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Développement durable et territoires

Économie, géographie, politique, droit, sociologie 


Vol. 13, n°2 | Décembre 2022
Les territoires au temps de la pandémie/
Expérimentations de transition écologique (vol. 2)

L’impact de la crise sanitaire de la Covid-19 sur les


stratégies de mobilité d’achat
The impact of the containment and health crisis of Covid-19 on purchasing
mobility strategies

Mathias Boquet et Nicolas Dorkel

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/developpementdurable/21058
DOI : 10.4000/developpementdurable.21058
ISSN : 1772-9971

Éditeur
Association DD&T
 

Référence électronique
Mathias Boquet et Nicolas Dorkel, « L’impact de la crise sanitaire de la Covid-19 sur les stratégies de
mobilité d’achat », Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 13, n°2 | Décembre 2022, mis en
ligne le 01 décembre 2022, consulté le 28 avril 2023. URL : http://journals.openedition.org/
developpementdurable/21058  ; DOI : https://doi.org/10.4000/developpementdurable.21058

Ce document a été généré automatiquement le 28 avril 2023.

Creative Commons - Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International - CC BY-NC 4.0
https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/
L’impact de la crise sanitaire de la Covid-19 sur les stratégies de mobilité ... 1

L’impact de la crise sanitaire de la


Covid-19 sur les stratégies de
mobilité d’achat
The impact of the containment and health crisis of Covid-19 on purchasing
mobility strategies

Mathias Boquet et Nicolas Dorkel

1 En mars 2020, la France, comme de nombreux pays européens, fait face à une situation
épidémique de grande ampleur, la Covid-19. Ainsi adopte-t-elle une mesure inédite
dans son histoire : le confinement généralisé de la population 1. La. crise sanitaire
bouleverse immédiatement les activités quotidiennes de chacun et les pratiques
spatiales associées, notamment en ce qui concerne la consommation des foyers et leurs
déplacements d’achats.
2 À la suite de l’annonce du confinement, anticipant une pénurie ou souhaitant limiter
leurs sorties dans les semaines à venir, de nombreux consommateurs se précipitent
dans les magasins pour faire des réserves de produits de consommation courante. De
fait, ce comportement généralisé aura pour conséquence la pénurie temporaire de
certains produits, limitée aux tout premiers jours du confinement et à certains
magasins. Ces comportements témoignent des premiers changements dans la
consommation en situation de crise sanitaire où les incertitudes et les craintes (la peur
de manquer et celle d’être contaminé particulièrement) peuvent guider les décisions
des consommateurs. La très forte augmentation du recours au drive pour faire ses
achatss illustre également ce changement2.
3 Une autre conséquence du confinement est la fermeture administrative des commerces
jugés non essentiels. Seuls restent ouverts ceux proposant des produits alimentaires et
pharmaceutiques, ou encore ceux liés à la téléphonie ou à l’informatique, à la
réparation automobile ou de cycles et au bricolage. L’offre commerciale disponible est
alors fortement restreinte. Pour s’approvisionner en certains produits (habillement,
produits culturels…), les consommateurs auront alors le choix entre différer leur

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achats, choisir un point de vente généraliste comme un hypermarché ou opter pour le


commerce en ligne. Cette situation vient donc bouleverser les filières
d’approvisionnement usuelles des consommateurs.
4 Mais la consommation se trouve aussi impactée par le changement de rythme
qu’impose le confinement dans de nombreux foyers avec la généralisation du
télétravail ou les mesures de chômage partiel, la fermeture des écoles, ou encore la
nécessité de se munir d’une autorisation de sortie. Si les déplacements d’achatss sont
toujours possibles, ils ne s’inscrivent plus dans le cadre spatial et temporel habituel.
5 D’après Kaufmann (1999), les activités de la vie quotidienne sont habituellement
structurées autour de quatre sphères : la sphère du travail, la sphère domestique, la
sphère de l’engagement (activités publiques, politiques et associatives) et la sphère du
temps libre. René-Paul Desse (2008) constate l’imbrication de ces sphères dès lors qu’il
est question de la mobilité des consommateurs et des pratiques d’achats. Certains
déplacements sont plutôt dévolus à une sphère en particulier, comme les achatss
alimentaires qui se réalisent d’abord dans le cadre de la sphère domestique.
Néanmoins, avec l’évolution des mobilités, le rééquilibrage des temps dévolus à chaque
sphère, telle que l’augmentation du budget-temps consacré aux loisirs, et
l’enchaînement d’activités multiples dans le temps et l’espace, les pratiques de
déplacement d’achats se sont complexifiées et l’offre commerciale s’y est adaptée
(Gasnier, 2007).
6 Dans une synthèse des modèles de comportement spatial du consommateur, Thill et
Timmermans (1992) classent ces modèles en trois catégories : les modèles gravitaires,
les modèles probabilistes, et les modèles de choix. La particularité de tous ces modèles
est leur construction à partir de tout ou partie des facteurs suivants (Daniel et al.,
2018) : la distance ; l’attraction commerciale du point de vente ou de la zone d’achats ;
la différence entre clientèle de stock (qui réside dans la zone de chalandise d’un
établissement ou y travaille) et clientèle de flux (qui y transite) ; et les parcours
d’achats. Si les modèles gravitaires et probabilistes reposent principalement sur la
distance et l’attraction commerciale, les récents travaux sur les déplacements d’achatss
montrent que les deux autres facteurs, relatifs à la consommation au cours d’un
déplacement en chaîne, sont décisifs pour expliquer le choix des points de vente
fréquentés (Desse, 1999 ; Kieffer et Audard, 2015).
7 Dans une étude sur les mobilités d’achats alimentaires dans l’Ouest francilien, Essers et
Poulot (2019) montrent comment, selon les ménages et la personne en charge des
courses alimentaires, les mobilités d’achats peuvent se faire tantôt dans le cadre d’un
déplacement pour une autre activité (déplacement professionnel ou extra-
professionnel), tantôt lors d’un déplacement autonome, les deux formes pouvant
coexister au sein d’un même foyer. Certains éléments entrent alors en compte pour
expliquer les stratégies de mobilité retenues : une localisation résidentielle éloignée des
commerces ou au contraire très proche ; une routine établie, et même parfois
persistante en cas de relocalisation du lieu de résidence ou de travail ; des choix de
consommation engagés (Amap, etc.) nécessitant des mobilités spécifiques. Cette
recherche témoigne de la complexité des mobilités d’achats et de la diversité des profils
de consommateurs dans la période pré-Covid-19.
8 Mais la pandémie de Covid-19 et le confinement remettent tous ces facteurs en
question. L’objectif de cet article est alors d’étudier l’évolution du comportement
spatial du consommateur en posant l’hypothèse de quatre nouveaux facteurs prévalant

