Sirat Colette Etude de L Ecriture

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Colloques Internationaur du CNRS. N* 548. — Les TEcHNIQues DE LABORATOIRE DANS L'ETUDE DES MANUSCRITS. ETUDE DU TRACE DE L’ECRITURE Rapport présenté par M>* Colette SiRaT Ecole pratique des hautes études (4° Section) ABSTRACT ‘The study of the shapes of the letters, and of the outline has so far been carried out by comparison undated and untocated outlines being compared to writings whose origin is established, but this comparison can hardly be an exhaustive one, the human eye can neither grasp nor retain each manuscript / every handdrawn / shape of every letter in every document. However, the appreciation of writing by @ paleographer constitutes far more than a comparison of shapes for the bears in mind historical knowledge which influences his judgment. Using process of optical comparison means that the following two main points are accepted 1) the subject of the study shall not be a voluntary selection of the material, but a far wider and more objective one, that is to say, in fact a statistical; 2) this study shall be restricted to shape, all historical judgment being at this stage totally excluded. The advantadge of this optical method is, of course, that the shapes studied shall be stored in a data bank and that it shall always be possible to make a complete use of previous comparative studies. In any given manuscript three sorts of shapes are to be found: — the general shape which characterizes certain letters; ~ the historical shape, characteristic of shapes in current use in certain places in certain periods; — the shape peculiar to each scribe : the relative importance of each of the last two shapes being dependent on the period: that is a medieval scribe will generally tend to give preference to historical shapes over individual ones, A scientific study would no doubt be most effective in the field of historical shapes and its effectiveness will depend on the amount of documentation available. An analysis of the act of writing reveals different factors, in ad 1) The factor of movement, the “ductus”; the study of the “ductus” has yielded outstanding results, and it ought to be possible to carry it out in a scientific manner, that is, rapidly and accurately, but, up till now, no ‘adequate solution has been found to the problem of method. The study of angles also most fruitful and for which it is necessary to find means of rapid implementation, demands much time and care. 2) The position of the scribe is another factor to be taken into consideration and one concerning wl have little data; 3) Although we possess general information concerning the writing instruments used, as well as the position of the scribe, we have little particular or historical data. Thus we can only end this report with a query; for, if the problems can be more or less clearly defined today, we are far from having the necessary solutions. ilition to that of shapes : we ZUSAMMENFASSUNG Untersuchung der Buchstabenformen, die Untersuchung der Schriftziige beruhte bisher immer auf Vergleichen: undatierte und nicht lokalisierte Schriftzlige wurden mit Schriften verglichen, deren Provenienz sicher ist; aber dieser Vergleich kann kaum erschépfend sein, das menschliche Auge kann jede einzelne der handschriftlichen Formen, jeden Buchstaben eines jeden Dokumentes weder wahrnehmen noch im Gedéchinis behalten. Indessen ist das Urteil, das ein Paliograph iiber eine Schrift fallt, weit mehr als ein Vergleich der 18 Formen, denn seine historischen Kenntnisse sind ihm immer gegenwiirtig und beeinflussen dieses Urteil. Will man optische Vergleichsverfahren anwenden, so bedeutet dies, dass zwei Grundsitze anerkannt werden: 1°) Die Untersuchung bezieht sich nicht mehr auf eine willkiirliche Auswahl des Materials, sondern auf eine weitere und objektivere Auswahl, das heisst auf cine statistische Auswabl. 