Confidentiel

Rafale, sous-marins Scorpène, Paris attend une moisson de commandes

militaires de Narendra Modi (Inde), invité pour le 14-Juillet.

L’Etat lance son Fonds

Baptisé Spring 2026,
le nouveau plan pour les métaux critiques L’américain Flowserve
a bouclé la reprise
stratégique d’April de Velan (Canada),
(assurance) prévoit de L’Etat a confié à Infravia Capital Partners la création du Fonds pour les métaux maison mère du
la croissance externe français Segault
dans les pays
critiques (FMC), préférant cet opérateur à Meridiam également sur les rangs. (robinetterie nucléaire).
anglo-saxons. L’objectif est de sécuriser l’approvisionnement de métaux rares, garantir une Arnaud Montebourg
L’américain KKR vient forme de souveraineté industrielle et financer le recyclage. L’Etat apportera a annoncé qu’il était
de faire son entrée au 500 millions à ce fonds, via le dispositif France 2030. FMC vise un premier « clo- candidat à la reprise
capital au côté de sing » d’1 milliard à la fin de cette année. Puis un montant équivalent en 2024. de Segault.
Téthys (famille
Bettencourt-Meyers).
Plusieurs industriels de l’automobile ont fait part de leur intérêt.  • Rachel Marouani
(ex-Fred, LVMH)
La briqueterie Rairies ouvre la première
Montrieux (Maine-et- Centrale Méditerranée boutique de sa propre
Loire) a été choisie dans le rouge La nouvelle marque de bijouterie
pour habiller les La Cour des comptes a réalisé un rap- vie de Talisman by, rue
immeubles du village port sur l’Ecole Centrale de Marseille, Florence du Cherche-Midi
des athlètes aux JO de Parly (Paris VIe).
Paris, à Saint-Ouen
rebaptisée Centrale Méditerranée. Elle
Nicolas Messyasz/Sipa

(Seine-Saint-Denis), constate une potentielle « impasse Alors qu’Anne- Désormais présidé

avec 500 000 budgétaire » de plusieurs dizaines de Marie Couderc par Cécile de Saint
plaquettes émaillées. millions d’euros pour cette école d’ingé- est renouvelée Michel, le Conseil
nieurs en forte croissance, qui ouvre un jusqu’en 2024 à national de l’ordre
Laurence Roy-Rojo nouveau campus à Nice. la présidence des experts-
(Weinberg Capital comptables a
Partners) devient
d’Air France-KLM, l’ex-ministre déclenché un audit
associée d’Anaxago des Armées Florence Parly – qui lor- interne passant au
(société de gestion, gnerait le poste  –  prend celle du crible la mandature
800 millions d’euros Conservatoire national des arts de son prédécesseur,
d’encours). et métiers. Elle est par ailleurs en- Lionel Canesi. Des
trée au conseil de l’italien Newcleo irrégularités auraient
Valentine Vermeil/Rea

Ikea France prépare déjà été relevées.

pour septembre
(nucléaire).
une solution Diana Widmaier
permettant de projeter Picasso, petite-fille
une pièce de son Le haut-fourneau de Pablo Picasso,
appartement en taille de Dunkerque rallumé entre au conseil
réelle sur les murs Boujnah reconduit Le haut-fourneau n° 4 du site sidérur- d’administration
d’une salle ad hoc au jusqu’en 2027 d’Artex, un nouveau
sein de ses magasins.
gique d’ArcelorMittal à Grande-Synthe marché voué au monde
Selon les votes déjà arrivés et compta- (Nord) près de Dunkerque, endomma- de l’art, supervisé
Le marché des bilisés, le mandat de président du direc- gé par un incendie le 30 mars dernier, par l’Autorité des
ordinateurs portables toire d’Euronext de Stéphane Boujnah devrait reprendre du service mi-juin. Le marchés financiers
fait grise mine en sera renouvelé jusqu’en 2027 lors de manque à gagner non récupérable sur du Liechtenstein.
France. Lors du l’AG du 18 mai, avec près de 100 % des l’exercice est évalué à environ
premier trimestre, il est
en baisse de 8 % en
voix. Il est en fonction depuis 2015. 500 000 tonnes d’acier.
volume et de 11 % en
valeur (source : Gfk). Succession Guerre de logos entre
en vue chez Rubis Zadig & Voltaire et Vuitton
En 2022, les Clarisse Gobin-Swiecz- La griffe créée par Thierry Gillier a ga-
Mutuelles Axa ont nik rejoint la gérance de gné le 17 février dernier son procès
accordé des dons pour
21 projets de santé
Rubis (distribution contre Louis Vuitton, qui l’attaquait
énergétique, 7,1 mil- pour « parasitisme » devant le tribunal
SP

portés par quinze

institutions françaises, liards d’euros de chiffre d’affaires).
pour un montant total Mais elle devra patienter pour voler de
de 26 millions d’euros. ses propres ailes, Gilles Gobin, son
père, va changer les statuts pour y res-
ter encore cinq ans.
judiciaire de Paris. La filiale de LVMH
(actionnaire de Challenges) ne fait pas
appel et affirme avoir obtenu de la par-
tie adverse « l’arrêt du logo ». Ce que
conteste Zadig & Voltaire.

Sommaire en pages 18 et 19
11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786  7
 Confidentiel

Le nom de Louis Vogel, agrégé de droit et maire LR de Melun, est cité

pour remplacer Eric Dupond-Moretti (Justice) en cas de remaniement.

En toute indiscrétion
Outre la réforme Boris Vallaud lance
des retraites, les Pour Bové, la Nupes des petits déjeuners
députés Liot ont prévu n’a aucun sens européen débats avec les
pour leur « niche » Eurodéputé de 2009 à 2019, le célèbre élus du groupe PS,
du 8 juin une qu’il préside. Pour
réforme du Conseil
moustachu ne goûte pas les manœu­ les confronter
constitutionnel. vres des Insoumis pour imposer une à des experts et
Seuls trois des neuf liste commune à la gauche en vue des universitaires. Premier
sages pourront être élections européennes. « C’est mentir thème : la ruralité.
d’ex-responsables et tromper les électeurs français, atta­
politiques. que José Bové. L’union de la gauche, Le chef de file des

Witt/Sipa
députés européens
Depuis juin, le ratio
ça n’a aucun sens au Parlement euro­ LR, François-Xavier
proposition de loi par péen. Les députés élus à la proportion­ Bellamy, sera en
député de l’opposition nelle rejoindront des groupes diffé­ Guaino partage son spleen Nouvelle-Calédonie
est de 0,5 pour LFI rents. » Mais surtout, la personnalité et Des plateaux de télévision aux con­ du 15 au 20 mai.
et de 0,7 pour le RN. les positions de Jean-Luc Mélenchon le férences où Henri Guaino est invité,
Loin derrière LR (3) crispent : « C’est un souverainiste de l’ancienne plume de Nicolas Sarkozy La formation de
et Liot (5,3). gauche Génération.s
gauche fondamentalement natio­ n’en finit pas de traîner son spleen face (4 députés) tient
Jordan Bardella naliste. Pour lui, la politique, c’est le à ce qu’il considère comme un affaisse­ ses journées
mènera la liste RN aux cadre national français, et il est oppo­ ment du niveau du débat public. « Il y nationales à Toulouse
élections européennes sé à l’idée d’une Europe comme un a une perte de qualité dans tous les début juin.
de 2024. C’est lui dépassement des Etats-nations. Alors compartiments de la vie politique,
qui l’annoncera, et que nous, c’est dans le nom de notre regrette-t-il. Et plus encore à droite, La commission des
non Marine Le Pen. Affaires économiques
parti : Europe Ecologie-Les Verts. » où la création de l’UMP en 2002 nous de l’Assemblée
Le Cercle a transformés en parti de notables nationale, que préside
Montesquieu Silence radio au PS sans base populaire. » Guillaume Kasbarian
et l’Association (Renaissance),
française des juristes Bayrou préfère rester à Pau lance plusieurs
d’entreprise poussent Absence remarquée de François Bay­ missions : les
un amendement entrepôts, les produits
au projet de loi sur la
rou, haut-commissaire au Plan mais phytopharmaceutiques,
réforme de la justice, aussi secrétaire général du Conseil na­ l’industrie spatiale…
afin d’obtenir tional de la refondation, alors que cette
Alain Robert/Sipa

la confidentialité des instance présentait le 3 mai au minis­ Bernard Cazeneuve

avis formulés par tère de la Santé ses propositions pour organise, le 10 juin,
ces professionnels. lutter contre les déserts médicaux. Il a le premier
rassemblement
Faute d’accord pour
préféré rester ce jour-là en sa mairie de de son parti, La
une liste commune La présidente socialiste de la région Pau (Pyrénées-Atlantiques), laissant Convention, au Palais
à gauche, c’est un Occitanie Carole Delga n’a pas parlé plusieurs responsables et élus de la ré­ des sports de Créteil
proche d’Olivier Faure, avec le Premier secrétaire du PS depuis gion monter à Paris. (Val-de-Marne).
Christophe Clergeau, le début de l’année. Elle fait un dia­
qui pourrait conduire gnostic sévère de la gestion d’Olivier Une brouille pas si grave Louise Olnois,
la liste PS aux avec Rome collaboratrice
européennes.
Faure : « Personne ne travaille. Cela parlementaire
fait quatre ans qu’il ne se passe rien Ce conseiller international de l’Elysée de Marc Ferracci
Les maires Hélène au PS. A contrario, LFI travaille beau­ n’est pas traumatisé par l’incident (Renaissance), rejoint
Geoffroy (Vaulx-en- coup et cela se voit. » diplomatique avec Rome provoqué par le cabinet d’Olivier
Velin), Christian le ministre de l’Intérieur Gérald Darma­ Dussopt (Travail).
Estrosi (Nice), Ruffin - Montebourg, nin et ses déclarations sur la politique
François Rebsamen même destin ? Le mandat d’ Olivier
(Dijon) et Martine
migratoire de la présidente du Conseil Poivre d’Arvor à la
Aubry (Lille) rejoignent La percée de François Ruffin a été sa­ Giorgia Meloni : « Nous sommes deux présidence du conseil
la commission luée par Jean-Luc Mélenchon, mais pays latins, les ministres italiens sont du musée de la
consultative des dans l’entourage du leader des Insou­ aussi parfois un peu rudes dans leurs Marine a été renouvelé
polices municipales. mis, on n’y croit pas : « Il est comme expressions publiques, ce type de psy­ par l’Elysée.
Arnaud Montebourg, très brillant. chodrame fait partie de la relation
Mais il finira par vendre du miel. » franco-italienne. »

8  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

- Banque Transatlantique - RCS Paris 302 695 937.
 Médias
Par Thuy-Diep Nguyen

Kantar Public a recruté comme directeur d’études Stewart Chau,

qui était jusque-là conseiller opinion auprès d’Olivier Véran.

HPI rapproche TF1

Meta a interrogé
plusieurs dizaines
de chefs d’Etat et
de son ambition premium Le départ de Pascal
Praud est une
mauvaise nouvelle
de gouvernement sur Enfin ! Ce 11  mai, les fans de HPI HPI bat déjà des records en replay : pour RTL. Dans
ce qui constitue un le dernier sondage
« discours de haine ».
découvriront la suite du baiser torride 2 millions d’aficionados de plus chaque Médiamétrie,
Emmanuel Macron de Morgane Alvaro, héroïne fantasque saison. Pour la première fois, TF1 pro- Les auditeurs ont
est le seul à avoir incarnée par Audrey Fleurot, avec son posera l’intégralité de la série sur sa la parole, qu’il anime
accepté d’en discuter. taciturne acolyte l’inspecteur Karadec, plateforme payante MyTF1 Max. quotidiennement
cliffhanger de la dernière saison. Avec « Notre politique éditoriale vise depuis de 13 h à 14 h 30,
Une grève perturbe La ce troisième opus, TF1 espère renouer plusieurs années à créer des marques était l’un des rares
Gazette des Communes, rendez-vous dont
hebdo d’Infopro
avec ses performances record, jusqu’à dont la vie ne s’arrêtera pas à la diffu- l’audience progressait.
Digital, qui traite 12 millions de fans par épisode, avec sion linéaire, confirme Anne Viau,
l’actualité de la fonction 54 % de part de directrice de la fiction. Aujourd’hui, on Après le succès de
publique territoriale. marché auprès accélère. » Sur un coût de grille d’envi- ses séries de podcasts
Une trentaine de de la femme res- ron 1 milliard d’euros, TF1 a dépensé consacrés à Léon Blum
journalistes sont ponsable des l’an dernier 310 millions en téléfilms, et à Jean-Marie Le Pen,
Christophe Chevalin/TF1

mobilisés pour Philippe Collin

demander une
achats (FDRA), séries et théâtre. Il veut monter en produit actuellement
revalorisation chérie des an- gamme avec des castings plus presti- pour France Inter
des rémunérations, nonceurs, et 48 % gieux et de nouveaux thèmes, histo- une nouvelle saga
alors que la direction parmi les 15- riques ou d’actualité : Muriel Robin en sur l’écrivaine et
ne prévoit pas 24 ans. Désor- psycho-criminologue, Julien Doré en philosophe Simone
d’augmentation. mais, HPI, comme Star Academy ou flic végan pacifiste… de Beauvoir. Livraison
prévue le 16 mai.
Les grandes marques
Koh-Lanta, est une pièce maîtresse du La franchise permet aussi de s’expor-
ne savent pas faire de plan de bataille du nouveau PDG Ro- ter. TF1 rêve de succès mondiaux. La Sur Twitter, pour
publicité sans cookies dolphe Belmer : transformer TF1 en RAI italienne est coproductrice de la célébrer la signature
tiers. D’après une leader du streaming gratuit, doté de saison 3 de HPI, vendue dans 105 pays, de sa nouvelle
étude du cabinet IDC franchises fortes, faciles à saucisson- et ABC (Disney) prépare un remake. convention de dix ans,
menée avec la société ner et à monétiser sur le digital. « Une En 2019, Netflix s’était associé aux entrée en vigueur
de publicité mobile le 6 mai dernier,
Ogury, 41 % des
destination premium avec des conte- Combattantes, sa première coproduc- le groupe M6 s’est
agences ignorent les nus longs bien financés – programmes tion tricolore du genre, déjà avec Au- amusé à détourner
solutions pour cibler événementiels, familiaux et sériali- drey Fleurot. Diffusée en janvier 2023, le célèbre slogan de
leurs potentiels clients sés –, et disponible sur la durée, mar- la série historique s’est hissée d’emblée sa radio RTL, « Vivre
sans identifiants
publicitaires.
tèle-t-il. Cette offre n’existe pas. » dans son Top-5 mondial. • ensemble », avec une
photo réunissant
Paradoxe ? Pour 60 % Nicolas de Tavernost et
de leurs dirigeants,
la disparition de ces L’étau du régulateur se resserre Xavier Niel – l’homme
d’affaires qui a tenté
cookies n’est qu’une au début de l’année de
question de temps. autour de Facebook lui piquer sa fréquence.
Sous-titre : « REvivre
Le dernier « Face aux Facebook n’a décidément pas que des sident de l’antitrust français Benoît ensemble. »
lecteurs » du Parisien,
en avril avec Emmanuel
amis. Le 4 mai, l’Autorité de la concur- Cœuré. Meta s’est mis en position de
Macron, a crispé rence tricolore a prononcé des mesures régulateur. Il ne publie pas les critères Retrouvez la
la rédaction, qui l’a conservatoires à son encontre. Depuis d’accès à ses partenariats. Nous lui chronique économique de
jugé trop conciliant. six ans, le groupe fondé par Mark avons demandé de le faire dans les Gilles Fontaine
La direction s’est Zuckerberg excluait un éditeur de logi- deux prochains mois. » Le samedi
engagée à en faire ciel français, Adloox, de l’un de ses Meta risque une enquête sur le fond s’il à 7 h 10 dans LE 6/9
un format plus d’ERIC DELVAUX
seulement réservé
programmes partenaires, l’empêchant ne change pas ses pratiques, comme
à des politiques, d’accéder à certaines données mesu- Google avant lui. « Nous envisageons
mais ouvert à d’autres rant l’efficacité des campagnes de ses toutes les options », a réagi un porte-
personnalités clients sur le réseau social. « C’est une parole de Meta, qui a la possibilité de
grand public. atteinte grave et immédiate à la faire appel. Après le rappel à l’ordre de
compétition dans le secteur de la pu- l’Autorité sur le dossier Criteo – affaire
blicité en ligne, s’est expliqué le pré- similaire –, l’étau se resserre. D. Pa. Fréquence Paris : 87,8 MHz

10  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

 Radars
Par Antoine Izambard

La branche armée du Hamas n’accepte plus les dons en cryptomonnaies,

selon Chainalysis. Et elle cesse son financement anonyme sur la blockchain.

La valeur totale des
biens meubles – y
compris des armes –
cédés à titre gratuit
par le ministère des
Armées au profit
d’Etats étrangers a
été limitée à
650 millions d’euros
au titre de 2023, un
plafond identique
à celui de 2022.
La direction générale
Le monopole de la Chine
sur les terres rares s’érode Rédacteur d’un
rapport sur
l’économie de guerre,
le député Horizons
La Chine envisagerait Christophe Plassard
d’interdire les exporta- (5e circonscription
tions d’aimants et terres de Charente-Maritime)
rares, a alerté début avril propose la création
le Nikkei Asia. Soit d’un livret ou d’un
plan d’épargne
17 éléments vitaux pour finançant l’industrie
la filière tech, utilisés de défense.
pour les moteurs élec-
triques, les téléphones, Ancien consul général

de l’enseignement
et de la recherche
(DGER) de
l’Académie militaire
de Saint-Cyr
Coëtquidan sera
supprimée cet été.
La directrice générale
des relations
internationales
et de la stratégie
du ministère des
Armées, Alice Rufo,
est chargée de
préparer côté français
le prochain sommet
de l’Otan qui aura lieu
en juillet à Vilnius.
Angela Merkel
a insisté pour que ses
Mémoires à paraître à
l’automne 2024 ne
fassent pas l’objet de
plusieurs tomes mais
d’un seul ouvrage.
Jonas Ekstromer/AFP
les satellites et l’aérospa- à Marrakech, le
tiale. En situation de diplomate Philippe
Casenave a été
quasi-monopole, Pékin a choisi pour exercer
fait des terres rares une les fonctions de
arme géopolitique : elle a Mine de fer de la compagnie LKAB, à Kiruna, en Suède. directeur du protocole
réduit ses exportations Un mégagisement de terres rares y a été mis au jour. au ministère de
et menace régulièrement l’Europe et des
de les arrêter. Elle a aussi développé totalité à 58 % de sa consommation. Les Affaires étrangères.
une stratégie de prise de contrôle de Etats-Unis ont quant à eux remis en La présidence
l’ensemble de la filière. exploitation des mines existantes, française de l’Union
Mais son emprise s’effrite : la Chine comme celle de Mountain Pass, et ex- européenne, au
n’assure plus que 62 % de la part mon- plorent le sol. Le Texas, l’Utah et premier semestre
diale, contre 94 % en 2010, selon le Geo- d’autres Etats ont ainsi des projets très 2022, a coûté
logical Survey américain. Ses gisements avancés. S’émanciper est également 100 millions d’euros.
C’est 49 millions de
s’épuisent. Dès 2018, elle est devenue une priorité de l’Union européenne. Le moins que le budget
importatrice nette de certaines terres commissaire Thierry Breton propose qui était initialement
rares, puisant dans les mines du Myan- qu’elle puisse d’ici à 2030 extraire sur prévu. Une réduction
mar, de Malaisie ou du Vietnam. De son territoire 10 % de sa consommation qui s’explique par
plus, les grandes économies cherchent de matières premières stratégiques et l’annulation de
à s’affranchir de leur dépendance. Aler- que, pour chacune d’elles, les importa- certains événements
liée au Covid mais
té dès 2010 par une crise diplomatique tions d’un seul pays tiers ne dépassent aussi par le contexte
en mer de Chine orientale, le Japon a le pas 65 %. Une aubaine pour la Suède qui de la guerre en
premier ouvert des mines aux quatre a découvert l’un des plus grands gise- Ukraine.
coins du monde. En vingt ans, ses im- ments connus de terres rares d’Europe,
portations chinoises sont passées de la dans la région minière de Kiruna. P. L.

La Fed atteint un record. Pour juguler Les seniors ont la majorité. Depuis 2020, Le changement climatique provoque
l’inflation, la Réserve fédérale (Fed) a relevé pour la première fois dans l’histoire de un tsunami de catastrophes naturelles.
le 3 mai son taux directeur pour le porter l’humanité, les plus de 65 ans dépassent Inondations, sécheresses et incendies ont
Taux directeur de la à 5,25 %, un niveau Population dans en nombre les moins Nombre de catastrophes coûté 500 milliards
Réserve fédérale (en %) record depuis le monde (en milliard) de 5 ans. Un point naturelles dans le monde d’euros aux pays de
6 quinze ans. C’est la 1,6 d’inflexion atteint dès 400 l’Union européenne
5
dixième hausse Plus de 1967 aux Etats-Unis, depuis 1980, dont
d’affilée depuis 1,2 65 ans en 1970 en Espagne, 300 145 milliards pour
4 janvier 2022. en 2020 en Corée la dernière décennie.
3 L’institution compte 0,8 Moins de du Sud et en Chine. 200 Les inondations
faire une pause mais 5 ans Sans immigration, de juin 2022 au
2 ne devrait pas baisser 0,4 cela se traduit par 100 Pakistan ont causé
1 les taux pour donner une contraction de des pertes
de l’air aux banques. 0 prévisions la population active 0 équivalentes aux
0
2022 2023
Une déception 1950 2000 2050 puis par un déclin 1910 40 70 2000 20 deux tiers du budget
SOURCES : ONU, OURWORLDINDATA, SOURCES : EM-DAT, CRED, OURWORLDINDATA,
SOURCE : FED. pour les marchés. STANDARD CHARTERED RESEARCH. démographique. STANDARD CHARTERED RESEARCH. annuel du pays.

12  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

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Nanterre. Crédit photo : Getty Images.
 Le graphique

L’Amérique meurt plus jeune,

la vieille Europe résiste LEÇON N° 1
Le 25 avril, le président des Etats-Unis Joe gestion calamiteuse du Covid, qui a causé Obésité
Biden, 80 ans, a annoncé se représenter près de 3 300 décès par million d’habitants, Outre-Atlantique, 41 %
pour un second mandat en 2024. Son adver- contre 2 700 dans l’Union européenne. Mais des adultes sont
saire déclaré, Donald Trump, a 76 ans. au-delà, la chute est enclenchée depuis une obèses (contre 17 %
sur le Vieux Continent),
L’élite politique américaine est l’une des décennie, plombée par les morts prématu- un chiffre qui continue
plus âgées au monde… alors que l’espé- rées : 1 Américain sur 25 âgé de 5 ans n’at- de grimper. Ce fléau
rance de vie de sa population ne cesse de teindra pas 40 ans, quatre fois plus qu’en favorise les maladies
reculer, à 76,1 ans en 2021, soit quatre ans Europe. En cause : la malbouffe, la drogue, cardiovasculaires,
de moins qu’en Europe. Entre 2019 et 2021, les armes, les énormes inégalités et la faible première cause de
elle s’est réduite de 2,7 ans. La faute à une couverture sociale.  Gaëlle Macke décès aux Etats-Unis,
et le diabète. Des
comorbidités ayant
aussi accru la létalité
du Covid.
Espérance de vie à la naissance LEÇON N° 2

de l’ensemble de la population (en années) Opiacés

Dans les années 1990,
2020 les antidouleurs
opiacés promus par
La Commission européenne, sans compétences
en matière de santé, intervient pour la première les labos et prescrits
fois, mandatée par les Etats membres, pour en masse ont fait des
négocier un achat collectif de vaccins anti-Covid. ravages. Notamment
82 dans les classes
2016 moyennes rurales, où
Suite au Brexit, le Royaume-Uni,
les patients devenus
2007 seul pays d’Europe où accros se sont ensuite
La Bulgarie l’espérance de vie a cessé de tournés vers l’héroïne
81 intègre l’Union progresser, dès 2015, sort des et le fentanyl. Les
européenne. C’est statistiques de l’Union. opiacés ont tué plus
l’Etat membre avec de 600 000 Américains
l’espérance de vie la en vingt ans.
plus basse (71,4 ans
en 2021), alors que LEÇON N° 3
80 l’Espagne est le pays
Inefficacité
où elle est la plus UNION EUROPÉENNE À 27
élevée (83,3 ans). Les Etats-Unis
consacrent 17 % de leur
ETATS-UNIS PIB à la santé, contre
11 % en Europe. Mais
79 ils restent le seul pays
développé sans
système généralisé
de sécurité sociale.
Consultations et
78 médicaments coûtent
2017 très cher, la couverture
Face à la crise des opiacés, par les milliers
l’état d’urgence de santé publique d’assureurs-maladie
est déclaré, mais avec des fonds privés s’avère très
77 insuffisants pour prendre en hétérogène, les
charge quelque 3 millions de hôpitaux ont de gros
2010 personnes en dépendance.
La loi « Obamacare » étend
frais de gestion,
l’assurance-maladie, permettant de dissuadant ainsi un
réduire le nombre d’Américains tiers des Américains
76 non couverts de 15 à 5 %
2021
de se faire soigner.
(23 millions de personnes).
Si les Etats-Unis ont été les premiers
financeurs de la recherche sur
les vaccins anti-Covid, moins de 30 % de
sa population a été dûment vaccinée.
75
02 03 04 05 06 07 08 09 2010 11 12 13 14 15 16 17 18 19 2020 21

SOURCES : CENTERS FOR DISEASE CONTROL, EUROSTAT.

14  CHALLENGES
SOURCES N°786
: CENTERS FOR DISEASE - 11EUROSTAT.
CONTROL, MAI 2023
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9, rue du Colonel-Pierre-Avia – 75015 Paris. Crédit photo : Adobe Stock – 03/2023 – –
 Regards

En Allemagne, 33 % des entreprises utilisent régulièrement le fax, contre 64 % en 2018.
En 2022, les importations de pétrole russe de l’Union européenne ont reculé de 36 %
par rapport à 2019, et celles de pétrole américain ont progressé de 63 %.
Le PIB des Etats-Unis a franchi la barre des 1 000 milliards de dollars en 1969.
C’était en 1986 pour l’Allemagne et en 1988 pour la France.
D’ici à 2040, la demande mondiale de cuivre devrait augmenter de 40 % et l’offre de 16 %.
13 % des Français et 5 % des Allemands ont utilisé Uber au cours des douze derniers mois.
La liaison entre les aéroports sud-coréens de Séoul et l’île de Jeju est la plus desservie
au monde, avec 1 million de sièges proposés sur le mois d’avril 2023.
73 % des Grecs, 44 % des Français, 30 % des Allemands âgés de 18 à 34 ans
vivent chez leurs parents.
La fréquentation britannique des hôtels français a augmenté de 15 % durant l’hiver 2023
par rapport à 2019.
La publicité constitue 23 % du chiffre d’affaires du New York Times, contre 60 % en 2003.

En direct de mon Open Space, par James

© James - Dargaud/2023

16  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

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18  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
N° 786 - 11 mai 2023
Evénement
Emmanuel Macron :
« Réformer plus vite, plus fort »
L’interview exclusive du chef de l’Etat à Challenges.  p. 20
Avant-premières 38 Enquête. La déroute de Gilles
Rémy, patron de Cifal et pilier
7 Confidentiels.
des affaires franco-russes.
8 En toute indiscrétion.
10 Médias.
12 Radars. Entreprise
14 Le graphique. 42 Les restaurants économiques
16 Regards.L’Open Space de James. sur le gril.
44 Le business touristique repart
Evénement sans la Chine.
20 « Réindustrialiser la France est la 46 L’entreprise à mission, un label
mère des batailles. » L’interview très tendance.
exclusive d’Emmanuel Macron. 48 Les coopératives passent
26 L’édito d’André Comte-Sponville. à l’offensive.
28 Où en est l’attractivité française ? 50 Santé & sciences.
29 L’édito de Ghislaine Ottenheimer.
30 Courrier des lecteurs. Monde
52 L’Allemagne dope l’immigration.
France 54 La Roumanie s’ouvre aux
32 Portrait d’Eric Ciotti, le chef travailleurs étrangers.
galérien des Républicains. 55 Les économistes du Bien
36 La droite provençale s’étiole. Commun. Paul Krugman.
DIRECTION Thuy-Diep NGUYEN (rédactrice en chef adjointe),
Directeur Claude PERDRIEL. Véronique GROUSSARD (chef de rubrique), Paul LOUBIÈRE
Directeur de la publication Vincent BEAUFILS. (grand reporter), David PARGAMIN, Adrien SCHWYTER.
Finances privées Eric TRÉGUIER (rédacteur en chef adjoint),
RÉDACTION Virginie GROLLEAU, Damien PELÉ.
Directeur de la rédaction Pierre-Henri de MENTHON. Luxes et cultures Bertrand FRAYSSE (rédacteur en chef adjoint),
Directrice déléguée de la rédaction Gaëlle MACKE. Xavière LAFFONT.
Rédacteurs en chef Correspondants Philippe BOULET-GERCOURT (New York),
Thiébault DROMARD, Thierry FABRE, Gilles FONTAINE (directeur Régis ARNAUD (Tokyo).
de l’innovation), Maxime HANSSEN (Challenges.fr), Stéphanie CHALLENGES.FR
IONNIKOFF (édition), Kira MITROFANOFF, Ghislaine OTTENHEIMER. Marion PERROUD (rédactrice en chef adjointe), Nolwenn MOUSSET
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Directeur artistique adjoint Dominique CONTENT. Nicolas MEUNIER (automobile), Charles-Edouard AMA KOFFI (SEO).
Couverture Dominique PASQUET. EDITION
Conseillers de la rédaction Patrick Artus, Nicolas DOMENACH. Secrétariat de rédaction Christophe BAZIRE
Anne-Marie ROCCO (grand reporter). (secrétaire général de rédaction), Jean-Pascal VIDEAU
France Laurent FARGUES (rédacteur en chef adjoint), David (premier secrétaire de rédaction), Alice PORCHER.
BENSOUSSAN (grand reporter), Rémi CLÉMENT, Florian FAYOLLE, Maquette Armelle DUBREIL, Corine POULARD, Cécile RYNKIEWICZ.
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International Antoine IZAMBARD, Sabine SYFUSS-ARNAUD
NUMÉRIQUE
(grand reporter international), Gilles BERTON (traduction).
Entreprises Jean-François ARNAUD (grand reporter), Clémence BAUDOUIN (directrice déléguée), Jessica RIOS
Esther ATTIAS, Eric BERGEROLLE, Claire BOULEAU, Laure CROISET, (responsable des projets digitaux), Diane PERROT-CORNU
Pauline DAMOUR (grand reporter), Isabelle de FOUCAUD (grand (responsable marketing digital), Flora ISSINGU (cheffe de projet
reporter), Vincent LAMIGEON (grand reporter), Nicolas STIEL (grand marketing digital), Charles-Elie LABYOD (chef de communication
reporter), Alain-Gabriel VERDEVOYE (grand reporter). digitale), Yann BOURDAIS (product owner junior), Léandre HERMAN-
High-tech - Médias Delphine DÉCHAUX (rédactrice en chef adjointe), KASSE (community manager).
 Avant-propos
par Vincent Beaufils

Royal Court of Saudi Arabia/Anadolu Agency/AFP

Emmanuel Macron face aux crises

Verticalité assumée
SEUL ? PERCHÉ ? A lire l’interview que le président de
Monde
la République a accordée à Challenges (lire p. 20), il faut
Spécial Moyen-Orient une solide dose de mauvaise foi pour ne pas le sentir au cœur
La Chine de Xi Jinping multiplie les alliances dans une de l’action contre les crises qui minent le pays : Emmanuel
région qui n’a jamais paru aussi morcelée et chaotique, Macron montre une connaissance si intime, jusqu’à la
où l’Arabie saoudite de MBS redistribue les cartes. p. 56 caricature, des projets d’implantations industrielles, des
territoires en souffrance, des secteurs éligibles au Net Zero
Industry Act européen… que s’en est presque soûlant.
Omniprésent, à l’évidence, omniscient, à l’entendre,
rentrant dans les détails de chaque problématique comme
Dossier
seul devrait le faire le secrétaire général Alexis Kohler
Investissement – assis, muet, derrière le président pendant tout l’entretien…
immobilier Mais au-delà de cette impression presque gênante, que garder
JeanClaude Moschetti/Réa

Face à de nouvelles de cette grosse heure qu’ont passée à l’Elysée Pierre-Henri

contraintes fiscales et de Menthon, Thierry Fabre et Nicolas Domenach ?
réglementaires, nos D’abord qu’Emmanuel Macron ne va pas encourir la critique
pistes pour un placement d’un second mandat de « roi fainéant », celle que Nicolas
rentable et sécurisé. p. 70 Sarkozy avait balancée à son prédécesseur Jacques Chirac.
Le président va enchaîner les réformes, sans préciser un seul
instant le rôle de sa Première ministre – c’est Challenges qui
56 Moyen-Orient, la nouvelle donne. Luxes a mentionné en premier le nom d’Elisabeth Borne –, sans
Tournés vers l’Europe et l’Asie, évoquer davantage sur quelle majorité il peut compter pour
88 Création. Asafumi Yamashita,
les Etats-Unis ne font plus une
la noblesse de maraîchage. les faire voter. Et puis il n’y a pas que le Parlement qui sera
priorité de la région, laissant 91 Griffe. Gucci.
le champ libre à la Chine. noyé sous un déluge de textes : on va « mettre autour de la
92 Accessoires. Sacs à main. table » les fauteurs d’inflation dans l’alimentaire ; ou encore
59 L’économiste. Patrick Artus. 93 Horlogerie. Omega.
60 La Turquie au pied du mur. 94 Joaillerie. Spécial Cannes 2023 :
provoquer une « conférence des acteurs du logement » pour
64 Riyad branche l’or noir d’Aramco un festival de pierres. trouver une issue à « la crise multifactorielle » du secteur…
sur l’Orient. 98 Gastronomie. George’s, Il y a dans cette verticalité assumée une bonne dose
66 Téhéran se bunkérise. sur l’île de Ré. d’activisme techno, mais aussi un authentique pragmatisme,
68 La Palestine a encore une amie. 99 Automobile. Honda Civic Type R. admettant par exemple que, concernant le logement, « ce
69 Leaders. Israël miné de l’intérieur. n’est pas au milieu de la crise que l’on dépose le moteur ».
Cultures Le président a également solidement remis à leur place
Dossier
100 Ecrans et scènes. ses opposants, soulignant qu’« un nombre croissant de
70 Investir dans un environnement La Fille d’Albino Rodrigue, représentants de la démocratie sociale et politique se sont
immobilier complexe. de Christine Dory. affranchis du réel ». Bien entendu, il pensait à la réforme
74 Choisir le bon régime Pinel. 102 Arts. Ramsès & l’or des des retraites, « autour de laquelle il y a eu beaucoup
78 Sécuriser son projet de meublé pharaons, à la Villette.
touristique. 103 Livres.
de cynisme et de postures ». Mais pas seulement. Le voilà
82 Jouer l’effet levier sur le long 106 Double Je, par Nicolas Domenach stigmatisant « l’incohérence » de ceux qui demandent à la fois
terme. et Pierre-Henri de Menthon. de réindustrialiser le pays et de « taxer les riches ». Ou
PUBLICITÉ Direction administrative et financière Jaye REIG.
regrettant l’inconséquence de l’agence Fitch qui sanctionne
Mediaobs, 44, rue Notre-Dame-des-Victoires, 75002 Paris.
Tél. : 01-44-88-97-70. E-mail : pnom@mediaobs.com.
Ressources humaines Sandrine MARTIN.
Directeur des abonnements Luc BONARDI. la France, alors qu’avoir promulgué un texte malgré quatorze
Fabrication Sarah RABBAH, Salima RABBAH.
Directeur général Corinne ROUGÉ.
Directeur délégué Philippe LÉONARD.
Imprimerie Roto France, Lognes. journées de manifestations devrait être mis à son crédit :
Directeur de publicité Benjamin COURCHAURE,
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« La constance bâtit la confiance. » Et si on lui rétorque qu’il
Directrice de marque Céline CLAMAGIRAND.
Immobilier Yves LE GRIX. a changé lui-même d’avis sur les retraites, le verdict tombe,
Littéraire - Arts Antoine KODIO. Relations abonnés - Numéros anciens
Luxe Arnaud DEPOISIER. 45, avenue du Général Leclerc tranchant : la réforme systémique ne rapportait pas d’argent !
Culture Romain PROVOST.
Marketing direct Pierre MONCHABLON. 60643 Chantilly Cedex « Face au déni du réel, je veux bien tout prendre, mais ne
DIGITAL Tél. : 01-55-56-71-47 céderai pas au cynisme de l’irresponsabilité. »
Business Web Manager Baptiste MIRANDE. E-mail : abonnements@challenges.fr C’est sur son action vis-à-vis du « consommateur qui est
Sales Manager Mathis MEHEUT.
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Account Manager Lucas BAILLEUL. Abonnement France : un an, 58 €

Exécution/Studio Emilien RIGNOLS.
Direction financière Catherine FERNANDES.
www.mediaobs.com
DIRECTRICE DÉLÉGUÉE Elisabeth DESCOMBES.
ADMINISTRATION
Directeur général Philippe MENAT.
Secrétaire général Jean-Claude ROSSIGNOL.
Directeur commercial et numérique
Valéry SOURIEAU.
(44 numéros) Etranger : nous consulter aussi un salarié » qu’Emmanuel Macron devrait être
Ce numéro comporte : les lettres Challenges « bienvenue le moins contesté, rappelant lui-même à la fois les bénéfices
aux abonnés » et Sciences et Avenir-La Recherche
«informations abonnés », les encarts « montre chronographe de la politique de l’offre et les protections garanties, par
Vuillemin Regnier-Sophia Boutique », et « Atlas Historique de
la Terre-Sophia Boutique » jetés sur couverture sur une exemple avec le bouclier énergétique. Et pourtant, cela lui
vaut une impopularité record. Un autre « déni du réel » ?•
partie de la diffusion abonnés ; ainsi que le message « First
Voyages » jeté sur couverture sur la totalité de la diffusion.

