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LE GRAND

ENSEMBLE [Essai]

“entre pérennité et démolition”
SOMMAIRE

2 Entre pérennité et démolition — Jean-Patrick Fortin

8 Terrain vague — Antonella Tufano

11 Mourenx — Corinne Marti

14 La Butte Rouge [Châtenay-Malabry] — D.S.A. Architecture et Patrimoine

22 Les Lochères [Sarcelles] — FORTIN Architecture et Urbanisme

28 Les Courtillières [Pantin] — Agence RVA et Pierre di Sciullo

34 Teisseire [Grenoble] — Agence Panerai

40 Les Hauts de Rouen [Rouen] — ANMA

46 Architecture — Jean-Patrick Fortin

49 Usage et image — Jean-Michel Léger

52 Pour les D.S.A. — Jean-Paul Midant

54 Lexique
ENTRE PÉRENNITÉ [Jean-Patrick
ET DÉMOLITION Fortin]

La ville européenne — Les mutations des travers l’interrelation entre construction titre d’un environnement urbain à pro- l’impôt des Français. Aujourd’hui, face
métropoles industrielles européennes et voirie. L’espace public contemporain téger ; même « l’habitat » des corons aux démolitions liées à une rénovation
suscitent des démolitions de grande lui-même est le plus souvent articulé et courées octroyé par les patrons, conduite résolument, l’architecture, re-
ampleur. Sur la longue durée, depuis sur les lieux d’échanges entre le piéton regardé au titre de la mémoire ou- connue d’intérêt public, peine à éclairer
les temps modernes, la reconstruction et les transports mécaniques. vrière, est entré dans les écomusées de des choix qui doivent s’inscrire aussi
sur elle-même n’est-elle pas le fonde- l’archéologie industrielle. dans le champ des transformations
ment théorique et pratique de « la ville Habitat et patrimoine — Les lois de pro- L’habitat de la Reconstruction a quant urbaines.
européenne » et particulièrement au tection patrimoniale, les savoirs et les à lui trouvé son heure de gloire avec,
XXe siècle ? C’est une des composantes outils de l’architecture ont su identifier, en 2006, l’inscription du Havre au Les grands ensembles — Devant les
majeures de son identité. protéger, conserver et mettre en valeur Patrimoine mondial. Mais il n’en va pas lenteurs de la mise en œuvre des plans
– voire sacraliser – certains édifices ou de même pour l’habitat du plus grand de lotissement, inscrits dans les plans
Depuis la Renaissance, on reconnaît même certains territoires. Mais depuis nombre, institutionnalisé sous le terme d’extension des villes qui constituaient
que savoir détruire certains édifices, que la théorie architecturale a inscrit de « logement social ». Si la collec- l’armature urbaine de la France des
c’est projeter, que recomposer le par- l’habitation dans une catégorie auto- tivité nationale a contribué à l’édifica- années cinquante, les nécessités de la
cellaire, c'est le domaine de la pros- nome, on s’est bien gardé de solliciter tion de quatre millions de logements modernisation économique suscitent
pective urbaine. Mais on sait surtout le classement comme patrimoine natio- sociaux dans la seconde moitié du XXe une vision planificatrice du développe-
que les tracés des voies publiques sont nal de tel ou tel type d’habitat. siècle, jusqu’à en faire des « morceaux ment. Ainsi une résille d’infrastructures
inaliénables, et que leur permanence La fin du XXe siècle a certes porté de ville », qui pendant trente ans ont de transports organise le territoire
est la constante de la théorie générale une plus grande attention à l’habitat eu l’apparence de l’immuabilité, elle est national en aires capables d’accueillir
des villes. Cette permanence du tracé vernaculaire, soumis à des destructions restée extrêmement réticente jusqu’au l’implantation de grandes emprises in-
viaire est d’autant plus essentielle que massives, puis à l’habitat dit « popu- tout début du XXIe siècle au principe dustrielles et, en corollaire, de grandes
les morphologies urbaines produites au laire » du centre des villes moyennes même de leur éventuelle démolition : aires résidentielles pour loger le capi-
XXe siècle peuvent être décryptées à ou des faubourgs des métropoles, au ces édifices ont été financés par tal humain de ces entreprises.
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[Entre pérennité et
démolition]

Plus tard, des centres commerciaux, au logement analogue au droit à la ne suffit plus de respecter les normes peuvent être énoncées théoriquement et
des parcs de loisirs s’inscriront dans la santé généré par la sécurité sociale, résidentielles pour être intégré et que transcrites conventionnellement. C’est
résille. C’est ainsi que sur des terri- alors que l’exode rural et la croissance la société cherche surtout à mettre en par une analyse raisonnée, mettant
toires agricoles, sans relation organique démographique contribuent à générer, mouvement vers les pôles de compéti- en relation la topographie (dans sa
avec des urbanisations existantes, s’im- entre 1962 et 1968, six millions de tivité, pour qu’ils accèdent à l’emploi. génétique géologique et hydrologique)
plante de manière autonome l’architec- nouveaux urbains. avec le système viaire conjugué avec
ture d’un habitat égalitaire. Critique opérative — Au moment où la la pertinence des implantations des
Son ampleur va bientôt lui donner le Relégation — Cinquante ans plus tard, question de la démolition/reconstruc- édifices, qu’on se doit d’identifier les
nom de « grand ensemble ». Plus comme corollaire à l’obsolescence des tion trouve une acuité à travers les ensembles bâtis dont l’intégrité de
communément, on y ajoute les vo- fleurons de l’activité industrielle de projets conventionnés avec l’ANRU, l’architecture manifeste l’exemplarité de
cables de « tours » et de « barres ». l’après-guerre, on s’interroge sur un il convient, au-delà de l’attribution l’action publique.
Ces termes caractérisent les édifices habitat conçu pour des salariés que du seul label « Patrimoine du XXe
qui contribuent à définir un espace leurs parcours résidentiels conduisent, siècle », d’élaborer une doctrine, dans Une tabula rasa comparable aux
homogène élaboré suivant la mise en aujourd’hui, à la recherche d’un entre- le contexte du transfert par l’État rénovations des années soixante qui
œuvre d’une logique industrielle, ainsi soi alors que la société cherche surtout des responsabilités patrimoniales concernaient les îlots insalubres ou des
s'organise l’espace de ce que l’Histoire à les mettre en mouvement et auxquels aux collectivités territoriales. Il ap- friches industrielles est incompatible
retiendra comme les Trente Glorieuses. progressivement se sont substitués les paraît nécessaire de fédérer l’action avec la crise du logement des débuts
membres d’une société urbaine dont on des bailleurs et des élus au service du XXIe siècle. Une vision strictement
Il ne s’agit plus d’une composition sait que la métropolisation génère la des citoyens habitants, en mettant en patrimoniale est également incom-
mettant en valeur un pittoresque précarité et des formes de relégation. évidence une forme urbaine reconnue, patible avec une analyse de l’état
paysagé comme dans la théorie de la Aujourd’hui cet habitat manifeste les dont il aura été démontré qu’elle est constructif actuel des bâtiments, qui
garden city mais de la représentation traces de son inadaptation aux conven- durablement inscrite sur le territoire permet de constater une notoire perte
d’une ville égalitaire offrant un droit tions d’usages de résidents pour qui il mais dont les conditions d'évolution de résidentialité de certaines typologies
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[Entre pérennité et
démolition]

