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Le Conflit israélo-palestinien :

« un conflit d’une exceptionnelle complexité »


par Yves LACOSTE*
* Yves LACOSTE est l’un des pères de la Géopolitique, comme champs d’analyse à la fois synthétique et à part de la
géographie, de l’histoire et des sciences politiques, grâce à un livre fondateur, « La Géopolitique, ça sert d’abord à faire la guerre »,
paru en 1976. « Un conflit d’une exceptionnelle complexité », c’est le titre qu’Yves LACOSTE donne au chapitre qu’il consacre au
conflit israélo-palestinien dans l’ouvrage collectif dirigé en 2011 par son élève, Béatrice GIBLIN, aujourd’hui spécialiste de la
géographie et géopolitique des conflits, sur Les conflits dans le monde. Approche géopolitique.

Le conflit israélo-palestinien est l’un des problèmes géopolitiques les plus complexes et
passionnels de l’histoire contemporaine. Commencé dès les années 1920 sous la forme au départ
d’un conflit israélo-arabe, c’est aujourd’hui, l’un des plus anciens litiges géopolitiques auquel les
puissances régionales et mondiales qui s’y sont engagées n’ont jamais, à ce jour, réussi à trouver
de solutions. Ce qui est nouveau cependant, c’est la tendance de ce conflit à se complexifier par
le nombre accru de protagonistes indirects, comme l’Iran, qui depuis un plus de 10 ans l’utilise
pour projeter son influence au Proche-Orient et en Méditerranée.

La dimension conflictuelle entre musulmans et non musulmans rend ce conflit comparable


à celui qui oppose l’Inde au Pakistan depuis la même année 1947, avec sa frontière contentieuse
de 3000 km, ses centaines de millions de personnes concernées, de réfugiés musulmans et non-
musulmans. Les enjeux territoriaux et humains cependant diffèrent. Avec les quelques 15 millions
de personnes concernées sur un territoire qui a la superficie de la Bretagne, s’étendant sur 300
km du Nord au sud et 100 km de la Méditerranée au Jourdain, soit 30 000 km2, sans notable
ressource minière, au réseau hydrographique fragile et désorganisé avant que les Israéliens le
réorganisent par une politique de grands travaux hydriques, le conflit israélo-palestinien n’est pas
à la même échelle. Ironie de l’histoire, ce petit territoire qui pendant longtemps n’avait reçu
aucun nom des Arabes et des Ottomans, en a aujourd’hui deux concurrents : Israël et Palestine.

Le sionisme et l’achat de terres en Palestine ne posent pas de vrais problèmes au sein de


l’empire ottoman, avant l’occupation de la Palestine et de Gaza, en 1917, par les Britanniques,
puis la publication la même année de la déclaration Balfour. Les Britanniques favorisent alors une
augmentation considérable de l’immigration juive et de l’achat de terres dans le cadre de la
politique de colonisation britannique, avant même la mise en place du mandat britannique en
1923. Dès 1920, les Juifs sont près de 200 000 en Palestine. Les premiers signes d’inquiétude
arabe apparaissent. Premières pétitions, premières manifestations contre cette colonisation
juive, à Jaffa. Agitation assez inquiétante pour les Juifs créent une organisation paramilitaire de
défense, la Haganah, tolérée par les Britanniques. L’année suivante, en 1921, la Haganah ne peut
empêcher qu’à Jaffa, toujours, des juifs soient pour la première fois la cible d’émeutes arabes.
Celles de 1929, à Hébron, seront d’un niveau de violence et d’agressivité accrues. En 1936, les
Juifs palestiniens sont désormais 400 000. Leur nombre a doublé. Sous l’impulsion du grand Mufti
de Jérusalem Mohamed Amin al-Husseini, sensible au nazisme dont il reprend les thèmes, une
grande révolte arabe éclate en 1936 pour demander l’indépendance de la Palestine. Elle dure 3
ans, jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale, début 1939.
Cette révolte massive oblige les Britanniques à doubler leurs effectifs en Palestine et à
accepter le soutien de la Haganah. Parallèlement, en réponse à de nombreux assassinats de juifs
palestiniens, des extrémistes juifs créent l’Irgoun, et répondent à l’assassinat par l’assassinat. Dès
1937, la commission Peel nommée par le gouvernement britannique pour résoudre la question
palestinienne, recommande la création de deux États séparés.

