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36 I, UEFFONDREMENT DE LA DICHOTOMIE, guére mieux que l'astrologie ou Valchimie®), ils pensent que Crest des dats du cerveau— que ce soit des états neurologiques!® ‘ou ce que l'on appelle des états compntationnels (ou fonction- nels) descriptibles en termes de «software » du cerveau = que les, descriptions psychologiques doivent référer"”. Carnap lui-méme pensait que de tels termes réferent & ces états neurologiquest A premiére vue, toutefois, 'idée qua partir du moment oa je décris quelqu’tn comme cruel, irrité ou réjoui, je prends un engagement « théorique» aux termes duquel ily aun © état du cerveau», qu'il soit de nature physique ou computationnelle, tel que toute personne cruelle (ou irritée ou réjouie) se trouve dans cet état, et qu’aucune personne non cruelle (ou irritée ou réjouie) ne se trouve dans cet état, n’est en rien une découverte scientifique mais de la pure science Fiction, Contraindre tous les termes descriptifs employés dans notre discours quotidien & entrer dans la dichotomie «termes observationnels> ou «termes théoriques», d'un cdté ou de autre, c'est les soumettre au lit de Procuste. La dichotomie logique positiviste fait /valeur a été dléfendue a partir d’une image étroitement scientiste de ce qu'un « fait» pourrait éire, tout comme son aneétre humien fut défendu a partir d'une psychologie empiriste étroite des «idées» et «impressions». Lorsqu’on s'apercoit a quel point notre langage descriptif constitue un contre-exemple vivant de Vimage du domaine des « faits», propre aussi bien Vempitisme classique qictau positivisme logique, on ne peut qu’étre ébranlé dans notre confiance a supposer V'existence d'une notion de fait s‘opposant de maniére nette et absolue a la notion de «valeur», prétendument invoquée dans le discours sur la nature de tous Tes «jugements de valeurs » Léexemple du prédieat «eruel» suggére également que le probléme ne consiste pas simplement en ce que la notion empi- riste (et plus tard logique positiviste) de «fait» était beaucoup top étroite dés le depart. Un probleme plus profond réside en ce que, depuis Hume, les empiristes ~et pas seulement les empi- ristes, mais beaucoup d’autres aussi bien, a l'intérieur qu’a Vextérieur de la philosophie ~se sont montrés incapables de comprendre comment description factuelle et évaluation peu- vent étre et doivent étre imbriguies. Ce que cela signilie et quelle différence une telle imbrication des faits et des valeurs ind tel sera le sujet cu prochain chapitre. 2. LENCHEVETREMENT DES FAITS ET DES VALEURS Dans le chapitre précédent, jai retracé I'histoire de la dichoto- inie empiriste fait /valeur, en commencant par ce qu’on aappelé, la «Loi de Hume >: «On ne peut passer d’un est un doit!», J'ai commencé par décrire comment la notion de «fait», soussjacente & la distinction humienne entre «faits» et «rela~ ticns d’idées» (devenue par la suite la dichotomie analytique- synthétique), autant que le dictum selon lequel un «doit» ne pout jamais étre dérivé d’un «est» (devenu par la suite la dicho- tomie fait /valeur) se rapprochait de l'idée selon laquelle un fait est quelque chose qui correspond a une impression dles sens. Je ime suis ensuite tourné vers les positivistes logiques dont les conceptions eurent une influence considérable, d’abord sur le monde des sciences sociales et ensuite (peutétre par le biais de influence des sociologues et des économistes) sur ensemble des gens instruits (en apparence tout au moins) en général, en. les persuadant de la validité et du caractére indispensable d'une séparation nette entre « faits» et «valeurs». Puis 'ai montré que leurs toutes premiéres conceptions de ce qu'est un fait étaient au fond trés proches de celle de Hume. J'ai aussi mis en relief que les positivistes logiques ne considéraient pas l’éthique comme tn sujet possible de discussion rationnelle, bien que Hume Iu-méme ait été un penseur éthique important. En effet, iexr dichotomie fait /valeur n’était fondée sur absolument aucun examen sérieux de la nature des valeurs ou de I’évaluation. Liobjet de leur analyse dans un esprit étroitement empiriste — pertait sur la nature des «fats» Pourtant des 1939, les positivistes logiques avaient libéralisé leur fameux «critére de la signification cognitive », en soutenant qu'un