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dans les stratégies de déplacement d’achats pendant le confinement : l’ancrage des


consommateurs à leur domicile ; l’apparition de critères sanitaires dans le choix des
canaux de distribution ou dans les décisions de mobilité ; l’adaptation à de nouveaux
besoins et rythmes familiaux dans un environnement commercial sous contrainte ; et le
maintien d’une activité sociale extérieure au foyer.
9 Ces facteurs auront alors des effets en matière de consommation (augmentation ou
diminution des déplacements d’achats, nouveaux critères de choix des points de vente)
et d’inscription territoriale de cette consommation (sélection de points de vente à
proximité du domicile, développement de l’e-commerce et des drives, divergences des
comportements selon la localisation des consommateurs).
10 Cette recherche prend appui sur les données d’une enquête en ligne, analysées à partir
de méthodes d’analyse multivariée, afin de produire des profils de consommateurs.
Après avoir présenté les différents profils obtenus, cet article proposera une analyse
des stratégies de déplacements d’achats pendant le confinement et leur inscription
spatiale.

1. Méthodologie : identifier et analyser les stratégies


de déplacement d’achats par l’enquête
11 Pour comprendre les décisions de déplacement d’achats, l’enquête se révèle bien
souvent incontournable dans la mesure où elle permet d’interroger les consommateurs
sur les facteurs présidant au processus de décision de leur mobilité. Elle peut être
réalisée sur le site même d’une centralité commerciale ou d’un commerce, comme par
Léo et Philippe (2000) qui, dans une démarche d’analyse marketing, se sont intéressés à
la satisfaction des consommateurs, ou comme Boquet (2019) sur les facteurs
d’attractivité d’un centre-ville. Dans un contexte de confinement et distanciation
sociale, une enquête de ce type est impossible à mettre en œuvre. Une autre approche
consiste alors à interroger des consommateurs en dehors de toute centralité
commerciale, soit dans le cadre d’entretiens sur un secteur géographique
spécifiquement défini (Hani, 2009 ; Essers, Poulot, 2019), soit à travers une enquête par
questionnaire diffusée en dehors d’un cadre spatial strict et apportant des résultats par
nature plus quantitatifs (Dembo et al., 2018).
12 C’est dans ce cadre que nous avons réalisé une enquête en ligne pour étudier les effets
de la crise sanitaire sur la mobilité des consommateurs à quatre moments distincts : au
début du confinement sur les achats de la première semaine ; quand le confinement
était installé et que les premières habitudes d’achats étaient prises, à l’issue de la
3e semaine ; quand le confinement commençait à durer, sur les achats de la 7 e semaine ;
et enfin quelques semaines après le confinement. Les résultats présentés ici concernent
uniquement la première vague d’enquête menée du 24 au 28 mars 2020 auprès de
2 481 foyers et concernant leurs déplacements d’achats réalisés lors de la première
semaine du confinement. Le tableau suivant (cf. tableau 1) présente la composition de
notre échantillon.

Tableau 1. Principales caractéristiques de notre échantillon

Nombre de foyers enquêtés 2 481

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Nombre de personnes concernées 6 078

en part des foyers


Par foyer de confinement moyenne concernés

Nombre d’adultes 1,86 100 %

Nombre d’enfants (moins de 18 ans) 0,51 36 %

Nombre de personnes de plus de 70 ans (qualifiée de vulnérable


face à la Covid-19) 0,08 6%

Professions et catégories socioprofessionnelles pour tous les majeurs des


foyers de confinement nombre en %

Agriculteurs 16 0,26

Artisan, commerçant, chef d’entreprise 215 3,54

Cadre, profession intellectuelle supérieure 1 702 28,01

Profession intermédiaire 866 14,25

Employé 1 092 17,96

Ouvrier 218 3,58

Chômeur 222 3,65

Retraité 526 8,66

Inactif 259 4,26

Autre (dont étudiants) 962 15,83

13 Pour comprendre les effets de la crise sanitaire et du confinement, nous avons décidé
de construire des typologies de consommateurs à l’image de celle du Credoc (Dembo et
al., 2018) sur les consommateurs par rapport aux courses alimentaires (cf. figure 1).

