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L'esthétique Dans L'art Culinaire
L'esthétique Dans L'art Culinaire
Présenté par :
Clément LARRE
Présenté par :
Clément LARRE
Je tiens dans un premier temps à remercier mon maître de mémoire, Monsieur Frédéric
Zancanaro, pour son aide, sa disponibilité ainsi que ses conseils précieux tout au long
de la construction de ce travail.
Aussi, je souhaite remercier ma famille, mes amis ainsi que tout mon entourage pour
leur aide et leur soutien tout au long de la rédaction de ce mémoire.
Bibliographie ...........................................................................................................................120
L
’une des caractéristiques de l’hyper modernité alimentaire concerne la
recherche permanente de l’esthétisation des aliments. En se consacrant au
monde des étoilés Michelin on se rend vite compte que jamais la haute cuisine
n’a été habitée par un tel souci d’esthétique, du moins si l’on en juge le perfectionnisme
et la pureté des créations signées par Michel Bras, Pierre Gagnaire, Joël Robuchon ou
bien d’autres Chefs étoilés. Et pour cause, depuis l’avènement du courant de la Nouvelle
cuisine, les plats proposés par les Chefs étoilés ont considérablement évolué vers une
primauté de l’esthétique. La plasticité des plats semble désormais tenir une place
prépondérante dans l’expérience d’un repas réussi. Les assiettes sont aujourd’hui
dressées comme des tableaux et les consommer devient un prétexte pour
expérimenter quelque chose d’unique : détruire (par l’incorporation) une pièce d’art
éphémère créée par le grand chef. Fort de ce constat, c’est en s’appuyant sur nos
expériences professionnelles, sur un travail de recherche bibliographique, mais aussi
sur des entretiens exploratoires menés au sein d’établissements étoilés, que nous nous
sommes attachés à comprendre qu’est-ce que l’esthétique dans l’art culinaire ?
La seconde partie de ce mémoire sera construite autour de trois hypothèses que nous
émettrons suite à nos lectures en réponse à la problématique. Chacune d’entre elles
feront l’objet de précisions théoriques issues d’ouvrages ou d’entretiens exploratoires,
afin de tenter d’apporter des premières pistes d’éclairage à notre questionnement.
Enfin dans la troisième et dernière partie de ce travail, nous nous attacherons à établir
une méthodologie ainsi qu’un terrain d’étude adapté, qui permettront de répondre de
manière plus précise et opérationnelle aux hypothèses préalablement construites.
7
Partie I - LA CUISINE ET SES ETATS D’ART
8
La première partie de ce travail consiste donc en un travail de conceptualisation de
notre sujet : L’esthétique dans l’art culinaire.
Toutefois, avant de plonger dans ce sujet qui semble à la fois passionnant et complexe,
il convient de s’arrêter sur la notion de gastronomie, car ce terme est souvent confondu
et utilisé à tort dans une vision élitiste, mais également car il sera utilisé tout au long
de la construction de ce travail. Nous verrons donc d’après différents auteurs ce que
signifie et représente véritablement la notion de gastronomie.
Dans le second chapitre, nous nous intéresserons à la notion d’esthétique. Tout d’abord
nous tenterons de définir l’esthétique dans une approche générale et philosophique.
Nous appliquerons ensuite nos recherche au monde de l’art culinaire afin d’identifier
quels éléments entre en jeux lorsque l’on parle d’esthétique dans l’art culinaire. Nous
nous pencherons également sur l’émergence du dressage à l’assiette qui semble tenir
un rôle majeur dans la recherche des Chefs d’une offre toujours plus esthétique.
9
Chapitre 1 : L’art culinaire
1. La gastronomie
1.1. Définition
Bien que généralisé et souvent utilisé, la gastronomie est une notion ambivalente,
tantôt utilisée dans utilisé dans la construction d’un discours élitiste, tantôt assimilée
à la culture du boire et du manger. Dans son ouvrage, J. Csergo éclaircit la
problématique de cette définition : « […] ce terme, il faut le reconnaître, n’est pas dénué
d’ambiguïté, opposant une définition « savante » – tout ce qui a trait à la nourriture de
l’homme et à la façon dont il se nourrit – à une acceptation courante qui le charge d’une
dimension élitiste pour en faire un synonyme de « haute cuisine». (Csergo, Lemasson,
2008, p.8).
D’un point de vue étymologique, le terme gastronomie est issu du grec gastro signifiant
le ventre, l'estomac, et de nomos signifiant la loi, la norme. On pourrait ainsi traduire
littéralement la gastronomie comme « l'art de régler l'estomac ». Le terme gastronomie
est relativement récent puisqu’il est apparu pour la première fois en 1801. Christian
Millau nous rappelle que la gastronomie « a été inventé par un pédant qui rêvait de se
faire prendre au sérieux. Un nommé Joseph Berchoux, magistrat comme Brillat-Savarin,
et qui, comme lui, aimait à manier les aphorismes, gribouillait des alexandrins et lança le
mot, en 1801 […]» (Millau, 20081) dans un livre de poésie didactique intitulé « La
gastronomie ou l’homme des champs à table ».
1Cité par BELLON, Stéphane. Gastronomie et hôtellerie : Secrets de cuisine, les nouveaux enjeux. Paris :
Eyrolles, 2012, 192p, p.23
10
Il souligne par ailleurs que ce terme fit par la suite son entrée dans le dictionnaire de
l’Académie française en 1835 (Ibid. p.23). Dès ses débuts, le mot gastronomie ne
désignait non pas une haute cuisine ni une bonne cuisine mais plutôt la transformation
d’actes simples tels que manger ou boire en art de la table. Brillât Savarin contribua lui
aussi à la définition et au succès du mot gastronomie, notamment par sa publication en
1825 de Physiologie du goût, ou Méditations de gastronomie transcendante, où il y
définit la gastronomie comme suit : « la gastronomie est la connaissance raisonnée de
tout ce qui a rapport à l’homme en tant qu’il se nourrit » (Savarin, 1926, p.62).
11
La notion gastronomie a donc un caractère intellectuel, et sous-entend qu’elle ne se
résume pas seulement à l'alimentation et au culinaire, mais inclut au-delà de ces
concepts, un ensemble de pratiques sociales développées par la société en rapport avec
l’alimentation.
« Elle renvoie donc à une forme d’hédonisme qui suppose des manières de faire, des façons
d’être et de dire, des règles, différentes selon les aires culturelles et les peuples, car la
gastronomie, faut-il encore y insister, est loin de n’être qu’une spécificité française2. »
2 Le Mangeur Ochoa. Julia Csergo. Le « Repas gastronomique des Français » à l’Unesco : éléments d’une
inscription au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Disponible sur : http://bit.ly/1HWETGf.
(Consulté le 15-01-2015).
3 Définition du Larousse. Gastronomie. Disponible sur : http://bit.ly/1aazKg8. (Consulté le 16-01-2015).
12
Elle s’inscrit aujourd’hui comme nous l’indique M. Mauss, dans « un phénomène social
total » (Poulain, 2012, p.617) 4. Ainsi l’UNESCO nous précise dans sa définition :
Le terme art culinaire est aujourd’hui connu et reconnu si bien qu’il envahit les discours
actuels, et se retrouve partout au travers des livres de recettes, magazines ou encore
dans les émissions culinaires. Les Chefs médiatisés n’hésitent plus à comparer la
cuisine aux arts existants. Si dans un article, Alain Ducasse parle du Plaza Athénée
comme « La haute couture du Goût7 », Pierre Hermé écrit sur son site8 « Je considère la
pâtisserie comme un Art avec un grand A, en ce sens qu’elle est un véritable mode
d’expression de la sensibilité, au même titre que la musique, la peinture, la sculpture. Mon
seul guide est le plaisir. »
Mais, si ce terme est aujourd’hui banalisé, il n’en reste pas moins difficile à définir, et
on peut se poser la question du rapport entre la cuisine et l’art, et, si la cuisine est bien
un art, pourquoi et quels en sont les points communs ? Il s’agit là de nombreuses
interrogations qui ont été l’objet et le travail de nombreux chercheurs et auteurs et
auxquelles ils ont tentés d’apporter des réponses. Comme elle a su le faire pour la
définition de la gastronomie, dans son article9 Julia Csergo explique la difficulté de
définir l’art culinaire notamment par des obstacles épistémologiques, car il s’agit là de
l’assemblage de deux vocables : « l’art » dont le terme contient une complexité et une
historicité signifiante et l’adjectif « culinaire », dont l’apparition est relativement
récente et se réfère à ce qui est « relatif à la cuisine, à la préparation des aliments »10.
7 PEREY Erik, MEYER Lionel. Le PLAZA ATHENEE: "Il était une fois le Palace de demain". Luxury Attitude,
- Décembre 2012, Magazine n°9 Spécial Awards p.5. [En ligne]. Disponible sur : http://bit.ly/1Mnkv4q.
(Consulté le 02-12-2014).
8Pierre Hermé. Page d’accueil du site Internet. Disponible sur : http://bit.ly/1DdAqMF. (Consulté le 15-
12-2014).
9CSERGO Julia. L'art culinaire ou l'insaisissable beauté d'un art qui se dérobe. Quelques jalons (XVIIIe-
XXIe siècle), Sociétés & Représentations, 2012/2 n° 34, p. 13-36. [En ligne]. Disponible sur
http://bit.ly/1xOYVzv. (Consulté le 04-01-2015).
10 Le Larousse. Définition « culinaire ». Disponible sur : http://bit.ly/1BJ9sYV. (Consulté le 12-01-2015).
14
2.1. L’art et la cuisine à leurs débuts
De son côté, l’art est une notion dont la définition n’est pas universellement acceptée
et bien difficile à définir, tant elle varie suivant, les auteurs, les générations et les
interprétations. La définition sociale de l'art que nous connaissons aujourd’hui tient
son origine du XIXe siècle. « L'œuvre, produit du travail indivisible du créateur, est
définie par son unicité, son originalité et sa gratuité »11. Cette définition qui est contestée
mais qui reste dominante de nos jours, est le résultat d'une histoire au cours de laquelle
l'art a été marqué par un processus d’autonomisation et c’est au fur et à mesure
différencié de l'artisanat et de l'industrie.
D’un point de vue étymologique, le mot « art » (du latin ars) désigne d’abord le talent,
le savoir-faire, l’habileté avant de regrouper toute forme d’activité humaine soumise à
des règles. Celui qui pratique cet art (artifex) est celui qui pratique un métier, un savoir-
faire et ordonne une affaire. (Que sais-je, l’esthétique). Il est l’équivalent latin du grec
technè qui ne distingue pas l’art de l’artisanat, mais désigne l’art de la science conçue
comme l’ensemble des savoir-faire et connaissances requis dans l’exécution d’une
tâche. L’art possède ainsi dans l’Antiquité le sens de technique : pratique organisée,
définit par la parfaite maîtrise d’un savoir-faire. « Il se situe donc à mi-chemin entre
l’activité de la science et celle de la nature, la technique étant une transformation
humaine de la nature, une « mise en forme du sensible par l’intelligible » (Champion,
2010, p.27).
Si l’on reprend la conception antique de l’art, une distinction va être faite au Moyen Age
opposant les arts mécaniques et arts libéraux. Dans cette classification, les « arts
mécaniques », désignent le sens technique de l’art et correspondent à toutes les formes
d’activités pratiques, manuelles et non intellectuelles. A l’opposé, les « arts libéraux »
font référence à la connaissance théorique, et impliquent des disciplines intellectuelles
telles que la grammaire, la rhétorique, la géométrie, l’astronomie ou encore la musique.
11Raymonde MOULIN, Alain QUEMIN. ART (Aspects culturels) - Le marché de l'art. Encyclopædia
Universalis [en ligne]. Disponible sur http://bit.ly/1OPUnh6. (Consulté le 4-02-2015).
15
A ce stade, la cuisine peut donc être définie comme un art culinaire, mais seulement au
sens technique du terme c’est-à-dire au sens de l’artisanat. La cuisine reste néanmoins
très peu valorisée à cette époque et jusqu’au XIXe siècle, dû au fait qu’elle est le travail
des serviteurs, esclaves ou domestiques. Ainsi, jusqu’à la Renaissance il n’existe pas de
distinction de statut entre artiste plastique et artisan. En effet, lorsque qu’un artiste est
apprécié pour son talent personnel, sa maîtrise technique et que son œuvre mérite
l’admiration, sa dénomination est bien celle d’un « artiste », mais le terme ne désigne
alors qu’un artisan de haut niveau, de « haute volée ». (Champion, 2010, p.28)
Il faut donc attendre la Renaissance italienne pour voir apparaître un tournant dans la
conception de l’art, avec différentes implications politiques et économiques. Cette
époque marque l’apparition du statut de l’Artiste qui se diffère de celui de l’artisan et
acquiert une reconnaissance sociale. Le changement de statut de l’Artiste est lié à
l’émergence du « Créateur ». Dans son ouvrage, Caroline Champion explique alors un
phénomène de « substantialisation » (Champion, 2010, p.29), c’est-à-dire que l’artiste
s’émancipe du rapport à la religion, au divin et du collectif qui l’entoure et puise dans
ses propres ressources « pour produire une expérience esthétique ». (Ibid. p.29).
Cette époque marque donc une autonomisation de l’art, et « l’émergence d’une figure
singulière de l’artiste12» avec notamment l’apparition de la signature individuelle,
expliqué par un «gage d’authenticité sur le plan juridique, et un critère de prix ».
(Champion, 2010, p.30) Pour l’auteur, cette étape importante dans l’histoire de l’art
marque pour le monde de cuisine, la configuration du modèle de la promotion sociale
du Chef. (Ibid. p.31).
GUICHARD Charlotte. La signature dans le tableau aux XVIIe et XVIIIe siècles : identité, réputation et
12
L’apparition du livre est alors un fait majeur qui permet de pérenniser le talent du
cuisinier et la dimension éphémère de sa cuisine, de son œuvre. En effet, la littérature
culinaire permet de faire sortir la cuisine de la sphère privée des grandes maisons
C’est en 1651 qu’est publié à Paris le Cuisinier François un nouveau livre de cuisine qui
contrairement à ceux existant, qui étaient en général l’œuvre de maîtres d’hôtel, est la
composition d’un cuisinier du nom de François La Varenne. Par cette publication, ce
cuisinier ouvre de nouvelles perspectives à la cuisine et à l’art culinaire. Comme le
souligne Julia Csergo dans son article14, il faut attendre le début du XIXe siècle pour
que, André Viard dans son Cuisinier impérial ou l’art de faire la cuisine et la pâtisserie
(1806), et Antonin Carême, dans son Art de la cuisine française au XIXe siècle (1833),
codifient la cuisine et inaugurent les premiers recueils de recettes affichant dans leurs
titres les termes « art » et « cuisine » et marquent ainsi la littérature contemporaine.
14CSERGO Julia. L'art culinaire ou l'insaisissable beauté d'un art qui se dérobe. Quelques jalons (XVIIIe-
XXIe siècle), Sociétés & Représentations, 2012/2 n° 34, p. 13-36. p.15. [En ligne]. Disponible sur
http://bit.ly/1xOYVzv. (Consulté le 04-01-2015).
15 Ibid. p.16.
18
Ainsi, jusqu’au XIXe siècle, la cuisine si elle est un art, reste donc considérée comme
faisant partie des « arts mécaniques » mais également un art appliqué à la physiologie
puisqu’elle consiste à embellir une cuisine qui a pour première vocation de nous
nourrir.
La « diffusion livresque du culinaire » comme la désigne Beatrice Fink dans son ouvrage
Les liaisons amoureuses (Fink, 1995), se développe et la cuisine par la littérature
culinaire est également marqué par l’avènement de la critique gastronomique. En effet,
entre 1803 et 1812, Grimod de La Reynière invente tout à la fois, la critique et le guide
gastronomiques avec l’Almanach des Gourmands, et le magazine avec le Journal des
Gourmands et des Belles qui sont, à cette époque, des révolutions majeures.
16Cité par CHAMPION, Caroline. Hors d'œuvre: essai sur les relations entre arts et cuisine. Menu fretin,
2010. p.34
17 DE MONTE Bruno. Sous la direction de. Table ouverte n°1. Labo de créativité culinaire. Ecole de
Gastronomie FERRANDI. Juillet 2013. p.72 [En ligne] Disponible sur http://bit.ly/1OPZ5M1. (Consulté
le 22-12-2014).
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au cuisinier de sortir de sa domesticité et ainsi de devenir une profession à part entière.
Du côté du consommateur, ce nouvel espace permet d’élargir le domaine de réception
de la cuisine. En effet, grâce au restaurant, la cuisine sort enfin des hôtels et des hauts
lieux où la tenait enfermée l’aristocratie et ceux qui avaient les moyens d’en profiter.
On assiste donc à une démocratisation de la cuisine. Comme le souligne Benedict
Beaugé dans son ouvrage Plats du jour : Sur l’idée de nouveauté en cuisine, les
restaurants jouent un rôle important dans la diffusion du système gastronomique et
« facilitent cette acculturation gastronomique ». (Beaugé, 2013, p.69).
Le restaurant s’adapte ainsi à toutes les bourses et s’inscrit ainsi dans l’économie du
temps. La concurrence s’instaure au fur et à mesure de l’apparition de nouveaux
établissements et la cuisine se transforme par des logiques de rentabilité (Champion,
2010, p.65). Tout comme le musée est devenu un espace public de contemplation des
œuvres d’art à destination du grand public, le restaurant va se démocratiser et devenir
le lieu établissant un lien direct entre le public et le travail du cuisinier. Ainsi, grâce à
l’intellectualisation de la cuisine, l’apparition du restaurant et l’apport de Carême dans
l’autonomisation du culinaire, la cuisine se dote d’un « système18 » qui va faciliter sa
transformation et participer à son rapprochement à l’art.
18DE MONTE Bruno. Sous la direction de. Table ouverte n°1. Labo de créativité culinaire. Juillet 2013.
p.75 [En ligne] Disponible sur http://bit.ly/1OPZ5M1. (Consulté le 22-12-2014).
19Cité par POULAIN Jean-Pierre & NEIRINCK Edmond. Histoire de la cuisine et des cuisiniers. Paris :
éditions LT Jacques Lanore, 2004, 173p.
20
souligne Jean-Pierre Poulain dans son ouvrage Histoire de la cuisine et des cuisiniers
(2004, p.116) au « rôle conservateur qu’ont joué en cela les écoles hôtelières qui
apparaissent en France à la fin des années 1910 ».
