Stahlhelm. Mais les
membres du Casque d’Acier sont venus plus nombreux qu’ils
ne l’avaient promis, de sorte que les nazis sont en minorité.
Le Führer doit faire un grand effort sur lui-même pour
maîtriser sa colère et consentir à cette alliance qui lui est
dictée par des raisons de simple opportunité 3. Tout l’ir-
rite dans ce milieu rigide et conventionnel où prédominent
les officiers monoclés de l’ancien régime et les magnats en
jaquette noire de la haute finance. I1 refuse de signer une
déclaration commune, lit son propre discours d’une voix préci-
pitée et s’excuse de ne pas pouvoir assister au déjeuner qui doit
réunir les chefs de la (( conjuration à l’issue de la parade.
1. Elle mourra quelques jours plus tard, emportée par l’aflcetion pulmonaire
qu’elle a contractée aux côtés de son mari, lors de leur fuite de Munich A Venise,
aprhs lo puisch manqué de 1923.
2. Le comte Kalkrcuth, président du Reich-Landbund, MM. Lindt et von Syhel
représcntcnt le capital agricole; MM. Brandl, président de la puissante a Union
des Mines 1) d‘Essen, Schlenker et Pœnsgen représentent l’industrie lourde et
le Cartel de l’acier; M. Krucger, le trust delapotasse; MM.Bluhmet Gok, les elian-
tiers navals; M.Ravené, l’industrie du fcr; M. Reinacker l‘industrie des machines;
M. Delius, les textiles. MM. Krupp et Thyssen, en voyage en Amérique, se sont
excusés.
3. R Au cours de l’été 1931, écrit Otto Dietrich, ehcf du service de presse de la
N. S. D. A. P.,Hitlcr prit la résolution dc gagner systématiquement les person-
nalités marquantes de l’industrie et des partis bourgeois modérés, afin de les
arracher, pierre par pierre, à l’édifice gouvernemental ... Le résultat ne se fit pas
attendre. L’échafaudage gouvernemental commença P craquer d’une manière
inquiétante, mystérieuse, incompréhensible. D (MitHitler in die Mu&, p. 45-46.)
LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 49
Comme il se sent plus à son aise, deux jours plus tard,
lorsqu’il passe en revue à Brunswick, la division de S. A. d u
Nord! 104.000 chemises brunes sont massées sur le champ
de manceuvres de Franzensfeld. Les troupes défilent a u pas
cadencé pendant plus de six heures, tandis que les accla-
mations montent de tous côtés vers lui comme vers un
Imperator romain. L’enthousiasme atteint son point culmi-
nant au moment où‘Hitler remet à ses régiments 24 éten-
dards nouveaux.
Ce sera d’ailleurs la dernière cérémonie de ce genre avant
la prise du pouvoir. Novembre et décembre sont consacrés
aux tournées de propagande et aux réunions de masse. A
la fin de l’année 1931, le Parti national-socialiste compte
806.000 membres l.
+ +

1932 - la dernière année de la République allemande -


s’ouvre sous de sombres auspices. Les statistiques accusent
plus de 6 millions de chômeurs 2. 3 milliards de marks-or
leur ont été distribués au cours des douze mois précédents,
mais ces subsides sont insuffisants pour alléger leur misère.
Le 9 janvier, Brüning fait savoir à l’ambassadeur d’Angle-
terre que l’Allemagne ne pourra plus payer de réparations.
A ces difficultés financières viennent s’ajouter, pour le
Chancelier, un nouveau motif d’inquiétude : le septennat du
Maréchal touche à sa fin et il va falloir procéder à des élec-
tions présidentielles. Brüning redoute, non sans raison, les
remous que suscitera la campagne électorale. I1 convoque
Hitler à la Chancellerie e t lui propose la transaction sui-
vante : son parti n’insistera pas pour que les élections aient
lieu; le mandat du Président sera renouvelé par un simple
vote du Reichstag; en échange, Brüning lui remettra le
pouvoir a u bout d’un an environ, le temps de liquider
le problème des réparations et de rétablir un peu d’ordre
dans les finances allemandes 3.
1. Contre 389.000 à la fin de l’année précédente.
2. D’après les syndicats libres, le chômage complet atteint 44,6 % des ouvriera.
3. Schleicher, de son côté, a fait savoir à Rohm qu’il trouve le moment
mal choisi pour faire tomber Brüning. Une conférence interalliée va s’ouvrir à
Lausanne. Mieux vaut laisser le Chancelier régler la question épineuse des Répa-
rations. Une fois le coup d’éponge passé sur les créancea alliées, la route sera
libre pour la reconstruction nationale.
111 4
50 HISTOIRE D E L ’ A R M J ~ EALLEMANDE

Mais Hitler refuse. S’il a réussi à faire élire cent sept


députés au Reichstag, c’est bien pour s’en servir. Pour-
quoi aiderait-il le Chancelier à renforcer son autorité?
Pourquoi laisserait-il s’apaiser les esprits, lui qui s’emploie
de toutes ses forces à les maintenir en ébullition? Aussi
repousse-t-il ce marchandage dans une lettre ouverte à
Brüning, où il s’étonne que le chef d’un gouvernement
républicain (( consente à faire une entorse aussi grave aux
principes démocratiques ».Puis, dans un discours prononcé
a u cirque Krone à Berlin, il réclame avec vigueur des
élections présidentielles et exige que le Chancelier lui cède
la place s’il n’est plus à même de gouverner. La réponse d u
Chancelier ne se fait pas attendre : c’est un (( non N cassant.
Mais son argumentation, assez faible, laisse clairement entre-
voir qu’il est aux abois.
Le 15 février, Hindenburg annonce officiellement qu’il
repose sa candidature. Mais, - fait significatif -, alors qu’il
était, en 1925, le candidat des milieux réactionnaires et
des partis de droite, il est soutenu cette fois-ci par tous les
partis de gauche et du centre, depuis les Sociaux-démocrates
jusqu’au Parti populaire allemand. Pour ce luthérien, être
élu grâce aux voix catholiques n’est pas non plus très confor-
table.
Longtemps, les milieux conservateurs hésitent à prendre
position. Enfin, le 22 février, le Stahlhelm et le parti Deutsch-
national annoncent qu’ils voteront contre Hindenburg, qu’ils
formeront un (( bloc de combat noir-blanc-rouge )) et que
leur candidat à la Présidence sera le colonel Düsterberg,
le commandant en second des Casques d’Acier.
Jusqu’ici le Parti national-socialiste est demeuré silen-
cieux. I1 a voulu laisser l’adversaire abattre ses cartes en
premier. D’ailleurs u n certain flottement règne au sein du
Parti. Pour Gœbbels, le seul candidat possible est Hitler
lui-même. Mais Hitler hésite à croiser le fer avec le géant
octogénaire dont la popularité rayonne sur le Reich to u t
entier. Défier le vainqueur de Tannenberg n’est ni agréabIe
ni facile, et l’on comprend qu’il réfléchisse à deux fois avant
de s’y hasarder.
Le Journal de Gœbbels nous a conservé un tableau fidèle
des hésitations d’Hitler a u cours de ces journées. (( 19 jam
.-
vier Discuté avec le Führer des élections présidentielles.
Aucune décision n’est encore intervenue. Je plaide énergi-
LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 51
quement en faveur de sa propre candidature. Aucune autre
solution ne saurait être sérieusement envisagée. - 21 j a n -
vier: Dans la situation où nous sommes il ne nous reste rien
d’autre à faire que de présenter notre propre candidat. -
23 janvier :I1 est grand temps que nous abattions nos cartes.
- 31 j a n v i e r : Le Führer doit prendre sa décision mercredi;
elle ne peut plus faire de doute. - 2.féorier .- Le Führer se
décide enfin à poser sa propre candidature. - 9 février :
Le Führer est de nouveau à Berlin. Nouvelle discussion sur
l’élection présidentielle. Tout est remis en question. -
12 février : J’évalue de nouveau avec le Führer toutes nos
chances de succès. La décision est enfin prise ... Le Führer
est rentré à Munich. La décision officielle est encore retardée
de quelques jours. - 18 février: L’éternelle attente finit par
être épuisante. - 22 février : Le Führer m’a enfin donné
la permission de passer à l’attaque ce soir, au Palais des
Sports. Dieu soit loué l ! ))
Le soir même, devant une salle archi-comble où se trouvent
rassemblés les membres des secteurs ouest, nord et est de
la capitale, Goebbels annonce la candidature d’Hitler. (( Aussi-
tôt, écrit-il, une tempête d’applaudissements éclate et se
prolonge pendant dix minutes. Les assistants se lèvent e t
hurlent de joie. J’ai l’impression que la voûte va s’effondrer
sur nous. Les gens rient et pleurent en même temps. Beau-
coup d’entre eux ont complètement perdu la tête, On sent,
pour la première fois, que le peuple est en train de ressus-
citer 2. ))
Dès le lendemain, l’Hôte1 Kaiserhof, où le Parti a établi
son quartier général à Berlin, ressemble à une fourmilière en
pleine activité. Les téléphones sonnent sans arrêt. Les
machines à écrire crépitent. Les couloirs sont remplis d’esta-
fettes et de miliciens affairés : la bataille électorale commence.
Deux jours plus tard (25 février 1932), le gouvernement
national-socialiste de Brunswick nomme Hitler conseiller
(Regierungsrat) à la Légation du Brunswick à Berlin ce qui
lui confère automatiquement la citoyenneté allemande 3. Le
lendemain, le Reichstag fixe la date des élections au 13 mars,
pour le premier tour, e t au 10 avril pour le second.

1 . DI Joseph GEBBELS, V o m Kniserhof zur Reichskanzlei. p. 27 i 49.


2. Id., p. 50.
3. Sur les conditiona de cette a naturaiiiation I, voir Lagebesprechungen, p. 882,
note 1.
52 HISTOIRE DE L’ARMOE ALLEMANDE

Le Parti entier est sur le pied de guerre. S. A., S. S., Jeu-


nesses hitlériennes, sections de motocyclistes et d’autos,
militants et orateurs contribuent à la campagne électorale.
Un déluge de tracts, d‘afiches, de brochures, de journaux,
s’abat sur l’Allemagne. Hitler prend chaque jour la parole
dans une ville différente. Le 4 mars, il est à Breslau; le 7,
à Stuttgart; le IO, à Godesberg; le 11 à Hanovre. Ce travail
forcené exige des nerfs à toute épreuve et aussi beaucoup
d’argent. Le Parti qui joue son va-tout, dépense sans comp-
ter. Gœbbels, qui mène l’affaire, est constamment sur la
brèche, dictant des articles, prononçant des discours, rédi-
geant des circulaires e t recueillant des fonds.
Enfin, le jour des élections arrive. (( J e passe la soirée
chez moi avec beaucoup de monde, écrit le chef de la pro-
pagande nazie. Nous écoutons à la radio le résultat des
élections. Les nouvelles transpirent goutte à goutte. La situa-
tion est franchement mauvaise. Vers 22 heures, on peut se
faire une opinion d’ensemble. Nous sommes lamentablement
battus; perspective affreuse! Nous nous sommes moins
trompés dans l’estimation de nos propres forces que dans
celles de l’adversaire : il ne lui manque que 100.000 voix
pour avoir la majorité absolue l. 1)
Hindenburg recueille, en effet, 18.550.730 voix (soit
49,6 % de l’ensemble des votants); Hitler, 11.339.285,
soit 30,l %; Thælmann, le chef du Parti communiste,
4.983.197 (13,2 %) 2; Düsterberg vient en dernier : il n’a
que 2.557.590 voix, soit un peu moins de 7 %.
Alors, un vent de panique passe sur le Parti. Profondément
démoralisé par le résultat du scrutin, Gœbbels téléphone
à Hitler, qui se trouve à Munich. Ne vaudrait-il pas mieux
renoncer à la lutte et reporter ses efforts sur les prochaines
élections législatives? Mais Hitler ne l’entend pas ainsi.
(( Quand parvinrent les premiers chiffres qui établissaient

d’une manière définitive le résultat du scrutin, écrit Otto


Dietrich le chef des services de presse du Parti qui se trou-
vait ce soir-là aux côtés du Führer, un profond décourage-
ment s’empara des assistants ... Déjà des voix s’élevaient,
qui conseillaient d’abandonner la lutte. Hitler sentit aussi-
tô t le danger. I1 n’y avait pas une minute à perdre. I1 était
minuit, les éditions spéciales des journaux allaient sortir. E n
1. ID., ibid., p. 62.
2. Contre 1.582.414 voix en 1925.
LA RI~VOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 53
même temps que le résultat de l’élection, le public, le Parti,
la nation entière devaient apprendre qu’hdolf Hitler ne
se tenait pas pour battu. Avec la rapidité de l’éclair, le
Führer dicta ce communiqué : L’offensive doit être reprise
immédiatement avec la dernière vigueur. Une fois qu’il a
reconnu son adversaire, le National-socialisme ne le lâche
plus avant de l’avoir terrassé. J e vous donne l’ordre d’enta-
mer à l’instant même la lutte pour le deuxième tour. La
première campagne électorale est achevée. La deuxième com-
mence aujourd’hui même. Comme la première, je la condui-
rai en personne l. 1)
Mais après la tension nerveuse de ces derniers jours, les
esprits sont émoussés, les volontés détendues. Le gouverne-
ment Brüning profite de ce moment de désarroi pour pro-
céder à des perquisitions dans les bureaux de la N. S. D. A. P.
I1 affirme que la police a mis la main sur un plan d’encer-
clement de Berlin, élaboré par l’état-major des Sections
d’Assaut. Par ordre supérieur, toutes les permanences de
S. A. et de S. S. sont fermées.
Ces mesures ont pour objet de paralyser le Parti. Mais
contrairement a ux prévisions, elles lui rendent sa combati-
vité. Du 3 au 9 avril, Hitler entreprend sa seconde tournée
électorale, - cette fois-ci en avion. Au cours de ces neuf
journées, il survole toute l’Allemagne, de Kœnigsberg à
Munich, e t prend la parole dans 21 réunions de masse ?-.
Enfin arrive le 10 avril, jour fixé pour le second tour de
scrutin. Hindenburg est élu, avec 19.359.633 voix (53 %),
Hitler a gagné du terrain. I1 a recueilli 13.418.051 voix
(36,8 %), tandis que Thælmann est en régression avec
3.706.655 voix (10,2 %).
Le vainqueur de Tannenberg demeure donc à la Présidence.
Hitler est battu pour la seconde fois. Mais du moins, cette
fois-ci, est-ce une défaite honorable.
t
* *
Lorsque le gouvernement apprend qu’Hitler a recueilli
13 millions 1/2 de suffrages, il prend conscience tout
à coup
1. O t t o DIETnIcB, Mit Hiller in die dfackt, p. 60-63. Le parti ileuidch-nafionut
se désista, tout en déclarant a qu’il nc s’inclinrrait pas devant une dictature D.
2. Durant ces deux campagnes, l’ensemble du Parti ne tient pas moins de
180.000 réunions. (HITLER,Libres Propos, II, p. 55.)
54 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

de l’ampleur du danger. Décidément le (( batteur d’estrade n


est plus dangereux qu’on ne le pensait. Encore plusieurs
défaites de ce genre, et il sera le maître de l’Allemagne. La
seule manière de l’en empêcher est de briser son parti.
Le général Grœner, qui cumule les fonctions de ministre
de la Reichswehr et de ministre de l’Intérieur, se charge
de lui porter le coup de grâce. Le 13 avril, soit quarante-
huit heures à peine après la proclamation du scrutin, il publie
un Décret p o u r la sauvegarde de l’autorité de l’État, dont le
1 prescrit la dissolution immédiate des S. A. :
Toutes les organisations de type militaire appartenant à la
N. S. D. A . P., lit-on dans le décret, notamment les S. A.
et les S. S., avec tous les .?hats-Majors et les services qui s’y rat-
tachent, e n particulier les permanences de S. A., les réserves de
S.A., les bataillons motorisés, les bataillons de marine, les esca-
drons de cavalerie, le corps d’aviateurs, le corps de camions, le
corps sanitaire, les écoles de cadres, les cantonneme& de S. A.
et les dépôts de matériel seront immédiatement dissous.
Bien qu’en partie non armées, ces organisations de combat
sont susceptibles à tout instant de fomenter des coups de force.
Elles forment une armée privée dont l’existence même constitue
un État dans l’État et représente une cause permanente de trouble
pour la population civile ...
On imagine sans peine la fureur de Rohm et de ses colIa-
borateurs en lisant cette ordonnance. Le traître Grœner,
le défaitiste du conseil de guerre de Spa, l’homme qui a osé
prendre parti pour la signature du traité de Versailles, va-
t-il anéantir tous leurs efforts d‘un simple trait de plume?
Rohm parle déjà de marcher sur Berlin et de balayer le
Reichstag.. .
Hitler doit user de toute son autorité pour l’en retenir.
Furieux, Rohm accourt à Munich, espérant convaincre son
chef que le moment est venu d’employer la manière forte.
Une fois de plus, Hitler s’y refuse.
- Mais à quoi bon avoir une armée, si c’est pour la laisser
dissoudre sans combattre? rugit Rohm.
- Déclencher un coup de force en ce moment serait faire
le jeu de nos adversaires, rétorque Hitler. Nous dresserions
contre nous à la fois le Maréchal, la Reichswehr et t o u t e la
classe ouvrière.
- Et après? I1 faudra bien les affronter un jour ou l’autre!
LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 55
Mieux vaut le faire tout de suite. Demain, il sera trop
tard ...
Rohm s’cmpourpre de colère. La dispute s’envenime.
- Verser dans l’illégalité quand nous sommes à la veille
de toucher au but serait une folie, répète Hitler. C’est par
u n biais qu’il faut faire tomber Grœner, et avec lui le
décret prescrivant la dissolution des Sections d’Assaut.
-C’est facile à dire! hurle Rohm qui se demande tout
à coup si les conseils de prudence que lui prodigue Hitler
ne sont pas l’aveu d’un manque de caractère. Vous sous-
estimez la force que vous avez entre les mains. J e ne laisse-
rai pas détruire l’instrument que j’ai forgé ...
- Taisez-vous et exécutez mes ordres, rétorque Hitler
d’une voix rauque. Vous allez dissoudre les S. A. comme
l’exige Grœner. Pour le reste, je m’en charge.
Rohm finit par s’incliner. I1 transmet l’ordre de dissolu-
tion aux Sections d’Assaut. Celles-ci lui obéissent en grin-
çant des dents. Mais l’ancien chef du Kampfbund remporte
de cet entretien un sentiment de malaise. Sa confiance est
ébranlée.
Le soir même, Hitler se rend à Berlin, où il a plusieurs
entretiens secrets avec Gœring et Himmler.
Le lendemain, Schleicher informe le Führer qu’il se
désolidarise de la politique de Grœner, et nul doute qu’il
n’ait laissé connaître ses sentiments à l’entourage du Maré-
chal, car le 15 avril, Hindenburg demande à Grœner de
prescrire une enquête sur la Bannière d’Empire et de lui
appliquer le même traitement qu’aux Sections d’Assaut
hitlériennes.
Grœner est stupéfait par la demande du Maréchal. N’est-ce
pas la Reichsbanner qui a soutenu sa candidature? E t quelle
commune mesure peut-il y avoir entre l’organisation répu-
blicaine de M. Horsing, qui s’emploie à défendre le régime,
et les Sections d’Assaut de Rohm, qui s’efforcent de le
renverser? Aussi refuse-t-il de sévir contre la Reichsbanner
et déclare-t-il qu’il ne peut s’associer à la demande du Maré-
chal. Bien plus, le 4 mai, il promulgue deux décrets nou-
veaux, dont le premier spécifie que toutes les organisations
politiques ayant une structure ou une activité calquées sur
celles de l’armée, seront soumises dorénavant au contrôle
du ministre de l’Intérieur.
Cette fois-ci c’en est trop, car ce dernier décret vise non
56 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

seulement le N. S. D. A. P. mais aussi le Stahlhelm,


auquel la Reichswehr est résolue à ne pas laisser toucher.
( ( A présent, écrit Gœbbels, il n’y a plus qu’à laisser
éclater les mines posées par Hitler lors de son dernier pas-
sage à Berlin. ))
Le 9 mai, le Reichstag se réunit sous la présidence de
Gœring. Celui-ci ouvre la séance par un réquisitoire violent
contre Grœner et demande (( si le ministre de la Reichswehr
est toujours qualifié pour assurer la sécurité publique e t
diriger l’armée n.
Le 11, Brüning intervient dans le débat et prononce un
discours-fleuve pour sauver son collaborateur. Dressant le
bilan des résultats acquis au cours des dernières semaines,
il demande aux députés de lui maintenir leur confiance, e t
affirme que son gouvernement (( n’est plus qu’à cent mètres
du but D.
Mais ces derniers cent mètres, il ne les parcourra pas. Le
12 mai, bien que le Reichstag ait repoussé, par 287 voix
contre 257, une motion de méfiance contre le gouvernement,
le général Grœner donne brusquement sa démission. Que
s’est-il donc passé?
Grœner n’a pas été renversé par le Parlement, mais par
une intervention extra-parlementaire. Un émissaire secret du
ministère de la Reichswehr s’est rendu à la Présidence et a
révélé au Maréchal que Grœner vient d’avoir un enfant (( en
dehors des liens du mariage D. Le rigorisme d u Maréchal s’est
cabré devant ce scandale.
-Dans ces conditions, a poursuivi l’émissaire, le ministre
de la Reichswehr ne saurait jouir plus longtemps de la
considération de l’armée...
- Évidemment, répond Hindenburg, évidemment ... d’un
ton bourru.
- I1 nous semble impossible, dans ces conditions, qu’il
continue à exercer ses fonctions actuelles ...
- C’est également mon avis, répond le Maréchal, qui
n’est pas fâché d’être débarrassé d’un homme pour lequel
il n’a jamais éprouvé qu’une médiocre estime.
Après quoi, les généraux ont fait part à Grœner de la
désapprobation du Maréchal, - et Grœner n’a plus eu qu’à
quitter le ministère.
Cette démarche des chefs militaires permet de mesurer la
puissance de la Reichswehr e t l’impuissance du Reichstag.
LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 57
C’est la première fois, depuis le putsch de Kapp, que l’armée
se désolidarise de son représentant au sein du Cabinet.
Fidèle au principe énoncé par Hammerstein que (( l’armée ne
peut pas exercer elle-même le pouvoir, mais qu’elle peut à
sa guise soutenir ou renverser un gouvernement )), l’État-
Major fait sa rentrée dans l’arène politique en obligeant
le ministre de la Reichswehr à se démettre de ses fonctions.
Après Noske, Lüttwitz; après Lüttwitz, Grœner I...
Cette démission met le Cabinet dans une situation inte-
nable, Brüning, qui est à Genève, voit son crédit ébranlé. A
son retour Berlin, il est reçu par Hinden1)iirg qui lui déclare
de but en blanc qu’il ne signera plus de nouveaux décrets-
lois.
- I1 faut, ajoute-t-il, que ce gouvernement impopulaire
disparaisse au plus vite. Ma conscience m’oblige à me séparer
de vous.
Comment Brüning pourrait-il gouverner sans l’appui du
Maréchal? II ne dispose pas d‘une majorité sufisante au
Reichstag pour se dispenser d’avoir recours au paragraphe 48.
Puisque le Président refuse de signer de nouveaux décrets,
il n’a plus qu’à s’en aller. A quinze jours de distance, la
démission de Grœner entraîne la chute du Cabinet. Ainsi
s’effondre le dernier gouvernement parlementaire de l’AI-
lemagne républicaine 2.
*
* *
Le gouvernement qui lui succède, formé par M. von Papen
est un Cabinet (( présidentiel )) en ce sens qu’il ne gouvernera
pas a u nom d’une majorité du Reichstag, mais en s’appuyant
exclusivement sur le Maréchal Hindenburg. Le ministère
de l’Intérieur y est occupé par le baron von Gayl; celui des
Affaires étrangères par le baron von Neurath; celui des
Finances par le comte Schwerin von Krosygk. Le Dr Gürtner
1. a J c faisais partie do I’ctat-Major h l’époque, écrit le coloncl Mcycr, ct nous
Ations tous au courant de l’incident. Grocncr avitit consacré un livrr au général
Moltke (celui de 1914) dont il critiquait la stratégie et qu’il avait intitulé Comman-
dant en chel malgré lui. E n parlant entre nous, nous appelions Gmner : Pére mal-
gré lui. D
2. I Rien que Brüning ait succombé aux intrigues des nationalistes [allemands],
écrit Walter Lippmann, ce qui a miné son pouvoir et rendu possibles ces intrigues
est le fait que la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis se sont montrés
incapables de faire un seul acte constructif, en vue de restaurer la confiance i n t e r
nationale. I (New York Herald Tribune, l e r juin 1932.)
58 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ ~ ALLEMANDE
E

devient ministre de la Justice; enfin le général von Schleicher


succède à Grœner au ministère de la Reichswehr. Avec ce
(( Cabinet de barons »,ce sont les milieux deutsch-national

qui prennent le pouvoir.


Brüning, écrit très justement Henri Lichtenberger, avait
traité les hitlériens comme des révolutionnaires subversifs,
qu’on écarte de la Reichswehr, dont on dissout les for-
mations, auxquels on interdit le port de l’uniforme e t les
démonstrations sur la voie publique. C’est là, aux yeux des
nouveaux dirigeants, une injustice et une maladresse ...
Ce qu’il faut au contraire c’est associer les Nationaux-
socialistes à l’exercice d u pouvoir, les mettre au pied du
mur pour les contraindre à donner la mesure de leurs capa-
cités. Parvenir à ce résultat est une des tâches essentielles
que se donne le Cabinet von Papen : il entend non plus
barrer la route a u National-socialisme, mais l‘intégrer à l’en-
semble de la vie politique allemande 11.
Cependant, Hitler, dont les 107 députés peuvent s’opposer
à l’investiture du nouveau gouvernement, n’accepte sa créa-
tion que moyennant deux conditions : 10 Papen dissoudra le
Reichstag et procédera à de nouvelles élections; 20 il rap-
portera le décret de Grœner interdisant les S. A. Sur ces deux
points, le nouveau Chancelier accepte de donner satisfaction
à Hitler.
Le 4 juin, Hindenburg signe un décret promulguant la
dissoIution du Reichstag. La date des nouvelles éIections est
fixée au 31 juillet. Le 17 juin, le décret de Grœner est rap-
porté ainsi que les arrêtés interdisant aux S. A. de porter
l’uniforme e t de participer à des démonstrations publiques.
A présent, c’est aux Communistes de manifester leur colère.
(( Le rétablissement des S. A. est une véritable provocation

au meurtre »,s’écrie Thadmann a u cours d’un meeting de


la Ligue antifasciste. Partout le Front rouge redouble d’acti-
vité : l’effervescence reprend à Hambourg e t à Berlin. Le
10 juillet, des collisions sanglantes ont lieu un peu partout,
entre commandos de S. A. et miliciens antifascistes. On compte
18 morts et plus de 200 blessés graves. Le 17 juillet, les
scènes de violence se renouvellent, principalement à Altona
et dans la banlieue d’Hambourg : cette fois-ci, il y a 19 morts
et 285 blessés. u Nous allons tout droit à la guerre civile,

1. Henri Lrcirrstiuencan, L’AUortiagiw mucrliu, p. 42-43.


LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 59
écrit Gœbbels, ...mais la Wilhelmstrasse semble ne se douter
de rien l. ))
*
+ +
A vrai dire, ce ministère composé d’hommes d u monde
et de brillants cavaliers ne pèche pas par excès de perspi-
cacité. D’ailleurs, toute son attention est accaparée par la
situation chaotique qui règne en Prusse.
Aux élections du Landtag de Prusse du 24 avril 1931, le
Parti national-socialiste a obtenu 162 mandats sur 422 2.
Se trouvant en minorité, le Cabinet socialiste Braun-Seve-
ring a donné sa démission et le Landtag a élu comme pré-
sident le National-socialiste K e d 3 . Mais par suite du désac-
cord persistant entre le Centre et les Nazis, toute désignation
d’un nouveau président du Conseil est devenue impossible,
parce qu’aucun candidat ne peut réunir la majorité absolue
requise par la loi. Le Landtag est littéralement ingouver-
nable e t l’ancien Cabinet Braun, quoique démissionnaire,
continue à expédier les affaires courantes en attendant la
formation d’un nouveau ministère.
Cette situation paradoxale provoque une tension crois-
sante entre les fractions du Landtag. Le 28 mai, une
véritable rixe éclate dans l’hémicycle. Un député commu-
niste ayant souffleté un député nazi, une bataille rangée se
déchaîne à coups de chaises et d’encriers. Huit députés sont
grièvement blessés et la salle des séances est complètement
saccagée. I1 est évident qu’une pareille situation ne peut se
prolonger indéfiniment.
Le 19 juillet, M. Kerrl, président du Landtag, adresse une
lettre a u Chancelier et le somme (( a u nom de la volonté du
peuple )) de mettre fin à ce scandale et de transférer au
Reich l’administration et la police prussiennes.
Le lendemain, faisant usage du paragraphe 48, le Maréchal
Hindenburg nomme von Papen Commissaire du Reich en
Prusse. E n vertu de ce décret, von Papen est autorisé (( à
mettre en congé les membres du Cabinet prussien, à assu-
mer lui-même les fonctions de président du Conseil et à
confier à des personnes de son choix la charge des diffé-
1. Joseph GCEDDELS,T’oui iiaiserhof zur Reichskanzlei, p. 131.
2. II n’en avait auparavant que 6.
3. Le député Kerrl a été élu avec l’appoint des voix du Centre.
60 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

rents ministères. Von Papen désigne le Df Bracht, bourg-


mestre d’Essen, pour lui servir de représentant permanent
au sein du ministère prussien et relève de leurs fonctions
MM. Braun et Severing. Ceux-ci refusent d’évacuer les
lieux et déclarent qu’ils ne céderont qu’à la force. Pour
sortir de cette impasse, il faut recourir à la Reichswehr.
Le soir même, le Maréchal Hindenburg promulgue l’état
d’exception en Prusse1 e t remet le pouvoir exécutif au
général von Rundstedt, commandant du Wehrkreis I I I .
Les bâtiments du ministère sont occupés par des détache-
ments d’infanterie. Tous les ministres sont invités à quitter
leurs bureaux. Comme MM. Grzesinski, préfet de police,
Weiss, vice-président et Herrmannsberg, commandant de la
police de sûreté berlinoise, persistent dans leur refus, ils sont
arrêtés et menés sous escorte à la prison de Moabit. La Ban-
nière d’Empire et le Front Rouge qui avaient menacé,
l’une de soulever la population, l’autre de déclencher la grève
générale, ne bronchent pas devant les baïonnettes des sol-
dats de la Reichswehr. D’ailleurs, le général von Rundstedt
a pris des mesures très sévères pour réprimer tout désordre
éventuel. Le soir, l’affaire est complètement liquidée.
Mais si Berlin a assisté sans réagir à l’éviction du ministère
socialiste, les gouvernements des États du Sud s’insurgent
contre une méthode dont ils craignent qu’elle leur soit appli-
quée à leur tour. Le 21 juillet, les ministres destitués déposent
une plainte devant la Cour suprême de Leipzig, afin de faire
déclarer illégale la nomination d’un Commissaire du Reich
en Prusse, et bien qu’il soit peu probable qu’un tribunal
d’État prononce une condamnation aussi grave contre le
pouvoir exécutif, la Bavière, le Wurtemberg, le Pays de
Bade et la Hesse font cause commune avec eux. I1 faut que
von Papen convoque d’urgence à Stuttgart une Conférence
des Pays,* et déclare qu’il n’envisage pas d’étendre à
d’autres Etats les mesures prises en Prusse, pour calmer
un peu leurs appréhensions.
t
* *
Pendant ce temps, la date des élections pour le Reichstag
approche. La campagne électorale bat de nouveau son plein.
1. Ordonnance du président du Reich pour le rdtabliasement de la sécuriiè publique
eJ de l‘ordre à Berlin et dam la prmince da Brandebourg (20 juillet 1932).
LA REVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 61
Du 15 a u 30 juillet, Hitler survole l’Allemagne en avion,
prenant la parole dans une soixantaine de villes. Et cette
fois-ci, les élections sont un triomphe pour les Nationaux-
socialistes. La N. S. D. A. P. remporte 230 mandats (contre
107 a ux précédentes élections). I1 devient de ce fait, non
seulement le premier parti du nouveau Reichstag mais (( le
parti le plus puissant qui ait jamais existé en Allemagne ».
Avec ses 13.700.000 électeurs, ses 1.200.000 adhérents et
ses 350.000 chemises brunes, Hitler est aux portes de la
Chancellerie. Vont-elles s’ouvrir devant lui?
1. La répartition des sièges aprhs les élections du 31 juillet est la suivante :
Parti national-socialiste (N. S. D. A. P.), 230; Parti social-démocrate (S.P. D.),
133; Parti communiste (K. P. D.), 89; Centre, 75; Parti national-allemand
( D . N. V. P.), 40; Parti populiste bavarois (B. V. P.), 22; Parti populaire alle-
mand (D. V. P.), 7. (Voir Is tableau, p. 98.)
IV

LE DERNIER ASSAUT
( l e r août 1932-30 janvier 1933)

(( Chacun croyait que l’heure d’Hitler avait enfin sonné D,

écrit Otto Dietrich‘. Tous les regards se tournent vers le


Kaiserhof, quartier général des Nationaux-socialistes, situé
à cent mètres à peine de la Chancellerie, mais Hitler ne s’y
trouve pas. I1 s’est retiré dans sa maison de I’Obersalzberg,
près de Berchtesgaden, pour y méditer sur les problèmes de
la prise du pouvoir.
Pendant une dizaine de jours, ni la Chancellerie ni la
Présidence ne donnent signe de vie. Enfin, le 11 août, un
coup de téléphone de Berlin demande au Führer de venir
dans la capitale afin d’y discuter la formation d.’un nouveau
Cabinet. Hitler répond qu’il y sera le 13, dans la matinée.
Après avoir tenu une dernière conférence avec les chefs
politiques du Parti, qu’il a convoqués pour le 12 à Prien,
près du Chiemsee, Hitler se met en route. Tout a été prévu
pour la prise du pouvoir : les S. A. se concentrent autour de
Berlin en formations de plus en plus nombreuses.
Le 13 août, à l’aube, Hitler arrive en auto dans la banlieue ,
de Potsdam où il a donné rendez-vous à Rohm. Le Führer et
son chef d’État-Major font un rapide examen de la situation.
A Berlin tout est calme. Les S. A. sont dans leurs cantonne-
ments, mais prêts à se mettre en marche au premier signal 2.
Vers 10 heures, Hitler se rend au ministère de la Reichs-
wehr où il a un bref entretien avec Schleicher, puis à la
Chancellerie, où l’attend von Papen.
Celui-ci lui expose les intentions de son gouvernement. Von
1. Otto DIETRICE, Mit Hitter in die Macht, p. 116.
2. Joseph GCXBBELS,Vom Kaiserhof ZUT RerJiskanzlei, p. 113.
LA RBVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 63
Papen demeurera Chancelier; Hitler recevra le poste de Vice-
chancelier; on donnera aux Nationaux-socialistes quelques
portefeuilles de second plan, mais la direction de la politique
ainsi que les principaux leviers de commande resteront entre
les mains du gouvernement actuel. (( I1 s’agit en somme,
écrit Otto Dietrich, d’atteler le parti National-socialiste au
char de l’ancien Cabinet, mais sans lui donner la possibilité
de diriger les affaires. )) Hitler refuse catégoriquement ce
compromis bâtard e t déclare qu’il est inutile, dans ces condi-
tions, qu’il se rende chez le Président; en proie à une vive
colère, il coupe court à la conversation et se retire au Kai-
serhof.
A midi, le secrétaire d’État Meissner fait savoir a u député
Frick, chef du groupe parlementaire du Reichstag, que
le Maréchal ne s’est encore arrêté à aucune solution défini-
tive. Vers 3 heures, nouveau coup de téléphone : le Président
désire parler à Hitler avant de se prononcer. Dans ces condi-
tions une lueur d’espoir subsiste. Le Führer se rend à la
Présidence où il est reçu par Hindenburg. I1 lui expose
qu’étant le chef de la fraction la plus importante du Reichs-
tag c’est à lui qu’il incombe de former le nouveau Cabinet.
I1 ne revendique pas (( la totalité du pouvoir D, comme on
l’a prAtendu, mais ( ( l a direction non équivoque du minis-
tère »,ce qui est très différent. Le Maréchal l’écoute d’un
air glacial et refuse de lui donner satisfaction. De nouveau,
les entretiens sont rompus, et cette fois-ci d’une façon défi-
nitive.
Rentré au Kaiserhof, Hitler dicte à Gœbbels un compte
rendu des pourparlers. Puis il met au courant les chefs des
S. A. (( C’est pour eux, écrit Gcebbels, que la nouvelle est
la plus amère. Q u i sait s’ils pourront encore rester maîtres de
leurs formations? Rien n’est plus dificile que de dire à une
troupe, déjà sûre de la victoire, que celle-ci vient de lui
échapper l. 1)
Mais tandis qu’Ilitler expose ces faits à ses lieutenants,
les services de la Chancellerie rédigent et distribuent à la
presse un communiqué qui présente les événements sous un
jour tendancieux. Une heure plus tard, les journaux le
répandent dans le public avec des manchettes sensation-
nelles :Hitler exige tout le pouvoir pour lui! - U n e prétention

1. Joseph GannELs, op. cit., p. 145.


64 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

exorbitante! - Le Maréchal le remet vertement à sa place!


E t naturellement, le public adopte de confiance la version
qu’on lui donne. Aux yeux du peuple, le 13 août est (( un
jour noir pour la N. S. D. A. P. )I. Jusque dans l’entourage
du Führer, les esprits s’abandonnent au pessimisme. On
murmure que la partie est perdue, que le Président ne char-
gera jamais Hitler de former un ministère. E t le lendemain,
parlant à Heiligendamm, au bord de la mer Baltique, Gœb-
bels constate que la vague de découragement a atteint jus-
qu’aux sections les plus éloignées de la capitale.
Seul, Hitler garde son calme. (( Loin d’être déprimé, note
Otto Dietrich, il est détendu comme s’il venait d’échapper
à un traquenard l. 1) Devenir Vice-Chancelier dans un Cabinet
bourgeois lui paraît une offre trop ridicule pour être envi-
sagée. (( J e préfère être assiégeant, qu’assiégé »,dit-il à ses
amis. Von Papen a voulu a l’intégrer à la politique alle-
mande »,mais comme un mineur, placé sous la tutelle des
partis de droite. Devant cette proposition d u Chancelier,
une seule attitude est possible : se raidir désespérément e t
refuser toute conversation. On verra bien lequel des deux
s’usera le premier.
Car c’est bien une guerre d’usure qui s’engage à présent
entre von Papen e t Hitler. Enterrés, les promesses e t les
serments échangés à Harzburg et que la lutte pour la Pré-
sidence avait déjà singulièrement refroidis. Le duel qui s’en-
gage entre les Nationaux-socialistes et les porte-parole de la
réaction se poursuivra jusqu’à la défaite complète de ces
derniers. Le divorce est consommé entre la N. S. D. A. P.
et le parti Deutsch-national, entre le Front brun des S. A.
et le Front gris du Stahlhelm. Seul Schleicher s’efforce de ne
pas rompre tous les ponts, (( ce qui, fait remarquer Gœbbels,
est bien dans sa nature 11.
i
* *
Le 28 août, à Münster, von Papen ouvre les hostilités par
un discours très violent :
(( L’intempérance effrénée qui s’exprime dans les proclama-

tions du chef du Mouvement national-socialiste, déclare-t-il,


1. O t t o DIETRICH,
M i t Hitler in die Macht, p. 119.
2 . Joseph GLTBBELS,Yom Kaiserlwf zur Rcichskandui, p. 146.
LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 65
est incompatible avec ses prétentions à la direction de l’État.
Je lui dénie le droit d’identifier à l’ensemble de la nation
allemande la minorité de partisans groupés derrière ses dra-
peaux, et de traiter le reste de ses compatriotes comme un
gibier que l’on traque.))
Trois jours plus tard, au Palais des Sports de Berlin, Hitler
répond à von Papen avec non moins de violence. I1 fait
remarquer que le Chancelier est bien mal venu de traiter
de (( minorité 1) un parti qui dispose de 230 sièges au Reichs-
t a g et déclare qu’il ne quittera pas l’arène avant d’être
vainqueur.

((Ma volonté est inébranlable, dit-il en terminant, car mon


soume est plus long que celui de mes adversaires. S’ils s’ima-
ginent qu’il y a entre eux et nous une base de collaboration
possible, je ne puis que leur répondre : vous vous trompez,
car vous vivez dans l’Allemagne du passé, et nous, dans 1’Alle-
magne de l’avenir. ))

Pour amortir l’effet de ces paroles, cent cinquante mille


membres du Stahlhelm venus de toutes les régions d u Reich
défilent le 2 septembre dans le Lustgarten de Berlin. Mais
cette manifestation ne renforce guère la position du Cabinet;
pas plus que l’ordonnance du 4 septembre Pour activer Irr
reprise de la vie économique, qui est un simple programme de
déflation.
Jour après jour, le gouvernement voit fondre le nombre de
ses partisans. Son manque d’idées novatrices, ses mesures
maladroites e t souvent contradictoires, achèvent de mécon-
tenter l’opinion. Pourtant, il ne se rend pas compte de
son isolement croissant; ou s’il s’en rend compte, il affecte
d’y opposer une indifférence hautaine.
Le 12 septembre a lieu une séance dramatique au Reichs-
tag. L’ordre du jour comprend un discours du Chancelier,
auquel les Communistes comptent répondre par une demande
d’annulation de l’ordonnance Pour activer la reprise de la vie
économique et par un vote de méfiance à l’égard du gouverne-
ment. Le Chancelier prend place au banc des ministres,
portant ostensiblement une serviette de maroquin rouge qui
contient le décret de dissolution du Reichstag. Celui-ci a
été signé ù Z’avance par le Marécha1,pour permettre au Chan-
celier d’éviter d’être mis en minorité au cas où les débats
III 5
66 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

prendraient une tournure défavorable. Von Papen se sent


donc maître de la situation.
I1 prononce son discours avec beaucoup d’aisance. Puis,
après quelques interpellations, Gœring, qui fait fonction de
président du Reichstag, suspend la séance pour permettre
aux différents partis de se consulter. A l’issue de cette pause
Gœring rouvre la séance et déclare passer immédiatement
au vote des motions présentées. Papen, pris de court, rede-
mande la parole, mais Gœring la lui refuse, alléguant que ce
serait contraire au règlement, l’Assemblée ayant déjà com-
mencé à voter.
Furieux, Papen dépose le maroquin rouge sur le bureau
présidentiel e t quitte la salle des séances. Mais sans se laisser
troubler par le départ du Chancelier, ni par le dépôt du porte-
feuille rouge, Gœring achève de procéder au scrutin. Le
résultat du vote apporte à Papen la défaite parlementaire
la plus cuisante que l’on ait jamais vue l. Le décret Pour
activer la reprise de la vie économique est rejeté, et la motion
de méfiance à l’égard du Cabinet est adoptée par 513 voix
contre 32.
32 voix, sur 545, voilà tout ce qui reste au gouvernement
dont le chef déclarait, quelques jours auparavant à Jules
Sauerwein, l’envoyé spécial du M a t i n :N J e représente toutes
les forces nationales allemandes, ce que ne pouvait dire aucun
de mes prédécesseurs. Ma personne vous garantit que si je
signe un accord, c’est l’Allemagne tout entière qui le signe
avec moi 2!
Aussitôt après avoir proclamé le résultat du scrutin,
Gœring lit le décret de dissolution. Von Papen, rentré dans
l’hémicycle, fait remarquer que le vote du Reichstag est
nul e t non avenu, puisque le décret de dissolution a été
déposé auparavant sur le bureau du Président. Gœring répond
que c’est au contraire le décret de dissolution qui est illégal,
puisqu’il a été lu postérieurement au vote, et qu’il émane, par
conséquent, d’un gouvernement renversé. I1 faut que le
président Hindenburg tranche le différend, et l’on ne peut
s’étonner s’il se range à la thèse de von Papen. Le Reichs-

1. Joseph GCEDBELS,o p . cil., p. 162.


2. Déclarations de AI. von Papen ?I Stéphane Lauzanne, pendant la Conférence
de Lausanne. E Cette déclaration, nous dit Paul Schmidt, avait soulevé un bile
générai dane la presse nazie comme dans les journaux de gauche, de sorte que
Papen wait dû la démentir. m (Stutistau/ Dipiamdiacher Biihns, p. 244).
LA REVOLUTIONNATIONALE-SOCIALISTE 67
tag reste dissous, le décret P o u r activer la reprise d e la vie
économique est maintenu, e t les nouvelles élections sont
fixées au 6 novembre. C’est donc le Chancelier qui l’emporte
en définitive. Mais c’est une victoire à la Pyrrhus, car le
vote du Reichstag a démontré au pays que son gouverne-
ment ne s’appuyait sur aucune base solide. Les Nationaux-
socialistes ont pris leur revanche sur l’humiliation du
13 août.
+
+ +

Cette revanche est même plus complète qu’ils ne le pen-


saient. Car à peine von Papen vient-il d’être mis en minorité
devant le Reichstag, qu’il subit un second échec devant le
Landtag de Prusse.
On se souvient que les ministres prussiens destitués par le
Chancelier avaient porté l’affaire devant la Cour suprême
de Justice de Leipzig. Le 25 octobre, la Cour suprême
rend son verdict. Celui-ci est un véritable jugement de
Salomon :
L‘Ordonnance promulguée par le Président d u Reich, déclare
la Cour, est conforme à la Constitution dans la mesure où elle
nomme un Commissaire d u Reich en Prusse, lui donne le droit
de relever provisoirement les ministres de leurs fonctions et de
transférer ces fonctions à d’autres personnes de son choix.
Elle s’en écarte, dans la mesure où elle empêche les ministres
prussiens régulièrement élus de représenter leur Pays a u
Reichstag, a u Reichsrat, au Landtag ou dans l’une quelconque
des Assemblées populaires.

E n d’autres termes, von Papen a le droit d’exercer le


pouvoir à la place des ministres. Ceux-ci n’en restent pas
moins investis de leurs fonctions et ne peuvent être desti-
tués.
L’arrêt de la Cour suprême est peut-être un chef-d’œuvre
de casuistique. Mais au point de vue politique, il aboutit
à cette situation absurde : deux gouvernements légaux
coexistent en Prusse. L’un, simplement provisoire e t qui
détient le pouvoir effectif, puisqu’il fait marcher la machine
administrative (le Commissariat du Reich); l’autre qui reste
en fonctions sans limitation de durée, tout en étant dépouillé
de la direction des affaires (le Cabinet socialiste). On imagine
68 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

aisément le trouble qu’apporte cette solution ambiguë


dans l’administration de la Prusse. Pour Papen, elle rend
tout acte d‘autorité impossible1. Quant à Hitler, elle lui
confirme la nécessité de débarrasser l’Allemagne au plus
t6t du système fédératif, pour lui substituer un régime for-
tement centralisé.
Tandis que l’imbroglio prussien tourne à la tragi-comédie,
le problème social prend un caractère de plus en plus aigu.
Le 3 novembre, tous les employés des compagnies de trans-
port de Berlin se mettent en grève, pour protester contre la
diminution de leurs salaires z. I1 n’y a plus ni tramways, ni
autobus, ni métro. Sans hésiter, le Parti national-socialiste
prend fait e t cause pour les grévistes. (( I1 s’agit de montrer à
la classe ouvrière, écrit Gœbbels, que notre lutte contre la
réaction est sincère et que nous voulons en finir avec les
méthodes bourgeoises. Cette décision effrayera les milieux
modérés. Mais cela n’a aucune importance. Nous les rega-
gnerons facilement. Tandis que si l’on perd les ouvriers, on
les perd pour toujours S.
Aussitôt la grève atteint un degré de violence inouïe.
On arrache les rails dans les rues, des tramways sont ren-
versés et brQ1és. La police intervient à plusieurs reprises :
un S. A. est tué par un agent au cours d’une bagarre. En
quelques heures, les nazis ont pris partout la direction du
mouvement.
Mais la tournure prise par les événements ne plaît nulle-
ment au Parti communiste. Que lui importe une grève,
même victorieuse, s’il n’en est pas le bénéficiaire? Devant
l’intervention énergique des S. A., les dirigeants des syndi-
cats rouges donnent à leurs adhérents l’ordre de reprendre
le travail et d’accepter les diminutions de salaire imposées
par le patronat. Ce faisant, ils portent un coup sensible à
la classe ouvrière. La grève décline et s’arrête. Les ouvriers
résignés retournent à leurs ateliers. Mais le Parti commu-
niste a prouvé qu’il ne se servait des troubles sociaux que
pour des fins politiques, non pour améliorer le sort des tra-
vailleurs.
1. Une tentative de conciliation faite auprès du président Braun - d’ailleurs
repoussée par ce dernier - et la nomination du D’Bracht aux fonctions de ministre
du Reich sans portefeuille, n’apportent aucun reméde à la situation.
2. Décrétée par le gouvernement, en application du décret Pour activer la
reprise de la vie économique.
3. Joseph GœBBEr.8, op. tit., p. 191-192.
LA R ~ V O L U T I O NNATIONALE-SOCIALISTE 69
Et tandis que chaque jour voit augmenter le nombre des
ruines et des suicides, une nouvelle campagne électorale
déferle sur le pays épuisé par la faim et le désespoir.

Une fois de plus, l’Allemagne est submergée par un déluge


d’affiches et de brochures, de tracts et de proclamations,
Une fois de plus, Hitler survole le Reich en avion, et prend
la parole dans une cinquantaine de villes; une fois de plus,
tous les organes du Parti travaillent à plein rendement.
S. A. et S. S.,orateurs et militants sont partout sur la
brèche. Mais cette fois-ci, Gœbbels et ses collaborateurs ont
plus de peine que jadis à galvaniser les foules. Harassés par
les luttes incessantes des cinq dernières années, les électeurs
commencent à en avoir assez. Ni les discours les plus incen-
diaires ni les mots d’ordre les plus exaltés, ne les fana-
tisent comme autrefois.
C’est sur cette apathie que compte von Papen. Elle
est son grand atout dans la guerre d’usure qu’il livre à
Hitler. I1 sait qu’on ne peut rester indéfiniment dans l’oppo-
sition, e t que la foi, même la plus aveugle, a besoin d’un
commencement de réalisation. (( Si les élections du 6 novembre
coûtent à la N. S. D. A. P. autant de mandats que laisse
déjà prévoir la fatigue des électeurs, écrit Walther Schotte,
si certaines fractions, comme le Parti Deutsch-national, réus-
sissent à gagner des points, alors la psychose créée par
Hitler sera brisée. Les 13 millions d’électeurs qui ont voté
pour lui le 31 juillet se ressaisiront et iront où ils doivent
aller. I1 faut que les partis le sachent : l’heure de leur
domination exclusive est passée. Ils doivent se soumettre
aux exigences du gouvernement. Et s’ils s’y refusent? E h
bien, le gouvernement dissoudra le Parlement une fois de
plus 1. n
Quant à remettre le pouvoir aux Nationaux-socialistes,
il n’en est pas question. (( Non, non, ce n’est pas la tâche
qui convient aux Hitler, aux Strasser, aux Goering, aux
Frick, quels que soient leurs noms. Ce sont sans doute des
tempéraments fougueux, capables de brasser les foules et

1. Walther SCHOTTE,
Die Regierung Papen, Schleicher, Gayl, p. 77.
70 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

même de les mener, mais incapables d’assumer des responsa-


bilités politiques 1. n
C’est dans une tout autre voie que Papen veut conduire
le pays. (( Ce qui nous manque, écrit-il, ce n’est pas une
opposition nationale, mais une opposition conservatrice 2 »,
un groupement de grandes familles conscientes de leurs res-
ponsabilités comme il en existe en Angleterre - les
Chamberlain, les Derby, les Churchill, les Cecil, etc., -
habituées de père en Gls, à diriger les affaires publiques. Ce
qui fait défaut à l’Allemagne, c’est une Chambre Haute,
susceptible de contenir les débordements du Reichstag. Mais
contrairement à ce qui se passe en Angleterre, von Papen
voudrait que ce groupement ait un caractère confes-
sionnel. u Le conservatisme allemand sera chrétien, ou
ne sera pas n, déclare-t-il, et par u chrétien »,von Papen
entend naturellement (c catholique ».
C’est ici où cet aristocrate rhénan se distingue des
Junkers luthériens, nés à l’est de l’Elbe. Ancien membre
du Centre, qu’il a cherché en vain à détacher du socialisme 3,
il rêve d’un nouveau parti dont les adhérents se groupe-
raient sous le double symbole de l’Aigle et de la Croix. Au
néo-paganisme raciste de Rosenberg et de ses émules, il
tente d’opposer un néo-germanisme chrétien. (( Le peuple,
le Reich et les États, pyoclame-t-il en terminant son grand
discours de Munich, doivent collaborer pour reconstruire la
nouvelle Allemagne. Puisse l’idée-force du Sacrum Imperium,
l’idée indestructible du Saint-Empire allemand se répandre
à travers tous les pays germaniques, des Alpes jusqu’à
Memel! E n avant, avec Hindenburg, pour une nouvelle
Allemagne! n
Le résultat des élections confirme, jusqu’à un certain
point, les prévisions du Chancelier. Le Parti Deutsch-national
progresse légèrement, passant de 40 à 52 sièges, tandis que
les Nationaux-socialistes sont en régression. Ils ont perdu
plus de deux millions de voix, et n’ont plus que 196 sièges
a u Reichstag, au lieu de 230.
Les conséquences de ce reflux ne tardent pas à se faire
1. ID., ibid., p. 42.
2. Articlo dc von Papen dans le Ring du 6 octobre 1929. L’article mériterait
d’étre cité tout entier.
3. Voir la correspondance entre von Papen et Mgr Kaas, chef du Parti du Centre.
Les tendances socialistes de Mgr Kaaa finirent par l’emporter Bur les théories
conservatrices de von Papen.
LA R ~ O L U T I O NNATIONALE-SOCIALISTE 71
sentir. Effrayés par la violence démagogique des discours
de Gœbbels, et par la participation des Nationaux-socialistes
à la grève des transports, beaucoup d’industriels refusent
de continuer à alimenter leur fonds de propagande. Bientôt, les
caisses du Parti sont à sec. Les dettes s’accumulent. Les sou-
cis d’argent e t l’angoisse des échéances prochaines reviennent
comme un leitmotiv dans le Journal de Gœbbels. I1 faut
avoir recours aux remèdes héroïques : les membres des
Sections d’Assaut doivent descendre dans la rue et mendier,
la casquette à la main, (( pour les méchants Nazis »,tandis
que Gœring part précipitamment pour Rome afin de deman-
der des subsides à Mussolini ...
Rohm, de son côté, commence à donner des signes d’im-
patience. On voit réapparaître la vieille divergence d’opi-
nion qui n’a cessé depuis 1924, de l’opposer à Hitler. Pour
lui, la (( conquête légale du pouvoir est une absurdité. Ce
n’est pas à coups de bulletins que l’on s’empare d’un pays, et
toutes ces élections successives ne font qu’épuiser les forces
du Parti. Puisque les S. A. existent, puisque le mouvement
dispose d’une armée de quatre cent mille hommes, pourquoi
s’entêter à ne pas s’en servir? Les chemises brunes rongent
leur frein et se morfondent dans l’expectative. Leur ardeur
comprimée ne saurait se satisfaire de démonstrations
verbales. Un seul recours à la force, et Hitler sera le maître;
un seul ordre de sa bouche, et demain il sera Chancelier!
Mais Hitler continue à s’opposer aux arguments de son chef
d’État-Major. Jusqu’à la fin il refusera de recourir à l’illé-
galité. I1 veut accéder au pouvoir sans violer la Constitu-
tion et il est sûr d’y parvenir - ce n’est plus qu’une question
de mois, peut-être de semaines. Papen s’écroulera t ô t ou
tard, comme se sont écroulés Brüning et Müller. Le tout est
de tenir jusque-là, de patienter encore...
D’ailleurs, malgré les dificultés financières et l’échec subi
aux dernières élections, la situation morale du Parti n’est
pas aussi mauvaise qu’elle le paraît. Le soutien apporté aux
grévistes a fait peur aux modérés? Qu’importe! I1 a remis
le Mouvement (( dans son axe véritable 1). C’est le gouver-
nement, au contraire, qui a perdu la partie, car il se trouve,
quoi qu’il prétende, dans un isolement désespéré.
Cette fois-ci, Papen lui-même s’en rend compte. I1 s’efforce
d’élargir son Cabinet, mais se heurte à l’hostilité de presque
toutes les fractions du Reichstag. Le 13 novembre, de
72 HISTOIRE DE L’ARMSEALLEMANDE
guerre lasse, il cherche à renouer les négociations avec
Hitler. Mais malgré la pression exercée par Strasser, qui
craint de n’être jamais ministre si le Führer reste sur
ses positions, Hitler se dérobe aux conversations, I1 a
refusé de devenir Vice-Chancelier dans le Cabinet von
Papen, quand celui-ci était au faîte du pouvoir. Ce n’est
pas pour y consentir, à la veille de sa chute.
Pourtant, Papen se cramponne encore. C’est seulement
à la suite d’une démarche de Schleicher qu’il comprend
l’inutilité de ses efforts. Le ministre de la Reichswehr ne lui
cache pas ses appréhensions : bien qu’il soit sûr de l’armée,
il serait imprudent de tendre la corde à l’excès. Le pouvoir
n’étant, plus dans le Reichstag, il faut aller le chercher où
il se trouve, c’est-à-dire dans les masses. A défaut d’une
majorité parlementaire impossible à réunir, mieux vaudrait
esquisser un mouvement vers la gauche, tendre la main aux
syndicats ouvriers et retrouver ainsi une base populaire.
Mais c’est là une politique que Papen ne peut se permettre,
car ses décrets ont dressé le pays contre lui. Le 17 novembre,
il porte sa démission au Président.
Ce n’est pas sans regret que le vieux Maréchal voir partir
un collaborateur auquel le liait une sympathie profonde. Tous
ces hommes qui s’écroulent autour de lui depuis quelques
mois, accroissent son sentiment de solitude. Peut-être
repense-t-il aux jours tragiques de novembre 1918, quand
il était seul à tenir tête à la tourmente, à soutenir l’édifice
de l’Empire chancelant. Voici que la République s’effondre
à son tour entre ses mains, et il est toujours seul à porter le
fardeau du pouvoir. Mais à présent, il a quinze ans de plus et
ses forces déclinent. Avant de prendre congé de von Papen il
lui remet sa photographie, au bas de laquelle il écrit cette
dédicace mélancolique : K J’avais un camarade )) ...
*
* i

Maintenant que von Papen est parti, Hindenburg se


tourne une deuxième fois vers Hitler. Le 21 novembre, le
Maréchal fait venir le chef du Mouvement national-socialiste
e t lui propose de former le nouveau gouvernement. Mais
celui-ci ne doit pas avoir un caractère a présidentiel 1). Ce
sera un Cabinet basé sur une majorité parlementaire. Tou-
tefois, le Président assortit sa proposition de certaines
LA REVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 73
réserves : Hitler ne changera rien à la situation créée par
von Papen en Prusse.
Or, les partis parlementaires, sondés par Gœring, ont
déclaré n’être prêts à soutenir la nouvelle combinaison que
si Hitler s’engage à régler dans les plus brefs délais la ques-
tion prussienne. Dans ces conditions, le Führer est obligé
de décliner la mission du Maréchal. Une dernière fois il
lui demande l’autorisation d e former un Cabinet (( prési-
dentiel ». Comme on pouvait le prévoir, Hindenburg s’y
refuse l. Une fois de plus, les Nationaux-socialistes se
heurtent à une porte close 2.
L’échec des négociations ne surprend pas le Führer.
Avant même de voir Hindenburg, il avait l’impression que sa
démarche était prématurée. Mais le 27 novembre, il pro-
nonce à Weimar ces paroles lourdes de menaces, qui ne
tarderont pas à se vérifier :
- Dans quelques mois, les choses seront pires qu’au-
jourd’hui. Alors viendra l’heure où l’on sera obligé de s’adres-
ser à nous pour la troisième fois!
Le l e r décembre 1932, cette heure n’a pas encore sonné.
Après plusieurs journées de consultations, Hindenburg
décide de confier la formation du nouveau gouvernement
au ministre de la Reichswehr de l’ancien Cabinet von Papen,
le major-général Kurt von Schleicher.
*
* +
C’est alors que les feux de la rampe éclairent celui que ses
amis eux-mêmes appellent (( un maître de l’intrigue )), et
qui joue depuis longtemps le rôle d’éminence grise au minis-
tère de la Reichswehr. Nous ne l’avons vu jusqu’ici que de
profil, marchant à pas feutrés dans les couloirs de la Prési-
dence et attentif à demeurer dans une pénombre favorable
à la complexité de ses desseins. Maintenant que les événe-
ments l’obligent à se montrer en plein jour, tâchons de
scruter les traits de cet homme énigmatique.
A quoi tient la position exceptionnelle qu’il occupe? Par
1. Cette fois-ci, les pourparlers s‘étaient poursuivis par écrit sous forme d’un
&ange de lettres confidentielles. Sitôt les négociations rompues, Gœbbels
publia les textes intégraux dans les journaux du Parti, pour empêcher la Chan-
cellerie d’en fausser le sens, et éviter le retour d’une surprise semblable à celle du
1 3 août. Cette publication provoqua une tempête de protestations.
2. Joseph GCABBELS,Vom Kaiaerhof ZUT Reichkanzki, p. 210.
74 HISTOIRE D E L’ARMI~E ALLEMANDE

quelles voies est-il parvenu à jouir d‘une autorité d’autant


plus redoutable qu’elle s’exerce le plus souvent d’une façon
occulte?
A l’exception d‘une courte période où il a commandé
un bataillon au front, Kurt von Schleicher a fait toute sa car-
rière dans les bureaux de l’État-Major. Collaborateur de
Ludendorff au G. Q. G. de Spa, puis conseiller politique de Grœ-
ner et de Hindenburg, c’est lui que les milieux militaires dési-
gnent pour négocier avec Ebert, à la veille des combats devant
le Palais impérial C’est lui qui suggère à Grœner de placer
les majors von Hammerstein et von Stockhausen auprès
de Noske, pour le seconder dans sa lutte contre les Sparta-
kistes 2. C’est lui qui continue à jouer, auprès de Noske
après la signature du traité de Versailles et auprès de Gessler
après le putsch de Kapp, le rôle d’homme de confiance e t de
négociateur. Sans qu’on le voie jamais intervenir en personne,
on sent son influence invisible planer sur leurs décisions, e t
nul doute que la continuité surprenante de leur politique
ne soit due, en grande partie, à sa présence et à ses conseils.
C’est lui, enfin, qui organise, sous les ordres de Seeckt, l’état
d’exception de 1923-1924.
Le retour de Grœner au ministère de la Reichswehr
renforce encore sa situation 3. Et lorsqu’en février 1929, le
Chancelier Müller le nomme sous-secrétaire d’État a u minis-
tère de la Reichswehr, Schleicher se trouve placé à un des
points stratégiques les plus importants de la vie politique
allemande.
De cet observatoire où il domine la mêlée des partis, il
peut ourdir sa trame dans toutes les directions. De cette
position centrale, qui correspond à merveille aux exigences
de son tempérament, il est au point d’intersection de deux
courants essentiels : là où l’armée mord sur la vie politique,
et oii la politique pénètre dans l’armée. u De ce point, écrit
Walther Schotte, Schleicher pouvait étendre son influence
sur tous les dirigeants du Reich 4. D
Car en t a n t que Sous-secrétaire d’État au ministère de la
Reichswehr, il sert de trait d’union entre l’armée e t le gou-
vernement, entre le gouvernement et la Présidence : il n’est

1. Voir vol. I, p. 71 e t 8 .
2. Voir vol. I, p. 114.
3. Voir plus haut, p. 24.
4. Walther SCBOTTE, Dis Rsgiwung Papen, ScMsichm, Gayl, p. 84.
LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 75
pas seulement le conseiller permanent du ministre, mais
parfois celui du Chancelier et souvent celui du Maréchal.
De par ses fonctions, Schleicher voit Hindenburg presque
quotidiennement. Chargé de lui faire un rapport sur la situa-
tion militaire, faut-il s’étonner s’ils en viennent à parler poli-
tique et à passer en revue toutes les décisions du Cabinet?
Faut-il s’étonner si ce contact quotidien se change peu à
peu en une sorte d’intimité que la souplesse d’esprit et la
brillante conversation de Schleicher finissent par rendre fort
agréable au Maréchal? Ajoutons à cela que Schleicher a
été officier dans le régiment que Hindenburg a commandé
avant la guerre et dont son fils Oscar fait actuellement partie,
ce qui crée entre les trois hommes un lien supplémentaire
qui permet à un polémiste allemand de dire : (( Avec Schleicher
ce n’est même pas l’armée qui nous gouverne, ce sont les
officiers du IIIe régiment de la Garde! ))
Mais hélas, quels procédés machiavéliques Schleicher n’a-
t-il pas employés pour arriver jusque-là! C’est par des volte-
face et des rétablissements continuels qu’il a su se tirer de bien
des situations périlleuses et conserver la confiance des minis-
tères qui se sont succédé au pouvoir depuis 1919. Socialiste
avec les uns, réactionnaire avec les autres, souriant à to u t
le monde mais ne se livrant à personne, il n’y a presque pas
de nomination dans le personnel dirigeant sur laquelle Schlei-
cher n’ait été appelé à donner son avis. Lorsqu’en octobre
1926, le général von Seeckt entre en conflit avec M. Gessler
au sujet de l’engagement du prince Guillaume de Hohenzol-
lern, Schleicher conseille à Hindenburg d’accepter la démis-
sion du chef de la Heeresleitung et de nommer à sa place le
général Heye. E n octobre 1929, il obtient que l’on confie la
direction du T r u p p e n a m t à son ami le général von Hammer-
stein, qu’il avait placé autrefois auprès de Noske. Un an
plus tard (octobre 1930), il le fait nommer à son tour chef
de la Heeresleitung, renforçant ainsi son influence sur l’armée.
Même tactique à l’égard du gouvernement civil. Lorsqu’en
mars 1930, Hindenburg veut remettre le décret de dissolu-
tion du Reichstag au chancelier Müller, Grcener, conseillé
par Schleicher, menace de donner sa démission. Aussitôt le
Maréchal renonce à dissoudre le Parlement, ce qui entraîne,
par contrecoup, la chute du ministère l. En avril 1932, Schlei-
1. Cf. L’article de Kurt REIBNITZ
dans le Dortmuder Generalanzciger du
14 février 1932.
76 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

cher insiste auprès de Grœner pour qu’il interdise les Sec-


tions d’Assaut. Quarante-huit heures plus tard, il déclare
que le décret d’interdiction (( est une des plus grandes sot-
tises qu’ait faites le gouvernement )), et se désolidarise de
Brüning sitôt qu’il sent que l’opinion se retourne contre lui l.
Schleicher suggère alors à Hindenburg de confier le pouvoir
à von Papen, e t devient lui-même ministre de la Reichswehr
dans la nouvelle combinaison. Mais lorsqu’il voit que Papen
a perdu la partie, il le lâche à son tour pour négocier avec
les syndicats socialistes et chrétiens.
Élisant ainsi les commandants en chef, faisant et défaisant
les chanceliers et les ministres, grisé par la rapidité de son
ascension e t fier de sa réputation de conspirateur invincible,
Schleicher ne voit plus, dès lors, aucune limite à ses ambi-
tions.
((C’est bien là, écrit Walther Schotte, une carrière poli-
tique. Le soldat est devenu politicien e t cependant, le poli-
ticien est resté soldat % )).I1 serait même plus exact de dire

a tacticien ».Car dans l’esprit de Schleicher, la politique n’est


qu’une partie d’échecs où l’on pousse ses pions. Ce qui l’in-
téresse ce ne sont nullement les problèmes sociaux et écono-
miques (et encore bien moins les conflits d’idées), c’est uni-
quement l’action et la réaction des forces en présencea.
((Partout où l’on discerne quelque chose qui bouge, écrit
Walther Schotte, le politicien Schleicher s’éveille et le soldat
intervient. N Non pas avec le poing épais d’un soudard, mais
avec la main légère d’un escrimeur. La politique devient
ainsi pour lui un jeu subtil e t enivrant, qui exerce sur
son esprit une fascination invincible et dont il ne pourra
s’abstenir, même au seuil de la mort.
Ce qui l’intéresse dans le Parti national-socialiste, ce n’est
pas la valeur intrinsèque de sa doctrine, qu’il trouve absurde.
C’est sa signification en tan t que (( facteur 1) de la vie poli-
tique allemande, ce sont les raisons matérielles de sa force.
Or, Schleicher est convaincu que cette force réside moins
dans la personnalité du Führer que dans l’organisation des

1. Cf. Walther SCHOTTE,Dia Regiarung Papan, Schieicher, Gayl, p. 22.


2. Walther SCHOTTE, o p . cit., p. 84.
3. Sa conception du monde politique rejoint celle de Ludendorff, mais aveo
beaucoup moins d’ampleur. Suivant l’excellente comparaison de Max Klauss, il
est au Grand QuartierMaîtreGénéral, ce que Wagner est à Faust, dans la tragédie
de Gœthe.
LA R&VOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 77
Seotiono d’Assaut et dans l’emprise que la N. S. D. A. P.
exerce sur les masses.
Si la première est l’œuvre de Rohm, la seconde, à ses yeux,
est l’œuvre de Strasser, qui a su se ménager la faveur de
la classe ouvrière. Papen a voulu renverser Hitler en lui
arrachant son étendard à croix gammée e t en brandissant
à sa place le palladium du Saint-Empire. Schleicher, lui,
veut le paralyser en lui prenant ses troupes. Ce n’est pas
par l’idéologie qu’il compte en venir à bout, mais en lui
appliquant les règles de la stratégie classique. Tout en gar-
dant le contact avec 1’Etat-Major de la Maison brune, il s’ef-
forcera secrètement d’en détacher Strasser. Si la manœuvre
réussit, si Strasser passe dans son camp en entraînant tous
ses partisans, l’édifice hitlérien, fkappé dans ses œuvres vives,
ne résistera plus longtemps ...
t
* *
Et Strasser ne dit pas non... Après plusieurs journées de
négociations secrètes, il accepte de devenir Vice-Chance-
lier dans la nouvelle combinaison que Schleicher est en train
de mettre sur pied.
Lorsqu’il apprend la défection de Strasser, Hitler est
atterré. Tant qu’il n’avait eu à lutter que contre un ennemi
extérieur, il n’avait jamais perdu confiance dans l’issue de la
bataille. Maintenant que le Parti est menacé d’une scission,
il sent le sol vaciller sous ses pas. L’instrument qu’il a
forgé au cours de sept années de luttes, va-t-il se briser?
I1 faut que le péril ait été vraiment grave, car Gaebbels
raconte que, ce jour-là, après avoir arpenté son bureau
de long en large pendant des heures, Hitler se tourna brus-
quement vers lui et lui dit : (( Si le Parti s’effondre, j’en ai
pour trois minutes : un coup de revolver, et mon compte
sera réglé l. ))
I1 est un fait certain : ceux qui considèrent que la lutte a
trop duré, qu’il faut s’entendre avec le gouvernement e t que
l’intransigeance du Führer risque de tout compromettre,
sont plus nombreux que jamais. I1 y a tous les anciens
amis de Strasser, qui ont fondé avec lui les sections de 1’Alle-
magne du Nord et qui n’ont pas pardonné à Hitler l’éviction

1. Joseph G ~ B B E L SVom
, Kaiaerhof zur Rcichakanzlei, p. 220.
78 HISTOIRE DE L’ARMSEALLEMANDE
de leur chef en 1925. I1 y a la moitié, au moins, des députés
nazis du Reichstag qui craignent de perdre leurs mandats
si l’on procède à de nouvelles élections. I1 y a enfin toute
l’aile gauche du mouvement, de tendance syndicaliste e t
révolutionnaire, qui trouve que le Parti s’embourgeoise et
ne voit pas sans deplaisir les négociations menées par Gœring
avec la droite. Enfin, comme pour accroître encore le décou-
ragement général, les dificultés financières s’aggravent, et
les élections de Thuringe marquent une nouvelle régression l.
La crise risque fort de tourner au désastre.
(( Nous sommes à présent devant l’épreuve décisive, écrit

Gœbbels. Tout mouvement qui veut conquérir le pouvoir doit


la subir t ôt ou tard. Elle survient généralement à la veille
de la victoire finale. Vaincre est à présent une question de
nerfs z. 1)
Le 8 décembre, Hitler, Gœbbels, Gœring et les principaux
chefs du Parti, se réunissent au Kaiserhof en comité
secret. Après une nuit de délibérations fiévreuses, un plan
est élaboré pour isoler le transfuge et circonscrire le mal.
La première Section d’organisation créée et développée par
Strasser et qu’il a truffée de ses hommes de confiance, est
dissoute. Une partie de ses services passe sous les ordres de
Ley, qui devient directeur du Bureau politique. L’autre est
annexée aux services de la propagande, dirigés par Gœbbels.
Le lendemain, 9 décembre, une conférence des chefs de
districts, des inspecteurs et des députés nazis se tient dans
les bureaux de la présidence du Reichstag. (( Hitler, écrit
Gœbbels, s’adresse tout d’abord aux chefs de district. I1 leur
parle avec t a nt de conviction et avec un accent si personnel
que cela nous réchauffe le cœur. I1 prononce un réquisitoire
écrasant contre Strasser, et dévoile ses tentatives de sabo-
tage réitérées. Tous les vieux combattants, qui luttent pour
le Parti depuis des années, ont les larmes aux yeux, de colère,
de tristesse et de honte. La soirée est un grand succès pour
l’unité du Mouvement. Pour finir, chefs de district et députés
se livrent spontanément à des manifestations de loyalisme
à l’égard du Führer. Tous lui serrent la main et jurent de
poursuivre la lutte à ses côtés, fût-ce au péril de leur vie D *.
1. La N. S. D. A. P. y a perdu 40 % de ses électeurs depuis le 31 juillet.
2. Joseph G a a B E L s , o p . cit., p. 219.
3. Voir plus haut, p. 24, note 1.
4. Joseph GIJSBBELS, op. cif., p. 222.
LA R ~ V O L U T I O N NATIONALE-SOCIALISTE
. 79
Quelques jours plus tard, tout danger de scission paraît
écarté. Strasser se trouve complètement isolé : même ses
partisans les plus fidèles ont refusé de rompre avec Hitler.
Mais il faut encore plusieurs semaines pour rendre sa cohé-
sion a u Parti, et effacer les dernières séquelles de la crise.
Ici encore, le Journal de Gœbbels nous retrace les vicis-
situdes de cette période incertaine : (( 10 décembre :L‘opinion
est encore indécise parmi les membres du Parti. L’acte de
Strasser a provoqué une grande agitation dans le public ...
Je discute le cas avec les chefs de Kreis. Le secteur de Ber-
lin reste inébranlablement attaché au Führer et au Parti.
- 12 décembre : J e prends la parole devant les membres
de la Section du Brandebourg. Après un discours de deux
heures, j’arrive à retourner tous les chefs et à les asser-
...
menter de nouveau au Parti Le même soir je me rends à
Munich. J e rencontre en cours de route le Führer qui rentre
d’une tournée en Saxe et à Breslau. Son attaque contre les
scissionnistes a pleinement réussi. Strasser a perdu sur toute
la ligne. - 15 décembre : On a le plus grand mal à tenir
en main les S.A. I1 serait vraiment temps que nous pre-
nions le pouvoir. Mais il n’y faut pas songer pour l’instant.
- 18 décembre : J e me rends à Hagen.. Pendant le trajet,
j’ai l’occasion d’exposer l’affaire en détail à un groupe de
nos députés. Ils sont épouvantés en apprenant le fond des
choses. - 21 décembre : I1 existe encore beaucoup d’amer-
tume e t de mécontentement dans le Parti. Ce sont les suites
inévitables d’une violente crise intérieure. Le tout est de
garder son calme l.
Le 30 décembre, on peut dire que l’affaire est liquidée.
L’alerte a été chaude, mais le Parti a surmonté N l’épreuve
décisive D. Alors Hitler reprend 1 ’offensive. Schleicher a
voulu lui voler ses troupes, mais l’opération est manquée.
C’est Hitler, à présent, qui se retourne contre Schleicher et
va briser, un à un, tous les appuis dont il dispose A la
Présidence du Reich et au Parlement.
*
4 i

1933 arrive. Le gouvernement n’a plus que vingt-huit


jours à vivre, mais ces vingt-huit jours sont si chargés d’in-
1. Joseph G ~ B B E L Sop.
, cit., p. 223-227.
80 HlSTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

trigues, de manœuvres e t de pourparlers secrets, qu’il


est pratiquement impossible de les suivre dans tous leurs
détours.
Le 4 janvier, Hitler se rend secrètement à Cologne, chez le
banquier Schrœder, où il a une longue entrevue avec von
Papen. Le Führer e t l’ancien Chancelier conviennent d’en-
terrer leurs griefs et s’entendent pour dresser les grandes
lignes d’un nouveau ministère. Cette fois-ci von P a p in
accorde au chef du Parti national-socialiste ce qu’il lui avait
refusé six mois auparavant : Hitler sera Chancelier, tandis
que von Papen se contentera du poste de Vice-Chancelier.
Comment s’expliquer cette réconciliation subite entre deux
hommes qui proclamaient, il y a peu de temps encore, que
(( toute collaboration entre eux était impensable »? C’est
qu’ils veulent, l’un et l’autre, en finir avec Schleicher e t
ils ne peuvent y parvenir qu’en conjuguant leurs efforts.
Papen a besoin d’Hitler pour trouver une majorité au Reichs-
tag, et Hitler a besoin de Papen pour lever les scrupules
d’Hindenburg e t l’amener enfin à lui confier le pouvoir.
Pour l’instant cet accord doit rester secret. Mais par suite
d’une indiscrétion, la presse a vent de la ohose e t publie
à grand fracas la nouvelle de l’entrevue.
Schleicher sait, dès lors, qu’il n’a plus une minute à perdre.
Le 6 janvier, il ménage à Strasser une entrevue avec Hinden-
burg et expose au Maréchal ses projets relatifs à un rema-
niement ministériel. Le Mouvement nazi, déclare Schleicher,
est en train de se désagréger. On peut donc constituer un
Cabinet de (( front populaire )) Schleicher-Strasser qui s’ap-
puiera sur l’aile gauche du Parti national-socialiste et sur
certains éléments sociaux-démocrates. Strasser sera nommé
Vice-Chancelier. Le Reichstag sera dissous et Hitler sera
écrasé dans la prochaine bataille électorale, car Strasser pré-
sentera des listes de candidats personnels.
Mais le Maréchal, las de dissoudre le Parlement tous
les six mois, ne montre aucun empressement à entrer dans
ces vues. D’autant plus que von Papen, .qui manœuvre
dans la coulisse, lui a fait savoir qu’il était en mesure de
constituer avec la collaboration d’Hitler, un Cabinet de
(( concentration nationale D, qui n’aura pas besoin de l’appui

des voix socialistes et pourra gouverner sans dissoudre le


Reichstag.
Comme tous les intrigants, Schleicher n’a jamais pensé
LA R ~ V O L U T I O N NATIONALE-SOCIALISTE 81
que ses intrigues pourraient se retourner contre lui; pas
plus qu’il n’a tenu compte du ressentiment de ceux qu’il a
sacrifiés à ses ambitions personnelles. Sentant diminuer son
influence sur le Maréchal, il perd son assurance, se trouble,
et accumule en quelques jours, maladresse sur maladresse.
Croyant remporter par la menace ce qu’il n’a pu obtenir
par la persuasion, Schleicher laisse entendre au Maréchal
qu’il ne tient qu’à lui de morceler les domaines des grands
propriétaires terriens, et de révéler au public les scandales de
la Osthilfe, dans laquelle certains amis d’Hindenburg sont
gravement compromis 1. Mais le Maréchal n’a pas l’habitude
de céder a u chantage. Du coup, Schleicher est discrédité
dans son esprit.
Sur ces entrefaites (15 janvier), des élections ont lieu dans
le petit É t a t de Lippe-Detmold. Les Nationaux-socialistes
recueillent 39,6 yo des suffrages, enlevant d’un coup
9 sièges sur 21, dans une Assemblée où ils n’en possédaient
jusqu’alors aucun.
Ces élections frappent vivement l’esprit d’Hindenburg.
Où sont les symptômes de désagrégation dont on lui a parlé?
Schleicher, lui aussi, est abasourdi par ce scrutin. Où
sont les milliers de partisans que devait lui amener Stras-
ser? Furieux de s’être trompé dans ses calculs, il se détache
aussitat de l’ancien lieutenant d’Hitler, qu’il comblait de
prévenances huit jours auparavant.
Tout le terrain que Schleicher perd est gagné pour Papen.
Le 20 janvier, Hindenburg lui fait savoir qu’il est prêt à
accepter sa combinaison, à condition que ce soit un Cabinet
de (( concentration nationale )) dans la pleine acception du
terme, e t que le Parti Deutsch-national y soit représenté.
Aussitôt, von Papen se met en rapport avec SeldJe, le
chef des Casques d’Acier et Meissner, le Secrétaire d’Etat à
la Présidence, tandis que Gœring entre en pourparlers avec
les fractions de droite. Mais Hugenberg e t les dirigeants du
Parti Deutsch-national se montrent récalcitrants. (( Ils conti-
nuent à émettre des prétentions inacceptables, écrit Gerhard
Rühle, e t n’ont pas encore compris qu’ils ont perdu la partie2. ))
1. Présidée par M. von Oldenburg-Januscliau, la Osthiife, ou Secours de l’Est,
avait pour objet de venir en aide aux grands propriEtaires terriens frappés par la
crise. Mais les sommes versées ont é t B employées bien souvent A de tout autres
fins que l’outillage des domaines et ces abus ont vivement mecontenté lee
paysans.
2. Gcrhard RIIHLE,Dan dritte Reich, vol. I, p. 25.
UK 6
82 HISTOIRE D E L’ARMEE ALLEMANDE

Pourtant, ils n’ont qu’à regarder le pays pour voir les


résultats désastreux de leur politique : le nombre des chô-
meurs dépasse six millions et la banqueroute est aux portes
du Reich. Partout l’agitation sociale redouble d’intensité;
partout les cellules rouges s’arment pour l’insurrection. A
Berlin, à Leipzig, à Hambourg, à Francfort, des bandes
d‘ouvriers sans travail pillent les magasins d’alimentation
et les dépôts de vivres. Les bagarres et les émeutes se multi-
plient dans les régions industrielles et des rumeurs inquié-
tantes circulent, relatives à une grève générale imminente
dans la Ruhr. Cet état de choses est d’autant plus alarmant
qu’il s’accompagne d’une sorte de divorce entre l’armée et
la police. La première est soumise à l’autorité du ministre
de la Reichswehr. Mais la seconde dépend des gouvernements
de Pays. Or, ceux-ci, en majorité Socialistes, sont hostiles au
gouvernement d’Empire depuis qu’il a nommé un Commis-
saire du Reich en Prusse. Ce manque de coordination entre
les deux instruments du pouvoir est éminemment favorable
à un coup de force extrémiste ...
Pendant ce temps Schleicher, qui parle de faire (( rouler
les têtes »,tourne comme un fauve dans une cage de plus
en plus étroite. Le 24 janvier, le Reichstag se réunit contre
sa volonté. La droite, effrayée par les négociations amorcées
par le ministre de la Reichswehr avec les syndicats ouvriers,
lui reproche sa collusion avec les partis de gauche.
- Croyez-vous donc, s’écrie Schleicher exaspéré, que la
Reichswehr doive être toujours du côté des capitalistes?
Cette phrase malencontreuse va précipiter sa chute. Car
les députés réactionnaires, pris d’une vertueuse indignation,
vont clamant partout (( qu’un général bolchéviste s’est ins-
tallé à la Chancellerie ».
Le soir même, Schleicher se rend à la Présidence pour
jouer son va-tout. I1 demande à Hindenburg de dissoudre
le Parlement.
- E t il n’y a plus aucun moyen de gouverner 1’Alle-
magne, déclare-t-il. Tous les partis ont fait faillite depuis
l’instauration du régime : les Socialistes avec Scheidemann
et Müller; le Centre avec Marx et Brüning; la droite avec
Papen. I1 n’y a plus qu’une solution : la dictature mili-
taire.
Mais Hindenburg refuse de s’engager dans cette voie.
A son avis, une dictature militaire équivaudrait à un nou-
LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 83
veau putsch de Kapp. Celui qui y aurait recours serait brisé
par la grève générale. D’ailleurs, Schleicher se trompe s’il
croit que l’armée le suivrait dans cette aventure. Hier, elle
a désavoué Grœner lorsqu’il a édicté des mesures qui ris-
quaient de la mettre en conflit avec l’armée brune. Elle
désavouerait Schleicher demain, s’il commettait la même
erreur et voulait la mêler de force à la politique intérieure
du pays1.
Pendant trois jours encore, ne pouvant accepter sa dis-
grâce, Schleicher s’acharne à conserver le pouvoir. Rejeté
par la gauche comme par la droite,.privé de l’appui du
Président, ne pouvant ni dominer ni dissoudre le Reichstag,
il se débat dans une situation inextricable. Enfin, le 28
janvier, il porte sa démission à Hindenburg.
Le 29, Gœring vient annoncer à Hitler que la voie est enfin
libre, et que plus rien ne l’empêche de devenir Chancelier. Les
dernières difficultés ont été aplanies au Reichstag, mais il
faut tenir la nouvelle secrète pendant vingt-quatre heures
encore, car des bruits mystérieux circulent dans les couloirs
du Parlement. Ne prétend-on pas que Schleicher s’est retiré
aux environs de Berlin et qu’il projette d’exécuter un coup
de force avec la garnison de Potsdam? N’assure-t-on pas
que von Papen e t les chefs du Parti national-socialiste
doivent être arrêtés dans la nuit du 29 au 30? 2.
Cependant, la nuit s’écoule sans incident. Le 30 janvier
à la première heure, Schleicher envoie in extremis son ami
le général von Hammerstein à la Présidence, your supplier
Hindenburg de ne pas confier le pouvoir à Hitler ’. Assez
sèchement éconduit, le chef de la Heeresleitung revient à
la Bendlerstrasse et fait part à Schleicher de l’échec de sa
mission. I1 n’y a plus qu’à laisser l’histoire suivre son cours.
Une heure plus tard, c’est-à-dire à 11heures du matin, les
portes de la Présidence s’ouvrent devant le Führer et les
membres du nouveau Cabinet. Le Maréchal Hindenburg les
1. La Reichswehr sait deja qu’elle ne peut plus arrdter les événements par
une action militaire, si l’on en croit la brochure du major FCEHTSCII, Die Welu-
triachf i m National-Socialistischen Staal.
2. Le comte Werner von Alvensleben, qui colporta ces bruits, déclara, le 3 février,
dans une mise au point, qu’il s’agissait u d’une fable destinée A forcerla main aux
hésitants D. Tant de zèle paraît sujet à caution.
3. Le général von Hammerstein est un adversairc déclaré du National-socia-
lisme. Quelque temps auparavant, il s‘est exprime en termes très violents contre
Hitler, devant le député Kube, chef de la fraction parlementaire nazie au Landtag
de Prusse.
84 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

reçoit dans son bureau et nomme Adolf Hitler, Chancelier


du Reich. A part lui, le nouveau gouvernement ne comprend
que deux Nationaux-socialistes : Hermann Gœring, qui
devient ministre d’gtat sans portefeuille, Commissaire du
Reich pour l’aviation et ministre de l’Intérieur de Prusse,
e t le Dr Frick, chef de la fraction nationale-socialiste du
Reichstag, qui est nommé ministre de l’Intérieur du Reich.
Le reste du ministère est composé de la façon suivante :
M. von Papen : Vice-Chancelier et Commissaire du Reich
pour la Prusse.
Le baron von Neurath : Affaires étrangères.
Franz Seldte, chef du Stahlhelrn : Travail.
Hugenberg, chef du Parti Deutsch-national : Alimenta-
tion et Agriculture.
Dr Gürtner : Justice.
Le comte Schwerin von Krosigk : Finances.
Enfin, le lieutenant-général von Blomberg, commandant
du Wehrkreis I à Konigsberg et délégué à Genève comme
expert à la Conférence du désarmement, est nommé ministre
de la Reichswehr.
Au cours de ses négociations avec Hindenburg, von Papen
a réussi à lever les dernières réticences du Maréchal en lui
promettant que les deux ministères les plus délicats - les
Affaires étrangères et la Reichswehr - ne seraient pas
confiés à des Nationaux-socialistes. Papen a tenu parole.
Mais en plaçant le général von Blomberg au palais de la
Bendlerstrasse, Hitler sait qu’il y met un homme qui ressent
une sympathie marquée pour le National-socialisme et qui,
tout en défendant l’indépendance de la Reichswehr, saura
la maintenir dans une neutralité bienveillante à l’égard
du Parti. Pour l’instant, tout au moins, il n’en demande
pas davantage l...
1. I( Cette légitimité conférée à notre prise du pouvoir, dira plus tard Hitler,
m’a dispensé #abattre au préalable les forces de l’opposition, ce qui eût éti! une
nécessité pour entreprendre un travail constructif. Eiie a écarté également les dif-
ficultés continuelles auxquelles il eût fallu faire face dans les rapports avec la
Reichswehr. Ce qui m’a déterminé principalement à atteindre le pouvoir par den
voies légales, c’est la réaction éventuelle de i’armée. Si j’avais eu recoura à den
moyens illégaux, c’était la porte ouverte à des putschs... et donc à un état d’insé-
curité permanent. De plus, dans l’hypothèse de la légalité, j e maintenais i’ar
mée dans le cadre d‘une activité bien délimitée et d‘ordre exclusivement militaire.
J e comptais s u r le peuple, grâce à l’institution du eervice obligatoire, pour y faire
pénétrer l’esprit national-socdiate. D (Libres Propos, II, p. 133.)
LA REVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 85
Mais que d’illusions, d’équivoques et d’arrière-pensées se
dissimulent derrière les poignées de main échangées ce jour-
là! Hindenburg croit avoir enfin constitué un Cabinet d’union
nationale, alors qu’il vient d’ouvrir les portes à la dictature.
Papen s’imagine avoir pris Hitler dans un nœud coulant
et pense que, dans peu de temps, il sera à sa merci. I1 ne
s’aperçoit pas que la situation est exactement inverse e t
qu’il pourrait reprendre à son compte la formule célèbre :
(( J’ai fait un prisonnier, mais il me tient! )) Quant à
Hitler, il sait qu’il vient de jouer la plus grosse partie de
poker de sa carrière l. Mais cette partie, c’est lui, en défini-
tive, qui l’a gagnée, puisqu’il a atteint son but, malgré
tous les obstacles accumulés sur sa route ...
Le peuple le sent bien. Et même s’il ne le sentait pas,
toute la propagande du Parti serait là pour le lui faire
savoir. Car lorsque Gœring paraît au balcon et annonce à
la foule que le Führer vient d’être nommé Chancelier, des
acclamations sans fin retentissent dans la Wilhelmstrasse.
Tandis que les télégraphes et les téléphones communiquent
la liste ministérielle aux journaux du monde entier, la nou-
velle se répjind en ville. Quelques instants plus tard, toutes
les maisons sont pavoisées, et des militants de plus en plus
nombreux accourent de tous les coins de la capitale. Une
foule toujours plus dense afflue vers le Tiergarten e t le quar-
tier des ministères. Depuis l’unter den Linden jusqu’à la
Leipzigerplatz, les rues sont noires de monde. Peu à peu,
l’enthousiasme atteint au délire. Une multitude déchaînée
envahit la Wilhelmsplatz et déferle contre la façade de la
Chancellerie. Membres du Staidhelm et chemises brunes,
réconciliés dans la victoire, fraternisent dans les rues avec
les agents de la police. C’est, dans tout le centre de la ville,
un tumulte assourdissant, que dominent alternativement le
Deutschland über alles et le Horst Wessel Lied.
Mais c’est le soir que le spectacle prend un caractère
d’apothéose : portant des torches enflammées et marchant
en rangs serrés derrière des milliers d’étendards, un cortège
de 25.000 hommes, appartenant aux S.A., aux S.S., et aux
Casques d’Acier défile de 19 heures à 1 heure du matin
1. Parlant dix jours plus tard au Palais des Sports de Berlin, Hitler dbclarera :
e J’ai beaucoup réfléchi avant de me résoudre à former le ministère du 30 janvier.
I1 a fallu de puissantes raisons pour m’amener à le faire. Dans toute ma vie,
aucune decision ne m’a été aussi pénible h prendre que celle-là. a
86 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE
sous la porte de Brandebourg. Venant de la chaussée de
Charlottenburg, le long serpent de feu remonte l’unter den
Linden, s’infléchit dans la Wilhelmstrasse, et passe devant
Hindenburg et Hitler vers lesquels montent des ovations
frénétiques. (( A la même heure, écrit Gerhard Rühle, des
scènes similaires se déroulent dans toutes les régions d’Alle-
magne. Des millions d’hommes parcourent les rues des villes
en portant des flambeaux. Des millions d’Allemands bordent
les routes de campagne e t saluent, le bras tendu, l’avène-
ment du IIIe Reich. ))
V

LA PERCEE
(31 janvier-23 mars 1933)

Une fois les dernières torches éteintes et les fanions rangSs,


il faut se mettre au travail. Tenant solidement en main
les ministères de l’Intérieur dans le Reich et en Prusse, sûr
de la neutralité bienveillante de la Reischswehr, Hitler va
s’efforcer à présent d’élargir la brèche qu’il a faite dans le
dispositif gouvernemental pour permettre à toute l’armée
brune et a u Parti de s’y engouffrer.
Le 31 janvier, le nouveau Cabinet se présente devant le
Reichstag. Le Dr Frick lit aux députés la déclaration minis-
térielle et demande aux Partis d’accorder au gouvernement
une trêve d’un an.
Comme il fallait s’y attendre, Communistes e t Socialistes
répondent en déposant des motions de méfiance. Quant a u
chef du Centre catholique, Mgr Kaas, il discute point par
point la déclaration du Chancelier et prétend lui imposer
un autre programme de gouvernement. Hitler va utiliser
cette obstruction maladroite pour convaincre les Partis de
droite qu’une nouvelle consultation populaire est devenue
indispensable. Fort de leur adhésion, il se rend le soir même
chez Hindenburg e t lui demande de dissoudre le Reichstag.
Le Maréchal n’est pas peu surpris par cette requête.
- On m’avait pourtant assuré, répond-il d’un ton rogue,
que la nouvelle combinaison donnerait au gouvernement
des assises suffisantes pour éviter une nouvelle dissolution
du Parlement! C’est nanti de cette promesse que je vous ai
confié le pouvoir. Aurais-je été trompé?
Fort habilement, Hitler lui fait valoir qu’il faut en finir
une fois pour toutes avec l’opposition des Socialistes e t
88 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

du Centre. Comme Hindenburg a une aversion marquée


pour ces deux Partis, e t que Ja demande d’Hitler a été
contresignée par von Papen e t Hugenberg, il finit par se
résigner et promulgue, le l e z février, le décret suivant :
Du fait que la création d’une majorité parlementaire stable
s’avère impossible, je dissous le Reichstag e n vertu du para-
graphe 25 de la Constitution, pour permettre a u peuple de prendre
position à l’égard d u nouveau gouvernement de concentration
nationale, par l’élection d’un nouveau Parlement.

