You are on page 1of 116

A UTHOR:

GOETHE, JOHANN
WOLFGANG VON
TITLE:

LE SERPENT VERT;
CONTE SYMBOLIQUE
PLACE:
PARIS
DA TE:
1922
r

Association for Information and Image Management


00 Wayne Avenue, Suite 1 1 00
1 1

Silver Spring. Maryland 20910

301/587-8202

Centimeter
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 mm
iiii

Inches
12
m|Miilii|ilii|ilil
|
llim lMMLilmiljiiil|^

1.0
3

1
^-^
4 5

2.2
^ 3 6

2.0
lA
l.l V, ^

1.8

1.25 1.4 1.6

MRNUFfiCTURED TO PIIM STANDARDS


BY APPLIED IMAGE. INC.
•^'^.^

r -(
CSOTCRICil
GOETHE
LE SEPPENT
VERT

JP /% « I 5;

Maoi^ii-K
n X m: V o v
I
v/^Ro Ry5.5
1 r. > ^W
JF»#vii- -ta

e
/^'

ï^:..
GX'^i'a vmip
Columiita WirAtittHit^
in tte Citp of ^to l^orb
LIBRARY

GIVEN BY

a::3
LE

SERPENT VERT
• "%

{i

i
I-

'(

i
I

OUVRAGES DU TRADUCTEUR
>

\ r

Les 22 Clefs Kabballstlques du Tarot resti-

tuées à leur pureté idéographique sur les indica-


tions de Stanislas de Guaita, 1889. Série de com-
positions symboliques dessinées et coloriées,
d'après les plus anciens jeux de cartes.

Rituel Interprétatif pour le grade d*Apprentl,


1893, 1 vol. in-8».

L'Imposition des Mains et la Médecine phl-


losoptiale, 1897, 1 vol. in-18. La première par-
tie de cet ouvrage a été traduite en hollandais et

en allemand.

Le Symbolisme hermétique dans ses rapports


avec TAlchimie et la Franc-Maçonnerie, 1909
1 vol. in-8".

La Franc-Maçonnerie rendue Intelligible à


ses adeptes, 1894-1921, 3 vol. iu-i6. — L Le
Livre de l'Apprenti. — 11. Le Livre du Compa-
gnon, — III. Le Livre du Maître.
Les Signes du Zodiaque. Leur symbolisme ini-
tiatique, 1921, 1 vol. in-8\

Le Poème d*lshtar. Mythe babylonien approfondi


dans son ésotérisme, 1922, 1 vol. in-8«.
GŒTHE

LE

SERPENT VERT
Conte symbolique traduit et commenté
par

OSWALD WIRTH •

Piéf»ce par ALBERT LANTOINE

TROISIÈME ÉDITION

PARIS;
AUX ^ÉDITIONS DU MONDE NOUVEAU
42. BOULEVARD RASPAIL, 42

GŒTHE 1922
p.
GCETH E

LE

SERPENT VERT
Conte symbolique traduit et commenté
par

OSWALD WIRTH
Préface par ALBERT LANTOINE

TROISIÈME ÉDITION

PARIS
AUX ÉDITIONS DU MONDE NOUVEAU
42. BOULEVARD RASPAIU 42

GŒTHE 1922

Va
\ ,^P:
!•>

JUSTIFICATION DU TIRAGE I

», *w

; %i

II A
ixé TIRÉ DB
^
CET OUVRAOB :

DIX BXBMPLAIRB8 SUR


PAPIBR DU JAPON, NUMé-
ROTÂS DB 1 A 10 QUARAlfTB
;

BJEBMPLAIRBS SUR PAPIBR DB HOL-


PRÉFACE
LAROB, RUMÉROTés DB 11 A 50 ;

CBMT BXBMPLAIRBS SUR PAPIBR PUR PIL


DBS FAPBTBRIBS LAFUMA, IfUMéROXis DB
51 A 150 BT TROIS CBNT CINQUARTB
BXBMPLAIRBS SUR PAPIBR BULKY
YBROé, NUMÉROTÉS DB 151 A 500,
CBS CINQ CBNTS BXBMPLAIRBS
CONSTITUANT AUTHBNTI-
QUBMBNT L'ÉDITION
ORIOINALB DU
8BRFBNT
VBRT.

i
Du temps lointain où je débutais dans les
Lettres par des études sur les Romantiques,
fai gardé dans ma mémoire ce mol de Théo-
phile Gautier sur Gérard de Nerval :
« Un des premiers il traduisit Faust, et le
Jupiter de Weimar^ lisant cette version qui
estun chef-d'œuvre^ dit que jamais il ne s'était
si bien compris. »
Pourquoi n'ai-je pas oublié cette phrase ?
Parce que sa signification ne m'était pas ap-
parue. Je la sentais lourde de sens, mais mes
vingt ans ne savaient pas encore que la pen-
sée d'un homme peut dépasser les limites de
sa propre intelligence.
Que de fois entendons-nous dire avec iro-
nie : € Ce critique q u i analyse cette tragédie de
Racine y découvre des beautés auxquelles le
poète lui-même n'a peut-être pas songé» »
C'est ne pas se rendre compte que la lettre ne

A
PRéFACB
PREFACE 9

limite pas V esprit et oublier la vertu mysté-


germaniques, et où il semble que Von voit
rieuse de ce qu'on est convenu d*appeler Vlns-
parfois danser Vénus avec Titania.
piralion. Toute idée a des résonances multi-
ples^ et notre vision ne doit
Comment me reconnaîtrais-] e par exemple
pas se borner à
dans le conte que voici sans le fil d'Ariane que
son décor.
Les commentateurs avisés d'^un philosophe
me tend complaisamment M. Oswald Wirth?
n'aident pas seulement le public à compren-
dre son idéologie^ ils la lui révèlent à lui- « »
même.
Voyez Goethe! Je n'ai pas la prétention,
Gœlhe-Wirth. Certes il ne sied pas de don-
même dans quelques mots, d'étudier son œuvre,
ner à V alliance de ces deux noms un sens
ma tâche devant se borner à présenter au pu-
analogique qu'elle ne doit pas avoir. Mais
blic Véclaireur subtil de sa pensée. Mais^sans
ce dernier, comment ne me perdrais-je pas f imagine —
comme une scène de Faust le —
blanc patriarche de Weimar penché sur le
dans celte œuvre si riche et si touffue, à la-
visage ascétique d'Oswald Wirth et écoutant
quelle se pourrait appliquer si justement ce
d'une oreille attentive l'ingénieuse interpré-
vers d'Albert Samain :
tation de ses rêves. D'ailleurs les Allemands
eux-mêmes ne s'étonneraient pas de ce rap'
Cest la forêt da Songe et de l'Enchantement.
prochement. pas actuel-
Ils savent qu'il n'est
lement de chercheur plus expert que M. Wirth
Forêt pleine de soleil et d'ombre, mais dans l'étude des symboles. Il est le grand dé-
d^une ombre qu'on sent aussi pleine de lu- chiffreur des hiéroglyphes^ des nombres et des
mière, forêt oii la clarté du paganisme grec pantacles où des sages prudents ont jadis dis*
se marie au symbolisme obscur des croyances simulé aux Barbares les richesses de leur in

l'I
10 PREFACE
PREFACE 11

telligencé. Il dévoile aux prêtres qui Vont intelligence lucide. Pour voir clair en autrui
oublié et aux francs-maçons qui ne Vont ja- ilfaut être soi-même débarrassé de toute souil-
mais su le mystère inclus dans Vésotérisme lure morale. La clairvoyance de
Ceux que la
de leurs gestes. gratitude populaire a sanctifiés n'avait
pas
En France, Oswald Wirlh compte aussi des d'autre source que la pureté de leur
existence.
admirateurs^ mais chez nous toute réputa-
tion d'occultiste ne va pas sans inspirer quel-
Emerson —
ce croyant qui s'est approché du
panthéisme de Gœthe avec une inquiétude
Il y a eu —
que méfiance.
— trop de charlatans
et il ya encore^ hé- éblouie — devine Wirth lorsqu'il écrit :
l^s! qui ont prostitué Tout esprit qui ne veut pas se mentir^ à
«
le Grand Œuvre pour V exploitation de misé- force de droiture... peut résoudre toutes les
rables crédulités.
difficultés comme le soleild'été fond les nues. »
Mais M. Oswald Wirth, malgré les sylla- Wirth estpossédé comme son maître de la
bes cabalistiques de son nom^ est un sorcier
« sympathie universelle ». Moi qui suis
au
moderne. Le tarot n^est pas un jeu de cartes fond un misanthrope qui souffre de la lai-
«n
biseautées dans les mains de ce grand hon- deur humaine, j'admire avec humilité cet
nête homme. Celte présentation paraîtra trop homme qui s'en accommode. Il n'en souffre
élogieuse —surtout à M. Wirth lui-même pas, lui, parce qu'il la domine. Il regarde les
— au sujet de ce petit livre où il n'a pu don- erreurs sans s'en indigner , uniquement préoc-
ner toute la mesure de sa € divination ». Mais cupé d'être le nautonier —
le Passeur du
n'oublions pas que M. Wirth est V auteur du conte — pour qui les écueils
sont peut-être
Livre du Maître, e^j^'e tiens k redire ici ce que des jalons utiles pour aborder à la vérité.
Il
j^ écrivais de lui a
propos de la publication sait que les maux participent à l'enchaîne-
de son Symbolisme hermétique :
ment des choses, des êtres et des événements,
Cest Vélévation de son âme qui fait son et que ce sont les pauvres petites lueurs
épar-

IM
PREFACE 13
n PREFACK

rêve inaccessible de Vun, l'autre le fait des-


ses qui finissent par produire une grande cendre des nues parmi la terre, V
inspiré doit
lumière. à son interprète le respect qui s'attache à son
Ce spiritualiste qui accomplit des miracles
Verbe.
ne fait pas sourire mon scepticisme impéni-
tent. Toute beauté soit physique soit morale C^est de la sagesse de son Prophète qu'est
m'emplit d'une émotion sacrée. Et tel le mé- faite la grandeur d'un Dieu,
créant qui instinctivement se découvre dans
Albert L Antoine.
un temple oit des consciences égarées sont
venues chercher asile^ je salue ce songeur
qui^ quoique ou parce que détaché de toute
religion dogmatique, est le plus religieux des
hommes.
k *

Lisez ce conte. Sans la traîne lumineuse du


Serpent vert et sans la Lampe du vieillard Je
suivrais les Feux Follets ou je m^égarerais
dans la féconde obscurité du Fleuve et du
Jardin magique.
Sans Oswald Wirth je marcherais comme
un aveugle derrière Vimagination de Goethe,
Aussi paradoxale que puisse paraître celte
affirmation, je dis que le disciple est aussi
utile que le Maître. Jean complète Jésus, Le

j —
AVANT-PROPOS
^
X.

ANS Tœuvre d'un penseur aussi


prodigieux que Gœthe rien ne
saurait être insignifiant. Tout
n'y est cependant pas d'un égal
attrait littéraire. Le poète semble avoir été
préoccupé de ne rien laisser perdre et de con-
server à la postérité ses vues sur les sujets
les plus variés ; ainsi naquirent des recueils
dénués de cette unité si chère à notre esthé-

tique gréco-latine. Les Années de voyage de


Wilhelm Meisler rentrent dans cette catégo-
rie, de même que
les Entreliens d'émigrés
allemands^ qui, rédigés en 1795, prennent
leur point de départ dans les événements de
l'époque, puis fournissent àGœthe l'occasion
d'attribuer aux interlocuteurs qu'il met en
scène des récits de faits étranges rentrant
dans domaine du psychisme.
le

Mais en guise de couronnement, et comme

, .
18 AVANT-PROPOS AVANT-PROPOS 19

pour remercier le lecteur de ne pas s'être Gœthe n'a pu


bénéficier de cette double per-
laissé rebuter, le grand artiste a voulu lui sonnalité mais le génie créateur l'emportait
;
offrir un joyau ultra-précieux, qui n*a son
franchement chez lui sur l'intuition spécula-
pendant dans aucune littérature.
tive,qui no prit sa revanche que dans l'ex-
Il s'agitd'un conte merveilleux à tous les trême vieillesse. Il nous a laissé des énigmes
points de vue, qui n'a pu être conçu que sous
splendides, qui s'imposent à notre admira-
l'influence de ce somnambulisme spécial, au- tion, mais dont le mot ne nous a pas été
quel Gœthe attribuait lui-même la production livré. Gœthe pudeur de sa pensée
avait-il la
de ses plus purs chefs-d'œuvre. Tandis qu'il intime ? Croyait-il devoir laisser énigmatique
formait ses phrases d'après les images qui se
ce qu'il lui répugnait d'expliquer ? Toujours
présentaient devant son esprit, l'écrivain ne
est-il qu'il est constamment resté muet
quant à
s'attardait certes pas à se demander le sens l'ésotérisme de ses œuvres à sens voilé. Le
des symboles qu'il avait mission de fixer.
symbole ouvre une fenêtre sur l'infini. La
Peintre, il ne songeait qu'à extérioriser sa
pensée n'arrive jamais à en saisir toute la
vision intérieure, en la rendant fidèlement,
portée.Gœthe, très certainement, s'en rendait
sans la troubler par la recherche intempes-
compte, d'où son ironie à l'endroit des tenta-
tive d'un ésotérisme profond.
tives d'interprétation de son symbolisme.
La divination du sens caché des œuvres Je n'ai pas la prétention de révéler tout ce
d'art ne rentre pas, en effet, dans les attri-
que Gœthe a voulu taire ; mais, comme à tant
butions normales de l'artiste. Il faut que d'autres, le génial poète m'a énormément
celui-ci doublé d'un philosophe, d'un
soit
donné à réfléchir. Faust et Wilhelm Meîster
abstracteur de quintessence, pour que, a pos-
avaient surtout fourni matière à mes efforts
teriori^ il puisse discerner toute la portée des
d'exégèse ; mais, jusqu'à ces dernières années,
symboles dont il s'est servi. Nul mieux que j'ignorais le conte symbolique du Serpent Vert,

J
20 AVANT-PROPOS
AVANT-PROPOS 21

dulations de sa voix harmonieuse au milieu


Le texte m'en fut communiqué, fin 1908,
par le D"^ Garl Lauer, qui avait lu dans VAca- d'un groupe d'amis. Le crépuscule poétisait la

mon scène mais voici que surgissent deux étu-


cia, étude intitulée : Un Symbolisme in-
;

diants, qui, riant aux éclats, se font traverser


quiétant *. M'attribuant un don particulier
pour le déchiffrement des énigmes, ce savant
par un vieux passeur, dont la cabane s'élevait

occultiste voulut bien m'adresser Vlllaslrirte


au bord de la rivière. Les étourdis s'amusent
à faire vaciller la barque et plaisantent le no-
Zeitung du 4 décembre 1902, où j*ai pu lire
le conte le plus fascinant que je connaisse.
cher qui les exhorte au calme.
Le symbolisme en est complexe et je n'ai Tel serait le grain de réalité qui, tombé
pu l'interpréter, de prime abord, que dans ses dans l'imagination du poète, y aurait fait éclore
grandes lignes. Puis, j'ai longuement médité, le merveilleux récit que je me suis appliqué

me demandant le sens des détails, en m'ai- à traduire littéralement. Il ne fallait pas son-

dant d'une très remarquable dissertation du ger à en donner un résumé, car aucun détail
n'y est oiseux : tout s'y tient, tout y a sa rai-
professeur D*" August Wolfstieg, de Berlin,
parue dans le numéro de janvier 1912 des son d'être et sa signification.
Monatshefle der Comenius-Gesellschaft fur Le prince Constantin de Weimar s'évertua,
Kultur nnd Geisteslehen, nous dit-on, à démêler le sens mystique de ce
conte, auquel Goethe n'a donné aucun titre
Cet auteur nous montre Goethe se prome-
nant un soir le long de la Saale,aux environs particulier, comme s'il avait entendu en faire
son conte par excellence. Le fait est que la clef
d'Iéna, tandis que, sur la rive opposée, une
de tout un côté de la symbolique de Goethe
dame vêtue de blanc faisait entendre les mo-
nous est très probablement fournie par cette
fable, qui réserve le plus beau rôle à certain
1.Cette étude a été reproduite dans Le Symbolisme
serpent vert.
hermétique^ p. 43 à 74.

<
22 AVANr-PHOPOS

A
ce titre, Tessai d*interprétation que
j'en
ai risqué trouvera grâce, j'espère, aux
yeux
des amateurs de vérités cachées, non moins
que ma traduction, littérairement si
indigne
de Toriginal sorti de la plume du
plus admi-
rable écrivain des temps modernes *.

0. W.

1. Une Iraduclion de ce conte avait paru


dès 1910 I
dans tome VII, p. 423 et suivantes, des
le
de Gœthe traduites par Jacques
Œuvrei LE SERPENT VERT
Porchat et publiées I

par la Librairie Hachette.

1
g»iMi

lUR la berge du large Fleuve,


qu*une forte pluie avait enflé et
fait déborder, se dressait une
cabane, où, accablé par la fatigue
du jour, le vieux passeur dormait profondé-
ment. Au milieu de la nuit, il fut réveillé
par des appels, et, comprenant que des voya-
geurs demandaient à passer Teau, il se hâta
de sortir.
Au-dessus de sa barque attachée au rivage,
il vit alors flamboyer deux grands Feux Fol-
lets, qui affirmèrent être très pressés et con-
trariés de ne pas se trouver déjà sur la rive
opposée. Sans perdre de temps, le vieillard se
hâta de démarrer, puis dirigea sa barque à
travers le courant avec toute Tadresse qui lui

I

était coutumière. Dans une langue inconnue,


ses passagers échangeaient des sifflements avec
une extrême volubilité, tout en poussant, par
f ï

26 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 27

intervalles, de bruyants éclats de rire, ce que nous avons


sans semé en nous secouant.
arrêter de sauter çà et là, tantôt sur
les bords — Alors, vous m'infligez la corvée de ra-
et les bancs, tantôt sur le
fond de la nacelle. masser votre or pour aller l'enfouirdans le
—La barque vacille cria le vieillard, et si
! 8oI, répartit le vieux, tout en se courbant et en
vous vous agitez ainsi, vous allez nous recueillant les pièces brillantes une à une dans
faire
chavirer I Allons, lumières, asseyez-vous son bonnet.
I

A cette recommandation, ils partirent d*un Les Feux Follets venaient de sauter sur le
grand éclat de rire, se moquèrent du f rivage, lorsque le vieux leur cria : Et mon
vieillard
et s'agitèrent plus encore
qu'auparavant. Le péage ?
vieux batelier supporta patiemment
toutes les — Qui refuse n'a qu'à travailler gra-
l'or
impertinences et ne tarda pas à toucher terre. tuitement, répondirent Feux Follets.
les
— Voilà pour votre peine I s'écrièrent alors — Sachez qu'on ne peut me payer qu'en
les voyageurs, et, tout en se secouant, ils firent fruits de la terre I

tomber dans la barque humide bon nombre — Les fruits de la terre ? Nous les dédai-
de brillantes pièces d'or. gnons et n'y avons jamais goûté.
— Au nom du ciel, que faites-vous là ? gé- —
Tant pis, car je ne puis vous lâcher tant
mit alors le vieillard. Vous avez donc juré ma que vous n'aurez pas promis de me livrer
perte Iune seule pièce d'or était tombée
Si trois choux, trois artichauts et trois gros oi-
dans l'eau, le
Fleuve, qui ne peut souffrir gnons.
ce métal, se serait soulevé en masses Les Feux Follets essayèrent de s'esquiver
énormes
pour m'engloutir avec ma barque. en badinant, mais ils se sentirent retenus
Quant à au
vous, je me demande ce qui vous serait sol d'une manière incompréhensible.
advenu. Jamais
Reprenez donc votre or ! ils n'avaient éprouvé rien d'aussi désagréable.
— Nous ne pouvons rien reprendre de Ils promirent donc de satisfaire très prochai-
28 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 29
nement aux exigences du passeur. Celui-ci
leur rendit la liberté, puis repoussa sa barque Dès que l'or fut englouti, il procura au Ser-
dans le courant. Il était loin déjà, lorsque les pent une sensation délicieuse en se dissolvant
«

Feux mirent à le rappeler


Follets se Eh :
dans ses entrailles, pour se répandre ensuite
vieux Écoutez-nous
! Écoutez-nous, vieux
! I
dans tout son corps. A son immense joie, la
Nous avons oublié le plus important !
Couleuvre constata qu'elle était devenue trans-
Mais il était trop éloigné pour les entendre. parente et lumineuse. De longue date, on lui

Il venait de se laisser entraîner le long de la avait annoncé que ce phénomène était possi-

rive, en vue d'atteindre une région monta- ble, mais il lui restait des doutes quant à sa
gneuse, où il pourrait enfouir Tor périlleux durée. La curiosité, non moins que le désir
en un lieu que Teau ne risquait jamais d'at- de s'assurer pour l'avenir la possession de la
teindre. Il trouva, en effet, entre de hauts lumière, poussèrent donc la couleuvre à quit-
rochers une énorme crevasse où il déversa le ter la crevasse afin de rechercher qui pouvait
précieux métal, puis, satisfait, il vogua vers avoir répandu cet or admirable. Elle ne trouva
sa cabane. personne, mais n'en prit que plus de plaisir
à s'émerveiller de l'agréable lumière qu'elle

Cette crevasse abritait une belle Couleuvre répandait sur la fraîche verdure, au fur et à

verte, qui fut tirée de son


mesure qu'elle se glissait entre les herbes et
sommeil par le
les buissons. Toutes les feuilles brillaient
tintement de Tor heurtant le roc. A peine eut-
elle aperçu les disques lumineux, qu'elle se
comme des émeraudes, toutes les fleurs appa-
raissaient transfigurées de la manière la plus
précipita sur eux pour les dévorer gloutonne-
ment, en recherchant avec soin toutes les piè- ravissante. Elle explora vainement la solitude

ces qui s'étaient éparpillées entre les brous- sauvage ; mais elle reprit espoir en arrivant
sur un plateau, d'où elle aperçut dans le loin-
sailles et les fentes du rocher.
tain une lueur analogue à la sienne.
il

1
w

30 IB serpe:«t veht LE 8BRPRNT VERT


31

— Voilà donc enfin mon semblable ! s'écria-


apparentés que du côté de la clarté, car, cons-
t-elle en 8'élançant dans la tatez à quel pointnous habille une svelte lon-
direction recon-
nue. Le désagrément de gueur, nous autres seigneurs de
se frayer un passaga la ligne ver-
à travers marais et roseau, n'arrêta ticale !
pas son
élan. Sans doute,
ses préférences allaient à A ces mots, les deux flammes,
sacrifiant
la sécheresse des toute largeur, s'étirèrent en
prairies élevées et aux fuseaux
es- longs et
carpements des rochers, où pointus au possible.
elle aimait à se
nourrir de plantes
aromatiques, tout en — Ne le prenez pas en mauvaise part, chère
s abreuvant de rosée
tendre ou d'une limpide amie mais quelle famille pourrait
;
se targuer
eau de source mais, pour l'amour de nos avantages? Depuis que les
;
de l'or Feux Follets
délicieux et dans l'espoir existent, aucun ne s^est jamais
de se saturer d'une assis, ni couché.
adorable lumière, elle La Couleuvre se sentit très mal à son
était prête à se
sou- aise
mettre à tout ce qui serait en présence de semblables parents.
exigé d'elle Elle avait
Très fatiguée, la Couleuvre beau dresser la tête de toutes ses forces,
atteignit finale- elle
ment une prairie marécageuse, n'ignorait pas qu'elle serait obligée
où les deux de la cour^
teux Follets prenaient leurs ber vers la terre dès qu'elle aurait à se
ébats.Elle se pré- dépla-
cipita vers eux, les salua,
en se réjouissant do cer. Si,précédemment, elle s'était extraordi-
rencontrer d'aussi agréables nairement plue dans le sombre bocage,
seigneurs de sa il lui
parenté Eux, se mirent semblait maintenant qu'elle perdait
à la frôler, à gamba-
der au-dessus d'elle et de sa
à rire selon leur cou- phosphorescence auprès de ses cousins, et
elle
lume. craignit même de la voir disparaître entière-
- Chère tante, lui dirent-ils, bien que ment.
vous soyez de la ligne
horizontale, la chose Dans son anxiété, elle s'enquit précipitam-
importe peu. Assurément
nous ne sommes ment auprès des brillants seigneurs de la pro-
'-
^ -i '* -!-"- ' '"^ -r^*?**
.

