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LE NOUVEAU Littéraire Een MU Cth Groire aux fauves AVRO Cy Monsieur Palomar Ste atere Corti Les Origines de la pensée grecque APCS NETS Cog eres Marguerite Yourcenar Mémoires d'Hadrien Pee cco yee Poet teC wa Ceca yd NTL Journal NOES 1B ae es yates Ethique Arde ae iw = — SECO ee FRANGAIS Faites un don sur secourspopulaire.ir @ édito « Cette petite fille esperance... >» Par Nicolas Domenach | faut se souvenir de Teruo Nakamura, de Hiro Onoda et de tous ces soldatsjaponais de aSeconde Guerre qui poursuivirentlecombat pendant vinge neuf ans, alors que leur pays avait rendu les armes, Nous sommes & notte fi ‘gon ces « fantomes du Pacifique », ces « trai- ards », nous qui nous obstinons A mener des ‘guerres du passé, Les tribunes se multiplient, et est un bon signe, « que cent fleurs s'épa- Touistene », mas eles remichene des concepts fatigues tels des vieux chewing gums. Comme Pécricplusloin dansce numéro Patrick Dandrey, <« les vais déconfinements sont ceux de F'esprit «qui aura su, dans'a prison, se libérer des chaines Invisibles que lui avait imposées sa vie d’avant ». Crest a cette liberation 1A que le Nouveau Maga zine Littéraire wousconwie. Carlack des champs, ‘qui déverrouille l'imaginaire claquemuré dans les réflexes arthritiques de la pensée, es clichés ressassés, la modernité d’apparence, ces passes magiques se trouvent & portée de bibliothéque. Suivez les guides du présent comme du passé. Ten est un qu'on ne pouvait oublier, Charles Péguy, qui, comme Albert Camus et Alexandre Dumas, ne nous aura jamais quieés. En partic lice sa « petite file espérance », celle « qh V'air de rien du tout » mais qui vous entraine «surlechemin montant,sablonneux, malais¢ >: « LEspérance voitce quisera.(.] Pourainsid le futur dell’écernité méme. » Ce dreyfusard, ce progressiste ~ « un ordre fondé sur I'iniquité nest pas un ordee »» ~ fur submerge par une foi ‘qui pousse cercains le reclure dans l’anachro- nisme, Pourtant, on peut s'écrier avec Maurice Clavel: « Péguy? Vous verrez comme ilenvahit Tarenisn ball x eft do pacer veclaper simisme et le renoncement ». Les inspirations péguystes résonnentsingulitremene aajourd hui comme celles del autre grand Charles (deGaulle), qu'on vaentendre encore et encore dans cetee ary néed’hommage et ce célébration du résstant. Cette « petite filleespérance » Mich Piccoli, laclopeau becsles eax rieurs, parassait roujours Jui donner la main, ~ Je wai hp ter ma mort », diaitil en riant. Mais nous sommes des millers’ ressentir le manque de cet immense acteur. « Monstre sacré»,2--on repée. Maisil navaierien d'un monstre, ce Frangois qui ‘ee Suivez les guides du présent comme du passé. @@ cestallé rejoindre Vincent, Paul et les autres... A ses c6tés, nous avons beaucoup manifesté, pour la paix au Vietnam, pour ke droit al'avortement, contre le racisme etl: FN, pour des candidats de gauche, élus ou battas.. Peu importe, Piccoli-ci Piccol-la. Toujours. Fidéle. Pour la justice. Une lumineuse biographic de la journaliste Anne- Sophie Mercer, toutjuste parue (Picoli. Derriére Péeran, Allary Editions), nous offre une clé de ile conduisit d’ailleurs sur la jpere avait fait fortune surla Iisére des petites gens... » Piccoli n'eut de cesse d'améliorer eur sort. Etson amile dialoguiste et parolier de génic Jean-Loup Dabadie est parti quelques jours apres. Avec lui aussi on a poussé Vescarpolette de la vie. Parfois, on se dit que la « petite fille espérance » ne devrait pas nous li cher comme a. Crise de foi. Erpuison écoute ses chansons... « On iratousau paradis » ! Peut-étre pas cous, mais Ini certainement. Il faut bien quelqu'un lichaue pour écriteles paroles. cette généros paille: « S Jin 2020-530 Le Neem Magne Lite 3. 100 pages pour comprendre V’invention de la modernité IF istoire LES ROLLE CTIONS Amsterdam au Siécle d’or ¢ Pays-Bas, centre du monde Un ilot de liberté ¢ U’héritage marrane # Le penseur des Lumiéres radicales Le plus subversif des philosophes ‘ 'ami des républicains Traitre ou prophéte du peuple juif ? EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX @ SOMmMMare Le Nouveau Magazine littéraire » N°30 + Juin 2020 ” Edito par Nicolas Domenach © Chroniques encouverture Des livres pour revivre Fehr readrns ipo 1 Proust, lai, Bernhard Coen parte Chevitard estes 12 D.H. Lawrence par Stéphane Audeguy Léon Bioy par Alain Dreyfus 16. Walter Benjamin par Auréien Belanger Moliere, Charles Perrault 3” par Patick Dandrey = 21 Vladimir Nabokov 3 parFabrce Colin Spinoza par Maxime Rovere Natalia Ginzburg 52. Emmanuelle Bayamack-Tam par Amo Bertina Italo Calvino et Camille Flammarion par Gabriels Trujillo, Etel Adnan par Thomas Clere Florence Burgat, Brian Aldi, 5.6. Ballard. bar Piere-Edouard Pellon Hubert Mingareli par Brigitte Giraud F par Volérie Zenatti 62. Nastassja Martin 5 Robert Linhart bar Blandine Rinkel par Arnaud Viviane Friedrich Nietasche 28 Nassim Nicholas Taleb ar Dorion Astor et John Maynard Keynes par Patrice Ballon le portrait = 31 Emmanuel Bove 66 Douglas Kennedy par ric Chauvier par Marie-Dominique = 33. Marguerite Yourcenar Lelievre par Juliette et leven 3 Prerre-Edouard Peillon = 36. Stendhal par Serge Sanchez (8 André Breton 2 ‘par Philippe Forest 41 Richard Adams et Andrus Kivirahk par Hervé Aubron 43. Evgueni Zamiatine par Syvain Fort «Sans commune mesure» fentretien avec Francois Hartog = 46. Jean-Pierre Vernant : par Barbara Stiegler 49. Georges Navel parBemerd Morlino 50 Nancy Fraser & Co ; par Réjane Sénac 68. Philip Roth a 'écran, la théorie du Compiot par Mare Weitzman critiques fiction 74 Johnie Carré par Alexis Brocas Christopher Bollen par Bernard Quiriy ‘Anatoli Kim ‘par Patricia Reznikov Claire Julliard pr Antoine Faure I faut relir 84 Alain-Fournier par Serge Sanchez iques essais 90 Yamauchi Tokurya par Patrice Bollon 93 Paul B. Preciado ppar Marie Fouquet 24. Les fréres Goncourt par Robert Kopp Jean-Patrick Manchette bar Hervé Aubron Santé mentale entretion avec Mathieu Bellansen Ce eee 4 la chronique > de Franz-Olivier Giesbert C’est grave, docteur Tricholepis ? avervous que les chins s frente cancer cule KF ciabete et eles chats peuvent étre futite thérapeutique? Pour ceux qui sont restés en ville, le confinement aura au moins été occasion de redécouvrit les animaux de compagnie comme les bétes dites sauvages, qui ont souvent réinvesti des lex dont elles étaient bannies, tandis que les ciseaux se mettaient & donner des concerts de printemps, comme ‘avant arrive des moteurs & explosion, Profitant de la réclusion pour ranger ma biblotheque, je suis tombé sur un livre publi ily aune dizaine d'années et qui m‘a semble actuaité alors que nous apprenions & mieux connaitre, entre ‘os quatre murs, nos chiens, chats, perruches, perroquets, lapins appartement : Ces animaux ‘quinous guérssent, de Philippe de Wailly, docteur vétérinaire Le hanneton Tricholepis contient un ‘alcaloide qui fait baisser la tension artérielle chez homme. En étudiant les 177 genes que nous avons en commun avec la mouche drasophile, la médecine entend faire des avancées sur le mélanome, la dépendance ala cocaine, la résistance au palucisme. inutile de célébrer la