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L'impiété des déistes, athées et libertins

de ce temps combattue et renversée de


point en point par raisons tirées de la
philosophie et de la théologie
Marin Mersenne

source : http://gallica.bnf.fr
mise en page non traitée
CHAPITRE 1 ou à moymesme.
p1 Le Th si vostre tristesse n' a
dans lequel l' excellence de l' homme est point d' autre source que ceste consideration,
declaree. j' estime que le chant des
le theologien. rossignols ne sera pas necessaire
Monsieur, apres vous avoir presenté pour vous tirer de ceste melancholie.
le salut que tous les hommes S' il vous plaist m' accompagner,
se doivent desirer les uns je croy que je vous delivreray
aux autres, je vous diray que du facilement de ce chagrin, car ce que
plus loin que je vous ay apperceu vous pensez de l' homme est
dans cette route, j' ai hâté le pas pour merveilleusement
vous joindre, et consoler dans la esloigné de la verité,
douceur de vostre compagnie, si veu qu' il n' y a rien de pareil en perfection
vous l' avez pour agreable, l' ennuy dans tout le monde. N' importe,
qu' apporte d' ordinaire avec soy la qu' il y ayt des personnes vitieuses,
fatigue, et la solitude du chemin. cela n' empesche pas que l' esclat
Le Deiste monsieur, pour chemin de l' image de Dieu ne reluise
je n' en tiens point d' arresté, je sur le front, et sur l' ame de l' homme,
vas errant à l' avanture dans ces forests, auquel il est facile de quitter sa
recherchant autant que je puis malice, aydé qu' il est de la grace de
p2 son dieu. Voulez vous escouter
les lieux les plus écartez du commerce p4
des hommes, que je fais un discours, lequel vous fera paroistre
profession de hayr tous comme l' excellence de son corps et de
monstres en la nature, c' est pourquoy son ame, qu' un grand personnage a
de salut d' eux je n' en desire dressé en forme de dialogue, dedans
point, non plus que je ne puis avoir lequel Aesculape, Vesta, et Uranie
pour agreable qu' ils recherchent sont introduits, et je m' asseure que
ma compagnie : la malice, et infidelité vous louërez, et releverez autant les
de leurs esprits, et la misere de hommes, comme vous les avez blasmez,
leurs corps sont les causes de l' ennuy et ravalez par vostre discours.
que vous pouvez lire dans mon Le D vous me ferés un singulier
visage, ce me sont des objets insupportables plaisir, et tiendray ceste journee
aussi bien que les miseres pour tres-heureuse, si vous me
qui les environnent de toutes parts ; tirez de ceste malheureuse tristesse,
et en effet je me sens beaucoup qui s' est emparee de mon esprit.
plus consolé de la diversité du ramage Le Th il faut que vous supposiez
de ce petit rossignol que vous que Vesta avoit blasmé l' homme
voyez, que de l' entretien du plus en tout ce qu' elle avoit peu en
homme de bien d' entr' eux, aussi estimay presence d' Uranie, lors qu' Aesculape
je sa condition plus heureuse deffendant l' excellence de l' homme
mille fois que celle du plus grand entama son discours en ceste façon.
monarque de la terre, je le dis avec Aesculape tout ce que vous avez
verité, et sans rougir de honte, dit jusques à present, ne me semble
p3 p5
et ne scay neantmoins à qui je m' en rien en comparaison de mon petit
dois prendre, ou à la nature marastre, monde, car il n' y a palais si beau, ny

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republique si bien policee, que le est boüillie pour nourrir les parties
microcosme, auquel l' architecture a molles, comme sont les membranes,
esté observee avec tant de perfection, et la graisse ; elle est rostie
qu' à bon droit on peut appeller pour alimenter les chaudes, comme
le corps humain, le miracle le coeur ; elle est fricassee pour les seiches,
du grand monde (...), l' edifice comme les os ; et encore qu' elle
incomparable, et le louvre royal, paroisse rouge, toutefois il y a du
où les jambes servent comme noir pour la rate, il y a du blanc pour
de chariot, les mains de vivandier, les cartilages, pour les membranes
le cerveau de conseiller, le foye, et le et pour les os ; il y a du jaune verdoyant
ventricule de cuisinier, le coeur de pour la bourse du fiel ; il y a
moderateur, et solliciteur, la rate, du jaune paillé pour la serosité, il y a
et les reins d' arriere chambre, les du pourpre pour les poulmons.
veines servent à table, et portent la Le maistre d' hostel est la veine
viande, les arteres mettent le réchaut, cave, qui envoye tous ses officiers
et les nerfs font la sauce ; l' humeur pour servir toutes les tables tant dedans
melancholic donne le maigre, le pituiteux que dehors le logis ; dehors
le gras, le bilieux le chaud, comme aux extremitez ; dedans au
le sanguin le temperé : le sang est plus bas estage, ou partie inferieure,
comme le pain, qui n' ennuye jamais, p8
p6 au milieu qui est vital, et au troisiesme
la pituite ressemble au fruict doux, qui est animal. Ainsi tout ce
et aqueux, la bile à l' espicerie, et le que le peritoine enveloppe, est ce
suc melancholic avec son aigreur que sont les officiers en une grande
donne le saupiquet : l' imagination maison pour la cuisine, ou pour les
peint des tableaux, la memoire conte immondicitez. La vessie, les reins,
des histoires, les yeux sont les la ratte, et la bourse du fiel sont comme
chandeliers, et flambeaux, la bouche les soüillons, et chambrieres qui
est le portail de la maison, la face nettoyent toute cette partie.
le frontispice, les costes sont les Le moyen estage, où est le coeur,
parois, les vertebres sont les maitresses et où sont les poulmons, ressemble
solives, les autres os sont les aux sales, et aux chambres d' un
chevrons : le ventricule est la basse palais, où le maistre de la maison se
court, les veines sont les fontaines, chauffe, comme le coeur, qui est la
les plus grands trous sont les fenestres ; fontaine de la chaleur : où il s' exerce
les veines meseraïques servent par le mouvement en s' estressissant,
d' alembic pour tirer le plus subtil. ou en s' estendant, où il prend
Le ventricule est comme l' argentier, la friscade en ouvrant les fenestres,
et despencier, qui reçoit la viande, lors qu' il respire, ou en les fermant
la garde, la retient, la hache, et la quand il aspire. Il se plaist à la
couppe, et puis l' ayant preparee musique, à laquelle il sert d' organiste,
l' envoye en un autre membre du et les poulmons de soufflets, et
logis, pour la presenter aux veines p9
p7 les anneaux de l' artere de clavier.
mesaraiques, qui la tirent, la colorent, De là mesme ce seigneur envoye
et la portent en la maistresse ses commandemens à tout le corps
cuisine, où estant mise sur le feu, elle par ses serviteurs, qui sont les arteres,

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donnant faveur, et appuy à tous ne soyez parfaitement contente. Je
ceux qui en ont besoin. diray donc que nostre corps est la
Le troisiesme, et plus haut estage vive image d' une republique, et
est comme le cabinet, et le thresor d' un royaume parfaict, où le roy
d' un Louvre enrichi de toutes est la raison, et la royne l' affection,
parts de belles morisques, grotesques, qui enfante de beaux enfans, sçavoir
et païsages bigarrez, et tracez est les vertus, et les bonnes oeuvres ;
par l' imagination. C' est là qu' est l' son thresor est l' entendement,
espargne, son conseil est le jugement, ses bateleurs,
car comme les anciens ont ses sibilots, et harlequins est
dit que l' argent est le nerf de la guerre, la phantasie. Lors qu' il tient ses
aussi le mouvement du corps est estats, le troisiesme est en l' estage
celuy, qui met les actions en execution : plus bas, et aux extremitez, où il y a
estant comme l' ame des des escrivains, des peintres, des architectes,
offices, et officiers de ceste maison des violons, qui sont les dix
corporelle : et le sens est comme un doigts de la main tant gauche que
surcroist d' animosité, et de vie droite ; il y a des postillons, des couriers,
pour toutes les parties de ce corps. et des baladins, qui sont les
Et tout ainsi que la marmite renverseroit p12
p10 jambes ; les marchans, et vivandiers
sans les commoditez du sont la bouche, et l' estomac ; les boulangers,
cabinet, aussi les membres pourriroient cuisiniers, et autres artisans
sans ce beau cabinet superieur plus mechaniques, et plus vils se retrouvent
faict à cul de lampe basti sur la parmy les estats inferieurs
colomne du col vouté en parfaicte de nostre corps, qui sont bien plus
rondeur ; où entre autres singularitez admirables que ceux d' une republique,
sont les quatre ventricules, comme puisque la pluspart ne reposent
quatre grands coffres. Car bien jamais. L' estat de la noblesse
que les facultez soient unies en leur est en la poictrine, car la generosité,
essence, qui est l' ame diffuse par la vaillance, et le courage ont leur
tout le corps, si est ce que l' imagination sejour au coeur : aussi dit-on que la
est un coffre d' inventions, cholere n' est autre chose que le
la memoire d' especes, l' entendement boüillonnement du sang à l' entour
de science, la volonté de vertu : du coeur, et c' est le coeur qui resiste
adjoustez y le sens commun ordinairement aux ennemis : d' où
des especes singulieres, et l' appetit des vient que comme la noblesse estant
passions. mise en desroute, le reste des estats
Vran vrayement vous m' avez ne semble plus rien ; de mesme le
grandement contenté, Aesculape, coeur manquant tout meurt, comme
avec une si belle description de vostre tesmoignent les syncopes, et les
microcosme, mais il me semble defaillances.
que vous le rabaissez un peu p13
p11 La noblesse se plaist à la guerre,
trop de le parangoner à une maison, et le coeur comme brave guerrier a
veu qu' il merite bien d' estre comparé tousjours le tambour, qui avec les
a une cité toute entiere. deux bastons de sistolé, et diastolé
Aes à cela ne tienne Uranie, que vous ne sonne pas seulement la diane, ou

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le changement de garde, mais ne le microcosme, et comme ils font
cesse de battre. Le clergé se trouve le monde inferieur, aussi la partie
au cerveau par la foy qui est en basse de ce petit monde les represente
l' entendement, par la meditation en tout, et par tout. La rate est
qui est en la memoire, par l' esperance, ce pas une terre, la bourse du fiel
et la charité, qui sont en la un feu, la pituite de l' estomach, et
volonté, par lesquelles nous devons des intestins une eau ; le vague d' entre-deux
eslever nos esprits, et considerans un air ? Y a-il arbre plus
les merveilles de ce corps concevoir branchu, et qui ait plus de parties
aussi qu' elles sont pour le rendre que la veine cave, et la veine porte ?
instrument du service de Dieu : et Les animaux n' y repairent-ils pas
tout ainsi que les temples, et les en trois especes de vers, qui s' engendrent
eglises ne sont basties que pour aux intestins ? Les pluyes : et les
la priere, (...), aussi ce temple vivant gresles se forment en l' uretere, les
est basti pour honorer, et adorer le vents, les tonnerres, et les orages
tout-puissant. p16
p14 en la colique, et en diverses ventositez ;
Vesta je voy bien que vous les cometes, et autres apparences
avez ravy la belle Uranie par vos discours, de feu en la peste, bubons, charbons,
mais je ne croy pas que vous et entrax, qui se forment plus
luy vueilliés donner la palme à mon souvent en ses parties inferieures,
prejudice, car je veux que son petit que dans les autres ?
monde soit semblable au Louvre Nous trouvons és quatre humeurs
d' un grand roy, et à tout un royaume : corrompuës des pierreries,
mais combien tout mon metaux, mineraux, gommes, et sablons
grand monde contient-il de palais, de toutes couleurs, et figures,
de citez, de republiques, de royaumes, et mille extraordinaires dans
et d' empires ? Ne vous en souvenez les reins, la rate, et ailleurs.
vous pas, lors que je les ay La poictrine est la vraye effigie
racontez ? du ciel : le ciel se remuë tousjours,
Aesculape vous plaist-il me aussi fait la poictrine : il se meut
permettre Uranie, que je parangonne d' orient en occident, et d' occident
mon petit monde avec tout le en orient : le mouvement du
grand, affin que Vesta n' ait aucun coeur va, et revient, et se fait par
subject de se plaindre, si je remporte contrarieté : le ciel est incorruptible,
la victoire ? Uran je ne sçay le coeur est le dernier du corps, qui
à qui cét offre ne plairoit pas Aesculape, perd la vie : par les rayons du soleil,
veu que vos discours sont si et des autres flambeaux celestes,
agreables, qu' ils seroient capables p17
p15 nous est communiquée l' influence
de ravir tout le monde. aetherée, et par les rayons du
Aescul apprenez donc Vesta, que coeur, qui sont les esprits vitaux,
ce monde visible, et l' invisible sont l' entretien est envoyé par tous les
comme un simulachre de ce corps, membres : les yeux servent de
ou si vous voulez, le corps en est la moyen pour monter au plus haut
ressemblance : car tous les elemens, estage, et la faculté vitale du coeur
et tous les corps se retreuvent dans est une preparation à l' animale, et

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l' intelligible. homo, qui ne sonnent que terre,
La teste finalement est le symbole il s' en faut beaucoup, qu' il arrive
du ciel empiree : là on void à l' excellence de ce monde
Dieu, icy on croit en luy ; on joüyt sublunaire, si ce n' est que la partie
là de la gloire, icy on l' attend, la soit plus noble que le tout, et
grace est commune, la liberté est l' effect que sa cause.
en l' un et en l' autre : on prie en Uranie voyez, Aesculape, si vous
mesme sens icy, comme là, et peut-estre pourrez satisfaire à Vesta, car je
en mesme langage. Et par ne la veux mescontenter.
ainsi comme ce grand univers, Aesculape madame, je suis fort
que Vesta a tant loué, est le temple content de respondre à Vesta, car
de Dieu, le microcosme est j' espere, qu' elle me cedera tout
celuy de l' ame. Dieu est par tout, aussi tost. Il est vray que l' homme
mais il monstre principalement p20
p18 s' appelle Homo, et Adam, et qu' il a
et estale sa gloire dessus les cieux, esté formé de poussiere, ou du limon,
l' ame est diffuse par tout le corps ainsi que nous asseure le
aussi, mais elle exerce ses plus eminentes sainct texte de la Genese, mais cela
actions dedans la teste, si n' empesche, que les autres noms,
bien que Vesta n' aura plus aucun qu' on luy a imposez, ne luy conviennent,
subject de se plaindre, puis que ce tels que sont vir , parce
grand monde avec ses trois estages, que c' est son devoir de suivre la
l' intelligible, le celeste, et sublunaire, vertu, et de se conformer par toutes
est le naïf portraict du sortes de bonnes moeurs à celuy
corps humain ; car la raison agissant qui luy a gravé son image au
en la teste, symbolise avec le profond de l' ame ; ou (...), qui
monde intelligible, le coeur respond monstre le rapport qu' il a aux
au ciel, sans lequel nous ne choses superieures. Je ne veux
pouvons vivre, bien que Galien maintenant rapporter les autres
au chapitre dernier du 7 de sa methode, noms, qu' on lui donne, et qui font
rapporte qu' un certain Marulus à sa loüange, car je l' ay desja fait
a marché le coeur luy ayant ailleurs. Mais j' espere satisfaire à
esté arraché ; le ventre represente Vesta, si je luy prouve que l' homme
le monde elementaire remply de n' est pas seulement semblable
toute sorte de corruption. au monde elementaire, qu' elle
Vesta je vous prie, Uranie, ne louë tant, et qu' elle luy prefere en
prenez pas garde aux discours p21
p19 tout, et par tout, mais qu' il en est
miellez d' Aesculape, ou du moins comme le roy, s' en servant en
ne luy donnez pas tellement vostre tout ce qu' il luy plaist.
attention, que ne me reserviez
une oreille pour m' entendre.
Je confesse que l' homme a quelque CHAPITRE 2
rapport à tout l' univers, mais comme l' homme fait tout, se sert de
comme il n' est qu' une parcelle de tout, et commande à tout
la terre, tesmoin le nom que luy le monde.
donne l' hebrieu, adam, et les latins, c' est vrayement un

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grand miracle que le et ses yeux passent les estoiles.
monde, mais l' homme Que si châque animal a son aliment
me semble d' autant particulier, et que les uns mangent
plus merveilleux, qu' il est plus petit, la terre, comme les taupes, les autres
et neantmoins il a tant de subtilité, soient carnaciers, comme les
que par la magie naturelle il lyons : les autres se servent de vegetables,
peut representer en un corps diaphane, comme les boeufs : d' autres
et ce fort distinctement, vivent de l' air, comme on dit du chameleon,
tout ce qui paroist dedans l' horizon. et d' autres vivent de l' eau,
Il peut comme un Vulcain, comme les poissons : l' homme se
et un Promethee tirer le feu d' où p24
p22 sert de tous les corps simples, et
il luy plaira, contrefaire le tonnerre meslangez, car il y en a peu, ou
comme Salmonée, former l' arc point, qui ne couvrent sa table.
en ciel par le jaillissement d' une Nous voyons que châque chose
fontaine : s' il est operateur il tirera a son terroir, et sejour particulier,
l' eau, la terre, le sel, le souffre et le (...).
verre de toutes choses. Par la perspective L' espicerie vient des Moluques, la
il representera mille phantosmes, pierrerie des autres Indes Orientales,
de façon que l' ignorant l' or du Peru, la rheubarbe de
pensera que ce soient des hommes Tartarie, le rapontique de Moscovie,
qui marchent. Il n' y a plante, ny les elephans d' Afrique, et des
corps aucun qu' il n' effigie par la Indes, l' encens de l' Arabie, les perles
peinture, qu' il ne burine par la d' Ormus, la terre sigilee de
graveure, qu' il ne releve en bosse Lemnos, les lyons de Fez, les marthres
par la sculpture. Qu' est-ce que ne zibelines de Russie, l' alce de
fait pas l' homme ? Puis qu' il engendre Scandie, l' estain de glace d' Angleterre,
des poulains, comme une femme le gaiac des Terres Neufves ;
à Veronne l' an 1254 un demy oyseau le saule croist és lieux aquatiques,
à Ravenne 1512 un demy veau au le pin és montagnes. Des terres, les
village Stethel De Saxe, un enfant unes sont argilleuses, les autres
à teste de grenoüille à Boileroy crayeuses, ou sablonneuses, les unes
1517 un demy chien l' an 1493 et un p25
vray chien, excepté la teste, à Anvers bonnes pour le froment, d' autres
p23 pour l' orge : les bons chevaux ne
1571. Mais parce que cela n' est se treuvent pas par tout, les asnes
pas selon l' art, ny suivant la nature, ne vivent pas au septentrion, non
je di qu' il contrefait les metaux, et plus que les orangers ; et au midy
les pierreries par l' alchimie, de façon la cire, et le miel ne sont pas en telle
que les plus habiles lapidaires, abondance, non plus que le
ny les orfevres ne peuvent le beure, et le vin, comme ils sont au
recognoistre. septentrion.
Il fait bien davantage, lors qu' il Mais l' homme ayant commandement
applanit les montagnes, releve les sur tout l' univers demeure
valees, abysme les campagnes, perce par tout, et tire l' usage de toutes
tout avec les mains ; des pieds il choses. De là vient qu' il y a des habitans
marche dessus, et dessous les enfers, és plus hautes montagnes :

7
dessus la mer glaciale 800 lieuës aux animaux par le sentiment,
de long il y a d' aussi beaux logis à la terre par la secheresse, et dureté,
qu' à Paris ; il y en a qui habitent à l' eau par la mollesse, à l' air par
dans des trous, et des cavernes, au l' humidité, au feu par la legereté,
milieu des marets, des estangs, et au ciel par l' incorruption, aux anges
des lacs : car la ville de Quinzai, où par l' intelligence, à Dieu par
il y a 1260 ponts, est bastie sur pilotis. domination, ainsi que tesmoigne
N' est-ce pas habiter dans le feu le psalmiste, (...).
p26 p28
que de demeurer dans la Guinee Voulez vous que j' adjouste
toute rostie du soleil ? N' est-ce pas quelque chose au riche equipage
estre aux fauxbourgs des enfers, de ce microcosme ? Lequel non
que de vivre avec les gastadours, seulement se trouve bien par
pionniers, et tireurs de minieres tout, tire contribution de tout, et
cent brasses sous terre ? symbolise à toutes choses, mais il
Que diray-je de l' air, et des n' y a rien qui ne se retrouve dedans
nuës, que penetrent souvent les l' homme ; car Dieu y est en presence,
tours, et les autres bastimens ; et les entant qu' il est par tout.
margajats dorment en l' air dans Dieu est en l' homme par grace,
un filet pendillant à deux petites puisque, (...). Les anges
cordelettes. Voila comme tous luy assistent tousjours comme fidelles
lieux s' accommodent à l' homme, gardiens, les demons par
et l' homme s' accommode à tout. tentation, ou punition le saisissent
Et ne croyez pas, Vesta, que l' homme par fois : les cieux y sont par qualité
ne surmonte l' univers que par (puisque, tesmoing Fernel, il y a
ses actions, et par ses facultez, et que une chaleur celeste dedans nous)
tout le monde ne soit fait que pour et par representation les estoiles
lui preparer sa demeure, car toutes sont dedans les yeux : le ciel, et
les pieces de ce grand monde contribuent toutes les choses naturelles sont
à sa formation, comme p29
à une belle Pandore. Voyez vous au sens par especes, en l' imagination
pas que Dieu luy imprime son par pensee, en la memoire
p27 par souvenance, en l' entendement
image, que les anges sont voüez par science.
à son service, et que le ciel distile Le feu est és arteres, l' eau pure
sur luy les rays de sa lumiere, le benefice est en la pituite espanduë par le
de son cours, et la douceur corps, l' eau salee, et mixte est en la
de son influence ? Le feu l' eschauffe, vessie, l' eau marescageuse, et verdastre
l' air l' humecte, l' eau le rafreschit, est en la bource du fiel : la
la terre le porte, les animaux terre est en la rate, les rochers sont
le servent, les plantes l' alimentent, és os, les pierres menuës és mains,
le reste luy apporte mille sortes les mineraux, et metaux se procreent
de contentement, et ce non en diverses parties massives
par contrainte, et contre nature, du corps, comme dans la rate :
mais par sympathie, et reverence, l' air est aux poulmons, les meteores
s' accordant aux inanimes par l' estre, sont aux intestins, l' or mesme s' est
aux vegetables par la nourriture, trouvé en un enfant d' Alemagne,

8
qui en avoit une dent entiere. Et il y peut avoir entre une action
bien, Vesta, que voulez vous davantage, bonne, moralement parlant, et
puisque jusques icy je parlant naturellement, ou physiquement
vous ay monstré que l' homme fait comme on dit aux escoles.
tout, que l' homme est par tout,
p30
qu' il peut tout, que tout est en CHAPITRE 3
l' homme en quelque façon que vous p32
le puissiez considerer, et qu' il est en quoy consiste ce qu' on appelle vivre
toutes choses tant en bien qu' en mal, moralement, et quelle difference il y
selon le party qu' il veut eslire ? a entre une action morale, et naturelle.
Le D veritablement ce discours le theologien.
m' a grandement pleü, et ne Il n' y a quasi rien si
pense pas que si on consideroit les commun dedans la
perfections de l' homme comme il bouche des hommes
faut, qu' on n' advoüast incontinent sçavans, que ceste distinction,
qu' il est impossible que Dieu lors qu' on
ne soit, lequel a basty ce microcosme, demande si quelque chose se peut
afin que tous les humains s' eslevassent faire, ou si telle, ou telle chose est
à son amour, et à la contemplation bonne, ou mauvaise, l' un disant
de ses merveilles. Et neantmoins qu' elle est bonne physiquement,
je me retreuve souvent ou naturellement, et l' autre asseurant
parmy des compagnies si malheureuses qu' elle est mauvaise parlant
que les paroles, et actions moralement, comme si l' estre naturel
d' un tas de jeunes badins font assez estoit tout autre chose que
paroistre qu' ils ne croyent aucune p33
divinité. C' est pourquoy je l' estre moral. Pour bien entendre
desirerois fort qu' il vous pleust cecy, il faut supposer qu' il y a de
p31 bonnes, et de mauvaises actions, ce
m' enseigner quelques bonnes raisons, qui est si clair, et si evident, qu' il n' est
par lesquelles je leur peusse besoin de recourir à l' escriture
preuver clairement qu' il est necessaire saincte pour le prouver, lors qu' elle
d' advoüer une divinité : deteste le fratricide de Cain, l' adultere
car ils font, pensent, et disent tout de David, et mille autres
ce qu' ils peuvent lors qu' ils sont mauvaises actions, que Dieu a griévement
parmy leurs confidens, afin d' estouffer puny, et punira eternellement,
les semences de la vertu, ainsi que ceste sentence de
et le sentiment qu' ils devroient S Math 25. (...),
avoir de la religion, et de leur fulminee par la bouche
createur. J' estimerai ceste journee de Jesus-Christ, nous tesmoigne :
tres-heureusement employée, si il n' est (dis-je) besoin de prouver la
vous m' armez puissamment contre bonté, ou malice des actions, que
ces tisons d' enfer : neantmoins fait l' homme, par l' escriture saincte,
avant que d' entrer en ceste lice, veu que les payens, et toutes
je desirerois fort qu' il vous pleust sortes de nations en tous siecles, et
me declarer ce que c' est que vivre en tous lieux, ont recognu ceste
moralement, et quelle difference verité, et l' ont tesmoignee par escrit,

9
par paroles, et par les supplices, p36
p34 remplie d' iniquité, et que tous les
dont ils ont chastié les meschans ; hommes ne visoient qu' à faire
meilleurs, et mieux sensez mal au 6 et 8 de la genese. Noë est
en cela, (comme en beaucoup appellé juste, et homme de bien,
d' autres choses) que Calvin, Kemnitius, Abraham, et quantité d' autres
Luther, et leurs disciples, personnes sont loüez pour leurs
lesquels ont escrit, que l' homme, bonnes actions : d' où vient qu' il
bien qu' il fust juste, ne faisoit aucune faut expliquer ces lieux, qui semblent
chose, qui ne fust peché mortel, condamner tout le monde,
encore que cela ne luy fust impieté, de la plus grande partie des hommes,
à cause de la pieté de Christ, car elle se sert d' une maniere
qui leur estoit imputee par la foy. de parler universelle, et generale,
Ce qu' ils asseuroient à cause de lors qu' elle veut comprendre une
plusieurs passages mal entendus grande multitude.
par eux, tirez de l' escriture saincte, Ces lieux se peuvent aussi entendre
lesquels condamnent, ou semblent en ceste façon, que personne
condamner tout le monde, n' est juste, de ceste grande justice
tels que sont ceux-cy en la Gen 6 essentielle, que Dieu a en soy,
et 8 que toute la pensee des hommes avec qui nous ne pouvons estre
n' estoit attentive qu' au mal ; comparez : ou qu' il n' y a personne,
qu' il n' y a personne qui fasse ce qui n' offense quelque fois, du
qui est du bien, Psal 13 qu' il n' y a moins veniellement : si ce n' est
point d' homme sur la terre, qui p37
p35 que Dieu le preserve particulierement :
soit juste, et fasse bien, et qui n' offense car pour les pechez enormes,
point, dans l' ecclesiastique qu' on appelle mortels, il est
7 qu' un mauvais arbre ne sçauroit certain que les gens de bien n' en
faire de bons fruicts, en S Math 7 font point ; n' importe que le (...)
et que tout homme à raison de la nous captive, car ces premiers
concupiscence, laquelle entretient, mouvemens, desquels Saint
et allume le peché, qu' on appelle Paul se plaint, et s' ennuye, ne sont
(...), est un mauvais pas pechez à proprement parler,
arbre, qui est captif, de façon mais seulement une matiere de
qu' il ne fait le bien, qu' il veut, peché, à laquelle nous pouvons, et
mais le mal, qu' il hayt, comme S devons resister, jusques à ce que
Paul enseigne dedans son epistre nous ayons donté tous leurs
aux romains C 7. Ce sont ces passages, mouvemens, et qu' ils soient parfaitement
et quelques autres semblables, sujets à la raison, ce qui
qui les ont fait chopper, car s' accomplira dans tous ceux qui
estans bien entendus, ils ne disent seront bien heureux. Ce qui suffit
rien contre nostre supposition, maintenant pour conclurre la verité
sçavoir est qu' il y a de bonnes actions, de nostre supposition, sçavoir
veu que cela est tesmoigné est qu' il y a de bonnes, et de mauvaises
en un million de passages par l' escriture actions, comme il appert
saincte, comme lors qu' il par la loüange, ou le blasme, le
est dit que toute la terre estoit p38

10
pris, ou le mespris qu' on en fait, et que l' esprit, il faut tascher de le
par la recompense, ou par le supplice perfectionner, puis qu' en cela
qu' on ordonne pour les punir, consiste nostre felicité.
ou pour les recompenser. Certainement L' action morale, ou la moralité
puisque nous pouvons de l' action, selon l' opinion de
faire de mauvaises actions à raison quelques uns, n' est autre chose,
de la desobeissance d' Adam, et de que quand nous agissons avec une
nostre mauvaise volonté, il est parfaite cognoissance, soit que nostre
bien raisonnable que nous en action soit libre, soit qu' elle
puissions faire de bonnes à cause soit necessaire, d' autant que cette
de l' obeissance de nostre sauveur, cognoissance de la raison fait que
et redempteur, duquel le merite nos actions sont humaines, et differentes
est beaucoup plus puissant, que le de celles des bestes, lesquelles
demerite d' Adam, et que les pechez n' agissent point en cognoissant
de tous les hommes ne sont la fin, et la proportion
impuissants ; et mal-faisans : nous des moyens avec icelle : mais ceste
pouvons donc faire de bonnes opinion n' est approuvee des theologiens,
actions, puisque la grace de Dieu lesquels maintiennent,
est une semence assez excellente pour que les actions, par lesquelles les
les faire germer, et croistre dans bien-heureux voyent, et ayment
nostre volonté. Mais laissant cecy Dieu, ne sont pas morales, bien
à part, il faut voir en quoy consiste p41
p39 qu' elles soient avec une pleine, et
ceste bonté morale, qu' on attribuë claire cognoissance, et qu' elles
à nos actions, ce qui conviendra soient humaines, d' autant qu' elles
aussi à la malice, ou mauvaitié sont hors de l' estat, dans lequel on
morale : car l' estre moral est commun merite ; et en disent autant de l' amour
à l' une, et à l' autre ; et par ainsi naturel, que les anges portent
nous verrons s' il est necessaire de à Dieu : et puis Dieu peut faire
recourir à une fin derniere, pour que la volonté d' un homme agisse
trouver ceste moralité, et si la necessairement, bien que l' entendement
science des morales peut estre establie l' esclaire avec indifference :
à la façon de la physique, car la volonté ne suit pas
ou des mathematiques par des tousjours la façon que tient l' intellect
raisons à priori , et par des causes en sa proposition, d' où
efficientes, sans en prendre le principe vient que quand il propose deux
de la derniere fin, comme a moyens, ou deux biens, l' un plus
fait l' Aristote, et tous ceux qui grand, et l' autre moindre, nous
l' ont suivy jusques à present. Ce pouvons choisir le moindre ; et
que je feray, Dieu aydant, en telle puisque la liberté ne consiste pas
façon, que tous les philothees, et en l' indifference de la raison, mais
theotimes en pourront retirer en celle de la volonté, la premiere
du plaisir, et du profit spirituel, auquel indifference demeurant en son
butte ce traicté, et toutes mes entier, Dieu peut faire que la seconde
pensees : car puis qu' il n' y a rien de p42
p40 ne demeure pas, afin que la
plus excellent dedans l' homme volonté agisse necessairement, car

11
sa liberté est finie, Dieu est infiny, quant à ce qui est de son
et par consequent il peut empescher estre physique, et de son estre libre,
et surmonter ceste liberté. et humain, de sorte qu' auparavant
Ces raisons ont fait que la pluspart, la nativité il estoit libre de
outre ceste plenitude de cognoissance la mesme liberté, qu' il est apres
raisonnable, desirent icelle, veu que c' est par la mesme
que nos actions soient libres pour puissance de l' entendement, et
estre morales, de sorte que ce ne commandement de la volonté
soit autre chose d' estre moral, que qu' il le continuë, et neantmoins
d' estre libre, et la moralité rien il change d' espece en ce qui appartient
autre chose que la liberté, qui est à la moralité, car avant
dedans l' action ; ce qu' ils prouvent la nativité, c' estoit un acte de foy
parce que nos actions sont reputees bon, et loüable, qui meritoit
loüables, ou vicieuses, entant recompense, lequel apres une
qu' elles sont libres, c' est pourquoy suffisante cognoissance de la venuë
on n' impute point ny à vice, de Jesus-Christ vray messie,
ny à vertu, ce que fait une beste, ou est un acte d' infidelité, mauvais,
un fol, d' autant qu' ils n' ont pas un vituperable, et qui merite
pouvoir libre sur leurs actions. un juste chastiment : et par ainsi
Neantmoins il y a de scavans personnages p45
p43 le mesme acte quant à la liberté,
qui ne veulent recevoir est differend en espece quant à la
cette opinion, parce que (disent-ils) moralité, puis qu' il a divers motifs,
l' action peut estre changee diverses fins, et intentions.
quant à ce qui est de sa moralité, Ce qui est encor evident en
bien qu' elle demeure libre, et une action, qu' on fait pour divers
qu' elle soit en la parfaite puissance motifs, comme lors que quelqu' un
de la volonté, comme auparavant, donne l' aumosne par misericorde
ce qui ne se pourroit faire, si l' action pour subvenir au pauvre,
morale n' estoit autre que la libre, par charité pour plaire à Dieu, et
ou que la moralité ne fust rien par penitence pour satisfaire à ses
que la liberté : car cependant que pechez, cet acte n' a qu' une liberté,
la raison formelle de la moralité et neantmoins il a plusieurs
demeure saine, et entiere, son effet, moralitez. Et puis la liberté est
qui est de rendre l' action, morale, une proprieté naturelle de l' homme,
doit necessairement demeurer : à qui cette façon d' agir n' appartient
aussi bien que les autres effets pas moins naturellement
demeurent, quand leur cause formelle qu' au feu d' eschauffer, et au
demeure. Or que cet effect soleil d' esclairer, partant si l' estre
ne demeure pas, ils le preuvent moral, et l' estre naturel sont distincts,
par l' acte de creance qu' a peu avoir il faut confesser que la liberté
un juif devant le point de la n' est pas ce qui fait que l' action
nativité de Jesus Christ vray messie, p46
p44 soit morale (or la façon d' agir
je croy au futur messie, lequel acte avec liberté convient à l' homme
a peu estre continué jusques entant qu' il a son estre naturel
apres la nativité de nostre Seigneur, d' homme) : car c' est ainsi, que chasque

12
estre naturel, et chasque espece l' entendement, entant qu' il commande,
a sa façon propre d' agir differente et sert de loy, et de regle,
d' avec la façon d' agir de intervienne à ce qu' une action
toutes les autres especes. Et bien soit morale, autrement il sera impossible
que la cognoissance de l' entendement qu' il y ait aucun acte moral :
avec son indifference, et celle car si vous ostez toute sorte de
de la volonté ne soient precisément regle, de precepte, et de loy, il n' y
la moralité, ou pour mieux aura plus ny bien, ny mal : n' y ayant
dire, ne constituent pas nos actions plus ny bien, ny mal, il n' y aura
en leur estre moral, neantmoins plus d' estre moral, puisque l' action
elles y sont necessaires, comme morale se divise en actions
matiere et fondement sans lequel bonnes, et mauvaises : et neantmoins
elles ne pourroient estre morales, la liberté demeurera à
non plus que libres, si la cognoissance l' homme, car l' entendement esclairera
n' y estoit, et que l' entendement encores la volonté avec indifference,
n' y fust conjoinct comme mais il ne commandera
vraye racine, et fondement de la liberté. p49
p47 plus rien, ou ne servira plus de
D' autres ont pensé que l' estre regle, à ce que la volonté fasse ce
moral, à cause duquel nous appellons qui est expedient : si bien que la moralité
nos actions morales, estoit sera prise du respect que nos
une soubmission, ou subordination, actions ont avec la regle de la volonté,
qu' à la volonté à l' entendement, laquelle regle est à nostre
entant qu' il luy propose ce égard le dictamen de la raison :
qu' il faut faire, ou obmettre, et mais en Dieu, c' est sa volonté mesme,
qu' il luy sert de regle pour s' exercer car il n' a autre regle, autre loy,
en ses actions, de sorte qu' ils ou obligation que soy mesme, si
appellent ceste action, laquelle est bien que la moralité des actions
conforme à ceste proposition, et libres de Dieu, telles que sont sa
regle de l' entendement, morale ; je misericorde, sa charité, et son amour
dis regle, parce qu' il faut que l' entendement envers nous, n' est prise d' aucune
soit comme regle, loy, que donne l' intellect divin à
comme precepteur, ou dictateur, la volonté, mais de la volonté divine,
et qu' il soit une loy, à laquelle la laquelle est seule inpeccable
volonté se conforme ; autrement si par nature, d' autant que toute seule
nous considerons la seule cognoissance elle est sa regle, et le principe
de la raison, entant qu' elle formel de ses actions morales.
est necessaire pour vouloir, elle ne Ce qui n' empesche pas que la
sera cause de l' action entant que mesme formalité de l' action morale
morale, mais seulement entant p50
p48 ne convienne aux actions divines,
qu' humaine, et volontaire, ce qui veu que ce n' est que par accident,
demeure en l' estre naturel, à qui que l' entendement est la
appartient la proposition, et irradiation regle de la volonté : car si l' homme
de la raison sur la volonté, estoit infini, comme Dieu, il n' auroit
et sur la liberté d' agir. Il faut donc rien que sa volonté pour regle :
que ce respect de la volonté vers c' est pourquoi ceci ne doit pas

13
estre cause que nous changions de Ce qui se peut expliquer par
raisons, ou d' opinion, non plus qu' il l' exemple d' un artisan, lequel est
n' en faut point changer, lors qu' il determiné par les regles de son
est question de parler des sacremens, art, ou par l' exemplaire, et l' idee
desquels bien que le materiel qu' il se propose avant que d' agir :
fust changé (comme quelques pour la cause naturelle, laquelle
uns pensent qu' il est maintenant opere sans liberté, elle est determinee
changé au sacrement de l' ordre) à son action par une inclination
le formel, sçavoir est la signification naturelle : mais la volonté
pratique, demeureroit en son entier, n' est determinee que par ce dictamen
quoi qu' elle fut transportee à de raison, avant que d' agir.
ce signe, et à cette matiere, ou à une Secondement le regard de la volonté
autre : de mesme pourveu que les qu' elle a vers la raison, comme
actions libres soient faites avec ce vers son legislateur, peut estre
regard, que nous avons dit, à leur p53
p51 consideré comme un acte second,
regle, elles seront morales, soit ce qui se fait lors qu' elle agit selon
que l' entendement, ou la volonté, qui luy a esté prescrit par l' entendement :
ou quelqu' autre puissance que or la moralité de l' action
ce soit, serve de regle. D' où nous depend, et s' establit par le premier
pouvons conclurre, que la loüange, regard, car avant qu' elle vueille,
ou le blasme (voire mesme la ou ne vueille pas, elle est subjéte à
racine de ses proprietez, qui est la ceste loy de la raison, qui luy commande,
dignité, pour laquelle on fait prix, et luy enseigne comme il
ou on tient à mespris une action, faut qu' elle se comporte : c' est
qu' ils nomment, imputabilité ) ne pourquoy à cet instant qu' elle n' opere
sont pas ce qui fait qu' une action pas encore, et qu' elle est indifferente
soit morale, mais ce sont seulement à vouloir, ou ne vouloir
proprietez, qui suivent l' estre pas, elle est cause de l' action libre,
moral, comme l' ombre le corps. entant que ceste action est morale,
Il faut encore remarquer, pour laquelle elle rend par apres
bien entendre cette moralité, que bonne, ou mauvaise selon qu' elle
la volonté humaine peut regarder agit, comme nous dirons cy apres.
le dictamen de la raison comme
sa loy, et sa regle en deux façons :
premierement entant que cette CHAPITRE 4
regle precede, et est comme l' acte p54
premier, lors que la volonté n' agit où il est declaré ce que c' est que de la
p52 moralité,
pas encore, mais qu' elle regarde, et de la bonté morale,
ou apperçoit à sa façon le precepte qui se retreuve en nos actions.
de la raison ; et ce precepte bien que nous ayons
de l' entendement determine moralement dit cy devant que l' estre
la volonté, bien qu' elle moral estoit le respect
puisse n' agir pas, ou faire le contraire qu' avoit la volonté
de ce que l' entendement à sa regle, ou au commandement
luy prescrit comme le plus expedient. de la raison, neantmoins

14
nous n' avons pas encore veu si cet d' interieur à ceste action : ce que
estre est reel, où s' il n' est qu' imaginaire, je monstre briefvement, afin de venir
c' est à dire, s' il n' a autre estre à ce qui est de la bonté morale.
que ce pendant que nous y pensons Lors que plusieurs choses sont
actuellement, ou si c' est quelque appellees telles, ou telles, par une
chose de vray, et de reel, avant denomination exterieure à cause
l' operation de l' entendement, et si d' une autre, cet autre icy doit avoir
ceste realité est interieure, ou en soy la raison formelle,
seulement exterieure à l' action. pour laquelle les susdites ont ce
Quant à ce qui est de la realité, il p57
p55 mesme nom, comme lors que la
est certain que la moralité est reelle, medecine, et la pourmenade sont
puis qu' une bonne action n' est appellees saines, à cause qu' elles
pas moins distincte d' une meschante apportent la santé au corps, ceste
avant que nous y pensions, santé, qui n' est dedans la medecine,
que la volonté d' avec l' entendement, doit estre au corps, ou pouvoir
veu que tous deux sont de y estre. Or nous avons plusieurs
differentes especes. Mais il y en a choses, qui s' appellent morales, à
beaucoup, qui croyent que ceste cause de l' acte produit par la volonté,
realité n' est autre chose qu' un et reglé par la raison, telles
nom, ou denomination exterieure, que sont les actions commandees
qu' on donne à l' action, laquelle des autres facultez, comme les operations
ne reçoit en soy aucune mutation ; de l' entendement, de l' imagination,
ce qu' ils confirment par l' exemple et de la puissance motive,
d' un juif, qui croioit devant dont il doit y avoir une raison
l' advenuë de nostre Seigneur interieure, ou une forme de
que le messie n' estoit pas arrivé, et ceste moralité dedans sa volonté,
demeura en ceste mesme creance par les circonstances des actions,
apres la nativité, acte qui n' est et tout ce que nous faisons pour la
changé interieurement, bien qu' il vertu, et en consequence de cet
soit bon, et mauvais, mais seulement acte moral de la volonté, soit appellé
à cause de la circonstance du moral.
temps, laquelle luy est exterieure. p58
p56 Ce que je confirme, parce qu' il
Le mesme se peut dire d' un qui par est impossible que ceste action
un mesme acte voudroit manger morale, entant que morale, procede
de la viande à un jour qui n' est defendu, d' un autre principe que de la
et au jour suivant defendu, volonté, de laquelle s' il ne dependoit
et de mille autres actes pareils. point, il ne seroit moral ; comme
Neantmoins il semble plus veritable, si Dieu le produisoit par soy-mesme,
que ceste realité morale il n' auroit plus ceste dependance
est interieure à l' action, non pas de la volonté, necessaire
entant qu' elle est simple action, à ce qu' il soit moral ; ce qui fait
mais entant qu' elle est morale, de paroistre qu' une nouvelle raison
façon que ceste moralité, aussi de vie, ou vitalité, (pour parler avec
bien que la liberté, est une entité la philosophie) est adjoustee par la
morale, qui adjouste quelque chose moralité, aussi bien que par la liberté.

15
De plus, l' acte vital elicite, et de la regle de la raison, à laquelle
que produit la volonté avec indifference, elle a une habitude essentielle,
et par commandement ce que n' a pas le drap, ou la ligne,
de la raison, est dit libre, et à l' aune, ou à la regle, par laquelle
moral plus proprement, que n' est elle est mesurée, car la ligne ne depend
pas l' effet que Dieu produit hors pas de la regle, comme la volonté,
de soy, comme quand il cree une entant que principe de l' estre
ame dedans le corps organizé : car p61
p59 moral, depend de ce rapport à la
ceste moralité doit estre interieure regle de la raison : c' est pourquoy
à l' action de nostre volonté, la ligne peut estre sans la regle,
mais l' oeuvre exterieur que Dieu mais l' action morale ne peut estre,
fait est appellé libre par une denomination que l' entendement ne juge,
reelle, qui ne luy est et commande ou du moins n' addresse
qu' exterieure. Il s' ensuit donc que auparavant la volonté.
la moralité est une nouvelle entité , D' où je concluds que vivre moralement
ou modalité , laquelle est receuë dans est vivre en se soubmettant
l' action de la volonté, et par laquelle au dictamen de la raison ; et
elle se porte d' une autre façon que l' estre moral n' est rien autre
vers son object, que si l' action chose que ce respect vital qu' a la
estoit seulement libre, et volonté au commandement de
non morale. Ce qui fait qu' il n' y l' intellect, lors qu' elle veut agir,
a point d' autre cause pourquoy de façon que tout ce qui concerne
une action est morale, que la volonté, ceste volonté agissante en ceste
entant qu' elle produit un façon, est appellé moral à cause de
acte libre soumis au dictamen la moralité, qui se retrouve formellement
de la raison ; et le mesme acte, entant dedans l' action de la
que libre, n' est produit que volonté reglee au niveau de la
par la mesme volonté, entant raison.
qu' elle peut agir, ou ne pas agir, si Reste maintenant à monstrer
bien qu' en agissant, et quant p62
p60 d' où vient qu' une action est dite
faisant une reflexion expresse, bonne, ou mauvaise, moralement
ou virtuelle sur cette indifference, parlant, et que c' est qui la rend
elle produit ceste liberté, bonne de ceste bonté morale, à
laquelle enrichit ceste action d' une cause de laquelle nos actions sont
nouvelle raison, et comme d' une loüables, et dignes de recompense.
nouvelle modification : c' est ainsi Nous parlons icy des actions
que les tapisseries enrichissent les produites par la seule volonté, car
murailles d' une chambre, excepté les actions des autres facultez, non
que le premier tapi est exterieur plus que leurs objects, et habitudes,
au second, aussi bien que la muraille : n' ont aucune liberté, que celle
mais la liberté, et la moralité qu' ils empruntent des actions morales
sont interieures à l' action volontaire. de la volonté. Or il est aisé
De là vient que la volonté, à conclure de ce que nous avons
entant qu' elle est principe de la dit cy dessus, que la bonté morale
moralité, depend de la conduite, n' est pas seulement une chose

16
conceuë, et attribuee à l' action ne consiste point en tout
de la volonté, telle qu' est l' action cela, non plus que l' art ne consiste
de l' oeil, qu' on attribuë à ce qu' on pas formellement en tous
a veu, et à cause de laquelle nous les artifices qu' on faict par iceluy,
disons qu' une maison a esté veuë, car tout cela est exterieur
ce qui n' apporte rien de nouveau p65
p63 à l' action produite par la volonté,
à la maison, mais ceste bonté est à laquelle seule convient la bonté
interieure, et reelle à l' action morallement morale, de laquelle nous parlons.
bonne, comme la proprieté La raison n' a garde d' advoüer
de rire, et de pleurer est qu' une action soit bonne, si elle
interieure à l' homme. Et bien que n' a tout ce qu' elle juge estre de sa
Dieu soit reellement createur, encore perfection, non plus que l' artiste
que cela ne soit qu' une denomination n' approuvera jamais un ouvrage,
exterieure, laquelle vient, si tout ce que requert son art, n' y
et procede d' une habitude de raison, est observé ; or la raison confessera
qu' a Dieu à la creature, neantmoins ingenuëment, que l' objet, la
ceste realité est fondee sur fin, et les circonstances ne sont pas
la puissance de Dieu, qui luy est essentielle. cette bonté morale, laquelle doit
Il n' y a donc nul doute estre aussi intime, essentielle, et
que la bonté convient reellement reelle à la bonne action, comme la
à nos actions, avant que l' entendement moralité est essentielle à l' action
pense à ceste bonté, c' est morale, puisque la bonté morale
pourquoy il y a diverses especes est une difference, qui restraint les
reelles de bonté morale, comme limites de cette moralité, comme
nous verrons tantost. le genre moral a une certaine espece
La bonté morale prise formellement, d' estre moral, et puis que telles
et à proprement parler, doivent estre les differences, quel
n' est pas dans la loy, ou dans la droite p66
p64 est le genre. Or nous avons monstré
raison, ny tiree d' icelles, puis qu' elle cy dessus, que la moralité estoit interieure,
n' y est pas ; car puis qu' elle est interieure reelle, et essentielle à l' action
à l' action, la loi, ny la raison morale ; il ne faut donc plus
ne peuvent estre ceste bonté, veu douter que la bonté, dont nous parlons,
que toute sorte de loy est exterieure ne soit intime à l' action bonne
à l' action. Que si ceste bonté moralement parlant, afin que
pouvoit estre quelque chose hors la bonté morale responde à la bonté
de l' action morale, un homme surnaturelle, par laquelle nous
pourroit estre bon, et mauvais sans sommes justifiez, qui nous est interieure,
aucun changement, à la façon d' une ainsi qu' à definy le concile
colomne, laquelle sans se changer de Trente contre les heretiques,
est tantost à droict, et tantost à gauche. qui pensent que nostre bonté, et
Or bien qu' il soit necessaire nostre justification ne nous est
que l' objét, la fin, et les circonstances qu' exterieure, et imputative.
soient conjointes à l' action selon Or ceste realité n' est autre chose
que requiert le dictamen de la qu' une nouvelle raison de vie, laquelle
raison, neantmoins la bonté moralle perfectionne, et accomplit l' action,

17
luy apportant un nouveau degré formelle, par laquelle l' homme
de perfection, qui lui est comme est dit avoir une bonté morale : car il
essentiel, entant qu' elle est bonne. faut necessairement que l' homme
De sorte que comme la substance n' est produise ceste action avec une entiere
pas assortie de toutes ses perfections p69
p67 liberté selon que luy dicte
jusques à ce qu' elle ait sa la droite raison, avant que l' action
subsistance, aussi l' action n' est en qu' il produit, soit bonne de la bonté
sa perfection, si ceste bonté morale dont nous parlons. C' est pourquoy
ne l' enrichit, estant comme la si un homme faisoit la meilleure
perle, qui accomplit la beauté interieure action du monde sans liberté,
de nos actions. Ceste ou sans se conformer à la droite
bonté est produite en ce mesme raison, elle ne pourroit estre bonne
instant que la volonté se soubmet de ceste bonté morale, qui est
à la droite raison, et qu' elle execute interieure à l' action produite par
son raisonnable commandement, la volonté. D' où sensuit que la
ou qu' elle suit sa direction : science des morales ne peut estre
car le dictamen de la raison est le establie, si premierement nous ne
niveau auquel la volonté se doit supposons la liberté, et la raison,
conformer ; c' est pourquoy ceste sans lesquelles rien ne peut estre
conformité à la raison est ce qui bon moralement : car la raison est
fait, que l' action produite par la si necessaire, que l' action ne peut
volonté est bonne moralement estre que bonne, moralement parlant,
parlant : et ceste conformité n' est qui se conforme à sa droicture,
rien autre chose qu' un rapport bien qu' elle fust deceuë, et
qu' a la volonté à l' entendement, qu' elle dictast le mal au lieu du
ou à la droite raison ; si bien que la bien, lors qu' elle ne peut appercevoir
volonté produisant son acte en se p70
p68 ceste tromperie, comme nous
rendant conforme à la droite raison, avons dit en un autre lieu, lors que
produit quant et quant ceste nous avons traicté de l' usage de la
bonté morale, dont nous parlons. raison.
Et bien que l' action que nous devons Le D je vous suis merveilleusement
faire, et que nous appellons obligé de m' avoir tellement
bonne moralement, soit desja esclarcy ce point de la morale,
bonne en soy, avant que la raison pleust à Dieu que le temps
dicte, qu' elle est bonne, puis qu' il permit que vous me donnassiez
est vray de dire, que telle, ou telle une idee de tout ce qu' il faut sçavoir
action est bonne, avant que l' entendement de ceste science, et que me fissiez
la prescrive, veu que la voir si on pourroit l' establir
raison suppose que ce qu' elle propose, à priori , sans qu' il fust necessaire de
est bon lors qu' elle est droite : recourir à une derniere fin.
neantmoins ceste bonté n' est Le Theol vous proposez icy
que fondamentale, et naturelle, un point, sur lequel j' ay souvent
entant qu' elle est convenable affin medité, afin de voir si la morale se
de perfectionner l' homme, pourroit traicter à la façon des autres
mais elle ne peut avoir ceste bonté sciences, mais ce n' est pas une

18
difficulté, qu' il faille resoudre à la Je croy qu' il faut avoir l' ame
legere, car elle importe grandement. merveilleusement
Ce qui me fait croire que p73
p71 abbrutie pour en
cela ne se peut, c' est que les plus venir jusques là que de penser
sçavans du monde tant en philosophie, qu' il n' y a point de Dieu. Certainement
qu' en theologie, l' ont tousjours je suis bien empesché par où
traictee par la consideration je commenceray pour vous monstrer
de la fin, tels qu' ont esté Aristote et qu' il est necessaire de confesser
S Thomas. Toutesfois si jamais que Dieu est, car il n' y a rien au
l' occasion s' en presente, j' en descriray monde, qui ne le preuve ; et ne le
quelque lineament, par lequel suis pas moins à trouver ce qui a
je monstreray ce qui s' en peut dire peu estre cause que quelques-uns
à priori , ou du moins je declareray soient tombez en cet abisme d' impieté,
si cela est tout à fait impossible. bien que j' en aye rapporté
Le D je suis merveilleusement satisfait dix-huict raisons en l' article 3
de ce discours, mais je vous prie de la question, que je fis imprimer
vous ressouvenir de la requeste que l' an passé contre les athees.
je vous avois faite cy-devant, afin Je me contenteray maintenant
qu' estant armé de fortes raisons pour d' en extraire quelques preuves
preuver que Dieu est, je retire beaucoup pour vous armer contre les atheistes.
de libertins, (avec lesquels Il n' y a personne qui ne m' accorde
je me treuve souvent) de leur impieté, que s' il y a un estre souverainement
et de leur aveuglement, qui est si bon, il merite le nom de
grand qu' ils ne croyent aucune divinité, p74
quoy qu' on leur puisse dire. Dieu, puis que nous n' entendons
autre chose par ce nom, que ce qui
a toutes sortes de perfections, et à
CHAPITRE 5 qui rien ne manque : or que ce
p72 bien souverain soit, je le monstre.
dans lequel le theologien preuve que S' il n' est pas, il faut donc que sa privation
Dieu est, contre les athees, et soit, laquelle sera le souverain
les libertins. mal, et par consequent le souverain
Le Theologien non estre, puis que le mal,
je suis bien aise que et le non estre sont une mesme
vous m' ayez jetté sur chose, mais il n' y a nulle apparence
ce sujet ; car je desire que la privation soit plustost
grandement que l' atheisme que son acte, lequel la doit necessairement
prenne fin, et preceder ; il faut donc
que tout le monde recognoisse le confesser qu' il y a une souveraine
grand moteur de l' univers pour createur bonté, puis qu' il ne peut y avoir
de toutes choses. Je vous asseure une souveraine malice : nous avons
que je me suis fort souvent estonné, donc un estre souverain, puis
lors qu' on m' a dit qu' il y avoit que nous refusons un souverain
des athees, veu qu' il n' y a creature non estre, estant necessaire que
si chetive qui n' enseigne que Dieu l' un, ou l' autre soit, il ne faut donc
est, et qu' il est unique et souverain. plus douter qu' il n' y ait un dieu,

19
p75 possible de se persuader qu' il n' y a
lequel est si necessaire, qu' il est impossible point de Dieu ? Ce peut-il faire que
que cela ne soit : car autrement ces beaux lambris celestes, ces 4
il seroit impossible qu' il y elemens, et tout ce que nous
eust rien de tout ce qui est, puis voyons, n' ait esté fait de personne ?
qu' il n' y auroit rien qu' un eternel Sera-il plus facile de croire qu' une
non estre, avec lequel toute sorte oraison de Ciceron, que l' aeneide
d' estre est incompatible. de Virgile, qu' une maison, ou une
D' abondant il est necessaire ville ne peut estre de soy mesme,
qu' il y ait un estre independant, que les estoilles, ou les elemens ?
qui n' ayt aucunes bornes, ou limites Mais je vous prie, pourquoy est-ce
de perfections, autrement il seroit que le ciel n' est plus grand, pourquoy
impossible qu' il y eust rien au n' est il quarré, ou sexagone,
monde, car il faudroit que tout ce au lieu d' estre rond, s' il ne depend
qui y seroit, fust dependant, or ceste d' aucun ? C' est une contradiction
dependance ne pourroit remonter tres-evidente de dire que ce qui
jusqu' à l' infiny, de façon n' est infiny, n' ait pas esté faict, car
que tout ce qui seroit, eust receu s' il est finy, il est necessaire que
son estre, et qu' il n' y eust point d' estre, quelqu' un l' ait finy, et limité : or
lequel n' eust receu le sien de tout ce que nous voyons est finy,
personne. Et puis s' il n' y avoit en suite dequoy il faut qu' il ait receu
point de Dieu, ou d' estre independant, ses bornes de quelqu' un, qui
il seroit impossible qu' il p78
p76 ait un estre infiny, qui est le vray
y en eust, et par ainsi nous aurions Dieu, lequel estant immense borne
une plus grande imagination, que toutes choses selon son bon plaisir.
tous les estres du monde : et l' estre Voicy encore une autre raison
de nos pensees, et de nos phantasies entre cent qu' on pourroit rapporter
surmonteroit infiniment tous à ce suject. Tout ce qui est au
les estres reels, et ce qui seroit imaginaire monde, se resoult és principes, desquels
surpasseroit ce qui est veritable, il est composé, car vous ne
ce qui ne peut estre. Que sçauriez trouver corps aucun, qui
nos imaginations et pensees fussent ne se resolve en ces 3 principes, sel,
plus grandes, cela est clair ; par quelques-uns, en corps, esprit,
ce que nous concevons un estre et ame, ou en terre, feu, et eau : or
infiny quand nous voulons : et tout ce qui se resoût, et dissoût, a esté
quoy, sera-il dit que ces pensees conjoinct et composé, veu que
n' auront aucun object ? Comment le mesme ordre qu' on garde à la
est-il donc possible que l' entendement, dissolution, s' est retrouvé à la composition ;
ou la volonté s' y portent, il faut donc que quelqu' un
si grandement, si puissamment, et ait fait ceste composition,
avec tant de ferveur ? Arriere des lequel n' ait esté composé, mais qui
bons esprits la maudite pensee de soit tres-simple. De plus, puis que
ceux qui sont si estourdis, qu' ils estiment toutes choses, soient pierres, plantes,
qu' il n' y a point de Dieu. p79
Dites moy, je vous prie, est-il animaux, ou mineraux, qui se
p77 retrouvent és 4, ou 5 familles, et

20
estages de ce monde, prennent quand on contemple le bel ordre
fin, et se font avec le temps, il est qui est au monde, et qu' on voit
certain qu' elles ont aussi commencé que chaque chose retient son
avec le temps, comme a fort rang, et son lieu, nonobstant tous
bien remarqué le premier historiographe les desordres, qui semblent arriver,
du monde, lors qu' il a il faut conclure qu' il y a quelqu' un
dit que Dieu crea le ciel, et la terre qui gouverne tout le monde,
au commencement du temps. et qui maintient toutes choses
Mais il est impossible que Dieu ait en bon ordre, car le monde ne
esté creé, puis qu' il est devant tout pourroit pas garder le branle inviolable,
temps, et devant tout ce que nous et la cadence reguliere,
voyons : il estoit, comme il est encore, que nous y appercevons, n' estoit
et sera eternellement, et immuablement, l' Orphee divin, qui touche les cordes
ce tres profond ensoph du grand luth de l' univers, et
des cabalistes, bien-heureux par qui a soing de tous les ressorts, et
soy mesme, lequel n' a fait les hommes mouvemens, qui paroissent dans
que pour sa gloire, et afin les cieux, et dans les elemens. Se
qu' ils contemplassent la bonté souveraine pourroit-il faire qu' une nef evitast
pour la servir, et l' adorer le naufrage, laquelle n' auroit pilote
à tout jamais. C' est donc là où p82
p80 ny gouvernail ? Nullement ;
nous devons aspirer, et ne devons que sera-ce donc de ceste grande
avoir autre but, ou pretention que arche, et de ce grand navire du
de jouyr de ce bien infiny, ne nous monde, si Dieu ne le regit, et conduit
soucians, et n' usans d' aucune chose, en toutes ses demarches ? Ce
qu' entant qu' elle nous servira qu' a fort bien consideré un docte
comme d' échelon pour nous unir poëte de nostre temps en ces vers.
à Dieu, qui nous a faits, et nous entretient callez les voiles bas, etc.
de nourriture, de vie, de p93
vestemens, et de tout ce qui nous pleust à Dieu que tous nos
est necessaire, à ce que nous le poëtes françois voulussent employer
loüions eternellement, et que leur temps, et leurs plumes
nous l' aymions par dessus toutes à descrire les merveilles de Dieu,
choses. afin d' enraciner de plus en plus la
Le D beny soit l' eternel, qui m' a creance du createur en ces esprits
donné ce jourd' huy une telle rencontre, qui sont si mal faits, que rien ne
jamais je n' ay entendu discours leur est agreable, s' il n' est parsemé
qui m' ait plû davantage. Bon dieu ! Se de mille discours folastres de l' amour
peut il treuver quelqu' un si abruty, impudique, au lieu qu' ils
et si aveuglé qui pense qu' il n' y s' amusent, et perdent le temps à
ait point de Dieu : pour moy j' estime composer une infinité de ravauderies,
que cela ne peut venir que faute qui ne meritent pas d' estre
d' esprit, et de jugement, car tout leuës, et pour lesquelles ils seront
p81 griefvement punis apres ceste vie,
ce qui est au monde nous presche s' ils n' en font icy penitence, et s' ils
ceste verité. p94
Le Theolog veritablement n' employent leur travail à quelque

21
chose de plus serieux, et qui soient que trop suffisantes
soit agreable à Dieu. pour faire esvanouyr l' atheisme :
Le D veritablement je croy neantmoins puisque vous
que si un tas d' escrivains qui prenez plaisir à ce discours, et qu' il
broüillent, et perdent le papier semble que desirez vous en servir
avec leurs frivoles, et inutiles inventions pour desabuser quelques uns de
pour attraper la piece vostre cognoissance, j' adjousteray
des imprimeurs, et des libraires encore quelques raisons, que je
addonnez à leur avarice (qui n' ont prendray d' entre celles que j' ay
que le lucre devant les yeux, sans plus amplement deduites en la
se soucier si ce qu' ils impriment question contre les athees.
est bon, ou mauvais, sale, ou honneste, Il est impossible qu' il y ait un
diffamatoire, ou non, pourveu tel nombre de planettes, et d' estoilles,
qu' ils en fassent leur profit, et comme il y a, et que les
remplissent leur bourse) si, dis-je, p97
ces escrivains, qui semblent maintenant cieux puissent garder la distance
surpasser les mousches, si qui se trouve des uns aux autres,
non en nombre, du moins en importunité, s' il n' y a quelqu' un qui leur ait
changeoient de batterie, donné ces proportions, et qui les
et que leurs escrits dressassent ait fait en ce nombre, plustost
les jeunes hommes à la vertu, ou qu' en un autre ; car je vous prie,
p95 pourquoy est-ce que la lune est
leur enseignassent quelque science, esloignee de nous de cinquante
nous ne verrions pas tant de et six semidiametres de la terre,
jeunesse enervee, perduë et quasi lors qu' elle est en sa moyenne distance ?
abrutie. Il seroit à desirer que la justice Pourquoy le soleil se recule-il
y mit ordre : car il importe de nous par 1182 semidiametres,
grandement pour le repos public, quand il est en son apogee,
pour la conservation de l' estat, et lequel se retrouve ceste annee
pour maintenir le respect qu' on 1624 au dixiesme degré de l' escrevisse ?
doit porter aux princes, aux legislateurs, Et pourquoy n' est-il distant
et aux loix. Mais je vous que de 1101 semidiametres, lors
prie de me faire encore part de qu' il est en son perigee, qui se retrouve
quelqu' autre raison pour establir au signe du (...). Qui est-ce
l' estre divin dedans l' esprit de qui luy fait faire ce chemin en descendant
quelques ecervelez, avec lesquels plus bas en l' un qu' il n' estoit
je me retrouve souvent, et qui p98
font gloire de ne croire rien qui soit. en l' autre de 81 semidiametres.
Je vous en pourrois demander
tout autant de Saturne, de Jupiter,
CHAPITRE 6 et de Mars, et m' enquester pourquoy
p96 ils sont tantost plus haut,
dedans lequel on continuë à prouver tantost plus bas, mais je serois trop
que Dieu est. long : c' est assez que vous voyez
bien que les raisons clairement qu' il faut necessairement
que je vous ay deduites advoüer qu' il y a un estre divin
jusques icy, ne reglant tout, et qui n' est reglé

22
de personne. question contre les atheistes,
Car le soleil n' en seroit pas que parce que Tycho Brahe, Kepler,
moins soleil, bien qu' il fust plus Blancan, l' astronomie danique,
prés, ou plus esloigné de la terre, et plusieurs autres deduisent
aussi bien que les estoiles pourroient ces matieres fort amplement.
encore estre estoiles, si elles C' est pourquoy je mets fin à ce
s' absentoient plus loing de nous discours, c' est assez que vous consideriez
que de quatorze mille semidiametres attentivement d' où la
terrestres. La proportion qui raison tiree de ces distances, et
se trouve entre tous les corps du proportions prend sa force, qui est
monde, conclud aussi qu' il y a un p101
p99 que le soleil, ou quelqu' autre
Dieu, qui a fait tout l' univers en planette que ce soit, n' a peu se
poids, en nombre, et en mesure : determiner soy-mesme à s' esloigner
car la terre n' auroit pas une pareille tantost plus, et tantost
raison avec le soleil, qu' a 1 à moins, et n' a peu faire que sa grandeur
140, et avec la lune que quarante fust autre qu' elle n' est : non
à avec 1 ; et ne seroit pas en comparaison plus que la terre n' a pas eu 7200
de toute la solidité spherique lieües en son circuit, parce qu' elle
du monde visible comme n' a voulu en avoir davantage,
un à (...), (c' est à dire mais parce que celuy qui l' a faite,
qu' elle n' auroit pas la proportion ne luy a voulu donner que cela. Il
qui est entre l' unité, et deux trilions, n' y a pas moyen d' en trouver une
sept cents quarante et quatre autre cause ; cherchez tant que
bilions : ce que d' autres diroient vous voudrez pourquoy le circuit
deux mille sept cents quarante du firmament a cent milions
et quatre miliards, prenant huict cens mille lieuës ; et par consequent
chaque miliard pour dix cents milions) : pourquoy son diametre
la terre dis-je n' auroit pas est de trente et deux milions, et septante
ceste raison avec les planettes, et et quatre mille lieuës, vous
avec tout le monde, s' il n' y avoit n' en sçauriez donner autre raison,
un souverain architecte, qui sinon que Dieu l' a ainsi voulu
leur eust donné ces quantitez, pour beaucoup de raisons que
ces mesures, ces distances, et ces p102
p100 nous ne sçaurons qu' en paradis.
proportions. On trouve aussi la mesme raison
Le D vous me feriez un singulier dedans les mouvemens celestes,
plaisir, si vous vouliez prendre n' y ayant autre cause que la
la peine de me dire toutes les proportions volonté divine, pourquoy la mer
qu' ont les cinq autres se meut plustost en 25 heures,
planettes, et toutes les estoilles qu' en 100, ou en quelqu' autre
avec la terre, et par ensemble. nombre ; pourquoy la lune court
Le Theol il me semble qu' il tout le zodiaque en 27 jours, et
est plus à propos de passer outre, huict heures, et r' atteint le soleil
tant parce que vous pouvez voir en vingt neuf jours, et 12 heures :
tout cela en la 19 26 et 33 raison, pourquoy le soleil demeure 365
que j' ay rapportee en la susdite jours 5 heures (...) à faire son cours

23
annuel, et pourquoy son apogee vous demandez cela ou du mouvement
est 28800 ans, avant que d' achever qu' elles ont d' orient en
tout le zodiaque, qui est le temps occident, par lequel elles font le
du propre mouvement des estoilles. tour entier en vingt quatre heures,
Car nous ne pouvons dire que ou du mouvement, qui leur
le soleil, ou les autres astres ayent est propre de l' occident à l' orient,
besoin de ces mouvemens pour lequel ne s' acheve qu' en
leur conservation, veu que le repos p105
ne leur est contraire ; et bien vingt et huict mille huict cents
p103 ans, comme j' ay desja dit. Si vous
que quelqu' un pensast que ce parlez du premier mouvement,
mouvement fust necessaire pour qu' on appelle rapide à cause de sa
empescher la corruption ou de vitesse, il est fort facile de sçavoir
l' astre, ou des individus qu' il s' imagineroit combien chaque estoile de l' equinoctial
estre là, comme de fait de lieuës en une
nouveaux mondes, il faudroit neantmoins heure : car il ne faut qu' à diviser
venir à sonder la raison (...), qui est le nombre des
pourquoy ces individus auroient lieuës de tout le circuit du firmament,
besoin de ce mouvement, et tousjours par vingt quatre, et le quotient
avoir recours à un premier donnera les lieuës pour chaque
moteur, si bien que de quelque heure du jour, qui seront
costé que nous nous tournions, il (...), c' est à dire quatre milions
faut confesser que Dieu est. deux cents mille : de là mesme
Le D je voy clairement que vous pourrez sçavoir combien
toutes ces raisons sont irrefragables, de lieuës feront ces estoiles
car bon gré mal gré qu' on en dedans une minute d' heure, car
ait, il est necessaire que tout ce (...) divisé par 60, qui sont
qui est limité en grandeur, en figure, les minutes d' une heure, donnerent
en nombre, en poids, et sept mille lieuës, que les susdites
en mouvement, ait esté limité estoiles feront en une minute ;
par quelqu' un, lequel n' ait point p106
de bornes, et qui soit infiny, veu si par apres vous divisez 7000 par
p104 60, le quotient vous donnera les
qu' il est impossible qu' on ne vienne lieuës, que font les estoiles en une
à une premiere cause, qui donne seconde minute, et seront 116
l' estre, la difference, et toutes lieües (...). On pourroit ainsi proceder
les proprietez à toutes choses, et à l' infiny pour trouver combien
qui ait aussi bien determiné le de lieües elles font en une
nombre des genres, et des especes, tierce, une quarte, une dixiesme,
comme celuy des individus. et ainsi des autres. Ce qui monstre
Or avant que nous sortions de ces clairement qu' il faut que nous
mouvemens, je vous supplie de ayons receu nostre entendement
me dire si on pourroit prouver d' un estre infiny, puisque nous appercevons
combien de lieuës fait chaque qu' il penetre tout sans
estoille du firmament en une heure. borne, et sans fin.
Le Theol vostre demande Mais pour trouver le chemin
peut avoir un double sens, car qu' elles font l' espace d' une heure

24
par leur propre mouvement, il est celuy là elles font 7000 lieuës en
un peu plus difficile, neantmoins une minute, et par cestui-cy 23 pas.
je vous le diray pour en avoir la Le D je prendray encore la
memoire fresche, car je l' ay desja hardiesse de vous demander à
fait sur la fin de la 33 raison contre p109
les athees, au lieu que j' ay cy devant quel espace de la terre respondent
p107 23 pas du firmament, si vous jugez
allegué. Or pour entendre que je le puisse comprendre.
cecy, il faut supposer qu' elles ne Le Theol j' ay aussi monstré cela
font en un an entier que 51 secondes, au lieu susallegué, où j' ay dit que
et par consequent qu' en l' espace la raison qu' il y a du circuit du firmament
de 1461 jours qui font 4 ans, elles (...), au circuit
font 204 secondes, ou 12240 tierces : de la terre 7200 lieuës, se retrouvoit
servez-vous maintenant de la presque entre 23 pas, et deux
regle de trois, en disant si 1461 tiers d' une ligne : d' où je concluds
donnent 12240 tierces, combien que les estoiles passent les (...) d' une
un jour en donnera-il, vous aurez ligne sur la terre en l' espace d' une
8 tierces (...) qui est le chemin particulier minute de temps. Mais il faut
des estoiles durant un jour. que vous preniez garde que je ne
De plus il faut sçavoir qu' il y a parle que des estoiles de l' equinoctial,
dedans le circuit du firmament ou de celles qui en sont fort
1296000, lesquelles respondent proches, car tant plus elles s' en esloignent,
à 360 degrez : or ces degrez, ou et moins font elles de
ces secondes de tout le circuit chemin. De plus lors que je vous
donnent (...) lieuës, donc ay parlé de lieuës, j' entends des
51 (qui est ce que font les estoiles françoises, ausquelles je donne
en un an par leur propre mouvement) trois mille pas, et à chaque pas
donneront 3967 lieuës p110
p108 5 pieds de roy, sans m' astreindre
avec (...) donc le mouvement d' un à l' ancien pied des geometres, qui
jour, sçavoir est (...) donneront n' est en commun usage parmy
unze lieuës, et presque (...) nous.
que les susdites estoiles feront en Ne vous semble-il pas que
un jour. D' où il sensuit encore par l' homme a de merveilleuses prerogatives
une infallible raison qu' elles chemineront par dessus les animaux,
en une heure 1380 pas, puis qu' il s' assujettit le ciel, et la
qui respondent a 21 quatriesme, terre par la force de son entendement ?
27 cinquiesmes, 12 sixiesmes, et Par lequel il trouve que ces
27 septiesmes. Bref vous sçaurez estoiles ne font que 23 pas en une
quel chemin elles font en une minute, minute, et en une seconde quasi 2
si vous divisez 1380 pas par pieds, et en une tierce 5 lignes, et
60, car vous aurez 23 pas que font mille autres choses, qui sembleroient
les estoiles, qui sont dedans l' equinoctial. surpasser nostre capacité, si
Par où vous voyez nous n' avions quelque semence
quelle proportion il y a entre leur d' immortalité.
mouvement rapide, et cestuy cy, Le D il n' y a pas moyen de
qui leur est propre, veu que par nier cela, c' est pourquoy je croy

25
fermement l' immortalité de l' ame, plus, donc la verité sera, et ne sera
et que Dieu accomplira tous pas, ce qui est une absurdité trop
les desirs que nous avons en ce p113
p111 manifeste ; pour laquelle finir, il
monde de sçavoir, et de jouyr de faut confesser qu' il y a une verité
toutes choses, autrement il faudroit eternelle, laquelle ne depend
dire que nos souhaits seroient d' ailleurs, et est Dieu mesme.
inutiles, et que la nature S Augustin se sert aussi d' une raison
nous seroit marastre de nous faire prise de la verité, lors qu' il dit.
desirer si ardemment ce qu' il (...).
nous seroit impossible d' acquerir Achevons ce discours par l' autre
si Dieu ne le nous donnoit. p114
Le Theol nous ne manquons raison tiree de la supréme
d' autres raisons pour convaincre bonté en nous adressant à elle avec
les athees, telles que sont celles S Anselme en son prosologe.
qui sont prises de cet axiome, tout ô Seigneur, nous croyons que
ce qui se meut, est meu par quelqu' un : vous estes si grand qu' on ne peut
ou, tout ce qui est, a estre d' un autre, rien penser de plus grand, ny de
qui ne reçoit son estre d' ailleurs, excepté meilleur ; faudra-il dire que telle
Dieu qui a son estre de soy-mesme . Mais nature n' est point, parce que le fol
je me contente de les avoir deduites a dit en son interieur qu' il n' y avoit
en la 1 question sur la genese, point de Dieu ? Certainement
d' où je vous en rapporteray lors qu' il escoute ce que je dis, lors
encore deux ; l' une se prendra de qu' il m' entend prononcer, et asseurer
la verité, et l' autre de la bonté, et qu' il y a un estre si bon,
de l' estre souverain. qu' on ne sçauroit en concevoir un
p112 meilleur, il entend quelque chose
Pensez, si vous pouvez, quand il si grand, qu' il ne peut y avoir rien
n' a pas esté veritable que quelque de plus grand : or ce qu' il conçoit,
chose estoit future, ou passee : que est en son entendement, bien
si vous ne sçauriez vous imaginer qu' il n' entende pas que cela soit
ne l' un ne l' autre, et que neantmoins reellement, et de fait, car c' est autre
ne l' un ne l' autre ne puisse chose, qu' on ait cela en l' intellect,
estre veritable sans la verité, il est et autre chose qu' il soit en
impossible de s' imaginer que la p115
verité ait fin, ou commencement, estre ; et le peintre pensant à ce
donc elle est eternelle, et par suite qu' il doit faire, sçait bien mettre
necessaire, elle est Dieu ; car si la verité difference entre ce qui est à faire,
a commencé, ou si elle doit finir, et ce qu' il a desja fait, et cognoist
il estoit vray que la verité que ce qui est à faire, n' est pas encore
estoit avant qu' elle fust, et apres fait.
qu' elle ne sera plus, il sera vray Le fol est donc convaincu que
qu' elle ne sera plus, or le vray ne du moins il a en son entendement
peut estre sans la verité, donc une chose si grande, qu' il ne peut
apres qu' il n' y aura plus de verité, y en avoir de plus grande, car il
il y aura de la verité, car la m' escoute, et m' entend, et tout ce
verité sera que la verité ne sera qu' il entend, est en son entendement.

