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Université Paris VIII Vincennes – Saint-Denis

UFR Arts, Philosophie, Esthétique

Mention : Musique

Spécialité : Danse

Performances en chambres dans une unité de soins palliatifs :

Du consentement initial à l'espace de consentement,

comment la danse travaille-t-elle ?

Mémoire de Master 1 / Département Danse

Sous la direction de madame Isabelle Ginot

Olivia Cubero

Session de septembre 2011


Avec mes remerciements à

L'équipe enseignante du département de Danse de l'Université de


Paris VIII

L'équipe de l'unité de soins palliatifs de l'hôpital des Diaconesses


de Reuilly (Paris XIIe), D. infirmière

Toutes les personnes qui m'ont accueillie auprès d'elles, dans les
chambres ainsi que leurs proches

L'association Tournesol / Artistes à l'hôpital et ses musiciens J.-C.,


J. et A.

D. Cubero
SOMMAIRE

Avant-Propos p. 3
Etat de la question p. 4
Introduction p. 6

I / DISPOSITIF DE TRAVAIL p. 8

1. Cadre de travail général – modalités d'interventions p. 8


1.1 Consentement initial p. 8
1.2 ''Protocole'' de présentation sur la première rencontre p. 11
1.3 Mode opératoire p. 12

2. Cadre de travail élargi p. 13


2.1 Composantes contextuelles implicites p. 13
2.2 Composantes artistiques p. 15
2.2.1 Musique p. 15
2.2.2 Danse p. 16

3. Autour d'un imaginaire – le tissulaire p. 18

4. Quel rapport à la danse ? p. 20

II / PRESENTATION DE SOURCES PRIMAIRES p. 23

1. Récits de séances p. 23
1.1 1ère séance – Lundi 3 janvier 2011 avec J., clarinettiste p. 23
1.2 4ème séance – Mercredi 12 janvier 2011 avec J.-C., flûtiste p. 28

2. Mr GG – les pas d'une rencontre ou un ''oui'' à questionner p. 35

3. Extraits du journal de bord p. 41

III / LA CHAMBRE : UN ESPACE DE CONSENTEMENT p. 59

1. Construire un dialogue à trois p. 59

1
2. L'expérience de la chambre p. 65
2.1 Où est-on dans une chambre ? p. 65
2.2 Etre ici et là-bas ou être loin et proche p. 66
2.3 Un espace chorégraphique p. 68
2.3.1 Entre possibles et limites p. 68
2.3.2 Un espace centré p. 72

CONCLUSION p. 75

ANNEXE 1 – Entretien avec D., infirmière aux Diaconesses de Reuilly p. 76


ANNEXE 2 – Répertoires musicaux utilisés p. 83

BIBLIOGRAPHIE p. 85

2
Avant-propos

L'aventure qui me pousse aujourd'hui à la rédaction de ce mémoire a commencé,


aurais-je envie de dire, en 2006-2007, période durant laquelle j'ai mené au sein de la Cie
Sylvain Groud mes premières expériences de performances dansées à l'hôpital. La pratique In
situ ne m'était pas étrangère, j'avais déjà eu maintes fois l'occasion de m'y frotter avec
diverses compagnies de danse ou de cirque mais uniquement dans des espaces publics et le
plus souvent via des formes écrites. La confrontation, d'une part au contexte de soin qui plus
est institutionnel, et d'autre part au lieu semi-privé – chambre d'hôpital –, prit la forme d'une
épreuve propice à (ré)activer moult questionnements qui n'étaient pas spécifiques à ce cadre
mais qui devenaient à ce moment plus prégnants. L'un d'entre eux se situe, à mon sens, à la
croisée des autres : je veux parler de la question du consentement.
Le mode opératoire avec lequel nous intervenions en chambre demandait pour ma part à être
réinterrogé : à quoi consentions-nous les uns et les autres ? A aucun moment la demande de
consentement auprès des personnes malades était le fruit d'une concertation entre soignants et
artistes qui se voyaient subordonnés à la parole de ces derniers ; la danse était rarement
accompagnée d'une médiation orale, elle se déroulait exclusivement en silence etc.
Ce n'est sans doute pas un hasard si je me suis dirigée vers une unité de soins palliatifs pour
mener plus avant ce travail. La question de la fin de vie rendait plus aiguë ces zones
d'agitations intérieures. J'avais fait le choix d'intervenir seule mais j'étais largement nourrie et
stimulée par les réflexions du DU « Techniques du corps et monde du soin » auquel cette
expérience était rattachée, en tant que terrain de stage.
Ce mémoire d'étape s'inscrit dans la continuité de cette première étude engagée en 2009-2010
et se base essentiellement sur la pratique relative à l'année 2011 au sein du même service.

3
Etat de la question

Aller danser dans les chambres en unité de soins palliatifs invite à penser la relation
entre les personnes hospitalisées et l'artiste dans ce contexte quelle que soit la nature de la
proposition. Or pour aborder ce sujet, il est nécessaire de se pencher sur la question du
consentement qui, loin de se situer dans une simple zone connexe, constitue un
incontournable, voire un des fondements de la relation. Le consentement représente un axe
central du dispositif de prise en charge de la personne malade dans les établissements de
santé. Présent depuis la moitié du XXe siècle dans le code de déontologie médicale, il apparaît
comme une pièce maîtresse de la relation médecin-malade dans le texte réformé par décret en
septembre 1995. Ce point de débat fut grandement alimenté – et le reste encore aujourd'hui –
par les associations de patients avant que les instances juridico-législatives ne s'en emparent.
La loi du 4 mars 2002 confirme cette notion de consentement, sous-tendue par le droit à
l'information ; elle représente une étendue supérieure à celle d'un décret, d'une circulaire ou
d'une charte – charte du patient hospitalisé. Sous les qualificatifs de « libre et éclairé », le
consentement instruit les décisions d'ordre médical en laissant au patient la possibilité
d'émettre librement sa volonté en pleine connaissance de cause. La loi du 22 avril 20051
renforce et innove en matière de droits des personnes malades : dans le cas où le patient se
trouve dans l'impossibilité d'exprimer son consentement ou de recevoir l'information
nécessaire à cette fin, il revient à la personne de confiance si elle a été nommée au préalable
de se prononcer en son nom à moins que des directives anticipées 2, instructions écrites à
l'avance, apportent une réponse à la situation. Au-delà des actes médicaux et de soins dont
l'accord ou le refus n'est pas sans conséquence, le consentement du patient se doit d'occuper
une place centrale pour toute action le concernant. En tant qu'initiateur de la relation,
l'assentiment dépasse largement le contexte des soins palliatifs et d'accompagnement,
cependant, la complexité du domaine d'actions de ce service confronte de façon prégnante
tout intervenant à la réalité de cette question. Le danseur comme tout membre de l'équipe
pluridisciplinaire n'en n'est pas exempt. Le consentement est donc entré de plein fouet dans la

1 Loi dite Léonetti n°2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie :
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl04-090.html et http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?
cidTexte=JORFTEXT000000446240
2 http://www.aphp.fr/site/droits/directives_anticipees.htm et http://www.sante.gouv.fr/les-fiches-informatives-
sur-les-droits-des-usagers.html

4
constitution de mon dispositif de travail artistique de façon explicite et implicite à la fois.
Lorsque que l'on se penche sur les propositions de réflexions menées sur les enjeux
éthiques et déontologiques des pratiques artistiques à l'hôpital3 on peut relever la phrase
suivante : « le souci du consentement doit être continu, faire l'objet d'une attention accrue
pour les personnes dans l'incapacité de consentir ou de refuser explicitement »4. Deux points
sont à soulever : l'un introduit le consentement dans une perspective temporelle – considérant
qu'il doit être réitéré à chaque nouvelle proposition –, l'autre revient sur la question
d'explicitation de la réponse. S'il est entendu que l'expression orale n'est pas considérée
comme l'unique médiation possible pour recueillir un consentement, elle reste néanmoins
première et dominante. Or ce mouvement d'acceptation ou de refus, vers soi et vers l'autre,
débute-t-il et finit-il en un mot unique ? La relation se verrait-elle légitimée et garantie de
toute erreur d'interprétation sous couvert d'une énonciation, un ''oui'' en guise de sésame. La
clarté de la réponse dépendrait-elle d'ailleurs de la précision de l'information au moment de la
présentation de la proposition artistique ? Cette notion de consentement ne s'arrête à une
question théorique dont la résolution affirmative serait pensée en terme de laisser-passer, le
temps de l'intervention. Pour construire, même passagèrement une relation porteuse « d'une
certaine mutualité »5, selon les termes de Tanguy Châtel, à défaut d'oser nommer dès à présent
celle-ci sous le terme d'échange, il convient de s'enquérir tout au long de l'entrevue de
l'évolution de ce consentement inaugural : subit-il des doutes, des fluctuations, s'affirme-t-il
ou s'infirme-t-il ? Observe-t-on une concordance ou un écart entre les expressions verbales et
non verbales chez la personne concernée ? Au-delà de sa portée théorique juridico-médicale,
la notion de consentement pénètre le processus productif du geste dansé. Elle instruit la danse
tout au long de l'improvisation, au cours de son développement.
Le consentement s'inscrit dans un temps, il engage en outre la notion d'espace.
Effectivement, la question serait incomplète si on omettait de la replacer là où elle s'exprime,
c'est-à-dire dans la chambre d'un hôpital. Pensée avant tout pour les besoins organisationnels
et fonctionnels de l'institution, ce lieu présente un agencement peu modifiable auquel s'ajoute
des règles sanitaires, deux éléments avec lesquels le danseur doit composer. La cartographie
du lieu détermine en partie les parcours et les distances. Quant au caractère supposé intime de

3 http://www.musique-sante.org Pratiques artistiques et pratiques soignantes : proposition de réflexions sur


quelques enjeux éthiques et déontologogiques, juin 2008. Ce texte est le produit d'une réflexion
interdisciplinaire organisée à l'initiative de l'Espace éthique de AP-HP et des associations Musique & Santé et
Tournesol/Artistes à l'hôpital.
4 « Interventions artistiques en milieu hospitalier : questions éthiques », Spirale 3/2008, N° 47, p. 197-200
5 Tanguy Châtel, thèse de doctorat, Les nouvelles cultures de l'accompagnements : les soins palliatifs, une voie
« spirituelle » dans une société de la performance, Paris, 22 septembre 2008, op. cit, p. 538

5
cette sphère, il circonscrit également les possibles actions. La relation tissée à l'espace au
moment de l'improvisation dansée vient interroger à chaque instant dans le déploiement
gestuel, le consentement.

Introduction

Ce mémoire d'étape a été pensé comme une mise en mots d'une pratique. L'étude est
fondée sur mon expérience de danseuse et plus particulièrement sur celle qui s'est déroulée en
2011 durant quatre mois et demi à raison de deux séances par semaine – l'une l'après-midi et
l'autre en soirée, de janvier à mai – dans le service de soins palliatifs de l'hôpital des
Diaconesses-Reuilly pour la deuxième année consécutive. La problématique du consentement
qui vient d'être livrée en l'état n'a pas fait l'objet d'une construction théorique en amont de la
réalisation. Même si la question du consentement initial était déjà présente l'an dernier et avait
dans une certaine mesure commencé à activer ce processus de recherche, c'est vraiment cette
année, au fur et à mesure des séances, des rencontres et de la pratique de ces lieux, qu'elle a
pris toute sa densité. La présence d'un musicien – sur les 2/3 des séances totales –, d'une part,
et la réalisation de la proposition artistique auprès de personnes dans un état dit de coma
d'autre part, sont venues exacerber le questionnement. La présence du musicien venait
multiplier les vecteurs d'attention, enrichir les modes relationnels – visuel, auditif,
kinesthésique – et éclairer ainsi le sujet.

L'étude s'ouvre en posant les bases du dispositif de travail. Certaines règles m'étaient données
par le contexte, de façon plus ou moins explicite, alors que d'autres relevaient d'une volonté
artistique. Ces deux volets sont présentés sous la forme de rubriques distinctes, leurs zones de
friction ou d'influence sont plus complexes qu'un simple principe d'articulation basé sur un
rapport de succession. D'une part, bien que des directions d'improvisations soient décidées en
amont, force est de constater que la situation des personnes et le contexte institutionnel
affectent l'imaginaire de la danse et en travaillent le geste. D'autre part, s'il est incontestable
que l'institution représente une réelle pression, elle ne fonctionne que par les membres6 qui la
6 L'emploi du terme ''membre'' doit être précisé car il sera souvent repris tout au long du mémoire. Rapporté à

6
constituent. En ce sens, en décidant d'aller danser dans ce service – comme dans un autre –
cela nécessite de penser le dialogue avec l'équipe. Comment prétendre s'intéresser à la
question du consentement sans porter attention aux personnes qui, à coté des patients, font
une place pour que l'expérience artistique puisse exister. A défaut d'avoir posé ouvertement
cette année la question du « comment travailler ensemble ? », qui, il me semble, demande du
temps avant que chacune des parties puisse librement et activement s'en emparer, j'ai tenté de
multiplier les échanges avec les soignants. Le mode principal restait la discussion informelle
au cours des séances.
L'envie de faire pénétrer le lecteur dans le service, de lui donner à sentir l'ambiance bref de
l'emmener à mes côtés à travers ce qui ne fut que ''ma réalité'' cherche dans un même temps à
lui ouvrir et à lui confier les observations et les réflexions du processus de travail. La
retranscription de l'expérience est essentiellement livrée sous la forme de récits permettant de
rendre compte des événements dans un déroulé. Par ailleurs des descriptions analytiques
interrogent ce que le contexte, spécialement en terme d'espace, produit sur la danse dans la
relation à la personne malade essentiellement.

l'institution, il témoigne d'un mode de pensée fondé sur une hiérarchisation et une centralisation. Comme le
rappelle Catherine Hérouard dans son article « Danse et Démocratie », il s'agit d'un modèle que l'on retrouve
danse une pensée du corps dont « la tête, qui est le point central ''tout puissant'', doit commander aux
périphéries » (…) « Ici, le corps fonctionne comme une société centralisée ».
Cf. « Danse et démocratie » de Catherine Hérouard in Funambule, revue de danse de l'association Anacrouse,
n° 1, juin 1999, art. cit., p. 79-80
Dans le cas du ''corps médical'', les professeurs, médecins et cadres de santé occupent des fonctions
dirigeantes ; ils sont considérés comme possédant un savoir supérieur en regard des infirmièr(e)s et aides-
soignant(e)s. L'emploi de ce mot, ici, était une manière de rappeler le mode de pensée de l'institution même
si, cela tend à évoluer ; au lieu de ''membre'', il est plus juste de parler de ''personne''. La remarque tient lieu
d'avertissement car tout au long du mémoire, j'emploierai de façon indistincte les deux termes notamment
lorsque je serai amenée à parler de l'équipe pluridisciplinaire. Même s'il existe pour l'institution une
hiérarchie que l'on ne peut nier, l'état d'esprit de l'USP des Diaconesses est plutôt à considérer la parole de
chacun comme première en ouvrant le débat (dans une certaine mesure) sur la façon de conduire les soins et
l'accompagnement au sein d'une équipe.

7
I / DISPOSITIF DE TRAVAIL

1. Cadre de travail général – modalités d'interventions

1.1 Consentement initial

Défini par un cadre juridico-médical couvrant toute intervention médicale et action de


soin dirigées vers les personnes malades, la question du consentement constitue par extension
un incontournable pour quiconque se présente auprès de celles-ci. La proposition artistique ne
peut donc être réalisée qu'avec l'assentiment de la personne concernée, par ailleurs considérée
comme le principal sujet de l'adresse7. Or, il est implicitement entendu que la validité de son
énonciation repose sur le mode verbal (oral ou écrit). Au-delà de la question de la pertinence,
ce dispositif mettrait donc d'emblée hors d'atteinte les personnes plongées dans un état de
coma. Conjointement, à ce premier paramètre, certains personnes de l'équipe d'encadrement8
soulevèrent une autre interrogation concernant les patients souffrant d'un état de conscience
altéré, de confusions : que comprendraient-ils de la proposition qui leur serait faite ? 9
Cette position me fut réitérée lors de réunions préparatoires lorsque je leur soumettais le désir
de danser cette année auprès des personnes dites en partance, dans un état de conscience altéré
ou dont le niveau de présence est très difficilement évaluable. La réponse restait prudente, à
savoir que si une relation avait été établie avec la personne avant qu'elle n'arrive à ce moment
de sa vie alors la continuité de cette relation pourrait être envisagée sinon... Mais qu'est-ce qui
m'assurerait que la personne, à ce moment-là, souhaiterait que nous soyons, le musicien et/ou
moi, à ses côtés ?10 Effectivement, nul ne le sait. La question resterait donc entière que l'on eût
connu la personne ou pas ! La couleur de la relation passée, l'isolement de la personne malade
constituaient certes des premiers éléments de réponse quoiqu'ils ne fussent pas suffisants pour
prendre une décision.
En passer par un tiers nous posait à tous question. Même habité par les meilleures intentions

7 Je tiens à préciser que ce fonctionnement n'excluait pas les autres personnes, notamment les proches dont
l'avis était également requis. Leurs présences au cours de l'improvisation ne pouvaient pas ne pas être prises
en compte.
8 Equipe d'encadrement constituée du chef de service, des médecins, de la cadre de santé de jour, de la
psychologue.
9 Dans pareille situation, la personne malade peut être soumise par le corps médical, et ce à plusieurs reprises,
à des tests menés sous la forme de questionnaires d'évaluation, pour s'assurer de son degré de compréhension
et de la cohérence de son discours compte tenu des décisions qui s'en suivraient.
10 Cf. Annexe 1, « Entretien avec D., infirmière aux Diaconesses de Reuilly », p. 81

8
possibles, comment s'assurer que l'invitation à faire entrer la danse ne serait pas une initiative
égoïste, un acte de pouvoir de la part d'un proche bref qu'elle aurait du sens pour chacune des
parties ? Ces expressions pouvaient risquer de révéler ou d'attiser des conflits au sein du
cercle intime. Quant aux soignants, ils admettent eux-mêmes être soumis régulièrement à des
questionnements et à des difficultés : déposer un bouquet au pied du lit d'une personne tout
juste décédée, quand bien même ce geste est-il réalisé avec la plus grande bienveillance, cela
peut choquer la famille si la défunte n'aimait pas les fleurs ; cette anecdote interroge.
Suite à certaines discussions menées de façons formelles ou informelles depuis l'an passé avec
des membres de l'équipe pluridisciplinaire, des zones de conflit m'étaient apparues et
continuèrent d'activer pour ma part la problématique du consentement. Le fait est qu'aucun
écrit officiel ne vient éclairer cette zone sur ces instants de vie en dehors des directives
anticipées11 et des protocoles de recherche (consentement libre, éclairé, exprès)12 liés au
champ strictement médical.
D'autres membres de l'équipe m'avouaient se rendre au chevet de la personne et se soumettre à
son consentement selon leur outil de médiation : la présence silencieuse pour les bénévoles
d'accompagnement, le toucher pour la socio-esthéticienne. La danse ne pouvait-elle pas, elle
aussi, se rallier à ces modes ? Tel était mon désir. L'usage de la forme verbale, entendu sous le
mode question-réponse, serait-il le gage d'une bonne compréhension de la proposition
artistique ?

Travailler sur la rédaction d'un cadre qui régirait de manière explicite et transparente la
question du consentement pour la proposition artistique, en soumettant cet objet à un débat
collectif, n'était pas envisageable et ce pour différentes raisons liées au fonctionnement
institutionnel et à celui du service.
Suite à la première séance en janvier 2011, qui nous confronta concrètement à deux situations
délicates (personne en partance et personne confuse), j'ai décidé, avec l'accord des musiciens,
que dorénavant en pareil cas, nous nous entourerions systématiquement non seulement de
l'avis de la famille et/ou des soignants mais aussi de leur présence, pour ceux qui seraient
désireux d'accompagner la personne malade par cette médiation artistique. Cette précaution ne
garantissait pas un sans-faute. Il nous fallait pouvoir poser une base de travail, défendre un
cadre sachant qu'il devait permettre de nous prêter à une somme d'adaptations.
11 http://www.sante.gouv.fr/les-fiches-informatives-sur-les-droits-des-usagers.html
12 Jacquemin Dominique et De Broucker Didier (coordonné par), Manuel de soins palliatifs, Paris, Dunod,
2009, 3ème édition, p. 947-948

9
L'attention portée à la question du consentement participe à fonder une posture de travail :

– Laisser l'artiste prendre en charge ce temps de consentement c'est lui accorder une
confiance, lui laisser une place au sein de l'équipe et lui permettre de s'interroger sur sa
posture. Cela suppose pour le danseur une compréhension du travail du service
notamment sur les conditions d'interventions13. Même si certains soignants ou
bénévoles ont pu avouer ne pas savoir comment parler de cette pratique aux patients,
confier au danseur le soin de s'inquiéter du désir de ces derniers ne constitue pas une
garantie quant à la justesse de l'annonce ou de la réponse, d'une part et ne sous-entend
pas un désinvestissement de la part de l'équipe, d'autre part.

– S'interroger sur la construction et la place de la parole dans cette médiation verbale 14.
Laisser la possibilité à la personne de s'emparer de ce moment oral peut lui permettre
de s'approprier (ou non) la proposition et de la construire (ou non) en dialogue avec le
(s) artiste qu'elle aboutisse ou non à un moment dansé stricto sensu immédiat ou
différé.

13 Certains des points listés ont été abordés dans mon mémoire de DU, Danse au sein d'une USP - Sur le
chemin : un geste dansé, sous la dir. Joëlle Pajot, DU « Techniques du corps et monde du soin », Université
de Paris 8, 1er Juillet 2010.
Notamment 2ème partie, Ch. 1, § « Temps collectif » : « ...en assistant au staff, cela me permettait (plutôt) de
tenter de saisir, à ma mesure, ce qui se jouait dans cet intervalle où tous les membres de l'équipe étaient
présents, dans la majorité des cas... C'était le seul moment où il m'était possible d'entendre et de croiser
simultanément les avis des uns et des autres, d'observer dans le vif du sujet, à quel point, aussi bien dans
l'équipe d'USP qu'à l'intérieur même du cadre circonscrit de la pratique afférente aux soins, la décision d'un
réajustement ainsi que son mode opératoire sont parfois complexes, délicats tout en étant essentiels pour
rester au plus proche des besoins de chaque personne malade. Compte tenu de la durée et de la fréquence de
mes interventions, ces informations me permettaient à la fois de recomposer une vision plus large de la
pratique de ce service, de me permettre de vivre un temps collectif propre à l'équipe – manière de m'y sentir
incluse –, de goûter la richesse de la transversalité du travail interdisciplinaire à l'oeuvre au coeur d'une
équipe pluridisciplinaire et de tenter d'en saisir l'état d'esprit pour prétendre l'y rejoindre. Ce temps qu'il est
permis d'éprouver à côté de chacun, laisse apparaître en partie la couleur d'une équipe à ce qui peut y être dit,
y être entendu, quelle que soit la fonction de l'interlocuteur (…) Tous ces éléments quantitatifs et qualitatifs
venaient nourrir, conforter ou infirmer la perception que je pouvais avoir de la situation d'un patient, et si
pour quelque raison j'avais besoin d'affiner, de compléter ou d'éclairer mon ressenti par d'autres indications
j'avais la possibilité de me tourner vers tel ou tel professionnel et/ou tel ou tel tempérament selon la nature de
mon questionnement. (…) ce temps d'écoute (qui) assurément me conférait un appui constant tout en me
rappelant de manière permanente le coeur du travail de ce service : l'ajustement. J'interprétais ma présence
comme un signe de confiance de la part de l'équipe me conduisant à un acte de responsabilisation appelant
évidemment à la confidentialité mais aussi à un questionnement constructif : quelles informations je
retenais ? Pourquoi ? Quels critères importaient pour décider du choix des personnes à rencontrer ? » op. cit.,
p. 16-17
14 Id., Ch II, § « Consentement » : « Ceci a été source de moult questionnements tout au long de ce stage à
différents niveaux (…) pour des formulations identiques, je me suis aperçue que j'avais en retour des
compréhensions très différentes. Que devais-je dire ? Quels mots ? Quel ton ? Quelle forme donner à ma
proposition ? Qu'est-ce qui serait entendu ? Et de là, quel consentement me serait remis ? (…) », op. cit., p.
26-27

10
– Proposer, c'est accepter de donner place égale au ''oui'' et au ''non'' indispensables à la
construction d'une posture d'accueil garante nécessaire bien que non suffisante d'une
relation d'échange.15 La manière d'adresser la proposition et de recevoir le
consentement n'est pas scindée du geste artistique, elle en constitue l'amorce.

Etre capable d'envisager et d'entendre le non sans l'idée d'une inscription définitive.

1.2 ''Protocole'' de présentation sur la première rencontre

Le travail de formulation qui ouvre ou non sur un consentement initial a trouvé début
janvier une forme plus ou moins fixe suite à des questionnements nourris par des expériences
passées. L'objectif était de réunir dans une première base informative les quatre éléments
suivants : l'identité – prénom et nom –, la fonction – danseuse et musicien –, la nature de la
proposition en insistant sur le caractère facultatif de l'offre, sans oublier la dimension
collective qui précisait notre place dans le service (fréquence, jours). Cette présentation
sommaire était déjà trop longue pour certaines personnes malades pour qui le flot
d'informations aurait eu plutôt comme effet de les submerger que de les rassurer –
l'ajustement prenait en compte la présence des soignants et/ou des proches. Pour d'autres,
cette présentation ne suffisait pas car elle laissait subsister une large marge interprétative. Elle
demandait donc à être complétée de suite ou plus tard, au gré de questions posées
spontanément par les personnes malades ou leurs proches, sur des points aussi divers que : le
style de danse, le style musical, le lieu et le coût de la performance, la nature de l'action –
bénévolat –, le coût de l'intervention etc.

