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LE ROMAN AFRICAIN DEPUIS LES ANNEES 80

DU XXème SIECLE

Introduction
Les premières publications romanesques africaines furent en grande partie des
manifestes contre les conditions précaires du Noir. Après trois siècles
d’esclavage, l’Afrique retombe dans les mailles de la colonisation. Dés lors,
certains auteurs noirs s’armèrent de leur plume pour revendiquer leur
Négritude, leur humanisme et ainsi leur indépendance. Ils auront gain de cause
car le vent des indépendances va souffler à travers l’Afrique dés les années 60.

Mais au lendemain de ces indépendances, l’euphorie des africains n’a duré que
quelques années, car les pouvoirs arbitraires s’installèrent et s’y ajoutèrent les
calamités naturelles des années 70.

C’est dans ce contexte qu’une nouvelle vague de romanciers s’est exprimée en


abordant avec courage et lucidité cette situation chaotique mais surtout avec
une esthétique romanesque nouvelle.

Pour aborder ce thème, nous allons analyser d’abord la situation politique,


socioéconomique ensuite le roman et sa thématique et enfin l’esthétique
romanesque.

I / Le contexte historique de l’Afrique des années 80

L’Afrique des indépendances, immense espoir pour des ex colonisés ;


intellectuels ou non, sera une illusion appréciée de part et d’autre avec
différentes approches.

Si les uns s’attendaient à une vie meilleure, les autres prédisaient des
lendemains de chaos comme René DUMONT dés 1961 que « l’Afrique Noire est
mal partie »

Les attentes ne furent pas au rendez vous, pire les africains se sentaient
perdus. Les régimes ayant succédés aux envahisseurs vont non seulement
décevoir, mais ils vont surtout affecter physiquement comme moralement les
peuples africains.

En effet vingt ans après les indépendances, la situation politique, économique


et sociale a été malmenée par des comportements de gouvernance égoïstes,
egocentriques et malveillants.

1/ Le contexte politique

En politique, l’absence manifeste de démocratie trahit tout d’abord l’idée


d’indépendance donc de liberté dans la cité, d’égalité et de justice que requiert
cette forme de gestion de pouvoir et auquel les africains s’attendaient.

Des équipes totalitaires, arbitraires vont ancrer leur emprise en mettant en


marche une machine de répression, de torture, d’emprisonnement et parfois
même d’exécutions sommaires après ou sans procès équitables. La terreur est
érigée en loi. Les libertés individuelles comme collectives sont musclées,
bâillonnés. Le champ politique est réservé au parti unique du maitre unique.
L’opposition est inexistante sinon c’est la prison ou l’exil. La contradiction en
politique menace un pouvoir qui se veut eternel avec un président qui se veut à
vie pour présider les destinées de la nation devant qui il se présente comme
l’homme providentiel , seul capable de mener à bien les affaires de l’Etat . La
démocratie n’a pas eu droit de cité, car elle favorisait les alternances,
garantissait un recours légal aux fonctions électives. C’est ainsi qu’elle fut
bannie avec la plus ferme intention. C’est ainsi aussi qu’on assiste à des prises
du pouvoir par la force, coup d’Etat, entrainant des guerres civiles et dans
d’autres cas, des guerres ethniques, tribales, claniques, inter-états comme le
cas entre le mali et le Burkina en 1985. Le pouvoir, après vingt ans
d’indépendance a sérieusement miné les relations en Afrique. La violence est
utilisée surtout contre un potentiel concurrent, elle permet également
d’étouffer les velléités de contestation des populations. Les foyers de tensions
nées de ces abus débouchent pour la plus part à l’installation d’un chaos dans
ces pays et ce, pour une longue durée.

2/ Le contexte socio-économique

En économie, l’absence de plans sérieux de développement, la gabegie, les


détournements, la concussion et la corruption freinent l’essor d’un envol
économique. Il y’a aussi la non redistribution des richesses tirées ou produites
dans les pays.