Durant des années, la cuisine somnole, et tend à se reposer sur ses acquis et les
sommets de la grande cuisine du XIXe siècle. « Les sommets de l’art ont été atteints hier,
et ce que peut faire de mieux un Chef, c’est d’interpréter avec talent les œuvres composées
par les grands maîtres » (Poulain, 2004, p.116). Dans son livre, J.C Baudet pour
expliquer cette interruption de « la continuité du progrès culinaire » (Baudet, 2013,
p.152) souligne une époque marquée par des évènements que sont d’une part les deux
guerres mondiales dévastatrices, mais également l’accumulation de nouveautés
technologiques qui « bouleverseront les esprits les plus stables » (Ibid. p.153). Ces
bouleversements marquent une nouvelle façon de penser, s’accompagnant d’un rejet
des traditions et une constante recherche de nouveauté. Des mouvements apparaissent
alors avec le « Nouveau Roman » pour la critique littéraire, ou encore la « Nouvelle
Vague » pour la cinématographie.
De son côté, malgré les Trente Glorieuses, pourtant synonyme de période de forte
croissance économique, la cuisine n’est marquée par aucun rebondissement. Le
répertoire gastronomique de la grande cuisine reste très encadré par les systèmes
fondateurs de Carême et d’Escoffier. Dans un contexte économique positif, rien
n’empêchait pourtant les Chefs d’inventer de nouveaux plats, et certains s’y sont
essayés mais le respect du passé, des traditions et de ses règles prédominait, au point
de limiter leur créativité. Comme l’explique le Modernist Cuisine « De quel droit
auraient-ils contesté l’héritage d’Escoffier et de Carême ? ».(Myhrvold, 2011, p.24).
Il faut attendre les années 1960 pour qu’une poignée de jeunes cuisiniers talentueux
choisissent néanmoins de prendre des trajectoires différentes du système fondateur
qui régnait alors. La majorité d’entre eux avait fait leurs armes chez un homme de
talent, Fernand Point (1897-1955), cuisinier de l’ère Escoffier, mais qui avait pris une
orientation culinaire différente. En effet, précurseur de la Nouvelle cuisine, « Point avait
opté pour une cuisine expérimentale qui anticipait les changements que ses protégés
s’efforceraient de parfaire.» (Ibid. p.24).
21
Ses élèves tournent donc peu à peu le dos à la tradition et s’orientent vers une cuisine
plus en adéquation avec les préoccupations et « l’environnement imaginaire » (Poulain,
2004, p.118) qui se met en place à la fin des années 60.
Ils proposent ainsi « Les 10 commandements de la Nouvelle cuisine » pour définir les
principes du nouveau mouvement qui se met en place :
20Site web Gault & Millau. Rubrique historique. Disponible sur http://bit.ly/1xP8hLt. (Consulté 02-02-
2015).
22
1. Tu ne cuiras pas trop.
3. Tu allégeras ta carte.
21BOCUSE Paul. Extrait de son ouvrage. La cuisine de Marché, Flammarion, Paris 1976, réédité en 2010.
[En ligne]. Disponible sur http://bit.ly/1HeYOwM. (Consulté le 28-12-2014).
23
Mais si la Nouvelle cuisine bouleverse tant les codes, elle ne fait pas l’unanimité et n’est
pas acceptée par tous. En effet, en décembre 1979, Claude Fischler écrit un article dans
Le Monde Dimanche intitulé Les Socrate de la Nouvelle cuisine ou il se moque d’un
fondement essentiel de la Nouvelle cuisine : « laisser les ingrédients exprimer leur
véritable goût » (Myhrvold, 2011, p.26). L’écrivain Jean Paul Aron dira lui dans son
œuvre Les Modernes (198422) « La cuisine prétendument nouvelle, d’un œil inspecte les
anciens qu’elle s’applique à ressusciter, de l’autre les sportifs, les médecins, les écologistes,
dont l’idéologie condamne les gastronomes. »
Malgré ces controverses, à partir des années 1970, la Nouvelle cuisine s’inscrit
durablement dans le paysage culinaire français comme un courant majeur. En
témoigne une étude23 publiée en 2003, réalisée par le sociologue Hayagreeva Rao. (Cf.:
En 1997, seulement 6,32 % des Chefs sont restés « tout classique » et ne proposent
aucun plat issus de la Nouvelle cuisine. 93,68% des Chefs propose alors une carte avec
au moins un plat signature issu de la Nouvelle cuisine et 70,16% des Chefs propose une
carte où la Nouvelle cuisine est dominante, c’est-à-dire ayant deux ou plusieurs plats
signatures dans le domaine de la Nouvelle cuisine. Comme l’auteur de l’étude l’indique
à propos de son étude, alors que la Nouvelle cuisine a régulièrement gagné des
22 Cité par RIBAUT, Jean-Claude. Voyage d'un gourmet à Paris. Calmann-Lévy, 2014. 328p.
23 RAO, Hayagreeva, MONIN, Philippe, et DURAND, Rodolphe. Institutional Change in Toque Ville:
Nouvelle cuisine as an Identity Movement in French Gastronomy1. American journal of sociology, 2003,
vol. 108, n° 4, p. 811-813. [En ligne]. Disponible sur http://bit.ly/1aaSUT9. (Consulté le 18-01-2015).
24
adhérents au fil du temps, la cuisine classique c’est érodée, ce qui est cohérent avec la
croissance d'un mouvement social plutôt que d'un effet de mode24.
Pour conclure ce courant majeur, et comme l’explique Alain Drouard (2004 p.118) on
peut retenir que la Nouvelle cuisine est devenue « intelligible » grâce à trois acteurs
dépendant les uns des autres :
3. Une nouvelle clientèle, cible aussi bien du média que des Chefs et cuisiniers de la
« Nouvelle cuisine » : les cadres moyens et supérieurs, groupe leader dans la société
de consommation et dont les valeurs sont en matière gastronomique : minceur,
légèreté, santé, plaisir. » (Ibid. p.118).
Si de son côté le culinaire s’est rapproché de l’art notamment avec la Nouvelle cuisine
qui a marqué un tournant majeur, laissant aux Chefs complètement émancipés
l’assiette comme espace d’expression artistique, l’art c’est également rapproché de la
cuisine à partir des années 1950 devenant ainsi une « expérience » puis utilisant la
cuisine comme ingrédient.
En effet, dans l'histoire de l'art aussi, chaque génération a cherché la rupture avec la
génération précédente. Les concepts de « Performance » et de « Happening » sont des
formes d’art contemporain qui sont apparues à partir de la fin des années 1950 et qui
24Ibid. p.812. Traduction de l’anglais: “Table 3 indicates that Nouvelle cuisine steadily gained adherents
over time, and classical cuisine eroded over time, which is consistent with the growth of a social
movement rather than a fad”.
25
résultent de la volonté des artistes d’entrer en relation avec le spectateur et ainsi de
renouveler la notion d’œuvre d’art. Le happening se distingue de la performance par
son caractère spontané et le fait qu'il exige la participation active du public.
Toutefois, ce sont des mouvements qui ont pour caractéristique commune d’être des
arts éphémères, évolutifs, qui se déroulent dans une temporalité limité et dans un
environnement défini, sortant des musées et autres lieux d’exposition.
Ces mouvements qui donneront lieu plus tard à d'autres formes de création telles que
l'art corporel (« Body-Art ») vont faire de l'éphémère une dimension importante de
l'art. Ils vont ainsi ajouter à la relation entre l’art et la cuisine d’autres caractéristiques
communes. En effet, tout comme la cuisine, l’art devient une expérience et devient
éphémère. L’art devient ainsi « périssable » et comme l’indique Caroline Champion,
« […] cette périssabilité compte parmi les éléments clefs qui légitiment le rapprochement
entre art contemporain et cuisine » (Champion, 2010, p.44).
Aussi, dans les années 1960, l’apparition du mouvement « Eat Art » va un peu plus
effacer la barrière entre art et cuisine. Ce mouvement artistique, impulsé par Daniel
Spoerri, apporte un caractère spécifique à l’art contemporain en proposant un art
exclusivement tourné vers la cuisine ou tout ce qui se rapporte à la nourriture. Il
propose ainsi des « tableaux piège ». Cette pratique va être poussée encore plus loin
par Spoerri en ouvrant un restaurant-galerie où il organise spécialement des « repas »
où seront fabriqués par lui ou ses invités de nouveaux Tableaux-Pièges. Par la création
d’un restaurant-galerie où différents artistes proposent des banquets thématiques et
des performances culinaires, Frédéric Jourdain souligne que les artistes de ce
mouvement englobent « la cuisine et le repas dans un même processus artistique et
participe au rapprochement de l’art et de la vie 25», où l’on peut comprendre la cuisine
comme partie intégrante de « la vie ».
25 Académie de Toulouse. Fabula tabula. Dossier enseignant du projet pédagogique 2010/2011. [En ligne].
Disponible sur http://bit.ly/1De85Gh. (Consulté le 01-02-2015).
26
François Aschler précise pour cette forme d’art, que cette démarche n’est à priori que
peu éloigné de la grande cuisine car « […] ce parti artistique pousse jusqu’à sa limite
extrême l’expression artistique au moyen d’objets culinaires ; il finit d’une certaine
manière par rejoindre la gastronomie contemporaine dans la mesure où celle-ci s’appuie
aujourd’hui sur un véritable projet artistique. »(Aschler, 2005, p.226). Enfin, de son côté
Caroline Champion souligne quant à elle qu’en formulant le néologisme « Eat Art »,
Spoerri « […] fait de l’Art un principe comestible, et de la Cuisine un art contemporain ».
(Champion, 2010, p.46).
27
Tout au long de ce chapitre, nous avons pu voir que malgré une histoire différente, le
rapprochement entre art et cuisine est aujourd’hui indéniable et permet de confirmer
comme le dit Alain Senderens que « la cuisine est un art, au même titre que la sculpture
ou la peinture. 26». Le courant de la Nouvelle cuisine a permis de changer de paradigme
et notamment d’envisager la convergence entre l’art culinaire et l’art contemporain. La
haute cuisine au cours de son histoire a ainsi acquis les différentes caractéristiques
permettant de lui conférer le statut d’art.
Aujourd’hui, l’art et la cuisine ne semblent faire plus qu’un. De par leur exposition
médiatique, leurs invitations régulières sur des plateaux de télévision ou encore la
publication de livres de cuisine non plus axés sur les recettes mais qui deviennent de
véritables ouvrages d’art, les Chefs étoilés jouissent d’un prestige indéniable et
apparaissent aujourd’hui comme de véritables artistes.
La haute cuisine collabore désormais avec les artistes comme nous le prouve l’ouvrage
réalisé en par le Chef doublement étoilé que nous avons interrogé, en collaboration
avec un peintre. De plus, l’art Culinaire s’invite désormais au musée comme nous le
montre hors frontière Ferran Adrià en 2007 invité en tant qu'artiste à la Documenta de
Kassel, le temple de l’art contemporain ou plus récemment l’exposition « Cookbook,
l'art et le processus culinaire » qui s’est tenue au palais des Beaux-Arts, à Paris, du 18
octobre 2013 au 9 janvier 2014 et, où des Chefs dont les Français Yannick Alleno,
Michel Bras et Alain Passard ont été invités afin d’expliquer leur travail à travers des
œuvres.
26 Le Mangeur Ocha. N’DIAYE Catherine (sous la direction de). La gourmandise. Délices d’un péché Artiste
de l’instant Entretien avec Alain Senderens. Autrement, Coll. Mutations/Mangeurs, N°140, Paris, 1993,
185 p. [En ligne]. Disponible sur http://bit.ly/1G1zE7z. (Consulté le 02-02-2014).
28
Chapitre 2 : L’esthétique
1. Approche générale
Le terme « esthétique » est une notion apparue et décrite pour la première fois par le
philosophe Alexander Gottlieb Baumgarten dans l’œuvre Æsthetica sur laquelle il a
œuvré entre 1750 et 1758 (cette œuvre reste inachevée). Comme nous le précise M-A.
Lescourret (2002), le mot a été créé à partir de la distinction traditionnelle entre les
« noeta » qui sont les faits d’intelligence, et les « aistheta » qui sont les faits de sensibilité
dans lesquels Baumgarten voit de « vraies connaissances, mais sensitives » (Lescourret,
2002, p.17). L’esthétique se réfère donc dans sa première approche à « la logique de la
sensibilité » (ibid. p17). Dans son ouvrage, Korichi (2007, p.199) explique que
« L’esthétique se pose à la fois comme la théorie du beau et du jugement sensible ». Elle
met aussi en évidence que l’esthétique caractérise l’autonomisation de l’idée du
sensible « qui va progressivement être envisagée en dehors du couple paradoxal qu’elle
formait jusqu’alors avec la notion d’intelligible ». (Ibid. p.199).
L’esthétique est donc une notion apparentée au sensible qui s’est développée par la
prise en compte et la reconnaissance des valeurs, des sentiments et des sensations dans
l’art. Dans son usage courant, De Saussure (1991 p.232) nous confirme que le terme
esthétique « évoque la beauté lié à l’art et le plaisir qu’on en éprouve ». En précisant qu’à
l’origine l’aisthesis est la faculté de percevoir par les sens, l’auteur explique « qu’il s’agit
donc de l’impact que peut avoir sur l’homme ce qui frappe ses sens » (ibid. p.232.). On
peut donc ainsi considérer comme une chose esthétique tout ce qui touche les sens de
l’homme, et qui suscite chez lui des émotions, des appétits ou encore des passions. En
somme, nous pouvons conclure que « l’esthétique est réflexion sur un certain champ
d’objets dominé par les termes de « beau », de « sensible » et « d’art » 27».
27 TALON-HUGON Carole. Introduction. L’esthétique. Paris, Presses Universitaires de France, «Que sais-
je ?», 2013, 128p. Page 3. [En ligne] Disponible sur http://bit.ly/1F9DYyB. (Consulté le 13-02-2015).
29
1.1. Le Beau
Nous avons pu voir que l’esthétique est donc une discipline philosophique liée à l’art et
qui a pour objet de déterminer chez l’homme ce qui lui provoque la sensation de
quelque chose de beau. Si l’esthétique fait référence au beau ou la beauté, ce concept
soulève dans un premier temps le problème de sa compréhension afin de savoir à
partir de quels critères et sur quoi se baser pour qualifier quelque chose de beau ? Le
beau, la beauté sont des termes subjectifs qui renvoient au sensible et à la perfection
(Korichi, 2007, p.184). L’auteur précise que la notion de beau « est liée à l’agrément
ressenti par le sujet qui volontiers jugera que cette chose qui lui est agréable est belle »
(ibid. p.181).
Kant (1993, p.73) précise que le beau n’éveille aucun désir et fait référence à la
contemplation. En effet : "Le beau est l'objet d'une satisfaction désintéressée". De son
côté, Edouard Aujaleu, ajoute à sa définition qu’ « est beau ce qui plaît par la forme28 »
précisant que pour être belle cette forme « répond à des exigences de régularité,
d'équilibre, de symétrie et de proportion qui rendent la forme intuitivement perceptible
comme un tout unifié, où apparaissent des lois de construction ».(Ibid.)
Dans leur Essai sur le Beau, André et Guyot aussi sur la notion de beau précisant que
« La vue & l’ouïe font les feules de nos facultés corporelles, qui aient le don de le
difcerner 29», expliquant aussi que « la nature a exclu de cette noble fonction : le goût,
l’odorat & le toucher ; […].» (Ibid. p.7). D’autres auteurs semblent s’accorder pour
signaler que parmi les cinq sens (la vue, l’odorat, le goût, l’ouïe et le toucher), le terme
beau au sens esthétique est envisageable seulement pour la vue et l’ouïe. En effet, Kant
différencie le beau et l’agréable : Le beau est un sentiment de satisfaction; il ne se
confond pourtant pas avec l’agréable. Ce qui est agréable plaît aux sens (odeur de rose);
ce qui est beau s’adresse à l’esprit (poème). Il élimine ainsi l’odorat du beau.
28 AUJALEU Edouard. La sensibilité esthétique et le jugement de goût. Tréma 11, 1997, [En ligne], mis en
ligne le 01 avril 1997. Disponible sur : http://bit.ly/1C5P9oO . (Consulté le 01/03/2015).
29 ANDRE Yves Marie, GUYOT Guillaume Germain. Essai sur le beau. 1770. [En ligne]. Disponible sur
http://bit.ly/1OQhtEs . (Consulté le 26-02-2015).
30
Dans son Introduction à l’esthétique30, Hegel semble s’accorder sur cette définition du
beau :
« Le royaume de l'art est le royaume des ombres du beau. Les œuvres d'art
sont des ombres sensibles. Nous voyons ainsi de plus près quel est le genre de
sensible qui peut faire l'objet de l'art : c'est le sensible qui s'adresse seulement
à nos deux sens sublimes [c'est-à-dire la vue et l'ouïe]. L'odorat, le goût, le tact
n'ont affaire qu'aux choses matériellement sensibles : le tact n'est sensible
qu'au froid, à la chaleur, etc., l'odorat perçoit l'évaporation de particules
matérielles, le goût, la dissociation de particules matérielles. L'agréable ne
fait pas partie du beau, mais se rattache à la sensibilité immédiate, c'est-à-
dire non à la sensibilité telle qu'elle existe pour l'esprit.»
Au vue de ces différentes approches, le beau semble donc faire référence aux sens que
sont principalement la vue et l’ouïe. Si cette notion contient une part de subjectivité,
c’est-à-dire que les sensations peuvent varier en fonction de la nature de l’individu et
de sa culture (Dufrenne, 1953, p.23), il s’agit tout de même d’une «d'une satisfaction
universelle ». (Kant, 1993, p.55). L’esthétique et le beau renvoient également à la notion
de la perfection, de l’ordre et de la justesse dans la réalisation.
30 AUJALEU Edouard. Cite HEGEL F.W., Esthétique, introduction, Éd. Aubier, p. 92. La sensibilité
esthétique et le jugement de goût. Tréma 11, 1997, [En ligne]. Disponible sur http://bit.ly/1C5P9oO
(Consulté le 01/03/2015).
31
En effet, comme nous le précise Roger Scruton (2011, chap.6), « les philosophes ont eu
tendances à considérer les plaisirs gustatifs comme sensoriels, dénués des indices
intellectuels qui sont les marques de l’intérêt esthétique ». Il s’agirait donc de se
concentrer exclusivement sur l’assiette et notamment sur sa beauté visuelle et
plastique. Pourtant, dans son Essai, Caroline Champion élargit la dimension esthétique
dans l’art culinaire précisant ainsi que « contrairement à l’acceptation commune du
terme, l’esthétique ne saurait se réduire à la seule beauté plastique, à la simple dimension
visuelle du sensible » (Champion, 2010, p.91).
