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PHILOSOPHIE – LA LIBERTÉ

Paul Lavaud
Terminale 7

I. La liberté au sens du libre-arbitre est-elle une illusion ?

On distingue en français 3 sens du mot « liberté » :

- Être libre, c’est d’abord avoir le droit de, l’autorisation. Il y a ici l’idée d’une relation entre
l’individu et une forme d’autorité, comme l’État, l’école, l’entreprise ou les parents. Il s’agit
de la liberté politique, mais pas que. En tout cas, une forme d’autorité que l’on reconnait et
que l’on peut craindre, pas un gosse dans la rue qui nous interdit de marcher sur le même
trottoir que lui.

- Être libre, c’est ensuite avoir le pouvoir (physique, psychique, financier, temporel) de faire ce
que l’on désire. L’État peut m’autoriser à voyager, j’ai donc la liberté légale et politique de
voyager, mais je n’ai pas les moyens effectifs de le faire. Je ne suis donc pas libre de voyager
quand bon me semble. Il y a le désir, l’autorisation légale et politique de l’action et d’autre
part, de manière indépendante, la capacité. Il faut donc réunir deux conditions pour être libre
au sens que l’on entend généralement. Cette liberté liée aux capacités notamment
matérielles est décrite par Karl Marx comme une partie de la liberté réelle.

- Être libre, c’est enfin être l’auteur de ses actions et la cause de son désir. La liberté consiste
ici à être la cause première de ses actes. C’est disposer d’un libre-arbitre. C’est aussi avoir le
pouvoir indéterminé de se déterminer soi-même.

Note : le libre-arbitre est essentiel est caractéristique de la liberté humaine en ce sens. L’Homme
peut en effet, sans aucune raison valable, choisir « b » plutôt que « a », qui serait rationnellement
plus judicieux. On verra cependant que certains penseurs ne reconnaissent pas le libre-arbitre.

On remarque que la notion de responsabilité dépend de la notion de libre-arbitre. En effet, s’il n’y a
pas de libre-arbitre, alors il n’y a pas de responsabilité, car une série causale ne nous poussera
probablement jamais à frapper notre voisin. Pourtant, cela arrive, car le libre-arbitre permet à
l’Homme de décider d’aller frapper son voisin. Il est donc responsable de cet acte, l’ayant réalisé par
choix et en toute conscience.

Les phénomènes naissent successivement d’une série causale ou de collisions entre plusieurs séries
causales. Avant le Big Bang, une première série causale fût initiée. L’Homme libre est alors celui qui
peut agir indépendamment de la série causale naturelle, qui produit les évènements au fil duquel
l’Homme évolue. L’Homme libre est aussi capable d’initier une nouvelle série causale, une sous-série
causale à la série première, et est capable d’influer sur la série première. Enfin, l’Homme libre est
capable d’agir en vue de se déterminer, de mettre fin à une série causale et d’agir indépendamment
de toute force extérieure à lui-même. Par exemple, l’Homme est libre lorsque dans un carrefour,
souhaitant gagner le côté opposé au sien, il choisit sans raison de prendre le côté gauche plutôt que
le côté droit (libre-arbitre). Il est également libre lorsque, ayant l’habitude de consommer du tabac,
entrainé dans une série qui cause l’addiction au tabac, il tente de mettre fin à sa consommation de
tabac.
Certains penseurs considèrent que le libre-arbitre n’est qu’illusion, car :

- Comme le considère Spinoza, philosophe déterministe, « l’Homme n’est pas un Empire dans
un Empire », c’est-à-dire que l’Homme n’est pas une exception dans la Nature et que comme
dans l’Univers, selon Spinoza, tout est déterminé, alors les décisions de l’Homme seraient
aussi déterminées. L’Homme serait pris dans une série causale et agirait selon les
évènements, les phénomènes qui naissent de cette série causale. On agit selon les conditions
de notre évolution dans notre vie, selon toutes nos prédispositions liées à notre milieu social,
nos capitaux économique, social et culturel. Alors comment expliquer que l’Homme parfois
se sente libre, quand son action est déterminée ? Spinoza répond que « nous nous croyons
libres car nous ignorons les causes qui nous déterminent ». En effet, si nous lançons en l’air
un caillou, et qu’alors qu’il est libre en l’air, on lui injecte une conscience, il croira qu’il est
libre dans l’air et qu’il y est parce qu’il en a le désir, car il n’avait pas de conscience avant
d’être lancé et ignore donc la cause qui le détermine au moment de sa pensée. Ainsi en est-il
de l’Homme.

