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SCOPITONE : LORSQUE L’ART NUMÉRIQUE RENCONTRE LE CORPS DU SPECTATEUR

Après une longue, et lente, déambulation dans les rues de l’île de Nantes, nous y voilà. Le
Marché d’Intérêt National, le MiN, écrin de l’édition 2019 du festival Scopitone. Pour nous
accueillir, Down There, de l’artiste australienne Amanda Parer, un géant tout de blanc vêtu qui nous
toise depuis le toit du bâtiment. La démesure de cette créature, ou de cette création, qui baisse
clairement les yeux sur nous, nous renvoie à notre propre petitesse, notre propre modestie vis-à-
vis du décor environnant, dont on se rend dès lors compte de la taille. Et si l’on esquive ce regard
implacable, c’est pour mieux se plonger dans une œuvre qui verse tout autant dans le gigantisme,
Pavilion de Lawrence Malstaf. Cependant la contemplation de cette oeuvre n’inspire pas les mêmes
sentiments que ceux nés du visage sans yeux de Down there : ici le mouvement élégant et gracile
des drapés de 15m de long invite à la relaxation, à la médiation, à l’introspection. On peut se
laisser aisément gagner par le ballet hypnotique des voiles qui, en décrivant des mouvements
aléatoires, nous font découvrir petit à petit le lieu où se déroule leur danse.
C’est au gré de ces pérégrinations visuelles que l’œil se pose sur l’entrée de la première
alcôve abritant des œuvres, le Frigo 1. Dans celui ci, trois créations en particulier m’ont interpellées
dans ce qui relève du rapport du corps du spectateur à l’espace comme à l’œuvre.
La première nous cueille dès l’entrée et nous est proposée par l’artiste allemand Andreas
Lutz, il s’agit de Offset XYZ. Protéiforme, métamorphe, celle ci est en perpétuelle mutation sous
nos yeux, se dilatant et se compressant. Cette métamorphose organique associé au son des pistons
nous donne à entendre un souffle, une respiration. Voir ce gigantesque poumon blanc de tissu
s’actionner sous mes yeux m’a fait prêter attention à mon propre souffle, qui s’était de lui même
synchronisé sur celui de Offset XYZ. La physiologie du spectateur est directement interpellée par la
sculpture, qui prend subrepticement notre contrôle et nous impose son rythme respiratoire. Le
souffle méditatif qui en ressort nous permet d’accorder une attention toute particulière à l’œuvre à
laquelle on s’est synchronisé.
Les deux autres créations que j’évoquerai questionnent le corps du spectateur
sensiblement de la même manière, en l’invitant à entrer dans l’espace de l’œuvre, non pas pour la
modifier mais bien pour en créer une, unique : la notre. Il s’agit de Liminal Scope, du collectif
australo-américain Hovver, et de Brumes, des artistes américano-allemand Sebastian Wolf et
Michael Kugler. Dans la première, trois anneaux semblant flotter dans le vide s’illuminent de
teintes monochromes. L’un est bleu, l’autre rose, le dernier blanc. Ces anneaux sont là, face à nous,
à taille et à hauteur humaine. Rien ne nous empêche de les toucher. Si ce n’est l’éducation,
rapidement balayée par une curiosité avide de mieux (conce)voir, de mieux comprendre. La
matière est froide, lisse. Il est temps de passer à l’étape suivante : rien ne nous empêche de passer
la main au travers. On hésite… et on franchit le pas. Et là nos mains brisant les faisceaux lumineux
en viennent à en modifier la direction, l’harmonie, pour en créer une autre qui nous est propre. La
bande sonore, composée de longues fréquences basses, nous invite à prolonger l’expérience de ce
moment de communion. Cette expérience de création partagée, on la retrouve ensuite dans la
statue éphémère, à la fois unique et multiple qu’est Brumes. Au milieu d’un pièce sombre, un
piédestal nous accueille coiffé en son sommet d’un dôme aux allures de coton. Néanmoins, un
geste trop brusque à proximité, et voilà que la brume aux allures de textiles vole et se volatilise.
Celle ci est aussitôt remplacée par un nouveau dôme. Le spectateur est donc invité à participer
pleinement à l’évolution et à la vie de l’oeuvre, en la modelant, en la suscitant, et en la dispersant
pour en recommencer une nouvelle. Non content d’impliquer le corps de celui qui la regarde, qui
se démène et se contorsionne pour faire prendre à cette vapeur d’eau insaisissable une forme
convenable, cette sculpture a aussi le don de nous faire retomber en enfance : on retrouve l’état
d’esprit de celui qui édifie un château de sable sur la plage, ou de celui qui, lors de la fête
d’anniversaire, tente de souffler toutes les bougies d’une seule expiration.
Voyage dans le temps, voyage dans l’espace, l’art numérique nous offre ici sa poésie, qui
n’a de cesse de jouer avec nous, notre présence, notre corps.

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