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22 - Les Revolutions de 1917
22 - Les Revolutions de 1917
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30
6 Les Blancs contre les Rouges
Visite estivale à Salzbourg ENTRETIEN AVEC DOMI NIQUE VENNER
PAR JEAN-JACQUES MOURREA U
35
7 La dictature de Béla Kun
Agenda de l'histoire PAR J EAN KAPPEL
PAR VIRG INIE TANLAY
37
Weygand à Varsovie
PAR Guv CHAMBA RLA C
40
L'Espagne échappe à Staline
PAR PHILIPPE CONRAD
41
Le combat des Russes en exil
PAR DIMITRI STOLYPINE Manifestations parisiennes
pour Ùl Hongrie en1956.
44
Des maquis en Ukraine 51
PAR J ACQUES BER REL
Face au Vietminh
PAR R AYMOND MUELLE
Raspoutine. 45
Lituanie, les Frères de la forêt 55
9 PAR GUILLA UME VITAUTAS
Sur le front des idées
Éditorial: 46 PAR GEORGES LAFFLY
Un héritage sanglant
PAR ÛLEG KOBTZEFF 60
Les livres et l'histoire
19
La fin du tsarisme 65
PAR DOMINIQ UE VENNER Delacroix, artiste
23 contre-révolutionnaire
PAR GILBERT COMTE
Lénine prend le pouvoir
PAR CHARLES VAUGEOIS 66
24 La parole est aux lecteurs
Chronologie : En couverture :
de la révolution à la guerre civile Le général Wrangel. Nicolas Il
Il
Actualité de l'histoire
maintenue jusqu 'à 1'indépendance des figures héroïques (Godefroi de Sherloek Holmes
EXPOSITIONS de l'Algérie. Mais aujourd'hui, le Bouillon, Du Guesclin, Jeanne
à Paris
1" régiment de spahis de Valence en d'Arc ... ). La plupart de ces
est le seul dépositaire. Une << enseignes » médiévales ont été
Entre 1887 et 1927, Sir Artur Conan
Les Spahis exposition à travers des pièces découvertes à Paris au XIX' siècle
Doyle a mis en scène le personnage
d'uniforme- des burnous, des au cours des longs travaux de
bédaïas, des chéchias, des dragage effectués dans la Seine - où de Sherlock Holmes dans soixante
gandourahs ... -, des armes, des elles avaient été jetées sans doute en romans policiers. Et le fameux
étendards, des fanions, ou encore des offrande quelques siècles plus tôt. détective privé est devenu avec le
gravures ou des clichés d'époque, L'archéologue Arthur Forgeais temps un véritable mythe. Le Louvre
retrace l'histoire de ce corps d'élite. (1822-1878) en avaient recueilli une des Antiquaires- installé dans
Les spahis, cavaliers de l'armée d'Afrique. quantité impressionnante, avant 1'ancien Hôtel du Louvre, où
Musée de l'armée. Hôtel national des d'entreprendre leur étude. Le musée Oberstein, 1'espion de L'Affaire des
Invalides. 129, rue de Grenelle 75007 Paris. plans du Bruce-Partington avait
de Cluny, qui avait acquis sa
Tél: 01 44 42 37 67. Jusqu'au 3 novembre. trouvé refuge- a reconstitué, avec
fabuleuse collection en 1861 ,
présente cet été 250 pièces, 1'aide de la Société des amis de
« Enseignes » rapprochées souvent d'objets Sherlock Holmes, dont la vocation
et insignes découverts dans des circonstances est de mettre en évidence les liens
analogues. qui unissent le héros de Conan
médiévaux Doyle à la France, l'univers
Insignes et souvenirs de pèlerins et autres
menues " choseites " de plomb trouvées << holmésien >>. Une exposition
Sous-officier indigène des spahis Apparues au XII' siècle -et encore dans la Seine. Musée national du Moyen Âge. transporte dans l'atmosphère même
réguliers de Bône. très répandues au XVI' siècle, avant Hôtel de Cluny. 6, place Paul-Painlevé des enquêtes, sur les lieux des
d'être supplantées par les médailles 75005 Paris. Tél: 01 53 73 78 00. crimes, dans les rues du Londres du
Tout a commencé avec la conquête religieuses-, les << enseignes >>, ou Jusqu'au 8 septembre. XIX' siècle, dans la campagne
de l'Algérie (qui ne portait pas insignes, étaient des sortes de anglaise ... Les méthodes
encore ce nom). Après le broches de plomb et d'étain, que les L'aventure d'investigations de Sherlock Holmes
débarquement à Sidi-Ferruch en juin pèlerins, de retour des grands des croisades et de son fidèle ami Watson sont
1830, des unités d'auxiliaires sanctuaires (Saint-Jacques-de- évoquées. Et le salon du détective
indigènes, les zouaves -du nom des Compostelle, le Mont-Saint-Michel, situé au 122 Baker Street a été
Entre 1095, date de l'appel du pape
tribus Zouaouas d'où étaient mais aussi Luzarches, Vendôme ... ), recréé. Certains visiteurs risquent
Urbain II au Concile de Clermont à
originaires les premiers éléments - arboraient à leur chapeau ou à leur vraiment d'être confortés dans leur
délivrer les Lieux saints tombés aux
ont été créées. Les zouaves étaient cape. Louis XI en était friand . Au conviction que Sherlock Holmes a
mains des Infidèles, et 1270, quand
des fantassins. Par la suite, certains XIV' siècle, des << enseignes >> réellement existé.
Saint Louis trouva la mort devant
ont été mis à cheval pour constituer profanes firent leur apparition. A la L'univers de Sherlock Holmes. Louvre des
Tunis, huit croisades ont été
des unités autonomes baptisées- fin de la Guerre de Cent Ans, les Antiquaires. 2, place du Palais-Royal
entreprises. L'Occident a ainsi 75002 Paris. Tél: 01 42 97 27 20.
d'après un terme turc- spahis. On << enseignes >> politiques
pendant près de deux siècles été Jusqu'au 14 septembre.
comptait en 1845 trois régiments de proliférèrent, notamment lors de
confronté aux civilisations orientales,
spahis algériens, à Alger, Oran, et l'affrontement entre Armagnacs et
Constantine, auxquels plus tard tant byzantines qu'islamiques.
Bourguignons : elles permettaient de
s'ajoutèrent des spahis tunisiens et distinguer les membres des deux
L'exposition présentée cet été à EN BHEF
marocains. Un détachement de Toulouse restitue au travers de
factions, et étaient autant de signes
spahis sera envoyé en Crimée en documents d'archives, de manuscrits,
de reconnaissance, de ralliement,
1854. En 1870, quelques unités de d'objets sculptés, de fresques et de Festival
quand elles ne tenaient pas lieu de
spahis viendront combattre en mosaïques, provenant pour la plupart
sauf-conduit. D'autres<<enseignes>>
des collections de musées étrangers, intereeltique
France. Les spahis ont pris part aux commémoraient des événements, ou
deux guerres mondiales. En 1914- l'aventure des croisades et son
influence sur l'art occidental. Elle Comme chaque été depuis 1971 ,
1918, des régiments de spahis se
évoque également la vie en Terre Lorient abritera début août le Festival
sont retrouvés à la fois sur le front
Sainte dans les royaumes francs interceltique. Cette année, le Pays de
français et sur le front d'Orient-
défendus par les Templiers et les Galles est à l'honneur. Plus de 250
notamment à Uskub. En 1940, six
Hospitaliers. Signalons pour les spectacles ont été prévus, et 4 500
régiments spahis ont fait face dans
amateurs que pour la première fois artistes sont attendus : des musiciens,
les Ardennes à 1'offensive
sont exposés côte à côte le des peintres, des sculpteurs, des
allemande. D'autres ont participé en
Sacramentaire du Fitzwilliam cinéastes ... venus d'Irlande, du Pays
1942-1945 aux campagnes de Libye,
Museum de Cambridge et celui de la de Galles, de Cornouailles, de l'île de
de Tunisie, d'Italie, de France,
Biblioteca Angelica de Rome. Man, de Galice, des Asturies, de
d'Allemagne. De 1954 à 1962, huit
L'Orient et l'Occident d'Urbain Il à Saint Bretagne, des États-Unis, du Canada,
régiments de spahis ont assuré le
Louis (1 096-1270). Ensemble conventuel voire d'Australie.
<< maintien de l'ordre >> en Algérie. des Jacobins. Église des Jacobins. Festival interceltique de Lorient. Du 1" au
L'armée d'Afrique a abrité jusqu'à Enseigne de pèlerinage : 69, rue Pargaminières 31000 Toulouse. 10 août. 2, rue Paul Bert 56100 Lorient.
19 unités de spahis. La plupart s'est Saint Georges (XIV-XV' siècles) . Tél: 05 61 22 23 82. Tél: 02 97 21 24 29.
ACTUALITÉ DE L'HISTOIR
!~histoire
<< 1'Aiglon » fut crée par Victor Hugo,
1er Juillet en 1852, dans le poème Napoléon /1.
1798- Prise de la ville d'Alexandrie
par Bonaparte. 23 juillet
1976- Mort de 1'écrivain Paul
3 juillet Morand, ambassadeur, écrivain,
1940 -Bombardements sur décision auteur, entre autres, de Milady ,
de Churchill, allié de la veille, du Hécate et ses chiens, Ouvert la nuit.
port français de Mers ei-Kébir en gaulois. Le 9, il reçoit la torque 14 juillet Ayant été nommé ambassadeur à
Algérie. L'amiral anglais gauloise. Il inaugurera à Rome son 1223- A Mantes, mort du roi Berne par le gouvernement de Vichy,
Sommerville donne l'ordre d'ouvrir premier consulat le 1" janvier 456. Il à la Libération, il fut révoqué sans
Philippe-Auguste, âgé de 58 ans. Son
le feu à 16 h 53 sur la flotte française sera assassiné à l'automne 456. règne avait duré 43 ans. traitement. En 1953, réintégré dans
au mouillage. Une deuxième vague ses droits il fut mis à la retraite.
de bombardements aura lieu le 6 8 juillet Candidat à 1'Académie française en
juillet. Les victimes françaises seront
15 juillet 1958, le général de Gaulle oppose son
1919- Mustapha Kemal rompt avec 1904- Mort de l'écrivain russe
au nombre de 1 300. veto. Il y sera élu en 1969.
le Sultan et lance un appel au peuple Anton Tchekhov à Baden weiler en
turc d'Anatolie pour la réunion d' un Allemagne.
4 juillet congrès national. Celui-ci se tiendra 24 juillet
1564- A Lyon, où il est de passage, à Sivas le 13 septembre suivant. 1941- Les archevêques et cardinaux
Charles IX rend une ordonnance qui 16 juillet français prêtent serment de fidélité
fixe désormais le début de l'année au 1212- A Las Navas de Tolosa, au gouvernement de Vichy.
9 juillet première grande victoire de la
1" janvier, avec effet rétroactif au
1709- A la bataille de Poltava, Reconquista espagnole. Les Maures
l" janvier 1564.
Pierre le Grand écrase les armées de 25 juillet
sont écrasés par la coalition de la
Charles XII, roi de Suède, et de Jean 1793 - Le poète André Chénier est
Castille, de la Navarre et de
Mazeppa, chef des cosaques guillotiné.
l'Aragon.
ukrainiens en révolte contre le tsar.
26 juillet
17 juillet
10 juillet 1789- Adoption du drapeau
1885 -Naissance d'André Malraux.
1780- Le corps expéditionnaire, tricolore français. Ce même jour,
composé de 6 000 hommes, du Louis-Joseph, prince de Condé,
27 juillet
général (futur maréchal) de quitte la France pour Bruxelles où il 1884- Rétablissement de la loi
Rochambeau débarque à New-Port fonde l'armée royaliste. instituant le divorce en France. Cette
(Rhode Island). La guerre loi promulguée en 1792 avait été
d'Indépendance des États-Unis, où supprimée en 1816.
3 000 Français périrent, prendra fin
19 juillet
1108- Mort du roi de France,
le 19 avril 1783. 28 juillet
Philippe l", fils d'Henri l" et d'Anne
de Kiev. Celle-ci l'avait ainsi nommé 450 - Mort de Théodose II, empereur
Charles IX (1550-1574). 11 juillet en souvenir de Philippe de
d'Orient.
1888- Naissance, à Plettenberg, en Macédoine dont elle prétendait
5 juillet Westphalie, du juriste et philosophe descendre. En 1071, Philippe I" 29 juillet
1187- Saladin s'empare de allemand, Carl Schmitt. épousa Berthe de Hollande qu'il 1167- L'empereur allemand
Tibériade. Trois cents chevaliers du répudia en 1091. L'année suivante, il Frédéric Barberousse s'empare de
Temple et de l'Hôpital sont 12 juillet épousait Bertrade de Montfort ce qui Saint-Pierre de Rome. Le pape
décapités. 1789 - Paris apprend que Louis XVI lui valut d'être excommunié en 1100 Alexandre Ill s'enfuit à Benevent.
vient d'exiler Necker. Au Palais- pour bigamie et mariage invalide. Il
6 juillet Royal, devant des groupes réunis fut absous en 1105.
1495- Bataille de Fornoue qui voit pour commenter la nouvelle, un
le succès de Charles VIII (9 000 agitateur doué, Camille Desmoulins, 20 juillet
hommes) contre un fort parti déclare que la décision du roi 1870- A la veille de la guerre
d'Italiens (30 000 hommes). Ces annonce une « Saint-Barthélémy des franco-prussienne, Karl Marx écrit :
derniers admirant le courage et la patriotes ». Sur ces bonnes paroles, « Les Français ont besoin d' être
fougue des Français, leur donnent le la réunion dégénère en émeute, à rossés » . Il explique : « En cas de
nom de « Furiafrancese » . laquelle se joint un régiment mutiné défaite française , la prépondérance
de gardes françaises . Deux jours plus allemande transportera le centre de
7 juillet tard, la Bastille sera prise. gravité du mouvement ouvrier
455 -Ancien préfet du prétoire des européen de France en Allemagne.
Gaules et généralissime romain, 13 juillet Ce sera en même temps la .i ____ ..
Avitus, successeur d'Aetius, est 1936- Assassinat en Espagne de José prépondérance de notre théorie sur
proclamé empereur à Beaucaire par Calvo Sotelo, chef de l'opposition celle de Proudhon. » On peut être
les Wisigoths et les sénateurs monarchiste au Parlement. internationaliste et chauvin. Karl Marx étudiant, vers 1840.
A DE L'HISTOIRE
Spécialiste de l'histoire du communisme, Stéphane Courtois a découvert dans les archives soviétiques
des documents explosifs. Mais la vérité fait peur. Ille dit clairement : en matière de communisme,
il existe en France un véritable négationnisme. La France serait-elle la dernière planète d'un astre mort?
Il
LA FILLE AÎNÉE DU COMMUNISME
EDITION
SPECIALE LE BOLCHEVISME,
UN ENFANT
d'accès. Beaucoup d'archives soviétiques que
nous citons dans le livre sont redevenues inac-
LE CAMARADE sr...,.·..... DE LA RÉVOLUTION
cessibles. Les raisons étant, d'une part, que le EST GRAVEMEnT FRANÇAISE
gouvernement russe s'est avisé qu'elles rn m..........a~~(' du ( 'nmitt•
('pn tral du Pani La puissance d'Octobre sur les
constituent un enjeu de pouvoir extraordinaire, Connnuni-...k Franrai . . imaginations vient aussi d'une reprise, à plus
d'autre part, que le système en place continue ,.,., ~ r "" ~. _. "' ,..., ,.• d'un siècle de distance, de la plus forte
de se protéger contre certaines révélations O< hn~ ,._, ,. •. .,~•,.-1' _, '1• h ·ll-< OI ..
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représentation politique de la démocratie
moderne : l'idée révolutionnaire. Cette reprise
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a été intériorisée depuis longtemps par les
ESH : Comment définiriez-vous la ligne bolcheviks, qui discutent depuis le début du
VNMJOS5AGI:
politique du PCF sous l'ère stalinienne ? du PalU torornunmr naurn siècle du précédent jacobin. [...]
SC : Lorsque Fried prit le contrôle du PCF en Ainsi, la révolution bolchevique d'Octobre
1931 , la ligne politique du parti était ultra 1917 a tout de suite acquis, dans les années
BULLETINS DE de l'immédiat après-guerre, le statut d'un
révolutionnaire. Il s'agissait de renverser
événement universel. Elle s'est inscrite dans
toutes les institutions en place. Mais en 1934, ~ L---------~~~~~~
la filiation de la Révolution française, comme
après 1'arrivée d'Hitler au pouvoir, Staline Dans son numéro du mercredi 4 mars 1953, quelque chose du même ordre, ouvrant une
changea de cap et imposa une tactique de front L'Humanité prépare ses lecteurs au décès du époque de l'histoire de l'humanité. Malgré le
populaire, d'alliance antifasciste. Jusqu'alors << camarade Staline », avec ce commentaire : caractère invraisemblable de son lieu de
les communistes critiquaient violemment tout « Radio-Moscou annonce un grand malheur qui naissance, elle a comblé une attente
le reste de la gauche ; et d'un seul coup, ils lui frappe les peuples du monde entier>>. inséparable depuis la Révolution française de
proposèrent de faire alliance. L'appareil très la culture politique européenne : l'avènement
structuré mis en place par Fried assura la réus- Kautsky, « le pape » du marxisme à l'époque, d'une société souveraine sur elle-même par
site de ce retournement. Survint la guerre qui critiqua de fond en comble l'attitude des bol- l'égalité enfin conquise de ses associés.
constitua un tremblement de terre pour le cheviks qui , en répudiant l'appellation Attente nourrie par l'eschatologie socialiste
parti, contraint de renoncer au discours anti- « social-démocrate >> au bénéfice du « com- tout au long du XIX• siècle, et qui a puisé une
fasciste, aux slogans démocratiques, pour sou- munisme », coupaient le cordon ombilical qui force renouvelée dans le malheur des peuples
reliait le mouvement socialiste à la démocra- pendant la Première Guerre mondiale. Le
tenir le pacte germano-soviétique. Le parti
tie. privilège d'universalité du bolchevisme
explosa. La défection militante était considé-
provient à la fois de la tradition
rable. Comptant plus de 250 000 adhérents au révolutionnaire de l'Europe et de
début de 1939, le parti se réduit alors au noyau ESH : Vous avez déclaré que « l'historien
l'exceptionnelle situation de 1918-1920.
des permanents de l'appareil. De plus, la du communisme se heurte à une sorte de On n'en finirait pas de recenser les
désertion de Thorez, sur ordre du Komintern, négationnisme ».Qu'entendez-vous par là? déclarations célébrant la révolution soviétique
début octobre 1939, créa un scandale dans SC : De même que certains nient l'existence à son berceau. Le xx•siècle s'ouvre sous cette
l'opinion. Enfin, les négociations conduites des chambres à gaz dans les camps nazis, il grande lueur, où beaucoup de contemporains
par Jacques Duclos auprès des autorités alle- existe en France des réseaux qui s'ingénient à saluent une rupture décisive et bienfaisante
mandes, l'été 1940, pour obtenir la relégalisa- empêcher que l'on parle de ce que fut le com- avec le capitalisme et la guerre, donnant par là
tion du PCF relevaient d'une politique qui munisme au pouvoir, qui s'efforcent de décré- leur assentiment moins à une expérience réelle
acheva de ruiner le crédit du parti. C'est seule- dibiliser le recours aux archives, et partant qu'à ce que disent sur eux-mêmes les héros
ment à l'été 1941, au moment où l'Allemagne agissent en « négationnistes ». Or, plus les d'Octobre. A relire tous ces textes, le lecteur
archives parlent, plus nous comprenons que ce d'aujourd'hui peut être frappé de stupeur
attaque 1'URSS, que le PCF retrouvera un
devant tant de jugements péremptoires rendus
courant porteur. système n'aurait jamais pu fonctionner sans la
sans information véritable. Pourtant,
terreur parce qu 'il allait absolument à
l'explication est toute simple, et vaut d'ailleurs
ESH : Comment pourrait-on définir la filia- l'encontre de la volonté des populations (ques- en sens inverse, dans l'autre camp : la Russie
tion entre Marx, Lénine et Staline ? tion nationale en Ukraine et dans le Caucase ; de Lénine est un symbole. Elle canalise des
SC : La filiation entre Lénine et Staline est question de la propriété paysanne, etc.). A passions plus encore que des idées. Elle figure
très claire. Staline était l'un des hommes clefs l'heure actuelle, des Russes réalisent le même l'histoire universelle. Les efforts des
du dispositif léniniste. Entre 1922 et 1924, travail que celui des juifs sur la Shoah. Ils éta- théoriciens sociaux-démocrates pour lui
lorsque Lénine est malade, Staline est l'un des blissent des annuaires où ils recensent les vic- contester ce privilège n'ont qu'un
seuls militants autorisés par le Comité central times de la « Grande Terreur » stalinienne de retentissement étroit. Ils obtiennent des
à le visiter. Lénine se reconnaissait en lui 1937-1938 : 700 000 personnes tuées d'une résultats contradictoires ; mais, entre leur
même si, sur la fin , il commença à redouter la balle dans la tête. Ces crimes n'ont pas été per- marxisme et celui des vainqueurs d'Octobre,
c'est le second qui parle à l'imagination des
brutalité de Staline. La relation entre Marx et pétrés dans l'anarchie mais sur la base de listes
hommes de ce temps-là.
Lénine est plus délicate à établir. Lénine a pris établies par le NKYD, visées par le Bureau
FRANÇOIS FURET
une grande partie de son système dans Marx , politique. Chaque crime faisant l'objet d'un Le passé d'une i/lusion,
mais n'oublions pas que dès 1918-1919, en rapport circonstancié. L'URSS fut incontesta- essai sur l'idée communiste au XX' siècle.
deux textes fondamentaux, la Dictature du blement « la civilisation du rapport ». A cette Robert Laffont/Calmann-Lévy, 1995, pp. 80-118.
prolétariat et Communisme et terrorisme, Karl terreur très « ciblée » s'ajoutent nombre
Il
LE AÎNÉE DU COMMUNISME
d'autres vagues de répression contre les pay- veux croire qu'il en ira de l'affaire Aubrac
sans (famines et déportations), contre les comme de l'affaire London.
ouvriers (mise en semi-esclavage), contre les
petits peuples (génocide des Tatars, ESH : Comment expliquez-vous le fait que
Ingouches, etc.), déportation « génocidaire » les démocraties n'aient pas réuni un « tri-
de nombreuses populations frontalières bunal de Nuremberg » du communisme ?
