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Le thème de l’insécurité foncière Avoir des droits sécurisés, je suis en sécurité même si mes droits
est mis en avant depuis les c’est avoir l’assurance sur cette parcelle sont « informels ».
années 1990 dans les débats de de ne pas en être privé De même, des droits d’exploitations
politique foncière, mais trop arbitrairement obtenus en faire-valoir indirect peu-
souvent sans définition claire de vent être sécurisés : si on me prête
cette notion. Or il ne faut pas Les acteurs ruraux ont besoin de sécu-
une parcelle pour un an, je suis en
confondre sécurité et droits rité foncière pour exploiter leurs terres
situation foncière précaire au sens où
formalisés ou légalisés, ni sans risque de voir leurs efforts réduits
je risque peut-être de ne pas trouver
sécurité et propriété privée. à néant : récolter ce qu’ils ont semé,
de parcelle l’année suivante. Mais si je
La sécurité foncière est sans se faire expulser de la parcelle
peux exploiter sans risque la parcelle
l’assurance que les droits sur la avant la récolte, cultiver assez long-
cette année-là, je n’y suis pas en insé-
terre dont on dispose, quelle temps une parcelle pour rentabiliser
curité foncière. La sécurité des droits
que soit leur nature, ne seront leurs investissements, ne pas risquer
est une question différente de celle de
pas contestés et que, s’ils le sont, de voir leurs droits contestés par l’État
leur contenu ou de leur durée. Il y a
ils seront confirmés par des ou par un acteur puissant.
souvent confusion entre précarité des
autorités. C’est donc avant tout droits et insécurité foncière.
une question institutionnelle. ● La sécurité des droits ne
réclame pas la propriété ● La sécurité foncière est
privée, ni même des droits avant tout une question
formalisés et légalisés institutionnelle
De nombreuses analyses assimilent à
Quels que soient leur contenu ou leur
tort sécurité et propriété privée. Or,
durée, des droits sur la terre sont sécu-
je peux avoir un titre foncier et être
risés si leur détenteur est assuré de
en insécurité si je ne peux pas exploi-
pouvoir les exercer. Autrement dit, si
ter ma parcelle, si le terrain a déjà fait
personne ne cherche à contester ces
l’objet d’un titre au nom d’une autre
droits, et si, au cas où cela arrive, leur
personne, si l’achat a été illégitime et
détenteur peut les défendre et s’adres-
que mon terrain est occupé par ceux
Comité technique ser à des autorités qui arbitreront dans
qui se sentent spoliés ; ou si la justice
son sens. Des droits non légitimes peu-
est corrompue et qu’elle arbitre en
vent être garantis par la force. Mais en
faveur d’un plus puissant ou d’un plus
dehors de ces cas de figure, la sécu-
riche que moi. Inversement, si chacun
rité foncière suppose des droits légi-
sait que j’ai hérité cette terre de mon
père, ou que je l’ai achetée à un voi- 1 Philippe Lavigne Delville,
sin, si je peux compter sur les autori- directeur de recherche à l’IRD:
tés locales ou l’État en cas de conflit, philippe.lavignedelville@ird.fr
2 DES FICHES PÉDAGOGIQUES pour comprendre, se poser de bonnes questions et agir sur le foncier en Afrique de l’Ouest
times, qui font sens par rapport à des les inévitables conflits soient arbitrés leurs droits. Peu régulées du point de
normes socialement acceptées. Elle en faveur des ayants droit légitimes. vue de la coutume et non régulées par
suppose aussi des autorités aptes à les l’État, les ventes sont une source fré-
garantir effectivement. Ce qui incite quente de conflits.
un agriculteur à exploiter une terre, à Être en sécurité, c’est
d’abord une question de Dans des contextes très conflictuels,
y investir du travail et du capital, c’est
normes et d’autorités où la violence ou les rapports de force
le sentiment de sécurité foncière, c’est
dominent, certains acteurs peuvent
la confiance dans les règles et dans les
Il est peu opératoire de parler de l’in- être en insécurité foncière structurelle.
institutions. La sécurité foncière est
sécurité foncière en général. Tout le Mais les conflits ou les abus de pouvoir
donc une question avant tout institu-
monde n’y est pas soumis, et pas de se concentrent souvent sur des situa-
tionnelle, même dans les contextes où
la même façon. Selon les contextes, tions particulières (par exemple, limites
les droits sont liés aux identités sociales
varient à la fois les acteurs faisant face territoriales floues et contestées entre
et où les institutions foncières sont des
à des risques d’insécurité foncière, les communautés) ou dans des régions
autorités politiques.
formes et les causes de cette insécu- spécifiques (tensions entre migrants
Le sentiment de sécurité foncière est rité. Dès lors, il est plus utile pour les et autochtones dans des zones d’im-
la confiance dans le fait que les droits comprendre, de questionner empiri- migration liées à la renégociation des
que l’on détient sur des terres et des quement les différentes formes d’in- rapports fonciers lors d’un change-
ressources naturelles (quelle que soit sécurité foncière réellement vécues par ment de génération).
la nature de ces droits ou leur durée) les différents types d’acteurs, et leur
ne seront pas contestés sans raison, et prévalence. ● La concurrence entre
que, s’ils le sont, ils seront confirmés normes et entre autorités
par des instances d’arbitrage . Il tient ● Les formes d’insécurité peut être source
au fait que les institutions de régu- foncière et leur prévalence d’insécurité foncière
lation foncière soient effectives, que sont très variables
Les situations de pluralité des normes,
leurs décisions soient prévisibles, que
La pression démographique, l’inser- c’est-à-dire de coexistence et d’hybri-
tion dans les marchés, ne produisent dation de régulations à la fois locales
pas mécaniquement des conflits ou et étatiques, favorisent les conflits au
Arbuste marqueur de limites de l’insécurité. L’insécurité « poten- sens où certains acteurs peuvent jouer
tielle » liée à l’absence de reconnais- des contradictions entre les différentes
sance juridique des droits fonciers ne normes, pour revendiquer en référence
se traduit en insécurité « réelle » que aux unes des droits qui seraient illé-
lorsque les normes locales sont contes- gitimes par rapport à d’autres. C’est
tées ou mises en danger par l’État ou en particulier le cas lorsque les règles
d’autres acteurs. étatiques sont mobilisées pour contrer
les normes locales. Lorsque l’on peut
Là où les dispositifs de régulations
obtenir un titre foncier sans disposer
foncières sont à peu près effectifs,
des droits correspondant dans l’es-
les droits fonciers des populations,
pace local. Ou lorsque des migrants
même informels, sont globalement
mobilisent le droit étatique ou l’ad-
sécurisés : chacun sait quels sont ses
ministration pour refuser les normes
droits et ceux des autres. En cas de
coutumières. Mais aussi lorsque des
conflits, des médiations ou arbitrages,
autochtones réécrivent l’histoire pour
à un niveau ou un autre, permettent
contester des ventes faites par leurs
de débouter les revendications illégi-
parents.
times, de trouver une solution. Là où
© P. Lavigne Delville
la pression foncière est forte, les ayants Mais ce n’est pas tant la pluralité des
droit familiaux, les migrants de retour, normes qui pose problème, que les
ont cependant du mal à faire valoir concurrences entre les institutions.
Qu’est-ce que la sécurité foncière et comment la renforcer ? 3
RÉDACTION
Philippe Lavigne Delville – IRD et Pôle foncier de Montpellier
philippe.lavignedelville@ird.fr
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