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Article 7

Auteur : DEA Lékpéa Alexis


Année : 2016
Titre : William Wade Harris : Un père du protestantisme en Côte d’Ivoire
Ouvrage : S/D Agossou Arthur VIDO et Yao Marcel KOUAKOU, Contribution à l’histoire
de l’Afrique noire d’hier à nos jours : traite négrière, civilisations, sexualité et religion, Paris,
Edilivre, 2016, Tome II, pp 225-244.
Editeur : Edilivre, Paris.
ISBN papier: 978-2-334-10813-3
ISBN pdf: 978-2-334-10814-0
ISBN epub : 978-2-334-10812-6
Lien de l’ouvrage : https://www.edilivre.com/contribution-a-l-histoire-de-l-afrique-noire-d-
hier-a-nos-jours-.html/
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ISBN papier : 978-2-334-10813-3


ISBN pdf : 978-2-334-10814-0
ISBN epub : 978-2-334-10812-6
Dépôt légal : avril 2016

© Edilivre, 2016

Imprimé en France, 2016

238
9

William Wade Harris :


Un père du protestantisme en Côte d’Ivoire

Alexis DEA311

Introduction
Si en 1913, l’Église catholique, forte de son statut de
religion d’État de la métropole française avait déjà marqué
sa présence dans la jeune colonie ivoirienne, il n’en était pas
de même pour le protestantisme qui était jusque-là resté
hésitant à cause de l’hostilité de l’administration coloniale
française en place depuis 1893. Il a fallu attendre la croisade
du prophète Harris pour susciter un véritable intérêt pour
de nombreuses missions protestantes. La ruée protestante
en Côte d’Ivoire dès le lendemain du passage d’Harris en est
la conséquence immédiate et la plus visible. Il existe donc
un lien étroit entre la croisade d’Harris et l’implantation de
chacune des premières et plus importantes missions
protestantes en Côte d’Ivoire. Mais quel a été l’impact de

311
Enseignant-chercheur à l’Université Lorougnon Guédé de Daloa.

225
l’œuvre du prophète Harris sur l’essor du protestantisme en
Côte d’Ivoire ? En d’autres termes, en quoi Harris a-t-il été
précurseur du protestantisme en Côte d’Ivoire ? Répondre
à cette question nous imposera de faire dans un premier
temps une brève biographie du prophète Harris, ensuite
décrire sa révélation et sa mission prophétique et, enfin
déterminer l’impact de l’œuvre d’Harris sur le
protestantisme en Côte d’Ivoire.

I – Biographie du prophète Harris


Il s’agit ici de présenter brièvement William Wade
Harris avant l’entame de sa vie de prophète. Son enfance fût
marquée par la confrontation de deux mondes : la société
traditionnelle dont il est issu et la société moderne aux règles
nouvellement importées des États-Unis et qui cherchait à
s’imposer par tous les moyens. Ensuite, nous évoquerons sa
vie active marquée par un véritable engagement politique,
ce qui lui aura valu finalement la prison.

1 – Une enfance entre tradition et modernisme


Le prophète312 William Wade HARRIS naquit vers 1860
dans le village Grebo Nyomoye de Globale à Cape Palmas
au sud-est du Libéria, et mourut en 1929313. Sa mère était

312
Le titre de « prophète » appliqué à William Wade HARRIS vient du
fait qu’à l’instar de la plupart des personnages charismatiques fondateurs
d’Église, il se reconnaît comme « envoyé de Dieu » et dit avoir reçu sa
mission de Dieu. Il s’appuie ensuite sur la Bible dans son enseignement.
La persécution dont il est victime dans son parcours ainsi que les miracles
et divers prodiges accomplis viennent confirmer enfin cette vocation
prophétique dans laquelle il s’inscrit.
313
David SHANK, Prophet HARRIS, « the black Elijah », cité par James
KRABILL, Nos racines racontées, Abidjan, PBA, 1996, 372p. p148.