26
Or l' estre, qui est le plus les philosophes, (...).
grand de tous ceux qu' on peut De plus, si vous pensez à l' eternité,
concevoir, ne peut estre dedans le à la toute puissance, à la souveraine bonté,
seul entendement, car s' il est dans à la justice, à la sagesse,
le seul intellect, on peut concevoir à l' entendement, à la volonté,
qu' il est reellement, et en effect ; bref à tout ce que nous pouvons
ce qui est plus grand que s' il dire, vous trouverez qu' il ne
estoit dedans le seul entendement. peut y avoir nul temps, nulle bonté,
D' où il s' ensuit que si cet estre, p118
par dessus lequel on n' en peut nulle justice, nulle sagesse, nul
p116 entendement, nulle volonté dedans
concevoir un plus grand, est dans les estres finis, si premierement
le seul entendement, cela mesme vous n' advoüez qu' il y a un
qui est le meilleur, et le plus grand estre eternel, tout puissant, souverainement
de tout ce qu' on peut concevoir, bon, et juste, sage et
sera l' estre, au delà duquel on en sçavant à l' infiny, de qui depend
pourra concevoir un plus grand, le temps, et tout ce qui est icy bas.
ce qui ne se peut dire, ny ne peut Car le temps ne peut s' estre faict
estre, il faut donc necessairement soy-mesme, et nos puissances, nos
qu' il y ait une chose non seulement bontez, nostre justice, et toutes
en l' intellect, mais reellement, nos autres facultez n' ont pas leur
et de fait, qui soit si bonne, estre d' elles-mesmes, il faut donc
et si excellente, qu' on n' en puisse qu' elles l' ayent receu de quelqu' un,
concevoir une meilleure, et que lequel n' ait pas receu le
vrayement il n' y en puisse avoir sien d' ailleurs, autrement nous retomberions
une plus excellente, laquelle sera en la mesme absurdité.
ce grand Dieu, qui nous a faits, et Et puis, s' il n' y avoit point d' estre
formez à son image pour le servir, eternel, independant, souverainement
l' aymer, et l' adorer, et pour jouyr sçavant, juste, et bon,
de sa divine essence en la gloire nos pensees seroient meilleures
des bien-heureux. p119
Vous pouvez tirer de semblables que cet estre souverain, d' autant
raisons de tout ce que nous qu' il ne seroit pas en estre, et ne
p117 pourroit y estre, et neantmoins seroit
voyons icy bas : car il n' y a proprieté dedans nos entendemens : il ne
aucune, laquelle ne depende de seroit pas en estre, comme nous supposons,
Dieu, et ne soit une veritable participation il n' y pourroit estre : car
de ses perfections, comme qui est-ce qui le feroit, et qui luy
quand nous disons que le ciel donneroit estre ? Et par ainsi cet
est grand, il faut que Dieu soit plus estre souverain seroit meilleur
grand : mais d' une grandeur plus n' estant qu' imaginaire, et produit
relevee, et plus eminente, laquelle par nostre seule pensee, laquelle
n' ait aucune imperfection : si la ne met rien en l' estre des choses,
terre est, si le ciel, si le soleil a l' estre, que s' il estoit reellement en soy-mesme,
il faut conclure qu' il y a un estre, et qui ne se peut pas concevoir,
incomparablement plus excellent, et est tout à fait impossible.
selon la maxime de tous Par où vous voyez qu' il est si necessaire

27
que Dieu soit, qu' il est infiniment de conte, lesquels ne monstrent
necessaire, qu' il soit impossible que trop par leur tyrannie envers
que Dieu ne soit pas. Si les pauvres, par leurs opressions, et
vous comprenez ces raisons, et par leur maniere de vivre à qui la
que vous les puissiez entendre, et regardera de bien prés, qu' ils ne
deduire bien à propos, quand croyent point qu' il y ait de divinité.
p120 C' est la seule difficulté qui me
vous vous trouverez parmy ces reste sur ce suject, c' est pourquoy
malheureuses compagnies d' atheistes, je vous prie de m' esclarcir là dessus,
et de libertins, je m' asseure afin que nous passions outre.
que vous les ramenerez au bon Le Theol il semble que vous
chemin, et les contraindrez de dire, ayez desseing d' attaquer 4 sortes
et confesser ingenuement, qu' il de personnes, lesquelles ne sont
est impossible que Dieu ne soit, et pas telles que vous les faites, entre
d' advoüer qu' il est necessaire qu' il lesquelles vous donnez le premier
y ait un estre souverain en toutes rang aux medecins, et les distinguez
perfections, duquel depend tout p123
ce qui est en tout l' univers. d' avec les philosophes. Je
sçay que les medecins n' ont besoing
de ma deffence, leur preud' homie,
CHAPITRE 7 et leur vertu estant trop
p121 esclatante pour faire évanouïr
par lequel les medecins sont justifiez, toutes les calomnies dont on les
contre ceux qui disent qu' ils sont le voudroit noircir. Si est-ce que j'
plus souvent atheistes, et où il est entreprendrois
monstré que les hommes sçavants hardiment de faire
soit en mathematique, soit en philosophie, une apologie en leur faveur contre
soit en la cabale, ne sont ny tous leurs ennemis, et médisans,
athees, ny deistes, ny libertins. n' estoit que la plus part de
Le D je vous demanderois leurs livres donnent un clair, et solemnel
volontiers d' où dementir à tous ces cajoleurs,
vient que les medecins, qui parlent sans sçavoir ce
les mathematiciens, qu' ils disent. Vous pouvez voir en
et ceux qui la question contre les athees
ont beaucoup estudié en philosophie, combien facilement la medecine
et à la science de la nature, nous porte à la recognoissance
sont estimez athees, et se moquent d' un vray Dieu. Je me contenteray
de toute sorte de creance : pour ceste heure de vous rapporter
car ils ont ce bruit là, ce qui n' est le sentiment que Galien a eu
pas à mon advis sans suject : et croy de Dieu, vous ne sçauriez refuser
p122 p124
que cela est en partie cause pourquoy son tesmoignage, car il estoit
tant de jeunes hommes suivent payen, je m' asseure que tous les
ceste impieté, parce qu' ils medecins du monde, s' ils ont l' esprit
voyent que c' est le sentiment des bien fait, advoüeront ce qu' il a
plus sçavans, sans mettre les plus couché disertement par escrit au
grands, et les plus riches en ligne 3 livre de l' usage des parties chap.

28
10. Voicy le passage comme je l' ay de la vraye religion, qu' il devoit
retenu en latin. embrasser pouvant sçavoir,
(...) ; par où vous voyez qu' il appelle p130
ces livres de l' usage des parties un s' il eust voulu s' en enquester, qu' il
hymne fait à la loüange de Dieu, n' y avoit que les chrestiens qui
d' autant qu' il n' y a corps, il n' y a recogneussent parfaictement la
membre, ny veine, ny nerf, ny artere, puissance, la sagesse, et la bonté de
qui ne rende un evident tesmoignage Dieu, et qui l' aymassent de tout
que Dieu est, si on considere leur coeur en le servant, et l' adorant :
leur ordre, leur grandeur, ce que j' ay voulu dire en passant,
leur figure, leur action, leur usage, afin de vous advertir. Suyvons.
p125 (...).
et tout ce qui les concerne : suyvons p131
maintenant avec luy. (...). Pourroit-on desirer une confession
Voyla les trois attributs que les plus claire, ou plus franche
theologiens donnent aux trois d' une divinité, laquelle a tout
personnes de la bien heureuse fait, et qui regit et gouverne toutes
trinité, comme S Thomas le declare choses par sa providence ? Or je
subtilement, et fort au long vous défie de pouvoir treuver aucun
en la premiere partie de sa somme, p132
question 39 article 8. Escoutez medecin lequel n' embrasse
le reste. (...). ceste verité, et qui ne confesse que
p127 jamais Galien n' a mieux dit que
Prenez garde à une chose fort importante, lors qu' il a descrit la puissance, la
qui est que Galien advouë sagesse, et la bonté de Dieu, lesquelles
que le ciel, et le soleil ont reluisent en chaque individu.
esté faicts, encore qu' il estime Et afin que vous ne pensiez
qu' ils ayent une ame ; ce qui est pas que ce soit une boutade, en
contre certains ignorans, lesquels laquelle il se soit oublié, voicy ces
faisans les platoniciens, se plaisent paroles tirees du 17 livre du mesme
à rouler l' ame universelle de tout usage chap. 1. (...).
le monde dans leur creuse imagination, p133
pensans qu' il n' y a point Et au 2 chapitre blasmant les
d' autre Dieu que ceste ame chimeriquement athees il dit, (...). Bref pour
universelle de tout monstrer la creance qu' il avoit
l' univers. Mais Galien, plus sçavant d' une souveraine cause, il tesmoigne
que tout ce qu' ils sont, confesse sur la fin de tous ses livres,
que ceste ame depend de qu' ils ne sont que comme un
Dieu. Passons outre. hymne, et une loüange dressee à
(...). la gloire de Dieu. C' est au chap. 3
p129 et dernier, où il parle ainsi.
Or il faut neantmoins prendre p134
garde que Galien a grandement (...).
failly en ce qu' il a dit que le soleil Qui est quasi le mesme que si
avoit sa grandeur, et sa qualité nous donnions ce tiltre aux livres
de soy-mesme, aussi bien comme que nous composons, loüange à
il a manqué, quant à ce qui estoit Dieu : en quoy Galien nous apprend

29
nostre leçon ; car nous devrions train si reglé, et leur course non
rapporter toutes nos actions jamais errante. J' ay eu cet honneur
et tout ce qu' il y a au monde, d' entretenir plusieurs fois
à sa gloire, et à son amour, puisque quelques uns de ces personnages,
tout depend de luy, et qu' il est p137
p135 mais je n' ay veu personne, qui
la derniere fin de toutes choses. croye plus fermement une divinité,
C' est assez (je croy) pour defendre, car quand ils considerent l' activité
et justifier les medecins, entre lesquels du soleil, et la splendeur de sa
j' en recognois de grands lumiere, qui est si admirable que
serviteurs de Dieu, et qui sont nous ne sçaurions comprendre ce
prests de répandre leur sang pour que c' est, ils pensent incontinent
l' amour de Dieu, et pour la verité quelle doit estre la lumiere increée,
de la religion catholique, s' il estoit et infinie, d' où depend la lumiere
question de ce faire. creée, et finie du soleil, et avoüent
Le D je suis merveilleusement franchement que comme
satisfait, et entierement desabusé rien ne peut estre lucide, ou lumineux
touchant ce qu' on m' avoit faict à sans la lumiere, aussi rien ne
croire des medecins, et confesse peut avoir estre sans l' estre des estres,
ingenûment que ce que vous avez lequel est le vray Dieu, qui
apporté de Galien est suffisant ne depend d' aucune chose, et de
pour confondre tous les médisans, qui depend tout ce qui est au ciel,
et calomniateurs. Je vous prie et en la terre.
de me dire un mot des mathematiciens, Il n' est pas besoin de m' estendre
et des philosophes, et des davantage sur ce suject, car
cabalistes, car je n' ay plus que ce tous leurs livres crient, et enseignent
doute sur ceste matiere. haut et clair, que ce monde,
Le Th si vous desirez estre informé p138
p136 et toutes ses parties, n' ont peu estre
plus amplement, lisez l' anatomie disposees comme nous les
du corps humain, que voyons, sans la providence d' un
Monsieur Du Laurent a faite, je souverain seigneur : et puis j' ay deduit
m' asseure que vous vous rirez à ces matieres icy fort au long
bon escient de l' ignorance de en la question susdite, d' où vous
ceux qui accusent les medecins de pourrez prendre ce qu' il vous
libertinage. Or je viens aux autres, plaira. Or s' il se retrouvoit quelque
puis que vous desirez en estre mathematicien qui fust si étourdy,
esclarcy, et dis premierement que et si insensé que de soublier
ce qu' on pense des mathematiciens, de Dieu, et de sa providence,
est une fourbe, et un conte je serois d' advis qu' on le bannit, et
fait à plaisir : car il n' est pas possible, qu' on luy fist perdre la vie de laquelle
si on n' est tout à faict hebeté, il seroit tout à fait indigne.
qu' on ne confesse qu' il y a un premier Mais on ne sera s' il plaist à Dieu en
moteur qui donne le branle ceste peine, car je ne croy pas qu' il
à tous les astres, qui d' une façon y en ait aucun qui se laisse emporter
et d' un costé, et qui d' un autre, lors à ceste extréme impieté, et folie
qu' on vient à considerer leur insuportable, que de penser

30
que ces mouvemens celestes si et attributs. Ceux-là mesmes font
bien ordonnez, soient sans un premier une quantité de noms afin d' honorer
moteur qui les conserve, et p141
p139 l' eternel par diverses façons,
qui leur donne le branle. et sous diverses considerations ;
Passons donc aux philosophes, et ceux cy recognoissent tellement
et disons que nous n' avons point la presence de Dieu en
de motifs plus puissans en la nature toutes choses que s' il leur estoit
pour recognoistre le createur possible ils le monstreroient au
de toutes choses, que leurs discours, doigt à tout le monde, à ce qu' il
par lesquels ils font paroistre fust recognu, servy, et adoré par
que comme par la force, et tout l' univers : ceux là prennent
l' industrie de l' entendement nous l' escriture saincte pour leur fanal,
rassemblons la varieté des individus et ceux-cy en font plus grand estat
en une mesme espece, les diverses que d' aucun autre livre : ceux
especes en un mesme genre, et là fondent tout sur le discours,
cathegorie, et les divers genres ceux-cy veulent establir ce qu' ils
en un seul estre, quand nous disent sur la realité des choses ;
entendons tout par ceste diction bref les uns et les autres parlent
en : ainsi faut-il confesser que tous tres dignement de l' eternel, et de
les estres particuliers se rapportent sa divine providence, comme je
à un seul estre, duquel ils dependent, pourray faire voir une autrefois
qui est Dieu. Je ne veux plus amplement. Or de tout ce
pas vous rapporter une infinité de que dessus vous voyez qu' il n' y a
passages de Platon, d' Aristote, et personne de quelque qualité, ou
des autres philosophes, pour vous p142
p140 condition qu' il soit, qui ne recognoisse
monstrer la cognoissance qu' ils une divinité, de laquelle
ont euë d' une divinité, et l' estat depend tout l' univers ; car bien
qu' ils en ont fait, de peur d' estre que les medecins, les mathematiciens,
trop long en ce discours, voyez les philosophes, et les cabalistes
seulement Eugubin au livre qu' il se puissent abuser, et decevoir
a composé sur ce suject. en beaucoup de choses, si est-ce
Quant à ce qui est des cabalistes, qu' en ce qui est de recognoistre
soit que vous les preniez un vray Dieu, ils en sont tous
pour ceux qui n' ont que la cabale d' accord, et ne pourroient autrement
commune parmy les rabins, laquelle rendre raison de mille choses
se sert des lettres, et de leurs qui se rencontrent emmy la nature,
combinations pour treuver quantité s' ils ne presupposoient une
de secrets, et matiere de discours, souveraine cause infinie, et independante,
soit que vous entendiez les par laquelle tout le
autres, qui font estat de sçavoir la monde est conservé, et subsiste en
verité de la nature, ses causes, et son estre.
ses principes, vous vous estes mépris,
car les uns et les autres discourent
fort advantageusement CHAPITRE 8
de la divinité, et de ses perfections, p143

31
dans lequel on voit que c' est que la cabale, qui signifie une couronne
et quelles sont ses parties ; et representee par (...) symbole de la
auquel le deiste declare ce qui a esté trinité, c' est pourquoy ils luy attribuent
cause de ce qu' il est tombé en impieté. le nom essentiel de Dieu
Le Deiste (...), et disent qu' il influë par
je vous prie m' apprendre les seraphins au premier ciel mobile,
ce que c' est que la et en toutes choses pour leur
cabale, de laquelle donner l' estre. Le 2 sephirot est
on fait un si grand estat, (...) sagesse, qui influë avec
et si c' est une le grand tetragramme (...) par l' ordre
vraye science, ou non : car selon des cherubins dedans le firmament
que vous en avez parlé cy devant, les idees de toutes choses.
il semble que ce soit quelque chose J' aurois beaucoup de choses à
de grand, et de relevé par dessus rapporter sur ces deux noms, mais
les autres sciences. passons outre de peur que cela
Le Theol si la cabale estoit vous trouble la memoire.
telle que les rabins disent, asseurément Le troisiesme sephirot est (...),
elle surpasseroit toutes les le nom duquel est Elohim
p144 p146
autres sciences : car ils veulent que (...), et influë par les throsnes
par le (...) Beresith, on cognoisse dans Saturne, et represente le
tout ce qui appartient à la nature, sainct esprit, comme le 2 le fils, et
et par le Mercaua (...) tout ce le premier le pere : c' est de ce sephirot
qui concerne la divinité. Il est vray qu' ils tirent leurs 50 portes
que les cabalistes choisissent d' intelligence. De plus, ils tirent
particulierement du nom Elohim les 32 chemins
le Mercaua, et les de la sapience, d' autant que ce
talmudistes le Beresith. Or entre nom est repeté trente et deux fois
tout ce qu' ils ont de plus excellent, en la genese, avant que l' homme
ils se servent particulierement soit formé, comme si toutes les
de leurs numerations qu' ils creatures avoient esté faites par
appellent Sephirots, par lesquels ils les zirufs, ou diverses transpositions
asseurent que la sagesse divine se de ce mesme nom Elohim. Le
respand sur eux, et donne à chaque Jesirah que j' ay rapporté sur le 207
individu les trois degrez de probleme de Venetus, appelle (...)
vie, sçavoir est le vegetable, le sensible, les trois meres entre les lettres,
et l' intellectuel : de plus, ils que les cabalistes accommodent
ont 32 chemins pour arriver à la à ces trois sephirots, (...) au pere,
sapience ; et 50 portes d' intelligence et au sel, (...) au fils, et au mercure,
pour sçavoir tout ce qui appartient et (...) au sainct esprit et au soulphre.
à la nature, et à la divinité. Je laisse les autres applications de
Le D je vous prie me favoriser p147
p145 ces trois lettres à la loy de nature,
tant que de me dire qui sont ces à celle de Moyse, et à celle de grace ;
sephirots, et combien il y en a. aux ebaz, thmuraths, et zirufs
Le Theol ils en content dix, des elemens, et à la ligne, au triangle,
entre lesquels Cheter (...) est le premier, et au quarré.

32
Le 4 Sephirot est Chesed (...) clemence, soient attribuez, et que Moyse ait
son nom est (...) et influë par surmonté les dix especes de charme,
les dominations dans Jupiter les desquelles Ammonino, et Amaël
exemplaires de tous les corps. magiciens de Paraon se
Le cinquiesme est Ghebourah severité, servoient, par les dix vertus de ces
et force (...), lequel a le mesme sephirots respondantes aux dix
nom que le troisiesme, et influë commandemens de Dieu.
par les puissances, et par Mars Vous pouvez encore remarquer
la guerre, etc. Le sixiesme est Tiphereth qu' on les appelle Belimah
(...) grace, qui influë la lumiere, (...), par ce qu' ils sont des nombres
et la vie par les vertus, et par tres-purs sans addition, ou
le soleil : il a pour son nom Eloah que les choses divines se comprennent
(...). Le septiesme, (...) Nehte victoire, mieux par une profonde
influë l' amour de la justice dans meditation en silence, que par
Venus, par les principautez, et discours. Je ne vous dy point qu' ils
a pour son nom (...) Jehouatheuaot, pensent qu' Adam eut la science
et produit les vegetaux. Le p150
p148 de toute la nature par ces numerations,
huictiesme est Hod (...) loüange influe et que Moyse fist ses miracles
par les archanges, et par par les mesmes ; que Solomon
Mercure la concorde avec son cogneut toutes les plantes, et acquit
nom, (...) Elohim Tseuaot. Le la grande sagesse, qui le faisoit
9 (...) influë ce qui sert à accroistre admirer ; et mesmes que le
les choses d' icy bas, par les messie doit faire tous ses prodiges,
anges, et par la lune, et a pour son et miracles par ces sephirots,
nom (...), ou (...) Elohai, ou Sadai, car cela est assez vulgaire : bien que
Dieu vivant, et tout puissant. Le les autres dient que ç' a esté par la
dernier sephirot est Malchout (...) vertu du grand nom (...) que tout
empire, qui influë par les ames cela a esté fait.
bien heureuses et par les creatures Le D je vous supplie me donner
raisonnables le sçavoir, et l' industrie, quelque exemple, lequel me
ayant pour son nom Adonai fasse comprendre la façon dont
(...), seigneur. les cabalistes se servent de toute
Voila les dix numerations par ceste cabale.
lesquelles les cabalistes veulent Le Theol je le veux, et suis
que Moyse soit parvenu à la cognoissance content de me servir du grand
du Beresit, et du Mercaua ; nom de Dieu pour cet effet, car ils
les divers rayons par lesquels ont beaucoup pris de peine à dire
Dieu nous depart tout ce qui est tout ce qu' ils ont peu penser sur
icy bas ; la chaisne d' or avec laquelle p151
p149 ce subject. Ils veulent donc que la
Jupiter attire tout à soy : premiere lettre (...) represente la simplicité
l' eschelle de Jacob, par laquelle de l' essence divine, lequel
nos prieres, et nos voeux montent compose toutes les lettres, et contient
à Dieu, et ses graces descendent tous les nombres, car il vaut
à nous : en fin ils veulent que les dix ; c' est pourquoy les chaldeens
10 cathegories, et les cieux leur representent le grand nom tetragramme

33
avec un seul (...) trois fois treuver neuf cieux, et neuf ordres
repeté. d' anges : et disent que Moyse estendit
C' est ce nom par lequel ils pensent ce nom en trois fois 72 lettres,
que Moyse a fait des merveilles, qui font 216, autant que le cube
et qui par sa vertu a creé le de six : de plus, qu' ils pensent
ciel, et la terre, comme si toutes que le (...) Torah ne soit autre chose
les creatures n' estoient que ce que ce grand nom Schem Hammaphoras,
nom estendu par tout ; le (...) y est et qu' il contient deux
deux fois, à ce que le premier represente milions de lettres, autant qu' il sortit
la production ad intra , d' ames d' Aegypte, y compris les
qui est en Dieu, et le second la vieillards, les femmes, et les enfans.
production ad extra ; celuy-là respond Or ils tirent le susdit nombre
à la pensee, celuy-cy à la parole, 216 de 3 versets du 14 de l' exode,
celuy-là est le modelle, et l' idee, chacun desquels contient 72 lettres
et celuy-cy en est comme p154
p152 au texte hebrieu, lesquelles
l' effect. produisent autant de noms explicatifs
Et tous deux representent les du tetragramme, chacun de
deux natures qui sont au verbe trois lettres, et ce en dix manieres
eternel incarné : car le premier (...) differentes par autant de Zyruphs,
qui suit apres (...) lequel signifie le ou commutations de lettres : ils
pere, nous monstre la nature divine ; tiennent aussi ce nombre de 72
apres lequel suit le (...) symbole en (...) par leur Ghematrie, car (...) vaut
du sainct esprit : le second (...) respond dix, mais avec (...) il fait 15, et puis (...),
à la nature humaine ; ou bien (...) valent 21, et finalement les 4 pris
les deux (...) nous feront ressouvenir ensemble valent 26, or 10, 15, 21, et
de l' egalité des deux personnes 26 font septante deux, par lesquels
produites par le pere, signifié par ils disent que Moyse prosterna
(...) qui vaut dix, autant que les deux non seulement les 6 cents chariots
(...), lesquels multipliez l' un par d' Aegypte, mais aussi les 72 potentats,
l' autre font 25, le double duquel et langages representez par
donne 50 pour le grand jubilé. autant de grenades, et de cymbales
Il n' y a que trois lettres diverses qui estoient au bord de la robbe
en ce grand nom, lesquelles sont du grand prestre, autant qu' il y
toutes circulaires : car si vous multipliez eut de langues, et de nations divisees
(...), ou (...), ou (...), c' est à dire 10, à la confusion de Babylone.
ou 5, ou 6, ces nombres se rencontrent Enfin le grand nom de Dieu est si
tousjours à la fin de la multiplication, p155
p153 remply de mysteres qu' on en
car dix fois dix font pourroit faire des volumes entiers,
cent, et dix fois cent font mille, qui si nous voulions suivre la force,
a tousjours dix à la fin, et est le cube ou la signification qu' ils donnent
des cubes : de mesme cinq fois aux nombres : car si tost que
cinq font 25, et six fois six trente ils apperçoivent quelque rapport
six, et ainsi jusques à l' infiny. Ils d' iceux avec quelque effect
multiplient aussi ce ternaire de de la nature, ou de la grace, ils se
lettres par soy mesme, afin de jettent incontinent sur ces considerations,

34
comme quand ils disent entre lesquelles ils pensent
que la derniere porte d' intelligence que les trois meres du Jezirah (...)
estoit reservee au messie, representent les trois mondes,
d' autant qu' il devoit nous delivrer sçavoir est l' intelligible, le celeste,
parfaictement de l' Aegypte et l' elementaire ; et par les
des pechez, et des imperfections, vingt et deux lettres multipliees
nous donnant la beatitude, qui est les unes par les autres, ils croyent
la fin du Binah, et le commencement qu' on peut cognoistre le nombre
du Hochmah ce qu' ils pensent des estoiles, et de toutes les autres
avoir esté signifié par la delivrance, creatures : voicy leur nombre (...).
et issuë de l' Aegypte, laquelle Ils adjoustent à ces vingt et deux
est repetee 50 fois seulement lettres les cinq finales pour faire
en l' escriture saincte pour nous le nombre de vingt sept cube du
p156 ternaire, que Platon a pensé tenir
monstrer le grand jubilé de nostre le lieu de la forme, du masle, et de
redemption, que le messie a l' argent, comme 8 cube du binaire
peu donner, Moyse n' ayant entré tient le lieu de la matiere, du patient,
qu' en la 49 porte denotée par le et de la femelle. Les 3 lettres
quarré des 7 inferieurs sephirots. p160
Ces sephirots, vestemens, ou susdites representent les trois elemens,
courtines, qu' ils attribuent à la divinité, les 12 signes du zodiaque,
ont plusieurs noms qu' il et les 7 planettes ; mais les seules
sera bon que vous sçachiez, afin lettres ne sont que comme les
de les comprendre plus facilement, parties materielles des individus,
voicy comme un docte poëte jusques à ce que les poincts, ou
les descrit, lequel commence voyelles leur donnent la forme, la
par la plus basse, que nous avons vigueur, et l' ame : et les accents
nommee Malchut. leur apportent les formes operatrices,
tantost elle est le regne, etc. lesquelles respondent aux
p158 influences superieures : de sorte
nous parlerons, Dieu aydant, que celuy qui prononcera la langue
une autre fois de ces numerations, hebraïque comme il faut, representera
ou sephirots plus amplement, si je l' harmonie celeste, et
voy qu' il en soit besoing, desquels archetype, parce que les lettres representent
il me souvient avoir discouru en toutes les parties materielles,
la 50 question sur la genese : souvenez-vous les poincts monstrent les
cependant que ces diverses formes, et les autres accents les
significations des susdits operations du composé : si bien
sephirots, servent grandement que ces 22 lettres seroient à ce
pour entendre le zoar, et les autres conte les idees de toutes les creatures
cabalistes, qui ont presque formees, et à former.
tousjours en la bouche quelqu' un p161
de ces noms. Voila en sommaire ce que le
p159 zohar, et les autres rabins, talmudistes,
Jamais je n' aurois fait si je voulois et cabalistes disent de
vous raconter tout ce qu' ils leurs lettres, s' imaginans Dieu dedans
disent de leurs vingt et deux lettres, son Ensoph, qui darde ses

35
rayons, et ses influences par le soit conforme à l' escriture
grand nom (...) representant les 4 saincte, et à la verité, ils le tirent neantmoins
elemens, et par les 10 sephirots sur de certains principes,
tout ce qui est icy bas selon les qui ne me semblent pas recevables :
idees du verbe eternel, que quelques c' est pourquoy mon sentiment
uns pensent estre le Mettatron, est que toute la cabale rabinesque
l' ame de l' univers, et la forme n' est qu' une pure invention
des formes, d' où les nombres formels des hommes, qui ne peuvent
prennent leur source, et leur avoir autre raison de leur dire que
origine, et vont aboutir au Malchut, ce qu' ils sçavent à posteriori par les
qui represente la lune archetype, effects, soit par science, soit par revelation.
la cerve unicorne, ou le Ce qui n' empeschera pas
quadrilettre (...), qui se divise en que je ne vous rapporte ce qui est
4 fleuves à guise de la fontaine de de leur methode, et de leur art.
la genese chap. 2. Le premier fleuve La premiere façon s' appelle
ou canal est l' amour Ghedulah ; p164
le 2 la justice, ou la force Geburah, Etbas, c' est à dire transpositions de
p162 lettres, ce qui se fait en deux sortes ;
le 3 la vertu agissante et masculine premierement par equivalence
Tipheret ; et le 4 la feminine recevante de nombres, lors que deux dictions
Malchut ; ces 2 derniers contiennent une mesme
sont le soleil, et la lune, l' espoux, somme, ce qui se voit en Metattron
et l' espouse des cantiques : le sens (...) qui comprend 314, aussi
litteral, et le spirituel, la justice, et bien que Sadai (...), c' est pourquoy
la misericorde, le blanc, et le rouge ils le mettent, ou l' interpretent
cant. 5. (...), l' eau, et le sang, qui sortoient souvent l' un pour l' autre,
du costé de nostre sauveur. d' où l' arithmantie des grecs semble
Le D je vous asseure que ces avoir pris son origine, laquelle
inventions semblent estre merveilleusement j' ay refutee en la 50 question sur
subtiles, et croy la genese art. 3 4 et 5. L' autre sorte
qu' il n' y a rien de plus excellent est par metatheses, et anagrammes,
au monde que l' alphabet hebraique, telles que sont celles desquelles
si tout ce que vous avez je me suis servy pour expliquer
rapporté des cabalistes a quelque la premiere parole de l' escriture
fondement en la nature. Mais je saincte Beresit, en la 4 question art.
n' entends pas bien la methode 2 et 3 voicy une transposition plus
qu' ils tiennent pour treuver tous briefve au nom de Dieu (...), et (...)
ces mysteres, c' est pourquoy je p165
vous prie de me la faire comprendre ; lo qui veut dire non , comme si on
p163 vouloit dire que nous comprenons
et me dire librement vostre mieux ce qui est des grandeurs
advis sur ces inventions. divines par la negative, que
Le Theol ils ont plusieurs façons par l' affirmative ; la lumiere divine
pour venir à leurs mysteres, estant comme la nuict d' Orphee,
esquelles je ne treuve pas grand et d' Hesiode, ou comme un Ensoph
fondement, car bien que ce qu' ils à nostre regard. Vous pouvez voir
disent de Dieu, et de ses perfections, quelque chose de semblable dans

36
le cratyle de Platon touchant le Ghematrie, laquelle se sert
nom d' Apollon. des mesures, et des proportions.
La seconde façon est appellee Mais laissons tous ces discours,
Thmurah, qui fait les changemens puis que nous pourrions treuver
materiels ; la troisiesme Ziruph, laquelle de semblables artifices en nostre
fait les mutations, et combinations alphabet françois, cela ne dependant
formelles, et n' est guere que de l' institution, et de la
esloignee du Zairagia des mores : volonté des hommes, c' est assez
or par ceste voye ils conjoignent p168
les 22 lettres de leur alphabet, que les cabalistes nous fassent
selon qu' ils ont appris du Jezira, voir par les diverses revolutions,
qui parle ainsi. (...), dont ils se servent, qu' ils croyent
p166 fermement que Dieu est, et qui
afin qu' ils ayent 22 alphabets. luy attribuent les mesmes perfections
La quatriesme façon est leur que nous recognoissons, et
Ghilgul quotité numerale, par laquelle adorons en la divinité.
ils treuvent quantité de Leurs 12 revolutions du nom
mysteres dans chaque mot selon tetragramme, qu' ils appellent Hauaioth,
la valeur de son nombre, comme afin que la vertu divine passant
quand en (...) Malah, c' est à dire sel, par les 12 signes du zodiaque,
ils treuvent 78, lequel divisé en et par tous les cieux jusques à
deux donne 39, qui est un nombre nous, donnent un certain tesmoignage
pareil à ce mot (...) Cuzu, qu' ils appellent qu' ils ne s' esloignent point
le fourreau du grand nom ; de l' arbre de vie qui porte douze
divisé en trois parties ils ont 26, autant fruicts en l' an, une fois chaque
que vaut le tetragramme : je mois : ny des 12 portes de la cité
laisse le reste d' autant que je ne celeste, ce qui nous represente nostre
voy aucune raison en tout cecy. sauveur, et le vray paradis, auquel
La cinquiesme façon est le Notaricon, parviendront tous ceux qui
qui met une lettre, ou une auront recognu le vray Dieu, et
syllabe pour un mot, ou pour une l' auront servy selon sa saincte volonté.
lettre un mot entier : c' est ainsi que p169
par ces trois lettres (...) ils signifient Plaise à sa bonté divine
p167 nous faire ceste grace, à ce que
la Ghematrie, le Notaricon, et nous le benissions, et l' adorions
le Themurah, qui sont les 3 parties eternellement
de la cabale : et que par amen , qui se avec tous les bienheureux.
lit dans Isaye chap. 65 vers. 16 ils Je croy que tout ce que
entendent (...), nous avons dit jusques à present,
c' est à dire le seigneur roy fidelle : est suffisant pour vous armer contre
et par ce mot du 3 psalme (...), ils les atheistes, et pour les faire
entendent les romains, les babyloniens, rougir de honte en quelque compagnie
les ioniens, et les medois. que vous les puissiez treuver,
Il seroit facile d' escrire aussi viste s' ils ne veulent quitter leur impieté.
comme on parle, qui voudroit se Le D ceste verité me semble
servir de ces abbreviations. si bien prouvee, qu' il n' est pas possible
Enfin la sixiesme façon est appellee d' en douter, aussi n' ay-je jamais

37
voulu suivre ces malheureux que d' un pur libertinage, lequel
atheistes, qui sont indignes de vivre, a pris pied en France, lors que les
et croy que si Dieu n' estoit infiniment maudites heresies de Calvin, Luther,
misericordieux, et souverainement et des autres heretiques y
bon, qu' il les reduiroit ont entré. S' il y eut jamais une
au neant, ou les puniroit d' une peine p172
infinie. grande porte ouverte à toutes sortes
Le Theol il ne faut pas que de desbauches, d' impietez, et
p170 de trahisons, c' est celle-cy, par laquelle
vous doutiez qu' il les punira, s' ils le dragon à sept testes tasche
ne se repentent avant la mort : car d' attirer avec sa queüe endiablee
estans hors la grace de Dieu, et ses une grande partie des hommes
ennemis jurez, ils meritent l' enfer, à sa suitte pour estre à jamais
et tous les tourmens qui y sont. damnez avec luy. Or je suis bien
Le D monsieur, je sçay qu' en aise que vous m' ayez descouvert
vostre religion vous tenez ces maximes, vostre esprit : car le mal estant cognu,
mais je n' y trouve pas grande est à demy-guary, et me fais
apparence : car seroit-il possible fort avec l' ayde de Dieu de vous
que Dieu, qui est si bon, voulust tirer de cet erreur.
que sa creature fust à jamais miserable ? Le D vous appellez erreur, ce
Le Theol parlez vous tout à que j' estime veritable, neantmoins
bon, ou si vous voulez vous donner si vous pouvez me monstrer
carriere ? Comment, ne croyez que je suis en mauvais chemin,
vous donc pas que tout ce qui est et que nos opinions sont
en la religion chrestienne, est fausses, je ne seray point opiniastre,
tres-veritable, puisque c' est Dieu ains j' embrasseray volontiers
mesme qui en est l' autheur ? Il est ce que vous me proposerez.
vray que Dieu est souverainement Le Theol il ne se peut faire
bon, voire la bonté mesme, p173
p171 que vous ne sçachiez que c' est que
mais il est aussi juste, comme il la religion chrestienne, car vous
est bon, et par consequent il ne estes françois de nation, c' est
faut point douter qu' il ne chastie pourquoy je pense qu' il suffit que
les meschans, aussi bien comme il je vous propose, et vous maintienne
recompensera les bons. qu' il n' y a que ceste seule religion
Le D monsieur, j' ay estudié à qui soit la vraye, d' où il s' ensuit
une escole, laquelle ne m' a pas appris que la vostre pretenduë, et
cela : car les maistres que j' ay tout ce qu' il y en a au monde, sont
eu, m' ont entretenu en ces pensees, toutes fausses, et irreligions, non
que c' estoit assez de croire en pas religions, excepté la pure, saincte,
Dieu, mais que tout le reste avoit et veritable religion des chrestiens,
esté inventé par les hommes, qui font hommage au verbe
et pour ce sujet veulent que nous eternel, et à toute la trinité
portions le nom de deistes. bien-heureuse, de leur ame, de
Le Theol il y a long temps leur corps, et de tout ce qu' ils ont,
que j' ay ouy parler de ceste secte, et detestent tous ceux qui desadvoüent
mais asseurés vous qu' elle ne vient Jesus-Christ nostre sauveur,

38
et redempteur, et quittent que de se donner du bon
la voye qu' il nous a donnee pour temps à quelque prix que ce soit ?
aller regner avec luy au ciel. Faut-il que vous ayez perdu la foy,
Le D pourriez vous me monstrer p176
p174 que vous avez receuë au sainct
que vostre religion fust telle baptesme, et à la confirmation,
que vous dites ? Car bien que par la persuasion de quelques étourdis,
j' aye esté baptisé, et que j' aye receu qui cherchent, et taschent
la confirmation ; neantmoins par tous moyens de quitter la
estant plus grand, et plus aagé, crainte de Dieu, à ce qu' ils puissent
certaines personnes de bon esprit, commettre leurs excez, et
et de bon jugement (du moins qu' ils se veautrent dans l' iniquité,
ont-ils ceste reputation parmy les et dans la lubricité sans aucune
honnestes compagnies) m' ont fait synderese et remords de conscience ?
entendre que la religion chrestienne Bon dieu, où en sommes nous !
ne servoit que pour retenir Ne rougissez vous point de honte
les hommes brutaux en leur de vous estre laissé abuser si facilement,
devoir, afin que les loix en fussent et d' avoir renoncé à la religion
mieux gardees : mais que les sages, chrestienne avec si peu de
et les esprits déniaisez, et relevez raison ? Mais quoy, prenez bon
par dessus le commun, comme courage, il ne tiendra qu' à vous si
l' or par dessus les metaux, n' avoient vous ne quittez cet erreur, et revenez
que faire de telles considerations à la vraye creance, sans laquelle
pour bien faire, la vertu il est impossible d' estre sauvé.
estant aymee de tels personnages Dites moy de grace, qu' avez vous
pour la beauté qu' elle a en soy, et p177
non pour l' utilité, ou pour la peur treuvé à redire en nostre religion ?
p175 Enseigne-elle rien qui ne soit conforme
de quelque supplice. En quoy j' ay à la droite raison, et favorable
esté confirmé par la lecture que aux bonnes meurs ? Je sçay
j' ay faite de quelques autheurs, qu' elle fait pallir, et trembler les
qu' on estime tres-honnestes hommes, meschans, et qu' elle les empesche
esprits forts, et excellens, et d' effectuer leurs mauvais desseings
qui ont couché par escrit leurs advis si librement comme ils feroient,
assez librement, tels que sont s' ils pouvoient tout à faict
Charron, et Cardan en leurs sagesses, bannir la crainte de Dieu, et de sa
et quelques autres. justice de leur esprit. Je sçay
Le Theol il faut estre merveilleusement qu' ils ont la religion catholique
credule, et foible en horreur, par ce qu' elle reprimende
d' esprit, pour s' estre laissé persuader leurs appetits dereglez, et
à ces jeunes folastres, lesquels leur defend ce qu' ils ayment, et
vous avez hantez, que la religion cherissent par trop. Je sçay qu' ils
chrestienne n' estoit faite que redoutent qu' on leur en parle serieusement,
pour la manutention des loix. Est et qu' ils n' y veulent
il possible que vous vous soyez pas mesme songer, de peur que
laissé aller aux cajolleries de ces l' apprehension des jugemens divins
badins, qui ne desirent rien davantage ne leur oste une partie de la

39
volupté, qu' ils prennent à assouvir par cette lecture que je suis tombé és
p178 opinions que vous avez touchees,
leurs sentimens, et leur donner asseurez vous que cela pourra me
tout ce qu' ils demandent, et au servir à quitter l' opinion que j' avois
delà. Bref, je sçay que jamais ils ne conceuë de la religion catholique.
s' accorderont à ce qu' enseigne la
religion chrestienne, cependant
qu' ils viveront à la façon des bestes, CHAPITRE 9
et qu' ils espouseront le party auquel le theologien porte son jugement
de l' appetit inferieur commun à touchant les oeuvres, et les
l' homme, et aux brutes, et qu' ils se opinions de Charron, et de quelques
banderont contre la raison, laquelle autres escrivains, et où ses impietez
voyant les motifs de nostre sont descouvertes, et refutees.
foy, et considerant la beauté, l' honnesteté, Le Theologien
et l' utilité de la religion je sçay que c' est une
catholique, ne peut qu' elle ne matiere fascheuse, et
l' embrasse, et qu' elle n' advouë, odieuse, lors qu' il est
que ceste religion ne peut estre question de porter
venuë que de Dieu, si tant est son jugement de
qu' elle vueille cooperer avec les p181
graces divines, que son createur quelques autheurs, soit qu' ils
luy depart pour l' esclairer, lors soient morts, soit qu' ils soient vivans,
que de son costé elle considere, et c' est pourquoy je n' entreprens
pese serieusement toutes les raisons pas de dire ce que je pense
p179 de ceux que vous avez proposez,
qu' elle propose pour se faire cherir, et sinon parce que vous jugez que
embrasser. cela vous pourra esclaircir sur vos
Ostez donc de vostre esprit ce doutes, et servir à vous tirer de vos
qui vous a fait quitter la foy, et la erreurs. Ce qui rend tels jugemens
religion, et croyez fermement odieux est parce qu' il est
qu' il n' y a rien dans sa doctrine, difficile de persuader qu' on ne
qui ne soit honneste, sainct, utile, fasse cela par envie, qu' on porte à
et veritable : pour ce qui est des leur plume, et à leur gloire ; ou
autheurs, que vous avez rapportez, qu' on ne se vueille venger pour
je suis content que me dispensiez quelqu' autre consideration, ou
d' en dire mon advis, car ils qu' on ne vueille faire paroistre
ont desja un assez mauvais bruit, qu' on est plus habile, plus judicieux,
sans que j' y adjouste mon sentiment. ou plus eloquent qu' ils n' estoient ;
Le D monsieur, il me semble or tous ces motifs sont autant
que vostre discours m' a fait ressentir blasmables, comme ils sont
je ne sçay quelle lumiere, c' est vicieux, et indignes d' un vray
pourquoy je veux y penser un peu chrestien. Aussi ne (...) poussé
plus serieusement : neantmoins p182
vous m' obligeriez fort si vous me de ces respects, et aymerois beaucoup
vouliez dire ce que vous jugez des mieux convaincre les erreurs,
autheurs que j' ay citez, car c' est qu' ils auroient commis par
p180 des raisons contraires, que de les

40
blasmer sous d' autres pretextes. de l' estime : mais si on les considere
C' est ce que j' ay souvent pensé de pres, on y trouvera beaucoup
touchant la sagesse de Monsieur de maximes, lesquelles approchent
Charron, mais le temps, et le loisir fort de l' impieté, particulierement
ne me l' ont encore permis, et ay en sa premiere verité.
tousjours attendu que quelqu' autre Il y a plus de difficulté en sa sagesse,
l' entreprist donnant une sagesse de laquelle on juge diversement :
qui soit aussi chrestienne, les uns disans qu' elle est seminaire
qu' humaine, et polytique, à ce que d' irrelligion, et d' atheisme :
la police, et la religion se conjoignent les autres confessans que si
par le lien d' une veritable un homme n' est bien sur ses gardes
harmonie, et qu' un chacun voye en la lisant, qu' il court risque
deux choses tres clairement : premierement, d' estre esbranlé en sa creance, et
que la foy, et la religion en sa religion ; il y en a qui disent
catholique ne repugne en qu' ils n' ont jamais rencontré un
aucune façon à la meilleure police, meilleur livre, à cause que le style
qui se puisse imaginer au monde. en est pressé, et nerveux, et que les
Secondement, qu' elle n' empesche p185
p183 maximes y sont druës, et frequentes,
point la subtilité de l' esprit, et ceux-là sont ordinairement
ny les belles, et curieuses recherches, libertins, et se moquent des ceremonies
et inventions, ny mesme de l' eglise, marris de ce
les recreations, et les voluptez honnestes, qu' il leur faut garder ses ordonnances,
vertueuses et raisonnables, sur peine d' estre declarez
à ce qu' il n' y ait pas un homme capable heretiques.
de raison sur la face de la Or laissant à part les jugemens
terre, qui voyant l' excellence, la qu' on en fait, je me contenteray
beauté, l' utilité, et la facilité de la pour maintenant (attendant quelqu' autre
religion catholique, ne la suive, occasion, ou j' examine
et l' embrasse courageusement. toute sa sagesse, si quelqu' autre,
Neantmoins puisque vous me selon que je souhaitte, ne me previent)
pressez, je vous diray un mot de ce de dire que cet homme
que je pense des oeuvres de ce personnage, estant catholique, et escrivant entre
sans toucher à ce qui est les chrestiens devoit s' abstenir
des propos, qu' il tenoit és compagnies de plusieurs choses qu' il a escrit,
qu' il avoit coustume de frequenter, ou du moins les devoit tellement
lesquelles estoient fort addoucir, et modifier, que
libertines, et ressentoient souvent personne ne fust choqué particulierement
l' atheisme : ny à ces façons de vivre, en ce qui est de la verité
desquelles je pourrois dire de nostre foy, laquelle est la racine
beaucoup de particularitez, s' il p186
p184 de nostre salut eternel.
estoit à propos, et necessaire. J' en Je dy donc qu' il a eu tort (luy
ay veu bien peu, lesquels ayant leu qui estoit homme de jugement, et
ces trois veritez, et les discours qui prevoyoit bien que plusieurs
qu' il a fait de la divinité, et des se scandaliseroient de la façon
mysteres de nostre foy, n' en fassent qu' il traittoit la sagesse humaine,

41
comme il a assez tesmoigné en sa il y a moins à reprendre
preface) qu' il n' a esclaircy plusieurs qu' en la premiere, ce sera peut
difficultez, et qu' il n' a parlé estre celle-là que vous aurez leuë.
plus chrestiennement, et plus religieusement, Le D veritablement c' est celle
qu' il n' a pas fait dedans de Bordeaux que j' ay leuë, c' est
ce livre, duquel nous parlons pourquoy je vous prie de m' en dire
maintenant. vostre sentiment, sans neantmoins
Ce n' est pas que je croye qu' un oublier ce que vous penserez
bon esprit se puisse pervertir par de l' autre edition, afin que je
ceste lecture, car il fera comme m' en puisse desormais servir, s' il
l' abbeille, laquelle sucçote ce qu' il n' y a plus d' erreurs, ny de danger
y a de bon en la fleur, et laisse le en la lisant.
venin, et ce qui est inutile, ou mauvais. Le Theol ce seroit une chose
Mais il y a bien peu de tels esprits trop longue de parler de tout ce
parmy le monde, nommément p189
s' ils ne sont cultivez par une qu' on pourroit reprendre en ces
p187 deux editions ; et puis vous avez
longue estude, et meditation en desja à la fin de la derniere edition
ce qui est de la vraye philosophie, ce qui a esté osté de la premiere ; je
et de la theologie : car c' est à ces parcouray seulement l' epitome
esprits qui sont fournis de toutes qu' il a fait de sa sagesse, d' où vous
sortes de sciences, et qui ont la religion pourrez tirer le jugement de tout
gravee bien avant dans l' ame, le reste.
de pouvoir lire, et juger de tels Commençons par la preface,
livres comme est la susdite sagesse, dedans laquelle il touche 7 points
et non pas a un tas d' ignorans, qui qu' il dit estre causes pourquoy on
parlent comme perroquets en cage, le blasme ; le premier est, qu' on
sans sçavoir le plus souvent ce prend les choses autrement qu' il
qu' ils disent, et qui font trophee ne les entend, rapportant au droit
de n' entendre ny grec, ny latin, se ce qui est du fait : mais il eust deu
contentans de sçavoir se moquer tellement esclarcir cela, lors qu' il a
de la religion, et de blasphemer, esté question d' en entamer le discours,
et renier Dieu parmy leurs confidens. que personne n' eust esté
Le D monsieur, obligez moy deceu, et qu' un chacun eust peu
tant que de me dire quelque chose facilement distinguer, lors qu' il
en particulier de ce que vous y parle de faire, ou de juger, et
trouvez à redire, afin que je puisse quand il n' a que proposé sans resoudre ;
voir si ce sera ce qui m' a entretenu p190
p188 quand il parle par la bouche,
en ceste mienne opinion de laquelle et selon l' opinion d' autruy, et
je vous ay parlé. non de son creu ; car comment
Le Theol il faut encore icy veut il que le lecteur fasse choix
faire distinction, car il y a deux de ses propres opinions entre celles
impressions de ce livre : la premiere des autres, puis qu' il broüille
est de Bordeaux, et l' autre plus tellement son discours, et pesle-mesle
recente est de Paris, de l' an 1618, laquelle ce qui est du sien, et ce qui
a esté corrigee, et par consequent est des autres, qu' il faudroit un argus

42
pour le recognoistre, encore sur son corps ? Est ce pas à ce
ne sçay-je pas s' il en pourroit venir qu' elle luy donne le mesme branle
à bout. qu' elle a en soy-mesme ? Et quoi,
Il me semble que c' est abuser, si l' esprit, et le corps n' ont qu' un
et perdre le lecteur, quand on embarasse mesme autheur, (si ce n' est qu' on
tellement le discours, que nous vueille renouveller l' heresie
celuy qui le list, est en un danger des manicheans avec leurs deux
perpetuel d' espouser les pensees, et principes, l' un de la lumiere, l' autre
les resolutions de ceux qui sont introduits, des tenebres, l' un du corps, l' autre
lesquelles sont fausses ou de l' ame) pourquoy est-ce que
ne valent rien, comme si c' estoient nous déguisons nos comportemens ?
les conceptions, et conclusions de Voyez je vous prie, ou ceste
l' autheur ; si bien que le mal qui p193
p191 pernicieuse doctrine de Charon,
suit de ceste lecture, peut justement et de ceux de sa suite nous meine ;
estre imputé à la façon d' escrire, car si le sage a tout autre chose en
dont l' auteur s' est servy, soit l' ame que ce qu' il fait paroistre au
qu' il l' ait ainsi voulu par malice, dehors, quelle asseurance y aura il
ou par imprudence : ce qui faict en ces paroles ? Lors qu' il dira vous
que je ne puis excuser Monsieur estre amy, ce sera lors qu' il vous
Charron, lequel est d' autant plus trahira, et pourchassera vostre
blasmable, qu' il sçavoit mieux, ou mort, ou vostre honneur, et par ainsi
aussi bien qu' aucun autre, que son tout le fondement de la police, et
livre feroit beaucoup de libertins, des estats s' en ira par terre.
et que sa sagesse en rendroit un Je ne croy pas qu' il y ait homme
grand nombre d' insensez, tels que d' esprit, et de jugement qui ne
sont ceux qui vous ont seduit par die que jamais plus grande folie
leurs propos emmiellez, ou pour n' a peu monter en la teste de
mieux dire envenimés des pensees Charron, que lors qu' il a voulu establir
de Charron. ceste sottise, et la faire passer
Certainement il ne merite point en maxime de sagesse ; et me
d' excuse, quoy qu' il pretende qu' on semble que c' est assez pour decrediter
entend des actions exterieures, ce tous ses discours, puis qu' ils
qu' il a dit des interieures, veu que sont la pluspart fondez sur ceste
c' est à faire à un hypocrite, et à un fole opinion. Je vous donne à penser
sot, indigne de la conversation humaine p194
p192 combien il est esloigné de la
de faire tout au rebours à pensee, et de la volonté de Dieu,
l' exterieur, et en presence des lequel ne prise rien tant qu' une
hommes, que ce qu' il croit et pense simplicité, et candeur en nos actions,
en son interieur : car pourquoy paroles, et pensees.
le corps a-il une si grande correspondance Si jamais aucun livre politique,
avec l' ame, et les sens ou sagesse humaine a esloigné du
avec l' esprit, si ce n' est afin qu' ils sentiment de la religion, de la
se rendent conformes en leurs actions ? crainte de Dieu, de la vraye sagesse,
Pourquoy l' ame a-elle un et de l' establissement d' une
tel domaine, et un si grand ascendant vraye police, telle qu' elle doit se

43
retrouver entre ceux qui suivent beaucoup de points, qui se retrouvoient
la droite raison, c' est celuy de la en la premiere edition,
sagesse de Charron, car lors qu' il comme il paroist en la seconde, et
est question de descrire les conditions le testament qu' il fist un peu devant
du sage, il se rend si ridicule, sa mort lequel est en partie
qu' on voit assez que c' estoit un esprit rapporté en l' eloge qu' on a faict
extravagant, et remply de de sa vie, qui se retrouve au commencement
presomption, lequel se croyoit de la seconde edition :
plus habile, et de meilleur jugement car ce testament nous donne
que tout le reste des hommes, asseurance de sa bonne volonté,
ausquels il veut prescrire des p197
p195 et de sa pieté envers Dieu, auquel
loix non seulement de leurs actions il semble avoir recours.
exterieures, mais aussi de Secondement, je respons que
leurs pensees les plus secrettes, son livre ne laisse pas d' estre dangereux
comme s' il estoit quelque souverain pour les esprits foibles, tels
dictateur ou legislateur. que sont les libertins, et les deistes,
Je sçay que vous me direz que encore qu' un esprit fort, bien
son opinion n' est pas telle, ou du fait, et qui a la crainte de Dieu emprainte
moins si cruë comme je la fais : bien avant dedans son
qu' il ne parle pas pour nous obliger ame, en puisse faire son profit. En
à suivre ses propositions, ny suite dequoy il eust deu tellement
pour nous lier à ses pensees, mais proposer ses opinions, que les libertins
qu' il nous laisse en nostre liberté, n' eussent point eu d' occasion
et qu' il doit estre permis à un chacun de fortifier leurs erreurs par
de donner son advis, et de publier la lecture de son livre, veu qu' il
le sentiment qu' on a sur chaque sçavoit que ce siecle icy porte
chose, nommément en ce qui multitude d' esprits remuants, qui
appartient aux moeurs, et façons ne cherchent qu' à ruiner l' estat, et
de vivre. à quoy d' autres adjousteront la religion.
qu' il y a de grands personnages Tiercement, je dy qu' il n' est pas
fort sçavans, et fort judicieux, permis de publier son sentiment,
qui maintiennent qu' il n' y a lors qu' on juge, ou qu' on doit probablement
rien dedans ceste sagesse, qui ne se p198
p196 juger qu' il nuira, et sera
puisse dire, et soustenir, s' il est bien cause de la perte de plusieurs esprits.
entendu, comme il faut. Or je maintiens que ces livres
Mais je responds à cela, premierement de la sagesse ont plus fait de mal,
que je ne doute point que que de bien, et ont fait égarer de
beaucoup de choses ne puissent la vraye religion un plus grand
estre bien entenduës, et tirees à un nombre de personnes, qu' ils n' en
bon sens, et se peut faire que Monsieur ont tiré d' erreur.
Charron n' ait pas tousjours Je passe sous silence beaucoup
eu mauvaise intention en publiant de choses qu' il a proposees, comme
ses pensees ; ce qui le peut si luy seul les eust apperceuës,
justifier là dessus, est que dés son ou qu' elles eussent surpassé l' esprit
vivant il a corrigé, et addoucy du vulgaire, lesquelles neantmoins

44
sont aussi bien recogneuës une ville contre l' ennemy.
par les rustiques, et villageois, Pourquoy cela ? Parce qu' ils
comme par ces esprits relevez, et ont leu dedans la sagesse de Charron
déniaisez, qu' il nous descrit : car qu' une des conditions du sage
qui ne sçait, et ne confesse que est juger de tout, et ne s' aheurter,
nous avons mille coustumes, et ou ne s' attacher à rien : afin que
façons de vivre, et de signifier ce l' esprit de ces sages demeure indifferent,
que nous avons dedans l' ame, lesquelles general, et universel. Mais
seroient aussi bonnes, ou p201
p199 c' est maintenant à eux que j' en
meilleures, si nous vivions d' autre veux, et suis content d' excuser
façon ? Par exemple qu' il seroit Charron (par une supposition pretenduë
aussi à propos de disner debout, qu' il n' ait point eu mauvaise
comme assis : de se toucher à la poictrine, intention : nous supposons
ou à quelqu' autre partie du bien quelquefois des choses impossibles)
corps pour s' entre-saluër, comme et rejetter tout le blasme
d' oster le chapeau : de porter un sur ces esprits boufons, et malins :
habit plus leger, ou plus pesant, car bien qu' il ait dit quelque chose
fait d' une piece, ou de plusieurs, et en la premiere edition, qui les
1000 autres choses semblables, lesquelles ait peu mener au libertinage, neantmoins
sont si indifferentes que il faut avoir recours à la
nous nous accommodons aux uz, 2 impression, car estant la derniere,
et coustumes de toutes sortes de et corrigee de sa main, elle doit
nations, parmy lesquelles nous estre tenuë pour la meilleure, or
avons à converser, bien que plusieurs il fait paroistre combien il est
practiquent le contraire, esloigné du pyrrhonisme en matiere
comme les espagnols, ou italiens, de religion. Voicy ses paroles
qui retiennent leur particuliere au 2 chapitre de son epitome.
façon d' habits, bien qu' ils demeurent ceste liberté etc.
en France. p202
Pour ce qui est de ces choses là il faut donc remarquer que les
chacun en peut juger comme bon deistes tirent de pernicieuses conclusions
p200 du livre de Charron, contre
luy semble : mais il se faut bien garder son intention : je le veux ex hypothesi :
d' estendre ces pensees à ce qui est car bien qu' il ait dit en la
de nostre foy, et de nostre creance, premiere edition page 351, que
comme font un tas d' ignorans, lesquels toutes les religions fournissent
ayans leu ceste sagesse, s' estiment de miracles, prodiges, oracles,
plus habiles que ceux qui ont usé mysteres sacrez, saincts prophetes,
leur vie à l' estude des bonnes lettres, certains articles de foy, et creance
et à la contemplation des mysteres p203
divins. Vous les verriez avec necessaire à salut : et quelques autres
leur modestie academique mettans choses, lesquelles prises à la
tout en doute, et prenans autant lettre sont tres-fausses, n' y ayant
de peine à se prendre garde que la seule religion catholique
de croire que les catholiques ont qui ait de vrays miracles, de vrayes
la vraye religion, comme s' ils deffendoient propheties, et de vrays prophetes,

45
et articles de foy : neantmoins il erreurs, ou qu' elle vous y a confirmé ;
n' y a point d' apparence qu' il vueille et puis que telles gens, comme
signifier par ces paroles, qu' aucune vous, qui prenent l' essort à la
religion que la catholique premiere pensee, qui flatte leur
ait rien de tout ce qu' il a dit, en verité, humeur, et s' accommode à leurs
et realité (bien que toutes les desirs, ne peuvent qu' ils ne soient
sectes se vantassent de cela) mais il esbranlez, lors qu' ils lisent ce que
a seulement voulu expliquer ceste dit cet autheur, que l' immortalité de
vanterie, laquelle est tres-fausse, l' ame etc. ,
estant impossible qu' aucun miracle p206
se fasse en faveur des religions la plus part desquelles
bastardes, qui n' ont rien qu' irreligion, sont fausses, car entre toutes les
et ne cognoissent pas le vray choses morales je ne sçay pas ce
Dieu, ou le recognoissans ne suivent qui est mieux prouvé que l' immortalité
pas sa volonté, et la doctrine de l' ame, comme il paroist
qu' il nous a revelee. par les raisons qu' on rapporte
p204 pour ce sujet, desquelles j' ay fait
Ce qui nous pourroit faire ainsi un abbregé en respondant à la 12
juger de l' intention de Charron, objection des athees ; si vous vous
est le livre des trois veritez, auquel donnez la patience de lire ce que
il monstre clairement contre j' en ay dit, j' estime que vous confesserez
les athees, les juifs, les mahometans, que Charron a tort.
et les heretiques, qu' il n' y a Pour ce qui est de la nature, qu' il
aucune autre vraye religion que dit qu' il faut suivre, si vous l' entendez
la catholique : car lors qu' il est de la nature de l' homme, telle
question de juger de l' intention que Dieu l' a creée avec ses graces,
d' un autheur sur quelque poinct, et en la justice originelle, j' accorde
ou controverse proposee, il faut que si on l' avoit encore en ceste
avoir recours aux lieux, où il a integrité, qu' il seroit bon de la
traicté ceste matiere fort au long, suivre ; il est maintenant tres-mauvais,
et expressément, et non pas où il car elle est decheute de ceste
n' en a touché qu' un mot en passant, p207
ou en quelque lieu, d' où on perfection, de sorte que l' appetit
peut tirer des raisons pour et contre. sensuel, et brutal a souvent le dessus,
Le D monsieur, je suis fort aise et maistrise la raison au lieu de luy
que vous vous soyez un peu estendu obeyr, c' est pourquoy il faut suivre
sur ceste matiere, mais je demeure la piste que la foy nous monstre,
quasi en suspend si vous resolvez et gourmander nos passions,
p205 afin que nous puissions retourner
en dernier lieu que la lecture à ceste premiere perfection, en laquelle
de Charron soit pernicieuse, et les sens obeissoient à l' esprit
dangereuse ou non. à poinct nommé, et l' esprit à
Le Theol il me semble que Dieu. Il n' y a point d' autre moyen
vous n' avez aucun suject de douter d' estre restablis en cet estat, qu' en
de cela, puis que vous me tesmoignez embrassant le chemin que la religion
vous mesme, que ceste catholique nous enseigne,
lecture vous a faict tomber en vos ce que vous ne ferez pas facilement

46
en lisant la sagesse de Charron, tous les autres (tels que sont tous
laquelle se soucie fort peu des les sacremens) sont voyes surnaturelles,
choses immortelles, et divines, car lesquelles ne peuvent venir
ceste sagesse humaine ne vise qu' à que de la main de Dieu, estant impossible
bien faire ses affaires en ce monde, que tous les hommes du
et vivre paix, et ayse, comme on monde, ny que toute la nature
dit. p210
p208 nous puisse donner la grace de
Or la sagesse du chrestien vole Dieu, ou nous esclairer par la lumiere
plus haut, car elle cherche l' honneur, de la foy.
et la gloire de Dieu aux dépens Passons maintenant à Cardan,
du sien, si besoing est, et ne car de tout ce que dessus vous pouvez
respire autre chose que l' amour de conclurre qu' on ne peut lire
son createur, s' estimant bien-heureuse la sagesse de Charron sans peril
lors qu' elle endure quelque d' estre esbranlé en la creance catholique,
peine pour ce mesme amour : c' est si ce n' est quelque esprit
elle qui fait courageusement mépriser fort, sçavant, et bien ferme en la
tout ce qu' il y a en ce monde, foy, qui se serve de ceste lecture.
honneurs, biens, dignitez, plaisirs, Nous reserverons pour une autre-fois
et la vie mesme, et qui nous esleve à peser, juger, et examiner toutes
autant pardessus nous-mesmes, les autres opinions de cet autheur.
comme nous sommes élevez
par dessus les bestes.
Ce qu' il dit que nous naissons CHAPITRE 10
chrestiens, juifs, etc. Est aussi cause p211
de ce que beaucoup de jeunes dans lequel le theologien porte son
folastres, et cerveaux mal timbrez, jugement touchant les oeuvres de Cardan,
qui le lisent, ne font conte de et de Jordanus Brunus.
la vraye religion, non plus que des je vous diray nettement
autres, qui sont fausses, au lieu mon advis touchant
p209 Hierosme Cardan,
qu' ils devroient remercier Dieu car il a fait paroistre
de ce qu' ils sont chrestiens, ce beaucoup plus
que ne leur apporte pas le païs, ny d' impieté en ses escrits, lesquels
le ventre de leur mere, mais le nous ne pouvons parcourir en ce
sang de nostre redempteur Jesus-Christ, peu de temps qui nous reste, c' est
lequel opere sur eux au baptesme, pourquoy je me contenteray de
qui est la porte de la vraye vous monstrer combien quelques
religion, et comme le premier effect uns de ses livres sont dangereux,
de la predestination, auquel tels que sont sa sagesse, et beaucoup
Dieu les a choisis entre un milion d' autres passages de son
d' autres, qui ne reçoivent point commentaire sur les jugemens
ceste premiere grace ; laquelle de Ptolemee, et de son livre de la
convainc Charron que la vraye subtilité, l. 11 dedans lequel il monstre
religion ne se tient pas par moyens p212
humains, car le premier moyen, ce qu' il est en matiere de religion,
qui est le baptesme, aussi bien que et qu' il n' a autre pieté que

47
l' extravagance de son esprit. Il les bons pour exercer la justice
veut quasi par tout faire acroire tant vindicative, que premiative :
qu' il est si grand naturaliste, qu' il je vous donne à penser ce
decredite la foy tant qu' il peut, que ce seroit, si les meschans
comme vous pouvez voir en ce l' administroient, elle se convertiroit
qu' il a escrit de l' astrologie judiciaire : bien tost en injustice. Il faut
car il parle de la venuë de donc tenir tout le contraire, car le
nostre sauveur, et de la loy chrestienne, prince doit estre estimé d' autant
qu' il a instituee, comme si meilleur qu' il aura plus grand
les astres estoient causes de tout soin d' exterminer les meschans,
cela, confondant par ces erreurs le afin que son estat soit comme un
createur, et la creature, et faisant corps en parfaite santé, dedans lequel
que ce qui est tout surnaturel, et tout est si bien proportionné
miraculeux, vienne des causes naturelles. qu' il n' y a rien de mauvais.
C' est en quoy tous les astrologues Mais quoy, il veut que les princes
ignorans font naufrage, imitent la nature corrompuë
manque de faire distinction entre des corps, lesquels se servent des
les oeuvres naturelles, et les surnaturelles, mauvaises humeurs ; s' il eust pris
entre la grace, et la nature. p215
p213 garde que ces humeurs peccantes
Or je ne veux pas examiner par le corrompent la santé petit à petit,
menu tout ce que Cardan a dit jusques à ce qu' elles ayent le dessus,
sans raison, ou sans jugement dedans d' où la mort s' ensuit, il eust veu
son astrologie, ce m' est assez que son opinion fait le mesme dedans
de vous avoir adverty qu' elle est les royaumes, et dans les republiques,
farcie d' erreurs ou contre la foy, car si on endure, ou
ou contre la raison, ou contre les qu' on caresse un meschant homme,
bonnes moeurs. Mais parlons un cela sera cause que pour un
peu de sa sagesse, car c' est le tiltre vous en aurez bien tost à miliers,
le plus specieux qu' il eust peu ce que nous voyons tous les jours
prendre pour attirer les sages à la arriver en France, dans laquelle
lecture de ce livre, que quelques pour avoir enduré un athee, un libertin,
uns portent au lieu de manuel, ou ou un deiste, une grande
enchiridion de devotion. partie des jeunes hommes se sont
Que voudriez vous de plus dangereux perdus, et égarez de la foy.
que ce qu' il advance dedans Sçavez vous pas que la maladie
son troisiesme livre, lors qu' il se communique des uns aux autres,
veut que les princes fassent autant et non la santé ? Ce n' est à propos
d' estat des meschans, comme des qu' il prend Dieu pour confirmer
bons et qu' ils embrassent, et caressent son erreur, car s' il endure les
les uns, et les autres indifferemment : meschans, et qu' il s' en serve pour
de telle sorte qu' ils ne p216
p214 faire meriter les bons, il est tout
demandent aucune justice des puissant pour empescher leurs desseins,
meschans, mais qu' ils s' en servent quand bon luy semble, et
pour chastier les autres : comme si pour faire qu' ils n' exterminent les
le prince ne devoit pas plutost eslire justes, ausquels il donne la force

48
de resister contre les pervers, et miracles de nostre sauveur, et redempteur,
scelerats. Disons donc que les princes et de tous les saincts
doivent avoir un soin particulier pour artifices, et effects naturels.
de se desfaire de toutes sortes Quiconque s' asseurera de tels personnages,
de personnes, qui n' ont ny la vertu, il peut fier son bercail
ny la justice, ny la religion en aux loups, et aux lyons, et sa bourse
aucune estime, ou recommandation, aux plus grands voleurs du
et qu' ils ne doivent fier ny monde.
leurs biens, ny leur vie, ny leurs sujects Vous souvenez-vous point de
à telles gens, s' ils ne veulent la subtilité de certains larrons, lesquels
que leurs estats soyent en un perpetuel n' osans, ou ne pouvans dérober
desordre, et courent risque vostre argent, de peur qu' ils
d' estre perdus. ont d' estre apprehendez, et justiciez,
Il eust deu se souvenir en plusieurs ils accompagnent ceux qui
de ses livres, de ce qu' il reprend veulent dupper, et apres s' estre insinuez
en Erasme au 3 livre de sa p219
sagesse, quand il le blasme de ce en leur bonne grace, ou en
p217 leur familiarité, ils feignent d' avoir
qu' il a aporté des raisons pour, et trouvé quelque chaisne d' or, ou
contre la penitence, afin de se mettre d' argent, ou quelque bague, et pierre
en bonne estime tant envers precieuse : ce qu' ils pratiquent si
les catholiques, qu' envers les lutheriens ; industrieusement, qu' ils attrapent
mais il ne l' a pratiqué en ceux qui pensent estre les plus
l' unziesme livre de sa subtilité, car fins, et les plus rusez. Car ils escrivent,
apres avoir mis l' opinion, et l' erreur ou font escrire des lettres par
des gentils, des juifs, et des leurs associez, comme si c' estoient
mahometans en parallele avec la quelques notables personnes, qui
vraye religion, au lieu de refuter, escrivissent à leurs amis, ou à leurs
et renverser les pretenduës raisons parens, et leurs envoyassent quelque
de ces irreligions, il laisse le tout à chose de precieux, et feignans d' avoir
la force des armes, se contentant trouvé cela en leur chemin,
de dire en passant, qu' il luy seroit ou de l' avoir achepté à bon prix, ils
fort facile de respondre à leurs raisons. vous en font participant, et vous laissent
Est-ce pas là un brave chrestien, le tout à moitié de profit, à
et un excellent champion, lequel condition que pour vostre part
pour tout payement, apres avoir d' un diamant d' alençon, qui vaut
estendu l' empire de l' erreur peut-estre un escu, ou pour une
turquesque dans la chrestienté chaisne de mesme prix, vous leur
par toutes les raisons dont il s' est p220
p218 donniez une vingtaine de pistolles
peu adviser, il dit que s' il vouloit, il plus, ou moins selon qu' ils cognoissent
chasseroit bien les ennemis ; à Dieu vostre portee. Mais le premier
ne plaise que nous nous servions orfevre, ou lapidaire, que
de telles gens pour deffendre la vous abordez, vous ayant decouvert
verité de nostre religion, lesquels la happelourde, vous vous
font tout ce qu' ils se peuvent imaginer, appercevez de l' affronteur. Il me
afin qu' ils fassent passer les semble que Cardan, Machiavel,

49
Brunus, et un tas de semblables canailles opinions, desquelles sa sapience
en font de mesme en cequi est farcie, comme quand il
est de la foy, et de la religion chrestienne, dit qu' il faut estre hardy, et temeraire
car ils taschent à persuader jusques à commettre quelque
que leurs artifices sont miraculeux, grand crime, selon ce meschant
et leurs pensees veritables en vers,
matiere de religion, et de police, et (...),
que la nature mesme confirme si on veut estre riche, ou parvenir
leurs opinions, qu' ils estalent à quelque dignité ; et que pour
comme pierres precieuses, afin d' arracher boire plus facilement l' iniquité, il
la verité de la foy de nostre est bon de se persuader qu' il n' y a
esprit, et de nous dérober la creance, rien apres ceste vie : voyla une petite
que le fils de Dieu nous a gravee p223
dedans le coeur avec les goutes parcelle des opinions extravagantes
p221 de Cardan ; par lesquelles
de son sang precieux. vous pouvez juger quel il estoit
Ce sont ces brigands desquels en son ame : concluez maintenant
il se faut soigneusement garder en si un bon chrestien doit lire ses livres,
ce temps icy, auquel il semble que si premierement il n' est assez
l' impieté vueille empieter sur la sçavant, et resolu, pour cognoistre
vraye religion, et déraciner la verité ses erreurs, et pour les renverser.
catholique de l' ame des gens Je ne veux pas maintenant discourir
de bien. à quoy Cardan semble de l' immortalité de l' ame,
viser lors qu' au mesme livre de sa de laquelle il parle si indignement
sagesse il parle de nostre redempteur au livre qu' il a fait de ce suject,
Jesus-Christ, comme d' un que j' ay honte quand il me souvient
cavillateur, et d' un sage mondain, de ses resveries : comme
voulant par ce moyen estouffer sa quand il fait la question, si la creance
divinité, car il le fait respondre par de l' immortalité sert à l' homme
la seule prudence humaine, au lieu pour vivre vertueusement, et
qu' il devoit monstrer, ou du moins dit tout ce qui luy vient en l' esprit,
insinuer et se souvenir que nostre afin de persuader que cela ne sert
sauveur voyoit toutes nos pensees, de rien, bien qu' il se cache tant
et tous les desseings de ceux qu' il peut dans l' ancre de son venin
qui l' interrogoient, ausquels il respondoit comme la seche, de peur d' estre
tellement, qu' ils demeuroient p224
confus, et qu' ils eussent peu recognu pour athee ; mais ny
p222 luy ny ses complices, tels que sont
facilement cognoistre que ces responses ces deistes apostats, parmy lesquels
ne pouvoient venir que de vous vous estes perdu, ne
celuy, qui cognoissoit leurs pensees, sçauroient si bien se deguiser qu' on
et leurs volontez, et qui par ne les recognoisse incontinent à
consequent estoit le vray dieu, et leurs paroles, et à leurs façons de
le messie, qui leur avoit esté envoyé, faire.
lequel respondoit plustost Plus avant il doute si c' est une
à leurs pensees qu' à leurs paroles. bonne chose de suivre la verité, il
Je laisse toutes les autres perverses eust peu semblablement douter

