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Le logement en Algérie : programmes, enjeux et tensions

Safar Zitoun Madani


Dans Confluences Méditerranée 2012/2 (N°81), pages 133 à 152
Éditions L'Harmattan
ISSN 1148-2664
ISBN 9782296994058
DOI 10.3917/come.081.0133
© L'Harmattan | Téléchargé le 24/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.201.94.253)

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Dossier Variations

Safar Zitoun Madani


Professeur de sociologie, Université Alger 2

Le logement en Algérie :
programmes, enjeux
et tensions
Cet article aborde l’analyse de la question du logement en
Algérie sur la longue durée, de l’indépendance du pays à
nos jours. Il montre à travers la convocation de nombreux
travaux de recherche de terrain inédits comment s’est
mis en place et a été entretenu par les divers pouvoirs
politiques en place, le « pacte patrimonial » de la
décolonisation. Ce dernier nourrit et alimente encore
aujourd’hui à la fois les stratégies des différentes catégories
de populations bénéficiaires de ses retombées en terme
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d’accès aux rentes urbaines et les nouvelles pratiques de
gestion du front social par la distribution gratuite des biens
résidentiels cristallisant la rente pétrolière de la part des
autorités publiques.

L
’hypothèse que suggère l’examen de l’évolution sur le long
terme de la question du logement dans le pays, depuis
l’indépendance en 1962, tourne autour de l’idée que cette
dernière recouvre une dimension sociétale globale, dépassant de
très loin la dimension technico-administrative dans laquelle on a
voulu la circonscrire. Il semble bien en effet que le logement, et les
autres biens résidentiels, dans leur dimension patrimoniale comme
biens économiques, c’est-à-dire comme objets de transaction éco-
nomique mais aussi dans leurs dimensions symboliques comme

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objets de représentation, aient tendance à occuper dans la société


algérienne d’aujourd’hui une place considérable. Autant dans les
années post-indépendance qu’à l’heure actuelle, ils condensent les
termes essentiels du pacte patrimonial noué autour de la question
du partage du « butin de guerre » immobilier et foncier colonial.
Les recherches que nous avons menées sur le sujet, depuis une
vingtaine d’années, montrent au niveau de l’analyse macro-sociolo-
gique des faits de distribution de ce patrimoine à travers les diverses
métamorphoses de la politique de l’habitat, notamment à travers
l’opération « cession des biens de l’Etat » instituée en 1981, puis le
faux processus de désengagement de l’Etat de la production rési-
dentielle négocié en 1990. Au niveau micro-sociologique, l’étude
des représentations et des pratiques des acteurs de base, les citoyens
ordinaires, révèle que l’accès aux biens résidentiels est au centre
des stratégies de promotion sociale et d’accumulation patrimoniale.
Pour forcer le trait, on peut dire que l’ensemble du système social
algérien construit après l’indépendance s’est structuré autour de
stratégies de perfectionnement de l’accès à ces biens, dans la mesure
où ils constituent les formes cristallisant par excellence les rentes
découlant de la détention du pouvoir politique : rentes urbaines tout
d’abord ayant concerné les « biens-vacants » hérités de la période de
la décolonisation, rente pétrolière ensuite dans les phases les plus
récentes d’embellie financière ayant succédé à la période de rétrécis-
sement des ressources pétrolières des années 1990.
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Le propos de cette contribution consiste non seulement à
décrire l’évolution des programmes depuis l’accession du pays à
la souveraineté nationale, mais à essayer de comprendre la nature
des enjeux sociaux, économiques et politiques qui se cachent
derrière la mise en œuvre de ces derniers. Ceci de manière à
mieux comprendre les tensions générées par la mise en place
des politiques d’habitat, qui se caractérisent par une constance
paradigmatique dans leur esprit et leur fonctionnement. C’est en
effet surtout l’histoire de la mise en place d’un théâtre d’ombres
et de fausses solutions de libéralisation et de « régulation par le
marché » que nous racontent les différentes péripéties et l’ajuste-
ment des politiques d’habitat. Derrière les nouveaux mécanismes
et dispositifs de traitement marchand de la question du logement
se révèle, en effet, la constance d’un modèle de distribution des
biens spatiaux qui n’a pas réussi sa mutation annoncée depuis les
réformes libérales initiées dans les années 1990. L’Etat continue à

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jouer le rôle central de producteur quasi monopoliste des rentes


urbaines, par le truchement des dispositifs administratifs de sélec-
tion des bénéficiaires de cette manne, parce que les conditions
socio-économiques n’étaient pas propices à son retrait de la scène
économique et sociale, mais peut-être aussi et surtout, parce qu’il
n’a pas réussi à mettre en place les conditions politiques de neutra-
lisation des filières de distribution informelles des rentes urbaines
au sein de son propre appareil.
Ceci explique, d’une part, les référents de légitimation des popu-
lations émeutières revendiquant une part du « gâteau patrimonial »
que sont censées détourner et s’approprier les puissants, les « per-
sonnes bien placées » et d’autre part, le maintien d’une opacité
régalienne dans les procédures de distribution de ces biens, comme
le souligne le rapporteur spécial des Nations Unies 1.

Un pacte patrimonial
La situation exceptionnelle d’un point de vue historique, créée
par le départ massif des résidants d’origine européenne des villes
et des campagnes algériennes entre mars et octobre 1962, a pro-
duit une situation de vacance inattendue du parc immobilier qui
a pris de cours les autorités politiques nouvelles installées dans la
capitale. Elles ont paré au plus pressé, c’est-à-dire essayé de prendre
en charge cette situation de vacance juridique de ces biens, qui
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furent rapidement nommés « biens vacants », mais qui n’était pas
du tout une situation de vacance résidentielle. La première tâche du
nouveau gouvernement fut donc de gérer le contentieux juridique
créé par l’occupation généralisée par les Algériens, toutes couches
sociales confondues, du « butin de guerre » immobilier et foncier
(les domaines agricoles) par l’adoption d’une série d’ordonnances
nationalisant ce parc 2. La prise en charge juridique de ce parc des
« biens-vacants » mit cependant un certain temps à se mettre en
place. Ce ne fut qu’avec l’Ordonnance N° 66-102 du 06 mai 1966,
soit près de quatre années après l’indépendance, que la propriété
définitive de ces biens fut dévolue à l’État, option qui fut réaf-
firmée par une autre ordonnance promulguée le 02 Juin 1967 3.
Auparavant, s’étaient succédé une série de décrets et d’ordonnances
précisant la notion de « vacance » et confiant de manière provisoire
leur conservation et leur gestion aux autorités locales, sans préjuger
pour autant de leur sort juridique.