226
probablement chrétienne (méthodiste) et son père
« païen »314. Les premières années de Wade Harris furent
marquées par une forte influence de la tradition. Dans un
article consacré au caractère pentecôtiste de la mission du
prophète Harris, David Shank rappelle les douze années les
plus décisives de son enfance caractérisées par des liens
étroits avec sa structure clanique, son appartenance à une
famille polygame et étendue, ses classes d’âge, ses chefs-
guerriers, ses contre-sorciers (deyabo) son prêtre/juge,
bodio et sa résidence sacrée (takae) avec son autel symbole
de la puissance du clan fetish.
Il vit alors dans l’ambiance des cultes traditionnels qui supposent
une hiérarchie des esprits omniprésents avec lesquels il faut
entretenir des liens ou les couper, les esprits de la forêt, de la mer,
du fleuve, du rocher, de la montagne, les esprits bénéfiques des
ancêtres et les esprits maléfiques des sorciers décédés, et au sommet,
la divinité suprême des origines Nyswa. La nécessité des relations
aux puissances spirituelles est absolument vitale que ce soit par le
biais des sacrifices des fêtes de la société des masques (kwi-iru), de
la lutte contre la sorcellerie deyabo ou des ordalies dont l’épreuve
du poison gedu315.

Jusqu’en 1873, il est aussi témoin de plusieurs faits


marquants : disputes entre divers groupes Glébo, tensions
et guerres entre les habitants de la colonie Grebo, conflits
entre modèles religieux chrétien et traditionnel, entre le
village et la « civilisation » nouvellement apportée des États-
Unis par les Américo-libériens316.

314
Idem.
315
Le Pentecôtisme du prophète William Wadé Harris /In : Archives de
sciences sociales des religions. N. 105, 1999. Le Pentecôtisme : les
paradoxes d’une religion transnationale de l’émotion. pp. 51-70. P65.
316
David SHANK, Prophet HARRIS, « the black Elijah », cité par James
KRABILL, Nos racines racontées, Ibid.

227
À l’opposé de cette enfance fortement marquée par la
tradition, l’adolescence de William Wade Harris a subi une
forte influence de la « civilisation. » En 1873, HARRIS, part
pour Sinoe (Grennville) pour résider chez son oncle
maternel, John Lowrie, un chef de district, maître d’école et
serviteur de Dieu méthodiste. Le révérend John C. Lowrie,
le prend comme apprenti et écolier dans sa maison de
pasteur-maître d’école méthodiste, parmi les libériens
immigrés, en dehors du territoire grebo et loin des
influences de la vie traditionnelle. Wade fréquente l’école
locale et apprend à lire en G’debo et en Anglais. Il est baptisé
par son oncle. C’est à partir de ce moment qu’apparaissent
les noms de William et HARRIS317. Après avoir brièvement
présenté les faits marquants de l’enfance du prophète
Harris, notre démarche suivante consiste à faire connaître
sa vie active, sa conversion et son service chrétien avant le
début de son ministère prophétique.

2 – La vie active, la conversion et le service chrétien du


prophète
La vie du prophète Wade Harris avant sa consécration
au ministère prophétique a été marquée par une brève
activité économique et un véritable engagement politique.
À partir de 1879, Harris travaille en qualité de kruboy
et effectue des voyages en mer comme ouvrier sur des
bateaux. Deux années plus tard, il revient à Cape Palmas, où
il est converti suite à l’appel du révérend Thompson qui
prêchait à partir d’Apocalypse 2, 5. « “Souviens-toi donc
d’où tu es tombé : repens-toi et accomplis les œuvres

