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DIEUX,GENIES ET DEMONS =N EGYPT Taheen Z is, Hathor, Ré et les cutres. Introduction Claude Traunecker 1.Cite par Yousset 2001p. 164. 2.PuyrenVelay 2013, p. 40-43: Traunecter 90, p. 60-67 ‘3. Derchaln 1970 198); 1965, p. 0. “4. Meeks 1988, p. 425446. ‘5. Traunecker 2001, 9. 497-503, ‘Les Grecs s’inspireront de l’Egypte, mais feurs dieux descendront Jusqu’aux hommes, En Egypte, fes hommes montalent jusqu’aux dieux>. Jean Cocteau, Meatesh Sur la pelouse de ‘ancien village du Centre franco-éayptien de Karnak, Phomme siindignat, un verre & a main, tout en contemalaat le flamboyant coucher du solell derritre la cime thébaine : Karnak est vraiment un fouls ! me diseit. Heureusement que vous y metter un peu ordre /Mais tous ces dieux et déesses, {quelle contusion, i faut agir,consttuer des fichiers, classer tout ce monde en aésordre, tabi des généalogies sires, at me cadrer tout cela, Car cet énarque ‘et homme politique francais, de passage a Karnak dans le cadre de la visite d'une déiégation parlementaire, révait de gérer la population des dieux égyp- tiens selon les bons principes de administration préfectorale lest vrai qu'il y a de quoi tre dérouté dés que l'on aborde le monde des dieux égyptiens. || serait trop facile ici d'évoquer les incohérences que révélerait un classement global des dieux, selon eur parentéle!,u'aimerais dans cette intro- duction exposer quelaues réflexions qui me tiennent & cceur concernant les méthodes d'anpreche du monde divin égyptien et souligner émergence vers le vt siécle avant notre bre d'une pensée religieuseindividuelle nouvelle trans- cendant ies théclogies et mythologies classiques. Le statut des netjérou ou le présent et inaccessible La traduction de ancien égyptien netjer gar «dieu» se justifie par usage par les auteurs chrétiens de ce mot pour désigner en copte noute le «dieu» de la Bible, Mais au-dela de cette apparente Equivalence, que signifiait le terme net- Jer ? Ces netiérou, «dieux» tapis dans les proches coulisses de notre monde sensible, animaient les forces naturelles qui rythment la vie des mortels :la crue ou Nil, la croissance végétale, les cycles des astres, les naissances, la vie ani male’, etc. Mémes les plus modestes ¢’entre eux étaient des entités puissantes participant de Vordonnance du monde. En 1988 a paru sous la signature de Dimitri Meeks une étude capitale & ce propos’ Constatant 'échec des divers auteurs qui sétalent attachés 8 comprendre le sens {de la racine mi, il concentre son effort a "étude de Tusage du factitf senetjer Cesta-dire «rendre divin» mais aussi «briler de Vencens» c'est-é-dire accomplir un rituel. Est donc netjer, quel que solt le sens primordial de cette racine trltére, toute entité accessible parle rituel les dieux mais aussi les défunts. Je dirais qu’est netjer toute entité inaccessible physiquement pour les hommes prisonniers de leur temps et leur monde. Cette notion est un excellent outil pour approcher au mieux des réalités reigieuses de lancienne Egypte. Ainsi est netfer le roi, car inaccessible {dans son palais oU Il réside a 'nstant, il estrituellement «joignable dans les autres palais par le truchement d'une fausse porte, derritre son trone vides. Les @tres netjer sont directement invisibles, mals on peut les contenter et les entretenir par les rituels. Lencensement ou plus exactement la fumigation (senetjer) est 'acte emblématique du rituel, action dans le présent, mais aais ‘sant dans inaccessible, En Egypte ancienne, I'action rituelle a été déterminante, et c'est elle qui a modelé le monde des dieux. cee saves 8 répoque 1992) Sis ce tous lestraticealevins ies asl rogues, frciterient surveilé essence Cos mart ont touloure Soest one sorte de magus zone Senenarot ot efugn des brigands. Dans SSeroman Les Fiiopiques (Live 58 eeceere cémese tin au siecle semctre tre) donne une desertion eteeseue des merals et de ses habitants Tepyretnese dun marquour de teu sacré Saas Be seance Newberry 1957, 2.909 Sacoey 94910. 