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Parallèlement et dans le même contexte conservatoire et provi-


soire, le nouveau Gouvernement algérien prit des mesures particu-
lières concernant la réglementation des transactions immobilières
entre particuliers qui avaient pour objectif de calmer la « fièvre
immobilière » qui s’était emparée des Algériens. Parmi ces der-
nières, citons celles du 23 octobre 1962 qui soustrayaient les biens
vacants du marché libre, par la définition d’un droit de préemption
de l’État sur toutes les ventes les concernant, celles du 20 janvier
1964, qui tout en reconnaissant la liberté des transactions dans le
secteur privé, introduisaient des limitations à l’accumulation spécu-
lative de ces biens 4, et enfin, celles relatives à l’obligation de présen-
tation du fameux « certificat de vacance », très difficile à obtenir.
Ces mesures jouèrent un rôle dissuasif et calmèrent rapidement la
frénésie immobilière et échangiste.
Le résultat le plus probant de cette reprise en main par l’État du
secteur immobilier fut bien la légalisation des faits établis, de ces
« coups partis » historiques qui fondèrent pour les décennies à
venir le contenu du pacte patrimonial de la décolonisation du
fait de :
1°) La reconnaissance de la licéité, par procédure rétroactive, des
transactions marchandes, souvent à des prix dérisoires, qui s’étaient
opérées avant l’indépendance, du début de la guerre de libération
nationale à août 1962 ;
2°) La reconnaissance et la consolidation juridique du droit
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d’occupation - non-marchande cette fois-ci - par l’installation pure
et simple des ménages algériens dans les logements abandonnés par
leurs propriétaires ;
3°) La dévolution à l’Etat de la propriété de ces biens, qui se
retrouve donc du jour au lendemain propriétaire d’un parc immo-
bilier considérable.
Il existe peu d’études et d’évaluations chiffrées sur l’importance
de ces phénomènes au niveau national. Le recensement de 1966
apporta cependant les premiers éléments de réponse concernant
la structure juridique du parc immobilier dans les différentes villes
d’Algérie, confirmant la prépondérance de l’Etat comme proprié-
taire immobilier dans les grandes agglomérations à population
européenne majoritaire du nord du pays (Oran, Annaba, Alger,
etc..). Dans la ville d’Alger, le nouvel État devenait le principal pro-
priétaire immobilier, mais il n’avait pas une connaissance très pré-
cise de l’étendue, de la nature et de l’état de ses biens. Il n’existait

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pas en effet d’organisme spécialisé de collecte, de traitement et de


gestion des données émanant de ce parc 5.
A partir de divers recoupements, Maria Sgroï-Dufresne 6 a pu
cependant estimer avec exactitude l’état du parc logements exis-
tant en 1966, incluant aux effectifs recensés un volet de logements
ayant « disparu » des statistiques à cause de leur reconversion en
bureaux 7. Elle relevait les ordres de grandeur suivants : près de
70 % des logements appartenaient désormais à l’État, cette propor-
tion étant plus élevée (75 %) pour les communes périphériques qui
hébergeaient l’essentiel des « pavillons de banlieue » construits par
les Européens dans la décennie précédant l’indépendance. Mais
cette répartition cachait le poids considérable du parc public dans
les arrondissements centraux de forte qualité urbaine : près de
85 % des biens vacants y étaient en fait concentrés. Ce furent donc
plus des deux tiers des habitants de la ville d’Alger et de sa périphé-
rie qui devinrent locataires des biens de l’État, et a fortiori, la wilaya
(préfecture) d’Alger se retrouva du jour au lendemain confier la
gestion de près de 133 000 logements alors qu’elle ne disposait
que de moyens humains et matériels très réduits. Car le poids de
la gestion des Biens-Vacants reposait en effet sur elle en premier
chef : son service des biens de l’Etat gérait le plus gros du parc
(65 %) contre 25 % pour les Sociétés Immobilières publiques et
parapubliques de statut français reconduites dans leurs fonctions 8
(OPHLM, CIA, etc…) et 10 % pour les autres administrations et
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entreprises publiques ayant la charge de leurs propres propriétés.
On comprend mieux dans ces conditions à la fois le formi-
dable mouvement de promotion résidentielle des Algériens, toutes
couches sociales confondues, qui accédèrent à des conditions de
confort résidentiel qu’ils ne connaissaient pas dans leur grande
majorité, ayant été cantonnés jusqu’alors dans leurs quartiers
« musulmans » de piètre qualité et dans les bidonvilles périphé-
riques, mais également combien les conditions non-marchandes
d’accès à ces biens ont joué un rôle prépondérant dans la construc-
tion du contrat patrimonial liant les bénéficiaires de ce processus à
l’Etat propriétaire. Quarante années après, à l’occasion d’enquêtes
réalisées en 2006 auprès de populations algéroises qui étaient res-
tées en marge de ce processus, cet épisode est évoqué pour légiti-
mer la demande à plus de justice et d’équité dans la répartition des
« fruits de l’indépendance ». Beaucoup de ménages se remémorent
avec beaucoup de regrets leur naïveté et leur honnêteté qui les avait

