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Ohadata D-23-07

LE PORTAGE DE TITRES SOCIAUX AU REGARD DU


DROIT OHADA DES SOCIÉTÉS
Par

Oumar LY

Email : oumar-n1@outlook.com

Article sélectionné par le Conseil scientifique - Association Henri Capitant


https://www.henricapitant.org
Le droit des sociétés a été depuis sa création et de façon encore plus prononcée de nos jours, un ensemble
de règles stratégiques au service d’entrepreneurs et d’associés désireux d’exceller dans le monde des
affaires. Avec la révision de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement
d’intérêt économique (AUSCGIE), on note l’existence de différentes techniques conventionnelles
d’aménagement de la vie des sociétés commerciales. Parmi ces mécanismes, on peut citer les
conventions extra-statutaires. Toutefois, certaines de ces conventions peuvent poser des difficultés en
raison des interrogations qui pèsent sur leur régime juridique. Tel est le cas du portage de titres sociaux.
Le portage de titres sociaux est une convention par laquelle le « porteur », qui peut être un établissement
de crédit, souscrit ou acquiert des titres sociaux pour le compte d'un associé (portage dit fermé) ou d'un
tiers (portage dit ouvert), que l'on appelle le « donneur d'ordre », et se fait promettre par ce dernier que
ces titres sociaux lui seront rachetés au terme d'une période déterminée, selon des modalités (et
notamment un prix) fixées dès l'origine (1). S’agissant des titres sociaux, ils peuvent être définis comme
étant les titres reçus en contrepartie de l'apport fait par les associés. Ils représentent les droits des associés
et sont dénommés actions dans les sociétés par actions et parts sociales dans les autres sociétés.
Si le portage de titres sociaux, en raison de son caractère innommé, permet une grande liberté
contractuelle, il souffre de nombreuses incertitudes quant à son régime juridique au regard des règles
issues de plusieurs branches du droit privé dont le droit des sociétés. En effet, la jurisprudence et la
doctrine remettent en cause la validité de ce contrat au regard de certaines règles juridiques telles que la
prohibition des clauses léonines, la prohibition des conventions de vote, la prohibition des clauses
d’intérêts fixes etc.
La légitimité du portage de titres sociaux est ainsi remise en causes au regard des règles relatives à la
participation volontaire de l'associé dans la société (I) mais aussi par rapport à celles relatives à sa
participation économique (II).

I. Le portage et la participation volontaire du porteur dans la société


Parmi les questions majeures posées par le portage, on peut citer celle de sa validité au regard de
l’affectio societatis du porteur (A). On s’est également questionné sur la légalité de la convention au
regard de la prohibition des conventions de vote (B).
A. Le portage et l’affectio societatis du porteur

L’affectio societatis peut être défini comme l’intention, qui doit animer les associés, de collaborer sur
un pied d’égalité. Il implique non seulement un esprit de collaboration mais aussi le droit, pour chaque
associé, d’exercer un contrôle sur les actes des personnes chargées d’administrer la société. Ainsi, tous
les associés dans le contrat de société doivent se considérer unis à tous les autres, avec la volonté de
poursuivre ensemble l’œuvre commune (2).

L'affectio societatis est donc l'élément intentionnel caractéristique de la société, dont l'existence a été
affirmée par le législateur Ohada. En effet, selon l’article 4 AUSCGIE, « La société commerciale est
créée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent, par un contrat, d'affecter à une activité des
biens en numéraire ou en nature, ou de l'industrie, dans le but de partager le bénéfice ou de profiter de
l'économie qui peut en résulter ». L’alinéa 2 dudit article ajoute que « la société commerciale est créée
dans l’intérêt commun des associés ».
Selon la jurisprudence, lors d'une cession d'actions, le cessionnaire doit être animé de l'affectio societatis
; à défaut, la cession court le risque d'être annulée (3).
Le risque est évident à l'occasion d'une opération de portage. Le défaut d'affectio societatis en la
personne du porteur peut invalider la cession d’actions ou de parts sociales au profit du porteur ; or,
1
Marina Bourgeois-BERTREL, Jean-Pierre BERTREL, Portage de titres sociaux, Répertoire des Sociétés Dalloz,
octobre 1995, p. 4.
2
Serge Guinchard, Thierry Debard, « Lexique des termes juridiques, 25ème édition, 2017-2018, Dalloz.
3
TGI Paris, 14 mars 1973, gaz. Pal. 1973, II, p. 914, note M. PEISSE.

