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traduction de Freud transcription de Lacan littoral Ne 48 - TRADUCTION DE FREUD, TRANSCRIPTION DE LACAN Sigmund Freud 4 Uber der Gegensinn der Urworte 5 Sur le sens” antinomigue des mots primitils ‘A propos du Gegensinn Marie Bonaparte, une femme entre trois langues A travers les langues ‘Au-dessus des fragments d'un langoge plus grand Eric Legroux Mayette Viltard Christine Toutin Michel Cresta Marcelo Pasternac 63. L’édition des Berits en espagnol Danitle Arnoux 79 Sur la transeription Danitle Cerf 87 La place du lecteur 99 Transeniption et ponctuation Tean Allouch 109 Lacan censuré Gérame Taillandier 121 Quelques problémes de Uétablissement du séminaire de J. Lacan INTENSION Pabrique du cas 129° Lraveugle, Vafricain et le paychana- Wyste Pabrique du cas I 143, Make up TIONS TOPOLOGIQUES Daniéle Arnoux 149 0+8=0 Dessin de couverture walisé pour Littoral par Xia Jia-nong Publié avec le concours du Centre National des Lettres Revuetrimestrielle = —— Juin 1984 —— Editions Eés SONT DE LA REVUE © un comité de rédaction Jean Allouch (direction), Philippe Julien, Guy Le Gaufey, Erik Porge, Mayette Viltard. © des correspondants en France C. Amirault (Bordeaux), M. Banastier (Rouen), C, Bertrand (Le Havre), J. Briffe (Antibes), B. Casanova (Tours), E. Decocq (Reims). ‘M. Demangeat (Bordeaux), J.-P. Dreyfuss (Strasbourg), J. Fourton (Limoges), J. Francois (Marseille), (Angers). N, Glissamt-Suceab (Antilles), A. Gorges ( J. Milhau_ (Nimes), D. Poissonnier (Lille), A.-M. Ringenbach (Le Havre), P. Sorel (Lyon), M. Thiberge (Toulouse), F. Wilder (Mont- pellier}, H. Zysman_ (Besancon) A Pétranger J. Benmani (Rabat), Cliniea de atendimentos psicoldgicos ¢ psiquis- trios (Salvador de Bahia-Brésil), D. Cromphout (Bruxelles), M. Drazien (Rome}, 1. Garate (Madrid). B. Garber (Barcelone), 8. Gilbert (Oslo), M.Halayem (Tunisie), G. Izaguirre (Buenos Aires), E, Maldonado (Cordoha-Argentine}, . Patsalides (Califor nie), P.Peraldi (Montréal), W.J. Richardson (Boston). S. Schneiderman (New York), C. Simoes (Brasilia), MP, Sosa (Mexico) Reédaction : Litworal, 1, rue des Feuillantines, 75005 Paris, Administration : Editions Exts, 19, rue Custave-Courbet, F 31400 Toulouse. Conditions générales d'abonnement : ~ annuel (4 numéros) ; France : 280 F Evranger : 305 F. (Pour les envois par avin, ajouter 50 F) — de soutien 500 F, Bulletin @abonnement p. Tout changement d'adresse est & signaler aux éditions Erés. Traduction de Freud Transcription de Lacan Sigmund Freud Uber der Gegensinn der Urworte* In meiner Traumdeutung habe ich als unverstandenes Ergebnis der analytischen Bemiihung eine Behauptung aufgestellt, die ich nun zu Eingang, dieses Referates wiederholen werde! + «Tléchst cuffilig ist das Verhalten des Traumes gegen die Kategorie von Cegensatz und Widerspruch. Dieser wird schlechtweg vernachlas- sigt. Das » Nein « scheint fiir den Traum nicht zu existieren. Gegensiitze werden mit besonderer Vorliebe zu einer Binheit zusammengezogen oder in einem dargestellt. Der Traum nimmt sich ja auch die Freiheit, etn beliebiges Element durch seinen Wunschgegensatz darzustellen, so da man zunéchst von keinem eines Gegenteils fahigen Elemente wei, ob es in den Traumgedanken positiv oder negativ enthalten ist. « Die Traumdeuter des Altertums scheinen von der Voraussetzung, dof cin Ding im Traume sein Gogenteil bedewten kénne, den ausgiebigsten Gebrauch gemacht zu haben, Gelegentlich ist diese Moglichkeit auch von modernen Traunforschern, insofern sie dem Traume itberhaupt Lédition de cette nouvelle traduction est publige avee Paccord des élitions Gallimard. 1. Die Trawacdeuturg. {1900 a}, Kapitel. VI: »Die ersten Drittels von Abschnict. C] amarbeit« fetwa Ende des Sigmund Freud Sur le sens antinomique™ des mots primitifs Dans mon Interprétation du réve, j'ai mis en place comme un résultat incompris des efforts analytiques, une affirmation que je répéterai maintenant en préambule & cet exposé! « Trés frappant est le comportement du réve vis de Fopposition et de le contradiction [b). Celle négligée. Le “non”, pour le réve, parait ne pas exister. Les oppositions, avec une particuliére prédilection, sont comtraetées en une unité ou présentées en un (terme) (c]. Le réve prend aussi le liberté de présenter tun quelconque élément par son opposé-de-désir, de sorte qu’on ne sait de prime abord d’aucun élément susceptible d'un contraire s'il est content: dans les pensées-du-réve positiverent ou négativement, » Les oniromanciens de Pantiquité paraissent avoir fait le plus large ‘usage du présupposé que, dans le réve, une chose puisse signifier son contraire. A Voccasion, cette possibilité est également reconnue des chercheurs modernes sur le réve, pour autant toutefois quills aient est tout bounement 1. L’interprétation du réve (39002), chapitre VI: Le travail du réve > (vers ta fin du. premier tiers de Ia partie C). [a] Gegensinn : cet article sur le Gegenstin {at appel différents procédlés on figures shetoriques dont Ia métathise ot Voxymaron, et implique les sens Pune lecture Copendant, partant de considérations faites sur le rove. i a pour exemple princeps «Ker» signifiant a Is fois fort et faible. C'est su ce point qu'il renconore la plus fore critique il faut done traduire Gegensinn par «sens antinomique » ‘h] Nous retenons Widerspruch = contyadiction; Gegensatz + opposition, oppose Gogenieil: contraire: Cegensétzlich : comradictive; entuegengesetst + oppost {e] in etnent + «en un {verme} “phutor que™ par un (des deux)». Dune part, une opposition nest pas obligetoivement de deux termes; d'aunre part, cette tradvetion tcarrespond mieux & Vexemple fourni par « ke 6 Littoral ne 13 Sinn und Deutbarkeit sugestanden haben, erkannt?, Ich glaube auch keinen Widerspruch hervorzurufen, wenn ich annehme, daf alle dinjenigen die oben zitierte Behauptung bestitigt gefunden haben, welche mir auf den Weg einer wissenschafilichen Traumdeutung gefolgt sind. Zum Verstiindnisse der sonderbaren Neiguny: der Traumarbeit, von der Verneinung abzuschen und durch dasselbe Darstellungsmittel Cegensiitzliches um Ausdrucke zu bringen, bin ich erst durch die zufallige Lektitre einer Arbeit des Sprackforschers K. Abel gelangt, welche, 1884 als selbstindige Broschiire veriffentlicht, im niichsten Jahre auch unter die Sprachwissensehaftlichen Abhandhingen des Verfassers aufgenommen worden ist, Das Interesse des Gegenstandes wird es rechifertigen, wenn ich die entscheidenden Stellen der Abelschen Abhandlung nach ihrem voller Wortlaute (wenn auch mit Weglassung der meisten Beispiele) hier anfiihre, Wir erhalten néimlich die orstauntiche Aufklérung, da die angegebene Praxis der Traumar- beit sich mit einer Eigentiamlichkeit der dltesten uns bekannten Sprachen deckt. Nachdem Abel das Alter der agyptischen Sprache hervorgehoben, die lange Zeiten vor den ersten hieroglyphischen Inschriften entwickelt worden sein muf, faibrt er fort (8.4) : eln der agyptischen Sprache nun, dieser einzigen Reliquie einer primitiven Welt, findet sich eine ziemliche Anzahl von Worten mit zwet Bedeutungen, deren eine das gerade Gegenteil der andern besagt. Man denke sich, wenn man solch augenscheinlichen Unsinn zu denken vermag, da das Wort » stark: in der deutschen Sprache sowohl » stark « als »schwach« bedeute; da das Nomen > Licht« in Berlin gebraucht werde, um sowohl »Lichts als »Dunketheit: su beseichnen: dap ein Miinchener Birger das Bier »Biere nennte, wihrend ein anderer dasselbe Wort anwendete, wenn er vom Wasser spriiche, und man hat die erstaunliche Praxis, welcher sich die alten Agypter in ihrer Sprache gewohnheiteméfig hinzugeben pflegten. Wem kann man es verargen, wenn er dazu ungliubig den Kopf schiittelt?... » (Beispiele.) (lbid., S. 7): »Angesichts dieser und vieler aknlicher Félle antitheti- scher Bedeutung {sicke Anhang) kann es keinem Zweifel unterliegen, daf cs in einer Sprache wenigstens eine Fiille von Worten gegeben hat, welche ein Ding und das Gegenteil dieses Dinges gleichzeitig bezeichne- ten. Wie erstaunlich es sei, wir stehen vor der Tatsache und haben damit 2u rechnen.« 2, 8.2. B. G.I. v. Schubert, Die Symbolit des Trawmes [1814], 4, Aufl, 1862, I Kapitel : »Die Sprache des Traumess Sur le sens antinomique des mots primitifs 7 admis pour le réve sens et interprétabilité®, Je crois également ne susciter aucune contradiction si j’émets Phypothése que tous ceux qui n'ont suivi sur la voie d'une interprétation scientifique du réve ont trouvé confirmation de l’affirmation ci-dessus citée. Je ne suis parvenn & a compréhension du eurieux penchant du travail-du-réve & faire abstraction de la dénégation et & exprimer le contradictoire par le méme moyen-de-présentation qu’au travers de la Jeoture fortuite d'un travail du philologue K. Abel qui, en 1884, a é publié isolément sous forme de brochure et a également éé repr année suivante dans les Traités philologiques de Fauteur. L’intérét du sujet justifiera que je procuise [d) ici textucllement les passages décisifs du craité Abel (quoiqu’en supprimant la plupart des exemples) Sachez que nous obtenons Métonnante élucidation que la praxis du travail-du-réve [ici] indiquée recouvre une caractéristique de la plus ancienne langue qui nous soit connue Aprés avoir fait ressortir Page de la langue égyptionne qui a di se développer longtemps avant les premiéres inscriptions hiéroglyphique Abel poursuit : «Dans Ja langue égyptionne — cette relique unique d'un monde primitif — se touve un assez grand nombre de mots & deux significations dont Pune dit Vexact contraire de Pautre. Qu’on, imagine, si on est capable d'imaginer un tel évident non-sens, que le mot “stark” en langue allemande, signifie aussi bien fort que faible ; que le substantif “Licht” soit utilisé & Berlin pour désigner aussi bien “clarté” qu™obscurité” ; qu'un habitant de Munich appellerait la biere “Bier”, tandis qu’un autre employerait le méme mot en parlant de eau. et on aura [étonnante pratique & laquelle les anciens Egyptiens avaient coutume de s'adonner couramment dans leur langue. Peut-on tenir rigueur & qui hoche la téte, incrédule, face & cela...» (Exemples). Ubid., p.T}: ©Vu ce cas ot beaucoup dantres semblables, de signification antithétique (voir annexe), il ne peut subsister aucun doute qu'il a existé, dans une langue au moins, une foule de mots qui ont désigné simultanément une chose et le contraire de cette chose. Aussi étonnant que cela soit, nous sommes devant Ie fait et avons & en tenir compt 2. V. par ex. GL. Schubert: Die Srmbolk des Traumes (3814), # édition, 1862 chapitre I altjung, »fernnah » bindentrennen s, »augenin- Nenu, die trotz ihrer das Verschiedenste