1954 SE boetbara 1552, , 1546. .Montbare Se sseosonyme der dustrateur Srenes Auguste Love (18411905). S veriesite du core htpliewecrrtlte Geseenatonal de ressources textucis S eecaen se Dictionnaire de Tr89U, Pest p ssi5a2'so dt ee serent oe tout ce qui nest Soeteteict slice, En Phioseohie, Ses asoele des de raison Enfin, en cette premiére approche on peut aussi s‘interroger sur la nature de objet higroolyphe qui se lit netjer. Je me souviens d'une promenade sur le lac de Menzaleh avec une patrouille de a police égyptienne, Les Tles et Tots dépassaient de quelques décimetres & peine le niveau de eau et horizon était entidrement occupé par les roseaux de plusieurs métres de haut surgissant ce la masse grise des eaux boueuses de la lagune. Je m'étonnais de Ihabileté des policiers & se déplacer dans ce dédale végétal et 4 retrouver les différents postes de surveillance destinés & quadriller ce maquis aguatique et végétal, Lun des policiers me dit de bien observer un point de rhorizon, «notre poste est |a> ditil et, en effet, je vis dépassant des roseaux une hampe avec un petit fanion rectangulaire de toile, objet ressemblalt & s'y méprendre au signe netjer ! Ainsi si on admet ce rapprochement moderne, objet désignant les dieux serait le marqueur du lieu consacré au rituel, et peut-étre une allusion aux origines mythiques des premiers sanctuaires dans un pays de lagunes et de magus aquatiques’. Au demeurant i! n'est pas inutile, je crois, de rappeler que cette habitude de marqueurs visibles de loin, soit de la terre pour les habitants de la Vallée fertile, soit du ciel pour les étres célestes, va traverser toute Ihis- toire éqyptienne produisant les pyramides, les obélisques-benben des temples solaires, mals aussi les mats & oriflammes, les obélisques, les pylOnes et meme les grandes portes tardives. Le désordre divin et ses chiméres Chiméres et taxinomie I suffit de feulleter r’importe quel ouvrage consacré & 'Eqypte ancienne pour onstater non seulement incroyable variété des dieux égyptiens, mais aussi le ‘désordre dans lequel ls se présentent : généalogies divines contradictolres, appa rences variables et interchangeables, valse des noms et épithétes, concours de coiffures extravagantes, etc, sans parler de 'horreur, du moins pour les Grecs, '8tres hybrides mishumains m-animaux. Les Occidentaux ont toujours été génés devant ce monde imaginaire foisonnant. Dans son Aubade 4 cette bonne vieille Egypte, G. Montbard n'hésite pas & qualifier Egypte de « chercheuse infatigable de sublimes nialseries..»et la traite de «toquée de génie*», Le terme® de «chimére» dans ses deux sens s'applique bien & notre propos. Dans on sens premier d'abord «étre ou objet composé de parties disparates» image fabuleuse inspirant craintes et respect, «un monstre...quelque chose d'incompré- hensibie. il s'applique a 'iconographie des dieux égyptiens. Dans son sens figuré «illusion de quelque choses il fat penser 3 la recherche désespérée de essence d'un dieu égyptien, de sa nature profonde, en synthétisant en un seul schéma théorique iconographie, textes et mythes provenant de sources disparates, Les représentations divines «chimériques» sont porteuses de significations, au meme titre que les textes higroglyphiques qui les accompagnent. Ce sont des codes Iconographiques et non pas des représentations réalistes. De plus, ces Images sont des epproches ponctuelles, localisées dans le temps et espace, de la représentation des dieux. Car les dieux