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Les révolutions de 1917


et les résistm1ces au commtrnisme
4 26 48
Actualité de l'histoire Organes politiques en 1917 Quartier latin, années cinquante
PAR MAC HA MANSKI PAR J EAN BOURDIER

30
6 Les Blancs contre les Rouges
Visite estivale à Salzbourg ENTRETIEN AVEC DOMI NIQUE VENNER
PAR JEAN-JACQUES MOURREA U

35
7 La dictature de Béla Kun
Agenda de l'histoire PAR J EAN KAPPEL
PAR VIRG INIE TANLAY
37
Weygand à Varsovie
PAR Guv CHAMBA RLA C

40
L'Espagne échappe à Staline
PAR PHILIPPE CONRAD

41
Le combat des Russes en exil
PAR DIMITRI STOLYPINE Manifestations parisiennes
pour Ùl Hongrie en1956.
44
Des maquis en Ukraine 51
PAR J ACQUES BER REL
Face au Vietminh
PAR R AYMOND MUELLE
Raspoutine. 45
Lituanie, les Frères de la forêt 55
9 PAR GUILLA UME VITAUTAS
Sur le front des idées
Éditorial: 46 PAR GEORGES LAFFLY

Quatre figures du destin Échec à I'ELAS grecque


PAR D OMINIQUE VENNER
PAR PHILIPPE CON RAD
57
Contras et sandinistes
10 PAR ALAIN SANDERS

La fille aînée du communisme


ENTRETIEN AVEC STÉPHANE COURTOIS 58
Sentier lumineux au Pérou
14 PAR ALAIN SANDER$

Un héritage sanglant
PAR ÛLEG KOBTZEFF 60
Les livres et l'histoire
19
La fin du tsarisme 65
PAR DOMINIQ UE VENNER Delacroix, artiste
23 contre-révolutionnaire
PAR GILBERT COMTE
Lénine prend le pouvoir
PAR CHARLES VAUGEOIS 66
24 La parole est aux lecteurs
Chronologie : En couverture :
de la révolution à la guerre civile Le général Wrangel. Nicolas Il

Il
Actualité de l'histoire
maintenue jusqu 'à 1'indépendance des figures héroïques (Godefroi de Sherloek Holmes
EXPOSITIONS de l'Algérie. Mais aujourd'hui, le Bouillon, Du Guesclin, Jeanne
à Paris
1" régiment de spahis de Valence en d'Arc ... ). La plupart de ces
est le seul dépositaire. Une << enseignes » médiévales ont été
Entre 1887 et 1927, Sir Artur Conan
Les Spahis exposition à travers des pièces découvertes à Paris au XIX' siècle
Doyle a mis en scène le personnage
d'uniforme- des burnous, des au cours des longs travaux de
bédaïas, des chéchias, des dragage effectués dans la Seine - où de Sherlock Holmes dans soixante
gandourahs ... -, des armes, des elles avaient été jetées sans doute en romans policiers. Et le fameux
étendards, des fanions, ou encore des offrande quelques siècles plus tôt. détective privé est devenu avec le
gravures ou des clichés d'époque, L'archéologue Arthur Forgeais temps un véritable mythe. Le Louvre
retrace l'histoire de ce corps d'élite. (1822-1878) en avaient recueilli une des Antiquaires- installé dans
Les spahis, cavaliers de l'armée d'Afrique. quantité impressionnante, avant 1'ancien Hôtel du Louvre, où
Musée de l'armée. Hôtel national des d'entreprendre leur étude. Le musée Oberstein, 1'espion de L'Affaire des
Invalides. 129, rue de Grenelle 75007 Paris. plans du Bruce-Partington avait
de Cluny, qui avait acquis sa
Tél: 01 44 42 37 67. Jusqu'au 3 novembre. trouvé refuge- a reconstitué, avec
fabuleuse collection en 1861 ,
présente cet été 250 pièces, 1'aide de la Société des amis de
« Enseignes » rapprochées souvent d'objets Sherlock Holmes, dont la vocation
et insignes découverts dans des circonstances est de mettre en évidence les liens
analogues. qui unissent le héros de Conan
médiévaux Doyle à la France, l'univers
Insignes et souvenirs de pèlerins et autres
menues " choseites " de plomb trouvées << holmésien >>. Une exposition
Sous-officier indigène des spahis Apparues au XII' siècle -et encore dans la Seine. Musée national du Moyen Âge. transporte dans l'atmosphère même
réguliers de Bône. très répandues au XVI' siècle, avant Hôtel de Cluny. 6, place Paul-Painlevé des enquêtes, sur les lieux des
d'être supplantées par les médailles 75005 Paris. Tél: 01 53 73 78 00. crimes, dans les rues du Londres du
Tout a commencé avec la conquête religieuses-, les << enseignes >>, ou Jusqu'au 8 septembre. XIX' siècle, dans la campagne
de l'Algérie (qui ne portait pas insignes, étaient des sortes de anglaise ... Les méthodes
encore ce nom). Après le broches de plomb et d'étain, que les L'aventure d'investigations de Sherlock Holmes
débarquement à Sidi-Ferruch en juin pèlerins, de retour des grands des croisades et de son fidèle ami Watson sont
1830, des unités d'auxiliaires sanctuaires (Saint-Jacques-de- évoquées. Et le salon du détective
indigènes, les zouaves -du nom des Compostelle, le Mont-Saint-Michel, situé au 122 Baker Street a été
Entre 1095, date de l'appel du pape
tribus Zouaouas d'où étaient mais aussi Luzarches, Vendôme ... ), recréé. Certains visiteurs risquent
Urbain II au Concile de Clermont à
originaires les premiers éléments - arboraient à leur chapeau ou à leur vraiment d'être confortés dans leur
délivrer les Lieux saints tombés aux
ont été créées. Les zouaves étaient cape. Louis XI en était friand . Au conviction que Sherlock Holmes a
mains des Infidèles, et 1270, quand
des fantassins. Par la suite, certains XIV' siècle, des << enseignes >> réellement existé.
Saint Louis trouva la mort devant
ont été mis à cheval pour constituer profanes firent leur apparition. A la L'univers de Sherlock Holmes. Louvre des
Tunis, huit croisades ont été
des unités autonomes baptisées- fin de la Guerre de Cent Ans, les Antiquaires. 2, place du Palais-Royal
entreprises. L'Occident a ainsi 75002 Paris. Tél: 01 42 97 27 20.
d'après un terme turc- spahis. On << enseignes >> politiques
pendant près de deux siècles été Jusqu'au 14 septembre.
comptait en 1845 trois régiments de proliférèrent, notamment lors de
confronté aux civilisations orientales,
spahis algériens, à Alger, Oran, et l'affrontement entre Armagnacs et
Constantine, auxquels plus tard tant byzantines qu'islamiques.
Bourguignons : elles permettaient de
s'ajoutèrent des spahis tunisiens et distinguer les membres des deux
L'exposition présentée cet été à EN BHEF
marocains. Un détachement de Toulouse restitue au travers de
factions, et étaient autant de signes
spahis sera envoyé en Crimée en documents d'archives, de manuscrits,
de reconnaissance, de ralliement,
1854. En 1870, quelques unités de d'objets sculptés, de fresques et de Festival
quand elles ne tenaient pas lieu de
spahis viendront combattre en mosaïques, provenant pour la plupart
sauf-conduit. D'autres<<enseignes>>
des collections de musées étrangers, intereeltique
France. Les spahis ont pris part aux commémoraient des événements, ou
deux guerres mondiales. En 1914- l'aventure des croisades et son
influence sur l'art occidental. Elle Comme chaque été depuis 1971 ,
1918, des régiments de spahis se
évoque également la vie en Terre Lorient abritera début août le Festival
sont retrouvés à la fois sur le front
Sainte dans les royaumes francs interceltique. Cette année, le Pays de
français et sur le front d'Orient-
défendus par les Templiers et les Galles est à l'honneur. Plus de 250
notamment à Uskub. En 1940, six
Hospitaliers. Signalons pour les spectacles ont été prévus, et 4 500
régiments spahis ont fait face dans
amateurs que pour la première fois artistes sont attendus : des musiciens,
les Ardennes à 1'offensive
sont exposés côte à côte le des peintres, des sculpteurs, des
allemande. D'autres ont participé en
Sacramentaire du Fitzwilliam cinéastes ... venus d'Irlande, du Pays
1942-1945 aux campagnes de Libye,
Museum de Cambridge et celui de la de Galles, de Cornouailles, de l'île de
de Tunisie, d'Italie, de France,
Biblioteca Angelica de Rome. Man, de Galice, des Asturies, de
d'Allemagne. De 1954 à 1962, huit
L'Orient et l'Occident d'Urbain Il à Saint Bretagne, des États-Unis, du Canada,
régiments de spahis ont assuré le
Louis (1 096-1270). Ensemble conventuel voire d'Australie.
<< maintien de l'ordre >> en Algérie. des Jacobins. Église des Jacobins. Festival interceltique de Lorient. Du 1" au
L'armée d'Afrique a abrité jusqu'à Enseigne de pèlerinage : 69, rue Pargaminières 31000 Toulouse. 10 août. 2, rue Paul Bert 56100 Lorient.
19 unités de spahis. La plupart s'est Saint Georges (XIV-XV' siècles) . Tél: 05 61 22 23 82. Tél: 02 97 21 24 29.
ACTUALITÉ DE L'HISTOIR

Saint-Pétersbourg (IGN) et la Caisse nationale des ' Essais~ documents


octobre monuments historiques co-éditent LIVRES ANNONCES
des cartes touristiques à thèmes. L'esprit de Rome, par Pierre Grimal.
1917-1997 L'une de ces cartes répertorie les En septembre, chez Perrin.
forts, citadelles et musées militaires Biographies~
À l'occasion du 80' anniversaire de de l'Hexagone, tandis qu 'une autre Naissance de la noblesse. L'essor
la révolution d'Octobre, la rédaction mémoires~ des élites politiques en Occident,
signale les lieux des grandes
du Spectacle du Monde organise correspondances par Karl-Ferdinand Werner.
batailles de 1'histoire. Et au verso,
pour ses lecteurs un voyage guidé à En septembre, chez Fayard.
une brève notice est consacrée à
Saint-Pétersbourg, au cours duquel chacun des sites mentionnés. Une Jeanne d'Arc racontée aux enfants, L'Édit de Nantes, par Bernard
Vladimir Volkoff et Dominique série spéciale de cartes de l'IGN, par Régine Pernoud. Cottret. En octobre, chez Perrin.
Venner retraceront, dans une série de éditée en 1994 lors des En septembre, chez Perrin. Le massacre des sorcières au XVI'
conférences, les fastes de 1'ancienne commémorations officielles du François/", par Emmanuel siècle, par Guy Bech tel.
Russie impériale et les étapes de la Débarquement, est réservée à la Bourassin. En septembre, chez Perrin.
tourmente bolchevique. Seconde Guerre mondiale. En septembre, chez Tallandier.
Trois jours sur les traces de la révolution Les Blancs et les Rouges, histoire de
La carte archéologique de la Gaule.
d'Octobre. Du jeudi 9 octobre au dimanche Diane de Poitiers, par André la guerre civile russe 1917-1921,
Diffusion : Fondation de la Maison des
12 octobre. Prix : 10 800 F. Renseignements : sciences de l'homme. Prix : entre 120 et
Castelot. En septembre, chez Perrin. par Dominique Venner. En septembre,
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Télévision : du-Bellay 75004 Paris. Tél: 01 43 26 40 41.
Louis XVI et Robespierre, par Branko Lazitch et Pierre
Cartes n' 907 (France-forts et citadelles), n'
images d~archives 908 (France-lieux de bataille) et France- par Marcel Jullian. Rigoulot. En septembre chez Plon.
1939/1945, (France-D' Day, France-Bataille En octobre, chez Perrin. Histoire de/' Internationale
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par Pierre Sipriot. Watelet.
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des lieux guerre de 1'opium, et concrétisée en mondiale, par Pierre Blet. En octobre, chez Perrin.
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La bataille de l'Atlantique (album),
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Belles Lettres, en liaison avec 1839 à 1842. Pour compenser leurs Gandhi, par Guy De leury.
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1'Association pour les fouilles En septembre chez Pygmalion- France, 1940-1944, par Eddy
archéologiques nationales (AFAN), porcelaines à la Chine, les Anglais Watelet. Florentin.
édite une collection de livrets importaient massivement des Indes
Mémoires secrètes, par l'amiral En septembre, chez Perrin.
intitulés La carte archéologique de depuis la fin du XVIII' siècle la pâte
Pierre Lacoste.
la Gaule qui établissent département d'opium. Face aux ravages causés Histoire du Liban contemporain, des
En septembre, chez Flammarion.
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décidèrent sine die d'en interdire le Journal des années de peste, Ammoun.
commune, site par site, l'inventaire
trafic. Les Anglais répliquèrent en par Jean Dutourd. En septembre, En septembre, chez Fayard.
des connaissances archéologiques
bombardant Canton, puis ils chez Plon.
depuis l'âge de Fer jusqu'au début La langue fran çaise, terre d'accueil,
du Moyen Âge. Destinés à l'origine occupèrent les principaux ports. Chroniques angéliques, par Vladimir de Cioran à Biancotti, par André
au chercheur et à l'érudit, ils Acculé, le gouvernement chinois se Volkoff (nouvelles). Brincourt. En septembre, au Rocher.
peuvent néanmoins s'adresser à résigna à signer en 1842 le traité de En septembre, chez de Fallais.
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son terroir. Une cinquantaine de étranger les ports de Canton, par Michel Mourlet. Collection Pa::•- ~ t·~ali~f.P!"'i
titres sont déjà disponibles. A leur Shanghai..., et cédait à 1'Angleterre << Médaillons». En octobre, JHll' "a('ha .\lan:-;ki
tour, 1'Institut géographique national l'îlot de Hongkong. chez Valmonde-Trédaniel.
LITÉ DE L'HISTOIRE

Visite estivale a' Salzbourg


alzbourg a ses détracteurs.

S Férocement, ils dénoncent la


mozartolâtrie qui s'étale dans
la Getreidgasse et met Wolfgang
Amadeus à toutes les sauces. Les
écouter ? Retenir les récriminations
de Mozart lui-même et les
imprécations furieuses de notre
contemporain Thomas Bernhard ?
Les préventions s'effacent devant
cette cité singulière étalée sur les
rives de la Salzach. D'emblée, l'œil
est séduit. Cimes enneigées du
massif de I'Untersberg. Murailles
blanches de la Hohensalzburg, la
plus grande forteresse d'Europe
centrale où chaque année pour la
Saint-Georges, les cavaliers de la
milice civique et leurs montures
viennent recevoir la traditionnelle
bénédiction. Collines boisées du
Monchsberg et du Kappuziner.
Clochers verts et bulbeux des
églises, chapelles, couvents, palais
baroques, places, fontaines et belles
demeures bourgeoises. Pas de
méprise : Salzbourg n'a rien d'un
musée ou d'une bonbonnière. Le
ciel souvent tourmenté et le vent vif
font un climat rude. Ce climat
préalpin serait, s'il faut en croire
Thomas Bernhard, propice aux
suicides. Pourtant, Franz Schubert
aima cette ville. Et c'est près d'elle
que Stephan Zweig et Oskar des princes-archevêques auxquels Traversons la paisible Salzach qui d'eau que le prince-archevêque
Kokoschka voulurent vivre. Salzbourg doit sa fortune et sa offre ses berges herbeuses. Sur la Marcus Sitticus von Hohenems fit
Arpenter la célèbre Getreidgasse gloire. Princes du Saint-Empire, ils rive droite du fleuve, le Schlass édifier pour son plaisir.
n'a rien de pénible. Les boutiques furent grands et généreux. Le Mirabel! déploie les fleurs et les Les clochers à bulbe brillent sous le
de cette longue rue proposent les dernier d'entre eux, Colloredo, qui statues de ses jardins à la française. soleil. L'Italie n'est pas très loin.
inévitables Mozartugeln, mais aussi ressemblait à Voltaire, ne comprit Gravissons les marches de la Les plinces-archevêques en
des vestes, des culottes de cuir et pas le génie de Mozart. Il fut majestueuse résidence d'été des rêvaient. D'une petite bourgade
des chapeaux du cru. Pour montrer déposé. Non pour ses vues sur la princes-archevêques. Le soir, les ors riche seulement de ses salines, ils
les attributs des corporations, leurs musique. Mais parce que Napoléon des lambris s'y réchauffent et ont fait la Rome germanique.
enseignes rivalisent d'art et de entendait refaire la carte de scintillent à la lumière des L'enchantement de Salzbourg tient
virtuosité. McDonald's s'est plié l'Europe à sa guise. Ainsi la appliques de bronze et des lustres à la prodigalité qui a favorisé la
aux lois draconiennes de la principauté de Salzbourg perdit sa de cristal. Alors, le pérégrin manifestation de tant de beautés.
préservation des sites, rendant sa souveraineté. Plus loin se dresse le mélomane succombe au charme des Salzbourg a perdu ses souverains.
présence moins insupportable. Le Dom Saint-Rupert, réplique violons et du piano forte. A Peu rancunière, de Mozart qui ne la
pérégrin va chercher la maison orgueilleuse de la basilique Saint- Salzbourg, la musique est reine. portait guère dans son cœur, elle en
natale de Mozart. Ravagée par les Pierre de Rome. Sur son parvis, Elle règne naturellement au a fait son prince.
bombardements alliés de la dernière chaque année est donnée la Festspielhaus où l'ombre de JEAN-JACQUES MOURREAU
guerre, elle a été entièrement représentation de .Tedermann. Karajan demeure. Le festival dont
restaurée. Sa large façade arbore le L'œuvre de Hugo von Hugo von Hofmannstahl, Richard Le Festival de Salzbourg débute
jaune impérial, si courant en Hofmannstahl dit le destin de tout Strauss et Max Reinhardt furent les le 19 juillet. Il se termine le 31 août.
Autriche. Visite de dévotion. homme au moment de sa mort, initiateurs, est seulement un temps D'autres manifestations musicales
Généralement, les touristes restent devenu enjeu de la grâce et du fort. Tout au long de l'année, ont lieu simultanément, notamment
prisonniers de cette rue. Ne les les Matinées Mozart à la Résidenz,
démon. Adossé à la paroi grise du concerts, opéras, sérénades se
imitons pas. Empruntons les ruelles dédiées cette année à Mozart et Shubert.
rocher, le cimetière Saint-Pierre ne succèdent en mille autres lieux. Renseignements auprès de l'office
de traverse, gagnons le Alter Mark, dit rien de cela. Croix de bois Dans les hautes salles de la du tourisme de Salzbourg.
puis la Waagplatz, saluons la protégées par des toits. Tombes Hohensalzburg et jusque dans Tél : 00 43 662 88 987 303,
maison natale du poète Georg fleuries. Dalles muettes. Ici l'enceinte du théâtre de piene du télécopie : 00 43 662 88 87 32.
Trzakl. Le décor change. Voici les reposent d'illustres Salzbourgeois château de Hellbrunn, la « folie » Office national autrichien du tourisme
façades hautaines de la Résidence dont Nannerl, la sœur de Mozart. réputée pour ses étonnants jeux à Paris : Tél : 01 53 83 95 20.
Juillet Agenda de 22 juillet
1832- Mort de Napoléon II, duc de
Reichstadt, au château de
Shoenbrunn, en Autriche. Son surnom

!~histoire
<< 1'Aiglon » fut crée par Victor Hugo,
1er Juillet en 1852, dans le poème Napoléon /1.
1798- Prise de la ville d'Alexandrie
par Bonaparte. 23 juillet
1976- Mort de 1'écrivain Paul
3 juillet Morand, ambassadeur, écrivain,
1940 -Bombardements sur décision auteur, entre autres, de Milady ,
de Churchill, allié de la veille, du Hécate et ses chiens, Ouvert la nuit.
port français de Mers ei-Kébir en gaulois. Le 9, il reçoit la torque 14 juillet Ayant été nommé ambassadeur à
Algérie. L'amiral anglais gauloise. Il inaugurera à Rome son 1223- A Mantes, mort du roi Berne par le gouvernement de Vichy,
Sommerville donne l'ordre d'ouvrir premier consulat le 1" janvier 456. Il à la Libération, il fut révoqué sans
Philippe-Auguste, âgé de 58 ans. Son
le feu à 16 h 53 sur la flotte française sera assassiné à l'automne 456. règne avait duré 43 ans. traitement. En 1953, réintégré dans
au mouillage. Une deuxième vague ses droits il fut mis à la retraite.
de bombardements aura lieu le 6 8 juillet Candidat à 1'Académie française en
juillet. Les victimes françaises seront
15 juillet 1958, le général de Gaulle oppose son
1919- Mustapha Kemal rompt avec 1904- Mort de l'écrivain russe
au nombre de 1 300. veto. Il y sera élu en 1969.
le Sultan et lance un appel au peuple Anton Tchekhov à Baden weiler en
turc d'Anatolie pour la réunion d' un Allemagne.
4 juillet congrès national. Celui-ci se tiendra 24 juillet
1564- A Lyon, où il est de passage, à Sivas le 13 septembre suivant. 1941- Les archevêques et cardinaux
Charles IX rend une ordonnance qui 16 juillet français prêtent serment de fidélité
fixe désormais le début de l'année au 1212- A Las Navas de Tolosa, au gouvernement de Vichy.
9 juillet première grande victoire de la
1" janvier, avec effet rétroactif au
1709- A la bataille de Poltava, Reconquista espagnole. Les Maures
l" janvier 1564.
Pierre le Grand écrase les armées de 25 juillet
sont écrasés par la coalition de la
Charles XII, roi de Suède, et de Jean 1793 - Le poète André Chénier est
Castille, de la Navarre et de
Mazeppa, chef des cosaques guillotiné.
l'Aragon.
ukrainiens en révolte contre le tsar.
26 juillet
17 juillet
10 juillet 1789- Adoption du drapeau
1885 -Naissance d'André Malraux.
1780- Le corps expéditionnaire, tricolore français. Ce même jour,
composé de 6 000 hommes, du Louis-Joseph, prince de Condé,
27 juillet
général (futur maréchal) de quitte la France pour Bruxelles où il 1884- Rétablissement de la loi
Rochambeau débarque à New-Port fonde l'armée royaliste. instituant le divorce en France. Cette
(Rhode Island). La guerre loi promulguée en 1792 avait été
d'Indépendance des États-Unis, où supprimée en 1816.
3 000 Français périrent, prendra fin
19 juillet
1108- Mort du roi de France,
le 19 avril 1783. 28 juillet
Philippe l", fils d'Henri l" et d'Anne
de Kiev. Celle-ci l'avait ainsi nommé 450 - Mort de Théodose II, empereur
Charles IX (1550-1574). 11 juillet en souvenir de Philippe de
d'Orient.
1888- Naissance, à Plettenberg, en Macédoine dont elle prétendait
5 juillet Westphalie, du juriste et philosophe descendre. En 1071, Philippe I" 29 juillet
1187- Saladin s'empare de allemand, Carl Schmitt. épousa Berthe de Hollande qu'il 1167- L'empereur allemand
Tibériade. Trois cents chevaliers du répudia en 1091. L'année suivante, il Frédéric Barberousse s'empare de
Temple et de l'Hôpital sont 12 juillet épousait Bertrade de Montfort ce qui Saint-Pierre de Rome. Le pape
décapités. 1789 - Paris apprend que Louis XVI lui valut d'être excommunié en 1100 Alexandre Ill s'enfuit à Benevent.
vient d'exiler Necker. Au Palais- pour bigamie et mariage invalide. Il
6 juillet Royal, devant des groupes réunis fut absous en 1105.
1495- Bataille de Fornoue qui voit pour commenter la nouvelle, un
le succès de Charles VIII (9 000 agitateur doué, Camille Desmoulins, 20 juillet
hommes) contre un fort parti déclare que la décision du roi 1870- A la veille de la guerre
d'Italiens (30 000 hommes). Ces annonce une « Saint-Barthélémy des franco-prussienne, Karl Marx écrit :
derniers admirant le courage et la patriotes ». Sur ces bonnes paroles, « Les Français ont besoin d' être
fougue des Français, leur donnent le la réunion dégénère en émeute, à rossés » . Il explique : « En cas de
nom de « Furiafrancese » . laquelle se joint un régiment mutiné défaite française , la prépondérance
de gardes françaises . Deux jours plus allemande transportera le centre de
7 juillet tard, la Bastille sera prise. gravité du mouvement ouvrier
455 -Ancien préfet du prétoire des européen de France en Allemagne.
Gaules et généralissime romain, 13 juillet Ce sera en même temps la .i ____ ..
Avitus, successeur d'Aetius, est 1936- Assassinat en Espagne de José prépondérance de notre théorie sur
proclamé empereur à Beaucaire par Calvo Sotelo, chef de l'opposition celle de Proudhon. » On peut être
les Wisigoths et les sénateurs monarchiste au Parlement. internationaliste et chauvin. Karl Marx étudiant, vers 1840.
A DE L'HISTOIRE

Août 7 août 1'Annam sous protectorat français.


1899- Début du deuxième procès Son acceptation ainsi que
du capitaine Dreyfus. Le premier 1'occupation par les Français de la
procès ayant été cassé, pour non- vallée du fleuve Rouge, sont les
remise à la défense du << dossier préludes à J'installation pour
1er août secret », le capitaine Dreyfus est longtemps de la France en Indochine.
1664- Bataille de Saint-Gothard- rejugé à Rennes. Il est reconnu
sur-Le Raab. Les Turcs sont écrasés coupable avec des circonstances 26 août
par les armées de J'empereur atténuantes et condamné à 10 ans de 1937 - En Espagne, après 12 jours
commandées par Montecucculi. réclusion. En 1906, la Cour de de bataille, les brigades navarraises
Louis XIV avait envoyé 6 000 cassation annule sans renvoi le pénètrent dans Santander libérée.
hommes sous le commandement du jugement de Rennes, << prononcé
chevalier de Lorraine. Avant le par erreur >> . Le capitaine Dreyfus 28 août
début de la bataille, celui-ci est réintégré et est nommé 1922- Mort de J'écrivain Georges
affronte en combat singulier commandant et chevalier de la Sorel, auteur entre autres, de
un cavalier turc sur Je front des Légion d'honneur. Réflexions sur la violence.
troupes.
9 août Lajos Kossuth (1802 -1894). 29 août
- 48- A Pharsale, les troupes de 1533- Après avoir pris par traîtrise
César écrasent celles de Pompée. le dernier souverain inca, Atahualpa,
15 août
1804- Au camp de Boulogne, Pizarre le fait étrangler. Cette mort
10 août premières remises de la Légion consacre la conquête du Pérou par les
955 - A la bataille de Lechfeld, d'honneur à J'armée. Espagnols.
1'empereur Othon le Grand écrase les
Magyars qui avaient envahi la
16 août 30 août
Thuringe, la Bavière, la Souabe et 526- Mort de Théodoric le Grand,
1'Italie du Nord. Par cette victoire, il 1807- Jérôme Bonaparte devient roi
roi des Goths qui régna en véritable
les rejette sur Je bassin du Danube de Westphalie. Ce titre lui sera
successeur des empereurs
qui deviendra la Hongrie. reconnu par le traité de Til si tt.
d'Occident. Siégeant à Ravenne, il
mena une politique habile qui lui
12 août 18 août permit de développer et de maintenir
1792 - Le roi Louis XVI est enfermé 1252- Fondation de la ville de de son vivant la puissance des
au Temple. Memel, port de Lituanie donnant sur Ostrogoths et des Wisigoths des
la Baltique, par les chevaliers de Carpates à l'Espagne.
l'Ordre Teutonique.
13 août
1849 -Écrasement de la révolte de
Kossuth par 1'armée russe à Vilagos. 20 août
Louis XIV.
Celle-ci agissait pour le compte de 1462- Les Espagnols reprennent
J'empereur d'Autriche. Gibraltar aux Maures.
2 août
- 516- Défaite de 1'armée romaine à 14 août 21 août
Cannes devant Hannibal. Le consul 1900- Fin du siège des légations 1953- Le Sénat argentin approuve la
Paul-Emile et 60 sénateurs sont tués étrangères à Pékin, délivrées par un loi qui autorise 1'arrivée de capitaux
au cours du combat. corps expéditionnaire international. étrangers.
Ce siège a duré cent jours.
3 août 22 août
1799- Bonaparte remet Je
1958- Le sous-marin atomique
américain Nautilus réalise la
Le Petit Journal commandement de 1'armée d'Égypte
première liaison entre J'océan au général Kléber et s'embarque
Pacifique et l'océan Atlantique en secrètement pour la France.
passant sous le pôle Nord.
24 août
août 1883- Mort au château de
1060- Début de la régence d'Anne Frohsdorf, en Basse-Autriche, du Napoléon Bonaparte.
Kiev, mère de Philippe l". Elle comte de Chambord, né duc de
gouvernera la France jusqu 'en 1066, Bordeaux, dernier des Bourbons de Cet Agenda fut ouvert dès notre premier
avec Baudoin V, comte de Flandre. Il la branche aînée de France. numéro, à la fin de 1991. Il n'a pas la
s'agit de la première régence du prétention d'enregistrer mois par mois les
royaume de France. dates les plus importantes, mais des faits
25 août significatifs ou curieux, souvent oubliés.
1883- Traité de Hué. Après deux
5 août expéditions -au cours de la seconde,
1921 -Mustapha Kemal est nommé le commandement Rivière est tué - Pa~t'~ t•{•ali~é-t'~
généralissime avec les pleins
Dégradation d'Alfred Dreyfus.
l'amiral Courbet fait accepter par la pm· \'it·~init· Tania~
pouvoirs pour sauver la Turquie. cour de Hué ce traité qui place
EDITORIA

Quatre figures du destin


L
a révolution russe a commencé le regardant de travers, répondit : « Voulez-
douze ans avant 1917. Dès les vous dire qu'il me faut regagner la confian-
troubles violents de 1905, les prin- ce de mon peuple, ou qu'il faut qu'il
cipaux acteurs sont en place. regagne ma confiance ? » Le tragique aveu-
L'un pourtant, le plus grand sans doute, glement du dernier tsar est résumé dans
le ministre Pierre Stolypine, a disparu de la cette parole. Nicolas II se faisait une idée
scène, assassiné en 1911 par un jeune terro- enfantine de la légitimité. Il l'imaginait
riste qui savait ce qu'il faisait (1). Mais son comme une grâce divine acquise une fois
absence pèse plus lourd que toutes les pré- pour toutes.Au regard des conséquences, le
sences. La postérité ne s'y est pas trompée. jugement historique porté sur Nicolas II est
<< De nombreux historiens soutiennent que sévère, mais on ne peut se garder d'un cer-
si la transformation de la société russe tain respect pour la noblesse d'un homme
envisagée par Stolypine avait été menée à qui, se sachant condamné, coule la tête droi-
bien, la révolution de 1917 eût été évitée. te. Réactionnaire jusqu'à la caricature dans
Cette hypothèse échappe bien sûr à toute son rôle public, le dernier Romanov détour-
vérification, mais il est intéressant de noter ne de lui les meilleures dispositions, mais
qu'à l'époque, Lénine avait une position du l'homme éveille l'estime.
même ordre >> (2). On peut penser aussi Tout à l'opposé, par la médiocrité de
qu'un Stolypine à la tête du gouvernement son destin, par ses vues courtes, par ses
russe n'aurait pas laissé la crise de 1914 plates ambitions, par ses tortueuses
dégénérer vers la guerre, pas plus qu 'il manœuvres, Kerenski incarne la figure
n'eût toléré la dégradation intérieure qui a même de 1'opportuniste, dont tant de politi-
conduit aux révolutions de 1917. Mais il est ffi ciens de gauche ou de droite, sous tous les
vain de reconstruire le passé. ~ cieux, offrent la reproduction à l'identique.
Comment, cependant, ne pas céder à g Homme parfois « intelligent » comme on
1'effarement devant 1'enchaînement des dit dans les salons, 1'opportuniste tourne à
hasards incroyables qui ont conduit aux Pierre Arkadievitch Stolypine (1862-1911), la figure même tous les vents de la mode, toupie débousso-
révolutions de Février et d'Octobre ? Sans du grand réformateur, véritable «conservateur-révolutionnaire ». lée, sans prise sur les événements ni sur
Lénine à Petrograd à l'automne 1917, pas 1'histoire.
de bolchevisme, pas d'URSS, pas de Staline. Tout est sorti de ce petit Ce reproche ne peut être fait au révolutionnaire. La fascination
homme haineux et obstiné jusqu'à la folie, qui apparaît comme le plus longtemps exercée par sa figure tient aux utopies qu'il incarne, à
éclatant démenti aux théories de Marx. Le« prolétariat », sinon à l'état l'espoir aussi que la volonté pourra changer le monde et la vie. Sur toute
de mythe, ne joue aucun rôle dans cette révolution, ni avant, ni pendant, âme énergique, jeune et imaginative, le volontarisme rouge, brun ou
ni après. Sans le drame privé de la famille impériale, l'hémophilie du noir, exerce ses tentations. Mais les hommes ont fini par se convaincre,
petit tsarévitch, la détresse de ses parents, 1'influence de Raspoutine sur devant les malheurs du XX' siècle, que les révolutions, comme l'a dit
le gouvernement de l'empire, on peut penser que l'évolution intérieure Soljenitsyne, détruisent le caractère organique de la société, ruinent le
de la Russie eût été toute différente. Sans la pusillanimité et les courtes cours naturel de la vie, éliminent les meilleurs des hommes, donnant
vues de Kerenski, le danger bolchevique eut été balayé à Petrograd, libre champ aux pires.
comme il le fut à Berlin par Noske un an après. Tout montre combien Oui, quatre figures du destin s'inscrivent dans les révolutions
fut déterminant le rôle des individualités, dans la catastrophe qui a bou- russes, Nicolas, Kerenski, Lénine, Stolypine. Si la fidélité à soi du pre-
leversé le monde. mier éveille le respect, si la médiocrité calamiteuse du second inspire le
En un raccourci saisissant, l'histoire de la révolution russe, depuis mépris, si la férocité hypocrite du troisième provoque le dégoût, en
ses prolégomènes de 1905 jusqu'à la fin de 1917, met en évidence revanche, 1'ambition haute et maîtrisée du grand réformateur est seule à
quatre figures que l'on pourrait dire « classiques » de la politique et du susciter l'admiration.
destin. Le réformateur, le réactionnaire, l'opportuniste et le révolution- DOMINIQUE VENNER
naire : Stolypine, Nicolas II, Kerenski et Lénine.
En octobre 1916, alors que de nombreux signes annoncent (1) Enquête sur l'histoire a publié une étude sur la personnalité et sur
l'approche du cyclone, l'ambassadeur d'Angleterre, Sir George Bucha- l'assassinat de Pierre Stolypine, dans son n° 7 (<<Les crimes politiques>>), 1993.
nan, fit respectueusement remarquer à Nicolas II que sa seule chance de (2) Léonard Schapiro, Les révolutions russes de 1917, Flammarion, Paris,
salut était de regagner la confiance de son peuple. Ce à quoi l'empereur, 1987 .
C E S ARCHIVES Q u 1 FONT PEUR
A /
La fille a1nee

du communisme
ENTRETIEN AVEC STÉPHANE COURTOIS

Spécialiste de l'histoire du communisme, Stéphane Courtois a découvert dans les archives soviétiques
des documents explosifs. Mais la vérité fait peur. Ille dit clairement : en matière de communisme,
il existe en France un véritable négationnisme. La France serait-elle la dernière planète d'un astre mort?

Enquête sur l'histoire : Comment un ex-


militant maoïste devient-il historien du
communisme ?
Stéphane Courtois : Je suis en effet de la
génération de 1968. A vingt ans, j'ai apparte-
nu au mouvement maoïste-libertaire Vive la
Révolution. J'ai vécu jusqu'en 1971 dans
l'illusion que la révolution culturelle chinoise
était une réédition de la Commune de Paris.
Après un retour sur moi-même et la rupture
avec le gauchisme, je me suis consacré pen-
dant sept ans à une sorte d'action sociale en
animant des colonies de vacances « sau-
vages » pour des jeunes de banlieue. Au terme
de ma licence d'histoire, je me suis spécialisé
dans l'étude du PCF avec René Rémond à qui
je dois d'avoir connu Annie Kriegel. En 1981 ,
j'ai créé avec elle la revue Communisme Il:
<
(l'Âge d'homme) et, jusqu'à sa mort en 1995,
nous avons travaillé en étroit partenariat.
Robert Hue, secrétaire général du Parti communiste français, reçu officiellement à l'Élysée par le
président de la République, Jacques Chirac. Sourires confiants et cordiaux. Le premier n'ajamais renié
ESH : Quels furent le rôle et la personnalité l'héritage intellectuel et historique qui a produit les plus grands malheurs dont l'humanité a souffert au
d'Eugen Fried? XX' siècle. Et de cela, le second ne semble pas s'être avisé.
SC : Fried était le représentant officiel de
l'Internationale communiste en France, c'est caliste ou de la propagande). Fried fut à la fois ESH : Quelles sources avez-vous utilisées ?
lui qui fut le chef réel du PCF de 1931 à 1943. le chef, le mentor et l'ami de Thorez. C'était SC : Le travail sur Fried représente quinze ans
Il décidait de la politique à suivre, désignait un « croyant » de la Révolution, un homme de recherches avec Annie Kriegel. Pour nous,
les principaux dirigeants, déterminait les struc- cultivé, un brillant politique. Mais, convaincu la grande révolution fut l'ouverture des
tures d'organisation, créant en 1932 la com- que la discipline était le critère numéro un de archives de Moscou, à partir de 1992. Ces
mission des cadres qui, selon le modèle sov ié- l'efficacité militante, il se montra un parfait recherches, nous ne pourrions, hélas, plus les
tique, sélectionnait les militants pour les affec- stalinien, y compris pendant la grande purge mener aujourd'hui attendu que les instances
ter aux différents secteurs (intellectuel, syndi- de 1937. russes ont entre-temps verrouillé les dispositifs

Il
LA FILLE AÎNÉE DU COMMUNISME

EDITION
SPECIALE LE BOLCHEVISME,
UN ENFANT
d'accès. Beaucoup d'archives soviétiques que
nous citons dans le livre sont redevenues inac-
LE CAMARADE sr...,.·..... DE LA RÉVOLUTION
cessibles. Les raisons étant, d'une part, que le EST GRAVEMEnT FRANÇAISE
gouvernement russe s'est avisé qu'elles rn m..........a~~(' du ( 'nmitt•
('pn tral du Pani La puissance d'Octobre sur les
constituent un enjeu de pouvoir extraordinaire, Connnuni-...k Franrai . . imaginations vient aussi d'une reprise, à plus
d'autre part, que le système en place continue ,.,., ~ r "" ~. _. "' ,..., ,.• d'un siècle de distance, de la plus forte
de se protéger contre certaines révélations O< hn~ ,._, ,. •. .,~•,.-1' _, '1• h ·ll-< OI ..

