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ÉPREUVE ORALE ANTICIPÉE DE FRANÇAIS 

:
LISTE DES ŒUVRES
SESSION 2023
Établissement : École Française Internationale de Riyad.

Voie générale Classe : 1ère A

Nom du professeur de lettres de la classe : Mme Domloge Racha


Nom et prénom du candidat :

Œuvre choisie par le candidat


pour la seconde partie de l’épreuve :

10 Auteur, titre, date, édition

15

20

25

30

*
1
35

LA POESIE : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle : Alchimie poétique, la boue et l’or.
Baudelaire, Fleurs du mal
1. «L’Albatros  »
40 2. «Le vin des amants  »
3. «Le Soleil»
4. F. Ponge, «L’huitre   »
5. Queneau, «Les boueux sont en grève »
Lecture cursive, Francis Ponge , Le Parti pris des choses , .
45
LE ROMAN : Personnages en marge, le plaisir du romanesque .
L’abbé Prévot, Manon Lescaut
6. La première rencontre , « J’avais marqué le temps … » jusqu’à « tous ses maux et les miens . »
7. L’évasion de Saint Lazare « « de peur qu’il ne lui prît envie » jusqu’à « j’étais sans doute à Saint-Lazare
50 pour longtemps . »
8. La mort de Manon: « Pardonnez si j’achève en peu de mots » jusqu’à «à la mener jamais plus
heureuse. »
9. Hugo, Notre Dame de Paris .
10. Camus , L’Etranger, 1782 LETTRE II – LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE VALMONT
55 Lecture cursive : Albert Camus, L’Étranger,1942.

LA LITTERATURE D’IDEES : Rire et Savoir


Rabelais, Gargantua
11. Le Prologue, de «C'est pourquoi il faut ouvrir le livre … et la gestion des affaires».
60 12. Chap XXIII, de « Pour mieux réussir » jusqu’à « ils étaient las ».
13. Chap LVII de « Leur vie tout entière » jusqu’à « premier jour de leurs noces. »
14. Voltaire, Candide : de C Rien n’était si beau… » jusqu’à « n’oubliant jamais Mlle Cunégonde.
»
15. La Fontaine, « L’enfant et le maitre d’école », Fables, I, 19, 1668
65
Lecture cursive : Voltaire, Micromégas,1752.

LE THEATRE : Spectacle et comédie


Molière, Le Malade imaginaire
70 16. Acte I, 1 de « Argan seul dans sa chambre » jusqu’à « afin qu’il mette ordre à cela. »
17. Acte II, 5 de « Il se retourne vers son fils » jusqu’à « qu’il fait de beaux discours. »
18. Acte III, 10 de « Donnez-moi votre pouls » jusqu’à « Cela n’est pas pressé. »
19. Georges Courteline, Le Petit Malade , Toute la scène.
20.
75 Lecture Cursive : Romains, Knock, 1923.

Partie(s) du programme non traitée(s) pour cette session : les points de grammaire de 2de n’ont pas
été revus.

Nom du proviseur : M. Muller Nom du professeur : Mme Domloge


80

2
85

90
Objet d'étude : La poésie du XIXe au XXIe siècle
Œuvre intégrale – Les Fleurs du Mal, Baudelaire, 1861

LA1 : L’Albatros
95

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage


Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
100 Le navire glissant sur les gouffres amers.

À peine les ont-ils déposés sur les planches,


Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

105 Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !


Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées


110 Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

115 Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal. 1857

5 3
Objet d'étude : La poésie du XIXe au XXIe siècle
120 Œuvre intégrale – Les Fleurs du Mal, Baudelaire, 1861.

Lecture linéaire : « Le vin des amants »

125 Aujourd'hui l'espace est splendide !


Sans mors, sans éperons, sans bride,
Partons à cheval sur le vin
Pour un ciel féerique et divin !

130 Comme deux anges que torture


Une implacable calenture,
Dans le bleu cristal du matin
Suivons le mirage lointain !

135 Mollement balancés sur l'aile


Du tourbillon intelligent,
Dans un délire parallèle,

Ma soeur, côte à côte nageant,


140 Nous fuirons sans repos ni trêves
Vers le paradis de mes rêves !

145 Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal. 1857

150

155

160

165

4
Objet d'étude : La poésie du XIXe au XXIe siècle
Œuvre intégrale – Les Fleurs du Mal, Baudelaire, 1861.
170
LXXXVIII
Le soleil

175 Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures 1


Les persiennes , abri des secrètes luxures , 2 3
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
Je vais m'exercer seul à ma fantasque escrime , 4
180 Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.

Ce père nourricier, ennemi des chloroses , 5


185 Éveille dans les champs les vers comme les roses ;
Il fait s'évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
C'est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
190 Et commande aux moissons de croître et de mûrir
Dans le coeur immortel qui toujours veut fleurir !

