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ETIENNE DE LA VAISSIERE et PENELOPE RIBOUD (€PtTE, PARIS / NALCO, PARIS) LES LIVRES DES SOGDIENS (AVEC UNE NOTE ADDITIONNELLE PAR FRANTZ GRENET) On trouve diverses mentions de la culture écrite sogdienne chez les auteurs musulmans du dixigme et du onzime siécle, ainsi que dans les descriptions chinoises de I’ Asie centrale. Cependant, cette culture reste extrémement mal connue. De rares témoignages peuvent permettre de pré- ciser ce qu’ étaient ces « livres des Sogdiens », évoqués aussi bien par Xuanzang que par Biriini ou Maqdisi. Certains sont des livres sacrés et la question est d’ importance pour I’histoire des textes sacrés iraniens. Chronologiquement, les descriptions les plus anciennes de a culture écrite sogdienne sont celles des lettrés chinois. Certes, fa question de écrit chez les peuples limitrophes ne fut probablement jamais une de leurs préoccupations centrales, mais diverses allusions dans des sources de différentes natures permettent néanmoins d’apporter quelques précisions. Wei Jie, fonctionnaire chinois a la cour de l’empereur Yangdi des Sui (604-617) fut envoyé en mission diplomatique chez les « barbares de TOuest » vers 607 ' et rédigea le Mémoire sur les barbares de Ouest (Xifan ji), aujourd’hui perdu. Dans I’Histoire encyclopédique des institu- tions (Tongdian) de Du You, rédigé en 801, se trouvent reproduits certains passages. On y lit, & propos du royaume de Samarcande (Kangguo) : Les gens du royaume de Kang sont tous d’habiles commergants ; quand un gargon at- teint I’age de cing ans, on le met I’étude des livres ; quand il commence & les com- prendre, on ’envoie étudier le commerce Ce texte est confirmé par les renseignements rapportés par le pélerin chinois Xuanzang, qui voyagea en Inde et en Asie centrale entre 629 et 645, et consigna ses impressions dans son ouvrage, le Mémoire sur les 1 Beishi, chap. 97, p. 3207. 2 Tongdian, chap. 193, p. 5256. Traduction 4°, Chavannes, T’ou kiue, p. 133. ba STUDI IRANICA 32,2003, p.127-136 128 £, DELAVAISSIERE ET ?, RIBOUD Stlr 32, 2003 contrées occidentales de la grande dynastie des Tang (Da Tang Xiyu ji) On y apprend en effet Depuis la ville de la rivigre Suye [Suyab] jusqu’au royaume de Jieshuangna [Kesh], le territoire se nomme Suli [Sogdiane], ainsi que ses habitants. L’écriture et la langue sont également nommées ainsi. L'alphabet est & l'origine assez sommatre, composé initiale- ment d'une vingtaine de lettres, qui, lorsqu’elles sont combinées et se répondent entre elles, forment [un vocabulaire] foisonnant et vaste. Méme le menu peuple posséde des livres et des récits, et les jeunes garcons savent lire ces textes, qu’ils se transmettent de main en main, de sorte que I’instruction donnée par les mattres n'est pas perdue % Enfin, la méme information figure, de fagon identique, dans les notices sur le royaume de Samarcande dans les histoires officielles des dynasties du Nord, des Wei et des Sui (Beishi, Weishu et Suishu). On y lit Ty ades codes hu 884% (hu li) établis dans les temples xian. En cas de jugement et de condamnation, on se saisit de laffaire [ou : on appréhende (le prévenu)] et on exécute la sentence. Pour les crimes importants, on extermine toute la famille. Pour les crimes ‘moins importants, on tue [le responsable]. Aux voleurs, on coupe le pied 4 Les extraits du mémoire de Wei Jie permettent d’imaginer I’impor- tance des livres économiques et administratif. Le texte de Xuanzang sug- gére quant & lui l’existence