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UNIVERSITÉ PARIS VIII – SAINT DENIS

Département Danse

Une transmission événementielle.


Analyse d’éléments non verbaux dans le
cours de danse contemporaine pour enfants
de Marina Rocco.

BLANCHE Bruno

SOUS LA DIRECTION DE SYLVIANE PAGÈS

MÉMOIRE DE MASTER 1 ARTS, MENTION MUSIQUE, SPÉCIALITÉ


DANSE

JUIN 2014
1
– Sommaire –

Introduction ...................................................................................................................... 3

I. La construction du terrain et les choix méthodologiques

1. La prise de contact ................................................................................................ 7


2. L’élaboration de la problématique et les modalités de l’observation.................... 8
3. L’organisation des entretiens avec les élèves ...................................................... 11
4. L’organisation des entretiens avec Marina Rocco .............................................. 13

II. L’attention portée à la place du langage

1. Pédagogie et langage............................................................................................. 15
2. Place du langage dans trois études sur la transmission ...................................... 17
3. Analyse des éléments discursifs de deux cours .................................................... 20

III. Description et analyse de la transmission d’un court enchaînement

1. Place de cette transmission dans l’organisation générale du cours ................... 32


2. Description d’un court enchaînement ................................................................. 33
3. Analyse de la transmission du court enchaînement ............................................ 35

IV. Description et analyse de la place des regards

1. Ebauche d’une typologie des regards ................................................................. 40


2. Les différentes modalités de correction .............................................................. 48
3. La place de l’émotion .......................................................................................... 51

Conclusion ...................................................................................................................... 53

Bibliographie .................................................................................................................. 55

Annexes
Consignes des dessins .......................................................................................... 59
Dessins de Paule .................................................................................................. 60
Entretien avec Anna ............................................................................................. 61
Entretien avec Paule ............................................................................................. 67
Entretien avec Marie ............................................................................................ 75
Entretien avec Lola .............................................................................................. 84
Entretien avec Théo ............................................................................................. 90
Entretien avec Eva ............................................................................................... 94

2
Introduction

L’enquête de terrain que j’ai menée dans un cours d’enfants de Marina Rocco, conseillère
pédagogique au Centre national de la danse, donne lieu à ce mémoire de master 1 qui interroge et tente
d’analyser ce processus particulier de transmission de la danse contemporaine.
L’enquête s’est déroulée en deux temps : une première fois durant l’année scolaire 2011/2012 de
novembre à mars (que je nommerai pour plus de commodité terrain 1), une seconde fois en 2013/2014
de novembre à mars (terrain 2). Le groupe d’élèves n’est pas le même dans les deux terrains : exceptés
pour trois élèves qui poursuivent pour des raisons d’emploi du temps leur enseignement le lundi, les
autres élèves du terrain 1 ont soit arrêté de suivre des cours au CND, soit poursuivent ces cours le
mercredi.
Le cours se déroule pendant la période scolaire, les lundis de 17h30 à 18h30, dans le grand studio. Il
s’agit d’une première année de technique de danse contemporaine pour les élèves âgés de huit à onze
ans. Le groupe est hétérogène car les élèves sont non seulement d’âges différents mais ont aussi une
pratique de la danse plus ou moins affirmée. Ce cours, qui se déroule dans la commune de Pantin,
s’adresse à un public local.

Avant même de commencer à observer le cours au CND, je pensais étudier l’apport de celui-ci
pour la construction de la notion d’espace chez les élèves. Cette préoccupation est liée à mon parcours
professionnel d’enseignant du premier degré. En 2007, lors d’une formation en vue d’obtenir le
CAFIPEMF1, j’avais écrit un mémoire qui analysait les liens entre l’enseignement de la géométrie (en
particulier celui des compétences spatiales) et la pratique de la danse à l’école élémentaire2.
J’envisageais cette enquête de terrain comme un prolongement de cette analyse professionnelle. Je
pensais tout particulièrement travailler à partir de représentations (dessin, croquis de parcours...) que
l’enseignante utiliserait en cours. J’avais parlé de ce projet à Marina Rocco car elle m’avait déjà fait
part d’une expérience d’initiation à la danse utilisant le dessin, expérience qu’elle avait menée avec des
élèves de maternelle.

1
Le CAFIPEMF (certificat d’aptitude à la fonction d’instituteur, professeur des écoles maître formateur) est un examen qui
se déroule sur une année scolaire dont l’une des épreuves est la rédaction d’un mémoire professionnel rendant compte d’une
pratique menée en classe et analysée au regard de la théorie.
2
Ce mémoire s’appuyait sur un projet, organisé en partenariat avec le CND, qui avait pour objet de proposer une pratique
de danse à l’école utilisant la symbolisation du mouvement dansé. Le but pour le CND était de montrer les apports de la
notation du mouvement en termes d’apprentissages.

3
J’ai rencontré Marina Rocco en juin 2007 à l’occasion de la présentation du travail de ma classe
au CND. Elle est venue me voir à l’issue du spectacle car elle avait été touchée par l’implication de
mes élèves dans la danse et souhaitait me questionner à ce sujet. Notre première rencontre fut donc
celle de deux pédagogues. Comme enseignant, j’avais mené de nombreux projets de danse à l’école.
Bien que n’étant pas danseur, j’avais beaucoup d’intérêt pour la danse en tant que spectateur. C’est
pourquoi j’avais cherché à mettre ce goût au service de l’enseignement. Marina Rocco m’a parlé de son
travail avec de jeunes danseurs débutants dans les cours d’application. J’étais très intéressé par ce
travail souhaitant mieux comprendre l’expérience vécue par mes élèves dans leur pratique de danse car
n’étant pas danseur, une part importante de cette expérience échappait à ma compréhension. Marina
Rocco m’a proposé de venir au cours d’application pour adultes amateurs du CND. J’ai mis deux ans à
me décider. En 2010, j’ai commencé à suivre régulièrement ses cours. J’ai été très vite séduit par la
pédagogie de Marina Rocco et par le plaisir de la danse, j’ai décidé de prendre également ses cours au
RIDC3. Marina Rocco est, depuis quatre ans, mon professeur de danse : j’ai participé à tous ses cours et
aux stages qu’elle a organisés.

Avant même mon implication sur le terrain 1 dans le cadre de cette enquête, avant même de
commencer mes observations, j’avais des idées préconçues en ce qui concerne :
- mon intérêt d’apprenant et celui d’enseignant par rapport à la pédagogie de Marina Rocco.
- ma volonté de mieux comprendre les expériences que les enfants traversent quand ils s’initient à
la danse.
- La construction de l’espace chez l’enfant. La prise en compte des compétences spatiales dans le
cours de danse.
Ces a priori ne se sont pas révélés efficaces au cours de l’enquête.

De plus, avant de commencer l’observation, j’avais anticipé une première difficulté liée au fait
que j’étais également un élève de Marina Rocco. Je n’avais pas le statut d’observateur-participant mais
je pensais que la connaissance que j’avais de l’enseignement du cours d’adultes pouvait m’empêcher de
voir certains éléments du cours d’enfants. En me retrouvant dans un contexte connu, je craignais
d’avoir du mal à objectiver mon terrain. Finalement, le fait d’être extérieur au cours, m’a permis de
l’observer comme étant totalement différent même si j’y retrouvais quelques éléments communs4 avec
celui destiné aux adultes. En revanche, j’ai eu parfois recours à mon expérience du cours adulte pour
3
Rencontres internationales de danse contemporaine.
4
Il s’agit notamment du moment de travail au sol qui sera évoqué dans la deuxième partie du mémoire.

4
apprécier la singularité de celui que j’observais en recherchant les écarts, notamment en ce qui
concernait son « atmosphère » et les relations entre l’enseignante et les élèves. En fait, lors de ma
première observation, c’est une autre difficulté que je n’avais pas anticipée qui m’est apparue plus
évidente. En observant le cours, je me retrouvais dans un contexte proche de celui de mon travail de
conseiller pédagogique auprès de collègues débutants. J’avais des réflexes professionnels que je
transposais dans la situation de terrain : de la même façon que lorsque je vais dans une classe, j’ai
partagé mon cahier en deux notant dans une colonne les éléments objectivables : consignes, réactions
des élèves, modes d’interactions... et dans l’autre mes questions. Or, je ne voulais pas me concentrer
uniquement sur les aspects pédagogiques mais être dans une posture plus ouverte afin d’être capable de
saisir des aspects singuliers de ce cours. Je risquais de projeter sur le terrain des éléments exogènes en
y transposant une attitude professionnelle qui n’a pas du tout les mêmes finalités. Ces difficultés
initiales m’ont indiqué que l’objectivation de mon expérience de terrain serait une part importante du
travail de master 1. Cette objectivation me semblait nécessiter une mise à distance de mes habitudes
professionnelles extérieures.

La lecture de Jeanne Favret-Saada5 son choix « d’être affecté », de mettre en question le


traitement paradoxal de l’affect en anthropologie et de « faire de la participation un mode de
connaissance » m’encouragea à prendre en compte cette dimension. Par ailleurs, le mode
d’observation, que j’avais transposé à partir de mon cadre professionnel, a dirigé mon attention sur les
consignes données par l’enseignante. Je me suis ainsi, peu à peu, rendu compte de leur brièveté, voire
de leur absence. J’ai donc orienté mon observation sur les paramètres non discursifs de ce processus de
transmission. La lecture de Jeanne Favret-Saada m’a également incité à porter attention aux éléments
non verbaux de la communication.6C’était cette dimension qui me paraissait constitutive de
l’enseignement de Marina Rocco que je voulais explorer.
À partir de cette prise de conscience, je me suis interrogé et j’ai cherché à rassembler des données sur :
les différentes modalités de transmission que l’enseignante met en place en dehors des éléments
discursifs, la place de la consigne, les types d’échange privilégiés, les interactions entre l’enseignante et
les élèves, la place et l’organisation des corrections.

C’est à partir d’un faisceau de questions que s’est construit la problématique suivante :
Comment s’organise le processus de transmission en dehors des éléments discursifs ? Quelles sont les

5
Jeanne Favret-Saada, Désorceler, Paris, l’Olivier, 2009, p 153
6
Ibid. p 157

5
fonctions relatives des aspects verbaux et non verbaux dans ce processus ? La question principale de
ma recherche peut se formuler ainsi : en quoi la place importante donnée aux éléments non discursifs
dans ce processus de transmission influence-t-elle l’apprentissage ?

Il s’agira dans un premier temps de montrer comment cette question a influencé tout d’abord,
mes choix méthodologiques et ensuite quelle analyse j’ai pu faire de ces choix au terme de cette
expérimentation : les modalités d’observation, les différentes focalisations choisies, leur impact sur
mon observation, le statut des entretiens, l’analyse critique de ceux-ci.
Dans un deuxième temps, j’étudierais la place du langage dans l’enseignement de Marina
Rocco. Pour ce faire, je tenterais de rendre compte des apports théoriques de différents travaux qui
étudient la place du discours dans la transmission en danse. Ensuite, j’analyserai un moment du cours
dans lequel les éléments discursifs occupent une place importante, il s’agira d’une transmission par
imitation-modélisation d’un enchaînement au sol.
Dans un troisième temps, je concentrerai mon analyse sur des moments du cours qui me
semblent particulièrement révélateurs d’une transmission qui ne s’appuie pas essentiellement sur le
discours. Il s’agira de la description et de l’analyse de la transmission d’un petit enchaînement qui a
lieu en fin de cours. J’analyserai les différentes techniques des élèves pour observer, mémoriser et
danser cet enchaînement et les attentes de l’enseignante. Les entretiens avec les élèves et avec
l’enseignante seront croisés avec mes observations.
J’étudierai, ensuite, les différents statuts des regards dans les interactions : entre élèves, entre les
élèves et l’enseignante. Enfin, j’analyserai le regard que porte l’enseignante sur ses élèves et son
implication dans les différentes modalités de correction. Il s’agira de mettre en relation cette analyse du
regard avec les choix pédagogiques de Marina Rocco et tout particulièrement la faible utilisation de la
communication verbale dans son cours.

6
Première partie : La construction du terrain et les choix méthodologiques.

1. La prise de contact.

Au terme de mon implication de terrain et au seuil d’écrire ce mémoire, je me trouve en face d’un
ensemble conséquent et disparate de données :

- des notes prises en observant le cours,

- des enregistrements audio de cours,

- des entretiens menés avec les élèves,

- des dessins réalisés par les élèves à ma demande,

- des échanges informels avec l’enseignante et trois entretiens.

Avant d’analyser le corpus établi, je souhaite ressaisir les étapes qui m’ont permis de le constituer afin
de pouvoir exposer la méthodologie que j’ai mise en œuvre pour recueillir et analyser ces données.

Dans un premier temps, j’ai réfléchi à la manière dont j’allais me présenter aux élèves du cours.
J’avais obtenu l’autorisation de Marina Rocco et du service de formation pédagogique du CND. Cet
accord n’a pas posé de problème, il était lié au parcours que j’ai retracé dans l’introduction. En
revanche, il était plus délicat de faire saisir aux élèves l’objet de ma venue. J’étais dans un premier
temps assimilé par eux aux autres observateurs réguliers du cours, c'est-à-dire aux étudiants du diplôme
d’État. J’ai expliqué aux enfants que j’allais faire un travail sur leur cours pour mes études à
l’Université de Paris 8. J’allais venir régulièrement pour observer le cours et plus tard, s’ils en étaient
d’accord, je leur poserais des questions. Je leur ai dit que je connaissais Marina 7 car c’était également
mon professeur et que je suivais le cours juste après eux. J’ai aussi expliqué que mon travail actuel était
d’aider les maitres débutants dans les classes mais que, auparavant, j’avais eu des élèves de leur âge8.
J’avais réfléchi à cette présentation : je souhaitais à la fois créer un lien avec eux en me présentant
comme un élève et comme un instituteur (travail dont ils ont une représentation). Je cherchais comme
Olivier Schwartz l’indique à : « (...) créer un cadre favorable à la circulation de la parole, au

7
Je nommerai Marina Rocco : « Marina » quand il s’agira des échanges avec les élèves ou des échanges que j’ai eus avec
elle. Il s’agit d’être au plus proche des types de relation des différents interlocuteurs.
8
J’ai renouvelé cette présentation lors d’une classe ouverte en présence des parents en leur demandant l’autorisation de faire
des entretiens avant le cours, tous les parents ont chaleureusement accepté. Il y a donc eu tout au long de l’enquête des
demandes d’accord qui permettent aux enquêtés de comprendre et de participer à celle-ci.

7
surgissement des évènements9. » Je voulais faciliter les échanges avec les élèves pour me permettre de
mener des entretiens avec leur accord en réduisant « les effets d’intimidation – et d’intimation – que
suscite nécessairement dans un premier temps l’irruption d’un chercheur dans un univers social
donné10. ». J’ai cherché, ensuite, à établir des relations avec les élèves dans ce moment informel entre
leur arrivée au CND, leur sortie du vestiaire et le début du cours11. Il ne s’agissait pas alors de les
questionner mais d’avoir des échanges simples et directs. Olivier Schwartz, dans son enquête sur
l’intime dans le monde ouvrier, parle de l’importance de déritualiser les relations12. Je suis habitué à ce
type de relations avec les élèves, c’est, me semble-t-il, un élément essentiel des relations entre
professeur et élève. Il ne faut pas oublier que si celles-ci sont fortement ritualisées, entre autres parce
qu’elles servent un objectif d’apprentissage et de travail commun qui les excède. Il me semble alors
important, en dehors de la classe qui elle doit être réservée au travail, d’établir des liens avec les élèves
en « déritualisant » la relation. Ainsi le statut des échanges possibles hors et dans la classe est-il plus
facile à gérer pour les enfants. J’ai cependant recueilli dans le cadre de ces échanges informels des
informations sur les élèves : les relations entre eux (par exemple : j’ai appris que Paule était la cousine
d’Isabelle et une amie de Julie.), leur cadre de vie, leur ancienneté dans le cours... J’expliquerai
comment j’ai exploité cet ensemble d’informations lors des entretiens. J’ai donc, dès le début de
l’enquête, essayé de tenir compte de la perturbation liée à ma présence en notant l’évolution de mon
statut d’observateur dans mon journal de terrain13.

2. L’élaboration de la problématique et les modalités de l’observation.

J’ai commencé mon observation en m’asseyant sur la seule chaise du studio qui est située le
long du mur près de l’entrée. Ce studio est très vaste, c’est le plus grand du CND. Il est carré, parqueté
de bois épais. Le mur d’entrée est en béton, il fait face à un mur entièrement vitré qui donne sur le
canal de l’Ourcq. L’un des murs latéral est recouvert de bois, il comporte une barre sur tout sa
longueur, l’autre est couvert jusqu’au plafond d’un miroir qui est la plupart du temps caché par un

9
Olivier Schwartz, Le monde privé des ouvriers, Paris, PUF, 2002, p. 47
10
Ibid. p. 46
11
Certains d’entre eux arrivent directement de l’école vers dix-sept heures, une demi heure avant le début du cours, la
plupart du temps ils restent dans le « vestiaire des enfants » qui est une salle aménagée dans le CND avec un mobilier
adapté, il y a une petite cuisine attenante et des toilettes Je connais cet endroit car j’y avais organisé des pique-niques avec
ma classe lors de mon projet en 2007. Pendant le terrain, je suis toujours resté à l’extérieur dans le couloir qui jouxte le
vestiaire et le service de formation pédagogique où se trouve le bureau de Marina Rocco.
12
Olivier Schwartz, op.cit, p. 47
13
Comme l’indique François Laplantine : « Nous ne sommes jamais des témoins objectifs observant des objets, mais des
sujets observant d’autres sujets. Autrement dit, nous n’observons jamais les comportements d’un groupe tels qu’ils auraient
lieu si nous n’étions pas là. ». François Laplantine, L’anthropologie, Paris, Payot, 2001, p.179

8
rideau. Le studio est très haut de plafond, ce qui augmente la sensation d’espace surtout lorsque l’on
fait face au mur vitré sans vis-à-vis ouvert sur le canal et le ciel. C’est Marina qui m’avait indiqué cette
chaise pour m’asseoir. J’étais assis le long du mur de l’entrée. Lors du premier cours, Marina a
demandé aux élèves de faire face au public : c'est-à-dire à moi, le mur d’entrée fut ensuite toujours
désigné comme étant le côté du public. Ceci a eu plusieurs conséquences : l’une sur ma compréhension
de l’organisation spatiale du studio, l’autre sur mon statut d’observateur. Cela signifie également
qu’une partie au moins du déroulement du cours s’adresse à un public potentiel. J’étais donc assigné au
rôle de « public ». En ce sens on peut parler d’un statut d’observateur participant même si je étais
rarement sollicité directement par l’enseignante, les élèves devaient parfois « se tourner vers le public »
ou « regarder le public ». Dans cette situation, un certain type d’échanges s’est établi, malgré moi, avec
les élèves quand ils travaillaient face au « mur du public » : ils pouvaient me regarder en me souriant
(Paule, Lou) dès qu’ils estimaient se tromper ou bien chercher mon assentiment après un exercice
qu’ils pensaient avoir réussi. J’avais, sans doute, pour eux, à ce moment-là, un rôle annexe à celui de
l’enseignante, pouvant apprécier leur travail sans le corriger et les encourager. Cette place proche de
l’appareil de musique m’a également permis de recueillir des propos de Marina pendant le cours et
d’avoir de brefs échanges avec elle. Marina occupe cet espace pour varier les musiques, s’extraire du
groupe des élèves quand elle ne danse pas avec eux et observer le groupe. J’ai cherché à changer
l’angle d’observation mais je ne voulais pas perturber outre mesure le cours en me déplaçant. Le début
de mon implication sur le terrain a consisté pour moi à clarifier une question de places : l’une physique
c’est à dire celle de la place que j’occupais dans le studio, l’autre méthodologique qui concernait les
focalisations de mon observation.

J’ai indiqué dans l’introduction le « réflexe professionnel » qui s’est saisi de moi en me
retrouvant dans une position proche de celle que j’occupe dans les classes comme conseiller
pédagogique. J’ai d’abord pris soin de noter les consignes, les réactions des élèves à celle-ci, les
« erreurs », les corrections... Un ensemble de données qui pouvaient éventuellement me permettre
d’avoir une ébauche de description de la pédagogie à l’œuvre dans ce cours. Comme je voulais me
défaire de mes habitudes professionnelles (pensant que c’était une condition pour saisir les éléments
singuliers à ce processus de transmission) j’ai cherché à saisir ce qui m’affectait sur le terrain. Comme
l’indique François Laplantine : « Ce que vit le chercheur dans sa relation avec ses interlocuteurs (ce
qu’il refoule ou ce qu’il sublime, ce qu’il déteste ou ce qu’il chérit), fait partie intégrante de sa

9
recherche14.». Si la présence d’un chercheur perturbe la situation, il est lui aussi perturbé par elle et il
lui revient de tenir compte de cette perturbation en l’analysant pour en faire « un projet de
connaissance15 ». Je notais dans mon journal de terrain : « Aujourd’hui, climat très serein du cours,
comme si elles étaient toutes ensemble. » évoquant ainsi « l’atmosphère » particulière de ce cours que
je qualifiais de moment de douceur, de sérénité. Ces remarques étaient renforcées par l’attitude de
Marina au début du cours qui systématiquement16 tournait le dos aux élèves en s’occupant de ranger ses
disques et intervenait en demandant le calme alors que le groupe l’était la plupart du temps, par
exemple dans un enregistrement d’un cours en février Marina intervient en entrant dans le studio :
« Vous pouvez fermer la porte en entrant, fermer là, fermer l’autre. Je vous parle, vous m’entendez là ?
Arrêtez de bavarder, je voudrais vraiment donner le cours maintenant. ». Ces interventions me
semblaient disproportionnées tant elles contrastaient avec la disposition des élèves qui entraient dans le
calme en chuchotant. Par contraste entre l’attitude de l’enseignant et celle des élèves, j’étais séduit par
« l’atmosphère sereine » du cours. C’est cette dimension qui me paraît constitutive du cours de Marina
Rocco que je voulais explorer. Pour en rendre compte et analyser cette atmosphère particulière, je
devais m’abstraire de la dimension pédagogique et tenter d’observer autre chose. Mais alors, que
devais-je observer ? Cette question est demeurée présente pour moi une grande partie de l’enquête
jusqu’à ce que je sois en mesure de dégager une problématique. Pour pouvoir me concentrer sur
d’autres aspects de la transmission de la danse, j’ai décidé de faire des enregistrements audio 17. Ce qui
me libérait de la contrainte de noter systématiquement les consignes. J’ai, en revanche, toujours tenu
compte des questions spatiales, en tout cas de l’organisation spatiale du cours en particulier du
positionnement des élèves dans la salle aux différents moments du cours, de leurs orientations, des
croquis de parcours de leurs déplacements, des liens de proxémie, des déplacements de l’enseignante...
Mon journal de terrain contient à la fois ces éléments et des notes sur une focalisation particulière qui
variait d’un cours à l’autre. J’ai observé les déplacements et les modes d’interventions de l’enseignante
qui n’étaient pas obligatoirement verbaux, les interactions entre les élèves, l’attitude de certains élèves

14
François Laplantine, op.cit, p.180
15
Jeanne Favret-Saada, Désorceler, Paris, l’Olivier, 2009, p 153
16
Le caractère systématique de ces remarques de début de cours est attesté par l’écoute des enregistrements audio du cours.
Lors d’un entretien j’ai interrogé Marina sur son attitude au début du cours, elle est consciente de sa façon de débuter le
cours qui lui semble nécessaire même si elle convient du calme de ce groupe. Elle déclare : « Effectivement on a un long
chemin à faire et j’aimerais bien que les enfants commencent un peu à se…je ne veux pas dire concentrer, mais qu’ils se
rassemblent sans qu’il y ait toujours cette dispersion en rentrant dans le studio. » On peut entendre par l’utilisation du verbe
rassembler à la fois la volonté que le groupe d’enfants se « rassemblent » en formant un groupe d’élèves mais c’est aussi,
me semble-t-il, la volonté de créer un état propice à la danse. Marina évoque plus loin le travail en silence. Enfin, on peut
également considérer ce moment comme une mise en condition adressée aux élèves mais également au professeur.
17
Je souhaitais filmer le cours mais cela semblait compliqué pour Marina car il fallait obtenir l’accord de la direction du
CND, en revanche elle a accepté sans problème l’enregistrement audio.

10
en particulier, la gestuelle propre à chacun d’eux, l’évolution de celle-ci, le rapport à l’espace de leurs
mouvements. J’ai recueilli un ensemble de données à la fois disparates mais précises en ce qui
concerne les élèves. C’est petit à petit que mon attention s’est portée sur la place des éléments non-
discursifs dans ce processus de transmission. Ce faisant, j’ai pris le risque de ne pouvoir rendre compte
de l’expérience de l’enquête en désirant comprendre ce qui était selon moi, essentiel au terrain c'est-à-
dire ce qui m’y affectait sans que j’en saisisse la nature exacte, tout en cherchant à m’éloigner le plus
possible de ce que je percevais comme des réflexes professionnels exogènes. C’est un risque proche de
celui exposé par Jeanne Favret-Saada:
Au début, je n’ai cessé d’osciller entre ces deux écueils : si je « participais », le travail de terrain devenait une
aventure personnelle, c'est-à-dire le contraire d’un travail ; mais si je tentais d’ « observer » c'est-à-dire de me
tenir à distance, je ne trouvais rien à « observer ». Dans le premier cas, mon projet de connaissance était menacé,
dans le second, il était ruiné18.
Étaient dangereux également le caractère novice de mon observation et certaines maladresses qui
pouvaient, en m’empêchant de recueillir des données adéquates, me faire courir le risque de « ruiner »
mon projet de connaissance.

3. L’organisation des entretiens avec les élèves.

Je souhaitais avant de commencer les entretiens pouvoir choisir les élèves que j’allais
interroger, avoir des éléments précis sur leur attitude et leur danse, connaître suffisamment le
déroulement du cours. Je n’avais pas le temps de mener des entretiens avec tous les élèves. J’ai choisi
durant le terrain 1 d’interroger trois élèves plus anciens et une nouvelle. Pour chacun d’eux, c’est à
partir de l’observation de leur mode de participation que je leur ai proposé de faire un entretien, ils ont
toutes les quatre accepté. Durant le second terrain, j’ai mené deux entretiens complémentaires pour
étayer mon observation qui portait alors essentiellement sur les éléments discursifs du cours.
Je souhaitais mener des entretiens avec des élèves pour comprendre leurs manières de saisir ce
qu’ils vivaient dans le cours. Je voulais savoir comment ils rendraient compte de leur danse, quel
vocabulaire ils utiliseraient, quel vocabulaire relevait pour eux de la danse. A partir de mes
observations, je pensais que les aspects verbaux du cours n’étaient pas l’essentiel, que l’essentiel se
transmettait par d’autres voies. Je souhaitais vérifier cette hypothèse en axant, dans un premier temps,
certaines questions sur un moment particulier du cours : celui de la transmission par l’enseignante d’un
petit enchaînement car celui-ci me semblait typique de ce mode de transmission.