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Figure 1. Une typologie de consommateurs

Source : enquête Tendances de consommation, volet commerce 2017, CRÉDOC citée par Dembo et al.
(2018)

14 Nos typologies de répondants ou de foyers ont été constituées à partir des méthodes
d’analyse multivariée. Bien que les données collectées fussent à la fois qualitatives et
quantitatives, et après plusieurs tests de paramétrages, le choix a été fait de réaliser des
Analyses en Composantes Principales (ACP) en transformant en variables quantitatives
les quelques variables qualitatives ordinales retenues.
15 Trois typologies ont ainsi été réalisées : la première concerne la consommation
effective pendant la première semaine de confinement ; la seconde porte sur
l’évaluation par le répondant des changements opérés durant cette semaine au regard
d’une situation standard (consommation hors période Covid) ; la dernière typologie
concerne la perception de la crise sanitaire par le répondant.
16 Il aurait été techniquement possible de considérer l’ensemble des variables 3 au sein
d’une seule et même analyse, permettant l’élaboration d’une typologie unique, et
d’observer les corrélations entre elles. Cependant, au regard de la nature des variables
et du déséquilibre de leur nombre par thématiques, le choix de les regrouper en trois
groupes thématiques analysés distinctement s’est avéré plus pertinent. Par exemple, le
fait que 21 % des foyers n’aient réalisé aucun déplacement d’achats pendant la
première semaine de confinement se révélait particulièrement discriminant et ne
permettait pas de faire ressortir suffisamment les autres facteurs différenciants. Notre
méthode permet par contre d’analyser la coappartenance des individus aux trois
typologies.
17 Outre les données utilisées dans l’élaboration des profils, l’enquête intégrait aussi des
indicateurs concernant la localisation du foyer (commune de résidence pendant le
confinement), sa composition (nombre d’enfants, d’adultes ou de personnes de plus de

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70 ans), les professions et catégories socioprofessionnelles de ses membres. Cela nous a


permis de réaliser des tests de Khi2 entre ces indicateurs et les profils créés. Par
ailleurs, pour chacun des établissements commerciaux fréquentés au cours de la
semaine, il fut demandé aux répondants d’évaluer des critères ayant pu présider au
choix de l’établissement en question (cf. tableau 2). Cette évaluation nous permet
d’analyser l’importance de chaque critère en fonction des types d’établissements, mais
aussi en fonction des profils précédemment créés.

2. Résultats : des stratégies de mobilité d’achats


différentes face à la pandémie et au confinement
2.1. Des niveaux de consommation disparates selon les foyers

18 Cette enquête avait d’abord pour but de quantifier les déplacements d’achats. Au cours
de cette première semaine, 79 % des foyers interrogés ont réalisé un ou plusieurs
déplacements d’achats. Les autres s’en sont abstenus, notamment ceux qui avaient
anticipé le confinement de façon générale (8 % de l’échantillon) ou sur certains
produits (25 %). La moyenne des lieux d’achats fréquentés est assez faible (1,4 lieu par
foyer), car la majorité des foyers ayant réalisé des achats s’est limitée à un seul point de
vente (parfois visité plusieurs fois dans la semaine). Le nombre d’achats réalisés est
quant à lui en moyenne de 1,8 achats. Néanmoins, une centaine de foyers ont visité plus
de trois points de vente différents (et ce, jusqu’à un maximum de 8), ce qui témoigne de
comportements de consommation disparates lors de cette première semaine de
confinement.
19 De la même façon, les premiers résultats de l’enquête ont montré que les répondants
n’avaient pas tous la même appréciation de la crise sanitaire et n’avaient pas adopté les
mêmes changements dans leur consommation (réduction du nombre de sorties achats,
fréquentation de leurs commerces habituels) ou les mêmes critères de choix des points
de vente (cf. tableau 2) : proximité, respect des règles d’hygiène et de sécurité, choix
important de produits.

Tableau 2. Les critères de choix des commerces au cours de la première semaine de confinement
notés par les répondants

Critères de choix des points de vente Note moyenne sur 5

La proximité du point de vente 4,0

L’habitude du point de vente 3,9

L’assortiment de produits/le choix 3,4

Limiter l’attente 3,1

Les mesures d’hygiène et de sécurité prises 2,9

Limiter le nombre de contacts/éviter la foule 2,8

Recherche d’un produit en particulier 2,8

Prix des produits 2,7

Retrouver des connaissances 2,2

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2.2. Une grande diversité des comportements au début du


confinement

20 Les trois typologies de visiteurs créées permettent alors d’aborder les stratégies de
déplacement d’achats pendant la pandémie sous des angles différents mais
complémentaires : les pratiques de consommation pendant la première semaine de
confinement ; les changements observés par les consommateurs dans leurs pratiques
depuis la crise sanitaire et le confinement ; et enfin la perception de la crise sanitaire et
le niveau d’inquiétude du répondant.

2.2.1. Les comportements de consommation pendant la première semaine de


confinement

21 La première typologie identifie les différents comportements de consommation des


foyers enquêtés au cours de la première semaine de confinement : ceux qui continuent
à fréquenter de nombreux établissements, ceux qui ne consomment pas, ceux qui
utilisent internet, ceux qui ont anticipé le confinement. Elle fait apparaître trois profils
principaux de consommateurs et six sous-profils (cf. figure 2). Dans un souci de clarté,
nous proposons un nom pour ces profils et sous-profils, déterminé au regard des
caractéristiques statistiques observées. Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur, mais
d’une description au regard des résultats spécifiques du groupe constitué aux
différentes variables.

Figure 2. Typologie des répondants selon leur consommation

Source : Boquet, Dorkel, LOTERR, 2021

22 Une part importante des répondants appartient à la catégorie des consommateurs


modérés, ménages qui ont réalisé relativement peu d’achats en magasin ou sur internet
pendant la première semaine de confinement, ni anticipé le confinement.