32 LB SERPENT VERT

LE SERPENT VERT 33
venance de récemment tombé dans la
l*or,

crevasse du rocher. Elle supposait que cette


Exigez de moi ce que vous voulez : tout ce
. »
pluie de métal avait ruisselé directement du
qui est en mon pouvoir, je le ferai pour vous.
ciel.

Les Feux Follets, pour toute réponse, se


— Parfait ! s'écrièrent les Feux Follets ; dis-
nous où demeure la belle Lilia.
Conduis-nous
contentèrent de rire et de se secouer, en se-
aussi vite que possible au palais et au jardin
mant autour d'eux des pièces d'or à profusion. de la belle Lilia nous mourons d'impatience
:
La Couleuvre se jeta rapidement sur elles de nous jeter à ses pieds.
pour

les avaler.

Bon appétit, dirent


— Je ne puis, hélas, vous rendre immédia-
aimablement ces tement ce service, répliqua la Couleuvre avec
messieurs, faites honneur au menu, nous avons un profond soupir. La belle Lilia habite
de quoi vous régaler.
malheureusement de l'autre côté de l'eau.
Ils continuèrent à se secouer avec une grande
agilité, si bien que la Couleuvre n'arrivait plus
— L'autre côté de l'eau Nous qui venons !

de nous faire traverser par cette nuit ora-


à ingurgiter assez vite la nourriture précieuse. geuse Combien cruel est le Fleuve qui nous
!

Cette fois, elle devint visiblement de plus en sépare ! N'y aurait-il pas possibilité de rap-
plus lumineuse, au point d'en arriver à éclai- peler le vieux passeur?
rer d'une manière vraiment féerique, alors — Ce serait peine perdue, reprit la Cou-
que les Feux Follets notablement
s'étaient leuvre car, même
; vous le rencontriez sur
si
amincis et rapetisses, sans rien perdre cepen- cette rive, il ne vous embarquerait pas.
Il
dant de leur joyeuse humeur. peut passer n'importe qui de ce côté, mais il
— Je vous en suis à jamais reconnaissante, lui est interdit de ramener personne
en sens
articula la Couleuvre, dès qu'à la suite de ce inverse.
repas il lui fut possible de repreadre haleine. — Nous voilà dans de beaux draps N'y I

a-t-il pas un autre moyen de traverser l'eau ?

r r _^
34 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 35

— J'en connais deux, mais ils ne sont pas vous présenter à la belle Lilia. Si cependant
utilisables en ce moment. Moi-même, je puis VOUS redoutez trop la chaleur du jour, adres-
traverser ces messieurs, mais uniquement en sez-vous au Géant. Vous le rencontrerez vers
plein midi. le soir, aux abords de la crique
rocheuse voi-
— C'est une heure à laquelle nous n'aimons sine il ne manquera certes pas de se
; montrer
guère voyager. fort complaisant.
— Alors, vous pouvez vous transpor-faire
ter le soir par l'ombre du Géant. Après s'être gracieusement inclinés, les
— Gomment prendre
faut-il s'y ? deux aimables jouvenceaux prirent congé et
— L'énorme Géant, qui ne demeure pas s'éloignèrent. La Couleuvre ne fut pas fâchée
loin d'ici, n'a corporellement pas la moindre de les voir partir, car il lui tardait de se
force. Ses mains ne soulèveraient pas un fétu complaire dans sa propre lumière puis elle
;

de paille, ses épaules ne supporteraient pas avait à satisfaire une curiosité qui depuis
un fagot ; mais son ombre peut beaucoup, longtemps la tourmentait singulièrement.
sinon tout. C'est pourquoi possède son
il A force de se glisser dans les interstices
maximum de puissance au lever et au coucher des rochers, il lui était arrivé de faire une
du soleil ; aussi suffit-il, le soir, de se placer découverte étrange ; car, bien que rampant
sur la nuque de son ombre Géant n'a sans lumière dans ces profondeurs, elle
: le n'en
plus, marcher paisiblement vers
alors, qu'à savait pas moins distinguer au contact
les
la rivepour que son ombre transporte le différents objets. Elle était habituée à ne
ren-
voyageur par-dessus Teau. Mais si, vers contrer que des produits naturels de forme
midi, vous voulez bien vous trouver sur la irrégulière. C'est ainsi qu'elle glissait
parfois
lisière du bois dont les taillis touchent entre les saillies de grands cristaux des
au ; cro-
Fleuve, je me charge de vous traverser et de chets ou des filaments d'argent natif frôlés
au
f

36 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 37

passage lui procuraient également une sensa- pas à gagner la fissure par où elle avait cou-
tion particulière ; enfin, plus d'une pierre tume de se faufiler dans le sanctuaire.
précieuse, trouvée sur son trajet, avait dû à Dès qu'elle y eut pénétré, sa curiosité
la Couleuvre d'être jetée à la lumière du jour. poussée à l'extrême lui fit jeter un regard
Mais, à son immense surprise, Tinvestigatrice circulaire sur la rotonde, que l'éclat qu'elle
rampante avait reconnu, enfermés dans Tin- projetait ne parvenait pas à éclairer complè-
térieur d'un rocher, des objets dont la forme tement. Les objets les plus rapprochés devin-
trahissait une intervention humaine. Il
y rent cependant discernables avec une suffi-
avait là des parois lisses ne lui offrant aucune sante netteté. Saisie d'étonnementet de respect,
prise pour grimper, des arêtes nettes et ré- elle vit se dresser
devant elle, dans une niche
gulières, des colonnes bien formées, et, ce brillante,une statue d'or pur, représentant
qui lui parut plus extraordinaire que tout le un roi vénérable. Bien que dépassant les di-
reste, des statues de personnages humains, mensions naturelles, les proportions de cette
composées d'airain ou de marbre très soi- figure dénotaient un personnage plutôt petit
gneusement poli, à en juger par ce qu'elle que grand. Son corps harmonieusement
sentait en s'enroulant autour. Aussi éprou-
1
formé se drapait dans un manteau simple et
vait-elle le besoin de synthétiser par la vue sa chevelure était retenue par une. couronne
toutes ces sensations tactiles, afin de contrô- de chêne.
ler ses suppositions. Se croyant désormais A peine la Couleuvre eut-elle contemplé
capable d'éclairer par sa propre lumière cette la majestueuse image, que le roi se mit à
crypte merveilleuse, elle espérait pouvoir se parler*
rendre compte d'emblée de tous les objets — D'où viens-tu demanda-t-il.
?
étranges qu'elle renfermait. Elle fit donc di- — Des crevasses où réside répliqua l'or, la
ligence, et, habituée au trajet, elle ne tarda Couleuvre,
38 LK SERPENT VERT
LR SERPENT VERT 39

— Qu'y de plus splendide que Top


a-t-il ? il (rônait comme écrasé sous sa couronne de
poursuivit le roi.
lauriers. La Couleuvre aurait voulu s'enqué-
— La lumière répondit Couleuvre.
I la rir aussi d'un quatrième roi, plus éloigné
— Qu*y de plus réconfortant que
a-t-il la d'elle que les autres ; mais, à ce moment, la
lumière interrogea encore
? le roi. roche s'ouvrit à l'endroit de la veine lumineuse,
— La parole lui fut-il
répondu.
î
qui lança un éclair fulgurant, puis disparut.
Pendant ce dialogue, la Couleuvre avait L'attention du Serpent fut alors accaparée
jeté un regard de côté et découvert ainsi une par l'homme qui venait de sortir de l'épais-
autre statue magnifique. Une niche contiguô seur du rocher. De taille moyenne, il était
abritait, en effet, un roi d'argent,
de haute vêtu comme un paysan et tenait à la main une
taille, mais de formes plutôt fluettes. Il était petite lampe à flamme si paisible, que le re-
assis ;
son costume portait une riche orne- gard aimait à s'y reposer. Il s'en dégageait
mentation, rehaussée encore par les pierres une clarté merveilleuse qui éclairait toute la
précieuses dont étincelaient sa couronne, sa crypte, sans porter aucune ombre.
ceinture et son sceptre. Son visage respirait —
Pourquoi viens-tu, puisque nous avons
une altière sérénité. Le personnage semblait de la lumière ? demanda le roi d'or.
vouloir prendre la parole, lorsque, dans
le — Vous savez que je ne dois pas éclairer
marbre de la paroi, une veinure jusqu'ici les ténèbres.
foncée s'éclaira subitement, au point de ré- — Mon règne prend-il fin ? questionna le
pandre une agréable lumière dans tout le roi d'argent.
sanctuaire. Cette clarté rendit visible un — Cela n'arrivera que tardivement ou ja-
troisième roi, qui, dans sa puissante masse mais, répondit le Vieux.
d'airain, ressemblait moins à un homme D'une voix forte, le roi d'airain se
qu'à mit à in-
un rocher. Pesamment appuyé sur sa massue, terroger :
40 LE SERPENT VEUT
LE SERPENT VERT 41

— Quand me lèverai-je ?
— Bientôt.
S'adressant à l'homme, le roi d'or ques-

— Avec qui dois-je m'allier ? tionna de nouveau :

— Avec tes frères aînés. — Combien connais-tu de secrets ?

— Que deviendra le plus jeune ?


— Trois.

— 11 s^assiéra.
— Lequel est le plus important ? voulut

— Je ne suis
pas fatigué, protesta le
savoir le roi d'argent.
— Celui qui révélé. est
quatrième roi d'une voix rauque et balbu-
tiante.
— Veux-tu nous y participer à notre
faire
tour demanda
? le roi d'airain.
Tandis que ces paroles s'échangeaient, la
Couleuvre avait discrètement fait le tour du
— Dès que je saurai quatrième le secret,
répondit Vieux.le
sanctuaire, en examinant tout, puis elle s'était
approchée du quatrième roi. Debout contre
— Que m'importe tout cela grommela par !

devers composite.
lui le roi
une colonne, il apparaissait dans sa corpulence
plus lourd que beau. Le métal dont il était
— Je connais quatrième le alors secret, dit
le Serpent, en s'approchant du Vieux et lui
composé ne se discernait guère à première
sifflant quelque chose à l'oreille.
vue. Un examen minutieux permettait cepen-
dant de reconnaître en sa substance un mé-
— Les temps sont révolus ! cria le Vieux
d'une voix formidable, qui fit retentir le sanc-
lange des trois métaux dont ses frères étaient
tuaire et résonner les statues métalliques.
formés. Mais, lors du moulage, ces matières
Puis, simultanément, le Vieux s'enfonça vers
n'avaient pas fusionné, si bien que des veines
l'Occident et le Serpent vers l'Orient, tous
d'or et d'argent parcouraient irrégulièrement
deux passant avec une grande vitesse à tra-
la masse d'airain, en donnant à l'ensemble un
vers les interstices du roc.
aspect désagréable.
Tous les couloirs que parcourut le Vieux
42 LB SERPENT VEHT
LB SERPENT VERT 43
furent comblés d'or immédiatement après
son
passage, car sa lampe possédait le pouvoir de les laisser entrer. Ils m'avaient fait l'eflfet

magique de transmuer toute roche en or, tout de gens courtois et convenables ; ils étaient
bois en argent et les animaux morts en revêtus de flammes légères, si bien qu'on au-
pierres
précieuses par contre, elle anéantissait tous rait pu
prendre pour des Feux Follets. A
les
;

les métaux. Mais, pour exercer cette action, peine eurent-ils pénétré dans
la maison, qu'ils

la lampe devait être seule à répandre sa lu- se mirent à me complimenter d'une manière

mière. Si une autre clarté se combinait si effrontée, et à se montrer si importuns, que


avec
la sienne, elle se
bornait à émettre une belle
j'en ai honte rien que d'y penser.
lumière claire, réconfortante pour tout être — Ces messieurs, assurément, ont voulu
vivant. badiner, répartit en souriant le mari, car, étant
donné ton âge, ils ont dû rester dans les li-

En mites de la politesse courante.


pénétrant dans sa demeure, qui s'ap-
puyait au versant de la montagne, le Vieux
— Mon mon âge cria la femme.
âge I 1

trouva sa femme en Faut-il toujours que j'entende parler de mon


proie à la désolation. As-
âge? Quel âge ai-je donc? Politesse courante
sise près du foyer, elle pleurait, accablée. I

— Que je suis malheureuse ! s*écria-t-elle,


Je sais ce que je sais. Mais regarde autour
de toi. Que dis-tu de ces murs, où la pierre
et dire que je ne voulais pas te laisser partir
nue apparaît, alors que depuis cent ans je ne
en ce jour fatidique !

— Qu'y a-t-il donc ? demanda le Vieux fort


l'avais plus vue? Tout l'or a été léché par ces
messieurs, ne saurais imaginer avec
et tu
tranquillement.
— A peine étais-tu sorti, répondit-elle en
quelle agilité prétendaient même lui trou-
! Ils

ver bien meilleur goût qu'à l'or vulgaire. Dès


sanglotant, que deux voyageurs turbulents se
qu'ils eurent achevé de dépouiller les murs,
présentèrent à la porte. J'eus l'imprudence
ils se montrèrent singulièrement ragaillardis:
1

44 LE SERPENT VERT

LE SERPENT VERT 45
en peu de temps, ils étaient devenus ma-
très
1

m'
nifestement beaucoup plus grands, plus larges
jamais utiles, mais en tous cas, ils n'ont mé-
et plus brillants. Du coup, ils reprirent leurs
nagé à ce sujet ni promesses, ni assurances.
espiègleries et me cajolèrent
à nouveau, en
m'appelant leur reine. Puis, en se secouant,
ils firent tomber autour d*eux Dans l'intervalle, le feu de la cheminée
quantité de
avait cessé de flamber ce n'était plus qu'un
pièces d'or. Tu il en reste encore sous
vois, t <
;

ce banc, où elles se détachent lumineuses amas de braises ardentes, que le vieux recou-
de
Tobscurité. Mais, quel malheur notre chien vrit d'une épaisse couche de cendres. Il fît dis-
!

en dévora quelques-unes, et, comme tu le paraître ensuite les pièces d'or lumineuses,
vois, il en est mort. Pauvre bête afin que sa petite lampe fût seule à répandre
Je ne puis !

m'en consoler. sa douce clarté. Aussitôt les murs se couvri-


Je ne m'en suis aperçue
qu'après rent d'or et le chien fut transmué en un bloc
le départ des visiteurs, sans quoi
je
n'aurais pas promis d'acquitter leur dette
d'onyx d'une rare beauté. Le brun et le noir
au-
près du passeur. alternaient dans les nuances de la précieuse

— Que lui doivent-ils ? demanda le Vieux.


gemme ; cette métamorphose produisit un
— - Trois choux, trois artichauts et trois oi-
objet d'art incomparable.

gnons, répondit la femme j'ai promis, dès


— Prends ta corbeille, dit alors le Vieux ;
;

qu'il ferait jour,


mets-y l'onyx, dispose ensuite autour de ce-
de porter ces légumes au
Fleuve. lui-ci les trois choux, les trois artichauts et les

-- Tu peux avoir pour eux cette trois oignons, puis porte le tout au Fleuve. Vers
complai-
midi, fais-toi traverser par le Serpent et rends-
sance, car, à l'occasion, ils nous rendront
ser-
toi auprès de la belle Lilia. Présente-lui l'onyx,
vice.

— J'ignore si, réellement, ils nous seront


afin
même
qu'en le touchant elle lui rende
que, par son contact, elle tue tout ce
la vie, de

qui est vivant. Un compagnon fidèle lui sera


46 LE SERPENT VE HT

LE SERPENT VERT 47
ainsi acquis. Engage-la à ne pas se lamenter,
sa libération étant proche annonce-lui qu*elle
;
midable personnage qui venait de s'y baigner.
doit envisager la pire des infortunes comme Elle restait perplexe, ne sachant comment
le plus grand bonheur, car les temps sont ac-
éviter cette rencontre. Dès que le Géant eut
complis.
aperçu la Vieille, il la salua en plaisantant,
La Vieille ayant tout disposé dans sa cor- tandis que les mains de son ombre plongeaient
beille, s'en chargea dès qu'il fit jour et se mit dans le panier. Elles eurent vite fait d'en
en route. Le soleil levant dardait ses rayons extraire un chou, un artichaut et un oignon,
par-dessus le Fleuve qui brillait dans le loin- légumes qu'elles portèrent à la bouche du
tain. La femme avançait d'un pas lent, car la Géant. Celui-ci poursuivit alors sa route, en
corbeille lui pesait sur la tête, non cependant
remontant le long du Fleuve, ce qui laissa la
en raison du poids de l'onyx. Tout ce qui
Vieille libre de reprendre sa marche.
était mort ne lui constituait, en effet, aucune
Tout en se demandant si elle ne ferait pas
charge les objets inanimés soulevaient même
;
mieux de retourner sur ses pas,pour aller
la corbeille qui les contenait au point de la
quérir dans son potager les légumes man-
faire planer au-dessus de la tête de la por- il
quants, elle ne cessa d'avancer qu'en arrivant
teuse.Mais celle-ci sentait peser lourdement
au bord du Fleuve. S'y étant assise, elle at-
des légumes frais ou le moindre petit animal
tendit longtemps la venue du passeur, qu'elle
vivant. Elle avançait en rechignant lorsque,
vit enfin approcher en compagnie d'un singu-
tout à coup, elle s'arrêta effrayée, au moment lier voyageur. C'était un jeune homme, noble
où elle allait poser le pied sur l'ombre du
et beau, qu'elle ne pouvait assez contempler.
Géant, laquelle s'allongeait à travers la plaine — Qu'apportez-vous demanda nautonier.
? le
jusqu'au lieu qu'elle venait d'atteindre. En
même temps, elle vit sortir du Fleuve le for-
— Ce sont légumes que vous doivent
les

les Feux Follets, répondit la Vieille, en pré-


sentant ce qui lui restait.

.
48 LE SERPENT VERT
49
LE SERPENT VERT

Mais le Passeur se montra très chagriné de


La Vieille s'exécuta ; mais quelle fut sa ter-
ne pas trouver son compte et déclara ne rien
reur lorsqu'elle retira de l'eau une main de-
pouvoir accepter. La Vieille supplia, expli-
s'en
quant qu'il lui était impossible de retourner venue noire comme du charbon Elle !

violence, assurant
prit alors au Passeur avec
immédiatement chez elle, et que la charge lui qu'il y
devenait gênante pour la route qu'elle avait que ses mains avaient toujours été ce
qu'elle avait
avait de mieux en sa personne,
encore devant elle. Mais il persista dans son
délicates,
toujours su les conserver blanches et
refus, assurant qu'il ne dépendait pas de lui
sa
Puis, examinant
d'en décider autrement. en dépit d'un dur travail.

— Pendant neuf heures, ce qui me revient main, elle s'écria avec désespoir :

doit rester réuni, et je ne puis rien accepter


— Mais, que vois-je encore ? Ma main a
elle est beaucoup plus
petite que
tant que je n'ai pas remis au Fleuve le tiers diminué :

auquel il a droit. l'autre !

Après bien des paroles échangées, le pas- — Jusqu'ici, ce n'est qu'une apparence, ré-
partit le Passeur; mais, si vous ne teniez pas
seur en vint finalement à dire : i réalité. Votre

Il reste un moyen. Si vous consentez à parole, cela deviendrait une
peu à peu de volume,
main diminuerait alors
vous engager envers le Fleuve, en vous recon-
néanmoins
naissant sa débitrice, je recevrai les six pièces jusqu'à disparition complète, sans
;
l'usage. Vous vous en ser-
mais cela expose à quelque risque. que vous en perdiez
— Mais, viriez sans aucune gêne, mais personne ne la
si je tiens parole, je ne dois cou-
riraucun danger ? verrait plus.

—Pas le moindre. Plongez votre main


— J'aimerais bien mieux ne pas pouvoir
aperçoive,
dans le Fleuve et promettez d'acquitter votre m'en servir, mais que nul ne s'en
importe
dette en vingt-quatre heures. répondit la Vieille. Du reste, cela
peu : je tiendrai ma parole, afin d'être rapi-
4
50 LE SERPENT VERT

dément délivrée de LE SERPENT VERT 51


cette peau noire et de mon
inquiétude.
Hâtivement elle reprit alors sa corbeille qui, La Vieille s'efforça d'entrer en conversa-
)
d'elle-même, s'éleva au-dessus de la tête do tion ; mais, à toutes ses questions, elle n'ob-
la Vieille, où elle se maintint librement, tintque des réponses si laconiques, qu'elle se
sans contact. Ne se sentant plus chargée, la lassa d'aborder vainement de nouveaux sujets
femme put alors s'élancer sur les traces du d'entretien. Sans se laisser retenir davantage
beau jeune homme, qui, plongé dans ses par les beaux yeux du jeune homme, elle finit
réflexions, suivait nonchalamment la rive du par lui dire :

Fleuve. Sa tournure charmante et son accou- — Vous marchez trop lentement pour moi.
trement avaient profondément impressionné Monsieur. ne faut pas que je manque le
Il

la Vieille. moment propice pour


traverser le Fleuve
Une cuirasse brillante protégeait son corps grâce au Serpent vert, afin d'apporter à la
gracieux, sans entraver en rien la souplesse belle Lilia le splendide cadeau que lui envoie
des mouvements. Il portait un manteau de mon mari.
pourpre. Autour de sa tête découverte flottait Ceci dit, elle hâta le pas ; mais, brusque-
une chevelure brune et bouclée. Son fin vi- ment tiré de son apathie, le beau jeune
sage était exposé aux rayons du soleil, de homme ne se laissa pas devancer.
même que ses pieds bien formés, dont la nu- — Vous allez chez la belle Lilia ! s'écria-

dité foulait le sable brûlant, sans que le jeune t-il, nous ferons route ensemble. Quel
alors

homme montrât sensible à la douleur phy-


se est donc ce cadeau que vous lui portez ?

sique, car une profonde peine morale semblait — Monsieur, répartit la Vieille, après avoir

l'avoir distrait de toutes les impressions exté- éludé mes questions par des monosyllabes,
rieures. vous êtes mal venu à vous enquérir de mes
secrets avec tant de vivacité. Vous convient-il
Cependant de faire échange de bons procédés?
•^1
52 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 53

Eh bien, commencez par m'éclairer sur votre n'ai plus ni couronne, ni sceptre, ni épée. Je
sort, et je ne vous cacherai rien de ce qui a suis d'ailleurs tout aussi nu et indigent que
trait à ma personne et à mon cadeau. n'importe quel autre fils de la terre ; car ses
Un accord fut rapidement conclu. La femme beaux yeux bleus ont le funeste effet de pri-
s'expliqua sur sa condition et raconta l'his- ver de force tous les êtres vivants. Ceux que
toire du chien, tout en exhibant la merveille le contact de sa main n'a pas tués ne se sen-
qu'elle avait mission d'offrir en présent. tent plus vivre qu'à l'état d'ombres ambu-
Ayant extrait du panier l'objet d'art natu- lantes.

rel, le jeune homme prit dans ses bras le chien Il poursuivit de la sorte ses plaintes, sans
qui semblait endormi. de la Vieille, bien moins
satisfaire la curiosité

— Heureux animal ! s'écria-t-il, tu seras préoccupée de son état d'âme que des condi-
touché de ses mains elle te rendra la vie,
;
tions extérieures de son existence. Elle n'ap-
alors que les vivants sont obligés de la fuir, prit ni le nom de son père, ni celui de son
afin de ne pas subir un déplorable sort. Mais, royaume.
que dis-je, déplorable N'est-il pas de beau-
! Il caressait le chien d'onyx, que les rayons
coup plus affligeant et plus effrayant d'être du soleil et la chaleur qui émanait du jeune
paralysé par sa présence, qu'il ne serait de homme avaient réchauffé comme s'il eût été
mourir de sa main ? Regarde-moi I A mon vivant. Il s'intéressa beaucoup à l'Homme à la

âge, en quel piteux état ne suis-je pas réduit !


