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Vert
Vert
GOETHE, JOHANN
WOLFGANG VON
TITLE:
LE SERPENT VERT;
CONTE SYMBOLIQUE
PLACE:
PARIS
DA TE:
1922
r
301/587-8202
Centimeter
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 mm
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LE
SERPENT VERT
Conte symbolique traduit et commenté
par
OSWALD WIRTH •
TROISIÈME ÉDITION
PARIS;
AUX ^ÉDITIONS DU MONDE NOUVEAU
42. BOULEVARD RASPAIL, 42
GŒTHE 1922
p.
GCETH E
LE
SERPENT VERT
Conte symbolique traduit et commenté
par
OSWALD WIRTH
Préface par ALBERT LANTOINE
TROISIÈME ÉDITION
PARIS
AUX ÉDITIONS DU MONDE NOUVEAU
42. BOULEVARD RASPAIU 42
GŒTHE 1922
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JUSTIFICATION DU TIRAGE I
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ixé TIRÉ DB
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CET OUVRAOB :
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Du temps lointain où je débutais dans les
Lettres par des études sur les Romantiques,
fai gardé dans ma mémoire ce mol de Théo-
phile Gautier sur Gérard de Nerval :
« Un des premiers il traduisit Faust, et le
Jupiter de Weimar^ lisant cette version qui
estun chef-d'œuvre^ dit que jamais il ne s'était
si bien compris. »
Pourquoi n'ai-je pas oublié cette phrase ?
Parce que sa signification ne m'était pas ap-
parue. Je la sentais lourde de sens, mais mes
vingt ans ne savaient pas encore que la pen-
sée d'un homme peut dépasser les limites de
sa propre intelligence.
Que de fois entendons-nous dire avec iro-
nie : € Ce critique q u i analyse cette tragédie de
Racine y découvre des beautés auxquelles le
poète lui-même n'a peut-être pas songé» »
C'est ne pas se rendre compte que la lettre ne
A
PRéFACB
PREFACE 9
l'I
10 PREFACE
PREFACE 11
telligencé. Il dévoile aux prêtres qui Vont intelligence lucide. Pour voir clair en autrui
oublié et aux francs-maçons qui ne Vont ja- ilfaut être soi-même débarrassé de toute souil-
mais su le mystère inclus dans Vésotérisme lure morale. La clairvoyance de
Ceux que la
de leurs gestes. gratitude populaire a sanctifiés n'avait
pas
En France, Oswald Wirlh compte aussi des d'autre source que la pureté de leur
existence.
admirateurs^ mais chez nous toute réputa-
tion d'occultiste ne va pas sans inspirer quel-
Emerson —
ce croyant qui s'est approché du
panthéisme de Gœthe avec une inquiétude
Il y a eu —
que méfiance.
— trop de charlatans
et il ya encore^ hé- éblouie — devine Wirth lorsqu'il écrit :
l^s! qui ont prostitué Tout esprit qui ne veut pas se mentir^ à
«
le Grand Œuvre pour V exploitation de misé- force de droiture... peut résoudre toutes les
rables crédulités.
difficultés comme le soleild'été fond les nues. »
Mais M. Oswald Wirth, malgré les sylla- Wirth estpossédé comme son maître de la
bes cabalistiques de son nom^ est un sorcier
« sympathie universelle ». Moi qui suis
au
moderne. Le tarot n^est pas un jeu de cartes fond un misanthrope qui souffre de la lai-
«n
biseautées dans les mains de ce grand hon- deur humaine, j'admire avec humilité cet
nête homme. Celte présentation paraîtra trop homme qui s'en accommode. Il n'en souffre
élogieuse —surtout à M. Wirth lui-même pas, lui, parce qu'il la domine. Il regarde les
— au sujet de ce petit livre où il n'a pu don- erreurs sans s'en indigner , uniquement préoc-
ner toute la mesure de sa € divination ». Mais cupé d'être le nautonier —
le Passeur du
n'oublions pas que M. Wirth est V auteur du conte — pour qui les écueils
sont peut-être
Livre du Maître, e^j^'e tiens k redire ici ce que des jalons utiles pour aborder à la vérité.
Il
j^ écrivais de lui a
propos de la publication sait que les maux participent à l'enchaîne-
de son Symbolisme hermétique :
ment des choses, des êtres et des événements,
Cest Vélévation de son âme qui fait son et que ce sont les pauvres petites lueurs
épar-
IM
PREFACE 13
n PREFACK
j —
AVANT-PROPOS
^
X.
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18 AVANT-PROPOS AVANT-PROPOS 19
J
20 AVANT-PROPOS
AVANT-PROPOS 21
me demandant le sens des détails, en m'ai- à traduire littéralement. Il ne fallait pas son-
dant d'une très remarquable dissertation du ger à en donner un résumé, car aucun détail
n'y est oiseux : tout s'y tient, tout y a sa rai-
professeur D*" August Wolfstieg, de Berlin,
parue dans le numéro de janvier 1912 des son d'être et sa signification.
Monatshefle der Comenius-Gesellschaft fur Le prince Constantin de Weimar s'évertua,
Kultur nnd Geisteslehen, nous dit-on, à démêler le sens mystique de ce
conte, auquel Goethe n'a donné aucun titre
Cet auteur nous montre Goethe se prome-
nant un soir le long de la Saale,aux environs particulier, comme s'il avait entendu en faire
son conte par excellence. Le fait est que la clef
d'Iéna, tandis que, sur la rive opposée, une
de tout un côté de la symbolique de Goethe
dame vêtue de blanc faisait entendre les mo-
nous est très probablement fournie par cette
fable, qui réserve le plus beau rôle à certain
1.Cette étude a été reproduite dans Le Symbolisme
serpent vert.
hermétique^ p. 43 à 74.
<
22 AVANr-PHOPOS
A
ce titre, Tessai d*interprétation que
j'en
ai risqué trouvera grâce, j'espère, aux
yeux
des amateurs de vérités cachées, non moins
que ma traduction, littérairement si
indigne
de Toriginal sorti de la plume du
plus admi-
rable écrivain des temps modernes *.
0. W.
1
g»iMi
A cette recommandation, ils partirent d*un Les Feux Follets venaient de sauter sur le
grand éclat de rire, se moquèrent du f rivage, lorsque le vieux leur cria : Et mon
vieillard
et s'agitèrent plus encore
qu'auparavant. Le péage ?
vieux batelier supporta patiemment
toutes les — Qui refuse n'a qu'à travailler gra-
l'or
impertinences et ne tarda pas à toucher terre. tuitement, répondirent Feux Follets.
les
— Voilà pour votre peine I s'écrièrent alors — Sachez qu'on ne peut me payer qu'en
les voyageurs, et, tout en se secouant, ils firent fruits de la terre I
tomber dans la barque humide bon nombre — Les fruits de la terre ? Nous les dédai-
de brillantes pièces d'or. gnons et n'y avons jamais goûté.
— Au nom du ciel, que faites-vous là ? gé- —
Tant pis, car je ne puis vous lâcher tant
mit alors le vieillard. Vous avez donc juré ma que vous n'aurez pas promis de me livrer
perte Iune seule pièce d'or était tombée
Si trois choux, trois artichauts et trois gros oi-
dans l'eau, le
Fleuve, qui ne peut souffrir gnons.
ce métal, se serait soulevé en masses Les Feux Follets essayèrent de s'esquiver
énormes
pour m'engloutir avec ma barque. en badinant, mais ils se sentirent retenus
Quant à au
vous, je me demande ce qui vous serait sol d'une manière incompréhensible.
advenu. Jamais
Reprenez donc votre or ! ils n'avaient éprouvé rien d'aussi désagréable.
— Nous ne pouvons rien reprendre de Ils promirent donc de satisfaire très prochai-
28 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 29
nement aux exigences du passeur. Celui-ci
leur rendit la liberté, puis repoussa sa barque Dès que l'or fut englouti, il procura au Ser-
dans le courant. Il était loin déjà, lorsque les pent une sensation délicieuse en se dissolvant
«
Il venait de se laisser entraîner le long de la avait annoncé que ce phénomène était possi-
rive, en vue d'atteindre une région monta- ble, mais il lui restait des doutes quant à sa
gneuse, où il pourrait enfouir Tor périlleux durée. La curiosité, non moins que le désir
en un lieu que Teau ne risquait jamais d'at- de s'assurer pour l'avenir la possession de la
teindre. Il trouva, en effet, entre de hauts lumière, poussèrent donc la couleuvre à quit-
rochers une énorme crevasse où il déversa le ter la crevasse afin de rechercher qui pouvait
précieux métal, puis, satisfait, il vogua vers avoir répandu cet or admirable. Elle ne trouva
sa cabane. personne, mais n'en prit que plus de plaisir
à s'émerveiller de l'agréable lumière qu'elle
Cette crevasse abritait une belle Couleuvre répandait sur la fraîche verdure, au fur et à
ces qui s'étaient éparpillées entre les brous- sauvage ; mais elle reprit espoir en arrivant
sur un plateau, d'où elle aperçut dans le loin-
sailles et les fentes du rocher.
tain une lueur analogue à la sienne.
il
1
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32 LB SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 33
venance de récemment tombé dans la
l*or,
Cette fois, elle devint visiblement de plus en sépare ! N'y aurait-il pas possibilité de rap-
plus lumineuse, au point d'en arriver à éclai- peler le vieux passeur?
rer d'une manière vraiment féerique, alors — Ce serait peine perdue, reprit la Cou-
que les Feux Follets notablement
s'étaient leuvre car, même
; vous le rencontriez sur
si
amincis et rapetisses, sans rien perdre cepen- cette rive, il ne vous embarquerait pas.
Il
dant de leur joyeuse humeur. peut passer n'importe qui de ce côté, mais il
— Je vous en suis à jamais reconnaissante, lui est interdit de ramener personne
en sens
articula la Couleuvre, dès qu'à la suite de ce inverse.
repas il lui fut possible de repreadre haleine. — Nous voilà dans de beaux draps N'y I
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34 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 35
— J'en connais deux, mais ils ne sont pas vous présenter à la belle Lilia. Si cependant
utilisables en ce moment. Moi-même, je puis VOUS redoutez trop la chaleur du jour, adres-
traverser ces messieurs, mais uniquement en sez-vous au Géant. Vous le rencontrerez vers
plein midi. le soir, aux abords de la crique
rocheuse voi-
— C'est une heure à laquelle nous n'aimons sine il ne manquera certes pas de se
; montrer
guère voyager. fort complaisant.