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Contrairement aux autres profils, l’habitude de fréquentation d’un point de vente n’est
pas un critère particulièrement important, ce qui révèle une certaine flexibilité dans
leur comportement de consommation. Afin d’optimiser leur(s) sortie(s) d’achats et de
couvrir tous leurs besoins, ces consommateurs ont fréquenté préférentiellement les
points de vente généralistes, proposant une gamme de produits étendue :
supermarchés, hypermarchés, hard-discount ou drives. Sociologiquement, les
employés, les professions intermédiaires et les étudiants sont légèrement
surreprésentés dans cette classe. Le pouvoir d’achats moins élevé de ces catégories
sociales peut expliquer à la fois la modération observée dans la consommation et
l’évitement des commerces de proximité souvent jugés plus onéreux. Au regard de leur
comportement de déplacements d’achats, ils apparaissent plutôt comme de bons élèves
de la consommation réduite pendant le confinement.
23 D’autres ménages dévoilent, au contraire, un nombre de déplacements et d’actes
d’achats bien plus conséquent. Il s’agit des consommateurs intensifs, catégorie qui
regroupe trois sous-profils : les consommateurs connectés, les consommateurs en boutique
qui privilégient les petits établissements mais en regroupant les sorties d’achats, et
enfin les consommateurs quotidiens qui réalisent des achats tout au long de la semaine.
Les consommateurs intensifs choisissent davantage que les autres catégories leur lieu
d’achats, parce qu’ils recherchent un produit particulier ou parce qu’ils sont
susceptibles d’y croiser des connaissances. Ils multiplient alors les petits achats et
fréquentent particulièrement les boutiques (commerce <300 m2), les grandes surfaces
spécialisées (GSS), les Amap et assimilés, les pharmacies ou les marchés. Les répondants
de ce profil appartiennent plus souvent à la catégorie des cadres et professions
intellectuelles supérieures. On retrouve également une représentation plus élevée des
foyers avec plusieurs enfants. Enfin, il existe une relation entre les consommateurs en
boutique et les consommateurs quotidiens et la localisation au sein d’un pôle urbain du
foyer de confinement.
24 Une dernière catégorie de consommateurs apparaît également : elle est composée de
ceux n’ayant pas du tout ou très peu consommé dans les commerces physiques pendant
la première semaine de confinement. Dans les deux cas, les ménages ont anticipé le
confinement en effectuant des achats les jours précédents. Le sous-profil des reclus se
caractérise par l’absence totale d’achats, tandis que les anticipateurs connectés ont
parfois consommé, mais souvent en drive et sur internet. Lorsqu’ils ont réalisé des
achatss en boutique, les critères relatifs à l’hygiène, la sécurité ou la distanciation
sociale pour choisir le lieu d’achats sont bien mieux notés que pour les autres
consommateurs. Les répondants de ces profils sont davantage présents dans le
périurbain (anticipateurs connectés) et dans le rural (reclus) que les autres catégories,
mais résident quand même dans leur grande majorité au sein d’un pôle urbain.
25 Ces trois catégories témoignent donc de différences significatives dans les pratiques de
déplacements d’achats des ménages au début du confinement. Mais ces différences
peuvent ne pas être liées à la situation exceptionnelle et résulter de différences
antérieures.

2.2.2. Les changements dans les stratégies de mobilité d’achats

26 Nous nous sommes donc penchés sur la caractérisation du changement de


comportement par les répondants eux-mêmes à partir de six variables (cf. figure 3).
L’objectif est alors d’évaluer l’impact de la crise sanitaire et du confinement sur les

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pratiques de déplacements d’achats. Cette seconde typologie fait alors apparaître cinq
profils différents avec, d’une certaine manière, une gradation liée à l’impact du
confinement ressenti par les consommateurs vis-à-vis de leurs habitudes de
consommation.

Figure 3. Typologie des répondants selon les changements apportés à leur mobilité d’achats

Source : Source : Boquet, Dorkel, LOTERR, 2021

27 Parmi ceux se déclarant le plus impactés par le confinement et la crise sanitaire, nous
trouvons d’abord le profil des bouleversés qui, au regard de l’impact ressenti, ont
considérablement modifié leurs pratiques d’achats pendant cette première semaine de
confinement. Cette catégorie de consommateurs a davantage fréquenté les boutiques
de proximité, les supermarchés et les drives. Le choix des lieux d’achats a été guidé plus
que pour tous les autres profils par la mise en œuvre de mesures d’hygiène dans les
points de vente et par la possibilité d’éviter la foule et de limiter l’attente sur place. Il
s’agit de la catégorie qui se révèle la plus touchée par le confinement et la crise
sanitaire dans ses pratiques habituelles de déplacement d’achats.
28 Un autre groupe de consommateurs s’estime lui aussi fortement impacté. Il s’agit du
groupe des contrariés, à la fois contraint par les fermetures administratives de certains
commerces et les règles du confinement, mais peu désireux d’adapter ses pratiques de
consommation. Au sein de ce groupe, nous retrouvons particulièrement les familles
avec enfants, devant faire face au défi de l’approvisionnement du foyer alors même que
le nombre de repas pris à domicile augmente considérablement avec la fermeture des
espaces de restauration, ou que de nouveaux besoins émergent (imprimante par
exemple). Pour cela, ces consommateurs ont souvent dû se tourner vers des points de
vente inhabituels, sans que leur sélection ne se fasse en raison de motifs sanitaires.
29 En position intermédiaire vis-à-vis de l’impact ressenti, nous trouvons les foyers
résilients qui ont su s’adapter sans difficulté aux contraintes posées par le confinement
sur leurs stratégies de déplacement d’achats. Cette catégorie privilégie très fortement
les achats en supermarchés qui permettent de répondre aux critères de proximité et de
groupements d’achats (grâce au plus large assortiment en rayon) tout en évitant