Quand, ainsi qu'un poète, il descend dans les villes,


Il ennoblit le sort des choses les plus viles ,
195 Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, Spleen et Idéal. 1857

5
10
Objet d'étude : La poésie du XIXe au XXIe siècle
200 Œuvre intégrale – Les Fleurs du Mal, Baudelaire, 1861.

L.L4  :  « L’Huître », Francis Ponge

205 L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie,
brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il faut alors la tenir au
creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à plusieurs fois. Les doigts
curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles : c'est un travail grossier. Les coups qu'on lui porte marquent son
enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos. A l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger :
210 sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en dessus s'affaissent sur les cieux d'en
dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la
vue, frangé d'une dentelle noirâtre sur les bords. Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre,
d'où l'on trouve aussitôt à s'orner.

215 « L’Huître » Francis Ponge - Le parti pris des choses. (1942)

6
Objet d'étude : La poésie du XIXe au XXIe siècle
Œuvre intégrale – Les Fleurs du Mal, Baudelaire, 1861.

220
L.L 5 Les Boueux sont en grève, Raymond Queneau, Courir les rues, 1967

C’est jour de grève des boueux


on a la chance de pouvoir ce jour-là
225 jouer au chiffonnier au chineur
au brocanteur qui sait même à l’antiquaire
il y a un peu de tout
le choix est difficile
entre la poupée sans yeux sans bras sans nez
230 la boîte de sardines qui a perdu en chemin toutes ses sardines
la boîte de petits pois qui a perdu en chemin tous ses petits pois
le devoir déchiré qui a décroché non sans mal un zéro
le tube de pâte dentifrice qui a passé sous plusieurs compresseurs rouleaux
l’os l’arête le coton hydrophile
235 oui le choix est difficile

les poubelles bâillent au soleil de midi


toutes pleines de choses bonnes à cueillir
pour celui qui sait
240
tout à coup on aperçoit là… là… là…
une oeuvre d’art… d’art.. d’art…
abandonnée là… là… là…
par un philistin ignare
245 et sur laquelle on saute dare-dare
parfois c’est la Joconde que l’on retrouve ainsi
parfois c’est la Ronde de Nuit
parfois la Vénus de Milo
parfois le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault
250

mais ce n’est pas tous les jours grève


jour de grève des boueux

255 (Raymond Queneau)

260

7
265 LL.6 Manon Lescaut de Prévost – Parcours « Personnages en marge, plaisirs du romanesque »

J'avais marqué le temps de mon départ d'Amiens. Hélas ! que ne le marquais-je un jour plus tôt !
j'aurais porté chez mon père toute mon innocence. La veille même de celui que je devais quitter
cette ville, étant à me promener avec mon ami, qui s'appelait Tiberge, nous vîmes arriver le coche
d'Arras, et nous le suivîmes jusqu'à l'hôtellerie où ces voitures descendent. Nous n'avions pas
270 d'autre motif que la curiosité. Il en sortit quelques femmes, qui se retirèrent aussitôt. Mais il en
resta une, fort jeune, qui s'arrêta seule dans la cour, pendant qu'un homme d'un âge avancé, qui
paraissait lui servir de conducteur, s'empressait pour faire tirer son équipage des paniers. Elle me
parut si charmante que moi, qui n'avais jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une fille
avec un peu d'attention, moi, dis-je, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, je me
275 trouvai enflammé tout d'un coup jusqu'au transport. J'avais le défaut d'être excessivement timide
et facile à déconcerter ; mais loin d'être arrêté alors par cette faiblesse, je m'avançai vers la
maîtresse de mon cœur. Quoiqu'elle fût encore moins âgée que moi, elle reçut mes politesses sans
paraître embarrassée. Je lui demandai ce qui l'amenait à Amiens et si elle y avait quelques
personnes de connaissance. Elle me répondit ingénument qu'elle y était envoyée par ses parents
280 pour être religieuse. L'amour me rendait déjà si éclairé, depuis un moment qu'il était dans mon
cœur, que je regardai ce dessein comme un coup mortel pour mes désirs. Je lui parlai d'une
manière qui lui fit comprendre mes sentiments, car elle était bien plus expérimentée que moi.
C'était malgré elle qu'on l'envoyait au couvent, pour arrêter sans doute son penchant au plaisir,
qui s'était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs et les miens.
285

290

295

15 8
Manon Lescaut de Prévost – Parcours « Personnages en marge, plaisirs du romanesque »
300 LL7 : l’évasion de Saint-Lazare