Cette présentation pouvait être portée de trois manières :

– Lors de l'entretien d'entrée par le médecin, l'infirmièr(e) ou la psychologue). Cette


pratique restait soumise au libre arbitre de chacun qui, le moment venu, jugeait de la
pertinence de transmettre cette information au regard de la situation. Il leur appartenait

15 Ibid., La forme et la durée que prenaient ce temps de consentement ne nous étaient pas moins inconnues que
nécessaires, « elles constituaient les prémices d'une relation potentielle. Quelle que fût la décision prise, elle
n'appelait pas nécessairement ni à une fermeture ni à un engagement futurs. Accepter cette avancée, ce recul
ou cette hésitation face à mon offre participait à confirmer la contingence de mes interventions et surtout le
poids et le respect que j'accordais à la parole de mon interlocuteur. Il revenait à chacun, en qualité de sujet, de
s'emparer ou non, à sa manière, de cet espace de proposition et d'affirmer ainsi son autonomie (autos : soi-
même, nomos : la loi) telle que la clarifie Jacques Ricot : « dans sa rigueur native (…) on préserve le pacte de
confiance contre les ravages du ''pacte'' de méfiance », op. cit., p. 27

11
de choisir leur formulation.
Quand bien même, cette annonce avait lieu, elle n'avait pas valeur de présentation exclusive.
Elle était de toute façon reformulée au moment dit pour recueillir le consentement ''premier'' :
– Par les artistes eux-même lors de leur venue dans la chambre.
– Par un membre de l'équipe pluridisciplinaire à l'occasion ou en présence de la
danseuse et du musicien qui, le cas échéant, pouvaient préciser et conclure l'annonce.
Sur les rencontres suivantes, un rappel plus ou moins complet était effectué si besoin
(présentation auprès de tiers s'ils n'étaient pas informés et/ou petit rappel pour nous resituer
auprès de la personne). La demande de consentement était réitérée à chaque fois quel que fût
le suivi de la relation.

1.3 Mode opératoire

Le mode opératoire n'a pas différé de celui de l'an passé. Une séance débutait à chaque
fois par un « Temps collectif »16 c'est-à-dire celui du staff ou des transmissions, suivi d'un
« Temps individuel »17. Quant à la question du « Temps de la personne malade ou
''L'opportunité du moment'' »18, elle conservait une place essentielle. Même si ce point ne fait
pas l'objet d'une attention particulière dans ce mémoire d'étape, il est important de rappeler
qu'il demeurait une des variables très influentes agissant sur le consentement de la personne
concernée.
L'un des paramètres, celui s'intéressant au temps individuel, variait cette année dans la mesure
où j'intervenais en binôme. A la suite du staff et des transmissions auxquels J.-C. et J. ne
souhaitaient pas assister, un temps de mise au point permettait de les informer des personnes
susceptibles d'être vues. Les raisons de mes choix leur étaient exposées à partir de certains
éléments que je venais d'entendre et que je considérais important de leur transmettre afin
qu'ils puissent à leur tour me soumettre leur point de vue. Quant à A., elle participait avec moi
à ces moments collectifs. Même si a priori, nous recevions les mêmes informations, il était
toujours intéressant de confronter nos perceptions des situations.
A partir de là s'effectuait une première sélection du répertoire musical tenant compte de nos
envies artistiques et de ce que nous pensions pouvoir proposer et réaliser selon l'état de santé
des personnes, la superficie de la chambre et si la rencontre était nouvelle ou si elle
16 Ibid., Ch. I, « Temps collectif », p. 14-17
17 Ibid., « Temps individuel », p. 17-19
18 Ibid., « Temps de la personne malade ou ''L'opportunité du moment'' », p. 20-25

12
s'inscrivait dans un suivi.
La réalité de l'expérience pouvait tout aussi bien renforcer nos choix que les mettre à mal.

Entrée et sortie

Que la porte ait été ouverte, semi-ouverte ou fermée, l'entrée dans la chambre s'effectuait
toujours par une annonce19 : un geste (toquer le plus souvent) et / ou un mot à moins que nous
ayons été introduits par un tiers (proche ou soignant).
L'entrée dans la chambre ne s'effectuait jamais directement en dansant au sens stricto sensu
(au-delà de simples raisons pragmatiques : besoin de la partition pour le musicien ou du
dispositif sonore lorsque j'étais seule à intervenir).

La sortie de chambre mettait un terme à la rencontre. Elle pouvait éventuellement être


accompagnée de quelques mots avec un des tiers présent durant la performance, à l'extérieur
de la chambre.
Une sortie pouvait appeler une future entrée dans le cas où nous n'avions pas pu jouer-danser
et que la personne nous invitait à repasser ultérieurement au cours de la séance. En revanche,
lorsque la proposition artistique avait pu se réaliser (qu'il y ait eu un, deux ou trois moments
musico-dansé(s)), la sortie de la chambre était définitive.

2. Cadre de travail élargi

Après avoir exposé les premiers éléments nécessaires mais non suffisants à la
constitution d'un cadre de travail, il convient d'en parachever maintenant l'inventaire des
principes.

2.1 Composantes contextuelles implicites

– L'hôpital régit des règles d'hygiène et de déontologie qui délimitent déjà un champ
d'actions auquel peuvent s'ajouter des auto-censures. Les interdits circonscrivent un
rapport réduit aux objets et au lieu.

19 Exception faite lors de la 1ère séance dans la chambre de Mr EH où l'entrée s'est effectuée directement : J.
jouait et je lui tenais la partition.

13
– La notion d'intimité est directement convoquée par la promiscuité et le caractère
supposé privé de la chambre.

– L'orientation des chambres – sud/nord – et le moment de la journée – jour/nuit –


influent indirectement sur la construction spatiale de la proposition selon la nature et la
qualité lumineuse (naturelle ou artificielle, chaleur, intensité, étendue).

– L'agencement spatial de la chambre configure d'emblée une cartographie à laquelle


chacun doit s'adapter. Le mobilier balise l'espace. Il détermine en partie pour le
danseur les parcours et les zones de contournements, de dissimulations, d'arrêts ainsi
que le placement ou le déplacement des tierces personnes (musicien, proches,
soignants, accompagnant bénévole etc.)
Le réagencement de la pièce impulsé par la personne malade et/ou ses proches tendait
à créer un espace de jeu qui reprenait parfois les codes conventionnels scéniques
(grand espace vide).
Le lit ou le fauteuil occupé par la personne malade organise la proposition à différents
niveaux : d'un point de vue spatial et gestuel.

Dans la majorité des cas, le déploiement du geste était axé sur l'expressivité du haut du corps
(bras-main-buste), les jeux de jambes n'étaient utilisés que dans une fonction de déplacement
et de changement de niveaux. Il m'est arrivé d'ouvrir la proposition à des variations
complexes de jambes et de pieds dans une plus ou moins grande proportion lorsque :
- le lit était bas.
- la superficie de la chambre offrait un certain recul et/ou la position de la personne dans son
lit lui permettait d'avoir un champ de vision élargi.
- la personne était installée au fauteuil.
- les conditions coïncidaient à cette envie artistique.
- les personnes émettaient le souhait de « voir des choses différentes » au fur et à mesure des
rencontres.

La personne malade étant le centre de l'attention, le lit devenait le point référent vers lequel
convergeaient les regards et dont il était difficile de se défaire.
Le placement des tiers présents s'organisait en fonction de la personne malade (autour du lit)
et/ou des artistes qui composaient à leur tour leurs choix spatiaux à partir de ces données. Le
réagencement de la pièce impulsé par la personne malade et/ou ses proches tendait à créer un

14
espace de jeu qui reprenait au plus près les codes conventionnels scéniques (grand espace
vide).

2.2 Composantes artistiques

2.2.1 Musique

Répertoires20

Les morceaux instrumentaux proposés par les musiciens étaient issus des répertoires
spécifiques à chaque instrument, correspondant aux époques suivantes : 17-18ème pour la
flûte à bec et 19-20ème pour la clarinette. Cependant, compte tenu du répertoire solo limité de
cet instrument, il était nécessaire de l'ouvrir en adaptant des oeuvres écrites à l'origine pour
d'autres, celles de Piazolla ou de Bach. Il fallait par ailleurs envisager un répertoire
suffisamment large et riche afin de s'ajuster au plus grand nombre (même si cette question
reste entière) et être à même de se renouveler dans les styles et les couleurs dans le cas de
relations suivies avec certaines des personnes malades qui, on le découvrira dès les premières
séances, n'hésitaient pas à demander deux ou trois morceaux lors d'une même rencontre.
Pour la flûte à bec, J.-C. adjoignit à son répertoire quelques morceaux contemporains, des airs
japonais écrits pour la flûte traditionnelle et réarrangés ici par ses soins.
Quant à A., sa proposition réunit des chants traditionnels multi-ethniques auxquels s'ajouta un
travail de percussions – Daff, frappes de mains et claquements de doigts –, utilisé ou non
selon le morceau et la situation.

La fine marge d'adaptation musicale s'effectuait via le jeu instrumental ou vocal sur les
paramètres suivants : nuances, qualité des attaques du son, conduite du souffle, agogique de
l'interprétation.
Ce procédé devait permettre, sans dénaturer le style, en gardant la cohérence générale du
phrasé, de s'ajuster à la situation – musicien, danseuse et personne malade. Très rapidement,
certains répertoires furent évincés, car ils rendaient difficile cette pratique. En effet, la rapidité
du tempo couplée à une métrique stricte de certains morceaux, de Telemann par exemple,
orientaient la proposition artistique sur un mode de rupture.

20 Cf. Annexe 2 : la liste des répertoires musicaux ne réunit que les morceaux qui ont été joués lors des séances.

15
Lorsque le choix musical était le fruit d'une discussion avec la personne malade, cela me
fournissait quelques éléments quant à son attente même si la qualité de l'improvisation ne se
déterminait pas sur la base de ce seul critère.

Le son du musicien me portait autant que son geste. Le dialogue s'élaborait via ces deux
facteurs qui, au demeurant, ne peuvent être différenciés. La qualité du son dénote d'un certain
rapport pondéral, de la relation du musicien au sol 21.

Espace

Les musiciens jouaient debout en point fixe. Leur placement ne différait pas d'un morceau à
l'autre hormis pour la chanteuse parfois. Il tenait compte de différents paramètres : sanitaire
(veiller à ne pas postillonner en direction de la personne), musical (direction du son, volume
sonore, endroit pour poser la partition), spatial (orientation de la personne malade, placement
des tiers présents).

2.2.2 Danse

Appuis imaginaires :

– Liquide et aérien (vent)


– Tissulaire : création de volumes et d'enveloppes en lien avec les notions de peau et de
respiration
– Mot, phrase ou idée extraits des chansons
Verbes d'actions travaillés en lien avec les imaginaires, ex. : caresser, embrasser,
glisser, balayer, brosser, rebondir, impulser, tourner, filer, esquiver, attraper, laisser
filer, retarder, devancer, soutenir, appuyer, pointer etc.
– Voyager entre intérieur et extérieur.

Mouvement :

– Travail de phrasé sur le plein et le délié

21 Pour exemple, il suffit d'observer un danseur de claquette et un danseur flamenco pour s'apercevoir que la
sonorité de leurs frappes de pieds dénote d'un rapport différent au sol lié au dialogue pondéral qu'il entretient
avec celui-ci.

16
– Prépondérance de la courbe. Construction du geste dansé très souvent conduit de façon
disto-proximale (en raison du travail de mains développé)
– Appuis et modulations à partir du regard et de la respiration de la personne malade

Objet :

– L'objet n'est pas une fin en soi mais un moyen pour construire un espace de relation22.
Il est utilisé en tant que point fixe dans un rôle de support23 et de relais, constitutif de
la topographie du lieu. Le contact s'effectuait soit par toucher direct ou indirect
(contacter la personne via le lit), soit par projection (se lover à distance entre un
renfoncement et une table de nuit).

Geste :

– Danse axée sur l'expressivité du haut du corps (bras-main-buste)


– La main-doigts-poignet :
Travail à ''main pleine'' et à ''main déliée'' : main palpatoire, porteuse, enveloppante,
réceptrice, qui désigne. Le geste n'est pas pensé comme ornemental, il participe d'un
mouvement, d'un écho, d'un dialogue avec l'ensemble du corps. Les doigts initient ou
prolongent le mouvement.
Travail de percussion : claquements doigts ou frappes sur cuisses. Ces gestes avaient soit une
fonction de ponctuation du mouvement dansé ou musical soit une fonction d'initiation et de
réorientation du geste dansé.

Suite à la présentation verbale, la première rencontre s'ouvrait quasi toujours par un geste de
main en guise de bonjour et de remerciement à l'accueil de ce moment. Ce geste constituait un
rituel qui me permettait, personnellement, de faire lien dans l'acte d'énonciation en glissant de
la parole au geste dansé.

22 Cf. Praud Coulin, Dominique, Solos de Dominique Dupuy : variations de la corporéité et détournements
poétiques en danse par la relation aux objets, mémoire de DEA sous la dir. de Hubert Godard, Ch. II « Deux
aspects chez Dominique Dupuy de la relation à l'objet : la matérialité, le rapport à l'espace-temps.
Implications sur la transformations de la corporéité ».
« C'est l'objet, pour Dominique Dupuy, qui fait passer la scène du lieu à l'espace, c'est l'objet qui construit et
précise l'espace. Mais il y a une obligation de reconstruire à chaque fois l'espace d'un mouvement jamais le
même, dans l'impossibilité de refaire à l'identique, puisque le temps a changé. Le renouvellement de l'acte est
nécessaire », op. cit., p.54
23 Id., « ''Objets spatiaux''...''objets supports''... ils ont pour fonction d'inventer un deuxième sol, un second
niveau d'appui... », op. cit., p.9

17
3. Autour d'un imaginaire – Le tissulaire

Cet imaginaire tissulaire qui m'a fortement habité durant bon nombre de mes
performances dansées n'était pas un élément isolé dans mon travail d'artiste du moment, il
s'épanouissait également dans une pièce de danse verticale intitulée « Cette immense
intimité »24. L'un et l'autre des projets se nourrirent mutuellement par un phénomène de
porosité. Pieds à terre en chambre ou pieds au mur sur différentes façades – mur d'hôpital,
mur d'une ancienne prison, mur d'école25 –, à l'intérieur ou à l'extérieur des institutions, le
mouvement général restait le même : jouer les « passes-murailles », panser les murs comme
on panserait les plaies. J'ai passé des heures à glisser, balayer, brosser, frôler bref à
questionner cet environnement horizontal et vertical. Par les mains, par les pieds, écouter les
murs, écouter le sol, écouter ce qui se dit à travers les strates du temps. Caresser
inlassablement comme on laverait des blessures.
L'institution est froide, on ne peut compter que sur la chaleur des personnes qui la constituent
pour en adoucir la dureté ou sur le travail d'un imaginaire, de peau par exemple. Cet organe
n'était pas pensé en terme d'inscription, de surface de projection mais pour ses qualités de
soutien, de contenance, de limite, de protection, de porosité qui constituent l'humain. De soi à
l'autre au coeur d'un environnement conçu à partir de ces mêmes propriétés, cet imaginaire
tissulaire permettait de faire du lien. Dans ce champ d'objets qu'est la chambre, les
mouvements créaient des ponts d'un point à un autre, des hamacs ou des dômes par un
enchaînement de courbes dans lequel, le musicien, la personne malade et les tiers présents
étaient inclus. A défaut de pouvoir étreindre cette dernière, je l'embrassais par un geste
d'enveloppement à distance, comme un drap que j'aurais lancé et qui en se retournant serait
venu cueillir la personne. L'imaginaire restait dynamique dans la relation à autrui et à
l'environnement : caresser un mur ou tapisser l'atmosphère de diverses couches ne se
décalquaient pas d'une chambre à l'autre, de manière indifférenciée, au risque d'un
assèchement.
Les volumes de la pièce ne se façonnaient pas par un procédé de moulage, ils surgissaient de
deux manières : par un phénomène de compression / dépression ou de laminage. La main qui

24 Pièce pour une danseuse sur un mur et images modifiées en temps réels, création 2011 de la Cie Retouramont
dirigée par Fabrice Guillot.
25 Cette pièce n'est pas jouée exclusivement sur ce type de mur ; cependant, lorsque ce fut le cas (et encore
aujourd'hui même après l'arrêt des performances en USP), la figure de l'institution commune aux deux projets
concouraient à mettre ceux-ci en résonance, l'un avec l'autre. L'idée n'était pas de reproduire ou de transposer
d'un contexte à l'autre, chacun se singularisait par ses variations. Cet imaginaire chercherait-il à travailler une
« peau du monde » dans une idée de prendre soin ?

18
courait sur le mur se chargeait du grain de son revêtement et quittant ce support en créait un
autre dont la pellicule transparente contenait la mémoire de la matière murale. Il suffisait alors
de l'étirer à loisir avant qu'elle ne s'estompât. Cette pratique ne relevait pas d'une volonté
d'uniformisation de l'environnement qui aurait cherché à fabriquer une peau homogène mais à
trouver un continuum quelle qu'ait été l'hétérogénéité des matières. Or, rares sont les objets de
ces chambres qui se distinguaient par des aspérités. Seules la texture de la couverture des
murs et celle des assisses offraient de réelles différences tactiles. Les diverses pièces du
mobilier, composées essentiellement de métal, de médium et de plastique – en majorité
peintes – révélaient des propriétés de consistance et de température semblables : chaud et lisse
étaient les deux adjectifs qui revenaient en force. Pour dynamiser l'espace, l'un des ressorts
consistait à travailler sur le principe d'élasticité à partir du corps dansant pour chercher à
donner de la respiration à ces murs, à cette chambre. Chez une méduse, il est impressionnant
d'observer à quel point les mouvements de cet animal « formé de tissus transparents
d'apparence gélatineuse, ayant la forme d'une cloche contractile »26 provoquent des échos
visibles dans l'eau, des ondes.
Les notions de porosité (la peau nue du visage et des bras en facilitaient la sensation) et de
glissement (glissé du vêtement sur la peau, glissé de la peau sur l'air et sur les objets, glisser
sur le son pensé comme nappe ou enveloppe) participèrent à activer cet imaginaire tissulaire
intrinsèquement lié à la question de la respiration. Les membranes invisibles que la danse
s'efforçait de donner à voir devenaient palpables via cette approche.

Les membranes qui s'étiraient, se creusaient ou se gonflaient en dansant ne duraient


pas ; elles s'étiolaient, fondaient ou se fendaient tôt ou tard sous l'action de la chaleur et de la
lumière. Ce fluide plus ou moins dense constituait un des éléments scénographiques avec
lequel je composais à défaut de le maîtriser. De jour, les caprices du ciel laissaient entrer de
manière plus ou moins forte les rayons du soleil dans les chambres exposées au sud, côté
jardin. Au cours d'une même séance, la lumière, telle une peau, pouvait généreusement
tapisser l'une des chambres ou se découper à travers les lamelles d'un store abaissé dans
l'autre. Le rayonnement de la source émis de façon continue ou discontinue selon les obstacles
rencontrés à l'intérieur comme à l'extérieur – mobilier, nuage, arbre etc. – densifiait, croisait
ou sectionnait les membranes invisibles que la danse ne cessait de tisser. Le grain, la chaleur
et la direction de la lumière offraient une spatialité unique et éphémère à chacune des

26 Définition issue du : Le nouveau Petit Robert de la langue française, Rey-Debove Josette et Rey Alain (sous
la direction) Paris, Dictionnaire le Robert – SEJER, 2010

19
chambres exposée au sud contrastant avec la grisaille uniformisante et peu avenante de celles
exposées au nord. Les appels, les fuites, les aspirations, l'enveloppement lumineux
participaient à la construction d'une spatialité corporelle qui ne pouvait nullement être
reconvoquée d'un côté à l'autre du couloir. Se glisser à l'intérieur d'un cône ou traverser
l'épaisseur d'un rideau : se faufiler pour en goûter la chaleur caressante avant de le transporter
avec soi jusqu'à le déposer sur l'arceau du pied de lit dans un soupir discret. Toute palpation
était doublée simultanément d'un enveloppement par l'air et la lumière sur soi.
Cet imaginaire tissulaire si souvent convoqué dans les chambres vient d'être exposé via deux
média – objet et lumière –, et le corps. Le geste dansé était également largement nourri de la
respiration de la personne malade. Dans un principe d'extraction, certains râles provoquaient
chez moi, des gestes d'étirements spiralés, cherchant encore et toujours l'extensibilité sans
atteindre la déchirure, la rupture. Le mouvement oscillait entre abandon et tension comme si
l'on eût cherché poussivement à déformer et à arracher en tous sens la trame d'un chandail. On
se trouvait là sur une crête. Quelque chose d'intime, lié à la question de limite, se jouait à cet
instant : l'affaissement de la personne devait à un moment trouver chez moi une zone
d'inversion, de rebond. Je ne pouvais pas la suivre au bout, dans le cri infini de ses
déchirements sous peine de me perdre. Je tiens à préciser que je ne visais pas à ''danser la
maladie'' ou à produire un geste expiatoire.

4. Quel rapport à la danse ?

Le rapport entretenu à la danse que je vais tenter d'expliciter est intrinsèquement lié à
la notion de la relation. Préciser l'un devrait permettre d'éclairer l'autre. Est-il besoin de
rappeler que le phénomène contextuel oriente le travail de l'artiste ? Un service de soins
palliatifs déplace donc le danseur dans sa pratique. A ce titre, la notion de consentement, a
joué un rôle majeur dans le processus de production artistique. Ce principe déontologique
central qui fonde toute rencontre, entrait dans notre dispositif de travail. La difficulté à être
assurée de cet assentiment et/ou l'extrême fragilité de certaines personnes qui laissait penser
qu'il pouvait fluctuer ou se rompre facilement, demandaient de mener l'investigation de la
réponse plus avant, c'est-à-dire de ne pas s'arrêter au ''oui''. Ce mot ne pouvait à lui seul
légitimer la rencontre 27 et garantir la qualité d'une éventuelle relation. L'intention n'était pas de
27 Le mot « rencontre » sera entendu dans ce mémoire en terme d'occurrence, de circonstance selon la 1ère

20
trouver triomphalement la vraie réponse. Cette recherche de consentement, si nécessaire fût-
elle, ne s'inscrivait pas dans une pensée linéaire, privilégiant de surcroît le mot avant le geste.
La danse se présentait comme un consentement au travail permanent ou pour le dire
autrement sous la forme d'un questionnement dynamique. Cet implicite constituait le gage
d'une ouverture et d'une attention renouvelée à la personne malade.
Questionner un mouvement, ou un geste, ce n'est pas être en proie à un doute effrayant,
paralysant. Questionner, c'est prendre le temps de suspendre et c'est dans ce temps de
suspension que le renversement peut avoir lieu, qu'une nouvelle orientation peut naître.
Interroger l'autre par un procédé d'empathie kinesthésique, c'est également interroger son
propre geste.
Quand bien même, le consentement avancé par la personne malade serait-il donné de façon
franche, sans vacillement, le principe reste inchangé. Comment se pratique le ''oui'' ?
Consentir n'est-ce pas con-sentir ? Ce ''sentir avec'', c'est-à-dire ensemble, écarte l'artiste d'une
fonction de mise à disposition qui relègue la danse à un ''faire pour l'autre''. Ce potentiel de
''faire'' isole les parties en présence s'il est retranché dans un geste exécutif coupé du sensible,
de l'autre à soi et inversement.
La danse se voulait avant tout expérience : c'est-à-dire explorer une manière d'être là au
contact de l'autre, apprendre de et par la fragilité humaine. La souffrance dont j'ai pu être
témoin et que je partageais via ma condition d'humain ne me portait pas à déployer les
artifices, les stratégies et les codes du spectaculaire. L'idée d'une ''monstration'', d'un ''donner à
voir'' avec lequel j'ai pourtant maintes fois dû composer dans certaines situations – contre
lequel j'ai dû me battre parfois –, contrariait, voire brisait ce pour quoi je voulais être là :
sentir ensemble en jouant ou en cheminant.
En déplaçant ma pratique en ces lieux, je venais peut-être questionner l'acte de danser qui « se
donne comme la possibilité d'une véritable expérience singulière et sensible de l'altérité »
comme l'écrit Sylvie Fortin28. Défendre ce rapport à la danse nécessiterait de questionner le
rapport au corps et à ses représentations. Entre le désir du danseur, la réalité de ses paradoxes

définition du dictionnaire : « Circonstance fortuite par laquelle on se trouve dans une situation. ».
Le mot relation se comprendra au titre de rapport, de connexion : « caractère de deux ou plusieurs choses
entre lesquelles existe un lien » selon Le nouveau Petit Robert de la langue française, Rey-Debove Josette et
Rey Alain (sous la direction).
28 Sylvie Fortin (sous la dir.), Danse et santé : Du corps intime au corps social, Québec, Presse de l'Université
du Québec, 2008, op. cit., p. 292. Dans le passage auquel se rapporte cette citation, Sylvie Fortin compare cet
acte de danser à celui « des pratiques de danse de formation et de création, où le morcellement du corps
conduit au technicisme et au formalisme (fût-il déconstruit) [fréquemment]. Cette remarque entre dans une
réflexion plus large du « corps parfait » au « corps défait ». Elle pointe et analyse notamment
l'enchevêtrement serré de trois corps : le corps socio-politique, le corps de formation des danseurs, le corps
chorégraphique.

21
(héritage d'un corps disciplinaire notamment qu'on ne peut nier) et les modes de pensée de la
personne à laquelle la danse est proposée dans la chambre, il n'est pas toujours aisé d'avancer
avec clarté.

Le rapport à la danse pétri par la question du consentement, s'est exprimé à travers quatre
approches qui sont ressorties du travail mené cette année. Elles se sont articulées autour des
idées de :

– Joute
– Contemplation ou méditation ?
– Cheminement
– Conversation

Ces thèmes seront abordés ultérieurement dans des récits ou des textes. Je tenais dans ce
mémoire d'étape à les traiter sans les couper du contexte, c'est-à-dire des situations qui les
induisaient.

22
II / PRÉSENTATION DE SOURCES PRIMAIRES

1. Récits de séances

L'objectif de ces deux récits est d'éclairer le lecteur sur la façon dont j'ai pu travailler
au cours d'une séance. Ils ne peuvent rendre de manière exhaustive la variété et la complexité
des situations rencontrées, en revanche ils permettent de faire apparaître quelques-uns des
paramètres du dispositif de travail – artistique, interactions avec les soignants ou les proches –
dans la dynamique d'un déroulé. La première séance me semble intéressante à présenter car
elle pose d'emblée la problématique du consentement initial à travers des situations
différentes. Le récit de la quatrième séance ne s'inscrit pas dans une linéarité, cependant il
permet de donner suite aux questionnements soulevés lors de la première séance et d'observer
les termes d'une deuxième rencontre – celle avec Mme HR. Elle fait également apparaître une
série de tiraillements et de dysfonctionnements qui oblige à s'inquiéter des raisons de cette
situation.

