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Le temps, pas logique

Colette Soler
Dans Champ lacanien 2009/1 (N° 7) , pages 13 à 21
Éditions EPFCL-France
ISSN 1767-6827
ISBN 9782916810058
DOI 10.3917/chla.007.0013
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13

Le temps, pas logique


Colette Soler 1

L’essentiel de ce qui a été élaboré par Lacan concernant le temps de


l’analyse l’a été dans le cadre de son retour à Freud, pour une analyse
telle que Freud l’a initiée, c’est-à-dire une analyse orientée vers la vérité, la
vérité qui parle dans la structure de langage par la bouche de l’analysant
mais aussi par les symptômes de son corps. Temps de la chaîne qui assure
le retour du refoulé en surprise, tendu entre anticipation et rétroaction,
temps du futur antérieur du sujet que commandent les points de capiton
de son discours et qui, dans l’après-coup, lui feront retrouver les marques
des premières contingences de sa vie.
La perspective que j’ai choisie pour ce Rendez-vous sur le temps de
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la psychanalyse est fonction de ce que j’ai travaillé ces dernières années.
C’est la suivante : comment le réel en jeu dans une analyse, le réel vers
lequel elle s’oriente pour trouver sa fin, jette-t-il un jour nouveau sur le
temps du transfert aussi bien que sur celui de la séance.
Je pose en effet la question de savoir si la séance courte lacanienne et la
durée qu’il faut pour l’analyse ne relèveraient pas d’une même causalité,
alors même que dans les faits la durée de l’analyse, régulièrement longue,
semble indépendante de celle des séances qui varie de beaucoup selon les
courants.
La visée du réel, c’est ce qui a amené Lacan à sortir de la perspective
structurale de son retour à Freud, à récuser une à une les métaphores de
ses débuts, celle du père, du symptôme et du sujet, à passer du signifiant
au signe et à la lettre, du langage à lalangue, et à récuser parallèlement
le modèle scientifique de la psychanalyse comme condition de transmis-
sion. Cette problématique est explicite à partir du séminaire Encore.

1 Ce texte reprend une intervention prononcée le 5 juillet 2008 au V e Rendez-vous international
de l’IF-EPFCL à São Paulo (Brésil) sur « Le temps du sujet de l’inconscient ».
14 Le temps, pas logique

C’est pour autant que la psychanalyse, comme pratique de parole,


mobilise l’imaginaire et le symbolique, soit le champ des semblants,
que le réel y fait question et que l’on peut se demander comme Lacan l’a
formulé à la fin, si ce n’est pas un délire à deux. La question est évidem-
ment capitale.

Conclusions par le réel

Le réel qui pourrait se faire jour dans la parole et mettre un terme à la


dérive infinie aussi bien du déchiffrage que du sens, Lacan en a avancé
trois élaborations qui engagent trois définitions de la passe finale et non
pas une seule.
Les deux premières sont pensées par rapport aux « négativités » de
la structure. Ce terme est une façon de désigner ce que la structure de
langage rend impossible. Ces butées-là sont dès lors trans-structurales
et programment des limites inévitables de l’élaboration analytique qui
valent pour du réel dans le symbolique.
La première, dont il situe le point de clôture du processus analytique
dans la « Proposition de 1967 sur le psychanalyste de l’École », c’est la
passe à l’objet, la plus commentée. Elle sanctionne l’incompatibilité de la
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parole et de l’objet cause du désir, lequel, pour être cause et s’incarner en
quatre « substances épisodiques 2 » orale, anale, scopique et invocante, n’en
est pas moins… impossible à dire. C’est en ce sens que la passe à l’objet
pouvait être mise au compte du réel, et pendant tout un temps Lacan a
d’ailleurs situé son objet a comme réel. Voilà une limite qui peut faire
mauvaise surprise dans une pratique où le transfert, au-delà des espoirs
thérapeutiques, vous a fait miroiter la perspective du savoir. Autrement
dit, impuissance de la vérité qui ne conclut jamais mais qui s’obstine : on
la refoule, elle revient, on la bâillonne, elle parle ailleurs, on lui demande
le mot de la fin, elle mi-dit. Cependant son insistance réitérée ouvre un
aperçu sur la présence de la cause innommable qui l’anime. Lacan n’en
faisait pas encore un savoir de l’impossible, au contraire : « savoir vain
d’un être qui se dérobe 3 », c’était son verdict en 1967.
La deuxième avancée vers le réel fait un pas de plus en convoquant
l’impossible à écrire. Cela annonce une passe et une conclusion de fin par