einschlieRenden Zusammen- setsung das erste nur »jungs, das zweite nur »nah, das dritte nur > verbinden , das vierte nur» innen« bedeuten... Man hat also bei diesen susammengesetzten Worten begriffliche Widerspritche geradezu absichtlich vereint, nicht um einen dritten Begriff zu schaffen, wie im Sur le sens antinomique des mots primitifs 9 Liauteur écarte alors explication de cot état de fait par une homophonie [e} fortuite et proteste avec la méme détermination contre Fattribution de celui-ci au pidtre niveau de développement intellectuel des Egyptiens (Ibid, p.9): «Or PEgypte n’était rien moins qu’une patrie du non-sens. Elle était au contraire un des lieux les plus anciens du développement de la raison humaine... Elle connaissait une morale pure et pleine de dignité, et avait formulé une bonne part des dix commandements quand ceux des peuples & qui appartient le civilisation aujourd'hui evsient coutume dimmoler des victimes humaines & des doles sanguinaires. Un peuple qui alhuma le flambeau de la justice et de la culture en des temps si obscurs ne peut quand méme pas avoir été stupide dans son parler et son penser de tous les jours sut produire du verre, soulever et déplacer & l'aide de machines d’énormes blocs, doit quand méme avoir eu au moins assez de raison pour ne pas considérer une chose comme elle-méme et son contraire simultanément. Comment réunirons-nous alors cela avec cect que les Egyptiens s‘accommodaient d'une langue si curieuse ot contradic: toire ?... qu'lls avaient d'une fagon générale coutume de donner un seu! ‘et méme support phonique aux idées les plus antagonistes et de relier en une sorte d'union indissoluble ce qui se faisait le plus fortement ‘opposition ? » Avant toute tentative d’explication, il doit éere encore tenu compte d'un renchérissement de cet incompréhensible procédé de la langue égyptionne. De toutes les excentricités du lexique égyptien, I plus extraor ire est peut-étre qu’en dehors des mots qui réunissent en eux ces ignifications opposées, il posséde d’autres mots-composés dans lescquels deux vocables de signification epposée sont réunis en un composé qui ne posséde que la signification de l'un des deux membres constituants. I n’existe done dans cette langue extraordinaire, pas seulement des mots, qui disent aussi bien “fort” que “faible”, “ordonner” qu’“obéir™ il existe également des composés comme “vieuxjeune”, “loinproche”, “rolierséparer”. “extemninterne”..., qui, malgré leur assemblage incluant le plus dissemblable, signifient, le premier seulement, “jeune”, le deuxitme seulement “proche”, le woisiéme seulement “relior”. le quatritme seulement “interne”... On a done réuni dans cos mots- composés, intentionnellement dirait-on, des contradictions concep- tuolles, non pour créer un toisiéme concept comme cela arrive parfois, fe) Gleichlaut —~ Gleichklang / Anklang : sur homophonie / sssonance, ¥. Transa, bolle wf p17, «La méihode de Tinterprétation du séve 10 Littoral n° 13 Chinesischen mitunter geschieht, sondern nur, um durch das Komposi- tum die Bedeutung eines seiner kontradiktorischen Clieder, das allein dasselbe bedeutet haben wiirde, auszudricken...« Indes ist das Rétsel leichter gelést, als es scheinen will. Unsere Begriffe entstehen durch Vergleichung. » Ware es immer hell, so wtirden wir swischen hell und dunkel nicht unterscheiden und demgemif weder den Begriff noch das Wort der Helligkeit haben kénnen...« «Bs ist offenbar, alles auf diesem Planeten ist relativ und hat unabhéngize Existenz, nur insofern es in seinen Beziehungen zu und von anderen Dingon unterschieden wird...« »Da jeder Begriff somit der Zuiling seines Gegensatzes ist, wie konnte er zuerst gedacht, wie konnte er anderen, die ihn zu denken versuchten, mitgeteilt werden, wenn nicht durch die Messung an seinem Gegensatz ...« (bid., 8. 15) :»Da man den Begriff der Starke nicht konzipieren konnte, auer im Gegensatze zur Schwdche, so enthielt das Wort, welches »stark« besagte, eine gleichzeitige Erinnerung an »schwach , als durch welche es erst zum Dasein gelangte. Dieses Wort bezeichnete in Wahrheit weder »stark noch sachwach, sondern das Verkiiltnis zwischen beiden und den Unterschied beider, welcher beide gleichmiibig erschuf...« s Der Mensch hat eben seine dltesten und einfachsten Begriffe nicht anders erringen kénnen als im Cogensatze zu ihrem Gegensatz und erst allmahlich die beiden Seiten der Antithese sondern und die eine ohne bewugte Messung an der andern denken gelernt.« Da die Sprache nicht nur zum Ausdruck der eigenen Gedanken, sondern wesentlich zur Mitteilung derselben an andere dient, kann man die Frage aufwerfen, auf welche Weise hat der «Lrigypters dem Nebenmenschen 2u erkennen gegeben, »welche Seite des Zwittorbe- griffes er jedesmal meinte+? In der Schrift geschah dies mit Hilfe der Sur le sens antinomique des mots primitifs uM en chinois, mais seulement pour exprimer par le composé la. signification de T'un de ses membres contradictoires qui, tout seul, aurait signifié la méme chose. » ‘Toutefois I’énigme est plus facile & résoudre qu'il ne le parait. Nos concepts prennent naissance par mise en comparé il faisait toujours clair, nous ne ferions pas la distinetion entre clair et obscur et, par conséquent, nous ne pourrions avoir ni le concept, ni le mot de la clarté... ». «Il est évident que tout, sur cecte plandte, est relatif et n'a. existence indépendante que pour autant quil est distingué dans ses relations & d'autres choses et de celles-ci...r. «Chaque concept étant ainsi le jumeau de son opposé, comment pouvait-il d’abord étre pensé, comment pouvait-il étre communiqué & d'autres qui essayaient de le penser, sinon en le mesurant a son opposé?... « (ibidl, p. 15) : « Comme ‘on ne pouvait coneevoir le concept de la force, en dehors de opposition la faiblesse, le mot qui disait “fort” contenait un souvenir simultané de faible” pur lequel seulement il acoéda & Pexistence. Ce moc ne désignait en vérité ni “fort”, ni “faible”, mais le rapport entre les deux et la différence des deux qui dans la méme proportion les eréa tous deux...» «Crest que Véte humain n’a pas pu acquérir ses concepts les plus anciens et les plus élémentaires autrement que dans l'opposition & leur opposé, n’a appris que peu A peu a séparer les deux versants de Fantithese ot @ penser Pun sans le mesurer consciemment & Pautre, » ‘La langue [f] ne servant pas seulement i Pexpression de ses propres pensées, mais essentiellement & la communication de celles-ci aux autres, on peut soulever la question : de quelle fagon I's Egyptien des origines » donnait-il a reconnaitre & son prochumain [h] « quel versant du concept hybride, chaque fois, il visait» ? Dans Pécriture, ceci se If) Sprache «te lang indigne dans cot article nom le la clle-méme, telle qu'elle est pariée [h] Nebenmensch > wraduire ce « Nebenmensch » Lacan en fait ce quia rapport de Ia fagon Ia pls intime au sujet » .. « Formule tout i fait frappante pour autant quelle artcule puissamment Cespice d'a e6té et en méme temps dle simile, de séparation et en méme temps didentité», Bt il ajoute < C'est par be “Nebenmensch® que dans la subjectivité du sujet pent prendie forme tout ce qui se rapporte au processus de pensée, C'est ainsi que Lacan commente cette fagon qua Froud de pestionner le « Nebenmenseh » + en en faisant eo quelque sorte an complexe ‘qui impose Passemblage constant de In chose, das Ding, et de sex ateributs, ve ou fa Jangue, Hei, «langage> conviendrait, mais le contexte we r na ge ex tant que savoir sur In langue, roais la langue 12 Littoral n° 13 sogenannten + determinativen + Bilder, welche, hinter die Buchstaben- zeichen gesetzt, den Sinn derselben angeben und selbst niche zur Aussprache bestimmt sind. (lbid., 8. 18) : » Wenn das dgyptische Wort ken > stark: bedeuten soli, sieht hinter seinem alphabetisch geschriebe- nen Laut das Bild eines aufrechten, bewaffneten Mannes; wenn dasselbe Wort schwach « auszudriicken hat, folgt den Buchstaben, die den Laut darstellen, das Bild eines hackenden, lassigen Menschen. In ihulicher Weise werden die meisten anderen zweideutigen Worte von erkliirenden Bildern begleitet.« In der Sprache diente nach Abels Meinung die Geste dazu, dem gesprochenen Worte das gewtinschte Vorseichen zu geben. Die + éltesten Wurzeln «sind es, nach Abel, an denen die Erscheinung des antithetischen Doppelsinnes beobachtet wird. Im weiteren Verlaufe der Sprachentwicklung schwand nun diese Zweideutigkett, und im Altiigyptischen wenigstens lassen sich alle Uberginge bis zur Kindew- tigheit des modernen Sprachschatzes verfolgen. + Die urspriinglich doppelsinnigen Worte legen sich in der spdteren Sprache in je zwei einsinnige, auseinander, indem jeder der beiden entgegengesetzten Sine je eine lautliche 1 Erindfigung. (Modifikation) derselben Hurzel fiir sich allein okkupiert. « So 2. B. spaltet sich schon im Hicroglyphis- chen selbst ken »starkschwache in ken »starke und kan »schwach « »Mit anderen Warten, die Begriffe, die nur antithetisch gefunden werden konnten, werden dem menschlichen Geiste im Laufe der Zeit geniigend angetibt, um jedem ihrer beiden Teile cine selbstandige Paistenz ou ermoglichen und jedem somit seinen separaten lautlichen Vertreter zu_verschaffen. « Der firs Agyptische leicht zu fihrende Nachweis kontradiktorischer deutungen lit sich nach Abel auch auf die semitischen und indoeuropitischen Sprachen ausdehnen. » Wie weit dieses in anderen Sur le sens antinomique des mots primitifs 13 faisait & Paide images dites « déterminatives » qui, placées aprés les signes des lettres (i), donnent le sens de ceux-ci et ne sont elles-mémes pas destinées & la prononciation (ibid., p. 18) : « Si le mot égyption ken doit signifier “fort”, aprés Ie son [j] alphabétiquement écrit se tient Yimage d'un homme debaut, en armes. $i ce méme mot doit exprimer “faible”, aux lettres qui présentent le son fait suite l'image d'un humain accroupi et nonchalant, Dune maniére similaire, la phupart des autres mots équivoques sont accompagnés d'images explicatives, » Dans la Jangue, selon opinion d’Abel, e’est le geste qui aidait & donner au mot parlé indice désiré, Ce sont les « racines les plus anciennes « qui, d’aprés Abel, sont celles ‘oii est observé le phénomeéne du double sens antithétique. Au cours du développement ultérieur de la langue s'amenuisa alors cette équivocité et, dans Pancien égyptien du moins, il est permis de suivre toutes les transitions jusqu’a Punivocité du wésor moderne de la langue. «Les mots originairement & double sens se décomposent dans la langue plus récente en chaque fois deux mots & um sens, chacun des deux sens opposés occupant [k] chaque