18
Jeanne Favret-Saada, Désorceler, Paris, l’Olivier, 2009, p 153

11
L’observation ne suffit pas à rendre compte d’une activité surtout si l’on s’attache à saisir la manière
dont l’acteur vit cette activité car comme l’indique Pierre Vermersch à propos de la conduite d’une
activité, elle est « un objet d’étude à double face, l’une publique comportementale observable et l’autre
privée non observable19 ». Pour avoir accès à cette dimension privée, je devais tenir compte du contexte
que j’allais établir pour mener ces entretiens. Géraldine Rix précise :
L’acteur développe, selon les contextes, différentes manières de dire son action : il l’explique, il l’évalue, la
décrit... Ses verbalisations, plus ou moins spontanées, sont de natures différentes et entretiennent chacune un
20
rapport particulier à son action.
Je voulais éviter les commentaires des actions ou la redite des consignes et favoriser l’exposé du vécu
de l’action par les élèves. Je savais cependant que je n’étais pas capable de mener un entretien
d’explicitation comme ceux qui sont théorisés par Pierre Vermersch car le rôle de guidage y est très
spécifique et nécessite un apprentissage. Cependant, je voulais m’approcher de ce cadre théorique qui
me semblait correspondre à ce que je cherchais : aider à la verbalisation singulière d’une action vécue
et spécifiée. La première question à résoudre était de permettre le choix de ce moment vécu et spécifié.
Ce moment doit contenir une charge émotionnelle pour l’interviewé. Une difficulté pratique m’est
apparue : je ne pouvais pas, compte tenu de l’emploi du temps et de l’âge des élèves, mener les
entretiens directement après le cours, je devais donc tenir compte de cette contrainte. Les entretiens se
sont déroulés avant le cours21 sur un temps limité (entre 10 et 20 minutes selon l’heure d’arrivée des
élèves). Pour limiter cette difficulté liée à l’éloignement temporel du dernier cours vécu et au choix
d’un moment spécifié, j’ai demandé aux élèves de réaliser un dessin de leur « moment préféré22 ».
J’avais établi suffisamment de liens avec eux pour que les entretiens soient menés dans un climat de
confiance. J’ai préparé chaque entretien en fonction des élèves afin qu’ils se sentent, de ce fait,
impliqués. J’avais pour chacun d’eux des questions précises relatives à mes observations. Lors du
terrain 1, l’entretien avec Anna23 fut le premier des quatre. Je l’interrogeais sur le rôle des comptes car
j’avais remarqué qu’elle comptait très souvent pendant le cours, y compris dans des contextes où cela
ne me semblait pas nécessaire. De la même façon, je l’interrogeais sur le désir qu’elle avait évoqué, au
début d’un cours, de devenir professeure de danse. J’ai procédé de la même façon pour Marie et Paule
et Eva. Les entretiens avec Lola et Théo24 sont les seuls qui se sont déroulés après le cours ce qui a

19
Pierre Vermersch cité par G.Rix, "Prendre en compte la phénoménalité : propositions pour une psycho phénoménologie",
Expliciter, n°57, 2004, p.35-45.
20
Géraldine Rix, « Pour un meilleur positionnement du Dire par rapport à l’Agir ». In P. Lièvre, M. Lecoutre, M. Traoré,
Management de projet. Mises en perspective de l’activité à projet, Paris, Hermès-Lavoisier, 2006. (pp82-97)
21
Deux entretiens, celui de Lola et celui de Théo se sont déroulés après le cours.
22
Cf. Annexe 1 : Les consignes données pour les dessins.
23
Cf. Annexe 3 : Entretien avec Anna. Les entretiens sont organisés dans les annexes dans l’ordre de leurs enregistrements.
24
Cf. Annexes 6, 7 : Entretiens de Lola et de Théo.

12
facilité le « guidage » vers un vécu spécifié. Cependant j’ai rencontré les mêmes difficultés dans les
différents entretiens : avoir des relances adéquates pour prolonger leur évocation d’un moment vécu, ne
pas induire certaines réponses, laisser le temps nécessaire au ressouvenir. Je craignais de les brusquer
en leur demandant toujours de préciser leurs réponses. Je me suis rendu compte également au moment
de la transcription que j’avais eu, lors des premiers entretiens, une certaine anxiété du silence qui me
faisait me précipiter vers d’autres questions dès qu’il s’installait. Cependant, mon souci d’écouter
vraiment les élèves m’a permis d’obtenir des éléments utilisables pour l’analyse.
Je voulais également pouvoir croiser ces entretiens entre eux et opérer une triangulation des données25,
j’ai parfois guidé une partie des entretiens du terrain 1 vers le moment spécifique du cours de la
transmission du petit enchaînement que je souhaitais étudier. Lors des entretiens du terrain 2 (Théo et
Eva), j’ai tenté de focaliser l’entretien sur la verbalisation d’une action vécue et spécifiée.

4. L’organisation des entretiens avec Marina Rocco.

Après avoir terminé les entretiens avec les élèves et mes observations, j’ai mené trois entretiens
avec Marina Rocco quelques semaines après le dernier cours auquel j’ai assisté. J’avais recueilli tout au
long de l’enquête des données lors d’échanges informels, sources que je reconstituais de mémoire. J’ai
vécu ce trouble qu’évoque Olivier Schwartz quant à la collecte de données que j’avais le sentiment de
« voler » à Marina.
Le rapport enquêteur/enquêtés emprunte certes la forme d’une communication ; il doit même savoir jouer pour
s’y glisser de tous les réseaux de sociabilité disponibles ; mais il est, quant au fond, le contraire même d’un
26
échange.

Le rapport d’amitié, qui s’est instauré entre nous, m’a permis d’accéder, lors de discussions
informelles, non seulement à certaines informations mais à une émotion très personnelle de Marina, à
ses sentiments intimes par rapport à des moments privilégiés du cours. Ceci m’intéressait
particulièrement lorsque dans un premier temps, je pensais orienter mon travail sur la question de
l’émotion. Mais j’avais l’impression d’avoir dérobé ce « don précieux » qui m’était confié. Cependant,
comme le remarque Olivier Schwartz, ces moments informels permettent de saisir la subjectivité, de
rendre sa place au sujet. J’ai compris au fil de mon enquête que ces éléments émotionnels participaient
à la spécificité de la pédagogie de Marina Rocco. Ainsi cette gêne s’est-elle peu à peu levée. Ce qui

25
Géraldine Rix cite Pierre Vermersch pour expliquer le sens et l’intérêt de la triangulation des données indépendantes :
« pour comprendre et analyser le déroulement d’une action, (...) les verbalisations viendront souvent en complément aux
informations qu’apportera ce qui est observable et les traces de la réalisation de l’action. » Ibid. p.10
26
Olivier Schwartz, Le monde privé des ouvriers, Paris, PUF, 2002, p. 51

13
m’a permis, par ailleurs, de nuancer ma problématique en incluant la dimension émotionnelle à une
analyse de la pédagogie de Marina Rocco.

Par ailleurs, je savais que Marina Rocco, en tant que formatrice des étudiants du diplôme d’État,
a l’habitude de produire un discours analytique sur son activité pédagogique. François Laplantine
signale que :
Chaque groupe humain, comme chaque individu d’ailleurs, fournit à lui-même et aux autres des rationalisations de
ses conduites, qui consistent en des modèles conscients que l’ethnologue n’a pas plus à courtiser et épouser qu’à
27
contourner et exorciser, mais à analyser .
Marina Rocco est amenée régulièrement à rationnaliser sa conduite professionnelle pour la transmettre
à d’autres. Il me fallait en tenir compte lors des entretiens car je ne souhaitais pas que ceux-ci
s’orientent prioritairement sur un discours trop analytique. Il me semblait, en effet, que s’il pouvait y
avoir un intérêt pour Marina Rocco à cette enquête, il résiderait, sans doute, dans la possibilité pour elle
d’y découvrir une part encore inconnue (dans le sens où celle-ci ne serait pas encore formulée
rationnellement) de son activité. De plus, j’avais la crainte de « survaloriser le discours de l’autre28 »
car Marina est également mon enseignante. J’ai comme élève une admiration certaine de sa pédagogie
et nous avons peu à peu transformé ce rapport enseignant /enseigné en un rapport d’amitié. Je craignais
que ces sentiments, de respect et d’amitié, compliquent la tenue des entretiens et me fasse
« survaloriser » l’analyse de Marina au détriment de ce que j’avais eu l’impression de saisir pendant
l’enquête de terrain. C’est pour cette raison que j’ai mené ces entretiens après avoir terminé d’aller sur
le terrain. J’ai décidé, pour le premier entretien, de l’interroger sur sa propre formation plutôt que sur le
cours. Ce premier entretien n’a pas été évident car il y avait conflit entre ce que je voulais que Marina
me livre des rapports affectifs qu’elle avait pu avoir avec ses professeurs de danse et ce que, elle
désirait me raconter de l’histoire de sa formation professionnelle. Je pense, néanmoins, que cet
entretien a établi une sorte de cadre permettant à Marina Rocco de comprendre que je m’intéressais tout
autant à son ressenti qu’à son analyse rationnelle du cours. J’ai mené les autres entretiens en préparant
une série de questions qui émanaient directement de mon observation du cours en l’interrogeant à partir
d’éléments précis. Je relançais l’entretien à partir de certains propos d’élèves que j’avais recueillis.
Ainsi, l’entretien lui-même contenait une part de « triangulation » des données confrontant
immédiatement les propos de Marina à ceux des élèves et à mes propres observations.

27
François Laplantine, L’anthropologie, Paris, Payot, 2001, p.195
28
Ibid. p. 195

14
Deuxième partie : L’attention portée à la place du langage.

Ma formation professionnelle d’enseignant et mes connaissances en didactique m’ont incité à observer


les pratiques langagières mises en jeu dans le cours de danse afin de cerner la place du langage dans les
apprentissages. Cette observation, tributaire d’une conception de l’apprentissage accordant au langage
une place prépondérante s’appuie en grande partie sur les travaux du psychologue russe Lev Vygotski.
En effet, depuis quelques décennies et en particulier dans le cadre de ma formation de professeur des
écoles, les théories de psychologie contribuent à la réflexion et à l’évolution des méthodes et des
pratiques d’enseignement. Je vais évoquer dans un premier temps des éléments de ces théories.

1. Pédagogie et langage, quelques éléments théoriques.

L’œuvre de Vygotski a ouvert de nouvelles perspectives en ce qui concerne la place des


interactions et du langage dans le développement de l’enfant. La connaissance de ses recherches a
permis l’élaboration d’une nouvelle « méthode », qui succède et modifie la méthode dite
« constructiviste » qui s’était développée à partir des travaux de Piaget. Il s’agit de la méthode « socio-
constructiviste » qui accorde une attention nouvelle d’une part aux interactions (entre pairs ainsi
qu’entre l’enseignant et l’élève) et d’autre part au langage comme outil de communication et de prise
de conscience. Le tableau suivant synthétise les apports de Vygotski aux travaux de Piaget tels qu’ils
sont pris en compte dans la réflexion pédagogique :
Apports liés à Piaget Apports liés à Vygotski
Rôle de l’action de l’enfant dans le Rôle essentiel du langage et de l’acculturation des
développement cognitif. enfants dans le développement cognitif.
Importance des interactions entre Importance de l’interaction entre l’adulte et l’enfant et
sujet/contexte et sujet/objet le concept de zone proximale de développement.
Le développement spontané et le
Le rôle de l’école et de l’instruction.
constructivisme.

Les rapports entre développement de l’enfant et apprentissage sont au cœur des recherches de
Vygotski. Il affirme que l’apprentissage précède le développement alors que Piaget voit le
développement de l’enfant comme un processus conditionné par sa maturité et ses expériences dont
l’apprentissage fait partie. Vygotski soutient un rapport de causalité inverse : « la caractéristique

15
prédominante de notre hypothèse est la notion que les processus de développement ne coïncident pas
avec ceux des apprentissages mais suivent ces derniers ». L’hypothèse centrale de Vygotski est celle
d'un développement fondamentalement social de l'être humain. Le langage y occupe une place
essentielle. Pour Vygotski, les premières formes langagières se développent dans des situations
d’échange avec autrui. Le langage est en premier lieu socialisé, c’est un outil de communication. Par la
suite se développe un langage adressé à soi-même, langage dit égocentrique29, ce langage en situation
est un moyen d’organiser son activité. Il est produit par l’enfant sous la forme d’un monologue qui
accompagne l’activité. Ainsi, le langage est en premier lieu socialisé et ne joue un rôle intrapsychique
dans la pensée de l’enfant qu’à la suite « d’un processus d’internalisation ».
Le langage est une dimension essentielle des théories de l’apprentissage et des pratiques
d’enseignement du fait de son double aspect en tant qu’instrument à la fois de pensée et de
communication. Comme l’indique le psychologue américain Jérôme Bruner, le langage devient pour
l’enfant un outil qui lui permet « de prendre de la distance vis-à-vis de ses actes, que ceux-ci soient
linguistiques ou non30». De plus, Jérôme Bruner indique que : « Le développement de la conscience de
l’enfant est impossible sans l’emploi du langage dans le contexte interpersonnel où se déroule la
tâche31. » L’adulte joue alors un rôle essentiel dans la capacité de l’enfant à prendre conscience de son
activité qu’elle soit cognitive ou motrice. Le concept de « zone proximale de développement »
développer par Vygotski rend compte de ce rôle de l’adulte32. Ce concept est très utilisé dans le cadre
des théories de l’apprentissage dans lesquelles il est souvent associé à celui de « l’interaction de
tutelle » ou de « l’étayage » exposé par Jérôme Bruner.
J’ai exposé succinctement différents points de vue théoriques en ce qui concerne les liens entre le
langage et les apprentissages. En effet, dans un premier temps, ces connaissances ont été un préalable
et ont orienté mon enquête de terrain. Une partie de mes observations du terrain 1 a porté sur la
mémorisation d’un court enchaînement. Cependant, j’ai observé, avec étonnement, que la transmission
de cet enchaînement s’effectuait sans supports langagiers. C’est pourquoi, j’ai tenté de comprendre
comment les enfants mémorisaient et intégraient l’enchaînement33.

29
Dénomination utilisée par Piaget et reprise par Vygotski dans : Pensée et langage, trad. F. Séve, Editions sociales, Paris,
1934/1985.
30
Jérôme Bruner, Le développement de l’enfant : savoir faire, savoir dire, édition PUF, Paris, 1983, p. 287.
31
Jérôme Bruner, op.cit., p. 290.
32
La « zone proximale de développement » étant : « la distance entre le niveau de développement actuel tel qu’on peut le
déterminer à la façon dont l’enfant résout des problèmes seul et le niveau de développement potentiel tel qu’on peut le
déterminer à la façon dont l’enfant résout des problèmes lorsqu’il est assisté par l’adulte ou collabore avec des enfants plus
avancés. » Vygotski, op.cit., p. 290.
33
Cette analyse fera l’objet de la troisième partie.

16
Par ailleurs, ce cadre théorique sur les travaux de Vygotski et de Jérôme Bruner est également pris en
compte dans les recherches de Sylvia Faure comme dans celles de Joëlle Vellet.

2. Les travaux de Sylvia Faure, de Joëlle Vellet et d’Anne Cazemajou dans leur rapport au
langage.

L’étude de Sylvia Faure : Apprendre par corps. Socio-anthropologie des techniques de danse
porte sur l’apprentissage de techniques de danse dans le cadre de formations initiales. Cette étude n’a
pas de visée pédagogique, elle s’inscrit dans une démarche sociologique cherchant à analyser les
processus d’incorporation propre à l’apprentissage de la danse afin de produire un outil théorique
pouvant s’appliquer à d’autres objets d’étude34. Sylvia Faure précise que l’enjeu essentiel de sa
recherche : « vise à dénouer des problèmes théoriques se rapportant à l’incorporation des savoirs et des
compétences, en travaillant plus particulièrement deux questions : celle des liens entre corps et langage
et celle de l’articulation entre les modalités d’incorporation et les procédures cognitives (notamment
réflexives) de l’apprentissage35.» L’analyse de Sylvia Faure repose sur des observations de cours de
danse non professionnels ainsi que sur des entretiens (plus de quatre-vingts) auprès d’élèves de
différents cours, de danseurs professionnels et de professeurs de danse. Ce matériau est recontextualisé
dans une analyse socio-historique concernant le champ chorégraphique occidental. Sylvia Faure
élabore deux idéaux-types des formes d’enseignement d’une part celui de la discipline, d’autre part
celui de la singularité36. Ces idéaux-types vont permettre une analyse comparative de différentes
modalités d’enseignement et des apprentissages collectés lors des entretiens et des observations. Selon
Sylvia Faure, son analyse des processus d’incorporation lui permet de relativiser l’assertion suivante de
Pierre Bourdieu sur les pratiques corporelles et le langage :
Les problèmes que posent l’enseignement d’une pratique corporelle me paraissent enfermer un ensemble de
questions théoriques de la première importance, dans la mesure où les sciences sociales s’efforcent de faire la
théorie de conduites qui se produisent, dans leur très grande majorité, en deçà de la conscience, qui
s’apprennent par communication silencieuse, pratique de corps à corps, pourrait-on dire37.

34
« Au croisement des sociologies de l’éducation et de la culture, les réflexions menées à partir de l’analyse des processus
d’incorporation du métier de danseur invitent à ouvrir le débat sur les modalités de la constitution, de la transmission et de
l’appropriation des savoirs et savoir-faire en s’intéressant à divers mode de socialisation ou d’apprentissage. » Sylvia Faure,
Les processus d’incorporation et d’appropriation des savoir-faire du danseur, Revue Education et Sociétés, numéro 4,
1999 p.98
35
Sylvia Faure, Apprendre par corps. Socio-anthropologie des techniques de danse, La Dispute, Paris, 2000, p. 8.
36
Ces idéaux-types sont explicités par Sylvia Faure pages 114 à 119.
37
Pierre Bourdieu, « Programme pour une sociologie du sport », Choses dites, Edition de Minuit, Paris, 1987, p. 214.

17
Sylvia Faure constate : « Dans notre travail, nous montrons que le processus d’incorporation des gestes
de danse engage des pratiques langagières variées et qu’il n’est pas autonome par rapport aux actes de
la cognition, voire à des formes de réflexivités en cours de pratique 38. » Différentes dimensions de
l’apprentissage vont être analysées (en insistant sur le rôle de la mémorisation) notamment la place de
l’observation, les modalités d’appropriation rythmique du mouvement, le rôle du langage, les modes de
corrections... Les formes principales de pratiques langagières décrites par Sylvia Faure renvoient à des
descriptions, des explications, des évaluations.
Ayant observé les cours de danse (terrain 1) avant de lire l’ouvrage de Sylvia Faure, la lecture de celui-
ci m’a permis non seulement de confirmer certaines intuitions mais aussi de mettre des mots sur des
éléments d’observation de l’enquête. Toutefois, il me semble que Sylvia Faure adopte vis-à-vis de
l’enquête une méthode déductive alors que l’approche que je tente de développer est plutôt de type
inductif. En effet, j’essaie de saisir et d’expliciter une modalité singulière de transmission sans être
dans une approche comparative ou générale. C’est l’expérience propre à chacun des élèves que les
entretiens cherchent à mettre en avant afin d’étendre, de croiser et de généraliser ces données.

Quant au travail de Joëlle Vellet, il dévoile et comprend : « les processus à l’œuvre dans la
construction du geste dansé lors de sa transmission39 ». En analysant les modalités de transmission de
la chorégraphe Odile Duboc, Joëlle Vellet émet l’hypothèse que la transmission du geste précis de la
chorégraphe à l’interprète est discursive. Or, pour Joëlle Vellet, le processus d’imitation ne peut livrer
que la forme du geste et non sa genèse. Elle formule ainsi la question principale de sa recherche : « en
quoi et comment les discours tenus in situ pendant le temps de création du geste dansé contribuent à
l’émergence du geste et de ses nuances qualitatives40. » Elle organise sa recherche en observant et en
filmant des transmissions d’Odile Duboc à des danseurs de sa compagnie et à des professeurs de
conservatoire. Elle croise ensuite trois types de matériaux pour analyser les discours de la chorégraphe :
la captation des discours in situ dans le temps de travail de la compagnie, les écrits et entretiens de la
chorégraphe et des entretiens d’auto-confrontation. C’est la dimension poïétique qui oriente l’analyse
sur les usages et les fonctions du discours41. L’étude de Joëlle Vellet sur le discours de la chorégraphe
propose une catégorisation des fonctions de celui-ci en relation avec leurs contextes d’émergence. Dans
38
Sylvia Faure, Pratiques de danse et pratiques langagières, Revue Le Passant Ordinaire, numéro 42, 2002.
39
Joëlle Vellet, Contribution à l’étude des discours en situation dans la transmission de la danse. Discours et gestes dansés
dans le travail d’Odile Duboc. Thèse de 3e cycle en Esthétique, sciences et technologies des arts, Université de Paris 8.
2003, p.13.
40
Ibid. p. 24.
41
Joëlle Vellet fait référence au travail de Jean Claude Passeron, la poïétique concerne : « l’ensemble des conduites
opératoires en tout domaine où peut s’observer l’élaboration, la création et la production des œuvres. » cité par Joëlle Vellet,
ibid. p. 13.

18
mon étude, j’ai d’abord centré mon attention sur les éléments non verbaux de la transmission de Marina
Rocco et la prise en compte dans les entretiens avec les élèves des éléments discursifs qu’ils pouvaient
apporter sur leur pratique de danse. Cependant la lecture de Joëlle Vellet et le travail d’observation du
terrain 2 m’incitent à prendre en considération les pratiques discursives mise en jeu dans cette
transmission. En effet, la catégorisation des fonctions du discours proposée par Joëlle Vellet m’a incité
à repérer les fonctions prises en charge par le discours de Marina Rocco afin d’être en capacité de
mieux circonscrire la place des éléments non verbaux dans sa transmission. De plus, cette attention
portée au discours de Marina Rocco m’a permis une analyse plus précise des entretiens avec les élèves.
Par ailleurs, Joëlle Vellet étudie dans un chapitre intitulé : « Quand parler ne suffit pas42 » le rôle de la
voix dans la transmission d’Odile Duboc, cette lecture renforcée par celle menée par Anne Cazemajou
sur la voix de Toni d’Amiélo43m’a permis de prendre en considération cet élément et de l’étudier.

La thèse d’Anne Cazemajou comporte elle aussi une étude d’éléments discursifs mais ceux-ci sont
principalement ceux des élèves recueillis par le biais d’entretiens d’explicitation. Ces entretiens sont
croisés avec l’enregistrement vidéo de cours de Toni d’Amiélo (l’analyse est centrée sur la partie du
cours consacré à une pratique de yoga préparatoire à la danse) et une enquête de terrain de plusieurs
mois. Anne Cazemajou effectue une « micro-analyse de la construction de l’expérience corporelle telle
qu’elle est vécue par les élèves.44 » Cette analyse a montré à l’auteure l’importance des consignes de
travail dans ce cadre de transmission. Dans cette pratique, les consignes fonctionnent comme des
« embrayeurs d’action et de perception45 ». Elles sont étudiées ainsi que leurs conditions d’émission et
les tonalités vocales qui les accompagnent.
L’étude d’Anne Cazemajou m’a permis de comprendre l’intérêt du dispositif de l’entretien
d’explicitation pour saisir l’expérience vécue par les élèves. J’ai tenté de diriger mon travail sur cette
voie en prenant en considération les apports méthodologiques de ce travail de thèse. Par ailleurs, le
travail d’Anne Cazemajou qui met en relation de façon poussée les consignes, la perception et l’analyse
des élèves de leur vécu sensoriel dans le cours de yoga, m’a engagé à analyser les entretiens des élèves
en fonction des modalités discursives mises en œuvre par Marina Rocco. Ainsi ai-je tenté de découvrir
un écho du discours de l’enseignante dans la parole des élèves. Enfin, Anne Cazemajou insiste sur la
nécessité de prendre en considération la durée de la recherche tout d’abord pour passer de l’implication
42
Ibid. p. 201.
43
Anne Cazemajou, Le travail de yoga en cours de danse contemporaine : Analyse anthropologique de l’expérience
corporelle, Thèse de 3e cycle en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives spécialité : Anthropologie de
la Danse, Université Blaise Pascal, Clermont Ferrand 2. 2010.
44
Ibid. p. 10
45
Ibid. p. 13

19
à l’objectivation dans la construction de son objet de recherche ensuite pour permettre la mise en
relation des éléments recueillis.

3. Analyse des éléments discursifs de deux cours.

Le second terrain m’a permis de revenir sur un élément obscur de mon observation initiale
(terrain 1), il m’est apparu nécessaire d’examiner les éléments discursifs mis en œuvre dans
l’enseignement de Marina Rocco. Pour ce faire, j’ai effectué des enregistrements audio de plusieurs
cours. Parmi ceux-ci, pour des raisons techniques, seuls deux cours sont audibles in extenso que j’ai
retranscrits en vue de pouvoir les analyser. Ces enregistrements me paraissent plus exhaustifs que mes
notes en effet en plus des discours, ils font entendre la voix qui les porte (ses variations rythmiques et
mélodiques) mais également la fréquence de certaines expressions ou encore le recours à des
onomatopées. Les deux cours enregistrés correspondent à une même période d’observation un cours en
février, l’autre en mars. J’ai choisi d’analyser plus précisément le premier enregistrement car l’entretien
mené avec Théo lui succédait. Je pouvais ainsi plus facilement croiser les différentes données :
l’enregistrement du cours, mes notes d’observation et l’entretien avec Théo.

Joëlle Vellet propose dans sa thèse une catégorisation des fonctions du discours tenu in situ dans le
cadre de la transmission. Cette catégorisation cherche « à faire apparaître comment agissent les
discours avec ce qu’ils transforment46 ». Joëlle Vellet explique que les typologies purement
descriptives « ne permettent pas de mettre en relation les usages et les fonctions du discours» car selon
l’auteure, les autres études portant sur le discours ne mettent en valeur que les formes de pratiques
verbales (décrire un terme, consigne, donner une correction...) pour en mesurer leur fréquence
d’utilisation. Il s’agit d’une étude quantitative du discours qui n’est pas rapportée à son effet réel.
Sylvia Faure étudie pour sa part l’effet du discours selon trois modalités : explicative, descriptive ou
appréciative en les mettant en relation avec une rhétorique de l’action et de ses qualités. Cependant la
catégorisation établie par Joëlle Vellet me parait plus complète et de ce fait susceptible de faire
apparaître les variations propres à l’enseignement de Marina Rocco. Joëlle Vellet propose d’analyser le
discours tenu in situ en sept fonctions :

46
Joëlle Vellet, op.cit., p. 105.

20
- Une fonction technique : qui décrit et explique les éléments « techniques ». Ces éléments
apparaissent souvent sous la forme de verbes d’action et/ou d’une information sur ce qui
est moteur dans l’action physique.

- Une fonction de genèse d’une poétique du mouvement : qui précise l’intentionnalité du


mouvement dans une logique d’appropriation du sens donné à celui-ci par la chorégraphe
plutôt que de sa forme.

- Une fonction de spécification d’un métalangage propre à la danse : qui redéfinit le lexique
habituel à la danse pour lui attribuer un sens plus particulier.

- Une fonction de régulation, d’appréciation et de guidage : qui indique les tâches à réaliser
et donne des éléments d’appréciations de ce que réalise le danseur. Ce type de discours
communique le résultat d’un regard critique.

- Une fonction d’organisation : qui donne un séquençage d’un geste ou d’une action pour en
redonner une organisation d’ensemble et une hiérarchisation des séquences. Joëlle Vellet
explique que : « Ces discours dévoilent les principes organisateurs de la danse et rendent
lisible un choix ordonné de ceux-ci47. »

- Une fonction de mémoire : qui donne des mots-outils susceptibles d’organiser les savoirs
en mémoire. Joëlle Vellet explique que : « Les discours vont donner le moyen aux
danseurs de retrouver des qualités déjà expérimentées, se souvenir, redonner du sens48. »

- Une fonction d’installation et de développement de la relation : qui contribue à installer les


formes de relation entre les personnes.

Ces fonctions correspondent à la relation de transmission propre à celles d’un chorégraphe et d’un
interprète suivant la problématique de Joëlle Vellet qui est de relever ce qui dans le discours de la
chorégraphe peut donner accès à la création du geste dansé. Cependant, il me semble possible de les
utiliser en les adaptant à la situation de transmission dans un cours de danse pour enfants.

Les deux cours étudiés présentent une structure d’ensemble très proche que je vais succinctement
décrire afin de chercher à mettre en relation le discours et ses effets. Cette description est une
reconstitution de mémoire à partir de mes notes d’observation et des enregistrements. Cette modalité de

47
Joëlle Vellet, op.cit., p. 120.
48
Joëlle Vellet, op.cit., p. 128.

21
travail limite la précision et la qualité de la description. J’aurais voulu pouvoir filmer ces cours pour en
rendre compte plus exactement mais si Marina a accepté sans difficulté d’être enregistrée, elle ne
souhaitait pas être filmée. Par ailleurs, je vais intégrer les éléments de discours de Marina aux moments
où ils sont énoncés afin de saisir les situations d’énonciation. Je commenterai au fur et à mesure ces
situations.
Les deux cours comportent un travail initial au sol. Les élèves entrent dans la salle et se positionnent
soit assis au sol, soit autour de Marina qui se trouve près d’une table et de l’appareil à musique à
gauche de l’entrée du studio. Marina fait l’appel puis demande aux élèves de se répartir au sol en quatre
lignes face à la porte d’entrée (à côté de laquelle je suis assis). Les élèves s’installent dans l’espace de
manière assez stable d’un cours à l’autre : Eric se place au fond à gauche, Théo est souvent devant
Marina dans la première ligne entouré des deux Anna. Pierre est toujours sur la première ligne à
l’extrême gauche de Marina. Le reste du groupe se distribue entre la deuxième et la quatrième ligne.
Marina s’assoit face à eux, les jambes ouvertes, fléchies et les deux pieds l’un contre l’autre (dans une
position ouverte en tailleur). Les élèves sont habitués à cette position et à la disposition dans l’espace, il
s’agit d’un moment rituel du cours. Certains d’entre eux entrent dans la salle et vont directement
s’asseoir dans cette position au sol.