— Alors, vous pouvez vous transpor-faire
ter le soir par l'ombre du Géant. Après s'être gracieusement inclinés, les
— Gomment prendre
faut-il s'y ? deux aimables jouvenceaux prirent congé et
— L'énorme Géant, qui ne demeure pas s'éloignèrent. La Couleuvre ne fut pas fâchée
loin d'ici, n'a corporellement pas la moindre de les voir partir, car il lui tardait de se
force. Ses mains ne soulèveraient pas un fétu complaire dans sa propre lumière puis elle
;
de paille, ses épaules ne supporteraient pas avait à satisfaire une curiosité qui depuis
un fagot ; mais son ombre peut beaucoup, longtemps la tourmentait singulièrement.
sinon tout. C'est pourquoi possède son
il A force de se glisser dans les interstices
maximum de puissance au lever et au coucher des rochers, il lui était arrivé de faire une
du soleil ; aussi suffit-il, le soir, de se placer découverte étrange ; car, bien que rampant
sur la nuque de son ombre Géant n'a sans lumière dans ces profondeurs, elle
: le n'en
plus, marcher paisiblement vers
alors, qu'à savait pas moins distinguer au contact
les
la rivepour que son ombre transporte le différents objets. Elle était habituée à ne
ren-
voyageur par-dessus Teau. Mais si, vers contrer que des produits naturels de forme
midi, vous voulez bien vous trouver sur la irrégulière. C'est ainsi qu'elle glissait
parfois
lisière du bois dont les taillis touchent entre les saillies de grands cristaux des
au ; cro-
Fleuve, je me charge de vous traverser et de chets ou des filaments d'argent natif frôlés
au
f
passage lui procuraient également une sensa- pas à gagner la fissure par où elle avait cou-
tion particulière ; enfin, plus d'une pierre tume de se faufiler dans le sanctuaire.
précieuse, trouvée sur son trajet, avait dû à Dès qu'elle y eut pénétré, sa curiosité
la Couleuvre d'être jetée à la lumière du jour. poussée à l'extrême lui fit jeter un regard
Mais, à son immense surprise, Tinvestigatrice circulaire sur la rotonde, que l'éclat qu'elle
rampante avait reconnu, enfermés dans Tin- projetait ne parvenait pas à éclairer complè-
térieur d'un rocher, des objets dont la forme tement. Les objets les plus rapprochés devin-
trahissait une intervention humaine. Il
y rent cependant discernables avec une suffi-
avait là des parois lisses ne lui offrant aucune sante netteté. Saisie d'étonnementet de respect,
prise pour grimper, des arêtes nettes et ré- elle vit se dresser
devant elle, dans une niche
gulières, des colonnes bien formées, et, ce brillante,une statue d'or pur, représentant
qui lui parut plus extraordinaire que tout le un roi vénérable. Bien que dépassant les di-
reste, des statues de personnages humains, mensions naturelles, les proportions de cette
composées d'airain ou de marbre très soi- figure dénotaient un personnage plutôt petit
gneusement poli, à en juger par ce qu'elle que grand. Son corps harmonieusement
sentait en s'enroulant autour. Aussi éprou-
1
formé se drapait dans un manteau simple et
vait-elle le besoin de synthétiser par la vue sa chevelure était retenue par une. couronne
toutes ces sensations tactiles, afin de contrô- de chêne.
ler ses suppositions. Se croyant désormais A peine la Couleuvre eut-elle contemplé
capable d'éclairer par sa propre lumière cette la majestueuse image, que le roi se mit à
crypte merveilleuse, elle espérait pouvoir se parler*
rendre compte d'emblée de tous les objets — D'où viens-tu demanda-t-il.
?
étranges qu'elle renfermait. Elle fit donc di- — Des crevasses où réside répliqua l'or, la
ligence, et, habituée au trajet, elle ne tarda Couleuvre,
38 LK SERPENT VERT
LR SERPENT VERT 39
— Quand me lèverai-je ?
— Bientôt.
S'adressant à l'homme, le roi d'or ques-
— 11 s^assiéra.
— Lequel est le plus important ? voulut
— Je ne suis
pas fatigué, protesta le
savoir le roi d'argent.
— Celui qui révélé. est
quatrième roi d'une voix rauque et balbu-
tiante.
— Veux-tu nous y participer à notre
faire
tour demanda
? le roi d'airain.
Tandis que ces paroles s'échangeaient, la
Couleuvre avait discrètement fait le tour du
— Dès que je saurai quatrième le secret,
répondit Vieux.le
sanctuaire, en examinant tout, puis elle s'était
approchée du quatrième roi. Debout contre
— Que m'importe tout cela grommela par !
devers composite.
lui le roi
une colonne, il apparaissait dans sa corpulence
plus lourd que beau. Le métal dont il était
— Je connais quatrième le alors secret, dit
le Serpent, en s'approchant du Vieux et lui
composé ne se discernait guère à première
sifflant quelque chose à l'oreille.
vue. Un examen minutieux permettait cepen-
dant de reconnaître en sa substance un mé-
— Les temps sont révolus ! cria le Vieux
d'une voix formidable, qui fit retentir le sanc-
lange des trois métaux dont ses frères étaient
tuaire et résonner les statues métalliques.
formés. Mais, lors du moulage, ces matières
Puis, simultanément, le Vieux s'enfonça vers
n'avaient pas fusionné, si bien que des veines
l'Occident et le Serpent vers l'Orient, tous
d'or et d'argent parcouraient irrégulièrement
deux passant avec une grande vitesse à tra-
la masse d'airain, en donnant à l'ensemble un
vers les interstices du roc.
aspect désagréable.
Tous les couloirs que parcourut le Vieux
42 LB SERPENT VEHT
LB SERPENT VERT 43
furent comblés d'or immédiatement après
son
passage, car sa lampe possédait le pouvoir de les laisser entrer. Ils m'avaient fait l'eflfet
magique de transmuer toute roche en or, tout de gens courtois et convenables ; ils étaient
bois en argent et les animaux morts en revêtus de flammes légères, si bien qu'on au-
pierres
précieuses par contre, elle anéantissait tous rait pu
prendre pour des Feux Follets. A
les
;
les métaux. Mais, pour exercer cette action, peine eurent-ils pénétré dans
la maison, qu'ils
la lampe devait être seule à répandre sa lu- se mirent à me complimenter d'une manière
44 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 45
en peu de temps, ils étaient devenus ma-
très
1
m'
nifestement beaucoup plus grands, plus larges
jamais utiles, mais en tous cas, ils n'ont mé-
et plus brillants. Du coup, ils reprirent leurs
nagé à ce sujet ni promesses, ni assurances.
espiègleries et me cajolèrent
à nouveau, en
m'appelant leur reine. Puis, en se secouant,
ils firent tomber autour d*eux Dans l'intervalle, le feu de la cheminée
quantité de
avait cessé de flamber ce n'était plus qu'un
pièces d'or. Tu il en reste encore sous
vois, t <
;
ce banc, où elles se détachent lumineuses amas de braises ardentes, que le vieux recou-
de
Tobscurité. Mais, quel malheur notre chien vrit d'une épaisse couche de cendres. Il fît dis-
!
en dévora quelques-unes, et, comme tu le paraître ensuite les pièces d'or lumineuses,
vois, il en est mort. Pauvre bête afin que sa petite lampe fût seule à répandre
Je ne puis !
-- Tu peux avoir pour eux cette trois oignons, puis porte le tout au Fleuve. Vers
complai-
midi, fais-toi traverser par le Serpent et rends-
sance, car, à l'occasion, ils nous rendront
ser-
toi auprès de la belle Lilia. Présente-lui l'onyx,
vice.
LE SERPENT VERT 47
ainsi acquis. Engage-la à ne pas se lamenter,
sa libération étant proche annonce-lui qu*elle
;
midable personnage qui venait de s'y baigner.
doit envisager la pire des infortunes comme Elle restait perplexe, ne sachant comment
le plus grand bonheur, car les temps sont ac-
éviter cette rencontre. Dès que le Géant eut
complis.
aperçu la Vieille, il la salua en plaisantant,
La Vieille ayant tout disposé dans sa cor- tandis que les mains de son ombre plongeaient
beille, s'en chargea dès qu'il fit jour et se mit dans le panier. Elles eurent vite fait d'en
en route. Le soleil levant dardait ses rayons extraire un chou, un artichaut et un oignon,
par-dessus le Fleuve qui brillait dans le loin- légumes qu'elles portèrent à la bouche du
tain. La femme avançait d'un pas lent, car la Géant. Celui-ci poursuivit alors sa route, en
corbeille lui pesait sur la tête, non cependant
remontant le long du Fleuve, ce qui laissa la
en raison du poids de l'onyx. Tout ce qui
Vieille libre de reprendre sa marche.
était mort ne lui constituait, en effet, aucune
Tout en se demandant si elle ne ferait pas
charge les objets inanimés soulevaient même
;
mieux de retourner sur ses pas,pour aller
la corbeille qui les contenait au point de la
quérir dans son potager les légumes man-
faire planer au-dessus de la tête de la por- il
quants, elle ne cessa d'avancer qu'en arrivant
teuse.Mais celle-ci sentait peser lourdement
au bord du Fleuve. S'y étant assise, elle at-
des légumes frais ou le moindre petit animal
tendit longtemps la venue du passeur, qu'elle
vivant. Elle avançait en rechignant lorsque,
vit enfin approcher en compagnie d'un singu-
tout à coup, elle s'arrêta effrayée, au moment lier voyageur. C'était un jeune homme, noble
où elle allait poser le pied sur l'ombre du
et beau, qu'elle ne pouvait assez contempler.
Géant, laquelle s'allongeait à travers la plaine — Qu'apportez-vous demanda nautonier.
? le
jusqu'au lieu qu'elle venait d'atteindre. En
même temps, elle vit sortir du Fleuve le for-
— Ce sont légumes que vous doivent
les
.
48 LE SERPENT VERT
49
LE SERPENT VERT
violence, assurant
prit alors au Passeur avec
immédiatement chez elle, et que la charge lui qu'il y
devenait gênante pour la route qu'elle avait que ses mains avaient toujours été ce
qu'elle avait
avait de mieux en sa personne,
encore devant elle. Mais il persista dans son
délicates,
toujours su les conserver blanches et
refus, assurant qu'il ne dépendait pas de lui
sa
Puis, examinant
d'en décider autrement. en dépit d'un dur travail.
— Pendant neuf heures, ce qui me revient main, elle s'écria avec désespoir :
Après bien des paroles échangées, le pas- — Jusqu'ici, ce n'est qu'une apparence, ré-
partit le Passeur; mais, si vous ne teniez pas
seur en vint finalement à dire : i réalité. Votre
—
Il reste un moyen. Si vous consentez à parole, cela deviendrait une
peu à peu de volume,
main diminuerait alors
vous engager envers le Fleuve, en vous recon-
néanmoins
naissant sa débitrice, je recevrai les six pièces jusqu'à disparition complète, sans
;
l'usage. Vous vous en ser-
mais cela expose à quelque risque. que vous en perdiez
— Mais, viriez sans aucune gêne, mais personne ne la
si je tiens parole, je ne dois cou-
riraucun danger ? verrait plus.
Fleuve. Sa tournure charmante et son accou- — Vous marchez trop lentement pour moi.
trement avaient profondément impressionné Monsieur. ne faut pas que je manque le
Il
dité foulait le sable brûlant, sans que le jeune t-il, nous ferons route ensemble. Quel
alors
sique, car une profonde peine morale semblait — Monsieur, répartit la Vieille, après avoir
l'avoir distrait de toutes les impressions exté- éludé mes questions par des monosyllabes,
rieures. vous êtes mal venu à vous enquérir de mes
secrets avec tant de vivacité. Vous convient-il
Cependant de faire échange de bons procédés?