50
s' il fait clair en plain midy, mais si que ceux de vostre bande
nous prenons garde qu' il estoit composent tous les jours, qui sont
poussé du maistre de mensonge, remplis d' amour impudique, de
nous ne nous estonnerons pas sottises et d' impietez ; à ce que
beaucoup, puis que chacun parle nous n' eussions plus de temps, ny
fort librement de ce qu' il ayme, et de loisir que pour aymer Dieu, et
suit l' opinion du maistre qu' il sert. p227
N' eust esté la crainte du supplice, l' adorer en toutes façons en commençant
je croy qu' il en eust dit davantage, icy la beatitude, de laquelle
comme il paroist par ses paroles ceux là joüiront eternellement,
de la page 280, (...), qui auront assujetty leur esprit
p225 à la foy, et à la revelation divine,
bien qu' il eust assez monstré l' opinion et leur volonté aux sainctes
qu' il avoit des miracles, car ordonnances de la divine majesté.
il les rapportoit à la seule nature, et Voila ce que j' avois à vous dire
les faisoit dependre des affections touchant Cardan, qui a tasché tant
de nos esprits : opinion si ridicule qu' il a peu à decrediter la verité de
qu' il ne peut y avoir nul bon esprit la religion chrestienne, ce qui
qui ne s' en moque, d' où vient que luy a fait dire en la page deux cens
luy-mesme contraint par la force 97, que les prophetes se font naturellement,
de la verité, confesse que la resurrection à cause de la partie
des morts, et le transport du monde qu' ils habitent, pensant
des montagnes surpassent l' estenduë qu' il n' y en peut avoir vers le septentrion ;
de toute la nature, c' est en la mais les propheties monstrent
page 214 (...). assez qu' elles n' ont peu venir
Je ne veux pas maintenant parler ny du temperament du corps,
de la foy divine, par laquelle ny du lieu de la terre : et ceux qui
nostre sauveur asseure que les ont tant soit peu de jugement,
montagnes peuvent estre transportees p228
d' un lieu en un autre, ce voyent assez que la prophetie ne
p226 peut arriver que par la lumiere divine,
que Cardan, ny ses semblables que Dieu verse dans l' esprit
n' ont jamais entendu ; neantmoins des prophetes, comme nous enseigne
il faut que vous preniez tres clairement le coryphee
garde que quand les miracles arrivent, des apostres S Pierre dans sa seconde
que c' est Dieu lequel opere epistre chap. 1. (...).
par sa toute puissance, la creature Le D ô Dieu, que j' ay esté
ne luy servans que d' organe, et trompé jusques à present ! On m' avoit
d' instrument, de laquelle il se veut fait à croire que Charron,
servir pour l' honorer, et l' attirer à Cardan, Machiavel, et quelques
une plus grande recognoissance autres auteurs semblables estoient
de sa divinité, ce qui devroit estre les meilleurs livres que je peusse
suffisant pour nous embraser de lire, et que tout ce que les autres
son sainct amour, et nous faire autheurs, qui traictent de la religion,
quitter toutes sortes d' inutiles occupations, rapportent, n' estoit que fables
telles que sont les sonnets, pour entretenir le monde, et
les odes, et mille sortes de livres pour donner de la terreur aux

51
meschans : resoluëment il faut que p231
p229 plus clairement de peur
vous m' esclaircissiez sur cecy, avant du feu deu aux impies, mais il n' a
que je me départe d' avec peu si bien faire, qu' il ne l' ait experimenté.
vous : car je me sens merveilleusement Si on profonde un peu
bourrelé depuis que vous ce qu' il veut dire par l' extention
m' avez descouvert les maudites du centre, la consistence de la
opinions de ces autheurs. sphere, et la contraction du centre,
Le Theol je suis prest à vous qui luy servent pour expliquer
satisfaire en tout ce que je jugeray la naissance, la vie, et la mort, on
estre necessaire pour vostre instruction : s' appercevra que son intention est
mais voyons un peu auparavant de n' advoüer aucune immortalité
en quelle estime on doit avoir de l' ame raisonnable, que celle
Jordanus Brunus, lequel seroit qu' il donne à l' ame des brutes, et
excusable s' il s' estoit contenté des plantes, et à tous les individus,
de philosopher sur le poinct, qui sont icy bas.
l' atome, et l' unité, et qu' il n' eust Ce n' est pas tout, il tasche de
eu autre dessein que de prouver prouver que Dieu n' a point de liberté,
que la ligne circulaire, et la droite, afin qu' il persuade ses mondes
le poinct, et la ligne, la surface, infinis, mais c' est en vain, car la
et le corps ne sont qu' une mesme liberté ne seroit pas une perfection,
chose ; que le divisible finy ne si elle n' estoit en Dieu. Je
peut estre divisé infiniment, mais luy demanderois volontiers, ou à
qu' il faut venir à un poinct : (je laisse p232
p230 ceux de sa suitte, si Dieu n' a peu
son infinité de mondes estoilés, faire ceste terre, sur laquelle nous
et plusieurs autres choses, marchons, plus grosse, ou plus petite,
lesquelles appartiennent à la philosophie, s' il n' a peu esloigner le soleil
ou aux mathematiques). Je ne m' amuserois davantage qu' il n' est : je croy qu' il
pas icy à n' y a homme sur la terre, qui ne
le reprendre, mais puis qu' il a passé m' accorde que Dieu pouvoit faire
outre, et qu' il a attaqué la verité une terre cent fois moindre, ou
chrestienne, il est raisonnable plus grande ; qu' il pouvoit placer
de le décrier comme un des plus le soleil où sont les estoiles, et faire
meschans hommes que la terre mille choses qu' il n' a pas voulu
porta jamais. faire, autrement il faudra dire que
Et afin que vous ne pensiez pas Dieu est tellement attaché à ceste
que je parle sans sçavoir, si vous terre, et son infinité liee aux choses
lisez son troisiesme chapitre de qui sont finies, qu' il ne peut estre
existentia minimi , vous cognoistrez tout puissant, et infiny sans elles, ce
aysément qu' il favorise la qui ne peut estre, ny se concevoir
transmigration des ames d' un en aucune façon.
corps en un autre, et qu' il semble Ce meschant homme a encore
n' avoir inventé une nouvelle façon esté pire que Cardan, comme sçavent
de philosopher, qu' afin de ceux qui le hantoient lors
combatre sourdement la religion qu' il estoit à Paris, et comme tesmoigne
chrestienne, ne s' osant descouvrir p233

52
le livre qu' il a intitulé sigillus nous ne perdions point le temps à
sigillorum , dans lequel il met refuter toutes ses resveries, et que
quinze sortes de contractions à ce le voyage qui me presse ne nous
qu' il puisse sapper les fondemens de separe avant que nous ayons examiné
la vraye religion : car dans la premiere ce qui est de vos opinions.
il rapporte les miracles de Je vous eusse parlé de Machiavel,
nostre Seigneur à la qualité du n' eust esté qu' il y en a plusieurs
lieu ; les ravissemens ecstatiques qui ont renversé ses impietez avec
des saincts en l' air à l' imagination, des raisons qui sont suffisantes
et à la melancholie dans la 2 espece à ce qu' on quitte les erreurs qu' on
de ses contractions ; dans la troisiesme, auroit peu succer dans ses livres.
il veut que la prophetie Passons donc à ce qui vous touche
vienne par le racourcy qu' on fait de plus pres, car je croy m' estre acquitté
de l' horizon au centre ; dans la quatriesme, de ce que vous aviez desiré
il feint que les revelations touchant les autheurs, par la lecture
arrivent par la force de la grande desquels vous vous estiez égaré
attention. La cinquiesme passe au de la religion catholique, estant
delà de Cardan, qui disoit que le assez à un bon esprit, tel qu' est
transport des montagnes surpassoit le vostre, de cognoistre le mal
les forces de la nature, car il pour le fuyr ; car vous voyez clairement
veut que cela se puisse faire par que ces autheurs sont fort
une affection de foy, ou plustost p236
p234 dangereux, et qu' il faut que celuy
d' imagination, de presomption, qui les lit, soit continuellement sur
et de fole creance, comme on verra ses gardes, et en une perpetuelle
si on le lit attentivement, car deffiance, puis qu' ils semblent n' avoir
pour ce qui est de la foy chrestienne, eu autre plus grand dessein
et divine, il n' en croit en publiant leurs livres que de
point. nous faire quitter la verité de la
Je laisse ses contractions de la religion, et nous faire succer le
pieté envers le pere, de la crainte, venin de leurs malheureuses opinions,
de la convoitise, des sens exterieurs, et de leurs imaginations fantasques,
de la melancolie, et des esprits et bigearres ; et bien que
vitaux, animaux, et sensitifs, les propositions qu' ils mettent en
par le moyen desquels il pense avant semblent n' estre pas grande
qu' on peut s' eslever en l' air, comme chose de prime abord, et qu' elles
Sainct Paul, qui fut ravy jusques plaisent à cause de quelque image
au troisiesme ciel. Bref, je de probabilité, neantmoins si tost
passe la contraction qu' il fait venir qu' on les embrasse, leurs consequences
du mauvais aliment, laquelle engendre les trainent à l' impieté, de
la melancholie avec la fable laquelle il est par apres tres-difficile
de celuy qu' il rapporte estre de se retirer.
devenu grand prophete, grand Si vous desirez sçavoir les impuretez,
theologien, et sçavant en toutes et les tours de soupplesse
sortes de langues, et la contraction, p237
p235 de Vanin, lequel a esté bruslé à
ou rappel de l' esprit, afin que Tholose pour ses opinions brutales,

53
et remplies d' atheisme, vous produire quelque chose en le tirant
pourrez facilement les treuver du neant. Il adjouste que les
dans la premiere question de la accidens peuvent passer d' un subjet
genese, dans laquelle j' ay renversé en un autre, qu' ils peuvent estre
la plus grande partie de ses maximes. sans aucun suject d' inherence, et
Et puis j' espere que je refuteray qu' ils se font de rien : qu' il y a des
toutes les fantaisies de ce atomes dedans les corps, qui ont
maudit Lucilio, et tous les paralogismes quantité, et figure, etc.
qui se rencontrent és oeuvres Quant à ce qui est de la philosophie
de Jordan Brun, et és livres de epicurienne de Hill, il faudroit
semblables badins, quand je mettray la transcrire, si on vouloit en
la main à quelque oeuvre que rapporter les resveries ; au bout du
j' ay dans la pensee, estant assez conte ils sont tous heretiques,
pour le present que je vous aye c' est pourquoy il ne faut pas s' estonner
fait toucher au doigt leur impertinence. s' ils s' accordent comme
Je ne veux pas vous entretenir larrons en foire. Advisez maintenant
plus long temps sur ce suject, attendant si vous desirez que nous parlions
à refuter tout ce que ces de la secte, laquelle vous
autheurs ont dit mal à propos en p240
p238 m' avez dit avoir embrassee, et y
l' encyclopedie, laquelle je prepare avoir esté confirmé par la lecture
en faveur de toutes les veritez, que vous avez faite de Charron,
contre toutes sortes de mensonges, de Cardan, et de quelques autres,
dedans laquelle j' examineray qui avoient l' esprit extravagant, et
plus diligemment ce qu' ont advancé qui ne respiroient rien que le libertinage,
Gorlee, Charpentier, Basso, et l' impieté.
Hill, Campanella, Brun, Vanin, et Le D monsieur, si vous me
quelques autres. Je me contenteray pouvez oster de l' opinion, que j' ay
pour maintenant de cotter euë jusques à present touchant la
quelques unes de leurs impertinences, religion, vous pouvez vous asseurer
telles que sont celles-cy de que vous aurez gaigné une
Charpentier en sa premiere decade, ame à Dieu, car je n' ay trouvé personne
que toutes choses se font, et se tirent qui m' ait satisfait sur ce sujet,
du rien , ce qui oste toutes sortes de et qui m' ait fait voir que la religion
generations, et ne laisse qu' une chrestienne soit meilleure
creation perpetuelle. qu' il n' y a que celle que j' ay espousee depuis
point de mouvement d' un lieu en un autre. neuf, ou dix ans en ça.
en la seconde decade, que la
transsubstantiation est impossible , ce
qu' il tasche de preuver avec des CHAPITRE 11
argumens de paille, que nul n' est p241
conjoinct a son sujet par inherence . dedans lequel le theologien preuve que
p239 la religion catholique est la seule
Gorlee s' accorde avec luy en ce veritable.
poinct, que toutes choses se font de bon dieu en quel siecle
rien, et s' en retournent en rien, et par sommes nous ! Qu' il
consequent que la creature peut faille qu' on preuve la

54
parole de Dieu, et qu' il combien d' affection, et d' ardeur
y ait des hommes si aveuglez qu' il ceux qui se sont convertis au commencement
leur faille monstrer qu' il est jour du christianisme, ont
en plein midy. Est-il donc possible embrassé la vertu, avec quelle
qu' apres une si grande multitude saincteté de vie ils ont passé le reste
de martyrs, qui ont respandu leur de leurs jours, avec quelle fidelité,
sang, et donné leur vie pour tesmoigner et diligence ils ont renversé
la verité de la religion les erreurs par paroles, et par escrit,
chrestienne, vous puissiez en douter ? p244
Certainement il n' y a consideration esquels ils avoient trempé
aucune, sur laquelle je puisse avant la lumiere de l' evangile.
jetter les yeux, qui ne soit capable Ce n' est pas tout, si vous prenez
de me persuader qu' il n' y a garde à la façon, par laquelle la
p242 religion chrestienne a esté introduite
point d' autre religion que la catholique, au monde, vous confesserez
soit que je contemple la ingenuëment qu' il est impossible
quantité d' hommes sçavans de toutes que ce ne soit la vraye religion,
sortes, les nations, qui l' ont embrassee car sont esté de pauvres gens, et
sans esperance d' aucune des idiots, qui l' ont plantee, sçavoir
utilité temporelle, ce qui a esté est les apostres, et leurs disciples,
suffisant pour arrester ce grand la pluspart desquels n' avoient
aigle des docteurs sainct Augustin, point estudié, et n' avoient
comme il tesmoigne par ces ny or, ny argent pour se faire suivre.
paroles : (...) ; soit que Et puis ils ne proposoient aucune
je considere les miracles, (...) : par volupté, aucun plaisir du
lesquels Justin Le Martyr dit en sa corps, aucune dignité, pas un denier :
1 apol. Au senat de Rome, qu' il a au contraire ils ne preschoient
esté conduit à la foy de Jesus-Christ. que misere, que disette, que douleurs,
Et quoy, Dieu auroit-il permis que gibets, et autres sortes de
que tant de milions de personnes, tourmens : et neantmoins ils ont esté
qui ne respiroient rien que sa gloire, suivis par les grands, et par les petits,
et son honneur, ayent perdu la p245
p243 par les pauvres, et par les riches,
vie pour la religion chrestienne, par les maistres, et par les serviteurs,
et qu' elle ne fust pas veritable ? Ce par les princes, par les roys,
pourroit-il faire que Dieu auteur par les empereurs, et par tous leurs
de toute verité, eust fait des miracles subjects, ce qui n' a peu se faire que
en faveur d' une fausse opinion ? par une vertu divine, à laquelle
Nenny certes, c' est pourquoy nous en devons rapporter tout le
il est necessaire d' advoüer succez, comme advouëront tous
qu' elle est tres veritable, puisque les hommes de la terre bien sensez,
la fontaine de la verité l' a tellement si on leur en demande leur advis,
favorisee, et la cherit tous ce qu' a fort bien remarqué
les jours par tant de façons, que sa Sainct Augustin, lors qu' il a dit que
puissance, sa providence, et sa bonté les philosophes, et tous les sages
reluisent à l' égal au soin qu' il du monde interrogez là dessus respondront
en a. Remarquez je vous prie avec que la religion des

55
chrestiens n' a peu estre persuadee p248
par des hommes, (...). philosophes, et les plus sçavans de
p246 toute l' antiquité ont puisé ce
Pour faire embrasser la religion qu' ils ont de meilleur.
chrestienne à un homme de Certainement si les chrestiens
bon jugement, je ne voudrois autre n' eussent eu la vraye religion, jamais
chose que le tesmoignage de ils n' eussent peu subsister parmy
nos plus grands ennemis, lesquels tant de persuasions des juges,
sont miserables, et le rebut de tout et des empereurs : et si la vertu divine
le monde, à cause qu' ils ont crucifié ne les eust renforcez, ils eussent
le vray messie, au lieu qu' auparavant esté bien tost étouffez, laquelle a
ils estoient le peuple aymé, souvent empesché que les tourmens
et chery de Dieu par victoires, ne leur ayent fait mal, multipliant
miracles, et propheties. à quoy on à cet effect miracle sur miracle.
pourroit adjouster les excellens Mais à quel propos suis-je si
tesmoignages, que les empereurs long-temps sur cecy, veu que les
ont donné des chrestiens, bien paroles, et les oeuvres de Jesus-Christ
qu' ils fussent idolatres, comme estoient si merveilleuses,
nous lisons dedans Eusebe, et Justin qu' elles ne pouvoient estre faites
Le Martyr. que par un homme qui fust Dieu.
Que sera-ce si vous jettez l' oeil Considerez quelle efficace avoient
sur toutes les propheties contenuës ses paroles, lors qu' il preschoit, et
dedans l' ancien testament, avec quel zele il procuroit
lesquelles ont predit tout ce qui p249
p247 la gloire eternelle de son pere :
est arrivé à nostre sauveur si clairement et si vous me voulez croire, lisez
qu' Esaie semble voir les les evangiles, je m' asseure que
mysteres de la vie, et de la mort de vous confesserez librement n' avoir
Jesus Christ. Vous sçavez que nous jamais rien leu de semblable,
n' avons pas inventé ces predictions, car la lecture attentive de la bible
car nos ennemis jurez, qui est si charmante, qu' on ressent je
ont conservé ces livres jusques à ne sçay quelle vertu extraordinaire,
present, nous garantissent de cela ; qui nous frappe l' ame en la lisant,
et afin qu' on ne puisse dire que et nous console, si nous sommes
nous y avons adjousté, ils ont conté affligez, nous fait embrasser la
toutes les lettres de leur loy, vertu, et quitter le vice, bref c' est
qu' ils disent estre, si bien me souvient, un banquet, un remede, un soleil,
huict cens vingt et un mil et un contentement universel.
quatre vingts une : et puis nous Et quand tout cela ne seroit pas,
nous servons des mesmes bibles je dis que la religion catholique
qu' eux, lesquelles doivent avoir ne contient rien que de tres-juste,
une plus grande authorité, que et raisonnable, et ne peut se faire
tous les autres livres du monde, qu' elle ne soit veritable, car elle
encore que nous ne parlassions n' embrasse que ce qui est digne
que de l' authorité naturelle, puis de la divine majesté, rejettant bien
qu' ils sont les plus anciens, dedans loing tout ce qui est indigne d' un
lesquels les plus excellens p250

56
si grand estre, si bien que quiconque faire quitter vos opinions, car il est
advoüera une divinité, confessera impossible qu' apres tant de merveilles,
quand et quand que la maniere qui ont esté faites en faveur
de laquelle nous servons de la religion chrestienne,
Dieu, est tres-saincte, et fort convenable elle ne soit pas veritable, et l' unique
à la majesté divine. Voudriez que Dieu approuve, autrement
vous une meilleure religion nous pourrions dire que Dieu
que celle qui embrasse courageusement nous auroit deceus, ce qui ne se
toute sorte de vertus, et peut faire. Tenez donc pour tout
deteste toutes sortes de vices, et asseuré qu' il n' y a que ceste creance,
d' imperfections ? Desireriez vous selon laquelle, et dans laquelle
une creance plus relevee, et plus digne vous puissiez estre sauvé.
de Dieu que celle, laquelle ne
reçoit rien que ce qui est à sa plus
grande gloire ? Laquelle ne faict CHAPITRE 12
conte de la mort, des biens, des p253
honneurs, et de la vie, lors qu' il est dans lequel le deiste rapporte ces trois
question de l' honneur de Dieu, et premiers quatrains avec leur refutation,
qui assujetit l' appetit sensitif à l' esprit, et est monstré que le chrestien
et la raison à Dieu, qui rend à n' est pas superstitieux ; que Dieu
un chacun ce qui luy apartient, fait tout par un mesme acte : qu' il
bref qui n' a autre motif, autre plaisir, n' est subjet à aucun changement, ou
p251 perturbation, et qu' il punit tres-justement
autre occupation que de plaire les meschans, bien que le peché
à la majesté divine ? Veritablement soit un rien.
quand Dieu n' auroit donné Le Deiste
aucune loy, il ne seroit pas possible monsieur, ce discours
qu' on en peust trouver une m' a satisfait entierement,
plus excellente que la nostre. Toute mais j' ay plusieurs
la lumiere de la nature, et tous difficultez, lesquelles
les esprits des hommes ne sçauroient m' ont tellement
en inventer une semblable, embarassé l' esprit, qu' il
comme vous pouvez juger de toutes m' est quasi impossible de m' en depétrer :
les loix qui ont esté faites par je voy bien d' un costé que
tous les legislateurs, lesquelles p254
ont tousjours esté vicieuses, et imparfaites vos raisons sont merveilleusement
en plusieurs choses, c' est fortes, mais d' un autre costé
pourquoy il a esté necessaire pour je treuve tant de difficultez en la
nostre salut, que Dieu nous ait enseigné religion catholique, que cela a
ce qui estoit de la verité, et esté cause que je l' ay abandonnee
la vraye façon de le servir, autrement il y a long temps.
nous fussions tousjours demeurez Le Th s' il ne tient qu' à resoudre
en nos erreurs. vos doutes, je m' offre à ce faire
Or je croy que tous ces motifs durant tout nostre voyage, pourveu
sont plus que suffisans pour vous que vous ne mettiez point en
p252 avant les moeurs, et la corruption
remettre au bon chemin, et vous des particuliers, car en tous estats,

57
et en toutes conditions et compagnies les quatrains, ce sera assez que
il se trouve des meschans. vous en rapportiez le sens, neantmoins
Le D vous me ferez un singulier je laisse le tout à vostre volonté,
plaisir, je vous promets que je et à la bonté, et fidelité de
ne m' attacheray point aux vices, vostre memoire, mais à telle condition
ou malversations des particuliers, que je ne lasseray pas à vous
car je sçay que la doctrine ne depend satisfaire moyennant la grace de
pas des moeurs ; or je ne sçaurois Dieu, bien que vous proposiez
pas proposer toutes mes objections, p257
si ce n' est que je vous les d' autres vers que ceux que j' ay entre
p255 les mains.
die par ordre selon les quatrains, Le D je ne sçay pas quels sont
qu' un des principaux de nostre cabale ceux que vous avez, mais les nostres
a faits, afin qu' on sçeut parfaictement sont fort secrets, car nous ne
ce qui est de nostre religion, les communiquons à personne,
et si je ne puis me souvenir que nous ne cognoissions bien auparavant,
des quatrains, je vous en diray la et que nous ne scachions
substance. s' il en fera son profit quittant les
Le Th vous ne pouvez avoir erreurs populaires : or nous leur
aucune legitime religion, que celle donnons pour tiltre, l' antibigot .
dont je vous ay parlé, si bien Le Theol ce sont les mesmes
que la vostre ne peut estre que indubitablement, ne se commencent-ils
pretenduë, afin que vous ne vous pas par ce vers.
trompiez pas au commencement : puis que l' estre eternel, etc.
neantmoins je ne veux pas vous Le D justement, je suis fort aise
troubler si tost, proposez vos quatrains qu' ils soient tombez en si bonne
quand il vous plaira, pourveu main, veu que je ne desire rien tant
que vous me promettiez que que de me tirer d' erreur, si j' y suis,
vous quitterez toutes les erreurs, bien que je sçache que tous ceux
qui y sont enfermees, et que vous qui sont de mon party, en seront
embrasserez la religion catholique, fort marris, car ils tiennent ces vers
si je vous satisfaits sur toutes p258
vos difficultez : car je ne desire pas comme un thresor, et ne les departent
p256 que soubs la cappe. Vous
perdre ma peine, encore que tout plaist-il donc que je commence ; si
le gain, s' il y en a, vous en doive revenir. premierement je vous advertis
Or si vos vers sont ceux qui me que nous entendons le chrestien,
sont autrefois tombez entre les ou le catholique par le bigot, et par
mains, nous aurons bien tost fait, le superstitieux , afin que les equivoques
car je croy que le sommaire de la ne nous arrestent point.
response que j' avois preparee à ces Le Theolog commencez
mal heureux vers, vous contentera quand il vous plaira, si vous pouvez
parfaictement, reservant à vous reduire les quatrains en peu
en faire voir une plus longue, de mots, nous aurons plustost fait,
si je voy qu' elle soit necessaire. car les vers ont coustume de contenir
N' importe pas beaucoup si vous beaucoup de choses qui ne
ne pouvez vous souvenir de tous sont pas à propos.

58
Le D j' en suis content, nommement parce personne qui soit tant esloigné de
que la superstition que le vray chrestien.
les vers sont mal faits, Que vostre poëte cherche
y ayant de mauvaises rimes, donc ailleurs son superstitieux, que
et quantité d' injures, et de parmy ceux qui embrassent nostre
boufonneries : je vous reciteray creance : car je vous prie, qu' est-ce
neantmoins les deux premiers que la superstition ? Est-ce pas un vice
quatrains tels qu' ils sont, et puis contraire à la religion, par lequel
p259 on rend le culte à celuy, qu' on ne
j' apporteray la substance des autres, doit pas ? Comme lors que les idolatres
voicy donc le commencement p261
de nostre poëme. rendoient l' honneur aux
Le Deiste creatures, lequel est deu au seul
puisque l' estre éternel est eternellement createur ; à quoy on peut rapporter
tres-heureux, et parfait en toute suffisance, toutes les especes de divination,
qu' il est la bonté mesme, et sage infiniment, par lesquelles on recognoist
sur tout ce qu' en conçoit l' humaine que les choses futures peuvent estre
intelligence, predites par les diables, ou
le superstitieux est il pas insensé bien on les consulte sur quelque
de se le figurer constant, et variable, dificulté : car c' est à Dieu seul que
embrasé de vengeance, et d' un rien offensé, nous nous devons addresser en
ennemy des tyrans, et plus qu' eux nos difficultez, nommement en ce
redoutable. qui est des choses futures, lesquelles
Le The je vous prie de vous dependent de sa volonté ou de
rendre attentif aux responces que nostre liberal arbitre, puis qu' il
je feray à tous ces quatrains, car je n' y a que luy qui puisse penetrer
me promets avec la grace de Dieu ces ressorts. L' autre espece de superstition
de vous monstrer clairement qu' ils est quand on sert Dieu,
ne contiennent rien contre la religion mais par une façon indecente, et
catholique, qui ne soit tres-faux ; qui n' est digne de la divine majesté.
et que vostre poëte est un cajoleur, Or je maintiens que le vray
un menteur, un imposteur, chrestien n' est superstitieux en
et un des plus meschans hommes pas une de ces façons, car il honore
que la terre porta jamais. Le 1 quatrain p262
p260 le vray Dieu par les formes, et
ne contient rien que ce que ceremonies que luy mesme nous
nous advoüons, car nous disons, et a revelees, ou qu' il a inspirees à l' eglise
croions fermement que tout ce qui son espouse ; ce qui paroist
est en Dieu est tres parfaict, puis en ce que nous n' avons aucune ceremonie,
qu' il est Dieu mesme, suivant la maxime ou coustume de servir
de la theologie, (...) : Dieu, laquelle ne soit grandement
et que c' est un estre essentiellement conforme à la droite raison, et convenable
independant, et infiny, pour recognoistre la dependence
lequel surpasse toute sorte que nous avons de l' estre eternel.
d' intelligence. Mais s' il entend le Je ne veux pas m' estendre sur
chrestien par ce mot de superstitieux , les diverses especes de divination,
c' est un imposteur, veu qu' il n' y a que Sathan a tasché d' introduire

59
au monde, afin de se faire recognoistre voir dans les histoires des
autheur de ce qui se faict martyrs. Mais ces émotions que
icy bas, car on sçait assez que le nous appercevons aux hommes,
chrestien ne deteste rien tant que ne sont point en Dieu, les actions
la negromantie, lecanomantie, duquel nous expliquons par nostre
gastromantie, catoptromantie, façon de concevoir, et d' entendre,
dactylomantie, et toutes les sortes sçachans neantmoins que
de magies, que la folie, la superstition, tout ce qui est d' imparfait en nos
p263 pensees, ne peut estre attribué à la
ou la malice a inventees. souveraine majesté.
Voyez donc maintenant que Peut estre que ce malheureux
vostre poëte s' est fort mal addressé, poëte endurcy, et envieilly en sa
et qu' il ne trouvera pas un superstitieux meschanceté, nous dira que nous
en tout le christianisme. donnons ceste explication, afin
Que son superstitieux soit insensé d' eviter ses objections, et eluder
tant qu' il voudra, jamais cela ses pointes, mais il se trompe fort,
ne conviendra à un vray catholique, si j' avois affaire à quelqu' un, lequel
lequel ne se figure point p266
Dieu variable, au contraire il le receust l' authorité de la saincte escriture,
croit tel qu' il est, sçavoir est tres-constant, il me seroit facile de luy
et du tout immuable. Ce monstrer par d' autres passages tres-exprez,
qui suit au 2, et 3 vers du 2 quatrain, que la furie, ny semblables
semble butter contre l' escriture passions ne peuvent se retrouver
saincte, laquelle nous descrit en Dieu, à la façon qu' il l' entend
la majesté divine embrasee de en ses quatrains ; mais puis qu' il est
vengeance contre les pecheurs, si malheureux, et obstiné qu' il ferme
comme quand Moyse la represente les yeux à la lumiere de l' evangile,
par ces paroles de l' excellent et les oreilles du coeur, et du
cantique, lequel est au 23 du deuteronome corps à tous ceux qui l' advertissent
verset 19 (...). de son salut, je luy respons,
p264 qu' il doit par toutes sortes de loix,
Et le prophete royal, en l' un recevoir l' explication que nous
de ses plus grands pseaumes, qui luy apportons touchant les susdits
est le 77 verset soixante cinq. (...). passages, veu qu' ils sont pris de nos
Or ces passages et plusieurs autres, livres, et de nostre religion qu' il
qui se trouvent dedans l' escriture attaque.
saincte, ne repugnent en aucune Qu' il sçache donc avec tous ses
façon à l' immutabilité divine, car confidens, que ny l' escriture, ny les
ils ne declarent autre chose que les predicateurs n' ont pas intention
peines, que Dieu fera endurer aux de mettre quelque chose de nouveau
meschans, lesquelles surpassent p267
p265 en Dieu, lors qu' ils disent qu' il
tous les tourmens, qu' on nous se fasche, ou qu' il se reconcilie avec
puisse faire souffrir en ce monde : les pecheurs : ce n' est non plus qu' ils
ce qui ne se fait sans la colere, vengeance, entendent que cela se fasse selon
ou furie de ceux qui nous le son des paroles, ains seulement
tourmentent, comme vous pouvez à ce que nous concevions la haine

60
que Dieu porte à l' iniquité, et la estre eternel tres parfait ; ce qui ne
peine de laquelle il la punit. Car la peut estre veritable, si vous ne
bible n' est pas seulement pour les m' accordez qu' il est tres-simple, et
sçavans, qui ont des eslevations par consequent qu' il est un acte
d' esprit plus épurees, et qui s' approchent tres pur, et qu' il fait tout ce qui est
de plus pres des veritez creé et tout ce qu' il fera desormais
eternelles, mais elle est pour toutes par le mesme acte de volonté, par
sortes de personnes, pour les lequel il s' ayme soy-mesme : car
petits, et pour les grands, pour les Dieu n' a qu' un seul acte d' entendement,
pauvres, et pour les riches, et pour et de volonté, lequel est une
tous ceux qui voudront y profiter, mesme chose avec son essence, et
soit en la lisant, soit en l' escoutant. par lequel il ordonne la gloire eternelle
Il ne faut donc pas que vous pour les bons, et l' eternel
trouviez estrange, si elle parle tantost des-honneur pour les damnez, de
en une façon basse, tantost en p270
une plus relevee, et qu' elle touche façon que quand il y a de la varieté,
p268 et du changement, cela n' est
les effects de la volonté divine en un qu' en la creature, Dieu demeurant
lieu, tels que sont les supplices tousjours tres-immuable, et tel
eternels des damnez, et en un autre qu' il est de toute eternité, ne pouvant
l' essence mesme de ceste volonté, cesser d' estre inalterable, immobile,
sans avoir égard aux effects et souverainement parfaict
qui en decoulent : plustost devons en toutes sortes de perfections,
nous remercier la divine bonté de s' il ne cessoit quant et quant d' estre
ce qu' elle nous a donné une doctrine Dieu, ce qui est parfaitement,
si bien assaisonnee, qu' elle et souverainement impossible.
peut repaistre toutes sortes de personnes, Le D comment est-il donc
et satisfaire à tout le monde. possible que Dieu fasse des choses
C' est donc l' effect que l' escriture si differentes, et que tantost il recompense,
nous met devant les yeux, laquelle tantost il punisse, s' il n' a
n' a autre but que de nous qu' un seul acte ?
faire craindre les supplices deubs Le Th imaginez vous que l' action
aux pechez, et nous representer de l' entendement, par lequel
les jugemens divins, à ce que nous vous avez conceu ce que vous
les évitions, et que nous sçachions venez d' objecter, soit infinie en
combien celuy-là est malheureux, perfection, qu' elle soit toute puissante,
qui mesprise les ordonnances divines, et qu' elle puisse faire tout ce
et combien Dieu est grand, p271
p269 qui n' a point de repugnance, est-il
puissant, et redoutable, puis qu' il pas vray que s' il vous plaist, vous
a de si grands supplices pour chastier recompenserez les bons par ce seul
tous ceux qui contreviendront acte d' intellect ; et que par le mesme
à ses commandemens. acte vous punirez les mauvais,
Vous pouvez encore mieux et ferez tout ce qui peut tomber
comprendre ceste difficulté, si vous en l' entendement ? Or l' acte divin
faites reflection sur vostre premier tres-simple est tres-parfait, infiny,
quatrain, qui dit que Dieu est un et tout puissant, qui empesche donc

61
que Dieu ne fasse tout ce qu' il fait, son impieté, et à renverser, s' il eust
par la vertu de cet acte ? Si le centre peu, la religion chrestienne, laquelle
d' un cercle estoit tout puissant, il durera jusques à la fin du
produiroit toutes les lignes qui monde malgré luy, et tous les deistes,
vont à la circonference : Dieu est il et les athees, et s' en ira avec
pas le centre infiny de toutes choses ? tous les esleus triomphante droict és
Voyez vous pas que le mesme parvis celestes, à ce qu' elle soit coronnee
point d' un miroir represente une de la guirlande d' une felicité
grande diversité d' objects ? Une qui durera tousjours. Je vous conjure
mesme colomne est-elle pas tantost par l' amitié que je vous porte
en bas, tantost en haut, tantost que vous taschiez de le ramener à la
à droit, tantost à gauche, bien qu' elle raison, et de luy faire quitter sa malice,
soit immobile ? Sçachez donc que p274
p272 et ses debauches ; il ne faut pas
Dieu fait tout ce qu' il fait sans aucune sous pretexte qu' il y a trop long-temps
émotion, car son decret eternel qu' il s' est egaré de la creance
est tres-un, et tres-simple, bien des chrestiens, et qu' il a sauté
que nous le concevions par nos diverses du calvinisme au deisme, qu' il se
imaginations, et qu' il nous desespere, car Dieu est tousjours
faille de differentes pensees, quand prest de le recevoir à misericorde.
nous voulons l' entendre. ô Dieu ! Seroit-il si perdu, si oublieux
Il faut donc bien se garder de de son salut, si opiniastre en
croire que Dieu soit embrasé de sa malice, qu' il ayme mieux estre
vengeance à la façon des hommes : damné à jamais, que de se recognoistre,
sa cholere, et la vengeance et quitter ses erreurs, ses
dont il use envers les damnez, n' est boufonneries, et ses autres sales
autre chose que la ferme resolution, voluptez, ausquelles il s' est abandonné
par laquelle il veut que les jusques à present ? Mais
hommes reçoivent le loyer, ou la voyons ce qu' il adjouste, disant
peine selon leurs merites, ou leurs que puis que le peché est un rien,
iniquitez ; il est en nous de choisir que Dieu ne peut estre offensé par
lequel que nous voudrons, car si le peché. Il est vray que le peché
nous aymons Dieu, comme il faut, n' est rien qui vaille ; ce n' est qu' un
il nous donnera la gloire eternelle : defaut, et un desordre, mais ne
si nous mesprisons ses ordonnances, sçait-il pas que le capitaine punit
et que nous mourions p275
p273 justement le soldat, quand il n' a
opiniastrement en nostre malice, rien fait de ce qu' il luy avoit commandé ?
il nous punira par les flammes Et quoy, l' homme sera
devorantes, lesquelles ne finiront obligé d' observer les loix que
jamais. Dieu luy a prescrites, et ne les voulans
Pleust à Dieu que vostre poëte pas garder il ne sera pas puny ?
s' embrasast luy-mesme d' une juste Erreur manifeste contre les principes
vengeance contre ses pechez, et de la raison : car celuy-là merite
qu' il se punist rigoureusement d' estre griefvement puny, qui
pour avoir employé son esprit, ses n' a voulu rien faire de ce que luy
rimes, et sa logique à provigner avoit commandé son roy, ou son

62
superieur : ce que feroient tousjours commandemens, ne veulent
les superieurs, quels qu' ils point se recognoistre, et meurent
soient, s' ils estoient tres-justes, obstinez.
comme Dieu. Or si vous prenez garde, vostre
Ne trouvez donc pas estrange, malheureux poëte s' est efforcé de
si Dieu se tient offensé, et mesprisé, representer la justice de Dieu par
lors que nous ne faisons conte de les façons les plus ridicules qu' il a
ce qu' il nous commande, soit par peu choisir, afin de le rendre odieux,
la loy naturelle, qu' il nous a empreinte et d' arracher la crainte des
dedans le coeur, soit par la p278
loy escrite, et la loy de grace. Plustost jugemens divins de l' esprit de
p276 ceux, à qui il a donné son poëme
devriez vous trouver estrange en cachette : mais qu' on sonde un
si Dieu ne punissoit point ce rien, peu ses paroles, et son intention,
ou ce peché, puis que quand nous on découvrira soudain qu' il est
commandons à nos serviteurs, malicieux, et ignorant, et que tout
nous les chastions, s' ils y manquent, ce qu' il objecte est pris d' un mauvais
et si c' est un amy sur lequel biais, ou que ce sont impostures,
nous n' ayons nul pouvoir, du et calomnies. Ce qui se void en
moins le jugeons-nous indigne ce second quatrain, auquel il dict
d' estre aymé, s' il ne fait ce dequoy que Dieu est plus redoutable que
nous le prions. Par où vous voyez les tyrans, non afin que nous nous
que le rien du peché est punissable, eslevions à contempler la grandeur
n' y ayant aucune chose en ce de la justice divine, laquelle
monde, qui ne soit en quelque façon est un attribut infiny de Dieu, aussi
semblable à Dieu, excepté le bien que sa puissance, sa bonté, et
peché, lequel est d' autant plus sa volonté, mais à ce qu' on haye la
horrible, qu' il s' oppose davantage doctrine catholique, laquelle
à la bonté eternelle, ou à ses ordonnances, nous enseigne que Dieu est aussi
ou mesmes à son essence, redoutable aux meschans, comme
laquelle est un tout tresparfait, il est aymable aux bons.
et le peché une privation de tout. Pleust à Dieu qu' il redoutast
Passons outre, il conclud de ce p279
p277 ceste justice autant comme elle
qu' il nous faict dire, que Dieu est est redoutable, je suis asseuré qu' il
ennemy des tyrans, et plus redoutable feroit tout ce qui seroit en luy, afin
qu' eux : qui en doute ? Car les de pouvoir desabuser tous ceux
tyrans estans meschans, il ne se qu' il a seduit avec son poëme. Faites
peut faire que Dieu ne soit leur luy entendre, si jamais vous le
ennemy, et leur juge redoutable. rencontrez en bonne humeur,
Asseurément il n' y a rien à redouter que Dieu n' est point lesé, ny interessé
comme la justice de Dieu : car en son essence par le peché,
tous les tourmens du monde ne puis qu' il est impassible, et immortel,
sont que des ombres au regard et neantmoins qu' il punist le
des peines que Dieu a preparees, pecheur aussi justement que s' il
et ordonnees pour punir tous avoit esté offensé en ceste façon,
ceux qui ayans transgressé ses d' autant que le meschant a la volonté

63
de ce faire, quand il peche, à toutes mes responses, à ce
puis qu' il ne tient pas à luy que vous n' ayez plus aucun doute
que cela n' arrive ; ce qu' il monstre sur ce qui est de l' impieté de vos
par le mes-estime qu' il faict de sa opinions.
saincte volonté. Il n' y a homme si Le D je n' ay maintenant aucune
brutal, qui ne confesse que celuy occasion de vous retarder, c' est
là merite d' estre puny, qui se moque pourquoy je poursuis.
des ordonnances de son roy ; p282
p280 Le Deiste
et personne ne treuve à redire aux est-il pas insensé de penser, et de s' imaginer
peines qu' on fait tous les jours endurer qu' il est le souverain gouverneur de ce
aux larrons, bien qu' ils monde :
n' ayent point offensé le roy, ou le et neantmoins qu' il se laisse conduire selon
juge en sa personne : et m' asseure nos
que ce deiste seroit bien ayse passions humaines.
qu' on fist subir la rigueur des loix Le Theol ce poëte est bien
à celuy qui luy auroit derobé sa estourdy s' il croit que nous nous
bource, ou faict perdre son honneur. imaginions seulement que Dieu
Pourquoy est-ce donc qu' il regit cet univers, car nous le
reprend nostre doctrine, par laquelle croyons fermement, qui est beaucoup
nous sommes instruicts plus que de se l' imaginer. Et
que les damnez seront punis eternellement, quoy, si Dieu ne le gouvernoit,
puis qu' ils ont mesprisé qui est-ce qui le pourroit entreprendre ?
les commandemens de leur Qui a donné plus de lumiere
createur, et les ont trangressez au soleil qu' à la lune ? Qui
avec une opiniastreté, qu' ils ont donne plus de force au lyon qu' à la
renduë eternelle, entant qu' il a fourmis ? Qui fait que la terre n' est
esté en eux, lors qu' ils sont morts pas en la place de la lune, et que
en leur malice ? ces planettes ne sont plus grandes,
Par où vous voyez assez clairement ou plus petites, plus proches, ou
à mon advis que vostre detestable p283
p281 plus esloignees ? Qui a ordonné
poëte a eu tous les torts toutes les parties du monde comme
du monde de s' opposer à une doctrine nous les voyons ? N' a ce pas esté
si veritable, si utile, et si digne Dieu ? Regardez je vous prie tous
de la majesté divine, comme les globes celestes, et vous advoüerez
est celle des catholiques. ceste verité, car comment se
Voila ce que j' avois à vous dire pourroit-il faire que la lune fist
touchant vos premiers quatrains, son cours en l' espace de 27 jours,
je croy que c' est assez pour vous et 8 heures, et qu' elle peust atteindre
contenter, neantmoins si vous avez le soleil en 29 jours, et 13 heures ?
encore quelque difficulté, Que le soleil, Mercure, et Venus
vous la pouvez proposer, car comme ne manquassent jamais d' accomplir
je n' entreprends ce discours leur cours chaque annee ?
que pour vostre salut, et afin que Mars en un an, et 322 jours ; Jupiter
tous les deistes soient desabusez, en 11 ans, et 215 jours ; Saturne en
je vous donne toute liberté de repartir 29 ans, et 174 jours ; les estoilles en

64
28800 ans, avec un mouvement si je ne sçaurois mieux vous expliquer
reglé, qu' ils ne manquent pas d' un la necessité de ceste presence
iota, s' il n' y avoit un souverain moteur, divine que par ces vers, qui monstrent
qui les regist, et gouvernast ? aussi son immensité.
Le soleil pourroit-il tousjours p286
s' esloigner de la terre par 1181 semi- Dieu est dessus, dessous, dedans, et dehors
diametres, tout ;
p284 il n' est clos d' aucun lieu, ores qu' il soit par
lors qu' il est en son apogee ; tout :
la lune de 56, Mercure, et Venus dessus comme pilot qui le meut, et compose ;
de 1142 ; Mars de 1745 ; Jupiter dessus comme pivot qui ferme le soustient,
de 3990, Saturne de 10550, et les estoilles dehors comme cerceau, qui en rond le
de 14000 ; s' il n' y avoit une contient,
eternelle providence, qui maintient dedans le penetrant, bref il est toute chose.
tous ces astres, et ces globes Le D nous ne nions pas que
au mesme ordre, qu' elle a estably Dieu ne soit la guide souveraine
dés le commencement du monde ? de cet univers, mais seulement
J' ay honte de m' amuser à prouver nous tirons ceste consequence,
une verité si claire, et m' estonne que ceux-là sont insensez, qui
comment il est possible qu' il y croyent ceste verité, et disent nonobstant
ait des hommes si aveuglez, qu' ils que Dieu est subject à passion,
nient la providence divine, sans comme les hommes : autrement
laquelle les ressorts de l' univers il quitteroit bien tost le gouvernail
ne sçauroient subsister, ou se mouvoir. de ce grand monde,
Dites moy de grace, si vostre quand on l' irriteroit, ce qui n' arrive
corps n' a aucun mouvement, si l' ame point, car nous voyons que toutes
ne le meut, pensez vous que ce choses vont tousjours d' un mesme
monde puisse garder un train si train.
reglé, si Dieu ne le conduit, et ne Le Theol je sçay que vous ne
luy donne le bransle ? niez pas expressément que Dieu
p285 p287
Certainement les philosophes gouverne l' univers, bien que je
ont apperceu ceste verité, lors sçache d' ailleurs que ce sont vos
qu' ils ont voulu introduire une ame discours, lors que vous vous
universelle, et une forme generale trouvez entre vos confidens : aussi
de tout l' univers, afin que par n' ay-je pas dit que vous creussiez
icelle le monde fust gouverné cela, mais qu' il faudroit estre
comme un grand animal, car bien merveilleusement
que Dieu ne soit pas la forme d' aucune egaré d' esprit, pour
chose, neantmoins il est present croire qu' il n' y eust aucune providence,
en tous lieux, et ne se peut rien et que Dieu ne gouvernast
faire qu' il ne voye : de plus, il est pas ce monde.
impossible qu' aucun mouvement arrive Or ce qu' il inferoit en ces deux
sans son aide, et sans son secours derniers vers, est tres-faux, car nous
car il est plus necessaire à tout ce qui sçavons fort bien que Dieu ne
est au monde, que n' est la lumiere peut estre subject à aucune passion,
aux couleurs, ou l' ame aux corps : comme je vous ay monstré

65
cy devant : je vous donne à penser mais je voy bien où il en veut venir,
s' il ne destourneroit pas son soleil car il desireroit fort que Dieu
de dessus les meschans, et s' il ne les n' eust ny force, ny justice pour
reduiroit pas au neant, s' il estoit chastier les meschans : c' est cela
subject aux passions humaines : qu' il appelle estre de mauvaise volonté
comment y seroit-il subject, veu envers ceux qui l' offencent,
que ce sont émotions de l' appetit ce qui n' est pas ainsi qu' il le dit,
p288 d' autant que Dieu se sert du mesme
sensitif, lequel n' est qu' en l' homme, amour en punissant les damnez,
et en la beste ? duquel il use en recompensant
C' est assez que vous remarquiez les bien-heureux, puis qu' il
icy la noire malice de vostre rimailleur, fait l' un, et l' autre pour sa gloire, et
qui veut persuader que pour l' amour qu' il se porte à soy-mesme.
nous croyons que Dieu est suject Je me doute bien que
à nos passions : sçachez donc que vous, et luy, et tous ceux de vostre
nostre creance touchant ce suject faction aurez de la peine à vous
est que Dieu est inalterable, immuable, persuader cecy, mais soyez attentif,
et exempt de toutes sortes et je vous le feray comprendre.
de passions : et delà concluez que Il est certain que Dieu ne faict
cet imposteur vous a donné des rien qu' il n' ait quelque fin, et
bourdes, et des calomnies pour quelque raison, autrement son
des veritez, comme j' espere vous p291
faire voir tres-nettement en ce qui suit. action sembleroit estre vaine, ce
qui est impossible : or il ne peut
avoir d' autre fin à proprement
CHAPITRE 13 parler, que soy-mesme, autrement
p289 s' il luy faloit mandier une derniere
dans lequel les quatrains du deiste depuis fin hors de soy-mesme, il ne seroit
le quatriesme jusques au neufiesme pas Dieu. Cette fin qui est Dieu
sont refutez ; et est monstré que mesme, ne peut qu' elle ne soit tres-aymable,
Dieu declare l' amour qu' il se porte en et le principal motif de
punissant les damnez, et comment tout ce qu' il a fait, de tout ce qu' il
il ayme, il hayt, et fait tout par une opere maintenant, et de tout ce
mesme action. qu' il fera jamais : donc quand il
Le Deiste chastie les mauvais, ou recompense
est-il pas effronté d' exalter son amour, et les bons, c' est à cause de soy-mesme,
puis de le depeindre pire envers nous, que n' et parce qu' il est tresbon, donc
est un c' est par amour qu' il fait l' un, et
barbare envers son pire ennemy ? l' autre.
Le Theologien Et si vous me demandez comment
cela est tres faux il se peut faire que Dieu
que nous depeignions haysse les meschans par amour,
Dieu comme aussi bien qu' il ayme les justes, je
il le dit, et que nous ne veux autre chose pour vous le
disions aucune chose, qui contrarie p292
p290 faire entendre, que la façon mesme
tant soit peu à son amour ; par laquelle vous aymez, ou

66
hayssez quelqu' un. croyant qu' il chastiera les meschans,
Est-il pas vray que quand vous qu' en disant qu' il recompensera
prenez vengeance de vostre ennemy, les bons, veu qu' il fait le tout pour
ou du moins que vous le l' amour, dont il s' ayme, auquel il
hayssez, que c' est à cause qu' il s' est n' y a rien qui puisse estre parangonné.
opposé à ce que vous cherissez, et Mais j' estime qu' il n' est besoin
qu' il empesche vos desseins ? Est-il de m' estendre si au long sur
pas encore vray que tout ce que ce quatrain, car je conjecture que
vous caressez hors de vous mesme, les suivans nous donneront assez
que c' est à cause de l' affection, et de pareilles matieres. C' est pourquoy
de l' amour que vous vous portez suivez maintenant, si ce n' est
vous mesmes ? Si bien que vous que vous ayez quelque notable
voyez clairement que tout ce que difficulté sur ce que je viens de
vous faites en ce monde, et tout ce dire.
que vous pensez, n' est pour autre fin Le D veritablement cela me
que pour l' amour, ny pour autre semble un peu subtil, et difficile,
raison, que pour l' affection que car la punition semble estre un
vous vous portez, soit qu' elle soit effect de la justice, et non pas de la
déreglee, ou non, car je ne veux bonté ; de la hayne, et non de l' amour :
pas maintenant entrer en cette p295
p293 comment est-ce donc que
nouvelle consideration. Dieu chastie les meschans par amour.
C' est ainsi que Dieu s' aymant Le Theol cecy est facile à entendre,
d' un amour infiny, rebutte, et punist si nous concevons ce qui
eternellement tout ce qui est tres-asseuré, sçavoir est que
s' oppose à cet amour, tel qu' est le Dieu faict tout pour l' amour de
peché, duquel on n' a point de repentance : soy-mesme, car puis qu' il est l' estre
car s' il s' ayme infiniment, souverain, il faut que tout ce
est-il pas tres-raisonnable qui est, se rapporte à luy, et par
qu' il haye, et punisse eternellement consequent que tous les chastimens
ceux qui le hayssent, et le des pecheurs buttent à sa
mesprisent, comme font les pecheurs ? gloire ; or Dieu n' ayme sa gloire
C' est donc par l' amour qu' il et son honneur, qu' entant qu' il
se porte qu' il chastie ses ennemis, s' ayme d' un amour infiny, si bien
c' est par amour qu' il deteste, et que nous pouvons dire que de
extermine tout ce qui contrevient mesme que tout ce que nous faisons,
à cet amour. Bref il est impossible et toutes les actions de nostre
de trouver aucune chose, appetit raisonnable, et sensitif
soit au ciel, soit en la terre, ou au prennent leur origine de l' amour
milieu des enfers, qu' il ne la fasse que nous nous portons, ainsi toutes
par amour. les actions que nous concevons
De là vous conclurez que si p296
nous exaltons l' amour de Dieu, en Dieu, et tous les effects,
p294 qui partent de sa puissance, viennent
nous ne disons par apres rien au de l' amour qu' il se porte, suivant
contraire, puisque nous ne l' eslevons ceste riche sentence de Sainct
pas moins en asseurant, et Augustin, amor meus, pondus

67
meum, illo feror quocunque feror . quelque chose. Dites moy,
Ce qui n' empesche pas qu' il ne Dieu crée-il nos ames à la façon
soit vray que les supplices, que que nos peres nous engendrent ?
Dieu fait tres-justement endurer Nullement : car si tost que l' embryon
aux malheureux damnez, soient est parfaitement formé,
les propres effects de la justice divine, Dieu y conjoinct l' ame raisonnable,
entant que nous entendons afin de conserver l' ordre, qu' il
que l' acte divin tres simple, par lequel a estably au monde dés le commencement.
Dieu fait tout ce qu' il fait, Laissons la façon à
respond à la conception que nous part, car elle importe fort peu icy.
avons du supplice ; si nous avions Je dy que si un pere pouvoit tirer
une action infinie en nostre entendement, un plus grand bien du mal, comme
nous concevrions Dieu, qu' il pourroit engendrer
tout ce qu' il y a en Dieu, et tout ce un enfant, bien qu' il sceust que
qu' il a fait, qu' il fera, ou qu' il pourroit son enfant deust estre tourmenté
faire, mais nos pensees estant imparfaites, à jamais ; par exemple, si un pere
n' envisagent l' acte divin estoit tout puissant, et qu' il voulust
p297 p299
que selon leur portee, et leur estenduë, faire paroistre sa toute puissance,
et conformément à l' effet qui il pourroit engendrer des enfans,
paroist à nos yeux. Poursuivez s' il bien qu' il previst, qu' ils se perdroient
vous plaist, car nous expliquerons encore par leur malice, d' autant
ceci plus clairement cy apres. que par là il monstreroit que sa
Le Deiste bonté, et sa puissance ne pourroient
et quoy ? S' il ne voudroit pas engendrer des estre empeschees par quelque
enfans, s' il croioit qu' ils deussent estre malice que ce soit, bien que
miserables, cette malice deust estre eternelle.
comment est-ce que Dieu qui est infiniment Et certes un tel pere seroit content
bon, pourroit nous mettre au monde s' il de s' estre manifesté en son enfant
sçavoit que nous deussions estre perdus. par le bien de l' estre, qu' il luy auroit
Le Theol vostre rimeur avoit communiqué, n' estant tenu
tasché de nous jetter la poudre de se manifester par le bien de la
aux yeux au 4 quatrain, nous gloire, s' il ne fait les oeuvres, qu' il
voulant persuader que c' estoit faire luy auroit prescrites pour ce sujet.
Dieu cruel, de dire qu' il chastie Or sus est ce pas une grande merveille
les meschans ; et maintenant que ce que Dieu a donné
il veut luy oster les verges de la (sçavoir est l' estre, et la nature), ne
main comme l' enfant à son pere. puisse perir par quelque malice
J' ay ouy dire qu' il y a un franc resveur que ce soit, bien que tous les diables
à La Rochelle, qui maintient conspirassent à le ruiner. Est-ce
n' y avoir point d' enfer, à cause de p300
p298 pas une grande joye aux bien-heureux
cette seule comparaison d' un pere de voir tousjours l' oeuvre
avec Dieu : je ne m' en estonne pas, de Dieu en son entier, lors qu' és
car estant Huguenot, il luy est facile damnez ils distinguent ce qui est
de passer à l' atheisme. de Dieu, et du peché, cestuy-cy
Voyons si cette semblance conclud n' estant rien que tenebres, et l' autre

68
rien que lumiere, et verité ? soit infiny, si on veut reparer le
Que sera-ce, si je vous dy que mespris, que le pecheur a fait de la
la sagesse, et la bonté de Dieu reluit bonté divine, puis qu' elle est infinie.
davantage en la production Partant je dy que quand Dieu
de celuy qu' il sçait qui l' offencera, chastie le peché eternellement,
et qui refusant ses graces eslira la il monstre par ce supplice, que sa
malice, et l' enfer, qu' en la production bonté est eternelle, et par consequent
d' un autre, duquel il prevoit ceste bonté paroist par la
qu' il sera servy, et honoré ? Car celuy-là peine, qu' endurent les damnez.
semble tout à faict indigne Certainement on pourroit penser
de recevoir l' estre de la main de que la bonté, contre laquelle se
Dieu, lequel ne pourroit jamais bande le peché, seroit finie, si la
tant faire de bien à cet ingrat, s' il peine deuë à ce peché estoit limitee,
n' estoit infiniment bon, non plus et que la puissance, et la justice,
qu' il ne pourroit le punir eternellement, p303
s' il n' estoit tout puissant, par lesquelles le chastiment est
p301 ordonné, et executé, estoient bornees
voire mesme tout bon. Ouy je (telles que sont la justice, et la
maintiens sur ma vie qu' il faut estre puissance des hommes) si le supplice
infiniment bon pour pouvoir chastier avoit quelque fin.
eternellement une malice faicte De là nous concluons que tant
contre le souverain autheur plus le chastiment des reprouvez
de toutes choses : car pour veoir si est grand, et tant plus grande paroist
quelqu' un est infiniment bon, quand la bonté de Dieu. Si vous considerez
il est question de chastier un méfaict, bien cecy, vous verrez clairement,
par lequel la volonté de Dieu que vostre poëte ne conclud
souverainement bonne est mesprisee, rien par la similitude d' un
je tiens qu' il faut qu' il chastie pere, qui n' est souverainement
ce crime d' un suplice infiny. bon, et puissant, comme Dieu. Et
Le D comment est-il possible quoy si un pere estoit tout puissant,
que la bonté de Dieu paroisse feinderoit-il d' engendrer des
par le supplice eternel des meschans ? enfans, bien qu' il sçeust qu' ils seroient
Le Theol il est tres-asseuré pendus, ou roüez, s' il sçavoit
que la malice est aussi grande, que qu' il n' encourroit aucune
la bonté qui luy est opposee ; il est ignominie, ou honte de ce que ses
aussi certain que si on vouloit recompenser enfans seroient suppliciés, au contraire
une infinie bonté, qu' il qu' il en tireroit de la gloire,
faudroit que la recompense fust p304
p302 et de l' honneur ? Est-ce pas une admirable
infinie, donc si on vouloit punir sagesse de tirer de la gloire,
une malice, qui fust opposee à cette et du bien de la malice des
bonté, il faudroit que le supplice hommes ? ô Dieu que vous estes
fust infiny pour respondre à adorable en vos pensees, et en vos
cette malice. Or la malice de celuy oeuvres ! ô Dieu que vous estes sage
qui mesprise les commandemens de tirer les grands biens des
de Dieu, est opposee à la bonté divine, grands maux, et malgré les hommes
il faut donc que le supplice impies, et les diables triompher

69
de la mort, du peché, et de ceste matiere, c' est pourquoy je
tous les defauts du monde : beny vous prie ne vous ennuyer pas de
soyez vous par tous les esleus és respondre aux autres quatrains,
siecles des siecles. ô grand Dieu, car si vous me contentez aussi
j' adore vos arrests, qui ordonnent bien sur tout ce qui suit, je quitteray
le supplice eternel aux meschans ; toutes ces erreurs, voicy donc
et la gloire aux bons. Faites s' il le sixiesme quatrain.
vous plaist que tous les deistes p307
quittent leurs erreurs, et embrassent Le Deiste
ce qui est de vostre saincte volonté. il est certain que Dieu nous ayme beaucoup
Or sus que vostre poëte fort plus, et nous est meilleur que n' est la
ignorant en matiere de religion, meilleure
p305 mere du monde à ses enfans, et par
fasse distinction entre pere, et pere, consequent
et qu' il considere leurs diverses il ne nous peut imposer un malheur infiny
qualitez, afin qu' il ne pense pas pour
nous piper, et nous faire à croire satisfaire à une cholere feinte.
sous ombre qu' un pauvre pere, Le Theol cela est evident
qui ne sçait le plus souvent ce qu' il que Dieu est beaucoup meilleur
faict en caressant ses enfans, bien qu' aucune mere, car il ne nous
qu' ils soient tres-mauvais, que substente, et conserve pas seulement
Dieu doit faire le mesme. Qu' il quant à l' exterieur, comme
sçache donc qu' il faut que Dieu se nos meres, mais, qui est bien davantage,
monstre dissemblable aux hommes quant à l' interieur, ce que
en sa justice, et en punissant, ne peut faire la mere. Et puis les
puis qu' il se monstre dissemblable meres traittent bien leurs enfans
en leur pardonnant, et en les recompensant. à cause du service, et du plaisir
Quel pere a jamais qu' elles esperent retirer d' eux,
tant en duré de ses enfans, comme quand ils seront grands, mais Dieu
Dieu endure de nous ? Quel pere n' a que faire de nous, c' est sa seule
leur a jamais si souvent pardonné ? bonté, qui le meut à nous mettre
Qui leur a promis, et donné de telles p308
recompenses comme est la gloire au monde, et à nous donner l' air
des esleus ? Mais quoy cecy n' entre que nous respirons, la terre, qui
point dans vostre esprit, car nous porte, et les vivres qui nous
p306 alimentent. Bref nous ne sçaurions
vous quittez ce qui est de l' intelligible subsister un seul moment, s' il ne
pour courrir à bride abatuë conserve nostre estre, et n' use comme
apres vos passions, et vos appetits d' une continuelle creation en
brutaux, et desreiglez. Si vous me nous conservant : mais il ne s' ensuit
voulez croire, vous quitterez bien pas delà, qu' il ne nous punisse eternellement
tost ces opinions fantasques, sensuelles, ;
et badines pour vous remettre ce qui n' est pas nous
au giron de l' eglise catholique. imposer un infiny malheur, car
Le D certainement ce discours c' est nostre malice, qui est l' architectrice
icy ma fort esbranlé, je commence de ce malheur, veu qu' il
à voir plus clairement en n' y en a point de plus grand que le

70
peché, ostez-le, et vous ostez mere est toute puissante, et tres-juste
l' enfer, et toute autre sorte de malheur, pour punir ses enfans, (bien
comme disoit un grand docteur que tres mauvais) d' un supplice
de l' eglise, (...). infiny : sçavez vous pas que Dieu
Mais supposons que le supplice n' a point mis ce supplice en la puissance
deu au peché, soit un infiny malheur ; p311
je dy que c' est fort mal parlé des hommes ? Et quoy, si
p309 nous voulons parangonner la
d' asseurer que ce chastiment est bonté, et la charité de Dieu envers
pour assouvir la feinte cholere de nous, à l' amour d' une mere envers
Dieu : premierement, parce que ses enfans, qui ne void que l' amour
c' est un blaspheme tres-grand de que Dieu nous porte, est
mettre aucune fiction en Dieu. Secondement, infiniment plus grand, soit que
parce que ce n' est pas nous regardions à la creation, ou à
pour assouvir l' ire divine, veu que la recreation, et à la redemption ?
pour estre assouvi, et pour recevoir Si vous consideriez quel doit estre
un nouveau contentement de l' amour bien ordonné, vous ne
quelque chose, il faut au prealable diriez pas que Dieu deust aymer
en avoir eu besoin, or Dieu n' a un meschant autant qu' un bon, et
besoin d' aucune chose, comme a confesseriez que le mal est si indigne
fort bien remarqué le prophete de tout amour, qu' il est impossible
royal, (...). de l' aymer, lors qu' on le
Tiercement, parce que c' est afin cognoist tel qu' il est : comment
que ce qui appartient à un chacun voulez vous donc que Dieu ayme
luy soit rendu. le mal, qui est dedans le pecheur,
Dites moy je vous prie, combien et qui le rend mauvais ? Que vostre
loüeriez vous un roy, qui seroit poëte propose ses paralogismes à
si prudent, et si vertueux, qu' il d' autres, car ses finesses sont descouvertes,
donnast les dignitez à un chacun p312
p310 et sa malice esventee, si
selon ses merites sans acception de bien que vous pouvez maintenant
personne, et qui puniroit quant et apporter les autres quatrains,
quant tous les meschans selon leur et vous ressouvenir que si
forfait, sans qu' ils peussent opprimer une mere estoit infiniement bonne,
les bons. et juste, qu' elle chastieroit le
Dieu est le roy des roys, qui peché de son enfant d' un supplice
gouverne tout le monde, et qui eternel, supposé qu' il ne voulust
donne à un chacun le lieu, la recompense, se recognoistre.
ou la peine qu' il a merité ; Le Deiste
il faut donc le loüer grandement, puis que le bigot ne voudroit, ny ne pourroit
et nous resjouyr d' avoir un voir ses pires ennemis au milieu d' un
roy, un pere, un maistre, un createur extréme
si puissant, si sage, et si bon. supplice durant un mois, comment est-il
Il a recours à une mere, mais on possible
sçait trop que les meres perdent le qu' il vueille que Dieu repaisse sa justice
plus souvent leurs enfans manque chastiant l' oeuvre de ses mains d' un
de les chastier ; et puis quelle supplice

71
infiny. fort imparfaictement, ce pendant
Le Theol voicy encore une que nous sommes en ce monde. Il
plus sotte comparaison que ce detestable faut donc que la justice punitive,
poëte fait d' un bigot avec et suppliciante ait un pareil effect
Dieu ; je vous proteste que vous envers les damnez, pour ce qui est
devriez rougir de honte, de prendre p315
p313 de la duree, qu' a la recompensante
ce poëme pour fondement de envers les bien-heureux, c' est à dire
vostre deisme ; mais quoy, j' en attribuë eternel, puis que toutes deux elles
plustost la faute à ce fat, qui sont egales.
a basty ces rimes, que non pas à Dites moy, de grace, pensez
vous, lequel monstre qu' il n' a aucun vous que la gloire de Dieu paroisse
respect de Dieu. moins, quand nous recognoissons
Toutesfois prenons son bigot, qu' il reprouve autant le vice,
quel qu' il soit, je luy demande s' il comme il approuve la vertu, que si
est infiniment juste, et bon, ou nous ne voyions que son amour
non : s' il dict qu' il est infiniment envers les justes, sans nous appercevoir
juste, ce qui ne se peut, je dis qu' il de la haine, qu' il porte au
peut voir souffrir son ennemy non mal, et aux impies, à cause de leur
seulement un mois, mais une eternité ; malice ? Or les flammes eternelles,
s' il ne l' est pas, cela est fort qui bruslent les damnez, vous font
inepte de tirer des raisons de son voir qu' il hait autant le mal, comme
bigotisme pour combatre la verité il ayme le bien. Prenez garde que
de la religion catholique. Qu' il vous, qui prisez tant l' experience
sçache donc que ce seroit plustost des choses pour en avoir la science,
merveille, si le supplice du meschant, n' experimentiez la rigueur de
qui ne veut se recognoistre ces peines deuës à vostre infidelité,
en ceste vie, estoit finy, que ce n' est et irreligion.
de ce qu' il est eternel, puis que la p316
p314 Helas ! Pleust à dieu que vous
recompense des bons est eternelle peussiez seulement une fois le jour
à cause de la bonté de Dieu, qui les apprehender, comme il faut, et
veut que le supplice deu à ses ennemis, que vous meditassiez serieusement
ne dure pas moins que la où vous irez, et comme vous serez
recompense deuë à ses amis. traicté apres cette vie ; asseurez
Certainement il ne se peut faire vous que vostre incredulité ne
que Dieu n' ayme autant sa justice, vient que faute de considerer
comme sa bonté, et sa justice vindicative, l' advenir, et du peu de soing
et punissante, autant que sa que vous avez de vivre vertueusement.
justice recompensante, puis que Retenez donc de ce discours,
ce n' est qu' une mesme chose en qu' il n' y à personne, s' il
Dieu, duquel les attributs sont estoit aussi juste que Dieu, qui ne
tous une mesme essence divine, si fist souffrir un supplice eternel aux
incomprehensible, que nonobstant meschans, qui ne veulent quitter
que nous usions de mille, et leur impieté ; et qu' il est raisonnable,
mille conceptions, et industries, et tres-juste que Dieu donne
nous ne sçaurions l' entendre que un lieu à un chacun, tel qu' il le

72
merite, or le meschant merite le entendement finis, et que ce que
lieu de l' enfer, ne vous formalisez p319
donc plus, s' il a, ce qui luy est deu. nous faisons avec plusieurs actions,
p317 et proprietez, Dieu le faict par un
Le Deiste seul acte, mais avec une perfection
nostre infirmité peut elle trouver un appuy infiniment plus grande, que s' il le
autre part, où elle se repose mieux que sur la faisoit avec plusieurs actions,
justice divine, puis qu' elle est une mesme comme nous. De là vient que bien
chose que sa justice, et sa bonté soient
avec sa volonté, et son divin amour ? une mesme chose, et qu' il condamne
Le Theol il est certain que les impies par le mesme
ces deux attributs sont une mesme acte, par lequel il recompense les
chose, comme nous avons dict auparavant, bons, ils n' en sont pas moins condamnez,
car il ny à aucune diversité et chastiez, ou couronnez,
en l' essence divine ; et que nostre et recompensez : ne plus ne
infirmité à son recours à ceste moins que le ciel ne laisse pas d' estre
bonté, comme au centre dedans lequel distingué de la terre, encore
elle doit trouver sa perfection. que Dieu ait faict, et creé l' un et
Mais tout cela n' empesche pas, que l' autre par un mesme acte. Mais
Dieu ne chastie les pervers, qui c' est trop dict sur ce quatrain, lequel
au lieu de chercher leur repos ne semble rien conclurre
dans la volonté, et dans l' amour de contre nous, par ainsi il vaut
Dieu, l' ont tellement mandié des mieux passer outre.
creatures, qu' ils les ont preferees
au createur. Certainement la justice
p318 CHAPITRE 14
divine est un grand repos d' esprit p320
aux gens de bien, car ils croyent auquel est preuvé que Dieu faict du
fermement qu' apres avoir servy bien aux damnez : que nous pouvons
Dieu de tout leur coeur, il leur hayr les meschans, et que Dieu les
donnera la juste recompense de leur punit justement sans cruauté : et les
travaux ; et au contraire elle apporte quatrains du deiste depuis le 9 jusques
un grand trouble, et une perpetuelle au 19 sont renversez.
inquietude d' esprit aux Le Deiste
meschans, d' autant qu' ils doivent si nous pensons qu' il ne faut rien attendre
estre ramenez, et soubmis à l' ordre de
de la providence divine (de laquelle la bonté divine, comment nous en pouvons
ils s' estoient voulus soubstraire) nous
par ceste justice qu' ils redoutent servir d' exemple pour rendre le bien pour le
si fort qu' ils voudroient mal
qu' elle ne fust point, et qu' on ne à nos ennemis ?
leur en parlast jamais, parce Dieu pourroit-il nous inspirer de donner
qu' elle condamne leurs crimes. secours
Or il faut que vous remarquiez à tout le monde, s' il estoit plus cruel que
que c' est une foiblesse d' esprit de nul autre ?
penser pouvoir comprendre les attributs, p321
ou les actes divins avec nos Le Theologien

73
si vous voulez appercevoir de tous les hommes par
la nullité de l' objection, la mort de nostre sauveur pour
qu' il faict au neufiesme preuve de cecy, car la nature nous
quatrain, il faut remarquer fait assez paroistre combien la
que la bonté de Dieu nous est un bonté divine s' estend sur toutes
modelle, et un archetipe, sur lequel sortes de personnes. Et par ainsi
nous devons regler nos bontez, cette bonté nous est un parfaict
et duquel depend tout ce que exemplaire à ce que nous fassions
nous avons : mais la façon par laquelle bien à nos ennemis ; mais parce que
nous devons l' imiter, est vostre poëte tasche d' oster l' enfer,
celle qui luy plaist, et qu' il nous je dy que Dieu fait plus de bien
prescrit, et non celle que nous aux damnez, que tous les hommes
nous imaginons : or ceste bonté du monde ne sçauroient faire tous
divine veut que nous aymions ensemble à leurs enfans, ou à qui
nos ennemis, et que nous leurs que ce soit ; car tout ce que nous
rendions le bien pour le mal, cependant pouvons communiquer, n' est en
qu' ils sont en estat de se rien comparable à l' estre, ny aux
pouvoir amender : c' est une pure proprietez de l' estre que Dieu
calomnie de dire que Dieu ne conserve à tous les damnez.
fasse nul bien à ceux qui se sont p324
p322 Et ne sert rien de dire qu' on
rendus ses ennemis par leur peché ; aymeroit mieux n' estre point que
car ne voyez vous pas à chaque d' estre avec un tel supplice, car
moment, que Dieu fait pleuvoir Dieu ne regarde pas nostre perverse
aussi bien sur les plus meschans volonté en ordonnant ce
que sur les plus gens de qu' il fait, mais il regarde ce qui est
bien ? Est-ce pas de ceste bonté bon, juste, et convenable : je sçay
eternelle que nous vient l' air, lequel assez que ceux de vostre secte aymeroient
nous respirons, l' eau que bien mieux n' estre
nous beuvons, et tout ce qui est point, que d' estre miserables, et
pour nostre necessité, et pour nostre tourmentez à jamais : mais helas !
contentement ? Leur desir ne peut faire qu' ils eschappent
Avez vous jamais veu que pour ce qu' ils ont merité par
tant d' impietez, qui se commettent leurs impietez, dedans lesquelles
tous les jours par tout le monde, il ils se plongent volontairement, et
ait retiré sa main des autheurs opiniastrement, taschans à se persuader
coulpables de ce mal ? Bien qu' il que Dieu n' a aucun supplice
chastie par fois quelques uns de ce pour eux.
monde icy pour servir de tesmoignage Au reste cet amour que Dieu
à sa providence, et à sa justice, veut que nous portions à nos ennemis,
et d' exemple aux autres. Il est n' est que durant cette vie,
donc certain que Dieu fait plus de pendant qu' ils sont encore capables
bien à ses ennemis en un seul moment, p325
p323 de la beatitude eternelle,
que nous ne leur en sçaurions comme nous ; car si tost qu' ils sont
faire en toute nostre vie. Je decedez, s' ils sont bien-heureux,
ne veux pas icy employer la redemption ce qui arrive toutes et quantesfois

74
qu' ils se repentent de leurs mesfaits, contre celuy de qui ils ont receu
et meurent en la grace de tout ce qu' ils ont : et ne desire rien
Dieu, ils ne sont plus nos ennemis, davantage que leur amendement,
au contraire nous n' eusmes jamais prest à subir toutes sortes de travaux
de meilleurs amis : s' ils sont damnez pour ce suject, si je sçavois la
manque d' avoir voulu quitter façon de les pouvoir ramener à la
leur malice, Dieu ne nous oblige verité de la religion catholique,
plus de les aymer, ou de leur car je suis obligé de procurer leur
faire aucun bien, ains veut que salut, cependant qu' ils sont en vie,
nous les ayons en horreur, et que mais personne n' est tenu d' avoir
nous les hayssions, comme il fait : ce desir envers les damnez, d' autant
si bien que le sophisme de vostre qu' ils sont hors de toute esperance.
rimeur est par terre de quel costé Par où vous voyez ce qu' il faut
qu' il se puisse tourner. respondre au 10 quatrain, puis que
Je sçay bien que tout ce qui est, p328
est aymable, et que Dieu ne hayt Dieu ne nous inspire pas d' estre
pas l' estre des damnez : aussi ne le secourables envers les damnez, et
hayssons nous pas, ains nous aymons ne veut pas que nous soyons moins
p326 cruels envers eux, qu' il est ; si toutesfois
leur estre, et la nature des cela se pouvoit appeller
diables, entant qu' ils portent l' image cruauté, ce qui est faux, car il n' y a
de Dieu, et entant que l' estre, point de cruauté à punir un criminel
et la bonté s' entresuivent necessairement : selon ses delits, veu que jamais
mais cela nempesche il n' y a cruauté, que lors que le supplice
pas que nous ne detestions, et excede le m' éfait ; or au lieu
hayssions parfaictement leurs d' exceder, quand Dieu punit, il
meschancetez ; c' est pourquoy je est beaucoup moindre, que celuy,
veux bien que vostre poëte, et que qu' il pourroit justement exiger : de
tous les deistes, et les athees sçachent là vient que les theologiens disent
que je leur porte une hayne fort bien que punit citra coudignum,
mortelle, entant qu' ils sont impies, aussi bien que remunerat ultra condignum :
et qu' ils ravissent l' honneur c' est pourquoy la punition
deu à mon dieu, mon createur, et divine doit plustost estre nommee
mon redempteur, aussi bien que misericorde, ou douceur, que
le prophete royal faisoit envers cruauté ; c' est ainsi que nous disons
les meschans de son temps, (...). que les juges font misericorde
Mais pour ce qui est de leur nature, aux criminels, lors qu' au lieu
de leurs proprietez, et des p329
perfections du corps, ou de l' entendement qu' ils avoient merité d' estre roüez,
p327 ou bruslez, ils les condamnent seulement
que Dieu leur a departy, à finir leurs jours en prison
je les ayme, je les caresse, je les au pain, et à l' eau, ou d' avoir le
honore, et les prise grandement foüet par les carrefours.
comme oeuvres de Dieu, estant Le D je suis fort satisfait sur
marry qu' ils emploient la subtilité, ces deux quatrains, dieu vueille
et la force de leur esprit, et l' elegance qu' il m' arrive le mesme sur ce qui
de leurs paroles à se bander suit.