Lampe, dispensateur d'une sainte lumière dont

Le sort m'a laissé cette cuirasse, que j'ai por- les effets s'annonçaient comme particulière-

tée à la guerre avec honneur, et cette pourpre, ment propices à son triste état.
que je me suis efforcé de mériter en gouver-
aperçu-
Tandis qu'ils conversaient ainsi, ils
nant avec sagesse : l'une ne m'est plus qu'un
rent à distance l'arche majestueuse d'un pont
poids inutile, et l'autre une vaine parure. Je
M LE SERPENT VERT LE SERt»ENT VERT 55

jeté d'une rive à Tautredu Fleuve. Cette cons- sion qu'elle leur avait accordée de franchir le
truction miroitait au soleil d'une
manière fli Fleuve sur son dos ; puis ils remarquèrent que
surprenante, que les deux interlocuteurs
en des personnes invisibles avaient dû se joindre
restèrent stupéfaits. à la compagnie. Ils entendaient près d'eux des
~ Gomment s'exclama le prince, n'était-
! sifflements auxquels la Couleuvre répondait
il pas assez beau, lorsqu'il se
présentait à no- de même en sifflant. En prêtant attention, ils
tre vue, paraissant bâti de jaspe perçurent enfin les paroles suivantes, émises
et de prasine?
Ne doit-on pas craindre d'y poser le pied, par deux voix alternantes :

maintenant semble composé d'émerau-


qu'il Nous allons commencer par explorer
des, de chrysoprases et de incognito le parc de la belle Lilia, et nous
chrysolithes com-
binés avec la plus chatoyante variété
? vous prions de vouloir bien nous introduire
Les deux voyageurs ignoraient le
change- auprès de cette parfaite beauté dès que, la
ment dont la Couleuvre avait bénéficié
car ;
nuit venue, nous serons devenus tant soit peu
c'était elle qui, chaque jour vers midi, se ten- présentables. Vous nous rencontrerez sur les
dait au-dessus du Fleuve pour faire office de bords du grand lac.

passerelle hardie. Les visiteurs de la belle


Li-
— C'est convenu l répondit la Couleuvre,
lia s'y engagèrent avec respect
et gardèrent et un son strident se perdit dans l'air.

le silence pendant la traversée. Les trois visiteurs arrêtèrent ensuite l'or-


A peine eurent-ils atteint l'autre rive, que dre de leur présentation devant la Belle, car,
lepont se mit à osciller puis, entrant en mou-
; un grand nombre de personnes pouvaient sans
vement, il s'abaissa au niveau de l'eau. Repre- inconvénient se grouper autour d'elle, mais à
nant alors sa forme normale, la condition d'arriver et de se
retirer une à
la Couleuvre
verte se glissa à terre et rejoignit les voya- une, sous peine d'éprouver des sensations fort
geurs. Ceux-ci la remercièrent de la douloureuses.
permis-
56 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 57

La femme chargée d'apporter le chien pé-


pant de vos bras qui la tiennent ! L'instrument
s'approcha la première du jardin, où,
trifié
semble rechercher la pression de votre poi-
pour trouver la belle Lilia, elle n'eut qu'à se
trine, et ses cordes, quels sons ne rendent-
laisser guider par les sons de la harpe dont
celle-ci s'accompagnait en chantant. Cette elles pas au contact de vos doigts effilés! Ah!
suave musique se traduisait d'abord à la sur- trois fois heureux le jeune homme qui pour-

face du lac paisible en ondulations circulai- rait prendre sa place !

Lorsqu'elle entendit ces paroles, la belle Li-


res, puis par un léger souffle qui animait
l'herbe et le feuillage. Assise dans un enclos lia leva les yeux, tout en laissant retomber ses

de verdure, où l'ombrageait un groupe splen- bras avec découragement.

dide d'arbres d'essences diverses, Lilia, dès — Ne m'attriste pas par des louanges im-

qu'elle fut visible, enchanta une fois de plus portunes : ne contribuent qu'à me faire
elles

l'œil, l'oreille et cœur de ressentir plus cruellement mon malheur. Tu


le la femme, qui,
tout en s'approchant ravie, se jura intérieu- vois ce pauvre petit serin étendu mort à mes
rement que la Belle, depuis qu'elle l'avait vue, pieds. Il accompagnait jusqu'ici mon chant de
avait gagné encore en beauté. Aussi l'excel- la manière la plus agréable. Habitué à se po-

lente femme ne put-elle s'empêcher de crier ser sur ma harpe, il était soigneusement dressé
de loin son admiration, saluant ainsi à sa ma- à ne pas me toucher. Or ce matin, alors que,
nière la plus adorable des jeunes réconfortée par le sommeil, je préludais à un
filles.
— Quel bonheur de vous contempler ! Quelle
paisible chant de réveil, mon mignon chanteur
céleste félicité votre présence ne égrenait plus joyeusement que jamais ses no-
répand-elle
pas autour de vous ! Avec quel charme votre tes harmonieuses, lorsqu'un épervier fendit
harpe ne s'appuie-t-elle pas contre votre sein !
l'air au-dessus de ma tête. Epouvanté, le crain-

Quelle douceur dans le mouvement envelop- tif oiselet se réfugia dans mon sein et je per-

çus instantanément les derniers spasmes de

%
58 LE SERPENT VERT LE SERPEWT VERT 59

sa vie expirante. Atteint par mon regard, le pas me donner un chou, un artichaut et un
ravisseur se traîne désormais impotent, là-bas, oignon, que je les apporte au Fleuve, afin que
au bord de Teau. Mais sa punition ne me rend ma main redevienne blanche comme précé-
pas mon favori, dont la tombe ne contribuera demment et paraisse presque digne d'être pla-
qu*à augmenter les funèbres bocages de mon cée à côté de la vôtre ?
jardin. — Tu pourrais trouver à la rigueur des
— Prenez courage, belle Lilia ! dit alors la choux et des oignons, mais c'est en vain que
femme, en essuyant les larmes que le récit de tu chercherais des artichauts. Mon vaste jar-
la malheureuse jeune fille lui avait arrachées, din ne renferme que des plantes ne portant
ressaisissez-vous. Mon mari m'a chargée de ni fleurs ni fruits ; mais tout rameau que je
vous recommander de modérer votre chagrin cueille pour le planter sur la tombe d'un fa-
et d'envisager la pire des infortunes comme vori verdit aussitôt et se développe très rapi-
Tannonce du plus grand bonheur, car il as- dement. J'ai malheureusement vu croître tous
sure que les temps sont révolus. Et, de fait, ces massifs, ces bosquets et ces bocages. Ces
continua la Vieille, il se passe d'étranges cho- pins altiers, ces cyprès pareils à des obélis-
ses dans le monde. Voyez donc ma main, ques, ces chênes et ces hêtres puissants pro-
comme elle est devenue noire Vraiment, elle
! viennent de rameaux plantés de ma main en
a déjà sensiblement diminué de volume il : de tristes commémorations, dans un sol qui,
faut que je me hâte, avant qu'elle ne dispa- par lui-même, serait resté à jamais stérile.
raisse entièrement. Pourquoi ai-je voulu être La Vieille n'avait prêté à ce discours qu'une
complaisante à l'égard des Feux Follets ? attention distraite, car elle ne se préoccupait
Pourquoi a-t-il fallu que je rencontre le Géant? plus que de sa main, qui, en présence de la
Et pourquoi me suis-je laissée induire à plon- belle Lilia, semblait noircir et rapetisser de
ger ma main dans le Fleuve? Ne pouvez-voua minute en minute. Effarée, la messagère eut
fm ww

7
60 1^ SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 61
hâte de fuir et déjà elle reprenait sa corbeille,
lorsqu'elle constata qu'elle avait failli oublier Ignorant des humains les douces jouissances,
Fessentiel. Je n'ai jamais connu que la calamité !

Sortant alors le chien transmué, elle le posa


Que n'es-tu, Sanctuaire, érigé près du Fleuve I

Et toi, solide Pont, ah ! que n'es-tu construit * I

dans rherbe aux pieds de la Belle.


— Mon mari, ajouta-t-elle, vous envoie ce
Ce chant, que la belle Lilia venait d'accom-
souvenir. Votre contact peut animer ce miné-
pagner des plus suaves accords de sa harpe,
ral précieux. Le gentil animal ne manquera
aurait plongé dans le ravissement toute autre
pas de vous distraire, et je ne puis me conso-
personne que l'anxieuse Vieille, qui, impa-
ler du chagrin de le perdre qu'en sachant qu'il
tiente de partir, aurait voulu l'interrompre
vous appartient.
pour prendre congé. Elle allait se mettre en
La belle Lilia contempla la bête pétrifiée du
route, lorsqu'elle fut retenue par l'arrivée
avec une satisfaction paraissant mêlée d'éton-
Serpent Vert, qui venait d'entendre les der-
nement.
nières paroles chantées par Lilia. Il en prit
— Beaucoup de signes, dit-elle, se réunissent /
texte pour exhorter celle-ci au courage.
pour m'inspirer quelque espoir. Mais, hélas
ne serait-ce pas une illusion de notre nature,
!
— La prédiction relative au Pont est accom-
plie, assura-t-il ; demandez à cette excellente
qui, en présence d'une accumulation de mal-
heurs, nous fait pressentir l'approche du plus
1 . Was helfen mir die vielen gutcn Zeichen ?
grand bien ? Des Vogels Tod, der Freundin schwarz# Hand ?
Changerez- vous mon sort, favorables présages ? Der Mops von Edelstein, bat er wol seines gleichen
Mort de l'oiseau chéri, main noire de l'amie ? Und hat ihn nicht die Lampe mir gesandt ?

Et ce carlin d'onyx aurait-il son pareil ? sûssen menschlichen Genusse,


Entfemt vom
Et ne me vient-il pas, envoyé par la Lampe ? Bin ich doch mit dem Jammer nur vertraut.
Ach ! warum stebt der Tempel nicht am Flusse !

Ach ! warum ist die Brucke nicht gebaut !

i
LJ.-.. -^U

62 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 63

femme combien resplendit actuellement l'ar- Par mon contact, je pourrai ensuite l'animer,
che qui relie les deux rives. Ce qui n'était na- si bien qu'avec ton bon carlin, il deviendra

guère que jaspe opaque et simple prasine, à mon meilleur passe-temps. Mais cours de
peine translucides aux arêtes, s'est transformé toutes tes forces, car, dès que le soleil sera

en gemmes d'une parfaite limpidité. Nul bé- couché, une irrémédiable putréfaction s'atta-
ryl n'est aussi transparent, nulle émeraude quera au chétif animal, en dissolvant à jamais
d'une eau plus pure. la belle cohésion de sa forme.

— Je souhaite, répondit Lilia, que vous y


trouviez votre bonheur ;mais pardonnez-moi, La Vieille enveloppa le petit cadavre dans

si je ne considère pas encore la prédiction de tendres feuilles, plaça le tout dans sa


comme accomplie. L'arche altière de votre corbeille et s'éloigna au plus vite.

pont ne livre passage qu'aux piétons ; or, il — Quoi en


qu'il reprit alors Ser-
soit, le

nous est promis que des chevaux, des véhicu- pent, leTemple est bâti.

les et des voyageurs de toutes sortes pourront y — Mais ne dresse pas encore au bord
il se

simultanément traverser le pont dans l'un et du Fleuve, répartit Belle. la

l'autre sens. N'a-t-on pas aussi annoncé de — Non, car attend son heure dans
il les

grandes piles, qui surgiront d'elles-mêmes du profondeurs de la terre, poursuivit le Ser-

Fleuve ?
pent ;
j'ai vu les Rois et je leur ai parlé.

Les yeux toujours fixés sur sa main, la


— Mais quand se lèveront-ils ? demanda
Vieille, n'y tenant plus, voulut à ce moment Lilia.

se retirer.
— J'ai entendu retentir le Temple de la

—Accorde-moi un instaift de plus, lui dit grande parole les temps sont accomplis
: !

alors Lilia, et emporte mon pauvre serin. Prie Une agréable sérénité se répandit à ces mots
la Lampe de le transmuer en une belle topaze. sur le visage de la Belle.
LE SERPENT VERT 65
64 LE SERPENT VERT

vers sa bienfaitrice avec les plus vives


— C'est la deuxième fois, que j'entends
dé-
monstrations d'attachement. Elle le prit dans
aujourd'hui ces heureuses paroles. Quand ses bras et le pressa contre son sein.
donc viendra le jour où je les entendrai trois
-- Que tu es froid ! s'exclama-t-elle alors
fois? ;

mais bien que tu ne sois animé que d'une vie


Elle se leva, et aussitôt une ravissante jeune incomplète, tu n'en es pas moins ici le bien-
fille du bocage, pour venir prendre
se détacha venu. Je t'aimerai tendrement, je partagerai
la harpe de Le pliant d'ivoire sculpté
Lilia. tes jeux, tu auras mes caresses amicales et je
fut enlevé immédiatement après par une se- te serrerai fermement contre mon cœur.
conde servante, qui le prit sous son bras avec Le lâchant ensuite, elle le chassa loin d'elle,
le coussin argenté. Une troisième se mit pour rappeler aussitôt, jouant ainsi avec
le
ensuite disposition de la Belle pour
à la lui sur le gazon, en y apportant une
grâce,
au cours de sa promenade, sous un
l'abriter, un entrain et une candeur qui obligeaient le
grand parasol brodé de perles. Ces trois jeu- spectateur à partager sa joie, tout comme
nes filles étaient attrayantes au delà de toute naguère, à la vue de sa douleur, tous les
expression, et cependant elles ne contribuaient cœurs s'étaient ouverts à la compassion.
qu'à rehausser la beauté de Lilia, car, de l'aveu
général, elles ne lui étaient aucunement com-
Cette gaieté, ce gracieux badinage, furent
parables.
interrompus par l'arrivée du prince mélanco-
ti
Ayant examiné complaisamment le Car-
lique. Il approcha, toujours le même, sauf que
lin merveilleux, la belle Lilia se pencha vers
la chaleur du jour semblait avoir mis le comble
lui et le toucha. A son contact, il se leva,
à son accablement. En présence de sa bien-
comme mû par un ressort puis, ayant jeté
;
aimée, il devenait, en outre, plus pâle d'ins-
autour de lui un regard éveillé, il se mit à
tant en instant. Sur son poing, l'Epervier aux
courir de ci et de là, pour s'élancer finalement

/
66 LB SERPEJJT VERT

LE SERPENT VERT ei
ailespendantes se tenait aussi timide qu'une
colombe. — Faut-il, quand un destin funeste me
— Tu n'es pas aimable, lui reprocha Lilia, condamne à vivre en ta présence dans une
d'offenser mes regards par la vue de cette séparation éternelle peut-être quand j'ai ;

affreuse bête qui a causé la mort de mon petit tout perdu par y compris ma personna-
toi,
chanteur. lité, faut-il, de mes yeux, que
je constate à
— Ne maudis point ce malheureux oiseau, quel point une monstruosité contre nature
répondit le jeune homme : n'accuse que ton peut exciter ta joie, captiver tes affections et
propre destin et le concède que je
sort, et jouir de tes embrassements Dois-je long-!

fasse ma société du compagnon de ma misère. temps encore me contenter d'aller et de reve-


Le Carlin n'avait cessé de folâtrer autour nir,en arpentant le morne circuit qui mène
de la Belle, qui stimulait très aimablement alternativement d'une rive à l'autre du Fleuve ?
l'animation de son favori translucide. Elle Non ! Une étincelle de l'ancien héroïsme s'est
battait des mains pour le mettre en fuite, puis conservée en moi : qu'elle jette donc en ce
elle courait, afin de l'entraîner à la suivre. moment sa dernière flamme ! Si les pierres sont
Elle cherchait à le saisir lorsqu'il fuyait, et le admises à reposer contre ton sein, que je
chassait, dès qu'il tentait de se presser contre devienne pierre Si ton contact tue, je veux
!

elle.Le jeune homme observait ce jeu en si- mourir de ta main !

lence avec un dépit croissant. Un brusque mouvement accompagna ces


Mais, en voyant Lilia prendre dans ses bras paroles l'Epervier prit péniblement son vol
;

l'odieuse bête, qu'il jugeait affreuse, la serrer et le malheureux prince se précipita vers la
contre sa blanche poitrine et finalement poser Belle. — Instinctivement celle-ci tendit les
ses lèvres célestes sur le noir museau, alors, mains pour l'écarter, mais n'en toucha que
exaspéré, le jeune homme s'écria :
plus rapidement le jeune homme, qui, perdant
conscience, vint s'effondrer dans ses bras.

1^
Oi

68 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 69
Epouvantée de sentir contre son sein le poids
de ce beau corps, elle recula en poussant un lia vint apporter le pliant d'ivoire, en invi-
cri d'horreur, laissant ainsi glisser à terre son tant gracieusement sa maîtresse à y prendre
fiancé inanimé. place. Un autre parut ensuite, tenant un voile
couleur de feu, qu'elle posa sur la tête de Li-
La catastrophe s'était produite. Immobile, lia, moins pour la couvrir que pour la parer.

la douce Lilia fixait d'un œil hagard le cada- La Belle reçut enfin la harpe des mains de la
vre inanimé. Son cœur semblait avoir cessé troisième suivante. A peine les cordes du
de battre et pas une larme n'apparaissait à ses splendide instrument eurent-elles rendu quel-
paupières. Le Carlin s'agita vainement pour ques sons, que la première des jeunes filles
obtenir une caresse : le monde entier venait reparut avec un brillant miroir de forme
de mourir pour elle, en même temps que son ronde. Se tenant en face de Lilia, elle exposa
bien-aimé. Dans le mutisme de son désespoir, ainsi à ses regards l'image la plus ravissante
elle n'aspirait pas à être secourue, car elle ne du monde, car la douleur exaltait sa beauté,
concevait aucune possibilité de secours. le voile accentuait sescharmes et la harpe fai-
Le Serpent, par contre, se démena d'autant sait ressortir sa grâce. Son aspect était à ce
plus diligemment, comme s'il se préoccupait point adorable, que, tout en compatissant à
d'un sauvetage. Ses étranges contorsions de- la navrante situation de Lilia, on aurait voulu
vaient servir à parer, du moins, aux suites les pouvoir fixer à jamais son image du moment.
plus immédiates de la terrible fatalité. Décri- Son paisible regard attaché au miroir, la
vant autour du cadavre un vaste cercle, il re- Belle, après avoir fait retentir les cordes des
tint finalement entre ses dents l'extrémité de plus mélodieux accords, semblait en proie à
sa queue, puis ne bougea plus. un redoublement de douleur, qui se traduisait
Peu après, l'une des belles suivantes de Li- en notes d'une puissante intensité pathétique.
A diverses reprises, Lilia essaya de chanter,
l'iiii »ri 1

mu

70 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 71

mais aucun son ne voulut sortir de sa gorge.