•^1
52 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 53
Eh bien, commencez par m'éclairer sur votre n'ai plus ni couronne, ni sceptre, ni épée. Je
sort, et je ne vous cacherai rien de ce qui a suis d'ailleurs tout aussi nu et indigent que
trait à ma personne et à mon cadeau. n'importe quel autre fils de la terre ; car ses
Un accord fut rapidement conclu. La femme beaux yeux bleus ont le funeste effet de pri-
s'expliqua sur sa condition et raconta l'his- ver de force tous les êtres vivants. Ceux que
toire du chien, tout en exhibant la merveille le contact de sa main n'a pas tués ne se sen-
qu'elle avait mission d'offrir en présent. tent plus vivre qu'à l'état d'ombres ambu-
Ayant extrait du panier l'objet d'art natu- lantes.
rel, le jeune homme prit dans ses bras le chien Il poursuivit de la sorte ses plaintes, sans
qui semblait endormi. de la Vieille, bien moins
satisfaire la curiosité
— Heureux animal ! s'écria-t-il, tu seras préoccupée de son état d'âme que des condi-
touché de ses mains elle te rendra la vie,
;
tions extérieures de son existence. Elle n'ap-
alors que les vivants sont obligés de la fuir, prit ni le nom de son père, ni celui de son
afin de ne pas subir un déplorable sort. Mais, royaume.
que dis-je, déplorable N'est-il pas de beau-
! Il caressait le chien d'onyx, que les rayons
coup plus affligeant et plus effrayant d'être du soleil et la chaleur qui émanait du jeune
paralysé par sa présence, qu'il ne serait de homme avaient réchauffé comme s'il eût été
mourir de sa main ? Regarde-moi I A mon vivant. Il s'intéressa beaucoup à l'Homme à la
Le sort m'a laissé cette cuirasse, que j'ai por- les effets s'annonçaient comme particulière-
tée à la guerre avec honneur, et cette pourpre, ment propices à son triste état.
que je me suis efforcé de mériter en gouver-
aperçu-
Tandis qu'ils conversaient ainsi, ils
nant avec sagesse : l'une ne m'est plus qu'un
rent à distance l'arche majestueuse d'un pont
poids inutile, et l'autre une vaine parure. Je
M LE SERPENT VERT LE SERt»ENT VERT 55
jeté d'une rive à Tautredu Fleuve. Cette cons- sion qu'elle leur avait accordée de franchir le
truction miroitait au soleil d'une
manière fli Fleuve sur son dos ; puis ils remarquèrent que
surprenante, que les deux interlocuteurs
en des personnes invisibles avaient dû se joindre
restèrent stupéfaits. à la compagnie. Ils entendaient près d'eux des
~ Gomment s'exclama le prince, n'était-
! sifflements auxquels la Couleuvre répondait
il pas assez beau, lorsqu'il se
présentait à no- de même en sifflant. En prêtant attention, ils
tre vue, paraissant bâti de jaspe perçurent enfin les paroles suivantes, émises
et de prasine?
Ne doit-on pas craindre d'y poser le pied, par deux voix alternantes :
dide d'arbres d'essences diverses, Lilia, dès — Ne m'attriste pas par des louanges im-
qu'elle fut visible, enchanta une fois de plus portunes : ne contribuent qu'à me faire
elles
lente femme ne put-elle s'empêcher de crier ser sur ma harpe, il était soigneusement dressé
de loin son admiration, saluant ainsi à sa ma- à ne pas me toucher. Or ce matin, alors que,
nière la plus adorable des jeunes réconfortée par le sommeil, je préludais à un
filles.
— Quel bonheur de vous contempler ! Quelle
paisible chant de réveil, mon mignon chanteur
céleste félicité votre présence ne égrenait plus joyeusement que jamais ses no-
répand-elle
pas autour de vous ! Avec quel charme votre tes harmonieuses, lorsqu'un épervier fendit
harpe ne s'appuie-t-elle pas contre votre sein !
l'air au-dessus de ma tête. Epouvanté, le crain-
Quelle douceur dans le mouvement envelop- tif oiselet se réfugia dans mon sein et je per-
%
58 LE SERPENT VERT LE SERPEWT VERT 59
sa vie expirante. Atteint par mon regard, le pas me donner un chou, un artichaut et un
ravisseur se traîne désormais impotent, là-bas, oignon, que je les apporte au Fleuve, afin que
au bord de Teau. Mais sa punition ne me rend ma main redevienne blanche comme précé-
pas mon favori, dont la tombe ne contribuera demment et paraisse presque digne d'être pla-
qu*à augmenter les funèbres bocages de mon cée à côté de la vôtre ?
jardin. — Tu pourrais trouver à la rigueur des
— Prenez courage, belle Lilia ! dit alors la choux et des oignons, mais c'est en vain que
femme, en essuyant les larmes que le récit de tu chercherais des artichauts. Mon vaste jar-
la malheureuse jeune fille lui avait arrachées, din ne renferme que des plantes ne portant
ressaisissez-vous. Mon mari m'a chargée de ni fleurs ni fruits ; mais tout rameau que je
vous recommander de modérer votre chagrin cueille pour le planter sur la tombe d'un fa-
et d'envisager la pire des infortunes comme vori verdit aussitôt et se développe très rapi-
Tannonce du plus grand bonheur, car il as- dement. J'ai malheureusement vu croître tous
sure que les temps sont révolus. Et, de fait, ces massifs, ces bosquets et ces bocages. Ces
continua la Vieille, il se passe d'étranges cho- pins altiers, ces cyprès pareils à des obélis-
ses dans le monde. Voyez donc ma main, ques, ces chênes et ces hêtres puissants pro-
comme elle est devenue noire Vraiment, elle
! viennent de rameaux plantés de ma main en
a déjà sensiblement diminué de volume il : de tristes commémorations, dans un sol qui,
faut que je me hâte, avant qu'elle ne dispa- par lui-même, serait resté à jamais stérile.
raisse entièrement. Pourquoi ai-je voulu être La Vieille n'avait prêté à ce discours qu'une
complaisante à l'égard des Feux Follets ? attention distraite, car elle ne se préoccupait
Pourquoi a-t-il fallu que je rencontre le Géant? plus que de sa main, qui, en présence de la
Et pourquoi me suis-je laissée induire à plon- belle Lilia, semblait noircir et rapetisser de
ger ma main dans le Fleuve? Ne pouvez-voua minute en minute. Effarée, la messagère eut
fm ww
7
60 1^ SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 61
hâte de fuir et déjà elle reprenait sa corbeille,
lorsqu'elle constata qu'elle avait failli oublier Ignorant des humains les douces jouissances,
Fessentiel. Je n'ai jamais connu que la calamité !
i
LJ.-.. -^U
femme combien resplendit actuellement l'ar- Par mon contact, je pourrai ensuite l'animer,
che qui relie les deux rives. Ce qui n'était na- si bien qu'avec ton bon carlin, il deviendra
guère que jaspe opaque et simple prasine, à mon meilleur passe-temps. Mais cours de
peine translucides aux arêtes, s'est transformé toutes tes forces, car, dès que le soleil sera
en gemmes d'une parfaite limpidité. Nul bé- couché, une irrémédiable putréfaction s'atta-
ryl n'est aussi transparent, nulle émeraude quera au chétif animal, en dissolvant à jamais
d'une eau plus pure. la belle cohésion de sa forme.
nous est promis que des chevaux, des véhicu- pent, leTemple est bâti.
les et des voyageurs de toutes sortes pourront y — Mais ne dresse pas encore au bord
il se
l'autre sens. N'a-t-on pas aussi annoncé de — Non, car attend son heure dans
il les
Fleuve ?
pent ;
j'ai vu les Rois et je leur ai parlé.
se retirer.
— J'ai entendu retentir le Temple de la
—Accorde-moi un instaift de plus, lui dit grande parole les temps sont accomplis
: !
alors Lilia, et emporte mon pauvre serin. Prie Une agréable sérénité se répandit à ces mots
la Lampe de le transmuer en une belle topaze. sur le visage de la Belle.
LE SERPENT VERT 65
64 LE SERPENT VERT
/
66 LB SERPEJJT VERT
LE SERPENT VERT ei
ailespendantes se tenait aussi timide qu'une
colombe. — Faut-il, quand un destin funeste me
— Tu n'es pas aimable, lui reprocha Lilia, condamne à vivre en ta présence dans une
d'offenser mes regards par la vue de cette séparation éternelle peut-être quand j'ai ;
affreuse bête qui a causé la mort de mon petit tout perdu par y compris ma personna-
toi,
chanteur. lité, faut-il, de mes yeux, que
je constate à
— Ne maudis point ce malheureux oiseau, quel point une monstruosité contre nature
répondit le jeune homme : n'accuse que ton peut exciter ta joie, captiver tes affections et
propre destin et le concède que je
sort, et jouir de tes embrassements Dois-je long-!
l'odieuse bête, qu'il jugeait affreuse, la serrer et le malheureux prince se précipita vers la
contre sa blanche poitrine et finalement poser Belle. — Instinctivement celle-ci tendit les
ses lèvres célestes sur le noir museau, alors, mains pour l'écarter, mais n'en toucha que
exaspéré, le jeune homme s'écria :
plus rapidement le jeune homme, qui, perdant
conscience, vint s'effondrer dans ses bras.
1^
Oi
68 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 69
Epouvantée de sentir contre son sein le poids
de ce beau corps, elle recula en poussant un lia vint apporter le pliant d'ivoire, en invi-
cri d'horreur, laissant ainsi glisser à terre son tant gracieusement sa maîtresse à y prendre
fiancé inanimé. place. Un autre parut ensuite, tenant un voile
couleur de feu, qu'elle posa sur la tête de Li-
La catastrophe s'était produite. Immobile, lia, moins pour la couvrir que pour la parer.
la douce Lilia fixait d'un œil hagard le cada- La Belle reçut enfin la harpe des mains de la
vre inanimé. Son cœur semblait avoir cessé troisième suivante. A peine les cordes du
de battre et pas une larme n'apparaissait à ses splendide instrument eurent-elles rendu quel-
paupières. Le Carlin s'agita vainement pour ques sons, que la première des jeunes filles
obtenir une caresse : le monde entier venait reparut avec un brillant miroir de forme
de mourir pour elle, en même temps que son ronde. Se tenant en face de Lilia, elle exposa
bien-aimé. Dans le mutisme de son désespoir, ainsi à ses regards l'image la plus ravissante
elle n'aspirait pas à être secourue, car elle ne du monde, car la douleur exaltait sa beauté,
concevait aucune possibilité de secours. le voile accentuait sescharmes et la harpe fai-
Le Serpent, par contre, se démena d'autant sait ressortir sa grâce. Son aspect était à ce
plus diligemment, comme s'il se préoccupait point adorable, que, tout en compatissant à
d'un sauvetage. Ses étranges contorsions de- la navrante situation de Lilia, on aurait voulu
vaient servir à parer, du moins, aux suites les pouvoir fixer à jamais son image du moment.
plus immédiates de la terrible fatalité. Décri- Son paisible regard attaché au miroir, la
vant autour du cadavre un vaste cercle, il re- Belle, après avoir fait retentir les cordes des
tint finalement entre ses dents l'extrémité de plus mélodieux accords, semblait en proie à
sa queue, puis ne bougea plus. un redoublement de douleur, qui se traduisait
Peu après, l'une des belles suivantes de Li- en notes d'une puissante intensité pathétique.