(taille des logements, accès handica- nouvelles pratiques consommatoires, la l’architecture de chaque édifice est à la leur confèrent une valeur totalement
pés, contraintes climatiques), et ten- vie urbaine, les nouvelles mobilités, et fois pertinente dans son autonomie et dissociée de celle suscitée lors de
drait à marginaliser des aires urbaines qui est surtout l’expression de la loi ré- dans sa contribution à l’ensemble, ce leur conception. Au moment où les
dont l’attractivité persistante vient du publicaine, là où le passant ne se sent qui n’exclut pas les substitutions ponc- aires urbaines affectées aux logements
niveau des loyers. Les effets d’une pas étranger ou au mieux visiteur. Cette tuelles. Alors, des règles constitutives sociaux se mettent en mouvement, dans
réhabilitation en site occupé, qui en ambition se doit d’être le fil conduc- des grands ensembles nous savons dé- un processus de rénovation critique,
outre généralement dénature les acquis teur des règles de transformation qui river les règles de leur transformation les savoirs de l’architecture concou-
architecturaux, en sont limités. doivent affirmer les modes de relation suivant les mutations des conditions rent à restituer leurs capacités rési-
organique entre une forme urbaine re- historiques et sociales. dentielles et à concevoir des espaces
L’espace public — Si cette forme ur- connue et des espaces publics générant publics dont la mise en valeur en font
baine a autorisé un rapport harmo- le désenclavement de ces territoires. Au-delà de l’application des lois de des lieux d’interaction dans un univers
nieux avec le cadre végétal, au point protection et de la mise en œuvre de « sans lieux ni bornes ».
aujourd’hui de pouvoir parler de ville Reconstruction critique — Il ne s’agit démolitions sélectives, la reconstruction
parc, elle ne saurait méconnaître les pas de perpétuer l’éternel présent à critique est la démarche patrimoniale
atteintes aux exigences de l’intimité l’origine de l’utopie des grands en- qui a la volonté de reconstruire une
résidentielle contemporaine, le plus sembles. Le regard durable et patri- forme urbaine identifiée, dont on a
souvent par manque d’affirmation d’un monial que nous leur portons autorise su reconnaître les éléments de per-
espace public. Un espace public de le recyclage des fondations et des manence avec une architecture qui
libre accès aux citoyens permettant structures porteuses au titre du bilan s’inscrit organiquement dans des traces
le rassemblement et l’échange, qui carbone, les densifications par addition construites, en évitant sa reproduction.
certes aujourd’hui est déserté par le et surélévation et même le façadisme, Les grands ensembles ont traversé
débat public plus immatériel, mais qui au nom d’une présence architecturale et généré des expériences à la fois
accueille les chemins de l’école, les essentielle. Dans le grand ensemble, sociales et formelles qui aujourd’hui
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TERRAIN VAGUE [Antonella Tufano]

L’espace du grand ensemble se carac- paces plantés, espaces vides... jusqu’à société occidentale a cantonné à la lesquelles la culture anglo-saxonne a
térise par une unité de temps, forme et « espace vert », terme qui se charge philosophie du XVIIIe siècle : le sublime, construit son identité. D’où le besoin
fonction qui relève d’un dessein global : de la lourde tâche de concilier la Na- sentiment de déchirement et de peur français de remplir cet espace.
forger le cadre de la vie moderne, sa- ture et l’Homme. Car l’enjeu est là. qui saisit la personne face à une vaste
voir s’adapter à son évolution - néces- étendue. Sentiment provoqué par le fait Après une première génération de
sairement rapide - et correspondre aux Après la réflexion fondatrice de la cité- de prendre la mesure de sa finitude et plans, où les architectes se lancent
nouveaux besoins (largement inconnus jardin, qui trouve dans les multiples des limites posées par ses habitudes dans le défi de concevoir l’espace
à l’époque) de l’homme moderne. Les formes du pittoresque le compromis et d'être confronté à un ouvert où les de l’ensemble – la cité Rotterdam à
architectes qui se confrontent à cette entre la campagne et la ville à travers fonctions restent à inventer. Strasbourg reste à cet égard l’exemple
échelle inédite proposent des spatiali- les échelles du jardin (privatif, public, le plus intéressant - la réflexion se
tés globales dont on connaît la dé- semi-public dans la garden city), les Des fonctions dont on devine le structure et les espaces verts sont par-
chéance, parfois. architectes se mesurent au paysage. but : inventer le lieu où la Nature tagés en jardin public, jardin d’école,
et l’Homme moderne, libéré des espace boisé... et la tradition horticole
Les espaces non bâtis révèlent d’une Petit rappel : la racine étymologique du contraintes archaïques, établissent une - rebaptisée paysagère par la naissante
manière aiguë cette contradiction entre jardin renvoie à la clôture, à la possi- relation nouvelle et désintéressée. École de Versailles - retrouve ses mé-
la volonté de prévoir des usages – les bilité de maîtriser la Nature, de choisir thodes traditionnelles de conception en
encourager, voire les inventer - et la ses éléments les meilleurs et recons- Plus de jardin, plus de potager mais inventant même des formes de paysage
résistance des valeurs d’usage em- tituer un petit paradis où l’Homme un grand espace, où le végétal est la moderne qui s’adaptent aux ensembles.
preintes d’une manière d’être, d'habiter, retrouve les valeurs morales à travers métaphore de la Nature, qui accueille
de se comporter, de se divertir, calquée les travaux rédempteurs du jardinage et et invente les formes du collectif. Les espaces libres – de corbuseénne
sur des modèles traditionnels. Les le profit mérité et mesuré du potager. Le terme « espace vert » traduit l’an- mémoire - de la première généra-
termes utilisés racontent la difficulté L’espace du grand ensemble, lui, fait glais « green space », mais ne traduit tion seront les terrains vagues où les
de cette rupture : espaces libres, es- référence à un autre concept, que la pas les valeurs de transcendance sur adolescents traînent leurs fragilités ;
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[Terrain vague] MOURENX [Corinne Marti]