En effet, elle soutient l’idée qu’au-delà de la forme et de la belle apparence d’un plat, on
retrouve une « esthétique des yeux fermés : celle du son, mais aussi celle du goût et des
fragrances […]» (Ibid. p.91). Ainsi, selon l’auteur, l’esthétique ne se réduit pas
uniquement aux sens de la vue et de l’ouïe comme nous avons pu l’identifier jusqu’à
présent, mais intègre dans l’art culinaire la perception d’autres sens qui sont le goût et
l’odorat. Dans son approche, Caroline Champion intègre ainsi à l’esthétique non
seulement le concept du « beau » que nous avons évoqué mais également celui du
« bon ». Le bon, qui selon sa définition est un concept intéressé répondant positivement
à ce qui est attendu ou désiré. « Ce qui est « bon » étant ce qui est estimé, approuvé,
respecté, sur la base d'une valeur objective »31. Elle intègre ainsi par le bon les sens de la
perception que sont l’odorat, et le goût.
Au vue de ses différentes approches, une étude de place des différents sens évoqués
dans l’esthétique et les traitements dont ils firent l’objet à travers les époques
s’imposerait. Seulement il s’agit là d’un travail de grande envergure qui ne relève pas
de notre compétence et de l’orientation de ce travail. Ainsi, dans le cadre de ce travail,
nous allons nous concentrer sur le « Beau » et plus précisément sur l’esthétique visuelle
dans l’art culinaire, c’est-à-dire impliquant le sens de la vue. En effet, l’esthétique
visuelle possède une place importante dans l’art culinaire.
31 Idixa. Art, pensée, philosophie. La demeure de l'Orloeuvre. [En ligne]. Disponible sur
http://bit.ly/1ab4CwX. (Consulté le 08-03-2015).
32
2.1. L’esthétique visuelle dans la Haute Cuisine
Tout d’abord, l’esthétique visuelle dans la haute cuisine est une expérience dans le sens
où elle suppose une implication et l’initiative de l’artiste notamment dans la production
de son œuvre, (c’est-à-dire dans notre cas de la réalisation du plat par le chef), mais
suppose également la consommation et la consécration d’un public. (Dufrenne, 1953,
p.2). Dans une approche plus poussée, Dufrenne souligne la proximité du créateur et
du spectateur en précisant que « l’expérience du créateur et celle du spectateur ne sont
pas sans communication : car l’artiste se fait spectateur de son œuvre à mesure qu’il l’a
créé, et le spectateur s’associe à l’artiste dont il reconnaît l’acte sur l’œuvre. » (Ibid. p.2)
Si au début du XVe siècle, à l’ère de Maitre Chiquart l’esthétique visuelle semble déjà
avoir une importance, la cuisine étant « un art du déguisement et de l’illusion 32», celle-
ci a évolué et pris de l’importance au travers de Carême dont « son perfectionnisme
décoratif transcendait souvent ses aspirations culinaires 33». Aussi, le travail de
codification de Brillat-Savarin et l’apparition des illustrations dans les livres de cuisine
et notamment des premières planches couleurs (Livre de cuisine de Jules Gouffe-1867)
ont un peu plus permis d’accentuer l’importance du visuel. Plus récemment, le courant
de la Nouvelle cuisine et notamment l’un des « 10 commandements » que nous avons
évoqués a permis de placer le visuel, au travers du dressage à l’assiette, au cœur des
préoccupations de la haute cuisine. Aujourd’hui le gastronome ne se rend pas dans un
établissement de haute cuisine seulement pour assouvir des besoins physiologiques,
mais surtout dans la recherche d’une expérience. Ainsi manger devient le moment idéal
pour expérimenter quelque chose d’unique, détruire (par l’incorporation) une pièce
unique d’art créée par un grand chef.
32CSERGO Julia. L'art culinaire ou l'insaisissable beauté d'un art qui se dérobe. Quelques jalons (XVIIIe-
XXIe siècle), Sociétés & Représentations, 2012/2 n° 34, p. 13-36. p.9. [En ligne]. Disponible sur
http://bit.ly/1xOYVzv. (Consulté le 04-01-2015).
33 Ibid. p.9.
33
2.2. Le dressage à l’assiette
Alors qu’ils dirigeaient la cuisine de l’Hôtel Moderne à Roanne, les Frères Troisgros
Pierre et Jean, qui proposait une cuisine légère, de qualité et originale, propose pour la
première fois en 1966 le fameux « saumon à l’oseille » dans une assiette de 32
centimètres spécialement conçue pour accueillir une escalope de saumon de 12cm sur
10 ; « une telle chose34 », comme la décrit Michel Troisgros dans une interview réservé
au Site gastronomique Atabula au cours de laquelle il explique notamment
l’étonnement des premiers clients. C’était le début du service à l’assiette, qui a pris le
pas sur les services en salle.
34Atabula. Interview Michel Troisgros : Mon père s’interroge encore sur le succès du saumon à l’oseille !
[En ligne]. Disponible sur http://bit.ly/1n15skZ/. (Consulté le 19-01-2015).
34
notamment par les avantages qu’il suppose. En effet cette méthode se révèle plus
économique, car nécessitant moins de personnel, plus rapide, et offre surtout la
possibilité de créer une relation directe entre le cuisinier et son convive. Le Chef peut
désormais apposer sa « signature » sur le plat tel un artiste signe son œuvre.
Ainsi, l’assiette est devenue en quelque année le terrain de jeux favoris des grands
cuisiniers, une toile ou le chef exprime, tel un peintre son art à sa manière. Le visuel et
l’apparence du plat sont aujourd’hui des facteurs indispensables à prendre en compte.
Le processus de création artistique fait appel à l’utilisation des éléments fondamentaux
de l’art que sont la ligne, la forme, la couleur, la texture, l’espace et la proportion. Ces
principes peuvent également s’appliquer au processus de création du Chef :
Les formes : La forme permet au chef de rendre le plat vivant par de la mise en
volume des ingrédients, ou leur disposition. Les formes donnés aux aliments ou
des dressages suivant une forme géométrique peuvent être réalisés
(rectangulaire, point, rond, etc…). La forme, comme en art plastique va attirer
l’œil et va inciter à s’approcher, aiguiser la curiosité et donner lieu au premier
jugement esthétique.
Les couleurs : Les couleurs sont pour l’art culinaire comme pour tous les arts
plastiques un élément principal qui va permettre au chef de s’exprimer. En
jouant sur les contrastes de couleurs dans le dressage à l’assiette l’artiste va en
35
effet pouvoir créer des effets sur les formes et ainsi faire percevoir de diverses
manières les mets aux clients. Il pourra ainsi rappeler des univers tels que les
saisons, la nature, etc.
Les textures : Même si la texture joue plutôt un rôle majeur dans le goût, les
Chefs peuvent aussi jouer sur les textures pour créer une esthétique visuelle
unique. En effet en alliant des textures solides, liquides, gélatineuses ou encore
sous forme d’espumas, ils vont réaliser des assemblages et composition
originales.
Suite à notre définition sur l’esthétique, nous avons pu voir que l’assiette est une
innovation relativement récente qui joue un rôle majeur voire essentiel dans
l’esthétique visuelle de l’art culinaire. Ainsi nous pouvons nous demander si
« l’assiette », qui est souvent comparée à une œuvre d’art possède bien les
caractéristiques de cette dénomination ou s’il ne s’agit pas d’une œuvre esthétique.
Ce passage pourrait ainsi être comparé au monde de la haute cuisine. Le chef d’œuvre
réalisé par le Chef possède d’un côté des fonctions liées à l’art, c’est-à-dire une activité
de production spécifique destinée à manifester l’accès de l’artisan à la maîtrise dans sa
corporation, sa reconnaissance par ses pairs, et rempli également des fonctions
physiologiques pour le consommateur. D’un autre côté, dès le moment où le Chef
d’œuvre va susciter des émotions, de la sensibilité ou de l’admiration c’est-à-dire des
jugements, d’autres fonctions interviennent, elles sont de type esthétique. Ainsi, « dès
le moment où l’appréciation de l’objet se fonde sur d’autres critères que son adéquation
à une utilité, d’autres types de fonction se font jour. » (De Saussure, 1991, p.232), il s’agit
des fonctions esthétiques.
Au vue de cet éclairage, nous pouvons maintenant expliquer dans quelle mesure
« l’assiette », c’est-à-dire le travail et la composition du Chef cuisinier peut être qualifiée
d’œuvre d’art ou d’objet esthétique. En effet, Mikel Dufrenne nous explique dans une
approche générale :
37
« Je suis devant l’objet esthétique aussitôt que je suis à lui : je suis indifférent
au monde extérieur, que je ne perçois plus que marginalement et que je
renonce à évoquer, pour éprouver la vérité de ce qui m’est présenté. Ce qui
m’est présenté, c’est le sensible dans sa gloire, non point un sensible inorganisé
et insignifiant, mais un sensible qui se dit en quelque sorte lui-même par la
rigueur de son développement, et qui me dit encore autre chose à la fois par
ce qu’il représente, dans la mesure où il est ordonné à une représentation, et
par ce qu’il exprime en se disant lui-même ». (Dufrenne, 1953, p. 44).
38
En effet, dans un premier chapitre nous avons pu établir les relations entre l’art et la
cuisine dans une perspective historique. Nous avons ensuite, grâce à une approche
générale, pu définir l’esthétique afin de voir de quelle manière ce concept s’inscrit dans
l’art culinaire.
Aujourd’hui, la relation entre l’art et cuisine ne fait plus aucune ambiguïté. Au cours de
leur propre histoire, et malgré une période différente, ces deux mondes ont connus des
transitions comparables avec notamment une autonomisation de la pratique et une
volonté des acteurs de briser les codes. Ainsi, comme nous le résume Alain Senderens36
« la cuisine est un art, au même titre que la sculpture ou la peinture. La seule différence,
c’est que le peintre peut avoir cent ans d’avance. »
La haute cuisine, notamment grâce au dressage à l’assiette a évolué vers une primauté
de l’esthétique visuelle si bien que les Chefs étoilés définissent aujourd’hui leur cuisine
au travers de métaphores artistiques. Si Michel Bras s’approprie volontiers
l’expression de son ami peintre et graveur Aveyronnais Pierre Soulages « plus les
moyens sont limites, plus l’expression est forte 37» pour résumer son travail, Le Chef tri-
étoilé Michel Troisgros n’hésite pas à proposer un «Rouget laque façon Mondrian38»
après avoir imaginé son plat au travers d’un tableau du célèbre peintre. D’autres
exemples sont présents avec Pierre Gagnaire qui a inscrit à sa carte les célèbres artistes
36La Mangeur Ochoa - N’Diaye, Catherine (sous la direction de). La gourmandise. Délices d’un péché.
Autrement, Coll. Mutations/Mangeurs, N°140, Paris, 1993, 185 p.
37 Site Web Café Bras. [En ligne]. Disponible sur http://bit.ly/1DDQ3Pw .(Consulté le 02/03/2015)
38 Csergo Julia, « L'art culinaire ou l'insaisissable beauté d'un art qui se dérobe » Quelques jalons (XVIIIe-
XXIe siècle), Sociétés & Représentations, 2012/2 n° 34, p. 13-36. [En ligne
39
Daniel Buren, le Douanier Rousseau et Cy Twombly en proposant un plat rendant
« hommage à ses artistes préférés39». Les visuels sont disponibles en Annexe.
Le cadre établi dans cette première partie, et les recherches entreprises nous ont
permis de nous rendre compte que depuis l’avènement de la « Nouvelle cuisine » les
dressages ont considérablement évolués. Fort de ce constat nous avons établi la suite
de ce travail autour d’une problématique : Comment se construit l’esthétique dans
l’art culinaire contemporain ? L’objectif étant d’identifier quels phénomènes et/ou
processus peuvent intervenir et influencer le Chef étoilé dans la construction
esthétique de son plat.
Afin de répondre à cette problématique nous avons identifié trois hypothèses qui vont
nous permettre d’apporter des précisions face à ce questionnement :
Hypothèse N°1 : L’esthétique dans l’art culinaire est influencée par des
phénomènes de métissage et de fusion ;
Hypothèse N°3 : L’esthétique proposée par les Chefs étoilés d’aujourd’hui est
influencée par leur parcours professionnel.
Pour chacune des hypothèses retenues nous établirons dans la deuxième partie de ce
mémoire un cadrage théorique afin de pouvoir analyser chacune d’entre elles et ainsi
apporter des pistes d’éclairages à notre problématique. Au cours de la troisième partie
nous établirons un terrain d’analyse adapté afin de vérifier ses analyses.
39Le Figaro. Lucile Escourrou. Buren dans notre assiette. 17 octobre 2012. [En ligne]. Disponible sur
http://bit.ly/1NNg8ei .(Consulté le 06/03/2015).
40
Partie II - LA CONSTRUCTION DE L’ESTHETIQUE CULINAIRE
41
La première partie de ce travail a consisté à un travail de conceptualisation. Celui-ci
nous a permis de présenter le cadre dans lequel s’inscrit notre étude mais également
de voir au-delà de notre question de départ, en nous intéressant à la construction de
l’esthétique dans l’art culinaire. Suite à nos recherches nous ainsi avons pu émettre
trois hypothèses répondants à notre problématique.
Dans un premier chapitre nous nous intéresserons aux influences étrangères dans la
construction de l’esthétique culinaire. Nous verrons d’abord comment s’inscrivent les
influences étrangères dans la gastronomie. Ensuite, nous aborderons les différentes
formes d’influences qui existent afin de voir si l’un de ces phénomènes semble pouvoir
opérer et influencer la construction visuelle des plats dans la haute cuisine française.
Enfin, nous préciserons nos recherches en s’intéressant plus particulièrement aux
influences japonaises dans le dressage des assiettes.
Le second chapitre sera consacré à notre deuxième hypothèse. Dans un premier temps,
nous aborderons le concept d’interactions de manière générale puis nous préciserons
ensuite nos recherches en analysant dans quelle mesure les domaines du design et de
la science peuvent avoir un impact sur la construction de l’esthétique des Chefs étoilés.
Notre objectif au cours de cette deuxième partie est donc de développer nos
hypothèses de recherche afin d'apporter des éclairages et éléments de réponses sur
celles-ci et ainsi comprendre de manière théorique et rationnelle quels phénomènes
ou processus semblent pouvoir intervenir dans le processus de construction de
l’esthétique visuelle du Chef étoilé.
42
Chapitre 1 : Les influences dans l’art culinaire
De tout temps, et tout au long de son périple, des formes de métissages culinaires se
sont progressivement opérées au gré des aléas historiques qui ont marqué l’histoire de
la cuisine. On retient notamment comme le souligne Hélène D’Almeida-Topor (2006,
p.93), dès la fin du XIXème le développement de la « curiosité géographique », mais
aussi l’expansion et l’établissement d’empires coloniaux qui ont permis d’agrandir le
nombre de références étrangères (épices, fruits, légumes, etc.) proposées aux
consommateurs. La gastronomie, dont la cuisine est un élément central, a évolué et
évolue comme nous avons pu le voir au dépend de la société, de ses conditions
matérielles et de ses transformation sociales.
A ce titre, dans leur article41 De Lima Dora et Do Paco David expliquent qu’ « elles (les
gastronomies) ne peuvent être envisagées sans considération des métissages qui les
traversent, les structurent, les maintiennent et les transforment. » En 1087, Grimod de la
Reynière écrivait déjà : « Non contents de nos recettes indigènes, nous avons exploré la
cuisine exotique afin de donner plus d’extension à nos jouissances alimentaires». (1807,
p.6642) Des phénomènes d’influences semblent donc opérer dans la gastronomie
française et notamment dans sa cuisine.
Dans le cadre de la haute cuisine française, le courant de la Nouvelle cuisine que nous
avons évoqué a marqué un tournant majeur dans son histoire. La simplification de la
cuisine, l’attention aux produits, l’inventivité ou encore l’association de nouveaux
ingrédients sont des valeurs prônées par la Nouvelle cuisine qui font aujourd’hui partie
40 CCI France-Japon. HARUMI Osawa, présidente du French Food Culture Center. 13 décembre 2013. [En
ligne]. Disponible sur : http://bit.ly/1C5RlfO . (Consulté le 25/02/2015).
41 De LIMA Dora et DO PAÇO David, « Le métissage, dynamique des gastronomies », Hypothèses, 2012/1
15, p. 289-301.
42Cité par D’ALMEIDA-TOPOR, Hélène. Le goût de l’étranger. Les saveurs venues d’ailleurs depuis la fin
du XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 2006. P.80
43
intégrante des caractéristiques de l’art culinaire contemporain. La cuisine est
aujourd’hui marquée par une volonté forte des Chefs de contraster les textures,
combiner les saveurs, associer les couleurs afin d’éblouir les papilles mais également
les yeux. Mais, si le courant de la Nouvelle cuisine française a considérablement
influencée les techniques en rendant la haute cuisine plus raffinée, elle a aussi permis
une transformation majeure de la cuisine qui est l’entrée des Chefs dans un terrain
culinaire plus « cosmopolite» ou «mondialisé ».
En effet, depuis les années 1970, et en l’espace d’une quarantaine d’années, les grands
Chefs français voyagent, sont invités à travers le monde pour faire la promotion de la
cuisine française et découvrent de nouveaux continents, notamment l’Asie. Ils
développent ainsi une cuisine qui révèle de plus en plus les influences, les produits et
les recettes du Monde. Ces influences étrangères jouent alors un rôle majeur dans le
renouvellement de la gastronomie française. Claude Fischler (2001, p.263) indique à
ce propos « La Nouvelle cuisine procède volontiers par importation et ré acclimatation ».
Dans son ouvrage, Poulain (2002, p.28) parle à ce sujet d’une « Nouvelle cuisine
métissée ». Les Chefs voyagent ainsi à travers le monde : « Verger et Blanc à Bangkok,
Robuchon, Gagnaire, Loiseau, Bras au Japon, Guérard aux États-Unis, Bocuse un peu
partout…Relayé aujourd’hui par Ducasse ». (Ibid. p.27).
Les influences étrangères pénètrent peu à peu la grande cuisine française et les Chefs
n’hésitent plus à proposer à la carte des produits ou techniques étrangères. Dans son
ouvrage, (2006, p.173-174) H. d’Almeida Topor confirme ce phénomène de recours aux
influences exotiques par une étude auprès de 498 étoilés Michelin français. En 2005,
« […] sur 498 restaurants étoilés, sans compter ceux qui se consacrent exclusivement à
une cuisine particulière, près de 38 % proposent au moins une formule à base de produits
et/ou de savoir-faire étrangers. » A la publication de son livre, en 2006, « c’est près de
47 % du total des mets à connotation étrangères. »
Si en 2006 cette part représente presque la moitié des étoilés Michelin cela nous laisse
imaginer qu’aujourd’hui les influences étrangères sont omniprésentes que ce soit au
travers des savoirs faire ou des produits utilisés. En témoigne la carte du Chef tri-étoilé
44
Michel Troisgros qui propose un « Satay de tamarin43 », ou Pierre Gagnaire qui propose
dans son menu44 des ingrédients tels que le navet Kabu (variété japonaise), l’ajowan
(graine originaire du sud de l’inde) ou la fameuse langouste Jasus Tristani de l’archipel
Tristan da Cunha, reconnue pour être la meilleure langouste au monde.