A diverses reprises, Lilia essaya de chanter,
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mu
70 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 71
porta une détente à Tâpreté de ses peines. que notre salut soit aussi le vôtre. Gourez en
Deux suivantes empressées vinrent alors la toute hâte à la recherche des Feux Follets. Il
soutenir, tandis que la troisième, voyant la faitencore trop clair pour que vous puissiez
harpe échapper aux mains de sa maîtresse, re- les apercevoir, mais peut-être les entendrez-
cueillit à temps l'instrument qu'elle emporta vous rire et voltiger. S'ils se hâtent, le Géant
aussitôt. pourra encore leur faire franchir le Fleuve ;
— Qui nous amènera l'Homme à la Lampe ilne leur restera plus ensuite qu'à rejoindre
avant le coucher du soleil ? siffla le Serpent l'Homme à la Lampe et à nous l'envoyer.
tout bas, mais très perceptiblement. Les jeu- La fenmie courut de toutes ses forces, et le
nes filles se regardèrent, inquiètes, et les lar- Serpent attendit avec non moins d'impatience
mes de Lilia coulèrent plus abondantes. A ce que Lilia l'issue du message. Malheureuse-
moment, la Vieille à la corbeille revint, es- ment, les rayons du soleil couchant ne do-
soufflée. raient déjà plus que le sommet des arbres du
— Je suis perdue et mutilée ! cria-t-elle. fourré, tandis que de longues ombres s'éten-
Voyez, ma main a presque entièrement dis- daient au-dessus du lac et de la prairie. Le
paru. Ni le Passeur, ni le Géant n'ont voulu Serpent s'agita fébrilement et Lilia fondit en
me que je reste débitrice de
traverser, parce larmes.
l'eau.Vainement ai-je offert cent choux et
cent oignons on ne veut que trois pièces
:
A ce moment critique, le Serpent lança de
;
or, impossible de découvrir le moindre arti- toutes parts des regards anxieux, car il redou-
chaut dans cette région I
tait que, le soleil disparu, la putréfaction ne
— Oubliez votre détresse, répondit le Ser- vînt, d'un instant à l'autre, rompre le cer-
72 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 73
0ÊL
/
74 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 75
ne s'en montrèrent d'ailleurs que plus survint, on ne sut comment. Après avoir ob-
em-
pressées auprès de la princesse et des servé les étoiles, le Vieux dit alors grave-
autres
belles. Avec une parfaite assurance ment :
et une
grande vivacité d'expression, elles dirent — Nous nous trouvons réunis à l'heure r
AI
des
choses,somme toute, assez banales. Leur ad- propice que chacun accomplisse sa tâche,
:
miration s'inspira plus particulièrement que chacun soit fidèle à son devoir, et les
du I
peines individuelles se fondront dans le bon-
charme que le voilelumineux répandait sur
Lilia et ses suivantes. Les belles baissaient
heur général, tout comme les joies particu-
les yeux avec modestie, effectivement embel- lières se résorbent dans une calamité univer-
selle.
lies par la louange de leur
beauté. Toute l'as-
sistance était calme et rassérénée, Une rumeur singulière s'éleva comme ré-
sauf la
ponse à ces paroles, car toutes les personnes
Vieille. En
dépit des assurances de son mari,
présentes, se parlant à elles-mêmes, se mirent
qui avait affirmé que la main de sa femme
ne
à expliquer tout haut ce qu'elles avaient à
pouvait plus diminuer tant qu'elle serait
éclai-
rée par la
faire. Seules, les trois filles d'honneur restè-
Lampe,
malheureuse ne cessait
la
rent muettes. Elles s'étaient endormies, l'une
de geindre, prétendant qu'avant
minuit le auprès de
noble membre aurait entièrement du parasol et
la harpe, l'autre près
disparu, si
la troisième à côté du pliant on ne pouvait ;
les choses continuaient à suivre leur
cours. leur en tenir rigueur, vu l'heure avancée. Les
jouvenceaux flamboyants leur avaient bien
Le Vieux avait prêté aux propos des Feux consacré, au début, quelques politesses passa-
Follets une oreille attentive, en prenant plai- gères ; mais leurs hommages ne s'étaient plus
t
76 LE SERPENT VERT LB SERPENT TERT 77
adressés finalement qu'à Lilia, la Belle des quel fut déposé le serin mort. Ainsi chargé,
Vieux à TEpervier. Va guetter le premier hâta de suivre les Feux Follets. Emportant
rayon du soleil, afin de le recueillir du plus sous son bras le Carlin, la belle Lilia suivit
haut des airs et en renvoyer le reflet sur les la Vieille. Quant à l'Homme à la Lampe, il
rent démesurément, tout en augmentant sur le ciel sombre il n'en était pas de même
;
son
pouvoir lumineux en proportion de l'étire- de la partie concave, qui dardait de vifs
rayons vers le centre, rappelant ainsi la soli-
ment. Dès que la dimension requise fut at-
teinte, la corbeille, dité mobile de l'édifice. Le cortège traversa
devenue cercueil, reçut le
cadavre du jeune lentement, à la stupéfaction du Passeur, qui.
homme, sur la poitrine du-
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78 LB SEHPENT VERT r
LE SERPENT VERT 79
de sa cabane, observait à distance l'arc lumi-
neux et les étranges lumières défilant au-des- panier, puis se dressa sur son séant. Lilia vou-
tions. Peu après, ayant rejoint étaitrevenue à tous deux, mais ils n'avaient
ses compa-
gnons, le Serpent se hâta de reformer pas encore recouvré l'esprit. Le beau fiancé
le cer-
cle autour de la corbeille qui avait les yeux ouverts, mais il ne voyait rien,
s'était abaissée
} d'elle-même jusqu'au du moins semblait-il regarder sans prendre
sol. Se penchant alors
vers le Serpent, le Vieux lui demanda
part à rien. La surprise provoquée par des
}
—Qu'as-tu résolu ?
:
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80 LE SEBPENT VERT
il LE SERPENT VERT
81
Le Vieux s'empressa de recueillir dans la
passèrent en queue, laissant
corbeille toutes les pierres précieuses. Il se l'Homme à la
fit aider par sa femme, tant pour cette beso-
Lampe prendre lesdevants vers le rocher, le-
gne, que pour le transport de la corbeille quel s'ouvrit à son approche. Le
Prince mar-
chait en second, en quelque
dont Tinappréciable contenu fut intégralement sorte machinale-
déversé dans le Fleuve du haut d'un endroit ment, alors que Lilia, recueillie mais
incertaine,
escarpé de la rive. Lilia et la Vieille en éprouvè-
suivait à une distance trop grande au gré
de la
Vieille, qui, lui emboîtant le
ï rent quelque dépit, car elles auraient préféré .
pas, étendait sa
main noire, afin que la lumière de la
II
pouvoir se choisir quelques pierreries pour Lampe
ne manquât pas un seul instant
leur agrément personnel. Comme des étoiles de l'éclairer.
Les Feux Follets fermaient le cortège,
scintillantes, les pierres lumineuses flottèrent en incli-
nant l'un vers l'autre la pointe de
parmi vagues, puis disparurent, sans qu'il
les leurs flam-
mes, comme s'ils avaient conversé
fût possible de distinguer si elles se perdirent entre
eux.
dans le lointain, ou si elles s'enfoncèrent.
La marche se poursuivit dans cet ordre
jus-
qu'à la rencontre d'une massive
Revenant vers les Feux porte d'airain,
Follets, le Vieux leur
dont les battants étaient clos à
dit alors respectueusement l'aide d'une
:
serrure d'or. Le Vieux fit aussitôt
— Messieurs, désormais c'est moi qui vais lesFeux Follets, qui, sans attendre d'y
approcher
servir de guide et marcher en tête mais il être
;
longuement encouragés, eurent tôt
vous est réservé de nous rendre un immense fait de
dévorer serrure et pêne de leurs
service en nous ouvrant la porte du sanctuaire langues les
plus effilées.
par laquelle nous devons passer et qu'en de-
Lorsque la porte s'ouvrit avec un
hors de vous nul ne saurait ouvrir. ^ fracas
d'airain, les lumières
S'inclinant avec civilité, introduites firent res-
les Feux Follets 1 plendir les statues royales du
sanctuaire. Gha-
^
6
^
; il'
«,J^4 '1,^,1, ^ ^
82 LE 9EKPENT VERT LE SERPENT VERT 83
cuns'inclina devant les vénérables souverains, part votre pâture et apportez-moi votre lu-
les Feux Follets surtout se
confondant en mière.
révérences contournées.
Après quelques instants de silence, le roi En s'éloignant, ils esquivèrent le roi d'ai-
d'or demanda : rain, qui ne parut pas les apercevoir, et s'atta-
— D'où venez-vous ? quèrent au roi composite. D'une voix hési-
— Du monde, répondit Vieux.le tante, celui-ci s'écria :
\
•WSi...
seuls, dans leur mobilité, les Feux Follets ne pôle. Effrayées, Lilia et la Vieille sautèrent
tinctement compte, venait d'entrer en mou- La cabane du passeur, car c'est elle que, dans
vement, à l'instar d'un navire qui lentement son ascension, le Temple avait détachée du
heurta rien, aucun rocher ne lui barrant la Les femmes poussèrent des cris et le sanc-
route.
tuaire fut ébranlé comme un navire subite-
Pendant quelques une pluie fine
instants, ment échoué. Anxieuses, les femmes firent
tomba par l'ouverture de la coupole. Le Vieux dans le demi-jour le tour de la cabane qui
plus fermement la belle Lilia, en avait repris sa forme primitive. La porte en
tint alors
était close et nul à l'intérieur ne semblait en-
lui disant :
Nous sommes sous le Fleuve et nous tendre les coups qu'elles y frappaient. Elles
touchons au but. heurtèrent plus fort, et furent surprises fina-
Peu après, on put se croire immobile ; lement d'entendre le bois rendre un son mé-
mais c'était une illusion, car le Temple mon- tallique. Par la vertu de la Lampe qui s'y
trouvait enfermée, la substance de la cabane
tait.
venait, du dedans au dehors, d'être entière-
Un singulier bruit se fit entendre soudain ment transmuée en argent. Du même coup,
dans la hauteur. Un amas désordonné de une modification se produisit dans la forme
planches et de poutres se fraya passage avec de la cabane, car, répugnant à la configura-
craquement à travers l'ouverture d« la cou- tion accidentelle en planches, poutres et po-
I,
86 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 87
grand, qui eut ainsi un autel digne de lui. — Beau conseil Tu veux donc que je de-
!
I!
Par un escalier intérieur, le Prince monta vienne noire tout entière et que je dispa-
sur une plateforme qui couronnait le sanc- raisse totalement, puisque je n'ai pas acquitté
;!
rait ses pas, tandis qu'un autre personnage, — Va et fais ce que je te dis 1 répliqua le I '\
vêtu d'une courte tunique blanche, soutenait Vieux, toutes les dettes sont remises.
d'une main le jeune homme et portait de
l'autre une rame d'argent. On reconnaissait La Vieille disparut et, au même moment,
en lui le Passeur, dont la demeure venait la lumière du soleil levant frappa le rebord
d'être métamorphosée. de la coupole. Se plaçant entre les jeunes
A son tour, la belle Lilia se mit à gravir gens, le Vieux alors prononça d'une voix
les marches qui, extérieurement, conduisaient forte :
devenue de plus en plus petite tant que la s'était avancé, au second le roi d'argent s'était
Lampe avait été cachée, se mit alors à gémir : levé et au troisième le roi d'airain s'était len- «i
—Mon malheur s'accomplira-t-il malgré tement mis sur pied, alors que le roi compo-
tout ! Parmi tant de miracles, ne s'en pro- site s'affaissait avec maladresse.
duira-t-il aucun pour sauver ma main **
Malgré la solennité du moment, il était
LE SERPENT VERT 89
88 LE SERPENT VERT ,1
A
Dès que jouvenceau fut présenté au roi
le
rent se maintenir vides un certain temps, la
d'argent, celui-ci inclina vers lui son sceptre,
statue conservant de ce fait son aspect géné-
que le Prince prit en sa main gauche. D'une
Mais finalement, quand tout fut dévoré,
ral.
voix bienveillante, le roi dit alors
jusqu'aux moindres veinules, un effondre- :
que les membres se plient. Or, comme pour donner sa bénédiction paternelle,
•droit, alors
contraire avait eu lieu, engendrant une posa sur la tête du jeune homme la couronne
le
de chêne, en disant
xîombinaison difforme de raideur et d'aplatis-
:
<
I
i*n
^ —
90 LB SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 91
— Chère Lilia ! s'écria-t-il en s'élançant le jour s'était entièrement levé, sans que nul
n'y prît garde au milieu de l'exultation de la M
sur les marches d'argent qui conduisaient au
jeune avait
joie générale. La clarté grandissante qui pé-
sommet de l'autel, d'où la fille
nétrait par l'ouverture de la porte attira ce-
suivi toutes les phases de la transfiguration de
pendant l'attention au dehors. Chacun fut
son fiancé, chère Lilia L'homme qui a reçu
!
il
n M
LE SERPENT VERT 93
92 LE SERPENT VERT
tuel amour.
femme, lui dit alors l'Homme à la Lampe.