La date des nouvelles élections est fixée au 5 mars.


Simultanément, un nouveau Cabinet a été constitué en
Prusse. Le Vice-Chancelier von Papen est redevenu Commis-
saire du Reich à la place de Schleicher, et Gœring, ministre
de l’Intérieur à la place du Dr Bracht. M. Rust a été nommé
ministre des Cultes et Hugenberg, ministre de l’Êconomie,
du Travail et de l’Agriculture.
Tout comme au Reichstag, les députés au Landtag de
Prusse font de l’obstruction au nouveau gouvernement. La
coalition rouge et noire composée des Communistes, des Socia-
listes et du Centre, veut empêcher à tout prix que le minis-
tère mette la main sur la police prussienne, qui représente,
à elle seule, les deux tiers de toute la police du Reich.
Le 6 février, le président Hindenburg promulgue un
second décret, P o u r le rétablissement des conditions normales
de gouvernement e n Prusse :
1. J e transfère jusqu’à nouvel ordre a u Commissaire du
Reich e n Prusse toutes les attributions d u gouvernement prus-
sien, telles que les a définies le jugement de la Cour suprême
de Leipzig.
2. J e charge le Commissaire d u Reich de l’exécution de cette
mesure.
3. Ce décret entre e n vigueur immédiatement.

Cette ordonnance a pour effet d‘éliminer sans appel le


gouvernement socialiste Braun-Severing - partiellement
remis en selle par la Cour de Justice - et de briser le dua-
lisme qui opposait le Reich à la Prusse. Le 7 février, le
Landtag est dissous, e t les nouvelles élections sont fixées
elles aussi, au 5 mars.
LA RBVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 89

E n devenant ministre de l’Intérieur en Prusse, Gœring a


pris possession d’un des ministères les plus puissants d’Alle-
magne. Son premier souci, dès son entrée en fonctions, est
d’épurer les cadres de l’administration et de la police.
Vingt-deux colonels (sur trente-deux), des centaines d’ofi-
ciers e t des milliers de sous-ofhiers sont congédiés du jour
au lendemain e t remplacés par des éléments empruntés
aux S. A. e t aux S. S. Puis Gœring remet des fanions aux
différentes formations de la police, les assermente e t crée
une Garde nouvelle, composée d’agents d’élite.
Parallèlement à cette refonte des formations régulières,
le nouveau ministre de l’Intérieur crée des corps de police
auxiliaire, composés exclusivement de S. A., de S. S. e t de
membres du Stahlhelml. Ces formations sont armées e t
arborent un brassard blanc, portant l’inscription Hilfspolizei.
Enfin tout le haut personnel de la police est remplacé. Le
contre-amiral von Levetzow devient Président de la police
à Berlin; le colonel Roosen, à Halle; Victor Lutze, comman-
dant la division de S. A. de Hanovre, à Hanovre; Wilhelm
Schepmann, commandant la division de S. A. de Westphalie,
à Dortmund 2; le général von Westrum, à Francfort, etc. S.
(( Un parti qui lutte avec une ardeur fanatique pour l’ins-

tauration d’un ordre nouveau a le droit de, se servir de


toutes les armes, même les plus brutales »,a dit Hitler, e t
Gœring va démontrer à la Prusse que ce n’est pas un vain
mot. Le 17 février, il promulgue un décret ordonnant à la
police de seconder sans réserve les formations nationales
(S. A,, S. S. e t Stahlhelm) e t de faire sans hésiter usage de ses
armes. Cette ordonnance soulève une tempête de protesta-
tions, e t il faut reconnaître que les consignes données aux
agents sont d’une sévérité draconienne 4. Mais une autre
1. Dans la proportion de cinq S . A. pour un membre du Stnhlhelm.
2. Les nominations de Lutze et de Schepmann ont pour but de coordonner
btroitement la direction des S. A. et celle de la police.
3. Un entrefilet de quatre lignes, publié à la deuxième page du VdUtischer
Bsobachter du 17 fbvrier 1933, annonce que a M. von Versen a été désigné pour
remplacer I’Oberprasident de la province de Hanovre, Gustav Noske S. Sic trawit ...
4 . Les agression8 et las actes de terrorism commis par les Communistes doivent
&e réprimds avec la derniLre énergie, déclare le décret, et la police ne devra paa
h i t e r à tirer O cas de besoin. Les agents qui feront usage de leurs armea seront cou-
wts par now, quelba qw soiont ka conaépuencee de burs actes. En revanche, qui-
90 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

tempête approche, autrement grave que celle-là. Tandis que


les Nationaux-socialistes montaient à l’assaut d u pouvoir,
les formations rouges préparaient activement une insur-
rection armée. Une sorte de grondement souterrain qui
s’enfle e t se propage, semble annoncer la venue d’une défla-
gration épouvantable : encore quelques jours et ce sera le
choc de deux révolutions ...
*
+ *
Ce qui étonne, ce n’est pas que ce choc survienne, c’est
qu’il ne soit pas survenu plus tôt; car en permettant à leurs
adversaires d’arriver au pouvoir, les Communistes leur ont
donné une avance qu’ils ne rattraperont plus.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir dressé leurs plans avec
minutie. Dès le début de décembre 1932, l’Union des combat-
tants du Front rouge a organisé à Brunswick une conférence
générale secrète, au cours de laquelle les chefs d u Comité
d’insurrection ont élaboré un programme d’action trimes-
triel (c’est-à-dire allant jusqu’à la fin de février 1933).
Nous sommes à la veille d’une grande offensive, lit-on dans
le rapport final de la conférence, nous devons créer dans la
classe ouvrière une atmosphère telle qu’elle comprenne que
la place du fusil est dans la main de l’ouvrier.

A la suite de cette conférence générale, a eu lieu toute


une série de conférences régionales. Celle de Hesse-Francfort
s’est tenue du 17 a u 18 décembre; celle d u Wurtemberg,
quelques jours plus tard. A l’issue de cette dernière, une
résolution a été votée, déclarant que
...les soldats rouges de la liberté se mettent en rang pour
la réalisation du plan d’action trimestriel. Ils ne s’arrêteront
plus avant que le drapeau rouge, symbole de la libération des
peuples, flotte sur l’Allemagne soviétique, socialiste, libre.

Le 24 janvier 1933, les forces en présence s’affrontent pour


la première fois. Ce jour-là, vingt mille S. A. se rassemblent
sur la Bülowplatz et défilent devant la Maison Karl Lieb-
conque faiblit d a m sa idchc, p a r ruite de prdcautiona aweaaiusr, devra s’aitenàre d
dcs sanctions disciplinaires. Chuque agent doit se péndtrer de ce& idée qua l’inaction
eat uns fauta plus graw qu’une mew commise d a w I‘exdcutwn des o r d m rsfw. B
LA RSVOLUTION
NATIONALE-SOCIALISTE 91
knecht, quartier général du Parti communiste. Furieuses de
se voir défier dans ce qu’elles considèrent comme leur fief,
les formations rouges tentent de disloquer le cortège. Elles
sont refoulées à coups de matraque dans les rues latérales,
tandis que les chemises brunes célèbrent leur victoire en
entonnant le Horst Wessel Lied.
Le lendemain, le Parti communiste relève le défi. Quinze
mille membres de la Ligue de combat antifasciste se ras-
semblent devant la Maison Karl Liebknecht au x accents de
l’Internationale.
Les deux adversaires s’observent, sans en venir encore a u x
mains. Mais tout en évitant d’engager la bataille, ils inten-
sifient, de part et d’autre, leurs préparatifs de combat. Le
30 janvier au soir, tandis que la foule acclamait Hitler a u
balcon de la Chancellerie et que les S. A. défilaient à la lueur
des torches sous la porte de Brandebourg, la Ligue de combat
antifasciste a adressé à tous ses membres l’Ordre d’alerte
suivant :
Le nouveau gouvernement a été constitué aujourd’hui à
midi. Les circonstances actuelles nous imposent une vigilance
extrême. En conséquence, nous ordonnons ce qui suit :
1. Tous les échelons de la Fédération de combat et les forma-
tions d’autoprotection des masses rouges doivent être mises,
jusqu’à nouvel ordre, en état d’alerte;
2. Tout le matériel d’organisation dont on a encore besoin
doit être mis en sûreté. Les camarades doivent cacher leur
carte de membre;
3. En cas d’interdiction de l’organisation, celle-ci subsistera
clandestinement;
4 . I1 faut établir d’urgence le contact avec les équipes e t les
divisions de la Bannière d’Empire qui est également alertée,
leur dire où ils peuvent nous trouver et que nous sommes
prêts à marcher avec eux contre les fascistes.
Cette circulaire est à détruire immédiatement après en avoir
pris connaissance e t en avoir discuté les modalités d’exécution
avec la Direction régionale compétente.
Tous prêts à l’assaut!
La Direction fédérale du district.

Le 2 février, Gœring interdit toutes les réunions et


les démonstrations communistes. Des perquisitions faites
quelques jours plus tard à la Maison Karl Liebknecht
révèlent l’existence de locaux secrets, que la police n’avait
92 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

jamais découverts a u temps où la Prusse était gouvernée


par les Socialistes. On y saisit u n grand nombre de docu-
ments, prouvant que la révolte doit commencer dans la zone
démilitarisée de la Rhénanie. Le signal de l’insurrection sera
donné par l’assassinat d u Führer, qui doit se rendre dans
cette région au cours de sa prochaine tournée électorale.
Aussitôt après, les groupes de terroristes s’empareront des
stations d’émission de T. S. F., d’où l’appel aux armes sera
lancé au prolétariat. Au m&memoment, les grandes exploi-
tations seront paralysées par des grèves; les ponts, les
casernes e t les postes de police, occupés. Le Comité révo-
lutionnaire établira ses quartiers à Düren e t à Crefeld.
Tandis que les formations rouges se rendront maîtresses
de la Ruhr, une seconde insurrection éclatera en Haute-
Silésie. Puis, une troisième à Hambourg. Enfin, les différents
mouvements insurrectionnels convergeront vers Berlin où
ils proclameront l’avènement de la République soviétique
allemande.
Sans doute, les grandes lignes de ce plan sont-elles sujettes
à modification, selon la façon plus ou moins favorable dont
évolueront les événements l. Mais les perquisitions faites
dans tout le Reich, entre le 14 et le 20 février, indiquent
que les ordres du Comité central sont déjà parvenus en pro-
vince à la date du 13. A Aue, en Saxe; à Flensburg, dans le
Schleswig; à Cammin, en Poméranie; à Herdecke, à Schwerte,
à Hagen, à Recklinghausen et à Bochum, en Westphalie; à
Schœnberg, à Liebau et à Landeshut, en Silésie; à Mœssingen,
dans le Wurtemberg, et à Schneidemühl, en Prusse-Occiden-
tale, la police met la main sur des dépôts d’armes et de
munitions qui servent d’entrepôts secrets aux groupes de
combat rouges. A Hanovre, la police de sûreté découvre
3.500 capsules explosives et une quantité considérable de
dynamite et de mèches. A Altona, une dénonciation permet
de saisir 70 mitrailleuses, 400 fusils, plus de 2.000 revolvers
1. Le gouvernement allemand n’a pas publié les documents saisis, pour ne pas
effrayer l’opinion en lui divulguant l’ampleur des préparatifs marxistes. C’est
un tort: carpar la suite, certains milieux de gauche ont pu prétendre que la menace
d’insurrection avait été inventée de toutes pièces, pour justifier la répression qui a
suivi. Ceux qui raisonnent ainsi ne rendent guère hommage au courage des Commu-
nistes allemands, en supposant que dans un pays qui comptait plus de 6 millions
d e chômeurs, avec près de 5 millions d’électeurs e t 89 sièges au Parlement, le
P. C. allemand se serait laissé écraser sans même tenter de se défendre. L’auteur
a eu l’occasion en 1936,de voir les énormes quantités d’armes prises aux Commu-
nistes en 1933, entassée8 dans lea caves de la Présidence de la Police à Berlin.
LA REVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 93
e t un grand nombre de bouteilles remplies de liquides
incendiaires.
Le 25 février, les Groupes d’autoprotection sont direc-
tement rattachés à la direction de la Ligue des combattants
d u Front Rouge. Cette fusion dote le parti Communiste
d’une structure de combat, pourvue d’une direction unique,
à la fois politique e t militaire. Le 26, la direction centrale
de la Ligue des combattants du Front Rouge adresse à
toutes ses sections l’Ordre d‘alerte suprême :

A tous les États-Majors de Division!


Notre organisation, et avec elle toute la vaillante classe
ouvrière, se trouve placée à présent devant sa tâche décisive.
Du courage, de l’audace et de la décision! I1 s’agit non seule-
ment d’ériger un large rempart de masse, pour la défense
du Parti communiste allemand et des droits de la classe
ouvrière, mais aussi de déclencher un puissant assaut de
masse contre la dictature fasciste. Dans ce moment décisif,
la Direction centrale compte que chaque chef et chaque cama-
rade donneront le maximum de leurs forces et sacrifieront
même leur vie dans la lutte pour le triomphe de la classe
ouvrière. Pour ces raisons, nous ordonnons ce qui suit :
1. Toute l’organisation se trouve en état permanent d’alerte.
2. Toute discussion, toute réunion sont interdites. Seuls
comptent les ordres de la Direction centrale, transmis par les
chefs. Celui qui n’y obéit pas aveuglément est un traître.
3. Organisez la défense des quartiers ouvriers. Établissez
un service de patrouilles e t de garde. Veillez à ce qu’il y ait
partout des remplaçants pour les chefs. Faites un rapport sur
tout ce que vous observerez, par la voie la plus rapide.
Chefs e t camarades! Déployez la bannière de notre action
de masse! En avant, aux postes de combat les plus avancés!
Montrez que vous êtes des combattants et que, si la révolution
l’exige, vous saurez aussi mourir en héros!
Indissolublement unis à tous les chefs et camarades par ce
serment solennel : en avant! Vive notre victoire!
La Direction centrale.

Vers la fin du mois de février, la campagne électorale bat


son plein. Les discours se font plus agressifs, plus gron-
dantes les clameurs qui s’élèvent des foules entassées dans
les salles de réunion.
Au soir d u 27 février - c’est un lundi -,
Hitler se repose,
94 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

entre deux discours, en dînant chez Gœbbels e t sa famille,


dans son appartement de la Reichskanzlerplatz. I1 écoute
de la musique e t se détend en parlant à bâtons rompus avec
le chef de la Propagande. Soudain, vers 22 heures, cette
atmosphère d’intimité est troublée par la sonnerie du
téléphone.
- Le Reichstag brûle! annonce le Dr Hanfstamgl, au
comble de l’excitation.
Hitler e t Gœbbels sautent en voiture, foncent à toute
allure le long de la chaussée de Charlottenburg et arrivent
quelques instants plus tard sur les lieux du sinistre.
Le spectacle est effrayant. La grande coupole de verre
s’est effondrée et, à travers cet espace béant, un tourbillon
de flammes s’élève vers le ciel. La salle des séances n’est
plus qu’un brasier. Alertée par un passant, la police a arrêté
l’incendiaire. C’est un jeune Communiste hollandais du nom
de Van der Lubbe, un malheureux déchet humain hébété e t
à moitié irresponsable.
Gœbbels voit immédiatement le parti que l’on peut tirer
de cet événement sensationnel. Mettant immédiatement, en
branle tous les rouages de la propagande, il tempête, ful-
mine et stigmatise !( le fanal de l’insurrection rouge n. I1 se
démène t a nt e t si bien qu’on en vient à se demander un
peu partout si les instigateurs de ce forfait ne sont pas
ceux-là mêmes qui en tirent un si grand profit. On multiplie
par dix le nombre des bidons vides ayant contenu les cin-
quante kilos de matière inflammable qu’on a retrouvés sur
les lieux. N’est-ce pas la preuve que Van der Lubbe n’a pas
agi seul? Ernst Torgler, le chef de groupe parlementaire
communiste, a été le dernier à quitter le Reichstag avant
l’incendie. I1 est écroué sur-le-champ. Mais il doit aussi
y avoir des complices étrangers. De fil en aiguille, on remonte
juçqu’à Dimitrov, le secrétaire général d u Komintern, q+,
par une curieuse coïncidence, se trouve ce soir-là à Berlin,
et aux Communistes bulgares Popoff et Taneff.
Le procès qu’on leur intente se termine par u n fiasco,
Dimitrov, qui y tient le rôle principal, met Gœring en rage
par son insolence et sa dialectique acérée. Torgler est mis
hors de cause l. Finalement, il ne reste que le malheureux
1. a Torgler a été libéré, dira plus tard Hitler. J e suis persuadé qu’il a fait brûler
le Reichstag, mais je ne puis le prouver. Personnellement, je n’ai rien à lui repro-
cher. n (Libreo Propos, I, p. 154.)
LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE 95
Van der Lubbe, qui pleure, bave et ne répond que par
monosyllabes. I1 sera interné pendant quelques jours pour
débilité mentale e t finalement exécuté.
L’échec de ce procès apporte un torrent d’eau a u moulin
des Communistes. Avec autant d’agilité que Gœbbels, ils
répondent à ses accusations en organisant des N contre-
procès )) symboliques à Londres et à Paris. Eux non plus
n’ont pas l’ombre d’une preuve. Mais ils crient aussi fort
que le chef de la propagande allemande et le clouent au
pilori, en même temps que Gœring et Hitler. 1: fecit c u i
prodest. Ce sont eux, les instigateurs d’un incendie survenu
à point nommé pour servir leurs desseins!
(( E t cependant, écrit le Dr Peter Kleist, aujourd’liui
encore, les arrière-plans de l’incendie du Reichstag demeurent
inexpliqués. Gisevius, l’assesseur de la Gestapo, qui prétend
avoir été partout, raconte sa petite histoire; Ernst Kruse,
qui prétend avoir été un ancien domestique de Rohm, en
raconte une autre; Raushning assure qu’il a entendu Gœring
lui-même se vanter d’être l’auteur de ce forfait. Mais même
au procès de Nuremberg, les procureurs alliés ne parvien-
dront pas à en imputer la responsabilité aux nazis N
Pourtant, Hitler s’en sert comme d’une machine de
guerre. A sa demande, le Maréchal Hindenburg promulgue
dès le lendemain matin (28 février), une ordonnance P o u r
la protection du peuple et de l’dtat :

§ 1. Les articles 114, 115, 117, 118, 123, 124 et 153 de la


Constitution sont suspendus jusqu’à nouvel ordre. De ce fait
les libertés individuelles, telles les libertés d’opinion, de presse et
d’association subissent certaines restrictions, L e secret des cor-
respondances postales, télégraphiques et téléphoniques est levé.
Les perquisitions et les saisies sont autorisées.
2. Si un Pays ne prend pas les mesures nècessaires pour le
rétablissement de l a sécurité et de l’ordre publics, le gouverne-
ment d u Reich est autorisé à assumer temporairement les attri-
butions des autorités suprêmes dans ledit Pays.

1. Dr Peter KLEIST, Auch Du warst dabei, Gottingen, 1959, p. 56-57. Seul un


ancien S. A. du nom d’Heinz Jürgens, qui s’est enfui au Brésil pour échapper i
la mort, prétendra plus tard que c’est Gœbbels qui a introùuit Van der Lubbe
dans le bâtiment du Reichstag. Mais ce témoignage ne saurait être sérieusement
retenu, étant donné les conditions dans lesquelles il a été iecucilli.
Voir également Fritz TOBIAS, Der Reichstagsbrand, L e g e d e und Wirklichkeit,
Rastatt, 1962.
96 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

. 5 3. Les actes de trahison, les empoisonnements, lm incendies,


les explosions, les inondations, les sabotages de voies ferréeoseront
punis de mort.
4. Seront punis de mort, ou de quinze ans de prison, si une
peine plus sévère n’est pas déjà édictée par le Code :
a) Quiconque entreprend de tuer le Président d u Reich, un
Commissaire du Reich, un membre d u gouvernement d’Empire
ou des gouvernements de Pays; quiconque incite des tiers à
commettre un meurtre de ce genre, ou accepte d’y participer, ou
en parle avec des tiers;
b) Quiconque se livre à des actes de violence OU est pris les
armes à la m a i n dans une kmeute ou une bagarre;
c) Quiconque s’empare par la force d’une tierce personne avec
l’intention de s’en servir comme otage a u cours de l a lutte poli-
tique.
VON HINDENBURG, HITLER, FRICK, GURTNER.

Vingt-quatre heures plus tard ( l e r mars), cette ordonnance


est renforcée par un second décret Pour la répression des
actes de violence communistes :

§ 1. Quiconque imprime un texte incitant à la lutte armée


contre l’autorité de l’État ou provoquant les ouvriers à déclencher
des grèves dans des établissements d’intérêt vital, qu’il s’agisse
d’un mouvement partiel, de masse, ou d‘une grève générale, sera
p u n i d‘un mois à irois ans de prison, comme ayant commis un
acte de haute trahison.

Alors, la répression s’abat sur les milieux communistes;


S. S., police d’fitat et formations auxiliaires entrent simul-
tanément en action. Jour e t nuit, les rues sont sillonnées de
groupes en armes. Ils effectuent des perquisitions en masse
dans les quartiers ouvriers. Quatre mille dirigeants marxistes
- parmi lesquels Thælmann et tous les membres d u Comité
central - et six mille fonctionnaires appartenant aux
milieux d’extrême gauche, sont incarcérés. Tous les jour-
naux marxistes sont interdits, e t leurs immeubles occupés
par les chemises brunes. Une foule de militants et, par la
même occasion, de Juifs non communistes, est parquée dans
des camps de concentration.
A la suite de cette razzia, le Front rouge est disloqué, les
formations de combat désarmées, les terroristes fusillés ou
m i s hors d’état de nuire. Terrifiés par la rapidité de l’action
LA R ~ V O L U T I O N NATIONALE-SOCIALISTE 97
e t trop faibles pour résister à la vague qui les submerge,
les syndicats ouvriers renoncent à proclamer la grève
générale.
*
* +
Tandis que Gering écrase les derniers foyers d’agitation
marxiste en Prusse, Gœbbels intensifie la propagande électo-
rale dans tout le Reich. Mais maintenant qu’Hitler est à la
Chancellerie, il dispose de moyens autrement puissants que
tous ceux qu’il avait pu mettre eri œuvre jusqu’ici. Les
actualités, la radio, la presse d’État viennent décupler la
résonance de ses proclamations. Aussi est-ce une bataille
électorale géante qui se déroule, telle que l’Allemagne
n’en a encore jamais vu. Une fois de plus, Hitler survole
l’Allemagne en avion, parlant tour à tour à Stuttgart,
DortmuLd, Cologne, Francfort, Munich, Nuremberg, Breslau,
Berlin et Hambourg. Sa tournée se termine le 4 mars, à
Kœnigsberg, par une manifestation monstre, d’où son dis-
cours est radiodiffusé par tous les postes d’Empire.
Le lendemain, les élections marquent un succès retentis-
sant pour la N. S.D. A. P. : celle-ci recueille 17.300.000 voix
et 288 sièges au Reichstag. Papen et Hugenberg, qui ont
constitué de leur côté un (( bloc de combat noir-blanc-rouge N,
sont cruellement battus : ils n’ont que 3.100.000 voix et
52 sièges. Cependant, les Communistes remportent encore
4.750.000 voix, ce qui représenterait en principe 81 sièges.
Mais leur parti ayant étb. déclaré illégal, aucun siège ne leur
sera attribué dans le nouveau Parlement. De ce fait, le pour-
centage des Nationaux-socialistes atteint 52 %, ce qui leur
confère la majorité absolue. Elle leur permet de gouverner
sans l’appoint des autres partis1 .
On retrouve la même proportion au Landtag de Prusse,
où la N. S. D. A. P. obtient 211 sièges sur 392.
*
* *
Consolidé par la double victoire qu’il vient de remporter
dans le Reich et en Prusse, Hitler pèut étendre à présent son
1. Ce jour-IS. Hindenburg, sortant de la réserve qu’il a observée jusque-18, avoue
A Hitler a qu’au fond, le jeu parlementaire lui a toujours été antipathi uo et
étranger, et qu’il est enchanté de le voir mettre un terme è cette foira .iqLibre~
Propos, II, p. 137.)
111 7
m.w.
Y...

s.P. v.
-------- K.P.V.
,-*N.S.D.A.P. -.--.-.-_ CENTRE
+**+*4***++.*

NOMBRE
DE SIÈGES RECUEILLIS AUX ELECTIONS DU REICHS-
TAG PAR LES PRINCIPAUX PARTIS POLITIQUES ALLEMANDS
(20 mai 1928 - 5 mars 1933).
LA RÉVOLUTION NATIONALE-IOCIALISTE 99
pouvoir aux gouvernements des États de l’Allemagne du Sud.
Ceux-ci, de plus en plus inquiets, ont protesté, le l e r mars,
contre l’ordonnance présidentielle d u 28 février, qui auto-
rise le Chancelier à sévir, non seulement contre les excès
des partis politiques, mais aussi contre toute insubordination
de la part des gouvernements de P a y s . M. Schaffer, chef du
Parti populiste bavarois, a même été jusqu’à déclarer que
si Hitler tentait d’envoyer un Commissaire d’Empire en
Bavière, celui-ci serait appréhendé dès son arrivée à la fron-
tière. (( Puisque le Reich ne respecte plus les principes fédé-
ratifs inscrits dans la Constitution, a-t-il ajouté, la Bavière
entend reprendre sa liberté et se donner la forme de gouver-
nement qu’elle désire 1. 1)
Le 6 mars, M. Held, président du Conseil bavarois, visi-
blement impressionné par le résultat des élections 2, se montre
plus accommodant. I1 admet la nécessité de remanier son
Cabinet e t promet de laisser (( sous peu N la place au chef
de la fraction nationale-socialiste du Landtag. Mais en même
temps, M. Stützel, ministre de l’Intérieur, fait distribuer des
munitions à la police, signe un décret autorisant les agents
à tirer sans sommation et leur donne l’ordre d’occuper les
bâtiments publics. (( Le danger d‘un nouveau putsch monar-
chiste e t particulariste semblait imminent »,écrit Gerhard
Rühle 3.
Mais, comme en Prusse, Hitler. est décidé à intervenir
avant que la crise éclate. Le 8 mars, le ministre de 1’Inté-
rieur du Reich prend en main la direction de la police dans
le Wurtemberg, en Bade, en Saxe, à Schaumburg-Lippe e t
dans un certain nombre de petits États. Enfin, le 9 mars
dans la soirée, le Dr Frick nomme le général von Epp, Com-
missaire d’Empire pour la Bavière.
C’est la troisième fois depuis la guerre que celui-ci fait
son entrée dans la capitale bavaroise. La première fois, ren-
trant du front en 1918, il avait été accueilli à coups de pierre
par les Conseils de soldats, frappé e t dégradé par les mili-
ciens spartakistes. L’année d’après, il pénétrait à Munich
à la tête de son corps franc, avec les divisions envoyées par
Noske, pour briser la dictature de la République des Conseils *.
1. Cf. Gerhard RUBLE,Das dritie Reich, vol. I, p. 4 2 .
2. La veille, le Parti national-socialiste a recueilli 1.900.000 voix en Bavière,
contre 1.200.000 au Parti populiste bavarois, jusque-la tout-puissant.
3. Gerhard RUBLE, op. cit., vol. I, p. 53-54.
4. voir vol. I, p. 290.
100 HISTOIRE DE L’ARYEE ALLEMANDE

Cette fois-ci, il est investi des pleins pouvoirs, et la foule


le regoit en triomphateur.
Aussitat arrivé, von Epp se met & l’œuvre. A 22 h. 30, il
fait occuper le ministère des Affaires étranghres par les S. A.
e t les S. S. Malgré les ordres donnés par le gouvernement
bavarois, la police ne réagit pas. Une demi-heure plus tard,
tous les bâtiments publics sont entre les mains des chemises
brunes. L’opposition monarchiste s’écroule lamentablement.
A 2 heures du matin, von Epp constitue un nouveau minis-
tère. Le capitaine Rohm est nommé Commissaire adjoint,
sans attributions spéciales. Himmler, commandant en chef
des S. S., devient Président de la police de Munich l. I1 ne
reste plus à M. Held qu’à donner sa démission.
Le lendemain 10 mars, des gouvernements nationaux-
socialistes se constituent en Saxe, en Bade et en Wurtem-
berg. Partout les anciens cadres éclatent sous la poussée
des forces nouvelles 2. Le 14, c’est le tour de la Hesse.
Huit jours après l’arrivée de von Epp à Munich, le National-
socialisme a triomphé dans toute l’Allemagne du Sud.
*
* *
Enfin arrive le 21 mars, date fixée pour l’ouverture du
nouveau Reichstag. Cette inauguration est précédée d’une
cérémonie solennelle qui se déroule à Potsdam, dans la
chapelle de la garnison.
Tout est symbolique dans cette cérémonie à laquelle
assistent, au milieu d’un grand déploiement de forces, l’an-
cien Kronprinz, le Maréchal Hindenburg et Adolf Hitler.
Symbolique, le choix de la date, car c’est le 21 mars 1871
que Bismarck a inauguré le premier parlement du IIe Reich.
Symbolique le choix de l’endroit, car si c’est à Versailles
que le Chancelier de fer a fondé l’Empire, et à Weimar que
l’Assemblée nationale a proclamé la République, c’est à
Potsdam, sur la tombe de Frédéric II, qu’Hitler et Hin-
denburg viennent se recueillir avant d’inaugurer le premier
parlement du IIIe Reich. Symboliques, ces deux murailles
1. Comme à Berlin, les divisions de la Reichswehr se tiennent rigoureusement
à l’écart du conflit.
2. Si le Mouvement a pu se propager ai vite c’est, ne l’oublions pas, que les cel-
lules nationales-socialistes réparties sur tout le territoire du Reich, constituaient
le dénominateur commun des différenta Pays. Ls III0 Reich avait pOUS86, dane
qu’on y prli gar&, à l’int6rbur & b République.
LA RSVOLUTION
NATIONALE-SOCIALISTE 101
d’hommes qui s’alignent,face à face, dans la cour d’honneur
du château : d’un côté, la Reichswehr en feldgrau, asser-
mentée a u Maréchal; de l’autre, les miliciens en chemises
brunes, assermentés au Chancelier. Symbolique, enfin, la
poignée de mains échangée entre Hindenburg e t Hitler,
tandis qu’un oficier casqué, figé au second plan dans un
garde-à-vous hiératique, semble dire par sa présence :
(( C’est moi qui ai servi de pont entre le passé e t l’avenir,

entre l’Empire wilhelminien et le Reich renaissant! 1)


Dans l’après-midi, à l’Opéra Kroll, à Berlin, décoré pour
la circonstance de guirlandes de chêne et de drapeaux,
Gœring ouvre la première session de la nouvelle législature.
Le lendemain, 22 mars, Hitler dépose sur le bureau du
Reichstag un projet de loi Four l’allégement de la misère
d u peuple et du Reich! par lequel il demande au parlement
de lui accorder les pleins pouvoirs pour une durée de quatre
ans, (( afin de sauver la paysannerie allemande de la ruine,
et d’intégrer les chômeurs dans le circuit de la production )) :

((Lenombre de sièges dont disposele gouvernement, déclare-


t-il, pourrait le dispenser de vous demander votre approbation.
Néanmoins, il tient expressément à ce que vous la lui donniez,
par un vote clair et non équivoque. Le gouvernement offre
aux partis du Reichstag la possibilité d’une collaboration
pacifique. Mais il est également préparé à faire face à leur
refus, et aux hostilités qui en résulteront. A vous, Messieurs
les députés, de décider entre la paix e t la guerre. ))

Cette fois-ci le Centre s’incline. Le 24 mars, malgré l’oppo-


sition des Sociaux-démocrates, la loi nouvelle est votée
par 441 voix contre 94.
Aussitôt le résultat d u scrutin proclamé, Hitler se tourne
vers les députés socialistes et leur dit :
- A présent, vous pouvez vous en aller. J e n’ai plus besoin
de vous!
L’ancien combattant du 160 Régiment d’Infanterie
bavarois a tenu son serment du 11 novembre 1918.
La République est morte. Hitler est dictateur.
DEUXIÈME PARTIE

L'EDIFICATION DU IIIe REICH


(1934-1936)
VI

L’UNIFICATION DU REICH
(24 mars 1933-30 janvier 1934)

Au moment où Hitler accède à la dictature, la République


de Weimar a fait faillite sur presque tous les plans. Sans
doute Stresemann à Locarno, et von Papen à Lausanne
ont-ils obtenu des avantages a p é c i a b l e s des Alliés, comme
l’évacuation anticipée de la Rhénanie et la liquidation des
Réparations. Mais a u point de vue économique e t social
c’est le chaos absolu. Les vingt-trois Cabinets qui ont gou-
verné l’Allemagne depuis l’écroulement de l’Empire lèguent
à leurs successeurs un déficit de près de 7 milliards de
marks-or. La dette extérieure s’élève à 17 milliards e t il n’y
a plus que 439 millions dans les caisses de la Reichsbank l.
Les paysans sont écrasés sous le poids de leurs dettes. Plus
de 6 millions de chômeurs sont à la recherche de travail;
des dizaines de milliers de familles sont sans pain et sans
abri. Pour la période allant de juin 1919 à janvier 1933, les
statistiques officielles accusent 224.900 suicides non politi-
ques, causés exclusivement par la misère ou le désespoir.
Depuis plus de deux ans, les Chanceliers ne se maintiennent
qu’en recourant aux pouvoirs exceptionnels que le Prési-
dent leur délègue en vertu du paragraphe 48. Le Reich
est morcelé en 22 Etats, constamment dressés contre l’au-
torité centrale, ayant chacun leur Assemblée locale jalou-
sement attachée à ses prérogatives. E t tout au sommet
de cet édifice branlant, il n’y a plus qu’un Chancelier tou-

1. En 1933, dira plus tard Hitler, le Reich disposait de 83 millions de marks


an devises. Le jour qui suivit la prise du pouvoir, on me mit en demeure d‘en
livrer immédiatement 64 millions. J’excipai du fait que j’ignorais tout de cette
affaire et demandai le temps de d 6 c h i r . D (Libres P r o p , I, p. 65.)
106 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

jours en conflit avec le Parlement, e t un Président fré-


quemment en désaccord avec son Chancelier.
A peine installé à la Wilhemstrasse, Hitler s’attelle à la
tâche la plus urgente : la refonte de toutes les institutions
allemandes. I1 pourrait convoquer, comme en 1919, une
Assemblée constituante, ou imposer lui-même une Constitu-
tion nouvelle. Mais il n’a aucune confiance dans la validité de
ces méthodes. (( Dès le lendemain de son accession au pou-
voir, écrit le secrétaire d’État Stuckart, le Führer a consciem-
ment renoncé à donner au IIIe Reich une Constitution
écrite. 11 a préféré laisser l’État unitaire, autoritaire et popu-
laire alIemand se développer par une croissance adaptée à
la situation générale et aux exigences du moment. 1) E n ce
sens on peut dire que le IIIe Reich possède, dès à présent,
une structure nouvelle. Mais cette structure ne trouve pas
son expression dans une Charte constitutionnelle ; elle
s’exprime par un ensemble de lois organiques.
Cette genèse d‘un É t a t nouveau, à IaqueIie on assiste
pendant les mois qui suivent la prise du pouvoir, s’accomplit
toujours dans le sens de l’unification; et cette unification
se poursuit en même temps sur cinq plans : 10 la concen-
tration des pouvoirs entre les mains du Führer; 20 le regrou-
pement des différentes formations nationales; 30 l’aboli-
tion des Partis politiques et la promotion de la N. S. D. A. P.
au rang de Parti unique; 40 la fusion administrative des
Pays et du Reich; 50 la fusion d u peuple et de l’armée natio-
nale l,
Au terme de ce processus, tout sera absorbé dans un pou-
voir unique, total et absolu. Illustration frappante du pré-
cepte de Gobineau : (( Quand l’État est tout, il doit un jour
ou l’autre, avoir tout, et ce qu’on lui retient, on le lui vole 2. ))
t
.*
Examinons tout d’abord la concentration des pouvoirs.
C’est en vertu d u paragraphe 48 qu’Hitler a gouverné
du 30 janvier au 22 mars 1933, puisque c’est en invoquant cet
article que le président Hindenburg a promulgué ses ordon-
nances du 28 février et du l e r mars, qui ont mis pratiquement
1. Dr STUCKART, La CorAlution spéciale du III8 Reich, V6Utischsr Bwbachbr
numéro du 30 janvier 1936.
2. GOBINEAU,Histoire dm Persm.
L’ÉDIFICATION D U I I I ~REICH 107
fin à l’activité des Communistes. Mais Hitler ne veut pas
continuer à gouverner par des moyens d’exception. I1 ne
veut pas non plus être obligé de solliciter à tout instant l’ap-
probation du Parlement. Aussi se fait-il octroyer par le
Reichstag lui-même le droit légal de rédiger et de promul-
guer les lois, même lorsqu’elles apportent une modification à
la Constitution.
La L o i pour l’allégement de la misère d u peuple et d u
Reich ou L o i des pleins pouvoirs1, votée par le Reichstag
au lendemain de la cérémonie de Potsdam par 441 voix
contre 94 2, réunit pratiquement entre les seules mains du
Chancelier le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, dont
la séparation est un des principes fondamentaux du système
démocratique 3. (( Le Iégislatif et l’exécutif, écrit le Dr Stuc-
kart, ne font plus qu’un dans le régime national-socialiste.
Les lois ne représentent plus un affaiblissement pour celui
qui gouverne, comme c’est nécessairement le cas lorsque leur
élaboration est dévolue à un autre organe que le gouverne-
ment. La loi, désormais, est un instrument du pouvoir.
Le Führer porte seul la responsabilité de son maniement
et les membres du Cabinet lui servent de conseillers 4. ))
On a dit que le paragraphe 48, qui accordait pour un temps
les pleins pouvoirs au Président du Reich, avait fini par
dévorer la Constitution, mais cette formule n’est exacte que
I.Loi P O U R L ’ A L L ~ G E M E N T D E LA MISÈRE D U PEUPLE ET D U REICH,ou
ERMACHTIGUNGSGEZETZ:
1 : Les b i s peuvent étre promulguées par le gouvernemeni d u Reich, en dehors
des procédures prévues par la Constitution d’Empire.
5 2 : Les lois promulguées par b gouvernement du Reich peutan.t s’écarkr de la
Constitution, à condition de n’avoir pas pour objet une modification du Reichstag
ou du Reichsrat. Les attributions d u Président du Reich ne sont pas modifiées.
3 : Les lois promulguées par le gouvernement d u Reich seront ratifiées par le
Chancelier et publiées dans le .Journal officiel. Elles entrent en vigueur le lendemain
de leur publication.
5 4 : Les iraités conclus avec lea États étrangers n’ont pas besoin d’être ratifiés
par les Corps législatifs. Le gouvernement publiera, lui-méme, les règlements néces-
saires à leur exécution.
5 5 : Cetta loi, valable jusqu’au avril 1937, entrera en vigueur le jour de sa
promulgation. Elle sera abrogée si un autre gouvernement succède au gouvernement
actual.
Berlin, b 24 mars 1933.
VON HINDENBURG, HITLER,FRICK,
VON NEURATH, KROSIGK.
2. Voir plus haut, p. 101.
3. Prévue pour une durke de quatre ans, cette loi sera renouvelbe à l’unani-
mité du Reichstag, pour une seconde période de même longueur, le l e r avril 1937.
4. Cf. D’ STUCKART, art. cit.
108 HISTOIRE DE L ' A R M ~ E ALLEMANDE

jusqu'à un certain point. Le paragraphe 48 était, à propre-


ment parler, un instrument de (( dictature temporaire )) auquel
le pouvoir central pouvait avoir recours pour imposer sa
volonté à un Pays récalcitrant. Or, Hitler ne se considère
pas comme un (( dictateur »,au sens romain du terme. Son
rôle consiste à traduire en actes la volonté dir peuple; il
est un médiateur entre les destinées historiques de la nation
et les besoins informulés et souvent inconscients de la masse.
Aussi Hitler a-t-il soin de compléter la Loi des pleins pou-
voirs par la Loi sur le plébiscite, promulguée le 14 juillet
1933 1. Celle-ci lui donne le droit de consulter directement
le peuple pour savoir s'il approuve ou non les mesures pré-
vues ou prises par lui. Si le résultat d u plébiscite est positif,
il a valeur de ratification 2.
Grâce à ces deux lois complémentaires, le Reichstag est
pratiquement éliminé en tant qu'organe de gouvernement.
Réuni à dates indéterminées sur la convocation de son
président, il ne formera plus qu'une sorte de Chambre d'en-
registrement devant laquelle le Chancelier viendra motiver ses
actes et commenter sa politique. Balayant d'un geste toutes
les instances intermédiaires, il n'y a plus, face à face, que
le Führer et la nation.
t
r r

Le même pxincipe préside au regroupement des formations


nationales.
Nous avons vu, dans un chapitre précédent, quatre grands
rassemblements armés manœuvrer sur l'échiquier d u Reich
et rivaliser entre eux pour la conquête d u pouvoir. A partir
1. LOI SUR LE PLÉBISCITE:
§ 1 : l o Le gouvernement d u Reich peut demander au peupb s'il approuve ou
non une mesure prévus ou prise par le gouvernement. 20 Il peut aussi s'agir d'une loi.
8 2 : La mesure soumise au pkbiscite est considérée comme acquise lorsqu'elle a
recueilli la maiorilé simple des voix. Cette disposition s'applique également à une
loi modifiant la Constitution.
§ 3 : S i le peuple approuve ladite mesure, celle-ci est appliquée conformément è
l'article 3 de la Loi pour l'allégement de la misère d u peuple et d u Reich.
4 : Le ministre de l'lnlérieur du Reich est autoris6 à prendre toutas ka mesura
iuridiques et administratives nécessaires à l'exdcuiion de b prt%en& loi.
Berlin, le 14 juillet 1933.
HITLEP,PRICK.
2. C'est en vertu de cette loi qu'auront lieu les plébiscitea du 12 décembre 1933,
du 19 août 1934 et du 29 mars 1936.
L’ÉDIFICATION DU I I I ~RBICH 109
de février 1933, le Front Rouge se trouve écrasé. Presque
au même moment, la Reichsbanner est dissoute. Des quatre
armées politiques qui existaient encore à la fin de 1932, il
n’en subsiste plus que deux : l’armée brune, composée
des S.A. et des S. S., et l’armée grise, composée du Stahlhelm
et du Kyffhaüserbund.
Au soir du 30 janvier, les membres des Sections d’Assaut et
du Stahlhelm ont défilé cate à côte sous la porte de Brande-
bourg. Depuis lors, ils ont coopéré! étroitement avec la
police prussienne. Le 21 juillet 1933, par un décret du Führer,
l’armée brune absorbe le Casque d’Acier. Ce dernier s’intitule
alors Première Réserve de S.A., ou S. A. R. I., tout en res-
tant formé de régiments composés exclusivement d’anciens
membres du Stahlhelm. Puis, au début de 1934, ces régiments
sont dissous l’un après l’autre, et leurs effectifs incorporés
suivant leur âge aux régiments de S. A. d’active et de
réserve l .
Quant au Kyffhaüserbund, il devient la Deuxième Réserve
S.A. ou S.A. R. II. Toutes ces forces, dont on peut évaluer
le nombre à près de deux millions d’hommes, se trouvent
alors groupées sous le commandement du capitaine Rohm.
Cependant, il existe encore en Allemagne les vestiges d’un
grand nombre de corps francs, constitués pendant les mois
qui ont suivi la défaite. Eux non plus ne doivent pas rester
en dehors du mouvement. Mais autant la fusion des S.A. e t
du Casque d’Acier s’est réalisée discrètement, autant celle
des corps francs et des Sections d’Assaut s’effectue avec
pompe, au cours d’une cérémonie à laquelle Hitler a tenu
à donner le maximum d’éclat.
Le 9 novembre 1933 a lieu à Munich la commémoration
du soulèvement national de 1923. Dix ans plus tôt, Hitler,
marchant aux côtés de Ludendorff et de Gœring, essuyait
avec ses hommes la fusillade de la Feldherrnhalle. I1 n’était,
à cette époque qu’un rebelle, un hors-la-loi. Aujourd’hui
c’est en tant que Chancelier du Reich qu’il s’avance vers le
catafalque où s’alignent les cercueils des seize militants
nationaux-socialistes, fauchés par les balles de la police
bavaroise. I1 dépose au pied du cénotaphe une couronne

1. Certains 616ments du Stahlhelrn, non incorporés aux S. A., survivront encore


dans le Kcrnatuhlhelrn, transformé en Ligue nationale-socialiste des anciens combat-
tants allemanda (N. S. D. F. B.). Celle-ci se dissoudra d’elle-même le 9 novembre
1935.
110 . EXÇTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

de feuilles de chêne cravatée au x couleurs d u Parti, e t


portant cette inscription : ((Vous avez vaincu, envers e t
contre tout. 1)
Puis on voit s’avancer des délégations de la plupart des
anciens corps francs, portant une forêt d’étendards dont
certains sont déchiquetes par la mitraille et délavés par les
intempéries. C’est, en un raccourci saisissant, l’évocation
de toute l’après-guerre allemande. Un à un résonne pour
la dernière fois le nom des unités qui se constituèrent aux
premiers jours de la révolution, ou qui prirent part aux
côtés d’Hitler au soulèvement de 1923. I1 y a là les corps
francs de la Baltique et de la Silésie, de la Saxe e t de la
Ruhr, des représentants de la Division de Fer et de la
brigade Ehrhardt, des corps francs von Epp, Oberland et
Rossbach, du Commando de choc Hitler, du régiment de
Munich, etc.
Chaque fois, à l’appel du nom de son ancienne formation,
le porte-drapeau du corps franc se détache du groupe e t
répond : (( Présent! )) Puis il remet son emblème à une garde
d’honneur, formée de S. A. et de S. S. On reconnaît au pas-
sage le fanion planté par les volontaires d’Oberland a u som-
met de l’Annaberg, le drapeau noir brodé d’un R d’argent
de Rossbach, les étendards bleus à croix de Malte qui flot-
tèrent sur les remparts de Bauske et de Thorensberg. A
l’issue de la cérémonie, tous les drapeaux réunis en faisceaux
multicolores, sont portés dans le hall de la Maison brune,
OU ils resteront, exposés.
Tandis que le souvenir des corps francs entre ainsi dans
l’histoire, les corps francs eux-mêmes sont officiellement
dissous

Parallèlement à ce regroupement des formations natio-


nales, Hitler procède à l’abolition des différents Partis poli-
tiques et à la promotion de la N. S. D. A. P. au rang de
Parti unique de l’État.
Une des tares de la démocratie allemande était la proli-
1. La Ligue des anciens Combattants de la Baltique, présidée par le comman-
dant Bischoff (l’ancien commandant dela Division de Fer) et la Ligue des anciens
combattants des corps francs subsisteront encore pendant quelque temps. Elles
seront dissoutes h leur tour, en juillet 1935.
L’EDIFICATION DU I I I ~R E I C H 111
fération des groupements politiques. 37 partis différents et
plus de 7.000 candidats avaient brigué les suffrages des
électeurs, lors du renouvellement du Reichstag en 1932 l.
Tous les Allemands de bonne foi reconnaissaient qu’il fallait
mettre un terme à un état de choses qui rendait le Parle-
ment proprement ingouvernable.
Nous avons déjà v u quelles sanctions terribles s’étaient
abattues sur le Parti communiste, au lendemain de l’incendie
du Reichstag. Celles-ci sont encore renforcées, le 26 mai, par un
décret confisquant tous les biens du Parti :fonds, immeubles,
journaux, etc., - comme ayant servi à (( entretenir une
armée étrangère sur le territoire allemand et à fomenter
des complots contre la sûreté de l’État D. A la suite de cette
mesure, le Parti communiste est pratiquement éliminé.
Le 22 juin, Hitler interdit le Parti socialiste. (( Les événe-
ments récents, lit-on dans le préambule du décret de dis-
solution, ont prouvé d’une façon irréfutable que le Parti
socialiste n’a pas hésité à participer à des actes de haute
trahison envers l’Allemagne et son gouvernement ... (suit
l’énumération des griefs formulés à l’égard des Sociaux-
démocrates). Tous ces faits obligent le gouvernement à
considérer le Parti socialiste comme un groupement
dangereux e t hostile à l’État, qui ne saurait prétendre à
un autre traitement que celui appliqué au Parti communiste. ))
Ayant ainsi brisé les reins à l’opposition de gauche, Hitler
se tourne ensuite vers l’opposition de droite. Le 27 juin, le
Parti Deutsch-national se dissout à son tour. L’ambitieux
Hugenberg se démet de ses fonctions. A son corps défen-
dant, sans doute. Mais que peut-il faire d’autre? Le
Stahlhelm a été incorporé aux S. A. huit jours aupara-
vant (21 juin), de sorte qu’il n’a plus aucune force sur
laquelle s’appuyer.
Le 4 juillet, c’est le tour du Parti populiste (D. V. P.) e t
du Parti populaire bavarois. Enfin, sentant que toute résis-
tance est inutile, le Centre catholique, dirigé par Mgr Kaas,
se dissout également. Tous les autres groupuscules se sont
dispersés d’eux-mêmes, ou se sont ralliés au National-socia-
lisme.
1. Selon la loi allemande, il suffisait qu’un groupement comptât 500 membres
pour pouvoir présenter une liste de candidats au Reichstag. Lors des élections du
5 mars 1933, un premier décret du Maréchal Hindenburg avait élevé ce chiffre A
60.000, amorçant ainsi la réduction du nombre des Partis.
2. Voir plus haut, p. 96.
112 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

Ayant fait table rase, Hitler promulgue, le 14 juillet,


une loi interdisant la création de Partis nouveaux Désor-
mais le seul Parti reconnu sera la N. S. D. A. P. Enfin, le
l e r décembre 1933 ce travail trouve son couronnement dans
la Loi pour la garantie de l’unité du Parti et de l’État 2.
En vertu de cette loi, la N. S. D. A. P. est indissolublement
liée à l’État. (( Le Parti, déclare Hitler, représente la cons-
cience politique, la conception politique et la volonté poli-
tique de la nation. )) C’est au sein du Parti, gardien de la
doctrine et pépinière de chefs, que se recruteront à l’avenir
tous les dirigeants du I l I e Reich 3. Nation e t Parti se
rejoignent en la personne d’hdolf Hitler, Führer de la nation
et chef suprême du Parti.
Cependant - e t c’est là un fait capital qu’il importe de
1. Lor INTERDISANT LA C R ~ A T I O ND E PARTIS NOUVEAUX :
1 : Le seul Parti politique existant en Allemagne est le Parti national-socialist3
ourïier allemand ( N . S. D. A. P . ) .
8 2 : Quiconque entreprend, soit de conserver les cadres d’un autre Parti, soit de
constituer un Parti nouveau sera puni de peines pouvant aller jusqu’à trois ans de
prison, ou variant entre s i z mois et trois uns de forteresse, à moins que les actes commis
ne soient passibles de sanctions plus 8ddm.9.
Berlin, k 1 4 juillet 1933.
HITLER,FRICK,G ~ R T N E R .
2. Lor GARANTISSANT L’UNITE DU PARTIET DE L’ÉTAT:
§ 1 : l o Après la victoire de la réwlution nafionale-socialiste, le Parti nationai-
socialiste ( N . S. D. A. P.) est l‘incarnation de l’idée même de l’État. A ce titre, il
est indissolublement lid à l’État. 20 Il est une corporalion de droit public. Ses statuts
sont établis par le Führer.
8 2 : Pour assurer une coordination étroite entre les services du Parti et des S. A.
d’une part, et les autorités publiques, de l’autre, le lieutenant du Führer et le chef
d’État-Major des S. A., sont nommés membres d u goictarnement d’Empire.
3 : la Del devoirs accrus B l’égard du Führer, du peuple et de l’État incombent
aux membres de la N . S. D. A. P . et des S.A.(y compris les formations qui leur
sont subordonndes), car ils représentent la force directrice et motrice de l’État national-
socialiste. Z0 S’ils manquent à ces dewirs, i(s seront &firés devant les tribunaux
8ptkiaiu: des S. A. et du Parti. 30 Le Führer se réserve le droit d’étendre ces prescrip-
tiong aux membres d’autres organisations.
8 4 : Sont considdrés comme u n manquement au devoir, toute action ou omission
de nature à diminuer ou à compromettre l’existence, l’organisation, l’eficacitd ou la
réputation du Parti national-socialiste, et, particulièrement chez les S. A. (y compris
les formations qui leur sont subordondes), tout manquement à l’ordre et à la disciplina.
5 5 : Outre les sanctions de service habituelles, les délinquants pourront être IrappCS
d’arrêts de rigueur et d’emprisonnsment.
6 à 8 : Dispositions annexes.
Berlin, le l e r ddcembrs 1933.
HITLER,FRICK.
3. Signalons qu’à partir de juin 1933, le Parti n’acceptera plus de nouveaux
adhérents, et que les candidatsp’y seront admis qu’aprk une enquête r é v h .
On évalue leur nombre total B 3 millions environ.
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 113
souligner - le Parti ne se confond pas avec la nation, il se
superpose à elle. (( Le but commun et la compénétration
étroite des deux ordres (Nation et Parti), écrit Anton Lingg,
ne signifient nullement qu’ils soient identiques. Ils sont unis
mais non mélangés, liés mais non confondus l. ))
Lors du renouvellement du Reichstag, le 12 décembre 1933,
il n’y aura plus qu’une liste unique, dressée par Hitler lui-
même. Celle-ci recueillera 39.626.000 voix sur 42.900.000,
soit 92,2 % du corps électoral, et le Parlement ne compren-
dra plus que 661 députés nazis.
Ces élections marquent la liquidation de l’État libéral,
fondé sur la pluralité des partis, et inaugurent l’avènement
du régime totalitaire.

* *
Reste à examiner la fusion administrative des P a y s et
du Reich, domaine où les problèmes sont d’autant plus difi-
ciles à résoudre que leurs racines plongent dans un passé
plus lointain.
Bien des souvenirs historiques justifiaient le caractère
fédératif de l’Empire wilhelminien, dont avait hérité la
République de Weimar. Mais au point de vue politique, ce
système n’avait donné que des résultats décevants. Le dif-
ficile était de supprimer les Pays en tant qu’entités admi-
nistratives, tout en sauvegardant leur personnalité, leurs
mœurs et leurs coutumes. D’autant plus que ((supprimer
les Pays ne consistait pas seulement à effacer de la carte
d’Allemagne une foule de petites principautés déjà à moitié
intégrées : c’était aussi mettre fin à l’autonomie de la Bavière
et de la Prusse.
On imagine aisément les résistances que ne pouvait man-
quer de susciter une réforme aussi radicale, tan t dans les
milieux de gauche que dans les cercles monarchistes et
réactionnaires. Jusqu’en 1914 3, une animosité sourde avait
dressé les Hohenzollern contre les Wittelsbach, et nous savons
que Louis II de Bavière, après 1870, n’avait accepté qu’à
contrecœur d’entrer dans la Fédération. Les rapports entre la

1. Anton LINGC,Le Parti, volonté organisée àe la nation, VOUrischerBeobachfer,


numéro du 30 janvier 1936.
2. Le Parti socialiste lui-même &ait resté très attach6 au système fédbral.
3. Ou plus exaotement jusqu’en 1918, qui marqua l’avènement du roi Lodi III.
XU 8
114 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

Bavière catholique et la Prusse protestante avaient toujours


été tendus et tout permettait de penser que leur fusion défi-
nitive ne s’effectuerait pas sans soulever de graves
difficultés.
Mais Hitler avait vu? pendant son séjour à Vienne, ce
qu’il advient d’un empire qui ne parvient pas à surmonter
ses divisions internes. I1 se rappelait qu’au lendemain de
la défaite, Kurt Eisner avait rompu les liens entre Munich
e t Berlin l;.qu’à diverses reprises, la Saxe e t la Thuringe
avaient menacé d’en faire autant et que lui-même s’était
heurté, le 9 novembre 1923, aux visées séparatistes de
Lossow et de von Kahr.
Inversement, à la veille de la signature d u traité de Ver-
sailles, les officiers du Grand État-Major n’avaient-ils pas
songé à sacrifier le Reich, pour sauver la Prusse a? Comment
aurait-il pu oublier - puisque la chose s’était passée il y
avait à peine neuf mois -que M. von Papen s’était vu obligé
de nommer un Commissaire du Reich en Prusse, e t que
deux gouvernements rivaux, légitimés l’un et l’autre par
un arrêt de la Cour suprême de Justice 3 avaient prétendu
y exercer simultanément le pouvoir? Situation dont on
ne pouvait éviter le retour qu’en substituant au système
fédératif un régime unitaire fortement centralisé.
- U n peuple qui parle la même langue, qui possède la
même culture et dont les destinées se sont élaborées à tra-
vers deux mille ans d’histoire commune, déclarera Hitler au
Congrès de Nuremberg en septembre 1933, ne peut qu’aspi-
rer aussi à l’unité politique. Le nouveau Reich allemand
ne doit pas s’ériger sur la base des Pays ... mais sur la nation
allemande tout entière et sur le Parti national-socialiste
qui englobe et unit en lui la totalité de la nation ...
C’est pourquoi l’unification - la Gleichschaltung - sera
la grande affaire de l’année 1933. Le 31 mars, Hitler pro-
mulgue une Loi provisoire pour l’unification des Pays du
Reich que vient compléter, le 7 avril, une Loi sur les Statthal-
ter, ou Commissaires d u Reich“.
1. Voir vol. I, p. 272.
2. Voir vol. I, p. 348.
3. Voir plus haut, p. 67.
4. L O I SUR LES STATTHALTER :
5 1 : Dans t o w les Pays du Reich, à l‘exception de la Prusne, le Pr&sulentdu Reich
nomme des Statihaiter, sur In proposition du Chancelier. Ceux-ci ont pour mission
de veiller à l‘edcution des directives politique0 ddidûes par b Chaneslier.
L’ÉDIFICATIONDU n i e REICH 115
Pourquoi ces deux textes ne sont-ils pas promulgués en
même temps? Parce que la création des Statthalter implique
la disparition des Commissaires du Reich et que ces fonc-
tions sont exercées en Prusse par M. von Papen. L’entrée
en vigueur de la nouvelle législation va entraîner son effa-
cement au bénéfice de Gœring ’.
Or, cette perspective
déplaît a u Maréchal Hindenburg, qui répugne à diminuer
les pouvoirs d’un homme pour lequel il éprouve la plus
grande estime e t qu’il a placé au gouvernement pour faire
contrepoids aux Nazis.
Aussi, la semaine incluse entre le 31 mars et le 7 avril
est-elle tout entière consacrée à des négociations serrées
entre les quatre personnages directement intéressés : Hin-
denburg, von Papen, Hitler e t Gœring. Tout se passe der-
rière les portes capitonnées des bureaux ministériels. Le
public n’est informé de rien. Mais les documents de l’époque
nous laissent entrevoir les feintes et les parades, les pressions
et les contre-pressions auxquelles se sont livrés alternative-
ment les quatre protagonistes. Finalement, le rapport des
forces impose une solution et le cliquetis de fleurets s’achève
- le plus protocolairement du monde - par un échange de
lettres dont seuls les termes cérémonieux permettent de
deviner l’âpreté de la lutte qui vient de prendre fin.
Le 7 avril - jour même où est promulguée la Loi sur
les Statthalter - von Papen adresse le message suivant à
Hitler :
Monsieur le Chancelier,
L a loi sur l’unification des Pays et du Reich, promulguée
aujourd’hui par le Cabinet d’Empire, a posé les fondements d’un
idifice juridique destiné à revêiir une importance historique
dans le développement politique du Reich allemand. Le pas
accompli le 20 juillet 1932 par le gouvernement du Reich que

8 2 : Elus p u r la durde d’une Ugislature, les Stntthalier ont k droit de dissoudre


le Landtag, de désigner et de révoquer le président du Conseil, de nommer et de
destituer les fonctionnaires et les juges.
Berlin, le 7 avril 1933.
HINDENBURG, HITLER,FRICK.

1. Les Commissaires du Reich avaient un caractère temporaire, comme le para-


graphe 48 qui les instituait. Les Statthalter, eux, ont un caractère permanent.
2. Celui-ci exerce les fonctions de ministre de l’Intérieur en Prusse (voir plus
haut, p. 88). Il est subordonné en Prusse à von Papen, comme Hitler est nubor-
donn6, dans le Reich, au Maréchal Hindenburg.
116 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

j’avais l’honneur de présider, e n vue de mettre fin au dualisme


existant entre le Reich et l a Prusse, trouve son couronnement
dans l a coordination étroite établie désormais entre les intérêts
de l a Prusse et ceux du Reich. Dorénavant, vous allez être en
mesure, monsieur le Chancelier, comme jadis le prince de Bis-
marck, de lier indissolublement la politique d u plus grand des
Pays d u Reich à celle du Reich lui-même.
Du fait que la loi nouvelle vous investit d u droit de nommer
le Président d u Conseil des Ministres prussiens je vous prie
de bien vouloir faire connaître à M . le Président du Reich que
je remets respectueusement entre ses mains les fonctions de Com-
missaire d u Reich e n Prusse.
Votre sincèrement dévoué.
VON PAPEN.

Le jour même, Hitler transmet cette lettre au Maréchal


Hindenburg, en y ajoutant le commentaire suivant :

Monsieur le Président d u Reich,


Le Vice-Chancelier von Papen m’a adressé la lettre que j e
m’empresse de porter à votre connaissance.
11 y a déjà quelques jours, M . von Papen m’avait faitpart
de l’accord intervenu entre lui-même et le ministre Gaering rela-
tit à son retrait volontaire, du fait que l’unité de direction gou-
vernementale entre le Reich et l a Prusse se trouvait assurédoré-
navant par la nouvelle loi sur l’unification des P a y s et d u Reich.
Au soir de l a promulgation de la nouvelle loi sur l’instauration
des Statthalter, M . von Papen a considéré ce but comme atteint
et m’a prie’ de procéder moi-même à la nomination d’un Prési-
dent d u Conseil en Prusse, voulant se réserver ainsi la possi-
bilité de consacrer tout son temps au gouvernement d u Reich,
auquel il continuera à apporter son concours comme par le passé.
E n assumant les fonctions de Commissaire d u Reich en Prusse
durant la période dificile qui a suivi la 30 janvier, M.von Papen
a e u le très grand mérite de contribuer puissamment à faire
mûrir l’idée d’une coordination Ctroite entre la politique d u
Reich et celle des Pays.
S a collaboration a u Cabinet du Reich, auquel il pourra désor-
mais se consacrer tout entier, me sera une aide précieuse..Les
sentiments que je lui porte sont si cordiaux que j e ilte réjouis
de bénéficier de son concours, qui aura pour moi une v d e u r
inestimable.
Veuillez agréer, monsieur le Président, l’expression de mon
plus profond respect.
ADOLPHITLER.
L’ÉDIFICATION DU 1118 REICH 117
Hindenburg s’incline e t écrit à von Papen :

Cher monsieur von Papen,


J e viens d‘accepter la requête par laquelle vous me demandez
de vous décharger de vos fonctions de Commissaire du Reich
pour l a Prusse. J e saisis cette occasion pour vous remercier au
nom du Reich et e n mon nom propre pour les éminents services
que vous avez rendus à l a nation en éliminant le dualisme exis-
tant entre le Reich et la Prusse et en imposant l’idée d‘une direc-
tion politique commune a u Reich et a u x Pays. J’ai appris avec
satisfaction que vous pourriez consacrer désormais toutes vos
forces au gouvernement d u Reich.
J e demeure, avec des sentiments de simère camaraderie, votre
dévoué,
V O N HINDENBURG, Président du Reich.

Pour finir, il ne reste plus face à face, que les deux heureux
gagnants de ce tournoi d’échecs, e t Hitler s’empresse d’écrire
à Gœring :

A dater de ce jour, je vous nomme Président d u Conseil en


Prusse. J e vous prie d’assumer ces fonctions à Berlin, le 20 avril.
J e suis heureux de pouvoir vous donner ce témoignage de ma
confiance et de ma gratitude pour les si grands services que vous
m’avez rendus a u cours de dix années de lutte a u szin de notre
Mouvement pour la résurrection de notre peuple, pour la victoire
de la révolution nationale e n tant que ministre de l’Intérieur
e n Prusse, non moins que pour le loyalisme indifecîible avec
lequel vous avez lié votre destin à celui de m a personne.
Le Chancelier du Reich, ADOLFH I T L E R .

E t il est de fait que l’unification des Pays et du Reich


répondà une des aspirations les plus profondes du peuple
allemand. Celui-ci en a assez d’être écartelé par les menaces
constantes de sécession des gouvernements provinciaux.
Voilà des siècles qu’il rêve de faire partie d’une seule e t
même communauté. Pourtant, en Saxe, dans le Wurtem-
berg et dans le grand-duché de Bade, les choses ne se passent
pas aussi poliment qu’à Berlin. I1 faut que M. Frick, ministre
de l’Intérieur du Reich, se fasse donner les pouvoirs de police
dans ces Pays, pour imposer l’unification à une opposition
récalcitrante.
118 HISTOIRE DE L’ARMAE ALLEMANDE

Afin d’apaiser ces remous e t de ménager certaines habitudes


acquises, Hitler décide de tempérer l’ardeur des nouveaux
Statthalter en leur recommandant la modération. Le 6 juillet,
il les réunit a u palais de la Chancellerie et leur expose, dans
une courte allocution, les principes dont ils devront s’ins-
pirer dans l’exécution d e leur tâche. 11 leur répète que la
nation attend d’eux non point des prises de position idéolo-
giques mais des réalisations concrètes :
a Les partis politiques ont été définitivement abolis, leur
dit-il. C’est là un événement historique dont on n’a pas encore
mesuré toute la signification. I1 nous faut éliminer mainte-
nant les derniers vestiges de la démocratie, en mettant partout
l’accent sur les responsabilités et les valeurs personnelles...
a I1 ne faut détruire les institutions existantes que lorsque
l’on a quelque chose de mieux à mettre à leur place. Beau-
coup de révolutions se sont emparées du pouvoir dans le feu
du premier enthousiasme. Rares sont celles qui ont pu s’y
maintenir et ont su rétablir l’équilibre rompu ... I1 ne s’agit
pas de révoquer un industriel sous prétexte qu’il n’est pas
national-socialiste; à bien plus forte raison si le national-
socialiste que l’on veut mettre à sa place ne comprend rien
aux questions économiques l...
(( I1 ne s’agit pas à l’heure actuelle de propager des idées,

mais d’assurer le pain quotidien à cinq millions de chômeurs.


C’est le fait de leur donner du travail qui assoira notre auto-
rité ... Notre programme n’a pas pour objet de nous permettre
de faire de beaux gestes, mais d’assurer l’existence du peuple
allemand.
(( Aujourd’hui, le Parti est devenu l’État. Tout le pouvoir

réside entre les mains du gouvernement central. I1 faut empê-


cher que le centre de gravité de la vie allemande soit trans-
féré de nouveau à des territoires périphériques ou à des grou-
pements particuliers. Le pouvoir n’appartient plus h aucune
fraction territoriale du Reich, ni à aucune classe de la nation,
mais au peuple pris dans sa totalité. 1)
Lorsque le 12 décembre, Hitler procède à la réélection du
Reichstag, il s’abstient de renouveler les Landtage, ce qui
laisse entrevoir son intention de les supprimer t ô t ou tard.
Cette suppression s’effectue le 30 janvier 1934, premier
1. C’est en vertu de ce principe qu’Hitler a conservé, dans son équipe, des
membres de l’ancien ministere von Papen, comme MM. von Neurath et Schwerin
vonKrosigk, et qu’ilanomméle Dr Schacht Président de la Reichsbank et commis-
anire pour les Affaires économiques.
L’BDIFICATION DU III* REICH 119
anniversaire de la prise du pouvoir. Un an, jour pour jour,
après son arrivée à la Chancellerie, Hitler promulgue la
Loi pour la reconstruction du Reich l. Dans sa concision
lapidaire, ce texte qui transfère au Reich la souveraineté
des Pays, apporte à la structure de l’Allemagne une modi-
fication plus profonde que ne l’avaient fait les deux Consti-
tutions de 1871 e t de 1919.
Ce que ni l’Empire de Guillaume I I ni la République de
Weimar n’avaient pu accomplir, l’État national-socialiste
le réalise d’un trait de plume : le 30 janvier 1934 marque
la fin de la (( Fédération des Pays allemands »,et la nais-
sance de (( l’État centralisé de la Nation germanique a D. I1
n’y a plus, désormais, de Prussiens, de Bavarois, de Wurtem-
bergeois et de Saxons. I1 n’y a plus que soixante-cinq
millions d’Allemands, régis par les mêmes lois.
*
* *
I1 v a sans dire que cette (( mise au pas D ne s’effectue pas
sans arbitraire, ni violence. Aucune opposition n’est tolérée;
quiconque n’est pas d’accord est réduit au silence. Le Parti
impose sa volonté avec une poigne de fer. Mais ces restric-
tions apportées à la vie individuelle ont pour contrepartie
des réalisations spectaculaires sur le plan collectif. Si la bour-
geoisie libérale se sent écrasée, si les Juifs sont impitoyable-
ment écartés des fonctions publiques, en attendant de l’être

1. LOIPOUR LA RECONSTRUCTION DU REICH:


8 1 : Les représentations des Pays sont supprimées.
§ 2 : a) Les droits souverains des Pays sont transférés au gouvernement du Reich.
b)Les gouvernements des Pays sont soumis au gouvernement du Reich.
f 3 : Lea Statthalter sont soumis à l’autorité du ministre de l’Intérieur du Reich.
§ 4 : Le gouvernement du Reich peut modifier le droit constitutionnel des Pays.
5 : Le ministre de l’Intérieur du Reich promulguera les décrets juridiques et
administratifs nécessaires à l‘application de cette loi.
fi : Ceüe loi entrera en vigueur le jour de sa promulgation.
Berlin, le 3ü janvier 1934.
VON HINDENBURG, HITLER,FRICK.