A la longue, cependant, un flot de larmes ap- pent, et tâchez de nous secourir ; il se peut

porta une détente à Tâpreté de ses peines. que notre salut soit aussi le vôtre. Gourez en
Deux suivantes empressées vinrent alors la toute hâte à la recherche des Feux Follets. Il

soutenir, tandis que la troisième, voyant la faitencore trop clair pour que vous puissiez
harpe échapper aux mains de sa maîtresse, re- les apercevoir, mais peut-être les entendrez-

cueillit à temps l'instrument qu'elle emporta vous rire et voltiger. S'ils se hâtent, le Géant
aussitôt. pourra encore leur faire franchir le Fleuve ;

— Qui nous amènera l'Homme à la Lampe ilne leur restera plus ensuite qu'à rejoindre
avant le coucher du soleil ? siffla le Serpent l'Homme à la Lampe et à nous l'envoyer.
tout bas, mais très perceptiblement. Les jeu- La fenmie courut de toutes ses forces, et le
nes filles se regardèrent, inquiètes, et les lar- Serpent attendit avec non moins d'impatience
mes de Lilia coulèrent plus abondantes. A ce que Lilia l'issue du message. Malheureuse-
moment, la Vieille à la corbeille revint, es- ment, les rayons du soleil couchant ne do-
soufflée. raient déjà plus que le sommet des arbres du
— Je suis perdue et mutilée ! cria-t-elle. fourré, tandis que de longues ombres s'éten-
Voyez, ma main a presque entièrement dis- daient au-dessus du lac et de la prairie. Le
paru. Ni le Passeur, ni le Géant n'ont voulu Serpent s'agita fébrilement et Lilia fondit en
me que je reste débitrice de
traverser, parce larmes.
l'eau.Vainement ai-je offert cent choux et
cent oignons on ne veut que trois pièces
:
A ce moment critique, le Serpent lança de
;

or, impossible de découvrir le moindre arti- toutes parts des regards anxieux, car il redou-
chaut dans cette région I
tait que, le soleil disparu, la putréfaction ne

— Oubliez votre détresse, répondit le Ser- vînt, d'un instant à l'autre, rompre le cer-

cle magique, pour s'attaquer irrésistiblement


M^Bhi it ma
mmm

72 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 73

au beau jeune homme. Dans les hauteurs de


secourir si, à l'heure opportune, il sait s'unir
Tair, aperçut finalement TÉpervier, dont les
il
à de nombreuses autres forces. Retardons la
derniers rayons du soleil empourpraient le
marche des choses et espérons.
plumage. Cet indice favorable fit tressaillir
de joie le Serpent, qui ne se trompait pas, car
— Maintiens ton cercle clos ! poursuivit-il,
s'adressant au Serpent. Puis, s'asseyant sur un
peu après on vit THomme à la Lampe traver-
tertre auprès de lui, il dirigea sur le cadavre
ser le lac, en glissant à la surface
de Teau à la lumière de la Lampe. Sur son ordre, les
l'instard'un patineur.
servantes allèrent ensuite prendre dans la cor-
Le Serpent se garda bien de modifier
sa beille abandonnée par la Vieille le corps du
position mais Lilia se leva pour aller au-
;
gentil petit serin, qu'elles apportèrent, pour
devant du nouveau-venu, en s'écriant
:
le placer, lui aussi, dans le cercle.
— Quel bon esprit te dirige vers nous en Le soleil ayant disparu, les ténèbres ne tar-
ce moment, alors que nous t'attendons avec dèrent pas à être assez épaisses pour révéler la
une extrême anxiété et que nous avons tant lumière qui se dégageait, non seulement du Ser-
besoin de toi ?
pent et de la Lampe, mais aussi du voile de
^
— Je suis poussé, répondit l'Homme, par Lilia. L'étoffe projetait les lueurs d'une tendre
l'esprit de ma Lampe, et c'est l'Épervier qui aurore sur les joues pâles et le blanc vêtement
m'a conduit ici. Dès que l'on a besoin
de moi, de la jeune fille. Ce spectacle d'une grâce infi-
ma lampe pétille je cherche alors un signe
; nie réconforta les assistants, qui se considé-
d'orientation, et un oiseau ou
quelque mé- raient les uns les autres avec recueillement,
téore m'indique la direction
que je dois sui- une ferme espérance atténuant désormais
vre. Rassure-toi, ravissante
enfant ; mon se- leurs peines et chagrins.
cours sera-t-il efficace, je l'ignore
: l'individu Ces dispositions firent accueillir avec satis-
isolé reste impuissant
; mais il devient apte à faction le retour de la Vieille, escortée par

0ÊL
/

74 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 75

les deux flammes joviales. Celles-ci avaient


dû se livrer encore à des excès de prodigalité,
sir à une conversation qui avait l'heureux effet

tellement elles étaient devenues fluettes


de divertir et d'égayer Lilia. De fait, minuit
Elles !

ne s'en montrèrent d'ailleurs que plus survint, on ne sut comment. Après avoir ob-
em-
pressées auprès de la princesse et des servé les étoiles, le Vieux dit alors grave-
autres
belles. Avec une parfaite assurance ment :

et une
grande vivacité d'expression, elles dirent — Nous nous trouvons réunis à l'heure r
AI
des
choses,somme toute, assez banales. Leur ad- propice que chacun accomplisse sa tâche,
:

miration s'inspira plus particulièrement que chacun soit fidèle à son devoir, et les
du I
peines individuelles se fondront dans le bon-
charme que le voilelumineux répandait sur
Lilia et ses suivantes. Les belles baissaient
heur général, tout comme les joies particu-

les yeux avec modestie, effectivement embel- lières se résorbent dans une calamité univer-
selle.
lies par la louange de leur
beauté. Toute l'as-
sistance était calme et rassérénée, Une rumeur singulière s'éleva comme ré-
sauf la
ponse à ces paroles, car toutes les personnes
Vieille. En
dépit des assurances de son mari,
présentes, se parlant à elles-mêmes, se mirent
qui avait affirmé que la main de sa femme
ne
à expliquer tout haut ce qu'elles avaient à
pouvait plus diminuer tant qu'elle serait
éclai-
rée par la
faire. Seules, les trois filles d'honneur restè-
Lampe,
malheureuse ne cessait
la
rent muettes. Elles s'étaient endormies, l'une
de geindre, prétendant qu'avant
minuit le auprès de
noble membre aurait entièrement du parasol et
la harpe, l'autre près
disparu, si
la troisième à côté du pliant on ne pouvait ;
les choses continuaient à suivre leur
cours. leur en tenir rigueur, vu l'heure avancée. Les
jouvenceaux flamboyants leur avaient bien
Le Vieux avait prêté aux propos des Feux consacré, au début, quelques politesses passa-
Follets une oreille attentive, en prenant plai- gères ; mais leurs hommages ne s'étaient plus
t
76 LE SERPENT VERT LB SERPENT TERT 77

adressés finalement qu'à Lilia, la Belle des quel fut déposé le serin mort. Ainsi chargé,

belles. le panier se leva de lui-même, pour se main-


— Emporte le miroir ordonna dès lors le !
tenir au-dessus de la tête de la Vieille, qui se

Vieux à TEpervier. Va guetter le premier hâta de suivre les Feux Follets. Emportant
rayon du soleil, afin de le recueillir du plus sous son bras le Carlin, la belle Lilia suivit

haut des airs et en renvoyer le reflet sur les la Vieille. Quant à l'Homme à la Lampe, il

dormeuses. ferma ce cortège lumineux, qui, par la diver-


Jusque-là immobile, le Serpent entra dé- sité des lueurs répandues, éclaira la région de

sormais en mouvement. Bientôt il rompit le la plus étrange manière.

cercle, et, décrivant de grandes boucles avec


Parvenue au Fleuve, la compagnie fut saisie

lenteur, se dirigea vers le Fleuve, immédia-


il
d'admiration devant l'arche incomparable qui
tement suivi par les deux Feux Follets, reliait les deux rives, grâce au Serpent bienfai-
dont
Tattitude devint si digne, qu'on aurait
sant, dont le corps formait un pont lumineux.
pu les
prendre pour Si, de jour, les pierres précieuses transpa-
les flammes les plus sérieuses
du monde. • rentes, qui semblaient composer cette singu-

La corbeille, dont lière construction, avaient offert un spectacle


la faible phosphorescence
avait à peine été ravissant, on s'extasiait de nuit de leur éblouis-
remarquée jusqu'alors, fut
distendue à ce moment par la Vieille et son sante magnificence. Par le haut, la partie
mari, qui, tirant en sens contraire, l'allongè- convexe de lumineux tranchait vivement
l'arc

rent démesurément, tout en augmentant sur le ciel sombre il n'en était pas de même
;

son
pouvoir lumineux en proportion de l'étire- de la partie concave, qui dardait de vifs
rayons vers le centre, rappelant ainsi la soli-
ment. Dès que la dimension requise fut at-
teinte, la corbeille, dité mobile de l'édifice. Le cortège traversa
devenue cercueil, reçut le
cadavre du jeune lentement, à la stupéfaction du Passeur, qui.
homme, sur la poitrine du-

< 9

i
.V g
'
' ' . 'ai .&^ j ^*.,,.J
i
.

78 LB SEHPENT VERT r
LE SERPENT VERT 79
de sa cabane, observait à distance l'arc lumi-
neux et les étranges lumières défilant au-des- panier, puis se dressa sur son séant. Lilia vou-

sus de la courbure. lut embrasser son fiancé, mais le Vieux la


retint; il aida par contre le jeune homme
à se
J,
Le cortègevenait à peine d'atteindre la
lever et le guida, comme il sortait du- panier
rive opposée, lorsque le pont se mit d'abord, puis du cercle magique.
à osciller
à la façon qui lui était particulière et Le Prince se tint debout, et le serin, en
à se
voletant, se posa sur son épaule la vie leur
rapprocher de l'eau par une série d'ondula- ;

tions. Peu après, ayant rejoint étaitrevenue à tous deux, mais ils n'avaient
ses compa-
gnons, le Serpent se hâta de reformer pas encore recouvré l'esprit. Le beau fiancé
le cer-
cle autour de la corbeille qui avait les yeux ouverts, mais il ne voyait rien,
s'était abaissée
} d'elle-même jusqu'au du moins semblait-il regarder sans prendre
sol. Se penchant alors
vers le Serpent, le Vieux lui demanda
part à rien. La surprise provoquée par des

}
—Qu'as-tu résolu ?
:

faits aussi inattendus fut telle, qu'on ne re-


i
— De me sacrifier
avant qu'on ne me sa-
marqua pas immédiatement la métamorphose
crifie, répondit le Serpent. déconcertante que venait de subir le Serpent,
Promets-moi de
ne laisser aucune pierre sur le rivage. dont le beau corps, si souple, s'était
décom-
Le Vieux le promit, puis posé en des milliers de pierres
il dit à la belle précieuses
Lilia :
éclairantes. En voulant reprendre sa corbeille,
— Touche le Serpent de ta main
gauche,
la Vieille, par mégarde, avait heurté le Ser-
et ton bien-aimé de ta droite I pent, dont les éléments composants
s'étaient
Lilia s'agenouilla et toucha éparpillés sous le choc; aussi ne restait-il
simultanément plus
\l le Serpent de l'ancienne forme animée qu'un
et le cadavre. Celui-ci sembla reve- splendide
nir immédiatement à la vie;
cercle de gemmes lumineuses répandues dans
il s'agita dans le
l'herbe.

I ^tfi^)wi M >^ wi 1 ma
j
ii

^ j
i .
-« »-'
80 LE SEBPENT VERT
il LE SERPENT VERT
81
Le Vieux s'empressa de recueillir dans la
passèrent en queue, laissant
corbeille toutes les pierres précieuses. Il se l'Homme à la
fit aider par sa femme, tant pour cette beso-
Lampe prendre lesdevants vers le rocher, le-
gne, que pour le transport de la corbeille quel s'ouvrit à son approche. Le
Prince mar-
chait en second, en quelque
dont Tinappréciable contenu fut intégralement sorte machinale-
déversé dans le Fleuve du haut d'un endroit ment, alors que Lilia, recueillie mais
incertaine,
escarpé de la rive. Lilia et la Vieille en éprouvè-
suivait à une distance trop grande au gré
de la
Vieille, qui, lui emboîtant le
ï rent quelque dépit, car elles auraient préféré .

pas, étendait sa
main noire, afin que la lumière de la
II
pouvoir se choisir quelques pierreries pour Lampe
ne manquât pas un seul instant
leur agrément personnel. Comme des étoiles de l'éclairer.
Les Feux Follets fermaient le cortège,
scintillantes, les pierres lumineuses flottèrent en incli-
nant l'un vers l'autre la pointe de
parmi vagues, puis disparurent, sans qu'il
les leurs flam-
mes, comme s'ils avaient conversé
fût possible de distinguer si elles se perdirent entre
eux.
dans le lointain, ou si elles s'enfoncèrent.
La marche se poursuivit dans cet ordre
jus-
qu'à la rencontre d'une massive
Revenant vers les Feux porte d'airain,
Follets, le Vieux leur
dont les battants étaient clos à
dit alors respectueusement l'aide d'une
:
serrure d'or. Le Vieux fit aussitôt
— Messieurs, désormais c'est moi qui vais lesFeux Follets, qui, sans attendre d'y
approcher
servir de guide et marcher en tête mais il être
;
longuement encouragés, eurent tôt
vous est réservé de nous rendre un immense fait de
dévorer serrure et pêne de leurs
service en nous ouvrant la porte du sanctuaire langues les
plus effilées.
par laquelle nous devons passer et qu'en de-
Lorsque la porte s'ouvrit avec un
hors de vous nul ne saurait ouvrir. ^ fracas
d'airain, les lumières
S'inclinant avec civilité, introduites firent res-
les Feux Follets 1 plendir les statues royales du
sanctuaire. Gha-

^
6
^

; il'
«,J^4 '1,^,1, ^ ^
82 LE 9EKPENT VERT LE SERPENT VERT 83

cuns'inclina devant les vénérables souverains, part votre pâture et apportez-moi votre lu-
les Feux Follets surtout se
confondant en mière.
révérences contournées.
Après quelques instants de silence, le roi En s'éloignant, ils esquivèrent le roi d'ai-
d'or demanda : rain, qui ne parut pas les apercevoir, et s'atta-
— D'où venez-vous ? quèrent au roi composite. D'une voix hési-
— Du monde, répondit Vieux.le tante, celui-ci s'écria :

— Où allez-vous? interrogea d'argent.


le roi — Qui dominera monde le ?
Nous retournons dans le monde, fut la — Celui qui tiendra sur ses pieds répon- !

réponse du Vieux. dit le Vieux.



Que venez- vous faire auprès de nous? — Alors, moi poursuivit
c'est !
com- le roi
questionna le roi d'airain. posite.
Vous escorter, expliqua le Vieux. — C'est ce que nous allons savoir, fut la
Le roi composite s'apprêtait à parler, lors- réplique du Vieux, car les temps sont révolus.
que le roi d'or, dont les Feux Follets s'étaient A ces mots la belle Lilia, se jetant au cou
trop approchés, les apostropha : du Vieux, l'embrassa tendrement.
Écartez-vous de moi, mon or n'est pas — Saint père, lui dit-elle, je te remercie de 11
pour vos langues. tout mon cœur, car j'entends pour la troisième
Se glissant alors auprès du roi d'argent,
ils
fois cette parole fatidique.

se coulèrent contre lui, en


agrémentant son Elle venait à peine de parler, qu'elle
se
vêtement des chauds reflets de leur lumière serra plus fortement encore contre le Vieillard,
jaunâtre. car, sous leurs pieds, le sol se mit à vaciller.
Vous m'êtes les bienvenus, leur dit-il.
La Vieille et le jeune homme éprouvèrent de
mais je ne puis vous nourrir prenez autre même
;
le besoin de se soutenir mutuellement;

\
•WSi...

81 LE SERPENT VERT le SERPENT VERT 85

seuls, dans leur mobilité, les Feux Follets ne pôle. Effrayées, Lilia et la Vieille sautèrent

8*ap3rçurent de rien. de côté, tandis que le Vieux à la Lampe,


L'ensemble du Temple, on s'en rendait dis- saisissant le jeune homme, le retint sur place.

tinctement compte, venait d'entrer en mou- La cabane du passeur, car c'est elle que, dans
vement, à l'instar d'un navire qui lentement son ascension, le Temple avait détachée du

sort du port une fois ses ancres levées.


Les Bol,dégringola dès lors par débris, qui, peu
profondeurs de la terre semblaient s'ouvrir à peu, recouvrirent le Prince et son protec-

pour livrer passage au sanctuaire, qui ne teur.

heurta rien, aucun rocher ne lui barrant la Les femmes poussèrent des cris et le sanc-

route.
tuaire fut ébranlé comme un navire subite-
Pendant quelques une pluie fine
instants, ment échoué. Anxieuses, les femmes firent

tomba par l'ouverture de la coupole. Le Vieux dans le demi-jour le tour de la cabane qui
plus fermement la belle Lilia, en avait repris sa forme primitive. La porte en
tint alors
était close et nul à l'intérieur ne semblait en-
lui disant :

Nous sommes sous le Fleuve et nous tendre les coups qu'elles y frappaient. Elles
touchons au but. heurtèrent plus fort, et furent surprises fina-

Peu après, on put se croire immobile ; lement d'entendre le bois rendre un son mé-
mais c'était une illusion, car le Temple mon- tallique. Par la vertu de la Lampe qui s'y
trouvait enfermée, la substance de la cabane
tait.
venait, du dedans au dehors, d'être entière-

Un singulier bruit se fit entendre soudain ment transmuée en argent. Du même coup,
dans la hauteur. Un amas désordonné de une modification se produisit dans la forme
planches et de poutres se fraya passage avec de la cabane, car, répugnant à la configura-
craquement à travers l'ouverture d« la cou- tion accidentelle en planches, poutres et po-

I,
86 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 87

Lui indiquant la porte ouverte, son mari iJi


leaux, le noble métal s'étirait de lui-même,
pour constituer une admirable châsse, du répondit :

travail le plus accompli. Un splendide petit — Le jour lève Hâte-toi va bai-


se ! et te
II
temple se dressa de la sorte au milieu du gner dans Fleuve le I

grand, qui eut ainsi un autel digne de lui. — Beau conseil Tu veux donc que je de-
!

I!

Par un escalier intérieur, le Prince monta vienne noire tout entière et que je dispa-
sur une plateforme qui couronnait le sanc- raisse totalement, puisque je n'ai pas acquitté
;!

tuaire minuscule. L'Homme à la Lampe éclai- ma dette !

rait ses pas, tandis qu'un autre personnage, — Va et fais ce que je te dis 1 répliqua le I '\

vêtu d'une courte tunique blanche, soutenait Vieux, toutes les dettes sont remises.
d'une main le jeune homme et portait de

l'autre une rame d'argent. On reconnaissait La Vieille disparut et, au même moment,
en lui le Passeur, dont la demeure venait la lumière du soleil levant frappa le rebord
d'être métamorphosée. de la coupole. Se plaçant entre les jeunes

A son tour, la belle Lilia se mit à gravir gens, le Vieux alors prononça d'une voix
les marches qui, extérieurement, conduisaient forte :

du du Temple au sommet de l'autel mais


sol ;
— Trois régnent sur terre : Sagesse, Appa-

il ne lui fut pas encore permis d'approcher rence et Force.


son bien-aimé. La Vieille, dont la main était Au premier des trois mots, le roi d'or

devenue de plus en plus petite tant que la s'était avancé, au second le roi d'argent s'était

Lampe avait été cachée, se mit alors à gémir : levé et au troisième le roi d'airain s'était len- «i

—Mon malheur s'accomplira-t-il malgré tement mis sur pied, alors que le roi compo-
tout ! Parmi tant de miracles, ne s'en pro- site s'affaissait avec maladresse.
duira-t-il aucun pour sauver ma main **
Malgré la solennité du moment, il était
LE SERPENT VERT 89
88 LE SERPENT VERT ,1

gnant que cette figure disloquée non encore


difficile de le considérer sans rire, car il n'était
réduite en monceau.
ni assis, ni étendu, ni appuyé, mais effondré
Cette catastrophe fut un signal pour
dans une posture grotesque.
l'Homme à la Lampe, qui, conduisant le beau
Les Feux Follets, qui s'étaient jusque-là
jouvenceau, dont le regard conservait la
empressés autour de lui, venaient de s'en
fixité de régarement intellectuel, le fit des-
écarter. Bien que la clarté matinale les eût
cendre de l'autel et marcher droit sur le roi
pâlis, ils n'en apparaissaient pas moins co-
d'airain. Aux pieds du puissant monarque
pieusement réconfortés et bien en flammes.
gisaitun glaive dans son fourreau de bronze.
Très habilement, ils étaient parvenus, grâce
Le jeune homme s'en ceignit. H
à leurs langues déliées, à lécher jusqu'à la
dernière parcelle des veines d'or du colosse.
— Le glaive au côté gauche, la main
droite libre s'écria le formidable potentat.
Les interstices irréguliers ainsi creusés pu-
!

A
Dès que jouvenceau fut présenté au roi
le
rent se maintenir vides un certain temps, la
d'argent, celui-ci inclina vers lui son sceptre,
statue conservant de ce fait son aspect géné-
que le Prince prit en sa main gauche. D'une
Mais finalement, quand tout fut dévoré,
ral.
voix bienveillante, le roi dit alors
jusqu'aux moindres veinules, un effondre- :

ment brusque se produisit, précisément dans


— Pais les brebis !

posture assise, reste Arrivé enfin auprès du roi d'or, celui-ci,


le torse, qui, dans la

que les membres se plient. Or, comme pour donner sa bénédiction paternelle,
•droit, alors
contraire avait eu lieu, engendrant une posa sur la tête du jeune homme la couronne
le
de chêne, en disant
xîombinaison difforme de raideur et d'aplatis-
:

tiement, dont il fallait détourner les yeux


— Reconnais le bien suprême I

aspect à la fois Pendant que ces rites s'accomplissaient, le


pour ne pas souffrir de son
car rien de plus répu- Vieillard avait très attentivement observé le
•nridicule et rébarbatif,

<
I

i*n
^ —
90 LB SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 91

jouvenceau. Dès que celui-ci eut ceint le glaive,


force, qui, antérieurement à toutes les autres,
sa poitrine s'était dilatée, ses bras s'étaient
d'assu-
règne sur le monde d'une manière plus uni-
crispés et sa marche avait pris plus
verselle et plus certaine la force de l'amour
: !

rance. Lorsqu'il prit le sceptre en main, sa


A ces mots, il serra dans ses bras la jeune
vigueur parut se calmer, tout en puisant dans
fille, qui avait rejeté son voile et dont les joues
une grâce inexprimable un surcroît de puis-
s'animèrent de l'incarnat le plus ravissant,
sance. Mais au contact de la couronne de •1
désormais inaltérable.
chêne, qui s'associa harmonieusement à la
Le vieillard dit alors en souriant :

chevelure bouclée du jeune homme, on vit


son visage s'animer ; la plus vive intelligence
— L'amour ne règne point, mais il préside
à toute formation, ce qui est bien supérieur*.
brilla dans son regard, et la première parole
Tandis que ces solennités se déroulaient,
qui tomba de ses lèvres fut : Lilia l

— Chère Lilia ! s'écria-t-il en s'élançant le jour s'était entièrement levé, sans que nul
n'y prît garde au milieu de l'exultation de la M
sur les marches d'argent qui conduisaient au
jeune avait
joie générale. La clarté grandissante qui pé-
sommet de l'autel, d'où la fille
nétrait par l'ouverture de la porte attira ce-
suivi toutes les phases de la transfiguration de
pendant l'attention au dehors. Chacun fut
son fiancé, chère Lilia L'homme qui a reçu
!

alors surpris du spectacle qui s'offrait à la


tout en partage pourrait-il aspirer à rien de
vue. Une vaste place, entourée de colonnes,
plus précieux que l'innocence et la paisible

( affection qui rayonnent de ton sein ? — Oh I


s'étendait devant le temple et conduisait à un
pont magnifique, aux arches multiples, jeté
mon ami, poursuivit-il en se tournant vers le

Vieillard, sans perdre de vue les trois statues


<)
1. Die Liebe hemcht nicht^ &ber sie bildetj and
sacrées, splendide et stable est le règne de dM ist mehr. Bilden signifie former, façonner, mode-

quatrième ler, créer, organiser, constituer, instruire, cultiver,


nos pères, mais tu as oublié la
former l'esprit, civiliser, policer un peuple.

il

n M
LE SERPENT VERT 93
92 LE SERPENT VERT

splendides colonnades lon- magnifique, qui, surgissant de ces piles, s'est


sur le Fleuve. De
construit et se conservera de lui-même.
geaient ce pont de chaque côté, abritant les
par milliers déjà, circulaient
qui,
Des explications allaient être demandées
piétons,
relativement à ce mystère, lorsque quatre
dans les deux sens avec la plus grande faci-
'I belles jeunes filles franchirent le seuil du
lité. Le large espace du milieu livrait passage
temple. La harpe, le parasol et le pliant firent
à une affluence incessante de troupeaux, de
reconnaître sans hésitation en trois d'entre
bêtes de somme, de cavaliers et de véhicules,
elles les suivantes de Lilia. Mais la quatrième,
qui, sans la moindre confusion, traversaient
certes la première en beauté, semblait une
dans Tune et Tautre direction. Chacun parais-
nouvelle venue, déjà familiarisée cependant
sait émerveillé de voir tant de splendeur aussi
avec le trio, qu'elle animait par son joyeux
admirablement adaptée aux besoins pratiques.
roi et à sa compagne, leur badinage, tandis qu'elle traversait le Temple,
Quant au nouveau
jusqu'aux marches d'argent qu'elle n'hésita
ravissement en présence de l'animation et de
pas à gravir.
la viede ce grand peuple ne fut comparable
qu'au bonheur qu'ils puisaient dans leur mu-
— Me croiras-tu désormais ? ma chère

tuel amour.
femme, lui dit alors l'Homme à la Lampe.
—Honore la mémoire du Serpent dit !
Sois heureuse, de même que toute créature
qui, ce matin, se baignera dans le Fleuve
alors l'Homme à la Lampe en s'adressant au
!