11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786  19

Evénement
Réindustrialiser,
la mère des batailles
Progrès social, transition écologique, souveraineté nationale, unité
territoriale… Pour le chef de l’Etat, la réindustrialisation répond aux défis
de la France d’aujourd’hui, avec déjà des résultats tangibles.
Il explique sa feuille de route d’ici à 2027 et comment il compte accélérer.
Challenges. Vous faites de
la reconquête industrielle une priorité.
Mais n’est-il pas trop tard ?
Emmanuel Macron. Le rapport à
l’industrie est une bonne partie de
l’explication du mal français. Tous
les pays européens ont été frappés
par une forme de désindustrialisa-
tion, à partir de la fin des an-
nées 1980 jusque dans les an-
nées 2000. Nous l’avons été
beaucoup plus que les autres.
Quand l’industrie part, ce sont des
territoires qui décrochent. Quand
l’industrie décroît, c’est une capaci-
té à tirer les bons emplois vers le
haut qui s’érode. Quand l’industrie
diminue, le pays devient incapable
de produire sa propre richesse, et de
préserver son indépendance. Il ne
sait plus financer dans la durée son
modèle social.
Pendant trente ans, nous avons été
le seul pays d’Europe à ne pas savoir
gagner la bataille contre le chômage
de masse, à avoir de telles difficultés
avec les déficits publics et avec
notre commerce extérieur. Tout
cela est notamment lié à notre dé-
sindustrialisation. Le décrochage de
tant de villes moyennes, ce senti-
ment d’abandon, de paupérisation,
20  CHALLENGES N°786 - 11 mai 2023
EMMANUEL MACRON
président de la République
de déclassement dans la France des
sous-préfectures, ces phénomènes
sont intimement liés à cette désin-
dustrialisation.
Les Français ne réclament pas tant
des usines que de pouvoir boucler
leurs fins de mois…
Quand on essaie de qualifier les dif-
ficultés du pouvoir d’achat, ce n’est
pas un problème lié aux politiques
“ On entend souvent qu’il faut
réindustrialiser, mais aussi
taxer les riches. Mais quand on
taxe le capital, le capital… fuit.
C’est l’incohérence française ! ”
publiques : on n’a jamais autant aidé
les petits salaires que depuis 2017.
Le gain de pouvoir d’achat a été
massif (prime d’activité, suppres-
sion de la taxe d’habitation, de la
Propos redevance télé et de l’impôt sur le
recueillis par revenu sur ces tranches « petits sa-
Nicolas laires »). Le véritable problème ?
Domenach, Avoir de bons emplois et de bons
Thierry Fabre et
Pierre-Henri salaires qui progressent pendant la
de Menthon durée de la carrière. Ces emplois,
Photos : ces bons emplois, ce sont des em-
Ed Alcock/MYOP plois industriels. Précisément ceux
pour Challenges qui ont été massivement détruits, en
particulier après la crise financière
de 2008, par exemple dans le sec-
teur automobile. Réindustrialiser,
c’est créer du pouvoir d’achat, finan-
cer notre modèle social, apporter
des solutions à la transition écolo-
gique, construire un avenir pour nos
enfants, attirer l’innovation et les
talents de tous les secteurs, réduire
le déficit du commerce extérieur. Et
puis, bien sûr, stopper le décro-
chage de cette France des terri-
toires. Cette bataille est écono-
mique, mais aussi identitaire pour
notre pays. Elle fait partie d’une
projection française, qui permet de
restaurer l’unité territoriale du pays
et une histoire de progrès. L’inverse
d’une nostalgie.
Comment accélérer
la réindustrialisation ?
Cette stratégie a commencé. Elle a
des résultats. Nous avons créé
1,7 million emplois, avec plus de
300 créations nettes d’usines depuis
2017 et 200 depuis 2021. On enre-
gistre 158 relocalisations depuis
2017, dont 49 l’an dernier. Ces
chiffres sont positifs, alors que nos
voisins, eux, sont plutôt dans une
dérivée négative. Mais ils avaient
pris de l’avance… Si nous uuu
Making of
L’interview s’est
déroulée le
vendredi 5 mai
dans l’après-midi,
à l’Elysée, dans
le bureau privé
du président de
la République.
Elle débute avec
une vingtaine de
minutes de retard
et s’achève bien
au-delà de l’horaire
imparti. Le
président file
ensuite à Londres
où a lieu le
lendemain le
couronnement
de Charles III.
Evénement
 maintenons la dynamique de
réindustrialisation dans laquelle
nous sommes, nous aurons rattrapé
d’ici à la fin du quinquennat le choc
de désindustrialisation dû à la crise
de 2008. Ça c’est concret !
Ces résultats sont le fruit d’une poli-
tique économique cohérente. On
entend souvent qu’il faut réindus-
trialiser, mais aussi taxer les riches.
Mais quand on taxe le capital, le ca-
pital… fuit. C’est l’incohérence fran-
çaise ! Pendant des décennies, il y a
donc eu de l’incohérence et de la
lâcheté. Depuis six ans, nous
essayons d’avoir une politique cohé-
rente. Et des résultats.
Prenons l’exemple du marché du
travail. Le chômage de masse gan-
grenait le pays. Aujourd’hui les en-
treprises se demandent comment
recruter, parce qu’il n’y a pas assez
de postulants. Nous avons simplifié
le droit du travail pour le rendre
plus lisible, plus clair, mais aussi en
confiant à l’accord d’entreprise le
soin d’adapter les normes au plus
près du terrain ; notre droit est en
réalité plus protecteur. Ensuite,
nous avons à la fois baissé le coût
du travail et le coût du capital : ces six dernières années, un travail Compiègne. Et il y a enfin de plus en
flat tax, remplacement de l’ISF par qui aurait dû être fait bien avant. Il plus de start-up et PME qui se
l’IFI, baisse de l’impôt sur les socié- faut poursuivre, et à grande vitesse, lancent dans de premières usines.
tés pour l’aligner sur la moyenne en particulier en investissant dans Et l’Inflation Reduction Act ?
européenne, suppression d’impôts l’amont et la recherche, en accélé- J’ai été le premier décideur euro-
de production qui pèsent tout parti- rant avec France 2030 sur les gran- péen à interpeller les Américains
culièrement sur l’industrie dans nos des innovations technologiques que sur ce plan. L’Union européenne
territoires… Tout ce paquet macro- sont le quantique, le cyber, l’intelli- s’est engagée sur le Net Zero In-
économique nous a remis dans la gence artificielle. Et, bien sûr, l’accé- dustry Act qui assouplit les procé-
lération des technologies propres, dures d’implantation et les aides
“ Nous allons mettre en place dont le nucléaire. Nous disposons de pour une liste précise de technolo-
des procédures hypersimplifiées compétences, d’acteurs industriels gies. Ce sont les mêmes facilités que
clés, et d’un mix énergétique favo- celles que se sont données les Etats-
pour accélérer les implantations rable. Ce sont autant d’atouts. Unis, et tout cela sera décliné à tra-
industrielles et diviser par Aujourd’hui, la clé pour répondre vers le projet de loi Industrie verte.
deux les délais. ” aux Etats-Unis est d’avoir une stra- Vous réformez le crédit d’impôt
tégie européenne et française cohé- recherche ?
course et nous a permis d’obtenir rente. Les semi-conducteurs sont un Je constate qu’il marche. Est-il par-
des résultats. Désormais nous bon exemple, avec 15 milliards fait ? Non. Mais, objectivement, c’est
sommes numéro un en termes d’investissements déjà décidés sur un dispositif efficace d’allègement
d’attractivité et, pour la quatrième notre territoire. Voilà une stratégie du coût du travail pour les emplois
année consécutive, la France a été commune de la France, de l’Alle- les plus qualifiés dans la recherche
en 2022 le premier pays d’Europe en magne et de l’Italie. Un projet et l’industrie. Je suis donc favorable
nombre de décisions d’investisse- franco-américain de 7,4 milliards à la stabilité. On ne peut pas mener
ments étrangers. d’euros, annoncé à Choose France il toutes les batailles de front.
De quoi résister au rouleau y a un an, a été validé le 28 avril der- Si on ne peut mener toutes
compresseur américain ? nier, permettant de doubler ainsi la les batailles de front, par laquelle
Emmanuel Macron. Avec l’accéléra- capacité de production du site de commencer ?
tion du monde, si on ne fait pas le Crolles, près de Grenoble. Il y a le La clé, c’est la simplicité et la rapi-
travail maintenant, nous nous réveil- même type d’accélération concer- dité. Nous allons mettre en place
lerons dans cinq ou dix ans avec la nant l’hydrogène, avec des projets des procédures hypersimplifiées
gueule de bois. Nous avons conduit, dans le Haut-Rhin, à Béziers ou à pour accélérer les implantations in-

22  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023


dustrielles et diviser par deux les
délais, réinvestir davantage dans les
sites clés en main, renforcer l’utili-
sation de friches industrielles, afin
aussi de réconcilier industrialisa-
tion et non-artificialisation. La prio-
rité des grands investisseurs, qu’il
s’agisse de data centers, d’usines
d’automobiles ou de grandes usines
de batteries, d’Américains, d’Asia-
tiques ou d’Européens, c’est la rapi-
dité. Vous pouvez leur proposer des
milliards d’aides, si vous mettez
deux ans à instruire une procédure
et que ce sont des mètres cubes de
papier, l’échec est assuré.
J’en appelle donc à un agenda de
simplification et d’accélération de
nos procédures, en mobilisant tous
les acteurs qui participent à ces déci-
sions. Nous savons le faire quand
nous le voulons. J’en tiens pour
preuve l’immense projet immobilier
en Seine-Saint-Denis lié aux jeux
Olympiques, la reconstruction de
Notre-Dame et les projets récents de
batteries dans le Nord où les délais
sont tenus. Là où on se trompe de
méthode, c’est quand on veut simpli-
fier les règles partout pour tout le
monde. Il faut assumer de différen-
cier, puis d’y aller massivement.
Avec des déficits abyssaux, la France
garde-t-elle une marge de manœuvre
pour accélérer ?
Beaucoup des politiques publiques
ont un retour sur investissement.
L’année dernière, Bercy a collecté
un montant d’impôt sur les sociétés
record alors même que nous en
avons baissé le taux. Plus on crée de
richesses, plus l’impôt rapporte ! Sur
le long terme, mettre de l’argent
public pour accompagner la décar-
bonation industrielle vaut mieux
que de se battre pour des emplois
condamnés. C’est aussi ça, l’inves-
tissement gagnant.
Difficile à entendre étant donné
l’ampleur des mouvements sociaux
déclenchés par d’autres réformes,
en particulier celle des retraites…
On ne peut pas être le pays qui a le
modèle social le plus généreux, les
déficits courants les plus impor-
tants, un pays qui a désindustrialisé
et qui choisit d’être celui où on part
plus tôt à la retraite et où on tra-
vaille moins d’heures par an. Ceux
qui disent le contraire sont dans le
déni de réalité, c’est d’ailleurs leur
terreau. Ils ont une lourde responsa-
bilité car ils préparent ainsi l’arrivée
au pouvoir des extrêmes. J’ai défié
deux fois l’extrême droite à l’occa-
sion de l’élection présidentielle, non
pas en faisant la morale, non pas en
donnant des leçons à leurs élec-
teurs. J’ai expliqué « ce que vous
proposez sur l’euro est irréalisable »
(en 2017), « ce que vous proposez
sur le pouvoir d’achat est irréali-
sable » (en 2022). Je suis parti du
réel pour construire un idéal. Il n’y a
pas de politique française si on ne
parle pas du réel.
Sur la base du constat qu’il est
difficile de réformer le pays,
Fitch a dégradé la note du crédit
de la France. Cela vous trouble ?
Je veux un modèle plus juste, qui
corrige les inégalités de départ plu-
tôt que d’en corriger les effets a pos-
teriori. La difficulté à réformer n’est
pas insurmontable. Loin de là. Dans
l’année qui vient de s’écouler, on a
fait passer des lois sur les énergies
renouvelables, sur le nucléaire, sur
l’assurance-chômage et, mainte-
nant, sur les retraites… France Tra-
vail arrive, qui va nous permettre de
mieux accompagner les bénéfi-
ciaires du RSA et de les ramener à
l’emploi, mais aussi de mieux ré-
pondre aux besoins de recrutement
des entreprises. Après l’apprentis-
sage, nous nous attelons à la ré-
forme du lycée professionnel. Elle
est, dans mon esprit, aussi impor-
tante que celle des retraites. Nous
continuerons à réformer. L’ensei-
gnement supérieur, l’industrie verte,
l’énergie… L’agenda est chargé.
Pour certains sujets, nous n’avons
pas besoin d’une loi, pour d’autres
lorsqu’une loi est nécessaire nous
bâtirons une majorité. L’essentiel
est de garder le cap.
Est-ce que vous entendez la critique
sur la méthode ?
Si j’avais lâché et dit « on peut
continuer à vivre comme ça », j’au-
rais perdu la confiance de ceux qui
travaillent et de tous ceux qui nous
observent. Mais on aurait dû plus
expliquer la nécessité de cette ré-
forme. Ce qui m’a frappé, c’est
qu’un nombre considérable d’ac-
teurs de la démocratie sociale et
politique se sont affranchis du rap-
port au réel dans le débat que nous
avons eu. On a vu des gens protes-
ter et manifester contre, jamais en
nous disant comment ils allaient
faire face au changement démogra-
phique et aux déficits de nos ré-
gimes de retraites. S’opposer, ça ne
fait pas une politique.
Vous avez abandonné la réforme
systémique des retraites ?
J’ai déjà dit que je n’abandonnais
pas cette réforme. Mais il faudra
qu’il y ait un consensus. Par ailleurs,
tout en assurant l’équilibre, comme
dans le projet de réforme systé-
mique, avec la réforme votée nous
avons supprimé les principaux ré-
gimes spéciaux et renforcé les dis-
positifs de départs anticipés.
Le passage en force à l’Assemblée
a été très mal vécu…
On a utilisé, pour la centième fois
dans l’histoire de la Ve République,
l’article 49 alinéa 3. Le général de
Gaulle a décidé de la dissuasion
nucléaire sur la base de cet article.
La privatisation de TF1 l’a été aus-
si. La CSG de Michel Rocard l’a été
encore.
Les images ont été catastrophiques…
Retrouvez Parce que vous êtes à une époque
l’intégralité de la télévision continue et des ré-
de l’interview seaux sociaux. Prenez un peu de
d’Emmanuel recul. Comparez aux mouvements
Macron sur sociaux de 1968, de 1995, de 2010,
Challenges.fr
de 2016… 
11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786  23
Evénement
 La bataille des réformes
va donc continuer ?
Emmanuel Macron. Je crois qu’il faut
continuer d’investir et de réformer,
plus vite, plus fort. La bataille pour
la réindustrialisation, ce sont des
réformes macroéconomiques par-
fois impopulaires. La réforme des
retraites permet de garder de l’em-
ploi qualifié, d’améliorer le taux
d’emploi des seniors et d’avoir plus
de richesses dans le pays.
Est-il possible de bâtir une coalition
majoritaire autour de votre projet
de réindustrialisation ?
Je le crois très profondément. Car
c’est aussi une bataille de la souve-
raineté qui consiste à retisser la
trame du pays. Si je suis devant vous
aujourd’hui, c’est que je n’ai pas cru,
en 2016 et après, à un jeu politique
figé et à des forces politiques pour
lesquelles la vie des Français ne se-
rait qu’un décor. Je n’ai pas changé.
Je pense qu’il y a eu beaucoup de
cynisme autour de la réforme des
retraites, beaucoup de postures. Je
veux bien prendre à mon compte
toutes les fautes, toutes les erreurs,
mais je ne céderai jamais au cy-
nisme et à l’irresponsabilité. Avec
des projets de bonne volonté, il faut
construire des majorités pied à pied.
On a su le faire.
Quelle est votre feuille de route
pour 2027 ?
Le cap qui est le mien, c’est l’intérêt
du pays aujourd’hui et celui de nos
enfants. Pour une France du travail,
pour continuer à rebâtir nos ser-
vices publics de la santé et de l’édu-
cation, pour l’ordre et la justice. Je
pense que, si nous gagnons cette
bataille de la réindustrialisation,
alors nous bâtirons une France et
une Europe plus indépendantes.
C’est la clé pour pouvoir produire
de l’énergie, pour gagner la bataille
de la transition écologique, pour
être plus souverain, pour proposer
des emplois de qualité. Cette ba-
taille se joue maintenant. Cela nous
permettra ensuite de continuer à
réinvestir dans notre modèle social.
C’est au cœur de ce que nous fai-
sons depuis 2017. Nous n’avons ja-
mais autant investi pour la justice,
pour la sécurité, pour la santé et
pour l’école, plus que la droite ou la
gauche ne l’ont jamais fait. Quand y
a-t-il eu une telle augmentation des
salaires dans les métiers de la san-
24  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
“ Si le PS et EELV sont prêts
à s’inscrire dans une démarche
constructive, nous y sommes
prêts. Tout comme pour LR. ”
té ? Pas depuis 1968. Dans l’éduca-
tion ? Pas depuis 1990. La politique
économique est courageuse, elle
produit des résultats.
Il y a un sujet sur lequel vous avez
échoué : la réforme de l’Etat, là
où on pourrait faire des économies…
Je plaide le contraire. On a réussi
la grande réforme de la haute fonc-
tion publique et celle de la fonction
publique, qui n’avaient jamais été
faites. Combien de présidents ont
dit : « Le problème de la France,
c’est l’ENA ? » Nous l’avons sup-
primée. Nous avons mis fin aux
corporatismes ministériels. Nous
avons les mêmes ambitions pour
la justice avec un texte de loi qui
arrive, qui va permettre de former
beaucoup plus de magistrats, plus
vite, des magistrats avec de l’expé-
rience professionnelle, des magis-
trats venant d’autres horizons. Une
véritable révolution.
N’ayez pas non plus la mémoire sé-
lective. L’impôt à la source, qui
d’autre l’a fait ? Et ça a marché. La
réforme du versement automatique
des pensions alimentaires pour les
femmes qui ne les touchaient pas de
leur ex-mari ? Nous l’avons faite. La
réforme de la solidarité à la source ?
Elle est lancée.
La réforme qui ne fonctionne pas,
c’est celle où l’on taille à la serpe et
où on essaye de dégager tout de
suite des gains. En payant moins les
fonctionnaires ou en en supprimant.
Est-ce qu’il fallait moins de mili-
taires, de professeurs, de médecins
et d’infirmiers ? Qu’on m’explique
donc où il fallait réduire massive-
ment le nombre de fonctionnaires ?
Il fallait aussi revaloriser les salaires
parce qu’il y avait eu une paupérisa-
tion. Nous allons désormais ouvrir
plusieurs nouveaux chantiers : la
simplification sur laquelle nous ne
sommes pas allés assez loin, la dé-
concentration pour remettre du
muscle dans notre fonction pu-
blique. Nous avons aussi un pro-
blème de clarification, toutes admi-
nistrations publiques confondues.
Comment gouverner d’ici à 2027 ?
Peut-on imaginer une coalition
à l’allemande ?
Je suis responsable de ce que peut
faire la majorité. Je ne suis pas res-
ponsable de ce que sont prêtes ou
non à faire les oppositions. Vous
avez deux partis de gouvernement à
gauche, socialistes et écologistes.
Ils ont fait le choix de s’aligner, à
des fins électorales, sur un mouve-
ment qui, lui, n’a rien d’un parti de
gouvernement. Si le PS et EELV
sont prêts à s’inscrire dans une dé-
marche constructive, nous y
sommes prêts. Tout comme pour
LR comme je l’ai déjà dit. Je constate
que, jusqu’à présent, nous avons
réussi à faire passer des textes avec
les uns et les autres.
Beaucoup disent que le logement,
c’est désormais la mère
des batailles…
Logement, déplacements, garde des
enfants, ce sont des difficultés qui
s’accroissent avec le coût de la vie.
C’est un des freins au retour à l’em-
ploi. On a une crise multifactorielle
du logement, notamment une
hausse des taux et moins d’accès
aux crédits. Vous avez aussi des
maires, mis à la tête de grandes
métropoles, qui ne veulent plus
construire.
Ensuite, on a créé un système
de surdépenses publiques pour
de l’inefficacité collective. C’est
un secteur où on finance 
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Evénement
uuu l’offre, l’investissement et la
demande. Malgré tout, on produit
moins, et c’est plutôt plus cher
qu’ailleurs. Cette économie mixte
n’est pas efficace. La vérité, c’est
qu’on a beaucoup d’aides et qu’on
a créé un paradis pour les investis-
seurs immobiliers. Mais ce n’est pas
au cœur de la crise qu’il faut dépo-
ser le moteur et le refaire. A mes
yeux, on a besoin d’un double choc.
D’abord une simplification et une
réduction des délais pour produire
des nouveaux logements. Ensuite,
regarder comment développer
beaucoup plus de logements loca-
tifs intermédiaires pour baisser les
prix, parce que la crise du logement
se situe là. Il faut de la concertation,
une conférence des parties. On ne
peut tout attendre de la réforme
gouvernementale.
Comment sortir de l’inflation, lutter
pour le pouvoir d’achat ?
Emmanuel Macron. Grâce aux dis-
positifs que le gouvernement a
mis en place, les prix ont moins
augmenté que dans d’autres pays
européens, nous n’avons pas eu
d’inflation à deux chiffres, contrai-
rement à beaucoup d’autres. Reste
que la hausse des prix alimentaires
est un réel problème. Aujourd’hui,
le système entre les agriculteurs,
les transformateurs et les distribu-
teurs n’est pas équilibré. La loi est
certes venue corriger les effets de la
surconcentration des distributeurs
en défendant les agriculteurs et les
PME de l’agroalimentaire. C’est une
bonne chose, y compris en période
d’inflation. Mais il faut surveiller
l’évolution des marges des grands
de l’industrie et de la distribution.
Nous allons les remettre autour de
la table et renégocier certains prix.
Quelques marques grand public ont
augmenté leurs prix de 20, de 30,
parfois de 40 %. Et les ménages les
plus modestes achètent les produits
de ces marques…
Vos relations avec Elisabeth Borne ?
J’ai une règle qui n’a jamais été dé-
mentie : je n’ai jamais parlé de mes
Premiers ministres. Je pense que
S. Lagoutte/Challenges
c’est sacro-saint dans la Ve Répu-
blique. Notre relation est de
confiance.
Votre vie après 2027 ?
L’idée même d’avoir une réflexion
sur ce sujet serait contraire à la mis-
sion qui m’habite aujourd’hui.  •
26  CHALLENGES N°786 - 11 mai 2023
L’éditorial de
ANDRÉ COMTE-SPONVILLE
Boussole perdue
L
a gauche fait à Emmanuel
Macron deux reproches
principaux, qui semblent
s’opposer et se complètent :
il serait trop libéral (voire
« ultralibéral ») en matière
économique, pas assez libéral (voire
« illibéral ») en matière politique et
sociale. Le premier montre surtout à
quel point la gauche est brouillée avec
le libéralisme économique, ce qui est
bien dommage pour elle et pour notre
pays. Comment pourrait-elle, sans ce
parti pris idéologique, juger ultralibéral
celui qui a quasiment « nationalisé
les salaires » (par le chômage partiel,
au moment du premier confinement)
et surtout qui a porté les taux de
prélèvements et de dépenses publiques
à des niveaux jamais atteints avant lui
(respectivement 46 et 59 points de
PIB) ? A tout prendre, les reproches
que lui fait la droite (qui l’accuse
d’aggraver la dette et les déficits,
au point de « cramer la caisse »)
semblent plus pertinents.
Les blocages dont nous souffrons
ne seraient sans doute pas levés
en changeant de constitution.
Le second grief mérite davantage
d’intérêt. Quand Yannick Jadot,
dénonçant « la dérive illibérale » du
chef de l’Etat, lui reproche de « ne pas
tenir compte de la démocratie sociale »
et d’utiliser tous les moyens que lui
offre la constitution pour « écraser la
démocratie parlementaire », on voit
bien à quoi il fait référence : à une
réforme impopulaire, celle des retraites,
imposée à coups de 49.3 et de 47.1,
contre l’avis unanime des syndicats
de salariés et malgré l’opposition
d’une large majorité de la population.
L’ancien candidat écologiste à la
présidentielle va trop loin lorsqu’il juge,
à propos des manifestations, que
« les logiques du maintien de l’ordre
sont sorties du champ républicain »,
mais il n’en rencontre pas moins
les inquiétudes de plusieurs de nos
concitoyens et d’une partie des
observateurs étrangers : sont-ce
nos manifestants qui sont plus violents,
ou nos policiers plus brutaux ? De là
à comparer Macron à Orban, le très
illibéral dirigeant de la Hongrie, il y a
pourtant un abîme, qu’il serait ridicule
de franchir. Qu’est-ce qu’une
démocratie illibérale ? Une démocratie
qui maintient les formes de la
démocratie représentative – comme
le recours aux élections – tout en
restreignant drastiquement les droits de
l’opposition, la liberté de la presse et les
libertés individuelles. Nous en sommes
loin ! Nos médias ne sont pas moins
libres sous Macron que sous Hollande,
Sarkozy ou Chirac (et sont plus libres
que sous de Gaulle : souvenons-nous de
l’ORTF), ni moins disposés à critiquer
le pouvoir en place. C’est même tout le
contraire : l’autoflagellation, qui est un
sport national, s’y transmue
de plus en plus volontiers en
dénonciation du président,
qui fait office de bouc
émissaire institutionnel.
Quant aux droits de
l’opposition et aux libertés
individuelles, ils ne sont restreints,
lorsqu’ils le sont, que dans les limites
de la constitution. Est-ce donc celle-ci
qu’il faut changer ? C’est ce que veut
Mélenchon, qui l’a résumé par son
« A bas la mauvaise République ! »
On peut pourtant douter qu’un
changement de constitution lève les
blocages dont nous souffrons : un
électorat divisé en trois tiers à peu près
égaux et irréconciliables, dans un pays
culturellement divisé (« archipelisé »,
dit Jérôme Fourquet) et déboussolé.
Aucune constitution ne tient lieu
de cohésion nationale, ni de majorité
au Parlement.•
u
Evénement

La remontada industrielle a débuté

Emmanuel Macron vante l’attractivité retrouvée de la France et les nouveaux
investissements étrangers. Mais le redressement n’en est qu’au commencement.

M
ettre en scène une sé-
quence de bonnes nou-
velles. Le déplacement
à Dunkerque, ce 12 mai,
du président de la République devait
lui permettre de renouer avec son
discours offensif sur l’attractivité de
la France, en annonçant une su-
perbe prise, avec l’implantation
d’une méga usine de batteries du
taïwanais ProLogium. Son coût to-
tal se monte à 5,3 milliards d’euros
et l’usine vise, à horizon 2031, une
capacité de production pour « équi-
per 500 000 à 750 000 véhicules
électriques par an ».

Rendez-vous à Choose France

Arnaud Robin/Le Figaro

Emmanuel Macron martèlera cette
volonté de reconquête industrielle
quelques jours plus tard, au sommet
Choose France du 15 mai. Des di-
zaines de big boss internationaux se
presseront alors à Versailles, à l’ins-
tar de Teresa Graham, nouvelle pa-
tronne de la pharmacie de Roche.
Le dirigeant de Moderna, Stéphane
Bancel, est également attendu, avec
peut-être la promesse d’édifier un
centre de production pour des vac-
cins à ARN messager. « Comme
dans les voyages officiels, il y a des
parapheurs de contrats à portée de
mains – même si le travail de fond
est naturellement fait en amont et
en aval de Choose France, explique
Gilles Bonnenfant, président du ca-
binet Eurogroup, qui participe à
Sur la première marche du podium européen
Investissements directs étrangers :
nombre d’emplois créés en France…
44 080 44 751
34 941
30 558
25 126
2017 2018 2019 2020 2021
Les intentions d’implantation ou d’extension d’entreprises étrangères ont doublé
en dix ans. Mais le nombre d’emplois associés a chuté, en 2022, de 15 %.
cette grand-messe. C’est en tout cas
un moment vraiment intéressant
pour le rayonnement du pays. »
Pour appuyer son discours, Emma-
nuel Macron bénéficie d’une belle
musique d’accompagnement. Dans
son enquête sur l’attractivité de
l’Hexagone auprès des grands
groupes étrangers, publiée le 11 mai,
le cabinet EY place la France sur la
première marche du podium euro-
péen, en 2022 encore. Il dénombre
1 259 intentions d’implantation ou
d’extension d’entreprises étrangères
(voir graphique), plus du double d’il
… Nombre de projets annoncés en 2022
et variation par rapport à l’année précédente
+3%
38 102 -6%
-1%
1 259
929
832 - 10 % + 24 % + 17 %
324
248
2022 France Royaume- Allemagne Espagne Portugal
SOURCE  : EY.
Uni
Sur le port y a dix ans. Cette partition EY
de Dunkerque, contient toutefois quelques bémols.
en 2020. Le Si le nombre de projets progresse, le
groupe taïwanais
ProLogium
nombre d’emplois associés chute,
va investir lui, de 15 %, avec 38 102 emplois envi-
5,3 milliards sagés. « Les dirigeants semblent
d’euros dans maintenir une certaine prudence à
une méga-usine l’égard de la France, comme s’ils
de batteries. voulaient pouvoir se retourner plus
A l’horizon 2031,
ce site pourra
vite en cas de nécessité de restruc-
« équiper 500 000 turations », analyse Marc Lhermitte,
à 750 000 associé chez EY. D’ailleurs, la
véhicules contestation sociale de ces derniers
électriques mois semble marquer les dirigeants,
par an ». qui ne sont plus que 53 % à voir la si-
tuation du pays s’améliorer sous
trois ans, contre 74 % en 2021.
Le rattrapage doit pourtant s’inscrire
dans la durée. Car, avant que ces in-
tentions ne se transforment en
chèques signés et usines montées,
les données restent sombres. Le dé-
ficit du commerce extérieur bat des
records. Et l’Insee relève que les in-
vestissements directs étrangers,
pour toute participation de plus de
243
10 % à un projet, se limitent à 23 mil-
Italie
liards en 2021. Ils étaient de 41 mil-
liards en 2015. La véritable remon-
tada sera longue.  Grégoire Pinson

28  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

 L’éditorial de
GHISLAINE OTTENHEIMER
Produire, mais surtout investir
L
’industrie, vous dis-je !
L’industrie. C’est la clé
de tout. Il suffit de regarder
les chiffres. Quels sont les
principaux maux de la France, qui
plombent son moral et ruinent son
modèle social ? L’effondrement de
ses équilibres financiers. Un Budget
de l’Etat dans le rouge depuis des
décennies, une dette abyssale et
une balance commerciale largement
déficitaire. On importe de tout,
du pétrole, bien sûr, mais aussi
des voitures, des biens alimentaires,
des machines-outils, des ordinateurs,
des téléphones, des vêtements,
des médicaments, des jouets…
Pour redresser la situation, il faudrait
bien sûr mieux gérer, économiser, mais
en réalité quand on regarde d’autres
chiffres comme le taux d’emploi ou
la productivité, bien trop bas en France,
on s’aperçoit que l’économie en a sous
le capot ! Il suffirait d’investir, de
moderniser certains secteurs, de mieux
former les jeunes, pour produire plus,
créer des emplois, exporter, et donc
équilibrer nos comptes. Emmanuel
La France est quatre fois moins
robotisée que l’Allemagne.
Deux fois moins que l’Italie.
Macron a commencé à s’y atteler.
C’est même sa ligne directrice depuis
le début de son premier quinquennat.
Il a boosté le système d’apprentissage,
tente aujourd’hui de moderniser les
lycées professionnels. Il a réformé le
droit du travail, allégé la fiscalité des
entreprises, encouragé l’écosystème
des start-up… Et engrangé quelques
résultats positifs. Ainsi, en 2021,
la France confortait sa place de premier
Christophe Lebedinsky/Challenges
pays d’accueil des investissements
étrangers en Europe. Mais il faut
rattraper deux décennies de
dégradation de notre outil industriel.
Une étude publiée en 2021 par la
Fondapol démontrait que la prospérité
des systèmes économiques modernes
est totalement corrélée à la qualité de
leur outil de production, et à leur degré
d’automatisation. C’est la raison pour
laquelle les usines du monde entier ont
investi massivement dans les robots
qui permettent d’énormes gains
de productivité. En Corée du Sud, Un manager de transition en
au Japon, aux Etats-Unis,
en Allemagne, en Italie… Or l’auteur 48h pour prendre en main
écrit : « Prisonnière d’un appareil une situation délicate.
productif vieillissant, la France a raté
la révolution robotique, manquant des
opportunités d’exportation pour se
replier sur le marché national. »
La France est quatre fois moins
robotisée que l’Allemagne. Deux fois Gestion de
moins que l’Italie. Il faut certes, pour l’urgence
gagner en compétitivité, que les salariés
travaillent plus longtemps, et baisser
les charges, alors que notre pays est
dernier du classement mondial Réorganisation RH
(142e place) concernant la fiscalité
du travail. Mais il faut aussi et surtout
que les chefs d’entreprise investissent.
Les grosses multinationales s’en Relance
sortent, mais pas les petites industrielle
entreprises. Leurs marges brutes sont
largement insuffisantes.
Et encore faut-il investir à bon Retournement
escient. Réfléchir à ce que la
France doit produire. Là où opérationnel
elle peut faire la différence.
Dans quels secteurs elle veut
recouvrer sa souveraineté. L’Hexagone Cash
a bien réussi dans le luxe, l’aviation, management
le spatial, la chimie, les cosmétiques…
Mais nous sommes très en retard dans
les nouvelles technologies, secteur clé. Digitalisation
accélérée
Le chef de l’Etat a fixé des objectifs.
Dans le nucléaire, la voiture électrique,
les batteries. Bien définir les secteurs
porteurs, c’est le but de sa
« planification écologique et
industrielle ». On ne peut que saluer
cette stratégie. Dommage qu’elle soit
gâchée par une mauvaise présentation
de la réforme des retraites et par
des petites phrases réductrices
et blessantes sur les Français nimeurope.com
qui ne travaillent pas assez.•
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11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786  29
 place aux lecteurs
La Russie mise à distance dont l’origine remonte à la création de
l’Ukraine moderne en 1918. Analyser les
L’article intitulé « Les liaisons raisons profondes du conflit et refuser
dangereuses » (Challenges n° 784)
concernant les liens entre certains
d’être atlantiste ne vous permet pas de
m’accrocher l’étoile rouge. » Les débats
militaires et la Russie de Vladimir Alain Juillet, ex-cadre de la DGSE Sur Challenges.fr
Poutine a suscité de vives réactions,
notamment à Saint-Cyr. « Mon nom a été associé sans fondement
à une idéologie politique. Ce qui met en
cause ma pratique de chercheur et dé-
tourne l’attention des lecteurs, mettant
sur le même plan les faits traités avec une La semaine de quatre jours ?
appartenance et une adhésion politiques OUI. Peut-être une bonne solution
supposées. » pour augmenter les plages
Claude Weber, sociologue, enseignant de fonctionnement des entreprises
détaché à l’Académie militaire de Saint-Cyr qui pourraient embaucher
un salarié pour remplacer quatre
« En tant que chercheur, je n’ai jamais salariés en congés de manière
émis une analyse pro ou anti-russe, car alternée. Sans investissements,
l’entreprise pourrait y gagner 20 %
cela ne relève pas de mon travail ; en tant
de temps de travail. Encore
que citoyen je suis scandalisé par la guerre faudrait-il trouver des nouveaux
« J’ai été très surpris de me voir accusé menée contre l’Ukraine ; mes travaux salariés et du travail pour eux.
d’un jeu trouble et d’être pro-russe. J’ai portent sur les questions d’islam et uni- Chaque salarié y gagnerait 20 %
toujours dit que Zelensky s’était révélé quement ; je n’appartiens à aucun groupe des temps de trajet et un jour
un vrai chef de guerre et qu’aucun des politique, la seule étiquette que j’accepte par semaine pour ses loisirs.
deux acteurs ne pouvait gagner. Comme publiquement est d’être catholique, raison François-Marie Robin
le recommande régulièrement le général pour laquelle j’enseigne à l’Ices, Institut
NON. Encore une belle idée
Miley, chef d’état-major de l’armée amé- catholique de Vendée, et non pour une utopique… Faire croire qu’en
ricaine, je pense depuis le début qu’il quelconque passion nationaliste. » travaillant moins, tout le monde
faut négocier pour résoudre cette guerre Olivier Hanne, professeur sera heureux et tout ira pour
civile entre les russophones et les autres, à l’Académie militaire de Saint-Cyr le mieux. La France est déjà
un des pays où l’on travaille le
moins, mais c’est aussi le pays
Le fondateur d’HEP conteste selles : humanisme, entrepreneuriat et où les gens se plaignent le plus,
l’évaluation de sa fortune professionnalisme. Le fondateur du où ils se sentent plus malheureux
groupe IGS en est l’initiateur. » qu’ailleurs… allez comprendre !
« J’ai été mentionné, à tort, à la 447e place Roger Serre, fondateur d’IGS et HEP Education Olivier Tissot
de l’édition 2022 des 500 grandes fortunes
de Challenges n° 750. HEP n’est en rien Nationaliser les autoroutes ? 
une structure juridique, mais une alliance Précision d’ActionAid OUI. Il faut aller au terme
de plusieurs écoles à but non lucratif. « ActionAid n’a pas prévu d’intervenir à du contrat et renationaliser.
Chacune est autonome et propriétaire de l’AG de BNP Paribas le 16 mai prochain Privatiser n’a de sens que lorsqu’il
ses actifs, aucune consolidation ne saurait (Challenges n° 779). Mais il est vrai y a concurrence qui protège
être faite. En revanche, HEP est un pro- qu’ActionAid prépare une campagne sur le client. Ce n’est évidemment
gramme pédagogique commun à plusieurs la justice climatique qui sera lancée dans pas le cas.
écoles qui visent à promouvoir, au travers les prochains mois. » Jean-Jacques Dreher
de cours innovants, trois valeurs univer- Mehdi Achour, directeur d’ActionAid NON. La nationalisation
me coûterait beaucoup plus
en impôts que ce je paye
Patrick Artus en La vie du du ruissellement, bilan en péages.
podcast. Membre journal économique de Joe Biden, Jean-Marie Malby  
fondateur du Cercle des avenir du nucléaire… NON. Plutôt que d’accroître
économistes, ancien décrypte, dans son style Retrouvez en accès libre
encore l’obésité de notre Etat
directeur de la recherche et très libre et pédagogique, ses podcasts L’économie
des études de Natixis, l’actualité et les grandes de demain est l’affaire en nationalisant les autoroutes,
Patrick Artus est également tendances qui structurent de tous sur les sites apprenons à bien gérer les
conseiller de la rédaction et déstructurent Challenges.fr et délégations de service public
de Challenges. Au fil l’économie française Live.challenges.fr ; et les et à négocier de bons accords
d’une série d’entretiens, et mondiale : sortie plateformes (Spotify, de partenariat public-privé.
le célèbre économiste de l’inflation, théorie Deezer, Apple Podcasts…).  Emmanuel Evariste 

Ecrivez-nous : Challenges : 41 bis, avenue Bosquet, 75007 Paris - redaction@challenges.fr - Exprimez-vous : challenges.fr > rubrique débats

30  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

 A L P H A
B O N D S

Risque lié à la gestion discrétionnaire, risque de taux, risque de crédit, risque actions, risque lié aux investissements dans des titres spéculatifs,
risque en perte de capital, risque lié à la détention d’obligations convertibles, échangeables ou remboursables, risque lié à l’investissement dans
1 2 4 5 6 7
des produits dérivés, risque de liquidité, risque lié aux investissements dans les pays émergents, risque d’investir dans des obligations convertibles
contingentes, risque de contrepartie, risque de durabilité.