1.1 1ère séance – Lundi 3 janvier 2011 avec J., clarinettiste

Le jeudi 30 décembre, comme convenu avec le service, je suis allée assister au staff,
manière de reprendre contact avec une partie de l'équipe et de dresser sommairement le
paysage du service.

Lundi 3 janvier, nouvelle année, première soirée


J'arrive dans le service, c'est l'équipe d'I. qui en assure la nuit. Je découvre dans la salle de
soins une affichette éditée à l'initiative du service, à la fois surprise et touchée par le ton
affectif qui émane de ce petit mot :

''Notre danseuse'', Olivia Cubero est de retour


avec des musiciens de l'association Tournesol,
J. V. (clarinettiste), J.-C. H. (flûtiste à bec) et A. B.(chanteuse)
Il seront présents etc.

Moment des transmissions : depuis quatre jours, il y a eu beaucoup de changements.


E., directrice de Tournesol, est présente avec J. et moi sur cette première séance. Je les
introduis auprès de l'équipe de nuit. C'est la première séance de J. dans le service. Suite aux

23
transmissions, nous nous retrouvons dans le bureau de l'interne ; c'est un mélange d'excitation
et de plaisir qui m'anime. Passer du studio de répétition à la chambre d'une USP, il y a un
monde. Certaines de nos envies musicales que nous souhaitions mettre en forme ici ne nous
semblent plus du tout d'à-propos. Pour J. comme pour moi, il est évident que le morceau de
Penderecki auquel je tenais tant est à exclure définitivement du répertoire. Si chacun de notre
côté, suite à notre répétition de décembre et en nous rapprochant de notre première séance,
nous nous défaisions de ce choix, il devint clair en pénétrant dans le service qu'il était
impératif de reléguer cette envie artistique à un autre contexte en raison, entre autre, du
moment de tension, point climax, du morceau. J. me dit : « ce n'est pas possible...on voit
surgir les steppes de Sibérie à l'horizon ». Nous émettons même un doute quant à l'air de
Tanada, tout au moins pour ce soir. De là, nous effectuons une première sélection qui nous
semble opportune compte tenu des éléments en notre possession, à savoir, la jeunesse de notre
partenariat et la situation des personnes malades.

La première chambre à laquelle nous nous présentons est celle de Mr CG. Nous savons de ce
monsieur qu'il peignait et qu'il écrivait mais que cette pratique lui est devenue difficile car il
peine à tenir pinceau, stylo ou autre objet dans sa main. Il regrette de ne plus avoir autant
d'inspiration qu'avant. Ennui et tristesse sont des mots qui peuplent son lexique de façon assez
prégnante aux dires des soignants.
Avant les transmissions, R., aide-soignante que je retrouve pour cette deuxième année, nous
avait devancés. Au loin, je l'avais entendue annoncer à Mr CG qu'une surprise l'attendait ce
qui avait aiguisé immédiatement sa curiosité, il avait essayé d'en savoir plus. R. s'était prêtée
au jeu d'un question-réponse plus que flou, laissant de ce fait l'imagination de Mr CG
gambader et se livrer, à mes oreilles entendantes, à de multiples suppositions quant à la nature
de ma proposition...!
Mr CG semble un peu méfiant à notre entrée – il faut dire à sa décharge que nous sommes
trois. Il manifeste cependant une attitude accueillante quoique réservée. Je le croyais encore
habillé, assis dans un fauteuil tel que je l'avais entraperçu en arrivant. Nous le découvrons en
fait couché, recouvert d'un drap remonté jusqu'au cou, les bras en dessous.
J'amorce le contact par la parole. Après nous être présentés et avoir recueilli son
consentement, je lui demande s'il est possible d'éteindre la télévision. Il règle alors le son en
fonction ''muet'' et décide de se redresser pour nous écouter-regarder.
« C'est comme des touches de couleurs » nous dira-t-il suite aux deux moments de Stravinsky
et Berio.

24
En dehors de Mr CG et de Mme NL, les autres projets de rencontre soulèvent un lot
d'hésitations. Certains avaient d'ores et déjà été écartés, suite aux transmissions, et ce pour
diverses raisons : Mr TB dormait, Melle EM avait demandé tôt le nursing car elle souhaitait
dormir, Mme YB avait reçu beaucoup de visites cet après-midi là, il était donc souhaitable de
la laisser se reposer. Quant à Mme RT, j'avais préféré redemander conseil à I. qui, sans me
donner d'explication, avait émis un ''non'' que nous respectâmes sans chercher à le discuter.
Première séance, nous avancions pas à pas. D'un côté, J. découvrait le service, l'atmosphère de
la nuit, de l'autre, j'avais besoin de reprendre quelques marques et de sentir que nous ne
brûlions pas les étapes ni dans notre co-cheminement artistique ni dans la reprise de contact
avec l'équipe.
De passage de nouveau dans le bureau de l'interne où nous avions posé nos affaires, I. vient
nous voir et nous invite à aller jouer pour Mr EH. Même si je connais la position de I. pour
l'avoir questionnée l'an dernier sur les interventions auprès des personnes comateuses, je ne
peux m'empêcher de lui signaler la position de porte-à-faux que sa proposition provoque chez
moi. L'équipe d'encadrement que j'ai interrogée de nouveau cette année sur la question du
consentement lors d'une réunion préparatoire, m'a fait une réponse dont je dois tenir compte
bien que je respecte également sa posture. Elle comprend et me répond qu'elle pensait plutôt à
une intervention musicale. Quand bien-même cette réponse m'étonne, à différents égards, cela
ne change en rien la situation : il est important que, musicien et danseur, nous partagions sur
ce projet une même posture, c'est-à-dire un cadre de travail que chacun se sente à même de
suivre – remarque que je soumettrai à E. lorsque I. nous quittera. Face à ma réaction, I. nous
dit que c'est au vu des échanges qu'elle a pu avoir avec ce monsieur que cette idée lui est
venue : lui jouer quelque chose de doux, une « berceuse » par exemple. Sur ce, elle se retire
en nous précisant qu'il ne s'agissait que d'une proposition.
Dès la première séance, cette question du consentement nous revient donc de façon prégnante.
Il ne s'agit pas de se précipiter, nous sommes face à une situation qui mérite réflexion. Je
rappelle rapidement à E. et J. la posture du service ainsi que les différentes perceptions qui
avivent équipe de jour et de nuit avec toutes leurs nuances individuelles au sein du cadre
général. Je sais que Tournesol par l'intermédiaire de ses musiciens a déjà maintes fois joué
pour des personnes dans le coma. Le débat qui nous anime, dans l'immédiat, ne porte pas tant
sur la question de la pertinence d'une intervention musicale et chorégraphique surtout, mais
sur cette zone de frottement entre la position d'une soignante très expérimentée, celle d'une
équipe d'encadrement référente, et celle des artistes. En acceptant de nous rendre dans la
chambre de Mr EH j'ai l'impression de commettre une bévue, quoique, sous couvert de la

25
parole d'une soignante. Je dis à J. que si nous y allons, je serai à ses côtés mais je ne danserai
pas. E. et moi, nous nous inquiétons de savoir ce que J. désire faire et ce qu'il se sent capable
d'endosser pour sa première séance compte tenu de l'état de santé de ce monsieur qui pouvait
laisser présager, selon I., qu'il ne passerait pas la nuit. J. émet l'envie de jouer ; nous discutons
sur le choix du morceau, ce sera un Bach, un andante.

J'entre à reculons, la partition à la main, faisant office de pupitre pour J. qui souhaite
commencer à jouer dès le seuil de la porte. E. reste en retrait. Mr EH est étendu sur son lit,
légèrement tourné vers le mur du fond, le néon jaune est allumé. Nous avançons sans dépasser
le niveau de l'entrée. J'entends quelqu'un se rapprocher de la chambre, le pas assuré. C'est I.
qui vient nous dire de jouer un peu moins fort. Arrivés en fin de morceau, nous nous retirons
discrètement. De nouveau, direction le bureau de l'interne : petit point. C'est vrai que certaines
nuances auraient dû être adoucies mais cela ne s'effectue pas à la manière dont on le ferait
avec un potentiomètre pour baisser le niveau sonore. Sortir des aigus dans un pianissimo ou
un piano demande une grande maîtrise de l'instrument que J. possède indéniablement. Il
regrette, lui, de ne pas avoir utilisé sa clarinette en La au lieu de celle en Si bémol, un demi-
ton de différence qui, à l'oreille, aurait apporté au morceau plus de chaleur, de rondeur.

Chez Mme NL, changement de couleur.
C'est sur un morceau de Piazolla que nous nous essayons.
L'échange verbal final est succinct. Elle souhaite nous offrir quelque chose à boire ;
découvrant que son réfrigérateur ne contient que des minis boissons lactées, Mme NL s'excuse
de n'avoir rien de désaltérant à nous donner. En sortant, on s'interroge sur la portée de notre
intervention vis-à-vis de cette dame.

La soeur de Mme RT apercevant J. posté devant le comptoir d'accueil, sa clarinette à la main,


l'entreprend : deux personnes (fils ?) lui confie-t-elle, ont joué de la guitare dans la chambre.
Un peu plus tard, je remarque qu'A., une bénévole d'accompagnement avec qui j'avais eu
longuement l'occasion d'échanger l'année dernière durant nos soirées communes, nous
présente. Il y a eu, semble-t-il, méprise quant à la compréhension de notre présence dans le
service. Nous n'étions pas des proches en visite mais des professionnels venant régulièrement
dans le service, égrenant les propositions de chambre en chambre.

Nous avons été amenés à passer plusieurs fois durant la séance devant la chambre ouverte de

26
Mme AJ. Suite à ce que j'avais entendu le précédent jeudi en staff et ce soir aux transmissions,
je suis dubitative sur la possibilité de rencontrer cette dame. E. nous invite à y aller, J. et moi
sommes plus qu'hésitants. Cette dame est originaire d'un pays de l'est, sa compréhension de la
langue française pose question à l'équipe de jour ; elle manifeste des signes de confusion
prononcés, d'impatience, des sautes d'humeur sans que l'équipe n'ait encore réussi à en
comprendre la raison. Ce soir, Mme AJ est dite très agitée 29 et angoissée. Avant de prendre
une décision définitive, nous nous tournons vers I. lui faisant part d'emblée de nos doutes. Son
regard est autre vis-à-vis de cette dame. Elle me la décrit comme une personne coquine,
comédienne. Ces différentes informations ne sont pas obligatoirement antinomiques mais
nous procurent de l'embarras. Les paroles de I. nous font pencher vers le choix d'une
rencontre.
Dès notre entrée et pendant notre bref temps de parole, je remarque que Mme AJ est agitée. Je
la vois fermer et ouvrir les yeux, plier et étendre les jambes de façon répétée. Elle geint sans
que je réussisse à la comprendre. Essaie-t-elle de nous dire un mot, une phrase explicites ?
Cherche-t-elle à nous mettre à distance ? Je la vois soulever le haut de sa chemise de nuit
comme gênée pour respirer. Je ne sais pas ce qu'elle a compris de notre proposition verbalisée
succinctement. De longues explications ne seraient pas facilitantes. Je me suis approchée sur
le côté du lit et J. s'est arrêté au niveau du pied. La chambre est très petite, c'est la plus petite
du service. Silence, doute ; Mme AJ ne se calme pas. Il faut prendre une décision ; J. me dit
qu'il va jouer un extrait du lied de Bério. Je reste près d'elle, immobile, la main posée sur la
barrière comme si j'eus posé ma main sur la sienne. J'écoute J. ; j'écoute Mme AJ dans sa
plainte ; mon regard passe de l'un à l'autre, s'arrête ailleurs. Mme AJ. commence à se
tranquilliser. J'esquisse quelques mouvements légers du haut du corps ; l'air devient une
matière glissante pour les bras et les mains. Mme AJ ferme les yeux, ses paupières sont
calmes. Il me semble qu'elle accepte peu à peu que nous soyons là, près d'elle. J. écourte le
morceau et conclut ; je le suis en cherchant également une fin à mon improvisation. La durée
me paraît juste. Il est temps de nous retirer, tranquillement. Juste un ''au revoir'' adressé à
Mme AJ pour sortir : pas envie d'en dire davantage.
Fin de séance ; il n'y a pas eu d'échange spécifique avec les soignants avant notre départ.

29 Terme correspondant à un tableau clinique précis selon certaines caractéristiques telles que : « désir de se
lever et sortir, tiraillements des vêtements et des draps du lit, arrachements des tubulures, des sondes » etc. cf.
L'infirmier(e) et les soins palliatifs – « Prendre soin » : éthique et pratiques, SFAP, Collège des acteurs en
soins infirmiers, Vottem, Elsevier Masson, 2009 (4ème édition), op. cit., p. 200

27
1.2 4ème séance – Mercredi 12 janvier 2011 avec J.-C., flûtiste à bec

En arrivant dans le service, je comprends aux quelques mots entendus que l'équipe est
éprouvée par un décès qui s'est produit le matin-même, celui d'une jeune fille. C., en staff est
assise à côté de moi, elle est très touchée. Un petit remontant serait le bienvenu ! Melle EM
est évoquée : « On lui avait dit qu'elle pouvait dormir, qu'on resterait là mais elle ne s'est pas
réveillée... », dit C., embarrassée.

Entre prise de décision et conseil éclairé, initiative et accompagnement, les manières de


procéder au cours de cette séance connaîtront des variations. Encore une fois, suite au staff
d'une part, et au regard de ce que nous venions de vivre lors de la première séance et qui avait
influé sur la définition de notre cadre de travail d'autre part, il est clair et entendu que pour
trois des personnes malades qui se trouvent dans le service, nous ne rentrerons dans leur
chambre qu'avec l'accord, voire la présence des proches et/ou des soignants.
Les chambres sont presque toutes occupées mais cela ne signifie pas pour autant que les
rencontres seront plus nombreuses. Notre envie de nous présenter auprès de personnes que
nous ne connaissons pas encore se traduit par une sorte de ballottement d'une chambre à
l'autre. Nous sommes éconduits de façon assez lapidaire, voire rustre, à croire que Mrs DB et
TB ne sont pas les personnes décrites aujourd'hui par les soignants. Quant à Mme AJ, aller la
voir continue de nous poser question. L'équipe progresse dans la connaissance clinique de
cette dame sans que cela ne nous amène des éléments de réponse clairs sur la pertinence de
notre action et sur la manière de s'y prendre avec elle. Les problèmes de communication
restent entiers pour nous comme pour les soignants. Plusieurs allées et venues nous
conduisent à passer devant sa chambre sans que nous ne ressentions d'élan. Un homme est
assis à la droite de Mme AJ impassible. Franchir le seuil, faire ce pas demanderait un peu plus
de confiance de notre part. J.-C. est plus que réservé et j'avoue manquer de conviction,
d'assurance pour l'entraîner avec moi.

Au bout du couloir, installée dans sa nouvelle chambre, Mme HR profite de la présence de


son mari et nous demande justement de passer afin qu'il puisse assister à ce moment artistique
dont elle lui a parlé suite à notre première rencontre, il y a deux jours. C'est un homme
aimable et souriant. Tous deux ne manquent pas de nous faire remarquer le caractère spacieux
de cette nouvelle chambre. Et son mari d'ajouter : « ce sera mieux pour la danse aussi ». Mme
HR acquiesce mais reconnaît que « c'était bien aussi dans l'autre ». Ils se tiennent par la main,

28
elle, allongée dans son lit bas, lui assis à ses côtés.
Suite au premier morceau, alors que je n'avais pas perçu de signes d'émotion distincts, elle
déclare : « ça me touche toujours autant ». Des larmes montent... son mari gêné, d'une
pirouette, écarte la situation : « vous n'avez pas chaud ? » nous adresse-t-il, emmitouflé dans
un gros pull. J.-C. lui répond, ce qui me permet de rediriger mon attention sur Mme HR, lui
disant qu'elle a le droit d'être émue. Etre deux facilite le relais.
Une fois le rondeau achevé, J.-C. s'apprête à enchaîner sur le Menuet. Je sens Mme HR
désireuse d'autre chose ; elle n'hésite pas à l'exprimer, évoquant le tango de lundi soir. Je
pense que ce n'est pas tant le style même qui l'intéresse que quelque chose d'enlevé et de
ludique. J.-C. lui dit qu'il n'a pas ce type de morceau à son répertoire mais qu'il peut lui
proposer une Bravade. Cette Bravade, effectivement très enlevée, n'est autre qu'un
mouvement d'une suite de Bach dans un style Bourrée, morceau avec lequel je n'ai pas le plus
de facilité. Je me donne comme consigne sous prétexte de varier la proposition spatiale de
travailler à partir d'une série de déplacements en pas glissés rapides, de côté. Cela me laisse
un goût amer. Le déroulement frontal que je réalise me propulse dans un imaginaire du 17ème
fortement influencé par le genre musical. La forme d'écriture de la Bourrée, couplée à la
rapidité du tempo demandent un qui-vive, une précision et une anticipation des orientations
poussées pour peu que l'on respecte le développement et l'allure du morceau. Ajouté à ces
éléments, le choix spatial très conventionnel auquel je me risque volontairement a tôt fait
d'agir comme un piège : le projet d'un dialogue à plusieurs devient inatteignable, reculant de
pas en pas, de mesure en mesure. Nous sommes très éloignés du principe de jeu de lundi
soir30.
Sa troisième demande nous désarçonne : « un morceau plus classique comme le « Lac des
cygnes ». Comment s'adapter à cette requête qui, par ailleurs, a déjà été évoquée lors de la
précédente séance ? J.-C. est ennuyé, nous sommes bien loin de ce répertoire. Notre embarras
n'a pas échappé à Mme HR. qui cède en nous laissant choisir quelque chose à notre
convenance.
Ses retours portent sur divers points. Après une première et rapide ponctuation par un
« toujours aussi beau », elle revient sur la question de la tenue et de la puissance respiratoire
qui avait déjà attiré son attention lors de la précédente séance.
Son mari nous dit apprécier que ce genre de proposition puisse exister à l'hôpital.
Mme HR conclut d'elle-même cette rencontre suite aux trois propositions. En nous donnant
rendez-vous lundi prochain, elle s'enquiert de savoir si A., bénévole d'accompagnement dont

30 Cf. infra récit « Construire un dialogue à trois », p. 59

29
elle apprécie la présence, pourra assister à ce moment musico-dansé. « C'est fait pour être
partagé, je ne vais pas garder cela pour moi toute seule » nous dit-elle.

Après un début de séance cahin-caha, le passage chez Mme HR nous avait offert la possibilité
de questionner le suivi d'une rencontre à la lumière d'un nouveau duo. Puis l'après-midi prit
une tournure à laquelle ni J.-C. ni moi ne nous attendions. La jeunesse de notre partenariat
allait faire apparaître des fragilités.
L'état de santé des personnes comateuses impliquait pour moi certains besoins en terme de
temps et d'espace qui pouvaient contrevenir ou plutôt modifier les gestes des soignants, les
habitudes ou les besoins du musicien, la place des proches. Aussi fallait-il qu'ils eussent été au
courant des éléments que je considérais comme nécessaires à mettre en oeuvre pour réaliser
au mieux la proposition (pouvoir se présenter et initier la danse à partir d'un toucher de main).
Or dresser un cadre et le transmettre tel quel ne me semblait pas de mise. Révéler une partie
de mon dispositif de travail me faisait craindre qu'il ne soit pris comme argent comptant, c'est-
à-dire formellement et qu'il puisse inquiéter proches et soignants. Est-ce que ce moment aurait
pris une autre couleur si j'en avais averti au moins ces derniers ?

Aussitôt sortis de la chambre de Mme HR, la soeur de Mme RT nous interpelle dans le couloir
en nous demandant si nous pouvons venir jouer dans la chambre de celle-ci « même si elle
n'ouvre que rarement les yeux ? ». Un premier contact verbal le lundi 3 janvier puis un second
la séance suivante avait fait mûrir son projet de partager un moment artistique auprès de sa
soeur.
Le volet à demi-baissé, la lumière diffuse d'une lampe en minéral et la ribambelle de photos
rendent l'atmosphère de cette chambre chaleureuse. J.-C. pose son pupitre près de la salle de
bain assez loin du lit ; la soeur de Mme RT s'assied sur le gros fauteuil à gauche du lit pour
être proche ; Mme RT est alitée quasi dans le coma ; elle est installée sur son côté gauche. La
hauteur du lit est telle que cela me ramène quelques années en arrière en chambre de service
pédiatrique31, à voir la personne à travers les barreaux. Maladresse, prudence, style du
morceau, promptitude de J.-C. à commencer le morceau : autant d'éléments qui suspendent
mon mode opératoire et modifient l'idée de la danse que j'avais en tête avant d'entrer.
J'entends un grommellement, la respiration de Mme RT semble momentanément s'accentuer.
Sa soeur pose un regard doux sur elle, elle ne paraît pas inquiète. Je m'interroge, gêne-t-on

31 Improvisation dansée en chambre avec la Cie Sylvain Groud 2006-2007 au CHU de Rouen en 2007.

30
Mme RT ?
Le rapport entre nous quatre manque de fluidité, nous peinons à être ensemble, à mon sens (ce
qui n'a pas empêché la soeur de Mme RT d'apprécier, selon ses dires, ce moment).
Ses yeux s'embuent lorsqu'elle nous parle de sa soeur, artiste peintre et fervente amatrice de
danse. Elle nous dit qu'« avec sa fibre artistique elle aura peut-être perçu quelque chose là où
elle est, entre deux mondes ». L'annonce de notre sortie s'accompagne de ces mots et de
quelques autres face aux photos de famille. Quelques questions sur la nature et les lieux de
nos engagements professionnels … puis nous nous quittons.

Au sortir de la chambre, je demande à J.-C. un petit temps avant de nous diriger ailleurs.
Mme YB est également à un stade terminal. Nous savons son fils auprès d'elle, démuni ; il
s'en est ouvert aux soignants. L'idée d'aller le rencontrer pour lui proposer un moment
musique-danse en compagnie de sa mère germe dans notre tête, néanmoins nous préférons
être introduits par un soignant. C. frappe, entre, et P. la suit sur ces entrefaites. Le fils de Mme
YB n'est pas surpris de les voir arriver. J'avance de quelques pas et J.-C. me suit de près, de
manière à ce qu'il puisse nous voir au moment où C. décline nos identités – Olivia, la
danseuse et J.-C. le musicien. Elle s'approche du lit et s'adresse à Mme YB à qui elle formule
la proposition. Elle a les yeux fermés mais réagit à la voix de C., elle lui répond un ''oui'' dans
un souffle. Son fils ne manque pas de se retourner vers nous, le regard légèrement inquiet ou
étonné. Nous le saluons. Brièvement, je lui reformule la proposition. La présence des
soignants semble le rassurer. Je suis en train de m'approcher du lit quand j'entends P. rattraper
le fils de Mme YB qui s'apprête à sortir ; elle lui fait comprendre que l'on ne le chasse pas,
bien au contraire.
C. reste à gauche de Mme YB et P. se place à sa droite. C'est C. qui insiste pour que P. reste
parmi nous, disant que malgré le nombre de tâches qu'elle a à assurer d'ici la fin de son
service elle peut prendre ce temps. Son dernier argument fait peut-être la différence : C.
préfère qu'elles soient deux en cas de souci car Mme YB s'encombre facilement. Ce n'est pas
faute d'avoir maintes fois proposé à P. de se joindre à nous, je suis contente que C. ait réussi à
la convaincre.
Elles sont chacune de part et d'autre du lit, encadrant Mme YB. Je les vois tellement attentives
à elle, ajustant délicatement son oreiller pour lui assurer un meilleur confort, que je ne trouve
pas le moyen de me glisser plus près de Mme YB pour lui prendre la main. Je me place à la
gauche de C. pour commencer à danser. Son fils est calé dans un recoin, il se fait discret. A-t-
il peur de gêner ? J.-C. quant à lui s'est placé, comme chez Mme RT, vers l'entrée en regard de

31
la salle de bain.
Son fils regarde la danse un moment avant de s'en détourner, les yeux dans le vague.
Mme YB garde longuement les yeux ouverts, suivant la danse ; on la sent également très
attentive à la musique. Quel ressort ! Compte tenu de son état de santé, je ne suis pas la seule
étonnée de son attention. L'effort déployé pour garder ses yeux ouverts, la prégnance de la
situation me retiennent dans son champ de vision. Me dérober à son regard m'apparaîtrait
comme un acte de mépris. Quelques échappées se glissent de façon sporadiques lorsqu'elle
commence à fermer les yeux. P. et C. sont immobiles à ses côtés, lui caressant la main de
temps à autre. Leurs regards vont et viennent de la danse vers Mme YB jusqu'au moment où
celle-ci commence à tousser, à s'encombrer. Le morceau choisi entre autre pour sa courte
durée, deux minutes, me paraît tout à coup beaucoup plus long, trop long au vu de
l'encombrement envahissant de Mme YB. C. et P. ne la quittent plus du regard, leur inquiétude
est lisible, ce que J.-C. du fait de son placement ne peut que difficilement percevoir. Elles ne
nous interrompent pas, la situation devient très critique mais apparemment non limite d'un
point de vue clinique.
Une fois la dernière note jouée, P. prestement indique à C. qu'elle part chercher un
médicament pour soulager Mme YB.
...
Je passe ma main sur celle de Mme YB, accompagnant cet effleurement d'une parole, pour lui
dire au revoir. Suite à des salutations respectives, son fils se dirige vers sa mère. De manière
très touchante, je l'entends dire : « tu as vu maman la danse, c'était un spectacle rien que pour
toi ».

On se retrouve de nouveau dans le couloir, les bras ballants.