Extrait 1, transcription du début du cours 2 (les transcriptions notent tout ce qui dit Marina et dans
l’éventualité d’un échange la prise de parole de l’élève dont la parole est indiquée en italique):
Extrait 1 : On prend du temps pour s’installer, Anna dans la troisième rangée et Eric au milieu / De toute façon,
on change de rangée tout le temps/ Tu penses que tu es au milieu ? /Ah voilà, je crois que c’est un peu mieux que
tout à l’heure/ Qu’est-ce que vous en dites là ? / Ah voilà, c’est un peu mieux. / Alors, on fait un peu de cours et
après on reprend ce que l’on a fait la semaine dernière et je vous avais dit : « vous n’oublierez pas parce qu’on va
les montrer à Bruno » / Vous vous souvenez à la fin, on a fait une danse comme si on avait la feuille / Vous vous
séparez, pardon. / Je vous parle hein là, ça vous concerne le cours ? /Donc, j’avais dit « n’oubliez pas ce que vous
avez fait parce que j’avais trouvé que c’était un bon moment. » / Bon, on ne va pas encore discuter. / Allez, on va
mettre un pied contre l’autre pied...

Au début du cours, le discours a une fonction d’installation à la fois spatiale et relationnelle. La


configuration spatiale est une préoccupation régulière des moments de prise de parole. Dans ce cas les
élèves sont en lignes face au professeur, parfois ils sont invités à occuper tout l’espace du studio,
parfois à traverser le studio d’un côté à l’autre, à se répartir par deux ou en ligne dans la diagonale...
Cette dimension spatiale spécifie les espaces en fonction du type d’action qui va s’y dérouler : les
diagonales sont le plus souvent l’espace des sauts, la disposition en lignes face à la porte d’entrée

22
correspond au travail au sol et à une petite variation de fin de cours. Les élèves sont fréquemment
invités à regarder l’espace, à prendre une place...
Ainsi à d’autres moments du cours d’autres indications spatiales sont reprises :
Extrait 2 : Avance Alice, ça veut dire devant toi, tu prends la place d’Anna, tu vois où était Anna / Maya sur le
côté / c’est mieux là, vous êtes moins serrés/...
Allez-y partout dans la salle, vous avez tout l’espace pour vous/ ... / Oh la, là, il y a plein de personnes, espacez
vous bien/...
Alors aujourd’hui on va mettre tout ça sur les diagonales, comme on a un peu de couleurs, ça va nous donner des
idées / Rires / Alors regardez bien, deux par deux/ Vous avancez s’il vous plait/

Au-delà du déroulement du cours, ce souci de l’organisation spatiale et la prise de conscience qui est
demandée aux élèves des différents espaces sont importants quand des stagiaires du diplôme d’Etat
prennent la classe. En effet, j’ai pu constater que les élèves s’organisaient très rapidement dans l’espace
en fonction des attentes de leurs nouveaux professeurs.
D’un point de vue relationnel, l’extrait 1 fait apparaître un autre élément récurrent du cours : les
interventions de Marina pour demander le silence et l’écoute. Cette insistance est, me semble-t-il, à
mettre en relation avec le rythme qui est donné au cours dans lequel les différentes phases se succèdent
très rapidement sans moment de latence. La phrase : « Bon, on ne va pas encore discuter. » est
remarquable car elle succède à une prise de parole de Marina sans aucun dialogue. En général, il y a
très peu de dialogue dans le cours. En revanche, Marina pose parfois des questions sans attendre
réellement de réponse orale des élèves où alors dans une forme très succincte comme dans l’exemple
suivant où il s’agit de reprendre à gauche une petite variation orientée initialement vers la droite :
Extrait 3 : Si on refait de ce côté-là qu’est ce qu’on pourrait changer ? / Déjà vous avancez bien / Théo : on change
de main / Voilà, à gauche, je fais ça et ça / Et donc je tourne à gauche et c’est à ce moment là quand vous regardez
les autres que ça veut dire partez / Julie : c’est pas grave si on tourne en plein milieu ? / Oh, vous essayez
d’agrandir vos pas, essayez au moins de dépasser le milieu / D’accord, allez, vous vous mettez derrière Lise et
Astride / Allez y avance, gauche, gauche /voilà bien/ voilà accent gauche / très haut, oui, oui, à gauche maintenant,
à gauche voilà, regardez, regarde parce que vous n’avez pas tous fait comme ça. 49 /

La lecture de cet extrait pourrait faire imaginer une certaine précipitation, en fait ce n’est pas le cas.
Ces éléments se déroulent sur environ cinq minutes, en revanche comme on peut le déduire de la
lecture les élèves sont très rapidement mis en mouvement. De plus, c’est un moment durant lequel les
élèves sont à la fois très concentrés dans la danse et très agités presque fébriles dans les moments
d’attente. Marina explique le privilège qu’elle accorde au mouvement plutôt qu’à la parole:

49
Les éléments en italiques correspondent aux interventions des élèves.

23
C’est important qu’ils soient dans les gestes à fond, ils sortent d’une journée d’école, une sorte de pffff et voilà...
mais bon effectivement, je ne vais pas leur demander dix mille choses, heu ... et je pense que dans une classe, il y a
un partage corporel et de regards ou de tonicité et finalement la parole est un petit peu mise de côté pour que
d’autres choses s’ouvrent.
Marina Rocco justifie ce choix par l’âge des élèves et le moment de la journée. L’étude du travail au
sol peut nous montrer que ce « partage corporel » n’est pas toujours indépendant des modalités
discursives.
Marina est assise face aux élèves qui sont dans la même position de départ : assis sur les ischions, les
deux jambes en ouverture, les plantes des pieds jointes. Cette position fait partie du rituel de mise en
route quand le cours commence au sol. Elle commence des gestes de bras qui vont entrainer des
inclinaisons du tronc vers l’avant et vers l’arrière. Ces gestes sont continus et lents. Le dos passe d’une
position droite verticale à un enveloppement vers l’avant incité par le mouvement circulaire des mains
sur le sol qui vont rejoindre les pieds. Ensuite, les mains glissent sur les jambes jusqu’aux genoux, le
dos s’arrondit vers l’arrière. Puis s’effectue un déroulé du dos incité par le mouvement des mains qui se
lèvent verticalement. Enfin, les mains sont posées sur les genoux, les coudes ouverts, le dos est plat et
vertical. Le bassin est mobile basculant en avant et en arrière. L’ensemble de la séquence dure entre 5
et 10 minutes. Au début de la séquence, chaque geste se déroule sur un temps plus long, ensuite peu à
peu des comptes sont introduits qui correspondent à la pulsation de la musique qui sera mise à la fin.
Les mêmes gestes sont repris à gauche et à droite. Cette séquence se complexifie peu à peu avec un
mouvement de la tête, une frappe au sol, un équilibre sur les ischions... Puis huit temps libres sont
introduits dans la séquence. Les élèves suivent les mouvements en miroir. Seul Eric n’arrive pas du tout
à suivre l’enchaînement, il reste figé dans une position, ne bouge pas quand Marina ne peut pas le
regarder. Les autres élèves sont calmes et concentrés, ils regardent Marina. Parfois Théo regarde sa
voisine Lise et lui sourit tout en poursuivant l’enchaînement. Certains prennent du retard ou anticipent,
ils régulent souvent leur mouvements en fonction de leurs voisins. Quand les comptes sont introduits,
Pierre et Théo les reprennent à voix hautes. Peu à peu, les gestes sont plus fluides. Quand les frappes
sont introduites, une petite jubilation les accompagne qui se traduit par des sourires et des regards de
connivence qui succèdent à leur exécution. Théo commente à haute voix en frappant des pieds : « ça
fait du bien ».
Toute la séquence est accompagnée par la voix de Marina qui est douce, rythmée avec des tonalités
variées.
L’extrait suivant retranscrit l’ensemble de la séquence de travail au sol :

24
Extrait 4 : /On va mettre un pied contre l’autre pied /on va glisser les mains au sol tout autour de nous/
le dos de la main aujourd’hui /après la paume de la main sur nos genoux et on va reculer un petit peu/
le dos est rond / et après je lève les épaules vers le cou /après j’ouvre le coude et je vais regarder à
droite pour vous /après je vais regarder de l’autre coté /et je reviens au milieu/ les deux bras ensemble
la paume des mains et je frappe au sol /et les mains au genoux et on glisse les mains /et on fait jusque
ici car il y a déjà un petit bout /allez, alors ça commence comment ? /dos des mains au sol /dos des
mains/ et après paumes des mains sur moi et je recule bien/dos rond, bien arrondi /et après je lève,
j’ouvre les coudes /et je regarde à droite et je regarde à gauche et je reviens au milieu /les deux mains
vers le haut et je pointe ici /et je frappe au sol /et après je prends les genoux /et je fais mon équilibre
sans tomber/ avance un petit peu/ et je pose les pieds /et je glisse hum encore je fais un, deux, trois et
quatre /et encore deux, deux, trois et quatre /trois Marina fait des claquements de langue et quatre
Marina fait des claquements de langue /et cinq sans frapper Marina fait des claquements de langue /et
sept tam, tam, tam /et huit pam, papam /ok /encore ensemble /après on le fera en musique /dos des
mains un, deux, trois et quatre /la paume, deux, deux, biiiien rond /remonte et trois claquements de
langue /et quatre jeeee regarde da da dam /et cinq Marina fait des claquements de langue/ touche /et six
tim tim tim /et sept tam tam tam /et huit en en ennnn bas /encore pam pam /et deux bien en arrière /et
trois, lève le dos et regarde /et quatre lève /cinq /et six juste toucher /et, et sept pam padam papam /et
huit/ tout seul (tout l’enchainement est accompagné de claquement de doigts)/et un /et deux lève /trois
ouvre les coudes et regarde /et cinq lève les mains sans frapper /et six et /et huit /je dis huit c’était sept
mais c’était pas mal vous avez bien frappé /et sept pa pam pam et huit. /On continue ?/ Donc, on fait
huit et beaucoup de frappes de pieds /et un et deux et beaucoup de frappes de pieds /et on recommence.
Les comptes sont chantonnés par Marina, je regarde et l’autre côté et deux hum hum hum/. Cette fois-
ci, on commence avec la gauche et la droite /après on fera deux fois quatre temps libres pour vous
/vous pensez déjà : qu’est ce que vous voulez faire /allez y un deux trois quatre /deux fois quatre temps
/vous pensez : un peu ce que vous aimeriez bien faire/ et près on revient, on fait encore une fois toute la
séquence/ Alors, on va faire la même chose un peu plus rapide/ un deux trois et quatre ça sera notre
pulsation/ chantonne les comptes/ très bien/ à vous et un deux trois et quatre, on va dire trois fois quatre
parce que ça va vite et on revient/ Marina chantonne/ les pieds Marina chantonne / prépare le pied
gauche, gauche et droite à vous et un deux trois quatre/
Puis Marina laisse les élèves terminer leur séquence sur la musique sans plus intervenir.

Au début de la séquence le discours a une fonction technique, il indique une série de verbes d’action :
glisser, reculer, ouvrir, regarder, frapper... Il comporte aussi des indications sur les éléments nouveaux.
25
En effet, cette séquence correspond à un travail régulier, un rituel qui subit cependant des modifications
à chaque cours. Ce jour là, il y a deux éléments nouveaux : l’orientation des mains au début de la
séquence, le mouvement des épaules vers le haut qui accompagne le geste des mains qui se lèvent.
Cependant, ce discours technique ne décrit pas l’ensemble des gestes et des actions. Il insiste sur les
éléments nouveaux et sur l’arrondi du dos dans le mouvement de recul : le mot rond est accentué et
énoncé plus lentement. Le discours comporte également une fonction d’organisation qui devient
dominante dès la deuxième exécution de l’enchaînement. Le séquençage est indiqué par des mots qui
sont à la fois des repères (fonction de mémoire) et qui aussi correspondent aux éléments déterminants
du geste : dos des mains, paume, reculer, bien arrondi... Avec les différentes reprises, le nombre des
mots diminue, le discours prend également une fonction de régulation et de guidage en insistant sur les
éléments qui sont soit plus difficiles à réaliser, soit susceptibles d’être oubliés. La fonction
d’installation et de développement de la relation est présente entre les différentes reprises de la
séquence : /et on fait jusque ici car il y a déjà un petit bout /allez, alors ça commence comment ? /.../ok
/encore ensemble /après on le fera en musique /
Apparaît également une fonction d’appréciation: /je dis huit c’était sept mais c’était pas mal vous avez
bien frappé /
Enfin, c’est la fonction d’organisation qui domine quand la séquence est mémorisée par l’ensemble des
élèves : /après on fera deux fois quatre temps libres pour vous /vous pensez déjà qu’est ce que vous
voulez faire /allez y un deux trois quatre /deux fois quatre temps /vous pensez un peu ce que vous
aimeriez bien faire/ et près on revient, on fait encore une fois toute la séquence/ Alors, on va faire la
même chose un peu plus rapide/
On remarque également que la diminution du discours est accompagnée d’une augmentation des
onomatopées, du chantonnement et des bruitages qui vont rythmer la danse. Les onomatopées livrent
des informations sur le rythme, mais aussi la dynamique. La transmission s’enrichit de ces éléments
non verbaux pour donner des indications sur la musicalité du geste, son énergie. Ainsi le discours de
plus en plus rare laisse-t-il la place aux informations non verbales qui mettent en valeur la qualité du
geste.
L’organisation des différentes fonctions discursives de cette séquence de transmission correspond au
concept d’imitation-modélisation interactive ou imitation interactive défini par Fayda Winnykammen
et Lucile Laffont50. Tout en exécutant le mouvement en synchronisation avec les élèves, l’enseignant
met en évidence les éléments déterminants, observe les réalisations des élèves, régule les écarts et

50
Winnykamen Fayda et Lafont Lucie, « Place de l’imitation-modélisation parmi les modalités relationnelles d’acquisition :
le cas des habiletés motrices. », Revue Française de Pédagogie, numéro 92, juillet – août – septembre 1990, p. 23-30.

26
donne un feedback. Ce moment reprend également les fonctions d’étayage décrit par Jérôme Bruner :
enrôlement dans la tâche, maintien de l’orientation, signalisation des caractéristiques déterminantes,
contrôle de la frustration, démonstration51.

Dans un entretien avec Paule, nous évoquons ce mode de transmission qui correspond à un travail au
sol :
Ce que tu décris c’est quand il y a une pulsation et est-ce qu’il n’y a que ça que vous avez travaillé dans le rythme... on
frappe comme Marina, il n’y a pas d’autres choses ?
Paule : Si Marina, des fois, elle chante un peu, elle fait des rythmes avec sa bouche et après on sait quand il faut monter et
quand on se perd et bien elle dit les gestes qu’il faut faire des fois, elle dit on lève la main gauche et après la main droite.
Ça arrive souvent, qu’elle le dise ?
Paule : Ben, quand elle regarde que l’on est en train de se perdre, elle le fait.
Qu’est ce qu’elle fait d’autre quand vous oubliez des choses ?
Paule : Sinon des fois elle fait les gestes avec nous et quand elle voit que l’on a totalement oublié et bien, on recommence.

Paule indique les éléments fondamentaux de cette modalité de transmission : l’évaluation des élèves,
les indications verbales qui deviennent peu à peu des outils de mémorisation et des incitations
gestuelles, l’imitation. On peut également remarquer l’importance du rythme et du chant, le regard
intervient pour compléter l’information en cas d’oubli. A la lecture de cet entretien, on pourrait penser
que la vue opère en premier, puis c’est l’ouïe qui domine et qu’elle est éventuellement complétée par la
vue en cas d’oubli. Il y a un jeu inter-sensoriel dans le cadre de cette modalité de transmission.
Les variations de voix accompagnent toute la séquence : au début la voix est calme, lente chaque geste
est accompagné par une émission vocale adaptée. La variation de hauteur et de fréquence accompagne
certains éléments qui sont accentués par exemple le « dos rond ». Au fur et à mesure que la séquence
est dansée avec les élèves, la voix est plus chantante, plus claire. L’ensemble de cette gamme vocale
renforce les informations discursives puis peu à peu les remplacent.
Par ailleurs, l’entretien avec Paule indique, me semble-t-il, une attitude, une mise en disposition des
élèves liée au caractère rituel des tâches proposées. L’activité rituelle qui s’inscrit dans la récurrence
d’une pratique incite l’élève à construire une attitude induite par cette forme d’apprentissage reconnue.
Elisabeth Bautier parle de : « socialisation cognitive52 » qui se construit par la nécessité de la tâche plus
que par l’explicitation de l’objectif. Dans son évocation de ce moment du cours, Paule retrouve
l’attitude attendue correspondant à la tâche. Cette attitude permet à l’élève de s’adapter aux

51
Jérôme Bruner, op.cit., p. 261
52
Elisabeth Bautier, « Le rôle des pratiques des maîtres dans les difficultés scolaires des élèves », Recherche et formation,
51 | 2006, mis en ligne le 29 septembre 2011, consulté le 12 octobre 2012. URL : http://rechercheformation.revues.org/497

27
changements, par exemple dans le cas décrit le changement des mains. On peut supposer que cette
habitude cognitive est également sensorielle : l’élève se retrouve dans une situation où l’ouïe et la vue
vont être convoquées de façon explicite.

L’entretien avec Théo, qui a été effectué juste après le cours 2, va nous permettre de compléter ces
hypothèses :
Précédemment dans l’entretien, il m’a dit suivre un autre cours de danse contemporaine le jeudi. Je
l’interroge en lui demandant de comparer les deux cours. Il évoque le travail au sol.
Et tu apprends des choses particulières dans le cours de Marina qu’il n’y a pas dans l’autre cours ?
Théo : Oui, par exemple quand on met nos pieds... quand nos pieds vont de heu... quand on met nos
mains qui partent des pieds et qui va aux genoux.
Hum ? Nous sommes interrompus par d’autres élèves. Alors dis moi, ça, quand tu es au sol n’est-ce
pas ?
Théo : Oui au sol quand on met nos mains sur les pieds et qu’on les glisse jusqu’aux genoux.
Donc là, c’est quelque chose que tu ne fais pas dans l’autre cours ?
Théo : Oui et aussi quand on met nos mains comme ça mais au sol parce que debout on le fait.
Comme ça ? Est-ce que tu peux me le décrire parce que là je vois mais dans l’enregistrement, quand je
serai chez moi... ?
Théo : On se met au sol, on met nos pieds collés et on les tend et nos mains elles se lèvent jusqu’au
maximum en fait.
Jusqu’au maximum au dessus de ta tête ?
Théo : Oui, au dessus de ma tête.
Et après, elles font quoi ?
Théo : Ben, elles restent puis elles vont de l’autre côté.
Là aujourd’hui, Marina elle vous a fait faire un sol un peu long, comment fais tu pour t’en souvenir ?
Théo : C’est parce que quand elle nous montre, j’écoute bien et je regarde bien comme ça, je suis sûr
d’apprendre et moi j’apprends vite aussi.
Et qu’est ce que tu écoutes ?
Théo : Ben, heu ... j’écoute ce qu’elle dit pour heu comment faire, en fait.
Là est ce que tu pourrais me dire ce qu’elle a dit ?
Théo : Ben, elle a dit : « il faut frapper avec ses pieds bien fort et en même temps dans le rythme. » et
heu ... « quand on tape avec les mains, sur le sept et non sur le huit. »
Hum
28
Théo : Après, il y a autre chose, il y a ... heu
Tu t’en souviens du mouvement, on pourrait le reprendre ?
Théo : Ben heu, je connais ma choré oui.
Vas-y, essaye.
Théo : Ben heu, je mets mes mains, après je les mets sur mes pieds, je les fais glisser jusqu’à mes
genoux, après heu... je lève mes coudes, je regarde à droite puis après à gauche. Après on levait les bras
et on tapait... Après heu... Ah oui, après on mettait nos mains sur nos genoux, on prenait nos genoux et
on tapait avec les pieds... Et après heu, j’ai oublié...

J’aimerai montrer comment progresse, chez Théo, la remémoration du discours en fonction des
questions posées. En évoquant le travail au sol, il convoque immédiatement la position des pieds, c’est-
à-dire l’assise particulière du début du travail au sol. C’est, me semble-t-il, la fonction de rituel de cette
position que Théo décrit en tout premier lieu. Ensuite, il parle des gestes des mains. Nous avons vu
précédemment la fonction de guidage des gestes des mains dans la transmission. Ceux-ci sont rappelés
à plusieurs reprises dans la description de Théo. Sans doute, lorsque Marina souligne l’importance des
gestes engendrés par les mains et insiste sur le rôle de celles-ci, cela entraîne chez les élèves une prise
de conscience du toucher. Quand je réitère ma question auprès de Théo afin de savoir ce que Marina a
dit, il me cite deux phrases : « il faut frapper avec ses pieds bien fort et en même temps dans le
rythme. » et heu ... « quand on tape avec les mains, sur le sept et non sur le huit. ». Or Marina n’a pas
prononcé ces deux phrases. La seconde phrase correspond certainement à un rappel mémoriel d’un
micro-événement. En effet Marina s’est trompée dans les comptes et l’a dit aux élèves. Théo semble
s’en souvenir mais transforme ce rappel en consigne. La première phrase indique, me semble-t-il, un
savoir précis que Théo réinvestit dans la danse, à savoir que la frappe se rapporte à la musique et doit
coïncider avec la pulsation musicale, connaissances qu’il associe à une consigne. Enfin, c’est
seulement quand je lui propose de retrouver les gestes de l’enchaînement, lorsqu’il investit
corporellement les gestes qu’il cite avec exactitude les propos de Marina. Dans un premier temps, il
utilise la première personne du singulier pour décrire l’ensemble des actions signifiant par la même
qu’il a intégré pour son propre compte ce discours, comme si les gestes étaient porteurs du discours
entendu et que son évocation soit retrouvée dans la gestualité. Á partir du moment où Théo retrouve les
mots précis employés par Marina, il utilise la troisième personne du singulier, le discours redevient
indépendant des gestes, coupé de la situation d’énonciation, général. Ainsi quand Théo retrouve par les
gestes le discours perdu, s’effectue un travail de remémoration qui permet de mettre à distance
l’expérience personnelle d’incorporation du geste.
29
Les deux entretiens (celui de Paule et de Théo) peuvent également nous indiquer le rôle du travail inter-
sensoriel dans l’apprentissage : la vue, l’ouïe, le toucher sont convoqués par les élèves. On pourrait y
associer la proprioception propre à l’attitude rituelle du début de la séquence et renforcée par certaines
indications discursives (par exemple le dos rond, bien arrondi...). Le discours semble avoir un rôle de
guidage important, en rendant secondaire la vue. Il serait peu à peu en quelque sorte incorporé et
remplacé par la musicalité des gestes.

On pourrait supposer que le discours participe comme signes à un échange sensoriel plus complexe
entre l’enseignante et les élèves dans la situation d’imitation-modélisation interactive. Cet ensemble de
signes auquel le discours participe serait le moteur des gestes. Comme l’écrit Gilles Deleuze dans
Différence et répétition :
La reproduction du Même n’est pas un moteur des gestes. On sait que même l’imitation la plus simple comprend la
différence entre l’extérieur et l’intérieur. Bien plus, l’imitation n’a qu’un rôle régulateur secondaire dans le
montage d’un comportement, elle permet de corriger des mouvements en train de se faire, non pas d’en instaurer.
L’apprentissage ne se fait pas dans le rapport de la représentation à l’action (comme reproduction du Même), mais
dans le rapport du signe à la réponse (comme rencontre avec l’Autre) 53 .
Il ne s’agit donc pas de reproduire du « Même ». La danse de l’enseignante n’est pas un objet de
représentation mais plutôt un objet d’incitation, effectuée avec un ensemble de signes qui tend à
susciter des déclenchements d’ordre émotionnel, moteur, cognitif et imaginaire.

J’ai interrogé Marina sur le rôle qu’elle attribue au travail au sol. Elle m’explique :
Si on parle du travail au sol, est-ce que c’est un travail qui mobilise la colonne ?
Marina : Oui, tout à fait parce que pour eux le mouvement debout demande aussi une bonne maîtrise de l’équilibre, libérer
une jambe mobiliser l’autre... avoir un poids vraiment partagé entre les deux... qui pour un enfant n’est pas encore évident.
Alors quand on est assis effectivement on peut un peu plus trouver d’autres appuis, l’assise sur les ischions, la mobilité du
dos et le contact avec le sol...Mais en même temps le travail en déplacement est indispensable pour moi parce que ça permet
de jouer sur leurs coordinations et que le travail en statique debout pour moi, il faut en faire un petit peu mais que ce n’est
pas évident... Ça demande beaucoup de maitrise et de contrôle, et pour moi à cet âge là, à 17h30, ce n’est pas évident du
tout...
Elle m’indique également qu’il est important pour elle que les enfants retrouvent des moments proches
d’un cours à l’autre (ce que j’ai nommé des rituels) mais que pour ne pas fixer des habitudes, il est
essentiel d’y introduire des changements. Je lui demande si dans le travail au sol du cours 2, ce
changement concerne bien l’orientation des mains au départ au sol, elle m’explique :
Marina : Le travail de supination et de pronation des mains organisent les bras et aussi un mouvement du dos.

53
Gilles Deleuze cité par Anne Cazemajou, op.cit., p. 256.

30
Tu décides de le faire pour modifier parce qu’avant c’était la paume au sol ?
Marina : Oui parce qu’après avec le renversement, l’épaule est encore plus en avant et le dos est plus dans la rondeur disons
et que après... J’en sais rien, mais la main peut repousser, c’est lié toujours à une action mais aussi à un plan... Et comment
je peux dire, c’est aussi ces détails là qui changent et qui fabriquent une nouvelle construction du corps et spatial aussi.
Je lui dis ensuite avoir été surpris de sa demande de lever les épaules pour accompagner le mouvement
des mains vers le haut. Elle indique :
Marina : Lever les épaules quand ils étirent les bras... parce qu’on dit souvent ne lever pas les épaules. Ne faîtes pas ci, ne
faîtes pas ça. Et je pense que corporellement, c’est plus intéressant pour eux de lever les épaules pour qu’après, elles
puissent descendre, pour créer un mouvement plutôt que d’empêcher une chose... D’accord ? Ce serait plus ça pour moi. On
lève, pourquoi pas, pour après trouver une autre chose. Comme on peut se rapprocher beaucoup pour trouver le mouvement
d’éloignement pour pouvoir s’éloigner... Par exemple, tout le travail que j’ai fait longtemps avec Françoise Dupuy sur les
contractions du corps : ce n’est pas contracter pour contracter. C’est contracter pour pouvoir détendre progressivement et
pour pouvoir maîtriser ces différents états de contraction et de détente. Et donc qui crée une disponibilité corporelle parce
que tu peux la maîtriser... et tu peux la varier...hum... Pour l’enfant c’est important qu’il trouve des gammes pour qu’il
puisse choisir celui qui lui convient, qu’il puisse choisir...

On comprend à la suite de ces explications que l’approche pédagogique de Marina Rocco est guidée
par ses connaissances d’analyse du mouvement et ses expériences de danseuse mais qu’elle est
essentiellement sous tendue par des valeurs ou tout du moins une éthique sous-jacente. L’idée est de
permettre à l’enfant d’accéder à différentes « construction du corps » et de pouvoir prendre en charge
son propre geste. La proposition d’opérer de « petits changements » revêt de fortes conséquences dans
l’apprentissage de la danse en jouant sur les coordinations. A ce propos, Isabelle Launay et Hubert
Godard indiquent :
Altérer un geste, c’est le fictionner autrement. C’est remettre en cause son système de coordination, c’est le mettre
dans un état limite, à l’épreuve d’un autre contexte. Á défaut de quoi, nulle « progression technique » où plutôt
nulle plasticité expressive n’est possible54.