2°) Die Untersuchung bezieht sich ausschliesslich auf die Formen; das historische Urteil fehlt auf dieser Stufe der Untersuchung véllig. Der Vorteil einer optischen Methode liegt darin, dass die untersuchten Formen in einem Elektronenhirn gespeichert werden und es immer méglich ist, frithere Vergleiche ginzlich zu verwenden. In einem bestimmten Manuskript finden wir drei Arten von Formen: — die allgemeine Form, wie sic fir diesen oder jenen Buchstaben typisch ist; — die historische Form, wie sie fiir die an einem bestimmten Ort wihrend einer bestimmten Epoche ‘gebrauchten Formen typisch ist; — die individuelle Form jedes Schreibers; die Bedeutung der beiden letzten Formen hiingt von der Epoche ab: ein mittelalterlicher Schreiber neigt im allgemeinen dazu, die individuellen Ziige zugunstens der hhistorischen zurlicktreten zu lassen. Es scheint, dass eine wissenschaftliche Untersuchung auf dem Gebiet der historischen Formen am ergiebigsten sein wiirde; ihre Ergiebigkeit hingt davon ab, wie reich die Dokumentation ist. Eine Analyse des Schreibaktes lisst ausser dem Faktor der Form verschiedene andere Faktoren hervortreten: 1) Binen Bewegungsfaktor: den Duktus; die Untersuchung des Duktus, die 2u bemerkenswerten Resultaten gofhrt hat, sollte wissenschaftlich durchgefiihrt werden kénnen, also schnell und sicher, aber bisher wurde Keine adiquate Methode gefunden. Die Untersuchung der Winkel, gleichfalls sehr ergiebig, ist gleichfalls eine sehr Jangwierige Untersuchung, fir die Mittel zu einer schnellen Anwendung gefunden werden milssten. 2) Die Haltung des Schreibers ist ein weiterer Faktor, der beriicksichtigt werden muss und fiir den es kaum bestimmte Angaben gibt, 3) Das Schreibgerit ist, wie die Haltung des Schreibers, global, aber nicht im einzelnen und nicht historisch genau bekannt. Die Schlussfolgerung dieses Berichts kann nur eine Frage sein; die Probleme kénnen gegenwiirtig mehr ‘oder weniger klar definiert werden, aber ihre Lésung ist noch lange nicht gefunden. Le titre de ce rapport, Etude du tracé de Vécriture, est bien ambitieux; en fait, je youdrais seulement exposer les problémes qui se posent en paléographie hébraique médiévale, en espérant que ce sujet particulier pourra avoir une valeur d'illustration du point de vue général. Il nous reste du moyen-Age 25 A 30.000 manuscrits hébreux. La trés grande majorité de ces manuscrits sont des codices. Notre étude a port$ pour le début, et afin d'assurer des bases solides & toutes nos études, uniquement sur les manuscrits datés. Notre matériel jusqu’a présent a done été constitué par environ 2500 codices dont le plus ancien remonte peut-étre, comme nous I'a dit Madame Starkova, 4 746; mais en réalité nous n’en avons qu'une dizaine avant 1200, et cest 8 partir de cette date qu’on peut parler de nombre significatif. Ces 2 500 manuscrits ont ainsi été écrits entre 1200 et 1540, et seulement un dixiéme d’entre eux est localisé, le reste ne ’étant pas. Tusqu’a présent, et tant que nous ne nous sommes occupés que d’analyse externe ou de codicologie, nos matériaux étaient donc relativement restreints et le sujet bien circonscrit, Lorsque nous vou- drons commencer étude de ’écriture, nous devrons utiliser, prendre en considération, non seule- ment ces manuscrits datés que nous connaissons déja, mais également tous les manuscrits non datés, parce qu'il est bien évident que le fait qu'il y ait eu un colophon et qu'll se soit conservé ou non ou qu'il n'y en ait jamais eu, n'a strictement rien voir avec Vintérét de ’écriture. Nous devrons utiliser également les rouleaux liturgiques et & ces documents s'ajouteront : 1) les textes de la Gueniza, c’est-A-dire des fragments de codices et de rouleaux, mais aussi des actes juridiques et lettres; 2) les monuments épigraphiques; 3) les inscriptions sur les objets rituels, les sceaux, etc., sans compter les quelques papyri qui sont Ja limite entre la période antique et le début du moyen-Age. Ces domaines n’ont guére &é abordés jusqu’a présent du point de vue paléographique hébraique mais il sera indispensable 19 de réunir tous les documents avant méme de commencer vraiment étude des tracés de I'écriture. Il faudra done fournir un gros effort de bibliographic, de photographie des documents, etc, La nécessité d’utiliser des documents autres que livresques aura