(Baltes, Allemands, Polonais, etc.). Il serait SC : C'est une énorme question. En premier
évidemment absurde d'établir une comptabili- lieu, le communisme n'a pas été vaincu dans
té double des crimes du communisme en vis- une guerre. Or le tribunal militaire de Nurem-
à-vis des crimes du nazisme, pour je ne sais berg était spécifique : il y avait les vainqueurs
quel «livre des records »de l'horreur. Il n'en et les vaincus. L'institution de ce tribunal fut, à
reste pas moins que l'un et l'autre système ont mon avis, une bonne chose car il importait de
pratiqué le crime contre 1'humanité à grande ô caractériser d'un point de vue juridique les
échelle et que le moment est venu d'une crimes commis par les nazis. Mais ce qui est
démarche comparative, tout en soulignant que Artur London, lors d'une projection de paradoxal et révoltant, c'est que les Sovié-
V Aveu. Victime des épurations internes au parti, il
la comparabilité des deux phénomènes ne tiques figuraient parmi les juges du tribunal,
avait occulté son propre rôle d'épurateur au sein
signifie pas leur identité. du PC tchèque et d'organisateur de la répression eux qui pratiquaient le crime contre l'humanité
contre les non-communistes. Dans son livre Les depuis vingt-cinq ans. A ce propos, de singu-
ESH : La thèse du « dérapage sanglant » ne Aveux des archives (Seuil, 1996), Karel Bartosek a lières zones d'ombre subsistent. Un exemple :
repose donc sur aucun fondement scienti- montré, qu'à travers son livre et son film, London l'assassinat par les soviétiques des officiers
fique? a été un pion capital dans l'effort de restauration polonais à Katyn. A Nuremberg, deux respon-
SC : Si l'on parle du communisme comme de la mythologie du << bon communisme », mise à sables, un Soviétique et un Polonais, furent
d'une philosophie de l'histoire, soit. Elle exis- mal par la révélation des crimes du système. chargés de traiter l'affaire. L'un et l'autre ren-
te depuis la République de Platon. Mais dirent un rapport au terme desquels on ne pou-
lorsque cette philosophie devient un système entière demeurera confrontée au plus lourd des
vait attribuer aux « bandits fascistes » les exé-
politique, on doit considérer son application tabous . Souvenez-vous de la tornade suscitée
cutions de Katyn. Huit jours après, le Sovié-
pratique. Là, les archives soviétiques sont par la publication au Seuil des Aveux des tique fut retrouvé « suicidé », et le Polonais le
péremptoires : le système terroriste est d'origi- archives de Karel Bartosek qui rappelait la crâne fracassé dans son appartement... Toute
ne. Il est d'ailleurs à 1'origine de la guerre collaboration du couple London avec les ser- 1'ambiguïté de Nuremberg est là.
civile, les autres groupes révolutionnaires vices de renseignements de la Tchécoslova-
(mencheviks, socialistes-révolutionnaires) quie communiste. Tout récemment, les enfants ESH : Les Américains n'ont-ils pas envisa-
refusant l'hégémonie bolchevique. London m'ont intenté un procès en espérant gé un second Nuremberg ?
interdire la parution de mon livre sur Eugen SC : C'est compter sans le fait que Roosevelt
ESH : Quelles réflexions vous inspirent les Fried, car j'y rappelle qu'après avoir été du entretenait d'énormes illusions. Bon nombre
itinéraires de Pierre Cot, de Jean Moulin ? côté des bourreaux, Artur London s'était trou- d'Américains étaient intimement persuadés
SC : Ils me semblent emblématiques de per- vé du côté des victimes. Ils n'acceptaient pas que Staline était un grand démocrate. Jusqu'à
sonnalités démocrates qui, par antifascisme, que resurgisse le passé alors que les archives Yalta, où Staline s'engageait à procéder à des
ont succombé à l'illusion communiste. En ce établissent que le couple travailla dans l'appa- élections libres en Europe de l'Est. Il promit
qui concerne Cot, on sait maintenant qu'il reil stalinien international, et en particulier tout ce que l'on voulait. En toute naïveté, les
s'est mis au service des réseaux de renseigne- avec le NKVD à Barcelone en 1937. Et que Américains prirent cela au pied de la lettre.
ments soviétiques, au moins dès décembre penser de l'affaire Aubrac ! Quand Gérard Puis ils comprirent enfin, mais on était déjà
1940. Quant à Jean Moulin, homme de Chauvy va publier son livre, certains font tout dans la guerre froide.
confiance du général de Gaulle dans la Résis- pour l'interdire. On croit rêver. En résumé, il y
tance, on sait, d'après les archives, qu'il a été a, d'une part, une extraordinaire mauvaise ESH : Quel est le nombre des victimes du
en contact avec les services de renseignements conscience à gauche, et, d'autre part, des communisme en URSS et dans le reste du
soviétiques en France jusqu'en 1942. En cela, réseaux encore puissants qui cherchent à monde, de 1917 aux dernières décennies?
il agissait sur ordre de De Gaulle. Tout le pro- empêcher 1'expression de la vérité. A cet SC : S'agissant de l'URSS, si l'on additionne
blème est de savoir s'il était préalablement en égard, les communistes demeurent très forts les victimes de la guerre civile, des famines
contact avec lesdits services. pour ce qui est de la propagande, et réussissent organisées, du goulag, les exécutions diverses
aujourd'hui comme hier à s'introduire dans et les génocides, on avance le nombre de 20
ESH : Avec le temps, l'image spectrale du des lieux stratégiques pour travailler l'opinion. millions de personnes. Pour la Chine, les vic-
communisme finira-t-elle par s'estomper au Ils y sont aidés par la vieille convergence times du communisme s'élèvent sans doute à
point de laisser dans l'opinion progressiste d' intérêts entre gaullistes et communistes qui plus de 50 millions. Pour le Cambodge, on les
occidentale un bilan « globalement positif» ? implique un verrouillage de l'histoire contem- évalue à 2 millions (un quart de la population).
SC : Tant que les communistes et leurs alliés poraine. Mais je reste optimiste: dans l'affaire L'Europe de l'Est a moins souffert pour la rai-
socialistes n'auront pas fait leur examen de Bartosek mes collègues historiens ont adopté son que Staline n'a pu « œuvrer » qu'entre
conscience sur le stalinisme, la gauche tout spontanément des positions courageuses. Je 1948 et 1952. Donc 1'estimation globale du
Il
LA FILLE AÎNÉE DU COMMUNISME
Il
HOLOCAUSTE EN URSS
Un héritage sanglant
PAR OLEG KOBTZEFF
Il
HOLOCAUSTE EN URSS
MASSACRES
ET TERREUR,
UN BILAN PARTIEL
DU COMMUNISME
Il existe plusieurs évaluations
scientifiques de l'holocauste imputable à la
dictature du parti communiste depuis 1917,
en excluant les pertes de la Seconde Guerre
mondiale. Ces évaluations reposent sur des
études démographiques serrées. Selon la
plus modeste de ces estimations due au
démographe soviétique Maksudov, la
transformation révolutionnaire de la Russie
aurait coûté le chiffre énorme de 27,5 millions
de victimes. Pour la seule période de la
guerre civile et de la famine qui l'a suivie, de
1918 à 1926, les pertes sont évaluées à plus
de 10 millions de morts. Pour la période de
1926 à 1938 qui inclut la" dékoulakisation »
et les grandes purges : 7,5 millions de
victimes. Enfin, de 1939 à 1958, les
exécutions et les déportations de populations
ordonnées par le régime auraient coûté la vie
à environ 10 millions d'individus (1).
Se fondant sur des taux de natalité et de
Des vilhlgeoises pleurent leur village enjùlmmes que les Rouges ont incendié avant de se replier.
mortalité différents, le démographe
Kourganov obtient un chiffre global beaucoup
De l'hiver 1917 à juillet 1918, Gorki les fosses communes laissées dans le sillage de plus importants, plus de 66 millions de morts
publia courageusement dans Vie nouvelle une l'Armée rouge. On y trouvait des corps de entre 1918 et 1953 (sans compter les pertes
longue série d'articles dénonçant d'innom- femmes et d'enfants - parents d'officiers de dues à la Seconde Guerre mondiale). Pour la
brables scènes de lynchage encouragées par le l'Armée blanche, des fonctionnaires non-bol- période de guerre civile, de 1918 à 1922, il
nouveau gouvernement. Par ses accusations, cheviques, des membres du clergé, de la petite conclut à 15 millions de vies humaines, dont
Gorki s'alarmait de la mise en place d'un régi- bourgeoisie, de l'intelligentsia, etc. Les photos 1 700 000 personnes massacrées ou
me sanguinaire. Il fut censuré et contraint à des archives montrent q\]e la mort était fré- exécutées par les Rouges. Cette étude a été
l'exil. quemment précédée par des tortures longues et publiée en 1964 dans le Novoïe Rousskoïe
extrêmement horribles. On retiendra pour Slovo à New York et traduite dans Est et
Torturés avant exemple le rapport parvenu de Crimée après Ouestn• 594 du 16 mai 19n.
d'être tués l'évacuation des Blancs vers la Turquie et Ces chiffres sont proches de ceux que
l'instauration du pouvoir soviétique. Il est par- retiennent actuellement les historiens
Au cours de la guerre civile russe de 1918 ticulièrement parlant quant au nombre de per- russes. Pour Dimitri Volkogonov : " A elle
sonnes que le gouvernement soviétique cher- seule, la guerre civile a coûté à la Russie
à 1920-21 , de nombreuses zones de combat
chait à mettre à mort. Après la reconquête treize millions de vies. Dans la période
changèrent plusieurs fois d'occupants. Dans
soviétique de la Crimée, Frounzé (dont la située entre la guerre civile et la
les villes et territoires repris aux Rouges, les
capitale du Kirghizistan portera le nom) pro- collectivisation, c'est·à·dire dans" les
Blancs découvraient souvent de vastes char-
mit une amnistie pour tous les anciens offi- années heureuses de la NEP "• un million de
niers. Le 4 avril 1919, le général Dénikine,
ciers et soldats de l'Armée blanche encore pré- personnes environ ont péri dans les camps
commandant en chef des Forces armées du
sents dans le pays, à condition que ceux-ci se ou dans l'extermination de la résistance
sud de la Russie créa une « Commission spé-
antisoviétique dans le pays. Entre 1929 et
ciale d'enquête sur les crimes des bolche- présentent aux autorités. La majorité d'entre
1953, année de la mort du" premier
viks ». Suite à l'évacuation de l'armée russe eux se fit recenser, rassurée par la correction
léniniste "• ce bilan s'est alourdi de vingt et
(blanche), les archives de la commission se exemplaire des soldats de Frounzé. Mais
un millions et demi de victimes " (2).
retrouvèrent à l'étranger. Elles reposent quelques semaines plus tard, ces derniers
aujourd'hui au célèbre Hoover Institute de furent remplacés en Crimée par la 9' division
(1) Cf. Cahiers du monde russe et
l'université de Stan ford (3). Ces archives ne de l'Armée rouge. On procéda aussitôt à un soviétique. Vol XVII-3, juillet-septembre 19n
constituent qu ' un aperçu de la répression bol- second recensement. Les noms de ceux qui (Mouton éditeur).
chevique, mais elles laissent entrevoir leur avaient été inscrits la première fois étaient (2) Dimitri Volkogonov. Le vrai Lénine,
caractère sanglant et massif. Dans le peu de maintenant connus des autorités : impossible d'après les archives secrètes soviétiques
rapports qui nous sont parvenus, c'est par cen- de se dissimuler. On incarcéra tous ceux qui se (Robert Laffont, Paris, 1995).
taines que l'on dénombra des cadavres dans présentèrent au deuxième recensement, sans
Il
CAUSTE EN URSS
exception. Peu après, les exécutions commen- les « prols » de 1984, « ceux qui ont perdu
cèrent. Vers la fin de 1921, d'après les docu- leur liberté (ou droits) >> (lichënnye svobody
ments présentés au haut commissaire de la -ou prav- en russe) ne devinrent plus que des
SDN, Nansen, le nombre de fusillés s'élevait à lichentsy (ou lichenniki) - sobriquet intradui-
52 ou 53 000 au moins. (4) sible (sinon par des mots barbares comme « un
On peut reprocher leur manque d'objecti- privé-de, une privée-de » ou « privédeu »).
vité à ces informations provenant des « enne- Lénine transforma l'adjectif « douteux » en
mis du prolétariat ». Revenons alors aux nom commun (« un douteux, une douteu-
scènes de la révolution, admises comme se »... ) lorsqu'il ordonna de « mettre en pra-
typiques par 1'historiographie soviétique. tique une terreur de masse impitoyable contre
Au cours de leur séjour en URSS, entre les koulaks, les popes et les gardes blancs [et
1972 et 1974, les communistes français Nina d'] enfermer les douteux dans des camps de
et Jean Kéhayan, recueillirent le témoignage concentration en dehors de la ville. >> (7)
d'une vieille paysanne sur l'installation du Mieux encore, Felix Dzerjinski, chef de la
régime soviétique dans son village. Tchéka, inventa un nouveau mot pour désigner
« Par un froid matin de novembre 1917, les « ouvriers n'ayant pas accepté le nouveau
raconta cette femme, deux cavaliers sont arri- 15
régime ». Pour ces derniers il forgea le sub-
vés, escortés par la meute des chiens du villa- stantif « nontravailleurs » (nierabotchiyé) . (8)
ge. Ils avaient l'air de soldats et, après avoir Massacres en masse des paysans ukrainiens Ce glissement sémantique infamant n'était
mis pied à terre, ils proclamèrent: "Le tsar est par les bolcheviks en 1937 et 1938. A leur arrivée
pas une nouveauté des années 1920. Lénine,
en Ukraine en 1941, les Allemands mirent à jour
mort." » pourtant obsédé par le terme « scientifique »,
à Vinnitsa un charnier contenant les corps de
JO 000 hommes abattus par le NKVD (ancêtre du était incapable d' utiliser une langue objective
Exécution de grévistes KGB). Des femmes tentent d'identifier les restes dans ses écrits critiques. Une familiarité avec
pour cc sabotage » de leurs maris et de leurs fils. ses œuvres révèle que l'emploi de l'insulte et
des termes dégradants était systématique chez
notion de« riche », d' « ennemi de classe » de lui, même dans de simples analyses critiques
Empêchant les villageois de s'agenouiller
« spéculateur » ou aux autres termes qualifiant et historiques du socialisme. Mis en examen
à la mémoire de l'ancien tsar et en l'honneur
les 70 crimes passibles de la peine de mort par son propre parti pour avoir diffamé ses
du nouveau chef, Lénine, les soldats lurent
prévues par le nouveau code pénal de la RSS camarades au cours de la campagne électorale
une proclamation.
de Russie. (6) de 1906, Lénine répondit que les termes qu'il
« On y parlait de parti, de socialisme, de
communisme, de bonheur, de liberté ... Après Ainsi, le mot « sabotage » avait-il un sens avait utilisés avaient été « calculés pour inspi-
cette lecture, ils nous demandèrent : Où sont très large. C'est un des crimes le plus souvent rer haine, aversion et mépris [... ] non pour
les riches ? Ce n'était pas difficile de cité par les documents bolcheviques des convaincre mais pour briser les rangs de
répondre. Il y a le marchand et le koulak ... >> années du « communisme de guerre ». Le lec- l'adversaire >> . La faute des adversaires méri-
Ils furent trouvés et abattus sur-le-champ. (5) teur non averti, découvrant les terribles invec- tant cette violence verbale ? Des désaccords
Histoire banale, simple au possible. Deux tives de Lénine contre les « saboteurs », ima- sur des détails techniques de présentation des
morts seulement. Que l'on multiplie cependant gine des trafiquants de denrées alimentaires ou candidatures. (9)
ces deux morts par le nombre de villages dans des terroristes à la solde des Blancs ou de la
un empire aussi vaste qu'un continent et le pègre. C'était l'effet recherché. En fait, le mot Culpabilité cc objective »
chiffre obtenu fait réfléchir. Aucun village de « saboteurs » pouvait tout aussi bien désigner
l'ancien Empire russe n'échappa à cette forme de vrais bandits que des paysans affamés qui Cette primauté absolue de la stratégie
de justice « prolétarienne ». Être né « riche » cachaient un sac de blé ou des ouvriers gré- introduisit dans le lexique juridique une des
était un crime grave dans une lutte des classes vistes épuisés par les heures supplémentaires notions les plus utiles pour les fanatiques de la
déclarée guerre des classes. Mais qu'est-ce de travail « volontaire ». La grève étant un ins- raison d'État : la culpabilité « objective ».
qu'un « riche » ? Comment quantifier la trument de lutte contre le capitalisme, un arrêt Dans ses cours à la Sorbonne, l'historien Fran-
notion de « richesse » ? Pour un renne de trop de travail, gênant la production socialiste ne çois-Xavier Coquin a montré comment cette
ou une tente trop grande, on a vu fusiller pouvait être appelé « grève » ; on dira donc expression précédait la révolution, à l'époque
même des « notables » de campements abori- « sabotage», ce qui facilitera l'exécution rapi- où elle servait à exclure des membres du parti
gènes sibériens. Qui était donc compétent pour de de tout gréviste. coupables d'aucune faute, sinon de gêner
fixer le plafond de revenus ? Plafond qui pla- Pour déshumaniser les futurs condamnés à l'action des léninistes, convaincus de détenir
çait un individu non dans une « tranche mort, on laissa s'insinuer un jargon dont les la vérité. La culpabilité « objective », fré-
fiscale» mais devant un peloton d'exécution. mots devinrent des signes vidés de leur valeur quemment invoquée sous Staline, introduisit
Pour épargner aux bourreaux ou lyncheurs réelle par leur pauvreté grammaticale. George dans le droit plus qu 'une notion de culpabilité
de tels dilemmes, le nouveau droit soviétique Orwell, puis Siniavski et Soljenitsyne ont bien potentielle. La « culpabilité objective » rendait
favorisa l'adaptation du vocabulaire pénal aux compris ce mécanisme de la « novlangue ». Ils légitime l'élimination de toute personne inno-
fluctuations de la raison d'État. Ainsi on put furent précédés par l'écrivain Andreï Platonov cente dont le sacrifice était exigé par la raison
donner un sens très large et relativiste à la (qui commença à publier dès 1918). Ainsi, tels d'État. Dostoïevski avait pressenti le danger
Il
HOLOCAUSTE EN URSS
ARCHIVES, TOUT
RESTE À FAIRE
Comment chiffrer le lynchage encouragé
ou non par les bolcheviks ? Comment
distinguer, parmi ceux qui moururent de
faim et de maladie, les victimes des
manques de ravitaillement des personnes
privées de rations alimentaires pour
appartenance à la classe des exploiteurs ?
Que faire pour obtenir des chiffres fiables ?
Avant tout : reconnaître l'existence d'un
projet de destruction massif de populations
entières. Ensuite, obtenir l'accès
inconditionnel aux archives du KGB. Celles-
ci sont encore trop limitées à certaines
catégories de chercheurs : les chercheurs
trop indulgents envers l'histoire soviétique
ou les grosses machines universitaires
américaines qui proposent en échange des
services ou de l'argent et dont les
recherches ne s'intéressent pas
nécessairement aux victimes. Beaucoup de
chercheurs ont gagné l'accès aux archives
pour dresser un martyrologe d'une seule
catégorie d'individus (les chrétiens, les
aristocrates, une minorité ethnique, les
célébrités de la littérature, etc.) Le danger de
ces recherches est de cloisonner les morts
Lénine et Staline. La maître et le disciple. Le stalinisme, écrit Soljenitsyne dans L'erreur de l'Occi- par catégories ce qui fausse les chiffres en
dent, n'a jamais existé ni en théorie ni en pratique : on ne peut parler ni de phénomène stalinien ni empêchant l'établissement d'une estimation
d'époque stalinienne. Ces concepts ont été fabriqués après 1956 par la pensée occidentale de gauche globale par année, par secteur géographique
pour préserver les illusions du communisme.
ou selon d'autres classements utilisés par
l'histoire sérielle et quantitative. Il faut
dans Les Possédés qui s'inspire d'un fait Devant de telles dérives idéologiques et
lancer un appel pour qu'enfin les autorités
divers réel : l'exécution par le révolutionnaire judiciaires, comment imaginer que les mesures
russes donnent aux scientifiques, étrangers
Netchaïev d'un camarade soupçonné non de disciplinaires « regrettables mais néces-
ou de leur propre pays, les moyens
trahir son mouvement mais d'être capable un saires » de la révolution se limitèrent seule-
d'aborder le grand tabou de l'histoire de
jour de faiblir et de parler. Or l'impitoyable ment à quelques « bavures » ?
l'URSS, c'est-à-dire: des équipes de
Cathéchisme révolutionnaire de Netchaïev Les camps de concentration furent ouverts,
dizaines d'étudiants et de chercheurs,
était une des lectures favorites des marxistes eux, dès 1918. Comme nous l'avons cité plus
travaillant sur de longues années, seule
russes et de Lénine. haut, ils devaient d'abord accueillir les « dou- méthode sérieuse pour établir des
teux ». L'Archipel du Goulag, malgré ses statistiques fiables.