S’il s’agit là de quelques exemples parmi de nombreux Chefs, il est facile de remarquer
au travers des livres, recettes et photographies culinaires contemporaines que les
influences étrangères sont aujourd’hui omniprésentes dans la cuisine étoilée française.
De plus, le succès des classements des meilleurs restaurants à l’échelle mondiale tels
que le World's 50 Best Restaurants45 ou des concours internationaux comme le Bocuse
d’Or témoignent aussi à leur manière de l’existence d’une même et unique planète
culinaire parcourue en tous sens par les Chefs multi-étoilés, les critiques
gastronomiques mais aussi par les clients. Dans son article, Laurier Turgeon explique
que cette volonté de mélanger doit alors être valorisée, mise en valeur et doit aussi être
conservée. Elle explique également que « ce goût nouveau pour l'hétérogène s'exprime
dans la cuisine, mais aussi dans l'art et la littérature46 ».
1. Cuisine multiforme
Il semble donc indéniable que l’inventivité des Chefs dans l’art culinaire français s’est
exercée en ayant recours à des sources d’inspiration multiples hors des frontières. Il
convient donc d’analyser ces phénomènes afin de voir comment ceux-ci peuvent
s’inscrire dans l’esthétique visuelle.
1.1. Acculturation
Si ce terme peut nous intéresser dans cette hypothèse, il s’agirait donc des échanges
que peut avoir un Chef français qui se rend dans un pays autre que son pays d’origine
pour une durée assez importante.
47 LINTON et HERSKOVITS. Memorandum de Redfield. 193 - Cité par Roger Bastide. [En ligne]. Disponible
sur http://bit.ly/1NNhbLn. (Consulté le 24-02-2015).
48BASTIDE, Roger. ACCULTURATION. Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 01 mars 2015.
Disponible sur http://bit.ly/1Ggd0IQ. (Consulté le 01-03-2015).
49 Marc Dedeire and Selma Tozanli, « Les paradoxes des distances dans la construction des identités
alimentaires par acculturation », Anthropology of food. 14p. Décembre 2007. p.8 [En ligne]. Disponible
sur : http://bit.ly/1Ff3HTV . (Consulté le 20-03-2015).
46
Il sera alors confronté à une nouvelle culture, c’est-à-dire un « système de croyances,
valeurs, coutumes et us, comportements et outils que les membres d’un groupe social
partagent et utilisent pour faire face à leur environnement50 ». Il devra alors s’adapter et
adopter une des 4 différentes stratégies proposées par J.Berry51 :
1.2. Métissage
Laplantine (2009 p.79) définit le métissage comme « […] la coexistence dans l’espace,
d’éléments qui se rencontreraient pour constituer de manière dérivée un nouvel
ensemble », avant de préciser qu’il s’agit d’« un mécanisme de « juxtaposition, de
superposition, d’assemblage […].»(Ibid.P79).
En s’arrêtant sur cette définition, pour la haute cuisine française, qu’il s’agit de la mise
en commun et le mélange de divers éléments qui peuvent être des produits, techniques,
50 Ibid. p.8
51 Ibid. p.8
52 TURGEON Laurier. Les mots pour dire les métissages : jeux et enjeux d’un lexique. Revue germanique
internationale. 21 | 2004, mis en ligne le 28 janvier 2011. [En ligne]. Disponible sur
http://bit.ly/1Ff4Jzm. (Consulté le 19-03-2015).
47
textures, couleurs, formes dans un même ensemble qui est l’assiette. Dans son ouvrage,
l’auteur (Ibid.P79) nous précise également que « Le métissage est une pensée et d’abord
une expérience de la désappropriation, de l’absence de ce que l’on a quitté et de
l’incertitude de ce qui va jaillir de la rencontre. ». Si l’esthétique dans l’art culinaire est
confrontée au phénomène de métissage cela pourrait se traduire par la volonté du Chef
d’une « expérience » de ne plus se conformer aux codes établis, c’est à dire aux
méthodes et techniques classiques et d’entreprendre une combinaison de nouveaux
éléments avec une part d’incertitudes quant au résultat qui « va jaillir de la rencontre ».
Il précise également qu’ « il est l’événement qui survient dans une temporalité au sein de
laquelle il n’est plus possible de distinguer du passé, du présent ni du futur à l’état pur 53».
De son côté, Sabban nous indique que le métissage est à la fois un processus mais aussi
le résultat de celui-ci ; « le métissage devant être compris comme un mélange dont il est
impossible de dissocier les parties ».54 Par cette dernière citation, nous pouvons ainsi
analyser l’une des différences fondamentales avec la notion d’acculturation, qui elle,
« vise à distinguer les origines et à faire la part des apports respectifs dans un produit
obtenu 55».
53 LAPLANTINE François, NOUSS Alexis. Le métissage Un exposé pour comprendre, un essai pour réfléchir.
Téraèdre. [En ligne]. Disponible sur http://bit.ly/1GCxl9X. (Consulté le 14-03-2015).
54 SABBAN, Françoise. Quelques remarques sur la cuisine, la gastronomie et le métissage. Hypothèses,
2012, vol. 15, no 1, p. 367-372. [En ligne]. Disponible sur http://bit.ly/1JebQfa. (Consulté le 02-03-2015).
p.370
55 DE LIMA Dora et DO PAÇO David. Le métissage, dynamique des gastronomies. Hypothèses, 2012/1 15,
p. 289-301. [En ligne] Disponible sur http://bit.ly/1GCyK0f. (Consulté le 02-03-2015).
48
En effet, dans une approche « produit », l’auteur précise que la grande cuisine française
a fortement été influencée par d’autres pays, mais qu’ « en dépit de la multiplicité de ces
formes d’intégration » on ne peut pas dire que la grande cuisine française est métissée,
précisant que « le fait que certaines réalisations le soient ne peut pas être extrapolé à
l’ensemble de l’art culinaire français. » (Ibid. p.186).
Au cours de nos lectures, nous avons pu constater que si certains parlent de métissage,
d’autres auteurs préfèrent l’utilisation du terme « Fusion Food ». Cette notion est
définie comme le résultat au sein d’un même établissement, de la combinaison
d’influences variées qui aboutit ainsi à l’« expression d’une sorte de globalisation
culinaire généralement appréciée comme « post‐moderne » 56». La cuisine dite « Fusion
Food » revendique son appartenance universelle et se veut ouverte sur les autres. Dans
son ouvrage D’Almeida Topor (2006, p.184) explique que si « les métissages culinaires
se sont souvent opérés progressivement, au gré des aléas historiques » il s’agit plutôt
d’une démarche délibérée.
57MATTA Raúl. L’indien passe à table dans les grands restaurants de Lima (Pérou). Anthropology of food.
December 2010, Disponible sur : http://bit.ly/1c0z51n. (Consulté le 05-02-2015).
49
2. L’influence Franco-Japonaise dans l’esthétique visuelle
La fin du XXe siècle a marqué le début d’une intense relation d’échanges entre deux
traditions qui s’ignoraient jusqu’ alors : La France et le Japon. En effet, depuis le
phénomène « Nouvelle cuisine», les échanges entre la cuisine japonaise et française
n’ont cessés de se multiplier. Aujourd’hui, l’archipel japonais n’hésite pas à faire la
promotion de la grande cuisine française, tandis que la France devient le terrain de jeu
des jeunes cuisiniers Japonais, qui, recrutés par les plus grands Chefs viennent faire
leurs armes et apporter leur savoir-faire dans les plus grands établissements étoilés.
En 1964, Raymond Oliver a été le premier chef triplement étoilé à fouler le sol japonais
à l’occasion des Jeux Olympiques. (Lagayette, 2003, p.134).
Deux ans plus tard, c’est au tour de Pierre Troisgros, le chef étoilé de Roanne de
prendre la direction du pays du soleil levant, où il ouvrira un établissement Maxim’s à
Tokyo. Il est suivi de près par Paul Bocuse, Alain Chapel, Michel Guérard, Alain
Senderens, et Joël Robuchon qui ouvrent à leurs tours un établissement. Dès lors, les
influences nippones ne cesseront de marquer la cuisine française. La cuisine Kaiseki de
Kyoto, qui à l’origine accompagne la cérémonie du thé (chanoyu) désigne dans la
gastronomie japonaise une forme traditionnelle de repas composée d’une série de
petits plats tout aussi beaux que bons. Cette forme de repas va inspirer les Chefs Paul
Bocuse, Pierre Troisgros et Louis Outhier, qui vont introduire le « menu dégustation »
et ses multiples services à la manière du kaiseki nippon.
50
Dans une interview, Pierre Troisgros précise à ce sujet : « Au début à Tokyo, j’ai été
obligé de rabattre un peu la saveur des plats que les clients japonais trouvaient trop
corsée, mijotés et sauces en particulier. Du coup, ma cuisine a gagné en légèreté et en
fraîcheur, mais aussi en rigueur 58».
Au Japon, la façon dont les différents éléments sont présentés et mis en scène constitue
une préoccupation essentielle, véritable forme artistique en soi. Le kaiseki est
notamment une expérience esthétique, « une cuisine pour les yeux 59» comme nous le
précise le guide Michelin, où le Chef cherche l’harmonie des textures, des couleurs et
de l’apparence esthétique des aliments.
Aujourd’hui comme nous le précise Poulain (2002, p.28) « Les assiettes contemporaines
doivent beaucoup à l’art du décor asiatique, notamment japonais. ». En effet, les Chefs
portent désormais un intérêt prononcé au dressage des plats ou le choix des couleurs,
la rigueur et la netteté deviennent des éléments essentiels. Dans les restaurants étoilés
français, les assiettes deviennent des tableaux où les Chefs appliquent les « trois
vertus » de la présentation japonaise que sont « souplesse-légèreté, netteté-fraîcheur et
soin-précision. » (Blanchon, 1996, p.400). Actuellement l’influence de l’esthétique et du
perfectionnisme japonais est toujours présente comme en témoigne une interview que
nous avons réalisé auprès d’un chef doublement étoilé, et qui nous caractérise son
dressage dans une « géométrie presque japonaises60 .
58 Le Cœur Au Ventre. Pierre Troisgros : Un Pionnier au Japon. Février 2011. Disponible sur :
http://bit.ly/1GgeXoC. (Consulté le 05-02-2015).
59 Site Web. Michelin Restaurants. Disponible sur : http://michel.in/1y8jE19. (Consulté le 05-02-2015).
60 Cf. Annexe F : Entretien N°2 Chef étoilé
51
Ainsi, l’esthétique culinaire japonaise a influencé l’art culinaire français comme elle a
su le faire plus tôt pour les autres arts. En effet, comme nous le précise Francis Bequin
« Il est intéressant de noter que l’influence japonaise a déjà été le ferment d’une révolution
artistique française : la grande école de l’Impressionnisme. Le génie des Pissarro, Monet,
Manet, Renoir remonte à la découverte en France des estampes japonaises. 61»
Si ces phénomènes sont souvent évoqués au travers les livres, et font l’objet de
nombreuses parutions, nous avons toutefois pu constater que ses processus
d’influences sont souvent évoqués et analysés pour traiter des produits/ingrédients
utilisés et non de l’esthétique visuelle.
61 BEQUIN Francis. Connaître les fondamentaux pour une bonne créativité culinaire. Hôtellerie-
Restauration. Académie de Versailles. [En ligne]. Disponible sur http://bit.ly/1GgfN4F. (Consulté le 01-
03-2015).
52
Pour les Chefs l’utilisation de nouvelles techniques et méthodes étrangères semble être
une source de « dynamiques fondamentales 62» afin de séduire et d’attirer la curiosité
du consommateur. Comme l’indique Poulain pour le métissage (2002, p.33), ces
processus offrent ainsi « un outil ludique de distinction pour ceux qui peuvent s’en
approprier les codes. » Le métissage gastronomique est alors perçu « comme une
fantaisie attractive63 » qui attire les consommateurs.
La mise en place d’un terrain d’analyse en troisième partie semble toutefois nécessaire,
pour permettre une analyse plus précise auprès des professionnels et des figures de
l’art culinaire français et ainsi apporter des réponses précises à notre hypothèse.
D’une approche générale, l’analyse de l’innovation dans les PME met fréquemment en
avant un déficit de ressources internes pour pouvoir s’engager sur des projets
innovants et ainsi faire évoluer leur offre. Face à ces limites, la mobilisation de
ressources au-delà de l’environnement interne de l’entreprise apparaît comme un
levier idéal afin de sortir de ce dilemme. « En d’autres termes, ce ne sont plus uniquement
les équipes de recherche internes qui sont à l’origine de la formation et l’accumulation du
« capital savoir » de l’entreprise mais celui-ci résulte de sources externes multiples »
(Antonelli, 2005 64).
64 Cité par LAPERCHE, Blandine. L'innovation pour le développement: enjeux globaux et opportunités
locales, Karthala Editions, 2008 p.121- 250 p.
54
Comme nous l’indique l’auteur dans une approche générale de l’industrie, les
entreprises n’hésitent donc plus à recourir de façon croissante aux apports d’autres
univers externes afin de se différencier et d’élargir les champs de possibilité de leurs
créations.
Pour cela, la coopération que nous pouvons définir littéralement comme le fait de
« travailler et/ou fonctionner ensemble 65» semble être un « état d’esprit 66» propice à
l’innovation. Olosutean (2011, p.8) conforte cette idée en précisant que : « La
coopération peut alors apparaître comme un vecteur privilégié d’accès à l’innovation
dans la mesure où elle est un moyen d’explorer de nouvelles pistes pour renouveler les
compétences ».
Comme nous l’indique H.Becker (2010, p.55-60), les mondes de l’art ne possèdent pas
de frontières et entretiennent des connexions avec d’autres univers. Dans les mondes
de l’art, les pratiques et les productions se transforment et évoluent en permanence en
fonction de l’environnement. Certaines interactions donnent ainsi lieu à de véritables
révolutions. Ainsi dans le monde culinaire, les Chefs évoluent en même temps que
l’environnement extérieur et s’adaptent aux nouvelles compétences et techniques.
Comme toutes les entreprises, ils utilisent les nouveaux moyens existants afin
d’améliorer leur offre et de se démarquer. Mais ce phénomène ne semble pas nouveau.
En effet, en 1907, Escoffier écrivait déjà en faisant référence aux livres d'Urbain Dubois
et d’Émile Bernard :
Cette citation, nous montre que depuis longtemps, les Chefs évoluent en même temps
que l’environnement extérieur et s’adaptent aux nouvelles compétences et techniques
disponibles. Cette idée reste toujours présente, revendiquée notamment par Thierry
Marx, chef deux étoiles réputé pour sa maîtrise de la cuisine moléculaire, qui précise
au sujet de sa cuisine : « c’est une cuisine qui se construit au présent, en utilisant les outils
qui me sont donnés au XXIème siècle. La technique n’est qu’un moyen au service du
plaisir». Aujourd’hui la cuisine semble être devenue le terrain de jeu d’un bon nombre
de professionnels et de scientifiques.
Par cette citation, l’auteur avait déjà imaginé l’influence de la science dans le monde de
la cuisine. En effet, comme nous allons le voir la science c’est peu à peu intégrée à la
cuisine et ce sont aujourd’hui deux disciplines complémentaires.
A partir des années 1980, à l’ère de la révolution instaurée par la Nouvelle cuisine
française puis internationale, certains Chefs et auteurs internationaux se sont lancés
dans une « gastronomie nouvelle et intellectuelle » (Myhrvold, 2011, p.52). Il s’agit là de
Chefs tels que Ferran Adrià en Espagne, d’auteurs comme Harold Mc Gee ou encore de
physico-chimistes avec notamment Hervé This en France.
67 Disciple D’Escoffier. Association pour la transmission et l’évolution de la cuisine. [En ligne]. Disponible
Côté français, certains Chefs étoilés tels que Marc Veyrat, Pierre Gagnaire, Thierry
Marx, ou encore Pascal Barbot ont été les premiers à dépasser les codes du
traditionalisme pour proposer cette cuisine avant-gardiste. A la manière des « 10
commandements » de la Nouvelle cuisine Le Modernist cuisine propose désormais les
10 commandements du courant moderniste (Cf. Annexe A : Les 10 principes de la
cuisine moderniste
La cuisine moléculaire est une cuisine qui a été inspirée par Hervé This et Nicolas Kurti
qui, suite à la volonté de créer une nouvelle discipline scientifique, ont organisé en
1988 un colloque « Gastronomie moléculaire et physique » en Sicile. Au fil des années
ces colloques vont prendre de l’importance et impacter peu à peu la cuisine. A la mort
de Kurti en 1988, Hervé This va devenir le promoteur de la gastronomie moléculaire à
l’international. Selon lui l’objectif de la « gastronomie moléculaire » est la
compréhension du processus de cuisson par la science (Myhrvold, 2011, p.46).
57
Hervé This réfute l’idée que sa discipline soit liée à la cuisine et oppose clairement la
gastronomie moléculaire à la cuisine moléculaire : « la gastronomie moléculaire, c’est
de la science ; la cuisine moléculaire, c’est de la cuisine. L’un n’est pas l’autre, et l’autre
n’est pas l’un. Aucun cuisinier ne fera de gastronomie moléculaire, et aucun scientifique
ne fera de cuisine moléculaire… sauf s’il abandonne un instant sa blouse pour passer en
cuisine, et se comporter en cuisinier, et non plus en scientifique 68».
Il définit ainsi la cuisine moléculaire comme « une mode culinaire qui fait usage de
résultats de la science, et introduit de « nouveaux » ingrédients, méthodes, ustensiles ; le
terme « nouveau » est évidemment imprécis, mais il désigne ce qui n’était pas présent en
cuisine, en France et dans les pays d’Occident, avant les années 1980. 69»
Si elle permet de sublimer le produit d’un point de vue gustatif, la cuisine moléculaire
a aussi pu repousser les champs du possible en ce qui concerne l’esthétique visuelle
des plats. En effet, grâce à de nouvelles textures telles que les émulsions ou de
nouvelles formes avec par exemple la sphérification, les Chefs ont pu entreprendre de
68THIS Hervé. La cuisine moléculaire n’est pas la gastronomie moléculaire. [En ligne] Disponible sur :
http://bit.ly/1a9A5iv. (Consulté le 15-03-2015).
69 DE MONTE Bruno. Sous la direction de. Table ouverte n°1. Labo de créativité culinaire. Ecole de
Gastronomie FERRANDI. Juillet 2013. p.72 [En ligne] Disponible sur http://bit.ly/1OPZ5M1 . (Consulté
le 22-12-2014). p.59.