Nous hésitons encore : et Mme AJ ? … Non, définitivement non. Nous n'irons pas
aujourd'hui.
...
Nous attendons que C. ait fini quelques-unes de ses tâches pressantes pour aller voir si Mme
NM accepterait de nous accueillir. C. a évoqué l'idée en cours de séance. Nous sommes
partants mais je tiens à ce que nous soyons accompagnés et pas simplement introduits compte
tenu de son état de santé qui a été décrit en staff. Pour cette dame, les journées sont longues,
très longues... Seules les quelques visites de sa petite-cousine la sortent de son isolement.
Nous allons et venons devant la salle de soins, zone de passage permanente. P. passe et me dit
« tu dois être crevée, tu as l'air crevé, tu as l'air de souffrir...tu es tellement... », en faisant des

32
mouvements de bras amples qui engagent tout le corps. Sa remarque m'inquiète ! « Tu as
vu ? », dit-elle à L. – autre soignante – en me désignant. « Tu es très présente », m'adresse-t-
elle. Je la vois refaire les mêmes gestes pour appuyer ses dires.

Ça y est C. est disponible, d'un pas preste elle ouvre la marche et nous lui emboîtons le pas.
Elle entre et je reste en retrait. Mme NM est étendue dans son lit, à bout. Le teint cireux, les
traits creusés, son visage revêt les apparences d'un masque quasi figé, celui d'une mort
prochaine. C. contourne le lit pour se placer au mieux près d'elle. Elle l'appelle... sans réponse.
Elle claque des doigts, relance un appel : « Mme NM ? ». Elle passe sa main devant son
visage et se tourne vers moi « ouh, elle est loin » me dit-elle avec douceur et puis revient sur
ses dires quand elle la voit ouvrir péniblement les yeux. Je m'approche et je découvre un
regard voilé, des yeux vitreux. C. lui signale notre présence. Je ne sais pas ce que Mme NM
voit mais je sais qu'elle me perçoit. Je me suis avancée un peu plus et penchée par-dessus la
barrière pour la saluer alors que C. lui formule l'offre de façon sommaire. Un son rauque et
sourd s'échappe de la bouche de Mme NM. Le sourire aux lèvres, C. s'exclame sans
équivoque : « Elle dit merci ». Je suis quelque peu déconcertée car non seulement je n'ai
absolument pas compris ce que Mme NM a verbalisé – ce qui m'aurait laissée dans l'embarras
si j'avais été seule en sa présence – mais je ne sais pas comment interpréter non plus ce
« merci ». S'agit-il d'un « oui merci » ou d'un « non merci » ? La réponse semble évidente
pour C. qui s'est longuement occupée de cette dame32. C. lui propose de la redresser
légèrement pour mieux voir ; elle part chercher l'aide de A. De mon côté, je rejoins J.-C. qui
est resté dans l'ombre près de l'entrée, je le sens troublé. On installe pupitre et partitions.
Après avoir remonté Mme NM, A. et C. restent respectivement de part et d'autre du lit, elles
se veulent rassurantes et attentives à tout épisode d'encombrement.
De nouveau, je me retrouve en bout de lit comme chez Mme YB. Pas le temps, ni l'espace
pour m'approcher de Mme NM. J.-C. entame le Rondeau. J'ai du mal à m'immerger dans la
couleur de ce morceau. L'allure cadencée et légère contraste avec le tragique de la situation ;
Mme NM semble attentive à la musique. Je me sens tiraillée et je peine à trouver un registre
qui me permette de m'accorder à la fois à J.-C. et à Mme NM. Etrangement, elle semble posée
sur le lit sans que son poids ne s'y dépose réellement. J'ai pourtant besoin de sentir son poids,
juste un petit rien qui m'ouvrirait les portes d'une rêverie. M'adapter à ce ton musical enlevé
m'éloigne de Mme NM et me procure la désagréable sensation de me trouver en situation de
spectacle. Ses râles gras et l'extrême fragilité de sa respiration m'invitent ailleurs. L'envie n'est

32 Cf. Annexe 1, « Entretien avec D. infirmière... », p. 82

33
pas aux sautillements ni à la scansion. Mme NM m'entraînerait plutôt vers des phases
alternatives de décrochements et d'abandons soudains, de percées que je veux continues et
allégées. Ma gêne va grandissant au fur et à mesure que l'inconfort de Mme NM s'accentue ;
elle a dû mal à reprendre son souffle, mes gestes se réduisent, j'aimerais arrêter ou bien...
d'ailleurs je sens C. à mes côtés commencer à se tendre. Elle a les yeux rivés sur Mme NM.
Dans un élan glissé, je me dirige vers J.-C. tentant par des mouvements de bras, sans parler,
de lui faire comprendre qu'il faut suspendre33. Je me refaufile entre la table et le pied de lit et
je sens mes gestes rétrécir malgré moi, perturbée intérieurement par la situation...jusqu'au
moment où levant les yeux vers J.-C., C. d'un geste de main autoritaire, mette fin à notre
action. Mme NM est très inconfortable, sa position la fait souffrir. A. et C. la réinstallent.
Nous restons là, suspendus, sans mot dire. Et puis C., contre toute attente, nous invite
indirectement à rejouer quelque chose de court en s'adressant à Mme NM par une formulation
conventionnelle de politesse.
Deuxième passage.
C. nous fait remarquer que Mme NM ouvrait parfois les yeux, tournait un peu la tête dans ma
direction et vers celle du son, cherchant à voir.
C. repart de son côté.
Ouh ! Quant à J.-C. et moi, un petit point s'impose suite aux difficultés qui viennent de se
produire.
Nous rejoignons le bureau où nous avons laissé nos affaires personnelles. E., l'interne, est là.
Une conversation s'engage ; il ne s'agit nullement d'un rapport de séance mais d'un échange
informel marquant l'intérêt qu'elle porte à notre pratique dans le service. L'entrevue de lundi
soir avec Mr IW dont je lui fais écho est pour elle une première accroche. Il lui paraît évident
que les quelques mots de présentation constituent, même s'ils se soldent par un ''non'', une
entrée en danse. La discussion se poursuit autour de ce ''non'' potentiel. Elle estime que ce mot
rouvre les personnes malades à un espace de liberté. Cependant, il diffère d'après elle du ''non''
adressé au kinésithérapeute ; la réponse dans ce cas, bien que possible, est souvent chargée de
culpabilité pensant qu'un ''oui'' pourrait leur apporter une amélioration. Quant au cheminement
effectué avec la soeur de Mme RT jusqu'au moment vécu dans la chambre, E. s'en réjouit.
Nous partageons l'idée qu'il faut parfois du temps et de la confiance pour laisser entrer la
danse.
Elle nous fait remarquer qu'à défaut de voir, on nous suit tout au long de la séance grâce au
son de l'instrument qui parvient de derrière les portes – ce qui n'est pas le cas lorsque je suis

33 Code gestuel que nous mettrons clairement en place en fin de séance suite à cet événement.

34
seule avec mon poste de musique. « C'est agréable ».
Sur ces entrefaites, C. arrive ; j'en profite pour revenir sur l'événement qui vient de se produire
avec Mme NM. Nous en sommes tous les trois affectés : chacun, dans son domaine, a eu des
initiatives et des réactions professionnelles inappropriées ; cela pose également la question, à
mon sens, du « travailler ensemble ».

2. Mr GG – les pas d'une rencontre ou un ''oui'' à questionner

La relation avec Mr GG s'est développée sur un long terme, soit douze séances. Si le
contact et la complicité avec les musiciens, notamment J.-C. le flûtiste et J. le clarinettiste, se
sont établis de suite, en revanche ma proposition n'a pas bénéficié du même accueil. C'est via
la musique et les échanges oraux que la danse a trouvé sa place, qu'elle fut permise avec la
curiosité persévérante de Mr GG et la confiance qu'il finit par m'accorder. Toutes les séances
se passèrent à huis clos, c'est-à-dire sans tiers présent à l'exception de quelques rares passages
de soignants, venus arrêter le son persistant d'une seringue électrique, ou de la présence de E.,
directrice de l'association Tournesol, qui nous suivit sur deux soirées et qui reçut un accueil
avenant de la part de Mr GG.

Mercredi 5 janvier 2011 / 2ème séance

Mr GG est entré la veille dans le service.


''Toc, toc''. J'entre, suivie de J.-C. La chambre est grande, elle fait partie de ces chambres les
plus grandes du service, originellement prévue pour deux personnes. Mr GG semble enchanté
par la proposition et pourtant... Je sortirai déconcertée de la chambre et j'emmènerai J.-C.
immédiatement dans la cuisine, pièce de repli. Je m'entends encore lui dire « La prochaine
fois, je te laisse y aller seul ! ». Le fait est que Mr GG montre un vif intérêt aux propositions
musicales de J.-C., en revanche la danse ne reçoit aucun écho. Pas un regard, pas une
remarque de Mr GG. Je me trouve physiquement dans cette chambre avec l'étrange sensation
de ne pouvoir ni approcher ni même ''toucher'' Mr GG. Il garde le regard fixé sur J.-C. tout le
long de notre intervention. Suite au premier morceau, Mr GG pose quelques questions d'ordre
musical à J.-C. De manière candide, je me risque à participer à la conversation, la sentence est

35
claire. Aucune parole ne m'est adressée de la part de notre hôte. La fragilité de notre
partenariat artistique, à J.-C. et moi, n'est guère facilitante.
Mr GG nous révèle qu'il est organiste, sans nous en dire davantage. Ses remarques laissent à
penser qu'il est un mélomane avisé. J.-C. et moi nous surprenons à noter que Mr GG a une
approche musicale très analytique.

Lundi 10 janvier 2011 / 3ème séance

C'est la deuxième séance que nous menons ensemble, J. et moi, mais c'est son premier contact
avec Mr GG. La tournure de la première rencontre dont j'ai brièvement tenu informé J.
n'entame pas mon élan et la cohésion de notre duo naissant. Le répertoire de J. m'est plus
familier et plus aisé à travailler et pourtant...! Au vu des goûts de Mr GG, plutôt orientés
musique baroque, c'est sans grand étonnement qu'il choisit le Scarlatti qui figure dans le
répertoire de J. Suivront pourtant un Stravinsky et enfin un Kovacs – Hommage à Debussy.
Trois morceaux, moment long somme toute au vu de l'état de santé de Mr GG souffrant de
douleurs abdominales assez fortes depuis ce matin. Entre chaque morceau, il s'enquiert auprès
de J. de quelques précisions musicales comme il a pu le faire avec J.-C. à la séance
précédente. Que dire de la danse, sinon qu'il ne me reste quasi rien si ce n'est cette impression
d'avoir été autorisée à danser par l'entremise de la proposition musicale. J'ai tenu la consigne
d'improvisation que je m'étais fixée en amont : faire des mains l'initiation et l'agent principal
de la danse. Cette impression de distance de la part de Mr GG qui, au demeurant paraît
profondément absorbé par le jeu de J., persiste. Une seule fois durant la danse, j'ai cru
percevoir son attention par le biais d'un regard. Malgré des passages complices avec J., je sors
tout aussi bougonne et déstabilisée de la chambre. Je ne me sens pas à ma place ; l'idée n'est
pas de développer un duo musique-danse in abstracto.

Mercredi 12 janvier 2011 / 4ème séance

Mr GG est sorti en HAD34.

Lundi 17 janvier 2011 / 5ème séance

Mr GG est de retour suite à un surdosage de bolus. C'est de nouveau J. qui est présent ce soir

34 Hospitalisation à domicile.

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avec moi. Mr GG est dans une autre chambre plus petite, plus difficile du point de vue de
l'organisation spatiale. Je reformule la présentation de notre proposition artistique à Mr GG
pensant que la forme de ma précédente verbalisation ne lui permettait pas de refuser la danse.
Sa réponse est univoque. Cette fois-ci, durant le premier morceau, Mr GG, tout autant captivé
par le jeu de J., semble néanmoins accorder un peu plus d'attention à la danse : les coups d'oeil
intermittents se font plus fréquents tout du moins sur le premier morceau. Malgré son
affaiblissement et sa difficulté d'élocution, Mr GG n'a rien perdu de sa perspicacité faisant
remarquer à J. le caractère très moderne de ce Bach. En effet, Il ne s'agit pas à proprement
parler d'une oeuvre écrite par J-S Bach mais d'un hommage à Bach par Kovacs. La
proposition suivante développée sur le Piazolla à tempo lent semble de nouveau faire reculer
Mr GG dont je croyais avoir gagné un très léger soupçon d'intérêt car ses regards furtifs
s'étiolent. Il a le regard tourné en diagonale vers l'angle de la chambre où J. se tient. Compte
tenu de l'agencement spatial, je n'ai comme alternative que celle de naviguer entre l'entrée et
le côté du lit, en tirant partie du gros fauteuil placé contre le mur. Je dois veiller à ne
provoquer ni une frontalité brutale en me postant de face – au pied du lit – ni un côte à côte
oppressant en longeant le lit jusqu'à son chevet.
Epuisé, Mr GG nous congédie cordialement à la fin du deuxième morceau.
De passage dans la salle de soins, en fin de séance, R. (aide-soignante) me dira sans plus de
précisions : « Ca n'a pas été facile pour toi ce soir ». Elle revenait de la chambre de Mr GG
qui vraisemblablement avait dû confier à R. quelques ressentis quant à notre intervention qui
ne mettait pas la danse à l'honneur.

Mercredi 19 janvier 2011 / 6ème séance

Je suis seule sur cette séance. Malgré la froideur que Mr GG témoigne envers mes
improvisations, je me rends tout de même vers sa chambre pariant fort sur la réponse qu'il me
renverra. Je lui notifie donc ma présence dans le service comme tous les jeudis après-midis
mais en lui précisant de suite que je suis seule aujourd'hui, le musicien étant
exceptionnellement absent. Il décline mon offre préférant la présence du musicien à de la
musique enregistrée et s'enquiert avant que je ne sorte de savoir qui de J.-C. ou de J. sera
présent la prochaine fois. En le quittant, je suis heureuse que Mr GG ait osé m'adresser un
''non'', persuadée que son consentement n'est que le fruit d'une autorisation à être présente lors
de la rencontre musicale intime.

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Lundi 24 janvier 2011 / 7ème séance

Je demande à J. de me laisser entrer seule dans la chambre de Mr GG afin qu'il puisse, s'il le
désire, me congédier librement sans gêne dans le cas où son consentement ne serait une fois
de plus que l'objet d'une marque de politesse à mon égard en présence de tiers (J. et E.,
directrice de l'association Tournesol). Conquise par la franchise de sa réponse le jeudi
précédent, je me dis que la situation de face à face, seuls, pourrait bien être un gage de libre
choix. Je me présente donc en lui disant que J. est bien là ce soir lui précisant immédiatement
que nous ne sommes pas rigides sur la forme de notre proposition et que s'il préfère profiter
d'un moment musical sans la danse, cela est tout à fait possible. Sur ce, il me répond sans
délai, peut-être même surpris, « non, non, les deux ».
A partir de ce jour j'ai cessé de douter, pensant que Mr GG était à même de refuser ma
présence le jour où il le souhaiterait. Cette séance ne fut pas encore des plus aisées dans mon
rapport à Mr GG même si bon an mal an, les choses évoluaient depuis la première rencontre.

Mercredi 26 janvier 2011 / 8ème séance

De nouveau seule sur cette séance, j'ai décidé de ne pas me présenter à la chambre de Mr GG.

Lundi 31 janvier 2011 / 9ème séance

Nous retournons voir Mr GG. J.-C., présent ce soir, lui annonce qu'il peut, s'il le désire, jouer
la Polonaise, mouvement dont Mr GG lui avait parlé. Notre performance n'est pas des plus
heureuses. Mr GG ne semble pas nous en tenir rigueur et demande un deuxième morceau. En
confiance, il se laisse proposer un morceau japonais, loin du répertoire qu'il affectionne.
Durant l'improvisation dansée, Mr GG se montre plus ouvert, plus détendu. Je ne m'attendais
pas néanmoins à pareille réaction de sa part : pour la première fois, Mr GG me parle de ce
qu'il vient de voir, de vivre. Faisant des gestes de mains au niveau de son plexus, dans un
mouvement circulaire de l'intérieur vers l'extérieur, il me dit que je danse beaucoup avec les
mains. « Au début je pensais que c'était comme la naissance, enfin je ne sais pas … je dis
juste ça comme ça... c'est un peu comme si la maladie sortait de soi, les mains font sortir
quelque chose de l'intérieur » et il ajoute, « je ne sais pas si c'est ça que vous vouliez dire... ».
S'en suit un échange sur la base de ses remarques. Le sentant assuré de la réponse, il me
demande tout de même si cette pratique est mon métier, à quel endroit je danse, avec qui

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etc...bref toute une série de questions auxquelles J.-C. et J. avaient eu droit dès leurs premières
séances.

Au fil des séances, ce moment musical et dansé était devenu un rendez-vous implicitement
attendu de nous et de Mr GG, quel que fût son degré de fatigue. Même si ses retours vis-à-vis
de la danse restaient plus parcimonieux au regard de ceux dirigés vers la musique, il prenait le
temps de formuler une remarque sensible – qualifiant un jour la danse de liquide – ou plus
analytique – me demandant comment je procédais pour construire l'improvisation, suivre le
musicien etc. Mr GG faisait désormais une place à la danse même si cette pratique lui
semblait, de prime abord plus lointaine.

Lundi 28 février 2011 / 17ème séance ~ J. & Olivia

J'ai laissé J. entrer en premier. Mr GG a affiché un large sourire, « ah c'est les musiciens » (!)
« euh, le musicien et la danseuse ».
… Mr GG n'a pas encore prononcé de mot de conclusion ce qui signifie qu'il attend le
troisième et dernier morceau comme à son habitude. « Vous nous voyez hésitants, en fait pour
la dernière de J. nous avions envie de vous proposer une improvisation à deux, J. improvisera
aussi ». Mr GG sourit, il est partant pour essayer. L'improvisation musicale s'inspire du style
d'un Stravinsky, d'un Debussy.
… Mr GG est content. Il me demande comment je fais pour suivre J., je suis étonnée de sa
remarque. Nous en avons déjà parlé lors d'une précédente séance avec J.-C., cependant, il est
vrai qu'il s'agissait de musique écrite et non improvisée. J. lui répond que l'on se suit
mutuellement, qu'il n' y en a pas un véritablement qui guide et l'autre qui suit. J'explique à la
suite que parfois sur l'impulsion de mon geste j'entends J. réagir et inversement. Mr GG
acquiesce et ajoute, « oui ça s'emboîte » (faisant un geste de mains).

Fin février marquait la fin des cycles de J.-C. et J. Chacun prit le temps de dire au revoir à Mr
GG qui ne cacha pas sa déception de les voir partir. Après l'annonce de J.-C. le jeudi après-
midi, celle de J. le lundi soir laissa échapper chez Mr GG les mots suivants : « ah, vous aussi
vous nous quittez ». Je m'excusais presque d'être celle qui poursuivrait les séances ; pas de
nouvelle danseuse. J. avait annoncé avec moi la venue prochaine de A., chanteuse, manière de
passer le relais en présentant son répertoire sur lequel Mr GG ne manqua pas de nous
questionner de suite. « Et vous ? » m'avait-il adressé. Est-ce que j'allais changer aussi de

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registre dans la mesure où A., proposait des chants traditionnels, répertoire tout autre que celui
des instrumentistes ?

Lundi 7 mars 2011 / 18ème séance

C'est notre première séance ensemble, à A. et moi. Au préalable, je l'avais tenu informée de
l'histoire de ces rencontres avec Mr GG, de son affection pour la musique, de ses goûts
musicaux etc.
Mr GG nous accueille avec un grand sourire, cordial, comme à l'accoutumée. J'introduis
brièvement A. qui prend ensuite le temps de se présenter plus amplement.
Première séquence : pendant la danse, je sens que la couleur proposée à Mr GG n'est pas des
plus heureuses. Bien que ses réactions soient toujours extrêmement ténues, ce chant plaintif
judéo-espagnol ne semble pas transporter Mr GG. Ses mots sont d'ailleurs assez laconiques
« ah oui d'accord, c'est original ». Il est important de changer de registre. Sans encombre, il
accepte une autre proposition qui aura davantage de succès, elle se solde cette fois-ci par un
« c'est intéressant ». Surpris, décontenancé peut-être par le répertoire qui lui est proposé, au
regard de celui de J.-C. et J., Mr GG me dit « Ca doit être difficile pour vous, Olivia, c'est très
différent ».

A. avait eu l'impression de passer une sorte d'audition. Les rôles s'étaient-ils inversés ? Je
savais que, malgré la confiance que Mr GG m'accordait depuis peu, la danse n'avait sa place
ici que par l'entremise du champ musical ; serions-nous conviées à revenir ? Lorsqu'il nous
avait lancé au moment de nous quitter un « A la prochaine fois », il nous sembla que nous
avions réussi notre passage. Mr GG. nous invitait explicitement à revenir le voir.
Au vu de ses retours, nous avions convenu, A. et moi, d'orienter davantage les propositions
musicales vers le style jazz ou balade anglo-saxone légère. Nous n'avions que deux jours pour
nous retourner. Le lendemain, A. m'envoyait par courrier électronique deux nouvelles
chansons sur lesquelles je m'essayais en improvisation chez moi car nous n'aurions que très
peu de temps pour nous caler le jeudi suivant, juste avant la séance. En arrivant, j'apprenais
que Mr GG était décédé le lendemain de notre passage. Tout le service avait été surpris et
secoué par la soudaineté et la rapidité de son départ. A. et moi étions également abasourdies
par la nouvelle, bien que nous mesurions la réalité du service dans lequel nous étions. Sur le
fait, il nous était apparu évident voire nécessaire à l'une et à l'autre que, si la situation nous
semblait d'à-propos, nous réaliserions dans l'une des chambres la chanson que nous avions

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prévue de proposer ce jour-là à Mr GG. Il ne s'agissait pas de plaquer une histoire sur une
autre mais simplement que Mr GG nous accompagne une dernière fois sur cette séance,
manière de lui dire au revoir par la pratique qui était la nôtre dans ce service et par laquelle il
nous avait été permis de le rencontrer.

3. Extraits du journal de bord

Les passages qui suivent sont des copies du journal de bord rédigé cette année entre
janvier et mai au fil des séances. Ces extraits choisis n'ont pas subi de réécriture en dehors de
quelques ajouts correspondant à mes notes prises au moment du staff ou des transmissions. En
revanche l'ordonnancement chronologique originel a laissé place à un réagencement
thématique, l'objectif étant de dégager les points clés de ces écrits. Les rubriques présentées et
le classement des extraits ne constituent qu'une proposition parmi d'autres.

Contacts avec l'équipe (médecins, cadre de santé, soignant(e)(s), bénévoles


d'accompagnement, agent d'entretien)

Travailler en équipe

Lundi 31 janvier / 9ème séance ~ J.-C. & Olivia

La séance commence bien !... L'équipe de nuit en poste ce soir, sous la responsabilité de I.
épaulée de deux aides-soignantes, est remontée, fragilisée. Elles nous font lire les lettres
qu'elles ont écrites et qui leur ont été demandées suite à l'incident dans la chambre de Mr IW.
L'affaire est suffisamment grave pour qu'elle remonte jusqu'à la direction. Le climat de
suspicion et l'atteinte de confiance dont elles font l'objet les choquent. Elles se voient dans
l'obligation de se justifier. On sent l'équipe inquiète, fébrile, fragilisée, se demandant comment
va se passer la nuit avec ce patient. Il est évident que cette chambre ne nous sera pas
accessible ce soir. Dans les jours à venir il faudra compter sur la présence d'un tiers à nos
côtés – nouvelle directive pour chaque personne amenée à entrer dans cette chambre.

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Un temps d'écoute envers les soignants est nécessaire, il n'est pas possible d'être à leurs côtés
et d'ignorer leurs maux, leurs préoccupations qui, par ailleurs, portent à conséquence pour nos
éventuels projets auprès de Mr IW.

Lundi 28 février / 17ème séance ~ J. & Olivia

Echange avec I., infirmière de nuit :


Mme TG a paru touchée par notre rencontre de ce soir mais sans que nous ne réussissions à
échanger quelques mots, ce qui n'était pas dans son habitude. Je décide d'aller en parler à I.,
de recueillir son avis. Peut-être cette dame aura-t-elle besoin de verbaliser des choses plus
tard. Il s'agit de rester attentif aux éventuelles répercussions de nos interventions. Mme TG
traverse une période délicate, entre déni et espoir. Elle est au fait de ce qui lui arrive mais elle
imagine néanmoins pouvoir rentrer à domicile.
I. me dit : « c'est comme une grotte, quand on dit un mot...on ne sait pas quelle réaction ça
peut engendrer. ». Elle ajoute, « la sensualité peut provoquer ou entrer en résonance avec des
choses personnelles ».

Une danseuse dans le service

Mercredi 26 janvier/ 8ème séance ~ Olivia

L., infirmière était avec moi chez Mme AJ. Suite à l'intervention, elle me dit : « tu peux faire
tout ce que tu veux avec ton corps ».

Mr TB
M-A, agent d'entretien, me dit « c'est mon petit chéri ». Elle m'accompagne auprès de Mr TB.
La porte est restée ouverte pendant la danse, l'équipe a entendu les réactions de Mr TB au
loin, au point que L. a pointé son nez tellement elle l'entendait rire. Plus tard, j'ai entendu M.A
qui racontait les réactions de Mr TB en salle de soins : rires et plaisir de la part de l'équipe à
l'écoute de son récit.

A la fin de la séance, quand je passe dire au revoir en salle de soins P. me dit « Alors quand
est-ce que tu danses pour nous ? » avant d'ajouter « c'est vrai que je t'ai déjà vue danser moi
[dans une chambre] ».

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Jeudi 10 février / 12ème séance ~ J.-C. & Olivia

P. est gaie aujourd'hui, elle s'est faufilée dans la chambre de Mme ET avec L. au cours de
l'improvisation puis est sortie dès le dernier geste posé.
Ce n'est pas la première fois que je l'entends me dire que je lui fais peur quand je danse. Elle
m'adresse de nouveau cette remarque aujourd'hui. Inquiète, je l'interroge. S. est là sur le seuil
de la porte. P. s'explique en m'imitant : « ça me fait peur quand tu es dans des mouvements
lents et que tout à coup tu vas vite ». Elle ajoute tu sais « je suis sensible, je suis stressée ».
Percevant mon inquiétude, P. me dit : « mais non, tu as vu comment ils te regardent ».
« Je ne pense pas que tu leur fasses peur sinon ils ne redemanderaient pas » me dit S.