peuples sont Rajeunie et transfigurée, la Vieille n'offrait


roi. Tu lui dois la vie, et tes lui
plus la moindre trace de son précédent aspect.
redevables de ce pont, grâce auquel les rives
Pleine de fougue juvénile, elle sauta au cou
voisines ont pu se peupler et devenir un do-
de l'Homme à la Lampe, qui accueillit avec
fit
maine uni. Les gemmes flottantes et lumi-
décomposé son complaisance ces marques de tendresse.
neuses, en lesquelles s'était
corps sacrifié, constituent les piles de ce pont
— Si je te parais trop vieux, lui dit-il en

il
94 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 95
tii
souriant, tu es en droit aujourd'hui de te choi-
habituel
sirun autre époux. A partir de ce jour, nul dre son bain coutumier à l'endroit
Fleuve. Mais voici qu'au lieu d'entrer dans
mariage n'est valable, à moins qu'il ne soit du
il sentait un sol sec sous
ses pieds, tan-
renouvelé. l'eau,
— Ignores-tu donc répondit-elle, que, toi dis qu'il avançait en titubant sur le
large pa-

vage du pont. Si maladroitement qu'il se fût


aussi, tu es devenu plus jeune ?
— Je me réjouis d'apparaître à tes yeux élancé au milieu des gens et des animaux, sa
comme un vaillant jeune homme ;
j'accepte présence, visible pour tous, provoquait un
donc à nouveau ta main et suis tout disposé effarement général, mais nul n'en ressentait
'/
à vivre avec toi jusqu'au prochain millénaire. les effets. Il n'en fut plus de même lorsque,

pour se frotter les yeux que le soleil venait


La reine félicita sa nouvelle amie, puis des-
cendit avec elle et les autres suivantes l'esca- de frapper, le colosse leva les bras car l'om- ;

lier conduisant dans l'intérieur de l'autel. Le bre de ses formidables poings bouscula irré- \i

roi et les deux hommes restèrent par contre sistiblement la foule sur laquelle elle passa.
sur la plate-forme, d'où ils pouvaient obser- Bêtes et gens furent renversés, blessés ou
ver le pont et l'agitation de la foule. meurtris, et couraient risque d'être précipi-
tés dans le Fleuve.
La satisfaction du de courte durée,
roi fut A la vue de ce méfait, le roi ne put s'empê-
cher de porter la main à son glaive mais, ré-
car il ne tarda pas à être témoin d'un spec- ;

tacle affligeant. Mal réveillé de son sommeil, fléchissant, il considéra plein de calme d'abord
le lourd Géant venait de s'engager gauche- son sceptre, puis la lampe et la rame de ses

ment sur le pont, où il provoquait une indes- compagnons.


criptible confusion. Comme d'ordinaire, il
— Je devine ta pensée, lui dit alors l'Homme
s'était levé à moitié endormi, pour aller pren- à laLampe, mais, contre cet impuissant, nous
restons nous-mêmes impuissants en dépit de
-<J» «.^

96 LE SKRPENT VERT LE SKRPENT VERT 97

toutes les puissances dont nous disposons. l'étrange monument, dont la masse obstruait
Sois sans inquiétude ne commettra plus
! II presque vue du pont.
la
d'autre action nuisible, et nous avons la chance Rassuré par l'immobilité du Géant, le peu-
que son ombre ne soit pas tournée vers nous. ple ne tarda pas à s'en rapprocher, puis à
Le Géant cependant s'était approché. Stu- l'entourer, tout en s'extasiant sur la métamor-
péfait de ce que lui révélaient ses yeux grands phose subie. La foule ensuite se tourna vers
ouverts, il avait laissé retomber ses bras et le Temple, qu'elle ne semblait pas avoir aperçu
ne causait plus de dommage mais; il avançait plus tôt.
toujours. Déjà il traversait l'avant-cour, se Elle se pressait pour en franchir la porte,
dirigeant droit vers la porte du Temple, lors- lorsque, du haut des airs, l'Epervier renvoya
que, parvenu au point central de la place, il sur l'autel, par l'ouverture de la coupole, un
se trouva brusquement fixé au sol. Il venait faisceau de lumière solaire captée à l'aide du
d'être transformé en une immense etsplendide miroir dont il était porteur. Au sein du demi-
statue de pierre rougeâtre et luisante. Son jour mystérieux du sanctuaire, le roi, la reine
ombre désormais indiquait les heures, figurées et leur suite parurent ainsi baignés d'une
sur un pavé circulaire, non par des chiffres, clarté céleste. Le peuple se prosterna à cette
mais par une série de compositions en mosaï- vue, saisi d'un religieux respect.
que, retraçant de nobles images d'une haute Lorsque, remise de son émotion, la foule se
signification. releva, le roi et les siens avaient disparu par )

Cette application utile de Tombre du Titan l'escalier intérieur de que des passages
l'autel,
donna grande au roi. Quant à la
satisfaction secrets reliaient au palais. Le peuple alors se
reine, qui, escortée de ses suivantes, venait répandit dans le Temple pour satisfaire sa
de surgir merveilleusement parée de l'intérieur curiosité. Les trois rois restés debout furent
de Tautel. sa surprise fut vive à l'aspect de examinés avec un étonnement plein de véné-
7
98 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 99
ration. Mais rien n'intrigua autant que la
masse confuse, qui, dans la quatrième niche, pièces d'or. Finalement, tout reprit son cours
était soigneusement dissimulée sous un pré- normal, chacun peu à peu ne se préoccupant
cieux tapis. Le roi effondré avait été recouvert plus que de poursuivre sa route. Jusqu'à ce
d*un splendide tissu, voile charitable, qu'au- jour, le pont fourmille ainsi de passants et le
cun œil ne parvenait à percer et qu'aucune Temple est le plus fréquenté de la terre.
main ne se permettait de soulever.
Ne se lassant pas de contempler et d'admi-
rer, la foule grossissante aurait fini par s'écra-
ser dans le Temple, sans une diversion qui
vint fort à propos attirer son attention vers la
grande place.
Subitement, les dalles

retenti d'un bruit


de marbre y avaient
de pièces d'or paraissant
F ^
tomber du ciel ; les personnes les plus pro-

ches s'étaient aussitôt précipitées sur le mé-


tal précieux. Le phénomène se reproduisit à
diverses reprises, tantôt d'un côté, tantôt de
l'autre.En se retirant, les Feux Follets avaient
ainsi voulu se distraire par une joyeuse dila-
pidation de l'or qu'ils avaient su extraire des
veines du roi effondré. Avide, la foule courut
longuement de ci de là, se pressant et se bous-
culant, alors même qu'il ne tombait plus de
rTTSSg

L'ÉSOTÉKISME
DU « SERPENT VERT »
|0NNER d'une production littéraire
une traduction rigoureuse est
toujours une tâche ingrate. Ce
qui s'exprime dans une langue
en une forme heureuse se heurte, dans l'au-
tre, aux rencontres les moins esthétiques.
C'est à peine si j'ose relire le conte de Goethe,
dit du Serpent Verl^ tel que je me suis efforcé

de lerendre accessible au lecteur français.


M'écartant de toute préoccupation de forme,
je me suis borné à fixer des images dont la

haute signification m'avait frappé. Il me reste


à les interpréter, sans que je puisse ambition-
ner cependant de mettre au jour toute la pen-
sée du grand poète allemand, car cette pensée
se perd dans des profondeurs insondables. Je
ne consignerai donc ici que les interprétations
qu'il m'aura été possible de discerner, en
ï'^

104 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 105

m'appuyant sur la connaissance générale du aurait pu m'échapper. Et mon entière recon-


symbolisme. naissance leur serait acquise, si grâce à eux je
D'avance, je me déclare incapable de ren- parvenais à trouver la solution définitive d'une
dre compte de tout. Mais il est des choses qui énigme qui a tant intrigué les admirateurs de
me semblent claires, et, les prenant comme Goethe.
points de repère, j*espère arriver à m'orienter
dans un labyrinthe, à première vue inextri-
cable.
Les indications déjà fournies par divers
commentateurs me seront précieuses, en par-
ticulier Tarticle du D"" August Wolfstieg, in-
titulé GœChes Màrchen von der grûnen
:

Schlange, paru dans les Monalshefte der C(h-


menins Gesellschaft de janvier 1912. Je bé-
néficie également d'un résumé des interpréta-
tions de Bielschowsky que j e dois à Tobligeance
du D"^ G. Lauer. Enfin, j'ai reçu communica-
tion,de la part de M. Karl-Friedrich Laux,
de Mannheim, de l'exégèse théosophique du
D^ Rudolph Steiner. Ainsi armé, j'ose affron-
terune tâche ardue, que j'espère mener à bien
avec le concours de mes lecteurs. Car je compte
être aidé dans mon travail de divination, par
les esprits intuitifs, habiles à percevoir ce qui
I)

LA CULTURE INITIATIQUE
DE GOETHE
|ouT d'abord, il convient de se
demander si Goethe ne s'est pas
amusé à écrire un conte énigma-
tique,pour Tunique plaisir d'in-
triguer ses contemporains et de leur faire cher-
cher un ésotérisme dont il n'avait nul souci.
Goethe s'est plu à laisser croire qu'il en était
ainsi. Nul n'a jamais pu obtenir de lui le moin-
dre éclaircissement sur la signification du conte.
Dans une lettre à Schiller, il se contente de dire :

Puisque les dix-huit personnages impli-


<c

qués dans l'action sont autant d'énigmes, les


amateurs d'énigmes doivent y trouver leur
compte.» Puis, tournant en dérision les efforts

des exégètes, Goethe écrivit en 1797 « Plus :

de vingt personnages interviennent dans le


conte. Que font-ils donc à eux tous? Le conte,
^ mon ami*. »

1. Mehr als zwanzig Personen sind in dem Mfirchen


geschftftig.
Nun, was machen aie denn aile? Das Mftrchen, mein
Freund.
LE SERPENT VERT 111
110 LE SERPENT VERT

Gœthe s'était initié à toutes les connaissan-


Ce mutisme et cette ironie ne prouvent pas ces mystérieuses du passé. Passionné alors
que le conte de Goethe ne fasse allusion à rien. pour la Kabbale, l'Hermétisme et plus spécia-
J'ai, au contraire, l'impression que le génial
lement l'Alchimie, il se plongea dans l'étude
penseur y a traduit ses conceptions les plus des plus célèbres auteurs de la Renaissance.
1
intimes, celles qu'il ne se souciait pas de livrer Il voulait découvrir le secret des
opérations
en pâture aux discussions incompétentes. Il de la nature et se faire une religion basée sur
aurait alors écrit son conte pour les initiés, le résultatde ses découvertes.
pour ceux qui ont appris à déchiffrer les hié- Quel travail s'est-il fait dans son esprit au
roglyphes éternels de la pensée humaine. cours des longs mois de recueillement qui lui
N'oublions pas, à ce sujet, que Goethe était furent imposés par le délabrement de sa santé
Franc-Maçon. La Loge « Amalia », de Weimar, de 1768 à 1770 ? N'est-ce point dès cette épo-
se fait honneur de lui avoir donné la lumière que qu'une imagination aussi fertile que la
le 23 juin 1780. Un an plus tard, jour pour
sienne se trouva fécondée de germes qui de-
jour, il fut promu Compagnon, puis élevé à la
vaient se développer par la suite ?
Maîtrise le 2 mars 1782, en même temps que
Nous savons que le conte qui nous occupe
son ami et protecteur, duc Charles-Auguste
le
n'a été rédigé qu'en 1795. Mais depuis quand
de Weimar. Le 4 décembre de la même année,
était-il en gestation dans la sphère mentale du
i il se fit conférer le 4® degré écossais de la poète? Il se peut, d'ailleurs, que cette gestation
Stricte Observance, et, le 11 février 1783, il
ait été inconsciente, sub ou surconsciente, si
signa son obligation comme Illuminé *.
bien qu'un beau jour Gœthe n'ait plus eu qu'à
Mais aux approches de sa vingtième année, laisser courir à la fois sa
plume et son imagi-
1. Gœthe nnd die Kônigliche Kunst von D* Hugo nation, pour accoucher une œuvre géniale-
Wernekke,vormal8 Meister vom Stuhl der Loge Ama- ment coordonnée. Il a expliqué lui-même que
lia in Weimar. Leipzig, Pœschel et Kippenberg, 1905.
112 LE SERPENT VERT

ses plus belles poésies furent le fruit d*une


sorte de somnambulisme poétique. Elles se
sont présentées sous sa plume sans qu'il les
1/
ait cherchées, et, pour ainsi dire, sans qu'il

en ait eu conscience ^.

S'il en est ainsi, loin de se moquer des lec-

teurs du conte, Goethe leur a livré le fond, et


même le plus reculé de sa pen-
Tarrière-fond
sée. Je croisdonc qu'il ne faut pas hésiter à
faire Tautopaie du « Serpent Vert ». C'est un LE FLEUVE
animal qui se décompose en pierres précieuses.
Tâchons d'en recueillir le plus grand nombre ET SES DEUX RIVES
possible.
I
1.FiRMBRT. Nouvelle collection des classiques popu-
laires.Gœthe, p.!l?4. Paris, Société française d'im-
primerie et Librairie.
\

buR l'immense majorité des inter-


prètes du conte de Goethe, le
Fleuve n'est autre que le Rhin,
qiii sépare deux civilisations.
Li-
lia, c*e8t Tidéalité
française, fleur de beauté,
suggestive de formes harmonieuses,
mais inca-
pable de produire quoi que ce soit
de substantiel
et de nutritif. Le contact de Lilia est mortel : la
guillotine venait, en effet, de
régler le sort des
idéalistes français. Mais Lilia
galvanise les êtres
i
pétrifiés, comme les armées françaises en four-
nissaient la preuve. Dans le gentil serin qui
divertit Lilia,
on a voulu voir nos belles-lettres,
tuées dans leur forme
aimable par Tâpreté de
a littérature révolutionnaire,
symbolisée par
1 épervier. Messager des idées
nouvelles, cet
oiseau, empourpré par les derniers rayons
du
soleil couchant, guide la marche du
Vieux à
la Lampe et lui permet d'arriver à temps pour
LE SERPENT VERT 117
116 LE SERPENT VERT

Mais nous voici entraînés de plus en plus


opérer un sauvetage au moment critique. C'est loin d'une interprétation tirée des
événements
Tépervier qui guettera le lever du jour, pour de la fin du xvni® siècle. Goethe était forcé-
réveiller les trois dormeuses, en réfractant ment hanté par les idées de son époque et le
sur elles la lumière solaire. Or les trois belles symbolisme d'un conte composé pendant la
suivantes de Lilia auraient nom Liberté^ Ega," Révolution se serait teinté, même malgré lui,
lité^ Fraternité, d'allusions révolutionnaires. Ce n'est là, ce-
Sur la riveopposée, celle de Texpérience et pendant, que le côté accidentel de la compo-
du positivisme pratique, habite un étrange sition. Si séduisante qu'elle soit au début,
ménage :Vieux à la Lampe et sa femme.
le l'exégèse politique ne mène pas très loin.
Celle-ci, bonne personne très soucieuse des Quand on veut la pousser, on ne tarde pas à
apparences, se montre accessible à la flatterie tomber dans l'incohérence.
et devient le jouet des Feux Follets. Ces Oublions donc le Rhin, la France, l'Empire
flammes légères et mobiles représentent la
germanique effondré en la personne du roi
philosophie raisonneuse du xvni« siècle. Elles composite, et prenons les choses à un point de
sont habiles à lécher Tor superficiel, quittes vue beaucoup plus général.
à le répandre ensuite sans discernement, au Dans le large Fleuve, grossi par de ré-
risque de soulever les eaux du Fleuve ou de centes pluies, voyons le cours même de la vie,
tuer le carlin, âme vulgaire, incapable de s'as- l'actualité en voie d'écoulement, par opposi-
similer les vérités émancipatrices. tion aux deux rives immobiles, appartenant
Le Vieux est un sage instruit de toutes Tune au passé et l'autre à l'avenir. D'un côté
choses, surtout en ce qui concerne le passé. se conserve tout ce qui n'est plus et de l'autre
C'est lui qui, intervenant à l'heure voulue, di- attend ce qui n'est pas encore. Au milieu,
rigera tout en vue de la réalisation de l'Idéal contenue entre les escarpements qui la domi-
et du bonheur universel.
118 LE SERPENT ^'ERT LE SERPENT VERT 119

nent, s'étale l'existence journalière, au cours vers rOcéan, les flots succédant aux flots, au
régulier, prosaïque, mais comportant ses re- milieu des rives immobiles et indifférentes ?
mous et ses tourbillons. L'individu qui se En d'autres termes, les nécessités de la vie
contente de se laisser vivre nage dans ces pratique détermineront-elles seules les desti-
flotstumultueux et peu limpides. Il s'adapte nées humaines, en dehors de facteurs tirés de
aux coutumes, aux idées reçues, aux préjugés, rexpérience du passé ou des aspirations de
évitant de se singulariser, de s'insurger contre l'avenir ?
la mode et le goût du jour. Faire comme tout Goethe voit le salut dans la construction
le monde est la grande règle de la sagesse vul^ d'un pont, combinée avec le transport d'un
gaire. Si la société humaine était parfaite, la sanctuaire soutvrain, qui, passant sous le
règle serait même absolue. Fleuve, surgit au grand jour, sur le sol de
Mais, hélas 1 jamais le présent, le siècle, l'avenir. C'est nous montrer l'accomplisse-
n'a réalisé l'idéal. Contraints de reconnaître ment du Grand Œuvre dans le rajeunissement
les imperfections de la réalité pratique au mi- des plus anciennes traditions. Les idées nou-
lieu de laquelle ils vivaient, les hommes ont velles, si séduisantes qu'elles soient, resteront
toujours placé leur âge d'or dans le passé ou frappées de stérilité, comme les arbres su-
dans l'avenir, donc sur l'une des rives du perbes du jardin de Lilia, tant que l'Homme
grand Fleuve de la vie agissante. à la Lampe, l'Initié instruit des choses ca-
Cette vie est faite de luttes, de compéti- chées, n'aura pas conjuré le mauvais sort.
tions, de flots qui se heurtent, se pressent et La vie humaine collective n'a d'ailleurs
se gonflent, semblent se révolter parfois con- rien d'uniforme dans son écoulement. Le cou-
tre eux-mêmes, mais se poussent irrésistible- rant du Fleuve symbolique est plus ou moins
ment les uns les autres. rapide, le niveau plus ou moins élevé, selon
Le Fleuve coulera-t-il toujours, se hâtant l'abondance des eaux. Celles-ci tombent du

V
\'

u
120 LE SERPENT VERT

ciel et y retournent en s'évaporant, circula-


tion perpétuelle, par laquelle s'affirme TUnité
de la Vie, en dépit de Tinfinie multiplicité de
ses manifestations.
Si nous ignorons la source du Fleuve, aussi
bien que son embouchure, nous savons du
moins que sa largeur est limitée, alors, qu'en
partant des deux rives, la profondeur des
terres est sans limites concevables : c'est
d'une part le recul indéfini dans le passé, et, de LE PASSEUR, SA BARQUE,
l'autre, le champ à jamais ouvert sur l'avenir.
SA RAME ET SA CABANE
Les indications générales qui précèdent vont
nous permettre de passer maintenant en re-
vue chacun des personnages imaginés par
Goethe et de préciser leur signification sym-
bolique.
I

Il est un homme qui sait dompter


le Fleuve, c'est le Passeur, vieux
nocher faisant songer à Caron,
sauf qu*il n'est pas au service
des morts, et que sa barque fend une onde
essentiellement vivante. Manœuvrant la rame
avec une habileté consommée, il se dirige à
son gré au milieu des vagues, sans se laisser
entraîner par le courant ou détourner de sa
route par les tourbillons. Il maîtrise les flots,

mais il est lié envers le Fleuve par un con-


trat mystérieux, qui l'oblige à lui abandon-
ner le tiersdes fruits de la terre exigés en
guise de péage de tous les passagers.
Ce pacte avec la vie pratique semble se rap-
porter aux concessions que le sage est tenu de
faire à son siècle, s'il veut exercer utilement
son action sur ses contemporains. Le Passeur
ne partage pas les illusions de son temps,
mais il les utilise pour influencer les masses
qu'il domine. C'est un moralisateur, un pas-

)
I,
s

LE SERPENT VERT 125


124 LE SERPENT VERT

leur d*âmes, un éducateur qui se base sur les Pour commander, la brutalité peut suffire;

idées reçues, fussent-elles superstitieuses à ses pour gouverner, il est nécessaire que le tact
propres yeux. Le bois dont se compose sa intervienne. Le gouvernement s'adresse à
barque, sa rame et sa cabane est mort, mais l'âme, le commandement avant tout au corps.
il est le produit d^une construction vitale. A L'art du gouvernement est donc un art sub-
ce titre, il est bien le symbole des supersti- til, dont le vieux Passeur possède admirable-
tions, formes qui survivent à Pidée oubliée ment le secret.

qui les a fait naître. La barque figure admira- Bâtie en bois, sa demeure s'élève à proxi-
la rive de l'avenir. Il faut
blement ainsi la religion en vigueur, les mité du Fleuve, sur
mœurs admises et les préjugés sociaux entou- voir, non plus la religion faite pour être
y
rés de respect. C'est un frêle esquif, qui se ballottée à la surface des flots, mais tout l'édi-
briserait s41 heurtait un rocher, et dont la fice de la science humaine, érigé
en terre
durée est éphémère, car le bois se pourrit peu ferme, hors du domaine que peuvent atteindre
à peu ou tombe en poussière. Mais le nauto- les eaux. Que nos connaissances soient
de bois,
nier prend soin de sa barque ; il la gouverne au même titre que la religion, c'est ce qui ne
avec dextérité, évitant les écueils et parant sera contesté par aucun philosophe ayant mé-
aux secousses des vagues dangereuses. dité sur l'infinie vanité des choses. Le Passeur,
Sa rame, qu'il conservera plus tard, alors sans doute, sait à quoi s'en tenir; mais un
même qu'il n'aura plus de barque, est l'ins- abri, même en planches, n'est pas à dédaigner,
trument indispensable de tout gouvernement. et le repos qu'on y goûte la nuit permet d'af-
! Gouverner, en efifet, ne veut pas dire imposer fronter les fatigues du jour.
"

,1
une volonté. Une armée demande à être com- Préposé à tout ce qui passe pour vrai, tant

mandée, mais une nation a besoin d'être gou- dans le domaine du savoir (cabane), que dans
vernée, et ce n'est aucunement la même chose. celui de la croyance (barque), le Passeur fait

?^
\

126 LE SERPENT VERT


LE SERPENT VERT 127
traverser le Fleuve à qui veut bien se
confier
à lui. Grâce à son expérience, on peut en sé- obtenus, qu'au bout d'un certain temps et
curité s'embarquer dans sa nacelle,
i autrement après abstraction de ce qui revient aux con-
dit se mettre à son école, bénéficier
de son tingences fortuites?
enseignement. Mais ce maître ne conduit exigés
que Pourquoi les fruits sont-ils trois
vers le passé (histoire, archéologie,
connais- choux, trois artichauts et trois oignons? Ces
sance des systèmes philosophiques et
des re- légumes ont-ils été choisis en raison des en-
ligions anciennes); il lui est interdit
de rame- veloppes multiples qui les constituent? Il se-
ner ensuite ses passagers vers Tavenir.
Sa rait témérairede vouloir préciser sur ce point
mission n'est donc pas celle d'un
prophète, un symbolisme qui reste énigmatique.
d'un novateur, d'un rêveur préoccupé
de ce Mais n'oublions pas que la cabane du Pas-
qui n'est pas encore. Le Passeur est
réaliste seur, donc sa science, ses connaissances posi-
en toutes choses, et c'est pourquoi il
n'accepte tives, occupera la place d'honneur dans le grand
en péage que des fruits de la terre, c'est- Temple qui surgira de terre quand les temps
à-dire des résulUts pratiques,
immédiatement seront révolus. Le bois, alors, aura été trans-
utilitaires.
mué en argent impérissable, mystère que nous
I Cependant, il n'a pas le droit de toucher à expliquerons en son lieu.
ces fruits avant que neuf heures ne se soient
écoulées. Ce délai passé, il faut qu'il
aban-
donne au Fleuve un tiers de ce qu'il a reçu ;
le reste lui appartient
ensuite.
il A quelle gestation ce chiffre neuf fait-il
allusion? Veut-il dire qu'un enseignement,
une
règle ne doit se tirer des faits,
des résultats
LES FEUX FOLLETS,
L'OR ET LE SERPENT
|u milieu de la nuit, des appels
impatients réveillent le vieux
Passeur : deux Feux Follets de-
mandent à traverser. Une fois

t:)
embarqués, ils ne cessent de s'agiter, de rire
et d'échanger leurs idées en une langue incon-
nue, mais avec une extrême volubilité. Que
représente ce binaire igné, sinon la vivacité

\du bel esprit, qui se complaît à discuter sur


toutes choses d'une manière brillante, sans
rien approfondir? Pouvait-on mieux symbo-
du
liser l'esprit français xvni® siècle que par
ces joyeux compagnons qui, admis dans la
barque religieuse, accablent de sarcasmes le
nautonier et s'y démènent comme des diables
dans un bénitier ?