Les langues défauts, a le mérite d'avoir été la première ten- O.Keff
se sont déliées tative d'une histoire exhaustive des camps
soviétiques, d'avoir montré une continuité
Une telle vision du droit autorisait donc la entre les politiques concentrationnaires de cités par l'Archipel du Goulag à quelques cen-
politique des otages. Suivant l'exemple de la Lénine à Brejnev et d'avoir livré au grand taines de milliers .. . (Il)
politique des suspects sous Robespierre, la public une estimation du nombre des morts Il est incontestable que les armées
Tchéka, la police politique, arrêtait par cen- (environ vingt millions). Il est bien loin le blanches laissèrent derrière elles des scènes de
taines des hommes, des femmes et des enfants temps où il était politiquement correct de désolation et d'innombrables fusillés. La guer-
appartenant aux classes « non laborieuses ». s'indigner des « exagérations »de l'auteur de re civile était une guerre au cours de laquelle
Ces derniers étaient exécutés en cas d'attentat !'Archipel du Goulag. Dans l'ex-URSS, où les on ne faisait pas de prisonniers. Il y a une
contre les bolcheviks ou en cas de victoire des langues ont commencé à se délier dès les cependant une différence de taille entre la
armées blanches. D'autres raisons pouvaient années de Glasnost, il n'est plus admis, en « terreur blanche » et la « terreur rouge ». Les
entraîner la mort : le 15 février 1919, le soviet dehors des cercles les plus ouvertement stali- bolcheviks, eux, revendiquaient leur violence.
de la Défense des travailleurs et paysans niens, de nier le caractère massif des morts. La violence s'est tellement enracinée dans la
décréta de « prendre des otages parmi les pay- Les derniers nostalgiques d'Octobre 1917, en pensée léniniste, qu'on est en droit de se
sans pour qu' ils soient fusillés si le déblaie- sont réduits à un marchandage mesquin et demander s'il ne s'est pas opérée une confu-
ment de la neige n'est pas achevé >> ( 10). macabre pour réduire les millions de morts sion entre la fin et les moyens.
Il
CAUSTE EN URSS
Il
L'ABDICATION DE NICOLAS I I
La fin du tsarisme
PAR DOMINIQUE VENNER
Il
.
DU TSARISME
Raspoutine devient
indispensable
Il
LA FIN DU TSARISM
1
Il
DU TSARISME
dégradation de la situation sociale et écono- Alexéiev n'est pas surpris. Voici des nuits
mique, la crise inquiétante du ravitaillement, qu'il ne dort plus. Au poste qui est le sien, il a
les pertes gigantesques et inutiles de l'armée acquis la conviction que 1' autocratie est
vont être exploités par les opposants et les condamnée.
révolutionnaires. Toute la journée du mardi 28 février ( 13
Tout le monde complote. Chez les monar- mars), venant du GQG de Mohilev, le train
chistes libéraux, on prétend sauver le trône en spécial de Nicolas Il roule vers Tsarskoïe Selo.
exigeant une constitution. Chez les républi- Le lendemain, l" mars (14 mars), le train est
cains et chez les socialistes on veut une révo- détourné vers Pskov, QG du front Nord. C'est
lution. Tout le monde s'accorde sur le préa- là que les chefs militaires porteront l'estocade.
lable d'un renversement du tsar et de la sup- A 20 heures, sur le quai de Pskov, le géné-
pression physique de Raspoutine. ral Rousski, commandant du front nord,
Le matin du 30 décembre 1916, Petrograd accueille le tsar.
est réveillé par l'annonce du meurtre. Les trois Chapitré par Alexéiev, Rousski dissimule
acteurs de ce drame oriental sont l'équivoque sa gêne sous une apparente brusquerie. Il
et richissime prince Youssoupov, son ami le s'efforce de démontrer à son souverain que
grand-duc Dimitri, et le député de droite Pou- Le général M. V. Alexéiev (1857-1918). Chef
toute résistance au soulèvement est inutile. La
richkévitch. de l'état-major impérial en 1917, il précipitera conversation s'éternise. On attend les réponses
« La nouvelle a excité chez les officiers l'abdication de Nicolas Il, croyant sauver la Rus- des commandants en chef des cinq fronts à qui
une joie débordante et bruyante, s'étonne le sie. Neuf mois plus tard, ce républicain sera le Alexéiev a envoyé le télégramme suivant :
créateur de la première armée blanche. « L'abdication de l'empereur Nicolas Il est
général Janin, chef de la mission militaire
française. Une bataille gagnée avec cent indispensable pour rétablir le calme dans le
mille prisonniers n'en eût pas excité davan- Samedi 25 février. On reprend le schéma pays et permettre de continuer la guerre. Si
tage.>> des jours précédents : marche sur la Nevski. vous êtes du même avis, veuillez en informer
En janvier 1917, les prix montent brutale- Des pancartes et des banderoles sont prêtes : aussitôt télégraphiquement Sa Majesté. >>
ment. On assiste à la fermeture en masse de « A bas le tsarisme ; A bas la guerre ! >> Les En début d'après-midi, le 2 mars (15
commerçants, boulangers, boucher, crémiers, manifestants se sont armés, quelques revol- mars), le général Rousski porte au tsar les
vers, des barres de fer, des bouteilles, des bou- réponses des cinq commandants en chef (dont
par suite d'arrivages insuffisants de produits
lons. la sienne) exigeant l'abdication. Un long silen-
alimentaires à Petrograd.
C'est ce jour-là que les troupes de Petro- ce suit cette lecture. Nicolas II se tourne vers la
Le 16 février, en accord avec le comman-
grad vont passer à l'émeute, se mutinant et fenêtre du wagon, un pli amer aux lèvres. Puis,
dant de la place, la municipalité de Petrograd
massacrant les officiers qui veulent s'interpo- brusquement, il déclare d'une voix ferme: «Je
décide de rationner le pain au moyen de
ser. me suis décidé. Je renonce au trône en faveur
cartes. Affolés, les petites gens se précipitent
Des émeutes et des manifestations vio- de mon fils.» Il est quinze heures.
sur les boulangeries, qui sont instantanément
lentes, la Russie tsariste en a l'habitude depuis L'acte officiel sera rédigé non en faveur du
pillées.
le début du siècle. Mais il est nouveau que tsarévitch Alexis, dont la maladie est incu-
Le 23, des femmes se rassemblent à
l'armée fasse cause commune avec l'émeute. rable, mais du grand-duc Michel, frère de
Vyborg, le faubourg ouvrier de Petrograd, et Nicolas II. Tout cela n'est que péripétie. Dans
marchent vers l'hôtel de ville, scandant le les jours qui suivront, sur pression de Kerens-
même cri:« Du pain!» L'armée abandonne le tsar
ki, le grand-duc Michel renoncera à sa préten-
La police montée disperse difficilement la tion au trône, déléguant son pouvoir au seul
manifestation qui se reforme dans les petites Le 28 février (13 mars), elle défile au
gouvernement provisoire.
rues jusqu'à la nuit. centre de Petrograd derrière des drapeaux Dans son wagon personnel, vers minuit, le
Le 24, les femmes de Vyborg reviennent à rouges ! En tête, marchent les cosaques de dernier Romanov écrit : « Il n'y a que trahi-
la charge. But de la manifestation : comme la l'Escorte ; l'élite de la garde impériale. Tous, son, lâcheté et fourberie autour de moi. >>
veille, la perspective Nevski, cœur de la capi- officiers et soldats, protestent de leur dévoue- D.V.
tale. Leurs rangs sont considérablement gros- ment au nouveau pouvoir incarné par la
sis par les grévistes des usines Poutilov et Douma, comme si, brusquement, le précédent (1) La Décomposition de l'armée et du pouvoir.
Erikson. Les premières vagues de manifestants avait été effacé de leur mémoire et de leurs Povolozky et cie, Paris, 1921.
parviennent sur la Nevski peu après midi. serments. (2) L'hémophilie est une maladie génétique
Cette fois, on ne demande plus du pain, mais Le matin même, au quartier général de transmise par les femmes et dont seuls les enfants
on réclame la république. Mohilev, le général Alexéiev, chef d'état- mâles sont victimes. Elle se caractérise par l'absen-
major général, a reçu un télégramme de Rod- ce d'une protéine spécifique dans le sérum sanguin,
Jusqu'alors, les principales organisations
qui interdit la coagulation. Il semble que cette défi-
révolutionnaires sont restées passives. Mais, zianko, président de la Douma : « Les institu-
cience fit son apparition chez la reine Victoria, qui
dans la nuit, le comité bolchevique lance un tions gouvernementales ont cessé de fonction- la transmit à sa petite-fille Alix, future tsarine
appel pour la création immédiate de soviets ner à Petrograd. Le seul moyen d'éviter Alexandra Féodorovna.
« dans les usines, dans les casernes, dans les l'anarchie est d'obtenir l'abdication de (3) Dr F. Cartwright, La Tragédie des
villes>>. l'empereur en faveur de son fils». Romanov. Paris, 1974.
Il
I(ERENSI(I PERD LA PARTIE
Il
E PREND LE POUVOIR
Il
LÉNINE PREND LE POUVOI
Il
E PREND LE POUVOIR
Il
LÉNINE PREND LE POUVOI
L'ARGENT
DE LA RÉVOLUTION
Puisqu'il faut un responsable à la déroute Le 12 septembre (30 août) 1917, Kerenski
des armées, le général en chef Broussilov est demande au général d'envoyer à Petrograd un Aux États-Unis, la poussée
relevé de son commandement et remplacé par corps de cavalerie. Il allègue la crainte de révolutionnaire est accueillie avec
Je général Kornilov, qui n'accepte ce poste troubles graves faisant suite au rétablissement enthousiasme par Wall Street et l'un des
qu'en échange du rétablissement de la peine de la peine de mort à l'arrière du front et aux éditoriaux les plus marquants de la grande
de mort dans les armées. Pendant son bref campagnes du Soviet. Mais, cinq jours plus presse d'affaires salue alors " le réveil de la
commandement en Galicie, ce général plutôt tard, quand il apprend que la Division sauvage Russie, ce géant si longtemps assoupi et qui
républicain s'est illustré en faisant fusiller les est en train de devenir une réplique slave de
- une unité de Cosaques - fait mouvement sur
déserteurs et les mutins. Son énergie contraste la démocratie américaine». Wall Street,
la capitale, Kerenski réunit Je cabinet, dénonce
justement, dont les deux piliers sont les
avec la mollesse des autres généraux, qui un complot, destitue Kornilov et annonce qu'il
frères de Max Warburg, Paul et Félix.
tremblent devant leurs soviets respectifs. prend lui-même Je commandement des Immigrés en 1902, aux États-Unis, où ils
Sa nomination au commandement en chef armées. acquis la nationalité américaine, ils
et son ultimatum au gouvernement pour le
contrôlent Kuhn Loeb and Co, première
rétablissement de la peine de mort portent son Les artifices banque mondiale de l'époque. En 1907, après
prestige au zénith. Kerenski et Je gouverne-
ment en prennent ombrage et imaginent déjà
de la démocratie une crise en grande partie artificiellement
au service du parti suscitée, Paul Warburg a été à l'origine de la
que derrière ce général se profile l'ombre de réforme du système bancaire américain.
Bonaparte. Le Soviet, de son côté, en rajoute Dès 1916, Kuhn Loeb et l'un de ses
naturellement et dénonce chaque jour Je Découvrant qu 'il vient d'être joué, le
principaux associés, Jacob Schiff, transfèrent
« cosaque sanguinaire » qui veut étrangler la fougueux général a un mouvement de rage.
de l'argent au mouvement bolchevique par le
démocratie et la révolution. Il refuse de s' incliner et lance un appel à la canal d'institutions telles que la Banque
C'est dans ce contexte que survient en sep- rébellion. A Petrograd, c'est J'affolement. Le pétro·industrielle d'Allemagne, la Disconto
tembre 1917 ce que l'on appelle Je putsch de Soviet et les bolcheviks apportent leur soutien Gelleschaft, ou encore la DEN Norske
Kornilov, qui fut bien moins que cela dans les à Kerenski. Ce ralliement n'est pas gratuit. Handelsbank d'Oslo. D'après le Washington
faits et beaucoup plus dans les conséquences. Kerenski fait libérer Trotski, puis il cède Post du 2 février 1918, dans le même temps,
L'affaire, aujourd'hui encore, paraît assez aux exigences du Soviet qui réclame l'arme- la Banque Morgan aurait au moins versé un
obscure, mais il semble bien que Kerenski ait ment des ouvriers pour défendre la capitale. million de dollars à ces révolutionnaires,
tout fait pour tendre un piège au général, Ces armes , distribuées aux gardes rouges for- adeptes de la nationalisation du crédit et des
excellent homme de guerre, mais cerveau poli- mées par les bolcheviks, ne seront jamais res ti- moyens de production...
tique plutôt frustre . Kornilov était un patriote, tuées. Entre avril et octobre 1917, le parti
il souffrait le martyre de voir son pays bascu- La Division sauvage est bloquée par des bolchevique fait un nombre prodigieux de
ler dans un gouffre. Homme d'ordre et de coupures de voie ferrée à quarante-deux recrues, ce qui ne révèle pas seulement
décision, il ne demandait qu'à servir le gou- verstes de Petrograd. Elle n'ira pas plus loin et l'habilité de ses dirigeants (et l'inefficacité
vernement pour mettre un terme au chaos. se décomposera de l'intérieur. Les terribles de ses adversaires), mais aussi l'écrasante
Mais, aux yeux de Kerenski et de la gauche, il Cosaques ne sont plus que J'apparence de ce supériorité de leurs ressources.
prenait figure de concurrent et de danger. qu 'ils étaient. Ils pouvaient dépenser sans compter
pour leurs journaux, les agitateurs et les
propagandistes qu'ils employaient à temps
complet, ainsi que pour les armes de leurs
gardes rouges. Des sommes aussi
considérables ne pouvaient provenir des
cotisations- en avril1917, le parti ne
comptait encore que quarante-neuf mille
membres- ni des ventes de la Pravda. Les
activités révolutionnaires requéraient
beaucoup d'argent. Transféré de Berlin par
la Banque impériale d'Allemagne ou la
Disconto Gelleschaft, celui-ci parvenait
jusqu'à la Banque sibérienne de Petrograd
par la VIA Bank ou plus fréquemment par la
NYA Banken, deux établissements installés
à Stockholm. Le dernier appartenait à Olof
Aschberg, surnommé par la presse
allemande le "banquier de la révolution ».
ÉRIC LAURENT
La corde pour les pendre.
Bivouac de gardes rouges à Petrograd. Ils sont recrutés parmi les ouvriers de la capitale sous prétexte Fayard, Paris, 1985, pp. 26·29.
ie défendre la révolution menacée, dit-on, par Kornilov.
Il
E PREND LE POUVOIR
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
SUR LA RÉVOLUTION RUSSE • Michel Helier et Alexandr Nekrich, L'utopie
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moissons (collectivisation des terres en URSS), Eltsine, avec des études d'Hélène Carrère siège du Soviet, entre les deux légalités, la sol-
Robert Laffont/Bouquins, Paris, 1995. d'Encausse, Vladimir Gestkoff, Oleg Kobtzeff, datesque choisit déjà la seconde pour renverser
• François Furet, Le passé d'une illusion. Vladimir Volkoff, etc.
la première. Les bolcheviks ne peuvent sou-
Essai sur l'idée communiste au xx• siècle, • L'Espagne entre Staline et Hitler (Guy
haiter évolution plus favorable. Couvert par
Robert Laffont/Caimann·Lévy, Paris, 1995. Chambarlac). N• 16 (Été 1996).
l'autorité du soviet, le CMR est entre leurs
mains.
Le 11 au soir, tout est fini, les Cosaques environ 40 000 le nombre des officiers qui La presse non bolchevique s'indigne, mais
décident de faire demi-tour. Les officiers qui sont chassés de l'armée ou qui démissionnent. le gouvernement, frappé d'apathie, reste coi.
veulent s'y opposer sont molestés ou arrêtés L'échec de Kornilov a une autre consé- Pourtant, chacun sait que l'insurrection doit
par leurs propres hommes. Les gardes rouges quence. Sous l'empire de la peur, Kerenski a coïncider avec l'ouverture du congrès de tous
et les soldats de la garnison de Petrograd qui recherché l'alliance des bolcheviks. Une les soviets convoqués pour le 8 novembre (25
se sont portés dans les faubourgs pour semaine plus tôt, ces derniers semblaient rayés octobre). Ainsi en ont décidé Lénine et Trots-
défendre la capitale n'ont pas eu à tirer un de la carte politique. En se tournant vers eux, ki. L'insurrection devra être terminée le pre-
coup de feu. La tentative désespérée du géné- il leur offrait le moyen et l'occasion d'étran- mier jour du congrès. Ni la veille parce que les
ral Kornilov a échoué. gler la fragile démocratie. délégués venant de toute la Russie ne seraient
Une nouvelle purge frappe l'armée et la pas tous arrivés. Ni le lendemain parce qu 'on
marine. Des représailles impitoyables s'abat- craint le rétablissement d'une majorité en
tent sur tous ceux que l'on suspecte de sympa-
Renverser le pouvoir faveur de Kerenski. Il faut placer le congrès
thie pour l'ancien commandant en chef. A au nom de la légalité devant le fait accompli de « sa » prise de pou-
Vyborg, une dizaine d'officiers sont jetés à voir. On reconnaît dans cette tactique la
l'eau et achevés à coups de fusil. A Helsinki, La chasse aux « kornilovistes » et aux sup- marque d'une intelligence sournoise et
plusieurs jeunes officiers de marine sont mas- posés comploteurs de droite remet en selle les manœuvrière rompue à utiliser les artifices de
sacrés à coups de crosse. De pareilles tueries bolcheviks, qu 'avait désarçonné leur soulève- la démocratie dans l'intérêt du parti pour
se produisent un peu partout. On estime à ment raté de juillet. D'accusés, ils deviennent mieux l'étrangler.
Ill
LÉNINE PREND LE POUVOI
Il
LA GUERRE CIVILE RUSSE~ 1917-1921
Les Blancs
contre les Rouges
ENTRETIEN AVEC DOMINIQUE VENNER
E
nquête sur l'histoire_: En septembre,
vous publierez aux Editions Pygma- ffi
lion/Gérard Watelet un nouveau ~
j
livre consacré à l'histoire de la guerre civile ~
russe. Il commence avec les révolutions de
1917 et même un peu avant. Vous prolongez La révolution bolchevique ? Dans un immense pays délabré, un soulèvement de mutins hérissés de
votre étude jusqu'en 1921. Ce livre est baïonnettes, conduits par une petite bande de conspirateurs fanatiques.
attendu. Il n'existe actuellement aucune
étude d'ensemble sur la guerre civile russe, tant, celui qui explique toute l'histoire du bol- drier orthodoxe), les bolcheviks n'ont aucune
pas en plus en français qu'en anglais ou en chevisme russe et du communisme mondial, expérience du gouvernement. Lénine n'a
allemand. Pourquoi ce vide historiogra- ce n'est pas Octobre, c'est la guerre civile. jamais gouverné personne, sinon sa femme. Le
phique? L'ampleur du sujet a découragé les vocations, parti lui-même lui échappe. Les dirigeants
Dominique Venner : C'est vrai, les historiens d'autant que ce qu'on y découvre ne va pas bolcheviques sont des intellectuels fanatiques,
ne se sont pas intéressés à la guerre civile dans le sens des préjugés marxistes qui ont longtemps exilés. Leur seule expérience est
russe. Sur Octobre 17, c'est-à-dire sur la prise longtemps dominé la recherche historique. celle de petites conspirations qui ne débou-
du pouvoir par Lénine, il y a inflation. En chaient sur rien. Et voilà que leur tombe sur
revanche, sur la guerre civile, quasiment rien, ESH : Pourquoi la guerre civile est-elle si les bras le plus grand pays du monde et le plus
en dehors du travail très estimable sur les importante ? peuplé d'Europe. Un pays qui a sombré dans
armées blanches fait jadis par Marina Grey et DV : Quand ils prennent le pouvoir en une totale anarchie depuis l'abdication de
Jean Bourdier. Pourtant, l'événement impor- novembre 1917 (octobre dans 1'ancien cal en- Nicolas II. Entre 1917 et 1918, la Russie a
Il
LES BLANCS CONTRE LES ROUGE
DÉNIKINE
Anton lvanovitch Dénikine (1872-1947)
est le plus célèbre des généraux blancs. Son
père était un serf qui, après avoir servi
comme soldat dans l'armée tsariste, termina
sa carrière comme officier. Après l'école
d'officiers, et l'académie d'état-major, il
participe en 1904 à la campagne de
Mandchourie. li est général en 1914 et mène
au combat la Division de fer. En mars 1917, il
voit disparaître le tsarisme sans regret, lui-
même est républicain. Destitué et même
emprisonné après le faux putsch de
Kornilov, il parvient à s'évader en novembre
1917, et à rejoindre le général Alexéiev, qui
organise l'armée des Volontaires sur le
territoire du Don. Il participe à la première
Un nouveau livre de Dominique
Venner à paraître en septembre 1997. campagne du Kouban et prend le
Une place importante y est faite aux commandement de la petite armée des
armées blanches, dont le général Déni- Volontaires à la mort de Kornilov, le 31 mars
kine (à droite) est la figure la plus 1918. Bénéficiant du soutien moral et parfois
connue. matériel de la France et de l'Angleterre, il
devient en janvier 19191e commandant en
chef des armées blanches de la Russie du
subi un cataclysme dont on ne trouve aucun ESH : C'est ce qu'on appelle le « commu- Sud. Il lance une offensive victorieuse en
exemple dans 1'histoire des derniers siècles. nisme de guerre » ? direction de Moscou, remportant une série
En quelques mois, ce n'est pas seulement DV : En réalité, le « communisme de guerre » de succès. Ses armées s'emparent de
l'État qui s'est désintégré, mais tout le corps a précédé la guerre civile. Il en est même la Tsaritsyne (Stalingrad), Koursk, Voronej,
social. La France révolutionnaire n'a rien cause. Les deux principales promesses de Kharkov et Orel. En Ukraine, il écrase les
connu de semblable. En 1918, la Russie est Lénine, la paix et le partage des terres, ont été forces nationalistes de Petlioura
devenue une table rase. Dans leurs rêves les bien accueillies par les paysans. Mais très vite (septembre), mais ses arrières seront
plus extravagants, les révolutionnaires russes les choses se gâtent. Dès le début de 1918, bientôt détruits par les partisans de Makhno,
n'avaient jamais imaginé que Je destin (notion Lénine a voulu appliquer l'utopie communiste ce qui provoque en octobre le reflux et
qui leur est étrangère) leur ferait un tel cadeau. dans l'économie, abolir le marché et l'échange l'effondrement de ses forces talonnées par
Cadeau empoisonné. Il leur faut tout improvi- monétaire remplacés par Je troc forcé. En les armées rouges. En mars 1920, son
ser, sans modèle. Pendant plusieurs mois tout échange de la réquisition de leurs récoltes et intervention au Kouban finit en catastrophe.
leur échappe. de leur bétail, on paye les paysans avec de Il est alors contraint de démissionner (4 avril
vieux stocks de produits manufacturés. Refus 1920). Sa succession est assurée par le
ESH : C'est donc la guerre civile qui a général. Les paysans dissimulent leurs grains général Wrangel. Étranger aux ambitions,
contraint Lénine et les bolcheviks à s'orga- et leurs bêtes. Les villes sont affamées. Que dépourvu de projet politique, victime aussi
niser? font les bolcheviks ? Ils ne songent pas un ins- de son refus de composer avec les
DV : Les bolcheviks ne se maintiennent tant qu'ils se sont trompés. Dans la logique nationalités, le général Dénikine reste dans
d'abord que par l'absence d'autres forces. léniniste, un obstacle est l'effet d'un complot, les circonstances effroyablement difficiles
Mais la guerre civile, qui se développe à partir d'un sabotage. Il faut trouver des coupables. de la guerre civile avant tout un soldat. A ce
je juin 1918, va les contraindre à se battre Des détachements armés interviennent dans titre, il emporte le respect. Exilé en
pour survivre. Ils vont être forcés de s'organi- les campagnes pour réquisitionner des vivres. Angleterre, en France, puis aux États-Unis, il
;er, de se discipliner, de s'unifier, de devenir Ils commencent par tuer systématiquement y meurt le 8 août 1947. Il a publié en français
vraiment le -parti militarisé et impitoyable dont ceux qu'ils appellent les koulaks. Notion La décomposition de l'armée et du pouvoir,
~énine avait toujours rêvé. C'est par la guerre extensible. Comme le dira Alexandre Zino- aux Éditions J. Povolozky & Cie, Paris s.d.