fois, pour hui tout seul, une “réduction” phonique (modification) de cette méme racine ». « Ainsi par exemple, déja en hiéroglyphique méme, ken “fortfaible” se clive en ken “fort et kan “faible”. » «En d'autres termes, les concepts qui ne pouvaient etre ‘trouvés que de facon antithétique sont suffisamment pratiqués au cours du temps par esprit humain pour rendre possible une existence autonome & chacune de leurs parties et fournir ainsi a chacune son tenant-liow phonique séparé. » La démonstration de significations originaires contradictoires facile & apporter pour I’égyptien se laisse également étendre, d'aprés Abel, aux Iangues sémitiques et indo-européennes [I]. « Reste a voir jusqu’é quel [i] Buchstabenzeichen : ont le texte maintiont un certain flotiement quant & Ts désignation de Ia Jettre. Tradwire « Buchstobenseichen » par « signes alphabétiques » ‘gui se propose (ont simplement, cela négligeait les multiples valeurs de leedare que les higroglyphes possédont en cant que letifes appartenont un systéme non alphsbétique, Tat, faulick, Sprachforscher iner Freud vers une moderaité Hinguistique peut paraitre tontant, mais traduire iei «Laut par «son», par «philologne » est assez au regard du Gegensinn et de Phomophonie [ke okkupiert cette métaphore mérite d'éine souligaée + eatte «occupation > vient localiser chacun des sens dans le son du mot. Le sens + osrupe> lo mot par le biais du {lJ Comme la lecture & rebours de égyptien ancien, cette extension s‘evévera cerronée. Cet ahord de Iéquivoqne non plus parla Zweideutigkeit, mais par le Geyensinn ft In métathise, est copendant une voie dans laquelle Freud persisters, 14 Littoral ne 13 Sprachfamilion geschehen kann, bleibt abzuwarten ; denn obschon der Gegensinn urspringlich den Denkenden jeder Rasse gegenwirtig gewesen sein muf, so braucht derselbe nicht itberall in den Bedeutun- n erkennbar geworden oder erhalten 2u sein. « Abel hebt ferner hervor, daf der Philosoph Bain diesen Doppelsinn der Worte, wie es scheint, ohne Kenntnis der tatsdichlichen Phinomene aus rein theoretischen Grinden als eine logische Notwendigheit gefordert hat. Die betreffende Stelle (Logic /1870}, Bd. 1, 54) beginnt mit den Séitzen : » The essential relativity of all knowledge, thought or eonsciousness cannot but show itself in language. If everything that we can know is viewed as a ransition from something else, every experience must have two sides ; and either every name must have a double meaning, or else. for every meaning there must be wo names, « Aus dem »Anhang von Beispielen des dgyptischen, indogermanischen und arabischen Gegensinnes « hebe ich einige Fille hervor, die auch uns Sprachunkundigen Eindruck machen kinnen + Im Lateinischen heiBt altus hoch und tief, sacer heilig und verflucht, wo also noch der volle Gegensinn ohne Modifikation des Wortlautes besteht. Die phonetische Abdnderung zur Sonderung der Cegenséitze wird belegt durch Beispiele wie clamare schreien — clam feise, still; siccus trocken — succus Saft Im Deutschen bedeutet Boden heute noch das Oberste wie das Unterste tin Haus. Unserem bos (schlecht) entspricht ein bass (gut), im Aliscichsischen bat (gut) gegen englisch bad (schlecht) — im Englischen to lock (schligen} gegen deutsch Litcke, Loch, Deutsch kleben — englisch to cleave (spalten) ; deutsch Stumm — Stimme usw. So keime vielleicht noch die vielbelachte Ableitung lacus @ non lucendo! zu einem guten Sinn, {Quintilian (un 35-95) frage (De institutione oratoria 1, 6) + «Diirfe wir cinraumen, def einige Worte von ibven Gegenteilen abstammen, wie 2. B. »lucuss, Wald, weil er, durch Schatien verdunkelt, wenig leuehtet /luceat)?< Daher rilrt, sLucus a non lucondo«; Wald wird »lucue gonannt, weil es daria duakel ist (ron ducet).} ‘Sur le sens antinomigque des mots primitifs 15 point ceci peut se produire dans d'autres familles de langues ; ear, bien que le sens antinomique doive originairement avoir été présent a Vesprit des pensenrs de chaque race, point n’est besoin qu'il soit partout maintenu ou devenu reconnaissable dans les significations. » ‘Abel reléve en outre que le philosophe Bain a appelé ce double sens des mots & titre de nécessité logique, sans connaissance, semble-t-i, des phénomenes factuels, pour des raisons purement théoriques. Le passage concerné (Logic/1870 :, vol. 1, 54) commence par ces phrases : «The essential relativity of all knowledge, thought or consciousness cannot but show itself in language. If everything what we can know is viewed as a transition from something. else, every experience must have two sides; and either every name must have @ double meaning or else for every meaning there must be two names.» (| Dans I's Appendice : exemples de sens antinomique égyptien, indo-germanique et arabe», je releve quelques cas qui, également & nous qui ne connaissons pas ces langues, peuvent faire impression : en latin, altus veut dire haut et bas, sacer saint et damné —, la done le plein sens antinomique existe encore sans modification de Vénoncé. La transformation phonétique en vue de la disjonetion des opposés est attestée au travers d’exemples comme elamare, crier —, clam, sans bruit, ealme: siecus, sec —. succus, seve. En allemand, Boden signifie aujourd'hui encore ee qu'il y a de plus élevé comme ce qu'il y a de plus inférieur dans une maison, A notre 6s (mauvais) répond un bass (bon); en ancien saxon bat (bon) face & anglais bad {mauvais) ; en anglais to lock (clore) pour Mallemand Liicke, Loch (lacune, trou). Allemand kleben (collex} — anglais to cleave (cliver) ; allemand Stumm — Stiname (rmuet — voix) ete. Ainsi trouverait peut-étre bien son sens, cette déduction dont on s'est tant moqué : lucus a non lucendo? nj. “B [Quintlien (vers 35 — 95) pose In question (De instituione vratoria 1. 6) Kalnische Zeitung duu 7 mas 1909, (o]_ gut — tug : ce fonctionnement palindromique supposé par Abel pnis par Freud seta infirmé ensuite avee une meilleure connaissance de la métathise en dgyptien ancien : le sens de lecture peut varier selon le support. Pinscription, mais il est fixé et donné par Te dessin des levies, Freud rectifiera en 1916, ur le phénomne du retour 18 Littoral n° 3 In der Ubereinstimmung zwischen der eingangs hervorgehobenen Eigentiimlichkeit der Traumarbeit und der von dem Sprachforscher aufgedeckten Praxis der altesten Sprachen diirfen wir eine Bestdtigung unserer Auffassung vom regressiven, archaischen Charakter des Gedankenausdruckes im Traume erblicken. Und als unabweisbare Vermutung driingt sich uns Paychiatern auf, da wir die Sprache des Traumes besser verstehen und leichter iibersetzen wiirden, wenn wir von der Entwicklung der Sprache mehr wiiGten’. 5. Es ligt auch nahe anzunehmen, dats der urspriingliche Gegensinn dor Worte den vorgebildeten Mechanistnus darstell, der von dem Versprechen zum Gegenceile im Dienste mannigfacher Tendenzen ansgeniita, wind Sur le sens antinomique des mots primitife 19 Dans Ia concordance entre la caractéristique duu travail du réve relevée au début et la praxis des langues les plus anciennes découvertes: par le chercheur - philologue, nous pouvons voir une confirmation du caractére régressif, archaique de Vexpression - des - pensées dans le réve. Et simpose & nous, psycbiawes, comme conjecture irrécusable, que nous comprendrions mieux et traduirions plus facilement la langue si nous étions plus instruits du développement de la langue®. ‘Traduction de lx Transa* est facile également de supposer que le sens antinomique originaire des mots présente le mécanisme prototypique qui, du lapsus amenant au contrairo, est mis au service de multiples tendanees raduction : E. Legrows. A. Porge. n, M, Viltard Porge. B. Rancher, E, A propos du Gegensinn Freud lit, fortuitement done, le Gegensinn der Urworte de K. Abel et publie ce texte qui cite abondamment celui qui le préeéda de vingt-six ais et porte le mene intitulé. Lors de sa deuxitme réédition, en 1924, Frend va, en quelque sorte, faive sien ce titre; il enleve au Gegensinn ses guillemets et sous-titrera : « Exposé de la brochure du méme nom, de Karl Abel, 1884. » Ce compte-rendu ajoute done en 1910 le pide du Cegensinn aw dossier ouvert en 1900 sur cette question de la contradiction dans le reve. Le travail d’Abel sera plusieurs fois cité par Freud : objet d'une note dans lédition de 1911 de la Traumdeutung. il verra ainsi sa mention renouvelée en 1916 avee la 11° et la 15° des Forlesungen. De ces deux Gegensinn, le linguiste E. Benveniste ruinera sans difficultés les improvisations étymologiques ct sans ambages les hypotheses théoriques! — les régles de la méthode comparative ne sont pas respeetées. Abel, et Freud Ase suite, assemblent ce qui se resemble’: philologiquement parlant, leurs conclusions sont insoutenables. — et par ailleurs : «A supposer qu'il existe une langue od “grand” et “petit” se disent identiquement, ee sera tune langue oft la distinction de “grand” et “petit” n'a littéralement pas de sens et ott la eatégorie de la dimension n‘existe pas, et non une langue qui admettrait une expression contradictoire de la dimension.» Le principe de non-contradiction stavérerait incontournable. 