58
nouveaux dressages. Si certains Chefs tels que Thierry Marx maîtrisent aujourd’hui
parfaitement tous les champs du possible de cette discipline, les nouvelles techniques
se sont rapidement répandues à l’ensemble des acteurs de l’art culinaire si bien
qu’aujourd’hui la majorité des Chefs étoilés baignent « dans cette mouvance
d'expérimentations 70», et utilisent de nouvelles technologies ou proposent à leur cartes
des techniques issues de la cuisine moléculaire.
Contrairement à l’art, le design n’est pas une fin, mais est au service d’un projet. Il s’agit
de la production d’un objet cohérent à un projet et à des intentions. Pour l’art culinaire,
le design a pour but d’apporter de nouvelles visions dans la construction du dressage
des Chefs, que cela passe par la forme et l’agencement des produits comme dans le
choix des supports.
70 Traité artistique. Les nouvelles influences dans les Métiers de l’alimentation et de la Restauration. [En
ligne]. Disponible sur http://bit.ly/1GghjE6. (Consulté le 22-12-2014). p.13
71 DE MONTE Bruno. Sous la direction de. Table ouverte n°1. Labo de créativité culinaire. Ecole de
Gastronomie FERRANDI. Juillet 2013. p.72 [En ligne] Disponible sur http://bit.ly/1OPZ5M1. (Consulté
le 22-12-2014). p.41
59
Aujourd’hui, la collaboration entre cuisiner et designer semble si évidente qu’elle fait
l’objet de concours tels que le Trophée Chef & Designer organisé par GL Events et
présidé par Yannick Alléno. Dans un article dédié à ce concours, le Chef triplement
étoilé souligne l’importance de la coopération entre les cuisiniers et le designer,
expliquent que ce dernier permet de « concrétiser le rêve qu’ils ont d’un plat, d’une
assiette ou d’un contenant 72».
Le design qui, comme nous l’avons vu, influence la construction des plats, a également
touché les arts de la table et notamment les assiettes. Carrée, rectangulaire, ronde,
triangulaire ou en relief l’assiette semble être aujourd’hui un élément essentiel pour le
chef dans la construction esthétique de ses réalisations et participe à « créer de
nouveaux scénarios de dégustations »74.
72 Hôtellerie Gastronomie Hebdo.Patrick Claudet. La gastronomie à l’ère du design. [En ligne]. Disponible
sur http://bit.ly/1CK8kXR. (Consulté le 05-03-2015)
73 BONZOM Isabelle. La peinture commence dès le support. Mars 2011 [En ligne]. Disponible sur
http://bit.ly/1NNlWEF. (Consulté le 04-03-2015).
74 Traité artistique. Les nouvelles influences dans les Métiers de l’alimentation et de la Restauration. [En
ligne]. Disponible sur http://bit.ly/1GghjE6. (Consulté le 22-12-2014). p.12.
60
Il a suffi d’une visite au SIRHA, qui s’est tenu cette année du 24 au 28 Janvier 2015 à
Lyon pour prendre conscience de l’importance du choix de l’assiette pour le Chef. Avec
pas moins de 32 stands75 consacrés aux porcelainiers et à aux faïenciers venus du
monde entier, les Chefs ont pu laisser là libre court à leurs imaginations et leurs besoins
pour mettre en scène leurs recettes.
Un second entretien a été réalisé auprès d’un établissement situé sur la côte basque et
étoilé par le Michelin depuis 31 ans. Au cours de celui-ci, le chef n’hésitera pas à
comparer la cuisine à la peinture pour la terminaison des assiettes, avant de préciser
que son dressage pouvait facilement être influencé par une assiette, et qu’il n’hésite
pas à changer son dressage pour une assiette qu’il trouve « magnifique77 ».
Ces deux entretiens nous laissent donc penser que le choix du support semble être un
élément influençant la plasticité de leurs recettes et que l’assiette n’est finalement pas
seulement un support mais fait partie intégrante de l’œuvre. Tout comme il y a une
alchimie entre la matière et le support dans la peinture, il semble y avoir une alchimie
entre les ingrédients et l’assiette dans la cuisine.
75 Comptage réalisé sur le site du SIRHA 2015. [En ligne]. Disponible sur http://bit.ly/1aBdvAb.
76 Cf. Annexe F : Entretien N°2 Chef étoilé
77 Cf. Annexe E : Entretien N°1 : Chef étoilé
61
Toutefois, il ne s’agit là que l’avis de deux Chefs étoilés parmi tant d’autres. En effet, si
ces deux Chefs semblent engager le choix de leurs assiette vers le « beau », d’autres
Chefs comme Ducasse n’hésitent à choisir et créer des supports adaptés dans le souci
du « bon ». En témoigne le travail collaboratif entre Alain Ducasse et le designer Patrick
Jouin pour la création d'un plat à tajine individuel en terre cuite conçu pour «protéger
tous les sucs et fumets78» d'un plat du restaurant Spoon Byblos à Saint-Tropez.
Nous allons maintenant nous intéresser à notre dernière hypothèse. Celle-ci part du
postulat que l’esthétique visuelle proposée par le Chef étoilé au travers de ses assiettes
est directement liée à sa socialisation professionnelle, c’est-à-dire au parcours
professionnel qu’il a réalisé avant de voler de ses propres ailes et de réaliser ses
propres créations.
L’étude de la nouvelle cuisine ainsi qu’un travail de recherche bibliographique sur des
ouvrages ou internet nous a permis de constater qu’un certain nombre de Chefs ayant
obtenus trois étoiles avant les années 2000 ont insufflés à l’art culinaire une forme
d’esthétique voire des courants esthétique qui sont actuellement toujours présents
dans l’offre de la haute cuisine française. En effet notre recherche nous a permis de voir
que la signature de Joël Robuchon semble être les décorations en forme de « points »,
les « traits » semblent venir de l’influence de Gagnaire, alors que les jeux de couleurs et
les « purée écrasées » semblent correspondre à l’esthétique de Michel Bras.
Même si ces Chefs ont sans doute était eux même influencés par leur parcours ou des
interactions antérieures, nous considérons et émettons l’hypothèse que dans
l’esthétique culinaire, ces acteurs ont influencés les façons de dresser et de présenter
les plats. Cela peut venir du fait qu’ils proposent une esthétique à la mode et répondant
aux tendances, ou car ils sont légitimés par la critiques. L’objectif est de savoir si les
« nouveaux » Chefs étoilés qui sont passés au cours de leurs carrières chez Robuchon,
Gagnaire, Bras, etc. ont relayé le courant esthétique de leur « mentor » ou si ils se sont
affranchis, partiellement ou totalement et proposent leur propre identité esthétique.
Nous verrons ainsi si l’esthétique proposée par les Chefs aujourd’hui est en lien avec
leur parcours de socialisation professionnelle.
Afin de confirmer ou infirmer cette hypothèse et pour savoir dans quelle mesure
l’esthétique visuelle d’un Chef peut être influencée par son parcours, il convient dans
un premier temps de s’intéresser au processus de socialisation puis à la construction
de l’identité professionnelle de l’individu. Nous appliquerons ensuite ces notions dans
le cadre du Chef étoilé afin de dégager des premières pistes de résultats.
63
1. Processus de socialisation
Dans leur ouvrage, Berger et Luckmann (2012, p.213-235) nous explique que le
processus de socialisation s’inscrit à deux niveaux que sont la socialisation primaire et
secondaire. La première notion est un processus d’incorporation dans lequel l’individu
s’inscrit dès sa naissance et tout au long de sa jeunesse et qui est assurée par un
« nombre limité d'instances de socialisation80 ». L’individu se construit en effet au
travers d’un contexte familial, social, culturel et également au travers des règles de
l’école. Ces éléments déterminent en partie son évolution, son parcours et ses
conduites.
Il s’agit pour l’individu de « l’appropriation subjective d’un moi et d’un monde » (Dubar,
2000, p.94). L’environnement dans lequel évolue l’individu va lui fournir des
représentations, repères et valeurs qui vont le suivre tout au long de sa vie.
Dans le cadre de cette hypothèse, nous nous intéressons donc à cette dernière
socialisation, la secondaire, et précisément l’instance de socialisation du monde du
travail. En effet, durant l’intériorisation de ce « sous monde » qu’est le travail, l’individu,
c’est-à-dire dans notre cas le Chef étoilé, va acquérir un certain nombre de savoirs. « Il
s’agit, avant tout, de l’incorporation de savoirs spécialisés – que nous appellerons savoirs
professionnels […]. » (Dubar, 2000, p.95).
65
Durant son parcours, il va donc incorporer des techniques, des manières de faire et des
visions en référence à « un champ spécialisé » la cuisine. (Ibid. p.95), Il va donc
apprendre à « mettre en assiette différents plats, selon la vision de l’esthétique du Chef
de cuisine. Le cuisinier, futur Chef étoilé, va donc s’approprier les techniques et
manières de dressage qui font la signature et l’identité de son Chef de cuisine.
Tout d’abord, la notion d’identité doit être clarifiée. Le Larousse définit l’identité
comme « ce par quoi l’on différencie une communauté d’une autre ou un individu d’un
autre83 ». Il s’agit donc des « caractéristiques et des attributs » (Paugam, 2010, p.97-98),
qui font d’un individu sa singularité.
Il identifie ainsi à la fois des identités pour « soi » et identité pour « autrui ». Identité
pour soi, dans le sens où celle-ci renvoie à l’image que l’on se construit de soi-même, et
identité pour « autrui » car il s’agit également de la construction de l’image que nous
souhaitons renvoyer et véhiculer aux autres. Dans leur article, Fray et Picouleau nous
précisent également que « l’identité se construit à travers l’image que les autres nous
renvoient84 ».
83Larousse. Encyclopédie en ligne. Identité. [En ligne]. Disponible sur http://bit.ly/1xVIvFf. (Consulté le
24-02-2015).
84 FRAY Anne-Marie, PICOULEAU Sterenn. Le diagnostic de l'identité professionnelle : une dimension
essentielle pour la qualité au travail. Management & Avenir, 2010/8, n° 38, p. 72-88. [En ligne]. Disponible
sur : http://bit.ly/1FvDSSn. (Consulté le 25-02-2015). p.75.
66
En s’appuyant sur l’œuvre de Claude Dubar, Hedoux nous rappelle quant à lui que
« l’identité est le résultat, contingent, provisoire, de processus de changement 85».
L’identité est donc le fruit de ces différents paramètres et est issue d’un processus de
construction de soi au travers de socialisations successives, la socialisation pouvant
être définie comme un ensemble de transaction entre un l’individu et les organisations
sociales qui l’entourent. Maintenant que nous avons défini cette notion, nous pouvons
envisager une définition de ce qu’est l’identité professionnelle.
Dans une approche générale, Dubar nous indique que l’identité professionnelle doit
être vue comme « des manières socialement reconnues, pour les individus, de l’emploi »
(Dubar, 2000, p.95). Il renvoie la notion d’identité professionnelle à trois éléments :
En s’appuyant sur les travaux de Florence Osty (Osty, 2008), les auteurs Frey et
Picouleau, évoquent également l’identité professionnelle comme une « identité de
métier, » précisant que « L’identité professionnelle serait dans ce cas le sentiment
85 HEDOUX Jacques. Dubar Claude - La crise des identités. L'interprétation d'une mutation. Revue française
Etienne Jean, parle lui d’identité au travail, en expliquant que celle-ci « […] se construit
par l’expérience des relations de pouvoir dans l’entreprise ; elle marque de son empreinte
la personnalité de l’individu » (Etienne, 2008, p.88). Il précise là l’importance du travail
et l’impact de celui-ci sur la personnalité de l’individu.
En appliquant l’ensemble de ses recherches au Chef étoilé, nous pouvons avancer que
depuis sa naissance, le Chef s’est ancré dans un processus de socialisation primaire ou
il a pu se construire au travers d’un contexte culturel particulier mais également dans
un contexte familial et social singulier. Il a ainsi pu acquérir des normes, valeurs et
représentations qui lui sont encore plus ou moins ancrés. Mais, à l’âge adulte, le Chef a
également amorcé un processus de socialisation secondaire notamment au cours de
son apprentissage et des périodes pendant lesquelles il a travaillé et occupé des
positions professionnelles diverses auprès d’autres Chefs.
Le contexte social et culturel dans lequel s’est inscrit l’individu durant son enfance,
peut donc dans certains cas avoir un effet dans la construction de l’identité
professionnelle du Chef, et donc sa façon de cuisiner et sa manière de dresser ses
créations. Aussi, on a pu voir que la socialisation secondaire n’est pas seulement
constituée par le monde du travail, mais aussi par d’autres institutions que sont la vie
conjugale, les rencontres, et les amis, etc.
Même si le travail représente une place prépondérante dans la dans la définition de soi
et dans la construction de la signature individuelle du Chef, nous pouvons donc
imaginer que des éléments extra-professionnels tels que les rencontres ou loisirs
peuvent avoir une influence sur la cuisine proposée par un chef étoilé, mais également
sur la façon dont il va mettre en assiette ses plats. Afin de vérifier dans quelle mesure
la socialisation secondaire, et plus précisément le passage du cuisinier chez des
« mentors » tels que Bras, Robuchon, Gagnaire, ou encore Guérard peut influencer
l’esthétique visuelle des plats, une étude terrain semble nécessaire. Celle-ci sera
développée dans la dernière partie de ce travail.
69
Tout au long de cette seconde partie, nous avons pu identifier en s’appuyant sur de
nombreux ouvrages, différents phénomènes et processus pouvant influencer
l’esthétique culinaire.
Tout d’abord, l’étude de la première hypothèse nous a permis de constater que des
phénomènes d’influences étrangères semblent s’exercer dans la haute cuisine
française. S’il s’agit principalement d’influences au travers de l’utilisation de produits
« exotiques », nous avons pu identifier une influence majeure du continent asiatique et
plus particulièrement du Japon sur l’esthétique visuelle proposée aujourd’hui. En effet,
le voyage de certains grands noms de la cuisine au Japon dans les années 1980 a permis
d’apporter à la grande cuisine française le perfectionnisme, le soin, la légèreté et la
rigueur de l’esthétique visuelle nippone.
Dans un second temps, en s’intéressant aux interactions dans l’art culinaire, nous avons
pu s’apercevoir que les Chefs, afin de repousser les limites et leur créativité n’hésitent
pas à collaborer avec des univers extérieurs à l’art culinaire. L’étude plus particulière
du design que ce soit au travers de l’aliment ou du support de dressage utilisé, et de la
science nous ont permis de constater que ces deux professions, si elles permettent
d’améliorer les qualités gustatives, permettent également d’offrir de nouvelles
possibilités de dressages et de présentations aux Chefs.
70
Partie III - METHODOLOGIE ET TERRAIN D’APPLICATION
71
Suite à l’étude des différentes hypothèses émises pour répondre à notre
problématique, il semble maintenant essentiel d’analyser celles-ci dans une approche
terrain. En effet, si des pistes de réponses semblent ressortir de l’étude théorique de
nos hypothèses, la mise en place d’un terrain d’application, va permettre de vérifier
celles-ci en les confrontant directement au monde de la grande restauration française.
L’objectif du terrain d’application va donc être de vérifier si les phénomènes et/ou
processus que nous avons évoqués peuvent intervenir et influencer le Chef étoilé dans
la construction esthétique de son plat.
Pour cela, différentes méthodes peuvent être mise en place afin de confirmer ou
infirmer nos hypothèses.
Dans cette troisième partie, nous verrons la démarche utilisée et à prévoir dans le cadre
de la suite de ce travail. Nous ferons ensuite un rappel des objectifs souhaités pour
chacune des hypothèses émises.
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Chapitre 1 : Terrain d’application
PHASE EXPLORATOIRE :
FORMULATION DE LA
MASTER 1 - Recherche documentaire
QUESTION DE DÉPART
- Entretiens Exploratoires
JUSTIFICATION
FORMULATION DE LA FORMULATION DES
DOCUMENTAIRE DES
PROBLÉMATIQUE HYPOTHÈSES
HYPOTHÈSES
CRÉATION DE L'OUTIL
RECHERCHE ET CRÉATION DE L'OUTIL
D'ANALYSE
IDENTIFICATION D'UN D'ANALYSE QUALITATIF :
DOCUMENTAIRE :
MODÈLE D'ANALYSE GUIDE D'ENTRETIEN SEMI-
TABLEAU COMPARATIF
ADAPTÉ DIRECTIF
DES PLATS
PHASE D'OBSERVATION :
MISE EN PRATIQUE ANALYSE DES
MASTER 2 OPÉRATIONNELLE DE LA INFORMATIONS
DÉMARCHE DE
RECHERCHE
CONCLUSIONS
RÉSULTATS
OPÉRATIONNELS ET
PRÉCONISATION
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1. Rappel des objectifs par hypothèses
Hypothèse N°1 : L’esthétique dans l’art culinaire est influencée par des phénomènes
de métissage et de fusion
Hypothèse N°2 : Des interactions sont présentes avec des univers en connexions avec
l’art culinaire
Hypothèse N°3 : L’esthétique proposée par les Chefs étoilés d’aujourd’hui est
influencée par leur parcours professionnel.
Concernant la seconde hypothèse, celle-ci par du postulat que des interactions sont
présentes avec des univers extérieurs à l’art culinaire. Toujours sur la base de la même
étude qualitative, l’objectif va être de questionner les Chefs sur les coopérations mise
en place avec d’autres métiers tels qu’avec les designers, ou encore scientifiques. En
effet, si nous savons que certaines collaborations existent telles que Yannick Alléno
avec l’ingénieur agronome Bruno Goussault, le physico-chimiste Hervé This avec le
Chef Pierre Gagnaire ou encore Thierry Marx avec le chimiste Raphaël Haumont, nous
verrons si cette pratique est répandue à l’ensemble de notre échantillon, mais surtout
dans quelle mesure, ses univers extérieurs peuvent influencer le chef dans la
construction plastique de son plat.
74
Enfin, notre dernière hypothèse s’intéresse à l’influence que peut avoir le parcours
professionnel dans la construction visuelle du plat. Nous avons pu voir dans la
deuxième partie de ce travail que certains Chefs triplement étoilés avant les années
2000 ont insufflé des courants de dressage qui sont encore aujourd’hui d’actualités.
L’étude de cette dernière hypothèse va donc se faire en deux étapes. Dans un premier
temps, il semble utile d’interroger des Chefs étoilés qui ont été les « disciples »
des insufflateurs des courants esthétique que nous avons identifiés, afin de voir si l’
esthétique qu’ils proposent s’inspire totalement, de manière partielle ou pas du tout de
leurs « mentors ».