;ivile que Lénine, Trotski et quelques autres viev, « tout paysan qui ne meurt pas complète- (1921). Ses archives personnelles sont
noculent au parti la culture terroriste qui sera ment de faim est un koulak ». conservées à l'université de Columbia
:a marque. Le système policier de la Tchéka (New York, USA). Sa fille, l'historienne et
late de décembre 1917. Les premiers camps ESH : Quand cela a-t-il commencé ? journaliste Marina Grey lui a consacré un
le concentration, vrais camps de la mort, sont DV : Dès janvier 1918, Lénine a lancé le mot livre intitulé : Mon père, le général Dénlkine
:réés dès le début de 1918, et la terreur de d'ordre : « Nettoyer la terre russe de tous les (Perrin, Paris 1985). Avec la collaboration de
nasse est instituée en juillet de la même insectes nuisibles >> . Le sens est clair. Pour Jean Bourdier, elle a également publié Les
.nnée. Staline n'a rien inventé. Il n'a fait que ceux qui ne comprennent pas, Lénine ajoute : armées blanches (Stock, 1968).
on ti nuer. « Tant que nous n'appliquerons pas la terreur-
NCS CONTRE LES ROUGES
limite de l'avance
- - - · de Denikine vers Moscou
chemin de fer
BOO km
MANNERHEIM
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0
fassent l'expérience de l'occupation rouge révoltes se sont produites bien après la des- Le maréchal Carl Gustaf Mannerheim
pour comprendre et se décider à prendre les truction des dernières armées blanches. (1867-1951) au temps de la guerre
armes. Le territoire du Don accueille pourtant d'indépendance finlandaise (il n'est alors
le général Alexéiev, ancien chef d'état-major ESH : Existe-t-il des exemples de succès des que général). Il est né près de Turku dans
impérial. C'est lui qui a renversé le tsar, Blancs? une vieille famille d'origine suédoise. Jeune
croyant sauver la Russie. C'est un républicain DV : Au cœur de l'ancien Empire russe, les officier aux chevaliers gardes russes,
comme beaucoup de généraux des armées Blancs ont échoué, mais dans plusieurs breveté d'état-major, il participe à la guerre
blanches. Plus personne régions périphériques, ils russo-japonaise (1904).11 commande un
n'est monarchiste à ont triomphé, ce qu 'on corps d'armée en 1917. Lors de la révolution
1'époque. Il est rejoint par A la fin de 1918, oublie toujours. En trois de Février (mars}, il juge qu'on ne peut rien
Kornilov, Dénikine et Lénine craint d'être circonstances où le com- sauver en Russie, alors que tout est
quelques autres. Mainte- vaincu par les Blancs bat des Blancs s'est possible en Finlande qui vient de proclamer
nant qu'ils ont le dos au confondu avec une guerre son indépendance. Il prend donc le
mur, ces généraux préfè- de libération nationale, ils commandement des gardes blancs
rent mourir le sabre à la main. Mais leur armée ont été vainqueurs. En Finlande au début de finlandais face à l'Armée rouge présente sur
n'est qu'un fantôme et leurs bottes sont 1918, dans les Pays baltes au cours de l'année place. Cette guerre revêt un caractère
trouées. Ils sont suivis par une poignée de 1919, en Pologne durant l'été 1920. En ces national et politique. Après avoir écrasé les
cadets faméliques et de Cosaques sans che- trois circonstances, le nationalisme a triomphé Rouges à Tempere, il achève en mai 19181a
vaux. En souvenir de la Révolution française, du bolchevisme. Et cet adversaire est le seul libération de sa patrie. Élu régent du nouvel
les bolcheviks les appellent les « Blancs ». De devant lequel le communisme, tout au long de Étal, il obtient des Alliés la reconnaissance
ce nom, ils feront un drapeau. Moins d'une son histoire, sera contraint de reculer. de l'indépendance finlandaise en décembre
année après, les Blancs sont devenus des cen- 1918, puis il se retire de la politique, tout en
taines de milliers, du Caucase à la Sibérie. La ESH : Quelles sources avez-vous utilisées ? présidant le Conseil de défense de 1931 à
politique de terreur instaurée par Lénine et les DV : J'ai d'abord établi une chronologie 1939. Il a été élevé au maréchalat en 1933.
réquisitions forcées ont soulevé des popula- minutieuse, du côté blanc et du côté rouge, Commandant en chef pendant la guerre
tions entières. La Finlande, les Pays baltes, région par région. J'ai évidemment créé un d'Hiver (1939-1940}, il est l'âme de l'héroïque
l'Ukraine, la Géorgie, l'Arménie s'insurgent fichier par sujet et par grands acteurs de la résistance finlandaise à l'agression
lUssi pour leur indépendance. A la fin de guerre civile, politiques ou militaires. Simulta- soviétique. Il dirige les opérations militaires
1918, les bolcheviks sont aux abois, encerclés nément, j'ai dépouillé une masse considérable en liaison avec les Allemands jusqu'en 1944.
ie toutes parts. « Nous avons raté notre de souvenirs et relations de l'époque. J'ai utili- Quand la défaite devient inéluctable, il est
:oup », dira Lénine. sé aussi les travaux récents résultant de élu président de la République afin de
l'ouverture partielle des archives soviétiques. faciliter la conclusion d'un armistice avec
~SH : Les Blancs pouvaient-ils gagner ? l'URSS (août1944}, qui préserve
)V : Pourquoi pas ? Certaines archives ESH : Que trouve-t-on dans ces archives ? l'indépendance de la Finlande. Il abandonne
écemment dépouillées prouvent que Lénine DV : Des précisions et des confirmations. La ses fonctions pour raisons de santé en 1946.
:tait extrêmement inquiet à la fin de 1918. La trace de la panique qui s'empare de Lénine Avec Pnsudski en Pologne, il est l'un des
ésistance aux bolcheviks fut beaucoup plus durant l'été 1918 et au printemps 1919. La seuls généraux blancs qui aient triomphé
orte qu'on ne l'a dit. La résistance de la pay- preuve de sa responsabilité personnelle dans le des Rouges de façon durable. Ses Mémoires
annerie n'a d'ailleurs jamais cessé. Des massacre de la famille impériale. Des faits ont été publiés chez Payot en 1952.
Il
NCS CONTRE LES ROUGES
WRANGEL
accablants sur son rôle dans l'institution de la développé un thème que l'on retrouvera dans
terreur de masse (le mot est de lui). Des préci- Les Blancs et les Rouges, celui de la rébellion
sions sur le contrôle policier de 1'Armée rouge contre la fatalité, même au fond de la défaite.
dès le début de la guerre civile. On a aussi Dans un autre ordre d'idées, la guerre civile
découvert que le fameux John Reed, ce pur russe, comme les autres conflits, montre
intellectuel américain ami de Lénine, était en l'importance du hasard ou du destin dans
fait un stipendié du parti. l'enchaînement imprévu des événements. Elle
montre aussi que l'histoire est le lieu où
ESH : Parmi les généraux blancs, avez-vous s'affrontent mortellement des forces spiri-
des personnages préférés ? tuelles, ce que peuvent être des armes ou des
DV : Les figures nobles ou romantiques ne machines, celles-ci n'étant jamais que la maté-
manquent pas chez les Blancs : Dénikine, Kor- rialisation d'une certaine culture, de la volonté
nilov, Kappel, Koutiepov, et bien d'autres. et de la passion.
Deux personnalités se hissent cependant au-
dessus des autres, Wrangel et Mannerheim. ESH : Qu'est-ce que la guerre civile russe
Aux qualités militaires classiques, ils ajoutent nous apprend sur l'histoire spécifique du
celles du grand politique. L'un et l'autre ont XX' siècle?
révélé leurs dons dans les situations d' excep- DV : Pour reprendre la formule de Nietzsche,
tion de la guerre civile. Appelé trop tard au 1'une des particularités du siècle est d'avoir
Le général Pierre Nikolaïevitch Wrangel pouvoir, la défaite étant certaine, le premier ne pensé la politique dans la perspective de la
(1878-1928) fut le dernier et le plus habile pourra que finir en beauté, alors que le second mort de Dieu. Dans une époque qui n'a plus
des grands généraux blancs. Capitaine de la assurera 1' indépendance de 1'héroïque Finlan- de religion, la politique tient lieu de religion.
Garde à cheval en 1914, le baron Wrangel de non seulement en 1918, mais de nouveau Cela explique à mon sens l'intensité et la féro-
commande un corps de cavalerie cosaque à pendant la guerre d'Hiver de 1939-1940, et cité des combats idéologiques. De ce point de
la veille de la Révolution qui trouve en lui un une fois encore dans les circonstances tra- vue, la guerre des Rouges et des Blancs est
adversaire résolu. Partisan avoué de giques de 1944-1945. exemplaire. Elle a ouvert une ère nouvelle de
Kornilov, il se réfugie avec sa famille en l'histoire du monde. Tout en faisant la conquê-
Crimée après la prise de pouvoir ESH : Comment cette histoire de la guerre te de l' immense Russie, les bolcheviks ont
bolchevique. Arrêté à Yalta par des marins civile russe se place-t-elle par rapport à vos déclaré la guerre à l'ensemble du « vieux
rouges en janvier 1918, il échappe à la mort autres livres ? monde », une guerre nouvelle. Pas la guerre
par miracle. Il rejoint Rostov en septembre DV : J'ai consacré un certain nombre de tra- classique entre les États, mais une guerre civi-
1918 pour se mettre à la disposition de vaux aux grands conflits politiques et mili- le à 1'intérieur de chaque État. Cette guerre
Dénikine qui lui donne un corps de taires du XX' siècle, dont la guerre de Séces- civile mondiale est née en Russie entre 1918 et
cavalerie. Il fait rapidement preuve sion américaine est le prélude. J'y ai souvent 1921. Elle a marqué de son empreinte tout le
d'aptitudes exceptionnelles dans la guerre XX' siècle. C'est à partir d'elle, par réaction,
civile, reprenant en main des troupes qu'ont surgi le fascisme italien et le national-
débandées, s'emparant du Kouban et du socialisme allemand, même s'ils ne se limitent
Terek. Nommé à la tête de l'armée du pas à cette réaction.
Caucase le 27 décembre 1918, il s'oppose à
Dénikine sur le plan stratégique de la ESH : Quelle différence y a-t-il entre votre
marche sur Moscou. Il s'empare cependant nouveau livre et l'Histoire de l'Armée rouge
de Tsaritsyne (future Stalingrad) le 30 juin que vous aviez publiée chez Plon en 1981 ?
1919. Après les revers de la fin 1919 et la DV : Toute la différence qui sépare deux livres
crise au sommet de mars 1920, il est différents. Dans mon Histoire de l'Armée
désigné par ses pairs pour succéder à rouge l'époque de la guerre civile était étudiée
Dénikine. En peu de temps, il remet sur pied comme la matrice de l'Armée rouge, donc du
une armée et donne vie en Crimée au seul côté bolchevique, ce que personne n'avait fait
véritable projet politique opposé aux avant moi. Dans mon nouveau livre, la pers-
Rouges par les Blancs. Mais il est trop tard. pective est renversée et considérablement élar-
Ayant concentré ses forces en Crimée, il gie, avec une optique et un choix de sujets
réussit cependant l'exploit de les évacuer beaucoup plus vastes.
par mer en novembre 1920 à la barbe de PROPOS RECUEILLIS
l'Armée rouge. Jusqu'à sa mort en 1928 PAR VIRGINIE TANLAY
(empoisonné peut-être par la Guépéou), il
dirigera l'émigration russe. Ses Mémoires Dominique Venner, Les Blancs et les Rouges,
ont été publiés à Paris par Tallandier en Histoire de la guerre civile russe 1917-1921 (Pyg-
1930. malion/Gérard Watelet). Ouvrage à paraître en sep-
Dominique Venner. tembre 1997.
/
LA DICTATURE DE BELA 1( UN
La Hongrie en péril
PAR JEAN KAPPEL
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;.
plies par les « gars de Lénine» » une troupe
d'assassins sadiques conduits par un certain
Tibor Szamuely, un vieux compagnon de Béla
Kun.
Les voisins de la Hongrie, en place pour la
curée, voient tout d'abord d'un bon œil ce qui
reste du pays s'enfoncer dans le chaos mais
l'avance des troupes tchèques et roumaines
suscite un sursaut patriotique dans un pays que
le pauvre Karolyi avait proclamé « neutre » et
privé par conséquent de toute force militaire.
L'armée populaire constituée en catastrophe
sous les ordres du colonel Stromfeld remporte
quelques succès sur les Tchèques en juin 1919 ;
elle ne peut cependant empêcher l'avance de
l'armée roumaine, qui s'approche de Budapest
dès le mois de juillet.
Béla Kun (1886-1937). L'amiral Horthy (1868-1957).
Incendie rouge en Europe
crate de Hongrie alors qu'il était encore thy s'installe à Szeged avec l'aide des Alliés.
lycéen. Il entame des études de droit à Cluj en Découragés, les sociaux démocrates qui ont
Dans la capitale, le pouvoir soviétique
1903 mais les abandonne dès l'année suivante soutenu Béla Kun parviennent à se débarrasser
légifère à tour de bras, décrète une réforme
pour se consacrer au journalisme. Après avoir de lui le 31 juillet, alors que les forces rou-
agraire qui lui vaut l'hostilité unanime de la
fait ses premières armes à Budapest, il se maines approchent de Budapest. Mis en mino-
population paysanne, annonce des nationalisa-
retrouve permanent du parti, au sein d'une rité, l'agitateur quitte le pays pour l'Autriche
tions purement formelles dans un pays dont
mutuelle ouvrière. De tendance extrémiste, il où il sera incarcéré quelque temps avant de
l'économie est totalement sinistrée, sépare
condamne toute tentation réformiste et dénon- regagner la Russie. Dès le 3 août, les Rou-
l'Église de l'État, ce qui le coupe définitive-
ce 1'entrée en guerre. Mobilisé, il déserte sur mains entrent dans Budapest qu 'ils vont entre-
ment des masses catholiques. Appuyée sur une
le front des Carpates et se retrouve dans un prendre de piller méthodiquement et ce n'est
base politique et sociale trop réduite, le pou-
camp de prisonniers à Tomsk. C'est là qu'il qu 'en novembre 1919 que le futur régent Hor-
voir soviétique compense sa fragilité par la
rejoint, au cours de 1'année 1917, la section thy fait son entrée dans la capitale. Les élec-
généralisation de la terreur. Des unités révolu-
bolchevique locale. Installé à Petrograd au tions de janvier 1920 dégagent une majorité
tionnaires mobiles sillonnent les campagnes
lendemain de la révolution d'Octobre, il fait conservatrice qui devra supporter le diktat de
pour y liquider les opposants ou supposés tels.
ses premières armes dans la sinistre Tchéka, Trianon. Les hommes de la révolution sovié-
Béla Kun et ses partisans attendent en fait
après quoi Lénine l'envoie en Hongrie dès tique doivent alors rendre des comptes et la
l'arrivée libératrice de l'Armée rouge. En ces répression est à la mesure des crimes qu'ils ont
novembre 1918, pour y constituer, le 24, un temps de chaos politique et social, le messia-
parti communiste inspiré du modèle bolche- perpétrés. Elle prend parfois une tournure anti-
nisme révolutionnaire qui anime les dirigeants sémite car, tout comme Béla Kun ou Szamue-
vique dont il va assurer la direction. Il tire pro- bolcheviques russes est tout aussi présent à
fit des insuffisances de Karolyi, le « Kerenski ly, trente-deux des quarante-cinq commissaires
Budapest. La fin de la guerre ne peut du peuple étaient juifs. A côté de la répression
hongrois ». Dans un pays traumatisé par une qu 'annoncer l'imminence de la révolution uni-
crise sans précédent, victime de l'arbitraire légale, les actions incontrôlées des groupes
verselle prophétisée par Marx. Déjà Berlin, nationalistes et contre-révolutionnaires font de
des puissances victorieuses, le courant révolu- Dresde et Munich se sont embrasées, des nombreuses victimes.
tionnaire disposait de larges possibilités de grèves révolutionnaires agitent l'Italie, le pro- Reparti en Russie, le sinistre Béla Kun s'y
développement. L'échec, à la fin de janvier, létariat hongrois accueillera donc bientôt en illustre à sa manière en participant activement
d'une tentative de coup de force vaut toutefois libératrice une Armée rouge porteuse des len- aux massacres accomplis en Ukraine et en Cri-
à Béla Kun de se retrouver en prison avec cer- demains qui chantent. Partout, la III' Interna- mée à l'issue de la guerre civile. Il joue ensuite
tains de ses complices, mais la démission de tionale communiste lui aura préparé le ter- un rôle important au sein du Komintern, avant
Karolyi lui rend la liberté. La population rain... Illusions que tout cela. Les Alliés de disparaître en 1937, fusillé ou victime du
ouvrière, qui n'a plus rien à perdre et subit la contrôlent la situation et les nations d'Europe goulag stalinien, après avoir été accusé d~
fascination qu'exerce alors la révolution russe centrale bénéficiaires de la guerre, notamment « trotskisme ». Plus heureux, le comte Karolyt
le porte à la tête de la République des soviets. la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Rouma- qui a pris une si grande part au naufrage de
Le Conseil des commissaires du peuple qui est nie, n'ont aucune intention de laisser se déve- son malheureux pays, a terminé tranquillement
alors mis sur pied compte une majorité de lopper au cœur du continent un foyer d'infec- ses jours sur la Côte d'Azur en 1955.
communistes mais il ne contrôle que le centre tion révolutionnaire. J.K.
du pays et, à Budapest même, c'est par la ter- Alors que la Hongrie s'enfonce dans la
reur que le nouveau régime doit s'imposer. crise, l'anarchie et la terreur, un gouvernement ( 1) Voir Enquête sur l'histoire no 7 (1993) sur
Des centaines d'exécutions sont ainsi accom- contre-révolutionnaire dirigé par l'amiral Hor- <<Les crimes politiques >>.
/
Weygand à Varsovie
PAR GUY CHAMBARLAC
S
i les bolcheviks ont triomphé au cours de
la guerre civile dans la partie russe de
1' ancien empire des tsars, à trois reprises
ils ont échoué face à des nationalités vigou-
reuses et homogènes. En Finlande d'abord au
début de 1918, dans les Pays baltes ensuite,
dans le cours de 1919, en Pologne enfin,
durant l'été 1920.
Forgée par deux années d'une terrible
guerre civile contre les Blancs, 1'Armée rouge
est devenue une force redoutable. Elle compte
cinq millions d'hommes sous les armes et ses La première page du Petit Journal du dimanche 12 septembre 1920 célèbre la victoire remportée à
généraux, sélectionnés par la guerre, ne sont Varsovie par l'armée polonaise sur l'Armée rouge. On voit la foule acclamant les officiers français dans
plus des novices. Kamenev, Frounzé, Toukhat- Varsovie. En médaillon, les deux artisans de la victoire. A gauche, le général Weygand; à droite, le géné-
chevski, Iégorov, Boudienny, chacun dans leur ral Henrys, chef de la mission militaire française.
registre, se croient capables de se mesurer aux
meilleurs généraux européens. Et justement, donc une base d'assaut, rien de plus, pour por- puis en mars 1919. Sans la brutale intervention
l'occasion semble se présenter. ter la révolution là où elle doit s'épanouir, dans des Corps-francs, les féroces Freikmps du
Lénine et le Politburo bolchevique ne se les sociétés industrielles les plus évoluées, à « Chien de sang », Noske, le communisme
sont jamais satisfaits d'avoir triomphé dans la commencer par 1'Allemagne, patrie de Marx. serait déjà au pouvoir à Berlin. Mais voici
Russie arriérée. Suivant le schéma marxiste, Le pays le plus industrialisé et le plus avancé qu'une nouvelle occasion se présente. La Ruhr
qui imprègne leur esprit, c'est le dernier pays d'Europe, qui compte aussi le plus puissant est en ébullition, on y forme des gardes rouges.
où la révolution prolétarienne a des chances de parti social-démocrate. Certes, ce parti ne s'est A Berlin même, les anciens spartakistes se pré-
réussir. Marx n'a jamais dit que la paysannerie pas rallié au bolchevisme, il le combat même. parent. Il est clair qu 'une Armée rouge triom-
était la classe de l'avenir, au contraire. Et la Mais tous les signes montrent que les choses phante, déferlant au-delà de Varsovie, droit sur
réalité de la Russie, ce n'est pas le prolétariat vont changer. Le mouvement spartakiste avait Berlin, trouvera sur place des bataillons de par-
industriel, c'est la paysannerie. La Russie est failli l'emporter à Berlin en décembre 1918, tisans allemands pour lui donner la main.