(…) de peur qu’il ne lui prît envie d’élever la voix pour appeler du secours, je lui fis voir une honnête raison
de silence, que je tenais sous mon justaucorps. Un pistolet ! me dit-il. Quoi ! mon fils, vous voulez m’ôter
la vie pour reconnaître la considération que j’ai eue pour vous ? — À Dieu ne plaise ! lui répondis-je ; vous
avez trop d’esprit et de raison pour me mettre dans cette nécessité ; mais je veux être libre, et j’y suis si
5 résolu, que si mon projet manque par votre faute, c’est fait de vous absolument. — Mais, mon cher fils,
reprit-il d’un air pâle et effrayé, que vous ai-je fait ? quelle raison avez-vous de vouloir ma mort ? — Eh !
non, répliquai-je avec impatience. Je n’ai pas dessein de vous tuer : si vous voulez vivre, ouvrez-moi la
porte, et je suis le meilleur de vos amis.  // J’aperçus les clefs qui étaient sur la table ; je les pris, et je le
priai de me suivre en faisant le moins de bruit qu’il pourrait. Il fut obligé de s’y résoudre. À mesure que
10 nous avancions et qu’il ouvrait une porte, il me répétait avec un soupir : Ah ! mon fils, ah ! qui l’aurait
jamais cru ? — Point de bruit, mon père, répétais-je de mon côté à tout moment. Enfin nous arrivâmes à
une espèce de barrière qui est avant la grande porte de la rue. Je me croyais déjà libre, et j’étais derrière
le père, tenant ma chandelle d’une main et mon pistolet de l’autre. // Pendant qu’il s’empressait d’ouvrir,
un domestique qui couchait dans une chambre voisine, entendant le bruit de quelques verrous, se lève et
15 met la tête à sa porte. Le bon père le crut apparemment capable de m’arrêter. Il lui ordonna avec
beaucoup d’imprudence de venir à son secours. C’était un puissant coquin, qui s’élança sur moi sans
balancer. Je ne le marchandai point ; je lui lâchai le coup au milieu de la poitrine. Voilà de quoi vous êtes
cause, mon père, dis-je assez fièrement à mon guide. Mais que cela ne vous empêche point d’achever,
ajoutai-je en le poussant vers la dernière porte. Il n’osa refuser de l’ouvrir. Je sortis heureusement, et je
20 trouvai à quatre pas Lescaut qui m’attendait avec deux amis, suivant sa promesse.
Nous nous éloignâmes. Lescaut me demanda s’il n’avait pas entendu tirer un pistolet. C’est votre
faute, lui dis-je ; pourquoi me l’apportiez-vous chargé ? Cependant je le remerciai d’avoir eu cette
précaution, sans laquelle j’étais sans doute à Saint-Lazare pour longtemps.

25

30

35

Manon Lescaut de Prévost – Parcours « Personnages en marge, plaisirs du romanesque »


LL8 : La mort de Manon

9
40

45

10
20
50 Manon Lescaut de Prévost – Parcours « Personnages en marge, plaisirs du romanesque »

Explication linéaire n°9 : CAMUS, L’Étranger (1942) Première partie, chapitre 5

1 Le soir, Marie est venue me chercher et m’a demandé si je voulais me marier avec elle. J’ai dit que cela
m’était égal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. Elle a voulu savoir alors si je l’aimais. J’ai
répondu comme je l’avais déjà fait une fois, que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l’aimais
55 pas. « Pourquoi m’épouser alors ? » a-t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n’avait aucune importance et
que si elle le désirait, nous pouvions nous marier. D’ailleurs, c’était elle qui le demandait et moi je me
contentais de dire oui. Elle a observé alors que le mariage était une chose grave. J’ai répondu : « Non. »
Elle s’est tue un moment et elle m’a regardé en silence. Puis elle a parlé. Elle voulait simplement savoir si
j’aurais accepté la même proposition venant d’une autre femme, à qui je serais attaché de la même façon.
60 J’ai dit : « Naturellement. » Elle s’est demandé alors si elle m’aimait et moi, je ne pouvais rien savoir sur ce
point. Après un autre moment de silence, elle a murmuré que j’étais bizarre, qu’elle m’aimait sans doute à
cause de cela mais que peut-être un jour je la dégoûterais pour les mêmes raisons. Comme je me taisais,
n’ayant rien à ajouter, elle m’a pris le bras en souriant et elle a déclaré qu’elle voulait se marier avec moi.
J’ai répondu que nous le ferions dès qu’elle le voudrait. Je lui ai parlé alors de la proposition du patron et
65 Marie m’a dit qu’elle aimerait connaître Paris. Je lui ai appris que j’y avais vécu dans un temps et elle m’a
demandé comment c’était. Je lui ai dit : « C’est sale. Il y a des pigeons et des cours noires. Les gens ont la
peau blanche. »

