par Louise Sasseville Illustration de couverture : Shehzil Malik Édition originale publiée en 2018 sous le titre Amal Unbound par Nancy Paulsen Books, une marque de Penguin Random House LLC.
sur les publications destinées à la jeunesse. www.seuiljeunesse.com À Ami et Abu, mes premiers professeurs Chapitre 1
Je regardais par la fenêtre les garçons
qui se dispersaient à la sortie de l’école de brique, de l’autre côté du champ. Notre cours dépassait l’heure prévue. Une fois de plus. Les filles remuaient sur leur siège et jetaient un coup d’œil à l’horloge placée au-dessus du tableau. Mon amie Hafsa soupira. – Et, pour finir, j’ai de mauvaises nouvelles, nous dit Mlle Sadia en prenant une pile de feuilles sur son bureau. J’ai terminé de corriger votre contrôle de maths. Il n’y a que cinq d’entre vous qui ont obtenu la moyenne. Une clameur collective s’éleva de la classe. – Du calme, s’il vous plaît ! lança-t-elle pour nous faire taire. Cela signifie seulement que nous devons continuer de travailler. Nous allons le 9 corriger demain, puis nous ferons un autre contrôle la semaine prochaine. – Les questions étaient difficiles, me chuchota à l’oreille ma jeune sœur Seema. Nous nous mîmes en rang le long du tableau, à l’avant de la classe, pour aller récupérer nos copies. – J’aurais dû rester avec la classe des plus jeunes jusqu’à l’automne, ajouta-t-elle. – Ne dis pas n’importe quoi ! Tu sais que tu as probablement réussi, lui murmurai-je. Quand as-tu déjà échoué à un examen ? Seema remonta ses manches en marchant vers Mlle Sadia. Ce n’était qu’en observant les manches que l’on se rendait compte que mon vieil uniforme était trop grand pour elle. Mlle Sadia tendit sa copie à Seema. Comme je m’y attendais, l’air préoccupé de ma sœur se transforma en un sourire. Son pas était plus léger lorsqu’elle sortit de la classe. – Je suis désolée de ne pas pouvoir vous aider aujourd’hui, dis-je à Mlle Sadia, une fois que la classe fut vide. C’était la partie de la journée que je préfé- rais, quand toutes les autres étaient parties et que nous restions seules, elle et moi. On aurait dit que l’école poussait un soupir, qu’elle s’agrandis- sait, sans les 34 élèves de notre classe, entassées à 10 deux par pupitre ; nous remplissions pratiquement chaque centimètre de l’espace. – Ma mère est de nouveau alitée, dis-je. – Le bébé est-il sur le point d’arriver ? – Oui, et mon père m’a dit de rentrer à la maison pour surveiller mes sœurs. – Ton aide va me manquer, Amal, mais il a rai- son : la famille passe en premier. Je savais qu’aider sa famille était ce qu’une sœur aînée doit faire, mais ce temps passé après les cours avec Mlle Sadia n’était pas seulement agréable : c’était aussi important. Je voulais ensei- gner quand je serai grande, et qui était mieux placé que la meilleure enseignante que j’avais jamais eue pour me montrer le métier ? J’adorais nettoyer les tableaux, balayer le sol et écouter des anecdotes de ses années d’université. J’adorais la voir préparer ses cours et les retravailler en tenant compte de ce qui avait fonctionné ou non, la veille. J’avais tellement appris en l’observant. Comment mon père pouvait-il ne pas comprendre ? – Mais j’aurais bien besoin de ton aide avec le module de poésie, la semaine prochaine, dit-elle. Certaines élèves râlent à ce sujet. Crois-tu que tu pourrais convaincre Hafsa d’essayer au moins ? Elle t’écoutera et tu connais l’influence qu’elle a sur les autres. 