You are on page 1of 267

Ouvrages du Groupe µ Groupeµ r

Francis Edeline, Jean-Marie Klinkenberg,


AUX ÉDITIONS DU SEUIL \ Philippe Minguet

Rhétorique générale
collection « Points », 1982

Rhétorique de la poésie
Lecture linéaire, lecture tabulaire ~
collection « Points », 1990
TRAITE DU SIGNE
VISUEL
POUR UNE RHÉTORIQUE DE L'IMAGE

~
Editions du Seuil
27, rue Jacob, Paris VIe
Ce livre est publié par Jean-Luc Giribone
dans la collection « La couleur des idées »
<
qu'il dirige avec ~an-Pierre Dupuy et Olivier Mongin

Vision is the Art of seeing things invisible.


JONATHAN SWIFf.

ISBN 2-02-012985-X

© ÉDITIONS DU SEUIL, JANVIER 1992.

La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation
collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque
procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et
constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. s
Avant-propos

Ce livre s'inscrit dans un projet très vaste : celui d'une rhétorique


générale.
L'auteur tricéphale du présent ouvrage conseillerait volontiers
l'étude de ses travaux précédents à qui voudrait se faire une idée
précise du projet en question. Mais peut-être la lecture des lignes
qui suivent lui en épargnera-t-elle la dépense.
Ce projet part du constat, banal, qu'il existe des emplois du
langage dans lesquels la fonction référentielle cesse d'être primaire,
et où l'attention de l'utilisateur se détourne vers le facteur qu'est le
message lui-même. Ces emplois, on serait tenté de les dire
déviants : cesser d'appeler un chat un chat, mais le nommer greffier,
orgueil de la maison, boule de poil ou ronron est introduire dans le
langage une logique de la polyvalence, de la polyphonie. Emplois
déviants peut-être, mais qui répondent à des lois strictes. Lois que
nous nommons rhétoriques, en hommage à cette discipline ancienne
)
qui, point si sotte qu'on ne l'a souvent dit, avait su prendre ces
phénomènes au sérieux et les appréhender dans leur généralité.
Rhétorique donc. Mais pourquoi générale ? L'hypothèse de
départ est que s'il existe des lois générales de la signification et de la
communication - ce qui est le postulat de la sémiotique -, alors il
est possible qu'on y retrouve des phénomènes de polyphonie
comparables à ceux qu'on a pu observer dans le langage verbal. La
6 sous-hypothèse est ensuite que ce sont des mécanismes assez
généraux qui sont à l'œuvre : généraux donc indépendants du
domaine particulier où ils se manifestent.
La recherche a commencé, il y a une vingtaine d'années d'ici, par
Les auteurs remercient M. Sémir Badir pour l'aide qu'il leur a apportée une reformulation linguistique de cette partie de la rhétorique
lors de la mise au point du manuscrit. ancienne qui constituait I'elocutio. Déjà, lors de cette étape, nous

