INTRODUCTION A LiecoNoMtE
largement lig aux questions soulevées par I'élaboration
dune « vision économique » de Findividu et des socié-
tés humaines (2.). Les réponses diverses apportées a ces
questions de méthode permettent de dessiner & grands
traits les principauy courants de pensée (3). Entin, nous
présenterons sans transition quelques ultimes points de
méthode qui peuvent étve utiles pour prémunir le lecteur
contre certaines réuetions que pourrait susciter un premier
contact avee Ie discours économique (4.1,
1. QUEST-CE QUE L'ECONOMIE ?
Chaque discipline a besoin de préviser son objet d'étude,
autrement dit ee qui la detinit comme un champ danalyse
speévifique qui la distingue des autres disciplines. Pour les
scsciences » qui s‘intéressent aux comportements des &res
hhumsins 2 leur vie en sovigté (sciences humaines et sociales).
la quéte de cette distinction n'est pus aise. I est en effet bien
ccompliqué d'isoler un domaine coneret qui concemenaitexclu
sivement une discipline particuliére. Cette ditficuté peut ete
surmontée en distinguant plu das methodes specitfiques. des,
unigres différentes de considérer un méme objet coneret
Mais, comme on va le voit, cela ne rgle pas tut A fait le
probleme dans le cas de la « science économique »
1.1. Un objet coneret commun
A toutes les sciences sociales
Quand le profane ou fe débutant dans une discipline
quelconque cherche & définir Vobjet de cette demitre,
son réilexe naturel consiste a dresser la liste des sujets
ont elle s‘occupe : économie étudierait, par exemple,
la production, les échanges. la monnaie, le chémage, 1a
richesse, inflation, etc. Longtemps, les philosophes et les
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ORDER L ANALYSE ECONOMIQLE
Economist ont raisons de la méme fagon : de [’Antiquité
au milieu du xrv siécle. la plupart des définitions. propo-
sées font de 'gconomie une scienve de la production des
ccricheswes », de I'échange des produits et de la distribu.
tion des revenus. C'est 13 une approche substantiviste (qui
est notamment dominante en anthropologie), ¢'esti-dire
qu'elle s'intéresse & la substance concrete de économie.
Cette approche souleve toutefois une difficulté = il n'est
pas aisé de delimiter un champ spécitique & Fanalyse éea-
‘nomique en designant une liste de sujets conerets, En effet,
lex pheinomiene’s stictement économiques n’existent pas, On
ne peut evtrare du réel une partie « Economique » qui serait
indgpendante des parties « psychologique », « politique »
ou « sociale ». L'inflation, par exemple, met en jeu des
meanismes économiques, psychologiques et politiques, et
intéresse donc tout autant Féconomiste que le psychologue,
le politologue ou le sociologue, La production, la circulation
et la réparition des richesses sont potentiellement un objet
4 etude commun A toutes es Sciences humaines et sociales !
La spévitiité de la « science économique » nest done pas
attachée & un domaine coneret d’étude mais plutt & le
fagon dont elle méne ses études, & sa méthode "analyse, Le
probléme vient alors de ee que les économistes ne sont pas
accord sur la méthode. si bien qu'il devient impossible de
proposer une definition consensuelle de l'économie.
Ce probleme ne s'est toutefois pas vraiment posé avant
que n’émerge (au vis" sitele) un veritable souci de consti-
tuer I'sconomie comme une science nouvelle et distincte
des autres disciplines traitant des socigtss humaines,
1.2. La longue marche vers
une « science » économique
Juygu’a la Renaissance (xv*-xv" sigeles), l'économie a
«abord été pensée comme un sujet de philosophie morale
7de la mon-
et politique = il s'agissait de moraliser us
naie et la pratique des échanges pour s‘assurer que la
cupidits et la competition pour les richesses ne détruisent
pas la cohésion de la societé : dans les pratigues comme
dans Fanalyse. économie ne consttuait pas une sphére
autonome et elle restait subordonnse aux normes sociales,
morales et religieuses qui structuraient la société. Au
milieu du xv sigele, la marge commerciale des marchans
et es intérSts pergus par les banguiers sont encore souvent
considén’s & peu pres comme du vol par a morale com-
rung ¢ils sont aussi plus ou moins sécarement condamnés
ise catholique. Et personne n'a jusqu’alors songé
a écrire un taité d'€conomie : les questions économiques
sont aborues dans des textes philosophiques ou théolo-
iques le plus souvent rédiads par des cleres.