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représentation politique de la démocratie
moderne : l'idée révolutionnaire. Cette reprise
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a été intériorisée depuis longtemps par les
ESH : Comment définiriez-vous la ligne bolcheviks, qui discutent depuis le début du
VNMJOS5AGI:
politique du PCF sous l'ère stalinienne ? du PalU torornunmr naurn siècle du précédent jacobin. [...]
SC : Lorsque Fried prit le contrôle du PCF en Ainsi, la révolution bolchevique d'Octobre
1931 , la ligne politique du parti était ultra 1917 a tout de suite acquis, dans les années
BULLETINS DE de l'immédiat après-guerre, le statut d'un
révolutionnaire. Il s'agissait de renverser
événement universel. Elle s'est inscrite dans
toutes les institutions en place. Mais en 1934, ~ L---------~~~~~~
la filiation de la Révolution française, comme
après 1'arrivée d'Hitler au pouvoir, Staline Dans son numéro du mercredi 4 mars 1953, quelque chose du même ordre, ouvrant une
changea de cap et imposa une tactique de front L'Humanité prépare ses lecteurs au décès du époque de l'histoire de l'humanité. Malgré le
populaire, d'alliance antifasciste. Jusqu'alors << camarade Staline », avec ce commentaire : caractère invraisemblable de son lieu de
les communistes critiquaient violemment tout « Radio-Moscou annonce un grand malheur qui naissance, elle a comblé une attente
le reste de la gauche ; et d'un seul coup, ils lui frappe les peuples du monde entier>>. inséparable depuis la Révolution française de
proposèrent de faire alliance. L'appareil très la culture politique européenne : l'avènement
structuré mis en place par Fried assura la réus- Kautsky, « le pape » du marxisme à l'époque, d'une société souveraine sur elle-même par
site de ce retournement. Survint la guerre qui critiqua de fond en comble l'attitude des bol- l'égalité enfin conquise de ses associés.
constitua un tremblement de terre pour le cheviks qui , en répudiant l'appellation Attente nourrie par l'eschatologie socialiste
parti, contraint de renoncer au discours anti- « social-démocrate >> au bénéfice du « com- tout au long du XIX• siècle, et qui a puisé une
fasciste, aux slogans démocratiques, pour sou- munisme », coupaient le cordon ombilical qui force renouvelée dans le malheur des peuples
reliait le mouvement socialiste à la démocra- pendant la Première Guerre mondiale. Le
tenir le pacte germano-soviétique. Le parti
tie. privilège d'universalité du bolchevisme
explosa. La défection militante était considé-
provient à la fois de la tradition
rable. Comptant plus de 250 000 adhérents au révolutionnaire de l'Europe et de
début de 1939, le parti se réduit alors au noyau ESH : Vous avez déclaré que « l'historien
l'exceptionnelle situation de 1918-1920.
des permanents de l'appareil. De plus, la du communisme se heurte à une sorte de On n'en finirait pas de recenser les
désertion de Thorez, sur ordre du Komintern, négationnisme ».Qu'entendez-vous par là? déclarations célébrant la révolution soviétique
début octobre 1939, créa un scandale dans SC : De même que certains nient l'existence à son berceau. Le xx•siècle s'ouvre sous cette
l'opinion. Enfin, les négociations conduites des chambres à gaz dans les camps nazis, il grande lueur, où beaucoup de contemporains
par Jacques Duclos auprès des autorités alle- existe en France des réseaux qui s'ingénient à saluent une rupture décisive et bienfaisante
mandes, l'été 1940, pour obtenir la relégalisa- empêcher que l'on parle de ce que fut le com- avec le capitalisme et la guerre, donnant par là
tion du PCF relevaient d'une politique qui munisme au pouvoir, qui s'efforcent de décré- leur assentiment moins à une expérience réelle
acheva de ruiner le crédit du parti. C'est seule- dibiliser le recours aux archives, et partant qu'à ce que disent sur eux-mêmes les héros
ment à l'été 1941, au moment où l'Allemagne agissent en « négationnistes ». Or, plus les d'Octobre. A relire tous ces textes, le lecteur
archives parlent, plus nous comprenons que ce d'aujourd'hui peut être frappé de stupeur
attaque 1'URSS, que le PCF retrouvera un
devant tant de jugements péremptoires rendus
courant porteur. système n'aurait jamais pu fonctionner sans la
sans information véritable. Pourtant,
terreur parce qu 'il allait absolument à
l'explication est toute simple, et vaut d'ailleurs
ESH : Comment pourrait-on définir la filia- l'encontre de la volonté des populations (ques- en sens inverse, dans l'autre camp : la Russie
tion entre Marx, Lénine et Staline ? tion nationale en Ukraine et dans le Caucase ; de Lénine est un symbole. Elle canalise des
SC : La filiation entre Lénine et Staline est question de la propriété paysanne, etc.). A passions plus encore que des idées. Elle figure
très claire. Staline était l'un des hommes clefs l'heure actuelle, des Russes réalisent le même l'histoire universelle. Les efforts des
du dispositif léniniste. Entre 1922 et 1924, travail que celui des juifs sur la Shoah. Ils éta- théoriciens sociaux-démocrates pour lui
lorsque Lénine est malade, Staline est l'un des blissent des annuaires où ils recensent les vic- contester ce privilège n'ont qu'un
seuls militants autorisés par le Comité central times de la « Grande Terreur » stalinienne de retentissement étroit. Ils obtiennent des
à le visiter. Lénine se reconnaissait en lui 1937-1938 : 700 000 personnes tuées d'une résultats contradictoires ; mais, entre leur
même si, sur la fin , il commença à redouter la balle dans la tête. Ces crimes n'ont pas été per- marxisme et celui des vainqueurs d'Octobre,
c'est le second qui parle à l'imagination des
brutalité de Staline. La relation entre Marx et pétrés dans l'anarchie mais sur la base de listes
hommes de ce temps-là.
Lénine est plus délicate à établir. Lénine a pris établies par le NKYD, visées par le Bureau
FRANÇOIS FURET
une grande partie de son système dans Marx , politique. Chaque crime faisant l'objet d'un Le passé d'une i/lusion,
mais n'oublions pas que dès 1918-1919, en rapport circonstancié. L'URSS fut incontesta- essai sur l'idée communiste au XX' siècle.
deux textes fondamentaux, la Dictature du blement « la civilisation du rapport ». A cette Robert Laffont/Calmann-Lévy, 1995, pp. 80-118.
prolétariat et Communisme et terrorisme, Karl terreur très « ciblée » s'ajoutent nombre

Il
LE AÎNÉE DU COMMUNISME

d'autres vagues de répression contre les pay- veux croire qu'il en ira de l'affaire Aubrac
sans (famines et déportations), contre les comme de l'affaire London.
ouvriers (mise en semi-esclavage), contre les
petits peuples (génocide des Tatars, ESH : Comment expliquez-vous le fait que
Ingouches, etc.), déportation « génocidaire » les démocraties n'aient pas réuni un « tri-
de nombreuses populations frontalières bunal de Nuremberg » du communisme ?
(Baltes, Allemands, Polonais, etc.). Il serait SC : C'est une énorme question. En premier
évidemment absurde d'établir une comptabili- lieu, le communisme n'a pas été vaincu dans
té double des crimes du communisme en vis- une guerre. Or le tribunal militaire de Nurem-
à-vis des crimes du nazisme, pour je ne sais berg était spécifique : il y avait les vainqueurs
quel «livre des records »de l'horreur. Il n'en et les vaincus. L'institution de ce tribunal fut, à
reste pas moins que l'un et l'autre système ont mon avis, une bonne chose car il importait de
pratiqué le crime contre 1'humanité à grande ô caractériser d'un point de vue juridique les
échelle et que le moment est venu d'une crimes commis par les nazis. Mais ce qui est
démarche comparative, tout en soulignant que Artur London, lors d'une projection de paradoxal et révoltant, c'est que les Sovié-
V Aveu. Victime des épurations internes au parti, il
la comparabilité des deux phénomènes ne tiques figuraient parmi les juges du tribunal,
avait occulté son propre rôle d'épurateur au sein
signifie pas leur identité. du PC tchèque et d'organisateur de la répression eux qui pratiquaient le crime contre l'humanité
contre les non-communistes. Dans son livre Les depuis vingt-cinq ans. A ce propos, de singu-
ESH : La thèse du « dérapage sanglant » ne Aveux des archives (Seuil, 1996), Karel Bartosek a lières zones d'ombre subsistent. Un exemple :
repose donc sur aucun fondement scienti- montré, qu'à travers son livre et son film, London l'assassinat par les soviétiques des officiers
fique? a été un pion capital dans l'effort de restauration polonais à Katyn. A Nuremberg, deux respon-
SC : Si l'on parle du communisme comme de la mythologie du << bon communisme », mise à sables, un Soviétique et un Polonais, furent
d'une philosophie de l'histoire, soit. Elle exis- mal par la révélation des crimes du système. chargés de traiter l'affaire. L'un et l'autre ren-
te depuis la République de Platon. Mais dirent un rapport au terme desquels on ne pou-
lorsque cette philosophie devient un système entière demeurera confrontée au plus lourd des
vait attribuer aux « bandits fascistes » les exé-
politique, on doit considérer son application tabous . Souvenez-vous de la tornade suscitée
cutions de Katyn. Huit jours après, le Sovié-
pratique. Là, les archives soviétiques sont par la publication au Seuil des Aveux des tique fut retrouvé « suicidé », et le Polonais le
péremptoires : le système terroriste est d'origi- archives de Karel Bartosek qui rappelait la crâne fracassé dans son appartement... Toute
ne. Il est d'ailleurs à 1'origine de la guerre collaboration du couple London avec les ser- 1'ambiguïté de Nuremberg est là.
civile, les autres groupes révolutionnaires vices de renseignements de la Tchécoslova-
(mencheviks, socialistes-révolutionnaires) quie communiste. Tout récemment, les enfants ESH : Les Américains n'ont-ils pas envisa-
refusant l'hégémonie bolchevique. London m'ont intenté un procès en espérant gé un second Nuremberg ?
interdire la parution de mon livre sur Eugen SC : C'est compter sans le fait que Roosevelt
ESH : Quelles réflexions vous inspirent les Fried, car j'y rappelle qu'après avoir été du entretenait d'énormes illusions. Bon nombre
itinéraires de Pierre Cot, de Jean Moulin ? côté des bourreaux, Artur London s'était trou- d'Américains étaient intimement persuadés
SC : Ils me semblent emblématiques de per- vé du côté des victimes. Ils n'acceptaient pas que Staline était un grand démocrate. Jusqu'à
sonnalités démocrates qui, par antifascisme, que resurgisse le passé alors que les archives Yalta, où Staline s'engageait à procéder à des
ont succombé à l'illusion communiste. En ce établissent que le couple travailla dans l'appa- élections libres en Europe de l'Est. Il promit
qui concerne Cot, on sait maintenant qu'il reil stalinien international, et en particulier tout ce que l'on voulait. En toute naïveté, les
s'est mis au service des réseaux de renseigne- avec le NKVD à Barcelone en 1937. Et que Américains prirent cela au pied de la lettre.
ments soviétiques, au moins dès décembre penser de l'affaire Aubrac ! Quand Gérard Puis ils comprirent enfin, mais on était déjà
1940. Quant à Jean Moulin, homme de Chauvy va publier son livre, certains font tout dans la guerre froide.
confiance du général de Gaulle dans la Résis- pour l'interdire. On croit rêver. En résumé, il y
tance, on sait, d'après les archives, qu'il a été a, d'une part, une extraordinaire mauvaise ESH : Quel est le nombre des victimes du
en contact avec les services de renseignements conscience à gauche, et, d'autre part, des communisme en URSS et dans le reste du
soviétiques en France jusqu'en 1942. En cela, réseaux encore puissants qui cherchent à monde, de 1917 aux dernières décennies?
il agissait sur ordre de De Gaulle. Tout le pro- empêcher 1'expression de la vérité. A cet SC : S'agissant de l'URSS, si l'on additionne
blème est de savoir s'il était préalablement en égard, les communistes demeurent très forts les victimes de la guerre civile, des famines
contact avec lesdits services. pour ce qui est de la propagande, et réussissent organisées, du goulag, les exécutions diverses
aujourd'hui comme hier à s'introduire dans et les génocides, on avance le nombre de 20
ESH : Avec le temps, l'image spectrale du des lieux stratégiques pour travailler l'opinion. millions de personnes. Pour la Chine, les vic-
communisme finira-t-elle par s'estomper au Ils y sont aidés par la vieille convergence times du communisme s'élèvent sans doute à
point de laisser dans l'opinion progressiste d' intérêts entre gaullistes et communistes qui plus de 50 millions. Pour le Cambodge, on les
occidentale un bilan « globalement positif» ? implique un verrouillage de l'histoire contem- évalue à 2 millions (un quart de la population).
SC : Tant que les communistes et leurs alliés poraine. Mais je reste optimiste: dans l'affaire L'Europe de l'Est a moins souffert pour la rai-
socialistes n'auront pas fait leur examen de Bartosek mes collègues historiens ont adopté son que Staline n'a pu « œuvrer » qu'entre
conscience sur le stalinisme, la gauche tout spontanément des positions courageuses. Je 1948 et 1952. Donc 1'estimation globale du

Il
LA FILLE AÎNÉE DU COMMUNISME

nombre des victimes du communisme tourne


autour de 90 millions y compris 1'Afrique et
1' Amérique latine. En tout état de cause, une
grande partie des victimes sont des anonymes,
des paysans, des gens modestes, dont nul ne
s'occupe de défendre la mémoire.

ESH : Quelle analyse interne faites-vous du \.


PCF depuis la dernière guerre ?
SC : Jusqu'à ces dernières années le parti
fonctionnait largement sur les bases établies
par Fried en 1931. Je dirais même presque
avec les mêmes personnes. Choisis par Fried,
les Thorez, Duclos, Frachon ont tenu jusque
~~ ..
J••-=•o'3>=~
,;._
\ \ , -
dans les années 70, puis leur a succédé la
génération des Gaston Plissonnier, Jacques Menottes aux poignets, traînés sur le banc d'infamie, Castro, Pol Pot, Mao, Staline et Lénine. Spec-
Denis, Jean Jérôme, laquelle se trouvait en tacle qu'on ne verra pas de sitôt. Pourtant, l'esprit des hommes ne sera pas libéré sans la mise à nu,
contact régulier avec les soviétiques et se trou- publique et solennelle, du système et de ses crimes. Dessin de Minos.
vait au cœur des décisions. Ce système a fonc-
tionné jusqu'à la nomination de Robert Hue en ESH : Des intellectuels, des artistes s'affi-
1994. Depuis la chute du régime communiste chent en nouveaux « compagnons de
à Moscou, en 1991, il y a du changement, route ». Quelle est l'origine de cette séduc-
mais quelle en est la nature ? Dans son livre, tion?
La Mutation, Hue évacue en un chapitre la SC : C'est un vieux problème récurrent en
question du stalinisme, alléguant que c'est une France, que l'on appelait au XIX' siècle « la
question qui ne concerne plus le PCF. Mais question sociale » - rebaptisée par Jacques
que dirait-on d'un autre parti politique dont Chirac du beau nom de «fracture sociale >> -,
1'organe central aurait pendant trente ans autour duquel des intellectuels se remobilisent
chanté les louanges d'Hitler ? C'est pourtant aujourd'hui. Emmanuel Todd, Roland Castro,
bien ce que l'Humanité a fait avec Staline. Julia Kristeva, pour citer ceux-là, cèdent en fait
à une utopie romantique en prêtant leur
ESH : Affranchi de la dépendance de l'État concours au parti. La question sociale ne sera
soviétique, le PCF peut-il se recentrer sur résolue que par la prospérité. Or, la collectivi-
lui-même et défendre un projet politique sation des terres et l'étatisation de l'industrie
cohérent? n'ont provoqué que des désastres. Il est temps
SC : En dépit du fait qu'il n'a pratiquement de reconnaître que, contrairement à ce que pen-
pas gagné de voix en 1997 par rapport à 1993, sait Marx, le capitalisme n'a pas encore épuisé
le PCF a réussi à accroître le nombre de ses Né en 1947, Stéphane Courtois a connu
sa force modernisatrice. Cependant, au nom de
députés. Robert Hue a donc sauvé sa tête l'univers marxiste de l'intérieur avant de
la lutte tout à fait légitime contre les injustices
contre les ultra-orthodoxes du parti. Sans devenir le collaborateur et le disciple
sociales, les communistes continuent à contes-
doute s'est-il émancipé de l'appareil stalinien, d'Annie Kriegel, qui avait elle-même rompu
ter radicalement l'économie de marché.
mais il est à craindre qu'un blocage psycholo- de façon éclatante avec le communisme.
gique ne l'empêche de comprendre ce que fut ESH : La vieille détestation du PCF à Après une thèse sur le PCF elles problèmes
réellement le stalinisme. Ce blocage est lié à la l'encontre des trotskistes a-t-elle pris fin ? syndicaux de 1939 à 1944, il fonde en 1981
culture léniniste qui persiste au sein du PCF : SC : Depuis l'été 1996, Hue a facilité les rap- avec Annie Kriegella revue Communisme,
haine du capitalisme, du « bourgeois », de la ports avec les trotskistes. Des convergences aux éditions de l'Âge d'homme. Directeur de
démocratie pluraliste, ouvriérisme, croyance très nettes se dessinent. Ainsi des refondateurs recherches au CNRS, il dirige à l'université
magique dans la Révolution. Or, l'alliance du avec la Ligue révolutionnaire : le langage de de Paris X-Nanterre le Groupe d'études et
PS avec le PCF, en ramenant les communistes « la nouvelle citoyenneté >> figure dans d'observation de la démocratie (Géode).
au pouvoir, réactive toute cette mythologie l'Humanité après avoir été dans Rouge. Si les En collaboration avec Marc Lazar, il a
révolutionnaire qui a toujours récusé les réali- camarades Staline, Fried et Thorez revenaient, publié une Histoire du Parti communiste
tés économiques. On peut d'ailleurs se deman- ils seraient surpris ! français (PUF, 1995). Écrite avec Annie
der jusqu'à quand la gauche couvrira de son PROPOS RECUEILLIS Kriegel, sa biographie d'Eugen Fried vient
nom des orientations aussi contradictoires que, PAR ÉRIC VATRÉ de paraître aux éditions du Seuil, dans la
par exemple, celles de l'ultra-européen collection "Archives du communisme "•
Jacques Delors, et celle du fier anti-européen Eugen Fried, le grand secret du PCF, par Annie qu'il codlrige.
Jean-Claude Gayssot ? Kriegel et Stéphane Courtois. Le Seuil, 446 pages. 160 F.

Il
HOLOCAUSTE EN URSS

Un héritage sanglant
PAR OLEG KOBTZEFF

Ce qui s'est passé, on pouvait le


savoir, mais on ne le voulait pas
ou on l'avait oublié. Redécou-
verte de l'indicible avec un histo-
rien qui est allé aux sources.

orsqu 'un petit nombre de marins révo-

L lutionnaires tombèrent sous les balles


ennemies, on put lire cette menace
dans la presse de la capitale russe : « Nous,
marins [... ], nous nous soulèverons, les armes
à la main, et pour chacun de nos camarades
tués, nous répondrons par la mort de cen-
taines et de milliers de riches ». (1)

Des milliers de témoins


pouvaient dire
ce qu'ils avaient vu
Il y a à peine vingt ans, des dizaines de
milliers ôe personnes âgées, des anciens réfu-
giés de Russie, partis en 1920, pouvaient
encore raconter leur guerre civile de 1918-
1920. L'auteur de ces lignes a connu des cen-
taines de ces personnes. Chacune, sans la
moindre exception, avait perdu un parent ~
proche ou éloigné, homme, femme ou enfant,
exécuté ou lynché sous le nouveau régime de Suspect arrêté par les tchékistes. Dessin de Zvorykine, 1923. Toute puissante police politique, hl
Lénine. Leurs témoignages pouvaient parfois Tchékafut créée en 1917 par Lénine et dirigée par Félix Dzerjinski. Entre 1917 et 1922, ses séides exé-
évoquer les horreurs du Cambodge de Pol Pot. cutèrent plus de 250 000 personnes. Elle sera remplacée en 1922 par la Guépéou.
Mais peut-on prêter foi au témoignage d'enne-
mis du régime, souvent des anciens combat- exceptionnelles ? Ou doit-on y voir une nou- ments de 1917 fut l'écrivain Maxime Gorki,
tants « blancs » ? Ou étaient-ils devenus des velle méthode de gouvernement ? Mais alors, pourtant un ami proche de Lénine.
ennemis des bolcheviks justement à cause de le « stalinisme » a-t-il réellement existé ou « Les rues sont devenues le théâtre quotidien
ce qu'ils avaient vu? n'était-ce que la maladie sénile du léninisme? de ces "jugements sommaires", écrivait-il. [... ]
L'appel de Lénine dans la Pravda du 15 La comparaison avec le nazisme est-elle per- L'ouvrier Kostine a essayé de prendre la défense
janvier 1918, « pour chaque tête des nôtres, mise? des malheureux que la foule massacrait ; il s'est
une centaine des vôtres », fut-il simplement un Un des premiers à s'émouvoir du déchaî- fait tuer lui-même. Nul doute que le même sort
cri de guerre poussé lors de circonstances nement de violence qui suivit les soulève- attende quiconque osera protester ». (2)

Il
HOLOCAUSTE EN URSS

MASSACRES
ET TERREUR,
UN BILAN PARTIEL
DU COMMUNISME
Il existe plusieurs évaluations
scientifiques de l'holocauste imputable à la
dictature du parti communiste depuis 1917,
en excluant les pertes de la Seconde Guerre
mondiale. Ces évaluations reposent sur des
études démographiques serrées. Selon la
plus modeste de ces estimations due au
démographe soviétique Maksudov, la
transformation révolutionnaire de la Russie
aurait coûté le chiffre énorme de 27,5 millions
de victimes. Pour la seule période de la
guerre civile et de la famine qui l'a suivie, de
1918 à 1926, les pertes sont évaluées à plus
de 10 millions de morts. Pour la période de
1926 à 1938 qui inclut la" dékoulakisation »
et les grandes purges : 7,5 millions de
victimes. Enfin, de 1939 à 1958, les
exécutions et les déportations de populations
ordonnées par le régime auraient coûté la vie
à environ 10 millions d'individus (1).
Se fondant sur des taux de natalité et de
Des vilhlgeoises pleurent leur village enjùlmmes que les Rouges ont incendié avant de se replier.
mortalité différents, le démographe
Kourganov obtient un chiffre global beaucoup
De l'hiver 1917 à juillet 1918, Gorki les fosses communes laissées dans le sillage de plus importants, plus de 66 millions de morts
publia courageusement dans Vie nouvelle une l'Armée rouge. On y trouvait des corps de entre 1918 et 1953 (sans compter les pertes
longue série d'articles dénonçant d'innom- femmes et d'enfants - parents d'officiers de dues à la Seconde Guerre mondiale). Pour la
brables scènes de lynchage encouragées par le l'Armée blanche, des fonctionnaires non-bol- période de guerre civile, de 1918 à 1922, il
nouveau gouvernement. Par ses accusations, cheviques, des membres du clergé, de la petite conclut à 15 millions de vies humaines, dont
Gorki s'alarmait de la mise en place d'un régi- bourgeoisie, de l'intelligentsia, etc. Les photos 1 700 000 personnes massacrées ou
me sanguinaire. Il fut censuré et contraint à des archives montrent q\]e la mort était fré- exécutées par les Rouges. Cette étude a été
l'exil. quemment précédée par des tortures longues et publiée en 1964 dans le Novoïe Rousskoïe
extrêmement horribles. On retiendra pour Slovo à New York et traduite dans Est et
Torturés avant exemple le rapport parvenu de Crimée après Ouestn• 594 du 16 mai 19n.
d'être tués l'évacuation des Blancs vers la Turquie et Ces chiffres sont proches de ceux que
l'instauration du pouvoir soviétique. Il est par- retiennent actuellement les historiens
Au cours de la guerre civile russe de 1918 ticulièrement parlant quant au nombre de per- russes. Pour Dimitri Volkogonov : " A elle
sonnes que le gouvernement soviétique cher- seule, la guerre civile a coûté à la Russie
à 1920-21 , de nombreuses zones de combat
chait à mettre à mort. Après la reconquête treize millions de vies. Dans la période
changèrent plusieurs fois d'occupants. Dans
soviétique de la Crimée, Frounzé (dont la située entre la guerre civile et la
les villes et territoires repris aux Rouges, les
capitale du Kirghizistan portera le nom) pro- collectivisation, c'est·à·dire dans" les
Blancs découvraient souvent de vastes char-
mit une amnistie pour tous les anciens offi- années heureuses de la NEP "• un million de
niers. Le 4 avril 1919, le général Dénikine,
ciers et soldats de l'Armée blanche encore pré- personnes environ ont péri dans les camps
commandant en chef des Forces armées du
sents dans le pays, à condition que ceux-ci se ou dans l'extermination de la résistance
sud de la Russie créa une « Commission spé-
antisoviétique dans le pays. Entre 1929 et
ciale d'enquête sur les crimes des bolche- présentent aux autorités. La majorité d'entre
1953, année de la mort du" premier
viks ». Suite à l'évacuation de l'armée russe eux se fit recenser, rassurée par la correction
léniniste "• ce bilan s'est alourdi de vingt et
(blanche), les archives de la commission se exemplaire des soldats de Frounzé. Mais
un millions et demi de victimes " (2).
retrouvèrent à l'étranger. Elles reposent quelques semaines plus tard, ces derniers
aujourd'hui au célèbre Hoover Institute de furent remplacés en Crimée par la 9' division
(1) Cf. Cahiers du monde russe et
l'université de Stan ford (3). Ces archives ne de l'Armée rouge. On procéda aussitôt à un soviétique. Vol XVII-3, juillet-septembre 19n
constituent qu ' un aperçu de la répression bol- second recensement. Les noms de ceux qui (Mouton éditeur).
chevique, mais elles laissent entrevoir leur avaient été inscrits la première fois étaient (2) Dimitri Volkogonov. Le vrai Lénine,
caractère sanglant et massif. Dans le peu de maintenant connus des autorités : impossible d'après les archives secrètes soviétiques
rapports qui nous sont parvenus, c'est par cen- de se dissimuler. On incarcéra tous ceux qui se (Robert Laffont, Paris, 1995).
taines que l'on dénombra des cadavres dans présentèrent au deuxième recensement, sans

Il
CAUSTE EN URSS

exception. Peu après, les exécutions commen- les « prols » de 1984, « ceux qui ont perdu
cèrent. Vers la fin de 1921, d'après les docu- leur liberté (ou droits) >> (lichënnye svobody
ments présentés au haut commissaire de la -ou prav- en russe) ne devinrent plus que des
SDN, Nansen, le nombre de fusillés s'élevait à lichentsy (ou lichenniki) - sobriquet intradui-
52 ou 53 000 au moins. (4) sible (sinon par des mots barbares comme « un
On peut reprocher leur manque d'objecti- privé-de, une privée-de » ou « privédeu »).
vité à ces informations provenant des « enne- Lénine transforma l'adjectif « douteux » en
mis du prolétariat ». Revenons alors aux nom commun (« un douteux, une douteu-
scènes de la révolution, admises comme se »... ) lorsqu'il ordonna de « mettre en pra-
typiques par 1'historiographie soviétique. tique une terreur de masse impitoyable contre
Au cours de leur séjour en URSS, entre les koulaks, les popes et les gardes blancs [et
1972 et 1974, les communistes français Nina d'] enfermer les douteux dans des camps de
et Jean Kéhayan, recueillirent le témoignage concentration en dehors de la ville. >> (7)
d'une vieille paysanne sur l'installation du Mieux encore, Felix Dzerjinski, chef de la
régime soviétique dans son village. Tchéka, inventa un nouveau mot pour désigner
« Par un froid matin de novembre 1917, les « ouvriers n'ayant pas accepté le nouveau
raconta cette femme, deux cavaliers sont arri- 15
régime ». Pour ces derniers il forgea le sub-
vés, escortés par la meute des chiens du villa- stantif « nontravailleurs » (nierabotchiyé) . (8)
ge. Ils avaient l'air de soldats et, après avoir Massacres en masse des paysans ukrainiens Ce glissement sémantique infamant n'était
mis pied à terre, ils proclamèrent: "Le tsar est par les bolcheviks en 1937 et 1938. A leur arrivée
pas une nouveauté des années 1920. Lénine,
en Ukraine en 1941, les Allemands mirent à jour
mort." » pourtant obsédé par le terme « scientifique »,
à Vinnitsa un charnier contenant les corps de
JO 000 hommes abattus par le NKVD (ancêtre du était incapable d' utiliser une langue objective
Exécution de grévistes KGB). Des femmes tentent d'identifier les restes dans ses écrits critiques. Une familiarité avec
pour cc sabotage » de leurs maris et de leurs fils. ses œuvres révèle que l'emploi de l'insulte et
des termes dégradants était systématique chez
notion de« riche », d' « ennemi de classe » de lui, même dans de simples analyses critiques
Empêchant les villageois de s'agenouiller
« spéculateur » ou aux autres termes qualifiant et historiques du socialisme. Mis en examen
à la mémoire de l'ancien tsar et en l'honneur
les 70 crimes passibles de la peine de mort par son propre parti pour avoir diffamé ses
du nouveau chef, Lénine, les soldats lurent
prévues par le nouveau code pénal de la RSS camarades au cours de la campagne électorale
une proclamation.
de Russie. (6) de 1906, Lénine répondit que les termes qu'il
« On y parlait de parti, de socialisme, de
communisme, de bonheur, de liberté ... Après Ainsi, le mot « sabotage » avait-il un sens avait utilisés avaient été « calculés pour inspi-
cette lecture, ils nous demandèrent : Où sont très large. C'est un des crimes le plus souvent rer haine, aversion et mépris [... ] non pour
les riches ? Ce n'était pas difficile de cité par les documents bolcheviques des convaincre mais pour briser les rangs de
répondre. Il y a le marchand et le koulak ... >> années du « communisme de guerre ». Le lec- l'adversaire >> . La faute des adversaires méri-
Ils furent trouvés et abattus sur-le-champ. (5) teur non averti, découvrant les terribles invec- tant cette violence verbale ? Des désaccords
Histoire banale, simple au possible. Deux tives de Lénine contre les « saboteurs », ima- sur des détails techniques de présentation des
morts seulement. Que l'on multiplie cependant gine des trafiquants de denrées alimentaires ou candidatures. (9)
ces deux morts par le nombre de villages dans des terroristes à la solde des Blancs ou de la
un empire aussi vaste qu'un continent et le pègre. C'était l'effet recherché. En fait, le mot Culpabilité cc objective »
chiffre obtenu fait réfléchir. Aucun village de « saboteurs » pouvait tout aussi bien désigner
l'ancien Empire russe n'échappa à cette forme de vrais bandits que des paysans affamés qui Cette primauté absolue de la stratégie
de justice « prolétarienne ». Être né « riche » cachaient un sac de blé ou des ouvriers gré- introduisit dans le lexique juridique une des
était un crime grave dans une lutte des classes vistes épuisés par les heures supplémentaires notions les plus utiles pour les fanatiques de la
déclarée guerre des classes. Mais qu'est-ce de travail « volontaire ». La grève étant un ins- raison d'État : la culpabilité « objective ».
qu'un « riche » ? Comment quantifier la trument de lutte contre le capitalisme, un arrêt Dans ses cours à la Sorbonne, l'historien Fran-
notion de « richesse » ? Pour un renne de trop de travail, gênant la production socialiste ne çois-Xavier Coquin a montré comment cette
ou une tente trop grande, on a vu fusiller pouvait être appelé « grève » ; on dira donc expression précédait la révolution, à l'époque
même des « notables » de campements abori- « sabotage», ce qui facilitera l'exécution rapi- où elle servait à exclure des membres du parti
gènes sibériens. Qui était donc compétent pour de de tout gréviste. coupables d'aucune faute, sinon de gêner
fixer le plafond de revenus ? Plafond qui pla- Pour déshumaniser les futurs condamnés à l'action des léninistes, convaincus de détenir
çait un individu non dans une « tranche mort, on laissa s'insinuer un jargon dont les la vérité. La culpabilité « objective », fré-
fiscale» mais devant un peloton d'exécution. mots devinrent des signes vidés de leur valeur quemment invoquée sous Staline, introduisit
Pour épargner aux bourreaux ou lyncheurs réelle par leur pauvreté grammaticale. George dans le droit plus qu 'une notion de culpabilité
de tels dilemmes, le nouveau droit soviétique Orwell, puis Siniavski et Soljenitsyne ont bien potentielle. La « culpabilité objective » rendait
favorisa l'adaptation du vocabulaire pénal aux compris ce mécanisme de la « novlangue ». Ils légitime l'élimination de toute personne inno-
fluctuations de la raison d'État. Ainsi on put furent précédés par l'écrivain Andreï Platonov cente dont le sacrifice était exigé par la raison
donner un sens très large et relativiste à la (qui commença à publier dès 1918). Ainsi, tels d'État. Dostoïevski avait pressenti le danger

Il
HOLOCAUSTE EN URSS

ARCHIVES, TOUT
RESTE À FAIRE
Comment chiffrer le lynchage encouragé
ou non par les bolcheviks ? Comment
distinguer, parmi ceux qui moururent de
faim et de maladie, les victimes des
manques de ravitaillement des personnes
privées de rations alimentaires pour
appartenance à la classe des exploiteurs ?
Que faire pour obtenir des chiffres fiables ?
Avant tout : reconnaître l'existence d'un
projet de destruction massif de populations
entières. Ensuite, obtenir l'accès
inconditionnel aux archives du KGB. Celles-
ci sont encore trop limitées à certaines
catégories de chercheurs : les chercheurs
trop indulgents envers l'histoire soviétique
ou les grosses machines universitaires
américaines qui proposent en échange des
services ou de l'argent et dont les
recherches ne s'intéressent pas
nécessairement aux victimes. Beaucoup de
chercheurs ont gagné l'accès aux archives
pour dresser un martyrologe d'une seule
catégorie d'individus (les chrétiens, les
aristocrates, une minorité ethnique, les
célébrités de la littérature, etc.) Le danger de
ces recherches est de cloisonner les morts
Lénine et Staline. La maître et le disciple. Le stalinisme, écrit Soljenitsyne dans L'erreur de l'Occi- par catégories ce qui fausse les chiffres en
dent, n'a jamais existé ni en théorie ni en pratique : on ne peut parler ni de phénomène stalinien ni empêchant l'établissement d'une estimation
d'époque stalinienne. Ces concepts ont été fabriqués après 1956 par la pensée occidentale de gauche globale par année, par secteur géographique
pour préserver les illusions du communisme.
ou selon d'autres classements utilisés par
l'histoire sérielle et quantitative. Il faut
dans Les Possédés qui s'inspire d'un fait Devant de telles dérives idéologiques et
lancer un appel pour qu'enfin les autorités
divers réel : l'exécution par le révolutionnaire judiciaires, comment imaginer que les mesures
russes donnent aux scientifiques, étrangers
Netchaïev d'un camarade soupçonné non de disciplinaires « regrettables mais néces-
ou de leur propre pays, les moyens
trahir son mouvement mais d'être capable un saires » de la révolution se limitèrent seule-
d'aborder le grand tabou de l'histoire de
jour de faiblir et de parler. Or l'impitoyable ment à quelques « bavures » ?
l'URSS, c'est-à-dire: des équipes de
Cathéchisme révolutionnaire de Netchaïev Les camps de concentration furent ouverts,
dizaines d'étudiants et de chercheurs,
était une des lectures favorites des marxistes eux, dès 1918. Comme nous l'avons cité plus
travaillant sur de longues années, seule
russes et de Lénine. haut, ils devaient d'abord accueillir les « dou- méthode sérieuse pour établir des
teux ». L'Archipel du Goulag, malgré ses statistiques fiables.
Les langues défauts, a le mérite d'avoir été la première ten- O.Keff
se sont déliées tative d'une histoire exhaustive des camps
soviétiques, d'avoir montré une continuité
Une telle vision du droit autorisait donc la entre les politiques concentrationnaires de cités par l'Archipel du Goulag à quelques cen-
politique des otages. Suivant l'exemple de la Lénine à Brejnev et d'avoir livré au grand taines de milliers .. . (Il)
politique des suspects sous Robespierre, la public une estimation du nombre des morts Il est incontestable que les armées
Tchéka, la police politique, arrêtait par cen- (environ vingt millions). Il est bien loin le blanches laissèrent derrière elles des scènes de
taines des hommes, des femmes et des enfants temps où il était politiquement correct de désolation et d'innombrables fusillés. La guer-
appartenant aux classes « non laborieuses ». s'indigner des « exagérations »de l'auteur de re civile était une guerre au cours de laquelle
Ces derniers étaient exécutés en cas d'attentat !'Archipel du Goulag. Dans l'ex-URSS, où les on ne faisait pas de prisonniers. Il y a une
contre les bolcheviks ou en cas de victoire des langues ont commencé à se délier dès les cependant une différence de taille entre la
armées blanches. D'autres raisons pouvaient années de Glasnost, il n'est plus admis, en « terreur blanche » et la « terreur rouge ». Les
entraîner la mort : le 15 février 1919, le soviet dehors des cercles les plus ouvertement stali- bolcheviks, eux, revendiquaient leur violence.
de la Défense des travailleurs et paysans niens, de nier le caractère massif des morts. La violence s'est tellement enracinée dans la
décréta de « prendre des otages parmi les pay- Les derniers nostalgiques d'Octobre 1917, en pensée léniniste, qu'on est en droit de se
sans pour qu' ils soient fusillés si le déblaie- sont réduits à un marchandage mesquin et demander s'il ne s'est pas opérée une confu-
ment de la neige n'est pas achevé >> ( 10). macabre pour réduire les millions de morts sion entre la fin et les moyens.

Il
CAUSTE EN URSS

persiste à empêcher ce deuil de s'exprimer,


c'est dans ces sociétés que l'histoire se répéte-
ra.
O. Keff
Oleg Kobtzeff est << Adjunct Assistant Pro-
fessor >>à l' American University of Paris (dépar-
tement des Relations internationales) où il
enseigne l'histoire et la géographie ainsi qu'au
collège Hautefeuille à Paris. Il collabore auprès
de la chaire d'histoire du monde russe moderne
et contemporaine du professeur François-Xavier
Coquin, au Collège de France.

(1) Déclaration de l'assemblée extraordinaire


des marins de la Flotte rouge de la République,
publiée dans Notre Siècle, 22 Mars 1918.
(2) Maxime Gorki, Pensées Intempestives. Lau-
sanne, 1975, p. 118. (L Ni vat et S. Drablier, trad.).
(3) Collection B. 1. Nikolajevskï et P. N. Wran-
Ossements de victimes des Khmers rouges au Cambodge. On estime à 2 millions de morts, sur une gel. Publiés, hélas de façon très incomplète, dans
population totale de 7 millions d'habitants, le bilan du génocide perpétré de 1975 à 1980 par les disciples Felshtinsky Yuri : The Red Terror during the Civil
cambodgiens de Lénine, pour instaurer une << société communiste idéale >>.Au lendemain du 17 avril War. OPI, London, 1992. (titre anglais de l'ouvrage
1975, date de l'entrée des troupes de Pol Pot à Phnom Penh, Le Monde célébra à la« une»<< la libéra- en langue russe). Le terme de « blancs >> utilisé en
tion de Phnom Penh >>, tandis que L'Humanité titrait: << Les patriotes sont entrés dans Phnom Penh >>. premier par les bolcheviks, suggère l'image d' une
troupe irrégulière de rebelles monarchistes. Ces
Il fut toujours considéré de mauvais goût accompli le « dépassement de la démocra- Blancs constituaient en fait l'armée russe régulière
de comparer la violence du nazisme à celle des tie » (13). Le combat des bolcheviks contre la (grossie dès 1918 par des volontaires et des
conscrits). Elle avait prêté serment, après Février
révolutionnaires d'Octobre 1917. Pour les uns, « révolution bourgeoise >>, sa démocratie
1917, au gouvernement provisoire, chassé de Petro-
les intentions des bolcheviks étaient bonnes. dépassée et ses droits de 1'homme, la haine grad en Octobre mais reconstitué en Crimée et com-
Pour les autres, mélanger deux phénomènes léniniste contre la civilisation judéo-chrétienne prenant surtout des démocrates et des socialistes.
historiques différents est une erreur de métho- - s'agit-il de ressemblances fortuites avec le (4) Felshtinsky, op. cit, pp. 328-330. Les méde-
de. Parler d'« holocauste >> en commémorant nazisme? cins militaires furent tous épargnés à la dernière
les victimes des répressions bolcheviques est Sans oser la comparaison, Alain Besançon minute. Le rapport ne pouvait fournir le nombre de
encore plus choquant: comme l'explique Yves a mis en lumière les sources gnostiques et dua- civils tués parallèlement à ces exécutions de mili-
Lacoste dans l'article « Génocide >> de son listes de la pensée russe du XIX' siècle. Il en taires.
Dictionnaire de Géopolitique (Paris, 1994) (5) Nina et Jean Kéhayan, Rue du Prolétaire
découle la vision des marxistes russes d'un
Rouge. Paris, 1978, pp. 111-112.
« cette forme de folie métaphysique poussée monde tissé de complots. « Toute gnose, toute
(6) Betram David Wolfe, Lenin and the Twen-
aux pires extrémités dépasse toutes les autres idéologie soupçonne derrière le monde un tieth Centwy. (Hoover archivai documentaries).
formes de persécutions politiques, et c'est arrière-monde seul réel, seul agissant. Il Hoover Institution Press, Stan ford, 1984, p. 202 .
sans doute en cela que l'Holocauste est un s'ensuit que le parti se rassemble non pas (7) Cité par Michel Helier, Utopija u v/asti
crime collectif unique dans l'histoire de pour tramer complot, mais pour résister au (L'Utopie au Pouvoir). London, 1982, Vol. 1 :p. 65.
l'humanité ». Pourtant, on devrait être très complot qui le menace, et dont la découverte Basée sur un vaste choix de documents soviétiques,
vigilant devant certaines analogies qu'Hitler constitue l' euréka de l'idéologie ». (14) N'est- l'étude du professeur Helier est une analyse en pro-
reconnaissait lui-même : « J'ai appris grâce à ce pas aussi une bonne définition du weltan- fondeur de l'instauration, dès 1917, d'un État terro-
leurs méthodes [des marxistes] ... Le national- schaung nazi ? riste.
(8) Ibid, p. 67.
socialisme c'est ce qu'aurait pu devenir le Hier, en URSS, on adoptait 1'utilisation de
(9) Wolfe, op. cit.: p. 202.
marxisme s'il avait rompu ses liens absurdes l'antisémitisme pour éliminer Trotski, Zino- (10) Djekrjety Sovjetskoj V/asti. Moskva, 1968,
et artificiels avec un ordre démocratique». (12) viev ou Kamenev. Le « procès des blouses p. 627 cité par Helier, op. cit., Vol. 1, p. 67.
blanches >> n'était que le premier acte d'une (Il) Sur la polémique des chiffres cf. Oleg
L'idéologie du soupçon vaste persécution contre les juifs soviétiques Kobtzeff, << Les chiffres du Goulag. Un révisionnis-
(interrompue in extremis par la mort de Stali- me rampant», Enquête sur l'histoire, Hiver 1994,
On imagine les sarcasmes avec lesquels ne). Aujourd'hui , qui d'autres, sinon les com- n° 9, pp. 46-48.
Lénine aurait accueilli le nazisme, s'il avait munistes les plus conservateurs, affichent des (12) Hermann Rauschning, Gesprache mit Hit-
ler. Wien, 1973, pp. 174-175.
vécu. Pour Lénine, 1'État était fondé sur la thèmes nazis et antisémites ?
(13) Voir Lénine : L'État et la Révolution.
violence ; le communisme auquel visait la Quoi qu 'il en soit, les historiens ont un Paris, Moscou, 1976, p. 128 ainsi que le titre et le
révolution à long terme, devait faire dispa- devoir de mémoire non seulement envers les thème du texte inclus dans cet ouvrage: << Engels et
raître l'État. Mais à court terme, Lénine ne victimes. Le deuil que 1'on refoule constam- le dépassement de la démocratie >>.
renonçait ni à l'État... ni à la violence. En ment vers l'Underground de l'inconscient est (14) Alain Besançon, Les Origines intellec-
même temps, il estimait qu'on avait déjà une caractéristique des sociétés malades. Si on tuelles du léninisme. Paris, 1986, p. 281.

Il
L'ABDICATION DE NICOLAS I I

La fin du tsarisme
PAR DOMINIQUE VENNER

Accident immense et incroyable,


la révolution russe de 1917 est
née de la guerre. Elle est née aussi
d'un drame privé, celui de la
famille impériale et du scandale
de Raspoutine.

la fin de 1914, les pertes atteignent

A déjà 1 200 000 hommes tués et bles-


sés. L'infanterie est saignée à blanc.
La plupart des officiers et sous-officiers de
carrière sont tombés. Les régiments ont perdu
près des trois quarts de leurs effectifs et les
vides ne sont pas comblés. Il y a dans les
dépôts 800 000 réservistes que l'on ne peut
instruire ni diriger sur le front, faute de fusils.
La situation empire encore durant l'année
1915. En Galicie, les pertes sont colossales.
Dans une division du 10' corps (effectif théo-
rique: 18 000 hommes), il ne reste que 1 000
hommes, dans une autre 900. Soldats russes après les premiers combats de 1914. L'armée a subi des pertes colossales. Tout
Futur chef des armées blanches du Sud, le manque, équipements, armes, munitions. De la souffrance de l'armée naîtra la révolte, puis la révolution.
général Dénikine a décrit ce martyre de
l'armée impériale : « Le printemps de 1915 Durant l'été 1915, l'armée russe commen- L'infanterie russe transformée, au sens littéral
restera à jamais gravé dans ma mémoire. La ce à perdre pied. On enregistre les premières du mot, en chair à canon, n'aspire plus qu'à la
grande tragédie de l'armée russe, la retraite redditions massives. Les mutilations volon- paix à n'importe quel prix. Le plus ignorant
de Galicie. Ni cartouche ni obus. De jour en taires augmentent dangereusement, ainsi que des moujiks est arrivé à cette conclusion que
jour, combats sanglants ; de jour en jour, toute la population mâle de l'empire serait
les désertions. Le soldat russe voulait bien se
marches pénibles, une fatigue sans fin, phy-
battre, mais pas se faire massacrer. Dans menacée de destruction si la guerre durait.
sique et morale. Nous ne répondions presque
l'armée et dans le pays, le mécontentement est A 1'arrière, la désorganisation de la vie
plus. JI n'y avait pas de quoi répondre ...
Quand, après un silence total de trois jours, général. On parle de plus en plus de trahison. économique, la paralysie des transports ont
notre unique batterie de 120 a reçu 50 obus, Des lettres des familles qui parviennent au affamé les villes. Des queues interminables
la nouvelle en fut communiquée à tous les front parlent de la famine et de l'effroyable s'allongent devant les magasins d'alimenta-
régiments par téléphone et tous les tirailleurs désorganisation. tion. Aucune famille qui ne soit touchée par le
respiraient avec joie de soulagement » (1). Après l'offensive victorieuse du général deuil d'un père ou d'un fils . Aucun village qui
Faute de fusils, les renforts sont dirigés, Broussilov durant l'été 1916 qui a coûté ne soit frappé par l'épouvante des jeunes muti-
sans armes, vers le front. Les soldats doivent 1 200 000 tués et blessés, l'armée est un grand lés. Le pays est assommé de souffrance. Mais
ramasser les fusils des morts et des blessés. corps usé, frappé d'une passivité animale. son désespoir commence à se muer en colère.