bientôt, les espaces paysagés, conçus tiales de la ville du XIXe siècle, avec Épopée industrielle et planification — processus et le contrôle du dévelop-
dès les années soixante par les paysa- ses bâtiments et jardins bourgeois, au L’histoire de la création de Mourenx pement territorial. Ce dispositif permet
gistes, seront aussi délaissés jusqu’à philanthropisme de ses parcs publics illustre remarquablement les interpré- aux architectes R.-A. Coulon, J. Maneval
effacer leur dess(e)in. et, à l’extérieur de la ville, aux fau- tations courantes concernant l’origine et P. Douillet de construire en quatre
bourgs et jardins (aux) ouvriers où la des grands ensembles, à savoir la ans l’essentiel du grand ensemble de
Dès lors, la question de ce patrimoine distinction de classe s’opère sous le création de logements pour les salariés Mourenx, logements et équipements de
vivant est posée car, plus encore que regard bienveillant de la Ligue fran- des nouveaux complexes industriels proximité compris.
l’espace architectural, le paysage du çaise du coin de terre et du foyer. dont l’essor, planifié dès les années
grand ensemble aura subi les transfor- cinquante par l’État, révèle une po- Forme radicale et idéologie du progrès
mations au gré des aléas et des modes. litique volontariste et équilibrée de social — La vue d’avion de Mourenx
développement territorial. prise à l’issue de sa construction nous
Leur fragmentation - opérée via la ré- présente le grand ensemble comme
sidentialisation des espaces, la jardini- Mourenx doit son existence à la décou- la démonstration d’une nouvelle forme
sation forcée du végétal, la composition verte en 1951 d’une importante poche urbaine, autonome et accomplie.
d’aménagements précieux, avec des de gaz naturel à Lacq. Sur ce gisement
matériaux qui ne correspondent pas à vont s’implanter des établissements La vision globale qui nous est don-
la modernité du concept (notamment le gros consommateurs de gaz. On estime née révèle une expression plastique
granit, investi de pouvoirs cathartiques à 4 000 le nombre de logements néces- radicale, une rationalité constructive
en raison de son usage bourgeois en saires au personnel des usines. implacable attestée par la cohérence
centre-ville) - contribue à l’effacement formelle de l’ensemble. Cet artefact
de leur spécificité. Ainsi disparait l’au- Le maître d’ouvrage (SCIC) est aussi urbain résolument abstrait incarne la
todétermination acquise par l’Homme propriétaire du sol et bailleur, ce qui voix du Progrès que l’État veut faire
moderne face aux constructions spa- traduit l’engagement de l’État dans le entendre dès 1950.
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[Mourenx]

Élaboration formelle — La répartition surent à un fait plus général, le grand


des masses bâties est régulière sur ensemble. Les deux éléments constitu- Figure synthétique du
tracé du grand ensemble
l’ensemble du territoire viabilisé. Les tifs de celui-ci, voiries et constructions,
(C. Marti)
constructions sont détachées les unes affirment leur spécificité par contraste.
des autres et cependant chacune est en
résonance avec l’ensemble, dans un es- Ni programme, ni raison fonction-
pace non tendu. Les bâtiments se res- nelle ne justifient la généralisation
semblent mais ne sont pas identiques : de l’emploi de courbes pour dessiner
de même que la variabilité des inter- les voiries. Ce phénomène n’est intel-
valles entre bâtiments participe à la ligible qu’à travers le rapport d’égale
production d’un tissu, la variabilité des opposition : la présence de courbes
longueurs (bâtiments linéaires) et des non réglées se confronte à la rectitude
hauteurs (bâtiments tours) joue avec géométrique des constructions. Carte postale d'une
l’espace résidentiel pour créer l’effet vue aérienne du grand
d’une matière homogène et continue. La production d’une totalité homo- ensemble de Mourenx

Les unités de voisinage sont composées gène, tant bâtie que spatiale, est un à sa construction

de manière identique mais aucune n’est phénomène original dans l’histoire


semblable aux autres. des villes, la mise en évidence de
cet objectif comme principe fondateur
L’équilibre formel est fondé sur l’égalité permet d’identifier et de caractériser
des parties que simultanément elle une famille de faits urbains, celle des
contribue à faire exister. Ainsi, les « grands ensembles » qui s’instaure
entités bâties se confrontent et se me- en modèle.
12
LA BUTTE ROUGE [Châtenay-Malabry]

Plan de rez-de-chaussée
de l'état actuel
de la cité jardin

14
[La Butte Rouge]

Plan et coupes d'une


typologie résidentielle Projet de densification
(Atelier D.S.A. par addition et surélévation
Architecture et Patrimoine) (Cristina Succala,
étudiante du D.S.A.)