AND À VARSOVIE
troupes polonaises en Ukraine, 1'ex -colonel deux fronts d'attaque. L'un, au sud, avec Stali-
Chapochnikov, chef d'état-major général ne aux fonctions de commissaire politique, est
adjoint de l'Armée rouge, a dressé un plan de commandé par Iégorov, ancien officier impé-
campagne contre la Pologne, celui-là même rial entièrement acquis aux soviets. Il com-
qui sera appliqué en juillet. prend les 12' et 14' armées, et surtout la Jè"
La menace d'agression repose sur 1'absen- armée de cavalerie de Boudienny. Il doit
ce de frontières définies entre les deux États. suivre l'axe naturel de Kiev à Varsovie par
Le projet soviétique d'une petite Pologne ne Lublin.
coïncide nullement avec les ambitions polo- Le deuxième front attaquera au nord-
naises. Il est donc évident qu'un jour il fau- ouest, par Minsk et la Biélorussie, avec égale-
drait en appeler aux armes pour trancher. ment Varsovie comme objectif. Il est comman-
Le maréchal Jozef Pilsudski (1867-1935), Le 26 avril 1920, les troupes polonaises, dé par Toukhatchevski et comprend les 3', 4',
artisan de l'indépendance polonaise. Né appuyées par 20 000 haïdamaks (partisans 15' et 16' armées.
dans une famille noble lituanienne sous la nationalistes ukrainiens) pénètrent en Ukraine En face, l'armée polonaise est de constitu-
domination russe, participe très tôt à et s'emparent de Kiev. tion très récente. Elle est recrutée par conscrip-
l'activisme révolutionnaire. En 1892, il est La victoire de Pilsudski sera brève. tion, mais comporte un grand nombre de
l'un des fondateurs du parti social-démocrate L'Armée rouge, sans être un modèle d'organi- volontaires. Son encadrement, d'origines
polonais et participe aux troubles de 1905. sation, est une force considérable. Iégorov diverses, n'est pas homogène. Les officiers ont
Par la suite, il évolue du socialisme au attaque par le sud et Toukhatchevski par le été formés pour l'essentiel, soit dans l'armée
nationalisme, préparant dès 1908 en Galicie nord. Leur action est favorisée par la paysan- autrichienne, soit dans l'armée russe, soit enfin
des groupes paramilitaires polonais destinés nerie ukrainienne qui se soulève contre l'enva- dans l'armée française (les cinq divisions de
à lutter contre la Russie en cas de guerre. En hisseur. Kiev est reprise le 12 juin 1920. l'armée Haller). Le haut commandement, très
1914, il lève une légion polonaise qui combat En juillet 1920, les Polonais, chassés attaché à ses prérogatives, n'est pas toujours
aux côtés des Autrichiens. Mais en 1917, il d'Ukraine, ont repassé les frontières ethniques au niveau de ses ambitions. Il a la chance
est emprisonné par les Allemands qui voient de la Pologne. Lénine veut poursuivre la cam- d'être épaulé par une importante mission mili-
d'un mauvais œil l'influence autrichienne en pagne si brillamment engagée, marcher sur taire française qui comprend deux cents offi-
Pologne. Rentré à Varsovie en novembre Varsovie, s'emparer de la capitale polonaise, y ciers, dont le capitaine de Gaulle et, à partir du
1918, il prend le commandement des forces proclamer une république des soviets et pour- 21 juillet, le général Weygand, ancien chef
polonaises et devient chef d'État provisoire. suivre en direction de Berlin. Il sait convaincre d'état-major du maréchal Foch, qui, avec tact
Il apporte son soutien à l'Ukraine les autres membres du Politburo, et donne et discrétion, sera le véritable stratège de la
indépendante de Petlioura, mais il est 1'ordre de marcher sur Varsovie avec le slogan défense polonaise au moment décisif de la
contraint d'évacuer Kiev devant l'avance des « la révolution mondiale passera sur le
bataille de la Vistule (2).
Rouges qui semblent sur le point de cadavre de la Pologne ! » Les succès faciles enregistrés par le front
s'emparer de toute la Pologne. Il rétablit Un futur gouvernement des soviets polo- sud en Ukraine étaient naturellement pour
miraculeusement la situation sous les murs nais embarque dans les fourgons de l'armée. Il beaucoup dans la décision de porter la guerre
de Varsovie en août 1920, rejetant l'Armée compte parmi ses membres la figure inquiétan- en Pologne même. Ils invitaient à sous-estimer
rouge, ce qui fait de lui un héros national. te de Dzerjinski, fondateur et chef de la Tché- l'adversaire et à manquer de prudence, ce que
Retiré des affaires publiques, il revient au ka. En Pologne même, les agitateurs bolche-
pouvoir à la faveur d'un coup d'État (12 mai
va faire Tchoukhatchevski à la tête des armées
viques passent à l'action. Celle-ci aura peu du nord-ouest. Son offensive commence le 4
1926), exerçant une dictature à la romaine d'influence sur la population mais elle ne sera
jusqu'à sa mort, le 12 mai 1935. juillet 1920 sur la Berezina. Avec une audace
pas sans effet sur le moral de certaines unités
qui frise la témérité, il exécute en quarante
polonaises.
jours une marche qui fait parcourir à ses
Varsovie ? Justement, la situation est favo- troupes 600 kilomètres, sans cesser de pour-
rable.
Les espérances de Lénine suivre les troupes polonaises en déroute. Au
Lorsque les am1ées blanches de Dénikine et les imprudences début d'août, il est en vue de Varsovie et à
ont été défaites en Ukraine et ont reflué au de Toukhatchevski quelques étapes de Berlin. Le jeune chef qui
début de 1920, remplacées par l'Armée rouge, vole ainsi vers la victoire et rêve d'entrer le
le gouvernement polonais du maréchal Pilsud- Dans les derniers jours de juillet et les pre- premier dans Varsovie en attendant mieux,
ski a décidé que le moment était venu d'inter- miers jours d'août 1920, le 2' congrès du peut difficilement ne pas songer à Bonaparte
venir. La Pologne a toujours considéré Komintern siège à Moscou. On attend et à sa campagne d'Italie. Être un général vic-
l'Ukraine comme un prolongement naturel et l'annonce de victoires décisives. Chaque jour, torieux, porté par les baïonnettes d'une révolu-
ses intérêts y sont grands. les participants regardent une grande carte tion conquérante, quand on a vingt-sept ans,
Depuis la fin de 1919, c'est-à-dire depuis dans la salle : les drapeaux rouges s'avancent n'incite guère à la modération. Le succès lui
l'effondrement de toutes les armées blanches, vers l'ouest. L'espoir flambe. La révolution va fait abandonner toute mesure.
Pilsudski est convaincu que les Soviétiques se propager à toute l'Europe ... Une poursuite si rapide et si lointaine en
lanceront une agression contre la Pologne. Dès L'Armée rouge, sous le commandement pays ennemi ne peut se développer sans lignes
février 1920, deux mois avant l'entrée des suprême de Serge Kamenev(!), est divisée en d'étapes convenablement assurées, un état-
WEYGAND À VARSOVI
major bien organisé, des troupes fortement ordres reçus, cherche un succès personnel pour
encadrées et bien instruites. En août 1920, le compte de Staline à Lvov.
1' Armée rouge ne présente pas de telles quali- Les Rouges abandonnent 66 000 prison-
tés. Les chefs au niveau le plus élevé trahis- niers, 231 canons, plus de 1 000 mitrailleuses.
sent leur inexpérience du commandement des Toute la 4' armée soviétique est détruite et ses
grandes unités. Ni le commandant en chef débris se réfugient en Prusse-Orientale sous
Serge Kamenev ni Toukhatchevski ne seront protection allemande. Des 22 divisions sovié-
en mesure d'assurer 1'unité de commandement tiques, il n'en échappe que 12, momentané-
au moment de la bataille décisive. Toukhat- ment hors de combattre en raison des pertes
chevski, resté à Minsk avec son QG, sera subies. Seul, le komdiv Gaï et ses cavaliers
beaucoup trop loin des opérations pour peser parviennent à se frayer un chemin à coups de
sur elles. De son côté, Kamenev ne pourra sabre à travers les colonnes polonaises épui-
imposer au moment voulu sa volonté à ses sées par une marche forcée.
subordonnés. En douze jours, Toukhatchevski venait de
Les deux fronts d'attaque devaient, sui- perdre tout le bénéfice de sa victoire de juillet. Il
vant le plan initial, converger vers Varsovie. est contraint de céder le terrain conquis, en
Mais celui du sud va obliquer vers l'ouest en Le général Maxime Weygand (1867-1965). abandonnant un très grand nombre d'hommes et
direction de Lvov (Lemberg). Cette décision Chef d'état-major du général Foch dès 1914, il une grande quantité de matériel de guerre. Son
est prise sous l'influence du commissaire poli- reste son plus proche collaborateur jusqu'en 1918. front culbuté, il doit fuir avec ses troupes déban-
tique Staline. Celui-ci n'entend pas partager la Nommé major général en mars 1918, il a pris une dées pour chercher refuge de l'autre côté du
gloire d'une victoire avec Toukhatchevski. Il part essentielle à la victoire finale sur l'Alle- Niemen et du Boug. Tous les plans de conquête
magne. Envoyé par le gouvernement français en du gouvernement des soviets se sont effondrés.
lui faut une proie à sa mesure, ce sera Lvov.
Pologne, comme conseiller militaire, en juillet
Kamenev voit le danger. L'ennemi pourra Lénine se voit contraint de proposer la paix qui
1920, il définit le plan stratégique qui permet de
s'élancer dans 1'intervalle entre les deux vaincre l'Armée rouge devant Varsovie le 20 août. établira des frontières communes favorables à la
armées pour les couper et peut-être les battre Pologne, jusqu'à la revanche de 1939 obtenue
tour à tour. Il envoie message sur message au grâce au pacte germano-soviétique (4).
çais qui veilleront à l'efficacité de l'artillerie
groupe sud lui enjoignant de rallier Varsovie. Au cours de cette guerre, les Polonais se
et à l'organisation des plans de feu, n'hésitant
En vain. Quand Staline s'y décidera enfin, il sont battus seuls contre l'Armée rouge (hormis
pas à prendre directement les choses en main.
sera trop tard. l'aide des conseillers militaires français et du
L'idée de ce« camp retranché » sera la deuxiè-
matériel débarqué à Dantzig) et ils ont vaincu,
me forte intuition de Weygand.
Le plan Weygand et la démontrant par le jugement des armes leur
Appuyée sur cette réserve et sur cette
droit à l'existence et imposant des frontières
déroute de l'Armée rouge résistance, la contre-offensive polonaise com-
que jamais les soviets ne leur auraient concé-
prend deux opérations. La première incombe
dées sans y être contraints.
La bataille de Varsovie ou « miracle de la au « camp retranché de Varsovie » qui fixera
G.C.
Vistule » se développe sur un front immense Toukhatchevski. Elle est confiée au général
de 350 kilomètres. Quatre armées rouges et Sikorski et à sa 5' armée. (1) Ne pas confondre avec Lev B. Rosenfeld,
demie y prennent part, contre cinq armées La seconde, dite de rupture, sera menée dit Kamenev, beau-frère de Trotski, 1'un des princi-
polonaises. par les réserves constituées de sept divisions paux dirigeants du parti, liquidé en 1936.
Tout semble craquer du côté polonais. Le d'infanterie et une brigade de cavalerie. Ce (2) Le rôle déterminant du général Weygand a
corps diplomatique évacue la capitale. C'est groupement d'attaque, commandé en personne été clairement établi par 1'étude des archives du ser-
alors que le 6 août un plan de bataille est arrê- par le maréchal Pilsudski, s'élancera droit au vice historique de l'armée, dont les conclusions ont
té sur les conseils pressants du général Wey- nord pour tomber sur le flanc dégarni de Tou- été présentées par les colonels Le Goyet et Costan-
tini lors du colloque sur la guerre polono-soviétique
gand qui en laisse habilement le bénéfice au khatchevski.
organisé par le Laboratoire de slavistique en 1973.
maréchal Pilsudski, mais veille étroitement à Le rôle des conseillers militaires français Les actes ont été publiés par les éditions de 1'Âge
son exécution. Weygand a connaissance du pour la mise en œuvre pratique de ces opéra- d'homme, Lausanne, 1975. Voir aussi Dominique
mouvement des armées rouges du front sud en tions est essentiel. « A Radzymin, les 14 et 15 Venner, Les Blancs et les Rouges, Histoire de la
direction de Lvov. Il comprend qu'il n'a provi- août, à Nowo-Minsk, le 17, des officiers fran- guerre civile russe, Éd. Pygmalion, 1997.
soirement rien à redouter de ce côté. Il peut çais, en gants blancs, la cravache à la main, (3) G. V. Saint-Dizier, L'Aigle blanc contre
donc démunir le sud pour se constituer une marchaient avec les premières lignes polo- /'Étoile rouge (Éd. Berger-Levrault, 1930). Il faut
réserve de contre-attaque. C'est sa première naises afin d'exalter le moral des troupes (3). » noter que ces officiers français n'ont pas le statut de
intuition remarquable. Dès le 15 août, les résultats commencent à belligérants et que leur capture par les Rouges équi-
vaut à un arrêt de mort.
Il voit également que la contre-offensive se faire sentir. Bénéficiant d' une surprise tota-
(4) Le traité de paix de Riga signé en 1921
doit être amarrée solidement sur la défense de le, la contre-offensive décisive enfonce la
entre la Pologne et la Russie des soviets partagera
Varsovie, ce que l'on appellera en terme imagé gauche affaiblie de Toukhatchevski, le contrai- 1'Ukraine entre ces deux puissances, mettant fin à
le « camp retranché » de Varsovie. Tâche écra- gnant à une retraite qui se transforme bientôt son rêve d'indépendance. La Seconde Guerre mon-
sante à laquelle il apportera toute sa science de en déroute. Les Polonais n'ont pas à redouter diale corrigera la question au profit de l' Union
la défense, aidé et relayé par les officiers fran- une intervention de Boudienny qui, malgré les soviétique .
L'Espagne échappe à Staline
Groupe très minoritaire à la veille de La dissolution intempestive des Cortes surtout, la révolte anarchiste de Barcelone au
la guerre civile, en 1936, le Parti favorise la conclusion, le 5 janvier 1936, de mois de mai, bientôt suivie de la liquidation
l'accord électoral qui fonde le Frente popular, par les staliniens des trotskistes du POUM et
communiste espagnol profitera de auquel se rallie avec enthousiasme le leader de de leur chef Andrés Nin, aboutissent à la dis-
l'aide massive apportée par Staline l'aile gauche du parti socialiste, Francisco parition de Largo Caballero, remplacé par
au camp « républicain » dans le but Largo Caballero, celui que l'on surnomme Negrin. Avec le nouveau chef du gouverne-
de transformer l'Espagne en base alors avec emphase le « Lénine espagnol ». ment l'influence des communistes s'accroît
Les réserves émises par les modérés du parti, encore et leur autorité tend à s'imposer à
rouge au sud de l'Europe. Le
Manuel Azafia et Indalecio Prieto, ne peuvent l'ensemble du camp républicain. Le ministre
communisme en profitera, mais la rien contre la dynamique unitaire qui doit per- de la Guerre, Indalecio Prieto, supporte de
République en mourra. mettre de venger la défaite électorale subie par plus en plus mal cette situation, tente de
les gauches en novembre 1933 et l'échec de la reprendre en main l'armée et de mettre au pas
les Brigades internationales mais il est écarté
P
our les vainqueurs de la « Croisade » « Commune asturienne » d'octobre 1934.
entamée en juillet 1936 et conclue en Déjà, les Jeunesses socialistes se sont fondues en avril 1938 pour se retrouver ambassadeur
mars 1939, le communisme a fait figure - à l'initiative de Santiago Carrillo - dans les au Chili. A partir de ce moment et jusqu'en
d'ennemi privilégié et c'est la mobilisation Jeunesses communistes et, six mois après la mars 1939, c'est l'apogée du communisme
contre lui qui a, dans une large mesure, légiti- victoire remportée par le Front populaire en espagnol mais la majeure partie des républi-
mé par la suite le régime franquiste. Faut-il février 1936, celles-ci vont prendre une part cains accepte mal qu'un parti dirigé de l'étran-
pour autant considérer que les communistes décisive à la réaction qui fait suite à 1'insurrec- ger puisse leur imposer ses volontés et, dans
ont été à l'origine de l'immense tragédie que tion nationaliste du 18 juillet. les derniers jours des combats de Madrid, le
fut la guerre civile espagnole ? Ce serait une colonel Casado et le général Miaja se dressent
erreur de le penser car ce conflit a des racines Les Brigades contre Negrin et ses alliés et écrasent la révolte
beaucoup plus anciennes, qu'il faut rechercher internationales, une légion déclenchée par les communistes contre le
dans les affrontements qui opposèrent, au Comité de défense de la capitale.
XIX' siècle, l'Espagne catholique et traditio-
étrangère soviétique La tragédie espagnole se termine au cours
naliste à l'Espagne libérale née du mouvement des jours suivants mais, en octobre 1944, San-
des Lumières et de 1'occupation napoléonien- La guerre civile est à peine commencée que tiago Carrillo - qui s'était illustré lors des
ne. Dans le premier tiers du XX' siècle, ce sont Staline voit tout l'intérêt du théâtre d'opérations massacres perpétrés en novembre 1936 à Para-
la mouvance anarchiste, le syndicalisme et un espagnol où l'importance de l'aide soviétique cuellos del Jarama et se trouvait désormais
parti socialiste très combatif qui ont été à l' ori- va lui permettre de fournir au parti communiste encouragé par la défaite de l'Axe et la libéra-
gine des grandes secousses révolutionnaires un tremplin inespéré. Véritable« Légion étran- tion du territoire français -lance plusieurs mil-
qui ont affecté le pays. Apparu au début des gère soviétique », les Brigades internationales, liers de partisans au sud des Pyrénées, dans la
années vingt, le Parti communiste espagnol constituées à 65 % par des communistes à région du Val d'Aran. C'est un échec total et si
n'exerce quasiment aucune influence jusqu'à l'automne 1936, le seront à 80% deux ans plus les maquis et, dans une moindre mesure, la
l'insurrection d'octobre 1934. Anarchistes, tard. Chefs et cadres sont presque tous commu- guérilla urbaine subsistent jusqu'en 1949, ils
mineurs socialistes révolutionnaires ou auto- nistes, de Lukacs ou Kléber à Lister et Modes- ne mettront pas sérieusement en danger le
nomistes catalans constituent alors le fer de to. Le gouvernement de Madrid, bientôt replié à régime franquiste. Ces activités de « briganda-
lance des révoltes populaires. Valence, se retrouve très vite étroitement dépen- ge communiste » se solderont pourtant par
L'échec lamentable des socialistes dans la dant des bonnes volontés du Kremlin et de près d'un millier d'assassinats, par près de six
tentative de coup de force qu'ils déclenchent l'ambassadeur soviétique Rosenberg, surtout mille attaques à main armée et par un peu
contre l'ordre républicain à l'automne 1934 - après l'embarquement vers l'URSS de la moins de deux mille accrochages avec la
sous le prétexte que le président de la Répu- majeure partie des réserves d'or espagnoles, Guardia Civil. Plus de deux mille
blique entend confier le gouvernement au leader remises aux Russes pour garantir les fournitures « guérilleros » seront tués dans ces affronte-
de la majorité parlementaire de droite élue de matériel militaire au camp républicain. Dès ments et deux cent cinquante-sept gardes
l'année précédente - permet aux communistes cette époque, le ministre des Finances, Juan civils y trouveront la mort. Leurs espoirs de
d'exploiter à leur profit la lutte des mineurs astu- Negrin, est l'homme des communistes, ce qu'a revanche défmitivement anéantis avec la guer-
riens brisée par les généraux Franco et Lopez conflfillé l'agent stalinien Alexandre Orlov re froide - qui permet à Franco de réintégrer
Ochoa. Tirant prestige, auprès des masses après avoir fait défection. rapidement le camp occidental - les chefs
ouvrières, d'une action à laquelle il n'a initiale- Les échecs subis en août par le camp répu- communistes espagnols n'auront plus d'autre
ment pris aucune part, le parti communiste, blicain entraînent, en septembre 1936, la issue qu 'un exil à hauts risques à Moscou,
qu'incarne désormais Dolorès Ibarruri, la démission du ministère Oirai et la constitution d'où le légendaire Campesino reviendra farou-
célèbre Pasionaria, va appliquer à partir de d'un cabinet dirigé par Largo Caballero qui chement hostile à la « patrie du prolétariat» ...
l'année suivante la stratégie défmie en août 1935 compte deux ministres communistes. Le PHILIPPE CONRAD
par le VII' congrès du Komintern et réclamer la « Lénine espagnol » est alors devenu, pour ses Philippe Conrad vient de publier une riche
constitution d'un Front populaire regroupant dangereux alliés,« l'espoir de la République » biographie du général Franco aux Éditions
l'ensemble des forces de gauche espagnoles. mais la perte de Malaga au début de 1937 et, Chroniques.