pour nous un immense avantage : certains documents écrits autres que livresques proviennent des périodes anciennes pour esquelles nous n’avons pas de livre. quel est le programme de préparation du travail. Et il est & peine commencé; toutefois, depuis déja plusicurs années, nous avons cherché & mettre au point des méthodes qui, le moment venu, nous permettraient d’étudier les écritures; bien entendu, nous avons essayé Cutiliser ce qui dans les travaux paléographiques d’autres langues pouvait nous étre utile, mais nous avons aussi tenté de trouver des méthodes nouvelles, Ce sont en fait ces réflexions, ces recherches dont je voudrais vous parler aujourd'hui, Dans une écriture donnée on peut distinguer divers facteurs : A) Les facteurs disons matériels, cest-i-dire, le matériau utilisé : parchemin, papier, pierre, métal et instrument utilisé : roseau ou plume d’oiseau, poincon; les diverses encres, plus épaisses ou plus fluides, de composition difiérente. B) Les facteurs de position : la position du scribe laquelle entraine Pangle selon lequel la plume est posée sur le papier ou le parchemin, ou bien Ie poincon sur la pierre. ©) Les facteurs de mouvement : le sens de lenchainement des traits qui forment Ia lettre, c'est-A-dire Je ductus, D) Les facteurs de forme qui sont constitués par le dessin de la lettre, c'est-A-dire le contour extéricur et par limportance relative des pleins et des déliés, qu’on nomme également gras et maigres, Les facteurs de forme sont le résultat des facteurs de mouvements utilisant les facteurs ma- tériels et de position et nous sont donnés immédiatement, ce sont les écritures; ce sont done ces formes que nous devons étudier tout d'abord, M, le Pr. Viénot et M, Fournier, qui est maintenant rattaché & I'LR.H.T., vont nous exposer leurs travaux et comment ils ont utilisé Pholographie pour comparer les formes des lettres, Aussi bien, quoiqu’elles soient devant nos yeux, ces formes de lettres sont difficilement comparables puisque dans un méme manuscrit, le méme scribe écrit la méme lettre avec des différences qui, aussi légéres qu’elles soient, font qu’il est dificile de trouver la forme du aleph par exemple dont on peut dire qu’elle est celle de ce manuscrit que nous étudions, Et encore, l’écriture hébraique médiévale a-t-elle cet avantage que chaque lettre est séparée des autres, de sorte qu’elle peut étre étudiée comme une forme bien séparée et délimitée; les écritures latines grecques et arabes sont bien moins commodes. Si, seulement pour nos 2 500 codices datés, c’est-a-dire une toute petite partie des documents, nous devons prendre en considération environ 100 formes Iégérement différentes de chacune des 29 lettres hébraiques (en comptant les lettres finales) nous aurons a examiner 7250 000 lettres. Si nous faisions Je calcul pour les manuscrits latins datés, le chiffre serait cent fois plus impressionnant. Le premier objectif était donc de construire la lettre moyenne : le aleph qui comporterait Jes traits caractéristiques du maximum de aleph écrits par un méme scribe dans un méme manuscrit. Grace 4 Dieu, 4 holographic et aux travaux menés 4 Besancon, il semble que, du moins au stade expérimental, ce résultat soit acquis. Il faut ensuite, dans nos 29 lettres choisir les dix qui sont caractéristiques de ce ms., ces 10 lettres variant d’un manuscrit & l'autre selon P’époque et le lieu, Ainsi de 7 250 000 lettres & examiner, nous voici revenus, enfin, nous reviendrons dans quelques années, lorsque le travail sera fait, a 25 000 lettres. Ce qui est particulitrement séduisant pour le paléographe, c’est que ce ne sera pas lui qui fera le travail de comparaison et de choix mais bien 20 Ie physicien ou plut6t le processus optique automatisé dont nous révons. Non seulement les pro- cédés physico-optiques permettent de comparer un nombre de formes extrémement grand mais encore ces comparaisons peuvent étre gardées en mémoire pour étre utilisées ensuite. Un autre avantage extrémement important, c’est que du point de vue optique, le module compte peu du moins en théorie, car du point de vue technique, la chose est plus compliquée