—Honore la mémoire du Serpent dit !
Sois heureuse, de même que toute créature
qui, ce matin, se baignera dans le Fleuve
alors l'Homme à la Lampe en s'adressant au
!
il
94 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 95
tii
souriant, tu es en droit aujourd'hui de te choi-
habituel
sirun autre époux. A partir de ce jour, nul dre son bain coutumier à l'endroit
Fleuve. Mais voici qu'au lieu d'entrer dans
mariage n'est valable, à moins qu'il ne soit du
il sentait un sol sec sous
ses pieds, tan-
renouvelé. l'eau,
— Ignores-tu donc répondit-elle, que, toi dis qu'il avançait en titubant sur le
large pa-
lier conduisant dans l'intérieur de l'autel. Le bre de ses formidables poings bouscula irré- \i
roi et les deux hommes restèrent par contre sistiblement la foule sur laquelle elle passa.
sur la plate-forme, d'où ils pouvaient obser- Bêtes et gens furent renversés, blessés ou
ver le pont et l'agitation de la foule. meurtris, et couraient risque d'être précipi-
tés dans le Fleuve.
La satisfaction du de courte durée,
roi fut A la vue de ce méfait, le roi ne put s'empê-
cher de porter la main à son glaive mais, ré-
car il ne tarda pas à être témoin d'un spec- ;
tacle affligeant. Mal réveillé de son sommeil, fléchissant, il considéra plein de calme d'abord
le lourd Géant venait de s'engager gauche- son sceptre, puis la lampe et la rame de ses
toutes les puissances dont nous disposons. l'étrange monument, dont la masse obstruait
Sois sans inquiétude ne commettra plus
! II presque vue du pont.
la
d'autre action nuisible, et nous avons la chance Rassuré par l'immobilité du Géant, le peu-
que son ombre ne soit pas tournée vers nous. ple ne tarda pas à s'en rapprocher, puis à
Le Géant cependant s'était approché. Stu- l'entourer, tout en s'extasiant sur la métamor-
péfait de ce que lui révélaient ses yeux grands phose subie. La foule ensuite se tourna vers
ouverts, il avait laissé retomber ses bras et le Temple, qu'elle ne semblait pas avoir aperçu
ne causait plus de dommage mais; il avançait plus tôt.
toujours. Déjà il traversait l'avant-cour, se Elle se pressait pour en franchir la porte,
dirigeant droit vers la porte du Temple, lors- lorsque, du haut des airs, l'Epervier renvoya
que, parvenu au point central de la place, il sur l'autel, par l'ouverture de la coupole, un
se trouva brusquement fixé au sol. Il venait faisceau de lumière solaire captée à l'aide du
d'être transformé en une immense etsplendide miroir dont il était porteur. Au sein du demi-
statue de pierre rougeâtre et luisante. Son jour mystérieux du sanctuaire, le roi, la reine
ombre désormais indiquait les heures, figurées et leur suite parurent ainsi baignés d'une
sur un pavé circulaire, non par des chiffres, clarté céleste. Le peuple se prosterna à cette
mais par une série de compositions en mosaï- vue, saisi d'un religieux respect.
que, retraçant de nobles images d'une haute Lorsque, remise de son émotion, la foule se
signification. releva, le roi et les siens avaient disparu par )
Cette application utile de Tombre du Titan l'escalier intérieur de que des passages
l'autel,
donna grande au roi. Quant à la
satisfaction secrets reliaient au palais. Le peuple alors se
reine, qui, escortée de ses suivantes, venait répandit dans le Temple pour satisfaire sa
de surgir merveilleusement parée de l'intérieur curiosité. Les trois rois restés debout furent
de Tautel. sa surprise fut vive à l'aspect de examinés avec un étonnement plein de véné-
7
98 LE SERPENT VERT
LE SERPENT VERT 99
ration. Mais rien n'intrigua autant que la
masse confuse, qui, dans la quatrième niche, pièces d'or. Finalement, tout reprit son cours
était soigneusement dissimulée sous un pré- normal, chacun peu à peu ne se préoccupant
cieux tapis. Le roi effondré avait été recouvert plus que de poursuivre sa route. Jusqu'à ce
d*un splendide tissu, voile charitable, qu'au- jour, le pont fourmille ainsi de passants et le
cun œil ne parvenait à percer et qu'aucune Temple est le plus fréquenté de la terre.
main ne se permettait de soulever.
Ne se lassant pas de contempler et d'admi-
rer, la foule grossissante aurait fini par s'écra-
ser dans le Temple, sans une diversion qui
vint fort à propos attirer son attention vers la
grande place.
Subitement, les dalles
L'ÉSOTÉKISME
DU « SERPENT VERT »
|0NNER d'une production littéraire
une traduction rigoureuse est
toujours une tâche ingrate. Ce
qui s'exprime dans une langue
en une forme heureuse se heurte, dans l'au-
tre, aux rencontres les moins esthétiques.
C'est à peine si j'ose relire le conte de Goethe,
dit du Serpent Verl^ tel que je me suis efforcé
LA CULTURE INITIATIQUE
DE GOETHE
|ouT d'abord, il convient de se
demander si Goethe ne s'est pas
amusé à écrire un conte énigma-
tique,pour Tunique plaisir d'in-
triguer ses contemporains et de leur faire cher-
cher un ésotérisme dont il n'avait nul souci.
Goethe s'est plu à laisser croire qu'il en était
ainsi. Nul n'a jamais pu obtenir de lui le moin-
dre éclaircissement sur la signification du conte.
Dans une lettre à Schiller, il se contente de dire :
en ait eu conscience ^.
nent, s'étale l'existence journalière, au cours vers rOcéan, les flots succédant aux flots, au
régulier, prosaïque, mais comportant ses re- milieu des rives immobiles et indifférentes ?
mous et ses tourbillons. L'individu qui se En d'autres termes, les nécessités de la vie
contente de se laisser vivre nage dans ces pratique détermineront-elles seules les desti-
flotstumultueux et peu limpides. Il s'adapte nées humaines, en dehors de facteurs tirés de
aux coutumes, aux idées reçues, aux préjugés, rexpérience du passé ou des aspirations de
évitant de se singulariser, de s'insurger contre l'avenir ?
la mode et le goût du jour. Faire comme tout Goethe voit le salut dans la construction
le monde est la grande règle de la sagesse vul^ d'un pont, combinée avec le transport d'un
gaire. Si la société humaine était parfaite, la sanctuaire soutvrain, qui, passant sous le
règle serait même absolue. Fleuve, surgit au grand jour, sur le sol de
Mais, hélas 1 jamais le présent, le siècle, l'avenir. C'est nous montrer l'accomplisse-
n'a réalisé l'idéal. Contraints de reconnaître ment du Grand Œuvre dans le rajeunissement
les imperfections de la réalité pratique au mi- des plus anciennes traditions. Les idées nou-
lieu de laquelle ils vivaient, les hommes ont velles, si séduisantes qu'elles soient, resteront
toujours placé leur âge d'or dans le passé ou frappées de stérilité, comme les arbres su-
dans l'avenir, donc sur l'une des rives du perbes du jardin de Lilia, tant que l'Homme
grand Fleuve de la vie agissante. à la Lampe, l'Initié instruit des choses ca-
Cette vie est faite de luttes, de compéti- chées, n'aura pas conjuré le mauvais sort.
tions, de flots qui se heurtent, se pressent et La vie humaine collective n'a d'ailleurs
se gonflent, semblent se révolter parfois con- rien d'uniforme dans son écoulement. Le cou-
tre eux-mêmes, mais se poussent irrésistible- rant du Fleuve symbolique est plus ou moins
ment les uns les autres. rapide, le niveau plus ou moins élevé, selon
Le Fleuve coulera-t-il toujours, se hâtant l'abondance des eaux. Celles-ci tombent du
V
\'
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120 LE SERPENT VERT
)
I,
s
leur d*âmes, un éducateur qui se base sur les Pour commander, la brutalité peut suffire;
idées reçues, fussent-elles superstitieuses à ses pour gouverner, il est nécessaire que le tact
propres yeux. Le bois dont se compose sa intervienne. Le gouvernement s'adresse à
barque, sa rame et sa cabane est mort, mais l'âme, le commandement avant tout au corps.
il est le produit d^une construction vitale. A L'art du gouvernement est donc un art sub-
ce titre, il est bien le symbole des supersti- til, dont le vieux Passeur possède admirable-
tions, formes qui survivent à Pidée oubliée ment le secret.
qui les a fait naître. La barque figure admira- Bâtie en bois, sa demeure s'élève à proxi-
la rive de l'avenir. Il faut
blement ainsi la religion en vigueur, les mité du Fleuve, sur
mœurs admises et les préjugés sociaux entou- voir, non plus la religion faite pour être
y
rés de respect. C'est un frêle esquif, qui se ballottée à la surface des flots, mais tout l'édi-
briserait s41 heurtait un rocher, et dont la fice de la science humaine, érigé
en terre
durée est éphémère, car le bois se pourrit peu ferme, hors du domaine que peuvent atteindre
à peu ou tombe en poussière. Mais le nauto- les eaux. Que nos connaissances soient
de bois,
nier prend soin de sa barque ; il la gouverne au même titre que la religion, c'est ce qui ne
avec dextérité, évitant les écueils et parant sera contesté par aucun philosophe ayant mé-
aux secousses des vagues dangereuses. dité sur l'infinie vanité des choses. Le Passeur,
Sa rame, qu'il conservera plus tard, alors sans doute, sait à quoi s'en tenir; mais un
même qu'il n'aura plus de barque, est l'ins- abri, même en planches, n'est pas à dédaigner,
trument indispensable de tout gouvernement. et le repos qu'on y goûte la nuit permet d'af-
! Gouverner, en efifet, ne veut pas dire imposer fronter les fatigues du jour.
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,1
une volonté. Une armée demande à être com- Préposé à tout ce qui passe pour vrai, tant
mandée, mais une nation a besoin d'être gou- dans le domaine du savoir (cabane), que dans
vernée, et ce n'est aucunement la même chose. celui de la croyance (barque), le Passeur fait
?^
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embarqués, ils ne cessent de s'agiter, de rire
et d'échanger leurs idées en une langue incon-
nue, mais avec une extrême volubilité. Que
représente ce binaire igné, sinon la vivacité
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— Des crevasses où réside l'or (de la Loge sous son manteau de philosophe,
pour n'en
de Saint-Jean, où j'ai reçu la lumière). montrer la lumière qu'à bon escient.
