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BUDO INTERNATIONAL N° 13 - 10/95

DO : LES HUIT PIEGES D'ILLUSION (1)


Par Henry Plée 1/ Le syndrome parole-pensée

Pour mieux comprendre ce qui suit, il serait bon de vous reporter aux numéros
précédents de la revue "Budo international "qui expliquent le sens profond du suffixe do
accolé à tous les budo actuels. Un syndrome est constitué par l'ensemble des symptômes
devenus pathologiques.
Il s'agit, avec le "syndrome parole-pensée", d'un piège subtil, et nombreux sont ceux qui
s'y laissent prendre sans même s'en rendre compte. Ce piège ne signifie pas qu'il faut
cesser de parler ou de penser. Il met en garde sur le fait qu'une pensée peu claire
provoque toujours un certain désir de parler pour la conforter. Il y a un effet de retour
sur la pensée, qui entraîne à nouveau la parole etc., et c'est ainsi qu'un mensonge, une
"identification", une "illusion "peuvent devenir une réalité pour le chercheur de Vérité.

Comme on l'a vu dans les articles sur la signification du suffixe do en bu-do, un des buts
est d'atteindre le "silence intérieur", une maîtrise de l'esprit qui ouvre des possibilités
immenses à l'homme, non seulement en arts martiaux mais également dans la vie. Ceux
qui aspirent à l'Éveil, réfléchissent sur ce que peuvent bien signifier la libération,
l'observation de soi, le travail sur soi, l'épanouissement, la paix intérieure, etc. Il est
naturel pour un Homo sapiens-sapiens de réfléchir et de penser .Mais y penser, pour en
parler, ne donnera malheureusement pas plus de résultat que les discours sur l'amour ne
donneront naissance à un enfant...

Le travail (avec un grand T) exige en fait que l'on mette fin à tout dialogue intérieur, au
moins quand on le désire. Le but est de faire des efforts pour être. Non pas de
convaincre et de se convaincre, en bavardant, que l'on "est". Mais, habitués comme nous
le sommes à un bavardage interne incessant nous ne nous sentons pas à l'aise face au
silence. Or ce bavardage interne est stérile. En effet, notre but est de ne trouver quelque
chose de nouveau que dans la mesure où l'on parvient à y puiser ce qui correspond à
notre subjectivité déjà constituée... pour en faire le centre de gravité de nos réflexions
faussées. Voilà ce qui est stérile.

Le bavardage interne ne suffisant pas pour apaiser notre ego, il nous faut parler à
quelqu'un ayant le même monde intérieur faussé. Il nous faut "communiquer "et
bavarder avec enthousiasme sur certains enseignements, insignifiants, n'éclairant qu'un
aspect particulier de l'une des innombrables questions, dont l'ensemble seul peut mettre
en évidence la Vérité.

De nombreuses "histoires de Sagesse", ou des allégories, tentent de transmettre ce


message essentiel, telles que "L'éléphant dans le noir "(où des aveugles tâtent divers
parties d'un éléphant, animal inconnu pour eux, et font des conclusions erronées sur ce
qu'est en vérité un éléphant), ou les célèbres allégories illustrées telles que "Le
domptage de la vache "(japonais), du "cheval "(chinois) ou de "l'éléphant "(indien et
tibétain) ; un domptage effectué en dix étapes, où l'animal qui tient place de symbole
blanchit peu à peu jusqu'à la "libération".

L'étiquette du dojo interdit tous bavardages dans le dojo.

Recommandation qui devrait être inutile puisque dojo signifie "lieu (jo) de recherche
élevée (do)", et que l'on devrait s'y comporter non pas comme dans gymnase mais
comme les "fidèles "le font naturellement dans tout lieu spirituel, temple, église,
synagogue, mosquée etc. Pourtant, peu de pratiquants occidentaux respectent au dojo
cette étiquette extrêmement importante. Sur un plan purement pratique, le silence au
dojo est important parce que parler durant les enseignements est source de distraction et
donc d'accidents, et de malentendus (animosités) et, surtout, incite à ne s'intéresser qu'à
l'aspect purement technique (efficacité par la technique) ou à ce qui est "spectaculaire
"(ce qui satisfait l'ego).
Il est tout à fait naturel qu'un jeune pratiquant soit intéressé, en priorité, par l'aspect
technique et par l'efficacité. Il est généralement venu aux arts martiaux uniquement
dans ce but. Mais le silence au dojo peut le mener à réaliser, peu à peu, dans un premier
temps, qu'à technique égale, celui qui a le mental le plus "fort "gagne, et dans un second
temps, que ce mental est le secret de la réussite dans la vie.

Mais la règle du silence durant les entraînements n'est que la partie émergée de l'iceberg.
Il faut également éviter de "penser". Parce que cette "pensée "entraîne le syndrome
pensée-parole-pensée, et qu'elle ne vient pas de notre vrai "penser "mais de nos réflexes
conditionnés. C'est parce que votre bavardage vient de votre "penser ordinaire "qu'il est
plus important de s'attacher à ne pas penser que de se contraindre au silence... et de
gamberger intérieurement. Aussi étonnant que cela paraisse, il est fréquent que l'on
parle au dojo parce que l'on est "agressif", que l'on sait que les autres le sont
également... et que l'on souhaite désamorcer leur agressivité tout en se donnant
l'impression que l'on est supérieur. On fait ainsi d'une pierre deux coups, deux mauvais
coups. Il faut donc, conformément à l'étiquette du dojo, ne jamais parler durant un
entraînement, que ce soit pour rectifier une erreur, pour mettre en garde ou pour
demander moins de brutalité.

À propos de brutalité martiale, les occidentaux de passage au Japon sont toujours


étonnés de voir que tout entraînement avec un partenaire commence habituellement par
la formule de politesse "doucement s'il vous plaît"... et qu'immédiatement après leur
partenaire japonais leur rentre dedans sans ménagement. En fait, cette formule de
politesse ne signifie pas "je vais vous ménager... ménagez-moi", comme c'est le cas en
Occident... sans que ce soit dit, mais juste l'inverse "je vais faire de mon mieux... faites
de même pour que je progresse". C'est ce que signifie d'ailleurs le "ouss", japonais,
d'origine militaire puis universitaire (plus exactement "ouss "signifie quelque chose
comme "je vais y mettre tout mon coeur, toute mon énergie, même si je dois en
mourir")..

Par ailleurs l'étiquette de dojo n'interdit pas de parler hors du dojo, mais elle le suggère à
ceux qui savent lire entre les lignes. Puisque ce que l'on demande de faire dans un "lieu
"(jo) où l'on étudie la "Voie "(do), la moindre des choses est de s'efforcer de faire de
même dans la vie. Si l'on bavarde technique ou do entre pratiquants imparfaits, on ne
peut que se piéger mutuellement ou s'égarer. Bien entendu, les pratiquants "parlent
"malgré tout, et même beaucoup.

Penser à un problème est humain. Mais le problème, en tant qu'être pensant est que
nous pensons au passé (avec nostalgie ou rancune) ou au futur (les désirs, les passions
ou les rêves) et rarement au présent. C'est le fameux "ici et maintenant "qui fait sourire
les esprits étroits. Éprouver le besoin de parler, généralement pour ne rien dire de
valable, est un piège parce que, si nous ne trouvons personne à qui parler, personne
avec qui communiquer, c'est à nous même que nous nous adressons... parfois à haute
voix. Cette habitude qui consiste à parler de "recherche de Vérité "(technique ou mentale)
est encouragée par ceux qui, s'imaginant être sur la Voie, ont tendance à conseiller ou à
constituer des groupes. S'ils le font dans le but, non avoué, de progresser eux-mêmes et
d'avoir des élèves "miroir "(miroir de leurs propres bêtises) ou cobayes, ce peut être
valable. S'ils pensent être "arrivés "et veulent aider les autres, il y a tout lieu d'être
inquiet.

En théorie ces groupes sont censés être utiles, permettre des rencontres, des échanges
d'observations, favoriser l'objectivité, la sincérité etc. Il est pourtant rare qu'ils y
parviennent car, d'une part, les participants ne souhaitent que parler pour se sentir
mieux dans leur peau, et d'autre part, parce que les animateurs, qui généralement, en
Occident, ont décidé eux-mêmes de devenir "animateurs", n'appartiennent encore, en
fait, selon leur "être subjectif", qu'au niveau exotérique. C'est à dire au niveau technique
ordinaire, populaire. Chacun enseigne en fait d'une manière unilatérale des bribes
glanées ça et là, auprès d'autres sensei dans le même état subjectif.
Il ne sort généralement rien de bon de ces groupes parce que la plupart de leurs
"disciples "ou "élèves "ne souhaite nullement être confrontée à leurs propres faiblesses.
Au contraire, leur voeu le plus cher est de renforcer leur carapace défensive (bloquant
leur vrai Moi) et de mettre un masque de "chercheur "(ou de budoka). Ils sont protégés
contre l'éventualité de cette confrontation par un système complexe de défenses, venant
de leur monde intérieur faussé. Défenses qu'ils n'ont absolument pas l'intention de
sacrifier.

C'est pourquoi, dans le "groupe de Recherche "qu'est le dojo, au lieu de faire face à leurs
propres faiblesses, la plupart des pratiquants ne développent habituellement que leur
"self-defence intérieure", celle de leur ego. C'est également pour cette raison, qu'en
pratiquant un art martial, on en reste habituellement au stade de la technique sportive,
ce qui explique les abandons, sous divers prétextes (boulot, famille etc.), dès que la
vitalité de la jeunesse diminuant, il devient évident que seul le mental peut compenser
l'âge. C'est à ce moment là qu'une remise en question totale est devient indispensable.
Si cette remise en question n'est pas faite, et elle est très rarement faite, l'homme
s'enfonce alors un peu plus dans ce que toutes les Traditions nomment "le sommeil".