2. Un certain nombre d’autres lois viendront compléter ultérieurement le tra-


vail d’unification, notamment la loi du 14 février 1934 supprimant le Reichsrat
ainsi que les représentations diplomatiques des Pays auprès du Reich; la deuxième
ordonnance relative à la Reconstruction du Reich, du 27 novembre 1934; enfin la
deuxième &i sur les Statthalter du 30 janvier 1935 (second anniversaire de la prise
du pouvoir), qui réorganise l’administration des Communes suivant le principe
d‘autonomie préconisé par le baron de Stein et définit, d’une façon plus précise
les attributions des Commissaires d’Empire.
120 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

de beaucoup de domaines du secteur privé 1, la grande masse,


en ce qui la concerne, y trouve son avantage. Elle s’aban-
donne au sentiment d‘euphorie qui accompagne toujours l’ap-
parition d’un É t a t fort, après une longue période de désordre
et d’inefficacité.
Cependant, l’unification n’est pas encore achevée : sur les
bâtiments publics comme dans les cérémonies officielles, le
drapeau noir-blanc-rouge - rétabli par Hindenburg le 11
mars 1933 - continue à fiotter à côté du drapeau rouge à
croix gammée du Parti national-socialiste. Puis, il y a les
rapports du Chancelier et du Président, qui sont demeurés
ce qu’ils étaient sous le régime weimarien. Malgré tous les
pouvoirs concentrés entre ses mains, Hitler n’est pas encore
le chef suprême de l’État. I1 est subordonné a u Maréchal
Hindenburg, dont le prestige est immense, et dont il s’est
engagé à respecter les prérogatives 2.
Enfin, il y a le problème militaire qui se pose avec acuité,
car deux groupes distincts se trouvent face à face : la Reichs-
wehr, qui est l’armée du Président, et les S.A. qui constituent
l’armée du Chancelier. Or, toutes deux prétendent s’identi-
fier à l’État. Comment Hitler va-t-il surmonter ce dualisme?
Au lendemain du putsch de Kapp, nous avons vu l’armée
se scinder en deux. (( A partir de mars 1920, écrivions-nous,
l’armée allemande prend l’aspect d’un fleuve qui se divise
en deux bras : d’un côté l’armée légale, c’est-à-dire la
Reichswehr proprement dite; de l’autre, l’ensemble des
formations illégales et secrètes 3. D
Nous voici parvenus au terme de cette évolution, a u point
où les d e u x bras du fleuve vont se rejoindre. La Reichswehr
a a tenu 1) pendant quinze années, mais elle a fini par s’enli-
ser dans une sorte d’immobilisme; tandis que les formations
illégales, regroupées autour d’Hitler e t grossies en cours
de route d’une multitude de forces nouvelles, forment une
masse bouillonnante de plusieurs millions d’individus,.q u i
se dresse, comme une muraille, en face de l’armée réguliere.

1. On n’imagine pas, pour l’instant, que le régime veuille alier plus loin.
2. Voir plus haut, p. 207, note 1, le paragraphe 2 de la loi du 24 mars 1933. Le
Maréchal-Président est le chef suprême de l’armée. C’est lui qui nomme les ambas-
sadeun. I1 a le droit de dissoudre le Reichstag et de promulguer l’état d’exception.
Enfin, il dispose d‘un droit de wta vis-84s du Cabinet. Ce droit, Hindenburg
l’avait d616gué, non pas à Hitler, mais à von Papen, qui n’en fit d’ailleuni jamais
usage.
3. Voir vol. II, p. 145.
L’J~DIFICATIONDU I I I ~REICH 121
Comment leur fusion va-t-elle s’effectuer? Ces deux forces
vont-elles fusionner, ou s’entre-dévorer dans un effort déses-
péré pour triompher l’une de l’autre?
Tout dépend des décisions que prendra le Führer. Mais
pour l’instant, il préfère ne pas brusquer les choses. Sans
doute pense-t-il qu’il serait prématuré de transformer la
constitution militaire du Reich avant que la doctrine natio-
nale-socialiste ait pénétré dans toutes les couches de la nation.
La Reichswehr forme un bloc fermé e t énigmatique dont on
ignore encore les intentions profondes ...
Mais à ces motifs, de caractère intérieur, viennent s’en
ajouter d’autres, d’ordre international : toucher a u statut
militaire de l’Allemagne, c’est déchirer toute la partie V du
traité de Versailles. C’est risquer de provoquer des réactions
très vives à Londres et à Paris.
Avant de procéder à cet acte décisif, il faudrait connaître
les dispositions des Alliés. I1 faut surtout savoir à quoi
aboutira la Conférence du désarmement, dont les négocia-
tions laborieuses se poursuivent à Genève.
LA FAILLITE DE LA CONFÉRENCE
DU DÉSARMEMENT E T LE RETRAIT DU REICH
DE LA SOCIÉTÉ DES NATIONS
( 2 février 1932-le‘ août 1934)

La Commission préparatoire du désarmement a siégé de


mai 1926 à janvier 1931. Après six années de tâtonnements
et d’efforts infructueux, elle a tout juste réussi à mettre sur
pied un Projet de Convention qui n’est qu’un cadre vide l.
Lorsque la Conférence du désarmement s’ouvre à Genève,
le 2 février 1932, va-t-elle enfin aboutir à des résultats plus
concrets? (( Dix-sept cents millions d’êtres humains sont
représentés ici, proclame M. Arthur Henderson dans le dis-
cours d’ouverture qu’il prononce devant deux cent cinquante
délégués venus des cinq continents. C’est le plus grand ras-
semblement international que l’on ait vu depuis la fin de la
...
guerre Le monde a besoin du désarmement; le monde veut
le désarmement ... J e refuse d’admettre un seul instant que
cette conférence puisse échouer, car son échec aurait des
conséquences si terribles que l’on n’ose pas y songer. n M. Tar-
dieu renchérit sur le délégué britannique : K Aujourd’hui,
déclare-t-il, l’opinion est fatiguée de tan t de réunions sans
effet. Le monde qui nous regarde nous crie : n’importe quel
engagement, même court, même limité, le plus simple qu’il
soit, pourvu qu’il soit réel; qu’il vive; qu’il s‘affirme substan-
tiel et générateur d’actes 2! N
Mais hélas, il apparaît bien vite que la Conférence du
désarmement ne procédera pas autrement que la Commission
préparatoire. Sa procédure et ses méthodes de discussion
sont demeurées les mêmes. Aucun des problèmes qui para-
lysaient les travaux des experts en 1931 n’est résolu, e t
1. Voir vol. II, le chapitre XXIII, et particulièrement p. 367.
2. Diacours de M. Tardieu, le 8 février 1932.
L’ADIFICATION DU I I I ~REICH 123
depuis lors est venue s’y greffer une foule de problèmes nou-
veaux.
Vingt-six pays étaient représentés à la Commission pré-
paratoire. Cette fois-ci, ils sont soixante-deux, y compris les
U. S. A. et 1’U. R. S. S.,ce qui n’est guère fait pour accélé-
rer les discussions, puisque i’accord final doit tenir compte
de la situation géographique et des conditions spéciales de
chaque É t a t 1. De plus, les soixante-deux délégations à la
Conférence représentent des gouvernements responsables.
I1 leur faut donc commencer par réviser tout le travail
accompli pendant six ans par les experts irresponsables.
C’est sedernent ensuite qu’ils pourront aborder les problè-
mes proprement dits. Enfin, les armements se sont tellement
perfectionnés a u cours des dernières années, .que l’on peut
affirmer sans exagération qu’il y a plus de différence entre
les armements de 1932 e t ceux de 1918, qu’entre ceux de
1918 et ceux de 1914 2.
On a été tenté de rire des atermoiements et des ajournements
de la Commission préparatoire. L’agitation stérile des six
délégués accouchant, au bout de six ans, d’un texte vide et
dont par surcroît toutes les clauses sont facultatives, aurait
pu servir de scénario à une comédie de Molière. A présent,
quand on suit les travaux de la Conférence elle-même, l’envie
de rire vous passe. Le cœur se serre quand on feuillette
l’une après l’autre les pièces du dossier, car de ce monceau
de projets e t de déclarations contradictoires s’élève, tou-
jours plus distinct, le spectre de la guerre. Au terme de
cette farce, il y a une tragédie - car il y a toujours une
tragédie a u bout de la bêtise humaine.

1. Article 8 du Pacte de la S. D. N.
2. Cf. L’Europe nouvelle, numéro spécial du 18 mai 1925, p. 470. La vitesse
des avions de chasse est passée de 220 à 400 kilomètres; leur plafond, de 6.000
à 11.000 mètres. La charge des avions de bombardement est passée de 500 à
2.400 kilos, leur vitesse de 125 à 350 kilométres, leur plafond de 3.000 à 9.000 mètres.
L’armement des avions est passé de 2 mitnailleuses à 8 et comporte même des
canons mitrailleurs. L‘effet explosif des bombes est de plus en plus rasant. Les
matières incendiaires qu’elles contiennent sont pour ainsi dire inextinguibles.
La vitesse des chars qui était de 4 à 12 kilomètres à la fin de la guerre, a été
portée à 40, 50 et même à plus de 100 kilomètres pour certains modèles. Ils pesaient
10 à 20 tonnes en 1918. Maintenant on en construit de 90, de 100 et de 120 tonnes.
Les canons tiraient en moyenne A 25 kilomètres. Maintenant leur portée atteint
60 e t jusqu’à 120 kilomètres, etc.
124 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Par quel glissement imperceptible les choses en sont-elles


arrivées là?
Après s’être réunie en Assemblée plénière, sous la prési-
dence de M. Arthur Henderson, la Conférence se divise en
plusieurs commissions. La Commission générale, qui com-
prend, comme son nom l’indique, les représentants de tous
les É t a t s qui participent à la Conférence; la Commission
politique,.qui s’occupe de toutes les propositions concernant
plus spécialement les accords juridiques internationaux e t la
sécurité; à cette Commission est rattaché un Comité de
désarmement moral, chargé d’étudier les questions d’ordre
intellectuel, pédagogique, artistique (sic), etc. Le bureau de
ce Comité est le même que celui de la Commission générale;
de sorte qu’il est également présidé par M. Henderson.
A côté de cette Commission siègent la Commission ter-
restre, la Commission navale, la Commission aérienne, la
Commission des dépenses de la défense nationale, aidées par le
Comité des effectifs, et le Comité des armes chimiques et bacté-
riologiques spécialisés (( dans les questions de définition D.
Enfin, elles ont à leur disposition un certain nombre de
Sous-comités techniques, auxquels elles confient l’étude de
tel ou tel point particulier.
La Conférence commence par reprendre le projet de
Convention là où l’avait laissé la Commission préparatoire.
Les délégués exposent tour à tour le point de vue de leur
pays. Pour les uns, le projet de Convention est une base;
pour les autres, c’est un cadre. Mais que signifie cette dis-
tinction subtile?
(( Avant tout, réduction »,déclare la Norvège. (( Réduction

proportionnelle »,répliquent les États-Unis. (( Réduction


subordonnée a u développement de la sécurité »,précisent
la Yougoslavie, la Pologne, la Roumahie et la Tchécoslo-
vaquie qui, par la voix de M. Benès, démontre éloquemment
la nécessité d’un renforcement de la justice internationale.
(( Renforcement des sanctions »,plaide M. Yen, délégué de

la Chine. ((Égalité de droits entre toutes les nations e t


péréquation des forces aux niveaux les plus bas »,demande
M. Grandi, qui déclare que cette thèse est la règle d’or de la
politique mussolinienne. (( Réduction totale, par l’abolition
L’I~DIFICATION D U 1110 REICH 125
totale D, répète obstinément M. Litvinoff. (( Bref, résume
M. Tardieu au nom de la France, nous voulons un désarme-
ment obtenu par la limitation des armements, e t lié à l’en-
semble des devoirs que dicte le Pacte l. ))
Quant à l’Allemagne, sa position est un peu différente.
Pendant toute la durée de la Commission préparatoire,
elle a cherché à obtenir que les pays vainqueurs abaissent
leurs armements au niveau prescrit à l’Allemagne par le
traité de Versailles. Elle n’y est pas parvenue. A présent, ce
qu’elle réclame, c’est le droit d’élever ses propres armements
au niveau que la Convention finale accordera aux autres
membres de la S. D. N. Ce qu’elle demande, c’est Z’égalité
des droits. Elle n’admet pas que les membres de la Société
des Nations soient divisés en deux catégories, ni que l’on
traite l’Allemagne en Puissance de second ordre, en lui
refusant des droits officiellement reconnus à des petits
États exotiques comme l’Abyssinie, Haïti, ou la République
du Honduras.
- Nous sommes réunis ici, déclare M. Nadolny, délégué
du Reich, pour élaborer une Convention générale du désar-
mement. Cet accord doit être valable pour tous, e t par
conséquent aussi pour l’Allemagne. Comment pourrait-il
en être autrement, puisque l’Allemagne est membre de la
S. D. N., e t membre à part entière? L’article 8 du Pacte
doit s’appliquer à elle, comme à tous les autres membres.
La Conférence n’admettra sûrement pas que des pres-
criptions spéciales, différentes de celles du Pacte, soient
appliquées à certains membres de la Ligue, à l’exclu-
sion des autres ... E n conséquence, le gouvernement alle-
mand ne pourra accepter qu’une Convention dont les
clauses seront valables pour lui, comme pour tous les autres
États signataires 2.
- I1 serait prématuré, répond M. Henderson, de discuter
l’application de la Convention, avant d’avoir mis sur pied la
Convention elle-même. Commençons par examiner s’il ne
serait pas possible d’interdire certaines catégories d’armes
particulièrement dangereuses.

1. Propositions françaises (6 février); discours de M. Tardieu ( 8 février): p r o p


aitions américaines (9 février); propositions chinoises (10 février): propohitions
tchèques et polonaises (11 février):propositions italiennes (10 février); propositions
roumaines e t yougoslaves (17 février).
2. Déclarations de M. Nadolny, le 18 février 1932.
126 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

La Conférence s’oriente alors vers la notion qu’une distinc-


tion est possible entre les armes spécifiquement défensives
et les armes spécifiquement offensives. C’est ce que l’on a
appelé (( le désarmement qualitatif D. Ayant adopté cette
classification, la Commission générale décide, le 22 avril,
de charger les commissions compétentes
d’examiner la série des armements de terre, de mer et d‘air,
en vue de déterminer les armes qui ont les caractères les plus
spécialement offensifs, ou qui ont le plus d’efficacité dans le
domaine de la défense nationale, ou qui sont les plus menaçantes
pour les populations civiles 1,

Puis elle se sépare pour les vacances de Pâques.


t
* *
Sitôt après les vacances, les Commissions techniques se
mettent au travail. Dès le début, l’Allemagne déclare qu’il
est inutile de perdre son temps, car le travail de discrimina-
tion a déjà été fait par le traité de Versailles. Si l’on a inter-
dit au Reich de posséder une aviation militaire, de l’artillerie
lourde, des chars d’assaut et des sous-marins, c’est apparem-
ment que l’on a considéré ces armes comme étant par excel-
lence des armes offensives. Les autres Puissances n’ont donc
qu’à prendre modèle sur le Traité, e t à les supprimer à leur
tour. L’Angleterre, l’Italie e t 1’U. R. S. S. se montrent favo-
rables à cette thèse. Mais pas les délégués de la France et de
la Petite Entente, qui demandent que la qualification des
armes fasse l’objet d’un nouvel examen. Les discussions
se poursuivent donc au sein des Commissions: elles abou-
tissent bientôt à une confusion totale.
E n ce qui concerne l’artillerie, la Commission terrestre
conclut que (( toute artillerie peut être utilisée pour des
fins offensives et défensives à la fois a n, ce qui est l’évidence
même. Toutefois, les canons les plus offensifs sont ceux dont
le calibre dépasse 250 mm. La Commission distingue ensuite
1. RQsolutionde la Commission générale, le 22 avril 1932.
9. En 1460, un Concile s’était tenu au Vatican pour interdire l’emploi de l‘ar-
tillerie, alors naissante, et excommunier les princes qui se serviraient I de cette
@ m e barbare, contraire aux rbgles de l’honneur militaire D. Mais certains cardi-
,aaux ayant objecté qu’en cas de guerre contre les Infidèles, l’artillerie pouvait
6tre utile h la propagation de la Foi, le Concile ne sépara nana avoir rien décidé.
L’ÉDIFICATION D U 1110 REICH 127
une deuxième catégorie comprenant les pièces allant de
100 à 250 mm., mais sans arriver à se mettre d’accord sur
la nature de cette catégorie, ni même à indiquer a id e s s o u s
de quel calibre les canons possèdent un caractère exclusive-
ment défensif. (( Cette notion, constate gravement la Commis-
sion, est toute relative e t dépend de l’ensemble des moyens
d’action mis en œuvre par chaque belligérant. ))
La discussion est encore plus vive sur les véhicules blindés.
Une première difficulté surgit au sujet de l a différence à
établir entre les chars d’assaut et les automobiles blindées.
Le Sous-Comité d’experts, consulté à ce sujet, déclare (( qu’on
ne peut établir sur ce point aucune distinction technique
précise ».
‘Les délégués de 1’U. R. S. S., de l’Allemagne, de l’Italie,
de l’Autriche, de la Hongrie et des Pays-Bas, entre autres,
affirment que toutes les catégories de chars sont à classer
parmi les armes offensives les plus dangereuses.
L’Angleterre, l’Espagne et certains petits État s déclarent
que (( le degré d’offensivité de ces engins est proportionné
à leur poids »,e t qu’il faut établir trois catégories : les chars
de moins de 10 tonnes; ceux de 10 à 25 tonnes; enfin ceux
dont le poids excède 25 tonnes. Cette dernière catégorie
serait (( tellement offensive )) qu’il conviendrait de l’abolir
totalement et immédiatement.
La France soutient au contraire qu’en dehors des chars de
plus de 70 tonnes, il n’existe aucune raison technique per-
mettant d’affirmer que les véhicules blindés soient plus spéci-
fiquement offensifs que tout autre moyen de combat.
Les points de vue s’affrontent plus vivement encore au
sein de la Commission navale. Aucun accord ne peut se
faire ni sur les bâtiments de ligne, ni sur les porte-avions, ni
sur les sous-marins.
Mais c’est à la Commission aérienne que la confusion
atteint son comble. Les experts n’arrivent même pas à défi-
nir les types d’avions. Pour obtenir un résultat pratique, il
faudrait commencer par interdire toute l’aviation militaire,
et contrôler toute l’aviation civile.
Alors, pour sortir de l’impasse du désarmement qualitatif,
M. Tardieu propose d’aborder le problème sous un autre
angle.
- Qu’est-ce qu’une arme offensive? demande-t-il avec
autorité. Plutôt qu’entre armes offensives et défensives, il
128 HISTOIRE DE L’ARMSEALLEMANDE
faut distinguer entre l’agression, qui est une attitude poli-
tique, et l’offensive qui est un mode d’emploi des armements.
Toute arme peut devenir offensive si on l’emploie dans une
pensée d’agression. Ce qu’il faut limiter, ce sont les possi-
bilités d’agression, en dotant la Société des Nations de forces
internationales qui lui permettront d e châtier promptement
l’agresseur.
Mais ce raisonnement se heurte à un certain nombre d’ob-
jections. D’abord, il faudrait savoir ce que l’on entend par
l’agresseur; or, aucune définition de ce terme n’a pu encore
être donnée. Ensuite, il suppose résolue la question épineuse
des sanctions contre l’agresseur, et sur ce point la plupart
des Etats se montrent fort réticents. Enfin, il fait intervenir
la pensée d’agression, ce qui oriente le problème vers un plan
psychologique où toute discussion devient impossible, car
aucune Puissance ne permet que l‘on mette en doute ses
intentions pacifiques.
- Ou bien les armements représentent une menace pour la
paix, et alors ils la représentent chez tous les États, fait
remarquer le délégué italien; ou bien ils ne sont pas une
menace de guerre, e t alors ils ne menacent personne. Dans
ce cas il n’y a plus qu’à dissoudre la Conférence...
Force est donc de renoncer à la thèse de M. Tardieu.
((Au bout de cinq mois de débats embrouillés e t pénibles
poursuivis dans une atmosphère où l’on respire toute autre
chose que la sincérité, la confiance et l’enthousiasme 1 »,
la Conférence n’a pas encore fait un seul pas en avant. C’est
alors (22 juin) que M. Gibson, délégué des Gtats-Unis,
présente, au nom du président Hoover, un plan où se trouvent
liés pour la première fois les problèmes du désarmement
terrestre, naval et aérien :
10 A u point de vue terrestre: réduction d‘un tiers des effectifs
chaque pays ayant droit, par ailleurs, à une force de police
proportionnelle à la moyenne allouée à l‘Allemagne par les traités
de paix. Suppression totale des chars d’assaut et de l’artillerie
lourde;
20 ALL point de vue naval :suppression d‘un tiers d u tonnage et
d u nombre des cuirassésy d’un quart d u tonnage des porte-avions,
des croiseurs et des contre-torpilleurs, d‘un tiers d u tonnage
des sous-marins. Extension d u traité de Londres a m forces
navales françaises et italiennes;
1. L’Europe nouucUe, numéro du 30 juillet 1932, p. 923.
L’BDIFICATION DU I I I ~REICH 129
30 Au point de vue aérien :suppression de tous les avions de
bombardement et interdiction de tout bombardement aérien.

-Je tiens à souligner, fait remarquer M. Gibson, la


grandeur des sacrifices auxquels consentirait mon pays si
ce plan était adopté, car il l’obligerait à détruire plus de
300.000 tonnes de vaisseaux, plus de 1.000 pièces d’artille-
rie lourde, 900 chars de combat e t 300 avions de bombarde-
ment.
Cette déclaration cause à peine moins de stupeur que le plan
de désarmement total proposé par M. Litvinoff en novembre
1927 l. Seulement cette stupeur se manifeste d’une façon
plus nuancée, en raison deJ’autorité qui s’attache à la
personne du président des Etats-Unis. La Conférence est
mise en quelque sorte au pied du mur. I1 faut qu’elle dise si,
oui ou non, elle est prête à quitter le domaine des fictions, pour
descendre a u plan des réalités.
L’Allemagne et 1’U. R. S. S. saluent la proposition Hoover
avec enthousiasme. L’Italie fait savoir, par la voix de
M. Grandi, (( qu’elle accepte le plan américain dans toutes
ses parties e t que cette acceptation est entière e t sans
réticences 2. 1) Mais l’Angleterre se tait et réserve son juge-
ment. Supprimer un tiers de sa flotte ne lui sourit guère. Par
contre, elle ne voudrait pas heurter de front l’opinion amé-
ricaine. Ce sera donc le délégué français qui sera chargé
d’écarter ce brûlot dangereux, en noyant le plan Hoover sous
des flots d’éloquence.
- La simplicité séduisante de ce plan, déclare-t-il, ne
tient pas sufrisamment compte de la complexité des pro-
blèmes ... I1 ne faudrait pas le prendre comme un bloc qui
s’impose, mais comme base de discussion ... Plusieurs de ses
dispositions demandent certains correctifs. L’application
d’un barême uniforme à tous les États pourrait comporter
certaines injustices ... D’autre part, les réductions d’arme-
ments doivent rester liées à l’organisation de la sécurité
interna tionale. ..
C’est, avec toutes les précautions d’usage, une fin de non-
recevoir polie. (( A Genève, disait un délégué, les fleurs ont
toujours une odeur d’enterrement. N
Pourtant, les grandes vacances approchent. La Confé-
1. Voir vol. II, p. 360.
2. Déclarations de M. Grandi, le 22 juin 1932.
III 9
130 HISTOIRE D E L’ARMhE ALLEMANDE

rence n’ose pas se séparer sur des résultats aussi minces.


M.Benès est donc chargé, en tan t que rapporteur, de rédi-
ger une résolution qui, tout en contenant une allusion
aimable au plan Hoover, soit en même temps acceptable
pour tous les pays. L’Allemagne s’efforce en vain d’y faire
insérer une phrase qui lui reconnaisse explicitement l’égalité
des droits. Après plusieurs journées de pourparlers laborieux,
le texte suivant est soumis à l’approbation des délégués :
La Conférence pour la réduction et la limitation des arme-
ments,
Profondément persuadée que l’heure est venue pour toutes
les nations d’adopter des mesures substantielles et étendues en
vue du désarmement, pour consolider la paix du monde, hâter
la reprise économique et alléger les charges financières qui
pèsent actuellement siir tous les peuples,
Décide dès maintenant et à l’unanimité, en s’inspirant des
principes généreux qui sont à la base de la proposition Hoover :
10 Qu’il sera effectué une réduction substantielle des arme-
ments mondiaux qui devra être appliquée dans son ensemble
par une Convention ginérale, a u x armements terrestres, navals
et aériens;
20 Qu’un but essentiel à atteindre est de réduire les moyens
de l’agression.
Suivent, dans des (( Conclusions annexées », une série
de mesures susceptibles d’être incorporées plus tard à la
Convention générale, mais (( sans préjuger en rien de l’atti-
tude ultérieure de la Conférence vis-à-vis de mesures de
désarmement plus étendues ».
Quand la plupart des délégués prennent connaissance
de ce texte, ils ont peine à cacher leur déception. M. Gibson,
en particulier, regrette que la résolution n’accepte pas d’une
façon plus nette les dispositions d u plan Hoover l.
- La délégation italienne, déclare le général Balbo, après
avoir fait des efforts sincères et inlassables en vue de faire
triompher des principes qui, dans le cadre général des arme-
ments, auraient permis à la Conférence d’atteindre des
résultats positifs, se voit dans l’obligation de déclarer que
cet effort a été vain ou que, de toute manière, il a été abso-
lument insuffisant par comparaison avec les vœux et les
espoirs du monde z.
1. Dkclaration de M. Gibson, le 23 juillet 1932.
2. Déclaration du gknéral Balbo, le 21 juillet 1932.
L’ÉDIFICATION DU III* REICH 131
M. Litvinoff, pour sa part, est encore beaucoup plus
net :
-Cette résolution, déclare le délégué de I’U. R. S. S.
causera une amère déception à toutes les personnes et à
toutes les organisations qui ont mis leurs espoirs de paix
dans la Conférence ... Bien que la résolution commence par
affirmer que l’heure est venue pour toutes les nations d’adop-
ter des mesures substantielles et étendues en vue d u désar-
mement e t pour consolider la paix du monde, la suite
du texte est la négation absolue de cette affirmation. Elle
semble constituer, au contraire, la reconnaissance du fait
que les États représentés à la Conférence n’ont pas estimé
que l’heure fût venue d’adopter une seule mesure décisive
en vue du désarmement l.
Puis il se livre, point par point, à une analyse des (( conclu-
sions )), e t les démolit, l’une après l’autre, avec une ironie
cinglante.
Mais la plus grande sensation, sans conteste, est causée
par la déclaration d u délégué allemand.
- La Conférence est arrivée à un tournant décisif,
constate M. Nadolny. Pendant des mois, les peuples du
monde entier ont suivi, pleins d’étonnement, le curieux
spectacle de ses travaux. Ils ont v u passer devant eux une
multitude de propositions, de suggestions, de discussions
compliquées, sans apercevoir le moindre résultat tangible ...
L’opinion publique ne comprend pas, j’en suis sûr, les lenteurs
dans lesquelles cette Conférence s’est si souvent perdue. E n
tout cas, elle est d’avis que l’ère des échanges de vues, des
préparatifs et des travaux préliminaires doit maintenant
être close et que celle des réalisations doit enfin commencer.
I1 faut donc se demander si la résolution que nous avons
sous les yeux est de nature à inaugurer cette période. J’avoue
qu’elle ne m’inspire pas beaucoup d’espoir ... Dans ces
conditions, il nous est impossible d’accepter la résolution
qui nous est soumise, et mon gouvernement m’a chargé de
faire la déclaration suivante :
Le gouvernement allemand est prêt ci collaborer aux tra-
vaux de la Conférence du désarmement pour contribuer de
toute sa force aux efforts faits en vue de réaliser un pas réel-
lement décisif vers le désarmement général, au sens de l’ar-
1. Déclaration de M. Litvinoff, le 21 juillet 1932.
132 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

ticle 8 du Pacte. Cependant, sa collaboration n’est possible


que si les travaux ultérieurs de la Conférence se poursuivent
sur la base d’une reconnaissance claire et nette de l’égalité
des droits entre les nations.
Le gouvernement allemand doit faire remarquer dès aujour-
d’hui, qu’il ne peut s’engager à continuer sa collaboration dans
le cas où une solution satisfaisante de ce point décisif pour
l’Allemagne ne serait pas intervenue d’ici la reprise des tra-
vaux de la Conférence l.
Quarante-huit heures plus tard, la délégation allemande a
quitté Genève.
*
* *
Que l’Allemagne refuse d’être traitée en nation de second
ordre et qu’elle enrobe ses revendications dans des considé-
rations d’ordre juridique, il n’y a là, en somme, rien de
très surprenant.
Mais en regardant au fond des choses, on s’aperçoit que la
lutte pour l’égalité des droits n’est pas seulement dictée par
des motifs d’amour-propre national, mais aussi par les plans
de réorganisation de la Reichswehr auxquels travaillent
depuis quelque temps les généraux de la Bendlerstrasse.
Esquissé par Seeckt e t remanié par Hammerstein 3, le
plan allemand est conçu de manière à ne pas heurter de
front les clauses militaires du traité de Versailles. Le prin-
cipe de l’armée de métier sera maintenu, - I’etat-Major
allemand ne tenant pas, pour le moment du moins, à réta-
blir la conscription 4, -mais le temps de service sera ramené
de douze ans, à six ou même à quatre. Les effectifs seront
accrus de cinquante mille hommes environ, choisis parmi
les associations patriotiques 5, cette augmentation étant
justifiée par la réduction d u temps de service et la nécessité
de maintenir l’ordre en période de crise. Enfin, les unités
1. Déclaration de M. Nadolny, le 22 juillet i932.
2. Dans un discours prononcé à Magdebourg, le 4 septembre 1931, le génhral
von Seeckt préconisait la création d‘une armée de 200.000 hommes, faisant six ans
de service et renforcée par un cadre spécial de 20.000 officiers et sous-officiers
instructeurs, chargés d’établir la liaison entrel’armée active et les réserves. Appuyée
par les 150.000 hommes de la police de sûreté, cette armée serait sufGsante, selon
lui, pour assurer, en temps de pGx, la sbcurité du Reich.
3. Cf. L’Europe nouvelle, numéro du 27 août 1932,p. 1020.
4. Voir vol. II, p. 385.
5. Voir plus haut, p. 45.
L’I~DIFICATION DU 11x0 REICH 133
seront dotées d’un armement plus moderne que ne le per-
met le traité de Versailles - chars d’assaut, artillerie lourde
e t avions - le tout en quantités limitées.
Mais cette réorganisation de la Reichswehr n’est réalisable
qu’avec la reconnaissance préalable de l’égalité des droits.
I1 est donc impérieux pour l’Allemagne de faire préciser par
les Alliés que la Convention de désarmement s’appliquera
à elle comme a ux autres, et se substituera automatiquement
a u x clauses militaires contenues dans la partie V du traité
de Versailles l.
A cet effet, M. von Neurath, ministre des Affaires étran-
gères du Reich, adresse le 29 août, une note a u gouverne-
ment français qui répète, sous une forme résumée, l’ensemble
de la thèse allemande :
10 Les décisions prises par la Conférence d u désarmement
n’ont aucune signification pour L’Allemagne, du fait que l a rèso-
lution du 22 juillet laisse complètement à l’écart la question de
savoir s i elles s’appliqueront aussi a u Reich.
20 La Convention d u désarmement élaborée par la Conférence
doit remplacer, pour l‘Allemagne, la partie V d u Traité qui
deviendra caduque.
30 L’Allemagne demande l’igalitè des droits militaires, c’est-
à-dire le droit de décider elle-même le statut de l’armée dont elle
a besoin pour assurer sa sécurité. A g i r autrement serait la main-
tenir dans la position de nation subalterne.
40 L’Allemagne est prête à renoncer à toutes les armes aux-
quelles les autres Puissances renonceront également.

L’opinion italienne, anglaise e t une grande partie de l’opi-


nion américaine se montrent favorables à cette argumen-
tation. Mais pas l’opinion française qui voit, dans la demande
allemande, une manœuvre destinée à légitimer son réarme-
ment. Si les problèmes politiques pouvaient se ramener à des
vérités absolues, il serait facile de les résoudre. Mais comme
le remarque très justement Henri Lichtenberger, (( il n’existe
sur ces redoutables questions aucune vérité universelle-
ment admise, e t chacun reste sur ses positions, qui varient
de pays à pays 1).
Pour les Allemands, (( l’égalité des droits 1) est une demande
1. Cf. Les declarations du ministre de la Reichswehr au Ncw York Times, le
8 août, et au Resto del Carlino, le 31 août 1932.
2. Henri LICETENBEIRGZR, L’AUemagne nouoeuS, p. 109.
134 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

si solidement fondée qu’elle ne souffre pas la moindre dis-


cussion. Pour le gouvernement français elle est une entorse
grave aux stipulations du Traité, et en particulier aux
clauses militaires qui sont une des garanties essentielles de
sa sécurité. Or, la France en a assez de voir s’en aller en
fumée les fruits de sa victoire e t de constater que chaque
concession faite à l’Allemagne sert de point de départ à
une revendication nouvelle. Aussi le gouvernement français
répond-il à M. von Neurath, le 11 septembre, par une
note assez sèche, qui oppose à l’argumentation allemande
le texte du Traité :
10 L a doctrine française a pour centre et pour point d’appui
l’article 8 d u Pacte, spécifiant que le maintien de la p a i x exige
l a réduction des armements et qu’il faut tendre vers un désar-
mement général, non vers des réarmements partiels.
20 L a partie V d u Traité doit rester intangible. I l ne se trouve
ni dans le Traité, ni dans le Pacte, aucune clause suivant laquelle
une limitation générale des armements devrait entraîner l a cadu-
cité des stipulations de caractère permanent inscrites dans le
Traité.
30 Toute la question reste domi@e par l’article 164 d u Traité
q u i stipule :u L’Allemagne déclare s’engager dès à présent pour
l’époque où elle sera membre de l a S. D. N . à ce que l’armement
f i é dans les tableaux annexes ne soit pas dépassé, et reste sujet
à être modifié par le Conseil de la Société des Nations, dont elle
s’engage à observer strictement les décisions à cet égard. n
40 E n conséquence, l a S. D. N . est seule compétente pour
régler ce débat. La France ne peut rien à elle seule, et les conver-
sations séparées sont inutiles et sans objet.

L’opposition entre les deux thèses paraît donc absolue.


Cependant, aussi solidement fondée qu’elle soit en droit,
la position française se heurte à certaines dificultés pratiques.
Si les travaux de la Conférence ne doivent avoir aucune
répercussion sur le statut militaire de l’Allemagne, pourquoi
tient-on tant à ce que l’Allemagne y participe? Ne serait-il
pas plus logique que les autres Puissances se mettent d’ac-
cord sans l’Allemagne, quitte à lui notifier ensuite les résul-
tats acquis?
C’est impossible, répondra-t-on, parce que l’Allemagne
étant membre de la Société des Nations et disposant d’un siège
permanent au Conseil, elle jouit des mêmes droits que les
autres membres de la Ligue e t ne peut être écartée de la
L’ÉDIFICATION D U 1110 REICH 135
table des conférences. Mais alors, comment concilier les
droits entiers que le Reich possède en tan t que membre de la
Ligue avec les restrictions que lui impose le traité de Ver-
sailles, e t pourquoi l’a-t-on fait entreràla Société des Nations?
C’est que l’Allemagne y a été admise à la suite de la Confé-
rence du 12 décembre 1927, à l’issue de laquelle il avait été
décidé de mettre fin à l’activité de la Commission militaire
de contrôle e t où, sans donner au Reich un quitus explicite
et définitif, les délégués de la France, de l’Angleterre, de la
Belgique, de l’Italie e t du Japon, n’en avaient pas moins
reconnu que le Reich avait satisfait, dans ses grandes lignes,
aux prescriptions du désarmement.
Mais pourquoi, objectera-t-on encore, a-t-on donné ce
satisfecit à l’Allemagne, puisqu’on semble décidé à n’en
tenir aucun compte?
C’est que la question du désarmement n’était pas, à cette
époque, le seul facteur de la situation. Ce n’en était même
pas le facteur essentiel. Le plan Dawes, élaboré à la suite
de l’échec de l’occupation de la Ruhr, tendait à reconstruire
l’édifice économique du continent, e t cette reconstruction
- désirée e t ratifiée par les Alliés - ne pouvait s’effectuer
qu’avec la collaboration de l’Allemagne.. Force avait donc
été d’admettre le Reich à Genéve ...
Entre le plan Dawes qui vise à recréer un équilibre euro-
péen, et le maintien rigoureux du traité de paix, qui divise
l’Europe en deux camps inégaux, la diplomatie française
hésite, prise dans un réseau de contradictions qui rendent
son argumentation de jour en jour plus fragile.
Le 14 septembre, M. von Neurath adresse à M. Henderson
une lettre où il lui fait savoir (( que l’Allemagne ne pourra
pas reprendre sa place à la Conférence aussi longtemps que
la question de l’égalité des droits n’aura pas été résolue n.
Le 28 septembre s’ouvre à Genève la XIIIe session de
l’Assemblée de la S. D. N. Cette ouverture a lieu (( sous un
ciel lugubre e t dans une atmosphère encore plus mate et
plus morne que le ciel d’automne ou les eaux du lac. Les
délégations sont en général peu nombreuses et s’observent les
unes les autres, La plupart des délégués gardent un silence
méfiant ou s’entretiennent à mi-voix comme dans les couloirs
d’une clinique. Les tribunes du public sont mal remplies I).

1. L’Europe nouvelle, numbro du 11 octobre 1932, p. 1171.


136 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

C’est qu’il y a un moribond derrière les portes d u palais d u


quai Wilson : c’est la Conférence d u désarmement qui ago-
nise e t dont les relents de décomposition empoisonnent
l’atmosphère.
Pourtant il faut faire quelque chose pour sortir de cette
impasse. Les délégués de l’Angleterre et de l’Italie font
pression sur la France pour l’amener à prendre une attitude
(( plus réaliste 1). Celle-ci finit par céder devant l’insis-
tance de sir John Simon et d u baron Aloïsi. Le 11décembre,
un communiqué officiel reconnaît e n principe l’égalité des
droits à l’Allemagne, quitte à en discuter à la Conférence
les modalités d’application l. Sur la base de cette déclaration,
l’Allemagne fait savoir qu’elle est prête à reprendre sa place
à la Conférence d u désarmement.
- I1 n’y aura plus désormais deux poids et deux mesures
dans la question des statuts militaires, mais un seul droit
égal pour tous, déclare M. von Neurath dans son discours
du 21 décembre. La Convention de désarmement élaborée
par la Conférence nous sera applicable comme à toutes les
autres Puissances e t remplacera la partie V du traité de
Versailles. Gardons-nous cependant de crier victoire, car
les modalités d’application de l’égalité des droits restent
encore à définir.
C’est là le point délicat. La déclaration d u 11décembre n’a
fait que clore la première phase des débats. La deuxième
phase commence.

L *

Lorsque la Conférence d u désarmement reprend ses tra-


vaux - en présence de la délégation allemande - la situa-
tion en Europe s’est profondément transformée. Hitler est
devenu Chancelier du Reich. L’explosion d’orgueil national
1. Déclaration du 11 décembre 1932 :
01 Les Gouvernements d u Royaume-Uni, de la France et de l’Italie ont déclaré que
l’un des principes qui devaient servir de guides à la Conférence d u désarmement
devait être l’octroi à l’Allemagne ainsi qu’aux autres Puissances désarmées par Is
Traité, de l’égalité des droits dans u n régime qui comporterait pour toutes les nations
la sécurité, et que ce principe devrait irouver son expression dans la Convention qui
contiendra les conclusions de la Conférence d u désarmement. Cette déclaration implique
que les limitations respectives d’armements de tous les États devraient être inscrite9
dans la Convention de désarmement envisagée.
u Il est clairement entendu que lea modalités d’application d’une felle égalité des droits
raient à discuier à lor Conférence. I
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 137
qui a accompagné son arrivée au pouvoir et la montée verti-
gineuse des Sections d’Assaut, appuyées sur les doctrines
belliqueuses de M e i n K a m p f - dont les passages violem-
ment antifrançais ne sont pas passés inaperçus - n’ont
nullement contribué à détendre les esprits. Tenus en haleine
par une presse qui ne cache pas son hostilité à l’égard du
fascisme (le moment n’est pas loin où Paul-Boncour traitera
Mussolini de (( César de Carnaval D), les Parisiens s’attendent
chaque soir à être réveillés par le grondement des bombar-
diers allemands. Sans doute ces craintes sont-elles prématu-
rées. Elles n’en trahissent pas moins une véritable psychose
d’angoisse. De sorte que les délégués se réunissent à Genève
dans une atmosphère chargée de méfiance et d’appréhen-
sion.
M. Norman Davis, le délégué américain, prend la parole
le premier, pour lire un Message de Paix que Franklin
Roosevelt vient d’adresser au monde :
- L’heure est grave, proclame le Président des États-
Unis. Ou bien le monde réussira à bannir le spectre de la
guerre, ou bien il s’orientera vers un nouveau conflit géné-
ralisé. Le seul moyen de l’éviter est un accord large e t sin-
cère sur le désarmement. Cet accord ne peut être réalisé que
par une réduction générale et substantielle des armements
existants. Puisse Dieu bénir vos travaux, et vous guider
dans la voie qui mène à la prospérité et à la paix.
Après quoi, les délégués se remettent au travail. Dès leur
première séance, ils se trouvent placés devant un certain
nombre de plans, élaborés depuis la session précédente, par
l’Amérique, la France et l’Angleterre.
Le plan américain consiste à inscrire dans un ((Arrangement
provisoire 1) les résultats acquis le 23 juillet 1932. Ceci
fait, on nommera une Commission permanente qui se substi-
tuera pendant trois ans à la Conférence du désarmement.
Elle comprendra soixante-deux membres (soit un par État)
et étudiera d’une part la question de l’égalité des droits, de
l’autre celle de la sécurité. Quand elle aura réussi dans son
travail, on convoquera de nouveau la Conférence. Mais
lorsqu’on demande à M. Davis de préciser ce qu’il entend
par les (( résultats acquis le 23 juillet I), il reprend une à une
les dispositions du plan Hoover. Or, la Conférence a déjà
marqué son peu d’empressement à adopter les solutions
préconisées par l’ancien Président des Etats-Unis.
138 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

Le (( plan français n, ou plan Herriot, se fonde sur d’autres


principes :
IO Les forces terrestres destinées à la défense des frontières
métropolitaines des États de l’Europe continentale seront rame-
nées à un type général uniforme - celui d’une armée nationale
de service à court terme et à effectifs limités, ne se prêtant pas d
une offensive brusquée.
20 Les effectifs professionnels ou servant à long terme (instruc-
teurs, spécialistes et cadres), seront délimités sur des bases
communes et e n rapport avec les effectifs de ces armées.
30 L’effectif des polices métropolitaines, à caractère militaire
et notamment celles qui sont encasernées, sera limité suivant une
base de calcul commune à tous les h a t s signataires.
40 L’artillerie lourde et les chars d’assaut à grande puissance
seront interdits.
50 I l sera réalisé p e u à peu entre les Puissances contractantes
une modification des matériels de guerre, leur fabrication étant
contrôlée et organisée internationalement.
60 I l sera organisé entre les Puissances contractantes un
contrôle régulier et permanent de l’exécution de leurs obligations
concernant leurs armements. Ce contrôle comportera une investi-
gation a u moins une fois par an.
70 Ce système sera instauré par étapes successives, dont le
délai reste à f i e r .

Ce plan qui tend à remplacer la Reichswehr par une milice


à court terme - formule considérée comme étant moins
offensive qu’une armée de métier - rappelle le projet
initial du Maréchal Foch à la Conférence de Paris l, et
peut-être eût-il apporté la paix au monde si o n l’avait inscrit e n
1919 d a n s le traité de Versailles. Mais venant en 1933, il
n’a qu’un seul défaut : c’est d’arriver quatorze ans trop tard.
I1 offre en outre deux inconvénients graves. A l’heure où
les États sont pressés d’aboutir, il rejette les réalisations
concrètes dans un avenir indéterminé; ensuite, il soulève
la question épineuse du contrôle international, dont per-
sonne, à vrai dire, ne veut entendre parler.
Pour éviter cet écueil et donner à la Conférence une
nouvelle impulsion, M. Mac Donald soumet à son tour
un (( plan britannique D, qu’il a longuement discuté avec
les membres de son Cabinet, e t notamment avec son ministre
des Affaires étrangères, sir John Simon. Celui-ci estime qu’il
1. Voir vol. I, p. 312 e t 8.
L’EDIFICATION DU 1118 REICH 139
conviendrait de faire une concession à l’Allemagne, pas
trop grande évidemment, mais une soupape de sûreté sus-
ceptible de dégonfler certains arguments de sa propagande.
Lorsqu’il monte à la tribune, le 16 mars 1933, l’Assemblée
est réunie au grand complet. L’amphithéâtre du Palais
de la S. D. N. est plein à craquer. Les journalistes se pressent
aux tribunes, car on les a prévenus que l’intervention du
Premier britannique allait faire sensation. Leur attente ne
sera pas déçue. Au cours d’un discours d’une heure, bourré
de chiffres et de statistiques, M. Mac Donald expose les
grandes lignes de son plan.
L’Allemagne se verra a-ccorder le droit de doubler les
effectifs de la Reichswehr, en les portant à 200.000 hommes.
La France sera invitée à abaisser ses effectifs au même
niveau. Mais aux 200.000 hommes qu’elle conservera dans
la métropole s’en ajouteront 200.000 autres destinés à la
défense de ses colonies. L’Italie aura 200.000 hommes pour
sa métropole et 50.000 hommes pour ses possessions d’outre-
mer. La Pologne - dont la population est pourtant moitié
moins nombreuse que celle de l’Allemagne - aura droit elle
aussi à une armée de 200.000 hommes, la Tchécoslova-
quie à 100.000 e t 1’U. R. S. S. à 500.000. En additionnant les
forces de tous les pays alliés à la France, c’est-à-dire la
Pologne, la Belgique, et la Petite Entente, on arrive à un
total de 1.025.000 hommes, opposés aux 200.000 soldats
de la nouvelle Wehrmacht. Cette disparité se trouvera
encore accrue par le fait que l’Allemagne n’aura pas le
droit de posséder une aviation, tandis que la France sera
autorisée à disposer de 500 avions, la Pologne de 200, la
Belgique de 150 e t la Petite Entente (Tchécoslovaquie,
Yougoslavie, Roumanie) de 550
Ce plan, complété par un certain nombre de pactes
régionaux d’assistance mutuelle, pourrait être réalisé par
étapes, dans un délai de cinq ans.
La plupart des délégations l’approuvent sans réserves.
.L’Italie s’y rallie, quoique d’une façon plus réticente car
elle trouve trop élevé le nombre d’avions accordé à la Petite
Entente, et voudrait disposer d’un contingent colonial
plus élevé. Mais c’est vers Berlin que se tournent à présent
1. Le total des avions en service, à cette époque, dans ces différents pays s’élève à :
9.046 pour la France; 350 pour la Belgique; 700 pour la Pologne et 650 pour la
Tchécoslovaquie. ( ü t d i r t q W officieuna & la SockW dss N d w n t . )
140 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

les regards. Comment Hitler va-t-il réagir à ces proposi-


tions? Sans doute représentent-elles une concession à 1’Alle-
magne, mais elles sont encore loin de l’égalité des droits.
Le Führer va-t-il y acquiescer et se lier volontairement les
mains en entrant dans un réseau de pactes et de limitations,
ou va-t-il les repousser, au risque d’être acculé à un dange-
reux isolement?
Le 17 mai, Hitler réunit le Reichstag et répond à la fois
aux propositions de Mac Donald e t au message de paix du
Président Roosevelt. Son discours 4 est une acceptation
du plan britannique et une approbation sans réserve des
propositions de Roosevelt, qui offre de servir de garant a u
désarmement général.
- La réalisation du projet du Président des lhats-
Unis, à savoir l’intervention de la puissante République
américaine comme garante de la paix en Europe, appor-
terait de grands apaisements à tous ceux qui aspirent
sincèrement à la paix, déclare-t-il. Le gouvernement alle-
mand considère le plan britannique comme une base de
discussion acceptable pour la solution de ce problème ... Le
gouvernement allemand ne trouvera aucune interdiction
d’armer trop radicale, si elle s’applique sans distinction à
tous les pays I...
Ce discours est approuvé à l’unanimité par le Reichstag:
I1 n’est pas seulement l’objet de commentaires positifs de la
part du peuple allemand; il reçoit un accueil favorable à
l’étranger. M. Henderson, président de la Conférence du
désarmement prend note, avec satisfaction, du fait que
l’Allemagne n’entend pas parvenir à l’égalité des droits par
la seule élévation de ses propres armements, mais aussi par
une réduction des armements des autres ».Eden qualifie ce
discours (( de sérieux encouragement pour la Conférence N.
L’archevêque d’York estime (( que les propositions faites par
Hitler dans son discours du 17 mai sont une contribution
précieuse à l’instauration de la paix ». Quelques jours plus
tard, M. Norman Davis, représentant des États-Unis, prend
position à son tour :
- Le désarmement exige des concessions réciproques,
déclare-t-il. I1 n’aurait été ni juste ni sage de la part des
vainqueurs -
e t telles n’étaient d’ailleurs pas leur inten-

1. ID., ibid., p. 86-87.


L’ÉDIFICATION DU 1110 REICH 141
-
tion d’imposer pour toujours au x Empires centraux u n
régime spécial en matière d’armements. I1 a existé, e t il
existe toujours pour les autres Puissances signataires des
traités de paix, l’obligation correspondante de ramener leurs
propres armements par étapes successives, au niveau le plus
bas compatible avec les exigences de leur sécurité 1.
L’optimisme renaît. (( Le plan Mac Donald, déclare le
Manchester Guardian, a jeté comme un rayon de lumière dans
les ténèbres et la confusion où se débattait la Conférence.
Enfin, l’on entrevoit une issue à ces interminables dis-
cussions. D
I1 semble qu’un accord soit désormais possible. Va-t-on
en profiter pour mettre Hitler au pied du mur et l’obliger à
entrer dans un système international dont il lui sera d’au-
t a n t plus dificile de s’évader par la suite qu’il y aura libre-
ment e t volontairement souscrit?
Non. Car M. Paul-Boncour fait remarquer que ce plan
n’offre pas de garanties sufisantes pour la France. D’abord,
il ne tient aucun compte des dizaines de milliers de S. A. e t
de S. S. qui gravitent autour de la Reichswehr e t sont
susceptibles de lui fournir une masse de réserves instruites
en cas de mobilisation; ensuite, s’il évoque une limitatïon
des forces terrestres et aériennes, il passe complètement
sous silence le désarmement naval2; enfin il ne prévoit
aucune procédure de contrôle du désarmement.
- Qu’entendez-vous par contrôle du désarmement? lance
sarcastiquement le délégué soviétique. Personne n’a encore
désarmé. Attendez au moins qu’il y ait quelque chose à
contrôler!
Pourtant, M. Paul-Boncour s’obstine. Non seulement, il
maintient son point de vue, mais il finit par le faire préva-
loir, malgré les protestations des Anglais et des Italiens
qui attribuent son intransigeance à la volonté de ne faire
aucune concession à un régime fasciste. Ne sachant plus que
faire et craignant de voir s’évanouir toute possibilité d’ac-
cord, la Commission générale décide de charger un Comité
de rédaction de (( définir des méthodes de contrôle com-
patibles avec le respect des souverainetés nationales ».

1. John W. WHEELER-BENNETT, Documents on International Affaira, 1933


(Londres, 1934), p. 209.
2. Sur ce point, essentiel pour elle, l’Angleterre entend se réserver une entiere
liberte d’action.
142 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Mais qui ne voit que cette formule est une contradiction


dans les termes, puisque tout contrôle est, par définition,
une limitation du principe de souveraineté? Aussi ne faut-il
pas s’étonner si les membres du Comité de rédaction ne par-
viennent à s’accorder sur rien et s’ils sont obligés, pour
masquer leur échec, de remettre l’étude de la question à un
Sous-Comité de juristes.
Alors, le délégué de l’Allemagne se fâche,
- La question du contrôle est secondaire, déclare-t-il
d’un ton péremptoire, aussi longtemps qu’on n’aura pas
défini l’égalité des droits. Celle-ci a été accordée a u Reich,
en principe, par la déclaration du 11 décembre 1932. Or, rien
n’a été fait depuis lors pour préciser ses modalités d’exécu-
tion. L’Allemagne demande que l’on aborde immédiatement
cette question, que M. Henderson lui-même déclarait être
le problème capital de la Conférence dans sa note d u
18 septembre 1932. L’Allemagne demande que cette égalité
soit effective d’ici un an, faute de quoi elle reprendra sa
pleine liberté d’action l.
Les délégués sont abasourdis de voir soudain reparaître
une revendication qu’ils croyaient définitivement enterrée.
Voilà bientôt dix ans qu’ils tournent en rond, sans oser
regarder le vrai problème en face. Et chaque fois que 1’Alle-
magne remet sur le tapis la question qui est, effectivement, la
question capitale de la Conférence, c’est le même désarroi.
(( Convaincu qu’entre l’exigence pressante de l’Allemagne

de voir la Conférence discuter et reconnaître l’égalité des


droits e t la certitude qu’une telle discussion aboutirait à
un échec fatal a »,M. Henderson décide, le 29 juin, d’ajour-
ner la Conférence jusqu’au 16 octobre. Gagner du temps,
prolonger la discussion, c’est tout ce qu’il peut faire. Pour-
tan t nul ne s’y trompe : si à l’automne, la Conférence
aboutit à une nouvelle impasse, cette fois-ci ce ne sera
plus une déception. Ce sera le fiasco final.
*
+ 1

Lorsque, le 16 octobre 1933, la Conférence du désarme-


ment reprend une fois de plus ses travaux, une fois de plus
la situation a changé.
1. Dkclarations de M. Nadolny, le 5 juin 1933.
2. L’Europe nouvelle, numéro du 8 juillet 1933, p. 641.
L’ÉDIFICATION DU III* REICH 143
Le 10 avril, pour répondre à certaines attaques de la presse
étrangère, visiblement inspirées par les milieux de l’émi-
gration, Gœbbels a décrété le boycottage de tous les maga-
sins juifs. Du coup, la propagande antiallemande a redoublé
d’intensité. La S. D. N. a été saisie d’une foule de motions
de protestation 1. Les congrès sionistes, les ligues anti-
fascistes, les comités marxistes s’en sont mêlés. Ils n’ont pas
eu de peine à persuader les milieux dirigeants de Paris, de
Londres e t de Washington (( qu’en poursuivant la culture
e t la science, la liberté de conscience et la morale chrétienne
avec une fureur destructive de tout progrès, Hitler met en
péril les fondements mêmes de la civilisation n. Dans ces
conditions, négocier avec lui serait le pire des crimes. La
moindre concession qu’on lui ferait à Genève renforcerait
sa position, tandis qu’un n o n possumus précipitera sa chute.
Car son pouvoir n’est nullement aussi solide qu’il le pré-
tend. Déjà une sourde opposition se manifeste dans son Parti;
déjà des rivaux fourbissent leurs armes et sepréparent à l’évin-
cer. Certains esprits bien informés assurent même que sa
fin est proche. Les derniers Chanceliers du Reich n’ont guère
duré plus d’un an. I1 serait bien surprenant qu’Hitler survive
plus longtemps qu’eux.
C’est dans cette ambiance peu propice à une appréciation
réaliste des choses que se sont amorcées des conversations
diplomatiques entre Paris, Londres et Washington. (( Elles
tournent, écrit l’Europe nouvelle, autour de deux questions :
l’organisation d u contrôle, au principe de laquelle les récentes
manifestations de la politique hitlérienne rendent les Anglais
plus favorables, et l’égalité des droits réclamée par les Alle-
mands, avec l’interprétation qu’ils en donnent, c’est-à-dire
la faculté de réarmer effectivement 3. 1)
La thèse française reste inébranlablement attachée aux
principes suivants :
10 Etablissement d’un contrôle régulier et automatique de l’état
des armements à l’aide d’une Commission permanente organisée
en comités régionaux;
20 Poursuite du contrôle pendant une certaine durée, consti-
tuant une période d’épreuve à la fin de laquelle, si le contrôle
1. Notamment, le 12 mai, une protestation émanant des minorités juives de
Silésie.
2. L’Europe nouvelle, 23 septembre 1933, p. 902.
3. L’Europe noutrlls, 21 octobre 1933, p. 1011.
144 HISTOIRE DE L’ARMAE ALLEMANDE

a donné des résultats satisfaisants, c’est-à-dire a mis e n évidence


la bonne foi de toutes les Puissances, il serait procidé par toutes
à la première étape d u désarmement effectif;
30 Des sanctions seront prises e n cas de manquements graves
à la sincérité que le contrôle a pour objet de mettre en évidence;
40 L’immunité sera assurée à tous les dénonciateurs (( de bonne
f o i D, qui révéleront a u x autorités d u contrôle les infractions
commises;
50 Une fois la période d’épreuve et la première étape d u dksar-
mement terminées, o n envisagera de nouveau la question de l’éga-
lité des droits.

L’Italie s’insurge contre (( ces conceptions inapplicables e t


périmées D.
- Vous voulez donc revenir dix ans en arrière? s’exclame
le baron Aloïsi. Comment voulez-vous imposer aujourd’hui
à l’Allemagne des méthodes qui ont déjà fait faillite en
19237
Quant à l’Allemagne elle-même, elle est résolument hos-
tile à un projet qui remet aux calendes grecques l’examen
de l’égalité des droits. De plus, elle se cabre au seul mot de
u sanctions »,car celles-ci, de toute évidence ne pourront
être dirigées que contre elle et les pays désarmés par le
Traité de Versailles : que pourrait-on (( sanctionner )) chez
les autres Puissances, dont les armements ne sont soumis
à aucune limitation?
Le 15 septembre, dans une allocution prononcée devant
les représentants de la presse étrangère, M. von Neurath
déplore le revirement survenu depuis le 29 juin2, et laisse
entendre qu’il serait vain d’espérer que le Reich se rallie
à une formule semblable à celle que l’on cherche à lui imposer.
-Nous ne repoussons pas a priori le principe d’un
contrôle international, déclare-t-il, mais à condition qu’il
s’applique identiquement à tous les États.
Le lendemain, M. Frick, ministre de l’Intérieur du Reich,
parlant au Congrès des Jeunesses hitlériennes, renouvelle
cette afirmation, mais en termes moins diplomatiques :
- Si l’on essaye de maintenir le peuple allemand dans le
rôle de paria, proclame-t-il, et si on s’obstine à lui dénier
l’égalité des droits, personne ne s’étonnera si l’Allemagne

1. Cf. L’article officieux du Poplo d’ltaliu du 15 septembre 1933.


2. Date à laquelle la Conférence avait suspendu ses travaux.
L’PDIFICATION DU I I I ~REICH 145
refuse de jouer plus longtemps ce jeu, e t se r e t k de toutes les
Conférencen internationales!
Dès lors les Puissances sont averties : si elles persistent
dans leur point de vue, ce sera la rupture.
Le 22 septembre, sir John Simon est à Paris où il a un
long entretien avec M. Paul-Boncour. Ce dernier persuade
son collégue anglais d’adopter une ligne de conduite com-
mune, en face de l a revendication allemande.
Le 26 septembre s’ouvre à Genève la XIVe Assemblée de
la Société des Nations. Sentant grandir les risques de rupture,
l’Italie cherche à jQuer le rôle de médiatrice entre la France
et l’Allemagne. Les deux délégués italiens, M. Souvitch
et le baron Aloïsi, suggèrent une formule transactionnelle :
les Puissances fortement armées réaliseront immédiatement
la première étape du désarmement inscrite dans le projet
français. On instituera ensuite une Commission interna-
tionale, qui vérifiera le niveau des armements allemands en
même temps que les résultats acquis dans les autres pays.
Toutes les Puissances étant ainsi soumises à certaines limi-
tations, le contrôle perdra son caractère vexatoire qui le
rend inacceptable à l’Allemagne.
Mais les délégués français, anglais e t américain refusent
de discuter cette proposition. On voit poindre, pour la
première fois, ce que l’on appelIera plus tard u le front des
démocraties D.
Le 28 septembre, M. Paul-Boncour a une entrevue avec
M. von Neurath. Le délégué français fait connaître au
ministre allemand les vues de Londres, Paris et Washington
sur les moyens les plus propres à sauver la Conférence.
- I1 est indispensable d’instituer un contrôle international
automatique e t permanent, lui dit-il. Ce contrôle doit pas-
ser tout d’abord par une période d’essai. Si le contrôle
se montre efficace, on procédera ensuite a u désarmement
par étapes.
M. von Neurath fait un accueil des plus réservés à l’exposé
de M. Paul-Boncour et rentre à Berlin après une conver-
sation avec sir John Simon, qui lui remet une esquisse de la
Convention en préparation.
Le 4 octobre, M. Henderson convoque le bureau de la
Conférence pour le 9.
Le 6 octobre, M. von Neurath transmet à Londres la
réponse du gouvernement allemand aux propositions arrê-
ni 10
146 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

tées dans les conversations de Paris. L’Allemagne ne prend


pas parti dans la question du contrôle, mais elle rejette caté-
goriquement la période d’essai; elle accepte de transformer
la Reichswehr en une armée formée de contingents recrutés
à court terme, suivant le principe inscrit dans le plan Mac
Donald. Elle réclame le droit de réarmer dès que la première
étape du désarmement aura été réalisée par les autres Puis-
sances. Elle entend avoir toutes les armes que les autres
pays seront autorisés à posséder, leur quantité seule pouvant
faire l’objet d’une discussion l.
Après plusieurs journées de grande activité diplomatique,
où se confirme l’attitude commune des délégations française,
anglaise e t américaine devant (( l’impossibilité d’admettre u n
réarmement de l’Allemagne et la nécessité de faire passer
le fonctionnement du contrôle par une période d’essai »,sir
John Simon intervient auprès de M. Nadolny pour le mettre
au courant des décisions franco-anglo-américaines. I1 lui
fait savoir qu’elles sont irrévocables et invite le gouverne-
ment allemand à répondre par oui ou par non.
Deux jours plus tard (14octobre), le bureau de la Confé-
rence se réunit à nouveau. Au cours de la séance, un secré-
taire remet un télégramme à M. Henderson. C’est la réponse
du gouvernement allemand : Hitler fait savoir que 1’Alle-
magne se retire à la fois de la Conférence d u désarmement
et de la Société des Nations.
Le même soir, le Führer prononce un grand discours par
T. S. F. pour justifier sa décision :
-On a dit que le peuple allemand et le gouvernement
allemand ont demandé un surcroît d’armes, déclare-t-il, c’est
absolument inexact. Ils ont seulement demandé l’égalité des
droits. Si le monde décide de détruire les armes jusqu’à la
dernière mitrailleuse, nous sommes prêts à accepter une telle
convention. Si le monde décide que certaines armes s o n t à
détruire, nous sommes prêts à y renoncer d’avance. Mais si
le monde accorde à chaque peuple certaines armes, nous ne
sommes pas disposés à nous laisser exclure de leur emploi,
comme un peuple de second rang.
u Nous sommes prêts à prendre part à .toutes les Confé-
rences, nous sommes prêts à souscrire à toutes les Conven-
1. Cf. Note verbale de M. von Neurath, ministre des Affaires étrangères du
Reich, en réponse au projet de Convention anglo-franco-américain. (L’Europe
mu&, numéro du 21 octobre 1933.)
L’ÉDIFICATION D U I I I ~REICH 147
tions - mais seulement à condition de jouir de droits égaux.
En tant qu’homme privé, je ne nie suis jamais imposé à une
société qui ne voulait pas de ma présence ou qui me consi-
dérait comme un inférieur. J e n’ai jamais forcé personne à
me recevoir e t le peuple allemand n’a pas moins de fierté
que moi. Ou bien nous disposerons de droits égaux, ou bien
le monde ne nous verra plus A aucune Conférence.
a Un plébiscite sera organisé pour que chaque citoyen alle-
mand puisse dire si j’ai raison ou s’il me désapprouve. N

Le télégramme d’Hitler e t le retrait de l’Allemagne de


la Société des Nations sèment la consternation dans les
milieux genevois. Sans doute l’Allemagne avait-elle déclaré
à plusieurs reprises qu’elle quitterait la Conférence si on
refusait de donner suite à ses revendications, mais personne
n’avait pris cette menace au sérieux. (( Ils n’oseront jamais »,
se disaient les délégués. A présent, les plénipotentiaires
impuissants s’abordent dans les couloirs et se demandent
avec inquiétude de quoi sera fait l’avenir. On spécule sur un
échec du plébiscite, on espère que le peuple allemand se
refusera à ratifier le geste d’Hitler et que l’opposition saisira
cette occasion pour tenter de le renverser.
Mais, le 12 décembre, l’Allemagne se range comme un
seul homme derrière son chef, qui recueille 40.601.577 voix,
soit 95 % de l’ensemble des votants. Et comment pourrait-il
en être autrement? Sur le terrain où Hitler a posé la question,
c’est-à-dire s u r celui de l’honneur national, quiconque voterait
N non 1) aurait le sentiment de faillir à son devoir.

* *
Le départ de l’Allemagne a porté le coup de grâce à la
Conférence du désarmement. Celle-ci se réunit encore une ou
deux fois. Puis elle se met en veilleuse, à la demande de son
président. L’intérêt se déplace et s’éloigne de Genève. La
dernière phase des pourparlers - qui va de décembre 1933
à avril 1934 - s’effectue sous forme de négociations directes
entre Paris, Berlin, Londres e t Rome.
C’est l’Allemagne, la première, qui réamorce les conver-
sations. Dans son M é m o r a n d u m d u 18 décembre 1933, elle
commence par établir (( que personne ne croit plus au désar-
mement général et qu’il est temps de se libérer d’une illusion
qui a plus fait pour envenimer les relations internationales
148 HISTOIRE DE L’ARYBE ALLEMANDE

que pour les éclaircir ».Reprenant le plan Mac Donald, Ie


gouvernement allemand propose de transformer la Reichs-
wehr de métier en une armée de 300.000 hommes servant à
court terme et dotée d’armes défensives, qui lui seront remises
au fur et à mesure de sa transformation.
Dans son Aide-Mémoire du l e z janvier 1934, la France
répond qu’avant de discuter, l’Allemagne doit reprendre sa
place à Genève et répète la formule de M. Daladier : (( Quand
on veut négocier on ne commence pas par rompre. 1) Elle
repousse l’armée de 300.000 hommes comme étant une forme
de réarmement incompatible avec le but et l e nom de la
Conférence. De plus, la note allemande passe sous silence
la police et les formations paramilitaires (S. A, et S. S.),
susceptibles de renforcer à tout moment l’armée proprement
dite.
A la place du projet allemand, la France préconise une for-
mule de désarmement réalisable en deux étapes : dans la
première, les armées française et allemande seront ramenées
à un type uniforme de milices à court terme, les effectifs
accordés à l’Allemagne étant égaux à ceux des forces métro-
politaines françaises 1. Une fois cette première étape réalisée,
e t un contrôle rigoureux ayant été institué, on procédera
peu à peu à l’unification des armements.
Le Mémorandum allemand du 19 janvier 1934 fait savoir
que le Reich ne peut souscrire à ces conditions, incompa-
tibles avec le principe de l’égalité des droits, puisque l’armée
allemande ne serait dotée des mêmes armes que les autres
armées qu’après leur transformation complète, c’est-à-dire
au bout de phsieurs années. La parité des effectifs serait
également trompeuse, car la France laisse à l’écart la question
des troupes coloniales, susceptibles d’être incorporées rapide-
ment aux divisions métropolitaines. Enfin, le retour de
l’Allemagne à la S. D. N. ne saurait &re le prélude mais la
conclusion des négociations.
I1 y a, comme on le voit, un abîme entre ces deux concep-
tions, mais un abîme sur lequel l’Angleterre va s’efforcer de
jeter un pont. Les résultats du plébiscite du 12 décembre ont
donné à rhfléchir au Cabinet britannique. Ils lui ont prouvé
qu’il ne fallait pas compter, pour l’instant, sur une chute
d’Hitler, que la dictature était en train de se stabiliser en

1. C’ut le prinaipe inscrit dam le proj :t Herriot.


L’BDIFICATION DU 1110 REICH 149
Allemagne e t que ceux qui prédisaient sa fin prochaine
prenaient leurs désirs pour des réalités. Habitué à raisonner
sur des faits, non sur des abstractions, le gouvernement bri-
tannique se dit que le Führer ne renoncera jamais à l’égalité
des droi+s, mais que son acceptation de principe du plan
Mac Donald (( comme base de discussion possible )) est une
dernière planche de salut, une occasion qu’il ne faut laisser
échapper à aucun prix. Si on ne la saisit pas, le continent
sera livré aux aventures...
Le 29 janvier, l’Angleterre adresse aux différentes Puis-
sances une note où elle réafirme la liaison des questions de
sécurité e t de désarmement. Mais elle reconnaît qu’on ne
peut accorder certaines armes à certains États tout en les
interdisant à d’autres. Au point de vue des effectifs alle-
mands, le gouvernement du Royaume-Uni serait favorable
à un chiffre intermédiaire entre les 200.000 hommes proposés
par M. Mac Donald e t les 300.000 hommes demandés par
Hitler. Ce qui importe avant tout, c’est que l’on arrive
à réaliser l a parité entre les armées française, allemande,
italienne e t polonaise. L’Angleterre voudrait que tous ces
pays eussent des armées de type identique, formées de
contingents servant pendant de courtes périodes l. E n ce
qui concerne l’artillerie lourde, l’Angleterre propose une
limitation générale de certains types. L’Allemagne serait
autorisée à avoir des chars d’assaut de moins de six tonnes.
Pour l’aviation, le projet prévoit un délai de deux ans,
pendant lequel on tentera d’abolir totalement l’aviation
militaire. Si cette tentative échoue, le Reich aura, dans deux
ans, le droit de construire lui aussi, une flotte aérienne.
La Réponse française du 14 février 1934, loin de rapprocher
les points de vue, accentue encore les divergences. La parité
des effectifs, déclare-t-elle, doit se limiter aux forces métropo-
litaines, à l’exclusion des troupes coloniales. Elle doit inclure,
par contre, la police et les formations paramilitaires comme
les S. A. et les S. S. Mais le point essentiel et initial, c’est le
contrôle. Celui-ci doit être instauré avant et non après la
transformation des armées.
Dans cette hataille de notes, où Berlin et Paris opposent
les S. A. à l’infanterie coloniale, et les S. S. aux tirailleurs
sénégalais, le gouvernement anglais sent que seuls des
1. On se rappelle qu’en 1919, B la Conférence de la Paix, la délégation anglaise
a Boutenu e t fait triompher le point de vue opposé. (Voir vol. I. p. 313.)
150 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

contacts personnels seraient de nature à éliminer les prin-


cipaux points de friction. Aussi M. Baldwin charge-t-il
M. Eden, lord du Sceau privé, de faire la tournée des
capitales afin d’y négocier avec les chefs de gouverne-
ment. Le 17 février, M. Eden est à Paris; le 21, il arrive à Ber-
lin, où il a un long entretien avec Hitler. L’Allemagne,
lui dit le Chancelier, accepte le plan anglais moyennant cer-
taines modifications de détail : le Reich ne peut attendre
deux ans pour assurer sa sécurité aérienne. Mais il est
prêt à se contenter d’une aviation égale à la moitié de la
flotte française, ou a u tiers d u total de celles de ses voisins,
a u choix des contractants. Pour les S. A. et les S.S.,1’Alle-
magne est disposée à édicter des mesures susceptibles de
garantir leur caractère non militaire. Enfin, elle est d’accord
pour que les autres pays ne diminuent leurs armements
qu’après une période de cinq ans.
Le 26 février, M. Eden arrive à Rome. Il est reçu a u palais
de Venise par Mussolini. Le Duce se montre prêt à accepter,
lui aussi, les grandes lignes d u plan britannique. Toutefois,
il ne croit pas réalisable la standardisation des armées fran-
çaise, allemande, italienne et polonaise, car elles ont chacune
une tâche différente à accomplir. Au système par trop sché-
matique de M. Mac Donald, il préfère la formule préco-
nisée par Hitler - création d’une armée allemande de
300.000 hommes, stabilisation des autres armées à leur
niveau actuel - comme étant plus conforme aux nécessités
géographiques e t au devenir historique de chaque nation.
Pendant que M. Eden v a ainsi de capitale en capitale,
l’opinion publique s’émeut de la lenteur des pourparlers.
Des voix s’élèvent pour rappeler aux hommes d’État que
derrière les procédures e t les protocoles, il y a des problèmes
concrets et redoutables auxquels sont suspendues des millions
de vies humaines :

I1 n’y a que deux moyens d’empêcher le réarmement de


l’Allemagne, déclare le comte de Brocqueville, ministre des
Affaires étrangères de Belgique, et tous deux aboutissent au
même résultat.
Le premier consiste dans l’application des moyens Juri-
diques prévus par lo Traité. C’est le célèbre article 213, qui
permet à la Société des Nations de prescrire des enquêtes,
ii la suite d’un vote émis à la majorité du Conseil. Mais il
est certain que deux au moins des Puissances qui ont un siège
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 151
permanent au Conseil - l’Angleterre et l’Italie - refuseront
de voter une enquête. Dans ces conditions, l’Allemagne refu-
sera de s’y soumettre.
I1 ne reste donc que: le second moyen : la guerre préventive.
A mes yeux, ce moyen est un remède pire que tous les maux et
on ne peut l’envisager qu’à condition d’être frappé de démence
ou d’être animé de penchants criminels. 11 n’y a qu’un seul
moyen, je le répète, d’empêcher l’Allemagne de réarmer : c’est
la guerre immédiate. J e me refuse, pour ma part, à précipiter
mon pays dans une telle aventure.
Je ressens aussi durement que vous l’amertume de la situa-
tion actuelle. Elle est la conséquence d’une grande illusion
- celle que commirent les hommes qui rédigèrent le traité
de Versailles, sans tenir suffisamment compte des enseigne-
ments de l’histoire...
I1 faut avoir le courage de regarder les réalités en face.
Dans ce domaine, les rêveries ne conduisent à rien, si ce n’est
aux catastrophes.
De quoi s’agit-il? Non pas simplement de savoir si on tolé-
rera, ou si l’on ne tolérera pas le réarmement de l’Allemagne,
mais si l’on évitera une course aux armements, qui conduira
inévitablement à la guerre l.

Quelques jours plus tard, Mussolini, examinant la situation


européenne, jette à son tour ce cri d’alarme :
La situation actuelle est des plus graves... J e crois qu’au-
cune Puissance au monde ne pourra empêcher l’Allemagne
de réarmer. I1 n’y aurait pour cela qu’un seul moyen : la
guerre préventive. Certains milieux peuvent l’envisager à titre
d’hypothèse, mais le peuple français n’a aucune sympathie
pour elle. L’occupation d’une partie du territoire allemand se
heurterait aujourd’hui à une résistance telle que la guerre
préventive se transformerait bientôt en un conflit généralisé,
qui durerait très longtemps et coûterait des sacrifices immenses
tant en hommes qu’en argent.
Si l’on écarte l’idée d’une guerre préventive, mais qu’on
laisse s’instaurer une course aux armements, alors éclatera
infailliblement, à un moment donné de l’histoire, une nouvelle
guerre qui déchirera les nations d’Europe en deux camps,
dressés l’un contre l’autre dans une lutte à mort 2.

Les événements se précipitent au cours des journées


1. Dircoun du comte de Brocquevilla, ministre des Affaires Btrangères de Bel-
gique, devant le Sénat belge, le 6 mars 1934.
2. Article du Poplo d’lkilia du 13 mai 1934.
152 HISTOIRE DE L’ARME& ALLEMANDE

suivantes. cr L’Allemagne ne saurait plus, en aucun cas,


être astreinte à un statut militaire semblable à celui que
prescrit le traité de Versailles, déclare le gouvernement d u
Reich dans son Mémorandum du 13 mars, c’est là un fait
universellement reconnu,depuis longtemps déjà. I1est confirmé
par les propositions récentes des gouvernements britannique
e t italien, ainsi que par tous les projets discutés à la Confé-
rence depuis le dépôt du plan français, le 14 novembre 1932.n
- La partie V du Traité de paix doit demeurer intangible
e t nous sommes décidés à la maintenir quoi qu’il advienne,
répond M. Barthou dans sa note d u 17 mars. Pour la faire
respecter, le rétablissement du contrôle n’est pas sufisant,
car il n’est pas une garantie en lui-même, mais u n moyen
a de mettre en œuvre des garanties ». Toute violation du
Traité doit être punie de sanctions d’autant plus sévères
que la violation sera plus grave. Toute rupture d’un engage-
ment pris envers’ la communauté internationale doit être
considérée comme une menace pour la communauté elle-
même. ))

Le 22 mars, l’Allemagne publie son budget militaire pour


l’exercice 1934-1935.Des dépenses spéciales y sont prévues
pour la transformation de la Reichswehr de métier en milices
à court terme, la rénovation du matériel naval et le commen-
cement de la construction d’une flotte aérienne 1.
Le 24 mars et les jours suivants, lord Tyrrell, ambassadeur
de Grande-Bretagne à Paris , a plusieurs conversations avec
M.Barthou. I1 insiste auprès du ministre des Affaires étran-
gères du Cabinet Doumergue, pour que le gouvernement
français ne compromette pas les efforts du Cabinet britan-
nique par des-décisions précipitées.
- Les points de vue de Londres, de Rome e t de Berlin
se sont beaucoup rapprochés au cours de ces dernières
semaines, dit l’ambassadeur, et le gouvernement de Sa
Majesté n’est pas éloigné de penser que la conclusion d’une
Convention générale pourra bientôt être envisagée.
M. Barthou répond qu’il apprécie à sa juste valeur les
tentatives faites par le gouvernement anglais pour sauve-
garder la paix. (( La menace du réarmement allemand,
ajoute-t-il, rend des négociations plus que jamais nécessaires.
1. Ci. La nota verbaIa remise à sir Eric Phippr, imba~sadeurd’bngletem k
Berlin par M. von Neurath et communiqube b M. François-Poncet,ambassadeur
de France, le 11 avril 1934.
L’ÉDIFICATION DU 1110 REICH 153
Mais la France ne pourra souscrire à une Convention géné-
rale que si celle-ci comporte des garanties d’exécution. N
Lord Tyrrel s’empresse de faire parvenir cette réponse à
son gouvernement. La cordialité du ton sur lequel s’est
poursuivi l’entretien, jointe à la demande de (( garanties
d’exécution »,peuvent s’interpréter, à la rigueur, comme un
assouplissement de la position française.
Le 28 mars, le gouvernement britannique demande ofi-
ciellement au Quai d’Orsay (( quelle serait la nature exacte
des garanties d’exécution susceptibles de donner satisfac-
tion au gouvernement français ». I1 insiste sur l’urgence
d‘une réponse précise, (( car, dit-il, un accord rapide, repo-
sant sur une collaboration étroite entre Londres et Paris,
est grandement désiré D.
Mais le 6 avril, M. Barthou, sollicité de fournir les pré-
cisions souhaitées, se dérobe et répond en termes évasifs :
L e Gouvernement de la République, écrit-il, serait heureux de
pouvoir donner la réponse sollicitée par le Gouvernement de Sa
Majesté, s’il n’avait le sentiment profond qu’une semblable solu-
tion l‘engagerait dans des principes différents de ceux auxquels il
entend rester fidèle, aussi longtemps que la Conférence s’associera
à sa volonté et à son espoir de signer une Convention conforme à
l‘article 8 d u Pacte et à la partie V du Traité. Seule, la Commis-
sion générale pourrait dire si les principes qui ont guidé jus-
qu’ici ses travaux doivent être abandonnés... Si elles étaient
dégagées des obligations juridiques qu’elles ont souscrites, les
Puissances ne prendraient en considération, pour se déterminer,
que leurs intérêts directs.
Au point où en sont les conversations engagées, le Gouverne-
ment de la République ne peut pas répondre qu’il accepte le
Mémorandum d u Royaume- U n i d u 29 janvier, avec les modifi-
cations qui l’ont suivi, pour base d‘une Convention où entre-
raient de nouvelles garanties d’ezécution. Cette adhésion, trop
générale pour n’être pas équivoque, ne tiendrait pas compte de
trop de questions de l‘ordre technique et de l’ordre juridique, qui
sont encore e n suspens et qu’il ne sufit pas de poser pour les
tenir résolues.
Aussi le Gouvernement de la République adressera-t-il à bref
délai, à l‘ambassadeur, les éclaircissements qu’il a sollicités sur
la conception française des a garanties d’exécution u.
Quatre jours plus tard, n’ayant toujours rien reçu, le
gouvernement britannique renouvelle sa demande, sous une
forme courtoise, mais pressante :
154 HISTOIRE DE L’ARMSEALLEMANDE
10 En supposant qu’il se révèle possible de parvenir à un
accord sur les garanties d’ezécution, écrit sir John Simon à
M. Corbiri, ambassadeur de France à Londres, le Gouuer-
nement français serait-il prêt à accepter comme base de la
Convention projetée, le Mémorandum du Royaume- U n i d u
29 janvier, tel qu’il a été modifié conformément aux propositions
faites par le Chancelier Hitler M . Eden, et communiqué par
ce dernier a u Gouvernement français le l e r mars? I l se peut que
ces dernières propositions puissent subir certaines modifications,
mais pour l’instant, il convient de supposer qu’elles restent telles
que M . Eden les a formulées.
20 Si la réponse à la première question est affirmative, quelle est
la nature exacte des garanties d’exécution que propose le Gou-
vernement français?
Le Gouvernement de S a Majesté remarque que le Gouvernement
français se propose de fournir à très bref délai deséclaircissements
sur la conception française des garanties d’exécution, et ?’ai
été heureux d’apprendre de vous, hier, que nous pouvions nous
attendre à recevoir la note française dans quelques jours l.
Le 16 avril, le Reich fait parvenir a u Gouvernement anglais
un M é m o r a n d u m où il précise par écrit les propositions
verbales faites à M. Eden, lors de son passage à Berlin :
L e Gouvernement d u Reich, déclare cette note, nepeut attendre
deux ans avant d’assurer sa sécurité aérienne par les moyens
qu’il considère appropriés à cet effet. 12 désire posséder, dès l’en-
trée e n vigueur de la Convention, une flotte aérienne défensive,
composée d’appareils à rayon &action limité et ne comportant
aucun avion de bombardement. L a force de cette flotte aérienne
ne dépassera pas 50 % des forces aériennes françaises métro-
politaines et coloniales, o u 33 % du total des flottes aériennes des
Puissances limitrophes de l‘Allemagne, e n choisissant celui des
deux chiffres qui sera le moins élevé.
L e Gouvernement d u Reich est disposéà édicter des mesures
établissant le caractère non militaire des S. A. et des S. S. et ci
faire surveiller leur application par uneCommission de contrôle.
Ces mesures sont les suivantes :
10 Les S. A. ne posséderont pas d‘armes.
20 Elles ne seront pas instruites dans le maniement des armes.
30 Elles ne seront ni réunies, ni instruites dans des camps
militaires.
40 Elles ne seront instruites ni directement, ni indirectement,
par dac officiers de l’armée régulière.
1. Lettre adremiis par sir John Simon, sous-secrbtaire d’8tat britannique pour
les Affaires étrangères, à M. Corbin, Pmbwsadeur de France à Londrea, le 10 avril
1934.
L%DIFICATION DU 11x0 REICH 155
50 L’exécution des exercices en campagne, et même la simple
participation aux dits exercices leur seront interdites.
Le Gouvernement allemand consent volontiers à ce que le désar-
mement des autres Puissances ne commence qu’après l’expiration
des cinq premières années de la Convention. Le Gouvernement
du Reich accepte toutes les autres stipulations du Mémorandum
britannique, y compris l’instauration d u contrôle.