2
l'acquisition de la qualité d'associé étant à l'évidence un élément déterminant du portage, la nullité de la
cession des titres ne peut s'étendre qu'à la convention de portage (4).
Le déroulement de l'opération de portage, l'économie du contrat, nous poussent à s’interroger sur
l'intention du porteur de se comporter comme un associé. Le porteur prend pour un temps déterminé, à
la demande du donneur d'ordre, une participation dans le capital d'une société indiquée par celui-ci. Son
intervention repose sur son consentement à rendre service au donneur d'ordre. Proprement parlant, il n'y
a donc pas chez le porteur de démarche vers une société particulière dont l'activité ou le projet l'attire.
Mais, à bien analyser son engagement, le service qu'il accepte de rendre au donneur d'ordre consiste à
se rendre associé et donc à se comporter, à l'égard de la société et de ses membres, comme un associé.
Le porteur a donc indiscutablement la volonté d'entrer dans la société. Certes, on rechercherait en vain
l'intention du porteur de participer activement à la conduite des affaires sociales et d'œuvrer dans un but
commun ; mais, pourquoi remettre en question l'affectio societatis du porteur alors que la participation
d'associés, dont la motivation unique est de percevoir des dividendes et dont le comportement est
totalement passif, ne soulève pas d'objection ? (5/6).
Une partie de la jurisprudence affirme dorénavant que la convention de portage, en ce qu'elle régit les
rapports entre le donneur d'ordre et le porteur, n'a aucun effet sur les rapports sociaux (7).
En outre, la majorité des auteurs, tout en reconnaissant la validité de la convention de portage, affirme
l'absence d'affectio societatis chez le porteur. Ainsi le professeur F.-X. LUCAS écrit-il : « le porteur est
totalement dépourvu d'affectio societatis. C'est même à cela qu'on le reconnaît » (8). Dans la mesure où
il participe à la création d'une société pour le compte d'un donneur d'ordre, ne peut-on pas dès lors dire
que cette société est nulle pour défaut d'affectio societatis ? Une réponse négative s’impose pour
plusieurs raisons. D'une part, parce que l'absence d'affectio societatis ne constitue pas une cause de
nullité des sociétés par actions (9), d'autre part parce qu'on a pu constater dans un arrêt de la Cour
suprême (10) la volonté d'« écarter toute recherche d'affectio societatis dans les pactes extrastatutaires »
(les auteurs écrivant : « si ce sentiment venait à être confirmé, les opérations de portage y
échapperaient » 11), enfin parce qu'il nous semble que le porteur, même s'il est un associé atypique (un
« bailleur de fonds ») n'est pas démuni d'affectio societatis (12).
L'analyse selon laquelle l'absence d'affectio societatis chez le porteur serait la marque du portage
procède en effet d'une conception de l'affectio societatis qui ne fait pas l'unanimité. Les professeurs
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER et Florence DEBOISSY, sans remettre en question la spécificité
de ces « bailleurs de fonds » que sont ceux qui deviennent provisoirement associés pour des raisons
particulières comme le porteur, en donnent cependant une explication un peu différente, en proposant
une autre vision de l'affectio societatis qu'ils redéfinissent ainsi, suite à l'arrêt de la chambre commerciale
de la Cour de cassation en date du 10 février 1998 (13) : « l'affectio societatis ne se confond pas avec les
motifs personnels des associés. Il n'y a pas de place pour une appréciation subjective ; elle n'est autre
chose que la volonté de s'associer au sein d'une même société ; elle présente donc un caractère objectif ;
quels que soient les raisons, les motifs, les désirs des associés, il suffit d'identifier cette volonté pour
caractériser l'affectio societatis » (14). Et les auteurs d'ajouter : « En réalité, l'affectio societatis