Il
.
DU TSARISME

contre les Japonais en Mandchourie, ce qui ne


remplaçait pas de bonnes mitrailleuses ...
Les réjouissances furent brèves. Avant un
an, Alexandra dut se convaincre avec horreur
qu'elle avait transmis à son fils le germe de
1'hémophilie, maladie qui avait fait mourir son
propre frère, l'un de ses oncles et deux de ses
neveux (2). Les médecins ne pouvaient rien
pour Alexis, aussi les parents éplorés s'adres-
sèrent-ils aux puissances surnaturelles. Après
avoir fait dire des messes qui se révélèrent
inutiles, ils eurent recours aux guérisseurs et
aux faiseurs de miracles.
C'est ainsi qu'après un mage français
appelé « Papus », un moine tibétain et
quelques autres, Grigori Efimovitch Raspouti-
ne fit son entrée dans l'intimité du couple
impérial

Raspoutine devient
indispensable

Raspoutine se prétendait starets, « saint


homme ». Sa sainteté ne venait pas de ses ver-
tus mais de ses vices, car il est dit que celui
Photo prise dans les temps heureux, en 1911. Le petit tsarévitch Alexis entouré de ses quatre sœurs, qui s'abîme dans la fange, celui qui foule au
de gauche à droite: Marie, Tatiana, Anastasia (la plus jeune) et Olga (l'aînée). Tous seront sauvagement pied l'orgueil de l'homme, celui-là est proche
massacrés sur ordre de Lénine, avec leurs parents, à Iekaterinbourg, le 16 juillet 1918. de Dieu. Et ce débauché de Grigori Efimovitch
y excellait, avec un aplomb et une vigueur ani-
La propagande révolutionnaire attise ce murmura : « Commencé dans le sang, le règne male qui fascinèrent la Cour.
mécontentement. Aux classes dirigeantes, on finira dans le sang. » Introduit par l'archimandrite Théophane,
assure que le gouvernement recherche une Le couple impérial eut successivement confesseur de l'impératrice et recteur de
paix désastreuse et déshonorante. On l'accuse quatre filles et se désespérait d'avoir un fils, 1'Académie de théologie, il vit sa « sainteté »
de trahison. Inversement, on convainc les un héritier. Cette attente prit chez l'impératrice officiellement reconnue par le père Jean de
masses que cette guerre insensée est poursui- Alexandra des formes névrotiques. Née prin- Kronstadt, visionnaire d'une grande autorité
vie dans le seul but d'enrichir les riches. On religieuse.
cesse de Hesse-Darmstadt, petite-fille préférée
dit qu'elle n'aurajamais de fin. En juillet 1907, le petit tsarévitch fut victi-
de la reine Victoria, son mariage avec Nicolas II
Pour redresser la situation, il faudrait un me d'hémorragies internes qui le faisaient
avait été le fruit d'une passion amoureuse réci-
pouvoir exceptionnellement ferme et avisé. atrocement souffrir. Après trois jours, l'enfant
proque qui ne se démentit jamais. Élevée dans
Mais le malheureux Nicolas II, excellent était mourant. Sur le conseil de femmes de sa
la religion luthérienne, elle se convertit à
homme privé, n'a aucune des qualités exigées. suite, la tsarine fit venir Raspoutine à Tsars-
l'orthodoxie par raison d'État, mais, rapide- koïe Selo. Le starets s'assit familièrement au
Pire, lui et son épouse Alexandra, sont minés ment, elle fut conquise au point de verser dans
par un drame intime qui va peser lourd dans le chevet du petit malade, lui prit la main et se
une superstition effrénée. mit à lui raconter des contes populaires de
destin de la Russie. Écoutant les conseils de son confesseur, Sibérie. Le lendemain, Alexis ne ressentait
l'archimandrite Théophane, elle s'enticha de la plus aucune douleur. Il put se lever. Il était
Le drame de la famille mémoire d'un ermite quelque peu thaumatur- guéri.
impériale ge, ayant vécu un siècle plus tôt, Séraphin de En 1912, Alexis fit une chute provoquant
Sarov. Elle imposa sa canonisation au cours de une vive meurtrissure en haut de la cuisse
Le règne de Nicolas II avait commencé sur cérémonies grandioses. gauche. L'enfant resta entre la vie et la mort
un présage sinistre. Le 14 mai 1895, lors des Un an plus tard, jour pour jour, le 12 août pendant une dizaine de jours. Il se vidait de
fêtes du couronnement, à la Khodynka, près 1904, la tsarine accouchait d'un fils que l'on son sang. Le 10 octobre, on lui administra les
de Moscou, l'effondrement d'une tribune, pro- prénomma Alexis. derniers sacrements.
voqua une panique meurtrière. Près de deux Le couple impérial en fut conforté dans ses Dans la nuit, Alexandra télégraphia à Ras-
mille personnes, en majorité femmes et penchants superstitieux. Le tsar accrocha le poutine en Sibérie. Il répondit par télégram-
enfants, furent tuées ou grièvement blessées. portrait de Séraphin dans son cabinet, et fit me : « Dieu a vu vos larmes et entendu vos
Le peuple russe, naturellement superstitieux distribuer son image aux troupes partant prières. Ne vous alarmez pas. L'enfant ne

Il
LA FIN DU TSARISM
1

mourra pas. » Vingt-quatre heures plus tard,


1'hémorragie cessait.
« Comment s'étonner que le starets fût
devenu indispensable à la mère d'Alexis ?
Comment imaginer d'autre part qu'un rapport
de police faisant état de sa vie dissolue réussi-
rait à la convaincre ? Il était l'homme unique
pour lequel elle avait prié, l'homme doté de
pouvoirs miraculeux, capable d'intercéder
directement auprès de Dieu et d'obtenir ses
faveurs. Puisque Dieu l'écoutait, Raspoutine
ne pouvait qu'être un homme de bien ; et
puisque c'était un homme de bien, quiconque
s'opposait à lui et le dénigrait ne pouvait
Raspoutine. Ses talents
qu'être mauvais. Ce n'était pas plus compli-
de guensseur l'avaient
qué que cela. » (3) introduit dans l'intimité du
Ce qui allait le devenir ce sont les relations couple impérial. A droite,
du tsar, de l'impératrice et du starets dans la Nicolas et Alexandra, au
conduite des affaires de l'empire. temps de leur mariage. Ils
ne cesseront de s'aimer.
Aveuglement et faiblesse Leurs visages tristes por-
tent déjà la marque du
de Nicolas Il drame qui emportera la
dynastie.
Pour le malheur de la Russie, Nicolas II,
n'a aucune des qualités nécessaires à un souve-
rain autocrate. Il a même la plupart des défauts
qui devraient écarter un prince de ces écra-
santes fonctions. C'est un homme moyen, que L'impératrice a une telle confiance en lui nalités qui lui tiennent tête tombent
le pouvoir inquiète et la politique assomme. qu'elle l'écoute en toutes choses. N'est-il pas rapidement en disgrâce.
Influençable, timide, irrésolu, entiché l'ami, le conseiller désintéressé, éclairé par Les lettres d'Alexandra à son époux
comme la tsarine de reliques et d'amulettes, il Dieu ? De fait, il lui arrive de formuler des (Payot, 1924) prouvent que Raspoutine est
est intraitable sur l'étiquette. Attaché avec rai- avis d'un certain bon sens. Il parle comme le consulté sur tout, qu'il intervient pour la nomi-
deur aux apparences de l'autocratie, il ne com- feraient à sa place la plupart des moujiks, mais nation d'un ministre comme pour les décisions
prend pas que celle-ci, comme toute institu- il ajoute à la grosse sagesse 1'intuition du stratégiques. l" novembre 1915 : << Notre Ami
tion, doit s'adapter pour vivre et durer. Il ne médium. En juillet 1914, en pleines rumeurs est très affligé par la nomination de Trépov au
voit pas que son formalisme rigide est impuis- de guerre, Raspoutine est victime d'une tenta- ministère des Transports , il sait qu'il est
sant à entraîner l'adhésion. tive d'assassinat. De sa chambre d'hôpital, il contre toi. » 6 janvier 1916 : << Notre Ami
L'absolutisme pourrait être une force dans télégraphie au tsar: <<Ne fais pas la guerre! » regrette qu'on ait commencé l'offensive sans
la conduite de la guerre. Mais dans les mains Il ajoute ce qu'il faut bien prendre pour une demander son avis, il t'aurait conseillé
molles de Nicolas II, il avorte en irrésolu- prophétie médiumnique : << Un nuage d'attendre. » 14 mars : << Je t'envoie une fleur
tions, sombre dans des cabales bureaucra- effrayant s'étale sur la Russie. Malheur ! et une pomme de notre Ami. Il considère que
tiques, se corrompt en pitoyables intrigues. Souffrances innombrables ... Il n'y aura pas le général lvanov conviendrait bien pour le
Confiné dans le silence de ses palais ou de ses eu, depuis l'origine des siècles, un poste de ministre de la Guerre. »
wagons-salons, jusqu'au dernier moment, le plus affreux martyre que celui de la Russie. On imagine les inquiétudes et l'indigna-
tsar ignorera le mépris et le ressentiment qui Elle sera toute submergée de sang. Et sa perte tion du Haut Commandement et l'on com-
montent dans la nation. En ces heures tra- sera totale. » prend mieux qu'en février-mars 1917les géné-
giques, il ne trouvera jamais une parole, un Ce rôle bénéfique a pour contrepartie son raux seront les premiers à exiger l'abdication
geste capables d'émouvoir les cœurs. Il ne ivresse de moujik parvenu au faîte du pouvoir. de Nicolas II.
fera jamais sentir l'influence de son énergie Les plus grands noms de l'empire, font anti- Des ministres efficaces et populaires
personnelle. chambre chez lui pour quémander une faveur. comme Polivanov, Samarine ou le prince
Quand il assume le commandement des Il s'approprie insolemment toute femme qui Chtcherbatov sont écartés du gouvernement au
armées à partir de 1915, le tsar délègue le pou- éveille son désir, et malheur au mari qui se cours de la guerre pour avoir déplu à la tsarine,
voir politique à l'impératrice, c'est-à-dire à rebelle. Il impose son choix pour la promotion c'est-à-dire à Raspoutine.
Raspoutine. des généraux, des gouverneurs et pour la dési- Dans le cours de l'année 1916, les mal-
<<Je tiens l'Empire dans cette main-là ! » gnation des ministres, suivant le seul critère de adresses de l'impératrice, les scandales de
proclame le starets devant ses admiratrices et son bon plaisir, qui l'oriente le plus souvent Raspoutine, la valse des ministres, l'incompé-
ses obligés en frappant la table du poing. vers les gredins et les incapables. Les person- tence et l'impuissance du gouvernement, la

Il
DU TSARISME

dégradation de la situation sociale et écono- Alexéiev n'est pas surpris. Voici des nuits
mique, la crise inquiétante du ravitaillement, qu'il ne dort plus. Au poste qui est le sien, il a
les pertes gigantesques et inutiles de l'armée acquis la conviction que 1' autocratie est
vont être exploités par les opposants et les condamnée.
révolutionnaires. Toute la journée du mardi 28 février ( 13
Tout le monde complote. Chez les monar- mars), venant du GQG de Mohilev, le train
chistes libéraux, on prétend sauver le trône en spécial de Nicolas Il roule vers Tsarskoïe Selo.
exigeant une constitution. Chez les républi- Le lendemain, l" mars (14 mars), le train est
cains et chez les socialistes on veut une révo- détourné vers Pskov, QG du front Nord. C'est
lution. Tout le monde s'accorde sur le préa- là que les chefs militaires porteront l'estocade.
lable d'un renversement du tsar et de la sup- A 20 heures, sur le quai de Pskov, le géné-
pression physique de Raspoutine. ral Rousski, commandant du front nord,
Le matin du 30 décembre 1916, Petrograd accueille le tsar.
est réveillé par l'annonce du meurtre. Les trois Chapitré par Alexéiev, Rousski dissimule
acteurs de ce drame oriental sont l'équivoque sa gêne sous une apparente brusquerie. Il
et richissime prince Youssoupov, son ami le s'efforce de démontrer à son souverain que
grand-duc Dimitri, et le député de droite Pou- Le général M. V. Alexéiev (1857-1918). Chef
toute résistance au soulèvement est inutile. La
richkévitch. de l'état-major impérial en 1917, il précipitera conversation s'éternise. On attend les réponses
« La nouvelle a excité chez les officiers l'abdication de Nicolas Il, croyant sauver la Rus- des commandants en chef des cinq fronts à qui
une joie débordante et bruyante, s'étonne le sie. Neuf mois plus tard, ce républicain sera le Alexéiev a envoyé le télégramme suivant :
créateur de la première armée blanche. « L'abdication de l'empereur Nicolas Il est
général Janin, chef de la mission militaire
française. Une bataille gagnée avec cent indispensable pour rétablir le calme dans le
mille prisonniers n'en eût pas excité davan- Samedi 25 février. On reprend le schéma pays et permettre de continuer la guerre. Si
tage.>> des jours précédents : marche sur la Nevski. vous êtes du même avis, veuillez en informer
En janvier 1917, les prix montent brutale- Des pancartes et des banderoles sont prêtes : aussitôt télégraphiquement Sa Majesté. >>
ment. On assiste à la fermeture en masse de « A bas le tsarisme ; A bas la guerre ! >> Les En début d'après-midi, le 2 mars (15
commerçants, boulangers, boucher, crémiers, manifestants se sont armés, quelques revol- mars), le général Rousski porte au tsar les
vers, des barres de fer, des bouteilles, des bou- réponses des cinq commandants en chef (dont
par suite d'arrivages insuffisants de produits
lons. la sienne) exigeant l'abdication. Un long silen-
alimentaires à Petrograd.
C'est ce jour-là que les troupes de Petro- ce suit cette lecture. Nicolas II se tourne vers la
Le 16 février, en accord avec le comman-
grad vont passer à l'émeute, se mutinant et fenêtre du wagon, un pli amer aux lèvres. Puis,
dant de la place, la municipalité de Petrograd
massacrant les officiers qui veulent s'interpo- brusquement, il déclare d'une voix ferme: «Je
décide de rationner le pain au moyen de
ser. me suis décidé. Je renonce au trône en faveur
cartes. Affolés, les petites gens se précipitent
Des émeutes et des manifestations vio- de mon fils.» Il est quinze heures.
sur les boulangeries, qui sont instantanément
lentes, la Russie tsariste en a l'habitude depuis L'acte officiel sera rédigé non en faveur du
pillées.
le début du siècle. Mais il est nouveau que tsarévitch Alexis, dont la maladie est incu-
Le 23, des femmes se rassemblent à
l'armée fasse cause commune avec l'émeute. rable, mais du grand-duc Michel, frère de
Vyborg, le faubourg ouvrier de Petrograd, et Nicolas II. Tout cela n'est que péripétie. Dans
marchent vers l'hôtel de ville, scandant le les jours qui suivront, sur pression de Kerens-
même cri:« Du pain!» L'armée abandonne le tsar
ki, le grand-duc Michel renoncera à sa préten-
La police montée disperse difficilement la tion au trône, déléguant son pouvoir au seul
manifestation qui se reforme dans les petites Le 28 février (13 mars), elle défile au
gouvernement provisoire.
rues jusqu'à la nuit. centre de Petrograd derrière des drapeaux Dans son wagon personnel, vers minuit, le
Le 24, les femmes de Vyborg reviennent à rouges ! En tête, marchent les cosaques de dernier Romanov écrit : « Il n'y a que trahi-
la charge. But de la manifestation : comme la l'Escorte ; l'élite de la garde impériale. Tous, son, lâcheté et fourberie autour de moi. >>
veille, la perspective Nevski, cœur de la capi- officiers et soldats, protestent de leur dévoue- D.V.
tale. Leurs rangs sont considérablement gros- ment au nouveau pouvoir incarné par la
sis par les grévistes des usines Poutilov et Douma, comme si, brusquement, le précédent (1) La Décomposition de l'armée et du pouvoir.
Erikson. Les premières vagues de manifestants avait été effacé de leur mémoire et de leurs Povolozky et cie, Paris, 1921.
parviennent sur la Nevski peu après midi. serments. (2) L'hémophilie est une maladie génétique
Cette fois, on ne demande plus du pain, mais Le matin même, au quartier général de transmise par les femmes et dont seuls les enfants
on réclame la république. Mohilev, le général Alexéiev, chef d'état- mâles sont victimes. Elle se caractérise par l'absen-
major général, a reçu un télégramme de Rod- ce d'une protéine spécifique dans le sérum sanguin,
Jusqu'alors, les principales organisations
qui interdit la coagulation. Il semble que cette défi-
révolutionnaires sont restées passives. Mais, zianko, président de la Douma : « Les institu-
cience fit son apparition chez la reine Victoria, qui
dans la nuit, le comité bolchevique lance un tions gouvernementales ont cessé de fonction- la transmit à sa petite-fille Alix, future tsarine
appel pour la création immédiate de soviets ner à Petrograd. Le seul moyen d'éviter Alexandra Féodorovna.
« dans les usines, dans les casernes, dans les l'anarchie est d'obtenir l'abdication de (3) Dr F. Cartwright, La Tragédie des
villes>>. l'empereur en faveur de son fils». Romanov. Paris, 1974.

Il
I(ERENSI(I PERD LA PARTIE

Lénine prend le pouvoir


PAR CHARLES VAUGEOIS

Voici quatre-vingts ans, les de bonheur candide et de douce concorde, de


liberté, d'égalité et de fraternité, ces rhéteurs
révolutions russes de 1917 chan- ingénus ne doutent pas que leur révolution,
d'un coup de baguette magique, ne change le
geaient le cours de l'histoire du frustre moujik affolé par la guerre en un modè-
le de raison et de vertus civiques. Ils ne
monde. Il n'était écrit nulle part perçoivent rien du cataclysme et semblent
avoir oublié les défaites accablantes, la disette
que Lénine devait l'emporter. générale, la souffrance des soldats, les exi-
gences de la guerre.
Récit des erreurs et des fautes qui
Kerenski craint
ressemblent à de la complicité. les officiers plus
que les bolcheviks
es révolutions russes de février (mars)

L et octobre (novembre) 1917 ont chan-


gé le monde, bouleversé toutes les
structures et les frontières de l'Europe, trans-
D'emblée, le gouvernement provisoire a
laissé s'instituer une dualité du pouvoir avec le
Soviet. Le Soviet, avec une majuscule, c'est
celui de Petrograd, Je premier en date, qui
formé les mentalités. Elles offrent, comme réunit des délégués, élus des soviets d'ouvriers
dans une opération de laboratoire, le modèle et de soldats. Son exemple et ses mots d'ordre
de la tactique établie une fois pour toutes par sont repris dans toute l'armée et dans tout le
Lénine pour << plumer la volaille » démocra- pays. Ce n'est pas qu 'il soit uni, cohérent,
tique, suivant sa propre expression. maître des hommes et des événements. C'est
La révolution de Février fut saluée par les une assemblée disparate où s'affrontent toutes
Alliés comme par leurs ennemis. Les premiers Le socialiste Kerenski, ministre de la Guerre les tendances socialistes et anarchistes. Ce qui
attendent des miracles d'un gouvernement en mai 1917 et chef du gouvernement provisoire fait sa force, c'est d'être le centre vers lequel
provisoire inspiré des grands principes de de juillet à novembre. Après avoir réprimé le pre- convergent les pulsions des foules et d'où par-
1789. Le cours du rouble et des valeurs russes mier soulèvement bolchevique de Petrograd en tent les directives parfois contradictoires qui
monte à la Bourse de Paris. Le banquier new- juillet 1917, il pouvait éliminer Lénine et ses par-
entretiennent et amplifient l'agitation. Très
yorkais Jacob Schiff télégraphie à Milioukov ; tisans. Mais il ne voulut pas, se sentant plus
proche d'eux que d'un Kornilov. Et ce sont eux vite, il est dominé par la fraction bolchevique
nouveau ministre des Affaires étrangères : la plus extrémiste.
qui l'ont éliminé.
<< Permettez-moi, en qualité d'ennemi irréduc- A deux reprises, en mai et juillet 1917,
tible de l'autocratie tyrannique qui pourchas- millions d'hommes mettra plusieurs mois à Alexandre Kerenski , futur président du gou-
sait sans pitié mes coreligionnaires, de félici- mourir. Durant cette longue agonie, les foules vernement provisoire, aura la faculté d'écraser
ter par votre entremise le peuple russe. » le Soviet qui ne cache pas son intention de le
en uniforme seront à la fois l'enjeu et l'instru-
Les Allemands, plus clairvoyants, pressen- renverser. Il s'y refusera délibérément, hanté
ment des luttes politiques qui conduisent au
tent une anarchie rapide et un effondrement de qu 'il est par une méfiance viscérale à
l'armée russe, capables de renverser la situa- coup de force bolchevique de novembre 1917.
l'encontre des officiers de l'ex-armée tsariste.
tion en leur faveur. Les monarchistes constitutionnels, les Il craint ceux-là plus que le Soviet, au sein
L'abdication de Nicolas II et le ralliement démocrates libéraux et les socialistes modérés duquel il conserve des intelligences. Le corps
du corps des officiers au gouvernement provi- qui constituent le gouvernement provisoire des officiers, bien qu'il soit complètement
soire annoncent la fin de 1'armée impériale. n'ont aucune conscience du raz de marée qui détaché de la monarchie, reste à ses yeux une
Cependant, ce corps immense de plus de six emporte la Russie. Tout à leur rêve tolstoïen menace constante de restauration du tsarisme.

Il
E PREND LE POUVOIR

CHRONOLOGIE DE LA RÉVOLUTION A LA GUERRE CIVILE


1917 1918 1919
8-12 mars (23·27 février). Émeutes 19 (6) janvier. Dissolution par la force de Janvier. Interventions de corps-francs
insurrectionnelles à Petrograd. l'Assemblée constituante. allemands dans les trois États baltes devenus
15 (2) mars. Abdication de Nicolas Il. Janvier. En Transbaïkalie, l'ataman Séménov indépendants, mais aussitôt envahis par des
Formation sous la présidence du prince Lvov s'empare de Mandchouria, dont il chasse les armées rouges. Celles-ci sont chassées tour à
d'un gouvernement provisoire qui entend bolcheviks. tour d'Estonie (mars), de Lettonie (mai) et de
poursuivre la guerre aux côtés des Alliés jusqu'à 3 mars. Signature du traité de Brest-Litovsk. Lituanie à la fin de l'année.
la victoire des démocraties, condition à son avis Les Allemands occupent la Pologne, l'Ukraine, le 2·6 mars. Premier congrès de l'Internationale
de l'établissement d'un régime libéral en Russie. Don et la Crimée. communiste à Moscou.
16 (3) avril. Expédié par les Allemands 31 mars. Chef de l'armée des Volontaires, le Mars-mai. Offensive puis retraite des armées
" comme un bacille de la peste "• Lénine arrive à général Kornilov est tué au Kouban. de Koltchak en direction de Moscou.
Petrograd. Il développe ses « thèses Mai. Début de l'offensive victorieuse
d'avril " que résument trois slogans : des armées de Dénikine dans le Sud.
« A bas la guerre. A bas le 10 octobre. Échec de l'offensive de
gouvernement provisoire. Tout le Youdénitch sur Petrograd.
pouvoir aux soviets. " 24 octobre. Début de la retraite et de
16 (3) juillet. Échec des l'effondrement de Dénikine.
manifestations insurrectionnelles 14 novembre. Les Rouges s'emparent
dirigées par les bolcheviks contre la d'Omsk, capitale de l'amiral Koltchak.
guerre et contre le gouvernement. Les Retraite d'hiver épouvantable le long du
dirigeants bolcheviks sont arrêtés ou transsibérien.
en fuite.
21 (8) juillet. Kerenski forme un 1920
nouveau gouvernement dont il prend
7 février. Livré par les Tchèques,
la tête.
Koltchak est fusillé à Irkoutsk.
28 (15) août. Rébellion du général
4 avril. Démission et départ de Dénikine
Kornilov. Contre lui, Kerenski s'allie
à qui succède le général Wrangel.
aux bolcheviks soudain remis en
Avril-novembre. Instauration par
selle. Lénine va préparer le
Wrangel d'une république blanche en
renversement de Kerenski sous
Crimée conçue comme un modèle
prétexte du danger de " contre-
politique et social antibolchevique.
révolution"· Le 23 (10) octobre, il
20 août. Miracle de la Vistule. Grâce au
impose au comité central du parti le
plan du général Weygand, les Polonais
principe de l'insurrection.
mettent en déroute l'Armée rouge.
7·8 novembre (24·25 octobre).
Été. Début de la révolte des paysans de
Ouverture du Il' Congrès panrusse
la région de Tambov.
des soviets. Insurrection bolchevique
16 novembre. Wrangel évacue la
à Petrograd. Renversement du Vladimir Illitch Oulianov, dü Lénine (1870-1924). Crimée, sauvant son armée du massacre.
gouvernement provisoire. Prise du
palais d'Hiver à la nuit tombée. 6 avril. A Tempere, en Finlande, victoire
9 novembre (26 octobre). Constitution du
1921
décisive des gardes blancs du général
Conseil des commissaires du peuple Mannerheim. Les derniers soldats rouges seront 2 février. Le général Ungern s'empare
(Sovnarkom) présidé par Lénine. Celui-ci fait chassés de Finlande le 16 mai. d'Ourga, en Mongolie.
adopter les décrets sur la paix et la terre. Après 23 avril. Soulèvement des Cosaques du Don. 2·18 mars. Soulèvement des marins de
quoi le Congrès panrusse des soviets se 27 mai. Soulèvement de la Légion tchèque le Cronstadt.
disperse. long du transsibérien. Mars. Introduction par Lénine de la Nouvelle
9 décembre (26 novembre). Création de 16 juillet. Massacre de la famille impériale à politique économique (NEP).
l'Armée rouge. Lénine proclame l'état de siège Ekaterinbourg. Été. Anéantissement des populations
sur tous les territoires " où apparaitront des 30 août. Tentative d'assassinat de Lénine par révoltées de la région de Tambov et des révoltes
détachement contre-révolutionnaires"· Fanny Kaplan. Proclamation de la " terreur de organisées sur le Don et au Kouban.
Formation sur le Don d'une armée des masse"· Création des premiers camps de 17 septembre. Ayant été capturé par traîtrise,
Volontaires par le général Alexéiev. Dans le sud concentration (goulag) par un décret du 8 Ungern est exécuté à Novossibirsk sur ordre de
de l'Oural, le général Doutov, ataman des septembre. Lénine.
Cosaques d'Orenbourg, constitue avec des SR 18 novembre. A Omsk (Sibérie) où s'est formé
un comité de salut public. un gouvernement blanc de coalition, un coup Les dates sont données dans le calendrier
20 (7) décembre. Création par Lénine de la d'État porte au pouvoir contre son gré l'amiral occidental grégorien et, entre parenthèses, en
Tchéka (police politique). Koltchak. calendrier orthodoxe julien.

Il
LÉNINE PREND LE POUVOI

Le gouvernement provisoire pratique une


politique de bascule entre les officiers et le
Soviet, ce qui lui paraît le comble de l'habile-
té. Il ne songe pas que, en tolérant à côté de lui
un organe illégal qui le conteste et pousse à
toujours plus de révolution, il mine son propre
pouvoir. Dans l'armée elle-même (six millions
d'hommes), dont une partie est durement
engagée dans les tranchées contre les forces
des empires centraux, le gouvernement tolère
et encourage implicitement les ferments de la
En juillet 1917, tandis qu'échoue l'offensive de Broussilov, les soldats de la garnison de Petrograd
dissolution. Ainsi, il contribue à détruire l'ins-
craignent d'être expédiés au front. Leurs meetings de protestation se transforment en émeutes orches-
titution militaire, alors que son but est de trées par les bolcheviks.
poursuivre la guerre aux côtés des alliés,
jusqu'à la victoire des démocraties, condition, membres du Soviet lui adressent des paroles deux jours plus tard, des troupes fidèles mani-
à son avis, de l'établissement d'un régime de bienvenue. festent en sa faveur à 1'instigation du général
libéral-socialiste en Russie. Le gouvernement provisoire et Kerenski Kornilov.
La « démocratisation » a été le prétexte ne voient tout d'abord en Lénine qu'un exalté Entre ses propres partisans, qui le terrori-
utilisé par le Soviet de Petrograd pour casser qui a le seul tort de vouloir trop ardemment et sent puisqu'ils le compromettent à droite, et
l'armée. L'instrument fut le prikaz (ordre) no 1 trop vite ce qu'ils veulent aussi. Ils ne perçoi- ses adversaires qui l'insultent et le menacent,
adopté par le Soviet dès le 14 ( 1") mars 1917. vent pas que Lénine est d'une autre nature. Ils le gouvernement n'hésite pas. Les ministres
Le prikaz n° 1 ordonne dans toutes les unités sont loin de soupçonner quelles arrière-pen- conservateurs Milioukov et Goutchkov démis-
l'élection de soviets de soldats qui ont le pou- sées, quelle ruse, quelle audace, quelle assu- sionnent en signe de conciliation, et le général
voir de destituer les officiers et sont juges de rance, quelle volonté despotique se dissimu- Kornilov, désavoué, doit quitter Petrograd
la conformité des ordres avec les nécessités de lent sous l'apparente simplicité du chef bol- pour le front lointain de Galicie.
la « démocratie ». Du jour au lendemain, cet chevique. Devant ses camarades éberlués qui Le l" juillet (18 juin), commence molle-
ordre transforme les officiers en otages au sein refusent d'abord de le suivre, Lénine dévelop- ment l'offensive de Broussilov en direction de
d'unités qui se désagrègent, refusent de mon- pe aussitôt ses « thèses d'avril »que résument Lemberg en Galicie. Mais le 6 juillet (26 juin),
ter en ligne et suivent les meneurs les plus trois slogans: « A bas la guerre. A bas le gou- en avant de Tarnopol, une contre-attaque alle-
forts en gueule. Les officiers qui tentent de vernement provisoire. Tout le pouvoir aux mande met en fuite l'infanterie russe. Ni
résister sont souvent massacrés. soviets». l'intervention de la cavalerie ni même le tir de
En face, le commandement allemand sur- 1'artillerie ne parviennent à endiguer le flot des
veille avec prudence cet effondrement. Peu à fuyards. Au passage, ceux-là pillent, violent,
peu, il suspend les opérations, puisque les
Défaite des bolcheviks
se livrent aux plus bestiales atrocités, mutilant
Russes ne se battent plus. Il dégage ainsi des en juillet 1917 femmes et enfants, massacrant et incendiant
effectifs pour le front occidental. Pour accélé- tout sur leur passage.
rer le pourrissement, il développe une intense Comme preuve de sa bonne volonté, le Le 15 (2) juillet, les nouvelles du désastre
campagne pacifiste et fait passer en Russie les gouvernement provisoire intercède auprès de ont ébranlé à ce point le gouvernement provi-
révolutionnaires exilés à l'ouest par le fameux l'ambassadeur d'Angleterre pour que le gou- soire que quatre autres ministres modérés
« train plombé ». vernement du Canada libère un autre révolu- démissionnent. Cette crise accroît le malaise
Après douze ans d'absence, Lénine rentre tionnaire de marque, proche de Lénine, Lev dans la capitale. Depuis plusieurs jours, les
ainsi à Petrograd à la fin d'avril 1917, venant Davidovitch Bronstein, alias Trotski, suspect soldats de la garnison craignent d'être expé-
de Suisse. Les Allemands l'ont introduit, sui- d'intelligence avec 1'Allemagne. diés en renfort sur le front. Des meetings de
vant l'expression de Winston Churchill, Le retour de Lénine et de Trotski entraîne protestation se tiennent dans les casernes. On
«comme un bacille de la peste ». un crescendo, dont 1'évolution peut être suivie projette une manifestation monstre.
Lénine ne revient pas seul. En tout, près des yeux sur un calendrier. Le 16 (3) juillet, plusieurs milliers de
de quatre cents socialistes de diverses 16 (3) mai 1917 : Petrograd connaît une mitrailleurs défilent sur la perspective Nevski
obédiences rentrent ainsi, en trois convois suc- nouvelle journée insurrectionnelle. Une multi- avec leurs armes, drapeaux rouges en tête. Ils
cessifs, via 1'Allemagne et la Suède avec tude grise, hérissée de baïonnettes, déferle sont rejoints par les ouvriers de Poutilov et par
l'accord de Ludendorff, mais sans que le Kai- devant le palais du gouvernement. Elle invec- des marins de Kronstadt.
ser en soit informé. tive Milioukov, ministre libéral des Affaires Le lendemain, 17 (4) juillet, les bolche-
Lénine s'attend donc à être arrêté à son étrangères. L'imprudent a prononcé un viks, enhardis par la passivité du gouverne-
arrivée à Petrograd comme agent de l'ennemi. discours pour rappeler les devoirs de la Russie ment, prennent la tête du mouvement. Mais,
A sa vive surprise, il est accueilli à la gare de en guerre. La soldatesque pousse des cris de dans la nuit, des Cosaques dépêchés sur Petro-
Finlande par des musiques militaires jouant mort, exige la démission du ministre et de son grad, le bataillon de Saint-Georges, et
1'Internationale, des bannières écarlates, des collègue Goutchkov. Le gouvernement quelques troupes loyales entreprennent de net-
milliers de soldats et de matelots. Plusieurs tremble, mais son embarras s'accroît lorsque, toyer la ville. Le lendemain, la fusillade ne

Il
E PREND LE POUVOIR

PARTIS ET ORGANES POLITIQUES


BLANCS produite en 1906. Les maximalistes sont à
Ensemble des opposants de droite et de l'origine de l'intensification de la lutte armée en
gauche résolus à combattre le pouvoir 1906·1907, contribuant à la formation des
bolchevique au besoin par les armes après le groupes de combat du parti bolchevique. Ils sont
coup de force d'octobre/novembre 1917. En partisans d'une purification sociale impliquant la
raison du discrédit dans lequel est tombée mise à mort de la «race " des " exploiteurs "·
l'autocratie en 1917, les monarchistes ne sont
qu'une infime minorité parmi les Blancs. MENCHEVIKS
Fraction modérée du parti social-démocrate
BOLCHEVIKS (marxiste) formée en 1903 par opposition à la
Fraction léniniste issue en 1903 du parti fraction bolchevique extrémiste. Les mencheviks
social-démocrate (marxiste) constitué en 1898. participent aux révolutions de 1917 en association
Les bolcheviks (majoritaires) sont les avec les bolcheviks qui les élimineront par la suite.
extrémistes que dirige Lénine. Les mencheviks
(minoritaires) sont les modérés animés par SOCIALISTES-RÉVOLUTIONNAIRES (S.-R.)
Plékhanov, Axelrod et Martov. Dans son livre Que Parti formé en 1902 par des adeptes de la
faire ? Lénine a défini en 1902 sa conception du révolution paysanne issus du mouvement Le général Kornilov. Après l'avoir nommé
parti militarisé de conspirateurs professionnels populiste et terroriste des années 1870·1890 commandant en chef des armées, Kerenski verra
subordonnant tout à la révolution. En 1912, les (Narodnia Volia). Recrutant un grand nombre en lui un rival potentiel. Lui ayant tendu un piège
bolcheviks se constituent en parti indépendant. d'instituteurs, son influence est importante chez qui l'accule à la révolte, ille destitue à la fin du
les paysans. Le parti est associé au mois d'août 1917. Se cherchant des alliés contre
CADETS(KD) gouvernement provisoire de 1917. Il se scinde en cet officier autoritaire et républicain, il remet en
Parti constitutionnel démocrate (KD), d'où le deux fractions qui s'opposent sur la poursuite de selle les bolcheviks, leur accordant le statut de
surnom de " cadet ". Il a été formé en 1905 par la guerre voulue par la majorité. Il obtient plus de défen seurs de la démocratie.
des libéraux réunis autour du journal Libération 50 % des voix aux élections de la Constituante en
créé par Pierre Struve en 1902. Les cadets novembre 1917. Il participe ensuite à la lutte des cesse pas de la journée, et le soir, les troupes
exigent la réunion d'une assemblée constituante Blancs contre le bolchevisme, au cours de gouvernementales restent maîtresses du ter-
et préconisent une alliance avec les partis laquelle s'illustre Boris Savinkov. rain.
révolutionnaires contre l'autocratie. Ce sera le Découragés, les bolcheviks se résignent au
schéma de 1917. Principal dirigeant : Milioukov. S.-R. DE GAUCHE repli. Lénine confie à Trotski : « Maintenant,
Au cours de 1917, apparaît au sein du parti il vont tous nous fusiller. C'est le bon moment
DOUMA socialiste-révolutionnaire une fraction dite " de pour eux ! » A la place de Kerenski , il eût cer-
Assemblée législative élue, créée à gauche » proche des bolcheviks et opposée à la tainement agi ainsi, comme le fera, l'année
contrecœur en octobre 1905 par Nicolas Il sur guerre. Ces SR de gauche font définitivement suivante, à Berlin, le socialiste Noske face à
proposition de son Premier ministre, le comte scission en novembre 1917 pour fonder leur 1'insurrection spartakiste. L'histoire de la Rus-
Witte. Elle se réunit pour la première fois en 1906. propre parti. Comme leur influence reste sie et celle du monde en eussent été changées.
Stolypine s'appuie sur elle dans son effort de importante dans les campagnes, Lénine se met Mais Kerenski n'était pas de cette trempe.
modernisation de la monarchie. Elle représente en frais. Le 12 (25) décembre, sept SR de gauche
l'opposition légale à l'autocratie en 1917. Certains entrent ainsi au Sovnarkom (gouvernement).
partis révolutionnaires y ont des élus. Romantiques, bavards et inexpérimentés, ils sont
Le coup de colère
mal armés face à leurs collègues bolcheviks, de Kornilov
GARDE ROUGE d'autant que la politique de distribution des
Milice ouvrière armée contrôlée par les terres adoptée par Lénine comble leurs vœux. Le facile écrasement du soulèvement bol-
bolcheviks. Mais ce qui, pour Lénine, relève de la tactique, a chevique lui fait imaginer que Lénine et les
chez eux valeur de dogme. L'équivoque est siens sont terrassés. Cet adversaire lui paraît
GOUVERNEMENT PROVISOIRE grosse de conflits futurs. Il finiront par rompre d'autant moins redoutable qu 'il craint mainte-
Organe de pouvoir constitué au sein de la avec les bolcheviks, tentant même à Moscou, les nant une réaction militaire. Il va donc tempérer
Douma en février/mars 19171ors de l'abdication 6 et 7 juillet 1918, un soulèvement qui sera brisé la répression. Lénine a pris le large et s'est
de Nicolas Il. Il est d'abord dirigé par le prince par la force. réfugié clandestinement en Finlande. Trotski
Lvov qui cédera la place à Kerenski (déjà ministre
est arrêté, comme d'autres bolcheviks mais par
de la Guerre) en juillet. Le gouvernement SOVIETS
pour longtemps. Des archives ont été saisies.
provisoire qui a parmi ses objectifs de poursuivre Terme russe pour conseil. Les premiers
Aucun juge ne les exploitera.
la guerre contre l'Allemagne et l'Autriche, sera soviets ont été constitués durant la révolution de
Le 21 juillet (8 août), après la démission
renversé par les bolcheviks en octobre/novembre. 1905. Ils sont élus par les soldats et les ouvriers.
du prince Lvov, Kerenski devient chef du gou-
En 1917, le Soviet de Petrograd, dominé par les
MAXIMALISTES bolcheviks, constitue un pouvoir parallèle
vernement. Il conserve les portefeuilles de la
En 1917, ce vocable est souvent synonyme de opposé au gouvernement provisoire qu'il Guerre, de la Marine, emménage au palais
bolchevik. Il se rapporte à une scission de l'aile supplantera lors des journées d'Hiver, couche dans le lit de l'empereur et ne
gauche des socialistes-révolutionnaires qui s'est d'octobre/novembre. se montre plus qu'escorté d'aides de camp
aussi chamarrés que ceux du tsar.

Il
LÉNINE PREND LE POUVOI

L'ARGENT
DE LA RÉVOLUTION
Puisqu'il faut un responsable à la déroute Le 12 septembre (30 août) 1917, Kerenski
des armées, le général en chef Broussilov est demande au général d'envoyer à Petrograd un Aux États-Unis, la poussée
relevé de son commandement et remplacé par corps de cavalerie. Il allègue la crainte de révolutionnaire est accueillie avec
Je général Kornilov, qui n'accepte ce poste troubles graves faisant suite au rétablissement enthousiasme par Wall Street et l'un des
qu'en échange du rétablissement de la peine de la peine de mort à l'arrière du front et aux éditoriaux les plus marquants de la grande
de mort dans les armées. Pendant son bref campagnes du Soviet. Mais, cinq jours plus presse d'affaires salue alors " le réveil de la
commandement en Galicie, ce général plutôt tard, quand il apprend que la Division sauvage Russie, ce géant si longtemps assoupi et qui
républicain s'est illustré en faisant fusiller les est en train de devenir une réplique slave de
- une unité de Cosaques - fait mouvement sur
déserteurs et les mutins. Son énergie contraste la démocratie américaine». Wall Street,
la capitale, Kerenski réunit Je cabinet, dénonce
justement, dont les deux piliers sont les
avec la mollesse des autres généraux, qui un complot, destitue Kornilov et annonce qu'il
frères de Max Warburg, Paul et Félix.
tremblent devant leurs soviets respectifs. prend lui-même Je commandement des Immigrés en 1902, aux États-Unis, où ils
Sa nomination au commandement en chef armées. acquis la nationalité américaine, ils
et son ultimatum au gouvernement pour le
contrôlent Kuhn Loeb and Co, première
rétablissement de la peine de mort portent son Les artifices banque mondiale de l'époque. En 1907, après
prestige au zénith. Kerenski et Je gouverne-
ment en prennent ombrage et imaginent déjà
de la démocratie une crise en grande partie artificiellement
au service du parti suscitée, Paul Warburg a été à l'origine de la
que derrière ce général se profile l'ombre de réforme du système bancaire américain.
Bonaparte. Le Soviet, de son côté, en rajoute Dès 1916, Kuhn Loeb et l'un de ses
naturellement et dénonce chaque jour Je Découvrant qu 'il vient d'être joué, le
principaux associés, Jacob Schiff, transfèrent
« cosaque sanguinaire » qui veut étrangler la fougueux général a un mouvement de rage.
de l'argent au mouvement bolchevique par le
démocratie et la révolution. Il refuse de s' incliner et lance un appel à la canal d'institutions telles que la Banque
C'est dans ce contexte que survient en sep- rébellion. A Petrograd, c'est J'affolement. Le pétro·industrielle d'Allemagne, la Disconto
tembre 1917 ce que l'on appelle Je putsch de Soviet et les bolcheviks apportent leur soutien Gelleschaft, ou encore la DEN Norske
Kornilov, qui fut bien moins que cela dans les à Kerenski. Ce ralliement n'est pas gratuit. Handelsbank d'Oslo. D'après le Washington
faits et beaucoup plus dans les conséquences. Kerenski fait libérer Trotski, puis il cède Post du 2 février 1918, dans le même temps,
L'affaire, aujourd'hui encore, paraît assez aux exigences du Soviet qui réclame l'arme- la Banque Morgan aurait au moins versé un
obscure, mais il semble bien que Kerenski ait ment des ouvriers pour défendre la capitale. million de dollars à ces révolutionnaires,
tout fait pour tendre un piège au général, Ces armes , distribuées aux gardes rouges for- adeptes de la nationalisation du crédit et des
excellent homme de guerre, mais cerveau poli- mées par les bolcheviks, ne seront jamais res ti- moyens de production...
tique plutôt frustre . Kornilov était un patriote, tuées. Entre avril et octobre 1917, le parti
il souffrait le martyre de voir son pays bascu- La Division sauvage est bloquée par des bolchevique fait un nombre prodigieux de
ler dans un gouffre. Homme d'ordre et de coupures de voie ferrée à quarante-deux recrues, ce qui ne révèle pas seulement
décision, il ne demandait qu'à servir le gou- verstes de Petrograd. Elle n'ira pas plus loin et l'habilité de ses dirigeants (et l'inefficacité
vernement pour mettre un terme au chaos. se décomposera de l'intérieur. Les terribles de ses adversaires), mais aussi l'écrasante
Mais, aux yeux de Kerenski et de la gauche, il Cosaques ne sont plus que J'apparence de ce supériorité de leurs ressources.
prenait figure de concurrent et de danger. qu 'ils étaient. Ils pouvaient dépenser sans compter
pour leurs journaux, les agitateurs et les
propagandistes qu'ils employaient à temps
complet, ainsi que pour les armes de leurs
gardes rouges. Des sommes aussi
considérables ne pouvaient provenir des
cotisations- en avril1917, le parti ne
comptait encore que quarante-neuf mille
membres- ni des ventes de la Pravda. Les
activités révolutionnaires requéraient
beaucoup d'argent. Transféré de Berlin par
la Banque impériale d'Allemagne ou la
Disconto Gelleschaft, celui-ci parvenait
jusqu'à la Banque sibérienne de Petrograd
par la VIA Bank ou plus fréquemment par la
NYA Banken, deux établissements installés
à Stockholm. Le dernier appartenait à Olof
Aschberg, surnommé par la presse
allemande le "banquier de la révolution ».
ÉRIC LAURENT
La corde pour les pendre.
Bivouac de gardes rouges à Petrograd. Ils sont recrutés parmi les ouvriers de la capitale sous prétexte Fayard, Paris, 1985, pp. 26·29.
ie défendre la révolution menacée, dit-on, par Kornilov.