La gouvernance économique opaque des états dans les années 80 s’est reflétée
sur la santé financière des nations. Elle les a poussé à s’endetter et à être
dépendantes des occidentaux, alors qu’on pensait en être débarassés après
l’accession à la souveraineté nationale. Le déséquilibre qu’on pensait rompre
ou régler avec les blancs est toujours maintenu, à cause d’agissements et de
comportements qui favorisent le sous développement, la pauvreté et la misère.
Les producteurs locaux ne sont plus performants à cause de la non assistance
de l’Etat qui les affaibli davantage sur la scène internationale. En plus de ces
contraintes au niveau mondial, les termes de l’échange se détériorent au
détriment des africains. Le comble des malheurs devait être le plan
d’Ajustement structurel de 1982, imposé aux africains, car disait on, ils vivaient
au dessus de leurs moyens, ils étaient trop à l’aise pour des nations jeunes et
point riches. Tout ceci s’explique par les actes des gouvernants qui avaient fini
par montrer aux blancs trop de luxe dans leurs dépenses.

Ce sont ces mesures qui vont obliger les Etats à prendre un recul dans leurs
missions premières, c’est-à-dire jouer le rôle protecteur. Les Etats se
désengagent dans des secteurs vitaux. Ni aide, ni assistance même son train de
vie est sensé y passer pour pouvoir bénéficier des fonds de la Banque
Mondiale. Mais en réalité cet argent est purement et simplement détourné au
profit de la classe dirigeante. Un peu partout des villas et des châteaux sortent
de terre, des voitures luxueuses sont la propriété de tiers.

Le prix à payer pour une assistance économique est devenu un fardeau sur les
épaules des simples citoyens. Pour un continent disposant de ressources
naturelles à ciel ouvert, les africains ne parviennent pas à se trouver une place
dans le commerce international, du moins une place profitable aux économies
des jeunes nations.

Cette situation économique va profondément endommager la condition


sociale.

La misère s’installe à grand pas dans les ménages avec son corolaire de dégâts
liés à la vulnérabilité des couples. Les ressources manquent, la vie devient de
plus en plus chère.
Les restrictions imposées par le FMI, la sécheresse, autant de fléaux qui vont
pousser des populations à quitter les zones rurales pour les centres urbains.
Nous assistons aussi au déplacement des millions de refugiés fuyant les
violences. Les bidonvilles naissent avec eux la promiscuité, l’insalubrité, les
maladies endémiques.

Un autre cas sérieux également à signaler : la mise au chômage de nombreux


agents de l’Etat. Avec les options de « départ volontaire » les privatisations et
compressions d’employés d’entreprises publiques. Les remèdes préconisés
contre les maux du sous développement de l’Afrique sont pires que les maux
eux-mêmes. La société africaine reçoit des coups de partout, le tissu social
s’effrite. Les pauvres en majorité côtoient l’opulence des nouveaux riches sans
pouvoir y accéder.

II/ Le roman et sa thématique

Le roman africain a connu dans les années 80 de profondes mutations. Ainsi, on


a le roman qui écrit le chaos africain et le roman de mœurs.
1/ Le roman de chaos ou de l’absurde

Un nouveau type de roman va naitre : c’est celui qui écrit le chaos africain ou
l’absurde. Ce roman va rapidement dénoncer les dérives de nos chefs d’Etat,
les ridicules de la nouvelle bourgeoisie, les déceptions et les difficultés des
masses populaires dont la situation empirait au regard de ces chefs d’Etat.
Beaucoup de romanciers comme Sony Labou Tansi, Henry Lopes, Amadou
Kourouma, Cheikh aliou Ndao etc., vont s’armer de courage par le moyen de
leur plume pour dénoncer ce courant de régimes dictatoriaux qui s’installent
presque dans toute l’Afrique. Le désespoir gagne tout le continent car
l’humanité n’a plus de respect. Nous assistons à des meurtres, des
emprisonnements, des viols à cause de nos nouveaux dirigeants. Cette
situation nous fait penser à la phrase d’Henry Lopes dans Le  Pleurer- rire,
quant il dit : « hier, nos misères provenaient du blancs qu’il fallait chasser pour
que le bonheur vienne. Aujourd’hui, les oncles sont partis et les misères
toujours là. Qui donc fallait-il chasser ? ». Cette interrogation animait tous les
africains qui étaient aux débuts des indépendances dans une grande euphorie.
Le Pleurer–rire met en scène un président dictateur qui s’accapare tous les
pouvoirs, il limoge son ministre de l’information pour avoir pris le téléphone
sans son avis. Ainsi que son ministre de la culture, invité par l’association des
écrivains à l’occasion de la journée internationale du livre. Il le limoge et prend
le porte feuille ministériel de la culture et des arts. Ce chef d’Etat se permet de
construire de salles de conférences où il reçoit ses homologues étrangers, des
hôtels par ci par là. Et lors de son anniversaire il sort un décret présidentiel qui
dit que les employés bénéficient de quatre jours chômés et payés, des voyages
incessants à l’étranger. Et tout cela sans se soucier des besoins de sa
population qui veut se nourrir, se loger, se soigner, et aller à l’école. Tous ces
aspects ne sont que des promesses.