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empêchés des faire « comme les autres » 9, c’est-à-dire squatter les


logements abandonnés par les Français.
On comprend également à travers la particularité de ce proces-
sus la naissance à la fois du « mythe » des Biens-Vacants qui allait
fournir, jusque vers les années 1970, l’argument aux autorités
publiques de se passer d’une politique de l’habitat, et la fonction de
neutralisation du « front urbain » que ce mythe a joué dans la phase
« révolutionnaire » et socialisante en direction du monde rural ins-
taurée par le président Boumedienne dans les années 1970, avec la
« révolution agraire » et ses « mille villages socialistes ». L’analyse
de l’évolution de la doctrine en matière de politique urbaine des
autorités politiques en cette période montre qu’elle ne fut qu’une
sorte de sous-produit dérivé de l’idéologie socialiste adoptée par
le parti au pouvoir, doctrine qui se construisit en quelque sorte
dans le mouvement même de la transition, pour donner un sens
et idéologiser des processus objectifs qui échappaient totalement
à son emprise. Au fur et à mesure que l’État algérien se constituait
un véritable empire immobilier de fait, il produisit, après coup, les
textes et règlements juridiques d’encadrement de son action ainsi
que leur justification idéologique.
On ne trouve, en effet, aucune trace dans la doctrine politique
du nouvel État, ni dans la Charte de Tripoli de juin 1962 ni dans
celle d’Alger de 1964, les montages et nombreuses décisions
d’étatisation concernant le problème des Biens-Vacants, sinon
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indirectement par le biais de la problématique de la propriété
sociale des moyens de production 10. Mais, sous l’influence de son
Secrétaire Général et Président de la République, l’orientation
« socialiste » s’affirma progressivement et les biens immobiliers
furent considérés au même titre que les autres biens écono-
miques. Lors du Congrès du F.L.N. du 16 au 21 août 1964, les
principes de la nationalisation des principaux moyens de produc-
tion et de la « construction d’une économie socialiste » furent
affirmés 11. Les mesures conservatoires concernant les Biens-
Vacants, et qui visaient avant toute chose les milliers d’entre-
prises et d’exploitations agricoles abandonnées par leurs patrons
européens, furent prises tout d’abord parce que l’on craignait
qu’elles ne tombent entre les mains des « profiteurs de guerre »
et des « bourgeois ». Et de la même manière, « le libéralisme
abstrait véhiculé par les couches moyennes et certains intellectuels » 12
fut-il dénoncé de manière péremptoire et justifiait, a fortiori,

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Le logement en Algérie : programmes, enjeux et tensions

la nationalisation pure et simple des logements. Car la contre-


révolution pouvait venir non seulement de la « bourgeoisie »,
mais aussi de ces « couches moyennes » nommément citées qui
constituaient, paradoxalement, le gros des effectifs de la nouvelle
administration et du Parti.
Dans ce contexte, après la neutralisation du front urbain
consolidée par un dernier train de mesures d’allègement des
loyers des appartements appartenant au secteur public, (qui
d’ailleurs n’étaient perçus qu’à hauteur de 35 %), on peut
considérer la politique des « mille villages socialistes » lancée
en 1972 dans la foulée de la « Révolution Agraire » et les autres
programmes et lois initiés par la suite (à savoir essentiellement
l’Ordonnance portant Constitution des Réserves Foncières au
profit des Communes du 20 février 1974 et la circulaire portant
création des Z.H.U.N. de décembre 1975) comme des textes ne
faisant que pousser jusqu’à ses limites extrêmes le paradigme
d’un Etat planificateur fort de sa position monopolistique sur
l’urbain et le foncier. Après l’ordonnance portant révolution
agraire de 1971 qui verrouillait ce qui restait du marché foncier
libre en milieu rural, vinrent les dispositifs inclus dans le texte
portant Réserves foncières Communales qui, en instaurant le
monopole des municipalités sur toutes les transactions foncières
à l’intérieur des périmètres d’urbanisation, cadenassaient ce qui
restait d’initiative libre sur le foncier urbain. L’Etat détenait plus
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que jamais dans l’histoire récente du pays les clés permettant,
certes l’annulation du verrou foncier ayant pour fin la planifica-
tion, mais surtout la mise en place de filières de captation des res-
sources spatiales qu’il détenait désormais, aux catégories sociales
fonctionnant à l’intérieur des appareils de pouvoir.
L’ensemble des lois, règlements d’urbanisme et institutions
héritées de la période coloniale comme le code de l’urbanisme
français « étendu à l’Algérie » en 1960 et ses procédures de lotisse-
ment (Z.U.P., Z.A.C., etc.), les organismes d’encadrement comme
la C.A.D.A.T. (Caisse Algérienne d’Aménagement du Territoire)
et autres organismes de promotion et gestion immobilière publics
ou parapublics (O.P.H.L.M, C.I.A., etc.) 13 furent abrogés, de même
que fut « algérianisée » l’institution municipale, dans une direction
résolument socialiste. Le Code Communal de 1967 lui enlevait en
effet une partie de ses prérogatives d’urbanisme, les transférant aux
ramifications locales de l’appareil administratif.

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A l’orée de la transition présidentielle opérée en 1979, suite au


décès du président Boumedienne, l’Algérie se trouvait à la croisée
des chemins : ou bien continuer sur la lancée de l’option du tout
Etat dans le domaine de l’habitat, option qui commençait à générer
des problèmes structurels importants, ou alors s’engager dans une
réforme contrôlée du système, non pas par son ouverture politique,
mais par un aménagement dans un sens moins rigoureux de son
fonctionnement.

Les années 1980 : faire de l’Algérie


un pays de propriétaires
La nouvelle direction politique du pays, elle-même issue de la
négociation de rapports de forces entre les différents cercles de
décision, apporta avec elle un certain nombre de solutions éco-
nomiques et sociales qui étaient censées traiter les causes des dys-
fonctionnements, des incohérences et des rigidités en matière de
développement social issus de la décennie précédente.
En matière d’habitat, les choses évoluèrent très vite : le tabou
du caractère intangible de la propriété collective du « butin de
guerre » immobilier tomba le premier. Sous la devise « pour une
vie meilleure », le Congrès Extraordinaire du Front de Libération
Nationale, qui s’est réuni le 15 juin 1980, fixa les grandes lignes
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d’une orientation moins « austère » et plus consommatoire (satis-
faction des besoins sociaux) de la politique économique. Le thème
de « l’accession à la propriété d’un logement familial » devint le leitmotiv
de la politique gouvernementale. Il justifie à la fois la mise en place
de nouvelles formules d’intéressement des citoyens au financement
de la construction (Épargne-logement, auto-construction, etc.) et
l’opération de « liquidation » des biens de l’État 14. Car l’objectif
primordial était clairement défini : faire de l’Algérie une société
non pas de locataires, mais de propriétaires. Exit la rhétorique socia-
lisante développée par les gouvernements précédents sur le danger
« contre révolutionnaire » de la propriété privée du logement,
d’ailleurs largement battu en brèche par les dispositifs des réserves
foncières communales qui permettaient l’accès à des lots en toute
propriété aux fins de construction résidentielle.
La loi 81/01 portant cession des biens de l’État fut donc promul-
guée le 7 février 1981 15, soit vingt années après la prise de possession