Il est fréquent que des pratiquants déplorent que leur sensei se cantonne dans
l'enseignement purement sportif et n'aborde pas les aspects mentaux des arts martiaux.
C'est un moindre mal. Transformer un "club de sport martial "en "groupe de Recherche
"(vrai sens de dojo) serait inutile si le dirigeant du groupe n'en est encore qu'au niveau
exotérique. Entre l'ignorance du dirigeant de groupe moyen et la crainte éprouvée par la
majorité des membres du groupe à l'idée d'affronter les monstres qui peuplent leur
labyrinthe personnel, il n'est pas étonnant que ces groupes s'avèrent inutiles. Ils sont
d'ailleurs plus qu'inutiles. Ils sont nuisibles parce qu'ils favorisent le syndrome parole-
pensée.
Nous verrons dans le prochain numéro le deuxième piège d'illusion, à avoir "le syndrome
du disciple".
BUDO INTERNATIONAL N° 14 - 11/95
DO : LES HUIT PIEGES D'ILLUSION (2)
Par Henry Plee 2/ Le syndrome du " disciple "

On peut aussi parler, pour ce second piège, de syndrome de l'admiration éperdue.

Il concerne l'admiration, le dévouement fanatique et la croyance aveugle suscitée par un


maître ou une doctrine.

Que ce soit un vrai maître ou un maître charlatan, une discipline martiale, un style, une
religion, une réalité ou une utopie, ce syndrome prive le disciple de tout discernement et
abolit toutes les capacités de raisonnement objectif dont il aurait pu être doté. Toutes ses
émotions sont centrées sur le maître (et sa doctrine) qui prend aux yeux de son disciple
la stature d'un Dieu.

Le maître ne peut faillir, ne peut mentir, ne peut mystifier. En art martial il devient "
superman ", il peut affronter dix agresseurs sanguinaires, il est capable de pouvoirs
supranormaux etc. Les enseignements doivent être acceptés littéralement et totalement
sous peine d'exclusion. Ce ne sont habituellement pas les maîtres, vrais ou faux, qui
excluent mais les disciples les plus fanatiques. Les victimes du syndrome de l'admiration
éperdue sont prêts à tous les excès vengeurs, que le maître les réprouve ou non.

En lisant ces lignes, on pense immédiatement aux excès des intégristes ou


fondamentalistes de certaines religions monothéistes, aux schismes, aux guerres de
religions, à l'inquisition etc. On pense également aux partis politiques extrémistes et aux
sectes (il en existe plus de 3000 dans le monde... sans parler de certains styles martiaux
devenus de véritables sectes). On y pense, on le déplore, on ironise, on critique... mais
jamais personne n'estime être tombé dans ce piège. Ce sont toujours les autres qui sont
dans l'erreur et qui, parfois, nous attaquent. Pourquoi cet aveuglement ?

Parce qu'il existe des méthodes de conditionnement et de lavage de cerveau,


parfaitement au point depuis des siècles, pour fanatiser les disciples. Il est bon de
connaître et de savoir reconnaître ces méthodes. Elles consistent, en gros, à isoler
mentalement ou physiquement les disciples du reste du monde. À les priver de sommeil
(tous les monastères du monde n'accordent que quatre à cinq heures de sommeil,
réparties en trois cycles de quatre-vingt-dix minutes qui peuvent suffire mais
affaiblissent le raisonnement objectif). À les nourrir avec des aliments peu énergétiques
en protéines (végétarien, macrobiotique etc.). À provoquer des modifications d'état de
conscience par des litanies, des prières rythmées, des chants entraînant des vibrations
dans le cerveau, ou des exercices physiques provoquant un transe. Des éclairages par
flamme directe (les bougies sont idéales), des parfums ou des fumées (l'encens par
exemple) ont également des effets hypnotiques. Parfois des sévices physiques "
salvateurs " complètent le tout (le froid, les coups de bâton, les flagellations, les postures
pénibles sur les genoux ou assis sur les talons) etc. Des textes " sacrés " psalmodiés et
des sermons chargés de charisme entretiennent aussi le conditionnement.
Des tenues vestimentaires " originales " peuvent également favoriser le sentiment d'être
hors du commun.
Comme il est dit au début de certains films, " si cette liste vous rappelle quelque chose...
ce n'est que pure coïncidence ".

Fort heureusement, dans la plupart des budo, ce type de conditionnement n'existe plus.
Encore que pour certains styles, au " rituel " précis et imposé, quasi mystique, on n'en
soit pas loin. Certains uchi-deshi (les disciples vivant chez le maître) peuvent également
être abusés. En karaté et kung-fu, la multitude de styles a fait que certains d'entre eux
se sont transformés en de véritables sectes. Isolées les unes des autres, ces styles-
sectes ont leurs propres championnats et refusent prudemment d'affronter les autres
styles en compétition. Ce qui peut être valable mais est plus souvent un signe de
mystification. Leurs disciples présentent souvent le syndrome du disciple fanatique ayant
perdu toutes ses capacités de raisonnement objectif.

En aiki, qu'il soit aïkido ou aiki-jutsu, on retrouve les mêmes syndromes. Ceux-ci
s'aggravent au décès du maître fondateur. Les successeurs désignés par le maître décédé
ne sont jamais acceptés par les disciples avancés (et âgés) prétendant détenir la Vérité.
Le piège du syndrome de l'admiration éperdue est un piège puissant et redoutable. Pour
le disciple comme pour le maître, surtout si ce dernier n'est pas parfaitement confirmé.

Un vrai maître est très attentif à ce syndrome. Car s'il accepte de devenir le " père
spirituel " du disciple, il sera inévitablement, un jour ou l'autre, confronté au complexe
d'oedipe (où l'enfant doit " tuer " le père pour devenir adulte) et jeté au bas du piédestal
où le disciple l'avait placé. Le syndrome de l'admiration éperdue est à l'origine d'un grand
nombre de désastres que la race humaine s'est infligée. L'être humain le plus dangereux
n'est pas le voleur, le violeur ou l'assassin ordinaire. L'être humain le plus dangereux est
le fanatique émerveillé qui, au nom d'une idéologie exterminera (ou exploitera) une
population entière et sera parfaitement convaincu du bien-fondé de ses actions. La
capacité de destruction de ces fanatiques est illimitée. Ils sont totalement aveuglés par
leurs convictions. Ils sont devenus incapables de pensée objective et ont aboli en eux
toute trace de conscience.

À propos des délinquants " ordinaires ", cela m'étonna beaucoup lorsque l'on m'expliqua
qu'un délinquant est en fait " normal " sur le plan des pulsions animales (car l'homme est
fondamentalement, physiquement et mentalement un animal de la catégorie des
mammifères prédateurs). Comme le font les animaux dans la nature, les délinquants
prennent sans complexe " dans la nature " (en ce qui les concerne, la société) ce qui leur
manque. D'où la difficulté de réprimer ces comportements dits " anti-sociaux ". Ce sont
les hommes " normaux ", socialement conditionnés, qui sont en réalité " anormaux " sur
le plan de leur nature animale. La preuve en est que si l'excuse est socialement valable
(une guerre par exemple), ils se comportent comme des asociaux, en pillant, en tuant...
et sont décorés, deviennent des héros respectés, tandis qu'ils seraient emprisonnés en
temps " normal ". Un loup est en chacun de nous. La question est de savoir si nous
aurons la force de cohabiter avec lui ou si nous nous laisserons aller à redevenir un
animal sans conscience et avec seulement une vision à très court terme.

C'est pourquoi l'emprisonnement des " anti-sociaux " ne fait qu'aggraver leurs
comportements, d'où leur haine quasi générale contre la société. La société qui n'a
encore rien trouvé de mieux que " la mise en cage " pour éviter l'anarchie. Tous les
fanatiques tombés dans le second piège d'illusion ont deux points faibles. Ils sont
crédules et influençables.

Lorsque une troisième Guerre Mondiale éclatera, ce ne sera pas la faute de militaires
maladroits ou celle d'hommes politiques aux idées confuses, mais celle de fanatiques
tous prêts à faire sauter la planète au nom de la doctrine insensée à laquelle ils adhérent.
Et à cela, aucune utopie de paix mondiale éternelle n'y pourra rien.

Quelle que soit la discipline martiale que vous pratiquez, quel que soit le style adopté,
passionnez-vous honnêtement pour cette discipline et pour votre style, mais si vous
voulez réellement progresser, essayez (car ce n'est pas facile de tomber dans ce piège)
de conserver le plus de capacité de raisonnement objectif possible.
BUDO INTERNATIONAL N° 14 - 11/95
DO : LES HUIT PIEGES D'ILLUSION (3)
Par Henry Plée 3/ Le syndrome du faux maître

Ce troisième piège d'illusion se situe à l'opposé du second piège, le syndrome de


l'admiration éperdue.

Il n'y a plus en Europe, techniquement parlant, de professeurs fantaisistes et dangereux.


En France, seul pays au monde où cette loi existe, l'enseignement professionnel n'est
possible qu'après l'obtention d'un Diplôme d'État, qui exige un bon niveau technique et
des connaissances avancées en pédagogie, en secourisme, et tout ce qui appartient au
tronc commun des arts martiaux, etc.

Où les choses sont sérieuses, c'est lorsque des maîtres (ou similaires), techniquement
excellents, pédagogiquement corrects, sont certains d'être capables de transmettre à
d'autres certaines Vérités essentielles au sujet de la vie spirituelle ou du do de l'art
martial qu'ils enseignent. Ils tombent alors dans le syndrome des " faux messies ".