sangsve, dont la salve Ccontient une protéine enzymatique quia le pouvoir dempécherla coagulation sanguine chez thumain ‘chacun sait quille permet de lutter ‘contre les phiébites ou de soulager les inflammations en cas de areffe de peau. Nul besoin de faire article pour les abeiles et leur gelée royale. Mais comment peut-on encore étre spéciste? Navons-nous pas tous besoin les uns des autres? Décidément, comme le disait eerivain isaac Bashevis Singer, «tien ne prouve que homme soit plus important qu'un papilon ou quiune vache ». = ___lachronique philo de Marylin Maeso levres. Bien avant etre officielement fixe, la date du déconfinement fut un catalyseur de rveries. Les libraries quion irait dévaliser. Le bar ol fon se retrouverait entre amis pour trinquer & notre santé anniversaire quion rat enfin célébrer en famille au restaurant. Que ferait-on fen premier? La hate de refermer la parenthase des contraintes et des frustrations imposées par la situation sanitaire a pris, dans les esprit, des airs de renaissance anticinée. «Revivre, enfin! » On exhortait ainsla vie ordinair,tissée de rtuels et drhabitudes, dreprendre ses droits. ‘Comme si le monde, effrayé parle coronavirus, avait cessé, espace dune {quarantaine, de ne pas tourner rond. Siseulement. La « pause »r’a pas eu lieu pour tous. Pour nomibre de travailleurs qui ont da demeurer fideles au poste en dépit du risque et dans des conditions diffcies, et qui voient aujourd'hu! les belles ppromesses de primes stenvoler,lidée de se retrouver a abr, avec leurs pproches, devait sonner non comme un ‘emprisonnement, mais comme une libération. Linjustice ne prend pas de ‘congé maladie. Pas plus que lahaine Lesort d’Ahmaud Arbery, jeune [= mai. Cétait sur toutes les LeTImal 8 New Yor, lors tune manifestation aénongant les islences fates aux Alv-Amérieans ‘Afro-Améticain assassiné le 23 février tandis qu'il faisait son jogging, nous le rappelle douloureusement. laura fal une vague diindignation sur les réseaux sociaux pour aue, aprés des mois dincurie, les deux meurtriers racstes soient finalement inculpés. ‘Trayvon Martin (17 ans), Michael Brown (ans), Laquan McDonald (17 ans), ee L’injustice ne prend pas de congé maladie. ee ‘Tamir Rice (12 ans) :s'allonge interminable chapelet des victimes «un fléau qui décime sans interruption ct qu‘aucun reméde ne terrasse Ft pour ceux qui doivent sans cesse détendre leur dignite, ine s'agit pas de revire, mais de survive. Cette peste-la a aussi ses témoins. Des récits, comme Je sais pourquoi ‘chante Foiseau en cage, de Maya ‘Angelou, ou Chroniaues d'un enfant ‘du pays, de James Baldwin transmettent fexpérience d'une vie passée dans une société malade du racisme.Lisons-les. Pour ne pas ‘oubiier ces pathologies permanentes, ‘contagieuses mais slencieuses, qui tuent loin des yeux. quelle histoire! de Fabrice d'Almeida * ‘a Le massacre est un jeu d’enfants Un protestant, Antoine de Richiend, seigneur de Mouvans, revenait chez lui apres avoir attaqué un petit groupe de , éericPer- raule qui amuse, On ne dimalgdchena as la fin 3 ceux qui Vauraient oublige. Bieielllcrcarendicanncenenety promettait des matins radicux et qu'il ne fallait pas croire sur parole, Morslite() de tourcela:~ 1, Lebon- hheur paradoxal du confinement, c'est qu'il permet de peindre aux couleurs de V'illusion les lendemains de libereé promise. - 2. Lesvraisdéconfinements sont coax de Fesprie qui aura sa, dans sa prison, se hberer des chaines invi- sibles que hui avaie imposées sa vie d’avant: esta rencontre consolatrice de Boice avez la Philosophie entre deux séances de tortures; cest le mot esprit magnifique et terrible de Tris- can Berard arrété et internéa Drai eit 1943 «= Neue vivivnes de goisse. nous vivrons dans Vespoir. » = 3.Lalitiérature aide pas tanc’ pas- set] épreuve da confinement qu’a pré- pacer lucidement la déconvente des. Tevée : les mémes qui, apres I’éprewve de 1914-1918, dirent « plus jamais ga.» farene ceux qui a louverture Auschwitz le repeterent, avant de dé- couvrir dix ans plus tardleGoulag —et la suite. Nous sommes d’éeemels opti- mistes. Vide qu’aprés la pandémie rien ne sera comme avant ne releve~ i-elle pas dece que Fomenelle appe- laic « ke sophisme de I’éphémére » = que kes roses croient ks jardiniers im- mortels, parce que demémoire de rose on n'a jamais vu mourit un jardinier ? La liteérature préserve des espoirs fal: lacieux en nous suggérant la mesure exacte du possible, Crest l'esergue dix Cimetiére marin que Valézy avait em- prantéa Pindare: Mi, gif, Blow Airaroy onedbe, vay 8 Eunpactoy ayehei uayavn, (x O mon ime, n’as- pite pas la vieimmortelle.maisépuise le champ du possible. ») Proficons du confinement et du déconfinement pour (ré)apprendrelegrecancien! 2 Mane Vladimir Nabokov Lolita Bovary En ces temps de télé-enseignement, 'écrivain russe aurait été un formidable praticien, eu égard a ses cours de littérature dispe Par Fabrice Colin Litératures, Vadim Nabokov, trot. Fangis, ar Hale Pasquier tare Ode Fortier Mosk Robert Lafont ‘Bouauns » § yensés sur les campus américains. lors comme g2,0n se pique de relite les classiques? Er si on commengaitdgf par les lire? Voici, en principe, le moment ‘it le professeur Nabokov, d'un pas as- surg, fat son entrée dans un silence de cathédrale. De 1948 8 1959, l’éminent écrivain russe naturalisé américain aen- chainé a Wellesley, Harvard, ec surtout Cornel, une légendaite série de cours dédiés aux liecératures européennes et russes. Son audience Thomas Pynchon ‘compris, apparemment ~setenaitcoite. Les legons dur maitre, magistrales au propre comme au figure devaient en ef fer étre restituées telles quelles. Au menu? Pas tat des auteurs que d’im- menses romans snslechetd ets, laliceérature nexiste pas ),patiemment sondés, décortiques, et jugeés 4 'aune de leurs qualités poético-mathématiques, celles qui sont propresa susciter, chez le lecteur, lefameux « frisson revel cherau natif de Saint Péersbourg, Ainsi défilent Mansfield Parkde Janes Austen (« ouvrage d'une dame et le divertis- sementd’un enfant »), Uhsse de Joyce (« une superbe ex permanente ceuvre 1 (quoique] Iégérement suresti- mée »), Bleak House de Dickens (« il n'yarien faite [.,sinon se décendre et hasser faire la moelle épinidre »), Le Cascerange du Dr. Jekyllet Mr. Hyde (car 'leau trévor, qu'on sele dise, « ne Ecrivain et critique (oarnment au NML), Fabrice Colin vient de signer, sur des dessins de Joelle dolvet. le scenario ‘du roman ‘graphique Freak Parade (Denodl Graphic), consacré au légendaire tournage du firm de Tod Browning Freaks. vaue rien »),La Métamorphose(« la fa- mille Samsa autour del’insecte fantas- tique [un scarabée, amis philistins,cer- tainement pas un cafard !