54
Isabelle Launay, « Le don du geste », Protée, Théories et pratiques sémiotiques, Danse et altérité, vol 29, n°2, 2001. Cité
d’après la version électronique publiée sur le site de Paris 8 Danse : www.danse.univ.paris8.fr. p. 14.

31
Troisième partie : Description et analyse de la transmission d’un court
enchaînement

L’enquête de terrain s’est déroulée sur deux longues périodes, du mois de novembre au mois de
mars, durant laquelle, j’ai pu assister à une quinzaine de cours. Les cours pour enfants se différencient
des cours pour adultes amateurs auxquels je participe notamment en ce qui concerne la structure de leur
déroulement. Alors que le cours d’adultes suit toujours le même déroulement et que les exercices s’y
répètent en insérant petit à petit des éléments ou des degrés de difficultés nouveaux, les cours pour
enfants, eux, sont très variés, les exercices ne semblent pas se poursuivre. Par exemple, le cours du 28
novembre 2012 était en partie consacré au travail de l’enroulé/déroulé du dos, le cours de la semaine
précédente était axé sur les déplacements circulaires, le cours suivant sur un travail du poids dans les
balancés. Interrogée sur cette variation Marina Rocco explique :
Marina : Je pense que, je ne sais pas... je pense que c’est bien d’avoir un projet... Je ne sais pas. Je pense qu’à
travers plein d’éléments différents, et bien, on arrive à la même chose, mais que peut être que moi-même, je ne
peux pas rester dans un moule de régularité d’exercices. Mais je trouve qu’avec les enfants, on est vite... Il y a une
perte quand les enfants connaissent un peu trop les choses.
Ils perdent quoi ?
Marina : Ben, il y a une perte d’attention, une perte de qualité.
Il s’agit d’une décision pédagogique prenant en compte l’implication des élèves liée à la qualité de la
danse. On retrouve cette préoccupation constante chez Marina Rocco.

1. Place de cette transmission dans l’organisation générale du cours.

Il me semble pouvoir identifier deux types de cours qui varient selon leurs structures mais aussi dans
leur rapport au temps d’apprentissage. Le premier type de cours comprend quatre phases : une
séquence de travail au sol. Cette séquence est ensuite inclue dans un déplacement libre. Une seconde
phase avec une série d’exercices que les élèves exécutent en faisant face à Marina, en miroir. Cette
série de mouvements est ensuite reprise totalement ou partiellement dans une traversée de la salle par
un déplacement incluant des trajets précis. La troisième phase comporte la transmission d’un court
enchaînement. La quatrième phase est consacrée à une série de sauts dans la diagonale de la salle.
Enfin, une même variation conclut le cours. Le deuxième type de cours commence généralement par
une séquence au sol. Ensuite, il est organisé autour d’un travail sur la marche et le rythme avec
l’utilisation de petits bâtons de batterie (ces bâtons ont été utilisés régulièrement, y compris dans les
cours du premier type), ou un travail avec d’autres objets (tissus et feuilles de papier) et un second
32
temps est consacré à une improvisation collective, une série de sauts et la variation de fin terminent le
cours.
Il me semble intéressant d’analyser la troisième phase du cours de type un, à savoir la transmission
d’un court enchaînement, car il se déroule sans quasiment aucune consigne. De plus ce moment a été
évoqué dans les quatre premiers entretiens menés avec les élèves.

2. Description d’un court enchaînement.

Le petit enchaînement est transmis dans une organisation spatiale particulière : les élèves s’assoient le
long du mur « du public » à côté de moi, Marina se place près de la barre perpendiculairement aux
élèves en faisant face au mur du miroir. La consigne, toujours la même, est donnée : « Je fais un court
enchaînement une seule fois et vous essaierez de refaire ce que vous avez compris. »
Je vais décrire un enchainement qui s’est déroulé lors du terrain 1. Marina commence par quatre
balancements d’un pied sur l’autre, engageant tout le corps d’avant en arrière avec le pied droit devant.
Puis un grand cercle, avec le bras droit dans le plan vertical, qu’elle « traverse » en effectuant un
déplacement rectiligne de quatre pas emmené par les bras qui se lèvent progressivement. Elle effectue
un quart de tour pour se retrouver face au public. Elle déplace les bras dans le plan vertical devant elle
en semblant tracer un « huit » tout en reculant. Elle s’immobilise bascule sur le pied droit et reste en
équilibre. Puis, elle part dans un trajet circulaire sur la droite de huit pas. Enfin, elle rejoint le mur
opposé en sautillant. Cet enchaînement reprend des mouvements et des déplacements qui ont été
exécutés immédiatement avant dans le cours (comme le cercle que l’on trace devant soi et que l’on
traverse, ou le déplacement guidé par les bras et qui s’arrêtait par un équilibre). Il comprend également
des éléments de base qui sont repris régulièrement : les déplacements circulaires, les « huit », les
sautillés. En revanche, la marche à reculons en traçant le « huit » n’avait pas été travaillée auparavant.
Les élèves sont attentifs, j’ai pu observer une certaine « tension ». Agathe semble anxieuse, elle se met
à l’écart dans l’angle du mur quasiment allongée en regardant Marina par-dessus son épaule. Ils ne
parlent pas mais certains d’entre eux échangent des mimiques, c’est souvent le cas d’Isabelle et de Julie
qui se font des signes de la main pour souligner certains moments comme plus difficiles. Cet état de
« tension » est confirmé lors des entretiens. Tout d’abord, parce que ce moment précis a été
systématiquement évoqué par les quatre élèves interrogées lors du terrain 1. Ensuite, parce qu’à la
question de « savoir ce qu’il faut faire pour bien danser », trois d’entre elles évoquent la nécessité de
bien mémoriser ; pour Lola, la réponse est directe : « Ben, pour bien danser, il faut se souvenir. »

33
Anna, à la même question, répond tout d’abord : « Bien écouter55 » puis elle indique la mémorisation.
Quant à Paule c’est l’un des moments qu’elle a dessiné comme étant son moment préféré56 . Paule avait
fait quatre dessins correspondant à quatre moments différents, je lui fais remarquer qu’il y a toujours
Marina sur ses dessins et lui demande d’en choisir un pour évoquer ce moment :
I : Est-ce que l’on peut choisir un des moments comme celui que tu préfères ?
57
Paule : C’est difficile à dire... Ben, c’est plutôt celui là quand même...Plutôt, celui quand on mime Marina.
Quand Marina a terminé son enchaînement, elle se place à côté de moi en s’appuyant sur la table. La
première élève à se lever est toujours Anna58. Elle reprend l’enchaînement en comptant à mi-voix et en
s’interrompant au moment de reculer, puis reprend en faisant un : « Ah, oui ». Les autres élèves
observent. Ensuite, les autres hésitent, Marina leur propose de passer à deux, les couples se forment
rapidement. Paule et Isabelle : Isabelle semble suivre Paule, elle exécute les mouvements avec un
temps de décalage tout en observant Paule. Paule semble très concentrée. Marina lui demande de
regarder le public. Elles oublient l’équilibre. Puis viennent Lola et Lou, elles semblent beaucoup plus
hésitantes, se regardent et essayent d’être ensemble. Marina rappelle à celles qui sont assises qu’elles
doivent observer : « Je vous ai déjà dit, quand les autres dansent vous devez les regarder ». Lola et Lou
oublient l’équilibre et le trajet circulaire pour quitter l’espace de danse en sautillant, elles semblent
soulagées et sont souriantes. Marina leur dit qu’elles ont « oublié des choses », elles demandent aux
autres qui se mettent d’accord sur l’équilibre et le trajet circulaire. Marina doit insister pour que Julie
et Agathe se lèvent. Leurs mouvements sont plus lents, avec des pauses fréquentes. Elles n’associent
pas les mouvements de bras et les déplacements, l’équilibre se transforme en une simple pause. Elles
regardent leurs pieds mais n’oublient aucun élément. Julie semble suivre et parfois rattraper Agathe,
elle rajoute des mouvements de bras. Marina demande alors aux élèves de reprendre le mouvement en
le transposant dans l’autre sens, en partant du mur opposé : « Vous cherchez ensemble. Allez-y, je ne
vous regarde pas. ». Elle se retourne vers moi. Les élèves se regroupent par deux ou trois. Ils discutent
ensemble pour savoir quel bras doit tracer le premier cercle, avec quel pied commencer. Certains font
plusieurs essais avant de poursuivre l’enchaînement. Ils s’observent les uns les autres. Puis,
l’enchaînement est repris dans l’autre sens, Marina corrige les erreurs de sens ou d’orientation. Dans

55
Du fait de l’âge des élèves et de la place essentielle de l’école dans leur vie cette réponse me semble une transposition des
« valeurs éthico-scolaires » comme l’explique Sylvia Faure : « La pratique [de la danse] étant associée à des valeurs éthico-
scolaires. C’est ainsi que les élèves insistaient sur le comportement à adopter pour « bien » apprendre, activant de cette
manière les dispositions scolaires que les enseignants leur inculquent (ou leur rappellent) régulièrement. »
Sylvia Faure, Apprendre par corps, socio-anthropologie des techniques de danse, Paris, La dispute, 2000.
56
Cf. Annexe 2 : Dessin de Paule
57
Je reviendrai plus tard dans l’analyse sur l’utilisation du verbe « mimer » qu’elle utilise à plusieurs reprises dans son
entretien.

34
l’ensemble, l’enchaînement est plus fluide et gagne en netteté. Pour certaines (Lou, Lola, Julie), la
transposition est difficile, le trajet global est respecté, la succession des mouvements aussi mais les
éléments qui doivent être transposés (sens du trajet circulaire, du tour, côté du corps en mouvement)
suscitent des erreurs et des hésitations perceptibles par leur regard qui se porte alors sur Marina.
Sylvia Faure relève l’importance de l’imitation dans l’apprentissage de la danse :
L’apprentissage de la danse repose en grande partie sur l’appréhension et la reproduction des mouvements
59
montrés par le professeur. De fait, l’une des modalités principales de l’incorporation est l’imitation.

3. Analyse de la transmission du court enchaînement.

La transmission du court enchaînement dans la classe de Marina Rocco est un exemple de ce processus
général que l’on peut retrouver dans un grand nombre de modes de transmission. Cependant, il me
semble intéressant de comprendre comment, dans ce moment où les indications verbales sont peu
nombreuses, les élèves se saisissent et mémorisent cet enchainement.
La danse exécutée lors de l’enchaînement est un évènement passager. Les élèves doivent pouvoir le
répéter, leur perception est tributaire de ce caractère fugace et le mouvement ne peut être retenu que par
le biais de sa mémorisation. Maria Szentpal, chercheur en ethnologie du folklore et notatrice
Laban60, note que dans une telle situation :
61
L’exécutant secondaire reçoit le mouvement et opère une sélection arbitraire liée à sa perception subjective et
à sa connaissance des mouvements. Il perçoit des facteurs objectifs du mouvement et des facteurs subjectifs.
L’élève au moment de percevoir le mouvement exerce une analyse et une synthèse simultanée en
fonction de ses connaissances. Il s’agit pour l’élève d’être un « imitateur conscient d’apprendre62 ».
Paule lors de son entretien insiste sur ce moment comme un moment particulier d’apprentissage : « On
apprend un peu parce que Marina elle reprend l’ensemble de tout ce que l’on a fait et après, ça nous
met mieux dans la tête les danses et les pas que l’on avait fait avant... ». Sylvia Faure cite également
Jérôme Bruner : « Dans le même sens, Jérôme Bruner observe que l’imitation réfléchie implique
l’intentionnalité de l’individu et que ce dernier doit maîtriser partiellement ou totalement le savoir faire
dans l’action imitée63. » Elle compare, à partir de cette remarque, l’attitude des élèves « débutants » qui

59
Sylvia Faure, Apprendre par corps, socio-anthropologie des techniques de danse, Paris, La dispute, 2000.
60
Maria Szentpal, « La perception du mouvement », Quant à la danse, numéro 2, juin 2005, p.50
61
L’exécutant secondaire est l’élève dans le cas du court enchaînement qui perçoit le mouvement de l’exécutant primaire,
en l’occurrence celui exécuté par Marina Rocco.
62
Fayda Winnikamen et Lucile lafont, « Place de l’imitation-modélisation parmi les modalités relationnelles d’acquisition :
les cas des habilités motrices », Revue française de pédagogie, n°92, septembre 1990.
63
Jérôme Bruner, Le développement de l'enfant, Savoir faire, savoir dire, PUF, Paris, 1981.

35
apprennent le mouvement par une « appropriation pratique » en exécutant le mouvement en même
temps que le professeur dans une « synchronie interactionnelle » à celle des élèves « expérimentés »
qui apprennent en observant, en écoutant et en réduisant leur participation motrice. Si l’on peut
reprendre partiellement cette typologie dans le cadre de l’enquête, les entretiens avec les élèves
montrent une diversité de leurs modes d’apprentissage. Cette diversité relève tout autant, me semble-t-
il, d’une variation de la perception que d’une différence liée à l’ancienneté de l’apprentissage. Lors de
mon observation, j’ai pu remarquer différents types d’erreurs et d’habiletés dans la danse des élèves.
Certains montraient une bonne appropriation de la chronologie de l’enchaînement même si des
mouvements pouvaient être omis. Parfois c’est l’organisation spatiale de l’enchaînement qui pouvait
poser problème, non pas son trajet général mais certains sens surtout dans les tours ou les trajets
circulaires. Enfin, l’organisation générale pouvait être respectée alors que les mouvements semblaient
être esquissés comme s’ils n’avaient été que marqués. La concentration de l’élève semblait s’orienter
sur la chronologie. Ces remarques peuvent être mises en relation avec les entretiens.

Anna montre pendant tout son entretien une sensibilité musicale au mouvement décrit par
Hubert Godard comme la musicalité du geste64 ; pour elle un saut correspond à une musique :
I : Tu comptes aussi avec la musique ?
Anna : Oui par exemple, même une fois, on a fait des sauts, ça faisait pam pa dam, pa dam pa dam et on devait
faire des galops. Ben en fait, quand elle nous avait montré, ben en même temps, j’écoutais aussi la musique. Ben,
quand on fait un saut, par exemple, galop, ça fait pam pa dam, pa dam pa dam, tu fais : saut... saut ... saut.
Elle insiste également sur l’importance des comptes. J’avais remarqué qu’elle comptait pendant une
grande partie du cours y compris à des moments où cela ne me semblait pas nécessaire. Aussi l’ai-je
interrogée sur cette pratique qu’elle a rapprochée de la mémorisation :
I : J’ai remarqué aussi que pendant les cours, tu comptais souvent.
Anna : Ah oui, pour mémoriser. Que par exemple, par exemple heu, on fait (elle se lève et exécute trois jetés)
échappé, échappé, échappé, et ben ça me permet de faire la même chose qu’elle. Même une fois y’a que moi qui
as réussi à faire : un, un, un (Anna exécute une série de trois pas chassés en se retournant entre chaque pas.)
I : Compter ça sert à ça ?
Anna : C’est pratique pour moi en tout cas.
I : Ça te sert à te souvenir de l’enchaînement ?
Anna : Par exemple Marina elle fait un cercle, elle compte à voix haute huit pas, alors moi je compte avec elle.
Comme ça, j’ai l’habitude de bien mémoriser. Donc après quand je le fais, je fais la même chose qu’elle avait faite.

64
« Conversation avec Hubert Godard » in, Quant à la danse, numéro 2, juin 2005 p. 45

36
Cette attention particulière n’est probablement pas la seule mise en jeu dans le processus de
mémorisation par Anna, mais l’on peut penser qu’elle opère un choix perceptif. Alain Berthoz65indique
que : « Percevoir c’est interpréter ce que l’on voit. » Les élèves sont donc amenés à interpréter le
mouvement en vue de pouvoir le reproduire. Marina remarque d’ailleurs au sujet d’Anna : « Anna elle
est musicale elle aussi, oui très musicale. » et elle souligne également son sens de la chronologie.
Quant à Lola et Marie, elles décrivent toutes deux l’utilisation d’une « image mentale » d’elle-
même ou de Marina en train de danser. Quand j’interroge Lola pour savoir comment elle fait pour
mémoriser l’enchaînement, elle évoque tout d’abord le fait de regarder et quand je lui demande de
préciser :
Lola : Ben je me dis par exemple : je suis toute seule dans la salle et je suis en train de faire ça et ça.
I : Tu te dis quelque chose ou tu vois une image ?
Lola : Je vois une image de... de moi qui est en train de danser dans la salle. Et si je suis toute dernière et que
j’oublie quelque chose et ben je continue comme si je n’avais rien oublié. Mais après elle me dit : « non tu as
oublié ça et ça... »
De la même façon, lors de l’entretien avec Marie :
I : Marina de temps en temps elle donne des noms, tu n’en as pas retenus ?
Marie : Non, moi je ne peux pas retenir les noms. (Rires)
I : Et est-ce que tu fais attention aux comptes ? Anna, la dernière fois m’a dit que pour se souvenir des
enchaînements elle comptait. Est-ce que toi tu le fais aussi ?
Marie : Non.
I : Comment tu fais pour te souvenir de ce qu’elle fait, tu ne connais pas les noms, tu ne comptes pas... ?
Marie : Ben euh... des fois, j’essaye de retenir dans ma tête.
I : Alors qu’est ce que tu retiens à ce moment là ?
Marie : Ben, je euh... ben, je euh... je vois Marina en train de danser. Mais des fois quand elle danse je dois
compter les pas par contre parce que ça je ne peux pas réussir à maîtriser.
I : Et alors quand tu refais la danse ensuite comment tu fais ?
Marie : Ben, je fais comme Marina, en fait, je me rappelle de Marina et quand j’oublie, je rajoute des trucs.
I : Et à ce moment là tu revois Marina danser ?
Marie : Oui.
I : C’est l’image de Marina ?
Marie : Oui.
I : Donc en fait, toi, tu travailles avec...
Marie : Avec l’imagination et avec Marina... (Rires)

65
Alain Berthoz est professeur honoraire de la Chaire de physiologie de la perception et de l'action du Collège de France,
les propos rapportés ici sont extraits d’une conférence donnée au Collège de France.

37
Lola comme Marie réussissent à reproduire l’enchaînement en s’y impliquant totalement. Les gestes
sont amples et assurés même si toutes deux marquent des arrêts. Marina cite Lola comme ayant une
« très bonne mémoire ». Cette utilisation de l’image interne de l’autre ou de soi me semble proche de
ce que décrit Alain Berthoz dans le processus d’empathie : « C’est un processus dynamique, qui exige
que nous nous dédoublions, que nous utilisions un « corps virtuel » pour nous mettre à la place de
l’autre.» Il indique qu’il y a deux façons de percevoir le mouvement de l’autre la sympathie et
l’empathie :
Imaginons-nous en face d’une personne dont le corps se met à pencher sur sa droite. Par sympathie, nous allons
nous pencher sur notre gauche. Par empathie, nous pencherons vers notre droite. Cette situation extrêmement
simple soulève une multitude de questions aussi bien sur le fonctionnement de notre cerveau que sur les relations
66
que nous entretenons avec les autres.

La sympathie appartient aux mécanismes fondamentaux d’imitation d’autrui qui apparaissent dès les
premiers jours, une capacité de résonance émotionnelle, cette capacité reste active chez l’adulte67.
L’empathie est plus complexe, elle demande notamment une manipulation de l’espace une utilisation
de notre double corporel pour « pénétrer » le corps d’autrui.

J’ai interrogé Marina sur sa préparation lors de cet exercice :


Marina : Alors, je dois te dire que moi aussi, je ne la prépare pas cette variation. Et que moi aussi, je me mets
dans ce jeu de faire une chose sur le moment et que je dois mémoriser sur le moment. (Rires)
I : Ah, oui d’accord.
Marina : Donc c’est un double jeu pour moi. Mais je me dis que si je veux que les enfants soient dans cet état là, il
faut que je le sois aussi. Donc, je fais drelllhin (signe vers la tête), je fais quelque chose qu’ils ont fait dans
la journée pour qu’ils puissent le réinvestir, le reconnaître et des choses qu’ils ont déjà faites auparavant. Donc,
de toute façon, les éléments d’un enchaînement on peut les compter sur deux mains, tu vois ?
Plus tard dans l’entretien, elle précise « l’état » dans lequel elle essaye de se mettre :
Ça c’est vraiment une chose du moment pour moi aussi, euh voilà. Mais je pense que oui, que moi aussi, je ne me
repose pas sur quelque chose que j’ai déjà fait, tu vois. Je crois que ça me permet d’être comme ça plus sur
l’instant et je pense que certains enfants peuvent le capter aussi.
Il ne s’agit pas seulement d’exercer la mémoire des élèves et de réinvestir des mouvements mais aussi
de transmettre un « état », une sorte de présence propice à la danse.

66
Retranscription d’une émission de France Culture du Club Science Publique du mois de mai dont Alain Berthoz était
l’invité.
67
Alain Berthoz précise dans sa conférence au Collège de France : « Il n’y a pas besoin de faire de manipulation mentale
spatiale, de changer de perspective. On reste dans un point de vue égocentré. L’autre est en face de nous et nous résonnons
avec lui. On attribue aujourd’hui cette imitation au système de neurones miroirs. »

38
Anna distingue dans son entretien la phase du cours durant laquelle Marina fait face aux élèves qui
doivent répéter une série d’exercices en miroir de la transmission du court enchaînement :
Anna : Par contre, moi j’ai un petit problème, c’est quand Marina elle est comme ça et que nous on est comme
ça. Ah, non, je dis n’importe quoi, quand Marina elle est comme ça et nous on est comme ça.
I : En face d’elle, en miroir ?
Anna : Oui, voilà en face d’elle, elle nous dit de faire les mêmes mouvements qu’elle, mais quelquefois moi je me
trompe parce qu’on n’est pas du même côté : sa gauche elle est là et moi ma gauche elle est là. Donc après, mais
moi j’ai plutôt l’habitude de faire du côté où je suis...
Il me semble que ces exercices en miroir correspondent au système de reproduction en sympathie qui
fait appel, selon Alain Berthoz, à l’utilisation des neurones miroirs. Il s’agit alors de transmettre des
mouvements précis qui doivent être réalisés avec exactitude afin d’exercer le corps à une certaine
gestuelle. La transmission du court enchaînement fait plutôt appel à l’empathie. Son objectif est, me
semble-t-il, celui de transmettre non pas essentiellement une série de mouvements qu’il s’agirait de
reproduire à l’identique mais plutôt la genèse de ces mouvements. Hubert Godard explique ainsi ce
qu’il nomme l’empathie kinesthésique :
Le moyen de réception d’une danse peut être assimilé à une sorte de « cannibalisme du geste », une
incorporation des moyens de gestion de la gravité d’un autre. Le spectateur regarde et sa perception a un écho
dans sa corporéité. (...) Cet écho génère dans le spectateur une excitation musculaire certainement insuffisante
pour le faire bouger effectivement, mais suffisamment forte pour qu’il soit imprégné du mouvement : devant lui,
il y a une altérité corporelle ; en bougeant elle évoque un potentiel d’actions et de sens, qui résonne dans sa
68
proprioception .
Dans ce sens la transmission du court enchaînement dans le cours de Marina Rocco s’adresserait à
« ces noyaux de consciences qui sont faits de danse69 » en permettant aux élèves de s’imprégner du
mouvement.

68
« Conversation avec Hubert Godard » in, Quant à la danse, numéro 2, juin 2005 p. 45
69
Hubert Godard décrit comme étant le propre de l’enfant et qui subsisteraient chez l’adulte : « Il existerait des noyaux de
conscience qui sont faits de danse, qui n’ont pas de sens mais qui sont faits d’intensité, de phrasé, et ces noyaux de
consciences au lieu d’être recouverts, sont à côté et continuent d’être tel quel chez l’adulte. (...) Je trouve cela extraordinaire
parce qu’on se rapproche de ce que pourrait être une définition de la danse, non pas comme objet mais comme mode d’être
particulier, un mode de déclenchement sensoriel qui serait un autre langage, un autre de la langue en tout cas. » Hubert
Godard, « l’enfant interprète, le regard de l’adulte spectateur », in Balises n°1, CSND Poitou-Charentes, novembre 2001,
p.80

39
Quatrième partie : Description et analyse de la place des regards.

Le verbe « regarder » est sans doute le mot le plus utilisé par Marina Rocco dans son cours. Je note
pendant mes observations :
« Regardez ce sol, vous avez vu comme il est beau ce sol. », « Regardez, vous avez tout cet espace », « Vous me
regardez ! Je vous regarde moi. », « Vous ne devez pas travailler pour moi, je ne vous regarde pas, je me
retourne. », « Je ne vous regarde pas, cherchez toutes seules. », « Il faut que tu me regardes.», « On regarde
quelqu’un dans le cercle. », « Comme dans un miroir, regardez, je le fais avec Anna. », « Vous devez regarder les
autres quand elles dansent. On apprend aussi en regardant. C’est important. »...
Les élèves sont invités à « regarder » Marina, à se « regarder », à « regarder » l’espace, le sol, à
« regarder » le public... Tout un éventail de regards qui ont des rôles différents dans l’apprentissage. En
plus des injonctions du professeur à regarder tel ou tel élément, j’ai été attentif à d’autres types de
regards qui eux ne sont pas directement sollicités par l’enseignante. Je vais tenter de présenter une
typologie de ces regards.