317
Il est important de souligner que l’origine de ces noms reste incertaine.
Ibid.

228
d’autrefois.” »
En 1885, il épouse Rose Bedo Wledo FARR, fille d’un
maître d’école épiscopalien. Trois ans plus tard, il est
confirmé comme membre de l’Église et devient employé de
la mission. De 1892 à 1899, il joue les rôles de moniteur
adjoint, catéchiste, prédicateur laïc, etc. Il devient aussi
interprète des Glebo auprès des autorités politiques du
pays318.
Les Grébo sont un peuple du littoral du Liberia
appartenant au grand groupe ethnique Krou, frontalier avec
la Côte-d’Ivoire. Leur région a connu le débarquement
d’anciens esclaves noirs américains partis du Maryland en
1822. Avec les armateurs de Charleston en Caroline du Sud
se développa un mouvement pour le rapatriement des
esclaves libérés vers l’Afrique. Le Liberia et la Sierra Leone
ont été les deux destinations choisies. Après ce
débarquement se firent jour des tensions entre les Grébo et
le gouvernement américano-libérien, mis en place avec
l’arrivée des anciens esclaves. Les Grébo reprochèrent aux
nouveaux venus et surtout au gouvernement américano-
libérien leur attitude dominatrice.
L’arrivée des Anglais au Liberia permit au peuple
Grébo de s’opposer ouvertement au gouvernement
américano-libérien et d’affirmer leur nationalisme319. L’un

318
Voir KRABILL, op. cit., p. 149.
319
Les Anglais, qui manifestaient des visées protectionnistes sur le
Liberia, apportent en effet leur soutien aux Grébo qui travaillaient depuis
longtemps dans les équipages de bateaux anglais. Ces derniers espéraient
en fait devenir des sujets britanniques. Le gouvernement organise alors
des représailles contre les Grébo avec l’aide des Allemands et des
Américains en bombardant Garaway, le centre de leur mouvement
nationaliste. Une lutte s’engage ainsi entre le gouvernement américano-

229
des plus ardents nationalistes fut William Wade Harris,
surnommé Old Man Union Jack. Dans le village de Paduke,
près de Garaway, Harris fut favorable au protectorat
britannique et arracha le drapeau libérien du bâtiment
administratif pour y faire flotter le drapeau anglais. Il fut
alors arrêté et jeté en prison. Ce fut au cours de cette
incarcération qu’Harris dit avoir reçu la visite de l’ange
Gabriel320.

II – Harris le prophète : Révélation et mission prophétique


Cette partie de notre travail permettra de décrire la
révélation prophétique reçue par Harris. Dans quel contexte
Harris reçoit-il cet appel ? Quelle valeur lui donne-t-il et
comment l’accomplissement de cette prophétie se fait-il
dans la pratique et quels en sont les résultats ?

1 – Révélation et début de la mission


En 1909, accusé d’avoir participé à un coup d’État
manqué, Harris est condamné à deux ans de prison et à une
amende de 500 dollars. Son amende payée, il ne doit pas
aller en prison. Mais en 1910, suite à l’éclatement de la
guerre entre le gouvernement et les Grebos, Harris est
incarcéré321. Durant cette période, il passe beaucoup de
temps à lire la Bible et à prier. C’est alors qu’il reçoit une
vision : un « homme debout derrière lui », qu’il identifie
comme l’Archange Gabriel, lui ordonne d’aller évangéliser
ses frères sur la côte, le revêtant de l’Esprit et d’une grande
puissance contre les fétiches. Le récit de cette vocation nous

libérien et le mouvement nationaliste grébo.


320
GBADJA, op. cit., pp. 14-15.
321
SHANK, cité par KRABILL, op. cit., pp. 148-150.

230
est connu grâce à ses témoignages et notamment à un
entretien avec le Père Joseph Hartz, supérieur intérimaire de
Bingerville322. Il décrit ainsi sa vision :
Je suis prophète, au-dessus de toute religion et affranchi du
contrôle des hommes. Je ne relève que de Dieu par l’intermédiaire
de l’ange Gabriel. Il y a quatre ans – c’est-à-dire en 1910 –, je fus
éveillé brusquement durant la nuit. Je vis l’ange protecteur sous
une forme sensible au-dessus de mon lit. Par trois fois il me
frappa le sommet de la tête et me dit « Je te demande le sacrifice
de ta femme. Elle mourra mais je t’en donnerai d’autres qui
t’aideront dans l’œuvre que tu dois fonder. Ta femme te remettra,
avant sa mort, six shillings ; ce sera ta fortune ; tu passeras
partout. Ils ne te manqueront jamais. Je t’accompagnerai partout
et te révélerai la mission à laquelle te destine Dieu, le Maître de
l’univers que les hommes ne respectent plus. »323