Pour payer leur traversée, ils se secouent


et font pleuvoir des pièces d'or dans la bar-
que humide. Gela prouve que leur étourderie
i^Kw

13-2 LE SERPENT VERT


LE SERPENT VERT 133

mérite considération. Ces fous, qui touchent


che la provenance de Tor et se met à la pour-
à tout avec frivolité, recueillent des vérités
suite des Feux Follets, sans ménager ses peines
précieuses, qu'ils ne demandent qu'à répandre,
et ses fatigues.
sans se soucier des ravages pouvant résulter
Le Serpent figure ici la tradition initiatique
de révélations intempestives. Une seule pièce
instinctive, qui se traduit par un culte de
d'or, en tombant dans le Fleuve, y aurait dé-
rites et de symboles incompris. L'or englouti
chaîné une révolution. Les illusions religieu-
et digéré illumine intérieurement et fait sai-
ses maintiennent Tordre social tout n'est que
:

sir la portée des formes pratiquées jusqu'alors


convention dans la vie pratique; aussi le
par routine, par respect de leur antiquité, en
Passeur supplie-t-il les Feux Follets de repren-
raison aussi d'une vague intuition de leur
dre leur or, dans l'intérêt de sa propre sécu-
sens caché. Le philospohisme bavard des
rité. Comme, une fois émise, l'idée ne
peut
con-
Feux Follets a eu sa répercussion sur les rê-
faire retour à sa source, le Passeur est
veurs qui se plaisaient dans les réminiscences
pour éviter une catastrophe, d'éloigner
traint,
d'un passé disparu. Leur attention une fois
soigneusement de l'eau tout l'or malencon-
mise en éveil, ces mystiques ont voulu s'éclai-
treux.
rer. Ils se sont rapprochés des beaux esprits
(Porté dans la montagne, cet or lumi-
discoureurs, sans craindre, à cet effet, de
neux est projeté dans une obscure crevasse,
descendre des hauteurs pour se frayer une
où il est absorbé par le Serpent Vert, dont le
route à travers les marécages de la platitude
corps, à la suite de cette absorption, devient
et du charlatanisme.
phosphorescent. La vérité, cette fois, n'est
Le Vieux Serpent figure toute la chaîne
pas repoussée le mystérieux reptile se l'assi-
:
d'associations occultes qui se sont transmises
mile avec avidité, bénéficiant aussitôt d'une des usages et des méthodes dont la connais-
illumination magique. Mis en goût, il recher-
sance devait être dérobée au vulgaire, aux
TT" / —

134 LE SERPENT VERT


LE SERPENT VERT 135

masses charriées par le Fleuve. Le mystère n'a


née à ramper horizontalement, sur le sol du
jamais cessé d'avoir ses hiérophantes et ses
du concret et du réalisable. Ce-
positivisme,
fidèles, les uns et les autres trop souvent ré-
pendant, comme elle demande aux Flammes
duits à ne rien discerner au milieu des ténè-
légères de la renseigner sur la provenance de
bres sacrées. Tel fut longtemps le cas de la
Tor, qu'elle suppose tombé directement du
Franc-Maçonnerie, issue de corporations ar-
âge qui prétendaient
ciel, les Feux Follets s'esclaffent, tout en se
chitecturales du moyen
secouant pour faire pleuvoir des pièces d'or,
se rattacher aux plus anciens groupements
qu ils s'amusent de voir dévorées par le Ser-
constructifs. Dès le xvii« siècle, un esprit nou-
pent.
veau pénétra peu à peu la très vieille orga-
Devenu 'lumineux en cette compagnie fo-
nisation qui semblait vouée à disparaître. C'est '

lâtre, celui-ci se hâte de regagner la mon-


alors que Tor dédaigné par renseignement
tagne et de se faufiler dans la crypte dont le
officiel (lePasseur) tomba dans la crevasse
secret ^intrifi:ue^
où somnolait le Serpent. Celui-ci se hâta de
faire siennes les doctrines humanistes de la
Renaissance, qui auraient dangereusement
agité le Fleuve. Puis, ainsi préparé, il rejoi-

gnit les Feux Follets, autrement dit les Ency-


clopédistes et les beaux esprits raisonneurs,
jamais à court d'explications sur tout ce qui
semblait mystérieux.
Ces rationalistes, dont le domaine est la

verticale (abstraction, théorie, transcendance),


éblouissent la pauvre Couleuvre, condam-
i^t

*
IW ». .>. -. X J^ Jl 1^ JkkTi
mv m^-W^ .Jk

( .

LES ROIS ET LE VIEUX


A LA LAMPE

I
t

IB sanctuaire souterrain abrite

quatre statues royales. La pre-


mière, qui est entièrement com-

__^^___^ posée de Tor le plus pur, figure


la Sagesse,basée sur les vérités éternelles,
immuables et inaltérables comme le métal
précieux. La seconde correspond aux Appa-
rence», aux formes extérieures variables, qui
s'imposent par leur charme, leur beauté. Son
solide
métal est l'argent. La troisième statue,
représente la Force
dans sa massivité d'airain,
qui exécute. Nous retrouvons donc
ici le ter-

naire maçonnique Sagesse, Force et


Beauté,

puissances destinées à régner sur terre quand


la quatrième statue, celle du Roi composite,
se sera effondrée.

1
T Jts« -;;. -rrf i j

140 LE SERPENT VERT 141


LE SERPENT VERT

L'airain, l'argent et Tor fournissent véritable Maître du mystère est un chétit


la subs-
tance de cette dernière statue, qui symbolise vieillard, vêtu en paysan, et porteur
d'une
lampe dont la suave lumière projette
l'opportunisme, régime équivoque, destiné à petite
crouler sous l'action dissolvante de la criti- une clarté enveloppante ne laissant place à
que, habile à lui soustraire ses éléments de aucune ombre. Ce personnage, qui passe à
soutien. travers le roc sans rencontrer de résistance
Les Rois posent des questions analogues à et glisse sur l'eau sans y enfoncer,
ne semble
l'Ermite du
celles du rituel maçonnique :
guère matérialisé. Il fait songer à
— D'où viens-tu ? Tarot, prudent vieillard qui cache sa lanterne

— Des crevasses où réside l'or (de la Loge sous son manteau de philosophe,
pour n'en
de Saint-Jean, où j'ai reçu la lumière). montrer la lumière qu'à bon escient.
— Qu'y a-t-il de plus splendide que l'or ?
Lorsque, brusquement, l'Homme à la

— La lumière (elle est vivante dans son Lampe sort de la paroi rocheuse de la crypte,
rayonnement, alors que l'or est mort dans sa le Roi d'or lui demande :

fixité). — Pourquoi viens-tu, puisque nous avons


— Qu'y a-t-il de plus réconfortant que la de la lumière ?

lumière ? Vous savez qu'il m'est interdit d'éclai-

— La parole (le Verbe agissant ne se con- rer les ténèbres.


tente pas d'éclairer l'esprit, il pénètre Tâme Le Vieux personnifie l'Esprit initiatique su-
et la réconforte). périeur aux individus. On peut, dans une cer-
mesure, l'assimiler à Iliram, le Maître
Le Serpent n'est pasembarrassé pour ré- taine
pondre, car il possède désormais un degré immortel qui ressuscite dans l'adepte suffi-
samment éclairé. Le Serpent, c'est-à-dire l'as-
suffisant d'instruction initiatique. Il n'est ce-
qu'il a
pendant pas instruit de tous sociation des Initiés, malgré tout l'or
les secrets. Le
142 LB SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 143

pu s'assimiler, n*éclaire qu'à très courte dis-


qui séduit les âmes). En se levant, il mettra
tance. Sa phosphorescence lui permet de re-
fin au règne du Roi composite (compromission,
connaître les objets les plus rapprochés, mais
incohérence opportuniste).
il faut qu'une autre lumière intervienne
pour L'Homme à la Lampe connaît trois secrets.
que l'ensemble du Sanctuaire soit illuminé,
Il est probable qu'il s'agit des réponses à la
sans que rien ne reste dans l'ombre. Il s'agit
énigme du Sphinx D'où venons-nous ?
triple :
cette fois d'une lumière intégrale, de la « Vraie
Que sommes-nous ? Où allons-nous ? La pre-
Lumière », comme disent les Maçons.
mière question intéresse plus particulièrement
Cette lumière ne peut se manifester au sein
leRoi d'Or, qui remonte aux principes, aux
de l'obscurité complète mais un commence-
;
vérités nécessaires d'où dérive la Sagesse, au-
ment de clarté initiatique fait appel au Vieux
trement dit la connaissance rationnelle. Pour
à la Lampe, qui achève l'initiation en confé-
le Roi d'Argent, qui s'en tient à la surface
rant la Maîtrise.
des choses et à l'effet qu'elles produisent, le
Esprit pénétrant, il a le don de prévoir
secret le plus important se rapporte aux phé-
l'avenir. Il

n'est pas près de


sait que le

prendre
règne du Roi d'Argent N nomènes constatables. Or, les progrès de la
fin, car les hommes science nous révèlent le mystère de ce qui
risquent bien de n'être jamais gouvernés par la
existe et nous font comprendre ce que nous
raison pure (or). Les apparences et leurs illu-
sommes. Le Roi d'Airain lancera l'éclair de
sions continueront à les dominer vraisembla-
sa volonté, ou brandira sa massue (frappera
blement toujours.
un coup de maillet), quand il sera fixé sur
Quant au Roi d'Airain (Volonté qui exécute),
l'objectif à poursuivre, quand il saura où nous
son heure est proche. Une fois levé, il devra
allons.
s'allieravec ses frères aînés, le Roi d'Or (Sa-
Le Roi composite se désintéresse de ces
gesse qui approfondit) et le Roi d'Argent (Art
questions, car il manque de raison d'être et
144 LE SERPENT VERT

ne subsiste qu'à la faveur d'un illogisme né- LE SERPENT VERT 145


cessairement fragile et transitoire. ']!

Les Rois sont des statues immobiles, éri- car le Vieux seul a recueilli le secret du Ser-
gées dans des niches. Ils attendent que le pent.
Vieux leur communique son triple secret Secret formidable, mot d'ordre d'une créa-
;

mais rinitié doit se taire tant que la Parole tion nouvelle, d'une rénovation intégrale du
perdue n'est pas retrouvée. monde. Son énoncé à voix basse, ébranle le

Or, le Serpent détient le quatrième secret; Sanctuaire, d'où se retirent, en sens opposé,
il du Vieux, qui clame alors
le siffle à Toreille
i
le Vieux et le Serpent, chacun traversant à sa

d'une voix formidable « Les temps sont ré-


:
manière la masse rocheuse de la montagne.
volus ! » Le Vieux s'enfonce vers l'Occident et le Ser-
Quel mot magique Serpent pent vers l'Orient. Le Serpent retourne ainsi
le avait-il donc
surpris? L'or provenant des Feux Follets à la source de la lumière émancipatrice qui
a pu
lui suggérer un vocable synthétique, indice dissipe les ténèbres de la nuit. Ce qu'il s'est

d'un certain état d'esprit atteint par la men- assimilé de la Tradition va lui permettre de

talité humaine. Les hommes, en nombre suf- lutter contre les préjugés, de combattre les
fisant, ont-ils pris conscience de leur solida-
erreurs qui s'opoosent à la réalisation de
l'idéal désormais formulé. Quant au Maître
rité ? La parole qui annonce que l'heure du
spirituel, il regagne le domaine des esprits,
renouvellement est venue serait alors « ^u-
ce mystérieux Occident où Osiris disparaît.
manité ». La notion du Grand Œuvre cons-
Son passage à travers la montagne y laisse un
tructif humanitaire est-elle devenue lumineuse
couloir comblé d'or, par la clarté de sa lampe
dans l'esprit des penseurs? Le mot sacré pour-
qui transmue les pierres en or, le bois en ar-
rait alors équivaloir à « Travail ». Sur ce
gent et animaux morts en minéraux de
les
point, le champ reste ouvert aux conjectures.
prix, à la condition toutefois de ne se
combi-
ner avec aucune autre lumière Le rayonne-
.

10
*T-

146 LE SERPENT VERT LE SERPff^îT VERT 147

ment de la Lampe magique perd, en effet, sa l'Art est intervenu pour stabiliser et donner

vertu transmutatoire dès qu'il se combine une valeur durable aux apparences, aux fic-
avec d'autres radiations, car il se contente tions et aux illusions esthétiques.

alors d'éclairer très agréablement, tout en pé- Mais comment un animal mort peut-il se
nétrant les êtres vivants d'ondes réconfor- pétrifier en un objet précieux? Le Carlin va

tantes (fluide vivifiant). nous l'apprendre.


Il s'agit bien ici du Verbe, envisagé dans
son irradiation vivifiante, autrement dit du
Grand Mercure des Sages, qui pénétrant par-
tout, éclaire les intelligences réceptives et sti-
mule toute ardeur généreuse. Cet agent,
pourvu qu'aucune autre influence ne s'associe
à la sienne, transforme en or spirituel toute
.i;
pierre, c'est-à-dire toute substance bonne à
concourir à la construction humanitaire, au
sens où l'entendent les Francs-Maçons. Dé-
posez vos métaux, qui seraient anéantis par
la lumière initiatique, isolez-vous du monde
profane, et, Hiram vous illuminant, le Grand
Œuvre s'accomplira en vous !

Produit de mort se
la vie végétale, le bois
transmue en argent sous l'action du Grand
Agent magique universel. La forme éphémère
qui survit se trouve alors fixée en beauté :
m

i
LA VIEILLE ET LE CARLIN

i
.

rf«k. *" ^

Ia parole fatidique apportée du


dehors ayant retenti dans le
sanctuaire intérieur de la Mon-

^^^^^^ tagne, le Vieux à la Lampe est

mystérieusement poussé vers Textérieur, dans


le sens de TOccident.
Nous retrouvons aussitôt dans sa maison,
le

construite contre le flanc de la Montagne ini-


tiatique, et qu*un couloir, désormais
comblé
d'or, relie à la crypte centrale où attendent
les Rois.
Cette maison n'est plus une chétive cabane
de planches comme la demeure du Passeur

Le logis du Vieux à la Lampe se compose de


pierres solides extraites de la Montagne, qui
elle-même est en opposition directe avec le

Fleuve. Celui-ci représente ce qui s'écoule


en
circonstances, variant sans
s'adaptant aux
cesse, comme les modes et les opinions, selon
152 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 153

le caprice de Tactualité ce domaine, nous


préfère, la doctrine initiatique, formulée en
;

Tavons vu, est celui du Passeur.


système (construction) rendu accessible à l'in-
La Montagne symbolise tout le contraire,
telligence humaine.
donc ce qui est fixe et invariable. Sa masse La demeure du Vieux est donc un édifice
rocheuse recouvre le Sanctuaire de Tésoté-
intellectuel, tout comme la cabane du Passeur.
risme le plus profond, où les principes immua- Mais qu'un échafaudage de con-
celle-ci n'est
bles (statues des Rois) se tiennent figés en
naissances pratiques, basées sur une observa-
une immobilité hiératique. Ténébreux par
tion superficielle, sur un empirisme le plus
lui-même, ce centre est isolé de la lumière souvent grossier, alors que la maison est so-
extérieure par toute la hauteur et Tépaisseur
lidement bâtie, l'aide de blocs taillés
à
de Montagne. Mais cet immense amas de
la
d'équerre. Il une coordination métho-
y a là
minéraux est librement traversé par le Vieux
dique de vérités éprouvées, autrement dit une
à la Lampe, donc par Tesprit capable d'éclai-
philosophie durable, à l'épreuve des siècles et
rer, autrement dit de discerner, de compren-
de toutes les variations de la fantaisie hu-
dre lui-même et de faire comprendre à autrui.
maine.
Il s'agit bien du Maître, dont Thabitation
Le Sage par excellence partage cette de-
s'appuie à l'extérieur de la Montagne, si bien
meure avec une épouse qui se montre acces-
qu'elle est, à ce point de vue, en opposition
sible à toutes les faiblesses féminines. Il la
avec Sanctuaire intérieur. Celui-ci corres-
le
trouve en larmes parce que, durant l'absence
pond aux profondeurs que la pensée s'efforce du mari, les Feux Follets ont abusé de la
d'atteindre en se repliant sur elle-même, en femme pour lécher
confiance de l'excellente
descendant jusqu'au fond de l'insondable puits de tout
les murs du logis et les dépouiller
où la vérité se cache. La maison du Vieux ne leur or superficiel.
serait que la margelle de ce puits, ou, si l'on Cette espièglerie commise, les galantes
'
'

r'n"" H" ( I
•• •
n 11 I n lai w i r ji i r~.~'

154 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 155

Flammes, en trépignant de gratitude, s'étaient banales, l'artichaut, qui ne saurait croître


frénétiquement agitées. Comme les fruits dans le domaine de Lilia, pourrait figurer le
tombent d'un arbre que Ton secoue, des piè- goût faux dont procèdent les modes passa-
|)V
ces d'un or lumineux avaient aussitôt roulé gères. L'oignon, enfin, correspondrait aux
sur le sol. Malheureusement, le chien de la sentences peu approfondies de la sagesse cou-
maison s'était précipité sur le métal, dont rante.
l'absorption l'avait tué, d'où le chagrin de la La ménagère du Sage possède tous ces lé-
compatissante Vieille, qui ne s'était pas im- gumes dans son potager, car elle personnifie
médiatement aperçue du méfait des Feux Fol- rintelligence pratique, celle qui ne cherche ï
lets, et, cajolée par eux, avait accepté d'ac- pas à remonter aux principes abstraits et se
quitter leur dette envers le Passeur,
contente de coordonner les observations
Refusant l'or, celui-ci réclamait trois choux, qu'elle peut faire dans le domaine du concret.
trois artichauts et trois oignons. Ces produits La visite des Feux Follets s'explique par ill

de la terre ont une valeur nutritive et repré- ont pris plaisir à se dépouil-
leur détresse : ils
sentent vraisemblablement un aliment spiri- / ler de tout leur or en faveur du Serpent.
tuel répondant aux besoins de la foule qu'en-
Ayant extériorisé tout ce qu'ils possédaient,
traîne le Fleuve. Si nous comparons entre eux ils deviennent avides de connaissances nou-
les trois légumes, nous remarquons que l'oi-
velles. La maison du Sage leur permet de se
gnon se développe en terre, mais à très faible
gorger de vérités d'un ordre plus élevé ;
aussi
profondeur, alors que l'artichaut est un fruit
trouvent-ils à l'or qu'ils y lèchent bien meil-
nettement aérien et le chou un épanouisse- commun.
leur goût qu'à l'or
ment végétal ne s'élevant guère au-dessus de
Cet or supérieur n'en est que plus fatale-
la surface du sol. Le chou semble dès lors
ment mortel pour le pauvre Carlin, bonne
faire allusion aux notions utilitaires les plus
bête dévouée, qui, à l'encontre du Serpent

/ >
\f : --

156 LE SERPENT VERT

LE SERPENT VERT ir)7


ne s'assimile pas le métal lumineux. C'est que
le fidèle compagnon de la Vieille, animal ra-
massé sur lui-même, n'est pas sa substance ? Si, réellement, à l'état vivant,
initiable comme
sa fonction était d'accomplir les rites sacrés
le Serpent, bête subtile, allongée, souple, in-
sans les comprendre, donc instinctivement,
sinuante.La fidélité du chien se rapporterait-
elledonc à la crédulité, à la foi naïve qui par piété superstitieuse, on conçoit qu'il n'ait

admet sans comprendre et perpétue les pieux pas pu supporter la lumière intérieure, ab-

usages, à It routine, conservatrice des formes sorbée avec l'or des Feux Follets. Ce ratio-
dont nalisme, qui veut se rendre compte du pour-
la signification s'est perdue ?
Après avoir soigneusement recouvert de quoi des choses, tue la spontanéité. La forme
cendre extérieure tomberait désormais en décompo-
les braises encore ardentes du foyer
et fait disparaître les pièces d'or lumineuses
sition sans le Vieux à la Lampe, qui en pénètre
que le sens, et la fixe par ce fait, en lui donnant la
le Carlin n'avait pas avalées, le Vieux
exposa l'intérieur de sa demeure à la seule valeur d'un minéral précieux et translucide
(onyx).
clarté de sa lampe. Rapidement les murs se
recouvrirent alors d'un nouvel or non moins
pur que le précédent. Qu'importe, en effet, que
des vérités initiatiques tombent dans le do-
maine public, colportées par les beaux esprits "^ A*/*

ou les philosophes vulgarisateurs ? Le mys-


tère est inépuisable ce que l'esprit en dis-
;

cerne devient Or philosophique.