1, Problomes ile linguistique générale, Chap. VIL. Gallimard, 1966. Sur le sens antinomique des mots primitife a Cos justes critiques suffisent-elles copendant pour affirmer que «s'évanouit la possibilité dune homologie entre les démarches du reve et les procédés des langues primitives»? — ou modernes —, ajouterons-nous Pour répondre & cela, faisons déj& quelques constats — Fort/faible : i est de constat courant qu'un «non + dise « oh, si» ‘ow inversement, qu'une parole prétende & la fois aunuler une disparité et se mesurer & elle... mais il reste que Forthographe francaise ne laisse pas imaginer un instant, comme en hiéroglyphique, que «fort» puisse signifier « faible », Méme a les tenir pour déterminatifs mucts, « ort » et , mais on attend quand méme un adverbe, une virgule, bref, qu'un contexte permette un départage or cest un signifié unique qui s'impose sur ce signifiant double, Une telle assignation du signifié parait d’autant plus valeureuse qu'une comtesse de Perleminouze, dans «Un mot pour un autre », se fait fort bien entendre en déelarant que ses trois jeunes tourteaux ayant la citronnade, elle ne dispose plus d'une seule minete & elle’ «Fortfaible» évaque encore Foxymoron des mystiques. Sa « bralure suave » assemble certes davantage de Phétérogéne que du contraire mais M.de Certeau parle aussi de création qui, en associant deux termes, viendrait témoigner de absence et de Pindicible dun troisidme *, 2, Pour effectur, passes par -V pest ren, -RO se iffe OMI dit T qui, comme R stanule. aux mumératenr et dénominateur. Result « rédite, le dite fraction peat {réenue E/K pourse lire comme il est di, Mutiplez les exemples en vous portant at petit = Guide pratique des jun litéaives> de TP. Colignn, chez Duelo. Ge peti Exercice vous renémorern penne quelque agrésble promenade en «ilbury> avec V Hogo dont le toisitne nos offe& toon de Rivoli a yet Sein 100 fe tn trajec qui serait sans doute bien en peine de parcourir po ane. ‘3 Tatdien, Prjeseur Froeppel. Un mot pou un autre, Gallisar 4M. de Coste La fable mystique, 9-198, Gallimard, 1982 22 Littoral n’ 13 — Sur les palindromes égyptiens, Freud apportera une rectification en 1916: gut peut séerire tug mais se lira gut dans les deux cas Cela n’enléve pas au francais d’écrire, en alphabet parlant de surcroit, ACCUUB. Si, entre A et B, C s'est perdu, c'est que le sens d'une lecture demande parfois qu'on le recherche. Ainsi, par exemple, en arrétant & lhémistiche ces vers & la double riméo, vous pourrez lire sur deux colonnes inspiration qui les éerivit : Vive & jamais / Temperour des Francais La famille royale / est indigne de vivre Oublions désormais / la race des Capers La race impériale / est celle qu'fl faut suivre Soyons done le soutien / de ce Napoléon Du comte de Chambord / chassons Mame hyps Crest & lui qu’appartient / cette punition La raison da plus fort / a son juste mérite Avec ces illustrations consiruites & partir du Gegensinn, il se dessine que l'équivoque présentée par ces exemples ne demande pas de dérogation au principe de non-contradietion : elle s’avere régléo par le contexte et par des jeux d'écriture. Cela permet de constater aussi que ce. kon higroglyphique n'enfreint pas davantage le principe en question : le déterminatif arréte, localise un des deux sens. Nous voila ainsi, mais devant la nécessité de situor mieux Méquivecité. — J. Tardieu, avec Un mot pour un autre, donne wn spécimen de flottement entre signifiant et signifié. Or le résultat se trouve tre tts lisible : les équivoques, majenres au niveau de chaque mot concemné, sont en fait réduites par le contexte et a correction syntaxique. Celles-ci préservent sans peine de laphasie cette amusante sayntte, — Dans les mots croisés, flottement également, eété fabrique, avec ‘une surabondanee de définitions et cété résolution, quand s‘offre aussi bien Pexcts que Pabsence de mots. Jouer impose ici une grille — Une grille implicite, un chiffrage s'exerce, se propose aussi * Lorsqu'une lettre soutient seule et au nominatif certaines effectna- tions autrement fort complexes : —, cela est-il encore & placer au rang de Péquivoque ? Avec cette question, un retour s'impose. En multipliant ces exemples, nous sommes partis sur Ie probléme de Péquivoque en général — lo jeu des lettres dans leur position et leur déplacement (ce que nous entendons comme étant cette Metathesis mentionnée par Freud dans Favant-derniére note de co Gegensinn), — le jew de Pécriture de Fhomophonie, le double sen — mais y a-t-il dans tout cela, & proprement parler un seul exemple de Gegensinn, d'antinomie? L’oxymoron lui-méme qui comporte deux a a i peut étre considéré comme un Gegensin. termes Autrement dit, & montrer que l’équivoque n'est pas antinomique avec le principe de non-contradiction et que eelui-ei ne peut pas étre abstrait des moyens-de-présentation, de Péeriture, avons-nous fait objection & Vargument d°E. Benveniste? Force nous est de répondre que non. Evoquant la démonstration d’E. Benveniste dans son séminaire sur La lettre volée, Lacan écrit, & propos de la vérité : « Dépistons done sa foulée la oit elle nous dépiste® » — sonlignant ainsi les deux emplois de ce verbe notés par Bloch et Wartburg! — 1737 : « retrouver la piste » — 1875 ; «détourner de la piste ». Un autre bel exemple est donné par Fexpression «prendre tout au pied de la lettre> qui peut dénoter Ia crédulité la plus béte comme T'écoute la plus rigoureuse dn sons Tittéral ®. Néanmoins, un sens double et antinomique est bien mentionné par le dietionnaire au verbe «dépister > tandis qu'il manque a V'adjectif efort». Il y est absent... sauf & le lire, implicitement indiqué, & la rubrique « antiphrase ». Si Fon admet cette figure, on pourra entendre tantét dans un « Je suis fort » la marque du passé et, pourguoi pas, dans un «Je suis faibley 1antét |'écho d'une promesse, Sans élargi exagérément ce procédé, on pourra également envisager ’énonciation —~ «Je suis un homme + : qui échappe a la folie en se doublant @un rire. Cela nous raméne au enon > qui peut dire coui».., et au début de notre argument. Soutenir qu'un mot signific également son contraire, nest-ce pas reconnaftre qu'il ne saurait étre entendu abstrait de son contexte? 10. Kerits, p, 22. 11, 0. Blech et W. von Wartbong. Dict étym. de ta langue Pe, PU. 12. On pourrait ajowter vemeroier et hetmlich 1968, Sur le sens antinomique des mots primitifs 25 Le linguiste a raison sur le point du Gegensinn™, si les mots doivent étre lus sans leurs détcrminatifs, pris hors-contexte et hors-équivoque. La legon de ken vaut par la décomposition qu’elle propose : une lettre unique écrit en deux images Je mot et le contexte, la premidre se prononce. tandis que la deuxiéme est aphone. N’en est-il pas de méme de tous les mots? Primitifs ou modernes, ils se lisent ave déterminatif, est-A-dire dans leur contexte. Ici se conclut le paradoxe : le travail d’Abel accumule les erreurs Jinguistiques et Freud peut cependant on faire usage pour fonder son écoute, en écriture, non plus seulement sur la Zweidentigheit, mais sur la Metathesis et le Gegensinn. Erie Legroux. 13, Passer par la Ferneiang pour revenir au Gegensinn est un temps qu'il nous faurait reprendre Traduire, translaborer, interpréter... les ceuyres completes de Freud ‘Tel un opéra qui, joué par d’excellents chanteurs, mais dont plusieurs interpréteraient le méme réle, n'est plus qu’un assemblage d'extraits, Freud en frangais continue de subir pareil sort. Le yeu de la Transa est d’élaborer et de rendre publiques les traductions des (Euvres completes qui soient un temps de lecture de Freud avec Lacan. ‘Traduire Freud aujourd'hui ne se concoit plus dans Vinnocence et Venthousiasme qui faisaient publier, dans Turgence de le faire connaftre, des textes “approximatifs d'od les traducteurs cherchaient, selon les critdres de I’époque, & s‘effacer totalement. Bien au contraite, le lecteur doit maintenant avoin en clair aussi bien le texte source que les clés de leoture qui, par les notes de traduetion. permettent de définir quelle sorte de lecture a été pratiquée sur Je texte, ainsi que les modifications que ces clés subissent, travaillées par le passage entze les lignes et entre les langues. L’appareil critique doit ainsi rendre compte du remaniement lexical et doctrinal produit par Ja valeur fondatriee du texte freudien et, simultanément, par Vopération de traduction, Ainsi, cette publication progressive des (uvres completes de Froud ne dépend pas plus d’un projet éditorial, pirate ou officiel, qu’institu- tionnel, mais de la nécessité de donner forme et suite & une fagon dopérer, avec Lacan et aprés lui, & Ja manitre de Ja paire ordonnée, un retour A Freud, Mayette Viltard Marie Bonaparte, une femme entre trois langues En février 1926, six mois aprés avoir commencé la cure de Marie Bonaparte, Freud soubaitait qu'elle dirigedt P’édition frangaise de ses ‘couvres complétes', Il est probable que ce n’est pas l'ampleur de ce travail de traduction gui a pu empécher cette femme, auteur de milliers de pages, de s‘attacher & la réalisation de ce ven, Il est également peu plausible de mettre l& en cause un manque de dévouement & Feud et a la diffusion de son ceuvre, Des février 1926, comme il pensait, griice a elle, propager et développer son enscignement on France®, elle Payait assuré qu'il y avait en elle «un disciple qui ne fléchirait pas »*, Ses collegues analystes, par la suite, Iui avaient donné le sumnom de « Freud-a-dit »* et un de ses adversaires, Politzer, écrivait delle: La méthode psychanalytique elle-méme semble dégénérer, entre les mains de Marie Bonaparte notamment, en un art de chercher des oceasions pour citer les textes freudiens...°», Ponrtant, les aeuvres completes de Freud en francais n'ont pas vu le jour, et les traductions faites par Marie Bonaparte sont pour la plupart contemporaines de son analyse avee Freud et ont cessé & la mort de Freud, Le cas de Marie Bonaparte, éudié sous Pangle des rapports que Topération de traduction entretient avec "hypothese de Vinconseient, telle qu'elle est mise en jeu par le transfert dans une cure, permet de q jeu y P 1 2 3 4 Cilia Bortin, Lar dernitre Bonaparte, Pesvin, 1982, p.2 Marie Bonaparte, Journal danalyse, 18 février 1926. in C. Bertin, ibid. Bid lisabeth Roudinesco, La bataille de cent ans, vol 1, Ramsay, 1982, p. 328. Cité par Hesnard, De Freud & Lacan, ESF, p. 32. 28 Littoral w 13 repérer quelques question soulevées par le fait de traduive Feud, mais aussi par Ie fait de traduire tout-Freud Depuis que Célia Bertin a rendu publiques quelques-unes des pages de la vie dite privée de la princesse, il devient possible den proposer une lecture qui articule son euvre, son réle dans institution analytique, sa passion chirurgicale allant jusqu’a Pautomutilation, avec les effets du transfert de st cure avec Freud. Beaucoup d’éléments fournis par Célia Bertin incitent & considérer les opérations que Marie Bonaparte appellera, ainsi qu'on le vera plus loin, «Narjan's, comme des acting-ont liés & ce que Freud attendait delle: «Gre une collaboratrice 2élée »6 Tout comme «l'Homme aux cervelles fraiches » de Kris, dont Vacting-out se déroulait sur le terrain offert par son fantasme de plagiaire, les opérations de modification du clitoris que Marie Bonaparte Svest faites faire dans Je hut d'obtenir «a normalité orgastique >” se sont, en tant qu’acting-out, déroulées sur le terrain de son fantasme esadique nécrophile »*, On ne pent, dans le cadre de eet article, que relever quelques-uns des multiples éléments donnés par elle dans ses oouvres et ses mille pages autobiographiques, ou divulgués plus ou moins explicitement pa C. Bertin, Jones, Schur, Roudineseo, qui tous, publient des bribes de sa correspondance et de son Journal, Crest la lettre qui est le pivor de son fantasme. Lettre qui était ce que son pére désirait dans sa femme”, lettre qui le faisait riche, lettre qu'il a obtenue avant qu'elle meure ‘en Ja faisant sempoisonner » par M" Bonnaud, chargée par lui de la convainere jusqu’a obtention de la lectre. L's empoisonnement » est un des signifiants qui a fait retour dans le public sous forme Paccusations pamphiétaires dont la « princesse Mimi s‘est fait ’écho. construisant son fantasme, persuadée qu'une dissection de sa mére morte aurait montré au grand jour... Fobjet cause 6. Célin Bertin. op. eit, Letire de Freud & Laforgue, 3 Prineasse deviendlra coup sir une collaboratrice 2ilée > 7. Marie Bonaparte, Sommaire analyse, WO novembre 1925, C. Bertin. p. 265. 