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Catégorisation

Cyril Trimaille
Dans Langage et société 2021/HS1 (Hors série), pages 35 à 40
Éditions Éditions de la Maison des sciences de l'homme
ISSN 0181-4095
ISBN 9782735128273
DOI 10.3917/ls.hs01.0036
© Éditions de la Maison des sciences de l'homme | Téléchargé le 17/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.109.229.91)

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Catégorisation

Cyril Trimaille
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Université Grenoble Alpes
cyril.trimaille@univ-grenoble-alpes.fr

Certaines entrées de ce dictionnaire définissent des catégories de lan-


gues (régionales, de migration, etc.), ou d’usages (alternances de lan-
gues, parlers jeunes), qui, dans le champ de la linguistique et de la
sociolinguistique, résultent d’activités de catégorisation. Étudiée sous
différents angles par les sciences humaines et sociales, la catégorisa-
tion consiste à identifier, délimiter, séparer ou regrouper, nommer,
classer des objets. En logique, catégoriser met en jeu deux notions :
l’intension détermine les critères définitoires d’une catégorie, l’exten-
sion regroupe l’ensemble des objets qui entrent dans une catégorie. En
(socio)linguistique, les objets catégorisés, les ressources et les variétés
langagières (ou lectes), par exemple, ont la double particularité d’être,
d’une part, à la fois objets et instruments de catégorisation, et, d’autre
part, des réalités continues que la catégorisation tend le plus souvent
à discrétiser (pour une approche plus approfondie, voir Trimaille &
Matthey, 2013, dont cette notice s’inspire). La catégorisation est la
production de catégories, par le biais d’activités cognitives et discur-
sives, dans différents champs, épi- ou métalinguistiques, scientifiques,
heuristiques, (glotto)politiques, idéologiques. Elle est l’une des trois
instances de désignation des langues, avec la dénomination et la hié-
rarchisation (Fenoglio, 1997).

© Langage & Société numéro hors série – 2021


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Une longue relation impensée entre catégorisation


et minorisation des lectes
Les sciences du langage ont, au cours de leur histoire, questionné l’exis-
tence des langues en tant que telles ainsi que la façon de les nommer
ou de les regrouper. En cherchant à expliquer, en synchronie et en
diachronie, les ressemblances/différences entre lectes par des modèles
empruntés notamment aux sciences de la nature (typologies génétiques
et structurales, mutations phonétiques, dialectalisation), la linguistique
a contribué, jusqu’à la seconde moitié du xxe siècle, à naturaliser les iné-
galités entre les langues et à minoriser certaines d’entre elles. En effet,
la désignation d’un ensemble de ressources langagières par le terme
« langue » résulte déjà d’une opération de catégorisation, qui distingue
cet ensemble d’autres ensembles auxquels le label est dénié. Des travaux
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ont montré que ces effets de catégorisation n’étaient pas imperméables
à l’idéologie (Irvine & Gal), « le travail des linguistes [ayant] longtemps
été implicitement d’assigner une place aux langues et de les hiérarchiser »
(Canut, 2001, p. 31).
On trouve cette tendance dans la vision d’Antoine Meillet, pour-
tant précurseur d’une approche sociale et historique de la langue, qui
distinguait deux types de langues. D’une part les langues de civilisa-
tion, écrites, de culture, dominantes, ou encore « universellement accep-
tée[s] », et, d’autre part, les dialectes, parlers populaires, locaux, ruraux et
« sans culture », les parlers vulgaires, la langue populaire (cité par Sériot,
1997, p. 184-185). On trouve en germes, dans cette conception, la dis-
tinction entre variétés « haute » et « basse » des situations de diglossie
telles que décrites par Charles Ferguson. Elle préfigure aussi la catégori-
sation d’Einar Haugen (1966) qui dans une perspective d’aménagement
dénonce l’ambiguïté référentielle de la distinction langue/dialecte et pro-
pose de classer les langues selon leur état de (sous) développement, les
dialectes étant des langues non ou sous-développées, dont l’extension des
fonctions n’aurait pas été réalisée au-delà d’une communauté primaire.

Problématisation des processus de catégorisation


Heinz Kloss (1967) propose une catégorisation en fonction de la dyna-
mique de genèse/construction des lectes en tant qu’entités catégori-
sées comme distinctes d’autres entités du même type, potentiellement
proches. Il oppose ainsi les langues « par distance » (Abstandsprache) aux
langues «  par élaboration  » (Ausbausprache), et regroupe dans la caté-
gorie de «  langue-toit  » (Dachsprache) des lectes standardisés qui en
« recouvrent » d’autres.
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Jean-Baptiste Marcellesi (1984), adoptant comme Haugen une pos-


ture épistémologique et militante de dénaturalisation de la minoration
de certains lectes, se penche sur ce qu’il nomme les processus glottopo-
litiques, qui fondent la catégorisation des lectes et leurs statuts relatifs.
Il définit les concepts de « reconnaissance-naissance » et d’« individua-
tion » qui permettent de penser de façon dynamique la catégorisation
d’un lecte comme distinct d’autres lectes et son accession à la catégorie
de « langue », ainsi que les processus par lesquels un diasystème (c’est-à-
dire un groupe de lectes structuralement proches) est amené à être consi-
déré comme unique. À l’inverse, grâce au concept de « satellisation », il
décrit le processus par lequel un lecte est inféodé à un autre qui a acquis
le statut de langue grammatisée, le premier étant perçu souvent comme
une variété dégradée du second.
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Ces catégories sont proches de celles élaborées plus tard dans d’autres
contextes sociolinguistiques, telles que les « cryptoglosses », des lectes « à
visibilité et à légitimité minimales » (Bavoux, 2003, p. 27) « qui d’un
point de vue glottopolitique se trouvent occultés », ou les « sous-lan-
gues » (Canut, 2001) lectes subordonnés et occultés.