4
Brigitte Treille, Les conventions de portage, Rev. Sociétés 1997, p. 12.
5
Brigitte Treille, Les conventions de portage, Rev. Sociétés 1997, p. 12.
6
Sur la prise en compte par la jurisprudence de l'intensité de l'affectio societatis, selon la forme sociale, V. CA
Lyon, 11 oct. 1954 : D. 1955.14 ; CA Besançon, 3 nov. 1955 : JCP, éd. G, 1955.II.8750.
7
Brigitte Treille, op. cit. p. 12.
8
LUCAS, article préc., J.-Cl. Banque. Crédit. Bourse, fasc. 2128, no 83.
9
En effet, le portage concerne le plus souvent des actions.
10
Com. 11 juin 2013, no 12-22.296 , Bull. civ. IV.
11
DEVÈZE, Alain COURET, PARACHKÉVOVA, POULAIN-REHM, TELLER et HIRIGOYEN, Lamy Droit
du financement, 2015.
12
Marina Bourgeois-BERTREL, Jean-Pierre BERTREL, op. cit., p. 26.
13
Com. 10 févr. 1998, no 95-21.906, Bull. civ. IV, no 71; Bull. Joly 1998. 767, note Jean-Jacques Daigre.
14
M. COZAIN, A. VIANDIER et F. DEBOISSY, Droit des sociétés, 28ème édition, LexisNexis 2015, n° 155.

3
s'entendant de la volonté d'être associé, la distinction proposée (des associés « contrôlaires 15 » et des
bailleurs de fonds) procède d'une confusion de la volonté juridique et des mobiles, lesquels demeurent
hors du champ contractuel. Les contrôlaires comme les bailleurs de fonds, parce qu'ils ont acquis des
titres, ont manifesté la volonté d'être associés, mais leurs mobiles diffèrent. En fait, c'est le contenu de
l'affectio societatis, et non son existence, qui sépare les deux populations » (16). Ainsi, pour certains
doctrinaires, il n'y a pas d'un côté les « vrais associés » et, de l'autre, les « bailleurs de fonds » (dont fait
partie le porteur). Il y a en réalité deux groupes d'associés ayant la même affectio societatis (entendue
tout simplement comme la volonté de s'associer au sein d'une même société) et ayant revêtu ce manteau
juridique d'associé pour des raisons différentes. Le porteur a donc bien une affectio societatis et peut
donc bien être considéré comme un véritable associé (17).
La question de la validité du portage de titres sociaux est également soulevée au regard de la prohibition
des conventions de vote.
B. Le portage et la prohibition des conventions de vote
Le droit de vote constitue l’un des prérogatives les plus importantes de l’associé. En principe, il
correspond à une volonté librement exprimée à la fin du débat de l’assemblée générale. Dans une
convention de portage, le droit de vote est exercé par le porteur. Ce dernier, dans l'exercice de ce droit,
doit néanmoins tenir compte de ce qui a été convenu avec le donneur d'ordre. La convention de portage
contient en effet le plus souvent une convention de vote aux termes de laquelle le porteur s'engage à
suivre les instructions du donneur d'ordre dans ce domaine.
La convention de vote est ainsi une conventions par laquelle un ou plusieurs associés s’engagent à voter
dans un sens déterminé lors de l’adoption des décisions collectives ou à consulter préalablement leurs
cocontractants sur le sens du vote à exercer (18). Elle ne sera en principe pas jugée contraire à la
prohibition des conventions de vote, d'une part parce qu'elle est temporaire, d'autre part parce que, dans
la majorité des cas, elle ne violera pas l'intérêt social et l'ordre public (19). On fait en outre valoir, pour
valider cet aspect de la convention de portage, le fait qu'elle organise « davantage une concertation
qu'une spoliation du droit de vote. Le porteur conserve le droit de vote qui constitue pour lui une garantie
à l'encontre du donneur d'ordre » (20).
Le portage implique généralement deux parties : le porteur, associé provisoire, et le donneur d'ordre qui
momentanément souhaite, soit se retirer de la société soit différer son entrée dans la société. Dans le
premier cas, le donneur d'ordre conserve un lien avec la société, tandis que dans le second cas,
l'assurance de devenir associé encourage le donneur d'ordre à préparer son rôle futur dans la société.
C’est pourquoi les conventions de portage comprennent souvent une convention de vote aux termes de
laquelle le porteur, titulaire du droit de vote attaché aux actions ou parts sociales qu'il possède, et le
donneur d'ordre s'entendent sur l'exercice par le porteur de son droit de vote.
Le portage permet ainsi une "titularité atténuée" des titres pour le porteur, car il lui confère la propriété
des titres sociaux portés, mais il soumet l'exercice de son droit de vote aux instructions du donneur
d'ordre (21).