- De plus, l’idée de liberté est inconcevable et illogique. En effet, soit les choses sont
déterminées et nous ne sommes pas libres, soit les choses sont indéterminées et donc
complètement liées au hasard. Or, le libre-arbitre implique justement que les choix de
l’Homme ne sont pas déterminés, mais pas liés au hasard pour autant, puisqu’ils naissent de
la pensée humaine.

D’autres penseurs considèrent que, plus ou moins logiquement, le libre-arbitre existe bel et bien,
car :

- Comme le pense Descartes, « la vérité ne se prouve pas, elle s’éprouve », comme la liberté de
choix.

- Comme le pense Maine de Biron, on ne peut pas donner de preuve logique de la liberté du
choix, mais on peut en donner une preuve expérimentale. Au XXe siècle, le neuroscientifique
américain Benjamin Libet a tenté de prouver scientifiquement, expérimentalement le libre-
arbitre.

- D’après l’argument axiologique (axiologie = science des valeurs), celui qui affirme que le libre-
arbitre n’existe pas se contredit lui-même, car en prétendant affirmer une vérité, il
présuppose sa liberté (d’affirmer une vérité, qu’il aurait trouvé indépendamment de toute
détermination).

- À priori, les philosophes déterministes se contredisent, car comme le dit Éric Weil, « le
premier résultat de toute science est que la liberté n’existe pas, mais le premier présupposé
de toute science et que la liberté existe.

Certains penseurs remettent en cause de manière plus radicale la vision matérialiste et déterministe
en cherchant à expliquer qu’accorder le libre-arbitre à l’Homme n’est en rien en faire une exception
dans la Nature, car la Nature elle-même ne peut se réduire aux lois du déterminisme.
La capacité pour la vie d’excéder les causes qui président à son devenir est à certains égards déjà une
forme de liberté. On ne peut pas comprendre le réel uniquement à partir des lois déterministes.
L’intelligence ou la conscience débordent la sphère de la causalité.
Vision déterministe traditionnelle : la matière est déterminée selon des phénomènes survenant
d’une série causale.

Vision déterministe contemporaine : on ajoute à la matière déterminée l’influence de la


détermination des informations et des énergies, de formes non-matérielles et extérieures,
indépendantes au fil du temps, comme les émotions, sur la matière et le réel.

Par exemple, le corps est matériel, mais en même temps, il est traversé par des flux d’information et
d’énergie qui influe sur les sécrétions du corps, notamment lors de la cicatrisation.

Lien avec la liberté : la vision déterministe traditionnelle a étriqué l’idée de liberté en considérant
que la matière était déterminée indépendamment de la conscience. Or, de la conscience émergent
des informations et des énergies qui influent sur la matière.

Schéma du lien entre information-énergie-matière :

(Esprit) (Âme) (Corps)

Information Énergie Matière

Mémorisation Conscience
(Émotion)
Conscience Concrétisation

L’émotion est l’interface entre l’information et la matière. Il y a en effet un ressenti physique de


l’émotion, mais en même temps quelque chose d’une information qui traverse le corps.

La conscience permet le processus de mémorisation, c’est-à-dire la transformation par le corps


humain de quelque chose de matériel à quelque chose d’immatériel, qu’il intègre, sous la forme
d’une information qui continuera à circuler dans le corps. Elle permet également le phénomène
inverse, la concrétisation, c’est-à-dire le passage de quelque chose d’immatériel, à partir d’une
information qui circule dans le corps à quelque chose de matériel.

Sans nécessairement se diriger vers cette vision que certains appellent « panpsychique », d’après
laquelle la réalité serait traversée par des flux d’informations, les partisans du libre-arbitre relient le
mystère de la liberté au mystère de la conscience. En effet, une conscience qui a conscience d’être
une machine n’est déjà plus totalement une machine. Autrement dit, la source de la liberté réside
dans cette capacité pour la conscience de prendre conscience d’elle-même. C’est ce que l’on appelle
la « conscience réfléchie ». C’est ce dédoublement de la conscience qui permet d’accéder à la liberté,
le fait de faire et de savoir que l’on fait ; le fait d’être et de savoir que l’on est.
Exemple : le fait d’être accepté dans une formation Parcoursup et de savoir que l’on est accepté. La
liberté surgit là où l’on peut ensuite décider de rejoindre officiellement la formation, ou de rejeter
l’acceptation de la formation si on le souhaite.