9
TRAITÉ DU SIGNE VISUEL AVANT-PROPOS

pûmes généraliser les règles dégagées, en les appliquant à des des termes comme « syntaxe », « articulation », « sème », termes
énoncés complexes comme le récit (Groupeµ, 1970a, 1970b), ou à qui, en attente de définition, se condamnaient à n'être que de
des genres reposant sur la définition d'un effet rhétorique particu- commodes métaphores. Mais cet impérialisme aujourd'hui décli-
lier, comme la poésie (Groupeµ, 1977). nant a encore eu un autre effet pervers : il contribua à engendrer
On trouvera ici une nouvelle étape de cette recherche conforme chez ceux qui étaient conscients des risques de la transposition un
au projet initial (Groupe µ, 1967) : l'application des modèles rejet, injustifié celui-là, de la confrontation entre langue et commu-
rhétoriques à la communication visuelle. nication visuelle. En jetant ainsi le bébé avec l'eau du bain, on s'est
Mais cette application posait d'emblée des problèmes énormes. souvent privé de l'apport d'autres savoirs rigoureux, comme l'opti-
Les chercheurs contemporains à qui on doit la réhabilitation de la que, la physiologie de la vision et la psychologie de la perception
rhétorique - qu'il s'agisse de Jakobson (1956), de Levin (1962), de (convoqués notamment dans notre chapitre 11).
Barthes (1964), d'Eco (1967) ou de Todorov (1967) - pouvaient Notre objectif n'étant pas ici de contribuer à l'histoire des sciences
compter sur une tradition scientifique bien établie : celle de la au xx" siècle, on ne discutera pas longuement de l'état actuel de la
linguistique. Si cette église comportait pas mal de chapelles, au recherche. Le premier chapitre - que le lecteur pressé de théoriser
moins y avait-il un ensemble important de concepts sur quoi on pourra survoler - sera cependant consacré à la discussion de
pouvait s'entendre. La situation est ici complètement différente : la quelques approches récentes du fait visuel.
sémiologie visuelle est encore dans les limbes.
De sorte que l'essentiel de l'exposé qui suit n'est pas directement
consacré à la rhétorique visuelle, mais bien à poser les fondements Si l'on veut absolument situer ce travail- dans un courant
de cette sémiologie, sur quoi pourra ensuite prendre appuile propos quelconque, on pourra le qualifier de sémiotique.Dn aura en effet
rhétorique. compris que nous envisageons l'image visuelle comme un système
On peut évidemment discuter à l'envi sur les blocages épistémolo- de signification, en posant l'hypothèse que ce système possède une
giques qui ont freiné le développement d'une théorie de l'image. On organisation interne autonome. L'étude de l'image consistera donc
verrait alors que cette discipline a souffert, congénitalement, de à élaborer un modèle qui rendra compte de ce système, de la
deux malformations. manière la plus explicite et la plus générale possible.
La première est la relation privilégiée qu'elle a d'emblée nouée Mais cette ambition est aussi au programme d'autres disci-
avec la critique d'art. Encore aujourd'hui, nombre de travaux se plines, comme l'esthétique. Il nous importera donc moins de savoir
f
réclamant d'une sémiotique visuelle - et même parfois les plus quelle couleur porte le pavillon que l'on désirera faire battre au-
méritoires - ne sont pas autre chose que de subtiles analyses dessus de nous que d'être fidèles à la démarche que nous venons
d'œuvres ou des spéculations esthétiques, simplement revêtues de la d'indiquer.
livrée d'un langage qui se donne les dehors élégants du discours Le nom de sémiotique est en effet souvent
/
porteur de confusions
.

scientifique. La conséquence majeure de cette prostitution est que et de malentendus (autant qu'en a pu véhiculer celui d'esthétique).
la « théorie » ne parvient pas à envisager autre chose que des On a ainsi pu voir naître des travaux se réclamant de la « sémiotique
énoncés particuliers, pour lesquels on ne cesse d'élaborer des de la peinture » (peinture étant pris dans un sens restrictif, sur
modèles ad hoc. Chaque fois nouveaux, ces concepts ron transféra- lequel nous allons revenir), ou de la « sémiotique du cinéma» :
bles ne peuvent avoir la généralité de ceux qui constituent un savoir. comme si accoler le mot magique à un objet empirique avait pour
La deuxième malformation, c'est l'impérialisme linguistique. effet automatique de constituer cet objet d'expérience en objet de
Pendant son règne naguère peu contesté, s'est opéré un transfert science. Or, il faut le dire : ces disciplines sont aujourd'hui autant
pur et simple de terminologie : la théorie de l'image accepta ainsi d'idoles. Il y a tout au plus un savoir sémiotique susceptible de