d’une littérature historique ou épique *. Le texte des histoires dynastiques montre celle de codes de loi. L’éventail des textes écrits était done normalement large en Sogdiane. Reste le probléme des textes religieux. Il existe un fort contraste entre Ia documentation religieuse sogdienne telle qu’elle nous est parvenue et ce que l’on sait des religions représentées en Sogdiane ou dans les commu- Da Tang Xiyyji, j. 1, p. 72. Beishi, chapitre 97, p. 3234 ; Suishu, chapitre 83, p. 1849 ; Weishu, chapitre 101, p. 2281, reste fort peu de celle-ci: seul un fragment de la 1égende de Rostam nous est par~ venu, retrouvé par A. Stein & Dunhuang (Or 8212 (81)). Voir Serindia II p. 924, et Pédition de Sims-Williams 1976, p. 54-61. Le titre, situé au dos du fragment, est en chinois (« Biographie du roi Hu Qin en un chapitre » 4 — 445), ce qui en fait un intéressant exemple de transfert culturel. Pelliot 1931, p. 431 traduit cette expression par « le roi de Qin des Hu », partant du principe que le terme hu désigne, A juste titre, « les Iraniens d°Asie centrale », et que Qin fait référence & l'un des stirnoms par lesquels on désignait, dans un po&me épique, le célebre empereur ‘Taizong des Tang, qui régna de 627 & 649. Cette interprétation, certes intéressante, nen reste pas moins relativement complexe. Il semble beaucoup plus simple de proposer que hugin, qui devait se prononcer xots’in, ait été une transcription phonétique un peu libre du nom « Rustam ». Le scribe chinois a délibérément privilégié les caractéres hu qui désignait les populations iraniennes et qin qui désignait les Chinois pour proposer un équivalent phonétique jouant également sur le sens, comme c'est souvent le cas dans les transcriptions chinoises de noms Etwangers. LES LIVRES DES SOGDIENS 129 nautés sogdiennes émigrées au Turkestan oriental. Si les documents reli- gieux bouddhiques, manichéens et chrétiens sont abondants, aucun texte mazdéen n’a pour l’instant été retrouvé, en dehors de deux ou trois petits fragments de Dunhuang de date incertaine, alors que I’archéologie en Sog- diane comme les mentions dans des sources chinoises et arabes montrent la prédominance de la vieille religion chez les Sogdiens &. Est-ce & dire que Je mazdéisme sogdien n’utilisait pas de livres ? On rejoint 1 un débat plus large, celui de la date de la mise par écrit des textes sacrés iraniens, parmi lesquels ce qui nous est parvenu sous le nom d’Avesta : la quasi-absence de textes mazdéens sogdiens a été utilisée dans ce débat pour affaiblir un peu plus l'idée d'une mise par écrit de I’Avesta a I'époque sassanide, notamment dans un article récent de J. Kellens, Ce dernier doit pourtant convenir de I"existence d'un fragment avestique en écriture sogdienne mais précise qu'il s’agit « d'un document isolé, purement local, notant directement une tradition orale et qui peut étre largement postéricur a la période sassanide > °. A dire vrai, cette quasi-absence est d’abord la conséquence du hasard qui a présidé & la conservation des sources. C’est a la seule acidité des sols de loess de la Sogdiane que I’on doit la totale disparition de la documenta- tion écrite, 4 l'exception notable des documents du Mont Mugh préservés par la roche. Au Turkestan oriental, les textes sogdiens sont tous issus d'une grotte bouddhique et de monastéres manichéens ou chrétiens. Sans Dunhuang et Turfan, que saurions nous du bouddhisme et du manichéisme en langue sogdienne, alors méme que I’histoire de la dynastie des Wei écrit 4 propos du royaume