Puis nous avons marché et traversé la ville par ses grandes rues. Les femmes étaient belles et j’ai
demandé à Marie si elle le remarquait. Elle m’a dit que oui et qu’elle me comprenait. 20 Pendant un
70 moment, nous n’avons plus parlé. Je voulais cependant qu’elle reste avec moi et je lui ai dit que nous
pouvions dîner ensemble chez Céleste. Elle en avait bien envie, mais elle avait à faire. Nous étions près de
chez moi et je lui ai dit au revoir. Elle m’a regardé : « Tu ne veux pas savoir ce que j’ai à faire ? » Je voulais
bien le savoir, mais je n’y avais pas pensé et c’est ce qu’elle avait l’air de me reprocher. Alors, devant mon
air empêtré, elle a encore ri et elle a eu vers moi un mouvement de tout le corps pour me tendre sa
75 bouche.

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sa

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115 LA 11 : Gargantua

Objet d’étude : la littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle

Rabelais, Gargantua, 1542, Prologue, d’après la translation en français moderne d’Emmanuel Naya

Buveurs très illustres, et vous vérolés très précieux (car à vous, et non aux autres sont dédiés
mes écrits), Alcibiade au dialogue de Platon intitulé Le Banquet, louant son précepteur Socrate,
120 sans conteste prince des philosophes, dit, entre autres paroles, qu’il est semblable aux Silènes.
Les Silènes étaient jadis pareils aux petites boîtes telles que nous en voyons à présent dans les
boutiques des apothicaires, recouvertes de figures joyeuses et frivoles, comme des harpies,
satyres, oisons bridés, lièvres cornus, canes bâtées, boucs volants, cerfs harnachés et autres
bestioles, telles des peintures contrefaites à plaisir pour encourager le monde à rire. Tel fut
125 Silène maître du bon Bacchus mais au-dedans de ces boîtes, on conservait les fines drogues,
comme le baume, l’ambre gris, la cardamome, le musc, la civette, les pierreries et autres choses
précieuses. Tel était Socrate d’après Alcibiade, parce qu’en voyant sa figure et en estimant son
apparence extérieure, vous n’en auriez pas donné un copeau d’oignon, tant il était laid de corps
et tant son aspect était ridicule : le nez pointu, le regard d’un taureau, le visage d’un fou, les
130 mœurs simples, les vêtements rustiques, pauvre de fortune, malheureux avec les femmes, inepte
à toute fonction de la république, toujours riant, toujours buvant à la santé de chacun, toujours se
moquant, toujours dissimulant son divin savoir. Mais en ouvrant cette boîte, vous auriez au-
dedans trouvé une céleste et inestimable drogue, une intelligence plus qu’humaine, une vertu
merveilleuse, un courage invincible, une sobriété sans pareille, un contentement certain, une
135 assurance parfaite, un détachement incroyable à l’égard de tout ce pourquoi les humains veillent,
courent, naviguent et bataillent tant.

25 13
l.l.12 Objet d’étude : la littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle

Gargantua, Parcours Rire et savoir

140

Pour mieux réussir, il l’introduisit dans les milieux de gens savants qui se trouvaient dans les environs ; par
émulation se développèrent en lui l’esprit ainsi que le désir d’étudier autrement, tout en se mettant en valeur.
Ensuite, Ponocrates le soumit à un tel rythme d’étude que Gargantua ne perdait pas une seule heure de la
journée mais qu’il consacrait tout son temps aux belles-lettres et à l’honnête savoir.

145 Gargantua s’éveillait donc vers quatre heures du matin. Pendant qu’on le frictionnait, quelqu’un lui
lisait une page des Saintes Écritures, à voix haute et claire, avec la diction adéquate. À cette tâche était
affecté un jeune page natif de Basché, du nom d’Anagnostes . Selon le thème de l’argument de cette leçon,
souvent Gargantua se consacrait à révérer, adorer, prier et supplier le bon Dieu dont la lecture montrait la
majesté et les jugements merveilleux.
150 Puis il se retirait aux lieux d’aisances pour se purger de ses excréments naturels. Là
son précepteur répétait ce qui avait été lu en lui expliquant les points les plus obscurs et difficiles.
Cela fait, Gargantua était habillé, peigné, coiffé, tiré à quatre épingles et parfumé. Pendant ce temps, on lui
répétait les leçons du jour précédent. Lui-même les récitait par cœur et il y appliquait quelques cas pratiques,
relatifs à l’être humain. Ils écoutaient parfois pendant deux ou trois heures au moins, mais d’ordinaire, ils
155 cessaient lorsqu’il était complètement habillé.