} n'est rien d’auere que la médioerieé enrourane le gine »), et les sommets indépassables que sont, aux yeux deauteurd Madame Bovar et Du cite z Swann (« une sorte de chasse au trésor, oit le trésor est le temps, et le passé la cacherte »), dont la sophistication légere et les jeux de miroirs préfigurent les fantasques arabesques dda ou ['Ardeur: «LE MONDE COMME UN POTENTIEL DE FICTION » Plusloin,cestlaliteérarure russe, « tout entigre contenue dans l'amphore d'un siécle », quis‘offreau lecteur ébahi. On apprend que Dostoievski, « auteur pl cotmédioere — avec des éclairs de réelle originalité », ne soutient pas la compa- raison ayee Tolstoi(« le plus grand des romanciers et nouvellistes russes») que Les Ames mortes de Gogol s'élevent ~ au niveau d’un faneastique poeme épique » et que Tourgueniey brille nt tout pour « ses petits tableaux aux teintes moelleuses ». Léléve réfrac aire, ierté parle caractéxe péremproire decesassertions (« l'ared’écrireestun ers futile s'il n'implique pas avant tour l'art de voir le monde comme un otentiel de fiction »), pourra taper du Ped roncer es sour queer asl Use priverait, ainsi de I'érudition sans faille du maitre facetieux, de son amour des « divins détails » ec de la finesse contre-intuitive de sesanalyses,résolu- mentamputées de toute consideration psychanalytique et de toute contextua- lisation historique. Nabokov ressemble Ace vieux serveur parisien impassible par qui il nous plate d’éere rudoyés sans son dédain génial etson inimitable faconde, le vin serait incomparal ment moins bon, . 6 Sur Dickens : « Iln’'y arien a faire [..], sinon se détendre et laisser faire la moelle épiniére. » ‘hin 2020-N30-LeNewem Maguine iiie 2 encouverture. Zo C! eb nar Gard Taka Que quand A thass jtune gn 5¢ faisaik um BISOU paar se dine bonjour 71... Spinoza Contre-modéle Le philosophe d’Amsterdam s'est opposé aux froides modélisations des rationalistes en privilégiant, méme en mathématiques, le jeu de forces des affects et, au premier chef, le désir. Par Maxime Rovere Nene eae epi nae quants de la pandémic de Covid-19 est ‘avoir induit,& échelle planéraire, une im- mense dépendance aux modéles, aux chiffres et aux Philosophe et enseignant, Maxime Rovere est auteur, entre autres, d Bester éthooes de Spinaza (CNRS, 2010) et du roman Le cian Spinaza lammarin, 2017), Jin 2020-N30-Le Nowe Mogae ite 3. courbes. Pendant que les médecinscol- leetent es = données ~, les rdinateurs multiplient les « modeles », les poli- tiques ne parlent plus que d’e aplatirla ourbe ». et let médias fournisent chaque jour des chiffres ex des statis tiques & une société pour qui ils sone devenus, ni plus ni moins, une sorte de in quotidien. Ce rapport’ila mie témoigne du recours ma moddlisation, l'un des éléments fonda- mentaux du rationalisme moderne. MUTATION ACCELEREE Ce rationalisme, entendu comme une sorte de confiance dans le pouvoir de la raison & accéder & la ve socie a la figure de Descartes (1596- 1650). « Etre cartésien », ou « avoir Vrespric cartésien », signifie exiger des arguments logiques et solides avant de se ranger Aun avis, et chercher des eau salités observables avant de roire des cffets. Au tournant des années 2000, les philosophes, scientifiques et autres se sont misaise revendiquer de Spinoza (1632-1677). Cette substitution dans les figures cutélaires signale une trans- formation profonde dans notre ma- niére de concevoir la raison. La pandémie de Cov:d-19, en rendant plus claites que james leslimites di tionalisme « 4 ’ancienne », accélére cette mutation. Four comprendre comment le rationalisme post-Co vid-19 peut trouverles moyens dese ré inventer par le « spinozisme >, convient d’éelairer les problemes aux quelsla modélisatioa et le rationalisme cartésiens ont conduit. La modélisa tion elle-méme este fruit dela mathé matisation constitutive du mous connu, entre le le milieu du xvir,comme « larévolu- tion scientifique ». Cun de ses aspects les plus saillanes consiste & penser que leematheenstgues cont lc langage dela vraie science, voire que la nature elle- méme est écrite en angage mathéma- tique (célébre paraphrase de la préface le Gailée L'Esayeu; 1623). parant ses observations terrestres et cé lestes avec les rapports purs qu’écudie la géomeétric, Galil s'est convaincu que la pensée humaine aceéde aux idées qui one donne i: vers, ou plus exactement aux lettres de ALURE spices Es Eshique, Spinoza oat ‘Bears Pourat, 709.1250 € ‘@@ Un contrdle fondé seulement sur des modéles finit par s'aveugler sur ses objectifs et par se retourner contre I’humanité elle-méme. @ encouverture. see Valphabee done l'univers est le texte la science des figures serait celle du Verbedivin. Descartes pourstic cet effort de ma- ehématisation en Voricntant vers Val tbr scenes des nombres.eten erap- portant moins & Dicu qu’ Pesprit fete i dred a phiksophiclameshode diced «fan iyse », qui repose surla division despro- Blemes en sous-problémes et sur la ré duction de la complexieé des choses jusqu’a ce que nous disposions de mo- disse: sinplifiéspour que note pnt les comprenne, erouvantainsi des moyens d'agiz. Une variance anglaivede cette proposition, formulée par Des- caiesdansks Righspon laren de esprit, se trouve chez Francis Bacon (Novwan organuem, 1620) Elle porte im- ee ee can tes choses en apparence inexplicables $ éelairent. Bacon démonere quelacha- leur n’est qu’un effet du mouvement, Descartes prouve que l'are-en-ciel nait éfraction de rayons umineax, etc. fn partic vement, en étudiant son tour les émo- tions suse prisme de la moddlisation Pendant des sieles, usage des mo sations mathématiques va apporter des. bénéfices sociaux immenses:I'érude des probabilités parexemple, permer dedé- velopperdéslexvir's. des ystzmesd'as- surance protégeant les commergants de la perce de leurs cargaisons (nau pirates, etc), et méme,aprésla peste qui griffonne des calculs surles probabil. 16s, lorsque l'on discure de cequ'on ap- pelleraic aujourd” hui... uneséeurité so ciale. Mais, en 1672, la France envahit le pays, et De Witt exe assassing. ‘Avec le Covid-19, les limites de ces modélisations sone devenucs visibles Card une part, nascontemparains découvrent ce dont Descartes avait verti dés le débue: route modélisstion estincertaineet sapparente dun « 10: man » (commeille dit de son merveil leux livre Les Méréores, ot décrit flocons, nuages, ete.), puisqurelle re pose sur une extreme simplification ; ‘mais, dautze pact,en éablissane surles chosesun contrile fondéseulement sur des modeles, cette forme de rationa- lisme fnit par ¢aveugler sur ses objec tiff et par se retourner contre l'huma- nitéellesméme. Adorno ec Horkheimer Vontdeja faitobserver dans La Diale tique de a razon, publige en 1942puis 1947: lsmontraient que la rationalité moderme met en place une compra lité technique capable de fonder des ré- gis cocalicaice cee vomnduise Ades destructions massives. Le formalisme rationnel, en rejetant toute considéra- tion extérieure, conduit des humains (cans qu’ilssoiene nécessairement me- nés par un fantasme idéologique) des situations monstrueuses, parce qu’ils cont lenez sur des chiffres. Pour Descartes, le form: tionnel avait pour fin de détivre les sa- soles dela cull das Egleston ee Qu’est-ce que le désir? C’est une tendance fondamentale en chacun qui se complique en s'associant a d’autres. Aucun chiffre, aucune courbe ne peuvent indiquer les bornes du possible, car ils refletent par définition nos désirs et nos peurs, etc. @@ décime Amsterdam en 1664, de réfé chiraux caleuls qui permeteraiened’as- surer la vie. Oui ! Excellene marhémati- cien, le chef du gouvernement (zathouder) Johan De Witt (1625-1672) 21 Le Nae