75
Le Deiste qui ne pensast que celuy là
peut-il nous commander d' aymer nos haïroit le roy, qui seroit marry,
ennemis, que ces ennemis, et ceux qui l' auroient
s' il les hayt luy mesme veu qu' il est tout offensé, fussent punis selon
juste, leur demerite : et qu' au contraire il
et tout bon ; quelle apparence que nous les aymeroit son prince, se resjouyssant
puissions ayder en leur misere, s' il les voit de ce que ceux qui luy auroient
souffrir une peine immortelle ? esté rebelles, seroient chastiez,
Le Theol ce que nous avons soit que cela servist d' exemple,
dit cy devant, monstre assez que ou non.
ce quatrain ne conclud rien, car C' est en ceste façon que nous
vous avez veu que Dieu ayme p332
mieux ses ennemis, que nous ne aymons la gloire, et la bonté de
p330 Dieu, en nous resjouyssans de ce
faisons pas : et quoy ? S' il ne vous que les criminels de leze majesté
eust aymé, vous eust-il conservé divine sont punis. Pour ceux qui
jusques à present, vous eust-il fait sont hors de la grace de Dieu, si
ceste grace que d' estre instruict de nous les cognoissions asseurément,
la verité de nostre religion, et desabusé nous pourrions les hayr
des erreurs compris dans ce comme ennemis de Dieu, cependant
poëme, afin qu' au lieu d' estre puny qu' ils seroient en cét estat.
eternellement, si vous eussiez Je dy bien plus, car nous nous pouvons,
persisté en ceste malheureuse opinion, et devons hayr nous mesmes,
vous jouyssiez de la gloire lors que nous sommes tombez
eternelle, si vous vivez desormais en peché, bien qu' il ne soit
constamment dans l' eglise catholique, que veniel ; ce que les meilleurs
et si vous gardez soigneusement les chrestiens font assez paroistre,
commandemens de Dieu. lors qu' ils jeusnent, ou s' affligent en
De plus vous voyez qu' il compare quelque façon que ce soit, afin de
l' amitié que nous devons punir leurs mesfaits : punition volontaire,
porter à nos ennemis en ce monde, laquelle tesmoigne l' amour
avec la haine que Dieu leur que nous portons à Dieu, et
porte apres qu' ils sont morts opiniastres la hayne du peché, ce qui fait que
en leur peché : et par ainsi les penitences volontaires sont
il ne conclud rien, car nous sommes p333
p331 fort agreables à la divine majesté,
contens, et nous nous resjouissons et ont une grande force pour effacer
selon la saincte volonté de le peché.
Dieu, de ce que ceux qui l' ont icy Le D vous avez touché un
deshonoré, entant qu' ils ont peu, poinct de ces punitions corporelles,
mesprisans ses commandemens, contre lesquelles vous verrez
sont maintenant chastiez de leurs tantost qu' une grande partie de
meschancetez. En quoy nous ce poëme combat, mais j' apperçoy
monstrons l' amour que nous portons desja par ce que vous venez de
à Dieu, estans bien aises que dire, que le tout sera bien aysé à refuter :
ses ennemis soient punis. Et croy cependant je poursuy.
qu' il ny a personne de bon jugement Le Deiste

76
on ne peut pas concevoir un tourment infiny faute, et non celle du roy. Ostez
pour contenter l' ire de Dieu, si ce n' est qu' donc cete cruauté de vostre esprit,
on car Dieu ne peut estre cruel, comme
die qu' il est infiniement cruel, et qu' il nous vous pouvez conclure de ce
traite plus mal que le plus grand tyran du que j' ay dit cy dessus.
monde. Mais je vous prie, un tyran est-ce
si le bigot se contentoit de l' estimer tel pas celuy, qui fait endurer les
comme luy, c' est à dire, qu' il assouvist sa innocens tres-injustement ? Qui opprime
vengeance de quelque supplice limité, on ceux, sur lesquels il n' a aucun
pourroit droit, et qui se bande contre
excuser une telle ignorance. toute sorte de justice ? Où est-ce
p334 p336
mais de dire que Dieu punit l' homme d' une que ce miserable deiste a estudié
peine infinie pour ses deffauts sur peine une si mauvaise leçon, qui luy ait
d' injustice, c' est accuser la bonté divine d' appris que Dieu soit tyran : Dieu,
une qui ne peut commettre aucune injustice,
malice immortelle. et qui a tous les droicts du
Le Theol ouy, il se peut concevoir monde de faire, et ordonner tout
un tourment infiny, lequel ce qu' il fait ? C' est donc à d' autres
plaise eternellement à Dieu, puis qu' il faut que ce sophiste vende
qu' il est eternellement juste, et ses coquilles, car Dieu a tres-juste
qu' il hayt le peché eternellement. raison de chastier eternellement
Ouy, le bien peut plaire infiniment ceux qui en mourant, et refusant
à Dieu, et par consequent la de recognoistre leur createur,
punition des meschans, laquelle l' ont eternellement mesprisé, tesmoignans
est un grand bien, et fort digne des cette eternelle opiniastreté
damnez luy peut estre agreable. par le dernier acte de leur
L' ire de Dieu n' est autre chose vie, dans laquelle ils demeurent
que l' aversion qu' il a du mal, comme tousjours.
d' un déreglement, et d' une abolition Je vous proteste qu' il est bien
de l' ordre, qu' il a estably. aveuglé au treiziesme quatrain,
Dequoy vous pouvez vous plaindre, dans lequel il veut que Dieu imite
si les meschans n' ayans pas un bigot, lors qu' il chastie le peché :
voulu eslire le costé droict, où estoit voicy bien le monde renversé,
la courone, et la gloire, ont p337
p335 que le createur prenne loy de sa
mieux aymé choisir la fenestre, à creature. Il seroit volontiers d' advis
laquelle estoit la confusion, et le que Dieu se rendit finy, et que
supplice ? Mais vous ne pouvez la haine qu' il porte au peché, ne
conclure de là que Dieu soit cruel : durast pas tousjours ; mais c' est en
le roy seroit-il cruel, s' il donnoit vain, car cete haine durera tout autant
le choix d' estre recompensé de comme Dieu sera Dieu. Il ne
quelque excellente dignité, si on faut point de l' imitation à un supplice,
le servoit fidelement, ou d' estre qui est destiné pour un crime,
chastié, si on luy estoit traistre, lors qui n' a point de fin. Il faut que
que le criminel endureroit le supplice ? l' oeuvre par lequel la grandeur de
Nullement, car ce seroit sa la justice divine est tesmoignee, et

77
apperceuë par les hommes, soit qu' estant entendus sainement,
eternel, il faut que la peine d' une comme il faut, on pourroit vrayement
vengeance infinie soit infinie ; or dire que la justice ne seroit
la vengeance divine estant un acte pas renduë à celuy qui meurt en
de la justice eternelle, doit aussi son peché, s' il n' estoit puny, d' autant
estre eternelle : dequoy est ce que comme la justice veut
donc que vous vous pouvez plaindre, que celuy qui meurt en la grace
si Dieu chastie eternellement. de Dieu, soit recompensé de
L' homme quel qu' il soit n' a garde la felicité eternelle, la mesme
de prendre une vengeance infinie, p340
p338 veut aussi que le supplice des reprouvez
estant finy, comme il est, bien qu' il soit eternel.
s' en trouve assez, qui ont cette ferme Et ne sçay pas ce qu' un homme
volonté de se venger eternellement, de bon jugement pourroit reprendre
s' ils pouvoient, comme ils en cecy, car la lumiere de la
tesmoignent faisant du pis qu' ils raison nous fait toucher au doigt
peuvent à leurs ennemis, non seulement cette verité.
quand ils sont vivans, mais encore Neantmoins comme toutes
apres leur mort, par leurs médisances, choses sont tousjours en l' absolu
ou en nuisant aux heritiers. pouvoir de Dieu, bien qu' il ne
Vous voyez donc par ce discours chastiast le meschant, il ne seroit
que ce n' est pas nostre ignorance pourtant pas injuste, d' autant qu' il
qu' il faut excuser, mais celle de vostre peut tousjours le retirer de ce peché,
dialecticien, qui ne conclud luy donnant une force surnaturelle
rien qui vaille, et qui est si ignorant, pour se repentir, et pourroit
qu' il ne sçait pas qu' il faut par ce pouvoir infiny, qu' il a
qu' il y ait de la proportion entre le par tout, et sur tout, retirer tous
juge, et sa justice, entre le crime, et les damnez de l' enfer ; mais nous
le supplice ; je croy neantmoins ne sommes pas sur ce poinct, et
que c' est plustost une malice affectee, suffit maintenant que vous apperceviez
que l' ignorance, qui luy a la meschanceté de vostre poëte,
mis la main à la plume, et la conception qui vouloit persuader au monde,
dans l' esprit pour nous estaler p341
p339 que nous accusons la bonté divine
ces quatrains farcis d' erreurs, d' une eternelle malice, ou
d' impostures, d' ignorances, au contraire nous l' adorons en
et de calomnies. toute humilité, et confessons haut,
Voicy encore un paralogisme et clair que sa bonté ne paroist pas
dedans son quatorziesme quatrain, moins en la punition des meschans,
où il veut faire à croire que qu' en la recompense des
nous accusons Dieu d' estre meschant, bons, mais seulement en diverse
quand nous disons qu' il maniere, car l' un, et l' autre, comme
exerce la justice, lors qu' il punit j' ay desja dit, est un oeuvre signalé,
les meschans ; car nous n' usons pas et eternel de la justice divine.
de ces termes, qu' il apporte, sçavoir Or il faut icy remarquer que
est que Dieu seroit injuste, Dieu ne laisseroit pas à estre juste
s' il ne punissoit les meschans, bien infiniment, bien qu' il ne punist,

78
ou ne recompensast personne, que si quelque effect, soit de
d' autant que ces attributs ne dépendent peine, soit de recompense, a quelque
pas des effects, qui nous rapport, et proportion avec
paroissent, car ils sont d' eux-mesmes les perfections divines, c' est
sans aucune dependance ; ce particulierement
n' est qu' à nostre respect, qu' il est lors qu' il est eternel.
necessaire d' en voir les effects Donc si la haine que Dieu porte au
pour les recognoistre, parce que mal de coulpe, est immortelle,
p342 (comme elle est vrayement, et ne
nous ne voyons point les perfections peut qu' elle ne soit telle, et par
divines, que par ce qui nous p344
paroist, et par ce que nous pouvons consequent nous ne disons pas cela
concevoir. De là vient que pour pour couvrir aucune erreur,
conclure une justice infinie en Dieu, mais parce qu' il est si veritable,
la peine eternelle des damnez ne qu' il ne peut autrement arriver)
nous sert pas de peu, bien que sans il est evident que la peine deuë à
icelle nous la peussions croire, et cette coulpe, et qui doit estre proportionné
concevoir en quelque façon, veu à la haine, que Dieu luy
que les effets ne sont pas de l' essence porte, doit estre infinie, et immortelle.
de la cause : mais c' est assez dit, Mais c' est mal parlé de rendre
à mon advis, sur ce quatrain, passez Dieu furieux, comme ce poëte
aux autres. fait, non pas qu' on ne puisse attribuer
Le Deiste à Dieu le courroux, la vengeance,
je sçay qu' il respondra pour s' excuser, que et la fureur, à cause des effects
Dieu ne peut quitter son eternelle justice, et de sa justice, qu' il fait paroistre
qu' il faut qu' il assouvisse sa fureur d' une sur les meschans, car la saincte
peine escriture en parle ainsi pour s' accommoder
immortelle, puis qu' il est infiny. à nostre façon d' entendre
mais il ne s' ensuit pas qu' un méfait limité les choses, mais par ce qu' il
doive estre puny d' une peine infinie, bien use de ces termes par un mespris
que sa des choses divines, et comme estant
divine majesté ait un estre infiny, et luy mesme remply d' un furieux,
invariable. entheusiasmes, ou plustost
p343 p345
Le Theol cela est certain que d' une rage perpetuelle contre l' eglise
Dieu ne peut quitter sa justice catholique, et contre tous
immortelle, s' il ne se quittoit soy-mesme, les chrestiens. Mais passons à l' autre
car la justice luy est aussi quatrain, car c' est là qu' il reserve
essentielle, comme la raison l' est sa pretenduë raison contre le
à l' homme ! Mais il parle de Dieu châtiment du peché, disant que
avec tant de passion, d' irreverence, puis que le peché est finy, qu' il ne
et de manie, qu' il ne peut, ce doit pas estre puny d' un infiny
semble, s' abstenir de ces mots de supplice.
cruauté, vengeance, fureur, assouvissement, Je desirerois fort sçavoir de luy
etc. Je veux traitter plus si du moins il pense que les pechez
doucement avec vous, qu' il ne fait doivent estre punis de quelque
avec Dieu, et vous faire ressouvenir supplice temporel, et finy, et

79
qu' il me dist par quelle penitence ne se point repentir, et de continuer
il punist les siens, je croy que les son peché.
marques en seroient invisibles. Enfin bien que le peché fust limité
Or bien qu' en quelque façon le en toutes façons, Dieu le
peché soit finy, comme à cause pourroit neantmoins punir tres-justement
qu' il est la privation d' une vertu, d' un supplice eternel,
où d' une rectitude finie, neantmoins car son commandement est une
il est assez infiny pour estre ordonnance eternelle, et le crime
chastié d' un infiny tourment ; premierement p348
p346 doit estre puny d' autant plus griévement
en ce qu' il est contre que la personne, contre
le respect, que nous devons à l' estre laquelle il se commet, est relevee.
infiny, qui nous defend le peché Mais je vous prie, Dieu n' a-il
(les actes ou privations prenant pas peu deffendre le peché mortel
leur estre, ou leur denomination sous peine d' un supplice eternel, et
de leurs objets) : secondement par consequent a-il pas peu chastier
parce qu' il nous détourne d' un bien de ce supplice tous ceux qui
infini, qui est la joüissance de Dieu, tombent en ce peché ? Qui le peut
car au lieu que nos actions devroient nier sans un horrible blaspheme ?
butter à la gloire du createur, Puis que nous confessons ingenuëment
le peché les fait butter à que celuy qui transgresse
la gloire des creatures, puis qu' il l' ordonnance des roys, merite
est une aversion, et un détour le chastiement, lequel est porté
de la fin derniere, qui est Dieu seul, par la loy, telle qu' est la mort que
et une conversion vers les creatures ; celuy-là à merité, qui a tué quelqu' un
et ainsi faisant nous mesprisons injustement.
Dieu pour priser la creature, Bon dieu ! Pourroit-on nier que
car il est impossible d' offenser celuy-là ne merite d' estre privé
Dieu mortellement, sans le mespriser, pour jamais de la gloire eternelle,
et le postposer aux creatures. et de vostre saincte face, lequel a
Pourquoy est-ce donc que celuy étably sa derniere fin, et sa beatitude
là ne sera pas puny eternellement, p349
p347 dans une chetive creature,
qui a mesprisé l' estre eternel, au lieu qu' il pouvoit, et qu' il devoit
et qui a continué ce mespris la chercher en vous tout seul ?
une eternité, en tant qu' il a esté en Sera-il dit que vous n' aurez pas
luy, car la derniere resolution, un juste pouvoir de chastier
qu' un homme a en mourant, peut eternellement celuy qui a méprisé
estre dite eternelle, puis qu' il l' eternise vostre infinie majesté, et qui n' a
en tout ce qu' il peut. tenu nul conte de vos sainctes ordonnances ?
Il faut donc que le supplice de Mais le deiste voudroit peut-estre
celuy, qui meurt en mesprisant que Dieu sauvast les hommes
Dieu, soit eternel, puis que sa volonté malgré qu' ils en eussent ; ce n' est
demeure pervertie, et mesprisante pas à luy à donner la loy à son
pour tout jamais, si tost createur, lequel a voulu que nous
qu' elle a finy la carriere de ceste cooperassions à nostre salut, et que
vie en ceste maudite resolution de nous obtinssions la beatitude eternelle

80
en qualité de recompense, d' une perpetuelle misere.
ce qui nous releve beaucoup Il ne faut point icy penser que
davantage, que si nous la devions Dieu soit cruel, nenny, mais c' est
avoir par une autre voye. Qu' il toy deiste malheureux, qui t' es
prenne seulement garde qu' il ne p352
tiendra qu' à luy s' il n' acquiert cette cruel à toy-mesme, puis que pour
p350 je ne sçay quel plaisir brutal, ou je
beatitude, car s' il veut quitter ne sçay quel enragé contentement,
ses desbauches, et sa miserable façon que tu prends, ou du moins
de vivre, et qu' il demande que tu t' efforce de prendre à tes
seulement pardon à Dieu en suivant fantasies, et à croire, et dire que tu
desormais ses saincts commandemens, es fort en repos, quand tu oste la
il aura cette beatitude justice à Dieu, et que tu t' imagine
eternelle, à laquelle tous les qu' il n' y a point de peine pour les
hommes doivent viser. damnez apres cette vie ; puis que,
Et quoy ? Veut-il que Dieu luy dis-je, pour ce plaisir imaginaire, et
donne le paradis, et luy ne voudra ce vain contentement tu te jette
pas demander pardon, ny pas mesme en toutes sortes de pechez, et te
concevoir un regret en son rends indigne que Dieu te fasse jamais
coeur d' avoir vescu si mal jusques aucune grace.
à present ! ô dieu quel aveuglement, Voy, je te prie, si tu trouvas jamais
et quel endurcissement ! ce plaisir, et ce repos dans tes
Vrayement cette sentence de S delices, et dans tes opinions fantasques,
Gregoire Le Grand luy convient lequel tu t' estois imaginé ;
fort bien, (...). es-tu pas pire que les diables, lors
Disons encore que celuy-là merite que tu vas disant à l' oreille de tes
d' estre banny eternellement confidens, que tu leur veux apporter
du paradis, et d' estre privé pour p353
p351 le vray repos, et la vraye beatitude,
de la vie, et de la lumiere s' ils veulent espouser tes bizarreries ?
eternelle, lequel s' est luy-mesme Combien de fois t' ont-ils
jetté dans le peché mortel ; aussi repris de tes sottises, et de tes
bien que celuy-là merite d' estre blasphemes, te remettans ton repos,
tousjours aveugle, ou privé de vie, et ton contentement phantastique
lequel s' est arraché les yeux, ou devant les yeux en se moquant
s' est luy-mesme tué ; car ne plus ne de toy, lors que la faim pressante,
moins que personne ne sçauroit se ou la perte que tu faisois en
resusciter, ou se rendre la veüe, aussi joüant avec eux, te rendoit miserable,
personne ne peut se relever de et te tiroit des paroles de la
son peché, ny recouvrer la lumiere bouche, et des souspirs du coeur,
de la foy par ses propres forces, qui tesmoignoient que le repos,
c' est pourquoy celuy qui quitte et le contentement de l' ame, duquel
volontairement le service divin, et tu fais si grande estime au
le respect qu' il doit à Dieu, et à la temps de la bonne chere, est aussi
religion, par laquelle il veut estre éloigné de ton esprit, comme il est
servy, et adoré, il se rend indigne proche de tes lévres.
de la beatitude eternelle, et digne Monstrez luy le danger où il

81
est, quand vous le verrez, et luy dites p356
ce mot veritable du grand s. qu' on ne vueille pas croire qu' il
Duquel je vous parlois tantost : (...). punira les meschans qui l' ont mesprisé,
p354 d' un supplice eternel. Mais
Il est encore vivant, il cette creance imaginaire qu' ils
peut quitter sa malice, et ne la rendre ont, qu' il n' y a point d' enfer, n' empeschera
pas eternelle ; qu' il ne s' amuse pas la sentence du juge
plus à considerer le plaisir du peché tout puissant, laquelle il fulminera
lequel ne dure qu' un moment, contre les damnez au jour du jugement
car bien que le plaisir du general, et qu' il prononce
larron, ou de l' homicide n' ait duré par le jugement particulier à leur
qu' un instant, il ne laisse pas d' estre mort ; laquelle est aussi expresse en
mis en une prison perpetuelle, ses paroles, (...),
ou d' estre mis à mort, sans que comme celle, par laquelle
jamais on luy rende la vie, bien il appellera les bons à la beatitude
qu' il eust deu vivre mille ans, voire des saincts, (...),
mesme une eternité : les juges si bien qu' il ne faut point
temporels usent de ses chastimens, que personne se flatte sous pretexte
personne ny treuve à redire, quand de la bonté, et de la misericorde
on a l' esprit bien fait ; au contraire de Dieu : ny qu' on pense que la sentence
on louë la justice, et les juges qui des damnez n' est que comminatoire
l' ont renduë ; et nonobstant tout pour détourner ceux-là
cela il se treuve des hommes si du peché, lesquels n' ont pas l' esprit
étourdis, et si despourveus de jugement p357
p355 assez bien fait pour fuyr le vice,
qu' ils appelleront Dieu et pour se porter à la vertu par
cruel, s' il chastie ceux qui l' ont méprisé, le seul motif de sa beauté, ou de la
d' un supplice infiny. ô Dieu l' aideur du peché, et pour le seul
où sommes nous ! Quant à moy je amour de Dieu.
dirois plustost, et croirois fermement Car ne plus ne moins que la
que le supplice infiny duquel promesse que Dieu fait aux bons
les damnez sont chastiez, seroit de la recompense eternelle, n' est
trop leger, que je ne penserois pas seulement pour nous enflammer
qu' il fut trop grand ; et croy qu' un à la vertu, et pour nous faire
chacun sera de mon advis, qui suivre ses commandemens, mais
pensera serieusement quelle est la est tres veritable, et sera accomplie
majesté divine, quel honneur, et de poinct en poinct : ainsi le
quel service elle merite, et quelle supplice duquel il menace les
est la temerité, la presomption, et damnez, n' est pas seulement pour
la malice du pecheur. faire peur aux meschans, mais il est
C' est une chose estrange qu' on tres-veritable, lequel ils endureront
croye facilement que Dieu donnera aussi vrayement, et reellement,
la gloire eternelle à ceux qui comme le bon-heur des justes
auront bien fait, et qui l' auront aimé sera vray, et reel.
de tout leur coeur en luy sacrifiant Et quoy ? Est-il pas tres-raisonnable
leur corps, et leur ame, et en que les damnez lesquels
gardant ses commandemens, et p358

82
meritent d' estre chastiez eternellement, bon-heur des uns ne peut estre sans la
n' endurent pas seulement misere
en nos pensees, et par imagination, des autres, et que Dieu seroit un pere
mais reellement, et en effect, injuste,
puis que ce n' a pas esté par nostre s' il aymoit tous ses enfans.
seule pensée, et en imagination mais cela ne se peut dire sans faire Dieu
qu' ils ont mal-fait, et qu' ils ont cruel, afin qu' il soit juste ; et puis c' est luy
commis leurs meschancetez, mais prescrire la façon de gouverner le monde.
reellement, et de fait. Vous ne voudriez Le Theol il apporte une objection
pas que la recompense que de son creu, car nous ne disons
Dieu nous promet, ne fut qu' imaginaire, pas que le bon-heur des bien-heureux
si vous sçaviez devoir dépende de la misere des
estre des bien-heureux, comme damnez ; au contraire cela est certain
vous serez asseurément, si vous que quand il n' y auroit aucun
quittez vos impietez pour tout jamais, damné, et que tous seroient bien-heureux,
et si vous obeyssez à Dieu le que la gloire n' en seroit
reste de vostre vie : pourquoy est-ce moins grande, ny moins agreable,
donc que vous voudriez que la car comme elle est infiniment
recompense des meschans, laquelle infinie, elle ne se diminuë par aucune
est la punition que merite leurs multitude de ceux qui en
pechez, ne fust que phantastique, p361
et imaginaire ? jouyssent. C' est pareillement une
p359 imposture de nous faire dire que
Concluez donc, si le supplice Dieu ne sçauroit aymer tous ses
doit estre borné, par lequel celuy-là enfans sans injustice, car nous disons
est puny, qui a mesprisé l' infinie que Dieu les ayme tous, de
bonté de Dieu, et qui est mort en sorte que son amour s' étend jusques
cette impieté : et si vous me voulez aux enfers, car c' est par amour,
croire, detestez autant la perverse qu' il conserve l' estre des
doctrine de vostre poëte, que damnez ; soit donc tenu ce quatrain
vous l' avez cherie cy-devant, à pour pure calomnie, afin d' examiner le
fin que Dieu vous fasse pardon, et suivant.
misericorde, c' est ce que j' espere Certainement il n' est pas moins
de vous. faux que l' autre, car comme il
Le D monsieur, vous ne serez l' infere du precedent, il ne peut
pas frustré de vostre esperance, qu' il ne suive sa nature, si la consequence
avec l' ayde de la divine majesté ; est bien tirée, car d' un
mais je vous prie ne vous ennuyez principe faux, on ne sçauroit
pas de respondre à ce qui suit, afin rien legitimement inferer qu' une
que je puisse de plus en plus concevoir fausse consequence. Mais prenez
la verité, que nostre poëte garde qu' il prend tousjours la justice
avoit tasché de faire eclypser ; voicy de Dieu, et son effect pour
donc ce qui suit. cruauté : c' est estre trop cruel envers
p360 p362
Le Deiste la justice de Dieu que d' en
ils font icy une objection, sçavoir est que le parler si impertinemment, et si
cruëment.

83
Or sçachez que nous sommes abominables desirs ; et leurs sales
merveilleusement éloignez de ces concupiscences, encore que Dieu
opinions phantasques, aussi bien le defende expressément, que d' embrasser
comme de vouloir reduire la volonté sa loy. Vous n' appellez-pas
de Dieu à nos jugemens : et le roy cruel, lors qu' il fait mourir
vous asseurez que nos jugemens en quelqu' un pour avoir contrevenu
matiere de religion n' ont autre branle à ses ordonnances, pourquoy est-ce
que la volonté de Dieu, et la lumiere donc que vous vous imaginez
qu' il nous a donnée par la que Dieu est cruel de punir ceux
foy. Son empire ne peut dépendre qui luy desobeïssent. De plus un
d' autre que de luy, ny la façon pere n' est pas tenu de s' abstenir de
qu' il se comporte avec toutes les la generation, bien qu' il sçeust
creatures : ce nous est beaucoup que son fils deust miserablement
d' adorer par une profonde meditation, perir, supposé principalement
et contemplation le sainct qu' il ne doive perir, que par sa propre
ordre de sa volonté, et d' admirer faute ; pourquoy voulez-vous
la profondeur de ses jugemens, et donc que Dieu ne produise pas celuy,
de ses voyes, esperans qu' apres duquel il prevoit la cheute,
cette vie nous verrons la claire p365
p363 et le peché, puisque ce n' est que sa
verité de tout ce que nous avons faute quand il offense la divine
icy creu, et seulement consideré majesté ; voulez vous point que
par la foy, comme par un nostre meschanceté surpasse sa
miroir et par un enigme. bonté ? Ce ne sera pas jamais ; contentez-
Voila ce que j' avois briefvement vous
à respondre aux quatrains de vostre donc l' esprit en admirant
poëme, car le chemin ne me permet les oeuvres de Dieu, et rentrez
pas de m' estendre plus au long dans la creance de l' eglise.
sur ce suject. Tant y a que j' estime Le D si vous m' aviez donné
vous avoir donné assez de lumiere autant de satisfaction sur les autres
pour quitter ceste folle opinion quatrains, j' adviserois ce que j' aurois
que vous aviez d' un dieu, duquel à faire, mais cela seroit bien
vous ne desiriez que les douceurs, long, et craindrois vous donner
la bonté et la misericorde : et trop de peine.
ne croy pas que vueilliez plus long Le Theol il n' y a rien qui me
temps tremper en cet erreur, si vous puisse donner de la peine sinon
considerez que Dieu a toutes sortes tres-agreable, en ce qui est de vous
de perfections, et qu' elles sont desabuser de ce libertinage d' opinions,
toutes infinies, et qu' il a voulu que et d' erreurs, que vous appellez
chacune parust en telle façon que deïsme : neantmoins avant que
nous peussions apprehender leur vous proposiez le reste, je suis d' advis
infinité : et puis qu' il ne tient qu' aux que nous disnions à ce passage,
p364 p366
damnez qui ne soient sauvez (lors et par apres vous poursuivrez vos
qu' ils sont en estat de meriter, et quatrains, cependant vous pourrez
de se convertir, qui est en ceste vie) penser à ce que je vous ay dit.
lesquels ayment mieux suivre leur

84
qu' il est tout sage ?
CHAPITRE 15 pourroit-il donner son assistance pour estre
que l' amour de Dieu est immuable, surmonté, et afin qu' on luy ravist son
quels sont ses objects : comment il ouvrage,
nous a peu racheter, veu que nous luy et puis endurer qu' on executast toute sorte
appartenions : comment il peut s' asservir de
à l' homme, et comment nous luy rage contre sa volonté pour racheter le
pouvons faire resistance, avec la refutation susdit
des quatrains du deiste, depuis ouvrage ?
le 19 jusques au 29. Le Theol c' est assez, demeurez
Le Deiste là, afin que je vous fasse paroistre
voicy des objections les impostures, et les mensonges
encores plus fortes que impudens de vostre poëte, lequel
les precedentes, ausquelles a remply ses quatrains de
vous vous trouverez blasphemes, car au premier il dit
peut-estre bien empesché, que l' amour de Dieu a une cause,
p367 ce qui est faux, puis que c' est Dieu
quelque subtilité d' esprit que mesme : il se coupe de son propre
vous puissiez avoir, ou du moins glaive, car si Dieu seul est l' object
confesserez que ce n' a pas esté sans de son amour, il ne nous ayme
raison, que j' ay suivy cette opinion : donc pas, autrement nous serions
prestez donc s' il vous plaist aussi l' object de ce mesme amour :
attention aux quatrains qui suivent. mais pour vous desembarasser l' esprit
Le Deiste p369
d' abondant puis que l' amour de Dieu est de ce sophiste, il faut que vous
une action, de laquelle il est le seul object, et supposiez que Dieu ayme les choses
la telles qu' elles sont : si elles sont
cause invariable, est-ce pas s' embrouïller d' bonnes eternellement, il les ayme
une eternellement, si elles ne sont bonnes
contradiction de croire que cet amour divin que quelque temps, il ne les
puisse cesser envers nous ? ayme que ce temps là, de façon
et quoy, si cet amour ne peut en aucune neantmoins que cet amour, entant
façon qu' il est en Dieu, ne s' altere en
se diviser de l' essence divine, pourquoy est- aucune façon, mais demeure tousjours,
ce et ne tient qu' aux choses aymables,
que le bigot la corporalise, la rendant sujette si elles ne sont aymees
à eternellement de Dieu, lequel ne
l' inconstance humaine ? les a plus pour objet de son amour,
n' est-il pas insensé lors qu' il croit que Dieu lors qu' elles cessent d' estre aymables ;
est capable d' offense, puis que tout pouvoir ce qui paroist en l' homme,
depend quand commet le peché mortel. Si
de luy ? Et qu' il ait peu nous mettre les vous vous estonnez de ce que Dieu
armes n' ayme plus le meschant entant
en main contre luy, et qu' il se soit donné qu' il est pecheur, estonnez vous si
p368 les corps opaques, et tenebreux ne
de la peine, et de la souffrance pour nous, donnent point de lumiere, et si la
veu p370

85
nuict ne luit pas comme le jour ; et Dieu luy rendra sa grace : car
pour dire en un mot l' amour que comme le soleil illumine incessamment,
Dieu nous porte, n' est point perissable, ainsi Dieu départ tousjours
mais nous sommes mortels, les rayons de ses faveurs, et
et perissables, et vrayement nous ne desire autre chose que nostre
perissons, et mourons spirituellement, salut : ce qui se fait sans que l' amour
lors que nous perdons la vie de Dieu perisse, non plus
de la grace. que la lumiere du soleil ne perit
Je veux vous donner un exemple point, mais demeure immuable,
dans la nature, lequel vous fera particulierement si nous supposons
voir tres-clairement qu' il n' est pas que le soleil soit immobile,
besoin que Dieu se change, ou que et que la terre se meuve tout au
son amour soit variable, encore tour, afin que l' exemple vous satisfasse
que tantost il ayme l' homme, lors avec plus de contentement.
qu' il est en sa grace, et tantost il le N' importe que l' hypothese ne
haisse, quand il est en peché mortel. soit pas veritable, c' est à dire que
Est-il pas vray que quand la lune la terre ne soit pas mobile, ny le
est entre nous, et le soleil, qu' il se soleil fixe, car c' est assez que cela
faict eclypse de soleil, et que nous se puisse faire, s' il plaisoit à Dieu.
sommes privez de sa lumiere ? Sans D' où nous pouvons conclurre en
doute : et neantmoins il illumine p373
ceux qui n' ont point la lune entre passant, qu' il est necessaire que le
p371 soleil, et la terre ayent esté faits, et
eux, et le soleil. qu' ils ayent receu la vertu de se
Or ce n' est pas le soleil qui se mouvoir, ou de s' affermir, puis
change, car il est en mesme lieu, qu' ils estoient indifferents à l' un,
auquel je suis content que vous et à l' autre : or cette determination
l' imaginiez arresté avec les coperniceens, a se mouvoir, ou ne bouger d' un
afin que vous entendiez lieu, n' a peu venir que d' un estre
mieux l' exemple. C' est donc le eternel qui est Dieu.
changement de la lune, qui en est Que vostre poëte sçache donc
cause, ou le mouvement de l' homme, que l' amour de Dieu ne se divise
qui se met vis à vis de ce corps non plus de son essence, que la lumiere,
lunaire, quand il luy plaist, et qui du soleil ; et qu' il s' aille
est cause de ce qu' il est privé de lumiere ; pourmener avec son bigot, et sa
ce qui est fort à nostre propos, corporalization, car je ne cognois
car nous sçavons que le fol, point de chrestien, qui fasse
tel qu' est l' homme pecheur, est l' amour de Dieu sujet à aucune
muable comme la lune, (...). inconstance, au contraire il n' y en
Il faut donc que le meschant a pas un qui ne confesse haut, et
s' en prenne à soy-mesme, lors que clair, que l' amour de Dieu est
Dieu le hayt, et qu' il luy soustrait exempt de tout changement, puis
les rayons de sa grace : c' est luy qui qu' il est Dieu mesme selon ce
oppose son crime au soleil de justice, p374
p372 beau verset de l' apostre, (...).
comme une lune grossiere, Le troisiesme quatrain semble
et opaque ; qu' il oste son peché, supposer que Dieu soit offensé, et

86
lezé comme les hommes, mais et de nous unir avec sa bonté : ses
nous sommes bien loin de cette preceptes sont des rays de la lumiere
creance, car Dieu ne peut recevoir eternelle, par lesquels il
aucun mal, lequel est seulement nous conduit en ce monde, et
offensé entant qu' on ne luy rend nous attire à sa gloire.
pas le service, qui luy appartient, Advisez si celuy qu' on passe la
et qu' on fait le contraire de ce riviere avec un bac, coupoit le
qu' il nous a declaré vouloir ; non chable, ou la corde, s' il n' offenseroit
qui ne l' empeschast facilement pas le battelier, et s' il meriteroit
s' il vouloit, mais il nous laisse en qu' on le passast : le pecheur
nostre liberté : je dy donc que Dieu fait-il pas le mesme, lors qu' il refuse
est capable de permettre qu' on ne la grace de Dieu, et qu' il la
suive pas ses commandemens, parce retranche ? Il estoit attiré par les
qu' il n' en est pas moins heureux, cordes de l' amour de Dieu, et par
et moins Dieu, que si on les les liens d' une charité paternelle,
pratiquoit, et cette permission (...) : il couppe, il rompt, il
n' est pas nous armer contre luy, p377
veu qu' il ne nous a donné la liberté rejette les cordes, et les doux liens
p375 des preceptes divins, n' est-il pas
que pour en bien user. digne de toutes sortes de supplices ?
Nous pouvons encore nous servir Pour la peine qu' il a voulu subir
du susdit exemple, afin de concevoir pour nous, elle a fait paroistre
comment Dieu est offensé une merveilleuse sagesse, et bonté
sans qu' il en reçoive aucun dommage, tout ensemble, et doit fermer la
car si le soleil departoit volontairement bouche au detestable deiste pour
ses rayons en qualité tout jamais, puis qu' il confesse luy-mesme
de graces, et qu' il n' aymast que qu' il ne peut comprendre
ceux-là qui reçoivent sa lumiere comment Dieu a voulu endurer
s' exposans à ses rayons ; et au contraire pour nous, apres s' estre revestu de
qu' il hayt tous ceux lesquels nostre nature, mais Dieu ne peut
y mettroient quelque empeschement, rien vouloir, n' y rien faire qui ne
et qui se soustrairoient de soit tres-sage, et tres-bon, or entre
ses faveurs, il seroit vray que le soleil toutes les oeuvres de sagesse, et de
ne se changeroit pas, et qu' il ne bonté cét auguste mystere de l' incarnation,
seroit pas offensé en son corps, contre lequel il agit,
mais tout au plus en sa lumiere, est un des plus grands. Il me faudroit
qu' on empescheroit. des annees entieres pour parler
C' est ainsi que le roy est offensé de son excellence, et la seule
lors qu' on traite mal quelqu' un p378
de ses ambassadeurs, sans neantmoins meditation que vous en ferez, servira
que le coup porte sur sa personne ; de bride à vos libertinages.
p376 Dites moy, je vous prie, est-ce
or les graces divines, et les pas un grand creve-coeur de voir
rayons par lesquels Dieu nous illumine, que les hommes sont si meschans
sont comme des ambassadeurs, qu' ils ne craignent point de se servir
par lesquels il nous persuade du secours, que Dieu leur donne
de nous tourner de son costé, à chaque moment, pour faire

87
ce qu' il a defendu ? ô miserables nous les passions comme chose
que vous estes, vous ne le croyez de neant, à laquelle nous aurons
pas, d' autant que cela comprend desja respondu.
une trop grande misericorde, indulgence, Le D j' accepte ces conditions
et bonté, et neantmoins comme fort raisonnables, voicy
vous voulez que son amour soit donc ce qui suit en ce 23 quatrain.
infiny ; voyez de grace, si celuy qui Le Deiste
abuse d' une si grande misericorde, si Dieu avoit ceste ambition de monstrer sa
ne merite pas d' estre tourmenté à force, et sa puissance contre nous, son desir
jamais. Certainement je m' ennuye ne
grandement d' entendre ses seroit-il pas une grande imperfection, et une
quatrains si mal digerez, et n' estoit pure indigence ?
que j' espere que vous quitterez p381
vostre erreur, je ne voudrois pour Le Theol c' est fort mal parlé
p379 d' appeller ambition le desir que
rien du monde m' amuser à refuter Dieu à que ses perfections nous
toutes ces sornettes, qui sont tirees paroissent, telle qu' est sa force, et
tant des anciennes, que des nouvelles sa justice, ce desir n' est pas une
heresies, lesquelles sont causes imperfection, si vous n' appellez
de toutes ces impietez. imperfection l' amour qu' on porte
Le D je voudrois bien ne vous à la vertu ; ceste affection tres-loüable,
donner pas ceste peine, mais puisque et tres-saincte n' est pas
nous avons commencé, et que une indigence, mais un grand
vous m' avez satisfaict à ce que j' ay thresor : et l' execution de sa justice
apporté, je croy que vous seriez eternelle est tres-excellente puis
marry, si je demeurois dans les difficultez, qu' elle monstre combien c' est un
qui sont contenuës és quatrains grand mal que le peché, et combien
suivans : or afin que la chose Dieu est grand, puisque l' action, ou
soit plus claire et plus briefve, je l' omission par laquelle
me contenteray de proposer quatrain nous contrevenons à ses ordonnances,
à quatrain, si ce n' est que merite un tel chastiment,
quelques-uns soient attachez par auquel il ne doit rien y avoir icy
ensemble à cause du sens, ou de de comparable en grandeur, ny en
l' identité de la matiere, ce que je duree, puisque c' est le supplice du
feray sans y joindre autre chose, car peché, qui leve les cornes contre
j' ay apperceu que vous sçavez p382
fort bien où ils buttent, que si celuy à qui rien n' est comparable
p380 ny en grandeur n' y en duree.
vous me satisfaictes, je ne repartiray Mais je vous prie si le roy faisoit
point, mais j' apporteray simplement severement punir celuy qui
le quatrain suivant. l' auroit mesprisé, et qui se seroit
Le Theol je le veux bien, mais moqué de ses ordonnances, diriez
je vous prie de vous rendre attentif, vous qu' il seroit espris d' ambition ?
et vous ressouvenir de ce que Nullement ; au contraire
nous aurons dict auparavant, afin tout homme de bon jugement seroit
que si vos quatrains repetent la bien aise de ce chastiment, par
mesme impieté que les precedens, lequel la justice est renduë, et l' authorité

88
du roy est maintenuë. Et à Dieu, ny ne veulent suivre ses
quiconque seroit marry de ceste commandemens. Il est aussi tres-faux
punition, pourroit à bon droit que Dieu fasse des ennemis,
estre estimé traistre à son roy, car mais les pecheurs se rendent ennemis
il feroit paroistre qu' il ne feroit cas de Dieu par leur malice, lesquels
de la volonté du roy, estant marry bien qu' ils se bandent contre
que ceux qui s' y opposent, sa saincte volonté, neantmoins
soient punis selon leur demerite. jamais n' empescheront ses desseins
Que s' il faut accorder cela touchant immuables qui consistent à
les loix d' un prince, que sera p385
ce lors qu' il est question du donner le paradis à ceux qui suivront
p383 la regle de vivre, qu' il nous
roy des roys, et qu' on parlera de a donnee, et de punir eternellement
deffendre l' honneur de Dieu ? ceux qui la transgresseront.
Souvenez-vous donc que tout Or afin que vous entendiez
homme qui ayme vrayement mieux ceste responce, il faut que
Dieu, doit estre bien aise que ceux vous sçachiez que toutes choses
qui le mesprisent, et qui transgressent sont tellement en la puissance de
ses commandemens, soient Dieu, de laquelle elles relevent
punis : ce que Dieu execute par sa comme de leur souverain Seigneur
force, et par sa puissance, et non par et de leur createur, qu' il ne
ambition (laquelle ne peut tomber se peut qu' elles ne luy soient sujettes,
en Dieu) mais à cause de l' amour non plus qu' il ne se peut faire
qu' il porte à la justice, et afin qu' il qu' elles ne soient dependantes :
n' y ait rien sous la divine providence, aussi le verbe eternel ne s' est pas
qui ne soit reglé par la justice, incarné, et fait homme pour faire
laquelle faict une admirable que nous nous assujettissions à
harmonie de tous les discordans Dieu de cette naturelle subjection,
accords, qui se treuvent au monde. sans laquelle il est impossible
Dites donc à vostre poëte, si jamais qu' elles soient, et par laquelle Dieu
vous le voyez, qu' il prenne peut faire dedans chaque creature,
mieux garde desormais comme il p386
parlera de Dieu. et de chaque chose tout ce qui
p384 luy plaist, c' est ce qu' appellent les
Le Deiste theologiens puissance obedientielle ,
peut-il estre croyable qu' il ait peu faire laquelle est tellement emprainte
quelques en chaque individu, qu' ils en ont
ennemis, lesquels ayent esté capables d' tiré cét axiome, que Dieu peut
empescher faire (...), de chaque
ses desseins immuables, puis qu' il a sousmis chose tout ce qu' il voudra, car
toutes choses à sa volonté ? l' air n' obeyt pas si promptement
Le Th ce quatrain peut avoir au traict décoché, au boulet du
deux sens, s' il entend de la soubmission canon, ou à la foudre, ny la cire au
de dependance necessaire, cachet, ny l' eau aux poissons, comme
il est vray, si de la soubmission font toutes choses à Dieu par
volontaire, il est faux, car les meschans cette obeissance naturelle, et inseparable :
ne veulent pas se sousmettre comme il se voit lors que

89
Dieu commande aux maladies de belle histoire, qui est en la vie de
s' en fuyr, aux vents, et à la mer de Sainct Louys roy de France, d' une
s' appaiser, au soleil de ne bouger, femme qui portant un réchaut
et à toutes les autres creatures d' executer plein de charbons ardans dans
ce qui luy plaist leur commander. une main, et un vase plein d' eau en
Mais outre cette obeissance p389
p387 l' autre, interrogée qu' elle fut
aveugle, et necessaire, il a voulu pourquoy elle portoit ces deux
rendre les hommes capables de choses si contraires, respondit que
luy obeyr d' une obeissance clairvoyante, le feu estoit pour brusler le paradis,
laquelle dépendist de nostre et l' eau pour esteindre l' enfer,
liberté, afin qu' il eust des creatures d' autant qu' il faut servir Dieu
qui le servissent, non par avec tant de liberalité, et d' affection,
contrainte, ou necessité, ce qui est et d' un amour si filial, que
commun à toutes, mais franchement, nous l' aymions tousjours de tout
et de leur bon gré ; service nostre coeur par dessus toutes choses,
que Dieu prise beaucoup plus que bien que nous ne nous proposions
le naturel, d' autant qu' il est plus devant les yeux, ny peine, ny
relevé, et approchant de plus pres recompense.
de la divinité. Voila ce que je vous ay voulu
C' est donc par cette volonté, et dire, afin que vous sçachiez ce qui
par cette liberté, que les hommes est de nostre creance, et de la façon
se rendent ennemis de Dieu : ils que nous servons, et adorons
n' empeschent pas pourtant ses la majesté divine : poursuivez
desseins immuables, lesquels ne maintenant.
dépendent aucunement de nostre p390
liberté, car il fait tout ce qui luy Le Deiste
plaist, et ce en quelque façon qui si Dieu gouverne toutes choses d' un pouvoir
luy plaist, sans qu' aucun le puisse absolu, qui soit égal, et reciproque à son
p388 intelligence, qui est-ce qui pourroit
empescher ; et entre tout ce qui empescher
luy plaist, c' est de nous laisser en l' effect de sa volonté malgré qu' il en eust, il
nostre liberté, de luy obeyr, ou n' y
non, afin que nostre obeissance ne auroit pas moyen de luy resister.
soit point contrainte, et qu' il nous Le Theol cela n' est pas que
ait plustost pour bons enfans, qui Dieu employe son pouvoir absolu
luy servent librement, que pour à gouverner ce monde, mais comme
esclaves, qui ne fassent rien que un tres-bon, et tres-sage ouvrier
par menace, ou pour crainte du il s' acommode à son ouvrage, et le
supplice ; ou pour serviteurs, qui maintient doucement, et puissamment
n' obeissent que pour la recompense ; selon que la nature de la
car il faut qu' un bon chrestien chose le requiert ; or on ne peut
prenne un tel plaisir à servir, pas comparer son pouvoir à sa
honorer, et adorer Dieu, qu' il ne science en toute chose, particulierement
laissast à faire tout cela, bien qu' il en ce qu' il entend beaucoup
n' y eust ny paradis, ny enfer. de choses, qu' il ne peut pas faire
Ce qui me fait souvenir d' une comme sont les 3 personnes qui ne

90
sont pas faisables, car il y en a seulement p393
p391 de les faire, ou ne les faire pas :
2 produisibles, et l' autre, et certainement ce n' est pas le
sçavoir est le pere, qui ne peut pouvoir de l' homme, qui le rend
estre produite : puis il entend tous criminel, mais s' est de n' user pas de
les contraditoires, lesquels ne sont ce pouvoir à faire ce bien, et de
pas faisables ; si bien que l' object s' en servir à faire le mal ; or Dieu la
de sa science, et de son intelligence donné pour faire le bien, et non
s' estend plus au large, que celuy pour faire le mal. Si vous appellez
de son pouvoir. Que si sa volonté s' asservir aux hommes, lors qu' on
estoit absoluë par laquelle il desire les gouverne, et qu' on a soing
que personne ne soit damné, elle d' eux de peur qu' il ne leur arrive
ne pourroit pas estre empeschee ; quelque mal, je dy que Dieu se
mais elle n' est que conditionnee, peut asservir aux hommes, et regler
car elle suppose qu' on ne contrevienne son vouloir selon qu' ils auront
point aux commandemens, besoing de son assistance ;
qu' il met és mains de nostre c' est ainsi qu' un bon roy, s' assujettit
franche volonté, si bien que si à ses sujects, quand il veille pour
nous ne les gardons, nous ne faisons leur bien, et pour leur repos : et par
contre son decret absolu, infaillible, ce qu' il leur a donné une nature libre,
et eternel, veu qu' il n' en a il se gouverne avec eux comme
jamais eu un tel pour nostre salut, avec des creatures libres, leur
mais seulement à condition, que aydant de son concours general
nous ferions ce qu' il ordonneroit p394
p392 en tout ce qu' elles font, car il ne
pour y parvenir, et par ainsi nous veut pas destruire l' ordre qu' il a
ne faisons pas le peché malgré mis dans la nature pour l' impieté
luy, en la façon qu' il le prend en de quelques-uns, autrement la
ce quatrain, puis que Dieu ne veut malice des hommes sembleroit
pas absolument empescher que surpasser sa providence, et sa bonté :
nous ne le fassions, car il le permet veritablement c' est une chose
ne voulant pas destruire la liberté, admirable, que personne ne peut
qu' il nous a donnee. eschapper l' estenduë de sa providence,
Le Deiste car s' il n' embrasse les uns
y a-il quelque pouvoir qui puisse servir par sa misericorde, et par la recompense,
contre celuy auquel tout pouvoir fait il les reduit par le supplice,
hommage ; et par sa justice, bien que ce ne soit
Dieu mesme se pourroit-il asservir aux que leur faute, lors qu' il les chastie.
hommes, Je dy donc que Dieu se peut
et prendre leur arbitrage pour regle de son non seulement asservir, mais
vouloir ? vrayement qu' il s' asservit à l' homme,
Le Theol nenny, il n' y a aucun entant que toutes et quantesfois
pouvoir, qui puisse empescher que l' homme veut agir, Dieu
le pouvoir de Dieu ; on peut neantmoins agit avec luy, et luy donne la force
resister à ses commandemens, de faire ses actions.
puis qu' il ne veut point Or il faut bien entendre cecy,
nous contraindre, nous laissent libres p395

91
car on seroit grandement deceu, nous ayde tout autant de fois que
si on pensoit que Dieu se rabaissast, nous voulons agir, et faire quelque
lors que nous disons qu' il chose ; ce qui n' empesche en
nous donne tout ce qui nous est nulle façon qu' il ne nous puisse
necessaire, et nous sert à poinct dénier ce concours, et cét ayde, car
nommé tout ce qui est requis il nous ayde qu' entant qu' il luy
pour la manutention de nostre plaist. De là vient qu' il dissipe souvent
estre. Regardez si le soleil s' abaisse les pernicieux desseins des
en quelque chose, quand il darde meschans, bien qu' il ne vueille
ses rayons sur nous : nullement, empescher leur mauvaise volonté,
Dieu qui est tousjours immuable afin que l' homme apperçoive
aussi bien apres la creation du combien ses pretentions, et ses desirs
monde, comme auparavant, s' abaisse sont inutiles, si Dieu ne les fait
encore moins que le soleil, reüssir.
lequel se meut, et tantost décend Je ne veux pas icy disputer, comment
plus pres de nous de 81 semidiametre Dieu nous ayde, mesme és
terrestre, tantost s' en esloigne actions, par lesquelles nous nous
autant, afin que l' ordre des saisons, opposons à ces commandemens,
et des generations soit conservé sans neantmoins qu' il soit cause
en son entier. de nostre peché, tant par ce que
Mais la difficulté consiste en ce p398
que Dieu s' accommode à nostre j' ay traitté cela fort au long en respondant
p396 à la 4, 6, 7, et 8 objection
arbitrage , ce que vostre poëte ne des atheistes, dans la 1 question
peut digerer, ou du moins feint ne sur la genese, que parce que vostre
pouvoir entendre. Qu' il sçache poëte ne touche pas cette difficulté.
donc que Dieu peut s' accommoder Retenez donc que Dieu ne s' asservit
avec chaque chose, comme il point à nostre liberté sinon
luy plaist ; et non seulement qu' il qu' entant qu' il nous preste son concours,
le peut, mais qu' il le fait, car c' est et ayde toutes nos actions ;
luy qui ayde au feu à brusler, et à et que le pouvoir que nous avons
l' eau à refroidir : et comme il nous a est double, l' un est naturel, qui fait
donné une nature libre en ses actions, necessairement hommage à Dieu,
et laquelle il a tellement comme l' ombre à la lumiere,
creée, qu' il a voulu qu' elle peust comme l' effect à sa cause, et la creature
élire cecy, ou cela, ou le refuser ; à son createur : l' autre est libre,
choisir le feu, ou l' eau, le bien, ou et volontaire, qui ne peut rien
le mal : il a pareillement voulu cooperer oster à Dieu, ny diminuer, ou ternir
avec cette nature toutes et tant soit peu le lustre de son infiny
quantesfois qu' elle voudroit agir, pouvoir.
à ce que nous ne peussions dire Comment est-ce donc, me direz
que nostre liberté fust liée, et empeschée, vous, que par cette liberté
manque du concours divin. p399
Voila donc en quoy on peut dire nous nous opposons à Dieu ? C' est
p397 parce que sçachans ce qu' il desire
que Dieu a reglé son vouloir selon de nous, nous ne le faisons pas :
nostre liberté, entant qu' il c' est par ce que nous mes-usons du

92
liberal arbitre, qu' il nous a donné ce privilege, et si nous cooperons
pour le servir librement, et rendre à ceste grace par nos bonnes oeuvres ;
une hommage volontaire à mais par ce qu' il veut que
son pouvoir, et à sa liberté infinie : nous soyons libres en ceste cooperation,
c' est enfin par ce que le peché est et que nous venions à cet
tel, que si la puissance divine pouvoit heritage librement, et non par necessité,
estre diminuee, où abolie, ce ou par contrainte, nous
seroit par iceluy, car puis que le pouvons le refuser, et ne cooperer
meschant ne veut pas faire ce que pas avec sa grace, et en ceste maniere
Dieu a ordonné, il haït donc cet il peut nous perdre, puis que
ordre, donc il voudroit qu' il ne nous ne sommes plus de ses enfans,
fust pas, donc il le destruiroit s' il lors que nous avons repudié
pouvoit ; donc le peché est contre la grace d' adoption par nostre faute ;
la puissance, et l' ordonnance divine, et comme il nous peut redonner
et tasche de la destruire, entant ceste mesme grace, veu qu' il
qu' il peut. Poursuivez. en est la fontaine, s' il le fait en se
p400 p402
Le Deiste revestant de quelque nature, qui
si on ne peut rien oster, ny soustraire du luy appartienne en proprieté, et
ressort qu' il endure, ou donne quelque
de la toute puissance de l' estre infiny, chose à ce que l' homme, qui estoit
comment décheu de l' esperance du paradis,
peut-il avoir perdu, et puis racheté ce qui rentre dans ce droit, pour
n' a jamais esté à d' autre qu' à son essence lors il aura racheté ce droit, et aura
divine ? mesme racheté l' homme puis que
Le Theol je respond à ceste de captif qu' il estoit par le peché,
question fondee sur l' ignorance, et de banny qu' il estoit du paradis,
que la creature a deux rapports à il l' aura delivré, remis en grace avec
l' estre infiny, qui est Dieu seul ; le Dieu, et l' aura fait rentrer au
premier est comme à son createur, droit, qu' il avoit auparavant à la
de qui elle depend, et en ceste gloire eternelle ; or Dieu le pere a
façon elle ne luy peut estre soustraite, envoyé son fils en ce monde, afin
ny s' esloigner tant soit peu qu' il executast ce dessein, lequel il
de sa toute puissance, car il la peut a accomply, si bien qu' il est nostre
reduire au neant, quand il luy voudra sauveur et redempteur.
luy denier la conservation de Quand quelqu' un a offensé le
son estre, qui est comme une perpetuelle roy, il luy peut donner sa grace,
creation : le second rapport mais s' il veut garder les formes de
que la creature peut avoir avec la justice, il faut qu' il paye sa rançon,
Dieu est entant que fille adoptive p403
p401 ou qu' il rachete ce criminel
par la grace, que Dieu de la mort, qu' il a meritée selon la
nous donne pour nous faire coheritiers rigueur de la justice ; ce qu' il peut
avec son fils en la gloire eternelle, faire ou par argent, ou envoyant
si bien qu' il est nostre pere, son fils, ou quelque autre, qui patisse
à l' heritage duquel nous participerons, pour le criminel ; Dieu le pere
si nous nous maintenons en roy de tout le monde a envoyé

93
son fils, qui nous a rachetés par son p405
precieux sang, et par sa mort, que dans lequel il est monstré que la science,
demandez vous donc davantage ? ou la volonté divine n' est point cause
Le Deiste de nos pechez : et quelle distinction,
bien que le bigot n' ose pas dire clairement ou identité il y a entre les perfections
qu' il est plus charitable envers ses ennemis, divines, avec beaucoup d' autres choses,
que par lesquelles les quatrains du
Dieu n' est envers nous, neantmoins cette deiste sont refutez, depuis le vingt-
consequence execrable se tire manifestement neufiesme,
de ses jusques au 36.
opinions. Le Deiste
Le Theol le chrestien (tres-esloigné je luy veux demonstrer par les propres
du bigotisme) n' a jamais fondemens de son escole, que toute punition
pensé à ceste folie, qu' il soit plus cesse
charitable envers qui que ce soit, apres le trespas, et qu' elle repugne à l'
p404 equité
que Dieu ne l' est envers nous, car supréme.
qui peut jamais avoir esté si charitable p406
qu' il ait employé une personne qu' il me responde à cét argument, par
divine pour sauver son ennemy, lequel
et le delivrer de la mort ? je luy donne le choix entre ces deux
Treuverez vous quelqu' un qui ait questions :
enduré la mort pour son ennemy ? tous mouvemens suivent la cognoissance de
Pleust à Dieu que vous considerassiez Dieu, ou les actions de nostre volonté
les benefices, que Dieu a fait suivent
à l' homme, ô que vous seriez esloigné son ordonnance.
de ceste impieté diabolique ! s' il choisit le premier, accordant que tous
Quand vous ne regarderiez que mouvemens suivent le sçavoir divin, est-il
l' estre, et la conservation que nous pas
avons de Dieu, seroit-ce pas un impudent d' opposer le vouloir divin aux
plus grand amour, qu' il nous porteroit, objects
que ce que nous sçaurions de sa cognoissance, et rendre le vouloir, et
jamais recevoir d' aucun amy ? Si le
un ennemy estoit aussi puissant sçavoir de Dieu contradictoires ?
que Dieu, il vous auroit bien tost Le Theologien
reduit au neant, mais Dieu tres-bon demeurez-là, et
conserve tousjours sa creature ; voyons un peu ceste
conservation, à laquelle il n' y a belle demonstration
p405 deistique, advisons si
aucun acte d' amitié, ou de charité ce dialecticien quadragenaire entend
creée, qui soit comparable ; par où bien les fondemens de l' escole
vous jugerez s' il vous plaist de l' ignorance de theologie, et s' il en tirera
de vostre poëte. sa pretenduë doctrine.
Il nous donne le choix de deux
questions, qu' il embroüille assez
p407
CHAPITRE 16 finement, de peur qu' on y voye

94
clair, mais (...) : car si quelques objects de la science de Dieu
car tous les mouvemens sont repugnans à sa volonté, faudra-il pas
ne suivent pas la cognoissance confesser que la cognoissance, et la volonté
en qualité d' effects, puis que divine
la science, par laquelle Dieu cognoist seront diverses, comme sont nostre
tous les mouvemens, n' est cognoissance,
pas active, et cause des effets, mais et nostre volonté ?
elle est speculative ; et est necessaire Le Theol nenny, cela ne sensuivra
que tous nos mouvemens soient nullement, car il n' est pas
premierement futurs, avant que necessaire que les actes par lesquels
Dieu sçache qu' ils doivent arriver, Dieu veut, et cognoist, soient
si bien que le sçavoir divin reellement differents, comme les
suit plustost (s' il faut ainsi parler) nostres, à ce que les objects de l' acte
les susdits mouvemens, qu' il ne les de cognoissance soient oposez,
devance ; c' est pourquoy je nie ceste et repugnans à sa volonté ; c' est assez
premiere proposition. que le mesme acte, par lequel
Pour l' autre question, à sçavoir Dieu veut, et cognoist, tout
si les actions de nostre volonté suivent ce qu' il veut, et cognoist, ait une si
l' ordonnance de Dieu, je respons grande vertu, qu' il responde aux
qu' il n' y a que les bonnes actes divers de nostre volonté, et
actions conformes aux conseils, de nostre entendement, à ce que
p408 les objects de cet acte divin, entant
ou aux commandemens de Dieu, p410
qui suivent son ordonnance, car qu' ils sont cognoissables, ou
les mauvaises sont contraires à ces cogneus soient opposez à ce mesme
mesmes ordonnances ; aussi bien acte, entant qu' il est consideré
que les duels sont contraires aux comme acte de volonté, ou que
ordonnances, et edits du roy. les susdits objects soient repugnans
Voyla donc vostre sophisme par aux objects de ceste volonté.
terre, et vostre quatrain qui commence, Ne voyez vous pas que les objects
s' il dit en premier lieu, mis à d' une mesme science sont opposez,
neant. aussi bien que ceux d' une
Or c' est fort mal à propos de mesme volonté ? N' est il pas plus
comparer le vouloir de Dieu avec clair que le soleil, que Dieu cognoist
les objects de son sçavoir, car s' il toute sorte de mal, et de
estoit question d' oposer quelque non estre ? Ce mal est-il pas opposé
chose au vouloir, qui est un acte divin, à sa volonté, et à ce qu' il veut ?
il falloit prendre quelque autre Puis que c' est la nature de la volonté
acte, ou quelque privation d' acte, bien reglee de ne se porter,
et non pas les objects : mais ny pouvoir jamais se porter au
poursuivez car vos autres quatrains mal en l' approuvant, et en l' aymant :
pourront nous faire voir la volonté divine est bonne,
plus clairement la ruse de ce galand, et le mal que Dieu sçait, est
et nous donneront occasion mauvais ; quelle merveille y a-il
p409 donc que l' object de son sçavoir
d' expliquer cecy plus au long. p411
Le Deiste soit opposé à son vouloir, si ce n' est

95
que vous trouviez merveilleux et qu' il soit libre de l' autre, il
que le mal soit opposé au bien. sera empesché de son operation
De là vous pouvez facilement d' un costé, laquelle il fera de l' autre :
conclurre que le cognoistre, et le par consequent les objects ou
vouloir de Dieu ne sont pas choses les effects differents ne concluent
differentes, comme ils sont en pas que l' acte qui leur respond,
nous, encore que leurs objects exterieurs soit different, mais tout au plus
soient differents, et separez, que l' acte est assez parfaict pour se
d' autant que l' acte de l' entendement, porter vers des objects, ou des effects
et de la volonté divine ne distincts.
dépend pas de ces objects exterieurs, Or personne ne doute de la supréme
puis qu' ils sont creez, et dépendans, perfection de l' acte divin,
et l' acte divin increé, et lequel peut tout ; autrement s' il ne
independant. pouvoit tout, il en faudroit mettre
Pour entendre cecy, il faut vous plusieurs, et nous en pourrions
souvenir de ce que nous avons dit concevoir un plus parfaict, car supposons
cy devant, sçavoir est que l' acte que Dieu ait besoin de
divin unique, et tres simple est si deux actes, je vous demande si
parfait, qu' il peut infiniement davantage, nous ne pouvons pas concevoir
et respond à une plus quelque acte, lequel soit si parfait
grande quantité, et diversité d' objects, p414
p412 qu' il ait tout seul la vertu, et la perfection
que toutes nos puissances, et de tous les deux, sans doute :
toutes nos actions, de sorte qu' il il faut donc que cet acte, qui
fait, qu' il gouverne, et qu' il remuë contient la perfection des deux
tout, bien qu' il soit immuable. soit en Dieu, si vous n' aymez
Imaginez vous que le poinct du mieux dire que ce qui est en la
centre lequel est un cercle, produise seule imagination, soit meilleur,
toutes les lignes, qui en sont tirées, que ce qui est en nature, et en
en telle façon que ces lignes estre, et que ce qui est imaginaire,
soient diverses, et contraires, (comme soit plus excellent que ce qui est
elles sont en effect) direz vous reellement, et de fait, ce qui est
que ce poinct soit contraire à soy-mesme ? impossible : partant il faut necessairement
Rien moins, car il demeure qu' il n' y ait qu' un seul
tousjours le mesme, nonobstant acte en Dieu, lequel contienne
les differents effects qu' il produit. toutes les perfections possibles,
Est il pas vray qu' un poinct de ce qui est aussi veritable, comme
lumiere rayonne dedans tout l' emisphere ? il est necessaire que Dieu soit.
Tous les rayons sont differents : Ce que je vous pourrois encore
et si on luy oppose quelques expliquer par l' exemple d' un miroir
corps opaques de tous costez, parabolique, auquel on considere
il produira des ombres contraires, un point, qui contient toutes
les unes en bas, les autres les perfections du miroir, bien
en haut, les unes à droict, et les autres p415
p413 qu' il soit indivisible, ce que quelques
à gauche ; ou si vous luy opposez mathematiciens appellent
un corps opaque d' un seul costé, focus , d' autant que tous les rayons

96
paralleles du soleil qui tombent vous aurez sur les exemples desquels
sur la surface concave du miroir se je me seray servy en tout nostre
refléchissent en ce poinct, lequel discours, ou sur quelqu' autre
se retreuve dans l' axe au point qui matiere que ce soit.
est éloigné du sommet du miroir Or je veux vous apporter un
par la quatriesme partie du costé exemple plus facile pour vous
droict de la parabole, suivant laquelle monstrer que Dieu fait tout par
le miroir a esté fait, comme un mesme acte, lequel comprend
demonstre Ghetaldus dans la 6 toutes les perfections possibles
proposition du traicté qu' il a composé sans aucune contrarieté.
sur ceste matiere. Jettez donc les yeux sur l' unité,
Or imaginez vous maintenant car elle vous fera toucher au doigt
que la glace du miroir soit infiniment tout ce qui appartient à l' acte tres-simple,
grande, le susdit poinct aura en et infiny de Dieu, d' autant
soy une infinité de rayons, et par consequent qu' elle peut, davantage que tous
sera infiniment ardent, et les nombres pris ensemble ; premierement,
luisant ; c' est en cette façon que elle contient tous
Dieu comprend tous les actes, et p418
toutes les perfections possibles les nombres en eminence, comme
p416 l' acte divin tous les actes creez,
dans son acte tres-simple, tres-indivisible, et toutes les creatures.
et tres-pur, mais avec 2 elle est sa racine, son quarré,
cette difference que ce poinct lumineux son cube, son cubicube, et toute
du miroir dépenderoit de sorte de nombre cossique, comme
la surface, et des rayons qui tombent l' acte divin est sa vie, son immensité,
paralleles à l' axe dudit miroir : sa bonté, sa puissance, sa
mais l' acte divin ne depend justice, et toutes ses perfections.
d' aucune chose, car il est de soy-mesme, 3 l' unité est infiniment éloignée
et contient toutes les perfections des nombres, comme Dieu
qu' on se peut imaginer, l' est des creatures, bien qu' elles
et au delà infiniment. prennent leur origine de Dieu,
Le D ces exemples sont merveilleusement comme les nombres de l' unité.
beaux, mais je vous 4 l' unité n' a en soy ny parité,
confesse qu' ils sont trop relevez ny imparité, ny composition, bien
pour moy, c' est pourquoy je desirerois qu' elle produise les nombres
grandement qu' il vous pairs, impairs, et composez ; ainsi
pleust me les expliquer plus au long. l' acte divin estant tres-simple, et
Le Th monsieur, il n' est pas tres-un, produit les creatures corporelles,
maintenant à propos que nous les simples comme les
quittions la suite de ce poëme p419
pour nous amuser à cela, il vaut anges, et les composees, comme
p417 les hommes.
mieux que vous attendiez jusques 5 tous les nombres sont nombres
à ce que je vous aye satisfait sur par la participation de la seule
tous vos quatrains, je vous promets unité, de laquelle ils dépendent,
une journee entiere pour tellement qu' il est impossible
l' esclaircissement des doutes que qu' ils soient sans elle ; c' est ainsi

97
que toutes les creatures n' ont eust produit une infinité de terres,
point d' estre que par la participation de soleils, d' estoilles, et de mondes,
de l' acte divin, duquel elles comme a pensé Jordan Brun,
dépendent eternellement : ce qu' à ce que plusieurs philosophes,
fort bien recognu le roy prophete, et theologiens soustiennent estre
quand il a dit : (...) : ce que paraphrase possible, si Dieu le vouloit :
excellemment le grand du perron. neantmoins Dieu pourroit encore
p420 produire d' autres mondes à
lors que de tes thresors l' abondance tu l' infiny, et les pourroit mettre
verses, dans le mesme lieu, auquel seroient
pour combler le desir tour à tour renaissant, p422
et que ta dextre s' ouvre à leurs plaintes les autres, par penetration
diverses, de leurs dimensions.
en leurs stiles divers ils te vont benissant. 8 tout est immuable en l' unité :
destournes-tu, Seigneur, tant soit peu ton et tout est tres-parfait en l' acte divin,
visage, mais si tost que les creatures
leurs forces tout à coup se sentent decliner : sont produites, et considerees hors
l' ame les abandonne, et sans une autre des idees de l' unité archetype, elles
image sont sujettes au changement
en leur premiere poudre on les voit que la dualité, ou le binaire sortant
retourner. de l' unité arithmetique nous
par où vous voyez que nous represente. C' est ainsi que vostre
dépendons plus de l' acte divin poëte considere la justice, et la
que les rameaux ne dépendent de bonté de Dieu, lesquelles ne sont
leur tronc, ny le tronc de sa racine, qu' une mesme chose, et un mesme
ny les ruisseaux de leur fontaine, acte divin, bien qu' elles nous paroissent
ny les rayons du corps lumineux, dissemblables par les effects :
car nous sommes comme les s' il se fust souvenu que les
membres, lesquels ne sont rien parallaxes, ou diversitez d' aspects
sans l' unité, nos estres estans un nous font paroistre le soleil en un
pur neant sans l' estre divin. lieu, où il n' est pas, et qu' elles nous
6 tous les nombres tant grands rabaissent les objects, lesquels sont
que petits portent l' image de l' unité, rehaussez par les refractions, encore
dans laquelle ils se retreuvent p423
p421 qu' ils demeurent immobiles
tousjours ; et toutes les creatures en un mesme lieu ; s' il se fust souvenu
ont l' image, ou le vestige de la divinité qu' une colomne peut tantost
emprainte dans leur estre. estre à la main droicte, tantost
7 la vertu de l' unité est si grande à la gauche, tantost dessus, ou dessous,
qu' elle ne peut estre ny finie, tantost derriere, ou devant,
ny égalee par les nombres, car il n' eust pas conclu que la justice, la
donnez quelque nombre que bonté, et les autres attributs divins
vous voudrez, l' unité le peut tousjours ayent diverses subsistences,
augmenter à l' infiny ; la puissance bien que Dieu produise divers effects
de l' acte divin est si grande par iceux, mais ramassant ses
qu' elle ne peut estre bornée par esprits, et ses pensées en l' unité, il
les creatures, car bien que Dieu eust confessé que tout cela n' est

98
qu' une mesme chose en Dieu. especes aux divers nombres,
9 adjoustons pour le neufiesme lesquels se conservent par l' indivisible
parallele de l' unité avec Dieu, que de leurs differences, comme
comme elle est la cause, et la fin de l' essence des choses, (...) vous verrez que l'
tous les nombres, puis qu' elle les unité
produit, se retreuvant tousjours produit les diverses especes : et que
au commencement, et à la fin ; et comme un mesme esprit donne la
qu' elle est aussi parfaite avant p426
qu' il y ait aucun nombre, comme sagesse à l' un, à l' autre la prophetie,
p424 ou le don des langues, (...),
apres qu' elle a produit tout ce que de mesme l' unité influë,
vous voudrez : aussi Dieu est la cause, et envoye les diverses proprietez,
et la fin de toutes les creatures, qui se retreuvent au binaire,
et est infiniment parfait avant la ou ternaire, et dans tous les
creation, toutes les creatures ne autres nombres, si bien que toutes
luy apportant autre perfection les loüanges qu' on donne à
que celle que les nombres apportent quelque nombre que ce soit, sont
à l' unité, à laquelle ils n' adjoustent deües, et retournent à la loüange
rien de nouveau. de l' unité.
10 enfin comme il n' y a nul nombre Pleust à Dieu que vostre poëte
devant, ny apres l' unité, et voulust faire le mesme en toutes
qu' elle a toutes ses perfections ses oeuvres, et qu' il prit occasion
sans l' ayde des nombres, lesquels de toutes les creatures de loüer
n' ont aucune perfection, et ne meritent son createur, puisque toute la
aucune loüange qu' entant loüange qu' on leur attribuë, est
que l' unité est parfaite, et qu' elle deüe à Dieu ; car elles n' ont rien
leur donne ce qu' ils ont ; de mesme qui ne vienne de sa main liberale.
il n' y a nulle creature devant, Mais qu' il le fasse, ou non, Dieu tirera
ou apres Dieu, qui est l' alpha, et de la gloire de toutes ses oeuvres
l' omega de toutes choses : et tout p427
ce qu' elles ont de bon, de beau, de mal-gré les impies, qui treuvent
grand, et d' excellent, n' est qu' une à redire en ses oeuvres : et fera
p425 paroistre au grand jour du jugement
participation de la bonté, de la que les deistes ont repris
beauté, grandeur, et excellence de mal à propos la justice divine, par
l' acte divin ; d' où nous devons conclure laquelle les meschans seront punis
que si nous sommes sages, ou eternellement, s' ils meurent opiniastres
forts, sçavans, ou bons, c' est parce dans leur iniquité. Vous
que Dieu est tres sage, tout puissant, pouvez voir plusieurs choses de
tres-sçavant, et tresbon. cette unité dans nostre 6 question
Jamais je n' aurois fait, si je voulois sur la genese.
vous rapporter toutes les ressemblances Le D je vous suis grandement
que l' unité a avec l' acte redevable de m' avoir enseigné
divin, car à peine treuverez cet exemple, par lequel j' ay mieux,
vous une chose en celuy-cy, qui ne ce me semble, conceu les perfections
soit en celle-là ; par exemple si vous divines, et leur unité en
voulez comparer toutes les diverses Dieu, que je n' avois jamais fait ; je