11 – Je crois que cela ne la dérange pas de lire des poèmes. Mais cela la rend nerveuse d’en écrire. – Je pensais que vous seriez ravies d’écrire des poèmes ! C’est plus court qu’une rédaction ! – C’est différent. Les grands poètes, comme Ghalib, Rumi, Iqbal, avaient des choses à dire. – Et toi, tu n’as rien à dire ? – À propos de quoi est-ce que j’écrirais ? répondis-je en riant. Mes petites sœurs ? Les champs de canne à sucre et les orangeraies de mon père ? J’adore lire des poèmes, mais je n’ai aucun sujet sur lequel écrire. Notre vie est ennuyeuse. – Ce n’est pas vrai ! Écris sur ce que tu vois. Parle de tes rêves. Le Pakistan a été fondé par les rêves des poètes. Ne sommes-nous pas des habi- tants de la même terre ? La façon dramatique de parler de Mlle Sadia était l’une des raisons pour lesquelles je l’adorais, mais je n’étais pas convaincue. Ce n’est pas que je n’étais pas fière de ma famille ou de notre vie. J’avais la chance de faire partie de l’une des familles les plus prospères de notre village pendjabi, mais cela ne changeait rien au fait que je vivais dans un village tellement petit qu’il n’était même pas représenté par un point sur une carte géographique. Je promis tout de même de parler à Hafsa. 12 C’est ce dont je me souviens le plus de ma dernière journée à l’école : l’odeur du tableau poussiéreux, le bruit des élèves qui s’attardaient à l’extérieur et, surtout, le fait que je tenais pour acquise ma vie ordinaire. Chapitre 2
Je courus sur le sentier de gravier pour
rattraper Seema et Hafsa. Le soleil flamboyait au- dessus de nous, réchauffant mon tchador et mes cheveux, en dessous. – Je vais acheter à Mlle Sadia l’une de ces cloches que l’on voit à la télé. Tu sais, celles qui sonnent pour annoncer la fin des cours ? ronchonna Hafsa. – Elle ne nous fait pas toujours rester après l’heure, protestai-je. – Tu te rappelles, la semaine dernière ? dit Hafsa. Elle continuait de parler encore et encore à propos des constellations ! Quand je suis arrivée à la maison, mes frères avaient eu le temps de se changer et avaient fait la moitié de leurs devoirs. – Mais n’était-ce pas intéressant ? demandai-je. La façon dont les étoiles nous aident, la nuit, 14 lorsque nous sommes égarés et nous racontent toutes sortes d’histoires ? – Pourquoi aurais-je besoin de savoir com- ment relier les points dans le ciel ? Je veux être le premier médecin de ma famille, pas la première astronome, dit Hafsa. Hafsa et moi étions amies depuis si longtemps que je ne me souvenais pas d’une époque où nous ne nous connaissions pas, mais lorsqu’elle parlait ainsi, je ne la comprenais pas du tout. Contraire- ment à Hafsa, je voulais connaître tout ce qu’il y avait à connaître. À quelle vitesse les avions volent- ils ? Pourquoi certains laissent-ils une traînée de nuages derrière eux, et d’autres non ? Où vont les coccinelles quand il pleut à torrents ? Comment est-ce de marcher dans les rues de Paris, de New York ou de Karachi ? Il y avait tant de choses que je ne connaissais pas que, même si je passais ma vie à essayer de les découvrir, je ne pourrais qu’en apprendre une petite partie. – Comment va votre mère ? demanda Hafsa. Ma mère a dit qu’elle a mal au dos. – Ça empire, répondis-je. Hier, elle n’a pas pu sortir du lit. – Ma mère affirme que c’est bon signe. Les maux de dos signifient qu’on attend un garçon, dit Hafsa. Je sais que vos parents seraient fous de joie. 15 – Ce serait super d’avoir un frère. – Hé ! Regardez la porte ! dit Hafsa lorsque nous atteignîmes la courbe menant à nos maisons. Elle montra du doigt l’immeuble qui s’élevait à côté de la mosquée du village. Jamais auparavant un immeuble n’était apparu ainsi sans explication. Deux semaines plus tôt, des fondations de béton avaient été coulées dans le champ où nous jouions au foot. La semaine suivante, des murs de brique et des fenêtres étaient apparus, et aujourd’hui, il y avait une porte : peinte en vert ! – Tu as une idée de ce que ça peut être ? lui demandai-je. – Oui. Hafsa sourit. S’il n’en tenait qu’à elle, elle se tiendrait en permanence à proximité des caisses de fruits du magasin de ses parents, écoutant le moindre commérage. – Sahib Khan construit une usine, précisa-t-elle. Je roulai des yeux. Les rumeurs et les com- mérages faisaient partie de la vie de notre vil- lage. Certaines conversations, sur l’état des récoltes ou la météo par exemple, étaient ordinaires, mais d’autres portaient sur Sahib Khan, le puissant pro- priétaire de notre village. – Pourquoi construirait-il une usine ici ? Il en a plein à Islamabad et à