En 1912, après sa libération, Wade Harris se met à


évangéliser ses compatriotes. Mais sa mission parmi les
siens ne connaît pas un grand succès. En 1913, il se rend
dans la colonie de Côte d’Ivoire324 où il exerce un charisme
prophétique conformément à sa vision. Son action, qui
s’étend tout le long de la côte ivoirienne, représente une
révolution religieuse. Harris sillonne successivement

322
La Guerre de 1914-1918 entraîna la mobilisation d’un grand nombre
de prêtres en service en Côte d’Ivoire. Le Père J. Hartz, alors supérieur de
Grand-Bassam, fut ainsi appelé à venir assumer l’intérim du supérieur de
Bingerville. C’est ce qui lui valut de recevoir la visite de Harris vers
octobre 1914.
323
R. BUREAU, Le prophète de la lagune. Les harristes de Côte-d’Ivoire,
Paris, Karthala, 1996, p. 10-11.
324
Notons que le contact de Harris avec les côtes ivoiriennes ne date pas
du temps de son ministère prophétique. Bien longtemps avant, pendant
qu’il travaillait comme kruboy, il avait effectué des voyages au Gabon avec
des escales en Côte d’Ivoire et en Gold Coast dans les points suivants :
Half Jack, Grand Bassam, Assinie, Adaffia, Cape coast, Winnebah, Accra.
Cf. KRABILL, op.cit., p. 149.

231
presque toutes les régions côtières de la Côte d’Ivoire.

2 – Ampleur de la mission et confirmation de son caractère


prophétique.
Itinéraire du prophète Harris en Côte d’Ivoire et en
Gold Coast 1913-1915

Source : Hippolyte MELGBADJA, « Le harrisme en France », in L’arbre


à Palabres, n° 13, mai 2003, pp. 14-27 (p. 26).

C’est d’abord parmi les Krou, précisément les


Kroumen, qu’Harris commence son ministère. Par la suite,
il visite les pays Neyo, Brignan, Ahizi, Alladjan, Adioukrou,
Nzima et Ebrié avant d’aller en Gold Coast, où il évangélise
les Fanti.
Dans son message « Le prophète incitait les indigènes au
travail, à l’obéissance envers l’autorité. Il défendait l’abus de
l’alcool. Il tolérait la polygamie et s’élevait contre l’adultère.

232
Il interdisait le vol. Il demandait de considérer le dimanche
comme jour de repos et de recueillement325. Il promettait un
au-delà merveilleux à ceux qui suivaient ses préceptes, et, par
le baptême, assurait à ses prosélytes qu’il les purifiait326… »
Le prophète Harris se garde de toute ingérence
politique et se montre désintéressé quant aux biens
matériels. En effet, selon André Roux :
Tous les témoignages concordent sur un point : c’est qu’il n’a
jamais cherché à tirer un profit personnel quelconque en argent
ou en prestige. Acceptant seulement l’accueil que l’Africain offre
toujours à ses hôtes, nourriture et logement en particulier, il s’est
montré d’une simplicité, d’une discrétion totale. Jamais chez lui
la moindre trace de syncrétisme, ni de complexe radical.327

Il prêchait le monothéisme, le jugement et la


repentance, à la manière des prophètes de l’Ancien
Testament. Plusieurs ont gardé, longtemps après, le
souvenir de sa voix tonnante, qui commandait aux gens de
jeter leurs fétiches, à la façon d’Élie au Carmel, menaçant les