Cette catégorie des " faux messies " ne comprend pas que ce que l'on pourrait appeler
des escrocs ou des charlatans. Ces derniers créent, tout à fait délibérément, dans leur
propre intérêt et en " volant " quelques idées qu'ils auraient été incapables d'avoir eux-
mêmes, une fausse religion ou une fausse interprétation d'un style martial, et en tirent
souvent des avantages considérables. À moins d'être débutants ou complètement bornés,
vous en connaissez tous. Il ne s'agit que de commerçants et de vendeurs de rêves. Leurs
activités s'assimilent plus à une branche de l'industrie du spectacle qu'à l'enseignement
d'une Vérité. Les naïfs qui se laissent prendre par eux méritent souvent ce qui leur arrive.

Les victimes de ce troisième piège, ceux qui sont certains d'être des maîtres, sont
dangereux parce qu'ils sont sincères. Ils croient à leur propre message et à leurs
capacités de transmettre à des disciples certaines vérités essentielles. Ils ont souvent
vécu une expérience de pseudo-Éveil ou ont rassemblé quelques idées valables, ça et là,
qu'ils présentent sous forme de système parce que ces idées ont provoqué en eux, dans
le passé, des prises de conscience intéressantes.

Tous ceux qui tombent dans ce troisième piège ont en comme point commun d'être
engagés sur la " Voie de l'ego ". Ces " faux messies " piégés veulent des adeptes. Plus
leur nombre est grand, plus ils sont heureux et plus ils sont persuadés d'être des maîtres.
Ils confondent, comme beaucoup, quantité et qualité. Tout le monde sait que,
obligatoirement (c'est une loi de la nature), quantité est synonyme de qualité moyenne,
voire médiocre. Pourtant des adeptes sont toujours attirés par les maîtres à succès et se
sentent mal à l'aise si leur maître a très peu d'adeptes.

Cela vient de ce que l'homme " ordinaire " est attiré par les gagnants (c'est le processus
d'identification) et qu'un maître ayant peu de disciples, parce que peu de qualités
exceptionnelles, est a priori considéré comme un perdant (un looser). C'est un peu
comme si l'on estimait les " Maths Sup. " inférieures à l'arithmétique, parce qu'il y a trois
millions de " pratiquants " d'arithmétique en primaire, et moins de 2000 en cursus
universitaires spécialisés. Il y a aussi que l'homme " ordinaire " n'a pas appris à
distinguer les vrais maîtres et les vraies valeurs.

Les véritables maîtres ont peu de disciples parce qu'ils les limitent et ne tentent jamais
d'en attirer. Au contraire, ils s'efforcent de les décourager, les mettent à rude épreuve.
Ils les mettent en garde contre les difficultés du chemin à parcourir. Ils leur disent qu'il
vaut mieux rester confortablement " endormis " que de se réveiller à moitié. C'est en cela
que l'on distingue un vrai maître d'un " faux messie ". Une autre caractéristique des "
faux messies ", du fait qu'ils ne sont pas désintéressés, est qu'ils souhaitent garder à
jamais leurs disciples en état de dépendance.
Ainsi, le faux maître fait de ses élèves des esclaves consentants, exige l'obéissance
totale, décourage toute pensée et toute action indépendante. Le vingtième kyokun
(précepte) des arts martiaux, qui dit " Toujours inventer ", est régulièrement mystifié par
ces faux messies par... " conserver l'esprit ouvert " ou similaire. Ce qui est du même
ordre mais évite que les élèves cessent de les admirer ou tentent de trouver leur propre
Vérité. Car chacun doit trouver sa propre Vérité, du fait qu'aucun homme ne cheminera
de la même façon, même si la finalité est la même pour tous... Les autres
caractéristiques du faux maître sont sa vanité, sa susceptibilité, son autoritarisme, son
goût pour les distinctions et les titres ronflants, les vêtements extravagants. Il ressent
une profonde irritation si on ne l'appelle pas " Maître " et si on ne lui témoigne pas le plus
grand respect.

Le vrai maître agit très différemment et souvent choque ses disciples en se comportant
d'une façon qui semble incompatible avec l'état de maître. Il lui est indifférent qu'on
veuille devenir son disciple ou qu'on le quitte, qu'on l'admire ou non, car il est parvenu
au stade où il est désintéressé et ne peut être ni flatté ni insulté.

Ce qui précède ne doit pas vous inciter à juger votre sensei. Il est ce qu'il est et ce qu'il
enseigne techniquement en art martial est largement suffisant pour que vous progressiez.
De toutes façons, ce troisième piège ne concerne que les " maîtres " et les " faux messies
" sincères... qui ne réalisaient pas dans quel piège ils étaient tombés. Les maîtres
charlatans, eux, savent très bien ce qu'ils font et pourquoi ils le font. Ils n'ont que faire
de connaître ce troisième piège... sauf peut-être pour le récupérer et mieux conditionner
leurs propres disciples. En les mettant en garde contre les " faux messies " ? Dans le
prochain numéro nous verrons le quatrième piège d'illusion : le syndrome de groupe.
BUDO INTERNATIONAL N° 20 - 05/96
DO : LES HUIT PIEGES D'ILLUSION (4)
Par Henry Plée 4/ Le syndrome du " groupe "

Il s'agit d'un piège très dangereux, dans lequel des groupes entiers (et des dojo ou des
styles) risquent de tomber.

Il joue un rôle important dans le do dont on pourrait même dire qu'il constitue la clef de
voûte. Le syndrome du groupe apparaît lorsqu'un véritable maître meurt. Comme on a
pu le voir lors du décès des fondateurs de certains budo, en judo (Maître Kano), en
karaté (Maître Funakoshi et d'autres pionniers), en aïkido (Maître Ueshiba), les élèves les
plus anciens ou les plus proches du maître décédé estimèrent alors qu'il était de leur
devoir de poursuivre son oeuvre.

Ce fut peu sensible en judo que Maître Kano avait lancé comme un sport qui avait des
implications mentales mais secondaires. Néanmoins des anciens du judo, à Kyoto
notamment, estimèrent que le Kodokan de Tokyo ne représentait plus le vrai judo, sous
la présidence de Risei Kano (le fils adoptif de Jigoro Kano). En une décennie, ils finirent
par mettre au second plan le Kodokan, qui était depuis presque un siècle la " Mecque "
du judo mondial.

En karaté, lorsque Maître Gichin Funakoshi décéda, l'éclatement fut presque immédiat. "
On " organisa, dans les mois qui suivirent, les championnats Shotokan du Japon,
championnats auxquels s'opposait le Maître. On ne tint aucun compte du fait que le
successeur désigné était le Maître Hironishi. Un maître absolument remarquable, qui était
toujours aux côtés du fondateur Shotokan, mais humble, discret, et totalement
désintéressé. On ferma l'Association des amis de Maître Funakoshi (" shotokai " en
japonais, " shoto " étant le nom de plume du Maître, et " kai " signifiant " association ").
Cette association réunissait tous les anciens élèves, hauts gradés, de Maître Funakoshi.
Les raisons de cette dissolution sont contradictoires : " le Shotokai tournait en secte
religieuse ", " les membres du Shotokai voulaient que le karaté reste un bujutsu et non
pas un do " (le nom Karaté-jutsu fut abandonné vers les années 1935), " le Shotokai
refusait que le karaté s'adapte à l'évolution sportive ". Trois explications qui se
contredisent. Tous les maîtres s'étant retirés, le " Shotokai " désigna désormais le " style
" de Maître Egami, un second lieutenant du maître fondateur. Maître Egami, après une
longue maladie (une tuberculose) avait créé un style fluide, remarquable, à l'opposé du
style carré de Maître Gichin Funakoshi, de son fils Gigo, et de Hironishi.

En aïkido, lorsque le Maître Ueshiba décéda, son fils lui succéda selon la tradition
martiale. Mais les conflits internes furent si intenses que finalement celui-ci se retira pour
des raisons de santé. L'Aikikai est maintenant l'organisation officielle de l'Aikido Ueshiba.

Ces quelques exemples, connus, sont destinés à montrer que, lorsqu'un grand maître (O-
sensei) meurt, les problèmes commencent entre les disciples. Le maître avait une
autorité incontestable et incontestée. Il était le centre de la roue. Après sa disparition, les
disciples ont besoin de légitimité, ils forment alors un groupe, une association, une
fédération, etc., dans laquelle ils se constituent en hiérarchie. Le rang qu'ils y occupent
ne dépend pas de leur niveau de conscience personnelle (ni même de leur niveau
technique réel s'il s'agit d'art martial) mais du temps passé auprès de ce maître décédé,
et de la place plus ou moins proche qu'ils occupaient de son vivant.