99
voy maintenant tres-clairement autre raison formelle, quand il
que ce poëte deiste est aussi mauvais produit la nature de chaque chose,
dialecticien, comme il est que quand il la cognoist, ou la
mauvais poëte, et mal-heureux destine à quelque fin.
homme. p430
p428 Or à ce que vous entendiez bien
Je poursuis neantmoins ses cette matiere, il faut que vous sçachiez
maudits quatrains, à ce qu' il ne me que Dieu n' a qu' un seul acte
reste aucune difficulté, esperant divin, lequel est sa mesme essence,
que vous accomplirez vostre promesse et qui est si grand, et si immense
à la fin du poëme, m' expliquant qu' il contient eminemment toutes
ce que je n' auray pas entendu les puissances, facultez, qualitez,
en vos responses, telles que et effects, qu' on se peut imaginer,
sont les parallaxes, et leurs refractions, ou qui sont possibles : de là
desquelles vous avez parlé vient que jamais nul effect, fust il
cy devant. Voicy donc toute la infiny, ne respond à l' acte divin, et
substance de son 33 quatrain. ne le peut égaler en aucune façon.
Le Deiste Or comme cet acte respond à
de plus, si tout ce qui est en l' essence divine plus de perfections, qu' il n' y en a
est essence et si ces attributs y gardent leur de possibles en toute l' estenduë
difference, ne serons nous pas contraints de des creatures, quelles quelles
confesser autant de subsistances dans l' soient, il s' ensuit que nous ne pouvons
essence concevoir la perfection de
divine, comme il y aura d' attributs, ce qui cet acte par une seule pensee, et
est une sous une seule raison, autrement
grande absurdité. il faudroit que cette pensee fust infinie,
Le Theol ce dialecticien et par consequent qu' elle fust
monstre qu' il n' a pas passé le compendium p431
p429 Dieu ; c' est pourquoy nous taschons
de sa logique, et qu' il d' en comprendre ce que
n' entend rien en la metaphysique, nous pouvons par nos diverses
et moins encore en la theologie, conceptions, et pour ce faire nous
car bien que les attributs divins choisissons plusieurs raisons formelles,
soient une mesme chose avec par lesquelles nous traçons
l' essence de Dieu, neantmoins les idees, que nous avons des
nous pouvons les distinguer en perfections divines, selon les divers
telle façon que les actions de l' un effects que nous voyons paroistre
ne seront pas les actions de l' autre, icy bas par la force des sens,
formellement parlant ; non qu' un de la raison, ou de la foy, lesquels
attribut puisse estre sans l' autre, ou nous sçavons estre produits, et
qu' il ait quelque chose de reel, et conservez par cet acte divin.
d' essentiel que n' ait pas l' autre, car Mais toutes ces diverses pensees
tous ne sont qu' une mesme chose, ne font pas qu' il y ait aucune
mais parce que nous concevons multiplicité de subsistences en cet
Dieu d' une autre façon, quand acte, lequel est tres-un, et tres-simple,
il punit, que lors qu' il recompense, et par consequent c' est un
et nous le considerons sous abus insupportable de penser que

100
les attributs divins ayent diversité rayon du soleil : maison de la
d' essence, ou de subsistance, comme quantité, puis qu' il reçoit les especes,
vostre poëte concluoit contre p434
p432 qui la representent ; maison
nous : car c' est assez que nous des tenebres, qu' il apperçoit par
ayons des raisons suffisantes de nostre l' absence de la lumiere : bref maison
costé, afin de distinguer plusieurs de tout ce qu' il reçoit ; pourquoy
attributs en Dieu, bien ne pourrons nous donc pas
qu' ils ne soient que ce mesme acte, donner une varieté d' attributs à
duquel nous avons parlé jusques Dieu, puis qu' il est infiny en toutes
à present. sortes de vertus, sans que ces
Je pourrois vous apporter plusieurs perfections soient differentes de
exemples pris de la nature, son essence, et sans qu' elles ayent
pour vous faire voir qu' une mesme autre subsistence que l' essence divine.
chose peut avoir diverses proprietez, Il n' est pas besoin que je m' estende icy
bien qu' elle soit simple, et davantage, car vostre
unique, comme nous voyons poëte ne le merite pas, lequel s' il
dans le mesme point d' un miroir, se fust souvenu de la distinction
lequel reflechit les especes, et les que nous mettons entre les attributs
rayons du soleil en diverses parties, divins, qui n' est que de raison
et represente plusieurs objets, raisonnee, rationis ratiocinatae, il
quoy que diversement esloignez, n' eust eu garde d' inferer la diversité
et d' une differente grandeur ; ce de subsistences entre les attributs
qui fait qu' on luy peut attribuer divins ; et quoy ? Si l' entendement,
autant de proprietez, comme il p435
peut representer d' objects divers, et la volonté n' ont point en
p433 nous, ny en l' ange d' autres subsistences
ou rejetter de rayons en diverses que celle de nostre ame ; si
parties. Le point de l' oeil, dans lequel l' appetit sensitif, la faculté nutritive,
s' accomplit la vision, termine la digestive, et les autres, qui
une infinité de piramides, lesquelles sont és bestes, n' ont point d' autre
ont leurs bases, et leurs subsistence que celle de tout le
cones distinguez ; donnez luy autant composé, comment le deiste veut-il
de noms, et de proprietez, que les attributs divins ayent
comme il recevra de rayons visuels, autre subsistence que celle de
et de cones radieux, cela ne Dieu tres-simple, et tres-une ?
fera pas, qu' il ait aucune diversité Ce qui n' empesche pas qu' en la
de subsistences en soy-mesme, divinité il ne se retreuve trois subsistences
mais nous fera seulement concevoir, relatives dans les 3 personnes
que sa vertu est si grande, divines, qui sont reellement
qu' il fait autant, comme feroit distinctes entr' elles, mais elles
une grande multitude de vertus sont une mesme chose avec l' essence
espanduës en diverses parties de divine ; ce qui s' accorde fort
l' oeil. bien avec une tres-simple subsistence
Or vous pouvez appeller ce absoluë, et commune aux 3
point du christallin, maison de la personnes, laquelle n' est rien autre
lumiere, entant qu' il reçoit le chose que l' essence divine, voila

101
p436 distinctions, et diversitez en cet
ce que j' ay pensé estre necessaire acte ? Sans doute.
de rapporter icy, à ce que vostre Passons donc outre, et disons que
poëte ne vous abuse plus desormais, cet acte est la vraye mesure de nos
vous proposant ce qui n' est perfections, duquel tant plus nous
nullement. à quoy vous pouvez approcherons, et plus nous serons
adjouster que le centre du cercle, parfaits, comme tant plus qu' un
bien qu' indivisible, reçoit, et termine polygone approche de l' égalité, et
toutes les lignes, qui se peuvent de la grandeur du cercle, et plus il
tirer de la circonference, devient parfait, et capable : mais
quoy qu' infinies ; ce qui est un fondement bien qu' il s' en approche de plus
suffisant, à ce que nous en plus à l' infiny, jamais neantmoins
formions une infinité de conceptions il ne peut se rendre si parfait ;
sur ce point, lesquelles seront de mesme que la creature s' approche
toutes veritables, et neantmoins tant qu' elle voudra, ou
pas une n' égallera la vertu d' eminence, qu' elle pourra de Dieu, jamais elle
qu' à la simplicité de ce centre. n' atteindra la perfection divine,
à combien plus forte raison cét à laquelle nos perfections estans
acte divin, qui est le centre de tout parangonnees, ne sont que des
ce qui est intelligible, nous donnera-il ombres en presence de cette infinie
sujet de concevoir son infinie lumiere ; et par consequent
perfection par divers attributs, toutes nos perfections prises ensemble
et par une infinité de conceptions ? p439
p437 ne peuvent non plus égaller
Et puis le cercle estant tres-uniforme, la perfection de l' acte divin,
et égal en soy-mesme comprend que toutes les ombres la perfection
neantmoins une infinité de la lumiere, ou le polygone
d' angles, ce qui est cause qu' on inscript la grandeur de son cercle.
peut dire qu' il a des differences infinies, C' est pourquoy quelques subtils,
à raison que sa perfection et sçavans que s' estiment les
d' uniformité, et d' égalité respond deistes, c' est folie à eux, s' ils
à tout autant d' angles divers, comme pensent pouvoir comprendre les
on s' en pourroit imaginer ; perfections divines, et une manie
d' où vient que c' est par ses arcs, de se rire de ce que nous disons
que nous trouvons, jugeons, et qu' elles ne peuvent estre comprises
mesurons tous les angles, quels par la foiblesse de nos entendemens.
qu' ils soient ; que sera-ce donc de Adjoustons encore un
cét acte divin, qui contient par une exemple, afin que vous entendiez
si parfaite eminence toutes les plus parfaitement cette difficulté.
perfections des creatures futures, Nous voyons qu' une chandelle
presentes, et possibles ? Cela ne doit-il fait trois effects differents en produisant
pas suffire, à ce que nous concevions les ombres du corps, qui
une infinité de perfections luy est opposé, car si elle rencontre
avec des idees, et des intelligences un corps plus grand que n' est
de nostre esprit aussi parfaitement sa flamme, elle produit une ombre
distinctes, comme s' il y avoit des p440
p438 laquelle a son cone vers elle, et sa

102
base luy est opposee, on l' appelle consequent elle surpasse la lune
calathoide ; si le corps est moindre de 196 semidiametres, d' autant
que la chandelle, l' ombre est conique, que la lune n' est jamais plus esloignée
et contraire à l' autre ; et s' il de la terre que de 68 semidiametres :
est égal, l' ombre aura la figure d' une mais elle ne peut atteindre
colomne sans s' estressir, ou Venus, ou Mercure, parce qu' ils
s' eslargir, les deux lignes qui bornent sont esloignez de mille cent quarante
sa largeur, estans paralleles. et deux semidiametres. Je
Le soleil nous monstre l' ombre vous pourrois demonstrer tout ce
conique, lors qu' il envoye que je viens de dire, mais nous serions
l' ombre de la terre dans la lune trop long temps ; je passe
durant l' eclypse ; mais il ne fait donc au second poinct, en vous
point les deux autres especes produisant un exemple sans sortir
d' ombre icy bas, d' autant que tous de nostre sujet, car la lune vous
les corps sublunaires qu' il illumine, contentera, laquelle est diversement
sont moindres que luy. La illuminée par le soleil, bien
chandelle nous fait paroistre toutes que le soleil se tienne en un mesme
les trois, comme vous pourrez lieu, car tantost elle est pleine,
experimenter à ce soir, si vous luy tantost nouvelle, d' autrefois en
opposez trois corps differents, un croissant, et puis en decours ; bref
plus grand, un égal, et un moindre, p443
p441 elle peut changer de toutes ces
lesquels produiront un' ombre en faces encore que le soleil fust immobile,
forme de cone renversé laquelle tel que je le suppose maintenant,
ira s' eslargissant de plus en plus à afin que vous perceviez la
l' infiny, une cylindrique, et l' autre force, et la naïfveté de l' exemple.
conique. C' est assez poursuivez Supposons donc que le soleil
maintenant. soit immobile au centre du monde
Le D je vous prierois volontiers (selon la figure que j' en ay apportee
avant que passer outre, de me dans la 9 question sur la genese)
dire en quel lieu l' ombre de la terre et que la terre soit au lieu, où
se termine, sçavoir mon si elle est maintenant le soleil, sçavoir
va par delà la lune, ou non : et me est au 4 ciel ; je dy que nonobstant
donner encore quelque exemple l' immobilité du soleil, nous
afin de m' esclaircir davantage sur pourrons voir toutes les diverses
ce que vous avez dit, et fort bien faces, ou apparences de la lune
preuvé, sçavoir est que Dieu peut d' un mesme point de la terre, car
faire choses differentes, et contraires quand elle sera opposee au soleil,
par un seul acte, lequel n' aura elle nous paroistra plaine : quand
point de diverses subsistences. elle sera vis à vis, elle ne paroistra
Le Theol il est fort facile point : bref autant de divers lieux
de vous satisfaire sur ces deux qu' elle changera, elle nous paroitra
points ; car pour ce qui est de l' ombre diversement autant de fois, encore
de la terre, elle a quelquefois p444
p442 que le soleil soit en un mesme
en sa longueur 264 semidiametres, lieu. Disons maintenant que
pareils à son semidiametre, et par l' acte divin est comme un infiny

103
soleil immobile, lequel produit elle pas temporelle, et finie aussi bien que
divers effects sans se changer, ou ses
s' alterer en nulle façon. Or Dieu objects, et par consequent Dieu ne sera-il
nous a donné nostre liberal arbitre, pas de
par lequel nous pouvons approcher mesme essence ?
de luy en gardant ses Le Theol je ne voy pas que la
saincts commandemens, ou nous consequence vaille rien, car celuy-là
en esloigner en les mesprisant ; le ne nieroit pas l' unité divine, qui
soleil n' est pas plus prest d' illuminer diroit que les choses temporelles
la lune, quand elle s' expose à seroient avant les eternelles ; toutefois
ses rayons sans empeschement, il diroit choses impossibles,
que Dieu est de nous remplir de car c' est une manifeste contradiction
ses graces, et de nous donner la de dire que ce qui est temporel,
gloire eternelle, pourveu que soit devant ce qui est eternel.
nous n' opposions point la terre de Mais je voy bien où il en veut
nos imperfections, et de nos pechez venir, c' est qu' il veut destruire la
à sa lumiere. solution que nous avons apportée
Il faut que vous reteniez de ce au 30, et 31 quatrain, où j' ay dit que
discours que Dieu ne se change nos actions futures sont plustost
p445 causes de ce qu' il les sçait, que n' est
pas, et que son acte n' a point de diverses sa science cause de ce que les effets
subsistences, bien qu' il produise p447
tout ce qui se voit icy bas, et contingents sont futurs, bien qu' à
que vous m' advoüiez que vous proprement parler ne l' un, ne l' autre
vous estes trop facilement laissé ne soit cause, ny effect.
decevoir à cet imposteur, lequel Pour entendre cecy, eslevez vostre
n' a remply ses quatrains que de esprit à la consideration de la
mensonges, et de calomnies. science de Dieu, et à la façon qu' il
Le D jamais je ne fus plus content, se comporte de toute eternité envers
et jamais verité n' entra mieux chaque chose, et pour lors
dans mon esprit que celle-cy, c' est vous recognoistrez le bel ordre,
pourquoy je poursuis, afin que qui se treuve entre la cognoissance
vous me fassiez recognoistre les de Dieu, et tout ce qui doit jamais
faussetez des autres quatrains ; voicy arriver, ou ce qui a desja esté
ce que contiennent le 34, et 35. fait : mais il faut premierement
Le Deiste supposer que la science de Dieu
puis que Dieu est un pur acte lequel precede est Dieu mesme, lequel bien que
les choses temporelles de toute eternité, tres-simple, et tres-un, ne peut
celuy là estre conceu des hommes, que par
ne nie-il pas sa tres-simple unité, qui dit que diverses actions de l' entendement :
les encore ne sçaurions nous
choses temporelles font avant les eternelles ? l' entendre parfaitement avec toute
p446 la multitude de nos cognoissances ;
si son sçavoir suit nos effects contingens, et or, (afin que nous ne nous jettions
que ces effects ayent pris leur estre, et leur p448
naissance en temps, la science de Dieu ne point dans l' abysme de son
sera essence) pour ce qui est de sa science,

104
bien qu' elle ne soit pas moins ne laisseroient pas d' arriver, puis
simple que son essence, puis que qu' il a voulu les faire, ou les permettre,
c' est une mesme chose, nous la divisons et qu' il a sceu qu' ils arriveroient,
en 2 considerations pour supposé le decret divin.
ayder nostre esprit, car nous l' appellons C' est maintenant icy ou il faut
science de simple intelligence, que vous preniez garde, que la
et science de vision : par la 1, science de vision n' est pas temporelle
Dieu cognoist tout ce qui est possible, comme les effects, qui ne paroissent
soit qu' il y ait, ou qu' il n' y ait qu' en temps, mais elle est
aucune chose creée : c' est par elle eternelle, aussi bien que Dieu mesme,
qu' il voit une infinité de mondes avec lequel elle est une mesme
qu' il pourroit faire en une infinité chose, car bien que les effects
de diverses manieres, quelques ne paroissent qu' en un certain
conditions que vous puissiez supposer ; temps, neantmoins il est vray
et ceste science est premierement qu' ils sont futurs de toute eternité ;
entenduë, que la seconde, ce qui a esté cause à mon advis
d' autant qu' elle ne suppose aucun que plusieurs philosophes n' entendans
acte de la volonté divine, sans lequel p451
il est impossible qu' aucune pas bien ces mysteres, ont
p449 creu que le monde avoit esté faict
chose soit passee, presente, ou future. de toute eternité : il semble qu' ils
La seconde science de vision veissent ce que nous disons maintenant,
suppose cet acte de la volonté, par sçavoir est que le decret
lequel Dieu veut, ou permet que de Dieu, par lequel le monde a
tel, ou tel mouvement arrive en esté fait, est eternel, et que la science
un tel, ou tel temps, sans lequel par laquelle il cognoist ce monde,
acte Dieu ne peut sçavoir les choses qui n' a esté fait que depuis
futures, puis que vrayement elles cinq, ou six mil ans, est pareillement
ne seroient pas futures, si Dieu eternelle.
n' avoit premierement determiné Cela n' empesche point que
de les faire, ou de permettre qu' elles nous ne puissions concevoir quelque
fussent faites ; mais aussi tost ordre és choses eternelles, car
qu' il a eu ce decret, il est asseuré si tout est icy si bien ordonné, il ne
qu' elles arriveront, et par consequent faut pas douter que tout ne soit en
necessaire que Dieu le sçache un plus bel ordre és idees eternelles,
par ceste science de vision, laquelle lesquelles on prend ordinairement
n' eust jamais esté, si ces choses pour le monde archetipe, duquel
n' eussent esté futures par la force dependent toutes les creatures ;
de cet acte precedent de la volonté c' est pourquoy nous mettons
de Dieu ; par où vous voyez cet ordre, duquel nous parlons
que ceste science n' est point cause p452
p450 maintenant, lequel est fondé sur
de ce que nous offensons Dieu, ce que s' il estoit possible qu' il y
n' y mesme de ce que nous faisons eust quelque suitte de temps, ou
de bonnes oeuvres, car s' il estoit de causes, et d' effects en Dieu, il
possible que Dieu ne cogneust faudroit dire en premier lieu, qu' il
point ces mouvemens futurs, ils entenderoit tout ce qui est possible :

105
secondement qu' il proposeroit Le D veritablement vous
de produire tout cela, ou quelque m' avez grandement contenté de
partie qui luy plairoit : tiercement, ceste responce, et où je pensois
qu' au mesme instant qu' il que nous eussions plus de raison,
auroit pris ceste resolution, il sçauroit je voy maintenant que ce ne
asseurement, que tout ce qu' il sont que cajolleries : aussi n' avons
auroit ordonné, arriveroit. nous garde de nous abboucher,
C' est en ceste façon que nous ou contester avec de tels personnages
disons que les choses, entant que que vous ; je vous proteste,
futures, sont plustost causes de la que je quitteray ceste opinion
science que Dieu en a, que non pour tout jamais, si vous me donnez
pas ceste science des choses futures, une aussi entiere satisfaction
bien que ce soit plustost l' acte sur le reste des quatrains ; voicy la
de la volonté divine, qui est cause substance du 36.
de ceste science ; j' ay dit plustost , par
où j' entends, que s' il se retreuvoit
p453 CHAPITRE 17
des causes en cecy, il en faudroit p455
ainsi parler : mais comme tout cela auquel les quatrains du deiste depuis
est eternel, ce n' est qu' un ordre de le trente sixiesme jusques au quarante
raison, par lequel nous apprehendons troisiesme sont refutez : et est monstré
du mieux qu' il nous est possible, quel ordre Dieu tient en ses
les choses eternelles, n' y ayant actions, et en ses pensees, comment
icy autre cause que l' acte de la volonté il cognoist tout, comment sa prescience,
de Dieu, par lequel il est la et son decret s' accordent avec
vraye cause de ce que les choses nostre liberté, etc.
sont futures, car du moins il les Le Deiste
permet, et determine par ce mesme si Dieu pouvoit estre deceu, et qu' il arrivast
acte de sa volonté, qu' il ne les contre ce qu' il auroit proposé, son propos,
empeschera pas. et son vouloir seroient infirmes, et
Or pour respondre (...) à vos accompagnez
quatrains, je dy que la science de de doute, d' erreurs, et d' ignorance.
vision n' ensuit pas nos contingents p456
effects, entant qu' ils sont produits Le Theologien
en une certaine saison, mais seulement non, Dieu ne peut estre
entant qu' ils sont futurs, ce deceu, et jamais
qui est au mesme moment de l' eternité, rien n' arrivera qu' il ne
auquel est l' acte de la volonté le sçache auparavant
divine, par lequel Dieu veut, ou de toute eternité, puis que sa science
p454 est infinie sans aucun erreur,
permet que cecy, ou cela se fasse sans doute, sans ignorance, estant
au temps, et au lieu qu' il a choisi : aussi impossible que Dieu ignore
et par ainsi ceste science n' est quelque chose, comme il est impossible
pas temporelle, mais eternelle, que Dieu ne soit pas
aussi bien que l' essence de Dieu, Dieu, ce que vous pouvez sçavoir
avec laquelle elle est une mesme de ce que je viens de dire contre le
chose. quatrain precedent.

106
Prenez donc garde que tout ce et tout ce qu' ils feroient à tout
que Dieu a decreté, arrive tousjours jamais, et par ainsi immediatement
selon qu' il a resolu, mais ce apres sa resolution de les
qui vous deçoit icy est que vous creer, il a cognu par ceste science,
vous imaginez qu' il a resolu que p459
toutes choses arrivassent absolument, que nous avons appellee de vision ,
p457 toutes les actions, paroles, et pensees,
et necessairement, ce qui est que tous les hommes, et les
tres faux, car il a tellement proposé, anges auroient ; sa science pourtant
et arresté que telle, ou telle chose n' estant pas cause de tout cela,
se feroit, ou ne se feroit pas, qu' il veu qu' elle en seroit plustost
a tousjours conservé la nature, et l' effect, s' il pouvoit se retreuver
la façon d' agir de chaque chose, si quelque dependance en Dieu, de
bien qu' il n' a pas voulu que nous sorte qu' on pourroit appeller les
fissions aucune chose bonne, ou choses futures, ou la futurition des
mauvaise, si premierement nous choses la cause virtuelle de la science
n' y consentions avec une pleine de vision ; c' est à dire que si ceste
liberté, faisant en cela comme un science pouvoit estre produite par
bon roy, ou un bon pere qui ordonne, quelque object, ce seroit par ceste
et veut que son fils estudie, futurition , mais comme cet object
mais il ne le veut pas, si l' enfant ne n' est au plus que corelatif à la science
s' y porte gaillardement, et librement. de vision , il ne peut en estre
Or ceste resolution consideree cause, qu' à la maniere des objects,
en Dieu n' est jamais que pour le lesquels ne sont que termes, ou
bien, il n' ordonne point, et ne terminans, et non pas causes motives ;
veut jamais que nous nous portions car Dieu n' a autre motif de sa
au mal, estant impossible cognoissance que son essence divine,
que la souveraine bonté ait aucune p460
p458 bien que pour cognoistre les
inclination au mal ; neantmoins choses futures, il faille qu' elle soit
Dieu permet que le mal se fasse, et comme modifiee du decret divin
quand quelqu' un offense, il est de faire, ou permettre ce qui arrivera :
certain que Dieu a voulu permettre mais ceste modification n' adjouste
que cet homme use de sa mauvaise rien de nouveau à l' essence
volonté, de sorte que quelque de Dieu, quoy qu' il semble à nostre
chose que nous fassions, bien, ou trop courte imagination, laquelle
mal, Dieu ne peut rien ignorer, ou ne peut apprehender tout
douter de ce que nous ferons ; et telles ce que Dieu fait par un seul acte, si
qu' il voit nos actions avant qu' elles ce n' est par plusieurs pensees, et
soient faites, telles arriveront-elles, discours : c' est en quoy nostre Dieu
non par ce qu' il les sçait, avant est grandement admirable, de ce
qu' elles arrivent, mais par ce que quelque bel esprit que nous
que sa science est infinie, et embrasse pensions avoir, il faut qu' il employe
aussi bien le futur, que le mille, et mille sortes de pensees
present, ou le passé ; or comme pour atteindre tant soit peu à
Dieu a voulu creer les hommes la pensee divine.
dans le monde, il a veu leur portee, Le D pleust à Dieu que nostre

107
poëte fust icy, certainement je ne est cognu le soleil en plein midy,
pense pas qu' il ait jamais ouy traitter car puis qu' il est infiny en tous ses
ceste matiere si dignement ; si je attributs, ne plus ne moins qu' il
p461 est tout puissant, il est aussi tout
puis un jour l' aboucher, ce qui ne p463
peut arriver que lors que je me sçavant : duquel la puissance, et la
transporteray à Paris, car on ma asseuré science n' est autre chose que son
qu' il y demeure, je luy communiqueray essence, et le sçavoir duquel embrasse
ceste excellente response, parfaitement tout ce qui
laquelle je pense estre capable est passé, present, et futur.
de luy faire quitter ses opinions, Or comme sa science ne depend
esquelles on m' avoit embarqué point de nous, puis qu' il l' avoit
sous pretexte de quelque avant que nous fussions, aussi
discours enfilez selon la doctrine sa puissance est absoluë, et independante
de ce poëme ; je poursuis s' il vous de tout estre creé, si
plaist, afin de me degager des autres bien qu' il peut faire de nous ce
erreurs. qui luy plaist, car il a un domaine,
Le Deiste et une seigneurie tres-parfaite sur
il n' y a point d' apparence que Dieu nos corps, et sur nos ames, de sorte
depende que quoy qu' il fasse, ou vueille faire
de nous, et des lieux, et du temps pour nous de nous, il n' y a personne qui le
faire bien ou mal, et qu' on se puisse puisse reprendre : non plus que le
distraire de pot ne peut reprendre son potier,
son vouloir. soit qu' il le rompe, soit qu' il le
autrement ce seroit le reduire à l' estat de conserve, et l' employe à cecy, ou à
celuy cela ; il ne faut point que la creature
qui pensant parvenir à ce qu' il esperoit, se cherche d' autre raison des
treuve mesconté, et malheureux. p464
p462 actions de son createur, que sa pure
Le Theol voicy une imposture volonté, et qu' elle ne die autre chose
bien signalee de vouloir faire à que (...). Nous
croire au monde que les catholiques sommes donc bien esloignez de
dient que Dieu est en suspend reduire nostre createur à quelque
sur ce qui arrivera, et que imbecilité, et de penser qu' il se
nous pensions le pouvoir distraire mesconte, car il ne peut jamais estre
de son vouloir ; il faut avoir la teste deceu, non plus qu' il ne peut
bien grotesque à ce qu' une opinion decevoir : mais je voy bien ce qui
si bigearre y puisse entrer. vous blesse le sens, et l' imagination,
Sçachez donc que nous croyons c' est que vous ne pouvez, ou
fermement que Dieu ne peut estre plustost vous ne voulez concevoir
en suspend, et comme aux attentes, comment Dieu se comporte envers
et aux escoutes pour sçavoir nous pour nous sauver, et
ce qui arrivera, d' autant que comment sa providence, et sa predestination
toutes les choses futures, et toutes se peut accorder avec
les pensees des anges, et des hommes la puissance que nous avons de
qui seront jusques à l' eternité, nostre costé de nous perdre, ou de
luy sont plus cognuës, que ne nous nous sauver.

108
Escoutez donc bien attentivement vous semble que de contrarier, c' est
ce que je m' en vais vous enseigner. reduire Dieu à l' imbecilité ; mais
Comme Dieu est tout ceste pensee ne provient que d' ignorance,
p465 p467
puissant, il se peut comporter envers ou de malice : d' ignorance, si
nous comme il luy plaist, si vous ne sçavez qu' il faut considerer
bien que s' il veut, il nous rendra la volonté de Dieu en deux façons,
bien-heureux sans que nous y cooperions ; premierement entant qu' elle
mais s' il ne veut que nous est volonté absoluë, et de bon
soyons sauvez sans nostre cooperation, plaisir, (...), secondement
cela ne peut se faire autrement : entant qu' elle est (...),
or je soustiens, et vous asseure c' est à dire entant qu' il nous commande,
avec tous les catholiques, que ou nous defend quelque
Dieu a tellement disposé de nostre chose : c' est ceste volonté qui n' est
salut, que jamais il ne nous pas absoluë, mais conditionnee ;
donnera la gloire eternelle qu' au-prealable il ne veut pas que nous la suivions,
nous ne la meritions ; (je ou que nous luy obeyssions par
parle de ceux qui ont l' usage de contrainte, et necessairement, mais
la raison) lequel s' est obligé librement ; il veut que nous puissions
de nous ayder à la meriter toutes ne la suivre pas, si tant est
et quantefois que nous suivrions que nous soyons si malheureux,
les bons mouvemens du sainct que de ne la vouloir pas executer :
esprit. c' est donc à ceste volonté, à laquelle
Voyla d' où vient qu' il depend nous pouvons nous opposer, ce
maintenant de nous mesmes à ce que faisans, Dieu n' en reçoit aucune
qu' il nous punisse, ou qu' il nous incommodité, n' y ne se treuve
recompense, p468
p466 mesconté, car il treuve son
sans toutefois qu' il soit conte tres-juste, aussi bien lors que
en suspend si nous ferons cecy, ou nous luy desobeyssons, comme
cela, et si nous serons damnez, où quand nous luy obeyssons ; veu qu' il
sauvez, car avant que nous fussions sçavoit asseurement, avant que le
nez, il le sçavoit aussi bien monde fust, ceux qui luy desobeyroient,
comme si cela fust desja arrivé ; ou qui suyvroient ses
or bien qu' il le sçache, il attend à commandemens, et nonobstant
nous chastier, ou à nous recompenser, ceste science il n' a pas voulu absolument
lors que nous avons accomply empescher que nos volontez,
ses commandemens, ou et nos autres puissances ne
que nous luy avons desobey : et en le portassent au mal, mais il nous a
ceste façon le supplice, ou la recompense donné puissance de faire, ou ne
depend de nous, des faire pas ce qu' il auroit commandé,
lieux, et du temps, desquels Dieu monstrant en cela qu' il vouloit
ne dépend point, car il est absolu avoir des serviteurs libres, et non
en toutes façons, et ne peut avoir contraints.
aucune dependance. Le Deiste
Voyons l' autre point, lequel appartient c' est dire que Dieu est indigent comme
au vouloir divin, auquel il l' homme, et qu' il a besoin de quelque object

109
pour venir à la fin de son intelligence. s' assujettit à l' homme par une certaine
p469 condescendence, et anthropopatie,
c' est l' assubjettir à l' homme comme le pot p471
au en ce qu' il accommode
potier, qui se divertit souvent de son but, et son concours, et son ayde à nostre
de volonté, de sorte que quand nous
l' usage, auquel il avoit esté predestiné. voulons bien faire, il ayde cet acte
Le Theol nenny, celuy qui de volonté, et quand nous voulons
dit que l' homme peut se rebecquer, faire mal, il ayde encor la mesme
et rebeller contre la divine volonté, autrement elle ne pourroit
volonté, à la façon que je l' ay expliqué, exercer aucun acte, car elle depend
ne mesure pas le souverain du concours divin tant en
agent à la puissance de l' homme, son operation, et en ses actions,
laquelle est finie en toutes façons, qu' en son estre.
et celle de Dieu infinie ; l' homme Or la raison pourquoy il nous ayde
est bien loing de pouvoir faire a exercer toutes nos actions exterieures,
tout ce qu' il veut, il ne fait pas seulement et interieures, est, parce
tout ce qu' il doit, et son que sçachant que nous ne pourrions
pouvoir est si court, qu' il n' y a si rien sans son secours, il a voulu nous
petit animal, qui ne le surmonte aider en tout ce qui seroit necessaire
en quelque chose ; mais Dieu fait pour agir, de sorte que nous pouvons
à tout moment, tout ce qu' il en quelque façon appeller
veut. son concours general, qu' il preste
C' est aussi parlé fort mal à propos, à toutes les creatures, l' accomplissement
et en ignorant à 24 carats, de de la nature, parce que
conclure que Dieu ait besoing de p472
p470 sans cét ayde elle est imparfaite, et
quelque creature pour venir à la boiteuse.
fin de son intelligence, laquelle ne Mais cette subjection n' est pas
depend en nulle façon, ny ne peut s' assujettir, c' est plustost maistriser
dependre de nous, ou de quelque la creature que de s' assujettir à elle,
autre chose que ce soit, estant elle car c' est monstrer la dependance
mesme sa fin, et son bonheur, car qu' elle à de Dieu, sans lequel
bien qu' il n' y eust aucune creature il seroit impossible qu' elle fust. Or
ny en acte, ny en puissance, c' est à bien que Sainct Paul compare Dieu
dire, bien qu' il n' y eust aucune à un potier, et l' homme à un pot,
creature possible, Dieu seroit autant ce neantmoins il y a bien de la difference,
heureux comme il est, puis car Dieu n' a que faire de
que ce n' est pas la possibilité, non l' homme, mais le potier à besoing
plus que l' existence, ou l' actualité de son pot : le pot estant faict ne
des creatures, qui constituent la depend plus actuellement des
felicité divine, mais la seule contemplation mains du potier, mais l' homme
de la divine essence, depend de la puissance de Dieu ; le
des trois personnes, et de tous les pot n' a jamais dependu, n' y ne dependera
attributs qui sont en icelle. du potier quand a sa forme,
Neantmoins nous pouvons dire ou à sa matiere, ny quant à la
en quelque façon, que Dieu quantité, mais tout ce qui est en

110
l' homme tant substantiel, qu' accidentel p475
p473 la façon par laquelle Dieu cognoist
dépend de Dieu en toutes les choses futures, parce
façons ; bref il y a plus grande difference que cela importe fort peu icy, et
du rapport que le pot a à dy qu' il est tres faux que Dieu
son potier avec le rapport que nous ait deffendu ce qu' il sçait
l' homme, et toutes les creatures nous estre inévitable, car il repugne
ont à Dieu, qu' il n' y a de difference à la bonté divine ; voyla pour
entre le ciel, et la terre, entre le le quarante-uniesme quatrain :
noir, et le blanc, entre les tenebres, pour l' autre, je dy qu' il nous peut
et la lumiere. commander une chose, bien qu' il
Toutefois si le pot, duquel le sçache que nous ne la ferons
potier se vouloit servir à faire parade pas ; c' est assez que nous la puissions
sur un buffet, vient à se rompre faire, il n' a pas seulement
entre ses mains faute de la matiere, le domaine de nos actions,
qui n' est pas bien obeissante, mais aussi de nostre pouvoir ; il
ou à servir à quelqu' autre chose est aussi bien maistre du fond,
de plus vil, l' homme que Dieu et de la racine, comme de l' usufruict,
avoit creé pour estre bien-heureux, et des fleurs, ou des fruicts :
peut aussi se divertir de la il peut donc obliger l' homme à
beatitude par sa mauvaise vie, faire tout ce qui luy est possible,
mais avec cette difference, que puis que tout ce qui peut sortir
l' homme se divertit volontairement, de la puissance de l' homme, appartient
et librement, et le pot, ou sa p476
p474 entierement à Dieu.
matiere se divertit necessairement. Pour le reste du quarante deuxiesme
Mais c' est assez dit touchant quatrain, je ne sçay ce que
cette difficulté, car vostre principal vous voulez dire, car qu' est-ce que
dessein estoit de prouver que retenir son vouloir par insuffisance
Dieu est subjet à l' homme, supposant sur le bien, ou le mal, qui nous
la verité de ce que nous avions est libre ? Si cette insuffisance se
dit auparavant, c' est pourquoy prend du costé de Dieu, cela est
ayant respondu à cela, nous n' avons impossible, car c' est le sadai , le
pas besoin d' un plus long dieu tres-suffisant, et tres-puissant,
discours, passez aux autres quatrains. pour faire, entendre, et vouloir
Le Deiste tout ce qui luy plaist ; or si vous
si Dieu voit tout ce qui est futur, quelle n' entendez pas vostre poëte, non
apparence y a-il qu' il ait deffendu ce qu' il plus que moy, passez outre jusques
sçait à ce qu' il vous ait expliqué ses
nous estre inévitable par son vouloir ? phantaisies, et ses pensees qui sont
quelle apparence y a-il qu' il nous aussi obscures, comme elles sont
commande niaises, et brutales.
ce qu' il sçait que nous ne ferons point, ou Le D il me semble qu' il veut
que dire par cette retention de volonté sur
par insuffisance il retienne sa volonté sur le ce qui vient de nostre choix , que Dieu
bien, ou le mal qui vient de nostre choix ? ne peut qu' il n' ordonne, et ne
Le Theol je laisse maintenant p477

111
vueille le bien, et le mal que nous comme de ce qui a esté creé, d' autant
faisons, autrement il se feroit quelque que l' acte positif par lequel il
chose sans son vouloir. a voulu que rien ne fust que ce
Le Theol s' il le prend en qu' il a voulu faire, est si puissant,
ceste façon, il faut que vous sçachiez que si par impossibilité les creatures
la doctrine des theologiens qui ne sont point, eussent peu
sur ce suject, lesquels enseignent estre d' ailleurs, que de la puissance,
qu' il ne se peut rien faire en et de la volonté de Dieu, cet acte
ce monde que Dieu n' ait voulu de positif, par lequel il a voulu
toute eternité par un acte positif, qu' elles ne fussent pas, eust empesché
et reel de sa volonté, sans lequel qu' elles ne fussent sorties d' ailleurs ;
rien ne peut estre : si bien que et eust fait qu' elles fussent
quand nous faisons quelque chose, demeurees dans leur neant sans
Dieu ne retient pas son vouloir pouvoir sortir dehors le non estre ;
là dessus, comme si sa volonté estoit ou si elles eussent desja esté, il les
oyseuse, et en suspend, car avant eust reduites au neant.
que nous fassions ce qui depend Vous voyez donc comment
de nostre choix, la volonté Dieu ne retient pas sa volonté par
de Dieu s' est portee vers l' oeuvre, insuffisance sur le bien, ou le mal
ou l' action future, mais en diverse fait, qui depend de nostre liberté,
façon lors qu' elle a esté bonne, et et pure contingence : mais il faut
lors qu' elle est mauvaise, car l' acte p480
p478 d' un autre costé que vous preniez
positif de la volonté divine s' est garde de ne vous pas jetter en l' autre
porté vers celle-cy en la reprouvant, extremité, qui est de penser que
et vers celle-là en l' approuvant, Dieu soit cause de nos pechez, ou
vers celle-cy en la hayssant, qu' il les vueille, car cela est tres-faux,
et vers celle-là par amour. et tres-impossible, nonobstant
Pour bien entendre cecy, apprenez que sa volonté soit portee
que la volonté de Dieu estant vers iceux par un acte positif, mais
infinie, et immuable, penetre acte de reprobation, et de hayne,
tout, et qu' il n' y a rien qui la qui est le mesme acte en substance,
puisse eviter, ou surmonter : laquelle par lequel il s' ayme soy-mesme,
mesme est cause de ce qu' il car la raison pourquoy il hait le
n' y a point d' autres mondes que peché, est parce qu' il est opposé à
cestuy-cy, et de l' absence de toutes sa bonté, et que sa malice nous prive
les creatures, qui ne sont point, et de la beauté, et de la grace, laquelle
pourroient estre, d' autant qu' elle nous rendoit amis de Dieu,
a voulu aussi expressement qu' il et nous unissoit à luy par amour :
n' y eust point d' autres creatures, par où vous voyez que Dieu ne se
comme elle a voulu que celles-là peut aymer que quand et quand il
fussent, qui composent tout ce ne haysse le peché.
grand univers. D' où vient qu' en Le D si Dieu se porte vers le
ceste façon nous pourrions dire bien et le mal-fait, qui depend de
que Dieu seroit aussi bien la cause p481
p479 nostre liberté, par un acte positif, il
de tout ce qui n' a point esté creé, est donc, ce semble la cause de nos

112
pechez, aussi bien que de nos bonnes vrayement ils font maintenant,
oeuvres ; ou s' il n' est cause de par ce qu' ils esliront le mal, bien
nos mesfaits, il ne peut sçavoir s' ils qu' ils peussent eslire le bien. Voyla
arriveront, ou non. pour ce qui est de la science infallible
Le Theol je vous prie de vous de Dieu touchant le mal ; car
rendre attentif à ce que je diray, et il n' est pas icy besoing que je vous
vous serez content : Dieu n' est die qu' elle est la raison precise, et
point cause de nos mesfaits, et neantmoins formelle, par laquelle Dieu sçait
il sçait asseurement, si tous les pechez futurs, ce que nous
nous les commettrons, et combien serons peut estre contraints de dire
de pechez nous ferons en par apres.
toute nostre vie, voire combien Voyons donc maintenant pourquoy
en feroient tous les hommes, s' ils il n' est pas cause de nos pechez ;
vivoient une eternité avec une pareille c' est par ce que le peché est
liberté, qu' ils ont, et avec une aversion, et un esloignement
toutes les occasions, et circonstances, de Dieu, et un desordre, qui empesche
lesquelles seroient possibles que nos actions ne regardent,
en ceste eternité. et ne tendent à Dieu, comme
Mais voyez comment, pourquoy, p484
et par quoy il le sçait ; et jamais à leur derniere fin, or Dieu ne
p482 peut estre cause que nous nous esloignons
vous ne vous imaginerez de luy, puis qu' il desire
que Dieu puisse estre cause du estre aymé, et honoré de tout le
mal, ou qu' il puisse ignorer aucune monde. Et bien qu' il nous ayde à
chose. Donc avant que Dieu se faire l' action, et à produire l' action
fust resolu de faire ce monde avec de la volonté, par laquelle nous
tout ce qui y est, il sçavoit qu' il le commettons le peché, neantmoins
pouvoit faire en un milion d' autres la diverse façon par laquelle
façons, qu' il ne la pas fait, et Dieu, et l' homme font une mesme
prevoyoit que s' il le creoit comme action quand à son estre reel,
il est, et qu' il donnast la liberté aux est tres-suffisante à ce que l' homme
hommes de faire, et de choisir le tout seul, et non Dieu, soit cause
bien, ou le mal, que tous ceux qui du mal ; or ceste diversité d' agir
font maintenant de bonnes oeuvres, est en ce que l' homme faisant ceste
et de mauvaises, les feroient action ne garde pas l' ordre, et
vrayement, comme il les prevoyoit. la subordination, par laquelle il devroit
Or vous voyez qu' en cet instant rapporter son action à Dieu,
d' eternité Dieu n' est pas cause au contraire il pervertit cet ordre,
du mal, et neantmoins qu' il sçait et se soustrait de l' obeissance, qu' il
desja par l' infinité de sa science (laquelle doit à son createur ; et par ainsi il
penetre toutes les choses manque à son devoir, d' où vient
possibles, en supposant quelques p485
p483 que la cause du peché est dite deficiens ,
conditions, et circonstances que ce qui ne peut estre attribué
vous voudrez) que s' il fait un monde au souverain agent, et au createur
tel que cestuy-cy, que les hommes de toutes choses.
commettront les pechez, que Mais le concours de Dieu, par

113
lequel il fait la mesme action que neantmoins il n' a pas voulu empescher
nous faisons, est bien ordonné, et qu' elle s' y rapportast, et
suyvant le decret eternel de sa qu' elle l' esleust, si tant est qu' elle
saincte volonté, car Dieu preste se vueille rendre esclave du peché.
son ayde au pecheur pour l' amour Cette puissance qu' elle a de pouvoir
qu' il se porte, veu que ce concours pecher, vient de la part de son
divin avec nostre liberal arbitre se non estre, entant qu' elle n' est pas
rapporte à la gloire de Dieu, comme de soy-mesme, car Dieu ne nous
à la derniere fin de tous les a pas donné cette puissance pour
estres : est-ce pas une chose qui offenser, ny mesme entant qu' elle
reüssit à la gloire de Dieu de voir regarde le peché, ce que Sainct
que nous ne sçaurions mesme Augustin a fort bien penetré, lors
nous vanter, ou nous glorifier de qu' il a dit au quatorziesme de la
l' avoir offensé, si premierement il cité de Dieu, chap. 13, (...).
ne nous a donné la force, et la liberté p488
de ce faire ? Est-ce pas une Or puis que Dieu nous donne
chose qui fait paroistre la puissance une force suffisante pour resister
p486 à toutes sortes de pechez, et qu' il
de Dieu, de ce que nonobstant ne tient qu' à nous, lors que nous
qu' on abuse de sa puissance, il en suivons cette puissance, ou plustost
sçait tirer de l' honneur, et de la cette impuissance que nous
gloire, et qu' il n' y a malice aucune, avons au peché, laquelle procede
laquelle puisse surmonter sa bonté, de ce que nous sommes tirez du
et sa justice. neant, il n' y a personne qui puisse
Ce que je vous dy touchant le justement rejetter le blasme sur
concours divin, il faut aussi l' entendre Dieu, c' est à nous tous seuls qu' il
du decret eternel, par lequel en faut rapporter la cause, et le
Dieu a voulu permettre que desordre qui suit de là, car le peché
l' homme choisit le mal, de sorte est un éloignement volontaire,
neantmoins qu' il luy donne la par lequel nous nous retirons de
force, et l' addresse de suivre plustost l' ordre que Dieu a estably, c' est
le bien que le mal, s' il vouloit. pourquoy il ne peut avoir aucun
Mais gardez vous bien de penser rapport à Dieu, comme les autres
que cette permission soit semblable deffauts naturels, qui procedent
à celle que les legislateurs du non estre des creatures, lesquels
donnent de faire quelque chose, peuvent avoir quelque habitude,
et qui rend l' action legitime, et p489
loüable : ce n' est pas ainsi qu' il la et rapport à la gloire de Dieu, veu
faut entendre, car ce n' est rien autre qu' ils ne sont pas cause qu' aucune
chose, sinon qu' il ne nous veut chose soit soustraite de l' obeyssance,
p487 que nous devons au createur ;
pas absoluëment empescher de il n' y a que le seul defaut moral, et
faire ce que nous voudrons, mais volontaire, lequel nous devons eviter
veut que nous usions pleinement plus diligemment que la peste,
de nostre liberté, laquelle bien ou que quelque autre malheur
qu' il n' ait pas ordonnee, ou peu que ce soit, fust-ce la peine
ordonner, et rapporter au mal, eternelle de l' enfer, laquelle il

114
faudroit plustost endurer, si cela concevoir ce qui est de la verité.
estoit en nostre choix, que de consentir Si cela estoit, ne m' accorderiez
à aucun peché, d' autant que vous pas que vous pourriez eviter
ceste peine eternelle se peut reduire, le peché, et l' opinion susdite ? Puis
et rapporter à la gloire de qu' il n' y a que l' infallibilité de la
Dieu, ce qui ne peut convenir au science divine, qui vous fasse de la
peché. peine là dessus, et qui semble vous
Le D monsieur, il n' y a plus poser une loy d' infallibilité, ou de
qu' un doute, qui me travaille sur necessité, encore que cela ne soit
ce suject, c' est que je ne peux comprendre pas. Or il est tres-asseuré que la
comment Dieu a sçeu de precognoissance de Dieu ne vous
toute eternité, que, par exemple, je p492
p490 impose non plus d' infallibilité, ou
tomberois en ceste folle opinion de necessité de pecher, que si Dieu
du deisme, et en tous les autres ne sçavoit point vostre peché,
pechez que j' ay faits, si quand et qu' apres qu' il seroit fait.
quand je ne m' imagine qu' il m' a Imaginez vous encore que vous
esté impossible d' eviter tout ce n' ayez point besoing du concours
que Dieu à preveu de moy, autrement divin, et que vous ne dependiez
si cela fust avenu au contraire, point de lui en aucune façon, mais
Dieu eust esté deceu, ce qui ne que vous ayez ceste puissance, et
se peut. ceste liberté de faire le mal, et le
Le Theol s' il n' y a que cela peché ou d' un autre que de Dieu,
qui vous fasse de la peine, nous aurons ou de vous mesme (si par impossible
bien tost fait ; pourveu que cela pouvoit estre) vous m' advoürez
vous puissiez, et vueilliez supposer, que pour lors ceste prescience
et concevoir ce qui est tres-veritable ; divine ne vous imposeroit
c' est que la prescience de Dieu non plus de necessité, ou d' infallibilité,
n' est point passee, mais elle est que la cognoissance qu' un
tres-presente, ce qu' estant presupposé, homme auroit de ce que vous
et estant necessairement veritable, ferez d' icy à une heure, laquelle
puis qu' en Dieu il ne peut y n' empescheroit pas vostre liberté,
avoir rien de passé, et que tout est ny la puissance que vous avez de
present dans le poinct immense ne faire pas ce qu' il sçait que vous
de son eternité, je dy que l' acte p493
p491 ferez. Or asseurez vous que la prescience
de la prescience divine ne nous de Dieu ne vous impose
est pas plustost present, entant rien autre chose, qui prejudicie à
qu' il cognoist nos pechez presens, vostre liberté, que ce que vous impose
que nos pechez mesmes, lesquels la cognoissance que cet homme auroit.
n' ont point de dependance de ceste Le D je voy bien maintenant
prevision, non plus que si elle que le 41 quatrain de ce maudit
n' estoit point. poëte est tres-faux, par lequel il
Imaginez vous donc que Dieu m' avoit persuadé que ce que Dieu
n' ait point sçeu le mal que vous nous deffendoit, nous estoit inevitable ;
feriez, ny l' opinion des deistes que mais vous m' avez fort bien
vous embrasseriez, afin de mieux fait concevoir qu' il ne nous estoit

115
non plus inevitable, que si Dieu ne loix qu' il sçavoit que plusieurs n'
le sçavoit point, puis que sa prescience observeroient
n' en est point cause en aucune pas.
façon : d' où il est facile à conclure Le Deiste
que Dieu nous à peu justement s' il sçait tout, comment peut-il avoir donné
prescrire des loix, bien qu' il sceut une loy laquelle est contre les effects de sa
que nous ne les garderions pas, ne prescience ?
tenant qu' à nous et à nostre malice, p496
si nous ne les gardons ; vrayement Le Theologien
p494 j' accorde que Dieu
je confesse que ç' a esté le libertinage, sçait tout en soy-mesme,
qui nous a jettez en ces et par soy-mesme,
opinions, car pensans que ceste car il ne mandie pas sa
prescience sembloit favoriser à cognoissance des objects
nos vices, nous en avons fait un exterieurs, comme nous faisons,
bouclier, et un rempart pour nous mais je ne voy point que la
jetter en toutes sortes d' impietez loy, que nous disons estre emanee
sans nul remords de conscience, de Dieu, démente les effects de sa
comme si Dieu en eust esté l' autheur, precognoissance, ou de sa prescience ;
et nous eust aussi bien commandé, car, je vous prie, qui sont
et prescrit toutes sortes de les effects de la prescience eternelle ?
vices, comme la vertu. N' est-ce pas principalement
Mais je deteste maintenant cet l' infallibilité, et la certitude ? Or
erreur, et embrasse la verité catholique tout ce que Dieu a preveu, ou presceu,
de tout mon coeur, prest ou tout ce qu' il a veu futur,
à mourir pour icelle, si besoin est. arrivera certainement, et infalliblement,
Je poursuivray donc ce qui suit, non seulement quant à
puis que je n' ay plus aucune difficulté la substance, mais aussi selon tous
sur cecy, afin qu' en quittant p497
mon erreur, je puisse apprendre la les accidens, toutes les façons, modalitez,
façon de renverser les impietez et circonstances, qu' il a
que ce detestable poëte à renfermé presceu, et preveu, tant est infallible,
p495 et asseuree sa precognoissance.
en tous ses quatrains : j' espere Ceste certitude ne dement la
avec l' ayde de Dieu que cela me loy de Dieu en aucune façon, n' y
servira pour ramener beaucoup ne repugne à tout ce que nous
de mes compagnons à la verité de croyons en la religion catholique,
la religion catholique. apostolique, et romaine,
mais elle s' y accorde parfaictement.
Si vous sçavez quelque autre
CHAPITRE 18 effect de la prescience, ou de la
dans lequel le quarante troisiesme quatrain providence de Dieu, lequel vous
du deiste est refuté ; et est monstré pensiez ne s' accorder pas avec la
que Dieu n' est point la cause de loy evangelique, et avec la creance
nos pechez, et que l' homme est inexcusable des catholiques, objectez le
en son peché : et que Dieu moy, et vous verrez comme je
est juste, bien qu' il nous ait donné des vous contenteray ; autrement

116
poursuivez vos vers. loy qui defend l' adultere, l' yvrongnerie,
Le D il me semble que vous et tous les autres pechez, et
ne touchez pas l' intention de nostre p500
p498 qui commande de faire bien à tout
poëté, lequel veut dire que la le monde, de sanctifier les festes,
loy, par laquelle Dieu nous defend et tout ce que vous maintenez estre
de nous abstenir, ou nous commande commandé, ou defendu par
de faire cecy, ou cela, est l' escriture saincte, ou par l' eglise
contraire à sa prescience, car puis illuminee par le S Esprit, que ceste
qu' il a preveu que nous ne ferions loy dis je ne peut venir de Dieu,
pas ce qu' il a commandé, et que puis qu' on ne la garde pas. Je vous
nous nous porterions au contraire confesse ingenüment que c' est là
de ce qu' il a ordonné, pourquoy une des plus puissantes considerations,
nous l' a-il commandé, que qui m' ayt arraché la creance
n' ordonnoit-il plustost ce qu' il de l' esprit, et fait embrasser le parti
prevoyoit que nous ferions ? des deistes, lequel à plus d' apparence
Est-ce pas dire que Dieu nous a de verité que nulle autre
tendu des pieges, et des embuscades sorte de religion, car ils ne se servent
pour nous attraper, puis qu' il ny de menaces, ny de promesses,
sçavoit tres-bien que nous ne ferions afin que nous agissions
pas ce qu' il nous commandoit : pour la seule bonté de la vertu, et
car puis que les effects decoulans pour l' amour que nous portons
de sa precognoissance, sont la au souverain estre, et à la bonté infinie
certitude, et l' infallibilité, comme du createur.
vous avez dit, il estoit certain, et infallible Le Theol je suis fort ayse que
que nous ne ferions pas ce p501
p499 vous m' ayez arresté sur ce quatrain,
que Dieu nous commanderoit, et car je vous feray voir si clairement
neantmoins si c' est une loy qui la folie, la malice, et l' ignorance
vienne d' un tresbon, et tres-sage de vostre rimeur, que vous
legislateur, telle que doit estre la vous estonnerez comment vous
loy divine, elle doit tellement estre avez embrassé ces erreurs. Nous avons
conceuë, et imposee, qu' on ne desja monstré que nos actions
puisse pas manquer à l' accomplir, tant bonnes, que mauvaises
autrement le legislateur nous ne sont pas l' effect de la prescience
donneroit occasion de juger qu' il divine, car elles ne sont pas
seroit impuissant, ou qu' il manqueroit futures à cause que Dieu les sçait,
de sagesse, et de bonté : de mais plustost il les sçait, par ce
sagesse, n' ayant sceu treuver, et qu' elles sont futures, ce qui a esté
prescrire une loy, qui fust inviolablement fort amplement expliqué cy dessus.
observee ; de bonté, à quoy j' adjouste que la loy laquelle
n' ayant voulu commander ce Dieu nous a donnee, ou
qu' on feroit, mais ce qu' on ne feroit qu' il a inspiree à son eglise pour
pas, ce qui ne se peut dire en nous prescrire, n' est pas un effect
nulle façon, veu que Dieu est tres-sage, de sa precognoissance, puis que ceste
tres bon, et tres-puissant. loy ne nous sera pas donnee
De là il veut conclure que la par ce que Dieu la sçait, la loy n' estant

117
p502 p504
pas l' effect d' une science, telle Dieu ne peut rien ordonner qu' il
particulierement qu' est la prescience n' arrive infalliblement, et necessairement :
de Dieu, laquelle n' est pas et moy je maintiens
active, ou operante, mais seulement avec tous les catholiques, que
contemplative, supposant desja Dieu peut ordonner, et a ordonné
par un instant de raison raisonnante, tout ce qu' il nous commande en
ou raisonnee, que tous les effets, l' escriture saincte, ou par l' eglise.
et toutes les loix sont futures, quand Je le preuve par les grands miracles,
il les cognoist. qu' il a faits en tout temps, et
Il faut pour establir une loy que en tout lieu, en faveur de ceste
la volonté opere, et que le legislateur creance, et pour la confirmation
fasse tellement ses ordonnances, de nostre foy, lesquels vous pouvez
qu' il vueille, et ait intention voir tant en l' evangile, et au
qu' elles obligent, autrement elles viel testament, que dans les autheurs
ne passent point en loy ; surquoy de l' histoire ecclesiastique.
vous pretendez que Dieu n' a peu, De plus, je maintiens que Dieu a
ou deu ordonner ce qu' il sçavoit peu faire ces loix sans prejudice de
que nous ne ferions pas, mais vos sa toute puissance, de sa sagesse, et de
raisons n' ont aucune force, autrement sa bonté, car ces attributs ne dependent
il ne faudroit jamais faire en aucune façon de ce qui est
aucune loy, car les legislateurs icy bas, ny de tout ce qui peut estre
sçavent fort bien qu' elle ne sera p505
p503 crée, veu que si nous supposions que
pas gardee par tout le monde, c' est chaque estre finy, et crée fust impossible
pourquoy ils ordonnent des supplices (ce qui ne peut estre) Dieu
pour chastier les transgresseurs, seroit encore tel qu' il est, avec tous
et les meschans. ses attributs. Il ne faut donc pas
Vous ne pouvez pourtant pas mesurer les perfections divines
dire qu' ils tendent des embuches par ce qui nous paroist icy, si vous
à ceux qui ne les observeront pas, ne pensez mesurer l' infiny par le
moins encore qu' ils soient causes finy, la perfection par l' inperfection,
de ce qu' on ne garde pas la loy, car la lumiere par les tenebres,
le legislateur à intention qu' un chacun le tout, et le souverain estre par le
l' observe. Mais quoy, vous repartirez rien, et par le non estre.
peut estre que le legislateur Disons donc que nos loix nous
ne peut pas, et ne sçait pas tout ont esté donnees de Dieu, lequel à
comme Dieu, autrement qu' il ne voulu que nous fussions libres de
commanderoit les observer, ou de les obmettre, et
rien que ce qu' il sçauroit que cela n' infere aucune impuissance
qu' on feroit ; c' est donc icy en Dieu ; au contraire il faut
qu' il faut estre attentif, puis que necessairement qu' il soit tout
vous accusez Dieu d' impuissance, puissant, puis qu' il a peu faire des
de folie, et de malice, si les loix de creatures libres, et franches de
la religion chrestienne ont esté toute contrainte, et necessité :
faites par sa volonté. p506
En un mot vous pensez que voyez si ce n' est pas par impuissance

118
que nos artisans ne sçauroient Bon dieu quel aveuglement,
faire aucun instrument, ou et quelle malice des hommes ! De
chef-d' oeuvre qui soit libre ; tout vouloir accuser Dieu, et treuver à
ce qu' ils font, en quelque maniere redire en ce qu' il nous a donné la
qu' ils s' en puissent servir, suit la liberté, laquelle est une perfection
pante, et l' inclination de sa nature si relevee, qu' il n' y a que Dieu, et les
sans pouvoir se retenir ; il n' y a rien anges qui l' ayent : si les malheureux
de visible au monde, le seul homme deistes ne l' avoient pas, et
excepté, qui n' agisse necessairement, qu' ils recogneussent ce deffaut en
et n' y a que le seul estre eux, il n' y auroit rien qu' ils desirassent
infiny, qui puisse donner ce degré plus ardemment ; et maintenant
de liberté au chef-d' oeuvre de qu' ils l' ont, ils en abusent, et s' en
sa puissance : concluez donc qu' il servent pour controoller les oeuvres,
est necessairement tout puissant. les loix, la science, la volonté,
Passons à la sagesse, laquelle reluit la bonté, la sagesse, et la puissance
merveilleusement dans la liberté, de Dieu ; certainement ce desordre
qu' il nous a donnee, et dans les loix est espouvantable.
qu' il nous a prescrites. Je croy que Voyez si vous pouvez démentir
vous m' accorderez fort volontiers ces loix que vous ressentez en
que vous ressentez dans vous mesmes p509
une loy, laquelle vous dicte vous mesme, et me dites si vous
p507 voudriez ne les avoir pas, asseurément
qu' il ne faut faire mal à personne, vous seriez marry qu' elles
(...) ; qu' il faut aymer celuy qui vous a fussent effacees de vostre esprit,
fait ; qu' il faut aymer le bien, et car il faudroit perdre l' humanité,
hayr le mal. et la raison, et cesser d' estre capable
De grace qui a mis ceste de jouyr de la felicité eternelle,
loy au fond de vostre coeur, à ce apres laquelle il semble que
esté vostre pere, ou vostre mere ? vous aspiriez avec tous les deistes,
Rien moins, car ils n' y pensoient bien qu' ils s' en éloignent davantage,
seulement pas ; il faut donc que que le firmament n' est éloigné
Dieu vous l' ait enpreinte dans de la terre.
l' ame, car vous ne la luy avez pas Vous avez donc des loix en vostre
mise, autrement vous l' en pourriez esprit, que Dieu y a gravees,
oster quand bon vous sembleroit. desquelles vous estes bien aise, et
Or vous pouvez transgresser lesquelles sont les fontaines, et la
ceste loy, et plusieurs font tous les source des bons mouvemens, et
jours le contraire de ce qu' elle dicte, des bonnes resolutions que vous
comme tesmoignent les homicides, avez tous les jours, et le frain des
les trahisons, et les autres passions desordonnees, lesquelles
crimes, qui ne se font que trop estans suivies, nous ravallent jusques
souvent. Si vous ne pouviez faire à la nature des bestes : il faut
contre ces loix, que j' ay rapportees, p510
p508 donc advoüer que la bonté, et la
ne vous plaindriez-vous pas sagesse de Dieu paroist en ces loix,
de ce que vous n' auriez point de puis qu' elles sont causes de nos
liberté ? bonnes actions, qu' elles sont

119
grandement conformes à nostre et parfaites. Je suis prest de les
nature, et qu' elles perfectionnent deffendre, si vous y trouvez quelque
la raison. Je ne voy plus que vous difficulté, et de vous monstrer
puissiez vous plaindre de ce que en gros, et en detail, que tout ce
Dieu nous a donné des loix, puis qu' enseigne la religion catholique,
qu' elles sont le plus riche ornement est loüable, honneste, vertueux,
de nostre nature. sainct, et digne de Dieu.
Vous me direz, peut-estre, que Pourquoy est ce donc que vous
vous demeurez d' accord avec nous dites que nos loix dementent les
touchant les loix que Dieu nous effets de la prescience divine ? Apprenez
a prescrites en nous donnant l' ame, la aujourd' huy que nous n' avons
raison, l' esprit, et la nature, lesquelles aucune loy, qui s' oppose aux
nous appellons loix naturelles, perfections divines, ny a pas un effect
et que ce sont celles-là que vous decoulant de la prescience,
suivez, mais qu' il y en a d' autres, predestination, volonté, puissance,
que vous ne sçauriez approuver, sagesse, et bonté de Dieu ; et que
telles que sont celles que l' escriture vostre poëte vous a abusé par ces
saincte nous propose, ou que rimes, car quand Dieu nous commande
p511 p513
fait l' eglise. à quoy je respons quelque chose que ce soit,
que toutes les loix divines, et ecclesiastiques il sçait fort bien qu' il est en nostre
ne sont rien que conclusions liberté de le faire, ou ne le faire
de celles que nous avons pas ; mais il sçait par l' infinité de sa
rapportees, et maintiens que Dieu science si nous le ferons, ou non ;
les a peu tres-justement instituer : de plus, il est prest de nous ayder à
car si nous regardons les loix qui quelque heure que ce soit, si bien
concernent son honneur : ô Dieu ! qu' il ne tiendra qu' à nous, si nous
Qu' elles sont justes, bonnes, et raisonnables, ne faisons ce qu' il veut ; il ne veut
puis que nous n' avons pourtant pas que nous observions
rien qui n' appartienne à ce souverain sa loy par contrainte, ou par necessité,
estre : c' est pourquoy nous ne mais volontairement, et si
nous pouvons plaindre, quelque librement, que s' il ne nous plaist,
loy qu' il nous impose. nous n' en ferons rien ; admirez cependant
Celles qui sont pour nous conduire avec moy la merveilleuse
envers nostre prochain, sortent puissance de Dieu, lequel a fait
de ce principe, fais aux autres, une creature si libre, et si indifferente.
ou ne fais pas ce que tu voudrois à qui attribuerez vous maintenant
raisonnablement la transgression de sa loy divine ?
qui te fissent, ou ne te fissent Sera-ce à l' homme, ou à Dieu ;
pas ; il faut donc que vous les approuviez, ce sera à l' homme asseurément,
car elles ne sont pas p514
moins convenables à nostre nature, puis qu' il ne tient qu' à luy qu' il
p512 n' observe la loy, et que Dieu la luy
que leur racine. Bref les loix avoit prescrite pour cét effect, et
que Dieu nous a donnees pour estoit prest de luy ayder en tout
nostre gouvernement particulier ce qui estoit necessaire : et Dieu cependant
sont grandement honnestes, bonnes, demeurera tres-juste, tres-bon,

120
et tres-puissant, sans pouvoir elle est toutefois aussi
estre accusé de transgression ; tres-juste, libre de se determiner, comme si
lors qu' il punira rigoureusement Dieu ne l' avoit pas sceu. ô merveilleux
cette transgression volontaire, accord de la prescience
de laquelle l' homme a esté divine avec nostre liberté ! Vrayement
la cause totale : tres-juste parce c' est icy où il faut confesser,
qu' en cette transgression il n' y a que la sagesse de Dieu surpasse nos
nulle apparence d' injustice en entendemens, et destruit la sagesse
Dieu, et neantmoins il y a une tres-grande humaine ; tres-sage encore, puis
injustice en l' homme, puis qu' il ne nous a pas donné cette liberté,
qu' il a denié l' honneur, qu' il devoit et n' a pas sceu le mal à quoy
rendre à Dieu par toute rigueur elle se determineroit, qu' il n' ait
de justice : tres-bon, puis sceu, et ordonné quant et quant
qu' il nous a donné la force de meriter que le bien qu' il tireroit de nos
le paradis, et de nous joindre mauvaises volontez.
à sa souveraine bonté par l' observance p517
p515 Or sus, monsieur, asseurez vous
de ses commandemens ; donc maintenant, que vostre poëte
tres-bon, puis qu' il est prest de est un imposteur, et que nos
nous pardonner toutes nos offenses actions, et les loix ne sont pas les
au moindre souspir, et à la effects de la precognoissance divine :
moindre larme que nous jetterons que la volonté de Dieu n' est
parce que nous luy avons point cause de nos pechez, mais
desobey ; tres-puissant, en ce que nous tous seuls : que sa prescience,
nous ne luy sçaurions rien oster, et sa volonté, aussi bien que ses
ny luy faire aucun tort en ses loix, et toutes ses oeuvres ne prejudicient
biens, ou en ses perfections, car tout en rien à nostre liberté ; et
ce qu' il a, est infiny, et exempt de que tout ce qu' enseigne la vraye
toutes sortes d' alterations : tres-puissant, religion, qu' il a tasché à rendre
en ce qu' il a tellement ridicule, et odieuse, est tres-sainct,
peu nous creer libres, et nous donner tres bon, et tres-agreable
de telles loix, et un tel secours, à l' autheur de la nature, de la grace,
que nous pouvons nous vanter et de la gloire.
par dessus toutes sortes de nations, Je ne sçache plus aucune difficulté
que nous avons la force de monter que vous puissiez avoir sur
au ciel, et d' acquerir à force ce sujet, si ce n' est que vous fussiez
d' armes, que Dieu nous a donnees, fasché de la façon que Dieu a fait
le royaume du ciel. le monde, et que vous desirassiez
Tres-sage, car il a tellement disposé p518
p516 qu' il l' eust fait autrement, par
nostre nature, que bien qu' elle exemple, qu' il n' eust point permis
soit libre de faire, ou ne faire pas les pechez : qu' il eust confirmé
tout ce qu' elle voudra, neantmoins tous les hommes en grace, afin
il sçait ce qui en sera devant que chacun eust esté sauvé, et qu' il
que le monde fust fait ; et eust empesché toutes sortes de
bien que Dieu sçache dés l' eternité maux, et d' afflictions : car s' il y a
à quoy nostre volonté se determinera, gens au monde qui treuvent à

121
redire, et à reprendre és oeuvres, et s' y arreste.
en la volonté de Dieu, ce sont les Quiconque aura bon esprit, il
deistes, qui voudroient avoir leur se resoudra bien tost luy-mesme
paradis en ce monde. sur telles pensees, car lors qu' il
Je m' estendrois icy, et responderois meditera pourquoy Dieu ne fait
fort au long à cette demande, pas une infinité de choses qu' il
et à ce desir, n' estoit que j' ay pourroit faire, il aura incontinent
traitté cette matiere fort amplement son recours à la volonté de Dieu,
en la question contre les avec le prophete royal, omnia quaecumque
athees, lors que j' ay respondu à voluit, fecit, et n' a point fait
leur 16, 17, 18, et 21, objection, là où tout ce qu' il n' a pas voulu ; c' est là
vous treuverez dequoy vous satisfaire ; le rendez vous d' un jugement
je diray seulement icy que bien fait, lequel adorera tousjours
c' est manque d' esprit, et de jugement p521
p519 avec une profonde humilité l' ordre,
de demander pourquoy et la façon, avec laquelle Dieu
Dieu a fait le monde avec l' ordre se comporte en toutes ses oeuvres.
que nous y observons à chaque Pleust à Dieu que ces curieux
moment, d' autant qu' il a une volonté se jettassent sur d' autres questions
infinie, laquelle est la regle qui leur seroient beaucoup plus
souveraine de tout ce qui est, et utiles, telles que sont les suivantes ;
de tout ce qui peut estre de bon, comment il est possible qu' ils offensent
et de beau. Dieu, et qu' ils menent
C' est pourquoy il faut croire une vie si scandaleuse, et si meschante
qu' il a eu raison d' eslire ce monde comme ils font, apres avoir
icy, tel qu' il est, entre une infinité receu tant de graces, et de si vives
de milions qu' il eust peu faire au inspirations de Dieu, par lesquelles
lieu de cestuy cy, bien que nous ne la bonté divine frappe à toute
sçachions pourquoy ; cette question heure à leur coeur, en les invitant
que proposent vos gens, va à quitter leur impieté : comment
bien plus loin, car ils demanderoient il est possible qu' ils laissent eschapper
encore apres que tous les tant d' advertissemens
hommes seroient confirmez en interieurs qui les portent à faire
grace, pourquoy il n' y auroit penitence ; car je deffie les plus
qu' un tel nombre d' hommes, et meschans d' entr' eux de me pouvoir
non plus : pourquoy il n' y auroit p522
qu' une terre, qu' un firmament, remarquer une sepmaine,
p520 voire un jour en toute leur vie, depuis
ou qu' un soleil : pourquoy Dieu ne qu' ils ont quitté la vraye religion,
nous auroit-il creez aussi parfaits dans lequel ils n' ayent ressenty
que les anges, et aussi incorruptibles quelque remords de conscience,
que les cieux, et mille autres ou quelque bon mouvement,
choses, que je laisse pour l' occupation par lequel ils ayent esté conviez
des cerveaux creux, qui perdent de quitter leurs foles opinions, et
le temps, et leur esprit à faire leurs débauches : comment est-il
quantité de questions badines, possible qu' ils prisent davantage
lesquelles ne meritent pas qu' on les voluptez du corps, que celles

122
de l' esprit, veu que celuy-là est fait vrayement il y a un enfer : et que le
pour cestuy-cy, et que les plaisirs lieu, ny la naissance ne nous donnent
sensuels nous ravallent jusques à pas la religion, avec plusieurs autres
nature des bestes, et nous font perdre choses.
ceux de l' entendement, et du Le Deiste
ciel. si Dieu se veut servir de loix pour nous
Ce sont là des graces prevenantes, guider
et suffisantes par lesquelles selon sa providence, pourquoy voulez vous
Dieu les rappelle à soy, et pour lesquelles nous assujetir à vostre religion ?
il leur faudra rendre conte p525
au grand jour du jugement ; ce qu' importe qu' il nous guide tous à un
p523 mesme
sont là les douces chaisnes, avec bien intelligible par divers chemins ?
lesquelles il les veut attirer à la repentance, Le Theologien
et les retirer de leur impieté ; il faut icy distinguer
bref ce sont les rayons de ce entre les loix du monde,
divin soleil, lequel esclaire, et eschauffe car lors qu' il y a
tous les hommes, tantost quelque loy dans un
d' une façon, tantost d' une autre ; royaume, dans un empire,
de sorte qu' il n' y a personne au republique, province, cité,
monde qui puisse dire, ou se plaindre famille, ou mesme dans l' entendement
que Dieu ne luy a pas fait la d' un particulier, laquelle est
grace de se recognoistre, et de contre la raison, l' equité, la justice,
quitter le peché, car les graces, et ou les bonnes meurs, ou contre
les inspirations divines sont en si l' honneur, et la volonté de Dieu,
grande abondance, que les plus ceste loy n' est pas celle, de laquelle
meschans en reçoivent mille fois Dieu veut que nous nous servions,
davantage qu' il n' est necessaire à car il la deffend expressément,
ce qu' ils abandonnent leurs impietez, et commande qu' on aille
et embrassent la vraye religion, prescher sa loy à toutes sortes de
hors de laquelle il n' y a ny nations par ces paroles, (...) ;
salut, ny veritable contentement. p526
Voyez s' il vous reste quelque difficulté et par plusieurs autres, que nous lisons dans
sur ce quatrain, autrement l' evangile ; c' est là la raison pourquoy
p524 le vray chrestien desire grandement
proposez ce qui suit dans le quarante- que tous les payens, les
quatriesme. turcs, les et autres infideles se
convertissent à Dieu, et qu' en
quittant leurs mauvaises coustumes,
CHAPITRE 19 et leurs erreurs, ils embrassent
dans lequel les quatrains du deiste sont la loy evangelique remplie
refutez, depuis le quarante quatriesme, de bonnes nouvelles, puis qu' elle
jusques au cinquante quatriesme ; promet une gloire eternelle au
et est monstré qu' il n' y a qu' un chemin lieu d' un enfer perpetuel, dans lequel
pour estre sauvé ; que Dieu peut seront tourmentez tous ceux
faire la mesme chose avec nous sans qui ne suivront pas ceste loy royalle
pouvoir estre accusé de peché ; que de nostre sauveur, et redempteur