Jeudi 24 février / 16ème séance ~ J.-C. & Olivia

A., aide-soignante, me dit qu'elle aurait envie de se mettre à la danse mais « c'est pas aussi joli
que toi quand tu danses ». Ce n'est pas la première fois qu'on échange à ce sujet. Elle aimerait
voir ce que ça donne quand elle bouge.
J'entends régulièrement plusieurs soignants – A., P., C. – dire en me voyant me mettre en
mouvement : « ah ! Ca a l'air de faire du bien ». Ce n'est pas rare de les voir esquisser
quelques pas ou étirements, me demandant comment je m'y prends. Cela leur donne envie.
Elle s'essayent. Rigolade, détente : moments légers, moments d'échanges.
D., P., N. nous remercient en fin de séance : « c'est bien ce que vous faites pour les patients ».
Les retours qu'ils leur confient les touchent.

Proposer ou non : à chacun sa perception

Jeudi 10 février / 12ème séance ~ J.-C. & Olivia

Mauvais timing.
M-A me demande si on est passé voir Mr TB. Je sais qu'ils entretiennent tous les deux une
relation forte. Je n'ai pas prévu d'aller lui rendre visite aujourd'hui au vu de ce que j'ai entendu
en staff en début d'après-midi : Mr TB aimerait descendre au jardin.
V. est là qui l'habille chaudement pour sortir. S., bénévole d'accompagnement, attend Mr TB.
Je m'apprête donc à rebrousser chemin mais V. et S. qui nous ont aperçus, J.-C. et moi,
suggèrent de lui adresser la proposition. « Non, non, nous repasserons », leur dis-je. Je pense

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le moment mal choisi ; la promenade ne souffrira pas de délai. Ils insistent. La réponse de Mr
TB est sans appel : « Ah ben non, leur musique c'est pas la mienne ». Déroutant. Le ''non'' ne
me surprend pas en revanche son argument me déconcerte. S. nous demande si nous l'avons
déjà rencontré, effectivement et même à deux reprises déjà.

Mercredi 7 janvier / 2ème séance ~ J.-C. & Olivia

Mr CG : Nous sommes passés trois fois devant sa chambre. Il était assoupi, télé hurlante,
dans son fauteuil roulant. Je croise S. me disant qu'on peut le voir même s'il faut le réveiller
car il nous attend. Elle y va, revient vers nous et nous confirme effectivement ce qu'elle nous
avait dit. En entrant je le vois assis dans son fauteuil, face à la porte ; il nous accueille avec un
grand sourire.

Tuiler / Moment intime hors soin

Jeudi 31 mars / 23ème séance ~ A & Olivia

L'un des médecins souhaite se joindre à A. et moi, chez Mme NG. Il arrive en cours de
performance, se faufile discrètement jusqu'à la chaise installée au chevet du lit. Surprise, Mme
NG note tout d'abord son arrivée d'un froncement de sourcil ; puis entre le 1er et le 2ème
morceau, elle s'inquiète de savoir ce qu'il veut et le médecin de lui répondre qu'il vient
simplement écouter, profiter de ce moment également. Elle ne semble pas rassurée. Il se
trouve loin de nous, en arrière ; Mme NG, de son fauteuil, ne cesse de se retourner dans sa
direction durant le 2ème morceau. Lorsque nous l'avons quittée, elle s'est à nouveau enquise
de la raison de sa visite. La réponse fut la même ; manifestement, cette incursion a plus que
troublé Mme NG qui n'a nullement été convaincue par la réponse du médecin pourtant
sincère. [Réaction d'intimidation ou d'inquiétude que la présence du médecin peut provoquer
chez la personne hospitalisée. Par ailleurs, considérant ce type d'intervention comme un
cadeau fait au patient, ils estimaient ne pas y avoir leur place craignant de troubler ce moment
intime, selon les dires de l'un des médecins.]

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Lundi 11 avril / 26ème séance ~ Olivia

Mme HR
… A., une bénévole d'accompagnement que Mme HR apprécie, doit arriver d'un moment à
l'autre.
La danse est lancée. Jeux de mains, jeux de doigts dessus-dessous.
On entend frapper, ce doit être A., je poursuis.
Mme HR lui dit « oui A., entrez ». Je profite de cet événement : je me dirige vers la porte en
regardant Mme HR. A. avance prenant garde de ne pas renverser la tasse de tisane qu'elle tient
à la main. Je lui adresse des gestes d'invitation pour se rapprocher : mouvements de mains
d'enroulement et de déroulement des doigts, les uns après les autres en s'attardant sur l'index.
J'alterne les regards de l'une à l'autre comme si j'indiquais, par des élans, le chemin à A. pour
rejoindre Mme HR. Je vois Mme HR sourire. A. est tranquille.
Puis quand Mme HR saisit la tasse que lui tend A., je m'empare de ce geste pour jouer sur
l'idée de passage et de transport.

Echanges informels

Jeudi 17 février / 14ème séance ~ J.-C. & Olivia

Passage dans la salle de soins : suite à l'un de nos échanges cet après-midi, D. est justement en
train de dire au chef de service que je manque de retours (pensant que les personnes
concernées se confiaient davantage aux soignants ou aux médecins qu'à nous, croyance
erronée). Cela incite N., présent à me rapporter les propos d'une dame : « je ne savais pas
qu'on pouvait danser pour moi ».

Fin de séance : on se dirige vers le bureau de l'interne pour récupérer nos affaires, le chef de
service est là qui travaille. Il nous questionne de façon informelle sur le déroulé de notre
séance, les personnes rencontrées etc. Je lui fais état de l'expérience que nous venons de vivre
dans la chambre de Mr NM., expérience qui m'a fortement marquée. Les quelques éléments
qu'il me livre alors sur la vie de ce monsieur ne font que conforter la perception que j'en ai
eue, notamment concernant le degré d'humanité qui émane de sa personne.

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Médiation

Jeudi 24 février / 16ème séance ~ J.-C. & Olivia

Mr TB
M-A, agent d'entretien, est venue avec nous, c'est moi qui lui ai demandé car je sais qu'elle est
très complice avec Mr TB et puis je sentais J.-C. hésitant, tendu car l'accueil qu'il nous avait
réservé la fois dernière n'avait pas été des plus doux. Il nous avait congédié avec fracas.

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Contacts avec les patients

Imaginaire et affectif

Mercredi 7 janvier / 2ème séance ~ J.-C. & Olivia

Mr CG dit que la danse donne à voir des envolées. Il le redira à S. quelques minutes après
notre passage : « ça donne envie de s'envoler ».
Echange de poignées de mains. Il se lève de son fauteuil, nous suit : « ça fait chaud » dit-il sur
le pas de la porte.

Mercredi 26 janvier / 8ème séance ~ Olivia

Mme HR
Quand je lui dis que je suis seule, elle me dit d'emblée qu'elle me fait confiance pour la
musique, qu'elle aime ce qui est original, varié (Je lui proposerai des morceaux en
conséquence, différents des répertoires de J.-C. et J.)
« Je ne sais pas si vous vous rendez compte de ce que vous apportez aux gens qui sont très
mal, comme ça » … « C'est incroyable ce que vous faites avec votre corps. C'est votre
instrument. On sent le rythme, c'est votre corps »...
Je lui dis que ce moment lui appartient, qu'elle peut garder et continuer la danse pour elle dans
son imaginaire. Elle ajoute : « après on garde des notes, des choses...jusqu'à la fin ».
« Merci de ne pas m'avoir oubliée » … « Comment vous saviez que j'étais là ? » Je lui

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réponds que je communique avec les soignants : « sachant que je vous avais déjà vue, ils
m'ont prévenu que vous étiez là ».

Empathie kinesthésique

Mr TB
Je l'entends commenter la danse tout le long de l'improvisation par des interjections ou des
gestes approbatifs, prenant parfois M-A à témoin. Il s'est mis à frapper des mains. Etonnant le
clapping de Mr TB sur la cantate de Bach.
« Attention au carreau hein ! » me lance-t-il lorsqu'il me voit m'en approcher.
A la fin, s'adressant à M-A (qui est restée debout dans un angle et qui a regardé discrètement,
en retrait), il dit : « elle a pris des cours de danse ? ».

Du plaisir à l'évocation

Lundi 21 mars / 20ème séance ~ A. & Olivia

Mme NG
Je vois ses yeux pétiller, son regard s'animer. Elle sourit.
« Bravo » nous dit-elle, puis ajoute « on voit que ça vous fait plaisir, que vous prenez du
plaisir ». « Parfois les gens ...bon... mais là on voit que ça vous fait plaisir. »
Puis elle fait allusion brièvement à sa vie, à sa situation actuelle avant de réorienter d'elle-
même la conversation sur notre métier. Mme NG n'est pas confuse mais je sens que la
question qu'elle vient de m'adresser cache une autre réalité. Je lui réponds que je travaille dans
diverses Cies, que je fais des spectacles en France, à l'étranger, dans des théâtres et ailleurs.
Mme NG enchaîne : « est-ce que je pourrai(s) venir ? » Je lui apporte alors une réponse
ouverte : « les spectacles sont ouverts à tous ». « Ah bon », répond-elle, puis ajoute « je ne
sais pas quand je vais pouvoir marcher... ». Je connais la situation de cette dame. Aux
transmissions, il vient d'être dit qu'elle ne se lève plus ou très difficilement, sa situation
l'inquiète, elle peut paraître dans le déni même si elle est au fait de ce qu'elle vit.
Sur ce, elle nous remercie encore... Nous lui souhaitons une bonne nuit et nous sortons.

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Jeudi 7 avril / 25ème séance ~ Olivia

Mme IN
« Merci, c'est très agréable », « ça m'a fait penser à la salutation au soleil ».
Jeudi 16 mai / 35ème séance ~ Olivia

Mme NA
… « Est-ce que vous imaginez le désert, le soleil ? » me demande-t-elle.
Elle a trouvé la musique belle ; ça lui a fait du bien, ça lui a fait oublier un peu sa douleur
pendant un temps non qu'elle soit moins douloureuse mais ça lui permettra de passer une
bonne nuit me confie-t-elle. « C'est bien pour les personnes malades ».
A la télé, « entre la politique, la guerre... ». « Oui, c'est vrai que ça n'invite pas trop à rêver »
lui dis-je. Elle a envie de se mettre le programme musical italien qu'elle a repéré.
Quand vais-je revenir ? Elle en parlera à son amie... Je lui réponds que c'est ma dernière
journée dans le service. « Ah, bah j'aurais profité d'une belle soirée alors aujourd'hui ».

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Contacts avec les proches

Retours

Lundi 14 février / 13ème séance ~ J. et Olivia

« C'est beau » disent-ils puis … [blanc]. Mr ET prend la parole pour nous remercier : « c'est
doux » ; je le sens ému plus que sa femme il me semble.
Moi, je me serais bien retirée sur ces entrefaites. J. leur demande s'ils souhaitent autre chose.
A son visage, je me dis que Mme ET n'en a pas envie ; elle se tourne vers son mari, elle est
dans ses yeux. « C'est toi qui vois ma jolie » ; « ça suffit pour ce soir ? » Elle fait un petite
signe de tête en signe de ''oui''.
On sort, je vois Mr ET nous emboîter le pas.
Il referme la porte derrière lui, nous rattrape : « c'est formidable...ça fait du bien...c'est doux ».
Il a les larmes aux jeux. Il nous remercie, nous de même mais il insiste : « non c'est nous »...
Je suis gênée, j'ai l'impression d'être dans la position de celle qui fait un don, qui offre : c'est

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trop facile. Où se situe l'échange ?

Lundi 11 avril / 26ème séance ~ Olivia

Je croise la fille de Mme DM dans le couloir : « comment allez-vous ? ». Elle me répond que
sa mère est décédée cet après-midi. Le moment de musique et de danse reste, à ses dires, un
beau souvenir car il marqua leur dernier échange. C'est « quelque chose dont elle a pu
profiter » ; dès le lendemain, me précise-t-elle, elle ne parlait plus, empreinte à un état
comateux.

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Danse

Faire entrer la danse

Lundi 31 janvier / 9ème séance ~ J.-C. & Olivia

J'entre. Mme HR m'accueille d'un « Ah ! Olivia » et adresse un sourire à J.-C. Manifestement,


elle est contente de nous voir. Mme HR aime quand il n'y a qu'une lampe de chevet. Voir la
danse dans une semi-pénombre. Elle m'invite à pousser le fauteuil, à dégager l'espace.
J.-C. annonce ce que nous avions envie de lui proposer ; elle est ouverte et choisit, comme à
son habitude, le morceau avec lequel elle souhaite commencer : pour l'heure, l'air japonais.

Lundi 9 mai / 33ème séance ~ Olivia

… Mme YL est très somnolente... Ce soir, contre toute attente, elle accepte. Le temps que
j'aille chercher le poste de musique, elle a déjà fermé les yeux mais les rouvre en m'entendant.
Je lui fais une proposition musicale par une écoute, et j'attends son consentement. Elle accepte
puis quasi de suite referme les yeux, épuisée, animée de petits mouvements d'agitation, de
sursauts.
… Sur place, sans grand déplacement, pieds à plat, pas marchés ou pas glissés, très doux, sans
rupture. Je m'appuie sur ses tressaillements, sources d'impulsions pour effectuer des
mouvements dont la résolution s'établit par estompes.

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Avancer pas à pas

Lundi 9 mai / 33ème séance ~ Olivia

Suite, Mme YL
… Le vent que je perçois dans l'arbre du jardin me parvient jusqu'ici. C'est le soir mais il fait
encore jour. Ma main est ballotée par le feuillage, elle se coule comme une main qu'on
passerait dans une chevelure, cherchant à sentir la surface et le contour des feuilles. Plonger sa
main, immerger sa main dans ce volume non contenu.
Bruit de la porte.
R. et N. n'ont pas entendu la musique (je ne mets jamais le témoin de présence au grand regret
de certains soignants). Je les sens hésiter. Je ne m'empare pas de cet événement pour nourrir la
danse, j'aurais l'impression de rompre quelque chose. Mme YL ouvre les yeux en entendant la
porte se refermer. Elle pose son regard sur moi, garde les yeux ouverts un moment, sans
tressautement.
Ma rythmique se transforme. Boucles régulières, appuis pieds à plat, mouvements de rondeur
du bassin, plus de densité et d'homogénéité dans tout le corps. Le rythme s'installe, je quitte le
plateau nu (au sens d'un paysage non peuplé et non d'un plateau de théâtre) sur lequel le début
de la danse m'avait projetée. Les notes pincées du Oud font naître un écho, un point
d'interrogation. Bouts de phrases, mots lancés. Il semble se dessiner un chemin, un déroulé.
Mme YL rouvre les yeux.
Je ne l'ai pas sentie absente ; elle s'autorisait à fermer les yeux, à se laisser happer par le
sommeil sous le poids de son épuisement et sous l'emprise des médicaments. J'étais là, près
d'elle, simplement par cette présence dansée qui était la mienne.
J'ai conclu oralement : « voilà pour ce moment de balade tunisienne dansée et musicale ». « Je
vais me retirer et vous laisser vous reposer ». Elle m'a souri et dit « merci ».

S'imprégner

Lundi 14 février / 13ème séance ~ J. & Olivia

Mme ET
Je ferme les yeux.
La tête cherche une main caressante.

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Envie de glisser. Se laisser souffler par la clarinette.
Un bras découvre l'autre par un frôlement.
Un dialogue à deux têtes, celle que je porte en haut de ma colonne et celle que mes mains et
mes bras font danser au creux de courbes étirées.
Je m'assieds en bout de lit sur la chaise, à ''cour'', une main sur l'arceau : bras tendus, je me
tiens en déséquilibre. Est-ce moi qui tiens le lit ou est-ce le lit qui me tient ?
Il fait chaud et sec mais c'est un vent de douceur qui enveloppe cette chambre grâce à Mme
ET, son mari et ses parents.

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Espace

Changements de chambre : une pratique récurrente

Mercredi 26 janvier / 8ème séance ~ Olivia

Il est prévu que demain Mme HR change de chambre pour une autre plus grande, côté sud. Ca
grogne pendant le staff. S. insiste bien que Mr LD soit arrivé avant dans le service. Les
soignants ne trouvent pas cela juste... le ton monte. Le dernier mot est donné par la cadre de
santé. L'un des médecins dit pour adoucir l'ambiance : on peut déplorer que « ce ne soit pas le
même type de chambre pour tout le monde ».

Pratiquer l'espace

Jeudi 17 février / 14ème séance ~ J.-C. & Olivia

Mme EB
… J'entre, J.-C. me suit. La chambre est grande, sombre quasi grise. La lumière naturelle
entrante affleure juste le lit et crée un espace distinct.
Je m'approche pour la saluer de près mais il y a là deux perfusions plus une chaise, bref
l'agencement est tel que je me vois obligée de me placer vers le pied du lit pour m'adresser à
elle ; cette distance me gêne et les divers tubulures, poches, commandes continuent d'entraver

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ma vision. Qu'est-ce que ce jeu de cache-cache ? Etrange situation pas vraiment de mise avec
cette dame.
Alors, tout en lui disant « excusez-moi je ne vous vois pas, je vais faire le tour », je contourne
le lit, je m'approche d'elle et lui réitère la proposition.
« Je veux bien tenter » nous dit-elle.
Après quelques tergiversations, J.-C. choisit de poser son pupitre côté fenêtre, dans cet espace
lumineux et dégagé. Je commence près de lui.
Je tente une échappée pour donner de l'air, créer de l'absence, laisser un moment à J.-C. et
Mme EB mais j'ai l'impression de les perdre tous les deux.
Elle ne bouge pas sa tête, non qu'elle ne le puisse.
La lumière crée un découpage géographique et un déséquilibre que je peine à contrebalancer.
Est-ce que je reste au loin ? Je décide de revenir dans son champ de vision. La direction de
son regard alterne entre le mur de face, J.-C. et moi. L'espace de jeu est réduit tout en étant
calme.

Mr GG
Le gros fauteuil et la chaise percée occupent l'entrée. Dans ce retour en ''L'', ces deux sièges
créent un rétrécissement à la manière d'un goulot d'étranglement.
… On joue.
Une aide-soignante entre, elle se dirige vers la seringue électrique pour procéder
vraisemblablement à un réglage.
Nous poursuivons. Je profite de sa sortie pour me laisser happer par son déplacement.
Peu de temps après, c'est un médecin qui entre et se dirige à son tour vers la potence. Mr GG
ne prête aucune attention à ces allées et venues. J'en profite de nouveau pour jouer avec cette
entrée-sortie. Les soignants ne se sont pas attardés : gestes rapides, regards baissés de peur de
déranger.
Je regrette que le musicien ne puisse pas se déplacer du fait de sa partition.

Jeudi 24 février / 16ème séance ~ J.-C. & Olivia

Mr TB
… M-A s'assied près de la fenêtre, dos au mur, un oreiller sur les genoux. A sa gauche, Mr TB
se tient dans son fauteuil profil à la fenêtre, la table roulante devant lui.
J.-C. se place à ''cour'' légèrement en arrière de Mr TB qui de ce fait ne le voit pas.

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La configuration spatiale est difficile, je ne peux absolument pas m'approcher de Mr TB sans
toucher également M-A.

Lundi 21 mars / 21ème séance ~ A. & Olivia

Mme SM
… On se présente, elle accueille avec envie notre proposition en nous disant qu'elle aime l'art.
Elle me demande si j'ai assez de place, je lui réponds que je vais me faufiler. Elle se lève et
dit : « on va arranger ça ». Elle commence à tirer le gros fauteuil, on l'aide. Tout se retrouve
aligné le long du mur, puis elle se rassied en bout de lit : « voilà ».

Jeudi 24 mars / 20ème séance ~ A. & Olivia

Mme NG
… Une de ses soeurs est restée près du lit pendant que les autres membres de la famille se
sont placés en arc de cercle vers l'entrée.
Au fur et à mesure que j'agrandis mes déplacements et que j'approche sensiblement des uns et
des autres, je les vois repousser leur chaise ou baisser les yeux puis les relever dès que je
m'éloigne.
Premier moment : Mme NG regarde du côté de ses proches, est-ce une recherche
d'approbation ou aimerait-elle qu'ils se rapprochent …? Sur la fin, A. et moi nous tenons près
du lit ; elle nous dit « c'est beau », « c'est beau ». Nous sentons ses larmes monter comme
lundi soir dernier. « Une autre, une autre » nous dit-elle.
Deuxième moment : je décide de commencer en me plaçant entre le lit et les proches, Mme
NG semble allonger la main dans ma direction.
Elle a posé sa main sur son matelas. Je m'approche et je glisse ma main à côté de la sienne sur
la barrière, je continue la danse à partir de ce point.
Je termine au pied du lit entre A. et la soeur de Mme NG.
Troisième moment, je commence au pied du lit, près d'A. Nous sommes toutes les deux face à
Mme NG. J'enlace A. par derrière.
Sa soeur s'éclipse pour se rendre dans la salle de bain, je l'entends parler avec son autre soeur ;
leurs conversations me perturbent. Je choisis de restreindre l'espace, d'ouvrir de temps en
temps mais de rester concentrée sur Mme NG et A. Mme NG nous regarde pleinement,
calmement. Elle a les bras posés sur le matelas, de part et d'autre de son corps, j'ai
l'impression qu'elle les tend vers nous. [impression partagée par A.]

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Je termine près de Mme NG.
Nous sommes, A. et moi, stupéfaites de sa présence, de son attention alors qu'elle paraissait si
faible quand nous sommes entrées.
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Consentement

Du ''oui'' au ''non'', tout un éventail de nuances

Lundi 14 février / 13ème séance ~ J. & Olivia

D'une chambre à l'autre


Quelle drôle de soirée, il y a des fois ...c'est comme ça...

Mme ET
Nous décidons d'aller voir tout d'abord les personnes inconnues.
Je propose à J. de passer en premier pour se présenter.
Mme ET et sa famille sont au courant de notre activité.
Elle dit nous avoir entendus, J. lui répond qu'elle a une bonne ouïe parce que... je lui coupe la
parole en expliquant que nous étions en train de nous chauffer. Son mari avec beaucoup de
tact, tendrement, lui dit qu'on entend de la musique qui vient d'à côté, de la télévision
sûrement.
« Qu'en penses-tu ? » lui dit-il. Il a envie de répondre ''oui'' à notre proposition mais se tourne
vers elle, plus hésitante.
J. me regarde (que fait-on ?). En me tournant respectivement vers chacun, je finis par dire :
« eh bien, on peut vous préciser sur quel genre de répertoire on est ? J. énumère différents
compositeurs. Pas de réponse. Je demande à Mme ET si elle préfèrerait quelque chose de
doux ou bien d'animé... Elle me répond rapidement sans équivoque : « doux ».
J. me regarde et me dit « Stravinsky ? ». Je réponds « oui » avec un sourire.

Mme KC
Chambre d'en face
Elle est plongée dans une semi-obscurité.
J'entre mais je repousse rapidement la porte empêchant J. d'entrer. J'ai un doute, J. a compris.

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La dame ne semble pas surprise de voir arriver une inconnue. Une odeur forte me parvient :
vient-elle d'être changée ou...?
Je m'approche d'elle. Essaie-t-elle de se lever ? Non, elle serait plutôt en train de glisser
dangereusement de son lit.
Sa couche est à moitié défaite, des traces de selle à l'extérieur. Je sais que je n'ai pas le droit de
la relever ou d'intervenir par un quelconque geste. C'est donc par une parole que je m'adresse
à elle. Je lui demande si elle a besoin de quelque chose. Elle me répond non ! Je me trouve
dans une situation délicate : j'aimerais aller prévenir et en même temps je ne me suis pas
présentée, je suis en civil, je ne peux pas disparaître sans mot dire. Je décide au final de me
présenter très succinctement : Olivia…danseuse... quelle incongruité ! Décemment, je ne peux
pas envisager de jouer avec J. dans ce contexte. Elle me dit quelque chose en retour que je ne
saisis pas ; je lui fais répéter car je pense qu'elle me parle de ses selles mais non. Je crois
comprendre « Je vais propager la bonne nouvelle ». Je lui dis que je vais me retirer, je la salue
et m'empresse d'aller prévenir I., l'infirmière.
Mme KC, écoutait à la télé un programme musical : le Requiem de Mozart

Mme EB
On frappe... je n'entends rien.
je frappe à nouveau, je pense entendre une réponse, j'entre au risque de m'être trompée.
Elle est allongée, visage face mur, elle ondule de tout son corps.
On s'approche. Je me rappelle à elle disant que j'étais rapidement venue me présenter jeudi
après-midi, que je suis la danseuse, que l'on passe dans toutes les chambres pour proposer aux
personnes qui le désirent etc.
Elle nous dit : « je vous ai entendus » ! Effectivement Mme EB est voisine de Mme ET chez
qui nous venons de jouer. Alors, je reformule la proposition en lui demandant si elle aurait
envie d'un moment pour elle. Elle prend le temps de réfléchir et puis nous répond « je vous
remercie » ... nous sortons.

De la présentation au consentement

Jeudi 7 avril / 25ème séance ~ Olivia

Mme IN

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Quand je fais part de mon projet de rencontre avec Mme IN, M-A, spontanément, décide de
venir avec moi. « Je la connais, je l'ai déjà vue ce matin » me dit-elle. Elle me présente en
disant : « voilà je viens avec quelqu'un, vous avez le droit à une danse » (!). Je vois la dame
écarquiller un peu les yeux, soulever le sourcil, pas très contente semble-t-il de l'annonce. Je
me représente en bonne et due forme et insiste sur le fait que cela reste une proposition
ouverte. M-A est restée près de moi. Le visage de la dame se détend et elle dit finalement :
« ça peut se faire ». « Tu vois, ça peut se faire », me dit M-A.