15
Les associés contrôlaires sont ceux qui s'impliquent véritablement dans la vie sociale. Ils utilisent à plein leur
droit à l'information et leur droit de vote en vue de contrôler la société et de peser sur sa stratégie (Arnaud
Charpentier, Les actionnaires dans la Gouvernance des Sociétés Cotées Françaises, Mémoire de Master, Université
Paris I Panthéon Sorbonne, 2012, p. 18).
16
M. COZAIN, A. VIANDIER et F. DEBOISSY, Droit des sociétés, op. Cit. n° 155.
17
Oumar Ly, « Le portage de titres sociaux, une convention à la fois avantageuse, complexe et risquée », Editions
Universitaires Européennes, p. 67.
18
Mestre J., Buy F., Roda J.-C., Lamoureux M., Les principales clauses des contrats d'affaires, 2ème éd. LGDJ
2018, n° 355.
19
MICHEL JEANTIN, Conventions de vote et droit des sociétés, RD bancaire et bourse 1991. 123.
20
DEVEZE (J.), Alain COURET et HIRIGOYEN (G.), Lamy Droit du financement, Lamy, 2001, no 1474.
21
Brigitte Treille, op. cit. p. 16.

4
Si l'on se concentre sur les intérêts du donneur d’ordre plutôt que sur les apparences, la contradiction
devient moins importante. Le portage sépare deux étapes dans la situation du donneur d’ordre : la
première durant laquelle il est en retrait et la seconde où il devient associé. La première phase est une
préparation pour la seconde (22).
La convention de vote s'inscrit dans la logique du portage et la jurisprudence en a souligné la légitimité.
Le tribunal de grande instance de Lille, par un jugement en date du 28 octobre 1986 (23), a relevé que,
« dans une convention de portage, le porteur prenait la qualité d'associé, non pour en exercer les
prérogatives financières ou de gouvernement mais, dans le seul but de rendre au donneur d'ordre le
service rendu ; il ne poursuit aucun intérêt propre dans la société et il est donc logique qu'il y vote dans
le sens que son cocontractant lui indique ».
Cependant, affirmer la légalité de la convention de vote au regard de l'économie du portage ne suffit pas
à écarter toutes les difficultés. En effet, la jurisprudence a dégagé trois critères de validité de la
convention de vote. La convention ne doit pas dépouiller l'associé de son droit de participation à la vie
sociale, être contraire à l'intérêt social, ni violer une règle d'ordre public (24). Si on fait abstraction de la
dernière condition qui relève de la fraude à la loi et qui, en tant que telle, n'est pas spécifique à la
convention de vote, les deux premières répondent à la préoccupation de préserver l'associé et de
sauvegarder l'intérêt social (25).
Le vote émis en violation de la convention de vote n'emporte pas de conséquence au regard de la validité
de la délibération (26) mais la violation engage la responsabilité du porteur. Parce qu'elle s'analyse en
une obligation de faire ou de ne pas faire, son inexécution peut entraîner une condamnation à des
dommages-intérêts mais ne saurait être opposable à la société elle-même. La solution, fondée sur l'article
6 du Code des obligations civiles et commerciales (27), s'impose et l'exécution forcée en nature qui
supposerait la réitération de son vote par le porteur et donc l'anéantissement de la délibération sociale,
est à exclure (28).
Le risque de violation de la convention de vote ne doit pas être exagéré. Le porteur n'a aucun intérêt
dans la convention. En outre, il est assuré de ne pas rester associé et on ne voit pas pourquoi il chercherait
à se soustraire à son engagement. Ces difficultés ne doivent pas occulter l'intérêt de la convention de
vote qui fondamentalement permet de préserver les droits futurs du donneur d'ordre dans la société
émettrice (29).
Des interrogations sont soulevées également quant à la légitimité du portage de titres sociaux au regard
de la participation économique du porteur dans la société.