de Samarcande : « IIs honorent le Bouddha dans des livres (en langue) iranienne (hu) »8, et que le Fihrist fait de la Sogdi ne le refuge du manichéisme. Aucun temple mazdéen n’a été découvert 4 ce jour dans les sables du Turkestan oriental, alors méme que les descriptions chinoises nous assu- rent de leur existence dans toutes les oasis. On sait que le lieu ott se dres- sait celui de Dunhuang a été balayé par les eaux, et que l'un de ceux de Turfan a peut-étre été reconverti en monastére chrétien. On ignore oi se trouvait celui de Hami. Or I'un des textes chinois de Dunhuang mentionne la présence de ma- nuscrits dans ces temples sogdiens. La description de la région de Dun- huang et de Hami (Shazhou Yizhou liang di zhi « Description des deux © Pour les fragments mazdéens, voir Sims-Williams 1976 fr. 4 et 13, et l'annexe de Gershevitch. Attribution au mazdéisme dans Grenet 1995, p. 54 n, 43 et Tremblay 2001, p. 200-2. 7 Kellens 1998, p. 485, 8 Weishu, chap. 102, p. 2281 130 E, DELAVAISSIERE ET P, RIBOUD Stlr 32, 2003 territoires de Shazhou et Yizhou ») est a cet égard explicite ®. On y lit, a propos d'un temple de la religion xian : Dans le temple xian du feu se trouvent des manuscrits sur sole et des représentations peintes innombrables.!0 39) BAP Ay HK BFL AR Ae Be (voir ill. 3) Xian *% est un caractére spécialement inventé en chinois pour désigner la variante centre-asiatique, iconique, du zoroastrisme ", et il s’agit la sans aucun doute possible d'une description du temple de la communauté sog: dienne de Hami. L’emploi du caractére shu & pour ces livres conservés dans le temple montre par ailleurs qu’il ne s’agissait pas de livres d'une religion chinoise ou sinisée, puisque si tel avait été le cas, auteur aurait certainement employé le caractére jing &, qui signifie en chinois « texte sacré », Le colophon montre qu'il a été copié en 885, mais les informa- tions du texte sont bien plus anciennes : elles datent pour le temple xian du septiéme sidcle, comme le montre I’épisode qui suit immédiatement le pas- sage, mettant en scéne le maitre du temple, et explicitement daté d'avant 640 ». Une littérature religieuse mazdéenne a done existé dans le domaine sogdien. Une récente découverte de Pendjikent le confirme. Dans la piéce 3 du secteur XXVi, les fouilleurs ont dégagé en 1999 les fragments d’une peinture murale datant des années 740 ®, Celle-ci repré- sente un objet porté en procession sur un pavois devant des rangées de personages ou, plus probablement, de statues de divinités mazdéennes !* (voir ill. 1 et 2). Les fouilleurs ont interprété I’ objet comme une caisse de char, surmontée d’une représentation divine. L’ objet serait de forme tout & fait inhabituelle s'il s’agissait de cela : haut, étroit, feuilleté a l'avant, et présentant un arrondi a l’arriére. Il s'agit en fait de la premiére représenta- ° Ui s’agit du manuserit $. 367 de la British Library de Londres. Voir I’édition de Wang Zhongluo 1993, p. 204, © La traduetion de Waley 1956, p. 125 a induit en erreur les iranisants en corrigeant le texte de manire gratuite pour introduire lidée de figurines moulées : « in the Fire Baga temple, there are countless images both moulded and painted », et commente « ® as often at Tun-huang is for +% ». De plus il ne rend pas compte du shu « livre ». Rong Xinjiang (2000, p. 127) traduit lui simplement par « images », et nous signale que expression su shu désigne parfois & Dunhuang des peintures monochromes. Ce sens est extrémement rare, alors que celui de manuscrit sur sole est trés bien attesté, y compris & Dunhuang. 