Lahore, dit Seema. Ce 16 qu’il nous faut, c’est une clinique. Regarde comme Amma a mal au dos. Le médecin du village est bon, mais le village a besoin d’une vraie clinique. – Crois-tu vraiment que Sahib Khan ferait quoi que ce soit pour nous aider ? demanda Hafsa avec mépris. – Peut-être que ce n’est pas lui qui construit ce bâtiment ? suggérai-je. – Regarde cette porte verte raffinée ! Qui d’autre a du temps et de l’argent à gaspiller comme ça ? Tu sais que j’ai raison. Quand une situation était inexplicable, on l’attribuait toujours à Sahib Khan. C’était un homme mystérieux dont j’avais entendu parler toute ma vie, mais que je n’avais jamais vu. Quand j’étais plus jeune, je l’imaginais grand et effrayant, comme un personnage d’une histoire d’horreur. – Mais bien sûr ! C’est celui qui crache du feu lorsqu’il parle, n’est-ce pas ? dis-je en roulant des yeux. – N’a-t-il pas cueilli tous les fruits du goyavier de Naima ? demanda Seema avec un clin d’œil. – J’ai entendu dire que c’est à cause de lui que nous n’avons pas eu de pluie depuis des mois, poursuivis-je. – Je ne décide pas ce que j’entends, dit Hafsa d’un ton vexé. Je ne fais que rapporter les bruits qui courent. 17 – Nous apprendrons bien assez tôt de quoi il retourne, dis-je en prenant Seema par le bras. Mais, entre-temps, espérons que ce sera une clinique. La maison de Hafsa était la première sur notre route, juste après le bureau de poste. Puis c’était la nôtre. Je la vis de loin. Grise comme les autres du voisinage, à part les rosiers que ma mère avait plan- tés dans les plates-bandes, juste avant ma naissance ; ils fleurissaient encore immanquablement tous les printemps vers cette époque de l’année. C’est pour- quoi le printemps était ma saison préférée. Mon ami Omar nous dépassa à vélo, dans son uniforme scolaire bleu et kaki. Il actionna sa son- nette trois fois, notre signal pour me dire de le retrouver. Le ruisseau. C’est dans cette direction qu’il allait. – Oh non, m’écriai-je en regardant dans mon sac de livres. J’ai laissé mon contrôle en classe. – Encore ? dit Hafsa en fronçant les sourcils. – Dis à Amma que je ne tarderai pas, lançai-je à Seema.
Seema hésita. Notre père serait bientôt à la mai-
son, mais elle savait qu’Omar ne faisait pas tinter sa sonnette trois fois si ce n’était pas important. – D’accord, dit Seema en hochant la tête. Dépêche-toi. Chapitre 3
Omar m’attendait près de l’étroit ruisseau
qui sillonnait notre village. C’était l’un de nos lieux de rendez-vous habituels : la zone boisée à proximité des champs de mon père, là où les plants de canne à sucre verdoyants rencontraient les orangeraies qui se profilaient à l’horizon. Cette zone était assez éloignée du cœur des champs où nos ouvriers passaient le plus clair de leur temps à fertiliser la terre et à entretenir les bosquets et les plants, mais même si les ouvriers s’aventuraient jusqu’au bout, les arbres étaient grands et feuillus, et ils nous cachaient à leur vue. – Je l’ai apporté ! me dit-il lorsque je m ’approchai. Je m’assis près de lui sur l’arbre tombé qui servait de pont pour enjamber le ruisseau et il me tendit un livre à la couverture orange brûlé. Je passai ma 19 main sur le lettrage en relief. Les œuvres complètes de Hafiz. Nous avions une petite collection de livres dans notre classe, mais ce n’était un secret pour personne que l’école des garçons disposait d’une bibliothèque beaucoup mieux garnie. – Alors, qu’est-ce que tu en as pensé ? lui demandai-je. Quel était ton poème préféré ? – Mon préféré ? dit-il en fronçant les sourcils. – Omar ! m’exclamai-je. Tu n’as lu aucun des poèmes ? – Je t’apporte des livres que tu aimes. Ça ne veut pas dire que je dois les lire. – Si, affirmai-je en le poussant du doigt. J’ai besoin de quelqu’un avec qui en parler. – D’accord, dit-il en levant les mains en signe de capitulation. J’en lirai quelques-uns une fois que tu l’auras fini. Parce que je suis un véritable ami. Les cheveux sombres d’Omar semblaient presque bruns sous le soleil