apie Lino 30 de route préoccupation morale; ce qui libéra la créativité et les recherches dans tous les domaines, de |’anatomie al'as- trologie en passant parla reproduction humaine, Mais, dés 1660, Spinoza et ses amis avaient pergu les dangers des odélisacionsformalistes. Pour eux, la con se conceit, dabord et avant tout, non & parcir d’opérations mencales pres, mais’ partir d'un jeu de forces qui implique desaffects ~ méme sicela nesewoit phis dans cecopérationselles- meémes. La rationalitéde Spinoza reste, bien entenda, ees areachée l'abserac tion ; ces pourquoi L'Ethique, appli- philosophic, imice les Elémonuts d'Eu- clide, Mais h raison est pleinement as- sumée comme expression du désir. Quiesece que le désie? C'est une ten- dance fondamenrale en chacun qui se complique en s'associane & d’autres = ‘out vivant est ainsianimé par un mou- vement done les variations sont les af- fects; ce sont ces affects qui,en cher- chant leur propre harmonisation, vont donner natssance aux opérations men- cakes qu’on appelle la raison. Les THEATRES SONT FERMES Cette conception a des conséquences justin soso re ae pan nk voir. Premiérement, ele signifie que la raison ne décrit les choses « objective ment » qu'au sens ii elle articule nn dsr collectif des objets que ve desir luiméme définis. Aucun chifce, au- cune courbe ne peuvent done indiquer Tes bornes du ponbl, ca ils relent par definition nos désits, nos peurs, ec Deaxitmement, comme aucune vérie vest indépendante de son sujet et que nossciencesreflzent notre socieeilest escentiel que tousles cicoyens travaillent Ase connaitee eurrmémes. Voili pour- quoi Spinoza et sesamis prenaient tres au séricux l'éducation pour tous etla Fréquentation des thédtres. Ils avaiene prévu que, sles humains rapprennent pavatravsillerleursafiects.slsnesone as tous un peu philosophes, leur propen tite da comatlw stemieners aucomatiquement contre eux. Au- jourd’hui, nous serutons la eéalité dur Covid-19 dans des courbes ex des chiffies : c'est dire comment nous vi- ons notte peur, sans savoir mieux la modéliser. Pendant ce temps, les théitres sone fermés. Lerationalisme a encore beaucoup’ réinvencet. Natalia Ginsburg De bouche 4 oreille Le meilleur moyen de regarder en soi est de tourner les yeux vers lextérieur, écrit autrice des Mots de /a tribu. Car, du silence, il finira bien par sortir des murmures, puis des paroles. Par Valérie Zenatti ctitredece recucil évoque’ lui seul la maniére humble et exi- geante de la grande Natalia wzburg, dont la verte pre mire est sans doute son re- physique des expériences morales. » Dans « L’hiver dans les Abruzzes », Cest exil qu'elle interroge, et donc la pee decegul conic cade d'une vie — une perte tantoe agréable, -« comme une présence tendre en pet enivrante », tantét prenantdes accents «de nostalgie aigué etamére » jusqu’a une haine tue ear injuste, et je ne peux rmempécher de songeren lisant ce texte que lenfermement &l'intérieur de nos propres murs a eu un singulier godt d'exilinversé. Nous ne fiimes pas chas- sés de nos maisons mais contraints d'y rester,bannisdes rues t de tousleslieux de vie oitrégnait désormais un silence mortifére, et c’estun peu plus loin dans lerecueil quel'on crouve précisément un intitulé sobrement « Lesilence >», oii ces phrases appellent a une réflexion sonnelle et collective urgente :« Ja- fas, comme dens jour es dein des hommesn’ont été siéeroitement unisles tuns aux autres, de sorte que le désastre de l'un est le désastre de tous. On constate done ce fait curieux, que les hommes se trouvent ctroitement lisa gat incroyablement chitin @@ Jamais, comme de nos jours, telligene sans jamais point de vue se traduit chez elle par la delle-méme, avec lacuité de celle mation de ce quelle pense mais la ma- Ecrivaine quellaitecpenss traductice Dans! ébranlement historique que ‘Sptaeencct nous traverions, dang la néoseatde URE Sopetele) et trouver des points d'appui pour parve- Scenarist, nir & distinguer ce qui s'est dérobé, ce Valerie Zenatt ia surgi, ce vers quoi nous voudrions Becrk LesAmes —— lasurgheevers Zeck leek aller, ces textes, rassemblés pour la pre acc ae miére fois en 1962 ec vers lesquels je Woivier rourne régulitrement, m’apparaissent comme la possibilité de cheminer avec Legpetivesvertus, tune éctivaine qui éclaireautantles effets Natdia Groura, de I’histoire sur les vies individuelles _ ‘radtuit de itatien que 'acte d’écrire. A travers ces onze Adriana R Salem, textes, on retrouve Natalia Ginzburg fon soe « plus que jamais fidéle&elle-méme », selon les mots d Italo Calvino, qui signe lapréface. « Toute en conerétude, toute en personnification, route en ressenti panoramique et précis. La notion de leg destins des hommes n’ont été capacité de voir 4360", ct aussi al’ineé- Si @troitement unis les uns aux ‘ine cherche pas danse réellaconfr- Autres, de sorte que le désastre tiére brute, vivante, intrigante, dece de l'un est l2 désastre de tous. e@ destin les uns des autres, de sorte que la chute d'un sul entatne des males dantresétres,eten méme tempsils sont tous asphyxis par ke silence, incapables un libre échange de mots. » (Oui, nos destins furent et sont étroi- tement liés, dangereusement méme puisqu’il nous faut encore maintenir tune distance & la ois prudente et mé- ante es uns vis-i-vis des autres, et que acte méme de la parole est source phy- sique de danger, mais alors, comment parler & distance ? Suffivil d’élever la Voix pour se faire entendre et com- prendre par Pautre? Le chuchote et le murmure sone-ils condamnés & dlisparaitre, au moins pour un temps? ‘hin 2020-90 Le Neem Mogan i encouverture. Ce ne sone pas les questions po- ‘* WSdislnfetondeXaiacee Robert Linhart burg, maissalecture leurdonne corps, renouvelancla qualiof du présns, dans [, : | | . Ta double accepeion da terme, des cakes LES IMUSIONS médeau silence ravageur contre lequel ’éctivaine s éléve n'est pas le simple t bavardage, car le silence immoral et ete ~O@rduren tragédie : la conversation impossible. — Alors nous teenons’ notte Epoque, Ta profidon dele dls par ene Lauteur de /’Etabliraconte un Lénine intime et fraternel sanstoujoarssécouter;mais qui contemplait au seuil de sa mort le matérialisme dialectioue prceonemeenay iy ee aed senrayer comme une chaine de vélo. que nous avons eu lors des prem jours de sideration, et la possibilité de Par Arnaud Viviant converserréllement, dans des « rap- ports libres et normaux », apparait comme une clé tout sauf anodine, celle dela discussion indispensable, méi ct surtout contradictoire, pour conti nuer de construire le monde. | faut sans doute remonter _ communisme que Keynes fai iciallu- DANS UNE INTIMITE CLAIRVOYANTE centansenarriére,en 1920, sion alors qu’a autre bout du eoni- C'ese ce socle fondamental des rela- pour retrouver autant — nent Je premiet Etat prolétarien du- tions qui est au coeur de plusieurs quayjourd’huil'idée d'un tab wonininsins ds!inaioues Ese 1920, autres textes du recueil, dévoilanc la monde défait et refaire, ile este plus Lénineque quatre ans force de l'amicié et la merveilleuse une eésure que l'on dési- vivre, mais encore des contradictions protection qu'elle offre (« Portrait reraitla plas véhémente