325
Harris avait énormément insisté sur le repos du dimanche, au point
que son insistance avait indisposé les employeurs européens et avait hâté
en partie son expulsion (cf. Bureau, op. cit, p. 97).
326
Joseph GASTON a étudié le prophète Harris dans son livre, La Côte-
d’Ivoire, le pays, les habitants, Paris, Larose, 1917, p. 160ss.
327
A. ROUX, À l’ombre de la grande forêt, Paris, Cerf, 1971, p. 31. Du
temps de la prédication harriste, nombreux furent ses adeptes qui se
rendirent coupables de faire payer en espèces leurs services religieux :
« Un homme prenait 50 centimes par baptême : Harris l’a maudit et il est
parti vers la mer sans jamais revenir. Lorsque le prophète fut emprisonné
à Bingerville pour la première fois, le commandant reconnut son erreur ; il
lui dit : “Combien veux-tu être payé ? ” Harris répondit : “Ce n’est pas la
peine, Dieu me donne tout.” On raconte que lors de la visite de Dagri et de
Ahui à Harris en 1928, le prophète leur aurait dit : “J’ai vu le pasteur
Benoît, mais je crains les problèmes d’argent : c’est du commerce, Dieu ne
le veut pas”. » (cf. BUREAU, op. cit, p. 99.

233
récalcitrants du feu du ciel. Il était un orateur-né,
s’exprimant dans un langage rude et heurté. Il commençait
par proclamer la toute-puissance de Dieu puis invitait ses
auditeurs à brûler leurs fétiches.
Après un an de ministère en Côte-d’Ivoire, Harris se
rend dans la colonie anglaise voisine de Gold Coast328, où il
prêche pendant quatre mois. En septembre 1914, Harris
revient en Côte-d’Ivoire, où il est accueilli par de grandes
foules. Mais au début de l’année 1915, à la faveur de la
guerre, Harris est expulsé de la Côte d’Ivoire par les
autorités coloniales qui craignent d’éventuels soulèvements
populaires. À huit reprises au moins, il tente de revenir en
Côte-d’Ivoire mais il est chaque fois refoulé.
Alors qu’il prêchait le long de la côte, de nombreux
appels parvenaient de l’intérieur, l’y invitant à aller porter
l’évangile. Ne pouvant pas s’y rendre lui-même, il envoyait
des prophètes mineurs qui ne rencontrèrent cependant pas
le même succès329.
Des résultats extraordinaires couronnèrent l’action du
prophète. Au total, plus de 100.000 Ivoiriens brûlèrent leurs
fétiches à la suite de la prédication d’Harris ou de ses
disciples.330 Certains rejoignirent l’Église catholique. En
1911, la mission catholique en Côte d’Ivoire, après 16 ans
d’activité, ne comptait que 2000 baptisés. Par contre,
seulement trois ans plus tard, dans son rapport annuel de

328
Actuel Ghana.
329
La force de la prédication de ces derniers n’égalait pas celle d’Harris
lui-même et les effets n’étaient pas les mêmes pour plusieurs raisons : en
effet, ces prophètes mineurs n’avaient pas tous une bonne connaissance
de la Bible et n’avaient pas un désintéressement pareil à celui du prophète.
330
D. S.HANK, « Le pentecôtisme du prophète William Wadé Harris »,
in Archives des sciences sociales des religions, n° 105, 1999, pp. 51-90.

234
1914, Monseigneur Jules Moury, vicaire apostolique chargé
de la mission catholique en Côte d’Ivoire était presque
lyrique :
Je serais incapable, ici, d’exposer les moyens externes que la
Providence Divine a utilisés pour accomplir ses desseins
grâcieux, et je serais obligé de me limiter à la description des
effets. Ces effets – en fait, c’est un peuple entier qui, ayant détruit
ses fétiches, envahit nos églises en masse, et demande le saint
baptême331.