et la similitude des formes est constatée, que l’écriture soit grosse ou petite, alors que pour un il humain le réajuste- ment est extrémement difficile. On ne peut aucunement faire de rapport entre un ceil de paléographe exercé A comparer des écritures et un procédé optique parce que les formes enregistrées par ceil humain méme paléographique sont immédiatement sélectives; elles sont a T'instant méme jugées en fonction de critéres historiques et de présupposés qui, aussi objectifs que nous essayons Wétre, sont en fait toujours présents; de plus, ces formes sont peu nombreuses. Combien d’écritures peut-on comparer au méme moment? dix au grand maximum! Sur ces deux points, les procédés optiques sont préférables : ils permettent la comparaison entre toutes les formes de lettres de mss. datés; ou plutot, au fur et & mesure que les formes sont mises en mé- moire électroniquement, chaque nouvelle forme peut étre immédiatement comparée a toutes les formes déji examinées. De plus, la machine ne porte pas de jugement autre qu’optique, seule la comparaison des formes nous sera donnée et rien d’autre. Nous ne sommes pas ici dans le domaine de histoire de Yécriture. Ou du moins pas encore. Mais prenons exemple d’un manuscrit écrit par Joseph b. Isaac a Paris en 1300: nous trouvons dans ce manuscrit un certain nombre de traits qui individualisent la forme des lettres selon la gradation suivante : — la forme générale qui caractérise 1a lettre aleph comme étant la premitre lettre de Fal- phabet hébraique et cette forme (ou ces formes car, en fait, il y en a plusieurs) est commune 4 tous les aleph de tous les mss, hébreux médiévaux ; — une forme moins générale et plus détaillée qui caractérise les aleph écrits en France du Nord vers 1300 et qui est commune a Joseph b. Isaac et a d'autres scribes francais de 'époque; — une forme individuelle que nous retrouverons dans tous les manuscrits écrits par Joseph b. Isaac. La comparaison sera différemment orientée selon que le filtre hologramme sera plus ou moins détaillé et nous pourrons done soit : — identifier dans un texte queleonque les aleph qui s’y trouvent ; — trouver la forme ou les formes moyennes caractéristiques de telle époque et de tel lieu, Liintérét de la méthode dépendra alors de Ia richesse de notre documentation, Reprenons ce ma- nuscrit écrit en 1300 a Paris, cest Je seul & ma connaissance et nous n’avons que trés peu de textes de ce temps localisés avec certitude dans la France du Nord, En revanche si nous Gtudions les mss. éerits en Italie du Nord entre 1400 et 1500, nous pourrons établir, presque pour chaque ville, de vingt ans en vingt ans une filtrothéque suffisamment riche pour que quelques centaines de manuscrits puissent étre, gréce elle, non point datés avec exactitude mais pour que le jugement soit raisonnablement orienté vers telle date et tel lieu. En effet, le degré de similitude entre une écriture quelconque et les formes-étalon, les formes moyennes datées et localisées, pourra étre exprimé en chiffres; et nous saurons qu’une écriture ressemble 4 90 % a celle de Ferrare mais & 60 % seulement a celle de Milan; il faudra toujours prendre en considération Vorigine du scribe et son age et beaucoup d'autres critéres internes et externes; le degré de ressemblance doit étre un des éléments de jugement et nous avons toujours en mémoire cette excellente maxime du pére de la paléographie latine : < ce n’est pas & partir d'un seul élément qu'il faut juger un manuscrit, mais de tous ensemble », I! n’empéche que la méthode permettra d’ordonner un nombre immense de mss., d’inscriptions, etc., que les méthodes traditionnelles ne peuvent guére étudier, méme par un travail P’équipe. 