Mais comment le Carlin, tout en conservant
K:^
ses apparences extérieures, est-il pétrifié dans
I

LE GÉANT ET SON OMBRE


|e Vieux ne pouvant rendre la vie
au Carlin, charge sa femme de
porter le chien pétrifié à Lilia,
qui a
pouvoir de le ranimer
le

par son attouchement. A cette occasion, le


Passeur doit recevoir les légumes qui lui sont
dus. La Vieille transporte les divers objets
dans une corbeille placée sur sa tête. Cette
manne est un singulier réceptacle : il s'allège
de tout ce qu'il contient de mort, comme le
Carlin en onyx, mais s'alourdit à Texcès sous
le moindre poids d'un objet vivant. A la lon-

gue, les quelques légumes fraîchement cueil-


lis accablent la messagère. Elle n'en avançait

pas moins, surmontant sa fatigue, lorsqu'elle


aperçut le Géant, qui venait de se baigner
dans le Fleuve, et dont le soleil levant ren-
voyait jusqu'à elle l'ombre redoutable. Sans
qu'elle pût s'y opposer, cette ombre irrésis-
tible prit dans la corbeille un chou, un arti-
it
\
t
162 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 163

chaut et un oignon, que le Géant dévora en Ce qui est mort, non seulement ne pèse
s'esclaffant niaisement. La Vieille ne put ainsi rien dans cette corbeille, mais soulève encore
fournir son compte au Passeur, qui Tastrei- légèrement celle-ci au-dessus de tout point
gnit à prendre envers le Fleuve rengagement d'appui. Cela ne peut se produire qu'en rai-
d'achever d'acquitter la dette des Feux Fol- son de la force ascensionnelle inhérente aux
lets dans les vingt-quatre heures. formes qui ne sont plus rattachées à la vie
La corbeille que la Vieille porte sur sa tête, transitoire et grossière. Transmué en un mer-
parfois sans qu'il y ait contact, figure cette veilleux objet d'art, le Carlin d'onyx se
substance psychique extériorisable à l'aide de trouve « astralisé » et la Vieille le transporte
laquelle la Magie opère ses prodiges. Il s'agit dans sa sphère imaginative (la corbeille) sans
d'une émanation fluidique connue des magné- la moindre fatigue. Les légumes frais, au
tiseurs et des occultistes, condensation plus ou / contraire, sont attirés vers le sol par la vie
moins dense de lumière ou de subs-
astrale qu'ils ont en eux, vie inférieure, qui a ses
tance psychique. Cette animique
lumière racines dans le feu central, ardeur souterraine
s'obscurcit lorsqu'elle est concentrée ou coa- ou infernale.
gulée, car elle se rapproche alors de la ma- L'ombre du Géant n'est puissante que le
tière.Plus au contraire elle est distendue, matin et le soir à midi elle est trop courte
;

donc éthérée ou spiritualisée, plus elle devient pour exercer une action efficace.
lumineuse. Ainsi s'explique l'augmentation Il s'agit donc d'une force opposée à la

du pouvoir lumineux de la corbeille au fur et pleine lumière de la raison, au positivisme


à mesure de son étirement par le Vieux et la
qui éclaire crûment les choses et les montre
Vieille, qui,comme nous le verrons plus loin,
telles qu'elles sont. Mais quel est ce « néga-
l'allongeront pour arriver à y placer le ca- tivisme » capable de produire des effets, de
davre du Prince. jouer des tours désagréables aux uns et de

L*-^ J
164 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 165

rendre des services, le cas échéant, à d^autres ? dien. La routine, les préjugés, les impulsions
L^ombre se rapporte ici à ce que la raison irraisonnées de l'atavisme exercent, en réa-
n^éclaire pas, donc à ce qui reste inexpliqué. lité, l'action irrésistible de l'ombre, alors
que
Ce mystère devient agissant aux heures où la foule,masse géante paralysée intellectuel-
l'intelligence est inquiète, soit qu'elle se lement, est par elle-même d'une impuissance
réveille timorée (matin), sait qu'elle succombe absolue pour soulever idéalement la moindre
à la lassitude (soir). L'ignorance alors exerce chose.
son empire, sous forme d'illusions, de chi-
mères et de superstitions de mille sortes. Rien
de surprenant à ce que la Vieille en soit vic-
time, puisqu'elle personnifie surtout l'imagi-
nation. Mais Tombre du Géant peut aider
aussi à En se berçant
traverser le Fleuve.
d'illusions, on arrive, en effet, à se faire
transporter au-dessus du courant de la vie
pratique, pour gagner la rive de l'Idéal,
domaine de la belle Lilia. Il est à remarquer
que les personnages du conte de Gœthe n'ont
point recours à ce moyen connu, mais sans
doute équivoque, de franchir l'onde mouvante
de l'écoulement vulgaire des choses.
Le Géant se baigne dans le Fleuve et n'en
quitte point les bords. Il est d'ailleurs confiné
à la rive du passé, comme s'il en était le gar-
LE PRINCE
ET LA BELLE LILIA

« j
i
[près une longue attente, la Vieille,
qui avait à régler avec le Passeur
le compte des Feux Follets, vit
enfin approcher la barque fatidi-
que. Un étrange passager, jeune homme de
gracieuse tournure, devait alors Tintriguer au
suprême degré. Revêtu d'une cuirasse bril-
lante, qui n^entravait en rien la souplesse de
ses mouvements, il portait un manteau de
pourpre. Seule une chevelure brune, aux bou-
cles légères, garantissait son visage des ar-
deurs du soleil; de ses pieds nus, il foulait le
sable brûlant sans y prendre garde, les dou-
leurs physiques semblant s'effacer pour lui
devant Taccablement de peines morales. Privé
de couronne, de sceptre et de glaive, ce Prince
a perdu toute sa puissance d'action. Sorte de
fantôme, il ne vit plus que pour aimer celle
dont le regard lui a ravi toute énergie agis-
sante.
Si nous cherchons un personnage analogue
dans le Tarot, nous y rencontrons successive-
170 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 171

ment le Bateleur (IJ, V Amoureux (VI), le Maî- pied, sans chaussures, perdu dans un rêve,
tredu Chariot (VII) et le Pendu (XII). Sous qu'il est impuissant à réaliser. Son état est, en
ces multiples aspects, le principe conscient, réalité, celui du Pendu^ qui, les bras liés, se
destiné à gouverner nos actes et à régner sur balance entre ciel et terre, accroché par un
le corps, est symbolisé à des points de vue pied au gibet de La Mort initiatique
l'idéalité.
différents. C'est ainsi que le Bateleur se rap- (XIII) peut seule mettreun terme à l'impuis-
porte à la cause pensante initiale, génératrice f
sance de ce supplicié il est donc nécessaire
;

de nos idées, images factices, représentations que le Prince consente à mourir. Le dépit de
purement mentales, avec lesquelles jongle à voir Lilia prodiguer ses caresses au Carlin
jamais notreintellect. En tant qu'Amoureux^ d*onyx qu'elle vient de ranimer par son
*,

c*est l'arbitre moral, qui, sollicité en sens op- contact, provoque la catastrophe.
posés par les attractions qu'il subit, fixe son La Beauté parfaite fait vivre, en effet, d'une
choix, pour arrêter les désirs d'après lesquels vie particulière, ce qui est mort elle immor- ;

se détermineront ses actes. Quant au Maître talise les formes dont la vitalité grossière s'est
du Chariot^ qu'une cuirasse protège tout retirée. Dans son jardin, tout est beau, mais
comme le fiancé de Lilia, il représente le prin- rien n'est fécond les arbres y sont splendi-
;

cipe d'autonomie, coordinateur des forces qui des de feuillage, mais ils ne portent pas le
s'associent dans Tindividualité. Mais, pour
diriger le char de l'organisme, l'esprit animi-
1. Ce chien fidèle, dont l'or des Feux Follets pro-
que doit porter le diadème de l'intelligence voqua la mort et que pétrifia la lumière initiatique,
et tenir le sceptre de la volonté. représentela piété conservatrice des rites incompris.

Or, Prince déchu n'a plus rien de ce qu'il


le Par son contact, Lilia ranime la forme figée: elle lui
donne une âme, une vie esthétique; mais elle ne peut
faut pour gouverner ; à peine capable de se
communiquer la chaleur vitale, comme le Prince, qui,
diriger lui-même, il chemine péniblement à en portant le Carlin, l'avait réchauffé.

A
172 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 173

moindre fruit. Lldéal, c^est l'irréel, que d'ivoire, trône portatif, qui permet à Lilia de
l'Art
cependant doit réaliser. Il faut que TArtiste, s'asseoir, donc de se reposer et de se recueil-
le Prince, épouse Lilia, et, Or, la fiancée du Prince, lequel personnifie
puisque celle-ci lir.
\

donne la mort, il ne doit pas craindre de l'Esprit animique, se saurait être que l'Ame
mou-
rir, en se jetant résolument spirituelle, à laquelle se rapporte Vlmpéra-
dans les bras de
sa bien-aimée. trice, Arcane III du Tarot. Cette essence lu-
Savoir mourir, tel est, en mineuse, source de nos inspirations les plus
effet, le suprême
secret de toutes les initiations. Pour élevées, doit se marier au feu vital intérieur
se rele-
ver de sa déchéance et reconquérir toutes (Soufre des Alchimistes) représenté par l'jE'm-
ses
prérogatives d'être divin, il faut que pereur (IV), en qui ressuscitera le Prince. 1
Thomme
meure à tout égoïsme, même légitime. Renon- S'étant assise, donc immobilisée, apaisée,
çant à lui-même, à son moi et à tout calmée, ramenée pour ainsi dire à elle-même,
ce qui
s'y rattache, l'individu doit Lilia-Psyché reçoit un voile couleur de feu,
s'évanouir en se
fondant dans l'universalité, qui, s'il revient parure qui rehausse encore son irrésistible
à
la vie, se réfractera désormais en charme. Une ambiance ignée stimule désor-
lui.
La mort du Prince plonge tout d'abord Li- mais sa pensée, et va mettre ses doigts d'eux-
lia dans une consternation mêmes en mouvement, dès que la harpe lui
muette tout : sem-
ble irrémédiablement perdu pour aura été remise. La première des trois Grâces
elle qui ne
conçoit aucun remède à la situation. revient alors avec le miroir, où Lilia se con-
Pétrifiée
de douleur, elle est incapable fût-ce de templera dans sa douloureuse, mais d'autant
pleu-
rer ou de se lamenter. L'intervention plus poignante et adorable beauté. S'exaltant
des trois
gracieuses jeunes filles qui servent la à sa propre vue, l'âme souffrante trouve les
Beauté
suprême met cependant, à ce premier état
fin, plus sublimes accents de l'art. Le rationalisme
de stupeur. L'une d'elles apporte étant mort en la personne du Prince, la senti-
le pliant

*^^*'»^-~ ---g^ >


."^-^T"
•^ - - ^
174 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 175

mentalité pure s'épanche en une musique cateur universel. Tout ce qui est vivant est en
im-
pressionnante qui transmet aux auditeurs rapport avec lui ; il préside à la croissance des
l'émotion éprouvée. Par le fait de cette trans- êtres, à leur construction organique. Son in-
mission, une détente se produit Texaltation
: fluence constructive s'oppose donc à la dislo-
tombe et les larmes coulent ; il y a retour sur cation des composés. Sa chaude lumière est
soi-même et à la réalité. synthétique elle unit et maintient l'harmonie.
:

Hélas le jour baisse et, dès que le


!
soleil Le Serpent solaire n'est autre que le fluide
aura disparu, le cadavre du Prince ne vital imprégné de lumière constructive, donc
sera
plus préservé de la putréfaction, si En
THomme de forces s'opposant à la putréfaction. ab-
à la Lampe
n'intervient pas à temps. Apollon sorbant l'or des Feux Follets, le Serpent Vert
s'oppose, en effet, à toute corruption. (couleur de Vénus, déesse de la génération et
Pour
empêcher de s'attaquer au corps d'Hec-
celle-ci de l'exubérance vitale) est devenu lumineux.
tor, il envoie son Serpent planer Il s'est donc mis au service d'Apollon et n'hé-
au-dessus du
cadavre qu'Achille traîne ignominieusement sitera pas à se sacrifier, l'heure venue, à la
sous les murs de Troie. Le Serpent Vert revivification du Prince.
pro-
tège d'une manière analogue le Prince inanimé,
autour duquel il s'est hâté de former
le cer-
cle mais cette protection n'est efficace que
;

tant que le soleil reste au-dessus de


l'horizon.
Si la nuit survient avant que la lumière
de la
Lampe magique ne se substitue à celle du jour,
rœuvre de la décomposition commencera, sans
qu'il puisse désormais y être porté remède.
Le Soleil est ici considéré comme le vivifî-

.•— ^-.^ -jf'


LE SERIN ET L'ÉPERVIER

12
EUX oiseaux interviennent dans
le conte de Gœthe : premier
le

accompagne le chant de Lilia


par ses touchantes modulations;
ce n*est qu'un humble petit Serin dressé à se
poser sur la harpe de sa maîtresse, sans ja-
mais toucher celle-ci, puisque son contact
donne la mort. Le second est un autour ou
épervier, qui, fendant soudain Tair au-dessus
du minuscule chanteur, sans en vouloir à
celui-ci, n'en est pas moins cause d'une ca-
tastrophe. Terrifié, le serin se réfugie, en effet,
contre le sein de Lilia et meurt instantané-
ment.
Il y a opposition manifeste entre ces deux
oiseaux ; timide, affectueux, sentimental, l'un
s'attache à la jeune fille malheureuse qui per-
sonnifie les aspirations les plus élevées de
l'âme ; farouche, hardi, cruel, l'autre devient
LE SERPENT VERT 181
180 LE SERPENT VERT

doutée, indispensable à la rédemption générale.


le compagnon d'infortune du Prince désespéré
Métamorphosé en onyx, puis ranimé par le
de ne pouvoir réaliser Tidéal qu'il conçoit.
contact de Lilia, le Carlin s'efforce de rempla-
Si le lecteur veut bien se reporter à ce qui
cer auprès de celle-ci le gentil petit Serin qui
a été dit plus haut d'un troisième animal, le
s'associait à son chant. Mais les gambades du
Carlin, il éprouvera moins de difficulté à dis-
chien ne sont une distraction que pour les
cerner la portée symbolique du Serin et de
yeux ; il s'agite fort plaisamment, mais il reste
l'Epervier.
glacé. Le pauvre Serin, lui, vibrait ; ses mo-
Le fidèle gardien du logis de la Vieille nous
dulations étaient chaudes et allaient au cœur.
a paru correspondre aux pratiques cultuelles,
Il représentait auprès de la Beauté pure le
donc à la piété matérielle, qui accomplit les
sens artistique, l'abandon de l'âme qui se rend
rites par routine, sans se préoccuper de leur
sensible à la perception du beau. Sans doute,
signification. L'or des Feux Follets, qui éclaire
les œuvres de cet enthousiasme ou de ce mys-
intérieurement, tue l'honnête fétichisme ins-
ticisme esthétique restent imparfaites ; mais
tinctif, que réhabilite Vieux à la Lampe,
le
elles consolent Lilia, qui, par elles, se sent
non en le faisant revivre, mais en le fixant
comprise, et ne demande qu'à encourager un
par la pétrification translucide de son orga-
culte sentimental, autrement élevé que les
nisme. Autant dire que le sage ne méprise
jeux grossiers du Carlin.
rien, parce qu'il sait tout comprendre. Quand
Mais un oiseau rapace, au regard perçant,
les croyances sont mortes, il s'intéresse aux
effarouche le chanteur. C'est la critique dévo-
superstitions, que la Beauté, pour son agré-
rante, qui voit trop clair et veut raisonner
ment particulier, pourra galvaniser en leur
les choses du sentiment. Elle est impitoyable
communiquant une vie sans chaleur. L'affreux
à tout abandon mystique et coupe brutalement
chien, revivifié par Lilia, indignera d'ailleurs
le courant qui entretient l'inspiration. La lo-
le Prince, et provoquera la catastrophe re-
182 LE SERPENT VERT

LE SERPENT VERT 183


gique, qui prétend expliquer PArt, est mor-
telle pour la manifestation artistique, basée
Quand la détresse est à son comble, c'est
sur le développement de la sensibilité, non
du reste l'Epervier qui sauve la situation.
sur le calcul ou le raisonnement.
Grâce à lui, l'Homme à la Lampe pourra sur-
Un regard courroucé de Lilia suffît pour
venir au moment précis où sa présence devient
paralyser, au moins momentanément, TEper-
indispensable, car l'oiseau qu'éclaire encore
vier. Nous ne raisonnons pas, en effet, sans
aura guidé ses pas. Bien
le soleil disparu
nous appuyer sur le sentiment. Livré stricte-
qu'impuissants à porter remède directement,
ment à lui-même, le raisonnement se stérilise.
les raisonneurs ont donc du bon : ils signa-
Mais l'Esprit conscient, dont le Prince malheu-
lent le mal et appellent au secours.
reux est la personnification, recueille Toiseau
maudit, qui retrouvera la force de s'élever
dans les airs, pour s'empourprer des derniers
rayons du soleil couchant. Quand la nuit se
fera, les raisonneurs auront donc pour mis-
comme le Serpent,
sion d'encourager ceux qui,
attendent le d'une résurrection des
salut
choses disparues mais dignes de revivre. Le
rationalisme sera chargé aussi de réveiller les
dormeuses, c'est-à-dire les trois Grâces, com-
pagnes de Lilia ; il saura enfin éclairer le
Temple au moment propice, et révéler aux
foules la transfiguration qui s'est accomplie
pour leur bien.
L'INTERVENTION DU MAITRE
i
*.

que sa lampe merveilleuse pé-


\bs

Vieux, qui habite loin du


tille, le

monde, comprend qu'un appel


lui est adressé. Il sort alors de
sa demeure et observe le ciel, pour y décou-
vrir le signe révélateur de son orientation
puis il se porte sur le lieu où il est attendu.
La distance semble d'ailleurs ne pas plus exis-
ter pour lui que les lois de la pesanteur aussi ;

glisse-t-il à la surface de Teau comme si elle


était gelée. Rien ne saurait indiquer plus net-
tement la nature spirituelle du mystérieux
Initié à la Lampe. Ce n'est pas un homme au
sens ordinaire du mot, mais bien THomme
transcendant de la Kabbale. Dans un élan du
cœur, Lilia l'appellera « Saint Père », parce
qu'elle reconnaîtra en lui le Père Céleste^ non
pas précisément le principe créateur des théo-
logiens, mais plutôt la surconsciencey dont le
r

188 LE SERPENT VEBT LE SERPENT VERT 189

domaine est illimité, par rapport à la cons- ensuite à distribuer les rôles, afin que cha-
cience agissante (le Prince), qui, dépendante cun remplisse le sien avec zèle et abnégation.
de l'organisme, est renfermée dans la sphère En maintenant son cercle clos, le Serpent
,1
décrite par Tétroit rayon de nos constatations agit sur la vitalité, qu'il retient comme fasci-
objectives. née, réduite à l'état statique. La lumière de la
En cas de détresse, par suite de Tévanouis- Lampe initiatique préservera d'ailleurs de dé-
sèment du principe conscient préposé au gou- composition à la fois le cadavre du Prince et
vernement de la personnalité (mort du Prince), celui du Serin. Ce qui est éclairé par la com-
Pâme spirituelle (Lilia) et la vitalité ou Tins- préhension reste, en effet, uni synthétiquement.
tinct de conservation (Serpent Vert) attirent Lorsque l'heure est venue, un cortège lumi-
désespérément à eux Tentité céleste qui se neux se forme et se transporte sur la rive
rattache à Tindividualité incarnée. Formulée opposée du Fleuve, grâce au Serpent qui fait
ou non, notre Père
la prière sollicite alors « office de pont. Abandonnant le domaine du
qui est aux cieux autrement dit le Vieux à
», rêve stérile et des aspirations irréalisables, il
la Lampe, lequel, dans sa spiritualité, est nous faut gagner la terre du passé, où subsis-
particulier à chaque individu, tout en étant tent, enfouies dans les profondeurs, les ves-
commun à tous les êtres. tiges de puissances disparues. Plutôt que de
! Le principe invoqué ne prétend aucune
à poursuivre des chimères sans attaches avec ce
toute puissance. 11 s'exprime comme le rituel qui a déjà vécu, attachons-nous à rénover des
maçonnique au moment où il s'agit de relever institutions ayant fait leurs preuves et sus-
fi
Hiram : « Ne vous souvenez-vous pas que ceptibles de revivre '.

l'union seule fait la force, et que, sans le se-


1. C'est là, semble-t-il, la morale essentielle qui se
cours des autres, nous ne pouvons rien ? » Pre-
dégage du conte de Goethe l'avenir doit être cherché
:

nant la direction des travaux, le Vieux se borne dans la rénovation judicieuse du passé.
M ' ^

190 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 191

/
Si le Serpent symbolise la vie initiatique, mandation expresse, sont toutes, sans aucune
maintient grâce aux associa-
telle qu'elle se exception, jetées dans le Fleuve.
tions d'Initiés qui se succèdent, il faut admet- Faut-il entendre par là que les corporations
treque l'initiative d'une étude approfondie du initiatiques renonceront à leur existence, lors-

passé, en vue d'y découvrir les éléments de la que les Initiés ne seront plus tenus au secret?
construction de l'avenir, sera prise par la Le jour où les peuples prendront conscience
Franc-Maçonnerie. N'est-ce point elle qui re- d'eux-mêmes, à la façon du Prince, qui, sans
monte aux sources mêmes de la pensée hu- comprendre encore, se lève et peut marcher
maine et s'efforce de moderniser les mystères — le vieux Serpent sera au bout de sa tâche.

de l'antiquité ? Tout le mouvement de régé- Désormais ses éléments constitutifs se disper-

nération symboliste n'est-il pas ce pont éclai- seront, dans l'herbe d'abord, en resplendis-

rant que le vieux Passeur, du fond de sa ca- sant cercle de lumière, puis dans les ondes

bane sacerdotale, contemple avec quelque du grand courant de la vie générale. Mais au
stupeur ? fond du Fleuve, les pierres lumineuses s'ag-
M Ce rôle de pont convient si bien au Serpent, gloméreront en piles vivantes d'un pont per-
qu'il n'hésite pas à se sacrifier volontairement manent, qui se construira et s'entretiendra
touche de la main de lui-même, comme un être vivant.
en tant qu'animal. Lilia le
Sortie des eaux, dont elle n'entravera pas
gauche (négative) et lui soustrait toute sa vi-
talité qu'elle transmet de la main droite (po-
l'écoulement, cette construction unira ce qui
était séparé. Il incombera donc toujours aux
sitive) à son fiancé. En attendant de rentrer • i

en pleine possession de ses facultés mentales, Initiés de rapprocher les hommes, de faciliter
les échanges, en remédiant aux divisions et en
lePrince revit ainsi physiologiquement, alors
que le Serpent se décompose en pierres pré- dissipant les malentendus.

cieuses phosphorescentes, qui, sur sa recom- Mais le Grand CEuvre n'est pas achevé du

)i

i
LE SERPENT VERT 193
192 LE SERPENT VERT

SGvtl fait de la revivification physiologique du tuelle,émanant de notre personnalité trans-


Prince, en faveur de laquelle le Serpent s'est
cendante (Vieux), entraîne successivement la
sacrifié. Bien que debout, le peuple qui n*a conscience encore mal éveillée (Prince), la
pas encore pleine conscience de ses droits et sentimentalité (Lilia), la Vieille toujours in-

de ses devoirs, ne saurait être effectivement quiète (imagination, sens pratique) et, en der-
nier lieu seulement, les facultés raisonneuses
souverain. Il faut, qu'en la personne du
Prince, il conquière le glaive, le sceptre et la
(Feux Follets).
couronne de chêne. Dans ce but, Ce sont ces facultés cependant qui vont for-
il est indis-
cer l'entrée du Sanctuaire, dont la porte, sans
pensable d'obtenir accès auprès des Rois du
elles, resterait à jamais verrouillée. Les dis-
Sanctuaire intérieur de la montagne.
Pour se rendre auprès d'eux, le Vieux à la sertations savantes, alors même qu'elles man-
Lampe, qui naguère était resté en queue, ou- quent de profondeur philosophique, ne nous
vre la marche, que ferment modestement les permettent-elles pas de pénétrer des mystères

Feux Follets. L'ordre inverse des deux pro- qui nous étaient dérobés ?

cessions successives se justifie, car, lorsque le La science superficielle et le bagout des


Serpent (fluide ou instinct vital) donne
Feux Follets répugnent à la sagesse solide du
le
branle, il attire, immédiatement à sa Roi d'Or, qui écarte de lui ces flammes trop
suite,
légères. Le Roi d'Argent, qui règne sur les
les Feux Follets (fantaisie raisonneuse), puis la
Vieille
apparences, sur la forme indépendamment du
(crédulité imaginative), transportant
fond, se complaît aux caresses des Feux Fol-
dans sa corbeille extensible les cadavres du
Prince et du Serin. Lilia (idéalité, sentiment), lets, mais ne pouvant les nourrir de sa sub-
avec le Carlin (rites consacrés, convenances), stance, il les renvoie au Roi composite, dont

précèdent ensuite le Vieux (esprit, surcons- ils s'assimileront insensiblement tout l'or, ré-

cience). Mais une initiative purement spiri- parti dans sa substance en veines irrégulières.
13

r
191 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 195

Ainsi se préparera un effondrement dont nul d'avoir conscience de ce qui est au-dessus de
ne sera tenté de s'attrister. soi, l'effet magique de la parole du Roi
d'où
Mais le sanctuaire s'est mis en mouvement. d*Or : Erkenne das Hôchste »
« !