langage cognitivement pourvu de sens pouvait contenir non seulement des termes observationnels. mais aussi ce qu'on 38 I, EFFONDREMENT DE LA DICHOTOMIE, appelle des « termes théoriques », des termes référant & des inob- servables, introduits par des systémes de postulats, les postulats des diverses théories scientifiques?. ai résumé le critere de signi- fication cognitive résultant de cette libéralisation en disant que «tant que le systéme dans son ensemble nous donne les moyens de prédlire nos expériences avec plus de succés qu’il ne serait possible sans ccla, de tels prédicats [les prédicats théoriques] doi- vent étre acceptés comme «empiriquement pourvus de sens. «Mais prédire une chose (pour les positivistes logiques) signifie déduive d'une théovie des énoneés observationnels. Et pour déduire une chose d'un ensemble de postulats empiriques, nous n’avons pas seulement besoin de ces postulats, mais aussi des axiomes des ‘mathématiques et de la logique. Selon les positivistes logiques, ces axiomes ~ ainsi qu'un grand nombre de leurs conséquences, aussi bien que nos vieilles connaissances, les vérités verbales comme «tous les ¢élibataires sont non mariés » — n’établissent absolument aucun «fait». ls sont de nature anaiytigue et done «vides de contenu factuel ». En bref, «le fait d’appartenir au lan- gage de la science » (d'un point de vue logico-positiviste) est un critére de signification scientifique, mais tout ce qui est sciendfique- ment signifiant n'est pas la proposition dun fait; dans ce qui est scientifiquement signifiant, on trouve, selon les positivistes logiques, aussi bien des propositions analytiques que synthétiques (c'esti-dire factuelles). Ainsi, la recherche d’une démarcation satisfaisante du «factuel » est devenu la recherche dune facon satisfaisante de tracer «Ia distinction analytique-synthétique ». En 1950, cependant, Quine a ruiné Ia notion de l'analytique, objet d’inflation métaphysique, a la grande satisfaction de la plu- part des philosophes?. Il n’a pas dit cependant que toute propo- sition du langage de la science devait étre considérée comme une proposition de « fait» (c’est-i-dire comme «synthétique »); ce quiila dit, c’est phutdt que idée de cataloguer toute proposi- tion, y compris celles des mathématiques pures comme « fac tuelles» ou «conventionnelles » (que les positivstes logiques iden- * Gifiaienta « analytiques») était un bourbier sans issue. Mais si Tidée qu’il existe une notion claire de fait s'est effondrée en méme temps que l'image empiriste désespérément restrictive qui lui a donné naissance, gu’en est-il alors de la dichotomie fait foateur ?Comme V’a écrit ’économiste philosophe Vivian Walsh : « Pour reprendre en I’adaptant une image de Quine, s'il | i 2. 'ENCHEVETREMENT DES FAITS ET DES VALEURS 39) se peut qu’une théorie soit noire par les faits et blanche par se pourrait bien quelle soit rouge par les valeurs (A supposer que les empiristes logiques soient en mesure de svexprimer Si, pour eux, la confirmation ou la falsification doit etre une propriété d'une théorie considérée comme un tout, alors ils n’ont aucun moyen de déméler les fils de cette étoffe dans sa totale.» Ainsi Walsh (et avant lui, 'ami de Quine, Morton White®) a {fait valoir qu'aprés abandon par Carnap (entre 1936 et 1939) de image des énoneés «factuels » comme pouvant étre ind duellement confrontés 4 'expérience sensible (qui, comme nous l'avons vu, correspondait exactement a image empiriste traditionnelle) et la critique quinienne de l'image de ce que les positivistes logiques ont appelé le langage de la science, comme nettement divisé en une partie «factuelle » et une partie «anal tique»,@est la totalité de argument en faveur de la dichotomie fait /valcur qui est tombée en ruine) si bien que la science, «i supposer que les empiristes logiques soient en mesure de s‘exprimer ainsi» pourrait bien présupposer des valeurs autant que des expériences et des conventions. En effet, dés instant ‘11 nous cessons de considérer comme synonyme «valeur» et +s éthique , il devient parfaitement clair qu’elle présuppose be et tien des valeurs — des valeurs épistémiques. Les waleurs épistémigues sont aussi des walewrs Les praginatistes classiques: Peirce, James, Dewey et Mead ont soutent que valeurs et normativité imprégnent la totaitéce Pexpé- rience, Pour