— Qu'y a-t-il de plus splendide que l'or ?
Lorsque, brusquement, l'Homme à la
— La lumière (elle est vivante dans son Lampe sort de la paroi rocheuse de la crypte,
rayonnement, alors que l'or est mort dans sa le Roi d'or lui demande :
prendre
règne du Roi d'Argent N nomènes constatables. Or, les progrès de la
fin, car les hommes science nous révèlent le mystère de ce qui
risquent bien de n'être jamais gouvernés par la
existe et nous font comprendre ce que nous
raison pure (or). Les apparences et leurs illu-
sommes. Le Roi d'Airain lancera l'éclair de
sions continueront à les dominer vraisembla-
sa volonté, ou brandira sa massue (frappera
blement toujours.
un coup de maillet), quand il sera fixé sur
Quant au Roi d'Airain (Volonté qui exécute),
l'objectif à poursuivre, quand il saura où nous
son heure est proche. Une fois levé, il devra
allons.
s'allieravec ses frères aînés, le Roi d'Or (Sa-
Le Roi composite se désintéresse de ces
gesse qui approfondit) et le Roi d'Argent (Art
questions, car il manque de raison d'être et
144 LE SERPENT VERT
Les Rois sont des statues immobiles, éri- car le Vieux seul a recueilli le secret du Ser-
gées dans des niches. Ils attendent que le pent.
Vieux leur communique son triple secret Secret formidable, mot d'ordre d'une créa-
;
mais rinitié doit se taire tant que la Parole tion nouvelle, d'une rénovation intégrale du
perdue n'est pas retrouvée. monde. Son énoncé à voix basse, ébranle le
Or, le Serpent détient le quatrième secret; Sanctuaire, d'où se retirent, en sens opposé,
il du Vieux, qui clame alors
le siffle à Toreille
i
le Vieux et le Serpent, chacun traversant à sa
d'un certain état d'esprit atteint par la men- assimilé de la Tradition va lui permettre de
talité humaine. Les hommes, en nombre suf- lutter contre les préjugés, de combattre les
fisant, ont-ils pris conscience de leur solida-
erreurs qui s'opoosent à la réalisation de
l'idéal désormais formulé. Quant au Maître
rité ? La parole qui annonce que l'heure du
spirituel, il regagne le domaine des esprits,
renouvellement est venue serait alors « ^u-
ce mystérieux Occident où Osiris disparaît.
manité ». La notion du Grand Œuvre cons-
Son passage à travers la montagne y laisse un
tructif humanitaire est-elle devenue lumineuse
couloir comblé d'or, par la clarté de sa lampe
dans l'esprit des penseurs? Le mot sacré pour-
qui transmue les pierres en or, le bois en ar-
rait alors équivaloir à « Travail ». Sur ce
gent et animaux morts en minéraux de
les
point, le champ reste ouvert aux conjectures.
prix, à la condition toutefois de ne se
combi-
ner avec aucune autre lumière Le rayonne-
.
10
*T-
ment de la Lampe magique perd, en effet, sa l'Art est intervenu pour stabiliser et donner
vertu transmutatoire dès qu'il se combine une valeur durable aux apparences, aux fic-
avec d'autres radiations, car il se contente tions et aux illusions esthétiques.
alors d'éclairer très agréablement, tout en pé- Mais comment un animal mort peut-il se
nétrant les êtres vivants d'ondes réconfor- pétrifier en un objet précieux? Le Carlin va
Produit de mort se
la vie végétale, le bois
transmue en argent sous l'action du Grand
Agent magique universel. La forme éphémère
qui survit se trouve alors fixée en beauté :
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LA VIEILLE ET LE CARLIN
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de la terre ont une valeur nutritive et repré- ont pris plaisir à se dépouil-
leur détresse : ils
sentent vraisemblablement un aliment spiri- / ler de tout leur or en faveur du Serpent.
tuel répondant aux besoins de la foule qu'en-
Ayant extériorisé tout ce qu'ils possédaient,
traîne le Fleuve. Si nous comparons entre eux ils deviennent avides de connaissances nou-
les trois légumes, nous remarquons que l'oi-
velles. La maison du Sage leur permet de se
gnon se développe en terre, mais à très faible
gorger de vérités d'un ordre plus élevé ;
aussi
profondeur, alors que l'artichaut est un fruit
trouvent-ils à l'or qu'ils y lèchent bien meil-
nettement aérien et le chou un épanouisse- commun.
leur goût qu'à l'or
ment végétal ne s'élevant guère au-dessus de
Cet or supérieur n'en est que plus fatale-
la surface du sol. Le chou semble dès lors
ment mortel pour le pauvre Carlin, bonne
faire allusion aux notions utilitaires les plus
bête dévouée, qui, à l'encontre du Serpent
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admet sans comprendre et perpétue les pieux pas pu supporter la lumière intérieure, ab-
usages, à It routine, conservatrice des formes sorbée avec l'or des Feux Follets. Ce ratio-
dont nalisme, qui veut se rendre compte du pour-
la signification s'est perdue ?
Après avoir soigneusement recouvert de quoi des choses, tue la spontanéité. La forme
cendre extérieure tomberait désormais en décompo-
les braises encore ardentes du foyer
et fait disparaître les pièces d'or lumineuses
sition sans le Vieux à la Lampe, qui en pénètre
que le sens, et la fixe par ce fait, en lui donnant la
le Carlin n'avait pas avalées, le Vieux
exposa l'intérieur de sa demeure à la seule valeur d'un minéral précieux et translucide
(onyx).
clarté de sa lampe. Rapidement les murs se
recouvrirent alors d'un nouvel or non moins
pur que le précédent. Qu'importe, en effet, que
des vérités initiatiques tombent dans le do-
maine public, colportées par les beaux esprits "^ A*/*
chaut et un oignon, que le Géant dévora en Ce qui est mort, non seulement ne pèse
s'esclaffant niaisement. La Vieille ne put ainsi rien dans cette corbeille, mais soulève encore
fournir son compte au Passeur, qui Tastrei- légèrement celle-ci au-dessus de tout point
gnit à prendre envers le Fleuve rengagement d'appui. Cela ne peut se produire qu'en rai-
d'achever d'acquitter la dette des Feux Fol- son de la force ascensionnelle inhérente aux
lets dans les vingt-quatre heures. formes qui ne sont plus rattachées à la vie
La corbeille que la Vieille porte sur sa tête, transitoire et grossière. Transmué en un mer-
parfois sans qu'il y ait contact, figure cette veilleux objet d'art, le Carlin d'onyx se
substance psychique extériorisable à l'aide de trouve « astralisé » et la Vieille le transporte
laquelle la Magie opère ses prodiges. Il s'agit dans sa sphère imaginative (la corbeille) sans
d'une émanation fluidique connue des magné- la moindre fatigue. Les légumes frais, au
tiseurs et des occultistes, condensation plus ou / contraire, sont attirés vers le sol par la vie
moins dense de lumière ou de subs-
astrale qu'ils ont en eux, vie inférieure, qui a ses
tance psychique. Cette animique
lumière racines dans le feu central, ardeur souterraine
s'obscurcit lorsqu'elle est concentrée ou coa- ou infernale.
gulée, car elle se rapproche alors de la ma- L'ombre du Géant n'est puissante que le
tière.Plus au contraire elle est distendue, matin et le soir à midi elle est trop courte
;
donc éthérée ou spiritualisée, plus elle devient pour exercer une action efficace.
lumineuse. Ainsi s'explique l'augmentation Il s'agit donc d'une force opposée à la
L*-^ J
164 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 165
rendre des services, le cas échéant, à d^autres ? dien. La routine, les préjugés, les impulsions
L^ombre se rapporte ici à ce que la raison irraisonnées de l'atavisme exercent, en réa-
n^éclaire pas, donc à ce qui reste inexpliqué. lité, l'action irrésistible de l'ombre, alors
que
Ce mystère devient agissant aux heures où la foule,masse géante paralysée intellectuel-
l'intelligence est inquiète, soit qu'elle se lement, est par elle-même d'une impuissance
réveille timorée (matin), sait qu'elle succombe absolue pour soulever idéalement la moindre
à la lassitude (soir). L'ignorance alors exerce chose.
son empire, sous forme d'illusions, de chi-
mères et de superstitions de mille sortes. Rien
de surprenant à ce que la Vieille en soit vic-
time, puisqu'elle personnifie surtout l'imagi-
nation. Mais Tombre du Géant peut aider
aussi à En se berçant
traverser le Fleuve.
d'illusions, on arrive, en effet, à se faire
transporter au-dessus du courant de la vie
pratique, pour gagner la rive de l'Idéal,
domaine de la belle Lilia. Il est à remarquer
que les personnages du conte de Gœthe n'ont
point recours à ce moyen connu, mais sans
doute équivoque, de franchir l'onde mouvante
de l'écoulement vulgaire des choses.
Le Géant se baigne dans le Fleuve et n'en
quitte point les bords. Il est d'ailleurs confiné
à la rive du passé, comme s'il en était le gar-
LE PRINCE
ET LA BELLE LILIA
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i
[près une longue attente, la Vieille,
qui avait à régler avec le Passeur
le compte des Feux Follets, vit
enfin approcher la barque fatidi-
que. Un étrange passager, jeune homme de
gracieuse tournure, devait alors Tintriguer au
suprême degré. Revêtu d'une cuirasse bril-
lante, qui n^entravait en rien la souplesse de
ses mouvements, il portait un manteau de
pourpre. Seule une chevelure brune, aux bou-
cles légères, garantissait son visage des ar-
deurs du soleil; de ses pieds nus, il foulait le
sable brûlant sans y prendre garde, les dou-
leurs physiques semblant s'effacer pour lui
devant Taccablement de peines morales. Privé
de couronne, de sceptre et de glaive, ce Prince
a perdu toute sa puissance d'action. Sorte de
fantôme, il ne vit plus que pour aimer celle
dont le regard lui a ravi toute énergie agis-
sante.
Si nous cherchons un personnage analogue
dans le Tarot, nous y rencontrons successive-
170 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 171
ment le Bateleur (IJ, V Amoureux (VI), le Maî- pied, sans chaussures, perdu dans un rêve,
tredu Chariot (VII) et le Pendu (XII). Sous qu'il est impuissant à réaliser. Son état est, en
ces multiples aspects, le principe conscient, réalité, celui du Pendu^ qui, les bras liés, se
destiné à gouverner nos actes et à régner sur balance entre ciel et terre, accroché par un
le corps, est symbolisé à des points de vue pied au gibet de La Mort initiatique
l'idéalité.
différents. C'est ainsi que le Bateleur se rap- (XIII) peut seule mettreun terme à l'impuis-
porte à la cause pensante initiale, génératrice f
sance de ce supplicié il est donc nécessaire
;
de nos idées, images factices, représentations que le Prince consente à mourir. Le dépit de
purement mentales, avec lesquelles jongle à voir Lilia prodiguer ses caresses au Carlin
jamais notreintellect. En tant qu'Amoureux^ d*onyx qu'elle vient de ranimer par son
*,
c*est l'arbitre moral, qui, sollicité en sens op- contact, provoque la catastrophe.
posés par les attractions qu'il subit, fixe son La Beauté parfaite fait vivre, en effet, d'une
choix, pour arrêter les désirs d'après lesquels vie particulière, ce qui est mort elle immor- ;
se détermineront ses actes. Quant au Maître talise les formes dont la vitalité grossière s'est
du Chariot^ qu'une cuirasse protège tout retirée. Dans son jardin, tout est beau, mais
comme le fiancé de Lilia, il représente le prin- rien n'est fécond les arbres y sont splendi-
;
cipe d'autonomie, coordinateur des forces qui des de feuillage, mais ils ne portent pas le
s'associent dans Tindividualité. Mais, pour
diriger le char de l'organisme, l'esprit animi-
1. Ce chien fidèle, dont l'or des Feux Follets pro-
que doit porter le diadème de l'intelligence voqua la mort et que pétrifia la lumière initiatique,
et tenir le sceptre de la volonté. représentela piété conservatrice des rites incompris.