Source : DNCA Finance au 30/09/2022. Ce document promotionnel est un outil de présentation simplifié et ne constitue ni une offre de souscription ni un conseil en investissement. Ce document ne peut être
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France
Eric Ciotti
Le galérien
Propulsé à la tête du parti gaulliste, ce chantre d’une droite dure, longtemps
cantonné aux seconds rôles, s’efforce de sauver Les Républicains. Après
le psychodrame des retraites, ses membres n’en finissent plus de se déchirer.
Par Rémi Clément
U
ne scène de haine qui a fait le tour
des réseaux sociaux. En marge du
Salon des maires et des collectivi-
tés locales, en octobre dernier, le
président du conseil régional de
Paca Renaud Muselier et Eric
Ciotti s’empoignent devant les caméras de France 3
Côte d’Azur. « Toi, tu vas morfler », lui glisse
­Muselier. Quelques mois plus tard, la tension n’est
pas redescendue. « Il croit qu’il peut faire peur aux
autres. Mais j’ai passé l’âge de me laisser intimi­
der, parade le patron du Sud. C’est un garçon mal
dans sa peau avec toute une série de complexes, qui
toute sa vie a été numéro deux et qui toute sa vie a
fait perdre son camp. » Entre les deux hommes, les
relations n’ont cessé de s’envenimer ces dernières
années dans le sillage de la guerre Estrosi-Ciotti.
Mais au-delà des éternelles rancœurs de la droite
provençale (lire page 36), beaucoup de cadres LR
partagent aujourd’hui les critiques de Muselier.
Cinq mois après l’élection de Ciotti à la tête des Ré-
publicains, la droite n’a jamais semblé aussi mal en
point. Et si loin de retrouver le pouvoir.
Sauver la droite, c’est pourtant l’objectif que s’était
assigné ce drôle d’homme providentiel, dont le
mètre soixante-cinq peine à rivaliser avec la stature
du général de Gaulle. En prenant la tête de la famille
gaulliste, ce chantre d’une droite dure, longtemps
cantonné aux rôles de second, après avoir œuvré
pendant plus de trente ans dans l’ombre de Christian
Estrosi puis de Nicolas Sarkozy et de François
Fillon, a trouvé un parti dévasté. Laminés à la prési-
dentielle, réduits à un groupe de 62 députés à l’As-
semblée, Les Républicains ne sont plus que l’ombre
du parti qui a gouverné la France entre 2007 et 2012.
« Je prends une maison qui a des fondations soli­
des : son histoire, ses militants. Mais dont la toi­
32  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
ture a été arrachée, qui est délabrée et où tout est à
reconstruire », concède Ciotti, conscient de l’am-
pleur de la tâche. Ce poste, il en a pourtant long-
temps rêvé, sans nécessairement se l’avouer. « On
m’a souvent réduit au rôle de porte-flingue, de
FRANC-TIREUR sniper, on m’a caricaturé en éternel second couteau
1965
de la droite », confie l’intéressé, ravi de tenir sa
Naît à Nice revanche.
(Alpes-Maritimes). Pour Ciotti, le déclic psychologique s’est produit lors
de la primaire de la droite en vue de la présidentielle
de 2022. Rangé dans la catégorie des « petits candi-
dats », il explose lors des débats télévisés grâce à
son programme ultra-droitier, mélange de proposi-
tions régaliennes stéroïdées (Guantánamo à la fran-
çaise, suppression du droit du sol…) et d’une pensée
1988 économique inspirée de Margaret Thatcher. S’il est
Collaborateur finalement battu, après avoir vu l’ensemble de l’esta-
parlementaire de blishment LR rallier Valérie Pécresse – une blessure
Christian Estrosi.
d’orgueil –, cette campagne lui donne des ailes, et
2007 l’incite à se présenter à la présidence du parti l’année
Elu député des
Alpes-Maritimes. suivante. Cette fois, appuyé en sous-main par le pré-
sident de la région Rhône-Alpes Auvergne Laurent
2008
Elu président du Wauquiez, il l’emporte, avec 53,7 % des voix, face au
conseil général patron des sénateurs LR Bruno Retailleau.
M
des Alpes-
Maritimes. ais le poste n’a rien d’une sinécure. Les
Décembre 2021 Républicains n’en finissent plus d’étaler
Finaliste de la leurs divisions à l’Assemblée, où ils se
primaire des
déchirent sur les retraites. Le paro­
Républicains.
xysme est atteint le 16 mars dernier où, près avoir
Décembre 2022
Capture d’écran Quotidien TMC
Elu président des
négocié directement avec Elisabeth Borne son sou-
Républicains. tien à la réforme, le président de LR est lâché par une
partie ses troupes au Parlement, obligeant la Pre-
mière ministre à recourir au 49.3. Une humiliation
pour Ciotti, réduit à faire du damage-control pour
s’assurer que ses députés ne votent pas la motion de
censure du gouvernement.
 « Il est complètement carbonisé, à un point que lui-
même n’imagine même pas, souffle un membre de
la direction de LR. Il s’est ridiculisé auprès de la
frange anti-macroniste du parti, à qui il a vendu la
droite dure, avant de courir à Matignon négocier
les modalités de la réforme des retraites avec Elisa-
beth Borne. Et il a perdu toute crédibilité auprès des
macronistes, en se révélant incapable de tenir son
groupe. » D’alliés potentiels sur les réformes écono-
Jonathan Rebboah/Panoramic/Bestimage
miques pour la majorité, Les Républicains sont pas-
sés au rang de soutiens inconsistants, avant tout
guidés par leurs plans de carrière à court terme. « La
réalité, c’est que Les Républicains, ça n’existe plus,
c’est un syndicat d’autoentrepreneurs », persifle le
député macroniste Pierre Cazeneuve. Ciotti concède
une difficulté : « Ce débat a été une épreuve. Dès
mon élection, je savais qu’il allait falloir arbitrer
Eric Ciotti, entre deux décisions difficiles, d’un côté voter la
le 4 décembre réforme des retraites qui nous conduisait au soup-
2022, une
semaine avant çon d’être l’allié de Macron et de l’autre s’y opposer
son élection qui revenait à être l’allié de Mélenchon et Martinez.
à la tête des J’ai fait un choix en responsabilité. »
Républicains. Difficile pourtant de tenir le président de LR pour
Cinq mois après,
la droite n’a seul responsable des fractures de la droite. Ecartés
jamais semblé du pouvoir depuis 2012, Les Républicains ne sont
aussi mal en jamais parvenus à se reconstituer un corpus idéolo-
point. Et si loin
de retrouver
gique solide. Et les années Jacob, à la tête du parti
le pouvoir. entre 2019 et 2022, ont été marquées par la plus
grande confusion sur la ligne économique du parti.
D’obédience libérale, LR s’est peu à peu « mélen­
chonisé » sous l’influence du tandem Aurélien
Pradié-Guillaume Peltier, adeptes du revenu univer-
sel et partisans d’une augmentation du smic de 20 %,
brouillant l’identité politique de LR. Un pro- uuu
11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786  33
 France
blème de fond auquel Ciotti souhaite s’attaquer
Les meilleurs
uuu
en lançant d’ici la fin de l’année des états généraux
ennemis de la droite, nourri de la réflexion de plusieurs ex-
d’Eric Ciotti perts triés sur le volet. Objectif : se réarmer intellec-
tuellement en vue de 2027. Et retrouver un semblant
En 2009, avec Christian de crédibilité.
Estrosi, à Nice. Après Mais beaucoup au sein des Républicains doutent que
trente ans de collaboration, Ciotti soit l’homme de la situation. Sur le plan des

Valery Hache/AFP
les deux hommes se idées d’abord, où son positionnement est perçu
déchirent sur fond de
désaccord politique et de comme un rétrécissement. L’ex-plume de Sarkozy
rivalité pour la ville de Nice. Henri Guaino a ainsi été estomaquée de voir la direc-
tion de LR revendiquer la réforme des retraites
En septembre 2016,
avec Nicolas Sarkozy,
comme étant « l’ADN de la droite ». « Comment
à Douville-en-Auge peut-on dire ça ? L’ADN de la droite, c’est peut-être
(Calvados). L’ex- la Ve République, le programme du CNR ou l’appel
président de la du 18 juin, mais les retraites… Cela revient à dire
République, qui le que le taux de TVA est l’ADN de la droite. »

E
recevait très souvent,
l’a finalement lâché
Charly Triballeau/AFP

pour soutenir Marine t désormais c’est le management de

Brenier, une proche Ciotti qui est remis en cause. « Le pro-
d’Estrosi, aux blème quand on a trahi son patron,
dernières législatives.  comme Ciotti avec Estrosi, c’est
En mars 2017, avec François qu’on n’a plus aucune confiance en
Fillon, au Trocadéro, à Paris. ses assistants. Il n’a pas de collabo-
Malgré son soutien lors des rateurs, pas d’entourage. Au siège de Vaugirard,
affaires de détournement de tout remonte à lui jusqu’à l’achat du moindre sty-
fonds publics, l’ex-Premier lo », souffle un cadre de LR. Une faiblesse également
ministre lui a préféré
Retailleau lors de l’élection
identifiée par l’équipe de campagne de Pécresse lors
pour la présidence du parti. de la campagne présidentielle. « Il était toujours
insécurisé et il s’est fait intoxiquer par Sarkozy qui
Le 8 décembre 2022, avec
Samuel Boivin/Nurphoto/AFP

le recevait tous les quatre matins pour prendre le

Laurent Wauquiez, au QG de
LR, à Paris. Appuyé en sous- café. Il lui disait : “elle ne te traite pas”, “elle ne te
main par le patron d’Auvergne- parle pas”… Jusqu’au jour où Sarkozy a fait une
Rhône-Alpes, il l’a emporté vidéo pour soutenir la proche d’Estrosi Marine Bre-
avec 53,7 %. Wauquiez vise, nier en vue des législatives. C’est à ce moment qu’il
lui, la présidentielle 2027. a compris qu’il s’était fait cocufier. »
Une alliance avec la Macronie, autour d’un contrat
de gouvernement, comme l’en implorent Nicolas
Sarkozy ou Jean-François Copé, pourrait-elle être
une porte de sortie ? Longtemps hostile à cette hypo-
thèse, Ciotti ne semble plus si catégorique. « Cette
question, il n’y a en a qu’un qui peut la poser, c’est
Quentin Veuillet/Nurphoto/AFP

le président de la République. C’est lui le garant des

institutions. Il aurait pu le faire après sa réélec-
tion. Mais il ne l’a pas fait. Il ne l’a pas voulu »,
concède le patron de LR. Une petite musique qui a
de quoi inquiéter Laurent Wauquiez, lequel a lié son
destin présidentiel en 2027 à l’échec du macronisme,
dont il veut se démarquer. Qu’en dit le principal
Le 14 février 2023, intéressé ? « Eric a une qualité devenue rare en
avec Aurélien Pradié, politique, c’est sa droiture, avance Wauquiez. On
à l’Assemblée nationale. peut vraiment avoir confiance en lui. Quand il
Sous l’influence s’engage, il tient. A chaque fois qu’il a pris un enga-
du député du Lot, LR s’est gement, il l’a toujours tenu. Ce n’est pas un homme
Ludovic Marin/AFP

« mélenchonisé ». Un problème
auquel Ciotti veut s’attaquer de coup fourré. Ce n’est pas un homme d’entour-
en lançant des états généraux loupes. » Autant de compliments qui sonnent comme
d’ici la fin de l’année. un avertissement. •
34  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
France
La droite provençale s’étiole
Après le départ du parti de plusieurs dinosaures, LR a perdu
une grande partie  de ses mandats locaux. Renaud Muselier, le patron
de la région, tente de fédérer ce qu’il en reste.
Renaud Muselier. Le président de la région
Provence-Alpes-Côte d’Azur a quitté LR
l’an dernier pour adhérer à Renaissance.
E
ncore un baron de tombé.
Le 11 avril, quand Hubert
Falco est entré au tribunal
correctionnel de Marseille,
il était maire de Toulon et président
de la métropole Toulon Provence
Méditerranée. Il en est sorti trois
jours plus tard déchu de ses man-
dats, condamné pour recel de dé-
tournements de fonds. S’il n’était
plus encarté LR depuis mai 2021 – il
a récemment rallié la Macronie –, il
restait l’homme fort du Var.
Cette chute est un nouveau coup dur
pour une droite qui n’en finit plus de
perdre du terrain. Avant 2017, elle
était unie, rassemblée derrière LR, et
dirigeait à la fois la région, ses trois
métropoles (Toulon, Nice, Aix-
Marseille), ses plus grandes villes et
cinq de ses six départements. Au-
jourd’hui, c’est la confusion. La
région est dirigée par Renaud
­Muselier, qui a quitté LR fin 2021
pour rejoindre Renaissance, tout en
lançant en parallèle son propre parti,
Nos territoires d’abord. Martine
Vassal, la présidente du départe-
ment des Bouches-du-Rhône et de la
métropole d’Aix-Marseille, a quitté
LR, tout comme Christian Estrosi,
président de la métropole Nice-Côte
36  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
Martine Vassal. LR jusqu’en mars 2022,
la présidente des Bouches-du-Rhône a rallié
Macron lors de la dernière présidentielle.
d’Azur. Marseille a basculé à gauche
aux municipales de 2020. Quant aux
députés, c’est l’hécatombe : il y en
avait 25 UMP en 2012, 15 LR en 2017,
pour finir à 6 en 2022.
Règlement de compte
A l’intérieur du parti, les conflits sont
légion, les inimitiés tenaces. Au
conseil métropolitain, Martine
Vassal (DVD) s’oppose régulière-
ment à Sophie Joissains (UDI), la
maire d’Aix-en-Provence, qui
l’accuse de réduire les budgets et les
compétences des communes au pro-
fit de la métropole, « par désir de
pouvoir », assure-t-elle. Fin janvier,
une altercation très violente a con­
duit Sophie Joissains à quitter l’as-
semblée et à porter plainte devant le
préfet pour « atteinte à la vie démo-
cratique ». Maryse Joissains (LR),
ancienne maire d’Aix et mère de
Sophie, assure à ses visiteurs qu’elle
écrit un livre pour régler, elle aussi,
ses comptes avec Martine Vassal…
Il reste quelques figures importantes
cependant : Eric Ciotti, évidemment.
Mais sa stratégie est désormais na-
tionale. Localement, il est en conflit
avec la plupart de ses anciens amis,
Christian Estrosi en tête. Dans les
Photos : Laurent Coust/Sopa Images/Zuma/Réa -
Eric Tschaen/Réa - Lionel Urman/Sipa
David Lisnard. Le maire de Cannes, et président
de l’AMF depuis 2021, peine à acquérir
une dimension nationale. 
Bouches-du Rhône, le sénateur Sté-
phane Le Rudelier est un espoir de
renouveau, mais il reste inconnu du
grand public. Quant à David Lisnard,
le maire de Cannes, « il est sur son
tapis rouge. S’il sort de sa ville, il se
fait pulvériser », juge Renaud Muse-
lier. Le président de la région ré-
sume : « En fait, pour LR, ici, il
reste Ciotti, le plus méchant, Estro-
si, le plus habile, et Leonetti, le
maire d’Antibes, le plus malin ».
Pour le moment, Renaud Muselier
veut rassembler derrière lui au ni-
veau local : « Je suis la colonne ver-
tébrale, et j’additionne. Notre Ré-
gion d’abord réunit Horizons,
Renaissance, UDI, LR. Tout le
monde sauf le RN et la Nupes. On
garde tous notre liberté au niveau
national, mais ici, on s’entend sur
un programme local. » La preuve
que cela fonctionne, selon lui : la
victoire de son parti et de LR aux
deux cantonales partielles varoises,
en mars à Saint-Maximin et en avril
à La Crau. Renaud Muselier aurait
même l’ambition de rafler à la
gauche la mairie de Marseille en
2026, en réunissant toutes les ten-
dances d’une droite locale déchirée.
Ce n’est pas gagné.   Anna Rousseau
 CAHIER PRATIQUE
« Arroser, pailler, bouturer…
les conseils des chercheurs »

La science au service des

JARDINS
Un potager adapté
au réchauffement
climatique
Jardiner, un atout
pour la santé
Vers, insectes…
les travailleurs de
l’ombre
Faire de son balcon
un îlot de verdure

MARC-ANDRÉ SELOSSE
DAMIEN DEKARZ

« La permaculture, c’est l’art de créer un

écosystème durable en s’inspirant de la nature »
France
Vladimir Poutine et
Gilles Rémy, au Kremlin,
le 4 novembre 2017.
Ce jour-là, fait rare,
le président russe
remet en main propre
au Français la médaille
de l’Ordre de l’amitié.

Enquête
La déroute du pilier
des affaires franco-russes
Impacté par la guerre en Ukraine et visé par la justice, le petit empire
de Gilles Rémy, patron de la société de diplomatie économique Cifal,
est menacé de disparition. Plongée en eaux troubles entre Paris et Moscou.

C
’est un hommage pour le moins ap-
puyé. « Je veux faire une remarque
pour dire mon très grand respect
pour Cifal et pour son dirigeant
Gilles Rémy, qui a œuvré pour le
quête de l’Assemblée nationale sur les ingérences
étrangères. L’homme politique, dont la parole est
rare depuis sa reconversion dans le business, n’a pas
Par David lâché son ancien employeur. Comme l’a révélé Chal-
Bensoussan lenges (lire encadré p. 41), la société de diplomatie
Alexei Nikolsky/Ap/Sipa

développement des entreprises et des et Antoine d’affaires Cifal a rémunéré François Fillon en 2021,
intérêts français en Russie de manière remar- Izambard pour qu’il aide un sulfureux homme d’affaires congo-
quable », a déclaré François Fillon, le 2 mai, lors de lais, Lucien Ebata, à nouer des contacts en Russie.
son audition, très attendue, par la commission d’en- Ce contrat a donné lieu à une alerte de Tracfin, la

38  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

cellule de renseignement financier de Bercy. Puis le
Parquet national financier a ouvert une enquête pré-
liminaire visant Cifal, pour corruption d’agent public
étranger. Le 10 mars 2023, son patron a été entendu
par les policiers. « Ebata ne m’a jamais payé mes
honoraires, je suis une victime dans cette affaire,
c’est absurde de penser que j’ai pu corrompre
quelqu’un », proteste Gilles Rémy. Voilà exposé cet
homme d’affaires de 63 ans, inconnu du grand pu-
blic, passé du parti communiste à l’extrême droite,
qui a longtemps prospéré dans l’ombre, en intermé-
diaire bien introduit et généreusement rétribué des
réseaux d’affaires franco-russes. Depuis la pandé-
mie et l’assaut décidé par Moscou sur l’Ukraine, il
enchaîne les déboires. A tel point que la survie de
Cifal, qui a plus de soixante-quinze ans d’existence,
ne semble plus tenir qu’à un fil.
Q
uelques mois auparavant, alors qu’il reçoit
Challenges à son domicile parisien, Gilles
Rémy est loin d’avoir fait le deuil de ses
liens avec le Kremlin. Sur la cheminée, une
photo le montre en compagnie de Vladimir Poutine,
à Moscou, fin 2017. « Je suis le seul, avec Jean-
Pierre Chevènement, à qui il a remis en main
propre la médaille de l’Ordre de l’amitié. » Il raconte
avoir connu l’ancien adjoint au maire de Saint-Pé-
tersbourg en 1992, quand Accor tentait d’ouvrir des
hôtels sur les bords de la Neva. La même année, il
l’accueille sur le tarmac de Roissy, pour son premier
voyage en France, avant de dîner sur un bateau-
mouche. « Je lui ai proposé d’aller au Lido mais il
a préféré travailler. » A cette époque, Cifal doit se
réinventer. Créée en 1946 pour importer des céréales
d’Argentine, l’ancienne Compagnie d’ingénierie
France-Amérique latine s’est vite tournée vers
l’URSS et la RDA, à qui elle vendait des usines clés
en main, gravitant alors dans l’orbite du Parti com-
muniste français, auquel Gilles Rémy a été encarté.
Mais quand il est embauché à Cifal, en 1989, la chute
du mur de Berlin et l’éclatement de l’Union sovié-
tique fragilisent les positions acquises par la société
française.
Rémy a alors l’idée de réorienter l’entreprise vers
l’Asie centrale. « J’étais beaucoup au Kazakhstan,
et un jour, le chef de l’administration présidentielle
m’appelle pour me demander de l’aider à construire
un nouveau palais pour Noursoultan Nazarbaïev »,
au pouvoir jusqu’en 2019. Cifal apporte l’opération à
Bouygues. Elle donne des idées au voisin turkmène,
Saparmourat Niazov, qui est reçu en grande pompe
à Paris… sous les bons auspices de Cifal. L’autocrate
ouvre grand les portes au géant du BTP tricolore, qui
érige des bâtiments à sa gloire dans la capitale, Ach-
gabat. « Nous étions des VRP du drapeau français »,
assure le businessman, dont l’activisme a cependant
attiré l’attention, à l’époque, du renseignement exté-
Collection personnelle
Gilles Rémy lors rieur (DGSE). Devenu PDG de Cifal en 1995, il s’ap-
d’un dîner avec puie sur son homme de confiance, l’Allemand Jürgen
Poutine en 1992.
Leur amitié date Krahn, formé à l’Institut des relations internatio-
de cette époque nales de Moscou, le MGIMO, connu pour servir de
où le Français, pépinière au KGB, les redoutables renseignements
qui prospectait soviétiques. Les deux hommes, qui détiennent en-
pour Accor,
a rencontré core aujourd’hui le capital de l’entreprise, pour-
celui qui était suivent leur expansion dans les anciennes répu-
alors adjoint au bliques soviétiques au cours des années 2000. Cifal
maire de Saint-
Pétersbourg.
accompagne Thales dans la vente de systèmes de
contrôle aérien et Bouygues Offshore, qui fournit
des plateformes pétrolières à l’Azerbaïdjan. Ils
montent une filiale à Dubai, Asian Gulf Services,
bientôt pilotée par Mathieu Mitterrand, le fils de l’ex-
ministre de la Culture. Elle assiste EADS dans la
vente de dix Airbus A320 à la compagnie nationale
ouzbèke, empochant 2,6 millions d’euros de
commission.
E
t Cifal garde un pied dans la Russie
post-soviétique grâce au nucléaire.
Elle représente les intérêts de la
Cogema, qui deviendra Areva, dans
le contexte de désarmement russo-
américain, négociant avec l’entre-
prise russe Tenex pour acheter de l’uranium extrait
des missiles SS-20 soviétiques et le livrer aux Etats-
Unis. L’occasion pour Gilles Rémy de recroiser la
route de Vladimir Poutine, devenu entre-temps pa-
tron du FSB, qui a succédé au KGB. Areva signe
aussi un contrat de transfert de technologie avec
Tenex pour construire une usine de transformation
d’uranium appauvri en Sibérie, inaugurée en 2009.
Le partenariat entre Areva et Cifal perdurera
jusqu’en 2017. Mais le plus gros coup pour l’entre-
prise est le contrat de vente des deux navires porte-
hélicoptères Mistral, signé en juin 2011 entre le
groupe français DCNS et Rosoboronexport, le mas-
todonte militaire russe. Gilles Rémy profite de 
11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786  39
 France
uuu ses liens avec l’entourage du président Nicolas
Sarkozy pour monter à bord du deal. Cifal assure des
fonctions d’interprétariat auprès de la marine russe.
« Nous avions 40 personnes en permanence à
Saint-Nazaire, toutes accréditées secret-défense »,
se remémore Rémy. Seulement, l’histoire va mal fi-
nir. Après l’annexion de la Crimée par la Russie,
François Hollande décide, en 2014, de ne pas livrer
les deux navires de guerre à Moscou. Le coup est
rude pour le PDG de Cifal, qui n’hésite pas à dire
dans la presse tout le mal qu’il pense de l’oukase
élyséen. Un lobbying repris par ses relais au sein de
Debout la France (DLF), le mouvement de Nicolas
Dupont-Aignan. Un proche collaborateur du leader
souverainiste, Rémy Berthonneau, lance ainsi le col-
lectif Français Libres, qui publie deux tribunes sur
Figaro Vox pour dénoncer « un scandale d’Etat ».
Deux ans plus tard, Rémy Berthonneau rejoindra les
équipes de Cifal à Paris, puis Moscou.
Gilles Rémy a toujours volontiers entremêlé ses ré-
seaux économiques et politiques. Ainsi, c’est à son
domicile, dans le XVIIe arrondissement de Paris, que
s’est noué, le 28 avril 2017, entre les deux tours de
l’élection présidentielle, l’accord entre Marine
Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan. Son épouse russe,
Nadejda Silanina, formée elle aussi au MGIMO, est
alors encartée à DLF et chargée de mission pour la
Russie. Depuis, comme Berthonneau, elle a quitté le
parti pour rejoindre le Rassemblement national,
dont elle est une élue, conseillère régionale en Ile-de-
France. Les deux sont membres de L’Avenir fran-
çais, un mouvement politique intégré à la galaxie RN
et piloté par le député Jean-Philippe Tanguy… celui-
là même qui préside la commission d’enquête de
l’Assemblée sur les ingérences étrangères ! Gilles
Rémy est aussi un proche d’une autre personnalité
du RN, figure de proue pro-russe, l’eurodéputé
Thierry Mariani. L’ancien ministre sarkozyste lui
Calle Montes/Photononstop/AFP
Palais présidentiel à Achgabat, au Turkménistan. Dans les années 1990, Rémy
cible l’Asie centrale, où il aide Bouygues à gagner des contrats monumentaux.
40  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
Le Vladivostok,
à Saint-Nazaire,
fin 2014.
La vente par la
France de porte-
hélicoptères
Mistral offre son
plus gros deal
à Cifal, qui
assure alors
les missions
de traduction
auprès de la
marine. Son
annulation
en 2014 après
l’annexion de
la Crimée sera
un coup dur.
Jean-Sebastien Evrard/AFP
avait remis, en 2010, la Légion d’honneur et le côtoie
au sein du bureau du Dialogue franco-russe, associa-
tion également visée par une enquête judiciaire, sur
des soupçons de corruption et trafic d’influence.
A
ujourd’hui, les réseaux pro-Moscou
dans l’Hexagone ont du plomb dans
l’aile. « Les belles années du busi-
ness franco-russe, c’est terminé,
regrette Gilles Rémy. Les choses se
sont compliquées en 2014, mais là,
le point de non-retour semble atteint. » Après l’an-
nexion de la Crimée et les sanctions occidentales
visant Moscou, il avait fait le pari de l’Afrique en lan-
çant RusAfrika, pour accompagner des groupes
russes sur le continent. Las, le projet n’a jamais dé-
collé. De même, il a tenté, fin 2021, de monter une
société de conseil pour faire face aux lois anticor-
ruption américaines, en s’associant avec Frédéric
Pierucci, un ancien cadre d’Alstom, qui a été empri-
sonné aux Etats-Unis pour corruption. Autre flop.
La guerre en Ukraine a achevé de plonger dans le
rouge son petit empire, déjà fragilisé par la pandé-
mie. « Nous sommes passés de 300 personnes il y a
cinq ou six ans à une vingtaine aujourd’hui »,
confie-t-il. Deux des trois structures de Cifal sont en
liquidation judiciaire. Le bureau de Moscou a été
fermé l’an dernier et la filiale transmise au manage-
ment local, « avec option de retour ». Les ponts ont
aussi été coupés avec Asia Gulf Services, à Dubai. Si
le dirigeant a réalisé ces derniers mois « quelques
petites opérations » pour des entreprises familiales
allemandes ou italiennes en partance de Russie, il
sait que l’avenir de son groupe ne passe plus par
l’ancien pays des tsars.
 La caution Fillon sur des missions sensibles
S
i j’ai envie de vendre des
rillettes sur la place
Rouge, je vendrai des
rillettes sur la place Rouge. »
Qu’on se le dise, François
Fillon n’a de comptes à rendre
à personne depuis qu’il a
quitté la vie politique en 2017.
Reconverti dans le conseil,
l’ex‑Premier ministre était
auditionné, le 2 mai, par la
commission d’enquête de
l’Assemblée nationale sur les
ingérences étrangères,
présidée par le député RN
Jean-Philippe Tanguy. Ce
dernier, même s’il reconnaît
être un « ami de dix ans »  du
patron de Cifal, Gilles Rémy, a

SP/Kremlin
tout de même interrogé Fillon
sur son tropisme russe et ses
liens avec cette société, visée
par une enquête judiciaire pour Le vice-Premier ministre russe Alexandre Novak (au centre à g.) avec François Fillon et Gilles Rémy (à dr.),
corruption. Ainsi, huit jours le 16 février 2022. Une rencontre qui visait à développer la coopération énergétique franco-russe.
à peine avant l’assaut sur
l’Ukraine, le 24 février 2022, le est soupçonné d’avoir constitué le patron du groupe pétrolier liée à son job de consultant. A
gouvernement russe tweetait une caisse noire au profit Rosneft, et Alexeï Miller, à la l’issue de discussions menées
une photo montrant le vice- d’officiels congolais. « Lucien tête du géant Gazprom. Durant notamment pour Cifal, il s’est
Premier ministre Alexander Ebata m’a confié, en août 2020, son audition, Fillon ne s’est pas vu proposer de rentrer au
Novak, chargé de l’énergie, un mandat pour chercher des étendu sur la nature de son conseil d’administration du
discutant avec François Fillon. investisseurs russes capables travail mais a tenu à préciser : groupe pétrolier Zarubezhneft.
Avec, à son côté, Gilles Rémy, de lui racheter les 40 % qu’il « Je ne suis pas concerné par Puis a été sollicité par le géant
qui devait coorganiser un forum détenait dans un gisement les enquêtes judiciaires qui sont de la pétrochimie Sibur :
franco-russe sur l’hydrogène. pétrolier au Congo », explique en cours, j’ai travaillé pour une « J’étais en charge – et cela en
Entre le politique et l’homme Gilles Rémy. Cifal indique avoir entreprise qui, elle, est fera sourire certains mais c’est
d’affaires, les liens remontent rémunéré François Fillon pour concernée par une enquête. » comme ça – d’une certaine
à 2020, quand François Fillon a l’aider à nouer des contacts Selon nos informations, sa occidentalisation de l’entreprise,
été engagé par Cifal pour jouer en Russie, payé environ mission est toutefois évoquée c’est-à-dire de l’introduction de
les missi dominici en Russie 45 000 euros pour huit à neuf dans le signalement de Tracfin, critères environnementaux,
en faveur d’un de ses clients, jours de travail. « J’ai effectué à l’origine de l’enquête, et les sociaux et de gouvernance. »
le Congolais Lucien Ebata. Ce trois déplacements à Moscou et policiers ont longuement Il a démissionné après le début
sulfureux homme d’affaires, à Saint-Pétersbourg dans le cadre interrogé Gilles Rémy au sujet de la guerre, et n’a assisté
la tête de la société pétrolière de cette mission », nous a des contrats concernant Ebata qu’à deux conseils. Ce qui lui
Orion Oil, aujourd’hui mis en confirmé l’homme politique, qui et Fillon. Droit dans ses bottes, permet de dire : « Je n’ai jamais
examen par la justice française a rencontré deux proches de ce dernier affirme ne voir aucun touché un centime d’argent
pour blanchiment et corruption, Vladimir Poutine : Igor Setchine, risque d’ingérence étrangère venant de Russie. » •
« C’est aujourd’hui au Kazakhstan et au Turkmé- sées, notamment sur CNews ou le média russe
nistan que nos opportunités sont les plus fortes », RT France, où l’homme d’affaires condamnait la poli-
juge-t-il. Cet Etat gazier a longtemps été le terrain de tique de la France sur la guerre en Ukraine. « En
jeu préféré du patron de Cifal, qui a créé et dirigé la avril 2022, plusieurs mois avant cette procédure de
chambre de commerce franco-turkmène. Mais, signe radiation, il avait fait l’objet de rappels à l’ordre du
d’un changement d’époque, il a décidé de passer la comité d’éthique du CNCCEF lui signifiant qu’il
main en mars. Plus grave, il s’est vu en février radié avait “outrepassé son devoir de réserve”, l’appelant
de son mandat de conseiller du commerce extérieur à “modérer franchement sa communication sur le
de la France, qu’il détenait depuis trente ans. Cette conflit russo-ukrainien” », justifient les ministères.
décision, rarissime, a été prise par Bercy et le Quai « Je suis victime d’un maccarthysme à la française,
d’Orsay, qui expliquent que ses « actions répétées rétorque Gilles Rémy. J’ai intenté un recours devant
contrevenaient gravement à la charte de déontologie le Conseil d’Etat pour faire annuler cette radiation
du Comité national des conseillers du commerce [rejeté en référé]. S’il le faut, j’irai devant la Cour
extérieur de la France (CNCCEF), qu’il avait si- européenne des droits de l’homme. » Le prochain
gnée. » Dans le viseur de l’exécutif, ses publications combat du dernier crocodile des affaires franco-
sur Twitter et LinkedIn et ses interventions télévi- russes.  David Bensoussan et Antoine Izambard

11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786  41

Entreprise
Courtepaille à Saint-Quentin-Fallavier (Isère). Le mariage harmonieux avec Buffalo Grill, promis par l’actionnaire Napaqaro, a échoué.
Les restaurants
économiques sur le gril
Après des crises similaires, Courtepaille et Flunch connaissent
des destins bien différents. Le premier cherche un repreneur
alors que le second bénéficie d’un ambitieux plan de relance.
C
’est « Jean qui pleure et
Jean qui rit » dans le
monde de la restauration
commerciale. D’un côté
Courtepaille, en redressement judi-
ciaire, attend de savoir qui sera son
repreneur. Selon nos informations,
le groupe Bertrand (Burger King,
Hippopotamus, Léon de Bruxelles),
et le fonds d’investissement HIG,
propriétaire de Quick (lire encadré)
font partie des candidats mais ne
seraient intéressés que par une
partie de l’entreprise. Dans l’espoir
qu’un réel plan de sauvetage appa-
raisse, le tribunal de commerce
avait repoussé la date limite de
dépôt des dossiers au 12 mai. C’est
une véritable bérézina pour cette
42  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
marque jadis mythique grâce à ses
petites maisons rondes au toit de
chaume et ses entrecôtes grillées
sous les yeux des clients.
Qualité à la baisse
De l’autre côté, Flunch, la chaîne du
groupe Agapes (galaxie Mulliez-Au-
chan) qui possède également 3 Bras-
seurs et Pizza Paï, a connu son heure
de gloire avec ses frites à volonté et
ses généreuses mousses au choco-
lat. Après un passage à vide de plu-
sieurs années, Flunch connaît une
seconde jeunesse, sous la houlette
du nouveau PDG Baptiste Bayart.
Fini, la chaîne de cafétérias écono-
miques, Flunch devient une ensei­
gne familiale de food courts.
COURTEPAILLE
FLANCHE
220
restaurants.
2 100
salariés.
190 millions
d’euros de
chiffre d’affaires
en 2022.
Sa faiblesse
Le concept
a vieilli, la
modernisation
coûtera très cher.
SOURCE : SOCIÉTÉ.
Dans les années 1980, les deux en-
treprises avaient des concepts très
différents. Courtepaille, installé le
long des routes nationales, misait
sur les voyageurs, alors que Flunch,
près des hypermarchés, attirait les
clients après leurs courses. Mais ces
formats de restauration ont beau-
coup vieilli. « Une marque, c’est
comme une plante, si vous ne l’en-
tretenez pas, elle dépérit », souligne
Pascal Brun, du cabinet Valentoria.
Facteur aggravant, pour continuer
à proposer des prix bas malgré la
hausse des coûts, les deux restau-
rants avaient déprécié la qualité.
« Courtepaille était passé à des an-
douillettes industrielles. Les clients
fidèles n’ont pas du tout apprécié »,
 FLUNCH
SE RÉINVENTE
150
restaurants.
4 400
salariés.
240 millions
d’euros de
chiffre d’affaires
en 2022.
Son atout
Son actionnaire,
la famille Mulliez,
a réinvesti
massivement.
SOURCE : SOCIÉTÉ.