2 Lacan J., « Note italienne », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 309.
3 Lacan J., « Note italienne », Autres écrits, op. cit., p. 254.
Le temps, pas logique 15

démonstration logique de l’impossible, le postulat étant que via le dire


analytique quelque chose s’écrit, cesse de ne pas s’écrire. C’est la défini-
tion de la contingence. L’expression marque que l’analyse n’explore pas
seulement, comme on le croit parfois, du déjà là, mais produit de l’inédit,
qui s’écrit enfin.
Qu’est-ce donc ? Il y a beaucoup de formules, je n’en retiens qu’une qui
les condense toutes : ce qui cesse de ne pas s’écrire, c’est le Un, sous toutes
ses formes : Un de l’Un dire du parlêtre, Un de la jouissance phallique,
c’est-à-dire châtrée, « qui du sujet fait fonction 4 », et même Un de l’objet.
Le « y a d’l’Un », de l’Un et rien d’autre, qui est d’ailleurs équivalent à « y
a la castration », c’est ce qu’écrit une analyse. Elle n’a pas d’autre produit.
Cette contingence qui fait trace insistante du Un démontre indirecte-
ment l’impossible d’écrire le deux qui serait du sexe, le deux qu’il n’y a
pas, qui « ne cesse pas de ne pas s’écrire » aussi « inaccessible » que le 2 de
la série des nombres entiers, celui du « y a pas de rapport sexuel ». Tel est
le réel « propre » au chiffrage de l’inconscient. Sa démonstration ne se fait
pas sur le papier mais dans la cure. Démonstration spéciale par insistance
du Un, et qui dure jusqu’à ce que ce Un réitéré vaille pour la démonstra-
tion du deux impossible. Je pourrais dire que c’est une passe au Un et rien
d’autre, pour reprendre l’expression de Lacan, ou aussi une passe « au pas
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de deux », avec l’équivoque de l’expression.
Et puis troisièmement, il y a l’inconscient réel qui est autre chose, qui
ne se démontre pas au terme d’un long processus, mais qui se manifeste,
qui s’impose. Il a son gîte dans la lalangue, et ne relève pas de l’approche
structurale qui le précède dans l’enseignement de Lacan. On le rencontre
hors analyse dans toutes les formations langagières de l’inconscient mais
sans savoir qu’il est réel. C’est dans l’analyse, et dans l’analyse seulement,
avec des effets qui sont d’affects, que ces épiphanies langagières sont
réduites, au-delà du travail de transfert, à l’absurde du hors sens.
Cet inconscient, qui manifeste combien le langage travaille tout seul,
sans sujet, est doublement réel : ses Uns sont hors chaîne donc hors sens,
et ils sont passés dans le champ de la substance jouissante. Il est irréduc-
tible et imprenable, les effets de la lalangue dépassant, comme dit Lacan,
tout ce que le sujet peut en savoir. L’inconscient-lalangue est impossible à
savoir, il ex-siste à l’inconscient-langage qui est l’inconscient situé « de son

4 Lacan J., « …Ou pire », Autres écrits, op. cit., p. 551.


16 Le temps, pas logique

déchiffrage 5 », lequel isole certes un essaim de uns, mais toujours à titre


hypothétique et partiel, « élucubration » dit Lacan.
Dans les trois cas, nous avons un principe de conclusion par un réel.
Celui de l’impossible à dire pour la passe à l’objet, celui de l’impossible à
écrire pour la passe au réel « propre » à l’inconscient, celui du hors sens
pour la passe au réel tout court.