II. Le portage et la participation économique du porteur dans la société


La légitimité du portage de titres sociaux semble aussi remise en cause du fait de la prohibition des
clauses d’intérêt fixe (A) mais encore par rapport à l’interdiction des clauses léonines (B).
A. Le portage et la prohibition des clauses d’intérêt fixe
La clause d'intérêt fixe (ou intercalaire) qui permettrait, statutairement, à la société de verser un intérêt
aux associés, même en l'absence de bénéfices distribuables, est réputée non écrite. C’est ce qui résulte
de l’article L. 232-15 alinéa 1 du code de commerce français aux termes duquel : « Il est interdit de

22
Ibid.
23
Rev. Sociétés 1987.600, note Cl. Witz.
24
Voir notamment CA Paris, 4 décembre 2012, n° 11/15313.
25
Brigitte Treille, op. cit., p. 17.
26
T. com. Paris, ord. réf. 12 févr. 1991 : Bull. Joly 1991.592, note Michel JEANTIN.
27
Le débiteur d'une obligation de faire ou de ne pas faire doit exécuter complètement son obligation. A défaut, il
est tenu à réparation. Le juge peut en outre ordonner la destruction de ce qui aura été fait contrairement à
l'obligation.
28
Oumar Ly, op. cit., p. 71.
29
Brigitte Treille, op. cit. p. 17.

5
stipuler un intérêt fixe ou intercalaire au profit des associés. Toute clause contraire est réputée non
écrite ». L’article 43 de l’AUSCGIE va dans le même sens en disposant que : » Sauf en cas de réduction
de capital, aucune distribution ne peut être faite aux associés lorsque les capitaux propres sont ou
deviendraient, à la suite de cette distribution, inférieurs au montant du capital augmenté des réserves
que la loi ou les statuts ne permettent pas de distribuer. Toute délibération prise en violation du présent
alinéa est nul ».
En effet, une telle distribution ne pourrait se faire qu'en effectuant un prélèvement sur le capital social,
les réserves légales ou statutaires ; elle porterait donc atteinte au gage des créanciers sociaux. La même
idée conduit à sanctionner la distribution de dividendes fictifs (30/31).
Dans le cadre du portage, la convention peut comporter des clauses visant à protéger le porteur des
risques de l'entreprise. Le plus souvent, la rémunération du porteur est calculée à partir d'un intérêt
portant sur le montant des titres sociaux et ce porteur échappe aux pertes par l'effet de l'engagement de
rachat à un prix fixé dès la conclusion du contrat. Ces aménagements semblent heurter ainsi le principe
de prohibition des clauses d'intérêt fixe qui interdit de stipuler un intérêt fixe au profit des associés (32).
Le problème est donc de savoir si la rémunération fixe que perçoit le porteur ne peut pas être assimilée
à une clause d'intérêt fixe ? Une réponse négative paraît devoir s'imposer. Effectivement, le fondement
de la prohibition des clauses d'intérêt fixe est la volonté du législateur qu'en l'absence de bénéfice la
société ne prélève pas des sommes sur le capital ou les réserves légales et statutaires, afin d'assurer un
revenu aux associés. Le but est donc de préserver le gage des créanciers sociaux. Dans la mesure où
l'intérêt fixe est, en matière de portage, versé non par la société, mais par un autre associé ou un tiers (le
donneur d'ordre), on peut considérer que la clause le stipulant n'est pas interdite (33). En d’autres termes,
la prohibition ne touche pas les clauses contenues dans les conventions de portage car les intérêts ne
sont pas versés au porteur par la société, mais par le donneur d'ordre, et la clause ne figure pas dans les
statuts.
La Cour de cassation française a ainsi jugé que les dispositions de l’article L.232-15 du code de
commerce sont sans application à la stipulation d'intérêts insérée dans une promesse d'achat d'actions,
qui oblige le seul acquéreur et non la société ; par suite, est valable la promesse d'achat consentie par un
associé d'une société anonyme et portant sur les actions qu'un investisseur institutionnel avait souscrites
lors d'une augmentation de capital, cette promesse ayant été consentie à un prix égal au prix de
souscription majoré d'un intérêt et pouvant être levée par l'investisseur six ans après pendant une période
prédéfinie de trois mois (34).
Le portage de titres sociaux pose aussi des difficultés quant à sa légalité au regard de la prohibition des
clauses léonines.
B. Le portage et la prohibition des clauses léonines
Aux termes de l’article 54 alinéa 2 AUSCGIE, « sont réputées non écrites les clauses attribuant à un
associé la totalité du profit procuré par la société ou l'exonérant de la totalité des pertes, ainsi que
celles excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes ». On s'est
interrogé pour savoir si les conventions de portage tombent sous le coup de l'article 54 AUSCGIE
prohibant ce qu'il est convenu d'appeler les clauses léonines. Le problème tient au fait que le porteur est
bénéficiaire d'une promesse d'achat à prix fixe, à propos de laquelle on peut se demander si elle ne le
met pas à l'abri des pertes sociales, ce qu'interdit l'article précité. Cette question de la validité des
conventions de portage au regard de la prohibition des clauses léonines ne se pose toutefois : d'une part,