Le romancier sénégalais Cheikh Alioune Ndao s’inscrit dans cette même lignée
de dénonciation. Il s’exprime dans, « Mbaam dictateur », en ces termes : « ils
ont laissé Wor transformer ses concitoyens en animaux. Le dictateur n’a laissé
ses compatriotes que l’aspect humain. L’intérieur a été vidé. Un homme sans
choix, sans préférences, sans droit, qui récite des phrases d’autrui, se limite à la
lecture indiquée, garde-t-il son sens d’être humain ? »p 161. Dans une telle
situation, on s’en rend compte qu’un tel pays est sans démocratie, ni liberté
d’expression et c’est la pensée d’une seule personne qui gouverne. Les
opposants sont réprimés, emprisonnés, envoyés en exil. C’est l’exemple du
romancier malien, Ibrahima Ly, prisonnier pendant 3ans pour d’obscures  « 
raisons politiques » dont le régime militaire de Moussa Traoré avait pris
ombrage.

Ibrahima Ly déclare que toutes dictatures, qu’elles soient militaires ou civiles,


sont susceptibles et méfiantes envers les intellectuels. Car l’intellectuel
possède une arme empoisonnée qui est son stylo. Et le professeur Ly s’en est
servi lorsque, après sa libération et son installation au Sénégal, il publie le
roman  Toiles d’araignée. Ce roman est un document accablant tant pour les
humains enfermés qu’il évoque que pour les responsables de la situation
dégradante. Dans ce roman, l’auteur se prononce à propos des prisonniers qui
sont toujours mal traités dans les cellules, quant il dit : «  le convoi des
prisonniers, très nombreux en cette saison, en route pour le « grand nord »
(arriva). Les déportés venaient de partout, déguenillés, squelettiques, les yeux
sortant de l’orbite, effrayants. Tous avaient le même visage comme les herbes
de la saison sèche ». Ces détenus sont emportés parfois vers des destinations
inconnues. Cette cruauté régulière fut dénoncée aussi par Ahmadou Kourouma
dans, En attendant le vote des bêtes sauvages  où nous pouvons lire ses
propos « il a fait sortir dans sa cellule un lépreux ». La proximité de la prison
avec le palais permet au président de s’y rendre toujours, il est au trône des
séances de tortures. On y retrouve les cellules des anciens ministres de la
santé, de l’éducation, du travail etc. Ce chef de l’Etat fut mesquin au point
d’avoir été capable de confisquer le bâton blanc d’un aveugle, beau frère du
neveu de l’individu qu’il fait condamner. L’ampleur des tortures est tellement
importante qu’elle installe le pays dans une situation où la peur gagne les
populations.

Un célèbre romancier comme Sony Labou Tansi fait de brillantes publications


qui dénoncent les absurdes pouvoirs dictatoriaux. Il publia en 1981 l’Etat
honteux, en 1983 l’ante-peuple, en 1985 les sept solitudes de Lorsa Lopez, en
1988 les yeux du volcan et en 1995 le commencement des douleurs. Il
dénonce sans cesse l’absurdité de la condition humaine sans pour autant
verser dans le désespoir : « Je ne suis pas pessimiste, je donne le constat du
froid et de la violence en sachant que l’homme s’est levé la tête quand

Ça sent trop fort la « connerie », tels sont ses propos en ce qui concerne un
peuple sous une oppression éternelle.