L’autre variable

Alors faut-il dire que dans les trois cas, le temps qu’il faut pour mener
une analyse à son terme et que l’on trouve si long, est un temps épis-
témique d’accès à la conclusion par le réel ? Sûrement pas. Et dès 1949
avec la notion du « temps pour comprendre », inanticipable car il ne se
réduit jamais à la seule intellection, Lacan avait marqué la place de ce
que j’appelle aujourd’hui la variable non logique. Elle est parfaitement
évidente quand il s’agit de l’inconscient réel. Je crois avoir montré à
propos de la première phrase du texte « L’introduction à l’édition anglaise
du Séminaire XI » que le lapsus ramené à son hors sens donne un modèle
réduit de la passe au réel se répétant dans une analyse comme sortie
du transfert. Mais, sans même parler du symptôme, combien de lapsus
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ramenés au réel ne faudra-t-il pas pour arriver à conclure à l’inconscient
réel ?
C’est que dans tous les cas, une autre variable non épistémique est en
jeu. C’est d’ailleurs pourquoi les voies d’une conclusion en acte ne sont
jamais seulement celles des nécessités de la déduction logique. Merci à
Gödel sur ce point, et à Lacan qui, mettant les points sur les i à la fin de
son École, disait que chacun ne conclut jamais que « selon son désir ». Et
voilà un des noms de la variable qui décomplète assez la logique pour
que la conclusion qui solutionnerait la plainte de l’impuissance soit un
saut. Autrement dit, la conclusion de fin à partir de la conclusion épisté-
mique n’est jamais que possible.
Dit autrement, ce n’est pas l’absence d’un principe de conclusion qui
fait l’analyse longue, c’est que dans tous les cas le principe de conclusion
est insupportable. De l’aperçu sur le bâti du fantasme, en éclair ou pas,
à la conclusion d’impossibilité du rapport, jusqu’à l’inconscient réel de
lalangue, comme savoir insu, le savoir acquis est le savoir d’un impossible,

5 Lacan J., Le Séminaire Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 127.
Le temps, pas logique 17

synonyme de castration. Il bute dès lors sur un refus, un « je n’en veux
rien savoir » qui protège de « l’horreur du savoir ».
« Faut le temps de se faire à être », disait Lacan dans « Radiophonie ».
Dans le contexte, cela voulait dire : à être l’objet qui est en exclusion
interne au sujet. Le « se faire » connote la patience à supporter, à accepter
le réel que l’élaboration de l’inconscient a fait apparaître.
Un index de cette variable non logique, de ce seulement possible de la
fin, je le trouve aussi chez les sujets dont j’ai eu l’occasion de parler récem-
ment, qui venus à bout de la relation au savoir qu’est le transfert, s’allè-
gent de leur propre « horreur de savoir », en la convertissant en haine,
aussi bien haine de l’analyse que de ses suppôts, Freud, Lacan, et bien sûr
celui ou celle qui les a accompagnés dans le parcours. Il y a bien d’autres
index de la variable non logique dont Lacan a toujours marqué la place, et
qu’il a inscrite avec le mot « éthique ».
Autant dire qu’avec cette variable non logique, on ne peut pas prévoir
le temps qu’il faudra à l’analyse. « On » ce n’est pas l’analyste seulement,
c’est aussi bien le sujet lui-même. Et combien de fois n’aura-t-on pas
constaté avec surprise que l’analysant décidé des débuts se retrouve le
plus récalcitrant à la fin ? L’inverse est aussi vrai, et on voit le sceptique
d’entrée devenir le très décidé de la fin.
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Le principe épistémique de la fin par le réel est requis pour clore une
analyse mais qu’il soit requis ne le rend pas suffisant : s’y ajoute une
réponse de l’être qui ne relève pas de la logique. On est là dans le champ
du deuil transférentiel, de ce deuil dont Lacan a explicitement indiqué, et
dans la « Proposition sur la psychanalyse de l’École » et dans « L’étourdit »,
qu’il suivait le moment de passe au réel, en repoussant au-delà le terme
de l’analyse. Cette réponse de l’être, qui introduit la marge de liberté sans
laquelle chacun ne serait que la marionnette de son inconscient, est non
seulement imprévisible, je l’ai dit, mais informulable en énoncé, et dès
lors elle ne se laisse approcher que par des signes.

L’affect comme signe

Ces signes, Lacan a fini par les situer du côté de l’affect et… il lui a
fallu le temps.
C’est la thèse de la « Note italienne » et de l’« Introduction au
Séminaire XI » que j’évoquais. Il y a AE, dit le premier texte, quand le
18 Le temps, pas logique