LE COMBAT DES RUSSES EN EX 1 L
Le solidarisme
contre le communisme
PAR DIMITRI STOLYPINE
Ils firent enrager Staline et les volontaires périssent dans les barbelés et les
champs de mines qui marquent la frontière
chefs du KGB. Ils se disaient soli- occidentale de 1'Union soviétique. Le quatriè-
me, venant de Pologne, parvient à passer. Il est
daristes et croyaient en un autre composé de deux hommes, Okolovitch et Kol-
kov, qui resteront en URSS pendant six mois
avenir pour la Russie. Histoire en parcourant le pays jusqu'au Caucase, sans
que la Guépéou parvienne à les dépister. Leur
d'une résistance qui n'a jamais conclusion est la suivante : dans des condi-
tions moins critiques, le NTS trouverait en
renoncé à l'espoir. URSS, beaucoup de sympathisants et aurait
sans doute une perspective pour la réalisation
de son espérance : que la libération de la Rus-
L
e combat mené pendant plus d'un sie du totalitarisme soit 1'œuvre commune des
demi-siècle par les solidaristes russes Russes de 1'intérieur et de 1'extérieur.
contre le totalitarisme soviétique com- Lorsque 1'Allemagne, en juin 1941,
mence en 1930. Il succède entre autres à trois attaque 1'URSS, les solidaristes sont prêts à
années de guerre civile entre Armée blanche et agir. Ils disposent en Europe d'une avant-
Armée rouge naissante, au soulèvement des garde de quelques centaines de membres bien
marins de Kronstadt (février-mars 1921) et, à " entraînés et prêts à se sacrifier. Par petits
l'extérieur, à des tentatives d'anciens combat- o groupes, ils se lancent littéralement sur les
tants blancs d'organiser une lutte armée sur le traces des troupes allemandes qui franchissent
Vladimir Dimitrievitch Poremski, l'un des
sol natal. chefs du NTS qui échappe en 1943 à la fois à la la frontière russe. Leur succès dépasse les pré-
1930 marque en URSS le triomphe de Sta- Gestapo et au NKVD, son équivalent soviétique. visions. Des noyaux clandestins du NTS se
line et le début d'une terreur aux proportions Arrêté cependant en 1944, il parviendra à s'éva- constituent en 1941-1942, de la Baltique à la
inégalées. Pour une partie des émigrés, il ne der et reprendra la lutte à l'Ouest dès 1945. mer Noire. Les deux principaux centres de ce
s'agit pas de se contenter de conserver des tra- mouvement, qui ne veut ni de Staline ni de
ditions nationales. Il faut définir une pensée et Le NTS consacre les premières années de Hitler, et espère pouvoir constituer une « troi-
une nouvelle action anti-totalitaires. son existence à deux tâches : étudier la situa- sième force » (en d'autres termes, une armée
Des groupements de la jeunesse russe de tion réelle en URSS, rassembler les éléments de libération), sont à Smolensk dans le Nord, à
Belgrade, Sofia, Prague, Paris, fusionnent au d'une doctrine, car il s'agit de savoir au nom Kiev dans le Sud.
sein d'une « Union nationale de la nouvelle de quoi on lutte. Ainsi mûrit une définition de Aux aguets, la Gestapo procède en 1943 à
génération » qui, quelques années plus tard, la Solidarité et d'un idéal commun des un premier coup de filet, en se servant de
prendra le nom d'« Union des solidaristes diverses couches sociales. Les solidaristes dénonciations fournies par des agents sovié-
russes » ou, selon un sigle russe, NTS. opposent ces idées à la dynamique marxiste de tiques restés dans les zones occupées. De nom-
Les membres de l'organisation sont la lutte des classes. breux solidaristes sont mis sous les verrous.
d'anciens soldats ayant participé à la fin de la Vers 1937, les premiers membres du NTS Certains périront en URSS, d'autres durant
guerre civile en Russie, quelques universi- pénètrent en URSS. Pour jauger les choses sur leur transfert en Allemagne. Mais les princi-
taires, des étudiants. place et établir des contacts. Trois groupes de paux chefs - Baydalakov, Poremski, Okolo-
Il
LIDARISME
LeNTS
et les
KORNILOV OU "'
émetteurs
0
KORNILOFF?
A gauche, pochette de disque de « Radio
Off, of, ou ov ? Aujourd'hui encore, cette de Russie libre » (années soixante). La radio
solidariste russe installée << quelque part en
question - la terminaison des noms de Allemagne » émit à destination de l'URSS de
famille russes- intrigue les Français. Quelle
est donc l'orthographe correcte de ces
RUSSIE 1952 à 1973. Elle fut fermée par le chancelier
social-démocrate Willy Brandt. « Radio Rus-
noms compliqués ?
Dans la langue russe, le nom de famille LIBRE 13.83- 111.84- 111,511- 19,180- ! g,63
sie libre » émit également d'Extrême-Orient
(Taiwan et Corée du Sud).
masculin s'écrit avec un "v ». Un " a» final Ci-dessus, autocollant solidariste (1980)
vous parlent
Z5,01S-2S.30-30,e.3-31 ,n-31 ,SO
indique le genre féminin. Alors que les 41.71 - ~:.1115 - '1,22 - 76.22 avec « Solidarité » en polonais et en russe,
anglo-saxons transcrivent les noms russes t5 ainsi que les drapeaux nationaux.
avec un " v " (avec le " a •• féminin), les
Français, qui ne déclinent pas les noms vitch, qui s'active à Smolensk, et Brounst, à Francfort avec mission de tuer Georges Okolo-
propres, utilisent le double " ft "· Au XIX' Prague - restent encore en liberté. En juillet vitch. L'ordre aurait été signé au plus haut
siècle, le double " ft " domine dans la 1944, après 1' attentat contre Hitler, ils sont niveau par Malenkov et Khrouchtchev. Mais
littérature, la presse ou les mondanités. arrêtés à leur tour, en raison de leurs sympa- au lieu de commettre le meurtre, Khokhlov se
Michel Strogoff paraît en 1876 en France thies pour les conservateurs allemands proches présente chez Okolovitch et dévoile le plan
(traduit en 1909, l'ouvrage de Jules Verne de Stauffenberg, et emprisonnés dans les dont il a été chargé. Il livre deux complices et
est interdit par le tsar ; il paraît en Russie en geôles de la Wilhelmplatz à Berlin. Ils par- des armes parvenues d'URSS. Khokhlov
1993 ... ). Flaubert vante les qualités du viendront à s'en échapper peu de temps avant adhérera au NTS et publiera un livre-témoi-
"bon Tourguenieff ».En 1884, Marie la fin de la guerre. Regroupés après 1945 dans gnage : Le droit à la conscience. Il échappera
Bashkirtseft met fin à la rédaction de son les camps de personnes déplacées, et notam- par miracle à un « mystérieux » empoisonne-
Journal. ment dans celui de Moenhehoff, près de Kas- ment.
Romanoft, Youssoupott, Gorgouloft... sel, les solidaristes parviennent à sauver un
les Russes émigrés adoptent nombre important de prisonniers de guerre Émetteurs radio et
naturellement l'usage français du "ft"· soviétiques et de « travailleurs de 1'Est » qui
font partie des centaines de milliers de per-
journaux clandestins
Certains n'hésitent pas à employer le " f "
simple, correspondance phonétique du " 8 " sonnes dont Staline exige le rapatriement
forcé. Moenhehoff devient peu à peu le centre Tout ne se passe pas ainsi. Toujours en
russe.
du NTS. C'est là que sort, fin 1945, sous la 1954, le docteur Alexandre Trouchnovitch
Cette pratique rend impossible
forme d'un samizdat, le premier numéro de la -président du comité du NTS à Berlin-Ouest-
l'adjonction du " a " au demeurant peu
revue politique Possev, organe du NTS. est enlevé par les hommes de main de la Lou-
élégant : évoquer la présence de la
La guerre froide, à partir de 1946, assure bianka.
princesse " Demidofta " à une soirée serait
au mouvement une sympathie accrue de la part En 1956, lors de la révolution hongroise,
ridicule. Les noms de famille se terminant en
des autorités occidentales. Les dirigeants du des membres du NTS se ruent sur le territoire
" i " (Mirski) ou " e " (Svetchine) suivent la
mouvement quittent Moenhehoff et s"établis- hongrois . Accueillis fraternellement par les
même règle.
sent à Francfort-sur-le-Main. C'est de là qu'ils insurgés, ils établissent leur base à Sopron,
L'introduction du "v "•- autre
mènent leur action au cours des années cin- ville de Hongrie située non loin de la frontière
correspondance phonétique du " 8 , russe
quante : création à Berlin-Ouest d'un centre autrichienne. De là, ils font parvenir des tracts
-commence en 1917. Soucieux de se
d'accueil pour les évadés des pays de l'Est qui du NTS aux garnisons soviétiques. Certaines
démarquer de l'émigration, les Soviétiques
veulent gagner l'Occident; établissement, tou- d'entre elles se déclarent neutres. Des officiers
résidant à l'étranger orthographieront leurs
jours dans 1'ancienne capitale allemande, de et des soldats russes rallient les rangs des
noms avec un '' v "· La presse française
contacts avec les militaires soviétiques, dont insurgés hongrois et combattent à leurs côtés.
suit. Les femmes adoptent l'usage du '' a "
féminin. les effets apparaîtront bien plus tard ; installa- Deux numéros bilingues du journal solidariste
Nous gardons dans cet ouvrage le " ft " tion, « quelque part en Allemagne », d'un Possev, en hongrois et en russe, sont imprimés
de l'émigration, facilitant la distinction entre poste émetteur de radio - « La Russie libre » à Sopron. Des émissions de radio sont prépa-
Russes blancs et Soviétiques. En règle (il fonctionnera de 1952 à 1973 et sera fermé rées. Un temps, les troupes soviétiques reçoi-
générale, les Français d'origine russe par le chancelier Brandt). Le NTS procède vent l'ordre de se retirer de Hongrie ; puis de
continuent d'utiliser l'orthographe adoptée aussi à des envois de ballons au-dessus du ter- nouvelles unités arrivent. Ce sera le
par leurs parents. ritoire soviétique. Ceux-ci lâchent de la littéra- « dimanche sanglant » de Budapest. Des com-
MARINA GORBOFF ture solidariste. Cette activité est dénoncée par battants hongrois offriront un de leurs dra-
La Russie fantôme, la presse soviétique. Les Occidentaux finale- peaux aux solidaristes ( 1).
l'émigration russe de 1920 à 1950. ment 1'interdisent. Dans les années soixante et soixante-dix,
L'Âge d'homme, 1995, p. 32. En 1954, le Politburo décide de réagir. Un de nombreux textes, souvent manuscrits, par-
capitaine du KGB, Khokhlov, est envoyé à viennent d'URSS à Grani, la revue culturelle
LE SOLIDARISM
LE NTS ET VLASSOV
Le paysage politique, en ce qui concerne
les affaires russes, change en 1943. Des
officiers de liaison russes (transfuges de
l'Armée rouge) viennent frapper à ma porte.
Ils sont venus prendre contact avec les
compatriotes envoyés sur la côte atlantique.
Ils me disent que Vlassov a retrouvé un peu
de liberté et que l'espoir de constituer une
armée de libération russe commence à
renaître. Je deviens l'ami de l'un de ces
Ci-dessus, Arcady Stolypine, officiers, le capitaine Lapine, et plus tard, du
chef des relations extérieures du colonel Melechkevitch, devenu membre du
NTS, lors d'une conférence du NTS. Lapine nous rend des services
Possev, l'organe du NTS à Franc- considérables en faisant imprimer
fort-sur-le-Main enl956. clandestinement, la nuit, des brochures du
A droite, imprimerie semi- NTS dans une Imprimerie allemande.
clandestine du NTS en Allemagne Quelques soldats, avec Lapine à leur tête,
à la même époque. Pendant toutes assument un risque énorme en
les années de la guerre froide et confectionnant cette littérature. Par le
au-delà, le NTS fit circuler en colonel Melechkevitch, j'apprends que notre
URSS de nombreuses brochures
organisation entretient avec les embryons
destinées à maintenir l'espoir. "'a de l'armée Vlassov (qu'on tarde toujours à
constituer) les rapports les plus étroits. Les
du NTS publiée à Francfort. Les presses de plusieurs capitales et villes occidentales. Ils
anciens militaires soviétiques font leur notre
Possev impriment ces textes en russe et en élaborent une Charte de la liberté et jettent les idéologie solidariste.
réintroduisent un tirage par des voies détour- bases d'une action commune. Un des principaux chefs du mouvement,
nées en URSS. Soljenitsyne mentionne le rôle Que représente le NTS aujourd'hui en le général Troukhine, est élu membre du
joué par Gram· dans la circulation des idées Russie ? Un courant de pensée. Il attire des Conseil du NTS, lequel se réunit dans la
lorsqu'il écrit Le chêne et le veau. Cette forme jeunes à Moscou et dans d'autres villes. La clandestinité. Un autre compagnon de
d'édition est appelée par l'opposition intellec- petite élite intellectuelle qui a dirigé l'organi- Vlassov, le général Malychkine, vient à Paris.
tuelle soviétique Tamizdat (ce qu'on édite là- sation pendant plusieurs décennies a pratique- Il obtient la possibilité de prendre la parole à
bas) et s'ajoute au Samizdat (ce qu'on édite ment disparu, mais elle a laissé d'importants une grande réunion publique. Il parle devant
soi-même en Russie). témoignages de son activité : livres, brochures, une salle comble composée de toute l'élite
Dans l'histoire des livres introduits clan- articles, documents. Tôt ou tard, les cher- de la première émigration russe et tient un
destinement en URSS par leNTS, l'œuvre de cheurs découvriront par exemple que, dès discours intelligent et courageux. Il est
l'anglais George Orwell fait date. Orwell avait 1951, à l'époque de Staline, le NTS avait follement applaudi par l'assistance, surtout
commandité avant sa mort (en 1951) la traduc- reconnu les droit à l'indépendance des Pays lorsque ces mots sont prononcés :
tion en russe par les éditions du Possev de La baltes et qu 'en 1957, l'organisation russe avait " Aucune puissance étrangère ne
défini une politique étrangère pour l'après- parviendra jamais à conquérir notre pays. "
ferme des animaux et de 1984. Ces traductions
J'applaudis aussi... mais dans le fond de
voyagent non sans précautions en URSS, la communisme. Il y a quarante ans, donc, Arca-
moi-même, je me demande pourquoi ces
possession d'un livre d'Orwell tombant sous dy Stolypine, alors chef des relations exté-
militaires sont devenus si lucides une fois
le coup des activités antisoviétiques. Des rieures du NTS , se prononçait au nom de ses qu'ils ne sont plus dans le pays ? Pourquoi
numéros de Possev et de Grani cheminent amis pour la construction d'une grande Euro- n'ont-ils pas profité de l'unique occasion où
aussi en URSS par des canaux secrets. pe, de Lisbonne à Vladivostok, avec la partici- le peuple entier était armé pour faire
Dans les années quatre-vingt, les solida- pation active de la Russie, « prolongement marcher une division sur Moscou et mettre
ristes russes du NTS soutiennent le combat naturel de l'Europe en Asie et pont naturel fin d'un seul coup au pouvoir de Staline ? La
des Polonais de Solidarnosc. Cette commu- entre les deux continents ». chose était faisable. Au début de la guerre,
nauté de pensée aboutira entre autres à la Les solidaristes de l'avenir auront de quoi Staline, désorienté, avait perdu le contrôle
publication d' un tract en russe et en polonais à méditer et aussi de quoi bâtir. de la situation. Les membres de la
destination des troupes d'occupation sovié- D.S. nomenklatura et leurs familles
tiques en Pologne. Le texte leur explique la Dimitri Stolypine est journaliste. Il est le déguerpissaient de Moscou. Les habitants
situation et les appelle à ne pas intervenir petit-fils du grand homme d'État russe, Pierre jetaient par la fenêtre la littérature marxiste,
contre la population polonaise. Stolypine (1862-1911), et le fils d' Arcady Stolypi- les œuvres du " grand Lénine ••... Non aucun
ne qui fut l'un des principaux dirigeants du chef militaire n'avait alors bougé. Et Staline
En France, les solidaristes du NTS
NTS, dont les Mémoires ont été publiés en 1996 avait repris la situation en main. Maintenant,
représentent la fraction russe d'une association
chez Albin Michel, sous le titre De l'Empire à me disais-je, il est sans doute trop tard.
informelle qui rassemble des intellectuels émi- l'exil. ARCADY STOLYPINE
grés des pays d'Europe centrale. Cette asso- De l'Empire à l'exil, Mémoires.
ciation prend le nom de « Groupe de Paris ». (1) Arcady Stolypine, De l'Empire à l'exil. Albin Michel, Paris, 1996. pp. 272-273.
Les participants organisent des colloques dans Mémoires pas/humes. Albin Michel. 1996.
Il
'
UNE HISTOIRE SECRETE
Indépendance proclamée en
1917, guerre contre les Rouges et
les Blancs jusqu'en 1920. Les
Ukrainiens n'ont jamais accepté
la domination russe, à plus forte
raison celle des Soviétiques.
Emportés dans les tourbillons de
la Seconde Guerre mondiale, des
partisans tenaient encore le
maquis vers 1950.
les bandes anarchistes de Makhno, les armées blicaine ukrainienne, moins active que l'OUN.
politique. Le droit à l'autodétermination pro- blanches de Dénikine, les gardes rouges de Konovalets est assassiné en mai 1938 et sa
mis par Kerenski, puis par les bolcheviks, a Trotski et les nationalistes haïdamoks de Pet- succession oppose Stepan Bandera, déjà
fait naître des espoirs qui correspondaient par lioura. Rentrée par force dans le giron sovié- condamné à la prison à vie en Pologne pour un
ailleurs aux intérêts d'une Allemagne soucieu- tique, elle va connaître, avec la collectivisation attentat contre le ministre de l'Intérieur, et
se d'affaiblir durablement l'immense puissan- agraire, les affres d'une effroyable famine André Melnyk. La crise de Munich, qui voit
ce russe et de constituer, à la faveur de 1'appa- mûrement planifiée par Staline pour mettre au s'imposer l'autonomie de la Ruthénie subcar-
rition d'une Ukraine indépendante, un utile pas sa population, rebelle aux bienfaits du patique, laisse de grands espoirs aux nationa-
glacis oriental, riche en ressources indispen- socialisme scientifique ... listes ukrainiens, qui voient dans ce territoire
sables à la Mitteleuropa sous hégémonie ger- Après 1'assassinat de Petlioura à Paris par la base de départ d'une éventuelle reconquête
manique. C'est dans ces conditions que la un agent du NKVD, la résistance renaît autour mais, quand la Tchécoslovaquie disparaît tota-
Rada de Kiev proclama, dès novembre 1917, de l 'OUN, l'Organisation des nationalistes lement en mars 1939, Hitler laisse 1'armée
la naissance d'une République démocratique ukrainiens d'Eugen Konovalets qui a créé une hongroise s'en emparer.
ukrainienne, officiellement indépendante de la structure militaire et un mouvement de jeunes- En 1941 , contre l'avis de Rosenberg qui
Russie au mois de janvier suivant. Le pouvoir se fortement implantés dans la Galicie de voit tout l'intérêt que pourrait représenter
de l'ataman germanophile Skoropadski ne sur- Lvov alors polonaise. Konovalets est un natio- l'alliance d'une Ukraine indépendante, Hitler
vivra pas à la défaite allemande de novembre naliste proche des fascismes sur le plan idéolo- repousse une telle hypothèse et, quand des
1918 et 1'Ukraine va connaître alors plusieurs gique mais, à Varsovie, c'est le social-démo- militants ukrainiens installent à Lvov -
années particulièrement agitées, ballottée entre crate André Levitsky qui anime 1'Armée ré pu- quelques jours après le déclenchement de
Il
MAQUIS EN UKRAIN
C
'est à la faveur de la tourmente qui
s'est abattue sur les Balkans en 1941
que les communistes grecs vont se
trouver en situation de s'emparer du pouvoir à
partir de 1943-1944 et il faudra une lutte civile
impitoyable- l' un des tout premiers épisodes
de la guerre froide- pour assurer, en 1949, la
victoire du camp royaliste soutenu par les
Occidentaux. Guérilleros de l'ELAS communiste lors de la reprise de la guerre civile grecque, en 1947.
Créé en 1921 , le Parti communiste grec ne
dispose que d'une influence très réduite combattre dans les rangs de l'armée britan- lieront ensuite à la monarchie, constituent, à
jusqu'aux années trente. Il passe cependant de nique, d'El Alamein aux champs de bataille l'initiative de Napoléon Zervas, l'EDES, un
5 % des suffrages en 1932, à 10 % quatre ans d'Italie, sans que le monarque puisse contrôler mouvement de résistance forgé par des cadres
plus tard. Mais le coup d'État accompli en la résistance qui va se développer sur le terri- de l'armée qui s'engagent contre l'occupant
1936 par le général Joannis Metaxas pour en toire national. On y voit se constituer, dès le mais se proclament en même temps hostiles
finir avec l'impuissance parlementaire va faire 27 septembre 1941, 1'EAM ou Front national aux dirigeants communistes de l'ELAS. Chur-
de lui la cible principale de la répression de libération, dirigé par Georges Santos et par chill résume alors la situation avec laquelle se
conduite par le nouveau pouvoir. Aris Veloukhiotis, un ancien de la guerre trouve confronté l'allié britannique en consta-
C'est 1'agression des puissances de 1'Axe d'Espagne. L'EAM donne ensuite naissance, tant que « les querelles politiques entravent les
qui va lui donner son véritable élan. L'attaque en avril 1942, à l'ELAS ou Armée populaire actions de la guérilla. Nous nous trouvons
italienne d'octobre 1940 et son piteux échec, de libération, placée l'année suivante sous le nous-mêmes dans une situation complexe et
confirmé en mars 1941, sont bientôt suivis de commandement du colonel Saraphis, un offi- désagréable. Il devient évident qu' il y a trois
l'invasion allemande et la Grèce est occupée cier issu de l'armée régulière qui fournit ainsi éléments opposés : les forces de l' ELAS s' éle-
par les troupes italiennes, allemandes et bul- une excellente couverture à un appareil large- vant à vingt mille hommes, en grande majorité
gares. Le roi Georges II installe au Caire un ment contrôlé par les communistes. Au cours sous contrôle communiste, les bandes de Zer-
gouvernement en exil confié à Emmanuel de la même année 1942, des officiers nationa- vas, désignées par les initiales EDES comp-
Tsouderos mais les Grecs qui l'ont suivi vont listes, républicains à l'origine mais qui se rai- tant cinq mille partisans, enfin les politiciens
Il
L'ELAS GRECQU
Il
,1'
C
'est dans les années cinquante, sous
une IV' République déjà chancelante
mais qu'il faudra bien se décider à
réhabiliter partiellement un jour, que s'amorça
réellement puis s'affirma la révolte, un temps
victorieuse, contre 1'idéologie et les modes de
pensée marxistes ou marxisants qui s'étaient
imposés en France à la faveur et sous le cou-
vert des événements de la Libération.