Flunch en Isère. D’ici à 2024, 50 restaurants seront rénovés, et l’enseigne a renoué avec les bénéfices.

observe Pascal Brun. Côté Flunch,
qui employait 70 % de salariés payés
au smic, l’accueil n’était plus à la
hauteur. « Nous étions les moins
chers de France : un repas complet
pour le prix d’une heure de smic,
raconte Baptiste Bayart, le patron
de Flunch. Ça reste notre ambition
avec des plats à partir de 7,90 euros
comprenant les légumes à volonté,
mais plus question de servir des
plateaux-repas tristounets dans des
décors vieillots ! » Cet entrepreneur
Quick revient avec un appétit d’ogre
enthousiaste, membre de la famille
Mulliez, a été appelé à la rescousse
en janvier 2022. « Nous perdions
beaucoup d’argent, les clients ne
venaient plus, les salariés étaient
en grève », liste Baptiste Bayart. La
transformation a d’abord été dou-
loureuse avec 57 restaurants fermés
sur 207 et la suppression de 1 200
postes sur 5 600. Il a convaincu l’ac-
tionnaire d’injecter 92 millions d’eu-
ros en quatre ans, pour transformer
tous les restaurants, moderniser les
menus et augmenter les salaires.
« Dans la restauration, la motiva-
tion des salariés compte pour 70 %
dans la réussite de l’entreprise »,
salue Pascal Brun. Le nouveau PDG
a aussi signé des accords avec les
syndicats pour assouplir le temps de
travail. Puis il a emmené ses cadres
à New York pour visiter 52 restau-
rants en trois jours.
Inspiration de Decathlon
Au sein de Flunch, toute l’entreprise
s’est mise en « mode projet ». « Ins-
pirés par Decathlon, nous avons
créé des marques propres pour nos
différents espaces : burgers, bistro,

P
endant longtemps,
Quick a été le seul
challenger du géant
McDonald’s en France. Il est
aujourd’hui devenu un petit
acteur très dynamique
du marché des fast-foods.
Mais il revient de loin ! Un
scandale sanitaire en 2011
et la transformation des deux
tiers des restaurants sous
la bannière Burger King en
2019 ont failli avoir raison de
Photos : M. Allili Mourad/Sipa
retrouvailles avec les
consommateurs, qui n’ont
pas oublié que chez Quick,
le point fort, c’est le goût.
Cédé par le groupe Bertrand
au fonds d’investissement
américain HIG, pour
240 millions d’euros en
2021, Quick repose à 90 %
sur des restaurants en
location-franchise situés aux
trois quarts en périphérie
des grandes villes. Sa
bien : le chiffre d’affaires
(345 millions d’euros)
a bondi de 25 % en 2022
à périmètre constant. Et
l’enseigne a les meilleurs
résultats au mètre carré
de son secteur d’activité. De
quoi financer l’ouverture de
20 restaurants cette année
pour un investissement
moyen de 2,5 millions
d’euros chacun. Le
recrutement du cuisinier star
trattoria, wok… », explique Bap-
tiste Bayart. Après quelques mois, la
mayonnaise a déjà pris. D’ici à 2024,
50 restaurants seront rénovés. Et
Flunch fait des bénéfices.
Pour Courtepaille, qui n’a pas eu
une telle refonte, l’avenir est incer-
tain. Son actionnaire, le groupe
Napaqaro, avait promis un mariage
harmonieux avec sa chaîne Buffalo
Grill, mais a raté son pari à cause du

la marque au grand Q. Elle
signe son retour avec une
centaine de restaurants et
une campagne de publicité :
« Le goût de se retrouver. »
Un slogan annonciateur de
stratégie de reconquête mise
sur son burger phare, le
Giant, des prix accessibles
(menus à 7 euros) et une
viande certifiée halal.
Le cocktail fonctionne très
Norbert Tarayre et l’ambitieux
chantier de digitalisation
lui permettront de gagner
encore en popularité, à
défaut de revenir à sa part
de marché d’avant-crise. •
Covid. Aujourd’hui, il préfère miser
sur Popeyes, spécialiste américain
du poulet grillé. A moins qu’un
nouvel investisseur ne ravive la
flamme de Courtepaille.
 Jean-François Arnaud

11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786  43

 Entreprise

Indiscrétions
Senard joue les modestes
Le business touristique
A 69 ans,
Jean-Dominique
Senard devait
être renouvelé
repart sans la Chine
pour quatre ans
Malgré un niveau d’activité d’avant-pandémie,
Eric Tschaen/Réa

à la tête de
Renault lors
de l’assemblée
la présidente d’Ile-de-France se plaint de l’arrivée au
générale des compte-gouttes des touristes chinois. Les plus rentables.
actionnaires du 11 mai. A l’écouter,
l’ex-patron de Michelin rempile
à la demande de l’Etat et par sens
du devoir. Après la réconciliation
avec Nissan, Renault est redevenu
enfin une entreprise normale, confiait
peu avant le vote celui qui en a pris les
rênes en 2019, en pleine affaire Ghosn.
Et d’ajouter : « Ce serait dommage
de ne pas perpétuer cette stabilité. »

Ricard trinque avec Kravitz

Frederic J. Brown/AFP

Myriam Tirler/Hans Lucas/AFP

Le PDG de Pernod Ricard Alexandre
Ricard s’apprête à célébrer son
association avec le chanteur américain
Lenny Kravitz, qui investit avec lui
dans l’alcool mexicain Nocheluna Sotol.
Les deux compères vont se retrouver
à Paris le 24 mai pour une dégustation Touristes devant la tour Eiffel, à Paris, en juin 2022. Les Chinois, adeptes de bons vins et
historique à l’occasion du lancement de parfums, dépensent sept fois plus que les autres visiteurs étrangers. 
de leur marque en Europe.

C
Colucci fait de belles affaires ’est le dernier coup sion de concurrence, la compagnie
d’éclat de Valérie tricolore, qui n’assure que six vols
­Pécresse : dans une lettre hebdomadaires sur Shanghai et
à Elisabeth Borne, la pré- Pékin, plaide pour un redémarrage
sidente de l’Ile-de-France intime à progressif. « En 2019, on dénom-
Stéphane de Sakutin/AFP

Air France et l’exécutif d’augmen- brait à peu près un million de visi-

Et 117 000 euros de plus pour les
Restos du cœur ! Le 27 avril se tenait
à Drouot la grande vente aux enchères
sous l’égide du fils de Coluche
Romain Colucci. Parmi les 69 lots
proposés, le disque de platine
Les Enfoirés dédicacé par Jean-Jacques
Goldman est parti pour 8 700 euros, le
sac à main Timeless offert par Chanel
a été emporté pour 8 700 euros,
et une combinaison du Paris-Dakar
de Johnny Hallyday pour 6 500 euros.
50 abonnements de Challenges étaient
aussi proposés, acquis 1 600 euros.
ter le nombre de vols entre l’Hexa-
gone et la Chine. Un cri d’alarme
identique à celui lancé à Emma-
nuel Macron fin mars par les pa-
trons d’ADP, Galeries Lafayette,
Accor et Club Med. Leur inquié-
tude ? La réouverture des fron-
tières chi­noises en janvier n’a pas
entraîné une reprise franche du
trafic aérien vers la capitale. Pékin
et Paris sont en pleine renégocia-
tion de leur accord bilatéral, car
depuis la guerre en Ukraine, Air
France doit contourner la Russie à
la différence de ses rivales
chinoises. Afin d’éviter une distor-
teurs Chinois en Ile-de-France,
rappelle Christophe Decloux, direc-
teur général du Comité région Paris
Ile-de-France. L’an dernier, avant
l’ouverture des frontières, ils
n’étaient plus que 256 000. »
+ 36 % de Néerlandais
De là à plaindre les grands noms du
tourisme, il y a un pas. En 2022,
malgré l’absence des Chinois, les
aéroports franciliens ont enregistré
27,40 euros de recette moyenne par
passager, contre 23,40 euros en
2019. La compagnie Air France,
elle, vient de publier un chiffre d’af-

44  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

faires trimestriel en hausse de 42 %.
La Chine fait défaut ? Bienvenue
aux autres touristes étrangers. L’an
dernier, la capitale et ses environs
ont attiré 2 millions d’Américains,
presque autant qu’en 2019, qui ont
profité du dollar fort pour dépenser
plus. Le nombre de Britanniques,
d’Italiens et de Néerlandais, lui, a
respectivement bondi de 8 %, 4 % et
36 %. La consommation touristique
francilienne a déjà retrouvé 90 % de
son niveau d’avant-pandémie.

Panier moyen de 1 500 euros

Alors pourquoi s’entêter à faire
revenir les touristes chinois ? Parce
que « ce sont les plus rentables,
avec un panier moyen de 1 500 eu-
ros », rétorque Christian Mantei,
le président d’Atout France. A
Roissy­- Charles-de-Gaulle, ces
adeptes de bons vins et de parfums
dépensent sept fois plus que les
autres. En temps normal, ils repré-
sentent « plus de 1 mil-
liard de recettes touris- AMERICA
tiques par an », insiste IS BACK
Valérie Pécresse. Un  Top-5 des

touristes
chiffre qui a dégringolé étrangers en
à 240 millions en 2022. Ile-de-France en
« Dire que l’on peut se 2022 (évolution
par rapport à 2019)
passer des Chinois est
faux, s’insurge Chris- Etats-Unis
2 361 000
tian Mantei. Tous nos Royaume-Uni -5 %
voisins s’intéressent 1 995 000 +8 %
à eux. » Espagne
Mais pourrait-on les ac- 1 516 000 -2 %
cueillir ? L’été dernier, Italie
faute de main-d’œuvre, 1 510 000 +4 %
Allemagne
la reprise brutale avait
1 419 000 -1 %
mis les aéroports, restau- SOURCE : DISPOSITIFS
PERMANENTS D’ENQUÊTE - CRT
rants et hôtels en sur- PARIS ILE-DE-FRANCE (BVA).
chauffe. Un an plus tard,
Air France déplore toujours une pé-
nurie de pilotes. Christophe Decloux
rassure : « L’Ile-de-France peut-elle
recevoir 750 000 touristes chinois
de plus ? Evidemment. » A condi-
tion de renforcer les équipes fran-
çaises chargées de délivrer les visas
Schengen aux groupes de touristes.
Car les délais sont longs, et le coût,
élevé. L’Italie, qui a flairé le filon,
délivre le tampon quatre fois moins
cher. « Les touristes doivent démar-
rer leur voyage par le pays émet-
teur, explique Christophe Decloux.
Et l’on sait qu’une grosse partie de
leur budget est consommé sur
place. » L’enjeu est aussi politique
qu’économique.  Claire Bouleau
 Entreprise
Bonne semaine
Lionel Le Saux/Le Telegramme/MaxPPP
Julien Carmona signe
la paix des braves
Le président du Crédit mutuel Arkea,
qui regroupe les fédérations de
Bretagne et du Sud-Ouest, met fin
à dix ans de conflit avec la
Confédération nationale du Crédit
mutuel. Le 3 mai, il a signé avec
le président Nicolas Théry un accord
qui garantit l’autonomie des membres.
Il devient le numéro deux de
la Confédération.
Margherita Della Valle prend
les rênes de Vodafone
L’ancienne
directrice
financière du
groupe de
télécoms
britannique,
âgée de 58 ans,
directrice générale
SP
par intérim depuis janvier, en devient
officiellement directrice générale. Dans
un contexte difficile pour l’entreprise,
notamment en Europe, le conseil
d’administration a salué « sa rapidité
et sa capacité à prendre des décisions
pour amorcer les nécessaires
transformations de Vodafone ».
Mauvaise semaine
Pascal Sittler/Réa
Guillaume Debrosse
quitte Bonduelle
Le directeur général de Bonduelle,
membre de la famille actionnaire, est
remercié cinq ans après sa nomination,
alors que le bénéfice a chuté en 2022.
Le conseil d’administration lui reproche
une croissance trop poussive aux
Etats-Unis, premier marché du groupe,
et prévoit justement de choisir un
successeur connaisseur de cette zone.
46  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
L’entreprise à mission,
un label très tendance
De plus en plus de groupes misent sur ce statut
exigeant pour attirer des talents ou redorer
leur image. Avec un risque de washing.
K
orian, le géant euro-
péen des maisons de
retraite, a dévoilé le
25 avril son plan
d’action pour finaliser sa trans-
formation en entreprise à mis-
sion, avec à la clé un nouveau
nom : Clariane. « Nous voulons
œuvrer de façon concrète à
renforcer la qualité du lien
entre soignant et patient,
détaille Sophie Boissard, sa di-
rectrice générale. Et nous en-
gager pour la santé de nos
collaborateurs, pour leur pro-
motion par la formation ainsi
Korian
que pour le renforcement de
notre ancrage territorial. » Ehpad Korian. Le géant des maisons de retraite veut
Le roi des Ehpad vient grossir le « renforcer la qualité du lien entre soignant et patient ».
bataillon d’entreprises qui ont
opté pour ce statut introduit par la loi en xième marché. « On ne peut pas exclure
2019. Selon l’Observatoire des sociétés à que des brebis galeuses adoptent ce statut
mission, plus de 1 000 ont déjà rejoint le pour des raisons marketing, reconnaît
mouvement. Depuis les pionniers comme la ­Errol Cohen. Elles peuvent afficher des en-
Maif ou Danone, jusqu’aux plus récents afi- gagements peu ambitieux, déjà atteints
cionados : KPMG, Doctolib, Back Market, ou, à l’inverse, irréalisables. » Mais selon
Babilou ou La Banque postale. « La dyna- lui, le dispositif prévoyant un double
mique s’amplifie, observe Errol Cohen, contrôle des missions, par un comité de
avocat au cabinet Le Play et spécialiste en suivi en interne et un organisme tiers indé-
gouvernance. Lorsqu’un acteur d’un sec- pendant, est « un cadre exigeant et contrai-
teur franchit le pas, ses concurrents gnant ». « Ces vérifications mettent sous
suivent. » En France, le concept trouve ses tension les entreprises, qui se font retoquer
fondements dans les travaux menés par les si elles ne sont pas au rendez-vous », ajoute
chercheurs de l’école des Mines de Paris au Emery Jacquillat. Concernant Danone, par
lendemain de la crise financière de 2008. exemple, l’évaluation externe menée par
« Cet électrochoc a fait comprendre aux PwC en 2022 a relevé que deux objectifs
entreprises qu’elles ne pouvaient plus tout inscrits dans les statuts – la teneur en
sacrifier sur l’autel de la course aux profits. sucres des produits et le niveau d’engage-
Et que leur activité devait contribuer à ment des salariés – n’avaient pas été at-
l’intérêt collectif », explique Emery teints ou mesurables.
­Jacquillat, président du groupe Camif et de Les tricheurs jouent gros : « Non seulement
la Communauté des entreprises à mission. ils peuvent se faire retirer leur qualité de
Alors que les sociétés misent sur ce statut société à mission, mais ils s’exposent aus-
pour attirer des talents, séduire des inves- si à la colère de leurs salariés et de leurs
tisseurs ou redorer leur image, le risque de clients », poursuit Emery Jacquillat. « La
washing menace de fragiliser le modèle. démarche suppose des arbitrages, parfois
L’an dernier, le géant des cosmétiques Yves de renoncer à certains produits ou mar-
Rocher a suscité l’embarras, en évoquant sa chés », estime Grégoire Cousté, délégué
qualité d’entreprise à mission pour justifier général du Forum pour l’investissement
sa décision de rester en Russie, son deu- responsable.  I. F.
 Entreprise

Le carnet
En partenariat avec

Frédéric Didier, 55 ans, ingénieur

informatique de l’ENSEEIHT, diplômé
de l’Ecole nationale supérieure de

Richard Damoret/Réa
chimie de Toulouse, devient directeur
numérique et organisation de LCL.
David Hindley, 50 ans, diplômé
en management des RH du Ciffop,
troisième cycle en psychologie Intersport de Moulins (Auvergne). La coopérative a mis la main, pour 35 millions d’euros,
du travail, est nommé vice-président sur Go Sport, pilier de l’empire vacillant de Michel Ohayon.
exécutif RH de Servier. Il est
membre du comité exécutif.
Damien Catoir, 42 ans, Essec, études
à l’ENS, master 2 en droit privé
général, Juris Doctor de Cornell
Les coopératives passent
(Etats-Unis), avocat aux Barreaux
de New York et de Paris, devient
vice-président exécutif, secrétaire
à l’offensive
général et membre du comité exécutif Epargnés par la pression des marchés financiers,
du groupe pharmaceutique.
à l’opposé des grands distributeurs, ces groupements
Emmanuelle
Vaudoyer, 50 ans,
résistent à l’inflation. Et se lancent dans les acquisitions.
DESS de droit

C
international, LLM asino, Auchan, Carrefour… Long- sion de ses actionnaires et créanciers, qui
de droit américain, temps, les rumeurs sur une conso- voit baisser ses ventes pour cause de prix
avocate au Barreau lidation dans la grande distribu- trop élevés. Autre atout des groupements
de Paris, est tion en France imaginaient que coopératifs par temps agité : « Les direc-
nommée directrice
SP

juridique, secrétaire du conseil

d’administration et membre du comité
exécutif d’Imerys à partir du 30 mai.
Anne-Catherine Péchinot, 52 ans,
ESC Rouen, est nommée directrice
générale d’Easy Cash. En 2021, elle
avait pris les rênes de Colisée France.
Stéphanie Dupuy-Lyon, 49 ans,
Montpellier SupAgro, ingénieure
générale des Ponts, des Eaux et
des Forêts, prend la direction de
l’engagement sociétal de La Poste.
Eric de Saint Louvent, 54 ans, Ipag
Business School, deviendra PDG de
Big Groupe à compter du 12 mai. Au
côté de Big Fernand depuis 2015, il a
pris la direction du développement et
du réseau franchisé l’année dernière.
Karen Vancleemput, 43 ans, Essec,
rejoint Brico Dépôt comme directrice
marketing, digital et clients. Elle siège
au comité de direction du groupe.
Paul Mazloum, 43 ans, master
d’administration des entreprises
de l’IAE Paris, maîtrise de droit
international, DEA relations
internationales, est nommé directeur
marketing et business development
du cabinet d’avocats Gide.
celle-ci s’organiserait autour de ces grands
groupes intégrés. Et pourtant, ce sont les
coopératives – ces enseignes où les grandes
surfaces n’appartiennent pas au groupe, où
chaque patron de magasin est chef de son
entreprise – qui passent à l’attaque. Ces der-
nières semaines, Intermarché et l’union
de 200 coopératives agricoles InVivo ont
fait une offre pour secourir Casino, étranglé
par les dettes. JouéClub est candidat pour
reprendre La Grande Récré, en liquidation
judiciaire, détenu par Michel Ohayon. Et
Intersport a mis la main, pour 35 millions
d’euros, sur Go Sport, autre pilier de l’em-
pire vacillant de l’homme d’affaires borde-
lais, avec l’objectif de devenir numéro un de
l’équipement sportif devant Decathlon.
Si les coopératives sont à l’offensive, c’est
qu’elles ont su tirer leur épingle du jeu en
ces temps de forte inflation. « Elles ne sont
pas exposées à la volatilité de la Bourse,
éclaire le consultant indépendant Pierre
Liret. Et il n’y a pas de dividendes à verser
aux actionnaires. » D’où la possibilité,
pour Intermarché, de « sacrifier une année
de résultat pour garder les clients » avec
des prix bas, comme l’expliquait l’ancien
président de l’enseigne Vincent Bronsard
dans un courrier interne en octobre dernier.
Impossible à faire pour Casino, sous pres-
teurs de magasins sont directement inté-
ressés au résultat, au contact de leurs
clients, impliqués dans la direction du
groupement, indique Olivier Urrutia, délé-
gué général de la Fédération du commerce
associé. On est loin de la gouvernance tech-
nocratique des grands groupes. » Franck
Mathais, porte-parole de JouéClub,
approuve : « Le coopérateur est présent sur
toute la chaîne de valeur : il achète et il
vend. » Et s’adapte à sa zone de chalandise,
aux spécificités locales. « A Bayonne, on a
de l’équipement pour la pelote basque »,
illustre un porte-parole d’Intersport.
Alors, les coopératives sont-elles un mo-
dèle plus efficace ? « Il ne faut pas opposer
les deux », nuance Thierry Blandinières,
directeur général d’InVivo qui, allié à
Matthieu Pigasse, Xavier Niel et Moez-
Alexandre Zouari dans son offre pour
Casino, reconnaît que « au niveau de la
coopérative, nous n’avons pas assez de
fonds propres, indispensables pour mener
des opérations de croissance externe ». La
puissance financière reste un argument de
poids dans la bataille de la consolidation du
secteur. Rien n’est donc joué pour Casino,
face à une offre concurrente de l’investis-
seur milliardaire Daniel Kretinsky, prêt à
débourser 750 millions d’euros.  G. E.

48  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

Santé & sciences
Comment cet objet céleste
a accéléré près du Soleil
Lors de sa traversée du Système solaire en 2017,
la comète Oumuamua a atteint 314 000 km/h
en expulsant des gaz, à la manière d’une fusée.
D
eux chercheurs améri-
cains de l’université de
Cornell présentent, dans
la revue Nature, un méca-
nisme qui pourrait expliquer les ca-
ractéristiques étranges d’Oumua-
mua – premier objet interstellaire de
l’histoire de l’astronomie – et ré-
soudre finalement le mystère de sa
nature. Lorsque ce corps céleste
oblong a été repéré en 2017, sa tra-
jectoire hyperbolique et sa vitesse
L’IMC renforce à tort
le paradoxe de l’obésité
Avec d’autres critères d’analyse, le surpoids apparaît
bien comme un facteur de risque cardiovasculaire.
N
on, les personnes en
surpoids ou obèses ne sont
pas moins susceptibles de
mourir d’une maladie cardiaque.
Une nouvelle étude vient battre en
brèche le « paradoxe de l’obésité ».
Cette théorie est forgée sur la
base d’études de cohorte de pa-
tients coronariens ou insuffisants
cardiaques, qui observaient une di-
minution de la mortalité glo-
bale chez les personnes de plus de
50  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
anormalement élevée indiquaient
qu’il venait d’une autre étoile que la
nôtre et traversait le Système solaire
pour ne jamais y revenir. Mais cette
incursion a plongé les astronomes
dans une profonde perplexité.
A proximité du Soleil, la vitesse
d’Oumuamua a augmenté jusqu’à
atteindre 314 000 km/h. Une accélé-
ration qui ne pouvait s’expliquer ni
par le « coup de pied » gravitation-
nel donné par notre étoile ni par un
65  ans ayant une obésité modé-
rée par rapport à celles de poids
normal.
Fondé sur l’indice de masse corpo-
relle (IMC), le paradoxe s’effondre
lorsqu’on remplace l’IMC (rapport
poids/taille2) par le rapport tour de
taille de la ceinture abdominale/
taille. De fait, les cellules grais-
seuses favorisent l’inflammation
dans l’organisme, et l’accumulation
de graisse autour de la taille est
Vue d’artiste d’Oumuamua. L’objet
interstellaire a été pris pour un
astéroïde, un iceberg d’hydrogène…
et un vaisseau extraterrestre !
phénomène de dégazage, puisque
aucune émission n’a été observée.
Catégorisé comme une comète au
moment de sa découverte, Oumua-
mua a par la suite été considéré
comme un astéroïde, un iceberg
d’hydrogène, un fragment d’exopla-
nète… et même un vaisseau extra-
terrestre !
Moins exotique que les précédentes,
la nouvelle explication est beau-
coup plus convaincante : Oumua-
mua serait bel et bien une comète
qui aurait accéléré en expulsant des
gaz à la manière d’une fusée. Lors de
M. Kornme/Esa/Hubble/Nasa
son voyage dans le milieu interstel-
laire, elle aurait été exposée à des
particules très énergétiques (pro-
tons, électrons…) pouvant pénétrer
à des dizaines de mètres sous la
glace. Plus d’un quart des molécules
d’eau se seraient alors dissociées
pour produire de l’hydrogène molé-
culaire. Et cet hydrogène aurait très
bien pu rester piégé dans la glace
jusqu’à ce qu’Oumuamua atteigne le
Système solaire, soutiennent les
chercheurs. A proximité de notre
étoile, l’hydrogène se serait trans-
formé en gaz. Résultat : une poussée
suffisamment importante pour ac-
célérer Oumuamua (qui ne mesure
qu’une centaine de mètres de dia-
mètre) aux valeurs mesurées. • 
Sebastian Kaulitzki/Science Photo Library/BSIP
L’accumulation donc bien plus dangereuse pour la
de graisse autour santé que l’obésité en général. Les
de la taille est
dangereuse pour chercheurs suggèrent que le rapport
le cœur. tour de taille/taille remplace l’IMC,
pour mieux évaluer le risque car-
diaque individuel. •
 Santé & sciences
La Nasa rhabille

B. Delessard/Challenges
ses astronautes
La veille de
LUC JULIA
auteur de L’Intelligence artificielle n’existe pas

En stoppant ses envois de DVD,

Mark Felix/AFP

Netflix leur porte le coup de grâce

Les astronautes de la mission

C
Artemis III, prévue en 2025, seront
équipés d’une nouvelle combinaison ’est fini ! Les petites enveloppes
spatiale dévoilée par Axiom Space. avec le logo rouge contenant
Conçue pour résister à l’abrasion des DVD, que Netflix a
des poussières et roches sélènes, commencé à envoyer en 1997,
ainsi qu’aux écarts de températures disparaîtront le 29 septembre. C’est
de moins de 200° C à plus de 50° C, ce qu’a annoncé le 18 avril dernier son
elle est complétée par un casque
équipé d’une lampe frontale directeur général, Ted Sarandos.
Aujourd’hui, Netflix est certainement

Michael Liedtke/AP/Sipa
et d’une caméra à haute résolution.
l’offre la plus complète et populaire de
Surveiller sa santé tous les services de vidéos à la demande.
Mais son offre de streaming, qui n’est
avec une bague apparue qu’en 2007, n’était même pas la
première – Apple et Amazon avaient lancé
Enveloppe d’envoi de DVD par Netflix. En
leurs versions un an avant. C’est justement vingt‑cinq ans, le service a expédié plus de
en s’inspirant de ce que commençait 5 milliards de disques.
à faire Amazon avec les livres que les
deux fondateurs, Reed Hastings et chaîne de magasins de location de vidéos,
EPFL

Marc Randolph, ont eu l’idée d’envoyer Blockbuster, de les racheter pour

des vidéos par courrier. Mais en 1997, les
grosses cassettes VHS règnent encore,
le format DVD est pratiquement inexistant
et vient juste d’apparaître au début de
cette année-là. C’est pourtant en pariant
sur ces disques résistants, qui permettent
Spin-off de l’Ecole polytechnique
fédérale de Lausanne en Suisse, d’envoyer les vidéos « comme une lettre
la start-up Senbiosys a présenté à la Poste » et non comme des colis, que
le plus petit capteur de Netflix connaît le succès. Il a toutefois
photopléthysmographie au monde. fallu attendre encore quelques années pour
Cette technologie est utilisée dans voir se populariser ces DVD et leurs
les montres et bracelets connectés, lecteurs. Finalement, à Noël 2001, c’est
pour mesurer notamment
la fréquence cardiaque. Le système le cadeau à la mode, les ventes de ces
de suivi de santé pourra être intégré appareils explosent, et Netflix y est pour
à une bague, aux performances quelque chose. Mais entre-temps, la
similaires aux dispositifs existants. compagnie qui avait mis en ligne son
catalogue et se vantait donc d’être une
30 022 de ces nouvelles pépites d’Internet connaît
des hauts et des bas. Jeff Bezos, qui avait
C’est le nombre de centenaires en senti le potentiel, propose très tôt de
France. Un chiffre qui a triplé en vingt racheter Netflix pour environ 15 millions
ans dans l’Hexagone, soit la plus
forte proportion de personnes âgées de dollars. Persuadés qu’ils peuvent
de plus de 100 ans en Europe, selon disrupter le business de ventes et locations
le dernier recensement de l’Insee. de vidéos, qui pèse alors quelque
Parmi eux, 86 % sont des femmes. 16 milliards de dollars, les fondateurs
refusent. Mais lorsque la bulle Internet
Rubrique réalisée explose, en 2000, Netflix est au bord
avec la rédaction de du gouffre et propose à la plus importante
sciencesetavenir.fr
50 millions de dollars. Leur CEO de
l’époque, John Antioco, refuse en leur riant
au nez, disant qu’Internet n’est qu’une
mode et que les gens préféreront toujours
venir dans ses magasins pour y choisir
leurs vidéos… Pourtant, à son tour
en difficulté au milieu des années 2000, il
essaiera de copier en vain le modèle de
Netflix – Blockbuster disparaîtra purement
et simplement quelques années plus tard.
Netflix aura, lui, expédié en vingt-cinq ans
plus de 5 milliards de DVD. Et malgré
les 150 millions de dollars que lui a encore
rapportés cette division en 2022, ça
en est donc fini. Au plus grand dam des
cinéphiles qui n’auront plus à leur
disposition cet incroyable catalogue de
plus de 100 000 titres, à comparer aux 6 200
disponibles en streaming sur la plateforme.
Pas un seul film des années 1940,
quatre des années 1950, quelques dizaines
des années 1990… c’est tout ce que l’on
y trouve en ce moment. Après avoir
popularisé les DVD, il semble que Netflix
leur ait porté un coup fatal, et que
ces jolis disques irisés rejoindront bientôt
les bandes magnétiques au cimetière
des technologies.•

11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786  51

Monde

L’Allemagne
encourage
l’immigration
Face à la pénurie de main-d’œuvre
qualifiée, le gouvernement fédéral a
déposé un projet de loi visant à faciliter Les premières Ukrainiennes embauchées
par la Deutsche Bahn à Munich, le 20 avril.
l’installation de travailleurs étrangers. D’ici à dix ans, la compagnie ferroviaire
devra renouveler la moitié de ses salariés.

C
hiffre record : 2 millions
d’emplois sont vacants
outre-Rhin. Partout en Al-
lemagne, on cherche de la
main-d’œuvre, non seulement dans
l’industrie, mais aussi dans l’éduca-
tion, la santé, le high-tech. Et la pé-
nurie s’accroît au fur et à mesure que
la génération baby-boom part à la
retraite. Face à l’urgence, le gouver-
nement d’Olaf Scholz a concocté un
projet de loi examiné au Bundestag
depuis le 27 avril. « Nous sommes en
train de façonner l’un des droits
d’immigration les plus modernes
au monde », pointe le député social-
Une intégration rapide des réfugiés
démocrate et rapporteur Hakan
­Demir, qui parle de « changement de
paradigme ».
Une « carte des chances », sorte de
système à points inspiré du Canada,
va être mise en place, avec comme
critères d’admission les connais-
sances linguistiques, l’expérience
professionnelle ou l’âge. Afin d’être
accepté, un étranger qualifié devra
attester qu’il a une formation d’au
moins deux ans, travaillé pendant
deux années, et qu’il dispose d’une
offre d’emploi en Allemagne. Les
conditions de séjour pour la re-
cherche d’une place d’apprentissage
devraient, elles aussi, être allégées
et, pour les diplômés du supérieur,
changer d’emploi ou demander un
TERRE regroupement familial devraient
D’ASILE être plus faciles à l’avenir. « Espé-
Nombre de réfugiés rons une vraie simplification des
ukrainiens accueillis* procédures et une clarification de la
Pologne jungle des permis », observe l’ex-
1 583 560 pert à la Confédération de l’artisanat
Allemagne Jan Dannenbring, qui se « méfie des
1 061 390 lourdeurs de la bureaucratie ».
République tchèque « Ceux qui veulent se retrousser les
504 350 manches sont les bienvenus en
Royaume-Uni ­Allemagne.  » Le 18 janvier, le chan-
199 900 celier Scholz avait déjà lancé une
Espagne invitation claire à Davos. Arguant :
173 200 « Si nous voulons rester compéti-
Italie tifs en tant que nation industrielle
173 100 de premier plan, nous avons be-

D
France soin de praticiens expérimentés,
ébut avril, Ryyan accueilli en 2015- Communes et villes
Alshebl, 29 ans, 2016, 55 % ont crient grâce,
118 990 c’est-à-dire d’ingénieurs, d’arti-
* A DÉBUT AVRIL 2023.
a été élu maire aujourd’hui un emploi, réclamant une SOURCE : MEDIENDIENST-
INTEGRATION.
sans et de mécaniciens qualifiés. »
d’Ostelsheim, 70 % pour les meilleure répartition L’Allemagne
une bourgade de hommes. Pour la des moyens. Le a commencé Recrutement tous azimuts
2 500 habitants près vague de l’an dernier, 10 mai, le chancelier A la Deutsche Bahn, l’équivalent al-
à ouvrir ses
de Stuttgart. Avec plus forte que la Scholz a tenu un frontières aux lemand de la SNCF, la moitié des
55 % des voix. Un précédente, l’insertion sommet sur les travailleurs turcs 220 000 salariés aura changé dans
beau succès pour cet est encore plus réfugiés, avec les dès les années dix ans. C’est pourquoi un service
ex-réfugié syrien, arrivé rapide : un Ukrainien 16 ministres 1960. En 2022,
en Allemagne il y a sur deux suit des présidents des Länder de 1 000 personnes est chargé de re-
elle a accueilli
huit ans. Et un cours de langue, un (régions). But : définir cruter tous azimuts, y compris au-
1,2 million de
symbole des progrès sur cinq a déjà un job une stratégie à long delà des frontières, sous la houlette
réfugiés, dont
de la politique et 210 000 enfants terme. Et s’assurer 1 million de Kerstin Wagner, qui explique :
d’intégration menée sont scolarisés. que chaque membre d’Ukrainiens. « En 2017, nous avons dû embau-
par Berlin : sur le Cependant, le pays de l’Union européenne
million de migrants arrive à saturation. prenne sa part. • cher 10 000 nouveaux collabora-
teurs, l’an dernier, 28 000. » Selon

52  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023


le ministre du Travail Hubertus Heil,
7 millions de bras et cerveaux pour-
raient manquer dans le pays d’ici
à 2035. Inquiet, le patronat réclame
« au moins 400 000 travailleurs
étrangers par an », et dès mainte-
nant. « Il y va de l’avenir de notre
économie ! » insiste la députée
verte Misbah Khan, pointant « qu’il
en coûte déjà chaque année 96 mil-
liards d’euros au pays, selon une
étude de Boston Consulting ».
Débat musclé au Bundestag
Au cours des premiers jours de dé-
bat au Bundestag, les échanges ont
pourtant été âpres avec, d’un côté,
les membres de la coalition, so-
ciaux-démocrates, Verts et libé-
raux, tous sur la même ligne, et, de
l’autre, les chrétiens-démocrates et
les élus du parti d’extrême droite
AfD reprochant aux membres de
l’équipe Scholz d’ouvrir trop grand
les frontières. Selon eux, il faudrait
« accueillir uniquement les per-
sonnes qualifiées dont l’Allemagne
a besoin ».
Vice-présidente du Bundestag, la
sociale-démocrate Aydan Ozoguz
est persuadée que « le texte va dans
le bon sens. Même si nous avions
pris du retard, nous sommes en
train de devenir un grand pays
d’accueil ». Elle-même, qui se défi-
11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786 
Vous êtes une PME ou ETI
française, rentable et en
croissance ?
Candidatez
au Grand Prix
SP
des Lionnes
Envoyez votre candidature
nit comme « députée de Hambourg avant le 16 juin
aux racines turques » et a obtenu et venez rencontrer
la nationalité allemande en 1989, les autres Lionnes,
incarne cette évolution : première le Jury et nos partenaires
femme d’origine étrangère à être à l’occasion de la cérémonie
nommée ministre, elle a été chargée
de remise de Prix
dans le gouvernement d’Angela
Merkel, de 2013 à 2018, des mi- qui se tiendra
grants, des réfugiés et de l’intégra- le 28 septembre prochain
tion. Professeur à l’université Hum- à Paris !
boldt de Berlin, Herbert Brückner
résume : « L’Allemagne a commen- grandprixdeslionnes.montefiore.fr
cé à s’ouvrir dès les années 1960,
avec l’arrivée des travailleurs
turcs. La vraie accélération a eu
lieu à partir de 2010, quand la loi
a encouragé l’appel à de la main-
d’œuvre qualifiée. »
En 2016, une autre étape a été
franchie : le pays accueillait 1 mil-
lion de réfugiés. L’an dernier, un
nouveau record a été battu avec
1,2 million d’arrivants, dont 1 mil-
lion d’Ukrainiens (voir graphique
L’économie de demain est l’affaire de tous
ci-contre). Beaucoup ont déjà un
job. A l’instar des neuf premières
Ukrainiennes embauchées comme
hôtesses de restaurant à la
Deutsche Bahn après six mois de
formation en langue. La loi, par la-
quelle l’Allemagne s’assume pleine-
ment comme un « grand pays
d’immigration », devrait être adop- Avec le soutien de
tée juste après la pause estivale.
Sabine Syfuss-Arnaud  
53
 Monde
Bonne semaine
Heathcliff O’Malley/Shutterstock/Sipa

Justin Welby, l’autre star

du couronnement

Adrian Catu/AFP
Lors du sacre de Charles III le 6 mai, les
projecteurs ont aussi été braqués sur
Justin Welby, le discret archevêque de
Canterbury. Le chef spirituel de l’Eglise
anglicane officiait comme maître des Ouvrier vietnamien sur un chantier à Bucarest, en 2019. Le quota de permis de travail accordés
cérémonies. Francophone, cet ancien aux travailleurs extérieurs à l’Union européenne est passé de 3 000 à 100 000 en cinq ans.
trésorier d’Elf Aquitaine possède une
maison en Normandie. Il a la confiance
du nouveau roi d’Angleterre, qui lui avait
demandé de jouer les médiateurs
auprès du prince Harry.
La Roumanie s’ouvre
Riad Salamé peut souffler
Un répit ? L’éviction
aux travailleurs étrangers
surprise et sans
motifs sérieux Le pays, dont l’économie croît régulièrement et
de Ghada Aoun,
juge anticorruption
la population décline, fait appel à la main-d’œuvre
libanaise, va immigrée, surtout dans la construction.
donner un peu
AP/Sipa

d’air à Riad
Salamé. Le EUROPE © The Economist 100 000 employés d’ici à la fin 2024. Les
gouverneur de la banque centrale du entrepreneurs entendent en effet répondre

Liban est soupçonné, avec son frère,
d’avoir détourné et blanchi des
centaines de millions de dollars
à l’étranger. Il fait encore l’objet
d’enquêtes judiciaires dans cinq pays
européens.
Mauvaise semaine
Eraldo Peres/AP/Sipa
I
l y a vingt ans, les Roumains faisaient la
queue devant les magasins d’alimenta-
tion. Aujourd’hui, ce sont les étrangers
qui forment des files : ici, des Ukrainiens
attendent une distribution d’aide alimen-
taire, là, des Népalais ou des Bangladais
patientent devant un bureau de l’immigra-
tion pour renouveler leurs permis de travail
et de résidence. L’économie roumaine pro-
gresse régulièrement depuis une décennie.
L’an dernier, la croissance a été de 4,7 %. En
2010, le PIB par tête, après ajustement des
prix, équivalait à 53 % de celui de la
à la demande de travaux d’infrastructures
stimulée par les fonds de reconstruction
post-pandémie mis en place par l’Union. La
Roumanie devrait recevoir à ce titre 27 mil-
liards d’euros, dont 17 milliards pour la
construction. Les travailleurs étrangers,
conclut Adriana Iftime, « sont la solution
quand il n’y en a pas d’autre ». De
3 000 permis de travail par an accordés aux
travailleurs extérieurs à l’Union en 2017, le
quota est passé à 100 000 en 2022, même si
beaucoup concernent des renouvellements
de permis d’ouvriers déjà présents.

moyenne de l’Union européenne ; en 2021, D’où une forte croissance de la population

Jair Bolsonaro ciblé
Le domicile de l’ex-président brésilien
a été perquisitionné le 3 mai. La police
enquête sur un « réseau criminel »
ayant introduit de faux certificats
de vaccination contre le Covid-19
dans les systèmes de santé publique.
Soupçonnant l’entourage du président
coronasceptique, elle a interpellé
son ancien aide de camp et homme
à tout faire, Mauro Cid.
il atteignait 74 %.
Dans le même temps, la population s’est
réduite, de 23,2 millions en 1990 à 19 mil-
lions aujourd’hui. La natalité s’est effon-
drée après la révolution de 1989 et des mil-
lions de Roumains ont émigré. Le pays est
désormais confronté à une sévère pénurie
de main-d’œuvre. Hôtels, bars et restau-
rants recherchent du personnel, mais le
manque se fait surtout sentir dans la
construction. Adriana Iftime, directrice
générale de la Fédération des employeurs
des entreprises de construction, remarque
que le secteur aura besoin d’au moins
d’origine étrangère. Fin 2022, on comptait
113 520 ressortissants extérieurs à l’Union
dans le pays, soit une hausse de 110 % en
cinq ans. On dénombrait aussi 54 765 ci-
toyens de l’Union, 113 000 réfugiés ukrai-
niens et environ 200 000 immigrés venus de
la Moldavie voisine. Mircea Mocanu, qui
dirige à Bucarest le bureau de l’Organisa-
tion internationale pour les migrations, dé-
pendant de l’ONU, estime que sans compter
les Moldaves il y aura à la fin de la décennie
600 000 étrangers en Roumanie. Un change-
ment d’ampleur, et étonnamment rapide. •
© The Economist - London 2023