sujet analysé est passé de l’horreur à l’enthousiasme. Il y a d’autres cas de


figure en fin de parcours, de l’horreur à la haine par exemple. L’histoire
de la psychanalyse, des élèves de Freud et de Lacan notamment, le montre
d’abondance. Il y a encore d’autres alternatives, la plus fréquente étant de
l’horreur à l’oubli, car l’éclair de l’éveil, quand il a lieu, fait généralement
long feu. C’est d’ailleurs ce qui justifie la fonction d’une École.
En 1976, infléchissant un peu les termes, Lacan proposait d’évaluer
dans la passe non pas l’enthousiasme mais la « satisfaction » de fin
qui surgit éventuellement quand tombe la satisfaction prise à la vérité
menteuse. C’est un changement de goût au fond, une satisfaction qui,
tenant compte du hors sens de l’inconscient réel, vient limiter le goût
pour les mirages de la vérité, et il précise bien que l’on n’est jamais sûr de
pouvoir la fournir, la nouvelle satisfaction. Elle n’est que possible, donc.
Autant dire qu’avec ce principe d’évaluation qui porte non pas sur
l’effet didactique mais sur une réponse de l’être à l’effet didactique de
l’analyse, on est très loin de l’idée que toute analyse menée à son point de
finitude produise un analyste, entendez un analyste, je ne dirai pas qui se
plaise au réel, mais qui s’en oriente. Aucun automatisme ni de l’enthou-
siasme, ni de la satisfaction de fin. Autrement dit, au-delà de celui que l’on
appelle prudemment le clinicien, la variable non logique rend l’analyste
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seulement possible.

Question ici. Il faut mesurer le changement de perspective que Lacan a


introduit là avec une double dévalorisation : de la vérité au profit du réel,
de la structure logique au profit de la position de l’être. Elle ne peut pas
être sans conséquences pratiques.
C’est la variable non logique qui amène à cette dévalorisation. C’est
elle qui fait apercevoir que l’analysant travailleur est un analysant qui
se plaît à la vérité inconclusive, à son hystorisation avec un y, et c’est un
euphémisme : il faudrait dire clairement que s’hystoriser et jouir de son
fantasme, c’est la même chose ; ce pourquoi Lacan peut dire que l’analysant
consomme de la jouissance phallique et que l’analyste se fait consommer.
Dès lors l’amour de la vérité apparaît pour ce qu’il est : symptomatique, et
on sait que le foisonnement de bavardage, le dire des bêtises à profusion,
s’entretient de la satisfaction prélevée qui ajourne le moment de conclure.
D’où la question des moyens que se donne une analyse orientée vers le
réel et de la responsabilité de l’analyste dans cette destitution de la vérité.
Le temps, pas logique 19

La séance propice au réel

Je retrouve là le problème de la séance lacanienne et aussi de l’interpré-


tation. De la séance courte j’en ai déjà parlé dans le texte « Une pratique
sans bavardage ». J’en dirai aujourd’hui qu’elle cible le réel que vise l’ana-
lyse lacanienne.
La question n’est pas d’objecter à Lacan que l’inconscient demande
du temps pour se dire, il est le premier à l’avoir décliné sous toutes les
formes, la question est de savoir si le battement ouverture-fermeture de
l’inconscient qui se produit dans le transfert est isomorphe à l’alternance
séance-hors séance, autrement dit à la présence de l’analyste. Toute l’ex-
périence montre que non.
Et d’abord celle-ci, très banale, de l’analysant qui arrive tout animé à
sa séance qui, comme il dit, a parlé toute la journée et toute la nuit à son
analyste et qui, de seulement passer le seuil, voit s’effondrer toute son
élucubration et, ou bien reste coi, ou bien s’entend émettre des propos tout
à fait inattendus. À l’inverse, une séance vide débouche aussi bien, passée
la porte, sur une évidence nouvelle et assurée. Temps de l’inconscient et
temps de la séance quelle que soit sa durée ne sont pas superposables.
Lacan a fait fonctionner l’interruption, la coupure du temps, comme
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une interprétation. Interprétation de ce qui habite la vérité que le sujet
articule, un doigt pointé donc vers le réel, ce réel qui leste l’hystorisation
du sujet dans l’analyse. L’analysante disant que la séance courte c’était
comme un coït interrompu ne pensait pas si bien dire.
Mais en fait, je crois que ce qui compte dans une séance, quelle que
soit sa durée, c’est sa fin, comme pour l’analyse d’ailleurs. Il y a les fins de
séance qui concluent en dégageant un point de capiton, qui généralement
satisfait ; les fins qui questionnent en soulignant un terme qui relance
la question transférentielle, et puis les fins de séances que j’ai appelées
fins suspensives qui coupent la chaîne pour viser le suspens du sens.
La séance courte lacanienne quasi ponctuelle y rajoute de faire passer
en acte le rasoir de la coupure entre l’espace des dits, des semblants et la
présence réelle.
Les deux premières, conclusives ou questionnantes, sont des pousse-à-
l’hystorisation de la vérité. Les deux secondes, suspensives, sont plutôt des
pousse-au réel. Elles ont des affinités avec l’interprétation apophantique
20 Le temps, pas logique