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l’affluence et en maximisant la sécurité. Si l’adaptation a été facile pour ces


consommateurs, c’est que les lieux d’achats choisis pendant cette première semaine de
confinement sont ceux déjà fréquentés habituellement. Nous retrouvons un lien entre
cette classe et la localisation en zone périurbaine ainsi qu’une légère surreprésentation
des ménages avec deux personnes de plus de 70 ans.
30 Les deux derniers groupes se montrent beaucoup moins impactés par la crise sanitaire
et le confinement. Les routiniers, d’abord, se caractérisent par un comportement
identique à la période pré-Covid-19, avec une sélection des lieux d’achats guidée par
l’habitude ou par le produit recherché, mais absolument pas par des critères sanitaires.
Nous retrouvons cette catégorie dans les hypermarchés, les grandes surfaces
spécialisées, mais aussi dans les Amap et assimilés, notamment en raison de
l’abonnement à un panier hebdomadaire qui ne s’interrompt pas pendant le
confinement. Enfin, le groupe des non-concernés est certainement le plus difficile à
définir. Comme pour celui des routiniers, la crise sanitaire n’a pas eu d’impact sur ses
critères de sélection des magasins. Les foyers de cette catégorie ont été beaucoup plus
sensibles au critère du prix et à la possibilité de croiser des connaissances dans les
magasins.

2.2.3. La perception de la crise sanitaire

31 Une dernière typologie montre enfin l’appréciation de la pandémie à partir des


variables du ressenti face à l’épidémie, du niveau d’affectation des personnes dans leur
foyer ou leur entourage et de leur respect estimé du confinement (cf. figure 4).
L’objectif ici est de pouvoir identifier les attitudes des répondants au regard de la
pandémie afin de les mettre en relation avec les profils de consommation et de
changement. Cette fois-ci, trois profils se distinguent : les inquiets pour eux comme
pour les autres, les attentifs qui respectent les règles du confinement et s’inquiètent
pour les autres, et enfin les insouciants qui paraissent assez peu préoccupés par la crise
sanitaire en ce début de pandémie.

Figure 4. Typologie des répondants selon l’appréciation de la pandémie de Covid-19

Source : Boquet, Dorkel, LOTERR, 2021

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2.3. L’articulation des typologies et leur inscription spatiale

32 L’objectif de ces trois typologies est surtout de pouvoir les croiser entre elles pour voir
comment s’articulent les comportements effectifs de mobilité d’achats, l’appréciation
des changements opérés pendant le confinement et le ressenti vis-à-vis de la pandémie.
Trois polarités semblent alors se dégager (cf. figure 5), toutes articulées autour de l’un
des profils de rapport à la pandémie. Ainsi, les foyers où l’inquiétude est la plus forte
sont ceux où les comportements d’anticipation des achatss, d’absence de
consommation ou d’usage de l’e-commerce et des drives ont été les plus forts. Il s’agit
aussi de ceux qui estiment que leurs pratiques de déplacement d’achats ont été les plus
bouleversées. À l’inverse, les foyers assez peu préoccupés par la crise sanitaire sont
également ceux qui ont maintenu leurs routines et leurs habitudes et ont poursuivi une
fréquentation assidue de multiples points de vente. Enfin, les foyers qui se situent en
intermédiarité vis-à-vis de l’appréciation de la situation sanitaire sont ceux qui ont
modéré leur consommation et adapté en conséquence leurs pratiques de mobilité
d’achats.

Figure 5. Relations entre les trois typologies

Source : Boquet, Dorkel, LOTERR, 2021

33 Il existe également un lien entre la localisation résidentielle des foyers et les stratégies
de mobilité d’achats au cours de la première semaine de confinement. L’analyse croisée
de la localisation résidentielle des répondants et des profils de consommateurs permet
d’établir une relation significative entre certains profils de comportements ou de
changements et la répartition des consommateurs selon la nomenclature du zonage en
aire urbaine de l’Insee réduit à trois catégories (cf. figure 6). Dans les pôles urbains,
nous retrouvons particulièrement les profils associés à une consommation importante
dans des commerces physiques et ceux qui ont opéré peu de changements dans leur
mobilité d’achats. En milieu périurbain apparaissent les profils des anticipateurs
connectés et des résilients et, enfin, dans le milieu rural, le profil des reclus.

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Figure 6. Localisation des profils de consommateurs

Source : Boquet, Dorkel, LOTERR, 2021

3. Quand la pandémie de Covid-19 bouleverse les


stratégies de déplacements d’achats
3.1. De nouveaux facteurs pour comprendre les mobilités d’achats

34 Ordinairement, les facteurs mobilisés pour paramétrer les modèles de comportement


de mobilité des consommateurs sont les suivants (Daniel et al., 2018) : la distance ;
l’attraction commerciale du point de vente ou de la zone d’achats ; la différence entre
clientèle de stock et clientèle de flux ; et les parcours d’achats. Notre hypothèse était
que, dans le contexte pandémique vécu au début du confinement, quatre nouveaux
facteurs prévalaient. Nos résultats, à partir des profils mis au jour, permettent de
vérifier la pertinence de ces nouveaux facteurs au regard des anciens.
35 Le premier facteur était que le domicile devient le lieu d’ancrage des déplacements
d’achats. Le télétravail généralisé et le confinement limitent considérablement la
clientèle de flux, car rares sont ceux qui se déplacent pour d’autres motifs que ceux
d’achats, surtout au début du confinement. Pour de nombreux foyers, les déplacements
d’achats sont souvent les seuls déplacements autorisés au-delà d’un kilomètre. Les
clients opportunistes qui profitaient d’un déplacement vers un lieu d’activité ou de
sociabilité pour réaliser un achats disparaissent. Les mobilités d’achats deviennent des
boucles simples ayant pour point de départ et d’arrivée le domicile, sans arrêt
intermédiaire autre que pour un motif de consommation. Les parcours d’achats
coutumiers sont également modifiés, puisque la fermeture d’un grand nombre de
commerces et services vient changer les paramètres habituels d’enchaînement des
lieux d’achats. Cela est d’autant plus vrai que chacun est invité à réduire le nombre de
points de vente fréquentés pour limiter son exposition à la Covid-19.