Il
E PREND LE POUVOIR

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(purges staliniennes) précédée de Sanglantes Russie depuis les origines jusqu'à Boris gouvernement Kerenski, et 1'Institut Smolny,
moissons (collectivisation des terres en URSS), Eltsine, avec des études d'Hélène Carrère siège du Soviet, entre les deux légalités, la sol-
Robert Laffont/Bouquins, Paris, 1995. d'Encausse, Vladimir Gestkoff, Oleg Kobtzeff, datesque choisit déjà la seconde pour renverser
• François Furet, Le passé d'une illusion. Vladimir Volkoff, etc.
la première. Les bolcheviks ne peuvent sou-
Essai sur l'idée communiste au xx• siècle, • L'Espagne entre Staline et Hitler (Guy
haiter évolution plus favorable. Couvert par
Robert Laffont/Caimann·Lévy, Paris, 1995. Chambarlac). N• 16 (Été 1996).
l'autorité du soviet, le CMR est entre leurs
mains.
Le 11 au soir, tout est fini, les Cosaques environ 40 000 le nombre des officiers qui La presse non bolchevique s'indigne, mais
décident de faire demi-tour. Les officiers qui sont chassés de l'armée ou qui démissionnent. le gouvernement, frappé d'apathie, reste coi.
veulent s'y opposer sont molestés ou arrêtés L'échec de Kornilov a une autre consé- Pourtant, chacun sait que l'insurrection doit
par leurs propres hommes. Les gardes rouges quence. Sous l'empire de la peur, Kerenski a coïncider avec l'ouverture du congrès de tous
et les soldats de la garnison de Petrograd qui recherché l'alliance des bolcheviks. Une les soviets convoqués pour le 8 novembre (25
se sont portés dans les faubourgs pour semaine plus tôt, ces derniers semblaient rayés octobre). Ainsi en ont décidé Lénine et Trots-
défendre la capitale n'ont pas eu à tirer un de la carte politique. En se tournant vers eux, ki. L'insurrection devra être terminée le pre-
coup de feu. La tentative désespérée du géné- il leur offrait le moyen et l'occasion d'étran- mier jour du congrès. Ni la veille parce que les
ral Kornilov a échoué. gler la fragile démocratie. délégués venant de toute la Russie ne seraient
Une nouvelle purge frappe l'armée et la pas tous arrivés. Ni le lendemain parce qu 'on
marine. Des représailles impitoyables s'abat- craint le rétablissement d'une majorité en
tent sur tous ceux que l'on suspecte de sympa-
Renverser le pouvoir faveur de Kerenski. Il faut placer le congrès
thie pour l'ancien commandant en chef. A au nom de la légalité devant le fait accompli de « sa » prise de pou-
Vyborg, une dizaine d'officiers sont jetés à voir. On reconnaît dans cette tactique la
l'eau et achevés à coups de fusil. A Helsinki, La chasse aux « kornilovistes » et aux sup- marque d'une intelligence sournoise et
plusieurs jeunes officiers de marine sont mas- posés comploteurs de droite remet en selle les manœuvrière rompue à utiliser les artifices de
sacrés à coups de crosse. De pareilles tueries bolcheviks, qu 'avait désarçonné leur soulève- la démocratie dans l'intérêt du parti pour
se produisent un peu partout. On estime à ment raté de juillet. D'accusés, ils deviennent mieux l'étrangler.

Ill
LÉNINE PREND LE POUVOI

En face, Kerenski confie à ses proches :


« Qu'ils se soulèvent, je n'attends que cela
pour les écraser... »
La mise en place insurrectionnelle du
CMR, supervisée par Trotski, commence dans
la nuit du 7 au 8 novembre à 2 heures du
matin. Les gares, les ponts, les centrales élec-
triques et les postes télégraphiques sont occu-
pés par des petites unités formées de gardes
rouges et de volontaires sélectionnés par les
soviets des régiments.
Aux hommes qui sont engagés dans
l'affaire comme aux mille cinq cents matelots
qui arrivent de Kronstadt, on se garde bien de C'est pour s'opposer au prétendu coup de force du général Kornilov que Kerenski a pris la décision
de faire distribuer des fusils aux ouvriers communistes de Petrograd. Une fois la menace passée, les
parler d'insurrection contre le gouvernement. <<gardes rouges » refuseront de restituer leurs armes. Et ils constitueront, avec les solthlts mutinés, le fer
Ils croient participer à des opérations de de lance de l'insurrection bolchevique.
« défense » du Soviet, menacé par on ne sait
quelle sombre conspiration korniloviste. Ren- guerre, le croiseur Aurore, s'est embossé sur ses conséquences, mais modeste dans son
verser un pouvoir légal au nom de la défense les rives de la Neva, où son commandant, sous déroulement. Et elle a suscité une littérature
de la légalité est une ficelle inusable des bons menace de l'équipage, l'a conduit. L'un de ses diluvienne que ne justifie nullement la médio-
coups d'État. Les acteurs de ces journées canons tire un coup à blanc. La forteresse Pier- crité de 1'action.
« historiques » le seront donc pour la plupart re-et-Paul, tombée sans coup férir aux mains Dans la nuit du 7 au 8 novembre (24-25
en parfaite inconscience. C'est plus tard que des insurgés, tire à son tour quelques coups de octobre), tandis que les groupes armés d' Anto-
sera accréditée la légende du soulèvement canon qui manquent le palais et vont se perdre nov-Ovsenko se mettent en marche, la foule se
populaire. en ville. Une pièce de campagne placée à deux presse dans les salles de spectacle. Au théâtre
Après plusieurs semaines de totale atonie, cents mètres le manque également, et ses obus Alexandre, on joue Flavia Tessini, et au théâtre
Kerenski semble se réveiller à la veille d'une tombent dans le quartier de Vyborg ... A la Michel, Le Verre d'eau. Au Narodny Dom, on
insurrection dont plus personne ne doute. Il a suite de cette brillante démonstration, les vient entendre Chaliapine interpréter Don Car-
ordonné l'arrestation des membres du CMR et défenseurs se rendent. Les élèves officiers sont los, et, dans la petite salle, on donne Le Revizor
a appelé en renfort des élèves officiers. Plu- conduits à la forteresse Pierre-et-Paul, tandis de Gogol. Le cirque Ciniselli lui-même présente
sieurs de ceux -ci refusent d'obéir, se déclarant que les membres d'un bataillon féminin, der- ses clowns et ses écuyères. Le téléphone fonc-
neutres. nier rempart gouvernemental, subissent le sort tionne ce jour-là et toute la nuit, comme à l'ordi-
Le général Niessel effectue une tournée que l'on devine. Le surlendemain, les élèves naire. Les citadins, qui se sont endormis dans
d'inspection sur le front Nord, quelques jours officiers qui défendent le central téléphonique l'inquiétude imprécise du lendemain, s'éveillent
avant le coup de force bolchevique. Il résume seront proprement massacrés. A Moscou, dans une ville calme. Des petites affiches appo-
l'impression générale recueillie auprès des 1'indécision des bolcheviks prolonge la lutte sées sur les murs indiquent les permanences
officiers : « Tous, sans exception, étaient com- de quelques jours et la rend plus sanglante. En pour appeler la garde rouge en cas de violences
plètement dégoûtés par Kerenski. Presque province, un télégramme suffit généralement à ou de pillages. Seules ces petites taches blanches
tous parlaient de lui avec un mépris non dissi- assurer le changement de pouvoir. attestent du changement de pouvoir.
mulé et attribuaient à sa lâcheté le désordre Le 9 novembre (26 octobre), avant de se
actuel. »
Les modérés paralysés dissoudre, le Congrès des soviets entérine la
« Le rôle des officiers a été étonnant, ren- prise du pouvoir effectuée en son nom et
chérira Trotski en évoquant cette période. Il y par la crainte
désigne un conseil des commissaires du
avait apparemment dans la plupart des cas le de la contre-révolution peuple (Sovnarkom), dont la composition a été
désir de nous aider à renverser Kerenski. » préparée par les bolcheviks. Lénine en assure
Le coup d'État bolchevique se répartit sur L'ultime tentative de Kerenski pour rallier la présidence. Trotski reçoit les Affaires étran-
trois jours, les 7, 8 et 9 novembre 1917 (24, 25 les régiments cosaques du général Krasnov et gères. La Guerre et la Marine sont confiées à
et 26 octobre de l'ancien calendrier), avec marcher sur Petrograd se termine sans combat, une troïka bolchevique.
l'épisode saillant de la prise du palais d'Hiver, par la fuite du « généralissime », sous les Personne n'imaginait que les bolcheviks se
siège du gouvernement provisoire, déserté par huées de ses propres soldats. De ces incidents maintiendraient au pouvoir. Ils y resteront
Kerenski dès les premières heures de l'alerte. sans importance, molles escarmouches suivies soixante-quinze ans.
Les assaillants n'y sont guère plus combatifs d'occupation de villages évacués, la légende Ch. V.
que les assaillis, qui n'ont aucune raison de fera le « soulèvement » de Petrograd, la Les dates indiquées dans cet article sont celles
donner leur vie (au nom de qui et de quoi ?). « bataille » de Gattchina et de Tsarskoïe Selo. du calendrier grégorien. Entre parenthèses est indi-
Malgré leur écrasante supériorité numérique, La prise du pouvoir par les bolcheviks - ce quée la correspondance avec le calendrier julien en
les bolcheviks n'osent pas attaquer le palais que l'on a appelé la« révolution d'Octobre»- vigueur à l'époque en Russie. Le calendrier grégo-
sans le soutien de 1'artillerie. Un navire de fut une suite d'événements considérables par rien sera adopté par la Russie en 1918.

Il
LA GUERRE CIVILE RUSSE~ 1917-1921

Les Blancs
contre les Rouges
ENTRETIEN AVEC DOMINIQUE VENNER

L'événement capital qui accou-


che du bolchevisme russe et du
communisme mondial, ce n'est
pas la révolution d'Octobre, c'est
la guerre civile des Blancs contre
les Rouges. Voilà ce qu'on décou-
vrira dans un nouveau livre de
Dominique Venner à paraître à
l'automne.

E
nquête sur l'histoire_: En septembre,
vous publierez aux Editions Pygma- ffi
lion/Gérard Watelet un nouveau ~
j
livre consacré à l'histoire de la guerre civile ~
russe. Il commence avec les révolutions de
1917 et même un peu avant. Vous prolongez La révolution bolchevique ? Dans un immense pays délabré, un soulèvement de mutins hérissés de
votre étude jusqu'en 1921. Ce livre est baïonnettes, conduits par une petite bande de conspirateurs fanatiques.
attendu. Il n'existe actuellement aucune
étude d'ensemble sur la guerre civile russe, tant, celui qui explique toute l'histoire du bol- drier orthodoxe), les bolcheviks n'ont aucune
pas en plus en français qu'en anglais ou en chevisme russe et du communisme mondial, expérience du gouvernement. Lénine n'a
allemand. Pourquoi ce vide historiogra- ce n'est pas Octobre, c'est la guerre civile. jamais gouverné personne, sinon sa femme. Le
phique? L'ampleur du sujet a découragé les vocations, parti lui-même lui échappe. Les dirigeants
Dominique Venner : C'est vrai, les historiens d'autant que ce qu'on y découvre ne va pas bolcheviques sont des intellectuels fanatiques,
ne se sont pas intéressés à la guerre civile dans le sens des préjugés marxistes qui ont longtemps exilés. Leur seule expérience est
russe. Sur Octobre 17, c'est-à-dire sur la prise longtemps dominé la recherche historique. celle de petites conspirations qui ne débou-
du pouvoir par Lénine, il y a inflation. En chaient sur rien. Et voilà que leur tombe sur
revanche, sur la guerre civile, quasiment rien, ESH : Pourquoi la guerre civile est-elle si les bras le plus grand pays du monde et le plus
en dehors du travail très estimable sur les importante ? peuplé d'Europe. Un pays qui a sombré dans
armées blanches fait jadis par Marina Grey et DV : Quand ils prennent le pouvoir en une totale anarchie depuis l'abdication de
Jean Bourdier. Pourtant, l'événement impor- novembre 1917 (octobre dans 1'ancien cal en- Nicolas II. Entre 1917 et 1918, la Russie a

Il
LES BLANCS CONTRE LES ROUGE

DÉNIKINE
Anton lvanovitch Dénikine (1872-1947)
est le plus célèbre des généraux blancs. Son
père était un serf qui, après avoir servi
comme soldat dans l'armée tsariste, termina
sa carrière comme officier. Après l'école
d'officiers, et l'académie d'état-major, il
participe en 1904 à la campagne de
Mandchourie. li est général en 1914 et mène
au combat la Division de fer. En mars 1917, il
voit disparaître le tsarisme sans regret, lui-
même est républicain. Destitué et même
emprisonné après le faux putsch de
Kornilov, il parvient à s'évader en novembre
1917, et à rejoindre le général Alexéiev, qui
organise l'armée des Volontaires sur le
territoire du Don. Il participe à la première
Un nouveau livre de Dominique
Venner à paraître en septembre 1997. campagne du Kouban et prend le
Une place importante y est faite aux commandement de la petite armée des
armées blanches, dont le général Déni- Volontaires à la mort de Kornilov, le 31 mars
kine (à droite) est la figure la plus 1918. Bénéficiant du soutien moral et parfois
connue. matériel de la France et de l'Angleterre, il
devient en janvier 19191e commandant en
chef des armées blanches de la Russie du
subi un cataclysme dont on ne trouve aucun ESH : C'est ce qu'on appelle le « commu- Sud. Il lance une offensive victorieuse en
exemple dans 1'histoire des derniers siècles. nisme de guerre » ? direction de Moscou, remportant une série
En quelques mois, ce n'est pas seulement DV : En réalité, le « communisme de guerre » de succès. Ses armées s'emparent de
l'État qui s'est désintégré, mais tout le corps a précédé la guerre civile. Il en est même la Tsaritsyne (Stalingrad), Koursk, Voronej,
social. La France révolutionnaire n'a rien cause. Les deux principales promesses de Kharkov et Orel. En Ukraine, il écrase les
connu de semblable. En 1918, la Russie est Lénine, la paix et le partage des terres, ont été forces nationalistes de Petlioura
devenue une table rase. Dans leurs rêves les bien accueillies par les paysans. Mais très vite (septembre), mais ses arrières seront
plus extravagants, les révolutionnaires russes les choses se gâtent. Dès le début de 1918, bientôt détruits par les partisans de Makhno,
n'avaient jamais imaginé que Je destin (notion Lénine a voulu appliquer l'utopie communiste ce qui provoque en octobre le reflux et
qui leur est étrangère) leur ferait un tel cadeau. dans l'économie, abolir le marché et l'échange l'effondrement de ses forces talonnées par
Cadeau empoisonné. Il leur faut tout improvi- monétaire remplacés par Je troc forcé. En les armées rouges. En mars 1920, son
ser, sans modèle. Pendant plusieurs mois tout échange de la réquisition de leurs récoltes et intervention au Kouban finit en catastrophe.
leur échappe. de leur bétail, on paye les paysans avec de Il est alors contraint de démissionner (4 avril
vieux stocks de produits manufacturés. Refus 1920). Sa succession est assurée par le
ESH : C'est donc la guerre civile qui a général. Les paysans dissimulent leurs grains général Wrangel. Étranger aux ambitions,
contraint Lénine et les bolcheviks à s'orga- et leurs bêtes. Les villes sont affamées. Que dépourvu de projet politique, victime aussi
niser? font les bolcheviks ? Ils ne songent pas un ins- de son refus de composer avec les
DV : Les bolcheviks ne se maintiennent tant qu'ils se sont trompés. Dans la logique nationalités, le général Dénikine reste dans
d'abord que par l'absence d'autres forces. léniniste, un obstacle est l'effet d'un complot, les circonstances effroyablement difficiles
Mais la guerre civile, qui se développe à partir d'un sabotage. Il faut trouver des coupables. de la guerre civile avant tout un soldat. A ce
je juin 1918, va les contraindre à se battre Des détachements armés interviennent dans titre, il emporte le respect. Exilé en
pour survivre. Ils vont être forcés de s'organi- les campagnes pour réquisitionner des vivres. Angleterre, en France, puis aux États-Unis, il
;er, de se discipliner, de s'unifier, de devenir Ils commencent par tuer systématiquement y meurt le 8 août 1947. Il a publié en français
vraiment le -parti militarisé et impitoyable dont ceux qu'ils appellent les koulaks. Notion La décomposition de l'armée et du pouvoir,
~énine avait toujours rêvé. C'est par la guerre extensible. Comme le dira Alexandre Zino- aux Éditions J. Povolozky & Cie, Paris s.d.
;ivile que Lénine, Trotski et quelques autres viev, « tout paysan qui ne meurt pas complète- (1921). Ses archives personnelles sont
noculent au parti la culture terroriste qui sera ment de faim est un koulak ». conservées à l'université de Columbia
:a marque. Le système policier de la Tchéka (New York, USA). Sa fille, l'historienne et
late de décembre 1917. Les premiers camps ESH : Quand cela a-t-il commencé ? journaliste Marina Grey lui a consacré un
le concentration, vrais camps de la mort, sont DV : Dès janvier 1918, Lénine a lancé le mot livre intitulé : Mon père, le général Dénlkine
:réés dès le début de 1918, et la terreur de d'ordre : « Nettoyer la terre russe de tous les (Perrin, Paris 1985). Avec la collaboration de
nasse est instituée en juillet de la même insectes nuisibles >> . Le sens est clair. Pour Jean Bourdier, elle a également publié Les
.nnée. Staline n'a rien inventé. Il n'a fait que ceux qui ne comprennent pas, Lénine ajoute : armées blanches (Stock, 1968).
on ti nuer. « Tant que nous n'appliquerons pas la terreur-
NCS CONTRE LES ROUGES

KOLTCHAK D territoires blancs

limite de l'avance
- - - · de Denikine vers Moscou

chemin de fer
BOO km

L'amiral Alexandre Vassilievitch Koltchak


(1874·1920) fut le chef suprême et
commandant en chef des armées blanches
de novembre 1918 à sa mort. Brillant officier
de marine passionné de recherches
océanographiques, il participe en 1899 à
l'expédition du baron Toll dans l'Arctique.
Héros de la guerre russo-japonalse (1904), il
est associé à la réorganisation de la marine
en 1906. Il combat avec succès dans la
Baltique de 1914 à 1916, puis il commande
en chef la flotte de la mer Noire. Après avoir
été envoyé aux USA en 1917, il se trouve à
son retour bloqué au Japon par la révolution
bolchevique. Esprit nullement politique et
avant tout militaire, il est d'abord soucieux
de continuer la guerre contre l'Allemagne.
En avril1918, il est envoyé en Mandchourie
pour y commander les troupes blanches du
chemin de fer transmandchourien.
Rencontrant l'hostilité des Japonais, il se Bako
'•'I;.RANSCAUCASIE
rend ensuite à Omsk où siège un ........ ___ ,
TURQUIE
gouvernement antibolchevique. Sans l'avoir ' ' , ___ .., ,
souhaité, il est bientôt porté au pouvoir par
une conjuration d'officiers (18 novembre
1918) qui le proclame« chef suprême"·
GUERRE CIVILE 1917·1921
Dictateur intègre, solitaire et impuissant OFFENSIVES BLANCHES 15
d'un monde en proie au chaos et à la ~--~~------------------------------------------~
corruption, commandant en chef d'une exécution sur place, nous n'arriverons à comme simples soldats dans des régiments
armée qui lui échappe, il choisit d'être le rien ». En quelques mois, le pouvoir des d'officiers, véritables troupes d'élite blanches.
drapeau incorruptible et sacrifié de la Russie soviets fait monter une énorme révolte. C'est En face, une autre minorité au moins aussi
blanche. Après avoir remporté des succès d'elle que va naître la guerre civile. Un peu à importante forme l'encadrement technique des
dans leur offensive au-delà de l'Oural au la façon des Vendéens de 1793, les paysans armées rouges, le revolver sur la nuque, selon
printemps 1919, ses armées sont révoltés iront chercher d'anciens officiers pour l'expression de Trotski.
repoussées et s'effondrent au cours d'une les mener au combat.
épouvantable retraite dans l'hiver sibérien.
ESH : Quel fut le rôle des Cosaques ? Ne
Livré aux Rouges par les Tchèques et par le
ESH : Justement, quel rôle les anciens offi· furent-ils pas à l'origine des premières
général Janin, chef de la mission militaire
française, il est fusillé à Irkoutsk le 7 février ciers de l'armée impériale vont-ils jouer ? armées blanches ?
1920. Sa biographie écrite par Peter Fleming, DV : Ils se partagent. Beaucoup restent passifs DV : Dans le sud de la Russie, sur le territoire
Le destin de l'amiral Koltchak, a été publiée et se laissent égorger sans même résister. Une du Don, les Cosaques ont proclamé leur indé-
par Plon en 1967. minorité constitue l'encadrement des armées pendance dès la fin de 1917. Mais au début, ils
blanches. Certains officiers servent même ne sont pas décidés à se battre. Il faudra qu 'ils
LES BLANCS CONTRE LES ROUGE

MANNERHEIM

"'
0

Un escadron de kl cavalerie du général Wrangel en 1919.

fassent l'expérience de l'occupation rouge révoltes se sont produites bien après la des- Le maréchal Carl Gustaf Mannerheim
pour comprendre et se décider à prendre les truction des dernières armées blanches. (1867-1951) au temps de la guerre
armes. Le territoire du Don accueille pourtant d'indépendance finlandaise (il n'est alors
le général Alexéiev, ancien chef d'état-major ESH : Existe-t-il des exemples de succès des que général). Il est né près de Turku dans
impérial. C'est lui qui a renversé le tsar, Blancs? une vieille famille d'origine suédoise. Jeune
croyant sauver la Russie. C'est un républicain DV : Au cœur de l'ancien Empire russe, les officier aux chevaliers gardes russes,
comme beaucoup de généraux des armées Blancs ont échoué, mais dans plusieurs breveté d'état-major, il participe à la guerre
blanches. Plus personne régions périphériques, ils russo-japonaise (1904).11 commande un
n'est monarchiste à ont triomphé, ce qu 'on corps d'armée en 1917. Lors de la révolution
1'époque. Il est rejoint par A la fin de 1918, oublie toujours. En trois de Février (mars}, il juge qu'on ne peut rien
Kornilov, Dénikine et Lénine craint d'être circonstances où le com- sauver en Russie, alors que tout est
quelques autres. Mainte- vaincu par les Blancs bat des Blancs s'est possible en Finlande qui vient de proclamer
nant qu'ils ont le dos au confondu avec une guerre son indépendance. Il prend donc le
mur, ces généraux préfè- de libération nationale, ils commandement des gardes blancs
rent mourir le sabre à la main. Mais leur armée ont été vainqueurs. En Finlande au début de finlandais face à l'Armée rouge présente sur
n'est qu'un fantôme et leurs bottes sont 1918, dans les Pays baltes au cours de l'année place. Cette guerre revêt un caractère
trouées. Ils sont suivis par une poignée de 1919, en Pologne durant l'été 1920. En ces national et politique. Après avoir écrasé les
cadets faméliques et de Cosaques sans che- trois circonstances, le nationalisme a triomphé Rouges à Tempere, il achève en mai 19181a
vaux. En souvenir de la Révolution française, du bolchevisme. Et cet adversaire est le seul libération de sa patrie. Élu régent du nouvel
les bolcheviks les appellent les « Blancs ». De devant lequel le communisme, tout au long de Étal, il obtient des Alliés la reconnaissance
ce nom, ils feront un drapeau. Moins d'une son histoire, sera contraint de reculer. de l'indépendance finlandaise en décembre
année après, les Blancs sont devenus des cen- 1918, puis il se retire de la politique, tout en
taines de milliers, du Caucase à la Sibérie. La ESH : Quelles sources avez-vous utilisées ? présidant le Conseil de défense de 1931 à
politique de terreur instaurée par Lénine et les DV : J'ai d'abord établi une chronologie 1939. Il a été élevé au maréchalat en 1933.
réquisitions forcées ont soulevé des popula- minutieuse, du côté blanc et du côté rouge, Commandant en chef pendant la guerre
tions entières. La Finlande, les Pays baltes, région par région. J'ai évidemment créé un d'Hiver (1939-1940}, il est l'âme de l'héroïque
l'Ukraine, la Géorgie, l'Arménie s'insurgent fichier par sujet et par grands acteurs de la résistance finlandaise à l'agression
lUssi pour leur indépendance. A la fin de guerre civile, politiques ou militaires. Simulta- soviétique. Il dirige les opérations militaires
1918, les bolcheviks sont aux abois, encerclés nément, j'ai dépouillé une masse considérable en liaison avec les Allemands jusqu'en 1944.
ie toutes parts. « Nous avons raté notre de souvenirs et relations de l'époque. J'ai utili- Quand la défaite devient inéluctable, il est
:oup », dira Lénine. sé aussi les travaux récents résultant de élu président de la République afin de
l'ouverture partielle des archives soviétiques. faciliter la conclusion d'un armistice avec
~SH : Les Blancs pouvaient-ils gagner ? l'URSS (août1944}, qui préserve
)V : Pourquoi pas ? Certaines archives ESH : Que trouve-t-on dans ces archives ? l'indépendance de la Finlande. Il abandonne
écemment dépouillées prouvent que Lénine DV : Des précisions et des confirmations. La ses fonctions pour raisons de santé en 1946.
:tait extrêmement inquiet à la fin de 1918. La trace de la panique qui s'empare de Lénine Avec Pnsudski en Pologne, il est l'un des
ésistance aux bolcheviks fut beaucoup plus durant l'été 1918 et au printemps 1919. La seuls généraux blancs qui aient triomphé
orte qu'on ne l'a dit. La résistance de la pay- preuve de sa responsabilité personnelle dans le des Rouges de façon durable. Ses Mémoires
annerie n'a d'ailleurs jamais cessé. Des massacre de la famille impériale. Des faits ont été publiés chez Payot en 1952.

Il
NCS CONTRE LES ROUGES

WRANGEL

accablants sur son rôle dans l'institution de la développé un thème que l'on retrouvera dans
terreur de masse (le mot est de lui). Des préci- Les Blancs et les Rouges, celui de la rébellion
sions sur le contrôle policier de 1'Armée rouge contre la fatalité, même au fond de la défaite.
dès le début de la guerre civile. On a aussi Dans un autre ordre d'idées, la guerre civile
découvert que le fameux John Reed, ce pur russe, comme les autres conflits, montre
intellectuel américain ami de Lénine, était en l'importance du hasard ou du destin dans
fait un stipendié du parti. l'enchaînement imprévu des événements. Elle
montre aussi que l'histoire est le lieu où
ESH : Parmi les généraux blancs, avez-vous s'affrontent mortellement des forces spiri-
des personnages préférés ? tuelles, ce que peuvent être des armes ou des
DV : Les figures nobles ou romantiques ne machines, celles-ci n'étant jamais que la maté-
manquent pas chez les Blancs : Dénikine, Kor- rialisation d'une certaine culture, de la volonté
nilov, Kappel, Koutiepov, et bien d'autres. et de la passion.
Deux personnalités se hissent cependant au-
dessus des autres, Wrangel et Mannerheim. ESH : Qu'est-ce que la guerre civile russe
Aux qualités militaires classiques, ils ajoutent nous apprend sur l'histoire spécifique du
celles du grand politique. L'un et l'autre ont XX' siècle?
révélé leurs dons dans les situations d' excep- DV : Pour reprendre la formule de Nietzsche,
tion de la guerre civile. Appelé trop tard au 1'une des particularités du siècle est d'avoir
Le général Pierre Nikolaïevitch Wrangel pouvoir, la défaite étant certaine, le premier ne pensé la politique dans la perspective de la
(1878-1928) fut le dernier et le plus habile pourra que finir en beauté, alors que le second mort de Dieu. Dans une époque qui n'a plus
des grands généraux blancs. Capitaine de la assurera 1' indépendance de 1'héroïque Finlan- de religion, la politique tient lieu de religion.
Garde à cheval en 1914, le baron Wrangel de non seulement en 1918, mais de nouveau Cela explique à mon sens l'intensité et la féro-
commande un corps de cavalerie cosaque à pendant la guerre d'Hiver de 1939-1940, et cité des combats idéologiques. De ce point de
la veille de la Révolution qui trouve en lui un une fois encore dans les circonstances tra- vue, la guerre des Rouges et des Blancs est
adversaire résolu. Partisan avoué de giques de 1944-1945. exemplaire. Elle a ouvert une ère nouvelle de
Kornilov, il se réfugie avec sa famille en l'histoire du monde. Tout en faisant la conquê-
Crimée après la prise de pouvoir ESH : Comment cette histoire de la guerre te de l' immense Russie, les bolcheviks ont
bolchevique. Arrêté à Yalta par des marins civile russe se place-t-elle par rapport à vos déclaré la guerre à l'ensemble du « vieux
rouges en janvier 1918, il échappe à la mort autres livres ? monde », une guerre nouvelle. Pas la guerre
par miracle. Il rejoint Rostov en septembre DV : J'ai consacré un certain nombre de tra- classique entre les États, mais une guerre civi-
1918 pour se mettre à la disposition de vaux aux grands conflits politiques et mili- le à 1'intérieur de chaque État. Cette guerre
Dénikine qui lui donne un corps de taires du XX' siècle, dont la guerre de Séces- civile mondiale est née en Russie entre 1918 et
cavalerie. Il fait rapidement preuve sion américaine est le prélude. J'y ai souvent 1921. Elle a marqué de son empreinte tout le
d'aptitudes exceptionnelles dans la guerre XX' siècle. C'est à partir d'elle, par réaction,
civile, reprenant en main des troupes qu'ont surgi le fascisme italien et le national-
débandées, s'emparant du Kouban et du socialisme allemand, même s'ils ne se limitent
Terek. Nommé à la tête de l'armée du pas à cette réaction.
Caucase le 27 décembre 1918, il s'oppose à
Dénikine sur le plan stratégique de la ESH : Quelle différence y a-t-il entre votre
marche sur Moscou. Il s'empare cependant nouveau livre et l'Histoire de l'Armée rouge
de Tsaritsyne (future Stalingrad) le 30 juin que vous aviez publiée chez Plon en 1981 ?
1919. Après les revers de la fin 1919 et la DV : Toute la différence qui sépare deux livres
crise au sommet de mars 1920, il est différents. Dans mon Histoire de l'Armée
désigné par ses pairs pour succéder à rouge l'époque de la guerre civile était étudiée
Dénikine. En peu de temps, il remet sur pied comme la matrice de l'Armée rouge, donc du
une armée et donne vie en Crimée au seul côté bolchevique, ce que personne n'avait fait
véritable projet politique opposé aux avant moi. Dans mon nouveau livre, la pers-
Rouges par les Blancs. Mais il est trop tard. pective est renversée et considérablement élar-
Ayant concentré ses forces en Crimée, il gie, avec une optique et un choix de sujets
réussit cependant l'exploit de les évacuer beaucoup plus vastes.
par mer en novembre 1920 à la barbe de PROPOS RECUEILLIS
l'Armée rouge. Jusqu'à sa mort en 1928 PAR VIRGINIE TANLAY
(empoisonné peut-être par la Guépéou), il
dirigera l'émigration russe. Ses Mémoires Dominique Venner, Les Blancs et les Rouges,
ont été publiés à Paris par Tallandier en Histoire de la guerre civile russe 1917-1921 (Pyg-
1930. malion/Gérard Watelet). Ouvrage à paraître en sep-
Dominique Venner. tembre 1997.
/

LA DICTATURE DE BELA 1( UN

La Hongrie en péril
PAR JEAN KAPPEL

Après les échecs spartakistes à


Berlin et Munich, l'espoir de
révolution renaît en Hongrie au
printemps 1920. L'expérience
sanglante de Béla Kun durera
trois mois. Elle purgera le pays
de toute tentation communiste
pour longtemps.

«La tête ronde, complètement rasée,


de vastes oreilles pointues, des yeux
gros et saillants, le nez court, les
lèvres énormes, une bouche largement fendue ,
pas de menton, l'air d'un lézard, tel apparaît
Béla Kun ». C'est ce portrait peu amène que
Jérôme et Jean Tharaud nous ont laissé de
celui qui incarne la révolution communiste
hongroise de 1919. Un peu plus d'un an après L'armée populaire hongroise improvisée de 1919. Elle remporte d'abord quelques succès contre les
la victoire remportée par les bolcheviks à Tchèques et les Roumains qui envahissent le pays. Elle ne résistera pas au pouvoir délirant de Béla Kun.
Petrograd et au moment où, prenant la suite de
Kurt Eisner, les agents du Komintern faisaient d' une Hongrie devenue indépendante de fait sécession. Karolyi ne possède ni l'intelligence
régner la terreur rouge à Munich, le vieux mais menacée par l'anarchie. Les minorités ni les qualités de caractère indispensables pour
pays magyar apparut pendant quelques nationales qui dépendaient de l'ancienne faire face à une telle situation et quand, le 19
semaines comme une nouvelle base révolu- Transleithanie née du compromis austro-hon- mars, les vainqueurs imposent à la Hongrie de
tionnaire appelée à déstabiliser définitivement grois de 1867 se soulèvent contre Budapest et concéder de nouveaux territoires, pleinement
une Europe centrale jetée dans le chaos par la le comte Tisza, accusé à tort d'avoir entraîné magyars, à l'envahisseur roumain, il n'a
guerre et la défaite austro-hongroise. le pays dans la guerre, est assassiné par des d'autre issue que la démission. Il laisse ainsi le
Alors que le vieil empire des Habsbourg mutins dès le 31 octobre ( 1). L'armistice signé pouvoir à une coalition socialiste au sein de
sombre définitivement au cours des dernières à Villa Giusti le 3 novembre et la convention laquelle la tendance bolchevique dirigée par
semaines du conflit, les Hongrois ont d'abord de Belgrade conclue avec le maréchal Fran- Béla Kun s'est entre-temps imposée. La Répu-
mis leurs espoirs dans le comte Michel Karo- chet d'Esperey dix jours plus tard constituent blique soviétique hongroise entame donc son
lyi, un magnat fortuné qui a la réputation autant de déceptions pour tous ceux qui existence agitée le 21 mars 1919. Elle durera
d'être un libéral francophile, demeuré constant s'attendaient à voir le pays traité sur la base cent trente-trois jours, jusqu 'au 1" août sui-
dans sa dénonciation de 1'alliance allemande. des promesses wilsoniennes. Roumains, vant.
Président du Conseil national formé le 30 Serbes et Tchèques peuvent pénétrer en Hon- Né en 1886 en Transylvanie, le jeune Béla
octobre 1918, Karolyi se retrouve à la tête grie et, déjà, Slovaques et Croates ont fait Kun a adhéré dès 1903 au Parti social-démo-
TATURE DE BÉLA KUN .

. , ..
~
-"·· ·. ~· .·
;.
plies par les « gars de Lénine» » une troupe
d'assassins sadiques conduits par un certain
Tibor Szamuely, un vieux compagnon de Béla
Kun.
Les voisins de la Hongrie, en place pour la
curée, voient tout d'abord d'un bon œil ce qui
reste du pays s'enfoncer dans le chaos mais
l'avance des troupes tchèques et roumaines
suscite un sursaut patriotique dans un pays que
le pauvre Karolyi avait proclamé « neutre » et
privé par conséquent de toute force militaire.
L'armée populaire constituée en catastrophe
sous les ordres du colonel Stromfeld remporte
quelques succès sur les Tchèques en juin 1919 ;
elle ne peut cependant empêcher l'avance de
l'armée roumaine, qui s'approche de Budapest
dès le mois de juillet.
Béla Kun (1886-1937). L'amiral Horthy (1868-1957).
Incendie rouge en Europe
crate de Hongrie alors qu'il était encore thy s'installe à Szeged avec l'aide des Alliés.
lycéen. Il entame des études de droit à Cluj en Découragés, les sociaux démocrates qui ont
Dans la capitale, le pouvoir soviétique
1903 mais les abandonne dès l'année suivante soutenu Béla Kun parviennent à se débarrasser
légifère à tour de bras, décrète une réforme
pour se consacrer au journalisme. Après avoir de lui le 31 juillet, alors que les forces rou-
agraire qui lui vaut l'hostilité unanime de la
fait ses premières armes à Budapest, il se maines approchent de Budapest. Mis en mino-
population paysanne, annonce des nationalisa-
retrouve permanent du parti, au sein d'une rité, l'agitateur quitte le pays pour l'Autriche
tions purement formelles dans un pays dont
mutuelle ouvrière. De tendance extrémiste, il où il sera incarcéré quelque temps avant de
l'économie est totalement sinistrée, sépare
condamne toute tentation réformiste et dénon- regagner la Russie. Dès le 3 août, les Rou-
l'Église de l'État, ce qui le coupe définitive-
ce 1'entrée en guerre. Mobilisé, il déserte sur mains entrent dans Budapest qu 'ils vont entre-
ment des masses catholiques. Appuyée sur une
le front des Carpates et se retrouve dans un prendre de piller méthodiquement et ce n'est
base politique et sociale trop réduite, le pou-
camp de prisonniers à Tomsk. C'est là qu'il qu 'en novembre 1919 que le futur régent Hor-
voir soviétique compense sa fragilité par la
rejoint, au cours de 1'année 1917, la section thy fait son entrée dans la capitale. Les élec-
généralisation de la terreur. Des unités révolu-
bolchevique locale. Installé à Petrograd au tions de janvier 1920 dégagent une majorité
tionnaires mobiles sillonnent les campagnes
lendemain de la révolution d'Octobre, il fait conservatrice qui devra supporter le diktat de
pour y liquider les opposants ou supposés tels.
ses premières armes dans la sinistre Tchéka, Trianon. Les hommes de la révolution sovié-
Béla Kun et ses partisans attendent en fait
après quoi Lénine l'envoie en Hongrie dès tique doivent alors rendre des comptes et la
l'arrivée libératrice de l'Armée rouge. En ces répression est à la mesure des crimes qu'ils ont
novembre 1918, pour y constituer, le 24, un temps de chaos politique et social, le messia-
parti communiste inspiré du modèle bolche- perpétrés. Elle prend parfois une tournure anti-
nisme révolutionnaire qui anime les dirigeants sémite car, tout comme Béla Kun ou Szamue-
vique dont il va assurer la direction. Il tire pro- bolcheviques russes est tout aussi présent à
fit des insuffisances de Karolyi, le « Kerenski ly, trente-deux des quarante-cinq commissaires
Budapest. La fin de la guerre ne peut du peuple étaient juifs. A côté de la répression
hongrois ». Dans un pays traumatisé par une qu 'annoncer l'imminence de la révolution uni-
crise sans précédent, victime de l'arbitraire légale, les actions incontrôlées des groupes
verselle prophétisée par Marx. Déjà Berlin, nationalistes et contre-révolutionnaires font de
des puissances victorieuses, le courant révolu- Dresde et Munich se sont embrasées, des nombreuses victimes.
tionnaire disposait de larges possibilités de grèves révolutionnaires agitent l'Italie, le pro- Reparti en Russie, le sinistre Béla Kun s'y
développement. L'échec, à la fin de janvier, létariat hongrois accueillera donc bientôt en illustre à sa manière en participant activement
d'une tentative de coup de force vaut toutefois libératrice une Armée rouge porteuse des len- aux massacres accomplis en Ukraine et en Cri-
à Béla Kun de se retrouver en prison avec cer- demains qui chantent. Partout, la III' Interna- mée à l'issue de la guerre civile. Il joue ensuite
tains de ses complices, mais la démission de tionale communiste lui aura préparé le ter- un rôle important au sein du Komintern, avant
Karolyi lui rend la liberté. La population rain... Illusions que tout cela. Les Alliés de disparaître en 1937, fusillé ou victime du
ouvrière, qui n'a plus rien à perdre et subit la contrôlent la situation et les nations d'Europe goulag stalinien, après avoir été accusé d~
fascination qu'exerce alors la révolution russe centrale bénéficiaires de la guerre, notamment « trotskisme ». Plus heureux, le comte Karolyt
le porte à la tête de la République des soviets. la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Rouma- qui a pris une si grande part au naufrage de
Le Conseil des commissaires du peuple qui est nie, n'ont aucune intention de laisser se déve- son malheureux pays, a terminé tranquillement
alors mis sur pied compte une majorité de lopper au cœur du continent un foyer d'infec- ses jours sur la Côte d'Azur en 1955.
communistes mais il ne contrôle que le centre tion révolutionnaire. J.K.
du pays et, à Budapest même, c'est par la ter- Alors que la Hongrie s'enfonce dans la
reur que le nouveau régime doit s'imposer. crise, l'anarchie et la terreur, un gouvernement ( 1) Voir Enquête sur l'histoire no 7 (1993) sur
Des centaines d'exécutions sont ainsi accom- contre-révolutionnaire dirigé par l'amiral Hor- <<Les crimes politiques >>.
/

COMMENT L'EUROPE FUT SAUVEE

Weygand à Varsovie
PAR GUY CHAMBARLAC

Lénine l'avait proclamé : « La


révolution mondiale passera sur le
cadavre de la. Pologne ». En clair,
la route de Berlin et de Paris pas-
sait par Varsovie. Et de Varsovie,
l'Armée rouge allait faire une
bouchée. Récit d'un échec nulle-
ment programmé.