21 — La forme spécifique du scribe ne pourra étre trouvée que pour les scribes traditionnels dont la production a été suffisamment abondante. Les juifs au moyen-Age écrivaient presque tous et copiaient souvent eux-mémes les textes dont ils avaient besoin. Sur les 169 mss. que nous pu- blions dans Ie volume 1 des Manuscrits médiévaux en caractéres hébraiques portant des indications de date jusqwa 1540, 60 ont été écrits pour Pusage personnel des copistes ; trouver la forme spéci- fique de l’écriture de ces copistes n'a pas grand intérét car il est assez peu probable, du moins pour la majorité d'entre eux, qu’ils aient copié de nombreux mss, En revanche, cela sera du plus grand intérét pour les scribes latins ou grecs. En paléographie hébraique, les formes les plus intéressantes quant 3 utilisation des méthodes optiques sont donc les formes moyennes caractéristiques du temps et du lieu, Ces formes pourront aussi étre comparées entre elles et nous saurons ainsi si les changements ou les passages dun style Yautre ont été progressifs ou non, a quelle période se sont produits ces changements, etc., puisque ces changements seront les plus féconds pour la datation des mss. Mais ces comparaisons de formes seront statistiques, elles n’expliqueront rien, elles constate- ront. Si nous voulons « comprendre » et trouver la cause des évolutions du tracé de Pécriture, il faut examiner les facteurs de mouvement, reconstituer Pacte d’écrire et tout d’abord le ductus. Sur importance du ductus quant & V’évolution des lettres, tous les paléographes et aussi les gra- phologues sont d'accord. Contrairement a l'étude des formes qui est statistique, étude des ductus ne peut étre qu’analytique et doit étre précédée d’un choix soigneux parmi les mss. & notre dispo- sition; mais nous sommes tous d’accord pour admettre Pimportance de étude du ductus. Les mé- thodes traditionnelles de découpage de la lettre sont évidemment fort utiles mais aussi fort longues. Or le probléme est d’abord pratique : comment relever facilement et rapidement le ductus ? Cest & ce propos que j'espérais vous montrer quelque chose de nouveau, Mais nos essais ont avorté faute de caméra et si yous voulez savoir comme il est difficile de trouver une caméra de 16 mm, je vais vous raconter une anecdote, Cherchant une caméra de 16mm, je me suis adressée 4 un vieil ami qui dirige un laboratoire du C.N.R.S. et je lui ai demandé de me préter sa caméra, Il m’a trés aimablement invitée A déjeuner et ensuite il m’a dit: « Vous comprenez, mon amie, c'est bien gentil! Mais enfin on préte quand méme plus facilement sa femme que sa caméra! >, Toujours est-il que j'ai renoncé, n’est-ce pas? Que pouvais-je faire ? Lidée était de suivre a la caméra Je ductus d’une lettre dont la macro-image serait projetée sur écran de maniére a allier Yavantage de la macrophotographie et celle du mouvement, lequel permet d'insister sur les endroits oit la plume était trés chargée d'encre et de lever la caméra comme on lve la main lorsque le trait se termine ; en somme transformer la caméra en un ceil de paléo- graphe qui bute sur tel trait qu’on aurait suivi A rebrousse-poil et trouve enfin le mouvement qui s'impose, car il n’a pas pu étre tracé autrement. L’idée utiliser le cinématographe pour la paléo- graphie n’est pas nouvelle : je m’en suis apergue en préparant ce rapport, car, relisant un certain nombre d'articles, je me suis apergue, au tournant d'une ligne d’un article de M. Perrat, que M. Mallon en avait eu Pidée bien avant moi et quil avait fait un film sur le ductus. Ce film jai le grand plaisir de vous annoncer que vous pourrez le voir puisque M. Mallon a bien voulu venir le présenter ici, Iui-méme. Ce film, extrémement intéressant, a demandé énormément de travail, car il est fait en dessins animés. M. Mallon a fait lui-méme tous les cartons. Il y a passé, je crois, infiniment de temps. Le résultat est remarquable. Il sagit d’ailleurs dune démonstration et non d'un instrument de travail. Si nous voulions faire la méme chose, dans le seul but détudier P’évolu- tion des lettres hébraiques, ce serait évidemment impossible, faute de moyens financiers et aussi simplement parce que le but de notre étude est tout autre : non point prouver une théorie (celle de M, Mallon est @ailleurs maintenant acceptée unanimement) mais simplement chercher et relever le ductus. Faire des zooms sur une lettre agrandie vingt fois est plus simple; & condition d’avoir la caméra ! Je ne puis savoir si ’idée est bonne ou non: elle nécessite de toutes fagons des photo- 22 