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36 Par conséquent, en période de confinement, la proximité du domicile occupe une place


prépondérante parmi les critères de choix des lieux de consommation. Le poids de la
distance au domicile se trouve alors amplifié. Les règles du confinement encouragent,
voire contraignent à des déplacements d’achats de proximité. D’une certaine manière,
les ménages sont soumis à l’injonction à consommer près de chez eux. La redécouverte
et l’engouement des consommateurs pour les commerces de proximité sont d’ailleurs
un des premiers éléments mis en avant dans les médias au début du confinement 4.
37 Dans notre enquête, le critère de la proximité au domicile est effectivement celui le
mieux noté par les consommateurs pour justifier le choix des commerces fréquentés.
C’est aussi le second facteur de changement évoqué. Les profils des résilients et des
bouleversés se construisent notamment autour de la caractéristique d’une
augmentation des achats de proximité. Dans l’étude du Credoc sur les critères de choix
des points de vente pour faire ses courses alimentaires, Dembo et al. (2018) montraient
déjà l’évolution croissante du facteur de la proximité. La situation du confinement
renforce donc une dynamique préexistante.
38 Le concept de proximité recouvre néanmoins des réalités différentes selon la
localisation des ménages dans un des environnements proposant des aménités
différemment distribuées (l’offre commerciale n’est pas la même en milieu urbain,
périurbain ou rural) ou selon les individus et leur propre perception (Bailly, 1984 ;
Torre, 2009).
39 Le second facteur est celui de l’apparition de nouveaux critères sanitaires entrant en
compte dans le choix des établissements, notamment pour les publics parmi les plus
inquiets et les plus vulnérables. Dans une étude en psychologie sur la consommation
pendant le confinement, Di Crosta et al. (2021) précisent le rôle de la peur de la
Covid-19 dans les comportements d’achats, tendant à limiter les achats de produits
n’étant pas de première nécessité. Les établissements plébiscités seraient ceux qui
permettent d’éviter la foule, de ne pas passer trop de temps en magasin, ou ayant
adopté rapidement des mesures de sécurité comme la mise en place de plexiglas ou
l’équipement en masque des hôtes et hôtesses de caisse. Le type de commerce (boutique
de moins de 300 m2, supermarché, hypermarché) importe moins que les mesures
réellement mises en place par l’établissement et le sentiment de confiance des
consommateurs. Cela relativise l’idée que la taille d’un point de vente ou d’une zone
commerciale est un élément décisif pour attirer des clients, notamment dès lors qu’il
s’agit de maintenir une certaine distanciation physique, de limiter son attente en caisse
et la durée de ses emplettes, ou encore de fuir la foule. Cette hypothèse consacre aussi
le développement des achats à distance, du retrait en magasin et du drive pour limiter
les situations à risque. Jean-Christophe Gay (2020) explique d’ailleurs que « dans un
monde du “sans-contact”, l’automobile renforce nos limites individuelles et rassure ».
40 Dans l’étude du Credoc (Dembo et al., 2018), le prix et le choix des produits
apparaissaient respectivement en deuxième et troisième position des critères de choix
d’un magasin. Dans notre enquête, le critère du prix est maintenant inférieur à ceux
relatifs à des mesures d’hygiène ou de distanciation physique. C’est notamment le cas
parmi les profils qui gravitent autour des personnes inquiètes par la crise sanitaire (les
inquiets, les bouleversés, les reclus et les anticipateurs connectés). La crise sanitaire a
donc bien eu pour effet de faire apparaître parmi les consommateurs de nouveaux
critères de choix des lieux d’achats qui orientent ou déterminent les mobilités de
consommation.

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L’impact de la crise sanitaire de la Covid-19 sur les stratégies de mobilité ... 14