S
i les bolcheviks ont triomphé au cours de
la guerre civile dans la partie russe de
1' ancien empire des tsars, à trois reprises
ils ont échoué face à des nationalités vigou-
reuses et homogènes. En Finlande d'abord au
début de 1918, dans les Pays baltes ensuite,
dans le cours de 1919, en Pologne enfin,
durant l'été 1920.
Forgée par deux années d'une terrible
guerre civile contre les Blancs, 1'Armée rouge
est devenue une force redoutable. Elle compte
cinq millions d'hommes sous les armes et ses La première page du Petit Journal du dimanche 12 septembre 1920 célèbre la victoire remportée à
généraux, sélectionnés par la guerre, ne sont Varsovie par l'armée polonaise sur l'Armée rouge. On voit la foule acclamant les officiers français dans
plus des novices. Kamenev, Frounzé, Toukhat- Varsovie. En médaillon, les deux artisans de la victoire. A gauche, le général Weygand; à droite, le géné-
chevski, Iégorov, Boudienny, chacun dans leur ral Henrys, chef de la mission militaire française.
registre, se croient capables de se mesurer aux
meilleurs généraux européens. Et justement, donc une base d'assaut, rien de plus, pour por- puis en mars 1919. Sans la brutale intervention
l'occasion semble se présenter. ter la révolution là où elle doit s'épanouir, dans des Corps-francs, les féroces Freikmps du
Lénine et le Politburo bolchevique ne se les sociétés industrielles les plus évoluées, à « Chien de sang », Noske, le communisme
sont jamais satisfaits d'avoir triomphé dans la commencer par 1'Allemagne, patrie de Marx. serait déjà au pouvoir à Berlin. Mais voici
Russie arriérée. Suivant le schéma marxiste, Le pays le plus industrialisé et le plus avancé qu'une nouvelle occasion se présente. La Ruhr
qui imprègne leur esprit, c'est le dernier pays d'Europe, qui compte aussi le plus puissant est en ébullition, on y forme des gardes rouges.
où la révolution prolétarienne a des chances de parti social-démocrate. Certes, ce parti ne s'est A Berlin même, les anciens spartakistes se pré-
réussir. Marx n'a jamais dit que la paysannerie pas rallié au bolchevisme, il le combat même. parent. Il est clair qu 'une Armée rouge triom-
était la classe de l'avenir, au contraire. Et la Mais tous les signes montrent que les choses phante, déferlant au-delà de Varsovie, droit sur
réalité de la Russie, ce n'est pas le prolétariat vont changer. Le mouvement spartakiste avait Berlin, trouvera sur place des bataillons de par-
industriel, c'est la paysannerie. La Russie est failli l'emporter à Berlin en décembre 1918, tisans allemands pour lui donner la main.
AND À VARSOVIE

troupes polonaises en Ukraine, 1'ex -colonel deux fronts d'attaque. L'un, au sud, avec Stali-
Chapochnikov, chef d'état-major général ne aux fonctions de commissaire politique, est
adjoint de l'Armée rouge, a dressé un plan de commandé par Iégorov, ancien officier impé-
campagne contre la Pologne, celui-là même rial entièrement acquis aux soviets. Il com-
qui sera appliqué en juillet. prend les 12' et 14' armées, et surtout la Jè"
La menace d'agression repose sur 1'absen- armée de cavalerie de Boudienny. Il doit
ce de frontières définies entre les deux États. suivre l'axe naturel de Kiev à Varsovie par
Le projet soviétique d'une petite Pologne ne Lublin.
coïncide nullement avec les ambitions polo- Le deuxième front attaquera au nord-
naises. Il est donc évident qu'un jour il fau- ouest, par Minsk et la Biélorussie, avec égale-
drait en appeler aux armes pour trancher. ment Varsovie comme objectif. Il est comman-
Le maréchal Jozef Pilsudski (1867-1935), Le 26 avril 1920, les troupes polonaises, dé par Toukhatchevski et comprend les 3', 4',
artisan de l'indépendance polonaise. Né appuyées par 20 000 haïdamaks (partisans 15' et 16' armées.
dans une famille noble lituanienne sous la nationalistes ukrainiens) pénètrent en Ukraine En face, l'armée polonaise est de constitu-
domination russe, participe très tôt à et s'emparent de Kiev. tion très récente. Elle est recrutée par conscrip-
l'activisme révolutionnaire. En 1892, il est La victoire de Pilsudski sera brève. tion, mais comporte un grand nombre de
l'un des fondateurs du parti social-démocrate L'Armée rouge, sans être un modèle d'organi- volontaires. Son encadrement, d'origines
polonais et participe aux troubles de 1905. sation, est une force considérable. Iégorov diverses, n'est pas homogène. Les officiers ont
Par la suite, il évolue du socialisme au attaque par le sud et Toukhatchevski par le été formés pour l'essentiel, soit dans l'armée
nationalisme, préparant dès 1908 en Galicie nord. Leur action est favorisée par la paysan- autrichienne, soit dans l'armée russe, soit enfin
des groupes paramilitaires polonais destinés nerie ukrainienne qui se soulève contre l'enva- dans l'armée française (les cinq divisions de
à lutter contre la Russie en cas de guerre. En hisseur. Kiev est reprise le 12 juin 1920. l'armée Haller). Le haut commandement, très
1914, il lève une légion polonaise qui combat En juillet 1920, les Polonais, chassés attaché à ses prérogatives, n'est pas toujours
aux côtés des Autrichiens. Mais en 1917, il d'Ukraine, ont repassé les frontières ethniques au niveau de ses ambitions. Il a la chance
est emprisonné par les Allemands qui voient de la Pologne. Lénine veut poursuivre la cam- d'être épaulé par une importante mission mili-
d'un mauvais œil l'influence autrichienne en pagne si brillamment engagée, marcher sur taire française qui comprend deux cents offi-
Pologne. Rentré à Varsovie en novembre Varsovie, s'emparer de la capitale polonaise, y ciers, dont le capitaine de Gaulle et, à partir du
1918, il prend le commandement des forces proclamer une république des soviets et pour- 21 juillet, le général Weygand, ancien chef
polonaises et devient chef d'État provisoire. suivre en direction de Berlin. Il sait convaincre d'état-major du maréchal Foch, qui, avec tact
Il apporte son soutien à l'Ukraine les autres membres du Politburo, et donne et discrétion, sera le véritable stratège de la
indépendante de Petlioura, mais il est 1'ordre de marcher sur Varsovie avec le slogan défense polonaise au moment décisif de la
contraint d'évacuer Kiev devant l'avance des « la révolution mondiale passera sur le
bataille de la Vistule (2).
Rouges qui semblent sur le point de cadavre de la Pologne ! » Les succès faciles enregistrés par le front
s'emparer de toute la Pologne. Il rétablit Un futur gouvernement des soviets polo- sud en Ukraine étaient naturellement pour
miraculeusement la situation sous les murs nais embarque dans les fourgons de l'armée. Il beaucoup dans la décision de porter la guerre
de Varsovie en août 1920, rejetant l'Armée compte parmi ses membres la figure inquiétan- en Pologne même. Ils invitaient à sous-estimer
rouge, ce qui fait de lui un héros national. te de Dzerjinski, fondateur et chef de la Tché- l'adversaire et à manquer de prudence, ce que
Retiré des affaires publiques, il revient au ka. En Pologne même, les agitateurs bolche-
pouvoir à la faveur d'un coup d'État (12 mai
va faire Tchoukhatchevski à la tête des armées
viques passent à l'action. Celle-ci aura peu du nord-ouest. Son offensive commence le 4
1926), exerçant une dictature à la romaine d'influence sur la population mais elle ne sera
jusqu'à sa mort, le 12 mai 1935. juillet 1920 sur la Berezina. Avec une audace
pas sans effet sur le moral de certaines unités
qui frise la témérité, il exécute en quarante
polonaises.
jours une marche qui fait parcourir à ses
Varsovie ? Justement, la situation est favo- troupes 600 kilomètres, sans cesser de pour-
rable.
Les espérances de Lénine suivre les troupes polonaises en déroute. Au
Lorsque les am1ées blanches de Dénikine et les imprudences début d'août, il est en vue de Varsovie et à
ont été défaites en Ukraine et ont reflué au de Toukhatchevski quelques étapes de Berlin. Le jeune chef qui
début de 1920, remplacées par l'Armée rouge, vole ainsi vers la victoire et rêve d'entrer le
le gouvernement polonais du maréchal Pilsud- Dans les derniers jours de juillet et les pre- premier dans Varsovie en attendant mieux,
ski a décidé que le moment était venu d'inter- miers jours d'août 1920, le 2' congrès du peut difficilement ne pas songer à Bonaparte
venir. La Pologne a toujours considéré Komintern siège à Moscou. On attend et à sa campagne d'Italie. Être un général vic-
l'Ukraine comme un prolongement naturel et l'annonce de victoires décisives. Chaque jour, torieux, porté par les baïonnettes d'une révolu-
ses intérêts y sont grands. les participants regardent une grande carte tion conquérante, quand on a vingt-sept ans,
Depuis la fin de 1919, c'est-à-dire depuis dans la salle : les drapeaux rouges s'avancent n'incite guère à la modération. Le succès lui
l'effondrement de toutes les armées blanches, vers l'ouest. L'espoir flambe. La révolution va fait abandonner toute mesure.
Pilsudski est convaincu que les Soviétiques se propager à toute l'Europe ... Une poursuite si rapide et si lointaine en
lanceront une agression contre la Pologne. Dès L'Armée rouge, sous le commandement pays ennemi ne peut se développer sans lignes
février 1920, deux mois avant l'entrée des suprême de Serge Kamenev(!), est divisée en d'étapes convenablement assurées, un état-
WEYGAND À VARSOVI

major bien organisé, des troupes fortement ordres reçus, cherche un succès personnel pour
encadrées et bien instruites. En août 1920, le compte de Staline à Lvov.
1' Armée rouge ne présente pas de telles quali- Les Rouges abandonnent 66 000 prison-
tés. Les chefs au niveau le plus élevé trahis- niers, 231 canons, plus de 1 000 mitrailleuses.
sent leur inexpérience du commandement des Toute la 4' armée soviétique est détruite et ses
grandes unités. Ni le commandant en chef débris se réfugient en Prusse-Orientale sous
Serge Kamenev ni Toukhatchevski ne seront protection allemande. Des 22 divisions sovié-
en mesure d'assurer 1'unité de commandement tiques, il n'en échappe que 12, momentané-
au moment de la bataille décisive. Toukhat- ment hors de combattre en raison des pertes
chevski, resté à Minsk avec son QG, sera subies. Seul, le komdiv Gaï et ses cavaliers
beaucoup trop loin des opérations pour peser parviennent à se frayer un chemin à coups de
sur elles. De son côté, Kamenev ne pourra sabre à travers les colonnes polonaises épui-
imposer au moment voulu sa volonté à ses sées par une marche forcée.
subordonnés. En douze jours, Toukhatchevski venait de
Les deux fronts d'attaque devaient, sui- perdre tout le bénéfice de sa victoire de juillet. Il
vant le plan initial, converger vers Varsovie. est contraint de céder le terrain conquis, en
Mais celui du sud va obliquer vers l'ouest en Le général Maxime Weygand (1867-1965). abandonnant un très grand nombre d'hommes et
direction de Lvov (Lemberg). Cette décision Chef d'état-major du général Foch dès 1914, il une grande quantité de matériel de guerre. Son
est prise sous l'influence du commissaire poli- reste son plus proche collaborateur jusqu'en 1918. front culbuté, il doit fuir avec ses troupes déban-
tique Staline. Celui-ci n'entend pas partager la Nommé major général en mars 1918, il a pris une dées pour chercher refuge de l'autre côté du
gloire d'une victoire avec Toukhatchevski. Il part essentielle à la victoire finale sur l'Alle- Niemen et du Boug. Tous les plans de conquête
magne. Envoyé par le gouvernement français en du gouvernement des soviets se sont effondrés.
lui faut une proie à sa mesure, ce sera Lvov.
Pologne, comme conseiller militaire, en juillet
Kamenev voit le danger. L'ennemi pourra Lénine se voit contraint de proposer la paix qui
1920, il définit le plan stratégique qui permet de
s'élancer dans 1'intervalle entre les deux vaincre l'Armée rouge devant Varsovie le 20 août. établira des frontières communes favorables à la
armées pour les couper et peut-être les battre Pologne, jusqu'à la revanche de 1939 obtenue
tour à tour. Il envoie message sur message au grâce au pacte germano-soviétique (4).
çais qui veilleront à l'efficacité de l'artillerie
groupe sud lui enjoignant de rallier Varsovie. Au cours de cette guerre, les Polonais se
et à l'organisation des plans de feu, n'hésitant
En vain. Quand Staline s'y décidera enfin, il sont battus seuls contre l'Armée rouge (hormis
pas à prendre directement les choses en main.
sera trop tard. l'aide des conseillers militaires français et du
L'idée de ce« camp retranché » sera la deuxiè-
matériel débarqué à Dantzig) et ils ont vaincu,
me forte intuition de Weygand.
Le plan Weygand et la démontrant par le jugement des armes leur
Appuyée sur cette réserve et sur cette
droit à l'existence et imposant des frontières
déroute de l'Armée rouge résistance, la contre-offensive polonaise com-
que jamais les soviets ne leur auraient concé-
prend deux opérations. La première incombe
dées sans y être contraints.
La bataille de Varsovie ou « miracle de la au « camp retranché de Varsovie » qui fixera
G.C.
Vistule » se développe sur un front immense Toukhatchevski. Elle est confiée au général
de 350 kilomètres. Quatre armées rouges et Sikorski et à sa 5' armée. (1) Ne pas confondre avec Lev B. Rosenfeld,
demie y prennent part, contre cinq armées La seconde, dite de rupture, sera menée dit Kamenev, beau-frère de Trotski, 1'un des princi-
polonaises. par les réserves constituées de sept divisions paux dirigeants du parti, liquidé en 1936.
Tout semble craquer du côté polonais. Le d'infanterie et une brigade de cavalerie. Ce (2) Le rôle déterminant du général Weygand a
corps diplomatique évacue la capitale. C'est groupement d'attaque, commandé en personne été clairement établi par 1'étude des archives du ser-
alors que le 6 août un plan de bataille est arrê- par le maréchal Pilsudski, s'élancera droit au vice historique de l'armée, dont les conclusions ont
té sur les conseils pressants du général Wey- nord pour tomber sur le flanc dégarni de Tou- été présentées par les colonels Le Goyet et Costan-
tini lors du colloque sur la guerre polono-soviétique
gand qui en laisse habilement le bénéfice au khatchevski.
organisé par le Laboratoire de slavistique en 1973.
maréchal Pilsudski, mais veille étroitement à Le rôle des conseillers militaires français Les actes ont été publiés par les éditions de 1'Âge
son exécution. Weygand a connaissance du pour la mise en œuvre pratique de ces opéra- d'homme, Lausanne, 1975. Voir aussi Dominique
mouvement des armées rouges du front sud en tions est essentiel. « A Radzymin, les 14 et 15 Venner, Les Blancs et les Rouges, Histoire de la
direction de Lvov. Il comprend qu'il n'a provi- août, à Nowo-Minsk, le 17, des officiers fran- guerre civile russe, Éd. Pygmalion, 1997.
soirement rien à redouter de ce côté. Il peut çais, en gants blancs, la cravache à la main, (3) G. V. Saint-Dizier, L'Aigle blanc contre
donc démunir le sud pour se constituer une marchaient avec les premières lignes polo- /'Étoile rouge (Éd. Berger-Levrault, 1930). Il faut
réserve de contre-attaque. C'est sa première naises afin d'exalter le moral des troupes (3). » noter que ces officiers français n'ont pas le statut de
intuition remarquable. Dès le 15 août, les résultats commencent à belligérants et que leur capture par les Rouges équi-
vaut à un arrêt de mort.
Il voit également que la contre-offensive se faire sentir. Bénéficiant d' une surprise tota-
(4) Le traité de paix de Riga signé en 1921
doit être amarrée solidement sur la défense de le, la contre-offensive décisive enfonce la
entre la Pologne et la Russie des soviets partagera
Varsovie, ce que l'on appellera en terme imagé gauche affaiblie de Toukhatchevski, le contrai- 1'Ukraine entre ces deux puissances, mettant fin à
le « camp retranché » de Varsovie. Tâche écra- gnant à une retraite qui se transforme bientôt son rêve d'indépendance. La Seconde Guerre mon-
sante à laquelle il apportera toute sa science de en déroute. Les Polonais n'ont pas à redouter diale corrigera la question au profit de l' Union
la défense, aidé et relayé par les officiers fran- une intervention de Boudienny qui, malgré les soviétique .
L'Espagne échappe à Staline
Groupe très minoritaire à la veille de La dissolution intempestive des Cortes surtout, la révolte anarchiste de Barcelone au
la guerre civile, en 1936, le Parti favorise la conclusion, le 5 janvier 1936, de mois de mai, bientôt suivie de la liquidation
l'accord électoral qui fonde le Frente popular, par les staliniens des trotskistes du POUM et
communiste espagnol profitera de auquel se rallie avec enthousiasme le leader de de leur chef Andrés Nin, aboutissent à la dis-
l'aide massive apportée par Staline l'aile gauche du parti socialiste, Francisco parition de Largo Caballero, remplacé par
au camp « républicain » dans le but Largo Caballero, celui que l'on surnomme Negrin. Avec le nouveau chef du gouverne-
de transformer l'Espagne en base alors avec emphase le « Lénine espagnol ». ment l'influence des communistes s'accroît
Les réserves émises par les modérés du parti, encore et leur autorité tend à s'imposer à
rouge au sud de l'Europe. Le
Manuel Azafia et Indalecio Prieto, ne peuvent l'ensemble du camp républicain. Le ministre
communisme en profitera, mais la rien contre la dynamique unitaire qui doit per- de la Guerre, Indalecio Prieto, supporte de
République en mourra. mettre de venger la défaite électorale subie par plus en plus mal cette situation, tente de
les gauches en novembre 1933 et l'échec de la reprendre en main l'armée et de mettre au pas
les Brigades internationales mais il est écarté

P
our les vainqueurs de la « Croisade » « Commune asturienne » d'octobre 1934.
entamée en juillet 1936 et conclue en Déjà, les Jeunesses socialistes se sont fondues en avril 1938 pour se retrouver ambassadeur
mars 1939, le communisme a fait figure - à l'initiative de Santiago Carrillo - dans les au Chili. A partir de ce moment et jusqu'en
d'ennemi privilégié et c'est la mobilisation Jeunesses communistes et, six mois après la mars 1939, c'est l'apogée du communisme
contre lui qui a, dans une large mesure, légiti- victoire remportée par le Front populaire en espagnol mais la majeure partie des républi-
mé par la suite le régime franquiste. Faut-il février 1936, celles-ci vont prendre une part cains accepte mal qu'un parti dirigé de l'étran-
pour autant considérer que les communistes décisive à la réaction qui fait suite à 1'insurrec- ger puisse leur imposer ses volontés et, dans
ont été à l'origine de l'immense tragédie que tion nationaliste du 18 juillet. les derniers jours des combats de Madrid, le
fut la guerre civile espagnole ? Ce serait une colonel Casado et le général Miaja se dressent
erreur de le penser car ce conflit a des racines Les Brigades contre Negrin et ses alliés et écrasent la révolte
beaucoup plus anciennes, qu'il faut rechercher internationales, une légion déclenchée par les communistes contre le
dans les affrontements qui opposèrent, au Comité de défense de la capitale.
XIX' siècle, l'Espagne catholique et traditio-
étrangère soviétique La tragédie espagnole se termine au cours
naliste à l'Espagne libérale née du mouvement des jours suivants mais, en octobre 1944, San-
des Lumières et de 1'occupation napoléonien- La guerre civile est à peine commencée que tiago Carrillo - qui s'était illustré lors des
ne. Dans le premier tiers du XX' siècle, ce sont Staline voit tout l'intérêt du théâtre d'opérations massacres perpétrés en novembre 1936 à Para-
la mouvance anarchiste, le syndicalisme et un espagnol où l'importance de l'aide soviétique cuellos del Jarama et se trouvait désormais
parti socialiste très combatif qui ont été à l' ori- va lui permettre de fournir au parti communiste encouragé par la défaite de l'Axe et la libéra-
gine des grandes secousses révolutionnaires un tremplin inespéré. Véritable« Légion étran- tion du territoire français -lance plusieurs mil-
qui ont affecté le pays. Apparu au début des gère soviétique », les Brigades internationales, liers de partisans au sud des Pyrénées, dans la
années vingt, le Parti communiste espagnol constituées à 65 % par des communistes à région du Val d'Aran. C'est un échec total et si
n'exerce quasiment aucune influence jusqu'à l'automne 1936, le seront à 80% deux ans plus les maquis et, dans une moindre mesure, la
l'insurrection d'octobre 1934. Anarchistes, tard. Chefs et cadres sont presque tous commu- guérilla urbaine subsistent jusqu'en 1949, ils
mineurs socialistes révolutionnaires ou auto- nistes, de Lukacs ou Kléber à Lister et Modes- ne mettront pas sérieusement en danger le
nomistes catalans constituent alors le fer de to. Le gouvernement de Madrid, bientôt replié à régime franquiste. Ces activités de « briganda-
lance des révoltes populaires. Valence, se retrouve très vite étroitement dépen- ge communiste » se solderont pourtant par
L'échec lamentable des socialistes dans la dant des bonnes volontés du Kremlin et de près d'un millier d'assassinats, par près de six
tentative de coup de force qu'ils déclenchent l'ambassadeur soviétique Rosenberg, surtout mille attaques à main armée et par un peu
contre l'ordre républicain à l'automne 1934 - après l'embarquement vers l'URSS de la moins de deux mille accrochages avec la
sous le prétexte que le président de la Répu- majeure partie des réserves d'or espagnoles, Guardia Civil. Plus de deux mille
blique entend confier le gouvernement au leader remises aux Russes pour garantir les fournitures « guérilleros » seront tués dans ces affronte-
de la majorité parlementaire de droite élue de matériel militaire au camp républicain. Dès ments et deux cent cinquante-sept gardes
l'année précédente - permet aux communistes cette époque, le ministre des Finances, Juan civils y trouveront la mort. Leurs espoirs de
d'exploiter à leur profit la lutte des mineurs astu- Negrin, est l'homme des communistes, ce qu'a revanche défmitivement anéantis avec la guer-
riens brisée par les généraux Franco et Lopez conflfillé l'agent stalinien Alexandre Orlov re froide - qui permet à Franco de réintégrer
Ochoa. Tirant prestige, auprès des masses après avoir fait défection. rapidement le camp occidental - les chefs
ouvrières, d'une action à laquelle il n'a initiale- Les échecs subis en août par le camp répu- communistes espagnols n'auront plus d'autre
ment pris aucune part, le parti communiste, blicain entraînent, en septembre 1936, la issue qu 'un exil à hauts risques à Moscou,
qu'incarne désormais Dolorès Ibarruri, la démission du ministère Oirai et la constitution d'où le légendaire Campesino reviendra farou-
célèbre Pasionaria, va appliquer à partir de d'un cabinet dirigé par Largo Caballero qui chement hostile à la « patrie du prolétariat» ...
l'année suivante la stratégie défmie en août 1935 compte deux ministres communistes. Le PHILIPPE CONRAD
par le VII' congrès du Komintern et réclamer la « Lénine espagnol » est alors devenu, pour ses Philippe Conrad vient de publier une riche
constitution d'un Front populaire regroupant dangereux alliés,« l'espoir de la République » biographie du général Franco aux Éditions
l'ensemble des forces de gauche espagnoles. mais la perte de Malaga au début de 1937 et, Chroniques.
LE COMBAT DES RUSSES EN EX 1 L

Le solidarisme
contre le communisme
PAR DIMITRI STOLYPINE

Ils firent enrager Staline et les volontaires périssent dans les barbelés et les
champs de mines qui marquent la frontière
chefs du KGB. Ils se disaient soli- occidentale de 1'Union soviétique. Le quatriè-
me, venant de Pologne, parvient à passer. Il est
daristes et croyaient en un autre composé de deux hommes, Okolovitch et Kol-
kov, qui resteront en URSS pendant six mois
avenir pour la Russie. Histoire en parcourant le pays jusqu'au Caucase, sans
que la Guépéou parvienne à les dépister. Leur
d'une résistance qui n'a jamais conclusion est la suivante : dans des condi-
tions moins critiques, le NTS trouverait en
renoncé à l'espoir. URSS, beaucoup de sympathisants et aurait
sans doute une perspective pour la réalisation
de son espérance : que la libération de la Rus-

L
e combat mené pendant plus d'un sie du totalitarisme soit 1'œuvre commune des
demi-siècle par les solidaristes russes Russes de 1'intérieur et de 1'extérieur.
contre le totalitarisme soviétique com- Lorsque 1'Allemagne, en juin 1941,
mence en 1930. Il succède entre autres à trois attaque 1'URSS, les solidaristes sont prêts à
années de guerre civile entre Armée blanche et agir. Ils disposent en Europe d'une avant-
Armée rouge naissante, au soulèvement des garde de quelques centaines de membres bien
marins de Kronstadt (février-mars 1921) et, à " entraînés et prêts à se sacrifier. Par petits
l'extérieur, à des tentatives d'anciens combat- o groupes, ils se lancent littéralement sur les
tants blancs d'organiser une lutte armée sur le traces des troupes allemandes qui franchissent
Vladimir Dimitrievitch Poremski, l'un des
sol natal. chefs du NTS qui échappe en 1943 à la fois à la la frontière russe. Leur succès dépasse les pré-
1930 marque en URSS le triomphe de Sta- Gestapo et au NKVD, son équivalent soviétique. visions. Des noyaux clandestins du NTS se
line et le début d'une terreur aux proportions Arrêté cependant en 1944, il parviendra à s'éva- constituent en 1941-1942, de la Baltique à la
inégalées. Pour une partie des émigrés, il ne der et reprendra la lutte à l'Ouest dès 1945. mer Noire. Les deux principaux centres de ce
s'agit pas de se contenter de conserver des tra- mouvement, qui ne veut ni de Staline ni de
ditions nationales. Il faut définir une pensée et Le NTS consacre les premières années de Hitler, et espère pouvoir constituer une « troi-
une nouvelle action anti-totalitaires. son existence à deux tâches : étudier la situa- sième force » (en d'autres termes, une armée
Des groupements de la jeunesse russe de tion réelle en URSS, rassembler les éléments de libération), sont à Smolensk dans le Nord, à
Belgrade, Sofia, Prague, Paris, fusionnent au d'une doctrine, car il s'agit de savoir au nom Kiev dans le Sud.
sein d'une « Union nationale de la nouvelle de quoi on lutte. Ainsi mûrit une définition de Aux aguets, la Gestapo procède en 1943 à
génération » qui, quelques années plus tard, la Solidarité et d'un idéal commun des un premier coup de filet, en se servant de
prendra le nom d'« Union des solidaristes diverses couches sociales. Les solidaristes dénonciations fournies par des agents sovié-
russes » ou, selon un sigle russe, NTS. opposent ces idées à la dynamique marxiste de tiques restés dans les zones occupées. De nom-
Les membres de l'organisation sont la lutte des classes. breux solidaristes sont mis sous les verrous.
d'anciens soldats ayant participé à la fin de la Vers 1937, les premiers membres du NTS Certains périront en URSS, d'autres durant
guerre civile en Russie, quelques universi- pénètrent en URSS. Pour jauger les choses sur leur transfert en Allemagne. Mais les princi-
taires, des étudiants. place et établir des contacts. Trois groupes de paux chefs - Baydalakov, Poremski, Okolo-

Il
LIDARISME

LeNTS
et les
KORNILOV OU "'
émetteurs
0

KORNILOFF?
A gauche, pochette de disque de « Radio
Off, of, ou ov ? Aujourd'hui encore, cette de Russie libre » (années soixante). La radio
solidariste russe installée << quelque part en
question - la terminaison des noms de Allemagne » émit à destination de l'URSS de
famille russes- intrigue les Français. Quelle
est donc l'orthographe correcte de ces
RUSSIE 1952 à 1973. Elle fut fermée par le chancelier
social-démocrate Willy Brandt. « Radio Rus-
noms compliqués ?
Dans la langue russe, le nom de famille LIBRE 13.83- 111.84- 111,511- 19,180- ! g,63
sie libre » émit également d'Extrême-Orient
(Taiwan et Corée du Sud).
masculin s'écrit avec un "v ». Un " a» final Ci-dessus, autocollant solidariste (1980)
vous parlent
Z5,01S-2S.30-30,e.3-31 ,n-31 ,SO

indique le genre féminin. Alors que les 41.71 - ~:.1115 - '1,22 - 76.22 avec « Solidarité » en polonais et en russe,
anglo-saxons transcrivent les noms russes t5 ainsi que les drapeaux nationaux.
avec un " v " (avec le " a •• féminin), les
Français, qui ne déclinent pas les noms vitch, qui s'active à Smolensk, et Brounst, à Francfort avec mission de tuer Georges Okolo-
propres, utilisent le double " ft "· Au XIX' Prague - restent encore en liberté. En juillet vitch. L'ordre aurait été signé au plus haut
siècle, le double " ft " domine dans la 1944, après 1' attentat contre Hitler, ils sont niveau par Malenkov et Khrouchtchev. Mais
littérature, la presse ou les mondanités. arrêtés à leur tour, en raison de leurs sympa- au lieu de commettre le meurtre, Khokhlov se
Michel Strogoff paraît en 1876 en France thies pour les conservateurs allemands proches présente chez Okolovitch et dévoile le plan
(traduit en 1909, l'ouvrage de Jules Verne de Stauffenberg, et emprisonnés dans les dont il a été chargé. Il livre deux complices et
est interdit par le tsar ; il paraît en Russie en geôles de la Wilhelmplatz à Berlin. Ils par- des armes parvenues d'URSS. Khokhlov
1993 ... ). Flaubert vante les qualités du viendront à s'en échapper peu de temps avant adhérera au NTS et publiera un livre-témoi-
"bon Tourguenieff ».En 1884, Marie la fin de la guerre. Regroupés après 1945 dans gnage : Le droit à la conscience. Il échappera
Bashkirtseft met fin à la rédaction de son les camps de personnes déplacées, et notam- par miracle à un « mystérieux » empoisonne-
Journal. ment dans celui de Moenhehoff, près de Kas- ment.
Romanoft, Youssoupott, Gorgouloft... sel, les solidaristes parviennent à sauver un
les Russes émigrés adoptent nombre important de prisonniers de guerre Émetteurs radio et
naturellement l'usage français du "ft"· soviétiques et de « travailleurs de 1'Est » qui
font partie des centaines de milliers de per-
journaux clandestins
Certains n'hésitent pas à employer le " f "
simple, correspondance phonétique du " 8 " sonnes dont Staline exige le rapatriement
forcé. Moenhehoff devient peu à peu le centre Tout ne se passe pas ainsi. Toujours en
russe.
du NTS. C'est là que sort, fin 1945, sous la 1954, le docteur Alexandre Trouchnovitch
Cette pratique rend impossible
forme d'un samizdat, le premier numéro de la -président du comité du NTS à Berlin-Ouest-
l'adjonction du " a " au demeurant peu
revue politique Possev, organe du NTS. est enlevé par les hommes de main de la Lou-
élégant : évoquer la présence de la
La guerre froide, à partir de 1946, assure bianka.
princesse " Demidofta " à une soirée serait
au mouvement une sympathie accrue de la part En 1956, lors de la révolution hongroise,
ridicule. Les noms de famille se terminant en
des autorités occidentales. Les dirigeants du des membres du NTS se ruent sur le territoire
" i " (Mirski) ou " e " (Svetchine) suivent la
mouvement quittent Moenhehoff et s"établis- hongrois . Accueillis fraternellement par les
même règle.
sent à Francfort-sur-le-Main. C'est de là qu'ils insurgés, ils établissent leur base à Sopron,
L'introduction du "v "•- autre
mènent leur action au cours des années cin- ville de Hongrie située non loin de la frontière
correspondance phonétique du " 8 , russe
quante : création à Berlin-Ouest d'un centre autrichienne. De là, ils font parvenir des tracts
-commence en 1917. Soucieux de se
d'accueil pour les évadés des pays de l'Est qui du NTS aux garnisons soviétiques. Certaines
démarquer de l'émigration, les Soviétiques
veulent gagner l'Occident; établissement, tou- d'entre elles se déclarent neutres. Des officiers
résidant à l'étranger orthographieront leurs
jours dans 1'ancienne capitale allemande, de et des soldats russes rallient les rangs des
noms avec un '' v "· La presse française
contacts avec les militaires soviétiques, dont insurgés hongrois et combattent à leurs côtés.
suit. Les femmes adoptent l'usage du '' a "
féminin. les effets apparaîtront bien plus tard ; installa- Deux numéros bilingues du journal solidariste
Nous gardons dans cet ouvrage le " ft " tion, « quelque part en Allemagne », d'un Possev, en hongrois et en russe, sont imprimés
de l'émigration, facilitant la distinction entre poste émetteur de radio - « La Russie libre » à Sopron. Des émissions de radio sont prépa-
Russes blancs et Soviétiques. En règle (il fonctionnera de 1952 à 1973 et sera fermé rées. Un temps, les troupes soviétiques reçoi-
générale, les Français d'origine russe par le chancelier Brandt). Le NTS procède vent l'ordre de se retirer de Hongrie ; puis de
continuent d'utiliser l'orthographe adoptée aussi à des envois de ballons au-dessus du ter- nouvelles unités arrivent. Ce sera le
par leurs parents. ritoire soviétique. Ceux-ci lâchent de la littéra- « dimanche sanglant » de Budapest. Des com-
MARINA GORBOFF ture solidariste. Cette activité est dénoncée par battants hongrois offriront un de leurs dra-
La Russie fantôme, la presse soviétique. Les Occidentaux finale- peaux aux solidaristes ( 1).
l'émigration russe de 1920 à 1950. ment 1'interdisent. Dans les années soixante et soixante-dix,
L'Âge d'homme, 1995, p. 32. En 1954, le Politburo décide de réagir. Un de nombreux textes, souvent manuscrits, par-
capitaine du KGB, Khokhlov, est envoyé à viennent d'URSS à Grani, la revue culturelle
LE SOLIDARISM

LE NTS ET VLASSOV
Le paysage politique, en ce qui concerne
les affaires russes, change en 1943. Des
officiers de liaison russes (transfuges de
l'Armée rouge) viennent frapper à ma porte.
Ils sont venus prendre contact avec les
compatriotes envoyés sur la côte atlantique.
Ils me disent que Vlassov a retrouvé un peu
de liberté et que l'espoir de constituer une
armée de libération russe commence à
renaître. Je deviens l'ami de l'un de ces
Ci-dessus, Arcady Stolypine, officiers, le capitaine Lapine, et plus tard, du
chef des relations extérieures du colonel Melechkevitch, devenu membre du
NTS, lors d'une conférence du NTS. Lapine nous rend des services
Possev, l'organe du NTS à Franc- considérables en faisant imprimer
fort-sur-le-Main enl956. clandestinement, la nuit, des brochures du
A droite, imprimerie semi- NTS dans une Imprimerie allemande.
clandestine du NTS en Allemagne Quelques soldats, avec Lapine à leur tête,
à la même époque. Pendant toutes assument un risque énorme en
les années de la guerre froide et confectionnant cette littérature. Par le
au-delà, le NTS fit circuler en colonel Melechkevitch, j'apprends que notre
URSS de nombreuses brochures
organisation entretient avec les embryons
destinées à maintenir l'espoir. "'a de l'armée Vlassov (qu'on tarde toujours à
constituer) les rapports les plus étroits. Les
du NTS publiée à Francfort. Les presses de plusieurs capitales et villes occidentales. Ils
anciens militaires soviétiques font leur notre
Possev impriment ces textes en russe et en élaborent une Charte de la liberté et jettent les idéologie solidariste.
réintroduisent un tirage par des voies détour- bases d'une action commune. Un des principaux chefs du mouvement,
nées en URSS. Soljenitsyne mentionne le rôle Que représente le NTS aujourd'hui en le général Troukhine, est élu membre du
joué par Gram· dans la circulation des idées Russie ? Un courant de pensée. Il attire des Conseil du NTS, lequel se réunit dans la
lorsqu'il écrit Le chêne et le veau. Cette forme jeunes à Moscou et dans d'autres villes. La clandestinité. Un autre compagnon de
d'édition est appelée par l'opposition intellec- petite élite intellectuelle qui a dirigé l'organi- Vlassov, le général Malychkine, vient à Paris.
tuelle soviétique Tamizdat (ce qu'on édite là- sation pendant plusieurs décennies a pratique- Il obtient la possibilité de prendre la parole à
bas) et s'ajoute au Samizdat (ce qu'on édite ment disparu, mais elle a laissé d'importants une grande réunion publique. Il parle devant
soi-même en Russie). témoignages de son activité : livres, brochures, une salle comble composée de toute l'élite
Dans l'histoire des livres introduits clan- articles, documents. Tôt ou tard, les cher- de la première émigration russe et tient un
destinement en URSS par leNTS, l'œuvre de cheurs découvriront par exemple que, dès discours intelligent et courageux. Il est
l'anglais George Orwell fait date. Orwell avait 1951, à l'époque de Staline, le NTS avait follement applaudi par l'assistance, surtout
commandité avant sa mort (en 1951) la traduc- reconnu les droit à l'indépendance des Pays lorsque ces mots sont prononcés :
tion en russe par les éditions du Possev de La baltes et qu 'en 1957, l'organisation russe avait " Aucune puissance étrangère ne
défini une politique étrangère pour l'après- parviendra jamais à conquérir notre pays. "
ferme des animaux et de 1984. Ces traductions
J'applaudis aussi... mais dans le fond de
voyagent non sans précautions en URSS, la communisme. Il y a quarante ans, donc, Arca-
moi-même, je me demande pourquoi ces
possession d'un livre d'Orwell tombant sous dy Stolypine, alors chef des relations exté-
militaires sont devenus si lucides une fois
le coup des activités antisoviétiques. Des rieures du NTS , se prononçait au nom de ses qu'ils ne sont plus dans le pays ? Pourquoi
numéros de Possev et de Grani cheminent amis pour la construction d'une grande Euro- n'ont-ils pas profité de l'unique occasion où
aussi en URSS par des canaux secrets. pe, de Lisbonne à Vladivostok, avec la partici- le peuple entier était armé pour faire
Dans les années quatre-vingt, les solida- pation active de la Russie, « prolongement marcher une division sur Moscou et mettre
ristes russes du NTS soutiennent le combat naturel de l'Europe en Asie et pont naturel fin d'un seul coup au pouvoir de Staline ? La
des Polonais de Solidarnosc. Cette commu- entre les deux continents ». chose était faisable. Au début de la guerre,
nauté de pensée aboutira entre autres à la Les solidaristes de l'avenir auront de quoi Staline, désorienté, avait perdu le contrôle
publication d' un tract en russe et en polonais à méditer et aussi de quoi bâtir. de la situation. Les membres de la
destination des troupes d'occupation sovié- D.S. nomenklatura et leurs familles
tiques en Pologne. Le texte leur explique la Dimitri Stolypine est journaliste. Il est le déguerpissaient de Moscou. Les habitants
situation et les appelle à ne pas intervenir petit-fils du grand homme d'État russe, Pierre jetaient par la fenêtre la littérature marxiste,
contre la population polonaise. Stolypine (1862-1911), et le fils d' Arcady Stolypi- les œuvres du " grand Lénine ••... Non aucun
ne qui fut l'un des principaux dirigeants du chef militaire n'avait alors bougé. Et Staline
En France, les solidaristes du NTS
NTS, dont les Mémoires ont été publiés en 1996 avait repris la situation en main. Maintenant,
représentent la fraction russe d'une association
chez Albin Michel, sous le titre De l'Empire à me disais-je, il est sans doute trop tard.
informelle qui rassemble des intellectuels émi- l'exil. ARCADY STOLYPINE
grés des pays d'Europe centrale. Cette asso- De l'Empire à l'exil, Mémoires.
ciation prend le nom de « Groupe de Paris ». (1) Arcady Stolypine, De l'Empire à l'exil. Albin Michel, Paris, 1996. pp. 272-273.
Les participants organisent des colloques dans Mémoires pas/humes. Albin Michel. 1996.

Il
'
UNE HISTOIRE SECRETE

Des maquis en Ul<:raine


PAR JACQUES BERREL

Indépendance proclamée en
1917, guerre contre les Rouges et
les Blancs jusqu'en 1920. Les
Ukrainiens n'ont jamais accepté
la domination russe, à plus forte
raison celle des Soviétiques.
Emportés dans les tourbillons de
la Seconde Guerre mondiale, des
partisans tenaient encore le
maquis vers 1950.

é dans les dernières décennies du xrx·

N siècle, le nationalisme ukrainien a


trouvé dans la Première Guerre mon-
diale l'occasion de sa première expression
Maquisards nationalistes ukrainiens en 1945. lls portent des tenues et des armes capturées sur
l'Armée rouge.

les bandes anarchistes de Makhno, les armées blicaine ukrainienne, moins active que l'OUN.
politique. Le droit à l'autodétermination pro- blanches de Dénikine, les gardes rouges de Konovalets est assassiné en mai 1938 et sa
mis par Kerenski, puis par les bolcheviks, a Trotski et les nationalistes haïdamoks de Pet- succession oppose Stepan Bandera, déjà
fait naître des espoirs qui correspondaient par lioura. Rentrée par force dans le giron sovié- condamné à la prison à vie en Pologne pour un
ailleurs aux intérêts d'une Allemagne soucieu- tique, elle va connaître, avec la collectivisation attentat contre le ministre de l'Intérieur, et
se d'affaiblir durablement l'immense puissan- agraire, les affres d'une effroyable famine André Melnyk. La crise de Munich, qui voit
ce russe et de constituer, à la faveur de 1'appa- mûrement planifiée par Staline pour mettre au s'imposer l'autonomie de la Ruthénie subcar-
rition d'une Ukraine indépendante, un utile pas sa population, rebelle aux bienfaits du patique, laisse de grands espoirs aux nationa-
glacis oriental, riche en ressources indispen- socialisme scientifique ... listes ukrainiens, qui voient dans ce territoire
sables à la Mitteleuropa sous hégémonie ger- Après 1'assassinat de Petlioura à Paris par la base de départ d'une éventuelle reconquête
manique. C'est dans ces conditions que la un agent du NKVD, la résistance renaît autour mais, quand la Tchécoslovaquie disparaît tota-
Rada de Kiev proclama, dès novembre 1917, de l 'OUN, l'Organisation des nationalistes lement en mars 1939, Hitler laisse 1'armée
la naissance d'une République démocratique ukrainiens d'Eugen Konovalets qui a créé une hongroise s'en emparer.
ukrainienne, officiellement indépendante de la structure militaire et un mouvement de jeunes- En 1941 , contre l'avis de Rosenberg qui
Russie au mois de janvier suivant. Le pouvoir se fortement implantés dans la Galicie de voit tout l'intérêt que pourrait représenter
de l'ataman germanophile Skoropadski ne sur- Lvov alors polonaise. Konovalets est un natio- l'alliance d'une Ukraine indépendante, Hitler
vivra pas à la défaite allemande de novembre naliste proche des fascismes sur le plan idéolo- repousse une telle hypothèse et, quand des
1918 et 1'Ukraine va connaître alors plusieurs gique mais, à Varsovie, c'est le social-démo- militants ukrainiens installent à Lvov -
années particulièrement agitées, ballottée entre crate André Levitsky qui anime 1'Armée ré pu- quelques jours après le déclenchement de

Il
MAQUIS EN UKRAIN

LITUANIE, LES FRÈRES DE LA FORÊT


Au début du siècle, la Lituanie faisait partie résistance armée voit passer dans ses rangs,
de l'empire tsariste, avant de passer sous en quelques années, plusieurs dizaines de
contrôle allemand en 1915. En 1919, l'Armée milliers d'hommes et de femmes. Ces
rouge conquiert le pays, puis en est chassée combattants prennent le nom de " Frères de la
par l'intervention des corps-francs allemands. forêt », qui était celui de leurs ancêtres païens
Les menaces étrangères favorisent l'éclosion résistant à l'évangélisation forcée du pays
d'un sentiment nationaliste. Autour d'un entreprise au Xlii' siècle.
professeur d'histoire, Valderamas, se forme un Dès août 1945, le général soviétique Kruglov
mouvement fasciste" les Loups d'acier''· -un assistant de Séria- planifie l'écrasement
Alliés aux conservateurs de Smetana, ils de la résistance, lançant dans la bataille deux
fomentent un coup d'État en 1926. Cependant, divisions du NKVD, faisant bombarder les
au terme du pacte germano-soviétique, l'URSS forêts par l'aviation ou l'artillerie.
occupe la Lituanie en 1940. Les Loups d'acier Au moment d'être capturés, beaucoup de
Simon Petlioura (1877-1926), hetman se reconstituent dans la clandestinité tandis Frères de la forêt préfèrent se brûler la cervelle
d'Ukraine de 1918 à 1920. Né dans une famille que se multiplient arrestations et déportations. et même se défigurer pour éviter d'être
cosaque, fondateur du parti social-démocrate
Dès l'entrée en guerre de l'Allemagne contre identifiés, ce qui aurait entraîné la déportation
ukrainien, il est cependant nationaliste. Lors de la
réunion de la Rada en 1917, il lève une légion
l'URSS, les nationalistes refont surface. de leur famille.
ukrainienne contre les bolcheviks. Il ne cessera Jusqu'en 1942, ils croient pouvoir composer La période de résistance la plus forte se
de se battre jusqu'en 1920, tour à tour contre avec les Allemands. Déçus, ils commencent à situe entre 1946 et 1949. En 1950-1952, les
Dénikine et contre les Rouges qui refusent tous rejoindre les forêts. Comparativement à leurs possibilités d'action se restreignent, et l'aide
l'indépendance de l'Ukraine. Réfugié en France cousins Estoniens et surtout Lettons, qui ont internationale tant espérée ne vient toujours
après 1921, il est assassiné par un jeune Juif, formé au total trois divisions de Waffen SS, les pas. Les opérations continueront pourtant
agent bolchevique, qui prétend venger des Lituaniens ont été peu nombreux à collaborer jusqu'en 1955.
pogroms auxquels l'hetman n'a eu aucune part. avec les nazis. Ala fin de 1944, les survivants Le dernier combattant de la liberté de
des unités collaborationnistes gagnent à leur Lituanie, Kraujelis-Siaubunas, s'est suicidé
l'opération Barbarossa et la chute de la ville - tour les forêts pour continuer la lutte. dans la région Moletai (nord du pays) pour ne
un gouvernement de l'Ukraine indépendante, Ces quelques milliers d'hommes forment pas tomber entre les mains de l'occupant.
ils sont arrêtés par les Allemands. Iaroslav l'embryon d'une résistance qui va durer Depuis l'éclatement de l'URSS et la
Stestko et Stepan Bandera se retrouvent même jusqu'en 1955 et parfois au-delà. Pour punir le libération de la Lituanie, les Frères de la forêt
déportés au camp de Sachsenhausen. La Gali- pays, Staline, de 1945 à 1953, fait déporter des sont fêtés comme des héros.
cie est alors rattachée au gouvernement géné- centaines de milliers de Lituaniens. La GUILLAUME VITAUTAS
ral de Pologne et le commissaire du Reich
pour l'Ukraine, Erich Koch, ne cache guère le
mener au prix des souffrances et de la vie de Reich qui sent venir la défaite. Bandera, Mel-
peu d'estime qu'il accorde aux Ukrainiens,
millions d'êtres humains et sous le couvert de nyk et Borovets sont ainsi libérés à l'automne
des « Slaves primitifs » qui ne peuvent être des
phrases trompeuses sur la Nouvelle Europe ou 1944 car on compte sur eux pour mobiliser
partenaires du Herrenvolk germanique ... Une
la Révolution prolétarienne, tentent de réali- leurs compatriotes en vue de l'ultime combat.
politique que dénoncera à plusieurs reprises Ils refusent tous de cautionner les plans alle-
ser l'oppression durable des peuples de
Rosenberg, convaincu de la nécessité d'une l'Europe entière ... » et leur oppose « l'idée mands et c'est Pavlo Chandruk, un officier qui
alliance avec les peuples slaves qui eût remis d'États nationaux indépendants, formés de a combattu dans l'armée polonaise en 1939,
en cause le racisme pangermaniste étroit des tous les peuples européens dans leurs limites qui prend la tête du comité central ukrainien
principaux dirigeants du Reich et du Führer ethniques, ce qui est l'idée la plus progressiste alors constitué. L'armée de libération ukrai-
lui-même. de notre époque, l'idée de l'ordre fondé sur le nienne ne jouera pas un rôle important dans
Les Allemands jouent alors des différents principe de la liberté pour les peuples et pour les derniers mois de la guerre. Elle se rendra
mouvements ukrainiens anticommunistes pour l'homme ... » aux Anglais comme l'armée Vlassov, mais ne
mieux s'en débarrasser par la suite, au point Malgré la volonté hégémonique manifes- sera pas livrée aux Soviétiques. Chandruk fini-
que des nationalistes farouchement hostiles au tée par les Allemands, près de 180 000 Ukrai- ra ses jours aux États-Unis. Choukievitch
pouvoir soviétique, tels que Roman Choukie- niens, farouchement anticommunistes, partici- continuera la lutte contre les Soviétiques qui,
vitch ou Tarass Borovets, engagent la lutte pent à des titres divers à 1'effort de guerre du sous la conduite de Nikita Khrouchtchev,
contre eux. Chef de partisans antisoviétiques Reich. Au printemps 1943, la 14' division SS imposent alors à 1'Ukraine une terrible épura-
en Volhynie, Borovets constitue, à la fin de Galicie- que l'on a refusé de baptiser« Ukrai- tion, et ses maquis poursuivront le combat
1941, une République d'Olevsk qui lutte à la ne » pour ne pas donner de gages aux nationa- jusqu'en mars 1950, date à laquelle les autori-
fois contre les Allemands et les Soviétiques. listes - est constituée et regroupe trente mille tés soviétiques annonceront sa mort. Stepan
C'est la ligne adoptée également par Choukie- combattants. Quand cette grande unité est dis- Bandera, qui incarne alors la résistance ukrai-
vitch qui, à la tête d' une armée insurrection- loquée lors des combats de l'été 1944, la plu- nienne, sera finalement assassiné à Munich en
nelle ukrainienne, dénonce, en 1943, « les part de ses survivants rejoignent les maquis de 1959. L'Ukraine devra ensuite attendre 1991 et
plans réactionnaires et antipopulaires des l'OUN. l'effondrement de l'empire soviétique pour
impérialistes russes et allemands qui, ayant Quand l'Armée rouge a reconquis leur ter- retrouver une liberté tout à fait inespérée.
provoqué la guerre actuelle, continuent de la ritoire, les Ukrainiens redeviennent utiles à un J.B.
;

GUERRE CIVILE EN EPIRE


~

Echec à 1'ELAS grecque


PAR PHILIPPE CONRAD

C'est une guerre civile oubliée.