8. Tel celui quielle attribue & Edgar Poe. oe génial sadique néeraphite» 9. Rappelons que ce mariage arrangé par la grand-méve de Marie Bonaparte pour son fle visit tout For du Casino de Monte-Carlo dont Marie Félix Blane étsit !hesitére Le Prince Rolond, poussé par s9 mare, meat de cesse dobtenir de st ferme, par Vintennédiaire de MP Bonnaud chargée de la horceler, la signature dune letre re par laquelle elle le fassit «an cas oi elle laisserait des enfants» héviier art du capital ot dan quart d wsufrait de sa Fortune. maurait pas ie lestre, $9 fille, Mavic Bonaparte, surat unique hévitibre février 1926, p. 272. <1 Marie Bonaparte, une femme entre trois langues 29 du désir. Notons au passage qu’elle écrit que son pire voulait tre médecin, mais que le vue des dissections Ini a fait abandonner son projet. Corps de la lettre et corps de Autre n’ont fait qu'un, Pour ascuer ce que ses propres crits risquaient de révéler, malgré elle en quelque sorte, elle se sert des langues étrangeres, l'anglais et allemand, afin que ces Cahiers échappent a l'eel unique de sa grand-mtre®. Cotte construction fantasmacique aboutit au grand seénario qui marque de son sceau son entrée dans la vie adulte : celui qu'elle appele « le Gorse » la fait chanter avee ses lettres d’amour. Livrer ces lettres au public montrerait — bien que rien dans ees lettres ne le dise, précise-t-elle — qu'elle « commis «T'euvre de chair > selon son expression. Contre une énorme somme d'argent, elle réeupére ses lettres qu’elle enferme dans un cofiret. A la veille de recevoir assignation du proces que le Corse lui intente, elle s'ouvre entre les deux yeux, une plaie en s¢ eognant & son piano, plaie qui montre, dit-elle, « la chair crue >", Intolérable plaie — pourtant minime — qui la défigure, chair qui vient faire voir le réel dui corps, viande désinsérée du signifiant, incision qu’elle fera par trois fois ouvrir et fermer chirurgicalement. La lettre sera désormais Tobjet détenir, objet voilé identifiable au phallus, voilé par la Jangue étrangere, chargé de maintenir le désir a distance. C'est dans la lettre qu’est, Tinstrument de la jouissance du corps de I'Autre. Crest une lettre delle qui décidera Freud, d’abord réticent, & ta prendre en analyse, une lettre dont le brouillon était frangais, une lettre en allemand dont le contenu n'est pas public. La lecture de Mntroduction & la paychanalyse au chever de son pére mourant avait inauguré pour elle son transfert A Freud. Le temps de constitution de sa demande, de 1923 & 1925. s'accompagne d'actions qui sont véritabl ment fe terrain sur lequel Pacting-out va se dérouler. Tandis qu'elle se documente, et sur Freud, et sur ses opérations %, elle se fat littéralement 10, Chacun des Cing Cahiers porte le titre « Bétses , nom qu'elle donnera aussi & ses opérations. Les quatre premiers sont en anglais, le domie en allemand. » L“énigme dles petits cahiers fut l'un des facteurs, ajoutés A d'autres, qui me poussérent, apres la mort de mon pire i demander i Freud vne psychanalyse», in C, Bertin op. eit p. 73 1, = On apercoit ma chair nue entre les deux peties lovres béantes de ls plaie. On dliraic de Ia viande crue, Marie Bonaparte, L'gppel des s8ves, Imago Pub, p. 12. Lettre de Freud a Laforgue. in C. Bertin, exwait de: André Bourguignon NRP., n° 15, p. 267 18. Freuel avait subi, en 1923 s premitre opération d'exértae de son cancer ichoire, dans un dispeaseire de hanliewe, alors, aote Max Schur. qu'il aurait di Etre transléré A la clinique Low, of il avait conduit sa patience Emma lors de ses hémorragies dues & Perreur professionnelle de Flies. 1! avait également subi 'opérati de Steinach, ligature des eanaux spermatiques. dans le but de freiner P'évalution canoer. Max Sehur, La mert dane la vie de Freud, Gollimard, pp. 420 0t 434. 30 Littoral 1 13 ntérieur du corps de son pére et livrer « le morceau de chair » recherché — de fait, la prostate enlevée par celui qu’elle appelle I’Ami son amant, et & propos duquel elle construira sa plainte de frigidicé™. Toujours dans ce temps-la, elle se référe A wn professeur de Vienne S‘occupant de sexualité, Halban, et publie en signant Naryané un article sur la cure de Ja frigidité par intervention chirurgicale, rapprochant le méat urétral du clitoris. Enfin elle fait successivement corriger ses seins ct sa cicatrice du nez Son analyse avec Freud sera ponctuée par trois opérations qu’elle nome du tom avec lequel elle a signé son article : opération Narjani. Freud s'y oppose mais il ne peut I'en empécher. Das qu’elle I’a faite, elle regrette + sa bétise » mais elle ne pourra s’empécher de recommenc Crest apres la tranche d'analyse qu'elle effectue, en 1932-33 semble- til, avec Loewenstein quelle n’y aura plus recours, Elle continuera toujours, par contre, a s'intéresser aux excisions clitoridiennes de par le monde, ethnologiquement Ces opérations, d'avril 1927 et de mai 1930, ont toutes Ies caratéristiques de Pacting-out, adressé A Panalyste et méme restitué a Fanalyste. (Aucun élément publie ne permet de connaitre celle de janvier 1931). Liadresse & Vanalyste, c'est la présence indispensable de Ruth Mack Brunswick & la table d’opération, telle une image détermi- native de réve ou d'écriture higroglyphique. En mai 1930, & Paris, non seulement la présence de R. Mack Brunswick, mais celle de Max Schur, médecin de Freud aprés avoir soigné Maric Bonaparte d’une cystite a la clinique Loew, sont indispensables. De plus, le seénario se complete «Mon ami, écrit-elle & Briand, comme je vous 'ai dit Pautre jour, je serai opérée mercredi prochain & l'Hépital américain de Neuilly. Voulez-vous, quand yous reviendrez de Geneve. puis de Cocherel, mapporter la les lettres que je vous ai demandées ? Pespere pouvoir alors vous recevoir un instant moi-méme — ce qui me serait une grande joie — sinon, si ;'étais trop mal & ce moment, vous pourriez remettre le 14, «On i's exilée de ln chambre at on Popsre : on ne vent pas que jeregarde, Mais je vois par Ia serrure, Io sang... Par le trou étoit, on ne voit que cu rouge coulant en bas... Pavais droit de souffrir et javais droit & voir, et je vois... Les médecins...m’ont rmoniré sur ma demande, ce qui, arraché par eux de substance vivante, par eux va &ize emporté. Marie Bonaparte, Monologues devant (a vie et fa mort, PUP, 1951. 15, Célia Bertin, p. 242. 16. Souligné par moi, Célia Born, p.298. CE. Sur analyse do PActing-out Philippe Johion, «L'Homme aux earvalles fraiches >, Lettres de I'Bcole, n° 19, 1976, p- 380. Marie Bonaparte, une femme entre trots langues 31 paquet fermé & I dame qui va habiter & Phépital avee moi, et qui est pour moi une vraie et dévouée amie, et qui Fenfermerait dans la eaisse en fer que j'emporte avec moi A Phépital en attendant ma guérison. Cette dame est ume doctoresse américaine, M™ Mack Brunswick, éve comme moi de Freud, ¢ analyse avee Freud se déroulait en allemand, un peu en anglais, pas en frangais, c’était une des conditions posées par Freud. Mais alors, la fonction méme des langues, agie dans la cure, devenait un probleme Méme les Cahiers n’étaient pas en francais. Or son fantasme était, & mon sons, étroitement dépendant des trois langues, De Fintrication de la lettre et de la chair dans les langues, on a, entre autres traces, la fagon dont, par exemple, elle r dans son autobiographie frangaise, es mots qui Font initiée ‘lle appelle les mystéres de la vie, ou Phyménée, ou l'csuvre de chair « Luoas geht hinein +". Elle ne traduit pas. Elle ne traduit pas parce que pour elle, c'est intraduisible, comme ‘on le montrera ensuite, elle ne peut pas le dire en francais, parce que en frangais, & moins de supposer quelque chose comme «EX te vas ce gai tine hai», ca ne veut rien dire, want favorablement a sa demande de le traduire, puis en lui 8 son tour de diriger lédition de foutes les traductions de ses couvres, Freud ouvrait le champ de lacting-out, Elle dévoilera done aux analystes frangais ce que Pallemand leur masque dans les textes de Freud. Or, que la lettre comme objet métonymique atteigne le public et fasse la métaphoro, ’est ce qu’elle a toujou He reconstruit done une seine paralldle A Ja eure od elle restaure le défaut Warticulation symbolique au liew de l’Autre, elle restaure 'analyste sous forme agie et, dans Panesthésie, s°éclipse comme sujet. En lui donnant ses textes, ses lettres & incorporer ct & livrer an public dans la réalité. ce qui précisément est son fantasme, Freud la prive de son fantasme comme support du réel. Le manque phallique n'a plus place sur la sctne du transfert dans la cure, l'objet de la pulsion seopique va intervenir dans le récl pour Ie dévoiler et le faire voir. Vincision du clitoris, excision serait probablement le mot plus exact. Faute de pouvoir séparer dans la cure PAutre de objet a, ce qui aurait précisément permis dans au-del& de Ja demande le travail du manque phallique, Pacting-out montre Pobjet restaure En lui donnant ses Cahiers, Marie Bonay plus que du matériel & analyser. En Ini cdonnants en retour le 17. Marie Bonaparte, L'Appel des Séves, p. 526. 32 Littoral n 13 Léonard, Freud répondait sur un terrain rabartant le fantasme sur la réalité. Les interprétations suggén Marie Bonaparte elle-méme, reprises par Jones, par Célia Ber Fincorporation cu phallus de Manelyste, 'introjection du Moi de Fanalyste, Pidentification & Freud (comme Freud s‘était identifié & Léonard), avec répétition des couples homosexuels de son pére et Léandri, son mari et Valdémar, Freud ot Fliess, ne rendent pas raison de lecting-out, des opérations. Freud parle de la wilde-phantasie de la Princesse, Célia Bertin de son caractére, E. Roudineseo de sa passion mmun, analysant-analyste par in, sur chirurgicale. Or, comme on le montrera ensuite, traduire Freud importait, non seulement du point de vue du contenu de ce qui était traduit, mais aussi du point de ye de Facte de traduction. Traduire Frend, e°était faire du Un avec lui, Dans ce’champ du Un, pas de subjectivisation du sexe, dot a nécessité de faire surgir du a, pour faire du Un, non avec Pautre, mais avec objet a, pour pouvoir réintroduire aupris de Panalyste la question de la castration symbolique. On peut considérer que cette réinirodue~ tion, cette restitution de Facting-out & l'analyste, Marie Bonaparte s'y applique Elle annonce & Freud que cette opération, « sa bétise +, marque «la fin de sa lune de miel avec Panalyse ». Stinstaure alors un dialogue houleux entre Freud et elle qu’elle entame avec cette question qu'elle lui adresse : «Comment agir avec Halban qui comptait sur elle comme collaboratrice ? >. Sont remises en chantier toutes les demandes en cours, faire médecine, avoir des amants, ne plus étve frigide, etc., jusqu‘au mois d'aott oi, dit Célia Bertin, la tourmente se calme, et le 15 aofit, jour de la Sainte-Marie, Freud, continuant de confirmer le terrain commun entre elle et lui, hui envoie des projets de bande et priére @insérer pour la publication de la traduction du Léonard chee Gallimard, secompagnés de co commentaire: il avait, lui aussi, commencé sa earriére par des traductions™ Quelques temps avant son opération, souhaiter tenir la place analyste lui avait fait éerire : «Mais quand pourrai-je moi-méme analyser — jllais écrire assassiner — des étres vivants ?2 + L'analyste 18, Souligné par moi, Célia Bertin, p. 288. Lettre dis 7 mai 27 de Marie Bonsparte & Frond. 