Jeudi 3 février / 10ème séance ~ Olivia

Mme TW
Cette fois-ci, elle me sourit quand je m'approche du lit ; elle me reconnaît et me dit ''oui'' de
suite . Je lui propose de danser sur l'une de ses musiques (sachant qu'elle est amatrice de
Bach). Elle me dit qu'elle aime Bach mais me demande au final d'enlever le disque de son
lecteur CD et de mettre le Requiem de Mozart. Je lui fais remarquer que cette oeuvre est
longue... elle me répond : « on peut prendre un morceau » et sur ce, elle choisit le Lacrimosa.

Lundi 21 mars / 20ème séance ~ A. & Olivia

Mme NG
Mme NG n'est pas seule. Notre venue surprend ses proches manifestement.
Les deux femmes près du lit nous invitent tout de même à entrer.
On salue tout le monde puis on s'approche pour que Mme NG nous voie. Elle est en train de
manger une glace tant bien que mal. Son état d'aggravation a été annoncé cet après-midi au
staff. Mme NG s'adresse à l'une de ses soeurs d'une petite voix : « Elle danse ». Sa
présentation me permet d'enchaîner et de confirmer auprès des proches que Mme NG nous a
déjà accueillies.
Nous lui proposons de repasser plus tard si elle le souhaite alors sa soeur nous dit : « oui dans
5 mn, le temps de finir ». Mme NG ne dit rien. « Très bien, dis-je, nous repasserons donc ».
Mme NG n'est pas d'accord et nous l'indique d'un signe de tête et d'un son sourd, la bouche
pleine de glace. Elle souhaite que nous restions, c'est évident.

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Du projet à la réalisation

Jeudi 24 février / 14ème séance ~ J.-C. & Olivia

J'apprends en staff que Mr NM a changé de chambre cet après-midi. Depuis le début de la


semaine, il est dit beaucoup plus essoufflé avec une toux progressante mais cela n'entame pas
son envie de communiquer. L'équipe est unanime à son sujet, c'est un monsieur charmant qui
pétille d'intelligence et de curiosité du haut de ses 96 ans.
(Nous l'avions rencontré J. et moi pour la première fois lundi soir ; Mr NM avait à ce moment
élégamment décliné notre offre, la clarté de son regard nous avait l'un et l'autre
impressionnés).
M-A me dit avec son air naturel: « je lui ai dit que, comme il avait une grande chambre, il
aurait droit à une danse...! »
Au moment de frapper, J.-C. hésite car il entend des voix (sachant ce monsieur âgé, il estime
qu'il est préférable de le laisser seul avec ses proches...)
Au final, on décide d'y aller. Je toque, au moment d'entrer, deux femmes ouvrent la porte,
elles s'apprêtaient à sortir ; elles me regardent étonnées, légèrement méfiantes.
Les soignants sont derrière nous car on vient de leur faire part de notre hésitation malgré
l'envie qui nous habite d'aller jouer auprès de Mr NM. P. me dit « mais si, viens je vais lui
demander ». C'est elle, cette fois-ci qui entraîne d'autres soignants à se joindre à nous. Je suis
contente, P. est à nos côtés, concernée, investie. Plus d'une fois depuis ce début d'année, elle
est porteuse d'initiatives ou nous suit dans les chambres.
En entrant, P. se précipite pour enlever le masque à oxygène de Mr NM. (je n'ai pas bien
compris pourquoi : pour le bruit ou pour que cela ne gêne pas sa vision ? Je suis ennuyée). Mr
NM accepte. Quand je me retourne je m'aperçois qu'il y a en fait cinq soignants dans la
chambre. Quel auditoire ! Il y a A., D., N., P. et la future cadre d'une USP de passage pour la
journée dans le service. Petit temps pour que chacun trouve sa place. P. choisit de rester
debout, à côté du tableau en vinyle, adossée au mur. A. s'assied sur le fauteuil près de la
fenêtre, D. reste debout à côté, les deux autres n'ont pas avancé, ils sont restés dans l'entrée.
J.-C. s'est posté à distance du lit, près de la salle de bain. Pourquoi si loin ? Magnifique cette
piste de danse vide ! L'espace est bien dégagé ! C'est moi qui parais sans doute la plus
déstabilisée, intimidée.
Mr NM est allongé dans son lit, le visage ouvert. Le lit me paraît haut, très haut, comme dans

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ce livre jeunesse, La maison qui grandit35, c'est étonnant.
J.-C. propose un air japonais.
La chambre me paraît immense.
Et ce lit, comme un ''trône''.
Mr NM jette de temps en temps un coup d'oeil à la télévision qui fonctionne, son coupé,
même si son attention reste grandement dirigée vers nous. Il me regarde ; il se dégage de cet
homme une sérénité, une douceur, un accueil chaleureux. Cette chambre même devient un
espace de paix.
Je commence la danse par un port de bras droit, comme si le bras était soulevé par un espace
qui me poussait régulièrement par en-dessous en contraste avec les accents de la flûte.
Je finis face à lui, au bout du lit, les index dirigés vers le haut, le bras plié sur le côté, paume
vers lui. Je le regarde, il a un visage très ouvert, un regard clair.
Dès que c'est fini, je me surprends à faire un salut (!) en guise de remerciement, de respect –
face à l'aïeul (?) –, c'est la première fois que j'effectue ce geste ! Quelle drôle d'idée !
« Quelle harmonie » me dit-il en souriant, ajoutant de suite « mais je suis ignare en la
matière ». Me voilà gênée, je balbutie quelques mots, je bafouille pour réussir au final à le
remercier pour son regard et lui dire qu'il n'est peut-être pas nécessaire de ''connaître'', que
c'est la sensibilité de chacun qui importe.
Je sors très touchée, je me retourne et je vois D. les yeux humides : « oh là là, c'était beau, il y
a des montées d'émotions parfois » dit-elle36.

35 García Sánchez José Luis, La maison qui grandit, Paris, Gamma, 1976, I.S.B.N. : 2-7130-210-9 ; version
originale espagnole Madrid, Altea, 1976 I.S.B.N. : 84-399-5195-7
36 Cf. Annexe 1, p. 76 : retours de D. sur ce moment passé ensemble auprès de Mr NM

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III / LA CHAMBRE : UN ESPACE DE CONSENTEMENT

1. Construire un dialogue à trois

Entrer dans une chambre, c'est ouvrir un livre, c'est se présenter à un instant t d'une
histoire sans savoir encore ce qui s'y jouera.
Au risque de paraître insistante, il me semble nécessaire de fournir quelques éléments
contextuels et notamment de présenter les termes de la rencontre qui éclaireront l'élan du
processus relationnel.
Le choix de la forme récit en début de texte me paraît plus approprié pour donner à saisir la
compréhension des éléments au travail dans la dynamique d'une rencontre. Puis l'analyse
tentera de mettre au clair les principes de modulations spatiales maintes fois pratiquées cette
année, à partir desquels s'est élaborée la danse basée ici sur des modes perceptifs sonore,
visuel et kinesthésique. L'expérience ''d'être ensemble'' emprunte la voie du dialogue, ou tout
du moins la recherche-t-elle, via les personnes en présence dans l'environnement donné. Il
s'agit d'un tissage complexe et non d'une superposition de paramètres d'où la difficulté peut-
être de rendre compte d'un moment dans toute sa plénitude. Aussi paradoxal que cela puisse
paraître, l'étude scinde l'observation en deux parties : le rapport danseuse/musicien et le
rapport danseuse/patient afin de préciser au mieux les jeux de triangulation – entre
danseur/espace/personne concernée – qui entre dans la constitution du dialogue à trois.

C'est la première fois ce soir que J. et moi rencontrons Mme HR. De retour depuis son
passage cet automne, elle vient d'arriver dans le service dans le cadre d'un répit de HAD et
n'est guère contente d'être là aux dires des soignants.
Portes ouvertes, Mme HR nous a appelés depuis son lit alors que nous sortions de la chambre
d'en face suite au refus de Mr IW. « C'est vous la danseuse » me lance-t-elle ? Son appel nous
invite à la rejoindre dans sa chambre et à y rester au vu de ses mots : « moi j'veux bien ». La
nuit est déjà tombée ; la rampe de lumière qui parcourt horizontalement le mur au-dessus de la
tête du lit ne confère pas à l'espace une densité homogène. En effet, l'entrée-sortie ne jouit pas
de cet éclairage ; dans un assombrissement elle inviterait plutôt à la disparition, ce que vient
appuyer la configuration géographique du lieu par son retour en L.
Mme HR est à demi-allongée sur son lit. Compte tenu de l'exiguïté des lieux, J. s'est calé au
pied du lit, il n'a que peu de débattement jusqu'au mur et le besoin de suivre la partition ne lui

59
permettra pas de se déplacer. Nous pourrions dire que Mme HR et J. occupent des points fixes
dans l'espace et que j'ai, a priori, la liberté de me déplacer comme bon me semble entre
l'entrée et le côté droit du lit37. Je suis dans une chambre dans laquelle j'ai été invitée à entrer,
certes, mais cela ne configure pas pour autant la déclinaison d'un potentiel d'actions. Quel
gestes me sera-t-il permis et m'autoriserai-je à effectuer ici dans cette première rencontre avec
Mme HR ? Quelle sera son attitude ? Au-delà d'une prime rencontre, nous laissera-t-elle une
place pour penser en actes la construction d'un dialogue ?
Ma première impression en entrant dans la chambre me laisse interrogative car si les premiers
mots par lesquels elle nous convie à la rejoindre traduisent le désir de nous voir jouer, en
revanche son attitude trahit une colère qui s'exprime par une plainte, les yeux embués : « je ne
devrais pas être ici » nous dit-elle de suite. Je remarque que les mots de Mme HR nous
arrivent dans un essoufflement, entrecoupés de grandes inspirations qui ne font qu'alimenter
ce dernier. L'anxiété et l'émotivité qui habitent Mme HR n'entament pas le vif intérêt qu'elle
porte à notre proposition, néanmoins une attention s'impose pour ne pas accentuer cet état de
trouble. Il faut rappeler que le territoire ne recouvre pas dans un effet calque la cartographie
des lieux. A ce titre, il n'est donc pas possible de considérer que la zone la plus dégagée fasse
office de ''piste de danse'' et confère de droit une aire de jeu dont la limite serait circonscrite
par les contours du lit. Cette frontière matérielle ne coïncide pas avec les limites d'un territoire
qui se voudrait protecteur pour Mme HR.

La danse décrite ici fait suite à une première improvisation qui s'était déroulée sur un
morceau de Bach, de type adagio, dont j'avais suivi l'allure du développement.
Désireuse d'entendre et de voir quelque chose de différent, de plus « rythmé », J. propose à
Mme HR un air de Piazolla réarrangé pour clarinette, réécriture qui change donc quelque peu
le phrasé général du fait même des possibilités et des nécessités de l'instrument. A partir de ce
phrasé qui s'étire en volutes et que viennent ponctuer des accents plus ou moins soulignés,
s'instaure pour la danse un jeu reposant sur de multiples variations de circulation et de renvoi :
attraper ou laisser filer, retarder ou devancer, soutenir ou appuyer, pointer ou envelopper.

Mme HR a le regard tourné vers J. Pour commencer, je choisis de me placer à équidistance de


l'un et de l'autre, orientée de telle manière que je puisse les avoir tous deux dans mon champ
de vision périphérique. Je suis la prise d'air de J. et plus précisément la dynamique de celle-ci
37 Cette orientation est référée à Mme RH, allongée dans ce lit.

60
qui annonce, dans ce temps de levée, l'intensité de l'attaque des premières notes – je prends
appui autant sur son geste que sur le son, ces deux modes sont intrinsèquement liés. Il ne
s'agit pas de synchroniser ma cadence respiratoire à la sienne mais plutôt de m'accorder à lui
tout en gardant mon autonomie d'action. Cela se traduit ainsi : je le laisse engager le début de
sa phrase qui me serre d'élan pour laisser surgir mon premier geste. Il y a là de l'ordre du
laisser-faire dans la mesure ou la forme qui apparaît n'est pas connue d'avance quoiqu'elle soit
déjà en projet. Son inscription spatiale est en préparation bien avant qu'elle ne soit rendue
visible. Pendant le court moment d'inspiration que prend J. et qui lance le premier motif
rythmique et mélodique, le temps paraît pour ma part se dilater avant de s'accélérer jusqu'à ce
que mon bras droit se lève rapidement, à la fois happé tout en étant décidé à rejoindre l'instant
t qui le mènera, au final, à un endroit précis de l'espace correspondant au coeur du temps, sur
une note accentuée en piqué. Sur le moment, cela ne laisse nulle place à une quelconque
pensée bien qu'il soit question d'anticipation. Le plaisir réside à la fois dans ce temps de
dilatation où le geste est en genèse et dans l'infime instant de son surgissement où l'on sait
déjà s'il touchera sa cible, s'il arrivera à temps ou non. Dans l'exemple cité, la notion
d'intentionnalité est bel et bien convoquée : elle s'exprime dans l'accomplissement d'une
confrontation où le bras porté en avant de manière compacte et directe s'oriente vers la source
sonore. L'expression de cette action n'est pas dissociable du phénomène d'impression lié au
milieu dans lequel je me trouve. Les informations perçues dans un procédé réflexif,
interagissent sur ce que j'entends tout en résonnant sur mon geste dansé serti dans une « auto-
affection ».38
L'improvisation ne se joue pas sur un seul mode d'initiation en revanche la danse est
empreinte d'une couleur ou devrait-on dire d'un style. En effet si la construction de l'espace se
réalise essentiellement de deux façons, ici, l'une en tirant des lignes de fuite, l'autre en créant
et en transportant des volumes, cela est intrinsèquement lié à la manière dont je peux, comme
tout(e) danseu(r)se, dialoguer avec l'invariant qu'est la gravité.
Les jeux de jambes qui suivent le premier geste décrit plus haut sont effectués dans un esprit
d'amusement et de surprise : le pied parfois se perd à chercher son chemin en léchant avec
légèreté le sol du bout des orteils avant de décrire dans un trait vif un recul arrière en
changeant de niveau. En effet, le bassin est soudainement attiré vers le bas incitant les orteils
à se laisser aspirer par le sol et le talon à se faire tracter vers l'arrière en direction de la sortie.
Ce principe de mouvement s'est vu décliné plusieurs fois durant le morceau. L'imaginaire

38 Michel Bernard, « Sens et Fiction ou les effets étranges de trois chiasmes sensoriels », in De la création
chorégraphique, Paris, Centre national de la danse, coll. Recherches, 2001, p. 97

61
stimulé donne lieu à des jeux d'esquive sonore et d'attaque – toréer – cherchant parfois à me
glisser au coeur de la ligne musicale en précédant les accents par des gestes marqués. Cela
consiste également à se laisser chahuter au point d'être tournée et ''retournée'' ou saisie et
enveloppée par un chapelet de notes serpentines. La liberté de ces jeux ne peuvent se gagner
sans une double polarité tendue entre un bas et un haut en devenir. Dans un enchaînement de
pas glissés réalisé sans variation de niveau, l'attirance vers le sol, par exemple, ne s'inscrit pas
dans un rapport figé. Pour ne pas risquer de m'enfermer dans la figure, je dois rejouer en
permanence cette attraction vers le sol. Même si en apparence, la forme ne semble pas
changée, elle se nourrit en continu de cet imaginaire polaire en tension ; c'est ainsi qu'est
préservée la dynamique du mouvement à travers ces jeux d'accélérations sensorielles. La
qualité du contact avec autrui est marquée par ces modulations pondérales auxquelles le
danseur se prête. (Est-il besoin de préciser que, au-delà du champ de la danse, tout dialogue
porte la trace du rapport gravitaire que chacun des interlocuteurs entretient avec soi-même).

De quelle manière la danse se travaille-t-elle au contact de Mme HR ?


Pour entrer en dialogue avec elle, je décide de focaliser mon attention sur deux paramètres :
son regard et sa respiration. Elle a souhaité un deuxième moment plus rythmé, ce à quoi J. et
moi tentons de répondre. Son désir est clairement énoncé mais sa manière de vivre la
proposition nous demande une certaine vigilance. En effet, en l'observant regarder J., tout en
continuant de danser, je m'aperçois qu'elle a tendance à se caler sur les inspirations de celui-ci
sans aucun détachement. L'intensité croissante de son regard se couple alors à une
accélération de sa respiration qui se traduit par des inspirations hautes sans laisser un temps
d'expiration permettant pleinement un retour du poids. Elle est impressionnée, voire absorbée
par l'effort que déploie J. pour émettre un son. La maîtrise de la conduite du souffle – pression
et retenue exercées pendant l'expulsion de l'air – nécessaire à l'instrumentiste à vent ressort
particulièrement dans les nuances piano.
Le regard rivé de Mme HR, passant de l'un à l'autre, est une vraie pression. Il ne s'agit pas de
répondre à ce regard de la même manière c'est-à-dire dans un rapport d'équivalence mais
plutôt de lui trouver une déviation qui ne soit pas pour autant une fuite.
J'ai cherché à faire de cette pression une force créatrice qui introduise du jeu, soit du
dynamisme, de l'échange afin d'éviter que la question du territoire ne se sclérose et ne nous
emprisonne, ne nous isole les uns des autres.
Voici listées quelques manières de faire dont j'ai usé lorsque je sentais Mme HR diriger vers
moi un de ces regards (cela a d'ailleurs déclenché chez elle quelques sourires amusés) :

62
– Le laisser-passer en ouvrant l'espace sur ma droite dans un mouvement d'effacement
d'épaule.

– Me laisser pousser en arrière ou dans un autre esprit reculer mais en accélérant mon
déplacement comme si un ''attracteur'' arrière beaucoup plus puissant que le regard de
Mme HR venait m'aspirer par le dos créant ainsi sous le coup d'une dépression un
espace expansé entre elle et moi.

– Recevoir son regard et le renvoyer par un mouvement de bras accompagné d'un


claquement de doigts vers J. que j'aperçois dans mon champ de vision périphérique.
Entre Mme HR et J., j'agis tel un instrument de dérivation dans le but de créer du lien. Je
suis récepteur et relais à la fois.

– Prendre ce regard qui arrive sur moi et le transformer en point d'appui afin que
l'échange puisse se poursuivre c'est-à-dire que le mouvement ne se stoppe pas. La frappe
que son regard produit sur moi n'est pas de l'ordre d'un écrasement mais d'un rebond
comme si je recevais une balle et que de ce point je devienne balle à mon tour. C'est-à-
dire que l'impact dont je suis la cible ne se résout pas par un système de renvoi direct
vers Mme HR. La précision directionnelle de son regard qui me contacte, poursuit son
trajet dans la chambre via un corps moteur ''vectorisé'' – le mien – et touche ainsi
indirectement l'espace où il m'envoie.

Les points cités ne sont pas les seuls éléments constitutifs de la danse, ils se tissent bien sûr
avec ceux explicités précédemment dans la relation à la musique. Il en est un autre qui doit
être évoqué car il a représenté une part importante dans la fabrique de la danse, celui qui a très
largement donné au haut du corps un rôle de support et d'enveloppement.
Une main pouvait par exemple venir adoucir l'impact d'un appui pied par un mouvement délié
de ramassé se finissant dans une suspension de coude. Le plus souvent la main se prêtait à un
jeu d'aimantation. La paume telle une membrane vibratile venait aspirer ou presser un volume
d'air comme si j'eus tenu quelqu'un à l'intérieur de ma propre kinesphère. Ce pouvait être
parfois Mme HR : semi-allongée dans son lit, je pouvais la percevoir à distance tout en
l'imaginant simultanément entre mes bras, engagées ensemble dans une danse.
Les variations d'embrassements ou de portances laissaient apparaître des formes diverses de
ports de bras qui étaient loin des représentations habituelles que l'on peut se faire d'une danse

63
à deux – par exemple, avec une main au niveau du dos que j'aurais donc placée en regard de
mon sternum ou de mon plexus solaire et l'autre sur le côté, le bras légèrement allongé. La
hauteur et l'orientation des mains étaient changeantes. Il m'arrivait d'engager une main ou
deux selon, d'une part, l'attraction que la respiration de Mme HR produisait sur moi en rapport
avec mon propre souffle, d'autre part, l'intensité des accélérations polaires notamment celle
liée au sens du poids. Sur un accent de J. je pouvais réagir par l'amorce d'un déplacement
arrière en un pas glissé, et quasi simultanément ayant suivi une inspiration de Mme HR, je
pouvais me laisser surprendre à engager en écho, telle une glissade prenant comme rampe
cette inspiration, un large mouvement de plier vers le sol dans un accelerando ; quant aux
bras, ils s'ouvraient alors tardivement, portés par l'air.

Suite à cette performance, lorsque Mme HR nous dit « merci, c'était un vrai échange » il me
semble pouvoir confirmer ses propos en précisant que c'est dans un laisser faire et un agir à la
fois que nous nous sommes adressés à elle, par une dynamique de jeu de forces. Elle ajoutera :
« c'est parce qu'on vous sent touchés que cela me touche ». Je tiens à souligner qu'il n'y a eu
de notre part aucun débordement émotionnel. Mme HR relevait dans son propos sans doute la
trace sensible par laquelle tous les trois nous venions d'être traversés. « [Le] travail physique
d'interprétation de la corporéïté d'autrui suppose tout à la fois une suspension de son jugement
afin que résonnent en soi les effets de cette relation (accepter d'être touché par autrui pour
entrer dans son jeu sans pour autant fusionner, accepter en d'autres termes de le rêver). »39 Ces
propos, d'Isabelle Launay, sont issus d'un article dans lequel elle s'intéresse à la formation des
danseurs à partir de leurs témoignages ; la réflexion engendrée ne s'arrête pas, à mon sens, au
champ pédagogique, elle couvre également l'étude présente.

39 Isabelle Launay, « Le don du geste » in Protée, automne 2001, Ch. II § 2 « Interprétations et altérations »,
art. cit., p. 95

64
2. L'expérience de la chambre

2.1 Où est-on dans une chambre ?

Comment différencier à première vue une chambre d'hôtel d'une chambre d'hôpital ?
Peut-être par le type d'installations – potence avec poignée, sonnette, branchements – et de
mobiliers montés quasi intégralement sur roulette pour en faciliter le déplacement et le
réglage de la hauteur : ce style n'a rien de fantaisiste, il relève exclusivement d'une
fonctionnalité.
La chambre d'hôpital reste un lieu de passage si ce n'est le dernier dans la vie d'une
personne. L'institution hospitalière par ses nécessités de rendements économiques d'une part
et ses règles sanitaires d'autre part, possède une forte capacité à l'effacement : le départ d'un
malade fait place à l'arrivée d'un autre et le grand lessivage de la chambre ressemblerait
presque à une chasse acharnée : traquer la trace et la faire disparaître.
Il ne suffit pas d'éponger, de lessiver, de faire place nette ; l'histoire de ces lieux est là et
rattrape chacun d'entre ceux qui les pratiquent quotidiennement. Les mois passant, ce sont
autant de récits, de tranches de vie qui imprègnent l'enveloppe de ces murs. Certes il y a bien
une notion de temps et de mémoire qui emplit ces chambres et si chacune d'entres elles
acquiert au fil des jours une individualité propre, elle ne le doit qu'à un facteur
d'appropriation, de construction affective du lieu par chacun de ses hôtes, le temps de son
passage. Malgré le caractère de mémoire et d'intimité qui envahissent ces chambres, celles-ci
appellent paradoxalement un « nulle part »40, celui dont parle M. Foucault à propos des
« espaces autres ». Comment ne pas considérer la chambre d'hôpital comme une hétérotopie
de crise. Cette enceinte et par extension le service ne portent pas le nom de mouroir – usité
habituellement pour désigner une vieillesse dont on ne sait que faire – et pourtant, même si le
mot d'ordre de la culture palliative véhicule ce ''jusqu'au bout la vie'', celui-ci s'accomplit dans
un ailleurs cloisonné, un hors de chez soi où 80 % de la population finit sa vie. La mort se
cache dans ces structures spécialisées. Malgré cela, la convocation d'un imaginaire, selon sa
nature, peut transporter vers un autre paysage et modifier l'horizon. Se sentir à la fois étreint et
libre dans ce huis clos.
Etre ici et ailleurs à la fois. Est-ce possible ?
Pénétrer ce lieu sur la pointe des pieds, avancer à tâtons, s'arrêter. Entrer dans une chambre tel

40 Michel Foucault, « Des espaces autres » (1967, publié en 1984), Dits et écrits, tome 4, Gallimard, Paris,
1994, p. 752-762, op. cit., p. 757

65
Pinocchio englouti par la baleine ; se croire dans un antre le temps d'une échappée et puis
échouer dans le couloir comme on le ferait dans un port, chahuté ou apaisé. Débarquer ou
atterrir : quitter l'autre est un mouvement pour peu qu'il y ait eu transport. Les imaginaires des
éléments naturels – eau et vent – s'entremêlent ; lorsqu'ils ne sont pas clairement convoqués
par la danse, ils restent présents en toile de fond dans le service. Il y a des semaines où les
décès plus ou moins attendus se suivent : un, un autre, et puis un autre, et puis un autre
encore, tel un vent fort ou une vague venant lécher le rivage emportant les derniers rêveurs
qui s'y sont aventurés trop près. Quatre jours d'absence seulement et quand on revient dans le
service, on est un peu perdu, abasourdi par la grande marée et ce lot de chambres vides qu'il
faudra de nouveau redécouvrir.

2.2 Etre ici et là-bas ou être loin et proche

« Danser, danser...ça élève » m'avait-il dit lorsque je m'étais présentée. C'était il y a


quinze jours, lorsque J.-C. et moi étions allés le rencontrer pour la première fois. De son
superbe accent pyrénéen, il avait lancé cette phrase, accompagnée d'un geste de main léger,
éloquent, qui m'avait impressionnée.
C'est donc empreinte de ces souvenirs que ce soir là, seule, je me suis aventurée à proposer à
Mr ES d'écouter de la musique en ma compagnie, ayant pris soin de me re-présenter en
qualité de danseuse. Si je rappelle ces faits, c'est qu'ils constituaient un arrière fond que je ne
pouvais pas nier en me rendant auprès de ce monsieur. Deux principes alors circonscrivaient
mon intervention : le premier, inéluctable, était que ma présence dans sa chambre, s'il
l'acceptait, s'accomplirait, comme dans toutes les autres sous la forme d'une présence dansée ;
le deuxième concernait la direction de l'improvisation que j'avais choisie autour « des pleins et
des déliés » en modelant des enveloppes. Or si le premier a été tenu, le second s'est avéré
caduque le moment venu. L'envie n'était plus à une danse de ce type.