Puis, pendant trois bonnes heures, on lui faisait la lecture. Cela fait, ils sortaient, tout en devisant sur le
sujet de cette lecture. Ils se rendaient au Grand Bracque ou dans les prés, et ils jouaient à la balle, à la
paume, à la pile en triangle, ils exerçaient avec élégance leur corps, comme ils avaient auparavant exercé
leur esprit.
160 Tous leurs jeux ne se faisaient qu’en liberté car ils abandonnaient la partie quand il leur plaisait. En règle
générale, ils cessaient lorsque leurs corps étaient en sueur ou que, pour une raison ou une autre, ils étaient
las.

165 François Rabelais, Gargantua, chapitre XXIII. 1534

14
L.L 13 Objet d’étude : la littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle

Gargantua, Parcours Rire et savoir

Leur vie tout entière était organisée non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon  leur volonté et
leur libre arbitre. Ils se levaient quand bon leur semblait. Ils buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient
170 quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les forçait à boire, ni à manger, ni à faire quoi que
ce soit. Ainsi l’avait établi Gargantua. Dans leur règlement, il ne se trouvait qu’une clause : Fais ce que tu
voudras.

En effet, les gens libres, bien nés, bien éduqués, conversant dans des compagnies honnêtes, ont par nature
un instinct et un aiguillon qui les pousse toujours à agir vertueusement et les détourne du vice : ils
175 l’appelaient l’honneur. Quand ils sont abaissés et asservis par des sujétions et des contraintes viles, ils
détournent ce noble instinct, par lequel ils tendaient librement à la vertu, afin de dominer et contrecarrer ce
joug de la servitude. En effet, nous entreprenons toujours des actions défendues et nous convoitons ce qui
nous est interdit. 

Grâce à cette liberté, les Thélémites entrèrent dans la louable émulation de faire tous ce qu’à un seul ils
180 voyaient plaire. Si l’un ou l’une disait « buvons », tous buvaient. Si un autre disait « jouons », tous jouaient.
Si un autre disait « allons nous promener dans les champs », tous y allaient. [...] 

Ils avaient été si noblement instruits qu’il n’y avait personne parmi eux, homme ou femme, qui ne sût lire,
écrire, chanter, jouer d’instruments harmonieux, parler cinq ou six langues et composer avec celles-ci des
chansons en vers aussi bien qu’en prose. [...] 

185 Quand le temps de quitter l’abbaye était venu pour l’un d’entre eux, soit à la demande de ses parents, soit
pour d’autres raisons, il emmenait avec lui sa dame, celle qui l’avait pris pour son amoureux, et ils étaient
mariés ensemble. Et s’ils avaient bien vécu à Thélème dans le dévouement et l’amitié, ils continuaient de la
sorte, et encore mieux d’ailleurs, pendant leur mariage. Ainsi s’entraimaient-ils à la fin de leurs jours autant
qu’au premier jour de leurs noces.

190

François Rabelais, Gargantua, chapitre LVII.1534

15
30
L.L. 14 Objet d’étude : la littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle

195 Parcours Rire et savoir

Candide ou l’optimisme

Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées.  Les trompettes, les
200 fifres, les hautbois, les tambours , les canons, formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais
en enfer. Les canons renversèrent d’abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la
mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la
surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d’hommes. Le
tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un
205 philosophe, se cacha du mieux qu’il put pendant cette boucherie héroïque. Enfin, tandis que les
deux rois faisaient chanter des Te Deum ,chacun dans son camp, il prit le parti d’aller raisonner
ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna
d’abord un village voisin ; il était en cendres : c’était un village abare que les Bulgares avaient
brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs
210 femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles éventrées
après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d’autres, à
demi brûlées, criaient qu’on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la
terre à côté de bras et de jambes coupés.
Candide s’enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et des héros
215 abares l’avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers
des ruines, arriva enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions dans son
bissac , et n’oubliant jamais Mlle Cunégonde.
Voltaire, Candide, chapitre 3, 1759.

16
220 L.L 15 Objet d’étude : la littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle

La Fontaine, « L’enfant et le maître d’école », Fables, I, 19, 1668

Parcours Rire et savoir

Dans ce récit je prétends faire voir


225 D'un certain Sot la remontrance vaine.

Un jeune Enfant dans l'eau se laissa choir1,


En badinant2 sur les bords de la Seine.
Le Ciel permit qu'un saule se trouva
230 Dont le branchage, après Dieu, le sauva.
S'étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,
Par cet endroit passe un Maître d'école ;
L'enfant lui crie : « Au secours, je péris ! »
Le Magister3, se tournant à ses cris,
235 D'un ton fort grave à contretemps s'avise
De le tancer4 : « Ah ! le petit Babouin5 !
Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise !
Et puis, prenez de tels fripons le soin.
Que les parents sont malheureux, qu'il faille
240 Toujours veiller à semblable canaille !
Qu'ils ont de maux, et que je plains leur sort ! »
Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord6.

Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.


245 Tout babillard, tout censeur, tout pédant7,
Se peut connaître8 au discours que j'avance :
Chacun des trois fait un peuple fort grand ;
Le Créateur en a béni l'engeance9.
En toute affaire ils ne font que songer
250 Aux moyens d'exercer leur langue.
Hé! mon ami, tire-moi de danger ;
Tu feras après ta harangue10.

255
La Fontaine, « L’enfant et le maître d’école », Fables, I, 19, 1668
1
Choir : tomber.
2
Badiner : s’amuser.
35 3
Magister : terme latin pour « maître ».
4
Tancer : gronder, disputer.
5
Babouin : singe. Désigne au XVIIè siècle un enfant mal élevé.
6
À bord : sur le bord du fleuve, hors de l’eau.
7
Babillard : bavard ; censeur : personne qui censure les autres, qui cherche à les corriger ; pédant : prétentieux, qui fait étalage
40 de son savoir.
8
Se peut connaître : peut se reconnaître.
9
Engeance : espèce (avec un sens péjoratif).
10
Harangue : discours public.
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45
260

265

LA16 : Molière, Le Malade imaginaire.

ACTE Ier, SCÈNE PREMIÈRE

ARGAN, seul dans sa chambre, assis, une table devant lui, compte des parties d'apothicaire avec des jetons; il
fait, parlant à lui-même, les dialogues suivants: -Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt; trois et
deux font cinq. « Plus du vingt-quatrième, un petit clystère insinuatif, préparatif et rémollient, pour amollir,
humecter et rafraîchir les entrailles de monsieur? » Ce qui me plaît de Monsieur Fleurant mon apothicaire, c'est
275 que ses parties sont toujours fort civiles : « Les entrailles de monsieur, trente sols! » Oui, mais, Monsieur
Fleurant, ce n'est pas tout que d'être civil, il faut être aussi raisonnable, et ne pas écorcher les malades. Trente
sols un lavement! Je suis votre serviteur, je vous l'ai déjà dit; vous ne me les avez mis dans les autres parties qu'à
vingt sols, et vingt sols en langage d'apothicaire, c'est-à-dire dix sols; les voilà, dix sols. « Plus, dudit jour, un bon
clystère détersif, composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat, et autres, suivant l'ordonnance, pour
280 balayer, laver et nettoyer le bas-ventre de Monsieur, trente sols. » Avec votre permission, dix sols.
« Plus, du dit jour, le soir, un julep hépatique, soporatif et somnifère, composé pour faire dormir monsieur, trente-
cinq sols." Je ne me plains pas de celui-là, car il me fit bien dormir. Dix, quinze, seize, et dix-sept sols six
deniers. « Plus, du vingt-cinquième, une bonne médecine purgative et corroborative, composée de casse récente
avec séné levantin, et autres, suivant l'ordonnance de Monsieur Purgon, pour expulser et évacuer la bile de
285 Monsieur, quatre livres. « Ah! […] Si bien donc que de ce mois j'ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et
huit médecines; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze et douze lavements; et, l'autre mois,
il y avait douze médecines et vingt lavements. Je ne m'étonne pas si je ne me porte pas si bien ce mois-ci que
l'autre. Je le dirai à monsieur Purgon, afin qu'il mette ordre à cela. Allons, qu'on m'ôte tout ceci. Il n'y a personne;
j'ai beau dire, on me laisse toujours seul: il n'y a pas moyen de les arrêter ici.(Il agite une sonnette pour faire
290 venir ses gens.) Ils n'entendent point, et ma sonnette ne fait pas assez de bruit. Drelin, drelin, drelin. Point
d'affaire. Drelin, drelin, drelin. Ils sont sourds... Toinette! Drelin, drelin, drelin. Tout comme si je ne sonnais
point. Chienne, coquine ! Drelin, drelin, drelin. J'enrage! (Il ne sonne plus, mais il crie.) Drelin, drelin, drelin.
Carogne, à tous les diables! Est-il possible qu'on laisse comme cela un pauvre malade tout seul? Drelin drelin,
drelin. Voilà qui est pitoyable! Drelin, drelin, drelin. Ah! mon Dieu! Ils me laisseront ici mourir. Drelin, drelin,
295 drelin.