Il s'agissait, en fait, à l'époque, de se
« libérer de la Libération », ou plus exacte-
ment, des excès qu 'elle avait engendrés, de
1'utilisation abusive et partisane qui en avait
été faite, et, surtout, de la dictature intellec-
tuelle et morale qu 'on s'était efforcé d'instau-
rer en son nom. Il était flagrant que, par la
grâce d'un clan gaulliste abusé, complice ou
simplement craintif, la Seconde Guerre mon-
diale avait été gagnée, en France, par le parti
communiste, et les conséquences s'en faisaient
cruellement sentir. Certes, elle aurait pu être
bien pire, comme à Varsovie ou à Prague, mais
nous fûmes sauvés de justesse par un Staline
peu soucieux de remettre en cause les fruc-
tueux accords de Yalta pour les beaux yeux
des communistes français qu'il était apparem-
ment seul à juger à leur vraie valeur et par la
menace, sans doute très hypothétique, des
troupes américaines.
Il:
< •*'•
Il n'empêche que, s'étant vu interdire par Novembre 1956. Lors des manifestations parisiennes de soutien à la Hongrie écrasée par l'Armée
leur maître du Kremlin de prendre directement rouge, de jeunes manifestants attaquent le siège du parti communiste, carrefour Châteaudun .
1
L'ÉCOLE
DU COURAGE
le pouvoir politique, les communistes français
avaient été autorisés à prendre le pouvoir Il y avait dans ce petit mouvement
intellectuel, ce qu'ils s'étaient empressés de quelques militants comme on n'en verra
faire, dans l'Université comme dans les nulle part ailleurs. Ils étaient pour la plupart
milieux artistiques et littéraires, avec la com- des gens du vrai peuple, serruriers,
plicité, avouée ou non, de multiples « compa- employés, porteurs aux halles, petits
gnons de route ». Pour résumer très rapide- commerçants, fraiseurs chez Renault... A la
ment la situation, il n'était pas, en France, différence des jeunes bourgeois, ceux-là
obligatoire d'être communiste, mais il était n'étaient pas du genre à tourner leur veste
interdit d'être anticommuniste, même et sur- au premier coup de torchon. Fidèles,
tout si l'on se disait existentialiste- ce qui ne imperméables au découragement et aux
semblait paradoxal qu'à quelques mauvais débauchages ils iront toujours comme ils
esprits, dont M. Jean-Paul Sartre ne faisait pas avaient vécu, sans jamais varier. Ils étaient
partie. Quant aux intellectuels « d'en face », portés par une sorte de mystique simple et
ils avaient été muselés de main de maître, à indestructible. Ils étaient les prosélytes
grands coups d'exécutions, de condamnations, véhéments d'une pure religion de la patrie.
d'« indignités nationales » et d'interdictions Admirables militants, grands inconnus de
de publier. En tout cas, épurés ou apeurés, ils cette aventure, durs, confiants, dévoués,
avaient disparu. leur courage et leur générosité étaient
Dans ces conditions, il était normal que la illimités. Quand l'époque insurrectionnelle
révolte vînt de la jeunesse, et elle vint effecti- Un jeune étudiant breton nommé Jean-Marie sera venue, ils prendront des risques
vement de la jeunesse. D'une jeunesse orphe- Le Pen, à la conquête de la Corpo de Droit. incroyables d'un cœur apparemment serein.
line et sans maîtres, mais disposant, face au Ils étaient pauvres. Ils vivaient dans une
terrorisme intellectuel ambiant, de deux armes eu, il y a toujours, et il y aura toujours, sans sorte d'attente. Parmi eux, plusieurs anciens
redoutables: la terrible lucidité de l'innocence doute, des jeunes d'Action française. La chose d'Indochine. On y rencontrait parfois le
est capitale, car 1' Action française n'est pas caporal-chef parachutiste Roger Holeindre
et une totale liberté de décision et d'action.
C'est la chance que nous avons eue - on me seulement- et ce ne fut pas seulement dans les venu donner un coup de main le temps
années cinquante - une école de raisonnement, d'une permission.[ ...]
pardonnera de passer soudain à la première
mais elle est aussi une école de courage, phy- Nous devions affronter plusieurs
personne, qu'elle soit du pluriel ou du singu-
sique et moral. adversaires. La police s'ajoutait aux
lier, mais je suis ici un acteur devenu témoin
amateurs de manches de pioche. Nous
avant d'être un historien- nous l'avons saisie
devions encore braver la réprobation
et exploitée du mieux que nous avons pu, et ce Le bon usage du
générale. Nous avions pour nous les armes
ne fut pas, on le verra, la cause de notre échec. syndicalisme étudiant de l'insolence et les avantages de
Un cas, bien sûr, est à distinguer : celui de
l'irrespect. Mais notre moral n'avait pas
1'Action française, où retentissait encore au On tend souvent à accorder une place pri- toujours les couleurs de l'acier. Oui, il en a
loin la voix du vieux maître emprisonné, et vilégiée à la littérature et aux littérateurs dans fallu des efforts vains et désespérants avant
dont, par la force de certitudes absolues et le mouvement de révolte contre la dictature de percevoir les premiers frémissements
d'extraordinaires fidélités, la présence et intellectuelle marxiste et sartrienne. Le mythe d'un éveil. Nous n'étions à l'abri ni du
1'enseignement s'étaient révélés permanents. des « hussards » continue à hanter un certain désespoir ni du découragement. Notre
Beaucoup y passèrent : il faut dire que, dans le nombre de collégiens de province et quelques ultime ressource était l'idée, l'orgueil, et
léger tumulte intellectuel qui suivait nécessai- critiques littéraires anémiques. La vérité est l'histoire. Avec voracité, je cherchais dans le
rement le rejet des vérités officielles, la décou- que les « hussards » n'eurent jamais conscience passé les exemples d'hommes qui avaient
verte de Maurras était, si l'on ose dire, une d'être des hussards, et surtout qu'ils ne formè- lutté avant nous contre l'évidence, contre
divine surprise. Moins y restèrent, car, malgré rent jamais une « école » alors que, précisé- l'indifférence, contre la toute-puissance
l'extraordinaire valeur de chefs militants ment, ils s'insurgeaient contre la dictature des apparente de ce qui est installé.
comme Nicolas Kayanakis, la tête, déjà che- écoles. Sans vraiment s'en rendre compte à Que dire des idées ? Nos idées étaient
nue quel que fût son âge réel, se révélait trop l'époque, - le principal d'entre eux, Jacques courtes, mais nos instincts profonds.
souvent incapable de comprendre la base Laurent, fut le premier surpris lorsque je le lui DOMINIQUE VENNER
jeune, de lui parler et de lui apporter autre révélai - ils comptèrent beaucoup pour certains Le Cœur rebelle, Belles Lettres, 1994.
chose que des sophismes normaliens et des jeunes « révoltés », à qui leur littérature appor-
citations grecques. Les défections ou les semi- tait à la fois une caution et un encouragement.
défections - car, au cœur de presque tous les Mais nombreux étaient les jeunes militants des du : celui du syndicalisme étudiant. Or, si
transfuges, demeurait une vieille fibre de ten- diverses droites nationalistes à n'avoir jamais curieux que cela puisse sembler, l'utilisation
dresse et de fidélité- furent nombreuses, mais entendu parler de Roger Nimier ... par les jeunes nationalistes des structures syn-
la boutique ne s'effondra pas pour autant. Elle Presque totalement oublié, en revanche, est dicales mises en place après la Libération dans
est encore debout, d'ailleurs ; grâce à la per- l'action déterminante des «révoltés »dans un le cadre de l'Union nationale des étudiants de
manence du génie maurrassien, il y a toujours domaine qui peut paraître, maintenant, inatten- France- hé oui, la bonne vieille UNEF ! (1)-
TIER LATIN, ANNÉES 50
UNE JEUNESSE
AVENTUREUSE
caractéristique commune d'être atrocement
Je croyais avoir congédié mon passé, pauvres. Ayant présidé un peu plus de deux
mais un matin, il m'a retrouvé. On préparait ans aux destinées des Jeunes indépendants de
un film sur les années d'occupation, ces
Paris, je suis bien placé pour savoir qu 'on ne
fameuses années difficiles que l'histoire
roulait pas sur l'or.
avait tant simplifiées. La Résistance et la
Les Jeunes indépendants de Paris, ou JIP,
Collaboration, les purs et les maudits : ce
avaient été créés en 1953 sous l'égide de prin-
partage allait de soi depuis que la fin de la
guerre nous avait révélé, dans toute son
cipe et l'autorité purement morale de Pierre
horreur, la réalité du nazisme. Taittinger, ancien chef des Jeunesses
Qui étais-je donc pour avoir à témoigner ? patriotes- ou JP- de l'avant-guerre et ancien
Un ancien de la Waffen SS, un rescapé de président du conseil municipal de Paris, par un
cette division française " Charlemagne •• qui, doux amalgame de transfuges de 1'Action
au printemps 1945, était allée se faire française et des membres de la Corpo de droit.
massacrer dans les neiges de Poméranie.
Plus de vingt ans, depuis, s'étaient écoulés. Après une longue carrière de journaliste et de On ne roulait pas sur l'or
Et maintenant, il me fallait remuer cette critique littéraire, Jean Bourdier s'est orienté vers
cendre que je croyais froide. C'était un peu l'histoire et la littérature, publiant plusieurs Jusqu'à sa dissolution, à l'automne 1955
comme si j'avais rendez-vous avec un frère ouvrages, notamment une remarquable Histoire (2), le mouvement ne vécut que des cotisations
depuis longtemps disparu. Pour le du roman policier (Éditions de Fallais, 1996).
de ses membres - jugées élevées pour
comprendre, il me fallait lui rendre voix. Où
l'époque - et de quelques donations indivi-
m'attendait-il ? J'ai laissé mon esprit errer. fut l'une des plus grandes réussites du combat
duelles dont aucune ne dépassait l'équivalent
Puis, brusquement, j'ai revu une matinée contre le marxisme. La victoire la plus specta-
de 1 000 F actuels. Paradoxalement, ce
ensoleillée d'août 44. [...] culaire fut sans aucun doute la prise de 1'Asso-
manque de moyens financiers fut peut-être
Depuis l'âge de quatorze ans, les idées ciation corporative des étudiants en droit- plus
politiques me fascinaient. Mon père, qui était
l' un des facteurs de notre succès : il nous
familièrement appelée « Corpo de droit » par
officier, m'avait donné une éducation d'un contraignit, en effet, pour nous faire connaître
un jeune étudiant breton nommé Jean-Marie Le
traditionalisme et d'un nationalisme et entendre, à l'action directe - et, disons le
Pen, mais d'autres corpos ne tardèrent pas à
intransigeant. [...] mot, violente. Tout comme nos camarades de
tomber aux mains d'éléments antimarxistes,
J'avais été, comme il se doit, formé à la Jeune Nation et du groupe Lescure, nous
telle la Corpo de médecine avec les frères
lecture de l'Action française. Cependant, j'en n'avions que nos poings et quelques tracts,
Davoudian. La Sorbonne elle-même fut bientôt
étais venu, assez vite, à me lasser du mais nous nous en servîmes. L'effet psycholo-
le théâtre d'âpres combats où les communistes,
conservatisme pointilleux des maurassiens. gique fut excellent. Notre réputation de loups-
bien qu 'appuyés par les chrétiens progressistes
Je me voulais révolutionnaire. Je rêvais moins garous nous assura un recrutement régulier, un
de la JEC, eurent souvent le dessous.
au passé qu'à des lendemains exaltants. développement harmonieux et inspira une
Rien ne me préparait, toutefois, à rallier la
La chose est d'autant plus importante que
salutaire méfiance à nos adversaires.
révolution communiste : j'avais été élevé
ce sont les « bonnes corpos » - et en particu-
C'est ce qui nous permit, entre autres
dans sa condamnation permanente et, lier la Corpo de droit, qui resta entre les mains
choses, d'assurer, conjointement avec l'Action
instinctivement, je ressentais le de la droite nationaliste jusque dans les années
française, la reprise des cours de Jean Guitton
bolchevisme comme une force maléfique. soixante - qui servit de point de départ et de
à la Sorbonne - que les communistes avaient
C'est alors qu'à travers les étendards et les base arrière aux « révoltés » du Quartier latin.
juré d'empêcher- et de « casser » avec 1'AF et
projecteurs de Nuremberg, j'avais eu la Ceux-ci en avaient bien besoin, car leur
Jeune Nation, la grande réunion anticolonialiste
révélation du national-socialisme. [...] logistique était des plus modestes. C'était la
de 1954. Ces deux actions auraient été jugées
Puis l'Allemagne et la Russie s'étaient rançon de leur incroyable indépendance. Ils se
impensables deux ans plus tôt.
alliées sur le dos de la Pologne. Je n'avais retrouvaient entre jeunes, dans des mouve-
Nous n'avions certes pas « conquis » le
pas compris et j'en étais revenu, ments constitués et dirigés par des jeunes
momentanément, à un nationalisme plus
Quartier latin, ou toute autre part du territoire
- réalisant à droite ce que le lettriste Isidore
strict. C'est dans cet état d'esprit que je national- mais nous l'avions libéré de l'empri-
Isou n'avait pu réussir dans la gauche anarchi-
m'étais engagé en 39. Mais lorsque le Reich se marxiste. Et nous avions, surtout, contribué à
sante avec son éphémère « Soulèvement de la
avait envahi l'URSS, je m'étais repris à rêver créer les conditions d'un renouveau du nationa-
jeunesse » - mais leurs finances étaient aussi
d'un monde nouveau, où l'Europe lisme français auquel les événements d'Algérie
jeunes qu'eux-mêmes. La détention d'une
constituerait le phare du socialisme. allaient vite donner une dimension supérieure.
corpo fournissait, pour peu qu'on restât un peu
Et1944 était arrivé, les événements Un renouveau que seule la mobilisation de tout
discret, des locaux gratuits, l'accès à des
s'étaient précipités. Je me trouvais, comme je l'appareil répressif gaulliste allait pouvoir bri-
machines à écrire et à des ronéos et quelques
l'ai dit, à ce point critique où un engagement ser. Mais cela, comme disait Kipling ...
autres babioles infiniment précieuses pour des
n'a d'autre avenir que le casque et le fusil. J. B.
J'ai fait le saut, j'ai choisi l'aventure. militants déshérités.
CHRISTIAN DE LA MAZIÈRE Or les mouvements qui, avec les étudiants (!) Dont l'auteur de ces lignes conserve pré-
Le rêveur casqué. Robert Laffont, 1972. d'Action française et en particulier le groupe cieusement une carte de membre d'honneur.
Albatros, 1991. Lescure, réussirent à arracher le Quartier latin (2) Les JIP fournirent à ce moment les cadres de
aux communistes et à leurs alliés avaient pour 1'Union de défense de la jeunesse française poujadiste.
SOLDATS D INDOCHINE
Face au Vietminh
PAR RAYMOND MUELLE
L
es ouvrages qui traitent de la guerre
d'Indochine de 1945 à 1956 divisent
cette longue épreuve en plusieurs
phases caractéristiques. Leurs auteurs analy-
sent les causes du conflit, les stratégies et les
moyens utilisés, les résultats obtenus, mais
traitent rarement des motivations de ceux qui
affrontèrent ce combat difficile.
Venant de France, les premières troupes ont débarqué à Saigon en septembre 1945 sous le comman-
Ce n'est qu'à partir de 1950 qu'apparaît dement du général Leclerc. La vraie guerre commence après l'échec de l'insurrection vietminh à Hanoi,
l'argument de l'anticommunisme. et le massacre des Français, le 19 décembre 1945. Peu à peu, les soldats du corps expéditionnaire vont
C'est sans doute parce qu'en décembre découvrir le pays, le terrain, les populations et la réalité du communisme.
1949, les armées victorieuses de Mao bordent
la frontière du Tonkin. La première consé- 1' autorité française dans « la perle de nos colo- vait provoquer quelque illusion du fait du sou-
quence en résultant est le désastre de la RC4 nies ». Parmi eux, rares étaient ceux qui tien que lui accordaient les Américains.
(septembre-octobre 1950). Il est vrai aussi avaient des notions, même vagues, des pro- Les hommes du corps expéditionnaire,
qu 'en juin 1950 éclate la guerre de Corée. A blèmes locaux. Ils arrivaient, vainqueurs de la pour la plupart avides d'action et d'aventure,
dater de cette époque les soldats du CEFEO veille en Europe, pleins de certitudes incon- persuadés aussi d'être utiles au rétablissement
(Corps expéditionnaire français en Extrême- grues dans un immense inconnu. Ils devront de la grandeur de la France entament, sans
Orient) vont devenir les champions du combat donc tout découvrir, tout apprendre du terrain, arrière-pensée, une campagne spécifiquement
pour la~~ liberté du monde ». des populations, de l'ennemi. Apparemment, militaire devant aboutir au retour et maintien
Pour ceux des nôtres qui guerroyaient ils ont affaire, c'est du moins ce qu'on laisse de l'ordre. Faute de directives politiques et pri-
dans les divers territoires de 1'Indochine entendre, à une rébellion nationaliste plus ou sonnier des schémas techniques périmés, le
depuis l'automne 1945, l'identification idéolo- moins consécutive à l'occupation japonaise. commandement tentera d'utiliser les théories
gique de l'adversaire n'est pas une découverte. Certains d'entre eux la compareront d'ailleurs, opérationnelles ayant fait leurs preuves au
Faute d'avoir été engagés contre le Japon, plus ou moins consciemment, à la résistance cours de campagnes coloniales d'autrefois
les volontaires français sont partis avec pour métropolitaine. L'attitude ambiguë d'Hô Chi ainsi que l'expérience des combats récents en
mission le rétablissement de la présence et de Minh, pourtant réputé vieux communiste, pou- Europe et dans le Pacifique. La pensée militai-
Il
U VIETMINH
•
FACE AU VIETMIN
Il
AU VIETMINH
D'AUSCHWITZ e:<
Il
SUR LE FRONT DES 1 DE"' ES
L~intelligence et le courage
PAR GEORGES LAFFLY
Il
LLIGENCE ET LE COURAGE
toutes les métaphysiques ». Paroles scanda- au nom duquel sont condamnées les lois de
leuses, d'autant que Grenier démonte patiem- Mendel, mais aussi Freud, Heisenberg, Ein-
ment la marionnette. stein.
Après la victoire de 1945, changement de On aura noté ce refus d'une orthodoxie, de
décor. L'URSS partage le monde avec les l'obligation d'observer une « ligne », de pen-
États-Unis, le PCF séduit le quart des électeurs ser en rangs. Voilà l'attentat contre 1'esprit, car
et s'assure des places-fortes dans l'éducation, il s'agit d'une orthodoxie sans dogmes, précise
l'édition, les entreprises nationalisées. Du Papaioannou : on peut devenir hérétique en
coup, les compagnons de route, les idiots s'en tenant à l'orthodoxie de la veille. On
utiles, les progressistes pour être poli, se met- dépend de l'horloge. Ce qui est curieux, c'est
tent à pulluler. Redoutable conjonction de la que tant d'intellectuels l'aient accepté sans cil-
mode et de la puissance. Une censure sévit ler.
contres les rebelles (par exemple, les livres de Saluons le rôle important de Raymond
Rossi -Les Communistes pendant la drôle de Aron, avec l'Opium des intellectuels (1956) et
guerre - sont étouffés) tandis qu'une prime ~ les Marxismes imaginaires (1970). Informa-
- notoriété, gains - récompense les plus tion immense, clarté d'exposition, esprit scien-
souples. Thierry Maulnier (1909-1988). Jacques Tala- tifique, ces qualités expliquent les coups de
Cependant, rebelles il y a. Si toute une grand (son véritable nom) fut condisciple à l'École tonnerre que furent la publication de ces
normale supérieure de Robert Brasillach et de ouvrages. D'autant qu'Aron était trop célèbre
part des chrétiens, moines en tête, joint ses
Roger Vailland. Proche de l'Action française dans
bannières aux drapeaux rouges, Bernanos, à pour que s'applique la loi du silence, l'« omer-
sa jeunesse, l'académicien et le collaborateur du
lui seul, rétablirait l'équilibre (La Liberté pour Figaro avait beaucoup moins perdu ses ardeurs ta » si souvent utilisée ( 1).
quoi faire ?). Mais il n'est pas seul. Mauriac juvéniles qu'on ne l'a dit. Dans les années 1950- Mais nulle critique du marxisme et du
fonde avec Maulnier, la Table ronde. Grand 1960, il fut un anti-Sartre comme le rappelle son mouvement communiste n'égale l'entreprise
rôle des revues à cette époque. Il y aura égale- essai La face de méduse du communisme (1952). poursuivie par Jules Monnerot de Sociologie
ment les Écrits de Paris (Malliavin, Poulet) et du communisme ( 1949) à La Guerre en ques-
Itinéraires de Jean Madiran (La vieillesse du ment européen et anticommuniste. Et puis il y tion (1951) et à Sociologie de la révolution
monde, Le communisme), avec Salleron, De a les francs-tireurs (anti-partisans, si j'ose ( 1969), ensemble indispensable pour com-
Corte, Curvers. Et Thomas Molnar dans La dire): Fabre-Luce, Bardèche, Brigneau, Paraz. prendre le XX' siècle. Et nullement périmé par
Gauche vue d'en face, analyse la gnose démo- la chute de l'URSS, car Monnerot va au fond
cratique sous ses deux formes, libérale et Le refus de toute du problème. Il montre le succès communiste
socialiste. orthodoxie fondé sur un élan religieux, un « islam »
D'autres se révoltent au nom de l'huma- mêlant spirituel et temporel - avant que
nisme : Camus n'admet pas que la révolution Malraux s'est retourné. Il a découvert la l'islam lui-même se montre à nouveau
justifie le mépris des personnes et l'assassinat. patrie. « Nous savons désormais qu'on ne sera conquérant. L'homme n'a pas changé. Il a
Il faut mettre de ce côté, Jean-François Revel pas d'autant plus homme qu'on sera moins besoin de sens. Et les intellectuels en particu-
(Ni Marx ni Jésus), plus encore Alain Besan- français, mais qu'on sera simplement davan- lier n'étaient pas immunisés contre une idéolo-
çon (Court traité de soviétologie), et affilier au tage russe » (discours de 1948). Du coup, la gie se présentant comme une science. << La
groupe Jacques Laurent, que son scepticisme gauche comprend qu 'il n'a aucun talent, ce psyché des intellectuels est une des lignes de
et son indépendance rendent allergique à la que la droite, soulagée, approuve. C'est aussi moindre résistance des sociétés ouvertes. »
passion révolutionnaire (Au contraire). Les le souci de la patrie qui anime le refus Nous n'en avons pas fini avec la maladie.
militants désabusés deviennent des critiques inflexible, vigilant, de Jean Paulhan. Voyez De Si l'espoir mis dans l'utopie est bien atteint,
sans merci : Annie Kriegel (Ce que j'ai cru la paille et du grain, les notes signées Jean une scolastique marxiste de bas étage, mais
comprendre) ou Kostas Papaioannou ; son Guérin dans la NRF et, dès avant la guerre, la très commode, est toujours diffusée par l'Uni-
Idéologie froide est explosif simplement par correspondance. versité et les médias, et la censure fonctionne
les faits qu'il rappelle : Pierre Daix écrit en Voilà bien des chiens, pour parler comme bien. On aura encore besoin d'auteurs incor-
1949 Pourquoi David Rousset a inventé les Sartre. Il faut encore faire la place à trois rects.
camps soviétiques, Aragon nomme Staline auteurs. D'abord Roger Caillois (pourtant cir- G.L.