éclatant de cette fin d’après-midi. En le regardant, je fus frappée par le fait qu’il était injuste que Dieu m’ait donné un ami qui me comprenait complètement, mais qu’il soit un garçon. « Amal, je sais que c’est ton ami, mais tu n’es plus une petite fille », m’avait sermonnée ma mère, quelques mois plus tôt, lorsque j’avais fêté mes 20 douze ans. « Tu ne peux plus passer autant de temps avec lui. » « Mais il est comme notre frère, avais-je protesté. Comment puis-je ne pas le voir ? » « Bien sûr, tu vas le voir à la maison : certaines conversations ne peuvent être évitées. Mais aller à l’école ensemble, parler librement comme vous le faites… les gens vont commencer à jaser, s’ils ne le font pas déjà. » Omar et moi étions nés à trois jours d’intervalle. Il vivait avec sa mère, notre servante Parvin, dans la remise située derrière notre maison. Ils y avaient emménagé après le décès de son père, et je n’avais jamais connu la vie sans lui. Il faisait partie de qui j’étais. Je ne pouvais pas obéir à ma mère. Et Omar non plus. Alors, maintenant, nous nous rencon- trions en secret pour discuter, pour nous écouter l’un l’autre, pour rire. – J’ai dit à Mlle Sadia que je ne pourrais pas rester après les cours, lui confiai-je. J’espère que ce ne sera que jusqu’à ce que le bébé arrive, mais mon père dit qu’il faudra voir comment évoluent les choses. – Une fois que tout sera rentré dans l’ordre, il changera d’avis. – J’espère que tu as raison. 21 – Safa a probablement encore laissé le poulailler d’un voisin ouvert et ton père en a eu assez. Tu sais que tu es la seule qui puisse tenir le rythme avec elle. – Omar, elle n’a pas fait ça ! J’essayai de garder mon sérieux, mais je ne pus m’empêcher de sourire. Ma sœur cadette était une source constante de drames dans la maison. – Tu vois ? Tu sais que j’ai raison. Ton pauvre père a probablement passé la matinée à courir après les poules et à s’excuser auprès des voisins. – Il faut que tu arrêtes ces conspirations inces- santes à propos de Safa, lui dis-je. – Ah ! dit-il en souriant. Je vais devoir devenir avocat. Safa aura besoin d’une équipe d’avocats pour se tirer de tous les ennuis qu’elle crée. – Elle n’a que trois ans ! Je lui donnai un petit coup de coude, mais c’était comme si on m’avait enlevé un poids : il avait raison. Et puis mon père finissait habituel- lement par céder, si nous plaidions suffisamment notre cause. – En parlant d’école, le directeur de l’Académie Ghalib a téléphoné. J’ai été accepté ! – Omar ! m’exclamai-je. Je le savais ! Je te l’avais bien dit ! 22 – Et ils vont payer tous les frais ! Chambre, frais de scolarité, tout ! Cela pourrait tout changer pour moi, Amal. Si j’ai d’assez bonnes notes, je pourrai obtenir l’une de leurs bourses universitaires. Tu arrives à le croire ? Je pourrai peut-être même offrir sa propre maison à ma mère un jour. Je le serrai dans mes bras. Omar fréquentait l’école située en face de la mienne, mais Ghalib était l’une des meilleures écoles des environs, un pensionnat pour garçons situé à quelques villages d’ici. Y étudier était une opportunité incroyable pour le fils d’une servante comme Omar. Il avait raison : cela pouvait vraiment tout changer pour lui. – Je me demande comment est leur biblio- thèque, dis-je. – Tu ne perds pas de temps, dit-il en riant. Peux-tu me laisser le temps de m’installer dans ma nouvelle école avant de me demander de te rapporter des livres ? – Pas question ! Je parie qu’ils ont plus de livres que nos deux classes réunies. Et Hafsa m’a dit que certains pensionnats ont des télévisions dans les chambres et une cafétéria qui sert toute la nour- riture qu’on peut manger. – Je ne sais pas, dit-il. Mais je sais qu’ils ont un club d’échecs et un groupe de débats. Et le dortoir 23 dispose d’un laboratoire informatique qu’on peut utiliser durant nos temps libres. La seule chose, c’est que je vais devoir partager ma chambre avec un autre élève. Peut-être même deux. – Sais-tu qui ce sera ? – Non. Je vais les rencontrer quand j’irai là-bas pour le week-end d’orientation, mais ce sera étrange de vivre avec des gens que je ne connais pas. – Hafsa m’a déjà demandé de partager sa chambre quand nous irons à l’université. – Eh bien, au moins, avec Hafsa, tu connaîtras les dernières nouvelles à propos de tout le monde et tu sauras tout ce qui se passe sur le campus ! – C’est un avantage, c’est sûr, dis-je en riant. Le cliquetis de bracelets vint briser notre iso- lement. C’était Seema. Elle courait vers nous, pieds nus. – Viens vite, lança-t-elle, le souffle court. Le bébé arrive. Chapitre 4