la philosophie des sciences, cette conception implique que les jugements normatifs sont essentiels la pratique de la science elle-méme. Ces philosophes pragmatistes ne se rété- raient pas uniquement au genre de jugements normatifs que nous, appelons «moraux > ou «éthiques >; les jugements de «cohé- rence», de « plausibilité», de «simplicité », ceux qui portent sur li caraetére « raisonnable » des hypothéses et sur ee que Dirac a appelé, comme on sait, eur beauté, sont tous des jugements nor ‘matifS an sens de Peirce, ce sont des jugements de la forme de «ce qui doit étre > lorsqu’on a affaire & un raisonnement’. ‘Carnap essaya le se soustraire a ce genre d'idées en cher chant a réduire la sélection d’hypothéses 4 un algorithime~ un 40 L 'EFFONDREMENT DE LA DICHOTOMIE Projet auquel il a voué en vain la phus grande partic de son éner- ie dés 1950. Dans le chapitre 7, j'examinerai précisément cet Echec, ainsi que d'autres tentatives produites par divers positi- vistes logiques (également par Karl Popper), afin d’éviter dadmettre qu'une théorie de la sélection présuppose toujours des valeurs, et nous vervons qu’elles furent toutes des échees. Mais, de la méme facon que ces philosophes empiristes étaient déter, minés a fermer les yeux sur le fait que les jugements de cohé rence, de simplicité (qui recouvre elle-méme tout un faiscenu de valeurs distinetes, et n'est pas seulement un «paramétre), de beauté, de clarté, et ainsi de suite, sont présupposés par la science physique, aujourd'hui nombreux sont ceux qui se re rent aux valeurs comme purement «subjectives» et ala science comme purement «objective », et continuent @ignorer ce méme fait, Pourtant la cohérence et la simplicit, cont comme amires choses semblables, sont des valeurs. La diffévence entre les valeurs épistémiques et les valeurs éthiques (4! pourquoi nous ne devons pas nous méprendre sur sa significa. tion) Dire que les valeurs épistémiques sont aussi des valeurs, comme je viens de le faire, ne revient certes pas nier quily ait des differences entre valeurs épistémiques et valeurs éthiques. En effet, ily a des différences entre les diverses valeurs éthiques ellcs-mémes; dans le Talmud, par exemple, la différence entre Ie din de Dieu (sa justice) et son hessed (sa compassion) est par- fois décrite comme un conilit au sein de Dieu luiméme. Cette image saisit quelque chose de réel; notre intérét pour la justice et pour la compassion est de nature trés différente, méme si Tune et l'autre sont essentielles a la vie éthique. Evidemment, Pintérét lié aux valeurs qui nous permettent de choisir entre dif. férentes hypothéses (cohérence, simplicité, conservation dune doctrine ancienne et ainsi de suite) est un intérét pour «une description correcte du monde », ce qui, pour beaucoup, est synonyme d'« objectivité », Mais s'il en était ainsi, alors non seu- lement les valeurs éthiques seraient associées a d” autres intéréts que les valeurs épistémiques, mais elles ne seraient absolument pas liées a lobjectivité, Or ils‘agit d'une erreur Pour en comprendre la nature, il faut en tout premier fie savoir clairement ce que cela signifie et ne signifie pas de dire © VENCHEVETREMENT DES FAITS ET DES VALEURS 41 we des valeurs épistémiques nous guident dans notre recherche ‘ce descriptions correctes du monde. Comme Roderick Firth I'a snontre iy a de cela vingt ans, nous n’avons pas de moyens nous permetiant de dire que nous sommes par venus a la vérité indé- Jrndamuentde nos valeurs épistémiques, et nous ne pouvons pas sive au moyen d'un test combien de fois le fait de choisir la théo- plus cohérente, la plus simple, et ainsi de suite, se révéle Give vrai, sans faire ape @ ces mémes standards de eroyance empivique- ent justifié® (affirmation selon laquelle, dans Venscmble, nous ous approchons de la vérité sur le monde en préférant des théo- ries qui font preuve de simplicité, de cohérence, de prédictions jusqu'a présent réussies, et ainsi de suite, est en elle-méme une hypothése empirique complexe que nous choisissons (ou qui est choisie par ceux qui choisissend); Il en va de méme pour l'affir- mation selon laquelle nous avons fait plus de prédictions avérées He nous n’en aurions obtenues si nous nous étions figs a Jerry Falwell ou aux imans ou aux rabbins ultra orthodoxes, ou simple- ment a 'autorité de