Beaucoup de villages érigèrent de grandes cases de


prière en attendant les « Blancs de Dieu », c’est-à-dire les
missionnaires protestants. À travers cette mission, le
prophète venait de relever un défi face auquel les missions
protestantes étaient restées inefficaces. Semer la graine du
protestantisme sur un terrain jusque-là réservé aux seuls
missionnaires catholiques. William Wade venait ainsi
d’ouvrir la voie de la Côte d’Ivoire aux missions
protestantes. Les échos de son œuvre, tel un aimant, vont
attirer les missions protestantes dont les premières à
s’installer sont les baptistes et les méthodistes.

III – Identité protestante du prophète et son impact sur


l’essor du protestantisme en Côte d’Ivoire
Si William Wade Harris a été un pionnier du
christianisme en Côte d’Ivoire et se présente par conséquent
comme l’ancêtre commun de toutes les églises, il est
important de ne pas perdre de vue son identité protestante
qui influença tant ses pratiques prophétiques que son
enseignement. Cette identité a permis à son ministère d’être

331
Archives de la Société des Missions Africaines (Rome), 12/804.07 : 28 :
761,1914.

235
l’aimant qui a attiré vers la Côte d’Ivoire les missions
protestantes jusque-là réticentes. Ce furent d’abord les
missions baptistes et méthodistes qui emboitèrent le pas au
prophète. Ensuite la CMA, la WEC et une église protestante
locale se réclamant du prophète virent le jour.

1 – Les baptistes et les méthodistes sur les traces du


prophète Harris

a – Les baptistes sur les traces du prophète Harris


Les échos du remarquable succès du prophète Harris
dans le sud de la Côte d’Ivoire s’étaient répandus dans tous
les milieux protestants. Ce fut d’abord la Baptist and Church
Mission établie en Gold Coast qui arriva le premier sur les
traces du prophète.
En 1919, lors de son voyage en Côte d’Ivoire, son
fondateur, le Révérend Dr. Mark Christian HAYFORD se
rend compte de l’ampleur du mouvement Harriste et de
l’espoir des adeptes dans l’arrivée des « Blancs de Dieu »
dont la venue a été prédite par le prophète332. Plusieurs
églises laissées par ce dernier étant sans guide, et par
conséquent, menacées par un retour au fétichisme. Entre
1919 et 1922, il parvint à relier quatorze de ces Églises à sa
Mission. Il s’agit des églises de Pas, Débrimon, Chacha,
Jacqueville, Grand-Lahou Ewie Adje, Bokru, Grand
Drewin, Kut, Lahou, Fresco, Kruegida Petit Bassam,
Ajakutu.

332
En 1914, Casel HAYFORD (1866-1930), le frère du pasteur
HAYFORD, avocat et homme politique en vue, avait rencontré HARRIS,
et, enthousiasmé par le ministère de ce prophète, avait publié une
brochure à son sujet : William Wade HARRIS, The West african
reformer : the man and his message (C.M. Philips, Londres, 1915)

236
Mais l’administration coloniale de plus en plus
tatillonne à l’égard des prédicateurs sujets anglais, ne
permettait pas que les cultes soient célébrés en Anglais. Face
à l’urgence de la situation et son incapacité à y faire face lui-
même, HAYFORD se rend à Paris pour solliciter des
missionnaires français. Il arriva à l’institut biblique de
Nogent pendant l’année scolaire 1925-1926. Muni de ses
lettres d’introduction et ses titres à la fois impressionnants
et séduisants : il est docteur en théologie, membre de la société
royale de géographie, recommandé par les plus hautes
personnalités : L’Archevêque de Canterbury, le Président des
États-Unis, le roi d’Angleterre »333.
Son souci était de voir des missionnaires français venir
se charger de ses églises en Côte d’Ivoire car
l’administration coloniale, progressivement mise en place
depuis une trentaine d’années, était de plus en plus
tatillonne pour les non-francophones334.
L’appel du docteur HAYFORD a été bien entendu par
les responsables qui y dépêchèrent un couple de
missionnaires Laure et Daniel Richard pour créer la Mission
Biblique de Côte d’Ivoire. Cette mission chargée de
l’évangélisation du sud-ouest a marqué cette région du pays
par son engagement social ; ce qui a favorisé de nombreuses
conversions et une solide implantation. La fusion des églises
issues de cette mission a donné naissance à l’UEESO-CI qui
compte aujourd’hui près de 70.000 membres.