1. Ebauche d’une typologie des regards.

Tout d’abord, comme Sylvia Faure l’indique, il s’agit de regarder pour apprendre:
Regarder, observer attentivement ou furtivement pour imiter est une modalité d’apprentissage essentielle. Contre
l’illusion qu’il est naturel de regarder les autres pour apprendre, les analyses sociohistoriques relèvent que
l’observation est une procédure socialement constituée 70.
Dans le cours de Marina Rocco, les élèves sont fortement incités à utiliser cette procédure. Nous avons
vu précédemment que différentes situations proposées dans le cours font appel au regard : les exercices
en miroir, les exercices face au miroir (qui sont rares, une seule occurrence en dix cours), la
transmission du court enchaînement. Dans ces différents moments, le regard a une fonction de prise
d’information. Ce rôle que l’observation du cours met en évidence est confirmé par le fait que certains
élèves ne quittent pas Marina des yeux et la suivent dans tout l’espace. C’est le cas de Lou qui, comme
Lola, a commencé en septembre mais qui semble manquer d’assurance. Elle apprend en utilisant ce que
Sylvia Faure nomme : « l’appropriation pratique ». C'est-à-dire qu’elle exécute les mouvements en
même temps que Marina et semble avoir besoin pour cela d’être très proche d’elle. D’autres élèves sont
capables de prendre de la distance par rapport au professeur, d’investir un espace plus éloigné et de
détacher leur regard. Les entretiens avec les élèves permettent de cerner ce sur quoi portent les regards

70
Sylvia Faure, Apprendre par corps, socio-anthropologie des techniques de danse, Paris, La dispute, 2000.

40
et quelles informations elles cherchent à saisir. Paule, l’élève la plus ancienne du cours (terrain 1)
concentre son attention sur les mains du professeur :
Parce que les mains, je regarde souvent les mains, parce que souvent sur les mains elle fait des choses nouvelles.
Sur les pieds, bon, elle saute et tout mais y a pas grand-chose à voir sur les pieds, juste il faut compter les pas...
Paule cherche à saisir « ce qui est nouveau », elle agit par une « appropriation sélective71 », son regard
est donc orienté sur une partie précise du corps qui lui semble la plus propice, pour percevoir le
mouvement. Quant à Lola, elle donne une description détaillée de la façon dont elle perçoit le jeu de
regards pendant le cours, dans un travail du dos effectué, au sol, en miroir par rapport à Marina :
I : Alors comment tu as fait pour apprendre ce mouvement ?
Lola : Ben au début, j’ai regardé Marina et puis après j’ai regardé les autres.
I : Tu as regardé qui ?
Lola : Ben, j’ai regardé Anna... euh ... j’ai regardé... et puis aussi Isabelle.
I : Tu regardes Marina et ensuite tu fais quoi ?
Lola : J’essaye de faire pareil qu’elle mais quand je suis comme ça (Le torse en avant la tête orientée vers le
sol), je la vois pas alors je fais comme ça pour regarder les autres.
I : Tu tournes la tête sur le côté pour voir les autres. Et les autres, qu’est ce qu’ils font, ils tournent la tête aussi ?
Lola : Ben, je... ils regardent à côté.
I : Alors si tout le monde regarde à côté, il y en a un qui regarde le mur ?
Lola : Hum, hum... mais la première, dans la première ligne je pense qu’il y avait Anna, et quand elle est comme
ça elle peut lever sa tête et un peu regarder (Marina) et les autres de la première ligne aussi et la deuxième, ils peuvent
aussi regarder ceux de devant.
I : À un moment Marina elle s’est levée et elle vous a dit : « vous le faites. » Alors là comment tu as fait ?
Lola : Ben, j’ai regardé celle à côté.
On peut remarquer que pour Lola il semble absolument nécessaire de regarder quelqu’un pour faire le
mouvement. Par ailleurs, il est intéressant de noter que Marina n’est pas le seul modèle valable, Lola
cite également Anna et Isabelle, puis les autres en général. Marie semble plus sélective :
I : Et, est-ce qu’une fois que Marina a montré l’enchaînement, tu t’aides avec les autres ?
Marie : Ben, si elles passent avant moi oui. Je les regarde !
I : Qui tu regardes ?
Marie : Ben, si Paule passe avant moi et moi juste après, ben, je la regarde.
Anna et Paule sont les deux élèves les plus anciennes du cours. Marina les cite souvent en exemple en
demandant aux élèves de les regarder, de faire le mouvement avec elles. Elle leur demande aussi de
commencer ou de montrer un exemple avec elle.
Dans son entretien, Paule évoque un exercice qui avait été fait face au miroir et qu’elle avait dessiné, il
s’agissait d’une série de pliés et d’inclinaisons du torse sur les côtés :

71
Ibid.

41
I : Sur ce dessin, vous êtes devant la glace, qu’est-ce que vous faites ?
Paule : C’est plutôt quand tu danses, c’est pour mieux voir Marina et aussi te regarder en même temps.
I : Tu le fais toi ?
Paule : Oui, un peu mais surtout je regarde sur Marina et des fois sur moi-même et des fois je vois des gestes
qui ne sont pas vraiment pareils, des fois Marina elle est là et moi je suis que là, je suis plus lente ou des fois plus
rapide que Marina.
I : Qu’est-ce que tu fais dans ce cas là ?
Paule : Ben, j’essaye d’être comme Marina en nous regardant les deux en même temps et c’est dur.
I : Devant la glace, c’est plutôt au début du cours ?
Paule : Devant la glace, c’est rare en fait. C’est pour ça que j’aime bien.
I : Pourquoi vous le faites à ton avis ?
Paule : Ben, pour se regarder nous-même.
Le regard des élèves ne cherche pas uniquement la forme du mouvement mais aussi des informations
sur son rythme. Lola qui se souvient parfaitement d’un enchaînement (le reproduisant devant moi lors
de l’entretien) m’explique qu’elle prend aussi en compte des informations sur le rythme lorsqu’elle
observe Marina danser :
I : A un moment Marina elle s’est levée et elle vous a dit : vous le faites. Alors là comment tu as fait ?
Lola : Ben, j’ai regardé celle à côté.
I : Et s’il n’y avait eu personne à côté ?
Lola : J’allais quand même faire à ma ... à ma vitesse 72... (Elle me montre l’enchaînement.)

Lors d’un exercice durant lequel les élèves devaient marcher en frappant un rythme avec des
bâtons, elles exploraient toute une gamme de rythmes en dissociant ceux exécutés par les frappes de
pieds et ceux avec les bâtons. Paule décrit cet exercice en hiérarchisant des différents sens utilisés pour
réaliser cet exercice :
I : Et si on reprend un moment, par exemple celui des bâtons, tu m’as dit « les bâtons ça sert à travailler le
rythme ». Alors, est-ce que tu peux me raconter comment vous faites avec les bâtons pour travailler le rythme ?
Paule : On regarde Marina avec ses gestes de bâtons quand elle tape et on écoute bien et après nous aussi on
commence à taper. On essaye de faire comme elle et après euh... un moment on n’a plus besoin de compter, on
sait quand il faut taper et quand il faut attendre.
I : Et comment tu le sais ?
Paule : Ben, on s’habitue. (Rires)
I : Tu t’habitues à quoi ?
Paule : Ah... si tu le fais, tout le temps, tu t’habitues à un rythme et t’es pas obligée de toujours compter.
I : Comment on s’habitue ?

72
Lola parle de « vitesse » mais, en fait, elle fait référence au rythme du mouvement comme le confirme la suite de
l’entretien.

42
Paule : Mes mains s’habituent.
I : Tes mains ?
Paule : Oui c’est mes mains qui font le geste.
On voit que pour Paule si elle travaille, tout d’abord, en synchronie avec le geste vu sur le professeur,
très vite l’écoute puis la kinesthésie lui semble suffisante. J’ai remarqué que dans ce type d’exercices
répétés fréquemment dans les cours de type deux73, les autres élèves, tout comme Paule, réussissent à
ne plus suivre Marina du regard. Ils se concentrent sur l’écoute. Ne se regardant plus, ils prennent
conscience de l’espace, et c’est sans doute un des effets remarquables de cet exercice sur le groupe.
Ainsi, investissent-ils la salle chacun sur un trajet, tout en formant un ensemble cohérent grâce à la
régularité des frappes.

Ensuite, j’ai évoqué avec Marina le travail face au miroir. Celle-ci m’explique le rôle particulier
qu’elle confère à cet exercice pour orienter le regard, un rôle différent que celui que percevait Paule
quand elle se regardait pour se corriger. Pour Marina :
I : Je voulais commencer par parler du travail sur le plan, sur les différents plans, pour savoir comment tu les
abordes.
Marina : Souvent avec les enfants, et aussi avec les adultes, j’utilise le mouvement des bras pour définir les plans
de mouvements. Ça c’est des choses que l’on fait beaucoup moins avec des enfants plus jeunes parce que c’est
moins évident mais à cet âge là on commence un peu à les définir par des gestes de bras et de la colonne...Euh
I : Tu l’as fait dans le cours, par exemple devant la glace.
Marina : Voilà, face à la glace, tout seul, après lorsque l’on dessine des cercles. Bon, je ne nomme pas forcément
euh... Je crois que j’ai fait un jour toutes les courbes de la colonne, je ne sais pas si tu étais là.
I : Si j’étais là.
Marina : Et, en sachant que les mouvements que l’on dit enroulé/déroulé du dos ça c’est défini sur ce plan là
(Marina indique le plan sagittal). Pour les inclinaisons, ce n’est pas encore évident à cet âge là, parce que les
enfants se retournent un peu. C’est difficile de rester vraiment de face aussi avec le regard qui reste en face. Les
enfants ont tendance à se retourner et à regarder du côté où ils penchent. Euh, Les enfants, tout seuls, font plein
de vrilles dans le corps, sans qu’elles soient conscientes. Et je pense que ça, c’est important de le laisser tel quel
tu vois du moment que tu as le geste d’un seul bras ou d’une seule jambe, il y a une vrille dans le corps. Voilà. Et
c’est important qu’ils trouvent un peu cette double direction, cet allongement du corps pour que les vrilles, les
spirales ne deviennent pas des torsions des choses comment dire... euh...
I : Qui bloquent ?
Marina : Oui, euh, entassé. Mais que la spirale, la vrille soit ouverte si tu veux. Voilà.
I : Et le miroir, là dedans, ça a quelle fonction ?

73
Le travail sur le rythme et celui sur la marche est très important dans ce cours. On peut y voir le lien de Marina Rocco
avec l’enseignement de Françoise Dupuy et plus fondamentalement celui de Dalcroze.

43
Marina : Ben, je pense que le miroir, ça peut nous aider, le fait de se regarder, de regarder les autres, de garder
euh... de se regarder, de garder ce plan. Souvent je le fais face au miroir et dos au miroir pour que les enfants
retrouvent le mouvement sans se regarder.
Le travail face au miroir permet, pour Marina, d’orienter le regard et avec lui la tête et la nuque qui
restent dans le plan frontal malgré l’inclinaison du buste. Il s’agit d’un nouveau rôle du regard : son
orientation va permettre de donner au corps un engagement plus global. Dans ce cas, le rôle du regard
n’est pas identifié par les élèves, c’est un moyen pour le professeur d’assurer un investissement du
corps adéquat. Si la tâche de l’élève est de se regarder, l’objectif poursuivi par le professeur est
différent. Ainsi en est-il quand il s’agit d’apprendre à marcher en arrière sans se déséquilibrer vers
l’avant. Marina demande aux élèves de travailler à deux et de s’entraîner l’un avançant pendant que
l’autre recule. Le regard est alors stabilisé sur le camarade, la distance entre les deux ne change pas
sinon le corps de l’enfant qui recule aurait tendance à se pencher vers l’avant pour conserver un écart
constant. Reculer en regardant l’autre qui avance, permet d’éviter la difficulté d’accommodation du
regard qu’indique Odile Rouquet :
L’apprentissage de la marche ou de la course en reculant est souvent difficile car au bout de quelques pas,
l’enfant déséquilibre le corps et le dos, qui ne restent plus dans l’axe. Rectifier par le bassin ou par le dos (« Sentez
l’appui de l’air sur votre dos ») ne donne pas guère de résultat. L’enfant a peur et fixe son regard sur le mur devant
lui sans accommoder ses yeux en fonction de la distance parcourue. 74
Á un autre moment, les élèves doivent parcourir la diagonale avec des pas chassés en se retournant tous
les deux pas. Marina montre la traversée, les élèves se lancent et échouent à se retourner régulièrement,
oublient de le faire ou encore s’arrêtent au moment de se retourner et semblent désorientées pour
repartir. Marina leur demande de partir à deux dans un trajet parallèle en face à face et en se souriant.
Les élèves sont alors occupés à se retrouver toujours face à face et réussissent à se retourner ensemble.
Le regard pour les élèves conserve un aspect relationnel et il permet un mouvement global du corps.

Comme le précise Odile Rouquet, le regard a également une fonction d’orientation dans
l’espace: « Dans un mouvement dansé, le regard qui se porte dans une direction va induire la direction
de tout le corps. » La direction du regard témoigne d’une anticipation de la trajectoire dans laquelle le
corps va s’engager, c’est particulièrement frappant dans le cas d’élèves plus anciennes comme Paule ou
Anna. Dans certains moments des phases d’improvisations, leurs regards sont indépendants du
mouvement qu’ils sont en train d’exécuter pour s’orienter vers la nouvelle trajectoire qu’ils vont

74
Odile Rouquet, La tête aux pieds, édition Edmond Baudoin, Paris, 1991, p. 51. Odile Rouquet dans son livre d’analyse du
mouvement accorde un chapitre entier à la question du regard. C’est un livre que m’a conseillé Marina Rocco et qu’elle
connaît visiblement très bien.

44
parcourir. Alain Berthoz indique que : « Nous simulons mentalement la trajectoire et nous comparons
le mouvement réellement exécuté par les pieds avec le mouvement prévu.75 » Le regard a donc un rôle
prédictif pour le mouvement ce que Alain Berthoz résume par la formule : « aller où je regarde et non
regarder où je vais ». Le travail avec un objet me semble illustrer ce propos. Lola, par exemple,
improvise en ouvrant des espaces nouveaux pour sa danse avec le bâton, elle « adresse » ses gestes au
plafond ou au sol en engageant le corps dans des arcs et des inclinaisons qui mobilisent le tronc. Le
bâton indique une direction et une projection dans l’espace que le regard suit en stimulant un
mouvement d’ensemble, adressé à un point de l’espace. Alain Berthoz confirme cette observation :
La perception du corps propre peut être prolongée par un outil. Par exemple on sent la pointe de la main comme
si elle se situait au bout du crayon : le corps se prolonge dans l’outil76.
Il précise plus loin :
La propriété remarquable de cette extension, c’est que l’objet est perçu à sa place dans l’espace extra-corporel et
non au point de contact de l’instrument avec le corps. Le cerveau construit une extension spatialement correcte
du corps. (...) Dans le cas du prolongement par l’outil, on peut imaginer qu’une simple corrélation entre deux
parties du corps pourra devenir la simulation en une partie du corps (celle qui tient l’outil) et un point de
l’espace77.

Pour Marie l’outil, accompagné par le regard, précise le mouvement :


I : La dernière fois, au dernier cours, Marina vous a demandé de reprendre les danses de bâtons, tout ce que vous
aviez fait. Est-ce que tu peux me dire ce que tu as repris ?
Marie : Alors, j’ai repris en fait, on a posé un bâton et on a traversé, on a fait le cercle, on a tourné autour du
bâton.
I : Là, il sert à quoi le bâton dans cette danse ?
Marie : De fixer le ... enfin de hum... En fait la pointe du bâton qu’on a dans la main va sur le bâton qui est en bas
pour le fixer en fait.
I : D’accord, ça fixe quoi ?
Marie : Les deux bâtons.
I : Pour faire le cercle, ça aide à faire le cercle ?
Marie : Oui, parce qu’on a le repère et comme ça....
I : Et qu’est ce qui est repéré comme ça ?
Marie : Le bâton. Ben, il est au milieu.
En fixant le centre avec le bâton, Marie suit un trajet circulaire précis qu’elle rapporte dans son esprit à
un cercle. Son regard dans le prolongement de la main est fixé sur le centre du cercle ce qui produit une
inclinaison du buste vers l’intérieur du trajet. Sans doute penser le trajet circulaire comme un cercle
75
Alain Berthoz, Le sens du mouvement, Odile Jacob, Paris, 1997, p.240
76
Ibid., p.108
77
Ibid. p. 109

45
aide Marie à l’exécuter car comme l’indique Alain Berthoz : « Le cerveau n’élabore pas un simple
programme moteur qui lui permet d’avoir une trajectoire circulaire. Il suit un modèle interne de la
trajectoire. » Il indique que c’est le regard qui bouge avant le reste du corps en poursuivant ce modèle
interne ici encore le rôle d’anticipation du regard est essentiel.

Des phases d’improvisations se sont déroulées à partir du travail avec l’outil, les élèves
réinvestissaient des éléments travaillés (trajet circulaire, mouvements circulaires dans toutes les
directions, sauts...) en produisant une danse très personnelle. Lors de ces moments, j’ai pu observer
pour Marie mais également pour Lola et Isabelle, l’apparition d’un nouveau type de regard que je
nommais dans mes notes : « regard intérieur ». Elles ne semblaient pas fixer un point précis de l’espace
mais être emmenées dans leurs mouvements. Je dessinais à plusieurs reprises le croquis du parcours de
Lola qui était complexe et très précis dans l’espace et qu’elle reproduisait à l’identique lors des
différentes improvisations. J’étais troublé par ce regard qui me semblait coïncider avec un engagement
corporel intense. C’est la lecture de l’entretien d’Hubert Godard sur l’œuvre de l’artiste Lygia Clark,
« Le regard aveugle78 » qui m’a permis de mieux le comprendre. Il y explique comment l’artiste va
selon lui travailler « à l’intérieur de chaque sens » et analyse particulièrement son travail sur le regard
en le mettant en relation avec ses connaissances de neurophysiologie. Il explique qu’il y a deux types
de regards : un regard « subjectif » et un regard « objectif ». Il précise :
Ce n’est pas nouveau de le dire, mais aujourd’hui il y a beaucoup de supports dans la recherche en
neurophysiologie qui expliquent bien ces deux formes de regards, puisqu’il existe deux niveaux d’analyseurs dans
le cerveau. On pourrait qualifier le premier [le regard « subjectif »] de regard sous-cortical. C’est un regard à
travers lequel la personne se fond dans le contexte, il n’y a plus un sujet et un objet, mais une participation au
contexte général. Alors, ce regard-là, il n’est pas interprété, il n’est pas chargé de sens.
Ce que je qualifiais de regard « intérieur » correspond, me semble-t-il, à cette définition du regard
« subjectif » qui n’est adressé ni à un point précis de l’espace, ni à une personne ni à un objet mais se
« fond dans le contexte général ». Hubert Godard conclut : « Donc, il y a de la sensorialité qui circule
sans qu’elle ne soit nécessairement consciente et interprétée. Cela est possible parce qu’effectivement il
y a un regard qui est un au-delà du regard objectif, qui est géographique ou spatial. » Plus avant dans
l’entretien, il indique que ce type de regard permet de « remettre en route une certaine forme
d’imaginaire ou d’élaboration, en même temps. » Il est intéressant de remarquer que Marie comme
Lola ont évoqué l’utilisation d’une « image mentale » pour mémoriser la danse de Marina dans le court
enchaînement. Marie précise qu’elle travaille la danse : « Avec l’imagination et avec Marina. » J’ai

78
Suely Rolnik, « Regard aveugle. Entretien avec Hubert Godard » , in Lygia Clark de l’œuvre à l’évènement, éditions du
Musée des Beaux Arts de Nantes/Les presses du réel, 2005, p. 73/78.

46
interrogé Marie sur ce moment de danse et à ma grande surprise elle semble être consciente de ces deux
types de regards :
I : J’ai remarqué aussi que par moment tu regardes vraiment Marina et parfois tu ne la regardes pas vraiment.
Marie : Hum, ça...
I : Tu le sais ça ?
Marie : Oui. (Rires)
I : Est-ce que tu sais à quel moment tu fais l’un à quel moment tu fais l’autre ?
Marie : Ben, non, ça je ne suis pas cap d’expliquer.
I : Et quand tu ne la regardes pas, qu’est ce que tu fais en fait ?
Marie : Ben, en train de danser, je m’imagine des paysages et je les imite.
I : D’accord, là ce sont les moments où tu ne la regardes pas. Et quand tu regardes Marina qu’est ce que tu fais ?
Marie : Ben, je regarde Marina en train de danser. (Rires)
I : C'est-à-dire qu’est ce que tu peux me dire là dessus ?
Marie : Ben, en fait...je euh... Ben, en fait, j’essaye de faire la même chose que Marina pour que ce soit plus
facile79.
Les phases d’improvisations sont celles durant lesquelles j’ai pu observer à la fois des regards qui
anticipent et des regards « subjectifs ». On peut penser que ces deux types de regards sont utilisés
conjointement par les élèves dans ces moments où ils dansent en investissant tout l’espace du studio.

Nous avons vu que le regard a une fonction de prise d’information, d’anticipation, qu’il peut
permettre d’accéder à une sensorialité ni consciente ni interprétée, il a également un rôle dans les
échanges relationnels. Alain Berthoz note : « Les mouvements du regard régulent la relation avec
autrui.80 » J’ai pu observer en m’attachant aux échanges non verbaux ce rôle du regard dans le cours de
danse. Tout d’abord entre les élèves, certaines affinités sont visibles, elles engendrent des échanges de
regards fréquents. Le regard a aussi une relation avec le statut des individus. L’observation du cours et
les entretiens attestent du statut « d’élèves expertes » de Paule et d’Anna. Ainsi comme l’indique Alain
Berthoz : « Le cerveau ne se contente pas de subir l’ensemble des évènements sensoriels du monde
environnant, mais au contraire l’interroge en fonction de présupposés sur la réalité. » Les autres élèves
présupposent que Paule comme Anna sont des modèles et que leur attitude est une source
d’information fiable surtout lorsque Marina ne danse pas avec eux. J’ai déjà indiqué que ce statut est
renforcé par Marina qui demande parfois de les observer. D’autres élèves en revanche, tentent de ne
pas être vus, ils choisissent d’être dans des espaces du studio éloignés de Marina comme du « public »

79
Cet entretien me semble typiquement un entretien qu’il aurait fallu reprendre et approfondir pour clarifier ces deux
moments et essayer de comprendre ce qu’entend Marie par : « imaginer un paysage et l’imiter. »
80
Alain Berthoz, Le sens du mouvement, Odile Jacob, Paris, 1997, p.230

47
et semblent hésiter à danser devant les autres, c’est le cas de Julie et de Eric. Ainsi cette typologie des
regards informe-t-elle sur des aspects pédagogiques, sur les modes d’apprentissage, mais également sur
les relations entre les différents individus du cours.

2. Les différentes modalités de correction.

J’ai noté au début de cette partie la fréquence de l’utilisation du verbe « regarder » par Marina Rocco.
On peut en distinguer trois occurrences différentes : les moments où elle regarde, les moments où les
élèves la regardent, les moments où elle ne les regarde pas. Ces occurrences désignent trois phases
d’apprentissage différent pour les élèves : celui de la correction possible par le professeur, celui de la
mémorisation et de l’analyse, celui de la recherche. J’ai tenté de comprendre les modalités de
correction utilisées par Marina Rocco.

J’ai constaté que les corrections verbales s’adressent en général au groupe dans son ensemble.
Les enregistrements audio des cours confirment ce constat. Il s’agit de préciser la consigne ou de
demander une attention particulière (par exemple sur la direction d’un trajet, le respect d’un rythme).
Souvent Marina indique le rythme des mouvements en chantant comme le raconte Paule :
Marina, des fois, elle chante un peu, elle fait des rythmes avec sa bouche et après on sait quand il faut monter et
quand on se perd ou bien, elle dit les gestes qu’il faut faire des fois, elle dit : « on lève la main gauche et après la
main droite.
Paule dans un de ses dessins montre Marina en train d’observer et de corriger une diagonale de sauts.
C’est le seul des quatre dessins qui indique une intervention verbale de Marina qui dans une bulle dit :
« c’est bien ». Cette valorisation du travail de l’élève est confirmée par Lola lors d’un entretien dans
lequel elle avait commencé par m’expliquer en détail un mouvement qu’elle avait repris en regardant
une danseuse à la télévision. À la fin de l’entretien, je lui demande :
I : J’ai une autre question, c’est la dernière. Á ton avis, qu’est-ce qu’il faut faire pour bien danser ?
Lola : Ben pour bien danser, il faut se souvenir. Par exemple, si tu regardes une chaine de danse, tu regardes la
danseuse ou le danseur qui est en train de faire un pas et si tu trouves ce pas joli et tu te dis pourquoi pas le faire
en cours de danse et après, peut être, que Marina elle dira : « mais oui c’est bien, ou c’est pas très, très bien mais
c’est bien.
Cette modalité de correction positive est en effet la plus fréquente. Le fait d’encourager
systématiquement, au lieu de dévaloriser leur travail, leur renvoie une image positive de leurs
tentatives, libère leur créativité et les autorise à expérimenter la danse.

48
D’autres formes de corrections apportées par Marina peuvent être non verbales. Par exemple,
comme nous l’avons vu précédemment dans les traversées en pas chassés en se retournant quand les
élèves échouent à exécuter correctement la consigne, Marina ajoute un élément nouveau dans la
modalité donnée (faire le déplacement à deux) ce qui permet aux élèves non seulement d’avoir un
repère (le regard de l’autre exécutant) mais aussi de savoir quand il y a erreur (si ils ne se retournent
pas au bon moment, ils ne voient pas leurs camarades). Cette correction non verbale permet une
compréhension sensible du déplacement dans l’espace et de l’orientation du corps. Pour confirmer
l’acquisition du mouvement, Marina demande à ce que les élèves le refassent dans la modalité initiale.
Un autre exemple de correction non verbale m’est donné par Marina quand elle m’explique le rôle de
l’objet pour corriger le mouvement d’enroulé/déroulé :
Oui, avec les objets, c’est toujours un peu l’occasion pour définir les choses par exemple avec les baguettes avec
les deux mains il y avait plus cette idée de succession, de mouvement dans lequel le dos et les bras font quelque
chose d’uni, d’ensemble ou dans lequel les bras ont leurs propres mouvements par rapport au déplacement ou à
la colonne. Le fait d’avoir les mains aux deux extrémités de la baguette, ça va les faire travailler avec les deux
ceintures, la ceinture scapulaire et la ceinture pelvienne.

Parfois, Marina s’implique directement dans le groupe en dansant pour montrer plus
précisément le mouvement, particulièrement quand il s’agit d’en modifier la dynamique d’exécution et
aussi certains éléments qui concernent la gestuelle ou les directions. Les élèves sont attentifs à ces
corrections, l’irruption de Marina suffit souvent à corriger le groupe. Dans son entretien, quand
j’interroge Paule, elle précise :
I : Qu’est ce qu’elle fait d’autre quand vous oubliez des choses ?
Paule : Sinon des fois elle fait les gestes avec nous et quand elle voit que l’on a totalement oublié et bien, on
recommence.

En ce qui concerne les corrections collectives, elles sont immédiates, en revanche, pour certains
élèves pris individuellement, Marina diffère la correction. Marina l’explique ainsi81 :
Parfois pour certains enfants qui pourraient être troublées, je ne corrige pas tout de suite, je vois mais je ne corrige
pas tout de suite.
Je lui demande un exemple précis :

81
Cet entretien n’a malheureusement pas été enregistré, l’enregistreur s’étant arrêté sans que je m’en aperçoive. Aussi je le
retranscris de mémoire. Puis je demande à Marina si elle accepte de recommencer l’entretien, ses réponses sont évidemment
moins spontanées et plus réfléchies. Je retranscris en complétant l’enregistrement de mes notes prises après l’entretien
perdu.

49
Lou, qui veut tellement bien faire parfois elle ne respire pas, elle fait très vite, elle se regarde autour. Elle n’est
pas encore très sûre d’elle. Je laisse faire. Parfois je lui dis que c’est bien même si ce n’est pas bien en absolu,
mais si elle arrive déjà à se lâcher, c’est très bien pour moi.
Elle insiste sur le fait de laisser les élèves trouver leur propre façon de danser, elle utilise souvent le
verbe : s’ouvrir. L’absence de correction verbale directe pour certains élèves est liée à cette volonté de
laisser s’épanouir le mouvement, de ne pas « bloquer » l’élève.
Elle m’indique pour quels élèves, elle donne des corrections plus précises dans le corps ou dans la
direction, et site immédiatement : Anna et Paule et Marie. C'est-à-dire les trois élèves qui étaient déjà
dans son cours les années antérieures.
Je lui demande de me parler de la correction individuelle élève par élève, de ce qui lui semble
important pour chacune d’entre elles. Ses remarques sont toutes très précises. Par exemple à propos
d’Anna elle me dit :
C’est important, pour elle, de travailler la tenue du corps. Par exemple, de tenir plus longtemps un équilibre,
parce qu’elle a une belle dynamique mais elle est plutôt dans la vitesse. C’est une qualité aussi hein. Mais donc, il
faut qu’elle travaille maintenant, plus euh, renforcé aussi.
Pour Lola :
On avait parlé des genoux. Elle est cambrée mais mobile pour l’instant. Mais, il ne faut pas qu’elle verrouille trop
ses genoux, il faut qu’elle donne une direction à ses genoux. Donc, bon, par différentes manières tu vois... en
regardant, en demandant de faire plus lentement, en lui demandant de refaire quand c’est juste pour que cela
s’inscrive dans le corps.
Par la suite Marina m’explique comment elle évalue la correction :
Corriger, ce n’est pas seulement comprendre parce qu’un enfant, souvent, il peut te dire qu’il a compris mais,
pour moi, il a compris s’il est capable de refaire la version corrigée. Et si un enfant arrive à faire la version corrigée
et celle non corrigée, pour moi, c’est acquis.

Il ne s’agit pas de pouvoir le dire, il faut pouvoir refaire le mouvement. Une des tâches du professeur
est d’observer ses élèves dans leur globalité82, de garder en mémoire les éléments qu’elle souhaite
corriger. Les corrections essentielles s’inscrivent dans le temps comme on le comprend avec l’exemple
concernant Anna. Marina explique que l’essentiel pour l’enseignant est de formuler des hypothèses
pour trouver d’où provient la difficulté que l’on observe et adapter les solutions pour permettre à
l’élève d’éprouver d’autres sensations corporelles qui l’aideront à se corriger. Cette correction de la

82
Il s’agit de la globalité du mouvement mais également de celle du sujet. Marina à différentes reprises me livre ses
impressions sur le moral de certains élèves. Elle est attentive à leur vie personnelle même si celle-ci n’est jamais abordée
dans le cours. Elle parle avec eux dans le vestiaire et échange parfois avec les parents. Mais surtout, elle les observe, les
trouve fatigués, peu disponibles, plus souriants...

50
danse qui passe par le corps sans le recours du langage est plus immédiate, plus sensible et ne risque
pas de figer la gestuelle en la nommant.