la tradition ou de quelque parti marxiste- leéniniste. Si ces affirmations sont objet de chois)e’est parce que nous avons é1é guidés par ces valeurs dans notte réflexion, sur la base de documents et témoignages relatifs aux enquétes passes non pas, bien entendu, sur la base de toutes les histo’ ‘ments et témoignages qui justifient Ia confiance que nous leur accordons grdce dices mémes critves de « bonne raison » * Une faut pas y voir une forme quelconque de scepticisme quant a la supériorité de ces criteres par rapport aux c produits par (ce que Peirce appelait) la «méthode de I Tité» et la «méthode de ce qui plait a la raison». Ia plupart d'entre nous. Mais cela veut dire que si ces valeurs épistémiques nous permettent de décrire correcte- ment le monde (ou de le décrire plus correctement qu’aucun ble de valeurs épistémiques ne nous conduirait a le faire), il s'agit d'une chose que nous voyons travers ces ueleurs rmémes. Ge quit ne signifie pas que ces valeurs admettent une justi- fication «ext Que dire de I'idée qu'une description correcte du monde est identique Vobjectivité? Cette idée repose, assez. clairement, sur Ja supposition que « objectivité » signific correspondance aux objets 421. UEFFONDREMENT DE LA DICHOTOMEE.... (une idée qui s'accorde, bien stir, avec étymologie du mot) Mais les vérités normatives telles que « tuer est mal » ne sont pas les seuls contre-exemples que connaisse cette idée; comme je Pai soutenu ailleurs, es writes mathématiques et logiques sont éa ment des exemples « d’objectivité sans objet®. Certes de nom breux philosophes nous disent que nous devons poser des objets Particuliers (qu'on appelle aussi des entités abstraites) pour Tendre compte de la vérité mathématique; mais cela ne nous est aucun secours, comme nous pouvons nous en rendre compte en demandant: « Les mathématiques ne foncionneraiencelles pas un peu moins bien si ces drdles d'objets cessaient d’exister?» Ceux qui rendent compte du succes des mathématiques en Posant des « entités abstraites» ne prétendent pas qwily a une interaction entre nous (ou quelque autre chose du monde empirique) et ces entités abstraites. Mais si absolument aucune entité n’interagissait avec nous ou avec le monde empiri alors, n’en résulteraitl pas que éoute chose demeurerait la méme quand bien méme elle n'existerait pas? Dans le cas de la vérité logique, une explication ontologique s'expose également a des difficultés bien connues, difficultés liges & la notion logique cen- trale de «validites Ce que je suis en train de dire, c’estqu'il est temps de cesser @assimiler objectivité et description, Hy ade nombreux types dénoneés: des énoncés bona fide, des énoncés qui se raménent A des termes comme «correct», «incorrect», «vrai», «faux, = garanti» et «non garanti» ~ qui ne sont pas des descriptions, ‘mais qui sont sous contréle rationnel et gouvernés par des stan. dards appropriés a leurs fonctions et contextes particuliers. Per mettre de décrire le monde est une fonction extrémement importante du langage ; ce n’est pas sa seule fonction ni la seule A laquelle s'appliquent des questions comme : «cette facon de remplir cette fonction est-lle raisonnable ou non raisonnable, rationnelle ou irrationnelle, garantie ou non garantie ?» Des concepls éthiques « épais » Lenchevétrement des faits et des valeurs ne se limite ni aux genres de faits reconnus par les positivistes logiques ni aux valeurs épistémiques. La situation est la suivante: les positivistes logiques pensaient que ce qu’ils appelaient le langage de la science était un langage dans sa tovalité »cognitivement pourvu de | |) NCIUEVETREMENT DES FAITS ET DES VALEURS 43, + Gomme je fai mont danse chaplere préctden, leur Bipn ei oncizcncor vende coef cle tne Bea. hc Vest puree gue icone ctaien phage Biboge ircrnest poor ace rast citar sens neteat ti Miermescbservaionnt ni deserines tongues Tune do: Bibi vides termes mathémtiques ou logiuen mnie les Bib types de taco avtorsésa entrer danse ngegedela lence". Sinousconsidérons le vocabulaire de notre langage june une flat, plut6t que la petite partie dont les positivstes Jgiquies supposent qu'elle suffi la description des «faits», nous {vouverons un enchevétrement de faits et de valeurs bien plus clut V'éthique et esthétique, et d’autres sortes de iveau méme des prédicats individuels. Le