égyptiens n'eppartiennent pas & une réalité objective égale et uniforme en tout lieu et toute époque, La seule réalité qui, 8 travers les millénaires, s'impose 8 nous est celle du document. Celut-ci peut étre de nature archéologique, iconographique, épigraphigue ou plus sim- plement philatogiaue. Devant une telle situation, ia tentation taxinomique est grande | Collectionner les dieux comme autant d'insectes, épinglés et pourvu de fiches décrivant les sources avec tout I'appareil critique moderne, cela peut se concevoir, certes, reste effectivement «scientifique». Le danger guette dés que lon essale de tirer de ce matériel authentique mais disparate «'essence » d'un dieu, sa signi fication « fondamentale» voire « absolve» et unique. Je me souviens, ily a bien 10. Catalogue inventare de Toutankhamon Pectoral 2610, JE 61945; ons 1988, p35, 11.Dans la mesure od cet éqyptoingue Inlave so source (par exemple Pectoral de Toutanknamon, 261, 0) 'y amolndre ‘mal care lecteur peut vérifies a qualité Gela source. Mais beaucoup douvrages “csynthetiques» sont dépourvus denotes Ge reterence précises sous pretente fuils Sadreseent au grand publi 12, Jal appeléce phénoméneleeparadoxe ‘ute par Faces tue parfoismodeste ‘une divin tes locale et au domaine Epéetique locais (un crocodile des eaux polssoneuses), fofficiant Deut partciper&larégulation du cosmos. En|atinad augusta per angusta Voir rraunecker 199%a, p.303 317 des années, d'un amateur strasbourgeois, qui avait décidé I’élucider le mystére de la nature d'Amon, divinité lisse et agacante par son omniprésence. I! suffit, me disait-l, de mettre en fiche toutes les attestations connues, exhaustivement et on comprendra enfin qui est Amon! Je prendral un exemple simple pour montrer les dangers d'une approche taxinomique exhaustive et stricte. Un des pectorals de Toutankhamon montre lei défunt sous la forme d’Osiris portant les régalia encadré par deux déesses qui le protégent de leurs alles” : droite on reconnait Quadiyt la déesse cobra, coiffée de la couronne rouge de Basse Egypte et a gauche Nekhbet, le vau: tour femelle coiffée de la couronne de Haute Egypte. Or selon les textes qui accompagnent ces figures la déesse cobra & droite est appelée «Nephthys» et le vautour 8 gauche est nommeé «sis». Faut‘il parler g'assimilation, de fusion centre Isis et Nekhbet, entre Ouagjyt et Nephthys ? Ni de l'un ni de l'autre, car la lecture de cet objet repose sur la bivalence de la figure centrale : on peut la lire soit comme une image royale, naturellement encadrée des divinités tuté- laires du pays : Ouadiyt pour le Nord et Nekhbet pour le Sud. Mais cette figure centrale est aussi un rol défunt, donc Osiris, protégé par Isis et Nephthys. Nous avons donc ici la superposition de deux grilles signifiantes, une royale, autre osirienne, Lassociation Isis / Nekhbet n'est que le produit d'une interférence iconographique induite et n'exprime en aucun cas un quelconque syncrétisme, assimilation ou autre hypostase. Cet exemple montre combien il est important de comprendre les régles de composition d'une source avant de ttiliser. Cette méthode est lourde surtout en cas d'image et de textes venant de paroi de temple, mais elle est indispensable. Je dirais que I'individualité divine est com- mandée par 'usage et le contexte de la source et non par la «nature» du dieu qui elle, est tributaire de Iimaginaire, donc trés fluctuante et parfois difficile & saisir et surtout a classer. Quant & |'égyptologue collectionneur tributaire de ses fiches, il aurait ajouté Nekhbet qui peut étre assimilée & Isis» contribuant 8 modifier la théologie des déesses concernée, acte légitime pour un prétre de I'Antiquité, mais épisto- logiquement douteux de la part d'un chercheur contemporain Cette