Je repousse la porte à demi, seul un rai de lumière provenant du couloir et léchant


le sol pénètre la pièce. La pénombre adoucit les traits de Mr ES creusés par l'âge
et la maladie. On ne se connaît pas mais le plaisir d'être là, près de lui, existe ;
plaisir également de ne pas être soumise à une attente visuelle pour une fois, à un
regard dirigé : Mr ES est non-voyant.
Nous sommes là, lui allongé dans son lit, moi debout et Bach par l'entremise

66
d'Alexandre Tharaud. Placée près du lit, je le vois doucement tourner sur son côté
gauche, ses mains légèrement recroquevillées. Je suis frappée par leur
expressivité. Elles attirent mon attention, me pressent à interroger les miennes.
L'une de ses mains est appuyée contre sa tempe. Ouvrant ou fermant les yeux, il
paraît pensif, absorbé par la musique.
La pièce est petite, assez dénudée ; il doit y avoir une Bible posée quelque part,
oui Mr ES est prêtre. Les emplacements de la table et du tabouret restreignent les
possibilités de circulation ; qu'importe, je ne rêve pas de grands déplacements.
Aucune envie d'arranger quoique ce soit, l'objectif n'est pas de faire place nette
pour se mouvoir sans encombre.
Mr ES est alité et moi, je suis debout : deux orientations différentes. Nous
sommes ici et ailleurs à la fois. Le lieu n'est pas nié, c'est même à partir de lui que,
dans une certaine mesure, va se présenter un imaginaire porteur pour la danse.
Quelques tours sporadiques, un ou deux pas en arrière. Se laisser appeler.
Chercher le recul, chercher l'ouverture. Un des coins de la pièce m'invite à
transformer cet angle en brèche. La distance jusqu'à cet angle négatif m'offre un
élan projectif, comme une flèche lancée qui ouvrirait, écarterait les murs. Voilà
nous sommes dehors et dedans à la fois. J'avance mes paumes, et j'expire, mes
épaules se courbent, mes doigts viennent regarder mon front, je les écoute mais ils
sont encore trop jeunes pour me dire la peau chiffonnée par les années. Sa
respiration est régulière, courte.
Je me surprends plusieurs fois à faire silence.
Etre liquide et vent, laisser glisser l'air et perler des gouttes d'eau sur soi ; fermer
les yeux comme Mr ES.
Etrange, rare, une image visuelle m'apparaît pendant que je danse. Je suis à la fois,
ici, debout dans la chambre et là-bas, assise sur un banc en haut d'une colline. Mr
ES y est installé à mes côtés et nous regardons face à nous, sans mot dire, le
versant du vallon opposé. La végétation est dense, verdoyante. Quel contraste !
La danse est de facture minimaliste. Quelques jeunes bourrasques viennent
épisodiquement soulever mes bras. Mr ES a l'air tellement concentré. Je croise
son regard, son intensité me surprend ; il me donne soudainement l'impression de
me voir !! … La danse procurerait presque un état anesthésiant, m'inviterait à une
plongée dans l'oubli. Le piano sous les doigts de A. Tharaud chante mais c'est un
appel au silence que j'entends. Mon poignet s'est suspendu, l'index s'est levé et a

67
entraîné le bras à monter, jusqu'où... jusqu'à ce que cette note aiguë si
délicatement amenée, perçant un pianissimo, interroge … le doigt se fléchit,
l'expiration le ramène ; la fin de la phrase annonce la cadence et de ce fait un
retour définitif.

2.3 Un espace chorégraphique

2.3.1 Danser en chambre : entre possibles et limites

Invité à danser dans une chambre d'hôpital, l'artiste est jeté de plein fouet comme
quiconque au coeur de cette fragile intimité. Quelle possibilité a t-il de choisir entre ce qu'il
voit et ce qu'il aimerait ne pas voir, ce qu'il sent et ce qu'il aimerait ne pas sentir ? Il ne s'agit
pas de nier mais il ne convient pas non plus de provoquer. Des corps habillés de camisoles –
uniforme seyant de l'hôpital coupé à coup de serpe ! –, des mots doux laissés sur un tableau en
vinyle, l'odeur d'huiles essentielles ou l'odeur de selles, tout un environnement qui selon,
apaise, gêne ou trouble. Le pistolet rempli – charmant dénominatif pour désigner le réceptacle
des urines masculines – posé sur la table oblige le musicien à choisir un autre support en guise
de pupitre. Gare aux gestes imprudents et ce pour des raisons d'hygiène et de convenance ;
danser en convoquant la notion de souillure n'est pas une direction de travail envisageable
pour l'institution dont l'une des tâches est de la combattre en force. Les personnes
hospitalisées, celles auprès de qui il m'a été permis de danser manifestaient davantage un désir
de ''beau'' et d'harmonie.
Si la chambre d'hôpital comme la chambre d'hôtel peuvent être répertoriées parmi la liste des
hétérotopies définie par M. Foucault, néanmoins l'espace d'actions diffère de l'une à l'autre. Le
contexte de soins en l'occurrence pose des règles médicales, de déontologie, d'hygiène
spécifiques interdisant de manière plus ou moins explicite un certain nombre de gestes.
« Les hétérotopies supposent toujours un système d'ouverture et de fermeture qui, à la fois, les
isole et les rend pénétrables. En général, on n'accède pas à un emplacement hétérotopique
comme dans un moulin. Ou bien on y est contraint, c'est le cas de la caserne, le cas de la
prison, ou bien il faut se soumettre à des rites et des purification. On ne peut y entrer qu'avec
une certaine permission et une fois qu'on a accompli un certain nombre de gestes. »41 C'est
bien le cas des hôpitaux et de la chambre en particulier. Pour pénétrer ces espaces, le danseur

41 Id., op. cit., p. 760

68
doit quant à lui s'enquérir auprès de l'équipe, médecins et soignants en priorité, de non contre-
indications pour ses éventuelles propositions42 ; à cela s'ajoutent bien sûr le principe de
consentement vis-à-vis du patient et l'assujettissement aux règles d'hygiène (gel alcoolisé à
appliquer à l'entrée et à la sortie de chaque chambre et parfois le port de chaussons, tablier,
masque). Dans le cadre de certaines affections – BMR43 – l'accès de la chambre peut en être
radicalement interdit ou autorisé sous condition, pour des raisons sanitaires : ne toucher à rien.
La consigne est claire. En revanche un ''isolement'' dit de contact signifie que l'on peut toucher
les objets mais non la personne malade et ce qui est à sa portée. Conjointement à ces
recommandations, on peut recevoir des précautions et mises en garde concernant les
personnes souffrant de métastases osseuses ou d'hyperesthésie par exemple. Voici quelques
éléments qui circonscrivent un certain nombre de gestes dansés. Les improvisations qui
utilisaient comme ressort de mouvement l'objet en support direct étaient donc suspendues à
ces règles. Si ces précautions paraissent évidentes, qu'elles aient été plus ou moins clairement
énoncées au danseur, il en est d'autres auxquelles celui-ci se doit implicitement d'être vigilant.
Il serait mal venu et même insensé de tapoter une perfusion ou de refuser de modifier son
parcours au risque de marcher sur une poche d'urine posée au sol au niveau de la tête de lit.
En revanche, laisser glisser sa main le long de la tige d'une potence ou papillonner des doigts
autour des tubulures restent des gestes possibles. Il s'agit donc pour le danseur de trouver sa
manière de progresser au sein de ce cadre référençant des règles.
En entrant dans une chambre, le soignant, porte aux objets une attention liée à sa fonction de
surveillance (débit des produits, contenances des poches, couleurs des substances etc) sur
laquelle repose, en partie, l'assurance de soins adaptés44. Chez le danseur, l'attention à ces
objets revêt une autre fonction et un autre intérêt – imaginaire et cartographique. En effet, ils
participent, comme le mobilier, à l'établissement d'un plan qui impose d'emblée des distances,
des orientations et des trajets.

A côté de ces paramètres visibles, un autre élément délicat qui teinte implicitement la
construction du geste dansé est à considérer : il s'agit de l'histoire hospitalière de chaque
patient. Avant d'arriver dans une chambre d'USP, la personne malade a déjà à son actif un long
parcours jalonné de nouvelles douloureuses, construit au fil du temps de services en services.
Les actes de maltraitance dont elle a pu être victime, même sans volonté consciente de les

42 Par exemple, ne pas être porteur d'une affection virale qui serait néfaste dans la situation d'extrême fragilité
dans laquelle se trouve la personne.
43 BMR : bactéries multi-résistantes
44 Cf. Annexe 1, p. 79-80

69
infliger, imposent une prudence pour tout geste susceptible de porter atteinte à la personne.

Combien de fois avec quelques personnes dont les rencontres s'inscrivaient dans un
suivi, n'ai-je pas rêvé sur le mode du jeu de m'abandonner sur un recoin du matelas
ou de bondir sur le lit inoccupé de la personne malade ou sur celui de
l'accompagnant(e) ? Empoigner un oreiller, le faire voler et plonger dessus.
M'asseoir sur la chaise percée ou me renverser la tête dans le pot façon trépied
roulant – chaise équipée de roulettes. M'enfermer dans le petit placard d'angle, me
glisser sous le lit, entrer et sortir de la salle de bains. Sortir par la fenêtre et danser
sur la parcelle de toit gravillonné45 offrant ainsi un autre rapport à la chambre. La
liste pourrait être longue...
Combien de fois n'ai-je pas eu envie de faire tourner les meubles, de briser
l'ordonnancement établi afin de jouir d'autres points de vue, d'autres trajets de
circulation, d'autres rapports aux objets ?

La danse se développe prise entre règles et auto-censure. Le détournement des objets est
limité, les jeux de dissimulation également. La multiplication des seringues électriques et des
perfusions, formant au chevet du patient un semblant de rideau, constitue un cadre
scénographique intéressant mais qui doit une fois encore interroger le danseur : tout jeu de
cache-cache ou de hors-champ pose question. Dans ce contexte, ces outils touchent une
limite, celle d'un risque de manipulation et d'effet de pouvoir sur la personne alitée lorsque
celle-ci manifeste par de petits mouvements de tête l'envie de mieux voir sans possibilité de se
mobiliser davantage. La proposition se doit d'être adaptée au risque d'accentuer et ce, sans
bénéfice ni plaisir, l'asymétrie de la relation entre les deux parties.
Quant à la cartographie de la pièce, elle n'est guère modifiable, hormis quelques menus
aménagements initiés le plus souvent par le patient ou ses proches. Cette liberté
d'agencement, si infime soit-elle, est à saisir ; pour ces derniers, elle peut constituer une des
manières de s'approprier l'espace et donc la proposition artistique. Chez le danseur, la
contrainte du lieu peut devenir au final un fort appui de jeu à partir des zones de déplacements
et d'arrêts déjà inscrites ; renverser les points de vue : faire d'une faiblesse – organisation du
lieu à priori non choisie –, une force grâce au mouvement dansé. Si aucune consigne ne m'est
donnée de la part des tiers présents, je ne modifie pas l'agencement 46. Ce principe de travail

45 Côté jardin, le sol des chambres est de niveau avec une bande extérieure plane correspondant au toit du rez-
de chaussé. Cette partie, somme toute large fait penser à un principe de terrasse bien que son accès en soit
interdit ; le fait est qu'aucun passage ne permet de l'atteindre si ce n'est en enjambant les fenêtres relativement
basses des chambres.
46 Excepté quelques rares fois, dans le cas de chambres très exiguës où il devenait indispensable de pousser le
gros fauteuil ou la table sous peine d'être obligée de grimper dessus pour me déplacer, geste que je m'étais

70
que je me suis imposée en amont relève du désir de respecter le lieu dans lequel je suis
conviée à entrer, tout du moins lors de la première rencontre. Au final, plus le lieu est
encombré, présentant a priori des difficultés de circulation – passages restreints, par exemple,
entre le gros fauteuil médicalisé et le fauteuil roulant – plus il offre matière à se surprendre.
Les espaces dégagés peuvent devenir encombrants paradoxalement alors que la difficulté liée
à la promiscuité pimente la situation chorégraphique.
Les parcours possibles sont donc en majorité induits par ces marqueurs spatiaux fixes ou
semi-fixes que sont le mobilier et l'architecture intérieure. Une chaise peut devenir axe, point
d'arrêt, tremplin. « Un élément de carte est le postulat d'un itinéraire »47 écrit Michel de
Certeau. D'une chambre à l'autre, la variation de la proposition dansée se joue donc en partie
selon la combinaison des « parcours » et des « cartes ». En revanche, les trajectoires et les
orientations restent à inventer : traversées rectilignes, brisées ou sinueuses, en avançant, en
tournant, en reculant etc. Elles surgissent ou se décident dans l'instant du cheminement dans
un jeu « d'auto-affection »48 en lien avec les personnes présentes dans la pièce et la dynamique
de l'imaginaire du danseur.

Guidée par le bout des doigts, la paume glisse sur l'arc du pied de lit et poursuit son
chemin dans une courbe spiralée, rejoint l'aplat du mur et sans interrompre son
chemin file vers l'arête dans un déplacement horizontal qui me rapproche du
musicien puis, arrivée au point de bascule de l'angle mural, la main s'échappe ;
soutenue par l'air, elle atterrit sur la barrière latérale, s'élève de nouveau pour aller
survoler le coutil qui recouvre Mr GG...

Le « tout est possible » n'existe pas. La situation contextuelle est déterminante, elle circonscrit
le potentiel d'actions notamment en matière de trajets. Le contournement possible d'un lit dans
une chambre peut devenir un interdit quasi explicite dans une autre, sans raison
d'inaccessibilité apparente. Si la position de côté adoptée par la personne alitée pour des
raisons de confort antalgique n'interdit pas a priori le passage du danseur de l'autre côté du lit,
une observation discrète peut laisser à penser pourtant qu'il n'y est pas autorisé si la personne
est vêtue d'une simple casaque qui lui découvre l'arrière du corps – dos, couche et jambes.
Toute orientation et/ou tout dépassement intempestif déclenchent très souvent chez la
personne vigile une réaction de protection – geste tentant de se recouvrir – qui convie le
danseur à rebrousser chemin. Si cette attention fait appel au bon sens, le frôlement de cette
interdit de pratiquer.
47 Michel de Certeau, L'invention du quotidien, 1. arts de faire, Paris, Gallimard, coll. Folio essais, 2008 (1ère
éd. Folio essais 1990), op. cit., p. 177
48 M. Bernard, De la création..., p. 97 ; voir supra, p. 63

71
limite n'est pas si facilement perceptible. Pour certaines personnes malades, la gêne se
manifestera par ce genre de geste dès l'approche – et parfois même si elle n'est pas dévêtue –
quand pour d'autres elle surviendra au niveau du pied du lit, seuil de passage pour le
contourner. Les notions aussi vastes et complexes que celles d'intimité, de pudeur et de
respect déterminent l'adaptation des distances et coupent le cas échéant tout élan initial qui
risquerait de mettre à mal la personne alitée. Quelle attitude adopter dans le cas d'une
personne dite non réactive ou confuse ?

2.3.2 Un espace centré

La chambre d'hôpital est en premier lieu, par l'ensemble auquel elle se rapporte, un
espace de travail dévolu aux professionnels de la santé. Par ailleurs, elle peut se faire, comme
dans le cas de l'USP des Diaconesses, cabinet d'esthétique, salon de coiffure, espace de jeu
artistique, espace de culte. La chambre devient un espace polyvalent sans que les usages ne se
juxtaposent ou ne se travaillent ensemble ; le fonctionnement reste basé sur un mode
successif. Ce procédé de scission participe à entretenir, voire à asseoir les schémas de
représentations conventionnels.
Ce ne sont pas les deux éléments suivants qui pourraient venir alléger cette perception : le lit
et la convergence des regards constituent deux composantes qui oeuvrent pour l'organisation
d'un espace centré.
Le lit occupe une place prépondérante dans toute chambre et qui plus est dans ce contexte
puisque les personnes hospitalisées sont pour la majorité alitées en continu. C'est de ce lit,
réglé plus ou moins haut, que la personne malade voit le monde dans une position horizontale
ou légèrement redressée. Il constitue un point magnétique et plus encore un point de
convergence-divergence qui structure fortement la mise en espace et la construction des
gestes.
Selon la configuration de la chambre d'une part, le désir ou la possibilité d'appropriation de la
proposition artistique par le patient et ses proches d'autre part, l'adaptation du lieu connaît
quelques variations. Cependant, un point commun tend à ressortir de chacune des situations :
trouver pour chacun des tiers présents, proches et/ou soignants, la place adaptée d'où ils
pourront voir sans gêner la danseuse. Le sens de la vue constitue un des médias le plus
influent de l'organisation spatiale. L'imaginaire de représentation traditionnelle reste actif
même dans ce contexte ; la promiscuité d'une part et l'intimité supposée des lieux d'autre part

72
ne le met pas à mal pour autant. La disposition spatiale doit permettre à la danse d'être vue, de
préférence à une certaine distance s'inquiétant fréquemment auprès de l'artiste de savoir si la
place sera suffisante pour évoluer. C'est à partir de cette considération que bien souvent les
tiers choisissent leur place, que la chambre soit petite ou grande : ils s'installent sur le
pourtour de la pièce, dans un recoin, le long des murs, au chevet de la personne malade – par
souci de protection envers elle – debout ou assis en ajustant leur position initiale le cas
échéant. Très rares sont ceux qui osent se placer autrement.
De son lit, qu'il soit tenu d'y rester, qu'il ait choisi de s'y installer ou de s'y caler plus
confortablement « pour bien voir » ce qui va se dérouler, le patient instaure également parfois
à sa façon un rapport danseur / spectateur qui tend à recréer un cadre conventionnel. Certaines
de ses indications participent clairement à une mise en situation : en invitant à danser dans la
zone la plus dégagée ou non exposée à un contre-jour, en demandant à ôter un bouquet de
fleurs qui gênerait sa vue ou à déplacer quelque mobilier.
Le positionnement du lit et les installations adjacentes – perfusions, branchements – avec
lesquelles il est convenu d'être prudent, peuvent induire un mode frontal ou semi-circulaire,
laissant voir la chambre comme une boîte faite de trois murs et d'un fond auquel la tête de lit
est accolée. Le lit n'est jamais placé le long d'un mur ou dans un renfoncement, comme peut
l'être celui de l'accompagnant, mais perpendiculairement, à équidistance de la salle de bain et
de la fenêtre – ou près de celle-ci lorsqu'il s'agit d'une grande chambre anciennement prévue
pour accueillir deux personnes. En revanche, le placement libre du fauteuil nous éloigne de ce
code de représentation. Il n'en demeure pas moins que c'est à partir de et vers ce point fixe, lit
ou fauteuil occupé, que se construisent principalement les différentes spatialités de
l'improvisation dansée. L'espace organisé sur ce mode référent devient d'autant plus prégnant
lorsqu'il est doublé de regards vectoriels vers la personne malade ou le danseur. D'un côté,
l'attention dirigée par les proches ou les soignants vers le patient, par inquiétude ou tendresse,
accentue le lieu de convergence de l'adresse, voire le rend inéluctable ; d'un autre côté, le
degré d'intensité et de focalisation du regard du patient – seul moyen de pression et d'emprise
possible parfois – envers le danseur oblige ce dernier à en faire un appui de jeu, lequel influe
inévitablement sur les choix d'orientations, de parcours et de distances. Dans ces conditions,
l'effort déployé pour faire du lien avec les tiers présents se trouve fortement soumis à l'autorité
du principe d'organisation ''centre-périphérie''.
L'absence de ce(s) regard(s) vectoriels modifiait le traitement de ces paramètres et annihilait
d'une certaine manière « le faire » attendu du danseur, que je percevais de la part de certains
(personne malade et/ou équipe et/ou proches).

73
Tout au long de l'écriture de ce mémoire ou de mes prises de notes durant l'année, je me suis
parfois vue prise au piège des conventions. Par souci de transparence et de rigueur, il n'était
pas question de modifier les dénominatifs par lesquels je me situais dans la chambre. Je veux
parler de ces termes « jardin » et « cour » dont j'ai pu user parfois. Si cet emploi ne relevait
que d'une facilité de langage permettant rapidement de me représenter a posteriori la chambre
et ce qui s'y était déroulé, en revanche je remarque que l'orientation adoptée, non de façon
réfléchie, plaçait la personne malade ''sur scène'' et par conséquent me situait en tant que
spectateur-témoin. Il n'y avait nul désir – conscient – de faire de cette chambre un espace
théâtral. [Quoique ? Est-il possible de se débarrasser de toute théâtralité quand bien même on
tend à la refuser ?]

Je terminerai sur cette remarque qui, loin d'être une simple anecdote, dénote d'un mode de
spatialisation – du mien comme de celui de beaucoup de soignants qui le partageaient au vu
de leurs témoignages. Si un numéro de chambre m'échappe, la mémoire d'une performance
active immanquablement le souvenir de la personne et donc du lit en premier lieu – puis de la
fenêtre, si le doute persiste, pour situer la chambre au sein du service d'un côté ou de l'autre du
couloir. Chercher le lit et le reste de la pièce se remet en place de façon presque picturale !
Cette mémoire visuelle – photographique – n'est pas la seule convoquée mais elle opère très
souvent.

74
CONCLUSION

S'inquiéter du consentement d'autrui incite le danseur à se préoccuper de son propre


geste, à questionner dans la réalité du moment ce qui le met en mouvement, c'est-à-dire
l'émeut. Cette question du consentement ne peut être traitée in abstracto, elle dépend d'un
ensemble de paramètres contextuels – soin, espace, temps, relations d'équipe, posture des
proches –, lesquels participent à fonder un dispositif de travail indispensable pour penser la
performance. La danse qui s'est déployée tout au long de cette expérience en USP n'a pas
cherché directement à interroger le lieu mais plutôt à l'éprouver au travers de rencontres
sachant que celles-ci se sont développées depuis un « ici ». Le mode d'adresse ne s'est pas
construit en terme de ''pour'' ou ''contre'' cet environnement mais par un ''grâce'' ou ''à cause
de'', ''avec'', ''à partir de'' lui.
Penser la place du danseur, c'est aussi penser la place de la danse dans notre société. Que
permet-on à la danse de dire ? Faire entrer la danse dans une chambre ne se résume pas au
moment dit, cela dépend en partie de la manière dont la danse est parlée, acceptée, vécue par
l'équipe et par les personnes qui pratiquent le service.
Que deviendrait ce travail de consentement, et donc du geste, d'une chambre à une salle
d'attente – parfois confinée – ou à un hall ? Comment la notion d'intimité, liée à une histoire
personnelle et collective peut-elle trouver une résonance dans l'espace public ?
La question du statut des personnes présentes lors des performances n'a pas fait véritablement
l'objet d'une analyse ; certains éléments qui ressortent de l'expérience de la chambre,
pourraient constituer un début d'éclairage. Quelle place est faite à chacun pendant toute la
durée de la proposition ? Qu'est-ce que « être ensemble » lorsque l'attention est
majoritairement dirigée vers la personne malade ? Cet hôte peut-il être pensé tel un voyageur
immobile à partir duquel le moment artistique se construit ? Le danseur s'apparenterait-il à un
spectateur-témoin, celui d'une intime vulnérabilité par laquelle autrui affecte la danse ? Quant
à l'entourage – équipe et proches – comment se vivent-ils ?
Que nous apprend cette expérience si ce n'est qu'il demeure important, entre autre, de
continuer à inventer du geste pour inventer de la relation ici ou ailleurs selon le contexte.

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ANNEXE 1

Entretien avec D. infirmière à l'unité de soins palliatifs des Diaconesses de Reuilly,


réalisé le lundi 9 mai 2011, Paris

Olivia : J'aimerais avoir ton regard sur l'une des expériences musico-dansées vécue cette
année dans le service. Je me souviens d'une fois où tu étais présente avec nous dans la
chambre de Mr NM49 ; il y avait beaucoup de monde ce jour-là, c'était très impressionnant
car vous étiez cinq soignants ; c'était la première fois que tu te joignais à l'une de nos
propositions danse – musique. Comment as-tu perçu ce moment ? Qu'est-ce qui a attiré ton
attention ? Qu'est-ce qui t'a ou non touchée ?
D. : Moi, ce qui m'a touchée, c'est l'empathie chorégraphique, cette capacité que ton corps a à
être dans l'instant présent avec la personne. C'était quand même assez exceptionnel avec ce
musicien qui jouait de la musique japonaise [J.-C., flûtiste à bec] ; j'avais l'impression de voir
un tableau vivant, en osmose tous les deux, et nous, on se retenait de respirer enfin...tu
vois...oui d'assister à quelque chose de rare. J'étais très reconnaissante que tu sois là, que tu
existes et que tu viennes dans notre service. Oui je me souviens, pour moi c'était
effectivement très japonais, aussi dans ta manière de tourner, de danser, vraiment comme une
peinture. Ce n'était pas de la calligraphie mais on percevait des touches de peinture qui
donnaient à voir des sentiments comme des haïkus chorégraphiques, un haïku dansé qui saisit
un instant, voilà. L'émotion naît à l'intérieur de celui qui regarde, tu communiques une
émotion.

O. Que veux-tu dire par « on n'osait pas respirer » ? Te sentais-tu extérieure à ce moment ? Il
y a différentes manières de vivre le moment...
D. Non, ce n'est pas du tout comme dans un concert ; quand je dis « tu te retiens de respirer »
c'est que respirer devient inutile [sourire]. Ce n'est pas : ne pas oser respirer par peur de
dénaturer le moment ; simplement, on est tellement dedans, que respirer devient facultatif.
C'est plutôt dans ce sens là, je ne sais pas comment le dire autrement... Ce n'est pas que l'on
n'ose pas déranger parce que, au contraire, on s'est senti accueilli.
O. C'est vrai que ce monsieur était très, très accueillant. J'ai été très touchée, voire même
troublée ou déstabilisée par l'attitude de Mr. NM. J'ai pu avoir ce même genre de ressenti à
travers d'autres expériences, chez Mme NG par exemple où on a beaucoup joué avec A. et
même avec Mme EB ou Mr ES : l'impression d'être accompagnée. C'était calme. J'en
parlerais en terme d'ouverture. Chez Mr NM, il ne me semblait plus y avoir de question de
territoire, rien à voir avec le fait que la chambre était grande.