type d’enchevétrement que j'ai esprit devient manifeste Jorsque nous analysons des mots comme ignore simplement la prétendue dichotomie fait /valeur et se permet allégrement d’étre utilisé parfois dans un dessein normatif, parfois comme un terme descriptif. (En cffet, ceci est également vrai du terme «crime>.) Dans la litera ture, il est souvent fait référence a de tels concepts comme a des + concepts éthiques épais». On a longtemps attiré attention sur Ie fait que les concepts éthiques épais sont des contre-exemples 44 I, UEFFONDREMENT DE LA DICHOTOMIE..., aT'idée qu'il existe une dichotomie absoluc entre les faits et les valeurs, mais les défenscurs de la dichotomie ont proposé trois réponses principales. (La discussion qui en est issue a donné Hiew & ce que je considére comme l'une des meilleures discus- sions du dernier sigcle en éthique et en méta-éthique, avee des articles et des livres remarquables comme ceux de Philippa Foot, Iris Murdoch, John McDowell et David Wiggins qui criti- quent cette dichotomie, rejoints par R. M. Hare et John Mackie entres autres!3,) Lune des réponses était contenue dans la question rhéto- Figue de Hume: «Oi est le fait que nous appelons crime > — par crime, Hume entendait quelque chose d’atrocement mauvais — cet dans son refus d’admettre la possibilité d'exhiber un tel fat. Accepter cette réponse reviendrait a reléguer tous les concepts éthiques épais dans les limbes mémes de I'émotif et du non cognitif, comme les termes éthiques «fins» ou « plus fins » («bien », «doit», «juste» et leur contraire « mal», «ne doit Pas», «injuste >, tout autant que «vertu», «vice», «devoir », «obi te) Pont été par Hume et ses succes- seurs. Mais ces mots sont en si grand nombre qu’ils ont suseité lune certaine méfiance, méme de la part des non-cognitivistes (ct de ceux qui leur sont apparentés et qu'on appelle les « théori- Giens de erreur'*»), Personne, pas méme Hume, n’accepterait de classer des concepts comme «généreux>, «élégant», chabile », «fort», «gauche», «faible» ou «vulgaire > parmi ceux auxquels ne correspond aucun fait! Aujourd’hui, les réponses que les non-cognitivistes présentent habituellement sont plutot les deux suivantes: (1) Faire valoir simplement I'idée que les concepts éthiques épais sont de simples concepts factuels et absolument pas des concepts éthiques ou normatiff, C’était la réponse de R.M. Hare (dans le cas de «grossier ») et de John Mackie (dans le cas de «cruel ») (2) Affirmer que les concepts éthiques épais sont «décompo- sables» en un élément purement descriptif et un élément inal», L’élément descriptif détermine alors le fait auquel le prédicat correspond, tandis que l'élément attitue dinal exprime une «attitude» (une émotion ou une voli- tion), exactement comme le non-cognitiviste congoit la fonction de «bien », «doit», et ainsi de suite. = UPNCHEVETREMENT DES FAITS ET DES VALEURS 45 Ljargument de Hare soutenant a proposiin ston laquelle voir nes absolument pa un mot normadent esuant (fe out sfabord un exemple de Lawrence Raiberg of un garcon (rca figure ean autre, andi q's sont os eux ds dans the nll de ease! Lavicime sii lzncetranquilement un pro- jet de a place Le profeweur le remargue ele garcon i dit Jel aque parce qu'il avait cache desis» Le profeseur veplque: «Cen at ps pole Eat growier». Larue esenfants reagent eur plc, Fer da projetle dt son avers vee trnets:jeveus bien reconmaite que cat gromier> nah: tr Hare esa sant’ espre que eas consis Madame "lest posible 'admettre quun ate peut safe les ons desriptes permetantde Tapele “gronder” a que eta nous Condhse 3 Tapprecie ngathement, méme al gros” tctnormalement un adjeci'S appre négave > La positon défendue par Hare ext qurun sauthensique adj titd'Eraluations~ cesva-dire un adjetif dont le content sian cone aber ine hn ne ae ose Ga non) frinséque —et el que eal qui atline sans ypocr goon dosnuihsen doh tue Naa epnrever (ou dle eas prowwer) Mais comme Elizabeth Anderson Pavat remarque? Lexigence motivationnelle de Hare n'est pas raisonnable. Pour qu’une chose soit envisagée comme un authentique jugement de valeur ou comme une raison, elle doit étre assu- ‘mée de facon réfléchie. Mais les véritables états motivation: nels ne Ie sont pas toujours. L'une des fonctions des juge- ments de valeurs est de signaler partir de quel moment les