Les Hommes peuvent réaliser des choix libres, à condition qu’ils prennent conscience et
comprennent les causes qui les déterminent pour s’en libérer, à condition de prendre du recul vis-à-
vis d’elle. Voilà où réside la liberté. Plutôt que de nous demander si nous sommes libres au sens de
non-déterminés, nous devrions nous poser la vraie question, à savoir : « sommes-nous assez lucides
et libérés des causes qui nous déterminent ? ». Nous sommes donc inégaux en liberté car nous
sommes tous plus ou moins surmenés, pris par nos émotions…

Spinoza, philosophe déterministe qui ne reconnait pas le libre-arbitre, considère qu’être libre c’est
être la cause adéquate de ses actes. C’est agir en cohérence avec ce que l’on est, agir selon sa
nature, c’est-à-dire ne pas chercher à agir comme les autres. C’est-à-dire agir sans influences
extérieures. Être libre, c’est donc faire sa vie de l’intérieur. Ce raisonnement possède toutefois une
limite : il faut, pour faire sa vie de l’intérieure, être doté d’une force qui permet de la diriger. Il
faudrait donc reconnaitre le libre-arbitre. Spinoza explique que le libre-arbitre n’existe pas, mais que
la vie, les actes peuvent être dirigés par un déterminisme intérieur, non extérieur. Il faut ressentir ce
qu’il y a de nécessaire au fond de nous et agir en fonction de ce que l’on ressent au fond de nous,
sans pouvoir choisir, car le libre-arbitre n’existe pas.

II. Les trois façons de penser l’autonomie de la conscience humaine

1. La liberté rationnelle

Il y a une première tradition philosophique, qui remonte à l’Antiquité, qui associe la liberté à un
pouvoir de la raison, pouvoir de s’extraire de la simple réaction émotionnelle aux évènements pour
réfléchir à son action. Ainsi, Aristote oppose l’individu qui est le jouet de ses émotions, ou du regard
des autres, et d’autre part l’individu capable, en mobilisant sa raison, de différer le jugement et la
décision pour examiner. L’Homme est capable, en effet, de réfléchir en raison à ce qui est le plus
juste de faire ou de penser. Au tribunal, on instruit le dossier avant de l’examiner et de juger.
Aristote : « la justice est l’intelligence sans passion ». Pour Aristote, l’Homme libre est celui qui suit la
raison avec sang-froid, plutôt que celui qui est soumis à ses mobiles passionnels. L’Homme libre est
l’Homme rationnel, non l’Homme pulsionnel.

Remarque : on ne parle donc pas ici de libre-arbitre. Cette notion émergera plus tard.

Cette vision de la liberté comme poursuite de la nécessité rationnelle sera considérée par d’autres
penseurs comme insuffisante pour penser la liberté humaine, car :

- On ne voit pas quelle différence cela fait de se soumettre à la passion plutôt qu’à la raison
- Il y a dans cette théorie un problème logique, car qui décide de suivre la raison plutôt que la
passion ? Il y a bien une instance qui doit choisir entre les mobiles passionnels et les motifs
rationnels.
2. La liberté au sens classique du libre-arbitre

Ce que certains penseurs, à l’intérieur du Moyen-Âge chrétien, vont creuser est cette nécessité de
penser un troisième terme, qu’ils appelleront la volonté ou « libre-arbitre », indépendante des
pressions de la raison ou des pressions rationnelles. Cette indépendance est indispensable pour
penser l’idée de responsabilité humaine et d’autonomie de la conscience.

Dans cette conception du libre-arbitre, la notion de choix de l’individu est centrale. Le libre-arbitre
renvoie donc à un pouvoir de l’être humain :

- De faire un choix même lorsqu’aucune force ou pression le pousse à aller dans une direction
plutôt qu’une autre, ce que Descartes appelle la « liberté d’indifférence ». C’est le pouvoir de
choisir sans motivation particulière, à partir de rien.
- De choisir le mal, alors que l’on connait le bien ; de choisir de détruire, alors que l’on peut
construire ; de choisir l’obscurité, l’ombre, alors que l’on connait la lumière.