4 Dien 1957. 2 Rong Xinjiang 2000, p. 121 et 127. 8 MarSek/Raspopova 1999, p. 40 et ill. 84 et 85, et Markak/Raspopova 2000, p. 37-41 till. 81-3, 4 La chair est représentée de couleur jaune, ce qui dans les conventions picturales sogdiennes indique qu'il s'agit d'or. LES LIVRES DES SOGDIENS 131 tion dans l'art sogdien de Postension d’un livre, un codex, de trés grand format, & la couverture ornée de figures divines trés proches de celles que Von trouve représentées sur les ossuaires sogdiens, avec ses feuilles et sa reliure. On connaissait déji des codices manichéens et nestoriens sogdiens, mais le contexte est ici purement mazdéen '. F. Grenet (voir plus bas sa Note additionnelle) nous indique de plus que la divinité devant laquelle est placé le livre peut iconographiquement étre rapprochée de Sro8. Ceci permettrait un paralléle tres précis entre la peinture et les textes avestiques qui attribuent a ce dieu I’épithéte « qui a pour corps la Parole Sacrée ». Crest tr8s précisément ce qu’a représenté le peintre sogdien en superposant image du livre sacré et celle de Sro’. Les sources d’époque islamique ont elles aussi gardé trace de l’exis- tence de ces livres sacrés. Tabari les mentionnait, mais Je texte avait && mal interprété. Dans le passage qui décrit le procés et la mort en 840 de l’Afgin, le souverain de I’UstruSana, grand général des Abbassides, on ap- prend que I’on trouva des idoles et des livres paiens dans ses palais d’raq : In his residence was found a tabernacle containing the image of a man, carved out of wood and covered with many ornaments and jewels [...] Among his books they found a ‘book of the Magians called Z.rawah and many other books pertaining to his faith by ‘means of which he used to worship his lord ' Par ailleurs, il lui fut demandé lors de son proces, & propos d’un autre de ses livres : What is a certain book that you have and that you have ornemented with gold, jewels, and satin brocade and that contains blasphemies against God ? 7 Bosworth, suivant tort une analyse de Sadighi sur l'iconolatrie de l'AfSin qui aurait &é incompatible avec le zoroastrisme, analyse totale- ment dépassée depuis la découverte de la riche iconographie du mazdé- isme d’ Asie centrale, a fort curieusement commenté dans un sens boud- dhique le premier passage, alors méme que ces livres sont explicitement liés au mazdéisme ", Le second passage offre quant a lui un paralléle frap- pant avec la richesse du codex promené dans les rues de Pendjikent, méme s'il ne s’agit peut-étre pas dans le cas de ’Afgin d’un livre religieux ®. L’AfSin, du moins tel qu'on le voit a travers le portrait charge qu’en font Voir pour un codex nestorien Sims-Williams 1985, p. 14-6. Pour les codices ma- nichéens, voir les illustrations dans Gulécsi 2601, p. 71, 177, 179. 16 Tabari, III, 1318, trad. Bosworth p. 200. 17 Tabari, Il, 1309, trad. Bosworth, p. 187-8. '8 Trad. Bosworth, p. 200-1, n. 586. L’Afsin se défend motlement et parle d'un livre d'adab, hérité de son pére, mais ensemble des accusations portées contre lui sont pourtant & caractére religieux. 