/Molière, Le Malade imaginaire. 1673

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L.A. 17 Molière, Le Malade imaginaire, Acte II, scène 5
300  MONSIEUR DIAFOIRUS, THOMAS DIAFOIRUS, ARGAN, ANGELIQUE, CLEANTE, TOINETTE, LAQUAIS

MONSIEUR DIAFOIRUS. – […] Il se retourne vers son fils et lui dit : Allons, Thomas, avancez. Faites vos
compliments.
305 THOMAS DIAFOIRUS est un grand benêt nouvellement sorti des Écoles, qui fait toutes choses de
mauvaise grâce et à contretemps. – N’est-ce pas par le père qu’il convient de commencer ?
MONSIEUR DIAFOIRUS. – Oui.
THOMAS DIAFOIRUS. – Monsieur, je viens saluer, reconnaître, chérir et révérer en vous un second père ;
mais un second père auquel j’ose dire que je me trouve plus redevable qu’au premier. Le premier m’a
310 engendré, mais vous m’avez choisi. Il m’a reçu par nécessité, mais vous m’avez accepté par grâce. Ce que je
tiens de lui est un ouvrage de son corps, mais ce que je tiens de vous est un ouvrage de votre volonté; et,
d’autant plus que les facultés spirituelles sont au-dessus des corporelles, d’autant plus je vous dois, et
d’autant plus je tiens précieuse cette future filiation, dont je viens aujourd’hui vous rendre par avance les très
humbles et très respectueux hommages.
315 TOINETTE. – Vivent les collèges, d’où l’on sort si habile homme !
THOMAS DIAFOIRUS. – Cela a-t-il bien été, mon père ?
MONSIEUR DIAFOIRUS. – Optime.
ARGAN, à Angélique. – Allons, saluez monsieur.
THOMAS DIAFOIRUS. – Baiserai-je ?
320 MONSIEUR DIAFOIRUS. – Oui, oui.
THOMAS DIAFOIRUS, à Angélique. – Madame, c’est avec justice que le Ciel vous a concédé le nom de
belle-mère, puisque l’on…
ARGAN. – Ce n’est pas ma femme, c’est ma fille à qui vous parlez.
THOMAS DIAFOIRUS. – Où donc est-elle ?
325 ARGAN. – Elle va venir.
THOMAS DIAFOIRUS. – Attendrai-je, mon père, qu’elle soit venue ?
MONSIEUR DIAFOIRUS. – Faites toujours le compliment de Mademoiselle.
THOMAS DIAFOIRUS. – Mademoiselle, ne plus ne moins que la statue de Memnon rendait un son
harmonieux lorsqu’elle venait à être éclairée des rayons du soleil, tout de même me sens-je animé d’un
330 doux transport à l’apparition du soleil de vos beautés. Et, comme les naturalistes remarquent que la fleur
nommée héliotrope tourne sans cesse vers cet astre du jour, aussi mon cœur, dores-en-avant tournera-t-il
toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables, ainsi que vers son pôle unique. Souffrez donc,
Mademoiselle, que j’appende aujourd’hui à l’autel de vos charmes l’offrande de ce cœur, qui ne respire et
n’ambitionne autre gloire que d’être toute sa vie, Mademoiselle, votre très humble, très obéissant et très
335 fidèle serviteur et mari.
TOINETTE, en le raillant. – Voilà ce que c’est que d’étudier, on apprend à dire de belles choses.
ARGAN ,à Cléante. – Eh ! que dites-vous de cela ?
CLÉANTE. – Que Monsieur fait merveilles, et, que s'il est aussi bon médecin qu'il est bon orateur, il y aura
plaisir à être de ses malades.
340 TOINETTE. – Assurément. Ce sera quelque chose d'admirable, s'il fait d'aussi belles cures qu'il fait de
beaux discours.

Molière, Le Malade imaginaire. 1673

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L.A. 18 : Molière, Le Malade imaginaire, Acte III, scène 10
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TOINETTE, en médecin, ARGAN, BÉRALDE.

TOINETTE. – Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en
royaume, pour chercher d’illustres matières à ma capacité́ , pour trouver des malades dignes de m’occuper,
capables d’exercer les grands et beaux secrets que j’ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m’amuser à
350 ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à ces fiévrottes, à ces
vapeurs, et à ces migraines. Je veux des maladies d’importance : de bonnes fièvres continues avec des
transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de
bonnes pleurésies, avec des inflammations de poitrine : c’est là que je me plais, c’est là que je triomphe ; et
je voudrais, Monsieur, que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez
355 abandonné de tous les médecins, désespéré́ , à l’agonie, pour vous montrer l’excellence de mes remèdes, et
l’envie que j’aurais de vous rendre service.

ARGAN. – Je vous suis obligé, Monsieur, des bontés que vous avez pour moi.

TOINETTE.- Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l’on batte comme il faut. Ahy ! je vous ferai bien
aller comme vous devez. Ouais! ce pouls-là̀ fait l’impertinent ; je vois bien que vous ne me connaissez pas
360 encore. Qui est votre médecin ?

ARGAN.- Monsieur Purgon.