états motivationnels dune personne sont déficients en ce qwils ne lui permettent pas de poursuivre ce qu'elle juge bon, L'ennui, la faiblesse, V'apathie, la dépréciation de soi, le ‘désespoir et autre état motivationne! peuvent empécher une personne de désirer ce qu'elle juge bon ou faire qu'elle désire ce qu’elle juge mauvais. Comme Hare le souligne, cela nous interdit d identifier les jugements de valeurs 4 expres sion de ce que sont nos désirs et préférences " Ajoutons A cela que Hare ignore la possibilité qui pourr: nous amener a dire qu'une chose posséde une valeur (positive ou négative), mais que cette valeur est dépassée par quelque chose d'autre. Ainsi, dans Pexemple précédent, le garcon, en 46 I. L'EFFONDREMENT DE LA DICHOTOMEE .. supposant qu'il devienne en grandissant un philosophe moral, pourrait défendre ce qu'il disait de cette maniére: «bien entendu, je ne contestais pas qu'il y eft quelque chose de mal dans la grossiereté. Ce que cela impliquait, c'est que l'on a par fois raison d’@tre grossier parce que la personne a l'égard de laquelle on a été grossier a fait quelque chose qui le méritait.» Crest parce que “grossier” posséde une force évaluative que la Femarque selon laquelle on a parfois raison d'etre grossier mérite d’étre faite, alors que tel n'est pas Te cas pour la Temarque «on a parfois raison d’aller au restaurant», Quand il sintéresse au mot «cruel », outefois, Hare semble privilégier une analyse en deux éléments. Il reconnait en effet que cette notion a &:é considérée comme un cas de ce que ‘Fappelle un «enchevétrement», mais sa deseription de ce que croient les partisans de l'enchevétrement est délormée par une ccurieuse projection de ses propres conceptions sur ses opposants écrit: «om a suggéré que cette sorte d'action est en quelque sorte motivationnelle de maniére inhérent;si elle ne nous moti- vait pas de cette fagon, ou si elle ne touchait pas d’une autre ‘maniére nos sentiments, nous n’aurions pas affaire A ttesorte action (par exemple, étre cruel). Ainsi, ily a des propriétés qui sont en elles:mémes mauvaises et des mots du vocabulaire moral qui sont indissociablement descriptifs et preseriptits'®.» Mais comme je viens de Vobserver, les partisans de lenchevé- trement ne soutiennent pas que les mots évaluatif, qu'ilssoient fins ou épais, satifont Vexigence motivationnelle de Fare (selon laquelle, la base, les mots en question se comportent comme Jes émotivstes le prétendent™), Ce quits soutiennent, c'est que sil'on ne partageait pas en quelque facon le point de vue éthique qui convient, on ne serait jamais capable d'aequérir un concept éthique épais, et que usage sophistique d’un tel concept demande une capacité permanente a sidentifier (au ‘moins par Fimagination) i ce point de vue. Tne s'agit pas de niier que Von puisse savoir qu'une chose est cruelle sans avoir de motif de s'en écarter; en effet, quelqu’un peut parfaitement savoir qu'une chose est mauvaise et ne pas avoir de motifs de s’en écarter | Aprés la remarque précédemment citée, toutefois, Hare poursuit en soutenant que «le fait que sinous utilisons ce mot, nous soyons presque sie] engages a Pévaluation nn'implique pas du tout que nous ayons utilisé afin de donner 2 UENCHEVETREMENT DES FAITS ET DES VALEURS 47 ile action une description compléte, Nous pouvons dire: «une ‘Guise est a Vorigine de sa profonde souffrance », tout en ajou- {il n'yanéanmoins rien d’injuste & cela. Ici, Hare semble suygérer que Pélément descriptif de « cruel» est: «provoque de Jwrolonedes souffrances, et la «quasi» implication évaluative est: lune «action qui est mauvaise ». ‘Si Hare Ini-méme entend assumer cette approche en ~deux bléments», Pidée d'une décomposition a été globalement, je ois, effectivement critiquée a la fois par mo-méme™, par John. McDowell! et auparavant par Iris Murdoch*. La tentative des hhoncognitivistes de décomposer les concepts éthiques épais en lun «élément de sens descriptif» et un « élément de sens pres- crip» repose sur Mimpossibilité de dire en quoi consiste le sens descriptif» de «cruel », par exemple, sans utiliser le mot cruel» ow un snonyme. Par exemple {il n'est certainement pas vrai que extension de «cruel» (en laissant pour ainsi dire de cin Pévaluation) réside simplement dans le fait de « causer une profonde souffrance », ni, comme Hare