Le lendemain, 17 avril, M. Barthou répond à la note


anglaise du 10. Cette réponse, que lord Lothian a appelée
n un non d‘une portée historique fatale n, et M. Viénot, (( une
fin de non-rëcevoir et un coup de trique »,est un refus
formel de poursuivre les pourparlers. Négligeant de répondre
aux questions posées par le Cabinet britannique, M. Barthou
déclare N que le gouvernement français se refuse solennelle-
ment à légaliser le réarmement allemand, que celui-ci a
rendu toutes les négociations inutiles et que la France
agsurera désormais sa sécurité par ses propres moyens n.
(( Alors que onze jours auparavant, le réarmement alle-

mand faisait accueillir avec reconnaissance la proposition


anglaise, écrit M. Jean Viénot le 17 avril, ce même réar-
mement a rendu vaines toutes les négociations ... La raison
invoquée est manifestement irrecevable, puisqu’elle servait,
onze jours plus tôt, à justifier un empressement inverse. E n
un mot, la volonté de rupture est évidente.
Les historiens de l’avenir, poursuit M. Viénot, yaite-
ront la période comprise entre la signature du traité de
Versailles et le printemps de 1934, en un seul grand chapitre
qu’ils intituleront : u Les hésitations de la France ».Pendant
quinze années, en effet, la France cherche à gagner sur les
deux tableaux du jeu international : le tableau paix armée,
et le tableau paix organisée ... A aucun moment elle ne
choisit. A aucun moment elle ne comprend qu’il faut choisir,
et que le jour viendra, en particulier, où il sera impossible
d’enfermer l’Allemagne dans le réseau des obligations inter-
nationales que l’on tisse à Genève, si l’on prétend conserver
en même temps, par la supériorité des armements, le moyen
de s’en dégager soi-même sans risques ... Le 17 avril, la
France a choisi la paix armée 2. ))
I1 ne s’agit pas de blâmer M. Barthou d’avoir opté, ni
1 . Jean VIPNOT,Limiferu-t-on les armemsnk? L’Europe muvdls, numéro du
15 dhcembre 1934, p. 1233 e t S.
2. ID., ibid.
156 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

meme d’avoir préféré la sécurité propre à un accord général.


Ce qui confond, c’est qu’il ait si mal choisi son moment pour
prendre une décision aussi grave. Que l’on abandonne une
méthode quand on s’aperçoit qu’elle ne donne aucun résultat,
rien de plus légitime. Mais l’abandonner après quinze ans
d’efforts, à la veille du jour où elle va peut-être porter ses
fruits, c’est donner bien facilement l’impression qu’on ne
veut pas, qu’on n’a jamais voulu d’un accord général. Passe
encore si l’on a autre chose à mettre à sa place. Mais la note
du 17 avril laisse le problème entier. Elle n’apporte aucun
remède au mal, et ne contient même pas l’ébauche d’une
solution. Dire que (( la France assurera sa sécurité par ses
propres moyens D n’a de sens que si l’on est décidé à envoyer
dans les quarante-huit heures trois millions d’hommes sur la
rive gauche du Rhin. Or, une telle opération n’est possible
qu’avec le soutien de l’Angleterre - cette Angleterre que
M. Barthou vient de traiter Si cavalièrement.
A ce point de vue, l’attitude de M. Barthou est si déraison-
nable que l’on cherche à lui trouver des circonstances atté-
nuantes. M. Viénot, pour sa part, prétend que la note du
17 avril lui aurait été imposée par M. Doumergue. I1 en voit
une preuve dans le fait que u six semaines plus tard, à
Genève, M. Barthou, effrayé par la responsabilité que M.
Doumergue lui avait fait prendre, est revenu théoriquement
à la conception de la paix organisée ». C’est possible. Mais
ce n’est pas certain, et les deux hommes étant morts il
est impossible de les interroger.
Peut-être d’autres éléments sont-ils venus, à la dernière
minute, confirmer M. Barthou dans le bien-fondé de sa
thèse. On sait qu’après sa mort, Schleicher fut accusé
d’avoir empêché la conclusion d’un accord sur le désarme-
ment en confirmant à un ambassadeur d’une? Puissance
étrangère, que la chute d’Hitler était imminente et qu’il
ne fallait à aucun prix traiter avec lui. Ce renseignement,
transmis au Quai d’Orsay, aurait-il incité M. Barthou à
rompre les pourparlers sous n’importe quel prétexte, sim-
plement pour gagner du temps, quitte à les reprendre plus
tard, lorsque Hitler aurait disparu? Ce n’est pas impossible...
Sans doute s e r ait4 faux de dire que la note du 17 avril
a permis le réarmement allemand, car celui-ci était déjà
amorcé depuis un certain temps. Mais cette note ouvrait
hrgement une porte jusqu’ici entrebâillée. Au lieu d’un réar-
L’BDIFICATION D U I I I ~REICH 157
mement contr61é et contenu dans les limites d‘une Conven-
tion collective, elle donnait au Reich t0ut.e latitude d’armer,
non plus jusqu’à un niveau accepté de part et d’autre,
mais jusqu’à l’extrême limite de ses forces.
VI11

L’ALLEMAGNE POSE LES FONDATIONS


DE L’ARMÉE NATIONALE

(I C’est en temps de paix qu’il faut forger les canons n,

ne cessait de répéter Bismarck, et Hitler n’a pas attendu


le 17 avril 1934 pour faire sien cet axiome du Chancelier
de fer. Depuis l’époque où, tout jeune, il contemplait les
albums illustrés de la guerre de 1870, il n’a cessé de procla-
mer son admiration pour l’éthique militaire. Dès son entrée
dans l’arène politique, il a déclaré que son premier souci,
une fois arrivé au pouvoir, serait de (( remplacer la troupe
de mercenaires par une armée nationale n et dans Mein
Kumpf il a exposé longuement la place qu’il attribuerait
à la Wehrnzucht au seis du IIIe Reich.
A celle-ci doit revenir un rôle prééminent : à l’intérieur,
défendre le territoire national et servir à parfaire l’éducation
civique de chaque Allemand qui recevra, à l’expiration de
son temps de service, un certificat d’aptitude physique et
un brevet de citoyen; à l’extérieur, assurer à la race germa-
nique K l’espace vital )) dont elle a besoin pour croître et
prospérer. Comme dans les anciennes tribus germaniques,
où l’adolescent n’était admis aux délibérations du Thing
qu’après avoir reçu l’investiture des armes, c’est seulement
après avoir été soldat, q.ue l’Allemand du IIIe Reich sera
un membre à part entiere de la communauté nationale.
Aussi ne faut-il pas s’étonner si, dès janvier 1933, Hitler
expose au Maréchal Hindenburg un Plan de quatre uns
destiné à résorber le chômage par un ensemble de mesures
où le développement de l’industrie des armements tient une
1. 22e point du programme national-socialiste, publié le 24 février 1920. (Voir
vol. II, p. 249.)
L’I?DIFICATION DU I I I ~REICH 159
place considérable et s’il affirme, .peu après, au général
von Blomberg u que la tâche essentielle du nouveau gouver-
nement consistera à renforcer parallèlement l’Armée e t le
Parti 1 D. Ces projets ne font que confirmer toutes ses décla-
rations antérieures.
A vrai dire, en arrivant au pouvoir, le chef du Mouvement,
national-socialiste trouve déjà une partie de la besogne
accomplie : c’est celle qu’a réalisée YEtat-Major de la Reichs-
wehr entre 1924 et 1930 2. Les prototypes sont construits,
les ateliers réorganisés, les dossiers de fabrication préparés
pour quelques usines. Mais à ces efforts fragmentaires et
encore dispersés, Hitler va donner une impulsion sans pré-
cédent. Sur son ordre, toutes les machines vont se mettre
en marche e t travailleront à une cadence de plus en plus
rapide. Une sorte de frénésie v a s’emparer de l’industrie
allemande; dans quelques années, près de 70 % des entre-
prises seront accaparées par les fabrications de guerre.
Peu importe si t an t de hâte est préjudiciable à la qualité
du matériel. L’essentiel est de faire vite, car entre le moment
où le réarmement allemand deviendra officiel et celui où
la nouvelle armée sera entièrement équipée, il existe une
(( zone de danger », c’est-à-dire une période OU l’Allemagne
sera à la merci d’une guerre préventive. I1 s’agit donc de
franchir cette zone le plus rapidement possible. On aura
toute latitude, ensuite, pour corriger les erreurs de détail
et remplacer les engins défectueux par des modèles plus
satisfaisants.
Un réarmement accéléré devient ainsi, avec l’unification
du Reich et la bataille pour l’égalité des droits, l’un des
trois points sur lesquels le gouvernement national-socialiste
concentre ses efforts.
*
T i

Le premier indice de ce redoublement d’activité nous


est fourni par l’accroissement des importations de matières
premières. De 1924 à 1930, l’Allemagne a disséminé ses
usines en Hollande et en Suède, au Danemark et en Russie.
A présent, elle concentre sur son territoire ses énergies
1. Major FCERTSCH, Die Wehrmacht im national-sozialistischen Staat, p. 18.
2. Voir vol. Il, p. 372 e t s.
160 BISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

dispersées e t pompe à travers mille canaux toutes les subs-


tances nécessaires à ses fabrications.
Les importations de minerai de fer, de ferraille8 e t de
riblons utilisés pour la fabrication de l’acier Martin, seul
employé dans l’industrie des armements, stationnaires jus-
qu’en 1931, accusent, à partir de 1932 une progression
&onstante :

Excédent des importations sur les exportations, en tonnes :

1932 1933 1934


Minerai de fer . + 3.431.400 -+ 4.527.500 + 8.183.300 8
Ferrailles et ri-
blons . . . . - 194.000 + 161.200 + 404.200
En corrélation avec les importations de fer, la production
de l‘acier, qui a beaucoup fléchi depuis 1929, se relève et
tend à rejoindre les indices des années de prospérité :

Production de l‘acier, en millions de tonnes :


1929 1932 1933 1934 1935 4
16’9 588 776 11,9 15,7

Les chiffres correspondant aux importations de nickel


chromé et de tungstène entrant dans la composition des aciers
durs (métal à canons, obus, plaques de blindage, etc.) sont
encore plus frappants : .

1. Chiffres cités par l’Europe nouuelb, numéro spécial du 18 mai 1935, p, 464.
2. Ce chiûre atteindra 9.611.900 tonnes en 1936. (Cf. Général AZAN,La FrD
&is des armements allemands, Le Journal, numéro du 17 septembre 1936.)
8. Statistiques de la Chambre internationale de Commerce. L’Économie inter-
nationale, numéro d’avril 1935, p 49.
4. Ce chiûre, cité par M. Archimbaud dans son Rapport sur le budget militaire
pour l’szercics 1936, Imprimerie de la Chambre des députés, 1935, no 5592, n’at-
teint pas encore tout à fait celui de 1929. Mais en 1929, l’Allemagne exportait son
acier dans le monde entier. En 2935, elle le consomme presque entièrement sur
place.
L’ÉDIBICATION D U IIIo REICH 161

Excédant des importationa our lea exportations, en tonnea 1 :

1932 1933 1934


Minerai de nickel. . . . . + 17.700 + 34.500 + 37.600
Nickel métallique . . . . 600 + 2.000 + 4.100
hlinerai de clironie. . . . + 42.200 + 47.500 + 76.400
Minerai de tungstène. . . + 1.600 + 3.650 + 4.300
Nous retrouvons une progression similaire dans les impor-
tations de bauzite, ou minerai d’aluminium, indispensable à
l’aviation, dont la moyenne mensuelle passe de 550 tonnes
en 1932, à 5.500 tonnes en 19332. Pour ce même produit,
l’excédent des importations sur les exportations, qui se main-
tient aux environs de 20.000 tonnes en 1931 et 1932, passe
à 293.100 tonnes en 1933, à 326.000 tonnes en 19343 et
finit par atteindre 318.000 tonnes pour le premier semestre
de 19364.
De même, l’importation de la cellulose, utilisée pour
la fabrication des papiers de journaux, mais aussi pour
celle des explosifs, accuse une augmentation significative.
Forte d’environ 1.100.000 quintaux par mois pendant
les cinq premiers mois de 1933, elle passe tout à coup à
3.246.024 quintaux en juin, à 3.309.399 quintaux en juillet,
et à 3.213.841 quintaux en août 19335.
Les mêmes augmentations se remarquent, en ce qui
concerne les goudrons de houille (14.622 tonnes importées
pendant les six premiers mois de 1933 et 41.000 tonnes en
1934) 6, l’acide sulfurique et les pyrites (dont les impor-
tations accusent respectivement une augmentation de 6.000
et de 140.000 tonnes au cours des sept premiers mois de
1933) ’. Enfin, on ne peut passer sous silence les importa-
tions massives de coton, de laine et de peaux intéressant
les fabrications d’habillement et d‘équipement, ainsi que

1. L’Europe nouvelle, numéro spicial du 18 mai 1935, p. 464.


2. Général DBBENEY, Le Réarmement alhmand, Lea CahiSra du redreMbnwnt
français, p. 29.
3. L’Europe nouvelle, ibid.
4. Générai AZAN,Le Journal. numéro du 17 septembre 1936.
5. Jacques BARDOUX, Le T e m p , numéro du 17 novembre 1939.
6. Général DEBENEY,op. tit., p. 29.
7. GBn4ral DEBENEY, op. eit., p. 29.
III il
162 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

les entrées d’essence, indispensables à la motorisation de


l’armée.
Parallèlement à cette ascension de l’indice des produits
importés, les aciéries et les forges augmentent leur per-
sonnel : 500 ouvriers sont embauchés pendant le premier
trimestre de 1933 à Rheinmetall (Düsseldorf), où l’on fabrique
des canons lourds et légers, des mitrailleuses e t des obusiers
d’accompagnement; 6.000 chez K r u p p (à Essen), où l’on
fait des canons de campagne, des pièces de marine et des
obusiers de forteresse l.
L’effectif de la fabrique de fusils M a u s e r , à Oberndorf,
passe, au début de 1933, de 800 à 1.300 ouvriers. Aux Ber-
liner Karlsruher Industrie W e r k e , le personnel augmente
de 35 % au cours du premier semestre de 1933. 400 ouvriers
sont embauchés pendant la même période au Bochumer
Verein. A la poudrerie de Rheinsdorf, le nombre des ouvriers
passe de 2.000 à 5.200, et il en v a de même dans les usines
chimiques d ’ o p p a u , chez Zeiss, chez Siemens, aux Bayerische
Motorwerke, etc.
A côté des produits qu’elle importe de l’étranger, e t qui
imposent à ses finances de lourds sacrifices, l’Allemagne
se préoccupe de développer ses propres ressources. E n un
an, des mines de fer abandonnées sont remises en exploita-
tion, des puits de pétrole sont forés, des cultures de soja e t
d’autres pIantes oléagineuses sont entreprises. Toute une
industrie nouvelle, consacrée à la recherche des produits de
remplacement (textiles, carburants, caoutchouc synthé-
tiques, etc.) se développe fiévreusement 2. Profitant des
expériences recueillies lors du blocus de 1914, l’Allemagne
veut pouvoir se suffire à elle-même en cas de conflit. (( D’ail-
leurs, écrit Z’Europe nouvelle, la mobilisation industrielle
est placée dans des conditions très favorables par suite
de la structure même de l’économie allemande. Puissance
industrielle, centralisation extrême des moyens de produc-
I . En 1935, la capacité mensuelle de RheinmtaU est portée à 200 canons; celle
de Krupp a environ 90 bouches à feu d’artillerie lourde, en attendant de pousser
leur production au maximum. (Général AZAN, Le Journal, numéro du 17 sep-
tembre 1936.) En 1935, le nombre total des ouvriers travaillant chez Krupp s’élève
à 80.000. (Cf.Léon ARCXIMBAUD, Rapport sur le budget rnilibire pour i’uzsrcice1936,
p. 16.)
2 . Les I . G. Farben portent leurs effectifs de 112.600 ouvriers environ, en
ddcembre 1933, à 134.700 au 31 décembre 1934, et leur production d’essence de
synthdse se ferait, en 1935, au rythme de 350.000 tonnes par an. (Cf.Ldon ABCEIM-
BAUD^ o p . c k I p. 16.)
L’J~DIFICATION DU I I I ~REICH 163
tion, emprise du Reich sur l’industrie, progrès accomplis par
l’autarcie : toutes les conditions sont de nature d faciliter
d a n s une grande mesure le passage de l’économie de p a i x à
celle d u temps de guerre ))
Plus encore, les frontières entre l’économie de paix e t
l’économie de guerre s’effacent peu à peu z. I1 ne s’agit
plus, à présent, de négocier avec certains groupements
privés en vue d’obtenir leur (( collaboration )) avec les auto-
rités militaires, mais de placer toute l’industrie au service
de la défense nationale. (( La force industrielle et la force
militaire d’un pays, lit-on dans le Militürwochenblatt du
4 avril 1935, sont deux facteurs jumeaux, et la meilleure
garantie de la puissance de l’économie de guerre est la pros-
périté de l’économie de paix S. )) Tout ce travail de recherche
et de coordination, confié d’abord au D* Schacht, puis, à
partir de 1935 au général Gœring, prendra une extension
beaucoup plus grande encore, après l’établissement du
second P l a n de quatre a n s , au printemps de 1937.
(( E n somme, conclut l’Europe nouvelle, s’appuyant sur

la deuxième industrie du monde, n’hésitant pas à consacrer


aux importations indispensables des sommes très élevées 4,
menant une politique de produits d’ersatz dans toutes les
branches où elle se trouve déficitaire, l’Allemagne se prépare
à fonctionner, le jour voulu, e n vaie clos 6. ))

1. L’Europe nouuelie, ibid.


2 . Cf. D* Gerhant SCHOLTZ,Wehrpolitik und Soldat. Militdrwochenblaü du
4 juin 1935,p. 18-20.
3 . Dao Wurcn der Wchrwirtschaft, Militdwochsnbialt, année 1935, no 37.
4. 11 est impossible de fixer d’une façon précise lea sommes dépensées par l’Aile-
magne pour son réarmement, le Reich ne publiant plus son budget militaire depuis
1934, e t les estimations fournies par ailleurs variant du simple au triple. II serait
imprudent, dans ces conditions, de s’aventurer dans un domaine où les données
n’offrent aucune garantie d’exactitude.
5. On aurait tort de considérer l’application de ce système comme un phénomène
exclusivement moderne. Frédéric II eut déjà recours à des mesures semblables
pendant la guerre de Sept Ans. Le Directoire supérieur da la guerre,des linances et
des domainw, créé à cette époque, concentrait entre les mains du roi toutes les
ressources militaires, financières e t agricoles du pays.
Ce Directoire édifia des barrières douanières, restreignit l’importation des céréales
e t interdit l’exportation de la laine, nécessaire à la confection des uniformes.
L’industrie prussienne reçut le monopole den fournitures militaires, en échange
d’une taxe perçue par les agents du fisc royal. Toutes les énergies du royaume
furent tendues vers un but unique : l’approvisionnement et l’entretien de l’armée
(ci. Eberhard KESSEL, L’Armée prussienne de 1640 d 1866, dans Karl LInnEshcE,
Delrtrche Hesreageachichts.)
164 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

+ +

Tandis que ces transformations s’accomplissent dans le


domaine de l’industrie, un travail non moins important
s’effectue à l’intérieur de la Reichswehr. Le l e r février 1934,
le général von Fritsch est nommé chef de la Heeresleitung,
en remplacement du général von Hammerstein, homme de
confiance du général von Schleicher, et notoirement opposé
aux conceptions nationales-socialistes 1.
On pensait, à vrai dire, que le nouveau commandant en
chef serait le général von Reichenau, l’ancien chef d’État-
Major du général von Blomberg, bien connu pour ses sym-
pathies envers le mouvement hitlérien 2. La nomination du
général von Fritsch, mi!itaire d‘une grande valeur mais d’une
in dépendance politique absolue, prouve que la Reichswehr
entend rester fidèle -
du moins jusqu’à nouvel ordre au -
principe de neutralité qu’elle a suivi depuis 1920.
Le général von Fritsch, auquel v a incomber la tâche
d’organiser la nouvelle armée nationale, est un des disciples
les plus doués de von Seeckt, et sa carrière l’a mis souvent
en contact, soit avec le créateur de la Reichswehr de métier,
soit avec son entourage immédiat.
Pendant la guerre de 1914-1918, le capitaine d’artillerie
von Fritsch a travaillé au Grand État-Major, sous les ordres
du colonel Bauer, bras droit de Ludendorff 3. A l’automne
de 1919, nous le retrouvons en Prusse-Orientale, où il est
chef d’ntat-Major du VIe corps d’armée de réserve, qui four-
nit à von der Goltz le noyau des troupes avec lesquelles
il entreprend son offensive contre Riga. Lorsque von der
Goltz se démet de ses fonctions, pour collaborer (( à titre
privé 1) avec Bermondt-Awaloff, Fritsch passe sous les ordres
du général Eberhardt, chargé de procéder à l’évacuation
des troupes de la Baltique en liaison avec les officiers de la
1. Le général von Hammerstein, chef de la Heeresleifung, le général Adam, chef
du Truppemrnt et le colonel von Bredow, chef du Ministerialarnt, qui occupaient
tous trois des a positions-clés I au ministère de la Reichswehr, étaient considérés
comme les membres principaux de ce que l’on a appelé la a junte de Çchleicher D.
2. C’est lui qui aurait converti le général von Blomberg auNational-socialisme.
I1 succédera a p r b le 30 juin 1934 au colonel von Bredow, et assurera la liaison
entre le ministre d e la Reichswehr e t la Wehrpolifisclusamt du Parti national-
ilocialiste.
3. Nous avons eu l’occasion de parler du colonel Bauer à lusieurs reprises,
notamment lors du putrch de Kapp. (Voirvol. II, p. 83, note 2.p
L’ÉDIFICATION DU 11x0 REICH 165
mission alliée. I1 est alors en contact avec le général Niessel,
dont il s’efforce par tous les moyens de contrecarrer la
tâche, e t qui nous en a tracé u n portrait pittoresque e t
mordant
E n 1924, Fritsch devient chef d’État-Major du Wehr-
kreis I (Kœnigsberg) auprès du général Heye, qui succédera
en 1926 au général von Seeckt. De 1925 à 1930, il travaille
a u Truppenamt, e t après u n court passage a u Wehrkreis II
(Stettin) où il occupe les fonctions de directeur de l’artille-
rie, nous le trouvons, à la fin de 1931, commandant de la
I r e division de cavalerie à Francfort-sur-l’Oder,.spécialement
chargée de la défense de la frontière polonaise.
En juin 1932, il commande les troupes du Wehrkreis III
(Berlin), où le général von Rundstedt le charge de l’exécu-
tion technique de l’état d’exception, promulgué par le
Maréchal Hindenburg par suite d u conflit qui dresse M. von
Papen contre le gouvernement prussien. C’est le poste qu’il
occupe en 1934, lorsqu’il est nommé chef de la Heereslei-
tung.
Profondément imbu des méthodes et de l’esprit du général
von Seeckt, ayant accompli une grande partie de sa carrière
dans les provinces de l’est (Prusse Orientale e t Silésie), le
général von Fritsch va se consacrer dorénavant à la trans-
formation de la Reichswehr de métier en armée nationale.
Dès son installation à la tête de la Heeresleitung, le nou-
veau commandant en chef s’entoure d’une pléiade de jeunes
généraux dont il apprécie le talent d’organisateurs : ce sont
les généraux Beck, von Wietersheim, Fromm, Liese, Heinrici
et von Schwedler.
A l’exception du général Beck, ces officiers sont peu connus
à l’étranger e t leur nom n’est que rarement cité dans les
journaux. Cependant, le travail qu’ils ont accompli à la
tete des différents services de 1’Etat-Major allemand, est
considérable, malgré le silence dont ils l’ont volontairement
entouré.
t
+ *
Le 22 mars 1934, le gouvernement d u Reich établit son
budget militaire pour l’année 1934-1935. Celui-ci comprend
1. Cf. Général NIESSEL, L’fitucuation des paya baltiques PLU Iap Allemands, contri-
ds La menialit4 &made, Paris, 1935.
bution à l‘étude
166 EISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

les sommes nécessaires pour la transformation de la Reichs-


wehr de métier en armée de milices à court terme. Mais
bien avant cette date, c’est-à-dire au lendemain des élections
du 5 mars, les casernes et les camps ont commencé à se
remplir. A Zossen, à Doberitz, à Ohrdruf, ailleurs encore,
on voit s’exercer de jeunes recrues destinées à grossir le
nombre des caporaux instructeurs. Les tableaux d’effectifs
annexés au traité de Versailles sont largement dépassés.
Sans parler des libérations anticipées, le nombre des volon-
taires sous les drapeaux passe à 140.0001, puis à 165.000
entre mai et novembre 1933 2. Enfin, le l e r octobre 1934,
la Reichswehr incorporera pour la première fois une grande
quantité de volontaires engagés pour un an 3. Les divisions
a creuses )) du général von Seeckt se gonflent et se trans-
forment en divisions (( pleines ».
Dès mars 1933, la cocarde noir-rouge-or aux couleurs
républicaines est remplacée par la cocarde noir-blanc-rouge.
Le 12 mai, une loi rétablit les tribunaux militaires, abolis
par l’Assemblée de Weimar. Enfin, après le plébiscite du
du 12 décembre, les contingents locaux ou Landesmann-
schuften 4 disparaissent, ainsi que les Conseils d’hommes de
confiance, dernier vestige de la loi du 6 mars 1919 6.
Simultanément, on voit naître la future armée de l’air,
sous l’impulsion de Gœring e t de ses collaborateurs, - le
général Milch, le général Kesselring, le colonel Bruch, le
colonel Udet, etc. E n mai 1935, le Commissariat d’Empire
pour l’aéronautique est transformé en ministère. Les premiers
modèles d’avions militaires font leur apparition dans le ciel.
Ce sont les appareils de bombardement lourds Junkers 52,
les appareils de bombardement légers Heinckel TO, les tri-
places de reconnaissance maritime Dornier 22, enfin les
appareils de chasse et d’observation Arado 65, remplacés
un peu plus tard par les Heinckel 61 et les Messerschmidt.
1. (I La Reichswehr, écrit le générai Deheney en novembre 1933, semble avoir
réalisé cette année un dépassement de 40.000 hommes environ. Jusqu’k ce jour,
les rbgiments d’infanterie comptaient 3 bataillons, p!us un quatrième peu nom-
breux. Une augmentation d’effectifs a permis de constituer 4 bataillons identiquea.
(LaRCarmsmsnt allurnand, p. 15.)
2. Cf. Jacques BARDOUX, La T e m p , numéro du 17 novembre 1933.
3. Cf. L’article du capitaine von Wedel dans le VdUtiecha Beobachtar du 2 jan-
vier 1936.
4. Voir vol. II p. 139.
5. Voir vol. I, p.373 et (1. Cette institution était d’ailleun tombée depuir long-
temps en d é s u h d r .
L’J~DIFICATIONDU 1110 REICH 167
En même temps, l’amiral Ræder et les services de l’État-
Major de la marine augmentent et rénovent les unités de la
flotte. Un cuirassé de 10.000 tonnes (le Graf S p e e ) , deux
autres de 24.000 tonnes (le Scharnhorst et le B i s m a r c k ) , un
croiseur de 6.000 tonnes, quatre torpilleurs et onze sous-
marins sont mis en chantier.
Enfin, le 25 mai 1934, le Maréchal Hindenburg e t le
général von Blomberg publient une ordonnance relative
aux Devoirs du soldat allemand., I1 n’est pas sans intérêt
de la rapprocher des règlements similaires qui l’ont précédée.
L’ordonnance de 1919 spécifiait : L e soldat ne doit avoir
aucune activité politique. Celle du 9 mai 1930 disait : La
Reichswehr sert l’État m a i s n o n les Partis. Celle du 25 mai
1934 déclare : L e service militaire est un service d’honneur
envers le peuple allemand.
Ces trois formules résument en un raccourci saisissant les
trois étapes de l’évolution militaire allemande depuis l a
guerre. La première correspond à la Reichswehr provi-
soire. Elle reflète l’époque où le souci principal d u Haut-
Commandement était d’assurer l’homogénéité de la troupe
et d’écarter les disputes politiques des casernes. La seconde
symbolise la Reichswehr de métier et sa volonté de s’identi-
fier à I’État, tout en restant à l’écart des querelles partisanes.
La troisième porte l’empreinte d u National-socialisme : elle
inaugure la réconciliation de l’armée et de la nation.
*
* *
((Une armée va mourir, une autre armée va naître »,
écrivions-nous lors de la liquidation de la Reischswehr provi-
soire. Nous pourrions reprendre une seconde fois cette image.
Comme en 1921, la physionomie et la structure de l’armée
se modifient 1, Sans doute le cadre juridique de la Reichs-
wehr est-il encore maintenu, et la loi du 23 mars 1921est-elle
toujours en vigueur. Cependant, on est déjà en plein régime
transitoire. L’armée de 1933-1934 n’est plus la Reichswehr
de von Seeckt, sans être encore la Wehrmacht nationale.
D’ailleurs avant que cette évolution soit entièrement
accomplie, il faudra que l’Allemagne traverse une crise

1. Major JOHET, Neuaufbau da deuischen Wehrmacht, VdUtiacher Bsobachter,


n d r o sp4cial du 30 jinvier 1936.
168 HISTOIRE DE L’ARHkE ALLEMANDE

épouvantabIe. Un orage se prépare dont s’amoncellent de


tous côtés les présages alarmants. Une atmosphère angoissée
pèse sur le Reich et annonce, une fois de plus, l’imminence
d‘un conflit.
Ce sera la dernière convulsion de ces quinze années ter-
ribles. Mais ce sera aussi la plus tragique.
IX

LA NUIT DES LONGS COUTEAUX


(30 juin 1934)

Tandis que l’État-Major de la Reichswehr dresse les plans


de la future armée nationale et que les volontaires amuent
vers les casernes et les camps d’instruction, l’armée brune
n’a pas cessé de progresser, SOUS l’impulsion de Rohm et
de ses collaborateurs. Non seulement elle a absorbé tout ce
qui subsistait des anciennes formations nationales, mais elle
s’est incorporé la plus grande partie des volontaires du
Stahlhelrn 1. Dans toutes les régions du Reich, fils de paysans
ruinés par la crise agricole, ouvriers en chômage, employés
e t petits commerçants, viennent s’enrôler chaque jour par
milliers dans ses rangs. Forte de 400.000 hommes lors de la
prise du pouvoir, elle compte plus de 3 millions de membres
au printemps de 1934.
Ce gonflement des effectifs a entraîné des modifications
importantes dans sa structure. Les Untergruppen ont été
supprimés et remplacés par des brigades. Les Gruppen, ou
divisions, ont été maintenues. Mais il vient s’y superposer à
présent sept Obergruppen, ou corps d’armée, qui représentent
l’échelon le plus élevé de la hiérarchie.
La création des Obergruppen et la formation presque quo-
tidienne d’unités supplémentaires ont-nécessité un élargisse-
ment considérable des cadres et des Etats-Majors. Or, dans
la griserie générale qui a suivi la prise du pouvoir, les nomi-
nations n’ont pas toujours eu lieu à l’ancienneté ou au
mérite. Alors que beaucoup de miliciens de la première heure
se sont vus évincer, un grand nombre de nouveaux venus se
sont haussés par l’intrigue jusqu’aux postes les plus élevés.
1. Voir plus haut, p . 109.
170 .HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

De jeunes ambitieux, dénués de tout scrupule, ont été


promus en quelques mois au rang de général de division ou
de commandant de corps d’armée. A l’âge où, dans l’armée
régulière, ils seraient tout au plus commandants de compa-
gnie ou chefs de bataillon, ils se trouvent à la tête de 80.000
ou de 100.000 hommes. Faut-il s’étonner si cette ascension
vertigineuse, et le pouvoir exorbitant qu’ils détiennent, leur
soient montés à la tête e t aient fait naître chez eux des
rêves insensés?
(( A l’encontre de mes ordres formels, dira plus tard Hitler

dans son discours au Reichstag du 13 juillet 1934, et contrai-


rement aux explications que me fournit le chef d’État-
Major, les S. A. s’étaient accrus dans une proportion telle, que
l’homogénéité de cette organisation ne pouvait qu’en souf-
frir. Les liens entre l’armée brune et le Parti commencèrent
à se relâcher. Les S. A. s’écartèrent peu à peu de la mission
pour laquelle ils avaient été créés et se vouèrent à d’autres
tâches, à d’autres intérêts. Les nominations ne se firent
plus qu’à la faveur. La conduite des nouveaux chefs, qui
n’avaient pas fait leur apprentissage dans la troupe, était
révoltante. J’attirai l’attention du chef d’État-Major sur ces
faits, sans constater pour autant la moindre amélioration. ))
Bien a u contraire. Loin de se modérer, les chefs des S. A.
faisant partie de l’entourage immédiat de Rohm s’enivrent
de leur propre triomphe et organisent des parades et des
démonstrations de masse pour le seul plaisir de se faire
ovationner par leurs troupes. C’est ainsi que du 3 au 6 octobre
1933, Rohm concentre à Breslau toute la division de Silésie,
composée de 5 brigades et de 29 régiments, soit au total
83.600 hommes. La plupart de ces unités ont effectué des
marches de plusieurs jours avec leur équipement complet,
e t le défilé lui-même dure plus de quatre heures. Conduits
par l’ûbergruppenführer Heines, commandant de la IIIe
région, la longue colonne brune passe devant le chef d’État-
Major. D’abord viennent, drapeaux en tête, une délégation
de la brigade Horst Wessel, appartenant à la division de
Berlin-Brandebourg et la section d’État-Major de la 5 e bri-
gade de Stettin (IIe région); puis le régiment de cavalerie
de S. A. silésienne, enfin vingt-neuf régiments d’infanterie
et un régiment motorisé à cinq groupes l.

1. Cf. Jacques BARDOUX,


La T e m p , numéro du il novembre 1933.
L’&DIFICATION DU I I I ~REICH 171
De tels spectacles, fréquemment renouvelés, ne sont guère
de nature à calmer l’appétit de domination de ces jeunes
prétoriens qui, sans Rohm, végéteraient dans quelque bureau
obscur ou dans une petite garnison de province. Ne sont-ils
pas les maîtres d’une armée dix fois supérieure en nombre
à l’armée régulière? Ne sont-ils pas, en fait, les maîtres de
l’Allemagne? Pour eux, la conquête du pouvoir signifie que
rien ne s’oppose plus à l’assouvissement de leurs désirs.
Presque tous ont des comptes à régler avec leurs ennemis
personnels; ils rêvent de mettre au pillage la fortune des
banques et de l’industrie privée, de se partager l’or des
financiers juifs et les domaines des hobereaux réactionnaires.
La première révolution est faite, il faut que la deuxième
commence, car ils refusent de se contenter d’une victoire
sans butin.
Pourtant, dès le l e r juillet 1933, Hitler a averti ses lieu-
tenants qu’il serait dangereux pour eux de s’engager dans
cette voie.
- J e suis résolu à réprimer sévèrement toute tentative
qui tendrait à troubler l’ordre actuel, déclare-t-il à tous les
chefs de S. A. e t de S. S. réunis à Bad Reichenhall. J e
m’opposerai avec la dernière énergie à une seconde vague
révolutionnaire, car elle aboutirait à un véritable chaos.
Quiconque se dressera contre l’autorité de l’État, sera arrêté,
sans tenir compte de son rang ou de sa situation dans le
Parti.
*
i +

Il est de fait que les pensées d’Hitler sont orientées dans


une tout autre direction. Pour lui, la conquête du pouvoir
a mis un terme définitif à la phase révolutionnaire du Natio-
nal-socialisme e t a inauguré le début d’une période construc-
tive. I1 s’agit à présent de donner du pain et du travail aux
chômeurs, de réformer le statut des paysans, de créer une
armée nationale et de relever l’économie allemande de ses
ruines, non d’accumuler des ruines nouvelles. Voilà quinze
ans que l’Allemagne est entraînée dans un tourbillon de
révolutions et de crises. Pour arrêter ce cycle infernal, il
faut stabiliser le régime. Plus encore : il faut extirper de
l’esprit des jeunes le goût morbide qu’ils ont pris pour les
p u t s c h e t les rébellions. N La révolution, dit Hitler le 6 juil-
172 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

let 1933 dans son discours aux Statthalter, ne saurait être


permanente. Bien des mouvements révolutionnaires ont
réussi à conquérir le pouvoir. Rares sont ceux qui ont
réussi à s’y maintenir. Le temps est venu à présent de cana-
liser le torrent de la révolution dans le lit plus calme d’une
évolution constructive. D
Le 11juillet 1933,M.Frick, ministre de l’Intérieur, publie
l’arrêté suivant qui semble faire écho à ces déclarations :
La révolution allemande victorieuse est entrée dans la phase
de l’évolution. Parler de poursuivre la révolution, voire d’en
faire une seconde, serait compromettre l’évolution légale et
constructive voulue par le Führer. De tels propos constituent
une rébellion contre le Führer, un sabotage de la révolution
nationale e t un facteur de trouble pour l’économie allemande
que le gouvernement est en train de reconstruire avec succès.
Tout essai de sabotage de la révolution et en particulier les
interventions arbitraires dans l’économie seront sévèrement
réprimés. Les organisations et les groupements nationaux-
socialistes n’ont pas à s’arroger des pouvoirs qui appartiennent
exclusivement au chef du gouvernement.
Le lendemain, commentant cet arrêté devant les com-
mandants de S. A., Hitler s’efforce de leur faire comprendre
que la révolution n’est qu’un moyen pour accéder a u pouvoir,
non une fin en soi. Dans toute opération chirurgicale, un
moment vient où il faut recoudre, sous peine de tuer le
patient que l’on entend guérir.
- I1 faut réaliser la synthèse entre l’idéal d u National-
socialisme e t les exigences de la réalité économique, poursuit-
il. J e m’efforcerai de réaliser une œuvre qui résiste aux cri-
tiques de la postérité. Dans to u t ce que j e fais, j e ne capitule
jamais, si ce n’est devant la raison ...
Mais beaucoup de chefs ne comprennent pas ce langage.
Ils ne sont pas des hommes d’État, mais des militants. Ils
se sont jetés à corps perdu dans le Mouvement national-
socialiste comme dans une aventure passionnante, e t ne se
résignent pas à croire que cette aventure soit terminée. On
les a lancés avec violence à l’assaut de l’État, on les a gal-
vanisés par des discours fanatiques, on a comprimé leur
énergie pendant des années, et cette énergie, non satisfaite
par la prise du pouvoir, réclame de nouveaux objectifs, de
nouvelles satisfactions. Aussi, certains d’entre eux inter-
prètent-ils les paroles d’Hitler comme un reniement de l’idéal
L’ÉDIFICATION DU IIIQ REICH 173
pour lequel ils ont combattu. Eux sont restés les mêmes, c’est
Hitler qui a changé! Ils pensent avec tristesse que si le Führer
leur parle ainsi, c’est qu’il subit l’influence des puissances
d’argent e t des milieux réactionniares. Heureusement qu’ils
sont là, l’arme au pied, pour veiller à ce que la révolution
ne s’enlise pas dans l’immobilité!
- Celui qui s’imagine que la tâche des Sections d’Assaut
est terminée, s’écrie Rohm, le 6 août, devant quatre-vingt-
deux mille S. A. rassemblés à Tempelhof, oublie que nous
sommes là e t que nous resterons là, quoi qu’il advienne!
Quelques jours plus tard, devant les chefs de la S. A. e t du
Stahlhelm réunis à Godesberg, il reprend le même thème,
mais en y mêlant, cette fois-ci, une nuance de menace :
- Sous aucun prétexte je ne tolérerai que les Sections
d’Assaut s’écartent du but qui leur a été assigné. Nous veille-
rons à ce que le (( soldat politique )) conserve les droits pour
l’obtention desquels il a si vaillamment combattu.
Des rixes éclatent entre la S. A. et la police, de sorte que
Gœring se voit obligé de licencier les formations auxiliaires
de la Hilfspolizei, constituées au lendemain de la prise du
pouvoir. C’est le divorce entre les chemises brunes e t la
police d’État. Le 25 août, u n décret stipule que seuls les
membres des troupes d’assaut ayant au moins le grade de
chef de peloton (Scharführer) auront le droit de porter des
armes. Au reçu de cet ordre, plusieurs sections se mutinent
et doivent être dissoutes.
Cependant, Hitler refuse de croire que cette effervescence
soit autre chose qu’un accès de fièvre sporadique. I1 pense que
le meilleur moyen de calmer le mécontentement des S, A.
est de leur prouver qu’ils font partie intégrante de 1’Etat
et que toute tentative pour bouleverser cet É t a t équivaudrait
pour eux à un véritabIe suicide. Par la loi du l e r décembre
1933, il proclame l’unité du Parti et de l’État et, pour bien
marquer la place qui revient aux S. A. dans le IIIe Reich, il
élève Rohm à la dignité de ministre d’Empire.
Mais tout en acceptant ces fonctions, Rohm refuse de se
laisser (( absorber 11.
- J e continuerai à résider à Munich, déclare-t-il d’un
ton rogue. Rien ne sera changé à mon État-Major. Les S. A.
continueront à m’appeler chef d’État-Major.

1. voir plun haut, p. 112.


174 HISTOIRE DE L ’ A R I I I ~ EALLEMANDE

* *
La présence de Rohm aux Conseils de Cabinet va entraîner
cependant des conséquences graves; car un désaccord violent
ne tarde pas à le dresser contre le général von Blomberg,
ministre de la Reichswehr.
Ce conflit, à vrai dire, était inévitable. Au cours des der-
niers mois, la S. A. s’est incorporé toutes les formations
nationales. De ce fait, l’armée brune et la Reichswehr ne
sont plus séparées par rien et s’affrontent dans une atmos-
phère de méfiance réciproque. Si Rohm e t Blomberg se
heurtent au sein d u Cabinet, c’est que leur antagonisme
prolonge celui des deux groupes qu’ils commandent.
La tournure prise par les négociations de Genève, le retrait
de l’Allemagne de la Société des Nations, l’ampleur assumée
par le réarmement, tout laisse prévoir que le Reich s’oriente
vers une armée nationale e t que des décisions dans ce sens
ne tarderont pas à être prises. Mais cette armée, qui la
commandera? De quoi sera-t-elle faite? Ces questions capi-
tales restent encore en suspens. D’ailleurs, les négociations
avec les Alliés ne sont pas encore rompues, et il n’est ques-
tion, pour l’instant, que d’une armée de trois cent mille
hommes.
Le 21 février 1934, M. Eden arrive à Berlin. Au cours des
conversations qu’il a avec le Lord du Sceau privé, Hitler
(comme nous l’avons vu) accepte de promulguer un certain
nombre de mesures garantissant le caractère non militaire
des S. A. et des S. S. Le 16 avril, M. von Neurath renou-
velle ces propositions par écrit, dans une note adressée au
Gouvernement britannique.
Comme on pouvait s’y attendre, ces mesures, mal inter-
prétées, mécontentent vivement Rohm. I1 croit qu’Hitler
veut sacrifier aux nécessités de sa politique étrangère l’ar-
mée qu’il a mis sept ans à organiser et qui n’a plus qu’un
pas à accomplir pour devenir la nouvelle armée nationale.
I1 insiste pour faire une déclaration aux représentants de
la presse étrangère à Berlin. C’est en vain que Gœbbels
s’efforce de l’en dissuader.
- La révolution que nous avons faite, déclare Rohm le
18 avril, n’est pas une révolution nationale, mais une révolu-
tion nationale-socialiste. Nous tenons même à souligner ce
L ~ ~ D I F I C A T I ODU
N 1x19 REICH 175
dernier mot socialiste. Le seul rempart qui existe contre la
réaction est représenté par nos Sections d’Assaut, car elles
sont l’incarnation totale de l’idée révolutionnaire. Le mili-
t a n t en chemise brune s’est engagé dès le premier jour sur
la voie de la révolution, et il n’en déviera pas d’une semelle,
jusqu’à ce que notre dernier objectif soit atteint.
Faisant écho au chef d’État-Major, Heines, commandant
de la division de Silésie et l’un des généraux de S. A. les plus
puissants après Rohm, affirme au cours d’une parade à
Altheide (Silésie) :
- Nous avons juré de rester révolutionnaires Nous ...
ne sommes encore qu’au commencement ... Nous ne nous
reposerons que lorsque la révolution allemande sera ter-
minée.
Quant à Ernst, commandant de la division de Berlin-
Brandebourg, il profère, le lendemain, ces paroles menaçantes :
- Le peuple allemand a été réveillé par le pas cadencé
des colonnes de S. A. Douze années de combat nous ont
donné la victoire. Nous saurons empêcher l’Allemagne de se
rendormir!
Le 17 avril, M. Barthou a coupé court aux négociations
anglo-allemandes. Sentant que le problème de l’armée va
se poser à bref délai, Rohm expose ses désirs au cours d’une
séance du Cabinet. Dès 1920, dit-il, Hitler a proclamé, dans
l’article 22 du programme de la N. S. D. A. P. : a Nous exi-
geons la suppression du corps de mercenaires et son rem-
placement par une armée nationale 1. >) E n 1923, il a écrit
dans Mein Kampf que les S. A. devaient former l’embryon
de l’armée future 2. Maintenant on va amorcer ouvertement
le réarmement de l’Allemagne et des centaines de mille
hommes vont être appelés SQUS les drapeaux. Le moment
est donc venu d’incorporer en masse les S. A. à la Reichs-
wehr. Les Stürme deviendront des bataillons, les Standar-
ten des régiments, chaque chef conservant le grade qu’il
détient dans l’armée brune. Les commandants de brigade
et de division seront maintenus au rang de général. Rohm,
pour sa part, demande le poste de Chef d’État-Major
général, ou à défaut du commandement en chef, le ministère
de la Reichswehr.
Mais le général von Blomberg s’insurge contre ces préten-
1. Voir vol. II, p. 249.
2. Voir vol. II, p. 316.
176 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

tions. L’armée brune est tout au plus une armée de guerrecivile.


Elle serait incapable de soutenir victorieusement une guerre
étrangère. La Reichswehr n’enrôlera jamais en bloc des
unités de la S. A. et ne reconnaîtra pas non plus les grades
obtenus dans les Sections d’Assaut. Quiconque veut entrer
dans l’armée doit y venir individuellement et commencer
par l’échelon le plus bas de la hiérarchie.
- Agir autrement, déclare le ministre de la Reichswehr,
serait briser complètement l’unité de l’armée. C’est là une
responsabilité que je me refuse à prendre.
Dans ce débat orageux, Hitler se range du côté de Blom-
berg. (( Placer le chef des S. A. à la tête de l’armée, dira-t-il
plus tard, eût été désavouer les conceptions politiques que
j’ai suivies pendant plus de quatorze ans. Même en 1923,
j’ai proposé, pour commander l’armée, un ancien oficier
(Ludendorff) e t non l’homme qui commandait alors les
Sections d’Assaut (Gœring). J’étais lié non seulement par
la promesse que j’avais faite au président du Reich de tenir
l’armée à l’écart de la politique, mais aussi par mes convic-
tions personnelles. E n outre, il m’eût été humainement
impossible de commettre une action aussi déloyale vis-à-vis
du ministre de la Guerre du Reich, qui s’était employé de tout
cœur à réconcilier l’armée avec les révolutionnaires d’hier e t
le gouvernement d’aujourd‘hui. I1 n’y a dans l’Etat qu’une
seule force armée : la Reichswehr, e t qu’un seul agent d u
pouvoir politique : le Parti national-socialiste 1. ))
D’ailleurs, comment Hitler pourrait-il hésiter entre la
clique d’aventuriers qui gravite autour de Rohm e t la
pléiade de généraux qui entoure Blomberg? Comment pour-
rait-il sacrifier la Reichswehr, en qui se perpétuent plusieurs
siècles de traditions militaires, à un instrument qu’il a forge
lui-même en quelques années, dans un but exclusif de pro-
pagande et de politique intérieure?
De telles exigences l’étonnent de la part de Rohm, car
elles témoignent d‘une méconnaissance absolue des fonctions
respectives de l’armée et des S. A. La Reichswehr est, e t
doit rester un organe apolitique. La S . A., en revanche, est
essentiellement politique. L’une est a u service de la nation,
dont elle défend le territoire. L’autre est l’instrument du
Parti, dont elle propage les idées. Elles forment les deux

1. Discours prononce au Reichstag le 18 juillet 1986.


L’SDIFICATION
DU I I I ~REICH 177
colonnes sur lesquelles repose le IIIe Reich. Les unir, ou
même les confondre, serait provoquer l’écroulement de l’édi-
fice. I1 n’est pas plus question d’incorporer en masse les
Sections d’Assaut à l’armée, que de dissoudre la S. A. a u
bénéfice de la Reichswehr.
L’écho de ces dissensions est parvenu aux oreilles des
milieux militaires. Ceux-ci en sont d’autant plus a .fectés
que la santé d u Maréchal Hindenburg décline. I1 faudra
bientôt songer à lui donner un successeur, question d’autant
plus grave que le président d u Reich est le Chef suprême
de l’armée. Or, t a nt que le conflit avec la S. A. n’est pas
résolu, la Reichswehr juge plus prudent de garder ses dis-
tances.
Les événements récents l’incitent même à renforcer sa
vigilance. Elle a laissé le National-socialisme venir a u pou-
voir. Elle a même consenti à participer aux fêtes d u lermai.
Mais elle n’ira pas plus loin tan t qu’elle sentira cette épée
de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête. Au cours d’une
réunion tenue à Bad Nauheim SOUS la présidence du général
von Fritsch, les généraux examinent la situation e t décident
de ne tolérer à aucun prix que l’armée soit soumise à l’in-
fluence des Partis. Nul doute qu’ils ne se rappellent le pré-
cepte de von Seeckt, qui semble avoir été écrit en prévision
de la crise actuelle :
I1 arrive qu’un chef de Parti se trouve haussé à la tête de
l’État. Mais cette situation présente un grave danger, car
cet homme peut être incapable d’harmoniser e t de -0ordonner
toutes les forces de la nation, de sorte qu’un chef .e Parti se
trouve là où devrait se trouver un chef d’État. Peut-être un
tempérament exceptionnellement doué pourra-t-il opérer en
lui-même la transformation nécessaire. Mais il se heurtera en
cours de route à des suspicions légitimes.
Toute grande mission humaine exige des sacrifices. Un
peuple exige, lui aussi, des sacrifices de la part de son chef.
Les sentiments personnels ne doivent jouer aucun rôle, au
regard de la raison d’État dont il est l’incarnation vivante, e t
sa volonté ne doit être soumise qu’l cette seule maxime :
Salus rei publicae summa lea I.

1. a La loi suprême est Is salut de la C b publique. (General von SEBCKT,


Geùanken sines Soldaten, p. 191-192.)
IU 12
178 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

*
* *
Les plaintes contre la S. A. se multiplièrent au cours
des mois d’avril et de mai, déclare Hitler. Le chef d’État-
Major chercha à nier la réalité des faits et traita ces griefs
de pures calomnies à l’égard des Sections d’Assaut. Le
mécontentement croissait au sein du Parti. La S. A.
s’isolait de plus en plus.
(( A la suite de ces incidents, des discussions très vives

eurent lieu entre le chef d’État-Major et moi, au cours des-


quelles, pour la première fois, des doutes s’élevèrent dans mon
esprit sur la loyauté de cet homme.
(( A partir du mois de mai, aucun doute ne fut plus 110s-

sible : Rohm caressait des‘projets dont la réalisation eût


provoqué les perturbations les plus graves. Mais je ne FIOU-
vais me faire à l’idée que des relations que je croyais basées
sur la fidélité la plus absolue reposaient sur un mensonge.
Par ailleurs, j’espérais toujours épargner au Mouvement e t
à ma S. A. la honte d’un conflit public. J e pensais encore
pouvoir écarter le danger, sans avoir besoin de recourir à la
manière forte l. ))
Mais les divergences ne font que s’accentuer entre Hitler
et Rohm. Évincé de la police par Gœring, écarté de l’armée
par Blomberg, Rohm sent le terrain se rétrécir autour de
lui. Tandis que ses rivaux sont solidement établis dans des
positions officielles et vivent, comblés d’honneurs, dans des
palais somptueux, lui se sent tenu en marge des événements
et voit sa carrière aboutir à une impasse. Ministre sans
portefeuille, chef d’État-Major des S. A. e t lieutenant-colo-
nel bolivien, il n’est toujours, pour les généraux de la Reichs-
wehr, qu’un simple capitaine en retraite. Suspect à la plu-
part des membres du Cabinet, dénoncé sans cesse pour ses
mœurs corrompues, ce faiseur de coups d’État et de pro-
nunciamientos se trouve de plus en plus dépaysé dans un
régime où les puissances d’ordre se raffermissent à vue
d’œil. Comme toujours, son caractère anarchique se rebelle.
A-t-il jamais accepté le joug d’aucune loi? Autant qu’il
s’en souvienne, il se voit toujours en rébellion contre les
autorités établies. I1 a quitté l’armée en 1921 et, jusqu’en
1923, il a espéré entraîner l’armée dans sa révolte. I1 y a
1. Discours au Reichstag du 13 juillet 1934.
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 179
échoué. I1 est alors devenu l’ennemi de la Reichswehr e t
a édifié à c6té d’elle une puissante légion personnelle. Après
son désaccord avec Hitler en 1924, il a préféré s’expatrier
plutôt que d’accepter des directives contraires à son tem-
pérament bagarreur. I1 se revoit ensuite à La Paz, dans le
climat chaud e t moite de cette petite République sud-améri-
caine, où les aventuriers amuent de tous les coins du monde,
mercenaires et trafiquants de drogue, desperados e t courtiers
d’armements, les uns vendant leur sang au plus offrant, les
autres amassant des fortunes dans les tripots et les ministères.
Jamais il ne s’est senti plus à l’aise que dans ce milieu où
la vie coulait à pleins bords et n’était qu’une succession
d’échauffourées et de rixes. Puis il est rentré en Allemagne
où il a édifié, section par section et régiment par régiment,
une gigantesque armée de trois millions d’hommes. E t main-
tenant qu’il est sur le point de toucher au but, il devrait
s’effacer pour laisser la place à d’autres? Cela, c’est impos-
sible! Jusqu’à la fin, Rohm restera ce qu’il a toujours été :
un rebelle et un conspirateur. Cette loi est trop profondé-
ment inscrite dans son sang pour qu’il puisse la trahir.
C’est sa grandeur, sans doute, mais c’est aussi son drame.
Car cette fidélité à son propre destin finira par l’emporter
sur la fidélité à son chef.
D’ailleurs, Rohm n’a aucune sympathie pour le Reich
autarcique et hiérarchisé qu’Hitler est en train de cons-
truire, ni pour l’État mystique et (( ducal )), inspiré de l’Ordre
teutonique, dont Rosenberg s’est fait le théoricien et le
propagandiste. I1 préférerait de beaucoup une sorte de
République prétorienne, un S. A . - S t a a t où les Sections
d’Assaut exerceraient directement le pouvoir, un Reich
socialiste et militaire, basé sur la primauté du (( soldat
éternel D, et sur lequel les chemises brunes régneraient comme
les lansquenets de Wallenstein.
Pour réaliser ce projet, Rohm commence par élargir les
services de son État-Major. Aux nombreuses sections déjà
existantes - personnel, hygiène, justice, instruction, etc.
- il ajoute un service politique et un service de presse
indépendants de ceux du Parti 2, qui transforment 1’Etat-

1. Voir plus haut, p. 4 2 .


2. Ceux-ci font double emploi avec les organee similaires de la N. S. D. A. P.,
notamment le Wehrpolitisches-Amt et les services de la propagande dirigés par
Gœbbels.
180 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ B ALLEMANDE

Major des S. A. en un véritable gouvernement autonome.


Trois groupes se constituent alors parmi les commandants
de S. A. D’abord une petite camarilla rassemblée autour de
Rohm, qui comprend les généraux les plus puissants de
l’armée brune et que lie la communauté des mœurs et de
l’ambition. Puis, un certain nombre de chefs, non inféodés à
cette coterie, mais qui continuent à obéir à Rohm par
esprit de discipline. Enfin, quelques chefs évincés du Haut-
Commandement qu’inquiètent les projets de Rohm et qui
sont passés à l’opposition, tels Victor Lutze, le chef des
S. A. de Hanovre, et Himmler, le chef des S. S.
Même si nous ne savions rien du caractère de Rohm, les
hommes dont il s’entoure sufiraient à nous le dépeindre. 11
y a là des anciens combattants et des soldats irréprochables,
mais aussi des individus brutaux et dépravés. Les membres
les plus marquants de ce dernier groupe sont Edmund
Heines, général des S. A. de Silésie, ancien membre du
corps franc Rossbach, qui a pris une part active à la lutte
contre Korfanty; Karl Ernst, général des S. A. de Berlin
e t successeur de Horst Wessel, qui a participé à la répres-
sion sanglante des séparatistes rhénans ; Peter von Hey-
debreck, général des S. A. de Poméranie, organisateur du
corps franc du même nom, qui a combattu à la bataille du
Klodnitz et a fondé ensuite des sociétés de gymnastique
racistes; Hans Hayn, général des S. A. de Saxe, un des
protagonistes du putsch de la Reichswehr noire; Manfred von
Killinger, qui a été mêlé au procès de l’organisation Consul
après le meurtre de Rathenau, e t qui fut jadis chef du
bureau militaire de la brigade Ehrhardt; Konrad Schrag-
muller, chef des S. A. de Magdebourg, ancien membre du
corps franc d’Yorck, qui se distingua aux batailles de Baiiske
e t de Thorensberg; August Schneidhuber, général des S. A.
de Bavière et préfet de police de Munich, ancien membre
de 1’0rgesch et l’un des organisateurs de 1’Einwohnerwehr
bavaroise; Rolf Reiner, chef du bureau politique de la S. A.
et aide de camp de Rohm, ancien membre de la Reichs-
kriegsflagge lors du putsch de Munich; Gerd, ancien oficier
aviateur de l’escadrille Richthofen, camarade de front de
Gœring et décoré comme lui, de l’ordre (( Pour le Mérite 1);
von Detten, Uhl, Kopp, d’autres encore...
- Comme le chef d’État-Major ne savait pas au juste dans
quelle mesure je m’opposerais à la réalisation de ses projets,
L’EDIFICATION DU 1x10 REICH 181
dit Hitler, un premier plan fu t dressé pour me forcer la
main. On prépara méthodiquement l’ambiance psycholo-
gique nécessaire à la proclamation de la seconde révolution.
On dit aux membres des Sections d’Assaut que la Reichs-
wehr avait décidé de les dissoudre et que j’étais personnelle-
ment gagné à ce projet. On rassembla un trésor de guerre
de 12 millions de marks. Enfin on créa des troupes de choc
spéciales, camouflées sous le nom de Gardes d’Etat-Major
(Stabswachen). On déclara que mes hésitations obligeaient
la S. A. à agir de sa propre initiative, mais que je m’inclinerais
certainement devant le fait accompli l.
I1 est certain que la longue impunité dont ils ont joui jus-
qu’ici rend les chefs de S. A. de plus en plus audacieux.
D’une part, ils encensent Rohm et le persuadent qu’il est
(( l’homme fort )) qu’attend l’Allemagne et qu’il n’aurait qu’un

geste à faire pour supplanter Hitler. De l’autre, ils n’hésitent


pas à proclamer que la seconde revolution est proche, que
le jour où elle éclatera, ils régleront leurs comptes avec tous
leurs ennemis, et que ce sera le début d’un carnage tel que
l’Allemagne n’en a encore jamais vu.
Enhardis par les déclarations cyniques et le mauvais
exemple de leurs chefs, de petits groupes de S. A. com-
mencent à se livrer, ici et là, à des actes de violence. Dans
les derniers jours de mai, des pelotons de chemises brunes
saccagent les grands magasins Karstadt à Hambourg. La
police doit intervenir pour rétablir l’ordre. Des scènes du
même genre se produisent à Francfort et à Dresde. A Munich,
où les esprits sont survoltés, des Gardes d’État-Major
parcourent les rues en chantant des couplets révolution-
naires. L’un d’eux a pour refrain ce vers significatif :

Aiguisez vos longs couteaux sur le rebord d u trottoir!

Au début de juin, Hitler fait une ultime tentative de conci-


liation. I1 a avec Rohm une entrevue de cinq heures qui dure
jusqu’à minuit. Le chef d’État-Major commence par l’accu-
ser, sur un ton amer, de trahir le Parti et de préparer la
dissolution des S. A., de connivence avec la Reichswehr. (( J e
lui répondis que c’était absolument faux, déclarera plus
tard Hitler, et qu’il n’était nullement question de dissoudre

1. Diacoun du 13 juillet 1934.


182 HISTOIRE D E L’ARMEE ALLEMANDE

les S. A.; mais qu’en revanche, je briserais personnellement


- et sur-le-champ -toute tentative susceptible de replonger
l’Allemagne dans l’anarchie et que quiconque s’attaquait à
l’État devait me compter à l’avance au nombre de ses enne-
mis. J e le conjurai une dernière fois de s’opposer de lui-même
à toute cette folie, pour éviter une catastrophe 1. n
Rohm sort de cet entretien profondément déçu. I1 com-
prend qu’il ne ralliera jamais Hitler à ses vues2. I1 s’incline
en apparence devant les admonestations du Führer; mais
il forge aussitôt un second plan, qu’il communique aux
membres de son entourage.
Un coup de force sera déclenché prochainement à Berlin.
Les S. A. occuperont par surprise les bâtiments ministériels.
Dès la première heure, Hitler sera emprisonné et mis au
secret pendant quarante-huit heures. De cette façon on
pourra prétendre que le reste de l’action s’effectue en
son nom. Quant aux hommes chargés de son arrestation,
on leur dira que le Führer est secrètement d’accord avec
l’opération projetée, mais qu’il ne veut pas se trouver mêlé
à l’affaire, car il est moralement prisonnier de la réaction.
Ce plan est aussitôt adopté par la camarilla. Hayn, en
Saxe, et Heines, en Silésie, sondent la police pour savoir
comment elle réagira.
Pourtant, Hitler répugne toujours à prendre des sanctions.
I1 craint que le spectacle des querelles internes du Parti
n’ébranle la confiance de la nation et que l’opposition n’en
profite pour dire qu’il a perdu le contrôle de ses troupes.
Espérant que les esprits finiront par se calmer, il signe, le
6 juin, un décret prescrivant un mois de vacances pour
tous les S. A., à dater du l e r juillet. Défense leur est faite,
durant cette période, de porter l’uniforme, de tenir des
réunions et de prendre part à des manifestations ou à des
défilés. Par cette mise en congé d’un mois, Hitler pense faire
coup double. D’une part, elle prouvera à l’étranger que
la S. A, n’est pas une armée, qu’elle ne nourrit aucun dessein
belliqueux et que le calme règne en Allemagne. De l’autre,

1. Discours du 13 juillet 2934.


2. On remarquera que cette discussion reproduit exactement, mais en beau-
coup plus grave, celle qui avait eu lieu en février 1924. En y regardant do pluri
prks, on a l’impression qu’Hitler et Rohm n‘ont jamais BU la même concuplion du
r6i4 deo Sections d’Assaut. Lea péripéties de la lutte leur ont masqué leurs diver-
gences, Maintenant que la lutte ert terminée, ce8 divergences bolatent.
L’ÉDIFICATION D U I I I ~REICH 183
elle démontrera aux chemises brunes que leur présence n’est
pas indispensable à la vie du pays.
Le surlendemain, 8 juin, Rohm réplique à ce décret en
faisant publier dans toute la presse le communiqué suivant :
Les ennemis des S. A. recevront la réponse qu’ils méritent
en temps opportun e t dans la forme voulue. Si nos ennemis
croient que les S. A. ne reviendront pas de leur congé, ou
n’en reviendront que partiellement, ils se trompent. Les S. A.
sont e t demeurent maîtres du destin de l’Allemagne!

Contrairement aux usages, cette proclamation qui sonne


comme un défi, ne se termine pas par le Heil Hitler!
rituel.
Sa publication est d’ailleurs une maladresse insigne. Du
coup, toute l’Allemagne est avertie que (( quelque chose de
grave )) se passe dans les Sections d’Assaut. Jusqu’ici,
personne n’en savait rien, en dehors de quelques initiés.
Maintenant que la querelle a été portée sur la place publique,
chacun attend avec curiosité la suite des événements, sans
se douter pour autant du drame qui se prépare 1.

+ +

Hitler lui-même ne s’en doute pas non plus. I1 croit s’être


débarrassé d’une affaire qui l’importune d’autant plus que
son esprit est accaparé par de tout autres soucis.
A la suite du rapprochement qui s’est opéré, en marge de
la Conférence du désarmement, entre Paris, Londres e t
Washington d’une part, Paris, Varsovie et Prague de l’autre,
l’Allemagne a peur de se trouver isolée. Voulant parer au
plus pressé, Hitler envoie Gœring à Budapest, où le président
du Conseil prussien est reçu par le régent Horthy. Puis, il
dépêche Gœbbels à Varsovie, pour y faire une conférence
sur la politique de paix de l’Allemagne. Enfin, le 14 juin, il
prend lui-même l’avion pour Venise afin d’y conférer avec
Mussolini.
L’annonce de cette entrevue éclate comme une bombe
dans les milieux internationaux. Tous les journaux du monde
téléphonent à Berlin pour avoir confirmation de la nouvelle,
avant de la publier. Leurs commentaires sont à l’image de
1. Peter KLSIST,Auch Du warst dabsi, p. 94 s t s.
184 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

leurs appréhensions. Les éditorialistes y dénoncent les dan-


gers d’un accord italo-allemand. Mais en même temps, ils
soulignent les obstacles qui s’y opposent. Le Tyrol du Sud,
l’Autriche et les Balkans sont des zones d’intérêt si impor-
tantes pour l’Italie que Mussolini ne saurait y renoncer. Bref,
avant même qu’Hitler soit arrivé à destination, on lui prédit
qu’il ne tirera de ce voyage ni profit, ni plaisir.
Cette prédiction se réalise : il n’en retire aucun. I1 est
reçu à Strà, près du Lido, par un Mussolini sanglé, botté,
chamarré, triomphant. Le Duce abuse d’ailleurs cruelle-
ment de ses avantages. I1 prend partout le pas sur son invité
et le relègue au second plan; place Saint-Marc, oii il harangue
la foule d’un balcon des Procuraties, il ne s’occupe pas plus
de lui que s’il n’existait pas l.
Hitler a d’ailleurs piètre mine, avec son complet-veston,
son manteau de gabardine grise et ses souliers vernis trop
étroits qui le font souffrir. Plongé dans ses pensées, l’air
absent et morose, c’est avec un mélange de colère et d’en-
vie qu’il écoute parler le chef du gouvernement italien, qui
semble avoir réglé victorieusement tous ses problèmes.
Mussolini, de son côté, traite Hitler avec condescendance.
I1 lui parle avec l’assurance d’un maître initiant un novice
aux secrets de sa profession. I1 lui prodigue les conseils,
se donne en exemple e t décrit la façon dont il révoque
de temps à autre les membres de son entourage pour les
empêcher d’accaparer la faveur du public. Le Duce pense
manifestement à Grandi, à Balbo, à Volpi, - mais le nom
qu’il prononce est celui de Rohm et il ne cache pas son
antipathie (( pour le comportement et les méthodes de ce
singulier personnage ».
Chacune de ces paroles blesse profondément Hitler. Mais
lorsqu’il cherche à aborder des questions de politique géné-
rale, Mussolini détourne la conversation, comme si son pou-
voir était trop mal assuré pour que cela vaille la peine de
s’en entretenir avec lui. Lorsque Hitler, ulcéré, reprend
l’avion pour Berlin, tout ce qu’il rapporte de son voyage
est ce conseil humiliant :
- Commericez donc par mettre un peu d’ordre dans votre
maison!
1. Lar Lcttrss secritas Cchangéss par Hi& st Mussolini, préface d’André François-
Poncet, p. 12. Voir aussi Ciano. Pour le reste, of. Peter KLEIST, Auch Du warst
dabei, p. 95 e t 8 .
L’EDIFICATION DU III* REICH 185
Ce n’est pas un propos en l’air. La situation qu’il trouve
en rentrant en Allemagne est de nature à justifier les pires
appréhensions.

*
* *

Durant son voyage en Italie, l’expédition des affaires


courantes a été confiée au Vice-Chancelier von Papen, Or,
celui-ci a voulu profiter de l’absence d’Hitler pour tenter
de reprendre les rênes du pouvoir. I1 se repent d’avoir
cautionné le chef des chemises brunes auprès d’Hindenburg
et souffre des reproches qu’on lui adresse à ce sujet. Ses
collaborateurs les plus intimes - parmi lesquels figurent
des journalistes de talent comme Edgar Jung e t Walther
Schotte, et des hauts fonctionnaires comme Erich Klausener
et le Ministerialrat von Bose -l’adjurent de saisir l’occasion
au vol et d’évincer Hitler avant le décès du Maréchal. Ils
lui assurent que sa position est assez solide pour lui per-
mettre de parler haut et fort. Ils lui conseillent de présenter
au peuple un nouveau programme de gouvernement, sus-
ceptible de lui rallier les partis de droite et la hiérarchie
catholique.
Jung et le Dr Schotte commencent par jeter sur le papier
les grandes lignes d’un discours qu’ils voudraient voir pro-
noncer par le Vice-Chancelier. Puis Bose se rend à Neudeck,
la maison de campagne d’Hindenburg, pour recueillir l’ap-
probation du vieux Maréchal. Le 14 juin, Hitler prend l’avion
pour l’Italie. Trois jours plus tard, von Papen prend la parole
à Marburg.
La date et le lieu de la manifestation ont été admirable-
ment choisis. A Fulda, non loin de la petite ville universitaire
de Marburg, siège depuis quelques jours la conférence des
archevêques allemands sous la présidence du cardinal Ber-
tram, primat de Silésie. Celui-ci vient d’adresser à ses ouailles
un appel vibrant pour les supplier (( de ne pas écouter la
voix des faux prophètes et de ne pas emboîter le pas aux
athées qui s’engagent, le bras tendu, dans une guerre à
outrance contre la foi chrétienne D. L’allusion est assez claire
pour être comprise de tous.
Le discours de von Papen est une paraphrase habile des
exhortations du Cardinal. Il y dénonce sans ménagements
186 HISTOIRE DE L’ARMI~E ALLEMANDE

les fanatiques e t les bavards qui parlent inconsidérément


((

de déclencher une seconde révolution 1).


a Le fleuve de l’histoire, affirme-t-il, coule selon son propre
rythme et n’a nullement besoin d’être accéléré,.. L’Allemagne
ne doit pas devenir un train lancé à l’aventure, dont nul ne
sait où il s’arrêtera ... Les grands hommes ne sont pas créés
par la propagande, mais par la valeur de leurs actes et le
jugement de l’histoire... Une intelligence déficiente ou pri-
maire ne qualifie personne pour engager une lutte contre
l’esprit ...
c La situation est mauvaise, les lois sont imparfaites, des
actes injustes et arbitraires sont commis quotidiennement. Le
système du Parti unique, qui a remplacé l’ancienne pluralité
des partis n’est justifié qu’aussi longtemps qu’il est indispen-
sable à la sécurité de la révolution e t jusqu’à l’entrée en fonc-
tion de nouvelles personnalités sélectionnées ))...
Pour terminer, von Papen met courageusement le doigt
sur la plaie :
u Tout processus de purification, déclare-t-il, laisse néces-
sairement des scories dont un chef de gouvernement doit
éviter la souillure. L’étranger désigne ces scories du doigt
et y voit un symptôme de décomposition. Qu’il ne s’en réjouisse
pas trop tôt! Car si nous trouvons en nous-mêmes l’énergie
nécessaire pour nous en débarrasser, nous prouverons par là
que nous sommes assez forts pour ne pas laisser défigurer
notre révolution et la maintenir dans la voie que nous lui
avons tracée. D

Ces phrases du Vice-Chancelier provoquent une vive sen-


sation à l’étranger. Mais pas en Allemagne, où elles passent
inaperçues. Ce n’est pas sans raison que Gœbbels a mis
la presse u au pas )) e t qu’il exerce sur elle un contrôle
absolu. Seule, la Frankfurter Zeitung ose reproduire des
extraits du discours de Marburg. Son numéro est immé-
diatement saisi e t les exemplaires d’abonnés retirés des
bureaux de poste. De sorte que la seule réponse a u dis-
cours de von Papen est un silence de mort. Les évêques de
Fulda ne relèvent pas le gant. Brüning émigre quelques
jours plus tard aux États-Unis...
Mussolini a conseillé à Hitler de (( mettre de l’ordre dans
sa maison P. Mais par où commencer? Les premières nou-
velles qu’on lui apporte à sa descente d’avion sont des
L’ÉDIFICATION DU 1110 R E I C H 187
comptes rendus sténographiques de la réunion de Marburg.
Hitler s’emporte (( contre le jargon prétentieux des milieux
réactionnaires D. I1 en a assez d’être en butte à leurs cri-
tiques! Mais au moment où sa vindicte va s’abattre sur eux,
Gering lui apporte un dossier de police sur Rohm et les
S. A. qui oriente sa colère dans une autre direction.
Ce dossier a été établi par les soins de Daluege, le nouveau
Directeur général de la police. I1 se compose d’un monceau
de lettres saisies par la censure, de feuilles d’écoute télépho-
nique reproduisant des conversations échangées par les
chefs de la S. A., de rapports d’indicateurs et de dénoncia-
teurs anonymes. Sans doute n’y est-il pas question d’un
attentat contre Hitler, mais leur lecture n’en révèle pas
moins un état d’esprit inquiétant. Les chefs des Sections
d’Assaut n’y cachent pas leur refus d’accepter leur mise en
vacances. Jamais ils ne toléreront qu’on les dépouille de leur
pouvoir; ils comptent, au contraire, se servir de leur puis-
sance (( pour briser - de gré ou de force - les chaînes que
les partis réactionnaires ont imposées à Hitler ».
I1 ressort, en outre, de cet ensemble de documents, que
les généraux de S.A. n’éprouvent qu’un respect mitigé pour
la personne de leur chef. En les parcourant, Hitler se heurte
à mainte épithète malsonnante, à mainte réflexion sarcas-
tique qui le blessent d’autant plus qu’elles émanent d’indi-
vidus qu’il a tirés du néant et qui lui doivent tout. Sans
lui, que serait Heines, qui mène une vie de satrape et
commande à quatre-vingt-cinq mille hommes en Silésie? Un
pauvre garçon de café ...
Hitler hoche la tête : si jamais ces éléments prenaient
le dessus, jamais ils ne lui laisseraient accomplir sa tâche :
ils l’acculeraient à la guerre civile. La Reichswehr serait
obligée d’intervenir. Qui sait si l’étranger n’en ferait pas
autant? On reviendrait alors aux jours sombres de 1919.
Ce serait l’effondrement du IIIe Reich, cet effondrement
que ses ennemis attendent avec tan t d’impatience.
S’il ne veut pas compromettre la reconstruction en cours,
Hitler ne peut se contenter de demi-mesures. I1 doit briser,
une fois pour toutes, la fronde de la S. A. Pour cela, il
doit imposer envers et contre tout sa mise en congé et pro-
fiter de ce délai pour épurer ses cadres. Quand la S. A.
reviendra de cette période de u vacances »,ce ne sera en
tout cas plus sous sa forme actuelle ...
188 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

Le 23 juin, Hitler se rend à Neudeck, pour faire part à


Hindenburg des décisions qu’il vient de prendre. Mais le
vieux Maréchal est très affaibli et ne peut le recevoir
qu’entre deux portes. Son humeur est exécrable. Sans laisser
à Hitler le temps de lui exposer les motifs de sa visite, il lui
reproche en termes amers (( de laisser certains jeunes gens
évoquer la possibilité d’une seconde révolution )) et l’assure
a que Rohm et ses S. A. sont de connivence avec eux ».
- I1 est grand temps que vous mettiez un peu d’ordre
dans la maison! lui dit-il d’une voix lasse, en le congédiant
de la main.
C’est la deuxième fois qu’Hitler reçoit le même (( conseil 1).
D’abord Mussolini, maintenant Hindenburg! E t ce n’est pas
fini. Car le général von Blomberg, qu’il croise en sortant
de la chambre à coucher du Maréchal, va revenir sur ce
thème pour la troisième fois.
- L’Armée a besoin de temps et de réflexion pour achever
sa transformation, lui dit le ministre de la Reichswehr.
Si le Parti doit fusionner avecI’État, encore ne faut-il pas
que ce soit au détriment de l’fitat. I1 serait temps de mettre
un terme à cette agitation malsaine et de ramener à la
raison les extrémistes de votre Parti ...
*
i *

Mais à Neudeck, Hitler n’essuie pas que des rebuffades.


I1 y recueille par hasard une information des plus intéres-
santes, à savoir que le général von Schleicher recommence ses
intrigues et qu’il a renoué des relations secrètes avec Gregor
Strasser.
Après Rohm, von Papen! Après Papen, Schleicher...
Sitôt rentré à Berlin, Hitler cherche à obtenir confir-
mation de cette rumeur. Quelques heures plus tard, les
preuves sont sur sa table. Donc la police le savait!
Comment se fait-il qu’elle ne l’en sit pas informé plus
tôt?
Schleicher, en effet, est loin d’être inactif. L’ancien (( Chan-
celier rouge )) n’a pas oublié la façon dont Hitler a provoqué
sa chute en 1933, e t estime que l’heure est venue de
lui faire payer sa disgrâce. Général sans armée, fasciste
sans convictions et Socialiste sans appuis dans la classe
ouvrière, il a perdu ses amis en perdant Eon ministère.
L’EDIFICATION DU 1110 REICH 189
Mais maintenant que les événements semblent tourner en
sa faveur, il voit la possibilité de tout reconquérir d’un
seul coup.
En décembre 1932, il a cherché à saper le pouvoir d’Hitler
en entraînant dans son camp Gregor Strasser et les syndi-
cats ouvriers. A présent, il songe à s’allier à Kôhm, avec
lequel il est en rapports suivis par l’entremise d’un ancien
membre du Stahlhelm, le baron Werner von Alvensleben.
Les plans élaborés par Schleicher sont relativement simples.
A ses yeux, le régime actuel ne saurait durer plus long-
temps. Le gouvernement national-socialiste doit céder la
place, pour un temps, à une dictature militaire. Puis
on passera à l’édification du a Reich social N l . Déjà cir-
culent des listes de la future combinaison ministérielle
- sans qu’on puisse savoir, d’ailleurs, si elles émanent de
Schleicher ou d’agents provocateurs. On suppose Hinden-
burg mort et remplacé par le prince Auguste-Guillaume
de Hohenzollern, un être faible et sans caractère, qui
prendra le titre de Régent d’Empire. Hitler sera assas-
siné. Schleicher deviendra Chancelier - à sa place. Gregor
Strasser recevra le portefeuille de 1’Economie nationale.
Quant à Rohm, il deviendra ministre de la Reichswehr,
a car il convient que les formations nationales et l’armée
soient entre les mêmes mains ».
Strasser et Rohm ayant approuvé ce programme, Schlei-
cher se croit assuré du succès. Peu de temps auparavant, il a
rencontré M. François-Poncet chez un grand financier de
la capitale. Au cours de son entretien avec l’ambassadeur de
France, il lui aurait laissé entendre que la chute d’Hitler était
imminente et que les jours du gouvernement étaient comp-
tés 2. Maintenant il déclare, en parlant des Nationaux-socia-
listes :
- Toute cette bande de crapules sera bientôt balayée.
Et à ceux qui s’effrayent de ce langage imprudent, Schlei-
cher répond avec sufisance :
1. Cf. The New Statesman, du 8 juillet 1934 : Schkicher‘s political dream.
2. Cf. La dépêche de l’United Press du 5 juillet 1934. C’est cette conversation,
rapportée à M. Barthou, qui aurait incité le ministre des Affaires étrangéres à
dire au représentant d’une Puissance étrangère - probablement lord Tyrrell
- que la France n’était pas disposée à faire des concessions à l‘Allemagne dans
(I

la question des armements, car les jours du regime hitlérien étaient comptés 1).
Ce fait est confirmé par Churchill dans le premier volume de ses Mémoires. En
revanche, M. FRANÇOIS-PONCET, dans ses Souvenirs d’une ambassade à Berlin, nie
avoir a connu et encouragé les manœuvres de R6hm et de Schieicher D.
190 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

-Ce que j e vous dis là est le secret de polichinelle!


D’ailleurs, rassurez-vous : jamais ces énergumènes n’oseront
s’attaquer à moi.
De quelque côté qu’Hitler se tourne, en cette deuxième
quinzaine de juin, il sent le sol se dérober sous ses pas.
L’armée se cantonne dans un silence énigmatique; les S.A.
sont en pleine fermentation; les vieux Partis, récemment
dissous, relèvent la tête et partout, dans l’ombre, les conspi-
rateurs s’agitent. La dictature va-t-elle s’écrouler après
quinze mois de gouvernement?

* 1

Le 24 juin, au retour d’une réception organisée par Gœring


dans son domaine de Schorfheide, des coups de feu sont
tirés sur la voiture d’Himmler. Le commandant de la milice
noire est blessé au bras, mais c’est manifestement Hitler
qui était visé. Celui-ci n’a dû son salut qu’au fait qu’il n’oc-
cupait pas sa place habituelle dans le cortège. On ne sait
qui a tiré mais? par mesure de précaution, la garde de
S. A. de Gœring est dissoute et remplacée par une
compagnie de S. S., venue de Basse-Franconie.
Le niême jour, Heines harangue une partie de la division
de Silésie, réunie à Breslau pour la fête du solstice d’été :
- Voulez-vous rallumer le feu sacré dans le cœur de notre
peuple? demande-t-il à ses hommes. Alors : dites oui!
- Oui! rugissent les quinze mille S. A.
- Voulez-vous sauter à la gorge de tous les ennemis du
véritable socialisme allemand?
- Oui! répètent les chemises brunes.
La nervosité générale s’accroît de jour en jour. Elle se tra-
duit par le ton de plus en plus agressif des discours e t des
proclamations.
Le 25 juin, dans la matinée, le Dr Schacht informe le
Chancelier que, depuis l’instauration du moratoire (9 juin
1933)) les réserves d’or de la Reichsbank sont tombées de
925 millions de marks à 150 millions, et que si cette héinor-
ragie continue, il ne restera bientôt plus rien en caisse.
- Comment remédier à cet état de choses? lui demande
Hitler.
- Restaurer la confiance, ou recourir à l’inflation, répond
laconiquement le Président de la Reichsbank.
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 191
L’inflation? Ce seul mot s u f i t à lui donner le frisson, car
pas plus que 60 millions d’Allemands, il n’a oublié les
affres de 1923. Raison de plus pour en finir avec les extré-
mistes des S. A. dont l’agitation inquiète les milieux indus-
triels e t bancaires. Hitler n’a pas seulement besoin de l’appui
de la Reichswehr. I1 lui faut aussi inspirer confiance aux
milliers d’experts, de spécialistes e t de petits fonctionnaires
qui font (( tourner )) la lourde machine économique.
Quelques heures plus tard, Rudolf Hess prend la parole à
la radio de Cologne et prévient les ennemis d u régime -
ceux de droite comme ceux de gauche - qu’ils auraient
tort de compter sur une plus longue impunité :
- Celui qui a l’honneur d’appartenir depuis longtemps au
Parti, déclare le lieutenant du Führer, verra certaines de ses
faiblesses jugées avec indulgence, en raison des services ren-
dus à la cause commune. Le Führer pardonnera les petits
écarts personnels eu égard à l’ampleur des réalisations. Mais
si le Parti est obligé d’engager la lutte, il le fera suivant le
principe national-socialiste : si t u frappes, frappe fort!
Le National-socialisme ne saurait être remplacé par la
monarchie, ni par des forces conservatrices sélectionnées I),
((

ni par des menées criminelles qui se parent du nom pompeux


de (( seconde révolution 1).
Dans les pays modernes, dotés d’une structure économique
complexe, les révolutions ne peuvent se faire sur le modèle
des coups d’fitat saisonniers des petites Républiques sud-
américaines. Si le Führer voulait jouer ce jeu, il le ferait aussi
bien que quiconque. Mais il ne l’a pas voulu. Adolf Hitler
est et demeure un révolutionnaire de grand style. Il n’a pas
besoin de béquilles!