A
172 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 173
moindre fruit. Lldéal, c^est l'irréel, que d'ivoire, trône portatif, qui permet à Lilia de
l'Art
cependant doit réaliser. Il faut que TArtiste, s'asseoir, donc de se reposer et de se recueil-
le Prince, épouse Lilia, et, Or, la fiancée du Prince, lequel personnifie
puisque celle-ci lir.
\
donne la mort, il ne doit pas craindre de l'Esprit animique, se saurait être que l'Ame
mou-
rir, en se jetant résolument spirituelle, à laquelle se rapporte Vlmpéra-
dans les bras de
sa bien-aimée. trice, Arcane III du Tarot. Cette essence lu-
Savoir mourir, tel est, en mineuse, source de nos inspirations les plus
effet, le suprême
secret de toutes les initiations. Pour élevées, doit se marier au feu vital intérieur
se rele-
ver de sa déchéance et reconquérir toutes (Soufre des Alchimistes) représenté par l'jE'm-
ses
prérogatives d'être divin, il faut que pereur (IV), en qui ressuscitera le Prince. 1
Thomme
meure à tout égoïsme, même légitime. Renon- S'étant assise, donc immobilisée, apaisée,
çant à lui-même, à son moi et à tout calmée, ramenée pour ainsi dire à elle-même,
ce qui
s'y rattache, l'individu doit Lilia-Psyché reçoit un voile couleur de feu,
s'évanouir en se
fondant dans l'universalité, qui, s'il revient parure qui rehausse encore son irrésistible
à
la vie, se réfractera désormais en charme. Une ambiance ignée stimule désor-
lui.
La mort du Prince plonge tout d'abord Li- mais sa pensée, et va mettre ses doigts d'eux-
lia dans une consternation mêmes en mouvement, dès que la harpe lui
muette tout : sem-
ble irrémédiablement perdu pour aura été remise. La première des trois Grâces
elle qui ne
conçoit aucun remède à la situation. revient alors avec le miroir, où Lilia se con-
Pétrifiée
de douleur, elle est incapable fût-ce de templera dans sa douloureuse, mais d'autant
pleu-
rer ou de se lamenter. L'intervention plus poignante et adorable beauté. S'exaltant
des trois
gracieuses jeunes filles qui servent la à sa propre vue, l'âme souffrante trouve les
Beauté
suprême met cependant, à ce premier état
fin, plus sublimes accents de l'art. Le rationalisme
de stupeur. L'une d'elles apporte étant mort en la personne du Prince, la senti-
le pliant
mentalité pure s'épanche en une musique cateur universel. Tout ce qui est vivant est en
im-
pressionnante qui transmet aux auditeurs rapport avec lui ; il préside à la croissance des
l'émotion éprouvée. Par le fait de cette trans- êtres, à leur construction organique. Son in-
mission, une détente se produit Texaltation
: fluence constructive s'oppose donc à la dislo-
tombe et les larmes coulent ; il y a retour sur cation des composés. Sa chaude lumière est
soi-même et à la réalité. synthétique elle unit et maintient l'harmonie.
:
12
EUX oiseaux interviennent dans
le conte de Gœthe : premier
le
domaine est illimité, par rapport à la cons- ensuite à distribuer les rôles, afin que cha-
cience agissante (le Prince), qui, dépendante cun remplisse le sien avec zèle et abnégation.
de l'organisme, est renfermée dans la sphère En maintenant son cercle clos, le Serpent
,1
décrite par Tétroit rayon de nos constatations agit sur la vitalité, qu'il retient comme fasci-
objectives. née, réduite à l'état statique. La lumière de la
En cas de détresse, par suite de Tévanouis- Lampe initiatique préservera d'ailleurs de dé-
sèment du principe conscient préposé au gou- composition à la fois le cadavre du Prince et
vernement de la personnalité (mort du Prince), celui du Serin. Ce qui est éclairé par la com-
Pâme spirituelle (Lilia) et la vitalité ou Tins- préhension reste, en effet, uni synthétiquement.
tinct de conservation (Serpent Vert) attirent Lorsque l'heure est venue, un cortège lumi-
désespérément à eux Tentité céleste qui se neux se forme et se transporte sur la rive
rattache à Tindividualité incarnée. Formulée opposée du Fleuve, grâce au Serpent qui fait
ou non, notre Père
la prière sollicite alors « office de pont. Abandonnant le domaine du
qui est aux cieux autrement dit le Vieux à
», rêve stérile et des aspirations irréalisables, il
la Lampe, lequel, dans sa spiritualité, est nous faut gagner la terre du passé, où subsis-
particulier à chaque individu, tout en étant tent, enfouies dans les profondeurs, les ves-
commun à tous les êtres. tiges de puissances disparues. Plutôt que de
! Le principe invoqué ne prétend aucune
à poursuivre des chimères sans attaches avec ce
toute puissance. 11 s'exprime comme le rituel qui a déjà vécu, attachons-nous à rénover des
maçonnique au moment où il s'agit de relever institutions ayant fait leurs preuves et sus-
fi
Hiram : « Ne vous souvenez-vous pas que ceptibles de revivre '.
nant la direction des travaux, le Vieux se borne dans la rénovation judicieuse du passé.
M ' ^
/
Si le Serpent symbolise la vie initiatique, mandation expresse, sont toutes, sans aucune
maintient grâce aux associa-
telle qu'elle se exception, jetées dans le Fleuve.
tions d'Initiés qui se succèdent, il faut admet- Faut-il entendre par là que les corporations
treque l'initiative d'une étude approfondie du initiatiques renonceront à leur existence, lors-
passé, en vue d'y découvrir les éléments de la que les Initiés ne seront plus tenus au secret?
construction de l'avenir, sera prise par la Le jour où les peuples prendront conscience
Franc-Maçonnerie. N'est-ce point elle qui re- d'eux-mêmes, à la façon du Prince, qui, sans
monte aux sources mêmes de la pensée hu- comprendre encore, se lève et peut marcher
maine et s'efforce de moderniser les mystères — le vieux Serpent sera au bout de sa tâche.
nération symboliste n'est-il pas ce pont éclai- seront, dans l'herbe d'abord, en resplendis-
rant que le vieux Passeur, du fond de sa ca- sant cercle de lumière, puis dans les ondes
bane sacerdotale, contemple avec quelque du grand courant de la vie générale. Mais au
stupeur ? fond du Fleuve, les pierres lumineuses s'ag-
M Ce rôle de pont convient si bien au Serpent, gloméreront en piles vivantes d'un pont per-
qu'il n'hésite pas à se sacrifier volontairement manent, qui se construira et s'entretiendra
touche de la main de lui-même, comme un être vivant.
en tant qu'animal. Lilia le
Sortie des eaux, dont elle n'entravera pas
gauche (négative) et lui soustrait toute sa vi-
talité qu'elle transmet de la main droite (po-
l'écoulement, cette construction unira ce qui
était séparé. Il incombera donc toujours aux
sitive) à son fiancé. En attendant de rentrer • i
en pleine possession de ses facultés mentales, Initiés de rapprocher les hommes, de faciliter
les échanges, en remédiant aux divisions et en
lePrince revit ainsi physiologiquement, alors
que le Serpent se décompose en pierres pré- dissipant les malentendus.
cieuses phosphorescentes, qui, sur sa recom- Mais le Grand CEuvre n'est pas achevé du
)i
i
LE SERPENT VERT 193
192 LE SERPENT VERT
de ses devoirs, ne saurait être effectivement quiète (imagination, sens pratique) et, en der-
nier lieu seulement, les facultés raisonneuses
souverain. Il faut, qu'en la personne du
Prince, il conquière le glaive, le sceptre et la
(Feux Follets).
couronne de chêne. Dans ce but, Ce sont ces facultés cependant qui vont for-
il est indis-
cer l'entrée du Sanctuaire, dont la porte, sans
pensable d'obtenir accès auprès des Rois du
elles, resterait à jamais verrouillée. Les dis-
Sanctuaire intérieur de la montagne.
Pour se rendre auprès d'eux, le Vieux à la sertations savantes, alors même qu'elles man-
Lampe, qui naguère était resté en queue, ou- quent de profondeur philosophique, ne nous
vre la marche, que ferment modestement les permettent-elles pas de pénétrer des mystères
Feux Follets. L'ordre inverse des deux pro- qui nous étaient dérobés ?
précèdent ensuite le Vieux (esprit, surcons- ils s'assimileront insensiblement tout l'or, ré-
cience). Mais une initiative purement spiri- parti dans sa substance en veines irrégulières.
13
r
191 LE SERPENT VERT LE SERPENT VERT 195
Ainsi se préparera un effondrement dont nul d'avoir conscience de ce qui est au-dessus de
ne sera tenté de s'attrister. soi, l'effet magique de la parole du Roi
d'où
Mais le sanctuaire s'est mis en mouvement. d*Or : Erkenne das Hôchste »
« !
Passant sous le Fleuve, il a surgi de terre sur Couronné de chêne (vigueur intellectuelle),
remplacement même de la pauvre cabane du le Prince comprend, l'Esprit universel se ré-
vieux nautonier. Transfiguré autant que sa percute en lui il reconnaît sa fiancée, dont
;
demeure, celui-ci devient, dans le nouvel or- rien ne le sépare plus désormais.
dre des choses, un ministre apprécié du Sou-
verain. Avec le Vieux à la Lampe, il aidera le
Prince à gouverner avec sagesse, en tenant
compte de toutes les contingences, et en ne
négligeant aucun des moyens qui s'offrent à
rintelligence pour influer sur les masses hu-
maines (Art sacerdotal).
Pour régner, l'héritier du trône a dû recueil-
lir la succession intellectuelle et morale de
ses ancêtres. Le glaive, que lui lègue le Roi
d'Airain, lui donne la décision énergique, qui
pourrait dégénérer en tyrannie, sans le scep-
tre octroyé par le Roi d'Argent, ennemi de
toute violence. Diriger avec douceur, en ame-
nant à comprendre, vaut mieux, en effet,
qu'un commandement brutal. Mais, pour exer-
cer l'autorité suprême, le plus important est
LE MAGISTÈRE ACCOMPLI
4
In jour nouveau se lève. Les deux
rivesdu Fleuve sont reliées par
un large pont, aux colonnades
^^^^^^ spacieuses. Honneur est rendu
'
V,
200 LE SERPENT VERT
CONCLUSION
il
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f^' i^
c
HPI PO«MHiaMHI
206 LE SERPENT VERT
4
ger leur peine, un trésor sera leur récom-
I pense, car, en aucune circonstance, on ne sau-
rait mieux qu'ici dire avec le fabuliste : Cesl
le fondlqui manque le moins ! K* TABLE
Pages
PRiFACB par Albert Lantoine 5
Avant-Propos 15
CoifCLUSlON 203
COLLECTION DE ROMANS:
PÉLADAN. - LE8 DÉVOTES D'AVIGNON
On n'a pas oublié le succèsde cet ouvrage lors de sa
publication dans la revue Le Mercure de France. Succès
féminin, succès félin, pourrait-on dire, et que justifiait le
caractère de ce roman où la passion se subtilise jusqu'à
laberration, où la sensation se décompose et se multiplie,
où la plus prenante des aventures mobilise constamment
les plus imprévus des sentiments et les plus étranges des
sensations. Nul doute que Les Dévotes d'Avignon trouvent
en librairie le triomphal succès qu'elles méritent.