possibleentre 4 résoudre. Le matérialisme dialec- d’un ami», sur Cesare Pavese), le unavantetun aprés. En 1920,labou- _tique, ga peut s‘enrayer comme une contraste incongeu, drdle et rendre cherie dela Premigxe Guerremondiale chaine de vélo, cet engin que Lénine encre deux étres, qui se synthétise et la crise de l’impérialisme posent avait découvert & Paris et qu'il aimait dans I’évidence de l'amour (« Luiet danslespaysd'Europelesquestionsde tant. Ce sont ces quatre années der- moi ») et le texte majeur qui porte organisation sociale, du systéme de nigzesde savie, et sesdernigresheures, our ttre précisément « Les rapports production, mais, ‘qu’explore Robert Linharedansun es. fiminteimevingalitderes ‘Seiraimaced: AURE Sipubligen 1976: Lénine les paysens dans lesquelles se condense le génie de la simple survie. Taylor (hélas! aujourd'hui épuisé). Natalia Ginzburg, qui parvient & Partout, la faim ser, ila premiére personne du pluriel taraude. ‘Surtout ENCES TEMPS DEGISCARDISME mais dans une intimité clairvoyante, dans les pays vai On dirait le titre d'une thése austere. Péxoffedenos iesauxrefletsd'espoir cus, Or, comme Lelivre n'est pas tréslong: 200 pages. et de désespoir, de fragilité honteuse Pécrit Keynes dans Fr tour deste il vous happe en vous etde couragebravache, de a toute pe- Les Conséquenceséo- rucontant une histoire, Celle d’un tite enfance oit'on creuse parfois un nomiques dela paix. Léniney homme affamé qui, dans le Grand trou dans |a terre avec un baton, espé- (1919), » que proposaient Asan épogue eertains journaux, od il s'agissait de choisir, pari tne centaine de photos de sear lerees, squellescinqou dix.seront ues « les plus belles >» par les leeceurs — le gagnant éeant celui done ba lis proche le plus du chotx des autres. ENTRE OPINION ET CONVENTION De cette fable amusante, qui suscite = qualité rarisime dans les ouvrages ‘économie, en général tr’s ennuyeux — tun vrai plaisir A lecaare, Kee en condluc gue le prix des ations n'a rien d’« objectif » au sens strict, I découle dela tentative faite parchacun desopé- rateurs boursiers de « deviner ce que opinion moyenne crait éte opinion moyenne »,seule fagon de comberjusce erde gagnet Ala Bourse. Une formule gui, sous une apparence simple deri sme complexe en miroirs et contre-miroits, Ala manigre desdessins a'Eccher, done les perspec abyme font surgi des univers (ie eepeydce saad wl nigh Car, pour Keynes, iy a bien quand mméme une limite ce proces infink qu’on qualifierait en informatique a’ algorichmique » : le faie qu’A chaque période il existe un consensus implicice ene les opérateurs bousiers sur état de l'économie — ce qu'il ap- pelle une « convention », laquelle se ‘modified incervalles gulers. Les commentateurs dela Theorie ¢é- nnérale en ont déduit des variations sur importance dela « confiance » dans nos économies, Mais fablede Keynes va bien au-dela. Elle monere en effee d abord que notre prétendue « raison économique » est, sauf sur le court terme, oit la stabilité est garantie, une Ulaaions— ve spt ill Doo weal quences catastrophiques de notre im- préparation tis « rationnelle » face A lapandémieSurleplande la éflexon économique, elle signific ensuite que, sebours demon docisines damingniess la rationalicé de nome systéme nest pas « paramétrique », obéissane 4 un calcul abstrait valide en toute occur- rence, mais « relationnelle »,émanant du jeu au résultatimpeévisible desrela- sonsentrecroisécs entre lesacteurséco- nomiques. Tout autre qu'une science jathématisabl cipline psychosociale. Et cest sur cexte base qu'il faut la rebi poine de vue plus mésaphysin allégorie nous suggére enfin que I’in- certitude n'est pas tn « raté » de notre syste mais au corer, un de ss eraitsfondamentaus. Quelqueréve uto- pique de stabilité peso puissions cntretenit, nous vivons dans un monde jamais mouvant, comme silincerti- tude faisait partie de ce que les humma- nistes nomment avec grandiloquence notte « condition humaine » :c'estla plus belleleson, de réalisme, que nous delivre ce satané coronavirus . E IB lui-méme,on ese « seul et faible quand Mmmanuel Dove ‘on n'a pas d’amis ». Dans cette pers pective simple, I’écrivain relate une . succession de rencontres, cn susissant e U x U | des détails contenus dans les conversa- tions apparemment les plus banales. II travaille au corps le drame que voile par exemple un silence équivoque. Il dé- ne sont rien Se ace de joie presque éteint. Dela fatigue mo- rale i exeirpe la palpitation d'un es- Pour patienter entre deux confinements, une plongée pols, Dans ln:cquast basecase'd’une oblique et bouleversante dans une vie ordinaire, riche conduite il entrevoit la promesse de la avant tout de ses équivoques. i La ie oopinalie capes ‘un dia- Par Evie Chauvier venquescedesesincertitudes, Samuel Beckett avait pressenti que écriture d’Emmanuel Bove, du dérante précision, était un peu plus que del'éeriture: « Onfapasl impression delelire, mais dele vivre. » Cette i rature nous emméne effectivement trés loin dans l'exploration de I’ime hu- maine, maisen nous dévoilant es palpi tations de la vie ordinaire. A’heure du confinement; de ’éeat d'argenee ct de jourd’hui,aI'heure dela pan- Vincertitude généralisée, relire Emma- démie planéraire, cette propo- rnuel Bove c'est comprendre que I’éva- sition s'accommode mal de quelques sion la plus sensée dose peue-ére se faire questions embarrassantes : s'évader aga dans ce qui nous est confisque : nos vies pour quoi faite? S'evader verso? Estil ordinaires et leurs extraordinaites res- mémejudicieuxdes'évader?Danscette Mesamis tune promesse de réconci- situation deconfinementetd’ératd’ur — Ermanvel mn avec les humains aux vis a littérature devrait nous per mettre de nous évader. C'est ainsiqu‘elle nousest présentée en régle générale. Aw sesanieaire,s’évader nerevientil pas BOW xicux qui nous entourent: la promesse Mfuirnos responsabilicésal'épardd'un — fuaace d'éere & notre place parmi eux, rien de téel de plus en plas inquieane En fai, plas t rien de moins quoccuper tne ilest devenu difficile: a2 's'évader sans se place juste, celle qu'il nous faudra finir PROMESSE DE RECONCILIATION igetheeaims ‘Hest peutétre un reméde en la pe @@® Dans la quasi-bassesse d'une nuces sone d'un écrivain dont lceuvre est et Laura, un peu oubliée: Emmanuel Bove.J'au- CONduite, il entrevoit la promesse rais pu choisir n'importe quel livre de lui, mais je vous parlerai de Mes amis, Ge la bonté. Beckett avait Veer Bien gee oketserdieaie Pressenti que l’écriture de Bove, bral een ap apa d’une sidérante précision, était me empesé dans on existence. Le Un peu plus que de l’écriture : projet de Victor Baron est compul : . Hert dnover de liens d’ ide: « On n’a pas |'impression rables avec les personnes que le hasa . . . met sur sa route. Car, comme illedit de le lire, mais de le vivre. » @@ encouverture. Marguerite Yourcenar Lempereur Hadrien, sous la plume de l’écrivaine, médite sur la civilisation occidentale et son rapport iardinier la nature, aprés avoir traversé les convulsions de l'histoire et '6preuve du deuil. Par Juliette et Pierre-Edouard Peillon diac de Mémoires dtladrien en 1951 peut sembler éton- nant. Les cendres de la