Détail du projet de
densification

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[La Butte Rouge]

Construite par tranches sur presque tramway le long de l'avenue principale


quarante ans, de 1930 à 1964, sous attise les convoitises. L'enjeu patri-
l’égide de l’Office Départemental des monial est majeur. Si la Butte Rouge
Habitations à Bon Marché de la Seine, fut visitée par l’Europe du logement
présidé par Henri Sellier, la Butte social jusque dans les années soixante,
Rouge est encore aujourd’hui un en- aujourd’hui son destin est moins assuré.
semble d’habitat social aux qualités ar- La Butte Rouge raconte quatre-vingts
chitecturales et paysagères exception- ans d’urbanisme et de construction en
nelles, emblématique de la modernité France. Il convient aujourd’hui de la
en France. Constituée d’environ 3 600 reconnaître comme lieu de mémoire
logements collectifs de types variés et d’en identifier les constituants qui
et de quelques maisons individuelles, caractérisent sa spécificité du point de
implantée dans un site verdoyant et vue de l’histoire urbaine, de la qualité
vallonné, elle semble incarner l'idéal architecturale ou paysagère, et qui
d'un quartier suburbain alliant ville et préservent son droit à être un quartier
campagne. résidentiel.

Propriété intégrale d'un seul bailleur, La connaissance matérielle de l'état


l'OPDH92, qui n'y fait que des remises des lieux, l'observation des qualités

© Jean-Louis Schoellkopf
aux normes ponctuelles, elle est en architectoniques des bâtiments, conju-
train de devenir un lieu de reléga- guées aux raisons profondes, au sens
tion alors que la prévisible pression de l'implantation urbaine dans le site,
foncière due à la construction d'un constituent l'ensemble de la démarche.
18
[La Butte Rouge]

La première évidence est la faible une hypothèse d’intervention serait


occupation du sol (3 600 logements la conservation des façades et des
pour 65 hectares), nous avons donc modénatures d’origine, alors que les
fait l'hypothèse d'une augmentation de volumes internes seraient transformés
l'offre résidentielle de 30 % (augmen- pour correspondre aux standards et aux
tation de la surface ou du nombre de conforts actuels.
logements) et la création d'un station-
nement affecté par logement. La permanence du quartier s'impose
de fait par la reconnaissance de la
Nous avons suffisamment de recul pour pertinence de l'implantation territoriale.
savoir que la réhabilitation en site oc- Construire dans le construit impose le
cupé n'offre pas les conditions néces- respect des tracés pré-existants, même
saires pour moderniser, notamment si si les immeubles qui ne remplissent
on veut répondre aux questions d'accès, plus leurs fonctions décemment peu-
aux problèmes thermiques. Il faut pas- vent être remplacés par des construc-
ser par un processus de reconstruction. tions contemporaines dans le cadre
Nulle autre architecture que celle pré- d’une reconstruction critique.
sentant de l’Art déco n'est susceptible Atelier D.S.A. Architecture et Patrimoine, sous la

de mieux incarner la Butte Rouge. direction de Vanessa Fernandez.

© Jean-Louis Schoellkopf
De même que, pour représenter Paris,
la pertinence de l’architecture de pierre
a suscité le façadisme (F. Chassel),
20 21
LES LOCHÈRES [Sarcelles]

Plan de rez-de-chaussée
de l'état actuel du
quartier des Lochères

22
[Les Lochères]

Plan du rez-de-chaussée
de l'état actuel d'une Coupe du projet
unité de voisinage de reconstruction critique
(Agence Fortin) d'une barre en pierre de
taille (Agence Fortin)

Projet de désenclavement
de l'unité de voisinage
Saint-Éxupéry
(Agence Le Penhuel)

24
[Les Lochères]

Construis entre 1954 et 1974, les aux Flanades et sur l'avenue du 8 mai
12 368 logements mis en œuvre par la 1945, commerces, activités tertiaires
Caisse des dépôts et consignations à et habitat de différents statuts à la
Sarcelles témoignent des faits urbains recherche de la mixité des fonctions.
majeurs de la seconde moitié du XXe Si la cadence et le caractère répétitifs
siècle. À partir du financement d’une des bâtiments résidentiels vont géné-
société coopérative baptisée « Cas- rer le vocable de « sarcellite », les
tors », la construction de 440 loge- premiers résidents sont effectivement
ments est confiée aux architectes Boi- des salariés, ouvriers et employés des
leau et Labourdette. Ils dessinent une grandes entreprises cotisant au 1 %.
pièce urbaine autonome qui constitue Ils habitent les 67 % de l’ensemble de
une unité de voisinage. logements affectés à l’habitat social.
L’architecture en pierre de Chantilly est
une illustration du classicisme mo- Cinquante ans plus tard, un programme
derne. Lorsque la décision est prise de de rénovation urbaine tend à réinsérer
construire 4 000 logements, qui devien- dans la continuité des tracés urbains
dront 8 000 puis 12 000, les architectes le quartier des Sablons et propose une
tracent une résille orthogonale dans la- densification par substitution partielle.
quelle s’inscrivent successivement des Simultanément, l’implantation d’un

© Jean-Louis Schoellkopf
unités résidentielles et un parc urbain. tramway inscrit dans la continuité
Et, suivant les figures iconiques de la régionale les Lochères, implantés entre
ville européenne (place dallée et voies la N 1 et la ligne Paris-Lille.
bordées de portiques), ils implantent, Jean-Patrick Fortin.
26
LES
COURTILLIÈRES [Pantin]

Plan de rez-de-chaussée
du projet de rénovation
des Courtillières

28
[Les Courtillières]

Coupe du projet
de rénovation des façades
(Agence RVA)
Étude chromatique
(Pierre di Sciullo)

Maquette de présentation
du projet de réhabilitation
du Serpentin
(Pierre di Sciullo)

30
[Les Courtillières]