2. Outils à disposition
Nous avons donc identifiés deux outils nécessaires à mettre en œuvre afin de répondre
à nos hypothèses :
Enregistrement et retranscription
Traitement Analyse verticale (entretien par entretien)
Analyse Horizontale (Synthèse croisée)
ANALYSE DOCUMENTAIRE
Cible Chefs 3 étoiles Michelin
Ouvrages de Chefs
Presse spécialisée (Thuriès, 3étoilesMagazine, YAM)
Ressources
Sites Internet des Chefs et de leurs restaurants
Sites génériques
Recherche documentaire
Méthode
Collecte de photographie de plats
Justification Apporter des éléments de réponse à l’hypothèse N°3
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Chapitre 2 : Méthodologie probatoire
1. Étude Qualitative
1.1.1. Objet
L’étude qualitative aura pour objectif d’apporter des précisions et une approche
terrain aux hypothèses que nous avons formulées. L’étude qualitative est un outil qui
va nous permettre d’étudier le plus précisément possible chacune des hypothèses par
le biais d’entretien dit « semi-directif ». L’intérêt est de favoriser l’expression des
interviewés tout en respectant une structure et un cadre défini.
1.1.2. Échantillon
L’échantillon choisit pour ce questionnaire sera la population des Chefs trois étoiles
Michelin en France. Il s’agit donc des établissements qui selon le Guide Michelin
proposent une « cuisine remarquable valant le voyage ». Ils sont actuellement au
nombre de 25 en France en 2015. Nous nous intéresserons seulement aux Chefs ayant
obtenu pour la première fois trois étoiles après les années 2005. En effet, les Chefs
récompensés avant ces années-là, correspondent aux « insufflateurs » des courants
esthétiques que nous avons identifiés dans la deuxième partie de ce mémoire. De plus
ces Chefs possèdent un parcours professionnel qui ne remonte pas très loin dans le
temps. L’analyse et le recueil de données sera donc possible et facilité.
Il est important de noter que c’est échantillon reste difficile à aborder en raison des
sollicitations médiatiques dont les Chefs font l’objet mais aussi en raison de leur charge
de travail et déplacements professionnels. Dans le cas échéant ou nous n’obtiendrions
pas suffisamment de retours positifs, nous solliciterons des Chefs récompensés par
deux étoiles Michelin.
76
Tableau 1 : Tableau représentatif de l'échantillon - Les Chefs trois étoiles Michelin en France
77
1.1.3. Conduite des entretiens
Il s’agira donc d’entretien dit « semi-directif ». L’entretien sera administré soit dans les
locaux de l’entreprise sollicitée ou à la convenance de l’interviewé. Dans le cas échéant
nous procéderons à un entretien téléphonique/Skype. La durée de l’entretien sera
d’une heure environ. Celui-ci pourra être enregistré, sous réserve d’acceptation de la
personne interviewé afin de permettre une analyse des réponses la plus qualitative et
précise possible.
Introduction de l’entretien
L’entretien
Phase introductive :
5. Comment a évolué votre cuisine depuis que vous êtes devenu Chef ?
78
Phase de centrage sur le sujet :
6. Aujourd’hui, les assiettes sont construites comme des tableaux, et les dressages
sont faits avec une précision millimétrée… Depuis plusieurs années, le visuel
devient parfois aussi important que le goût. Quel regard portez-vous sur cette
évolution ?
11. Dans le cadre de vos créations, avez-vous déjà collaboré avec d’autres
professions ? Je pense à la science, aux designers, etc.
79
14. Vous m’avez parlez de votre parcours. Pensez-vous que vos expériences
professionnelles influent votre façon de dresser vos plats ?
Élargissement
Conclusion de l’entretien
Remerciements.
La dernière étape de l’étude qualitative consiste à analyser les données recueillis. Pour
cela, l’analyse se déroulera en deux temps.
Dans un premier temps nous procéderons à une analyse dite verticale ou individuelle.
Il s’agit là de faire une retranscription entretien par entretien dans le but de faire
ressortir les thèmes abordés par chacun des répondants.
Ensuite, une analyse dite horizontale ou transversale sera réalisée. Celle-ci consiste à
rassembler l’ensemble des cahiers d'analyse individuelle en une même analyse de
l'ensemble du corpus. L’ensemble des thèmes abordés par les répondants seront
regroupés par thèmes/familles plus généraux grâce des verbatim. Cela permettra de
comptabiliser le nombre de points de vue et de visions similaires.
80
2. Analyse documentaire
Dans un second temps, il s’agira donc de comparer, via les photographies recensées, les
plats des Chefs étoilés après 2005 avec ceux de leurs « Mentors ». Nous verrons ainsi si
des similitudes apparaissent entre les Chefs ou si les dressages n’ont aucun lien.
L’analyse de plusieurs Chefs permettra de tirer des conclusions et de voir l’esthétique
proposée par les Chefs aujourd’hui est en lien avec leur parcours de socialisation
professionnelle.
2.2. Ressources
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Internet Site Internet de l’établissement ou du Chef
Recherches via Google Images
Site de partage de photos telles que Pinterest
BIOGRAPHIE
2.3. Méthode
82
Tableau 2 : Étude comparative autour de Six plats : Frédéric Anton et Joël Robuchon
89 Source : http://bit.ly/1CebjEy
83
Six plats de Jöel Robuchon90
L’étude réalisée entre ses deux Chefs révèle des similitudes de dressage. En effet, en
comparant les photographies, on s’aperçoit que Frédéric Anton utilise en partie la
signature visuelle de son mentor Joël Robuchon. Par exemple, « L'oursin, fine gelée,
céleri et caviar » proposé par Frédéric Anton est construit de manière quasi identique
que « Le Caviar une infusion juste prise à la crè me de chou-fleur » proposé par Joël
Robuchon. On retrouve dans 4 des 6 plats de Frédéric Anton qui ont été analysés, un
dressage utilisant des formes de « points », ce qui correspond à la signature visuelle de
Joël Robuchon. On a pu s’apercevoir aussi que comme son Mentor, Frédéric Anton
utilise beaucoup la gelée dans ses assiettes. Dans le cas de Frédéric Anton, son parcours
de socialisation professionnelle semble avoir une influence dans la construction de son
esthétique visuelle.
Réaliser cette étude à l’ensemble de notre échantillon semble essentiel et pertinent afin
de savoir si ce phénomène peut s’appliquer à l’ensemble des Chefs triplements étoilés
sélectionnés. Nous verrons ainsi si tous les Chefs proposent une esthétique visuelle en
lien avec leur parcours, ou si certains d’entre eux se sont affranchit de manière partielle
ou totale de leur socialisation professionnelle dans la construction de l’esthétique de
leurs créations.
85
Chapitre 3 : Perspectives
•Résultats,
•Préconisations opérationnelles
7 •Actions
86
CONCLUSION GENERALE
L
a construction de ce travail nous a permis d’apporter un éclairage important
sur la notion d’esthétique dans le monde de l’art culinaire. En effet, si nos
recherches nous ont confirmé que l’esthétique a toujours tenu une place de
choix dans le monde de la haute cuisine française, nous avons pu voir que celle-ci avait
considérablement évolué au fil du temps. Après avoir établi une première partie de
cadrage sur les notions d’art et d’esthétique culinaire, nous avons pu préciser notre
questionnement en s’intéressant de plus près à la construction de l’esthétique dans
l’art culinaire français.
Pour tenter de répondre à cette problématique, nous avons dans la deuxième partie de
ce travail émis trois hypothèses. Chacune d’entre elles a fait l’objet d’un cadrage et
d’une étude approfondie afin d’apporter des éléments de réponses théoriques issus
d’ouvrages ou d’entretiens exploratoires. Suite à ces hypothèses, nous avons établi en
troisième partie de ce travail une méthodologie et un terrain d’analyse qui nous
permettront de pouvoir vérifier ses hypothèses directement auprès du monde de la
grande restauration française et plus précisément auprès de Chefs ayant trois étoiles
au guide Michelin.
Tout d’abord, nous pouvons avancer que la construction de l’esthétique visuelle d’un
chef semble s’opérer dans un processus continu qui s’inscrit dès son enfance et tout au
long de sa carrière. Dans ce processus s’intègre la socialisation de l’individu ; tout
d’abord primaire, impliquant différents facteurs hérités de l’enfance comme par
exemple un contexte culturel, ou familial, qu’il soit issus du monde de la restauration
ou non. On retrouve également, une socialisation secondaire résultant de l’expérience
professionnelle du chef, et d’une ou plusieurs rencontres avec un mentor influent qui
l’a guidé dans sa carrière. S’y ajoute aussi des éléments issus d’autres institutions telles
que les rencontres extra-professionnelles ou encore la vie conjugale du Chef.
87
Aussi, nous avons pu voir que le développement d’une même et unique planète
culinaire a permis de créer au sein de la haute cuisine française des phénomènes
d’ « emprunts » de produits et de techniques issus d’autres pays et notamment du
continent asiatique. Que ce soit au travers de voyages professionnels ou personnels ou
encore en s’inspirant des pionniers de la Nouvelle cuisine qui ont eux-mêmes parcouru
le continent asiatique, les Chefs semblent désormais tous proposer une esthétique
japonisante, dont l’une des caractéristiques majeures est que la présentation visuelle
constitue un aspect aussi important que les saveurs dans l’expérience d’un dîner réussi.
Enfin, que ce soit issu de la volonté de se différencier dans un contexte de plus en plus
concurrentiel ou par le biais de simples rencontres amicales comme Pierre Gagnaire
avec le physico-chimiste Hervé This, nous avons pu voir que le monde de l’art culinaire
s’est ouvert sur des univers connexes tels que la science ou le design, permettant aux
chefs d’améliorer à la fois les qualités gustatives de leurs produits mais également de
pouvoir réaliser et proposer de nouvelles créations visuelles aux consommateurs.
Si tous ces phénomènes semblent pouvoir influencer dans une certaine mesure la
construction de l’esthétique visuelle du Chef, nous avons toutefois pu remarquer que
la réussite d’une esthétique visuelle réside d’une intégration subtile et maitrisée de ses
éléments. Il semble donc nécessaire de préciser que pour être en capacité d’interagir
avec des univers connexes ou encore pour s’inspirer d’autres cultures, le Chef se doit
dans un premier temps de maîtriser parfaitement les spécificités et techniques de son
métier de cuisinier afin de trouver l’équilibre idéal dans les créations qu’il proposera
aux clients. D’ailleurs « la force de la créativité française réside dans sa volonté de garder
la lisibilité des produits et leur identification91».
Ainsi comme l’indique Raul Matta, « La « culture » – dans son acception individuelle,
faisant référence à l’ensemble de connaissances acquises par un individu –, la passion de
« l’art de la cuisine » et « l’ouverture au monde » résultant de leurs voyages deviennent
91 COLAN Georges. In HERRERO Denis. L’approche créative et expérimentale dans l’enseignement : analyse
pluridisciplinaire d’un nouvel espace d’innovations pédagogiques et professionnelles. IUFM Toulouse. [En
ligne]. Disponible sur http://bit.ly/1Jlu7r9. (Consulté le 22-03-2014). p.18
88
ainsi des éléments que les Chefs les mieux établis seraient les seuls à pouvoir incorporer «
correctement » dans leur travail92.
92 MATTA Raúl. L’indien passe à table dans les grands restaurants. Anthropology of food. December 2010,
Disponible sur : http://bit.ly/1c0z51n . (Consulté le 05-02-2015).
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TABLE DES ANNEXES
90
Annexe A : Les 10 principes de la cuisine moderniste
« Discipline encore jeune et en pleine évolution, la cuisine moderniste est définie par des
personnalités, plus que par un comité ou un consensus. Toutefois, on peut relever des principes
généraux communs à tous. A la manière des « dix commandements » de la Nouvelle cuisine
édictés par le Gault & Millau, nous proposons ici dix principes du mouvement moderniste.
1. La cuisine est un art créatif qui propose, entre le chef et le gastronome un dialogue dont
la nourriture est le langage principal, auquel s’ajoutent tous les aspects sensoriels.
2. Les règles conventions et traditions culinaires doivent être bien comprises, mais sans
freiner l’élaboration créative de nouveaux plats.
3. Il est possible d’aller à l’encontre des règles culinaires pour permettre au gastronome
de vivre une expérience culinaire et nourrir sa réflexion.
7. La science et la technologie sont des territoires à explorer pour faire naître des
inventions culinaires. Mais elles sont des moyens et non une fin en soi.
91
8. La cuisine se bâtit à partir d’ingrédients irréprochables, le caviar et les truffes sont des
ingrédients onéreux et indispensables, mais leur valeur n’est pas supérieure à d’autres
ingrédients de très grande qualité.
92
Annexe B : Tableau Northwestern University
93
Annexe C : Comparatif de plats avec des tableaux
94
Pierre Gagnaire : Chaud-froid de Daniel Buren : Le Mur de Peintures. de
coeur de cabillaud demi-deuil, navet 1966 à 1977
Buren
95
Annexe D : Guide d’entretien exploratoire
Introduction de L’entretien
L’entretien
Phase introductive :
10. Comment a évolué votre cuisine depuis que vous êtes devenu Chef ?
96
17. Comment innover vous dans vos cuisines ?
19. Quelles sont les Innovation technologique que vous utilisez ? (Paco jet, thermo
mix…)
20. Etes-vous attentif aux pratiques et techniques sur le marché ou utilisés e par la
concurrence ?
21. Avec le mot Art culinaire, on parle beaucoup de cuisine d’auteur, de Chefs
d’œuvres… la haute cuisine est souvent définie comme un art tels que la
peinture, la musique, etc. Considérez-vous la haute cuisine comme un art ?
• Si oui, pourquoi pensez-vous que l’on puisse comparer l’art et la cuisine ?
• Si non, pourquoi ?
25. Aujourd’hui, les assiettes sont construites comme des tableaux, et les dressages
sont faits avec une précision millimétrée… Depuis plusieurs années, le visuel
devient parfois aussi important que le goût. Quel regard portez-vous sur cette
évolution ?
26. La photographie culinaire prend une place majeure dans les livres. Pensez-vous
que la photographie culinaire influence votre dressage ou celui des Chefs en
général ?
27. Les Chefs sont souvent qualifiés comme créatifs .Qu’est-ce que selon vous la
créativité ? Le secret pour être créatif
28. Etes-vous le seul à créer les plats de votre restaurant étoilé ou vous demandez
à votre brigade de participer au processus de création ?
97
29. Au fur et à mesure de votre carrière et des renouvellements de cartes, vous avez
eu l’occasion de créer de nombreux plats et donc de nombreuses assiettes et
dressages différents. Avez-vous noté des évolutions ou des tendances dans
votre dressage ?
30. Selon vous à quoi sont dues ses évolutions ? (Apparition de nouvelles
techniques, matériels : assiettes, etc...)
31. Lorsque vous créer un nouveau plat, à quel moment intervient l’idée du
dressage et la façon dont sont présentés les aliments ?
34. Pensez-vous être influencé par des éléments extérieurs à votre cuisine lorsque
vous dresser un plat ? (art, passé personnel, nature) Un exemple ????
Élargissement
Conclusion de l’entretien
Remerciements.
98
Annexe E : Entretien N°1 : Chef étoilé
Durée : 50 minutes
Phase introductive :
Phase introductive :
Enquêté : Très bien. Alors moi mon parcours il a démarré tôt parce que j’ai toujours
baigné parce que mes parents étaient dans le métier avec le restaurant La Table des.
J’ai commencé à travailler jeune dans la maison. A partir de 12 ans je commençais à
donner un coup de main pour la plonge, à partir de 14 ans je travaillais les étés, tous
les matins en cuisine, et après 15 ans, 16 ans je faisais le matin en cuisine et le soir en
99
plonge pendant les grandes vacances. Après je savais toujours pas si je voulais faire le
métier ou pas donc j’avais été faire une seconde générale à Betharram chez les curés.
Ça m’a fait beaucoup de bien, car j’étais assez introverti. Ça m’a permis de m’ouvrir aux
autres. Et à ce moment-là j’ai décidé de rentrer à l’école hôtelière de Biarritz. Alors là
j’ai fait parcours très classique avec un Bac Techno puis un BTS. Le BTS en alternance
n’existait pas encore à l’époque parce que je pense que je l’aurais choisi sinon. Et donc
j’ai commencé à faire des stages dans la région. A la maison Ithurria à Ainhoa, 1 étoile
au Guide au Michelin, puis en Espagne dans un ancien deux étoiles Michelin, et puis
ensuite les frères Pourcel du temps où ils avaient trois étoiles. De là, j’ai pris mes cliques
et mes claques et je suis parti me former deux ans à la côte Saint Jacques chez Jean
Michel Lorain et ensuite pendant trois ans avec Yannick Alleno au Meurice. Je suis
ensuite revenu ici avec ma femme qui est de la partie. C’était le moment où mon oncle
et mon père se séparaient parce que mon grand-père à demandé à mon Oncle de
reprendre la Maison Brikettenia à Guéthary. Du coup la séparation a coulé de source et
nous ça nous permettait de commencer ici en 2008 des changements dans la maison.
Enquêté : Alors, tout d’abord on est situé à Bidart. On a une étoile au guide Michelin
depuis 31 ans maintenant et un hôtel classé 4étoiles. Cuisine gastronomique avec
l’objectif de décrocher la deuxième étoile. On travaille à 2 vitesses. L’hiver c’est
beaucoup plus calme avec des semaines calmes et des weekends où on travaille bien.
Et à partir d’avril la saison commence doucement et on commence à mieux travailler,
avril, mai, juin, juillet, gros pic au mois d’aout, septembre, octobre restent très bons et
à partir de novembre on commence à baisser. On est ouvert à l’année. On ferme deux
fois. Une fois en novembre une dizaine de jours et puis en janvier environ trois
semaines. On a avec nous 29 personnes à l’année et l’été on monte à 45 personnes dans
l’entreprise. 20/22 en cuisines, 14 en salles et entre 5 et 8 personnes à l’hôtel. Complet
on monte à 70/80 couverts. Avant on faisait plus, mais on a voulu accentuer la qualité
et essayer de se concentrer sur des choses mieux faites et mieux maitrisées et c’est vrai
qu’on a baissé le nombre de couverts. Le ticket moyen a lui augmenté.
100
Enquêteur : Comment se résume votre activité de chef aujourd’hui ?
Enquêté : Alors j’étais en binôme avec « aita » (Papa en basque) pendant vraiment trois
ans de 2008 à 2011. Il a commencé peu à peu à se retirer de la cuisine et à intégrer la
pâtisserie. Parce qu’on avait un Chef pâtissier, mais c’était toujours un peu compliquer.
On a décidé de prendre deux Chefs de partie qu’on chapoté nous-même et à qui on
donnait des directives. On se mettait plus dans la création de la pâtisserie. Donc mon
père est allé leur donner un coup demain à faire le pain parce qu’il y a beaucoup de
travail et que l’on fait tout nous-même, pain, yaourt, confitures, viennoiserie. Il est resté
deux ans avec eux et en 2013 mon frère est revenu à la maison en pâtisserie. Depuis
une année, il a complètement quitté la cuisine. C’est l’homme à tout faire de la maison.