10 11

TRAITÉ DU SIGNE VISUEL AVANT-PROPOS

s'appliquer à ces domaines, dont la définition culturelle reste le plus simple au complexe, au risque de prêter flanc à l'accusation de
souvent implicite. cartésianisme naïf.
Notre perspective sera radicalement différente : nous entendons Notre ambition est donc d'élaborer ici des concepts généraux
rester à ce haut degré de généralité qu'implique la notion même de permettant d'envisager l'image visuelle quelle que soit la forme
modèle. sociale qu'elle prenne, et que cette forme soit légitimée ou non
Ce parti pris de généralité aura des effets gênants. Le lecteur (peinture, cinéma, mais aussi timbre-poste, pièce de monnaie,
devra par exemple s'attendre à être bousculé quelque peu dans ses dessin d'enfant) : ce qui nous intéresse aujourd'hui est le modèle qui
habitudes. Et nous nous en excusons par avance. sous-tend ces diverses manifestations, et nous remettons à plus tard
Une analyse théorique un peu poussée de l'image visuelle fait en l'examen de catégories complexes qui semblent surtout préoccuper
effet éclater un certain nombre de catégories reçues ; en échange, nos contemporains.
elle aboutit à des regroupements un peu scandaleux ; enfin, elle Non que nous-répugnions à envisager ces manifestations: nos
nous pousse à nous méfier des terminologies reçues pour traiter les considérations sur une sémiotique visuelle élargie (par exemple à la
phénomènes visuels, et donc, soit à proposer des termes nouveaux, représentation tridimensionnelle, ou à l'architecture) en feront foi.
soit à assigner des sens nouveaux à des termes anciens. Quant aux concepts historiques-second critère-, nous devrons
C'est que l'on a l'habitude de penser l'image d'après des critères aussi apprendre à nous en méfier. Ces concepts aboutissent souvent,
assez variés, parmi lesquels deux nous paraissent dominer. en effet, à hypostasier hâtivement certains objets dont la consistance
Le premier pousse à regrouper les images en fonction de leur est douteuse.
institutionnalisation. On parlera ainsi de la photo, du cinéma, du Partons d'un exemple concret : soit l'objet historique du xx" siè-
théâtre, de la sculpture, et ainsi de suite. Le second est d'ordre cle connu sous le nom de « collage ». On a pu voir naître, à un
historique : il nous pousse à regrouper les images en fonction du moment historique donné, une série d'œuvres ainsi nommées. Il
rôle qu'elles ont pu jouer à un moment donné. On parlera ainsi du apparaît vite que, d'un certain point de vue, il y a au moins deux
futurisme (qui s'est incarné dans la peinture aussi bien que dans le grandes familles de collages, qu'on ne peut confondre d'un point de
vêtement ou la cuisine), de l'impressionnisme, de la Renaissance, et vue sémiotique. Ce sont d'une part les œuvres qui font usage de
ainsi de suite. · matériaux hétérogènes, et qui jouent donc sur la texture (papiers
Bien que ces regroupements aient leur évidente pertinence, ils collés de Picasso, de Schwitters ou de Braque); ce sont d'autre part
constituent de lourdes hypothèques quant à l'avènement d'une les œuvres qui représentent des associations d'éléments jugés hété-
sémiotique visuelle. rogènes quant à leurs fonctions habituelles, que ces associations.aient
Les genres ont évidemment leur spécificité sociologique, et même ou non été obtenues par le moyen de ciseaux et de colle ( tels sont
sémiotique. Le cinéma est un lieu riche de rencontres entre des par exemple les célèbres collages de Max Ernst, ou, plus près de
structures temporelles - que la théorie du récit a permis d'appro- nous, ceux de Carelman ou de Stas). Ici, c'esi donc sur le signifié que
cher-, des structures auditives et des structures linguistiques, et le l'on joue. Une troisième voie, médiane, ésl illustrée par Jifi Kolaf,
produit qui sort de cette rencontre a son originalité. Le théâtre, en La catégorie du collage a évidemment quelque consistance : ce qui
tant qu'il manipule l'espace, le verbe, le corps, pose également la justifie est une communauté d'effet entre ces différentes œuvres,
d'intéressants problèmes. Mais« l'évidence » de ces terrains est tout et une communauté d'attitude vis-à-vis de certaines règles censées
empirique : l'existence massive du cinéma dans notre culture ne doit gouverner la réalité et ses usages sociaux. II n'en reste pas moins
pas nous faire oublier la complexité du phénomène. Aucune science que, d'un autre point de vue, les moyens mis en œuvre - jeu sur la
ne peut évoluer si l'on prétend atteler les bœufs après la charrue. texture dans un cas, sur la représentation dans l'autre - justifient
Nous avons donc résolument opté pour la démarche qui va du des approches radicalement différentes pour ces familles de collage.