Pluralité des acteurs et des finalités des catégorisations


On peut situer la contribution majeure de la sociolinguistique, notam-
ment francophone, à la réflexion sur les processus de catégorisation
des lectes, dans le glissement d’une perspective étique (exclusivement
«  sémiolinguistique  ») à une perspective plus émique, en intégrant le
point de vue des locuteurs et en le constituant en objet.
De nombreux travaux s’intéressent à la catégorisation des lectes et
de leurs usages par les locuteurs. Qu’ils analysent leurs imaginaires lin-
guistiques (Houdebine), leurs attitudes (psychologie sociale du langage),
leurs représentations (Gueunier, Billiez, Boyer), leurs perceptions des
frontières entre lectes ou de leurs valeurs (folk linguistics), ces approches
ont en commun d’étudier l’activité épilinguistique des sujets catégori-
sant, ou ce que Denis Preston (2011, p. 9) regroupe sous l’expression
language regard (« non specialist belief about and reaction to language use,
structure, diversification, history and status »).
Dans la perspective ethnométhodologique de Lorenza Mondada
(2000), toute catégorisation d’objets linguistiques se distribue sur un
continuum dont l’un des pôles serait l’activité des utilisateurs ordinaires
et l’autre celle des scientifiques. Entre ces pôles se situerait l’activité caté-
gorisante d’autres professionnels des langues (aménageurs, enseignants,
militants), toutes ces opérations de catégorisation « relevant de procédés,
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d’activités, de contextes qui accomplissent des efficacités sociales diffé-


rentes » (Mondada, 2000, p. 98), la catégorisation ayant toujours une
finalité pratique : comme un linguiste peut manifester sa compétence
et sa légitimité professionnelles, son affiliation théorique, mais aussi
son engagement en mobilisant certaines procédures de catégorisation
au détriment d’autres, un locuteur peut accomplir ou non son apparte-
nance à une communauté (sociale, ethnique, linguistique) en catégori-
sant une forme comme appartenant ou non à tel ou tel ensemble de res-
sources. Didier de Robillard (2000) discute le fondement empirique des
catégorisations « savantes » des lectes de l’île Maurice en combinant deux
approches, « sémiolinguistique » et « sociolinguistique » : il examine les
différences intersystémiques entre ces lectes, ainsi que leur catégorisa-
tion/utilisation par des locuteurs. Contrairement à d’autres auteurs pour
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qui aucune catégorisation n’est neutre, De Robillard distingue, parmi les
linguistes, celles et ceux qui catégorisent de manière neutre ou désinté-
ressée, de leurs homologues dont les catégorisations ont pour but d’agir
explicitement sur l’écologie et le statut des lectes.

Nommer les langues, les faire exister et les hiérarchiser


Le rapport de nomination et la production de sens n’allant pas de soi,
des travaux sociolinguistiques interrogent la nomination des lectes, et
un consensus existe sur le fait que donner un nom aux lectes contribue
à la construction et à l’autonomisation d’objets sociolinguistiques, mais
aussi à l’établissement ou à l’évolution de relations entre ces objets. Pour
Andrée Tabouret-Keller, la nomination des langues comporte donc des
enjeux qui touchent à leur légitimité sociale et politique et à leur dimen-
sion identitaire ; elle peut être notamment appréhendée en s’intéressant
aux ressources linguistiques qu’elle mobilise, au type de motivation
sémantique et de désignants. Faisant l’historique du terme « patois », Paul
Laurendeau (1994), oppose les « glottonymes », i. e. les noms donnés
à un idiome formant système (français, occitan) » et les « logonymes »,
qui désignent une forme d’expression discursive dotée de particularités
spécifiques (jargon). Historiquement, le terme patois serait ainsi passé
du statut de logonyme à celui de glottonyme. Pour Canut (2001), qui a
étudié les désignations de lectes au Mali, nommer, c’est catégoriser, faire
exister mais aussi instituer socialement, hiérarchiser et dominer. C’est
aussi, selon les acteurs, se positionner entre deux tendances opposées :
d’une part, une tendance homogénéisante par laquelle les institutions
mettent en frontières des lectes, quand, d’autre part, les discours de
locuteurs moins imprégnés par les imaginaires linguistiques occidentaux
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ont une vision plus hétérogénéisante des pratiques langagières, perçues


comme relevant « d’un large continuum, au sein duquel il ne convient
pas de distinguer des “langues” différentes » (Canut, 2001, p. 52).

Références bibliographiques

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Éditions, p.  95-122. En ligne  : <books.openedition.org/ensedi-
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Renvois : Dialecte  ; Norme  ; Patois  ; Politique linguistique  ;


Représentation ; Standardisation.

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