approche «rigoureuse» menée sans discernement est vouée a I’échec, tout simplement parce que «le dieu égyptien » n'est pas une réalité fixée, nette et délimitée, c'est une notion fragmentée a travers toute l'histoire égyptienne et tout le territoire de la vallée du Nil. est le produit d'un imaginaire qui ne nous ‘est accessible que par des témoignages ponctuels en I'absence de toute doc- trine unifiée ! Les dieux éqyptiens n’existent que par les besoins d'une société hautement imaginative, spéculative et tolérante. Les domaines d'utilisation de certains noms divins permettent, bien sar, d'esquisser les grands traits de la nature d'un dieu, Thot, par exemple, et ses rapports avec intellect, Ré le soleil etc. Mais souvent le portrait ainsi dressé des dieux, surtout les plus importants, se heurte rapidement & des contradictions, car ce rest pas sa nature seule qui détermine son aspect et ses épithétes, mais également le contexte du docu- ment. D'une maniére ou d'une autre, le contexte est presque toujours rituel, donc utilitaire. Il en va ainsi, & mon sens, de la «solarisation> de nombreuses divinités. Prenons l'exemple de Min, divinité de la fertlité, domicilié & Coptos et Aklnmim. Ses fid@les dans ces villes accédent par son culte & certaines manettes spécifiques du fonctionnement du monde. Pourquoi ne pas profiter de cet acces pour assurer également aux fidbles de ces villes le bon fonctionnement des astres :il suffi d’accoler le nom de Ré a celui de Min ! Le premier nom révéle Videntité cultuelle de l'entité divine, le second marque une fonction’ (On voit done la difficulté pour le chercheur contraint & une étude préparatoire poussée du document-source, ce qui est relativement aisé pour un objet défini, mais se révéle tres lourd dans le cas d'images pariétales et les décors de temples. SS Les exemples sont nombreus,citons ses tempies de Oat e\-Sagha et de Medinet Plazes pour le Moyen Empire, Se pus tariverent une grande parte. Sutemote gOpet 3 Karnak. 36. Traunecher 19916, p. 77-101 9SAG-Cara la «théologie» des deux Serctusres du temple est tres aiferente: Se corctunre central cate GAuguste cote ou sanctusire nord de Caligula Pentaacciet Traunecher 1998; Pantalacel ee woe aus la contribution fe Partaiscci OLA 39,1991 (théslosie Scctunre contra. 3s Teownecher 1997, p, 168-178: création Soe Seni parétale pour des raisons eosin ou cecor sonnom est une Heite cL grande esses transtormée pe stcoymie en un nom propre © var er exemple inventaire Se See ceimdouat dans la tombe Ge eects Il ainsi que 'abrég6 Se Lane ou Soll (es soiante estrze formes de RA) a sedicace Stone de Ramses ViCbandeau bas Soece centres) prociame que Semone est un cinventalre (sip) des Semees se Fau-cel, Voir aussi Manassa Se = 2-48. Je remercie eabelle Regen fe cette seritre reference elses ferme rtcieuses ee sites satus de cesses SS Pe seer es Emisaies de Sextet, tes sept paroles de Nexhabit (voir Meeks, > He Fe exemple le chapire 142 du Live 25. Tasnecher 2014, 205-234, 218; fe 2002%, 6-15-48 ; Gasset al. 2015 B weeser 1961; Derchain 1990, p. 9:30. 2. Wor tes Soubassementstudien publiés ee Lets et son Equine (Tubingen, Leitz See 204, Rickert 200, 1.2014 Introduction Images et théologies pariétales Il est pas inutile de rappeler que l'image pariétale n'est pas indispensable au fonctionnement d'un lieu de culte. Les exemples anciens de monuments anépi- graphes en sont la preuve". Lorsque le décor pariétal se développe, en parti culier au Nouvel Empire, il faut reconnaitre honnétement que malgré le carac- tere monumental et somptueux de ces espaces iconologiques, les rapports entre les images, le culte réel et la théologie ne sont pas simples 8 appréhender. Les

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