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Dossier Variations
Le logement en Algérie : programmes, enjeux et tensions

à titre provisoire, puis ensuite définitive, des « biens vacants » laissés


par les Français 16. Elle constitua un tournant majeur dans l’histoire
urbaine du pays par ses retombées en termes de restructuration
des statuts de propriété du parc hérité de la phase de décoloni-
sation, mais surtout en termes de redéploiement des dynamiques
de patrimonialisation privative de ce parc. Derrière les arguments
« économiques », « sociaux » et même « culturels » avancés par
ses initiateurs, en l’occurrence : 1°) La nécessité d’éponger le
déficit énorme accumulé au fil des ans au niveau de la perception
des loyers dont le taux de perception calculé sur les dix dernières
années n’excédait pas la moyenne des 35 % ; 2°) L’urgence de se
débarrasser d’un patrimoine immobilier devenu très lourd et oné-
reux à gérer et à entretenir ; 3°) Derrière le devoir de satisfaire le
goût de la population pour la propriété privée de la résidence fami-
liale principale se profilaient des enjeux patrimoniaux beaucoup
plus intéressants et intéressés pour les élites politiques au pouvoir :
entériner de manière définitive les positions de rente acquises par
la détention du pouvoir.
Il serait fastidieux de revenir sur l’évolution du dispositif de
« Cession des Biens de l’Etat », qui connut des ajustements succes-
sifs, en fonction des pressions et des enjeux d’intérêts souvent consi-
dérables qui étaient en jeu. Rappelons simplement que dans les
deux premières années après la promulgation de la loi, l’ambiguïté
de certaines des dispositions qu’elle contenait furent à l’origine du
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peu de succès rencontré par la formule, et ce malgré les conditions
très avantageuses proposées par l’État. Ainsi donc, si du côté des
couches populaires logées quasi-gratuitement depuis des décen-
nies par l’État, l’opération avait été interprétée essentiellement
comme une manœuvre, un subterfuge visant à récupérer les retards
« décennaux » accumulés dans le recouvrement des loyers, du côté
des « spéculateurs » et des « capteurs de logements » tapis dans
les rouages de l’État, c’était plutôt la clause d’incessibilité de cinq
années après l’achat qui posait un gros problème 17, sans parler de
la multitude de cas « irréguliers » que l’application de la procédure
risquait de dévoiler au grand jour (sous-location, ventes sous seing-
privé, etc.). Ce furent ces pressions souvent contradictoires émanant
de groupes sociaux aux intérêts divergents qui furent à l’origine des
différents amendements et autres modifications qui furent apportés
progressivement à la loi au fur et à mesure de son application sur
le terrain.

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Algérie, 50 ans après

La loi du 4 février 1986 18 arriva à point pour traiter tous les cas
réglés au coup par coup par arrêtés ministériels depuis 1981. Elle
consista principalement en : i) La levée de la clause d’incessibilité de
cinq années : les biens pouvaient désormais être revendus immédia-
tement après leur acquisition ; ii) L’élargissement de la cession aux
« locaux de grande surface à usage commercial, artisanal ou industriel » ;
iii) L’ouverture de la possibilité d’accès aux biens de l’État aux per-
sonnes morales (Sociétés, organismes privés) et non plus aux seules
personnes physiques et enfin ; iv) Une définition plus restrictive de la
notion de « logement de fonction » contribuant à libérer une partie
conséquente du parc public des contraintes précédentes.
On constate à cet égard que ce furent essentiellement les disposi-
tions anti-spéculatives et anti-patrimonialistes, c’est-à-dire celles qui
soustrayaient à la cession des portions importantes du patrimoine
de l’État et celles qui empêchaient leur valorisation immédiate par
le marché qui furent levées les premières. Ainsi, par exemple, « Les
membres du parti, les fonctionnaires et agents de l’État, des collectivités, des
entreprises et des organismes qui, en raison de leurs obligations profession-
nelles sont appelés à résider dans une localité suffisamment éloignée du lieu
de leur résidence principale ou à occuper un logement de fonction tel que
déterminé par la réglementation en vigueur » qui n’étaient déjà pas sou-
mis à la condition « d’occupation permanente du logement » 19 dans les
dispositions initiales pour postuler à son acquisition furent donc les
mieux servis par la nouvelle donne juridique. Ils pouvaient désor-
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mais acquérir, en plus de leur résidence principale, si elle faisait
partie des biens de l’État, un « logement de fonction » sis dans leur
lieu de résidence principale et éventuellement les autres logements,
« de fonction » toujours, attribués lors de leurs pérégrinations pro-
fessionnelles dans d’autres zones du pays.
Ces dispositifs étaient d’autant plus intéressants qu’ils permet-
taient aux nouveaux acquéreurs de réaliser immédiatement sur le
marché les fruits de ces mécanismes de captation légale des biens
immobiliers : les différentes enquêtes de terrain menées dans les
années 1980 montrent que les plus values, les profits générés par
la vente de ces biens sur le marché, qui découlaient de la grande
différence existant entre les prix d’achat sous-évalués fixés par voie
administrative et les prix de vente sur le marché libre oscillaient
entre 10 et 30 fois la mise de fonds initiale.
Ceci explique aisément le succès de l’opération, malgré l’évalua-
tion négative faite par les autorités qui escomptaient céder la totalité