54  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

Aristidis Vafeiadakis/Zuma/Rea
LES ÉCONOMISTES DU BIEN COMMUN
PAUL KRUGMAN,
PRIX NOBEL D’ÉCONOMIE 2008
Les pères la rigueur doivent arrêter
de faire la morale aux travailleurs
A
utrefois, certains manuels
d’économie définissaient
leur sujet comme « la
science de la rareté ».
Grossière erreur : un des
aspects les plus utiles de la science
économique consiste à enseigner aux
gens qu’ils n’ont pas à se contenter de
peu – par exemple, que nous n’avons
pas à accepter les récessions comme
des réalités incontournables, que nous
pouvons et devons les combattre par
une politique expansionniste. Cela dit,
une bonne partie de la discipline
consiste effectivement à expliquer
limites et contraintes – par exemple
qu’on ne peut mettre en place un
système d’allocations sociales tel qu’au
Danemark sans instaurer des taux
d’imposition à la danoise. Mais accepter
La « spirale prix-salaires » n’est pas
responsable de l’inflation. En tout
cas, je ne l’ai pas vu aux Etats-Unis.
la nécessité de choix difficiles peut se
transformer en piège. Certains
économistes et commentateurs
semblent ainsi exulter en prescrivant
(pour les autres, bien entendu) des
traitements de choc : après la crise de
2008, l’économie américaine a beaucoup
souffert aux mains de gens très sérieux
qui, face à la persistance d’un taux élevé
de chômage, nous assénaient des leçons
de morale sur la dette. J’ai toujours été
intrigué par la façon dont Paul Volcker,
qui mit en œuvre la très douloureuse
désinflation américaine des années
1980, continue d’être considéré comme
le banquier central le plus éminent de
tous les temps. Ne devrions-nous pas
adresser les mêmes louanges à Ben
Bernanke et Mario Draghi, qui peuvent
respectivement se targuer d’avoir sauvé
le système financier mondial et l’euro ?
Leurs réussites seraient-elles sous-
estimées parce qu’elles ont évité de la
douleur au lieu d’en infliger ?
Aujourd’hui, de nombreux économistes
utilisent la croissance des salaires
comme un important indicateur de
l’inflation « sous-jacente ». Mais mieux
vaudrait ne pas en venir à pointer
– comme l’a fait Andrew Bailey, le
gouverneur de la Banque d’Angleterre –
que l’inflation est due à l’avidité des
vilains ouvriers. Quant à Huw Pill,
économiste en chef de cette même
Banque d’Angleterre, qui a expliqué que
l’inflation britannique traduit le refus des
travailleurs d’« accepter que leur
situation s’est détériorée », il aurait
mieux fait de se mordre la langue. Au-
delà de la maladresse, là où Pill voit
juste, c’est quand il
définit l’inflation
comme un jeu de
« passe à ton
voisin » : chacun
tente de prendre les
devants en
augmentant ses prix, mais au bout du
compte, parce que tout le monde fait la
même chose, les bénéfices que réalisent
ceux qui vendent plus cher leurs
produits sont annulés par les tarifs plus
élevés des choses qu’ils achètent. La
conséquence des efforts déployés par
les uns pour faire des profits aux dépens
des autres, c’est donc l’inflation, qui
porte tort à tout le monde. Ce qui est
plus douteux dans le point de vue de Pill
est qu’il attribue cette compétition à
somme nulle à une tentative d’éviter le
déclin inéluctable des revenus réels,
causé en grande partie par la hausse des
prix de l’énergie. En dépit du fait qu’il a
pris soin d’inclure dans son intervention,
outre les revendications salariales, les
hausses de prix opérées par les
entreprises, il agite encore une fois le
très classique argument de la « spirale
prix-salaires ». Selon cette théorie, les
travailleurs, constatant une hausse du
coût de la vie causée, disons, par
l’explosion des prix de l’énergie,
revendiquent des hausses de salaires
pour compenser – mais les entreprises
relèvent alors leurs prix pour répercuter
la hausse du coût du travail, et le cycle
repart. Or, le Fonds monétaire
international a étudié les données de
différents pays et n’a décelé aucun signe
de spirales prix-salaires. Et je n’en ai pas
vu aux Etats-Unis. La hausse des salaires
a effectivement accéléré, mais elle
semble surtout due à la pénurie de main-
d’œuvre. Aux Etats-Unis, nous avons
plutôt assisté à ce que Lael Brainard, ex-
numéro deux de la Fed devenue
économiste en chef de l’administration
Biden, appelle une « spirale prix-prix »,
dans laquelle certaines entreprises
majorent leurs prix au-delà de la hausse
de leurs coûts. Elles estiment qu’elles
peuvent procéder discrètement à des
hausses exceptionnelles parce que les
clients ne les remarqueront pas dans une
période où tous les prix augmentent.
Suite à l’invasion russe de l’Ukraine,
le Royaume-Uni, qui dépend beaucoup
des importations de gaz naturel, a certes
encaissé un choc sur les revenus réels
beaucoup plus important que les Etats-
Unis, qui, eux, exportent le gaz. Aussi la
situation y est peut-être différente. Mais,
à mon avis, le tableau d’ensemble est
similaire : l’inflation y traduit une
combinaison de différentes disruptions
et une économie en surchauffe plutôt
que le refus obstiné des ouvriers de faire
face à la réalité. Cela ne signifie pas que
guérir de l’inflation se fera sans douleur.
Mais que les économistes doivent éviter
ne serait-ce que de suggérer que
les travailleurs sont responsables
du problème.•
© The New York Times 2023
11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786  55
Monde

1945 Le Pacte du Quincy 1978 Accords de Camp David

Scellé sur un croiseur américain entre le roi Ibn Saoud et le Négociés par Anouar el-Sadate et Menahem Begin sous
président Franklin D. Roosevelt, il garantit la sécurité du royaume la médiation du président américain Jimmy Carter, ils
saoudien en échange de la fourniture d’hydrocarbures. débouchent sur le premier traité de paix israélo-égyptien.

MOYEN-ORIENT

LA NOUVELLE
DONNE
Jamais la région n’a paru aussi morcelée et chaotique, alors qu’elle
reste un enjeu majeur pour ses ressources énergétiques et ses pouvoirs de
nuisance. Tourné vers l’Asie et l’Europe, Washington n’en fait plus une
priorité. Laissant la place à la Chine, qui multiplie les alliances locales.
56  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
 chez Gallimard en 2018 et 2021
(Sortir du chaos et Le Prophète et
2022 Sommet sino-saoudien la Pandémie) décryptent ces nou-
Accueilli en décembre à Riyad par le prince héritier Mohammed velles réalités sur fond de retrait
Ben Salmane, le président Xi Jinping a rencontré les représentants
croissant des Etats-Unis toujours
de tous les pays qui comptent dans le monde arabo-musulman.
plus tournés vers l’Asie. Mais aussi
vers l’Europe depuis l’agression
russe en Ukraine.
Les printemps arabes avaient oppo-
sé pendant toute une décennie l’Ara-
bie saoudite et les Emirats arabes
unis, soutiens des régimes en place,
à la Turquie et au Qatar. La rivalité
s’était transformée en un conflit
ouvert par « proxy » interposés,
notamment en Libye, en Syrie ou au
Yémen. Depuis, les relations entre
Ankara, Riyad et Abu Dhabi se nor-
malisent. « Il s’agit de partenariats
permettant d’atteindre des objectifs
économiques et politiques distincts
de court terme sans s’engager dans

Usis-dite/Leemage - Consolidated News Pictures/AFP - Yao Dawey Xinhua via AFP

des alliances de long terme », ré-
sume la chercheuse Jana Jabour
dans une étude pour l’Ifri. Il pourrait
bientôt en être de même dans l’autre
grand affrontement régional qui de-
puis des années oppose les monar-
chies sunnites du Golfe à l’Iran et
ses protégés chiites de Syrie, d’Irak,
du Liban ou du Yémen.

Accord irano-saoudien
Jamais depuis des siècles, le Moyen-
Orient n’a été aussi morcelé, aussi
libre… et aussi chaotique. Long-
temps soumise aux Ottomans, la
région fut redécoupée après la Pre-

B
ayraktar, « le
porte-drapeau »
en turc, résume
parfaitement les
objectifs de ses
concepteurs. Fa-
briqué par l’en-
treprise Baykar
Makina, dirigée par le gendre du
président Recep Tayyip Erdogan, il
est devenu en quelques années un
vecteur d’influence majeur d’Anka-
ra aussi bien au Moyen-Orient que
dans le Caucase, en Ukraine ou en
Afrique. « Grande stratégie et petit
drone », souligne le chercheur Léo
Péria-Peigné dans une note pour
l’Institut français des recherches
internationales (Ifri).
Avec ses succès sur le terrain
comme à l’exportation, ce petit en-
gin est un symbole la politique
étrangère décomplexée d’une puis-
sance régionale émergente qui joue
ses propres cartes tout en restant le
pilier du flanc sud-est de l’Otan et
candidate à l’Union européenne. S’il
livre des armes à l’Ukraine le pré-
sident turc – menacé par une alter-
nance crédible (lire page 60) – n’en
conserve pas moins ses liens avec
Vladimir Poutine et pousse ses
pions dans un Moyen-Orient en
pleine recomposition.
« Recep Tayyip Erdogan fut incon-
testablement le précurseur de ces re-
lations d’opportunité contractuelles
en multipliant les partenaires y
compris de camps opposés, mais
ce “en même temps” ne fonctionne
pas sur le long terme car il détruit
la confiance », analyse Gilles Kepel,
spécialiste du monde arabo-musul-
man, dont les deux ouvrages publiés
mière Guerre mondiale par les Fran-
çais et les Britanniques. Après 1945,
les Etats-Unis prennent le relais avec
l’accord scellé le 14 février 1945 sur
le croiseur américain USS Quincy
entre le roi Ibn Saoud, fondateur de
la dynastie, et le président Franklin
D. Roosevelt de retour de Yalta. En
échange de la garantie des fourni-
tures d’hydrocarbures, Washington
Par s’engage à assurer la sécurité du
Marc Semo royaume saoudien.
L’alliance a tenu. Même après le
soutien américain, au début réti-
cent, à Israël. Même face à la mon-
tée du panarabisme et l’entrée en
lice de l’URSS dans la région, avant
qu’elle n’y soit marginalisée par le
retournement du président égyptien
Anouar al-Sadate qui signa la paix
avec l’Etat hébreu. Revigorée après
la révolution iranienne de 1979, l’al-
liance entre Riyad et Washington
s’est ensuite effritée, notam- 

11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786  57

 Monde spécial Moyen-Orient
RUSSIE

O U Z B É K I S TA N
GÉORGIE Israël alors que les capitaux chinois
ARMÉNIE AZERBAÏDJAN affluent dans la tech comme dans
15,5 les infrastructures portuaires au
Une poudrière
GRÈCE T U R Q U I E T U R K M É N I S TA N
Mer
Caspienne point d’inquiéter l’administration Turquie
sur-armée américaine.
Le fait qu’un accord irano-saou- Syrie
Principale puissance SYRIE
militaire de la région 1,9 2,5 IRAK I R A N 24,6 dien a été scellé le 10 mars
Irak
Mer LIBAN
– du moins en termes Méditerranée
ISRAËL
dernier
A F G H A NàI S TPékin
AN marque un
de budget affiché –, 4,7 KOWEÏT
véritable tournant, bien Iran
l’Arabie saoudite joue PA L E S T I N E
au-delà d’une incertaine
les arbitres. Près de JORDANIE 9 E M I R AT S Liban
ARABES UNIS
dix ans après avoir
24,3 paix au Yémen où les
2,2 deux frères ennemis Palestine
du
déclenché la guerre B A H R E Ï N 1,3
au Yémen, Riyad Golfe s’affrontent depuis Jordanie
22,7
s’est rapproché de EGYPTE PA K I S TA N huit ans par factions
Téhéran pour y interposées. « L’Ara- Israel
trouver une issue. 5,2 Mer
ARABIE
SAOUDITE
Golfe
Rouge Q ATA R d’Oman bie saoudite comme Egypte
les
Tout en sortant OMAN monarchies du Golfe ne
le Syrien Bachar 55,5 Arabie Saoudite
el-Assad de son 11,6 veulent plus dépendre
5,8
isolement. Dépenses militaires des fluctuations de laKoweit
poli-
(en milliards de dollars) tique américaine », résume
YÉMEN
Zones de conflit
Mer d’Arabie Bahrein
ERYTHRÉE
1,7 Clément Therme, enseignant
SOUDAN
à Sciences-Po et spécialiste Qatar
RUSSIE E T H I O P I E
100 km en histoire internationale, qui
EAU
O U Z B É K I S TA N
souligne que la Chine a les moyens
GÉORGIE de se faire entendre de Téhéran. Oman
ARMÉNIE AZERBAÏDJAN A noter que le dernier grandYemen pic
T U R K M É N I S TA N
E TURQUIE
Mer de tension entre l’Iran et l’Arabie
Caspienne
saoudite remonte à 2019 avec Echelle
une 1
Pétrole (en Gaz (en %
4
6,4 Zone clé pour les salve de missiles % de laqui a détruit de la une
partie des installations
production de la compa-
production
SYRIE
IRAN hydrocarbures gnie saoudienne mondiale) Aramcomondiale)
mettant à
Même si la région a
A F G H A N I S TA N

Mer LIBAN IRAK

Méditerranée KOWEÏT l’arrêt
Irak quelque 5
4,6 % de la production
0,2
ISRAËL 4,6 0,2 une moindre
importance
mondiale. Washington n’avait qu’à
Q ATA R
stratégique pour les
Iran
peine réagi. 4 6,4
PA L E S T I N E
3 4,4
JORDANIE 0,4 1,9 Etats-Unis, le Moyen- Egypte 0,7
Orient continue de « Nationalisme arabe illibéral »
0,2 concentrer 31,6 %Arabie Saoudite
PA K I S TA N 12,2
Le spectaculaire 2,9 de
séjour
0,7 BAHREÏN
E M I R AT S
de la production Xi Jinping en Arabie saoudite
0,4 en
ARABES
EGYPTE ARABIE
UNIS
4,1 mondiale de pétrole, Koweit 3
SAOUDITE et surtout 48,3 %
décembre 2022 au cours duquel des
1,4 Bahrein 0 été organisés
0,2 – un
12,2 des réserves. « sommets » ont
2,9 L’avenir du gaz se bilatéral, un autre
Qatar 1,9 avec les 4,4chefs
OMAN
joue en Iran et au d’Etat des pays du Conseil de coo-
Part de la production Mer
1,1 1 Qatar, qui contrôlent à EAU 4,1
pération du Golfe, 1,4
un troisième
mondiale (en %) Rouge eux deux plus de 30 % avec plus d’une1,1
quarantaine de
YÉMEN Oman 1 pays
Gaz Mer d’Arabie des réserves.
ERYTHRÉE de l’Organisation de coopération
Pétrole islamique – montre la volonté du
SOUDAN
ETHIOPIE 100 km
prince héritier Mohammed Ben Sal-
SOURCES : BP, BANQUE MONDIALE, CHALLENGES. mane de jouer dans la cour des
grands. « Il veut faire de l’Arabie
Iran Liban Palestine Jordanie Israel EgypteArabie Saoudit
saoudite la principale puissance
 ment avec les conséquences Kepel. Les ressources énergétiques arabe. Il délaisse le wahhabito-isla-
de la guerre d’Irak, les printemps de la zone restent en outre très im- misme et mise sur un nationa-
arabes et la guerre civile syrienne. portantes (voir carte ci-dessus). lisme arabe illibéral sans barbe ni
« Il n’y a plus aujourd’hui de D’où l’intérêt croissant de la Chine prière qui parle à la jeunesse »,
grandedepuissance
Production gaz dominante qui qui commerce avec toutes les par- analyse Gilles Kepel soulignant que
serait de
Production à même
pétrole de réguler les rela- ties et a les moyens de se faire en- « la nouvelle donne régionale lui est
(en %tions entre lesmondiale)
de la production pays de la région et 15,5
tendre. Par l’Iran, dont elle soutient favorable avec une Turquie diplo-
de structurer un certain ordre alors à bout de bras une économie as- matiquement affaiblie, un Iran
que le Moyen-Orient reste un enjeu phyxiée par les sanctions internatio- toujours plus vassalisé par la
majeur, notamment par ses pou- nales. Par l’Arabie saoudite, dont Chine et une Russie recentrée sur
voirs de nuisance dont le terro- elle est aujourd’hui le premier parte- la guerre d’Ukraine. » Dans cette
risme djihadiste », décrypte Gilles naire commercial. Mais aussi par logique, la Ligue arabe, à commen-
Iran Liban Palestine Jordanie Israel EgypteArabie Saoudit
58  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
cer par Riyad, renoue avec la Syrie,
lui promettant les investissements
de reconstruction que ne peuvent
lui fournir ni Moscou ni Téhéran.
Cette nouvelle donne régionale in- PATRICK ARTUS
flige un sérieux coup aux Accords Conseiller économique de Natixis
d’Abraham signés en août 2020
entre Israël, les Emirats arabes unis
suivis par le Soudan et le Maroc. Ce
mouvement parrainé par l’adminis-
Le pétrole cher pour financer
tration Trump pour faire face au
danger iranien n’aurait pas été pos- la reconversion économique
sible sans le soutien de Riyad, dont
Washington espère toujours une si- L’Opep réduit sa production pour garder un prix du brut
gnature désormais improbable. élevé. L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis comptent
en profiter pour investir dans d’autres secteurs.
Arme atomique en vue

I
L’alliance des pétrodollars et de la
l semble qu’il va falloir s’habituer  Production de pétrole
start-up nation, qui fête ses 75 ans, se (en millions de barils par jour)
à payer le pétrole au prix fort.
maintient avec les Emirats. La dyna- 45
En effet, le 2 avril, sous l’égide
mique est néanmoins cassée, d’au-
de l’Arabie saoudite, les Opep
tant que la question palestinienne 35
principaux pays de l’Organisation
revient sur le devant de la scène
des pays exportateurs de pétrole
avec la montée des affrontements en
et ses alliés, au premier rang la Russie 25
Cisjordanie attisés par les provoca-
(Opep+, 23 membres au total), qui
tions d’un gouvernement Netanya-
contrôlent ensemble plus de 30 % de 15
hou qui est le plus à droite de l’his- Russie
la production mondiale, ont annoncé
toire d’Israël. « Les trois principaux
qu’ils allaient baisser leur production 5 SOURCES : OIL MARKET INTELLIGENCE, NATIXIS.
piliers de la sécurité du pays – le
de plus de 1 million de barils par jour. 2010 2015 2020 2023
soutien de Washington, la légiti-
Un tour de vis qui s’ajoute à la baisse,
mité démocratique et ses capacités
déjà décidée en octobre dernier, importateurs comme l’Union
de défense – sont pour la première
de 2 millions de barils par jour. Au européenne, qui va devoir
fois simultanément ébranlés »,
total, ces restrictions correspondent s’accommoder d’une inflation
s’inquiète Bruno Tertrais, directeur
à plus de 3 % de la demande mondiale. persistante… mais est ainsi
adjoint de la Fondation pour la re-
La Russie suit cette ligne, même si ses poussée à encore accélérer dans
cherche stratégique. Or l’Etat hébreu
volumes sont hors radars depuis que, les énergies renouvelables.
a plus que jamais besoin de ces sou-
sous embargo de l’Occident, elle Pourquoi cette nouvelle discipline
tiens face à l’Iran.
a réorienté ses ventes vers la Turquie, au sein de l’Opep ? Parce que
Implacablement réprimé, le mouve-
l’Inde, la Chine, à des prix au moins ses leaders, les dignitaires d’Arabie
ment de protestation de l’automne
25 % inférieurs à ceux du marché. saoudite et des Emirats arabes unis,
dernier a montré le rejet dans l’opi-
Ce n’est pas la première fois que l’Opep veulent tirer le maximum de leur
nion de la République islamique qui
prend des décisions de restriction manne pétrolière afin de financer
s’est depuis encore durcie (lire
volontaire pour faire remonter les prix. leurs grands projets de reconversion
page 66). Selon l’Agence internatio-
Mais ce qui est nouveau, c’est que pour l’après-pétrole. Ainsi, les
nale de l’énergie atomique, Téhéran
le cartel tient, alors qu’auparavant pétrodollars du Golfe ne sont plus
pourrait rapidement disposer de la
certains pays finissaient toujours par placés dans les bons du Trésor
quantité d’uranium enrichi à 90 %
tricher et produire plus. Après un bond américain ou l’immobilier londonien,
nécessaire pour une arme atomique.
spectaculaire, le prix du baril s’est ils servent désormais à investir
La dynamique de l’accord de juillet
replié en raison de craintes de massivement à domicile, dans
2015 passé avec les « 5+1 » (les
récession mondiale. Mais l’Opep la transition énergétique et la
membres permanents du Conseil de
entend défendre un cours de 80 dollars, diversification de l’économie.
sécurité plus l’Allemagne) a été
quitte à restreindre encore l’offre, face Avec des conséquences sur
stoppée nette par Donald Trump et
à une demande mondiale au ralenti l’équilibre financier international :
un nouvel accord, même a minima,
dans un contexte de croissance les Etats-Unis vont avoir plus de mal
s’annonce difficile. Là encore, la clé
faible des deux côtés de l’Atlantique. à financer leur déficit extérieur,
est du côté des Chinois, sur lesquels
Dans cette nouvelle configuration, alors que les grands exportateurs
le régime des mollahs s’appuie tou-
les Etats-Unis, exportateurs nets de de biens d’équipement industriels,
jours plus. Mais Pékin est bien
pétrole et de gaz grâce à l’exploitation la Chine, la Corée du Sud, l’Allemagne,
conscient que la fabrication de la
du schiste, ressortent gagnants, tirent parti des nouvelles ambitions
bombe iranienne entraînerait une
contrairement aux grands des monarchies pétrolières.•
crise majeure qu’il ne souhaite pas.
Du moins pour le moment. • 

11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786  59

Monde spécial Moyen-Orient

La Turquie au pied du mur

démocratique
Donné perdant dans les sondages face au candidat de l’opposition,
Recep Tayyip Erdogan va tenter de remporter une troisième élection
présidentielle de suite dans un pays en pleine crise économique.

Arnaud Andrieu/Sipa

E
n ce jeudi nuageux d’avril,
le long du grand boule-
vard Senay Aybuke Yalcin
d’Ankara, du nom d’une
jeune professeure assassinée par le
Parti des travailleurs du Kurdistan
(PKK) en 2017, le défilé des QG des
principaux mouvements politiques
du pays pourrait dessiner les rap-
ports de force de l’élection présiden-
tielle du 14 mai. D’abord, celui du
Parti de la justice et du développe-
ment (AKP) fondé par le président Affiche 74 ans, est donné vainqueur dans
Recep Tayyip Erdogan, 69 ans, aux pour Kemal les sondages, la plupart des experts
manettes depuis 2003. Une forte- Kiliçdaroglu, s’accordent à dire que sortir Erdo-
à Canakkale, à
resse grise de dix étages qui semble l’ouest du pays,
gan de son fastueux « palais blanc »
inexpugnable. A un peu plus d’un le 11 avril. d’Ankara, quatre fois plus grand que
kilomètre à l’ouest se dresse le siège Le « Gandhi turc » Versailles, serait une sensation. Ce-
un peu suranné, couleur brique et a réussi lui que l’on surnomme le « Gandhi
gris, du Parti républicain du peuple à rassembler turc » a réussi le tour de force de
(CHP), créé en 1923 par Mustafa l’opposition dans rassembler l’opposition dans le but
le but de rétablir
Kemal Atatürk, père fondateur de un régime
de rétablir un régime parlementaire.
la Turquie moderne. Si le candi- parlementaire. Il chapeaute une coalition disparate
dat du CHP, Kemal Kiliçdaroglu, baptisée l’Alliance de la nation qui

60  CHALLENGES N°786 - 11 mai 2023

regroupe six partis nationalistes,
sociaux-démocrates et islamistes.
A un jet de pierre du quartier général
du CHP, le siège du parti Deva est en
ébullition. Lancé en 2020 par l’an-
cien ministre de l’Economie d’Erdo-
gan, Ali Babacan, chouchou des
marchés financiers et artisan du
spectaculaire boom économique
turc dans les années 2000, il jouera
un rôle clé si l’opposition l’emporte.
« Nous sommes clairement favoris
et peut-être allons-nous gagner dès
le premier tour, s’enthousiasme
l’économiste Ibrahim Canakci, an-
cien sous-secrétaire au Trésor et l’un
des cadres de Deva. Les sondages
nous sont favorables mais il y a
surtout des éléments structurels,
comme l’inflation (lire ci-contre), la
crise économique, qui sont des bou-
lets pour Erdogan. Et puis n’ou-
blions pas que lors des élections
municipales de 2019, l’AKP a per-
du toutes les grandes villes. » Anka-
ra et Istanbul étaient en effet tom-
bées dans l’escarcelle du CHP.
Considéré comme le rival le plus
dangereux mais empêché de
concourir à la présidentielle à cause
d’une improbable affaire judiciaire
– une condamnation pour « in-
sulte », le charismatique maire d’Is-
tanbul, Ekrem Imamoglu, s’est rangé
derrière le « Gandhi turc ». En cas de
succès, il devrait, comme Ali Baba-
can, être nommé vice-président.
« Libertés abolies »
En vieux routier de la politique
turque, Kemal Kiliçdaroglu, à la
tête depuis 2010 du CHP, parti laïc,
s’est aussi attelé à effriter le socle
électoral, conservateur et pro-Is-
lam, d’Erdogan. « En s’alliant avec
le très islamiste Parti de la félicité,
autrefois lié à l’AKP, et au Parti
du futur, également islamiste et
créé par l’ancien Premier ministre
d’Erdogan, Ahmet Davutoglu,
Kiliçdaroglu a cornerisé le chef
de l’Etat », observe un journaliste
turc, ancien éditorialiste du quoti-
dien kémaliste Cumhuriyet, favo-
rable au CHP. Alors qu’Erdogan a
lui pour alliés plusieurs partis d’ex-
trême droite, dont les Loups gris du
MHP (Parti d’action nationaliste),
l’Alliance de la nation comprend
aussi une aile très droitière avec
la présence du Bon Parti. Ce mou-
vement nationaliste, l’un des poids
Une économie aux abois
D
u jamais-vu depuis Taux de base monétaire (en %)
vingt ans. Après avoir
atteint un niveau 25
record de 85,5 % sur un an
en octobre, l’inflation a décru
en Turquie mais reste 20
scotchée au-dessus
des 50 % selon les chiffres 15
officiels. Ces derniers
seraient très en deçà de la
réalité selon les économistes 10
indépendants du groupe
Enag qui évaluent la hausse
des prix à près de 120 % sur 5
un an. Il faut dire qu’après
la flambée des cours
énergétiques et alimentaires, 0 0
le pays a été frappé de plein 17 18 19 20 21 22
fouet par le séisme du SOURCE : CBRT.
6 février. Selon les Nations
unies, le montant des dégâts d’Erdogan ne cesse d’être
s’élève à plus de décriée par les experts.
100 milliards de dollars, Le président-candidat n’en a
soit 11 % du produit intérieur cure et continue de faire
brut (PIB) de la Turquie. baisser le taux directeur de
Alors que la question du la Banque centrale (CBRT)
pouvoir d’achat arrive en tête pensant enrayer l’inflation.
des priorités des Turcs, Sans succès. Il a aussi,
la politique monétaire depuis 2019, congédié
lourds de la coalition anti-Erdogan,
séduit un électoral populaire mis à
mal par la crise économique. « Tous
les indicateurs sont dans le rouge
et c’est encore pire depuis le trem-
blement de terre du 6 février [plus
de 50 000 personnes décédées], ap-
puie Bilge Yilmaz, responsable de la
politique économique du Bon Parti
et professeur de finance à l’uni-
versité de Pennsylvanie. Les plus
pauvres sont dans une situation
catastrophique mais cela concerne
aussi la classe moyenne qui peine
à subvenir à ses besoins essentiels,
TURQUIE comme se nourrir. Et puis beau-
90,5 coup de jeunes quittent la Tur-
quie. » C’est le cas dans le domaine
de la santé. Selon l’Association des
médecins turcs, plus de 1 500 jeunes
diplômés de médecine ont quitté le
pays l’an passé, contre environ 250
il y a six ans.
Comment celui qui a raflé tous les
scrutins majeurs (législatives de
2003, 2007, 2011, 2015 et 2018 et pré-
10,6 sidentielles de 2014 et 2018) depuis
son accession au pouvoir, peut-il se
PIB PIB par retrouver à ce point au pied du
(en dizaines habitant mur ? « La population turque est de
de milliards (en milliers
de dollars) de dollars plus en plus sensible à la concentra-
SOURCE : FMI, 2022. par an) tion très forte du pouvoir entre les
11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786 
Inflation (glissement annuel, en %)
80
70
60
50
40
30
20
10
23 17 18 19 20 21 22 23(p)
SOURCE : FMI.
quatre gouverneurs de la
CBRT qui n’approuvaient pas
sa stratégie. « Notre priorité,
si nous gagnons, sera de
rendre ses lettres de noblesse
à cette institution clé », fait
valoir l’économiste Ibrahim
Canakci, qui soutient la
coalition d’opposition. •
mains d’un homme et d’un parti,
répond Ersin Kalaycioglu, cher-
cheur à l’Istanbul Policy Center et
professeur émérite de l’université
Sabanci. Depuis l’élection au suf-
frage universel direct, en 2014, de
Recep Tayyip Erdogan comme pré-
sident, le régime est passé de parle-
mentaire à présidentiel. La tenta-
tive de coup d’Etat contre le pouvoir
en 2016 a aussi entraîné l’abolition
de nombreuses libertés. »
Un vote kurde décisif
Un avis partagé par un ancien cher-
cheur de l’université de Galatasaray
qui préfère garder l’anonymat. « Au-
jourd’hui, Erdogan et l’AKP
contrôlent tous les leviers du pou-
voir : les principaux médias sont
pro-régime et se livrent à une dé-
sinformation grossière, la main-
mise du clan Erdogan sur l’écono-
mie est totale et c’est pareil au
niveau judiciaire avec des arresta-
tions arbitraires relevant du fait
du prince. » Dernier épisode en
date, une opération XXL menée par
la police dans 21 provinces du pays
fin avril et qui a débouché sur l’ar-
restation de 110 personnes liées,
selon les autorités, au PKK. 
61
 Monde spécial Moyen-Orient
Murat Cetin/Aanadolu Agency via AFP
Recep Tayyip Erdogan, devant ses partisans, à Ankara, le 11 avril. Malgré une situation difficile,
le président turc a encore des atouts, notamment dans les campagnes et chez les conservateurs.
 Plusieurs associations de dé-
fense des libertés ont dénoncé une
« tentative d’intimidation » ciblant
de nombreux avocats, journalistes
et citoyens kurdes. Cette manœuvre
met en lumière le caractère décisif
du vote kurde lors de la présiden-
tielle. Lors de la précédente, le prin-
cipal parti pro-kurde de Turquie (le
HDP) avait terminé troisième avec
8,4 % des suffrages exprimés. Tradi-
tionnel faiseur de roi, le HDP a ap-
pelé à voter le 14 mai pour Kemal
Kiliçdaroglu.
Le BTP sur la sellette
Malgré ce tableau assez sombre,
Recep Tayyip Erdogan possède
quelques atouts dans son jeu.
« L’AKP reste populaire dans les
campagnes, chez les conservateurs
et dans beaucoup de milieux d’af-
faires, notamment dans le secteur
de la construction, fait valoir Ersin
Kalaycioglu. Le pouvoir a un socle
minimum de 30 % de la population
qui lui est acquise. Cette part-là,
malgré l’inflation, voit aussi que
la croissance est là [après 11 % en
2021, soit la meilleure performance
du G20, le PIB turc a progressé de
5,6 % en 2022]. Ces gens n’oublient
pas non plus qu’Erdogan a été
l’homme du développement éco-
nomique de la Turquie dans les
62  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
années 2000. » Arrivé peu après la
grande crise financière et bancaire
qui a fait tanguer le pays au début
du siècle, Recep Tayyip Erdogan
a multiplié les réformes, notam-
ALTERNANCE ment dans le but d’intégrer l’Union
ELECTORALE européenne, et fait décoller la Tur-
Intentions de vote quie. Symbole de cette puissance,
au second tour (en %)
Kemal le succès à l’export de plusieurs
55 Kiliçdaroglu groupes de BTP comme Summa ou
54,5 Limak qui ont contribué à ce que les
échanges commerciaux entre Anka-
ra et l’Afrique passent de 3 à 26 mil-
Recep liards de dollars entre 2003 et 2021.
50 Tayyip Basée au nord d’Istanbul, près de la
Erdogan rivière Kagithane, la société Kar-
powership (10 000 employés) il-
lustre bien ce fulgurant développe-
45 45,5 ment. Son siège à l’ambiance
Janvier Avril tropicale, où sont exposées une de-
2023 2023 mi-douzaine de Rolls-Royce, affiche
SOURCES : COMPILATION
SONDAGES, CHALLENGES. une réussite certaine. Et pour cause,
Le candidat du cette entreprise fournit aujourd’hui
Parti républicain 100 % de l’électricité en Guinée-Bis-
du peuple (CHP), sau, 80 % en Sierra Leone ou 15 % au
fondé en 1923
par Mustafa Sénégal via ses navires-centrales ou
Kemal Atatürk, ses plateformes flottantes alimentés
est donné au fuel ou au gaz et installés le long
vainqueur à des côtes. Disposant de quatre na-
la présidentielle vires à sa création en 2007, elle en
du 14 mai. possède aujourd’hui 36 et réalise au
moins 10 % de croissance tous les
ans. « Les affaires vont bien, sourit
Zeynep Harezi, la directrice com-
merciale de Karpowership. Nous
sommes leaders de notre secteur et
incarnons, c’est vrai, cette réussite
des entreprises turques à l’étran-
ger. » Si peu d’entrepreneurs ren-
contrés se hasardent à s’exprimer
sur la présidentielle, l’un d’eux
glisse ce commentaire. « D’un côté,
on doit beaucoup à Erdogan qui a
œuvré à ce miracle économique ; de
l’autre, on peut lui reprocher son
bilan en matière de transparence
ou de lutte contre la corruption :
remporter un marché à la régulière
dans le BTP est impossible. »
L’impartialité en question
C’est aussi cette ambivalence que
devront trancher les électeurs. Avec
une question qui taraude tous les
observateurs : le président turc sau-
ra-t-il reconnaître sa défaite si celle-
ci survient le 14 mai ou lors du se-
cond tour, le 28 mai ? « Il y a une
vraie incertitude, répond le cher-
cheur Bahadir Kaleagasi, président
de l’Institut du Bosphore, un think
tank qui promeut la coopération
entre Paris et Ankara. Nous avons
vu au Brésil et aux Etats-Unis que
les transitions politiques peuvent
se révéler très compliquées. La
question de l’impartialité de la
commission électorale se pose éga-
lement. Mais l’opposition est très
mobilisée sur ce point et sait que
compter les voix est tout aussi im-
portant que d’aller voter. » Celle-ci
semblait en tout cas galvanisée ces
derniers jours. Malgré son déficit de
charisme, Kemal Kiliçdaroglu a
mené une campagne sans fausse
note, allant même jusqu’à assumer
publiquement sa foi alévi, une
branche minoritaire de l’islam.
A l’inverse, l’homme fort d’Ankara
fait profil bas dans le sprint final, en
proie à un virus qui l’a contraint à
stopper momentanément sa cam-
pagne. Peut-il faire mentir les inten-
tions de vote ? « Les sondages en
Turquie ont souvent été démentis
par les faits, relève Ersin Kalaycio-
glu. Tout l’enjeu sera de voir si les
Turcs votent en pensant à leur por-
tefeuille, ce qui ne serait pas bon
pour Erdogan. » Si un tel scénario
se produit, le président sortant
pourra toujours se rabattre sur les
législatives, qui ont également lieu
le 14 mai, et s’annoncent tout aussi
serrées. Antoine Izambard
(envoyé spécial en Turquie) 
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Monde spécial Moyen-Orient

Riyad branche l’or noir

d’Aramco sur l’Orient
Au cœur du plan Vision 2030, le fleuron économique de l’Arabie
saoudite se diversifie. Pour mieux maîtriser toute la chaîne de valeur
dans les hydrocarbures. Et se rapprocher des débouchés chinois.