41 Le confinement signifie également d’autres rythmes de vie et d’autres besoins en


matière de consommation qui correspondent à notre 3e facteur. Le nombre de repas
pris à domicile augmente sensiblement (environ 40 % pour ceux qui déjeunaient à
l’extérieur en semaine, c’est-à-dire 5 ou 6 repas supplémentaires sur 14) et implique des
achats alimentaires en plus grande quantité. De nombreux foyers se sont saisis de cette
situation inédite pour opérer des changements dans leur alimentation, notamment en
retrouvant le temps et le goût de cuisiner5. Par conséquent, les ménages se sont tournés
vers certains produits particuliers (beurre, farine, œufs…), occasionnant des pénuries
temporaires (sans compter le phénomène d’achats par anticipation). D’une manière
générale, il a fallu aussi réaliser des achats de produits pour affronter le temps du
confinement (imprimantes, produits culturels…). Parallèlement, la situation sanitaire
bouleverse le facteur de l’attraction commerciale, puisqu’avec la fermeture d’un grand
nombre d’enseignes ou les pénuries de produits, certaines centralités commerciales
perdent de leur intérêt.
42 Dans ce contexte, le choix de l’établissement et/ou du canal de distribution peut alors
relever de facteurs relatifs à l’optimisation de son ravitaillement (trouver des produits
particuliers, réduire son temps d’achats, réduire le nombre de points de vente). Dans
nos résultats, le groupement des achats apparaît comme le premier facteur de
changement et concerne à la fois les consommateurs résilients et bouleversés. Les
supermarchés offrent un bon compromis entre la garantie d’un approvisionnement
efficient et celle d’une relative sécurité (proximité, moindre affluence, mise en place
assez rapide de mesures de sécurité…). L’usage des plateformes d’e-commerce, avec
réception des achats par l’intermédiaire des drives, du click & collect ou de la livraison à
domicile, apparaît aussi dans notre enquête comme une stratégie répondant à ces
besoins. Gu et al. (2021) précisent d’ailleurs les effets de la pandémie sur les
comportements d’achats sur internet, notamment par l’amplification des pratiques
préexistantes. Les consommateurs établissant ces stratégies de sélection des canaux de
distribution pour optimiser leur approvisionnement appartiennent davantage aux
profils des anticipateurs connectés, des consommateurs connectés et des
consommateurs modérés. Enfin, les consommateurs contrariés apparaissent comme
contraints de changer de lieux d’achats pour s’assurer de leur approvisionnement, sans
pour autant chercher à s’adapter au contexte sanitaire (pas de diminution des sorties,
pas de regroupement des achats, pas davantage de proximité).
43 Enfin, les activités sociales ont été drastiquement réduites pendant le confinement. La
limitation des sorties et le sentiment de claustration, l’absence de relations sociales
physiques ou au contraire la promiscuité dans le logement sont autant de raisons de
recourir à un déplacement pour motif d’achats comme échappatoire à des conditions
de confinement parfois vécues difficilement. Di Crosta et al. (2021) montrent comment
le stress généré par le confinement a eu un impact en matière de hausse de la
consommation pendant le confinement : l’acte de consommer (en boutique ou en ligne)
étant un moyen de gérer son stress. Ce 4e facteur contrebalance les précédents,
puisqu’il signifie une multiplication des déplacements d’achats vers de nombreux
établissements, en dépit des consignes sanitaires. À ce sujet, le philosophe Benoît
Heilbrunn (2020), dans une tribune du journal Le Monde, rappelle le rôle du commerce
dans la vie sociale : « Le shopping est une forme essentielle de notre vie sociale et sensible, qui
nous permet tour à tour de sentir, de découvrir, de se rencontrer, de s’émerveiller, bref
d’échanger de la valeur et du sens. » Dans notre enquête, les profils gravitant autour de la

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catégorie des insouciants (les non-concernés, les routiniers, les hyper-consommateurs)


semblent répondre plus favorablement à ce facteur. Leurs déplacements d’achats se
réalisent de façon privilégiée dans un environnement fréquenté habituellement ou à
proximité de leur domicile pour y retrouver notamment leurs relations de voisinages
(marchés, commerces de quartier…). Les catégories exprimant le moins d’inquiétude
vis-à-vis de la situation sanitaire sont donc celles qui adoptent des comportements
suggérant un besoin important de maintenir une activité sociale par la consommation.
44 Enfin, un autre facteur est apparu également au cours de l’enquête : celui de l’habitude
qui guide souvent les choix de consommateurs en matière de déplacement d’achats. En
effet, beaucoup de consommateurs ont tout simplement privilégié leurs commerces
habituels. Le confinement et la crise sanitaire n’ont donc pas occasionné un
bouleversement total des stratégies de déplacement d’achats.

3.2. Les stratégies de mobilité d’achats structurées selon quatre


formes spatiales

45 Ces facteurs, parfois contradictoires, ne concernent pas simultanément tous les


consommateurs, et chaque profil de consommateurs est plus ou moins sensible à
chacun des facteurs. Cela aboutit à différentes stratégies de mobilité d’achats au cours
de la première semaine de confinement qui se structurent selon quatre formes spatiales
(cf. figure 7) : le repli, la proximité, la sélection et la pérégrination.

Figure 7. Les stratégies de mobilité d’achats en temps de pandémie

Source : Boquet, Dorkel, LOTERR, 2021

46 La première d'entre elles est le repli au domicile sans réaliser d’achats,


particulièrement observée chez ceux qui avaient fortement anticipé le confinement. La
seconde consiste à fréquenter préférentiellement les commerces situés à proximité de
son domicile, comportement encouragé par les pouvoirs publics. La troisième stratégie
est celle de la sélection rigoureuse du lieu d’achats ou du canal de distribution, soit
selon des critères sanitaires (par exemple les drives), soit selon des objectifs de
consommation optimisée. Enfin, la dernière stratégie déployée est la fréquentation
régulière de commerces différents et intervient davantage quand l’acte d’achats est
moins ou sinon également important que l’acte social associé. Ces quatre formes ne
sont pas exclusives et peuvent s’hybrider en fonction de la typologie des produits

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L’impact de la crise sanitaire de la Covid-19 sur les stratégies de mobilité ... 16

recherchés. Di Crosta et al. (2021) établissent une différence importante de


comportement d’achats, qu’il s’agisse de produits de première nécessité ou non.
47 Il est alors possible d’établir un lien entre ces stratégies et la localisation résidentielle
des consommateurs. Les stratégies de repli sont plus fréquentes dans les milieux
ruraux, notamment en raison de l’injonction à rester à proximité de son domicile. Les
stratégies de sélection sont davantage déployées dans le périurbain, grâce notamment à
une aisance plus marquée à se déplacer dans un périmètre vaste avec l’automobile, et à
l’habitude de la fréquentation des drives et des grandes surfaces alimentaires. Enfin les
stratégies de proximité et de pérégrination se retrouvent dans les pôles urbains où la
situation de confinement fut certainement plus pesante pour les habitants. La
consommation a pu être une échappatoire à des conditions de confinement souvent
plus difficiles en milieu urbain (promiscuité, absence de jardin ou de terrasse) avec
toutefois des réserves dans la mesure où la répartition de l’offre commerciale n’est pas
égalitaire entre les milieux urbains, périurbains et ruraux.
48 Il faut néanmoins être vigilant sur cette interprétation dans la mesure où l’offre
commerciale est spatialement très hétérogène. Les stratégies déployées par les
consommateurs s’établissent en fonction des commerces à leur disposition dans une
proximité relative. Cela est d’autant plus vrai dans cette période de confinement qui
annule un grand nombre de déplacements professionnels et extra-professionnels sur
lesquels se greffent souvent des déplacements d’achats. En ce sens, la crise sanitaire et
le confinement contribuent à rendre plus prégnant le rôle de la structure commerciale
dans les stratégies de déplacement d’achats en raison de la mobilité limitée des
consommateurs.