3. La place de l’émotion.

Marina observe les élèves, juge des progrès et des éléments à corriger. Cette observation
rationnelle inscrit les apprentissages dans la continuité. Mais s’ajoute à celle-ci une autre façon de
regarder qui relève de l’émotion plus que de l’analyse. A plusieurs reprises, j’ai vu Marina être émue
lors des cours quand elles regardaient ses élèves danser. Un jour, alors que les élèves improvisent, elle
se retourne vers moi et me dit83 :
Parfois, je ne peux pas les regarder sinon je sens les larmes. C’est beau. Tu vois le corps s’ouvrir.
Dans un autre cours, elle se retourne vers moi, à nouveau, les larmes aux yeux, en me disant de
regarder Isabelle qui improvise à partir du travail sur les bâtons. Sensible moi-même à ce trouble
éprouvé par Marina, j’essaye d’aborder cette question avec elle lors d’un entretien :
I : Il y a aussi des moments qui m’intéressent, c’est des moments, tu m’en as déjà parlé une ou deux fois, des
moments où tu perçois des choses qui t’émeuvent.
Marina : Hum, oui, ben oui... Je pense qu’on avait parlé d’Isabelle ?
I : Oui, entre autres.
Marina : Oui... Où tout d’un coup tu vois, pendant le cours c’est difficile et tout d’un coup pfff... C’est comment
dire, des moments de grâce pour les enfants. Je pense que pour eux aussi... je pense que pour eux aussi c’est fort.
I : Mais par exemple pour Isabelle, est ce que tu pourrais le décrire ?
Marina : Ben, pour Isabelle tu vois, elle fait parfois des mouvements qui vont comme ça en arrière (Elle me montre
un arc du haut du corps) ou renversé comme ça. Tu ne le vois pas chez les enfants, chez les petits oui, mais plus
tard c’est rare. Mais... c’est des mouvements que les enfants reprennent, ça peut devenir une cage. Un
mouvement récurrent en fait. Je pense qu’à la fois c’est... euh c’est une empreinte personnelle de quelque chose.
I : C’est ça qui est émouvant ?
Marina : Pour moi, oui, une empreinte personnelle. Parce que ça ressemble à... tu vois... ça ressemble à rien
d’autre qu’à cet enfant là, tu vois ? Mais après, il y a des choses qui se passent entre les enfants, dans les impros...
Tu vois, c’est fort aussi parce qu’on voit bien que ce n’est pas que des individus mais qu’il y a des connexions et
que ça se fait et ça se défait vite. Et ça aussi, je trouve que c’est fort. Ce n’est pas des moments que tu peux
toujours reproduire à l’identique, tu vois. Donc pour moi, un beau moment c’est aussi quand un enfant se prépare à
danser, il y a quelque chose qui est déjà là. Mais ce n’est pas une concentration, c’est au contraire, peut-être euh...
juste un moment de silence et à la fois... il n’y a pas de mouvements parasites tu vois. Mais ça ne peut pas durer
longtemps... (Rires) Ça s’organise pour que ça s’ouvre.

83
C’est un propos que je note de mémoire après le cours.

51
Hubert Godard s’intéresse dans un séminaire consacré à l’enseignement de la danse à la façon
dont le professeur regarde la danse de l’enfant. Il insiste sur la nécessité pour le professeur d’être ému,
de « mettre en branle l’ensemble de ses sens 84» pour que quelque chose passe de « corps à corps ». Ce
quelque chose qui passerait de corps à corps est ce qu’Hubert Godard nomme : la syntaxe85 propre à la
danse de l’enfant. Pour comprendre ce passage de corps à corps, il rappelle la théorie de méta-kinêsis
de John Martin86. Le professeur adulte doit se rendre capable d’avoir « une position d’enfant » pour
ressentir la danse de l’élève avant de penser, d’analyser, de décomposer celle-ci. Hubert Godard
explique:
Il y a une syntaxe de danse qui est propre à l’individu et qui rend légitime l’enfant quand l’adulte peut la
reconnaître. Comment l’adulte peut-il reconnaître cette signature ? Je ne vois pas d’autres solutions que de
passer par la méta-kinêsis, d’aller rechercher ou de laisser ouvert en soi quelque chose qui n’analyserait pas
87
l’enfant, de recevoir de plein fouet cette danse de l’enfant.

C’est par cette perception de méta-kinêsis que le professeur va ressentir la danse de l’enfant par une
mise à l’écart temporaire de la parole et de la langue qui lui seraient de l’ordre de l’analyse ou de
l’interprétation. Hubert Godard poursuit :
Une fois que cette empreinte nous est parvenue d’un point de vue corporel, il ne s’agit pas pour nous de
l’analyser d’un point de vue cognitif mais de lui laisser le temps d’un écho. (...) Il faut laisser cet écho remonter et
c’est à ce moment là que quelque chose va pouvoir se poser, qu’une langue va pouvoir se poser.
C’est à cette condition que le professeur peut avoir accès à la potentialité du mouvement de l’élève :
Je voudrais insister sur un point important sur l’idée que ce que l’on voit c’est une potentialité. La définition d’une
attitude, c’est un champ de potentiels. Chaque posture de l’enfant représente un potentiel de gestes.

Il me semble que lorsque Marina Rocco parle des moments où elle est émue par la danse de ses
élèves : de la singularité de la danse, de l’aspect fulgurant de sa perception, de la découverte d’une
potentialité, elle partage et met en pratique les réflexions d’Hubert Godard. Ainsi, Marina propose-t-
elle dans sa pédagogie aux élèves de « s’ouvrir » à leur propre danse, d’accéder à leur singularité
dansante. Elle reconnaît dans ses élèves un potentiel de gestes. Elle montre qu’elle attribue une valeur
esthétique à certains moments de danse des enfants, un moment de « grâce » qui lui fait monter les
larmes aux yeux. Moment émouvant qu’elle se garde bien de montrer aux élèves pour garder une

84
Hubert Godard, « l’enfant interprète, le regard de l’adulte spectateur », in Balises n°1, CSND Poitou-Charentes,
novembre 2001, p.80
85
Le petit enfant est un bloc de sensations, s’opère ensuite un choix perceptif qui va induire une motricité particulière. C’est
ce choix sensoriel qu’Hubert Godard nomme syntaxe, un agencement particulier de perceptions et de gestes.
86
John Martin, La danse moderne [1933], Actes Sud, 1991, p. 29
87
Hubert Godard, « l’enfant interprète, le regard de l’adulte spectateur », in Balises n°1, CSND Poitou-Charentes,
novembre 2001, p.80

52
écoute empathique, qui n’est pas une écoute sympathique, ni quelque chose de l’ordre de la fusion. Elle
tient à ce que chaque élève conserve sa propre « mélodie cinétique » tout en apprenant un vocabulaire
technique. Cette connivence avec les réflexions d’Hubert Godard indique deux choses : une
communauté de pensée qui est la marque d’une histoire commune puisqu’Hubert Godard a travaillé
avec Marina Rocco et Françoise Dupuy dans la formation des professeurs de danse et le croisement
constant entre théorie et pratique dans le cours de Marina Rocco.

Conclusion

L’ensemble des entretiens ont eu un rôle très important dans ma compréhension du terrain et
pour l’élaboration de ma problématique. Il aurait été intéressant de les commencer plus tôt pour avoir le
temps d’en mener un second avec chacun des élèves. Lors de leur retranscription, j’avais d’autres
questions, je désirais avoir des précisions etc. Cela aurait également facilité le croisement des données
car j’aurais pu systématiquement orienter mon observation sur des éléments abordés dans les entretiens.
Cependant, les entretiens m’ont permis de relire mes notes de terrain et, en quelque sorte, d’en « re-
prendre » connaissance. Ils ont aussi confirmé à mes yeux, le bien-fondé de ma problématique centrée
sur la place et l’intérêt des éléments non discursifs dans la transmission de la danse par Marina Rocco.

Pour observer quelle attention était portée à la place du langage dans le processus de
transmission, je me suis appuyé sur les travaux de Lev Vygotski et de Jérôme Bruner pour qui le
langage est une dimension essentielle des théories de l’apprentissage. Les recherches de Sylvia Faure,
Joëlle Vellet et Anne Cazemajou m’ont servis de cadres méthodologiques. Ainsi, au terme de cette
observation, ai-je pu en déduire que le langage est à l’œuvre dans certaines situations d’imitation-
modélisation (par exemple dans le travail au sol) mais qu’il n’est pas le seul facteur d’apprentissage. Il
est opérant dans son articulation avec des jeux de sensations et de perceptions corporelles. En fait le
discours tenu fait partie d’un ensemble de « signes ».

J’ai pu, à partir des entretiens dans lesquels les élèves avaient (soit d’eux-mêmes soit par mon
incitation) évoqué le moment de transmission d’un court enchaînement, confronter leurs propos à ceux
de Marina Rocco et à mes observations. Ce qui constitue l’intérêt de l’observation de cette phase du
cours, c’est qu’elle se déroule en dehors de tout échange verbal. Les croisements des données
(observation, entretiens avec les élèves, entretien avec Marina Rocco) indiquent que les processus de

53
mémorisation ne sont pas les mêmes pour tous les élèves et qu’ils varient selon leurs niveaux de
connaissances mais également selon la nature de leurs perceptions. Les modalités pédagogiques, en
plus de la capacité à mémoriser, visent à la transmission d’un état de danse. La préparation et
l’exécution de l’enchaînement par l’enseignante, l’absence de toute intervention verbale comme la
transposition spatiale procurent à cet exercice une intensité de concentration et d’attention en
permettant aux élèves de se saisir de l’origine des gestes plus que de leurs formes. Joëlle Vellet88 a
montré que la « transmission matricielle » d’un solo d’Odile Duboc à des professeurs expérimentés
nécessitait d’accompagner sa monstration d’un discours pour accéder à la perception de son « noyau
producteur ». A contrario, on peut faire l’hypothèse, que dans le cas de la transmission de
l’enchaînement par Marina Rocco, l’absence de discours incite les élèves de se concentrer sur la
perception du mouvement plutôt que sur des éléments formels. Cette modalité de transmission pourrait
être nommée événementielle dans le sens où elle cherche à faire émerger un état de danse plutôt que de
donner à reproduire la forme du geste.

J’ai tenté d’établir une typologie des différents regards que j’ai observés lors des cours de
Marina Rocco. Ces regards recouvrent des fonctions différentes : d’interprétation, d’investissement,
d’orientation, d’anticipation, de participation au contexte général (regard subjectif), relationnelle,
fonctions toutes essentielles au processus d’apprentissage. L’observation des élèves par Marina comme
ses modalités de correction cherchent à favoriser la disponibilité des élèves à la danse et à mettre en
évidence et en valeur leur potentialité gestuelle.

En esthétique de la danse, la valeur du spectacle « réussi » est souvent secondaire à côté d’un éclat perdu qui
traverse comme une météorite un moment de danse, portant la décharge de ce qui a été touché dans les corps
du danseur et du spectateur. Nous sommes tous en quête de ses moments stellaires. Et du trait ineffaçable dont
ils marquent notre histoire, à la mesure de la fugacité insaisissable de leur passage. Je plaide pour une poétique
de ces résonances transsubjectives.89

88
Joëlle Vellet, « La transmission matricielle de la danse contemporaine », Staps, 2006/2 no 72, p. 79-91.
89
Laurence Louppe, Poétique de la danse contemporaine, Edition Contredanse, 1997, p.31

54
Bibliographie

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57
Annexes

58
Annexe 1 : Consignes des dessins

Pour le travail de Bruno, peux-tu faire deux dessins :


- sur la feuille numéro 1 : faire le dessin d’un moment de danse que tu aimes bien.
- sur la feuille numéro 2 : faire le dessin du studio dans lequel tu danses avec Marina.
Je te remercie (N’oublie pas de ramener la pochette au prochain cours de Marina).
Bruno

59
Annexe 2 : Dessins de Paule

60
Annexe 3 : Entretien avec Anna

Entretien avec Anna, au CND le lundi 6 février quinze minutes avant le début du cours.

Et donc sur la feuille numéro un, j’aimerais que heu, vous dessiniez un moment de danse que vous
aimez bien...
Anna : Par exemple un saut... non ?
Oui, par exemple.
Anna : Un saut d’accord.
Toi, tu ...
Anna : Le dessiner ?
Oui. Essayer hein, c’est difficile. Mais en fait, c’est parce que le dessin ça servira après pour discuter.
Anna : C’est pas grave, si on dessine mal par contre ! Ah, ah ?
Non, c’est pas grave du tout. Toi, c’est tout de suite le saut, t’as pensé tout d’suite au saut ?
Anna : Oui, c’est mon... Oui, tous les sauts, c’est mon ... C’est tous...
Et tu connais leurs noms ?
Anna : Heu, oui.
Vas y, dis moi leurs noms.
Anna : Le galop, l’échappée, les petits sauts...
Oui...
Anna : Heu, qu’est ce que c’est d’autre ? Heu...
L’échappée, c’est comment l’échappée ? (Anna, se lève et me montre un jeté). Explique-moi.
Anna : Ah, expliquer (rires), ben c’est une jambe après l’autre.
Une jambe après l’autre ?
Anna : Comme si, tu courais au ralenti.
Ah, ok.
Anna : Comme si tu courais au ralenti, vraiment au ralenti. C’est difficile.
Vraiment au ralenti, c’est ça qui est difficile ?
Anna : oui... Je sais pas comment dessiner ça...
Je ne sais pas mais tu verras. Et le galop comment c’est ?
Anna : Ben, je sais pas moi, comme dessin je pourrais... Le galop...
Non, pense pas au dessin mais pense à me raconter comment c’est...

61
Anna : Le galop, c’est... plutôt quand tu montes une jambe et en même temps, tu sautes. Tu montes une
jambe après l’autre en sautant... de plus en plus vite.
Avec tes mains là, tu fais un mouvement.
Anna : (rires) oui
Comme une boucle ou un cercle.
Anna : Oui, de plus en plus vite.
Ah oui, c’est de plus en plus vite. Et pourquoi c’est les sauts que t’aimes bien dans le cours.
Anna : Parce que c’est plus rapide, j’aime tout ce qui est rapide.
Il y a des moments que t’aimes moins ?
Anna : Hum, ce que j’aime moins c’est quand on fait des pliés, ou quand on fait ça (Anna s’est levée
pour me montrer différentes positions de bras et de jambes) ou ça...
Ah oui, des positions, pourquoi on fait ça ?
Anna : Pour que heu, pour que le corps, heu, est l’habitude de danser.
Pourtant ça ne danse pas tellement ça, les positions.
Anna : Non mais plutôt pour heu... Attends. Peut être un échauffement, un petit échauffement au
début...
Ça sert à quoi l’échauffement tu crois ?
Anna : Par contre, heu, la danse, heu... Ah l’échauffement. Par exemple, l’échauffement ça sert quand
par exemple on va faire des sauts, à ne pas se faire mal à la cheville ou heu...
A ne pas se blesser ?
Anna : Voilà.
Et cette position que tu m’as montrée, elle est faite pour ne pas se blesser ?
Anna : Non, je crois pas que c’est un échauffement (rires), c’est plutôt de la danse. (Rires)
Et c’est des moments que t’aimes moins que les sauts ?
Anna : Un tout petit peu moins. En ce moment, j’aime bien faire la danse. En fait, au début, je faisais
de la danse classique, oui, deux années.
Où ça ?
Anna : Ici
Á d’accord, au CND.
Anna : Danse classique, mais deux années ça m’a suffit à, heu, pour dire que c’était trop lent. Ca me
plaisait pas. Après, j’ai fait de la danse contemporaine parce qu’y paraît que la danse contemporaine,
on bouge plus. Y’a plus de danses rythmées.
Hum.
62
Anna : Donc après, j’ai décidé de faire ça. Là, ça fait trois ans que je fais de la danse contemporaine.
Et, heu, ça me plait bien, parce qu’on fait des sauts, tout ça. En plus, j’connais bien Marina donc c’est
bien... mais, mais après quand j’serai... Mais, Bruno, tu sais à quel âge on peut commencer le jazz ?
Ben, je pense que tu pourrais commencer.
Anna : Donc en sixième, l’année prochaine, je pourrais faire du jazz ?
Oui.
Anna : Parce que je veux faire aussi du jazz.
En plus du cours de Marina ?
Anna : On a le droit ?
Ben évidemment.
Anna : Ah, je peux faire deux cours ?
Au CND ? Oui, je pense si ce n’est pas en même temps.
Anna : Je dirais ça à ma mère. Parce que j’aime bien le jazz et en même temps la danse contemporaine.
La dernière fois, au cours, tu as dit que tu voudrais devenir professeure de danse.
Anna : Hum, Hum... C’est pour ça, quand je serai grande, j’aurai quatorze ans, treize ans, douze ans, je
continuerai la danse.
Et, à ton avis pour devenir professeure de danse, qu’est ce qu’il faut faire. Parce que tu as demandé à
Marina mais...
Anna : Elle a dit, il faut déjà avoir fait de la danse, moi normalement ça va être facile parce que j’ai
commencé la danse à six ans. Et je vais continuer jusqu’à que j’aurais l’âge pour l’examen, pour heu...
Ah, oui, toi tu les vois passer l’examen.
Anna : Ben oui, parce que pendant les vacances, Marina avant les vacances elle nous donne une feuille,
et après, nous on dit, par exemple, mercredi toute la journée. Ou lundi, mardi. Après ma mère, elle
entoure toute la journée, je prends un pique nique. Et après, c’est pour aider les jeunes qui veulent faire
l’examen. Donc c’est pour ça que je sais ça.
Ah d’accord. Mais à ton avis, il y a d’autres métiers autour de la danse ?
Anna : Ben oui.
C’est quoi les autres ?
Anna : Ben, professeur de danse, heu. Ah oui, d’accord. (Rires) Je sais pas moi ... Déjà danseuse aussi.
Et ça, t’y as pas pensé pour toi ?
Anna : Si mais, heu, le truc, c’est que ça va être dur de choisir. En fait, c’est plus pratique d’être
professeure que d’être danseuse.
Pourquoi ?
63
Anna : Professeure parce que c’est nous qui décidons. (Rires)
Et alors que quand tu es danseuse ?
Anna : Ben, tu dois suivre ce que l’autre dit. Ce que l’animatrice dit.
Et quand t’es allée la première fois au cours de Marina, tu venais de la danse classique où tu trouvais
que ça ne bougeait pas assez. Tu as tout de suite trouvé que ça bougeait assez ?
Anna : En danse contemporaine ?
Oui
Anna : Oui, parce que quand on a commencé, le premier jour, on avait commencé un peu lent mais
après au milieu et à la fin, on avait commencé à faire des sauts, ça bougeait plus. La musique est plus
rythmée donc ça me plait.
Et pour bien danser, tu crois qu’il faut faire quoi ?
Anna : Déjà bien écouter. Et heu, si par exemple, on n’y arrive pas du premier coup, on y arrivera
toujours une fois.
Avoir confiance alors ?
Anna : Voilà, avoir confiance.
J’ai remarqué aussi que pendant les cours, tu comptais souvent.
Anna : Ah oui, pour mémoriser. Que par exemple, par exemple heu, on fait (elle se lève et exécute
trois jetés) échappé, échappé, échappé, et ben ça me permet de faire la même chose qu’elle. Même une
fois y’a que moi qui as réussi à faire : un, un, un (Anna exécute une série de trois pas chassés en se
retournant entre chaque pas.)
Compter ça sert à ça ?
Anna : C’est pratique pour moi en tout cas.
Ça te sert à te souvenir de l’enchaînement ?
Anna : Par exemple Marina elle fait un cercle, elle compte à voix haute huit pas, alors moi je compte
avec elle. Comme ça, j’ai l’habitude de bien mémoriser. Donc après quand je le fais, je fais la même
chose qu’elle avait fait.
D’accord, donc ça veut dire que pour bien danser, tu m’as dit il faut écouter et il faut bien mémoriser
aussi.
Anna : Oui, après ceux qui veulent, ce n’est pas obligé. Mais moi, ce qui me plait c’est aussi compter
quand elle fait les pas.
Et avec la musique ?
Anna : Avec la musique ?
Tu comptes aussi avec la musique ?
64
Anna : Oui, par exemple, même une fois, on a fait des sauts, ça faisait pam pa dam, pa dam pa dam et
on devait faire des galops. Ben, en fait, quand elle nous avait montré, ben, en même temps j’écoutais
aussi la musique. Ben quand on fait un saut, par exemple, galop, ça fait pam pa dam, pa dam pa dam, tu
fais saut... saut ... saut.
Ah oui, d’accord. Et les autres sauts, ils font quelles musiques?
Anna : Alors heu, rires, échappé. En fait, moi, échappé ça me dirait plutôt : pschit, pschit. On entend le
« ch » de « échappé ». (Pendant ce temps Anna fait des pas chassés)
Là, tu as fait des sauts, mais ce n’est pas des échappés.
Anna : Non, mais je me souviens plus comment ça s’appelle...Des pas chassés.
Tu as fait des pas chassés là.
Anna : Oui, l’échappé, c’est ça.
Comment tu as su que ça s’appelait comme ça ?
Anna : Parce que Marina elle le répète souvent après, moi, je mémorise.
Tu connais d’autres mots que Marina utilise pendant les cours, vraiment de la danse ?
Anna : première position, deuxième position...
C’est Marina qui dit ça ?
Anna : Oui, plus trop maintenant, mais avant au début. Elle disait première position (Anna se lève pour
me montrer une première position). Heu, alors là, j’ai un trou... (Rires) On l’utilise plus là, j’ai un trou.
Là je sais c’est troisième position...Mais deuxième position, première... troisième... à non, j’ai un trou !
Et, il y a des choses que tu avais appris en danse classique que tu utilises avec Marina ?
Anna : Quand, j’avais six ans, sept ans... Ben oui, les pliés, ça on faisait souvent en danse classique.
On le fait en début de cours. Ça me rappelle la danse classique. Parce qu’en fait, souvent, au début du
cours, je demande à Marina si ça va être plutôt lent, ou si ça va plutôt bouger. En fait, quand ça bouge
plus, quand on fait plus de saut, et ben j’arrive chez moi, je mange, je fais mes devoirs et je vais
directement me coucher. Je suis capot donc je dors plus rapidement.
D’accord. Mais, tu danses chez toi dans la semaine?
Anna : Ben, oui, avec mes sœurs. Par exemple le mercredi, on déjeune, on regarde la télé et après je
mets un peu de musique et on danse.
Et là, est-ce que tu réutilises des choses du cours de Marina ?
Anna : Oui.
Raconte-moi comment tu fais ?
Anna : Par exemple quand c’est une chanson douce, j’ai deux sœurs, une petite là, la moyenne là et
moi la grande, je suis au milieu. Elles font les mêmes pas que moi, par exemple je fais un plié, elles
65
font un plié. Je lève la jambe, elles lèvent la jambe, pour après leur montrer que si elles font de la
contemporaine, parce que ma moyenne sœur, elle fait de la danse classique mais si, quand elle aura
mon âge, elle fait de la contemporaine, elle fera la même chose.
Et dans le cours, tu observes Marina aussi.
Anna : oui
Tu sais quand elle vous montre d’un côté souvent après elle vous dit de chercher de l’autre côté.
Anna : hum, hum
Comment tu fais là ?
Anna : En fait, je mémorise ce qu’on avait fait. Par exemple, on commence du côté droit, je mémorise
tout ce qu’on va faire du côté droit et le seul truc un peu différent c’est qu’on va le faire du côté
gauche.
Mais comment tu fais pour le refaire à gauche ? Qu’est-ce que tu te dis dans ta tête ?
Anna : Je me dis que la gauche et la droite c’est la même chose, c’est comme si j’avais deux pieds
droits et deux pieds gauches. Je me dis c’est la même chose donc après je fais les mêmes mouvements.
Est-ce que tu penses droite et gauche où est-ce que ça se passe autrement ?
Anna : Par contre, moi j’ai un petit problème, c’est quand Marina elle est comme ça et que nous on est
comme ça. Ah, non, je dis n’importe quoi, quand Marina elle est comme ça et nous on est comme ça.
En face d’elle, en miroir ?
Anna : Oui, voilà en face d’elle, elle nous dit de faire les mêmes mouvements qu’elle mais quelquefois
moi je me trompe parce qu’on n’est pas du même côté : sa gauche elle est là et moi ma gauche elle est
là. Donc après, mais moi j’ai plutôt l’habitude de faire du côté où je suis...
Nous sommes interrompus par l’arrivée des autres élèves.
Fin de l’entretien

66
Annexe 4 : Entretien avec Paule

Je lui dis que je vais enregistrer pour mieux me souvenir, je lui demande si cela la dérange. Je lui
montre le fonctionnement de l’enregistreur ;
Je pense que c’est ta pochette. Pour commencer je voulais que tu me dises ce que tu as dessiné.
Paule : Là en fait ce sont des bâtons rouges que l’on tape par terre et que l’on danse avec. J’aime bien
prendre ça et après on fait des rythmes dessus et on peut apprendre le temps pour danser un peu. Ça
c’est dans la glace. Comme y a Marina ici, on regarde dans la glace Marina et des fois on peut se voir
pour savoir si on fait bien correctement. Et là c’est Marina, elle danse et après on doit faire comme elle,
quand on doit mimer Marina. Là c’est les personnes.
Oui, j’ai vu tu as écrit tous les prénoms.
Paule : Et là c’est les sauts et Marina elle dit... (Rires) Elle dit c’est bien.
Tu devais dessiner ton moment préféré et toi tu as fait quatre dessins, mais il y a quelque chose en
commun dans ces quatre dessins ?
Paule : Oui, on danse.
Oui mais à chaque fois il y a Marina, toi tu m’as dit pour les dessins, tu m’avais dit que tu dessinerais
Marina.
Paule : Oui, mais personne n’a des cheveux donc euh...
Est-ce que l’on peut choisir un des moments comme celui que tu préfères ?
Paule : C’est difficile à dire... Ben, c’est plutôt celui là quand même...Plutôt, celui quand on mime
Marina.
D’accord donc là, c'est-à-dire, essaye d’expliquer ce qui se passe là, quand vous mimez Marina ?
Paule : Ben c’est rigolo...
Qu’est-ce qui est rigolo ? Vas-y explique moi.
Paule : C’est comme si on faisait...euh j’ai oublié mon mot.
Ben dis un autre mot.
Paule : On apprend un peu, parce que Marina elle reprend l’ensemble de tout ce que l’on a fait et après,
ça nous met mieux dans la tête les danses et les pas que l’on avait faits avant...
Alors est-ce que tu te souviens d’un moment où elle a fait ça, où elle a repris...euh la dernière fois tu te
souviens, elle l’avait fait la dernière fois ?
Paule : Oui
Est-ce que tu peux le raconter ?