b – Les méthodistes et l’héritage de Harris


L’identité méthodiste du prophète Harris a constitué le

333
Idem. p22.
334
Jeanne DECORVET, op.cit, p22.

237
premier avantage des églises méthodistes dont la présence,
bien que réelle en Côte d’Ivoire à l’époque, n’était pas
suffisamment marquée. Il est évident que les méthodistes
font partie des premiers protestants à s’installer en Côte
d’Ivoire. Les travaux du Docteur Célestin KOUASSI
révèlent que cette présence date de 1893 donc avant même
l’installation de la CMA.
Les premières communautés méthodistes étaient
composées quasiment de ressortissants des colonies et
territoires anglais voisins. Ainsi, en 1893 la première
communauté fondée à Assinie ne comportait que des
ressortissants de la Sierra Leone et de la Gold Coast. Celle
de Grand Bassam fondée deux années plus tard comprenait
dix fidèles tous originaires de la Gold Coast. En 1905, la
communauté de Yacoboué était composée uniquement de
Fanti. Celles d’Aboisso et de Grand-Lahou fondées
respectivement en 1907 et 1908 étaient composées en
majorité de Sierra léonais. Ce bref tableau montre qu’avant
1914, donc avant le passage d’Harris, le nombre de
communautés méthodistes en Côte d’Ivoire n’excédait pas
cinq, et les fidèles constitués uniquement de ressortissants
de la Gold Coast ou de la Sierra Léone déjà convertis pour
la plupart depuis leur pays d’origine.
En 1914, avec la croisade de Harris, les églises
méthodistes déjà sur place vont constituer, avec les
catholiques les premiers bénéficiaires des retombées de
l’œuvre du prophète libérien. Malgré l’hostilité affichée par
l’administration coloniale à l’égard des responsables
méthodistes (limitation du champ d’action à Grand Bassam
en 1915, interdiction d’affecter des catéchistes dans les
villages sans approbation du gouvernement, imposition du
français et du latin comme langues de célébrations

238
cultuelles, fermeture du circuit de Grand Bassam en 1922),
le nombre de communautés et de convertis méthodistes
s’est accru de façon exponentielle. La poussée protestante
était tellement forte qu’elle risquait d’échapper au contrôle
de l’administration coloniale comme le signale
ANTONETTI lieutenant-gouverneur de Côte d’Ivoire dans
une lettre adressée à son supérieur hiérarchique le
gouverneur général de l’A.O.F : « une poussée
particulièrement forte s’exerce sur les populations depuis
1918 par l’intermédiaire des prophètes libériens et des
pasteurs sierra léonais des églises baptistes et wesleyennes…
elle tend à introduire chez nos administrés la langue, les
mœurs et les habitudes de nos voisins ».
En plus des adhésions massives aux communautés
méthodistes liées au privilège d’être déjà sur place avant le
passage d’Harris, les responsables de la Wesleyan Methodist
Missionary Society décidèrent de mieux s’enquérir des
réalités du terrain en vue d’une accentuation de l’œuvre. Le
problème qui se posait était de savoir qui serait responsable
des nombreuses communautés qui se sont constituées suite
à la prédication du prophète Harris.
La Société des Missions Méthodistes Wesleyennes de
Londres est la première à s’attribuer officiellement cette
charge. Elle a, en effet, décidé dans un grand acte de foi et en
plein accord avec la Société des Missions Évangéliques de
Paris, d’accepter l’héritage spirituel d’Harris : L’Église
Méthodiste Wesleyenne s’est en fait appliquée les paroles du
prophète Harris :
Après moi viendront les Blancs, serviteurs de Dieu, avec le Livre,
et ils vous enseigneront par la prédication et les écoles tout ce qui
est écrit dans la Bible. C’est chez un Pasteur de votre race instruit
par eux (Il s’agit du Pasteur Jessy Lawry), que moi-même, quand

239
je n’étais qu’un petit garçon, j’ai appris à lire la Parole de Dieu.
C’est cette parole sacrée apportée par les Blancs que vous devrez
recevoir et à laquelle il faudra obéir sans murmures, si vous
voulez avoir part à la Vie éternelle après la mort335.