lui-méme Vaurait observé, «d’étre la cause d’une profonde souffrance », elle- méme indépendante de toute force évaluative. « Souffrir » ne signifie pas seulement «douleur », pas plus que =profond » ne signifie seulement «en grande quantité »)Avant que lanesthésie he soit introduite a la fin du dix-neuviéme siécle, toute opéra- tion provoquait de grandes douleurs, mais les médecins n’étaient pas normalement des étres cruels, tandis qu'un com portement qui ne provoque pas du tout de douleur manifeste peutétre extrémement erucl. Imaginons que quelqu’un dlétauche une jeune personne dans le but délibéré de l'empé- cher d’accomplir un grand dessein, Méme si la vietime n’en soufire jamais manifestement, cela peut-étre extrémement cruel. ‘Comme laffirme McDowell: [..] on peut légitimement se demander sila décomposi- tion ici envisagée [en un élément descriptif et en un élé- ment prescriptif] peut toujours étre efffectuée, et plus pré- cisément si, pour un concept de valeur donné, on peut toujours isoler un authentique aspect du monde ~ au moyen du standard approprié d’authenticité, [c'estdire, d'un standard non cognitiviste]: c'esta-dire un aspect qui est li de toute facon, indépendamment de l'expérience axiologique de quelqu'un qui est ce qu'il est - auquel des. utilisateurs compétents de ce concept peuvent étre suppo- sés répondre lorsqu’ils Vutilisent, et qui subsiste dans le monde lorsqu’on Ini retranche l'expression de l’atuitude appropriée. & John Mackie, comme je Iai déja indiqué, a également analysé Je mot «cruel». Il affirme que 'idée de propriétés de valeurs toute entiére doit étre fausse parce qu’une (elle idée aurait un air d's étrangeté» %, evil écrit: Une autre facon de montrer cette étrangeté est de demander, au sujet de toute chose qui serait supposée pos- 1€ qualité morale objective, comment celle-ci ses aspects naturels. Quelle est [a relation entre le fait naturel qu’une action est un cas de cruauté délibérée ~ par exemple, causer de la douleur simplement par jeu ~ et le fait moral que cette action est mauvaise? [...] Il ne suffit pas de postuler une faculté qui ou autre. Pourquoi sommes-nous tentés par la dichotomie fait foaleur? Hy a une diversité d 1 os de raisons pour lesquelles nous sommes tentés d’établir une démarcation entre les «faits ct les 4) UENCHEVETREMENT DES FAITS ET DES VALEURS. 58 alors» ~et de Métablir de elle fagon que les «valeurs sofent Mav expulsées du domaine de Cargumentation raionnelle, Dut a vnain c6té, il est beaucoup plus facile de dire: «cect est un juge” ivr de valeurs, au sens de: «c'est seulement une affaire de réiérence subjective», que de faire ee que Socrate a essayé de nig enseigner examiner qui nous sommes, en quoi consistens se hvetions les plus profondes ct soumetire ces convictions 8 Vépeeuve d'un examen réfiéchi, Comme Michele Moody-Adams Feeswrenu dans un live important sur le relativisme culturel le ra eierenoneer a Midée méme dane dispute éthique «rationnel- danecac insoluble» ne nous conduit pas pour autanta prétendre seedre réellement tous nos désaccords éthiques. En revanche, ve renous autorise & penser qu'il est toujours possible de pour” spre ta discussion et l'examen d'une question controversées ¥ compris celle d'an examen socratique de sot auquel at précé- aeanp enc fait alkision®. La pire des choses en ce qui concerne Ia ‘lichotomie fait /valeur réside en ce qu'elle joue le rle, pratique nent parlant, d'une entrave Ala discussion et pas seulement 32 wn tceion mais a la pensée. On peut toutefois étre attiré par le cativisme, le non-cognitivisme, la théorie de 'erreur etc. ainst {que pat les autres versions contemporaines de la dichotomie, pour des raisons plus honorable Liane d’elies, défendue par Bernard Williams, consiste ane pas voir eomment nous pourtions disposer d'une explication vrrophysique de Ta possibitité d'une connaissance thigue Je pense du'ilet nécessaie de résister 4 attrait de cette conjonction epstémologico-métaphysique. Non pas que je soisen mesire de crmonter une histoire métaphysique susceptible dexpliquer vacoment je ais, par exemple, que Fintérét pour le bierétre des ermes, toate considération de frontigres nationales,ethiniques ¢t teligicuses mise & part, pour la liberté de parole et de pense; repeat mieux que toute autre alternative, sauf peutetre & vimettve