Le plan de partage est donc sur la table dès avant la SGM, et dès cette époque acceptée
sur son principe au moins plus que sur son découpage par les Sionistes et leur leader, Ben
Gourion, et refusé par les Arabes. Cependant, pour qu’il soit viable, les Britanniques décident de
bloquer l’immigration juive. La guerre va donner à ce blocage une dimension dramatique. La fin
du conflit augmente l’afflux des juifs d’Europe survivants, désormais convaincus par le discours
sioniste sécuritaire, en Palestine, obligeant la Haganah à des prouesses pour contourner le
blocage anglais maintenu malgré le drame de la guerre. C’est l’épisode érigé en mythe de
l’Exodus. De son côté, l’Irgoun, multiplie les attentats contre l’autorité britannique, comme celui
de l’hôtel King David, le quartier général des troupes britanniques en Palestine, qui fait près de
100 morts. Les Britanniques mettent alors fin à leur mandat en Transjordanie qui devient
indépendante en 1946 et remettent leur mandat sur la Cisjordanie à l’ONU en 1947. L’ONU
adopte alors le plan de partage de 1937 et l’idée de faire de Jérusalem une ville internationale.
Ben Gourion accepte. Al-Husseini qui, après avoir été expulsé en 1936 par les britanniques au
Liban, d’où les français vichystes l’avaient extrait vers l’Allemagne où il s’était engagé auprès du
pouvoir nazi en organisant une légion musulmane SS en Bosnie, est rentré en Palestine et a pris
la tête d’un haut Comité Arabe refuse, de même qu’il refuse l’indépendance de la Jordanie. Avant
même la proclamation de l’Etat d’Israël en 1948, les premiers combats commencent que les
Britanniques n’entendent pas d’arbitrer en se repliant sur Suez et sur l’Égypte.

Le territoire alloué aux Palestiniens représente 26 000 km2, soit 43% de l’ensemble du
territoire palestinien sous mandat britannique où la population arabe palestinienne représente
70% de la population. En 1948, au lendemain du premier conflit israélo-arabe, la « NAKBA » ou
« catastrophe » pour les Arabes, la part possédée par les Israéliens passe de 56% à 78%. Tel Aviv
devient dès la fin de la première guerre israélo-arabe en 1949 la capitale d’Israël, avant que l’Etat
« juif » ne choisisse Jérusalem, en 1980, malgré la condamnation de l’ONU qui continue, comme
beaucoup de pays, à ne reconnaître que Tel Aviv comme capitale, et ne pas reconnaître comme
israélien les territoire occupés et certains annexés depuis 1967, à la différence de ceux annexés
en 1948. Entre 1948 et 1967, 750 000 Palestiniens quittent leur village pour s’installer
majoritairement en Jordanie, au Liban et en Syrie, mais aussi sur les plateaux de Cisjordanie et à
Gaza. Peu vont en Egypte. Ils n’iront que plus tard vers les pays du Golfe ou vers les EU. Mais la
résolution 194 de l’ONU du 11 décembre 1948 leur accorde un droit au retour, droit qui s’applique
aussi à leurs descendants, aujourd’hui 4 millions de personnes.

Pourtant c’est en Egypte que se constitue l’OLP, en 1964, sous la l’égide du gouvernement
égyptien de Nasser. Yasser Arafat est né au Caire en 1929. Il a quitté l’Egypte qui le considérait,
en tant que président de l’Union des étudiants de Palestine, comme un agitateur. C’est au Koweït
qu’il a trouvé refuge et créé le Fatah en 1959. L’OLP regroupe alors plusieurs mouvements, dont
le Fatah, le FPLP, le FDPLP, la Saïka, etc.
En 1967, à l’occasion de la Guerre des Six-Jours, Israël fait Égypte sa cible principale, pour
détruire son aviation livrée par l’URSS et ainsi sa capacité de nuire à Israël, mais aussi la punir de
son soutien à l’OLP. Israël annexe alors la Cisjordanie, le Golan, Jérusalem-Est et le Sinaï qui sera
rendu à la suite des accords de Camp David de 1978. En 1970, le Fatah, qui s’est replié sur la
Jordanie, tente de renverser le roi Hussein, sauvé par les guerriers bédouins de sa légion arabe
qui écrasent l’insurrection, forçant le Fatah et l’OLP à se replier sur le Sud Liban où il organise des
camps d’entraînement bombardés par l’aviation israélienne après l’attentat de Munich en 1972
imputé à des terroristes proches du Fatah.

En 1975, éclate au Liban une guerre civile entre palestiniens implantés et chrétiens
maronites qu’ils accusent de soutenir Israël. En 1976, alors que les palestiniens sont sur le point
de prendre Beyrouth, les armées syriennes d’Hafez el-Assad qui ne veut pas d’un pouvoir
palestinien au Liban et rêve toujours d’une grande Syrie interviennent. Les palestiniens présents
au sud-Liban se détournent du nord-Liban protégé par la Syrie et se retournent contre Israël dont
l’armée intervient en 1978, arme les milices chiites et soutien leur constitution d’un Etat fantoche
du Sud-Liban qui autorise les Israéliens à s’approprier les sources du Litani, puis à nouveau en
1982 (opération « Paix en Galilée »), où par un raid éclair le général Sharon atteint Beyrouth pour
y liquider l’OLP et Yasser Arafat, l’obligeant à s’enfuir en Tunisie.