Se conde Guerre mondiale fu- ment encore, et voila que mphe I’hiseoire d'un empercur du I sicle érite, qui plus est, par une ro- manciére exile. Tout cea sent la pous- émoigne d'un éloignemeng,sinon dune répugnance, pour les affres de Mépoque...On auraie pourtane tore de considérer le plscélébre des romans de Marguerite Yourcenar comme une fi tion hors-sol Voi en effet un réic ere Jangement hanté parla guerreet ledeuil. Memoirs d’ Hadrien ex doblement un roman del'aprésaprésles conguétes de Tren, erapetearwxque oucbde Ha drien; aprés la mort d’Antinois, le jeune amantd’Hadrien, dontle suicide scinde en deux ces pseudo- Mémoires. DANS LA FORCE DE LAGE Cen’est pas un hasard si Yourcenarn'a pu achever la rédaction de ce roman quiaprés la Seconde Guerre. Le projet avait connu une premiére ébauche entre 1924 er 1929, lorsqu’il fur, selon les dires de I’écrivaine, « congu, pu formes ». Aprés une période de ja- chére, la romanciére reprend en 1948 intégralementce qu'elle avait déja écrit. A\llafin de cette décennie tourmentée partic, sous diverses AURE Mémoires a'Hadrien, Marguerite Yourcenar, 2 Foti sB4p, 7506 ‘ee Si cet homme n’avait pas maintenu la paix pour le monde, la figure d’Hadrien se pare d'une dimension contemporaine ‘« Lemonde dont 'avais hérité ressem- blaiti.un homme dans a force de!’ robuste encore, bien que montrant ddgji,aux yeux d'un médecin, des signes impereeptiblesd 'usure, maisqui venaie dde passer par les convulsions d'une ma- ladie grave. » Hadrien fat le pacifiste, par opposition au kelliciste Trajan il Furle bacisseur ete stabilisateur, quand son prédécesseur laisse surtout une image de conquérant fougueux. Avec Hadrien, la romanciére tient un per sonnage quilui perme, ila sortie d'un tyte de rvages de mls surla non velle ére qui s‘ouvse pour les Euro- péens. « Si cet homme n’avait pas maintenu la paix du monde et rénové ses bonheurs et ses mal s m'intéresseraient moins », confesse-telle méme dans ses Carnets denotesde Memoire:d Hadrien, Leto- man, dans lequel lempereur s'adresse A son successeur Mare-Auréle, prend oceasionnellement h forme d’un traité politique déployant une réflexion sur tune forme de gouvernement idéal, du monde et rénové l'économie, ses bonheurs et ses malheurs m'intéresseraient moins. @@ Jin 2020-N30- Le Nemes Moprine i encouverture. En avance méme sur son temps, émoiresd'Hadrien affronte la ques- tion d'un construire social, politique, économique et méme urbain et écolo- ‘gique. Si cette dernigre préoccupation ne structure pas encore l’ceuvre de Yourcenar comme elle le fera ulté rement, sielle n’anime pas encore les débats politiques européens, elle infuse doucement dans Mémoires 'Hadrien, Quand I’éerivaine tion dece roman emet a la ré reside depuis ix ¢s-Unis,oit la question en- Ala suite des es- Nouveau-Mexigh en 1949 du livre du forestier Aldo Leopold A Sand County Almanac, balise de la littérature écologique outre-Adlantique. «SAGE VA-ET-VIENT » Lechapitre « Tellusstabilita » évogue cette double reconfiguration A la fois politique et environnementale. D’un cbté, leellus est un espace donné. C's ici I'Empire romain, ct la romaneiére présente un Hadrien attaché & lui rendre une cohésion mise 4 mal par les conquétes de Trajan. Pour cela, il en fixe es fronttres er cherche on gut libre social. Par ailleurs, le rellus, c'est Iacroitte terrestre esol, et donc un mé- licu biophysique. La vision de l'armée que Yourcenar place sous la plume de Tempereur-mémorialiste passe de celle dts oma daparsion delle dogene deliaison entre différents écosystémes entre le peuple dela forée, de la steppe écage, et I’habieane raffiné des Gabriel Garcia-Mérquez CRISE DAMNESIE Dans Cent ans de solitude (1967), Macondo est envahi par Lune épidémie a'insomnie, quise meut en une peste de Voubli et accable Ie village d'« une espéce d'idiotie sans passé ». Un systéme de tracking avant la lettre, au moyen de clochettes de chevre, est mis en place et permet dlendiquer la malaiie.« Si efficace fut la quarantaine, écrit Gabriel Garcia Marquez, que vintle jour ol'état 'urgence fut considéré comme une chose naturelle », et « personne ne sinquiéta plus de inutile coutume qui voulut que 'on dormit ». Surgit lors un certain Don Apolinar, qui impose soldats et décrets dans ce microcosme olt on n'a pas Vhabitude de « se faire obéir avec des papiers». I peut rester 8 condition de se comporter en citoyen ordinaire, et de congédier ses soldats. étranger finit néanmoins par _asseoir son autorits, ordonne de fermer « les lieux de ‘débauche », fait revenir ses policiers armés de fuss, « sans csalitade, _ QUe personne ne songe [..1 se rappeler le compromis Gabriel Gore orgie interdree vilage aux gens en ames. Murcuez”” Amesur qu ces aux saritaies et autortaires se sone muttiplient, les liens sociaux et le pacifisme qui faisaient la ‘ecw! force de Macondo edsolvent. Nous souvendrons-nous eames = de « inutile coutume » qui voulait que l'on s'embrassat? cairn, Plongerons-nous ass dans amnéso, oubliant ce qu'on Saronn stat promis pour fe « monde apres» et meee ‘00. 820€ —«compromis orgie » de nos démocratis? Monon Houtart astres. » Construite, c'est faire corps avec larerre : « le tassement ou l’ffrt tement imperceptible » des choisies « se fait de telle maniére que Pédifice reste montagne alors qu'il a cessé deere visiblement une forteress, un cirque, une tombe ». Lacivlisation apparait comme un mouvement : un lene fondu enchainé vers un éventuel, sice n'est inevitable, retour a nature @@ Toute création humaine qui prétend a l’éternité doit s’adapter au rythme changeant des grands objets naturels. e@ Villes.»» La conception politique d”Ha- dien se teinte aussi d'une préoccup tion pout le territoire dans son sens le plus large : « Toute exéation humaine gui prétend a I'éeernité doit sadapter aurythme changeant des grands objets natures, s'accorder au temps des S31 Le Nome Magazine ints Nu Avec cette perspective Hadrien congoitle pouvoir politique comme un travail delaterre, Le sceptre del empe reur pourraitbien érre une houeou ine éche : « J’exergais en cours de route lesdifférentes professions dont se com- pose le métier d’empereur (..]. Et aujourd'hui, sur les terrasses de la Villa, regardanc les esclaves émonder les branches ou sarcler les plates- bandes, je pense surtout au sage va-et- viene dain * Les trois tomes autobiographiques ian Eebyriasbe dy wande ont pint loin dans cette maniére d'envisager nos existences comme étant enraci- nées: laviea la forme arborescente des rhizomes et ne peut se concevoir indé- pendamment du sol oit elle se déve- lope. Ces Mémoires accordent moins de place 4 la vie de leur autrice qu’a cellede es eux et leurs rapports aux lieux oils vécurent. Dans cette ample reconstitution d’un passé se dic une histoire collective qui s'éeend au mi- lieu naturel. Se penchant sur des mo- ents d’anéantissement, la roman- ere arpente le versant inverse des Mémoires d’Hadrien : quand ces der niers s'intéressent 4 Ia civilisation comme reconstruction, Le Labyrinthe encouverture. du monde dresse l'inventaite ‘une série de dégradations dont homme se rend coupable. ENTRE LES MOTS ET LES CHOSES Toute construction du langage met en crise le langage lui-méme. Nommer, c'est se distancier, comme dans le deuxiéme tome des Mémoires, Archives ‘vers!'