Œuvre et ouvrage, quelles évolutions selon les normes actuelles de confort


pour les grands ensembles des Trente et les besoins des locataires.
Glorieuses ? Entre 1956 et 1962, le
quartier des Courtillières se déve- Enfin, l’esthétique du bâtiment est
loppe autour d’un bâtiment original, le repensée, mettant en adéquation les
Serpentin, dont la forme ondulatoire contraintes de gestion du bailleur et
encercle un parc de quatre hectares. les intentions d’origine.
Une vingtaine de tours s’élevant à Philippe Vignaud.
R + 12 complète le quartier.
Les nouvelles façades du Serpentin : une
L’auteur, l’architecte Émile Aillaud, s’est ondulation chatoyante autour du parc —
rendu célèbre pour la souplesse de ses Parti-pris graphique : une relation inté-
formes. Le défi de la transformation du rieur / extérieur contrastée ; les façades
quartier est alors de répondre aux évo- sur rue et sur parc reçoivent un traite-
lutions des usages, des modes d’habi- ment différent. Sur rue, une transition
ter, de la sociologie des ménages, tout de couleurs du bas vers le haut va vers
en donnant une seconde vie à l’œuvre la lumière. Sur le parc, le traitement
dans le respect des intentions de ses coloré est plus dense. Les modulations
concepteurs. Le parti a été de tou- soulignent la forme du bâtiment, ses

© Jean-Louis Schoellkopf
cher peu aux volumes et aux principes ondulations, d'une façon organique. La
architecturaux de départ. La mise à ni- gamme colorée est complémentaire des
veau de l’ouvrage comprend l’évolution tons de la végétation du parc.
des logements (typologie, prestations) Pierre di Sciullo.
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TEISSEIRE [Grenoble]

Plan masse du projet


de rénovation réalisé

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[Teisseire]

Principes — Énoncées en 1997, validées pour supprimer les espaces incer- 3. Favoriser la mixité et l’évolution. pour réduire la vitesse, etc.
par les élus et répondant aux enjeux tains, sources de conflits d’usage et de Amorcer la mixité pour maintenir l’ac- Le premier travail du projet a consisté
identifiés, trois idées simples ont gestion. tivité : à leur redonner une dignité et une sim-
conduit le projet sur le long terme : Créer des unités résidentielles prolon- — utiliser les rez-de-chaussée sur les plicité témoignant de l’attention que la
geant le domaine des habitants au pied voies passantes pour implanter d’autres ville et ses élus portent aux habitants
1. Réinscrire le quartier dans la ville, des logements : usages et amorcer une mixité du tissu, par quelques mesures simples :
agir en priorité sur l’espace public. — à court terme, une gestion différen- — renforcer les commerces, — marquer clairement la limite de l’em-
— requalifier les voies principales, ciée favorisant la participation des — créer des locaux d’activités artisa- prise publique,
— achever le maillage des rues en pro- habitants et rompant avec la logique nales ou tertiaires. — recréer une continuité évidente des
longement des quartiers voisins, unique du grand ensemble, Diversifier l’habitat : parcours (trottoirs, allées, mails…),
— soigner les points d’accroche. — à moyen terme, la diversification de — créer des copropriétés, — introduire les mêmes dispositions que
Créer un quartier de jardins : la propriété, prélude à une politique de — construire de nouveaux types de lo- dans le centre-ville : trottoirs larges en
— inventer un tissu « ouvert » laissant peuplement moins monolithique, gements, petits immeubles et pavillons « dalles grenobloises »,
une large part aux jardins, — à long terme, la diversification du groupés pour apporter une échelle — bordures en pierre calcaire,
— réaménager la « place des Buttes » bâti et l’intégration dans le fonctionne- proche de celle des quartiers voisins. — stationnements longitudinaux,
dès septembre 1998, ment banal de la ville. — mobilier urbain conventionnel et
— développer un grand jardin public Les espaces publics — Pour de bonnes plantations d’alignement. Il s’agit
autour du « bassin », Limiter impérativement les démolitions ou mauvaises raisons (éviter les ac- d’abord de marquer l’appartenance du
— transformer l’avenue des Jeux Olym- de logements à celles qui s’inscrivent cidents ou économiser l’entretien), les quartier à la ville.
piques en parkway. dans un projet de transformation de la espaces publics et collectifs d’un grand
cité, améliorent son fonctionnement et ensemble sont différents de ceux des L’unité résidentielle — La création
2. Une transformation progressive du sont équilibrées par la construction de autres quartiers : revêtements dégradés, d’unités résidentielles prolongeant les
bâti. Redistribuer la propriété foncière logements neufs. stationnement omniprésent, dispositifs logements et offrant aux habitants un
36 37
[Teisseire]

cadre de vie répondant à leur demande de stationnement, plus de jeux pour Plan d'ensemble avec
(stationnement résidentiel, jardins pri- enfants, choisir en commun les plan- substitution de l'usine
Merlin Gérin
vatifs ou collectifs, locaux poubelles...) tations), change les rôles habituels :
(Agence Panerai)
est à la base du projet. les habitants ont leur mot à dire et les
services techniques leur expliquent les
L’unité résidentielle se matérialise par : choix et les contraintes techniques.
— une assiette foncière affectée à Philippe Panerai.

chaque bâtiment,
— une clôture qui en marque la limite,
— des aménagements internes : station-
nement, jardins, plantations... détermi-
nés à l’issue d’une concertation propre
à chaque unité. Résidentialisation
du quartier Teisseire
L’aménagement des premières uni-
tés a été mené par les services de la
ville (Bureau des Espaces Paysagers),
l’urbaniste coordinateur et l’architecte
du bâtiment. La concertation avec
les habitants, avec des réunions sur
place pour appréhender les dimen-

© Agence Panerai
sions réelles des espaces et préciser
les programmes (moins de places
38
LES HAUTS
DE ROUEN [Rouen]

Plan de rez-de-chaussée de
réhabilitation de l'ensemble
des "Verre et Acier"

40
[Les Hauts
de Rouen]

Plan de rez-de-chaussée
et coupe du plot 4
(ANMA)
Coupes du projet
(ANMA)

Réhabilitation
des "Verre et Acier" (ANMA)

42
[Les Hauts
de Rouen]

Réhabilitation et reconversion des im- années soixante avec des impératifs de


meubles de Marcel Lods — Plot 4 coût et de flexibilité maximum.