123
Jesus-Christ. beauté, et le sommet de la perfection ;
De là vient que ceux qui travaillent à la ce que je pourrois monstrer
conversion des infidelles fort facilement, n' estoit que je crains
à perte d' haleine, et de leur vous ennuyer par de plus
sang, n' ostent point les loix de la p529
police, n' y ne deracinent aucune longues responses, et que le temps
p527 nous manque.
creance, lors que ces loix, et ceste Il faut donc bien retenir qu' il
creance ne sont point contre la n' y a point de divers chemins dans
raison, ou contre la lumiere de la ce monde sensible pour parvenir
foy, mais ils condescendent à tout au ciel, si ce n' est que vous l' entendiez
ce qu' ils peuvent pour gaigner les des divers ordres, qui embellissent
ames de ces infidelles à Dieu, et l' eglise de Dieu ; mais
pour les rendre bien-heureuses. tous les ordres des religieux catholiques,
Voyla donc la raison pourquoy qui ont esté, sont, et seront,
nous desirons, qu' on quitte les n' ont qu' une mesme foy, et
mauvaises loix, parce que Dieu un mesme dieu, bien qu' ils portent
pere commun des hommes, et divers habits, et ayent quelques
des anges, à voulu qu' il n' y eust particulieres façons, et ceremonies,
qu' un chemin, par lequel on peust desquelles ils usent en servant
se sauver, estant bien convenable, Dieu ; mais pour ce qui est du
et tres-raisonnable, que tous ceux, fond, ils cheminent par la mesme
qui tendent à un mesme bien intelligible, voye de l' evangile, par laquelle
y arrivent par une mesme vont tous les autres chrestiens.
voye, afin que nous recognoissions Certainement nous pouvons
d' autant plus combien Dieu dire que la loy de Dieu n' est pas de
tres-un se plaist en l' unité, et en la ce monde sensible , suivant ce mot,
simplicité. p530
C' est pourquoy il a tousjours (...), car comme
p528 elle ne suit pas le contentement
conduit son peuple bien aymé par des sens, mais celuy de l' esprit, elle
de mesmes loys fondamentales doit plustost estre appellee intellectuelle,
depuis le commencement du et divine, que sensible.
monde jusques à present, qui ont Que vostre rimeur se pourmene
esté ; qu' il ne falloit faire à personne, que donc tant qu' il voudra par les loix
ce que nous voudrions raisonnablement de son monde sensible , car pour nous
nous estre fait ; qu' il falloit porter une autres catholiques nous avons
grande reverence à Dieu, et à tout ce beaucoup plus de soing de suivre
qui luy appartient, qu' il falloit l' adorer, les rayons, et les attraits spirituels
et beaucoup d' autres choses, que du monde archetype, que les appas
je laisse pour maintenant : et bien sensuels de ce monde corporel.
que quelques loix ayent esté adjoustees Le Deiste
dans la loy escrite, et puis ce que nous appellons distinction, est dit
en l' evangelique, toutefois elles ne deception en bonne logique, parce que le
sont point repugnantes aux precedentes, mesme
elles les accomplissent plustost, effect qui est loüable en Dieu, peut estre
et leur donnent un esclat de inique

124
en nous. absoluë de faire ce qu' il luy plaist
car si les causes produisent des effects de toutes les creatures, que n' a pas
differents, p533
p531 le pere sur son enfant, ou le roy
il faut en fuyr l' identité, afin que l' injuste sur son suject ; il a le pouvoir de
consequence soit prevenuë. nous mettre tous à mort, et de destruire
par consequent les differents effects tout ce qui est au monde
condamnez sans estre suject à aucune reprehension ;
dans leur cause prochaine, servent au et neantmoins je croy
bien de l' univers selon la volonté de Dieu. qu' il n' y a atheiste, ny deiste qui
Le Theol il semble que vostre voulust advoüer qu' il fust permis
poëte ne butte à autre chose à quelqu' un de tuer tous ceux qu' il
par ces trois quatrains, qu' à nous voudroit, et qui ne jugeast digne
vouloir persuader que ce que de mort celuy, qui auroit entrepris
nous appellons mal, et peché, n' est de faire une quantité de
pas vice simplement parlant, mais meurtres ; si bien qu' il faut regarder
au plus, et au pis aller, seulement quel est celuy qui opere, avant
entant qu' il est mal en nous, et que juger de son action, afin que
non en Dieu ; comme lors qu' un s' il a droit de faire ce qu' il entreprend,
voleur tuë le marchand, il veut, ce on croye, que son action
me semble, dire que Dieu le tuë est bonne, ou du moins qu' elle est
aussi, sans neantmoins encourir permise ; ou mauvaise, et illicite, s' il
aucun peché. n' a droit, et pouvoir de faire ce
Or en ce sens il est vray que dont il est question.
Dieu peut vouloir, et faire plusieurs Voyla donc comme un mesme
choses, sans aucun peché, ce p534
p532 effect peut estre bon estant produit
que nous ne sçaurions n' y faire, par la vertu divine, lequel seroit
n' y vouloir sans l' offenser ; le mesme mauvais executé par un homme,
arrive souvent parmy nous, d' autant que Dieu a le souverain
car un pere, ou un maistre peut domaine sur toutes choses, de
donner dix, ou vingt escus de son sorte qu' il ne peut abuser d' aucune,
bien, et peut justement punir son quand mesme il reduiroit tout
enfant, et son serviteur, sans aucun à neant ; or puis qu' il à ce pouvoir
peché, voire avec merite ; ou le fils, souverain sur tout ce qui est, qui
et le serviteur ne peuvent donner vit, et qui respire, il peut nous obliger
un denier de ce bien, ou frapper à tout ce qu' il voudra sous
aucun sans offenser Dieu : la raison quelque peine qu' il lui plaira, sans
de cecy est bien claire, car le pere, que nous puissions treuver suject,
et le maistre ont puissance de distribuer ou couleur d' aucune juste plainte,
leur bien, et en faire ce ou d' aucun murmure.
qu' il leur plaist, et de chastier leurs Pour le quatrain 47 il ne dit presque
enfans, et leurs sujects, lesquels que la mesme chanson, non
n' ont point ce pouvoir les uns sur plus que le 48 ; car on fuit l' indentité
les autres, si ce n' est que le pere, ou de l' effet quant à ce qui est de la
le maistre le leur donne. moralité, et de la bonté, ou malice,
Dieu a bien une puissance plus du merite, ou, du demerite, lors

125
que c' est Dieu qui opere comme maistre p537
p535 des bien-heureux des plus grands
de toute la nature ; et par ainsi maux que la malice de l' homme
nous evitons la mauvaise consequence, puisse inventer, concevoir, et produire.
que feroit celuy qui diroit Le D monsieur, vous m' avez
que Dieu feroit mal en faisant ce fort satisfait sur ces derniers quatrains,
qu' il nous defend, comme quand car il est veritable, que le
il feroit mourir qu' lqu' un, ce qui maistre, et par consequent que Dieu
ne nous est pas permis, si ce n' est peut faire beaucoup de choses justement,
que Dieu nous le commandast. que le serviteur ne sçauroit
Or si vostre poëte se formalise faire, ou vouloir qu' avec injustice,
de ce que Dieu peut faire, et vouloir neantmoins je vous diray la
tres-justement, ce qu' il nous consequence que ce poëte tiroit
defend, et ce qu' il ne veut pas que de ces quatrains, lequel m' a
nous fassions ; je veux qu' il m' advouë merveilleusement
que son serviteur (s' il en a) abusé, afin que
peut prendre l' argent de son beaucoup d' autres se rendent sages
cabinet, et en aller joüer, ou faire à mon exemple.
bonne chere tant qu' il luy plaira ; Le Deiste
je veux qu' il concede que son serviteur de toutes ces raisons il conclud qu' il n' y a
luy peut bailler un bon point d' enfer, ny aucun chastiment apres
soufflet, ou une couple de bastonnades, ceste
lors qu' il fera quelque chose, vie, et que tout cela n' est que fantasie, et
qui deplaira audit serviteur : foiblesse d' esprit.
p536 p538
bref si le serviteur se rend maistre Le Theol voila justement ou
de la maison, et qu' il mette son ce malheureux desiroit vous faire
maistre en estat de serviteur, le tomber, car c' est là que buttent
maistre devenu serviteur ne doit tous les quatrains que vous avez
pas se plaindre, si le valet ne fait apportez, et particulierement ceux
point mal d' asservir son maistre ; s' il qui suivent depuis le 28 jusques à
treuve ceste proposition ridicule, et ce 49, ou le maudit imposteur, et
temeraire, comme elle est, qu' il cajolleur vomit son impieté. Or
croye que celle à laquelle il semble je ne veux point d' autre arbitre
viser, l' est infiniment davantage, que vous mesme pour juger si ce
puis que Dieu est infiniment quatrain a quelque raison ; et si les
plus grand maistre sur tout le monde, principes desquels il le tire, ont
que n' est aucun roy, prince, ou quelque verité, je m' asseure que
empereur sur ses esclaves, et ses vous confesserez ingenüment que
serviteurs. ce ne sont que surprises, déguisemens,
Delà s' ensuit que le 48 quatrain et menteries, par lesquels les
ne conclud rien que ce que tous libertins taschent détouffer la
les chrestiens advoüent, et enseignent, crainte de Dieu, et de ses jugemens,
sçavoir est que la providence et bannir la pieté de l' esprit
de Dieu est si admirable, qu' elle des chrestiens.
sçait tirer du bien pour l' ornement Certainement si la peur de l' enfer,
de l' univers, et pour la gloire et les peines que les damnez, et

126
p539 juste, Dieu qui est le juge des juges,
les diables endurent, n' estoient et qui penetre jusques au plus
qu' une phantasie, et foiblesse d' esprit, secret de nos pensees, laissera-il regner
il faudroit conclure que Dieu les meschans, qui font, et
ne seroit qu' une resverie, et une illusion ; roullent tant d' iniquitez dans leur
non que Dieu ne fust, esprit, sans leur donner aucun chastiment ?
bien qu' il n' y eust point d' enfer, Et quoy, pesle-meslera-il les
car il ne dépend d' aucun estre, bons avec les mauvais, et la pieté
mais parce qu' il faudroit advoüer avec la perfidie ? Sera-ce donc ainsi
qu' il seroit menteur, puis que c' est que les bons seront foulez, ruinez
luy qui nous a revelé ces peines de biens, et d' honneur, meurtris,
eternelles, comme il se voit souvent tuez, et assassinez sans aucun répit,
dans l' escriture saincte. et sans esperance de voir un jour leur
Pour moy je croy que cet homme innocence declaree, leur bonté, et
a esté calviniste, et que pour leur cause justifiee, et leur esperance
faire le bon valet, ne se contentant comblee de recompense, et de
pas de nier le purgatoire, il veut s' esjouyr avec leur juste juge nostre
encore franchir l' enfer, à ce Dieu, nostre sauveur, et redempteur
qu' il puisse commettre toutes sortes Jesus-Christ, en la découverte
d' impietez sans nulle peur, et de toutes les impietez
sans remords de conscience, car les plus couvertes, et cachees des
c' est là le desir de tous les libertins. p542
Je vous proteste que je ne traistres, et perfides, des flateurs,
p540 menteurs, parjures, impudiques, et
sçay comment ils sont si effrontez autres meschans, qui se sont moquez
que de confesser qu' il y a un dieu, de Dieu, et de la religion ?
veu qu' ils luy ostent la providence, Vive Dieu il ne sera pas ainsi
et le soing qu' il a que le mal soit que le malheureux deiste se l' est
puny, et le bien recompensé ; et imaginé, car au grand jour du jugement
croy qu' ils ne parlent de Dieu que les justes, et les gens de
du bout des levres, le niant ce pendant bien se leveront contre les meschans,
en leur esprit ; pires en cela de qui ils reçoivent tant
que les diables, lesquels sçachans d' afflictions, et de desplaisirs en ce
qu' il y a un vray Dieu, le craignent, monde ; et pour lors ces perfides
et le redoutent, et malgré qu' ils en verront la verité de ce que nous
ayent, confessent cela haut, et clair, croyons maintenant, et que nous
comme vous pouvez voir dans lisons dans la parole de Dieu. (...).
l' escriture saincte. p543
Or sus, monsieur, quittez donc Voyla les paroles des meschans,
cet erreur, et croyez asseurément qui pensoient avec vostre
que c' est une foiblesse d' esprit, et poëte, que ce fussent fables que la
une imagination tres-fausse de gloire des bien-heureux, et le supplice
croire que les meschans ne seront des damnez. Pleust à Dieu
pas suppliciés, et tourmentez apres que ce passage fust leu des libertins
cette vie ; car si un juge ne laisse avec attention, lequel ils
point les forfaits impunis, s' il est trouveront plus au long au 5 chapitre
p541 de la sapience, je croy que

127
leurs frenetiques opinions seroient quasi autre chose que ce que
bien eschauffees, si ceste nous avons dit, et neantmoins il
pensee, et ce chapitre ne les refroidissoit. reste encore 58 quatrains.
Il faut donc croire tres-asseurement Le Theol je vous asseure
que Dieu ne laissera jamais que je suis si ennuyé de respondre
aucune meschanceté impunie soit p546
icy, soit apres la mort, c' est pourquoy aux resveries de ce poëte, qu' il me
vous voyez que les grands deplaist de poursuivre davantage,
p544 et puis je voy qu' il est temps que
saincts, et les plus sçavans, qui furent nous pensions à nostre giste, car si
jamais dans l' eglise catholique, nous attendons plus long-temps,
demandent à Dieu qu' il les chastie je crains les voleurs, qui ont coustume
en ce monde, afin d' eviter les de courir vers ces lieux icy ;
effroyables supplices de l' enfer ; neantmoins si vous pensez qu' il y
c' est ainsi que Sainct Augustin le ait quelque chose en ce qui suit,
disoit avec ardeur, (...) : car ne plus ne qui vous fasse de la peine, j' auray
moins qu' il y a plus de plaisir mille la patience de vous escouter, de
fois en paradis, qu' il n' y a és plus vous respondre, et de fortifier vostre
grands plaisirs de ce monde (...), esprit contre les sottises de ce
aussi y a-il des peines pour les baveur.
damnez plus grandes mille fois, Le D veritablement je serois
que tous les tourmens que nous tres aise qu' il vous pleust renverser
voyons icy bas. ce qui suit, car bien que je ne sois
Le D monsieur, je ne sçaurois que trop satisfait de ce que vous
vous exprimer la joye, que j' ay d' avoir m' avez dit jusques à present, cela
esté si bien esclarcy de vous me serviroit pour tascher à reduire
sur toutes ces impietez, mais le regret quelques uns de mes camarades à
que j' ay d' avoir trempé en ceste la religion catholique.
impieté, depuis que ce traistre p547
p545 Le Theol poursuivez donc,
me bailla ce poëme, et me cajola et je responderay à ce que vous me
par diverses rencontres, n' est pas proposerez, car bien que vous ne
moins grand ; je voudrois qu' il sembliez plus douter d' aucune
m' eust cousté la moitié de mon chose, neantmoins cela servira
sang, et que jamais je ne l' eusse pour vous confirmer de plus en
veu. Je vous proteste que si jamais plus dans la creance de l' eglise catholique,
je retourne à Paris, je feray tout ce et vous fera voir que
qu' il me sera possible pour le faire nous ne craignons rien les poinctes
prendre, et le faire mourir, s' il de l' impieté de vostre poëte,
ne veut quitter son erreur, ce bien qu' il les croye fort acerees.
que je crains qu' il ne fasse, car il est Le Deiste
merveilleusement testu, et opiniastre, le bigot suit la religion qu' il a succee à la
et croit sçavoir beaucoup sous mammelle.
pretexte qu' il sçait un peu rimailler, et le vulgaire ignorant croit que ce que ses
et discourir. Je ne sçay si je dois devanciers luy ont dit, avoir esté receu de
poursuivre davantage, car le reste Dieu.
est encore fort long, et ne contient Le Theol à ce que je voy vostre

128
poëte prend le bigot pour toutes qu' ils ont d' excellents esprits, lors
sortes de personnes, qui suivent p550
p548 qu' ils renient leur religion, et appellent
(lors qu' ils sont grands) la religion toute sorte de pieté, et de vertu,
que leur pere, leur mere, et imagination, foiblesse d' esprit,
leur nourrice, leurs ont fait succer et folie, et neantmoins c' est lors
avec le laict : en cette façon il le qu' ils sont le plus abbrutis, se ravallans
faudra dire bigot , s' il a rencontré avec les bestes, qui n' ont
une si malheureuse mere, qui luy aucun sentiment de pieté, ny de
ait appris ce deisme dés la mammelle : religion.
mais afin d' eviter toutes sortes Il faut donc recognoistre la grace
d' illusions sur ce mot, je confesse que Dieu nous donne, quand il
que nous sucçons la religion nous fait naistre dans un pays chrestien,
dés nos premieres annees, voire et de parens catholiques ;
mesme nous l' avons emprainte ce que nous pouvons appeller un
avant la mammelle, lors que nous commencement, ou plustost un
sommes baptisez, et consacrez au des premiers effects de la predestination,
nom du pere, du fils, et du sainct car nous pouvons vrayement
esprit ; mais c' est parler avec une dire que non fecit taliter omni
impieté intolerable que d' appeller nationi , comme il paroist és infidelles.
cela bigotisme . Pour les heritiques, je pense
Or bien qu' il soit vray que nous que plusieurs d' entr' eux reçoivent
soyons chrestiens par le baptesme le baptesme dés leur jeunesse, mais
avant que de le sçavoir, ou de au lieu de cooperer avec la grace
consentir à nostre salut, et à la vraye p551
p549 baptismale, quand ils sont grands,
religion, nous ne naissons pourtant ils quittent le grand chemin de
pas chrestiens, mais enfans sans aucune l' eglise catholique, et embrassent
teinture de religion soit virtuelle, diverses chimeres selon qu' ils
soit habituelle, destituez de sont instruicts par divers huguenots ;
toutes sortes de graces gratifiantes, car si c' est un lutherien, il apprendra
estant un grand benefice, et une le lutheranisme à ses enfans,
signalee faveur de Dieu, quand et à ses disciples ; si c' est un anabaptiste,
nous recevons ce grand sacrement, ou un calviniste ; chacun
lequel est comme la clef, et la luy fera entrer l' impieté dans
porte de tous les autres, et qui l' ame, et en bannira la foy receuë
nous lave, et nettoye l' ame de toutes par le baptesme. Je ne suis pas icy
sortes de pechez. C' est pourquoy maintenant pour resoudre comment
nous devons rendre graces ces jeunes heretiques sont
à Dieu tous les jours de nostre vie, excusables, et comment, ou quand
de ce qu' il nous a delivrez de la ils sont inexcusables devant Dieu,
masse de perdition, dans laquelle car vous ne m' interrogez pas de
nous estions enfermez par le peché cela, c' est assez que nous ayons decouvert
originel, et detester l' ingratitude, l' effrontee ingratitude
et l' impudence de vostre du 50 quatrain de vostre poëte.
poëte, et de tous ces semblables, Le 51 est encore plus impie, car
lesquels veulent qu' on croye il essaye de persuader que nos devanciers

129
p552 treuver à redire, et par de si grands
nous ont fait à croire que prodiges, et miracles, qu' il est impossible
ce qu' ils racontoient de la religion, qu' ils ayent esté faits, que
et de Dieu estoit vray, bien par la premiere cause de l' univers,
que le tout ne fust qu' une pure invention laquelle a tousjours tesmoigné
de leur imagination pour tant en la loy de nature, et la loy
passer le temps, et pour amuser les escrite, qu' en celle de la grace, que
petits enfans : asseurément voyla la la vraye religion luy estoit fort agreable.
conception du rimailleur ; il est Jamais il ne fut, et jamais ne sera,
fort facile de parler comme un que Dieu n' approuve la vertu, et
perroquet, mais de prouver son qu' il ne luy favorise ; non plus qu' il
impieté, il est impossible. ne se peut faire, qu' il favorise le
Or afin de sçavoir ce qu' il faut peché. Or pour achever ce quatrain,
croire, remarquez avec moy qu' il je dy que si quelques-uns avoient
se peut faire que quelque vieille, esté abusez en la creance
ou quelque autre personne se mesle dés leur jeunesse (comme il arrive à
de faire plusieurs contes aussi tous les infideles, et aux heretiques)
bien de la religion que d' autres s' ils vivoient selon la lumiere,
choses, tels qu' on en voit dans l' alcoran, que Dieu a imprimee dans leur
et chez quelques rabins : esprit, et qu' ils suivissent les bons
en ceste façon on pourroit bien mouvemens, qu' il leur envoye,
faire à croire à de petits enfans, voire p555
mesme à de grands, que Dieu sans doute Dieu leur feroit faire
p553 rencontre de quelques uns, qui
auroit fait, ou revelé quelque chose, les desabuseroient, et leur enseigneroient
laquelle neantmoins seroit la vraye, la pure, et la
fausse ; il n' y a que trop de fols, et sincere doctrine de l' eglise catholique,
d' hypopondriaques dans le monde qui n' est qu' une, en quelque
pour s' en imaginer des plus part qu' elle soit estenduë ; et
belles, lesquels croyent estre roys, par ainsi les erreurs, qu' ils auroient
papes, et dieux ; mais ce n' est pas succez en leur bas aage, ne
de ces fourbes, ny de ces contes nuiroient pas à leur salut.
que vostre poëte veut parler, c' est Je ne doute point que Dieu
de la vraye creance approuvee, et n' envoye plusieurs lumieres, et divers
receuë non seulement des enfans et mouvemens à tous les heretiques,
de la populace, non seulement des lors qu' ils sont en aage de
idiots, et des foibles d' esprit, mais recognoistre le vray d' avec le
des plus vieux, des plus riches, des faux, et ce plus souvent, et plus vivement
plus doctes, et des plus judicieux, que non pas à ceux qui ne
qui furent jamais au monde, lesquels sont point baptisez, la grace du
ont receu la religion chrestienne baptesme requerant un particulier
non pas à la legere, non pas induits secours de Dieu pour operer ;
par presens, et par faveurs, non je desirerois fort que tous les heretiques
plus que par force, ou par illusion, parvenus à l' usage de raison
mais poussez à cela par de vives p556
raisons, ausquelles on ne sçauroit s' esprouvassent eux-mesmes,
p554 et fissent reflexion sur ce temps,

130
afin de voir si Dieu ne les auroit jusques à la fin, et tout incontinent
point touchez, et fait douter, si que ce sera fait, nous prendrons
nostre creance n' estoit point meilleure giste, car je voy desja la fumee de
que la leur ; si leurs parens, ou nostre hostelerie ; voicy donc ce
leurs precepteurs, et ministres ne qui suit en vers,
les auroient point trompez ou par Le Deiste
malice, et ce pour le bien de la cause, utile invention pour brider les esprits
comme ils parlent, ou par ignorance. des hommes insolens qui pervers de nature
Je me tromperois fort, si ces mettent les magistrats, et leurs loix à mespris
atteintes, ou semblables pensees pour vivre à l' abandon sans regle, ny
ne leur avoient frappé l' esprit, et mesure.
qu' ayans fait la sourde oreille, et à quoy semblent aussi viser finalement
suffoqué ceste bonne semence en les merveilleux effects qu' on voit au monde
qualité de grace prevenante, cela naistre
n' avoit esté cause que Dieu les auroit dont les pipeniais ombragent finement
abandonnez à leurs imaginations, leurs contes fabuleux pour les simples
jusques à devenir deistes, et repaistre.
athees, comme vostre poëte fait Le Theol pour moy je croy
assez paroistre. p559
Or nous sommes si certains que que vostre poëte a ramassé toutes
p557 les impietez de Lucian, de Machiavel,
nos devanciers ne nous ont pas et de tous les libertins, et
trompez, ny fait croire à fausses enseignes atheistes qui furent jamais, et
que Dieu avoit revelé ce qu' il a souvent fueilleté le maudit
qui est contenu dans la saincte bible, libelle, dans lequel je ne sçay quels
et que la doctrine de l' eglise esprits endiablez se sont efforcez
est tres-veritable, que nous pouvons de persuader que ce n' estoit qu' imposture
hardiment chanter avec le que la loy divine ; il semble
prophete royal. (...), et dire des apostres, que ce soit le dernier stratageme
desquels nous suyvons la de sathan, qui tasche de nous arracher
doctrine, (...), car tant de merveilles la religion de l' esprit, voyant
ce sont faites en tesmoignage de qu' il ne peut venir à bout de se faire
ceste verité, que quand je les considere recognoistre pour Dieu ; je croy
serieusement, il me semble que l' antechrist se servira de quelque
qu' il est impossible d' en douter. pareille fourbe pour s' insinuer ;
Le D monsieur, je vous proteste car puis qu' il voudra se faire
que vous me ravissez, et me recognoistre pour Dieu, ou pour
tirez les larmes de joye, de voir le vray messie, il faudra par consequent
que la religion catholique, que qu' il fasse perdre la vraye
j' avois euë en horreur, et que j' embrasse religion à ses sectaires ; ce qu' il ne
maintenant de tout mon pourra faire plus puissamment,
p558 p560
coeur, est si vraye, si claire, si saincte, qu' en accusant nostre sauveur
et si admirable : neantmoins d' imposture, c' est pourquoy il faut
j' acheveray d' apporter les quatrains, bien prendre garde aux impietez,
qui suivent, puis que vous que nos libertins veulent faire
vous estes engagé de respondre courir, et qui semblent estre les

131
precurseurs de l' antechrist, lequel cette intention, de se dépestrer
adjoustera des signes, et des prodiges de toutes sortes de loix, de crainte,
si grands pour enyvrer les et de respect, afin de se veautrer
hommes de son erreur, que si Dieu dans toutes sortes de voluptez tant
tout puissant n' y mettoit la main, soient-elles vilaines, et de faire
et que permettant à cet inique tout ce qu' il leur plaist impunément,
d' establir si puissamment son impieté, et sans scrupule, ou remords
il ne secouroit les fideles d' une de conscience.
particuliere assistance, à peine J' estime neantmoins que s' ils
se pourroit-il treuver aucun qu' il considerent les miracles, qui se
n' abusast. font encor tous les jours en tesmoignage
Or que la religion chrestienne de nostre religion és
ne soit pas une invention pour divers lieux de devotion, qui sont
brider les insolens (bien qu' elle en France, en Espagne, et en Italie,
serve grandement à cela, à raison et ce sans aucun fard, ou deception,
de sa pureté, et de sa saincteté) il est (puis qu' on en voit le fidelle
evident, en ce que les princes, les p563
p561 rapport fait par les medecins, et
roys, les empereurs, et les legislateurs par une armee de tesmoins oculaires)
la croyent aussi bien emanee qu' ils reviendront à leur
de la parole de Dieu, comme bon sens, et confesseront qu' il est
le simple peuple : et puis il y a impossible que cette religion,
beaucoup de choses dans la vraye pour la verité de laquelle se font
religion, que les hommes ne sçauroient tant de miracles, soit fausse, controuvee,
avoir inventé, et qu' il a faillu ou inventee par les hommes.
recevoir de Dieu, ce que vous Si je voulois rapporter tous les
recognoistrez facilement par la vrays miracles que Dieu a fait en
lecture des saincts livres, et de l' histoire faveur de la religion, il me faudroit
ecclesiastique. du moins autant de volumes,
Mais sur tout je voudrois que comme il y a de siecles, depuis
ce poëte, et tous ses complices me qu' elle est ; je voudrois que vous
monstrassent comment c' est que vous fussiez treuvé à celui qu' on m' a
les legislateurs ont peu tous depuis peu rescrit estre arrivé à la
les grands miracles que nous lisons descente des reliques de Saincte
dans la saincte escriture pour Fare à Farmoutier, je m' asseure
confirmation de la religion ; s' ils que jamais vous ne croiriez rien
nous monstroient que quelques plus fermement, que la verité des
autres magistrats, et legislateurs miracles, et par consequent que
eussent fait, ou fissent de semblables p564
miracles en nos temps pour la vraye religion, dans laquelle ils
p562 se font, en voicy l' abbregé. Y
confirmation des loix, et des ordonnances ayant desja long temps qu' une
qu' ils establissent tous des religieuses avoit perdu la
les jours, je les escouterois ; mais ils veüe, jusques à là, qu' on luy avoit
parlent comme yvrongnes sans bruslé la prunelle avec eaux fortes,
sçavoir comment, ny pourquoy, et caustiques, pour la faire mourir,
ayans seulement ce dessein, et de peur qu' elle ne gastast les parties

132
voisines, estant prosternee dans d' imposer la moindre chose à qui
l' eglise, et priant instamment ladite que ce soit, bien que par là nous
saincte, à l' attouchement de son pensassions sauver tout le monde.
reliquaire elle recouvra la veüe, La foy est genereuse, elle ne
et les yeux, et commença soudain veut pas estre plantee, ny prendre
à s' escrier qu' elle voyoit, ce qui fut vigueur par les ruses, et par les
tellement admiré de tous ceux subtilitez, elle veut un esprit
qui l' avoient cogneüe, qu' un chacun ferme, vigoureux, genereux,
s' achemina pour voir cette et resolu, qui ne se laisse point piper
merveille, car elle voit maintenant à personne, et qui croye simplement
tres clair. ce qu' il croit, non à cause
Les medecins mesmes qui de quelque homme, ou de quelque
l' avoient veüe aveugle dans Farmoutier, p567
ou qui luy avoient raison, mais à cause de l' authorité
p565 divine de celuy qui a fait le
bruslé l' oeil, se sont transportez ciel, et la terre : asseurez vous que
sur le lieu pour estre tesmoins ceux là se trompent fort, qui pensent
irrefragables de ce miracle, lesquels qu' il faille avoir un esprit raffiné,
démentiront cet impudent masle, et subtil pour ne croire
deiste, qui nous voudroit bien faire point de religion, si ce n' est qu' ils
passer pour une chose certaine estiment que les pecores ayent de
que nous ne voyons pas ce que fort beaux esprits, aussi subtils que
nous voyons, et que nous ignorons la pointe d' une esguille ; je serois
ce que nous sçavons tres-bien ; d' avis qu' on servist telles gens de
et ce souz l' ombre d' un quatrain, mesme viande que les pourceaux,
dans lequel ce luy est assez et les autres bestes, puis qu' ils s' accordent
pour toute raison d' appeller non si bien en religion, et en
seulement les chrestiens, mais les creance avec eux, car ils n' en ont
apostres, et Jesus-Christ mesme, les uns n' y les autres.
des pipeniais ; blaspheme prodigieux Il faut donc croire que les miracles
qui ne se peut expier que qui ont servy de motifs
par le feu, encore faudroit il qu' il pour embrasser la religion catholique,
fust eternel. ont esté tres-veritables, et
Or les vrays catholiques sont que ceux qui se sont convertis à
si esloignez de feindre des miracles, leur occasion, pour doctes, et subtils
ou d' eluder par quelques finesses p568
la creance d' aucun, tant rustaut, qu' ils ayent esté, n' ont peu y
p566 recognoistre aucun defaut ; certainement
et simple soit-il, qu' ils aymeroient la continuation des miracles
mieux mourir que de persuader qui se retreuve dans l' estenduë
la foy divine sous pretexte du christianisme, est si asseuree,
de quelque subtilité, la proposant et si merveilleuse, qu' il faudroit
comme vray miracle : pour estre privé du sens commun
mon particulier je proteste au pour se desvoyer de ce grand chemin
nom de tous les vrays fidelles, que de la foy, qui a esté plantee
nous endurerions plustost mille par tant de miracles, par la saincteté
tourmens, et mille roües, que de vie, et par le sang de tant, et

133
tant de martyrs. Les apostres ont-ils cheminé de biais ?
Mais je vous prie, pensons à nostre Ayans suivy de prés les pistes de leur
logis, et à soupper, et demain maistre.
vous proposerez le reste de vos Sont-ce ceux-là lesquels ont usé finement
quatrains, si bon vous semble, ausquels des effects merveilleux qu' on voit au monde
j' acheveray de respondre, naistre ?
avec l' ayde de Dieu. Si vous desirez Voulans (comme tu dis calomnieusement)
voir à vostre loisir quantité de de contes fabuleux les plus simples repaistre.
raisons pour lesquelles les miracles, Helas si Jesus-Christ eust cherché ses
qui ont aydé à establir la plaisirs
vraye religion des chrestiens, s' il se fust efforcé de regner sur la terre,
p569 et si pour obtenir la fin de ses desirs
n' ont peu estre faits par la nature, il eust aux empereurs, et aux roys fait la
ou par l' industrie des hommes, il guerre :
vous sera facile, car j' ay traité cela s' il n' eust finy sa vie en un infame bois
fort amplement dans quarante et comme premier témoin des choses revelees,
six chapitres, par lesquels j' ay renversé on eust peu soupçonner qu' il faisoit du
la vingt-cinquiesme (...) matois,
des athees, laquelle ils pensoient et que ses actions estoient dissimulees.
estre la plus forte. Si les apostres, ss. Et les martyrs fervens
Or avant que d' entrer dans apres divers travaux, apres diverses peines,
l' hostelerie, je veux vous donner de leur maistre Jesus les desseins
des quatrains contraires aux deux poursuivans
que vous avez rapportez, afin que n' eussent versé leur sang contenu dans leurs
l' impieté ne puisse avoir le dessus veines.
non plus en rimes qu' en prose. p571
Si nostre foy n' estoit rien qu' une invention On eust dit qu' ils preschoient pour leur
utile aux magistrats pour retenir en bride propre
ceux qui mépriseroient leur jurisdiction interest,
ils ne l' auroient choisie eux-mesmes pour pour l' amour seulement des choses
leur guide. temporelles ;
Verroit-on comme on fait les princes, et les mais leur vie, et leur mort monstre que cela
rois n' est,
obliger à la foy leurs sceptres, et couronnes et qu' ils ne travailloient que pour les
ou soûmettre à l' eglise, et à ses sainctes loix eternelles.
avec si grand respect leurs royales personnes Ils vivoient pauvrement avec simplicité,
? méprisoient les honneurs de ce monde
p570 sensible,
Le pape le vray chef de tous les vrais confessans Jesus-Christ, et sa divinité,
chrestiens sans craindre la rigueur du tourment plus
regle ses actions par la mesme creance, horrible.
il y vit, il y meurt aussi bien que les siens ; Ces gens eussent-ils peu par des miracles
la mort ne luy fait point changer de faux
conscience. piper le simple peuple, et des fables luy dire
Qui sont ceux que tu prens pour des ?
pipeniais ? Puis souffrir en mourant mille penibles maux
Jesus-Christ pouvoit-il à ton advis tel estre ?

134
qu' ils pouvoient eviter n' ayans qu' à se que le poëte traistre à
dédire. Dieu, et à la religion, avoit faite
En voudrois-tu souffrir, pour ton deisme, dans le 30 quatrain, car la premiere
autant ? estoit, que toutes nos actions
Pourrois-tu l' ombrager d' une seule p574
merveille ? suivent la cognoissance de Dieu :
Non ; pourquoy vas-tu donc ces contes maintenant il poursuit supposant
objectant, ceste seconde, sçavoir est que tout
puis que tu ne sçaurois faire chose pareille. ce qui se fait, suit l' ordonnance, ou
le vouloir absolu de Dieu. J' ay desja
assez respondu à ce dilemme, car
CHAPITRE 20 ne plus ne moins que les actions
p572 de Dieu ne suivent pas sa science
auquel est monstré que nos actions ne en qualité d' effect, de mesme nos
suivent pas l' absolu vouloir de Dieu ; actions ne la suivent pas en ceste
que Dieu ne reçoit pas de l' offense de qualité ; veu que si par hypothese
ce qu' il veut : que son essence n' est impossible (qu' on fait souvent
point enrichie de nostre misere : que pour entendre plus formellement,
nous ne croyons pas que Dieu soit agité et plus radicalement ce que
de vengeance ; et dans lequel les l' on propose, et ce qu' on veut conclurre)
quatrains du deiste sont refutez depuis Dieu n' avoit pas la cognoissance de
le cinquante-quatriesme jusques nos actions, pourveu
au soixante-quatriesme. qu' au reste il se comportast
Le Deiste comme auparavant, elles ne laisseroient
allons, monsieur, il pas de se faire comme
est temps de partir ; maintenant, c' est pourquoy tout
sus voicy le cinquante le discours, que ce poëte a tissu jusques
quatriesme quatrain, p575
je vous prie de m' esclarcir sur les à present, estant assis sur une
p573 supposition, laquelle est fausse, il
points, qui y seront deduits, afin est necessaire que tout le discours
que je m' affermisse tousjours de s' en aille par terre, et soit de mesme
plus en plus dans la vraye religion ; qualité que son fondement.
voicy donc ce qui suit. Voyons maintenant la seconde
Le Deiste partie, sur laquelle il fait rouller le
secondement, si les evenemens suivent la reste de ses quatrains remplis
volonté de Dieu, il faut donc qu' on nous d' impieté ; il veut donc nous rejetter
monstre sur l' absolu vouloir de Dieu,
qu' il peut recevoir de l' offense de ce qu' il afin qu' il tasche de persuader que
veut. toutes nos actions dependent de
car se seroit le faire hypocrite et contraire ce vouloir absolu en qualité d' effect
à sa volonté, si on disoit qu' il determine en necessaire, ce qui est tres-faux,
secret, ce qu' il deffend par ses loix. car bien que Dieu vueille, par exemple,
Le Theol or sus parlons au que nous observions ses
nom de Dieu, pour sa gloire, et pour commandemens, que nous croyons
son honneur : il me souvient que en luy, et que nous aymions nostre
ce 54 quatrain prend une des propositions, prochain comme nous mesmes,

135
neantmoins ce n' est pas un hayt toute sorte de mal. C' est donc
effect, qui parte necessairement p578
de sa volonté, non plus que de la fort mal raisonné d' inferer au quatrain
p576 suivant, que nous disions que
nostre, à laquelle il donne une Dieu determine en secret, et veut
pleine liberté de faire, et de vouloir, le contraire de ce qu' il nous commande ;
ou de laisser, et de ne vouloir car comme il ne nous peut
ce qu' il nous commande, sans toutefois commander que le bien, et le bon,
qu' il soit en suspend de ce aussi ne peut-il se faire, qu' il vueille,
que nous ferons, car il cognoist et ayme le mal, qu' il nous deffend.
tres-parfaictement toutes les determinations Je pense que ce poëte a estudié
futures, et possibles à l' escole de Calvin, et de ses sectateurs,
de nos volontez aussi clairement et qu' il butte contr' eux en
comme il se cognoist soy-mesme. ce quatrain, car ils ont inventé cette
Nous ne disons donc pas que distinction de vouloir arcane , ou
tout evenement suive l' absolu secret de Dieu, pour faire à croire
vouloir de Dieu, mais seulement aux ignorans, que Dieu veut aussi
le vouloir qu' il accommode au bien les pechez, que nous faisons,
nostre, lors qu' il est question de comme les bonnes oeuvres ; d' où
nos actions libres ; car pour les autres ils tirent meschamment cette impie
effects, qui dependent seulement consequence, que Dieu predestine
de Dieu, comme le mouvement aussi bien les damnez à estre
de la mer, et des cieux, il suit damnez, que les saincts à estre
l' absolu vouloir de Dieu ; mais nos p579
actions de liberté vont plustost bien-heureux. Mais quittons ces
p577 perfides heretiques, qui ont esté,
avec, qu' elles ne suivent apres : car et sont encore tous les jours cause
Dieu ne commence pas plustost de ce que nous voyons tant d' athees,
que l' homme, à faire une action de et de deistes, je dy que cette
liberté humaine ; non plus que consequence d' accuser Dieu d' hypocrisie,
l' homme ne commence pas plustost et d' antinomie en sa volonté,
que Dieu, mais tous deux ils ne peut estre faite contre les
commencent ensemble, l' un determinant catholiques, lesquels tous seuls
l' action quand à l' espece, gardent la vraye religion, et accomplissent
et l' autre quand à l' individu. la volonté de Dieu, et
D' où il s' ensuit que Dieu ne reçoit qui preschent par tout le monde
pas de l' offense de ce qu' il que Dieu n' a point de volonté secrette,
veut, au contraire il n' en reçoit par laquelle il vueille, ce
que de ce qu' il hayt, et par consequent qu' il nous deffend par ses loix, et
que de ce qu' il ne veut pas ; soustiennent au peril de leur vie,
qui est le peché, qu' il deffend expressément, et de leur sang que c' est une heresie
et tesmoigne en mille de dire, ou de croire cela.
lieux de l' escriture saincte qu' il l' a Renvoyons donc ce rimailleur
en horreur, estant impossible qu' il à l' escole de Calvin, afin qu' il dispute
l' ayme, car cela est contre son inclination contre son maistre, et voye ce
naturelle, par laquelle qu' il respondera suivant cette profane,
il ayme toute sorte de bien, et p580

136
et maudite doctrine : poursuivez pense qu' il n' est pas besoin de discourir
ces malheureux quatrains, davantage sur ce sujet, car
afin que nous preparions un medicament c' est assez que vous detestiez desormais
à vos playes pris du cet erreur, et que vous
mesme scorpion, qui vous a piqué vous mocquiez d' une suitte si niaise :
si fort. poursuivez.
Le Deiste Le Deiste
c' est une grande impieté de vouloir que Dieu pourroit-il exalter sa justice, et
Dieu punisse ceux suivent sa volonté, afin enrichir
qu' il monstre sa justice. son essence de nos maux, et de nostre misere
Dieu ne sçauroit condamner ceux qu' il ?
conduit est-ce pas le pis qu' on puisse faire que de
en tous leurs mouvemens, autrement il seroit luy
injuste, et malicieux. adapter l' office de bourreau envers nous.
Le Theol vous voyez manifestement vaudroit-il pas mieux nier Dieu que de
que ce poëte calvinodeiste croire qu' il tire de l' heur, et prend plaisir à
poursuit son impieté selon nous
les fondemens qu' il a jettez, si punir d' une peine immortelle.
bien que c' est assez de nier toutes Le Theol voila une plaisante
ces consequences, car le catholique, cajollerie de vouloir conclurre
qu' il appelle bigot, croit, et par forme de question, et d' interrogation,
p581 que Dieu a besoin de nos
proteste que Dieu ne punira jamais maux pour accroistre sa justice, et
personne de tous ceux qui p583
suivent sa volonté, et que tous pour enrichir son essence de nos
ceux qui la suivent, seront recompensez malheurs : croyez que cet homme
de la gloire eternelle, et a grand besoin d' Ellebore ; je vous
que ceux qui transgressent ses donne à penser si la justice de Dieu,
commandemens, seront punis d' une laquelle est un attribut infiny, dépend
peine infinie. de l' homme, et de ses actions,
Voila comme Dieu ne condamne et si sa justice, ou son essence,
personne de ceux qui se qui sont infiniment immuables,
laissent doucement conduire par se peuvent accroistre. Non,
luy en tous leurs mouvemens, non, que vostre rimeur ne se perde
ausquels il donne de si grands point en ces caprices ; la justice,
contentemens dés ce monde icy, et l' essence de Dieu n' en seroient
que la langue n' est pas capable de pas moindres, quand il n' y auroit
les exprimer. Ils sont donc bien ny pecheur, ny peché, ny aucune
loing de concevoir quelque injustice chose au monde ; ce qui luy appartient
en Dieu, lequel est souverainement est eternel, et independant.
juste, et bon : par où vous Mais puis que tout ce qu' il fait, est
voyez quelles sottes consequences bon, et qu' il veut que tout ce qui
attire apres soy l' erreur que est icy bas, se fasse en nombre, en
vostre poëte s' est imaginé au poids, et en mesure, lors que quelqu' un
commencement ; a quitté l' ordre que Dieu
p582 avoit estably, et commandé, il tire
c' est pourquoy je p584

137
le bien de ce mal, reduisant le meschant non plus que de la recompense
en l' ordre, non de la recompense, des bons, estant necessairement
et de la grace, mais de la heureux de soy-mesme, et par
peine, à laquelle il le destine, apres soy-mesme : et bien qu' il chastie les
qu' il a offensé : laquelle il luy fait meschans, et qu' il recompense les
souffrir en ce monde icy, ou en bons, ce n' est pas pour en tirer une
l' autre. nouvelle felicité, ou un contentement
Mais j' entends le deiste qui particulier, mais c' est afin
dit qu' il ne faut pas faire Dieu que le vice, et la vertu soient estimez
bourreau ; il faudroit que le bourreau tels qu' ils sont, et que ses attributs
fist rentrer cette parole impie nous paroissent en leur
dans la gorge de cet avorton, grandeur ; c' est donc pour nostre
puis qu' il a parlé de Dieu si indignement, instruction, et pour nostre contentement
lequel a des bourreaux qu' il fait tout cela, et non
par tout pour executer les supplices pour le sien ; c' est afin qu' il n' y ait
ordonnez sur les pecheurs, sans rien au monde en desordre, et à ce
qu' il soit necessaire de luy donner que tout le monde en son tout, et
cette qualité : bien que parlant en ses parties responde, et ressemble
avec plus de reverence, et de respect, en quelque façon à son prototype,
nous puissions dire que Dieu qui est Dieu : par où vous
est le juge criminel, qui decrete en p587
dernier ressort la peine deüe à nos voyez que ce quatrain est plein
p585 d' impostures : poursuivez maintenant.
demerites, et à nos offenses ? Et bien Le Deiste
qu' il ne se servist d' aucun diable, le bigot aymeroit mieux estre nié des siens
ou d' aucune autre creature pour par leur ingratitude, que d' en estre advoüé
nous chastier, mais que luy-mesme furieux, cruel, impitoyable, et plein de
nous affligeast selon nos demerites, trouble.
il n' y auroit nul sujet raisonnable si Dieu est exempt de passion, comme
de s' en plaindre, car il a croyent tous les bons esprits, n' est-ce pas
droict de ce faire, puis qu' il est le estre
souverain juge independant, qui ignorant, et superstitieux, de penser qu' il
ne doit rendre conte à personne soit
de ses actions, ou de ses conseils : agité de colere, et de vengeance.
par consequent on pourroit bien Le Theol ce 60 quatrain suppose
faire pis que de dire que c' est luy que nous depeignons Dieu
qui chastie, qui condamne, et qui furieux, cruel, et plein de trouble,
punit les meschans, puis que cela ce qui est aussi faux, comme qui diroit
ne met aucune imperfection en que le blanc est noir, ou que
Dieu, au contraire cela nous monstre le ciel n' est pas le ciel ; je m' estonne
combien il a le peché en horreur, de l' impudence de ce poëte, il
puis qu' il le punit si severement. faut qu' il ait l' esprit forcené, et
Le quatrain suivant suppose furieux pour deduire des suppositions
aussi une chose tres-fausse, car p588
p586 si furieuses : croyez donc fermement
Dieu ne tire, ny ne peut tirer aucun que les catholiques
heur du supplice des meschans, n' ont jamais dit, ou pensé que

138
Dieu fust sujet à ces inquietudes, de nous parler de Dieu selon
et perturbations d' esprit, qui nous nostre portee, bien qu' elle ait diverses
rendent farouches, et cruels ; mais sortes d' explications, et de
ils croyent, et preschent qu' il ne gousts pour la diversité de ceux
peut y avoir aucune passion en qui la lisent, et qui la meditent.
Dieu, estant exempt de toute sorte Mais renversons le quatrain, et
de changemens, d' alterations, disons que ce deiste est sot, ignorant,
et de vicissitudes. Et luy-mesme et superstitieux, si outre son
recognoissant cette verité, et comme ignorance, il a eu si grande crainte,
forcé par la raison naturelle et scrupule jusques à present
confesse, ou du moins presuppose qu' il n' ait osé voir quelque sçavant
au soixante-uniesme quatrain, que catholique, afin de se faire
Dieu est éloigné de toute sorte de instruire de nostre creance sur
passion, afin qu' il tire cette consequence, l' immutabilité de Dieu : avoit-il
que le bigot est ignorant, point peur que s' il eust fait cela,
et superstitieux, lequel croit que le catholique luy eust fait quitter
Dieu est agité de colere. sa religion pretenduë de calviniste,
Vrayement s' il y avoit quelque p591
bigot au monde, qui tint les sottes ou de deiste ? Sus, sus, qu' il s' addresse
p589 desormais à quelque duppe,
propositions, qu' il veut que les catholiques qui n' ait pas un carrat de cervelle,
tiennent, celuy-là ne seroit s' il veut persuader ses impostures ;
pas seulement superstitieux, poursuivez s' il vous plaist,
et ignorant, mais atheiste, car il afin de voir s' il n' a rien de meilleur que
feroit un dieu sujet à changement, cela.
et par consequent qui ne seroit Le Deiste
pas Dieu, puis que Dieu est un si vous dites que Dieu est furieux, quand
estre immuable, (...). on n' observe pas les commandemens de
Tenez donc pour asseuré, Moyse,
monsieur, que c' est une pure imposture vous le faites malheureux, puis que les
de dire que les catholiques hommes
croyent Dieu agité de quelque les violent sans cesse.
passion ; car cela est impossible, mais s' il n' est jamais en colere, et si la
autrement Dieu ne seroit pas beste
Dieu. communique à nos maux, le superstitieux
Que si la saincte escriture le est-il
décrit quelquefois tout en colere, pas insensé de flatter sa volonté d' un
et armé de vengeance, c' est pour chastiment
nous faire paroistre ses effects, lesquels inique ?
se changent de moment en Le Theol nenny, il ne faut
moment, mais Dieu ne se change, pas le croire furieux, quand on
p590 n' accompliroit jamais aucune loy,
ny ne s' altere point ; or comme soit de Moyse, soit de Dieu, soit de
nous n' arrivons point à la cognoissance p592
des attributs divins que par nature, puis qu' il n' est point susceptible
les divers effets, qui paroissent icy de passion, si bien que c' est
bas, la saincte escriture a coustume folie de s' imaginer que Dieu puisse

139
estre malheureux. Mais voicy le pouvez passer outre.
refrein de la cadence du deiste,
lequel apres avoir pris la vraye superstition
estant bien entenduë, CHAPITRE 21
(car Dieu n' a jamais aucune passion dans lequel les raisons pretenduës des
de colere, estant une repugnance deistes sont renversees, depuis le
manifeste, que de se l' imaginer soixante-quatriesme quatrain jusques
passionné) il prend une autre au septante deuxiesme ; et où il est
supposition dans le mesme soixante- monstré que Dieu est exempt de colere,
troisiesme quand il punit les meschans : que
quatrain, qui est le peché merite un supplice eternel, et
tres-fausse, car la beste ne communique que Dieu use d' une plus grande douceur
point aux maux, pour lesquels envers nous que nous ne faisons
Dieu nous punit, puis que le envers nos semblables, etc.
chastiment n' est que pour les actions Le Deiste
morales, ausquelles nous il ne sert rien de dire que ces attributs ne
dénions la fin, ou les circonstances, sont enoncez de Dieu que pour figurer nos
qu' elles devroient avoir, desquelles crimes,
la beste n' est pas capable ; p595
et neantmoins si ce poëte huguenot et que par iceux on entend quelques vertus
p593 infinies en exprimant leurs effects.
n' entend les maux qui nous car puis que ces effects se rapportent
sont libres, et qui nous rendent necessairement
coulpables, il ne conclud rien, à leur cause, Dieu est sujet à perturbation,
parce que les maux de peine, et les ou cette doctrine est une fable.
maux purement naturels, et necessaires Le Theologien
ne nous mettent point en la voicy le deiste, qui
disgrace de Dieu, et ne meritent veut faire le docteur
aucun chastiment. en theologie, prenant
Est-il pas trop effronté lors qu' il ce luy semble la solution
conclud cette derniere rime, disant qu' on apporte pour expliquer
que le superstitieux flatte la ce qui se dit de la colere de
volonté de Dieu d' un chastiment Dieu ; voyons un peu s' il y entend
inique ? Comme si nous croyions finesse. Je nie premierement que
que Dieu peut estre flatté, et qu' on les catholiques gazoüillent ce
luy en puisse faire à croire. Le catholique qu' il advance dans le soixante-quatriesme
ne flatte ny Dieu, ny soy-mesme quatrain, car nos crimes
d' aucun chastiment, mais n' ont que faire d' estre figurez,
il croit asseurément que la justice puis qu' ils sont reels sans fiction,
sera faite des meschans, des deistes, et trop bien gravez, et figurez
et des athees, tel qu' est ce p596
poëte : et que le chastiment n' est d' eux-mesmes, et ce d' une figure
pas inique, mais plein de justice, et merveilleusement affreuse, puis
p594 qu' ils sont opposez, et repugnants
d' equité, et est plustost moindre, à la beauté eternelle. Il est vray
que trop grand. Je pense que cela qu' il faut estre bien testu, si supposant
est assez clair, c' est pourquoy vous que Dieu fust capable de colere,

140
et qu' il n' y eust rien qui le et protestions que Dieu est un acte
peut fascher que les pechez, on spirituel tres-pur, infiny, et libre
ne concluoit de là l' horreur, et l' enormité de toute passion, de tout mouvement,
du peché ; en ceste façon et de tout changement.
on pourroit dire que quand l' escriture Passons au soixante-cinquiesme
exprime la colere de Dieu, quatrain, lequel ne conclud
son but est de faire apprehender, rien, non plus que le precedent,
et paroistre la laideur du vice, et la car bien que les effets se rapportent
peine qu' il merite. à leurs causes, il ne s' ensuit pas
Il est vray pareillement que que Dieu soit sujet à perturbation,
quand on dit que Dieu est courroucé ou que la doctrine catholique
contre les pecheurs, ou soit une fable, car ce n' est pas estre
qu' on luy attribue quelque passion, sujet à perturbation que punir les
qu' on veut exprimer cet acte meschans, et recompenser les
eternel de la volonté divine, par bons ; ce sont actes de vertu ; qui a
lequel il hayt le peché de toute p599
p597 jamais dit que la vertu fust un
eternité ; car par le mesme acte de trouble, ou cause de perturbation,
volonté, par lequel il a creé le veu que c' est elle qui dissipe l' orage
monde, par le mesme il le conserve des émotions, et qui apporte
jusques à present ; par le mesme le calme et la tranquilité de l' ame ?
il hayt toute sorte de vice, et par le Jamais on n' exerça tant de vertus
mesme il veut punir les meschans ; au monde, depuis qu' il a esté creé
bref ce seul acte estant infiny, c' est jusques à present, comme on en
par luy que Dieu veut tout ce qu' il pratique au ciel à chaque moment,
veut. En cette façon il est certain est-ce à dire qu' il y ait de la perturbation ?
que les discours que nous faisons Nullement : puis que c' est le
de Dieu, soit par anthropopatie, ou lieu de repos, et de perfection.
autrement, ne sont que pour entendre, Je sçay bien qu' il se treuve du
et pour expliquer ses perfections trouble dans nos appetits sensitifs,
divines, lesquelles nous ne et dans l' imagination, lors qu' il
pourrons jamais icy entendre parfaitement, faut exercer quelque acte de force,
estant infinies, et nous de justice, ou de quelqu' autre
limitez, et bornez. vertu, particulierement si l' acte est
Si le deiste ne se contente de exterieur ; mais en Dieu il n' y a ny
ces façons de parler, je suis d' avis phantaisie, ny sentiment corporel,
qu' il prenne des aisles pour s' envoler il est un pur esprit, et le pere de
au ciel, afin d' apprendre le toutes les intelligences ; ô ! Que le
langage des anges, et de redescendre p600
p598 prophete royal a fort bien dit,
pour nous instruire, car (...), ne pouvant
pour nostre égard nous confessons rien arriver de nouveau à l' estre
qu' il nous faut maintenant eternel, qui est exempt de toute
user de paroles corporelles pour imperfection, quelque petite
exprimer ce qui est spirituel, et qu' elle puisse estre, et qui a toutes
divin. Ce qui n' empesche pas les perfections concevables, non
neantmoins que nous ne croyions, seulement par l' esprit angelique,

141
mais par l' increé. perpetuel ; c' est pourquoy nous disons
Or parce que la justice de laquelle que Dieu se colere contre le
nous nous servons en punissant pecheur, parce qu' il le punit si
les criminels, s' arme de la rigoureusement,
poincte de l' appetit sensitif, nous qu' il est impossible
disons qu' un homme est en colere, qu' une telle punition soit faite
lors qu' il punit quelqu' un, ce par l' homme, ou par l' ange.
qui n' arrive neantmoins pas tousjours, Or si par une supposition d' impossible
comme il paroist lors qu' on Dieu se pouvoit cholerer,
chastie quelqu' un par le seul zele il ne chatiroit pas le mal de coulpe
de la justice ; de là vient que le juge avec une plus grande rigueur,
des-interessé qui n' a autre pretension ny avec un plus grand mal de peine,
que la justice, condamne qu' il le chastie maintenant.
un criminel sans aucune passion, C' est ainsi qu' on exprime sa force
p601 p603
et le bourreau l' execute sans aucune par un lyon de la tribu du Juda,
émotion, ou perturbation. Si quand on parle du verbe incarné,
nous avions une parfaite habitude afin que ce qu' on pense icy estre
à la vertu, nous ne sentirions aucune de plus fort, nous serve comme
perturbation en l' exerçant : que d' echelon pour monter à la cognoissance
sera-ce donc de Dieu, quand il punit, de Dieu ; ce que font
luy qui n' a pas seulement l' habitude paroistre les doctes, lors qu' ils entament
de la vertu, mais qui est la les propos, et les discours
pure, et l' essentielle vertu, au regard sublimes des perfections divines,
de laquelle à peine nos vertus et des façons d' agir, desquelles
meritent-elles d' estre appellees Dieu se sert, car estans elevez plus
ombres de vertu. Vous me demanderez haut, (...), et disent (ce qui nous fournira
peut-estre pourquoy la seconde raison) que tout ce que
nous disons donc que Dieu se fasche nous pouvons faire par tous les
contre les pecheurs, s' il ne actes de nostre volonté, et de toutes
peut avoir de colere. à quoy je nos puissances, est fait par un
vous respons, qu' on parle ainsi seul acte de la volonté divine, laquelle
pour plusieurs raisons, je me contenteray est comme un centre infiny,
d' en apporter icy deux, lequel estant ramassé, et uny en
lesquelles vous feront advoüer soy-mesme indivisiblement, estend
que la doctrine catholique n' est sa vertu sur toute la circonference.
pas une fable, mais une tres-grande, p604
p602 Mais Dieu fait tellement tout par
et tres-certaine verité. cet acte eternel, et infiny, que de
La premiere est afin que nous toutes les imperfections, qui accompagnent
puissions concevoir combien le nos actes, il n' y en
peché que nous faisons, est grand, peut avoir aucune dans cet acte
puis qu' il merite une punition, divin.
non telle quelle, mais digne de Or comme nous sommes finis,
Dieu, et de sa grandeur, et perpetuelle, et corporels, appercevans qu' il
comme luy mesme il est nous faut autant de diverses actions
perpetuel, et le suject qu' il punit, que nous produisons de divers

142
effects, nous taschons de parvenir qu' il n' y a que le temps de ceste vie
à la cognoissance des actions pour le pardon des offenses, et que
divines en nous servant des nostres, par apres il est impossible de l' impetrer)
parce que nous n' en experimentons il fait assez paroistre qu' il
point d' autres, jusques à veut offenser Dieu eternellement,
ce que nous nous elevions par la il faut donc que ceste volonté eternellement
foy, et par la theologie à ce qui meschante, reçoive
est de divin, et d' incree. D' où je un chastiment qui dure aussi long
conclu ce que je vous disois, sçavoir temps que son mauvais propos, et
est que nostre doctrine est que le pecheur demeurant dans une
tres-vraye, et que Dieu n' est point opiniastreté eternelle d' offenser
suject à perturbation, bien qu' il p607
p605 Dieu, et de luy deplaire, soit puny
chastie les damnez d' un infiny d' un supplice eternel, car il faut
tourment, et qu' il recompense les que le supplice soit égal au forfait,
saincts d' une couronne immortelle : si nous voulons que toutes les oeuvres
si cela vous suffit vous pouvez de Dieu tant de grace, que de
apporter ce qui suit. nature, gardent le poids, le nombre,
Le Deiste et la mesure ; à ce que Dieu
bien que nous dissions que Dieu fust irrité mettant tout en ordre, monstre
contre les meschans, il ne s' ensuit pas qu' il qu' il est le maistre de tout l' univers,
les et qu' il ne se peut rien faire
doive punir d' un supplice eternel. qu' il ne sçache le ranger comme
le bigot est infiniment cruel, de desirer il luy plaist.
qu' un méfait limité soit puny d' un infiny Mais voicy vostre rimeur, qui
tourment, crie dans son 67 quatrain, au
car c' est égaler l' instant de nostre vie au meurtre, au carnage, et à la cruauté,
tousjours. afin que s' il manque son coup
Le Theol ouy, il sensuit que du costé de Dieu, et qu' il ne puisse
si Dieu est irrité contre les meschans, l' accuser de cruauté, qu' il jette
qu' il faut que leur chastiment ceste calomnie sur le chrestien,
dure autant comme leur qu' il appelle tousjours bigot
meschanceté, car comme il n' y a à ce que ce mot de supersticieux , ou
nulle mutation du costé de Dieu, de bigot assaisonne ses rimes, comme
mais seulement du costé du pecheur, p608
p606 les blasphemes les paroles des
si on peut dire que Dieu soit soldats perdus, qui n' ont plus aucun
irrité, autant que durera la raison respect de Dieu. Or ce n' est pas le
pour laquelle il est irrité, autant catholique, qui fait que le supplice
durera son ire, laquelle cessera des pechez soit eternel, cela ne
le peché cessant ; or puis que dependant que de Dieu seul ; mais
l' object de la justice vindicative estant bien instruit dans l' école de
est le chastiment des meschans, il la foy, il ratifie, et approuve la volonté
faut que ceste punition dure autant de son Dieu en ce supplice ;
que le peché ; mais quand mais de peur qu' il ne fasse à croire
l' impie meurt dans son peché ne à quelque idiot que Dieu n' a pas
voulant pas le quitter (sçachant raison de punir le peché eternellement,

143
considerez je vous prie, contre portons, nous fait perdre la grace
qui se fait le peché, voyez quelle divine, laquelle nous rendoit amis,
est sa malice, laquelle s' oppose à et enfans de Dieu, et coheritiers
la volonté de Dieu, et contrevient de la gloire eternelle. Ce n' est
aux ordonnances, qu' il nous a que nostre faute de ce que nous
prescrites, non afin de retirer quelque n' avons plus ceste grace, sans laquelle
nouveau contentement de p611
nous, car sa beatitude, et sa joye ne il est impossible d' estre sauvez,
depend que de soy-mesme, mais à et par laquelle nous eussions
ce que nous soyons participans ; de eternellement jouy d' un bonheur
p609 inexplicable sans le peché lequel
ceste joye eternelle, qu' il a preparee est si malitieux, que si nous avions
de toute eternité pour ceux une grace infinie, il nous en priveroit,
qui feroient estat de ses commandemens, et nous renderoit dignes d' une
et qui le serviroient avec peine eternelle.
toute sorte de respect, et de fidelité. Passons outre, et disons que
Disons donc, pour achever, que celuy qu' on offense, à une infinie
le peché est infiny en deux façons dignité, et que par suite necessaire
tres-suffisantes à ce qu' il soit puny on le doit honorer infiniment
eternellement ; la premiere est, d' un honneur infiny, si faire se
que j' ay n' agueres touchee, que pouvoit, et que quiconque le deshonore
quand le meschant vient à mourir, par le peché, commet une
il demeure volontairement, et infinie irreverence, qui ne peut
librement dans ces pechez, lesquels estre expiee, que par une peine infinie,
il sçait ne pouvoir estre pardonnez apres que nous sommes hors
qu' en ce monde, et par de ce monde, car ce pendant que
ainsi il les rends eternels, et infinis : nous vivons icy, nous pouvons satisfaire
la seconde est parce que comme pour nos pechez par des
l' amour surnaturel de Dieu est actions, lesquelles sont finies
d' un prix infiny, que nous aquerons p612
par la vertu, assistee de sa quand à ce qui est de leur nature,
grace, de mesme la hayne qu' on et de leur duree, mais elles sont
p610 renduës infinies par l' union qu' elles
porte à Dieu, ou à ce qui luy appartient, ont avec le merite, le sang, et la
tels que sont ses commandemens, passion de nostre sauveur, et redempteur
merite un mespris Jesus-Christ : c' est de là
infiny, qui s' aquiert par le peché ; qu' elles ont la force de satisfaire, de
laquelle hayne, puis qu' elle est opposee mesme que les couleurs prennent
à l' amour de Dieu, et que la force de se faire voir, de la lumiere ;
cet amour merite, et aura une recompense mais force laquelle n' est
eternelle, merite, et pas infinie, comme celle de la grace,
souffre un supplice eternel, car en qui estend sa vertu jusques à la
bonne logique (...). gloire eternelle.
Ce qui est d' autant plus veritable, De là vient que nous pouvons dire
qu' il est vray que l' aversion que les actes de penitence par
que nous avons des ordonnances lesquels nous satisfaisons pour
divines, et la hayne que nous leur nos pechez, sont infinis eu esgard

144
à la vertu qu' ils reçoivent de la perverse, et en ceste façon se sont
grace de Dieu, et des merites de eux mesmes jettez dans le supplice
nostre Seigneur, sans lesquels eternel, dans lequel ils tremperont
nous ne pourrions satisfaire pour autant comme durera ceste
aucun peché, ny ne pourrions recouvrer p615
p613 maudite affection, qu' ils ont à
la grace, et l' amour de leurs pechez.
Dieu, quand nous endurerions Or il faut que vous preniez garde
tous les tourmens du monde. que quand nous appellons le
N' importe que l' action de nostre supplice, infiny, cela ne s' entend
peché soit finie, et qu' il ne se que de sa duree, car il ne finira jamais,
retreuve rien dans le peché qui ne et non de la grandeur, et de
soit finy, c' est assez afin que Dieu le l' intension du supplice, lequel
punisse justement d' un eternel pourroit estre beaucoup plus
supplice, que celuy qui la commis, grand, si Dieu le vouloit renforcer ;
se soit despoüillé de la grace, par c' est de ceste intension que
laquelle il fust arrivé à une recompense vient la diversité des supplices eternels,
infinie ; et que l' affection comme la diversité de la
qu' il a au peché soit infinie, entant gloire eternelle, procede des divers
qu' il est en luy. Je die infinie degrez de felicité que Dieu
quand à la duree, car sçachant depart selon la diversité des merites,
qu' il ne la peut quitter, que ce pendant et des graces qu' on a euës en
qu' il vit icy bas, et qu' il n' y a ce monde, car quand à l' infinité de
plus de grace apres ceste vie, sans la duree, les peines des damnez,
laquelle neantmoins on ne peut et les recompenses du ciel sont
quitter le peché, lors qu' il meurt infinies.
avec ceste mauvaise affection il la Croyez donc fermement
rend infinie, puis que sa volonté, p616
p614 que le supplice est tel que nous le
dans laquelle est le peché, durera croyons, à ce que les malheureux
tousjours avec la mesme affection, damnez, qui n' ont pas voulu obeïr
et avec le mesme peché. à Dieu, et n' ont daigné faire paroistre
Veritablement il n' y a nul suject l' infinité de sa gloire, ny en
de se plaindre de ce que les porter le charactere gravé sur toutes
supplices des damnez sont eternels, leurs puissances, monstrent
car il n' a tenu qu' à eux qu' ils par leurs supplices eternels, qu' il
n' ayent demandé pardon à Dieu. meritoit un service, une obeissance,
Considerez je vous prie quelle et un respect eternel. C' est donc
meschanceté, qu' elle opiniatreté, ainsi que la providence de Dieu
et quelle negligence, de ne s' estre embrasse tout, que d' un grand
pas seulement voulu repentir d' avoir mal elle tire un plus grand bien,
offensé Dieu ; si les damnez et qu' elle sçait, et peut renger au
eussent conceu un regret d' avoir supplice, ceux qui ont mesprisé la
peché cependant qu' ils estoient recompense.
en vie, Dieu leur eust pardonné ; Le D beny soit nostre Seigneur,
ils n' ont pas voulu, ils sont demeurez qui m' a fait la grace d' estre
opiniastres avec leur volonté aujourd' huy si bien instruit, vrayement

145
ce poëte n' auroit maintenant Dieu n' est donc pas
qu' à me venir cajoler, et tascher vainement punisseur, puis qu' il
de me faire quitter la crainte fait un acte tres-vertueux, et qu' il
p617 nous enseigne par là, que le peché
de Dieu, je le renvoyerois bien p619
loin avec ses impietez, et ses paralogismes : luy est desagreable ; c' est pourquoy
or je voy maintenant clairement cet acte n' est non plus vain,
pourquoy les instans de nostre que l' acte par lequel il recompense
vie peuvent à bon droit estre les saincts.
égalez à l' eternité, car ces actions Mais voyons quelles raisons il
momentanees regardent un object, apporte pour establir son impieté,
qui dure tousjours, et puis appartiennent et pour oster toute sorte de peine
à une ame immortelle, deüe aux pechez. Il veut que l' impunité
laquelle elles soüillent pour ne soit point dommageable,
tousjours, si ce n' est qu' elle impetre ce qui est tres-faux, car combien
pardon de la divine bonté, j' entens y en auroit-il qui ne se soucieroient
quand les actions sont mauvaises, pas de bien faire, et feroient
car si elles sont bonnes, elles le pis qu' ils pourroient,
l' enrichissent d' une beauté immortelle, s' ils croyoient que le mal ne deut
si elle ne vient à la perdre point estre puny ? De plus, Dieu ne
par sa faute. Voicy ce qui suit. recompenseroit pas les demerites,
Le Deiste de la peine qu' ils meritent,
Dieu puniroit vainement, l' impunité des comme il recompense les merites
damnez n' estant point dommageable ; et par la gloire eternelle, s' il laissoit
puis les meschancetez impunies, et ne
p618 verrions pas l' esclat de sa justice
quelle apparence y a-il qu' il nous soit pareil a celuy de sa bonté ; or qu' il
loisible p620
de suivre la douceur, si c' est injustice à ait designé ce supplice eternel, outre
Dieu de que les sainctes escritures nous
faire le semblable. l' enseignent tres-clairement, nous
ceste punition eternelle ne seroit-elle pas le concluons de l' infinité de sa justice,
inutile apres le trespas ? Car quel bien Dieu laquelle n' estant pas moindre
en que sa bonté, a sans doute un effect
peut-il tirer, si les damnez ne se corrigent pareil en duree, lors qu' il punit,
point ? et quand il recompense ; car il
Le Theol il me semble que n' appartient pas moins à un juge
ce n' est pas estre vainement punisseur, de condamner les criminels, que
lors qu' on punit, afin qu' il de recompenser les bons ; lequel
n' y ait rien de tellement dereglé tant plus il sera juste, et clairvoyant,
au monde, qu' il ne soit reduit à et plus juste sera le supplice
quelque ordre ; or j' ay desja monstré qu' il ordonnera pour le crime.
cy-dessus que quand Dieu Dites moy de grace, si un juge
chastie les impies, il les fait tomber estoit tres juste, et qu' il y eust un
sous sa providence, de laquelle ils meschant qui fist continuellement
vouloient se soustraire, et monstre des actes dignes de mort, et
par là que (...) : neantmoins que le criminel ne

146
peust mourir, ce juge ne luy feroit-il pourquoy il est eccentrique à la
pas endurer des tourmens terre ; pourquoy il y a un tel nombre
continuels, qu' il feroit durer eternellement, p623
p621 d' estoilles, et de planettes ;
s' il demeuroit eternellement pourquoy la terre n' est pas plus
en son office de judicature ; grande, pourquoy il n' y a que
or Dieu est tres-juste, et eternel, et 14000 semidiametres de la terre
celuy qui meurt en son peché, demeure jusques au firmament. Pourquoy
tousjours en sa malice, laquelle parut une nouvelle estoille l' an
n' aura jamais de fin, il faut 1572 dans la Cassiopee, lors que la
donc conclurre que le supplice est nouvelle lune fut apperceuë vers
tres-juste, que Dieu ordonne pour le 5 de novembre : pourquoy l' autre
les damnez ; bref il ne feroit pas fut veuë dans le Serpentaire
paroistre qu' il fust tout bon, ou l' an mil six cens quatre, lors que la
ne nous enseigneroit pas l' horreur triplicité des signes ignees recommença
du peché, s' il ne monstroit par un pour la huictiesme fois :
juste chatiment quel il est, et en pourquoy la grande conjonction
quelle estime nous le devons de Saturne, de Jupiter, et de Mars,
avoir. se fist au mesme temps dans le Sagitaire :
Il appelle à la douceur des hommes, pourquoy ceste conjonction
j' en suis content, mais il faut ne se fait que de huict cens
qu' il considere que Dieu est cent en huict cens ans : pourquoy les
fois plus doux, plus benin, et plus estoilles proches de l' equateur
misericordieux, que jamais homme font l' espace d' une heure 4 milions
ne fut, ny ne sera, car quelques 529 mille 538 lieuës, et dans
pechez que nous ayons faits, quand p624
p622 une seconde minute (ou dans l' espace
nous serions tombez un milion de que l' artere du bras, ou que
fois en sa disgrace, il nous tend les le coeur bat une fois, car l' artere
bras, et est si prompt à nous faire bat 4 mille fois dans une heure,
misericorde que nous n' avons pas dans laquelle il y a presque autant
plustost demandé pardon, et jetté de secondes, sçavoir est 3600 ; par
un souspir, qu' il nous redonne ou vous pouvez mesurer une minute
toutes sortes de graces, et de droits de temps quand il vous plaira,
à la vie eternelle, bien que nous car le poux bat 66 fois dans une
eussions perdu tout cela par le peché. minute, quand il est naturel) 1258
Mais il n' y a que le temps auquel lieuës, supposé que les estoilles se
nous sommes en ce monde meuvent. Vous pouvez voir le
qui soit propre pour cet effect. Si le mouvement, et la grandeur de
deiste veut entrer en raison avec chaque ciel, et de chaque planette
Dieu pourquoy il la ainsi voulu, dans la 33 raison que j' ay apportee
je luy demanderay pourquoy sur la Genese contre les athees,
Dieu a ainsi creé ce monde, comme qui vous feront aussi empesché
il est ; pourquoy il n' a pas mis que ce que je vous ay rapporté du
le soleil au pole arctique ; pourquoy firmament. J' ay dit supposé que
sa declinaison de l' equateur les estoilles se meuvent, car bien
n' est de plus de 23 degrez et (...) ; que la terre roulast, ce pendant

