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NATACHA POLONY

DEUX VISAGES POUR EFFACER LA FRANCE

La grande mécanique du spectacle contemporain chargée de noyer le sens dans la profusion des
images et des sons produit parfois par le hasard des programmations, une irréfutable vérité.

Celle qui s’impose à nous cette semaine a deux visages.


Celui d'un homme à la barbe touffue, musulman « orthodoxe » à la tête d'une association
humanitaire qui secourt exclusivement ses coreligionnaires, expliquant sur le plateau de Canal +,
devant une ministre de I’Education nationale tétanisée, qu'il ne serre pas la main des femmes.
Et celui, avenant et tellement télégénique, d'une jeune professeur d’anglais au sourire sûr de lui et
dominateur. Sur le plateau de France 2, où elle était présentée comme une « musulmane » et
n'appartenant à « aucun parti »,Wiam Bérhouma a déployé contre Alain Finkielkraut la rhétorique
très politique des Indigènes de la République pour expliquer que la France pratique une «
islamophobie institutionnelle » , que la parole raciste y serait « décomplexée » , et pour finir par un
tonitruant « Taisez-vous, M. Finkielkraut » .

Ce sourire (un « sourire de salut public, comme il y a des gouvernements du même nom », écrivait
Philippe Murray à propos de celui, pareillement figé, de Ségolène Royal), le sourire qui juge et
condamne ceux auxquels il s’attaque, celui qu'arbore généralement la ministre de l’Éducation
nationale, Najat Vallaud-Belkacem, quand il s'agit de montrer aux « pseudo-z-intellectuels » et
autres défenseurs des humanités classiques qu’ils sont d’innommables nostalgiques d'un ordre
révolu, ce sourire avait migré.
Najat Vallaud-Belkacem, les yeux baissés, réduite au silence par l’expression - parfaitement
décomplexée, celle-là - du mépris des femmes et du séparatisme, préparait l'image, quelques jours
plus tard, d'un professeur de I’Éducation nationale usant de ce sourire de combat pour accuser l’État
dont elle est fonctionnaire de discriminer « les musulmans ».
Cette jeune femme moderne, émancipée, combattant à coup de procès en racisme pour que nous
acceptions sous couvert de tolérance et de liberté individuelle la négation de toutes nos valeurs, n'a
fait que reprendre le flambeau de sa ministre, comme elle lui a repris le qualificatif de « pseudo-z-
intellectuels » pour couvrir de son mépris ceux qui ne pensent pas comme elle.

Car c’est bien la négation constante et déterminée de tous les fondements intellectuels et culturels
du pacte républicain et leur remplacement par une idéologie de la bienveillance et de la pensée
molle qui irrigue la politique scolaire depuis tant d'années. Une idéologie fondée sur l’éradication
systématique de tout ancrage historique, de toute inscription dans une généalogie et un ordre
préexistant. L’individu autoconstruit, hors-sol et fort de ses droits.

Eh bien, nous y voilà. L’individu hors-sol affirme aujourd'hui sa volonté de faire reconnaître ses
droits.
Celui de ne pas serrer la main de créatures impures. Ou celui, pour une jeune femme émancipée, de
faire comme si elle ne voyait pas qu'elle se bat pour le droit de certains de ses coreligionnaires à
opprimer, a enfermer et à discriminer. Quitte pour cela a énoncer - toujours avec le sourire -
quelques contre-vérités. On en oubliait presque, à l’entendre, que si quelques sinistres individus
s’en sont pris récemment à des mosquées, ce sont bien les Juifs qui, pour l’heure, se font tuer au
pays des droits de l’homme. On en oubliait presque, cloués au pilori de ce sourire, que cette
République mise en accusation, raciste et post-coloniale, a permis à une jeune femme dont on ne
cherche même pas à connaître les origines, elle qui nous envoie sa religion a la figure,
de devenir professeur. À une autre de devenir ministre de l’Éducation nationale. Comment ? Par la
transmission d’un savoir universel adossé à des valeurs civilisationnelles. Par la transmission de
modèles à travers une littérature qui marie l’idéal d’émancipation de l’humanisme et des Lumières
et l'image d'un rapport hommes-femmes apaisé, sublimé par le langage.
Avoir renoncé à tout cela, avoir choisi d'en priver désormais les jeunes Français, d’où qu’ils
viennent, c’était déjà commencer à baisser les yeux devant un islamiste radical qui veut se faire
passer pour « orthodoxe » (les autres, donc, ceux qui saluent les femmes, sont des musulmans «
tordus », pas nets). C’était déjà transmettre ce sourire éradicateur d’Histoire et de civilisation à une
jeune professeur qui veut nous imposer notre avenir.
Sans doute la France et la République ont-elles moins besoin d'un sourire télégénique et d'éléments
de langage ministériels que de courage pour défendre haut et fort notre vision de l'être humain et de
sa liberté quand le totalitarisme souriant nous intime l'ordre de nous taire.

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