TOINETTE.- Cet homme-là n’est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi dit-il que
vous êtes malade ?
ARGAN.- Il dit que c’est du foie, et d’autres disent que c’est de la rate.
365 TOINETTE.- Ce sont tous des ignorants, c’est du poumon que vous êtes malade.
ARGAN.- Du poumon ?
TOINETTE.- Oui. Que sentez-vous ?
ARGAN.- Je sens de temps en temps des douleurs de tête.
TOINETTE.- Justement, le poumon.
370 ARGAN.- Il me semble parfois que j’ai un voile devant les yeux.
TOINETTE.- Le poumon.
ARGAN.- J’ai quelquefois des maux de cœur.
TOINETTE.- Le poumon.
ARGAN.- Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.
375 TOINETTE.- Le poumon.
ARGAN.- Et quelquefois, il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c’était des coliques.
TOINETTE.- Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez?
ARGAN.- Oui, Monsieur.
TOINETTE.- Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin?
380 ARGAN.- Oui, Monsieur.
TOINETTE.- Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas, et vous êtes bien aise de dormir ?
ARGAN.- Oui, Monsieur.
TOINETTE.- Le poumon, le poumon, vous dis-je.

385 Molière, Le Malade imaginaire. 1673

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L.A. 19 : Georges Courteline, Le petit Malade

Le médecin, le chapeau à la main. -C’est ici, madame, qu’il y a un petit malade ?


Madame.- C’est ici, docteur ; entrez donc. Docteur, c’est pour mon petit garçon. Figurez-vous, ce pauvre
390 mignon, je ne sais pas comment ça se fait, depuis ce matin, tout le temps il tombe.
Le médecin.- Il tombe !
Madame.- Tout le temps; oui, docteur.
Le médecin.- Par terre ?
Madame.- Par terre.
395 Le médecin.- C’est étrange, cela. Quel âge a-t-il ?
Madame. -Quatre ans et demi.
Le médecin.- Quand le diable y serait, on tient sur ses jambes à cet âge-là! Et comment ça lui a-t-il pris ?
Madame.- Je n’y comprends rien, je vous dis. Il était très bien hier soir et il trottait comme un lapin à travers
l’appartement. Ce matin, je vais pour le lever, comme j’ai l’habitude de faire. Je lui enfile ses bas, je lui passe sa
400 culotte, et je le mets sur ses jambes. Pouf ! il tombe !
Le médecin.- Un faux pas, peut-être.
Madame.- Attendez !… Je me précipite ; je le relève… Pouf ! il tombe une seconde fois. Étonnée, je le relève
encore… Pouf ! par terre ! et comme ça sept ou huit fois de suite. Bref, docteur, je vous le répète, je ne sais pas
comment ça se fait, depuis ce matin, tout le temps, il tombe.
405 Le médecin.- Voilà qui tient du merveilleux. Je puis voir le petit malade ?
Madame.- Sans doute. (Elle sort, puis reparaît tenant dans ses bras le gamin. Celui-ci arbore sur ses joues les
couleurs d’une extravagante bonne santé […])
Le médecin.- Il est superbe, cet enfant-là !... Mettez-le à terre je vous prie.(La mère obéit. L’enfant tombe.)
Le médecin.- Encore une fois, s’il vous plaît.(Même jeu que ci-dessus. L’enfant tombe.) […]
410 Le médecin, rêveur.- C’est inouï.(Au petit malade, que soutient sa mère sous les bras.)Dis-moi, mon petit ami,
tu as du bobo quelque part ?
Toto.- Non, monsieur.
Le médecin.- Tu n’as pas mal à la tête ?
Toto.- Non, monsieur.
415 Le médecin.- Cette nuit, tu as bien dormi ?
Toto.- Oui, monsieur.
Le médecin.- Et tu as de l’appétit, ce matin ? Mangerais-tu volontiers une petite sousoupe ?
Toto.- Oui, monsieur.
Le médecin. -Parfaitement. C’est de la paralysie.
420 Madame.- De la para !… Ah Dieu! (Elle lève les bras au ciel. L’enfant tombe.)
Le médecin.- Hélas! oui, Madame. Paralysie complète des membres inférieurs. D’ailleurs, vous allez voir vous-
même que les chairs du petit malade sont frappées d’insensibilité absolue.(Tout en parlant, il s’est approché du
gamin et il s’apprête à faire l’expérience indiquée, mais tout à coup) Ah çà mais… ah çà mais… ah çà mais…
(Puis éclatant) Eh! sacrédié, Madame, qu’est-ce que vous venez me chanter, avec votre paralysie ?
425 Madame.- Mais, docteur…
Le médecin.- Je le crois bien, tonnerre de Dieu, qu’il ne puisse tenir sur ses pieds… Vous lui avez mis les deux
jambes dans la même jambe du pantalon !

Georges Courteline, « Le petit Malade », Le Miroir concave, 1905.

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