qui, comme l’oracle, « ni ne révèle, ni ne cache, mais fait signe 6 ». Signe de
ce qui ex-siste à l’hystorisation du sujet. Dans « La direction de la cure… »
Lacan avait avancé l’idée d’une interprétation silencieuse, doigt pointé
vers le signifiant du manque dans l’Autre, au terme c’est le doigt pointé
vers le réel qui vient à cette place.
L’hystorisation se fait par les temps dit d’ouverture de l’inconscient
dans lesquels la vérité se déplie dans la structure de langage ; le thème est
connu et a fait déplorer les temps de fermeture. Mais le réel quelle que soit
sa définition, se manifeste en temps de fermeture de l’inconscient, voire
de rejet de l’inconscient bavard. Sicut palea. L’inconscient réel notamment
est un inconscient fermé, fermé sur ses Uns de jouissance.
Maintenant, entre la vérité et le réel il n’y a pas à choisir dans l’analyse.
Pas d’analyse sans hystorisation du sujet. Dans la diachronie, le réel est
au terme du processus, aussi bien celui de la séance que de l’analyse,
où il fonctionne comme limite, donc point d’arrêt de la vérité menteuse.
Dans la synchronie réel et vérité sont, disons, noués ; ce qui exclut que
de la vérité, malgré toute la dévalorisation que l’on y apporte, on en
sorte complètement. L’inconscient réel « tripote » avec la vérité. C’est si
vrai qu’au moment même où Lacan affirme l’inconscient réel, il réitère
l’idée que la passe consiste à témoigner de la vérité menteuse. Ça permet
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de préciser la satisfaction de fin. Elle est moins satisfaction du réel que
satisfaction de la façon, acquise à l’usage d’un particulier, de « balancer »
cette embrouille entre vérité et réel. À l’usage veut dire peu à peu, avec le
temps. L’usage ce n’est pas à l’usure, si c’était à l’usure ce serait pour tous.
Le temps de l’analyse c’est le temps d’acquisition de cette satisfaction-là.
Imprévisible. Elle ne s’acquiert pas sans des passes au réel réitérées au
cours de l’analyse, que la séance courte est faite pour servir.

La séance courte, et c’est le point capital, n’empêche nullement, comme


certains le disent, la déclinaison bribe par bribe des éléments de l’incons-
cient. Bribe par bribe : c’est l’effet des scansions. Ces effets sont à certains
égards incalculables, mais les éléments qui s’en déposent et que la scan-
sion permet d’extraire, sont eux, limités et objectivables. Que sont ces
éléments de l’inconscient que nous cherchons à extraire dans le flux de
la parole analysante — car la parole est un flux et pas seulement dans
l’analyse ? Ils sont en nombre limité et de deux types, sans compter le

6 Lacan J., « Introduction à l’édition allemande des Écrits », in Autres écrits, op. cit., p. 558.
Le temps, pas logique 21

silence. Ou bien ce sont des unités sémantiques (phrases ou séquences de


phrases qui bouclent leurs significations sur un point de capiton), et nous
obtenons alors ce que je vais appeler une unité conclusive sur une part de
ce qui s’est dit dans le flot de la parole. Ou bien nous isolons des unités
asémantiques, par coupure, soit que nous extrayons un signifiant de son
contexte, soit que nous interrompions la chaîne avant son point de chute
final (pratique fréquente chez Lacan). Alors nous obtenons une unité
non pas conclusive, mais plutôt asémantique que je vais appeler unité
suspensive. Quelle que soit la durée d’une séance, son point d’arrêt est, ou
bien un arrêt conclusif, si petit soit-il, ou bien un arrêt suspensif. Sur ce
point, et sur ce point seulement, je fais remarquer que séances courtes ou
longues sont à égalité. Au bout d’une minute ou de trente ou de quarante,
pas d’autre choix : c’est ou l’unité conclusive, ou l’unité suspensive. Et si
c’est le silence, il est lui-même suspensif.
Je conclus donc que ce qui fait la différence, et il y en a une évidem-
ment, ce n’est pas la capacité de l’une ou de l’autre à élaborer l’inconscient.
Les deux le font, c’est la moindre des choses… Sorti de là, on n’est plus
dans la psychanalyse mais dans le grand champ psy avec lequel elle ne
se confond pas.
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Dire des bêtises, sans valeur de communication, consiste à dire des
paroles jouissantes.

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