19. Souligné par moi. Glia Bertin, p. 285, Rappelons que publications par une traduetion de John Stuart Mill, puis de Tne redevienadea tradncrenr qu’en 1988 pour waduire, avec sa fille Anna, Mavie Bonaparte : Topsy 20. Cité par C. Bertin, p. 284 = Lettre de Marie Bonaparte Laforgue, 1 avvit 1927. 8 avait con Iharcot, puis de Bernstein texte de, Marie Bonaparte, une femme entre trois langues 33 est bien le support, par le transfert, de la lettre en souffrance, mais pour elle, la lettre n'arriverait & destination que par effraction du corps de Pure. On ne peut que remarquer que les opérations Narjani ont cessé apres son analyse avec Lowenstein, dont, entre autres caractéristiques, tout laisse supposer qu’elle s'est déroulée en frangais. En quoi traduire les lettres de son analyste pour les publier la plagait dans le champ de 1'Un? Pour avancer une premiére réponse, on peut aller chercher la nouvelle de Borgis, «Pierre Ménard, auteur du Quichotte », superbe commentaire sur la twaduction, et aprés Inquelle, comme Je dit Steiner, toutes les études sur la traduction ne sont qu'un commentaire de ce commentaire »#. Cette méme nouvelle vient aussi sous la plume de Derrida & propos de la traduction”. Existe-t-il une plus belle fagon de poser la question de l'auteur d'une traduction que celle de Borgis ? Car Ventreprise de Pierre Ménard n'est pas de taduire le Quichotte, mais bien stir d'éerire le Quickotte, Le jeu est ardu jusqu’s la nausée. commente Steiner; «Etre Miguel de Cervantés... était vraiment un procédé trop fi il fallait « contimuer & tre Pierre Ménard ot arviver au Quichotte travers les expériences de Pierre Ménard »®. Car bien évidemment, « le texte de Cervantes et celui de Ménard sont verbalement identiques ». «Le vrai tradueteur, ajoute Steiner le fruit de son industrie appartient “& Youbli” ear chaque gén retraduit invariablement ov “& Pautre”, celui & qui on doit d'exister, son pére, la grande ombre qui Ia préeédé, Ce qu’il ne sait pas, “e’est qui de nous deux est en train d’éerire cee page™® » Renvoyé au champ du Un, le traduetour met on acte ce puissant fentasme de langue universelle, de cotte « Lirsprache » de Hélderlin, de la «reine Sprache» de Benjamin, la liste depuis Babel pourrait étre longue. Qu’on cite par exemple la lettre de Lord Chandos, utilisée par Blanchot Je veux dire que la langue dans laquelle il me serait peut-étre donné, 4 ni Te latin, ni Panglais, ni ne m'est connu, tune langue non seulement d'éerize, mais de penser 1 espagnol, inais une langue dont pas un mé 21. George Steiner. Aprés Babel. Une poétique du dire et de la traduction, Albin Michel, p. 76 22. J. Daria, Lorelle de autre, Otobivgraphies, transferts, traduetions, Vib éditeur, Québec, p. 138. 28. G. Steiner, op. cit, p. 77. D4. Mid, p79. 34 Littoral nt 13 que me parent les choses muettes et dans laquelle je dlevrai peut-Btre un jour, du fond de la tombe, me justifier devant un juge inconnu®, » ns de Rilke + Aujourd'hui, j'ai envie que Rilke parle & travers moi. Dans le langage courant, cela s'appelle traduire. (Comme c'est mieux en alleman nachdichten ! Tout en suivant la trace un poste, frayer encore une fois la route qu'il a déja frayée, Soit pour nach [aprés], maisil y a dichien, le toujours nouveau. Nachdichten, c'est refrayer la voie sur des traces que Pherbe envabit dans l'instant.) Mais la traduction signifie aussi autre chose, On ne fait pas seulement passer une langue dans une autre langue, {le russe par exemple), on passe anssi la riviére. Je fais passer Rilke en langue russe, tout comme il me fera un jour passer dans Pautre. monde®*, » Ou la postesse mise Tevétaiéva, & propos de ses rradu Lrenirée en sedne du métalangage est li, est ainsi que le uilingue a toujours, dans son passage dune langue & Pautre, la troisiéme qui vient révéler, dit Benjamin, « la physionomie du “pur langage” qui a préeédé et qui sous-tend les deux langues +. Comment le sujet bilingne, sinon tilingue au sens od il est toujours déj& wilingue, peut-il alors reconnaitre que cet Ursprache est ce que Freud appelle «urverdriingt », refoulé originaire? La question est de montrer comment le trilingue engagé & faire de son corps le support da raccord entre les langues va devoir créer un espace de dissociation entre les deux langues, qui va Famener & utiliser In barre de Vécrit comme frontiére. Notons, avant d'aller plus avant, que Steiner, trilingue «de naissance », utilise une métaphore qui n'est pas sans rappeler co qui vient d'étre montré au sujet de Marie Bonaparte : «A considérer la traduction comme une herméneutique de I’élan, de la pénétration, de la mise en forme et de la restitution, on dépasse le modéle stérile & trois yolets qi domine tout au long sa théorie et son histoire + (littéralisme, paraphrase et imitation) ®, Remarquons, en annexe, que analyse de Marie Bonaparte avec Loewenstein s'est accompagnée de vomissements répétés qui, au liew dérre analysés, comme le fait Célia Bertin, sur le mode de le eulpabilité, doivent & mon avis beaucoup & la restitution duu phallus incorporé. Hugo von Hofmannsthal. fa (ettre de Lord Chandos, in Maurice Blanchot, ‘espace lnvéraire, ldées, Gallimard. p. 243. 26, Tevétaiéva, « Quelques lettres RM. Rilke » in Correspondance & troie. Rilke Pasternak. Taétaiéea, NRF, Gallimard, Du monde emtier, p.31 27. Benjamin, Die Aufgabe des Lebersetzers, cité par G. Steiner, p. 71 28, G. Steiner, op. etl, p. 283. L Marie Bonaparte, une femme entre trois langues 35 Avec quelle particularité le refmlement se produit-il chez le bilingue ? Commengons par retranscrire dans une version plus exactement lisible, selon nous, que la version du Seuil ce bref passage de Lacan® 29. J. Lacan, st « L’autre jour, nous avons eu un wnalade grave, cas clinique que je n'ai certainement pas choisi, mais gui était extrémement intéressant parce qu'l faisait, en quelque sorte, jouer a ciel ouvert la relation W'inconscient dans sa difficnhé d'arriver & passer dans le discours analytique. It le faisaie jouer & ciel ouyert parce qu’en raison de circonstances exceptionnelles, tout ce qui chez un autre sujet comparable ext pu passer dans le mécanisme du refoulement se trouvait chez lui supporté par un autre langage, un langage de portée assez réduite qu'on appelle dialect, hommément Te dialecte corse, Ce dialecte avait fonecionné pour lui dans des conditions extrémement partieulires, en foreant si on peut dire In fonction de particularisation propre au dialecte, & savoir qu'il avait vécu depuis son enfance & Paris — enfant unique avec un pére et une mire, persomages extraordinaivement refermés sur leurs lois propres. «Tavait yécu avec ees deux personages parentaux, enfermé dans wn usage exclusif du dialecte corse. Il s’éait passé des choses assex extraordinaires entre ces personnages parentaux, i savoir perpétuelle- ren les manifestations ambivalentes de leur extréme attachement et dle Ja crainte de voir pénétrer le terme que Pon appelle objet étranger. Ces querelles se poursuivaient a ciel ouvert, e'est-A-dire en le plongeant de la facon la plus directe dans Pintimité conjugale de ses parents, mais tout cela s'éait passé dans Te dialecte corse «Rien ne se concevait de ce qui se passait le maison, sinon en dialecte corse. Ily avait deux mondes : le monde de P’éite, celui du dialecte corse, et puis ce qui se passait en dehors, qui était din autre registre. Et la séparation entre les deux était maintenue encore présente dans la vie du sujet, étant donné la fagon dont il nous a racomté la différence de ses relations au monde, entre le moment oi il était en face delle, sa mere, et Je moment ott il se promenait dans la rue « Qu'en résultaitil? C'est li Te eas le plus démonstratif. Hen résulait deux choses : une chose qui éait apparente dans Vinterrogatoive, te Aifficulté que fe sujet avait & réévoquer quoi que ce soit de Pan registre, cest-i-dire purement et simplement, & Vexpr dialecte de son enfance, C’était toujours le seul quiil parlait avec sa mere Cotte difficulté, i nous Ta exprimée ayee toute Pampleur que vous avier dite : « Jene peux pas le sortir » disait-il, C'était bien ce que je lui demandais, de sexprimer dans le dialecte corse, de me rép\ sire du 14 décembre 195 pie, Les payehoses. Testo établi par moi Papris In 36 Littoral w 13 qu'il avait pu échanger avec son pare. Mais d’autre part, on voyait chez Jui une névrose. Nous avions les traces dun comportement qui Iaissait voir le mécanisme qu'on peut dire, & proprement parler, régressif — terme que j’emploie toujours avec prudence. On voyait comment, & une certaine fagon qui était tres singuliére de pratiquer sa génitalité, (c sur le plan imaginatf), il tendai, Ta aussi Pune fagon ares visible, & ume sorte d'activité régressive des fonctions exerémentilles «Mais d'autre part, tout ce qui était de Yordre du contenu habitucllemene refoulé, c'est-d-dire exprimé par Vintermésiaire des symptimes de le névrose, était 1a parfaitement présent, et je n’avais aucune peine, il s'exprimait d’autant plus facilement que c'était sapporté par Faure langage «Pai fait cette comparaison cle Vexercice d'une censure sur un journal, non seulement d’um tirage extrémement limité, mais dans une langue, un dialecte qui ne serait compeéhensible qu’ un nombre archiminime de. personnes. La fonction du langage comme telle, e'est-i-dire V'interven- tion du discours commun, P'établissement du discours commun, je dirais| presque du discours public, chez le sujet, est um facteur important pour la fonction propre du mécaniame de refoulement, Celui-ei, en soi-méme, est quelque chose qui reléve de Pimpossibilité d'aceéder & un certain passé