Dans ce même registre des romanciers qui ont écrit le Chaos africain, nous
pouvons citer l’ivoirien Jean-Marie Adiaffi qui a écrit la carte d’identité en
1980, Boubacar Boris Diop dans, les tambours de la mémoire, William sassine,
dans le zéheros n’est pas n’importe qui, en 1985. La liste est loin d’être close.
Et si nous regardons hors des pays francophones, on peut voir les signes avant
coureurs de ces récits catastrophiques dans l’extraordinaire parabole du
mozambicain Luis Bernardo honwana, Nous avons tué le chien teigneux, dans
le roman semi-historique de l’angolais Pepetela Yaka, et dans Une saison
d’anomie de Wolé Soyinka.

Son jeune collègue nigérian Ben okri développe un propos analogue dans la


route de la faim, de même que le soudanais Tayeb El Mahdi avec l’éphémère.
Enfin le somalien Nuruddin Farrah avec Sardines et un lait aigre-doux (1980)
retrace avec un talent infini les perturbations sociales et mentales engendrées
par la dictature. Telle est la situation du continent noir en cette époque. Cette
perception aigue du chaos qui envahit l’Afrique, Sony Labou Tansi l’a eu
plusieurs années avant les événements du Rwanda et du Congo. Le chaos, le
néant et l’absurdité sont en effet des mots clés de l’œuvre de cet écrivain.
Cette liste est longue et ces textes s’échelonnent sur une vingtaine d’années,
avec des tonalités de plus en plus violentes au fur et à mesure qu’on
s’approche de l’an 2000.

2 Le roman de mœurs

Le roman de l’absurde ou du chaos ouvre certes une voix nouvelle pour le


roman africain. Il s’affirme par une large représentation de grandes qualités et
de remarquables tentatives de rénovation d’écriture.

Cependant, il n’en a pas pour autant supprimer les autres types de romans.
Ainsi, parallèlement se poursuit le classique roman de mœurs qui développe
l’inépuisable conflit de traditions et du modernisme surtout repris à leurs
niveaux par les femmes. Les auteurs masculins ne sont pas en reste ; ils
s’attachent surtout à décrire les faits sociaux marquant des ensembles urbains
et leurs tares actuelles. La drogue, le vol, le meurtre, la prostitution, où encore
les mœurs carcérales y sont montrées dans les micro-milieux où ils sévissent
avec beaucoup de précisions et de vérité. Ainsi, De pulpe d’orange de
Mamadou Samb, L’homme de la rue de Pabe Mongo, Un bouquet d’épines
pour elle de Cheikh Aliou Ndao , dans ce dernier roman, l’auteur relate
l’histoire de Fatou personnage principal, installée en ville se livre à vivre le
célibat en fréquentant les hommes. Sa cousine, Anta qui a grandi au village vint
à Dakar et la trouva dans cette sorte de vie. Elle s’interroge en ces
termes : « comment parvenait elle à concilier l’éducation reçue au sein du
village avec un comportement que l’on hésite à nommer ? Pourquoi avait elle
choisi une bande de copines qui croyaient que la vie n’était qu’une calebasse
remplie de miel qu’il fallait vider au plus vite ? Comment des femmes
pouvaient elles s’enfermer avec des hommes et passer toute la nuit à boire et à
se livrer à des actes que la brave aurait préféré ignorer ?»p14. Voila deux
éducations qui s’opposent et chacun des deux personnages s’accroche bien à
sa manière.

Autour du récit de cette histoire, le personnage Fatou entreprendra le travail


de domicile communément appelé au Sénégal « bonne ». Elle sera avec ses
copines, des demoiselles pour un séjour à Dakar, et une fois au village, se
montre plus civilisée que les autres qui n’ont jamais quitté la campagne. Cheikh
Ndao, de relater leur point de vue à travers ce passage : « elles venaient à
Dakar, pleines de vie, curieuses d’apprendre, désireuses d’emporter à leur
retour au village quelque savoir-faire, le gout d’une modernité mal comprise,
rien que pour épater les non civilisées qui avaient préféré les corvées de la
brousse aux délices de la grande ville ».