D
epuis la guerre en
Ukraine, c’est un défilé.
Les uns après les autres,
les dirigeants des grandes
économies font le déplacement
en Arabie saoudite. Le Turc Recep
Tayyip Erdogan en avril 2022, l’Amé-
ricain Joe Biden à l’été, l’Allemand
Olaf Scholz en septembre, le Chinois
Xi Jinping en décembre… L’or noir
se trouve de nouveau au cœur de
l’économie mondiale. L’homme fort
du royaume wahhabite, le prince
héritier Mohammed Ben Salmane
(« MBS »), compte exploiter à
plein ce moment historique. Pour y
parvenir, il dispose d’une arme for-
midable : la richissime compagnie
nationale Saudi Aramco, outil de
diversification économique autant
qu’objet de prestige.
Disputant à Apple le titre de pre-
mière capitalisation au monde,
Saudi Aramco écrase littéralement
toutes ses rivales avec ses 161 mil-
liards de dollars de bénéfices en
2022. Premier exportateur mondial,
la major taille XXL assure presque
MBS mise sur la paix au Yémen
Reine du pétrole aussi l’une des compagnies pétro-
lières les plus en pointe technologi-
 Capitalisation boursière  Aramco en chiffres
(en milliards de dollars, au 27 avril)
quement. Jusqu’à sa nationalisation
totale, en 1980, l’ex-Arabian Ameri-
Aramco
can Oil Company a bénéficié de
2 110 l’expertise des ingénieurs améri-
ExxonMobil cains. Et les Saoudiens ont conservé
Réserves Production
468 prouvées en 2022 et renforcé ce niveau technique.
Chevron 259 11,5 « Structure la plus efficace et mo-
milliards millions derne du pays, Saudi Aramco est à
314 de barils de barils
la fois l’ENA et le Polytechnique lo-
Shell par jour
cal. Les meilleurs experts sont pas-
205 sés par là », souligne Bertrand Be-
TotalEnergies La major sancenot, ambassadeur de France à
saoudienne $ Riyad de 2007 à 2016. A côté d’un
156 assure près d’un
quart des approvi- Bénéfi ce en 2022 personnel multinational, la compa-
BP 161 milliards de dollars
sionnements gnie emploie une forte proportion
116 de la planète. SOURCES : GOOGLE, CHALLENGES, SOCIÉTÉ. de Saoudiens, formés dans les meil-
leures universités américaines mais
aussi locales. « Même si l’Etat est
un quart des approvisionnements de présent à tous les étages du conseil
la planète. Un coup d’œil dans le d’administration, il laisse la ges-
sous-sol donne la mesure du trésor tion de l’entreprise à des profes-
des Saoud. Les réserves, 260 mil- sionnels », confirme Francis Perrin,
liards de barils (17 % du total mon- chercheur à l’Institut de relations in-
dial), sont fabuleuses tant par leur ternationales et stratégiques (Iris) et
volume que par leur qualité. Assis au Policy Center for the New South.
sur ce trésor, Saudi Aramco est
PIF investit tous azimuts
Quoi de plus logique ? MBS a placé
le fleuron économique au cœur de
son gigantesque plan de modernisa-

L
a réconciliation de l’Iran
et de l’Arabie saoudite,
sous l’égide de la Chine,
laisse espérer la paix au
Yémen, ravagé par un des
conflits les plus longs et
meurtriers de la région. Les
Houthis, proches de l’Iran,
avaient pris Sanaa en 2014,
provoquant l’intervention
quelques mois plus tard
d’une coalition militaire
dirigée par l’Arabie saoudite
pour soutenir les forces
gouvernementales.
Après presque huit ans
d’une guerre ayant fait
380 000 morts selon l’ONU
et plongé le pays dans une
des pires crises humanitaires
au monde, les efforts se sont
intensifiés au cours des
dernières semaines. Une
délégation saoudienne s’est
rendue à Sanaa et les deux
camps ennemis ont procédé
à l’échange de près de
900 prisonniers. Depuis
un an, Riyad a commencé
à se désengager du Yémen.
Le réchauffement des
relations avec l’Iran accélère
le processus. « La réussite
du plan de transformation
économique de MBS passe
par la stabilité régionale »,
analyse l’ex-diplomate
François-Aïssa Touazi,
directeur général chez Ardian.
Focalisé sur l’économie,
le prince régnant a intérêt
à la paix. • investit dans la défense, les loisirs,
tion et de diversification écono-
mique baptisé Vision 2030. « Comme
tous les pays du Golfe, l’Arabie
saoudite s’appuie sur deux mo-
teurs : sa compagnie pétrolière et
son fonds souverain », souligne
l’ancien diplomate François-Aïssa
Touazi, directeur général chez Ar-
dian. Aramco alimente les caisses
du Public Investment Fund (PIF),
riche de 620 milliards de dollars, qui
le tourisme, la santé, le numérique,

64  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023


Installation pétrolière, à Abqayq, en Arabie saoudite. Aramco, cotée à Riyad, se prépare à mettre en Bourse une autre fraction de son capital.
les grands projets urbains… « A la
fois directeur général du PIF et pré-
sident d’Aramco, Yasir Al-Ru-
mayyan assure la cohérence entre
les deux structures », analyse Ber-
trand Besancenot.
Dans ce dispositif démesuré, Saudi
Aramco n’est pas qu’un simple pour-
voyeur de fonds. Ses équipes sont
aussi chargées de la diversification
énergétique, un volet essentiel du
plan Vision 2030. Tout en dévelop-
pant les renouvelables, l’Arabie
saoudite n’a aucunement l’intention
de sortir des hydrocarbures. Tout
au contraire : elle s’y renforce.
D’abord, en augmentant encore ses
capacités de production, qui vont
atteindre 13 millions de barils par
jour d’ici à 2027. Ensuite, en maîtri-
sant la chaîne de valeur complète ;
le projet étant de passer de l’extrac-
tion (l’amont) à la transformation
(l’aval). D’où la prise de contrôle, en
juin 2020, de la Sabic, leader mon-
dial de la pétrochimie. Concession à
l’air du temps, MBS a tout de même
demandé à son entreprise préférée
de faire du pays un leader mondial
de l’hydrogène.
Méga projet en Chine
Autre grand tournant, celui de la
clientèle. Avec l’autonomie énergé-
tique des Etats-Unis, les Saoudiens
regardent ailleurs. Essentiellement
vers l’Asie. Le 26 mars, un énorme
projet dans le raffinage, passé ina-
perçu en Occident, a été lancé en
Chine : Aramco JV Hapco. Une
coentreprise, dont Aramco détient
30 %, montée avec deux grands
groupes locaux, va transformer plus
de 200 000 barils par jour en pro-
duits chimiques et carburants. « En
investissant dans les raffineries,
ARABIE SAOUDITE
110,8
31,8
PIB PIB par
(en dizaines habitant
de milliards (en milliers
de dollars) de dollars
SOURCE : FMI, 2022. par an)
11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786 
Maxim Shemetov/Reuters
l’Arabie saoudite conforte sa rela-
tion avec l’Asie », décrypte Fran-
çois-Aïssa Touazi.
En 2019, la cotation en Bourse d’une
modeste partie du mastodonte (1,7 %
du capital) avait permis à quelques
grands fonds étrangers d’y investir.
Mais l’accueil a été si mitigé que, au
grand dam de MBS, la cotation n’a
pu se faire à Wall Street. « On ne
parlait alors que des renouvelables
et les investisseurs avaient des
doutes sur l’avenir de cette société,
peu transparente sur ses chiffres »,
se rappelle un analyste spécialisé.
Finalement cotée à Riyad, Aramco
préparerait la mise en Bourse d’une
autre fraction de son capital. Alors
que Xi Jinping et MBS vivent une
lune de miel, les banques chinoises,
assoiffées de pétrole saoudien, sont
attendues les bras ouverts.
Delphine Déchaux 
65
Monde spécial Moyen-Orient
Téhéran se bunkérise
Le régime, désormais allié de l’Arabie saoudite, resserre les rangs. Et a prouvé
sa capacité à étouffer la contestation, en attendant les législatives de 2024.
Le Guide suprême Ali Khamenei, lors de la « célébration des anges », à Téhéran, le 3 février. Le pouvoir
estime que la République islamique doit revenir aux fondamentaux idéologiques de la révolution.
A
li Khamenei, 84 ans, apos-
trophé par un étudiant
lors d’une causerie avec
des jeunes triés sur le vo-
let. La vidéo, qui montre un Guide
suprême impassible face à une jeu-
nesse en colère, est devenue virale,
symbole d’un pouvoir autiste. Sourd
aux demandes de libéralisation.
Rien ne semble plus tabou en Iran,
même si la contestation a changé de
visage. Fini, les manifestations dans
les villes, place à la désobéissance
civile, souvent individuelle.
« Désormais, l’important n’est pas
le nombre de personnes dans les
rues, mais le poids des images sur
les réseaux sociaux, analyse Jona-
than Piron, spécialiste de l’Iran au
centre de recherche Etopia de
Bruxelles. L’objectif est de montrer
au pouvoir et au monde que les
motivations des protestataires
n’ont pas disparu. » A écouter un
diplomate français, « cette crise in-
66  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
terne n’est pas un épiphénomène,
elle va durer. Il y a un divorce irré-
médiable avec la population ». Pour
autant, le mouvement de révolte, né
de la mort de l’étudiante Mahsa Ami-
ni le 16 septembre 2022 à Téhéran
sous les coups de la police de mœurs
pour un voile mal ajusté, n’a jamais
réellement menacé le régime.
Le pouvoir a réprimé durement les
manifestants, en multipliant les ar-
restations et en prononçant plu-
sieurs peines de mort, sans toutefois
utiliser l’ensemble de son appareil
coercitif. Il a joué sur la peur, mais
aussi l’arme économique et sociale.
Dans la République islamique, faire
grève ou manifester coûte cher.
« Les mécanismes de sécurité so-
ciale dépendent de la bonne volonté
des autorités, qui peuvent couper
les vivres si vous franchissez les
lignes rouges, explique Jonathan
Piron. Lors des troubles au grand
bazar de Téhéran, le régime a très
vite réagi en posant des scellés sur
les commerces grévistes, menacés
ainsi de faillite. » Résultat : les ma-
nifestants n’ont pas réussi à élargir
la base protestataire.
« Aucun levier sur l’Iran »
Contesté, le régime serre les rangs.
Avec Ebrahim Raïssi, président de-
puis l’été 2021, on assiste à une ho-
mogénéisation du pouvoir à Téhé-
ran. Ultra-conservateurs, Gardiens
de la révolution et religieux par-
tagent la même vision selon laquelle
la République islamique doit être
gouvernée et protégée d’une main
de fer et par un retour aux fonda-
mentaux idéologiques de la révolu-
tion. Le pouvoir a obtenu un répit.
Mais que va-t-il en faire ? S’ouvrir un
peu ou poursuivre sa « bunkérisa-
Khamenei.ir/AFP tion » ? Déjà se profilent à l’horizon
les législatives de mars 2024. Modé-
rés et réformateurs refont surface, à
l’image de Hassan Rouhani, prédé-
cesseur d’Ebrahim Raïssi, qui mène
une forme de campagne électorale
en participant à des réunions à tra-
vers le pays. Selon Ardavan Amir-As-
lani, avocat d’affaires franco-iranien,
« la normalisation irano-saou-
dienne, qui a été reçue comme une
gifle par la jeunesse iranienne, est
perçue comme une bouffée d’oxy-
gène pour le régime. Les ennemis
arabes de l’Iran se sont résignés à
reconnaître que le pouvoir à Téhé-
ran était un élément durable du
paysage régional. »
Bref, la République islamique reste
plus que jamais incontournable au
Moyen-Orient. Son alliance straté-
IRAN gique avec la Russie dans sa guerre
35,2 en Ukraine et la poursuite de son
programme nucléaire hors de l’ac-
cord de 2015 donnent plus que ja-
mais de l’urticaire aux Occidentaux.
4
« Le problème, c’est que personne
PIB PIB par n’a de bras de levier sur l’Iran »,
(en dizaines habitant reconnaît un diplomate français.
de milliards (en milliers
de dollars) de dollars Comme un aveu d’impuissance.
SOURCE : FMI, 2022. par an) Christian Chesnot 
 ORGANISÉ PAR
01Climat
Comment être carbone Yann Leriche G
 etlink
Guillaume Poitrinal W O2
neutre en 2050 ?

02 Inégalités

Sacrifices &
L’inflation, facteur François Villeroy
de Galhau
d’inégalités Banque de France

Opportunités
03 Santé
Toulouse School of Economics Les médicaments Ariel Pakes Harvard
Jean Tirole TSE
et le bien commun
et son conseil scientifique Jean-Pierre Delord
Rida Guiha Pfizer Oncopole Toulouse
pour le Bien Commun
/ AFP

04 Alimentation
Yalcin, Virginie Haffner

Jean Tirole Le bien-être animal,

Brigitte Gothière  L214
nouvelle préoccupation ?
Photos : TSE - Mustafa

Paul Seabright Prix Nobel

Economiste, TSE d’économie 2014, Laurence Parisot Citi
président honoraire TSE

Quelle alimentation Thierry Blandinières 

Invivo
pour demain ?

Bengt Holmström
05 Mobilité
Christian Gollier Quelle vision  Carlos Tavares 
Directeur général
TSE de long terme ? Stellantis
Christian Gollier T
 SE
Ariel Pakes Jean-Luc Moudenc M
 aire de Toulouse
Economiste, Harvard

06 Relocalisation
Prix Nobel d’économie
2016, MIT

La mondialisation Marlène Dolveck

SNCF Gares et connexions
INSCRIPTION GRATUITE SUR contre les territoires ? Anabelle Viollet
CommonGoodSummit.com Frédéric Duval Amazon.fr
Banque des Territoires
Sylvain Rabuel D  omusVi

PA R T E N A I R E S O F F I C I E L S PA R T E N A I R E S PA R T E N A I R E S
MÉDIAS ASSOCIÉS
 Monde spécial Moyen-Orient
Abbas Momani/AFP
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, au côté du Premier ministre palestinien
Mohammad Shtayyeh, à Ramallah, en 2022. Officiellement, l’Europe soutient la solution à deux Etats.
Les Palestiniens ont
encore une amie
L’Union européenne entretient une relation
compliquée avec l’Autorité palestinienne, dont
elle est le premier bailleur international.
U
ne petite manche. Voilà
ce qu’a gagné l’Union eu-
ropéenne dans son com-
bat pour la création d’un
futur Etat palestinien au côté d’Is-
raël. La destruction du camp de bé-
douins Khan al-Ahmar situé en
zone C de la Cisjordanie au pied de
Maale Adumim, une des plus
grandes colonies israéliennes,
semble gelée sine die, suite à une
récente décision du Premier mi-
nistre israélien, Benyamin Netanya-
hou. Pourtant, la Cour suprême
avait donné son feu vert en 2018
pour le démantèlement de ce ha-
meau et l’a confirmé le 1er février
dernier. La veille, une délégation de
diplomates occidentaux s’était ren-
due sur place pour s’opposer à ce
projet et rappeler que le droit inter-
national interdit tout transfert d’une
population sous occupation. Sans
compter que l’Union européenne y a
construit une école. Dans la zone C,
d’autres projets de ce type directe-
68  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
ment financés par Bruxelles ont été
détruits ces dernières années.
« La zone est cruciale du point de
vue politique, remarque René Troc-
caz, consul général de France à Jé-
rusalem. C’est la question de la géo-
graphie éventuelle d’un futur Etat
palestinien qui est en jeu. » Ce ter-
ritoire représente 62 % de la Cisjor-
danie et donc un enjeu territorial
majeur entre Palestiniens et Israé-
liens. « En fait, Israël en a déjà pré-
empté près de la moitié. Par consé-
quent, la zone C qui serait
théoriquement exploitable par les
Palestiniens, ne représente en fait
que 30 % de la Cisjordanie » précise
le diplomate français.
Officiellement, l’Union soutient la
solution à deux Etats, une position
adossée à toutes les résolutions du
Conseil de sécurité des Nations
unies. Bruxelles reste, et de loin, le
principal bailleur de l’Autorité pa-
lestinienne. Le Programme d’aide
financière en faveur de la popula-
tion palestinienne octroyé au pré-
sident Mahmoud Abbas, s’est élevé
l’an dernier à 199 millions d’euros.
Et ce, alors que le robinet de l’aide
internationale s’est tari, puisqu’il ne
représente qu’1 % des recettes de
l’Autorité, contre 30 % il y a une di-
zaine d’années. Les Américains ont
ainsi stoppé tout financement à
l’administration Abbas, en raison de
son soutien aux familles des « mar-
tyrs ». En revanche, Washington
verse à nouveau de l’argent à l’Of-
fice de secours et de travaux des
Nations unies pour les réfugiés de
Palestine dans le Proche-Orient,
dont il est même le principal bail-
leur, alors que les crédits avaient été
gelés sous Trump. Bruxelles donne
aussi une obole à cet organisme
onusien (97 millions l’an dernier).
Des vœux jugés choquants
Derrière la façade de cette position
commune et cet effort financier, les
Vingt-Sept peinent à trouver un
consensus politique et diplomatique.
« L’Europe est entravée par sa di-
versité, reconnaît-on du côté du
Quai d’Orsay. Il y a des nuances
voire des différences entre les Etats
membres. » Ainsi, la Hongrie, la Ré-
publique tchèque et la Roumanie
respectent la discipline de vote au
sein de l’Union, mais ont un discours
clairement favorable à Israël. Des
sensibilités différentes s’expriment
aussi à la tête de la Commission.
D’un côté, son ministre des Affaires
étrangères, l’Espagnol Josep Borrell,
est considéré comme très sévère à
l’égard d’Israël, alors que la prési-
dente Ursula von der Leyen, est ju-
gée comme une amie de l’Etat hé-
breu. D’ailleurs, à l’occasion du
AUTORITÉ 75e anniversaire d’Israël, ce 26 avril,
PALESTINIENNE
elle a présenté des vœux si chaleu-
1,8 3,7 reux qu’ils ont choqué l’Autorité pa-
SOURCE : BANQUE MONDIALE, 2022. lestinienne pour qui les propos de
ISRAËL l’Allemande « déshumanisent et ef-
facent le peuple palestinien, blan-
52,3 54,7 chissent l’occupation illégale et le
régime d’apartheid d’Israël » et
constituent un « déni raciste de la
Nakba », un terme qui désigne
l’exode des Palestiniens en 1948.
Même si l’Europe reste le dernier
soutien de poids de l’Autorité pales-
PIB PIB par tinienne, cette dernière n’a pas hési-
(en dizaines habitant té à lui demander officiellement des
de milliards (en milliers
de dollars) de dollars excuses. Amis, mais pas trop.
SOURCE : FMI, 2022. par an) Catherine Dupeyron (à Jérusalem)
 L E A D E R S
©The Economist
A 75 ans, Israël affronte
des menaces intérieures
Au XXe siècle, le risque d’une invasion planait sur l’Etat hébreu.
Au XXIe, le danger vient des fractures internes exacerbées
par la coalition ultra-droitière autour de Netanyahou.
T
andis qu’Israël célèbre son
75e anniversaire, le pays
se trouve à la croisée des
chemins. Avant son
indépendance, ses généraux eux-mêmes
estimaient qu’il avait une chance sur
deux de survivre. Il y est parvenu au-
delà de toute attente. Mais si, au
XXe siècle, c’est le risque d’une invasion
qui menaçait sa survie, au XXIe, le danger
est que les fractures internes ne sapent
sa puissance et la souplesse dont il a
besoin pour prospérer.
Dans les années à venir, l’ingéniosité et
la résilience israéliennes vont être mises
à rude épreuve. La première est la
démographie. Israël est un pays jeune.
Sa population pourrait passer de
10 millions aujourd’hui à 20 millions en
2065. Mais les Israéliens sont de plus en
plus divisés. La coalition de Benyamin
Netanyahou dépend de partis religieux
d’extrême droite actifs dans le
mouvement des colons en pleine
expansion. Ainsi, la coalition au pouvoir
veut réduire le rôle des tribunaux,
qu’elle estime non représentatifs. Dans
le même temps, la part des ultra-
orthodoxes, un groupe dont les
membres refusent généralement de
travailler, de faire leur service militaire
ou de fréquenter les écoles publiques,
passera de 13 % aujourd’hui à 32 % en
2065. Un danger à long terme pour le
caractère démocratique du pays.
La deuxième menace est l’effacement
progressif de la question palestinienne
au niveau mondial. Après des décennies
de vaine recherche d’un règlement
politique, le monde est passé à autre
chose, et les partis de droite israéliens
n’ont qu’un but : isoler et appauvrir la
Cisjordanie. Ce territoire et la bande
de Gaza pourraient devenir à terme des
sous-Etats faillis, ce qui compromettrait
la sécurité d’Israël et son statut moral.
Dernier danger, l’émergence d’un monde
multipolaire. Le rééquilibrage des
rapports de force mondiaux offrira
de nouvelles opportunités à l’Etat juif,
comme le renforcement de ses liens
avec ses voisins arabes, mais aussi avec
la Chine et l’Inde. Israël réalise déjà plus
d’échanges avec l’Asie qu’avec les Etats-
Unis. Mais ceux-ci lui fournissent encore
66 % de ses importations d’armes, ce qui
équivaut à une garantie de sécurité
empêchant une attaque, par exemple
de la part de l’Iran. Mais la voie illibérale
dans laquelle le pays s’engage pourrait
éroder ses soutiens aux Etats-Unis :
un juif américain sur quatre estime qu’il
s’agit d’un régime
Le pays d’apartheid.
risque Un cercle vertueux
permettrait pourtant
de perdre à Israël de prospérer
le soutien à l’avenir. Il faudrait
américain pour cela une refonte
s’il ne de la politique qui
confère pas réduise le pouvoir
des extrémistes et
plus de soit assez souple
poids aux pour amortir
centristes. les tensions générées
par les évolutions
démographiques. Israël doit donc se
doter d’un équivalent de constitution
qui codifie les pouvoirs du Parlement
et des tribunaux, et encourager
un réalignement des partis afin
de donner plus de poids aux
centristes – ce qui implique le départ
du trop clivant Netanyahou. Une
politique intérieure plus modérée
ouvrirait la voie à une attitude plus
équitable et pragmatique à l’égard des
Palestiniens, et réduirait le risque d’une
rupture avec l’Amérique. Israël tient
son destin entre ses mains.•
11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786  69
 Dossier

Jean-Claude Moschetti/Réa
Rennes (Ille-et-Vilaine). Les grandes métropoles souffrent d’une pénurie de biens à louer, un problème désormais étendu à tout le territoire.

Immobilier

INVESTIR EN
TERRAIN COMPLEXE
Dans un contexte où l’offre se fait rare et les contraintes administratives,
fiscales et environnementales se durcissent, miser sur le logement nécessite des
stratégies précises. Les pistes à suivre pour garantir sérénité et rentabilité.
Dossier coordonné par Virginie Grolleau

D
es côtes bre- n’y a pas assez de logements dispo- CALENDRIER de moitié en quatre ans, constate
tonnes ou ven- nibles. La faute, selon les habitants À SURVEILLER Philippe de Ligniville, directeur
(interdictions de
déennes au du cru, aux locations touristiques mise en location
général adjoint du site d’annonces
Pays basque qui vident le parc traditionnel, et au 1er janvier) Bien’ici. Au premier trimestre
ou aux Landes, aux Parisiens avides de résidences  2023 Etiquette G
2023, on note un recul de 17 %
la grogne est secondaires, qui font augmenter les avec consommation sur un an. » En conséquence, la
générale sur la prix et les empêchent également d’énergie supérieure situation apparaît favorable aux
façade atlan- d’accéder à la propriété. à 450 kWh/m2/an. investisseurs : une offre rare et
tique : de nombreux locataires n’ar- Ces dernières années, la tension  2025 Etiquette G. une demande forte permettent de
rivent plus à se loger. Non pas parce sur le marché locatif semblait être conserver un bon niveau de loyer,
qu’ils ne pourraient pas faire face l’apanage des grandes métropoles,  2028 Etiquette F. et donc un bon rendement. Mais, en
aux loyers demandés, ou parce qu’ils elle s’est aujourd’hui étendue à  2034 Etiquette E. pratique, louer devient de plus en
ne présenteraient pas les garanties l’ensemble du territoire. « L’offre de plus complexe, avec une réglemen-
nécessaires. Mais bien parce qu’il biens à louer a baissé quasiment tation toujours plus contrai- 

70  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

Dossier immobilier
Les loyers dans 10 grandes villes
(prix médian des loyers mensuels en euros/m2, hors charges)
VILLES STUDIO
Paris 30,80
Bordeaux 19,38
Nice 18,87
Montpellier 18,45
18,15
Lille
Lyon 18,06
Nantes 16,24
Toulouse 15,70
Marseille 15,31
15,04
Strasbourg
 gnante dans l’ancien, quel
que soit le type de bail, tandis que
la remontée des taux d’intérêt et
la brutale chute de la construction
freinent les candidats dans le neuf.
Dans l’ancien, « les investisseurs
plébiscitent la location meublée,
plus attractive fiscalement », re-
marque Thomas Blin, cofondateur
de la plateforme Ouiker. De fait,
dans le cas de la location vide, les
sommes perçues sont soumises à
l’impôt sur le revenu et aux prélève-
ments sociaux (17,2 %) : un contri-
buable imposé dans la tranche mar-
ginale à 30 % reverse donc près de
la moitié de ses revenus fonciers au
fisc. Il peut cependant déduire des
loyers bruts certaines dépenses
(travaux d’entretien, intérêts d’em-
prunt, charges de copropriété, taxe
foncière) et bénéficier du régime
micro-foncier, s’il perçoit moins de
15 000 euros de loyers par an, qui
72  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
2-PIÈCES 3-PIÈCES
26,92 25,01
13,43 11,36
15,92 13,78
13,94 11,65
13,58 11,64
14,20 12,41
12,44 10,77
12,19 10,42
13,73 11,50
12,63 10,40
SOURCE : CLAMEUR (BAUX 2022).
donne droit à un abattement forfai-
taire de 30 % sur les montants en-
caissées. Dans le cas de la location
meublée (régime du loueur en meu-
blé non professionnel), la valeur du
bien est amortie progressivement et
vient donc en déduction des loyers
perçus, ce qui permet de gommer
l’imposition des revenus fonciers
sur quinze à vingt ans.
Multiplication des contrôles
Par ailleurs, les contraintes admi-
nistratives se sont multipliées : plu-
sieurs villes (dont Paris, Lille, Lyon,
Bordeaux et Montpellier) ont mis en
place un encadrement des loyers. Et
certaines communes (plus de 500
dans toute la France) ont instauré le
permis de louer, qui soumet la mise
en location à autorisation préalable
de la mairie. D’autres ont même
opté pour un permis de diviser, afin
de contrôler la transformation d’une
maison ou d’un grand appartement
en plusieurs petites habitations.
Ceux qui essaient de contourner
ces obstacles par la location touris-
tique ont vu eux aussi réglementa-
tion et contrôles se multiplier (lire
page 78). De surcroît, est venue
s’appliquer la législation sur les pas-
soires thermiques, ces biens classés
F ou G au terme du diagnostic de
performance énergétique. Pour l’ins-
tant, les plus énergivores, étiquetés
G et consommant plus de 450 kWh/
m²/an, ne peuvent plus être loués
depuis le 1er janvier, soit environ
200 000 logements en France. Et
Damarin Vincent/hemis.fr
depuis le 24 août dernier, les bail-
leurs ne peuvent plus augmenter les
loyers des biens avec une étiquette F
et G consommant plus de 330 kWh/
m²/an. Enfin, compte tenu de la flam-
bée de l’inflation, la loi sur le pouvoir
Quartier du d’achat du 16 août 2022 a plafonné la
Vieux-Lille (Nord). hausse des loyers à 3,5 % maximum,
La ville
a instauré un jusqu’au 30 juin 2023. Selon l’Obser-
encadrement vatoire Clameur, « la hausse des
des loyers afin loyers (hors charges pour les baux
de permettre signés en 2022) est restée sage, à
au plus grand 1,4 % l’an dernier », note Jean-Mi-
nombre chel Camizon, son président.
de se loger.
Freins au financement
Dans le neuf, la construction s’est
effondrée : selon la Fédération des
promoteurs immobiliers, les ventes
aux particuliers ont chuté de 20 %
au quatrième trimestre 2022 sur un
an et celles aux investisseurs, de
26 %, alors qu’est entré en vigueur
le nouveau dispositif de défiscalisa-
tion Pinel + (lire page 74). Inquiets
ou préférant attendre une baisse
des prix, certains acheteurs se ré-
tractent. « Le taux d’annulation du
secteur est passé de 20 % à 40 % »,
confie Béatrice Lièvre-Théry, direc-
trice générale de Sogeprom. Pour
d’autres, c’est le financement qui
fait défaut : « Les investisseurs
sont freinés par la hausse des taux,
une durée de prêt souvent limitée
à vingt ans, le taux d’endettement
plafonné à 35 % et la contrainte du
taux d’usure », souligne Sandrine
Allonier, porte-parole du courtier
Vousfinancer. Ceux qui disposent
d’un capital à placer se tournent
vers des opérations en démembre-
ment (lire page 82), en viager ou
en nue-propriété. Pas de rendement
immédiat, mais de belles perspec-
tives de plus-values. Virginie Grolleau 
 UNE AUTRE
EXPÉRIENCE DE LA
BANQUE PRIVÉE

A nne c y I An ti b e s I B i a r r i t z I B o r de au x I Can n e s I Gr e n o b le I L il l e
Lyo n I M a r se i l le I M o n tp e l li e r I Nan t e s I Ne u il ly I Ni ce I P a ris
R ou en I S a i n t- R a p h a ë l I S t r asb o u r g I To u lo u se I Ve r s a il l es

MILLEIS BANQUE - SA au capital de 135 300 001,66 euros - Siège social : 2 avenue Hoche - 75008 Paris - Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le n° 344 748 041.
Dossier immobilier

Choisir le bon régime Pinel

dans le neuf
Depuis le 1er janvier, ce dispositif d’incitation fiscale a évolué, et s’est doublé
d’un Pinel + favorisant les logements vertueux écologiquement ou socialement.
Notre comparatif et nos calculs pour en comprendre les avantages.

P
our investir dans le neuf
en bénéficiant d’un avan- Un 2-pièces de 46 m² au sein du programme
Les Jardins de Beauvoir (Icade) à Bondy (Seine-Saint-Denis)
tage fiscal, il existe, depuis
le 1er janvier, non pas un, Prix
mais deux dispositifs : le Pinel et le d'acquisition* 253 687 euros
Pinel +. Dans le cadre du Pinel, les Rendement 3,6 %
brut** (770 euros)
avantages fiscaux accordés selon la
Avantage
durée de mise en location ont été ré- 5 043 euros/an
du Pinel +
duits. L’opération ouvre désormais
Avantage
droit à une réduction d’impôt sur le 4 211 euros/an
du Pinel
revenu égale à 10,5 % du montant de Ecart cumulé
l’achat en cas d’engagement sur six sur neuf ans 7 488 euros
Icade Immobilier

ans, 15 % sur neuf ans et 17,5 % sur SOURCE : VALOREM.

douze ans, contre 12 %, 18 % et 21 % * Frais compris.

auparavant. Et ce n’est pas fini : les ** Loyer mensuel net
de frais de gestion.
taux seront à nouveau baissés en
2024 pour atteindre 9 %, 12 % et 14 %.
Les autres conditions (localisation Un 3-pièces de 72 m² au sein du programme
en zone A bis, A ou B1, plafonds Les Jardins d’Amytis (Cogedim) à Angers (Maine-et-Loire).
de loyer et de ressources du loca- Prix
taire, etc.) perdurent, tout comme d'acquisition* 291 360 euros
la limite globale de l’investisse- Rendement 3,5 %
ment (300 000 euros ou 5 500 euros brut** (840 euros)
le mètre carré) pour le calcul de la Avantage 5 797 euros/an
réduction d’impôt. En 2023, l’avan- du Pinel +
tage fiscal Pinel maximum atteint Avantage 4 840 euros/an
52 500 euros (17,5 % de 300 000 eu- du Pinel
Ecart cumulé
ros) sur douze ans, contre 63 000 eu-
ros précédemment, soit une réduc-
sur neuf ans 8 613  euros
SOURCE : VALOREM.
tion d’impôt de 4 375 euros par an. *
Frais compris. Cogedim
**
Loyer mensuel net
Exigences restrictives de frais de gestion.
Il est cependant possible de conti-
nuer à bénéficier d’une carotte fis- Pour ces deux les critères du Pinel + est très ré- Le promoteur Vinci Immobilier
cale plein pot grâce au Pinel +, entré biens éligibles duite, elle représente moins de 7 % propose ainsi 270 lots à la vente
en vigueur cette année. Mais seuls au Pinel +, nous du marché », estime Farid Ailam, en Pinel +, prévus notamment à
certains logements y sont éligibles : avons comparé fondateur du cabinet de gestion de Aulnay-sous-Bois, Aubervilliers,
l’avantage
ils doivent répondre à des critères fiscal à celui patrimoine Valorem. Un constat Guyancourt et Meaux, sur un total
de localisation (quartiers priori- qui aurait été partagé par Marianne Gallion, res- de 2 300 biens à vendre éligibles au
taires de la politique de la ville) ou obtenu avec du ponsable du pôle immobilier du Pinel. Tous sont situés dans des
de normes énergétiques et de qua- Pinel classique. cabinet Pierres by Cristal : « L’aug- quartiers prioritaires. « Nous sou-
lité (surface minimale par typolo- L’écart cumulé mentation des prix des matières haitons développer des programmes
gie, espaces privatifs extérieurs…). correspond au premières et la raréfaction du fon- en Pinel + en dehors des quartiers
La réduction d’impôt sur le revenu gain du Pinel + cier, couplées aux complexités liées prioritaires, mais cela nécessite
par rapport
reste alors de 12 % sur six ans, 18 % au Pinel. à ces nouvelles exigences, réduisent d’intégrer de multiples contraintes
sur neuf ans ou 21 % sur douze ans. nécessairement l’offre éligible à ce supplémentaires dans la construc-
« L’offre de logements remplissant nouveau dispositif. » tion, qui renchérissent le uuu

74  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

Dossier immobilier
Projet de rénovation
d’un immeuble
à Bordeaux. Une
opération incluant du
déficit foncier réalisée
par Angelys Group.
quartiers prioritaires seront livrés
plus tard, ce qui décale le bénéfice
de l’avantage fiscal. Nous pensons
donc qu’il est aujourd’hui préfé-
rable de choisir un bien en Pinel »,
indique Farid Ailam.
Investir dans le neuf nécessite par
ailleurs de prendre toutes ses pré-
cautions, car le contexte n’est pas
porteur. D’après la Fédération des
promoteurs immobiliers, les ventes
de logements neufs à des investis-
seurs particuliers ont baissé de 26 %
sur un an en 2022. Le marché souffre
de la difficulté de ces derniers à ob-
tenir un financement, compte tenu
de la hausse des taux des crédits
immobiliers qui ont triplé depuis
l’an dernier. Résultat : « Le taux de
désistement est passé de 37 % au

DR
premier trimestre 2022 à 41 % au
Coup double dans l’ancien avec le déficit foncier premier trimestre 2023, en majo-
rité car les clients peinent à obte-

L
e dispositif Pinel la base du prix du bien et Bordeaux, Marseille et nir un emprunt », constate Olivier
ne concerne pas que des travaux d’amélioration. Sète. Ces frais viennent
le neuf : il est aussi « D’autres travaux, portant généralement réduire Durix. De plus, « le marché étant
possible d’en bénéficier notamment sur la réparation à zéro le bénéfice foncier, ralenti, il faut être vigilant sur la
en achetant un logement des parties communes, et l’excédent est reportable faisabilité des opérations : l’acte
dans l’ancien, à condition s’imputent quant à eux sur le revenu global de vente pourra-t-il être signé en
d’investir dans un bien jugé sur les revenus fonciers de l’investisseur dans temps et en heure ? D’autres points
inhabitable en l’état et de de l’investisseur », précise la limite de 10 700 euros.
« Ce plafond a été doublé sont aussi à surveiller, comme le
le réhabiliter intégralement. Marcelina Stark, directrice
L’opération peut être générale associée par la loi de finances pour bon déroulement des travaux et des
optimisée en la couplant d’Angelys Group, qui 2023, mais nous sommes livraisons », souligne Marianne Gal-
avec un déficit foncier. propose une dizaine en attente du décret lion. Un risque balayé par les promo-
Concrètement, la réduction d’immeubles dans les d’application », indique teurs : « Nous ne mettons en vente
d’impôt est calculée sur centres-villes d’Avignon, Marcelina Stark.• les projets qu’une fois les permis
de construire obtenus et purgés de
tous recours », rappelle Olivier Cha-
uuu coût d’environ 10 % », indique Durix, directeur général des offres telin-Malherbe.
Olivier Chatelin-Malherbe, direc- et clients de Bouygues Immobilier.
teur général adjoint de l’immobilier Outre la performance énergétique, Remise de promoteurs
résidentiel à Vinci Immobilier. Ainsi, les appartements doivent répondre Pour relancer la demande, les
ces logements doivent respecter la à des critères de confort, comme promoteurs se sont lancés depuis
norme environnementale RE 2020 une surface habitable minimale de quelques mois dans des campagnes
et présenter un diagnostic de per- 28 m2 pour un studio ou de 45 m2 de communication sur leurs biens
formance énergétique (DPE) de pour un 2-pièces, un balcon (au éligibles au Pinel. Les investisseurs
classe A. « Or la définition du DPE moins 3 m2 pour un studio ou un bénéficient ainsi de remises allant de
est mouvante, ce qui crée une incer- 2-pièces), et une double orientation 1 500 euros à 3 000 euros par pièce,
titude sur la capacité d’un projet à pour les logements à partir de trois soit entre 4 500 euros et 9 000 euros
être bel et bien éligible au régime pièces. Tous ces critères cumulés pour un 3-pièces par exemple. Cer-
Pinel + à terme », ajoute-t-il. contribuent à renchérir les prix, tains promoteurs remboursent les
alors que les loyers des biens éli- frais de notaire ou offrent une cui-
Prix renchéris gibles au Pinel + restent soumis au sine aménagée. Cela revient à obte-
De son côté, Bouygues Immobi- même plafond au mètre carré que nir une remise de l’ordre de 2 ou
lier propose 250 biens éligibles au ceux éligibles au régime Pinel, ce 3 %. De quoi décider les acheteurs
Pinel +, dont 85 % répondant aux qui réduit le rendement. indécis ? Certains pourraient au
normes énergétiques et de confort. Faut-il, dans ce cas, préférer une contraire être tentés d’attendre une
« Pour chacun de nos programmes opération en Pinel + ou en Pinel ? baisse des prix plus franche. « Je ne
en cours hors quartiers priori- En guise de réponse, il faut regar- sais pas s’ils auront baissé en fin
taires, nous avons étudié l’opportu- der si l’avantage fiscal supplémen- d’année. En revanche, il est certain
nité de les basculer vers le Pinel +. taire compense l’écart de prix. Un que les taux de crédit, eux, auront
Cela a été fait pour une trentaine calcul à réaliser au cas par cas. « At- continué d’augmenter », estime
de programmes », indique Olivier tention : les biens en Pinel + hors Farid Ailam.  Agnès Lambert u

76  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

Dossier immobilier

Herrian Bizi - Se loger au pays

Mobilisation pour le logement à Bayonne, en août 2022. Au Pays basque, 24 communes freinent la location saisonnière avec la compensation.

Sécuriser son projet

de meublé touristique
Très rentable, la location saisonnière est de plus en plus encadrée par les
municipalités. L’investisseur doit se préparer à de multiples règles et démarches
selon les villes. Cinq formalités à surveiller avant de se lancer.