132 £, DELA VAISSIBRE ET P. RIBOUD Str 32, 2003 ses adversaires, est un mazdéen bon teint d’Asie centrale, non circoncis, mangeur de bétes impures, et iconodoule ; il posséde des livres sacrés. L’autre mention importante d’époque islamique se trouve chez Birdni. Dans sa Minéralogie, celui-ci cite explicitement un « livre des mages de Sogdiane » nommé le Nwbwsth ®. On sait par ailleurs qu’il doit plusieurs de ses renseignements aux mages de Sogdiane, mais sans préciser dans ces autres ouvrages s'il les a lus ou entendus On connait enfin une dernigre mention de livres religieux chez les Sog- diens, mais son interprétation est plus délicate. Maqdisi écrit au dixiéme sidcle : [Les Turcs] habitent au nord et & I’occident de la Chine. On prétend que certaines de leurs tribus ont un livre & eux, que d'autres ont celui des Thibétains, parce qu’ils sont leurs voisins, et que d’autres enfin ont le livre des Sogdiens, On ajoute qu'il y a des chrétiens et des bouddhistes parmi les Togouz-Oghouz ®. Mais il est vrai que ce « livre des Sogdiens » pourrait étre manichéen, quoiqu’il puisse encore s’agir 18 de livres mazdéens étant donné que le mazdéisme sogdien survit 4 Est de I’Asie centrale jusqu'au dixi&me sidcle Les Sogdiens ont done prié leurs divinités a l'aide de livres, dont existence est assurée avant que la moindre influence islamique se fasse véritablement sentir en Sogdiane — encore farouchement en lutte contre les Arabes jusqu’au milieu du huitiéme siécle, a fortiori dans les commu- nautés sogdiennes du Turkestan chinois. Certes, qui dit livre ne dit pas Avesta, quoiqu’on en ait un fragment sogdien, qu’un de ces livres ait &é suffisamment révéré pour étre porté en procession, que d'autres aient été assez précieux pour étre rédigés sur soie ; certes le mazdéisme sogdien était fort suspect aux yeux de l’orthodoxie sassanide, et l'utilisation de liv- tes a pu compter au nombre de ses déviances. Néanmoins, existence de ces nouveaux témoignages vient affaiblir un peu plus ’idée d’une mise par écrit trop tardive des textes sacrés iraniens. Buen de la VAISSTERE Pénélope RIBOUD, doctorante Ecole Pratique des Hautes Budes Testtt National des Langues Ive section et Cilisations Onentales 45, rue des Eeoles Cente tudes Chinoises 75005 Paris T3y re Broca 75005 Paris ® Henning 1958, p. 85. Henning propose soit Nouveau Livre, soit Livre des Neuf (Pierres). Trad. Belenickij, p. 204, com. p. 408 et 474. Il s’agit d’un traité de magie traitant, notamment, d’amulettes au contenu proche de celui du manuscrit P3, voire identique. 2 Par exemple Birtni, Inde, trad. Sachau, I, p. 249 et 260-1 % — Maqdisi, trad. Cl. Hua, IV 19, LES LIVRES DES SOGDIENS 133 23 BMS “ea he 19) Haya. a ifs Ah Ga SA te sone Br ey sow Sh eat es ge ores ae ager hd hae, BS 35 on ees mr aeRO 3 RLS ee + Fig. 1 : Fragment de peinture, Penjikent, salle 3 du bloc XXVI (@aprés MarSakRaspopo- va 2000, ill. 84, RH B wf ee e Une EET UNT AUT MALT SR Ae S A Se em GHEE hy Seah be DAR Moy fH god aleas HR RY MY Bt PED RORB EG Pe er wanamipy x Fig. 3: Manuserit du Shazhow Yizhou lang di zhi (8.367 d'aprés Dunhuang Manus- ccripts in British Collections, I, p. 158). Le texte cité ocoupe le haut de la 2° colonne en partant de droite. Fig. 2: Détail du précédent (d’aprés Marsak/ Raspopova 2006, ill. 85). EET p RIBOUD Ser 32, 2003 134 E. DELA VAISS NOTE ADDITIONNELLE DE FRANTZ GRENET : L'IDENTITE DE LA STATUE DIVINE PLACEE DERRIERE LE LIVRE DANS LA SCENE DE PROCESSION DE PENDJIKENT Mar8ak (2000, p. 40) reconnait les attributs tenus en mains comme a) dans la main droite, une massue, et b) dans la main gauche, une coupe ou un autel du feu. La massue est probable, bien que ce qu’on apercoit (un manche terminé par un élément arrondi) n’exclue pas d’autres types objets. La coupe parait difficile 4 admettre, car la partie inférieure de Pobjet se resserre vers le haut, ce qui évoque