Tout cela va radicalement changer. Entre le milieu du
AWE sidele et la fin du xvir, le déelin du pouvoir relizieun,
[affirmation du pouy oir potitique. ta rivalité eroissante des
Erats pour le contrdle des nouvelles coutes commerciales
Andes. Amériques) et des colonies. tout cela (entre autees
facteurs) erge le rerreau favorable & une premiére révo.
lution dans la manigre de penser économie en Europe.
Crest alors qu'émerge une véritable analyse économique
avec des sideles de retard sur le monde arabo-musulman?,
celle des auteurs dits mercantilistes, qui commencent par
abolir une morale deux fois millénaire en eehabilitant la
richesse comme source du bonheur privé et du bien public
Desormais, la quate des richesses matérielles n'est plus
percue comme une passion immorale et dangereuse pour
3 ite lev’ et sles les autour arabes at post Les hanes
une veritable done pottque, mais eet hese previews a ee
perdu et ignoré en Oceident. Aujourd'hui encore. i est rurissime de
(rouver un oaveaze d'histoire de la pensée économique qu tite des
appors de la pense arabe
f
q
BORDER L ANALYSE ECONOMMQLE
ta socigté. 11 s'agit plutdt d'une activité raisonnable qui
seet Fintéeét commun de deus maniéres : 1) le bien-eire
matériel des individus rend le peuple plus docile et res.
pectueus des lois 2) chaque individu affairé a s’enrichir
par le travail contribue 3 la prospérité générale,
L’économie s'émancipe alors de la morale antique et
de la religion pour devenir une science politique : il s'agit
de comprenudre les ressorts de la prospérité d'une nation
en vue de determiner les politiques susceptibles de renfor-
cer la richesse et la puissance de MEtat, Car ce dernier a
besoin d'argent et d'une économie prospére pour soutenir
une guerre économique et miliaire quasi permanente. I
faut done développer la population, le commerce, [indus
trie, les exportations. et si la course A la richesse privée
concourt finalement & enrichir (Etat, alors la recherche
du profit privé soutient aussi Pintérét général. Pour autant,
Jes mercanilistas ne sont pas des libéraux, A des depres
divers, ily soutiennent la conduite de politiques éono-
miques volontaristes et sont protectionnistes. Par ailleurs,
la libte poursuite de Mintérét privé n'est fondée et promuc
que dans la mesure od elle est conforme & lintérée général,
qui consiste & renforcer Funité du pays et la puissance de
TEwt Si fes mercantilistes émancipent Fconomie de la
morale antique et de la religion, c*est done pour la mettre
au service d'une politique. Ils fondent une nouvelle disci.