Outre Cheikh A Ndao, la romancière sénégalaise Mariama Ba Développe dans


Une si longue lettre le thème de la polygamie .Dans cette œuvre Mariama Ba
témoignait de la vie de déception d’une femme moderne, urbaine, instruite,
veillant au besoin de son mari et de ces enfants .L’héroïne de ce roman,
Ramatoulaye, est avant tout une épouse responsable à l’opposé de
ces « drianké » qui ont fleuri dans les villes sénégalaises mais c’est aussi une
enseignante consciente et qui aide par son salaire aux dépenses du ménage.
Cette attitude ne lui épargne pas cependant d’être traitée comme la plus fruste
des  villageoises lorsque son mari décide sans même l’avertir de prendre une
autre épouse. Frappée dans son amour qu’elle avait cru réciproque autant que
dans sa dignité, elle subit la souffrance et la jalousie jusqu’à ce que la mort
soudaine du mari la dérive du poids du ménage devenu supplice.

Cette polygamie installe les femmes le plus souvent dans la rivalité non
seulement pour les attentions du mari mais aussi pour les avantages de leurs
enfants respectifs, celui qui obtiendra du père plus de faveurs. Ce qui, en
termes actuels signifie le plus d’argent, d’habits, de moyens de poursuivre la
scolarité etc.

Le roman de mœurs va aussi s’intéresser sur la vie rurale notamment


l’évocation de son enfance. C’est dans ce sens que le guinéen Tierno
Monenembo évoque l’enfance en pays peulh qui tempère quelque peu les
cauchemars dans les Racines du ciel. Dans cette même lancée Weynde Ndiaye
dans Le cap des chèvres, fait découvrir la vie d’un village perché au bord de
l’océan, où le merveilleux sérère côtoie les petites intrigues électorales du coin.
Le silence de la foret d’Etienne Goyemidé est un récit simple, presque
intemporel, regard d’une ethnie sur une autre bangas sur les pigmés ;
perception d’abord des différences puis apprentissages de la communication
du respect, de l’amour etc..  .Le Dernier de l’empire, l’Expert de la nation
d’Aminata Sow Fall et Les Gardiens du temple de Cheikh Hamidou Kane sont
trois romans de mœurs, avec une dimension politique plus ciblée qui affrontent
les pouvoirs politiques en la personne même des présidents et analysent les
solutions possibles aux impasses où ils se trouvent engagés.

III/- L’esthétique romanesque

Les premières générations du roman africain sont caractérisées par un


conformisme dans l’écriture. Le respect des formes académiques et
traditionnelles est l’une des principales conditions de la reconnaissance du
talent de l’écrivain. Les romans traditionnels suivent des intrigues uniques, des
cadres spatiaux-temporels bien définis qui gardent un rapport avec la réalité,
un personnage central qui est le héros autour duquel se concentrent tous les
autres personnages qui vont essayer de le contrer ou de l’aider dans sa
mission. On peut noter dans ce cas Karim 1935 d’Ousmane Socé, Une vie de
boy de F. Oyono, Ville cruelle d’Eza Botto. Ces romans peuvent être classés
comme de « l’écriture d’une aventure ».

Mais cette écriture de la première génération va être succédée par une forme
dont la problématique parait à la fois plus complexe et moins assurée que par
le passé, et dont la structure tout comme l’écriture sont en rupture plus ou
moins nette avec celles des romans antérieurs. En effet le roman africain
semble être engagé dans l’ère du soupçon. Les techniques d’écriture se
renouvellent et se libèrent : l’action est parfois supprimé ou au contraire
débridée, le statut des personnages évolue tout comme le traitement de
l’espace et du temps qui subissent une profonde destruction. La tonalité du
récit est également plus forte et le lecteur est davantage impliqué dans un
texte qu’il est souvent convié à reconstruire. Cependant on constate que les
quatre piliers du roman traditionnel : l’intrigue, l’espace, les personnages et le
temps sont présent dans ce nouveau roman

- L’intrigue
Si le roman traditionnel adoptait une intrigue unique c'est-à-dire une narration
linéaire .Les auteurs du nouveau roman vont par contre consommés la rupture.
Ainsi des romanciers comme Sony Labou Tansi et Henri Lopes adoptent la
diversité en blâmant les romans à intrigue unique. Dorénavant, le roman doit
suivre le cheminement de la pensée et de l’imaginaire .L’intrigue est adaptée
aux souvenirs des personnages, aux digressions du narrateur et à son talent
poétique .On tend vers une « complexification du récit ».