Le contexte — L’ensemble des im- Le projet — L'attitude adoptée est volon-


meubles de Marcel Lods, construits tairement retenue (minimale), dans le
à la Grand’Mare entre 1968 et 1970, respect de l'œuvre construite de Marcel
regroupe 500 logements répartis en Lods. L'intervention architecturale se li-
25 plots. Ces immeubles nommés les mite donc à définir, au rez-de-chaussée
« Verre et Acier » présentent une du bâtiment, des espaces de travail et
grande particularité architecturale par d’exposition, de part et d'autre du hall
le procédé constructif expérimental mis et de la circulation vitrée en Réglit.
en œuvre. Ces bâtiments sont entière-
ment pré-industrialisés et assemblés Dans les étages, la transformation
sur site. Ils sont considérés comme un des logements en bureaux respecte
véritable patrimoine, mémoire d’une au mieux le cloisonnement de Lods,
architecture industrialisée poussée conservant en façade les espaces de
dans les moindres détails. Le projet de vie et de travail. Les zones techniques
réhabilitation développé pour le plot 4 et de services sont maintenues autour
s’appuie sur une transformation des de l’escalier, tandis que les modules

© Jean-Louis Schoellkopf
logements en bureaux et un adressage de bureaux fonctionnent de manière
sur la rue César Franck. En effet, il autonome ou peuvent être regroupés en
s’agit de travailler sur une structure entités.
métallique légère pensée dans les Nicolas Michelin.
44
[Jean-Patrick
ARCHITECTURE Fortin]

Depuis la Renaissance, l’architecture œuvre, progressivement accessibles à À Grenoble, l’architecture de l’enduit À Pantin, le chromatisme pelliculaire
s’est interrogée sur la question de l’ensemble du pays, voire à l’exporta- blanc, niant toute appartenance à une des façades impose un paysage pictural
la régularité, source de la répétition, tion, sont mises au service d’exigences tradition territoriale, offre l’image com- abstrait à l’environnement du fort d’Au-
fondement d’une économie dont le architecturales qui se doivent de mune du grand ensemble. bervilliers, cerné de jardins familiaux
Fordisme allait donner au monde indus- correspondre aux conditions liminaires avec leurs cabanes éternelles.
triel son modèle de croissance. Déjà, la d’une forme urbaine préalablement Le blanc, couleur industrielle, est la
reconstruction de la guerre 39-45 avait définie comme capable de satisfaire à réponse à l’interchangeabilité du grand À Rouen, des architectes liés organi-
imposé la régularisation des tracés un habitat égalitaire. ensemble sur un territoire national quement à l’industrie, tenants d’une
viaires issus de l’histoire et le remem- rendu homogène par les infrastructures ville conçue comme une chaîne de
brement d’un parcellaire capable d’ac- L’horizontalité, la régularité, les tracés de transport et à la mobilité potentielle montage, « designent » les pièces d’un
cueillir une architecture ordonnancée. linéaires deviennent les supports d’une des résidents, salariés d’une industrie univers modulaire.
apparence architecturale soumise aux déjà délocalisable.
Une réflexion commune aux architectes règles de figures abstraites, mais Les « Verre et Acier » en sont l’épi-
et constructeurs a permis à la France fortement rythmées, et définies par une À Sarcelles, les ordonnances des phanie. Revendiquant un éternel
de passer d’une production de 71 000 combinatoire de modules offrant une façades porteuses de pierres sciées présent, sans patine, ces architectures
logements par an en 1950 à 555 000 égalité d’informations en tous lieux de imposent un désir de permanence. « auto-lavables », bientôt obsolètes
logements en 1972. l’espace. quant à leur performance thermique, ne
Des gains de productivité permettront Leur texture, exprimant la masse, n’est supportent aucune évolution, tel l’avion
de passer de 3 500 heures de travail L’historiographie contemporaine les a pas contradictoire avec la construction Concorde.
par logement en 1950 à 1250 à partir inventoriées sous différents termes : d’un habitat fortement industrialisé,
des années soixante. Ils se concréti- architecture de l’enduit blanc, néoclas- dont témoigne la préfabrication à Les moules des pièces standard, les
seront par l’élaboration de modèles. sicisme moderne, préfabrication lourde, l’identique des 8 000 volées d’escaliers gabarits de la coordination modulaire
De nouvelles techniques de mises en néo-brutalisme, architecture modulaire. métalliques. ont depuis longtemps disparu.
46 47
[Architecture] USAGE ET IMAGE [Jean-Michel Léger]