30
Oumar Ly, op. cit., p. 73.
31
Article 889 AUSCGIE : « Encourent une sanction pénale, les dirigeants sociaux qui, en l'absence d'inventaire
ou au moyen d'inventaire frauduleux, ont, sciemment, opéré entre les actionnaires ou les associés la répartition de
dividendes fictifs. ».
32
Géraldine GOFFAUX-CALLEBAUT, Part sociale, Répertoire des sociétés, Dalloz 2004, p. 62.
33
V. VASSEUR, obs. sous Paris, 29 juin 1983, D. 1984. IR 81. – Sur la clause d'intérêt fixe, V. DERRUPPÉ, La
clause d'intérêts fixes, Mélanges Hamel, Dalloz 1961, p. 179.
34
Cass. com. 27 septembre 2005 n° 1165 F-D, Sté BSA Bourgoin c/ Sté CDR Participations : RJDA 7/06 n° 777.

6
que si le donneur d'ordre est associé (ce qui n'est pas toujours le cas). N'est en effet prohibée que la
clause par laquelle un associé garantit un autre associé contre les pertes qu'il pourrait subir à l'occasion
de la société (35). Lorsque le donneur d'ordre est un tiers, étranger à la société, il est admis que la
convention de portage est valable car sans effet sur les relations entre associés (36) ; d'autre part, et pour
la même raison, que si le porteur est lui-même considéré comme associé. Il lui est reconnu cette qualité
aussi bien dans le portage-sûreté que dans les autres types de portage en signalant toutefois qu'elle est
discutée dans le premier cas (37).
Lorsque les deux conditions qui précédent sont réunies, c'est la clause de fixation du prix d'achat des
titres sociaux par le donneur d'ordre qui risque d'être réputée non écrite et, par voie de conséquence,
l'engagement de rachat d'être dépourvu de valeur faute de prix stipulé (38).
Dans un arrêt du 24 mai 1994 (39), la cour de cassation française a eu à se prononcer sur une opération
de portage matérialisée par une promesse d'achat et une promesse de vente des actions portées et dans
laquelle l'établissement de crédit porteur avait assigné les promettants récalcitrants en exécution de leur
promesse d'achat. La cour d'appel de Poitiers, le 5 février 1992 (40), avait réputé non écrite la clause de
cette promesse relative au prix de rachat (clause fixant ce prix au montant du prix de cession à
l'établissement porteur augmenté d'un intérêt) en retenant qu'elle avait pour but de garantir
l'établissement porteur contre toute évolution défavorable des actions et de le soustraire à tout risque de
contribution aux pertes sociales. Son arrêt a été cassé en ces termes, le 24 mai 1994, par la chambre
commerciale de la Cour de cassation : « Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la
cession initiale avait été complétée par des promesses croisées de rachat et de vente des mêmes actions