Cette conception du libre-arbitre va habiter l’Histoire de l’Occident jusqu’au XXe siècle et elle
consiste à accorder à l’Homme une liberté infinie mais pas absolue. En effet, l’Homme n’est pas Dieu,
il n’est pas cause de lui-même et de sa nature ou de son essence. L’Homme n’est pas non plus
l’auteur du bien, de ce qui est juste ou injuste. Il a cependant la liberté de transgresser ce qui
pourrait être le juste ou l’injuste.

Note : dans la religion, le libre-arbitre permet de disculper Dieu. On considère que, comme Dieu a
voulu l’Homme libre, il lui a accordé le libre-arbitre et dès que l’Homme détruit ou fait le mal, il en
est le seul et unique responsable. Voilà pourquoi, malgré la bonté de Dieu, la Shoah ou d’autres
évènements tragiques ont eu lieu. L’émergence de la pensée qui défend l’existence du libre-arbitre
se fait dans un contexte théologique favorable. Il faut disculper Dieu face aux horreurs du monde.

Ce sont ces limites fixées à la liberté qui seront interrogées puis remises en cause par certains
penseurs à la fin du XXe siècle, bien cristallisées dans la pensée de Jean-Paul Sartre.

III. La liberté sartrienne

Sartre va en effet expliquer que Descartes a projeté sur la figure de Dieu une liberté absolue, qui est
en réalité la liberté humaine. En effet, selon Sartre :

- L’essence de l’Homme est la liberté, ce qui est une manière de dire que l’Homme n’a pas
d’essence ; il est pure liberté. En effet, l’Homme n’a pas d’identité sans les choix qu’il fait.
L’Homme est un pur néant, qui n’est rien si ce n’est liberté. Il pourra donc faire des choix,
mais ne se connaitra pas tant qu’il est. À la fin, à posteriori, on pourra faire l’état de ses choix
et le décrire en fonction des choix qu’il aura fait. D’où la formule centrale de l’existentialisme
sartrien : « l’existence précède l’essence ». Il n’y a donc aucun sens à chercher à comprendre
qui est-ce que l’on est, ni à chercher à devenir qui on est, puisque nous ne sommes rien.
- Il n’y a aucun bien ni aucune valeur qui précède la liberté humaine. Chaque société, individu,
est le créateur des valeurs. Chacun est libre de créer ses valeurs, de décider ce qui serait bien
ou non. Les valeurs sont donc relatives à la liberté de chacun.

On comprend alors pourquoi cette conception de liberté émerge dans un contexte philosophique
occidental qui depuis un moment déjà a proclamé la « mort de Dieu » (avec Nietzsche, Marx, Freud)
et avec elle la mort de tout principe transcendant la Nature, l’Histoire et le choix humain.

Pour Sartre, tout Homme est complétement libre. Il faut que l’on arrête, donc, de rejeter notre
responsabilité lorsque l’on va au travail sans le vouloir. On dit souvent aujourd’hui que nous sommes
obligés d’aller au travail, pour vivre… Or, rien ne nous empêche légalement ou physiquement de
quitter notre job. Donc nous sommes tous responsables de notre malheur.

Cette liberté absolue dont disposerait l’Homme est en même temps un fardeau pour lui dont il
aimerait se libérer, car il est lourd d’assumer la responsabilité de ce que nous semblons être et de
nos actes. « Nous sommes condamnés à être libres ».

Voilà pourquoi les êtres humains ont tendance à nier leur propre liberté et à faire comme s’ils
étaient soumis à la fatalité. C’est ce que Sartre appelle la « mauvaise foi ».

Cette conception de la liberté pose néanmoins un certain nombre de problèmes, qu’il faut mettre en
lumière :

- Si l’individu choisit les valeurs, en est le créateur, cela conduit à un relativisme moral, qui est
la suppression même de la morale. On ne pourrait plus dire : « le nazisme est mauvais », on
devrait dire : « le nazisme est mauvais par rapport à mes valeurs ». Et les nazis pourraient
objecter : « le nazisme est bon pour nous et personne ne peut nous imposer ses valeurs ». Or,
si l’on réfléchit, le nazisme est moralement universellement mauvais pour l’Humanité.

Note : Sartre se contredit donc lui-même dans ses articles ou dans ses œuvres, lorsqu’il
condamne la colonisation par exemple, car il impose alors ses valeurs ou défend une thèse
comme morale, comme s’il y avait une transcendance de la valeur.