époque oit es éroiles n’écaient pas <« encore relies entre elles par nous en lygones, en triangles imagi- fant pas encore regu des woms de diewx ex de monstres qui ne les concernent pas ». Ce hiatus entre les morset les choses, entre les hommes ete qu'lvient Hadrionen il rience quand il pleure la mortd’An- tino, Ls vers médiocres de Pancr ts, son poete officiel, ne peuvent rivaliser avecI"émotion de 'empercur. Lui-méme sent qu’il avait « participé Acct infaime abus de mots » : « Je me souvenais de lieux communs freq ment entendus : on meurt & tout age: ‘ceux qui mecurent jeunes sontaimésdes dieux. » Un peu plus tard, Hadrien haisse sa pensée mélancolique glisser vets une autre mot celle de ttle _gencedela ivlisation romaine, et quidce de constater que « les trois quarts de nos exercices intelectuels ne sont plus que broderies sur le vide ». Ecrire,ce serait done réécrire. Roman intégealement repris & l'exception dane pes cerca maonseate Ia vie d'un homme qui s'attelle lui- méme A la refondation d’un Empire, Mémoires d'Hadrien baigne’ plusd'un égard dans cette logique de la redon- dance. Danslalitanie de répétitions qui composent l'histoire humaine, « le temps ne fait rien 4 affaire », assure I'écrivaine dans ses Carnets denotes de Mémoires dHadrien son peutainsi en- jamber les époques : « Ce mest tou- jour une surprise que mes contempo- rains, qui ctoient avoir conquis et transformé l'espace, ignorent quion peut rétrécie a son gré la distance des siteles, » Yourcenar se permet méme dialler plus loin en affirmanc : « Tout étre qui a vécu Faventure humaine est moi. » Vivre, est toujours revivre, carrés, Le Neen Maine Lie a 200, Stendhal Au bonheur des drames Lauteur de La Chartreuse de Parme a traverse les troubles et les horreurs de son temps en curieux de tout, animé par une inoxydable joie de vivre. Par Serge Sanches, tendhal roman- er. Avec Le Rouge et le Noir (1830) et La Chartreuse de Parme (1839). il pouvait prétendre une place de premier plan auprés des grands éerivains du xix" siécle, Hugo, Balzac, et plus rard Flaubert. Er puisily cut Vautre Stendhal, le diariste,I’épiscolier, auteur de Vie de Henry Brulard et de Souvenirs ad égotiome. Celui-ci, nous le devons a Casimir Stryjeriski, profes- seurd’anglais 4 Grenoble, qui rela a T’énorme travail de déchiffrement et de transcrip- tion des inédits détenus 4 la bibliocheque municipale dela ville,en particulier du Journal | cecde Lamiel, publiés en 1889. La, c’était une tour autre af faire : une nourriture pour les Journal, "Cela nenlevaie rien a Saha TimagedeStendhal transmise —t296a\ ts par Sainte-Beuve, celle d’un hussard romantique, d’« un hulan, un chevaucléger d’avane-garde qui va souvent insuiter’ennemi dansson re tranchement, mais qui aussi, dansses faites et refutes, pique d’honneuret aiguillonne la colonne amie gui che minait parfois trop lentement et Kruse ela Gcs Pavia be pas [--},narguaned’alleurs le solen- nel et le sentimental, brillant, aven- tureux, taquin, assez solide a la Fipos Mais, en découvrant ses ceuvres au- tobiographiques, on comprenait que Ja véritable heroine de ses livres, et curéere méme la seule, c'est savita- [es cere extroedinaizedisporidon ‘excellent a 'escarmouche ». devant la vie qu'il résumait par une AURE formule devenue célébre : la chasse du bonheur, un vité qu'il pratiquait quotidien- nement, comme une disci- plinede bien-éere, sans naiveré ni affectation. Ouvrons son Journal & la dare du 11 mai 1809, deux cent onze ans tour juste avant le récent déconfinement. Stendhal se trouvaitalorsavee laGrande Armée Sankt Pal- ten, non loin de Vienne, en ‘Auttiche. La eille il avait vu des hommes coupés en morceaux. « Je jouis de I’éxé, d'une jolie habi tation bien fraiche, éerieil, C’éeaie une manufacture de coton, a cent tie pas dela ville, avec de eres belles eaux. Jeme baignai. Nous étions environnés dincendies. » Stendhal est toutla, ob- servant Vinstant, norant le détail, joyeux y compris dans la débacle. L dbicle, c'éeait d’ailleurs son élément naturel, mais, comme on dit au- jourd’hui, il ne lichait rien. Il faut imaginerla France encre 1790 et 1840, La Révolution, les guerres napoléo- nniennes, des ennemis partout... Le pré- sent était sans cesse dangereux nit incertain. On pouvait le craindre, qu’importe. Les choses niallaient ni mieux ni moins bien qu'aujourd’hui, mais l'inquiétude neffacait pas la question fondamen- tale, elle du bonheur. LE COACH ET LE COCHE Stendhal se piquait d'éere logicien. Il se distinguait en machématiques et li saitavec plaisir des traités économie. En méme temps, il avait sa fagon par: fois crue, toujours élégante, d'appeler un chatun chat. Il voulaic étre « vrai Mais, paradoxalemens, il plagaitla sen sibilité, et une sensiilité de vieille fille (ou de jeune fille), an caeur de route ensée vritablement intelligente en bonheur est une idée nouvelle », avait die SaineJust, une idée qui pouvait of frir une finalité aux révolutions et aux ‘@@ Le bonheur ne va pas de soi, pas plus aujourd'hui que du temps de Stendhal. \l demande du courage, de |’imagination, voire de la malice, des subterfuges. N’oublions pas qu'il s'agit d’une chasse. @@ lois. Stendhal envisagea de partir pour 'Ameérique, oi se construisait une dé- ‘mocratie inédite, maisil ne supportait paslecultedu « dieu dollar ». II gron- daic contre Paffairisme, la suprématie deargentsur les ressources de esprit, devenue maintenane si navurelle Le bonheur neva pas de soi, pas plus aujourd'hui que du temps de Stendhal. Il demande du courage, de Haenel, Meyronnis et Retz TIERCE FINAL Les récits de a fin du monde sont presque aussi vieux ue le monde lui-méme, et on n‘a pas attendu Paul Valéry our savoir que les civilisations étaient morte. Mn'empéche : le réct apocalyptique a sans cesse besoin d'etre retapé, nettey6, rafraichi d'un coup de peinture. Ceest ce que lui ont offert 'année demire, avec Tout est BEM accompli, les trois animateurs de la revue Ligne de risque, Hy proche de Philippe Sollers : Yannick Haenel, Francois Moyronnis et Valenzin Retz. Un essai a six mains, donc, ce AURE Toucese ui est assez rare, comme une pensée triangulare, une accompli Trinité. Le mot va bien & ce texte, qui, dés son ttre, Tamici "ene. adopte un ton biblique assez sar de lu, ainsi ue celul, Heres set d8la lus fou, de ses commentaires. Alors que la Vitatiniaere, pandémien’était encore qu'un écairtorve dans Feil d'un 2 Grosee, Pangolin, les auteu's sont partis d'une intuition 568p.22€ __millénariste que la crise du Covid-19 ne risque pas de démentir: « Tout indique que nous entrons dans I'age de Ja fin: quand Phumanité vit entiérement sous la menace de sa disparition », écrivent-ils. Ces ointains héritiers de Joseph de Maistre (jamais cité) pourfendent comme leur maitre antimoderne la Révolution francaise, quia guillotiné le sacré,etlerationalisme, qui, de Galilée, nous cle, Descartos avec sa jusqu’au transhumenisme et dla projection d'un Homo ‘Deus. Le tout écrit en francais, cette langue dont les ‘auteurs pensent quelle est « depuis le début spécifiquement catholique, et dans