Passant sous le Fleuve, il a surgi de terre sur Couronné de chêne (vigueur intellectuelle),
remplacement même de la pauvre cabane du le Prince comprend, l'Esprit universel se ré-
vieux nautonier. Transfiguré autant que sa percute en lui il reconnaît sa fiancée, dont
;

demeure, celui-ci devient, dans le nouvel or- rien ne le sépare plus désormais.
dre des choses, un ministre apprécié du Sou-
verain. Avec le Vieux à la Lampe, il aidera le
Prince à gouverner avec sagesse, en tenant
compte de toutes les contingences, et en ne
négligeant aucun des moyens qui s'offrent à
rintelligence pour influer sur les masses hu-
maines (Art sacerdotal).
Pour régner, l'héritier du trône a dû recueil-
lir la succession intellectuelle et morale de
ses ancêtres. Le glaive, que lui lègue le Roi
d'Airain, lui donne la décision énergique, qui
pourrait dégénérer en tyrannie, sans le scep-
tre octroyé par le Roi d'Argent, ennemi de
toute violence. Diriger avec douceur, en ame-
nant à comprendre, vaut mieux, en effet,
qu'un commandement brutal. Mais, pour exer-
cer l'autorité suprême, le plus important est
LE MAGISTÈRE ACCOMPLI

4
In jour nouveau se lève. Les deux
rivesdu Fleuve sont reliées par
un large pont, aux colonnades
^^^^^^ spacieuses. Honneur est rendu
'

au Serpent bienfaiteur, qui s'est sacrifié au


bénéfice d'une rénovation générale
dont il ne
doit pas profiter. La Vieille, qui est allée se
rajeunie, plus
baigner dans le Fleuve, revient
encore que les trois Grâces, sui-
séduisante
le sens pra-
vantes de Lilia. Elle personnifie
lui-même, par le fait que
tique ramené à
vaines
rimagination a été lavée de toutes les
la routine, des
craintes, de Tencrassement de
épura-
préjugés et des superstitions. Par son
tion, la bonne ménagère, qui coordonne les

idées, estdevenue TAme raisonnable, heureuse


pur.
de renouveler son mariage avec l'Esprit
progrès, l'inintelligence
En dépit de tous les
elle pro-
cependant subsistera. Géant stupide,

V,
200 LE SERPENT VERT

LE SiiUl'iîNT VERT 201


duira des désordres, tant qu'elle
ne sera pas
immobilisée. Il faut que les sèment leur or au milieu
lets, qui, invisibles,
retardataires de
révolution intellectuelle soient rivés de bouscule pour ramas-
la foule. Celle-ci se
au sol de-
vant rentrée du grand Temple ser ce qui tombe ou donne l'illusion de tom-
humanitaire.
Profanes, ils serviront à marquer ber, car il se trouvera toujours des esprits
les étapes de
la marche du soleil.Spécimens d'époques dis- pour préférer le passé au présent, au risque
parues, ils permettront de mesurer le terrain de prendre des mirages pour la réalité. Mais
progressivement conquis par la marche générale des choses entraîne finale-
la lumière sur
les ténèbres.
ment chacun aussi la circulation reste-t-elle
;

Sauf les infirmes de Tintelligence, que l'as-


intense sur le pont et l'affluence auprès du
pect du Sanctuaire pétrifie, Sanctuaire ne subit-elle aucun ralentissement.
la foule pénètre
librement dans le Temple, où elle
est éblouie
par la clarté projetée sur
le groupe royal
grâce au miroir de Lilia, que
TEpervier a enl
levé dans les airs, afin de
renvoyer au moment
propice la lumière solaire sur
les personnages
dignes de la vénération du
peuple. La critique
rationaliste semble ici s'être convertie au
res-
pect, sans doute après avoir
reconnu nécessaire
de faire crédit aux pouvoirs
établis. Il n'est
pas question d'ailleurs de
récriminations contre
le régime déchu, le
passé bénéficiant de l'in-
dulgence des hommes éclairés.
Ce qu'il avait de
bon a, du reste, été retenu par les Feux Fol-
I
il

CONCLUSION

il
"f

f^' i^

Ibs symboles sont destinés à faire

penser. A la paresse d'esprit con-


viennent les dogmes ou les sys-

tèmes nettement arrêtés. Gœthe


a beaucoup médité, en philosophe profond, non
moins qu'en artiste génial. Les problèmes qui
le préoccupaient le plus lui ont inspiré le
conte dont Tinterprétation n'est que rudimen-
tairement esquissée dans ce qui précède. Tout
ne sera jamais dit sur un pareil sujet. Il con-
vient donc de limiter les commentaires, en
faisant appel, pour les compléter, aux médi-
tations individuelles des amis de la vraie sa-
gesse.
Puisse le présent travail leur servir de guide
et les aider à faire eux-mêmes la lumière dans
le chaos d'images tout d'abord évoqué devant
leur esprit. S'ils consentent à ne point mena-

c
HPI PO«MHiaMHI
206 LE SERPENT VERT
4
ger leur peine, un trésor sera leur récom-
I pense, car, en aucune circonstance, on ne sau-
rait mieux qu'ici dire avec le fabuliste : Cesl
le fondlqui manque le moins ! K* TABLE

Pages
PRiFACB par Albert Lantoine 5

Avant-Propos 15

Le Serpent Vert. Conte 23


L'Esolérisme du « Serpent Vert » toi
La Culture initiatique de Goethe 107
Le Fleuve et ses deux rives 113
Le Passeur, sa barque, sa rame et sa cabane . 121
Les Feux Follets, Tor et le Serpent 129
Les Rois et le Vieux à la Lampe 135
La Vieille et le Carlin 149
Le Géant et son ombre 159
Le Prince et la Belle Lilia 157
Le Serin et TEpervier 177
L'Intervention du Maître 185
Le Magistère accompli 197

CoifCLUSlON 203

MATBMNB, IMPRIMBRll CBARLIB GOLIM


AUX ÉDITIONS DU MONDE NOUVEAU
42, Boulevard Raspail, 42 — PARIS 7^

COLLECTION DE ROMANS:
PÉLADAN. - LE8 DÉVOTES D'AVIGNON
On n'a pas oublié le succèsde cet ouvrage lors de sa
publication dans la revue Le Mercure de France. Succès
féminin, succès félin, pourrait-on dire, et que justifiait le
caractère de ce roman où la passion se subtilise jusqu'à
laberration, où la sensation se décompose et se multiplie,
où la plus prenante des aventures mobilise constamment
les plus imprévus des sentiments et les plus étranges des
sensations. Nul doute que Les Dévotes d'Avignon trouvent
en librairie le triomphal succès qu'elles méritent.
Un volame sur vergé moyen-âge . , . . . 6 fr. 7B
11 a été tiré de cet ouvrage 200 exemplaires sur pur fil
Lafuma à 15 francs, 95 exemplaires sur Hollande à 25 francs
et 5 exemplaires sur Japon à 60 francs.

Robert Randau. — LE CHEF DES PORTE-PLUWE


Le monde colonial vu à travers les lunettes d'un euro-
péen à la fois artiste et rude, amant de la force brutale,
mais aussi des délicatesses les plus raffinées. Des aventu-
res mouvementées, bousculées, où le naturalisme le plus
aigu est tempéré par de brusques subtilités. Du pittoresque,
du mouvement, de la vie. Et c'est toute la vie du Sénégal
qui défile en tableaux violents, amusants, frénétiques, gais,
vengeurs. Tous les lecteurs de Baiouala voudront lire Le
Chef des Porte-Plume,
Un volume sur papier bouffant 6 fr.

11a été tiré de cet ouvrage 100 exemplaires sur pur fil

Lafuma à 15 francs.

Gasto.n Joseph. — KOFFI, roman vrai d'un noir.

Baiouala, avec talent, avec puissance plutôt qu'avec jus-


tice, apporta, tout ensemble contre les méthodes de la colo-
nisation européenne et contre les noirs colonisés, un réquisi-
toire qui fit d'autant plus sensation que l'Académie Goncourt
avait paru l'entériner. Les détracteurs passionnés de M. René
Maran furent nombreux, ils affirmèrent que l'œuvre cou-
ronnée par lAcadémie Goncourt était inique, non seulement
pour les Blancs, mais encore pour les Noirs dont on n'a
jamais dit, comme il convenait, les très solides vertus. Voici
comblée cette lacune, pour la joie des coloniaux et du grand
public qui l'avaient signalée et remarquée.
Koffî est, très exactement, ce qu'on eût souhaité que COLLECTION u ESOTERÏCA » :
Batoaala fût. C'est riiisloire d'un vrai noir, comme il y en a
beaucoup, intelligent, malin, souple, amoure ix, vaniteux, GoBTBB — LE SERPENT VERT. Traduit et commenté
qui quitte un jour son village natal pour entrer au service
par M. Oswald W'irth.
des Européens. Successivement boy, cuisinier, interprète,
roi, il se grise de sa puissance, devient la victime des féti- On retrouvera, dans cette œuvre à peu près inconnue du
cheurs et meurt au Gabon, déporté. public de langue française, le génie merveilleux qui anima
Une des plus éminentes personnalités du monde colonial, les deux Fàuêt, et les conduisit, à la faveur d'une chatoyante
M. Gabriel Angoulvant, gouverneur général des Colonies, fable, jusqu'aux sommets de la pensée métaphysique.
commissaire général do l'Exposition coloniale inloralliée de Charme, couleur, symbolisme grandiose rien ne lait dé-
:

1925, a fait précéder ce volume d'une magistrale, hautaine faut à ce conte féerique.
et singulièrement émouvante réponse aux réquisitoires de Luxueux volume sur bulky vergé in-16 raisin orné de
M. René Maran et de ses admirateurs. Tout le monde vou- dessins symboliques avec un portrait. 6 fr.
dra lire Koffi. Il n'est pas, en effet, de livre plus varié, plus Il a été tiré de cet ouvrage 100 exemplaires sur pur 111
pittoresque, plus entraînant, plus amusant, plua attendris- Lafuma à 12 francs, 40 exemplaires sur Hollande à 20 francs
sant. £ra an mot, il n*e8t pàs de livre plus attachant. et 10 exemplaires sur Japon à 50 francs.
Un volume 6 fr.

Paraîtra en mai 19ÎÎ


COLLECTION : v RÉTROSPECTIVES n :
COLLECTION a LA GESTE D'EROS » :

CLéMBNT-jANiN. — VICTOR HUQO EN EXIL Abnbas SiLVins Piccolouini (pape Pib II).
(Documents inédits).
EURYALE ET LUCRECE
L'exil, et les lieux de l'exil, et les pensées de l'exilé. Le Boccace, pour sa Ftamme((a, a-t-il pris modèle sur le ro-
Pans impérial, en fêles et en rires. Victor Hugo, d'une part, man de son contemporain Aeneas Silvius, ou le futur pape
Jules Janin, de l'autre. Et, pour relier Paris et les lieux Pie II s'est-il inspiré de l'œuvre de l'illustre Florentin ? On
de l'exil, une double correspondance, toute en hyperboles ne sait. Mais cette Histoire véritable de deux vrais amants,
magnifiques, en cordialités lyriques, en pensées nobles où comme se plaisaient à l'appeler les traducteurs français
Victor Hugo et Jules Janin, en se racontant, disent, à la du XV* et du xvi* siècle, est du réalisme quattrocentiste le
vérité, tout leur temps et la vie entière de leur pays. Il plus naïvement délicieux. Et l'auteur, fin diplomate, y montre
n'est pas un admirateur de Victor Hugo qui ne se doive une connaissance profonde du cœur humain.
de posséder cet ouvrage, attachant comme le plus drama- Luxueux volume sur bulky vergé in-16 raisin, orné de
tique des romans, où deux grands écrivains échangent avec bois de Henry Chapront
ferveur des sentiments et des idées.
6 fr.
II a été tiré de cet ouvrage 100 exemplaires, sur pur fil
Luxueux volume sur alfa musique in-16 Jésus orné de Lafuma à 12 francs, 40 exemplaires sur Hollande à 20 francs
bois deHenry Munsch avec 2 portraits . 7 fr. 60
. . .
et 10 exemplaires sur Japon à 50 francs.
a été tiré de cet ouvrage 400 exemplaires sur pur fil
Il
Lafuma à 15 francs, 80 exemplaires sur Hollande à 25 francs, KoupRi!fB. — SULAMITE
et 20 exemplaires sur Japon à 60 francs. Le succès du Tristan et Yseult de Joseph Bédier,il ne sau-
rait fairedoute que Snlamite l'obtiendra. On ne se lassera
; pas de de relire cette tendre idylle brusquement ensan-
lire et
HORS SERIE: glantée. La plus belle, la plus pure, la plus entière des pas-
sions chante ici son immortel duo. L'amour a dicté ce livre
— LES QUATRE VIE8
Casiuir Hakowski. i où revivent l'esprit et le cœur du Cantiques des Cantiques.
DE ÇAKYA-IMOUNI On placera Sulamite sur le même rayon de bibliothèque
que Tristan et Yseult, et Roméo et Juliette,
Conte symbolique, où la grâce des images et la subtilité Luxueux volume sur bulky vergé in-16 raisin orné de
des sentiments s'épousent étroitement, sous le jour d'une dessins de Henry Munsch 6 fr.
attachante intrigue.
Il a été tiré de cet ouvrage 100 exemplaires sur pur fil
Un volume . 8 fr. 75 Lafuma à 12 francs, 40 exemplaires sur Hollande à 20 francs
et 10 exemplaires sur Japon à 50 francs.
Paraîtra, en jain 1922
Bandbllo. — L'OISEAU QRIFFON
Le goût de la chair et le goût des humanités inclinaient
COLLECTION v LYRICA n :

également les esprits de la Renaissance vers les aspects di-


vers de réternelle Beauté. Ici c'est le côté épanoui, le côté Jeanne Dortzal. — IL ÉTAIT UNE FOIS...
charnel de la Renaissance qui se laisse entrevoir. Les contes de
Bandello sont dignes de ceux de Boccace. ils en onl la large Livre dédié aux enfants, mais qui intéressera
aussi bien
gaieté,l'infatigable mouvement, la sensualité débridée. et surtout chacun de nous, pour peu qu'on
soit sensible
Luxueux volume sur bulky vergé in- 16 raisin orné de bois aux fines émotions des souvenirs d'enfance. C'est le chant
originaux de Paul Jacob-Uians 6 fr. d'une petite source vive, riante au soleil, parcourue
de
douces ombres mélancoliques, et où l'on sent cependant que
Il a été tiré de cet ouvrage 100 exemplaires sur pur fil La-
fuma à 12 fra.ncs, 40 exemplaires sur Hollande à 20 francs % par aillleurs le vrai poète qu'est Jeanne Dortzal, atteignit
et 10 exemplaires sur Japon à 50 francs. à exprimer le tumulte tragique des torrents et la large splen-
deur des fleuves.
Marcel BARRiànB. — E88AI SUR LE DONJUANISME Un volume
CONTEMPORAIN 3 fr.

La psychologie et, faut-il le dire, la physiologie du don- Paul Souchon. — LES REGRETS DE LA GRANDE ILE
juanisme n'av£ient jamais tenté qu'incomplètement la plume
des psycholog\ies. Et pourtant nul temps ne fut plus que le Charmants poèmes de Madagascar...
nôtre favorable à la carrière des grands séducteurs. Car-
rière qui exige de l'audace, de la finesse, une parfaite maî-
Henriette Charasson {Les Lettres.)
trise de soi, un sens esthétique très avisé et la complicité
Un poème de M. Paul Souchon sur la grande île de Mada-
du secret le pks fermement scellé. Les grands séducteurs
gascar. L'auteur y réalise ce tour de force d'évoquer
sont rares. Mai» peut-être le sont-ils moins aujourd'hui en
qu'autrefois. Ce sont leurs méthodes, leurs sentiments, vers blancs, sans même la ressource de l'assonance, toute
leurs pensées, leurs destinées que l'on trouvera exposés, l'ardente lumière, tout le violent coloris de ces régions tro-
définis et commentés dans cet ouvrage à la fois grave et picales, et aussi le rythme intérieur d'âmes primitives
et
gai, véritable introduction à la vie donjuanesque. mystérieuses.
Luxueux volume sur bulky vergé in-16 raisin orné de bois Emile Cottinet (La Revue contemporaine.)
originaux de Gérard Cochet 7 fr. 60 Un volume. 3 fr.
Il a été tiré de cet ouvrage 100 exemplaires sur pur 111
Lafuma à 15 francs, 40 exemplaires sur Hollande à 25 frs
et 10 exemplaires sur Japon à 60 francs. PETITE COLLECTION ÉTRANGÈRE:
Albbrt Lantoinb. — LA FLEUR TRES ROUQE F.-J. Engblbbrts. — SOUVENIRS DE FAMILLE
Trois contes d'un Orient lointain, sanglant, furieux et
Roman traduit du hollandais par M. Bresson.
stylisé.
Dans une brume tendre, une idylle conduite à travers les
On aimera la couleur de ces récits de pourpre et d'or,
d'orgies et de crimes, de passions et de châtiments, où mystérieux détours d'une existence familiale, bourgeoise,
tremble parfois le tendre son flûte d'un amour idyllique. provinciale. Le soleil qui dora les amours de Paul et Vir-
Décors, sentiments, sensations, images, M. Albert Lantoine ginie, les fleurs, les ruisselets et les agneaux frisés qui
nous a tout révélé de l'Orient, en un stvle dont la maeie riaient dans les pastorales françaises du grand siècle ont
cuivrée et la frémissante mobilité rappellent les pages Tes cédé le pas à de tremblantes, à d'indécises, à de souiMes
mieux venues du grand Flaubert. lumières où les mots résonnent à peine. Atmosphère tout
Luxueux volume sur bulky vergé in-16 raisin orné de des- ensemble hyaline et opaque, qui fait songer à celle que
sins deHenry Munsch 6 fr. Maeterlinck tendit sur ses drames, que Carrière épandit
Il a été tiré de cet ouvrage 100 exemplaires sur pur fil sur ses toiles. Du tragique, de l'émotion, de la tendresse.
Lafuma à 12 francs, 40 exemplaires sur Hollande à 20 francs
et 10 exemplaires sur Japon à 50 francs. Un volume 3 fr.

\
EN SOUSCRIPTION : TAROT DES IMAGIERS DU MOYEN-AGE
losophiquement en vue d'initier le lecteur à la méthode qui
TAROT DES IMAGIERS DU MOYEN-AGE permet de le faire parler, qu'il s agisse de résoudre un
pro-
reconstitué d'après les originaux et interprété blème de métaphysique ou d'en tirer un oracle divinatoire.
dans son symbolisme
Un volume de grand luxe (27 X21) avec 93 dessins sym-
par M. OswALD Wihth.
boliques de l'auteur. Un albumde 22 planches en couleurs
Les plus anciens jeux de cartes comprennent une série des arcanes majeurs. Tirage à 600 exemplaires, dont 5 exem-
de
22 compositions mystérieuses, où toute une philosophie
condense en images. Court de Gébclin, au xvui» siècle,
se %f plaires sur Japon et 595 exemplaires sur Hollande.
Les souscripteurs auront droit à un prix de faveur, à sa-
re-
connut le premier parmi les modernes l'intérêt voir 400 francs pour les exemplaires sur Japon, et 100 fr.
primordial :

de ce livre muet, qui devint l'inspirateur d'Eliphas pour exemplaires sur Hollande. Après le 30 novembre 1922
Lévi, de
Stanislas de Guaita et de tous les occultistes
capables* de le prix des exemplaires sur Japon sera porté à
déchiffrer son idéognphisme. 500 francs
et des exemplaires sur Hollande à 125 francs.
Dès 188-/, M. Oswald VVirth se mit à l'œuvre pour
fixer
le symbolisme de cet étrange monument
en l'étudiant dans
ses nombreuses variantes. 11 a pu ainsi
dessiner un Tarot
ramené au type idéal, tout en approfondissant la EN SOUSCRIPTION:
portée de
tous les détails des 22 clefs kabbalistiques,
révélatrices de
la doctrine secrète des penseurs les
plus prodigieux.il nous L'ART DE LA BEAUTÉ
donne le fruit de trente-cinq années de recherches
en un B«Ml 8UP l'esthétique de la toilette féminine,
volume qui restera unique en son genre.
Par M. Victor-Emilb Michelbt.
Le Tarot y sera reproduit en couleurs et commenté
phi-
Dans cet ouvrage, l'auteur a cherché, à travers l'œuvre
des grands maîtres de la peinture et de la statuaire, les

BULLETIN DE SOUSCRIPTION principes qui régissent l'ornementation de la femme éter-


nelle à la fois et moderne. L'art de la décoration de la si-
lhouette féminine a déposé ses secrets dans les œuvres
illustres des artistes de tous les temps. C'est là, dans l'abon-
Je soussigné prie Vadmînistràteur des Édi-
dant trésor des chefs-d'œuvre, que Victor-Emile Michcletest
tions du Monde Nouveau de m^tnscrire pour allé chercher ces secrets pour les révéler aux femmes sou-

-„ exemplaires des TAROT DES cieuses de leur prestige physique.

IMAGIERS DU MOYEN-AGE, En s'initiant à ces arcanes, une femme saura comment ob-
sur Japon, '

tenir son maximum de beauté. Elle se pénétrera des lois


Hollande *.
immuables qui, sous la diversité des apparences, sous la
Je paierai la somme de francs à multiplicité des modes, assurent la beauté véritable. Les ré-
sultats des méditations des grands génies sur la robe, le
la réception du volume,
chapeau, la coiffure, la parure, en un mot tout l'ornement
Nom^ de la femme, les voici exposés clairement. Voici les lois qui
président à la création de la beauté atteignant un grand style.
Adresse.
40 œuvres des plus grands maîtres offrent ici leur beauté
SiGNATUBE :
à cette démonstration, qui, écrite par le poète de l'Espoir
1. Biffer la mention inutile: Merveilleux, a l'éclat et le charme exigés par le sujet.
^- ^-A,

COLUMBIA UNIVERSITY
(

L'ART DE LA BEAUTÉ
0032143559
Par M. Victor-Emilb Michblbt.

Un volume de grand luxe in-4 (27 x


21), orné de bois ori-
ginaux de Paul Jacob-Hians, et de 40 reproductions en
cou-
leurs en hors texte des grands maîtres de la
peinture.
Tirage à 600 exemplaires, dont 5 exemplaires
sur Japon
et 595 exemplaires sur Hollande.
Les souscripteurs auront droit à un prix
de faveur, à sa-
voir : 400 francs pour les exemplaires sur
Japon, et 100 fr.
pour lesexemplaires sur Hollande. Après le 30
novembre
1922 le prix des exemplaires sur Japon
sera porté à 500 fr.
et des exemplaires sur Hollande à 125
francs.

BULLETIN DE SOUSCRIPTION

Je soussigné prie V administrateur des


Édi-
tions du Monde Nouveau de m'inscrire pour
— exemplaires de L'ART DE LA
BEAUTÉ sur Japon, Hollande '.

Je paierai la somme de — •• - francs k


la réception du volume,

Nom^
Adresse.
/
\
Signature

i. Biffer la mention inutile.

MAYINM, IJIPRIMIHII GBARI.Iâ C0I.1«


à '

*
.-.VC
1

Wl i

-i Mi

You might also like