Un volame sur vergé moyen-âge . , . . . 6 fr. 7B
11 a été tiré de cet ouvrage 200 exemplaires sur pur fil
Lafuma à 15 francs, 95 exemplaires sur Hollande à 25 francs
et 5 exemplaires sur Japon à 60 francs.
11a été tiré de cet ouvrage 100 exemplaires sur pur fil
Lafuma à 15 francs.
1925, a fait précéder ce volume d'une magistrale, hautaine faut à ce conte féerique.
et singulièrement émouvante réponse aux réquisitoires de Luxueux volume sur bulky vergé in-16 raisin orné de
M. René Maran et de ses admirateurs. Tout le monde vou- dessins symboliques avec un portrait. 6 fr.
dra lire Koffi. Il n'est pas, en effet, de livre plus varié, plus Il a été tiré de cet ouvrage 100 exemplaires sur pur 111
pittoresque, plus entraînant, plus amusant, plua attendris- Lafuma à 12 francs, 40 exemplaires sur Hollande à 20 francs
sant. £ra an mot, il n*e8t pàs de livre plus attachant. et 10 exemplaires sur Japon à 50 francs.
Un volume 6 fr.
CLéMBNT-jANiN. — VICTOR HUQO EN EXIL Abnbas SiLVins Piccolouini (pape Pib II).
(Documents inédits).
EURYALE ET LUCRECE
L'exil, et les lieux de l'exil, et les pensées de l'exilé. Le Boccace, pour sa Ftamme((a, a-t-il pris modèle sur le ro-
Pans impérial, en fêles et en rires. Victor Hugo, d'une part, man de son contemporain Aeneas Silvius, ou le futur pape
Jules Janin, de l'autre. Et, pour relier Paris et les lieux Pie II s'est-il inspiré de l'œuvre de l'illustre Florentin ? On
de l'exil, une double correspondance, toute en hyperboles ne sait. Mais cette Histoire véritable de deux vrais amants,
magnifiques, en cordialités lyriques, en pensées nobles où comme se plaisaient à l'appeler les traducteurs français
Victor Hugo et Jules Janin, en se racontant, disent, à la du XV* et du xvi* siècle, est du réalisme quattrocentiste le
vérité, tout leur temps et la vie entière de leur pays. Il plus naïvement délicieux. Et l'auteur, fin diplomate, y montre
n'est pas un admirateur de Victor Hugo qui ne se doive une connaissance profonde du cœur humain.
de posséder cet ouvrage, attachant comme le plus drama- Luxueux volume sur bulky vergé in-16 raisin, orné de
tique des romans, où deux grands écrivains échangent avec bois de Henry Chapront
ferveur des sentiments et des idées.
6 fr.
II a été tiré de cet ouvrage 100 exemplaires, sur pur fil
Luxueux volume sur alfa musique in-16 Jésus orné de Lafuma à 12 francs, 40 exemplaires sur Hollande à 20 francs
bois deHenry Munsch avec 2 portraits . 7 fr. 60
. . .
et 10 exemplaires sur Japon à 50 francs.
a été tiré de cet ouvrage 400 exemplaires sur pur fil
Il
Lafuma à 15 francs, 80 exemplaires sur Hollande à 25 francs, KoupRi!fB. — SULAMITE
et 20 exemplaires sur Japon à 60 francs. Le succès du Tristan et Yseult de Joseph Bédier,il ne sau-
rait fairedoute que Snlamite l'obtiendra. On ne se lassera
; pas de de relire cette tendre idylle brusquement ensan-
lire et
HORS SERIE: glantée. La plus belle, la plus pure, la plus entière des pas-
sions chante ici son immortel duo. L'amour a dicté ce livre
— LES QUATRE VIE8
Casiuir Hakowski. i où revivent l'esprit et le cœur du Cantiques des Cantiques.
DE ÇAKYA-IMOUNI On placera Sulamite sur le même rayon de bibliothèque
que Tristan et Yseult, et Roméo et Juliette,
Conte symbolique, où la grâce des images et la subtilité Luxueux volume sur bulky vergé in-16 raisin orné de
des sentiments s'épousent étroitement, sous le jour d'une dessins de Henry Munsch 6 fr.
attachante intrigue.
Il a été tiré de cet ouvrage 100 exemplaires sur pur fil
Un volume . 8 fr. 75 Lafuma à 12 francs, 40 exemplaires sur Hollande à 20 francs
et 10 exemplaires sur Japon à 50 francs.
Paraîtra, en jain 1922
Bandbllo. — L'OISEAU QRIFFON
Le goût de la chair et le goût des humanités inclinaient
COLLECTION v LYRICA n :
La psychologie et, faut-il le dire, la physiologie du don- Paul Souchon. — LES REGRETS DE LA GRANDE ILE
juanisme n'av£ient jamais tenté qu'incomplètement la plume
des psycholog\ies. Et pourtant nul temps ne fut plus que le Charmants poèmes de Madagascar...
nôtre favorable à la carrière des grands séducteurs. Car-
rière qui exige de l'audace, de la finesse, une parfaite maî-
Henriette Charasson {Les Lettres.)
trise de soi, un sens esthétique très avisé et la complicité
Un poème de M. Paul Souchon sur la grande île de Mada-
du secret le pks fermement scellé. Les grands séducteurs
gascar. L'auteur y réalise ce tour de force d'évoquer
sont rares. Mai» peut-être le sont-ils moins aujourd'hui en
qu'autrefois. Ce sont leurs méthodes, leurs sentiments, vers blancs, sans même la ressource de l'assonance, toute
leurs pensées, leurs destinées que l'on trouvera exposés, l'ardente lumière, tout le violent coloris de ces régions tro-
définis et commentés dans cet ouvrage à la fois grave et picales, et aussi le rythme intérieur d'âmes primitives
et
gai, véritable introduction à la vie donjuanesque. mystérieuses.
Luxueux volume sur bulky vergé in-16 raisin orné de bois Emile Cottinet (La Revue contemporaine.)
originaux de Gérard Cochet 7 fr. 60 Un volume. 3 fr.
Il a été tiré de cet ouvrage 100 exemplaires sur pur 111
Lafuma à 15 francs, 40 exemplaires sur Hollande à 25 frs
et 10 exemplaires sur Japon à 60 francs. PETITE COLLECTION ÉTRANGÈRE:
Albbrt Lantoinb. — LA FLEUR TRES ROUQE F.-J. Engblbbrts. — SOUVENIRS DE FAMILLE
Trois contes d'un Orient lointain, sanglant, furieux et
Roman traduit du hollandais par M. Bresson.
stylisé.
Dans une brume tendre, une idylle conduite à travers les
On aimera la couleur de ces récits de pourpre et d'or,
d'orgies et de crimes, de passions et de châtiments, où mystérieux détours d'une existence familiale, bourgeoise,
tremble parfois le tendre son flûte d'un amour idyllique. provinciale. Le soleil qui dora les amours de Paul et Vir-
Décors, sentiments, sensations, images, M. Albert Lantoine ginie, les fleurs, les ruisselets et les agneaux frisés qui
nous a tout révélé de l'Orient, en un stvle dont la maeie riaient dans les pastorales françaises du grand siècle ont
cuivrée et la frémissante mobilité rappellent les pages Tes cédé le pas à de tremblantes, à d'indécises, à de souiMes
mieux venues du grand Flaubert. lumières où les mots résonnent à peine. Atmosphère tout
Luxueux volume sur bulky vergé in-16 raisin orné de des- ensemble hyaline et opaque, qui fait songer à celle que
sins deHenry Munsch 6 fr. Maeterlinck tendit sur ses drames, que Carrière épandit
Il a été tiré de cet ouvrage 100 exemplaires sur pur fil sur ses toiles. Du tragique, de l'émotion, de la tendresse.
Lafuma à 12 francs, 40 exemplaires sur Hollande à 20 francs
et 10 exemplaires sur Japon à 50 francs. Un volume 3 fr.
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EN SOUSCRIPTION : TAROT DES IMAGIERS DU MOYEN-AGE
losophiquement en vue d'initier le lecteur à la méthode qui
TAROT DES IMAGIERS DU MOYEN-AGE permet de le faire parler, qu'il s agisse de résoudre un
pro-
reconstitué d'après les originaux et interprété blème de métaphysique ou d'en tirer un oracle divinatoire.
dans son symbolisme
Un volume de grand luxe (27 X21) avec 93 dessins sym-
par M. OswALD Wihth.
boliques de l'auteur. Un albumde 22 planches en couleurs
Les plus anciens jeux de cartes comprennent une série des arcanes majeurs. Tirage à 600 exemplaires, dont 5 exem-
de
22 compositions mystérieuses, où toute une philosophie
condense en images. Court de Gébclin, au xvui» siècle,
se %f plaires sur Japon et 595 exemplaires sur Hollande.
Les souscripteurs auront droit à un prix de faveur, à sa-
re-
connut le premier parmi les modernes l'intérêt voir 400 francs pour les exemplaires sur Japon, et 100 fr.
primordial :
de ce livre muet, qui devint l'inspirateur d'Eliphas pour exemplaires sur Hollande. Après le 30 novembre 1922
Lévi, de
Stanislas de Guaita et de tous les occultistes
capables* de le prix des exemplaires sur Japon sera porté à
déchiffrer son idéognphisme. 500 francs
et des exemplaires sur Hollande à 125 francs.
Dès 188-/, M. Oswald VVirth se mit à l'œuvre pour
fixer
le symbolisme de cet étrange monument
en l'étudiant dans
ses nombreuses variantes. 11 a pu ainsi
dessiner un Tarot
ramené au type idéal, tout en approfondissant la EN SOUSCRIPTION:
portée de
tous les détails des 22 clefs kabbalistiques,
révélatrices de
la doctrine secrète des penseurs les
plus prodigieux.il nous L'ART DE LA BEAUTÉ
donne le fruit de trente-cinq années de recherches
en un B«Ml 8UP l'esthétique de la toilette féminine,
volume qui restera unique en son genre.
Par M. Victor-Emilb Michelbt.
Le Tarot y sera reproduit en couleurs et commenté
phi-
Dans cet ouvrage, l'auteur a cherché, à travers l'œuvre
des grands maîtres de la peinture et de la statuaire, les
IMAGIERS DU MOYEN-AGE, En s'initiant à ces arcanes, une femme saura comment ob-
sur Japon, '
COLUMBIA UNIVERSITY
(
L'ART DE LA BEAUTÉ
0032143559
Par M. Victor-Emilb Michblbt.
BULLETIN DE SOUSCRIPTION
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