Le 28 juin, Gœring s’adresse à son tour aux Nationaux-


socialistes de Hambourg. Sans vains effets oratoires, ni
allusions voilées, il fait savoir aux ennemis d u régime à quel
châtiment ils s’exposent :
- Tirer un peuple de la boue pour l’élever vers le soleil
est une tâche surhumaine... La base sur laquelle repose le
Reich est la confiance envers le Führer. Quiconque sape cette
confiance, commet un crime envers le peuple et se rend cou-
pable de haute trahison! Quiconque cherche à détruire cette
confiance cherche à détruire l’Allemagne! Quiconque pèche
contre cette confiance a signé son arrêt de mort!
192 EISTOIRB DE L’ARMBP ALLEYANDB

Depuis la veille, la Reichswehr est consignée dans ses


quartiers. Toutes les permissions ont été annulées et les
officiers ont reçu l’ordre de rejoindre leurs corps.
Dans le camp national-socialiste on se livre également à des
préparatifs fiévreux. Les milices noires sont en état d’alerte.
Un certain nombre de sections de S. S. sont armées de fusils
avec cent vingt cartouches par fusil. La troupe de choc
connue sous le nom de section de S, S. de Grossbeeren, est
sur le pied de guerre. Certaines formations du corps automo-
bile, ou N. S. K. K., sont mobilisées et armées de mous-
quetons l.
Sur ces entrefaites, on apprend que Rohm a convoqué
tous les commandants de S. A. à une conférence. La réunion
doit avoir lieu le 30 juin à Wiessee, en Bavière, au bord du
lac de Tegern, où le chef d’État-Major est en train de faire
une cure. De plus, toutes les unités de S. A. ont reçu l’ordre
de se tenir à la disposition de leurs chefs.
(c Comme la situation devenait de jour en jour plus explo-
sive, dit Hitler, la mobilisation des S. A. à la veille de leur
départ en congé me parut insolite. J e décidai donc de
relever le chef d’État-Major de ses fonctions, le samedi
30 juin, de le mettre aux arrêts de rigueur jusqu’à nouvel
ordre et de supprimer un certain nombre de chefs de S. A.
dont les menées criminelles étaient de notoriété publique.
En raison de la tension des événements, je pensai que le
chef d’État-Major ne m’obéirait probablement pas si je le
convoquais à Berlin ou ailleurs. J e résolus en conséquence de
me rendre moi-même à la Conférence des chefs de S. A. Me
fiant à mon autorité personnelle et à l’esprit de décision qui ne
m’avait jamais fait défaut dans les moments critiques, je
projetai d’y arriver le samedi à midi, de destituer sur-
le-champ le chef d’État-Major, d’arrêter les principaux insti-
gateurs du complot et d’adresser un appel vibrant aux autres
commandants de S. A. pour les rappeler à leur devoir2. D
A partir de ce moment, les événements se précipitent.
Le jeudi 28 juin a lieu à Berlin le Congrès des Chambres
de Commerce allemandes à l’étranger. Mais Hitler n’y paraît
pas. I1 est parti pour Essen, sous prétexte d’assister au
mariage de M. Terboven, un des membres influents du Parti,

1. Ci. Maneheaka G w d i a n , n u m h du 29 août 1934.


2. Discouni du 13 juillet 1934.
L’ÉDIPICATION DU I I I ~REICH 193
mais en réalité, pour rencontrer certaines personnalités
marquantes de l’industrie métallurgique l.
Le vendredi 29, le Führer inspecte les camps du Service
du Travail en Westphalie. Vers midi, il reçoit des renseigne-
ments inquiétants : les conjurés seraient sur le point de
passer aux actes. Hitler interrompt aussitôt sa tournée
et se rend à Godesberg, une petite ville situtte sur le Rhin
un peu en amont de Bonn, où il s’installe à l’hôtel de son
ami Dreesen, un ancien camarade de guerre. Victor Lutze,
chef des S. A. de Hanovre, et Gœbbels l’y rejoignent dans
le courant de l’après-midi. Le chef de la Propagande, qui
arrive de Berlin en avion, lui apporte des détails complé-
mentaires sur la conspiration.
La matinée a été exceptionnellement chaude; mais dans
l’après-midi l’atmosphère devient étouffante. Des nuages
s’accumulent à l’ouest et au sud. Vers 16 heures, un orege
d’une rare violence éclate s ur la vallée du Rhin. Les éclairs
strient le ciel tandis que les coups de tonnerre se succèdent
presque sans interruption, remplissant la vallée de leur gron-
dement continu.
Voici plus d’un a n qu’Hitler s’efforce d’écarter le conflit
et d’empêcher qu’il aille vers une issue tragique. A présent,
cette issue est devenue inévitable. Mais au dernier moment,
on dirait qu’il hésite. Pourtant sa ligne de conduite n’est-
elle pas clairement tracée? Comment justifierait-il la répres-
sion des meneurs communistes, s’il ne châtiait, avec la
même rigueur, ceux qui s’apprêtent, dans son propre
camp, à commettre les mêmes excès? (( Ces hommes, décla-
rera-t-il plus tard, étaient devenus aussi néfastes que ceux
que nous avions combattus 2. Mais tout dévoyés qu’ils
soient, ce sont ses camarades de lutte. Ils ont partagé pen-
dant des années les mêmes angoisses, les mêmes espérances,
et ce n’est pas sans horreur qu’il se voit contraint de sévir
contre eux.
Vers 20 heures, l’orage s’apaise. En apprenant qu’Hitler
est arrivé à Godesberg, les habitants d u pays ont organisé
une retraite aux flambeaux. Ils afluent vers l’hôtel pour
le saluer e t l’acclamer. (( J e vois encore le Führer, le ven-
dredi soir, vers minuit, sur la terrasse de l’hôtel, écrit
Gœbbels. E n bas s’était rassemblée la fanfare d u Service
1. En particulier M. Krupp von Bohien.
2. Discours du 13 juillet 1934.
xu 13
194 HISTOIRE D E L’ARMÉE A L L E M A N D E

du Travail. Plongé dans ses pensées, le Führer fixait


silencieusement le ciel sombre qui s’étendait après l’orage
sur le paysage vaste et harmonieux dont les contours s’es-
tompaient lentement dans la nuit. Puis, saluant de la main,
il reçut les hommages enthousiastes du peuple rhénan.
K Parmi la foule massée en contrebas, personne ne se dou-
tait de la tragédie qui se préparait. Même parmi ceux qui se
tenaient en haut sur la terrasse, seuls quelques initiés avaient
été mis dans le secret. Comme toujours dans les moments
dificiles, le Führer avait agi conformément à son précepte :
ne dire que ce qu’il faut, à qui il faut et quand il le
faut n
A 1 heure du matin, tandis que s’éteignent les derniers
accents du Horst Wessel Lied, deux messages alarmants
arrivent de Berlin et de Munich.
De Berlin, on annonce que l’alerte a été donnée pour le
lendemain, à 16 heures; que des camions ont été réqiiisi-
tionnés pour le transport des troupes de choc et que l’action
débutera à 17 heures précises, par l’occupation brusquée
des bâtiments ministériels. Ernst est resté dans la capitale,
pour diriger le coup de force. De Munich, on apprend que
les troupes seraient déjà alertées depuis 21 heures et que
les formations de S. A. auraient reçu un ordre secret de
mobilisation z.
- C’est un acte de sédition! rugit Hitler en prenant
connaissance de ces messages. Le Chef suprême des S. A.,
c’est moi, e t personne d’autre!
a Dans ces conditions, expliquera-t-il le 13 juillet aux
députés du Reichstag, il fallait agir avec la rapidité de
l’éclair. Seule une intervention brusquée était peut-être
encore capable d’enrayer la révolte. I1 ne pouvait y avoir
aucun doute : mieux valait abattre une centaine de conspi-
rateurs que de laisser s’entr’égorger dix mille S. A. iiino-
cents, d’un côté, et dix mille civils tout aussi innocents, de
l’autre. Si l’action criminelle de Ernst s’était déclenchée à
Berlin, les suites en auraient été incalculables. On frémit
à la pensée de ce qui serait arrivé à l’Allemagne 3. n

I . Dr Joseph GGBBELS, Volkischer Beobachter, numéro du 2 juillet 1934.


2. Certains polémistes ont déclaré par la suite que ces nouvelles étaient controu-
vées. Mais ils n‘apportent aucune preuve convaincante à l’appui de leur argu-
mentation.
3. Discours du 13 juillet 1934.
L’ÉDIFICATION D U I I I ~REICH 195
Après quelques minutes de délibération, la décision du
Führer est prise : sans attendre au lendemain, il partira
immédiatement pour Munich, afin d’arrêter personnelle-
ment les rebelles.
A 2 heures du matin, le lourd trimoteur Junkers décolle
de l’aérodrome d’Hangelar, près de Bonn, et fonce vers le
sud. L’avion emporte avec lui sept passagers : Hitler,
Gœbbels, Otto Dietrich, chef des services de Presse, Victor
Lutze et trois gardes du corps - le lieutenant Bruckner,
Staub et Schreck - qui accompagnent le Führer dans tous
ses déplacements.
t
* *
Pendant toute la durée du trajet, Hitler reste assis à
l’avant de la carlingue, plongé dans ses pensées et fixant
le ciel noir. A 4 heures du matin, l’avion atterrit à Ober-
wiesenfeld, près de Munich. M. Wagner, ministre de 1’Inté-
rieur de Bavière et deux ou trois Gauleiter, convoqués
par télégramme avant le départ de Godesberg, attendent
Hitler sur le champ d’aviation.
Dans la grisaille de l’aube, le petit groupe d’hommes se
concerte rapidement. Les chefs de district mettent Hitler
au courant des derniers événements. Pendant la nuit, plu-
sieurs bataillons de S. A. ont quitté leurs cantonnements et
se sont répandus en ville en poussant des cris séditieux.
Leurs chefs, convoqués par M. Wagner au ministère de
l’Intérieur, ont été arrêtés et gardés à vue. Le Führer et sa
petite escorte montent aussitôt en voiture et se rendent
au ministère, situé dans un vieux bâtiment proche de l’église
des Théatins.
Un jour radieux se lève : c’est le matin du 30 juin 1934.
Nul ne pourrait imaginer, dans la ville endormie, que la
journée qui commence sera, pour l’Allemagne, une des plus
tragiques de l’après-guerre.
Arrivé au ministère, Hitler se fait amener les chefs des S. A.
I1 y a là le général Schneidhuber, Obereruppenführer de
Bavière, le général Schmidt, commandant en chef des S. A.
de Munich, plusieurs autres encore. Paie de colère, Hitler
s’avance vers eux, leur crache son mépris au visage et leur
arrache des épaules leurs insignes de commandement. Puis
il les remet à un peloton de S. S. et les fait conduire en prison.
196 HISTOIRE DE L’ARMI~E ALLEMANDE

Ils seront sommairement jugés et fusillés dans l’après-midi.


Toute la scène a duré un peu moins d‘une heure.
D’ailleurs, il n’y a pas une minute à perdre si l’on veut
s’emparer des autres conjurés par surprise. A 6 heures,
Hitler e t son escorte repartent pour Wiessee, afin d’y arrê-
ter Rohm et ses acolytes. Seuls l’accompagnent, outre Gœb-
bels et Otto Dietrich, ses trois gardes du corps et une escouade
de S. S.
La colonne de voitures se dirige vers le sud, à travers la
campagne qui s’éveille. A gauche luit la surface argentée du
lac de Tegern. Le Hirschberg et le Wallberg dressent vers
le ciel leurs silhouettes vert sombre, que dorent les pre-
miers rayons du soleil levant. Le temps s’annonce superbe.
Hitler, toujours silencieux, est assis dans la voiture de tête,
à cbté de son chauffeur Schreck.
Un peu après 7 heures, les voitures s’arrêtent devant
l’annexe de l’hatel Hanselbauer, où Rohm e t ses amis ont
établi leur quartier général. C’est là que doit se tenir la
conférenae des chefs de S. A.
Le Führer e t son escorte mettent pied à terre e t pénètrent
dans l’hôtel sans rencontrer de résistance. Puis, ne vou-
lant laisser à personne d’autre le soin d‘arrêter le chef
d’État-Major, Hitler entre seul et sans armes dans la chambre
de Rohm. Que s’est-il passé alors? I1 est probable que nul
ne le saura jamais. Aucun témoin n’a assisté à la scène.
I1 n’y avait que deux hommes dans la pièce et l’un des deux
devait mourir peu après, fusillé à bout portant dans une
cellule de prison.
Tout ce qu’on peut dire c’est que Rohm, surpris dans son
sommeil par l’arrivée inattendue d’Hitler, a dû se laisser
arrêter sans lutte, car des clients de l’hôtel ont déclaré par
la suite qu’ils ne s’étaient aperçus de rienet n’avaient entendu
que quelques coups de feu au-dehors, après l’arrestation.
Dans la chambre contiguë à celle du chef d’État-Major,
Heines, général des S. A. de Silésie est appréhendé à son
tour, ainsi que le comte Spreti, Standartenführer des S. S.
de Munich, et le lieutenant Reiner, aide de camp de R6hm
et chef du bureau politique des S. A. Toute la scène se
déroule très rapidement. Les quatre hommes s’habillent en
hâte et sont remis au groupe de S. S.qui attend dans la cour1.
1. 11 semble que Heines ait été abattu sur-le-champ.Ceci expliquerait les coups
de feu entendus peu aprb l’arreitation par les habitants de l’h8tel.
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 197
Vers 7 h. 45 survient un incident inattendu qui risque de
compromettre toute la suite de l’affaire. Un des commandos
de choc, créés récemment par Rohm, arrive à Wiessee en
camions. I1 y a été convoqué soi-disant pour rendre les
honneurs aux chefs de S. A. qui doivent prendre part à la
Conférence, mais surtout pour assurer la protection des conju-
rés. Hitler, toujours sans armes, s’avance vers le chef du
détachement et lui ordonne, sur un ton sans réplique, de
faire demi-tour et de rentrer dans ses quartiers. Le chef
de détachement s’exécute et la colonne de camions repart
dans la direction de Munich.
Hitler et son escorte montent dans leurs voitures et la
suivent à peu de distance, emmenant avec eux Rohm et les
autres prisonniers, solidement encadrés par des miliciens de
S. S. (( Notre retour de Wiessee à Munich, raconte Gœbbels,
fut marqué par une série d’incidents qui auraient pu être
dramatiques. Nous croisâmes en chemin les autos des chefs
de S. A. qui se rendaient individuellement à la Conférence
et qui se succédaient parfois à quelques minutes d’inter-
valle. Parmi leurs occupants se trouvaient un certain nombre
de camarades de combat demeurés loyaux et qui ignoraient
tout de l’affaire l. Ceux-là furent mis rapidement au courant
de la situation. Les autres, qui étaient directement impli-
qués dans le complot et s’étaient rendus coupables de haute
trahison, furent arrêtés personnellement par le Führer e t
remis aux gardes de S. S. 2. 1)
Vers 11 heures, la caravane arrive à la Maison brune. Le
chef d’État-Major et les conjurés sont transportés sous
escorte à la prison du Stadelheim - cette même prison où
Rohm a été incarcéré onze ans auparavant, au lendemain du
putsch de Munich 3. Puis Hitler prend connaissance des
dépêches de Berlin. En exécution des consignes laissées par

1. I1 semble possible de déduire de cette phrase, que le complot était circons-


crit à R6hm et aux membres de son entourage imm8diat. Ceux-ci avaient l’in-
tention de mettre les autres chefs au courant de leurs projets au COWS de la Confé-
reme de Wiessee, les plaçant ainsi devant le fait accompli, puisque l’action devait
se déclencher à peu près à la m&me heure à Berlin et à Munich. Ceux qui ne
88 seraient pas ralliés à R6hm auraient alors été arrêt85 et remis au commando
de choc.
2. I1 ressort de ce triage a
(I - que nous verrons se renouveler lors des arres-
tations de Berlin - que le Führer était parfaitement au courant des agisse-
ments de chaque chef de S.A. Ceux-ci étaient surveillés depuis quelques semaines
par la Gestapo d’Himmler et la police d’fitat de Gœring.
3. Voir vol. II, p. 310.
198 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

le Führer avant son départ, Goering a étouffé le mouvement


d’insurrection. Puis, élargissant le cadre de la répression, il
a abattu, coup sur coup, les principaux chefs de l’opposition.
Dans l’ensemble, la ville est calme. Le soulèvement général
que l’on redoutait ne s’est pas produit.
Hitler réunit alors un certain nombre de commandants
de S. A. et de Gauleiter dans la salle du Conseil de la Maison
brune 1. I1 leur explique la genèse du conflit et les mesures
qu’il a été amené à prendre pour enrayer le mal. K Son
discours, dit Gœbbels, est, d’un bout à l’autre, un réquisi-
toire implacable contre la petite coterie qui a voulu s’em-
parer du pouvoir, de connivence avec la réaction. Ces hom-
mes se sont mis en travers de ses projets, pour les faire
échouer et tenter de satisfaire leurs ambitions personnelles. 1)
Victor Lutze, commandant des S. A. de Hanovre, est
nommé chef d’État-Major, en remplacement de Rohm.
Au début de l’après-midi, la répression commence. Les
exécutions sont commandées par le colonel Busch, chef de
I’Uschla, ou section de discipline et d’épuration du Parti.
Après avoir subi un bref interrogatoire, les plus hauts chefs
de l’armée brune sont introduits, un à un, dans la cour
du Stadelheim. Un ordre retentit. Puis on entend claquer,
à intervalles réguliers, les salves du peloton d’exécution.
Tirer sur des compatriotes est toujours douloureux. Mais
tirer sur des camarades auxquels on a été longtemps lié
par des liens d’amitié ou d’estime, est atroce : c’est comme
de s’arracher un membre gangrené. Les hommes qui font
partie des pelotons d’exécution ont été triés sur le volet parmi
les compagnies de S. S. Ils obéissent au commandement
suivant :
- Telle est la volonté du Führer! Heil Hitler! Feu!
Les pelotons sont composés de huit hommes, dont quatre
ont des fusils chargés à blanc, pour que chacun ignore s’il
a tué ou non. Mais malgré toutes ces précautions, il faut les
renouveler fréquemment, car les nerfs les plus solides ne
résistent pas au spectacle des corps qui s’abattent en tres-
saillant les uns après les autres.
Une première salve abat le général August Schneidhuber,
Obergruppenführer des S. A. de Bavière et préfet de police de
Munich. Une seconde salve abat le général Hans Hayn,
1. Hitler avait convoqué lea Carriaiter par télégramme, la veille au soir, avant
son départ de Godesberg.
L’SDIFICATION
DU I I I ~REICH 199
Gruppenführer des S. A. de Saxe; une troisième salve abat
le général Hans Peter von Heydebreck, Gruppenführer des
S. A. de Poméranie l; une quatrième, le général Schmidt,
Gruppenführer des S. A. de Munich; une cinquième, une
sixième, une septième, abattent le général Fritz von Krauss-
ner, le colonel Lasch, le colonel Kopp; puis viennent le
comte Erwin von Spreti commandant du régiment de S. S.
de Munich, le capitaine Uhl, le lieutenant Reiner, d’autres
encore...
Quant à Rohm, un revolver a été posé devant lui sur la
tablette de sa cellule. On lui a accordé le droit de mettre
lui-même fin à ses jours. Mais il s’y refuse. On lui donne
alors dix minutes pour réfléchir. Ce délai écoulé, la porte
de sa ce!lule s’ouvre. On tire à l’intérieur jusqu’à ce que le
chef d’Etat-Major s’écroule. Son corps criblé de balles est
enterré dans la cour de la prison.
t
r r

Tandis que ces événements se déroulent à Munich, Berlin


est le théâtre d’incidents plus dramatiques encore.
Aux premières heures du jour, Gœring a fait ranger sa
garde de S. S.,venue récemment de Basse-Franconie, devant
son palais de la Prinz-Albrechtstrasse. I1 a harangué briève-
ment ses hommes, leur enjoignant d’avoir du courage et
d’obéir aveuglément à leurs chefs. Puis il a envoyé deux moto-
cyclistes à l’école des Cadets de Lichterfelde, pour y apporter
un message au colonel Wecke, commandant d’un corps
spécial de gardes mobiles nommé (( colonne Gœring 1).
Au reçu de ce message, la colonne Gœring monte en camions
e t prend le chemin de la Prinz-Albrechtstrasse. La garde
de S. S.se joint à elle e t les deux troupes roulent ensemble
vers la Tiergartenstrasse, où se trouve le Quartier Général
des S. A. de Berlin-Brandebourg.
Lorsque Gœring y arrive, quelques instants plus tard, le
colonel Wecke a déjà occupé le bâtiment par surprise. Des
mitrailleuses sont installées dans tous les couloirs et les
issues sont gardées par des factionnaires en armes. Dans une
chambre, tous les chefs de S. A. ont été rangés contre un
mur, les mains en l’air. Gœring passe devant eux e t en désigne
I . Il a 6t6 arrêt6 le matin même sur le quai de la gare de Munich.
200 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

un certain nombre. Ceux-ci sont conduits immédiatement


à la prison de Lichterfelde.
Puis Gœring rentre à son ministère, où il a convoqué le
Vice-Chancelier von Papen.
- La journée va être très agitée, lui dit-il. I1 y va du salut
de la nation et du Reich. Nul ne sait ce qui peut arriver.
J e vous conseille vivement de rester à votre domicile et de
n’en sortir sous aucun prétexte.
Von Papen comprend que sa vie est en danger e t va
s’enfermer chez lui. Puis il téléphone au ministère de la
Reichswehr et demande qu’on lui envoie une compagnie
pour assurer sa protection.
A la même heure, six hommes en civil s’arrêtent devant la
villa du général von Schleicher, sonnent, forcent la porte,
e t font irruption dans la pièce où se tient l’ancien Chancelier.
On entend une courte discussion, suivie de plusieurs déto-
nations. Le général s’écroule, tué sur le coup. Sa femme, qui
s’est élancée entre lui e t son agresseur, est mortellement
blessée. Elle expire, une demi-heure plus tard, sans avoir
repris connaissance.
Cette exécution marque le début d’une série de coups de
main qui va donner au 30 juin, à Berlin, une physionomie
particulièrement atroce.
Vers midi, cinq inspecteurs de la Gestapo viennent cher-
cher Gregor Strasser à son domicile. Les inspecteurs le
conduisent à son bureau, au siège de la Société chimique
Schering-Kahlbaum, pour y procéder à une perquisition.
Puis ils le remettent à un peloton de S. S. qui l’emmène en
voiture. On ne le reverra plus.
Vers midi également, Erich Klausener, chef politique des
catholiques de Berlin et bras droit de von Papen, se trouve
dans son bureau au ministère des Transports. Deux S. S.
font irruption dans la pièce et le mettent en état d’arresta-
tion. Malgré l’ordre reçu, Klausener veut sortir, se lève e t
prend son chapeau. Deux balles l’atteignent dans le dos,
au moment où il va franchir le seuil. Klausener s’écroule,
le chapeau sur la tête. Les S. S. verrouillent la porte du
bureau e t placent deux factionnaires pour empêcher qu’on
y pénètre.
Une scène similaire se déroule, au même inqtant, à la
Vice-Chancellerie. Le conseiller von Bose, chef de cabinet de
von Papen, se trouve dans son bureau, en compagnie de
L’EDIFICATION DU I I I ~REICH 201
deux industriels. Trois S. S. y font irruption e t prient Bose
de les suivre dans une pièce contiguë. On entend claquer
quelques coups de feu. Les S. S. se retirent. Le cadavre de
Bose gît à terre, baignant dans une flaque de sang.
Quelques heures plus tard, on vient chercher à son domi-
cile le colonel von Bredow, confident de von Schleicher. On
le fait monter dans une voiture où il sera assassiné. Edgar
Jung, l’auteur du discours de Marburg, Walther Schotte,
conseiller intime de von Papen, et le Dr Voss, avocat de
Strasser, disparaissent eux aussi, sans qu’on ait jamais su
les circonstances exactes de leur mort.
Dans l’après-midi, les chefs de S. A., rassemblés dans la
prison de Lichterfelde, sont exécutés à leur tour. La scène
qui se déroule alors dans la cour de la prison fait un pen-
dant aux fusillades du Stadelheim.
I1 y a là le général Ernst, Obergruppenführer des S. A. de
Berlin, arrêté le matin même aux environs de Brême, a u
moment où il s’apprêtait à s’enfuir à l’étranger; le colonel
von Detten, Standartenführer de S. A., à Berlin; Gerd, un
ancien aviateur décoré de l’ordre ((Pour le Mérite »,que
Gœring dégrade lui-même avant de le faire abattre, ainsi
qu’un certain nombre de sous-chefs, arrêtés au Quartier
Général de la Tiergartenstrasse.
Les prisonniers sont collés au mur les uns après les autres.
Le peloton d’exécution n’est éloigné que de cinq mètres. A
cette distance, les décharges produisent des effets terribles.
Bientôt le mur entier est éclaboussé de sang,
Bien que les salves se succèdent presque sans interrup-
tion, il semble que l‘exécution ne doive jamais prendre fin.
Certains S. S., brisés par la tension nerveuse, ne résistent
pas à l’épreuve et doivent être remplacés. Les autres tirent
toujours, mus par une sorte de frénésie sauvage. C’est toute
la violence accumulée au cours de ces quinze années de
luttes, qui se défoule d’un seul coup.
Une atmosphère oppressante règne sur la capitale. La
rapidité et la vigueur de la répression ont terrorisé les
esprits. Des rumeurs circulent, selon lesquelles le nombre
des victimes serait beaucoup plus élevé qu’on ne le dit. On
prétend même qu’Hitler aurait été assassiné.
La répression commence à sortir des cadres qui lui ont
été assignés. Sous le couvert de l’action légale, quelques
groupes incontrôlés profitent de l’occasion pour se livrer à
202 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

des règlements de comptes personnels. Ce qui élèvera à


plus de mille, le nombre total des victimes.
C’est ainsi que M. von Kahr, l’ancien chef du gouverne-
ment bavarois, qui a joué le rôle que l’on sait lors du putsch
de Munich en 1923, est assassiné par des inconnus. Son
cadavre est retrouvé quelques jours plus tard dans les marais
de Dachau. Ainsi disparaissent également le Dr Fritz Beck,
directeur de la Maison des étudiants de Munich; le Dr Gehr-
lich, ancien rédacteur en chef d’un journal bavarois; l’avocat
Alexandre Glaser, le Dr Willy Schmidt, d’autres encore...
Hitler a quitté Munich dans le courant de l’après-midi.
A 18 heures, son avion se pose sur l’aérodrome de Tem-
pelhof. Himmler, commandant en chef des S. s., qui porte
le bras en écharpe depuis l’attentat de Schorfheide, et
Sepp Dietrich, chef de la garde du corps personnelle du
Führer, l’attendent sur le terrain d’aviation pour lui rendre
compte des événements.
Un des premiers soucis d‘Hitler, en rentrant à la Chancel-
lerie, est d’éviter que la répression ne prenne une extension
plus grande. (( Le péril étant écarté, e t la révolte pouvant
être considérée comme brisée, déclarera-t-il plus tard, il
fallait empêcher que les passions politiques, portées à leur
paroxysme, ne provoquassent une série de lynchages. E n
conséquence, j’interdis de la façon la plus formelle toutes
nouvelles mesures de répression, et ordonnai de punir tous
ceux qui auraient commis des excès l. ))
Le même soir, un certain nombre de S. S. qui ont outre-
passé les ordres reçus, ou qui se sont rendus coupables
de sévices à l’égard de prisonniers, sont conduits à leur
tour au poteau d’exécution. Tard dans la nuit, on entend
encore crépiter la fusillade. Puis les coups de feu s’espacent.
Vers une heure du matin, tout retombe dans le silence.
*
i +

Le lendemain, 1er juillet, la capitale reprend peu à peu


sa physionomie coutumière. Une tempête est passée sur 1’Alle-
magne avec la violence d’un typhon. A présent, l’atmosphère
paraît purifiée et détendue.
La foule, qui a cru Hitler mort, se masse devant la Chan-
1. Discours du 13 juillet 1934.
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 203
cellerie. Lorsque le Führer apparaît à la fenêtre elle l’acclame
frénétiquement.
E n voyant son teint cireux et ses traits tirés, elle comprend
qu’il vient de lui faire le sacrifice le plus douloureux, e t la
foule a, pour ces choses, un instinct infaillible. Elle respire
plus librement, délivrée de l’angoisse qui l’étreignait depuis
plusieurs semaines.
Mais la répression du 30 juin n’a pas seulement écarté le
spectre de la deuxième révolution. Elle a éliminé, du même
coup, l’antagonisme dangereux qui risquait de mettre aux
prises l’armée brune et la Reichswehr. En vingt-quatre
heures, la situation se trouve complètement transformée.
Cette évolution est déjà nettement perceptible dans la
proclamation que le général von Blomberg adresse, le même
jour, aux officiers et aux soldats de l’armée :
A la Wehrmacht!
L e Führer a attaqué lui-même et a écrasé les mutins et les
traîtres, avec la décision d’un soldat et un courage exemplaire.
La Wehrmacht, e n tant que seule force armée de l’ensemble
de la nation, tout e n restant à l’écart des luttes intestines, l u i
en témoignera sa reconnaissance par son dévouement et sa fidé-
lité.
L e Führer nous demande d’entretenir des relations cordiales
avec la nouvelle S. A . Nous le ferons avec joie, conscients de
servir un idéal commun.
L’état d’alerte est levé dans tout le Reich.
VON BLOMBERG.
Dans la soirée, le maréchal Hindenburg, qui se trouve
toujours à Neudeck, envoie un télégramme de félicitations
a u Führer :
I l ressort des rapports que j e me suis fait soumettre, lui écrit-il,
que vous avez écrasé toutes les menèes séditieuses et les tenta-
tives de trahison, grâce à votre intervention personnelle, énergique
et courageuse.
Vous avez sauvé le peuple allemand d‘un grave péril. J e vous
e n te’moigne ma profonde reconnaissance et m a sincère estime.
VON HINDENBURG.
Le lundi 2 juillet, Hitler adresse u n ordre du jour à tous
les chefs de S. A. :
204 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

J’exige de tous les chefs de S . A. la discipline la plus parfaite.


J e demande e n outre qu’ils fassent preuve d’une loyauté et d‘une
fidélité sans réserve à l‘égard de l‘armée d u Reich.

Cet ordre du jour est suivi de ce communiqué officiel :


L’action d‘épuration est termine’e depuis hier soir. De nou-
velles mesures de répression n’auront plus lieu. De ce fait l’in-
tervention pour le rétablissement de la sécurité e n Allemagne a
duré vingt-quatre heures. L e calme et l‘ordre le plus complets
règnent dans tout l‘Empire.

Le lendemain, 3 juillet, Hitler réunit le Conseil des ministres


e t lui rend compte des événements. I1 lui explique la
nécessité où il s’est trouvé d’agir sans délai, pour éviter la
perte de milliers de vies humaines. A l’issue du Conseil, le
Cabinet adopte une loi, dont l’article unique déclare légales
les mesures prises le 30 juin et les jours suivants,_car elles
ont été dictées par le droit de légitime défense de 1’Etat 1.
Cette succession de communiqués e t de déclarations se
termine par un ordre du jour de Victor Lutze, do-nt c’est le
premier acte officiel en t a n t que nouveau chef d’Etat-Major
des S. A. :
L e congé de trente jours prescrit a u x S. A. est maintenu. L e
port de l’uniforme n’est autorisé, pendant cette période, que dans
les cas spéciaux prévus par le décret.
L e nom de l‘homme qui a agi e n traître envers notre Führef,
Adolf Hitler, gravé dans la lame des poignards d’honneur, doit
en être effacé a u plus tôt, après quoi, ces poignards pourront
continuer à être portés dans le service.

Enfin, le 13 juillet, Hitler prononce u n grand discours


devant le Reichstag. S’étendant longuement sur la genèse
de la crise, il montre l’etat-Major des S. A. s’isolant de plus
en plus du Parti et de la nation, e t cherchant à entraîner
les Sections d’Assaut dans une seconde révolution. I1 raconte
comment Rohm, gagné par la mégalomanie de son entourage,
a fini par vouloir substituer l’armée brune à la Reichswehr.
Puis il décrit ses efforts pour le ramener à la raison, son espoir
d’éviter malgré tout un conflit, et évoque le long entretien
1. SkUa#aMkvehrge-SetZ du 3 juillet 1934.
L’~DIFICATION DU I I I ~REICH 205
de cinq heures au cours duquel il le conjura une dernière
fois de ne pas provoquer une terrible catastrophe. Enfin,
il relate les événements de la dernière quinzaine de juin, la
tension croissante des esprits, les menées équivoques de
Schleicher e t des milieux réactionnaires, les préparatifs des
conjurés e t explique comment les nouvelles alarmantes
reçues à Godesberg le 30 juin, à 2 heures d u matin, levèrent
ses derniers scrupules et le décidèrent à écraser la révolte
dans le sang :

- Le tribut payé par les coupables a été très lourd, déclare-


t-il. 19 chefs supérieurs de S.A.,31 chefs de S.A. et membres
des milices brunes ont été fusillés; 3 chefs de S. S. et civils
compromis dans le complot ont subi le même sort. 13 chefs
de S. A. et civils ont perdu la vie en voulant s’opposer à leur
arrestation. 3 autres se sont suicidés. 5 membres du Parti
n’appartenant pas à la S. A. ont également été fusillés. On
a fusillé trois S. S. qui s’étaient rendus coupables d’excès à
l’égard de prisonniers. I1 a été commis en outre un certain
nombre d’actes de violence n’ayant aucun rapport avec l’action
répressive. Leurs auteurs seront jugés selon la procédure habi-
t uelle.. .
(( Si quelqu’un me reproche de ne pas avoir déféré les COU-

pables aux tribunaux réguliers, je ne puis que répondre : c’est


toujours enles décimant que l’on a rétabli l’ordre dans les divi-
sions mutinées. De toute éternité, on a brisé les mutineries
par les mêmes lois d’airain. Un seul État n’a pas osé faire
usage de la loi martiale, et c’est pourquoi cet État s’est effon-
dré : c’est l’Allemagne de 1918. J e ne voulais pas livrer le
jeune Reich au même sort que l’ancien ...
(( J’ai donné moi-même l’ordre de fusiller les coupables; j’ai
aussi donné l’ordre de porter le fer rouge dans la plaie et de
brûler, jusqu’à la chair, tous les abcès qui infectaient notre
vie intérieure et empoisonnaient l’opinion de l’étranger. Et
j’ai encore donné l’ordre d’abattre immédiatement par les
armes tous les mutins qui feraient la moindre tentative pour
s’opposer à leur arrestation. E n cette heure, j’étais respon-
sable du sort de la nation allemande, et, de ce fait, j’étais le
juge suprême du peuple allemand.
(( Aussi lourds qu’aient été ces sacrifices, ils n’auront pas été
vains, s’ils contribuent à ancrer dans les esprits la certitude
que toute velléité de complot ou de trahison sera brisée, sans
considération de rang ou de personne. J’espère fermement
que lorsque le destin me relèvera de la place que j’occupe,
mon successeur n’agira pas autrement que je ne l’ai fait, e t
206 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

que le jour où il devra s’en aller â son tour, - le troisième


après nous saura assurer avec non moins d’énergie la sécu-
rité du peuple et la survie de la nation D
1. Discours prononcé au Reichstag le 13 juillet 1934.Texte publié par le Vdl-
kiucher Beobachkr du 14 juillet 1934 (aztraits).
X

LA RÉORGANISATION DES S.A. - HITLER REICHS-


FUHRER. - LA COURSE AUX ARMEMENTS DE
1934-1935. - LE REICH RÉTABLIT LE SERVICE
MILITAIRE OBLIGATO IRE

( ( U n acte politique, a dit Joseph de Maistre, ne se juge


pas aux victimes qu’il fait, mais aux maux qu’il évite. ))
C’est sous cet angle qu’il faut juger les événements du
30 juin. Or, quels que soient les sentiments qu’ils peuvent
nous inspirer, il est certain que leurs effets ont été salutaires
pour l’ensemble de la nation allemande.
Au cours des semaines qui précèdent la journée tragique,
i1,semble que tous les éléments constitutifs de 1’Etat soient
en train de se désagréger. Le 30 juin donne au Reich un
choc qui les remet en place. L’autorité centrale en sort
raffermie. L’opposition se tait. La S. A. est purgée de
son virus révolutionnaire. L’armée se rallie au nouveau
régime. A quelques exceptions près, la répression a frappé
si exactement ceux qu’elle voulait abattre, que la masse
de la nation n’a pour ainsi dire rien senti. C’est ce qui explique
la rapidité avec laquelle elle l’oublie : un mois plus tard, le
souvenir du drame est à peu près effacé. Un chapitre nou-
veau s’ouvre dans l’histoire du IIIe Reich.
Ce chapitre commence par la réorganisation de la S.A.
Jusqu’ici, milices brunes, milices noires et groupes motorisés
étaient concentrés entre les mains de Rohm. Un des premiers
actes d’Hitler consiste à séparer ces différentes formations,
et à donner à chacune d’elles un chef autonome, dépendant
directement de lui. Le 20 juillet 1934, un décret rend les
S. S.indépendantes des S. A. e t les place entièrement SOUS
les ordres d’Himmler. Puis les groupes motorisés sont
disjoints de la S. A. e t rattachés à la N. S.K. K., ou corps
automobile, commandé par le major Hühnlein. La S. A.
208 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

elle-même, est remaniée e t allégée d e touo les effectifs


excédentaires dont elle s’était gonflée. Enfin chacun d e ces
trois groupes est investi de fonctions particulières, ce qui
évite tout empiétement sur leurs domaines respectifs.
Victor Lutze, nommé chef d’État-Major des S. A. dans
l’après-midi du 30 juin, commence par remplacer les chefs
exécutés. A Berlin, après la mort d’Ernst, le commande-
ment de la division de S. A. a été provisoirement confié à
Karl Daluege, chef des S. S. de la capitale et général de la
Landespolizei. Le 27 juillet, von Jagow est nommé Grup-
penführer des S. A. de Berlin-Brandebourg à titre définitif.
Daluege lui remet les fonctions qu’il a exercées à titre
intérimaire. II en va de même partout où des commande-
ments se trouvent vacants, notamment en Bavière, en Saxe,
en Poméranie et en Silésie.
Le total des effectifs, qui dépassait 3.000.000 au printemps
de 1934, est ramené progressivement à 1.200.000. Cette
compression, jointe à la dissociation des S. S. e t des groupes
motorisés, permet une réduction parallèle des organes d u
commandement. Les Obergruppen ou corps d’armée sont
supprimés, e t les Groupes, directement rattachés au chef
d’Etat-Major. Le double système des réserves instaurées
par Rohm et désignées sous le nom de S. A. R. I et S. A. R. II’
est remplacé par une classification plus rationnelle. Les
hommes des Sections d’Assaut sont divisés en trois catégo-
ries : l’active (comprenant les miliciens de 18 à 35 ans),
la réserve (pour les miliciens de 35 à 45 ans), e t la Lands-
turm ou territoriale (pour les miliciens de plus de 45 ans).
Enfin la répartition des unités est rendue plus homo-
gène. A partir de janvier 1936, la S. A. comprendra : u n
chef suprême (le Führer), un chef d’État-Major (Victor
Lutze), un État-Major groupant les différents services du
Haut-Commandement (direction, personnel, justice, admi-
nistration, hygiène, etc.); 21 groupes, 97 brigades et 627 Stan-
darten ou régiments, subdivisés, comme par le passé, en
Sturmbanner (bataillons),Stürme (compagnies), Trupps (sec-
tions) et Scharen (pelotons).
Les S. A. ne sont pas armées. Leur fonction, exclusive-
ment politique, consiste à servir d‘organe d’autodéfense e t
de propagande au Parti. Malgré leur hiérarchie, leur uni-

1. Voir plue haut, p. 109.


L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 209
forme e t la discipline à laquelle elles sont astreintes, ce ne
sont pas des formations de militaires, mais des groupements
de militants. (( Physiquement, écrit Jean Fayard, un mili-
cien de S. A. est l’instrument du pouvoir politique. Mora-
lement, c’est un prêtre mineur d’une religion nouvelle l. ))
Très différentes sont la structure et la fonction des S. S.
Placées tout d’abord sous la tutelle de 1’Etat-Majordes S. A.,
les S. S., ou milices noires, comptaient 100.000 hommes en
janvier 1933. A partir du 20 juillet 1934, leur nombre sera
élevé à 200.000 environ, répartis en 10 secteurs (Oberab-
schnitte), 30 sections ( A bteilungen) et 85 régiments (Stan-
darten).
Les formations de S. S. sont classées en trois catégories :
les S. S. non spécialisées (Allgemeine S. S.); les S. S. à la
disposition des chefs du Parti (Verfügungs S. S.); les S. S.
de surveillance ( S . S. H’achoerbc?nde). Seules, les unités
appartenant aux deux dernières catégories portent le casque
d’acier e t sont dotées des mêmes armes que les régiments
d’infanterie de la Reichswehr.
Les Verfügungs S. S.comprennent trois régiments e t deux
bataillons. L’un de ces régiments, la LeiOstandurte, dont les
membres portent en grande tenue des fourragères e t des
baudriers blancs, sert de garde du corps personnelle au
Führer e t a pour emblème le drapeau du 9 novembre. Les
S. S. Wachoerbande, divisées en centuries, sont chargées
de la police secrète et de la surveillance des camps de
concenpaiion.
A 1’Etat-Major des S. S. ( S. S. Hauptamt), sont rattachés
deux organismes annexes :l’Office central de sécurité (Sicher-
heits-Hauptamt) et 1’0fice de colonisation raciste (Rassen
und Siedlungsamt). Ceux-ci correspondent aux deux fonc-
tions suivantes : 10 assurer la police politique e t surveiller
N tous ceux qui nourrissent de mauvaises intentions à l’égard
du Führer et de la nation )); 20 servir de colons dans les
provinces de l’est et opposer une (( digue de sang germa-
nique )) aux infiltrations slaves 2.
A cet effet, les membres des S.S. sont soumis à une sélec-
tion très sévère. Recrutés principalement dans la classe
paysanne, leur taille ne doit pas être inférieure à 1 m 76,
1. Cf. Candide, numéro du 7 octobre 1937.
2 . Aufbau und Enkriickelung der S. S., Y6lkischsr Beobachm, num6ro sp6cial
de janvier 1936.
1u 14
210 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

e t leur apparence physique doit se rapprocher, autant que


possible, du type aryen pur. Ils n’ont le droit d’épouser que
des femmes répondant aux mêmes spécifications raciales.
Ceux qui désirent s’établir dans les provinces frontières
après l’expiration de leur temps de service, reçoivent à cet
effet une aide du gouvernement. Enfin, ils sont soumis à
un code d’honneur spécial : en vertu de la loi du 9 novembre
1935, chaque membre des S. S. a non seulement le droit,
mais le devoir de défendre son honneur par les armes.
Le corps automobile national-socialiste (N. S. K. K.) est
commandé par un Bavarois, le major Hühnlein, ancien
membre du corps franc von Epp, plus tard oficier d’Etat-
Major à la 7e division de la Reichswehr. I1 comprend environ
500.000 volontaires, répartis en 4 inspections, 3 groupes
motorisés et 21 brigades, correspondant chacune à un groupe
de S. A. Ce corps n’a pas seulement pour b u t de permettre
le transport rapide des formations de S. A. et de S. S. sans
avoir à recourir au matériel de l’armée. I1 doit aussi accélérer
la motorisation de la nation. E n liaison avec les Jeu-
nesses hitlériennes et le Service du travail, la N. S. K. K.
doit former chaque année un nombre croissant de conduc-
teurs et de mécaniciens, qui feront ensuite leur service dans
les unités motorisées de la Wehrmacht.
*
* *
Vers la fin de juillet, alors que ce travail de refonte e t de
réorganisation est en cours, on apprend de Neudeck que la
santé du Maréchal Hindenburg cause des inquiétudes à son
entourage. Ses forces déclinent. Malgré ses quatre-vingt-
sept ans, le vieillard lutte encore. Mais bientat il faut
abandonner tout espoir : le Maréchal v a mourir.
Cette nouvelle attriste profondément les Allemands, mais
elle ne leur cause aucune surprise. Depuis le mois de
mai, on savait que les jours d u Président étaient comptés.
A présent, le Maréchal n’a plus que quelques heures à
vivre. Tel un capitaine qui a dirigé son navire à travers la
tempête, il est resté à la barre jusqu’à l’entrée a u port.
Avec les derniers survivants de l’époque impériale, il a
abordé aux rives du IIIe Reich, portant à bout de bras
la Reichswehr qu’il a protégée contre bien des périls. S’il
passe en revue, dans son esprit, cette époque troublée qui
L’EDIFICATION DU I I I ~REICH 211
s’est appelée (( la République D, quelles scènes dominent la
mêlée confuse des hommes et des événements? Est-ce le
Grand Conseil de Spa ou la retraite des armées de l’Ouest, la
signature du traité de Paix ou son accession à la Présidence?
Si on le lui demandait, sans doute répondrait-il que ces
images contrastées s’estompent dans sa mémoire, recouvertes
par les souvenirs de Sedan et de Sadowa, dont les charges
restent associées a u x premières émotions de sa jeunesse.
Quant à ce IIIe Reich vers lequel, sans le savoir, il a
conduit l’Allemagne, il n’est pas son œuvre e t nul doute
qu’il n’en a jamais approuvé l’esprit. Il l’a reconnu
et tenu sur les fonts baptismaux du pouvoir, mais là se
bornait sa tâche. Il avait grandi dans un monde trop
différent, pour pouvoir s’y adapter, - un monde fondé
sur le respect du pouvoir héréditaire et la fidélité envers la
dynastie, un monde dont toutes les manifestations gravi-
taient autour de cet astre unique : l’Empereur! C’est vers
lui, certainement,.que vont ses dernières pensées et, derrière
lui, à la longue lignée de souverains qui haussèrent peu à
peu la Prusse au rang de grande Puissance mondiale.
Une arche géante tendue entre deux siècles sans commune
mesure entre eux, telle est l’image SOUS laquelle nous appa-
raît sa vie. A présent, cette arche s’écroule et tandis que dans
le grand salon de Neudeck, transformé en chapelle ardente,
quatre officiers montent la garde aux angles du catafalque
où gît le vainqueur de Tannenberg, drapé dans le manteau
blanc à croix de Malte des chevaliers de Saint-Jean, on se
demande, à Berlin, qui assurera sa succession. Les rumeurs
les plus diverses circulent à ce sujet. Certains assurent qu’un
prince de Hohenzollern va être nommé Statthalter du Reich1.
D’autres prétendent qu’Hitler songe à rétablir la monarchie ...
Mais à l’heure même où le Président rend le dernier soupir,
un conseil de Cabinet, réuni à la Chancellerie, adopte un
texte de loi qui coupe court à toutes ces hypothèses et que
la foule peut lire quelques heures plus tard, placardé sur
tous les bâtiments publics du Reich :
Les fonctions de Président du Reich sont fusionnées avec celles
de Chancelier d‘Empire. E n conséquence, toutes les attributions
et les prérogatives du Président sont transférées au Führer et
1. C’était
p. 189).
- on s’en souvient - le projet de Schleicber. (Voir plus haut,
212 HISTOIRE D E L’ARMBE ALLEMANDE

Chancelier Adolf Hitlsr. Il &signera lui-même oon représentant.


Berlin, le l e z août 1934.
AD. HITLER,
RUDOLF HESS,VON PAPEN,VON NEURATE,
Dr FRICK,COMTE SCHWERIN VON KROSIGK,
FRANZSELDTE, Dr GURTNER, VON BLOMBEHG,
VON ELTZ,WALTER DARRE,D* GIEBBELS,
HERMANNG ~ R I N Dr
C , RUST,HJALMARSCHACRT
l.

Le problème de la succession se trouve ainsi réglé. Mais


cette décision n’aurait jamais pu être prise sans le consente-
ment de la Reichswehr. C’est maintenant qu’Hitler recueille
le fruit de son intervention du 30 juin. Jusque-là, les géné-
raux le considéraient avec méfiance. Maintenant qu’il a
sacrifié à 1’Etat quelques-uns des membres les plus haut
placés de son Parti, ils estiment qu’il a fait ses preuves e t
acceptent de le reconnaître comme chef suprême du Reich.
La loi du l e r août investit Hitler d‘un certain nombre de
pouvoirs nouveaux, (( Le Führer ne réunit pas seulement
entre ses mains tous les droits qui lui reviennent et les
devoirs qui lui incombent en tant que chef du Parti, Chance-
lier d’Empire e t Président du Reich, écrit le Dr Wilhelm
Stuckart. Ses pouvoirs dépassent en réalité les compétences
attribuées jusqu’ici à ces fonctions. I1 est le Führer poli{ique
de la nation, le Chef absolu de l’administration de l’Etat,
le Juge suprême du peuple et le Commandant en chef de
l’armée 8. 1) Jamais, en Allemagne, autant de pouvoirs n’ont
été accumulés sur la tête d’un seul homme. Hitler a d’ailleurs
soin de préciser, à l’issue du conseil de Cabinet, qu’il ne
prendra pas le titre de Président du Reich, (( qui reste indis-
solublement lié à la figure glorieuse du Maréchal D; il s’iiiti-
tulera (( Reichsführer e t Chancelier D.
Le lendemain, 2 août, Hitler reçoit le serment du général
von Blomberg, ministre de la Reichswehr, du général von
Fritsch, chef de la Heeresleitung et de l’amiral Ræder, chef
du Murine-Amt. La formule du serment est la suivante :
a J e jure solennellement devant Dieu d’obéir en toutes
circonstances à Adolf Hitler, Führer du Reich e t du peuple
allemand, Chef suprême de la Wehrmacht.
1. Loi du l e r août 1934, Reichsgesetzbkztt, I, p. 411.
2. Dr Wilhelm STUCKART, Die Sondewsrfawung dss &&II Reichss, YBlkiola
Bmbad<ta, numéro spécial de janvier 1936.
L’I~DIFICATION DU 1118 REICH 213
N Je m’engage à agir en tout temps comme un soldat valeu-
reux et à respecter ce serment, même‘ au péril de ma vie. n

A la même heure, dans toutes les garnisons du Reich, les


soldats e t les sous-officiers, formant le carré dans les cours
de leurs casernes, prêtent le même serment devant leurs
officiers.
Mais Hitler n’entend pas ((régner N en vertu d’un seul
blanc-seing délivré par l’armée. I1 tient à faire approuver
sa décision par la nation entière. C’est pourquoi il adresse,
le soir même, la lettre suivante à M. Frick, ministre de l’In-
térieur du Reich :
Je veux que la Décision constitutionnelle prise par le Cabinet
de conférer à ma personne les fonctions exercées par le délunt
Président d u Reich, reçoive la sanction explicite du peuple alle-
mand.
Profondément convaincu que toute souveraineté émane du
peuple et doit être confirmie par lui, au moyen d’un vote libre
et secret, je vous prie de prendre les dispositions nécessaires pour
soumettre la décision d u Cabinet a u peupi‘e allemand, afin qu’il
puisse se prononcer sur elle, par voie de référendum.
E n agissant ainsi, Hitler ne court aucûn risque. Qu’aurait-il
à craindre d’une consultation populaire? Aux élections pré-
sidentielles de 1932, il a déjà recueilli plus de treize millions
de voix, alors qu’Hindenburg vivait encore 1. Maintenant,
Hindenburg est mort. Hitler dispose de tout l’appareil de
l’Etat. L’armée lui a prêté serment. La S.A. et la S.S. ne
sont plus entre ses mains que des instruments dociles.
Aucune autre candidature ne peut s’opposer à la sienne.
Pourtant une ombre plane sur ce triomphe. Qu’arriverait-il
si le Maréchal Hindenburg avait laissé u n testament e t s’il
y désignait un autre successeur qu’Hitler? Cette hypothèse
n’expliqiie-t-elle pas la précipitation avec laquelle s’est opé-
rée la transmission des pouvoirs? On aurait pu attendre,
au moins, que l’illustre défunt ait été enterré ...
Ce sont là des questions que bien des gens se posent.
Et comme toujours dans ces cas, les imaginations vont leur
train. On échafaude mille suppositions, plus fantaisistes les
unes que les autres; on finit par se persuader que le testa-
ment existe, mais qu’il a été volontairement mis sous le
1. Voir plus haut, p. 53.
214 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

boisseau,Que pouvait-il bien contenir? Très rapidement, un


véritable inythe se crée autour d u (( testament disparu 1). Si
bien que la Chancellerie se voit obligée, au soir du 3 août,
de publier le communiqué suivant :
Toutes les rumeurs relatives à un message posthume du Pré-
sident du Reich au peuple allemand sont dénuées de fondement.
Le Maréchal von Hindenburg n’a laissé aucun testament poli-
tique.

Mais comme tous les démentis, ce texte ne convainc per-


sonne. I1 renforce plutôt la thèse du (( testament disparu )).
Le 6 août a lieu la première cérémonie funèbre au Reichs-
tag, qui siège depuis l’incendie à l’Opéra Kroll. Deux rangées
d’hommes en uniforme font la haie de part e t d’autre de
l’avenue qui y mène. Les honneurs sont rendus d’un côté
par des soldats de la Reichswehr, de l’autre par des mili-
ciens des S. A. e t des S. S. Ces deux murailles d’hommes
- brune e t noire à gauche, feldgrau à droite - se trouvent
de nouveau face à face, comme lors d e la cérémonie de Pots-
dam, le 21 mars 1933. Mais ils ne forment plus deux groupes
hostiles, qui se dévisagent en silence. I1 n’y a plus a l’ar-
mée du Président )) et (( l’armée du Chancelier 1). Toutes deux
sont assermentées au même Chef suprême.
La soirée e t la nuit sont marquées par diverses cérémonies
qui culminent, a u matin du 7 août, dans les funérailles
grandioses de Tannenberg.
Au cœur de la Prusse-Orientale, non loin du champ de
bataille où Hindenburg avait écrasé les armées russes du
général Samsonoff en août 1914, se dresse u n bâtiment
octogonal, dont les remparts trapus sont dominés par huit
tours de granit. C’est à la fois un oppidum, un bastion du
germanisme e t un sanctuaire militaire destiné à recevoir
les dépouilles des maréchaux allemands.
Vue de loin, la masse de ses donjons carrés se découpant
sur le ciel, impressionne. Mais vu de près, l’édifice offre un
spectacle plus impressionnant encore. Une croix nue se dresse
au milieu du gazon qui tapisse la cour d’honneur. Les tours
ont été ornées pour la circonstance de torsades de feuilles de
chêne et de longs voiles de crêpe qui palpitent dans la brise.
Le cercueil du Maréchal, posé sur une prolonge d’artillerie,
y a été transporté au cours de la nuit.
L’ÉDIFICATION DU 1110 REICH 215
Vers 10 heures, amenés par voiture, par avion e t par cinq
trains spéciaux, arrivent les membres d u gouvernement e t
les invités d’honneur. Ils prennent place dans l’enceinte, au
milieu d’une forêt d’étendards ayant appartenu jadis aux
régiments de Guillaume II. On reconnaît, dans les tribunes,
bien des survivants de l’ancien régime, vestiges échappés
comme par miracle à un immense incendie. Le maréchal von
Mackensen en grande tenue de Hussard de la mort e t coiffé
de sa légendaire schapska noire, domine l’assistance de sa
haute stature. Von Papen a revêtu l’uniforme d u l e r régi-
ment des Uhlans de la Garde, où il a servi dans sa jeunesse
sous les ordres de von Schlieffen. Un seul témoin de la
N grande époque )) se fait remarquer par son absence, c’est
Ludendorff. Même au seuil de la mort, le Grand Quartier-
Maître Général n’a pas voulu se réconcilier avec son ancien
rival.
Un pasteur protestant prononce une allocution; Hitler
s’avance, salue le catafalque le bras tendu, dit quelques mots,
et se retire. Après quoi, aux sons de la marche funèbre du
Crépuscule des dieux, le cercueil d’Hindenburg est porté dans
la Tour des Maréchaux, tandis qu’une batterie d’artillerie,
placée à l’extérieur de l’enceinte tire, comme pour les sou-
verains, une salve de cent un coups de canon.

+ i

Maintenant que les funérailles sont terminées e t que le


Maréchal repose dans sa crypte de granit, il ne reste qu’à
procéder au référendum, qui n’est plus, à vrai dire, qu’une
simple formalité. Sa date est fixée au 19 août.
Mais qu’on le veuille ou non, un malaise subsiste. Le peuple
n’arrive pas à croire qu’Hindenburg soit mort, sans avoir
rédigé ses dernières volontés. Le (( testament disparu )) revient
à la surface, comme un cadavre dont les relents empoisonnent
l’atmosphère.
Le peuple a raison : il s’est fié à son instinct et son instinct
ne l’a pas trompé. Le 15 août, c’est-à-dire quatre jours avant
le vote, Oscar von Hindenburg, le fils du Maréchal, apporte
deux enveloppes à M. von Papen. L’une porte la mention:
Pour Adolf Hitler. Sur l’autre s’étale cette inscription tracée
d’une écriture majestueuse : Ceci est mon testament au peuple
216 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

dlemand et à son Chancelier. Cette lettre est à transmettre par


mon fils au Chancelier du Reich.
Le contenu du premier pli ne sera jamais divulgué Le
second est un document de seize pages dans lequel le
vieux Maréchal relate les péripéties d e son existence e t expose
longuement ses états de service. I1 contient une surprise,
mais ce n’est pas celle qu’on attendait. Après u n long préam-
bule, où l’ancien Commandant en chef exprime, une fois de
plus, ses convictions monarchistes, il se termine par ce para-
graphe :
J e rends grâces i la Providence de m’avoir permis d‘assister,
au soir de ma vie, à l’heure du relèvement national. Je remer-
cie tous ceux qui ont contribué au redressement de l’Alle-
magne, avec un amour désintéressé de la Patrie. Mon Chan-
celier Adolf Hitler e t son Mouvement ont accompli un pas
décisif et d‘une grande portée historique en restituant son
unité au peuple allemand, sans distinction de classe ni de
profession. Je sais qu’ii reste encore beaucoup à faire, et je
souhaite de tout mon cœur que le grand acte de résurrec-
tion nationale et d’unification populaire soit couronné par
une réconciliation, qui embrassera la Patrie allemande tout
entière a.

Est-ce un coup de théâtre machiné par le ministre d e la


Propagande? Ce document arrive trop à propos, pour ne
pas éveiller des suspicions...
Mais Goebbels n’y est pour rien3. Ce texte, qui comble
les vœux d’Hitler, est authentique. Et comme quelques esprits
continuent à se montrer sceptiques, Oscar von Hindenburg
viendra lui-même à la radio, la veille d u référendum, pour
dissiper les derniers doutes qui pourraient subsister :
- Mon père aujourd‘hui défunt, déclare-t-il, a vu lui-même
en Adolf Hitler son successeur immédiat en tant que Chef
suprême du Reich allemand. J’obéis donc aux désirs exprimés
par mon père vénéré, en conviant tous les hommes e t toutes les
1.Ce sont, estime von Papen, des conseils sur la maniare de gouverner qu’Hitler
gardera par devers lui. (Cf. PAPEN: Méuioirea, p. 2’tO-241.)
2. On a voulu contester, sur le moment, l’authenticité de ce paragraphe, en
alléguant que sa terminologie ressemblait plus à celle d’Hitler qu’A celle du Maré-
chal. 11 est prouvé aujourd’hui, qy’Hindenburg,après en avoir modifié certains
termes, l’a approuvé et signé en presence de ses collaborateursintimes.
3. Hitler n’a eu connaissance de ce texte qu’au matin du 15 août, jour de sa
publication.
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 217
femmes d‘Allemagne à ratifier par le référendum du 19 août,
le transfert sur la personne du Führer e t Chancelier du Reich,
de toutes les fonctions exercées précédemment par lui 1.

Dès lors, on peut considérer que la partie est jouée. Le


lendemain, 19 août, a lieu le plébiscite institué pour approu-
ver l’unification du Reich sous la conduite du Führer.
Par 38.362.760 voix, soit 88,9 % de l’ensemble des votants,
le peuple allemand ratifie la décision d’Hitler, dont le titre
de Reichsführer devient ainsi définitif 2.

Tandis que ces événements se déroulent en Allemagne,


on dirait qu’un vent de panique soume sur le monde.
Depuis l’échec de la Conférence du désarmement, les nations
se lancent avec frénésie dans une course aux armements,
auprès de laquelle les préparatifs de 1914 ne semblent qu’un
jeu d’enfants. Balayées, les propositions de désarmement
intégral soutenues par M. Litvinov; balayées, les limitations
inscrites dans le plan Hoover et défendues avec vigueur par
M. Norman Davis ...
A Genève, presque toutes les délégations renchérissaient
sur leur désir d’assurer la paix universelle e t enveloppaient
leurs arrière-pensées dans la phraséologie creuse qui était
monnaie courante au Palais des Nations. A présent, les
masques tombent, les arrière-pensées s’étalent au grand jour
et le monde apparaît tel qu’il est en réalité, c’est-à-dire dur et
cruel. Les constructions chimériques des politiciens s’écrou-
lent, et si I? désillusion est amère, du moins le langage des
hommes d’Etat y gagne-t-il en sincérité.
Le Japon, qui a quitté la S.D. N. depuis le 26 mars 1933,
a procédé depuis lors à la conquête du Mandchoukouo. Mais
cette opération n’est que le prélude d’un plan gigantesque,
qui va le lancer à l’assaut de la Mongolie intérieure e t de
la Chine.
1. Déclaration d’Oscar von Hindenburg I? la radio allemande, le I S aodt 1934.
2. Ce chiffre marque une légère régression par rapport au plébiscite du
17 novembre 1933, où 93,6 yo des électeurs avaient voté pour Hitler. Cette diffé-
rence est due, non pas comme on l’a cru sur le moment, à une augmentation de
l’opposition de gauche h l’égard du régime, mais au fait que beaucoup d’éléments
de droih escomptaient toujours une restauration de la monarchie et ne pouvaient
ratifier une décision qui détruisait leurs espoirs.
218 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

La lutte, lit-on dans une brochure publiée en octobre 1934


par le gouvernement nippon, est l’origine de l’univers et la
génitrice des cultures. Elle commande les sources e t le cours
même de la vie. La Défense nationale est le fondement de
l’existence et du développement de l’fitat.
La mission de la force armée, qui constitue la base de la
défense du pays, consiste à faire connaître au monde l’idéal
dont s’inspire l’Empire nippon. Cet idéal est l’épée, qui châtie
le mal et fait triompher le bien. Cette épée est le symbole
de la justice. Elle ne souffre aucune comparaison avec les
principes de certains autres pays, dont les appétits égoïstes
ne sont dictés que par le désir d’établir leur suprématie sur
des peuples plus faibles qu’eux, pour les réduire en esclavage...
Le peuple nippon se trouve à la veille d’une épreuve décisive.
Son devoir et son intérât exigent qu’il la surmonte victorieuse-
ment, pour ajouter une nouvelle page de gloire à son histoire
trois fois millénaire l.

Mêmes fanfares belliqueuses aux États-Unis. S’adressant,


le 23 juillet 1934, aux équipages d u croiseur Houston, le pré-
sident Roosevelt déclare que (( la flotte américaine sera pous-
sée à l’extrême limite de sa puissance D, ce qui signifie la
mise en chantier de 360.000 tonnes d’unités nouvelles. Peu
après, la commission d’aviation d u Département de la Guerre,
présidée par M. Newton Baker, annonce (( qu’il faut à 1’Amé-
rique une flotte aérienne d’au moins 2.320 avions ».
- L’idée de la guerre est dans l’air, s’écrie Mussolini, dans
son discours du 24 août 1934 sur la Subordination de toute
la vie de la nation aux m’cessités militaires. Et il ajoute :
(( On a défini la guerre comme étant l’instance juridique

suprême entre les peuples, et comme les peuples ne s’arrêtent


pas dans leur développement, mais obéissent aux lois de leur
force et de leur dynamisme historique, la guerre subsistera,
malgré les intentions plus ou moins bonnes pour l’empêcher.
De m ê a e que la guerre se tient au début de l’histoire humaine,
elle l’accompagnera au cours des siècles à venir.))

Faisant un pas de plus dans le discours qu’il prononce le


26 février 1935, le Duce proclame :
u L’Italie, héritière des traditions viriles de l’Empire
romain, doit devenir une nation militaire, j e dirai même une
1. L’lmporiuncs da l
a D é f m e nationab, Tokyo, 1934.
L’I~DIFICATION D U 1110 REICH 219
nation milit,ariste... Dans l’État fasciste, les fonctions du
citoyen e t celles du soldat sont inséparables D.

Enfin, le 11avril 1935, un article officieux du Pop010 d’Ita-


lia annonce que l’Italie entend avoir, en temps de paix, une
armée de 600.000 hommes, dotée de l’armement le plus
moderne, et qu’elle va accélérer le développement de sa flotte
aérienne e t navale. L’amirauté italienne entreprend la
construction d’une série d’unités nouvelles e t met en chan-
tier deux cuirassés de 35.000 tonnes.
L’U. R. S. S.,de son côté, ne reste pas en arrière. Retra-
çant l’effort fourni au cours de l’année 1934 pour développer
et renforcer l’Armée rouge, le général Toukhatchewsky,
adjoint a u Commissaire du Peuple à la Guerre, déclare, le
l e r janvier 1935, a u VIIe Congrès des Soviets pan-russes :

(( I1 va de soi que les effectifs de l’Armée rouge, qui ne

dépassaient pas 600.000 hommes au cours de ces dernières


années, ne pouvaient plus suffire à la défense de nos frontières.
En conséquence, le gouvernement a décidé de les porter à
940.000 hommes et ce chiffre a été effectivement atteint à la
fin de 1934.
Notre Armée rouge d’ouvriers e t de paysans est forte. Sa
puissance politique e t son élan révolutionnaire la rendent
invincible; ils nous imposent le devoir de mener la lutte e t
d’utiliser les ressources de la technique moderne de telle sorte
qu’il n’y ait aucune armée du monde qui puisse lui être
comparée. D

La Pologne, qui craint d’être écrasée entre l’Allemagne e t


la Russie, renforce, elle aussi, ses mesures de protection. Le
24 septembre 1934, un décret du Maréchal Pilsudski institue
le service militaire auxiliaire, auquel sont astreints tous les
hommes âgés de dix-sept à soixante ans e t les femmes ayant
effectué u n stage préparatoire.
L’Angleterre a longtemps hésité à s’engager dans-la voie
du réarmement. Mais les événements de la guerre d’Ethiopie
lui ont infligé une humiliation cuisante e t l’ont réveillée de
sa torpeur. Pour avoir cru trop longtemps que la Société des
Nations sufirait, à elle seule, A maintenir la paix, elle voit
ses intérêts compromis en Extrême-Orient, ses communica-
tions impériales menacées dans la Méditerranée, e t découvre
220 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

tout à coup que sa position insulaire ne la met nullement


à l’abri d‘une agression aérienne.
Quel réveil douloureux! Alors que le 29 janvier 1934,
le gouvernement britannique croyait encore possible de
réduire partout l’aviation militaire l , le 19 août de la
même année il annonce son intention de doubler ses forces
aériennes par la construction de quarante-deux escadres nou-
velles. En vertu du principe du one-power standard, la Grande-
Bretagne veut que sa flotte aérienne soit a u moins égale à
la plus puissante de celles de ses voisins immédiats.
Mais ce n’est là qu’un commencement. Dans les derniers
jours de février 1935, le Cabinet anglais publie, sous le nom
de Livre blanc, un dossier qui contient des révélations inquié-
tantes sur la faiblesse de l’Angleterre.
L’opinion anglaise est atterrée en apprenant la vérité. i( Le
Livre blanc, déclare lord Snowden, est un des documents les
plus tragiques de l’après-guerre »,confirmant ainsi la bou-
tade de Disraeli : (( I1 faut qu’un Anglais soit très ému pour
employer le superlatif. 1)
Le l e r mars 1935, M. Baldwin soumet au Parlement un
vaste plan de réarmement terrestre, naval et aérien, pour
lequel il demande - et obtient - des crédits presque
illimités. (( La plus grande erreur commise après la
guerre, déclare le Premier britannique, a été de croire que
celle-ci instaurerait le règne de la démocratie dans le monde
-that the end of the war would make the world safe for
dernocraty ... Un peuple qui n’est pas résolu à prendre les
mesures les plus indispensables pour se défendre, ne possé-
dera jamais, sur cette terre, aucune puissance matérielle ni
morale 2. D
Les petites Puissances se voient contraintes de suivre le
mouvement e t s’imposent des sacrifices considérables pour
assurer leur sécurité. Le 6 décembre 1934, la Suisse prolonge
la durée du service militaire et vote un budget de 235 rnil-
lions de francs suisses, soit 1.175 millions de francs français de
l’époque 3. La Roumanie renouvelle son mathriel de guerre
et crée de nouvelles escadrilles d’avions. Le l e r janvier 1935,

1. Voir plus haut, p. 139.


2. Discours de M. Baldwin à la Chambre des Communes, le l e r mars 1935.
3. Chiffre considérable, quand on pense que le budget total de la Confédération
helv6tique ne dépasse guère 400 millions de francs suisaes.
L’ÉDIFICATION D U IIIe REICH 221
la Tchécoslovaquie établit le service de deux ans l. La Bel-
gique s’apprête à prendre des mesures similaires s.
Quant à la France, elle a investi des sommes considérables
dans ses ouvrages fortifiés et son matériel 3. La ligne Maginot
étend sa carapace de béton tout le long de la frontière de
l’est. Mais cet ouvrage d’art, est-il suffisant pour écarter
toute possibilité d’invasion? Certains techniciens l’affirment.
D’autres le mettent en doute.
Dans un livre consacré au x Invasions germaniques,
Ferdinand Lot a démontré que le limes a puissamment
contribué à affaiblir le moral des légions romaines (( en figeant
ces troupes dans une attitude perpétuellement défensive nY
et a fait remarquer que les Anciens avaient cédé, eux aussi
(( à l’attrait fatal des belles positions ». Reprenant cette
argumentation, M. Tardieu dénonce à son tour le danger
qu’il y aurait à accorder une confiance exclusive aux glacis
et aux fortifications. (( Lorsque l’Empire romain, écrit-il,
la plus grande puissance du monde antique, confia sa défense
à des ouvrages fortifiés et négligea son armée de campagne,
il est devenu très rapidement la proie des barbares 5. ))
Néanmoins, la France hésite devant les réformes indispen-
sables qui s’imposent à elle.
Un homme, pourtant, se dresse contre les conceptions
purement défensives qui semblent prévaloir au sein de notre
Etat-Major : c’est le commandant de Gaulle. Pour lui, cette
manière d’envisager la guerre future est dangereusement péri-
mée. Le prochain conflit ne sera pas une guerre de posi-
tion, comme celle de 1914-1918. Ce sera une guerre de mou-
vement. Pourquoi? Parce que l’engin susceptible d’éviter la
stagnation e t de réintroduire le mouvement dans le champ
de bataille est créé : c’est le char.
1. En 1936, l’armée tchécoslovaque comprend 7 corps d’armée, dont 12 divi-
sions d’iiilanteric, 3 brigades d’infanterie de montagne, 4 brigades de cavalerie et
un certain nombre de formations motorisées, - soit en tout 202.000 hommes.
2. Cf. Le discours de M. Devèze, ministre belge de la Défense nationale, le
16 mars 1935.
3. Le Populaire du 6 juin 1934 estime le total de ces dépenses à plus de 10 mil-
liards de francs, y compris le crédit supplémentaire de 3 milliards voté par la
Chambre des députés, le 2 juin 1934, B la suite d’uns intervention du maréchal
Pétain.
4. Furdinand LOT,Les Itwasions gerr~~anigues, vol. I, p. 28, 29. L’auteur ajoute :
a D’autres empires civilisés ont commis la m&meerreur et leur stupidité s’est étalée
sur un plan plus grandiose encore. Les Chinois ont mis cinq siècles à construire
la a Grande Muraille s, qui ne les a jamais sauvés d’une seule invasion. a
5. Cf. La Liberté, numéro du 7 mars 1935.
222 EISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Dans un livre intitulé Vers Z’Armée de métier 1, de Gaulle


démontre, avec une logique implacable,que la France ne
peut s’en remettre, pour supporter le premier choc, à u n
système défensif de formations mal assurées. I1 lui faut
un instrument de manœuvre offensif, perpétuellement en
état d’alerte et prêt à se déployer à tout instant, tout entier.
Les caractéristiques de cet instrument devront être : 10 la
rapidité, 20 une large autonomie, 30 une force de pénétration
aussi élevée que possible. Quel est le facteur qui lui conférera
ces qualités? Le moteur. (( Le moteur qui s’offre à porter ce
que l’on veut, où il le faut, à toutes les vitesses et distances;
le moteur qui, s’il est cuirassé, possède une telle puissance
de feu e t de choc, que le rythme du combat s’accorde avec
celui des évolutions. D
I1 faut donc construire des chars. (Sur ce point tout le
monde est d’accord.) Mais - c’est là où réside le nœud du
problème - a u lieu de s’en servir par petits paquets, comme
engins d’accompagnement de l’infanterie, il faut les masser
en grandes unités autonomes, en divisions blindées, qui seront
l’instrument de percée susceptible de faire sauter le disposi-
tif ennemi.
Cette conception révolutionnaire de l’armée blindée, offen-
sive et dynamique, s’oppose trait pour trait aux notions sta-
tiques et défensives, empruntées à la dernière guerre, de ceux
qui préconisent la construction de la ligne Maginot. Aussi
l’accueil qui lui est fait est-il franchement défavorable.
Certains hommes politiques, tels Paul Reynaud, Philippe
Serre, Marcel Déat et Léo Lagrange, saisissent vite l’intérêt
de cette nouvelle doctrine des chars. Mais les militaires, pour
la plupart, lui sont opposés.
La France n’aura donc ni armée blindée ni infanterie
motorisée. Elle s’en tiendra à la conception classique du
(( front fixe et continu D, hérité de Verdun et du Chemin
des Dames. Mais un problème très grave ne s’en pose pas
moins : c’est celui des effectifs. La France approche de la
période des classes creuses : le contingent appelé chaque
année sous les drapeaux va tomber, pendant quelque temps,
de 240.000 à 120.000 hommes. Comment (( meubler 1) la ligne
Maginot et assurer en même temps (( la continuité du front n?
1. Au printemps 1934.
2. Ce sont les classes 1934-1938, qui marquent, vingt ans après 1914-1918, les
années ou le taux des naissances a baissé, du fait de la Première Guerre mondiale.
L’$DIFICATION DU I I I ~REICH 223
Seul un retour au service de deux ans peut rétablir l’équilibre.
L‘inconvénient de cette mesure est qu’elle donne à l’opinion
non avertie l’impression que la France double le volume de
son armée, alors qu’elle ne représente en réalité aucun accrois-
sement d’effectifs : elle permet seulement de les maintenir
à leur ancien niveau.
Pourtant, cette mesure s’impose si la France ne veut pas
être dépassée par l’effort de réarmement que s’imposent ses
voisins.
Le Maréchal Pétain, dont l’influence est considérable en
raison du prestige qui s’attache à son nom, entreprend alors
une campagne d’opinion pour €aire adopter cette réforme
indispensable. I1 soulève pour la première fois la question
des effectifs le 3 juillet 1934. Le 22 août, il reprend le même
thème dans une conférence faite à Saint-Malo devant l ’ h o -
ciation des Olficiers de réserve. I1 y revierit le 9 septembre,
dans un discours prononcé à Meaux, pour commémorer le
vingtième anniversaire de la bataille de la Marne. Enfin, le
l e x mars 1933, il lance un appel pressant en faveur du ser-
vice de deux ans, dans un article publié dans la Revue des
D e u x Mondes.
Le même jour ( l e r mars 1935)’M. Pierre-Étienne Flandin
dépose devant la Chambre des députés un projet de loi rela-
tif au service de deux ans, destiné à remplacer les disposi-
tions de la loi de recrutement de 1927. Le 16 mars, après
un débat animé qui dure quinze jours, et met aux prises
partisans des divisions blindées et partisans de la ligne
Maginot, le Parlement finit par adopter ce projet, mais en
y apportant des amendements qui soulignent son caractère
limité et éminemment transitoire :
I. Le gouvernemenl est autorise’ ù supprimer le système d’in-
corporation bisannuel, ce qui évite la scission néfaste entre les
deux tranches d u contingent.
II. Le gouvernement est autorisé à conserver sous les drapeaux,
pendant une année supplémentaire, la classe incorporée e n 1935,
ainsi que les classes suivantes, jusqu’en 1939.

Telle est l’ambiance générale dans laquelle Hitler décide


de rétablir le service militaire obligatoire en Allemagne.
224 HISTOIRE DE L ' A R M ~ E ALLEMANDE

Le 15 mars, il réunit d'urgence quelques membres


de son Cabinet, pour examiner avec eux la situation. Le
lendemain, 16 mars - le jour même où la France adopte
le service de deux ans -
le Führer remet au Conseil des
ministres, réuni cette fois-ci au complet, le texte de la Loi
s u r la reconstruction de la Wehrmacht.
Cette loi ne comprend que trois paragraphes :
§ 1 : L e service dans la Wehrmacht est basé sur le service
militaire obligatoire.
5 2 : Carmée allemande comprend e n temps de paix 12 corps
d'armée et 36 divisions.
§ 3 : Les lois complémentaires, réglementant le service mili-
taire obligatoire, seront soumises au Cabinet à bref délai, par
le ministre de la Reichswehr I.

Le soir même, tous les journaux allemands reproduisent


le texte de la loi, ainsi que la proclamation du Führer qui
l'accompagne :
A dater d'aujourd'hui, la garantie de l'honneur et de la sécu-
rité d u Reich est de nouveau confiée à la force de la nation alle-
mande.

Déchirant tout ce qui subsiste de la Partie V du traité de


Versailles et répudiant les obligations du Pacte de Genève
- dont il ne fait plus partie depuis le 14 octobre 1933 -,
le Reich reprend d'un coup sa liberté d'action.

1. Reichsgesetrblait, 1935, I, p. 375.


XI

LA LOI DU 21 MAI 1935


ET LA CRÉATION DE L’ARMEE NATIONALE

(( Le 16 mars 1935, écrit Paul Semrnler, est une date capitale

dans l’histoire de l’Allemagne. Ce jour-là, le Führer a brisé


les chaînes imposées au Reich par le traité de Versailles e t
a rendu au peuple allemand bon honneur e t sa liberté, en
promulguant la Loi sur la reconstriiction de la Wehrmacht.
(( Cette reconstruction est basée sur le service militaire

obligatoire e t général. I1 ne s’agit donc nullement d’un réta-


blissement pur et simple de la Constitution militaire impé-
riale, mais de quelque chose de nouveau. Ce que Scharnhorst
e t Royen avaient rêvé, mais n’avaient pas pu réaliser entiè-
rement, se trouve enfin accompli : une armée nation& est
née, dans la plrine acception du terme I. 11
Le dernier paragraphe de la loi d u 16 mars spécifiait
(( qu’une loi coniplénientaire serait soumise à bref délai au

Cabinet par le ministre de la Reichswehr ». C’est la loi du


21 mai 1935 relative à l’armée nationale, dont nous allons
examiner les dispositions essentielles, comme nous l‘avons
déjà fait pour la loi du 6 mars 1919 sur la Reichswehr provi-
soire 2, et celle du 23 mars 1921 sur la Reichswehr de métier 3.
Chacune de ces armées a été le résultat d’une crise poli-
tique. Comme si le génie créateur de l’Allemagne trouvait à
s’exprimer plus rapidement dans ce domaine que dans les
autres, chaque secousse, chaque bouleversement se sont tra-
duits par une refonte des institutions militaires. Analyser
les dispositions de la loi qui l’a$odifiée n’est donc pas sirn-
plement passer en revue une succession de dispositions
1. Paul SEYMLER, Wehrgesets wrn 21 mai 1935, p. 7.
2. Voir vol. I, p. 163.
3. Voir vol. II, p. 138.
III 15
226 HISTOIRE DE L ’ A R L I ~ ALLEMANDE

abstraites : c’est retrouver, transposée sur le plan législatif,


le drame politique e t social que l’Allemagne vient de
traverser.
La Reichswehr provisoire est née de la dissolution de
l’armée impériale e t des deux révolutions de novembre 1918
et février 1919 ;la Reichswehr de métier a été façonnée par le
traité de Versailles et par le putsch de Kapp; la Wehrmacht
nationale est issue de la révolution hitlérienne e t aussi, dans
une certaine mesure, de la crise du 30 juin 1934.
On pourrait croire que ces convulsions ont engendrh des
armées très différentes les unes des autres et n’ayant,
entre elles, aucune parenté. Rien ne serait plus inexact,
e t c’est ici qu’intervient un phénomène étrange qui donne
sa physionomie particulière à l’histoire allemande. Alors
que la nation se trouve ,labourée de fond en comble par
des spasmes sociaux e t se donne successivement les régimes
les plus contradictoires, - Empire héréditaire, République
démocratique ou Dictature, - l’armée subit les contrecoups
de ces révolutions, mais en les harmonisant les unes aux autres
et en amortissant leurs transitions, assurant ainsi au-dessus
de la discontinuité civile, une inébranlable continuité mili-
taire. De même qu’il n’y a eu aucune rupture entre l’armée
impériale e t la Reichswehr provisoire, entre la Reichswehr
provisoire et la Reichswehr de métier; il n’y en a pas davan-
tage entre la Reichswehr de métier e t la Wehrmacht natio-
nale. Chaque fois qu’un groupe quelconque a voulu porter
atteinte à cette continuité - Liebknecht e t les Spartakistes
en 1918, Rohm et certains chefs de S. A. en 1934 - il a été
écrasé. Aussi retrouve-t-on, d’une armée à l’autre, un certain
nombre de constantes qui peuvent prendre un aspect nou-
veau, mais ne sont jamais brisées. C’est ce qui a permis à un
observateur de lancer cette formule : (( La Wehrmacht de
1935 n’est pas seulement le couronnement des quinze années
d’efforts accomplis depuis la guerre :elle est l’aboutissement
de deux mille ans de traditions militaires, qui vont des utribus
en armes )) de la Germanie primitive, à la (c nation armée n
de l’époque contemporaine. n
*
*,
La PREMIÈRESECTIONde la loi d u 21 mai 1935 a trait
aux dispositions générales,
L’ÉDIFICATION DU IIIe BPICE 227
Le paragraphe 1 commence par énoncer trois principes
fondamentaux. Le premier déclare : Lc service des armes est
un service d’honneur rendu a u peuple allemand l. Cette phrase
signifie que le service militaire n’est pas un tribut payé à la
société, mais un honneur, dont chaque individu doit s’ef-
forcer de se rendre digne. La communauté nationale ne sau-
rait exister sans communauté militaire et celle-ci, en ta n t
que symbo- de la nation, est aussi la dépositaire de l’hon-
neur de 1’Etat. Quiconque forfait à l’honneur ne saurait
faire partie de l’armée et se trouve automatiquement déchu
de ses droits militaires.
Le deuxième principe spécifie que tout citoyen allemand a
le devoir d’accomplir son service militaire. Bien que le service
militaire soit en fait obligatoire, la rédaction de cet alinéa
a pour b u t de souligner que cette obligation découle d’un
devoir, non d’une astreinte. Du fait que tous les citoyens alle-
mands sont soumis au même destin historique, ils sont inves-
tis des mêmes droits et des mêmes devoirs. Ce principe
supprime les privilèges accordés avant 1914 aux princes des
dynasties régnantes, au x membres de certaines Maisons
médiatisées e t aux fils de familles bourgeoises, qui pouvaient
n’accomplir qu’un volontariat d’un an. D’après la loi nou-
velle, aucune dérogation n’est plus admise.
Le troisième principe affirme : En temps de guerre, outre
le service militaire, chaque homme et chaque femme sont tenus
de participer à l a défense de l a Patrie. Cette prescription repose
sur la conception nationale-socialiste de la communauté
militaire du peuple, e t résulte de l’évolution des guerres
modernes, qui ne seront plus des conflits d’armées, mais des
conflits de nations 2.
Le paragraphe 2 a trait aux fonctions particulières e t à
la structure de l’armée. La Wehrmacht, y lit-on, est la force
armée et I‘école d‘éducation militaire d u peuple allemand.