libellées en des termes identiques au profit de chacune des parties contractantes, ce dont il résultait que
celles-ci avaient organisé, moyennant un prix librement débattu, la rétrocession des actions litigieuses
sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes dans les rapports sociaux,
la cour d'appel a violé l'article 1844-1 du code civil ». Les termes utilisés par la chambre commerciale
montrent bien que, pour valider le portage, elle a voulu « attirer le problème vers le droit de la vente et
quitter les rivages inhospitaliers du droit des sociétés » (41). L'article 54 alinéa 2 AUSCGIE concerne
effectivement le contrat de société et non le contrat de vente. Or, les rapports entre cédants et
cessionnaires ne sont pas considérés comme des « rapports sociaux » (42).
Dans un arrêt du 12 mars 1996, la chambre commerciale de la Cour de cassation a à nouveau écarté le
caractère léonin de la promesse de rachat, malgré cette circonstance particulière qu'elle avait été
consentie à un dirigeant en cas de cessation de ses fonctions au sein de la société : « la promesse n'avait
pas d'autre objet que de permettre l'achat des actions du président du conseil d'administration à un prix
librement débattu, dans l'hypothèse où il cesserait ses fonctions au sein de la société holding, sans
incidence sur la participation aux bénéfices ou la contribution aux pertes dans les rapports sociaux »
(43).

35
Oumar Ly, op. cit., p. 75.
36
V. en ce sens Alain VIANDIER, RD bancaire et bourse 1991. 122 s.
37
Marina Bourgeois-BERTREL, Jean-Pierre BERTREL, op. cit., p. 20.
38
Oumar Ly, op. cit., p. 75.
39
Dr. et patr. juin 1994. 69, obs. J.-P. Bertrel ; D. 1994. 503, note Alain Couret ; Rev. sociétés 1994. 708, note
Reinhardt ; Dr. sociétés 1994, no 141, note Le Nabasque ; Bull. Joly 1994. 797, note PAUL LE CANNU.
40
D. 1994. somm. 60, obs. Vasseur.
41
PAUL LE CANNU, note sous Com. 24 mai 1994, Bull. Joly 1994. 717. – GERMAIN et FRISON-ROCHE, note
sous Com. 24 mai 1994, RD bancaire et bourse 1994. 176.
42
Oumar Ly, op. cit., p. 77.
43
Com. 12 mars 1996, no 94-11.954 , Bull. civ. IV, no 88; Dr. sociétés 1996, no 94, obs. Bonneau; Dr. et patr. 1996,
no 40, p. 94, obs. J.-P. Bertrel. – La chambre commerciale a par la suite réitéré sa position : V. Com. 19 mai 1998,
no 95-18.557 , RJDA 1998, no 986. – Com. 16 nov. 2004, no 00-22.713, Bull. civ. IV, no 197 ; Dr. et patr. 2005,
no 34, p. 133, obs. Poracchia. – Com. 22 févr. 2005, no 03-16.336, Rev. sociétés 2005. 596, note Le Nabasque. –
Com. 27 sept. 2005, no 02-14.009, Bull. Joly 2006. 92, note Alain Couret ; Dr. sociétés déc. 2005, no 217, note
Hovasse. – Com. 3 mars 2009, no 08-12.359, Dr. sociétés juin 2009, no 110, note Coquelet.