Tout ce que le maître a enseigné devient sacré, même s'il s'agissait manifestement de
bêtises avancées pour mettre à l'épreuve la crédulité d'un élève (les vrais maîtres
adoptent souvent des comportements déroutants pour éviter que le disciple ne
s'identifie). Toutes les méthodes qu'utilisait le maître sont transmises telles qu'il les
enseignait, alors que ce maître les utilisait " au bon moment " selon l'état de lucidité de
chaque élève, et qu'il aurait certainement fait évoluer son enseignement s'il avait vécu
quelques dizaines d'années encore.
C'est pourquoi ces hiérarchies ont tendance à se fossiliser avec le temps et à se figer
dans une stricte orthodoxie. Ces " garants de l'orthodoxie " ne tiennent aucun compte du
fait que leur maître avait un savoir-faire très personnel, variant selon l'évolution des
individus, et qu'en imitant leur maître, leur façon de faire risque d'être totalement
inefficace. Elle l'est en règle générale... et devient même parfois nuisible (entraînant des
troubles psychosomatiques, des décès et même des suicides). Par ailleurs ces " garants
de l'orthodoxie ", qui sont en règle générale sincères, ne comprennent absolument pas
que l'ancienneté n'est pas synonyme de progrès permettant de transmettre. Ce n'est pas
parce que l'on a consacré trente ou quarante ans à travailler avec un maître, qu'on l'a
bien connu jadis ou que l'on a vécu à ses côtés, que l'on est nécessairement avancé ou "
libéré ". Ces " garants de l'orthodoxie " fonctionnent souvent de façon machinale. Ils
mystifient (involontairement) et se sentent investis d'une autorité parce qu'ils sont
capables, si l'on appuie sur le bouton correspondant, de citer tous les conseils ou toutes
les techniques " homologuées " du maître. Très souvent, cette volonté de transmission
abusive se traduit par une imitation de la façon de parler de ce dernier, du ton de sa voix,
de ses tics verbaux, voire de son accent s'il était étranger. Un exemple d'identification
totale !

En fait ces anciens ou patriarches sont souvent parvenus dans une impasse et se
préoccupent surtout de l'organisation politique du groupe. La seule chose qu'ils
souhaitent c'est la survivance du groupe de leur maître, qu'il soit ou non vidé de toute
substance. Aussi consacrent-ils leur énergie aux petites (ou grandes) rivalités qui se
manifestent toujours, de façon inévitable, dans tous les groupes dont le maître est mort.

Le syndrome de groupe est aussi grave pour les disciples anciens que pour les disciples
plus jeunes. Il leur offre un moyen de se réfugier dans l'erreur... sans réaliser qu'ils sont
tombés dans ce piège d'illusion. Ce qui, entre parenthèses, est la norme : sauf Éveil
particulier, il est en effet très rare de réaliser que l'on est tombé dans un des huit pièges
d'illusion. Parce qu'ils sont membres du " club ", ils estiment avoir réussi quelque chose.
Ils pensent être sur le do, le " Chemin ". S'ils restent assez longtemps dans le groupe, ils
s'élèveront dans la hiérarchie et finiront par s'imaginer qu'ils sont devenus eux-mêmes
des maîtres. Ce qui est bien entendu possible, mais rarement le cas.

Il est donc extrêmement difficile d'échapper au piège du groupe, tant pour les membres
de la hiérarchie que pour les élèves. Et cela parce qu'ils aiment ce piège et sont heureux
d'y demeurer. Ils préfèrent l'illusion à la réalité. En fait, ils aiment qu'on leur dise ce qu'il
faut faire et ce qu'il faut penser, ce qui leur épargne de penser par eux-mêmes. Il arrive
parfois qu'apparaisse, au sein d'une organisation moribonde, un véritable maître, âgé ou
jeune, doté d'un pouvoir suffisant pour se libérer du piège et en affranchir, pour peu
qu'ils le veulent bien, ceux qui en sont prisonniers. On le voit de temps en temps, dans
les sectes, ou en arts martiaux, qui mettent à nu, sans pitié, les faux-semblants sur
lesquels reposait cette forme d'illusion. Dans le passé les maîtres qui s'affranchissaient
d'organisations moribondes, parce que le maître fondateur était décédé, étaient
calomniés, assassinés ou exécutés. De nos jours on utilise presque les mêmes moyens.

Et il faut beaucoup de courage pour se libérer d'une organisation et agir ainsi. Mais le
courage est une des caractéristiques des véritables maîtres. Ils ont un esprit libre, dont
le seul but est d'aider ceux qui le désirent à accéder à la liberté.
Dans le prochain numéro nous verrons le cinquième piège d'illusion : le syndrome du
salut personnel.
BUDO INTERNATIONAL N° 20 - 05/96
DO : LES HUIT PIEGES D'ILLUSION (5)
Par Henry Plée 5/ Le syndrome du salut personnel

Le cinquième piège d’illusion, celui du syndrome du “ salut personnel “, est un piège


subtil et dangereux dans le sens où ses conséquences peuvent avoir des effets très
destructeurs sur le psychisme humain. L’homme peut alors se comporter de façon bien
plus stupide et cruelle que n’importe quel autre mammifère terrestre. Le syndrome du
“ salut personnel “ repose sur une particularité humaine qui n’existe pas pour les autres
espèces animales. Celle de se poser des questions, en tant qu’Homo sapiens-sapiens
(conscient de penser et sachant qu’il n’effectue qu’un “ passage “ sur terre), sur ce qui lui
arrivera après sa mort et de vivre en espérant une autre vie après la mort. Soit dans un
“ paradis “... paradisiaque, soit dans une réincarnation, plus heureuse, soit en esprit pur,
etc.

La plupart des hommes accepte de reconnaître que leur corps physique est une colonie
de cellules, chacune avec sa vie propre (et son patrimoine génétique), composées
d’atomes, semblables à tous les atomes de l’univers, et que ces atomes continueront à
tournoyer lorsque cette chose étonnante et mystérieuse qu’est “ le souffle de vie
“ s’arrêtera, et que le corps redeviendra poussière. C’est principalement cette peur
latente de la mort et l’espoir, raisonnable ou déraisonnable, que quelque chose d’eux
survivra, qui a donné naissance, depuis les temps immémoriaux, à des religions utilisées
au passage par des sages pour moraliser les ouailles... ou des charlatans pour manipuler
les adeptes (dans les sectes et autres). Et c’est ainsi que l’on en est arrivé à forger (avec
ou sans “ inspiration “ divine) des religions promettant une autre vie de délices à ceux
qui respecteraient les dogmes ou condamnant aux enfers ceux qui ne les respecteraient
pas.

On en est arrivé également à inventer des rituels et commandements, souvent


contradictoires, affirmant, par exemple, que le ciel serait pour ceux se rasant le crâne
(pour le bouddhisme), tandis que d’autres affirmaient qu’il ne fallait couper aucun poil du
corps, barbe ou cheveux, de la naissance à la mort (pour le sikhisme). Ou encore que le
jour de semaine sacré était le vendredi (pour l’Islam), le samedi (pour le judaïsme), le
dimanche (pour le christianisme) et bien d’autres coutumes qui seraient très étranges
pour un extra-terrestre qui viendrait nous rendre visite...

Quoi qu’il en soit cette peur de la mort entraîne une angoisse diffuse et une
culpabilisation qui perturbe le “ présent “. Et bien des religions provoquent souvent, chez
l’individu simple, l’inverse du but moralisateur recherché. Il est vrai qu’il n’y a rien de
très agréable dans cette seule certitude que notre destin est que nous allons mourir un
jour. Demain peut-être, les accidents n’étant pas toujours réservés aux autres. C’est un
peu comme sentir que l’on se trouve sur l’autoroute de la vie, dans notre voiture-corps
sans freins, à 200 km à l’heure, en plein brouillard, que jusqu’à présent on a pu éviter au
mieux les véhicules-accidents-maladies, qui roulent à contre-sens, et que l’on sait que
quelque part, quoi que l’on fasse, à plus ou moins de kilomètres de là, se trouve un
camion en travers de notre autoroute, avec la mort et sa faux, que nous allons nous y
écraser et que les atomes de notre corps physique vont s’envoler dans la nature... après
avoir été dégustés par des successions de bactéries (grâce, si l’on peut dire, à ces
familles de bactéries, on peut d’ailleurs savoir avec exactitude depuis combien de
minutes, d’heures, de jours, de mois, est mort un individu). Et ceci seulement en
supposant que nous échappions préalablement à l’un de nos prédateurs (il n’y a pas que
les lions et les chacals... les “ asticots “ en sont également).

Puisque chacun sait que son corps physique, sa chair, redeviendra poussière, atomes, il
est presque normal que l’on se pose un jour la question (intéressante d’ailleurs, mais
sans réponse vérifiable) de savoir s’il restera quand même quelque chose d’immatériel
(une aura, un esprit, une âme, etc.) de ce que nous sommes, petite merveille parmi les
autres merveilles sublimes que sont ... les hommes. Cette angoisse latente est renforcée,
même lorsqu’elle n’est pas obsédante, par le fait que les trois quart d’entre nous ont
parfaitement conscience qu’ils seraient déjà morts vers sept ans, ou au mieux vers trente
ans, si médecine et chirurgie en étaient encore au stade d’il y a deux siècles seulement,
ou si les antibiotiques et les vaccinations n’existaient pas, comme c’était encore le cas il y
a deux siècles.

Il n’entre pas dans notre propos de critiquer, de comparer ou d’ironiser sur l’athéisme
pas plus que sur les quelques 3000 religions et cultes spéculant sur “ l’après vie “, qui
toutes prétendent affirmer la vérité.

Puisque les budo, par le do d’inspiration bouddhiste, possède une connotation religieuse,
notre but est seulement de mettre en relief la grande confusion qui existe dans les
esprits et l’universalité de l’angoisse de la mort, qui est à l’origine de toutes les
philosophies depuis notre plus lointain passé, chaque religion ayant été d’abord une
philosophie à son origine. Il faut au moins, en tant que pratiquant, savoir ce que sont les
principales religions, notamment le bouddhisme... que le Pape vient d’ailleurs de
condamner en tant “ qu’illusion “. Il est impossible de faire une statistique valable pour
faire coïncider population et religion.