67
Paule : J’ai oublié... (Rires)
Tu as oublié ce qu’elle avait fait ?
Paule : En fait je crois qu’elle a fait des pas...euh J’ai oublié.
Alors quelle chose elle pourrait reprendre, parce que tu dis qu’elle reprend des choses que l’on a déjà
faites ?
Paule : Ben des fois au début du cours, on fait des sauts, on fait des choses et après des fois on reprend
euh...quand on doit la mimer.
Donc en fait elle vous le montre, alors comment elle fait quand elle vous le montre ?
Paule : Ben, je ne sais pas...
Si tu sais... elle le fait et toi qu’est ce que tu fais à ce moment là ?
Paule : Ben, je la regarde.
Alors, qu’est-ce que tu regardes ?
Paule : Je regarde ses pas, sa main, ses gestes.
D’accord, et qu’est ce que tu te dis dans ta tête, parce qu’après tu dois le refaire, alors qu’est ce que tu
te dis pour t’aider à le refaire ?
Paule : Ben parfois je dis la première chose, on doit, on doit faire un tour sur lui-même et tout et après
j’essaye de... savoir le plus de choses possibles... enfin...
Alors par exemple un tour sur soi... Quand y a des pas qu’est ce que tu fais ?
Paule : Ben, je compte.
Tu comptes, d’accord. Ensuite, si elle fait des gestes qu’est ce que tu fais ?
Paule : Je regarde bien sa main et euh...je réfléchis si au début du cours on a fait ça ou pas pour
reprendre un peu.
D’accord, donc tu essayes de te souvenir du début du cours, du moment où tu as fait ça. C’est pour
t’aider ?
Paule : Oui
Ensuite, si elle fait des choses nouvelles, ça peut arriver ça ?
Paule : Oui mais d’habitude elle fait qu’une chose nouvelle alors euh... ça se met bien dans la tête.
D’accord, tu essayes de repérer cette chose nouvelle ?
Paule : Oui
Et ensuite, quand tu vas le refaire comment tu fais ?
Paule : Ben j’essaye de tout reprendre.
Qu’est-ce que tu te dis dans ta tête à ce moment là ?
Paule : J’essaye de réfléchir quand j’étais assis tout ce que j’ai dit un peu.
68
Alors tu te dis, c’est des mots que tu te dis ?
Paule : Oui.
Est-ce que tu peux me donner des exemples ?
Paule : Par exemple des fois : un tour, après quand on fait des pas, je dis devant, derrière, croisés, on
tourne. Des petits mots comme ça.
D’accord, est ce qu’il y a des moments qui sont euh... est ce que tu utilises d’autres mots, parce que
bon là le tour, mais sinon ce sont des mots de direction, gauche, droite, devant, derrière. Est-ce qu’il y
a encore d’autres mots, par exemple pour les sauts ?
Paule : Pour les sauts, ben je regarde c’est quoi comme sauts.
Tu connais quoi comme sauts, toi ?
Paule : Le galop, le pas chassé, sautillé euh... c’est comme des pas on fait des sauts un peu et euh... des
euh... j’ai oublié comment ça s’appelle...
Explique-moi.
Paule : Ben quand on met un pied devant et après on saute sur l’autre... euh comment ça s’appelle...
On met un pied devant et après on saute sur ce pied et on recommence c’est ça ?
Paule : Oui.
Quand je t’ai parlé des dessins tu m’as immédiatement dit qu’euh... ce que tu aimais bien dans le cours
c’était euh...
Paule : C’était ça, les sauts et quand on mimait Marina.
Tu m’as dit que tu aimais bien parce que tu apprenais.
Paule : Oui.
Mais qu’est-ce que tu apprends en la regardant ?
Paule : Comme ça on regarde si on a bien tout compris dans le cours un peu, s’il y a encore des gestes
que l’on n’arrive pas à faire.
Et bien arriver à faire un geste, ça veut dire quoi ?
Paule : C’est essayer de faire le plus possible comme Marina parce que Marina quand elle danse elle
est belle.
Elle est belle quand elle danse et est-ce que tu vois ce qui la rend belle quand elle danse ?
Paule : Je ne sais pas c’est sa danse, tout ses gestes et tout.
Tu m’as beaucoup parlé des mains.
Paule : Parce que les mains, je regarde souvent les mains parce que souvent sur les mains elle fait des
choses nouvelles. Sur les pieds, bon elle saute et tout mais y a pas grand-chose à voir sur les pieds,
juste il faut compter les pas...
69
Et le reste du corps ?
Paule : Le reste du corps, ben j’essaye de regarder un peu partout. (Rires)
Et à ton avis pour bien danser qu’est ce qu’il faut faire ?
Paule : Se concentrer sur le rythme.
Ah, c’est le rythme.
Paule : C’est le rythme et euh... et comme de savoir ce qu’il faut faire après.
Donc se souvenir ? C’est ça. Ça fait trois ans que tu viens au cours de Marina et avant tu avais fait de
la danse ?
Paule : Non.
Et pourquoi tu as commencé au départ ?
Paule : Au départ, j’étais dans le bureau de Marina et après elle m’avait dit quelle danse je voulais faire
et moi je ne savais pas et mes parents non plus, et après, Marina elle m’a proposé d’aller à son cours et
mes parents m’ont dit si tu veux vas-y et après si tu n’aimes pas on va changer de danse. J’ai essayé et
j’ai bien aimé donc j’ai recommencé.
Et si on reprend un moment, par exemple celui des bâtons, tu m’as dit les bâtons ça sert à travailler le
rythme. Alors est-ce que tu peux me raconter comment vous faites avec les bâtons pour travailler le
rythme.
Paule : On regarde Marina avec ses gestes de bâtons quand elle tape et on écoute bien et après nous
aussi on commence à taper, on essaye de faire comme elle et après euh... un moment on n’a plus besoin
de compter, on sait quand il faut taper et quand il faut attendre.
Et comment tu le sais ?
Paule : Ben, on s’habitue. (Rires)
Ah, tu t’habitues, tu t’habitues à quoi ?
Paule : Ah... si tu le fais tout le temps, tu t’habitues à un rythme et t’es pas obligée de toujours
compter.
Et qu’est-ce qui s’habitue, comment on s’habitue ?
Paule : Mes mains s’habituent.
Tes mains ?
Paule : Oui c’est mes mains qui font le geste.
Ce que tu décris c’est quand il y a une pulsation et est-ce qu’il n’y a que ça que vous avez travaillé
dans le rythme... on frappe comme Marina, il n’y a pas d’autres choses ?

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Paule : Si Marina, des fois, elle chante un peu, elle fait des rythmes avec sa bouche et après on sait
quand il faut monter et quand on se perd, eh bien elle dit les gestes qu’il faut faire des fois, elle dit on
lève la main gauche et après la main droite.
Ça arrive souvent, qu’elle le dise ?
Paule : Ben, quand elle regarde que l’on est en train de se perdre, elle le fait.
Qu’est ce qu’elle fait d’autre quand vous oubliez des choses ?
Paule : Sinon des fois elle fait les gestes avec nous et quand elle voit que l’on a totalement oublié et
bien, on recommence.
Et pour les rythmes, Marina tape et toi tu frappes la même pulsation qu’elle, c’est ça ?
Paule : Oui, d’abord on regarde dans ses mains et après on écoute et on essaye de faire comme elle.
Mais elle change le rythme, elle ne fait pas toujours la même chose.
Qu’est ce qu’elle fait d’autre ?
Paule : Je crois qu’elle nous le dit des fois ou sinon si elle ne nous le dit pas et ben, on entend quand
même ce qu’elle a changé. Et après on essaye de regarder ce qu’elle a dans la main et on tape comme
elle.
Et quand vous faites les grands mouvements comme ça, tu te rappelles ?
Paule : Oui
Pourquoi vous faites ça ?
Paule : C’est pour travailler toutes les pulsations, quand ça va vite et quand ça va tout doucement.
Et avec tes pieds, tu fais quoi pendant ce temps là ?
Paule : Je ne sais pas...
(Rires) c’est vrai tu ne sais pas ?
Paule : Ben des fois il faut travailler avec les pieds alors, quand je me concentre dans mes mains alors
mes pieds ils vont n’importe où et quand je me concentre dans mes pieds alors mes mains elles vont
n’importe où. Alors, j’essaye de me concentrer dans les deux le plus possible...
Pourquoi ?
Paule : Ben, Marina, elle dit que c’est important. Parce que si tu te concentres que dans un geste et que
tu ne te concentres pas dans l’autre ça gâche des fois la danse parce quand tes pieds ils font n’importe
quoi et que ta main elle est bien...
Il faut essayer de faire les pieds et les mains et de penser au deux, c’est compliqué ça.
(Rires) et les bâtons ça aide à le faire ?

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Paule : Les bâtons, c’est plus facile à se repérer parce que quand tu fais les pas tu n’entends pas le
même bruit. Mais, Marina des fois, elle nous dit : « moins fort avec les pieds », alors là c’est plus dur
parce qu’on entend même plus les pieds.
Pourquoi elle vous dit ça : moins fort avec les pieds ?
Paule : Ben je crois que l’on dérange un peu ceux d’en bas.
Ah, tu crois ?
Paule : Sinon, elle essaye de nous faire habituer à marcher comme d’habitude, sans faire trop de bruit.
Dans le cours c’est toi la plus ancienne je crois ?
Paule : Oui
Et c’est toi la plus âgée aussi, et ça c’est facile pour toi ?
Paule : Ben ça va parce qu’elles ne sont pas vraiment petites, alors je trouve que ça va.
Et c’est toi qui as fait venir Isabelle et Julie ?
Paule : Parce qu’un moment ma mère, elle se vantait devant ses copines, elle disait : ma fille elle danse
très, très bien et tout. Alors les mamans de Julie et d’Isabelle m’ont demandé de les inscrire.
Toi parfois tu danses en dehors du cours de Marina ?
Paule : Ben, je danse à la maison.
Comment tu fais ?
Paule : Ben, je mets de la musique et après j’essaye de danser ensemble avec la musique par exemple
quand c’est tout doux et quand c’est rock and roll.
Et tu reprends des choses que tu as apprises avec Marina ?
Paule : Oui.
Qu’est-ce que tu reprends ?
Paule : Ben les sauts des fois, des fois les gestes aussi devant, derrière avec les pieds. Mais je danse, je
ne fais pas toujours attention à ce que je fais.
Nous sommes interrompus par l’arrivée d’Aude et de son père, elle avait été absente longtemps et ce
retour déconcentre Paule. Je reprends à partir d’un dessin.
Sur ce dessin vous êtes devant la glace, qu’est-ce que vous faites ?
Paule : C’est plutôt quand tu danses, c’est pour mieux voir Marina et aussi te regarder en même temps.
Tu le fais toi ?
Paule : Oui, un peu mais surtout je regarde sur Marina et des fois sur moi-même et des fois je vois des
gestes qui ne sont pas vraiment pareils, des fois Marina elle est là et moi je suis que là, je suis plus lente
ou des fois plus rapide que Marina.
Qu’est-ce que tu fais dans ce cas là ?
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Paule : Ben, j’essaye d’être comme Marina en nous regardant les deux en même temps et c’est dur.
Devant la glace, c’est plutôt au début du cours ?
Paule : Devant la glace c’est rare en fait. C’est pour ça que j’aime bien.
Pourquoi vous le faites à ton avis ?
Paule : Ben pour se regarder nous même.
Pour se corriger aussi ?
Paule : Oui, parce que Marina, elle aussi nous voit bien, elle danse et elle nous voit en même temps
pour voir si on fait tout comme elle.
J’ai une question que je n’ai pas posée aux autres, mais comme tu viens depuis longtemps, est-ce que
tu peux me dire comment se déroule un cours ?
Paule : En tout cas Marina, elle n’a pas encore changé de gestes à la fin du cours. La dernière danse
pour dire « en revoir » un peu. Et au début, on est par terre et on fait l’appel.
Et la petite danse de la fin, tu peux me la décrire ?
Paule : C’est comme si on volait un peu, c’est comme si tu étais sur la terre que tu commençais à voler
et que tu redescendais sur la terre.
D’accord, alors au départ, tu es sur la terre ?
Paule : Parce que tu as les pieds bien à plat par terre et après tu commences à voler parce que avec tes
mains tu fais monter ton corps un peu.
Là tu me montres tes mains serrées au milieu de ton buste ? Tu sers une ligne ?
Paule : Un peu, et ça te fait monter ton corps.
Comme une corde ?
Paule : Et après, tu redescendais et tu baisses la tête.
Et comment ça te fait monter ton corps ? Tu vois je le fais et mon corps ne monte pas.
Paule : Moi, je me suis habituée... (Rires)
Et c’est tout ce que tu fais pour monter ? Y a pas autre chose ?
Paule : Silence... Je ne crois pas.
Tu es sûre, tes pieds ne changent pas ?
Paule : Ah, tes pieds, ils vont sur la pointe des pieds un peu. Mais en fait au début, il y a trois ans sur la
pointe des pieds et ben j’allais tout en haut et après, je tombais et Marina elle disait : on va sur un quart
de pointe et ça suffit. Et je me suis habituée parce que c’est plus facile de tenir en équilibre.
Donc, tu t’envoles sur un quart de pointe et après ?
Paule : Après, ben, Marina elle nous fait redescendre comme ça.
Et il y a autre chose dans cette danse ?
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Paule : Des fois, on lève les bras tout en haut et après on redescend.
Vous redescendez jusqu’où ?
Paule : Jusqu’aux pieds, jusqu’à ce que ses mains touchent les doigts de pieds et après on remonte et
on recommence.
Et quand tu remontes, tu fais comment ?
Paule : On déroule d’abord le dos et après la tête en dernier.
La tête en dernier, ça c’est quelque chose que tu as appris ?
Paule : Oui.
Et pourquoi ?
Paule : Parce que la tête c’est la plus haute du corps... ben il faut dérouler un par un d’abord par le plus
bas et après on remonte. Les jambes, les cuisses, le dos et la tête.
Nous sommes interrompus par l’arrivée de Julie et Isabelle qui viennent offrir des bonbons à Paule. Je
lui dis qu’elle est gâtée et nourrie...

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Annexe 5 : Entretien avec Marie

Je te remercie, c’est super que tu es pu venir à l’heure. Ça ne t’a pas trop pressée.
Marie : Non ça va.
On va commencer par ton dessin si tu veux bien.
Marie : En fait y en a qui sont assis, par exemple Anna etc. ils sont assis et moi je suis debout et je
représente une danse que l’on a déjà faite avec Marina.
Alors c’est quelle danse ?
Marie : (Rires) avec les bâtons
Et c’est quoi cette danse avec les bâtons ? Est-ce que tu peux l’expliquer ?
Marie : En fait on a deux bâtons dans les mains et on les fait jeter en l’air et après on les rattrape.
D’accord, alors qu’est-ce qu’il faut faire pour les rattraper ?
Marie : (Rires) Il faut tendre la main en avant et serrer la main pour rattraper le bâton.
Et tu y arrives à chaque fois ?
Marie : Des fois, sinon ça tombe.
C’est celle là que tu as dessinée comme étant ta danse préférée, c’est cette danse, quand tu lâches le
bâton et que tu le rattrapes ?
Marie : Oui
Alors est-ce que tu peux m’expliquer pourquoi tu la préfères ?
Marie : Parce que c’est amusant parce qu’il y en a un qui tombe, en fait, et c’est amusant.
Qu’est-ce qui est amusant ?
Marie : (Rires) Ben, pendant ce temps les autres, les autres sont en train de les jeter, c’est tout calme et
il y en a un qui tombe. En fait, par exemple, moi, je le fais tomber et ça fait du bruit.
Et quand tu le fais tomber tu le fais exprès ?
Marie : Non, c’est par hasard.
Sur ton dessin tu montres et tu ne bouges pas, mais sinon quand vous l’aviez fait, vous bougiez aussi ?
Marie : Oui
Alors, qu’est-ce que ça change ça, est-ce que c’est plus ou moins difficile, est- ce que ça change
quelque chose ?
Marie : C’est plus difficile parce qu’il faut que tu lances les bâtons et en même temps il faut que tu
bouges.
Alors comment tu fais pour réussir ?

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Marie : Ben, je lance et pendant qu’il est en haut, je marche.
C’est tout ce que tu fais tu marches ?
Marie : Ou sinon, je tourne, je saute...
Et ton regard, il est où ?
Marie : Il est sur le bâton en fait.
La dernière fois, au dernier cours, elle vous a demandé de reprendre les danses de bâtons, tout ce que
vous aviez fait. Est-ce que tu peux me dire ce que tu as repris ?
Marie : Alors, j’ai repris en fait, on a posé un bâton et on a traversé, on a fait le cercle, on a tourné
autour du bâton.
Là, il sert à quoi le bâton dans cette danse ?
Marie : De fixer le ... enfin de hum... En fait la pointe du bâton qu’on a dans la main va sur le bâton qui
est en bas pour le fixer en fait.
D’accord, ça fixe quoi ?
Marie : Les deux bâtons.
Pour faire le cercle, ça aide à faire le cercle ?
Marie : Oui, parce qu’on a le repère et comme ça....
Et qu’est-ce qui est repéré comme ça ?
Marie : Le bâton.
Hum, et par rapport au cercle le bâton, il est où ?
Marie : Ben il est au milieu.
Donc, tu avais fait ça et ensuite ?
Marie : J’avais posé les bâtons et j’avais sauté au dessus et euh... après, je ne sais plus.
Tu avais fait celui là, où tu lâchais les bâtons.
Marie : Oui, aussi, et c’est tout je crois.
Et quand tu fais des moments où comme ça Marina ne vous montre pas, où c’est plus libre comment tu
te souviens des choses ?
Marie : Ben, euh, je fais comme dans ... ben je danse par rapport à la musique en fait.
Alors comment tu fais ?
Marie : Ben par exemple y a un bruit de nature, ben je prends la nature, sinon je tourne euh...
C’est-à-dire, tu t’imagines quoi de la nature ?
Marie : Ben euh, les animaux...
Ah, tu penses à des animaux, tu peux me dire quels animaux comme ça ?

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Marie : Ben, des oiseaux, euh... des serpents, non pas vraiment des serpents euh (rires) après je ne sais
plus...
Et parfois, il y a des musiques qui te font penser à la nature, et tu as des musiques qui t’évoques
d’autres choses ?
Marie : Par exemple, il y a des tambours, donc pour moi en fait c’est comme deux cailloux qui se
frappent presque.
Ça t’évoque quelle danse ?
Marie : Ben, en fait ça je danse librement, ça c’est comme je veux.
Donc, t’as pas d’images ?
Marie : Non
Donc, t’as pas toujours des images quand tu danses en fait.
Marie : Oui.
J’ai remarqué aussi que par moment, tu regardes vraiment Marina et parfois tu ne la regardes pas
vraiment.
Marie : Hum, ça...
Tu le sais ça ?
Marie : Oui. (Rires)
Est-ce que tu sais à quel moment tu fais l’un à quel moment tu fais l’autre ?
Marie : Ben, non, ça je ne suis pas cap d’expliquer.
Et quand tu ne la regardes pas, qu’est-ce que tu fais en fait ?
Marie : Ben, en train de danser, je m’imagine des paysages et je les imite.
D’accord, là ce sont les moments où tu ne la regardes pas et quand tu regardes Marina qu’est-ce que
tu fais ?
Marie : Ben, je regarde Marina en train de danser. (Rires)
C'est-à-dire, qu’est-ce que tu peux me dire là dessus ?
Marie : Ben, en fait...je euh... Ben, en fait, j’essaye de faire la même chose que Marina pour que ce soit
plus facile.
Et comment tu fais pour réussir à faire la même chose que Marina ?
Marie : Ben, je regarde tout le corps de Marina et j’essaye de faire la même chose.
Et quand tu la regardes, qu’est-ce que tu fais ?
Marie : Ben, je l’imite.
Mais quand tu es assise et qu’elle vous montre ?
Marie : Ben ça, je la regarde, je fais rien.
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Et à ton avis, pour bien danser, qu’est-ce qu’il faut faire ?
Marie : Ben, je ne sais pas.
Tu ne sais pas ? (Rires)
Marie : Je n’ai pas d’idées.
Est-ce que tu trouves qu’il y en a qui dansent bien ?
Marie : Oui, je trouve que Paule... euh...
Alors pourquoi tu trouves qu’elle danse bien ?
Marie : Parce qu’elle a des idées, elle a plein d’imagination.
Et qui d’autres ?
Marie : Y a aussi une fille, je sais plus son nom...Une chinoise avec des nattes.
Isabelle ?
Marie : Oui, Isabelle et Paule.
Tu as fait de la danse avant le cours de Marina ?
Marie : Oui, ça fait deux ans en fait mais avant j’avais fait de la danse classique.
Où ça ?
Marie : A Maurice Baquet.
Et tu préfères la danse contemporaine ou la danse classique ?
Marie : Ben en fait c’est dur de décider parce qu’il y a un peu de ça, un peu de ça donc ben...
Explique-moi.
Marie : En fait euh... je préfère la danse contemporaine parce qu’on n’a pas besoin d’être sur la pointe
des pieds donc ça c’est plus facile. On n’a pas besoin pendant toute la danse d’être avec les bras levés,
c’est plus facile.
En fait, tu préfères parce que c’est plus facile ?
Marie : Et en même temps ça a plus d’imagination, ça a plus de mouvements... Parce qu’à la danse
classique on est toujours bloqué en fait.
Et tu trouves qu’il y a plus de mouvements parce que c’est plus facile ?
Marie : Pas vraiment parce qu’en fait y a plus d’imagination, on a des objets euh... Ça aide en fait.
Les objets ça aide à quoi ?
Marie : À danser.
Et pourquoi ? On pourrait se dire que ça ne t’aide pas parce que ça pourrait te gêner ?
Marie : Oui des fois ça gêne, si par exemple tu veux faire ça... mettre les bras derrière le dos, ou si par
exemple tu veux mettre la main sur le genou et entourer et le bâton est droit alors c’est plus difficile.
Alors, pourquoi tu trouves que les objets ça aide ?
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Marie : Ben, parce que tu sais que tu as des choses dans la main, et t’as plus de ... on n’a pas vraiment
plus de mouvements, mais t’as des choses dans la main et tu repères ce que l’on veut danser.
Oui, ça c’est ce que tu m’as expliqué pour le cercle. Et par exemple dans cette danse là (je montre le
dessin) est-ce qu’on pourrait la faire sans le bâton ?
Marie : Ben, oui, en imaginant le bâton.
Et pour le faire sans le bâton qu’est ce que tu dois faire ?
Marie : Ben, il faut faire l’imagination dans sa main du bâton.
Tu penses que Marina elle vous donne des objets pour avoir plus d’imagination ?
Marie : Non.
À ton avis, Pourquoi elle vous donne des bâtons alors ?
Marie : Je ne sais pas. (Rires)
Ben essaye de trouver, qu’est-ce que tu travailles avec les bâtons ?
Marie : Euh, je ne sais pas.
Tu ne sais pas... Là c’est un des moments que tu préfères, est-ce qu’il y a des moments que tu n’aimes
pas du tout ?
Marie : Non, il n’y en a pas.
Et euh... Marina tu as commencé le cours avec elle il y a deux ans et comment tu trouves qu’elle est par
rapport à ta professeure de classique avant ?
Marie : Ben, Marina elle est moins sévère, elle donne moins de choses à apprendre, elle a plus
d’imagination en fait...
Et ta professeure de classique elle te montrait beaucoup ?
Marie : Euh, non... en fait il fallait... au début on a un peu travaillé, elle nous montrait tous les trucs
mais après vers la fin, il fallait tout refaire sans euh... des fois elle nous aidait mais ce n’était vraiment
pas souvent.
La dernière fois quand tu as repris la danse avec les bâtons, j’ai eu l’impression, tu vas me dire si c’est
vrai, que vraiment ça te plaisait ?
Marie : Oui.
Et, je l’ai vu parce que tu bougeais beaucoup, tu avais des idées comme tu dis mais je l’ai vu aussi à
cause de ton regard... Est-ce que tu t’en es rendu compte ?
Marie : Non (Rires)
Et qu’est-ce qui te plaisait dans tout ça ?
Marie : Ben, c’est que l’on peut bouger, on n’est pas euh...
Et Marina, au début comment tu es venue au cours qui te l’a indiqué ?
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Marie : C’est maman qui me l’a dit en fait.
Et c’est toi qui lui avais demandé de changer de cours ?
Marie : Oui, je ne voulais plus faire de danse classique. Euh, je savais déjà en faire donc...
Et là tu penses que tu vas continuer ?
Marie : Oui.
Tu en fais chez toi de la danse ?
Marie : Oui.
Alors, qu’est ce que tu fais ?
Marie : En fait, je retravaille tous les trucs, des fois je demande à maman ce que l’on peut faire. Je lui
demande, je lis des livres.
Ah bon, tu lis des livres sur la danse, quel genre de livres ?
Marie : Ben ça c’est dur de dire.
Ils ressemblent à quoi ces livres ?
Marie : Ben, en fait, c’est des livres documentaires.
Tu regardes les photos ?
Marie : Oui voilà.
Des photos de danseurs ?
Marie : Oui, voilà. Parfois je regroupe tout et ça me fait une danse complète.
Ah, oui d’accord...tu connais les noms des danseurs ?
Marie : Ah, non, ça je ne regarde pas...
Et ben dis donc, c’est épatant ça... et quand tu dis que tu regroupes tout, est-ce que tu regroupes aussi
des choses du cours ? Est-ce que tu connais des noms parce que tu m’as dit des trucs mais est ce que tu
connais des noms ?
Marie : Quand je regroupe tous les trucs ?
Oui.
Marie : Ben, des fois, quand je regroupe tout, des fois quand des danses ça me plait pas, par exemple
les lancés et après juste tu dois faire un grand écart et des fois je pense au cours de Marina.
Oui, et qu’est ce que tu prends du cours de Marina ?
Marie : Je prends les trucs avec les bâtons, ben là chez moi je prends des crayons à papier (Rires)...
Ça marche aussi bien ?
Marie : (Rires) Oui. Sinon, je bouge en même temps, j’essaye de bouger plus... Sinon, je me mets
accroupie, je mets une jambe dépliée et j’essaye de tourner mais de ne pas tomber avec les deux bâtons
dans une main.
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Et puis, parce que ça c’est difficile.
Marie : Ben en fait, je le refais pour réussir petit à petit.
Et là tu t’imagines des histoires aussi ?
Marie : Non, là non...
Là c’est juste grâce aux photos ?
Marie : Des fois d’une photo à une autre, ça ne va pas ensemble alors je pense au cours de Marina en
fait.
Et est-ce que tu connais des noms des choses qu’elle vous fait faire, est-ce que ça a des noms ?
Marie : Non, pour moi non...
Marina de temps en temps elle donne des noms, tu n’en as pas retenus ?
Marie : Non, moi je ne peux pas retenir les noms. (Rires)
Et est-ce que tu fais attention aux comptes ? Anna, la dernière fois m’a dit que pour se souvenir des
enchaînements elle comptait. Est-ce que toi tu le fais aussi ?
Marie : Non.
Comment tu fais pour te souvenir de ce qu’elle fait, tu ne connais pas les noms, tu ne comptes pas... ?
Marie : Ben euh... des fois, j’essaye de retenir dans ma tête.
Alors qu’est-ce que tu retiens à ce moment là ?
Marie : Ben, je euh... ben, je euh... je vois Marina en train de danser, mais des fois quand elle danse je
dois compter les pas par contre, parce que ça je ne peux pas réussir à maîtriser.
Et alors quand tu refais la danse ensuite comment tu fais ?
Marie : Ben je fais comme Marina en fait, je me rappelle de Marina et quand j’oublie, je rajoute des
trucs.
Et à ce moment là tu revois Marina danser ?
Marie : Oui.
C’est l’image de Marina ?
Marie : Oui.
Donc, en fait, toi tu travailles avec...
Marie : avec l’imagination et avec Marina... (Rires)
Nous sommes interrompus par l’arrivée des enfants qui nous interrogent sur le sujet de notre
conversation.
De quoi on a parlé ? On en était où ?
Marie : Je ne sais plus.

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On se demandait comment tu fais pour refaire un enchaînement de Marina. Tu ne connais pas de
noms ?
Marie : Non.
Et, est-ce qu’une fois que marina a montré l’enchaînement, tu t’aides avec les autres.
Marie : Ben, si elles passent avant moi oui, je les regarde !
Qui tu regardes ?
Marie : Ben, si Paule passe avant moi et moi juste après ben je la regarde.
Quand tu improvises, tu regardes quelqu’un ?
Marie : Ben ça dépend.
Paule tu la connaissais avant la danse ?
Marie : Non
Vous êtes copines ?
Marie : Oui
Vous vous voyez en dehors du cours ?
Marie : Non, on n’est pas dans la même école.
Bon, je crois que l’on a fait le tour des questions.
Marie : Y a que trois questions ?
Ça dépendait un peu de ce que tu me disais.
Marie : Et pour Anna ?
On a parlé à peu près le même temps. Anna elle m’a plus expliqué ce qu’elle pensait qu’il fallait faire
pour bien danser...
Marie : Moi, j’ai rien, pour moi c’est déjà facile...
Ah, tu trouves que tout est facile ?
Marie : Ben non pas vraiment tout le temps parce que quand y a des trucs vraiment durs…
Qu’est-ce qui peut être vraiment dur ?
Marie : Ben en ce moment je ne trouve rien de vraiment dur.
Et avant ?
Marie : Ben ça je ne peux pas m’en rappeler.
Ben oui, comme tu ne connais pas les noms c’est difficile de t’en rappeler... (Rires)
Marie : Oui (Rires)
Et Anna me disait aussi qu’elle voulait vraiment continuer, même en faire son travail, et toi ?
Marie : Moi aussi, parce que j’aime bien... J’ai une Wi chez moi et j’ai un jeu où il faut danser donc
j’imite et ça m’aide en même temps pour fabriquer une danse entière.
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Ah, d’accord alors comment ça t’aide la Wi ?
Marie : Ben en fait, quand y a des moments que j’aime bien, j’essaye de les retenir et de les répéter
après.
Et il y a des choses que tu retrouves du cours de Marina dans la Wi ?
Marie : Oui.
Par exemple ?
Marie : Y a des galops, des petits jetés...euh... des trucs comme ça.
Des galops, des petits jetés, ce sont des mots de la danse ? Tu en connais d’autres ?
Marie : Euh, oui, les pas chassés, ça me revient un peu de la danse classique comme j’en ai fait
longtemps, donc euh...
Tu connais aussi première, deuxième...
Marie : Oui
Tu pourrais me montrer une première position, une deuxième ?
Marie : Alors ça euh (Rires, signes de négation avec la tête).
Nous sommes interrompus, le cours va commencer.