plutét une base soit d’autel du feu miniature, soit de brale-parfum. Partant de ces constatations, deux hypothéses peuvent étre avancées : a) Le dieu maitre du Paradis, qui est figuré sur deux ossuaires de Sogdiane méridionale avec pour attributs, d’une part un autel miniature, autre part, contre I’épaule, une pelle & cendres alternant avec une ensei- gne (2), Le candidat le plus probable pour ce dieu est Ardwahist (voir les articles réunis dans Grenet 1993, p. 49-68, figs. 6 et 7 pour les ossuaires en question). b) SrO8, qui dans le seul cas ol il est stirement figuré dans I’icono- graphie sogdienne (également sur un ossuaire) tient un brile-parfum (voir F. Grenet dans Chuvin 1999, p. 166 et fig. 226). Dans ce cas précis, l'autre main est occupée A conduire un défunt au lieu du jugement, mais l’adjonc- tion d’une massue serait pleinement conforme a l'un des qualificatifs de Sro8 dans son hymne avestique (Y.57, passim) : darii.dru- «4 la massue vigoureuse ». Cette identification, si elle est la bonne, pourrait bien donner la clef de la présence du livre placé devant la statue, ou peut-étre lui servant de base. Un autre des qualificatifs de Sro3, qui lui est aussi réguligrement appliqué dans son hymne et qu’il ne partage avec aucune autre divinité (si ce n’est, une seule fois, avec Mithra), est tanu.ma6ra- « qui a pour corps Ia Parole Sacrée » (voir Gershevitch 1959, p. 180-181; Kreyenbroek 1985, p. 34-35, 76, 163, 166, 174). Il est, pour le moins, tentant de supposer que l’artiste sogdien a voulu exprimer de maniére plastique ce concept. Les figures de Mithra et d’ Anahita émergeant A mi-corps d’un autel du feu, telles qu’elles sont attestées sur des monnaies kouchano-sassanides, auraient pu inspirer cette combinaison. La présence au bas de la composition de Pendjikent d’une scéne carnavalesque comportant des joueurs de tambour, des dan- seurs accoutrés de peaux de chavres, etc., serait cohérente avec le rdle fon- damental de SroS comme expulseur des démons et avec la place impor- tante qu’il occupe dans le cycle du Nouvel An (Kreyenbroek 1985, p.162). LES LIVRES DES SOGDIENS 135 Si l’on accepte cette fagon de voir, les conséquences a tirer seraient doubles. D’une part, on aurait confirmation de ce que le mazdéisme sog- dien a pu dans certains cas rester plus proche des notions avestiques que les commentateurs pehlevis (qui ont traduit mécaniquement tanu.m@@ra- comme tan-framan et glosé « il tient son corps sous le commandement des dieux »). D’autre part, et surtout, on aurait ici le plus ancien indice maté- riel connu quant a l’existence d’un Avesta écrit, complet ou partiel (sur maGra- comme désignation de I’ Avesta ancien et des premiers cercles du Yasna, voir maintenant Kellens 1998, p. 495-500). Frantz, GRENET CNRS, «Archéologies d’Orient et d’Occident> Ecole Normale Supérieure 45, rue d'Uim 75005 Paris France BIBLIOGRAPHIE I. Sources Beishi, par Li Yanshou, Beijing : Zhonghua shuju, 1974. Birini, Inde : Sachau, E. (trad.), Alberuni's India, 2 vols, Londres : Kegan, Trench, Triib- ner, 1910. ——, Minéralogie : Belenickij, A.M. (trad.), Sobranie svedenij dlja poznanija drago- cennoste} (Mineralogija), Moscou : I2datel’stvo Akademii Nauk SSSR, 1963. Mutahhar b. Tahir, Le Livre de la Création et de l'Histoire de Mofahhar ben Tahir el Magdist attribué & Abou Zéid Ahmed ben Sahl el-Balkhi, Cl. Huart (éd. et trad.) (Publications de I’Ecole Nationale des Langues Orientales Vivantes, IVéme. série, vol. 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