La première intifada, en 1987, transforme le conflit israélo-arabe de David contre Goliath


en conflit israélo-palestinien où l’asymétrie a changé de camp, comme l’explique Béatrice GIBLIN.
Cette insurrection dure 6 ans, de 1987 à 1993. Les images d’une armée israélienne suréquipée
tirant avec des balles en caoutchouc, mais pas toujours (Haaretz dénonce une circulaire de
l’armée qui autorise les tireurs d’élite à tirer sur les enfants qui jettent des pierres dès l’âge de 13
ans, âge de la majorité religieuse juive). Ce basculement médiatique, les progrès de la
construction européenne et le retour des démocrates au pouvoir aux EU en 1992, amènent les
soutiens occidentaux d’Israël à faire évoluer leur position et à soutenir la mise en place d’un
processus de paix qui aboutit aux accords d’Oslo.

Par les accords d’Oslo I et II de 1993-1995, les israéliens s’engagent à geler la construction
de colonies. Ces accords, en effet, mettent en principe un terme à la colonisation contre
reconnaissance d’Israël par les Palestiniens et découpent la Cisjordanie en 3 zones. La zone A (17%
de la Cisjordanie), constituée des villes, assez éclatée, dispose d’une forte autonomie de gestion.
La zone B (23% de la Cisjordanie) est placée en cogestion. La zone C (60% de la Cisjordanie) reste
sous administration israélienne directe. Mais les Israéliens ne respectent pas les accords d’Oslo
et poursuivent la colonisation. 200 000 colons vivaient en 2011 dans 124 colonies reliées entre
elles par un réseau de 700 kms de routes. 15 000 unités d’implantation étaient encore prévues
pour être construites entre 2011 et 2015. Et à ces 124 implantations israéliennes officielles en
Cisjordanie (Jérusalem-Est non compris), s’ajoute une centaine d’avant-postes non-recensés et
non-reconnus par l’Etat d’Israël, qui accueillent, ensemble, 300-370 000 israéliens auxquels il faut
ajouter les 190 000 Israéliens de Jérusalem-est, ce qui fait un total de près de 550 000 colons
israéliens.
La seconde intifada, nommée intifada Al-Aqsa, en 2000, plus sanglante que la première,
et ponctuée d’attentats-suicides terroristes du Hamas, débouche sur le recul du parti de la paix,
« la paix maintenant », créé en 1978, et sur la construction en 2002 de murs entre Israël et les
territoires palestiniens. Murs qui suivent officiellement les frontières de 1948, mais dans les faits
englobent de nombreuses colonies de Cisjordanie érigées depuis, enfermant notamment Gaza
dans ses 365 km2. Car c’est dans la bande de Gaza que cette deuxième intifada est la plus violente.
Avec une densité de population unique au monde de 4000 habitants au km2 et 70% de la
population vivant sous le seuil de pauvreté, plus d’un million d’habitants s’entassent sur ce
territoire exigu dont une bonne partie de la superficie a été accaparée par les exploitations
agricoles de quelques 8000 horticulteurs israéliens.

Cette politique coloniale et d’isolement des Israéliens ne modifie cependant pas la


position du Quartet (EU, UE, ONU et Russie) constitué en 2002 pour maintenir la feuille de route
des accords d’Oslo. Et devant la pression énorme que doit subir l’armée israélienne dans ce
territoire, Ariel Sharon, contre l’avis de la majorité de son parti, le Likoud, et des chefs religieux,
et parce qu’Arafat avec lequel il refusait toute négociation est mort l’année précédente, en 2004,
décide de négocier avec le président de l’autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et d’évacuer
Gaza qui, dès les élections libres organisées l’année suivante, en janvier 2006, tombe aux mains
des islamistes du Hamas.

Cette même année, en juillet 2006, Israël se lance dans une aventureuse intervention au
Sud-Liban contre le Hezbollah soutenu par l’Iran qui lance régulièrement des roquettes sur le nord
d’Israël. Cette opération est un fiasco. Tsahal ne parvient pas à mettre fin aux tirs de roquette.
Les chars israéliens sont détruits par des missiles antichars ultramodernes de fabrication russe,
fournis par la Syrie ou par l’Iran, obligeant les chars rescapés à faire demi-tour et Israël à accepter
un cessez-le-feu garanti par l’ONU. L’épisode démontre que l’Iran est devenu un acteur majeur
de la géopolitique du Moyen-Orient, ce que confirme la victoire militaire du Hamas, soutenu par
l’Iran, via le Hezbollah libanais, sur le Fatah, par laquelle il prend tout le contrôle de la bande de
Gaza, en juin 2007. Commencent alors des tirs de roquette artisanale sur Israël qui réplique
d’abord par des bombardements puis par des incursions armées.