la capacité de produire le genre d’arguments que qi congue peutoffrir offre en effet, sans étre métaphysicien et pour peu qu'il sit animé de convictions liberales, Uidee tPexpliquer comment la connaissance éthique est possible €m wt cep vabsolu» me semble ridicule. Comme Williams V'admet, it comment crap ontenta = est possible ~ c'est-a-dire cominent la ensét, 1a vroyance et la rfeence sont possibles™, Mais le fait de dire que 54 1, VEFFONDREMENT DE LA DICHOTOMIE.... nous pensons sculement que nous pensons est absurde (méme si cela est de nature & contenter certains penseurs continentatix). En effet, la longue histoire des échecs rencontrés dans la tenta. tive d’expliquer en termes métaphysiques comment la mathéma- tique est posible, comment la connaissance non démonstrative est possible (ce qu'on appelle «le probléme de ’induction »), tc, suggére que l'échee de la philosophic a expliquer toute chase en «termes absolus» n'a jamais donné grand chose ~ sinon peutétre, labsurdité d'un certain genre de métaphysique. Un autre attrait encore plus respectable s'exerce sur ccux redoutent que la seule alternative au relativisme culturel ne soit impérialisme cutturcl. Mais le fait de reconnaitre que nos juge- ments prétendent a une validité objective et le fait de recon- naitre quis tiennent leur forme d'une culture et d'une situa: tion problématique particuliéres n‘ont rien d'incompatibles. Et cela est vrai aussi bien des questions scientifiques que des ques- tions éthiques. La solution ne consiste ni i abandonner la possi bilité méme de la discussion rationnelle ni de rechercher un point archimédien, une «conception absolue », en dehors de tout contexte et de toute situation problématique, mais — comme Dewey I'a cnseigné sa vie durant ~ de rechercher, de dis cuter et de mettre les choses 4 V’épreuve de maniére coopéra- tive, démocratique et par dessus tout fasfiable Fusqu’a ta prochaine fos. Dans ces deux chapitres, je me suis seulement efforeé de montrer la pauvreté qui est celle (et qui a toujours été celle) des arguments favorables a la dichotomie fait /valeur, et combien Vimportant phénoméne (ou mieux, les phénoménes) de Venchevétrement fait /valeur subvertit de fond en comble cette dichotomie. Jusqu’ici, la discussion a été abstraite. Afin de la rendre plus abordable, et afin de voir quelles sont les questions conerétes qui se présentent lorsque nous abandonnons cette dichotomie, j'examinerai dans le chapitre qui suit Ia carriere intellectuelle et la contribution d'un grand économiste et philo- sophe : Amartya Sen, en essayant de montrer en quoi la nature méme de la « théorie classique » en économie a subi une trans. formation dans son ceuvre, et en quoi cette transformation entre directement en rapport avec les questions que j'ai exami- nées, . FAIT ET VALEUR DANS LE MONDE D’AMARTYA SEN Le soutien que recherchaient chee Adam Smith cous qu au comportement intéresté ou qui sen font les inapew de chance de se trouver dans une letare ment ample et honnete de Sith, De te profer ionnier de économie inede philosophie morale et le pionnier : ‘ot memencnen une ie ee ioprs B le ‘httne chose qu pen ete considree comme un des ‘tsa ajurs den tnore Economique moderne ces ene itesement de la concep generetse au hs a sees umsin dans ene ere Geappauntisement entre Eritement en rea qi spare économie de Pethique Awarya Sex Danses chapiresprécécens i ertqu les argument favo rat niche fat lew fat abord mone; eh ‘mpruntant deux voies, Pune historique, autre conceptuclle, ae roy arguments Gtaien asus d'une conception empirst ia (puis, dun positivisme logique tout aussi appauvri) acergestunataprs qi a mote que nous ie saat Be couien ie ful ctleg cocirsavat profondae winhevEiréess alors nous nous méprendrons malbeurewe- seis native des fat comme les posses logiques te ser gprs ur cele des valeurs Dane ee chaplire (comme Tal prov fe rpporters ce renhatsa ect d Amartya Sen atone ‘qui a modifié notre compréhension de ce quest a “incest économique classique et quia cn, de aurcrot, des seeiecon Important urles queens rlves ai bien €3. 1M onto Amara Sen ex een sone recone (et confine pr ato en 18 rix Nobel d’économie). Bien que cela ne concerne en ri aoe aie ei asaaandae{ fear Gu Sen a fgalesaeat ‘ae i eoteecues Bibel eo OWE

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