7
La doctrine s'est interrogée pour savoir si la forme du portage (le fait que soient utilisées des promesses
croisées ou une promesse d'achat uniquement) pouvait avoir une incidence sur le respect de l'article 54
alinéa 2 AUSCGIE. Il semble en effet qu'un temps la chambre commerciale de la Cour de cassation ait
validé les conventions de portage en prenant en considération l'existence de promesses croisées (d'achat
et de vente) rédigées en termes identiques. C'est du moins une interprétation qu'avait soutenue une partie
de la doctrine (44). Ce critère, qui pouvait effectivement sembler apparaître dans l'arrêt susvisé du 24 mai
1994, a toutefois été abandonné depuis, à l'occasion d'un arrêt du 16 novembre 2004 concernant cette
fois-ci une opération de capital investissement, dans lequel la Cour suprême, en considérant que le
bénéficiaire de la clause était un « bailleur de fond », l'a validée « peu important à cet égard qu'il s'agisse
d'un engagement unilatéral de rachat » (45).
Pour ce qui est des opérations de portage n'utilisant qu'une promesse unilatérale de rachat à prix fixe ou
à prix plancher, il semble donc que l'on puisse rester sur la solution de l’arrêt du 16 novembre 2004, et
considérer qu'une clause de rachat à prix fixe ou minimum ne pose plus de problème au regard de la
prohibition des clauses léonines. Comme le note le professeur ALAIN COURET sous le second de ces
arrêts, « il n'y aurait donc plus aujourd'hui matière à discussion dans les conventions de capital
investissement ou dans les conventions de portage […]. La Cour de cassation répond ainsi
indubitablement aux attentes de la pratique et cette jurisprudence mérite sans doute d'être approuvée
de ce point de vue. L'antique prohibition des pactes léonins, pour aussi légitime que son fondement
puisse paraître, constitue encore aujourd'hui un véritable boulet dans la vie des affaires » (46).
Si la validité des opérations de portage entre associés au regard de la prohibition des clauses léonines
est donc désormais clairement admise par la chambre commerciale de la Cour de cassation française, il
n'en va toutefois pas encore de même pour une partie de la doctrine. En effet selon la professeure Sophie
Diagne Ndir, « un projet de cession véritable et véridique doit prendre en compte la valeur réelle des
titres en jeu. La liberté contractuelle ne peut pas, à notre avis, justifier qu'une partie sorte largement,
voire exagérément, avantagée par un accord au détriment d'une autre. Au lieu d'une conséquence
résultant de la cession à prix fixe, l'existence d'une clause léonine du fait de la répartition inégale des
pertes ou bénéfices est plutôt l'objectif principalement visé dans certains portages. On ne peut prétendre
vouloir une situation et en rejeter les conséquences. En réalité, en élaborant une convention de portages
de titres, les parties à l’'opération ne peuvent ignorer le grief de clause léonine que l'on pourrait
éventuellement leur opposer. Mieux, c'est souvent en connaissance de cause qu'elles auront agi » (47).

44
LUCAS, Promesses d'achat de titres sociaux à prix garanti et prohibition des clauses léonines. À la recherche de
la cohérence perdue, JCP E 2000, no 5, p. 168. – Emmanuelle CLAUDEL, Clauses léonines extrastatutaires, les
voies d'un compromis, Mélanges Michel JEANTIN, 1999, Dalloz, p. 183.
45
Com. 16 nov. 2004, no 00-22.713, JCP E 2004. 1881; D. 2004. AJ 3144, obs. Lienhard ; JCP E, no 4, 27 janv.
2005, p. 123 s.; RD banc. fin. 2005. 32, no 29, obs. Lucas; RTD com. 2005. 111, obs. Champaud et Danet ; RD
banc. fin. 2005. 32, no 29, obs. Alain Couret ; Dr. et patr. févr. 2005. 133, obs. Poracchia; JCP E 2005, p. 131, no 1,
obs. Caussain, Florence Deboissy et Wicker.
46
Alain COURET, Les conventions de portage, article préc.
47
Sophie Diagne Ndir, Portage d’actions et clauses léonines en droit Ohada, (article disponible sur
https://www.ohada.com/actualite/4253/portage-d-actions-et-clauses-leonines-en-droit-ohada.html), consulté le
13/02/2021.

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