Elle déchira pourtant la Grèce de
1946 à 1949. Elle avait commencé
beaucoup plus tôt, face aux occu-
pants italiens et allemands. Elle
opposait guérilleros communistes
de l'ELAS et maquisards natio-
nalistes de l'EDES.

C
'est à la faveur de la tourmente qui
s'est abattue sur les Balkans en 1941
que les communistes grecs vont se
trouver en situation de s'emparer du pouvoir à
partir de 1943-1944 et il faudra une lutte civile
impitoyable- l' un des tout premiers épisodes
de la guerre froide- pour assurer, en 1949, la
victoire du camp royaliste soutenu par les
Occidentaux. Guérilleros de l'ELAS communiste lors de la reprise de la guerre civile grecque, en 1947.
Créé en 1921 , le Parti communiste grec ne
dispose que d'une influence très réduite combattre dans les rangs de l'armée britan- lieront ensuite à la monarchie, constituent, à
jusqu'aux années trente. Il passe cependant de nique, d'El Alamein aux champs de bataille l'initiative de Napoléon Zervas, l'EDES, un
5 % des suffrages en 1932, à 10 % quatre ans d'Italie, sans que le monarque puisse contrôler mouvement de résistance forgé par des cadres
plus tard. Mais le coup d'État accompli en la résistance qui va se développer sur le terri- de l'armée qui s'engagent contre l'occupant
1936 par le général Joannis Metaxas pour en toire national. On y voit se constituer, dès le mais se proclament en même temps hostiles
finir avec l'impuissance parlementaire va faire 27 septembre 1941, 1'EAM ou Front national aux dirigeants communistes de l'ELAS. Chur-
de lui la cible principale de la répression de libération, dirigé par Georges Santos et par chill résume alors la situation avec laquelle se
conduite par le nouveau pouvoir. Aris Veloukhiotis, un ancien de la guerre trouve confronté l'allié britannique en consta-
C'est 1'agression des puissances de 1'Axe d'Espagne. L'EAM donne ensuite naissance, tant que « les querelles politiques entravent les
qui va lui donner son véritable élan. L'attaque en avril 1942, à l'ELAS ou Armée populaire actions de la guérilla. Nous nous trouvons
italienne d'octobre 1940 et son piteux échec, de libération, placée l'année suivante sous le nous-mêmes dans une situation complexe et
confirmé en mars 1941, sont bientôt suivis de commandement du colonel Saraphis, un offi- désagréable. Il devient évident qu' il y a trois
l'invasion allemande et la Grèce est occupée cier issu de l'armée régulière qui fournit ainsi éléments opposés : les forces de l' ELAS s' éle-
par les troupes italiennes, allemandes et bul- une excellente couverture à un appareil large- vant à vingt mille hommes, en grande majorité
gares. Le roi Georges II installe au Caire un ment contrôlé par les communistes. Au cours sous contrôle communiste, les bandes de Zer-
gouvernement en exil confié à Emmanuel de la même année 1942, des officiers nationa- vas, désignées par les initiales EDES comp-
Tsouderos mais les Grecs qui l'ont suivi vont listes, républicains à l'origine mais qui se rai- tant cinq mille partisans, enfin les politiciens

Il
L'ELAS GRECQU

royalistes groupés au Caire Sur place, l'armée démocra-


autour du roi, envers qui nous tique grecque, constituée à partir
avons des obligations spéciales de J'ELAS le 28 octobre 1946,
en tant que chef d'un État qui a occupe la plupart des régions
été notre allié en 1941. A partir montagneuses du nord du pays
de 1943, tous pensent que les et un gouvernement provisoire
Alliés gagneront probablement de la Grèce libre est même
la guerre et la lutte pour le formé Je 23 décembre 1947.
pouvoir politique s'est engagée L'annonce de J'arrivée prochai-
entre eux avec ardeur... » ne de J'aide américaine encoura-
Lors de la capitulation ita- ge les communistes à agir rapi-
lienne qui intervient en sep- dement. Ils menacent dangereu-
tembre 1943, ce sont les com- sement Janina, la capitale de
munistes qui récupèrent la l'Épire et tentent vainement de
majeure partie de l'armement s'emparer de Konitsa pour en
dont disposaient les quatre divi- faire une véritable capitale de la
sions du Duce présentes en rébellion. Mais dès Je mois de
Grèce et, dès Je 12 octobre, les novembre 1947, un état-major
hommes de l'ELAS tentent de combiné gréco-américain est
se débarrasser, sans succès, de mis sur pied et trois cents
leurs rivaux de l'EDES, ouvrant conseillers US participent à
ainsi une lutte de plusieurs 1' instruction et à l'encadrement
mois, suspendue par la trêve Plus de 30 000 enfants furent enlevés par les maquisards communistes et emme- de l'armée royale grecque, pla-
conclue Je 4 février 1944. Le 9 nés dans les <<pays frères », Albanie ou Yougoslavie. Certains reviendront, comme cée sous Je commandement du
octobre, Churchill obtient de cette jeune femme, mariée entre-temps, après quatorze ans d'exil forcé en Albanie. très populaire général Alexandre
Staline, en lui laissant les mains Papagos, le vainqueur des Ita-
libres en Bulgarie et en Roumanie, 1'engage- régulières. Le l" septembre, lors du plébiscite, liens sur Je front albanais en 1940-1941.
ment de laisser la Grèce sous influence anglai- 70 % des votants choisissent la restauration de A partir de février 1948, J'intervention du
se. L'avance rapide des armées soviétiques la monarchie et Georges II peut regagner son général américain James van Fleet précipite
oblige bientôt les Allemands à évacuer la pays le 27 septembre (il mourra l'année sui- 1'issue en même temps que la décision de Tito
péninsule balkanique et Athènes est libérée vante et sera remplacé par son frère, le dia- de se rapprocher d'Athènes et de cesser, en
dès le 12 octobre. Deux jours plus tard, c'est doque Paul). Dès le mois d'août, le chef com- juillet 1948, tout soutien aux communistes
J'arrivée d'une première brigade anglaise et, le muniste Markos Vafiadis a repris le maquis. grecs. En novembre, Markos Vafiadis, Je chef
18, Je gouvernement Papandréou - qui com- Les hommes de l'ELAS peuvent alors compter mythique des partisans, cède la place au vieux
prend six ministres proches du parti commu- sur le soutien des États communistes désor- militant communiste Nikos Zakhariadis et
niste - peut s'installer dans la capitale. Tout se mais frontaliers de la Grèce. La Bulgarie, moins d'un an plus tard, le 16 octobre 1949,
gâte quand le général anglais Scobie exige, 1'Albanie et, surtout, la Yougoslavie de Tito, les communistes annoncent qu'ils cessent le
pour le JO décembre, Je désarmement et la alors beaucoup plus ardent que Staline à soute- combat, au moment où les troupes royales,
démobilisation de J'ELAS. Le 3 décembre, nir la cause des communistes grecs, fournis- appuyées sur des milices paysannes instruites
une manifestation organisée place de la sent des bases arrières idéales, ce que peut pour la contre-guérilla, ont repris Je contrôle
Constitution tourne mal et la capitale grecque constater à partir du mois de décembre une de la quasi-totalité du pays. La guerre civile a
va être le théâtre d' une lutte armée qui durera commission d'enquête de l'ONU. fait environ 50 000 tués, plus de 30 000
plus d'un mois. Afin de calmer le jeu, Chur- enfants ont été enlevés par les communistes et
chill confie la régence au métropolite, Mgr repliés avec eux dans les « pays frères » sous
Dimitrios Damaskinos. Le Il janvier 1945,
Staline et Tito prétexte de leur épargner les horreurs de la
une trêve est conclue qui précède de peu lâchent leurs amis guerre et les affres de la société capitaliste.
l'accord de Varzika, le 12 février. Une amnis- Des milliers de prisonniers politiques resteront
tie générale est accordée et des élections sont Dès février 1947, la Grande-Bretagne des détenus en Grèce pendant de longues années et
prévues ainsi qu'un plébiscite portant sur la travaillistes Attlee et Bevan fait savoir aux le souvenir de ce conflit fratricide issu de la
nature du futur régime constitutionnel. Quand Américains qu'elle ne peut plus entretenir Je Seconde Guerre mondiale et prolongé par la
les Grecs sont appelés aux urnes Je 31 mars corps expéditionnaire de quarante mille guerre froide pèsera longtemps sur la
1946, plus de 40 % des électeurs suivent les hommes qu'elle a déployé en Grèce et, dès le conscience hellénique, bien au-delà du coup
consignes de I'ELAS et s'abstiennent. Le parti 12 mars, Truman prend le relais. Il débloque d'État réalisé par les colonels de 1967.
populiste- c'est-à-dire royaliste- de Constan- 250 millions de dollars, car il s'agit désormais Ph.C.
tin Tsaldarie peut ainsi l'emporter en raflant pour lui de « soutenir les peuples libres qui Le samedi 26 juillet 1997, l'émission Histoire
231 sièges de députés sur 354 mais dès Je résisteront à des tentatives d'asservissement parallèle (Arte) sera consacrée à<< La Grèce déchi-
mois de mai, les combats reprennent dans le par des minorités armées ou à des pressions rée ». Certaines images peuvent présenter un intérêt
nord du pays entre communistes et troupes venues de l'extérieur... » documentaire.

Il
,1'

QUARTIER LATIN~ ANNEES CINQUANTE

Une révolte de la jeunesse


PAR JEAN BOURDIER

Dans l'Université des années


cinquante, il n'était pas obligatoi-
re d'être communiste, mais il
était interdit d'être anticommu-
niste. Et pourtant, quelques-uns
osèrent à leurs risques et périls.

C
'est dans les années cinquante, sous
une IV' République déjà chancelante
mais qu'il faudra bien se décider à
réhabiliter partiellement un jour, que s'amorça
réellement puis s'affirma la révolte, un temps
victorieuse, contre 1'idéologie et les modes de
pensée marxistes ou marxisants qui s'étaient
imposés en France à la faveur et sous le cou-
vert des événements de la Libération.
Il s'agissait, en fait, à l'époque, de se
« libérer de la Libération », ou plus exacte-
ment, des excès qu 'elle avait engendrés, de
1'utilisation abusive et partisane qui en avait
été faite, et, surtout, de la dictature intellec-
tuelle et morale qu 'on s'était efforcé d'instau-
rer en son nom. Il était flagrant que, par la
grâce d'un clan gaulliste abusé, complice ou
simplement craintif, la Seconde Guerre mon-
diale avait été gagnée, en France, par le parti
communiste, et les conséquences s'en faisaient
cruellement sentir. Certes, elle aurait pu être
bien pire, comme à Varsovie ou à Prague, mais
nous fûmes sauvés de justesse par un Staline
peu soucieux de remettre en cause les fruc-
tueux accords de Yalta pour les beaux yeux
des communistes français qu'il était apparem-
ment seul à juger à leur vraie valeur et par la
menace, sans doute très hypothétique, des
troupes américaines.
Il:
< •*'•
Il n'empêche que, s'étant vu interdire par Novembre 1956. Lors des manifestations parisiennes de soutien à la Hongrie écrasée par l'Armée
leur maître du Kremlin de prendre directement rouge, de jeunes manifestants attaquent le siège du parti communiste, carrefour Châteaudun .
1

QUARTIER LATIN, ANNÉES 5

L'ÉCOLE
DU COURAGE
le pouvoir politique, les communistes français
avaient été autorisés à prendre le pouvoir Il y avait dans ce petit mouvement
intellectuel, ce qu'ils s'étaient empressés de quelques militants comme on n'en verra
faire, dans l'Université comme dans les nulle part ailleurs. Ils étaient pour la plupart
milieux artistiques et littéraires, avec la com- des gens du vrai peuple, serruriers,
plicité, avouée ou non, de multiples « compa- employés, porteurs aux halles, petits
gnons de route ». Pour résumer très rapide- commerçants, fraiseurs chez Renault... A la
ment la situation, il n'était pas, en France, différence des jeunes bourgeois, ceux-là
obligatoire d'être communiste, mais il était n'étaient pas du genre à tourner leur veste
interdit d'être anticommuniste, même et sur- au premier coup de torchon. Fidèles,
tout si l'on se disait existentialiste- ce qui ne imperméables au découragement et aux
semblait paradoxal qu'à quelques mauvais débauchages ils iront toujours comme ils
esprits, dont M. Jean-Paul Sartre ne faisait pas avaient vécu, sans jamais varier. Ils étaient
partie. Quant aux intellectuels « d'en face », portés par une sorte de mystique simple et
ils avaient été muselés de main de maître, à indestructible. Ils étaient les prosélytes
grands coups d'exécutions, de condamnations, véhéments d'une pure religion de la patrie.
d'« indignités nationales » et d'interdictions Admirables militants, grands inconnus de
de publier. En tout cas, épurés ou apeurés, ils cette aventure, durs, confiants, dévoués,
avaient disparu. leur courage et leur générosité étaient
Dans ces conditions, il était normal que la illimités. Quand l'époque insurrectionnelle
révolte vînt de la jeunesse, et elle vint effecti- Un jeune étudiant breton nommé Jean-Marie sera venue, ils prendront des risques
vement de la jeunesse. D'une jeunesse orphe- Le Pen, à la conquête de la Corpo de Droit. incroyables d'un cœur apparemment serein.
line et sans maîtres, mais disposant, face au Ils étaient pauvres. Ils vivaient dans une
terrorisme intellectuel ambiant, de deux armes eu, il y a toujours, et il y aura toujours, sans sorte d'attente. Parmi eux, plusieurs anciens
redoutables: la terrible lucidité de l'innocence doute, des jeunes d'Action française. La chose d'Indochine. On y rencontrait parfois le
est capitale, car 1' Action française n'est pas caporal-chef parachutiste Roger Holeindre
et une totale liberté de décision et d'action.
C'est la chance que nous avons eue - on me seulement- et ce ne fut pas seulement dans les venu donner un coup de main le temps
années cinquante - une école de raisonnement, d'une permission.[ ...]
pardonnera de passer soudain à la première
mais elle est aussi une école de courage, phy- Nous devions affronter plusieurs
personne, qu'elle soit du pluriel ou du singu-
sique et moral. adversaires. La police s'ajoutait aux
lier, mais je suis ici un acteur devenu témoin
amateurs de manches de pioche. Nous
avant d'être un historien- nous l'avons saisie
devions encore braver la réprobation
et exploitée du mieux que nous avons pu, et ce Le bon usage du
générale. Nous avions pour nous les armes
ne fut pas, on le verra, la cause de notre échec. syndicalisme étudiant de l'insolence et les avantages de
Un cas, bien sûr, est à distinguer : celui de
l'irrespect. Mais notre moral n'avait pas
1'Action française, où retentissait encore au On tend souvent à accorder une place pri- toujours les couleurs de l'acier. Oui, il en a
loin la voix du vieux maître emprisonné, et vilégiée à la littérature et aux littérateurs dans fallu des efforts vains et désespérants avant
dont, par la force de certitudes absolues et le mouvement de révolte contre la dictature de percevoir les premiers frémissements
d'extraordinaires fidélités, la présence et intellectuelle marxiste et sartrienne. Le mythe d'un éveil. Nous n'étions à l'abri ni du
1'enseignement s'étaient révélés permanents. des « hussards » continue à hanter un certain désespoir ni du découragement. Notre
Beaucoup y passèrent : il faut dire que, dans le nombre de collégiens de province et quelques ultime ressource était l'idée, l'orgueil, et
léger tumulte intellectuel qui suivait nécessai- critiques littéraires anémiques. La vérité est l'histoire. Avec voracité, je cherchais dans le
rement le rejet des vérités officielles, la décou- que les « hussards » n'eurent jamais conscience passé les exemples d'hommes qui avaient
verte de Maurras était, si l'on ose dire, une d'être des hussards, et surtout qu'ils ne formè- lutté avant nous contre l'évidence, contre
divine surprise. Moins y restèrent, car, malgré rent jamais une « école » alors que, précisé- l'indifférence, contre la toute-puissance
l'extraordinaire valeur de chefs militants ment, ils s'insurgeaient contre la dictature des apparente de ce qui est installé.
comme Nicolas Kayanakis, la tête, déjà che- écoles. Sans vraiment s'en rendre compte à Que dire des idées ? Nos idées étaient
nue quel que fût son âge réel, se révélait trop l'époque, - le principal d'entre eux, Jacques courtes, mais nos instincts profonds.
souvent incapable de comprendre la base Laurent, fut le premier surpris lorsque je le lui DOMINIQUE VENNER
jeune, de lui parler et de lui apporter autre révélai - ils comptèrent beaucoup pour certains Le Cœur rebelle, Belles Lettres, 1994.
chose que des sophismes normaliens et des jeunes « révoltés », à qui leur littérature appor-
citations grecques. Les défections ou les semi- tait à la fois une caution et un encouragement.
défections - car, au cœur de presque tous les Mais nombreux étaient les jeunes militants des du : celui du syndicalisme étudiant. Or, si
transfuges, demeurait une vieille fibre de ten- diverses droites nationalistes à n'avoir jamais curieux que cela puisse sembler, l'utilisation
dresse et de fidélité- furent nombreuses, mais entendu parler de Roger Nimier ... par les jeunes nationalistes des structures syn-
la boutique ne s'effondra pas pour autant. Elle Presque totalement oublié, en revanche, est dicales mises en place après la Libération dans
est encore debout, d'ailleurs ; grâce à la per- l'action déterminante des «révoltés »dans un le cadre de l'Union nationale des étudiants de
manence du génie maurrassien, il y a toujours domaine qui peut paraître, maintenant, inatten- France- hé oui, la bonne vieille UNEF ! (1)-
TIER LATIN, ANNÉES 50

UNE JEUNESSE
AVENTUREUSE
caractéristique commune d'être atrocement
Je croyais avoir congédié mon passé, pauvres. Ayant présidé un peu plus de deux
mais un matin, il m'a retrouvé. On préparait ans aux destinées des Jeunes indépendants de
un film sur les années d'occupation, ces
Paris, je suis bien placé pour savoir qu 'on ne
fameuses années difficiles que l'histoire
roulait pas sur l'or.
avait tant simplifiées. La Résistance et la
Les Jeunes indépendants de Paris, ou JIP,
Collaboration, les purs et les maudits : ce
avaient été créés en 1953 sous l'égide de prin-
partage allait de soi depuis que la fin de la
guerre nous avait révélé, dans toute son
cipe et l'autorité purement morale de Pierre
horreur, la réalité du nazisme. Taittinger, ancien chef des Jeunesses
Qui étais-je donc pour avoir à témoigner ? patriotes- ou JP- de l'avant-guerre et ancien
Un ancien de la Waffen SS, un rescapé de président du conseil municipal de Paris, par un
cette division française " Charlemagne •• qui, doux amalgame de transfuges de 1'Action
au printemps 1945, était allée se faire française et des membres de la Corpo de droit.
massacrer dans les neiges de Poméranie.
Plus de vingt ans, depuis, s'étaient écoulés. Après une longue carrière de journaliste et de On ne roulait pas sur l'or
Et maintenant, il me fallait remuer cette critique littéraire, Jean Bourdier s'est orienté vers
cendre que je croyais froide. C'était un peu l'histoire et la littérature, publiant plusieurs Jusqu'à sa dissolution, à l'automne 1955
comme si j'avais rendez-vous avec un frère ouvrages, notamment une remarquable Histoire (2), le mouvement ne vécut que des cotisations
depuis longtemps disparu. Pour le du roman policier (Éditions de Fallais, 1996).
de ses membres - jugées élevées pour
comprendre, il me fallait lui rendre voix. Où
l'époque - et de quelques donations indivi-
m'attendait-il ? J'ai laissé mon esprit errer. fut l'une des plus grandes réussites du combat
duelles dont aucune ne dépassait l'équivalent
Puis, brusquement, j'ai revu une matinée contre le marxisme. La victoire la plus specta-
de 1 000 F actuels. Paradoxalement, ce
ensoleillée d'août 44. [...] culaire fut sans aucun doute la prise de 1'Asso-
manque de moyens financiers fut peut-être
Depuis l'âge de quatorze ans, les idées ciation corporative des étudiants en droit- plus
politiques me fascinaient. Mon père, qui était
l' un des facteurs de notre succès : il nous
familièrement appelée « Corpo de droit » par
officier, m'avait donné une éducation d'un contraignit, en effet, pour nous faire connaître
un jeune étudiant breton nommé Jean-Marie Le
traditionalisme et d'un nationalisme et entendre, à l'action directe - et, disons le
Pen, mais d'autres corpos ne tardèrent pas à
intransigeant. [...] mot, violente. Tout comme nos camarades de
tomber aux mains d'éléments antimarxistes,
J'avais été, comme il se doit, formé à la Jeune Nation et du groupe Lescure, nous
telle la Corpo de médecine avec les frères
lecture de l'Action française. Cependant, j'en n'avions que nos poings et quelques tracts,
Davoudian. La Sorbonne elle-même fut bientôt
étais venu, assez vite, à me lasser du mais nous nous en servîmes. L'effet psycholo-
le théâtre d'âpres combats où les communistes,
conservatisme pointilleux des maurassiens. gique fut excellent. Notre réputation de loups-
bien qu 'appuyés par les chrétiens progressistes
Je me voulais révolutionnaire. Je rêvais moins garous nous assura un recrutement régulier, un
de la JEC, eurent souvent le dessous.
au passé qu'à des lendemains exaltants. développement harmonieux et inspira une
Rien ne me préparait, toutefois, à rallier la
La chose est d'autant plus importante que
salutaire méfiance à nos adversaires.
révolution communiste : j'avais été élevé
ce sont les « bonnes corpos » - et en particu-
C'est ce qui nous permit, entre autres
dans sa condamnation permanente et, lier la Corpo de droit, qui resta entre les mains
choses, d'assurer, conjointement avec l'Action
instinctivement, je ressentais le de la droite nationaliste jusque dans les années
française, la reprise des cours de Jean Guitton
bolchevisme comme une force maléfique. soixante - qui servit de point de départ et de
à la Sorbonne - que les communistes avaient
C'est alors qu'à travers les étendards et les base arrière aux « révoltés » du Quartier latin.
juré d'empêcher- et de « casser » avec 1'AF et
projecteurs de Nuremberg, j'avais eu la Ceux-ci en avaient bien besoin, car leur
Jeune Nation, la grande réunion anticolonialiste
révélation du national-socialisme. [...] logistique était des plus modestes. C'était la
de 1954. Ces deux actions auraient été jugées
Puis l'Allemagne et la Russie s'étaient rançon de leur incroyable indépendance. Ils se
impensables deux ans plus tôt.
alliées sur le dos de la Pologne. Je n'avais retrouvaient entre jeunes, dans des mouve-
Nous n'avions certes pas « conquis » le
pas compris et j'en étais revenu, ments constitués et dirigés par des jeunes
momentanément, à un nationalisme plus
Quartier latin, ou toute autre part du territoire
- réalisant à droite ce que le lettriste Isidore
strict. C'est dans cet état d'esprit que je national- mais nous l'avions libéré de l'empri-
Isou n'avait pu réussir dans la gauche anarchi-
m'étais engagé en 39. Mais lorsque le Reich se marxiste. Et nous avions, surtout, contribué à
sante avec son éphémère « Soulèvement de la
avait envahi l'URSS, je m'étais repris à rêver créer les conditions d'un renouveau du nationa-
jeunesse » - mais leurs finances étaient aussi
d'un monde nouveau, où l'Europe lisme français auquel les événements d'Algérie
jeunes qu'eux-mêmes. La détention d'une
constituerait le phare du socialisme. allaient vite donner une dimension supérieure.
corpo fournissait, pour peu qu'on restât un peu
Et1944 était arrivé, les événements Un renouveau que seule la mobilisation de tout
discret, des locaux gratuits, l'accès à des
s'étaient précipités. Je me trouvais, comme je l'appareil répressif gaulliste allait pouvoir bri-
machines à écrire et à des ronéos et quelques
l'ai dit, à ce point critique où un engagement ser. Mais cela, comme disait Kipling ...
autres babioles infiniment précieuses pour des
n'a d'autre avenir que le casque et le fusil. J. B.
J'ai fait le saut, j'ai choisi l'aventure. militants déshérités.
CHRISTIAN DE LA MAZIÈRE Or les mouvements qui, avec les étudiants (!) Dont l'auteur de ces lignes conserve pré-
Le rêveur casqué. Robert Laffont, 1972. d'Action française et en particulier le groupe cieusement une carte de membre d'honneur.
Albatros, 1991. Lescure, réussirent à arracher le Quartier latin (2) Les JIP fournirent à ce moment les cadres de
aux communistes et à leurs alliés avaient pour 1'Union de défense de la jeunesse française poujadiste.
SOLDATS D INDOCHINE

Face au Vietminh
PAR RAYMOND MUELLE

Ils étaient partis sans idées,


pour la France, pour la solde ou
l'aventure. Là-bas, ils ont décou-
vert un ennemi imprévu. Souvent
ils l'ont retrouvé à leur retour en
France, sous les insultes et les
horions. Histoire d'une initiation
à l'anticommunisme.

L
es ouvrages qui traitent de la guerre
d'Indochine de 1945 à 1956 divisent
cette longue épreuve en plusieurs
phases caractéristiques. Leurs auteurs analy-
sent les causes du conflit, les stratégies et les
moyens utilisés, les résultats obtenus, mais
traitent rarement des motivations de ceux qui
affrontèrent ce combat difficile.
Venant de France, les premières troupes ont débarqué à Saigon en septembre 1945 sous le comman-
Ce n'est qu'à partir de 1950 qu'apparaît dement du général Leclerc. La vraie guerre commence après l'échec de l'insurrection vietminh à Hanoi,
l'argument de l'anticommunisme. et le massacre des Français, le 19 décembre 1945. Peu à peu, les soldats du corps expéditionnaire vont
C'est sans doute parce qu'en décembre découvrir le pays, le terrain, les populations et la réalité du communisme.
1949, les armées victorieuses de Mao bordent
la frontière du Tonkin. La première consé- 1' autorité française dans « la perle de nos colo- vait provoquer quelque illusion du fait du sou-
quence en résultant est le désastre de la RC4 nies ». Parmi eux, rares étaient ceux qui tien que lui accordaient les Américains.
(septembre-octobre 1950). Il est vrai aussi avaient des notions, même vagues, des pro- Les hommes du corps expéditionnaire,
qu 'en juin 1950 éclate la guerre de Corée. A blèmes locaux. Ils arrivaient, vainqueurs de la pour la plupart avides d'action et d'aventure,
dater de cette époque les soldats du CEFEO veille en Europe, pleins de certitudes incon- persuadés aussi d'être utiles au rétablissement
(Corps expéditionnaire français en Extrême- grues dans un immense inconnu. Ils devront de la grandeur de la France entament, sans
Orient) vont devenir les champions du combat donc tout découvrir, tout apprendre du terrain, arrière-pensée, une campagne spécifiquement
pour la~~ liberté du monde ». des populations, de l'ennemi. Apparemment, militaire devant aboutir au retour et maintien
Pour ceux des nôtres qui guerroyaient ils ont affaire, c'est du moins ce qu'on laisse de l'ordre. Faute de directives politiques et pri-
dans les divers territoires de 1'Indochine entendre, à une rébellion nationaliste plus ou sonnier des schémas techniques périmés, le
depuis l'automne 1945, l'identification idéolo- moins consécutive à l'occupation japonaise. commandement tentera d'utiliser les théories
gique de l'adversaire n'est pas une découverte. Certains d'entre eux la compareront d'ailleurs, opérationnelles ayant fait leurs preuves au
Faute d'avoir été engagés contre le Japon, plus ou moins consciemment, à la résistance cours de campagnes coloniales d'autrefois
les volontaires français sont partis avec pour métropolitaine. L'attitude ambiguë d'Hô Chi ainsi que l'expérience des combats récents en
mission le rétablissement de la présence et de Minh, pourtant réputé vieux communiste, pou- Europe et dans le Pacifique. La pensée militai-

Il
U VIETMINH

CHRONOLOGIE DE LA GUERRE D'INDOCHINE


1945 Juin : Début de la guerre de Corée. 7-12 août : Evacuation de la base de Na San.
9 mars : Les troupes japonaises stationnées en 3 octobre : Évacuation de Cao Bang. Septembre-octobre : Poursuite de l'offensive
Indochine attaquent les garnisons françaises. 11 octobre : Évacuation de Thal Khé, suivie de vietminh au Laos.
11 mars : L'empereur Bao-Dai proclame celle de Lang Son. 20 novembre : Début de l'installation d'une base
l'indépendance du Vietnam. 2 novembre : Évacuation de Lai Chau et de Lao Kay. aéroterrestre à Diên Biên Phu.
15 août : Capitulation du Japon. Hô Chi Minh 8-12 décembre : Évacuation de Din Lap au Tonkin. 7-12 décembre : Évacuation de Laï Chau.
donne l'ordre d'insurrection générale. 17 décembre : Le général de Lattre, nommé 21-29 décembre : Au Laos, la garnison de Thakket
16 août : L'amiral d'Argenlieu est nommé haut- commandant en chef et haut-commissaire, arrive se replie sur la base de Seno.
commissaire en Indochine, en remplacement de à Saigon.
l'amiral Decoux. Le général Leclerc est nommé 1954
commandant en chef. 1951 Janvier : Au Annam, opération « Atlante • sur les
12 septembre: Les premières troupes françaises 13-17 janvier : Violente offensive vietminh, bataille plateaux (les Viels visaient An Khé et Plei Ku) et
débarquent à Saigon. deVinh Yen. dans la plaine côtière.
Mars : Bataille de Lao Khé au Tonkin. 1-9 mars : Grand débat sur l'Indochine à
1946 Juillet : Le général de Lattre lance un "appel à la l'Assemblée nationale. Le gouvernement se
9-10-11 janvier: Émeutes sanglantes jeunesse vietnamienne» (le 11) et engage le montre disposé à une négociation.
antifrançaises à Hanoi. Vietnam à prendre ses responsabilités. 13 mars : Premiers assauts vietminhs contre les
20 janvier : Le général de Gaulle démissionne. 23 septembre : Le général de Lattre se rend aux points d'appui de Diên Biên Phu.
Félix Gouin forme le gouvernement trois jours États-Unis en vue d'obtenir l'aide américaine. 26 avril : Ouverture de la conférence de Genève.
plus tard. Les communistes y participent toujours. 2-6 octobre : Le Vietminh échoue devant Nghia Lo. 7 mai : Chute de Diên Biên Phu.
6 mars : Signature d'un accord entre le 10-14 novembre : Les troupes françaises 17 mai : Gouvernement Mendès-France.
gouvernement français et Hô Chi Minh. occupent Hoa Binh et l'ensemble du pays Muong. 23 mai : Début de l'évacuation des évêchés du
Juin : Leclerc est rappelé en France. 19 novembre : De Lattre part pour la France. Tonkin (opération " Auvergne »).
13 juin :Hô Chi Minh arrive en France. La Décembre 1951-janvier 1952 : Forte pression sur 24-30 mai : Repli de la garnison d'An Khé.
conférence de Fontainebleau commence le 6 juillet. Hoa Binh et sur la RC6. Le GM 100 est à moitié anéanti dans une
19 décembre: Insurrection du Vietminh à Hanoi. gigantesque embuscade.
Massacres de Français. Début de la guerre. 1952 3 juillet : Évacuation de Phu Ly.
6 janvier : Le général Salan commandant en chef 20-21 juillet : Accords de Genève. Dans ses
1947 par Intérim. Fonction confirmée le 1" avril. Mémoires, Khrouchtchev dira qu'il ne s'attendait pas
11 janvier: Mort du général de Lattre nommé à tant de concessions de la part de Mendès-France.
Février : Toutes les garnisons françaises
maréchal de France sur son lit de mort. Les dates de cessez-le-feu pour l'ensemble de la
assiégées sont dégagées.
22 février : Évacuation d'Hoa Binh. péninsule s'étalent entre le 27 juillet et le 7 août.
22 mars : En France, François Billoux, ministre
Mars : Opérations au nord et au sud du Delta. Août : Début de l'exode des catholiques
communiste de la Défense nationale, refuse de
3 juin : Au Cambodge, le roi assume vietnamiens vers le sud.
s'associer à un hommage au corps expéditionnaire.
personnellement le pouvoir. 9 octobre : Les Français évacuent Hanoi que le
5 mai : Ramadier, président du Conseil, renvoie
Juillet : Opérations « Quadrille • et « Sauterelle '' Vietminh occupe le 11.
les ministres communistes. Le parti communiste
(3 000 Viels hors de combat). 24 octobre : Eisenhower écrit à Diem, chef du
entre dans une opposition violente.
20 juillet : Attaque vietminh au cap Saint-Jacques. gouvernement vietnamien de Saigon pour
7 octobre : Début de l'opération « Léa • dans le
Octobre : Vaste offensive vietminh en pays Thaï. l'assurer de son aide directe dans la lutte contre
triangle Thal Nguyen-Lang Son-Cao Bang.
Les Français sont contraints d'abandonner l'agression communiste.
Nghla Lo. Novembre : Début de la rébellion algérienne.
1948
29 octobre-18 novembre :Opération " Lorraine •, 30 décembre : Signature à Paris des accords entre
Extension de l'occupation française dans le delta entre le fleuve Rouge et la rivière Noire destinée à la France, le Laos, le Cambodge et le Vietnam.
du Tonkin. Les régions de Sontay-Vietri sont alléger la pression sur Na San et le pays Thaï.
définitivement contrôlées. 2-3 décembre : Échec vietminh à Na San. 1955
5 juin : Accord signé entre la France et l'empereur
6 février : Chute du gouvernement Mendès-France
Bao-Dai. 1953 auquel succède un ministère Edgar Faure.
1949
Janvier : Opérations de nettoyage dans le Delta 3 mars : Début de la ~ guerre des sectes • qui
22 janvier : En Chine, les communistes de Mao tonkinois (Opérations « Normandie •, « Nice •, prendra fin en février 1956.
Tsé Toung entrent à Pékin. « Bretagne »). 4 mai : Les troupes françaises encore présentes
4 avril : Signature du Pacte atlantique de 29 janvier-6 février : Au Annam, opération au nord évacuent Haiphong.
Washington. combinée aux environs de Qui Nhon pour soulager 23 octobre : Déposition de l'empereur Bao-Dai.
Septembre : Les troupes françaises occupent les les hauts plateaux et particulièrement An Khé. 26 octobre : Proclamation par Diem de la
provinces des évêchés de Bui Chu et de Thal Diem. Mars-avril : Invasion du Nord-Laos par le République du Sud-Vietnam.
Décembre : Arrivée à la frontière tonklnoise de Vietminh.
l'armée communiste de Chine. 8 mai : Le général Navarre est nommé Au 1" janvier 1956, il y a encore 30 000 soldats
commandant en chef en Indochine. français au Sud-Vietnam. Le 28 avril, le haut-
1950 17 juillet : Raid sur Lang Son (opération commandement français en Indochine est
19-31 janvier : Reconnaissance d'Hô Chi Minh par « Hirondelle • ). dissous. Les derniers éléments du corps
la Chine et l'URSS. 27 juillet : Fin de la guerre de Corée. expéditionnaire quitteront Saigon le 14 septembre .


FACE AU VIETMIN

re française n'a jamais eu la chance de rece- déric-Dupont suggère à 1'Assemblée nationale


voir l'aiguillon d'une réflexion semblable à qu'un colis de Noël soit expédié aux combat-
celle adressée en 1935 par Hitler à ses géné- tants d'Extrême-Orient, une représentante du
raux : «Au lieu de lire Clausewitz, vous feriez PCF s'exclame:« Le seul cadeau qu'ils méri-
mieux de faire marcher votre imagination ! >> tent, c'est douze balles dans la peau ! »
Dans l'Indochine de 1945, la plupart des La connivence entre les communistes fran-
anciens qui auraient pu faciliter aux nouveaux çais et le Vietminh crève les yeux. Étant donné
arrivants une approche des problèmes diffi- qu 'elle n'est combattue que très mollement par
ciles ont été écartés, suspects d' antigaullisme. le gouvernement, les soldats d'Indochine res-
La méconnaissance des populations et des pro- sentent durement leur isolement. Tout cela
cédés de guerre subversive handicapera contribuera à leur prise de conscience et à leur
l'action du CEFEO. Les hommes de Leclerc orientation politique à venir. De plus, la Légion
marcheront à l'aveuglette, forts de leur bon étrangère qui fournit un important contingent
droit et de leur indéniable courage. A Paris, au CEFEO, comporte 80 % de germanophones
qui est si loin, l'autorité politique et la haute qui ont de bonnes raisons de ne pas porter les
hiérarchie militaire donnent l'impression de se Soviétiques et leurs amis dans leur cœur.
désintéresser de ceux qui sont partis, tout Et pourtant, dans l'armée de l'époque, la
compte fait volontairement, porter les armes à propagande communiste est intense, certains
l'autre bout du monde. L'opinion française, à L -_ _ _ _ _ ___;:::;__ __;:.__ _ _ __J
15 cadres, d'origine FTP, intégrés dans l'active
ce moment, est seulement préoccupée du après la libération, sont ouvertement marxistes.
retour à l'abondance alimentaire, de règle- L'1ndochine française
Ayant reçu des instructions précises (rapports
ments de comptes passablement sordides, de au PC, aide au Vietminh, éventuellement déser-
reconstruction matérielle et politique. émeutes, sabotages ... A Marseille en particu-
lier, les affrontements, parfois sanglants, se tion). Ils soutiennent à fond le Vietminh.
Dès les premières heures du conflit, les Des responsables du PC circulent sans dis-
motivations des soldats français en Indochine, multiplient entre les communistes et les mili-
taires en partance ou rentrant d'Indochine. crétion dans les zones vietminhs. Après l'opé-
pauvres en effectifs, en matériel et en direc- ration « Léa » (Tonkin, octobre-décembre
tives raisonnables, se bornent, en général à la L'intervention permanente des forces de
l'ordre (gendarmes, CRS, tirailleurs sénéga- 1947), le parti expédie publiquement un de ses
conscience professionnelle et à un patriotisme parlementaires pour « enquêter sur les atroci-
instinctif joints au goût de 1' aventure virile. lais) devient nécessaire même quand les
embarquements ont lieu discrètement, de nuit, tés commises par les troupes françaises ». Il
Mais les exigences de la guerre froide sera rossé à Hanoi par des officiers qui seront
entre l'Est et l'Ouest vont, de plus en plus, par exemple ...
En janvier 1950, le Pasteur, un des princi- sévèrement sanctionnés.
occuper les esprits et, malgré les multiples dif- Désormais, pour les soldats du CEFEO,
ficultés de leur existence quotidienne, les paux transports de troupes est immobilisé pen-
dant plusieurs jours par une grève des marins l'ennemi c'est le communisme. Et ce qu 'ils
combattants découvrent rapidement le vrai voient des méthodes viets ne fait que renforcer
visage de l'adversaire. CGT. L'ambiance à bord est détestable. L'équi-
page se livre à la contrebande d'armes et de leur conviction. Au Tonkin, ils ont découvert
médicaments au profit du Vietminh. Le quar- leur façon d'agir. Ils ont vu des zones du delta
Le parti communiste, tier-maître Henri Martin, de la Marine nationa- vidées de leur population. Sur l'ordre du Viet-
artisan principal le, est arrêté et condamné pour avoir saboté les minh, des villages ont été détruits à la pioche,
de l'anticommunisme commandes de direction de son bâtiment. De incendiés. Tous les notables et les récalcitrants
ce traître, le parti communiste fera un héros. ont été systématiquement égorgés ou décapi-
Pourtant leur anticommunisme naîtra sur- Dans les arsenaux, le matériel (armement, tés. Reprochant à un chef de village son attitu-
tout de l'action du Parti communiste français munitions, véhicules) est saboté. Le PC retrou- de ambiguë, un officier de renseignements au
lui-même. Il faut attendre 1947 pour qu'à ve les procédés déjà utilisés en 1939 au temps 2' BEP, s'entendit répondre : << Monsieur lieu-
Paris, les communistes soient écartés du pou- du pacte germano-soviétique. En février 1949, tenant, les Français ont des prisons, les Viets
voir. Forts de leur organisation et de leur assi- au 2' BEP, on constate que tous les pistolets n'en ont pas ... >> , et avec un sourire triste, il
se électorale, de leurs élus, de leur appareil et distribués ont été sabotés. Les percuteurs trop passa le tranchant de sa main sur sa gorge ...
de leurs courroies de transmission, ils vont courts rendent les armes inutilisables. Dans Les têtes coupées des victimes sont plantées
alors en toutes circonstances, agir contre ce des lots de grenades, les détonateurs sont rem- sur des pieux de bambou. On les voit partout,
qu'ils appellent la « sale guerre ». Tous les placés par un tract de « L'Union des femmes comme une signature du nouvel ordre commu-
arguments depuis longtemps éprouvés par la françaises ». Ce sabotage causera la mort au niste. Cette cruauté délibérée interdira long-
propagande marxiste sont mis en œuvre en combat de plusieurs utilisateurs, tel l'adjudant temps au Vietminh de garder en vie les prison-
vue du conditionnement de l'opinion Parsiani, du bataillon de choc. A Grenoble, niers français. C'est à partir de 1950, que leur
publique : pacifisme, droit des peuples, droits une pièce d'artillerie est jetée à bas d' un train. nombre nécessite la création des camps d'hor-
de l'homme, anticolonialisme, antimilitaris- Au Palais-Bourbon, les députés commu- ribles réputations. Ainsi, avec un génie certain
me... Dans tout le pays, le PC et ses compa- nistes exigent que la collecte publique de sang de 1'organisation et de la propagande, fort de
gnons de route en viennent très vite aux ne soit jamais destinée aux blessés d'Indochi- ses théories sans appel et de sa détermination,
actions violentes et aux procédés terroristes : ne qui peuvent crever. Alors que le député Fré- le Vietminh a entrepris « la guerre du peuple ».