Pourtant, c’est de la cité radieuse de Habiter est supposé être un processus Ptolémée aurait dû naître français,
Marseille, du savoir-faire des ouvriers créatif dont l’individualisation ne sau- ou du moins gaulois, car l’amour des
menuisiers réalisant magistralement, rait exister sans les effets de détermi- cartes et du zonage nous est propre :
avec des planchettes de bois vulgaire, nations sociales qui commencent par le cartes « d’état major » qui disent bien
des coffrages étanches dans lesquels regard d’autrui. Avec pour domicile les leur nom pour conquérir un territoire,
va se mouler un béton commun, que adresses les moins réputées de l’Hexa- pratiques de reconquête des banlieues
naît un mouvement architectural qui va gone, les habitants des grands en- qui territorialisent tout : l’école, les
se répandre des États-Unis au Japon, sembles subissent ainsi la triple peine aides, les zones franches, les démo-
du Grand Londres aux Indes, jusqu’au d’une vie quotidienne souvent marquée litions quasi à coups de canon et les
développement des villes multimillion- par la souffrance d’une existence reconstructions triomphantes.
naires africaines et que va se diffuser précaire, la frustration d’un habitat Personne ne croit vraiment que le pro-
cette détestation du béton symbolique contraint et la déconsidération de tous blème soit exclusivement d’origine spa-
d’un univers de la banalité, loin de ceux qui n’habitent pas là. tiale mais puisqu’il est spatialisé, les
l’Arcadie ou de la ville de marbre. réponses le sont aussi. Le spatialisme
« Contre les grands ensembles, vous arrange tout le monde, à commencer
Cette générosité de l’invention architec- savez, on a tout essayé », aurait pu par les architectes qui ne peuvent s’y
turale est-elle aujourd’hui vouée à la dire un certain président de la Ré- opposer car il est attendu de l’archi-
disparition ? Sous couvert d’une réhabi- publique, tant la carte des grands tecture qu’elle contribue au bonheur de
litation technique, est-elle condamnée ensembles se superpose à celle du l’humanité, – donc, symétriquement, à
aux caprices d’un localisme revendicatif chômage, ainsi qu’à celle des immigrés son malheur – et à la reconquête de ce
ou à un surfaçage homogène et simpli- et des « issus de la colonisation » (P. même bonheur dans la Reconquista de
ficateur ? Panerai), pour lesquels elle est juste- banlieues que l’on craint gagnées par
ment une voie « sans issue ». l’Islam.
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[Usage et image]

Le comble est que, réglant les comptes sociale fut réelle à la livraison des eux-mêmes sont les premiers à euphé- En France, nous sommes tellement
avec leurs aînés, les architectes ne grands ensembles, mais, puisqu’elle miser leur vie quotidienne, car ils n’en conditionnés par le spatialisme que
sont pas les derniers à accuser le était la conséquence d’une pénurie ont pas d’autre et que l’image de soi se nous ne parvenons pas à programmer
béton de crimes contre l’urbanité ; ils endémique de logements face à l’exode doit d’être plus solide que l’image que des aides massives individualisées sur
oublient que la plupart des grands rural et à l’importation de main d’œuvre nous renvoient les autres. les plus démunis, dont les difficultés
ensembles en copropriété (ceux de ouvrière étrangère, elle ne pouvait être sont d’abord déterminées par la couleur
Dubuisson, de Lods ou de Pouillon, par que temporaire et vécue ensuite comme « Contre les ensembles, on a tout de leur peau et par l’insuffisance de
exemple) vivent les jours heureux de un non-choix à l’ouverture des deux écrit », aurait pu ajouter le président leur formation et qualification profes-
la tranquillité bourgeoise. L’obsession autres marchés qui ont détendu le parc lettré. Certes, mais il reste encore sionnelle.
de l’éradication de la forme urbaine et global du logement. à lire ceux qui, comme Éric Maurin,
de l’architecture des grands ensembles doutent de la pertinence d’une mixité Au fond, chacun de nous trouve
apparaît ainsi comme celle de l’annu- On le sait, n’ont plus habité dans les sociale qui paraît relever autant du avantage à désigner un mauvais objet
lation de quelques symptômes majeurs grands ensembles que ceux qui n’en bon cœur que du bon sens. Car les urbain – le grand ensemble – d’autant
de la société française. pouvaient partir : dynamique négative mesures incitatives ne changeront rien plus identifiable qu’il a une forme ur-
qui aurait pu être ralentie par une au « séparatisme social » à l’œuvre baine spécifique, historiquement datée.
L’héritage colonial, le déclin industriel, politique d’entretien et de gardiennage dans notre société comme dans toutes Dans les taudis des centres urbains, la
l’absence de mobilité sociale et la plus attentive ; nulle part ailleurs on ne les autres, associé à la crainte du misère est bien pire, mais ce ne sont
1
Éric Maurin, Le ghetto
ségrégation socio-spatiale sont en effet tolère autant d’ascenseurs en panne, de déclassement. Nombre d’études nord- que des caries derrière les façades
français. Enquête sur le
condensés dans les grands ensembles, boîtes à lettres défoncées, d’escaliers séparatisme social,
américaines ont montré l’inefficacité ravalées des boulevards. Le grand
qui ont été progressivement concurren- urinoirs, etc., et d’incendies de voiture La République des idées, des mesures spatialisées, car, « grande ensemble, lui, barre l’horizon de notre
cés par deux marchés de l’habitat : ce- qui ne font plus trois lignes dans Le Éditions du Seuil (2006). ou petite, une enclave de pauvreté a indifférence.
lui des centres-villes gentrifiés et celui Parisien. C’est autant par habituation les mêmes effets déprimants sur les
du pavillonnaire périurbain. La mixité que par dénégation que les habitants destins sociaux »1.
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POUR LES D.S.A. [Jean-Paul Midant]