A
vec un rendement qui peut
être trois fois supérieur à
celui de la location clas-
sique, le meublé touris-
tique attire de plus en plus d’investis-
seurs. Et la perspective des jeux
Olympiques de Paris, l’an prochain,
fait carrément exploser les comp-
teurs : des offres sont déjà affichées
à près de 1 000 euros la nuit pour un
petit 2-pièces près du Panthéon !
Pourtant, la location saisonnière est
de plus en plus encadrée par les
municipalités, qui veulent favoriser
le logement à l’année en location tra-
ditionnelle. Résultat, règles et dé-
marches se multiplient, variant se-
lon les villes, tandis que les contrôles
se renforcent. Il est donc indispen-
sable de vérifier auprès de la mairie
concernée quelles sont les formali-
tés à connaître pour se lancer.
RÈGLEMENT DE COPROPRIÉTÉ
Avant tout, l’investisseur doit véri-
fier si le règlement de la copropriété
permet la location meublée saison-
nière : la clause d’habitation bour-
geoise exclusive l’interdit. Sinon,
suite à un vote en assemblée géné-
rale, elle est autorisée. Dans ce cas,
il faudra être très vigilant à ce que
les locataires ne provoquent pas de
troubles. Et mieux vaut être à
l’écoute des voisins : si le bruit des
roulettes de valises devient insup-
portable, le syndicat de copropriété
peut mettre une interdiction à
l’ordre du jour d’une prochaine AG.
CHANGEMENT D’USAGE
ET COMPENSATION
Dans les grandes villes comme P­ aris,
Lyon, Nice, Strasbourg, B ­ ordeaux,
Annecy ou Toulouse, il faut uuu

78  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

Dossier immobilier
 avant toute chose demander
une autorisation de changement
d’usage à la mairie, c’est-à-dire la
transformation d’un logement d’ha-
bitation en un local d’activité. Mais
attention, cet acte peut être limité
dans le temps : « A Nice, il est accor-
dé pour une personne par foyer fis-
cal pour une durée de six ans. Au-
delà, la règle de la compensation
s’applique », explique Marc Wyler,
de SwissMedImmo et président de la
Fnaim Nice.
La compensation oblige à proposer
un local commercial de même sur-
face pour le transformer en bien
d’habitation. Ceci afin de reconsti-
Mourad Allili/Sipa
tuer la perte d’un logement par la
création d’un autre, de surface au
moins équivalente à celui faisant
l’objet d’une location saisonnière, et
dans la même commune. Pour l’in-
vestisseur, cela implique d’avoir un
bien similaire à proposer en location
à l’année, dans la ville : des condi-
tions coûteuses et compliquées qui
réduisent la rentabilité de l’opéra-
tion. De plus en plus de municipali-
tés appliquent le principe de la com-
pensation, comme Paris, Bordeaux,
Lyon, Strasbourg et, récemment,
vingt-quatre communes de la com-
munauté d’agglomération du Pays
basque dont Biarritz, Saint-Jean-de-
Luz ou Bayonne.
La situation peut virer au casse-tête,
car les règles diffèrent en fonction
des villes, voire selon l’emplacement
du bien, comme à Paris. Dans les
arrondissements de la capitale
considérés en pénurie de logements,
les locaux proposés en compensa-
tion doivent représenter une surface
double de ceux faisant l’objet de la
demande de changement d’usage.
Par ailleurs, dans les communes de
plus de 200 000 habitants et dans les
Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis
et le Val-de-Marne, il faut aussi faire
une déclaration avant de demander
le changement d’usage. Pour l’inves-
tisseur souffrant de phobie adminis-
trative, il semble plus judicieux de
choisir les communes plus petites,
où une déclaration suffit. A l’issue
des démarches, un numéro d’enre-
gistrement est délivré et doit être
publié dans toute annonce. A ne pas
négliger, car les plateformes et
conciergeries ont pour consigne de
refuser les annonces sans numéro
d’enregistrement.
80  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
FRANÇOIS ASTORG, MAIRE ÉCOLOGISTE D’ANNECY.
Face à l’explosion des
locations de courte durée,
il faut reprendre le contrôle de
la situation et redonner une part
de la ville aux habitants. Dès le
1er juin, des quotas s’appliqueront
dans la commune, qui sera divisée
en trois zones, la plus restrictive
étant la vieille ville.
CLASSEMENT EN MEUBLÉ
TOURISTIQUE
Gage de qualité, le classement
d’une à cinq étoiles peut être assi-
milé à celui des hôtels. « Les loge-
ments catégorisés en meublés de
tourisme sont reconnus pour leur
confort et leur équipement par les
Français et par les étrangers », in-
dique Solène Audouard, de l’agence
Audouard Orpi Immobilier à Hosse-
gor, spécialisée dans la location
saisonnière. Côté fiscalité, aucun
doute, il vaut mieux avoir des
étoiles : les biens classés per-
mettent de bénéficier d’un abatte-
ment forfaitaire de 71 % (appliqué
jusqu’à 82 000 euros de revenus an-
nuels) contre 50 % pour ceux en lo-
cation saisonnière classique (pour
des revenus annuels inférieurs à
32 900 euros). Sans oublier l’exoné-
ration de la taxe foncière et de la
taxe d’habitation.
Autre avantage : les Chèques-
Vacances, de plus en plus utilisés
par les Français. Seuls les héberge-
ments classés peuvent s’inscrire à
l’Agence nationale pour les
Chèques-Vacances, contre une ad-
hésion annuelle d’environ 40 euros,
ce qui permet de toucher une clien-
tèle supplémentaire à moindre
coût. Pour obtenir un classement, il
faut s’adresser à un organisme ac-
crédité par le Cofrac (liste dispo-
nible dans les offices du tourisme).
Le classement est valable cinq ans
et une copie du document doit être
envoyée à la préfecture. Pour finir,
il faut déclarer le meublé de tou-
risme afin d’obtenir un numéro
Siret et ainsi bénéficier des 71 %
d’abattement.
PLATEFORME
OU CONCIERGERIE
Une fois toutes ces démarches en-
fin réalisées, encore faut-il gérer le
logement. Attention à bien faire la
différence entre les plateformes et
les conciergeries. Les premières,
comme Airbnb, Abritel ou encore
Homelidays, sont là uniquement
pour diffuser l’annonce, afin de ga-
gner en visibilité en France et à
l’international, contre une commis-
sion qui peut aller jusqu’à 20 %. Les
secondes, elles, administrent et
gèrent le séjour avec une équipe de
maintenance mobilisée 24 heures
sur 24. Certaines conciergeries s’oc-
cupent de rédiger et mettre les an-
nonces en ligne ou travaillent avec
des plateformes. Là encore, il faut
prévoir une commission de 20 %.
Dans les deux cas, il est préférable
de choisir les établissements ayant
une certaine notoriété afin de béné-
ficier de différentes assurances et
d’éviter d’éventuelles escroqueries,
mais surtout d’inclure ces frais
avant de calculer son rendement.
FISCALITÉ EN QUESTION
Le 14 février dernier, les députés
socialistes ont déposé à l’Assem-
blée nationale une proposition de
loi qui vise à « supprimer un ca-
deau fiscal qui crée une inégalité
entre location saisonnière et
longue durée ». Autrement dit, si le
texte est voté, les abattements for-
faitaires pourraient ne plus s’appli-
quer aux meublés de tourisme, mais
uniquement aux locations meu-
blées de longue durée. Affaire à
suivre… Caroline Mathat 
Dossier immobilier

Jouer l’effet levier

sur le long terme
Un achat en viager ou en nue-propriété permet de se constituer un
patrimoine à moindre coût avec une belle plus-value à la clé. Des opérations
qui nécessitent un accompagnement et une bonne dose de patience.

P
rix encore élevés de l’im- décote dépend de l’âge du vendeur
mobilier d’habitation, diffi- et donc de son espérance de vie, de
cultés d’obtention d’un cré- son sexe, du fait qu’il vive seul ou en
dit, allongement de la durée couple – plus le vendeur est âgé,
de la vie, inquiétude sur les pensions moins la décote est importante. Eta-
de retraite… Autant de raisons pour blies par les assureurs, les tables
sortir des sentiers battus de l’inves- d’espérance de vie sont mises à jour
tissement et regarder du côté du très régulièrement et tiennent
démembrement de propriété. En- compte de l’allongement de la durée
core méconnu, puisqu’il ne se réalise de vie.
qu’environ 5 000 opérations par an
de ventes en viager et en nue-pro- Paiements à calculer
priété, soit 0,5 % des transactions, le Ainsi, en achetant un bien estimé à
démembrement affiche toutefois 300 000 euros en valeur vénale, occu-
une croissance annuelle de 6 % de- pé par une femme de 74 ans dont
puis une dizaine d’années. l’espérance de vie est de dix-
sept ans, l’investisseur bénéficie
Décote avantageuse d’une décote de 50,3 %, soit une va-
« Le viager ne devrait pas faiblir, leur occupée de 149 100 euros. Ce
car les vendeurs âgés veulent à tout montant peut être réglé par un bou-
prix rester chez eux, observe Stan- quet seul, un bouquet et une rente
SP

ley Nahon, directeur général de Re- SOPHIE RICHARD, FONDATRICE DE VIAGIMMO.

née Costes Viager et Nue-Propriété.
Ils ont besoin d’argent pour entrete-
nir leur logement, effectuer des do-
nations ou simplement, par le biais
de la rente viagère, percevoir des
revenus complémentaires pour
vivre, ou mieux vivre. » Ces occu-
pants recherchent donc quelqu’un
pour acheter la nue-propriété de
leur bien – les murs –, tout en
conservant le droit d’occupation ou
de jouissance. En contrepartie de
son impossibilité de profiter du bien
et de l’absence de revenus tout au
long de cette période, l’investisseur
bénéficie d’une décote de son achat
par rapport au prix qu’il aurait payé
en pleine propriété. Mais au-delà de
ce socle commun de similitudes, les
opérations en viager et en nue-pro-
priété affichent des spécificités pour
le calcul de la décote.
Le viager repose sur l’aléa du temps
de vie du vendeur : « Dans la ver-
En vente viagère,
l’investisseur peut
se soustraire d’un crédit, car
la rente versée mensuellement
ou trimestriellement évite
tous les frais bancaires. Ça ne
change pas son train de vie,
mais lui permet de se positionner
sur un ou plusieurs biens.
sion où le logement est occupé par
le senior, l’acquéreur réalise une
forme d’investissement locatif à
l’envers, dit Sophie Richard, fonda-
trice du réseau Viagimmo. Il est pro-
priétaire du bien habité mais ne
perçoit pas de loyers pour autant. Il
bénéficie d’un loyer théorique sous
forme d’une décote d’occupation
sur la valeur vénale du bien. » Cette
mensuelle, ou une rente seule.
Toutes les combinaisons sont pos-
sibles mais le plus souvent, le bou-
quet représente 20 à 30 % du prix,
versé comptant le jour de la vente.
La rente est versée jusqu’au décès
du vendeur, d’où le caractère aléa-
toire du contrat. En cas de viager à
deux têtes, avec deux conjoints pro-
priétaires, la réversion de la rente
court jusqu’au dernier décès.
Dans notre exemple, le paiement se
décompose en un bouquet de
50 000 euros et d’une rente fixée
mensuellement à 553 euros. Si l’on
tient compte des frais d’acte nota-
rié, calculés sur la valeur occupée
se chiffrant à 13 600 euros, et sur
une rente revalorisée à 1 % par an, le
coût total de l’achat, sur dix-sept
ans, revient à 185 904 euros. Si l’oc-
cupante décède avant, par exemple
bout de huit ans, ce coût est réduit
à 125 769 euros. Si elle meurt après
vingt-deux ans, le coût s’élè- 

82  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

Dossier immobilier
 vera à 225 993 euros. Atten- n’ayant pas besoin de revenus et qui
tion aux périodes d’inflation : l’in- se projettent sur le logement de leur
dexation de la rente se faisant sur rêve mais à très long terme, des ex-
les prix à la consommation, cela patriés qui envisagent leur retour
peut l’alourdir et renchérir l’opéra- dans un futur éloigné ou des inves-
tion. « Pour un investisseur qui a tisseurs CSP+ qui veulent diversifier
déjà un endettement, la rente via- leur patrimoine… Tout en profitant
gère offre un échelonnement de de multiples avantages : pas de re-
paiement dans le temps et lui per- cherche de locataire, pas de risques
met de se constituer un patri- d’impayés de loyers, pas de turn-
moine », confie Sophie Richard. over, pas de gestion locative ni de
souci quant au diagnostic de perfor-
Démembrement sécurisé mance énergétique.
Côté nue-propriété, la formule la Côté travaux, il n’y a pas non plus de
plus répandue et la plus attractive contraintes d’entretien, même si l’on
est celle avec usufruit temporaire : sait qu’un senior ne va pas forcé-
il n’y a pas d’aléa, puisque le terme ment s’activer sur les menus tra-
est connu d’avance, entre dix et vaux, ni changer son papier peint
vingt ans le plus souvent. « Le paie- défraîchi. Toutefois, restent à charge
ment est comptant, avec une décote de l’investisseur les travaux relevant
SP

qui correspond à la non-jouissance de la structure et de l’étanchéité.

du bien et à l’absence de revenus
locatifs, décrit Stanley Nahon. Elle
évolue entre 25 et 50 %, la décote
augmentant avec la durée de l’en-
gagement. » « Pour un investis-
seur, la nue-propriété avec usu-
fruit temporaire donne une
visibilité pour se projeter et ache-
ter un bien de qualité tout en béné-
ficiant d’un prix plus attractif »,
souligne Vincent Illouz, respon-
sable nue-propriété et viager chez
Daniel Féau.
Par exemple, un bel appartement à
Paris avec terrasse en dernier étage
et vue sur les Invalides, disposant
dans l’immeuble d’un autre apparte-
ment pour le personnel, a été vendu
4,2 millions d’euros au lieu de 6 mil-
lions, sous réserve d’un usufruit
temporaire de huit ans pour un bien
occupé par un septuagénaire. Mais
parfois, l’usufruitier veut rester au-
delà de la période prévue. Moneti-
via, société spécialisée en ingénie-
rie patrimoniale, propose un
démembrement « dé-risqué » :
Doubler la mise dans le neuf
VINCENT ILLOUZ, RESPONSABLE NUE-PROPRIÉTÉ
ET VIAGER CHEZ DANIEL FÉAU.
La nue-propriété permet
de se constituer un
patrimoine de qualité, acquis
avec une décote pour des biens qui
ne se trouvent pas sur le marché
traditionnel, mais off market.
Elle peut intéresser de jeunes
locataires à hauts revenus qui
se projettent dans le futur.
« Dès la signature chez le notaire,
une assurance payée par le ven-
deur prévoit qu’en cas d’usufruit
prolongé, il restera dans les lieux
mais versera une rente mensuelle
à l’investisseur via l’assurance
tant qu’il occupe le bien », explique
Amaury de Calonne, président et
cofondateur de Monetivia.
La décote reste le principal atout de
ce type de placement, qui attire dif-
férents profils : des jeunes locataires
Quant à la fiscalité, il n’y a pas d’im-
pôt sur le revenu supplémentaire
puisqu’il n’y a pas de revenus loca-
tifs. En matière d’IFI (impôt sur la
fortune immobilière), pendant toute
la période de démembrement, le
bien n’a pas à figurer dans la déclara-
tion. En nue-propriété, attention à la
plus-value lors de la revente : « Elle
est calculée par différence entre le
prix de vente et la valeur de la
pleine propriété à sa date d’entrée
dans le patrimoine du vendeur et
non sur le prix payé décoté », pré-
cise Stanley Mahon.
Optimiser la plus-value
Tant que les trente ans ne seront pas
atteints, la plus-value, même amoin-
drie, ne sera pas exonérée. Et cela
peut valoir la peine d’attendre, sa-
chant que le prix à la revente peut
être multiplié par deux ! Il faut donc
être très vigilant lors de l’achat :
« Evaluer l’emplacement et l’envi-
ronnement tout comme la qualité
du bien sont indispensables en dé-
membrement, dans la mesure où,
avec décote ou pas, le bien reste
immobilier, souligne Céline

L
a nue-propriété se
décline aussi pour le
logement neuf, avec
des opérations partout en
France. « Perl a été le pionnier
voici vingt ans, favorisant
le placement dans le neuf
à vocation sociale par le
biais de l’usufruit locatif
social et s’est développé sur
tout le territoire auprès des
investisseurs privés », relate
Nicolas de Bucy, directeur
général adjoint de cette filiale
du promoteur Nexity. Autre
opérateur, Catella Patrimoine
développe l’usufruit
intermédiaire et libre. « La
nue-propriété adossée à des
loyers non plafonnés permet
d’investir dans de meilleurs
emplacements, indique Nadir
Benabed, associé au sein
de Catella Residential. Ces
formules s’adressent à des
cadres, souscrivant un crédit
amortissable ou in fine,
pour un investissement à
long terme ». A l’issue de
l’opération, cela permet
souvent de doubler la mise
initiale compte tenu de
l’évolution du marché. •
Dargent, commissaire aux comptes
chez Sadec Akelys. Surtout, il ne
faut pas hésiter à investir dans plu-
sieurs biens pour mutualiser les
risques. » Le choix existe en pro-
vince, dans les villes moyennes ou
les métropoles, en Ile-de-France ou
en bord de mer. Pour l’acquéreur,
cet investissement fait rimer tran-
quillité et bienveillance vis-à-vis de
ses aînés. Elisabeth Lelogeais 

84  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

Dossier immobilier
Effy sécurise la
rénovation énergétique
des logements
Frédéric Utzmanna fondé en 2008 avec Edouard Jounet
cette plateforme qui accompagne les particuliers dans leurs travaux
de mise aux normes. Pour la première fois, elle ouvre son capital.
Challenges. Concrètement,
comment fonctionne votre
plateforme ?
Frédéric Utzmann. Effy met en rela-
tion les particuliers avec les artisans
pour tous types de travaux de réno-
vation énergétique : isolation, chauf-
fage, panneaux solaires… Nous ac-
compagnons les clients de la simple
assistance à un service clefs en
main assurant le suivi du chantier et
garantissant la qualité des travaux
ainsi que leur financement. Nous
permettons par ailleurs aux artisans
de se décharger des tâches adminis-
tratives et commerciales pour se
concentrer sur leur cœur de métier.
86  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
Mahema Productions
A qui s’adresse Effy ?
La vidéo sur
Challenges.fr En 2019, nous avons cédé nos acti-
vités entreprises et collectivités à
Engie pour nous concentrer sur les
particuliers. Le besoin est réel : un
chantier sur deux se termine mal.
Nous accompagnons donc
100 000 chantiers, pour un coût al-
lant de 2 000 à 25 000 euros, avec
3 600 artisans partenaires. En 2022,
notre volume d’affaires était de
800 millions d’euros.
Après quinze ans d’autofinancement,
vous venez de lever 20 millions
d’euros. Pourquoi ?
Propos recueillis Fin mars, nous avons réalisé cette
par Laure Croiset levée auprès de Felix Capital, une
société de capital-risque basée à
Londres, spécialisée dans les nou-
velles marques. Avec la crise éner-
gétique européenne et la recherche
d’un mode de vie plus durable et
responsable, nous arrivons à un
moment clé de l’histoire de la réno-
vation énergétique. Nous sommes
leader en France et allons accélérer
très fortement, notamment en Eu-
rope. L’année dernière, les travaux
que nous avons réalisés ont permis
d’économiser 1,3 million de tonnes
de CO2. Notre objectif est de tripler
ce chiffre.
Comment allez-vous y parvenir ?
Avec notre équipe de 300 collabora-
teurs, nous fournissons une ap-
proche technologique à un secteur
qui est très peu développé sur le
plan digital. Nous apportons ainsi
une meilleure expérience client et
un gain d’efficacité pour les profes-
sionnels. Nous sommes sur un mar-
ché qui pèse 30 milliards d’euros en
France, avec des acteurs comme
EDF, Leroy Merlin, mais aussi des
artisans. Nous désirons avoir un
impact maximal sur ce marché le
plus rapidement possible.
La réglementation va dans
votre sens…
En effet, elle est favorable à l’acqui-
sition de clients. Depuis le 1er avril,
l’audit énergétique est devenu obli-
gatoire en France pour les proprié-
taires des 5,2 millions de « passoires
thermiques ». En mars, une direc-
tive européenne a par ailleurs fixé
comme objectif une réduction de
consommation d’énergie d’au moins
11,7 % d’ici à 2030.
En quoi est-ce une nécessité ?
La rénovation énergétique concerne
tout le monde. Gagner en efficacité
est la seule chose qui vous permet de
faire baisser votre facture tout en
gagnant en confort. En effet, avec
des travaux d’isolation, la perfor-
mance de votre logement gagne
25 %, soit trois degrés pour un même
niveau de consommation.
Votre rêve de croissance ?
Devenir la marque réflexe quand sa
facture d’énergie est trop élevée.
Aujourd’hui en France et demain en
Europe. •
UN PARTENARIAT
Luxes création

Asafumi Yamashita

Noblesse
de maraîchage
Par Gilles Fontaine Asafumi Yamashita,
à Chapet. A partir d’un
simple manuel offert
Les plus grands chefs parisiens ne jurent que par ses par sa mère, il produit
légumes confidentiels, au goût unique. Dans sa ferme de des légumes
incomparables.
Chapet (Yvelines), ce Japonais autodidacte cultive avec « Je ne cherche pas
technique et philosophie des graines de son Archipel natal. la belle tomate,
je cherche
la belle racine. »
Photos : Pierre Vassal / Haytham
pour C HALLENGES

88  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

 Semis d’oignons doigts d’une main. Christian
de Roscoff (à g.) Le Squer, son premier chef, qu’il a
et de brocolis connu au restaurant Ledoyen et offi-
(ci‑dessus).
Le producteur,
cie aujourd’hui au Four Seasons
qui écrit ses Hotel George V. Sylvain Sendra, de
étiquettes en la Fleur de Pavé, son « chouchou ».
japonais, rapporte Mais aussi Pierre Gagnaire, le Relais
ses graines de Louis XIII et Chakaiseki Akiyoshi.
l’Archipel nippon, Tous sont situés à Paris, car Asafu-
à la meilleure

A
germination.
mi Yamashita livre lui-même ses lé-
gumes. Indispensable, ce contact
avec les grands chefs. A condition
vant toute chose, bien supérieur à celui des graines de prendre le temps de discuter, de
il convient de se françaises. « Mes légumes sont déguster en cuisine. Il a travaillé
déchausser. Un rares et de bonne qualité, par consé- avec Yannick Alléno, à l’époque où
geste contre-intui- quent, tous mes clients sont de il était au Meurice. « Mais il n’était
tif quand on rend grands chefs cuisiniers », énonce- jamais là… » Il a œuvré avec
visite à un maraî- t‑il comme une évidence. C’est lui La Tour d’Argent, inventeur du ca-
cher. Mais la ren- qui les choisit. Il les compte sur les nard aux navets. Mais on ne voyait
contre commence pas ses navets et il y avait trop de
par un café et chefs. « Alors j’ai reculé et j’ai dis-

T
quelques ciga- paru », souffle le maraîcher.
rettes au salon,
assis par terre, ous ces grands cuisiniers
devant la table basse. A la japonaise. étoilés connaissent et
Histoire de faire connaissance. De acceptent ses règles :
prendre le temps de se regarder et « Je viens quand je
de se parler, d’échanger. Ensuite peux, avec les légumes
démarre la visite de la ferme et de que je peux, dans les
ses serres. Au rythme tranquille des quantités que je peux, et
histoires extraordinaires d’Asafumi au prix que je veux. »
Yamashita. Celles de ses navets et Ses carottes, par exemple, s’ar-
Capturre YT

de ses carottes, bien sûr, au goût rachent entre 20 et 25 euros le kilo-

incomparable. Mais aussi du komat- gramme, selon son humeur du jour.
suna, un légume feuille de la famille Et l’homme sait entretenir la rareté
du chou. Ou du tomatiyo, rond et Asafumi de ses produits. Si on lui demande
Yamashita au
violet, mélange de tomate et d’au- côté des chefs
10 kg de navets, il n’en apportera
bergine. Car l’intégralité de ses lé- Pierre Gagnaire que 7. Steve Jobs n’aurait pas fait
gumes ont été patiemment cultivés (en haut) et mieux. En dehors des restaurants
dans cette terre argileuse des Yve- Sylvain Sendra étoilés, le grand public peut goûter
lines, à partir de graines soigneuse- (en bas). Ses à ses légumes en visitant sa ferme,
ment sélectionnées et ramenées du clients, de grands de mai à octobre. Des personnalités
chefs étoilés,
Japon par ses soins. se comptent sur
prestigieuses ont humé l’air de ses
Les graines japonaises, assure-t-il, les doigts d’une serres, comme Akie Abe, l’épouse
sont de meilleure qualité et leur main. C’est lui de l’ancien Premier ministre du Ja-
pourcentage de germination est qui les choisit. pon. Mais il faut réserver bien uuu
SP

11 mai 2023 - CHALLENGES N°786  89

Luxes création
uuu à l’avance. Il a dû, par
exemple, refuser un prince et une
princesse du Qatar. Ainsi s’entre-
tient une légende. Petit flash-back
pour bien saisir l’origine du mythe.
« L’année 1989 marque un change-
ment d’époque », fait-il observer :
décès de l’empereur du Japon
­Hirohito, bicentenaire de la Révolu-
tion française, chute du mur de Ber-
lin, manifestations de la place
Tian’anmen… Et installation en
France d’Asafumi Yamashita.

U
ne décennie plus tôt, il avait
déjà passé deux ans à l’Ecole
du Louvre, puis était rentré
au pays, très indécis. Quand il
abandonne son Tokyo natal
pour s’installer dans le petit village
de Chapet, en bordure du Vexin,
c’est pour fuir le confort et les Asafumi Yamashita dans l’une de ses serres. Il en a fait dresser douze, moins pour chauffer l’air que
conventions. Il cultive les bonsaïs, pour protéger la terre, dure comme du béton quand il fait sec, et boueuse quand il pleut.
une passion qui lui vient de son père,
négociant en bois. Ses arbres minia- A visiter Mais, en dehors des plantes, le ma- peu de chimie. » De bonnes graines,
tures se louent ou se vendent une Ferme Yamashita raîcher a la passion du sport : la aussi, qu’il rapporte chaque année
petite fortune dans les hôtels ou res- Le Kolo, chemin boxe et surtout le golf qu’il pratique du Japon, soigneusement emballées
des Trois-Poiriers,
taurants parisiens et jusque dans le 78130 Chapet. régulièrement avec quelques com- dans ses valises. Et beaucoup de tra-
salon Air France à Roissy. Sa réputa- Tél. : patriotes. Notamment le patron de vail et d’attention. Il fait une analogie
tion grandit vite, mais cette publicité 01-30-91-98-75. Kubota en France qui lui prête un avec la photographie : le grand pu-
devient rapidement une source de Samedi et
dimanche, de mai engin durant quelques jours. « J’ai blic cherche la belle lumière tandis
problèmes. Cambriolé à plusieurs à octobre. compris que j’aurais besoin de que le professionnel cherche la belle

I
reprises, il renonce finalement à la machines », dit-il. Il comprend aus- ombre. « Je ne cherche pas la belle
A lire
culture du bonsaï, dépité, déprimé. si la nécessité de multiplier les tomate, je cherche la belle racine. »
Asafumi Yamashita.
Et il se souvient de la complainte Maraîcher trois points d’eau et choisit de les répar-
d’un compatriote, chef du Benkai, le étoiles, éditions tir sur ses 3 000 mètres carrés de l s’assied parfois au plus
restaurant de l’hôtel Nikko. de La Martinière, culture. Il fait aussi dresser une près de ses légumes, res-
192 pages,
Celui-ci recherchait désespérément 25 euros. douzaine de serres, moins pour pire l’oxygène qu’ils pro-
des légumes japonais, trop compli- No-Do. L’homme chauffer l’air que pour protéger la duisent au plus profond
qués à importer. Au cours d’un de qui écoute les terre, dure comme du béton quand de ses poumons et leur
ses voyages dans l’Archipel, Asafu- légumes, il fait sec, et boueuse quand il pleut. restitue un peu de gaz
mi Yamashita ramène des graines Actes Sud,
230 pages,
Enfin, pour compléter le dispositif, carbonique. Cette com-
qu’il s’est procurées auprès de ma- 32 euros. il construit une chambre froide où munion constitue un
raîchers de sa région natale. Et de transite sa production avant d’être équilibre fragile. C’est
retour sur ses terres yvelinoises, il distribuée aux chefs parisiens. l’une des raisons pour
se lance dans le maraîchage. L’investissement de départ équi- lesquelles il a toujours
Avec une pelle, un sécateur, valait au prix d’une « petite travaillé seul. S’il accep-
un tuyau d’arrosage et le Mercedes », expliquait-il tait un apprenti, cela modifierait la
livre que lui a offert sa alors à son banquier. qualité de l’air dans son potager et le
mère : un manuel du ma- C’était il y a vingt-sept ans. goût des légumes en pâtirait.
raîcher pour les retraités. Asafumi ­Yamashita met- Mais après trois décennies de ce
« Je me suis vite rendu tra une bonne quinzaine sacerdoce, Asafumi Yamashita as-
compte que j’avais be- d’années à mettre au point pire finalement à partager ses se-
soin de quatre choses es- sa technique. Au départ, il crets. Avec le maire de Chapet, ils
sentielles », raconte-t-il. a essayé le bio. Pendant veulent fonder une académie dans
Les quatre éléments ver- dix ans. « Je l’ai fait sé- le village, pour former des maraî-
sion Yamashita. D’abord, rieusement et ça ne mar- chers. Il imagine aussi la création
le motoculteur. Il en a chait pas », assure-t-il. d’un label pour des légumes impor-
bavé, le premier hiver, à Problèmes de productivi- tés du Japon, une « Yamashita Sé-
remuer la terre à mains L’enseigne de la ferme. Avec la mairie té, de stabilité, de quali- lection », élaborée par le seul maraî-
nues sur cinq centimètres de Chapet, le maraîcher veut fonder une té… « Pour obtenir de cher japonais qui connaisse la
de profondeur. académie pour transmettre son savoir. bons légumes, il faut un cuisine française. •
90  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
 griffe

Gucci Cool ragazzo

Brio
A l’inverse de la femme, l’homme Gucci
s’assagit pour la prochaine saison. On
retrouve les codes historiques de la maison
en héritage avec la veste de costume légèrement
oversize et le pantalon taille haute à plis.
Les couleurs sont chics mais osées.
Par Xavière Laffont Collection homme automne-hiver 2023.

P
lus besoin de présenter la
maison italienne Gucci. Forte
de son savoir-faire inchangé
depuis la création de sa
première boutique par Guccio
Gucci à Florence en 1921, la marque
de luxe, inspirée à l’origine par le
monde équestre, a su traverser les
époques : référence des stars dans les
années 1960 grâce à ses mocassins à
mors de cheval (encore un best-seller)
ou à son sac Jackie en l’honneur
de Jackie Kennedy, puis marque
sulfureuse et « porno chic » sous
la direction de Tom Ford dans les
années 1990. De 2015 à février dernier,
Alessandro Michele a imposé avec
justesse sa touche décalée et fleurie.
L’ancien responsable des accessoires
de la maison a su manier les codes
historiques avec originalité, comme Madone néobaroque
l’illustre sa collection automne-hiver La transparence et la dentelle chères à Alessandro
2023. Aujourd’hui, Sabato de Sarno Michele se retrouvent sur cette silhouette
prend la relève. Ex-directeur artistique rétro‑moderne composée d’un collant vert fluo et
de Valentino, ce Napolitain d’origine d’une robe longue noire. Les mi-gants et les
connaît bien les arcanes de Gucci lunettes de soleil lui apportent une touche futuriste.
et le fonctionnement de la fabrication Collection femme automne-hiver 2023.
dans son pays. Un nouveau vent de
fraîcheur qui devrait faire perdurer
avec brio cet héritage à l’italienne.•

Photos : SP
Week-end en bande
Le sac 48 heures est l’un des grands
classiques de la griffe. Ce modèle en toile Souliers signés
beige au motif très reconnaissable arbore
la célèbre bande Web vert et rouge sur Décliné en centaines de modèles, le
le devant et est doté d’une bandoulière mocassin est devenu l’une des pièces
réglable amovible. emblématiques de Gucci. On le retrouve
ici en cuir lisse noir, à petit talon avec un
Sac de voyage Savoy en cuir et toile
monogramme. Prix sur demande. bout carré-arrondi. Sa boucle et son gland
font écho à l’héritage de la maison.
Mocassin en cuir. Prix : 980 euros.
Bourse exotique
Le sac Bamboo se réinvente avec ce
modèle en crocodile verni jaune moutarde.
Inventé après-guerre, en pleine pénurie
de matières premières, avec du bambou
facile alors à se procurer, il est devenu
Photos : SP

l’une des pièces phares de la maison.

Mini sac Bamboo 1947 en crocodile.
Prix : 26 500 euros.

11 mai 2023 - CHALLENGES N°786  91

 Luxes accessoires
SAINT LAURENT
Pratique
La maison propose une version mini
de son cabas rectangulaire avec
ce sac en coton surpiqué au style
seventies. Il se porte aussi bien
en bandoulière qu’à l’épaule grâce
à son anse amovible. On apprécie son
rabat et ses pattes de compression.
Manhattan Shoulder par Anthony
Vaccarello. Prix : 2 300 euros. www.ysl.com
POLO RALPH LAUREN
Romantique
C’est dans une version chic
et champêtre que l’on retrouve
le célèbre sac shoulder réinterprété
en bourse demi-lune. Sa toile grège
aux motifs de fleurs en dentelle
et ses empiècements de cuir lui
apportent une touche vintage.
Photos : SP
Shoulder Polo ID hybride brodé.
Prix : 549 euros. www.ralphlauren.fr
92  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023
Sacs à main
en toile et cuir
Mue HERMÈS
printanière Graphique
Le sac bourse classique
se réinvente sur ce modèle
Pa r X av i èr e L a ffon t à l’aspect souple et pourtant
très structuré. L’effet toile de jute
Avec un mélange de se marie avec justesse aux
empiècements de cuir apposés.
matières tout en légèreté, Arçon en toile H et veau Swift.
le sac phare du printemps Prix : 4 400 euros.
www.hermes.com
se rhabille pour la
demi-saison. Un mariage
audacieux mais réussi.
CELINE
Charismatique
Le chic parisien caractérise
ce modèle qui se porte en
bandoulière cross body. Son revers
agrémenté de l’emblématique
boucle dorée de la maison ainsi
que ses surpiqûres blanches sur
le cuir lui donnent un aspect
ultrasophistiqué.
Triomphe Teen en textile et veau
naturel par Hedi Slimane.
Prix : 2 800 euros. www.celine.com
TORY BURCH
Oblique
Place à une nouvelle version
du sac seau avec ce modèle
ultramode en cuir ajouré sur une
base de toile beige. Polyvalent,
il se porte à la main
avec son anse ou bien à l’épaule
grâce à sa bandoulière.
Sac Seau Mc Graw en cuir ajouré.
Prix : 545 euros. www.toryburch.com
horlogerie
Seamaster Aqua Terra 150M.
Boîtier : or.
Diamètre : 38 mm.
Etanchéité : jusqu’à 150 mètres.
Mouvement : remontage
automatique.
Réserve de marche : 55 heures.
Prix : 42 800 euros.
Omega
Profondes
heures
Par Bertrand Fraysse
E
n avril 2019, le pilote
de sous-marin américain
Victor Vescovo atteignait
le point le plus profond
de la planète, au fond
de la fosse des Mariannes, dans
le Pacifique, à 10 935 mètres sous
le niveau de la mer. L’explorateur
portait à son poignet la première
Omega Seamaster Planet Ocean,
commercialisée trois ans plus tard
avec une promesse d’étanchéité
record à 6 000 mètres. En 2022,
sept nouveaux modèles se sont
ajoutés à la collection dont six en
O-megasteel, un alliage exclusif
Seamaster Diver 300M.
Boîtier : acier avec lunette en céramique.
Diamètre : 42 mm.
Etanchéité : jusqu’à 300 mètres.
Mouvement : remontage automatique.
Réserve de marche : 50 heures.
Prix : 6 400 euros.
d’acier inoxydable très résistant.
Omega a fait également revenir à la
surface la Seamaster Diver 300M,
Photos : SP
la montre portée par James Bond
depuis 1995, dans une belle version
dotée d’un cadran en céramique
verte orné de vagues gravées au
laser. Ce printemps, la collection Seamaster Planet Ocean
Seamaster Aqua Terra, plus 6000M Ultra Deep.
urbaine, s’élargit à son tour avec Boîtier : O-megasteel.
Diamètre : 45,5 mm.
toute une gamme de modèles aux Etanchéité : jusqu’à 6 000 mètres.
couleurs uniques. Deux montres Mouvement : remontage automatique.
en or y sont proposées, en 34 et Réserve de marche : 60 heures.
38 mm, cette dernière arborant Prix : 13 600 euros.
une lunette sertie de 46 diamants
pour un total de 1,77 carat.•
11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786  93
 Luxes joaillerie Cannes

Festival
de pierres
Par Xavière Laffont BULGARI

Aristocratique

L
e 16 mai s’ouvrira
la 76e édition du Festival
de Cannes. Chaque soir,
cérémonial immuable, la
montée des marches attirera
tous les regards. Les yeux du public
se porteront sur les somptueuses
robes de soirée des stars et les
spectaculaires bijoux qui les
subliment. Les maisons de haute
joaillerie ne s’y sont pas trompées :
elles ont fait du plus grand
événement cinématographique
de la planète leur vitrine. La Palme
d’or, qui récompense le meilleur
film depuis la création du Festival
en 1946, est l’œuvre de l’une
d’elles, Chopard. Il nous a donc
paru naturel de mettre en avant
notre sélection de joaillerie
sous le signe de films ayant reçu
la récompense suprême :
Le Guépard, de Luchino
Visconti, Palme d’or 1963, Pulp
Fiction, de Quentin Tarantino,
primé en 1994, et La Dolce Vita,
En hommage à la reine Elisabeth II,
la maison a imaginé cette pièce unique
en platine sertie d’une émeraude
sculptée taille cabochon (63,44 carats)
gravée d’un motif floral évoquant
un jardin enchanteur.
Tiare Jubilee Emerald Garden.
Prix sur demande. www.bulgari.com
VAN CLEEF & ARPELS
Magique
La féérie de ces somptueuses
boucles d’oreilles en or blanc
et rose provient de leur
asymétrie maîtrisée.
Les diamants et les rubis
forment comme des lianes
célébrant la beauté des fleurs
En un kaléidoscope féérique, ces sauvages.

de Federico Fellini, récompensé pièces d’exception nous plongent dans Boucles d’oreilles Folie des prés.
Prix sur demande.
en 1960. Le faste de la noblesse le faste de la noblesse d’autrefois. www.vancleefarpels.com
d’antan, l’esprit rock façon
Hollywood, l’extravagance Comme dans Le Guépard de Visconti.
subtile des nuits romaines :
trois univers, trois styles pour
se mettre en vedette.•

TIFFANY & CO.