- Il y a aussi une contradiction entre le fait d’affirmer d’une part que l’Homme est le créateur
des valeurs et d’autre part que l’Homme est responsable. Car la responsabilité n’est pas
seulement le fait d’être à l’origine d’un choix ; elle suppose également une évaluation de la
pertinence, de la justesse de notre choix. Or, on ne peut pas à la fois être l’auteur des critères
de l’évaluation et être celui qui s’inquiète de l’évaluation.

- Enfin, Sartre fait comme si tous les êtres humains avaient une totale liberté à tout moment.
Question : « même à 4 ans ? », « même à 7 ans ? », « qu’est-ce qui fait que l’on gagne en
recul ? La capacité intellectuelle suffisante pour être conscient de son action afin de prendre
des choix en toute liberté ? », « pourquoi cette liberté, qui est notre essence, ne se manifeste
pas dès les 8 mois d’un nouveau-né ? »

Note (rien à voir) : pour Sartre, « nous n’avons jamais été aussi libres que sous l’Occupation ». En fait,
l’Homme est pour Sartre toujours aussi libre, mais il ressent davantage sa liberté dès lors que ses
choix, ses actes, importent réellement et ont de véritables conséquences dans le monde et sur soi.
IV. Les trois rapports de l’Homme à la liberté (Georg Wilhelm Friedrich Hegel)

Comment est-ce que l’Homme pense et vit sa liberté ? Le philosophe allemand Hegel (XVIII-XIXe)
donne 3 rapports de l’Homme à la liberté dans son Introduction aux principes de la philosophie du
droit.

L’expérience en nous-mêmes d’une puissance de choisir et de décider conduit d’abord l’être humain,
selon Hegel, à un rapport de fascination devant cette Toute-Puissance. C’est l’expérience de l’enfant,
qui découvre soudain qu’il peut dire non à ses parents, qu’il peut renverser la table du jeu, ou tout
simplement être le décideur de sa vie. À ce stade, ce qui hypnotise la conscience n’est pas tant
d’avoir ou de faire une chose donnée que de sentir vibrer en lui le pouvoir de choisir.

Dans ce premier rapport de l’Homme à la liberté, ce que veut la liberté, c’est essentiellement la
liberté elle-même, c’est-à-dire d’avoir devant soi l’ensemble des possibles et de conserver autant
que possible ce sentiment du tout-est-possible. C’est ce qu’Hegel appelle « le premier stade de
l’Homme à la liberté ». C’est la raison pour laquelle l’être humain, à ce stade, ne veut pas choisir, ni
décider. Car choisir revient à emprunter une possibilité et à abolir le tout-est-possible. Cette liberté
est la liberté du vide*. À ne vouloir choisir, à repousser la décision, on ne fait rien. Et ne rien faire,
c’est choisir de ne rien faire, et c’est faire quelque chose tout de même. Mais cette sorte d’inaction,
cette détermination n’est pas tenable. La vie nous somme un jour de choisir. L’être humain a du mal
à faire le deuil de la Toute-Puissance et a du mal à l’assumer.

* Cette liberté ne veut en effet pas se donner de contenu. On procrastine et on ne fait rien de notre
liberté d’agir, par angoisse de perdre nos capacités de choisir notre action. Car décider, c’est dire
non aux autres possibilités.

S’arrêter à ce stade de l’Homme à la liberté, c’est commettre l’erreur de la considérer comme une
valeur absolue. La liberté est un pouvoir. Ce n’est ni bien ni mal. C’est un moyen, non une fin. Il s’agit
de lui donner un sens en l’employant pour agir. La liberté a cependant un sens très particulier
comme moyen. Elle est en effet la condition nécessaire de l’action et de la réflexion pour permettre
au bien, au beau, au vrai d’exister. Voilà pourquoi l’Homme tient plus que tout à la liberté.

Ce premier rapport de l’Homme à la liberté est aussi marqué par la négation. En effet, l’Homme ne
se sent véritablement libre lorsqu’il nie une autorité qui pèse sur lui (ex : l’État, les parents ; ou une
autorité morale, la politesse… ; voire la vie). L’Homme est libre lorsqu’il se sent capable de
transgression des institutions. Hegel : « c’est seulement lorsqu’elle détruit quelque chose que cette
volonté négative a le sentiment de son être-là ». Le suicide est la transgression de la vie. René
Crevel : « le suicide est un moyen de sélection. Se suicident ceux-là qui n’ont point la quasi-
universelle lâcheté de lutter contre la peur. Le suicide est la plus juste et définitive des solutions pour
celui qui veut témoigner de sa liberté ».