Il nous a accompagné, nous a donné son expérience, la relation avec le client, avec le
personnel. Parce que c’est vrai que quand on arrive dans une structure comme ça à 26
ans c’est trop gros pour démarrer. Si on n’a pas quelqu’un pour accompagner,
quelqu’un pour aider c’est trop gros. On monte vite dans les tours, on monte vite en
stress, c’est difficile à faire passer le bon message également. Donc le fait d’avoir
quelqu’un comme ça a côté ça tempère énormément. Pour moi ça a été un cadeau qu’il
m’a fait de m’accompagner pendant ses quelques années. C’est plus facile maintenant
pour moi de gérer cette maison. Car il n’y a pas que la cuisine. Il y a le côté social, tout
le côté entretiens et réparations, on a également le côté communication de la maison,
parce que maintenant il faut communiquer au maximum et faire valoir notre
établissement. Le côté client aussi c’est très important. C’est bien d’aller en salle
discuter avec les clients, ils ont besoin de ça, mais ce n’est pas toujours évident pour
nous. Il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte. Il faut qu’on arrive à gérer
tous les corps de métiers. On doit gérer aussi l’hôtel. Il faut que l’hôtel soit nickel car
S’il y a des clients à l’hôtel, ben forcément ils viennent manger au restaurant. Le
restaurant il faut qu’on soit tiptop on n’a pas le droit à l’erreur, parce que maintenant
avec tout ce qui est TripAdvisor les avis sur Michelin les gens qui écrivent ça va très
vite… toujours faire attention que tout se passe bien. Après bon il y a toujours des petits
ratés à droite à gauche.
101
Enquêteur : Comment a évolué votre cuisine depuis que vous êtes devenu Chef ?
102
Enquêteur : Pensez-vous qu’en haute cuisine il est important d’innover ?
103
Enquêteur : Vous avez beaucoup de plat que vous gardez comme ça à la carte ?
Enquêté : Ah oui oui tu vois par exemple le Txangurro va fait 25 ans qu’il est à la carte.
Enquêté : Oui visuel et la texture aussi. Il était entouré un peu d’une feuille de pâte à
brick à l’époque et on a essayé de trouver un peu…on a essayé de garder cette pâte filo
et le Txangurro. On a essayé de garder ces deux éléments mais après on essaye de
trouver par rapport au poids de Txangurro que l’on met à l’intérieur, la bonne
épaisseur de pate filo, on a beaucoup travaillé là-dessus pour avoir le meilleur
rendement entre les deux, le croustillant et le fondant. On est vachement sensible au
retour des assiettes et au retour des clients également par notre équipe de salle. Ça
nous permet de réajuster un peu. Mais bon en général quand on met à la carte, c’est que
l’on est à peu près sûr.
Enquêté : Oui oui ! Là il faut savoir que du fait de la restructuration des cuisines du fait
de l’incendie, on a décidé de refaire toute nos cuisines de A à Z.
On a d’abord réfléchi à comment on vouleait travailler, on a ensuite réfléchi sur les flux
de personnel, des produits, donc dans la marche en avant dans l’espace et pas dans le
temps, car c’est vrai que souvent dans les cuisines on fait une marche en avant dans le
temps parce que l’on a des locaux que l’on ne peut pas adapter, mais là d’abord on a
travaillé avec une marche en avant dans l’espace, et après derrière on a essayé
d’amener un maximum de technologie. C’est-à-dire que l’on a décidé d’enlever tout le
gaz, de passer à tout en l’électrique, tout en induction, tout en plancha titane,
salamandre pivotante, des bains marie cuiseurs qui sont intégrés directement dans le
fourneau, donc vous avez la chauffante directement dans le fourneau. Ça vous permet
de ne pas utiliser de casserole tout ça. On a mis des fours, donc pour les fours on a
travaillé avec Enodis pour mettre des fours convotherm dans toute la cuisine. Comme
ça on va pouvoir mieux jongler avec les températures, les chaleurs, mixtes, vapeur,
enfin voilà. Et après niveau matériel, on a tout, thermo mix, Paco jet, tous les genres de
mixeurs possibles, niveau du matériel on suit beaucoup ça. On a des fours fumoirs, des
104
cellules de refroidissement au top. Après au niveau du petit matériel, voilà, les derniers
épluches légumes, les coupes trucs, tout on a tout, tout. On suit tout ça. Et là, pour parler
un peu de la marche en avant dans l’espace, c’est que l’on a voulu l’entrée du personnel
et des marchandises parce que c’était mélangé à l’époque, donc on a créé tout un circuit
pour le personnel. Et pour les marchandises, donc quand elles arrivent dans les
cuisines, avec des codes couleurs elles sont rouges. Elles vont rentrer en zone de dé-
cartonnage, et de déconditionnement. Donc là elles sont décartonnée, vérifiée, pesée,
on vérifie le bon de livraison. C’est stocké en suivant dans la chambre froide. A côté il y
a l’économat, les produits d’entretien, réserve sèche, avec les oignons échalotes, farines
et compagnie. De ce local, on a va passer dans un labo de préparation préliminaire.
Donc là on a décidé de faire une grande pièce, avec d’un côté le poisson, d’un côté les
viandes, d’un autre les légumes. Donc le produit rentre dans cette pièce-là, il va se
transformer il va devenir orange. Donc une fois qu’il est traité, fileté, etc. il est rerangé
dans la chambre froide. Et après quand il part en cuisson, il part dans la grande cuisine,
qui va être maintenant la cuisine d’envoi et de finition et là il va passer en code vert si
vous voulez. Donc là une fois que le produit il est cuit quand on fait par exemple des
légumes, quand on fait des appareils, là il va être refroidi en cellule, et ensuite il ne va
pas repartir dans la préparation préliminaire pour aller dans les chambre froide. On va
avoir dans les cuisines une grande chambre froide « produits finis ». Je vous montrerai
après.
Enquêté : Avant tout, bon quand on va chez la concurrence, c’est chez des copains
parce qu’il y en a beaucoup qui sont des copains. C’est sûr que l’on y va toujours l’œil
averti, de toute manière c’est notre métier, donc partout où on va au restaurant on y va
l’œil averti. On regarde, mais après, moi j’y vais surtout pour passer un bon moment.
Mais c’est sûr que dans l’assiette je me pose des questions. Teh comment il a fait ça,
« oui là cette association de goût elle est bonne ». Après des fois si on part dans du trop
complexe, comme ça peut arriver chez Mugaritz en Espagne, qui a deux étoiles, là je me
pose tellement de questions, que je ne prends plus de plaisir à table. Là je suis plus sur
une expérience culinaire chez lui. Mais c’est sûr que l’on fait attention à ce que font les
autres, également les livres de cuisine qui sortent, les magazines de cuisine, comme
105
Thuriès, le YAM maintenant, enfin ce genre de choses, on y regarde, on feuillette. On
suit un peu également l’évolution dans le dressage aussi, car c’est vrai qu’il y a des
tendances un peu, les assiettes aussi, la manière de présenter notre cuisine au client. Il
y en a beaucoup maintenant qui arrivent à raconter une histoire du début jusqu’à la fin,
c’est un peu le but aussi. On est très averti sur ce que font les autres bien sûr.
Enquêteur : Avec le mot Art culinaire, on parle beaucoup de cuisine d’auteur, de Chefs
d’œuvres… la haute cuisine est souvent définie comme un art tels que la peinture, la
musique, etc. Considérez-vous la haute cuisine comme un art ?
• Si non, pourquoi ?
Enquêté : Pour moi oui complètement. C’est un métier d’abord avant tout d’artisan car
on a besoin d’avoir un investissement total dans ce que l’on fait si l’on veut que ça soit
toujours nickel au niveau du gout, de la qualité des produits, de la qualité d’exécution
aussi, car ça c’est très compliqué d’avoir une qualité d’exécution du lundi matin
jusqu’au dimanche soir, tout le temps nickel, il y a beaucoup de paramètres qui rentrent
en compte là-dedans. Mais après oui ça fait partie des métiers d’art c’est sûr.
Enquêté : La peinture pour l’assiette, pour la terminaison. Mais ensuite, tout ce qui est
le côté comme je disais avant, la qualité exécution, ça c’est je dirais plus le métier
d’artisan, ce côté-là. Mais après sinon plus quelque chose comme la peinture. Mais
maintenant on essaye à cette peinture d’amener une histoire au client.
Enquêté : Pour moi oui, pour moi oui. Après voilà, il y a différents artistes. Mais après
voilà, il y a pas qu’à être artiste, il faut être chef d’entreprise, il faut le côté artisan. On
met plusieurs casquettes tous les jours en fait. Et le côté artiste, ce qui n’est pas évident,
on n’a pas tout le temps, tout le temps ce côté création. Il ne nous vient pas tout le temps
comme ça. Des fois on a des phases, ou on commence à avoir plein d’idée, tous les essais
que l’on essaye ça marche, ça tient bien. Et il y a des moments, pendant trois semaines,
un mois, on veut changer la carte, mais j’ai plus d’idées, avec la fatigue, la répétition des
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services. Et un jour, paf, un beau produit qui arrive, on fait des essais et ça repart. Voilà
ça vient et ça part. Et voilà après des plats un peu on va dire de mémoire pour la maison,
on en créé pas tous les jours non plus. Ça c’est avec l’expérience, on affine, et des fois
on arrive à avoir vraiment des recettes qui marche bien et qui durent dans le temps, et
d’autres que l’on change suivant les saisons. Il y a des choses plus abouties que d’autres,
toujours !
Enquêté : Alors oui il faut le côté visuel ! Mais la première ligne directrice c’est le goût
Il faut vraiment que le plat soit bien maitrisé à ce niveau-là. La qualité d’exécution. On
à une bonne recette, on a un beau produit. C’est d’abord ça qui marche bien. Après
derrière on travaille le côté visuel, on travaille le côté décor, on amène le côté herbacé
avec le jardin d’herbes que l’on a, avec les fleurs, ce genre de chose, on amène un peu
de peps dans l’assiette mais après on travaille avant tout sur le gout. Enfin moi je sais
que j’essaye de travailler là-dessus d’abord. Ça ne sert à rien d’avoir une assiette qui
est magnifique si j’ai quand on goûte il n’y a rien qui ce passe. Ca ça ne marche pas !
Enquêteur : Avec la photographie culinaire le visuel prend une place majeure dans les
livres. Pensez-vous que la photographie culinaire influence votre dressage ou celui des
Chefs en général ?
Enquêté : Souvent il faut savoir que dans les photographies culinaires, bon j’ai quand
même pas mal travaillé avec Yannick Alléno sur ces bouquins, la photo est très belle,
elle est réussie, mais au milieu le plat il est froid souvent, c’est lustré au dernier
moment, avec un petit peu d’huile d’olive, un petit pschitt ou comme ça. C’est souvent
pas cuit comme il faudrait, parce que quand un légume il est un peu plus cuit il bouge
un peu plus, tandis que sur la photo il faut qu’il soit nickel et tout. On voit maintenant
des Chefs qui lancent des poudres, qui font tomber des pluies en même temps sur la
photo, c’est magnifique, c’est artistique mais ça rime à rien. Le côté photo on sait le
faire, on sait le maitriser mais on sait très bien que si l’on devait goûter le plat que l’on
a sur la photo le jour même ça ne le ferait pas. On ne met pas la sauce non plus dans
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l’assiette, on ne met pas le bouillon, parce que sinon ça coule partout, il y a tout qui s’en
va. Il y a des astuces.
Enquêteur : Les Chefs sont souvent qualifiés comme créatifs .Qu’est-ce que selon vous
la créativité ? Le secret pour être créatif.
Enquêté : Moi je sais que j’essaie d’être très sensible à ma région. Voilà. Très sensible
à ma région, aux produits de la région au climat, aux connotations basques également.
Parfois on va se dire on va prendre une vieille recette du pays basque, comme le Txurro
qui est un sorte de soupe de poisson que l’on va remettre au goût du jour et c’est
quelque chose qui est pas évident cette partie création. Moi je m’inspire beaucoup du
terroir basque.
J’aime beaucoup reprendre des recettes de mon père, d’Aita, et les remettre au goût du
jour. Il a vraiment de très belles recettes, des choses bien mises au point, qu’il a enlevé
de la carte, on sait que ça marche mais les remettre au goût du jour ce n’est pas évident.
Enquêteur : Etes-vous le seul à créer les plats de votre restaurant étoilé ou vous
demandez à votre brigade de participer au processus de création ?
Enquêté : Alors au processus de création, il y a moi et mon frère. Après derrière on fait
des réunions toutes les six semaines à peu près avec notre équipe, donc avec les
seconds, les Chefs de parties. On les fait venir et là on leur donne les lignes directives
un peu. « Voilà on va faire des essais sur telle garniture, sur tel plat. ». Et des fois je leur
dit si vous avez quelque chose à nous faire goûter, quelque chose que vous trouvez
bien, n’hésitez pas aussi. Après on leur dit « ça c’est bien, ça ca ne va pas ». On essaie de
leur laisser un petit côté créatif sur les amuses bouches, canapés. Après sur la partie
cuisine, voilà, je donne des directives, « on va faire des essais avec ça, tel produit, on va
le travailler de telle manière, telle cuisson, le jus aromatisé de telle manière… ». Après
on va faire goûter. Je ne suis pas le seul à goûter. Je fais goûter ça a ma femme, à mon
frère, on goûte avec le second et la chacun donne son avis. Des fois on a le plat qui
aboutit à 85, 90%, dès le départ, des fois 50%, le produit est top mais la cuisson ne
marche pas. Donc là on va retravailler, d’autres idées. Mais je leurs demande des idées.
Enquêteur : Lorsque vous créez un nouveau plat, à quel moment intervient l’idée du
dressage et la façon dont sont présenté les aliments ?
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Enquêté : A la fin, toujours à la fin. Des fois je l’ai en amont dans la tête le plat terminé,
mais après vraiment la finition du dressage on le fait à la fin. Et on fait souvent plusieurs
essais de dressage. On retravaille, pour que ça soit le plus cohérent possible. Des fois
j’ai le dressage un peu dans la tête mais souvent c’est vraiment à la fin. Après ça arrive
de que des plats qu’on a de mémoire à la carte on les retravaille au niveau du dressage.
Enquêté : C’est un dressage qui reste assez structuré nous ce que l’on fait mais avec
beaucoup de couleur, beaucoup de nature, beaucoup d’herbes aromatiques et fleurs.
Peu déstructuré.
Enquêté : Oui oui oui ! Des fois il y a des assiettes qui donnent envie de dresser d’une
certaine façon. « Tiens je dresse ma déclinaison de cochon, je changerai bien je
dresserai bien sur telle assiette parce que je la trouve magnifique ». Les arts de la table
c’est important. Que ça soit en cohérence avec la maison et avec la cuisine. Et après
l’équipe de salle c’est très très important. Il faut une équipe de salle qui se sente bien,
qui connaisse bien la cuisine. Moi je travaille avec ma mère et ma femme qui sont côté
salle. Et si je ne les avais pas de ce côté-là je suis sûr que ça marcherai moins bien. J’ai
une grande chance de ce côté-là.
Enquêteur : Est-ce que vous vous inspirez d’éléments extérieurs quand vous créez
dans vos dressages ?
Enquêté : Non pas trop, plus peut être la nature qui va me donner des envies, des idées.
Après tout ce qui est art, un peu moins. Ce n’est pas évident. Après c’est plus une
sensibilité que l’on a par rapport à des moments, des rencontres, par rapport des
produits.
Enquêteur : Vous m’avez parlez de la deuxième étoile au Michelin. C’est un gros projet.
Vous pensez devoir apportez beaucoup de changements dans votre cuisine ?
Enquêté : C’est un gros projet, mais on fait tout dans cette maison pour la voir évoluer,
l’avoir à la pointe de la technologie et avoir une cuisine assez marquée. On se sait suivi.
109
On se sait suivi par le guide assez étroitement. Mais bon maintenant... ! Doucement,
chaque chose en son temps. C’est très délicat d’en parler. Moi je ne pense pas avoir à
faire de changements. Je ne pense pas. Je pense qu’à partir du moment ils vous octroient
1, 2 ou 3 étoiles, c’est que la cuisine que l’on faisait avant correspondait à nous, à notre
maison. Il ne faut pas changer. Ça doit évoluer, forcément, on évolue toujours au fil des
années, grâce au matériel, à l’innovation, mais il faut faire sa cuisine à soi et ne pas
essayer de faire ce que font les autres. Non. C’est sa cuisine, son terroir, son histoire, et
sa sensibilité. A partir du moment où on a tous ses éléments qui marchent bien et que
l’on fait du travail de grande qualité avec une belle exécution, ben après je pense sa
coule de source. Mais tout ça c’est très délicat. Il faut avoir également les compétences
nécessaires pour les avoir, une cuisine identitaire et marquée.
Enquêteur : Comment imaginez-vous la haute cuisine et les dressages dans les années
futures ?
Enquêté : Elle a énormément évolué c’est sûr. Ensuite, nous notre ligne ça va être le
terroir basque, le côté nature. Nous ce que l’on met dans les assiettes c’est une part de
nous-même. On met un beau produit, avec un bel accompagnement et après notre
sensibilité. Il faut raconter notre histoire et elle est liée au terroir Basque, et a toute la
nature qui nous accompagne, la montagne, la mer. On n’est pas en pleine ville. Après
pour plus tard, nous on va essayer de rester dans notre terroir, notre sensibilité un peu
de la nature.
Conclusion de l’entretien
Enquêteur : J’en ai terminé avec mes questions, vous avez peut-être quelque chose à
rajouter ?
Enquêté : Non, non je ne pense pas. Enfin, je vais vous montrer un peu les plans et la
cuisine. Je vais attraper tout ça.
Le chef me montre les plans et me fait une visite guidée des cuisines en travaux ainsi
que de la propriété.
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Annexe F : Entretien N°2 Chef étoilé
Durée : 40 minutes
Phase introductive :
Enquêté : Oui alors mon parcours, moi j’avais démarré des études de médecine à
Toulouse et puis, bon comme je n’étais pas quelqu’un de très sérieux, c’était plus du
tourisme étudiant qu’autre chose. Au bout de deux ans j’ai fait deux fois la première
année et puis voilà…puis après il a fallu que je passe à autre chose et ma mère ayant un
restaurant, enfin, démarrant un restaurant j’ai commencé à travailler avec elle, puis
ensuite j’ai fait un parcours, je suis d’abord parti à Paris dans un restaurant italien, où
111
je me suis dégrossi un peu et après très vite je suis rentré dans les cuisines d’Alain
Ducasse. D’abord il m’a envoyé dans un restaurant 1 étoile Michelin, puis après j’ai
travaillé avec lui au Juana ou il avait deux étoiles Michelin. De là je suis partit chez
Michel Guérard à Eugénie-Les-Bains, trois étoiles Michelin et après je suis partit
comme second de cuisine à La Côte saint Jacques à Joigny un autre trois étoiles
Michelin. Ensuite je suis partit à Port où j’ai été Chef de cuisine, ça a été ma première.