graphies de mss. faites spécialement et ott le relief de ’encre serait mis en valeur ainsi que la pro- jection de chaque lettre d’une page de ms afin de détecter les lettres dont le ductus est clair. Nous aurons le plaisir d’entendre tout & l'heure Yexposé d’une autre méthode dont la valeur est évidente mais Papplication particuli¢rement longue et soigneuse. C'est l'étude des angles, telle que ’a faite M, Gilissen; la paléographie gréco-latine, tellement plus avancée que la notre, peut tirer tout son profit de cette méthode mais des paléographes comme M, Gilissen sont extrémement rares et personnellement, je sais que je ne suis pas capable de travailler d’une maniére aussi fine et minuticuse sur les écritures hébraiques. J'ai bien essayé de séduire M. Gilissen pour qu'il consente a faire ce genre de travail sur certains de nos manuscrits; je n’ai pas encore réussi, mais je ne désespere pas. Evidemment, si la chose pouvait étre faite, cela nous apprendrait beaucoup sur Phistoire de ’écriture hébraique. Nous avons done parlé des facteurs de forme, des facteurs de mouvements; il reste encore la position du scribe. Et de ce point de vue, la documentation en paléographie hébraique est extré- mement mince. A ma demande, M. Narkiss a recherché des représentations iconographiques de Pacte d’écrire. Dans les manuscrits hébreux, il n’en a pas trouvé. Tl en a trouvé dans des manuserits grecs et latins, évidemment. Mais il est parfois difficile de trouver la part qui revient observation de la réalité et celle qui revient & la tradition. Nous ne savons méme pas A quel moment précis on a commencé a écrire sur une table au lieu d’écrire sur les genoux. Ce qui est plus grave encore, c'est que les diverses positions du scribe telles qu’on peut les relever dans les représentations manuscrites ne sont liées & aucune forme d’écriture déterminée; C’est-A-dire qu’on ne peut pas savoir comment la position et le mouvement du scribe changent en fonction des diverses formes d’écriture ; et d’ailleurs a-t-elle changé? Nous sommes loin d’en étre certains. Evidemment, ce qui est possible, c'est de reconstituer acte d’écriture médiévale en utilisant les matériaux médiévaux et en écrivant dans les diverses écritures. L’essai a été fait pour les écritures latines. En somme il existe des calligraphes qui sont capables de ce genre de travail. Cette reconsti- tution n’est pas plus artificielle que les diverses expériences de laboratoires. De plus, pour Pécriture hébraique (et aussi arabe et peut-étre les écritures extréme-orientales) il reste des témoignages vivants. En raison du caractire sacré des Ecritures et étant donné que les maniéres d’écrire ont relati- vement peu changé depuis le Talmud (vr s, de notre ére), les scribes de rouleaux liturgiques portent témoignage Chabitudes relativement anciennes, surtout ceux des pays orientaux car les scribes européens se sont malheureusement beaucoup modernisés, En Israél, on trouve encore, mais de plus en plus difficilement, des scribes de rouleaux liturgiques ayant appris leur métier au début du sigcle, dans des régions ott 'imprimerie avait & peine fait son apparition: par exemple les scribes yéménites écrivent encore par terre, les genoux croisés. Il serait presque criminel de ne pas enregis- ier, de ne pas filmer ces maniéres d’écrire des scribes yéménites ou encore de certains scribes marocains, qui nous apportent des traditions remontant au moyen-age. L’entreprise est relative- ment aisée, elle demande seulement une bonne équipe et des crédits ; non point que les ethnologues aient tout a fait négligé Pexistence des scribes mais il est des détails et justement ces détails qui nous intéressent qui n’ont pas été relevés et qui seront perdus & tout jamais si on ne les filme pas actuellement, I en est de méme pour les scribes arabes, et je voudrais rappeler & ce propos que les scribes arabes écrivent trés souvent A la verticale. ‘De plus, on peut reconstruire l'acte d’écriture médiéval a aide d'une catégorie un peu parti- culigre : les faussaires. J’ai entendu parler d’un faussaire tout A fait remarquable A Istanboul. Ses manuscrits sont