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Dossier Variations
Le logement en Algérie : programmes, enjeux et tensions

de tout le patrimoine étatique à ses occupants dans l’intervalle de


dix années qu’elles s’étaient fixées pour l’achever. En 1989, sur les
463 607 locaux mis en vente sur toute l’étendue du territoire national,
303 446 dossiers d’acquisition, soit 65,5 % du total avaient été finali-
sés, le reste des occupants (35 % de l’ensemble) n’ayant pas formulé
le désir d’acquérir le logement qu’ils occupaient. Malgré tous les
« assouplissements » et autres « facilités » accordées, une proportion
importante des occupants des biens de l’État ne se décidait pas à
acheter. Comment qualifier cette population que l’on ne pouvait
considérer comme « résiduelle » car englobant plus du tiers des occu-
pants ? Comme une catégorie de résidents insolvables, de « mauvais
citoyens », de « profiteur » ? Toutes les hypothèses furent retenues par
le Ministre de l’Urbanisme, de l’Aménagement du Territoire et de la
Construction de l’époque qui ne retint pas sa déception et sa colère
dans une interview à la presse : pour les insolvables, il s’agissait « coûte
que coûte de concrétiser le principe de l’accession à la propriété familiale [car] le
citoyen doit y trouver son compte » quitte pour cela à « trouver de nouveaux
prix [de cession] » La menace de sanctions « économiques » pour les
citoyens qui désiraient demeurer locataires est brandie : « il faut dans
ce cas payer le prix : les loyers seront réétudiés parce que, en plus du fait qu’ils
sont bon marché, ils ne sont pas dans tous les cas recouverts. Il y a nécessité
d’un rééquilibrage. Le citoyen doit se décider : ou bien acheter son logement, ou
bien payer le prix réel du loyer. » 20
Paradoxe donc d’une opération de « mise en propriété », d’une
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marchandisation du patrimoine étatique où ce n’étaient pas les
vrais profiteurs de l’opération, c’est-à-dire ceux qui engrangeaient
les plus values tirées de leur vente, qui étaient ciblés, mais plutôt
les locataires des biens publics restés, pour des raisons diverses,
mais surtout parce qu’ils ne pouvaient payer les arriérés décennaux
de loyers défalqués des prix de cession, captifs de leurs conditions
sociales modestes et de leurs passifs auprès des organismes publics
gestionnaires. Paradoxe aussi d’une réforme de la politique de
l’habitat incohérente qui n’a, en fait, touché que l’aval du système
distributif mais pas l’amont, à savoir les mécanismes de répartition
des logements restés fondamentalement inchangés.
En effet, tant du point de vue du foncier urbain, qui continuait
à être géré et distribué dans le cadre de l’Ordonnance portant
Réserves Foncières Communales, que du point de vue de l’habitat
collectif public produit par l’Etat distribué administrativement,
sous la forme de quotas alloués aux employés d’un secteur public

143
Numéro 81  Printemps 2012
Algérie, 50 ans après

tentaculaire, les dispositifs formels et informels de distribution


n’avaient pas connu de réforme notoire. On se retrouve, ainsi, à la
veille des manifestations de 1988, qui préparèrent le terrain à la révi-
sion constitutionnelle de 1989, en présence d’un modèle construit
autour d’une situation de tension insoutenable entre les tenants
d’une libération mercantile et spéculative du parc immobilier
d’une part et les populations captives de leurs conditions, otages du
« pacte patrimonial » de la décolonisation d’autre part.
Certes, l’Algérie était devenue entre-temps un pays de proprié-
taires : le taux d’Algériens locataires de leurs logements étant passé
de 70 % à l’indépendance à 22 % en 1987 (RGPH 1987), mais sans
grandes avancées en termes de règlement du problème de l’évasion
locative dans le parc public (75 % des locataires continuaient à ne
pas payer leurs loyers) et en termes de restructuration du système
de production et de distribution résidentielle, encore très fortement
dominé par l’Etat.

Les réformes récentes : une tentative


inaboutie de désengagement de l’Etat
Avant même la mise en œuvre du PAS (Plan d’Ajustement
Structurel) de 1994, la décennie 1990 fut sans conteste celle des
réformes. Elles furent initiées dans une tentative de débarrasser la
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sphère de l’habitat des scories de l’ancien système : le verrouillage
de l’initiative privée. La doctrine de l’Etat algérien en matière de
logement fut complètement reconfigurée à partir de 1990, avec
la promulgation de la Loi 90-25 portant Orientation foncière qui
constitua le texte fondateur de retour à la norme libérale, c’est-à-
dire à la liberté des transactions immobilières et foncières aban-
donnée en 1971. Ce texte ouvrit la voie à une batterie de textes
législatifs qui allaient refonder l’ensemble de la politique urbaine
algérienne, depuis les instruments d’urbanisme jusqu’aux normes
de construction, en passant par une réforme complète du système
de production résidentielle.
Certes, le droit à un logement décent pour le citoyen fut maintenu
dans la nouvelle constitution de 1989, mais il fut progressivement
assorti de conditions d’éligibilité sociale, qui préparèrent le terrain
à des conditions plus restrictives de bénéfice de l’aide de l’Etat. La
politique d’habitat social fut complètement reconfigurée dans le

144
Numéro 81  Printemps 2012
Dossier Variations
Le logement en Algérie : programmes, enjeux et tensions

sens de son adéquation avec le nouveau dispositif d’aide sociale


qui devait se conformer désormais aux standards internationaux
d’action sociale, visant à autonomiser ce dernier de la sphère de
l’économique dans lequel il était en grande partie cantonné aupa-
ravant. Les entreprises d’Etat 21 qui distribuaient des aides diverses
consistantes, dont « l’aide au logement », et qui redistribuaient ces
derniers à travers un système de « quotas », se délestèrent de cet
aspect au profit de nouvelles institutions et dispositifs externes.
A cet effet, la Caisse Nationale du Logement (CNL) créée en
1991, reçut la mission de gérer et de distribuer, à partir de 1994, la
nouvelle formule d’aide directe au logement, appelée Aide à l’Accès
à la Propriété (ou AAP) à partir du FONAL (Fonds National d’Aide
au Logement), aide intégrée dans les montages de financement
des trois nouvelles formules de logement social instituées : les loge-
ments dits « évolutifs » intégrés dans les opérations de Résorption
de l’Habitat Précaire (RHP) de 1998 à 2002, le Logement Social
Participatif (LSP, devenu depuis 2010 LPA ou Logement Public
Aidé) et le logement dit « Rural » . Notons que cette aide ne figure
ni dans la nouvelle formule dite de « Location–Vente » (ou pro-
gramme AADL) destinée aux couches moyennes que leurs niveaux
de revenus excluaient du bénéfice des trois premières formules ni
dans la formule dite « Logement Social Locatif » financée à 100 %
par l’Etat qui reconduisait l’ancienne formule d’habitat administré
unique financé sur concours définitif du Trésor Public. Nouvelle
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doctrine de ciblage de la demande, issue des réformes initiées après
le PAS, reposant ainsi sur le principe de la segmentation de l’offre
résidentielle publique en fonction des capacités de financement des
ménages, c’est-à-dire en fonction de leurs revenus et nouvelle dyna-
mique de redéploiement du secteur, assurée à la fois par la mise en
place de subventions indirectes et de nouveaux dispositifs formels
de distribution.