Que faire aujourd’hui en France, notam- master d’architecte accessible après avons trois formations qui répondent situation contemporaine, expérimenter
ment à Paris et dans sa région, de cet cinq années de formation post-bacca- à ces objectifs. Une première, où sont puis cerner des principes d’intervention
encombrant héritage architectural et lauréat, qui peut s’achever par une ha- abordés notamment les problèmes de adaptés.
urbain construit dans les années 1950- bilitation à exercer la maîtrise d’œuvre gestion architecturale et urbaine dans
1960 et 1970 ? Faut-il le démolir ? en son nom propre. Ainsi, l’ancien DPLG les territoires exposés aux risques Ici nous parlons de grands ensembles
Faut-il le rénover, le réhabiliter, le a disparu avec la mise en place d’une naturels ; une seconde, pour confronter de logements. C’est depuis sa création
restaurer ? Quelles leçons tirer de ces licence d’exercice à la française et les étudiants aux projets d’aménage- il y a quatre ans un des fondements
réalisations aujourd’hui ? Quel ensei- l’adoption de la norme universitaire ment métropolitain de grande échelle ; méthodologiques et idéologiques de
gnement dans les écoles d’architecture européenne et, parallèlement un docto- et une troisième, dont le sujet est le la réflexion et du débat au sein du
pour penser la notion de patrimoine rat en architecture a été créé pour les patrimoine. Diplôme de Spécialisation et d’Appro-
architectural ? étudiants qui souhaitent préparer une fondissement (D.S.A.) Architecture et
thèse, enseigner et se consacrer à la Les enseignants du D.S.A. Architecture Patrimoine, dans son option Patrimoine
Voilà des questions évidentes, que recherche. et Patrimoine de l’Énsa Paris-Belleville du XXe siècle, et nous l’assumons
nous aimerions poser maintenant aux ont choisi de ne point se tourner sur comme telle.
étudiants pour qu’ils tentent de les Dans ce panorama, nous avons été le passé lointain et sur des bâtiments
résoudre. Mais voilà des questions peu plusieurs enseignants, professionnels et repérés comme insignes. On y insiste
faciles à aborder sans une culture chercheurs, à penser qu’il manquait un tout autant sur la forme de la ville
historique, juridique et technique, une degré complémentaire de spécialisation. et ses constituants que sur le bâti-
conscience politique, une curiosité Et nous avons opté pour un cadre de ment singulier. On y fait des projets
créative et une capacité expérimentale réflexion approfondi fondé sur l’échange de transformation sans faire passer
suffisantes. d’informations et le développement de au premier plan les techniques de
La réforme des études d’architecture projets. À l’École nationale supérieure restauration avec l'objectif d'adopter
adoptée en 2005 a donné naissance au d’architecture Paris-Belleville, nous une position critique par rapport à la
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LEXIQUE
Cité-jardin — organisation spatiale substitution, la conservation obligatoire Pièce urbaine — partie de ville auto- Résidentialisation — néologisme fondé
conditionnant les relations urbaines à d’une façade est la seule garantie nome, dont le plan unitaire contribue à sur l’action d’adapter aux conventions
partir d’un rapport à un environnement contre les mutilations de la forme ur- définir son espace public. d’usages un espace indéterminé.
végétal pittoresque régénérateur. baine face aux démolitions abusives.
Réhabilitation — fait de relever un édi- Restauration — fait de rétablir dans sa
Espace vert — désigne à partir des an- Grand ensemble — aménagement urbain, fice ou un quartier de ses incapacités forme un édifice de façon à assurer sa
nées cinquante les espaces non bâtis et construit entre 1955 et 1973, compor- et de sa considération perdue. pérennité patrimoniale.
végétalisés. Il représente une relation tant plusieurs bâtiments isolés, princi-
réductrice de l’Homme à la Nature dans palement des barres et des tours. L’ar- Rénovation — fait de rétablir un bâ- Tours et barres — bâtiments modernes,
un espace moderne. chitecture et le plan masse présentent timent ou un quartier qui a subi une isolés, immergés dans l’espace vert. Ils
une unité de conception et l’emprise altération dans un état nouveau mais ne répondent à aucune orientation de
Espace public — expression utilisée à foncière n’est pas divisée en lots. Il est semblable. l’espace, ni aux éléments contextuels.
partir des années soixante-dix pour composé d’unités de voisinage.
désigner l’ensemble des espaces de Réseaux — souvent obsolètes et objets Unité de voisinage — unité d’organisa-
libre accès aux citoyens permettant le Patrimoine — ensemble des richesses de la rénovation, ils sont l’expression tion urbaine de 800 à 1 200 logements
rassemblement et l’échange. culturelles accumulées par une société, sous-jacente de la structure urbaine. définie par la grille d’équipement éditée
Il relève du domaine public et du droit valorisées par la communauté et trans- Dans les grands ensembles, du fait de en 1958 par la « Commission de vie
correspondant. À ne pas confondre mises de génération en génération. l’unité foncière, leur tracé n’empreinte dans les grands ensembles ». Elle
avec l’espace du débat politique, plus pas toujours nécessairement les es- comprend, en dehors des unités d’ha-
immatériel. Pavillonnaire — univers de banlieue paces à statut public. bitation, des espaces formant support
constitué de pavillons qui permettent la des équipements collectifs d’usage
Façadisme — en l’absence d’une ap- socialisation de l’espace individuel par quotidien.
parence architecturale pertinente de l’appropriation.
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Cet ouvrage à été réalisé à l'occasion de sous la direction de Vanessa Fernandez
l'exposition “Le grand ensemble, entre Photographies — Jean-Louis Schoellkopf
pérennité et démolition” du 3 juin au 1er Étudiants de l'Énsa de Nancy — Lauriane
octobre 2010 à l'École nationale supé- Macherey, Marion Daeldyck, Lisa De
rieure d’architecture Paris-Belleville. Rudder, Yasmin Operti, Simon Perot
Régie de projet de l'Énsa de Nancy —
Commissaire général de l’exposition — Jean-Yves Camus
Jean-Patrick Fortin
Coordinateur d'édition — Antonella Tufano Directeur par intérim de l'Énsa de
Conception graphique — Béatrice Selle- Nancy — Hervé Lenormand
ron, Maxime Teruel Directeur de l'Énsa Paris-Belleville —
Auteurs — Jean-Patrick Fortin, Jean- Jean Pierre Bobenriether
Michel Léger, Corinne Marti, Jean-Paul
Midant, Antonella Tufano
Relecture des textes — Reine Fingerhut, École nationale supérieure d’architecture Paris-
Belleville en co-édition avec l’École nationale
Jean-Michel Léger
supérieure d’art de Nancy,
Agences — Nicolas Michelin et Associés,
Les Éditions du Parc
FORTIN Architecture et Urbanisme, Le ISBN — 978-2-917865-07-1
Penhuel, RVA Renaud Vignaud et Asso- Dépôt légal — mai 2010.
ciés, Panerai, Pierre di Sciullo Imprimé par l'Imprimerie Moderne (France).
Documents graphiques — Rose Caedenas,
Patricia Feraru, Soraya Kesri (Fortin),
Corinne Marti, Atelier de projet du D.S.A.
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