Conclusion
49 La crise sanitaire et le confinement de mars 2020 ont profondément bouleversé les
activités quotidiennes de la population, notamment la consommation et les pratiques
de déplacement d’achats qui lui sont associées. Alors même que de nombreux achats
sont habituellement réalisés à l’occasion d’autres motifs de déplacement, faire ses
courses devient l’un des rares motifs d’éloignement de son domicile autorisé dans la
France confinée.
50 La situation sanitaire et administrative produit alors plusieurs effets sur les mobilités
d’achats, nous obligeant à réviser les facteurs souvent pris en compte dans les modèles
de déplacement des consommateurs : anticipation du confinement ; renforcement des
achats dits de proximité ; sélection des commerces et des circuits d’approvisionnement
selon des critères sanitaires ; optimisation de ses sorties d’achats pour garantir un
approvisionnement efficient ; ou encore multiplication des actes d’achats afin de
perpétuer une activité sociale hors de son domicile. Ces effets peuvent être additionnels
ou exclusifs en fonction des consommateurs, et des profils différenciés apparaissent,
lesquels sont particulièrement liés à l’appréciation de l’épidémie.
51 Dès lors, notre enquête réalisée au cours de la première semaine de confinement a
permis d’observer quatre stratégies particulières de mobilité d’achats : le repli, la
proximité, la sélection et la pérégrination.
52 La particularité de notre méthodologie d’enquête est d’avoir renouvelé à trois reprises
la passation de notre questionnaire pour suivre l’évolution des stratégies de mobilité

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d’achats au cours du premier confinement de 2020 et un peu au-delà. Ainsi, en


poursuivant l’analyse sur ces autres jeux de données, il sera intéressant de voir à quel
moment les comportements de repli tendront à disparaître tandis que ceux de
pérégrination se multiplieront. Par ailleurs, une autre perspective serait d’analyser les
conséquences à moyen et long termes du confinement sur les stratégies de mobilité et
de sélection de canaux de distribution par les consommateurs en distinguant les effets
temporaires de ceux persistants.

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page-63.htm.

NOTES
1. Légifrance : arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte
contre la propagation du virus Covid-19.
2. Au cours de l’année 2020, les enseignes de la grande distribution ont vu le chiffre
d’affaires de leurs drives augmenter considérablement (par exemple, +33 % pour
Auchan, 42 % pour Leclerc et jusqu’à +80 % pour Intermarché, https://www.lsa-
conso.fr/la-folle-annee-du-drive-se-poursuit,378538.
3. Les variables utilisées pour chacune des typologies sont présentées dans la partie 2.
4. Parmi tous les articles de presse sur le sujet, voici comme exemple un article de
France Bleu relatif aux commerces alimentaires de proximité, https://
www.francebleu.fr/infos/economie-social/confinement-certains-commerces-
alimentaires-de-proximite-ont-double-leurs-chiffres-d-affaires-1588007773.
5. C’est ce que rapporte notamment Santé publique France : https://
www.santepubliquefrance.fr/presse/2020/confinement-quelles-consequences-sur-les-
habitudes-alimentaires.

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RÉSUMÉS
Cet article étudie l’impact de la crise sanitaire sur les comportements spatiaux des
consommateurs durant les premiers jours du confinement. Si, ordinairement, les mobilités
d’achat sont souvent adossées à d’autres mobilités (déplacements professionnels ou extra-
professionnels), le contexte d’un télétravail généralisé, de fermetures administratives de
nombreux commerces et services et de mise en veille de la plupart de nos activités sociales a
bouleversé les habitudes de consommation de chacun. À partir des résultats d’une enquête par
questionnaire, nous proposons des profils de consommation et d’adaptation au contexte
sanitaire. Ces profils permettront alors d’identifier les stratégies mises en place par les
consommateurs pour s’approvisionner au cours de la première semaine de confinement,
notamment au regard de leur localisation et de leur inquiétude vis-à-vis de la situation
épidémique.

This paper studies the impact of the health crisis on the spatial behavior of consumers during the
first days of the containment. If, usually, shopping mobilities are often coupled with other
mobilities (professional or extra-professional trips), the context of a generalized teleworking, of
administrative shutdowns and of most of our social activities being put on hold, has disrupted
the consumption habits of everyone. From the results of a questionnaire survey, we propose
profiles of consumption and adaptation to the health context. These profiles will then allow us to
identify the strategies used by consumers to obtain supplies during the first week of
confinement, particularly with regard to their location and their concern about the epidemic
situation.

INDEX
Mots-clés : confinement, Covid-19, mobilité des consommateurs, commerces, géographie du
commerce de détail
Keywords : containment, Covid-19, consumer mobilities, shops, retail commercial geography

AUTEURS
MATHIAS BOQUET
Mathias Boquet est maître de conférences en géographie, ses activités de recherche se
concentrent sur les questions d’attractivité territoriale et de mobilité des consommateurs.
Université de Lorraine, laboratoire Loterr UR 7304, UFR Sciences Humaines et Sociales Metz
mathias.boquet@univ-lorraine.fr

NICOLAS DORKEL
Nicolas Dorkel est ingénieur d’études en analyse spatiale, ses travaux concernent la spatialisation
du commerce et l’aménagement aux frontières de la Grande Région.
Université de Lorraine, laboratoire Loterr UR 7304, UFR Sciences Humaines et Sociales Metz
nicolas.dorkel@univ-lorraine.fr

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