1. Cette phrase reproduit le paragraphe 1 des Devoirs du soldat albmand, pro-


mulgués par le Maréchal Hindenburg, le 25 mai 1934. (Voir plus haut, p. 167.)
2. C‘est une opinion assez communément répandue en France que l’idée de la
a guerre totale D est d’origine allemande et que sa paternité revient à Ludendorff.
Rien n’est plus inexact. Cette conoeption, intimement liée h l’évolution des nations
modernes, découle des principes énoncés par la Ilévolution française. Elle a été
formulée pour la première fois par Brissot, à la tribune de la Convention. u ZZ
faut, disait-il dans son discours du 6 février 1793, que la grands famiUe den
Français ne soil plus qu’une armée, que la France ne soit plus qu’un camp où l’on
ne parle quede guerre,O& lout i d e à kr guerre, od low lea travaux n‘aient pour objet
que la guerre. a .
228 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

Le terme a Reichswehr )), institué p ar la Constitution de


Weimar, est supprimé, comme ayant servi à désigner exclu-
sivement une armée de métier. a Cette désignation, déclare
Paul Semmler, doit être considérée comme faisant désormais
partie du passé l. n De même, le nom de ((ministère de la
Reichswehr )) est remplacé par celui de (( ministère de la
Guerre du Reich n.
E n t a nt que force armée, Ia Wehrmacht doit être constûm-
ment prête à défendre la Patrie contre les ennemis exté-
rieurs. En t a nt qu’éducatrice de la nation, son rôle consiste
non seulement à former des combattants rompus a u manie-
ment des_armes, mais des citoyens conscients de leurs devoirs
envers l’Etat. Le service militaire couronne le cycle de l’édu-
cation civique de chaque jeune Allemand. C’est l’application
du principe énoncé par HitIer dans Mein Kampf :
L’armée allemande n’est pas faite pour perpétuer les carac-
tères distinctifs des différents Pays. Elle doit être une école
d’adaptation et de compréhension mutuelle pour tous les
Allemands. Quelles que soient les cloisons qui peuvent s’élever
au sein de la nation, l’armée a’pour mission de les briser et
de les transformer en forces unificatrices. Elle doit en outre
sortir le jeune homme de l’horizon étroit de sa province, p m r
l’introduire dans le cercle beaucoup plus vaste de la nation.
I1 doit apprendre à voir les frontières de sa patrie, non celles
de sa province, car ce sont elles qu’il peut être appelé à défendre
un jour. I1 est absurde de laisser le jeune Allemand croupir
dans sa ville natale, au lieu de profiter de son temps de ser-
vice pour lui faire connaître l’Allemagne. I1 faut que le jeune
Bavarois voie enfin le Rhin et la mer du Nord; il faut montrer
aux Hambourgeois les Alpes et la Prusse-Orientale... C’est là
un principe que nous maintiendrons h tout prix, lors du réta-
blissement de l’armée nationale 2

A cet effet, le système des Landesmannschaften institué par


la loi de 1921 3, qui rétablissait sous une forme déguisée les
quatre contingents de l’armée impériale, se trouve défiriiti-
vement aboli 4. Les Pays, dépouillés de leur souveraineté
par la loi du 30 janvier 1934 Pour la reconstruction du Reich 6,

1. Paul SEMMLER, op. cit., p. 27.


2. Mein Kampf, II, p. 647-648.
3. Voir ~ o l II,
. p. 139.
4. Sur ce point, laloi du 21 mai 1935 se rapproche de la loi du 6 maru 1919.
,5. Voir plus haut: p. 119.
L’BDIFICATION DU I I I ~REICH 229
n’ont plus voix au chapitreben ce qui concerne les affaires
militaires e t l’administration de l’armée.
Le paragraphe 3 a trait au Haut-Commandement. Le Chef
suprême de la Wehrmacht est le Führer et Chancelier d u Reich.
Celui-ci se trouve, de ce fait, au sommet de la hiérarchie
militaire allemande, position occupée, avant 1918, par l’Em-
pereur Guillaume II.
Les soldats, comme nous l’avons v u plus haut, ne sont
plus assermentés à la Constitution, mais à la personne d’Adolf
Hitler l.
E n vertu de l‘article 47 de la Constitution de Weimar, le
Président du Reich était, lui aussi, chef suprême de l’armée.
Mais certaines limitations lui étaient imposées. Son droit
de cpmmandement était nominal, e t non pas effectif. I1
l’exerçait en temps de paix, mais non en temps de guerre.
‘De plus, les ordres qu’il donnait à l’armée n’étaient valables
qu’après avoir été contresignés, soit par le ministre de la
Reichswehr, soit par le Chancelier, au cas où le ministre de
la Reichswehr serait en conflit avec le Président. (Art. 50
de la Constitution de Weimar.)
Le Führer, lui, exerce le commandement suprême en temps
de paix comme en temps de guerre; ce commandement est
à la fois nominal et effectif. Enfin, ses ordonnances n’ont
plus besoin d’-être contresignées, puisqu’il est, à la fois chef
suprême de 1’Etat e t Chancelier, en vertu de la loi d u l e r août
19342. Le Führer est investi des six droits régaliens qui
appartenaient jadis à l’Empereur. Mais alors que celui-ci
n’en disposait pleinement que dans l’armée prussienne 3,
Hitler les exerce sur toute l’armée d u Reich. Ce sont : 10 le
droit d’organisation, qui lui permet de créer des organismes
et des troupes nouvelles, de dissoudre les unités existantes
et de construire des forteresses; 20 le droit de promotion et
de nomination; 30 le droit d’inspection; 40 le droit de dislo-
cation, qui lui permet de modifier l’implantation des gar-
nisons e t la répartition des troupes; 50 le droit de mobilisation;
60 le droit de grâce.
1. Loi sur le serment des soldais de la Wehrmacht du 20 août 1934 (Reichsgesh-
blatt, I, p. 785), modifiée par la Loi du 20 juillet 1935 (Reichgesetzblatt, I, p. 1035).
Cf. également, à propos du serment, major FCERTSCH, Die Wehrmacht im a i o n a l -
sozialistischcn Staat, p. 25-30.
2. Voir plus haut, p. 211.
3. Nous avons vu (vol I, p. 164 et S.) que ces droita étaient sujets A certainer
restrictions en Saxe, en Bavière et dans le Wurtemberg.
‘230 HISTOIRE DE L’ARM~E ALLEMANDE

E n plus de ces pouvoirs, le Führer peut proclamer l’état


d‘exception et se servir de l’armée pour réprimer des troubles
intérieurs, droit que ne possédait pas l’Empereur e t qui avait
été attribué au Président du Reich par le paragraphe 48 d e
la Constitution de Weimar. C’est u n des seuls articles d e
l’ancienne Constitution que le nouveau régime ait conservés.
Mais ce droit n’appartient pas à Hitler en t a n t que chef
suprême de la Wehrmacht. C’est une prérogative gouverne-
mentale qui lui a été conférée, en t a n t que Führer du Reich,
par la loi du l e r août 1934 1. I1 est cependant exclu qu’il
en fasse usage, car, suivant les principes nationaux-socia-
listes, l’armée ne doit intervenir en aucun cas dans les
affaires intérieures du pays. Ce rôle incombe désormais A la
police militarisée et aux S. S. 2.
Sous les ordres du Führer, le ministre de la Guerre du
Reich exerce le commandement de la Wehrmacht dont il est 28
commandant en chef.
Sous le régime imptrial, le commandement en chef était
exercé par le chef d’Etat-Major général, dont les attribu-
tions étaient distinctes de celles du ministre de la Guerre
de Prusse S. A présent, ces deux fonctions sont réunies entre
les mains du général von Blomberg, dont les pouvoirs en
matière militaire ne sont limités que par le Führer, vis-
à-vis duquel il est responsable.
Le ministre de la Guerre siège dans le Cabinet d u Reich.
Ses droits sont égaux à ceux des autres ministres. I1 repré-
sente le deuxième échelon dans la hiérarchie militaire, E n
t a n t que Commandant en chef de la Wehrmacht, il tient en
main le (( trident de guerre »,c’est-à-dire la triple force de
l’armée de terre, de la marine de guerre et de l’aviation.
Le troisième échelon de la hiérarchie est représenté par les
chefs respectifs de chacune de ces forces. Le général von
Fritsch, jusque-là chef de la Heeresleitung au ministère de
la Reichswehr, devient Commandant en chef de l’armée de
terre; le général Gœring, Commissaire, puis ministre du Reich
pour l’aviation civile, devient Commandant en chef de l’ar-
mée de l’Air; l’amiral Ræder, chef du Marineamt au minis-

2. CI. K.-L. von&z&,


1. Voir plu6 haut,
Crundnigs der Wchrpoiitik.
S. Ces deux organismem ne #’entendaient p81 toujours. I1 y avait, en outre, un
ministère de la Cuern Munich, pour 14 Bavière; un h Stuttgart, pour le W u r
ternberg, e t un D r d e , pour la Saxe.
L’ÉDIFICATION DU 1110 REICH 231
tère de la Reichswehr, devient Commandant en chef des
Forces maritimes.
L‘armée de terre comprend trois Gruppenkommandos :
I. Berlin (général von Rundstedt).
II. Kassel (général Ritter von Leeb).
III. Dresde (général von Bock).

Les Gruppenkommandos sont subdivisés en douze Wehr-


kreise, dont dix sont constitués dès 1935 :
I. Koenigsberg (général von Brauchitsch).
II. Stettin (général Blaskowitz).
III. Berlin (général von Witzleben).
IV. Dresde (général List).
V. Stuttgart (général Geyer).
VI. Münster (général von Kluge).
VII. Munich (général von Reichenau).
VIII. Breslau (général von Kleist).
ix. Kassel (général Dollrnan).
X. Hambourg (général Knochenhauer) l.
Chaque Wehrkreis comprend un corps d’armée à trois
divisions. Chaque division normale comprend trois régi-
ments d’infanterie avec armes d’accompagnement; deux
régiments d’artillerie, l’un monté, l’autre motorisé; une sec-
tion de liaison et de reconnaissance ; un bataillon du génie
en partie motorisé; une section de camions, une section de
pontonniers; une section sanitaire 2.
Mais, ET CECI EST CAPITAL, l’armée de terre comprend
- outre les formations de style classique que nous venons
d’énumérer - un certain nombre de divisions cuirassées, ou
Panzerdioisionen, placées sous le commandement du géné-
ral Oswald Lutz. Elles sont rattachécs, non à telle. ou telle
unité d’infanterie, mais directement aux chefs des trois Grup-
penkommandos, c’est-à-dire au x généraux von Rundstedt,
Ritter von Leeb e t von Bock. Elles forment de ce fait une

1. On rrmarquera que les siber des sept prernienWehrkrebr iont rest66 à peu
près identiques à ceux de la Reichswehr de von Seeckt. (Voir le dépliant ila 5x3 du
volume).
2. A part le dcuxieme Agiment d’artillerie motorisé, la structure d’une division
de la Wchrrnocht correspond exactement a cells d’une division de von Sesckt.
-
Seuls les effectifs et I’irrncment ont changé. On voit ici comme pour les Wshr-
hreiss- un exemple de Ir continuité dont BOW parlion8 au &ut da om chapitia.
232 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

sorte de noyau d’acier indépendant e t compact, une véri-


table (( armée dans l‘armée ».
Qu’est-ce que cela signifie? Tout simplement ceci : que
les chefs de la Heeresleitung, réfléchissant pour leur compte
sur les données de la guerre future, sont arrivés aux mêmes
conclusions que le commandant de Gaulle. Ils ont reconnu que
le prochain conflit ne sera pas une guerre de position 1, niais
une guerre de mouvement; que le facteur essentiel de cette
mobilité sera (( le moteur cuirassé n; qu’il fau t donc masser
les chars en divisions blindées et les doter de l’autonomie
nécessaire pour leur permettre d’intervenir d’une façon indé-
pendante sur le champ de bataille. Car les chars selon la -
belle formule de Guderian sont (( les architectes de la victoire )I.
Mais allant plus loin que leur collègue français, ils ont
posé en principe :
10 Que les Panzerdivisionen doivent entraîner les divi-
sions ordinaires dans leur sillage 2; que l’allure de ces der-
nières devait donc être accélérée e t que cette accélération
ne pouvait &re obtenue que par. la motorisation, sinon de
toutes leurs unités, du moins d’un nombre sufisant d’entre
elles pour leur permettre de s’engouffrer dans la brèche
ouverte par les chars.
20 Qu’il faut accroître la force de pénbtration des P a n -
zerdivisionen en les faisant précéder de vagues d’avions d e
bombardement.
Le grand principe sur lequel repose la nouvelle stratégie
allemande est donc l a coopération étroite des blindés et d e
l’aviation
Dés l’été de 1936, la Wehrmacht dispose déjà de trois
divisions blindées, réparties de la façon suivante :
I. atat-Major à Weimar (général von Weichs). Troupes au
camp d’ohrdruff, à Eisenach, en Saxe et en Silésie-Occiden-
tale.

1. A ce titre, les chefs militaires allemands n’attacheront qu’une importance


secondaire i la construction des fortifications de la ligne Siegfried. Ils y verront
surtout une feinte, destinée à décourager une éventuelle intervention offensive
de l’arméc française. Ils estiment que cette dernière, constituée autour d’un prin-
cipe défensif, répugnera sortir de l a ligne Maginot pour aller se heurter k une
ligne do fortifications adverses.
2. La lecture des écrits du commandant da Gaulle donncl‘impression de divisiom
cuirassees évoluant rn dans le vide D, sans se soucier outre mesure de leurs liaisons
avec le reste de l’armée. De plus, Vers l’Armée de métier ne contient aucune donnée
BUE leur formule d‘emploi, ni sur le rôle de l’aviation.
L’ÉDIFICATION DU 1118 REICH 233
II. État-Major à Würzburg (général Guderian). Troupes en
bordure de l’autoroute Çaarbrücken-Beuthen.
I I I . État-Major à Berlin (général Fessmann). Troupes aux
camps de Wünsdorf e t de Zossen.
Une quatrième est en formation en Westphalie, dans la
région de Barmen-Elberfeld l.
Chaque division cuirassée doit comprendre en principe
deux régiments cuirassés formant brigade; un régiment de
tirailleurs, monté en partie sur motocyclettes; u n régiment
d’artillerie motorisée; un bataillon de pionniers motorisés;
une section de renseignements; une section de défense anti-
chars. Chaque régiment cuirassé dispose de 250 engins blin-
dés, de sorte que l’on peut évaluer à 500 environ le nombre
des chars d’assaut de chaque division cuirassée lorsque
celles-ci auront atteint leur développement final.
Signalons encore deux divisions de cavalerie; l’une, compo-
sée de deux brigades stationnées à Potsdam et à Breslau;
l’autre, composée d’une brigade indépendante, stationnée en
Prusse-Orientale.
La Marine de guerre comprend le Commandement central
de la flotte (Flottenkommando) à Kiel e t deux Commande-
ments de station :
I. La station de la Baltique, à Kiel.
II. La station de la mer du Nord, à Wilhemshaven.

L’armée de l’air, pour sa part, est répartie en six Luftkreise :


I. Kœnigsberg (général Schweickhard).
II. Berlin jgénéral Kaupiwh).
III. Dresde (général Wachenfeld).
IV. Münster (général Halm).
V. Munich (général Sperrle).
VI. Kiel (général Zander).
1. On a prétendu, par l a suite, que les Allemands s’étaient inspirés des idées
énoncées par de Gaulle en 1934. C’est inexact et il suffit d’une simple confron-
tation de dates pour s’en convaincre. Le général Guderian, interrogé h ce sujet
par l’auteur du présent ouvrage, lui a répondu textuellement : K Lorsque a paru
IC livrc du général de Gaulle en 1934, nousétions déju engagésdanscette voie depuis
1932. Sa lecture nous a vivement intéressés, mais elle ne nous a rien appris.
Tout au plus nous a-t-elle encouragés h persévérer dans nos efforts. D’ailleurs
l’idke était dans l’air. Aprés Füller e t Estienne, tout chef militaire lucide
devait y venir. L’étonnant n’est pas que de Gaulle y ait songé, mais qu’il a i t
616, semble-t-il, le seul en France à IC faire, e t que &es idées y aient été si mal
accueillies. n (Déclarations recueilli- en mai 1941.)
234 .HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Chaque Luftkreis comprend, au l e r avril 1936, trois escadres


de 81 appareils chacune e t trois régiments de défense
antiaérienne, mais le matériel volant e t la structure des
escadres subiront par la suite des modifications considérables,
tout comme le nombre e t la répartition des Wehrlcreise 1.
*
+ *
La DEUXIÈME SECTION de la loi du 31 mai 1935 a trait
aux conditions dans lesquelles s’effectue le service militaire.
Le paragraphe 4 déclare : L a durée de l‘obligation mi&
taire s’étend, pour chaque A l l e m a n d , d u moment où s’achève
sa 18e année jusqu’au 31 mars qui suit l‘accomplissement de
sa 45e année. L e s conscrits sont appelés sous les drapeaux
dans l’année où ils ont 20 a n s révolus z.
L‘alinéa 1 du paragraphe 5 spécifie qu’en cas de mobili-
sation chaque homme doit se tenir à l a disposition de la W e h r -
macht. L e ministre de l a Guerre dCcidera de son affectation.
L’alinéa 2 prescrit : En temps de guerre, les besoins de
?armée priment tous les autres, ce qui signifie que tous les
organismes civils doivent, en cas de conflit, se soumettre
aux exigences de la Défense nationale.
Le paragraphe 7 est particulièrement intéressant. L e
devoir militaire, y lit-on, s’accomplit par le moyen d u service
militaire. Cette formule (un peu nébuleuse en français, parce
qu’elle oppose deux termes précis - Wehrpflicht e t W e h r -
dienst - pour lesquels notre langue n’a pas d’équivalents),
mérite d’être examinée attentivement, car elle marque une
des différences essentielles qui existent entre l’armée impé-
riale de 1914 et la Wehrmacht nationale de 1935.
Dans l’armée impériale, les officiers d’active et les soils-
officiers rengagés n’étaient pas considérés comme accomplis-
sant leur (( temps de service n. Ils constituaient une classe
spéciale de (( fonctionnaires de 1’Etat n, e t servaient en
vertu d’un contrat ou d’une patente. n A leurs yeux, écrit
Paul Semmler, la conscription n’était qu’une mesure subsi-
1. En 1936, deux nouveaux Wehrkreissseront cri& : le Wshrkreis X I à Hanovre,
et le Wehrkreis X I I Wiesbaden. Enfin, h la fin de 1937, il sera cr8é k Nuremberg,
un X l l l e Weidweis, non prévu dans la loi, obtenu en scindant en deux le Wchr-
kreis V i l (Munich).
2. Pour la Prusse-Orientale, séparée du reste de l’Allemagne par le comdor
polonais, le ministre de la Guerre a étendu jusqu’k cinquantesinq ans les obliga-
t i o n ~militairen des hornmen de cette provine.
L’ÉDIFICATION DU IIIe REICH 235
diaire, destinée à fournir aux cadres de l’armée, le matériel
humain dont ils avaient besoin )) (( Armée )) et (( contingent ))
formaient deux groupes distincts, qui ne s’amalgamèrent
jamais tout à fait, et dont le manque d’homogénéité f u t
une des causes de la scission survenue en 1918.
Cette conception se trouve abolie par le paragraphe 7 de
la loi. Tous les membres de l’armée, depuis le commandant
en chef jusqu’au simple soldat, servent en vertu d’un prin-
cipe identique : le devoir militaire envers la nation. Ce qui
les différencie n’est plus leur origine sociale, mais le niveau
de leurs capacités respectives. Chaque Allemand accomplit
son (( devoir militaire )) selon son grade. Son grade seul lui
confère des responsabilités e t des droits différents.
Pour nous autres Français, cette conception paraît évi-
dente (encore qu’à certains moments des divergences aient
paru se faire jour entre (c l’armée )) et le (( contingent D). Pour
les Allemands, en revanche, elle est absolument nouvelle e t
contribuera à modifier l’esprit de l’armée. Les rapports entre
gradés et hommes de troupe se feront plus étroits e t plus
souples.
Le paragraphe 8 déclare : Le Führer et Chancelier du
Reich fixe par décret la durée d u service actif. I1 sufit donc
d’une simple signature du Führer pour prolonger ou rac-
courcir la durée du service actif, sans qu’aucune autre ins-
tance ait à ratifier sa décision. La mobilisation de la nation
peut s’opérer ainsi avec le maximum de rapidité.
Jadis, l’armée e t la marine impériales comprenaient une
armée permanente e t un certain nombre de formations de
réserve qui venaient la renforcer en cas de besoin. De même
qu’il y avait une cloison étanche entre les gradés et la troupe,
il y avait un fossé entre l’active e t la réserve. A présent, il
n’y a plus qu’un seul (( devoir militaire )) qui s’étend de 18
à 45 ans, e t se décompose en (( service actif )) e t en (( ser-
vice en congé temporaire 1).
Font partie du service actif :
10 Les hommes convoqués sous les drapeaux pour la durée
fixée par le Führer, en vertu du paragraphe 8 de la loi.
30 Les ofliciers e t sous-ofliciers qui prolongent volontaire-
ment leur temps de service et deviennent militaires de carrière.
30 Les ofriciers, sous-officiers e t hommes de troupe encongé
Wshrgaark wm 21 mi 3986, p. bs.
1. Paul SSYMLHU,
236. HISTOIRE D E . L’ARMBE ALLEMANDE

temporaire, rappelés sous les drapeaux pour des périodes ou


des manœuvres.

Font partie du service en congé temporaire :


10 La réserve, pour les hommes de moins de 35 ans.
20 La réserve auxiliaire (Ersatzreserve), pour les hommes
non déchus de leurs droits militaires, mais qui ont été exemptés
du service actif.
30 La Landwehr, pour les hommes de 35 à 45 ans.
Passé cet âge, les hommes sont versés dans la territoriale
(Landsturm) 1.
Le paragraphe 13 énumère les différents cas (( d’indignité
militaire ».Du fait que le service des armes est u n service
d’honneur envers la nation allemande »,tout homme ayant
subi une condamnation infamante, ne peut être soldat.
Sont exemptés du service militaire, en vertu d u para-
graphe 14, les hommes reconnus physiquement inaptes par
le Service de Santé et les personnes de confession catho-
lique appartenant au x ordres mineurs. La loi considère, en
effet, que le service des armes est incompatible avec les
obligations du sacerdoce.
Le paragraphe 15 spécifie que l’origine aryenne est néces-
saire pour faire partie de l’armée. Ce paragraphe est basé
sur le principe que les Juifs, n’étant pas citoyens allemands,
ne sont pas tenus de défendre l’Allemagne par les armes,
puisque ce pays n’est pas le leur. Ils sont assimilés sur ce
point à des étrangers résidant en Allemagne.
Le mariage avec une personne d’origine non aryenne est
interdit aux membres de la Wehrmacht. Tout contrevenant
à la loi sera exclu de l’armée 2.
Le paragraphe 16 énonce les différents cas où la date
d’incorporation dans l’armée peut être retardée S.
1. Paragraphes 9, 10, 11 e t 12.
2. Ce paragraphe a été remplacé, depuis lors, par les lois dites de Nuremberg,
promulguées le 15 septembre 1935 et la loi Pour ia protection d u sang et de i’kon~eur
allemands, du 14 novembre 1935.
3. Des ajournements peuvent être accordés aux jeunes gens ayant des charges
de famille, aux fds de paysans ou de commerçants dont les parents sont dans l’in-
capacité physique de gérer leur ferme ou leur commerce, aux conscrits dont lea
frères ont &tétués au front ou ont plus de 60 yod’invalidité, aux élèves dea &coles
rupérieures qui préparent des examens, à ceox qui apprennent un metier nu un
a r t dont les progrés seraient gravement compromis par le départ au service, aux
iéminarkte.8 se livrant à l’étude de la théologie, etc.
L’BDIFICATION DU I I I ~REICE 237
Les Allemands résidant à l’étranger sont tenus d’accomplir
leur service dans la Wehrmacht, même s’ils l’ont déjà fait
dans une armée étrangère ( $ 5 17 et 18).
Le paragraphe 20 prévoit que le ministre de la Guerre
peut convoquer comme il l’entend les membres de la réserve,
de la réserve auxiliaire e t de la Landwehr, afin de maintenir
un contact étroit entre les membres d u service actif e t ceux
du service en congé temporaire.
Les membres de la Wehrmacht et du service en congé
temporaire sont astreints au secret sur les questions mili-
taires pendant toute la durée de leur service, et même après
son expiration ( 5 25).
Les soldats ne doivent avoir aucune activité politique.
Leur participation à la N. S. D. A. P. ou à l’un des orga-
nismes du Parti est suspendue pendant la durée de leur
service. Ils ne votent pas e t ne prennent pas part aux
référendums ( $ 26).
Les membres de la Wehrmacht ne peuvent se marier
sans l’autorisation de leurs supérieurs (S 27).
Les engagements contractés dans la Reichswehr de métier
continuent à être valables jusqu’à leur expiration ( S 36).
Le Führer a le droit de promulguer les ordonnances e t les
dispositions nécessaires à l’application de la loi. I1 peut
déléguer ses pouvoirs aux ministres de la Guerre e t de
l’Intérieur (5 37).
Cette loi entre en vigueur le jour de sa promulgation. De
ce fait, la loi militaire d u 23 mars 1921 se trouve abolie
(§ 38).

+ i

Abolies également les interdictions du traité de Versailles


relatives à l’Académie de guerre de Berlin.
Au lendemain de la victoire, u n des premiers soucis des
Alliés avait été de fermer les portes de la Kriegsakademie,
fondée par Scharnhorst le 15 octobre 1810. Si l’un des prin-
cipaux objectifs de la guerre avait été (( de supprimer défi-
nitivement le militarisme allemand »,pouvait-on laisser sub-
sister l’institution qui en était le foyer?
C’est là qu’avaient été formés les stratèges les plus
éminents e t les chefs d’Etat-Major de l’armée prussienne.
C’est de ses rangs qu’étaient sortis Moltke e t Roon, Schlief-
238 HISTOIRE DE L’ARMBP ALLEMANDE

fen e t Waldersee, Hindenburg, Ludendorff e t Seeckt, pour


n’en citer que quelques-uns.
Or, le 15 octobre 1935, cent vingt-cinquième anniversaire
de sa formation, une foule d‘officiers en grande tenue
se pressent vers la grille de la caserne de la Kruppstrasse.
Deux sentinelles casquées leur rendent les honneurs. Tous
ces officiers portent # leur pantalon, la large bande ama-
rante qui sert à désigner les brevetés d’Etat-Major. Au
milieu d’eux, quelques uniformes de chefs nationaux-socia-
listes et quelques civils. Suivant leur rang de préséance ou leur
ancienneté, ils viennent tous se ranger dans une grande
salle dont les murs ont pour seul ornement de grands
portraits en pied de généraux allemands l.
C‘est un spectacle comme on n’en a plus revu depuis le
Conseil de Guerre de Spa, où fut décidée l’abdication de
Guillaume II. I1 y a là des centaines d’officiers généraux e t
supérieurs, parmi lesquels on reconnaît le maréchal von
Mackensen, le colonel-général von Seeckt, les colonels-géné-
raux Heye et Hammerstein, anciens chefs de la Heeres-
Zeitung, le général Beck, le général Keitel, tous les chefs des
services de la nouvelle Wehrmacht, enfin le général von
Liebmann, ancien Commandant du Wehrkreis V .
Le Führer-Chancelier fait son entrée, suivi du colonel-
général von Blomberg et des chefs des armées de Terre,de
Mer et d’Air, le général von Fritsch, l’amiral Roeder e t le
général Gœring, tandis que dans la cour sretentissent le
Deutschland über alles e t le Horst Wessel Lied.
Le général von Liebmann remercie le Führer d’avoir bien
voulu honorer de sa présence cette journée mémorable. La
pièce où se déroule la cérémonie est la salle d’honneur de
la nouvelle Académie de Guerre de Berlin, dont le général
von Liebmann vient d’être nommé directeur2. Puis, le
général von Blomberg, le général Fritsch et le général
von Seeckt prennent successivement la parole et évoquent
n les fastes glorieux du Grand État-Major et de l’Académie
de Guerre, tous deux interdits par le traité de Versailles,
mais rétablis par la volonté du Führer-Chancelier ».
1. Cf. L. KCELTZ,
Ls Grand État-Major allemand, da Scharnhorst à Bbmhwg,
Lu Revue hebdomadaire, numéro du 4 avril 1936, p. 17.
2. A l’Académie de Guerre est rattachée la Wehrmacht-AkadcmM dirigée par
l’ancien commandant du Wehrkreis V I I (Munich). Cette hole forme des officiera
adjoints pour les différents services de la Heeresleitung.
3. L. K ~ L T Z , cit., p. 8.
art.
Z’J~DIFICATION DU I I I ~REICH 239

.*
E n moins de trois ans -
du printemps de 1933 à l’au-
tomne de 1935 - l’armée allemande est passée d’environ
100.000 hommes à près de 650.000 1. Qu’on est loin de
l’armée de 300.000 hommes, proposée par Hitler à M. Eden
en février 1934! Mais bienque les incorporations aient eulieu
par tranches successives, l’amux des nouvelles recrues a
bouleversé les plans établis par le général von Seeckt. Les
rapports soumis au ministre de la Guerre par les différentes
Inspections d’armes s’accordent tous pour reconnaître que
les chefs de corps sont débordés 3.
L’année suivante, au moment où la W e h r m a c h t s’apprête
à appeler sous les drapeaux les 464.000 hommes de la
classe 15, l’armée risque de se trouver totalement désor-
ganisée. Pour remédier au manque de cadres e t franchir plus
rapidement la période critique, Hitler promulgue, le 24 août
1936, un décret portant à deux ans la durée du service actif.
Ainsi,la classe 14, dont la majorité des recrues est déjà suf-
fisamment instruite pour fournir un contingent important
de sergents et de caporaux, restera pendant un an encore
dans les casernes afin d’accélérer l’instruction de la classe 15.
De ce fait, les effectifs de la Wehrmacht se trouvent portés
d’un coup, à 1.210.000 hommes 4.
Alors les généraux prennent peur. E u x qui ont vécu pen-
dant dix ans au rythme régulier de la Reichswehr de métier,
ils n’arrivent pas à se plier à l’allure frénétique que leur
impose le Führer. Habitués à exécuter un travail métho-
dique, ils s’effrayent de voir le désordre s’instaurer dans leurs
casernes. Ils ont l’impression d’être submergés par l’amux
des conscrits et par l’avalanche de problèmes nouveaux que
pose leur incorporation. Dans l’espoir de freiner Hitler, ils

1. Ce chiffre ne comprend ni les S. A. ni les S. S., mais uniquement les forma-


tions encasernées.
2. Par suite de l’extension de la culture physique, le nombre des recrues jugées
aptes au service par les conseils de révision est supérieur à celui d’avant-guerre.
En 1935, 83 % des conscrits ont été reconnus bons pour le service armé, contre
76 % en 1913. (Cf. Jacques MAUPAS,La Recw hebdomadaire, numéro du 9 mai
1936, p. 143.)
3. II est manifeste que les organes du ministhe de la Reichswehr n’avaient pas
escompté une reconstruction aussi rapide.
4. Classe 14 : 596.000 hommes; classe 15 : 464.000;cadres : 150.000 (en suppo-
aant qu’ils n’aient pas augmenté). Total : 1.210.000 hommes.
240 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

lui soumettent des statistiques alarmantes sur l’état des


casernements, l‘inexistence des arsenaux, la pénurie des
armements, l’insuffisance des cadres ...
- N’allons pas trop vite, lui disent-ils, t a n t de précipita-
tion ne peut que nuire à la solidité de l’édifice!
Alors Hitler s’emporte.
- J e vous rends une armée et vous osez vous en plaindre?
leur répond-il en les foudroyant du regard. C’est un comble!
C’est vous qui devriez me réclamer des soldats et des armes,
me harceler nuit et jour, me presser d’aller plus vite! Au lieu
de cela, c’est moi qui dois vous pousser en avant, pour votre
propre bonheur! J’ai mis à votre disposition toutes les
ressources de la nation, que vous faut-il de plus1? Faites-
moi part de vos besoins, mais pas de vos difficultés. Ne
comprenez-vous pas qu’il n’y a pas une minute à perdre?
C’est durant la période de transition qui sépare l’instauration
du service militaire obligatoire au moment où l’armée
nouvelle sera à effectifs complets que nous sommes le plus
vulnérables! C’est pourquoi il faut franchir cette passe le
plus rapidement possible. Si vous n’en êtes pas capables,
j’en tirerai les conséquences 2...
A ceux qui lui laissent entendre que le peuple ne résistera
pas à un pareil effort, Hitler répond avec hauteur :
- La nation allemande a résisté aux grandes migrations,
aux guerres romaines, à l’invasion des Huns, à celle des Tar-
tares et des Mongols. Elle a résisté à la guerre de Trente
Ans, aux guerres de l’époque frédéricienne, à celles de Napo-
léon. Elle me supportera bien, moi aussi3! ))
Les généraux de la Wehrmacht ne se le font pas dire deux
fois. Ils savent qu’Hitler assimilera toute infraction à ses
ordres à un acte de trahison. Puisqu’il neveut pas les écouter,
il ne leur reste qu’à se taire e t à se remettre a u travail.

1. Hitler a élevé l’impôt sur le revenu de 50 %. De 1934 à 1939, 59 % des


sommes perçues par le Trésor - c’est-&-dire 60 milliards de marks - seront
consacrés à l’Armée. (Cf. Lagebesprcehungen, p. 450, note 2.)
2. a Le rythme accéléré du réarmement durant les années 1934-1938,écrit le
général Halder, a ét6 imposé pap Hitler, contrairement à l’avis du Haut-Comman-
dement. Celui-ci n’a cessé de souligner que la valeur d’une armée ne dépendait
pas seulement du nombre, mais de la formation et de l’instruction. Ces facteurs
ne s’obtiennent qu’au prix d’une croissance lente et organique. Hitler a imposé
son dynamisme et plusieurs années plus tard, il reprochait encore aux dirigeants
de la Wehrmacht d’avoir ét6 contraint d lea pousser en avant, pour leur propre
bonheur. I) (Franz HALDER, Hi& ah Feidhcrr, Munich, 1949, p. 9.)
3. Libre0 Propos, II, p. 267.
L’ÉDIFICATION DU 1110 REICH 241.
Et il est de fait que durant les mois qui suivent, les progrès
sont stupéfiants. Sans cesse de nouvelles unités viennent
s’ajouter à celles qui existent déjà. Des fusils, des mitrail-
leuses, des canons, des chars sortent des usines à une cadence
accélérée. Le nombre des Wehrkreise est porté de 10 à 12.
Celui des divisions ordinaires passe de 36 à 50, celui des
divisions blindées de 3 à 6. A la fin de 1937, u n quatrième
Gruppenkommando pourra être créé à Leipzig.
Dès la fin de 1936, les experts estiment que l’Allemagne
sera bientôt en mesure de mettre sur pied, en cas de guerre,
une armée de 13 millions d’hommes 1, dont 5 millions mobi-
lisables en quarante-huit heures. A ce moment le nombre
des Wehrkreise étant porté à 16 et chaque corps d’armée
donnant naissance à une armée, c’est avec 16 armées auto-
nomes que le Reich entrerait en campagne. Chacune des
50 divisions deviendrait un corps d’armée de 6 divisions,
de sorte que les autorités allemandes évaluent-à 300 divisions
(contre 240 en 1918) l’effectif maximum de la Wehrmacht
après l‘achèvement de la mobilisation générale 3.
*
i *

Quand on examine la Wehrmacht, ce qui apparaît, dès


le premier coup d’œil, c’est la préoccupation constante
d’éviter les erreurs du passé et d’utiliser au maximum les
expériences acquises. Au cours des dix dernières années, les
généraux allemands ont eu le temps de méditer sur les
causes de leur défaite et se sont efforcés d’éliminer tout ce
qui était de nature à en provoquer le retour. Par l’unité d u
commandement, réalisée entre les mains du général von
Blomberg, tout risque de conflit se trouve écarté entre le
chef des armées et le ministre de la Guerre. Par la sup-
pression des Landesmannschaften, tout cloisonnement terri-
torial est aboli entre les contingents des provinces. Par la
liaison avec l’économie nationale et l’application d u K Plan
de quatre ans »,toute l’industrie privée se trouve subor-
donnée aux exigences de la Défense nationale. Enfin,. par
la loi du 19 avril 1936 Pour la défense de l’esprit patriotrque,

1. Contre 3.822.450 en 1914 et 1.183.389 en 1870. (Général Kurt JANY,Geschichkr


des koniglichen preussischen Arrnee, vol. IV, p. 262 e t 330.)
2. Ce chiffre correspond aux 16 u Inspections n de l’ancienne armée impériale.
3. Cf. Die deukrche W e b , numéro du 16 janvier 1936.
In 16
242 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

le ministre de la Guerre est doté d‘un instrument efficace


contre la propagande antimilitariste e t les menées subver-
sives.
Aussi n’est-il pas exagéré de dire que la Wehrmacht, forgée
pour la guerre totale par un régime totalitaire, est appelée
à devenir, dans quelques années, (( u n des plus puissants
instruments de combat que le monde ait connus D.
L’armée impériale était une armée de classe; la Reischs-
wehr provisoire, une milice contre-révolutionnaire; la Reichs-
wehr de métier, une armée de caste. La Wehrmacht, elle,
est une armée nationale, dans la pleine acception du mot.
C’est la quatrième armée allemande depuis 1918.
XII

LA BATAILLE DU TRAVAIL

Lorsque Hitler accède au pouvoir, le 30 janvier 1933, la


situation qu’il hérite de la République de Weimar n’est
guère enviable. Au point de vue social, on peut même dire
qu’elle est catastrophique. Plus de six millions de chômeurs
errent à travers le pays, en quête de travail1. Impossible
de traverser la moindre ville allemande sans se heurter à
leurs masses désœuvrées. E t le pire est que le marasme
économique ne laisse guére d’espoir de les reclasser rapide-
ment. Les usines tournent au ralenti; aucun chantier nou-
veau ne s’ouvre; les fabriques licencient leur personnel. Si
cette situation se prolonge, on comptera bientôt dix millions
de chômeurs. C’est dire qu’un homme sur quatre sera réduit
à la misère. Que restera-t-il à tous ces malheureux, sinon la
perspective de mourir lentement de faim? A force de voir
les portes se fermer devant eux, ils ont acquis le senti-
ment d’être exclus de la communauté nationale. Comment
pourraient-ils s’y réintégrer, autrement que par la violence?
Aussi emboîtent-ils le pas aux agitateurs communistes qui
leur expliquent que leur sort est la conséquence inéluctable
du capitalisme, et que la seule façon d’en sortir est de
faire triompher le Marxisme.
Or, au moment où ils s’apprêtaient à le faire, Hitler e t ses
chemises brunes les ont devancés. Ils se sont emparés du
pouvoir et un de leurs premiers actes a consisté à se tourner

1. Le volume des allocations qu’il faudrait leur verser représente une telle charge
pour le budget, que le gouvernement s’est vu dans l’obligation d’en limiter le
paiement à une durbe de six mois. De ce fait, des millions d’ouvriers se trouvent
depuis plus de deux ans, sans aucune ressource.
244 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

contre eux. Formations auxiliaires et Hilfspolizei ont jeté


leurs chefs en prison, fracassé leurs organisations syndica-
les e t démantelé leurs partis. Toute chance d’instaurer la
dictature du prolétariat paraît éliminée pour longtemps.. .
Qu’attendraient-ils de leurs ennemis? Le Parti national-
socialiste ne compte que peu d’ouvriers, capables de plaider
leur cause auprès d u patronat. I1 a surtout recruté ses adhé-
rents parmi les classes moyennes, aigries par la défaite e t
ruinées par l’inflation : petits bourgeois, paysans, officiers en
retraite, commerçants e t fonctionnaires. I1 ne faut guère
s’attendre à ce qu’ils se fassent les défenseurs du prolé-
tariat...
Mais justement parce que la classe ouvrière est en dehors
de la nation, la première tâche d u Parti va consister à la
a: récupérer 1). I1 se doit de justifier son nom de Parti ouvrier
national-socialiste l. Non pas, seulement, parce que l’adhé-
sion de la classe ouvrière est indispensable à la réalisation
de son programme; mais parce que sa conception de l’unité
de la nation ne serait qu’un mot vide de sens s’il n’y par-
venait pas.
Certes, ce n’est pas facile - e t c’est u n point sur lequel
les dirigeants du Parti ne se bercent pas d‘illusions. Le
problème à résoudre est si énorme e t si complexe qu’il semble
outrepasser les forces humaines, Impossible d’en venir à
bout par des demi-mesures. Si l’on veut vaincre le mal, il
faut l’empoigner à bras-le-corps.
Cette tâche écrasante, Hitler la confie au Dr Ley, et il lui
donne un délai de quatre ans pour la mener à bien.
Cela paraît une gageure. Bien des gens sourient en appre-
nant cette nomination, car même au sein du Parti, le Dr Ley
passe pour un aimable pochard plutôt que pour u n bour-
reau de travail. Or, voici que cet homme, que ses amis
intimes ne prennent guère au sérieux, va se révéler, du jour
au lendemain, un organisateur de grande classe. L’œuvre
qu’il accomplira dans les délais prescrits n’aura pas seule-
ment pour effet de donner au Parti une large assise popu-
laire : elle se dressera, à côté de l’armée nationale, comme
une des réalisations les plus spectaculaires du nouveau
régime.
Deux semaines, jour pour jour, se sont écoulées depuis

1. National Sozialitisohe Deutsch Arbs& Partei (N.S. D. A. P.).


L’ADIFICATION DU I I I ~REICH 245
la prise du pouvoir, lorsqu’une loi est promulguée sur Les
garants du Travail l. A cette occasion, le Dr Ley prononce
un grand discours dans lequel il proclame :
- Ouvrier, je t e le jure! nous t e conserverons non seule-
ment tout ce que t u as déjà acquis, mais nous accroîtrons
t a protection et tes droits, en sorte que chaque travailleur
se sente un membre à part entière de la commynauté natio-
nale et qu’il soit respecté en tant que tel dans 1’Etat national-
socialiste. ..
Ces mots inaugurent la grande campagne (( pour la recon-
quête du monde ouvrier »,dont Hitler définira les objectifs,
le 10 mai 1933, devant le Congrès national du Parti:
- La plus grande fierté de ma vie, déclare-t-il à ses
auditeurs, sera de pouvoir dire, à la fin de mes jours : j’ai
reconquis l’ouvrier allemand pour le réintégrer au Reich
allemand.. .
I1 annonce que la lutte des classes sera vaincue par la
création d’un nouvel esprit communautaire. I1 fait part
de sa volonté de mettre fin aux conflits qui opposent la
direction des entreprises à leur personnel en instituant dans
chaque exploitation des Comités de gestion paritaires, où
siégeront côte à côte des représentants de la direction et
des délégués du personnel. Grâce à ces Comités, ceux-ci
prendront peu à peu conscience de former, non point deux
groupes hostiles, mais une équipe unie, associée dans l’ac-
complissement d’un même travail.
- C’est seulement ainsi, aErme-t-il dans sa péroraison,
que l’on éveillera chez des millions d’hommes, la certitude
que les travailleurs manuels p n t les mêmes droits que les
travailleurs de l’esprit, que 1’Etat ne fait pas de distinction
entre patrons et salariés et que le gouvernement n’est plus
au service de telle ou telle catégorie sociale, mais qu’il est le
défenseur des intérêts de toute la nation.
((Ce ne sont là que des mots! )) se disent les sceptiques.
Mais ils commencent à changer d’avis, lorsqu’ils voient la
nouvelle (( Autorité du travail », qu’on leur disait inti-
mement liée aux réactionnaires, briser les résistances des
milieux patronaux et leur imposer une série de mesures
qui tendent toutes à améliorer les conditions de vie du
travailleur. Des questions qui s’étaient enlisées jusque-là

1. Geeetz über die Treuhdnàer der Arbsit.


246 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

dans des débatsinterminables, sans jamais trouver de solution,


sont tranchées du jour au lendemain par voie d’ordonnances.
Les congés payés, le paiement des jours fériés, une révision
complète de l’échelle des salaires, n’en sont que la première
étape. Une nouvelle organisation intitulée Beauté du Tra-
vail n oblige les chefs d’entreprise à améliorer l’hygiène dans
leurs ateliers, à construire des cantines et des terrains de
sports, à supprimer les tas de détritus e t de ferraille, pour
faire place à des espaces verts, à des pelouses et à des jardins.
Une véritable offensive s’engage dans tout le pays pour
l’embellissement des villages e t des cités ouvrières, pour
une amélioration de l’habitat, pour une (( humanisation des
conditions de logement des équipages de la marine mar-
chande. Mais un des aspects les plus marquants de ce
programme est l’apparition, en novembre 1933, de l’organi-
sation nommée (( Force par la Joie ».
(( Peu d’organisations d’État ont été plus décriées, écrit

Peter Kleist, et pourtant, il n’en est guère qui aient remporté


un succès plus complet auprès de ceux auxquels elle Btait
destinée l. )) I1 importe de le souligner, non seulement parce
que c’est vrai, mais parce que seule la réussite éclatante
du (( Front du Travail D explique ce qui, autrement, reste-
rait incompréhensible : le ralliement en masse de la classe
ouvrière au nouveau régime.
(( I1 est impossible d’attribuer à la seule action de la
Gestapo, souligne le Dr Kleist, le fait que les travailleurs
allemands aient accepté sans s’insurger la disparition de leurs
anciennes organisations syndicales 2; ni que le Parti commu-
1. Peter KLEIST,Auch Du warst dabei, p. 77.
2. Cette opinion est corroborée par certaines dispositions faites au cours de
i’enquête de police, eflectuée à la suite de l’attentat perpétré contre Hitler, le
20 juillet 1944.
u Les syndicalistes disent - e t l’on dit des syndicalistes - lit-on dans un compte
rendu adressé par Kaltenbrunner à Martin Bormann le 19 août 1944, qu’ils ont fini,
d’une iaçon générale, par s’entendre avec l’État national-socialiste. Des hommes
comme Leuschner, Leber et Maass, ont u se refaire une existence convenable,
à leur sortie du camp de concentration p1934) et travailler dans leur profession
sans chercher à reprendre une activith politique. Sans doute n’ont-ils pas partagé
l’idhlogie nationale-socialiste, mais ils ont considéré comme valables beaucoup
de mesures pratiques prises par le National-socialisme en faveur des ouvriers. Gœr-
deler déclare avoir demandé à Leuschner en 1940-1941, ce qu’en pensait la classe
ouvriére elle-méme. A la grande déception de Gœrdeler, Leuschner lui a assuré
a qu’il n’existait, chez les ouvriers, aucune opposition à l’égard du régime national-
socialiste susceptible de servir de base éventuelle à une modification ou A un ren-
versement du régime n. (Spiegelbild einer Verschworung, Documents secrela dur
Archives de l‘ancien Service central de réCurit6 du Reich, Seewaid Verlag, Stutt-
gart, 1961, p. 264.)
L’ÉDIFICATION D U I I I ~REICH 247
niste se soit réfugié, à partir de 1933, dans une telle clandes-
tinité que le peuple allemand n’en ait plus rien perçu
jusqu’en 1945; ni que le Führer et ses principaux colla-
borateurs aient pu tenir d’innombrables réunions dans des
halls d’usine, au milieu des applaudissements d’un audi-
toire aussi nombreux qu’attentif 1, ))
Mais ni la (( Force par la Joie D, ni la (( Beauté du Travail »,
ni la création des Comités d’entreprise, ni le développement
des mesures de Sécurité sociale n’auraient eu un tel effet s’ils
n’avaient été accompagnés d’une résorption massive d u chô-
mage. Rares étaient les observateurs - et plus rares encore
les experts - qui pensaient qu’Hitler pourrait surmonter cette
dificulté, étant donné le peu de secours que pouvait lui appor-
ter ‘son Parti 2. Beaucoup de gens étaient convaincus qu’il
subirait, sur le terrain économique, un désastre qui mettrait
un terme rapide à sa carrière. On estimait que ses théories
utopiques sur (( la suppression de la tyrannie du taux
d’intérêt )) auraient pour seul effet de faire fuir les capi-
taux e t de bloquer irrémédiablement les rouages de l’éco-
nomie allemande. Bref, on prédisait à son Parti une rapide
mise au tombeau.
L’étranger partageait cette manière de voir. I1 était d’au-
tant plus disposé à accorder à Hitler la trêve de quatre ((

ans )) qu’il avait demandée au peuple allemand, qu’il


pensait que son régime ne tiendrait pas quatre mois. Il était
convaincu qu’à l’expiration de ce délai, le Chancelier serait
aux abois e t prêt à tous les marchandages.
Mais le revirement escompté ne se produit pas. Hitler
veut remplacer les notions de capital et de rentabilité, par
celles de travail e t de productivité. Le Dr Schacht lui en
fournit les moyens, en adaptant à ces principes ses faibles
marges budgétaires. I1 y parvient en hypothéquant auda-
cieusement l’avenir, c’est-à-dire en considérant comme déjà
acquises les augmentations de ressources qui découleront de la
remise en marche de I‘économie.
1. Au cours de l’année 1937, 34 millions de personnes ont assisté aux séances
récréatives organisées par le a Front du Travail D; 6.500.000ouvrien ontpris une
part active aux compétitions sportives organisées par le Parti; 4.000 concerts et
3.000 soirées ont été oilerts gratuitement aux ouvriers travaillant à la construction
des autoroutes. (Cf. Peter KLEIST, Auch Du warst dabei, p. 78.)
2. Beaucoup de membres de la N. S. D. A. P. sont eux-mêmes frappés par la
crise et incapables, de ce fait, d’offrir de l’embauche.
9. Empruntées en 1921 à Gottfried Feder.
248 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

Le l e r juin 1933, la lutte pour le travail reçoit une nouvelle


impulsion par la promulgation de la Loi pour la résorption
du chômage. Elle est suivie, à brève échéance, par une série
de décrets portant sur la création de (( Travaux d’urgence »,
les avances du Trésor aux (( Chantiers du Travail I), l’exonéra-
tion d’impôts pour les travaux d’intérêt public, les prêts
d’honneur consentis aux jeunes mariés, les avances accordées
aux paysans endettés, les collectes publiques (( Pour le déve-
loppement du travail national I). Un plan d’une ampleur
sans précédent est mis en route, portant sur la construc-
tion d’une première tranche de 200.000 maisons ouvrières
et sur un réseau d’autoroutes de 7.000 kilomètres, dont
2.000 sont mis immédiatement en chantier. Le 23 septembre
1933, Hitler donne lui-même le coup de pioche inaugural. Le
19 mai 1935, le premier tronçon Francfort-Darmstadt est
ouvert à la circulation, aux applaudissements d’une foule
de 600.000 spectateurs. A la fin de 1936, 1.000 kilomètres
sont achevés.
Hitler accélère encore le mouvement en créant u n Conseil
général de l’Economie, dont il charge les membres de dresser
un plan de redressement économique pour l’ensemble du
Reich. Puis, il modifie profondément le système fiscal.
Enfin, il met sur pied un (( Plan de q.uatre ans »,dont il
confie l’exécution à Gœring. La lutte pour le travail s’in-
tensifie e t prend bientôt l’aspect d’une véritable bataille.
Prise sous ce feu roulant de décrets et d’ordonnances, l’hydre
du chômage finit par reculer. Le nombre des chômeurs qui
était de 6.200.000 en janvier 1933, tombe à 4.100.000 en
janvier 1934, à 2.700.000 en janvier 1935, à 1.500.000 en
janvier 1937 pour atteindre enfin son étiage le plus bas :
350.000 en juillet de la même année. La marée grise se retire
et dans l’espace laissé libre par son reflux, on voit surgir
des villages nouveaux, s’allonger des routes, se remplir les
usines e t vingt millions d’hommes reprendre goût à la vie.
On objectera que la résorption du chômage a été facilitée
par le rétablissement du service militaire obligatoire. I1 y a
contribué en effet, mais seulement dans une proportion
de 15 à 17 %. On objectera également que la remon-
tée économique a coïncidé avec la fin de la crise mon-
diale e t qu’elle a été favorisée par la course aux arme-
ments. Sans doiite. Mais l’industrie de guerre n’aurait
jamais sufi à absorber, à elle seule, une pareille masse de
L’ÉDIFICATION D U 11x0 REICH 249

AUGMENTATION
ET RÉSORPTION D U CHOMAGE
(en millions de ch8meurs) DE 1923 A 1939.
250 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

chômeurs. La preuve nous en est fournie par les statistiques


d’embauche. Elles indiquent que les secteurs où leur augmen-
tation a été la plus forte sont la construction des routes, des
logements et des cités ouvrières; l’assainissement des régions
marécageuses; enfin les industries du textile et de l’auto-
mobile. Même le fait que les salaires réels n’aient augmenté
que depeu, et que cette augmentation ait surtout profité à
certains groupes professionnels, ne diminue en rien l’impor-
tance du résultat, car il ne s’agissait pas tan t de remédier
& une crise financière, que de résoudre u n certain nombre de
problèmes sociaux et humains. Ce dont les ouvriers sont
reconnaissants à Hitler ce n’est pas seulement de leur avoir
rendu des moyens d’existence, mais de les avoir fait béné-
ficier d’une promotion sociale qui leur a conféré, a u sein
de la communauté allemande, une importance et une dignité
qu’ils ne possédaient pas auparavant.
*
* *
Réintégrer l’ouvrier à la nation, tel a été le b u t des dif-
férentes mesures que nous venons d’examiner. Faire passer
la nation entière par l’école du travail, tel va être l’objectif
de l’drbeitsdienst, instauré par la loi du 26 juin 1935.
L’article 1 de cette loi énonce les quatre principes fonda-
mentaux sur lesquels se fonde le Service du Travail :
1 : Le Service du Travail du Reich est un service d’honneur
rendu au peuple allemand.
5 2 : Tous les jeunes Allemands des deux sexes doivent servir
leur peuple dans le Service du Travail.
3 : Conformément à l‘esprit national-socialiste, le Service du
Travail doit inculquer à la jeunesse allemande le sens de la
communauté nationale et la nouvelle conception du travail, basée
sur le respect dû au travail manuel.
§ 4 : Le Service du Travail du Reich &it exécuter mclusioement
des travaux d’utilité publique,

Si le paragraphe 1de la loi du 26 juin 1935, proclame que


le (( Service du Travail est un service d’honneur rendu au
peuple allemand N ce n’est pas simplement pour répéter
le premier alinéa de la loi militaire 1. C’est pour souligner
1. a Le service dee arme8 nt un tsrvioe d‘honneur envm le peuple ailemand.
(Lai du 21 mai 1086.)
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 251
le parallélisme étroit qui existe entre les deux principes sur
lesquels s’édifie la force de la nation : le combat et le travail.
- Pour nous, déclare M. Hierl, chef du Service du Travail
au Congrès de Nuremberg de 1933, le travail est l’essence
même de la vie. A nos yeux, le travail est le frère de la lutte.
Le libéralisme bourgeois du X I X ~siècle avait vu, dans le
travail, un mal nécessaire, une malédiction inhérente à la
condition humaine. Le but de l’existence étant d’accumuler
des richesses, le travail et le travailleur lui-même étaient
devenus de simples marchandises. Ainsi étaient nés les deux
fléaux du monde moderne : la paupérisation des masses
et l’exploitation des travailleurs.
Le Service du Travail a pour but d’inculquer à la jeunesse
allemande une tout autre conception. Radicalement dissocié
de la notion de profit, le travail ëst exalté en tant que valeur
intrinsèque. Ce n’est plus un mal nécessaire, mais un immense
potentiel d’énergie susceptible d’embellir la vie, à condition
d’être mis a u service de la collectivité. Servir la nation par
l’outil, n’est pas moins noble que de la servir par la pensée
ou par les armes. Si la Wehrmacht a pour objet la militarisa-
tion du peuple le Service du Travail a pour objet sa socia-
lisation.
N Les jeunes gens rassemblés dans les camps de travail,
écrit Müller-Brandenburg, doivent y mener une vie commune,
cimentée par la participation à des travaux communs. Le
futur officier, le futur juge, le futur patron y vivent au coude
à coude avec le serrurier, l’ouvrier agricole, le marinier, le
terrassier, l’ouvrier du textile, etc. Ils mangent ensemble,
logent ensemble, et apprennent ainsi à se connaître à fond
dans le travail, par le travail e t dans les veillées qu’ils
passent ensemble, le soir, avec leurs chefs ... L’heure vient
alors où ces jeunes gens se rendent compte que les idées
de K bourgeoisie 1) et de (( prolétariat )) ne sont en fin de
compte que des constructions de l’esprit et que tous font
partie d’un même peuple l. i )
E n vertu du paragraphe 2 de la loi, toute la jeunesse
allemande doit passer par le Service du Travail 2, et en fait,
tous les jeunes gens ayant atteint vingt ans accomplissent

1. MuIiLEn-BRANDENBunc, Lc Service du Travail obligatoire en Allemagne.


Cahiers iranco-albmands, numéro du 2 février 1937, p. 51.
2. Le passage dans cette organisation, tout d’abord facultatif, deviendra obli-
gatoire B partir du 26 juin 1935.
252 HISTOIRE DE L’ARMSEALLEMANDE
ce service depuis le l e r octobre 1935.Aucun jeune homme ne
peut être admis à l’Université, ni exercer une fonction
publique s’il n’a pas fait auparavant son stage dans le
Service du Travail. De plus le paragraphe 8 de la loi mili-
taire spécifie que (( le passage dans l’drbeitsdienst est indis-
pensable pour entrer dans la Wehrmacht ».I1 faut avoir servi
la nation par l’outil, avant d’être admis à la servir par les
armes.
La durée du service dans l’drbeitsdienst est fixée à six mois.
Chaque classe est appelée en deux contingents : le premier
pendant le semestre d’été, le second pendant le semestre
d’hiver. Mais les convocations n’ont pas lieu d’après les
dates de naissance. En été, on appelle de préférence les
jeunes gens des villes et des districts industriels, que l’on
envoie aux champs. Le contingent d’hiver comprend sur-
tout les jeunes gens de la campagne et les ouvriers saison-
niers, que l’on envoie dans les villes.
Alors que les membres des Jeunesses hitlériennes, ou les
membres des S. A. résident dans leurs familles, les hommes
du Service du Travail vivent pendant six mois dans des
chantiers e t dans des camps. Chaque camp est, en général,
à l’effectif d’une compagnie avec ses subdivisions habi-
tuelles et, sauf le commandant du camp, la plupart des gra-
dés sont choisis parmi les recrues.
Les hommes du Service du Travail sont vêtus d’un uni-
forme vert réséda. Ils n’ont ni casque ni armes, mais sont
dotés d’une bêche qu’ils apprennent à manier comme un
fusil et avec laquelle ils rendent les honneurs. Leur drapeau
reproduit, sur fond rouge, l’insigne qu’ils portent au bras
gauche : une pelle entourée de deux épis de blé.
Leur activité dans les camps est partagée entre le travail
manuel et l’instruction militaire. Les membres de l’drbeits-
dienst accomplissent chaque jour six heures de travail
manuel non rétribué, alternant avec deux heures consacrées
au sport, à des cours (( d’éducation politique )) et à l’instruc-
tion militaire.
Sans doute, cette instruction n’offre-t-elle encore qu’un
caractère rudimentaire (école du soldat, éléments de base de
l’instruction du tir au fusil et à la grenade, instruction indi-
viduelle préparatoire au combat). Mais elle constitue beau-
coup plus que la (( préparation militaire n telle qu’elle est
pratiquée dans les autres pays.
L’ÉDIFICATION DU 1110 REICH 253
a L’homme dont la vigueur physique est développée par
le travail quotidien, écrit l’Europe nouvelle, acquiert ainsi
une instruction technique et tactique à laquelle une dis-
cipline en tous points conforme à celle en usage dans l’armée
vient ajouter une forte préparation morale; ce sont là des
qualités qui portent leurs fruits, le jour où l’homme est
incorporé dans une unité combattante 1)
Enfin le paragraphe 4 de la loi du 26 juin 1933 spécifie
que (( le Service du Travail du Reich doit être affecté exclu-
sivement à l’exécution de travaux d’utilité publique )). I1 est
formellement interdit de mettre ses membres au service d’un
intérêt privé, Ce serait aller à l’encontre du but poursuivi.
Les premières sections de 1’Arbeitsdienst font leur appari-
tion au Congrès du Parti de 1933. En septembre 1934, ils
défilent devant le Führer au nombre de 32.000. En 1935, ils
sont 400.000. Mais leur triomphe est marqué par le Congrès
de 1937, qui porte le nom significatif de ((Congrèsdu Travail 1).
Pour la première fois, les représentants diplomatiques de
l’Italie, du Japon, de la Hongrie et d’autres pays amis
assistent à la cérémonie. Sir Nevile Henderson a accepté
l’invitation du Parti, L’ambassadeur de France, M. Fran-
çois-Poncet, très réservé jusque-là, a décidé de venir lui aussi,
montrant ainsi la voie aux autres missions diplomatiques.
Lorsque les 40.000 jeunes gens du Service du Travail
entrent en chantant dans l’arène, la bêche sur l’épaule, le
torse nu et bronzé par le soleil, une vague d’enthousiasme
fait onduler la foule massée dans les tribunes. Un commande-
ment retentit :ils présentent leurs outils. E t ces 40.000 bêches,
maniées comme par un seul homme, remplissent l’enceinte
du Congrès d’un immense scintillement.
Même les observateurs étrangers en sont bouleversés. Bien
qu’ils ne parviennent pas à s’expliquer leur émotion, ils ne peu-
vent empêcher les larmes de leur monter aux yeux. Ils sentent
instinctivement que ce qui s’exprime ici est toute autre chose
qu’une discipline (( à la prussienne »,car aucun ordre, aucune
contrainte ne seraient capables d’organiser un spectacle d’une
telle beauté. Ce qui resplendit sur le visage de ces
40.000 jeunes gens est la joie de se donner tout entiers à une
tâche qui les dépasse. C’est une ardeur si pure qu’elle se
transmet aux assistants.

1. L’Europe nouwlk, numbro spécial du 18 mai 1935, p, 462.


254 HISTOIRE D E L’ARMÉP ALLEMANDE

Pour sa part, sir Nevile Henderson ne cherche nullement


à dissimuler son admiration.
- A mon retour à Londres, déclare-t-il à l’officier de Ç. A.
chargé de l’escorter, je ferai tout mon possible pour intro-
duire un équivalent de l’drbeitsdienst en Angleterre l...
Si forte est l’impression que lui a laissée ce spectacle, que
l’ambassadeur de Grande-Bretagne n’hésitera pas à écrire,
dans le rapport qu’il consacrera trois ans plus tard aux cir-
constances qui ont mis fin à sa mission en Allemagne : (( Le
mouvement Force par la Joie, le soin pris de l’éducation pby-
sique de la nation et, par-dessus tout, l’organisation du Ser-
vice du Travail sont des exemples typiques de ce que peut
réaliser une dictature bienveillante.. . I1 serait oiseux de nier
l’importance de ce qu’a fait l’homme qui a rendu au peuple
allemand le respect de lui-même e t un ordre discipliné a. P
1. Peter KLEIST,Op. cit., p. 162.
2. Sir Nevile HENDERSON ... Londres, 1939, p. 2.
:Definite Report
XII1

L E REICH REMPORTE DEUX SUCCÈS :


L E RETOUR DE LA SARRE
L’ACCORD NAVAL ANGLO-ALLEMAND

Le régime hitlérien a livré quatre batailles, e t il les a


gagnées : contre les partis politiques, contre la révolte des
chefs de la S. A., contre les clauses militaires du traité de
Versailles, enfin, contre le chômage.
Mais en évoquant le Congrès de 1937, nous avons un peu
bousculé l’ordre chronologique. I1 nous faut à présent reve-
nir sur nos pas, car deux événements importants ont eu
lieu dans l’intervalle.
*
* *
Le premier - le plébiscite de la Sarre - est venu s’inscrire
au calendrier politique le 13 janvier 1935.
Les artisans du traité de Versailles, qui avaient détaché
ce territoire de l’Allemagne, n’avaient cependant pas voulu
l’en arracher définitivement. Ils avaient stipulé qu’au bout
de quinze ans, les Sarrois seraient appelés à dire, par voie
de plébiscite, s’ils préféraient rester autonomes, être ratta-
chés à la France ou faire retour au Reich.
Au cours des débats de la Conférence de Paris, Clemen-
ceau, n’avait cessé d’affirmer que la grande majorité des
Sarrois était française d’origine, e t que ceux qui ne l’étaient
pas, étaient Français de cœur. De plus, des représentants
de notre industrie lourde lui rappelaient sans cesse que la
Sarre est riche en minerais qui sont le complément naturel
de notre bassin lorrain. Aussi aurait-il voulu trancher la
question immédiatement. Mais Lloyd George s’y était
refusé.
256 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

- Puisque vous êtes si sûr de la sympathie des Sarrois,


lui avait-il répondu, que perdez-vous pour attendre? Ils
seront d’autant plus ardents à opter pour la France qu’au-
cun d’eux ne pourra dire qu’on lui a forcé la main ...
Après être revenu plusieurs fois à la charge, Clemenceau
s’était incliné e t la date du plébiscite avait été fixée à 1935.
Maintenant, les quinze ans prescrits sont écoulés et les
Sarrois vont être invités à se prononcer sur leur destin.
L’enjeu est bien plus grand que ne le laisserait supposer
l’exiguïté du territoire, avec ses quelque 2.500 kilomètres
carrés et ses 812.000 habitants. Pour la France, comme
pour l’Allemagne, la consultation sarroise a la valeur d’un
test.
Si la France l’emporte, elle n’en retirera pas seulement
des avantages économiques certains : les avantages moraux
seront plus grands encore. Non seulement les affirmations
de Clemenceau seront confirmées, mais ce vote démontrera
que la France démocratique exerce plus d’attirance sur les
esprits que le totalitarisme hitlérien. Dans le cas contraire,
la France subira un échec d’autant plus humiliant que,
durant les quinze années écoulées, le gouvernement fran-
çais a eu tous les atouts en main. Des fonctionnaires fran-
çais ont administré le pays. Les tarifs douaniers ont été
presque supprimés à la frontière franco-sarroise de sorte que
toutes les richesses du pays se sont écoulées vers la Lorraine,
apportant un stimulant appréciable à notre industrie
sidérurgique. Enfin, la propagande française a pu s’exercer
librement. Jour après jour, les journaux de Paris e t de
l’étranger ont eu toute latitude pour éclairer les esprits sur
les arrière-plans ténébreux d u régime hitlérien. Rien n’a
été laissé dans l’ombre : ni la persécution des Juifs, ni les
camps de concentration, ni la révolte des S. A., ni les entraves
apportées à la liberté d’expression.
On accuse ouvertement le chef du IIIe Reich de bâillon-
ner l’opposition, de truquer ses plébiscites, de soumettre le
pays à un régime de terreur. Or, voici que la population
d‘un territoire qui échappe à son contrôle, et où sa propa-
gande ne parvient que par le truchement de la radio, v a
être appelée à dire si elle préfère être libre, se rattacher à la
France ou revenir au sein du Reich. Qui ne voit que son choix
équivaudra à un verdict, et que ce n’est pas l’Allemagne,
mais le régime hitlérien qui sera mis en jugement?
L’ÉDIFICATiON DU IIIe REICH 257
Comme on le voit, l’enjeu est de taille et la France, qui
en a conscience, s’efforce de mettre tous les atouts de son
côté. Les mouvements proallemands sont dissous. Des émigrés
antinazis sont chargés de faire des tournées de conférences
non seulement à Sarrebruck, mais jusque dans les plus
petits villages, pour expliquer aux gens ce à quoi ils s’expo-
sent s’ils votent pour Berlin.
Du côté allemand, non plus, on ne reste pas inactif. Un
(( Front allemand N s’est constitué sous la direction du Landes-

leiter Pirro. Le succès presque immédiat qu’il obtient auprès


de la population inquiète Paris. Les esprits s’échauffent, la
fièvre monte à mesure que la date du plébiscite approche.
Vers la fin du mois de novembre, le gouvernement français,
craignant que des troubles éclatent, masse des troupes
à la frontière franco-sarroise. La situaJion est aussi tendue
qu’à la veille de l’occupation de la Ruhr. Le (( Front
allemand )) donne à ses membres l’ordred’éviter les provo-
cations et de faire preuve de la discipline la plus parfaite.
M. Bürckel, nommé par Hitler plénipotentiaire du Reich
pour les affaires sarroises, interdit toute activité aux S. A.
e t aux S. S., y compris le port de l’uniforme, dans une zone
large de 40 kilomètres à l’extérieur de la frontière germano-
sarroise. Car la Sarre est devenue une véritable poudrière;
il sufirait d’une étincelle pour la faire exploser.
Hitler remet alors à l’ambassadeur de France à Berlin
une note proposant de régler le conflit par un accord amiable
entre les deux gouvernements. D’un commun accord, la
France e t l’Allemagne renonceront au plébiscite pour éviter
le déchaînement de passions qu’il risque de susciter. La
Sarre redeviendra allemande, mais un traité économique
permettra à l’industrie française de bénéficier des ressources
sarroises dans les mêmes conditions qu’auparavant.
Le gouvernement français décline cette proposition qu’il
interprète comme un aveu d’impuissance. Hitler renonce-
rait-il au plébiscite, s’il était sûr de le gagner? C’est donc
moins que jamais le moment de lui faire des concessions...
Du coup, la tension s’aggrave. Les autorités françaises
interviennent à diverses reprises pour disperser les manifes-
tations du (( Front allemand ». Par cinq fois, le gouverne-
ment allemand adresse des notes à la Société des Nations
pour protester contre (c ces violations de la neutralité u. Fina-
lement, pour éviter que la situation se dégrade davantage,
I11 i7
258 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ ~ ALLEMANDE
E

la Société des Nations décide de prendre l’affaire en main.


Elle envoie dans la Sarre une force de police internationale,
destinée à assurer le contrôle d u plébiscite. Du coup les
passions s’apaisent; le fièvre tombe. La consultation popu-
laire peut se dérouler sans incident.
On en connaît les résultats dans la nuit du 13 au 14 jan-
vier 1935.90,8 yo des votants choisissent le rattachement à
l’Allemagne; 8,8 % votent pour le maintien du statu quo;
0,4 yo seulement ont opté pour le rattachement à la France.
A Paris, où l’on était sûr du succès, les résultats du scrutin
sont une terrible déception. Où sont passés les 150.000 Sar-
rois français qu’évQquait Clemenceau? Les Anglais, qui don-
naient les Allemands gagnants, se félicitent de leur
prudence.
A Berlin, la décision des Sarrois soulève u n enthousiasme
indescriptible. La foule défile pendant des heures sous le
balcon de la Chancellerie en acclamant le Führer. Les
chiffres du plébiscite, effectué sous contrôle international,
sont identiques à ceux des plébiscites qui se sont déroulés
précédemment à l’intérieur d u Reich. C’est donc bien la
preuve qu’ils n’étaient pas truqués.
Mais il y a plus : le retour de la Sarre est une indication
grosse de signification. L’attirance d u Reich s’est révélée
plus forte que toutes les propagandes adverses. Dès qu’une
population allemande, séparée du Reich par une décision
des vainqueurs, a pu s’exprimer librement, elle a manifesté
sa volonté de rejoindre sa patrie d’origine. C’est là une
leçon que Berlin n’oubliera pas ...
Le l e r mars 1935, l’administration de la Sarre est officielle-
ment remise aux autorités allemandes. Hitler profite de
cette occasion pour déclarer, dans un discours au Reichstag,
(( que 1’AIIemagne renonce solennellement à toute revendica-

tion sur !‘Alsace-Lorraine et qu’après le retour de la Sarre,


la frontière franco-allemande peut être considérée comme
fixée définitivement ».

+ +
Six mois à peine après le plébiscite de la Sarre, 1’Alle-
magne remporte un nouveau succès.
Le résultat du plébiscite sarrois a yivement impressionné
les Anglais. Ils se disent que la situation d u Führer est di:&
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 259
dément plus forte qu’on ne le croyait, et qu’il est vain de
spéculer chaque jour sur sa chute.
Par ailleurs, les Britanniques ont toujours regretté la brus-
querie avec laquelle Barthou avait mis pratiquement fin à
leurs efforts pour parvenir à un accord général sur le désar-
mement. Quel dommage que la France ait repoussé le plan
Mac Donald! E n se cramponnant aux lambeaux d u traité de
Versailles, le gouvernement français a abouti à un résultat
désastreux : au lieu de concéder à l’Allemagne l’égalité des
droits, il lui a permis de réarmer sans contrôle ni limite.
Que le Reich en ait profité pour accroître considérablement
ses forces terrestres est déjà inquiétant. Mais s’il en faisait
autant dans le domaine naval, ce serait plus grave encore.
Car l’Angleterre ne compte que sur sa flotte et son aviation
pour assurer sa sécurité.
Or, dans ce domaine aussi, l’Allemagne semble vouloir
aller de l’avant. Le 15 avril 1935, le gouvernement du Reich
communique officiellement au x attachés navals étrangers les
grandes lignes de son programme pour 1935-1936. I1 com-
prend la construction des unités suivantes :
lo 2 navires de ligne de 26,000 tonnes (en cale depuis plu-
sieurs mois) ;
20 2 croiseurs lourds de 10.000 toxines;
30 des contre-torpilleurs;
40 une vingtaine de sous-marins, dont plusieurs sont déjà
en chantier l.

Parmi ces bâtiments, les croiseurs lourds de 10.000 tonnes,


que l’Amirauté allemande appelle des (( cuirassés de poche n
attirent tout particulièrement l’attention des Anglais. Selon
la formule de l’amiral Ræder, leur caractéristique est d’être
(( plus puissants que le croiseur le plus rapide, mais plus
rapides que le cuirassé le plus puissant )) 2. Avec leurs canons
de 280, leur cuirasse de 100 millimètres et leur vitesse de
26 nœuds, ils font l’admiration des connaisseurs. Laisser
l’Allemagne s’engager librement dans cette voie serait expo-
ser l’Angleterre à un grave danger. Mais comment lui impo-
ser une limitation quelconque, maintenant que tous les pour-
parlers sont rompus à Genéve?

1. ESPAGNAC DU RAVAY,Vingt (111s de politique nclt*&.(1919-1939), p. 148.


2. Amiral RBDER,Alein ieben, Tübingen, 1956, I, p. 248.
260 EISTOIRE DE L’ARM&E ALLEMANDE

C’est la question que se posent les dirigeants britanniques,


lorsque le 21 mai 1935, Hitler prononce u n grand discours
a u Reichstag, qui va offrir une ultime chance de négocia-
tion. Après avoir cité lord Robert Cecil 1 e t Paul-Boncour *,
le Chancelier formule u n programme en treize points, .qui
définit la position d u gouvernement allemand en matiere
d e désarmement :
1. Le gouvernement allemand regrette la position prise à
Genève, le 17 mars 1934. I1 considère indispensable d’établir
une séparation très nette entre le traité de Versailles, basé
sur une distinction entre vainqueurs et vaincus, e t la Sociiité
des Nations, dont tous les membres doivent être investis de
droits égaux dans tous les domaines de la vie internationale.
2. A la suite du refus de désarmer manifesté par les autres
États, le gouvernement allemand s’est libéré des articles du
Traité qui représentaient pour la nation allemande une dis-
crimination d’une durée illimitée. Le gouvernement allemand
déclare cependant, d’une façon solennelle... qu’il respectera les
articles concernant la vie en commun des nations, y compris
les prescriptions territoriales, e t ne réalisera les révisions irié-
vitables qu’au moyen de négociations pacifiques avec les pays
intéressés.
3. Le gouvernement allemand ne signera aucun traité
qui lui paraisse inexécutable, mais il exécutera tout traité
librement signé, même s’il a été conclu avant son accession
au pouvoir ...
4. Le gouvernement allemand est prêt à participer en tout
temps à un système de coopération collective ayant pour but
d’assurer la paix européenne.
5. Le gouvernement allemand estime que l’organisation
d’une coopération européenne ne peut s’effectuer dans le cadre
de conditions unilatéralement octroyées ...
6. Le gouvernement allemand est prêt, en principe, à
1. Déclaration radiodifiusée de lord Robert Cecil, le 29 décembre 1930 :0 Le dbsar-
mement international correspond à nos intérêts nationaux les plus évidents. Nous
avons affirmé non pas une fois, mais à différentes reprises, l’obligation pour les
nations qui sont sorties victorieuses de l a guerre mondiale, de réduire et de limiter
leurs propres armements, corollairement au desarmement dont nous avons fait
un devoir h nos ci-devant ennemis. Nous détruirions toute confiance dans les obli-
gations internationales, si nous ne tenions pas la promesse que nous avons faite. a
2 . Déclaraiion de M. Paul-Boncour, publiée dans Le Journal du 26 avril 1930 :
a Point n’est besoin d‘étre prophète, il sufit d’avoir les yeux ouverts pour s’aper-
cevoir qu’en cas d’échec final des travaux de la Conférence du désarmement, ou
même simplement de leur ajournement indéfini, l‘Allemagne, libérbe des autre8
contraintes, secouera celle-ci aussi, et n’acceptera plus de subir, seule, des limi-
tations d’armements que le Traité lui-même spécifiait être la condition, e t aussi
la promesse, d’une réduction gén6raie.
L’ÉDIFICATION DU m e REICH 261
conclure avec chacun des États voisins, des pactes de non-
agression.. .
7. Le gouvernement allemand est prêt, pour compléter le
Pacte de Locarno, à se rallier à une convention aérienne et
à en discuter les clauses.
8. Le gouvernement allemand a fait connaître le niveau
auquel il entend porter la nouvelle armée allemande. I1 ne
s’en écartera en aucun cas... I1 est prêt à tout moment à
s’imposer, dans ses armements, les limitations que les autres
États accepteraient eux aussi...
En ce qui concerne les armements navals, la limitation de
la marine allemande à 35 y, de la flotte anglaise représente
une proportion encore inférieure de 15 % au déplacement
total de la flotte française. Comme on a pu lire dans différents
commentaires de presse que cette revendication n’était qu’un
commencement et qu’elle s’enflerait inévitablement avec la
possession de colonies, le gouvernement allemand tient A décla-
rer formellement que la fixation de ce niveau a un caractère
définitif.
L’Allemagne n’a ni l’intention ni les moyens de se lancer
dans une nouvelle course aux armements navals. Elle n’en
’.
éprouve d’ailleurs pas le besoin Le gouvernement allemand
reconnaît spontanément l’importance vitale et la légitimité de
la prépondérance navale de l’Empire britannique, de même
qu’il est décidé & faire tout ce qui est nécessaire pour assurer
la protection de sa propre existence et de sa liberté sur le
continent. Le gouvernement allemand a l’intention de tout
mettre en œuvre pour établir et maintenir avec le Royaume-
Uni des relations de nature à empêcher à jamais, entre ces
deux peuples, le retour d’une lutte comme celle de 1914-1918,
la seule jusqu’ici qui les ait vus aux prises.
9. Le gouvernenient allemand est prêt à partiriper, d’une
manière active, à tous les efforts tentés en vue d’une limita-
tion pratique des armements. 11 estime que le meilleur moyen
d’y parvenir est de revenir aux principes de l’ancienne Conven-
tion de la Croix-Rouge de Genève.
I O . Le gouvernement allemand est prêt à approuver toute
limitation ayant pour but la suppression des armes lourdes de
caractère offensif (artillerie lourde et chars). Étant donné les
fortifications formidables érigées par la France le long de ses
frontières, une telle suppression assurerait automatiqcement
à la France une sécurité absolue.

1. a L’Allemagne ne fera jamais la guerre è l’Angleterre, ni ïItalie, ni an


Japon, avait dit précédemment Hitler. Pourvu que les Anglais me laissent les
mains libres en Europe centrale, je ne vois aucun inconvénient à ce qu’ils conservent
la maîtrise des mers.
262 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

11. L’Allemagne se déclare prête à approuver toute limi-


tation des calibres de l’artillerie des vaisseaux de ligne, des
croiseurs et des torpilleurs. De même, le gouvernement alle-
mand se déclare prêt à accepter toute limitation internationale
du volume de déplacement des vaisseaux, Enfin, le gouver-
nement allemand est prêt à accepter la limitation du volume
de déplacement des torpilleurs et même leur suppression
complète, dans le cas d‘un règlement international, égal pour
toutes les Puissances.
12. Le gouvernement allemand est persuadé qu’aucune
détente dans les rapports internationaux ne pourra être obte-
nue, aussi longtemps que les mesures nécessaires n’auront pas
été prises pour empêcher l’opinion publique des peuples d’être
empoisonnée par des discours, des écrits, des films ou des
pièces de théâtre de caractère tendancieux.
13. Le gouvernement allemand est toujours prêt à s’asso-
cier à un accord international visant à arrêter ou à empêcher
toute tentative d’ingérence dans les affaires intérieures d’un
État, quel qu’il soit. Encore est-il en droit d’exiger qu’une
telle réglementation soit internationale e t s’applique à tous
les États... I1 importe également que la notion d’ingérence
soit rigoureusement définie.

Après avoir exposé les treize points d e ce programme,


Hitler conclut en ces termes :
-Je ne saurais mieux achever le discours que je viens de
prononcer qu’en renouvelant notre profession de foi en faveur
de la paix ... Quiconque brandit en Europe la torche de la
guerre, ne peut souhaiter que le chaos!