de la parole du sojet lige & une certaine fonction primaire, la parole lige aaa monde propre de ses relations infantiles, comme Freud Ia souligné lations, de ce fait, ne peuvent passer dans le diseours commun, Ich ceute parole continue pourtant 4 fonctionner dans le champ de la reconnaissance, eontinue & fonctionner comme parole dans cette langue primitive distincte, qui est déja donnée 18 au sujet, par Ia distinetion de son dialecte corse dans lequel il pouvait dire les choses les plus extraordinaires, e'est-a-dire, & son pére : « Si tu ne t'en vas pas. je vais te foutre dans le mal». Tontes les choses qui auraient été les mémes choses a dire chez un sujet névrosé ayant dit construire la névrose de fagon différente étaient ta visibles. pourvu qu’on fit dans le registre de son autre langue qui éteit Ia langue non seulement dialectale, mais inter-familiale, Qu’est-ce que Te refowlement pour le névrosé? Cest qu'il fabrigue cette autre Iangue avec ses symptéines, eest-A-dire, si est un hystérique, un obsessionnel, avec la dialectique imaginaire de lui et de Pautre. Vous voyez done que le symptdme névrotique. dans sa construction, jone le réle de la langue qui permet «exprimer te refoulement. C'est bien ce qui nous fait toucher du doigi que le refoulement et le retour du refoulé sont une seule et méme chose, Pendroit et Penvers dm seul et méme processus. » La traduction se révéle homologue au fonetionnement de Vincons- cient, et traduire vient réaliser une remise en jew forcée du refoul. Suivons Freud pas & pas. Quand i oublie «Signorelli», Freud, & partir des ruines métony) Marie Bonaparte, une femme entre trois langues 37 ques de Boltraffio, Boticelli, Bosnie-Herzégovine, retrouve le Herr de Fautre langue qu’il avait unterdriiekt, passé sous silence, ct par ‘traduction Signor, qu'il avait verdréingt, refoulé. La ott « Signorelli » est appelé, il n’arrive pas car il y a échec de la métaphore concernant quelque chose qui ferait médiation entre le Herr de la mort, chu dans les dessous, ot « Signorelli >, La fragmentation de « Signorelli » en « Signor » est la conséquence de cette métaphore non réussie, que Lacan Gert. x venant indiquer la place & laquelle « Signorelli» oublié n’arrive pas Mais les mots étrangers, remarque Lacan, sont particulirement fragmentables. Le passage entre les langues favorise ’éclatement du signifiant dans les non-sens les plus inattendus ol, en tant que substitution hétéronymo, In traduction réussie s“installe sur le refoule- ment de ces fragments. ‘Tout comme pour Pexemple d'atterré, oft la terrour est du sens injecté dens atterré par le refoulement de Thomophonie du non-sens ter-terres avervé sere ee terreur Jes deux langues n'ont de séparation que écrit de la barre, Autrement dit, le sujet bilingue, en change. "e en méme temps & ce gonre de transcription : Forlaufige Mittcilung : Angeregt durch eine zujallige Beobachtung... Fort Veeil-figue, mi-taille longue: Ane gai reete doux, rechaille nez-dessous phallique, bée aux barres toungu ewe On peut, en suivant ce fil, supposer que la clinique oi Marie Bonaparte a fait faire cette opération s'appelant la clinique « Leow », le fait d’avoir, pendant sa eure avec Freud été amoureuse de Leewenstein, dont elle avait favorisé la venue & Paris, est envisageable comme symptime, & éerire métaphoriquement Loewenstein _Loewe-lover 1 Loowtove= amour — > Leowenstein (aco Rajoutons cette note du 7 octobre 1925 oti Marie Bonaparte rapporte sa conversation avec Freud ; « Avait-il lu Einstein ? Savait-il qu’avant de Ie rencontrer, elle le comparait & Einstein ?... Vous seriez plutét un 30. J.Lacan, Séminaire du 20-11-1957, Les formations de Pinconscient (inédit 31. Ibid, 5-11-1957, 32, Exic Logrowx, Bulletin de le Tranea, 0° 1 38 Littoral 1 13 “produit du mélange” (en allemand dans le texte) +, Une Misehper= son? On ne peut s'empécher de penser au mot inélangé Love-Einstein. ‘Tout ceo} monte que le sujet bilingue, selon qu'il est dans une langue ‘ou dans Haute, n’a pas affaire aux mémes signifiants refoulés. Ce qui est refoulé dans une langue peut étre a ciel ouvert dans Pautre. Liécriture de la métaphore n'est pas permutable comme pourrait Vétre une proportion, Si en effet, on écrivait en haut & gauche, non plus Leewenstein, mais amour, ’éeriture des autres termes ne pourrait étre que de Fordre, par exemple La langue universelle est ee & quoi renvoie le «Herr > unterdritkt sous la barre. C'est I qu’est Pobjot métonymique. Son identification imaginaire A sa mére morte m°était pas un mystre pour Maric Bonaparte, mais Pobjet phallique dont son pire avait, pourrait-on dire, privé sa mere, était une lettre, objet auquel Penfant s‘attachera précisément par la voie de cette identification au cadavre de sa mére, «chair crue + dont le phallus en tant que signifiant été extn, viande déshabitée du parlétre Les passages entre les langues rendent plus que tout autre le sujet tilingue sonsible au pen de sens des mots, & la diffraction métonymique du signifiant. Pour que son message soit authentifié dans I'Autre, il faut que la frontiére soit tracée, départageant une langue de autre langue, frontidxe qui ne se supporte que de la barre de écrit. Ce passage entre les langues n'est pas réglé par la doctrine, n'est pas non plus réglé par le recouvrement syntagmatique des deux langues, l'évaluation du raccord des deux langues s‘effectue au coup par coup, un par un, par le sujet traducteur qui est, Jui-méme, support de la frontiére entre les langues: dont le point de raccord est un trait qui les sépare, Cest & cette conjonction, & la fois imaginaire et symbolique, qu’est redevable le rapport si particulier de Marie Bonaparte & la lettre, En «quan . Reverdin, qu'elle n’aimait pas, elle, est mort, elle réclame ses lettres a elle. Elle apprend quelles ont &é brilées. Elle ne dort plus, ne peut plus tavailler pendant plus de trois mois. Tels les Rajahs de I'Inde, il fit briler avec hui les femmes qu'il aima sous forme de leurs lettres... Moi avec.» Comment alors envisager le réle qu'elle a joué dans le récupération et Ja publication tronquée des lettres de Freud & Fliess ? L’émoi de Freud, 33. C. Bertin, p. 262, extrait du Journal d’analyse, 7 oct. 1925. 34. C. Bertin, p. 290, notes inéditer, 1929. Marie Bonaparte, une femme entre trois langues 39 début 1937, apprenant qu'elle a en sa possession les lettres et documents quil ne yeut pas voir divulger continue de lui confirmer, méme douze ans aprés, que Pobjet phallique & conserver est bien dans la lettre, dans les lettres de Froud en particulier. «J'ai une curieuse aversion & Fidée de la destruction de vos lettres et manuscrits », lui écrit-elle™, aversion que ne justifie peut-@tre pas leur seul intérét pour Phistoire de la psychanalyse. C’est peut-étre aussi cette « curieus aversion» qui lui fera vider les poubelles de Freud lors du départ de Freud en 1938 pour Londres. « Recherchant jusque dans la corbeille & papicr du maitre, elle sauve des papiers et documents que Freud désirait voir disparaitre avant 'exil”, » Que la letine ne soit pas détruite est certainement un impératif, mais qu'elle ne soit pas-toute publiée lui est tout autant nécessaire. Elle n'a pas détruit Fénorme somme de lettres et Gahiers privés destinés ... sa fille, & ses psychobiographes, aux historiens de la psychanalyse? Les petits papiers> viennent en doublure de euvre publique, mais auxquels elle réserve un usage semi-public, comme on le montrera plus loin, Cette part privée, e*est ce qui va éire prélevé dans les lettres de Breud 4 Fliess. Célia Bertin écrit que Marie Bonaparte « prépare » Pédition ot qu’Anna Freud « optre » la sélection. E, Roudinesco® indique que cette amputation des lettres est Pauvre des trois éditeurs (M. Bonaparte, A.Freud. E. Kris). Il est en effet difficile d’imaginer que Marie Bonaparte n'y ait pas pris part, tant cela correspond 4 la fois 4 sa propre histoire et & sa propre attitude envers la publication de ses wuvres 4 elle En prélevant dans les lettres & Freud la part privée, et ec pourrait-on dire, indépendamment du contenu de cette part privée (et du point de vue du contenu, on peut admettre que ce soit probablement Anna Freud gui ait opéré la sélection), elle conserve sous le manteau T'os de la lettre, Ceci remplit & Ja fois la condition de ne pas se séparer de la lettre, ce qui toujours évite 2 Marie Bonaparte de rencontrer la limite de sa jouissance, et la condition de continuer & reeréer, & protéger dans son analyste. instance du A, le maintenant dans la demande adressée & lui, 35. C.Bertin, p. 315. et E- Roudineseo, La bataille de 100 ans, p- 329 ‘correspondaneo était aussi intime que ous pouves Vimaginer.. Puis-je offre fa moité.. lene voudais pas qu'elles viennent, méme en perti, ala connsissa soi-disant postérité». Lettre de Freud & M. Bonaparte, eité par Max Schur. 36. C. Bertin, p. 315, Letre du Tjanvier 1937. 37. C. Bertin, p. 320 38, F, Roudinesco, op. city p. 330. 40 Littoral ne 13 de supporter le a, dans un transfert qui n’est pas fini, qui reste noneffectué®, En ne publiant pas-tout Freud, elle maintient chez Vanalyste Freud de PAuire non barré, Freud reste le Pixe idéal détenteur de Pobjet phallique qu’elle a subtilisé et qu’elle détient par devers elle, ne le dévoilant qu’anx initiés, dans le collectf des analystes. Li encore, cette publication tronquée lui fait, toujours et & nouveau, réintroduire auprés de Freud sa question portant sur la castration symbolique du Pere idéal. Le conten imaginaire reste pour elle toujours le méme ; « Quelle perte, écrit-elle aprés avoir vu quelques exemplaires des lettres, pour nous, la postérité.. si les dialogues de Platon... oussent été détruits... par pitié envers Soerate, afin que la postérité n’apprenne pas que Socrate sGait adonné & Is pédérastie avec Phedre et Aleibiade! Rien de semblable ne peut éire dans vos lettres! » Quel que soit son contenu, la lettre, si elle est toute-publige, dévoilera ce qui, bien quécrit rest pas lisible, et qui est Ja signalé par la dénégation (Rien de somblable...) le signifiant du désir, La dénégation trouvée dans « L’appel des Séves > autobiographique a la méme valeur «Subir & 16 ans un proc’s of ma réputation se temnirait si le Corse y produisait toutes mes lettres, comme il m’en menace ?... Frifri m'a révélé que hymen rompu ne se refait pas. Ne pourrait-on eroire que le mien Va 6641,» ‘Toute-publiée, la lettre arrivera a destination dans cet espace du sujet par li créé, entre Autre et objet a, Mais pour ainsi abandonner sa part privée, il faut, pour Marie Bonaparte que la perte symbolique de Pobjet phallique ait eu lieu et que 'analyste ait é14 voué & la déchéance de Fobjet a. Sinon, iln'y a pas de manque au lien de PAutre, et en ce liew le maftre régne. « Cher pére... », écrit toujours Marie Bonaparte Freud, Le transfert non effectné Ini ouvre toutes grandes les portes du disciple Toutes ses activités et publications estampillées «Froud-a-dit», a Fimage du billet de Freud sur la page de garde de « PEmde d’Edgar Poe», peuvent étre considérées comme servant & dompter, fasciner autre imaginaire inhibé, attiré en terrain commun, pendant que circule sous le manteau — des psychanalystes — la petite histoire, celle des on-dit, faute de pouvoir atteindre PAutre comme lieu symbolique. «, qui rabat la Wiederholungewang & une répétition symptomatique de Bonaparte et de Lacan & propos de cette fameuse Lettre Volée. lest en effet indiscutable que le texte de Lacan sur Ja Lettre Vo prend en compte la lecture de psychanalyse « appliquée » d’Edgar Poe faite par Marie Bonaparte. Mais il en constitue une interprétation Marie Bonaparte lit dans la Lettre Volée ce qu’elle connait. L’anglais, pour commencer, Le ministre découvre la lettre « that hung... from a little brass knob just beneath the middle of the mantelpiece ». Marie Bonaparte y voit le regret, de la part d’Edgar Poe, du phallus maternel, et le reproche a la mére de avoir perdu. « La lettre, véritable symbole du pénis maternel “pend” & son tour au-dessus de I'fare de la cheminée tout comme pendrait le pénis de la femme...