« le plus grand philosophe de tous les temps », conspect en politique) pour sa Description du Georges Laffiy vient de publier Montaigne,
etc. D'autres ont généreusement pardonné marxisme. Il ne peut admettre que des écrits libre et fidèle, Éditions Sainte-Madeleine.
l'imposture, mais n'est-ce pas que leur enga- du XIX' siècle fixent définitivement le savoir
(1) Sur Raymond Aron et quelques autres, on
gement tenait surtout au calcul ? humain. Il signale qu'une orthodoxie s'est
peut se reporter à l'ouvrage de Pierre Grémion,
Autres groupes réfractaires : celui de la créée, « elle porte sur les cadres même de la L'Intelligence de l'anticommunisme. Il s'agit de
Nation française avec Pierre Boutang (Les pensée ». Changement capital, le jour de 1947 1'histoire du Congrès pour la liberté de la culture.
Abeilles de Delphes), Philippe Ariès, Raoul où Jdanov donne un sens péjoratif au mot Présidé par Denis de Rougemont, son comité exé-
Girardet : la dernière génération formée par << objectivité » auquel il oppose la << partialité cutif réunit notamment Arthur Koestler, David
Maurras. Celui de la Fédération (Robert Aron, socialiste ». Dès lors vérité et objectivité sont Rousset, Raymond Aron, Carlo Schmid, Ignazio
Paul Sérant) où l'on est d'un même mouve- séparées. La science est servante du marxisme, Silone. (Fayard, 1995) .
"
RESISTANCE EN AME" RI QUE CENTRALE
Contras et sandinistes
PAR ALAIN SANDERS
E
n Amérique centrale, et donc au Nica-
Photo prise en 1985 dans le nord du Nicaragua montrant un détachement de Contras. Soutenus au
ragua, les choses ne sont jamais
début par les États-Unis, ces partisans joueront un rôle déterminant dans la défaite sandiniste de 1990.
simples et il faut se garder de les juger
à l'aune des catégories politiques européennes.
Au temps de la guerre froide et au-delà, les métis et de Blancs, le Nicaragua n'est jamais et contre les ingérences américaines, un petit
États-Unis eurent tendance à taxer automati- parvenu à intégrer ou à soumettre les impor- Front sandiniste de salut national, soutenu par
quement de « communiste » tout mouvement tantes communautés d'Indiens caraïbes (Mis- Pedro Joaquin Chamorro (époux de l'actuelle
qui tentait d'échapper à leur lourde tutelle. Ici, kisto, Sumo et Rama), environ 100 000 per- présidente, Violeta Chamorro), directeur du
le nationalisme est nécessairement anti-améri- sonnes, qui se maintiennent sur la côte atlan- journal conservateur La Prensa. Son assassinat
cain (anti-yankee). Ce fut le cas du premier tique. en 1978, par les hommes de Somoza, entraîne
sandinisme, du nom d'Augusto Cesar Sandi- Au XVII' siècle, pour résister aux Espa- la formation d'un Front uni de l'opposition qui
no, leader historique du nationalisme ladino gnols, les Misquitos avaient recherché l'appui bénéficie aux sandinistes. Après des émeutes
(métis), assassiné en 1934 par Anastasio des Anglais qui favorisèrent la création d'un durement réprimées, Somoza s'enfuit en juillet
Somoza, chef de la garde nationale du Nicara- État indien indépendant. Ce territoire d'accès 1979, laissant la place à une junte dont font
gua. Installé au pouvoir par les Américains, difficile, couvert de forêts tropicales et de partie le sandiniste Daniel Ortega et la conser-
Somoza était le modèle de ces « présidents marécages, fut annexé par le Nicaragua en vatrice Violeta Chamorro.
dictateurs », soumis à la grande puissance du 1860 et devint une réserve indienne, la Miski- En quelques années, les communistes
nord, qui ne font pas de la justice sociale leur ta, bénéficiant d'une importante autonomie infiltrés au sein du mouvement sandiniste der-
préoccupation dominante. Il faut ajouter à cela administrative. rière Daniel Ortega prennent le contrôle du
des conflits ethniques ou raciaux pudiquement Telle était la situation à la fin des années mouvement et du pays, imposant une collecti-
camouflés, mais bien réels. Peuplé à 80 % de soixante-dix, quand se forme, contre Somoza visation agraire qui désorganise complètement
AS ET SANDINISTES
Il
CONTRAS ET SANDINISTES
Il
mstoire romaine, Valois qui n'hésite pas, au nom de la
textes et documents
par Y ann Le Bohec
Chronique Quand nos ancêtres fixaient défmitivement à des lieues de d'un renouveau possible entre un
du règne partaient leur village natal. Il cite aussi le cas fédéralisme authentique qui institue
de Basques qui ont fait souche dans la la diversité dans l'unité face à l'État-
de Louis XIV pour t~aventure
pampa argentine, de Corses installés à nation jacobin, et un socialisme
de la fin de la Fronde par Jean-Lonis Beaucarnot
Porto-Rico, d'habitants de révolutionnaire en rupture avec un
à l'aube des Lumières Barcelonnette qui ont fait fortune au capitalisme inhumain et un
par Joël Cornette Nos ancêtres n'étaient pas tous Mexique ... marxisme niveleur. A travers les
sédentaires. Certains, à pied, à cheval, Lattès. 344 pages, 129 F. pages de ces livres, on se dépouille
Le règne de Louis XIV a été le en chariot, parcouraient même de très V.T. des préjugés de l'économie politique
plus long de toute l'histoire de longues distances. Jean-Louis libérale. Proudhon n'écrit-il pas
France. Il est aussi 1'un des plus Beaucarnot évoque ces légions de Idées révolutionnaires justement avec pertinence dans ses
connus. Cette << chronique >> le maçons originaires de la Creuse, de Confessions d'un révolutionnaire
(1848). Les confessions
restitue chronologiquement par taupiers de l'Orne, de colporteurs ( 1849) : « Il faut avoir vécu dans cet
d~ révolutionnaire
tableaux successifs. Les événements dauphinois, de ramoneurs savoyards, isoloir qu'on appelle une Assemblée
tant militaires, politiques, sociaux, de porteurs d'eau aveyronnais, de (1849). Du principe nationale, pour concevoir comment
qu 'artistiques qui 1'ont marqué sont scieurs de long foréziens, de bougnats fédératif (1863) les hommes qui ignorent le plus
indiqués année par année. auvergnats ... qui, au siècle dernier, par Pierre-Joseph Proudhon complètement l'état d'un pays sont
Certains faits, et les personnages qui partaient louer leurs services pour la presque toujours ceux qui le
en ont été les acteurs, ou les débats saison, reprenaient le chemin au gré La réédition de ces trois grands représentent >>. A noter: un index
qu'ils ont suscités, sont évoqués des offres d'embauche, et paifois se livres de Proudhon marque l'histoire des noms qui aide à se repérer et se
plus amplement : ainsi de la familiariser avec certains
révocation de l'édit de Nantes, de personnages du XIX' siècle.
Colbert, de Mazarin ... Les artistes Histoire du Rwand~ Éditions Tops- H. Trinquier (12, Rue René
aussi sont mentionnés et des extraits de la Préhistoire à nos jours Morin 92160 Antony). 288 pages, 117 F,
par Bernard Lugan chaque.
de leurs œuvres permettent
A.G.-J
d'illustrer l'époque. Parfois Après avoir << remis à disparaître sa monarchie sacrée
s'ajoutent des témoignages de l'endroit >>l'histoire de l'Afrique et quand le représentant local de
contemporains. La capture. De Gaulle
dénoncé les escroqueries et les 1'Église catholique imposera la
Sedes. 578 pages, 158 F. à Douaumont~ 2 mars
impasses de la<< recolonisation destitution du roi Musinga,
M. M.
humanitaire>>, Bernard Lugan s'est remplacé par un souverain plus 1916
penché tout naturellement sur un docile. Favorable aux dominants par Yves Amiot
Enquête petit pays africain qui, depuis le tutsi, l'Église et l'autorité belge
sur le satanisme : génocide perpétré en 1994, occupe gouverneront le pays sans Voici l'étude la plus complète
satanistes et régulièrement le premier plan de problème jusqu'aux armées 1950. consacrée à l'épisode Je moins connu
antisatanistes l'actualité. L'auteur, qui a vécu et A ce moment, les perspectives de l'existence d'un homme très
enseigné au Rwanda pendant de d'une fm prochaine de la tutelle célèbre. Cette étude méthodique et
du XVD" siècle très sérieusement documentée fera
nombreuses années, maîtrise belge amènent la puissance
à nos jours grincer bien des dents. Elle réjouira
admirablement son sujet et rend coloniale et 1'Église à jouer la carte
par Massimo lntrovigne ceux qui n'aiment pas Je général de
intelligibles aux lecteurs les du nombre, c'est-à-dire de la
arcanes d'une histoire a priori bien majorité hutu, les Tutsi devenant Gaulle. Mais au-delà des irritations
Considéré comme l'un des peu familière. Les relations entre désormais, selon les circonstances, ou des satisfactions, elle rendra
meilleurs spécialistes des religions, Tutsi et Hutu en sortent des << féodaux » ou des service à la connaissance historique.
Massimo Introvigne nous livre un singulièrement éclairées et «communistes >>. Comme on Ulysse, 91, rue Bernard-Adour, 33200
ouvrage d'une érudition fantastique, Bordeaux, 184 pages.
1'ouvrage apparaît même tout à fait pouvait le prévoir, l'indépendance,
d'une lucidité étonnante et d'une Ch. V.
novateur quand il nous expose les en livrant le pays aux plus
lecture agréable. Il se singularise en conditions de la mise en place des nombreux, entrama le massacre ou
ce qu'il conteste à la fois le peuples et les étapes d'une l'exil des anciens maîtres du pays, Cent ans d~histoire
satanisme contenu dans la coexistence qui aboutira, vers le dont les enfants, élevés en Ouganda des jardins ouvriers
modernité et l'antisatanisme XIV' siècle, à la naissance de l'un viennent de prendre, depuis 1994, ouvrage collectif, sous la
fondamentaliste, le reductio ad des rares véritables États apparus une éclatante revanche, différée de direction de Philippe
satanum, qui en est le corollaire. A dans 1'espace africain. Royaume de quelques armées du fait de Piersou
force de voir Satan partout, on ne le la lance et de la vache dominé par 1'intervention intempestive d'une
voit plus nulle part. Introvigne dont les lignées tutsi rassemblées autour France manifestement étrangère Fondé il y a un siècle par l'abbé
1'approche est socio-historique, du clan royal Nyiginya, le Rwanda, aux réalités de l'Afrique orientale. Lemire, député atypique, catholique
analyse ce qu 'il appelle la isolé sur les hautes terres de la Tout cela est magistralement social et disciple de Le Play, le
« subculture sataniste » dont les crête séparant les bassins du Congo expliqué par Bernard Lugan, qui mouvement des jardins ouvriers et
mystificateurs dangereux, Léo et du Nil, échappera aux ravages possède le rare mérite de rendre familiaux est aujourd'hui bien
Taxi!, Huysmans, Aleister de la traite musulmane organisée à vivants les débats d'érudits et les vivant. La crise urbaine lui redonne
Crowley, Maria de Naglowska, etc. partir de Zanzibar et il faudra événements les plus complexes. une nouvelle vigueur. L'ouvrage
sont les figures emblématiques, avec attendre 1892 pour qu'un Son livre fournit ainsi toutes les retrace le passé et le présent d'un
des nuances bien entendu. A noter Européen y pénètre. Territoire clés nécessaires à l'analyse et à la élément essentiel de la culture
1'excellente traduction de Philippe rattaché à 1'Afrique orientale compréhension des tragédies qui se populaire française.
Baillet, ainsi que le toujours utile et allemande puis placé par la SDN déroulent aujourd'hui en Afrique Ligue du coin de terre (11, rue Desprez
précieux index des noms figurant à sous mandat de la Belgique au centrale. 75014 Paris). 220 pages, nombreuses
la fin . lendemain de la Première Guerre Éditions Bartillat. 608 pages, 170 F. photos, 195 F (port compris). Règlement à
Dervy. 413 pages, 198 F. mondiale, Je Rwanda verra de fait PHILIPPE CONRAD l'ordre de Créaphis.
A.G.-J V.T.
TOUT EN QUELQUES LIGNES
Qu'est-ce que les Lumières ? d'Occident. Professeur à Chicago, victime des préjugés universalistes France des moyens matériels de sa
par Alphonse Dupront (Folio Morissey montre comment le et européocentristes des Lumières, défense. Ce polytechnicien, homme
histoire, 448 pages, 66 F). Préfacé souvenir magnifié alimenta les quand il croit discerner dans des chemins de fer et jacobin de
par François Furet, cet inédit résume projets les plus contradictoires. 1'histoire des peuples et des cultures conviction fut après la guerre le
les recherches du Dupront sur le Jacques Cœur, par Jacques différentes un << ordre éternel » et fondateur du Commissariat à
grand passage de la religion à Heers (Perrin, 282 pages, 138 F). des << lois fondamentales » l'énergie atomique.
l'idéologie dans un monde Grand marchand et grand argentier applicables à tous les hommes et à L'envers du Jour J, le guet-
désenchantée où 1'homme se toutes les sociétés ?
de Charles VII, brisé soudain par la apens américain, par Daniel
substitue à Dieu. À lire en parallèle
disgrâce royale, Jacques Cœur ne fut Histoire de la Russie et de son Pierrejean (Presses de la Cité, 351
avec Taine et Les origines de la
pas, comme on le croit souvent, une empire, par Michel Helier (Plon, pages, 120 F). Comment les États-
France contemporaines.
préfiguration des hommes d'affaires 986 pages, 198 F). Mille ans Unis avaient préparé l'occupation de
Le tsar Paul/", la puissance et des temps modernes. Cette d'histoire russe. Comment l'univers la France en 1944 et sa soumission à
la peur, par Paul Mourousy (Le biographie exemplaire montre qu 'il des steppes devint 1'empire 1'AMGOT (administration des
Rocher, 348 pages, 145 F). ll vécut fut un grand commis de la multinational des tsars. De la territoires occupés) et comment le
dans la hantise d'être assassiné, Couronne, dont les affaires étaient décadence de la royauté de Kiev à la général de Gaulle et ses premiers
comme l'avait été son père, Pierre III, des monopoles d'État. Plus qu'un domination imprévue de Moscou, << préfets >> mirent en échec ce projet
lorsque Catherine la Grande capitaliste privé, un habile politique. 1'influence de Byzance, la lutte destructeur de l'indépendance
s'empara du trône. Après avoir
Les ambitions de l'histoire, par contre les Tartars, la violence et la nationale.
incarné l'une des figures les plus
Fernand Braudel (de Fallois, 529 démesure. A l'exemple de Les FFI du Languedoc-
surprenantes de despote éclairé, il
pages, !50 F). Deuxième volume Soljenitsyne, Michel Helier Roussillon dans l'armée de la
sera bel et bien tué en 1801 , victime
d' un complot dans lequel son des inédits du grand historien. Des s'insurge contre 1'interprétation Libération, sous la direction
héritier, Alexandre l", avait sans réflexions profondes, libres, occidentale qui ferait du d'André Souyris-Rolland (Preal,
doute trempé. originales, stimulantes sur bolchevisme la conclusion naturelle 23, rue Voltaire, 94110 Arcueil, 256
l'économie en histoire, de l'histoire russe. pages, 173 F). Actes d'un colloque
Athènes, des origines à 338 av.
1'impérialisme, 1'esprit des Poincaré, l'acharné de la consacré au contexte mal connu de
J.-C., par Christian Bonnet (Que
civilisations, l'explication du présent politique, par Daniel Amson la création des unités FFI de la
Sais-je?, 128 pages, 42 F). Analyse
par le passé, l'histoire sociale, (Tallandier, 432 pages, 130 F). On région R3, parmi lesquelles les
du modèle athénien du VIII' au IV'
1' autonomie de 1'État, etc. connaît Je mot féroce opposant les anciens des Chantiers de la jeunesse
siècle. Ascension, apogée, puis
déclin sanctionné par sa défaite de Histoire de la révolution deux grands adversaires que furent jouèrent un rôle habituellement
Chéronée (- 338) devant la phalange d'Angleterre, par François Guiwt Briand (l'homme de la paix) et occulté. Une étude précise sur
macédonienne. Importance de la (Bouquins/Laffont, 1 200 pages, Poincaré (l'homme de la guerre). l'origine des volontaires, la
polis (la cité est la communauté des 159 F). Avant d'être un homme Poincaré « sait tout et ne comprend composition des unités, leur rôle
politaz} dans le monde grec ancien. politique doué et un ministre de la rien », tandis que Briand « ne sait dans les combats de la Libération.
Mais n'y a-t-il pas confusion sur le monarchie de Juillet, Guizot avait été rien et comprend tout »... La Chants pour mon fils Pierre,
mot démocratie appliqué grand historien, ce dont témoigne nouvelle biographie de Daniel tombé à Diên Biên Phu, par
indifféremment à la cité cette Histoire publiée initialement en Am son s'inscrit en faux contre ces Suzanne Paulot (BS Éditions, 23
aristocratique et communautaire des 1826. Ouvrage érudit, récit bien images faciles, tout en soulignant la rue du Parlement, 36200 Saint
Hellènes, comme aux sociétés tourné, c'est aussi une réflexion rigidité d'une personnalité hostile à Marcel/Argenton-sur-Creuse, 80
occidentales de masse du XX' toujours actuelle sur le gouvernement toute réconciliation avec pages, 80 F). Engagé volontaire en
siècle? représentatif tel qu'il se dessine après l'Allemagne après 1918. 1945, breveté parachutiste en 1947,
La grande épopée des Celtes. les révolutions de 1640 et de 1688. i Arriba Espana !, par Alain après un premier séjour en Indo,
Les conquérants de l'île verte, par Le chevalier de Folard, par Sanders (Godefroy de Bouillon, Pierre Paulot partit combattre en
Jean Markale (Pygmalion/Gérard Jean Chagniot (L'Art de la guerre, 176 pages, 120 F). La naissance et le Corée, puis encore en Indo, jusqu'à
Watelet, 324 pages, 120 F). Quand Rocher, 300 pages, 165 F). développement de la Phalange Diên Biên Phu où il disparut. Voici
les anciens druides irlandais se firent Biographie intellectuelle d'un des espagnole, la personnalité de son les poèmes écrits par sa mère pour
moines, vers le VII' siècle, pour deux grands théoriciens français du chef, Jose-Antonio Primo de Rivera, se libérer de sa douleur. Se lisent le
sauver l'héritage du paganisme sous temps des Lumières. Un homme de les échéances imposées par Je destin, cœur serré, comme un chant
les apparences chrétiennes. guerre qui était aussi un homme la guerre civile, la fusion avec les désespéré auquel la poésie donne le
L'aventure primordiale de la d'esprit. Le xx· siècle en fut moins autres mouvements imposée par son de l'espérance.
civilisation fondatrice d'Occident, prodigue que le XVIII', dont on Franco, l'héritage enfin. Plusieurs La vraie bataille d'Alger. Le
celle des poètes, des guerriers et des redécouvre ici les séductions. pages sont consacrées à 1'histoire torrent et la digue. Mémoires du
fées. La vraie révolution, par Louis de mal connue des volontaires général Massu (2 volumes, Rocher,
Charlemagne dans la Bonald (Éd. Clovis, 224 pages, irlandais, français et portugais qui 400 pages, cahiers photos, 139 F le
mythologie et l'histoire de France, 98 F). Auteur d'une admirative combattirent dans les rangs volume). Deux volumes de
par Robert Morissey (Gallimard, biographie de Bonald (voir ESH nationalistes pendant la guerre souvenirs sur la guerre d'Algérie, de
437 pages, 195 F). A partir des n° 21), Michel Toda réédite ce d'Espagne. 1956 à 1960. Tout est dit dans les
traces écrites des archives et des pamphlet lapidaire et ironique dans Raoul Dautry, par Vladimir titres. On n'apprend rien de ce qu 'on
témoignages iconographiques, une lequel le théoricien catholique de la Halpérin (Fayard, 304 pages, 150 F). savait déjà, sinon que 1'âge et le
analyse stimulante des « messages >> contre-révolution écrasait Mme de Biographie du ministre de temps n'ont pas bonifié les facultés
multiples portées d'âge en âge par la Staël sous le poids de son ironie. l'Armement de 1939, dont on sait mentales d'un des plus célèbres
figure complexe du grand empereur Mais le théoricien n'est-il pas les efforts pour doter (trop tard) la généraux parachutistes .
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