147
que le firmament se reposeroit, matiere des cieux a esté cause que
p625 ces nouvelles estoilles ont plustost
neantmoins je defierois aussi bien paru és susdites annees, qu' és
tous les deistes de pouvoir donner autres suyvantes : il faudroit qu' ils
raison pourquoy la terre feroit me donnassent la raison pourquoy
225 lieuës ce pendant qu' une le monde a esté disposé de
heure se passe ; et pourquoy presque ceste façon, veu qu' il eust peu recevoir
4 lieuës dans une minute, une infinité d' autres formes,
comme j' ay remarqué dans la 9 d' autres espaces, et d' autres
question sur la genese article 4, et mouvemens, ce qu' ils ne sçauroient
5 ce qui est un mouvement si rapide faire.
qu' il faudroit que les parties de Qu' ils ayent donc honte desormais
la terre qui sont sous l' equateur, de demander pourquoy
allassent du moins 5 fois aussi viste Dieu fait cecy, ou cela, et de ne
comme le boulet d' une artillerie, qui vouloir croire que ce qu' ils peuvent
demeureroit une minute entiere comprendre dans leur petit
s' il voloit l' espace d' une lieuë aussi esprit, puis qu' ils ne sçauroient
promptement, comme il va dans comprendre la moindre chose du
sa plus grande force, et par consequent monde. Ce que je leur prouveray
120 heures à faire tout le circuit tres-facilement en leur proposant
de la terre, lesquelles contiennent ce qui se voit devant nos yeux, et
7200 minutes, autant comme sans avoir mon recours à ce qui se
elle a de lieuës françoises en p628
son tour, (desquelles chacune contient fait au ciel, car je les defie tous de
p626 me dire la vraye, et la naive signification
3 mille pas, et chaque pas 5 de ce peu de lignes, qui
pieds de roy) et par ainsi le boulet suivent, lesquelles ne contiennent
feroit seulement en cinq jours rien qu' une verité tres-claire, et palpable.
qui comprennent justement 120 (...).
heures, ou 7200 minutes, ce que p630
la terre feroit dans un jour. Voyla ce qu' un de mes amis a
Il y a mille autres choses desquelles proposé, qui ne contient rien que
ils ne me sçauroient de tres-certain : quand vostre poëte
non plus rendre raison, que de m' aura expliqué cela, nous verrons
ce que je viens de dire ; comme s' il luy faut permettre de s' enquester
pourquoy la terre pese (...) livres : des raisons pourquoy
(qui est un nombre que les Dieu fait cecy, ou cela ; bien que
imprimeurs ont oublié de mettre cecy soit tres-facile à dechifrer au
dans la 9 question que j' ay desja citee, pris des autres choses que j' ay rapportees
article 6 à la derniere ligne de cy dessus, desquelles il ne
la 906 colomne, ce qui n' a point sçauroit rendre raison, quand il y
esté marqué (...)). penseroit un milion d' annees.
Car ce n' est pas assez qui me dient Par où vous voyez que c' est
que le bien de l' univers desire ces une grande presomption, et une
mouvemens, ces grandeurs, et ce folie intolerable de vouloir sçavoir
poids ; et que la disposition de la pourquoy Dieu a fait cecy, ou
p627 cela, de façon qu' on ne le vueille

148
pas croire, si on n' en comprend la raison. par une bonne vie ; ce que faisant,
p631 je vous asseure que vous eviterez
Ne croyons nous pas ce que le ces supplices, et aurez la gloire
roy fait, ou commande, avoir esté eternelle pour recompense.
fait, et commandé, bien que nous Je passe à l' autre quatrain, et dy
n' en sçachions pas la raison ? que cette punition n' est ny vaine,
Pourquoy est-ce donc que vous ny inutile ; elle n' est pas vaine, puis
ne voulez pas croire ce que Dieu qu' elle est vraye et reelle ; elle n' est
a ordonné, encore que vous ne pas vaine, puis que c' est le juste
sçachiez le pourquoy ? J' adjouste loyer du peché ; elle ne peut estre
neantmoins que quand Dieu n' auroit vaine, puis que celuy qui punit ne
pas voulu punir le peché, il peut estre sujet à vanité ; bref elle
ne seroit pas injuste, mais il ne n' est pas vaine, puis qu' elle sert
manque d' une infinité de raisons, pour remettre dans l' ordre de la justice
pour lesquelles il l' a voulu punir. vindicative, celuy qui s' est
Vous voyez donc que ce poëte soustrait de l' ordre de la justice
a apporté la douceur des hommes premiative, ou recompensante.
fort mal à propos pour la contre-poincter Elle n' est pas aussi inutile, car elle
à la justice divine, puis sert à tout ce que nous avons dit,
que Dieu use d' une plus grande et à beaucoup d' autres choses, lesquelles
clemence en pardonnant un peché nous cognoistrons apres
mortel, que tous les hommes cette vie ; Dieu vueille que cette
du monde ne firent jamais en pardonnant p634
p632 cognoissance des peines eternelles
les injures qui leur ont ne soit point pratiquee dans
esté faites. nous, mais seulement speculative,
Et puis ce n' est pas d' un juge telle qu' elle sera és bien-heureux.
qu' il faut attendre la douceur, Quant à ce qui est de la correction,
mais l' equité, et la justice, laquelle qu' il nie s' en ensuivre, il faut
il rend à un chacun, et le traitte selon icy distinguer deux, ou trois sortes
ses merites, ou ses demerites de corrections, l' une desquelles
sans excepter personne, s' il est tres-juste, est afin que celuy qui est corrigé
tel qu' est le juge souverain, s' amende, et que quittant son vice
et tout puissant, duquel vous ne il embrasse la vertu, et devienne
devez, ny ne pouvez justement meilleur ; en cette façon les damnez
attendre autre chose qu' une parfaite ne sont pas corrigez : l' autre
justice, car on ne sçauroit le est pour servir d' exemple à la posterité,
tromper, ny luy déguiser aucune à ce que les autres fuyent
chose, puis qu' il sçait tout : c' est le mal, pour lequel on punit le
pourquoy je vous conseille de malfaicteur ; mais la troisiesme est
vous mettre en bon estat, et vous simplement pour le zele de la justice,
repentir de toutes les offenses que afin qu' on rende à un chacun
vous avez faites, à ce que vous puissiez ce qui luy appartient ; or le supplice
employer le reste de vos jours eternel appartient aux damnez,
à servir Dieu, et que vous recompensiez ausquels si on pouvoit faire tort,
vos mauvais deportemens p635
p633 se seroit en ne les punissant pas ;

149
c' est cette correction qui doit estre d' estre si long-temps avec moy
faite, soit qu' on espere amendement, que vous me puissiez expliquer
ou non, soit que cela serve tout cecy, neantmoins je vis en ceste
d' exemple, ou qu' il n' en serve pas. esperance, c' est pourquoy je
Il ne faut donc plus que les deistes vous diray le 70, et le 71 quatrain.
s' estonnent de ce que Dieu Le Deiste
chastie les damnez, bien qu' il n' en c' est cruauté, et vanité que de se plaire,
vueille tirer ny exemple, ny amendement, et de chercher de la gloire en punissant les
car ces choses icy estans meschans, or Dieu n' est suject ny à cruauté,
relatives, Dieu qui est juste d' une ny
justice absoluë, n' a que faire de ces à vanité.
considerations. De plus, je dy on se mocqueroit d' un monarque, si on
qu' un juge peut, et doit faire mourir faisoit estat de la victoire qu' il auroit
un deiste, un athee, etc. Bien emportee
qu' il n' en esperast ny amendement, sur un goujat, donc le bigot est phrenetique
ny exemple. Est-ce pas assez quand il dit que Dieu treuve de la gloire à
qu' il venge la querelle de Dieu ? perdre
Est-ce pas assez qu' il le punisse selon les hommes.
les loix ? Est-ce pas assez qu' il ne Le Theol je vous ay desja dit
commette point d' injustice en cet que Dieu n' a que faire de mandier
acte remply d' equité. de la gloire, ny du contentement
p636 p638
Le D monsieur, je suis merveilleusement de ses creatures, puis que de soy-mesme
content de vostre il est infiniment glorieux,
response, mais il faut que je vous et content, c' est pourquoy tous
avoüe que je brusle du desir que ces deux quatrains donnent du
j' ay de sçavoir l' explication de cet nez en terre. Nous avons aussi monstré
enigme lequel vous avez rapporté, que Dieu n' estoit point cruel,
car je ne pense pas qu' il n' y ait car qu' est-ce que cruauté ? Est-ce
des merveilles comprises sous pas chastier outre mesure ? Or Dieu
iceluy. ne chastie jamais que selon la mesure
Le Theol vous sçavez desja des iniquitez ; (...).
que je me suis excusé sur choses Je diray neantmoins que la gloire
beaucoup plus faciles, de peur de Dieu à nostre respect est manifestee
d' interrompre le fil de nostre discours par le supplice des meschans,
touchant la malheureuse parce que ceux qui faisoient les
doctrine laquelle vous a perverty ; rodomonts, et les galans, ne se soucians
c' est pourquoy je vous prie de rechef pas de Dieu, et crachans blasphemes,
que nous remettions cecy à et injures contre sa majesté,
la fin du poëme, car je vous promets comme s' il n' eust point esté,
de vous faire part de l' explication ou s' il n' eust esté assez sçavant
que deux habiles personnages pour les treuver, et assez puissant
ont donné sur ce sujet : vous pour les punir, sont attrapez, et
verrez si elles vous aggreront. p639
p637 suppliciez selon leurs demerites.
Le D je crains fort que la Ce poëte voudroit bien que les
commodité ne vous permette pas bons, et les mauvais fussent mis en

150
mesme rang, et en mesme balance, Dieu pourroit-il avoir visé pour nous à
c' est dommage qu' on ne l' establit quelque fin d' immortelle misere, puis que le
chef de quelque republique, bigot
car il donneroit aussi tost les premieres mesme ne se peut proposer que de bien faire
dignitez aux meurtriers, à ses enfans ?
qu' à ceux qui ont sué sang, et eau Le Theologien
pour le salut de la republique. voyla justement où
Non, non, il faut que les meschans ce deiste vouloit tomber,
soient punis. S' il veut eviter la peine s' il eust treuvé
deuë à ses impietez, qu' il recoure quelque duppe, à qui
de bonne heure à Dieu, qui l' attend vendre ses coquilles rimees, car
les bras ouvers, à ce qu' il se pourveu que ces gens-là esteignent
repente de ses vices enormes ; et la lumiere de la foy, et qu' ils
qu' il se garde bien desormais d' user s' abbrutissent tellement qu' ils
des mots de goujat , de bigot , ou n' ayent plus ny Dieu, ny diable, ny
d' autres injures, quand il sera question enfer devant les yeux, mais la seule
de parler de Dieu, car la divinité volupté, afin d' en prendre par tous
estant la saincteté mesme, il les bouts, et par toutes les façons
n' en faut jamais parler, ny approcher p642
p640 desquelles ils s' avisent, ce leur est
qu' avec un tres-grand respect. assez ; mais la dance finira bien tost
Dieu vueille l' esclairer, et luy avec tous leurs passe-temps, et tous
oster le bigotisme de la teste, j' ay leurs plaisirs : croyez que ces gallans
bien peur qu' il ne devienne frenetique, ne riront pas tousjours, et
s' il ne l' est desja, en se peinant qu' il viendra un jour, qu' il leur faudra
de persuader que nous sommes rendre conte de toutes leurs
frenetiques ; poursuivez. risees, paroles, et pensees.
Disons donc encore un coup,
que ce n' est pas pour l' exemple,
CHAPITRE 22 ou pour la correction, que toute
dans lequel les quatrains de l' impie sont punition se fait, le but final du supplice
renversez depuis le 72 jusqu' au 84 ; des meschans est celuy, que
et est monstré que Dieu punit tres-justement j' ay declaré cy devant, si bien que
les meschans d' un supplice l' enfer demeure en son entier,
eternel, avec plusieurs calomnies, et nonobstant le desir, et le quatrain
mensonges refutez. de ce rimailleur. Asseurément le
Le Deiste philosophe a fort bien dit que
si le chastiment ne sert que pour l' exemple (...), car ce qui a mis la plume à la main
qu' on en tire, qu' est-ce que l' enfer qu' un de cet athee, est qu' il desireroit
tourment supposé, par lequel les religions grandement qu' il n' y eust point
s' entretiennent ? p643
p641 d' enfer, à ce qu' il n' eust aucun remords
Dieu ne nous a-il pas tous formez pour de conscience, quand il embrasse
quelque fin derniere, puis que le but d' un toute sorte d' impietez.
sage Je m' asseure qu' il nieroit aussi
entendement est la premiere intention de ses bien le paradis, n' estoit qu' il veut
desseins ? flatter son humeur, et joüer la

151
fourbe entiere, pour mieux persuader embrassent les ordonnances divines
son impieté. Vous voyez avec plus de diligence, et d' affection,
aussi clairement qu' il fait passer puis que l' observation des
toutes sortes de religions dans une preceptes divins, nous garantit de
mesme categorie, ne se souciant ces supplices eternels : c' est là le
non plus de l' une, que de l' autre, moyen de parvenir à l' amour de
et les estimant toutes fabuleuses, Dieu par la crainte, laquelle nous
et mensongeres ; voyla ce brave fait pleurer nostre mauvaise vie
docteur, qui veut mettre tout le passee, et nous fait embrasser la penitence
monde en repos. Sçachez donc pour retourner en grace
que la vraye religion, ne peut se avec Dieu.
maintenir par la seule peur d' un Ostez donc de vostre imagination
enfer, il faut d' autres ressorts, pour ce que ce miserable poëte
faire quelle subsiste parmy tant vous avoit mis dans l' esprit, car il
de larmes, et d' alarmes ; c' est la est aussi certain qu' il y a un enfer
grace de Dieu, la foy, l' esperance, p646
p644 pour les damnez, comme il est certain
et tous les sacremens, les martyrs, qu' il y a un paradis pour les
les propheties, les miracles, et tous bien-heureux ; et l' un et l' autre est
les saincts, qui la conservent, et aussi veritable, comme il est vray
non la seule crainte d' un enfer. que Dieu est juste ; je croy que cela
Il sera bon de remarquer icy suffit à ce que l' impieté de vostre
que le deiste est contraint de recognoistre poëte s' evanouisse, et que vous
l' utilité de la creance croyiez la verité des supplices
du supplice eternel, qu' il disoit cy eternels, lesquels le deiste vouloit
devant estre inutile, puis qu' il confesse oster, pour mieux establir son libertinage,
que les religions se conservent et son deisme : vous
par la peur de l' enfer ; et par voyez donc maintenant que c' est
consequent que ceste peur est que de s' imaginer un Dieu qui
cause, du moins en partie, et suivant soit tresbon, et qui ne soit pas tres-juste,
l' opinion du deiste, de tous et qu' il est tres-veritable que
les biens qu' apporte la religion, (...).
tant à l' esprit d' un chacun, qu' aux Voyons son 73 quatrain, lequel
royaumes, et aux autres estats. ne fait rien contre nous, puis que
à quoy j' adjouste, laissant se nous avoüons franchement que
deiste à part, que bien que la seule l' intention laquelle Dieu a euë en
peur de l' enfer ne maintienne creant le monde, a esté de faire
pas la religion catholique, neantmoins p647
elle ayde aux chrestiens à paroistre sa gloire, et faire reluire
p645 ses divines perfections en tous les
se maintenir en leur devoir ; car si estages de l' univers, dans lequel il
quelques-uns ne sont pas assez n' y a pas une creature depuis la
épris de l' amour de Dieu pour garder plus grande jusques à la plus petite,
ses commandemens en consideration laquelle ne declare la sagesse, la
de ce qu' il est souverainement puissance, et la bonté du souverain
bon, ils peuvent adjouster architecte. Voyla donc la
la peine de l' enfer, à ce qu' ils premiere intention de Dieu, qui a

152
voulu se manifester en ces façons ; dieu quel travail, veu qu' il n' est
il a fait comme un grand prince, question d' autre chose que de
lequel venant à la couronne, offre vous obeyr : et quoy, si nous obeissons
ses faveurs à tout le monde, promet au roy avec tant de facilité,
des recompenses, et des dignitez et d' affection, avec quel ardeur devons
à un chacun, et declare que nous marcher quand il est
son intention est que tous ses sujects question d' obeyr à Dieu ? C' est à
fassent bien, et vivent en bonne quoy je vous convie, et vous conjure
intelligence. entant qu' il est en moy ; asseurez
Pour cet effect il leur donne vous que vous aurez plus de
des loix qu' il veut estre observees, p650
de façon qu' il destine des peines à contentement dans une heure obeissant
ceux qui les violeront, desirant à Dieu, et vous comportant
p648 selon sa saincte volonté, laquelle
qu' on le recognoisse tres-juste il nous a declaree en l' escriture
prince, et grand amateur de la justice ; saincte, et par son eglise,
dites moy s' il vous plaist, que vous n' avez eu en toute vostre
quand il chastira les transgresseurs vie, depuis que vous avez embrassé
de ses ordonnances, cela fera-il ce malheureux party.
qu' il n' ait pas eu intention de faire Mais passons à l' autre quatrain,
bien à un chacun ? Nullement ; dans lequel il change de batterie,
mais ce sera la seule faute des rebelles, et fait cet enthymeme icy ; le pere
qui n' auront pas voulu correspondre, parmy nous ne voudroit pas malfaire à
et cooperer avec l' intention ses enfans, ou du moins les punir
de leur prince, lequel sera eternellement,
autant loüable en la justice qu' il donc Dieu ne le peut vouloir faire,
rendra en les punissant, comme puis qu' il est pere de ce tout . S' il nous
en la recompense qu' il donnera à estoit permis de comparer Dieu
ses fideles serviteurs. C' est ainsi à l' homme, nous nous bastirions
que Dieu a eu intention qu' un un beau dieu, car il faudroit que
chacun fust sauvé, car il nous en a nous transportassions toutes nos
donné les moyens tres-faciles, et imperfections dans la divinité, ce
nous y ayde a chaque moment, qui est impossible : neantmoins
c' est pourquoy ceux qui se damnent il procede le plus finement qu' il
parmy tant de graces, ne peuvent p651
p649 peut, car comme il voit que la douceur
se plaindre que d' eux-mesmes. est grandement prisee entre
Prenez garde neantmoins qu' il nous, particulierement celle d' un
ne nous a pas fait tellement determinez pere envers ses enfans, il veut
à la gloire eternelle, qu' il nous persuader que Dieu ne peut
ne nous ait laissé nostre liberal arbitre, non plus chastier les meschans
afin qu' il eust des serviteurs eternellement, que le pere ses enfans.
libres, et non contraints, et que Or outre que nous voyons de
nous possedassions le paradis par bons peres, qui punissent pour
tiltre de recompense : il ne tiendra tout jamais leurs enfans en les desheritant,
qu' à nous, si nous ne l' aquerons et les desadvoüant, et
par nos travaux. Mais bon d' autres qui les font executer par

153
la justice, se conformant en cela un travail si court, si plaisant, si leger,
aux loix divines, et humaines, (ce si juste, et si raisonnable (telle
qui seroit suffisant pour decrediter qu' est l' observation des loix divines)
le 74 quatrain de ce poëte), quelqu' un est si meschant,
je dy que quand nul pere ne pourroit ou si oublieux de son devoir, qu' il
vouloir chastier son enfant, dédaigne de faire ce que Dieu demande
non pas mesme d' une peine temporelle, de luy, et qu' au lieu de le
d' un simple coup de verge, servir de tout son coeur, il se bande
ou d' une simple parole de reprehension, p654
p652 contre ses ordonnances, ne merite-il
que Dieu auroit pas d' estre puny eternellement ?
neantmoins un droit souverain, Il le merite asseurément,
et une tres-juste raison de punir les puis qu' il a mesprisé la bonté, et la
damnez eternellement, car l' homme beatitude eternelle ; et ne croy pas
dépend davantage de Dieu, que personne voulut estre advocat
et luy est beaucoup plus redevable, d' une si mauvaise cause.
qu' il n' est à quelqu' autre homme Or ce qu' il apporte touchant
que ce soit, fust-ce son pere, ou le pere plus clement vers son enfant,
sa mere, lesquels ne donnent rien n' est icy à propos, car premierement
que le corps à l' enfant, lequel ils le pere n' est pas offensé
ne peuvent engendrer, qu' au prealable par son fils en qualité de souverain,
ils n' ayent receu cette puissance comme il appert de ce que
generative de Dieu, de façon nous avons dit ; secondement, il
qu' ils luy en sont entierement ne cognoist pas la qualité de la
obligez. faute, comme Dieu la cognoist, et
Voyez donc comme tout ce par ainsi il n' en peut pas juger asseurément.
qui est dans la nature a une souveraine Troisiesmement l' offense
obligation à Dieu, qui ne entant qu' elle est infinie,
peut jamais estre assez loüé par n' est pas faite contre le pere, qui
toutes les creatures, encore qu' elles est limité, mais contre Dieu, puis
se convertissent toutes en voix, que le peché est une aversion du
en langues, en pensees, et en loüanges, p655
p653 souverain bien, et du createur, et
et neantmoins afin que cette un retour à la creature ; c' est ce retour
loüange fust eternelle, et que le au plus, que le pere chastie ;
contentement des hommes ne finist mais Dieu estant aussi juste, qu' il est
jamais, Dieu leur a preparé un misericordieux, ce seroit merveille
lieu, où ils puissent faire cela avec s' il ne punissoit tres-justement.
une felicité, laquelle ne se peut exprimer, Dieu n' est pas comme l' homme,
pourveu seulement qu' ils lequel remply de compassion ne
recognoissent en ce monde icy veut, ou ne peut pas souvent rendre
l' obligation qu' ils ont à la majesté telle justice qu' il faudroit, car
souveraine, et qu' ils obeissent exempt de passion il punit, ou recompense
à sa volonté signifiee par ses comme il faut selon l' equité,
commandemens. et la raison sans consideration
Et quoy ? Si au lieu de se mettre en des personnes, des grandeurs,
estat d' acquerir cette gloire par et des dignitez de ceux qui ne luy ont obey.

154
Pleust à Dieu que nous peussions sauvé pour ses beaux yeux, et pour
voir clairement l' horreur du sa mine, et ne sçay s' il ne pense
peché, la grande justice, et la raison point que Dieu mesme luy soit redevable
que Dieu a de le punir eternellement, des bonnes cheres qu' il
nous nous estonnerons p658
comment l' enfer n' engloutit fait, et des caresses qu' il donne à
p656 son propre corps. Il verra à la
celuy qui a offensé, si tost que le mort, pour le plus tard, si Dieu ne
peché est commis ; mais aveugles le chastie plustost exemplairement
que nous sommes, nous nous figurons en permettant, et faisant que
les chastimens divins, comme la justice le decouvre, et le fasse
les temporels, et l' eternel comme brusler à petit feu, comme il le merite,
le finy. Il ne faut pas icy que le il verra dis-je que c' est que de
deiste me reparte que puis que se moquer de la religion, et des
l' estime que nous faisons de ces chrestiens, et maudira le temps
peines, et de ces façons d' agir, dont qu' il aura employé à cela, mais ce
Dieu se sert, est humaine, et passagere, sera trop tard, car s' il attend le
que la peine du peché doit point, auquel son ame sortira de
aussi estre temporelle, et finie, car son corps, et auquel le temps de
nous avons la lumiere de la foy, et meriter sera finy, il n' y a plus de
la raison naturelle, laquelle nous pardon pour luy, ny de misericorde.
enseigne que Dieu merite un honneur Sçachez donc, monsieur, que
souverain, et que le deshonorer, Dieu ne vise point à la perdition
ou ne luy rendre ce qu' il requiert d' aucun, et que ce n' est que nostre
de nous, merite un tourment faute, lors que Dieu nous punit,
aussi grand comme le delinquant puis que nous pouvons nous sauver.
s' en trouvera capable, puis p659
que tout ce qu' il est, comme il Au reste, prenez garde que ceste
estoit hypothequé à ce devoir, est comparaison trop niaise du
p657 pere envers son enfant, ne vous esloigne
aussi obligé à la reparation, ce que de ce que ces discours vous
monstre pareillement la raison naturelle, ont mis dans l' esprit, car ils sont
comme vous avez veu cy devant : tres-veritables, et suis prest de mourir
si bien qu' il n' y a aucun sophisme, pour leur deffence.
ny aucune excuse, qui nous Le D je ne doute plus en aucune
puisse garantir de ce supplice. Veritablement façon de la fourbe, et de l' ignorance
il est bien raisonnable de nostre poëte, qui à
que si la gloire de ceux qui font voulu nous persuader ses caprices
bien, et honorent Dieu, est infinie, mensongeres, et trompeuses, au
que la peine de ceux qui font le lieu de la pure verité ; achevons vistement,
contraire, soit infinie. Faites donc il m' ennuye fort que ce
(ô mon Dieu) que vostre honneur, n' est fait, car je suis lassé d' entendre
et vostre justice soit garantie de la tant d' impietez sorties de la
dent du meschant deiste, et que bouche, et de l' esprit d' un si meschant
personne ne vous attaque jamais, homme ; voicy ce qui suit.
(...). Le Deiste
Le deiste voudroit bien estre d' où je conclus que puis que Dieu ne nous a

155
peu faire naistre pour un malheur sans fin, quelque chose qui en peut arriver,
que ou quelque vie qu' ils menassent,
p660 sans les astraindre, ou les
nous parviendrons tous au repos que l' obliger à faire cecy, ou cela ; or ce
amour p662
divin nous a l' imité pour nostre meilleur fondement s' en allant par terre, et
estre. estant tres-faux, tout ce qu' il pense
en fin pourroit-il nous quitter, puis que conclurre est ridicule, et contre
nous sommes son principal ouvrage ? toute sorte de verité.
Pourrions L' ordre que Dieu a voulu observer
nous parvenir qu' au but où sa bonté a visé dans l' univers, a esté, et est
devant (pour ce qui touche les anges, et
tout aage. les hommes) qu' ils se comportassent
Le Theol je respons que ce en ce qui est de leur liberté,
qu' il veut inferer, de ce que Dieu comme il leur plairoit, de sorte
ne nous a pas fait naistre pour nostre qu' il a promis assistance à un chacun
malheur, sçavoir est, que nous pour vouloir, ou ne vouloir
serons tous sauvez, est aussi faux pas tout ce qui luy semblera bon,
comme la parole divine est veritable, mais à condition, et avec une promesse
laquelle nous asseure du infallible que s' ils vouloient
contraire, de sorte qu' il faut aussi garder ce qu' il leur prescriroit,
bien croire que ceux qui meurent qu' il leur donneroit un eternel
sans repentance de leurs iniquitez, contentement, par lequel ils auroient
seront damnez, comme nous tout ce qui se pourroit souhaitter ;
croyons que les justes seront sauvez. au contraire s' ils mesusoient
Car c' est un mesme Dieu, et de leur liberté, et qu' ils ne
une mesme foy, qui nous enseigne voulussent pas suivre le chemin
l' un, et l' autre. p663
p661 royal de ses ordonnances, qu' il
Il est vray que nous parviendrons les puniroit eternellement, (...).
tous à la gloire eternelle, Je respons au 76 quatrain, que
s' il ne tient à nous ; mais voulez Dieu ne se des-unit pas des meschans,
vous que Dieu sauve une personne bien qu' il les punisse, car il
malgré qu' elle en ait ? Il n' y a leur est aussi present, quand à ce
nulle apparence : il faut donc que qui est de son essence, et de sa puissance,
nous y apportions du nostre, et comme il est en paradis,
que nous usions de nostre liberté mais il s' en des-unit seulement en
en élisant le bien, et le moyen, que ce qu' il ne leur donne pas la recompense
Dieu a voulu qu' on tienne pour des justes, et leur denie
aller en paradis. Mais ce qui a fait sa grace, par ce qu' ils l' ont mesprisee.
tomber vostre poëte dans cet erreur, Disons donc que Dieu n' est pas
est qu' il a pensé, ou qu' il a voulu moins bon, quand il punit les meschans,
faire à croire aux ignorans, que au contraire, s' il se pouvoit
Dieu avoit tellement creé les hommes faire que Dieu fust meilleur dans
dans cet univers, que de toute une action, que dans une autre, il
eternité il avoit absolüement faudroit dire qu' il seroit meilleur
voulu que tous fussent sauvez, en punissant les mauvais, qu' en les

156
p664 p666
espargnant, ou ne voulant pas les de plus, ils vomiront des injures contre
chastier. nous, comme faisoit Ulespiegle contre ceux
Le deiste pense que Dieu se qui
change, s' il punit ceux qu' il vouloit découvroient ses couleurs, et ses peintures.
estre sauvez, mais il se trompe car ils veulent que nous soyons des souches
lourdement, car par la mesme volonté, insensibles pour nous ranger à leurs
par laquelle il a determiné opinions.
la recompense pour les bons, par la et nous espouvanter comme une nourrice
mesme il a determiné le supplice laquelle effraye ses petits pour regler leurs
pour les meschans ; il n' est non plus jeunes appetits, à ce qu' ils nous puissent
vray de dire que Dieu abandonne ranger
son ouvrage, lors qu' il chastie les sous leur diadesme.
damnez, au contraire il monstre mais tout ce qu' ils nous sçauroient dire
qu' il en a grand soing, leur donnant n' est que pour effrayer les sots, qui se
ce qu' ils ont merité. laissent
Dieu par sa misericorde nous decevoir à l' ignorance, laquelle les
vueille preserver de ceste misere, embeguine
et nous fasse la grace de nous esloigner d' une fausse creance.
l' esprit de ces impietez. Il est Le Theol j' ay voulu vous laisser
vray que Dieu a visé de toute eternité rapporter ces 7 quatrains tout
à nostre salut, mais ç' a esté en d' un coup, par ce qu' ils appartiennent
y comprenant nostre liberté, et à une mesme impieté ; et bien
p665 que vous voyez assez par ce qui a
son bon usage. Que ce poëte voye, esté dit cy dessus, que tout ce qu' il
et qu' il se tâte le poux, et la conscience, rapporte ne sont que pures sottises,
il treuvera qu' il a souvent je vous diray encore quelque
mes-usé de sa liberté, et qu' il ne p667
tient qu' à luy, qu' il ne quitte ses chose sur ce suject. Son 77 quatrain
erreurs, et ses phantaisies. Poursuivez. me semble fort obscur, neantmoins
Le Deiste je pense qu' il veut comparer
bien que Dieu nous voulust reduire dans l' ces deux punitions icy, sçavoir
ancien est ou d' estre damné , ou d' estre
chaos, est-ce pas blasphemer de le taxer de reduit au neant , et crois qu' il pense
nous mettre au repos où nous estions, avant que ceste derniere peine du neant
que est moindre que celle du dam, ce
d' estre, en ce principe mesme. que supposant, il veut accuser Dieu
je sçay qu' on nous fera icy des contes d' injustice, s' il nous reduisoit en
fabuleux l' ancien chaos à cause de nos offenses.
pour nous faire quitter les maximes les Or soit que ceste reduction
plus evidentes. au neant doive estre estimee un
et qu' on nous dira que les effects divins plus grand supplice que celuy de
nous sont impenetrables, et que nos sens, et l' enfer, comme la pluspart des
nos raisons nous trompent souvent, comme s' theologiens disent, à cause que la
il damnation suppose l' estre en son
n' y avoit rien de certain que leurs songes, et entier, que l' aneantissement destruit
leurs fables. tout à fait ; soit que la peine

157
du dam soit plus grande, comme puis qu' il ne veut pas que Dieu
d' autres pensent à raison de ces puisse rien faire, que nous ne puissions
paroles que nostre Seigneur prononça p670
p668 comprendre, ce qui nous
en parlant de la trahison de rend égaux à Dieu, car si nous penetrons
Judas en son endroit, (...), il est tres-asseuré tout ce qu' il peut faire,
que si Dieu reduisoit tous nous en sçaurons autant que luy ;
les hommes, non seulement qui nostre science sera donc infinie,
sont meschans, et reprouvez, mais donc nous serons des dieux, ce qui
tous les bien-heureux, et tout le est une chose tres-ridicule, et impossible.
monde au neant, qu' il ne pourroit Je suis fort esbay, comme il s' est
estre accusé d' injustice, que tres- tant oublié dans ce quatrain, veu
injustement, qu' il fait le grand dialecticien, et
et sans raison : mais le philosophe ; s' il estoit tel, il eust
c' est assez que Dieu ne fasse pas incontinent aperçeu qu' il faut
ceste reduction, à ce que ce quatrain que les objects respondent à la
soit sans fondement ; par où puissance, or les objects de la puissance
il appert que ce poëte n' a qu' une de Dieu sont infinis, et ne se
chetive rime sans raison. peuvent penetrer qu' en penetrant
Pour le 78 quatrain, vous voyez la mesme puissance ; nostre
combien cet homme est sot, et ridicule entendement est finy, et limité, et
avec ses boufonneries, qui par consequent il ne peut comprendre
tasche de rendre fabuleux tout ce ny la puissance divine, ny
qui appartient à la theologie, et à toutes ses oeuvres : qu' il me die si
la religion ; vous avez apporté dans p671
les quatrains precedens ce qu' il ce sont fables que cela.
p669 Or que nos sens, et nos raisons
appelle fables, où je vous ay monstré nous deçoivent, je n' en veux que
la fausseté, et l' erreur de son dire, mille, et mille experiences, qui se
ce qui n' est pas besoing de repeter ; voyent tous les jours, ce que la perspective,
or au lieu de faire quitter les la catoptrique, et la dioptique
maximes claires, et evidentes, enseignent assez en ce qui
nous les establissons plus fort, n' y est des objects, et des rayons de la
ayant aucune verité, que les chrestiens veuë : si nos raisons ne nous trompoient,
n' embrassent de bon coeur, d' où viendroit qu' à peine
comme procedante de Dieu pere peut-on proposer aucune question
de la verité. de philosophie, qu' il ne se
Voyons le 79 quatrain, par lequel treuve diverses opinions toutes
il se moque de ce que nous contraires sur le mesme suject, lesquelles
disons, que les oeuvres de Dieu surmontent ont toutes leurs raisons, et
nostre capacité, et qu' il neantmoins il n' y en a qu' une veritable.
n' y a rien de certain que ce que Voyez je vous prie, lors
Dieu a revelé, et nous a appris, car qu' on propose un affaire au conseil
c' est cela qu' il appelle songes, et des roys, ou mesme dans les
fables : si bien que si nous voulons plus petites communautez, combien
croire à ce rimailleur, la puissance il se rencontre de diverses
divine sera merveilleusement petite, opinions, et de raisons contraires,

158
p672 Je croy que vous avez assez veu
il faut donc que quelques-uns par ce que nous avons dit cy devant,
soient deceus, et que celuy, par que les raisons qu' ils nous
exemple, qui conclud la guerre, se opposoient, comme forteresses
trompe, lors qu' elle apporte plus inébranslables, ne sont que
de mal que la paix, et tout le contraire chimeres, et conceptions, ou conclusions
de ce qu' il se promettoit errantes dans quantité de
par ses raisons. testes malfaites, et de cerveaux
Les medecins font ils pas le mal timbrez. Vous voyez donc
mesme, lors que nonobstant toutes que c' est fort mal à propos qu' il
leurs raisons, et leurs consultations, nous reproche l' honneur que
il arrive souvent tout le nous rendons à Dieu, lors que
contraire de ce qu' ils pensoient, nous confessons ingenuëment
et font souvent mourir avec leurs que ses oeuvres sont si excellentes,
medecines, et leurs seignees ceux que nous ne pouvons les entendre,
lesquels eussent encore vescu plusieurs ou les penetrer, et que nous
annees. protestons que nostre raison, pour
Ozias nous a monstré par son estre trop foible, ou mal deduite,
exemple combien nous sommes ne peut arriver à la verité des operations
sujets à estre deceus, lors qu' il ordonna divines ; ce que nous experimentons
qu' on livreroit la ville de tous les jours ; mais passons au
Bethulie dans cinq jours, s' il ne venoit 8 o quatrain, dans lequel il
du secours, se fiant par trop p675
p673 monstre qu' il est un second espiegle,
au conseil humain, et ne se confiant et un homme sans jugement
pas assez en la misericorde de comparer les chrestiens à ce
de Dieu, c' est pourquoy Judith reprit belistre : et ne se trompe pas moins
ce conseil là fort aigrement. quand il dit que nous vomissons
Il ne faut donc pas que le deiste des injures contre luy, car bien
treuve estrange, si nous disons que que nous eussions toutes les raisons
nostre raison se trompe souvent, du monde de le faire à cause
puis que cela est tres-vray, et que de son impieté, neantmoins vous
nous ne pouvons comprendre les pouvez voir à nostre façon de proceder,
mysteres divins ; cela ne vient pas si on luy vomit des injures,
de ce que la raison repugne à la nonobstant celles qu' il dit contre
foy, mais de nostre foiblesse, car il l' eglise catholique, que Dieu vengera
n' y a point de raison qui soit contraire un jour ; ce qu' il auroit desja
à la foy, puis que Dieu est fait, n' estoit qu' il attend ce miserable
aussi bien autheur de l' une que de poëte à resipiscence.
l' autre. Je défie tous les deistes, Mais voyons en quoy il nous
et tous les logiciens du monde de compare à cet Ulespiegle ; outre
pouvoir apporter une raison qui les susdites injures il veut persuader
s' oppose tellement à la foy, qu' on par sa rime, que la religion
ne puisse les accorder, et monstrer chrestienne n' est point, non plus
que cette contrarieté est pretenduë, que les tableaux de cet homme
et non veritable. p676
p674 feint à plaisir, c' est pourquoy il

159
tasche à desraciner la creance de plus avant ; c' est en quoy ce
la religion de l' esprit de ceux qui rimeur s' est fourvoyé, car sous
ont embrassé la foy de Jesus Christ pretexte qu' il sçait faire quelque
nostre sauveur. Or c' est une injure enthymeme, ou syllogisme, bien
intollerable, et un blaspheme execrable qu' assez mal, et hors de propos, il
de comparer la religion s' est efforcé de renverser le christianisme,
chrestienne à des brides à veaux, mais s' il eust esté plus
car elle est la regle seule, unique, et sçavant, il eust fait tout le contraire,
tres-parfaite de tous ceux, qui veulent et se moqueroit de soy-mesme
imiter la vie des anges, et qui detestant son ignorance, et sa bestise :
veulent se rendre semblables par car son but est de ne suivre
leurs sainctes actions au prototype, rien que ses sentimens, croyant
d' où ils ont pris leur origine : la religion qu' il à plus de lumiere de ce costé
est à l' ame ce qu' est l' ame là, que du costé de Dieu, et de la
au corps, c' est elle qui ne nous peut religion.
tromper, et nous empesche d' estre Je vous proteste que j' ay grande
seduits par les diverses caprices, et compassion de ce pauvre estourdy,
par les fourbes des athees, et des je voudrois avoir donné une
deistes. partie de mon sang, et qu' il quittât
Prenez garde à l' impieté qu' il son erreur ; je ne doute point
veut faire couler par ses sophismes, p679
p677 qu' il n' ayt commis quelques
lors qu' il dit que les catholiques grands pechez, pour lesquels Dieu
desirent des personnes qui la puny, et la laissé aller apres ses
soient des souches insensibles concupiscences.
pour leur faire embrasser la religion ; Pleust à Dieu qu' il r' entrast un
ce qui est la plus grande imposture peu en soy-mesme, je vous conjure
qui fut jamais, car les plus de la part de Dieu, si vous retournez
beaux esprits, et les plus judicieux à Paris, où vous m' avez
sont ceux qui se captivent à croire dit qu' il demeure, que vous luy representiez
ce qu' il a pleu à Dieu nous reveler, le hazard qu' il court
voyans tresbien que leurs sentimens d' estre damné avec tous les diables,
sont trop bas, et trop ravallez et que vous taschiez de desabuser
pour les suivre, et se laisser tous ceux que vous pourrez
conduire par eux en leurs actions : decouvrir avoir esté perdus par
aussi est-ce une chose beaucoup ses malheureuses opinions, et par
plus excellente d' assujettir son esprit ses quatrains, qui contiennent autant
à Dieu, et à ses inspirations, d' impietez que de vers, ou
que de le sous-mettre aux sens, et peu s' en faut.
aux objects exterieurs. Or vous voyez clairement que
Je sçay qu' une legere cognoissance nous ne desirons pas des buches
de la philosophie peut porter insensibles, ny des veaux pour estre
l' inclination à l' irreligion, mais catholiques, au contraire les
une plus forte teinture de la mesme p680
p678 plus beaux esprits qui embrassent
science la peut aussi ramener, la raison, nous sont les meilleurs,
et la reduire à la religion, si on penetre car ils advoüent incontinent que

160
la religion, et ce qu' elle enseigne, saincte parole dans nos ames, pour
est si relevé, si sainct, et si prisable, nous faire quitter le mal.
qu' il surpasse la raison, non en la Mais ce rimeur treuve mauvais
destruisant, mais en la perfectionnant : que Dieu nous vueille ranger sous
et puis vous voyez si je vous son diademe, car lors qu' il attribuë
ay traicté comme une souche insensible, cela aux catholiques, c' est afin
je vous en fais vous mesme que son impieté se glisse plus finement,
le juge. ne s' osant attaquer à Dieu,
Le D monsieur, je ne sçaurois de peur de se rendre trop ridicule.
que dire la dessus, car vous Les catholiques n' ont autre diademe
m' avez fermé la bouche à toutes que l' honneur de Dieu, lequel
sortes d' objections, je suis parfaictement est leur coronne, et leur gloire ;
content ; et vous respons et lequel ils procurent en tout
que je n' en demeureray pas là, car ce qu' ils peuvent. C' est là leur but
si tost que je seray à Paris, ou je et leur intention ; c' est leur estude,
veux s' il plaist à Dieu retourner et leur travail, s' ils sont tels qu' ils doivent
dans trois ou quatre mois, je m' en estre.
iray le treuver, et s' il ne veut quitter Que ce poëte voye donc quel
son impieté, je sçay le moyen p683
p681 tort nous luy faisons, et si nous forlignons
de le faire prendre par la justice, de la droite raison, quand
de laquelle il ne peut esperer que nous taschons d' amener toutes
le feu pour juste recompense de sortes de nations au service de
son impieté : j' en sçay encore quelques-uns Dieu. S' il y a du mal dans un bon
de ce malheureux party, chrestien, c' est celuy là ; il n' en faut
lesquels je tascheray à ramener à point chercher d' autre. Si l' impieté
ce qui est de la verité selon qu' il ne luy silloit les yeux de l' esprit,
me sera possible. il confesseroit ingenuëment que
Le Theol le 82 quatrain apporte l' eglise catholique est une vraye
une autre comparaison d' une mere nourrice, laquelle nous allaicte
nourrice, mais qui est aussi niaise de la vraye doctrine qu' elle
que les precedentes, et qui meriteroit a en depost, et ne tourneroit jamais
que ce rimailleur fust remis une si grande verité en risee ; mais
au rang des enfans, pour estre Dieu le sçaura bien treuver, et luy
effrayé par le foüet, puis que la raison fera ressentir tost, ou tard les peines
ne luy sert de rien : or bien que deuës à son impieté, par laquelle
les predicateurs donnent de la terreur il conclud au dernier quatrain,
aux meschans en leur proposant que toutes les raisons que
les peines de l' enfer deuës aux fournit la theologie en faveur de
pechez, neantmoins ce n' est pas la foy catholique, ne peuvent faire
pour les effrayer vainement, mais p684
pour leur faire quitter leurs mauvaises peur qu' aux sots, et aux ignorans.
p682 Je vous asseure que celuy-la seroit
coustumes, et leur faire embrasser bien sot, et bien ignorant,
la vertu : ce ne sont pas tant qui se laisseroit persuader par ce
les predicateurs, que Dieu mesme, rimailleur, et meriteroit qu' on
qui plante la crainte par sa l' emprisonnast au fond de l' Arcadie,

161
s' il avoit les oreilles si longues, qu' il a esté grandement deceu jusques
et si grandes que ces blasphemes, à present, ou plustost tres-pernicieux,
et ces impietez, aiguës en subtilité et tres-meschant.
comme une boule, luy peussent
entrer dans l' esprit.
Il faut aussi que vous remarquiez CHAPITRE 23
l' impudence de cet homme, p687
qui s' estime tout seul plus capable, dans lequel les penitences, que font les
que tous les apostres, que chrestiens en se chastiant, par diverses
tous les saincts, que tous les docteurs, austeritez du corps, sont deffenduës
que tous les chrestiens, contre les objections des deistes :
que tous les patriarches, et prophetes, et auquel est prouvé qu' elles sont
qui ont esté depuis le commencement du fort agreables à Dieu, et leurs quatrains
monde jusques à sont refutez depuis le 84, jusques
present, et qui ont tousjours provigné au 89.
p685 Le Theologien
la foy, et la religion qu' ils avoient voyez s' il y a encore quelque
receuë de Dieu ; bref il se chose dans ce poëme,
fait plus sage, et plus clair-voyant qui vous fasse de la peine,
que Jesus Christ mesme, lequel il afin que nous achevions promptement,
accuse de nous avoir embeguinez car sa longueur commence
d' une fausse creance, car c' est à m' ennuyer.
vrayement de luy que nous tenons Le D il reste encore vingt-trois
la religion, c' est par luy, que p688
nous esperons d' estre sauvez, bref quatrains, ausquels je desirerois
c' est celuy là par qui le monde a fort que vous eussiez respondu, car
esté fait, (...), et par qui le ils ont esté cause que jusques à
malheureux deiste subsiste en present je me suis addonné à toutes
son estre, et en ses actions. sortes de plaisirs, quand j' ay
ô Dieu ! Est-il possible que vous peu les prendre sans crainte de
permettiés qu' un si meschant homme chastiment ; si bien que vous redoublerez
vive sur la terre, et qu' il donne sujet l' obligation que je
d' un tel scandale à vos enfans ! vous ay desja (si toutesfois une infinie
Jusques à quand attendez vous à obligation se peut redoubler)
le punir ? Sa mesure est-elle pas encore quand vous aurez monstré
pleine ? N' a-il pas encore assez l' erreur des quatrains suivans.
fait de mal ? Faites luy s' il vous plait Le Theol je ne veux pas vous
p686 refuser, puis que nous sommes si
la grace de se convertir à vous, et pres de la fin, et que je voy que cela
de quitter tout à fait son erreur, vous affermira davantage dans
afin qu' il desabuse ceux qu' il a la religion catholique, laquelle ce
pervertis, et de l' embeguinement maudit deiste, et libertin malheureux
qui l' emprisonne emmy si grandes s' est efforcé de ruiner par
impietez, transportez-le à une son poëme ; poursuivez donc s' il
vive foy, et à une clarté d' esprit, qui vous plaist.
luy fasse sentir, advoüer, recognoistre, p689
et publier à tout le monde, Le Deiste

162
quant à ceux que l' on voit se battre et p691
tourmenter, les un peu : la premiere est qu' on
afin de se punir des deffauts de leur vie, ne treuve point que Dieu se delecte
où treuvent-ils que Dieu se puisse delecter en cette agitation, qui se fait
en l' agitation d' une telle folie. en se frappant, et en se macerant,
Si par devant un juge un voleur ne sçauroit lors qu' on veut appaiser l' ire de
se purger de son crime en punissant soy- Dieu par penitence : la seconde,
mesme, que ce n' est pas à faire à un criminel
pourquoy veut le bigot que Dieu en cet de se punir soy-mesme ; et qu' il
endroit ne peut estre juge, partie, et bourreau
donne ce privilege à la sottise humaine ? tout ensemble : la troisiesme,
Se mocqueroit-on pas de voir un malfaicteur que nous n' avons que trop de
de juge, et de partie entreprenant la charge, malheurs sans nous en procurer
de sa propre sentence estre l' executeur, de nouveaux, autrement que c' est
et en representer l' acte, et le personnage ? estre frenetique, et meschant : la
Avons nous pas assez de naturels malheurs derniere, que c' est usurper l' authorité
sans nous en inventer ? Est-il rien plus de Dieu, et l' office des diables ;
inique c' est donc à ces raisonnettes qu' il
que de nous procurer de nouvelles douleurs, faut respondre.
ny qui ressente plus une ame frenetique ? Quand à la premiere il est bien
Si Dieu veut envers nous user de chastiment aysé de monstrer que Dieu se
par des esprits malins bourreaux de sa plaist à la peine, et aux douleurs,
justice, que nous endurons pour luy, ou
pourquoy veulent ceux-cy usurper folement p692
de Dieu l' authorité, et de ceux-là l' office ? pour ce qui luy appartient, car en
p690 cela nous nous esprouvons nous
Le D j' ay voulu rapporter ces mesmes, afin de voir si nous l' aymons
5 quatrains tous ensemble, parce comme il faut ; et nous nous
qu' ils buttent à mesme fin, comme preparons en quelque façon au
vous voyez, afin que vous martyre, les penitences que nous
n' eussiez point la peine de rebattre faisons pour cet effet de nos propres
plusieurs fois une mesme matiere. mouvemens, estant comme
Le Theol vous avez bien les preludes du martyre, si jamais
fait ; mais commençons un peu à il se presente.
taster le poux à ce deiste, lequel Or sus je vous veux faire paroistre
n' en diroit pas davantage, s' il avoit que l' affliction du corps qu' on
esté gagé pour plaider la cause de endure volontairement, est fort
ceux qui ont la peau trop delicate, agreable à Dieu, de sorte neantmoins
le courage trop mol, et qui font que je ne veux pas rapporter
un paradis des delices de ce monde : tous les passages de l' escriture
croyez que les penitences ne luy saincte, qui monstrent cela evidemment.
ont pas fait beaucoup de mal, car Je me contenteray de
il s' en esloigne merveilleusement, l' exemple de Daniel, lequel pour
et afin qu' un chacun les fuye, les se rendre agreable à Dieu, se mit
haysse, et les ait en horreur, il tasche à jeusner, et à coucher sur la cendre,
de convaincre l' esprit, ou plustost et se couvrit d' un cilice, ce qui
le sens par ses raisons. Voyons p693

163
luy reüssit si heureusement que nous nous donnons volontairement
Dieu luy envoya un ange pour pour imiter Jesus Christ en ses
l' asseurer que tout le peuple seroit tourmens, font que nous nous
delivré ; si vous en voulez voir tout marquons de sa livree, selon l'
le narré, vous aurez un grand plaisir advertissement
de lire le neufiesme chapitre de de Sainct Pierre en sa
Daniel. premiere epistre chapitre 4 (...). Voyla les
Ceux de Ninive ont fait assez armes
paroistre combien les peines du de la passion que Sainct Pierre veut
corps, et les afflictions volontaires p696
sont agreables à la divine majesté, que nous ayons dans la pensee, et
car si tost qu' ils eurent affligé par consequent à la main, puis que
leurs corps par jeusnes, et par la pensee doit servir pour venir à
cilices, Dieu leur pardonna, nonobstant la pratique. Ce qui est encore plus
que Jonas en fust mescontent, exprez au deuxiesme chapitre, lors qu' il dit,
pensant que sa prophetie avoit (...).
manqué. Sainct Paul nous Pleust à Dieu que cette verité
fournit un passage parlant de soy-mesme fust entree si avant dans l' esprit de
dans la premiere epist. Aux vostre poëte, que de railleur qu' il
corinthiens, chapitre 4 qui peut est, il devint si bon penitent, qu' il
fermer la bouche à vostre poëte, ne se passast jour en sa vie, qu' il ne
et à tous les libertins, lors qu' il dit, fist une rude penitence pour l' expiation
p694 de ses pechez, je vous asseure
(...). Il n' est pas besoin que cela luy seroit fort necessaire,
de s' arrester beaucoup sur et luy conseillerois volontiers,
chaque passage, car tout le nouveau que s' il n' a assez de courage,
testament enseigne cette de force, ou de resolution pour
verité, et nostre Seigneur en Sainct se punir soy-mesme selon la grandeur
Mathieu chapitre 16 nous y convie, de ses offenses, qu' il prenne
si nous voulons le suivre, (...) ; avec luy quelque bon serviteur,
or il n' y a point de doute p697
que les peines, et les douleurs, qu' il s' il a moyen de le nourrir, ou quelque
a endurees tant en sa flagellation, amy qui luy puisse faire ce
que quand on le couronna d' espines, bon office, le traittant en criminel
et ailleurs, ont esté sa croix ; de leze majesté divine sans l' espargner
et par consequent si on veut le suivre, en aucune façon.
il est certain qu' on fait fort Mais apres l' escriture saincte,
bien de l' imiter en ce qu' il a enduré il faut apporter quelques raisons,
p695 puis que ceux de vostre secte s' efforcent
pour nous ; ce qui a fait dire à de persuader que c' est sans
l' apostre escrivant aux galates raison, que les chrestiens s' affligent
chapitre 5 (...) : c' est pourquoy le corps, et crucifient leurs
celuy-là qui sera couvert de meurtrisseures membres pour les rendre conformes
pour l' amour qu' il porte au corps de Jesus-Christ. La
à Jesus-Christ, pourra bien dire premiere sera donc prise de ce
avec Sainct Paul : (...) : car les qu' il n' y a rien plus honorable à
peines que nous endurons, et que un soldat, que d' imiter les proüesses

164
de son capitaine, or les catholiques nous recevrons une recompense
ont Jesus Christ pour leur eternelle en paradis. Je laisse plusieurs
chef, sous lequel, et par la conduite p700
duquel ils bataillent, ils ne peuvent autres raisons, telles que
donc rien faire de plus genereux sont celles-cy ; que par ce moyen nous
que de se couvrir de douleurs, d' afflictions, venons facilement au mespris des
p698 delices, et delicatesses du monde ;
et de pauvreté pour l' amour que nous supportons plus facilement
de celuy, qui a tant enduré les peines, et adversitez, qui
pour eux. nous arrivent apres : que nous
La seconde est parce qu' un homme pouvons ayder les ames detenuës
soigneux de la vertu doit prendre en purgatoire par ce sainct exercice
garde que la partie inferieure, de penitence : que nous augmentons
sçavoir est le corps avec ses inclinations, le thresor des penitences,
et ses appetits, ne surmonte et des satisfactions, lesquelles
la partie superieure, et fasse la se retreuvent dedans l' eglise catholique.
loy à la raison ; qui est la plus grande Il faut maintenant respondre
confusion, qui puisse arriver au aux objections de vostre poëte,
microcosme ; or la peine qu' on car c' est par icelles qu' il veut persuader
donne au corps pour rabattre ses ses erreurs. Pour la premiere
mouvemens, et le tenir en bride nous l' avons desja refutee en
comme un cheval fort en bouche, monstrant que Dieu a pour agreable
sert pour empescher qu' il n' abbate telles punitions, et penitences
l' esprit, et ne se rende le maistre volontaires ; j' adjousteray neantmoins
de l' homme, au lieu qu' il doit estre p701
le serviteur. qu' il ne peut estre desagreable
La troisiesme est qu' il est bien à l' autheur de la nature de voir
raisonnable que ceux qui ont offensé que ses creatures s' employent à
Dieu par la volupté du des exercices, par lesquels elles desireroient
p699 de tout leur pouvoir
corps, fassent faire amande honorable luy rendre actions de graces, et luy
à ce corps mesme, afin que (...) : c' est offrir chose, qui recompensast le
ainsi que Dieu, que la nature, et la present de l' estre, et de tout ce que
raison l' ont ordonné. C' est en ceste nous sommes : de sorte que tout ce
façon qu' on satisfait à la justice que feront les creatures raisonnables
divine à beaucoup meilleur prix, pour cet effect, sera estimé
et plus viste que quand on est en partir d' une bienveillance, et de
purgatoire, à cause que les peines l' action de graces, que nous taschons
qui sont icy libres, et volontaires, de rendre à l' eternel, or les
ont beaucoup plus de pouvoir, peines que nous endurons volontairement,
que les autres qui sont necessaires, et dont il est question,
et contraintes. sont tesmoignages de nostre soumission,
La quatriesme est par ce que et bienveillance envers
pour une legere peine que nous Dieu, car nous voulons monstrer
nous donnons icy pour l' amour par là, que nous luy appartenons
de Dieu, et pour nous rendre conformes tant en ce qui est du corps, qu' en
à son fils nostre sauveur, ce qui est de l' ame ; voicy comment :

165
p702 estre blasmé, lors qu' il fait subir
lors que nous avons commis au soldat, qui a desrobé, la peine
quelque peché, duquel la conscience, deuë à un tel delit ; car la raison
et la lumiere de la raison est la maistresse, le pere, le capitaine,
nous reprend, nous voyons incontinent et le chef au regard de son
que la mauvaise inclination propre corps ; mais cela est trop
de la nature corporelle a emporté clair, passons à la seconde raison,
le dessus sur la raison, et que par laquelle il nie qu' on puisse estre
le commandement de Dieu a esté son juge, sa partie, et le bourreau
enfraint par ceste action, et pour de soy-mesme.
monstrer le desplaisir que nous avons Pourquoy non ? Les payens mesmes
de nos offenses, parce qu' elles n' ont ils pas pratiqué cela, lors
s' opposent au vouloir de Dieu, qu' ils ont fait rendre conte tres-exact
nous affligeons nos miserables à leur ame de ce qu' ils avoient
corps, particulierement lors que fait toute la journee ? Voyez
le peché s' est fait par la volupté d' iceluy, Seneque le philosophe, et Epictete,
afin que nous luy apprenions vous m' advoürés que beaucoup
par experience, puis qu' il de grands personnages, qui n' avoient
n' a point de raison, combien c' est que la lumiere de la raison
une chose abominable, et meschante pour leur guide, et leur fanal, se
de quitter les commandements p705
du createur pour une chetive sont donné beaucoup de peine
p703 tant par leurs abstinences, que par
volupté, qu' on prend en l' offensant. d' autres privations de volupté, telles
Et en ceste façon nous reparons que sont les veilles, et le coucher
tant que nous pouvons l' honneur sur la dure, afin de domter les
deu à Dieu ; du moins nous vicieuses inclinations de leur naturel,
tesmoignons que l' action mauvaise et d' acquerir la vertu.
nous a esté fort desagreable, La raison pourquoy une mesme
puis que nous nous chastions personne peut estre juge, et
nous-mesmes ; et que le corps doit partie, accusateur, tesmoing, et
s' employer à recognoistre son bourreau est par ce qu' il nous appartient
createur ; les marques de recognoissance de sindiquer nos propres
sont les peines, et les actions, puis que nous devons avoir
tourmens que nous luy faisons soing de nous-mesmes, et que
souffrir pour l' assujetir à la raison, nous sommes composez de deux
et le soumettre à Dieu : ce qui est parties, sçavoir est de l' ame, et du
tres-juste, puis qu' il ne depend pas corps, de l' appetit superieur, et de
moins de Dieu, que nos ames. l' inferieur, de l' homme interieur,
Si ce n' est que vous pensiez et de l' exterieur, de la partie raisonnable,
qu' il soit injuste qu' un maistre et de la brutale ; or puis
chastie son serviteur, lors qu' il que la loy naturelle, et la divine
luy a desobey ; si ce n' est qu' un pere nous obligent de rendre l' appetit
ne fasse pas bien en corrigeant p706
p704 inferieur suject à la raison, c' est à
son fils quand il a manqué à son nous d' aviser, et de pratiquer les
devoir ; ou que le capitaine doive moyens, qui nous peuvent servir

166
à cela, entre lesquels, sans doute, esprit : et sçay que jamais homme
sont ceux là, qui domtent la rebellion de bon jugement ne reprendra ceste
de la chair, et de ses concupiscences, procedure, pourveu qu' il se
et appetits dereglez, et qui donne le loisir d' en considerer la
luy font vivement ressentir que raison, la justice, et l' utilité.
ce n' est pas en la volupté du corps Venons à la troisiesme raison
que consiste nostre souverain du deiste, qui est, que c' est estre
bien. frenetique de se procureur de
De là vient que nous honorons nouveaux malheurs apres un si
Dieu par ceste consideration, d' autant grand nombre, qui nous tallonnent
que nous recognoissons par tousjours ; je croy qu' il ne deviendra
les peines, desquelles nous chastions pas frenetique en ceste
nostre corps, et par toutes façon, car il a fait une trop estroite
les autres voluptez, desquelles alliance avec les plaisirs. Or vous
nous nous privons volontairement, voyez qu' il choppe des l' entree,
que ce n' est pas dans les plaisirs de car les tourmens que nous embrassons,
ce monde que nous mettons nostre ne nous sont pas des
beatitude, mais en Dieu seul : malheurs, au contraire ils nous
et que nous aymons beaucoup p709
p707 servent comme d' entree au bonheur,
mieux perdre tout le reste, que si le bon-heur d' icy bas s' aquiert
d' estre frustrez de nos esperances, par la vertu, et par le mespris
qui nous font attendre le sejour des voluptez ; et si celuy de paradis
des bien-heureux. s' aquiert par l' amour, et par
Voyla donc pourquoy la raison le tesmoignage d' amour, que
fait l' office de rapporteur, et de nous portons à Dieu, à la vertu, et
conseiller pour adviser qu' elle à tout ce qui plaist à Dieu.
peine il faut que souffre le corps, Il faut donc que ce rimeur oste
et l' appetit brutal, qu' elle a sous sa de sa caprice, et de ses quatrains,
charge, et en sa curatelle, apres l' avoir que ce que nous endurons de bon
convaincu d' avoir esté rebelle coeur pour l' amour de Dieu, et de
à l' esprit, et de n' avoir suivy la droite la justice, nous soyent des malheurs ;
raison ; et puis l' ayant condamné s' il se fust souvenu que jamais
à endurer cecy, ou cela, elle un malheur n' arrive que contre
prend elle mesme les armes à la nostre volonté, et lors qu' il
main, et le punit comme il faut, nous fait perdre un plus grand
jusques à ce qu' elle voye que c' est bien que celuy qu' il nous apporte,
assez. il ne se fust pas égarré en si beau chemin.
C' est ainsi qu' il est permis, et Disons donc qu' il ne peut arriver
grandement loüable non seulement un plus grand heur à un homme
à un chrestien, mais à tout p710
homme tant barbare, tant docte, dans ce monde icy, que quand il
p708 a tellement combattu son appetit
tant riche, pauvre, fort, ou foible dereglé, et rendu son corps soupple,
qu' il soit, de se punir apres avoir et soubmis à la raison, et à la
contrevenu à la loy de nature, laquelle loy de Dieu, qu' il ne sent plus aucune
est gravee dedans nostre rebellion, ny contrarieté

167
dans soy-mesme, et que l' esprit, et ou malheur ce qui cause un souverain
le corps s' unissent parfaitement bonheur ?
pour obeyr à Dieu, et pour embrasser pour qui toute souffrance est icy bas legere.
solidement la vertu. Encore p712
ne voudrois-je pas luy accorder Le D pleust à Dieu qu' il vous
que ce qui nous arrive contre nostre souvint de tous les autres quatrains,
gré, fust un malheur, bien que afin de me les donner pour
nous en recevions un dommage rembarrer le poëme, lequel m' a
notable, car nous en pouvons faire perverty avec sa maudite poësie,
nostre profit, et pouvons tirer car je treuve que ceux-cy sont plus
de la force de ce desavantage, pour forts, et remplis de meilleures raisons
nous roidir plus fort contre les accidens que les siens, pourveu que
de cette vie, et accroistre les tous les autres soyent de mesme.
constance, et la valeur, laquelle est Veritablement je m' estimerois
necessaire à un bon chrestien heureux, s' il vous plaisoit me donner
pour vaincre les assauts du diable, ce poëme.
p711 Le Theol vous sçavez que je
du monde, et de la chair. ne prens pas plaisir à me détourner
J' estime que ces raisons vous de nostre suject jusques à ce
ont satisfait ; mais je veux respondre que nous ayons achevé, c' est pourquoy
par les quatrains suivans au 87 je vous prie d' attendre à la
quatrain de vostre poëte. fin de nostre discours, je vous promets
ce n' est donc augmenter nos naturels que je vous le donneray
malheurs pour vostre consolation, afin qu' il
comme va presumant le discours deistique puisse servir d' antidote aux rimes
que de nous procurer ces heureuses de vostre poëte. Mais quittons ce
douleurs, p713
et rien ne ressent moins une ame frenetique. 87 quatrain, car ce n' est pas là, où
car les tourmens par nous volontiers il met la force de son objection.
embrassez La derniere raison qu' il apporte,
ne sont pas des malheurs ; non, malheurs je semble nous rendre plus insolens
n' appelle que ceux qui vouloient escalader
que les seuls maux desquels nous sommes le ciel en mettant Ossa sur
oppressez Pelion, ou en batissant la tour de
contre la volonté qui s' y treuve rebelle. Babel, car il dit que celuy qui se
l' amour qui nous agite, et les fervens desirs chastie, usurpe l' autorité divine.
de pouvoir obtenir la vie souveraine, Vrayement cette conception me
font qu' en tous ces travaux nous trouvons plaist fort, puis que nous la pouvons
des prendre pour nous, et guarir
plaisirs. la playe par le mesme scorpion,
et que nous rencontrons le repos dans la qui l' avoit faite. Il est vray, c' est
peine. sous l' autorité de Dieu, que nous
ce qui nous fait avoir de tous biens le tourmentons nostre corps, car sans
meilleur, doute Dieu nous donnant la raison
l' appellerons nous mal ? Nommerons nous pour guide, et maistresse de nos
misere, actions, il luy a donné quant et
quant l' autorité de faire tout ce

168
qui estoit necessaire, afin que le Le D je n' ay point d' autre dificulté,
corps obeyt à la loy de l' esprit ; de p716
p714 sinon qu' il semble qu' on
mesme que le roy donne la puissance puisse conclurre de ce que vous
au premier president, et aux avez dit cy-dessus, qu' il est permis,
autres juges de faire tout ce qui est et loüable de se tuer soy-mesme,
necessaire pour punir les coupables, ou de se faire tuer, car puis qu' on
et faire que ses ordonnances peut s' affliger, et se macerer le
soyent gardees en son royaume. corps pour l' expiation de nos pechez,
Mais il n' est pas vray que nous et pour les autres raisons que
usurpions cette autorité, puis que vous avez deduites, pourquoy est-ce
Dieu nous donne cette puissance, qu' on ne se pourra pas mettre
si bien que nous en sommes en à mort pour les mesmes raisons ? Ce
possession legitime malgré les voluptueux qui me semble fort estrange, car
deistes, qui ne cherchent l' autheur de la nature ne peut pas
qu' à assouvir leurs appetits brutaux, prendre plaisir à la destruction de
et sensuels, quelque protestation la mesme nature.
qu' ils fassent és compagnies Le Theol il ne s' ensuit pas de
esquelles ils ont peur d' estre recognus, ce que j' ay dit, qu' on se puisse oster
ou repris. la vie, d' autant que le pouvoir que
Pour ce qui est de l' office des Dieu nous a donné sur nous mesmes,
diables, il n' est pas besoin de nous est oeconomique, et tel que
mettre beaucoup en peine de luy d' un pere de famille sur ses enfans,
respondre sur ce suject, puis qu' il ou d' un maistre sur ses disciples,
ne croit pas qu' il y en ait, toutes-fois p717
p715 ou sur ses serviteurs, desquels le
puis qu' il est tres-vray, qu' il y pouvoir n' a autre but que le bien
en a, et que vrayement ils tourmentent de celuy qu' ils chastient, sans interest
les damnez, ou que du de la vie, dont la seule authorité
moins ils les accompagnent dans publique peut disposer. Nostre
leur supplice, je luy respons que corps n' est pas moins à nous
ces malins esprits ne nous punissent que nostre ame ; il faut conserver
pas pour nous amender, ou l' un, et l' autre, et faire en telle façon
pour nous faire profiter à la vertu, que la partie la plus noble
mais plustost pour nous faire desesperer, commande à la plus basse : c' est
et quitter toute sorte pourquoy nos penitences doivent
d' honneur, et de respect deu à tellement estre reglees, que les
Dieu, si bien que c' est fort mal à operations de la partie spirituelle
propos de dire que celuy qui fait n' en ressentent nul detriment,
penitence, usurpe l' office des demons, mais plustost qu' elles en soient
qui ne fuyent, et ne hayssent aydees, et que les sentimens suivent
rien tant que la penitence. Il tout ce que voudra la raison,
me semble, qu' il n' y a deiste au afin que le corps devienne en
monde qui ne se doive contenter quelque façon spirituel, entant
de ses responces ; voyez neantmoins qu' il fuira les actions brutales ne
si vous avez encore quelque s' addonnant qu' à celles, qui seront
difficulté sur ce suject. necessaires pour cooperer avec

169
p718 je vous donneray ce contentement,
l' esprit, qui porte la ressemblance, si je treuve que le discours
et l' image de Dieu. que nous avons eu par ensemble,
Il n' est pas besoin que je m' estende soit utile au public, car comme il y
davantage sur ce suject, car a de malheureux esprits, qui tournent
la raison naturelle nous fait assez les plus douces liqueurs en
voir qu' il ne nous est pas permis poison, il faut prendre garde
de défaire ce qui n' a pas esté fait qu' en pensant estoufer le mal, il
par nous, ny par aucun qui depende ne s' accroisse davantage.
de nous, tel qu' est nostre corps Le D monsieur, vous pouvez
vivant, qui appartient à Dieu, aussi asseurement quitter ceste peur,
bien que l' ame, à laquelle il doit car j' ay souvent apperçeu lors que
servir d' eschele, et de moyen pour j' estois le plus enfoncé dans ces
se perfectionner, et se disposer à la erreurs, que quand on en a descouvert
gloire eternelle, de laquelle ils quelqu' un, tout aussi tost
jouyront tous deux ensemble, s' ils qu' il a commencé a s' esventer,
gardent une mutuelle intelligence, nous avons aussi tost commencé à
et s' ils s' entr' aydent à servir, et le quitter, et à nous jetter dans
honorer leur createur. quelque autre, demeurans tous
Le D il faudroit estre bien insensé, estonnez, et comme estourdis.
si on ne quittoit ces maudites Je ne sçache rien qui ait tant de
erreurs, apres avoir entendu force pour retenir dans l' aveuglement,
les raisons pour lesquelles les bons p721
p719 et dans l' erreur ceux qui y
chrestiens s' affligent ; pour moy je sont entrez par des voyes secrettes,
ne doute nullement que nostre et par des papiers courant sous
poëte ne soit fort ignorant, ou malicieux main entre les confidens, que de
de combattre ceste saincte n' eventer point le secret, et l' impieté,
coustume, qui est si bien appuyee. car cependant que j' ay tenu ce
Pleust à Dieu que toutes vos responces poëme caché, et que j' ay creu qu' il
fussent par escrit, je me ferois n' y avoit que peu de gens curieux,
fort de les luy envoyer, et d' en qui en eussent la cognoissance,
retenir une coppie par devers j' ay esté si presomptueux, et si arrogant,
moy pour desabuser ceux qui sont que je n' estimois personne
tombez dans le mesme labyrinte capable de mon entretien, ny
que moy ; s' il vous plaist prendre la qui eust un bel esprit, que ceux qui
peine de les reduire par escrit, suivoient, comme moy, la doctrine
quand nous serons arrivez à l' hostellerie, de ce poëme ; mais aussi tost
j' escriray aussi tout le que je vous l' ay découvert, il me
poëme, afin que l' impieté qu' il paroist maintenant si sot, et si brutal,
contient soit estouffee, et renversee que je ne l' estime digne d' autre
par vos responces, et par vos chose que du feu, non plus que son
raisons. auteur. Je ne doute pas qu' il n' en
Le Theol monsieur, nous arrive autant à tous ceux qui verront
verrons quand nous y serons arrivez : vos responses, de sorte que je
si la commodité me le permet, p722
p720 ne croy point qu' il puisse arriver

170
un plus grand bien pour desabuser où il dit que nous faisons une comedie
tous ceux qui sont de cette cabale, de la pieté, comme si nous
que de faire voir le jour à ce croyions le contraire de ce que
discours. nous disons, ou de ce que nous
Le Theol nous adviserons à faisons, et qu' en nostre ame nous
cela avec plus de loisir, quand p725
nous serons à la fin, cependant creussions qu' il n' y auroit point
poursuivez le reste de ces quatrains, de Dieu ; c' est là le sublimé de la
afin que nous couppions malice des athees, et des deistes,
toutes les testes de cet hydre. lesquels taschent de persuader à
ceux qu' ils treuvent disposez à leurs
erreurs, que les catholiques sçavans
CHAPITRE 24 croyent tout au rebours de
p723 ce qu' ils preschent, ou de ce qu' ils
dans lequel les quatrains des deistes font : car voyant que les predicateurs
sont renversez depuis le 89 jusques decreditent entierement
au 101 : et est monstré que les chrestiens leurs opinions erronees, et profanes
ne servent pas Dieu par hypocrisie : tant par la vive force de leurs
que les religieux ne sont pas discours, que par le bon exemple
oyseux, et qu' il est bon de s' abstenir de leur vie, ils veulent qu' on croye
de beaucoup de choses pour l' amour que tous les beaux esprits sont de
de Dieu. leur advis.
Le Deiste Il ne faut donc point de response
ils sont hors du sens de se feindre la pieté, à ce 89 quatrain, c' est assez de le
et d' en faire une comedie, de nous masquer nier tout à fait, car il n' est pas veritable
Dieu, et de se moquer de nostre qu' aucun chrestien estime,
aveuglement. et croye autrement qu' il ne dit,
Puis qu' ils se moqueroient d' un respect ou qu' il ne fait : il ne monstre rien
controuvé par les ignorans, pourquoy ferons p726
nous conte du leur envers Dieu ? par ses oeuvres, ny par ses discours,
Ils tournent les yeux au ciel enflez de vanité, qu' il n' ait au coeur, estant fidele, et
p724 sincere en sa devotion, et en tout
sur laquelle leur vertu est fondée, et sont ce qui appartient à la pieté, sans
si impudens qu' ils parlent plus aucune feinte, ou hypocrisie, quoy
irreveremment que ce rimailleur bouphon s' efforce
de Dieu, que du moindre du monde. de tourner tout ce qui est
N' importe point à Dieu qu' ils quittent les de plus sainct en raillerie, et en comedie.
faveurs qu' il leur fait, car ils font cela pour Le chrestien est bien esloigné
user de se moquer de ceux qui
en oysiveté des douceurs, ausquelles leur croyent en Dieu, et en Jesus Christ
appetit son fils unique, et qui suivent tout
les porte davantage. ce que commande l' eglise catholique,
Le Theologien car il est grandement fasché
tous ces quatrains icy ne sont de voir des personnes si meschantes,
que calomnies, et impostures, car qu' elles se moquent de tout
tout cela est tres-faux ; commençons ce qui appartient au service divin,
à le monstrer par le premier, et qui veulent faire à croire, que

171
ceux qui servent Dieu de tout leur nourris dans les delices chez leurs
coeur, ne le font que par un semblant, parens, et qui pouvoient se reposer
par feinte, et par hypocrisie. à leur ayse, et se donner du bon
Asseurez vous que c' est là la plus p729
p727 temps, lesquels neantmoins ont
grande fourbe, qui fut jamais : et preferé l' amour de Dieu, et le zele
vous proteste que je suis prest de de la religion catholique à tout
mourir pour cette verité, sçavoir cela. Je n' ay pas peur que vostre
est que tous les vrays chrestiens poëte les puisse accuser d' ignorance,
disent, et font serieusement tout de legereté, ou de malice,
ce qui appartient à la religion, car leur suffisance, leur doctrine,
comme ils le croyent ; et n' y a pas leur preud' homie, leur constance,
un seul parfait chrestien, qui ne et la saincteté de leur vie font assez
soit disposé à mourir pour la deffense paroistre qu' ils sont hors de
de la mesme verité, sçachant tout soupçon ; s' il ose dire le contraire,
par la certitude de la foy divine, tous les hommes de bon
qu' il est aussi veritable que la religion jugement, et tous ceux qui ont
catholique est la vraye, et l' esprit bien fait, s' esleveront contre
unique, laquelle Dieu approuve, luy, et tesmoigneront qu' il a la
en laquelle il se plaist, et laquelle cervelle renversee, et qu' il est indigne
Jesus Christ fils de Dieu vivant a de vivre parmy les hommes.
plantee par son sang, par ses miracles, Pour ce qui est du 90 quatrain,
et par ses predications, comme à peine sçauroit on deviner ce
il est veritable que Dieu est, qu' il veut dire, si ce n' est qu' il
car il n' y a que Dieu seul, qui puisse vueille comparer l' honneur que
faire les merveilles qui ont esté p730
faites en toutes sortes de façons, nous portons à Dieu, et la façon,
p728 par laquelle nous servons à sa gloire,
pour tesmoigner la bonté, et la verité et à la grandeur de sa majesté,
de nostre religion. à quelques façons de vivre, et de
Je demanderois volontiers à ce croire, que quelques idiots auroient
malheureux deiste, s' il estime que controuvees, et establies
ce soient feintes, ou hypocrisies par leur ignorance ; et par consequent
que les supplices des martyrs, les comme nous nous moquerions
austeritez des confesseurs, la chasteté de ce respect, aussi les deistes
des vierges, pour laquelle s' offencent du respect que
elles sont mortes si courageusement : nous portons, et maintenons sur
le travail des docteurs, tels peine de nostre vie, qu' un chacun
que sont Sainct Hierosme, Sainct doit porter à Dieu, et taschent de
Augustin, Sainct Chrysostome, et persuader à leurs confidens qu' un
mille autres, qui ont usé leur vie à chacun se doit offenser des façons,
la gloire de Dieu, s' abstenant des dont l' eglise catholique se sert,
plaisirs de ce monde : je laisse la nudité pour monstrer le respect qu' il faut
des capucins parmy le froid, porter à Dieu.
la solitude des chartreux, et la Mais cecy n' est que la mesme
constance des jesuistes au martyr, chanson repetee du quatrain precedent,
la pluspart desquels avoient esté car il est impossible que la

172
religion chrestienne soit une la divinité, afin qu' il peust
chose controuvee, autrement plus librement se porter à toutes
p731 p733
Dieu ne l' eust jamais approuvée sortes de vices sans aucune crainte
par tant de miracles, comme il a d' estre chastié, et sans aucun scrupule ;
fait ; et puis il n' y a chose aucune voyla seulement à quoy vise
en toute nostre religion, qui ce sardanapale.
ne soit bonne, saincte, et raisonnable ; Enfin il attaque, ce semble, de
qui ne conduise à la vertu, et à l' horreur plus pres en son nonante deuxiesme
du vice ; si bien que s' il estoit quatrain ceux qui abandonnent
possible qu' elle eust esté treuvee les voluptez, et les plaisirs du
par les hommes, et que Dieu ne monde, et de la chair, et qui se privent
l' eust pas instituee, encore faudroit-il de beaucoup de choses pour
la retenir, puis qu' il est l' amour de Dieu. Vrayement on
impossible d' en avoir une meilleure, sçait bien qu' il n' importe à Dieu
comme je pourrois monstrer que nous nous abstenions de cecy,
par toutes ses parties, et par ou de cela, car il ne reçoit rien,
tous ses axiomes ; je défie qui que ou ne perd rien, soit que nous fassions,
ce soit de me pouvoir objecter une ou ne fassions pas cecy, ou
seule chose dans toute nostre religion, cela. Mais c' est à nous qu' il importe,
qui ne soit conforme à la raison, parce que tant plus nous ferons,
à l' equité, à l' honnesteté, à la ou que nous nous abstiendrons de
vertu, et à Dieu mesme, qui est honoré choses indifferentes pour l' amour
par toutes, et chacunes des de Dieu, tant plus serons nous
actions du vray chrestien, et du fidelle heureux.
catholique. p734
p732 Il est vray que Dieu nous presente
Le quatrain nonante-uniesme l' usage de ce qui est icy bas,
ne butte qu' à faire croire que les et qu' il a creé tout le monde pour
chrestiens n' ont autre chose que servir à l' homme, mais il ne nous
vanité dans la teste, lors qu' ils eslevent a pas obligé de nous servir de toutes
les yeux au ciel, ce qui est choses ; il a laissé cela à nostre
aussi faux, comme ce qu' il a dit au choix, celles-là estans propres pour
precedent, car en ces élevations il l' un, celles-cy pour l' autre. Or il
tesmoigne qu' il n' attend son secours, faut remarquer qu' il a voulu
et la gloire eternelle que de qu' elles nous servissent principalement
Dieu createur du ciel, et de la terre. pour nous acheminer, et
Pour l' impudence, dont il nous nous élever à luy, et aux choses
charge, elle ne peut retomber que spirituelles, et eternelles ; si bien
sur luy mesme, puis qu' il est tres-faux que si nous treuvons par experience,
que nous parlions de Dieu irreveremment, et par l' advis de personnes
car lors que nous sages, et sçavantes, que nous abstenans
en discourons, c' est avec tout de cecy, ou de cela, nous advancerons
le respect qui nous est possible. davantage à la vertu,
Mais sçavez vous pourquoy il dit et nous nous éleverons plus facilement
cela ? Asseurément il pense à la justice, à Dieu, il est raisonnable
de laquelle il voudroit dépoüiller que nous quittions ce qui nous

173
eust retardé de ce progrez vertueux, oeuvres, esquelles ils passent leur
p735 temps, monstrent assez qu' ils ne
pour lequel Dieu nous a particulierement fuyent rien davantage que l' oysiveté :
creez. s' il s' en treuve quelques uns
Les jeunes hommes qui se retirent qui soyent oyseux, je suis content
dans les religions bien vivantes, qu' on les despoüille de l' habit du
lors que leur vocation est divine, sainct ordre, qu' ils portent, auquel
ne s' y mettent pas pour quelque ils font un tel deshonneur. Il
plaisir sensuel, autrement il est donc certain que les bons religieux
faudroit qu' ils y vissent d' autres n' entrent point dans les
amorces que les peines, et la pauvre monasteres pour estre oyseux, ou
chere qu' on y fait ; au contraire pour contenter leur appetit sensuel,
ils s' y retirent comme à un port mais pour servir à Dieu purement,
de leur salut, à cause de la saincte et de tout leur coeur ; pour les
vie qu' on y méne, et afin que par mauvais je ne les excuse point, au
les austeritez, qu' ils esperent y pratiquer contraire je desire qu' ils soyent
avec les autres, ils satisfassent punis, et qu' on les jette dehors, s' ils
pour les fautes qu' ils ont commises ne veulent s' amender, et correspondre
estant au monde parmy les à la volonté de Dieu, et à
compagnies, qui sont le plus souvent leur vocation ; poursuivez s' il vous
causes de ce qu' on offense Dieu. plaist.
C' est pourquoy je nie qu' on entre p738
dans les monasteres pour vivre en Le Deiste
oysiveté, ou à cause que l' appetit celuy-là seroit-il loüable qui refuseroit une
p736 viande exquise de la main d' un grand qui l'
nous y porte, si ce n' est que par auroit
l' appetit, il entende le raisonnable, appellé à sa table ?
qui a presté l' oreille aux conseils celuy-là nous refuseroit-il une obole, qui
divins, et qui se porte à embrasser nous voudroit etreiner d' un milion d' or ?
la croix de Jesus Christ Dieu
pour s' en rendre le disciple, et l' imitateur. nous pourroit-il plaindre une chose frivole,
C' est un erreur inveteré dans s' il
l' esprit de plusieurs, que les religieux nous veut donner un regne infiny ?
passent leur temps en oysiveté, s' il faut esperer que nous jouyrons du
je ne veux autre chose pour paradis
persuader le contraire, sinon que apres ceste vie, ne devons nous pas user des
ces deistes, et ces libertins, qui delices de ceste vie en attendant celles de
ont cette opinion, viennent un l' autre ?
peu demeurer huict, ou quinze bref si Dieu permet que nous usions des
jours parmy les religieux, et qu' ils sensibles effects de sa beneficence, pourquoy
pratiquent ce qu' on y fait, ils verront les
si on y passe le temps, comme refuserons nous, et luy en dénierons nous
ils s' imaginent. Les livres, les nostre
predications, les inimitiez reconciliees, recognoissance ?
la visite des prisons, et des vous voyez donc de tout ce que dessus, qu' il
malades, et mille autres bonnes faut fuyr l' impie enseignement du bigot, et
p737 imiter la piste bien-heureuse du deiste.