*, ete. Si Lacan reprend Vimage de la lettre centre les jambages de la cheminge* », «en quelque beau mitan... & cet endroit dénommeé par les séducteurs le chateau Saint-Ange », et développe que la lettre féminise celui qui la détient, celui qui passe sous son ombre, comme effet de sujétion du signifiant, ce n'est pas en le justifiant par application lettre = phallus materne] = castration, largement commentée. par 42, E, Roudineseo, op. eit p. 885. 48. J-Allouch, «La passe ratée du vico-consul +, Lettres de UEcole, N*22. 1978, p. 397, 44, J. Derrida, «Le facteur de In vérites, Postique, n° 21. 1975, Seuil, p. 122 45. Marie Bonaparte, Edgar Poe, Sa vie, zon eure, p. 380. 46. Ibid, p. 581 42 Littoral n° 13 Marie Bonaparte, mais en faisant du phallus le signe de la femme. Toutes les significations phalliques, de la lettre, renverront & Ia lation réglée du signifiant, La femme, de faire-valoir qu'elle n'est pas-toute dans la jouissance phalliqne supporte cot au-dela du signifiant, toujours - déji xépété, ce trajet toujours - déja prolongé de la lettre. Crest offectivement & Fanalyse d’egopsychology, comme celle présen- tée par Marie Bonaparte vis-a-vis d’Edgar Poe, que Lacan attribue, dans Flntroduction qui suit la «Letire Volée», de «supprimer simplement toute référence aux pales symboliques de Pintersubjectivité pour réduire la cure & une utopique rectification du couple imaginaire »* «Was will das Weib? C’est au journal secret de Marie Bonaparte qu'on doit cette formule de Frend, reprise par Jones. Dans le rapport & Ja Vorité que rétablissaient ses acting-our, était-elle, en tant qu’absente comme sujet, si loin de In réponse ? Que la Lettre Volée soit intexprétée par Lacan comme signe de la femme ne doit-il vraiment rien & celle, qw cette occasion, il appelle «la cuisiniére » ? 47. J. Lavan, Berit, Seuil, p36, par Jones. La oie et Faure de Sigmund Froud, «2. Christine Toutin A travers les langues «Twas billig, and the slithy toves Did gyve and gimble in the wabe All minsy were the borogoves, ‘ad the mome raths outgrabe. » Lewis Carvll oT é1ait rovenenres les slictuews: toves Sur Pellouinde gyraient et oriblaient Tout flvareae vaguaient les borogoves; Les werchons fourgus boweniflaient.» Traduction ¢'Henri Parisot Dans sa Traversée du Miroir, Alice rencontre Heusnpty Deumpty dont le nom signifie cotte forme qui est Ja sienne, & savoir celle d'un cent, et qui lui dit : « Lorsque moé jemploie un mot,... il signifie exactement ce qu'il me plait qu'il signifie... ni plus, ni moins. » Ce & quoi Alice rétorque + « La question est de savoir si vous avez le pouvoir de faite que les mots signifient autre chose que ce qu'ils veulent dite,» «La question, riposte Heumpty Deumpty, est de savoir qui sera le maitre un point, c'est tout.» Houmpty Deumpty. mattre du youloir dire des mots, va entreprendre dexpliquer & Alice ee que signifient les mots de la premitre strophe du poome Jabberwocheux. Explication qui vva de sois, ainsi que le dit Alice. Nous voila ainsi placés au corur de cette différence de registre entre sens et signification, présence de « la langue >, car il est indéniable que Ja lecture de ce poéme produit du sens. méme si les mots a‘ont pas de 1. Lewis Carroll, De Viautre e6té dis miroir, Aubier Flammarion, bilingwe 44 Littoral n° 13 signification, et en dehors méme de cette signification; explication donnée par Heumpty Denmpty n’aboutit en fait qu’ placer la signification du cété de ce qu'il appelle les Cest-A-dire qu'elle s‘appuie sur la lettre et non pas sur le mot. Une traduction « litérale > n'est pas un mot mot, mais une traduction & la lettre, une traduction de la lettre. Ainsi, phutot que de la face phonique des mots (qui ne renverrait qu’ Pabsurdité), c'est une traduction de la lettre quopére Henri Parisot. I faut done préciser la question précédente en la posant de cette maniére : Comment traduire ce qu’il y a de lettre dans le signifiant, qui est la question de toute traduction. Revenons done & Vexplication des mots d’Heumpty Deumpty «Revencure : c'est quatre heures de Paprés-midi, Pheure ot Fon commence a faire revenir les viandes du diner. » Il s‘appuie sur la signification du terme « broiling», de griller ou rétir un poulet, pour créer le mot-mixé (das Misehwort, dit Freud) «reveneure» & partir de «faire revenir les viandes » et heure. On y retrouve le méme mécanisme de formation que pour la création du « familionnaire » REVEN IR EUR REVEN URE «< pritie » par la communauté des lettres et est formé de way et be (... a long way before...), allouinde est fait de a loin de (s'allonge loin devant...) connotant distance et éloignement Alors que Reveneure reléve de la création métaphorique, Allouinde fait appel a la diachronic du langage et au glissement du sens le long de In phrase, par déplacement de Maccent phonique, par décomposition et recomposition, un peu sur Ie méme mode que Rousseau et ¢ roux sot » (qui est un cxemple de «double sens»). Un exemple tiré dAlice au pays des Merveilles montrera un autre jeu de traduction, Ayant trop pleuré, Alice faillit se noyer dans ses larme: sur le rivage se tient une assemblée d'animaux & laquelle une souris entreprend de raconter sa triste histoire « Crest que... Cest long et triste! > dit la souris en se tournant vers Alice et en exhalant un soupir. «Vos queues, a vous autres souris, sont longues sans doute, dit Alice...» Pour rendre Vhomophonie de éale (conte, récit) et zai! (queue Parisot joue sur celle de que et queue, transformant wn peu le texte Worigine «Mine is @ long and sad tale! » : Je mien est un long et triste récit. elt is along tail certainly... + : c'est une longue queue certaineme: Mot & mot oit disparatt le jew homophonique av Je e nonsense » De méme, qu'un bébé puisse se transformer en cochon autorise, ow peut-étre est produit par la possibilité qu offre la langue de passer d'un mot a un autre en substituant une lettre «Did you say pig or fig? », « Avez-vous dit cocl traduction mot & mot, qui ne manque pas d'un certain piquant dans le non-sens, mais qui ne transmet pas ce jeu de substitution, Henri Parisot propose done «Avez-vous dit cochon ou pochon?». Gest 1A une substitution du méme registre que celle de « Fai voyage éte a béte avec Tui, oi: ce qui est passé sous silence est donné dans une modification de Fexpression verbale (c'est une béte) Henri on ou figue » en est a 46 Littoral nt 13 Freud montre® que le trait d’esprit a « relation & Pinconseient », en ce sens qu'il est soumis aux mémes mécanismes que ceux des formations de KInconscient : Je sens est engendré par les lois qui régissent les combinaisons du signifiant. Les textes de Lewis Carroll en sont une présentation, et, comme nous venons de le voir, leur traduction oblige, pour se faire, & un réglage sur les mécanismes de la formation des jeux de mots ou de la création verbale; elle oblige & Pévocation, voire & nvocation, & Témergence de ces mémes mécanismes. La traduction doit done, ici, opérer avec ce qu'elle a a produire : apparition du sens dans le non-sens. Elle doit la fois opérer avec l'exercice du signifiant et sa polyvalence par rapport au sens, et le produire, e“est--dire que non seulement elle a pour objet le trait esprit, la waduction du trait esprit, mais que de plus elle le produit, elle «fait» elle-méme trait esprit, Nous en voyons pour preuve la surprise qu’elle provoque et le sentiment de plaisir procuré par sa réussite, Ce n’est pas tant qu'elle «soit réussie » qui importe que le fait qu’elle « réussit > le trait d’esprit, comme Freud a pu dire que «la défense réussit le refoulement ». Au regard du texte anglais, il est manifeste que la waduetion de Parisot ne prend pas appui sur le registre de la signification, le texte Porigine ne le rend dailleurs guére possible, et déplace la question de savoir si elle retransmet + correctement + le texte de Lewis Carroll sur elle concernant les mécanismes de sa formation. Nous avons isolé quelques-uns de ces mécanismes, ce qui nous a permis de nous rendre compte quills correspondaient A ceux décrits par Freud dans la technique du trait @esprit : condensation avee formation de substitut, ragmentation, légere modification d'un mot. quills sont également source du plaisir que procure cet Ce que nous avons décrit comme techniques de Pesprit sont plucst les sources a partir desquelles le trait d'esprit tire le plaisir », éerit Preud, La source du plaisir du trait d’esprit est done & chercher dans son edt formel. On pourrait aller jusqu’a dive que ees techniques « sont Ie trait esprit. Cette traduction, disions-nous, fait trait d’esprit; elle fait certes trait esprit pour le lectour qui. tout & coup, est arrété et voit surgir un sens ché », «Le non-sens, dit Lacan, a le rale de nous leurrer ass longtemps pour qu’un sens inapergu jusque-la, mais fugitif, un sens en éclair, de la méme nature que la sidération qui nous a un instant retema sur Ie non-sens nous frappe & ravers cette saisic du mot d'esprie, » Un sens qui se saisit de nous, mais pas pour autant saisissable, attrapable, un sens < unbegreiflich > (qui n’est pas A la portée, pas comprehensible). 2. 8. Freud, Le mot desprit et ses rapports avee Vnconscient, Ides, NRE.

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