145
Numéro 81  Printemps 2012
Algérie, 50 ans après

Tableau n° 1 : Types de programmes de logements et critères d’éligibilité et de finan-


cement des ménages

Types Niveau Aide à l’Accès à la Bonification des crédits


de programmes de revenus propriété (ou AAP) à la construction ou à
des ménages l’achat (depuis 2010)
Logement + 12 SNMG Pas d’AAP Pas de prêt bonifié
PROMOTIONNEL 12 X SNMG
Programme 11 X SNMG
LOCATION VENTE 10 X SNMG Prêt bancaire bonifié à
AADL 3%
9 X SNMG
8 X SNMG
7 X SNMG
LOGEMENT PUBLIC 6 X SNMG AAP de 400 000 DA
AIDÉ 5 X SNMG Prêt bancaire bonifié
(ex LOGEMENT à 1%
SOCIAL 4 X SNMG AAP de 600 000 DA
PARTICIPATIF) 3 X SNMG
LOGEMENT PUBLIC 2 X SNMG AAP de 700 000 DA
LOCATIF SNMG
(ex. : LOGEMENT
SOCIAL LOCATIF)

Cinq types d’aides principales (en excluant l’AAP et les aides


actuellement peu significatives telles que l’exonération fiscale des
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bénéfices réalisés sur la construction ou la promotion) furent, en
effet, accordées pour soutenir les investissements en logement,
la plus grande part bénéficiant aux programmes publics : 1°) La
subvention du prix du terrain à travers un abattement de 80 % sur
les terrains publics vendus pour des projets de logement sociaux ;
2°) La subvention de la viabilisation différant selon les programmes
entre un taux de 50 % avec un plafond de 50 000 DA par logement
pour les programmes LSP, à 100 % pour les programmes Locatif
social et Location-Vente, et 75 000 DA par logement pour le pro-
gramme RHP ; 3°) La subvention directe de la dépense de construction
locative sociale couvrant la totalité des coûts de construction du
Locatif Social ; 4°) La subvention de la Location-Vente, par une subven-
tion actuarielle consentie aux bénéficiaires qui ont l’option d’étaler
le paiement de 75 % du prix du logement sur 20 ans, sans intérêt.
Enfin, 5°) La réduction de la TVA (à 7 % au lieu du taux normal de
14 %) pour toutes les constructions de logements publics.

146
Numéro 81  Printemps 2012
Dossier Variations
Le logement en Algérie : programmes, enjeux et tensions

Le tableau 2 tiré d’une étude réalisée pour la Banque Mondiale


en 2003 récapitule la manière dont se sont répercutés sur le terrain
en 2002, les effets de la mise en œuvre de cette batterie de dispo-
sitifs d’encouragement à la construction. On y remarque parado-
xalement que la formule Location-Vente, destinée aux couches
moyennes (dont les revenus dépassent six fois le Salaire national
net garanti (SNMG) a été relativement bien servie par la seule inté-
gration des subventions indirectes. Il permet de constater que la
part relative du financement impartie à l’Etat par type de formule
cache de fortes disparités en termes de montants dépensés par l’Etat
par unité de logement. Les pouvoirs publics dépensent quatre fois
plus d’argent par logement Location-Vente que par unité d’habitat
évolutive RHP.

Tableau n° 2 : Répartition de la dépense entre l’Etat et les bénéficiaires

Formule Dépense de l’Etat Dépense Etat Dépense Ménages


(DA/logement)
Location vente 2 243 000 69 % 31 %
Locatif social 1 086 000 100 % 0%
LSP 781 000 44 % 56 %
RHP 656 000 75 % 25 %
Source : Rapport Banque Mondiale Comby-Horenfeld 2003

Au niveau des dispositifs de distribution, les choses semblent


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évoluer vers plus de formalisme et de transparence : en 1993, sont
fixées, par voie de décret 23, les conditions d’attribution des loge-
ments financés par l’Etat, corrigées en 1998 par le décret 98-42 24
mettant en place les Commissions Communales d’Attribution de
Logements qui sont censées sélectionner les bénéficiaires à travers
un barème de points établi en fonction de leurs conditions de vul-
nérabilité socio-économique, en attendant la mise en place d’un
fichier national des attributaires de logements sociaux, concocté
pour éviter les doubles, voire les multiples attributions dans des
wilayas différentes.
Une « boucle vertueuse » est ainsi censée être amorcée, destinée
à mettre fin aux critiques de mauvais ciblage des demandeurs de
logements, à la gestion non-économique du parc, par un effort de
recouvrement des loyers dont les taux sont corrigés en 1997 25 mais,
surtout, par la remise du fardeau de la distribution des logements
sociaux aux municipalités élues, en place et lieu de l’administration.

147
Numéro 81  Printemps 2012
Algérie, 50 ans après

Un effort considérable d’injection de ressources budgétaires est


consenti à partir de 1999, très laborieux au départ, mais rapide-
ment boosté par l’embellie financière apportée par l’accroissement
des ressources pétrolières à partir de 2002. L’offre résidentielle
publique est marquée par une forte hausse mais elle est tirée essen-
tiellement par l’augmentation considérable des aides AAP destinées
au logement rural.
Il y a lieu, certes, de noter que cet effort de remise en ordre
du secteur de l’habitat, dont nous n’avons esquissé que certaines
dimensions essentielles, a apporté une amélioration certaine dans
les conditions générales d’habitat, puisque les Taux d’Occupa-
tion par Logement (T.O.L.) connurent entre 1998 et 2008 une
baisse sensible, passant de 6,3 à 5,8, mais, semble-t-il, sans grande
contrepartie au niveau du desserrement de la crise du logement.
Le nombre de logements sociaux locatifs livrés chaque année, qui
oscille entre 35 000 et 52 000 unités reste apparemment en deçà des
besoins exprimés par les populations ciblées, quelque que soit leur
catégorie de classement administratif. A moins que le problème se
situe ailleurs que dans cette équation arithmétique entre demande
et offre de logements.