O. Peux-tu me parler de ta pratique littéraire, tu fais partie d'une association je crois ?


D. Ca fait appel à la créativité plus qu'à la littérature. C'est un atelier d'écriture spontanée qui
permet de se reconnecter avec sa créativité que l'on ne connaît pas toujours. Cela conduit à
entrer dans un processus : s'autoriser à écrire n'importe quoi, à faire des onomatopées... ce
n'est pas un atelier du bien écrire même si ce dispositif fait que parfois il y a des gens qui
49 Cf. « Extraits du Journal de bord », p. 57-58

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écrivent des choses fabuleuses qu'ils n'auraient pas écrites, seuls.

O. Vous pratiquez l'écriture automatique libre ou bien partez-vous sur des thèmes ?
D . Un atelier d'écriture commence chez moi, déjà, par un repas [rires mutuels]. Chacun
apporte quelque chose, le repas est co-créé. L'atelier commence par une mise en lien. C'est un
atelier d'écriture relationnelle avec soi et avec les autres. Moi, je glane un peu ce qui se dit. En
fait, on part avec des mots que l'on appelle des inducteurs, des mots qui sont communs qui ont
été dits et entendus. Ensuite, à chaque fois on choisit les mots, on choisit le temps ; je ne dis
pas : « on va faire comme ça » même si je suis l'animatrice. A la limite, un atelier est réussi
quand les gens choisissent ce qu'ils ont envie de faire et que je suis juste là pour permettre que
ça existe ou lorsque certains disent « non non je ne suis pas d'accord ». Au final, on est à la
fois dedans-dehors. J'écris avec eux ; j'écris et je fais écrire, c'est assez jubilatoire. Au premier
abord, ils sont toujours assez déroutés par mon écriture parce que je me laisse complètement
aller. Parfois ce que j'écris est directement en lien avec ce que je vis, je ne le convoque pas, je
ne sais pas à l'avance ce que je vais écrire. D'autres fois le ton de l'écriture est ludique, ou
faubourien ou de style policier, c'est très varié ; quelques fois j'invente des mots, bref, de la
liberté totale sans jugement. Si ailleurs, j'ai plus de mal avec le regard des autres, là, que
l'écriture que je donne à entendre plaise ou non, ce n'est pas le but. Ça, c'est une grande
victoire. Quand les autres arrivent à se donner ce plaisir là, cette autorisation de liberté, alors
cela a des effets thérapeutiques sur la vie autour. Effectivement, cette pratique invite à la
créativité mais elle permet aussi de se faire du bien, là où on en a envie. Le pire jugeur c'est
soi-même. En général, je ne lis pas en premier sauf s'il s'agit d'un groupe déjà constitué qui
me connaît. S'il y a de nouvelles personnes, je ne veux pas les inhiber ; je ne dis pas que mon
écriture est belle ou non, elle a sa propre vie. C'est ce dispositif là que l'on a envie de
transmettre. Certains de ceux qui viennent n'ont pas abdiqué la belle écriture : « Ah bon, tu
écris avec nous ? Ah bon ! Et alors qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Ah bon, on fait ce qu'on
veut ? ». En fait, ils ont le droit de prendre les inducteurs qu'ils veulent, c'est-à-dire tous,
aucun ou bien d'en prendre un, deux, trois etc. Pour ce qui est du temps, ils peuvent toujours
continuer à écrire s'il y a une urgence et que j'ai déjà fait sonner le gong de la fin. Enfin, ils
sont libres de lire leur texte ou non. Tu vois à chaque instant, la liberté est laissée à chacun ; il
y a toujours un choix possible.

O. Est-ce que cette pratique nourrit d'une manière ou d'une autre ton travail dans le service ?
Avec certaines personnes, es-tu traversée par un mot et/ou une image lorsque tu effectues un
geste de soin ?
D. Non, pas dans ce sens là. J'essaie de créer un espace de bienveillance dans les ateliers de
mon association. En fait c'est ça que je transpose ici. Je vais cultiver la notion de tolérance,
être attentive à une manière d'écouter différente. Dans ce que les gens disent, je vais peut-être
saisir des mots clés parce que j'ai développé ce type d'attention. Quand on se lit les textes
pendant les ateliers, on se fait des retours, pas des retours littéraires mais plutôt des retours
portant sur l'effet que produit le texte.
En début de semaine, Mme TG m'a envoyé un coup. Je vais la voir et je lui dis « vous avez
soif ? Je vous fais un petit soin de bouche ? Alors elle me répond un ''ni oui-ni non'' mais elle
ouvre la bouche comme pour acquiescer. Au moment où je m'approche avec mon bâtonnet :
pan, elle me fiche un coup. Alors je lui dis : « quand vous faites ça, je ne suis pas d'accord, je
ne vous en veux pas mais ne recommencez pas ». Je fais en sorte de trouver des mots pour ne
pas m'impliquer directement.
L'atelier d'écriture m'aide à développer une écoute flottante. L'esprit ne peut pas écouter un
texte dans son intégralité. L'écoute flottante développe une manière d'être qui fait que l'autre

77
peut exister tel qu'il est. Même avec de la bonne volonté, notre façon de faire peut être
maltraitante, je m'en rends compte tout en voulant bien faire.
Cette pratique artistique me permet d'avoir ce regard là, de me sentir soignante et en même
temps moi-même.

O Ce qui fait lien entre ta figure professionnelle et ta figure personnelle ?


D C'est ça. Mme TG, par exemple, je l'embrasse ; je suis très tactile avec elle. Des fois elle
accepte, des fois elle n'apprécie pas ; je respecte son choix. L'autre jour, elle s'est adressée à
moi par une sorte de borborygme, j'ai quand même compris un ''fiche-moi la paix''. Je fais des
liens de ce type mais dans l'autre sens c'est vrai que... Ca fait un moment que je n'ai pas écrit
sur l'hôpital. Certaines fois, je réalise des textes entiers d'un seul souffle sur quelqu'un dans un
style poétique ou encore il m'arrive de mêler certaines situations c'est-à-dire que l'écrit ne
porte pas forcément sur une seule personne. Il ne reflète pas la stricte réalité. C'est à la fois
une manière d'honorer ces personnes qui traversent nos vies et une manière de ne pas les
oublier.

O. Les chambres sont toutes différentes (dimensions, organisation), elles sont également
chargées d'histoires ? Te reste-t-il des empreintes qui fassent que, lors de soins portés à une
nouvelle personne, cela puisse te gêner dans la rencontre, bref, as-tu la précédente histoire
liée à cette chambre en arrière-fond ?
D. Non, car on laisse passer du temps. Quand quelqu'un est resté longtemps, on laisse passer
un peu de temps entre chaque personne et puis cela dépend...

O. Les chambres sont laissées vides pendant 48h mais ce temps reste subjectif et dérisoire au
vu de l'histoire qui vient de s'y dérouler parfois.
D. Effectivement, on n'a pas mis quelqu'un tout de suite dans la chambre 125, on a attendu un
petit peu ; ceci dit, il est vrai que j'étais absente.
La difficulté à clore une histoire ne se mesure pas en terme de ''temps passé'' mais dépend des
phases de soins prodiguées à la personne. Par exemple, la toilette mortuaire clôt quelque
chose ; il en est de même, si je me suis beaucoup occupée de quelqu'un. La situation optimum
survient lorsque j'ai accueilli le premier jour la personne, que je m'en suis beaucoup occupée
et que j'ai effectué sa toilette mortuaire ; alors quelque chose se clôt. J'ai une impression de
plénitude ou du moins de ne pas être en manque ; je peux donc passer à autre chose. Ce n'est
pas le cas tout le temps mais je n'ai pas de souvenir d'avoir été gênée.

O. Je te parle de cela car une fois, j'entendais l'un des médecins qui évoquait le cas d'une
chambre dans laquelle plusieurs histoires difficiles s'y étaient succédées et donc de conclure
qu'il y a des chambres qui sont parfois chargées. Il y a des événements qui étrangement
reviennent, toujours dans la même chambre sans que l'on s'en explique.
D. C'est vrai qu'en ce moment, par exemple, à la chambre 143 ce sont tous les patients qui ont
des pathologies ORL ! On n'y peut rien, ce n'est pas un choix délibéré.
On a été très attentif à nous quand il y a eu ce suicide à la chambre 131. Cette pièce est donc
restée longtemps inoccupée et il a fallu qu'on l'exorcise d'une certaine façon à l'aide d'un
rituel, avec les Soeurs, la cithare, un bouquet de fleurs, des grigris pour enlever cette présence
et cette souffrance... On est passé à côté en fait.

78
O. Les actions que tu viens de nommer, c'était une décision commune ?
D. La personne s'est suicidée dans la salle de bain. C'est Soeur J. qui a proposé un texte, un
rituel : M-P jouait de la cithare, on avait une bougie, une fleur et puis après on l'a déposée
symboliquement quelque part dans le jardin, moi j'ai tiré la cloche.

O. Cette action a été le souhait de certains soignants, ceux qui en avaient envie ?
D. Oui, c'est cela. C'est vrai que je ne suis pas croyante, je suis païenne. Je crois en plein de
choses...
Il faut faire des rituels ; des fois on en a besoin. Il arrive que M-A mette une bougie. Dans le
service, on fait très vite les chambres parce qu'une chambre sens dessus dessous je trouve ça
plus terrible qu'une chambre nettoyée et rangée avec une bougie.

O. Pour ma part, je peux trouver presqu'aussi choquant une chambre laissée telle quelle, le lit
défait (etc.) que de la voir réagencée en bonne et due forme. Cet usage normatif pousse à l'
anonymat, cela rappelle qu'il s'agit bien d'un lieu de passage. Maintes fois cela m'est arrivé
d'avoir envie de faire tourner le lit, les meubles etc.
D. Oui mais nous on ne peut pas.

O. Oui, car il y a tous les branchements (oxygène, prises etc.) et la télévision est à poste fixe.
D. J'aimerais bien que ça bouge.

O. Je me souviens d'une fois, la personne était autonome (sans perfusion ou autre) ; le lit de
la personne hospitalisée avait été un peu déplacé et le lit d'accompagnant aussi.
D. Oui ça casse la monotonie.

O. J'avais eu l'impression de pénétrer davantage dans un endroit intime du seul fait que
l'espace ait été agencé différemment.
D. Oui ! c'était chez J., l'ancien producteur. Oui, avec C., on avait fait ça pour le ''contenir'',
c'était dans un but thérapeutique. On avait fait la chambre comme une vraie chambre pour que
ce ne soit pas trop dur à vivre pour lui. On avait donc mis le lit sous la fenêtre. Oui, on avait
senti la nécessité pour ce monsieur de changer la chambre.

O. Dans cette organisation très fonctionnelle, certaines chambres te sont-elles plus faciles à
travailler que d'autres ?
D . La chambre la pire pour nous, c'est la chambre 131 qui est minuscule. On passe notre
temps à bouger le lit, à sortir les fauteuils pour la toilette puis à les remettre et pourtant... Je ne
sais pas si tu as vu ce petit film, L'art de vivre : la chambre 131, et bien il y avait tout ce
monde autour de cette dame, elle dans son fauteuil avec son aspiration. Le théâtre permettait à
ces gens d'être là autrement que dans la gêne ou la compassion ; ils étaient là pour continuer le
théâtre.

O. Quand tu entres dans une chambre, à quoi es-tu sensible ? Que tu te sois déjà occupée de
la personne ou que ce soit la première fois, notes-tu une différence quand tu entres dans la
chambre ? Est-ce que tu essaies de saisir simplement l'ambiance en écoute flottante, telle que
tu la définis...?
D. Par exemple le matin, si on n'a pas fait de transmissions et que je ne connais pas la

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personne...de toute façon je frappe avant d'entrer. Si la personne dort, je vais voir si elle est
bien installée, si elle respire bien ; ce sont mes antennes d'infirmière qui me guident.

O. En tant qu'infirmière, de quelle manière portes-tu attention à l'espace ? Vas-tu regarder si


les barrières sont en place, si les choses ne sont pas pêle-mêle, s'il y a de la lumière,
j'imagine que tout cela est intégré dans ta grille de lecture professionnelle ?
D. Ah oui, d'ailleurs tout ça n'est pas réfléchi. Je vais regarder si la poche d'urines est pleine,
si la personne grimace dans son sommeil, si elle a l'air confortable ou pas, si le soleil tape et
que cela risque de la gêner alors je baisse le store, s'il fait froid je la recouvre, si elle doit
absolument prendre un médicament à une heure fixe alors je vais la réveiller mais j'y vais à
tâtons. Je ne sais pas, en fait je suis incapable de répondre !
Par exemple, la dame qui est au 128, Mme NL, j'ai conscience d'entrer dans un espace très
privé donc je frappe, j'attends un moment, j'ouvre la porte bien après. Je rentre chez elle.

O. Qu'est-ce qui te donne cette impression d'intimité plus ou moins grande ? Comment se fait-
il à ton avis que d'une chambre à l'autre, on puisse noter de telles différences ? Cela tient-il à
la profusion ou non de la décoration intérieure (dessins, photos…) ? D'où cela vient-il que
l'on ait parfois cette impression d'entrer dans une grotte ou dans un appartement ?
D. Ca dépend aussi des relations qu'il y a entre les gens dans la pièce. Il y a des chambres très
paisibles et d'autres qui le sont moins. Parfois, on est davantage perçu comme un intrus ; on
n'est pas forcément bien accueilli en tant que soignant. C'est vrai que cela tient aussi à la
manière dont la chambre est agencée et à la façon dont la famille occupe cet espace. Des fois
ils ont besoin d'un désordre insensé et nous, nous sommes conviés à poser une compresse sur
un tas de revues. Ça tient à tout ce qui est non verbal, à la manière dont on perçoit
l'atmosphère ; ça peut être très intime juste avec une personne dans son lit. C'est irrationnel, ça
va se nicher dans nos histoires personnelles. C'est vrai que les chambres où il y a beaucoup de
photos, d'amour, on s'y sent convié.
O. Merci D., tu as un regard très sensible.

D. J'aime bien être la même partout. Si j'ai envie de siffler ou de faire un saut de cabri, je le
fais.
O. Tu abordes là un point que je serais tentée de rapprocher de la question de la censure, de
la timidité, de la progression dans la rencontre avec l'autre. Si j'ai la possibilité de voir la
personne plusieurs fois alors je vais peu à peu oser prendre plus de risques. Je vais me
restreindre en intensité, en amplitude, dans ma manière de jouer avec les objets ; je reste
souvent prudente au début, peut-être trop ?
D. Je peux dire à quelqu'un que je ne suis pas d'accord, que j'ai atteint mes limites ; c'est en ce
sens où je suis la même partout, j'essaie d'être authentique. Quand je suis dans une période de
cabri je saute [rires]. Avec Mr M . qui est resté longtemps, d'Août à Décembre, on a eu le
temps de tisser des liens. Je l'appelais Mister M. et il m'appelait Lady D. [rires]. On riait et
pourtant il était très douloureux ; on arrivait à être dans le vrai malgré tout. A Noël, je lui ai dit
au revoir en sachant que je ne le reverrai pas. Sa femme et sa soeur étaient là, il m'a dit qu'il
m'aimait mais sa femme pouvait l'entendre car évidemment il ne m'aimait pas comme il
l'aimait, et puis je lui ai dit « bah moi aussi Mr M., vous êtes dans mon coeur ». Voilà ce sont
des moments comme ceux-là que l'on ne peut vivre qu'ici. Mais je peux aussi dire : « si vous
me parlez comme ça, je ne sais pas si je vais revenir vous voir ».

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O. Vous les voyez plusieurs fois par jour, il y a une histoire de temps qui entre en compte,
non ?
D. Oui. Et puis des fois, il y a une usure alors on se relaie. Parfois, il n'y a plus rien à donner à
quelqu'un, pour le moment. Ce n'est pas inépuisable pour tout le monde. Je n'aime pas quand
ça m'arrive. Il vaut mieux s'effacer que de transmettre cette usure. Pour moi, il faut qu'il se
passe quelque chose (ça n'exclut pas les personnes dans le coma). Parfois, la situation renvoie
à des vécus trop douloureux. On est à la fois fragile, fort et vulnérable ; c'est un métier qui
donne à voir tout ça si on se donne la peine d'y réfléchir. Entre nous, on est suffisamment
solidaire pour être attentif. C'est important même indispensable.

O. Pour finir, j'aimerais connaître ta position sur la question du consentement.


L'année dernière, je n'ai dansé qu'auprès des personnes qui étaient en mesure de me donner
''clairement'' leur consentement. Lorsque j'ai rencontré pour la première fois l'équipe
d'encadrement, je me souviens qu'il m'a été répondu que la continuité d'une relation auprès
de personnes comateuses ou souffrant de troubles de conscience était envisageable dans la
mesure où je les avais rencontrées en amont, lorsqu'elles étaient encore vigiles. En
interrogeant les uns et les autres, je me suis aperçue que les avis étaient très partagés.
En effet, qu'est-ce qui me dit que la personne, à ce moment là de sa vie, a envie que je sois
là ?
Certains me disent qu'il faut essayer...Je sais que nul n'est en mesure d'apporter une réponse
claire et définitive à cette question.
Pour certaines personnes, j'ai parfois regretté de ne pas faire le pas, pour d'autres comme
Mme O., il était évident que le refus auquel je me heurtais lorsqu'elle me dit « je ne suis plus
en mesure de vous recevoir » annonçait la fin d'une relation. Ce ''non'' que je recevais
marquait une rupture : elle ne souhaitait plus ma présence aujourd'hui pas plus que dans les
jours à venir où son affaiblissement irait grandissant.
D. C'est ce questionnement là qui est essentiel justement. Ca ne veut pas dire qu'on a toujours
la réponse ou qu'elle est juste mais il s'agit de se questionner pour toujours garder la personne
en face comme auteure de sa vie, de ses choix, même sans parole, c'est la garder entière.
Malgré toutes les incertitudes de nos interprétations liées à la sensibilité de chacun – « elle
aurait bien voulu... elle voudrait bien... ou elle ne voudrait pas... » –, le questionnement fait
sens parce qu'il existe comme questionnement.
On est porte-parole d'un dire qui ne nous appartient pas. Certaines personnes qui ne parlent
pas vont faire un petit geste. Il arrive souvent, s'agissant des proches, d'entendre : « Il ne me
parle plus, on ne va pas rester, ce n'est pas la peine », pendant ce temps je suis en train de faire
un soin de bouche et je sens que la personne qui était apparemment a-réactive serre les dents
sur mon bâtonnet alors je dis : « vous écoutez, vous êtes là avec nous, vous aimeriez bien
parler, ce n'est pas possible mais vous êtes bien présent ». Je suis transmetteuse de la personne
qui sinon ne serait pas en lien avec sa famille, en apparence. Je suis dans une interprétation de
ce qu'elle me donne à voir.
Parfois, il arrive qu'une famille entre dans une chambre où l'on se trouve. La personne ne
bouge pas mais sa respiration change ; on l'entend et on dit : « elle manifeste qu'elle a senti
votre présence » mais peut-être est-ce du doux délire pour d'autres [rires], on est dans le
subtil.

Pour les personnes privées de parole, il peut encore y avoir du geste ; ce peut être un
mouvement de paupière ou de bouche qui perdure , signe d'une communication. On doit

81
exercer une certaine acuité.

O. Votre expérience accumulée au fil des semaines, des années vous permet d'acquérir une
grande palette de référents dont vous vous servez auprès des personnes. Moi, je ne l'ai pas ou
si peu. Je vois les gens sur des périodes espacées, leur état de santé change très rapidement.
Mon temps d'observation et de relation est moindre.
De savoir que ce rictus a telle signification m'interroge alors que pour vous cela semble
évident. Ce fut le cas pour Mme NM qui était très encombrée. Un râle est sorti de sa gorge, et
C. de dire « oh elle a dit oui, elle dit déjà merci » ; j'ai regardé C. et je me suis dit mais
comment a-t-elle pu percevoir cela, de manière évidente en plus !! [rires]. Il y a peut-être de
ma part un excès de prudence !
D. Des fois on se trompe aussi. On a beaucoup débattu avec T. Il est démuni face aux gens qui
ne parlent pas, qui sont dans le coma. Pour lui, il n'y a plus rien. Il a fallu quelques années
pour le sensibiliser à une autre façon de penser. Il passait faire sa visite et il disait « non il ne
réagit plus », nous on disait « si si, il a ouvert les yeux, il m'a regardé, il a eu un léger sourire,
il a réagi quand on l'a tourné ». Pour lui c'était rien ce qu'on disait et puis petit à petit il s'est
ouvert mais ça a été long.

D. Je commence à fatiguer.
O. Oui Oui, je vais te laisser rentrer chez toi ! Excuse-moi, ta journée a été plus que longue,
13 h !
D. J'espère que j'ai répondu.
O. Oh oui oui, merci beaucoup.

82
ANNEXE 2

RÉPERTOIRES MUSICAUX UTILISÉS

J.-C. / FLÛTE À BEC (flûte de voix et flûte soprano)

Bach, Jean-Sébastien Suite n° 2 en si m, Rondeau / Menuet / Bourrée 1 et 2 /


Badinerie / polonaise / Sarabande
Destouche de, Caliroe Muzette
Linde 1er motif
Telemann, Georg Philipp Affectuoso
Fantasia
Fantaisie n°6 dolce
Fantaisie n° 1, Vivace-Adagio, allegro alternés-Allegro
Fantaisie n° 3
Fantaisie N° 10 A justo tempo, Presto, Moderato
Van eyck, Jacob Excuse-moi cf. Downland, can she excuse ?
Pavane lacrime
Laura
Zahnhausen, Markus Goldenen Strahlen (rayon de soleil)
? Morceau irlandais
? Ponthus et sidoine
Air japonais Owase melody (Bushi)
Tosa no sunayama (Chanson de paysans )

J. / CLARINETTE (Clarinette en Si b et en La)

Bach, Jean-Sébastien Sonate I BWV 1001 pour violon, adagio


Partita II BWV 1004 pour violon : Allemande, Courante et
Gigue
Partita pour flute seule BWV 1013 : Allemande et Sarabande
Suite française pour clavecin BWV 815 : Allemande
Pièces pour luth BWV 997 : Prélude
Bério, Luciano Lied
Kovacs, Bela hommage à Bach,
hommage à De Falla
hommage à Debussy
Piazolla, Astor Etudes Tango n• 3 et 4
Scarlatti, Domenico K1, K 9, K 135 issus des sonates pour clavecin
Stravinsky, Igor 1ère pièce issue des trois pièces pour clarinette solo
Tanada, Fuminori Echoing Forest

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A. / CHANT

Alevanta Sultanachi, traditionnel judéo-espagnol en langue ladino


Black, folk américain (origine écossaise probablement)
Cirikli, traditionnel tsigane Balkans, langue rromani
De la moara pan la gara : une doïna, langue roumaine
Dumba, traditionnel tsigane de la communauté de Ursari (montreurs d'ours) en Roumanie,
langue roumaine
E kapura, traditionnel tsigane tchèque, langue rromani
Ha megfogom az ördögöt, traditionnel Hongrie
Hush, berceuse traditionnelle USA, (version de Bobby Mac Ferrin) suivie de Dumbala
La serena
Le shavore, (groupe Ando Drom), Hongrie, langue rromani
Nami nami, (compositeur libanais), berceuse de Marcel Khalife
Oy lalo, berceuse traditionnelle Afghane, langue farsi
Sednalo e Djore dos, traditionnel Bulgarie
Tonadas de ordeno, de Simon Diaz, Venezuela

MUSIQUE ENREGISTRÉE, UTILISÉE LORS DES SÉANCES SEULE

Bach, Jean-Sébastien Variation sur un Chorale, Variation 4 - Evenly, Maintaining a


Strange Disembodied Expressivity (Simone Dinnerstein)
Variations Goldberg, Aria et n° 13 (Zhu Xiao-Mei)
Concerto en sol Majeur, BWV 973: II. Largo (Alexandre Tharaud)
Cantate #51, BWV 51, Jauchzet Gott In Allen Landen - « Wir
Beten Zu Dem Tempel An » (Emma Kirkby; John Eliot Gardiner:
English Baroque Soloists, Monteverdi Choir)
Partita en La mineur pour flûte seule, BWV 1013: III. Sarabande
(Alain Daboncourt)

Brahem, Anouar Astrakan Cafe


Kerkenah
Mozart, Amadeus Requiem, Lacrimosa (CD d'une patiente)
Piano : Rondo In D, K 382 – 2 : Adagio (Alfred Brendel ; Neville
Marriner: Academy Of St. Martin In The Fields)

Schumann, Robert Carnaval, Op. 9 : Aveu (Emmanuelle Swiercz)


Vivaldi, Antonio Les Quatre saisons, Op. 8/4, RV 297, "Hiver" - 2. Largo-Version
en pizzicati (Enrico Onofri, Giovanni Antonini ; Il Giardino Armonico)
Yoshikazu, Iwamoto San'Ya Sugagaki, « L'esprit du silence » (Instrument Shakuhachi)

The Soul of Black Peru Afro - Peruvian Classics, Maria Lando


New Orleans' Own The Dukes of Dixieland, Petite fleur

84
BIBLIOGRAPHIE

Usuels

Le nouveau Petit Robert de la langue française, REY-DEBOVE Josette et REY Alain (sous la
direction) Paris, Dictionnaire le Robert – SEJER, 2010,
Vocabulaire technique et critique de la philosophie, LALANDE André, Paris, PUF, 2006
(2ème édition)

Danse et méthode somatique

ALEXANDER, Gerda, L'eutonie, un chemin de développement personnel par le corps,


Tchou, 1976, « Toucher et contact » p.36-40
BERNARD, Michel, De la création chorégraphique, Paris, Centre National de la Danse, coll.
Recherches, 2001
FORTIN, Sylvie (sous la dir.), Danse et santé : Du corps intime au corps social, « Québec,
Presse de l'Université du Québec, 2008. Notamment « Entre-temps...dans une chambre
d'hôpital », Aurore Després, p. 261-268
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