conservés dans une ou deux biblioth¢ques américaines auxquelles ils ont cofité trés cher. II serait du plus haut intérét de filmer la maniére dont il écrit, la position du papier, du kalame, ete, 23 Dvailleurs, la position du scribe est liée A certains mouvements qui conditionnent directement Je ductus et ces mouvements dépendent de l'éducation recue, de Ja civilisation dans laquelle le ea été élevé. A Beer-Sheva, lors d'une conférence 4 l'Université de Neguev, il m’est arrivé d’écrire au tableau une phrase hébr «A Penvers ». Crest A la suite de cet incident que j'ai eu lidée de regarder de plus prés les ductus des lettres hébraiques écrites en milieu chrétien et je crois, mais je ne peux malheureusement quien faire Vhypothése, que ce ductus est différent de celui des écritures écrites en milieu musulman, Cela naurait rien d’étonnant puisqu’aussi bien, les travaux de paléographie hébraique commencés il y a sept ans sont partis du méme genre de constatation : celui du style, cest-d-dire le fait qu’un ms. hébreu écrit en France vers 1300 présentait les mémes caractéres gothiques que les écritures latines Gerites en méme temps, dans le méme lieu, caractires liés aussi bien & Parchitecture qu’au style des robes ou aux enluminures. Il est évident que ’étude paléographique comme l'étude codicolo- gique devra étre faite pour tous les mss. du méme temps et du méme lieu quelle que soit la langue. Les facteurs matériels quant & eux sont relativement faciles A étudier bien que Yon n’ait jamais mesuré avec précision (mais je ne prétends pas avoir tout Iu A ce sujet) la part que peut jouer Ia souplesse et l’épaisseur variable du matériau dans le tracé final; c'est 1d une étude simple qu'il serait intéressant de faire, jue et mes éléves ont éclaté de rire, parce que, disaient-ils, j'écrivais Est-ce que cela a une importance ou est-ce que cela n’en a pas? Je n’en sais rien et je crois que personne ne le sait, Il faudrait mesurer avec exactitude, Il suffirait de démontrer qu’effective- ment cela n’a pas d’importance ou bien de vérifier si cela peut avoir une importance. Je voudrais terminer ici ce rapport : sur des questions. Beaucoup d’autres questions pourraient tre posées mais je crois qu'il y en a eu suffisamment pour aujourd'hui et je m'arréterai done ici. DISCUSSION — Lexposé de Madame Sirat illustre la nécessité des confrontations entre spécialistes de diverses régions, de diverses époques; d'une part, elles font apparaitre des préoccupations communes, et d’autre part, elles mettent en évidence les différences fondamentales existant entre les domaines de recherche. Il y a une différence profonde entre le phénoméne qu'est Pécriture dans les manuscrits hébrai- ques par exemple, ou dans ceux du Haut Moyen-Age occidental (mérovingiens ou carolingiens) et ceux du Moyen-Age tardif, qui posent vraiment des problémes tout & fait originaux. Et pourtant, les pro- blémes des manuscrits du Moyen-Age tardif ne se rapprochent pas des problémes que poseraient des manuscrits modernes. Pour le haut comme pour le bas Moyen-Age, il s'agit d'une technique artisanale et non de ce qu’on pourrait appeler ’écriture spontanée. Je miexplique. Un copiste du 20° sidcle, par exemple, est en général un moine; il a appris le style écriture quion emploie dans son abbaye et il sefforce de se conformer aussi rigoureusement que possible & un modéle qui lui est commun avec les autres moines qui travaillent dans le scriptorium. La personnalité de chaque copiste est donc extrémement difficile & saisir dans ces stéréotypes. En revanche, pour la période sur laquelle mon équipe et moi-méme nous travaillons depuis longtemps — c'est-a-dire les x1v" et xv* sidcles — Ie phénoméne se présente d'une facon totalement différente : un méme copiste apprend a écrire dans sept, huit ou méme peut-étre une dizaine de types d’écriture extrémement diffé- rents. Ceci est vrai, bien entendu, pour les professionnels mais aussi pour les amateurs; a la fin du xiv" sigcle et au début du xv" siécle, en Italie comme en France, il y a beaucoup de copistes amateurs, L'un 24 des plus célébres en Italic est Pétrarque qui