Mais la France refuse de reprendre les négociations sur


ces bases. Elle reste fidèle au statu quo e t à la sécurité
collective, (( sans s’apercevoir, comme le dira lord Tyrell,
qu’elle porte le deuil d‘une ombre n.
A Londres, le discours d’Hitler est beaucoup mieux
accueilli. Le paragraphe 8, en particulier, relatif à la limita-
tion de la marine de guerre allemande à 35 yo de la flotte
britannique, a été lu attentivement. Le 22 mai, l’éditoria-
liste du Times n’hésite pas à écrire : (( Aucun esprit non
prévenu ne peut mettre en doute le fait que les treize points
d’Hitler pourraient servir de base à un règlement définitif
de nos relations avec l’Allemagne. n
Les milieux dirigeants anglais estiment, en effet, que les
L’EDIFICATION DU I I I ~REICH 263
condamnations platoniques du réarmement allemand ne
suffisent pas à en supprimer l’existence et qu’il serait plus
sage de renouer les pourparlers sous une forme ou une
autre, plutôt que de se cantonner dans une hostilité bou-
deuse.
Aussi le gouvernement britannique décide-t-il de saisir la
perche qui lui est tendue. Le 25 mai,il invite le gouverne-
ment allemand à entamer des conversations bilatérales sur
le réarmement naval. Hitler accepte aussitôt. I1 envoie à
Londres Joachim von Ribbentrop, son conseiller personnel
pour les questions de réarmement, qu’il a élevé au rang
d’ambassadeur extraordinaire.
Malgré l’ambiance favorable qui règne à Downing Street,
la tâche de Ribbentrop est loin d’être aisée. Elle est rendue
plus difficile encore par les instructions qu’Hitler lui donne
avant son départ :
-Dites aux Anglais que mon offre de limiter la flotte
allemande à 35 yo du tonnage global de la flotte britannique
est une proposition unique et irrévocable, que je ne renou-
vellerai pas. Elle ne saurait en aucun cas servir de base à
un marchandage. Si les Anglais s’imaginent qu’ils m’amène-
ront à ramener cette proportion à 33 ou à 25 %, après avoir
tiré sur la corde pendant plusieurs années, ils se trompent.
Les 35 % ne sont pas un objectif final. Leur acceptation est
la condition préliminaire à toute négociation.
Ribbentrop n’est ni un diplomate de la vieille. école ni
un dialecticien habile. Chacune de ses paroles trahit son
incroyable vanité. Et pas seulement ses paroles, mais son
port de tête, ses gestes et jusqu’à son intonation. Bien qu’il
soit de bonne famille, il a une fatuité de parvenu que son
élévation à la dignité d’ambassadeur extraordinaire a
encore aggravée. Mais même pour un homme aussi sufi-
sant que lui, les instructions d’Hitler paraissent un peu
abruptes e t ce n’est pas sans une certaine appréhension qu’il
se prépare à la première grande mission de sa vie.
Or, au moment où il s’apprête à quitter son bureau, il
reçoit un rapport confidentiel de l’attaché militaire japonais
Londres, le capitaine de vaisseau Arata Oka. (( A force de
négocier avec les Anglais sur les questions de réarmement
naval, lui écrit-il, nous avons acquis une certaine expérience
dans ce domaine, N’oubliez jamais que les Anglais sorit le
peuple le plus rusé de la terre et qu’ils sont passés maîtres
264 HISTOIRE DE L’ARMSE
ALLEMANDE

dans l’art de la négociation comme dans celui de manier la


...
presse et l’opinion publique Posez d’emblée vos condi-
tions et n’en démordez pas, sans quoi les experts de l’Ami-
rauté vous entraîneront dans des discussions interminables
au cours desquelles vous finirez par perdre pied l... ))
Ce conseil paraît sage. Ribbentrop est d‘autant plus dis-
posé à s’y conformer qu’il ne contredit pas les instructions
de son chef et convient à merveille à son caractère peu
nuancé. Dès son arrivée à Londres, le 4 juin 1935, il se rend
à Downing Street, entre dans le bureau d u ministre des
Affaires étrangères et lui déclare de but en blanc :
- Nos conditions sont à prendre ou à laisser. Si le gou-
vernement de Sa Majesté n’est pas disposé à les accepter,
il est inutile de poursuivre les conversations. Ce point doit
être acquis avant d’aller plus loin.
Sir John Simon a un haut-le-corps devant cette mise en
demeure.
- Voilà qui est inadmissible! s’écrie-t-il, le visage
empourpré de colère. On ne jette pas ainsi ses conditions sur
la table avant même d’avoir entamé les négociations!
Sur quoi, il quitte la pièce sans même prendre congé de
son interlocuteur, en laissant à u n huissier le soin de le
reconduire. Le soir même, tout le ministère est au courant
de cet esclandre.
La délégation allemande est consternée. Elle attend avec
appréhension la suite des événements e t - ne connaissant
ni les instructions d’Hitler ni le rapport d’hrata - se
demande si Ribbentrop n’a pas tout compromis par son
manque de tact.
Mais cette brusquerie,. justement, va porter des fruits
inattendus. Durant la nuit, les Anglais réfléchissent. Stupé-
faits par l’insolence de l’ambassadeur allemand, ils se disent
que jamais il n’aurait osé adopter un pareil langage si le
Reich tenait vraiment au succès de la négociation. N’est-ce
pas la preuve qu’Hitler n’a aucune envie de se lier les mains,
qu’il s’apprête à passer outre? Du coup, les Anglais se
disent qu’il est urgent d’aboutir.
Dès le lendemain, ils invitent Ribbentrop à reprendre les
pourparlers. Cette fois-ci la séance n’a pas lieu au Foreign
Office, mais dans la salle du Conseil de l’Amirauté, dont la
1. Robert Ingrim publie le texte integrai de ce rapport dans son ouvrage Hitler’s
giûcklichster Tag, p. 127-128.
L’&DIFICATION DU I I I ~REICH 265
décoration rappelle les fastes de trois siècles d’hégémonie
navale britannique. On voit, à u n bout de la pièce revêtue
de boiseries du X V I I I ~siècle, une grande rose des vents rat-
tachée à une girouette qui permettait aux lords de l’Ami-
rauté de dresser leurs plans de bataille, au temps de la
marine à voile. Un peu plus loin, une entaille gravée dans
un panneau de chêne, indique la taille exacte de Nelson.
Rien ne semble avoir changé depuis Aboukir et Trafalgar,
si ce n’est les confortables fauteuils de cuir rouge disposés
autour de la table.
L’accueil des Anglais est des plus amicaux. La délégation
britannique se compose de sir Robert Craigie, de l’amiral
Little et du commandant Dankwerts. L’Allemagne est repré-
sentée par Ribbentrop, l’amiral Schuster, le capitaine de
corvette Kiderlen, le conseiller d’ambassade Wœrmann, le
commandant Wasmer, attaché naval à Londres et le conseil-
ler de légation Erich Kordt.
Dès le début de la séance, sir Robert Craigie, sous-secrétaire
d’État permanent au Fareign Office, lit une courte déclara-
tion. A la plus grande surprise des délégués du Reich, c’est
une acceptation pure et simple des conditions allemandes.
Le 7 juin, le gouvernement anglais informe ses alliés de
l’ouverture des négociations, mais en prenant soin de les
avertir que ((l’offre allemande doit être acceptée, car elle
apporte une contribution essentielle au problème des futures
limitations navales et constitue une assurance importante
pour la sécurité de la Grande-Bretagne et des autres pays 1)).
La France a beau faire les plus expresses réserves (( sur
la valeur de convers ations bilatérales, poursuivies à l’écart
de la Conférence de Genève »,en moins de dix jours, sir
Robert Craigie e t l’amiral Little, d u côté anglais, l’amiral
Schuster e t le commandant Wassmer, du côté allemand, ont
étudié e t résolu les problèmes délicats et enchevêtrés relatifs
aux catégories de navires, au tonnage, à la puissance de feu,
à la vitesse e t aux délais de construction. Le 18 juin -
anniversaire de Waterloo - un accord est signé entre le
Reich e t la Grande-Bretagne, aux termes duquel le réar-
mement naval allemand est officiellement reconnu.
Aussitôt après la signature de l’accord, Ribbentrop, vou-
lant profiter de l’euphorie générale, s’efforce d’élargir la

1. Ci. ESPAQNAC
DU F~AVAY,Vingt ana da politiqua wale (1919-1939),p. 148.
266 HISTOIRE DE L’ARMSEALLEMANDE
négociation en posant les jalons d’une alliance anglo-alle-
mande l :
- L e Führer ne m’a pas caché, déclare-t-il, qu’il était
prêt à garantir l’intégrité territoriale de la Hollande, de la
Belgique et de la France dans le cadre d’une entente géné-
rale avec le Royaume-Uni. En outre, il est disposé à mettre
douze divisions à la disposition de l’Angleterre, pour l’aider
à défendre son Empire colonial, si le besoin s’en faisait
sentir a...
Les Anglais répondent par un sourire gêné. L’idée de faire
appel à des troupes allemandes pour défendre l’Empire les
choque comme une inconvenance. De plus, le ton protec-
teur avec lequel Ribbentrop a prononcé ces derniers mots ne
leur a pas échappé. I1 lui font comprendre d‘un ton poli,
mais ferme,.qu’à chaque jour suffit sa peine, et qu’ils n’ont
pas l’intention de le suivre sur ce terrain.
D’autant plus que la signature de l’accord naval a pro-
voqué, à Paris, des réactions très violentes. Le gouverne-
ment français n’hésite pas à dire qu’il considère la décision
britannique comme (( moralement inadmissible et juridique-
ment insoutenable )). Peut-on blâmer l’Allemagne de répu-
dier les clauses du Traité, quand l’Angleterre elle-même
l’aide à déchirer le peu qui en reste? C’est tout juste si on
ne l’accuse pas d’avoir trahi ses Alliés ...
La réponse anglaise ne se fait pas attendre. Elle est donnée
le 22 juin par lord Londonderry, dans une allocution pro-
noncée à la Chambre des Lords :
-Nous sommes un peuple pratique, déclare-t-il, q u i a
l’habitude de tenir compte des réalités. La question qui s’est
posée à nous n’était pas de donner à l’Allemagne le droit
de faire une chose, qu’elle n’aurait pas pu faire sans
notre permission. Bien au contraire. L’objet de notre initia-
tive a été de circonscrire, par un accord avec l’Allemagne,
les conséquences ultimes d’une décision unilatérale qu’elle
avait déjà prise e t à laquelle elle avait déjà commencé à
donner un commencement d’exécution a...
(( E n d’autres termes, écrit Espagnac du Ravay 4, le gou-

1. Joachim von RIBBENTROP, Mémoires, p. 57.


2. Ramenez-moi l’alliance anglaise! D lui a dit Hitler juste avant non départ
pour Londres. (Lagsbssprrchungen, p. 614, note 2.)
3. Lei termes de cette allocution font écho à la note adressée le même jour par
le gouvernement britannique au gouvernement français.
4. On sait que ce pseudonyms cache la personnaiid de l’arniral Darlan,
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 267
vernement britannique paraissait considérer comme un pos-
tulat que les décisions unilatérales du Reich étaient sans
appel, et que, ne pouvant rien contre elles, il lui fallait se
contenter d’en limiter les effets 1. ))
A Berlin, le succès inattendu remporté par la délégation
allemande est fêté comme une grande victoire. Hitler ne
dissimule pas sa joie lorsque Ribbentrop lui téléphone de
Londres, pour lui annoncer la signature de l’accord.
-Bravo! lui répond-il z. Vous avez fait du bon travail,
Ce jour est le plus beau de ma vie!
Pour la première fois, iin des signataires du traité de
Versailles a admis les thèses du Reich sur le réarmement.
On s’empresse d’en conclure que, de toutes les capitales
européennes, Londres est la plus (( compréhensive n et que
les dirigeants allemands y trouveront, en tout temps, l’au-
dience la plus favorable.
A Paris, en revanche, l’amertume est à son comble. Puisque
l’Angleterre a permis que la flotte allemande passe de 108.000
à 420.000 tonnes, la nôtre devrait s’accroître de 628.000 à
940.000 tonnes. Or, financièrement, la France est hors d’état
de faire un pareil effort avant plusieurs années. Parallèle-
ment à la marine, l’armée doit entreprendre la construction
de matériels trop longtemps différée et toute notre aviation
est à reconstituer ...
a Dès lors, l’aspect politique du problème prenait le pas
sur tous les autres, écrit avec une pointe de mélancolie
Espagnac du Ravay. Notre sécurité allait dépendre étroite-
ment de pactes et de conventions d’assistance mutuelle ...
Plus encore que par le passé, notre politique se trouvait liée
à la politique britannique, au point de lui être de plus en
plus asservie 3. n
DU RAVAY,
1. ESPAGNAC Vingt ana de politique mO<ib(1919-1939), p. 153.
2. RIBBENTROP,
Mdmoircs, p. 54.
DU RAVAY,ibià., p. 151.
S. ESPAGNAC
XIV

LE PACTE FRANCO-SOVIETIQUE
E T LA REMILITARISATION
DE LA RIVE GAUCHE DU RHIN

A vrai dire, la France n’a pas attendu la conclusion de


l’accord naval anglo-allemand pour s’engager dans la voie
des traités d’assistance mutuelle. Le 20 avril 1934, c’est-
à-dire trois jours après la rupture des pourparlers de Genève l,
M.Barthou s’est rendu à Prague et à Varsovie pour inviter
les gouvernements tchèque et polonais à signer avec la
France des accords fondés sur le principe de la (( sécurité col-
lective ».
Favorablement accueilli à Prague par le président Masaryk,
M. Barthou a été reçu plus fraîchement par le maréchal
Pilsudski. Celui-ci lui a fait comprendre qu’il n’était niille-
ment hostile aux pactes d’assistance, à condition que cette
assistance soit vraiment effective. Or, la Pologne est sépa-
rée de la France par toute l’étendue du Reich tandis que
l’Allemagne et YU. R. S. S., sont ses voisins immédiats. Le
président de la République polonaise ne voit pas comment
les armées françaises pourraient venir à son secours, si son
pays se trouvait attaqué par l’une de ces Puissances. C‘est
pourquoi tous ses efforts visent à maintenir l’équilibre
entre les deux. Dans ce dessein, il a signé avec Berlin u n
pacte de non-agression qui lui paraît le garant le plus sûr
de sa sécurité. I1 n’entend pas compromettre les avantages
qu’il en escompte, en concluant un accord bilatéral avec la
France 2.
1. 17 avril 1934. (Voir plus haut, p. 155 et 8.)
2. Hitler, de son côté, couvre la Pologne de prévenances : dèr 1934, le Fûhrer
reçoit longuement l’ambassadeur Lipski; le 24 janvier 1935, il attire l’attention
de Pilsudski sur le danger russe; fin janvier 1935, Gcering propose à Varsovie une
alliance militaire.
DU I I I ~REICH
L~~DIPICATION 269
Nullement découragé par l’échec de ses efforts, M.Barthou
est reparti, le 20 juin 1934, pour un0 seconde tournée en
Europe centrale. Puisque la Pologne répugne à conclure u n
accord séparé avec la France, pourquoi ne pas y associer
l’Allemagne e t la Russie? On échafauderait ainsi une sorte
de (( Locarno de l’Est »,qui ferait un pendant harmonieux
a u Pacte Rhénan.
Mais les pourparlers entrepris dans ce sens piétinent e t
n’avancent guère. Le 10 septembre 1934, l’Allemagne fait
savoir qu’elle n’entend signer aucun traité qui l’obligerait à
prêter assistance à 1’U. R. S. S. et à défendre le régime sovié-
tique s’il se trouvait attaqué. Trois jours plus tard (13 sep-
tembre), le Quai d’Orsay reçoit une réponse également néga-
tive de la Pologne, qui décline l’honneur périlleux de laisser
une armée étrangère traverser son territoire. Elle n’a pas
oublié de quel prix elle a payé son indépendance, et sait trop
bien qu’une fois l’Allemagne, ou la Russie, installée chez
elle, il faudrait une nouvelle guerre pour l’en déloger. Ces
deux refus portent le coup de grâce au projet de hl. Barthou.
Avant même d’être né, le Pacte de l’Est s’écroule comme
un château de cartes.

*
+ +

Mais 1’U. R. S. S. n’a pas assisté sans appréhension a u


réarmement de l’Allemagne, car elle sait que ce réarmement
la menace au premier chef. Elle n’ignore pas que les lignes
d’expansion de l’Allemagne demeurent orientées vers la Bal-
tique e t la mer Noire, et que tout - ses traditions histori-
ques comme ses intérêts matériels - la pousse dans cette
direction.
Le jour où la Wehrmacht s’ébranlera, ce sera pour
reprendre la marche de von der Goltz sur Riga et Leningrad,
et celle du maréchal von Eichhorn sur Kiev et Odessa.
Aussi redouble-t-elle d’efforts pour accroître ses moyens de
défense.
L’Armée rouge, dont les experts évaluaient les effectifs
à 950.000 hommes a u 31 décembre 1934, a été portée à
1.300.000 hommes. Le budget militaire est passé de 6,5 mil-
liards de roubles à 14,8 milliards. Quant à l’Ossoaviakim,
ou Ofice central de défense nationale, il a donné u n déve-
270 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ALLEMANDE

loppement considérable à la préparation militaire, à l’in-


dustrie chimique et à l‘aviation.
Mais Staline, qui se sent menacé à l’ouest par le relève-
ment de l’Allemagne et à l’est par l’essor rapide du Japon
est obligé de scinder ses forces en deux groupes d’armées
autonomes, séparés par dix mille kilomètres de steppes
sibérieniies. Que ne donnerait-il pas, pour éviter une guerre
sur deux fronts! Aussi n’a-t-il qu’une idée : fixer le gros
des forces allemandes à l’ouest et détourner de ce côt,é la
foudre qui le menace.
A cet effet, la politique extérieure de l’U. R. S. S. va subir,
en quelques mois, une transformation radicale. Jusque-là,
les Soviets ont lutté contre les régimes bourgeois, dans
l’espoir de les désagréger et de les détruire l’un après l’autre.
Maintenant Staline va se tourner vers les Démocraties capi-
talistes, dans l’espoir d’y trouver des alliés contre 1’Alle-
magne. Ce tournant dans la politique extérieure soviétique
v a se réaliser en plusieurs étapes.

* +
Le 9 juin - premier acte de la pénétration russe en Occi-
dent - la Tchécoslovaquie, par la voix de M. Benès, e t la
Roumanie, par celle de M. Titulesco, annoncent qu’elles recon-
naissent de jure la République des Soviets. Trois semaines
plus tard (2 juillet), le ministre des Affaires étrangères tché-
coslovaque prononce u n grand discours, au cours duquel il
déclare :
E( Un regroupement des forces européennes se prépare. Cette

constellation nouvelle, devenue visible au cours de ces der-


nières semaines d’une façon brusque et inattendue, semble
destinée à modifier de fond en comble la nature des relations
internationales sur le continent. B

Entre-temps, la Russie a demandé à être admise à la


Société des Nations. Une commission a été constituée pour
examiner cette demande. Mais l’admission des Soviets à
Genève ne se fera pas sans lutte, car les opinions sont par-
tagées sur l’opportunité de cette mesure. Les grandes Puis-
sances sont en général favorables à l’entrée de 1’U. R. S. S.;
certains pays se réservent; d‘autres enfin, tels le Portugal,
L’ÉDIFICATION DU 1118 REICE 271
les Pays-Bas et la Suisse, y sont résolument hostiles. Fina-
lement, les partisans de l’admission l’emportent, par 38 voix
contre 3, et 7 abstentions.
La réception solennelle de 1’U. R. S. S. est le grand événe-
ment de l’Assemblée de 1934. Pourtant, il suffit de relire
certains discours prononcés à cette occasion, pour percevoir
l’émotion soulevée par l’entrée des Soviets à Genève.

(( Le gouvernement suisse, commence par déclarer M. Motta,

toujours animé de l’amitié la plus vive pour le peuple russe,


n’a cependant jamais voulu reconnaître de jure son régime
actuel. I1 est résolu à rester sur sa position de refus et d’at-
tente. Lorsqu’en 1918 une tentative de grève générale faillit
nous précipiter dans les affres de la guerre civile, une mission
soviétique que nous avions tolérée à Berne dut être expulsée
manu militari, car elle avait trempé dans cette agitation.
a Un régime dont la doctrine est le communisme expansif
et militant, remplit-il les conditions nécessaires pour être
admis parmi nous? J e ne le pense pas. Car ce communisme
est, dans chaque domaine - religieux, moral, social, politique,
économique - la négation la plus radicale de toutes les idées
qui sont notre substance et dont nous vivons ...
a La Société des Nations tente aujourd’hui une entreprise
risquée. Elle ne craint pas de marier l’eau avec le feu. Si la
Russie soviétique cesse tout à coup d’injurier la S. D. N.,
alors que Lénine l’avait définie une entreprise de brigandage,
l’explication de sa nouvelle attitude s’inscrit dans les signes
qui sillonnent le ciel à l’Extrême-Orient. Nous n’avons pas
confiance. Nous ne pouvons pas coop4rer dans l’acte qui confé-
rera à la Russie soviétique un prestige qu’elle n’avait pas
encore...
a Mais les dés sont jetés. AZea jacta est. Nous préférons jouer
le rôle de celui qui avertit et met en garde. Nous souhaitons
que l’avenir nous accuse de méfiance exagérée. Nous comptons
que tous les autres États nous aideront à empêcher que
Genève puisse se transformer en un foyer de propagande dis-
solvante. E n votant contre, il nous suffit, pour le moment,
d’empêcher que la Russie ait pu entrer dans la Société des
Nations à l’unanimité des voix, dans l’oubli de son passé et
avec des couronnes triomphales l. D

Alors M. Barthou monte à son tour à la tribune, pour


répondre au président de la Confédération helvétique :
1. Discours prononcé par M. Motta, délégué de la Confhdération helvétique B
I’Aasemblée de la S. D. N., le 17 septembre 1934. (Edraiiœ.)
272 HISTOIRE D E L’ARIIIfiE ALLBMANDE

a J’ai entendu tout à l’heure, avec une émotion qui nous a


tous pénétrés, le discours de l‘honorable M. Motta. Je lui sais
gré d‘avoir exprimé .son opinion avec autant d’indépendance
et d’autorité morale, et d’avoir fait des déclarations qui,
même à l’heure où je parle, dominent ce grand débat ...
Q Mais est-ce bien là le débat? Est-ce le débat que d’opposer
des doctrines les unes aux autres? M. Motta a parlé de concep-
-
tions politiques. D’autres avant lui le délégué du Portugal,
le délégué de la Belgique, le délégué des Pays-Bas, - ont dit
qu’il y avait incompatibilité entre ces doctrines et les buts
que nous poursuivons ici, au point de vue économique, au
point de vue politique, au point de vue social et au point de
vue religieux... Nous devons nous élever au-dessus de ces consi-
dérations...
Q Voilà un pays qui est prêt à entrer dans la communauté
européenne, qui se soumet aux lois de la Société des Nations,
et vous voulez le renvoyer aigri, méfiant, hostile? Rejeter la
Russie, où? Là-bas, contre l’Europe? Je ne veux pas en dire
davantage... J’estime qu’il est de l’intérêt de la S . D. N., si
elle veut être universelle, d’accueillir l’offre de la Russie. E t
puis, il y a la paix.
Q Vous voulez la paix et vous allez isoler la Russie, en lui
faisant la pire injure qu’on puisse faire à un pays?
Q Voilà, très sobrement, la déclaration que je voulais appor-
ter au nom de la République françaisel. D

Le lendemain, 18 septembre, c’est enfin le tour de M.Lit-


vinoff :
Q Je tiens tout d’abord, dit-il, à rappeler avec reconnaissance
l’initiative qui a été prise par le gouvernement français, ainsi
que les efforts sincères qui ont été déployés par la délégation
française et personnellement par son ministre des Affaires
étrangères, M. Barthou, ainsi que par le président du Conseil
de la S. D. N., M. Benès, pour faire admettre 1’U. R. S. S. à
la Société des Nations.
a L’Union soviétique représente elle-même une Société des
Nations dans le meilleur sens du terme, puisqu’elle groupe
lus de deux cents nationalités différentes. J’aurai même la
gardiesse de dire que jamais on n’a vu tant de nations coexis-
ter si paisiblement dans le cadre d’un seul État, disposer d’une
telle liberté pour leur développement et leur civilisation, et
jouir des bienfaits de leur culture nationale ...
(Y Le gouvernement soviétique ne s’est jamais refusé à colla-

i. Discours prononcé par M.*Barthou, dbl6gub de la France, le 17 septembn,


1935. (Exiraifa.)
L’BDIFICATION DU I I I ~REICH 273
borer dans le domaine politique, lorsqu’on pouvait espérer que
cette collaboration permettrait d’atténuer des conflits inter-
nationaux ou d‘accroître les garanties de la sécurité et la
consolidation de la paix.
a Mais cette consolidation de la paix doit avoir, pour l’oreille
et pour l’intelligence, un sens différent d’il y a douze ou quinze
ans. Nous devons utiliser des moyens plus elficaces. J e n’estime
pas le moment venu d’en parler d’une façon plus précise...
(( Les délégations soviétiques, à. toutes les conférences aux-

uelles elles ont participé, ont présenté des propositions ten-


8ant à réduire au minimum le chaos qui existe actuellement
dans les relations économiques entre États. Le gouvernement
soviétique n’a jamais cessé de travailler dans ce sens depuis
qu’il existe. I1 est venu ici pour joindre ses efforts à ceux des
autres États représentés à la S. D. N., et je suis convaincu
que pour cette recherche commune, dans cette volonté de
paix - pa’x pour elle et paix pour les autres États - l’Union
soviétique, avec ses cent soixante millions d’habitants fera
sentir d’une manière puissante son action pacificatrice l. n

Trois semaines plus tard (9 octobre 1934), M. Barthou est


assassiné par u n terroriste croate, en allant accueillir à
Marseille, le roi Alexandre de Yougoslavie. Mais son œuvre
lui survivra : les pourparlets qu’il a engagés autour du Pacte
de l’Est seront poursuivis par Pierre Laval, qui lui succède
au Quai d’Orsay.
*
+ *

La démarche suivante de 1’U. R. S. S. consiste à resserrer


ses liens avec la France. E n vertu des dispositions du Pacte
de Genève, la Russie doit apporter assistance à tout membre
de la Ligue, victime d‘une agression. On pourrait s’en tenir
là. Mais ni le gouvernement français ni le gouvernement
soviétique ne jugent cette garantie suffisante. Aussi, dès la
fin de 1934, des négociations s’amorcent pour substituer a u
Pacte de non-agression franco-soviétique du 29 novembre
1932 e, u n traité d’amitié e t d’assistance mutuelle, compor-
t a n t des engagements beaucoup plus précis.

1. Discoure prononcd par M. Litvinoff à la S. D. N., le 18 septembre 1936.


(Edraita.)
2. Ce traité avait été signé pour une période de deux ans par MM. Herriot et
Dovgalevski, ambassadeur des Sovista Q Paris. Xi vient donc à expirationle
29 reptembre 1934.
lu 18
274 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE

Après avoir traversé des périodes de haut et de bas - car


le négociateur des Soviets, M. Potemkine, paraît avoir voulu
lier la France d’une façon beaucoup plus rigoureuse que ne
le désirait M. Laval - ces négociations aboutissent, le
2 mai 1935, à la signature d’un traité, dont les articles prin-
cipaux stipulent :
ARTICLE PREMIER.- A u cas où la France o u TU. R. S. S .
serait l‘objet d‘une menace o u d‘un danger d’agression de la
part d’un État européen, 1‘ U. R. S. S. et réciproquement la France
s’engagent à procéder mutuellement à une consultation immédiate,
e n vue des mesures à prendre pour l‘observation des dispositions
de l‘article 10 d u Pacte de la S. D. N .
ART. II. - Au cas où, dans les conditions prévues à Tar-
ticle 15, § 7 d u Pacte de la S. D. N., la France o u 1’U. R. S. S.
serait, malgré les intentions sincèrement pacifiques de ces deux
pays, l‘objet d‘une agression non provoquée de la part d‘un État
européen, 1’U. R. S. S. et rèciproquement la France se prêteront
immédiatement aide et assistance.
. . ART.
......... . . .. . .....,.....
V. - L e présent Traité sera ratifié et les instruments
de ratification seront échangés à Moscou. I l sera enregistré au
secrétariat de la S. D. N . I l prendra effet dès l‘échange des rati-
fications et restera e n vigueur pendant cinq ans. S’il n’est pas
dénoncé par une des Hautes Parties contractantes, avec un préavis
d‘un an au moins avant l‘expiration de cette période, il restera
e n vigueur sans limitation de durée, chacune des Hautes Parties
contractantes pouvant alors y mettre fin par une déclaration à
cet effet, avec préavis d’un an.
Au Traité proprement dit est annexé un Protocole dont
les paragraphes 1 et 4 sont particulièrement importants :
9 1: I l est entendu que chaque Partie contractante devra prêter
immédiatement assistance à l‘autre e n se conformant immédiate-
ment aux recommandations du Conseil de la Société des Nations,
aussitôt qu’elles auront été énoncées e n vertu de l‘article 16 du
1. On sait que quelques jours avant la signature, le bruit courut que les n b o -
ciations étaient rompues : M.Potemkine, ambassadeurde 1’U. R. S. S. à Paris, venait
de repartir précipitamment pour Moscou, emportant avec lui un premier texte
du traité que M. Laval avait refuse de signer. Que contenait cette première ver-
sion? On l’ignore. Mais il n’est pas téméraire d’avancer que 1’U. R. S. S. cherchait
à y imposer à la France des engagements d’une étendue telle que M. Laval avait
refusé d’en assumer la responsabilité. a Les Soviets veulent un traik4 pour faire ka
guerre; et moi, c’est pour Z’éoiter I),laissa-t-il échapper devant ses intimes. (Cf. Alfred
MALLET, Pierre Laval, I, p. 85.) Quant à l’ambassadeur Potemkine, il écrit :a
eoüuborakrurs diplomatiques de Laval a’efiorçaieni p w tow les moyens de donner au
futur pacte un caracière puremeni former. J (HUtoire ds b diplomatie, 111, p. 350.)
L’BDIFICATION DU III* REICH 275
Pacte. II est également entendu que les d e w Parties contractantes
agiront avec toute la rapidité qu’exigeront les circonstances et que
si, néanmoins, le Conseil, pour une raison quelconque, n’énonce
aucune recommandation o u s’il n’arrive pas à un vote unanime,
l‘obligation d’assistance n’en recevra pas moins application.
§ 4. : Les deux gouvernements constatent que les négociations
qui viennent d’avoir pour résultat la szgnature d u présent Traité
ont été engagées à l’origine e n vue de compléter un accord de
sécurité englobant les pays d u nord-est de l’Europe, à savoir
l‘U. R. S. S., l‘Allemagne, la Tchécoslovaquie, la Pologne et
les États baltes voisins de l‘U. R. S. S.; à côté de cet accord
devait être conclu un traité d‘assistance entre I’U. R. S. S., la
France et l‘Allemagne, chacun de ces trois États devant s’en-
gager à prêter assistance à celui d’entre eux qui serait l‘objet
d’une agression de la part de l‘un de ces trois États.
Bien que les circonstances n’aient pas jusqu’ici permis la
conclusion de ces accords que les deux Parties continuent à, consi-
dérer comme désirables, il n’en reste pas moins que les engagements
énoncés dans le Traité S’assistance franco-soviétique doivent être
entendus comme ne devant jouer. que dans les limites envisagées
dans l’accord tripartite antérieurement projeté 1,

Pour que le Pacte entre en vigueur, il ne reste plus qu’à


procéder à l’échange des ratifications : celui-ci a lieu Li Mos-
cou, le 14 mai 1935.
Deux jours plus tard (IS mai), un pacte similaire est conclu
entre l’U. R. S. S. e t la Tchécoslovaquie.

E n apprenant la signature de ces deux accords, tous les


milieux soviétiques manifestent une satisfaction générale.
Mais pas le Reich, car il ne voit pas sans appréhension (( la
pieuvre bolchévique étendre ses tentacules vers Prague et
Paris D. D’autant plus que la rédaction du paragraphe 4 du
Protocole ne laisse place à aucun doute : comme ce ne sont
ni la Lithuanie ni la Pologne qui attaqueront 1’U. R. S. S.,
le Pacte est manifestement dirigé contre YAllemagne. Elle
ne peut y échapper qu’en y adhérant elle-même : mais, <ans
ce cas, elle devra contracter des obligations envers l’Etat
I . Cette clause signifie que le Pacte d’assistance ne joue que pour l’Europe.
Il ne s’appliquepas dans ie cas ou 1’U. R. S. S. entrerait en c o d i t avec une puia-
same asiatique.
276 HISTüXRE D8 L’ARM$E ALLBMANBE

soviétique e t prêter assistance au communisme s’il se tl‘ouve


en danger.
Plus grave encore, au x yeux de Berlin, est la rédaction d u
paragraphe 1 du Protocole annexe, qye les experts de la
Wilhelmstrasse interprètent d e la maniere suivante :
10 En s’engageant à intervenir même si le Conseil de la
S. D . N . n’énonce aucune recommandation, ou n’arrive pczs à:
un vote unanime, la France a pris vis-à-vis de l’Union sovié-
tique des engagements qui dépassent de beaucoup les obliga-
tions qui lui incombent en vertu du Pacte de la Société des
Nations, car elle se réserve le droit de déterminer de sa propre
autorité qui est l’agresseur.
20 Par le traité de Locarno, la France s’est engagée à ne pas
entreprendre d‘opérations militaires contre l’Allemagne, sauf
a) E n cas de legitime défense,
b) Au cas où la Pologne et la Tchécoslovaquie se trouveraient
attaquées par le Reich.
En dehors de ces deux cas précis, la France a renoncé à
tout recours aux armes à l’égard de l’Allemagne, moyennant
la promesse similaire de la part du Reich et la création d’une
zone démilitarisée sur la rive gauche du Rhin.

A présent, un cas de guerre est prévu où, en dehors des


circonstances précisées dans le traité de Locarno, la France
aurait non seulement le droit, mais le devoir d‘attaquer l’AI-
lemagne : c’est celui où l’Allemagne se trouverait a u x prises
avec YU. R. S. S.
Le 21 mai 1935, Hitler prononce u n discours devant le
Reichstag, où il attire l’attention de l’opinion internatio-
nale sur la gravité du Pacte franco-soviétique:
- L’Allemagne, dit-il, a accepté et garanti par une déclara-
tion solennelle à la France, les frontières telles qu’elles existent
depuis le plébiscite de la Sarre. Sans s’arrêter au passé, 1’Alle-
magne a conclu avec la Pologne un traité excluant tout recours
à la force, ce qui constitue une autre contribution, plus que
précieuse, à la paix européenne, traité que non seulement nous
voulons respecter scrupuleusement, mais au sujet duquel nous
n’avons qu’un désir : celui de le voir se prolonger et se renou-
veler constamment. Nous avons fait cela, bien que nous renon-
cions ainsi définitivement à l’Alsace-Lorraine, pays pour lequel
nous avons fait jadis deux grandes guerresl. Nous sommes
1. Allusion Q son discours du i e r mars 1935. (Voir plus haut, p. 258.)
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 277
convaincus d’avoir ainsi non seulement rendu service à notre
peuple, mais encore à cette région frontière. Nous voulons,
de notre côté, faire-tout ce qui dépend de nous pour arriver
à une véritable paix et à une réelle amitié avec le peuple
français. ..
((Noussommes prêts à augmenter par un traité de non-agres-
sion et d’exclusion de la force le sentiment de sécurité dans
chacun des États voisins de l’Allemagne. Mais il ne nous est
pas possible de compléter de tels traités par des engagements
d’assistance qui ne sont pas supportables pour nous, tant au
point de vue de notre conception du monde, qu’au point de vue
politique et objectif. Le National-socialisme ne peut pas appeler
le peuple allemand au combat pour la conservation d’un sys-
tème qui, au moins dans notre propre pays, s’est révélé comme
notre ennemi le plus acharné. L’engagement pour la paix, oui!
Quant à une assistance de la part des communistes en cas
de guerre, nous ne la souhaitons pas et ne serions pas-pour
notre part - en mesure de l’accorder. Si ceux qui, en Europe
occidentale, portent un jugement sur le bolchévisme, possé-
daient la même expérience pratique que moi, je crois que là
aussi on arriverait à se faire une conception toute différente
des choses.
(( Le traité d’alliance militaire franco-russe a, sans aucun

doute, introduit un élément d’insécurité dans le seul traité


vraiment clair et précieux qui existe en Europe, à savoir
le traité de Locarno. Les interprétations qui, dans ces derniers
temps, ont été faites de divers côtés, sur les obligations résul-
tant de cette nouvelle alliance, proviennent sans doute de
craintes analogues l... Le gouvernement allemand serait tout
particulièrement reconnaissant de recevoir une interprétation
authentique des répercussions et des effets que l’alliance mili-
taire franco-russe a sur les engagements contractuels des
divers signataires du traité de Locarno. De plus, il ne voudrait
pas laisser s’élever le moindre doute sur sa propre opinion, à
savoir qu’il estime que ces alliances militaires sont incompa-
tibles avec l’esprit e t la lettre d u Pacte de la Société des
Nations. 1)

Quatre jours plus tard (25 mai), le gouvernement du Reich


adresse au gouvernement français u n mémorandum résu-
mant la thèse allemande et précisant que (( toute interven-
tion de la France, effectuée en vertu du Pacte franco-sovié-

I . Hitler fait allusion, dans cette phrase, à certaines questions posées à la


Chambre des Communes e t qui trahissaient l’inquiétude d’une partie de l’opinion
anglaise.
278 HISTOIRE DE L’ARM$E ALLEMANDE

tique, serait contraire à l’article 16 du Pacte de la S. D. N.


et signifierait une violatioii du traité de Locarno ».
Le 25 juin, la France répond à ce mémorandum en réfu-
tan t point par point l’argumentation allemande. Le Pacte
franco-soviétique n’est pas une alliance militaire. I1 a été
rédigé de façon à cadrer avec le traité de Locarno et le Pacte
de la S. D. N. La thèse du Reich est donc irrecevable. Si l’Al-
lemagne porte atteinte aux engagements qu’elle a contractés
en vertu du Pacte rhénan - Pacte qu’elle a signé librement
e t dont elle a amorcé elle-même les négociations - c’est
elle, et non la France, qui violera sa parole et les Puissances
occidentales devront en tirer les conclusions qui s’imposent.
Pour plus de sûreté, la France consulte les garants du
traité de Locarno, c’est-à-dire l’Angleterre, l’Italie et la Bel-
gique, sur la validité de ce point de vue. Le 5 juillet, après
quelques hésitations 2, le gouvernement anglais répond (( que
la signature du Pacte franco-soviétique ne change rien a u x
obligations contractées par la Grande-Bretagne )).Les 15 e t
19 juillet, l’Italie e t la Belgique répondent dans le même
sens.
Mais l’Allemagne ne se contente pas de ces explications.
Pour elle, le traité franco-soviétique crée, par sa seule exis-
tence, une situation entièrement nouvelle. I1 pose un pro-
blème politique qui doit être apprécié dans toute son ampleur
e t qui dépasse, par sa gravité, les simples questions de forme.
Par suite de sa conclusion - et de celle du traité russo-
tchèque qui le complète- u un empire asiatique de cent
soixante millions d’habitants se trouve introduit au cœur
des affaires européennes n.
A la fin du mois de juillet, le Reich charge ses am’bas-
sadeurs à Londres, Paris, Rome et Bruxelles de faire savoir
aux différents gouvernements que, malgré les notes reçues,
l’Allemagne maintient son point de vue e t ne considère pas
la question comme réglées.
Au début de 1936, le Reich se livre à une nouvelle démarche
diplomatique. I1 fait savoir à la France, par l’entremise de
1. Voir vol. II, p. 326.
2. En avril, sir John Simon, ministre des Affaires étrangares britannique,
avait télégraphié à Clark, son ambassadeur à Paris : Faites savoir sans arnbagw
à Laval que l’Angleterre s’inquiète de coir la France conclure un iraiid qui pourrait
l‘amener kantuelhnent à participer à una g u m e contre (‘Allemagna, d a m des condi-
tions incornpatibks avw le paragraphe 2 du Pacte de Locarm.~
3. Cf. La revue Socs de0 Natww, numdro du 20 mars 1936.
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 279
son chargé d’affaires à Paris, qu’il est toujours prêt à signer
un pacte de non-agression avec elle, mais qu’il considérera la
ratification du Pacte soviétique par le Parlement français
(( comme un acte inamical à l’égard de l’Allemagne, et incom-

patible avec les obligations du traité de Locarno ».M. Flan-


din répond que la question a déjà été tranchée par les gou-
vernements intéressés et qu’il n’y a plus lieu d’y revenir;
qu’en outre, la France se considère d’ores et déjà comme
engagée vis-à-vis de 1’U. R. S. S. par la signature apposée
au bas du Pacte, le 2 mai 1935.
Désormais les événements roulent sur une pente dange-
reuse.
Le 12 février, la discussion sur le Pacte soviétique s’ouvre
à la Chambre des députés. Le 13 et les jours suivants, les
orateurs se succèdent à la tribune. Au même moment, le
général Toukhatchewsky est à Paris, où il a u n long
entretien avec le général Gamelin.
Cependant, la signature du Pacte rencontre, a u sein d u
Parlement, une opposition assez vive. Le 14, M. Montigny
s’inquiète (( de ce que serait la liberté d’appréciation de la
France, une fois le Pacte et le Protocole complétés par des
accords militaires, lesquels ne seraient pas soumis à la rati-
fication du Parlement ».
Le 19, M. Taittinger met l’opinion en garde contre les
conséquences de cet accord. I1 prédit que sa ratification sera
considérée comme une menace par le Reich, et qu’il lui four-
nira l’occasion de remilitariser la rive gauche du Rhin. Son
discours est haché par les interruptions bruyantes de l’ex-
trême gauche. MM. Philippe Henriot, Marcel Héraud, Jacques
Doriot témoignent tour à tour de leur appréhension. Les
débats se poursuivent dans une ambiance oppressée.
Le 21 février, Hitler tente un ultime effort pour dissuader
la France de ratifier le Pacte. I1 s’adresse directement à
l’opinion française, dans une entrevue accordée à M. Ber-
trand de Jouvenel :
- J e sais ce que vous pensez, d i t 4 à son interlocuteur
français. Vous vous dites : (( Hitler nous fait des déclarations
pacifiques, mais est-il de bonne foi? Est-il sincère? n
u N’est-ce pas un point de vue puéril que le vôtre? Au lieu
de vous livrer à des devinettes psychologiques, ne feriez-vous
pas mieux de raisonner en usant de cette fameuse logique à
280 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

laquelle les Français se déclarent si attachés? N’est-il pas évi-


demment à l’avantage de nos deux pays d‘entretenir de bons
rapports? Ne serait-il pas ruineux pour eux de s’entrechoquer
sur de nouveaux champs de bataille? N’est-il pas logique que
je veuille ce qui est le plus avantageux à mon pays, et ce qui
est le plus avantageux, n’est-ce pas évidemment la paix?
(( Chez vous, on m’imagine tout autre que je ne suis parce

qu’on voit bien que je suis parti de rien pour devenir le ma.ître
de l’Allemagne et que c’est une destinée étonnante et qu’on
croit y trouver des causes extraordinaires. Les uns disent que
c’est par violence que je suis devenu le chef de la nation alle-
mande, mais, vous savez, les quelques camarades que nous
étions au début auraient eu fort à faire pour s’emparer par
la violence d‘une nation de soixante-cinq millions d’habitants!
a On dit aussi que j’ai dû mon succès à ce que j’ai créé une
...
mystique ou bien simplement que j’ai été servi par le hasard.
E h bien, je vais vous dire ce qui m’a porté là où je suis!
a Les problèmes politiques apparaissaient compliqués. Le
peuple allemand n’y comprenait rien ... Moi, j’ai décompliqué
les problèmes. J e les ai réduits en termes simples. Les grandes
...
masses ont compris. Et elles m’ont suivi! Aujourd‘hui je
veux démontrer à mon peuple que la notion d’inimitié éter-
nelle entre la France et l’Allemagne est absurde, que nous
ne sommes nullement des ennemis héréditaires. Le peuple
allemand le comprend. I1 m’a suivi dans une réconciliation
infiniment plus difficile, la réconciliation de l’Allemagne avec
la Pologne.
u Chez vous, on a interprété l’accord entre l’Allemagne et
la Pologne comme un acte de virtuosité diplomatique de ma
part. C’est un compliment, mais qui ne me fait pas plaisir et
qui n’est pas mérité. Simplement, la tension entre l’Allemagne
et la Pologne ne pouvait pas durer. Elle était malsaine, éner-
vante. I1 était logique que je cherche à y mettre fin. J’y ai réussi.
Et tout le peuple allemand s’en est senti soulagé. Et main-
tenant, je veux réussir la même détente avec la France. I1
n’est pas bon que les peuples usent leurs forces psychologiques
en haines infécondes n ...
A ce moment, Bertrand de Jouvenel l’interrompt pour lui
dire :
- Nous autres Français, si nous lisons avec satisfaction
vos déclarations pacifiques, nous n’en restons pas moins
inquiets devant d’autres indices moins encourageants. Ainsi,
dans Mein Karnpf, vous disiez pis que pendre de la France.
Or, ce livre est regardé à travers toute l’Allemagne comme
L’BDIFICATION DU I I I ~REICH 281
une sorte de Bible politique. E t il circule sans que, dansles
éditions qui se succèdent, vous ayez apporté la moindre cor-
rection d’auteur à ce que vous disiez de la France l...

Hitler fait la moue, pose la main sur le bras de son inter-


locuteur, e t répond :
- J’étais en prison quand j’ai écrit ce livre. Les troupes
françaises occupaient la Ruhr. C’était le moment de la plus
grande tension entre nos deux pays. Oui, nous étions ennemis!
E t j’étais avec mon pays, comme il sied, contre le vôtre.
Comme j’ai été avec mon pays contre le vôtre pendant quatre
ans et demi dans les tranchées! Je me mépriserais si je n’étais
pas avant tout Allemand, quand vient le conflit... Mais aujour-
d’hui il n’y a plus de raison de conflit. Vous voulez que je
fasse des corrections dans mon livre, comme un écrivain qui
prépare une nouvelle édition de ses œuvres? Mais je ne suis
pas un écrivain, je suis un homme politique. Ma rectification?
Je l’apporte tous les jours dans ma politique extérieure, toute
tendue vers l’amitié avec la France!
(( Si je réussis le rapprochement franco-allemand comme je

le veux, ça, ce sera une rectification digne de moi! Marecti-


fication, je l’écrirai dans le grand livre de l’Histoire! 1)
Bertrand de Jouvenel lui pose alors cette question :
-
Vous désirez le rapprochement franco-allemand. Est-ce
que le Pacte franco-soviétique ne va pas le compromettre?
Le visage d’Hitler devient grave. Les deux interlocuteurs
sont arrivés a u cœur du sujet.

- Mes efforts personnels vers un tel rapprochement sub-


sisteront toujours. Cependant, dans le domaine des faits, ce
Pacte plus que déplorable créerait naturellement une situation
nouvelle ...
Un moment de silence. Puis, il enchaîne, d’une voix plus
forte :

1. Dans certains passages de Mein Kampf, on lit, en effet, 90la France est
e t restera toujoun l’ennemi no 1 de 1’Allemagne. et que tout nationaliste allemand
doit s’efforcer de l’abattre. Plus tard, Hitler déclarera Ribbentmp que a la plus
grande faute qu’il ait commise a été <le publier les chapitres de Mein Kampf
ayant trait aux questions de politique Btranghre D. (RIBBENTROP, Mbmoires,
p. 37.)
282 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

-Est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous


faites? Vous vous laissez entraîner dans le jeu diplomatique
d’une Puissance qui ne désire que mettre dans les grandes
nations européennes un désordre dont elle sera la bénéficiaire.
I1 ne faut pas perdre de vue le fait que la Russie soviétique
est un élément politique ayant à sa disposition une idée révo-
lutionnaire explosive et des armements gigantesques. Comme
Allemand, j’ai bien le devoir de tenir compte d’une telle sitiia-
tion. Le bolchévisme n’a pas de chances de réussir chez nous.
Mais il y a d’autres grandes nations qui sont moins prémunies
que nous contre le virus bolchéviste...
((Vous feriez bien de réfléchir sérieusement à mes offres
d’entente. Jamais un dirigeant allemand ne vous a fait de
telles ouvertures, ni de si répétées. Et ces offres émanent de
qui? D’un charlatan pacifiste qui s’est fait une spécialité des
relations internationales? Non pas, mais du plus grand natio-
naliste que l’Allemagne ait jamais eu à sa tête! Moi, je vous
apporte ce que nul autre n’aurait jamais pu vous apporter :une
entente qui sera approuvée par 90 % de la nation allemaniie,
les 90 % qui me suivent. J e vous prie de prendre garde à ceci :
(( I1 y a dans la vie des peuples des occasions décisives.
Aujourd’hui la France peut, si elle veut, mettre fin à tout
jamais à ce a péril allemand »,que vos enfants, de génération
en génération, apprennent à redouter. Vous pouvez lever l’hy-
pothèque redoutable qui pèse sur l’histoire de France. Cette
chance vous est donnée, à vous. Si vous ne la saisissez point,
songez à votre responsabilité vis-à-vis de vos enfants. Vous
avez devant vous une Allemagne dont les neuf dixièmes font
pleinement confiance à leur chef, et ce chef vous dit : ((Soyons
(( amis 1! ))

E n formulant ces propositions, Hitler est-il sincère? I1 n’y


a aucune raison sérieuse d’en douter. Eprouve-t-il de l’arni-
tié pour la France? Cette question, en revanche, est dénuée
d e sens. Hitler n’aime que l’Allemagne, ou plus exactement
la conception qu’il s’en fait. Quant à la France, il la consi-
dère comme u n pays versatile et corrompu, dont les diri-
geants n’ont qu’une idée : maintenir son pays à terre
en le ligotant dans les liens d’un traité inique. Sa grandeur
et sa culture lui demeurent étrangères. Malgré son ascension
vertigineuse, le fils du douanier d e Braunau est demeuré,
par certains côtés, u n petit provincial. D’où ses erreurs
psychologiques et sa surprise coléreuse devant certaines
réactions d e l’étranger qu’il n’avait pas prévues...
1. Ls ChanceliCr Hi& M I U dit..., Paru-Midi, numéro du 28 février 1936.
L’I~DIFICATION DU I I I ~REICH 283
Mais alors, comment concilier ces tendances antinomiques?
C’est très simple. Ecraser le communisme est un des axiomes
fondamentaux de son credo politique. Hitler pressent donc
qu’il aura, t ôt ou tard, maille à partir avec la Russie. De
plus, il est invinciblement attiré par les espaces immenses de
l’est européen. C’est là qu’est l’avenir de la nation germanique.
Or, il ne veut à aucun prix qu’en signant un pacte avec la Russie,
la France lui en interdise l’accès, en l’obligeant à combattre
sur deux fronts à la fois, le jour où il voudra atteindre ses
objectifs essentiels. Aussi est-il prêt à prendre tous les
engagements possibles à l’ouest, mais à une condition for-
melle : qu’on lui laisse les mains libres à l’est.
I1 estime enfin que ses propositions sont de nature à
frapper l’esprit des Français et, surtout, à faire réfléchir
les membres du Parlement, déjà très divisés sur la ques-
tion soviétique. I1 pense que son interview, survenant
à ce moment précis, pourrait faire pencher la balance en
faveur de la non-ratification du Pacte. Mais les députés
n’en auront pas connaissance en temps opportun, car la
publication de l’interview sera retardée de sept jours -
et le public n’en sera informé que lorsqu’il sera trop
tard. De ce fait, les propositions formulées par Hitler,
pour clarifier la situation, seront le point de départ d’un
affreux malentendu ...
Le jour même où Hitler tient ces propos à Bertrand de
Jouvenel, M. Herriot prononce un grand discours, dans
lequel il énumère toutes les raisons qui militent en faveur
de la ratification du Pacte. Le 25, M. Flandin, parlant au
nom du gouvernement, s’exprime dans le même sens. Enfin,
le vote a lieu dans la journée du 27. Le Pacte franco-
soviétique est approuvé par 353 voix contre 164.
Les propositions d’Hitler ne sont portées à la connais-
sance du public français que le lendemain de la ratification.
t
* *
Lorsque les lecteurs lisent l’interview du Chancelier dans
le numéro de Paris-Midi du 28 février l, ils ne peuvent
1. Le texte a &té a retenu pour examen D pendant une semaine par les service8
de presse du ministère des Affaires étrangéres. Après quoi, pour en afiaiblir l’effet
il a Bté remis A un journal de midi, d‘un tirage sensiblement moins élev6 que ceux
du matin.
284 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

réprimer un mouvement de surprise. Survenant postérieure-


ment à la ratification d u Pacte, les propositions d’Hitler
prennent une t ou t autre résonance. On en vient à se
demander si ce n’est pas la signature du Pacte qui a amené
Hitler à composition, et l’a incité à formuler des offres
aussi amicales. Mais alors, comme on a eu raison de rati-
fier le Traité, puisqu’il vaut à la France, tout à la fois, la
garantie de Moscou e t des avances de Berlin! Nul doute
que le Chancelier, se résignant à l’inévitable, n’ait trouvé
plus sage de se rapprocher de la France ...
Les milieux gouvernementaux français semblent se rallier à
ce point de vue puisque, dès le lendemain, M. Flandin
charge l’ambassadeur de France à Berlin de demander une
audience au Chancelier, (( pour examiner avec lui ses offres
de paix, qui intéressent vivement le gouvernement français,
e t obtenir de lui des précisions supplémentaires ».
M. François-Poncet se rend donc à la Chancellerie. Mais
l’entrevue se déroule dans une atmosphère tout autre
qu’amicale.
- J e vous fournirai en effet des précisions complémen-
raires, rugit Hitler au comble de la rage. J e répondrai
comme on répond à une escroquerie morale. Car on m’a trahi,
on s’est moqué de moi! Mon interview avec M. de Jouvenel
n’était nullement une approbation de votre Pacte, mais une
dernière mise en garde contre sa ratification. J’ai reçu
Jouvenel il y a plus de huit jours. I1 a très bien compris de
quoi il s’agissait. Mais à Paris, et sans doute aussi dans votre
ambassade, on a retardé la publication de l’article, pour
tromper les Français sur mes véritables intentions!
François-Poncet a beau protester qu’en France, la presse
est libre, que le gouvernement ne peut se permettre une
manœuvre de ce genre e t que lui-même n’a eu connaissance
du texte de l’interview que par la lecture des journaux, le
Führer n’en croit rien e t refuse d’en démordre.
- Mais lisez donc enfin ce que j’ai dit! s’écrie-t-il. Vous
verrez alors clairement que mes propos n’étaient en rien
une approbation du Pacte franco-soviétique! Une France
qui est devenue l’alliée du Kremlin n’est plus la Francle à
laquelle je me suis adressé il y a une semaine. Vous recevrez
ma réponse avant peu!
E n employant ce langage, Hitler croit-il intimider le
gouvernement français? Dans ce cas, il se trompe, car la
L’BDIFICATION DU 11x8 REICE 285
politique d’alliances poursuivie par la France vient d’&tre
considérablement renforcée par la conclusion d u Pacte sovié-
tique. Le réseau de traités qui la lient à la Belgique, à l’Italie,
à la Tchécoslovaquie, à la Pologne et enfin à 1’U. R. S. S.
forme un édifice impressionnant. Objectera-t-on qu’il est
sérieusement handicapé par le caractère purement défensif
des conceptions militaires françaises, fondées sur l’invulnéra-
bilité de la ligne Maginot? Cet argument ne résiste pas à
l’examen. Car la France détient un atout majeur : la démi-
litarisation de la rive gauche du Rhin. C’est une des der-
nières obligations imposées à l’Allemagne par le traité de
Versailles, que Briand et Stresemann ont incorporée au
pacte de Locarno.
La force de la France repose donc essentiellement sur la
faiblesse de l’Allemagne, dans une région qui est pour elle
d’une importance stratégique et économique primordiale. E n
cas de conflit, la France peut réoccuper la Rhénanie avant
même que les premiers éléments de l’armée allemande aient
franchi les ponts du Rhin. (( La Rhénanie démilitarisée, écrit
Peter Kleist, est u n gage que la France peut saisir à tout
moment, u n flanc ouvert où elle peut couper d’un seul trait
les artères économiques e t stratégiques de la résistance
allemande. Elle est le fer de lance de sa politique exté-
rieure, comme la ligne Maginot est le pilier de sa sécurité
intérieure l. ))
Seulement, ce gage elle ne peut s’en saisir qu’à condition
d’être assurée de l’appui de ses alliés. Or, leur concours lui
est-il acquis? C’est là toute la question.,.

Pendant deux jours e t deux nuits Hitler s’enferme dans


son bureau e t travaille sans répit 2. Puis, après avoir lon-
guement pesé le pour et le contre, il décide de jouer son
va-tout.
Le 6 mars, il réunit ses collaborateurs les plus proches
et leur fait part de sa décision : répondre à la ratification
du Pacte franco-soviétique par la remilitarisation de la
Rhénanie.
1. Peter KLEIST,
Auch Du warst dab& p. 127.
Z Know thsssDictators, p. 17.
2. Cf. Ward PRICE,
286 HISTOIRE DE L’ARYÉE ALLEMANDE

- C’est maintenant ou jamais qu’il faut agir, affirme-t-il


d‘un ton péremptoire.
Un silence de mort succède h ses paroles. Les assistants
sont atterrés. Hitler se rend-il compte des risques auxquels
il s’expose? Comment peut-il croire que la France se laissera
arracher son dernier atout sans réagir? Comment peut-il
accepter, après la série de succès qu’il a remportés, de tout
remettre en cause sur un simple coup de dés? A leurs yeux,
la remilitarisation de la Rhénanie est un acte de foliel.
Au bout d’un long moment, le général von Blomberg se
décide à exprimer ses appréhensions. A l’aide de chiffres pré-
cis, il démontre au Führer que l’infériorité militaire de 1’Alle-
magne, tant au point de vue des effectifs que des armements,
la met dans l’impossibilité de répondre à une riposte fran-
çaise. La nouvelle Wehrmacht est plus faible qu’il y a deux
ans, parce qu’elle est en pleine réorganisation. Les recrues
de la classe 14, incorporées en novembre 1935, n’ont reçu
que six mois d’instruction. Les cadres sont insuffisants.
Quant au matériel - notamment en ce qui concerne les
avions et les chars - il est encore loin d’être au point. I1
faut encore deux ans à la Wehrmacht, avant qu’elle puisse
subir l’épreuve du feu. Telle qu’elle est en ce moment, elle
sera écrasée. MM. von Neurath e t Schacht interviennent
dans le débat. Ils font les plus expresses réserves sur le
succès de l’entreprise, en se plaçant au point de vue diplo-
matique e t financier.
Mais Hitler refuse de se laisser influencer par l’avis de
ses experts.
- Tous les dangers que vous me dépeignez seraient peut-
être vrais en cas de réaction française, leur répond-il. E n
réalité, ils sont illusoires, car la France ne bougera pas.
- E n êtes-vous certain? insiste Neurath.
- J e vous répète que la France ne bougera pas. Exécu-
tez mes ordres, e t fiez-vous à moi pour le reste!

* +

Le lendemain matin, 7 mars, Hitler monte à la tribune

1. .Si la France tient le moins du monde à sa sécurith, elle doit agir B tout
prix, tel &ait le raisonnement que nous faisions tous à la Wiihelmstrasse. D ( P a d
SCHMIDT, Slntkt nuf Diplorndischer BUhne, p. 93.)
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 287
d u Reichstag e t déclare a u x députés, qu’il a convoqués
d‘urgence :

a Aux offres amicales et aux assurances pacifiques que


l’Allemagne n’a cessé de lui réitérer, la France a répondu par
une alliance militaire avec l’Union soviétique, qui est exclusi-
vement dirigée contre l’Allemagne e t qui constitue une viola-
tion du Pacte rhénan. Dès lors le traité de Locarno a perdu
toute signification et a pratiquement cessé d’exister. Le Gou-
vernement allemand ne se considère plus lié à ce Pacte caduc.
I1 se voit désormais contraint de faire face à la nouvelle
situation créée par cette alliance, situation qui se trouve
encore aggravée par le fait que le traité franco-soviétique
est assorti d’un traité d’alliance parallèle entre la Tchécoslo-
vaquie et I’U. R. S. S. En vertu du droit inaliénable que pos-
sède chaque peuple de garantir ses frontières e t de sauvegar-
der ses moyens de défense, le gouvernement allemand a rétabli,
4 la date de ce jour, la pleine e t entière souveraineté du Reich
sur la zone rhénane démilitarisée.
u A l’heure historique où je vous parle, les troupes alle-
mandes viennent de pénétrer dans les provinces occidentales
du Reich, pour y occuper leurs garnisons du temps depaix ... N

Et c’est exact. Au moment même où Hitler est monté


à la tribune, les régiments de la Wehrmacht se sont mis en
marche pour la Rhénanie. C’est le colonel Gallenkamp, ancien
adjoint du colonel von Blomberg au Truppenamt, qui a
dressé les plans de l’opération.
Vers midi, un bataillon du 39e régiment d’infanterie
débarque à Cologne-Kalk. Au même instant, les premiers
avions militaires font leur apparition dans le ciel. Volant
à basse altitude, dans un tonnerre assourdissant, une esca-
drille de chasse décrit un cercle au-dessus des flèches de la
cathédrale et disparaît à l’ouest, bientôt suivie par une
deuxième, puis par une troisième escadrille.
Une foule compacte borde les rues qui descendent vers
le Rhin. E n quelques minutes, les berges du fleuve et le
centre de la ville se sont remplis de monde.
A 12 h. 50, le premier oficier de la nouvelle armée alle-
mande franchit le pont Hohenzollern. Le bourgmestre de
Cologne, M. Riesen, s’avance vers lui pour lui souhaiter la
bienvenue.
- Nous sommes fiers e t émus, lui répond le commandant
288 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

d u détachement, d’être les soldats auxquels le Führer B


ouvert les routes de la Rhénanie.
A 13 heures apparaît le premier canon. Puis se succèdent
plusieurs batteries d’artillerie lourde, des sections de chars
et des troupes motorisées venues de Langenberg.
De nouvelles escadrilles sillonnent le ciel. Le bourdon de
la cathédrale se met en branle, mêlant la clameur du bronze
au vrombissement des moteurs. E n moins d‘une heure,
toute la ville de Cologne s’est transformée en une mer de
drapeaux. La foule acclame frénétiquement les troupes qui
défilent sur la place de la Poste. Des jeunes filles lancent.
des fleurs aux officiers et aux soldats. A la tension angoissée
des premières minutes succède, à présent, un enthousias me
délirant.
Au même instant, des scènes identiques se déroulent dans
toute la Rhénanie. A Cologne, à Coblence, à Mayence:, à
Mannheim, les ponts résonnent sous le pas cadencé des
soldats.
I1 y a dix-huit ans, dans le demi-jour brumeux d e
novembre, ces mêmes ponts vibraient sous le pas morne des
armées de l’ouest, qui rentraient du front, défaites e t haras-
sées. Péniblement, quoique en bon ordre, les hommes avan-
çaient, vêtus de tuniques rapiécées, le regard rempli d’un
désespoir tragique, portant leurs fusils inutiles e t soutenant
leurs camarades dont les pieds étaient ensanglantés l.
A présent, le mouvement s’effectue en sens inverse,
sous la clarté radieuse d’une journée de printemps. Les
soIdats qui défilent sont les jeunes recrues de la classe 14.
Ils sont vêtus d’uniformes et d’équipements neufs, et dans
leurs yeux brille une résolution ardente. A dix-huit ans d e
distance, ces deux scènes symétriques semblent ouvrir e t
fermer une période de l’histoire allemande.
Pendant tout l’après-midi, 19 bataillons e t 13 batteries,
accompagnés de leurs services d’approvisionnement, de sec-
tions d’ingénieurs e t de détachements auxiliaires, soit en
tout 30.000 hommes environ, sillonnent les routes de la Rhé-
nanie e t du Palatinat, marchant eii direction de la frontière
française. A 18 heures, elles s’installent dans leurs nouvelles
garnisons. Ce ne sont encore que des détachements sym-
boliques, c’est-à-dire des unités à effectifs réduits, opérant

1. Voir vol. I, p. 59 e t S.
L’ÉDIFICATIONDU I I I ~REICH 289

LA REMILITARISATION D E LA RIVE G A U C H E DU RHIN


(7 mars 1936).
XU 19
290 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

isolément e t dépourvues d’un commandement unique. Mais


le lendemain e t les jours suivants, l’arrivée des renforts se
poursuit. Quarante-huit heures plus tard, la rive gauche d u
Rhin est occupée.

* *

En apprenant que les sentinelles de la Wehrmacht montent


de nouveau la garde sur le Rhin et que Strasbourg est à la
merci des canons allemands, le monde retient son souffle.
Que va faire l’Europe? Surtout, que va faire la France,.qui
voit disparaître ainsi une des pierres angulaires de sa politique
extérieure? Va-t-elle répondre par la force au geste d’Hitler?
Certes, il lui serait facile d’écraser les petits détachements
symboliques qui ont franchi le Rhin. Les généraux allemands
le savent, e t c’est pourquoi ils ont peine à maîtriser leur
inquiétude. Quant à Hitler lui-même, il reconnaîtra plus tard
i( qu’il a vécu ces journées sous le poids d’une angoisse
qu’il espère bien ne plus revivre, fût-ce dans dix ans 1)
Pour lui, comme pour 1’Alicmagne entière, la question est
la même : que va faire Paris?
Sur les bords de la Seine, l’émotion est à son comble.
Quelques instants avant qu’Hitler ne prononce son discours,
M. von Neurath a remis à M. François-Poncet, un ménio-
randum dans lequel le Reich propose à la France la conclu-
sion d’un pacte de non-agression d’une durée de vingt-cinq
ans. Sitôt en possession de ce texte, M. Albert Sarraut
a convoqué un conseil de Cabinet. C’est un samedi, e t
plusieurs ministres sont absents. Sarraut veut agir vite,
aussi vite qu’Hitler. Mais l’Angleterre, la Belgique et 1’ Italie
sont les garants de Locarno. Avant de faire quoi que ce
soit, il doit les consulter. Aussi renvoie-t-il ses ministres
chez eux, pour se donner le temps de se concerter avec ses
alliés.
C’est seulement le lendemain matin, 8 mars, que le Conseil
des ministres peut se réunir.au grand complet, sous la pré-

1. Hitler a déclaré un jour en ma présence, écrit Paul Schmidt, que les vingt-
quatre heures qui avaient suivi l’entrée des troupes allemandesen Rhenanie avaient
été parmi les plus tendues de sa vie. a Si les Français étaient entrés en Allemagne,
comme je l’ai cru possible durant ces vingt-quatre heures, assura-t-il, j’aurais été
obligé de me retirer, à ma courte honte. D (Op. cit., p. 93.)
L’ÉDIFICATION DU III@ REICH 291
sidence de M. Lebrun. M. Flandin, ministre des Affaires étran-
gères, commence par faire le point de la situation :
- La Rhénanie est occupée, déclare-t-il. Bien que ce ne
soit que par des détachements symboliques, le fait n’en est
pas moins patent. Le pacte de Locarno est déchiré. E n
échange, Hitler nous propose un pacte de non-agression
d’une durée de vingt-cinq ans. I1 offre également d’établir,
de part e t d’autre de la frontière franco-allemande, une zone
démilitarisée, dont le gouvernement français fixera lui-même
la profondeur l,
- Entrer dans ces vues serait s’incliner devant le coup
de force, objecte Sarraut. I1 ne saurait être question de négo-
cier sous la menace...
D’un avis unanime, les propositions allemandes sont
considérées comme irrecevables.
- J’ai pris contact avec Londres, poursuit M. Flandin.
Nous nous sommes mis d’accord pour convoquer irnmédiate-
ment à Paris une conférence des Puissances signataires du
traité de Locarno.
-C’est bien, mais ce n’est pas sufisant! s’exclame M. Paul-
Boncour. Chaque heure qui s’écoule renforce la position
allemande. I1 faut que notre réponse soit fulgurante et
immédiate. ..
-Allons-nous rendre coup pour coup? demande M. Georges
Mandel, ministre des P. T. T. et de l’Alsace-Lorraine, ou
allons-nous nous enliser dans des arguties juridiques?
Le Conseil des ministres proclame en conséquence K que la
provocation allemande est un acte d’hostilité, qui exige une
riposte militaire de la part des signataires du traité de
Locarno ».Un appel dans ce sens leur sera adressé dans la
journée. Pour donner plus de poids à sa requête, le gouver-
nement français ordonne :
10 De faire occuper la ligne Maginot par ses effectifs de
temps de guerre;
20 De faire remonter d u Midi les divisions nord-africaines
pour les concentrer en bordure de la frontière allemande;
30 De supprimer toutes les permissions pour les troupes
stationnées dans les départements du nord et de l’est;

I. Cette profondeur ne saurait être bien grande, puisque la ligne Maginot borde
la frontière franco-allemande. Accepter une zone démilitarisée de plusieurs kilo-
métres entraînerait le démantèlement de notre système fortiîié. Hitler ne l’ignore
pas.
292 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

40 De proclamer l’état d’alerte sur toute l’étendue d u ter-


ritoire.
A 14 heures, M. Sarraut prononce u n discours à la radio :
(( L’Allemagne, déclare-t-il, vient de réoccuper la rive gauche

du Rhin. Elle ne s’est résolue à ce geste que parce qu’elle


sait la France divisée... Mais la France a toujours su s’unir
devant le péril extérieur. J e le déclare solennellement : jamais
la France ne négociera avec l’Allemagne, aussi longtemps
que Strasbourg sera à portée des canons allemands! ))

Sarraut a parlé de son appartement de i’avenue Victor-


Hugo. Mais sa journée est loin d’être terminée. Dans le cou-
rant de l’après-midi, il reçoit les ministres des trois armes,
le général Maurin, ministre de la Guerre; M. François Pietri,
ministre de la Marine; M. Marcel Déat,-ministre de l’Air, en
présence du général Gamelin, chef d’Etat-Major Général.
- Alors, où en sommes-nous? leur demande-t-il avec viva-
cité. Quelles mesures pouvons-nous prendre, pour répondre
à la provocation allemande? Quelle est la situation de notre
armée et quels délais lui faut-il pour entrer en action?
La réponse qu’il reçoit lui fait l’effet d’une douche glacée.
Oui, les unités frontalières sont en état d’alerte. Oui, la ligne
Maginot est occupée. Derrière elle, les divisions nord-afri-
caines remontent du Midi. M a i s là s’arrbent nos possibilités.
- Nous porter en avant de la ligne Maginot ne serait pas
conforme aux intérêts d u pays, afirme le général Gamelin.
-Ne pourrait-on a u moins réoccuper la Sarre, en y
envoyant quelques unités légères? insiste Sarraut.
- A moins de les soutenir par plusieurs divisions nor-
males, ce serait très risqué, répond Gamelin.
-Qui nous en empêche?
- Pour disposer des effectifs nécessaires, il ne s u fit pas
de rappeler les permissionnaires. I1 faudrait décréter la
mobilisation générale ...
Le général est ému. I1 parle à voix basse, mais son dia-
gnostic est formel. Impossible d’aller plus loin. La France
est prisonnière de ses fortifications, comme la Belle a u Bois
Dormant de son palais enchanté l.
L’Allemagne a-t-elle gagné? Pas encore. Elle n’a obtenu
qu’un répit. Sa situation demeure précaire. La France a
1. Cf. Peter KLEIST,Auch Du warst dabei, p. 129.
L’ÉDIFICATION DU 1110 REICH 293
procédé à un début de mobilisation. Elle a alerté ses alliés.
Elle a reçu des promesses de soutien militaire de la part
de la Pologne et des membres de la Petite Entente 1. Or,
chacun de ces pays dispose d’une armée plus forte que la
Wehrmacht de 1936, De ce fait, un mécanisme se trouve
mis en marche, qui peut fort bien aboutir à une guerre géné-
rale. Tout dépend à présent de l’attitude de l’Angleterre.
Flandin ne s’est pas contenté de saisir la Société des Nations
d’une plainte contre l’action unilatérale de l’Allemagne : il
a téléphoné à Londres, pour demander au gouvernement
anglais de procéder sur terre, sur mer e t dans les airs, à
une mobilisation parallèle à celle de la France.
Mais l’Angleterre ne veut à aucun prix s’engager dans
cette voie. Elle n’entend pas remettre en cause l’accord naval
qu’elle a conclu avec l’Allemagne moins de neuf mois aupa-
ravant. De plus, la signature du Pacte franco-soviétique n’a
pas été vue d’un très bon œil sur les bords de la Tamise. Des
voix se sont élevées pour en dénoncer les dangers. Lord
Astor a prévenu le gouvernement britannique que cet accord
pourrait fort bien être le point de départ d’une révolution
communiste en Europe. Lord Lothian estime qu’il vaudrait
mieux dissuader la France de poursuivre sa politique aven-
tureuse, plutôt que de l’y encourager. Bref, l’opinion anglaise
n’est nullement prête à affronter une guerre pour empêcher
l’Allemagne de réoccuper la rive gauche du Rhin.
Dans la soirée, les représentants des Puissances signataires
du traité de Locarno arrivent à Paris pour y conférer avec
M. Flandin. M. Anthony Eden et lord Halifax représentent
l’Angleterre; M. van Zeeland, la Belgique et M. Cerutti,
l’Italie. M. Flandin commence par exposer le point de vue
français :
- Nous sommes suffisamment armés, à nous seuls, pour
obliger l’armée allemande à évacuer le territoire qu’elle a
occupé en violation des traités, déclare-t-il d’une voix forte.
Cette violation est flagrante. Le droit pour la France d’agir
est incontestable. Pour respecter le désir de la Grande-Bre-
tagne, la France a saisi la Société des Nations, afin que le
Conseil constate le manquement dans les plus brefs délais.
Mais parallèlement, la France a pris et va prendre des
mesures militaires préparatoires à l’intervention qu’elle

1. La Tohéooslovaquie,la Roumanie et la Yougoslavie.


294 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

estime indispensable. Elle ne se propose pas d’agir seule-


ment pour assurer sa propre sécurité, mais pour garantir
dans l’avenir les clauses territoriales d u traité de Versailles
et aussi pour être en mesure d’honorer les obligations qu’elle
a contractées, dans le cadre du Pacte de la S. D. N., envers
l’Autriche, la Pologne et la Tchécoslovaquie I...
Ce langage est justement celui que l’Angleterre ne veut
pas entendre. Aussi M. Eden répond-il (! qu’il a reçu mission
du gouvernement britannique de presser le gouvernement
français de ne rien entreprendre à l’égard de l’Allemagne qui
soit susceptible de créer u n danger de guerre ».
Lord Halifax prend à son tour la parole pour affirmer que
le litige créé par la réoccupation de la Rhénanie doit être
réglé par voie de négociations et que le gouvernement de
Sa Majesté est prêt à assumer le rôle de médiateur.
- De plus, poursuit-il, le Chancelier Hitler a présenté un
ensemble de propositions dont quelques-unes, au moins,
méritent d’être retenues. Enfin, aucune décision ne saurait
être prise avant la réunion du Conseil de la Société des Nations,
dont l’intervention est considérée comme indispensable, aussi
bien par le Parlement que par l’opinion britanniques.
M. van Zeeland, délégué belge, déclare partager entiène-
ment le point de vue britannique. M. Cerutti ne parle guère,
mais le peu qu’il dit sufit à faire comprendre que l’Italie,
est, elle aussi, hostile à toute intervention. M. Flandin s’ef-
force en vain de les faire changer d’avis. (( Le monde entier,
et particulièrement les petites nations, ont aujourd’hui les
yeux fixés sur l’Angleterre, s’écrie-t-il en se tournant vers
les délégués britanniques. Si l’Angleterre agit, elle peut
prendre la tête de l’Europe ..., c’est sa dernière chance. Si
elle n’impose pas maintenant un arrêt à l’Allemagne, alors
tout est perdu ... )) Mais ses efforts sont vains. Ses interlo-
cuteurs lui opposent u n refus poli, mais formel.
Le 12 mars, il a une entrevue avec Nevile Chamberlain.
Le Chancelier de l’Échiquier, qui ne va pas tarder à devenir
Premier ministre, lui explique avec franchise pourquoi les
ministres britanniques se montrent si réticents. (( L’opinion
anglaise ne les soutiendrait pas, s’ils s’engageaient dans la
voie des sanctions, quelle qu’en soit la nature 2. ))
1. Pierre-Étienne FLANDIN, Pourquoi la France n’est-elle pas intervenw miü-
&irement en Rhénanie le 7 mars 1936?, L’Aurore, 8 mars 1951.
2. Keith FBILING, The Lifs of N w i b Chamberluin, p. 279.
L’ÉDIFICATION D U I I I ~REICEI 295
Que peut espérer, dans ces conditions, le ministre français
des Affaires étrangères? Faire cavalier seul, comme le vou-
drait Churchill1? E n paroles, c’est facile. Mais en fait? Flan-
din n’ignore pas les réticences d u Haut-Commandement
français e t sait que le général Gamelin a exposé au président
Sarraut les dificultés auxquelles se heurterait une action
militaire. I1 ne lui reste donc qu’à attendre la réunion d u
Conseil de la Société des Nations, qui a été convoqué à
Londres, pour le 14 mars.
Le lendemain de la Conférence de Paris, Eden demande
au gouvernement allemand (( de conserver à sa réoccupation
un caractère symbolique et de ne pas procéder à l’érection
de fortifications ».
Hitler le prend de haut :
-Voilà de charmants voisins, dit-il à Neurath, qui pré-
tendent m’interdire de verrouiller ma porte!
I1 donne à son ministre des Affaires étrangères l’ordre de
repousser toute discussion tendant à limiter la souveraineté
allemande en Rhénanie. C’est tout au plus s’il consent à ne
pas augmenter l’effectif de ses troupes pendant la durée des
négociations e t à ne pas les rapprocher des frontières fran-
çaise et belge.
- Décidément il est fou! se dit von Neurath. Avec ses
prétentions excessives, il va tout faire écrouler ...
Le 14 mars, le Conseil de la Société des Nations se réunit
à Londres, au palais Saint-James, où a été ratifié en 1925
le traité de Locarno. Le délégué australien, M. Bruce, pré-
side la séance. M. Flandin prend le premier la parole pour
démontrer que l’Allemagne a violé l’article 43 du traité de
Versailles, e t demander au Conseil de prononcer sa condam-
nation. I1 suggère également que l’on soumette la question
à la Cour internationale de La Haye, pour qu’elle dise si le
Pacte franco-soviétique est en contradiction ou n o n avec
le traité de Locarno.
La discussion juridique se poursuit pendant plusieurs jours,

1. a Si le gouvernement français de l’époque avait été A la hauteur de sa tâche,


&?rira-t-ilplus tard, il aurait décrét8 immédiatement la mobilisation générale et
aurait obligé par la tous les autres à le suivre... AprBs tout, il s‘agissait pour la
France d’être ou de ne pas être. Tout gouvernement français digne de ce nom
aurait pris de lui-même cette initiative, en s’en remettant pour le reste aux obli-
gations des traités. P
Si L‘on comprend bien la situation, chacun voudrait que son voisin s’engage le
premier.
296 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

mais c’est le 18mars que M. Eden prononce les paroles décisives :


- I1 est évident, déclare-t-il, que l’entrée des troupes alle-
mandes en Rhénanie équivaut à une violation d u t,raité de
Versailles. Toutefois, cette action ne représente pas une
menace pour la paix et n’exige pas la riposte directe, prévue
dans certains cas par le traité de Locarno. Sans doute la
réoccupation de la Rhénanie compromet-elle la puissance
de la France; mais elle ne compromet nullement sa sécurité.
Quant à l’Italie, on ne saurait en attendre u n soutien
enthousiaste, car la Société des Nations n’a cessé de la
condamner depuis le début de la campagne d’Abyssinie. C’est
ce que son délégué, M. Grandi, laisse entendre sans ambages.
-L’Italie est à la fois la garante de Locarno e t l’objet
de sanctions. C’est là une situation dont la contradiction
saute aux yeux. Peut-on, sans ambiguïté, assumer le rijle
de juge, quand on se trouve soi-même en posture d‘accusé?
Le 19 mars, M. von Ribbentrop comparaît devant le
Conseil. Ce n’est pas une conférence diplomatique : c’est u n
véritable tribunal. M.Litvinoff y siège, en qualité de délégué
soviétique à la S. D. N. Sa satisfaction s’exprime par u n
large sourire, qu’il s’efforce de dissimuler derrière u n journal
déplié - u n numéro d u Times dans la lecture duquel il
fera mine de se plonger, durant to u t l’exposé du délégué
allemand. L’ambassadeur extraordinaire du Führer sait qu’il
a affaire à un aréopage qui ne se laissera influencer par
aucun de ses arguments. Aussi, renonçant à toute analyse
juridique, aborde-t-il le problème sous son angle politique :
(( Le Chancelier Hitler, déclare-t-il, a formulé toute une

série de propositions en faveur de la paix. On n’en a tenu


aucun compte.
(( I1 a proposé un désarmement généra1 : on l’a repoussé.

(( 11 a proposé un armement paritaire, basé sur des armees

de 200.000 hommes : on l’a repoussé.


(( I1 a proposé d’élever ce chiffre à 300.000 hommes : on l’a

repoussé.
(( I1 a proposé un pacte aérien :on l’a repoussé.