12 13
rr

TRAITÉ DU SIGNE VISUEL AVANT-PROPOS

De même que nous entendons transcender les classements par Comme toujours quand il s'agit d'exposer, la solution
genres, nous aurons donc à nous passer des catégories historiques « moyenne » s'imposera. Sans trop d'illusions, nous proposerons un
qui ne seront pour nous que des points de repère commodes. sens précis pour certains termes courants, comme grain, type, ou
En contrepartie, disions-nous, nous serons forcés de procéder à objet. Mais il était inévitable que quelques rares mots ( comme figure
des regroupements surprenants. De même qu'une rhétorique lin- ou forme) reçoivent deux sens, que nous aurons à cœur de
guistique avait permis de voir la parenté étroite entre la métaphore distinguer. Par ailleurs, le redécoupage annoncé a aussi rendu
et la métonymie, le fait de prendre au sérieux l'idée d'une théorie inévitables quelques créations, que nous nous sommes efforcés de
générale de l'image visuelle aboutit à faire voir ce qu'il y a de limiter. Nous ne savons trop quelle sera la réaction du lecteur à qui
commun entre un schéma de montage électrique et une photogra- nous offrons ici le formème, la rhétorique typologique et l'iconoplas-
phie, entre le graffiti de pissotière et l'illustration du style « ligne tique. Mais ne nous a-t-on pas, dans un passé proche, prêté des
claire », entre Piero della Francesca et le gribouillis d'enfant, entre métaboles et des métaplasmes, pourtant en usage depuis l'Anti-
les totems indiens de la côte Ouest et Poussin ou Finlay, le Beniye quité?
japonais et la faïence de Rouen.
Dernière difficulté, et non la moindre : le métalangage. Les
différents discours qui se sont jusqu'à présent réparti la chose Ce livre aurait pu s'intituler Rhétorique de l'image - titre que
visuelle ne brillent pas précisément par leur unanimité. Non nous avons d'ailleurs plus d'une fois annoncé - ou Rhétarique de la
seulement les uns font un usage métaphorique des termes qui ont peinture.
chez les autres un sens technique précis (quel sens prend, chez le Un membre du Groupeµ présentant une brèvecommunication
critique d'art, la substance du sémioticien? l'objet du psychologue intitulée L'isotopie de l'image, au Premier Congrès international de
gestaltiste? le déplacement de l'analyste, etc.?), mais encore, à Sémiotique, dans une section consacrée au signe iconique, se vit
l'intérieur d'une même discipline, le désordre est bien grand. C'est interpellé par un participant de bonne foi qui lui demanda pourquoi
donc encore un chemin parsemé de chausse-trapes qui s'ouvre ledit membre ne s'était pas plutôt fait entendre dans une des
devant ceux qui vont se risquer à parler d'images, de formes, de nombreuses sections de sémiotique littéraire ...
figures ... Image. Le mot aura tellement servi en stylistique littéraire qu'il
Au fond, ils n'ont guère le choix qu'entre deux attitudes, faut à certains un réel effort pour oublier que le mot image (cinq
présentant chacune son inconvénient et son avantage. Ou ils font colonnes dans le Grand Robert, première édition) désigne :
table rase du passé et inventent une terminologie radicalement
nouvelle, ou ils se risquent à utiliser les mots de la tribu, en 1 ° la reproduction inversée qu'une surface polie donne d'un
s'efforçant de les rendre univoques. Dans le premier cas, un exposé objet qui s'y réfléchit. Ex. : Narcisse amoureux de son
déjà difficile risque bien vite de ressembler à un grimoire illisible, image;
voire à l'œuvre de ces « fous littéraires» - comme les nomme 2° la représentation d'un objet par les arts graphiques ou
André Blavier -, surtout fous parce qu'ils se sont peu souciés de la plastiques. Ex. : médaille frappée à l'image d'un souverain.
communication ( on sait ce qu'il est arrivé, dans le domaine de la Il faut attendre le Quinto pour lire :
psycholinguistique, au couple Damourette et Pichon). Dans le
second, le risque est grand de se permettre l'approximation, le Spécialt. Littér. V. ALLÉGORIE, COMPARAISON, FIGURE, MÉTA-
tremblé de l'art ou la lâcheté de l'équivoque et, de toute manière, PHORE. Ex. « Expression qui fait image ».
fût-on le plus rigoureux au monde, d'être lu à travers des lunettes Pendant longtemps, le groupe qui signe le présent ouvrage s'est
déformantes. occupé, avec d'autres, de ces images-là, qu'il s'est plu à dénommer
14 15
Î'