Malgré ces avancées, le pacte patrimonial


perdure…
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L’examen de l’évolution d’un certain nombre d’autres indica-
teurs non physiques cette fois-ci, mais plutôt d’ordre plus structurel,
révèle que malgré toutes ces avancées, le système reste miné par des
contradictions structurelles et déchiré par des tensions profondes
qui montrent qu’il n’a pas su se réformer.
En premier lieu, la « moralisation » des procédures d’attributions
qui avait incité le gouvernement à suspendre en 2005 la clause
de cessibilité des logements sociaux, cession qui avait tendance à
encourager les pratiques de captation des logements à la source par
des fonctionnaires indélicats, ne fit pas long feu. Elle fut rétablie
en 2007 et sous les mêmes arguments et prétextes qui avaient été
utilisés dans les années 1980 : le poids considérable de l’évasion des
loyers, tare structurelle du système résidentiel public, qui obérait le
budget de l’Etat. Les données fournies par le Ministère de l’Habitat
en 2006 et 2007 sur le taux de recouvrement des loyers par les Office

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Numéro 81  Printemps 2012
Dossier Variations
Le logement en Algérie : programmes, enjeux et tensions

de promotion et de gestion immobilière (PGI) laissent en effet


perplexes : 30 années après les évaluations faites par le ministère de
l’Habitat concernant la proportion considérable des loyers non per-
çus qui avoisinaient en 1983 les 70 %, les choses n’avaient pas évolué
dans un sens plus positif. Les bilans fournis par les OPGI montrent
des taux de recouvrement moyen au niveau national, toutes wilayas
confondues, de 32,81 % en 2006 et de 35,48 % en 2007. De la même
manière, les taux de recouvrement de l’opération cession des biens
de l’Etat restent à des niveaux modestes au niveau national : 36,9 %
en 2006 et 38,9 % en 2007 (avec cependant des différences sensibles
selon la taille des agglomérations), laissant penser que les locataires
du secteur public préfèrent loger gratuitement dans les logements
produits et distribués par l’Etat, que de passer au statut de « proprié-
taire », cette situation n’empêchant pas d’ailleurs la pratique de la
sous-location et de la vente des « pas de porte ».
Il semble aussi et en deuxième lieu, que le pari, ou plutôt le rêve
entretenu par les pouvoirs publics de se « débarrasser », par le dis-
positif d’accès à la propriété, du poids encombrant d’entretien du
parc immobilier par le truchement de la mise en place de syndics
de copropriétaires d’immeubles collectifs et des sociétés de gestion-
naires de biens, n’ait pas été accompli. La quasi-totalité des nou-
veaux copropriétaires, à quelques exceptions près, semble comme
par un accord tacite, s’être entendue pour ne pas s’organiser en ce
sens, laissant à l’Etat le rôle ingrat de responsable de la gestion et de
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l’entretien des parties communes. D’où l’effort considérable d’injec-
tion de ressources budgétaires consenti par ce dernier depuis 2009
pour requalifier et réhabiliter les grands ensembles d’habitat col-
lectif et les quartiers centraux des grandes agglomérations du pays,
pourtant passés dans leur grande partie dans le statut de propriété
privée, n’appartenant plus juridiquement parlant à la collectivité
publique.
En troisième lieu, les statistiques officielles de livraisons attestent
que les réformes libérales initiées depuis 1990 n’ont pas réussi à
enclencher une dynamique de production résidentielle soutenue
par le biais de la promotion privée, permettant d’éponger la
demande des couches sociales considérées comme « favorisées »,
éjectées des dispositifs de classement officiels. Dans un contexte
de rareté de la ressource foncière dans les grandes agglomérations
du pays et en raison du monopole de fait de l’Etat sur sa plus
grande part, se maintiennent des blocages au niveau de son accès,

149
Numéro 81  Printemps 2012
Algérie, 50 ans après

qui font la part belle aux stratégies de mobilisation des ressources


informelles.
Enfin, et pour donner une image plus complète des tensions
existantes dans le système de l’offre résidentielle, il faut souligner
l’effet pervers créé par le dogme officiel de l’accès au logement par
la propriété : l’inexistence d’une politique d’encouragement, d’inci-
tation et de protection de la location, qui aurait permis de mettre
sur le marché un parc considérable de logements inoccupés gelés
par leurs propriétaires (plus d’un million de logements recensés
en 2008) et d’éponger la demande pressante des jeunes ménages
en formation. Le dogme quasi sacralisé de la propriété privée du
logement instauré dans les années 1980, contribue plus que jamais
à rigidifier l’offre résidentielle et par là même, à entretenir la crise
du logement.

En guise de conclusion
A travers l’examen de l’essentiel des grands tournants qu’a eu à
négocier le pays en matière de politiques d’habitat depuis l’indépen-
dance, à travers aussi le constat de la récurrence quasi-quotidienne
des « émeutes du logement » que vit le pays ces cinq dernières années,
malgré l’effort considérable d’injection de ressources publiques dans
le domaine de l’habitat, on comprend mieux la nature du dilemme
fondamental dans lequel se trouve le pays : comment parvenir à sortir
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du cercle vicieux du « pacte patrimonial de la décolonisation ». Il
s’avère qu’après moult réformes et reconfigurations de ses modalités
d’intervention, de ses méthodes de financement et de montage de
projets d’habitat faisant appel à la « participation » financière des
ménages, l’Etat ne parvient pas à se désengager de son image et de
son rôle de distributeur de rentes et de bienfaits sociaux gratuits. Le
pacte implicite noué autour de la distribution du « butin de guerre »
colonial continue à distiller ses effets structurels sur l’ensemble des
pratiques des acteurs. Tant que la mécanique de redistribution des
rentes restera très fortement inégalitaire et opaque, investie par des
logiques de captation des biens résidentiels, l’ensemble de la société
civile récipiendaire des logements continuera à présenter un profil
bas d’usufruitière à titre gratuit de la manne résidentielle publique
financée par la rente pétrolière.
Le retour en puissance de l’Etat dans la production résidentielle,
son réengagement direct dans la distribution des logements depuis