Les cinq minutes qu’il me fallut pour courir
jusqu’à la maison depuis l’autre côté du champ me parurent durer une éternité. Nous zigzaguâmes à travers les plants de canne à sucre, prenant des raccourcis dans ce labyrinthe que nous connais- sions si bien. Nous marchâmes sur des brindilles et des feuilles tombées jusqu’à la clairière menant à la maison. J’ouvris brusquement la porte d’entrée, m’élan- çai à travers le salon et courus jusqu’à la chambre de mes parents. Ma mère était étendue sur le lit. Un mince drap la recouvrait. Raheela Bibi, la sage-femme, lui passait une serviette mouillée sur le front. Ma mère avait les yeux fermés. Elle serrait les dents. 25 – Mais le bébé ne devait arriver que dans quelques semaines ! m’exclamai-je. – Eh bien, il arrive maintenant ! Raheela Bibi fouilla dans son sac. Ma mère expira et ouvrit les yeux. Elle me regarda. Ses joues étaient rouges et son front, pâle. – Amal, dit-elle. Tu ne devrais pas être ici. C’était vrai ; les jeunes filles non mariées, sur- tout de mon âge, n’étaient pas admises durant les accouchements. Mais comment pouvais-je rester à l’extérieur quand, de toute évidence, quelque chose n’allait pas ? – Je suis inquiète, lui dis-je. – Je vais bien, répliqua-t-elle. Les bébés arrivent tout le temps plus tôt que prévu. Elle me sourit, mais ses yeux contredisaient le mouvement de ses lèvres. Elle me tapota le bras et s’apprêtait à parler quand elle eut le souffle coupé et serra les dents de nouveau. – Je suis là, lui dis-je en lui tenant la main. Une main me toucha l’épaule. La mère d’Omar, Parvin, venait d’arriver. Des mèches de cheveux noirs encadraient son visage sous son tchador. – Amal, je vais rester avec elle, dit Parvin. Peux-tu aller t’occuper de Safa et Rabia ? – Mais je veux aider. 26 – T’occuper de tes petites sœurs, c’est aider. C’est un souci de moins pour ta mère. Je voulais rester, mais elle avait raison. Et c’était trop dur de voir ma mère dans cet état. J’entrai dans le salon. Rabia et Safa se tenaient immobiles dans leur robe de coton, à côté du canapé défraîchi. – Est-ce qu’Amma va bien ? demanda Rabia. Sa lèvre inférieure tremblait. Safa se rongeait les ongles et ne disait rien. Rabia avait quatre ans, et Safa, trois, mais avec leurs boucles noires et leurs fossettes, les gens les prenaient souvent pour des jumelles. – Bien sûr qu’elle va bien. Je mis de côté mes propres peurs et je passai la main dans ses cheveux frisés. – Le bébé arrive, ajoutai-je. Vous n’êtes pas excitées de rencontrer votre nouveau petit frère ou votre nouvelle petite sœur ? Elles échangèrent un coup d’œil, puis firent oui de la tête. – Allons dans votre chambre et habillons vos poupées, en attendant. Nous pourrons les montrer au bébé bientôt. Mes petites sœurs me suivirent dans leur chambre, voisine de la cuisine. Leur fenêtre sur- plombait la cour, dont le sol de béton était peint 27 Je remercie également Saadia Memon, Nigar Haroon, Becky Albertalli, Ayesha Mattu, Aamina Amin ainsi que Ali et Aamir Saeed pour leur soutien émotionnel, tout au long du périple de l’écriture de ce livre.
Merci à mes parents, non seulement pour leurs pré-
cieux commentaires, mais aussi pour avoir toujours été fiers de moi. Zayn, Musa et Waleed : vous êtes tous les trois les lumières de ma vie. Et enfin, à Kashif Iqbal, la meilleure chose qui me soit jamais arrivée : aucun livre ne serait possible sans toi. Je t’aime plus que je ne saurais le dire.