Dix ans après le passage du prophète Harris, en 1924, le


Pasteur Platt, président du Synode du district de la Société
des Missions Méthodistes Wesleyennes de Londres en
A.O.F, résidant à Porto-Novo au Dahomey, en visite en
Côte-d’Ivoire fut accueilli en grande pompe comme le
premier de ces Blancs annoncés par le prophète. L’Église
méthodiste était aussi confortée par sa position privilégiée
dans le Testament d’Harris :
Tous les hommes, femmes et enfants qui ont été appelés et
baptisés par moi, doivent entrer dans l’Église Méthodiste
Wesleyenne. Je suis moi-même méthodiste. Personne ne doit se
joindre à l’Église catholique romaine, s’il désire me rester fidèle.
M. Platt, le directeur de notre Église méthodiste, est désigné, par
moi, comme mon successeur à la tête des Églises que j’ai fondées.

Elle se voyait ainsi établie triomphalement par la


population comme l’héritière de l’œuvre du prophète
Harris. Malgré la répression de l’administration coloniale
française dirigée contre les fidèles d’Harris pendant la
première guerre mondiale et quelques oppositions internes
au sein des convertis eux-mêmes quant à la légitimité de
l’Eglise méthodiste, les pasteurs méthodistes pourront
rassembler un nombre très important de membres qui
s’étaient constitués en églises. En 1924 environ 30.000
convertis ont rallié l’Église méthodiste. Le nombre d’églises
s’est considérablement accru. Le secteur de Lahou en
comptait 20 avec 4000 fidèles, celui de Dabou 50 avec 16.000

335
E. de Billy, En Côte d’Ivoire. Mission protestante d’A.0.F., Paris :
S.M.E., p. 16

240
fidèles, Abidjan 50 avec 8000 fidèles et Bassam Assinie 20.
C’était le départ d’une véritable expansion de l’Église
Méthodiste en Côte d’Ivoire, présence qui va à son tour
attirer d’autres missions protestantes vers ce territoire.
Aujourd’hui, à défaut d’une étude détaillée de l’expansion
du méthodisme en Côte d’Ivoire, nous sommes cependant
en mesure d’affirmer que l’Église méthodiste constitue, dans
sa diversité, l’une des grandes représentations du
christianisme en Côte d’Ivoire, et le porte-flambeau du
protestantisme ivoirien.

Conclusion
Que retenir au terme de cette étude sommaire
concernant l’impact d’Harris sur le développement du
protestantisme en Côte d’Ivoire ? Il est bon de noter que la
croisade du prophète Harris a été l’élément déclencheur du
mouvement protestant dans ce pays. Jusqu’à son arrivée en
1913-1914, la présence protestante était presqu’inexistante
et les quelques communautés présentes étaient pour
l’essentiel constituées de ressortissants de colonies voisines
notamment la Sierra Leone et la Gold Coast. Le passage
d’Harris a donc ouvert le chemin de la Côte d’Ivoire aux
missions protestantes dont les premières à en bénéficier
véritablement sont la Mission Biblique de Côte d’Ivoire et la
Société des Missions Méthodistes Wesleyennes de Londres.
Au-delà de ces deux premières missions dont la
naissance est directement liée à l’œuvre du Prophète Harris,
ne peut-on pas établir un lien entre le mouvement harriste
et les autres missions protestantes qui se sont suivies par la
suite en Côte d’Ivoire.
Wade Harris a été véritablement le coq qui a annoncé le
jour des missions protestantes en Côte d’Ivoire ; le précurseur

241
qui a préparé le terrain au protestantisme ivoirien.

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