Curieusement, officiellement chaque homme est censé appartenir à une religion alors
qu’un tiers, environ, de la population mondiale est agnostique et athée (est-ce à dire non
angoissée par la mort ?). On adhère plus souvent par naissance à la religion de sa famille
que par conviction. Les changements de religion sont extrêmement rares et sont toujours
très mal vécus par la famille. Il est probable que les fanatiques, fondamentalistes, et
autres intégristes (qui existent depuis toujours) l’auraient été avec la même violence et
la même passion... si le hasard des naissances les avaient fait naître dans une famille
pratiquant une des religions qu’ils combattent avec la totale conviction d’être dans la
vraie religion.

Du fait que l’appartenance à une religion est plus une question de naissance, donc de
conditionnement familial, que de conviction, le syndrome du salut éternel est sérieux, car
il peut empêcher toute évolution consciente, que cette évolution se fasse ou non avec un
support religieux (toutes les religions, sans exception, visent l’épanouissement humain...
avec un petit quelque chose de particulier qui peut être le grain de sable dans le rouage).

La caractéristique d’un pratiquant d’une religion est habituellement de tout ignorer des
autres religions ou d’en avoir une idée totalement inexacte. Il n’entre pas dans nos
possibilités de les décrire, mais on peut les classer en deux grands groupes :

1/ Les religions monothéistes (un Dieu), représentant environ un tiers des croyants dans
le monde et le quart de la population (mais dix pour cent des croyants pratiquent
régulièrement)

2/ Les religions non-monothéistes, soit panthéistes (tendance à diviniser la nature : tout


ce qui existe est Dieu), soit polythéistes (plusieurs dieux dont l’un fait souvent figure de
Grand Dieu), soit philosophiques.

Les religions monothéistes sont généralement issues d’une “ révélation “ (Dieu parlant à
un messager). On pense habituellement que ce n’est le cas que pour les religions issues
d’Abraham, c’est à dire les religions juive, chrétienne et musulmane. Or, il en est
d’autres, telles que le brahmanisme (Indouisme), le parsisme (Zarathoustra dont la
doctrine aurait fortement influencé Jésus) et d’autres, des sectes à messies par exemple.
Les trois religions issues d’Abraham sont donc le judaïsme (juif signifie “ venant du pays
de Judée “, yehoudi en hébreu), le christianisme (chrétien vient de Christ, apparu comme
sobriquet ironique vers 40 après J.-C. ; le poisson était leur symbole, la croix n’apparut
qu’après), l’islam (musulman venant de mouslim qui signifie “ qui se soumet à Dieu “ ;
avant le XXe siècle on disait en français “ mahométans “).
Ces trois religions nées au Proche-Orient ont donné naissance à de nombreuses divisions.
Peu en Islam, à part les Chiites, mot qui signifie “ le parti d’Ali “. Beaucoup en ce qui
concerne le christianisme : les catholiques (à Rome), les orthodoxes (ce sont les Églises
orientales refusant le Pape et l’Immaculée Conception de la Vierge, les messes chantées
sans musique d’accompagnement), les protestants (schismes au XVIe siècle). Pour ce
dernier culte et sous l’impulsion de réformateurs, il existe cinq grandes confessions :
luthérienne, calviniste, baptiste, méthodiste, pentecôtiste (les protestants refusent les
décors cultuels et les statues dans leurs temples, s’adressent à Dieu le Père de
préférence au Fils ou au Saint-Esprit ; ils insistent sur la responsabilité personnelle de
chacun, sur l’autorité de la Bible et ils croient en la nécessité d’une réforme permanente,
d’où plus de six cent églises et communautés religieuses).

Dans le domaine des religions monothéistes, pourtant si autoritaires dans quant à leurs
certitudes, rien n’est simple. Les adaptations sont fréquentes, notamment avec le
bouddhisme, le taoïsme, ou l’indouisme (mais en rejetant la réincarnation). C’est le cas
pour le mazdéisme (dont le fondateur est Zarathoustra, vers 650 avant J.-C. en Iran ;
Mazdâh signifie le Grand Créateur avec deux forces). C’est le cas également des Églises
catholiques orientales (Antioche, Syriaque occidental, Maronites, Syriaque oriental,
Arménien, Pauliciens, Éthiopiens), dans certaines Églises protestantes, et en Islam
(Druzes, Imanites, Ismaéliens, Nizaris, Nusaïris, Alaouites, Zaïdites, Baha’ie, etc.).
Les dogmes continuent à évoluer au cours des siècles et des “ conciles “.

En christianisme, de l’année 325 à ces dernières années, il y eut vingt-deux conciles


œcuméniques. L’Église orthodoxe ne reconnaît que les sept premiers, l’Église anglicane
que les quatre premiers, et les quelques trois cent sectes protestantes importantes ne
reconnaissent que les quatre premiers conciles sans leur accorder cependant une autorité
propre. L’Islam, dernière religion monothéiste inspirée (Mahomet reçu sa première
révélation en 610, après le cinquième Concile chrétien) espérait également réunifier les
nombreuses branches du judaïsme et du christianisme. Puis, comme pour toutes les
autres religions monothéistes, après le décès du Prophète, il y eut un mouvement, au
départ politique, qui contesta la légalité de la succession (“ sh’isme “ vient de l’arabe
“ shi’at ‘Ali “ qui veut dire “ prendre le parti d’Ali “). On retrouve d’ailleurs ici le quatrième
piège d’illusion, le “ syndrome du groupe lorsque le maître décède “.

Les religions non-monothéistes sont intéressantes à décrire sommairement, à la fois pour


montrer le besoin latent d’une religion et pour comprendre que, très antérieures aux
“ nouvelles “ religions monothéistes, elles peuvent être tout aussi respectables que ces
dernières. L’animisme, pratiqué depuis les temps immémoriaux, souvent de pair avec le
chamanisme (pratique sous extase avec des dons de guérisseurs) est le culte des
ancêtres et des forces de la nature. Les morts sont considérés comme vivants,
bienfaisants ou hostiles, chaque force de la nature a son “ esprit “ ou “ génie “ (kami en
japonais), et l’on doit les apaiser par des rites appropriés. En général, il y a la conscience
d’un Etre suprême (Nyame, Mawau, Maangal, Neele, Manitou, etc.) que l’on invoque mais
sans culte direct. La spécificité du culte animiste se retrouve dans d’autres cultes (en tant
que culte des ancêtres) sous diverses appellations : le shintoïsme (800 millions de dieux,
vénération de l’Empereur et des forces qui animent la nature), le confucianisme, le
taoïsme, les formes d’origine africaine comme le vaudou (aux Antilles) ou le macumba
(au Brésil). Le paradis sur terre, ici et maintenant, demandant un certain “ travail “ sur
soi, comme l’abandon de masques fort agréables et la maîtrise de “ passions “ animales
primitives, on comprend le succès des religions offrant le pardon sous certaines
conditions.

Ce bref panorama des religions du monde n’a aucunement valeur de critique. Il n’a pour
but que de montrer l’extrême vulnérabilité du psychisme humain devant la mort.
Le syndrome du salut personnel apparaît également, un jour ou l’autre, dans des arts
martiaux où il est question de do compris en tant que religion. Or, ce syndrome repose
sur un grand malentendu. Qu’il soit monothéiste, panthéiste, polythéiste ou autre, les
croyants s’imaginent que leur Moi, c’est à dire leur ego, avec ses vices et ses vertus
(connaissances et expériences inclues), peut être “ sauvé “ et “ monter au ciel “ ou “ être
libéré “.

Les monothéistes sont convaincus que s’ils vont au ciel c’est leur Moi, leur ego (avec
leurs connaissances, avec leurs cinq sens et même leurs parties sexuelles qui leurs
donnent tant de plaisir) qui va vivre l’éternité au milieu de délices permanents et entouré
d’anges jouant de la harpe... Et, s’ils vont en enfer (mais c’est toujours pour les autres)
c’est encore leur Moi, leur ego, qui gémira et hurlera entre les démons et les flammes
éternelles...

Il est normal qu’un croyant à l’esprit simple et conditionné ait le désir, déplacé,
d’accéder au salut individuel avec tout le bagage contenu dans son cher ego. Or, et les
texte sacrés le disent clairement pour les esprit “ moins simples “, s’il monte au ciel, ce
n’est pas le croyant avec son ego qui “ montera “ mais son esprit pur. Et un esprit pur,
malheureusement pour les jardins de délices, n’a que faire des fontaines de vin et des
jeunes filles éternellement vierges ou des beaux jeunes gens, toujours prêts à vous faire
monter au septième ciel... En fait, toutes les religions, au second niveau, invitent
l’homme à se libérer des limites étroites de son ego. Il s’agit plus de “ libération “ par
rapport à l’ego que de toute autre libération. Il est en fait question d’un état de liberté
intérieure. Dans tous les cas il est question de se libérer de l’emprise de l’ego, et c’est ce
cheminement qu’exprime le do accolé à nos budo.