150
Numéro 81  Printemps 2012
Dossier Variations
Le logement en Algérie : programmes, enjeux et tensions

2009, par le délestage des APC élues de cette tâche, confiée à des
commissions présidées par les chefs de daïra (sous-préfets) dans le
but proclamé de rendre beaucoup plus transparents et équitables
ses actes de puissance publique « au dessus de la mêlée », c’est-à-dire
« au dessus des clientélismes et des pratiques de passe droit » n’a apparem-
ment pas réussi à calmer les aigreurs citoyennes.
La question centrale qui se posera avec acuité dans les années
suivantes reste la même que celle qui a été à l’origine des réformes
: comment trouver les moyens d’asseoir une politique d’habitat
qui mette à contribution, de manière équitable et transparente
l’ensemble des acteurs sociaux ? Jusqu’à nouvel ordre, c’est la rente
pétrolière, cette ressource extra-sociale qui a payé la note du gâchis
considérable dans la dilapidation des ressources patrimoniales. Mais
après le pétrole ?.... ■

Notes

1. « Rapport présenté par Raquel Rolnik, Rapporteuse spéciale sur le logement


convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur
le droit à la non-discrimination à cet égard », Additif , Mission en Algérie, réf.
A/HRC/19/53/Add.2, Conseil des Droits de l’Homme de l’Assemblée Générale
de l’ONU, Genève, 26 décembre 2011, 20 pages.
2. De l’ordonnance du 7 septembre 1962 portant « Protection et gestion
des biens vacants » à l’ordonnance n° 66-102 du 6 mai 1966 transférant la
propriété de ces “biens vacants” à l’Etat.
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3. Ordonnance N° 67-83 du 02 Juin 1967.
4. J.O.R.A.D.P. du 26 octobre 1962.
5. Ce n’est qu’en 1980 que fut mis en place un organisme spécial de ce type
au niveau de la Wilaya d’Alger.
6. Sgroï-Dufresnes Maria : « Alger 1830-1984 : Stratégies et enjeux urbains »,
Ed. Recherches sur les Civilisations, Paris, 1986 tiré de sa thèse : « La politique
urbaine à Alger : continuité et ruptures », Thèse de IIIe cycle, Université de
Paris 1, 1983.
7. Op. Cit. pp. 348-361.
8. O.P.H.L.M., Compagnie Immobilière Algérienne (C.I.A.), La M.A.F.A.L., Le
Logis Algérois, etc.
9. Voir notre rapport de synthèse de l’enquête réalisée dans le cadre du projet
de recherche PRUD « L’entre deux des politiques sociales et des pratiques
habitantes » 2006-2009, dirigé par F. Navez-Bouchanine et l’article : 2011 (1) :
« Les quartiers marginaux à l’épreuve du développement durable : quelques
leçons sur l’expérimentation de projets dits “participatifs” dans les villes
algériennes » in Expérimenter la ville durable au sud de la Méditerranée.
Chercheurs et professionnels en dialogue, Barthel P.-A. et Zaki L. (dir). Editions
de l’Aube, coll. Villes et Territoires, pp. 255-281.
10. La Charte de Tripoli préconise seulement que le Parti « doit prendre des
mesures urgentes pour loger dans des conditions décentes les populations

151
Numéro 81  Printemps 2012
Algérie, 50 ans après

éprouvées par la guerre, tout en parant aux nécessités immédiates, reconstruire


dans le cadre d’un plan élaboré en fonction de leur réintégration dans le circuit
économique... » in : Annuaire de l’Afrique du Nord, 1962, p. 702.
11. Dans son Rapport au Congrès, le Président BEN BELLA justifie les décrets
concernant les Biens-Vacants comme mesure « devant empêcher le transfert
des biens abandonnés par les Français aux gros propriétaires fonciers algériens,
à la bourgeoisie nationale et aux profiteurs de guerre. [ces mesures étaient
destinées] à empêcher cette couche de s’enrichir davantage, d’élargir sa base
économique et par conséquent, d’accroître sa puissance politique. », A.A.N.
1964, p. 550. Par ailleurs, les termes de « socialiste » de « Révolution
socialiste » inexistants dans le Programme de Tripoli, font irruption dans
le vocabulaire politique officiel. Mais le socialisme algérien n’est pas
« scientifique » : il est musulman et « adapté à la réalité algérienne ».
12. Expression du Président Ben Bella contenue dans son Rapport au Congrès
d’Alger. In A.A.N. Op. Cit. pp. 548-568.
13. Par la loi de décembre 1962.
14. Le terme officiel arabe « takhalli » est plus proche sémantiquement du
terme « liquidation » que de celui de « cession » en langue française. Il
évoque une opération de transfert à titre non-onéreux, ce qui n’est pas le cas
de son équivalent français à connotation plus commerciale.
15. JORADP du mardi 10 février 1981.
16. De l’ordonnance du 7 septembre 1962 portant « Protection et gestion des
biens-vacants » à celle N°66-102 du 6 mai 1966 transférant leur propriété à
l’État.
17. Article 27 de la loi N° 81/01, in JORADP du 10/02/1981, p. 1985.
18. Loi N° 86/02 du 4 février 1986 modifiant et complétant la loi 81/01 du
7 février 1981.
19. Décret N° 81/44 du 21 mars 1981 fixant les « Modalités et conditions de
cession des biens immobiliers à usage d’habitation, professionnel, commercial
ou artisanal de l’État, des collectivités locales, des OPGI et des entreprises,
établissements et organismes publics », Article 3.
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20. Conférence de presse de M. Nourani, Ministre de l’Aménagement
du Territoire, de l’Urbanisme et de la Construction in El Moudjahid du
30/05/1988. (C’est nous qui soulignons).
21. L’entreprise publique économique algérienne devint, en cette époque
de Gestion Socialiste des Entreprises, le lieu par excellence où se nouait le
Contrat Social entre pouvoir politique et société civile et devenait le relais par
lequel transitaient l’assistance et l’action sociale de l’Etat.
22. Rapport Comby-Horenfeld, Banque Mondiale, décembre 2003.
23. Décret n° 93-84 portant conditions d’attribution des logements financés
par les fonds du Trésor Public ou garanties par lui.
24. Décret n° 98-42 du 1er février 1998 fixant les modalités d’accès aux
logements publics locatifs à caractère social.
25. Décret 97-506 du 21/12/1997 fixant les règles applicables aux loyers.

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Numéro 81  Printemps 2012

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