Il
AU VIETMINH

D'AUSCHWITZ e:<

AUX CAMPS VIETS


vers les ambulances se faisait au milieu des
Une fois faite la distinction entre les vociférations et des crachats des porteurs de
camps d'extermination et les camps de drapeaux rouges. Des anciens combattants ten-
déportation nazis, personne ne peut réfuter taient d'intervenir et faisaient le coup de poing
les analogies entre les systèmes contre les énergumènes déchaînés.
concentrationnaires allemand et vietminh. En octobre 1948, quelques anciens du
Elles sont au moins de deux sortes : le bataillon de choc tentèrent ainsi de protéger
même mépris total de la dignité de l'homme leurs camarades. L'un deux, G. Bercovitz, dut
d'abord, la même volonté forcenée de l'avilir. prendre dans ses bras un des blessés, car les
Puis le même système très élaboré de manifestants agrippés au brancard en interdi-
démolition physique et psychique, à petit saient le transport. Et pourtant ce blessé, le
feu, d'une manière extrêmement rigoureuse. lieutenant Systach, amputé d'une jambe, sauvé
Et là où les Viets ont dépassé les
de justesse à Saigon, était visiblement dans un
Allemands, c'est avec le viol des Tous les prisonniers français, restitués par le état tragique.
consciences. Jamais les nazis n'ont cherché Vietminh après les accords de 1954, portent sur Après les accords de Genève, en 1954, le
à convaincre personne. Les Viets, en plus eux la preuve des souffrances qui leur ont été
retour des prisonniers n'a pas provoqué de
des humiliations quotidiennes, voulaient infligées.
scènes aussi répugnantes, mais il n'en a pas,
nous faire perdre notre identité, ils fouillaient
pour autant, troublé l'opinion publique, malgré
nos âmes, ils cherchaient à pervertir ce que Mais, Paris ne réagit pas. En Indochine,
les preuves flagrantes des sévices endurés par
nous avions de plus sacré en nous. personne n'est dupe, même si l'état-major, par
les survivants, véritables morts-vivants,
Il y avait dans le camp de prisonniers deux discipline, lâcheté ou incompétence se tait.
pauvres squelettes, témoins silencieux de
personnages redoutables : le commandant de En 1950, des volontaires français se bat-
l'horreur.
camp et le " can-bô "• le commissaire tent aussi en Corée, contre le même ennemi.
politique. Boudarel était un violeur d'âme. Les soldats ont de plus en plus conscience de L'abandon du Tonkin, après Diên Biên
Aujourd'hui, il se cache derrière la non- participer à un même combat de l'Elbe aux Phu, provoquera un véritable déchirement
reconnaissance de la qualité de belligérant frontières du Tonkin ( 1). chez les combattants français d' Indochine.
des Viets par la France qui nous aurait, Leurs récits concernant les scènes atroces de
paraît-il, privé du bénéfice de l'application cette tragédie ne seront pas entendus, qu'il
Les camps de la mort s'agisse de la liquidation des populations
des conventions de Genève. Eh bien non !
Cela n'impliquait pas la manière inhumaine fidèles, de 1'exécution des partisans de la Fran-
Sur le terrain, d'autres facteurs sont venus
dont nous avons été traités. ce ou des noyades de populations catholiques
exacerber la détermination antimarxiste des
Il y a eu une volonté d'extermination dans tentant de gagner le Sud-Vietnam.
combattants. Les méthodes vietminhs se sont
ces camps. Les chiffres parlent. 60 % des Rien d'étonnant si l'anticommunisme des
étendues aux camps de prisonniers qui sont de
prisonniers français ne sont jamais rentrés. anciens d'Indochine est devenu farouche, vis-
véritables camps de la mort lente. Les combat-
69% en comptant les légionnaires et toutes céral. Ils avaient vu de près la réalité. Revenus
tants savent que des représentants du PCF cir-
les forces de l'Union française. à la vie civile, ou restés dans l'année, beau-
culent dans les zones vietminhs. Les familles
Rappelez-vous l'histoire du convoi 42. coup poursuivront par d'autres moyens la lutte
des militaires prisonniers subissent en métro-
Trente-sept survivants sur quatre cents. qu ' ils avaient commencée, souvent sans le
pole des pressions de la part des cellules
Plus de 90% de mortalité ! Et dans quelles savoir et sans le vouloir, en Indochine.
locales du parti. Tandis qu'au sinistre camp
conditions ! Tous ces crimes portent un R.M.
113, le sergent Sobanski, comme tous ses
nom. Ce sont des crimes contre l'humanité. Après avoir participé aux campagnes de la
camarades, est soumis aux tortures du « can-
ERIK WEINBERG ER Libération (1944-1945), Raymond Muelle a
bô » Boudarel, en France, ses parents sont effectué deux « séjours » en Indochine dans la
Valeurs Actuelles du 25 mars 1991.
soumis au chantage : pour avoir des nouvelles Légion étrangère parachutiste. Rentré en juillet
de votre fils, adhérez au parti et signez la péti- 1954, il a servi ensuite en Algérie au 11' Choc et
Originaire d'Europe orientale, colonel de
tion contre la « sale guerre »... au Service Action. Il est l'auteur de plusieurs
Légion du cadre de réserve, Erik Weinberger
Comment cela n'aurait-il pas laissé des récits et ouvrages historiques sur la guerre
a connu Buchenwald, Auschwitz, Dachau,
traces ineffaçables dans le souvenir des d'Indochine et la guerre d'Algérie. Il vient de
où il fut déporté pour raisons raciales, et
« anciens d 'Indo » ? Il faut encore ajouter la publier aux Presses de la Cité Bataillons de Choc
deux camps du Vietminh : Cho Chu et le
colère provoquée par l'attitude des commu- et Commandos de la l'" armée, des Vosges à
Camp numéro 1. l'A llemagne, 1944-1945. Il est également l'auteur
nistes français à l'égard des blessés rapatriés.
Souvent débarqués de nuit à Marseille, les d'un album très richement illustré sur le Centre
Dès la fin de 1950, l'aide de la Chine blessés étaient acheminés par voie ferrée vers national d'entraînement commando qui vient de
paraître chez Lavauzelle.
communiste achève de transformer les troupes la région parisienne. Vraisemblablement par
du Vietminh en une année politique régulière, un souci de discrétion, ils arrivaient au petit (1) Dans le même temps, en Indochine, les
puissamment année, encadrée par des matin à la gare de 1'Est. Cette discrétion Américains ont un comportement ouvertement anti-
conseillers chinois efficaces. Le régime de n'empêchait pas les manifestations hostiles français et soutiennent nos adversaires. Il faut
Mao et l'URSS reconnaissent et soutiennent à des cheminots CGT. Les blessés étaient inju- attendre << 1'année de Lattre » pour que leur attitude
fond le gouvernement d'Hô Chi Minh. riés, secoués sur leurs brancards. Le transport se modifie en partie.

Il
SUR LE FRONT DES 1 DE"' ES

L~intelligence et le courage
PAR GEORGES LAFFLY

Jamais les opposants ni les Le sociologue Jules Monnerot


(1909-1995),jils d'un avocat
esprits libres n'ont manqué. Mais communiste antillais,
auteur de nombreux travaux
(Sociologie du communisme, 1949,
une censure subtile fonctionnait Sociologie de la révolution, 1969,
etc.). Tout le destinait
efficacement. Revue des auteurs au Collège de France,
dont l'écarta son allergie
incorrects. au conformisme.
Disséquant impitoyablement

«A ce mom~nt-là, tout le monde était


commumste. » On entend souvent
les tabous et les réalités
du pouvoir dans une société
qui ne tolère pas la vérité
sur elle-même,
cela, en particulier pour les années
il s'exposait à être censuré.
qui ont suivi la guerre. Évidemment cela veut
dire : tous les gens présentables. Justification
trompeuse. De la révolution d'Octobre 1917 à
nos jours, jamais les opposants n'ont manqué.
Dans les années vingt, la prise du pouvoir
par Lénine ne transforme pas vraiment le pay-
sage intellectuel en France. Les esprits domi-
nants, de Valéry à Bergson, d'Alain à Maurras,
ne risquent pas la contagion. Pour Maurras, le
communisme n'est que« la logique vivante et
agissante de la démocratie », comme disait
Balzac, et pour Henri Massis, c'est une inva-
sion de la pensée asiate. Les grandes vedettes
révolutionnaires sont Henri Barbusse et
Romain Rolland, puis le surréalisme « au ser-
vice de la révolution » (L.S.A.S.D.L.R.) avec Il faut retenir les Mythes socialistes que culpa et bon nombre de pages de Bagatelles
Aragon et Éluard. Ils restent en marge. Maulnier publie en 1936, critique serrée des pour un massacre, ce qui n'a pas contribué à
Puis viennent les années de fièvre, et « les notions de prolétariat salvateur, de fin de l'his- rendre ces ouvrages convenables.
non-conformistes des années trente », dont a toire, et de la confusion entre les épanche- Si beaucoup d'intellectuels se découvrent
parlé Loubet del Bayle. Les uns sont issus de ments humanitaires et le marxisme « scienti- alors défenseurs du prolétariat et de Staline,
1'Action française, Maulnier, Fabrègues (et fique ». Un chef-d'œuvre d'intelligence et 1'Essai sur l'esprit d'orthodoxie, de Jean Gre-
Blanchot !). Ceux d'Ordre nouveau (Dandieu, d'insolence, très utile car c'est le moment où nier paraît en 1937, pour l'honneur de la cor-
Daniel-Rops) sont humanistes et chrétiens. les adeptes commencent à affluer, grâce à la woration. L'auteur demande seulement à ses
Denis de Rougemont fait la liaison avec « lutte antifasciste ». C'est elle qui lance en ·confrères de garder leur esprit critique. Il ne
Esprit (Mounier, Lacroix). Tous parlent de France la vogue de la révolution, avec l'appui pense pas qu'il soit décent de croire qu'il n'y a
révolution, refusent « le désordre établi », le de Gide, Guéhenno, Alain et Malraux. Mais pas de salut hors de Moscou : « [... ] il me sera
capitalisme sauvage, aucun d'eux n'est rien n'est simple. Gide ne tarde pas à brûler ce permis de dire que la pensée de Karl Marx ne
marxiste. Et s'ils sont plus à gauche, les amis qu'il a adoré : voir Retour de l'URSS et rend pas compte de tout le passé et de tout
de Gaston Bergery ne le sont pas non plus Retouches à mon retour de l'URSS. Céline l'avenir de l'humanité, de toutes les religions,
(Izard, Jouvenel, Drieu). aussi a fait le voyage. Il en rapporte Mea de tous les arts, de toutes les sciences, de

Il
LLIGENCE ET LE COURAGE

toutes les métaphysiques ». Paroles scanda- au nom duquel sont condamnées les lois de
leuses, d'autant que Grenier démonte patiem- Mendel, mais aussi Freud, Heisenberg, Ein-
ment la marionnette. stein.
Après la victoire de 1945, changement de On aura noté ce refus d'une orthodoxie, de
décor. L'URSS partage le monde avec les l'obligation d'observer une « ligne », de pen-
États-Unis, le PCF séduit le quart des électeurs ser en rangs. Voilà l'attentat contre 1'esprit, car
et s'assure des places-fortes dans l'éducation, il s'agit d'une orthodoxie sans dogmes, précise
l'édition, les entreprises nationalisées. Du Papaioannou : on peut devenir hérétique en
coup, les compagnons de route, les idiots s'en tenant à l'orthodoxie de la veille. On
utiles, les progressistes pour être poli, se met- dépend de l'horloge. Ce qui est curieux, c'est
tent à pulluler. Redoutable conjonction de la que tant d'intellectuels l'aient accepté sans cil-
mode et de la puissance. Une censure sévit ler.
contres les rebelles (par exemple, les livres de Saluons le rôle important de Raymond
Rossi -Les Communistes pendant la drôle de Aron, avec l'Opium des intellectuels (1956) et
guerre - sont étouffés) tandis qu'une prime ~ les Marxismes imaginaires (1970). Informa-
- notoriété, gains - récompense les plus tion immense, clarté d'exposition, esprit scien-
souples. Thierry Maulnier (1909-1988). Jacques Tala- tifique, ces qualités expliquent les coups de
Cependant, rebelles il y a. Si toute une grand (son véritable nom) fut condisciple à l'École tonnerre que furent la publication de ces
normale supérieure de Robert Brasillach et de ouvrages. D'autant qu'Aron était trop célèbre
part des chrétiens, moines en tête, joint ses
Roger Vailland. Proche de l'Action française dans
bannières aux drapeaux rouges, Bernanos, à pour que s'applique la loi du silence, l'« omer-
sa jeunesse, l'académicien et le collaborateur du
lui seul, rétablirait l'équilibre (La Liberté pour Figaro avait beaucoup moins perdu ses ardeurs ta » si souvent utilisée ( 1).
quoi faire ?). Mais il n'est pas seul. Mauriac juvéniles qu'on ne l'a dit. Dans les années 1950- Mais nulle critique du marxisme et du
fonde avec Maulnier, la Table ronde. Grand 1960, il fut un anti-Sartre comme le rappelle son mouvement communiste n'égale l'entreprise
rôle des revues à cette époque. Il y aura égale- essai La face de méduse du communisme (1952). poursuivie par Jules Monnerot de Sociologie
ment les Écrits de Paris (Malliavin, Poulet) et du communisme ( 1949) à La Guerre en ques-
Itinéraires de Jean Madiran (La vieillesse du ment européen et anticommuniste. Et puis il y tion (1951) et à Sociologie de la révolution
monde, Le communisme), avec Salleron, De a les francs-tireurs (anti-partisans, si j'ose ( 1969), ensemble indispensable pour com-
Corte, Curvers. Et Thomas Molnar dans La dire): Fabre-Luce, Bardèche, Brigneau, Paraz. prendre le XX' siècle. Et nullement périmé par
Gauche vue d'en face, analyse la gnose démo- la chute de l'URSS, car Monnerot va au fond
cratique sous ses deux formes, libérale et Le refus de toute du problème. Il montre le succès communiste
socialiste. orthodoxie fondé sur un élan religieux, un « islam »
D'autres se révoltent au nom de l'huma- mêlant spirituel et temporel - avant que
nisme : Camus n'admet pas que la révolution Malraux s'est retourné. Il a découvert la l'islam lui-même se montre à nouveau
justifie le mépris des personnes et l'assassinat. patrie. « Nous savons désormais qu'on ne sera conquérant. L'homme n'a pas changé. Il a
Il faut mettre de ce côté, Jean-François Revel pas d'autant plus homme qu'on sera moins besoin de sens. Et les intellectuels en particu-
(Ni Marx ni Jésus), plus encore Alain Besan- français, mais qu'on sera simplement davan- lier n'étaient pas immunisés contre une idéolo-
çon (Court traité de soviétologie), et affilier au tage russe » (discours de 1948). Du coup, la gie se présentant comme une science. << La
groupe Jacques Laurent, que son scepticisme gauche comprend qu 'il n'a aucun talent, ce psyché des intellectuels est une des lignes de
et son indépendance rendent allergique à la que la droite, soulagée, approuve. C'est aussi moindre résistance des sociétés ouvertes. »
passion révolutionnaire (Au contraire). Les le souci de la patrie qui anime le refus Nous n'en avons pas fini avec la maladie.
militants désabusés deviennent des critiques inflexible, vigilant, de Jean Paulhan. Voyez De Si l'espoir mis dans l'utopie est bien atteint,
sans merci : Annie Kriegel (Ce que j'ai cru la paille et du grain, les notes signées Jean une scolastique marxiste de bas étage, mais
comprendre) ou Kostas Papaioannou ; son Guérin dans la NRF et, dès avant la guerre, la très commode, est toujours diffusée par l'Uni-
Idéologie froide est explosif simplement par correspondance. versité et les médias, et la censure fonctionne
les faits qu'il rappelle : Pierre Daix écrit en Voilà bien des chiens, pour parler comme bien. On aura encore besoin d'auteurs incor-
1949 Pourquoi David Rousset a inventé les Sartre. Il faut encore faire la place à trois rects.
camps soviétiques, Aragon nomme Staline auteurs. D'abord Roger Caillois (pourtant cir- G.L.
« le plus grand philosophe de tous les temps », conspect en politique) pour sa Description du Georges Laffiy vient de publier Montaigne,
etc. D'autres ont généreusement pardonné marxisme. Il ne peut admettre que des écrits libre et fidèle, Éditions Sainte-Madeleine.
l'imposture, mais n'est-ce pas que leur enga- du XIX' siècle fixent définitivement le savoir
(1) Sur Raymond Aron et quelques autres, on
gement tenait surtout au calcul ? humain. Il signale qu'une orthodoxie s'est
peut se reporter à l'ouvrage de Pierre Grémion,
Autres groupes réfractaires : celui de la créée, « elle porte sur les cadres même de la L'Intelligence de l'anticommunisme. Il s'agit de
Nation française avec Pierre Boutang (Les pensée ». Changement capital, le jour de 1947 1'histoire du Congrès pour la liberté de la culture.
Abeilles de Delphes), Philippe Ariès, Raoul où Jdanov donne un sens péjoratif au mot Présidé par Denis de Rougemont, son comité exé-
Girardet : la dernière génération formée par << objectivité » auquel il oppose la << partialité cutif réunit notamment Arthur Koestler, David
Maurras. Celui de la Fédération (Robert Aron, socialiste ». Dès lors vérité et objectivité sont Rousset, Raymond Aron, Carlo Schmid, Ignazio
Paul Sérant) où l'on est d'un même mouve- séparées. La science est servante du marxisme, Silone. (Fayard, 1995) .
"
RESISTANCE EN AME" RI QUE CENTRALE

Contras et sandinistes
PAR ALAIN SANDERS

Un vaste territoire, une vieille


dictature, quelques beaux restes
d'aristocratie coloniale espagno-
le, des Indiens en révolte contre
la domination des ladinos, des
ladinos en révolte contre la domi-
nation des Américains, et, bro-
chant sur le tout, le conflit Est et
Ouest. Sans compter la fausse
naïveté de l'intelligentsia occiden-
tale.

E
n Amérique centrale, et donc au Nica-
Photo prise en 1985 dans le nord du Nicaragua montrant un détachement de Contras. Soutenus au
ragua, les choses ne sont jamais
début par les États-Unis, ces partisans joueront un rôle déterminant dans la défaite sandiniste de 1990.
simples et il faut se garder de les juger
à l'aune des catégories politiques européennes.
Au temps de la guerre froide et au-delà, les métis et de Blancs, le Nicaragua n'est jamais et contre les ingérences américaines, un petit
États-Unis eurent tendance à taxer automati- parvenu à intégrer ou à soumettre les impor- Front sandiniste de salut national, soutenu par
quement de « communiste » tout mouvement tantes communautés d'Indiens caraïbes (Mis- Pedro Joaquin Chamorro (époux de l'actuelle
qui tentait d'échapper à leur lourde tutelle. Ici, kisto, Sumo et Rama), environ 100 000 per- présidente, Violeta Chamorro), directeur du
le nationalisme est nécessairement anti-améri- sonnes, qui se maintiennent sur la côte atlan- journal conservateur La Prensa. Son assassinat
cain (anti-yankee). Ce fut le cas du premier tique. en 1978, par les hommes de Somoza, entraîne
sandinisme, du nom d'Augusto Cesar Sandi- Au XVII' siècle, pour résister aux Espa- la formation d'un Front uni de l'opposition qui
no, leader historique du nationalisme ladino gnols, les Misquitos avaient recherché l'appui bénéficie aux sandinistes. Après des émeutes
(métis), assassiné en 1934 par Anastasio des Anglais qui favorisèrent la création d'un durement réprimées, Somoza s'enfuit en juillet
Somoza, chef de la garde nationale du Nicara- État indien indépendant. Ce territoire d'accès 1979, laissant la place à une junte dont font
gua. Installé au pouvoir par les Américains, difficile, couvert de forêts tropicales et de partie le sandiniste Daniel Ortega et la conser-
Somoza était le modèle de ces « présidents marécages, fut annexé par le Nicaragua en vatrice Violeta Chamorro.
dictateurs », soumis à la grande puissance du 1860 et devint une réserve indienne, la Miski- En quelques années, les communistes
nord, qui ne font pas de la justice sociale leur ta, bénéficiant d'une importante autonomie infiltrés au sein du mouvement sandiniste der-
préoccupation dominante. Il faut ajouter à cela administrative. rière Daniel Ortega prennent le contrôle du
des conflits ethniques ou raciaux pudiquement Telle était la situation à la fin des années mouvement et du pays, imposant une collecti-
camouflés, mais bien réels. Peuplé à 80 % de soixante-dix, quand se forme, contre Somoza visation agraire qui désorganise complètement
AS ET SANDINISTES

l'économie du Nicaragua. Refusant d'accepter


leur échec, les sandinistes rouges réagissent
comme le font toujours les communistes
depuis Lénine en de telles circonstances, par la
mise en place d'un système de terreur.
Au sein du mouvement sandiniste, les
authentiques nationalistes qui refusent cette
dérive vont entrer en dissidence. Le comman-
dant Eden Pastora, héros de la lutte contre
Somoza, prend le maquis et rejoint ceux que
l'on appelle les Contras (contre-révolution-
naires), soutenus dans un premier temps par la
CIA depuis le Honduras voisin. La lutte contre
le sandinisme communiste se développe aussi
dans la Miskita, dont les Indiens sont tradi-
tionnellement hostiles aux métis (ladinos) dont
le sandinisme est l'expression politique.
La guerre civile qui peu à peu s'étend,
déchirera le Nicaragua jusqu'en 1990.
Tout au long de cette longue guerre, les
sandino-communistes seront soutenus par la
propagande inconditionnelle de l' intelligentsia
européenne. Ils recevront aussi l'aide très
concrète de tous les pays du bloc communiste,
de l'URSS à Cuba.
Pour ne donner qu 'un seul exemple, pen-
dant le premier semestre 1987, plus de 16 000
tonnes de matériel militaire soviétique sont
déchargées dans les ports nicaraguayens.
Daniel Ortega, président communiste du Nicaragua, reçu en France en visite officielle, le 13 mai 1985, Outre les chars, des véhicules blindés, des
par le président François Mitterrand. A l'issue de l'entretien, il s'est félicité de << la compréhension » de hélicoptères d'attaque, l'URSS livre aux san-
la France qui lui fournit plusieurs hélicoptères de combat. dinistes, et ce, jusqu'en 1989, des canons anti-

«SENTIER LUMINEUX» AU PÉROU


LES SENDÉRISTES, DES STALINO-MAOÏSTES SANS PITIÉ
Le nom de " Sentier lumineux " vient d'une temps avant l'élection de Fernando Belaunde une coupure d'Est en Ouest, est totalement
maxime d'Abimael Guzman, autrement appelé Terry. démantelé par l'Infanterie de marine péruvienne.
" Camarade Gonzalo " : « Je veux suivre le Le but proclamé de la guérilla , dont les Méfiants à l'égard de l'URSS, du temps qu'elle
sentier lumineux de Jose Carlos Mariategui "· slogans ont longtemps été : " Vive la pensée de existait encore, les Sendéristes ont longtemps
Mariategui était le fondateur du Parti socialiste Mao Tsé Toung ,, " Vive la bande des Quatre de acheté des armes aux guérilleros colombiens,
péruvien. Shanghai,, est de conquérir le pouvoir à partir avec l'argen~ provenant de l'impôt prélevé sur le
Exclu du Parti communiste péruvien en 1964, des campagnes pour encercler les villes (1) et trafic de drogue à la frontière colombienne. Cette
Abimael Guzman Reynoso, ancien professeur de Instaurer la" pensée Gonzalo», sorte de complicité de circonstance avec la mafia de la
philosophie à l'université d'Ayacucho, est passé synthèse entre le maoïsme, le marxisme· drogue a valu au " Sentier lumineux , le nom de
à la lutte armée dans les Andes centrales en léninisme revisité, la pensée de Jose Carlos " narco-guérilla ".
1980. A ses côtés, dès cette époque, sa Mariategui (1894·1930). Au plus fort de leur puissance, les Sendéristes
compagne, la " camarade La Torre », pasionaria Pour arriver à leurs fins, les Sendéristes ne ont contrôlé jusqu'à 25 % du territoire péruvien.
sans pitié, et deux professeurs de l'université reculent devant aucun massacre. Hommes, Entièrement dirigé par des Blancs d'origine
San Cristobal de Huamanget, Morote Best et femmes, enfants, personne n'échappe à une espagnole le " Sentier lumineux •• n'a jamais pu
Julio Cesar Mezziche.Tous ont séjourné à Cuba justice expéditive qui ne néglige ni la torture ni rallier à lui les campesinos indiens.
ou en URSS dans les années soixante. Tous ont les actes les plus symboliquement barbares A.S.
commencé à travailler en semi·clandestins dans (comme de graver, à la machette, la faucille et le (1) Ce sont les conceptions mêmes du
la région d'Ayacucho à partir de 1970. Tons sont marteau sur le crâne des victimes). maoïsme : 1. guérilla rurale ; 2. insurrection dans
passés dans la clandestinité en 1978. Tous ont En mai 1983, le « Grand Plan " qui prévoit en les campagnes ; 3. encerclement des villes par
basculé dans la guérilla le 18 mai 1980, peu de trois ans la séparation du Pérou en deux, suivant les campagnes ; 4. insurrection dans les villes.

Il
CONTRAS ET SANDINISTES

LES ACTEURS AUGUSTO CESAR


SANDINO (1895-1934)
Anastasio Somoza chars de 85 et 100 mm qu'accompagnent des
Autoproclamé président du Nicaragua en dizaines de « conseillers militaires » pour
1936, le général Somoza (1896-1956) assurer la maintenance de 1'ensemble.
assurera ces fonctions jusqu'en 1956, après Pour tenter d'endiguer la guérilla contra,
une interruption relative de trois ans, de les sandinistes mettent sur pied la plus impor-
1947 à 1951. Soutenu par les États-Unis, tante armée jamais mobilisée en Amérique
s'appuyant sur la Garde nationale créée en centrale : 100 000 hommes de troupe (22
1920, cet ancien haut responsable du Parti bataillons se consacrant exclusivement à la
libéral sut s'attacher les conservateurs en lutte contre les Contras) renforcés par 50 000
multipliant les prébendes. Assassiné par hommes enrôlés dans les milices populaires.
l'extrême gauche en 1956, Anastasio Ces troupes sont équipées de blindés et de
Somoza fut remplacé par son fils, Anastasio
dizaines d' hélicoptères de combat.
Somoza Debayle, qui dirigea le pays de 1956
Malgré l'orientation totalitaire du pouvoir
à 1963. Son second fils, un autre Anastasio
sandiniste, l'opposition ne sera jamais totale-
Somoza Debayle, dit " Tachito "• devint
ment muselée. L'effritement du bloc sovié-
président de la République le 5 février 1967.
tique n'est pas non plus étranger à l'organisa-
Il fut renversé par les sandinistes en 1979.
tion en 1990 d'élections relativement libres
Fils d'un propriétaire terrien, Augusto
que remportera l'opposition dirigée par Viole-
Daniel Ortega Cesar Sandino, d'abord technicien (1926-
ta Chamorro, directrice de La Prensa.
1927) dans la zone pétrolière de Tampico
Né à La Libertad en 1945, Daniel Ortega
(Mexique), se forme au contact des anarcho-
rejoint le Front sandiniste de libération Les responsabilités des syndicalistes mexicains.
nationale en 1963. Après avoir été arrêté en
19671ors de l'attaque d'une banque de
mouvements chrétiens De retour au Nicaragua, il est directement
impliqué dans l'insurrection des " libéraux "
Managua, il s'exile à Cuba. Après le coup
La défaite électorale du Front sandiniste de de Juan Bautista Sacasa contre le
d'État sandiniste de juillet 1979, Ortega est
libération nationale, le 25 février 1990, a permis gouvernement en place (1926-1927). Cette
nommé coordinateur de la Junte de
non seulement de délier les langues des popula- Insurrection provoque l'intervention militaire
gouvernement. Lors des élections
tions tenues, des années durant, sous la terreur des Américains qui occupent le pays depuis
présidentielles et législatives de 1984, que
mais de démontrer comment pendant dix ans, 1912. Réfugié dans la sierra, traqué par la
l'on a dit truquées, Ortega est élu président
des organisations « humanitaires » comme Garde nationale nicaraguayenne et les
de la République et entraîne dès lors le pays
Amnesty International, par exemple, avaient Marines US, Sandino ne cesse la lutte qu'en
dans une dictature sandino-communiste.
Très affaibli par les contras du FON (Front non seulement fermé les yeux sur les massacres 1933, après l'évacuation des troupes
démocratique nicaraguayen), Ortega sera en masse perpétrés par les sandinistes, mais américaines.
contraint d'accepter des élections encore mené campagne contre de prétendues Il est assassiné en 1934, alors qu'il
démocratiques en 1990. Battu par Violeta exactions commises par les Contras. participe à des négociations de paix, sur
Chamorro, il prendra le poste de secrétaire Après la défaite électorale des sandinistes, ordre d'Anastasio Somoza.
général du FSLN, imposant néanmoins au certains journaux français, qui avaient pourtant
nouveau gouvernement plusieurs largement contribué à la glorification du régi-
« contre-révolutionnaires », un ancien militant
sandinistes. me de Managua et à l'exécration des Contras,
commencèrent de « découvrir » ce que tout le sandiniste des années soixante, Antonio Ybar-
monde savait depuis des années. A savoir que ra, alors mini stre adjoint de Violeta Chamorro,
Violeta Chamorro
les sandinistes avaient mené, à la communiste, résuma en quelques mots la désinformation
Après des études aux USA, elle épouse, des années précédentes : « Ce serait une
une guerre d'extermination contre les popula-
en 1950, Pedro Joaquin Chamorro Cardenal, excellente occasion pour évaluer les responsa-
patron à partir de 1952 du journal
tions qui leur étaient réfractaires.
En juin 1991, le journal Le Monde écrira: bilités de la gauche européenne et des mouve-
conservateur La Prensa. Sous son influence,
« Malgré la censure et la propagande particu- ments chrétiens qui s' intéressaient unique-
ce journal deviendra le fer de lance de
lièrement efficace déployée par les sandinistes ment aux crimes de Pinochet. Tous sont restés
l'opposition au clan Somoza. Exilée avec
à travers les innombrables "comités de soli- silencieux face aux massacres des Miskitos et
son mari en 1957, Violeta Chamorro rentre
darité" créés à /' étranger, on savait [NDLR : aux multiples crimes commis par les sandi-
au pays en 1960. Son mari assassiné en
« on » savait, mais on ne disait rien ... ] depuis nistes qu' ils ont préféré qualifier d' "erreurs
1978, elle jouera un rôle important dans la
chute de Somoza. En 1979, dénonçant quelques années qu'il se passait des choses de jeunesse" ».
l'orientation de plus en plus communiste du graves dans les zones de conflit (près des deux Pendant près de quatre ans, depuis leurs
régime sandiniste, elle démissionnera. tiers du territoire) et dans les nombreuses pri- sanctuaires du Honduras, et s'infi ltrant au
En février 1990, placée à la tête d'une sons souvent clandestines, de la Sûreté de cœur même du dispositif sandiniste, les com-
coalition d'opposition, elle remporte une l'État que la Croix-Rouge internationale n'a battants de la Contra avaient maintenu
large victoire et s'installe à la présidence de jamais réussi à visiter ». l'espoir, contribuant de façon décisive à la vic-
la République. En 1991 , quand on commença d'ouvrir les toire de 1990.
chamiers où avaient été jetés des centaines de A.S.

Il
mstoire romaine, Valois qui n'hésite pas, au nom de la
textes et documents
par Y ann Le Bohec

Spécialiste de l'armée de la Rome


impériale et auteur, en collaboration
Livres lutte contre les Habsbourgs, à
prendre fait et cause pour les pires
ennemis le la Chrétienté. C'est cette
<< histoire étouffée >>de la complicité
de fait entre François l" et Soliman
qui retient surtout l'attention de Jean
avec Marcel Le Glay et Jean-Louis
Dumont, qui n'est pas tendre pour un
Voisin, d'une Histoire romaine
souverain qui laissait hiverner à
devenue un classique (PUF), Yann
Toulon la flotte ottomane. Le trait est
Le Bohec entreprend dans ce gros
parfois un peu forcé, mais la
ouvrage d'illustrer l'histoire de
démarche est stimulante et cette
l'Urbs et de son empire en nous
analyse de la politique française d'il
présentant plus de trois cents textes
y a quatre siècles se lit comme un
soigneusement sélectionnés pour
roman.
nous fournir un panorama complet de
Critérion. 254 pages, 11 0 F.
l'aventure romaine dans ses aspects Ph. C.
les plus divers. Des passages de Tite-
Live relatifs aux origines de la Cité
aux portraits que Plutarque nous a
Les Médicis
faits de Marius et de Sylla, des par Pierre Antonetti
témoignages présentant divers
aspects de la vie quotidienne aux Le nom des Médicis est, pour les
documents que recèle le Corpus Frédéric Barberousse, noyant accidentellement alors qu'il Français, associé à deux reines. Deux
1nscriptionum Latinarum, c'est-à-dire une épopée était en route pour la troisième papes 1' ont également illustré. Ce
une approche très diversifiée des croisade. petit volume de la collection Que
du Moyen Âge
sources de 1'histoire romaine que Tallandier. 272 pages, 125 F. sais-je ? entend retracer 1'histoire de
par Ivan Gobry Ph.C. la famille qui régna pendant trois
nous convie l'auteur. Destiné en
priorité aux étudiants, un tel ouvrage siècles sur Florence, en s'attachant
Marcel Pacaut a publié, il y a déjà Lépante, certes à ses figures de proue, mais
n'en présente pas moins un intérêt
trente ans, une excellente biographie sans négliger non plus des
évident pour tous ceux qui demeurent l'histoire étouffée
de Frédéric Barberousse qui est personnages comme Côme 1'Ancien
attachés à notre héritage antique et à par Jean Dmnont
malheureusement indisponible ni le rôle de mécène que tous surent
la culture latine. Il présente de ce
depuis longtemps. C'est dire l'intérêt remplir. En annexe, l'auteur évoque
point de vue l'immense avantage de Spécialiste de 1'histoire de
que présente cet ouvrage consacré à la banque Médicis et le trésor des
nous révéler des auteurs et des 1'Espagne du XVI' siècle, Jean
l'une des figures centrales du Moyen Médicis.
aspects du passé romain peu connus Dumont- qui a publié en 1995 La
Âge germanique et européen. PUF. 128 pages, 42 F.
de ceux qui n'ont pratiqué que les vraie controverse de Valladolid, un
Empereur passé au rang de mythe V.T.
<< classiques >> les plus familiers . ouvrage majeur- se penche
PUF. 590 pages, 149 F.
national, Frédéric l" (1122-1190),
aujourd'hui sur les implications
Ph. C. devenu roi de Germanie en 1152 et L'historien, le chiffre
internationales de l'affrontement
sacré empereur trois ans plus tard, ce et le texte
entre Chrétiens et Ottomans au cours
Dictionnaire souverain souabe sera 1'un des par Emmanuel Le Roy
du siècle de Charles Quint et de
principaux acteurs de la lutte
des mythologies Philippe II. Il nous rappelle ce que Ladurie
séculaire du Sacerdoce et de
indo-européennes représentait alors pour la Chrétienté
1'Empire. Il tentera vainement
par Jean Vertemont la formidable menace turque, après A travers plus d' une vingtaine
d'imposer sa volonté à la papauté et les succès foudroyants remportés du d'études étincelantes sur des sujets
aux communes italiennes regroupées XIV' au XVI' siècle par les sultans
Malgré les travaux importants de aussi divers que les vendanges en
au sein de la Ligue lombarde avant ottomans. Les noms de Kossovo,
Georges Dumézil, jamais aucun France au XV' siècle ou la
de disparaître en Asie mineure en se Nicopolis, Varna, Constantinople,
dictionnaire français portant sur les révocation de l'édit de Nantes, une
peuples issus de la matrice indo- Rhodes, Mohacs sonnaient alors leçon méthodologique. L'apport des
européenne n'était paru à ce jour. Ce Ivan Gobry comme le glas de l'Europe chiffres, notamment des statistiques,
manque est aujourd'hui comblé. chrétienne, comme la promesse de à la science historique, en
Avec plus de 3 800 entrées, des l'établissement prochain du pouvoir complément du texte, qui fut
tableaux, des cartes et un thesaurus, universel promis à Soliman le toujours le matériau primordial de
ce passionnant et volumineux Magnifique ou à ses successeurs. l' historien. A noter l'étude sur les
dictionnaire couvre l'ensemble du Déjà, le Grand Seigneur avait poussé langues périphérique au cœur
domaine religieux (allégories, ses armées jusque sous les murs de français . Le fort volume
mythes, symboles, dieux, héros, Vienne. Face au danger, les armées d'hommages à Emmanuel Le Roy
légendes, etc.) des Indo-Européens : de Charles Quint, les flottes de Ladurie (L'histoire grande ouverte)
Grecs, Latins, Celtes, Gaulois, Philippe II, les chevaliers de Malte, publié simultanément par le même
Germains, Scandinaves, Baltes, les galères de Venise et du pape. A éditeur, avec les contributions d'une
Scythes, Iraniens, Slaves et Indiens. Lépante, le 7 octobre 1571 , les soixantaine d'historiens, ne prétend
Pour renouer avec notre plus hommes de don Juan d'Autriche pas à la même homogénéité, mais il
ancienne mémoire, sa lecture est auront raison de la ruée ennemie offre un panorama révélateur de
vraiment indispensable. mais, lors de ce combat, on ne peut 1'historiographie actuelle.
Faits et Documents. 214 pages, 365 F. que constater 1'absence de la << fille Fayard, 497 pages, 180 F.
A. G.-J aînée de 1'Église >>, la France des Ch. V.
LIVR