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Annexe 6 : Entretien avec Lola

L’entretien avec Lola est le premier que j’ai pu mener directement après le cours. Lola est l’élève la
plus jeune du cours (terrain 1), elle a huit ans.

J’enregistre parce que c’est plus facile après pour moi d’accord ?
Lola : Oui
Quand as-tu commencé le cours ?
Lola : J’ai commencé cette année.
Et avant tu avais fait de la danse ?
Lola : Non
C’est la première fois ?
Lola : Oui.
Bon, tu te souviens, j’avais demandé de faire un dessin sur le moment que tu avais bien aimé ?
Lola : Oui
Et si on prend le cours d’aujourd’hui, est ce qu’il y a un moment que tu as bien aimé ?
Lola : Oui
Lequel ?
Lola : C’est quand avec les bâtons on a une position et après on euh, on faisait, on bougeait partout et
après on faisait un son avec euh, on tapait avec les bâtons.
Ce moment là était long, vous vous déplaciez partout dans la salle, mais dans ce moment est-ce qu’il y
a quelque chose de particulier que tu aimais bien faire ?
Lola : Euh... ben c’est quand on... avec les pas... on faisait un pas et on tapait, on en faisait un autre et
on tapait...
Oui, là tu me parles d’un autre moment du cours, au départ tu m’as parlé de la fin du cours quand
vous aviez une position de départ et vous partiez dans toutes les directions. C’est ça dont tu m’as parlé
au départ.
Lola : Oui
Et là dans tout ça, est ce qu’il y a quelque chose que tu aimais particulièrement faire ? Parce que tu
faisais plein de trucs, tu faisais des sauts, tu faisais des tours...

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Lola : Ah ! Euh...j’aimais bien faire euh... quand je... quand je... je faisais le rond... c’était comme ça
(elle me montre un geste de bras au dessus de la tête qui entraine un mouvement circulaire du buste et
de la tête).
Là tu me montres un rond au dessus de ta tête, c’est ça ?
(Elle le reprend)
Alors ce moment, est ce que tu peux me raconter comment tu le fais ? Qu’est-ce que tu te dis ?
Lola : Ben je me dis euh au début je dois bien lever les bras et puis après je... en même temps quand je
prends mes bras, je prends en même temps ma tête, et puis après hop, je fais comme ça puis après je
recule... euh je recule pas mais la tête, je la mets en arrière.
Qu’est ce qu’elle fait la tête pendant ce mouvement ?
Lola : Ben, elle euh, elle fait un rond, elle fait juste un rond. Comme ça avec les bras.
Accompagnée par les bras, et le mouvement il commence par les bras, c’est ça ?
Lola : Oui, il commence par les bras puis après la tête.
D’accord, et ce mouvement là, il vient d’où ?
Lola : Ben, dans ma tête je me suis dit pourquoi pas inve... pourquoi pas faire ce que j’ai vu à la télé
parce que sur une chaîne, j’ai vu une danseuse qui faisait comme ça sauf qu’elle faisait plein de ronds
et après elle tapait des mains.
Ah d’accord... et comment tu as pensé que tu pouvais faire la même chose au cours de danse ?
Lola : Ben, j’ai pensé que ce serait bien.
Et des cercles, vous en faîtes aussi au cours de Marina ?
Lola : Des cercles comme ça, on n’en fait pas.
Non ? Même avec un seul bâton ?
Lola : Avec un seul bâton si des fois.
Et là au début du cours tu te souviens il y a eu quelque chose qu’elle vous a montré, ça commençait au
sol.
Lola : Ah, oui, ça (elle me montre la série de mouvement au sol) et après comme ça...
Est-ce que tu peux m’expliquer ça ?
Lola : C’était bien.
Ouais. Mais essaye de me raconter ce que vous faisiez.
Lola : Parce qu’à chaque fois on faisait, on s’exerçait puis après elle recommençait et elle faisait un
autre pas, par exemple, elle n’avait pas fait au début ça (elle me montre un mouvement d’inclinaison du
torse sur le côté en prenant appui sur une main).
Alors comment tu as fait pour apprendre ce mouvement ?
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Lola : Ben au début, j’ai regardé Marina et puis après j’ai regardé les autres.
Tu as regardé qui ?
Lola : Ben j’ai regardé Anna... euh ... j’ai regardé... et puis aussi Isabelle.
Tu regardes Marina et ensuite tu fais quoi ?
Lola : J’essaye de faire pareil qu’elle mais quand je suis comme ça (Le torse en avant la tête orientée
vers le sol), je la vois pas alors je fais comme ça pour regarder les autres.
Tu tournes la tête sur le côté pour voir les autres. Et les autres, qu’est ce qu’ils font, ils tournent la tête
aussi ?
Lola : Ben, je... ils regardent à côté.
Alors si tout le monde regarde à côté, il y en a un qui regarde le mur ?
Lola : Hum, hum... mais la première, dans la première ligne je pense qu’il y avait Anna, et quand elle
est comme ça elle peut lever sa tête et un peu regarder (Marina) et les autres de la première ligne aussi
et la deuxième ils peuvent aussi regarder ceux de devant.
A un moment Marina elle s’est levée et elle vous a dit : vous le faites. Alors là comment tu as fait ?
Lola : Ben, j’ai regardé celle à côté.
Et s’il n’y avait eu personne à coté ?
Lola : J’allais quand même faire à ma ... à ma vitesse... elle me montre l’enchainement.
Donc tu t’en souviens ?
Lola : Oui.
Comment tu t’en souviens, est ce que tu peux me le raconter ?
Lola : Parce que au début le mouvement qu’elle fait après je me dis dans ma tête, il faut que je fasse ça
après ça ... à chaque euh... à chaque euh... pas comme ça hop...
Est-ce que tu peux me dire par exemple pour le premier ?
Lola : Pour le premier, je me dis que je dois... je euh... je mets les mains sur ma tête puis je descends, je
descends et hop. Après pour le deuxième, je me dis que j’aplatis bien les mains... J’aplatis bien les
mains puis après je refais, je fais le même truc que quand on descend sauf que je remonte.
Et ensuite, continue...
Lola : Ben en fait j’ai oublié (elle cherche en reprenant le mouvement), il y avait les bras ?
Tu l’as oublié ce n’est pas grave...
Lola : Ah non y avait les bras et c’est comme ça ?
Oui.
Lola : Et comme ça c’était facile, je me suis dit regarde juste la tête en haut et mets tes bras en arrière...
Donc tu te parles en fait ?
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Lola : Hum, hum, je me parle dans la tête et je me dis faire ça et faire ça...
Marina, elle compte aussi, à quoi ça sert ?
Lola : Ben ça veut dire que, par exemple Anna elle commence la première et que Paule elle commence
juste après et que euh Lou elle commence...
C’est pour donner l’ordre ?
Lola : Oui l’ordre d’euh...
C’est pour ça qu’elle compte ?
Lola : Oui, parce que si, par exemple, elle ne comptait pas les autres, par exemple Lou elle pense, elle
pense : je vais partir. Et les autres, ils ne pensent pas en même temps qu’elle. Et quand Marina, elle dit
un, deux, trois, les autres ils pensent la même chose, ils se disent : allez, il faut y aller. 1 2 3 et on
commence...
Ça donne le début en fait ? Mais après elle continue à compter 4 5 6 7 8 et 1... Alors à quoi ça sert ?
Lola : Ça sert à bien... à pas se tromper parce que quand tu es comme ça et que tu ne sais pas... par
exemple, si Marina elle ne faisait pas les mouvements avec nous et qu’on les faisait comme ça, sans
elle, ben on se serait tous trompé par exemple y en aura, par exemple Lou elle serait en train de faire ça,
Paule, elle serait déjà là... Moi je serais déjà en train de remonter, voilà...
D’accord, c’est que pour que vous soyez tous ensembles.
Lola : Tous ensembles.
Ce cours tu ne le connaissais pas, alors comment tu trouves ce cours ?
Lola : Il est bien
Qu’est ce qui te plait dans le cours ?
Lola : Ce qui me plait c’est quand elle choisit quelqu’un pour faire quelque chose par exemple pour
donner une pulsation et une vitesse. Au début, en septembre euh au milieu, elle a commencé à la fin du
cours, à chaque fois, Marina elle faisait des mouvements et on devait les refaire. Et ça j’aimais bien
même si c’est difficile et que je me trompais un peu (Rires)
Alors là, comment tu faisais pour les refaire ?
Lola : Ben je regarde, si on est par deux et que Paule commence je me dis il faut faire ça, je retiens,
comme ce pas, il est un peu facile...
Comment tu le fais ?
Lola : Ben je me dis par exemple : je suis toute seule dans la salle et je suis en train de faire ça et ça.
Tu te dis quelque chose ou tu vois une image ?

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Lola : Je vois une image de... de moi qui est en train de danser dans la salle. Et si, je suis toute dernière
et que j’oublie quelque chose et ben je continue comme si je n’avais rien oublié. Mais après elle me
dit : « non, tu as oublié ça et ça... »
Marina le dit à chaque fois quand tu oublies quelque chose ?
Lola : Des fois, pas toujours mais elle le dit des fois.
Des fois tu te trompes et elle ne dit rien ?
Lola : Oui
Qu’est ce que tu en penses ?
Lola : Ben, que c’est quand même bien qu’elle ne remarque pas...
Tu crois qu’elle ne remarque pas ?
Lola : Oui, je crois qu’elle ne remarque pas que l’on a oublié quelque chose, qu’on a oublié des pas.
Est-ce que tu connais des mots de la danse ?
Lola : Oui euh, je l’ai dit tout à l’heure euh, la pulsation mais y a pas que dans la danse que l’on dit ça.
On dit ça où ailleurs ?
Lola : On dit ça dans la musique, des fois quand un chef d’orchestre il dit : il faut avoir une pulsation
chacun par exemple voilà. La pulsation et euh ... la vitesse des fois comme tout à l’heure elle a dit : tu
peux nous donner une vitesse. Et dans la danse y a une vitesse et y a pas que dans la danse qu’il y a une
vitesse, il y a dans la course par exemple.
Tu m’as dit pulsation, vitesse... tu en connais d’autres ?
Lola : Euh... (long silence)
J’ai une autre question, c’est la dernière. Á ton avis, qu’est-ce qu’il faut faire pour bien danser ?
Lola : Ben pour bien danser, il faut se souvenir. Par exemple si tu regardes une chaine de danse, tu
regardes la danseuse ou le danseur qui est en train de faire un pas et si tu trouves ce pas joli et tu te dis
pourquoi pas le faire en cours de danse et après peut être que Marina elle dira : mais oui c’est bien, ou
c’est pas très, très bien mais c’est bien.
Et ce mouvement, pourquoi tu l’as trouvé joli ?
Lola : Ben parce que ça ... je le trouve joli parce que... y a peu de danseuses qui le font et que moi je
pourrais bien le faire. Je le trouve joli d’abord... moi j’aime bien faire des pas avec les bras et je le
trouve joli parce que l’on fait comme ça parce que au début on est plié comme ça et que après on fait
comme ça...
Oui, je vois, tu danses chez toi alors ?
Lola : Oui des fois (rires) et même des fois dans la cour je danse.
Ah, oui ?
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Avec des copines, je leur montre des trucs du cours de Marina.
Qu’est ce que tu leur montres ?
Lola : Je leur ai appris ça et par exemple demain je vais leur montrer un pas qu’on a fait aujourd’hui.
Lequel ?
Lola : Je vais leur montrer un pas que Marina a fait : ça
Le sol ?
Lola : Oui, le sol
Elles aiment bien ?
Lola : Oui, elles aiment bien...
L’entretien s’arrête avec l’arrivée de la mère de Lola qui vient la chercher.

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Annexe 7 : Entretien avec Théo

Je te remercie, oui et alors je voudrais que l’on parle du cours que tu viens de faire. Est-ce qu’il y a un
moment du cours que tu as particulièrement apprécié ?
Théo : C’était sûrement avec la feuille.
Oui, mais avec la feuille il y avait beaucoup de choses.
Théo : C’était plutôt la deuxième partie de la feuille quand on... courait.
D’accord, est-ce que tu peux m’expliquer comment ça se passait ?
Théo : C’est un peu dur à dire parce qu’on a la feuille dans la main et on... se concentre que sur la
feuille et sur notre trajectoire en fait. On se concentre que sur ça.
D’accord, et la trajectoire comment tu fais pour te concentrer sur ça ?
Théo : Ben, faut en même temps avoir... faut regarder devant soi et faut garder la feuille dans sa main.
Faut faire confiance à sa main en fait.
D’accord, c’est-à-dire, faire confiance à sa main, ça veut dire quoi ?
Théo : C’est la garder droite et ne pas trembler. D’accord. Sinon ça peut faire bouger la feuille et faut
surtout courir vite sinon la feuille tombe.
Hum, et ça tu l’as expérimenté comment ? Vous l’avez fait plusieurs fois ?
Théo : Ben, moi je l’ai fait la semaine dernière.
Qu’est-ce que vous avez fait d’autres avec la feuille ?
Théo : Ben, on a fait des mouvements de danse techniques avec la feuille.
Qu’est-ce que c’est des mouvements techniques ?
Théo : Ben...on a fait des tours, on a fait des tours avec la feuille.
Là tu me montres des tours avec la main.
Théo : Oui et on tourne aussi sur soi même et on la passe entre ses jambes et on... on se la passe entre
les mains.
Avant, vous aviez travaillé avec un tissu ?
Théo : Oui.
Tu te souviens ?
Théo : Oui.
Et alors est-ce que tu pourrais comparer le tissu avec la feuille ?
Théo : Ben, c’est pas la même chose du tout. C’est parce qu’il y a une différence de poids déjà, le tissu
est beaucoup plus lourd que la feuille. Oui. Parce que la feuille c’est tout léger, quand ça tombe, ça

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tombe doucement. Le tissu quand ça tombe, ça tombe direct. Et aussi, on n’a pas fait les mêmes
exercices, par exemple on tapait avec le tissu mais avec la feuille, on la garde sur la main et on fait des
mouvements, c’est tout ce que l’on fait.
Et, est-ce que ça change les mouvements que tu fais ?
Théo : Oui.
Est-ce que tu peux me décrire les mouvements avec l’un et les mouvements avec l’autre ?
Théo : Ben, en fait avec le tissu, on frappait, on le balançait et aussi on le descendait délicatement
comme un ascenseur en fait.
Oui.
Théo : Et, avec la feuille on faisait des mouvements.
Et, est-ce qu’on pourrait faire avec la feuille ce que l’on faisait avec le tissu ?
Théo : Ben frapper, non, enfin si, si on la tient la feuille, on peut frapper. Balancer, oui mais la feuille,
elle reste droite alors qu’avec le tissu, le tissu peut partir.
Oui, et ça changerait quoi sur tes mouvements si tu imagines ? Ne t’inquiète pas ça enregistre sans que
l’on s’occupe de lui. Si par exemple, tu fais balancer avec la feuille qu’est ce que cela ferait à ton
avis ?
Théo : Si je la lâche après ?
Non, imagine que tu le fais ?
Théo : La différence... c’est toujours une différence de poids, et aussi si on tient la feuille, on peut la
balancer mais y a toujours une différence de poids. Avec le tissu c’est plus lent, avec la feuille ça irait
plus vite.
La feuille tombe parfois ?
Théo : Ah oui, quand elle tombe, on suit la feuille.
Ça tu l’as fait aujourd’hui ?
Théo : Oui.
Est-ce que tu peux me décrire d’autres moments du cours d’aujourd’hui, me dire ce dont tu te
souviens ?
Théo : Ben, je me souviens qu’au début on a fait un mouvement plutôt au sol, puis après on a changé
de ligne et on a fait un exercice en haut, debout. Puis après, on a commencé avec les diagonales à deux
et après on a fait avec la feuille.
Oui, et est-ce que tu te souviens de ce que vous faisiez dans la diagonale ?
Théo : Pas très bien. Ah oui ! On faisait un exercice, au début on l’a fait sur place puis après on le
faisait en se baladant puis après on le faisait sur la diagonale.
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Oui, et est-ce que tu peux me dire comment il était cet exercice ?
Théo : Au début, on balance les bras d’un geste, fort, et après, on fait comme si on volait avec les bras
et on regarde en bas. Et on a ...hum et après on mettait un bras sur la jambe et un autre sur la jambe et
après on se retournait pour voir et c’est là quand on les regardait que les autres partaient.
Oui, tu t’en souviens bien, et là dedans est-ce qu’il y avait quelque chose qui te semblait plus difficile ?
Théo : Oui parce que quand on était dans une diagonale, et ben on devait faire de l’autre côté et moi
j’étais habitué à la droite parce qu’on le faisait tout le temps à la droite ... parce que je suis droitier
aussi.
Tu fais de la danse ailleurs ?
Théo : Oui un cours à Jourdain.
Peux-tu comparer les deux ?
Théo : Ce n’est pas pareil parce que j’ai commencé le cours de contemporain, il y a trois ans. Là on
met déjà des chaussons pour faire des tours et après on fait des heu flexés heu et des fléxés comme avec
Marina mais c’est beaucoup plus dur le cours du jeudi parce quand même trois ans heu...On doit faire
des choses heu... Voilà c’est que le cours de Marina heu...en années c’est moins que mon cours du jeudi
donc c’est pas la même chose...
D’accord et heu...Du coup, tu trouves que c’est plus facile dans le cours de Marina ?
Théo : Oui.
Et tu apprends des choses particulières dans le cours de Marina qu’il n’y a pas dans l’autre cours ?
Théo : Oui par exemple quand on met nos pieds... quand nos pieds vont de heu... quand on met nos
mains qui partent des pieds et qui va aux genoux.
Hum ? Nous sommes interrompus par d’autres élèves. Alors dis-moi, ça, quand tu es au sol n’est-ce
pas ?
Théo : Oui au sol quand on met nos mains sur les pieds et qu’on les glisse jusqu’aux genoux.
Donc là c’est quelque chose que tu ne fais pas dans l’autre cours ?
Théo : Oui et aussi quand on met nos mains comme ça mais au sol parce que debout on le fait.
Comme ça ? Est-ce que tu peux me le décrire parce que là je vois mais dans l’enregistrement quand je
serai chez moi... ?
Théo : On se met au sol, on met nos pieds collés et on les tend et nos mains elles se lèvent jusqu’au
maximum en fait.
Jusqu’au maximum au dessus de ta tête ?
Théo : Oui, au dessus de ma tête.
Et après, elles font quoi ?
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Théo : Ben, elles restent puis elles vont de l’autre côté, ça fait un tour.
Là aujourd’hui, Marina elle vous a fait faire un sol un peu long, comment fais-tu pour t’en souvenir ?
Théo : C’est parce que quand elle nous montre, j’écoute bien et je regarde bien comme ça, je suis sûr
d’apprendre et moi j’apprends vite aussi.
Et qu’est-ce que tu écoutes ?
Théo : Ben, heu ... j’écoute ce qu’elle dit pour heu comment faire en fait.
Là est-ce que tu pourrais me dire ce qu’elle a dit ?
Théo : Ben, elle a dit : « il faut frapper avec ses pieds bien fort et en même temps dans le rythme. » et
heu ... « quand on tape avec les mains, sur le sept et non sur le huit. »
Hum, après, il y a autre chose, il y a ... heu. Tu t’en souviens du mouvement, on pourrait le reprendre ?
Théo : Ben heu, je connais ma choré oui.
Vas y, essaye.
Théo : Ben heu, je mets mes mains, après je les mets sur mes pieds, je les fais glisser jusqu’à mes
genoux, après heu... je lève mes coudes, je regarde à droite puis après à gauche. Après on levait les bras
et on tapait... Après heu... Ah oui, après on mettait nos mains sur nos genoux, on prenait nos genoux et
on tapait avec les pieds... Et après heu, j’ai oublié...
Et Marina qu’est-ce qu’elle disait ?
Théo : Elle disait, je me souviens plus parce que c’était au début du cours...
Et dans la traversée avec les mouvements de bras comment tu faisais pour t’en souvenir ?
Théo : Ben je retiens bien moi c’est ça.
Ah oui, comment fais tu ?
Théo : Ben je me dis déjà ce mouvement je le connais, je le mets dans un coin, et après l’autre
mouvement je l’apprends et après je le mets d’un côté et après j’enchaîne, je fais comme ça, et après
j’additionne tout et heu...
Et quand c’est un nouveau mouvement, que tu ne connais pas, que tu n’as pas mis de côté, comment tu
fais pour te dire bon ben maintenant, je peux le mettre de côté, je le sais ?
Théo : Ben je le refais plusieurs fois en fait.
C’est de le faire ?
Théo : Oui, c’est de le refaire plusieurs fois, je le recopie et après je me dis ça, je suis sur de le
connaître.
Et dans ta tête, le mouvement tu te le dis avec des mots, tu vois des images ... ?
Théo : Ben c’est plutôt des deux, je vois des mots et des images.
Nous sommes interrompus par l’arrivée de la grand-mère de Théo qui vient le chercher.
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Annexe 8 : Entretien avec Eva

En fait, je voulais parler avec toi parce que j’ai remarqué ton travail avec le papier et je voudrais que
l’on parle de ce travail là ?
Eva : D’accord.
D’abord, est-ce que tu pourrais me rappeler ce que vous avez fait et ce qu’avait demandé Marina ?
Eva : Déjà, la première fois, elle nous a demandé de faire un cercle, parfois de changer de groupe et
parfois de revenir avec une feuille à l’extrémité de la main.
Tu me montres ta main, là ?
Eva : Oui, parfois avec la droite ou avec la gauche, ça dépend vers où on part.
Le cercle, il se fait où ?
Eva : Il se fait tout autour de la salle.
D’accord, et donc tu positionnes ta feuille sur la main et après ?
Eva : Après on court et ça tient parce qu’il y a du vent qui souffle en sens inverse et donc ça tient la
feuille.
D’accord, vous avez fait un autre travail avec la feuille ?
Eva : On avait fait trois mouvements chacun en faisant semblant d’avoir une feuille et puis aussi on
avait heu... On faisait par groupe de deux, on faisait chacun son tour on faisait une position où on pense
avoir une feuille et l’autre doit deviner où on pense avoir la feuille et la met dessus.
Au départ ce travail là vous l’avez fait avec la feuille ou sans la feuille ?
Eva : On l’a fait avec la feuille et après sans la feuille.
Tu étais avec qui pour les trois positions ?
Eva : La plupart du temps avec Alix.
Alors, Alix elle mettait comment la feuille, quand il y avait vraiment la feuille ?
Eva : Heu... Bah... elle la mettait un peu parfois, un peu tous les heu... membres du corps.
Et toi ?
Eva : Pareil.
Et tu avais quelque chose que tu préférais, dont tu te souviens ?
Eva : Oui, les bras, les jambes et la tête.
Comment tu faisais pour les bras ?
Eva : Hum... parfois je les mettais en hauteur, parfois plutôt vers le bas. Et heu... pareil pour les
jambes.

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Comment tu faisais pour que la feuille tienne ?
Eva : Ben, j’essayais de la mettre plutôt, ben plutôt, ma jambe ou mon bras bien plat pour que cela
tienne. Hum, et alors après, vous avez fait ce travail sans la feuille.
Oui. Et ça changeait quoi ?
Eva : Parfois la feuille, elle ne tombait pas et on n’était pas obligé de courir pour tenir la feuille.
Et tu crois que tu aurais pu réussir sans le travail avec la feuille avant ?
Eva : Je ne pense pas non.
Pourquoi ?
Eva : Ben je ne me serai pas bien imaginé la feuille.
Et là, tu arrivais à te l’imaginer alors ?
Eva : Oui.
Alors comment tu arrivais à te l’imaginer ?
Eva : Ben, fallait aller à peu près vite et bien la tenir en équilibre.
Donc, c’était l’équilibre que tu t’imaginais ?
Eva : Oui.
C’était pas la matière de la feuille, tu ne la sentais pas sur ta main ?
Eva : Non, c’était l’équilibre.
Le poids de la feuille ?
Eva : Heu...oui. On sentait qu’on avait une feuille dans la main.
Et alors après, Marina elle vous a demandé trois mouvements.
Eva : Oui.
Est-ce que tu peux me décrire ces trois mouvements ?
Eva : Ben au début, je descendais en tournant avec la feuille sur la main à l’extrémité.
Tu descendais, c'est-à-dire ?
Eva : Ben, je tournais en descendant petit à petit vers le sol. Et à la fin, je la plaquais vers le sol. Le
deuxième mouvement, je la mettais sur une de mes mains, je mettais mes deux mains sur les côtés. Et
heu, je posais soit mon pied droit, soit mon pied gauche, je faisais un demi cercle avec le pied qui
passait par ... le pied qui s’est posé et heu chacun son tour, heu qui s’enchaine...
Comme ça ?
Eva : Non, dans ce sens là
Ah d’accord, tu passes par l’intérieur du pied, et avec tes mains ?
Eva : Avec mes mains, je les mettais toutes les deux à la hauteur de mes épaules. Et voilà.
Hum, tu les penches là comme ça ?
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Eva : Non, je les mettais plutôt symétriques toutes les deux et bien plates parce que sinon la feuille,
elle ne peut pas tenir.
D’accord. Et le troisième mouvement ?
Eva : Le troisième mouvement, je heu... je prends ma feuille dans la main gauche, je la mets au dessus
de ma tête comme ça. Hum. Et je prends ma main droite qui va par derrière et qui l’attrape, après je fais
un tour avec ma main droite autour de heu... de ma taille je rejoins avec ma main gauche, ma main
droite et je rattrape la feuille et je la plaque au sol.
Tu peux le faire ? D’accord, là tu m’as décrit très précisément la main gauche, la droite etcetera, c’est
ce que tu te dis dans ta tête quand tu fais le mouvement ?
Eva : Oui.
Ah, oui d’accord. Et donc si on enchaîne les trois mouvements, peux tu me dire comment cela
s’enchaîne en fait ? Heu... c’est ce que tu fais dans ton improvisation, tu enchaînes les trois
mouvements.
Eva : Oui.
Alors, on commence par le premier... Vas-y.
Eva : Là je tourne avec la main en descendant à l’extrémité et je plaque la feuille et après, j’ai une
main avec la feuille et l’autre vide et je pose mon pied et je passe par chaque pied, voilà et je m’arrête,
et heu... le troisième mouvement, je heu... mets la feuille dans ma main gauche et je la plaque sur ma
main droite, je fais un tour avec ma main droite et je reprends la feuille avec ma main gauche et je la
plaque par terre.
D’accord, à chaque fois, tu la plaques par terre ?
Eva : Oui, à part pour le deuxième mouvement.
Tu t’en souviens très bien, tu l’as dansé chez toi ?
Eva : Non.
Alors comment ça se fait que tu t’en souviennes si bien, ça fait une semaine que tu l’as fait ?
Eva : Ben en fait, je trouvais que ces mouvements étaient assez simples pour moi.
Pourquoi Marina elle vous fait travailler avec une feuille ?
Eva : Je ne sais pas trop.
Ça sert à quoi, tu crois ?
Eva : À bien s’imaginer une feuille comme ça après on peut le danser sans la feuille et mieux le danser.
Et qu’est-ce que l’on arrive à danser avec l’idée d’une feuille ?
Eva : On arrive à danser avec la main à l’extrémité et heu toujours la main qui a un rôle.
C’est le rôle de la main alors ?
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Eva : Et heu...
Vous avez dansé avec d’autres objets ?
Eva : Heu, oui avec un grand tissu où parfois il fallait le traîner, parfois le traîner par terre heu...
C’était différent le tissu et la feuille ?
Eva : Oui.
Les mouvements étaient différents ?
Eva : Oui, heu le tissu c’était plus traîner un peu et la feuille plus heu...plus léger.
Léger ? Donc ça a un rapport avec le poids ?
Eva : Oui et puis la façon dont on danse avec.
Hum, donc on danse avec le poids ?
Eva : Rire, pas forcément mais heu... moi, j’ai trouvé ça comme ça.
D’accord.

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