C’est au cours de l’une d’entre elles que le soldat Gilad Shalit est kidnappé et retenu
prisonnier jusqu’en 2011. Pour le libérer et mettre fin aux tirs venant de Gaza, Israël lance sur
Gaza une vaste opération, en décembre 2008, à un moment où Georges W. Bush est sur le départ
et Barack Obama pas encore installé. Durant toute l’opération, appelée « plomb fondu », la presse
occidentale est tenue à l’écart. C’est la chaîne qatari, Al-Jazeera, qui dénonce l’utilisation par
l’armée israélienne de bombes au phosphore. L’opération s’interrompt deux jours avant que
Barack Obama n’entre en fonction.

L’entrée de l’Iran dans le conflit a fait entrer à son tour l’Arabie saoudite qui par deux fois,
en 2002 et en 2007, au nom de la ligue arabe, a proposé un plan de paix : tous les États arabes
reconnaissent l’Etat d’Israël dans ses frontières de 1948 contre la promesse de faire évacuer les
colonies israéliennes de Cisjordanie et Jérusalem-est. Mais le gouvernement israélien met à
chaque fois comme condition à un accord la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël
et l’impossibilité pour les palestiniens qui ont quitté leur terre avant ou en 1948 d’exiger un droit
au retour. Le soutien de Barack Obama à cette réserve, à son arrivée au pouvoir en 2008 amène
le roi d’Arabie saoudite à « geler » officiellement ses relations avec le président des EU et à lui
faire savoir que la Chine était très intéressée par la production de pétrole des pays du Golfe.

Conclusion : « Un conflit sans issue ? », tant les points de blocages sont nombreux. Premier
point de blocage, les colonies, dans les faits des « implantations religieuses ». Peut-être 150 de
toute taille aujourd’hui, grandes ou petites, où vivent 550 000 israéliens, dont 50 000 dans celles
qui entourent Jérusalem-est. Et leur nombre continue d’augmenter. Or plus le nombre des
colonies augmente, plus il sera impossible d’établir la continuité territoriale d’un Etat palestinien.
Quand bien même l’Etat d’Israël décidait de fermer ces colonies, ce serait une épreuve de force,
car les « colons » religieux sont armés et persuadés de leur mission. C’est le deuxième point de
blocage : la montée en puissance du traditionalisme religieux dans l’opinion publique israélienne,
lequel recrute essentiellement parmi les migrants récents venus d’Europe de l’Est, en particulier
de Russie. Troisième point de blocage : la montée du terrorisme en Palestine et dans le monde,
et la montée de l’antisémitisme dans l’opinion pro-palestinienne. Elles nourrissent le discours
sécuritaire de la droite israélienne qui se rapproche de l’extrême-droite, et élargissent leur assise
dans l’opinion. Quatrième point de blocage : la dislocation territoriale des Palestiniens. 4 millions
vivent en Jordanie où ils forment les 2/3 de la population, pour beaucoup ayant fui le Koweït
après 1990, 2,5 millions vivent en Cisjordanie, 1,8 million à Gaza et 1,2 million en Israël, autour
de Nazareth. 400 000 vivent toujours au Liban, 400 000 en Syrie, plus de 400 000 dans les États
du Golfe, 400 000 aux EU, et un peu plus de 50 000 en Egypte. Partout où ils sont expatriés, ces
Palestiniens ne sont pas intégrés et restent des palestiniens. Beaucoup réclament un droit au
retour, refusé par Israël qui craint que les 7,6 millions de juifs israéliens (auxquels il faut ajouter
les 1,2 millions d’Arabes israéliens) soient submergés par 9 millions de Palestiniens. Cinquième
point de blocage : le soutien d’une large partie de la classe politique conservatrice mondiale et
en particulier américaine à Israël, soutien qui va bien au-delà la simple administration américaine,
surtout quand elle est démocrate. Barack Obama et John Kerry acceptent la nécessité d’un Etat
palestinien cohérent et une négociation qui ramènerait l’Etat d’Israël dans ses frontières de 1948-
1949. Benjamin Netanyahou se fait applaudir par le congrès américain, en mai 2011, en listant les
arguments pour lesquels il refuse de revenir à des frontières antérieures à 1967.

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