laquelle néanmoins tun complot a ét6 ourdi contre le divin ». Ammaud Viviant le voyaie 'opéra, lelendemain, il par tait pour Londres ou Venise, posant aff devantune ceuvre d'art, un pay- sage, une femme. Toujours en chasse. C'est que le bonheur n'est pas une chose abstraite. II faut aller le débus- quer, chaque matin s'éveiller en se de- mandant:qu’est-ce qui m'aprocuré du bonheurhieret qu'ese-cequim'en pro- curera aujourd'hui? imagination, voire de la mali subeerfuges..N’oublions pas qu'il agit dune chasse. En ce domaine, Stendhal reste un coach aguerri. Lui qui truffait ses manuscrits de locutions et de re- ‘marques en anglais aurait appréci ‘mot aujourd’huien vogue. On ait peu quiil dérive du vieux francais « co- cher ». Et des coches, Stendhal en a emprunté de toutes sortes. Un soir, on Siaucune occasion d’éere heureux ne se présente, il en reste le souvenir: « homme quiregrettesent/'existence du bonheur », écrivit Stendhal. Les happy few se délectent d'une telle re- marque, elle leur pénétre directement dans le corps, telle une drogue robors- tive. Ou, pour resterdansledomainedu une boisson énergisante, Et écoresponsable, cela va de soi . s encouverture. André Breton La maison Phénix Au coeur de la guerre et en exil aux Amériques, le pape du surréalisme a composé un grimoire cabalistique ou brille une étoile portant tous les espoirs dans les ruines. Par Philippe Forest Ecrivain et professeur de literature, Philippe Forest 2 dernierement publi Je reste roi de mes chaarins Gallimard). eu de livres para tront aujoure aussi inactuels que celui dont il me semble pourtant importantde parler ‘aintenane. Je nen vois cependane pas deplusapproprig. druane I7 nous dit ce aque revivre signifie et & quelles cond tions sopete, dans existence des ind vidus comme dans celle des ‘« changement de signe » André Breton et done il dit de quelle ‘maniére il rend possible une « renais- sance » qui ne soitni tout’ faitillusoire niccomplétement indigne. A n'importe quelle épreuve il ya un aprés. Toute la question consiste savoir lequel. ALaé 1944, André Breton, quia fui la France occupée et s'est installé en Amériquedu Nord, setrouve,avec Elisa, sanouvelle compagne, du cété dela Gas- pésic, an Canada. Tandis que le monde est feu et sang, que les forces alliées reprennent I'Europe et que se libére Pa- ris ils fonedu tourisme, bi que l’exil confine en plein air de Vautre c6té del’Atlantique. Ils visitent Pun des sites lesplus splendides du pays ot ils ont provisoirement éudomicil: "ile Bona- venture, « un des plus grands sane- tuaires d’oiseaux de mer qui soient au monde ». La roche qui domine Pereé, aque recouvrent les fous de Bassan I tourant d'un magnifique et vivant véte- mentde plumes etantour de laquelle les 4 Le Nae Map Line» a 2020 ALIRE Arcane 17, ‘Andre Breton, 2 deonsoccues Pauver, T6p.510€ octeurs porteurs de drapenue rouge et noir foueteés parle vent font sur Peau une sorte de ceinture hérissée d”éren- dacds ec o;née dehigroglyphes, offre aur potee des Champs magnétique une vi- sion réyée done tout son nouveau livre va sortie, Arcane 17 paraites en denx cemps. En 1945 : chez Brentano's Puis on 1947 : aux éditions du Sagittaire, complécé denouvelles pages. Leverecr dill, Parendisl, 6 le trouvera presque incompréhensible. Mais il en va de la sorte pour ce qui compte un peuen matiere de literature Jenedis pas que la situation du monde en 1944 — laguerre n’estpas fini a fu- nébre découverte d’Auschwiee etl ter- ribledeflagration de Hiroshima sonten- core A venir ~soie identique & celle que nous lui connaissons aujourd hui, aun sortis de'épidémie qui nous affectés. Je nelle pense pas. Ce serait dispropor- sionné. Ex done : indéeent. Mais toute comparaison est bonne a prendre. « Le malheur est si grand, si accaparant quand on y est, ¢rit Breton, que bien pesenccigruie lat lnscdr doa but valents dans le temps, ce qui pourtant seraicd Tiberias spoir. » Quellesqu’ensoient Pampleur tT intensité, mineur ou majeur, indivi- duel ou collect, chaque drame répéte touslesautres.Il reproduc ceux quilont précédé il prepare ce legon méme. Ee, sion e faiccommeil faut, ne manque pas d’étre parfois saluraire. Breton a touché le fond. « Se aisser coutler » esta devise. « Une grande par- tie de la terre, confie-cil, ne présentait lus qu'un spectacle de ruines. En moi- nding lacie alten convenisans ee Le malheur est si grand quand on y est, écrit Breton, que bien peu soccupent de lui chercher des équivalents dans le temps, ce qui pourtant serait de nature a faire renaitre quelque espoir. e@ pourcelamm'y résigner, tout ce que} ava tenu pour indéfectible dans le domaine du sentiment, sans méme que je pusse savoir sous quelle rafale, avait &€ em- porté. » Lachance d’une révélation lui est offerte. Elle hi indiquela voied’une résurrection s‘ouvrant pour lui comme pour l’espéce humaine tout ct quivient de Pune des lames du tarot di- Vinatoite, « L’Eroile », image autour de laquelle Arcane 17 développe ses varia- tions successives. Dans la nuit la plus noite uneclarté toujourshuit qu’on aper- soit d’autane mieux qu'elle se détache dune obscurité plus profonde. CELA FAIT OUBLIER LE RESTE Sion lisat encore Arcane 17, on y tou- verait de quoi satisfaire notre présent et expression assezfidéle de la plupare des convictions, parfois doureuses. que par- tagent ceux qui croient en lavénement, sur les décombres de lancien, d'un monde nouveau, le « monded’aprés ». Breton dresse, avec un sens plutot pro- phétiquesle procés d'une modemnité qu presque conduit!" humanité sa perte Féministe avant l'heure, il inerimine « l'intelligence de type mile » dont toutes dépredations viennent,etil enap: pelle 4 une prise du pouvoir par les femmes ~ dont les vrais artistes, dit cont oujourséa solidaires. Ecologist, ce féminin, il 'exalte en raison dk ‘« communication providentielle avec Estas etacatiende axe» parce qu'il rompr, continue-til, avec anthropocentrisme funeste au nom du- quel nousignorons, nous asservissons les autres espaces vivantes avec lesquelles la nibtre partage la Terre. En depit des pré- cautionsetdes réserves qu'exprime Bre- ton, son propos baigne dans une sorte d’ésotérisme un peu kitsch, susceptible de plaire aux lecteurs d’aujourd’hui et qui,sous invocation dIsis ee de Mélu- sine, mobilise toutes les mythologies que pote trouve portée de sa main. Mais ily a davantage. Er cela fait oublier le reste. La révélation qui le sauve, Breton la regoie de la femme done il ese combé amoureux. Flle vient de perdee sa fille, noyée. « Comment, se demande Bre- ton, peut-on, et surtout gui peut-on ley Paul Harding JOIE DESESPEREE AURE probleme. Reste wana Mourir nest pas trés compliqué : c'est soutfrr qui pose la surface de « cet abominable petit miracle de planéte » en attendant que le mystere Slasséche. Apres Les Foudroyés, couronnés par le Pulitzer ‘en 2010, Paul Harcing aurait pu tricoter une histoire consensuelle I ac10isi le deuil, celui de Charlie Crosby, || lepetit-fls de feu George, héros de son livre initial. Parier dune expérience cue 'on n'a pas vécue, forner des atours fragiles dela fiction, est un écart que Ion ne concede aux

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