Mais en transgressant tout, on se rend compte qu’on est libre mais que cela ne mène pas à grand-
chose : « la liberté connait la suprême désillusion d’être pleinement satisfaite ».

Enfin, dans ce rapport de l’Homme à la liberté, la liberté est désincarnée. Hegel : « la belle âme ».
Comme il s’agit d’une liberté qui ne se concrétise jamais, qui ne mène à aucune action, qui a quelque
chose de velléitaire (velléité : quelque chose de l’ordre de la volonté seulement, pas d’action ;
intention qui n’aboutit pas à une décision ou une action), elle est toujours désincarnée.

« Faire » est difficile dans notre monde. « Ne pas faire » préserve donc l’individu de la résistance du
réel, qui déplait, car elle nous fait nous sentir impuissants. De plus, l’Homme ne supporte pas
l’imperfection. Or, rien n’est parfait. L’Homme préfère alors ne rien faire que de faire dans
l’imperfection.

Pour quitter ce rapport de l’Homme à la liberté, il faut agir sur les 4 aspects de cette liberté :

- Liberté vide (donner un contenu à sa liberté)


- Liberté infidèle (vivre sa liberté, l’avoir et l’employer)
- Liberté négative (assumer qu’il y ait des autorités)
- Liberté désincarnée (assumer qu’il y ait une résistance à nos actes et accepter l’imperfection)

Dans un deuxième rapport de l’Homme à la liberté, qu’Hegel appelle « le stade de la volonté
particulière », l’être humain est cette fois-ci prêt à abandonner la Toute-Puissance du choix pour
donner un contenu à sa vie et à sa liberté. Il est prêt à assumer sa finitude et ainsi à renoncer à avoir
plusieurs vies. Il va ainsi faire des choix personnels pour rendre sa vie confortable, agréable ; il va
habiter un lieu donné, avec des personnes données, avec une certaine fidélité à ses choix. Même
Dieu, disait Descartes, lorsqu’il a créé le monde, l’a assumé. L’Homme va assumer les limites et les
conséquences de ses décisions et de ses actions.

Dans ce deuxième rapport, on prend le contre-pied du premier. L’Homme assume sa finitude, les
autorités qui pèsent sur lui et la résistance du réel qui retient ses actions, ainsi que l’imperfection du
monde.

L’être humain peut sentir à un moment qu’il porte en lui des valeurs universelles, des principes qui
se révèlent plus importants que sa propre existence. Au milieu de son confort et de ses plaisirs, il se
sent appelé à plus vaste, à plus grand. Il entend les cloches sonner au fond de la poitrine, qui
l’invitent à mettre sa liberté au service d’une cause noble. Il n’arrive alors plus à se contenter du
confort et des plaisirs. De là surgit un troisième rapport de l’Homme à sa liberté, qu’Hegel appelle
« le stade de la volonté universelle ». En effet, le contenu que l’Homme veut donner à sa liberté n’est
plus liée à sa vie personnelle ; l’être humain veut se mettre au service du bien, du beau, du vrai, du
juste. « Celui qui s’agenouille devant plus petit que lui est un esclave ; celui qui s’agenouille devant
plus grand que lui est un homme libre ».

Dans ce troisième rapport, l’Homme va mettre au service de quelque chose de plus grand que lui, de
noble, toute son intelligence, sa force et son temps. Il est porté par un idéal qui transgresse son
intérêt personnel, celui de sa famille ou de sa nation. L’action en vue de tendre vers cet idéal lui
permet de se déployer et de donner un sens à sa vie. Voilà pourquoi la liberté est essentielle pour
l’Homme sous ce troisième rapport. Or, on remarque que tout individu souhaitant combattre le mal
se fait lyncher (exemples : le Christ, Gandhi, Nelson Mandela, Martin Luther King, Julian Assange…).
En allant au bout de l’engagement pour le bien, on finit par périr. C’est pourquoi peu de gens y
arrive. La plupart ne s’engage pas, ou qu’à moitié.

Voilà pour Hegel les 3 tableaux à travers lesquels l’Homme exerce son libre-arbitre et vit sa liberté.

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