a copié de magnifiques manuscrits. A l'poque, méme un amateur est capable d’utiliser sept, huit ou dix types d'écriture. Dans ces conditions, un certain nombre de concepts perdent toute signification pour l'étude des écritures, en particulier la notion de degré de resemblance. Que faut-il entendre par le degré de ressemblance entre, par exemple, la premiére page de P'lmago Mundi de Cambrai, en splendides lettres de forme, et un brouillon hitivement écrit par Pierre Ailly? Tout a Vheure, jai été frappé par cette notion de moyenne. Je pense qu'elle est parfaitement valable dans'le cas des manuscrits qu’étudie Madame Sirat. Pour la période qui mYintéresse, au contraire, la notion de moyenne est non seulement inutile mais extrémement dangereuse; ce qui est beaucoup plus important, c'est de savoir quelle est la forme que le copiste emploie le plus fréquemment. Tl faut bien distinguer entre « écriture > et « main ». Pour identifier une main, et non pas une écriture, on fera appel A ce que jfappellerai la constance dans Mirrégularité : un certain copiste, surtout s'il est amateur, a tendance & commettre certaines erreurs qui se retrouvent quel que soit Ie type d'écriture qu'il utilise; c'est en repérant ces signes particuliers qu'on aura des éléments permettant de le reconnaitre sous ses divers déguisements. L’écriture médiévale ou T'écriture des manuscrits, en général, n'est pas une catégorie valable. Je crois qu'il y a des écritures — le phé- nomene change profondément d'une époque & autre et je crois que les méthodes pour T’étudier doivent tre choisies en fonction des problémes particuliers & chaque période et & chaque région. Mee Sirat, — Vous avez raison. Je n'ai parlé que d'une certaine sorte décriture et non point de celles dont vous venez de parler, ni d'expertise de main. M. Viénot. — Il faudrait peut-étre, avant méme que nous parlions de degré de ressemblance, avant méme que nous parlions de forme moyenne, donner des définitions. Quand on parle de facteurs de forme et de forme moyenne, ce sont des choses complétement diffé- rentes. Le probléme de la reconnaissance des formes a fait lobjet de colloques et on mest pas encore trés sir de ce vers quoi on tend. Par conséquent, laissez-nous préciser nos outils, notre matériel, moyen- nant quoi les critiques jailliront. Mr M. Hours. — L'exposé de M™ Sirat ouvre aussi des horizons pour l'étude du tracé des dessins. Je lui demanderai peut-étre de nous guider dans l'étude du ductus des dessins qui pourrait nous apporter, dans l'étude des dessins du Louvre sinon dans leur conservation, des éléments extrémement importants. F'insiste de mon c6té sur Tintérét des réunions interdisciplinaires : elles répondent exactement au pro- gramme que nous poursuivons dans le domaine des peintures. Présentation du film La Lettre une tentative de reconstitution de Vhistoire des tracés M. Jean Mallon expose que c'est & la demande des organisateurs du colloque que va | @tre projeté le film intitulé La Lettre, dont il est auteur. Il n’aurait pas pensé pouvoir prendre cette initiative car il s'agit d'un film vieux de trente-cing ans et scientifiquement assez dépassé. Crest en effet & occasion de I'Exposition des Arts et Techniques de Paris 1937, qu’ la demande de Charles Peignot, M. Mallon a fait ce film qui a été réalisé aux ateliers d'« Atlantic Film » (36, avenue Hoche, Paris-8°) dirigés par Etienne Lallier. Aprés la projection de La Lettre, oii Ia musique de Jean Wigner rythme avec une précision charmante les mouvements du dessin animé, M. Mallon souligne en quoi ce travail paléographique est aujourd'hui dépassé : notamment, la ¢ capitale > du Virgile dit « Augusteus » y a gardé le r6le abusif que lui attribuait encore, alors, la paléographie traditionnelle, et Iécriture commune de VAntiquité romaine y est encore prise entre | parenthéses, Néanmoins, les métamorphoses graphiques du mot ergo de ’Antiquité & nos jours permettent de saisir tout ce que Yon peut attendre d’un cinéma sans tricherie pour | les recherches paléographiques comme pour exposé de leurs résultats.

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