174
Le Theol je vous asseure que p741
p739 une viande exquise à celuy qu' il a
ce poëte prend beaucoup de peine convié, parce que celuy-cy donne
pour neant, car il ne faut point la viande afin qu' on la mange, et
de raisons pour persuader aux Dieu nous donne les biens, à ce
hommes qu' ils se donnent du bon que si on treuve expedient de s' en
temps, et qu' ils se servent de toutes servir, qu' on en use, autrement
les creatures, car ils passent bien au qu' on les laisse. Et puis Dieu n' a
delà, puis qu' ils en abusent à tout pas fait les biens de ce monde en
propos : il seroit icy beaucoup plus telle façon, qu' il vueille qu' un
necessaire de retrancher, que d' ajouster. chacun use de tous ceux qui sont
Or tous ces quatrains buttent au monde, car cela ne peut pas se
à persuader qu' il ne faut pas faire ; et ce qui est bon pour l' un,
s' abstenir d' aucune chose, que demandent est souvent mauvais pour l' autre :
nos yeux, nos mains, et il faut donc que nous y apportions
tous nos autres sentimens, tant le de la discretion, et de la moderation.
jour, que la nuict, car leurs objects Je passe outre, et di que Dieu
nous viennent au devant, et Dieu a creé plusieurs biens à dessein,
a creé tout ce qui estoit necessaire que nous ne nous en servions pas,
pour les assouvir : voyons ses raisons, car il a preveu, que quand nous aurions
entre lesquelles la premiere tel, et tel bien en nostre puissance,
est, que celuy-là est un sot, qui refuse que nous nous en abstiendrions
une viande de la main du maistre, p742
qui l' a convié à son banquet : pour l' amour de luy, ce que
p740 faisans nous l' honorons davantage,
la seconde, que Dieu ne veut pas que nous ne ferions en nous
que nous refusions de prendre les en servans, parce que nous monstrons
voluptez du corps, puis qu' il nous par là, que nous faisons plus
reserve de plus grands biens : la grand estat de Dieu, que de tout
troisiesme, qu' il faut user des plaisirs autre bien, et que tout ce qui est
de ce monde icy en attendant au monde, ne nous est rien au prix
ceux de l' autre : la quatriesme, de luy. C' est pourquoy voyans que
qu' il ne faut pas refuser l' action mille plaisirs, qui sont au monde,
de graces à Dieu pour les sensibles nous empeschent de contempler
effects, qu' il nous donne icy bas, ses grandeurs, et ses perfections, et
et par consequent qu' il en faut user : de vaquer continuellement à son
ce que faisant, le deiste qui se service, nous quittons une partie
donne du bon temps tant qu' il des plaisirs de cette vie, qui plus,
peut, conclud que celuy qui ne qui moins selon l' amour que nous
prend pas ce plaisir, est impie, et portons à Dieu, pour tesmoigner
qu' il n' y a que luy seul, qui suive le que nous n' avons aucun plaisir solide
bon chemin. qu' à le servir, et à passer toute
La premiere raison n' a aucune nostre vie à contempler ses merveilles.
force, parce que Dieu n' a pas la Or puis que Dieu ne nous a pas
mesme intention en nous donnant p743
les biens de l' ame, ou du obligez à nous servir de tout ce
corps, que le maistre presentant qu' il a fait, et qu' il ne demande

175
rien davantage de l' homme, que au contraire il veut que nous endurions,
son coeur, et son amour, il ne faut et combattions icy, car la
pas blasmer ceux-là, qui quittent couronne ne se doit donner
les voluptez sensuelles, à ce qu' ils qu' aux victorieux ; or ce n' est pas
se portent à Dieu avec plus d' affection, un combat de nous abandonner
et d' ardeur, duquel les diverses aux plaisirs, c' est plustost manque
affections envers les creatures de courage, et une foiblesse d' esprit,
nous excentrent bien loing, qui cede à l' appetit brutal, le
car tant plus la puissance finie s' estend combat estant entre le corps, et
à divers objects, et moins l' esprit.
est-elle puissante pour un chacun, Il faut respondre la mesme chose
si bien qu' il n' est pas possible à la troisiesme raison, car les voluptez
d' aymer Dieu parfaitement, si on de ce monde ne sont ny le
ne détache son affection de toutes chemin, ny l' entree des plaisirs de
les creatures ; desquelles comme il l' autre : c' est pourquoy les deistes
est permis d' user, aussi est-il bien se trompent lourdement de penser
facile d' en abuser, si on n' y prend qu' ils seront icy bien heureux,
garde de bien pres. et en l' autre vie : car il est tres-certain
C' est pourquoy plusieurs en qu' il n' y a rien pour eux en
quittent l' usage, de peur qu' ils ont p746
p744 l' autre monde, qu' une damnation
d' en mes-user, faisans comme ceux eternelle. Le fils de Dieu nous a
lesquels de peur qu' ils ont de perir monstré une autre voye, ne proposant
dans la mer, ne veulent seulement autre chose pour entrer en paradis,
pas approcher des falaises, qu' espines, que douleurs,
de la rade, et des bords. Vous voyez que macerations, que croix, qu' injures,
donc que ce deiste prend les choses et calomnies, qu' il faut endurer
tout au rebours de ce qu' il faut, icy, pour joüir du bon-heur,
et que les religieux sont grandement qui nous est preparé là haut.
loüables de s' abstenir des C' est là la piste que les hommes
plaisirs, qui sont cause que tant de les plus saincts, et les plus doctes,
personnes se perdent, et deviennent qui furent jamais, ont suivy pour
pires que les bestes brutes estre sauvez ; c' est la voye, par laquelle
par leurs impudicitez, et leurs ont marché tous ceux qui
autres pechez. Ce seroit assez pour ont prophetisé, et fait des miracles ;
satisfaire à tous ces quatrains, mais bref c' est le chemin royal,
afin qu' il ne demeure rien en arriere, dans lequel on ne s' égarre jamais,
voyons le nonante-quatriesme, et au bout duquel on treuve la
qui suit, et contient la seconde grande cité de la celeste Jerusalem,
pretenduë raison. dans laquelle sont tous les
Je l' appelle pretenduë , parce plaisirs, et tous les contentements
qu' elle est nulle, car bien que Dieu qui se peuvent desirer.
nous vueille donner la couronne p747
p745 Pour la quatriesme raison elle
d' immortalité, ce n' est pas à dire suppose une chose fausse, car nous
qu' il vueille que nous nous donnions recognoissons ces faveurs, et rendons
du bon temps en ce monde ; graces à Dieu pour tous les

176
bienfaits qu' il respand sur nous, ventre son Dieu, et ne tesmoignant
et sur toutes les creatures, bien par aucun labeur, l' obligation
que nous n' usions pas de tous, si ce qu' il a à son createur. Croyez qu' il
n' est que vous appelliez usage , quand ne seroit pas difficile de persuader
ils nous servent pour meriter cette pretenduë religion à tous
en nous abstenant pour l' amour ceux qui ont fait banqueroute à la
de celuy qui nous les a donnez. vertu, et à l' honnesteté, car elle
Or n' estant pas besoin de se servir méne le grand galop à toutes sortes
d' une chose, pour en remercier le de lubricitez, d' ordures, et de
donateur, ce poëte ne sçauroit que vilenies. Quittons cét impie, et
repartir, bien que celuy qui donne, ces maudites pensees, ou achevons
fust quelque homme, ou le vitement ce qui reste de sa perverse
maistre du banquet, lequel n' a pas doctrine, afin de nous esgayer
intention, que celuy, à qui il presente en d' autres discours plus
quelque morceau exquis, le serieux, plus agreables, et plus
mange, s' il juge d' autre part, que honnestes.
cela luy feroit tort, ou qu' il n' en a p750
pas besoin pour se sustenter. Le Deiste
p748 le bigot ne fait rien que sous esperance
De tout ce que dessus je conclu, d' estre recompensé, et ne fuit pas le vice si
que toutes et quantesfois qu' on ce
s' abstient de quelque plaisir pour n' est pour eviter le supplice deu à son
estre mieux disposé à servir Dieu, méfait.
et à contempler son excellence, et s' effraye de Dieu, comme les enfans d' un
qu' on fait fort bien ; et que toutes monstre espouvantable, et le blasme par tout
et quantesfois qu' on apperçoit sous pretexte de loüer sa justice ineffable.
que les plaisirs nous emportent au il est le seul ennemy juré de sa propre
desordre, et au mal, qu' on est obligé lumiere
de les fuyr, et de s' en abstenir, entre les ignorans, ne voyant pas les erreurs
ou tousjours, ou pour quelque que les ans ont enfantez, et qui detiennent
temps. Et mesme que tant plus on son ame prisonniere.
se prive des plaisirs de cette vie, Le Theol il faut icy un peu
et plus est-on apte à la vertu, et examiner ce qu' il veut dire par le
plus agreable à Dieu, si bien que bigot ignorant , afin que nous découvrions
le deiste est fort loing de son conte, mieux toute la malice,
qui concluoit dans son 97 quatrain, et la ruse de ce rimeur. Par un bigot ,
qu' il estoit le plus heureux qui est une diction, qu' on dit
du monde, parce qu' il s' abandonnoit que Calvin à le premier inventee,
à toutes sortes de voluptez et on peut entendre deux sortes de
de passetemps. p751
Il ne faut que retourner la proposition personnes : les unes, qui ont une
p749 vraye devotion reglee selon la volonté
pour dire la verité, sçavoir de Dieu, et suivant les loix
est, qu' il est le plus miserable de l' eglise, et la direction d' un
du monde, de s' assouvir brutalement homme sçavant, et vertueux, tels
de tout ce que sa chair, et son que sont ceux-là, qui communient,
appetit luy suggere, faisant de son et se confessent souvent, afin d' augmenter

177
leurs vertus, et de tenir qui feroient scrupule de ne dire
leur ame plus pure, et plus nette, pas leurs heures, ou leurs chappelets,
et qui font tous les jours une demie et ne font pas scrupule de
heure de meditation touchant tempester, de jurer, de blasphemer,
les mysteres divins, et l' examen de mentir, et de mesdire de
de leur conscience ; qui ne tout le monde : on pourroit encore
voudroient pas avoir manqué à icy rapporter tous ceux qui s' abstiennent
un jour de jeusne, ou à la messe aux d' offenser Dieu en petites
festes, et aux dimanches, et qui choses, comme en paroles oyseuses,
pratiquent le plus exactement, et et en mensonges legers, faisans
le plus diligemment qu' ils peuvent, semblant d' estre fort devots,
tous les commandemens de Dieu, et en derriere sont pires que des
et de l' eglise catholique, ou qui diables, et traistres comme Judas,
suivent les conseils divins pour se faisans des choses, qu' il n' est seulement
perfectionner davantage, et imiter p754
p752 pas licite de penser. On peut
de plus pres le fils de Dieu en encore icy mettre tous ceux-là qui
se rendans conformes à tout ce viennent jusques à la superstition.
qu' il a enduré pour nous. Or nous n' approuvons point
Si vostre poëte parle de ceux-là, ces sortes de gens, au contraire
comme il y a de l' apparence, son nous les detestons, et les avons en
quatrain est aussi faux, comme il horreur ; mais il semble que ce
est faux que le blanc soit noir, ou deiste n' ait autre intention que
que la lumiere soit les tenebres, de rendre la religion catholique
car le vray catholique agit principalement odieuse, et de faire que les bons
pour l' amour de Dieu, chrestiens soyent mesprisez par
n' ayant autre but que de luy agreer ; tout le monde, car bien que tout
il ayme tellement la vertu, ce qu' il dit en ces quatrains ne
qu' il aymeroit mieux mourir que convienne à pas un catholique
d' en quitter le desir, l' affection, et vivant comme il doit, neantmoins
la pratique, de sorte qu' il ne vivroit les quatrains precedens ne font
pas moins vertueusement, que trop paroistre son intention.
bien qu' il n' y eust ny enfer, ny paradis, C' est pourquoy je luy responds à
se contentant que ses actions cela, que tout ce qu' il dit n' est
soyent conformes au vouloir de qu' imposture. Qui ne soit ainsi,
Dieu, qu' il conçoit comme son prenez quelque chrestien le plus
souverain createur, son pere, son idiot, que vous pourrez, et l' interrogez
maistre, et son protecteur, de qui il p755
p753 s' il s' effraye de Dieu, et s' il en
dépend plus que la lumiere ne dépend a peur comme d' un monstre ; sur
du soleil : si bien que tout ce ma vie, il vous respondra incontinent,
qui est dans ces trois quatrains, ne qu' au contraire de s' effrayer,
luy peut estre attribué. qu' il a toute son esperance en luy,
Voyons maintenant l' autre sorte et qu' il n' a jamais une plus grande
de bigots , lesquels on peut prendre consolation, ny un plus doux repos,
pour deux ou trois sortes de que quand il a recours à Dieu,
personnes, sçavoir est pour ceux et éleve les yeux, et l' esprit vers sa

178
divine bonté, et sa grandeur : et c' est une doctrine, et une coustume
lors qu' il apprehende sa justice infinie, si receuë parmy les chrestiens,
cela n' engendre autre chose p758
dans son esprit, qu' une compunction, que tous sont d' accord qu' il faut
et une douleur d' avoir offensé faire nos actions l' amour de Dieu,
cette bonté eternelle de et qu' il le faut servir parce qu' il est
Dieu, et une grande reverence souverainement aimable, et digne
envers la divine majesté, ou une d' un amour, et d' un honneur infiny.
crainte d' estre damné, laquelle le C' est cet amour qu' on appelle
fait revenir à soy, luy fait concevoir pur, chaste, et amour de bien veillance,
une haine contre le peché, laquelle lequel est si recommandé
ayde à le remettre en grace parmy nous, que nous disons, que
avec Dieu ; il sçait que la justice celuy-là offenseroit Dieu mortellement,
p756 qui aymeroit seulement
infinie de Dieu est aussi bien pour Dieu à cause de quelques biens,
recompenser les bons, comme soit temporels, soit spirituels, qu' il
pour punir les meschans, si bien auroit receus de luy, car pour lors
qu' un vray catholique jettant il aymeroit plus ces biens qu' il
l' oeil sur cette justice recompensante, n' aymeroit Dieu, puis que selon la
n' a point sujet de s' effrayer, maxime commune, (...). Or il
tenant desja par esperance la couronne n' y a pas moyen de preferer quelque
de l' immortalité. chose que ce soit à Dieu, sans
Mais je vous prie de prendre offenser sa divine majesté, ny sans
garde au nonante huictiesme quatrain, meriter les peines eternelles de
dans lequel il veut persuader p759
deux choses : la premiere est, que l' enfer : par où vous voyez combien
le chrestien ne fait rien que pour nous detestons ce que ce
la peur qu' il a de l' enfer, ou pour malheureux nous vouloit imposer
l' esperance du paradis ; la seconde, dans son nonante-huictiesme
qu' il veut tirer de la premiere, quatrain.
est que ce qu' on fait par crainte, Venons au second poinct, et disons
ou par esperance, ne sert de rien. qu' il est permis à un chrestien
Or l' une, et l' autre est fausse, car de faire bien à cause de l' esperance
pour ce qui est de la premiere, qui qu' il a d' estre recompensé
ne sçait que les chrestiens font en paradis, et pour la crainte
leurs actions pour l' amour de qu' il a d' estre damné, pourveu
p757 que ce ne soyent pas là ces principaux
Dieu, et non pour la recompense, motifs ; la raison est parce
ou pour la peur ? En voulez vous que quand il est question de deux
des tesmoignages pris des chrestiens biens qui ont quelque rapport entr' eux,
mesmes, lesquels vous ne il est permis de rapporter le
sçauriez refuser, ou reprocher ; moindre au plus grand, or les actions
voicy les paroles de Sainct Augustin, (...). que nous faisons icy, ont un
Je ne veux pas m' amuser à rapporter rapport avec la recompense que
une infinité de semblables Dieu nous a promise, et sont
passages de tous les docteurs de moindres que cette recompense,
l' eglise, pour preuver cecy, car qui est la beatitude eternelle, concluez

179
p760 de Dieu. Et dans la 14
donc que nous pouvons faire session chap. 4, nous lisons ces paroles
nos actions pour la recompense, en faveur de cette crainte
pourveu qu' elle ne soit pas nostre des peines, et de l' enfer. (...).
derniere, et nostre principale p763
fin. Ce qui me fait conclurre que
Elle ne sera pas nostre fin, si ce poëte a trempé dans l' heresie
nous la rapportons à Dieu, et si de Calvin, ou de Luther, avant
nous sommes tellement disposez, que d' estre deiste, car ce quatrain
que nous ne laissassions pas d' aymer nonante-huictiesme ressent le huguenot
Dieu plus que toutes choses, à pleine bouche : aussi est-ce
encore qu' il n' y eust ny peine, ny contre les heretiques que ce
recompense. Je veux fermer cette chapitre, et le quatriesme canon
verité par l' anatheme du concile de la mesme session combattent.
de trente, lequel excommunie Je prie desormais ces deistes qu' ils
tous ceux qui disent qu' on offense, n' ayent pas une si mauvaise opinion
lors qu' on fait quelque chose de nous, et qu' ils croyent que
pour la recompense : c' est à la 6 session, nous ne nous effrayons pas que
canon 31, (...). bien à propos, et selon qu' il plaist
Pour ce qui est de la crainte, à celuy de qui nous redoutons les
c' est une chose tres-certaine, qu' elle tres-justes jugemens : passons outre,
p761 et disons, que le catholique ne
ayde à nostre conversion, car p764
c' est elle par laquelle nous parvenons blasme pas Dieu, lors qu' il exalte
à l' amour de Dieu, et qui sa justice, car cette justice est Dieu
nous fraye le chemin de la sagesse, (...). mesme, (...).
Est-il pas vray que la foy, et la revelation Certainement ce pauvre
divine a esté necessaire deiste me fait compassion d' avoir
pour nous faire croire les peines tellement en horreur la justice de
eternelles deuës aux damnez ? Or Dieu, qu' à peine semble-il qu' il
tout ce qui vient de la foy, et tout ose y penser, sans s' effrayer, et blesmir,
ce qui se fait par son mouvement, monstrant assez par là que cela
est bon, et sert à nostre salut ; c' est luy pese bien fort sur les espaules,
pourquoy Sainct Clement Alexandrin et qu' il desireroit que Dieu
a fort bien dit que, (...). n' eust point de justice. Or sus dites
p762 moy de grace, est-il possible
Mais pourquoy tant de passages ? que vous ayez esté si aveuglé jusques
Puis que le concile de trente icy, que vous n' ayez point
nous apprend, et nous declare creu que Dieu eust une justice ? Et
qu' il y a sept actes, par lesquels les quoy si Dieu n' est juste, il est donc
meschans sont justifiez, qui sont injuste, ce qui ne peut pas mesme
la foy, la crainte, l' esperance, l' amour, tomber en la pensee, tant la repugnance
la penitence, le propos de est grande, que Dieu soit
recevoir le sacrement, et celuy de Dieu, et qu' il ne soit pas juste.
s' amender, et d' embrasser une Que s' il est juste, il faut qu' il le
meilleure vie, et de garder les p765
commandemens soit infiniement, car il n' y a rien

180
en Dieu qui ne soit égal, voire plus catholique ; il n' y a que ce
qu' égal, puis que tout ce qui est en point, lequel ils tiennent de dure
Dieu est une mesme chose ; je le digestion, sçavoir est, que tout ne
conjure donc par le mesme Dieu, leur est pas permis, car ils ne se soucient
duquel il louë l' amour, qu' il confesse point du reste ; que les chrestiens
aussi, et qu' il louë sa justice, s' affligent tant qu' ils voudront,
telle que les catholiques la qu' ils prient, qu' ils adorent,
croyent, la reverent, et l' adorent. qu' ils jeusnent, tout cela ne leur
Il adjouste dans son 100 quatrain, importe, pourveu qu' ils ayent la
que le bigot est detenu prisonnier pleine carriere, et l' entiere liberté
dans les erreurs inveterez, pour faire, dire, et penser en quelque
estant ennemy de son propre temps, ou façon que ce soit,
bien, et de sa lumiere, ce qui est tout ce qu' ils souhaitteront.
une tres grande calomnie, s' il parle Si ne suis-je pas d' avis qu' on
des vrays chrestiens, car il n' y a leur laisse tellement la bride sur le
point de si grand amy de la lumiere, col, qui n' y ait des roües, des gibets,
et de la verité, que le chrestien, des foüets, et des feux, pour
qui a la mesme verité pour sa conduite, p768
laquelle ne peut estre deceuë, venger la querelle de Dieu, et reprimer
ny decevoir, et laquelle dit (...) : l' audace, et la temerité de
p766 ces impies. C' est en quoy les juges
il ne peut se retreuver et les magistrats, les princes, et les
aucun erreur en sa presence roys doivent veiller, car ils ne
qui ne soit dissipé plus viste, que sçauroient faire chose plus agreable
les tenebres par la presence du soleil. à Dieu, que de poursuivre, et
Mais je vous prie, contemplez ruiner de fond en comble ces malheureux
un peu la façon de proceder de laquelle deistes, qui prennent
se sert vostre poëte, et tous leur nom du nom de Dieu pour
ceux de sa secte ; ils n' ont rien autre nous surprendre, et cependant
chose pour toutes leurs meilleures ils ne croyent aucune divinité.
raisons, sinon qu' ils disent que les Voyez s' il reste encor quelque
enseignemens, et les articles de quatrain.
nostre religion, et de nostre foy,
sont erreurs, que le temps a conçeu,
et fait passer pour veritables : CHAPITRE 25
il est bien aysé de dire cela de chaque p769
chose, et n' y a pas grande finesse dans lequel le reste des quatrains du
a nier une verité ; mais ils deiste, sçavoir est depuis le 101 jusques
n' ont autre fondement de leur au cent sixiesme, sont renversez ;
impieté, que le depit qu' ils ont de la ruse du poëte libertin est découverte,
ce que ceste loy evangelique rabat et le deiste minute sa conversion.
p767 Le Deiste
leur joye, ou du moins est cause le deiste n' agit que pour le bien mesme, et
qu' on fait des loix, par lesquelles non pour le salaire que les loix proposent, d'
on punit ceux qui tiennent des autant
propos ridicules, faux, et scandaleux qu' il sçait bien que la vertu n' est point
de Dieu, de la foy, et de la religion servile.

181
Par laquelle nous sçavons qu' il faut adorer les autres vices, ausquels il est addonné ;
une premiere cause, et aymer en elle nostre en fin si ce n' est qu' il mesure
prochain sans luy faire aucun tort. la vertu à l' aune de son cerveau
Il observe tout seul la religion, et adore celuy mal timbré, et selon son inclination,
qui a fait le ciel, et la terre, hayssant et ses affections : bien qu' il
entierement l' irreligion. p772
p770 proteste de bouche dans ces quatrains
Il ayme Dieu, et en luy tout ce qui vit, et icy, et dans les compagnies
qui respire, se monstrant estre tel envers qu' il veut abuser, que c' est la pure
chacun, vertu, qui le conduit en ses actions,
qu' il souhaitte naturellement qu' on soit et guide ses pas, et toutes ses demarches,
envers luy. afin qu' il surprenne la
Le Theologien jeunesse. Dites moy, de grace, si
si le deiste faisoit ce qu' il cela est vray, car vous avez esté de
dit, il luy seroit fort facile ces gens là, et sçavez de quel bois
de quitter ses erreurs, et ils se chauffent, c' est pourquoy je
d' embrasser la religion catholique, suis content de m' en rapporter à
laquelle n' a autre intention vous, comme à un tesmoing oculaire,
en tout ce qu' elle fait, et ce qu' elle et bien experimenté.
ordonne, sinon qu' un chacun vive, Le D monsieur, je vous proteste
et fasse toutes ses actions pour que tout cela est faux, car je
l' unique amour de Dieu, qui est le n' ay apperçeu ny dans moy, ny
souverain bien, et la source originaire dans ceux de ceste troupe, aucun
de la vertu. Mais qu' il agisse desir solide de vivre selon ceste
en ceste façon, c' est ce que je vertu, qu' il descrit, ny selon Dieu,
ne me peux persuader, autrement mais seulement de passer le temps
comment seroit-il possible, qu' il fût sans soucy, et sans apprehension
si amateur du plaisir, et de la volupté ? de la mort, laquelle seule est la
Puis que la vertu est si espineuse, p773
p771 plus capable de les faire trembler,
et remplie de tant de difficultez, et de les effrayer. Je peux vous en
qu' il a faillu que Dieu mesme rendre un fidelle tesmoignage,
se soit fait homme pour nous car j' ay trempé vingt ans en cet
l' enseigner par son exemple, et erreur, non sans mille craintes, et
nous exhorter à vaincre nos appetits, mille scrupules, mais je les étouffois
et nos inclinations, lesquelles par la bonne chere, et par les
sont le plus souvent dereglees, et compagnies en m' en divertissant
opposees à la raison. tant que faire se pouvoit.
Si ce n' est que le deiste appelle Veritablement ce deiste est
vertu, quand il donne un parfait bien éloigné de faire tout pour l' amour
contentement à tous ses sens, et de l' autheur du ciel, et de
qu' il assouvit sa concupiscence l' onde, comme il dit tres-faussement,
brutale par toutes les sortes d' objects, car je suis asseuré qu' il ne
lesquels il peut rencontrer, croit point de Dieu, ou du moins
souhaitter, ou s' imaginer ; si ce n' est tasche à se défaire de cette creance
qu' il appelle vertu la bonne chere, tant qu' il peut, car enfin s' il y a
la lubricité, l' ambition, et tous un dieu, il faut qu' il soit tresbon,

182
et tres-juste, et qu' il recompense de façon que tout ce qu' il a dit
les bons, et punisse les mauvais ; on en ces derniers quatrains n' est
a beau dire, il en faut tousjours revenir qu' un perpetuel mensonge, et un
là. Pour ce qu' il dit qu' il hayt p776
p774 beau pretexte, duquel il veut pallier
l' irreligion, outre que ses opinions son impieté, et la faire passer
ne sont qu' irreligion, qu' impietez, pour vertu, et pour religion ; c' est
et blasphemes, il ne hayt nullement ce que je suis prest de signer, et
ce qu' il dit, car il n' y a personne tesmoigner de mon propre sang,
avec qui il se plaise tant car j' en ay une longue, et certaine
qu' avec les athees, quand il en experience, n' ayant pas esté un des
rencontre ; et Dieu sçait pour lors moindres d' entr' eux ; beny soit mon
les beaux discours, qui tiennent Dieu, qui m' a retiré de cette malheureuse
ensemble, vrayement la religion impieté. J' acheveray s' il
catholique est bien remuee, et vous plaist ce detestable poëme,
sifflee, asseurément il n' y a qu' impieté, bien qu' il finisse par 2 quatrains les
et irreligion dans leur propos, plus meschans qui furent jamais,
ny dans leur esprit, comme il appert afin que toute son impieté soit
à tous ceux qui les hantent. eventee, et que cet homme detestable
Il est bien vray que quelques-uns soit tellement traitté, que
de ces malheureux ont cette tout le monde luy courre sus, et
prudence tres-pernitieuse, qu' ils attise le feu pour brusler le meschant
se comportent avec toutes sortes arbre, lequel a produit des
de personnes selon leur religion, fruicts si venimeux, comme sont
et leur humeur, car avec le catholique, ses maudits quatrains, qu' il finit
ils font semblant d' espouser par ceux-cy.
la vraye religion ; et avec le p777
p775 Le Deiste
calviniste, ils tranchent du calvinisme ; au regard de l' athee encor qu' ingratement
et se transforment en il nie l' eternel, et sa saincte police,
plus de couleurs qu' un cameleon, si n' en parle-t' il pas injurieusement
ou qu' un protee ; mais lors qu' ils comme fait le bigot traitant de sa justice.
sont avec leurs confidens, ils changent ainsi l' athee seul ni la divinité,
tout aussi tost de discours, et le bigot pirement meilleur que Dieu s'
de creance. En un mot je vous asseure estime,
que les meilleurs d' entr' eux le deiste entre tous l' adore en verité
ne valent rien. attendant qu' il parvienne où son but se
Il n' ayme pas aussi tout ce qui termine.
vit, et tout ce qui a estre, en Dieu, Le Theol je vous asseure qu' il
comme il dit, car je sçay par experience faudroit estre merveilleusement
qu' il n' ayme autre chose aveuglé, qui ne se riroit de ce falot,
que ce qui luy peut profiter, et ce qui en donne de si belles ; je
qui le peut mettre en bon predicament, suis bien aise d' avoir sçeu de vous
et en bonne reputation ce qui en estoit, ne pouvant avoir
envers les hommes, particulierement un tesmoignage plus autentique
envers ceux desquels il peut en ce sujet icy. Certainement il est
craindre, ou esperer quelque chose, manifeste, qu' en son penultiesme

183
quatrain il ne dit pour autre raison, p780
que l' athee ne parle pas si injurieusement qu' il n' y a personne au monde qui
p778 cherisse tant la vertu, et l' honnesteté,
de Dieu, que le chrestien, que ny qui haisse tellement le vice,
par ce que celuy cy professe, et proteste que le chrestien, comme il fait
haut et clair, que Dieu est tous les jours paroistre par sa foy
tres-juste, et qu' il chatira eternellement et par ses bonnes oeuvres.
les athees, les deistes, et C' est pourquoy je dy que le
tous les heretiques avec les mauvais vray catholique parle tousjours
chrestiens d' un supplice eternel ; honorablement de Dieu ; tant s' en
ce qui est bien raisonnable faut qu' il en parle injurieusement,
puis que tous ceux-là sont si opiniastres, car il n' attribue rien à Dieu, que ce
qu' ils ne veulent point qui est tres-excellent, et ce qui
quitter leurs impietez, et leurs vices. a une perfection infinie, et ne luy
Voyla donc pourquoy ce poëte denie rien, que la seule imperfection.
dit, que le chrestien, qu' il entend Achevons avec ce dernier, et
tousjours par le bigot , est pire cent-sixiesme quatrain, dans lequel
que l' athee, parce que cestuy-cy il y a quasi autant de mensonges, et
nie l' enfer, la justice, et Dieu mesme ; d' impietez, que de mots ; car avec
voyez un peu quelle pertinente l' athee, tel qu' il l' entend, les deistes,
raison il a eu en faisant ce quatrain ; et les libertins desadvoüent
et neantmoins on dit qu' il la divinité, puis qu' ils la dépoüillent
est si presomptueux qu' il croit n' y p781
avoir personne qui puisse respondre de sa justice, et de sa providence ;
p779 mais passons outre, et disons
à ce qu' il met en avant, bien que quoyqu' il entende par le
que toute sa machine se puisse ruiner bigot , qu' il est impossible, qu' un
par une simple negation de toutes homme usant de la raison, s' estime
ses calomnies, et impostures. meilleur que Dieu. Sçavez vous
Or pour l' oster de ce doute, ou pourquoy il dit cela ? C' est par ce
de ceste creance qu' il a des catholiques, que le chrestien croit, et proteste
je ne desirerois autre chose que Dieu punira les impies eternellement,
sinon qu' il s' arraisonnast avec s' ils meurent en leur
quelque docteur catholique, car peché ; car s' ils veulent se convertir,
il verroit combien nous detestons et quitter leurs erreurs, et revenir
toutes sortes d' erreurs, de superstitions, à l' eglise catholique, Dieu leur
et de bigotisme , (afin que fera misericorde, et leur pardonnera.
j' use de son terme) et quel prix Bon dieu ! Vous sçavez si le chrestien
nous faisons de la vertu, et de tout s' estime meilleur que vous,
ce qui appartient à la divinité : il bien qu' il ne punisse pas ses enfans
confesseroit que l' amour que apres l' avoir offensé, d' un supplice
nous portons à la souveraine cause, eternel, car il sçait qu' on ne
est le premier mobile de nos actions ; luy doit pas un honneur infiny, et
que le bon catholique aymeroit que l' obligation que luy a son enfant,
mieux mourir soudainement, p782
que de se plaire, ou consentir est finie, et par consequent
à une mauvaise pensee ; et que la peine de telle offense doit

184
avoir des limites, et il sçait qu' on Si personne jamais mentit impudemment,
vous a une infinie obligation, et le deiste a menty dans une fausse rime
qu' on vous doit un honneur souverainement de son dernier quatrain, où il dit sotement
infiny, et infiniment qu' un fidelle chrestien meilleur que Dieu s'
souverain, et par consequent que estime.
la peine de ceux qui vous mesprisent, Quelqu' un meilleur que Dieu se peut-il
et qui ne font conte de vos estimer ?
sainctes ordonnances, doit estre Croiroit-on pas plustost qu' une goute d' eau
infinie, s' ils persistent en leur opiniastreté. claire
Ils sont bien esloignez pourroit estre cent fois plus grande que la
de se croire meilleurs que vous, mer,
puis qu' ils protestent, et croyent fermement, ou le soleil moins clair que le rayon solaire ?
que leur bonté n' est que Au regard de l' athee, encor qu' apertement
l' ombre de la vostre, et qu' elle il nie l' eternel, et sa saincte police,
n' est rien qu' une pure dependance si n' en discourt-il pas du tout si faussement
de vostre puissance ; ils sçavent que le deiste fait en niant sa justice.
asseurement que la vostre est si Ainsi l' athee osant nier la deité,
immense, et si prisable, qu' il vaudroit c' est en vain que meilleur le deiste s' estime,
mieux que tout le monde car il n' a point de Dieu s' il dit la verité,
s' en retournast au neant, que de la foy du seul chrestien est seule legitime.
p783 Je vous donneray tous les autres
faire, dire, ou penser aucune chose quatrains avant que nous partions
contre vostre volonté, et vostre d' ensemble, comme je vous
honneur. ay desja promis, si je ne l' oublie.
C' est donc fort mal à propos p785
qu' il conclud que les deistes adorent Or il faut mettre fin à ce discours,
Dieu en verité, puis qu' ils car vous voyez que vostre
n' ont qu' un perpetuel erreur, et poëte est un homme effronté, qui
une impieté continuelle dans le n' a ny crainte de Dieu, ny honte
coeur, et dans la bouche, afin que de ses impostures, ny aucun sentiment
leurs actions respondent à leur de pieté. Mais je vous prie,
creance, et qu' il n' y ait aucun vice comment se pourroit-il faire que
qu' ils ne commettent : c' est pourquoy celuy-là adorast Dieu en verité,
nostre poëte a renversé ces qui se moque de ses commandemens,
derniers quatrains du malheureux et nie sa providence ? Comment
deiste fort à propos, lors qu' il a honoreroit-il celuy-là duquel
dit, parlant de cet imposteur. il voudroit que la justice, et la
Ennemy conjuré de la religion puissance fust destruite ? Comment
feignant aymer la paix, il combat tout le aymeroit-il Dieu, puis qu' il appelle
monde, ceux qui employent toute leur
subtil fauteur qu' il est de l' irreligion vie, tout leur esprit, et toutes leurs
il méconoit l' auteur de la terre, et de l' onde. actions à son service, bigots, et superstitieux
Car que tout simplement il ayme l' eternel, ?
et en luy ce qui est, ce qui vit, et respire, Bref comment adoreroit-il
p784 Dieu, puis qu' il cherche, et
sans que par les effets il se declare tel, medite toutes sortes de raisons, et
il est par trop aisé au menteur de le dire. de moyens pour esloigner de son

185
esprit la pensee du vray Dieu, afin de retirer tous ceux que je
p786 sçai avoir esté pervertis par les fantaisies
n' ayant point de plus grand tourment de cet imposteur, car je croy
que l' apprehension d' une que la grace que Dieu m' a faite ce
veritable divinité, qui ne punira jourd' huy en me dessillant les
pas moins griefvement les meschans, yeux ; et me retirant de ces maudites
qu' elle recompensera les opinions par vostre moyen,
bons avantageusement, estant infiniment m' oblige non seulement a embrasser
égale en ses actions. la religion catholique, laquelle
Sus donc que ce mal-heureux je revere, j' adore, et recognois
deiste attende tant qu' il luy plaira pour la seule, et la tres-veritable,
son but, et le terme de sa vie, car et à laquelle je veux m' arrester
il est tres-asseuré qu' il n' aura point pour jamais, mais aussi d' essayer
d' autre recompense, que les flammes par tous moyens de ramener
eternelles des damnez, s' il ne à la religion catholique tous ceux
commence à changer d' opinion, qui se sont perdus par ce malheureux
et de vie. Il a beau se promettre la poëme, et par le discours, et la
gloire au bout de la carriere, ce hantise des autres libertins.
n' est pas en se donnant du bon Or je vous prie de m' enseigner
temps, ny en assouvissant ses passions, comme il faut que je me comporte
qu' il y parviendra ; il ne seroit pour abjurer mon erreur, et me
pas raisonnable que ceux qui faire quitte de tous les pechez que
ont pris toutes sortes de plaisirs p789
jusques a en regorger, eussent la j' ay commis depuis que j' ay suivy
p787 ces opinions extravagantes, et à
mesme recompense de ceux qui qui je me pourray addresser, s' il
ont tant enduré pour l' amour de me revient quelque doute, ou difficulté
Dieu. Il ne se doit donc rien promettre touchant les erreurs, que
de la recompense eternelle, j' avois espousez jusques à maintenant.
si premierement il n' expie tous Le Theol pour ce qui est de
ses pechez par ses larmes, et par vostre conscience, il faut que vous
une juste penitence. Je prie nostre la mettiez entre les mains de quelque
grand Dieu, qu' il luy fasse cette confesseur docte, prudent, et
grace, et à tous ceux qui ont trempé pieux, auquel vous fassiez une confession
en semblables erreurs ; et pour generalle de tout le mal
vous, monsieur, je vous conjure par que vous avez fait depuis vostre
toutes sortes de respects, et particulierement jeunesse jusques à present ; vous
par l' amour que vous n' aurez pas plustost declaré vos
portez à Dieu, que vous taschiez pechez, et n' aurez pas plustost eu
à desabuser tout autant de personnes regret de les avoir commis à cause
que vous recognoistrez avoir qu' ils sont contre la volonté divine,
esté perverties, et ensorcelees par avec un ferme propos de les
le mauvais levain, et par le dangereux eviter desormais, et de servir, et
venin de ce malheureux poëme. aymer Dieu de tout vostre coeur le
Le D asseurez vous que j' apporteray p790
toute sorte de diligence, reste de vos jours, que vous ressentirez
p788 un contentement, et un plaisir

186
extraordinaire, et confesserez impies, la consolation, et le refuge
hautement qu' il n' y a nul plaisir des gens de bien.
qui soit vray, et solide, que celuy Mais il est temps que nous nous
que le chrestien ressent en son separions, car je croy que vous n' avez
ame, lors qu' il ayme Dieu de toute plus nul sujet de douter en ce
son affection ; et ne se passera qui est de la religion catholique,
jour en toute vostre vie, auquel avisez si je vous peux servir en
vous ne benissiez, et remerciez la quelqu' autre occasion.
bonté divine, de ce qu' elle vous a Le D monsieur, je croyois que
retiré des tenebres de l' erreur, parmy vous me donneriez encore une
lesquelles vous vous perdiez journee pour resoudre les difficultez,
miserablement. lesquelles m' ont arresté
Pour ce qui est des difficultez parmy vos responses selon que
qui vous pourroient revenir dans vous me l' aviez promis, c' est dequoy
l' esprit, vous ne sçauriez manquer je vous conjure maintenant.
de doctes personnages, lors que Le Theol je suis marry que la
vous serez arrivé à Paris, lesquels commodité ne me le permet, mais
vous esclarciront sur tous vos doutes, je me dois treuver à quarante
car vous avez ceste tres-excellente lieuës d' icy dans quatre jours, ce
compagnie de la Sorbonne, p793
p791 sera tout ce que je pourray faire
laquelle contient autant de soleils de m' y rendre. Au reste je repasseray
comme elle a de docteurs, par icy dans un mois, je
qui sont les hercules spirituels, vous promets que je vous donneray
lesquels couppent la teste à toutes satisfaction sur tout ce que
sortes d' erreurs. Je m' asseure que si vous aurez treuvé difficile dans
vous les allez voir, qu' ils vous recevront mes discours, si vous voulez prendre
à bras ouverts, et avec un la peine de vous rendre dans
grand signe de la joye qu' ils ont cette ville, cependant vous pourrez
que les deistes, et les athees, et faire un voyage à Paris, afin de
toutes sortes de libertins reviennent convertir quelques-uns de ceux
à l' eglise, et quittent leurs erreurs, qui se sont perdus par la lecture de
et leurs fantaisies. vostre poëme, par la conversation
Ce sont les oracles de toute la de tous ces libertins dont vous
France, desquels mesme les nations m' avez parlé, et par la lecture des
estrangeres tirent resolution mauvais livres.
des plus grandes difficultez Le D je ne manqueray pas à
qui surviennent és choses morales, me treuver icy dans un mois jour
et divines : ce sont des boucliers pour jour, et vous attendray de
tousjours prests à defendre pied ferme, à ce qu' il vous plaise
la foy catholique, apostolique, et me resoudre sur les difficultez que
romaine, contre toutes sortes j' ay sur ce que vous avez dit ; s' il me
d' impietez, et d' erreurs, et mesme p794
p792 vient quelque doute, ou quelque
contre les portes de l' enfer : ce sont nouvelle difficulté sur ce qui est
les ornemens de la France, la terreur de la religion chrestienne, je vous
des heretiques, le fleau des la proposeray pour en estre éclarcy,

187
et vous rapporteray fidellement CHAPITRE 26
ce que j' auray découvert à dans lequel le deiste dit adieu au
Paris touchant les malheureux theologien, apres qu' il a proposé les
libertins, avec lesquels je m' estois raisons, pour lesquelles beaucoup de
perverty. libertins se perdent ; et puis il declare
Le Theol plaise à la divine sa conversion, et sa resolution
bonté nous conduire, et nous assister de bien faire.
durant nos voyages : vous Le Theologien
n' aurez que faire de m' attendre, si une heure ne suffit pour
car je seray icy de retour dans un ce sujet, je vous en donneray
mois precisément, quand je devrois trois, proposez hardiment
precipiter les affaires, qui me ces raisons.
pourront survenir au lieu où je p801
vais. Le D vous m' obligez par trop,
Or puis que nous avons achevé je croy qu' une heure tout au plus
de combattre l' erreur, et le mensonge, sera suffisante pour mettre en avant
il est tres-raisonnable que ce qui a perdu, ou du moins ce qui
nous rendions graces à l' eternelle a fort esbranlé plusieurs jeunes
p795 hommes tels que je suis. Voici l' artifice
bonté, avant que de nous entre-quitter, duquel ils se servent.
puis qu' elle a menagé vostre Premierement ils ne voyent rien
salut, et la conduit au port du parmy les catholiques qu' ils ne
bon heur avec tant de facilité, taschent à reprendre, et à sindiquer,
qu' il estoit ce semble impossible afin que ceux ausquels ils parlent,
d' esperer une telle faveur de celuy se scandalisent de la moindre
lequel vous aviez tant offensé ; disons chose ; par exemple s' ils voyent par
luy donc avec cet excellent hazard qu' un prestre, lequel s' expose
poëte, duquel je vous ay desja cité dans les eglises pour entendre
les vers. les confessions, prefere quelque
ô Dieu tout bon (...). seigneur de marque, ou quelque
p799 honneste homme de qualité
Le D pleust à Dieu que nos à un pauvre manoeuvre, ou à quelqu' autre
poëtes voulussent imiter cet excellent personne de basse condition,
personnage, qui parle si ils publient par tout où ils
dignement des loüanges de Dieu, treuvent leurs confidens, qu' il n' y
ô quel plaisir il y auroit a les lire ; p802
je vous proteste que vous m' avez a rien dans l' eglise, qu' un respect
grandement obligé en me donnant humain, que tout ce qu' il y a, ne
p800 butte qu' à l' argent, à l' ambition, et
ces vers ; or avant que prendre aux commoditez temporelles.
congé de vous, je vous demande Que diriez vous qu' ils en viennent
seulement une heure de temps jusques là, que quelques uns
pour vous proposer quelques autres d' entr' eux ont embrassé le libertinage,
raisons, lesquelles m' ont autrefois et ont quitté toute sorte de
donné de la peine. religion à cause qu' on les avoit
trop fait attendre dans l' eglise
pour entendre leur confession.

188
Secondement s' ils voyent, ou ou n' embrassent pas la religion
rencontrent quelque prestre, lequel catholique.
ne soit pas si modeste, si sage, Le Theol je vous asseure que
ou si sçavant comme requiert sa vous aviez raison de dire qu' une
qualité, ou comme ils jugent qu' il heure nous suffiroit pour respondre
devroit estre, ils en font mille risees, à ces raisons, car elles sont si
et taschent de calomnier toutes frivoles, si legeres, et si niaises, qu' il
sortes d' ecclesiastiques sous est impossible qu' un homme de
pretexte qu' ils en ont treuvé quelqu' un jugement en soit frappé, ou esbranlé.
qui abusoit de son devoir, et Si vous desirez voir plusieurs
de sa dignité. p805
p803 autres raisons, pour lesquelles
Tiercement, s' ils rencontrent quantité de jeunes folastres se
quelque fausseté en lisant quelque laissent aller au libertinage, et à
livre d' histoires, ou quelque l' impieté, vous en treuverez dix-huict
livre des proprietez naturelles des dans le 3 article de la question
plantes, des animaux, des pierres, que j' ay faite contre les athees,
des mineraux, etc. Ils tirent incontinent entre lesquelles vous en verrez
une consequence au quelques-unes qui approchent
desavantage de la religion catholique, des vostres, ausquelles neantmoins
et disent que ce qu' on dit je veux respondre pour
des miracles, et de la religion, peut vostre contentement.
aussi bien estre faus, et controuvé, Il faut donc que vous sçachiez
comme ce qu' ils ont remarqué que comme la gloire ne destruit
dans ces livres, desquels nous avons pas la grace, ny la grace la nature,
parlé. aussi les loix divines, et les ecclesiastiques
4 quand ils lisent la bible, (ce ne destruisent pas, et ne
qu' il ne leur arrive guere souvent, repugnent point aux loix de l' honnesteté,
parce qu' ils n' y treuvent pas les ny aux loix de la raison, au
rimes, ny la douceur qui les chatoüille contraire elles les perfectionnent,
en lisant leurs poëtes impudiques, et les rendent beaucoup plus excellentes :
leurs romans, et leurs or la raison nous dicte
fables) ils tournent tout ce qu' ils que celuy qui a les affaires du royaume,
peuvent, en risee, et sont si impudens p806
p804 de la republique, ou du parlement
qu' ils disent qu' un crocheteur en main, et lequel est le
pourroit composer une bible plus souvent contraint de perdre
mieux faite que la nostre. le boire, et le manger pour rendre
Enfin lors qu' ils voyagent, et la justice, et pour expedier de pauvres
qu' ils voyent diverses façons de gens qui l' attendent à sa porte,
vivre, et diverses sortes de religion et que celuy là lequel est
entre les divers peuples qui habitent pressé par des affaires de grande
la terre, ils ayment mieux ne consequence, doit estre preferé à
rien croire du tout, que de suivre celuy qui n' en a point.
celle-cy, ou celle-là. Voyla une partie Il est donc tres-raisonnable que
de leurs fantaisies, et des raisons, le confesseur entende plustost celuy
pour lesquelles ils abandonnent, là que cestuy-cy, puis que les

189
sacremens ne sont pas instituez preference, et s' ils ne sont pas
pour empescher le train de la justice, merveilleusement
ny d' aucune affaire honneste, estourdis, et depourveus
et licite. Et puis Dieu, et l' eglise de jugement, quand ils
veulent qu' on porte respect aux disent qu' on n' a que l' ambition, et
magistrats, et à tous ceux qui ont l' avarice en recommandation,
quelque grande charge, ou quelque vrayement ceus la se soucient fort
grand merite, qui les rend dignes de l' avarice, ou de l' ambition, lesquels
d' une singuliere recommandation, ont quitté tout ce qu' ils avoient,
p807 et toute la pompe, et la vanité
si bien que ce n' est que p809
manque de jugement, et de consideration, du monde pour suivre les
si quelque libertin se conseils evangeliques de nostre
scandalise, ou plustost feint d' estre Seigneur : il y a bien de l' apparence
scandalisé, quand on prefere un que ceux qui se sont rendus miserables
homme de qualité soit à la confession, (si j' ose ainsi parler, afin
soit à la communion, soit que je suive les propos, et le sentiment
à quelque autre chose qui depende des libertins) pour suivre
de l' eglise. Jesus-Christ, en se depoüillans de
Cette preference n' est que du toutes sortes d' honneurs, et de richesses,
lieu, du rang, ou du temps, car cela avec lesquelles ils pouvoient
n' empesche point que le moindre vivre splendidement dans
du monde ne recoive les mesmes leurs maisons, tels que sont la plus
sacremens. Je veux qu' il luy faille part de ceux qui se font religieus,
attendre une heure, ou deux pour il y a dis-je bien de l' apparence
se confesser, le voyla bien malade, que ceux là cherchent l' argent, ou
luy qui employe les jours, voire le l' honneur.
mois entiers à ses plaisirs, et passe-temps. Vrayement s' ils ne confessoient,
Il devroit plustost prendre s' ils ne preschoient, et ne faisoient
occasion de reformer tellement sa toutes leurs autres actions que
conscience, cependant que Dieu pour l' argent, ou pour l' honneur,
luy donne ce loisir, qu' il sortist avec et qu' ils n' eussent pour fin unique,
p808 ou du moins pour la principale,
une si ferme resolution de p810
bien vivre, que jamais il n' offensast et derniere, la gloire, l' honneur,
Dieu. et l' amour de Dieu devant les
Au reste s' il a des affaires, ou yeux, ils seroient plus miserables
qu' il soit pressé d' ailleurs, qu' il attende que les bestes, et serois content
une autre occasion ; si c' est le qu' on les enfoüist tous vifs dans
jour de pasques, ou celuy de quelque les entrailles de la terre.
autre feste, qu' il reserve sa Non, non, qu' ils ne se persuadent
confession pour le lendemain, ce point que les prestres, lesquels
que faisant il n' aura nul suject de font bien leur devoir, ayent
se mécontenter. Je vous donne à autre intention principale que de
penser si vos confidens ont raison plaire à Dieu, de chercher le salut
de conclure leur impieté de ceste des hommes, et de faire la saincte
volonté de Dieu, quand ils administrent

190
les sacremens. S' ils les avoient des faussetez qui se rencontrent
hantez, et qu' ils sceussent la dans les autheurs profanes de l' histoire,
façon dont les bons ecclesiastiques et dans ceux qui traitent des
se comportent en leurs actions, plantes, des mineraux, et des animaux,
ils treuveroient que les car nous advoüons cela, aussi
bons prestres n' ont point de plus bien qu' eux ; mais c' est estre bien
grand regret, que lors qu' ils ont sot que de conclure le mesme de la
laissé passer quelqu' une de leurs bible, car c' est tout de mesme que
actions, ou de leurs paroles, laquelle si on inferoit que Dieu fust foible,
p811 p813
ils n' ont pas rapportee actuellement, ignorant, ou menteur, par ce que
ou virtuellement, expressement, les hommes sont foibles, ignorans
ou implicitement à la gloire et menteurs, d' autant que la verité
de Dieu. des histoires profanes n' est
Or pour ce qui est des autres, appuyee que sur l' authorité des
lesquels ne vivent pas en religieux, hommes, mais la verité de l' escriture
ou selon que requiert l' estat saincte est fondee sur la verité
ecclesiastique, je confesse qu' ils mesme, puis que c' est Dieu, lequel
meritent un grand chastiment, nous la donnee, et revelee, ce qu' il
puis qu' ils sont causes par leurs a témoigné par une si grande multitude
dereglements, de miracles, et de faveurs,
et par leur vie depravee, qu' il est impossible d' avoir aucune
que plusieurs jeunes follastres, juste raison d' en douter.
qui ont desja l' esprit disposé Ils ajoûtent encore malicieusement
au libertinage, se laissent aller à que la bible, sçavoir est qu' elle
l' impieté. Les evesques, et autres n' est pas bien faite, et qu' un simple
prelats qui ont la charge, et le pouvoir maneuvre en pourroit faire
sur tels ecclesiastiques, doivent autant ; je ne croy pas qu' il puisse
soigneusement prendre garde y avoir un plus grand defaut de jugement,
à cela, car ils en respondront n' y une plus grande ignorance
corps pour corps, et ame pour sur la terre, que de blasphemer
ame au grand jour du jugement, de la sorte touchant l' escriture
et en rendront conte au jugement p814
p812 saincte, car quand tous les
particulier, lequel se fait tout aussi hommes du monde seroient assemblez,
tost que l' ame se separe du corps. et qu' ils passeroient toute
Mais un homme de bon esprit, leur vie à l' estude, ils ne pourroient
et de bon jugement, ne se scandalise pas composer la valeur d' un
pas si facilement, car il sçait seul verset du premier chapitre
qu' il y a des meschans en toutes de la genese. Il n' y a philosophie,
sortes de compagnies : au contraire ny metaphysique, ny cabale, ny
il deplore leur condition, et leur experience, laquelle puisse nous
misere, et en advertit les superieurs enseigner le temps, auquel le monde
ecclesiastiques, s' il le treuve a esté creé, ou par quelle partie
à propos, à ce qu' ils y apportent sa creation a commencé ; et si je
du remede. Je ne veux pas m' amuser demande à un cabaliste, ou à un
à ce qui est des mensonges, et platonicien pourquoy les corps

191
sublunaires sont corruptibles, ou royal vous respond dans le
pourquoy il y a des binaires, ou pseaume 113 vers. 11 (...), c' est à dire
des dualitez au monde, veu qu' il que Dieu a fait tout ce qu' il a voulu, (...).
semble qu' il seroit meilleur, qu' il Il n' avoit pas besoin du ciel, ny
n' y eust que l' agent universel, les de la terre, ny de la forme, ny de
principes simples, et épurez, et l' unité, la matiere, non plus que du medium,
personne ne me pourra satisfaire ou principe mitoyen, ny de
sur ce suject. la substance, ou des accidens ; bref
p815 il se fust aussi bien passé de toutes
Je demande seulement aux athees, les creatures, comme il s' en estoit
aux deistes, et à tous ceux passé de toute éternité : mais il luy
qui ne recognoissent pas la verité a pleu de les creer, à ce que toutes
de l' escriture saincte, et qui pensent les corporelles servissent à l' homme,
que le monde n' a pas esté fait, et l' homme à Dieu, dans lequel
qu' ils me fassent la faveur de lire il a mis son image, afin de le rendre
le trente-huictiesme chapitre du p818
livre de Job, et qu' ils prennent les bien-heureux, s' il suit sa saincte volonté.
paroles de Dieu pour eux, lequel Ce n' est pas merveille si un tas
reproche l' ignorance de ses oeuvres de jeunes étourdis treuvent à redire
à tous ceux qui se meslent à l' escriture saincte, premierement
d' en discourir. par ce qu' ils ne l' entendent
(...). pas, et ne sçavent pas les thresors
p816 inépuisables qui y sont cachez ;
Je laisse le reste, de peur d' estre secondement,
trop long ; qu' ils lisent seulement par ce qu' ils ne suivent
ce trente-huictiesme chapitre, et que la volupté brutale des
les trois autres suivans, je m' asseure sens, c' est pourquoy ils ne peuvent
qu' ils recognoistront qu' il ne priser, ny gouster ce qui est de l' esprit,
peut y avoir autre verité du commencement (...).
du monde, et de tout Pleust à Dieu qu' ils fissent
ce qui est proposé dans ces chapitres, comme un certain jeune homme,
que celle que Dieu nous a revelee lequel ayant un bel esprit,
par sa saincte parole, et qui ne prisoit pas davantage la bible
est contenuë dans l' escriture saincte, qu' eux, mais apres qu' on luy
laquelle nous apprend que eut mis un nouveau testament
Dieu a creé le monde au commencement, grec en main, il ne l' eut pas si tost
(...) leu, qu' il changea de vie, et
sur lequel se torne, et se fonde toute p819
la cabale, sans lequel elle ne pourroit d' opinion, car tout aussi tost il confessa
subsister. Si vous voulez sçavoir haut et clair, que jamais n' avoit
pourquoy il a fait la terre, rien treuvé de semblable parmy
p817 toute la sagesse, ou les livres
aussi bien que le ciel, veu qu' il se des grecs, et des romains, ny parmy
pouvoit contenter de cestuy-cy, toute la philosophie, et se fist
qui represente la forme, ou la plus incontinent religieux dans un ordre
noble partie du composé, ou l' estre reformé, dans lequel il vit maintenant
corporel le plus épuré, le prophete avec le grand contentement

192
de ceux qui le cognoissent. et roder jusques à ce qu' ils soient
Je me promets que tous ceux tombez dans l' impieté, dans l' atheisme,
qui se sont moquez de l' escriture et dans le libertinage. Je
saincte, feront le mesme, s' ils veulent leur demanderois volontiers ce
prendre la peine de lire le que demanda Elie aux israëlites, (...).
nouveau testament, ou du moins Jusques à quand changerez vous tant
les epistres de Sainct Paul avec attention, de fois d' opinion, et de religion ?
et confesseront que jamais Jusques à quand demeurerez vous
n' ont rien leu, ouy, veu, ou boiteux, et estropiez ? Voyans d' un
pensé de si sublime, ny de si excellent, costé que la verité vous contraint
comme ce qui est dans la bible. p822
Et puis les miracles ne se sont jamais de confesser qu' il n' y a point d' autre
faits en faveur d' aucun livre, religion que la catholique, et
p820 de l' autre ne voulans pas suivre, ny
comme ils se sont faits en faveur des faire ce qu' elle prescrit.
veritez qui sont dans l' escriture Et quoy ? Pour je ne sçay quel
saincte : or il ny a nul doute que mot de gausserie que quelque
les livres, la verité desquels est tesmoignee malheureux dira de la religion, ou
par le ciel, et par les faveurs pour quelque écervelé que vous
extraordinaires de l' eternel, rencontrerez, lequel vous estourdira
ne soient meilleurs, et plus excellens de son caquet, et voudra controoller
que ceux qui n' ont autre tesmoignage la parole de Dieu, vous
que celuy des hommes, quitterez la foy catholique ! Vous
quels qu' ils soient. ne serez pas si lasche que cela, et
ô pauvres gens, ô miserables me promets que si vous avez un bon
folastres, helas que je vous pleins ! esprit, que vous ne quitterez jamais
De vous estre abandonnez à vos la foy divine, quelque royaume
fantaisies, et à vos imaginations estranger que vous puissiez
chancelantes, et vagabondes ; plaise visiter, car vous apperceverez facilement
à nostre Seigneur les ramener à qu' il n' y a rien de semblable,
la verité de la religion, et à la recognoissance ny de si excellent dans toutes
des veritez, lesquelles les coustumes de vivre, ou dans les
Dieu nous a proposees par sa parole façons de servir Dieu, et de l' adorer,
contenuë dans les saincts livres. p823
Les divers voyages, et les diverses dont se servent les payens, les
cognoissances, et conferences turcs, et les autres nations ennemies
p821 du nom chrestien, comme il
qu' ils font, est encore cause de ce y a dans nostre saincte religion, laquelle
qu' ils se jettent tantost d' un costé seule adore l' autheur de la
tantost d' un autre : aujourd' huy ils terre, et de l' onde par les voyes, façons,
se tournent vers le calvinisme, et ceremonies qu' il nous a
demain vers le lutheranisme, puis luy mesme prescrites, ou qu' il a
apres vers le mahometisme, une inspirees à la saincte eglise catholique,
autrefois vers le judaisme, et quand apostolique, et romaine,
ils ont quelques bons intervales, contre laquelle tout l' enfer, et
vers la religion catholique ; bref tous les efforts des hommes ne
ils ne cessent de chercher, torner, peuvent rien faire qui la puisse ébranler.

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Que les calvinistes, et les autres au sien, mais j' espere que vous me
heretiques soient tant empeschez ferez la faveur apres vostre retour,
qu' ils voudront de resister de m' en donner une copie. Au
aux deistes, ausquels j' ay ouy dire reste si j' apprens quelques nouvelles
qu' ils ne peuvent respondre, et devant raisons, qu' ils ayent pour s' opposer
qui ils tremblent, car nous à la vraye religion, je vous les
ne craignons non plus les uns que rapporteray fidellement, à ce qu' il
les autres. Pour moy je treuve que p826
p824 vous plaise m' enseigner en quoy
ceux cy ne sont qu' un rejeton de elles manqueront.
ceux là, et quiconque voudra m' aboucher Le The je vous promets que
d' entre les heretiques, je je vous donneray toute sorte de
me fais fort de luy monstrer qu' il satisfaction, quand je seray de retour,
n' a pas meilleur droit que le deiste, pourveu que vous trouviez
et qu' il faut qu' il embrasse le icy dans le temps prescrit : retenez
deisme, s' il veut maintenir son heresie. seulement toutes les objections,
Voyla où les reformateurs où raisons, dont ils se servent pour
conduisent le monde, lesquels au combattre la verité, afin que vous
lieu de faire des chrestiens reformez, soiez armé contre toutes sortes
engendrent des deistes, des d' impietez, et que vous puissiez
athees, et des libertins. Mais c' est imposer un perpetuel silence à
assez discouru touchant la foiblesse tous les libertins, et deistes, avec
de ces pauvres esprits, avisez qui vous vous rencontrerez desormais.
s' il ne vous reste plus aucune difficulté, Or il seroit bon que vous tesmoignassiez
à ce qu' il n' y ait rien qui vous a nostre depart vostre
puisse troubler pendant mon voyage ; conversion, et l' abjuration de toutes
si tost que je seray de retour, vos impietez par quelque forme
je vous expliqueray ce que vous de confession de foy, cela vous
n' aurez pas entendu dans tous les affermira davantage en ce qui est
discours que nous avons eu par de la vraye religion, et sera cause
ensemble. p827
p825 que la divine bonté vous remplira
Le D je n' ay rien pour le present de ses graces, et de ses benedictions.
qui me tourmente l' esprit, Le D monsieur, il me semble
c' est pourquoy je ne veux pas retarder que je vous ay rendu des preuves
plus long temps vostre assez signalees de ma conversion
voyage, au retour duquel je m' attends par mes parolles, et par le contentement
de vous proposer toutes les que j' ay pris a tous vos discours,
difficultez, lesquelles vous avez remises et par l' aveu que j' en ay fait :
à la fin du discours, afin que car vous pouvez assurer que ce n' a
j' en sois parfaitement éclarcy. pas esté des seules leures que j' ay
Je m' en vais passer 10, ou 15 jours à quitté les erreurs, qui m' avoient
Paris, pour voir si je pourray ramener tenu captif jusques a vostre rencontre,
quelqu' un de mes camarades mais de tout mon coeur, et
à la religion catholique ; si vous de toute mon affection. Je croy que
m' eussiez donné le poëme qui refute la façon dont je me comporteray dorenavant
celuy du deiste, je l' eusse opposé en toutes mes actions, et

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mes parolles, vous fera paroistre s' en presente.
avec quelle sincerité j' embrasse la J' embrasse donc la religion catholique,
foy catholique, et quel horreur apostolique, et romaine
j' ay des impietez, ausquelles j' avois p830
p828 de tout mon coeur pour jamais,
favorisé en quelque façon que ce et deteste les erreurs, les fantaisies,
soit, jusques à present. et les malheureuses opinions
Je desirerois seulement pouvoir des athees, des deistes, et
retirer de la mesme impieté autres libertins, ausquelles j' avois
tous ceux qui sont de ma cognoissance, favorisé jusques à ce qu' il eust pleu
car ce m' est un grand d' esplaisir à Dieu me faire recognoistre l' aveuglement
que ceux lesquels j' ayme ou j' estois, et le peril
passionément, et pour qui je voudrois que je courois : jamais la verité
endurer la mort, s' il en estoit chrestienne ne sortira de mon esprit,
besoin, trempent si avant dans le et n' auray jamais d' amour
libertinage. Je ne scache rien que que pour mon sauveur, et redempteur
cela de mal en eux, car ils ne sont Jesus-Christ.
point scandaleux, et font plaisir à Adieu donc malheureux, qui
leurs amis fort librement : je croy m' aviez perverti par vos cajolleries,
que ce sera ce qui me donnera et par vos impostures : adieu
plus de desplaisir, et d' affliction. Je vers impudiques, ausquels je me
les recommande tant que je puis a plaisois tant, avant que le rayon de
vos prieres, a ce qu' il plaise a sa divine la lumiere eternelle eust frappé
majesté de les regarder de dans mon esprit. Adieu maudites
l' oeil de sa misericorde, et leur donner voluptez, par qui j' ay esté aveuglé,
une si grande repentance de enprisonné, et charmé si long
tous leurs pechez, et une si grande p831
p829 temps. Adieu toute sorte d' impieté,
aversion de toutes sortes d' impietez, dans laquelle je m' estois enfoncé
qu' ils n' ayent aucun repos ny si avant : adieu vanité, adieu tout
le jour ny la nuict, jusques à ce ce qui m' a separé de la religion
qu' ils ayent quitté leurs mal-heureuses catholique, et de l' amour, de
opinions, et qu' ils ayent l' honneur, et du respect que je
embrassé la religion catholique. dois à mon Dieu, auquel j' addresseray
Or il est raisonnable que je vous desormais ma priere par ces vers.
témoigne encore un coup ma conversion, Vous des meschans l' etonnement
puisque vous le desirez, Dieu qui veillez incessamment
car que ne dois-je en faveur de celuy dessus les actions des hommes,
qui ne m' a rien refusé, et qui qui plus que jamais sont tachez
ne me demande rien que ce qui en cet ingrat siecle où nous sommes,
fait pour mon salut ? Pleust à Dieu de toutes sortes de pechez.
que je rendisse ce tesmoignage du Daignez jetter les yeus sur moy
vray sentiment que j' ay de la verité, pour vivre selon vostre loy,
avec mon propre sang : mais la j' abandonne celle du vice :
bonté divine aura mes paroles ce monde n' est plus mon vainqueur :
pour agreables, jusques à ce que à vous seul je fais sacrifice
j' en vienne aux effets, si jamais l' occasion de mes desirs, et de mon coeur.

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Plongé dedans l' adversité asseuré dedans vostre port
où le vice m' avoit jetté, j' apperçois au gré de l' orage
je souffrois un mal incroyable : les hommes courir à la mort.
p832 Vivans parmi l' ambition
mon goust ne treuvoit rien de doux : ils n' ont que de l' affliction,
bon dieu ! Que l' homme est miserable et ne sentent que du martyre,
quand il est éloigné de vous. le repos ne les suit jamais :
Ce monde doit finir un jour, aussi n' est-ce qu' en vostr' empire
qui par un illicite amour où regn' absolument la pais.
rend nos ames si criminelles : Grand Dieu, qu' un rayon de vos yeux
vous seul pouvez tousjours durer : eleve leurs coeurs dans les cieux
les recompenses eternelles, p834
de vous se doivent esperer. au mespris de toute la terre,
Aussi depuis que j' ay gouté, et que d' un sainct amour touchez
Seigneur, de la felicité ils sortent vainqueurs de la guerre
qui dans le paradis abonde : qu' ils ont avecques les pechez.
au pris des delices du ciel,
je treuve les douceurs du monde
plus ameres que n' est le fiel.
Le bien que vous avez promis
dedans le ciel à vos amis,
ce n' est point un bien perissable :
le monde n' a que de l' ennuy,
et c' est bastir dessus le sable
que de s' appuyer dessus luy.
Avant que Dieu m' eut visité,
j' estoy tousjours espouvanté,
mais ! Jouissant d' un bien si rare,
le recit ne m' estonne pas
des tourmens que l' enfer prepare
aus meschans apres le trespas.
p833
Adieu ces écrits, et ces vers
dont je voulois par l' univers
que ma loüange fust semée :
si je ne suis plus amoureux
d' une si vaine renommée,
c' est signe que je suis heureux.
Quand je cherissois ces escrits,
et que mon coeur, et mes esprits
bruloient d' une impudique flame :
sans repos je passois les nuits,
et tous les jours dedans mon ame __________________________________
naissoient nouveaux sujets d' ennuis.
Maintenant que j' en suis sorti, Ce document est extrait de la base de données
et que vous m' avez garanti, textuelles Frantext réalisée par l'Institut
Seigneur, d' un si cruel naufrage : National de la Langue Française (INaLF)

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