Si l’on est croyant, comme le disait Jésus, on ne peut pas plus entrer dans le royaume
des cieux ou devenir esprit pur, avec notre ego, que le chameau de l’Évangile ne peut
passer par le chas d’une aiguille. En se préoccupant de savoir ce que “ Je “ (l’ego) doit
faire pour être “ sauvé “ chacun de nous ne fait qu’aggraver une situation déjà bien
compromise, car ce “ Je “ ne peut rien faire ni être sauvé. Croire que notre ego, notre JE,
doit être conservé intact parce qu’il peut faire quelque chose pour nous, est une illusion
du même ordre que de penser pouvoir monter sur nos propres épaules pour nous diriger.
C’est ce désir de garder intact notre ego qui sera l’obstacle fondamental à toute évolution.
Dans le prochain numéro nous reviendrons sur terre et parlerons du sixième piège : le
syndrome de l’effort suprême.
BUDO INTERNATIONAL N° 21 - 06/96
DO : LES HUIT PIEGES D'ILLUSION (6)
Par Henry Plée 6/ Le syndrome de l’effort suprême

On pourrait également appeler ce piège, tout aussi subtil, syndrome de l’ascension de


l’Everest
Il consiste à croire que le do, et même une progression dans un des arts martiaux, exige
des efforts démesurés, analogues à l’ascension, en solitaire, du sommet le plus haut du
monde. Le piège est d’autant plus subtil que l’idée sur laquelle il repose n’est pas
éloignée de la vérité. Le “ cheminement “, tout comme l’entraînement, nécessite bel et
bien des efforts considérables, mais ce sont des efforts d’un genre très particulier, qui
exigent le maintien d’une conscience “ éveillée “. Ils s’assimilent d’avantage à l’adresse
d’un jongleur qu’aux tentatives acharnées que l’on fait en serrant les dents pour réaliser
des performances héroïques. Le syndrome de l’effort désespéré repose sur une
incompréhension profonde de ce qu’est le do et de ce que sont les arts martiaux. Pour les
arts martiaux, il faut produire des efforts sérieux, persévérants et souvent pénibles, c’est
évident, du moins pour la plupart (il en faut peu pour le kyudo et le Iaido).

Mais aucun n’est basé sur l’emploi de la force pure. Un effort désespéré (en japonais on
dit “ en état de désespérance “) à la fin d’une action martiale est souvent le secret de la
réussite. Au moment précis où un homme “ ordinaire “ considérerait l’action comme
ratée ou la victoire perdue, un pratiquant expérimenté ne perdra pas son esprit martial
et voudra “ gagner “ coûte que coûte. Mais ce sont des efforts désespérés exceptionnels.

Le piège concerne l’effort suprême que certains font à l’entraînement, frôlant alors le sur-
entraînement, pensant par ce sur-effort permanent progresser plus vite. C’est le cas en
judo pour les uchi-komi poursuivis jusqu’à l’épuisement, ou en karaté pour les postures
immobiles (en kiba-dachi ou ko-kutsu) maintenues une heure ou plus, au milieu de
crampes et de sueur de souffrance. Ces sur-efforts excessifs sont plein d’intérêt, on y
comprend mieux l’importance du mental, de certaines décontractions (on y reviendra).
Mais il est facile de tomber dans le piège dont nous allons parler plus loin. En ce qui
concerne le do, le cheminement, c’est oublier que l’éveil d’une conscience objective ne
peut s’obtenir par des efforts désespérés, ni continus ni exceptionnels. Le cheminement
véritable consiste en réalité à lutter contre l’illusion et l’identification.

L’identification est une faculté négative de l’homme. Celle qui fait plus son malheur que
son bonheur. Aucun animal ne s’identifie. C’est à dire qu’aucun ne gamberge sur le passé
et le futur, aucun ne s’identifie avec un autre, imaginant que ce dernier a des pensées
désagréables à son égard... alors qu’il n’en a pas, aucun chat ne se prend pour un tigre
et imite ce dernier, aucun ne se met à la place d’un autre en ressentant ce qu’éprouve
l’autre. Un exemple classique est de parler du chat “ torturant cruellement “ la souris
qu’il vient d’attraper. Ce chat n’éprouve aucun plaisir sadique à torturer la souris qu’il va
tuer et n’imagine pas, ne ressent pas, l’angoisse désespérée de la souris... avec laquelle
il s’exerce comme il le ferait avec une pelote de fil. Dans son cas, en torturant un autre
homme jusqu’à la mort, un homme (“ au sommet de la création... “) se projetterait dans
l’autre homme et savourerait dans son propre corps les souffrances qu’il fait subir. C’est
un exemple extrême d’identification.

L’homme peut, de la même façon, infliger des tortures mentales à un autre homme, ou
s’identifier à Bruce Lee après un film en ayant le sentiment d’être capable de faire la
même chose que son héros. Qui d’entre nous n’est pas sorti du cinéma avec les yeux
mouillés après avoir pleuré à chaudes larmes, parce que l’on s’est identifié à la vedette
du film, ou encore, amoureux de bons western, n’est pas sorti du cinéma en roulant un
peu les épaules, les jambes arquées, se sentant parfaitement prêt à dégainer les colts
qu’il n’a pas. Nombreuses sont les stars s’étant tellement identifiées à leur rôle qu’elles
restent Hamlet dans la vie, ou Dracula, ou Tarzan. Trois exemples de vedettes bien
connues parce qu’elles finirent leur vie misérablement ou internées.
Pour parler d’identification, et puisque l’on a évoqué Dracula, ce dernier exista. C’était un
seigneur de Roumanie, au bord de la Mer Noire, qui n’était pas ce que la légende en fit,
mais qui ne lésinait pas sur les moyens et ne manquait pas de connaissances
psychologiques. L’Empire Ottoman (les Turcs) se développait vers l’Europe centrale (ils
arrivèrent jusqu’en Autriche où, à Vienne, les boulangers pour leur plaire inventèrent des
pâtisseries feuilletées en forme de croissant car ils étaient musulmans, ce qui donna nos
croissants). Une première fois les Turcs avaient été repoussés et 3000 prisonniers
avaient été faits. Lorsque les vaisseaux turcs se présentèrent à nouveau, en grand
nombre, le seigneur Dracula fit empaler les 3000 prisonniers sur des pieux disposés sur
les plages. S’identifiant avec les tortures qui les attendaient s’ils échouaient dans leur
tentative d’invasion... les Turcs firent demi-tour. Voilà où mène l’identification humaine.
Des animaux auraient fait front à la menace ou, plus sûrement, seraient partis vers un
autre “ espace vital “ comme disait Hitler.

Mais l’identification est beaucoup plus subtile. Elle comprend également un état dans
lequel on est entièrement absorbé par ce que l’on fait, tout en perdant toute conscience
objective de sa propre existence. Bien des gens sont dans cet état toute leur vie (le
“ sommeil “) et notre civilisation est conçue de façon à ce qu’il se développe et qu’il se
perpétue. Nous sommes incités, à tout moment, à nous identifier à un rêve (de réussite),
un projet, une ambition, un désir (les publicités), à une croyance (la religions,
l’astrologie), un jeu de hasard (“ qui rapportera gros “), une récompense (les dan, les
titres de champions), etc. Lorsqu’un stade entier, ou les spectateurs d’un combat de
boxe, vibre lors d’un match sportif, ce n’est rien plus ni moins que par identification. Ce
phénomène d’identification est si habituel à l’homme que nous avons peine à croire que
l’on puisse vivre autrement.

Il y a bien sûr des identifications positives qui ont permis nos progrès scientifiques, mais
il arrive plus souvent que les individus s’identifient à ce qu’ils croient être. Au stade de
troubles psychiques nous sommes tous, plus ou moins, mégalomane (se surestimer),
schizophrène (se prendre de temps en temps pour un autre) et paranoïaque (se sentir
menacé) par identification. Certains hommes entreprennent alors d’être ce qu’ils croient
être ou ce qu’ils pensent pouvoir devenir, dans un état de gravité exceptionnelle et
sinistre. Ils estiment devoir faire non seulement des efforts mais des efforts désespérés
et déraisonnables.

En karaté certains élèves s’infligent des tortures qui leur laisseront des séquelles en
prenant de l’âge, comme de “ durcir “ leurs tibias en les frappant avec des bouteilles (ce
qui fragilise l’os en lésant le périoste), ou d’avoir des cals sur leurs poings en frappant un
makiwara, une planche ou le mur (se préparant des douleurs terribles en prenant de
l’âge), ou en se forçant au grand écart (risquant de finir leur vie sur une chaise roulante
ou avec des hanches artificielles), ou autre (la liste des conneries par identification est
longue en karaté et nin-jutsu).. Mais les kendoka ne manquent pas de s’identifier à
Musashi, les judokas à Sugata (s’il l’ont lu ou vu le premier film de Kurosawa), ou aux
samouraïs (s’ils ont vu les “ Sept Samuraïs “... que j’ai vu plus de trente fois dans ma
jeunesse, ainsi que Sugata Sanshiro, totalement identifié avec ces héros).

Les “ identifiés “ ne réalisent pas qu’il faut “ travailler “ d’un cœur léger, avec
acharnement certes, mais dans un esprit de total détachement par rapport au but rêvé.
On en est arrivé à se demander si l’on pouvait arriver à quelque chose sans ce rêve, sans
ego. Pour ma part je crois que l’identification peut être un stimulant exceptionnel mais,
malheureusement, on ne peut absolument pas monter très haut, en ce qui concerne l’art
martial du moins, sans détachement. Si le “ travail “ se transforme en une sorte
d’épreuve lugubre, il se traduit par des impressions de tension, d’inconfort et de
déceptions. Tout arrêt d’effort surhumain se traduit par un sentiment de culpabilité, qui
donne à son tour naissance aux pratiques d’autopunition consciente ou inconsciente.

C’est ce qui rend particulièrement odieux le comportement de certains passionnés ou


fanatiques. Ils prennent souvent l’habitude de “ punir “ ceux qui ne partagent pas leur
point de vue. Excès, vieux comme le monde, qui incitèrent un poète romain (dont j’ai
oublié le nom) à s’exclamer en latin ce que l’on peut traduire par “ tels sont les maux
auxquels l’identification peut donner naissance “ (il était plus question de religion que...
d’arts martiaux).

Mais comme il faut néanmoins éprouver une sorte de récompense intérieure (rien ne
peut être poursuivi toute une vie sans joie), le Chercheur de Vérité est donc un véritable
funambule, en équilibre instable permanent entre l’identification et le détachement (s’il
en sait l’importance).