pline qui sera et restera pour longtemps baptisée « écono-
tie politique » a initiative d' Antoine de Montchrestien
(1515)
Cette premiére révolution de la pensée prépare le terain
favorable & I'émergence d'une économie scientifique. En
effet, le xvi" sigcle voit la naissance des seiences modemes
(Galilge, Newton) et d'une philosophic nouvelle (Descartes,
Spinoza) exhorsant les penseurs & appliquer les méthodes
3. Antoine de Montchrestien, Trai de Iecomamde politique, 1615
9INTRODUCTION 4 L&CONONME
du raisonnement scientifique 8 tous les domaines de ta
connaissance et dine a dsvelopper des scienves de Phomme
et de la societs & image des sciences de la nature, Méme
si analyse économique reste essentiellement politique et
ne s'émancipe pas complétement de la philosophie avant
le milieu du wiv, le désir de « faire science » gasne pro-
gressivement en importance dans les travaux des demiers
imercantlistes (fin wvadsbut Xv puis au sein des écoles
liberates frangaises et anglaises (milieu du xvu'-milieu du
Mv). Avee ces demigres (dont les auteurs seront bapti-
sé5 «les elassiques »! par Karl Marx) apparait le souci
Cénoncer des lois scientifiques stablisant des relations
causales entre les variables économiques. des lois « natu-
relles » comparables aux lois de la mécanique. En France,
Jes « physivcrates » dirigés par Frangois Quesnay sont les
premiers a revendiquer I'slaboration d'une « science éco-
romique » et & se baptiser eux-mémes les « économistes »
1 s‘agit dexpliquer rigoureusement la Formation et la dis
tribution des revenus. la fixation des prix, la croissance, le
commerce international, ete
Les théories classiques ne sont pas rassemblées dans un
modele d’ensemble cohérent du fonetionnement de 'écono-
mie, elles ne sont pus toujours émaneipées de la philosophie
morale et politique. elles ne dessinent pas en éalité une école
de pensée unifiée. On peur grossizrement (mais utilement)
reperer dés cette Epoque un clivage essentiel entre deur
maniéres d'élaborer une science &conomique. Une manigre
abswaite, hypothetico-déductive, soucieuse d’énoncer des
Tl eagit notamment d'Ftienne Bonnot de Condit, dane
Rolert Jacques Target. de Jean-Baptst Say. en France, et d'Adam
Smith, de Thomas Rober Maltnus. de David Rican, de Fob Sevart
Mill. en Grande-Bretazne. Les classiyues nimeluent pas cole ul
Titerale Ransaise driaee par Frangois Quesaay dans Ia seconde moi
fy Sur Ta phiysiocrtie »
10
BORDER L/ANALYSE ECONONHIQLE
lois wénsrales et de construire un modale théorique indspen-
dant des cireonstances historiques et des débats politiques
est plutOt a maniere trangaise bien en phase avec le ratio.
nalisme de René Descartes. A cela s‘oppose une manigre
plus britannique. en phase avec l'empirisme de John Locke,
aqui se mie des theories absiraites, cherche a résoudre des
problemies pratiques en artachant plus d" importance aux faits
et donc, notamment, & Thistoire et aux rupports de force
politiques. Cette manigre anglaise (et en particulier Peeuvre
e Smith et celle de Ricardo) inuencera Karl Marx
La manigre frangaise (incarge notaniment par Tur
Quesnay et Say) va d'abord inspirer une lignée d'
nomistes mathématiciens frangais Jules Dupuit, Antoine
Augustin Cournot. Auguste Walras). Ceux-ci mettent
‘onomie en équations et prétigurent un bouleversement
de économie politique qui va la transformer en science
rmathématique des choix individuels et de leur coordina-
tion par les marches : 1a « révolution marginaliste ». On
entend par Ii une révolution scientifique opérée par les
‘ouvrages puibligs au début des annges 1870 par le Frangais
m1 Walras. PAutrichien Carl Menger et Anglais Wil
liam Stanley Jevons. Ce demier proposera de rebaptiser li
«political econanty » en « economics », pour bien indiquer
qu'il s'agicait désormais d'une science mathématique &
Vinstar de la physics, et toialement débarrassée de toutes
consicérations politiques.
Ces auteurs « marginalistes » posent les bases dune
cole dite « néoclassique » qui. la fin du x16, constitue le
nouveau courant dominant, Celui-ci sera temporairement
selipsé par le paradigme keyngsien (des années 1930 aux
années 1970), mais, depuis es années 1980, sa fagon par
ticuligre de concevoir analyse économique est redevenue
un pilier central du mainstream (courant dominant dans
Jes universités). Nous commencerons donc pat expliciter
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