Chronique Quand nos ancêtres fixaient défmitivement à des lieues de d'un renouveau possible entre un
du règne partaient leur village natal. Il cite aussi le cas fédéralisme authentique qui institue
de Basques qui ont fait souche dans la la diversité dans l'unité face à l'État-
de Louis XIV pour t~aventure
pampa argentine, de Corses installés à nation jacobin, et un socialisme
de la fin de la Fronde par Jean-Lonis Beaucarnot
Porto-Rico, d'habitants de révolutionnaire en rupture avec un
à l'aube des Lumières Barcelonnette qui ont fait fortune au capitalisme inhumain et un
par Joël Cornette Nos ancêtres n'étaient pas tous Mexique ... marxisme niveleur. A travers les
sédentaires. Certains, à pied, à cheval, Lattès. 344 pages, 129 F. pages de ces livres, on se dépouille
Le règne de Louis XIV a été le en chariot, parcouraient même de très V.T. des préjugés de l'économie politique
plus long de toute l'histoire de longues distances. Jean-Louis libérale. Proudhon n'écrit-il pas
France. Il est aussi 1'un des plus Beaucarnot évoque ces légions de Idées révolutionnaires justement avec pertinence dans ses
connus. Cette << chronique >> le maçons originaires de la Creuse, de Confessions d'un révolutionnaire
(1848). Les confessions
restitue chronologiquement par taupiers de l'Orne, de colporteurs ( 1849) : « Il faut avoir vécu dans cet
d~ révolutionnaire
tableaux successifs. Les événements dauphinois, de ramoneurs savoyards, isoloir qu'on appelle une Assemblée
tant militaires, politiques, sociaux, de porteurs d'eau aveyronnais, de (1849). Du principe nationale, pour concevoir comment
qu 'artistiques qui 1'ont marqué sont scieurs de long foréziens, de bougnats fédératif (1863) les hommes qui ignorent le plus
indiqués année par année. auvergnats ... qui, au siècle dernier, par Pierre-Joseph Proudhon complètement l'état d'un pays sont
Certains faits, et les personnages qui partaient louer leurs services pour la presque toujours ceux qui le
en ont été les acteurs, ou les débats saison, reprenaient le chemin au gré La réédition de ces trois grands représentent >>. A noter: un index
qu'ils ont suscités, sont évoqués des offres d'embauche, et paifois se livres de Proudhon marque l'histoire des noms qui aide à se repérer et se
plus amplement : ainsi de la familiariser avec certains
révocation de l'édit de Nantes, de personnages du XIX' siècle.
Colbert, de Mazarin ... Les artistes Histoire du Rwand~ Éditions Tops- H. Trinquier (12, Rue René
aussi sont mentionnés et des extraits de la Préhistoire à nos jours Morin 92160 Antony). 288 pages, 117 F,
par Bernard Lugan chaque.
de leurs œuvres permettent
A.G.-J
d'illustrer l'époque. Parfois Après avoir << remis à disparaître sa monarchie sacrée
s'ajoutent des témoignages de l'endroit >>l'histoire de l'Afrique et quand le représentant local de
contemporains. La capture. De Gaulle
dénoncé les escroqueries et les 1'Église catholique imposera la
Sedes. 578 pages, 158 F. à Douaumont~ 2 mars
impasses de la<< recolonisation destitution du roi Musinga,
M. M.
humanitaire>>, Bernard Lugan s'est remplacé par un souverain plus 1916
penché tout naturellement sur un docile. Favorable aux dominants par Yves Amiot
Enquête petit pays africain qui, depuis le tutsi, l'Église et l'autorité belge
sur le satanisme : génocide perpétré en 1994, occupe gouverneront le pays sans Voici l'étude la plus complète
satanistes et régulièrement le premier plan de problème jusqu'aux armées 1950. consacrée à l'épisode Je moins connu
antisatanistes l'actualité. L'auteur, qui a vécu et A ce moment, les perspectives de l'existence d'un homme très
enseigné au Rwanda pendant de d'une fm prochaine de la tutelle célèbre. Cette étude méthodique et
du XVD" siècle très sérieusement documentée fera
nombreuses années, maîtrise belge amènent la puissance
à nos jours grincer bien des dents. Elle réjouira
admirablement son sujet et rend coloniale et 1'Église à jouer la carte
par Massimo lntrovigne ceux qui n'aiment pas Je général de
intelligibles aux lecteurs les du nombre, c'est-à-dire de la
arcanes d'une histoire a priori bien majorité hutu, les Tutsi devenant Gaulle. Mais au-delà des irritations
Considéré comme l'un des peu familière. Les relations entre désormais, selon les circonstances, ou des satisfactions, elle rendra
meilleurs spécialistes des religions, Tutsi et Hutu en sortent des << féodaux » ou des service à la connaissance historique.
Massimo Introvigne nous livre un singulièrement éclairées et «communistes >>. Comme on Ulysse, 91, rue Bernard-Adour, 33200
ouvrage d'une érudition fantastique, Bordeaux, 184 pages.
1'ouvrage apparaît même tout à fait pouvait le prévoir, l'indépendance,
d'une lucidité étonnante et d'une Ch. V.
novateur quand il nous expose les en livrant le pays aux plus
lecture agréable. Il se singularise en conditions de la mise en place des nombreux, entrama le massacre ou
ce qu'il conteste à la fois le peuples et les étapes d'une l'exil des anciens maîtres du pays, Cent ans d~histoire
satanisme contenu dans la coexistence qui aboutira, vers le dont les enfants, élevés en Ouganda des jardins ouvriers
modernité et l'antisatanisme XIV' siècle, à la naissance de l'un viennent de prendre, depuis 1994, ouvrage collectif, sous la
fondamentaliste, le reductio ad des rares véritables États apparus une éclatante revanche, différée de direction de Philippe
satanum, qui en est le corollaire. A dans 1'espace africain. Royaume de quelques armées du fait de Piersou
force de voir Satan partout, on ne le la lance et de la vache dominé par 1'intervention intempestive d'une
voit plus nulle part. Introvigne dont les lignées tutsi rassemblées autour France manifestement étrangère Fondé il y a un siècle par l'abbé
1'approche est socio-historique, du clan royal Nyiginya, le Rwanda, aux réalités de l'Afrique orientale. Lemire, député atypique, catholique
analyse ce qu 'il appelle la isolé sur les hautes terres de la Tout cela est magistralement social et disciple de Le Play, le
« subculture sataniste » dont les crête séparant les bassins du Congo expliqué par Bernard Lugan, qui mouvement des jardins ouvriers et
mystificateurs dangereux, Léo et du Nil, échappera aux ravages possède le rare mérite de rendre familiaux est aujourd'hui bien
Taxi!, Huysmans, Aleister de la traite musulmane organisée à vivants les débats d'érudits et les vivant. La crise urbaine lui redonne
Crowley, Maria de Naglowska, etc. partir de Zanzibar et il faudra événements les plus complexes. une nouvelle vigueur. L'ouvrage
sont les figures emblématiques, avec attendre 1892 pour qu'un Son livre fournit ainsi toutes les retrace le passé et le présent d'un
des nuances bien entendu. A noter Européen y pénètre. Territoire clés nécessaires à l'analyse et à la élément essentiel de la culture
1'excellente traduction de Philippe rattaché à 1'Afrique orientale compréhension des tragédies qui se populaire française.
Baillet, ainsi que le toujours utile et allemande puis placé par la SDN déroulent aujourd'hui en Afrique Ligue du coin de terre (11, rue Desprez
précieux index des noms figurant à sous mandat de la Belgique au centrale. 75014 Paris). 220 pages, nombreuses
la fin . lendemain de la Première Guerre Éditions Bartillat. 608 pages, 170 F. photos, 195 F (port compris). Règlement à
Dervy. 413 pages, 198 F. mondiale, Je Rwanda verra de fait PHILIPPE CONRAD l'ordre de Créaphis.
A.G.-J V.T.
TOUT EN QUELQUES LIGNES

Qu'est-ce que les Lumières ? d'Occident. Professeur à Chicago, victime des préjugés universalistes France des moyens matériels de sa
par Alphonse Dupront (Folio Morissey montre comment le et européocentristes des Lumières, défense. Ce polytechnicien, homme
histoire, 448 pages, 66 F). Préfacé souvenir magnifié alimenta les quand il croit discerner dans des chemins de fer et jacobin de
par François Furet, cet inédit résume projets les plus contradictoires. 1'histoire des peuples et des cultures conviction fut après la guerre le
les recherches du Dupront sur le Jacques Cœur, par Jacques différentes un << ordre éternel » et fondateur du Commissariat à
grand passage de la religion à Heers (Perrin, 282 pages, 138 F). des << lois fondamentales » l'énergie atomique.
l'idéologie dans un monde Grand marchand et grand argentier applicables à tous les hommes et à L'envers du Jour J, le guet-
désenchantée où 1'homme se toutes les sociétés ?
de Charles VII, brisé soudain par la apens américain, par Daniel
substitue à Dieu. À lire en parallèle
disgrâce royale, Jacques Cœur ne fut Histoire de la Russie et de son Pierrejean (Presses de la Cité, 351
avec Taine et Les origines de la
pas, comme on le croit souvent, une empire, par Michel Helier (Plon, pages, 120 F). Comment les États-
France contemporaines.
préfiguration des hommes d'affaires 986 pages, 198 F). Mille ans Unis avaient préparé l'occupation de
Le tsar Paul/", la puissance et des temps modernes. Cette d'histoire russe. Comment l'univers la France en 1944 et sa soumission à
la peur, par Paul Mourousy (Le biographie exemplaire montre qu 'il des steppes devint 1'empire 1'AMGOT (administration des
Rocher, 348 pages, 145 F). ll vécut fut un grand commis de la multinational des tsars. De la territoires occupés) et comment le
dans la hantise d'être assassiné, Couronne, dont les affaires étaient décadence de la royauté de Kiev à la général de Gaulle et ses premiers
comme l'avait été son père, Pierre III, des monopoles d'État. Plus qu'un domination imprévue de Moscou, << préfets >> mirent en échec ce projet
lorsque Catherine la Grande capitaliste privé, un habile politique. 1'influence de Byzance, la lutte destructeur de l'indépendance
s'empara du trône. Après avoir
Les ambitions de l'histoire, par contre les Tartars, la violence et la nationale.
incarné l'une des figures les plus
Fernand Braudel (de Fallois, 529 démesure. A l'exemple de Les FFI du Languedoc-
surprenantes de despote éclairé, il
pages, !50 F). Deuxième volume Soljenitsyne, Michel Helier Roussillon dans l'armée de la
sera bel et bien tué en 1801 , victime
d' un complot dans lequel son des inédits du grand historien. Des s'insurge contre 1'interprétation Libération, sous la direction
héritier, Alexandre l", avait sans réflexions profondes, libres, occidentale qui ferait du d'André Souyris-Rolland (Preal,
doute trempé. originales, stimulantes sur bolchevisme la conclusion naturelle 23, rue Voltaire, 94110 Arcueil, 256
l'économie en histoire, de l'histoire russe. pages, 173 F). Actes d'un colloque
Athènes, des origines à 338 av.
1'impérialisme, 1'esprit des Poincaré, l'acharné de la consacré au contexte mal connu de
J.-C., par Christian Bonnet (Que
civilisations, l'explication du présent politique, par Daniel Amson la création des unités FFI de la
Sais-je?, 128 pages, 42 F). Analyse
par le passé, l'histoire sociale, (Tallandier, 432 pages, 130 F). On région R3, parmi lesquelles les
du modèle athénien du VIII' au IV'
1' autonomie de 1'État, etc. connaît Je mot féroce opposant les anciens des Chantiers de la jeunesse
siècle. Ascension, apogée, puis
déclin sanctionné par sa défaite de Histoire de la révolution deux grands adversaires que furent jouèrent un rôle habituellement
Chéronée (- 338) devant la phalange d'Angleterre, par François Guiwt Briand (l'homme de la paix) et occulté. Une étude précise sur
macédonienne. Importance de la (Bouquins/Laffont, 1 200 pages, Poincaré (l'homme de la guerre). l'origine des volontaires, la
polis (la cité est la communauté des 159 F). Avant d'être un homme Poincaré « sait tout et ne comprend composition des unités, leur rôle
politaz} dans le monde grec ancien. politique doué et un ministre de la rien », tandis que Briand « ne sait dans les combats de la Libération.
Mais n'y a-t-il pas confusion sur le monarchie de Juillet, Guizot avait été rien et comprend tout »... La Chants pour mon fils Pierre,
mot démocratie appliqué grand historien, ce dont témoigne nouvelle biographie de Daniel tombé à Diên Biên Phu, par
indifféremment à la cité cette Histoire publiée initialement en Am son s'inscrit en faux contre ces Suzanne Paulot (BS Éditions, 23
aristocratique et communautaire des 1826. Ouvrage érudit, récit bien images faciles, tout en soulignant la rue du Parlement, 36200 Saint
Hellènes, comme aux sociétés tourné, c'est aussi une réflexion rigidité d'une personnalité hostile à Marcel/Argenton-sur-Creuse, 80
occidentales de masse du XX' toujours actuelle sur le gouvernement toute réconciliation avec pages, 80 F). Engagé volontaire en
siècle? représentatif tel qu'il se dessine après l'Allemagne après 1918. 1945, breveté parachutiste en 1947,
La grande épopée des Celtes. les révolutions de 1640 et de 1688. i Arriba Espana !, par Alain après un premier séjour en Indo,
Les conquérants de l'île verte, par Le chevalier de Folard, par Sanders (Godefroy de Bouillon, Pierre Paulot partit combattre en
Jean Markale (Pygmalion/Gérard Jean Chagniot (L'Art de la guerre, 176 pages, 120 F). La naissance et le Corée, puis encore en Indo, jusqu'à
Watelet, 324 pages, 120 F). Quand Rocher, 300 pages, 165 F). développement de la Phalange Diên Biên Phu où il disparut. Voici
les anciens druides irlandais se firent Biographie intellectuelle d'un des espagnole, la personnalité de son les poèmes écrits par sa mère pour
moines, vers le VII' siècle, pour deux grands théoriciens français du chef, Jose-Antonio Primo de Rivera, se libérer de sa douleur. Se lisent le
sauver l'héritage du paganisme sous temps des Lumières. Un homme de les échéances imposées par Je destin, cœur serré, comme un chant
les apparences chrétiennes. guerre qui était aussi un homme la guerre civile, la fusion avec les désespéré auquel la poésie donne le
L'aventure primordiale de la d'esprit. Le xx· siècle en fut moins autres mouvements imposée par son de l'espérance.
civilisation fondatrice d'Occident, prodigue que le XVIII', dont on Franco, l'héritage enfin. Plusieurs La vraie bataille d'Alger. Le
celle des poètes, des guerriers et des redécouvre ici les séductions. pages sont consacrées à 1'histoire torrent et la digue. Mémoires du
fées. La vraie révolution, par Louis de mal connue des volontaires général Massu (2 volumes, Rocher,
Charlemagne dans la Bonald (Éd. Clovis, 224 pages, irlandais, français et portugais qui 400 pages, cahiers photos, 139 F le
mythologie et l'histoire de France, 98 F). Auteur d'une admirative combattirent dans les rangs volume). Deux volumes de
par Robert Morissey (Gallimard, biographie de Bonald (voir ESH nationalistes pendant la guerre souvenirs sur la guerre d'Algérie, de
437 pages, 195 F). A partir des n° 21), Michel Toda réédite ce d'Espagne. 1956 à 1960. Tout est dit dans les
traces écrites des archives et des pamphlet lapidaire et ironique dans Raoul Dautry, par Vladimir titres. On n'apprend rien de ce qu 'on
témoignages iconographiques, une lequel le théoricien catholique de la Halpérin (Fayard, 304 pages, 150 F). savait déjà, sinon que 1'âge et le
analyse stimulante des « messages >> contre-révolution écrasait Mme de Biographie du ministre de temps n'ont pas bonifié les facultés
multiples portées d'âge en âge par la Staël sous le poids de son ironie. l'Armement de 1939, dont on sait mentales d'un des plus célèbres
figure complexe du grand empereur Mais le théoricien n'est-il pas les efforts pour doter (trop tard) la généraux parachutistes .
LIVRE

Jean Mermoz Julius Evola Franco


par Michel Marmin sous la direction d'Arnaud par Philippe Conrad
Guyot-Jeannin
C'est l'une des figures les plus «Peu d'hommes ont suscité, au sinon davantage que l'égoïsme
fameuses de l'aventure Un riche dossier consacré à la cours du XX• siècle, des jugements réactionnaire et le conservatisme
aéronautique, disparue au sommet forte personnalité d'Evola et à sa aussi contradictoires que frileux de la droite. Si en 1939, le
de sa gloire en décembre 1936, que pensée. Des contributions très Francisco Franco >>, souligne modèle politique défendu par le
fait revivre pour nous Michel diverses (Marguerite Yourcenar, Philippe Conrad dans sa récente président du gouvernement,
Marmin. Trente ans après la célèbre Julien Freund, Gottfried Benn, biographie illustrée du Caudillo. Negrin, s'était imposé, l'Espagne
biographie que Joseph Kessel a Philippe Baillet, etc.) et parfois Fossoyeur de la démocratie, serait aujourd'hui dans l'état de
consacrée à l'aviateur, l'ouvrage critiques (sur les erreurs dictateur sanglant, responsable 1' Albanie ou de la Yougoslavie.
que nous proposent les éditions d'interprétation de la romanité d'une guerre fratricide, maniaque En second lieu, grâce à sa
Chronique vaut par la précision antique). Quelle que soit de la répression, brute galonnée ... proverbiale prudence de Galicien
factuelle qu'implique la formule 1'importance évidente de 1'idée de ou héros du Maroc, plus jeune (reconnue par Churchill et
retenue- des textes courts << Tradition » chez le philosophe
général d'Europe, sauveur de la Roosevelt), Franco sut épargner à
présentant chaque épisode, chaque italien, celle-ci est loin de résumer république en 1934, défenseur de son pays les horreurs de la Seconde
moment particulier de 1'existence de son œuvre. Dans la mesure où elle la Chrétienté et de la civilisation en Guerre mondiale. Les divisions
Mermoz - mais, surtout, par introduit le << non humain » au cœur 1936, modèle de religiosité, de motorisées de l'Allemagne
1'exceptionnelle richesse de la de la philosophie de 1'histoire, elle probité et d'austérité ... mais qui nationale-socialiste triomphante
documentation photographique qui était donc Francisco Franco ? n'auraient fait qu'une bouchée
en constitue la pan la plus facilement
accompagne le propos de l'auteur, Le Caudillo d'Espagne, on le d'une Année rouge espagnole.
discutable. Ce qui est dit de
manifestement séduit par le célèbre sait, ne fut ni un penseur ni un L'Espagne traversée en trombe, le
l'opposition entre Evola et Guénon
aviateur. Outre l'aventure idéologue. Inutile donc de chercher détroit de Gibraltar franchi, la
montre cependant qu 'Evola prenait
fulgurante du héros de 1'Atlantique la moindre conception originale de pénétration des armées du Reich en
ses distances avec l'universalisme
sud et des Andes, le livre vaut aussi 1'État ou de la société dans ses Afrique du Nord devenait
des traditionalistes. On lira avec
par sa mise en situation dans son écrits ou dans ses discours. inévitable. En troisième lieu, et
intérêt tout ce qui est dit de l'étude
époque, par la reconstitution Néanmoins, les courants de pensée c'est, comme l'écrit justement
des mythes chez Evola et de sa qui l'inspirèrent furent nombreux et
minutieuse de ce qu'était le milieu Philippe Conrad, << le plus grand
" métaphysique des sexes>> (une divers. On doit surtout citer : le
aéronautique de ces années trente, service que Franco a rendu à
femme parfaitement féminine est régénérationisme de Joaquin Costa,
qui étaient encore celles des /'Espagne ... >>, le pays s'est
supérieure à un homme le catholicisme de Menendez
pionniers, par 1'évocation, enfin, complètement transformé et les
imparfaitement masculin). Une Pelayo, 1'hispanisme de Maeztu, le
d'un contexte politique auquel conditions d'une monarchie et d'une
longue lettre destinée à Georges monarchisme de 1'Action
Mermoz, très proche des Croix-de- démocratie libérales enfm viables
Almirante prouve une fermeté de espagnole, l'organicisme social du
Feu du colonel de La Rocque n'était ont été établies. L'Espagne rurale
convictions dans 1'ordre politique libéral Madariaga, le devint majoritairement urbaine. Le
pas étranger. plus vive qu'on ne l'imaginait. Dans
Éditions Chronique-Jacques Legrand. 128 traditionalisme carliste de Pradera, prolétariat se transforma en classes
son ensemble, l'œuvre apparaît le national-syndicalisme de Jose- moyennes. La révolution industrielle
pages, près de 300 photos.
Ph.C. comme un guide pour l'action et une Antonio, les encycliques et la modernisation, désirées et
ascèse vers le haut qui tire sa force pontificales de Léon XIII et Pie Xl, rêvées par beaucoup depuis plus
La Course à l'abîme de la cohérence entre les idées le nationalisme économique de d'un siècle, devinrent des réalités.
affirmées et l'existence vécue. Cloué Keynes, le protectionnisme des En 1975, l'Espagne était la 9'
par Alain Decaux
pendant des années sur son lit de professeurs socialistes du groupe puissance industrielle de la planète.
souffrances, Evola ne cessa de se d'Oviedo, enfin, dans les armées Elle rétrocéda par la suite en raison
Il s'agit du deuxième volume de
vouloir spirituellement un guerrier, soixante, le technocratisme des de la concurrence agressive des pays
la série C'était le xx· siècle que supportant la paralysie avec économistes libre-échangistes de asiatiques mais elle figure encore
l'académicien consacre à notre
stoïcisme et appliquant la devise : l'Opus Dei. Cela dit, Franco ne parmi les vingt premières. On peut
histoire récente. Le premier couvrait
"Être à soi-même sa propre loi >> . s'inscrivit jamais dans aucun de ces bien sûr affirmer qu'un autre
la période 1905-1932. La Course à Les Dossiers H. L'Âge d'homme. 270 pages courants de pensée. Sa position fut système aurait fait beaucoup mieux
l'abîme s'inscrit dans son grand format, 220 F. celle d'un arbitre. Et cette attitude
prolongement immédiat, et relate une et plus vite. Mais c'est là une
D. V. explique largement sa longévité.
dizaine d'épisodes qui ont marqué hypothèse fondée sur des << si » dont
Que reste-t-il du Caudillo au ni l'histoire ni les historiens ne
l'avant-guerre. C'est, dans notre Vichy contre regard de 1'histoire? En premier
pa ys, l'émeute place de la Concorde tiennent compte. Refusant la facilité
Mounier: lieu, il reste une victoire militaire de 1'exagération pour la bonne
du 6 février 1934, précédé un mois qui permit à 1'Espagne de
les non-conformistes cause, Philippe Conrad apporte dans
plus tôt de la scandaleuse affaire demeurer à l'intérieur du camp
face aux années 40 son Franco des réponses pondérées
Stavisky -ou encore, le 9 octobre de occidental. On ne peut bien
par Michel Berges et nuancées qni tranchent avec les
la même année, l'assassinat à comprendre l'échec de la lieux communs et les contrevérités
Marseille du roi Alexandre de République espagnole, le
Né de la découverte d'archives dont se délecte tant le prêt-à-penser
Yougoslavie. C'est, en Espagne, le soulèvement et la guerre civile
policières datant de 1941, cet ouvrage médiatique. Son livre a en outre le
bombardement de Guernica. En sans rappeler la bolchevisation du
fait le point sur l'engagement grand mérite de rassembler la
Allemagne, la Nuit des longs parti socialiste, la progression
d'Emmanuel Mounier sous Vichy. collection de documents
couteaux. À Moscou, 1'assassinat de inéluctable du communisme, les
Mais au-delà du cas du fondateur photographiques la plus complète et
Kirov, suivi du brutal limogeage de persécutions religieuses, la haine,
personnaliste de la revue Esprit, ~'est la plus importante jamais publiée en
Toukhatchevski qui donna le signal la violence et le sectarisme de la
toute la politique culturelle de 1'Etat France sur le sujet.
de la purge opérée par Staline au sein gauche qui, dans le déclenchement Éditions Chronique-Jacques Legrand. 128
de 1'Armée rouge. français de 1940 à 1942 qui est et le développement de la tragédie, pages, près de 300 photos.
Perrin. 327 pages, 128 F. analysée. Un projecteur particulier furent tout aussi responsables, ARNAUD !MATZ
V.T. est braqué sur 1'association Jeune
France dirigée par Pierre Schaeffer. Danse avec le Siècle FNAC. Accompagnons-en donc les Darlan parce qu'elles pourraient
Préfacée par Jean-Louis Loubet Del par Stéphane Hessel vives cabrioles pour savoir comment conduire la marine française de leur
Bayle, cette étude poursuit l'enquête se confectionne un succès littéraire côté. L'auteur s'en scandalise
pionnière sur Les non-conformistes dans notre pays, en cette fm de siècle. vertueusement. Il ne trouve rien
Pendant quelques semaines, cette L'auteur commence par mêler d'autre à dire sur l'un des meilleurs,
des années 30 (Jeune droite, l'Ordre
nouveau, Esprit, etc.). Danse avec le Siècle de quelques contre-mesures à ses et même des plus généreux esprits de
Economica. 406 pages, 200 F. l'ambassadeur Stéphane Hesse! figura entrechats. En notre si singulière notre temps. Cette hargne dissimule
A.G.-J parmi les meilleures ventes à la époque, nul ne s'en apercevra ou probablement une affaire personnelle
elles passeront pour des fantaisies dont nous ne connaîtrons jamais le
adorables. Raison de plus pour les fin mot. Avec l'armistice de 1940,
Les bonnes fréquentations l'ambassadeur parle d'une « vision
signaler. Ainsi attribue-t-il au
Histoire secrète des réseaux d'influence colonel Rémy le nom patronymique du monde qu'au fond de lui-même,
par Sophie Coignard et Marie-Thérèse Guichard de Roulier, probablement un Pétain partageait avec Hitler. »
pseudonyme de résistant, alors qu'il Raymond Aron n'aurait certes jamais
Selon la sonore et fameuse Michel Mouillot à Cannes ; Je s'appelait Gilbert Renault. Toujours soutenu une thèse aussi scabreuse.
formule placée par les Constituants député RPR Alain Marsaud, intrépide, notre diplomate affirme Mais ça n'était pas un danseur.
de 1789 au début de leur protecteur inattendu de Bernard qu'en 1958, le« général de Gaulle Bizarres contradictions de la
Déclaration des droits de 1'homme Tapie ; Jean-Louis Pétriat à la avait convaincu tous les dirigeants nature humaine ! Après tant
et du citoyen : « Les hommes GMF; Jacques Croze-Marie à africains, sauf un, defaire accepter d'extravagances, M. Hesse! donne de
naissent et demeurent libres et l'ARC ; René Trager à Nantes ; à leurs peuples >> la formule sa capture par la Gestapo, puis de sa
égaux en droit. > >Puis Je texte Didier Schuller dans les Hauts-de- communautaire. Mais non ! Ils furent détention à Büchenwald, un récit très
ajoute une autre phrase, beaucoup Seine ; Jean-Michel Boucheron à deux à la refuser : Sékou Touré en sobre, sans effets mélodramatiques.
moins connue mais fort Angoulême et bien d'autres encore Guinée, puis Djibo Bakary au Niger. D'où qu'elle vienne, une parole de
intéressante : « Les distinctions fréquentaient, animaient des loges Georges Chaffard consacre à celui-ci vérité mérite toujours notre salut.
sociales ne peuvent être fondées avant de s'associer à la petite ou à un long chapitre de ses précieux Le Seuil. 312 pages, 130 F.
que sur l'utilité commune. >> Celles la grande flibuste. Carnets secrets de la décolonisation. G. Cte.
de la V' République en France n'en Selon un découpage sans doute Pour prétendre connaître 1'Afrique,
donnent pas une idée claire. commode mais partiel et dans M. Hesse! ignore un épisode très Bataillon de choc
Quoiqu 'elles ne se réfèrent jamais certains cas arbitraire, nos deux important de son histoire et commandos
à ces vertueux principes, Mmes dames décortiquent, exposent le contemporaine. de la 1ère armée
Sophie Coignard et Marie-Thérèse recrutement, le fonctionnement des A mi-chemin de ses souvenirs, il par Raymond Muelle
Guichard semblent presque avoir sociétés parallèles d'après quitte la France «peu de mois après
écrit leur vertigineuse Histoire quelques objectifs simples : qu'Edgar Faure eur remplacé Personne n'était mieux placé que
secrète des réseaux d'influence arriver, s'entraider, faire carrière, Mendès France à Matignon > >, soit Raymond Muelle, historien de la l"'
pour en démontrer l'ineptie ou s'enrichir, monopoliser, conspirer, avril ou mai 1955, puis assure qu'à armée et des combats d'Indochine,
1'insignifiance. se protéger, etc. Cette son retour, deux ans plus tard, « il y pour rendre compte des exploits
L'une et 1'autre collaboratrices nomenclature parfois hâtive range avait eu le Front républicain, les • accomplis au cours des derniers mois
du Point, elles excellent dans ce ainsi Alain de Benoist, Pierre débuts de la guerre d'Algérie et les de la Seconde Guerre mondiale sur le
qu'on nomme aujourd'hui le Guillaume parmi les ratonnades sur les quais de la front des Vosges et d'Alsace par les
journalisme d'investigation. Il ne « conspirateurs », quitte à les Seine . » Encore deux inexactitudes unités de choc de l'armée du général
faut pourtant pas espérer d'elles un mettre en matière d'intrigues sur en une seule phrase. Les troubles de Lattre de Tassigny. Il nous
peu de conscience historique : un plan analogue à celui de débutèrent dans les Aurès dès entraîne, avec les hommes des
c'est-à-dire situer les manigances groupes de pression formidables : l'automne 1954. Quant aux bataillons de choc, avec ceux des
insoupçonnables ou scandaleuses, énarques, polytechniciens, représailles policières contre une commandos d'Afrique ou de France,
si bien mises en lumière, par ingénieurs des Mines, inspecteurs puissante manifestation du FLN à dans les durs affrontements de
rapport à l'idéologie officielle ou à des finances, etc. De quoi rire ! Le Paris, elles sc produisirent, non pas Cernay, de Massevaux ou de la poche
ses justifications. Elles préfèrent de livre signale aussi d'étonnants en 1957, mais en 1961, le 17 octobre de Colmar. Ils vont livrer des
loin taper, cogner à tours de bras records avec beaucoup plus combats acharnés à des forces
très précisément, soit une différence
sur l'abominable« extrême droite» d'exactitude. Venu d'une gauche allemandes accrochées au terrain et
de quatre ans. Excusez du peu ! Dans
ou les groupes qu'elles supposent à bon teint, l'actuel PDG du Crédit prêtes à tous les sacrifices pour
son rigodon, l'ambassadeur perd
tort ou à raison en rapport avec le lyonnais, Jean Peyrelevade, figure interdire à l'ennemi le sol du
aussi le sens de la syntaxe. A propos
Front national : petit rituel ainsi dans quatorze conseils Vaterland. A l'opposé d'une
des Mémoires d'un ours, de Georges
indispensable pour se faire éditer. d'administration différents, avec impression trop généralement
Suffert, il traite celui-ci d'« écorché
Le jeu en valait probablement la jetons de présence à 1' appui. Alain répandue, la guerre n'était pas
qui veut se faire passer pour un
chandelle, si 1'on en juge d'après la de Benoist et Pierre Guillaume ont terminée à l'été de 1944 et les
pachyderme. » Absurde! S'il en était
somme de malfaisances qu 'elles encore beaucoup à apprendre. hommes de la 1•~ armée durent
ainsi, l'ancien animateur du club
rapportent sur le personnel en Malgré quelques erreurs encore consentir de nombreux
Jean Moulin aurait intitulé ses
place, toutes tendances confondues, matérielles, d'étonnants oublis, sacrifices pour voir se lever enfin
souvenirs Mémoires d'un éléphant.
à l'exception des communistes, d'agaçantes génuflexions devant la l'aube de la victoire.
Élémentaire, mon cher ami ...
bizarrement hors de cette lessive. pensée unique, cet ouvrage mérite Presses de la Cité. 310 pages, 70 photos
Au fil de son imagination,
A notre connaissance, aucune une attention spéciale. Il doit se hors texte, 120 F.
publication d'« extrême droite » n'a Stéphane Hesse! règle aussi quelques Ph.C.
consulter comme un véritable
jamais livré sur certaines liaisons comptes. Il rappelle qu'au cours
annuaire de la corruption et de
franc-maçonnes avec 1'affairisme et d'une rencontre à Londres avec Pa;_!t' .. n:ali .. (•, .... 1•ar c;illu·rl C:nmh'.
l'arrivisme dans la France
la délinquance rien de comparable à Raymond Aron, en 1942, le futur l'l.ilipJH' Cmmul. \l'll:uull;u)ul-
d'aujourd'hui.
ce que rapportent nos enquêteuses : auteur de l'Opium des intellectuels .k:umin. \l'llawl loualz. \lado:o
Grasset. 384 pages, 135 F.
approuve les négociations ouvertes "an .. l\i. \ ÎI';!ÎI,IÎt' Tania~. Charlt· ..
Michel Reyt de l'affaire Urba; GILBERT COMTE \ all;!t•ui .... Unminit(llt' \ t'IIIH'I'.
par les Américains avec l'amiral

Il
LIVR

Delacroix, artiste contre-révolutionnaire

P istolets aux poings, drapeau tricolore


brandi près de lui d'un bras vengeur
par une liberté aux mamelles puissantes, le
logicien. De Michel-Ange à Rubens, de
Rapahël à Goya, ses grands prédécesseurs ne
laissent aucune théorie de leur art.
Gavroche en marche sur nos billets de cent Delacroix, lui, si l'on ose dire, peint sans
francs glisse dans les transactions d'une cesse la plume à la main. Dans une prose
société sans drames deux célèbres symboles toujours précise, élégante, il médite sur les
de 1' ancienne France révolutionnaire. Près travaux de ses aînés comme sur les siens.
de ces figures sorties de son pinceau, Malgré sa modestie profonde, il s'avoue
Eugène Delacroix fixe nos contemporains également douée pour l'écriture et le
d'un œil calme. Quels sentiments le pinceau. La variété des sujets d'une
traversaient donc lorsqu 'il composa cette exceptionnelle richesse qu'il aborde Je
Liberté conduisant le peuple, jadis familière démontre amplement.
à nous autres, les écoliers de la En 1847, Je voilà célèbre, définitivement
Communale, instruits pour devenir de bons admis auprès des gens en place. Thiers lui
petits républicains? Nos instituteurs n'en passe des commandes officielles au nom de
disaient rien. Les billets de banque non Louis-Philippe. Mais la France passe bientôt
plus. Tant mieux ! L'enseignement officiel de la monarchie à l'Empire en moins
et 1'argent ne sauraient suffire à tout. Sinon, d'années qu'il n'en faut à n'importe lequel
il ne resterait plus qu 'à mourir. de nos septennats républicains. Delacroix
Le très copieux Journal intime écrit, éprouve un recul proche de la misanthropie
délaissé, partiellement perdu, puis repris envers ses grandeurs éphémères. « Cette
par le peintre entre sa jeunesse et son âge 2l abjection dorée est/a pire de toutes », note-
mûr ne renseigne pas mieux la postérité. La t-il au retour d'un bal aux Tuileries, sous
seconde réédition en dix -huit ans de ce Les Massacres de Scio, 1824. Napoléon ill. Il découvre la Révolution puis
texte colossal par Plon, avec le concours du la Terreur à travers ses lectures et observe,
Ce studieux garçon éprouve cependant les fort désabusé, « qu'il y a fort à rabattre de
Centre national des Lettres, augmenterait plutôt
griseries naturelles de l'adolescence. Pas un jupon /'enthousiasme et de la spontanéité dans les
l'énigme. Avec Jules Michelet, Honoré de Balzac,
ne passe sans qu 'il ne songe à regarder dessous. mouvements que l'on admire le plus à cette
Victor Hugo, Hector Berlioz, l'auteur naît pendant
Stoïcien dans son tête-à-tête, il proclame les époque. »
l'une des cinq années prodigieuses où le Destin
donne à la France cinq enfants de génie. Ces
«passions corporelles» éminemment« viles>>. Dans sa fermeté de caractère instinctive, il
moyennes-là ne se répètent pas souvent. Un peu janséniste, il croit en simple, après tant doute des illusions généreuses : «La maladie, la
Hors de frontières, 1'Europe frémit au souvenir d'autres, à l'absolue souveraineté du« moral »sur mort, la pauvreté, les peines de l'âme sont
des chevauchées de Bonaparte longtemps après la chair. Mais elle dispose justement de plus d'un éternelles et tourmenteront l'humanité sous tous
Waterloo. Lorsqu 'en 1820, Delacroix anive à tour dans son sac. Il risque donc ce qu'on appelle les régimes ; la forme, démocratique ou
l'âge d'homme, l'Empereur vit toujours à Sainte- de nos jours les maladies sexuellement monarchique, n'y fait rien. » Avec des sentiments
Hélène. Son épopée propage encore mille transmissibles avec une affriolante jeunesse de pareils, Delacroix n'épouserajamais le
rumeurs. Sa nostalgie, ses fièvres troublent peu dix-neuf ans. ensuite, il s'émerveille« de baisers romantisme révolutionnaire de son temps, tel qu'il
notre adolescent. Le 3 septembre 1822, il confie et approches délicieuses »auprès d'une Sidonie. éclate par exemple avec Les Misérables, de Hugo.
après beaucoup d'autres son âme à la sympathique Une camériste par-ci, une Adeline de seize ans par « L'homme recommence toujours tout, même dans
discrétion d'une page blanche : «Je mets à là, le bouleversent délicieusement, puis quelques sa propre vie», constate-t-il encore, non sans
exécution le projet formé tant de fois d'écrire un autres dans le sillage. D'une franchise brûlante, quelque amertume. Il ne peut fixer aucun progrès.
journal. Ce que je désire le plus vivement, c'est ne exceptionnelle en ces temps pudibonds, il constate Comment un peuple en fixerait-il un dans la
pas perdre de vue que je l'écris pour moi seul ; je par un samedi morose de 1824 : «Grand manque sienne ? n éprouve donc peu de considération
serai donc vrai, je l'espère ; j'en deviendrai de sexe ». pour les marchands de miracles sociaux alors à la
meilleur. Ce papier me reprochera mes Ce ton déconcertera peut-être. « C'est se mode, , comme Barbès ou Blanqui : «pauvres et
variations. » La fermeté des premières lignes respecter qu'être sans voile et franc» , affirme-t-il coupables têtes ».
l'annonce tel qu'il demeurera jusqu'à la fin : vers la même époque. Les individus se respectent Un adepte des idées contre-révolutionnaires, au
essentiellement méditatif, introverti, soucieux de rarement de la sorte. Vingt-huit ans après, cette sens où le mot s'entendait encore vers 1925,
paix intérieure, d'équilibre. forte certitude n'en subsiste pas moins intacte en découvrira donc dans ce Journal maintes et
lui : « Sentir qu'on a fait ce qu'il fallait faire vous maintes pages qu'on qualifierait aujourd'hui
En vain le siècle gronde à sa porte. Le
élève à vos yeux. » Le personnage se résume dans d'<< extrême droite». Jacques Bainville, homme
pronunciamiento espagnol de Riego réveille en
ces deux maximes. Elles fortifieront son art durant immense lui aussi, le savait bien lorsqu'il écrivait
France des idées de conspiration militaire. Le 21
toute son existence. Tôt ressentie, vite reconnue, au sujet de l'auteur : «Comme il n'était ni
septembre 1822, les quatre malheureux sergents
sa vocation le garde dans le droit chemin. Dès démocrate ni révolutionnaire, sa mémoire n'a pas
de la Rochelle meurent en place de Grève sous la
1824, ses Massacres de Scio, présentés au Salon à espérer justice de sitôt. Son Journal subira le
guillotine. Présent à Paris, Delacroix ne consacre
sort de toute littérature de réaction : l'ignorance
pas un seul mot à l'exécution. Elle révulse ou le rendent célèbre. Il a vingt-cinq ans. Bel
officielle et le silence universitaire. " Aussi le
révolte pourtant tous les libéraux . n songe à des exemple de maturité précoce, le succès ne
recommandons-nous, afin de lutter encore contre
projets de tableaux sur des tragédies beaucoup l'étourdit pas, mais discipline sa vie pour toujours.
ces deux censures.
plus anciennes : Pharaon fait jeter dans les eaux Sa nature sensuelle subit l'envoûtement des Jouma/18.2.2-1883, par Delac;oix.
du Nilles enfants mâles des Hébreux, le comte formes, la magie des lumières et des ombres. Elle Plon. 942 pages, 189 F.
d'Egmont conduit au supplice Algernon Sydney, n'obéit donc pas sans résistances aux rigueurs
condamné ... abstraites de ce philosophe doublé d'un redoutable GILBERT COMTE
Vos réactions au numéro
précédent sur
''Les rebelles et msurges
. " .,.,
L'affaire Aubrac attendu votre intervention ; vous Lors de ses obsèques, le 12 février France : l'Italien Giuseppe Mazzini,
n'avez même pas su dire la vérité ! 1910, au cimetière Montmartre, plus le Hongrois Sandor Petofi, ou le
(suite) Le monde doit savoir que les seuls d'un millier d'admirateurs accompa- Polonais Adam Mickiewicz. Je pos-
qui se soient portés à notre secours gnèrent Jules Guérin jusqu'à sa der- sède un livre remarquable de Jean
pour nous aider à abattre le commu- nière demeure. Pour éviter une pro- Mabire Les Grands aventuriers de
Dans le numéro 21 de votre revue
nisme, sont des soldats russes qui bable profanation, aucune inscription 1'histoire, les éveilleurs de peuples,
j'ai lu votre réponse à ma lettre au
étaient cantonnés chez nous. >> ne fut gravée sur la pierre tombale. (Fayard, 1982), qui consacre à cha-
sujet de l'affaire Aubrac. Je vous en
Je n'ai pu recouper cette informa- 1/ fallut attendre 1989, quatre- cun d'entre eux de nombreuses
remercie. Mais j'ai fait une erreur,
tion surprenante que bien plus tard, vingt dixième anniversaire du Fort pages. Dans ce livre, les figures du
de bonne foi s'entend, en disant que
dans deux récits de source distincte. Chabrol, pour que l' « Association Prussien Friedrich-Ludwig Jahn et
le défenseur du malheureux milicien
Que savez-vous exactement à ce Mémoire Jules Guérin » créée à du Norvégien Nicolas Grundtvig
était M' Le Bel/egou, or c'était M'
Scarbonchi. En fait Maître Le Bel/e- sujet ? Il est certain que selon que l'on cette occasion, ne divulgue l'identité sont également évoquées.
gou assista au procès. 1/ m'en parla occulte ou souligne cette participation du célèbre occupant. Frédéric Lejeune
à cœur ouvert. active à l'insurrection hongroise, on Maxime Guérin
Henri Gal modifie complètement la signification de 1'Association Montségur
profonde de cette insurrection et des Mémoire Jules Guérin
événements qui en découleront.
Budapest1956 Depuis longtemps je m'intéresse
Paul Andolenko Mihailovitch
à l'histoire de Montségur. Ce que
En décembre 1956, de passage à Le fait rapporté par votre inter- rapporte votre collaborateur (n o 22,
Paris, je rencontrais fortuitement un locuteur hongrois est attesté par Le dernier numéro de votre revue page 22 : « Mourir à Montségur »)
insurgé hongrois qui venait de d'autres témoignages. Il semble consacré aux Rebelles m'a vivement est pmfaitement authentique. Néan-
s'échapper de /'enfer de Budapest. certain que de nombreux mili- intéressé. J'ai été très sensible au moins il a omis un point capital à
Encore sous le choc des événements taires russes ont fraternisé avec les fait que vous réserviez un article au mes yeux : l'origine ancienne du site
qu'il venait de vivre il me fit un récit insurgés hongrois et ont subi plus héros de la résistance aux commu- de Montségur. La montagne où se
plein d'émotion contenue, qui me durement que d'autres les effets de nistes dans le maquis yougoslave réfugièrent les Cathares était déjà
surprit d'autant plus qu'il différait la répression. Il est également pendant la dernière guerre, le géné- considérée par les celtes comme un
beaucoup des relations de presse de exact que des contingents asia- ral Draja Mihaïlovitch. J'ai regretté lieu sacré. D'ailleurs le visiteur,
l'époque. Je cite de mémoire : tiques (sinon << mongols >>) ont par- cependant que le nom du général sans le moindre symbole, inscription,
<< Notre victoire même momentanée, ticipé à la répression. Néditch, qui remplit dans la Serbie ou rituel, ressent très fortement la
n'aurait pas été possible si des unités ESH occupée le même rôle que le maré- présence d'un genius loci en cet
russes stationnées près de Budapest chal Pétain en France, soit estropié. endroit.
n'étaient venues se joindre à nous et Jules Guérin La Choumadija, le nom de la région François Bourre!
nous appuyer de leurs moyens d'origine de nombreux Tchetniks,
armes, chars, ... Les Soviets ont alors m'a également parue mal transcrite. Vauvenargues
compris que cette affaire devenait Suite à la lecture de l'article sur Je vous adresse toutefois mes plus
très grave. Ils ont aussitôt retiré le Fort Chabrol (Enquête sur l'his- vives félicitations pour ce dossier.
toutes les unités russes présentes en toire n° 21 ), je tiens à démentir caté- Nicolas Kostitch Je vous remercie d'avoir fait
Hongrie pour les remplacer par des goriquement /'allégation suivant connaître le colloque Vauvenargues
divisions mongoles sans états d'âme. laquelle mon . arrière-grand-oncle Jean Mabire de la Sorbonne. Je précise que le
La répression fut sauvage et impi- émargeait au ministère de l'inté- Vauvenargues que vont publier les
toyable. Tous les officiers et soldats rieur. Les archives de la préfecture éditions Desjonquères est un recueil
russes pris dans nos rangs furent de Police n'apportent aucune preuve J'ai lu attentivement dans le de textes et non pas une biographie.
immédiatement pendus aux ré ver- pour étayer cette fable. Par contre, numéro 21 d'Enquête sur l'histoire La biographie pourra venir ensuite.
bères disposés le long du Danube. les noms d'une dizaine d'indicateurs l'article intitulé « Les éveilleurs de Jean Dagen,
Pourquoi la presse occidentale n'en infiltrés dans le Grand Occident de peuples- L'Europe de 1848 ».Phi- professeur à l'institut de littératu-
parle-t-elle pas ? Vous n'avez rien France se trouvent inscrits sur les lippe Conrad y retrace l'itinéraire de re française de/' université
fait pour nous, nous avons pourtant précieuses fiches de renseignements. personnages souvent méconnus en de Paris-Sorbonne (Paris IV).

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