Ainsi le Pleurer –rire laisse apparaitre des incohérences diégétique, marquées


par le refus d’une narration linéaire et la multiplication des intrigues
entremêlées : on note aussi l’explosion, la déconstruction, le morcèlement du
récit.

Les procédés fréquents de mise en abyme et la polyphonie des instances


narratives contribuent à brouiller les pistes et à entretenir l’expression réelle
du désordre.

- L’espace

Quant à l’espace, il parait plus souvent désarticulé, soit que la topologie


renvoie à une géographie mythique, c’est le cas dans l’imaginaire
Katamalanasie qui sert de cadre à La Vie et demie. Il engendre par là un
sentiment de confusion comme dans Le Pleurer-Rire, soit enfin que cette
topologie dérive vers l’abstraction la plus complète ainsi qu’on le voit dans  Le
jeune homme de sable  ou l’action se déroule dans un lieu situé aux confins
des symboles.

- Les personnages

Dans cet espace incertain, évoluent des personnages aux contours parfois
tellement indécis qu’ils semblent en quête de leurs véritables identités .C’est le
cas de Mélédouman dans le roman d’Adiaffi ou encore de Diouldé, le héros de
Crapeaux-brousse  de Tierno Monénembo .Cette incertitude sur l’identité des
personnages constitue d’ailleurs la trame même d’un récit construit et organisé
en forme d’enquête. Ainsi le lecteur éprouve quelques difficultés à se retrouver
dans « la silhouette de l’adolescent » dont William Sassine analyse le malaise.

-Le temps
Comme l’espace, le temps aussi a subi le même traitement. Il constitue un
élément essentiel dans le nouveau roman .A la différence du roman
traditionnel qui concevait une temporalité très précise en renforçant la
linéarité du récit, le temps maintenant n’apporte aucune précision pouvant
guider la linéarité des actions .Le temps tue tout rapport de cause à effet .Il fait
partie des procédés de déconstruction. Ainsi le roman donne le ton du
traitement temporel. L’Etat honteux 1981 de Sony Labou Tansi en est une
parfaite illustration.

Les textes s’ouvrent toujours par une indication temporelle vague comme dans
le conte africain qui commence le plus souvent par des formules comme « un
jour, «  il était une fois, « c’était au temps des anciens », ici les événements
sont faussement datés : l’Etat honteux ; « un… de mai »p15, « mardi
soir » p15, «  nous étions mercredi » p22

Le refus de la vraisemblance temporelle, l’insertion du flou vise le dépassement


d’une situation concrète et propose une réflexion sur le temps et sur l’histoire
en général.

En définitive, la nouvelle génération nous présente des personnages multiples


agissant sur les espaces multiples et en des moments variés. Les personnages
constamment mobiles, fonctionnent à travers de nombreuses séquences
narratives de sorte que le temps et l’espace eux même s’en trouvent
désarticulés et brouillés.

Conclusion

De la désillusion au désespoir, les africains ont vu défilé devant eux au file des
années postcoloniales des événements malheureux. Dans une Afrique minée
par une situation de chaos ; des hommes se sont dressés au moyens de leur
plume pour dénoncer de la façon la plus nette possible un espoir qui se muer
en cauchemar. Rompant les amarres avec la tradition romanesque d’avant et
d’après tout juste les indépendances, les romanciers des années 80 présentent
aux africains des procèdes nouveaux dans l’esthétique du roman. Le combat ne
fut pas vain car un peu partout, les esprits prennent conscience d’une
nécessité de démocratie, d’égalité et de justice. C’est le fameux vent de
démocratisation des pays avec l’adoption du multipartisme des années 90.
N’empêche, au regard de ce qui se passe en Afrique, on est en droit de se poser
la question à savoir : si les dirigeants africains ont perçu le message du roman
contemporain ?

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