Non, d’abord je suis parti à Saint-Tropez comme Chef de cuisine, ça a duré un an, je me
suis fait virer. Et puis ensuite je suis parti au Mas du Langoustier, sur l'ile de
Porquerolles où je suis resté 5 ans où j’ai eu ma première étoile Michelin et après j’ai
ouvert ici donc il y a vingt ans…ça va faire vingt ans en Juin. Voilà.
Enquêté : Alors oui on est sur deux étages, ici c’est un peu comme une maison, donc on
a une salle en bas, deux salles à l’étage, et on a une terrasse. Euh l’été on ne sert qu’en
terrasse… Et on y fait 50 couverts à peu près, par service, midi et soir, voilà et on tourne
à 80% de remplissage sur l’année quoi.
Enquêteur : Aujourd’hui, j’ai pu voir que vous avez plusieurs activités en dehors du
restaurant pouvez-vous me les présenter ?
Enquêté : Ben en gros, il y a le restaurant, et après j’ai une société de conseil .Je
m’occupe, enfin j’ai un autre restaurant à Barcelone aussi, le Café Emma, que j’ai en
association avec un de mes anciens qui lui est sur Barcelone, il a une étoile Michelin à
Barcelone. Et ensemble on a ouvert donc ce bistrot le Café Emma, qui est un Bistrot
tradition. Ensuite la société de conseil, je travaille avec quelques sociétés notamment
le groupe Elior, qui est un groupe de restauration collective pour lequel je suis
consultant sur l’ensemble des activités du groupe et puis on a en partenariat avec cette
même société la gestion de la salle à manger du président de Airbus Industrie, et la
gestion de la salle à manger de, euh.., du président de la Fédération Nationale des
Travaux publics à Paris. Voilà en gros pour les principales activités.
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Enquêteur : Aujourd’hui comment définiriez-vous votre cuisine ?
Enquêté : La cuisine c’est un moyen d’expression, elle doit représenter ce que l’on est,
donc c’est un euh... ma cuisine elle est, Euh…, elle doit représenter les curiosités que je
peux avoir, donc effectivement il y a des, on peut ressentir quelques influences de
certains pays, mais aussi ma culture gersoises, et plein plein d’autres choses… c’est une
expression.
Enquêté : Surprendre ! Innover, Innover, disons qu’il faut montrer que nos maisons
sont vivantes. Alors ça peut être, il y a le côté culinaire, mais pas que, il y a aussi les
lieux, les arts de la table, le service, tout ce qui forme un restaurant, tout ce qui
contribue au plaisir des clients doit être en permanence revu, améliorer, car si on ne
progresse pas, on régresse ! Donc oui, en cuisine ce n’est pas forcément de l’innovation
culinaire, par ce qu’il y a certains chef qui sont très innovant, d’autres qui sont dans le
classicisme et ça peut marcher aussi. Mais il faut que les maisons vives oui !
Enquêté : Oui, moi je peux m’en servir, mais ça c’est pas une, euh. Mais ça c’est de la
technique pure. La technique pour moi ce n’est pas le plus important dans un
restaurant ; la technique ça fais chier la technique, moi personnellement la technique
ce n’est pas ce qui me fait vibrer. Un IPhone (il regarde son IPhone), je ne suis pas en
extase devant un IPhone. Ça me sert, à faire d’autres choses. Et en cuisine je considère
comme ça, la technique sert à pouvoir justement exprimer des choses. On peut être très
bon cuisinier, sans savoir faire de la sphérification, on peut faire de la sphérification et
surprendre, mais aussi on peut faire de la sphérification et faire de la merde. Donc le
plus important n’est pas là. Chez Paul Bocuse, on fait de la cuisine qui reste très
classique, très centré sur la technique, mais sur la technique classique. Et c’est une
cuisine qui a trois étoiles Michelin.
113
Enquêteur : Etes-vous sensibles aux innovations technologiques ?
Enquêté : Oui je m’en sers, je m’en sers, j’ai un Paco jet, un thermo-mix, j’ai des une
cale/canne chauffante, des choses comme ça. C’est des outils qui existent aujourd’hui
et qui ne me permettent pas forcément d’améliorer mais d’apporter quelque chose de
différent. Mais on peut faire sans.
Enquêté : En tant que client oui il y a toujours curiosité, mais après pas pour le copier.
Après il est indéniable qu’un type comme Ferran Adria a apporté beaucoup à la cuisine,
il a apporté des nouvelles techniques, des nouvelles choses amusantes comme le
siphon, qui sont rentrés dans le panel de toutes les techniques que l’on peut avoir et
sont venus enrichir un peu toutes ses techniques.
Enquêteur : Avec le mot Art culinaire, on parle beaucoup de cuisine d’auteur, de Chefs
d’œuvres… la haute cuisine est souvent définie comme un art tel que la peinture, la
musique, etc. Considérez-vous la haute cuisine comme un art ?
Si non, pourquoi ?
Enquêté : C’est un art dans la mesure où c’est une expression. L’art c’est quoi, c’est une
expression et ça correspond à une expression de la société à un moment donné, et à ce
titre-là, vu par l’homme oui on peut considérer que c’est…une expression. La cuisine
pour moi, oui c’est une expression. On doit raconter quelque chose. Moi je raconte
quelque chose. D’autres peuvent faire une cuisine très classique. Ils peuvent refaire un
cassoulet mais ils racontent le classicisme du cassoulet, et c’est aussi raconter une
histoire
Enquêté : Oui mais alors, ça rapporterait quoi ? Oui j’ai fait un bouquin avec un peintre,
justement qui était un peu un parallèle. On voyait que l’on travaillait de la même façon.
114
Oui oui, on peut comparer, pourquoi pas. Mais il y a les vrais et les faux artistes…chez
les peintres et les musiciens aussi.
Enquêteur : A ce propos vous avez publié un livre Toques & Toiles avec Bernard Cad
Pourquoi ce livre, comment est venu cette collaboration. Et le but de ce livre ?
Enquêté : C’est la table du Mardi. Ce sont des gens qui viennent tous les mardis (il me
montre un cadre sur le mur de son bureau) et ils se trouvent qu’au milieu celui qui est
en dessous de moi avec les lunettes, est un peintre que je connaissais, m’a dit un jour
qu’il souhaiterait faire un livre, qui serait aborder comme les recettes de cuisine. Il me
dit que ça serait bien de lui faire une ou deux recettes et puis finalement il a fait une
maquette et il est allez voir une maison d’édition qui a trouvé sympa ce jumelage avec
la cuisine, ça serait bien d’avoir un livre partagé. Il est revenu me voir et nous avons
travaillez dessus. De ce livre est naît une amitié, et ce n’est pas l’inverse. Et on s’est
aperçu qu’on a les mêmes façons de travailler, si on met nos univers en parallèles ç’est
amusant. C’est comme ça que tout a démarré.
Enquêté : Et pas qu’aujourd’hui ! Pour moi l’esthétique… je préfère regarder une jolie
fille qu’une fille moche. Donc je préfère avoir une jolie voiture qu’une voiture moche,
et je préfère faire de la belle cuisine que de la cuisine moche. L’esthétique fait partie de
mon univers, je préfère avoir une belle maison, de belles assiettes et tout ça bien sûr
c’est important.
Enquêté : Il y a tous les styles ! Il y a tous les styles. Il y a des cuisines qui sont
dépouillées. Moi je pense faire une cuisine qui est assez sobre et dépouillée et je connais
des cuisiniers qui ont des assiettes beaucoup plus chargées, où la construction de
l’assiette est différente. Là encore, il n’y a pas de règle. C’est vrai que la Nouvelle cuisine
a redonné des codes, avec Michel GUERARD entre autres qui ont allégé beaucoup la
cuisine et les plats, ils ont commencé le service à l’assiette, et toute cette évolution est
115
allée vers des présentations différentes. Mais là encore, il y a de tout, j’ai des collègues
étoilés qui ont des plats, qui sont à mon avis… enfin ou le travail et la recherche
esthétique est très différente de la mienne.
Enquêteur : La photographie culinaire prend une place majeure dans les livres.
Pensez-vous que la photographie culinaire influence votre dressage ou celui des Chefs
en général ?
Enquêté : Non, si on regarde la cuisine à l’époque de Carême, Vatel, c’était des déjà des
mises en scènes terribles, ils faisaient des choses avec d’autres codes, monumentales,
mais avec un travail de précision et de recherche esthétique hyper pointilleux. Il y avait
du travail du sucre, etc. c’était une autre esthétique. On ne peut pas comparer des
Tableaux de Van Gogh et des tableaux de Pascua aujourd’hui. On a un métier qui va
toucher tous les sens. Quand le plat arrive, le premier sens qui est sollicité c’est l’œil,
après il y a l’odorat et l’ouïe avec les choses qui crépitent et tout ça par exemple. Un
plat désagréable à regarder ne va pas générer un processus de salivation et une partie
du plaisir est gâchée.
Enquêteur : Les Chefs sont souvent qualifiés comme créatifs. Qu’est-ce que selon vous
la créativité ?
Enquêté : Avoir quelque chose à raconter, et vouloir être différent des autres. Avoir
une personnalité. Ferran Adria il a une personnalité qui est hors du commun, qui n’a
pas voulu rester dans les sentiers battu, il a voulu se démarquer et à chercher pour. La
créativité ça ne s’apprend pas. C’est un état d’esprit. On a envie de faire des choses.
Enquêteur : Etes-vous le seul à créer les plats de votre restaurant étoilé ou vous
demandez à votre brigade de participer au processus de création ?
Enquêté : Tout à fait. C’est mon nom qui est écrit sur la façade et à ce titre j’estime que
c’est à moi de faire les plats. Les gens viennent chercher ce que je vais leurs donner.
116
Enquêté : Bien sûr. Ce serait triste sinon. Ça évolue comme la société évolue. Entre
l’époque où je travaillais sur la côte d’azur et maintenant ou je suis à Toulouse déjà les
géographies et territoires sont différents. Territoires de gout, territoires affectifs sont
différents. Et puis la société évolue. Et puis on a des apports de nouvelles techniques
comme nous l’avons évoqué tout à l’heure, mais aussi des découvertes quand je voyage.
Et tout ça fait évoluer ma cuisine bien sûr.
Enquêteur : Lorsque vous créez un nouveau plat, à quel moment intervient l’idée du
dressage et la façon dont sont présentés les aliments ?
Enquêté : En premier. Parce que je ne me mets pas en cuisine pour faire des
nouveautés, je me mets ici au bureau et je commence à dessiner. Je commence par faire
une architecture, parce que les gouts je les ai en tête donc je travaille virtuellement sur
des associations de goûts, après je vais faire un dessin qui va rassembler tout ça et au
final en dernier aller en cuisine et faire le plat.
Enquêté : Ce n’est pas le plus important mais j’ai besoin de le visualiser. Je l’ai en
mémoire, j’ai le goût en mémoire. Quand par exemple je pense soupe de foie gras, je
pense foie gras, je pense huîtres, je sais en goût ce que j’attends et donc je commence à
mettre en scène. Je mets en scène avec un choix d’assiettes, et je commence à faire un
dessin. C’est pas que ce n’est pas le plus important, mais c’est indissociable.
Enquêteur : Selon vous à quoi sont dues ses évolutions ? (Apparition de nouvelles
techniques, matériels : assiettes, etc...)
117
Enquêté : Vous savez il y a de la mise en scène. Il faut surprendre par la mise en scène
mais sans tomber dans l’excès. Il y en a qui font du show, Ferran Adria, c’était du show,
du très spectaculaire. Je suis assez classique, mais ça me gêne pas par exemple quand
j’ai fait cuisine sauvage et que j’étais dans les bois, il a fallu faire quelque chose mais
sans matériel. Ce n’est pas gênant non plus. Pour faire quelque chose de beau on n’a
pas besoin d’une grande batterie d’ustensiles, on peut faire les choses simplement.
Enquêteur : Est-ce que dans votre dressage les assiettes sont importantes. Avez-vous
une grande panoplie d’assiettes ?
Enquêté : Je n’ai pas une grande panoplie d’assiette, mais je fais faire des assiettes sur
mesure, pour moi. Je travaille avec une designer. Là je viens de refaire faire tout un
service pour qu’il y ait une osmose générale, qu’il y ait une unité entre le lieu, la cuisine
et les arts de la tables. J’ai travaillé avec Isabelle X avec qui on a choisi des porcelaines,
pour retrouver des axes de décoration, des axes forts que l’on retrouve dans la maison
Élargissement
Enquêté : Ah non ! Mais ça c’est un leurre. Ce n’est pas nouveau, c’est un risque qui a
toujours existé. On parlait de la Nouvelle cuisine, moi à l’époque je travaillais chez
Michel GUERARD, c’était beau et bon. C’est ce qu’on disait tout à l’heure, le premier
sens flatté c’est l’œil à la dégustation c’est naze, c’est naze. Et on oublie que c’était beau.
Et on n’est pas là pour faire de jolis pots de fleur. On est là pour nourrir les gens et leur
donner du plaisir avec l’alimentation. Donc la gastronomie c’est ça. Il y a des personnes
qui sont plus impressionnées par le beau que par le bon, mais le travail de cuisinier
c’est avant tout du gout. Le goût le goût le gout. Alors l’esthétique vient servir le gout.
Mais ce n’est pas l’inverse. C’est le goût qui est au centre de notre métier. L’esthétique
vient autour, l’esthétique on va la mettre avec les arts de la table et le dressage et
l’environnement qui va y avoir autour. Et c’est le risque. Les mauvais cuisiniers se
trompent parce qu’ils axent sur l’esthétique.
118
Enquêté : Oui et je pense que c’est très différent entre la peinture et la cuisine. D’abord
le peintre n’est plus là pour en parler. Nous, si c’est un art, c’est un art éphémère mais
on est toujours là, à proximité pour en parler. Pour moi l’intitulé du plat doit pour moi
raconter un peu l’histoire du plat et tout ce qu’il y a dedans. De manière à ce que les
convives puissent choisir en sachant exactement ce qu’il y a. Après on essaye d’avoir
quelque d’harmonieux.
Enquêté : Je suis un peu tout. Je suis un peu un entrepreneur, je suis chef d’entreprises,
j’ai 30 personnes à gérer ici, j’ai du business à droite, à gauche donc ça c’est de
l’entreprise. Je suis Chef cuisinier parce que le cœur de mon métier c’est un restaurant
deux étoiles Michelin où je suis et où j’impulse des valeurs et ou je fais une cuisine. Il y
a un peu de tout. Je fais aussi de la télé. C’est un ensemble de chose qui fait ce que je
suis aujourd’hui. Je sais que tout vient de là, de cette Maison et de mon travail de
cuisinier. C’est mon point de départ.
Enquêteur : J’en ai terminé avec mes questions. Avez-vous quelque chose à rajouter ?
Enquêteur : Au revoir,
119
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES
BEAUGÉ Bénédict, Plats du jour. Sur l’idée de nouveauté en cuisine. Paris, Éditions
Métaillé, 2013, 344 p.
BECKER, Howard Saul. Les mondes de l'art. Paris : Flammarion, 1988, 382p.
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CASTRA Michel, sous la dir. de Paugam Serge. Les 100 mots de la sociologie. Paris :
Presses universitaires de France, coll. « Que Sais-Je ? », 2010, 127p.
CHAMPION, Caroline. Hors d'œuvre: essai sur les relations entre arts et cuisine.
Gallardon, Menu fretin, 2010, 159p.
120
CHATEAU, Dominique. La question de la question de l’art, note sur l’esthétique
analytique. Paris, PUV, 1994, p.71.
DROUARD, Alain. Histoire des cuisiniers en France: XIXe-XXe siècle. CNRS, 2004, 145.p
DUBAR, Claude. La crise des identités. L'interprétation d'une mutation. Paris : PUF (Le
lien social, VII), 2000, 239p.
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LAPLANTINE, François. Son, images et langage. Anthropologie esthétique et subversion,
Paris : Beauchesne, 2009, 202p.
PÉQUIGNOT, Bruno. Sociologie des arts. Série domaines et approches. Armand Colin,
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RIBAUT, Jean-Claude. Voyage d'un gourmet à Paris. Paris : Calmann-Lévy, 2014, 328p.
122
THESES OU MEMOIRES
ARTICLES ACADEMIQUES
CSERGO Julia. L'art culinaire ou l'insaisissable beauté d'un art qui se dérobe. Quelques
jalons (XVIIIe-XXIe siècle), Sociétés & Représentations, 2012/2 n° 34, p. 13-36. [En
ligne]. Disponible sur http://bit.ly/1xOYVzv. (Consulté le 04-01-2015).
DEDEIRE Marc and TOZANLI Selma. Les paradoxes des distances dans la construction
des identités alimentaires par acculturation. Anthropology of food. Décembre 2007, [En
ligne]. Disponible sur : http://bit.ly/1Ff3HTV . (Consulté le 20-03-2015).
123
TABLE DES MATIERES
1. La gastronomie ..................................................................................................................... 10
124
1.2. Métissage ......................................................................................................................... 47
2. Outils à disposition.............................................................................................................. 75
125
2. Analyse documentaire ....................................................................................................... 81
2.2. Ressources....................................................................................................................... 81
2.3. Méthode............................................................................................................................ 82
126
127
RESUME
Depuis l’avènement du courant de la « Nouvelle cuisine » les plats proposés par les
Chefs étoilés ont considérablement évolué vers une primauté de l’esthétique. Ce
mémoire de recherche s’intéresse principalement à l’esthétique dans l’art culinaire
français. Il propose dans un premier temps une genèse de « l’art culinaire », permettant
de comprendre les transformations des relations entre l’art et la cuisine dans une
perspective historique. Il pose ensuite les bases du concept d’esthétique, afin
d’identifier dans quelle mesure ce concept s’intègre dans l’art culinaire. Enfin, autour
de trois hypothèses, ce mémoire s’interroge sur la construction de l’esthétique visuelle
des Chefs dans la haute cuisine française.
SUMMARY
Since the advent of the current "New Cuisine" the dishes proposed by starred chefs
have evolved considerably towards primacy of aesthetics. This research dissertation is
mainly concerned with aesthetics in French cuisine. It offers initially a genesis of
"culinary art" for understanding the transformation of the relationship between art
and cuisine in a historical perspective. He then laid the foundations of the aesthetic
concept to identify how this concept fits into the culinary arts. Finally, around three
hypothesis, this dissertation examines the construction of the visual aesthetics of the
Chefs in French haute cuisine.