Dans son discours du 21 mai 1935, il a proposé un ensemble


de mesures destinées à assurer la paix en Europe : on n’en a
rien retenu, en dehors des dispositions relatives au désarme-
ment sur mer, qui ont servi de bases à raccord naval ger-
mano-anglais.
(( Le Chancelier du Reich a réitéré sans cesse ses offres de

-
paix et qu’il me soit permis de le dire ici -lui-même e t
L’BDIFICATION DU I I I ~REICH 297
toute l’Allemagne ont espéré que le Pacte franco-soviétique
ne serait pas ratifié.
c Lorsque, passant outre à ses offres et à ses mises en garde
le Parlement français a ratifié ce Pacte, le Chancelier du
Reich, conscient de ses lourdes responsabilités envers le peuple
allemand, en a tiré la seule conclusion qui s’imposait. Il a
rétabli la souveraineté allemande sur tout le territoire du Reich.
(( En agissant ainsi, le gouvernement allemand s’est fondé

sur les faits suivants :


(( 10 Par suite de l’action unilatérale de la France, l’esprit

et la lettre du Pacte de Locarno ont été si radicalement


faussés, que le Pacte lui-même a perdu sa validité.
(( 20 Par suite de la nouvelle alliance militaire conclue entre

la France et I’U. R. S. S., l’Allemagne a été contrainte de


recourir sans délai au droit élémentaire qu’a toute nation
d’assurer la sécurité de son propre territoire.
(( C’est pourquoi le gouvernement du Reich rejette catégo-
riquement, comme dénuée de tout fondement, l’accusation
d’avoir violé unilatéralement le traité de Locarno. I1 est maté-
riellement impossible de violer un accord que les agissements
de l’autre signataire ont déjà rendu caduc. 1)

Après cet exposé, Ribbentrop revient sur les propositions


de paix d’Hitler :
(( Le contenu et la portée des propositions allemandes, se

passent de commentaires. Elles sont si larges et si complètes


que tout homme d’État, animé d’un amour sincère pour
l’Europe, ne peut que souhaiter leur mise en application rapide.
(( Puisse le Conseil, surmontant ses sentiments actuels,
prendre conscience de leur signification historique et recon-
naître qu’il tient entre ses mains les instruments grâce aux-
quels il est possible de repousser le spectre de la guerre et
de mener une Europe inquiète sur le chemin de la paix. D

Cette intervention est habile, car elle tend à effacer le


passé en faisant miroiter des promesses d’avenir. Mais dans
les coulisses de la Conférence, la majorité des délégués se
sont mis d’accord pour se borner à (( prendre acte )) des décla-
rations de Ribbentrop. Celles-ci ne seront pas soumises à
discussion et aucune réponse ne leur sera faite l. Sitôt que
1. Le délégué soviétique Litvinoff se prépara k me répondre, écrit Ribbentrop.
A ce moment, Eden, qFi s’était efforcé depuis le début de dégeler l’atmosphère,
s’approcha de lui e t lui parla. I1 obtint qu’au lieu de réfuter mes arguments, le
représentant russe se retranchât de nouveau derrière son journal. ~i (Mérnoirsr,
p. 69.)
298 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE

le représentant du Reich a cessé de parler, M. Bruce lève


la séance.
Lorsque les membres du Conseil se réunissent de nouveau
après la suspension de midi, aucun débat n’a lieu. Les délé-
gués se contentent de déclarer ((que l’article 43 du traité
de Versailles a été violé par l’Allemagne D.
C’est, pour le Reich, un constat de culpabilité. Mais u n
constat tout platonique, car Hitler n’est pas sommé de reti-
rer ses troupes. I1 n’est question ni d’intervention militaire, ni
de représailles, ni de sanctions d’aucune sorte. Au contraire.
L’Allemagne s’attendait à une condamnation : elle obtient
un sptisfecit.
La délégation française n’est d’ailleurs pas au bout de ses
étonnements. (( E n prenant cette décision, déclare M. Bruce
avant de clore la séance, le Conseil n’a pas encore achevé
sa mission. I1 incombe à présent aux Puissances les plus
directement intéressées de se réunir pour trouver une solu-
tion constructive. Les déclarations de la France et de la
Belgique ont été empreintes d’une modération qui leur a
valu la considération de tous. De son côté, le chancelier
Hitler a renouvelé sa volonté de coopération : elle nous a
été confirmée ce matin même par son représentant person-
nel. J e suis convaincu, dans ces conditions, qu’une solution
sera trouvée. 1)
Les membres du Conseil écoutent M. Bruce en silence. Puis
ils se séparent sans ajouter u n mot.
Cette déclaration finale, dont les termes inattendus sont
une invite directe à la reprise de négociations, a-t-elle été
préparée en coulisse par le délégué de l’Australie et le Cabi-
net britannique? On serait tenté de le croire. Car dès le len-
demain, Eden prend contact avec Ribbentrop, comme si rien
ne s’était passé, (( pour examiner dans quelle mesure il serait
possible de concilier ce qui subsiste du traité de Locarno
avec le nouveau plan de paix proposé par le Führer ».Une
seule concession sera faite à la France : pour lui rendre la
pilule moins amère, le gouvernement anglais consent- à ce
qu’une collaboration plus étroite s’établisse entre les Etats-
Majors français et britannique. Comme Ribbentrop s’en
inquiète, ses interlocuteurs lui font comprendre que les
conversations militaires franco-anglaises ne seront qu’une
simple formalité ...
L’ÉDIFICATION DU III’ REICH 299

* *
L‘incroyable est arrivé :Hitler a gagné. Malgré les conseils
de ses généraux e t les avertissements de ses diplomates, il
a engagé une partie qu’il n’avait pas cinq chances sur cent
de mener à bien. Et pourtant, il l’a emporté sur toute la
ligne.
- E h bien, messieurs les généraux, dit-il aux chefs de la
Wehrmacht, qui d’entre nous avait raison? Vous aviez tort
d’être pessimistes. Je vous avais bien dit que la France ne
bougerait pas ...
Contre toute vraisemblance, sa prédiction s’est réalisée.
Du coup, ses collaborateurs deviennent plus circonspects.
Désormais, ils y regarderont à deux fois avant de le
contredire. Devant la certitude infaillible qui l’anime, ils
coinmencent à se méfier de leur propre jugement l.
Hitler, de son côté, se libère de plus en plus de l’influence
de ses conseillers. Pourquoi écouterait-il des hommes dont
les regards semblent obnubilés par les souvenirs de la défaite?
- Votre façon de maneuvrer, en 1914, fait-il remarquer
sarcastiquement aux dirigeants de la Wilhelmstrasse, n’a pas
été non plus un chef-d’ueuvre de perspicacité ...
Gcebbels est aussitôt chargé d’organiser un referendum
pour demander au peuple allemand (( s’il approuve l’œuvre
accomplie par le Reichsführer au cours des trois dernières
années n. Posée en ces termes, la réponse ne saurait faire de
doute.
Le scrutin a lieu le 29 mars. 44.411.911 vois - soit 99 %
de l’ensemble des votants - répondent (( oui n à Hitler. C’est
la plus forte majorité qu’il ait jamais recueillie.
Le 20 avril 1936, quarante-septième anniversaire du Führer,
celui-ci élève le général von Blomberg à la dignité de Feld-
maréchal. Le même jour, le général von Fritsch, comman-
dant en chef de l’armée de terre, est promu au rang de
Colonel-Général.
1. (<LeConseillerd’ambassnde Forster avait été envoyé exprés à Paris, à la veille
de la réoccupaiion, pour s’iniormer sur l’attitude éventuclle des Français. II avait
assuré dans son rapport que ceux-ci réagiraient violemment. Lorsque sa prédiction
ne se réalisa pas, il fut naturellcment mis à l’kart. L’absence de toute réaction,
i la suite de la remilitarisation de la Rhénaiiic, accrut le prestige d’Hitler dans
la mesure mCme oii elle diminua le crédit de ceux qui avaient surestimé la résolu-
tion de la France et de l’Angleterre. Y (Paul SCHMIDT, op. &., p. 93.)
300 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

Ces deux hommes ont été opposés à la remilitarisation de


la Rhénanie. Pourtant le Chancelier les récompense, comme
s’ils venaient de remporter une victoire personnelle. Ils
savent qu’Hitler n’a plus la même confiance en eux.. Ils
n’en acceptent par moins la distinction qu’il leur confère.
Peuvent-ils s’en aller s?us prétexte que l’opération a, été
couronnée de succès? Evidemment non. Ils se discrédite-
raient eux-mêmes e t porteraient u n coup sensible au pres-
tige de l’armée. Mieux vaut que personne ne sache que la
décision du Führer a été prise à l’encontre de leurs recom-
mandations les plus formelles ...
E t de fait, le peuple ignore tout de ces divergences d’opi-
nion. I1 ne voit que les résultats :le 16 mars 1935,le Fiihrer
a rendu à l’Allemagne sa liberté d’action militaire. Le
7 mars 1936, il a rétabli sa souveraineté militaire sur tout
le territoire du Reich. C’est assez pour justifier son appro-
baiion enthousiaste.
xv

L’ANNÉE OLYMPIQUE
(1936)

Le reste de l’année est rempli par une suite ininterrom-


pue de fêtes e t de réceptions dont les Jeux Olympiques
sont l’événement le plus marquant. C’est, pour tous, une
période de répit e t de détente. (( Dans l’histoire du régime
nazi, écrit François-Poncet, la célébration des Jeux Olym-
piques à Berlin, en août 1936, marque u n haut moment,
une sorte de point culminant, sinon d’apothéose pour Hitler
e t le IIIe Reich. A certains égards, elle évoque le souvenir
des journées napoléoniennes d’Erfurt, en 1808. Las des émo-
tions qui, à la suite de l’occupation de la Rhénanie, leur a
fait redouter d’être, de nouveau, emportés dans la tourmente
d’une conflagration générale, les esprits se laissent aller à
l’impression qu’un cauchemar s’est dissipé, à l’espoir que
des temps meilleurs s’annoncent, au sein d’une paix qui ne
sera plus troublée, puisque l’Allemagne a réalisé son dessein
avoué! qui était de se libérer des chaînes de Versailles.
(( Hitler s’est imposé à l’Europe comme u n personnage

extraordinaire, poursuit l’ancien ambassadeur de France à


Berlin. I1 ne répand pas seulement la crainte ou l’aversion;
il excite la curiosité; il éveille les sympathies; son prestige
grandit; la force d’attraction qui émane de lui s’exerce
au-delà des bornes de son pays. Des rois, des princes, des
hôtes illustres se pressent dans la capitale d u Reich, moins,
peut-être, pour assister aux rencontres sportives qui doivent
s’y dérouler, que pour s’approcher de l’homme fatidique qui
paraît tenir entre ses mains la destinée du continent, pour
voir de près cette Allemagne qu’il a, sous son étreinte irré-
sistible, transformée e t galvanisée. Et to u t le monde, en
302 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

face d’une organisation sans lacune, d’un ordre e t d‘une dis-


cipline sans fissure, d‘un3 prodigalité sans limites, to u t le
monde s’extasie.
a De fait, le tableau est magnifique. Les Nazis, dès leur
arrivée au pouvoir, ont préparé l’échéance de ces festivités.
Ils ont construit, aux portes de Berlin, dans la banlieue de
l’ouest, parsemée de lacs e t de forêts, un stade gigantesque
qui contient cent mille spectateurs e t où le brun rouge du
sable de la piste, le vert éclatant de la pelouse, le gris tendre
des murs et des gradins composent une harmonie de cou-
leurs qui séduit les regards z. ))
La cérémonie d’inauguration, qui a eu lieu le l e r août 1936,
offre aux assistants u n spectacle incomparable. Dans la tri-
bune officielle ont pris place, autour du Führer-Chancelier,
le roi Boris de Bulgarie, le fils de l’amiral Horthy, régent
de Hongrie, le prince de Piémont et la princesse Marie-José
de Savoie, les princes héritiers de Grèce, de Suède e t du
Japon, les deux fils de Mussolini et une foule d’invités de
marque parmi lesquels on reconnaît lord Hamilton, lord
Londonderry et un grand nombre de représentants de l’aris-
tocratie espagnole, italienne, néerlandaise e t scandinave.
Les compétitions sportives servent de prétexte à des fêtes
splendides (( qui plongent les hôtes d’honneur, les diplomiites,
les personnalités marquantes, venus de tous les points de
l’univers, dans l’étonnement e t l’admiration. Hitler reçoit
à sa table les Majestés et les Altesses royales. Gœbbels offre
un souper et une fête de nuit à u n millier de personnes, sur
les gazons de l’île des Paons. Comme il a plu dans la journée,
on a envoyé des avions chercher dans toutes les directions
du matériel neuf. Les arbres sont devenus des candélabres
lumineux. Les pontonniers de la Reichswehr ont jeté une
passerelle de bateaux pour relier l’île à la terre et font la
haie, la rame haute, au passage des invités, accueillis et
conduits à leurs places par un essaim de jeunes filles, cos-
tumées en pages de la Renaissance. A minuit, un formidable
feu d’artifice ... lance dans les airs ses fusées crépitantes.
1. E t pas seulement un stade, ou Reichssporffeld, mais u n vasto terrain de
manœuvre, ou Maifeld, bordé de hautes tribunes sommées d’une haute tour c a r
rée en granit, une statue en plein air dédiée à Dietrich Eckhart, uno Acadérnic des
Sports, un stade nautiquo, un forum sportif R, un hôpital, une gare ct plusieurs
(L

restaurants.
2. André FFIANÇOIS-PONCET, Souvenirs d’une ambassade à Berlin, 1931-1938,
Paris, 1946, p. 262 e t 8.
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 303
u Pour sa part, Gœring a fait pousser, dans les jardins
de son ministère, tout un village du x v i ~ ~ e s i è c en
l e minia-
ture, avec son auberge, son bureau de poste, sa boulangerie,
...
ses boutiques d’artisans A l’Opéra de Berlin, entièrement
tendu à neuf de satin crème, il a organisé en outre un dîner
fastueux, suivi d’un bal. Un plancher réunit la scène à la
salle; une profusion de laquais en livrée rouge et perruque
poudrée, élevant au bout de longs bâtons de hautes lan-
ternes, jalonne des chemins au milieu des tables où four-
mille une multitude d’uniformes, d’habits chamarrés e t de
femmes en grande toilette. Tout 1’Etat-Major du régime est
là, rutilant, rayonnant, empressé, tandis que les accents de
l’orchestre remplissent la vaste nef l... ))
On dîne, on danse, on échange des toasts; des conversa-
tions se nouent dans toutes les langues,.qui mettent à rude
épreuve M. Schmidt, l’interprète officiel. (( Ah, monsieur
Schmidt, aidez-moi donc un instant, je voudrais parler à
lord Londonderry! )) - (( Monsieur Schmidt, deux mots seu-
lement avec le Dr Goebbels. n - (( Mr. Schmidt, do you know
where Goring is 2? ))
Toutes les pensées gravitent naturellement autour d’Hitler
ce personnage hors série, sans lequel toutes ces fêtes n’au-
raient jamais eu lieu. Quel chemin n’a-t-il pas parcouru depuis
l’époque où, vagabond perdu dans les bas-fonds de Vienne,
des ouvriers menaçaient de le précipiter du haut de l’écha-
faudage où il travaillait! Ce qu’il a accompli, s’étale au grand
jour. Mais que fera-t-il demain? C’est ce que chacun se
demande car, malgré ses professions de foi, l’homme demeure
énigmatique e t difficile à déchiflrer.
u J e lui ai, personnellement, connu trois visages, corres-
pondant à trois aspects de sa nature, écrit François-Poncet
qui l’a beaucoup fréquenté. Le premier était blême; ses traits
mous, son teint brouillé, ses yeux vagues, globuleux, perdus
dans un songe, lui donnaient un air absent, lointain : u n
visage trouble et troublant de médium ou de somnambule.
(( Le second était animé, coloré, transporté par la passion;

les narines palpitaient, les yeux lançaient des éclairs, il expri-


mait la violence, l’appétit de domination, l’impatience de
toute contrainte, la haine de l’adversaire, une audace cynique,

1. ID., i l i d .
2. Paul ScaaiinT, Statist au/ dipiornafischer Bühne, p. 332.
304 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

une énergie féroce, prête à tout renverser : un visage de


(( tempête e t d’assaut D, un visage de forcené.

(( Le troisième était d’un homme quelconque, naïf, rus-

tique, épais, vulgaire, facile à amuser, riant d‘un gros rire


bruyant, accompagné de larges claques sur la cuisse : un
visage banal, sans caractère marqué, pareil à des milliers
de visages répandus sur la vaste terre.
(( Quand on causait avec Hitler, on voyait parfois se suc-

céder ces trois visages.


(( Au début de l’entretien, il semblait ne pas écouter, ne

pas comprendre; il restait indifférent et comme amorphe.


On avait devant soi l’homme qui demeurait des heures
entières absorbé dans une étrange contemplation e t qui,
après minuit, lorsque ses compagnons s’étaient éloignés,
retombait dans une longue méditation solitaire, le chef
auquel ses lieutenants reprochaient son indécision, sa fai-
...
blesse, ses flottements Et puis, tout à coup, comme si une
main avait appuyé sur un déclic, il se lançait dans u n dis-
cours impétueux, il parlait d’un ton élevé, exalté, coléreux;
l’argumentation se précipitait, abondante, cinglante, pous-
sée en avant par une voix rauque qui roulait les r e t dont
l’accent rocailleux était celui d’un montagnard du Tyrol; il
tonnait, il tonitruait, comme s’il s’adressait à des milliers
d’auditeurs. C’était l’orateur qui surgissait, le grand orateur
de tradition latine, le tribun plein de pectus, usant d’ins-
tinct, de toutes les ficelles de l’éloquence, excellent, surtout,
dans l’ironie caustique e t l’invective, apparition d’autant
plus frappante pour les foules allemandes qu’elles y étaient
moins habituées ...
(( Quand Hitler parlait ainsi, il ne fallait pas songer à l’in-

terrompre, ni à protester. Il eût foudroyé l’imprudent qui


...
s’y serait risqué Cela durait un, deux ou trois quarts
d’heure. Et soudain, le flux s’arrêtait. Hitler se taisait; il
semblait épuisé; on eût dit qu’il avait vidé ses accumula-
teurs ... C’était le moment de présenter des objections, de le
contredire, de faire valoir une autre thèse. Car alors il ne
s’indignait plus, il hésitait, il demandait à réfléchir, il ajour-
nait. E t si, en cet instant, on pouvait trouver u n mot qui
le touchât, une plaisanterie qui achevât de le détendre, les
lourds plis qui barraient son front s’évanouissaient, sa mine
ténébreuse s’éclairait d’un sourire ...
u On se tromperait néanmoins, si l’on pensait que ce vision-
L’EDIFICATION DU I I I ~REICH 305
naire n’avait pas le sens de la vie réelle. I1 était très froide-
ment réaliste e t très profondément calculateur... Au service
de sa volonté de puissance, il mettait des ressources d’esprit
redoutables : une obstination extraordinaire, une audace
sans frein, un pouvoir de décision subit et implacable, u n
coup d’œil pénétrant, une intuition qui l’avertissait des périls
et lui permit, plus d’une fois, de se soustraire aux complots
ourdis contre lui. I1 était relié à son peuple comme par des
antennes, qui l’informaient de ce que la foule désirait ou
craignait, approuvait ou blâmait, croyait ou ne croyait
pas l... ))
Ajoutons encore ce trait important, dans lequel Robert
Ingrini voit la pierre de touche de to u t grand chef poli-
tique : une capacité exceptionnelle dans l’art de provoquer
des crises, de dramatiser les situations 2.
Tous les visiteurs étrangers que les Olympiades ont attirés
à Garmisch3 ou à Berlin s’efforcent d’établir des contacts
directs avec le maître d u IIIe Reich; et Hitler, si souvent
inaccessible ou abrupt, les reçoit avec bonne grâce, tantôt à
la Chancellerie, tantôt dans son domaine alpestre de Berch-
tesgaden.
Déjà, au mois de février, lord Londonderry a eu u n long
entretien avec lui, a u cours duquel le Führer s’est montré
particulièrement prévenant. La conversation a eu pour thème
principal l’absurdité d’une nouvelle guerre entre la Grande-
Bretagne e t le Reich, et les avantages immenses que vau-
drait aux deux pays le fait de marcher la main dans la
main 4.
- Que de fois, durant la guerre, a déclaré Hitler, lorsque
1. André F~AXÇOIS-PONCST, Souvenirs d‘uns ambassade à BPrlin, 1931-1938,
2. u Les relations internationales ne sont pas douces, mais rudes. Tant qu’un
peuple supporic son sort, ce sort paraît tolérable aux autrcs. Rien n‘a jiimais été
changé par une sweet rtxsonnblenrss, comme disent les Anglais. On peut IC dCplo-
rep, mais c’est ainsi. Qui veut modifier une situation, doit provoqucr unr crisc
On poiirriiit priycie dire que In politique est l‘art de droiiio+wr les rhosrs. (luiconque
en est incapnblc, ne vaut rien comme conductcur d‘Etat ... Iliiler posséJaiL ce
don au s u p r h c degré, landis que les dirigeants de la République dc \\cimar
n’avaient jtimais su IC Cairo. n (Robrrt I N C ~ U Militlvr’s
, giiickiii./rst<!r Tag, p. 99.)
3. (;armisch-l’nrienkirchrn, d:ins les Alpcs bavaroises, avait déjà vu se dérou-
ler les Jeux Ulynipiques d’hiver (iévricr ‘193ii).
4. Quclqurs jours auparavani, R U cours d’un entreiirn à liarinhall, Coring
avait dit a lord Loiidondrrry : N Si I’Aiigleterrc et l’hllcmngno marchaient la main
dans la main, nucunc Puissance a u monde nc scrait capable de leur résisier. Lon-
donderry lui avait répondu plus modcsicment : u Cornnieiiyons par rcnlorccr la
contiance dans lo monde. m (l’au1 YCIIYIDT~ Statiart au! Dipioiiiatisclier BÜlirie
p. 334.)
III 20
306 HISTOIRE DE L’ARMSEALLEMANDE

j’étais simple soldat et que je me trouvais dans les tranchées


en face de troupes anglaises, ne me suis-je pas dit que c’était
une folie d’affronter, les armes à la main, des hommes qui
pourraient appartenir au même peuple que le mien! Un tel
conflit ne doit jamais se renouveler l...
Lord Londonderry a quitté la Chancellerie, visiblement
impressionné 2. Mais cette visite n’est pas la seule. Elle a
été suivie, à brève échéance par celles du gouverneur de la
Banque de France, M. Labeyrie et du ministre français d u
Commerce, M. Bastide. Bientôt, ce sera le tour de M. Lans-
bury, un des chefs du Parti Travailliste anglais, de sir Robert
Vansittart, Secrétaire permanent du Foreign Ofice, du duc
e t de la duchesse de Windsor.
Mais la rencontre la plus significative de cette année est
incontestablement celle d’Hitler et de Lloyd George, qui a
lieu au début de septembre, à l’obersalzberg S.
- J e me réjouis tout particulièrement d’accueillir dans
ma maison, l’homme que nous avons toujours considéré en
Allemagne comme le véritable vainqueur de la guerre mon-
diale, dit Hitler à son visiteur.
- E t moi, répond l’ancien Premier britannique, je suis
heureux de me trouver devant celui qui, après la défaite,
a rassemblé tout le peuple allemand derrière lui et a été
l’artisan de sa résurrection.
La conférence, qui réunit autour d’une table basse Hitler,
Ribbentrop et l’ancien signataire du traité de Versailles,
dure toute la journée. Lorsqu’elle prend fin, et que Lloyd
George retourne à Berchtesgaden, il est accueilli sur le seuil
de son hôtel, par sa fille qui le salue, le bras tendu et lui
dit en riant :
- Heil Hitler!
Alors le visage de l’ancien Premier britannique prend une

1. ID., op. cil., p. 335-336.


2. e Londonderry écouta tout [ce que lui disait Hitler] avec un intérêt amical
et sympathique, écrit Paul Schmidt qui assista A l’entretien à titre d’interpréte,
s’efforçant, comme a tâtons, de trouver des formules aussi convaincantes que
possible pour lui faire comprendre que ses désirs étaient orientés dans le même
sens que les siens.Les paroles, pour une part pleines de feu, qu’Hitler avait employées
pour caractériser les relations anglo-allemandes avaient manifestement impres-
sionné Londonderry. Une fois de plus, je pus observer combien les visiteurs 6tran-
gem subissaient l’emprise d’Hitler, au cours de conversations de ce genre. s (Stiz-
ti& auf Diplomatischer Bühne,. p. 336.)
3. Nom de la propriété d’Hitler, située au-dessus de la petite vilie de Berchtes-
gaden.
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 307
expression grave, e t c’est d’une voix posée qu’il répond à
sa fille :
- Parfaitement : Heil Hitler! J e le dis moi aussi, car
le chef du IIIe Reich est vraiment u n grand homme l...
t
+ +

Après cette succession d’hommages et de festivités, faut-il


s’étonner si le Congrès de Nuremberg de septembre 1936
revêt un éclat insurpassé? Ces assises générales d u Parti ont
pris, d’année en année, une ampleur grandissante. Les pre-
mières avaient eu lieu à Munich, le 21 janvier 1921, sous un
ciel brumeux et sombre, en présence de quelques centaines de
spectateurs 2. Depuis lors, le grand rassemblement annuel a été
remis à la fin de l’été et transféré au Luitpoldshain de Nurem-
berg, où des aménagements gigantesques ont été exécutés à
cet effet. Congrès de la Victoire, après la prise du pouvoir
en 1933; Congrès d u T r i o m p h e de l a Volonté, après la nuit
des longs couteaux de 1934; Congrès de la Liberté après le
rétablissement du service militaire en 1935, ont fait déferler
à travers la vieille ville impériale des foules toujours plus
denses qui ont fini par dépasser un million et demi d’indi-
vidus. Jeunesses hitlériennes, roulant leurs gros tambours;
bataillons du Service d u Travail, portant sur l’épaule gauche
leurs bêches symboliques; Sections d’Assaut en chemise brune,
Echelons de Protection en tunique noire, éléments d u Corps
motorisé, auxquels sont venus s’ajouter, à partir de 1935,
des formations d’infanterie, d’artillerie et de chars de la
nouvelle Wehrntacht, y défilent en rangs serrés devant une
foule aux bras tendus, délirante d’enthousiasme. Si bien
que pour finir, ce que l’on voit à Nuremberg ce n’est plus
le Parti : c’est toute la nation allemande s’offrant à elle-
même le spectacle de sa force retrouvée.
Ce qui s’effectue sur l’immense terre-plein de la Zeppe-
linwiese est difficile à définir, car c’est bien plus qu’un exa-
men de l’œuvre accomplie au cours de l’année écoulée. Ce
qui se forge ici est une mystique assez puissante pour
triompher des sentiments individuels et les couler dans le
creuset d’une foi unique.
C’est à Nuremberg que Gœbbels, ce magicien de la pro-
1. Paul SCHMIDT, op. cit., p. 340.
2. Voir vol. II, p. 250.
308 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ ~ E
ALLEMANDE

pagande, donne la pleine mesure de ses talents d’organisa-


teur et de metteur en scène. Car il ne sufit pas que quatre
mille trains spéciaux déversent à point nommé un million
e t demi de participants l. Encore faut-il que chacun d’eux
soit logé et nourri pendant la durée du Congrès; qu’il trouve
immédiatement la tente qui lui est assignée dans l’immense
campement de toile érigé aux abords de la ville; qu’il reçoive
enfin des directives précises lui indiquant, heure par heure
et minute par minute le lieu OU il doit se rendre e t ce
qu’on attend de lui. Tout cela doit s’effectuer avec une
rigueur mathématique, sans laisser aucune place à l’initia-
tive individuelle.
Mais cette organisation impeccable, où chaque Allemand
retrouve l’ordre et l’eflicacité qui lui ont t a n t fait défaut
durant la longue période de troubles qu’il vient de traverser,
n’est que la condition préliminaire de la cérémonie magique
qui l’arrachera à lui-même et noiera ses réactions person-
nelles dans un déferlement d’émotions collectives qu’u.ne
gradation savante portera jusqu’à leur paroxysme. Cela tient
à la fois de l’hypnose et de l’envoûtement. Ici encore, rien
n’a été négligé pour obtenir l’effet voulu. Défilé de cent
mille S. A. martelant pendant cinq heures les pavés de la
ville, forêt d’étendards où dominent les emblèmes rouge sang
e t les aigles du Parti, fanfares assourdissantes, salves d’ar-
tillerie, retraites aux flambeaux déroulant leur serpent de feu
entre les façades illuminées de la ville médiévale, batteries
de projecteurs braquées vers le ciel e t tissant une voiite
incandescente au-dessus de l’arène du Luitpoldshain, tout
contribue à créer une impression de puissance ordonnée dont
les visiteurs les plus sceptiques reviennent stupéfaits.
Impossible de résister à ce tourbillon de couleurs, de chants
et de lumières dont aucun compte rendu, aucun film ne
rendra jamais l’intensité.
Durant près d’une semaine, la foule est brassée et roulée
dans u n raz de marée d’émotions. Journée de la Jeunesse,

1. a Outre le fait que notre Congrès constituait un événement dans la vie du


Parti, dira plus tard Hitler, il représentait toute une somme d’expériences utiles
même en vue de la guerre. Du simple point de vue des transports, en effet, il ne
fallait pas moins de 4.000 trains spéciaux pour amener les congressistes des diverses
parties de l’Allemagne. Les dizaines de milliers de wagons qui attendaient, étaient
échelonnés sur la voie jusqu’a Halle e t jusqu’à Munich. Quelle préparation A
d‘éventuels transports de troupes, pour la Direction des chemins de fer! D (Libres
Propos, II, p. 199-200.)
L’EDIFICATION DU 1118 REICH 309
Journée du T r a v a i l , Journée d u P a r t i , Journée de I‘Armée
font défiler sous ses yeux une succession d’images représen-
tant 1’Etat nouveau qui est en train de s’édifier.
Enfin quand l’enthousiasme atteint presque à l’extase, les
chefs politiques montent à la tribune de pierre qui se déploie
comme un autel, en face de l’assemblée. Si vaste est l’es-
pace qui les sépare de la foule qu’ils ne paraissent pas plus
grands que des insectes. Mais les haut-parleurs qui diffusent
leurs discours confèrent à leur voix une ampleur surhumaine.
Dans l’embrasement général de la cérémonie de clôture,
ils prennent l’aspect de démiurges célébrant un culte
inconnu, qui associe les fastes de l’antique Sparte aux flam-
boiements d’un nouveau Walhalla.

* *
Chaque Congrès a son thème. Celui de l’année précédente
a été placé sous le signe du Sang et de la Race. Trois lois
y ont été promulguées par le Reichstag, qui siège à Nurem-
berg pendant la durée du rassembleiricnt.
La première a trait au drapeau d u Reich l; la seconde, à
la nationalité allemande 2; la troisième, dite Loi pour la pro-
tection du sang et de l’honneur allemands, a des répercussions
beaucoup plus dramatiques. E n voici le texte :

PRÉAMBULE.
Convaincu que la pureté d u sang allemand est la condi-
tion essentielle de la survie d u peuple allemand, et animé par
1. RCICHSFAHNLNGCSETZ :
Art. I : Les couleiirs du Reich sont noir-blanc-rouge.
Art. 11 : Le drapeau ù croix gammée est l‘eniùlirne national d u Reich. I l est égale-
ment le pavillon de la marine de contmerce.
L’étcndard de guerrc rouge, barré d’une croix noire, portant au centre la croix
gammée et la croix de fer dans l’angle supérieur gauche, a été remis aux chefs
de corps le 7 novembre 1935, au cours d’une cérBmonie spéciale.
2. REiCuSANGEiiiinicHrEiTSGESETZ:
Art. I : Jouit de la nationalité allemande quiconqire fait partie de I’Associafion
pour la protection d u Reich alleniand (Schutzverband der Deuisclien Reicha).
Art. I I : Est cifoyen d u Reich uniquement celui qui possède la nationalité aUe-
mande ou qui est d’un sang apparenté ei qui prouve par sa conduite ou ses aptitudes
sa twlonfé d i . servir fidèlement le Reich et le peuple allemands.
Art. I I I : Seul celui qui est cifoyen allemand jouit de la plénitude des droifs p l i -
tiquap, tek qu’ils sont ddlfnis par la loi.

III 20 ’
310 HISTOIRE DE L'ARMBE ALLEMANDE

la volonté inébranlable d'assurer la p é r e n n i t é de la N a t i o n ger-


manique, le Reichstag a adopté la loi suivante à l'unanimité :

Art. 1. Les mariages entre J u i f s et citoyens allemands ou indi-


vidus d'un sang apparenté sont interdits. Les mariages contrac-
tés à l'étranger dans le but de tourner celte loi sont nuls et non
avenus. L'introduction de la plainte e n annulation incombe a u
Procureur général.
Art. 2 . Les relations extra-conjugales entre Juifs et citoyens
allemands ou individus d'un sang apparenté sont interdites.
Art. 3. Les J u i f s ne sont pas autorisés à employer comme
domestiques des citoyennes allemandes ou &un sang apparent&,
$un âge infèrieur à quarante-cinq ans.
Art. 4. Il est interdit a u x J u i f s d'arborer les couleurs alle-
mandes ou de hisser le drapeau national du Reich. Ils ont le
droit, e n revanche, de hisser les couleurs judaïques. L'exercice
de ce droit est placé sous la protection de l'État.
Art. 5. Toute infraction à l'article I de la présente loi est
punie de travaux forcés; toute infraction à I'article 2 est punie de
travaux forcés ou de prison; toute infraction a u x articles 3 et 4
est punie d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à un a n et
d'une amende, ou de l'une ou l'autre de ces deux peines.
Art. 6. L'application de la présente loi incombe a u ministre
de l'intérieur, e n accord avec le représentant du Führer et le
ministre de la Justice.
Art. 7. Cette loi entre en vigueur le jour qui suit sa promul-
gation, à l'exception de I'article 3, qui n'entrera e n vigueur que
le lm janvier 1936.
Nuremberg, le 15 septembre 1935.

Cette loi, qui sera bientat suivie d'une foule d'autres inter-
dictions, tend à exclure les Juifs de la nation allemande
pour en faire une entité distincte, - nécessairement enne-
mie. Elle dressera contre le Reich non seulement tous les
émigrés du régime, mais toutes les communautés israélites
disséminées de par le monde, qui verront dans cette volonté
de ségrégation implacable u n retour aux ghettos du moyen
âge et l'équivalent d'une déclaration de guerre.
Les Congrès de Nuremberg sont des chants de triomphe.
Mais au milieu de leur déferlement de joie e t de lumières,
ils portent au fond d'eux-mêmes cette source de ténèbres,
qui finira par tout recouvrir ...
L’ÉDIFICATION DU I I I ~REICH 311

* *
Si le Congrès de 1935 a été placé sous le signe du Sang
et de la Race, celui de 1936 - ou Congrès d e l’Honneur
- est dominé par la menace soviétique. C’est l’heure où le
Front populaire vient d‘accéder a u pouvoir en France e t
où la guerre civile ensanglante l’Espagne.
Le 9 septembre, journée d’ouverture du Congrès, Rudolf
Hess prononce le discours inaugural e t place d’emblée la
manifestation sous le signe de la lutte anticommuniste :

- Si le Bolchévisme avait triomphé en Allemagne, dit-il


au milieu d’un tonnerre d’applaudissements, la destruction
organisée de la culture s’étendrait du Pacifique à l’Atlan-
tique et à la Méditerranée. Grâce au National-socialisme, les
choses ont pris un autre cours. Au lieu d’être, pour le Bolché-
visme, un facteur de pénétration vers l’Europe occidentale,
l’Allemagne est aujourd’hui un puissant rempart antibol-
chévique, dressé au cœur du continent.
(( Nous savons que demain, comme hier, le Bolchévisme

continuera à tendre vers le but qu’il n’a cessé de proclamer :


la révolution mondiale. Voilà des années que le National-
socialisme élève la voix pour dénoncer le péril! Aujourd’hui,
ses avertissements se trouvent confirmés par l’effroyable
brasier de l’Espagne en flammes.
(( Hier, de pareilles horreurs auraient pu se dérouler chez

nous. Aujourd’hui, grâce à Dieu, elles sont devenues impos-


sibles. C’est pourquoi l’Allemagne apparaît à ce Congrès
comme un facteur de sécurité et de paix. Mais nous avons
le devoir de rester vigilants, car la lutte antibolchévique ne
fait que commencer.
(( Notre Führer n’est pas de ceux qui font les choses à moitié!

Puisqu’un monde en armes nous a contraints de réarmer,


nous réarmerons jusqu’au bout. Car chaque canon de plus,
chaque char de plus, chaque avion de plus accroissent la
tranquillité des mères allemandes. Ils leur apportent la cer-
titude que leurs enfants ne seront pas massacrés dans une
guerre néfaste, ni torturés par les hordes bolchéviques. NOUS
ferons en sorte que celles-ci perdent toute envie de nous
attaquer.
a Plus le Parti sera fort et plus seront puissants nos moyens
de défense idéologiques! Plus l’Armée sera forte, et plus seront
irrésistibles nos moyens de défense matériels! ))
312 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE

Ce discours, qui s’adresse à l’étranger par-dessus la tête


des congressistes, contient à la fois un avertissement et une
menace. Mais ses auditeurs n’ont pas le temps de s’en ape]:-
cevoir, car voici Hitler lui-même qui monte à la tribune,
pour dresser le bilan d e l’œuvre accomplie depuis son acces-
sion au pouvoir :

- Comme nos ennemis se seraient moqués de nous, déclare-


t-il d’une voix vibrante, si je leur avais dit, le 30 janvier 1933
qu’au bout de quatre ans le nombre des chômeurs allemands
serait descendu imoins d’un million;
(( Que l’expropriation forcée de nos paysans aurait cessi!;

(( Que les recettes de notre agriculture seraient plus élevées

qu’au cours de n’importe quelle année de paix précédente;


(( Que notre revenu national annuel serait passé de 41 à

56 milliards de marks;
(( Que la bourgeoisie et l’artisanat allemands connaîtraient

un essor insoupçonné;
(( Que notre commerce renaîtrait;

(( Que nos ports ne seraient plus des cimetières de navires,


et qu’en 1936 dans les seuls chantiers allemands, 640.000 tonnes
de bateaux nouveaux seraient en construction;
(( Que d’innombrables fabriques auraient non seulement
doublé, mais triplé et quadruplé le volume de leur production,
et que beaucoup d’usines nouvelles auraient été construites;
(( Que les établissements Krupp seraient remplis par le

grondement des laminoirs et des marteaux-pilons;


(( E t que dans toutes ces entreprises, le moteur principal de

l’effort serait non pas le gain sans scrupule de l’individu, mais


le dévouement de tous au bien de la nation;
(( Que les fabriques d’automobiles ne sortiraient pas seule-

ment de leur léthargie, mais s’agrandiraient d’une façon ver-


tigineuse; que la production des voitures, qui était de 45.000
en 1932, s’élèverait à 250.000 en 1936;
(( Qu’en quatre ans, le déficit des Pays et des municipalit&

serait comblé, et que l’excédent des rentrées d’impôts atteiri-


drait annuellement 5 milliards de marks;
Que nos chemins de fer connaîtraient une gestion saine
et que nos trains seraient les plus rapides du monde;
Que le Reich allemand serait doté d’un réseau de routes
dont la grandeur et la beauté dépasseraient tout ce qu’on a
construit dans ce genre depuis les origines de la civilisation;
que des 7.000 kilomètres de routes projetées, à peine quatre
ans plus tard, 1.000 kilomètres seraient déjà ouverts 4 la
circulation et plus de 4.000 en chantier;
L’EDIFICATION DU III* REICH 313
a Que des cités ouvrières entières, contenant des centaines
de milliers de nouvelles maisons surgiraient de terre;
((Que des centaines et des centaines de ponts nouveaux
enjamberaient les vallées et les fleuves;
u Que le théâtre et la musique allemands célébreraient une
résurrection digne des immortels chefs-d’œuvre de notre
passé;
u Que le peuple allemand tout entier participerait à ce
prodigieux renouveau spirituel;
u E t que tout cela serait accompli sans qu’un seul Juif ait pris
part à la direction de la nation!
u Oui,. je le répète : qu’auraient répondu nos ennemis si je
leur avais dit que tout cela serait réalisé en moins de quatre
ans?
N Pourtant, aujourd’hui, tout cela est accompli, et vous
n’avez qu’à regarder autour de vous pour vous en convaincre! ))

Gœbbels, Alfred Rosenberg, le Dr Ley, chef d u Front


du Travail, Walther Darré, ministre de l’Agriculture, pro-
noncent, les jours suivants des discours qui sont, dans leur
ensemble, un réquisitoire passionné contre les dirigeants d u
Kremlin. Enfin, le 15 septembre, journée de la Wehr-
macht, Hitler passe en revue les troupes de la 17e divi-
sion d’infanterie e t gravit lentement les marches de la, haute
estrade d e pierre, au pied d e laquelle se déploie une forêt
d‘étendards.

- Que serait-il arrivé, dit-il d’use voix forte, si en 1919 un


soldat inconnu de la grande guerre ne s’était pas dressé pour
sauver notre patrie? Seule une foi brûlante a permis ce miracle.
Aujourd’hui, c’est un spectacle exaltant que celui de notre
peuple, marchant en colonnes serrées dans le Parti e t dans
l’Armée. Mais c’est aussi un spectacle rassurant, car ce qui
défile devant nous, ce ne sont pas des organisations sans vie,
mais des formations animées d’une foi indestructible.
((Aujourd’hui, poursuit-il en martelant chaque mot, nous
ne redoutons plus une invasion bolchévique. Non que nous
n’y croyions pas, mais parce que nous sommes résolus à
repousser avec l’énergie la plus farouche toute attaque venant
du dehors, de même que le National-socialisme a balayé,
au-dedans, cet éternel ferment de haine et de subversion. E t
plus le ciel se teint autour de nous des rougeurs montantes de
la révolution mondiale, p? l’Allemagne nationale-socialiste se
tournera avec amour et devouement vers son Armée, à laquelle
nous sommes redevables de la plus grande et de la plus fière
314 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

des traditions! I1 faut que le Bolchévisme le sache : aujour-


d’hui, une armée puissante se tient aux portes de 1’Alle-
magne! n
Ce n’est pas encore tout à fait vrai,mais ce le sera bientôt,
car grâce à la cadence effrénée imposée par Hitler, la recons-
truction de l’Armée est déjà très avancée. L’Allemagne a
repris sa liberté militaire e t a rétabli sa souveraineté sur
l’ensemble de son territoire. Les régiments de la Wehrmacht
montent la garde sur le Rhin e t dans la Sarre, comme sur
toutes les autres frontières, à i’ouest, au sud et à l’est d u
pays l.
Deux mois d u s tard. c’est-à-dire le 8 novembre. treizième
anniversaire d u putsch de Munich, Hitler se rend au Bür-
gerbraü, où sont réunis tous les militants de la première
heure. Le discours qu’il leur tient, quoique s’adressant à un
auditoire plus restreint que celui de Nuremberg, n’en est pas
moins significatif :
- Nous sommes tous issus de l’ancienne armée impériale,
dit-il dans sa péroraison. C’est en tant que soldats que nous
avons commencé la lutte contre la révolution marxiste, e t
c’est en tant qu’hommes politiques que nous la terminerons!
((Dans toute l’œuvre que j’ai accomplie, ce dont je suis
peut-être le plus fier, e t ce dont la postérité me sera le plus
reconnaissante, c’est non seulement de ne pas avoir dihuit
la Reichswehr de cent mille hommes, comme me le conseil-
laient certains esprits mal avisés, mais d’en avoir fait, en
moins de quatre ans, le cadre d’une nouvelle armée populaire
allemande, i laquelle peuvent collaborer tous ceux qui, sans
cela, seraient peut-être devenus nos ennemis.
(( Lorsque mon procès prit fin, en 1924, j’ai prédit que l’heure

viendrait où les deux formations adverses se fondraient en


une seule.
(( Aujourd’hui, cette prédiction s’est réalisée.

*
* *
u Gibt mir vier Jahre Zeit! n - Q Accordez-moi un délai
de quatre ans! )) avait demandé Hitler au peuple allemand
le 30 janvier 1933.
Le 30 janvier 1937, ces quatre années sont révolues. Ce
1. Major JOAST,Das Heer seit dem Parfeitag der Freiheit, Vblkischer Be0bachk.r
numéro spécial de septembre 1936.
L’EDIFICATION DU I I I ~REICH 315
jour-là, le Führer réunit le Reichstag pour célébrer le cin-
quième anniversaire de la prise du pouvoir. Que va-t-il dire
aux députés? En général, ses discours sont longs. Celui-ci
sera beaucoup plus bref que d’habitude. L’essentiel de sa
déclaration - qu’il prononce d’un ton très détendu -
tient
en ces quelques lignes :

- J e retire solennellement, ii dater de ce jour, la signature


apposée par l’Allemagne au bas du document spécifiant qu’elle
portait la responsabilité de la guerre [de 19141, car cette signa-
ture a été extorquée par la force à un gouvernement impuis-
sant., .
Par ces quelques mots, les articles 227 à 231 d u traité
de Versailles se trouvent déchirés à leur tour. Cela a l’air
de peu de chose. E n réalité, c’est énorme. Carla reconnais-
sance, par l’Allemagne, de sa culpabilité, est la clé de voûte
e t la justification de tout l’édifice.
Depuis 1919, tous les gouvernements qui ont présidé aux
destinées de l’Allemagne n’ont cessé de s’insurger contre ces
dispositions du Traité. Avant même qu’il soit signé, Ebert
et Scheidemann se sont efforcés d’en obtenir la suppression,
mais leur requête n’a même pas été examinée par les Alliés.
Le 28 août 1924 le chancelier Marx a essayé de les faire
annuler, mais sa demande a soulevé, à Londres et à Paris,
une tempête de protestations. En août 1925, peu avant la
conclusion du traité de Locarno, Stresemann a renouvelé
cette tentative dans une note adressée au Quai d’Orsay e t
à Downing Street. La France lui a retourné son mémoran-
dum sans le lire. Quant à l’Angleterre, elle l’a repoussé d’un
ton cassant. E n juin 1932, à la Conférence de Lausanne,
von Papen a proposé de verser deux milliards de marks, à
titre de règlement global pour le reliquat des Réparations,
en échange de l’annulation des articles d u Traité relatifs
à la culpabilité de l’Allemagne. Mais il n’a pas été plus
heureux-que ses prédécesseurs : son offre s’est, heurtée au
veto d’Edouard Herriot.
Cette fois-ci, personne ne soulève la moindre protestation.
Dix-huit ans se sont écoulés depuis 1919, et le traité de Ver-
sailles est si démantelé, que la déclaration d’Hitler n’a plus
qu’une valeur symbolique. C’est to u t au plus si quelques
journalistes se plaignent de ce que le Reich s’est livré,
316 HISTOIRE DE L’ARXÉE ALLEMANDE

une fois de plus, à u n acte unilatéral B. Mais qui pourrait


soutenir, de bonne foi, que ces articles ont été signés d’un
commun accord?
E n prononçant ces paroles, Hitler sait qu’il ne risque
rien. Le traité de Versailles est mort et nul ne songe à le
ressusciter. I1 n’en conclut pas moins son discours par cette
phrase qui se veut rassurante, e t qu’il laisse tomber de: ses
lèvres avec un sourire condescendant :
-A la déclaration que je viens de faire, je tiens à en ajouter
une autre : l’ère des surprises est désormais révolue.

Hitler le croit-il vraiment? Dans ce cas il se trompe.


Car pour le monde entier - comme pour lui-même -
l’ère des surprises commence.
RÉPARTITION TERRITORIALE DES WEHRKREISE
DANS LA ~ V E H R M A C HSTA T I O N A L E (situation au 31 décembre 1937).
TABLE DES CARTES E T GRAPHIQUES

I. - Nombre de sièges recueillis au x élections du


Reichstag par les principaux partis politiques
allemands (20 mai 1928-5 mars 1933). . . . 98
II. - Augmentation et résorption du chômage (en
millions de chômeurs) de 1923 à 1939 . . . 249
III. - La remilitarisation de la rive gauche du Rhin
(7 mars 1936). . . .
. . . . . . . . . . 289
IV. - Répartition territoriale des Wehrkreise dans la
W-ehrmacht nationale (31 décembre 1937).
... . ..... ..
. . . . dépliant, p. 317
TABLE DES MATERIES
DU TOME TROISmME
PREMIÈRE PARTIE

LA RÉVOLUTION NATIONALE-SOCIALISTE
(1925-1933)

I. - Le National-socialisme reprend l’offensive (20 décembre


1924-31 octobre 1930) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Hitler est amnistié par le gouvernement bavarois (11). -
Éparpillement des membres dkigeants du Parti ( 1 1 ) . - La
crise du Parti (12).- Nouvelle fondation du Parti à Munich
(12). - Premier conflit R6hm-Hitler (13). - Caractère vio-
lent de R6hm ( 1 4 ) . - Conflit Hitler-Strasser (16). Hitler -
lui confie la propagande du Parti (16). - Reprise du recru-
tement (16). - Travail de Strasser en Allemagne du Nord
(17). - Activité de Joseph Goebbels (17). - Son passé
(18). - Première rencontre de Goebbels et d‘Hitler (19). -
Retour de Goebbels en Allemagne du Nord (20). - Ses doutes
(21). - Le Congrès de Bamberg (21). - Gœbbels est
reconquis par Hitler (21). - Lettre de Goebbels Hitler (21).
- Désarroi dans les groupements de l’Allemagne du Nord
(22). - Hitler est de nouveau dictateur du Parti (22). -
Goebbels est chargé de la Propagande (23). - Le combat
pour Berlin (23). - Le troisième Congrès du Parti (24). -
Le Parti compte plus de 70.000 membres (21 aoùt 1927) (24).
- Retour offensif des partis de gauche (24). - Échec de la
N . S. D. A. P. aux élections de 1928 (25). - Hitler est
autorisé à parler en public (25). - Le chômage augmente
(26). - Recrudescence de l’agitation ouvrière (26). - Le
Stahlhelrn (27). - Hugenberg est désigné comme c leader
unique de l’opposition nationale D (27). - Hitler conclut
une alliance avec Hugenberg (28). - Désapprobation de
Strasser (28). - Campagne commune contre le plan Young
(28). - Le Parti national-socialiste compte 176.500 membres
(28).- Le Cabinet Müller est renversé (29). - Le Chance-
lier Brüning lui succède (29). - Un vent d’insubordination
soume sur le Parti (29). -
Départ d’Otto Strasser (29). -
Exclusion de Stennes (29). - Hitler conserve le commande-
ment des S. A. (30). - Les élections du 14 septembre
III 21
322 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

1930 (31). - 107 députés nazis font leur entrée au Reichstag


(31).

II. - Intrigues autour de quatre armies ................. 32


Quatre masses en mouvement e t une Reichswehr immobile
(32). - Les organisateurs du Front Rouge (32). - Tac-
tique des groupements marxistes (34). - Le Front de Fer
(37). - Le Stahlhelm e t les organisations nationalistes
(38). - L’armée brune hitlérienne (40). - Sections d’As-
saut e t Sections de Protection (40). - Le retour de ROhm
(40). - Son activité (41). - Une armée politique B. de
400.000 hommes (43). - Position de la Reichswehr à l’égard
de ces quatre formations (43).

III. -La République au2 abois (15 octobre 1930-31 juillet


1932) ........................................... 46
Les grèves se multiplient (46). - Le chômage augmente
encore (47). - La Reichsbank en dimculté (47). - Pre-
mière rencontre Hitler-Hindenburg (47). - Le Maréchal
décide de barrer la route au National-socialisme (48). - Nou-
velle alliance d’Hitler avecles partis de droite (48). - Revue
de la division de S. A. du Nord,& Franzensfeld (49). - Le
Parti national-socialiste compte 806.000 membres (49). -
Le septennat d’Hindenburg touche à sa fin (49). - La pers-
pective de nouvelles élections inquiète Brüning (49). - Pro-
positions de Brüning à Hitler (49). - Hitler les repousse
(50). - Hindenburg repose sa candidature à la Présidence
(50). - Hitler présente également sa candidature (50). -
Le Journal de Gœbbels (51). - Ouverture de la campagne
électorale (51). - Victoire d’Hindenburg (52). - Démo-
ralisation a u sein du Parti (52). - Nouvelle campagne
électorale pour le deuxième tour (53). - Hitler recueille
près de 13 millions et demi de voix (53). - Hindenburg est
réélu (53). - Grœner, ministre de la Reichswehr, prescrit
la dissolution des S. A. (54). - Le Décret pour la sauve-
((

garde de l’autorité de l’État D (54). - Colère de R6hm


(54). - Second conflit Rohm-Hitler (54). - R6hm veut
contre-attaquer (55). - Hitler s’y oppose (55). - R6hm
finit par s’incliner (55). - Schleicher fait savoir Hitler
qu’il désapprouve Grœner (55). - Grœner veut dissoudre le
Stahlhelm (56). - Débat orageux au Reichstag (56). -
Brüning défend Grœner (56). - Grœner donne sa démis-
sion (56). - a Pére malgré lui D . . . (57). - C’est la première
fois que l’Armée se désolidarise de son ministre (57). - Chute
de Brüning (57). - Le gouvernement von Papen (57). -
Les a barons D prennent le pouvoir (57). - Le général von
Schleicher devient ministre de la Reichswehr (58). - Hin-
denburg promulgue de nouvelles élections (58). - Le décret
T A B L E D E S MATIÈRES 323
relatif à la dissolution des S. A. est rapporté (58). - Colère
des partis marxistes (58). - Situation chaotique en Prusse
(59). - Le Maréchal Hindenburg promulgue l’état d’ex-
ception en Prusse (60). - Le ministre prussien de gauche est
évincé (60). - Nouvelle campagne électorale (61). Le -
Parti national-socialiste remporte 230 sièges aux Reichstag
(61). - Hitler aux portes de la Chancellerie (61).

IV. - Le dernier assaut ( l e ’ a o û t 1932-30 j a n v i e r 1933).. . .. 62


Hitler invité à discuter la formation du nouveau Cabinet
(62). - Rbhm et Hitler examinent la situation (62). -
Entrevue Hitler-Schleicher (62). - Les intentions de von
Papen (63). - Hitler sera Vice-Chancelier (63). - Hitler
refuse et se retire au Kaiserhof (63). - Communiqués ten-
dancieux des journaux (63). - Découragement au sein du
Parti (64). - Guerre d’usure entre Hitler e t von Papen (64).
- \ o n Papen ouvre les hostilités (64). - Le discours de
Münster (64). - Réponse de Hitler au Palais des Sports
(65). - Défilé de 150.000 membres de Siahllie/rn à Berlin
(65). - Séance dramatique au Reichstag (65). - Papen
recueille 32 voix sur 545 (66). - Von Papen dissout le
Reichstag (66). - Gœring proteste (66). - Von Papen
l’emporte de justesse (67). - Jugement de la Cour suprême
de Leipzig sur la nomination d’un Commissaire du Reich en
Prusse (67). - Un jugement inapplicable (67). - Grève des
transports à Berlin (68). - Nouvelle campagne électorale
(69). - Fatigue des électeurs (69). - Positions de von
Papen (69). - Régression des Nationaux-socialistes (70). -
La vague brune est-elle passée? (70). - Impatience de R6hm
(71). - I1 préconise le recours à la force (71). - Papen
s’efforce de remanier son Cabinet ( 7 1 ) . - Hitler se dérobe
aux conversations (72). - Papen en diillculté (72). - I1
porte sa démission au Maréchal Hindenburg (72). - Nou-
velle entrevue Hindenburg-Hitler (7’2). - Échec des pour-
parlers (73). - Le gouvernement est confié au général von
Schleicher (73).- Personnalité inquiétante du Général (73).
- Sa carrière (74). - L’éminence grise de la Reichswehr
(75). - Un générai (1 rouge n ( 7 6 ) . - Entretiens Schlei-
cher-Strasser (77). - La défection de Strasser inquiète
Hitler (77). - Hitler lutte contre le danger de scission ( 7 8 ) .
-Le danger est écarté (79). - Entrevue secrète Hitler-
Schrceder A Cologne (80).- Réconciliation Hitler-von Papen
(80). - Schleicher se sent perdu (80). - I1 veut constituer
un Cabinet de front populaire (80). - I1 demande au Maré-
chal Hindenburg de dissoudre le Reichstag (80). - Hinden-
burg refuse (80). - Les élections de Lippe-Detmold (81). -
Von Papen se met en rapport avec Seldte (81).- Hugenberg
toujours réticent (81). - Schleicher exige la dissolution
du Parlement (82). - Hindenburg s’y refuse catégorique-
ment (82). - Schleicher porte sa démission A Hindenburg
324 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

(83).- Gœring annonce à Hitler que la voie est libre (83).


- Projets de coup de force prêtés à Schleicher (83).-Schlei-
cher envoie le général von Hammerstein à la Présidence
(83). - Hammerstein supplie Hindenburg de ne pas confier
le pouvoir à Hitler (83). - Hammerstein est éconduit
(83). - Hitler, Chancelier du Reich (84). - Composition
du nouveau Cabinet (84). - Enthousiasme de la foule
(85). - La retraite aux flambeaux devant la Chancelle-
rie (85).

V. - La percée (31 janvier-23 mars 1933) .. . ... .. . . ... 87


Hitler demande au Maréchal de dissoudre le Reichstag (87).
- Surprise du Maréchal (87). - Hindenburg s’incline (88).
- Constitution du nouveau Cabinet prussien (88). - Papen
Commissaire du Reich en Prusse et Gœring ministre de l’In-
térieur (88). - Les nouvelles élections sont fixées au 5 mars,
pour le Reich e t pour la Prusse (88). - Décret du Maréchal
Hindenburg a Pour le rétablissement des conditions normales
du gouvernement en Prusse a (88). - Activité de Gœring au
ministère de l’Intérieur prussien (89). - La formation des
Corps de police auxiliaire (89). - Épuration du haut
personnel de la police (89). - Choc décisif entre milices
brunes et milices rouges (90). - a Ordre d’alerte D de la
Ligue de combat antifasciste (91). - Interdictions de réu-
nions et perquisitions (91). - Plan des organisations com-
munistes (92). - L’ u Ordre d’alerte suprême I est lancé par
la direction centrale du Front Rouge (93). - L’incendie du
Reichstag (94). - Gœbbels exploite à fond l’événement (94).
-Van der Lubbe et Dimitrov sont arrêtés (94). - Qui a
mis le feu au palais du Reichstag? (95). - Une question
controversée (95). - Ordonnance de Hindenburg a Pour
la protection du peuple et de l’État n (95). - Second décret
8 Pour la répression des actes de violence communistes D
(96). - La répression s’abat sur les organisations marxistes
(96). - Le a Front Rouge a est disloqué; le Parti commu-
niste, démantelé (96). - Gœbbels organise la nouvelle
bataille électorale avec des moyens accrus (97). - Le Parti
national-socialiste enlève 288 sièges au Reichstag (97). - Von
Papen et Hugenberg sont battus (97). - Le Parti commu-
niste est déclaré illégal (97). - La N. S. D. A. P. détient de ce
fait 52 % des siéges du Parlement (97).-Elle détient égale-
ment 211 sièges sur 392 au Landtag de Prusse (97). - Hitler
étend son pouvoir aux Pays de l’Allemagne du Sud (97). -
Le général von Epp devient Commissaire du Reich pour la
Bavière (99). - Entrée triomphale de von Epp A Munich
(99). - Des gouvernements nationaux-socialistes se consti-
tuent en Saxe, en Bade e t en Wurtemberg (100). -Le
National-socialisme triomphe en Allemagne du Sud (100). -
Ouverture du nouveau Reichstag (100). - La cérémonie
de Potsdam (100). - Hitler dépose un projet de loi pour la
TABLE D E S MATIÈRES 325
résorption du chômage (101). - Fin de la République de
Weimar (101). - Hitler dictateur (101).

DEUXIÈME PARTIE

L’ÉDIFICATION DU IIIe REICH


(1934-1936)

V I . -L’unification d u Reich (24 mars 1933-30janvier 1934). 105


La faillite de la République de Weimar (105). - Montée du
chômage et vagues de suicides (105). - La refonte des institu-
tions (106). - L a Loi (1 pour l’allégement de la misère du
peuple et du Reich 1) (107).- La Loi K sur le plébiscite P (108).
- Le regroupement des formations nationales (108).- Fusion
des Sections d’Assaut e t du SfahZheZm (109). - Dixième anni-
verse du putsch de Munich de 1923 (109). - L’abolition des
Partis politiques (1 1O ) . - Loi (1 interdisant la création de
Partis nouveaux B (112).- Loi a pour la garantie de l’unité
du Parti et de l’État I) (112). - Les élections pour le renou-
vellement du Reichstag (12 décembre 1933) (113). - Le
Parti national-socialiste remporte 92,2 % des voix ( 1 13). - La
fin du régime parlementaire (113). -- La fusion administrative
des Pays et du Reich (113). - La u Loi provisoire pour l’uni-
fication des Pays du Reich 8 ( 1 1 4 ) .- La a Loi sur les S f a f -
fhalfer (114). - Message de von Papen à Hitler (115). - Mes-
sage de Hitler à Hindenburg (116). - Réponse d’Hindenburg
à von Papen (117). - Hitler nomme Gcering Président du
Conseil en Prusse (117). - Allocution de Hitler aux S f a f f h a l -
f e r (118). - Loi pour la reconstruction du Reich (30 janvier
1934 (119). - L’armée légale et l’armée illégale (120). - Les
deux bras du fleuve se rejoignent (120). - Comment cette
fusion va-t-elle s’effectuer? (121).

VII. - L a faillite de la Conférence d u Désarmement et le


retrait d u Reich de la Société des Nations ( 2 février 1932-
l e r août 1934) .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132

Six ans de négociations stériles (122). - La Conférence du


désarmement s’ouvre à Genève (122). - Vingt-six pays sont
représentes (123). - La farce tourne à la tragédie (123).-
Commissions e t Comités (124). - Le projet de Convention
base ou cadre? (124). - M. Nadolny, délégué du Reich,
326 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE

entame la lutte pour l’égalité des droits (125).-Réponse de


-
M. Henderson (125). Décision de la Commission générale
(126). - Conclusions de la Commission générale (126). - La
confusion atteint son comble (126).- Propositions du délégué
des États-Unis (128). - Hésitations de l’Angleterre (129). -
Objections du délégué français (129). - M. Benès est chargé
de rédiger une contreproposition (130). - Texte de M. Benes
(130). - Déception générale (130). - Mécontentement du
délégué italien (130). - Critiques acerbes de M. LitvinofY
(131). - Déclaration de M. Naldony (131). - Le délégué
du Reich demande (1 une reconnaissance claire e t nette de
l’égalité des droits n (131). - La délégation allemande quitte
Genève (132). - Les plans de la Heeresleifung (132). - Note
de M. von Neurath au gouvernement français (133). -
Réponse française (134). - L’opposition entre les deux theses
est absolue (134). - Lettre de M. von Neurath à M. Hender-
son (135). - XIIIe session de l’Assemblée de la S.D. N. (135).
- La Conférence du désarmement se meurt (136). - La
S. D. N. reconnaît a le principe del’égalité des droits (136). -
pi

L’Allemagne reprend sa place à Genève (136). - La Confé-


rence reprend ses travaux (136). - Message de Paix du
Président Roosevelt (137). - Le plan Davis (137). - Le plan
Herriot (138).- Le plan Mac Donald (138). - Hitler accepte
les propositions de Mac Donald (140). - M. Henderson en
prend note a avec satisfaction D (140). - L’optimisme renaît
(141). - M. Paul-Boncour exprime son désaccord (141). - La
question du contrale du désarmement (141). - Discussion
orageuse (142). - M. Henderson ajourne la Conférence au
16 octobre 1933 (142). - Reprise des travaux de la Confé-
rence (142). - L’organisation du contrôle e t l’égalité de
droits (143). - La these française (143). - Hostilité de
l‘Allemagne (144). -Allocution de M. von Neurath (144). -
Entretien de sir John Simon avec M. Paul-Boncour (145). -
Ouverture de la XIVe Assemblée de la Société des Nations
(145). - Entrevue Paul-Boncour von Neurath (145). -
M. Henderson convoque le bureau de la Conférence (145). -
M. von Neurath transmet la réponse du gouvernement
allemand (145). - Mise en demeure de sir John Simon à
M. Nadolny (146). - L’Allemagne se retire de la S. D. N.
(146). - Discours de Hitler au Reichstag (146). - Le plébis-
-
cite donne 95 % de aouir à Hitler (147). La Conférence
du désarmement se met en veilleuse (147). - L’Allemagne
réamorce les conversations (147). - Mémorandum allemand
du 18 décembre 1933 (147). - Aide-Mémoire français du
l e r janvier 1934 (147). - Mémorandum allemand du 19
janvier 1934 (147). - Note anglaise aux différentes Puissances
du 29 janvier (149). - Réponse française du 14 février
1934 (149). -Voyage de M. Eden a Rome (150). - Discours
du comte de Brocqueville (150). - Cri d’alarme de Mussolini
(151). - Mémorandum allemand du 13 mars 1934 (152). -
L’Allemagne publie son budget militaire pour 1934-1935 (152).
- Entretiens entre lord Tyrrell e t M. Barthou A Paris (152). -
T A B L E D E S MATIÈRES 327
Le gouvernement anglais s’informe sur les a garanties d’exé-
cution D (153). - Note évasive de M. Barthou (153). - Le
gouvernement anglais renouvelle sa demande (154). - Mémo-
randum allemand du 16 avril (154). - M. Barthou met un
terme à la discussion (17 avril 1934) (155). - Jugement
sévère sur la décision de M. Barthou (155).

VIII. - L’Allemagne pose les fondations de l’armée na-


.
tionale.. .. . .. ............ . . . ........ . ... . ........ 158
Rôle intérieur et extérieur de l’armée (158). - Le réarme-
ment s’accélère (159). - Accroissement des importations
de matières premières (159). - Accroissement de la produc-
tion de l’acier (160). - Extension des aciéries e t des forges
(160). - Création de produits de synthèse (162). - Un
armement autarcique (163). - Le général von Fritsch est
nommé chef de la Heeresleitung (164). - Sa carrière (164). -
Le général Beck devient chef d‘État-Major général (165). -
Le budget militaire de 1934-1935 (165). - Disparition des
Landesmannschuften et des Conseils d’hommes de confiance
(166). - Naissance d’une nouvelle Armée de l’air (166). -
Renaissance de la marine de guerre (167). - L’ordonnance
du 25 mai 1934 (167). - Modifications dans la structure e t
la physionomie de l’armée (167). - Une période de transi-
tion (167). - Approches d’une nouvelle crise (168).

IX. - La nuit des longs couteaux (30 juin 1934). . . . . . . . 169


Augmentation des effectifs de l’armée brune (169). - Elle
atteint trois millions d’hommes (169). - Création de sept
Obergruppen (169). - L’État-Major des S. A. s’accroît déme-
surément (169). - L’orgueil des Prétoriens devient exorbi-
tant (170). - Parades monstres en Silésie (170).- Rohm
s’enivre de sa puissance (171).- La a seconde révolution a
(171). - Avertissements d’Hitler (171). - Divergences
d’objectifs entre Hitler et Rohm (171). - Arrêté de M. Frick,
ministre de l’Intérieur (172). - Commentaires d’Hitler (172).
- Déclarations menaçante8 de R6hm (173). - Goering licen-
cie la Hilfspolizei (173). - Hitler nomme Rohm ministre
d‘Empire (173). - Conflit entre Rohm et Blomberq (174).-
Conférence de presse de Rohm (174). - Déclarations mena-
çantes de Heines et de Ernst (175). - Rohm veut incorporer
en bloc l’armée brune A la Reichswehr (175). - Refus caté-
gorique de Blomberg (175).- Inquiétude des milieux mili-
taires (176). - Conférence de généraux à Bad Nauheim
(177). - La leçon de von Seeckt (177).- Les plaintes contre
les S. A. se multiplient (178).- Les divergences s’accentuent
entre Hitler et Rohm (178). - La nostalgie des pronuncia-
mientos (178).- Trois groupes se constituent au sein de la
S. A. (180). - L’entourage de RGhm (180). - R6hm réunit
328 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

des troupes de choc (181). - Arrogance croissante des S. A.


(181). - Entrevue Hitler-RBhm (181). - Hitler cherche à le
ramener à la raison (181). - RBhm prépare un coup de force
(182). - Hitler signe un décret prescrivant un mois de
vacances pour tous les S. A. (182). - Riposte menaçante de
RBhm (183). - I1 publie un communiqué (183). - Le public
est informé de la querelle du Parti (183). - Hitler part pour
Venise (183). - Première entrevue Hitler-Mussolini à Strà
(184). - Une rencontre humiliante (1S4). - Attitude protec-
trice du Duce (184). - a Commencez par mettre de l’ordre
dans votre propre maison! D (184). - Retour en Allemagne
(185). - Discours de von Papen à Marburg (186). - Le
discours est passé sous silence (186). - Goering apporte à
Hitler un dossier de police contre Rbhm (187). - Hitler
mesure l’étendue du danger (187).- Visite d’Hitler à Hinden-
burg (188). - a Mettez de l’ordre dans la maison! D (1%). -
Intervention de Blomberg (188). - a L’armée a besoin de
temps et de calme. D (188). - Activité souterraine du général
Schleicber (188).- Contacts secrets entre Schleicher et
ROhm (189). - Projets de Schleicher (189). - Contacts avec
François-Poncet (159). - Hitler sent le sol se dérober sous
ses pas (190). - Attentat contre Himmler (190). - Heines
harangue la division de S. A. de Silésie (190). - Prévisions
pessimistes du D= Schacht (190). - Discours de Rudolf
Hess Ala radio (191).-Discours de Gceringà Hambourg (191).
- La Reichswehr est consignée dans ses quartiers (192).-
Rdhm convoque tous les chefs de S. A. à une conférence (192).
- Hitler décide de s’y rendre lui-même (192). - Les évé-
nements se précipitent (192). - Voyage d’Hitler en Rhéna-
nie (192). - Orage sur le Rhin (193). - La nuit de Godes-
berg (193).-Annonce d’un coup de force imminent des
S. A. (194). - Hitler s’envole pour Munich (195).- Arrivée
à Munich (195). - Hitler arrive à Wiessee (196). - Hitler
pénètre dans la chambre de Rbhm (196). - I1 fait arrêter le
chef d’État-Major des S. A. (196). - Le cortège de voitures
retourne à Munich (197). - Hitler réunit les chefs de S. A.
restés loyaux e t les Gauleiter (198). - I1 leur explique ce qui
se passe (198). - La répression commence (198). - Les
chefs rebelles tombent sous les rafales de mitrailleuses (198).
- Rohm est abattu dans sa cellule (199). - L a répression
à Berlin (199). - Goering convoque von Papen (200). - I1 lui
donne le conseil de rester chez lui (200). -Arrestation et
disparition de Gregor Strasser (200). - Assassinats de
Schleicher et de sa femme (200). - Assassinats de Klausener
et du conseiller von Bose (200). - La répression commence
à sortir des cadres assignés (201). - Règlements de comptes
et excès individuels (201). - Assassinat de von Kahr (202). -
Arrivée d’Hitler à Berlin-Tempelhof (202). - Des pelotons
-
de S. S. sont passés par les armes (202). Le calme renaît
(202). - Proclamation de Blomberg à la Wehrmacht (203). -
Félicitations d’Hindenburg à Hitler (203). - Ordre du jour
-
d‘Hitler aux S. A. (203). Communiqué annonçant la fin de
TABLE D E S M A T I È R E S 329
i’action répressive (204). - Réunion du Conseil des ministres
(204). - Hitler les met au courant des événements (204). -
Victor Lutze est nommé chef des S. A. en remplacement de
RBhm (204). - Ordre du jour de Victor Lutze (204). - Dis-
cours d’Hitler devant le Reichstag (13 juillet 1934) (204). - I1
tire la leçon des événements (205). - u Toute velléité de
complot ou de trahison sera impitoyablement brisée I (205).

X . - La réorganisation des S . A . Hitler Reichsführer. La


course aux armements de 1934-1935. Le Reich rétablit le
service militaire obligatoire. ......................... 307
Soulagement général (207). - Réorganisation des S. A.
(207). - Séparation des S. A. e t des S. S. (207). - Les S. S.
sont placés sous les ordres d’Himmler (207). - Diminution
des effectifs des S. A. (208). - Modification dans la réparti-
tion des unités (208). - Fonctions des S. A. e t des S. S.
(208). -Les trois catégories de S. S. (209). - L e Corps
automobile (210). - Le Maréchal Hindenburg décline (210).
- Mort du Maréchal (211). - Conseil de Cabinet à la Chsn-
cellerie (211). - Hitler chef d‘État (211). - I1 cumule tous
les pouvoirs du Président du Reich e t du Chancelier (212). -
Hitler reçoit le serment des chefs militaires (212). - L’acces-
sion d‘Hitler au rang de Reichsführer sera soumise à un plé-
biscite (213). - Où est le testament d’Hindenburg? (213). -
Cérémonie funèbre à l’Opéra Kroll (214). - Obsèques solen-
nelles à Tannenberg (214). - Le testament d’Hindenburg
est retrouvé (215). - Déclaration d’Oscar von Hindenburg
(216). - Hitler devient Reichsiührer (217). - I1 est approuvé
par 88,9 % du corps électoral (217). - Le monde se réarme
(217). - Déclarations japonaises (218). - Discours du prési-
dent Roosevelt sur le croiseur Houston (218). - Proclama-
tions de Mussolini (218). - L’U. R. S. S. accroît les effectifs
de l’Armée rouge (219). - L’Angleterre réarme à son tour
(219). - Déclaration de M. Baldwin au Parlement (220). -
La France construit la ligne Maginot (221). - u L’amour des
belles positions D (221). - Cri d’alarme du commandant de
Gaulle (221). - Une doctrine stratégique offensive (221). -
a Vers l’Armée de métier D (222). - Partisans et adversaires
de la motorisation (222). - Le problème des effectifs (222j. -
La France promulgue le service de deux ans (223). - Hitler
rétablit le service militaire obligatoire (223). - Le décret
du 16 mars 1935 (224).

XI. - La loi du 21 mai 1935 et lu création de l‘armée


nationale ......................................... 225
Hitler promulgue la loi du 21 mai 1935 (225). - Mort de
la Reichswehr, naissance de la Wehrmacht (225). - Exa-
330 HISTOIRE D E L’ARMÉE A L L E M A N D E

men de la loi (226). - u Le service des armes est un service


d‘honneur rendu au peuple allemand D (227). - Une armée
(Inationale a (227). - Rôle éducateur de l’armée (227). - Les
Landesmannschaften sont définitivement abolis (228). - Offi-
ciers e t soldats sont assermentés à la personne d’Hitler (229).
- Le Führer, commandant suprême des forces armées (229).
-Les E six droits régaliens D (229). - Rôle du ministre de
la guerre du Reich (230). - Le u trident de guerre n, terre, mer
et air (230). - Les trois Gruppenkommandos (231). - Les
douze Wehrkreise (231). - Création des Panzerdivisionen
(231). - Rôle du général Lutz (231). - La liaison a chars-
aviation P (232). - Composition et implantation des divi-
sions blindées (232).- La cavalerie (233). -La Kriegsmarine
(233). - La Luftwaffe (323). - Conditions dans lesquelles
s’effectue le service militaire (234). - Relations des officiers,
des sous-officiers e t de la troupe (234). - Service actif et ser-
vice en congé temporaire (235). - Réouverture de la Kriegs-
akademie (237).- Les incorporations s’accélèrent (239). - Les
r classes creuses II (239). - Le désordre s’introduit dans l’ar-
mée (239). - Effroi des généraux (240). - Colère d’Hitler
(240). -Le Führer impose sa volonté aux généraux récal-
citrants (240). - La quatrième armée allemande depuis
1918 (240). - La loi du 19 avril 1936 (241).

XII. - La bataille dutravail .......................... 243


L’héritage de la République de Weimar (243). - Désespoir
de la classe ouvrière (243). - Un terrain favorable aux
marxistes (244). - a Réintégrer le monde ouvrier à la nation I)

(244). - La tâche du Dr Ley (244).- Loi surles((Garantsdu


Travail P (245). - Discours du Dr Ley (245). - Déclaration
d’Hitler (245). - a Front du Travail D, a Beauté du Travail I,
a la Force par la Joie D (246). - L’étranger escompte un échec
du nouveau régime (247). - La n Loi pour la résorption du
chômage D (248). - Les autoroutes (248). - Le Conseil
général de l’Économie (248). - Le u Plan de quatre ans B (248).
- Création du n Service du Travail P (250). - La socialisation
de la nation (250). - La loi du 26 juin 1935 (250). - La vic-
toire du Travail (253). - Appréciation élogieuse de sir Nevile
Henderson (254).

XIII. - L e Reich remporte deux succès : le retour de la


Sarre, l‘accord naval anglo-allemand ................... 255
Le régime hitlérien a gagné quatre batailles (255). -Le
problhme de la Sarre (255). - Dispositions du Traité de Ver-
sailles (255). - Opposition de Clemenceau e t de Lloyd George
à la Conférence de Paris (255). - r La Sarre est française D
(256). - La préparation du plébiscite (256). - Création du
*Front allemand 1i (257). - Activités de MM. Pirro e t
TABLE D E S M A T I È R E S 331
Bürckel (25 7 ) . - La situation se tend (257). - L’Allemagne
propose un règlement amiable (257). - Le gouvernement
français décline cette proposition (257). - La Société des
Nations prend l’affaire en main ( 2 5 7 ) .- Arrivée de la police
internationale (258). - Les résultats du plébiscite (258). -
La Sarre retourne a l’Allemagne (258). - Le référendum sar-
rois impressionne les Anglais (258). - L’Allemagne fait
connaître son plan de constructions navales pour 1935-1936
(259). - Discours d’Hitler au Reichstag (21 mai 1935) (260).
-Les treize points du u Plan de Paix D allemand (260). -
La France demeure intransigeante (262). - Accueil favorable
à Londres (262). - Le gouvernement britannique propose
des pourparlers sur le réarmement naval (262). - Arrivée de
Ribbentrop à Londres (263). - Les conseils d’un officier de
marine nippon (263). - Première entrevue entre Ribbentrop
et sir John Simon (264). - Mécontentement de sir John
Simon (264). - Inquiétude de la délégation allemande (264).
- Conférence au Conseil de l’Amirauté (264). - Les Anglais
acceptent les propositions allemandes (265). - Les Anglais en
informent leurs alliés ( 2 6 5 ) . - Protestations de la France
(265). - L’accord naval anglo-allemand est signé (18 juin
1936) (265). - Ribbentrop s’efforce d’élargir les bases de
l’accord (265). - Les Anglais s’y refusent ( 2 6 6 ) . - Indigna-
tion à Paris ( 2 6 6 ) . - Réponse de lord Londonderry à la
Chambre des Lords ( 2 6 6 ) . - (1 C’est le plus beau jour de ma
vie! 1) declare Hitler (267). - Consternation à Paris (267). -
Conséquences politiques de l’accord naval anglo-allemand
(267).

XIV. - Le pacte franco-soviétique et la remilitarisation de la


.
rive gauche du Rhin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268
La France s’engage dans la voie des pactes (268). - Premier
voyage de M. Barthou à Prague et à Varsovie (268). - Accueil
favorable de Benés; accueil mitigé de Pilsudski (268). -
Seconde tournée de M. Barthou en Europe centrale (269). -
Projet de a Locarno de l’Est O (269). - Refus de l’Allemagne
e t de la Pologne (269). - L e projet s’écroule (269). -
L’U. R. S. S. tend ses regards vers l’ouest (269). - Accrois-
sement de l’Armée rouge (269). - L’U. R. S. S. prise entre
l’Allemagne et le Japon ( 2 7 0 ) . - Revirement dans la poli-
tique extérieure de 1’U. R. S. S. (270). - La Tchécoslovaquie
et la Roumanie reconnaissent la République des Soviets (270).
- Discours de M. Benès (270). - La Russie demande à être
admise à la S. D. N. (270). - Discours de M. Motta (271). -
Réponse de M. Barthou ( 2 7 2 ) . - Discours de M. Litvinoff
( 27 2 ) . - Conclusion d’un pacte franco-soviétique entre
M. Laval et Potemkine (274). - Dispositions du Pacte
(274). - Indignation du Reich (275). - Commentaire de
la Wilhelmstrasse ( 2 7 6 ) . - Discours d’Hitler au Reichstag
(21 mai 1935) ( 2 7 6 ) . - Mémorandum allemand au gouver-
332 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE

nement français (277).- La France consulte les Garants de


Locarno (278). - Pour l’Allemagne le traité de Locarno
et le Pacte franco-soviétique sont inconciliables (278). -
Nouvelle démarche diplomatique du Reich (278). - Discus-
sion du Pacte à la Chambre des députés (279). - Hitler
accorde une interview à Bertrand de Jouvenel (279). - Texte
de l’interview (279). - a Soyons amis! D (282). - Dispositions
d‘Hitler envers la France (282). - Les a mains libres à l’est u
(283). - Le Pacte franco-soviétique est ratiflé (283).-Retard
apporté à la publication de l’interview Hitler-Jouvenel (283).
- Malentendu franco-allemand (284). - Démarche de l’am-
bassadeur de France à la Chancellerie (284). - a Vous recevrez
bientôt ma réponse D (284). - Importance des pays rhénans
pour la stratégie française (285). - Hitler s’enferme dans
son bureau (285). - Hitler décide de réoccuper la Rhénanie
(285). - I1 en fait part à ses collaborateurs (285). - Un coup
de dés audacieux (286). - Consternation des généraux (286).
- a La France ne bougera pas! D (286). - Discours d’Hitler
au Reichstag (287). - I1 met l’Allemagne au courant de sa
decision (287). - Des détachements a symboliques D de la
Wehrmacht traversent les ponts sur le Rhin (287). - Réoccu-
pation de Cologne (287). - Que va faire la France? (290). -
Réaction très vive de M. Sarraut (290). - Strasbourg sous le
feu des canons allemands (290). - M. Flandin alerte le Cabinet
de Londres (291). - Réticences de l’État-Major français (292).
- Réticences du gouvernement anglais (293). - Arrivé0 à
Paris des représentants des Puissances signataires du traité
de Locarno (293). - Lord Halifax préconise la négociation
(294). - Propositions de M. Eden au gouvernement allemand
(295). - Hitler les rejette (295). - Réunion du Conseil de la
S. D. N. à Londres (295). - Séance au palais Saint-James
(295). - Paroles décisives de M. Eden (296). -Attitude réser-
vée de l’Italie (296). - M. Litvinoff se plonge dans la lecture
du Times (296). - Déclaration de M. von Ribbentrop (296).
- I1 renouvelle les propositions de paix d’Hitler (297). - Les
propositions de M. von Ribbentrop ne sont pas retenues (297).
- Condamnation platonique de l’Allemagne (298). - Déola-
ration conciliante de M. Bruce, délégué australien (298). -
Eden reprend les pourparlers avec Ribbentrop (298). - Hitler
triomphe (299). - Désarroi des généraux allemands (299). -
Goebbels organise un nouveau plébiscite (299). - Résultat
du vote (299). - Le général von Blomberg est nommé Feld-
maréchal (299). - Le général von Fritsch est nommé Colonel-
Général (299). - Le Reich a rétabli sa souveraineté militaire
sur tout son territoire (300).

XV. - L’année olympique . . . . . . .. . .. ... .. . . .. ... ...... 301


La célébration des Jeux Olympiques (301). - Le souvenir des
journées d’Erfurt en 1808 (301). - Le cauchemar de l’après-
guerre semble se dissiper (301). - Le prestige d’Hitler (301).
TABLE DES MATIÈRES 333
- Cérémonie d’inauguration du l e * août 1936 (302). - Les
invités d’honneur (302). - Majestés, altesses royales e t
hommes politiques (302).- Fête donnée par Gœbbels à 1’Ple
des Paons (302). - F6te donnée par Goering au ministère de
l’Air (303).- Soirée à l’Opéra de Berlin (303). - Les trois
visages d’Hitler (303). - Mahomet ou Machiavel? (305). -
Visite de lord Londonderry (305). - Visite de M M . Labeyrie
et Bastide (306). -Visite de Lloyd George (306). -Les
Congrès de Nuremberg (307). - Le triomphe de Gœbbels
(30:). - Une atmosphère indescriptible (308). - Quatre
mille trains spéciaux, un million e t demi de participants
(308).- La forêt d’étendards (308). - Défilés et retraites
aux flambeaux (308). - La voix des thaumaturges (309). -
Le Congrès du Sang e t de la Race (309).- Les lois raciales de
Nuremberg (3û9). ~ Les sources de tbnèbres 1310) - L e
Cùngrès de l’Honneur (1936) (311).-Discours de Rudoli Hess
(311). - Antibolchévisme et antijudaisme (311). - Hitler
dresse le bilan de l’œuvre accomplie en quatre ans (312).- La
journée de la Wehrmacht (3131.- Discours d’Hitler (313).-
Le treizième anniversaire du putsch de Munich (8 nov. 1936)
(314).- HiYer dénonce les articles du Traité de Versailles
relatifs à la culpabilité allemande dans la déclaration de la
Première Guerre mondiale (315).-Le discours du Reichstag
du 30 janvier 1937 (315). - Le Traité de Versailles est mort
(315). - L’ère des surprises est révolue 2 (316).

TABLEDES C A R T E S ET G R A P H I Q U E S ................... 317

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