L’identification peut aussi avoir un autre effet plus subtil. On est tous tombés dans ce
piège. Il consiste à prendre l’habitude de réserver une période à l’effort sur-humain (à
l’entraînement ou hors entraînement pour les arts martiaux). Pendant cette période tout
est fait pour “ écraser la bête “, pour se défoncer, pour une prise de conscience,
autrement dit pour se rendre la vie aussi difficile et désagréable que possible en vue d’un
résultat rêvé. Parfois on en arrive à l’identification extrême “ vaincre ou mourir “ (titre de
la petite brochure que j’avais d’ailleurs mise en vente à l’époque héroïque du karaté, vers
les années 1950... à l’époque où j’étais probablement en pleine identification, car on ne
le réalise pas sur le moment). Si l’on sait ce que l’on est en train de faire et pourquoi on
le fait, on peut bénéficier de ces épreuves. Malheureusement nombreux sont ceux qui
s’auto-défient sans avoir la moindre idée de ce dont il s’agit.

L’épreuve sur-humaine (“ qu’aucune bête n’aurait faite “, comme a dit, à peu près, un
célèbre aviateur tombé dans la neige des Andes) sert alors d’excuse à la gratification de
l’ego. Une compétition s’instaure et c’est à qui souffrira le plus durement et le plus
longtemps. La réaction se produit. Le boomerang vous revient en plein... ego. L’énergie
acquise, au lieu d’être utilisée de façon constructive, est gaspillée... dans les abus
auxquels on avait renoncé durant la période de sur-efforts non conscients. Ceux qui ont
souffert dans ces efforts héroïques s’estiment le droit de se laisser aller à une petite (ou
grande) récompense. Ils estiment que plus que les autres ils sont autorisés à se détendre,
à profiter de la vie, à être intolérants ou agressifs envers les autres. “ À trop lutter contre
le dragon on devient dragon soi-même “ dit un dicton chinois, très juste, que ne
contesteront pas les défunts Hitler, Staline et autres dragons idéologues ou religieux,
dont je ne dirai pas les noms pour ne pas me retrouver avec le “ grand sourire “ (la
gorge ouverte en demi-cercle d’un coup de couteau ou de rasoir).

Ainsi, ceux qui ont fait ces sur-efforts sans conscience gaspillent tout ce qu’ils ont gagné
en se livrant à des activités pénibles, qui deviennent inutiles, voire nuisibles. Le sur-effort,
qui peut apporter des bénéfices incroyables, n’exige aucune audace hors du commun.
Plutôt qu’un seul grand sur-effort sublime, le do appelle pour les débutants-Chercheurs
une suite de petits sur-efforts sans cesse répétés dans la joie et avec un brin
d’autosatisfaction (quand même, il ne faut pas pousser, on a le droit d’être satisfait de
soi si ce n’est pas de la vanité et s’il n’y a pas d’auto-glorification). Il faut une infinie
patience et la volonté de recommencer aussi souvent qu’il le faudra ces petits sur-efforts
conscients. Le piège d’illusion de l’identification se révèle si insidieusement que ceux qui
se laissent prendre au piège, et échouent, sont incapables de voir où et comment ils se
sont fourvoyés. C’est là où une aide extérieure, un vrai maître par exemple, peut être
utile.

Nous verrons dans le prochain numéro le septième piège d’illusion, à savoir le


“ syndrome de l’office du dimanche “ (allusion aux “ pratiquants chrétiens “, pour qui le
jour du Seigneur “ est le dimanche, alors qu’il est le samedi pour les juifs et le vendredi
pour les musulmans. Moi qui me sens très proche de ces trois religions, ainsi d’ailleurs
que du bouddhisme, de l’indouisme et sympathisant pour l’animisme, j’aurais beaucoup
aimé, dans ma vie, pouvoir honorer le Seigneur trois jour de suite par semaine, d’autant
qu’il s’agit du même Seigneur-Dieu...).
BUDO INTERNATIONAL N° 21 - 06/96
DO : LES HUIT PIEGES D'ILLUSION (7)
Par Henry Plée 7/ Le syndrome de l’office du dimanche

Ce piège est l’un des plus courants et des plus évidents. Nous y sommes tous tombés ;
mais dans lequel des huit pièges d’illusion n’est-on pas tombé si l’on a une longue
carrière martiale et de Chercheur derrière soi ? Aucun. Tous ceux qui décident de
pratiquer un art martial ou de s’intéresser au do tomberont tôt ou tard dans l’un des huit
pièges d’illusion énumérés dans cette suite d’articles. Il en est d’autres, plus subtils
encore, mais le moment n’est pas venu d’en parler.

Tout “ voyageur “ réaliste qui marche sur le Chemin (c’est-à-dire le do), s’il sait quels
pièges l’attendent se préparera à les affronter. Il faut pour cela savoir ce qu’ils sont,
savoir leurs caractéristiques, savoir si l’on s’y est laissé prendre, et s’efforcer
sincèrement d’en sortir. Le septième piège d’illusion, auquel personne n’échappe, fait que
ceux qui tombent dans cette véritable chausse-trape perdent rapidement de vue leur
véritable but. Au lieu de “ travailler “ sur eux-mêmes, ils se contentent d’assister
régulièrement aux réunions de groupe ou aux entraînements budo. Ils s’y rendent
machinalement, mûs par la force de l’habitude. S’ils n’y vont pas, ils se sentent mal à
l’aise et ont même un sentiment de culpabilité. Étant assidus, ils ont l’impression
d’appartenir au groupe, au dojo, au style, et ont ainsi la certitude d’être engagés sur le
Chemin. La certitude d’arriver un jour au but (l’Éveil, la ceinture noire, au stade de
professeur-sensei etc.). Il font tous les gestes, ils imitent les techniques enseignées,
écoutent les enseignement (sans réellement les “ entendre “), ils émettent quelques
remarques, ils lisent des ouvrages sur la question ou leur style, et ainsi de suite.
Mais en fait, une fois la réunion ou l’entraînement terminé... ils s’oublient.

Leur activité est purement superficielle et factice. S’il y a un manque de résultat ce n’est
pas leur faute mais celle de l’enseignement. Comme si le maître ou le sensei pouvaient
travailler pour eux. C’est un comportement infantile. Du même ordre que si un bambin
ne marchant pas encore voulait que ce soit ses parents qui marchent pour lui. Ou encore,
comme si ayant griffonné quelques dessins, comme tous les enfants le font, un homme
s’imaginant avoir du talent, rentrait dans l’atelier de Léonard de Vinci et traite ce grand
maître de faux maître parce qu’il est toujours incapable de peindre un portrait
ressemblant... bien qu’ayant fréquenté assidûment l’atelier durant plusieurs années.

Cela peut vous paraître excessif, mais je vous affirme que le cas est fréquent, tant dans
les groupes de Recherche (le do) que dans les dojo. Il se peut qu’en tant que débutants
le travail sur soi, l’entraînement, ait eu un sens jadis. Souvent les débutants sont plus
sincères parce que déterminés à évoluer, plus honnêtes parce que plus humbles, plus
logiques parce que encore conscients, plus capables d’adaptation que ceux qui sont déjà
“ avancés “, parce que moins conditionnés que ces derniers engoncés dans leurs
certitudes et leurs illusions. Mais, c’est la norme, il y a longtemps qu’ils ont perdu tout
contact avec la réalité. Il ne leur viendrait pas à l’idée qu’il puisse exister des
mystifications dans ce que l’on leur a enseigné comme “ absolument exact “ et dans ce
qui était dit être des “ erreurs “.

Pourtant, sans qu’il y ait eu véritable “ mystification “, ce que les japonais et les chinois
appellent “ l’Art de l’Avantage “ (traditionnel pour les Arts de Guerre), il est évident que
ce que l’on enseigne à un débutant ce sont les fondations (le niveau exotérique, où la
force physique est importante) et que ces fondations une fois acquises, il faut
pratiquement tout remettre en question pour bâtir leur maison (le niveau mésotérique,
où la vitesse et la décontraction sont importantes) et qu’ensuite il faudra à nouveau tout
remettre en question si l’on a le talent de pouvoir raser cette maison pour bâtir leur
“ building “ (le niveau ésotérique... où le mental est important et où l’on fait
techniquement non seulement ce que l’on faisait aux niveaux exotérique et mésotérique,
mais aussi... l’inverse : toutes les soi-disantes “ erreurs “ n’étaient en fait que des
qualités supérieures qu’il aurait été prématuré, nuisible même, de faire avant ce niveau).
C’est d’ailleurs le grand problème des sensei et le piège du faux messie (le troisième
piège d’illusion). Contraints d’enseigner sans cesse les bases, d’être un modèle de
perfection dans ces bases, physiquement fatigué par l’enseignement, il lui est difficile de
passer au niveau mésotérique sans que ses élèves soient déroutés et cherchent à l’imiter
(l’identification, le sixième piège d’illusion).

Quand à passer au niveau ésotérique, non seulement il faut être doué pour pouvoir
l’aborder (et beaucoup de sensei sont doués), mais il faut également du temps et il faut
trouver le maître qui enseignera ce niveau ésotérique, bourré de “ secrets “ (les hi-gi,
techniques cachées) qu’il est pratiquement impossible de redécouvrir seul. Il faudrait
pour cela avoir le génie des centaines de maîtres du passé, aux illuminations géniales,
qui se trouvèrent dans un contexte martial très différent de notre période relativement
paisible.