Exotique FRED

La broche, très en vogue à la fin du Romantique

XIXe siècle,
est remise au goût du jour avec
ce modèle imaginé par Jean Schlumberger. On retrouve dans ce bijou vintage en or
Entourées de diamants taille brillant, rose l’esprit d’une bague de fiançailles.
quatre turquoises taille cabochon ovale Son diamant central taille poire ainsi
rappellent un bouquet aux tiges dorées. que les ornements sur les fameux
Photos : SP

« nœuds chance » de la maison en font

Broche 4 feuilles. Prix : 38 100 euros.
www.tiffany.fr
une pièce d’exception.
Bague Chance infinie Crazy 8. Prix sur demande.
www.fred.com

94  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

 PIAGET

Abyssal
Composé d’une chaîne fine en or blanc et d’un décor
Palace rhodié serti d’une multitude de diamants, ce pendentif
se distingue par un tombé prononcé sur le décolleté. GINETTE NY
Une parure ludique et irrésistible.
Pendentif Possession. Prix : 13 200 euros. www.piaget.com Ellipsoïdal
Les créoles se modernisent avec
ces boucles d’oreilles en ellipse
à demi ouvertes. Composées d’or
rose 18 carats et de multiples
diamants noirs, elles adoptent
un look résolument nineties.
Boucles d’oreilles Ellipse.
Prix : 1 560 euros. www.ginette-ny.com

Scénario rock et moderne pour cette

sélection digne de Pulp Fiction, DINH VAN
le film culte de Quentin Tarantino. Architectural
Un zeste de provocation toujours
Style graphique et proportion architecturale pour
populaire sur la Croisette. cette bague très contemporaine en or jaune
parsemée de petits diamants. Ses formes
découpées peuvent rappeler des trous de serrure.
Un moyen de garder des secrets ?
Bague Pulse moyen modèle. Prix : 2 150 euros.
www.dinhvan.com

CARTIER

Animal
On retrouve la célèbre panthère
de la maison, toujours aussi
indomptable, dans ce bracelet
jonc ouvert en or jaune, serti de
deux grenats tsavorites et orné
de touches d’onyx laqué noir.
GAS
Bracelet Panthère.
Prix : 37 900 euros. www.cartier.com
Original
Les maillons sont à la mode cette saison, à l’image
de ce bracelet doré à l’or fin, composé d’un élégant
assemblage de différentes tailles et formes :
martelés à la main, torsadés et en acétate.
Bracelet Prato acétate doré. Prix : 140 euros.
www.gasbijoux.com

11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786  95

 Luxes joaillerie Cannes

BUCCELLATI

Perlé
Le joaillier italien exhibe un faste
digne des Borgia avec cette pièce
unique en or jaune et or blanc
gravé, agrémenté de 40 perles
baroques, 3 perles de Tahiti et
de plus de 500 diamants blancs
taille brillant.
Collier Collane Ombelicali. CHAUMET
Prix sur demande.
www.buccellati.com Articulé
Graphique et ultrachic, cette manchette est
inspirée des modèles des années 1930.
Minutieusement articulées, les alvéoles
se succèdent comme un nid d’abeille parfait
en or rose serti de diamants taille brillant.
Manchette Bee My Love. Prix sur demande.
www.chaumet.com

DIOR JOAILLERIE

Distingué
Figurant une rose, fleur fétiche de Monsieur Dior,
sur laquelle butine une abeille sertie de diamants,
cette bague XXL en or rose et quartz imaginée
par Victoire de Castellane apporte une touche
de féminité envoûtante.
Bague Rose Dior Pré Catelan. Prix : 17 500 euros. www.dior.com

Direction Rome en 1960 avec

La Dolce Vita de Fellini.
Un univers subtilement décadent,
où chaque pièce montre une
facette différente de la volupté.

POIRAY

Ciselé
A l'image des bijoux mondains qu'on imagine issus
des années 1960, ce bracelet en or jaune
torsadé est serti de grenat rhodolite, procurant AURÉLIE BIDERMANN
une tonalité estivale et chaleureuse.
Bracelet Dune de Poiray. Prix : 8 990 euros. www.poiray.com Raffiné
Semblables à deux petites roses que l’on appose
sur les lobes, ces boucles d’oreilles apporteront
une fraîcheur élégante à votre tenue. Discrètes, elles
sont en or jaune serti d’une tsavorite.
Photos : SP

Boucles d’oreilles Bouquet Tsavorite. Prix : 1 580 euros.

www.aureliebidermann.com

96  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

 Luxes gastronomie

En cave
Par Jean-François Arnaud

FETTERCAIRN
WAREHOUSE 14
BATCH N ° 1,
SCOTCH
SINGLE MALT

Très beau whisky

des Highlands
dans cette édition
affinée dans des
fûts de bières
écossaises.
Arômes riches
et équilibrés, pas
tourbés, avec des
notes miellées,
George’s. vanillées et de
Une terrasse fruits tropicaux.
Le procédé

SP
d‘inspiration
yachting dans unique consistant à renforcer
un lieu chargé le refroidissement de l’alambic
d’histoire. avec un anneau de cuivre externe
explique cette richesse gustative,
SP

où seules les vapeurs les plus

Jeffrey Ng Cheong Wong genre en l’île, le Toiras. Du nom du
maréchal qui étrilla Buckingham
Déferlante débarqué ici pour secourir La Ro-
chelle… à croire que la déferlante
fines ont été transmutées en
un noble scotch. A déguster seul
avec un cube de glace ou juste
« mouillé » d’eau pure.
Prix : 79,90 euros.

insulaire
médiatique Trois Mousquetaires Whisky.fr
m’a rattrapé !
Les métisses de Jeffrey… Huit
Par Philippe Couderc huîtres condimentées : de la laitue
de mer et du wakamé au sarrasin BATTI BATTI
Dans un bijou d’hôtel ancré sur l’île de grillé torréfié via le sobacha, une ROSÉ IGP
douzaine d’intervenants pour cette MÉDITERRANÉE
Ré, un jeune chef d’origine mauricienne superbe provocation orientale. Sau-
secoue le cocotier de nos goûts culinaires. mon fumé, crème à l’hibiscus (oseille
Alerte bon
plan pour les

I
de Guinée, un peu acide). Faisselle : amateurs de
le de Ré, le chef Jeffrey Ng crémeuse, en tendre osmose avec rosés accessibles
Cheong Wong, en grande en- une gelée de Pineau des Charentes. mais de qualité
jambée depuis son île Maurice, Croustillant de crevettes : sauce ca- irréprochable.
Tous les ans,
crée l’événement au George’s. jun, une bombe (piment fort, ail, Jean-Michel
A 25 ans, un passage chez poivre, origan et plus)… née des Duluc, sommelier
Solène Guillaud

Roellinger aidant, l’homme ne Français de Louisiane. Merlu : ri- en chef du

manque pas de piment d’autant qu’il sotto encre de seiche, nuances de caviste Petit
est d’épices – jusqu’aux plus incon- blanc et de noir. Pintade : à la bière Ballon, imagine et
SP

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.

nues – et plaide pour une cuisine de Ré, de la brune à la blonde, d’un fait réaliser une
Jeffrey Ng bouteille pour l’été. Elle se veut
métissée, doublée d’une subtile Cheong Wong. terroir l’autre. Médaillon de veau : attractive à tous points de vue
technique. Il est d’une folle virtuosi- A tout juste rosé, sauce Mauré. Cabillaud aigre pour séduire de nouveaux clients
té en la matière, n’hésitant pas à se- 25 ans, ce discret doux en paradoxes gingembre et et si possible les enrôler dans
couer le cocotier de nos goûts habi- virtuose à la coriandre, mais non à contretemps. son programme d’abonnement.
tuels. Réservé dans son approche, il cuisine métissée Couteau : sauce « algue du bas de Après Saint-Esprit et Peyrassol,
ose de superbes
séduit à en parler et convaincre avec provocations l’eau »… pas en dessous de tout. • le Domaine de Pieracci produit
ce futur tube de l’été, expédié
délicatesse et courtoisie. N’empêche orientales. d’emblée aux 17 000 abonnés
sa sole meunière de concours ! L’en- George’s à l’Hôtel de Toiras. du Petit Ballon. Vin bio fruité,
vironnement chic marine évite le Cuisine 15-16/20.
frais, parfait avec les grillades.
Prix : env. 54 à 135 euros (carte).
folklore, fait terrasse canapés blancs Chambre dès 250 euros. Prix : 9,50 euros.
sur le port. On est là dans un petit 1, quai Job-Foran, Saint-Martin-de-Ré. Lepetitballon.com
bijou d’hôtel, 5 étoiles, unique du Tél. : 05-46-35-40-32.

98  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

automobile

Honda Civic Type R

Moteur : 4-cylindres essence
de 2,0 litres, 329 ch.

H
onda a su ces dernières
années combiner électri-
Accélération (0-100 km/h) : 5,4 secondes.
Honda Civic Type R Dimensions (L x l x h) : 4,59 x 1,89 x 1,40 m.
Consommation : 8,2 l/100 km.
Prix hors options : à partir de 57 220 euros.

Ultime
fication et sportivité. La CO2 : 186 g/km.
supercar hybride NSX a www.auto.honda.fr

servi de laboratoire en la
matière. La confidentielle
CR-Z, elle, est restée une excep-
tion en associant boîte manuelle
et hybridation. Mais pour la Civic
Type R, mythique compacte spor-
tive, il n’était pas question d’élec-
trique. L’équipe de développement
constituée de petrolheads (fondus
de bagnole) a immédiatement écar-
té l’hypothèse. Cette version (nom
de code FL5) ne constitue donc pas
une révolution technique par rap-
port à la FK8 qu’elle remplace. Elle
en reprend le moteur 2,0 l turbo, la
boîte manuelle et le train avant à
pivot découplé, hérités de la FK2,
devancière de la FK8. Bref, cette
sportive, une des dernières de son
espèce, a évolué en douceur depuis
trois générations. Dans le même
temps, Renault Sport s’apprête à
baisser le rideau avec une ultime
édition de la Megane RS.
Les Honda se sont toujours distin-
pilotage
Par Nicolas Meunier
Troisième et dernière de sa lignée,
cette sportive compacte régale, avec
sa boîte manuelle à la transmission
précise. Un bijou de conduite.
Photos : SP
évertués à améliorer encore le gui-
dage de la boîte. Le levier de vitesse
en aluminium tombe parfaitement
dans la main, son débattement est
court, ses verrouillages, précis…
Manœuvrer cette transmission est
un véritable régal qui mériterait
presque, à lui seul, que l’on craque
pour cette sportive.
Le moteur ne gagne que 9 ch par
rapport à la version précédente,
mais il pousse fort. Côté châssis,
tout ou presque a été rigidifié. Les
limites d’adhérence sont repous-
sées et les passagers se voient
infliger des accélérations latérales
costaudes, dignes de celles d’une
supercar. Comme le veut la tradition
japonaise, la Civic Type R évolue à
petits pas. Elle est plus efficace,
un peu moins ludique que sa pré-
décesseure, mais toujours géniale.
Un final en beauté, couronné par
un record du tour sur le mythique

guées par l’excellence de leurs com- circuit de Nürburgring, en catégorie

mandes, et les ingénieurs se sont traction. •
11 mai 2023 - CHALLENGES N°786  99
 Cultures écrans
Galatea Bellugi. L’adolescente
de 16 ans, placée en famille d’accueil,
revient passer du temps dans
sa famille biologique et découvre
l’absence de son père.

Un échec en salles, mais un joli

accueil critique qui donnait envie de
la retrouver au plus vite derrière la
caméra. Et il aura fallu attendre
quinze ans pour que cela se pro-
duise. Quinze années qui n’ont en
rien abîmé son talent.
Partant cette fois-ci d’un fait divers,
elle met en scène une adolescente
de 16 ans placée dans une famille

ARP Sélection
d’accueil. Comme à chaque période
de vacances, elle revient passer du
temps dans sa famille biologique et
découvre l’absence de son père.
La Fille d’Albino Rodrigue D’abord avec étonnement. Puis,
très vite, avec inquiétude. Où est-il

Mal
parti ? Pourquoi sa mère semble-
t‑elle aussi détachée par rapport à

ordinaire
cette disparition ?
Entrant vite dans le vif du sujet,
La Fille d’Albino Rodrigue se vit
comme un thriller riche en tension
et rebondissements. Le film est por-
Par Thierry Chèze té par la relation passionnante d’am-
biguïté entre une mère totalement
Inspiré d’un fait divers, ce thriller riche en rebondissements amorale et une fille avide de vérité,
brillamment incarnées par Emilie
explore une relation mère-fille ambiguë. Passionnant. Dequenne et Galatea Bellugi (à voir

T
ous les réalisateurs le
disent. Le plus dur – en
termes de financement –
n’est pas le premier film,
mais le deuxième. Rares
sont ceux qui arrivent à en-
chaîner dans la foulée et beaucoup,
à l’inverse, n’auront même jamais la
aussi en ce moment dans Chien de
chance d’y parvenir, faute de réunir la casse). Rares sont les œuvres ca-
le budget nécessaire. Christine Dory pables de raconter ainsi l’effroyable
n’a pas échappé à cette règle sou- banalité du mal. Christine Dory
vent injuste. On l’avait découverte signe un retour gagnant. Vivement
en 2008 avec Les Inséparables, his- la suite ! •
toire d’une passion amoureuse sur De Christine Dory. Avec Emilie Dequenne,
fond de dépendance(s), avec Guil- Galatea Bellugi, Philippe Duquesne…
laume Depardieu en tête d’affiche. Durée : 1 h 30.

Le Paradis

Intime échappatoire

C
’est l’histoire de deux clos qui force à être inventif à Réalisme et lyrisme ne font
cœurs qui se mettent chaque rendez-vous secret. qu’un, portés par la justesse
à battre à l’unisson alors Une mise en scène vive, une et l’alchimie qui unit deux
que rien ne les y écriture des personnages et remarquables interprètes :
prédestinait. De deux des situations faisant fi des Khalil Gharbia et Julien de
Tarantula/Silex films/Menuetto/RTB

adolescents surpris, dépassés archétypes… Zeno Graton Saint Jean, respectivement

puis emportés par une passion
entre les murs du centre pour
mineurs délinquants où ils
sont détenus. En tentant de ne
pas être découverts, en jouant
avec les contraintes d’un lieu
signe un film en mouvement,
toujours surprenant. Aussi
juste dans la description du
quotidien de cette prison que
dans l’exploration du
sentiment amoureux.
révélés récemment par
Peter von Kant et Arrête
avec tes mensonges.•
De Zeno Graton. Avec Khalil
Gharbia, Julien de Saint Jean,
Eye Haïdara… Durée : 1 h 23.

100  CHALLENGES N°786 - 11 mai 2023

 scènes

Politique en crise La Bohème

L’univers des
C’est le succès de Netflix
actuellement. Coautrice de
la géniale série A la Maison-

souvenirs
Blanche, Debora Cahn nous
Alex Bailey/Netflix

plonge avec La Diplomate dans

les pas d’une ambassadrice
américaine nommée à Londres
au cœur d’une crise
internationale majeure. Drôle, vif, pertinent et
Par Rodolphe Fouano
parfaitement documenté. Un must du genre.
La Diplomate. Série créée par Debora Cahn.
Le chef-d’œuvre de Puccini est transposé dans
8 épisodes. Disponible sur Netflix. un décor spatial, loin du Paris des années 1830.

Violence sociale
En 1987, John Sayles (Lone Star), l’un des maîtres du
cinéma indépendant américain, signait avec Matewan
une fresque lyrique à couper le souffle de beauté et
d’humanisme. Il plongeait au cœur de la grève des
mineurs dans la Virginie-Occidentale des années 1920,
où la lutte des classes bascula en un affrontement
sanglant. Une pépite restée jusque-là inédite en
France. Et qui résonne avec l’époque que nous vivons.
Matewan. De John Sayles. Durée : 2 h 12.

Guergana Damianova/ONP
Disponible sur TCM Cinéma.

Nike à pied d’œuvre

Amazon Content Services LLC./Ana Carballosa

Joshua Guerrero et Ailyn Pérez. Rodolfo, amoureux de Mimi, la retrouve dans

une dimension fantomatique… Le romantisme revisité, en mode orbital.

Avec Air, Ben Affleck raconte la naissance du
partenariat historique né dans les années 1980 entre
le basketteur Michael Jordan et Nike. Au-delà de la
confection d’une chaussure mythique, l’événement
a changé la donne dans un secteur alors mené par
adidas et Converse. L’ambiance du film, à la Jerry
Maguire, est dominée par l’espièglerie du jeu
de ses interprètes, un génial Matt Damon en tête.
Air. De Ben Affleck. Durée : 1 h 52.
Disponible sur Amazon Prime Video.
La revanche d’une Miss
Adapté d’un roman de Nick Hornby (Funny Girl,
publié en 2014), Funny Woman met en scène
l’irrésistible ascension, au cœur des années 1960,
d’une Miss Blackpool qui refuse d’être réduite
à son seul physique avantageux. La voilà partie
à Londres pour devenir une star. Une comédie
féministe pop et pétillante où Gemma Arterton
(Tamara Drewe) rayonne comme jamais.
Funny Woman. Série créée par Morwenna Banks.
6 épisodes. Disponible sur OCS Max.
H
enry Murger (1822-1861) dé-
finit la bohème comme « le
stage de la vie artistique »,
passage obligé des talents en
devenir. D’où sa description
de la vie parisienne des années 1830
dans les Scènes de la vie de bohème
(1851). On y suit les aspirations du
musicien Schaunard, du philosophe
Colline, du peintre Marcel et de Mu-
sette, sa grisette ; du poète Rodolphe
enfin, amoureux de Mimi qui le
quitte pour un riche vicomte avant
de revenir mourir auprès de lui, dans
sa mansarde glaciale.
Giacomo Puccini adapta les misères
du « cénacle » non sans une para-
doxale joyeuseté, sur un livret versi-
fié de Giuseppe Giacosa et Luigi Illi-
ca, créant l’un des plus populaires
chefs-d’œuvre du répertoire lyrique
italien, à Turin (Teatro Regio), en
1896. Nul n’avait mieux dépeint le
Paris romantique, estima Debussy.
Le metteur en scène allemand Claus
Guth, inspiré par le film Solaris, si-
tue l’intrigue dans un univers futu-
riste. Un parti pris controversé. Fini,
les cafés de Montparnasse et les
sombres mansardes de Murger/Puc-
cini. Le vaisseau spatial des protago-
nistes se pose d’urgence sur une
planète inconnue. Paris –  tout
comme les amants désunis – existe-
t-il encore ? L’odyssée de l’espace
génère flash-back et introspection.
Le passé n’est-il qu’une projection de
l’imagination ? Mimi (Ailyn Pérez) en
est réduite à une dimension fanto-
matique… Le romantisme revisité,
en mode orbital. Voler, est-ce ap-
prendre à mourir ? Débuts à l’Opéra
national de Paris pour Joshua Guer-
rero (Rodolfo). Take off ! •
Musique de Giacomo Puccini. Livret
de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica.
Surtitrage français et anglais. Direction
musicale de Michele Mariotti. Mise
en scène de Claus Guth. Décors d’Etienne
Pluss. Costumes d’Eva Dessecker. Lumières
de Fabrice Kebour. Vidéo d’Arian Andiel.
Chorégraphie de Teresa Rotemberg. Cheffe
des Chœurs : Ching-Lien Wu. Opéra Bastille
(Paris, XIIe). Durée : 2 h 30. Les 11, 17, 20,
23, 26, 30 mai et 1er juin à 19 h 30.
Les 14 mai et 4 juin, à 14 h 30. Tarifs : de
15 à 187 euros. Tél. : 01-71-25-24-23.
Réservations : operadeparis.fr

11 mai 2023 - CHALLENGES N°786  101

 Cultures arts
Ramsès & l’or des pharaons

Spectacle
pharaonique
Par Caroline Brun Chronomètre
solaire en laiton
A la Villette, immersion numérique, films et objets doré et gravé
(XVIIIe siècle).
splendides éclairent la vie de Ramsès II, après Estimé 10 000 à
le succès de l’exposition Toutankhamon en 2019. 15 000 euros.

plus monumentaux, père d’une cen-

taine d’enfants, a été le messager de
sa propre légende à travers les arts
sophistiqués de son époque.
Le concepteur de l’exposition, le
Sandro Vannini, Laboratoriorosso. World Heritage Exhibitions

World Heritage Exhibitions, ne s’y

est pas trompé : après l’immense VENTE AUX ENCHÈRES
succès de l’exposition Toutankha-
mon, en 2019, dans les espaces tail-
lés sur mesure de la Villette, cette
Passionnantes
nouvelle grande fête de l’égyptoma- curiosités

nia bat son plein. Et rencontre un
public aussi nombreux qu’enthou-
siaste à Paris, avant de poursuivre
sa tournée à Sydney et Tokyo.
L’exposition est bluffante, entre
immersion numérique, films très di-
dactiques pour raconter l’épopée
Cercueil de Ramsès II, en cèdre notamment au jeune public – on se
(fin de la XVIIIe dynastie). De retour
à Paris après quarante-cinq ans. croirait à la légendaire bataille de
O
ù trouver une calèche miniature, une pierre
d’aimant naturel et une montre avec une seule
aiguille ? Dans la collection Randier, mise
en vente par l’étude Aguttes les 15, 16 et
17 mai. « Notre catalogue présente plus de 800 lots
très divers, objets de marine, de curiosité ou
scientifiques, s’étonne encore Claude Aguttes.
Henri-Claude Randier a constitué cet ensemble

L
Qadesh – et près de 180 objets pendant des dizaines d’années, achetant
es trompettes d’Aïda ré- splendides prêtés par l’Egypte (sta- parfois des objets dont il ne connaissait pas
sonnent à la Villette ! Dans tues, bijoux, ornements…). Grand l’usage juste pour le plaisir de la recherche. »
le droit fil des impression- coup de com’ du pouvoir pour battre Difficile pour le commissaire-priseur de
nantes expositions spec- le rappel des touristes vers le Nil. Le sélectionner un ou plusieurs coups de cœur
tacles, la Grande Halle met clou étant le cercueil de Ramsès II, dans cette masse : « Ces objets rares n’ont pas
en scène la vie et la posté- qui signe son retour dans la capitale vraiment de cote, mais ils sont tous passionnants.
rité de Ramsès II. Parmi les pha- française quarante-cinq ans après Je pense notamment aux pièces en métal plaqué,
raons les plus célèbres, son siècle de avoir été « soigné » par les scienti- un procédé antérieur à celui utilisé pour le métal
vie est un roman – il meurt à 92 ans. fiques du Musée de l’Homme. • argenté par électrolyse (de 800 à 1 000 euros
Ce bâtisseur de la grande histoire Ramsès & l’or des pharaons. A la Grande pour une aiguière) ou aux aimants naturels
égyptienne comme des temples les Halle de la Villette, jusqu’au 6 septembre. sertis en laiton (6 000 à 8 000 euros). »
La vente est divisée en plusieurs parties : les objets
d’art et de curiosité, la marine et tous ses
ARISTIDE MAILLOL : LA QUÊTE DE L’HARMONIE instruments anciens (dont de petits globes
terrestres de poche en carton bouilli estimés 2 000 à
Architecte des formes 3 000 euros), les armes, les cannes, l’horlogerie,
Akg-images/Erich Lessing

La Couronne de fleurs (1889),
Aristide Maillol. La variété de
Derniers jours pour cette belle exposition Maillol la serrurerie (avec un chef-d’œuvre de maîtrise
passée par le musée d’Orsay puis le Kunsthaus de du XVIIIe siècle estimé 40 000 à 60 000 euros), les
Zurich avant l’écrin Art déco de Roubaix. C’est le
processus créatif même du sculpteur qui est exploré,
collections autour du tabac et les arts de la table.
son renouvellement permanent à partir d’un corpus « Le total adjugé n’atteindra peut-être pas le prix
réduit de formes et toute la variété de son travail d’une seule toile contemporaine dans nos ventes,
(broderies, céramiques, gravures…) qu’on découvre ici. sourit maître Aguttes, mais tant pis, je crois
qu’il faut être un peu inconscient pour faire ce
Aguttes

Aristide Maillol : La quête de l’harmonie.

son travail est mise en lumière. A La Piscine de Roubaix, jusqu’au 28 mai. genre de vente… » Clémentine Pomeau-Peyre

102  CHALLENGES N°786 - 11 MAI 2023

livres
Roman
Fugue
littéraire
Par Maurice Szafran
Bruno Le Maire est aussi
un écrivain. Il le prouve,
au-delà des polémiques faciles,
avec ce poignant récit autour
du génial pianiste Horowitz.
V
oilà un scandale, piteux pré-
cisons-le sans plus attendre,
un scandale à la française :
le ministre de l’Economie,
en période d’inflation qui
plus est, peut-il décemment
publier un livre, un roman et non
pas un essai, ce qui aggrave encore
son cas ? Pire encore, chacun aura
relevé un passage érotique, ce qui
fait le bonheur – et les profits sur-
tout – des réseaux sociaux. Le pre-
mier roman de Bruno Le Maire s’est
donc transformé en un objet poli-
tique, et chacun y est allé de son
commentaire, éditorialistes plus ou
moins malveillants, opposants au
pouvoir, rigolards, acharnés et,
bientôt, graveleux.
Alors passons nous aussi sous les
fourches caudines de la nouvelle
doxa bien pensante et répondons à
la question à cent euros : oui, Bruno
Le Maire – dont personne, y compris
ses adversaires politiques, ne
conteste que, depuis six ans déjà, il
occupe Bercy avec autorité et sang-
froid – a le droit d’écrire et de pu-
blier. Il a le droit d’occuper ses nuits
et ses quelques jours de vacances
comme il le veut au rythme qu’il
veut. Procès insensé. Procès dans
un moment dégoûtant de notre his-
toire collective.
Bruno Le Maire.
Le ministre de l’Economie
a déjà écrit plusieurs
ouvrages, dont un livre
politique remarquable.
Et essayons de répondre aux seules
questions, simplettes il faut en
convenir, qui auraient dû prévaloir.
Est-ce un bon livre ? Et Bruno Le-
Maire, précédemment auteur d’un
remarquable livre politique (Des
hommes d’Etat, Grasset) et d’un
essai éclairant (Musique absolue,
Gallimard) sur un génie de la mu-
sique, le chef d’orchestre Carlos
Kleiber, peut-il prétendre à la qua-
lité de romancier ?
Notre réponse : oui, à n’en pas dou-
ter. Deux frères, Oskar et Franz Wer-
theimer, juifs américains d’origine
allemande, l’un neurologue, l’autre
pianiste « raté », atterrissent à Cuba
Fugue
américaine, pour un concert du grand Vladimir
Bruno Le Maire, Horowitz, « le » pianiste du XXe siècle,
Gallimard, disparu en 1989. Bruno Le Maire n’a
480 pages, jamais dissimulé sa passion pour
23,50 euros.
Horowitz le tourmenté, le dépressif,
mené à la baguette par son épouse,
la redoutable Wanda Toscanini. Os-
kar va devenir le confident du maître
et le thérapeute défait de son frère.
Voilà la trame d’un texte remarqua-
blement bien écrit. Bruno Le Maire
fait revivre un étonnant Horowitz,
inquiet, tourmenté, obsédé par ses
« concurrents », Rubinstein et Rich-
ter. C’est sans doute la partie la plus
poignante du roman. Alors le pas-
sage érotique…
Essai-enquête
L’envers de la
conspiration
Voilà un livre d’utilité publique,
à lire dans les écoles et partout
ailleurs pour comprendre les
phénomènes complotistes.
Rudy Reichstadt, à la tête du
site Conspiracy
Watch, fait
partie des
meilleurs
spécialistes
de cet univers
inquiétant.
Il nous explique
en quoi
l’industrie du complotisme
est dangereuse, car puissante
et organisée. Elle a aussi fait
de la vie de ces combattants
pour la liberté de l’esprit un
enfer. Menaces, dénonciations,
insultes, violences physiques,
JOEL SAGET / AFP
attaques racistes, antisémites…
dans l’indifférence générale,
les complotistes osent tout.
Un éclairage glaçant.
Au cœur du complot,
Rudy Reichstadt, Grasset,
120 pages, 15 euros.
Dictionnaire
Le sens
de la Toscane
Historien de l’art, écrivain,
Adrien Goetz aime par-dessus
tout la Toscane. S’il n’est pas
seul à entretenir cette salutaire
passion, il détient un avantage
considérable
sur les
amoureux
à la petite
semaine que
nous sommes :
il sait tout,
connaît tout,
chaque musée,
chaque église, chaque chemin
à emprunter. Ecrit d’une
belle plume littéraire, ce
Dictionnaire amoureux, d’une
entrée l’autre, nous fait ressentir
que Toscane et beauté sont
à jamais synonyme. Adrien
Goetz y parvient mieux que
bien. Après avoir « joué » avec
ce dictionnaire, notre passion
toscane sera (forcément)
modifiée.
Dictionnaire amoureux
de la Toscane, Adrien Goetz, Plon,
• 656 pages, 26,50 euros.
11 MAI 2023 - CHALLENGES N°786  103
Cultures livres
Ludovic Vigogne

La page blanche
du président
Le journaliste de L’Opinion retrace le passage à vide du début du second quinquennat
d’Emmanuel Macron, qui a débouché sur l’échec des législatives. Extraits (pages 31-36).

Deux jours après sa réélection, le chef de Richard Ferrand, François Bayrou et Edouard Phi-
l’Etat a organisé un dîner pour choisir les lippe se sont rencontrés en toute discrétion à la
candidats de son camp aux législatives questure de l’Assemblée, en fin d’après-midi. Ces
des 12 et 19 juin. Sur la liste de tout ce qu’il a à faire trois-là ont décidé de tenter de trouver un accord
pour la suite, c’est le premier dossier auquel il s’at- pour les législatives. Jusqu’à présent, alors que le
taque. Comme d’habitude, il compte bien mettre son scrutin approche à grand pas, il n’y a eu aucune réu-

grain de sel partout. Valider chaque nom. Dans la
pièce, un buffet a été dressé, un écran, installé.
Chaque circonscription y est, l’une après l’autre,
projetée, avec les noms des candidats possibles. Ils
sont classés en deux catégories : « incarnation
potentielle LREM » et « incarnation partenaires
présidentiels », c’est-à-dire le MoDem de François
Bayrou et Horizons, la formation créée à l’automne
précédent par Edouard Philippe. Mais aucun de ces
deux-là, pas plus qu’un de leurs représentants, n’a
été ce soir invité.
En arrivant, Richard Ferrand a distribué au chef de
l’Etat et au secrétaire général une version imprimée
du fruit de son labeur. Le Breton a notamment déci-
dé de ne pas reconduire un certain nombre de dépu-
tés LREM sortants, qui n’ont pas brillé ces cinq an-
nées passées à l’Assemblée ou qui lui paraissent en
difficulté. Emmanuel Macron conteste vivement ce
parti pris. Pourquoi évincer des élus qui ont été
loyaux ? Ils n’ont pas démérité, après tout ! Et celui-
ci, alors, pourquoi l’écarter ? Le locataire de l’Elysée
trouve qu’il lui adresse toujours des messages si
sympas. Et celle-là ? Le ton monte. « Puisque tu
veux t’occuper de tout ! Moi j’arrête », lance le pré-
sident de l’Assemblée nationale.
Juste avant ces agapes, il n’en a encore rien su, mais
il s’est passé quelque chose d’important.
Capture d’écran FT
nion entre les trois composantes de la majorité. Il
fallait faire mariner Edouard Philippe ; c’était la stra-
tégie élyséenne.
Pour les présidents de l’Assemblée nationale, du
« Alors que MoDem et d’Horizons, c’est l’heure de la rébellion.
Durant toute la présidentielle, ils ont eu le sentiment
les législatives d’être marginalisés. « Emmanuel Macron s’est em-
approchent, ployé à retirer toutes les verticalités de sa cam-
il n’y a pagne : les partis, les élus qui comptent », relevait
à l’époque l’un d’eux – vous trouverez lequel des
eu aucune trois ! En amont, Richard Ferrand et François
réunion des Bayrou ont été complètement tenus à l’écart des
composantes préparatifs stratégiques et de l’élaboration du pro-
gramme. Au début de février, ils ont tellement rué
de la majorité. dans les brancards que, par la suite, Emmanuel
Faire mariner Macron a dû faire un peu plus attention à ses deux
Edouard barons. Pour autant, ils n’ont pas été dupes. Bien
souvent, ils ont constaté que le chef de l’Etat conti-
Philippe ; nuait à préférer s’entourer d’autres qu’eux. Quant à
c’était Edouard Philippe, c’est encore plus simple. Le pré-
la stratégie sident l’a constamment ignoré, au propre comme au
figuré. Lors du seul grand meeting de celui-ci, le
élyséenne. » 2 avril, à La Défense-Arena, le Havrais a bien remar-
qué que sur les écrans géants de la salle, les plans du
premier rang où il était assis, s’arrêtaient
à sa voisine, l’épouse de Richard Ferrand,
afin qu’il n’apparaisse pas.

Notre avis. Ludovic Vigogne,
passionné de politique, journaliste
à L’Opinion, nous fait vivre au plus
près les débuts du quinquennat.
Ces cent jours cruciaux, où il ne va
rien se passer. On découvre
l’impréparation, l’absence de projet,
le manque d’appétit du nouvel élu
pour ce deuxième mandat,
l’inconsidération totale pour ses
partenaires, la volonté de se mêler
de tout… Et les hésitations,
la procrastination. Ainsi, Jean
Castex se voit proposer de rester
à Matignon, par défaut. Il refuse,
mais ensuite, il n’en finit pas
d’attendre la nomination de son
successeur. Toute la Macronie
assiste en silence, médusée, à ce
long fasseyement qui va déboucher
sur l’échec des législatives. Ainsi,
le premier président de la Cour des
comptes, Pierre Moscovici, s’étonne
du nombre d’inconnus dans le
gouvernement et de l’absence de
poids lourds. Réponse d’Emmanuel
Macron : « C’est fait exprès. » Plus
on entre dans les coulisses de
l’Elysée, plus le mystère Emmanuel
Macron s’épaissit. G. O.
Les sans jours, Ludovic Vigogne,
Bouquins Editions, 198 pages,
19,90 euros.

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 Menthon
Domenach Double je
VENDREDI 5 MAI
Nicolas Thierry cherche les polluants
dans les cheveux des députés
L
’écologiste Nicolas Thierry fut l’un de ces lanceurs d’alertes
qui ont pressenti les dégradations de l’environnement. Avant
même de devenir député, il a tiré la sonnette d’alarme sur le
réchauffement climatique, les pesticides ou encore l’exploita-
tion des fonds marins. Il mène aujourd’hui la croisade contre les
substances poly ou perfluoroalkylées, connues sous le nom de
PFAS, qu’il fait prononcer à l’anglaise, « pifasse ».
A force d’interpellations, il est parvenu à faire sortir le rapport
de l’Inspection générale de l’environnement et du développe-
ment durable sur ces polluants massivement présents dans les
emballages alimentaires, les textiles, les automobiles… Des
substances « suspectées d’entraîner 1 000 maux graves, de
l’obésité au cancer en passant par le diabète ». L’Europe prévoit
des restrictions, mais seulement pour 2027. Du coup, il vient de
sortir une proposition de loi pour les interdire. Afin de mobiliser
ses collègues, Nicolas Thierry se propose de leur prélever des
cheveux pour y trouver des traces de « pifasse ». Une quinzaine
d’élus, de quinze régions, seraient volontaires pour « démontrer
que ces polluants éternels sont partout ».
SAMEDI 6
Via Le Monde et Le Figaro, la guerre
woke bat son plein
A
près la publication par Le Monde d’une tribune d’un collectif
de 200 universitaires, selon lequel « l’antiwokisme est infi-
niment plus menaçant que ledit wokisme auquel il prétend
s’attaquer », lesdits « antiwokistes » se rebiffent dans les
colonnes du Figaro, dénonçant la « cécité » d’une partie de
l’intelligentsia française.
Lors d’une conférence à l’Académie d’éducation et d’études
sociales, la professeure en littérature comparée Emmanuelle
Hénin, qui a cosigné ce texte avec Pierre-Henri Tavoillot et
Xavier-Laurent Salvador, revient sur l’événement-fondateur de
cette forme de guerre de religion. Après avoir constaté l’appa-
rition dans les copies d’expressions comme « société cis hétéro-
normée » ou « racisme systémique », elle a organisé en janvier
B. Delessard/Challenges
2022 à la Sorbonne un colloque sur le wokisme, dont la publica-
tion des actes (500 pages !) va relancer les hostilités. A l’arrivée,
Emmanuelle Hénin n’est pas mécontente : « On a mis le sujet
au goût du jour, beaucoup de députés s’en sont saisis et une
dizaine de livres sur le wokisme sont parus l’an dernier. »
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MARDI 9
Les drapeaux de Bergé mettent
en colère le MoDem
T
rès remonté contre « les blocages du groupe Renaissance »,
le député MoDem Bruno Millienne n’a pas hésité à s’adres-
ser à Elisabeth Borne, via un coup de fil puis publiquement,
pour lui faire savoir que « ça ne pouvait pas continuer comme
ça ». Selon lui, il est plus que temps d’acter du fait « que la majo-
rité n’a plus la majorité. Il faut donner la main au Parlement,
à tous les groupes de l’arc républicain ».
L’élu bayrouiste a du mal à supporter sa collègue Aurore Bergé :
« Même si la présidente du groupe Renaissance à l’Assemblée
bloque, il faut maintenant aller de l’avant, et pour des textes
qui touchent vraiment au quotidien, pas comme celui du
pavoisement des mairies aux couleurs nationales et euro-
péennes. » Ce texte-là fut retoqué en commission justement par
l’abstention MoDem, en raison de son « inutilité ». Pour Bruno
Millienne, « la démocratie parlementaire doit être saisie des
vrais sujets ; même sur l’immigration, il ne faut pas hésiter à
mettre les parlementaires devant leurs responsabilités, et s’ils
se défilent, ils en répondront devant l’opinion ».
Le CAC 40 a fait de Clément
Léonarduzzi sa coqueluche
C
e rapport confidentiel de 134 pages met en émoi le petit
monde des conseils en « stratégie et en influence » qui en-
toure les patrons du CAC 40. A l’oligopole d’antan – Image 7,
DGM, Havas, Publicis – s’est substitué un jeu plus ouvert lié au
renouvellement des dirigeants des sociétés composant l’indice
boursier parisien et de leurs directeurs de la communication.
Après 85 heures d’entretiens menés avec un panel de profession-
nels de la communication, dont des journalistes, il ressort des
travaux de Vincent de La Vaissière (VcomV) que le retour de
Clément Léonarduzzi – après une parenthèse de deux ans à
l’Elysée – a boosté Publicis Consultants, largement en tête du
classement, avec une note supérieure à 15 sur 20, selon les
quatre critères retenus (portefeuille de clients, attractivité, mo-
dernité, gestion de crises) : « C’est le meilleur du marché, il fait
la course en tête, au point qu’il va falloir que Publicis Consul-
tants soit moins dépendant de lui. »
Il y a aussi « la relève prête à foncer ». A savoir le duo formé par
Anton Molina et Yves-Paul Robert, cofondateurs de Plead, une
émanation d’Havas qui pointe à la 3e place, juste derrière sa
maison mère. Il y a également un autre ancien de l’Elysée, Julien
Vaulpré, dont l’agence Taddeo, 5e, passe devant Image 7 (6e) et
DGM (8e). Scission de cette dernière, Primatice (Olivier Labesse)
se glisse à la 4e place. •
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