Pour les pratiquants et les Chercheurs de do, venir machinalement au dojo entraîne un
travail qui repose sur l’illusion pure et simple. Il est le produit du mécanisme qui
fonctionne sans relâche dans le cerveau de l’homme “ ordinaire “ pour créer l’illusion.
Nous verrons dans le prochain numéro le huitième et dernier piège d’illusion, le
“ syndrome de la chasse au vrai maître ou au guide “ (gourou en Inde).
BUDO INTERNATIONAL N° 22 07-08/96
DO : LES HUIT PIEGES D'ILLUSION (8)
Par Henry Plée 8/ Le syndrome de la chasse au vrai maître

Il s’agit d’un piège grossier. Lorsque l’on a compris qu’une aide extérieure, un “ guide
“ (ou un gourou en Inde) peut faciliter votre “ libération “, on rêve, c’est bien normal, de
trouver le maître des maîtres qui vous “ illuminera “... et qui ne facilitera pas mais plutôt
“ fera “ le travail pour nous. Ceux qui sont tombés dans le piège de la “ chasse au vrai
maître “ passent leur vie durant de “ maître “ en “ maître “, demandant à chacun de leur
révéler les secrets de la connaissance. Ils ne peuvent, ou ne veulent pas, comprendre
qu’il n’existe pas de secret à révéler (dans le sens où ils l’entendent, un genre de pastille
de LSD ou de champignon hallucinogène... qui soudainement leur ferait voir la Vérité). Il
est ainsi des hommes (au sens “ humains “) qui vont de maître en maître, d’école en
école, de groupe en groupe, de stage en stage, de séminaire en séminaire et qui finissent
très perturbés psychiquement... quand ils ne le sont pas également physiquement. Les
psychiatres et psychologues voient ainsi venir régulièrement à eux de ces perturbés, qui
demandent leur aide (pour l’Éveil ?)... et ces psy professionnels sont totalement déroutés
sur ce qu’ils doivent faire pour leurs patients.

Ils ne sont ni fous ni détraqués psychologiquement, ils sont, simplement mais gravement,
enfermés dans le piège de la chasse au gourou. En fait ils n’ont aucune intention de
travailler intensément et constamment. Ils attendent que tout leur soit servi sur un plat
et qu’un maître marche pour eux sur le chemin. Tout ce qu’ils veulent, c’est monter dans
la voiture du maître et que ce dernier tire la voiture tandis qu’eux, ces “ dormeurs “,
attendront que l’on arrive au terminus. Si le travail ne leur est pas présenté de cette
façon, ils en déduisent que le maître n’est pas un vrai maître, qu’il est un imposteur, un
charlatan, et ils s’en vont à la recherche d’un autre. Il peut en être de même en ce qui
concerne les ouvrages qui abondent, et ils naviguent d’ouvrage en ouvrage, déclarant
que l’auteur n’a rien compris. Et leur quête ne se termine jamais, si ce n’est par la mort,
pour la simple raison qu’ils ne veulent pas que leur quête aboutisse. Pour eux cette quête
est devenue une sorte de jeu en soi. Il y a bien longtemps qu’ils ont oublié ce qu’ils
cherchaient. Ce qui les intéresse, ou plus justement ce qui les amuse, c’est de chercher
pas de trouver.

Le travail pour se “ libérer “ recèle des secrets, c’est vrai. Le travail se protège. Mais ces
secrets ne peuvent être découverts parce qu’on les révèle. Si l’on n’est pas prêt, ils
seraient sans effet. Ils seraient même nuisibles. La découverte de ces secrets ne peut se
faire que par la pratique, une pratique qui doit atteindre un certain niveau d’intensité et
de continuité avant que le secret soit découvert ou qu’il puisse être révélé. C’est pourquoi
les vrais maîtres sèment une multitude d’embûches pour décourager les Chercheurs qui
n’ont pas une réelle détermination à se libérer.

Comme un maître remarquable l’a dit, la première chose que fait un vrai maître est d’”
écraser énergiquement le cor au pied le plus sensible “ du candidat disciple.
Habituellement en écrasant la vanité, la surestimation de soi, ou en exigeant des mois
(voire des années) de travaux physiques, pénibles ou stupides. Tels que couper du bois
(très traditionnel), faire le ménage ou la cuisine (traditionnel en arts martiaux et en
soufisme), porter de l’eau, suivre le maître sans un mot (les grands bretteurs “ samouraï
“ et nos chevaliers avaient ainsi souvent un “ valet “), ou comme dans le premier film
“ Karaté Kid “, peindre ou polir sans qu’il y ait de relation évidente avec la Recherche ou
l’art martial. Puisque l’argent est ce qui touche le plus ceux qui ne sont pas des
“ gagneurs “ et ceux qui aiment être assistés, il est traditionnel également de demander
un gros sacrifice financier au candidat disciple. Le tout est de savoir si le maître qui
demande ce sacrifice “ suprême “ conserve l’argent pour lui-même ou s’il le donne à ceux
qui en ont besoin.
Bien entendu, un chercheur “ ordinaire “ sera tenté de penser qu’il est honteux de
donner de la connaissance (qui n’a pas de prix) contre de l’argent, et ne manquera pas
de critiquer. Je connais de nombreux maîtres qui furent accusés ainsi de cupidité alors
qu’ils étaient pratiquement démunis de tout. Je ne donnerai pas de noms, bien entendu,
mais on peut parler d’un cas bien connu, celui de Raspoutine, Maître-Mage de la cour de
Russie des années 1914. On sait maintenant qu’il était un vrai maître aux pouvoirs
psychiques hors du commun. Il demandait des sommes énormes aux nobles qui venaient
demander conseils et aide. Mais on sait aussi, maintenant, par correspondances croisées,
qu’il donnait l’intégralité de cet argent aux démunis et qu’il n’avait pas la vie dissolue
qu’on lui prêtait. On fit courir ces bruits parce qu’il conseillait au Tsar de ne pas faire
entrer la Russie dans la Première Guerre mondiale, prévoyant la montée du communisme.
Il fut empoisonné rocambolesquement, comme on le sait, et on connaît la suite.

Ceci dit, un vrai Chercheur ne doit pas s’arrêter aux comportements déroutants que peut
avoir un maître. C’est souvent un bon signe. Mais, bien évidemment, les maîtres
charlatans, pas plus idiots que les bons commerçants, ne manquent pas d’imiter les
mêmes comportements. Ceci dit, il est une chose qui doit être bien comprise. N’est pas
candidat disciple qui veut. Il ne suffit pas de se surestimer pour l’être.

Un disciple doit avoir atteint, seul ou avec de “ petits-maîtres “, un certain niveau


d’évolution qui en fait un vrai maître en puissance. En quelque sorte, il est déjà un maître
mais pas encore un vrai maître libéré. On pourrait dire qu’il faut un certain “ talent “ si ce
talent pouvait être aussi facilement distingué que pour un talent artistique, le dessin par
exemple. Que le candidat disciple ait atteint un certain niveau est souvent perdu de vue
par les “ Chercheurs de maîtres “, pourtant on peut facilement comprendre qu’un homme
possédant en arithmétique un niveau élémentaire, même s’il l’avait ardemment souhaité,
n’aurait pu bénéficier des enseignements d’un Einstein... en supposant que ce dernier
l’ait accepté auprès de lui.

Seul un vrai maître est capable de distinguer si le candidat disciple a le “don “ ou pas
pour se libérer. Il le fait au travers des épreuves dont j’ai donné quelques exemples,
mais aussi au travers d’épreuves psychologiques éprouvantes. Par exemple, car je me
doute que vous aimeriez des exemples, de chouchouter un disciple... sans dons, en
négligeant ostensiblement (ou en humiliant) un disciple doué et avancé en connaissances,
ceci dans le but de voir si ce dernier résistera, en toute humilité, à l’épreuve. Aucun
disciple “ tiède “ et vaniteux, surtout s’il est “ savant “ en Recherche, ne résistera à cette
épreuve, et on peut facilement le comprendre, “ dignité “ oblige. Il existe de nombreuses
autres épreuves de ce genre. Autrement dit, en supposant qu’on le trouve et que l’on soit
accepté, vivre avec un maître... n’est pas la période de joie que l’on imagine. La
béatitude heureuse des disciples entourant un “ Père “ ou une “ Mère “, silencieux et
souriants, dans un ashram indien, est d’un autre ordre.

Par ailleurs, il faut également comprendre, qu’un vrai maître est avant tout intéressé par
son propre achèvement... Ce dernier étant en cours s’il “ enseigne “ et achevé s’il
n’enseigne plus. Comme la libération totale n’est probablement pas de ce monde, tout
maître visible travaille encore sur lui-même. Bouddha (nom qui signifie “ l’Éveillé “ et non
pas “ le Libéré “ ni “ l’Achevé “) pratiquait encore au moment de sa mort. Ce qui explique,
peut-être, qu’aucun vrai maître ne souhaite avoir un grand nombre de disciple. “ Une
main “ ou “ deux mains “ (cinq à dix disciples) est la norme.

Plus souvent il n’a qu’un ou deux disciples (comme ce fut le cas pour Bodhidharma en
indien, Tamo en chinois, Daruma en japonais, fondateur du célèbre zen/chan). Ce qui
entraîne une perte irréparable si ces disciples meurent avant le maître (ce qui fut le cas
pour les deux disciples de Miyamoto Musashi : son art du combat à deux sabres fut perdu
à jamais).
En conclusion, pour revenir aux arts martiaux, ce qui précède doit vous faire comprendre
que c’est à vous, et à vous seul, de travailler et ceci avec n’importe quel sensei. La
recherche frénétique du sensei miracle ou du maître suprême vous fera oublier ce que
vous cherchez, et vous empêchera d’évoluer, car vous avez autant de chances de gagner.

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