TRAITÉ DU SIGNE VISUEL AVANT-PROPOS


« métaboles » ou, par concession à l'usage, « figures ». Vingt ans contemporaine) ; ils se souviennent que Boucher, Premier peintre
plus tard, nous livrons au public un essai sur la rhétorique de l'image du roi, peignait des éventails autant que des tableaux de chevalerie,
au sens 2 du Robert. Rhétorique de l'image : ce titre avait déjà servi et que les imagiers du Pont-Neuf, pour ne pas faire partie de
à Roland Barthes pour un des articles les plus fameux de sa période l'Académie, n'en étaient pas moins des peintres. Quand Léonard de
sémiotique. Il s'agissait- qui ne se le rappelle? - du commentaire Vinci dessinait le modèle d'un parachute, il ne pensait pas qu'il se
d'une photo publicitaire pour une marque de pâtes alimentaires. Il livrait à une activité différente de celle qui était la sienne lorsqu'il
n'y avait pas à s'y tromper : il ne s'agissait pas de littérature ; on exécutait le portrait de Mona Lisa. Dans ses Délires, Arthur
était bien dans le sens 2. Ce sens 2 a d'ailleurs bien des emplois Rimbaud nous informe qu'il aimait « les peintures idiotes, dessus de
spéciaux. Notre informateur précise qu'il s'emploie particulière- portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures
ment pour une« petite estampe représentant des sujets religieux ou populaires ».
profanes ». Et, certes, il ne viendrait pas à l'esprit d'un locuteur Aucune de ces manifestations visuelles n'échappant à une rhétori-
avisé de parler des images de Michel-Ange sur le plafond de la que telle que celle-ci, nous éviterons et le terme d'image (sauf à le
Sixtine. On ne le dirait même pas du Déjeuner sur l'herbe. prendre a_p. sens strict d' « image visuelle ») et le terme de peinture
On aurait donc pu être tenté de coiffer le présent livre du titre (sauf à l'utiliser dans un sens historique).
Rhétorique de la peinture, ce dernier mot moins abstrait ne pouvant
guère égarer le lecteur - ou le bibliothécaire-bibliographe - à une
réserve près.
Sub verbo «peinture», le Robert nous indique que le mot
désigne:
1° L'action de peindre et métonymiquement le résultat de
cette action.
2° (Absolt.) Bx-Arts. Représentation, suggestion du monde
visible ou imaginaire sur une surface plane au moyen de
couleurs ... (Rem. : l'art de la peinture est étroitement lié à
celui du dessin.)
Mais, dérivé du latin classique pictura, peinture a aujourd'hui une
dénotation incontestablement esthétique. Or, notre groupe a tou-
jours eu le souci de distinguer le point de vue axiologique du point
de vue d'une science, la sémiotique, pour laquelle des lois générales
couvrent la BD, les spots publicitaires, les timbres-poste, les graffiti,
etc. Par ailleurs, les historiens des arts (art du charpentier comme de
l'architecte) nous rappelleront que le terme pictura, aux temps
modernes, avait une extension bien plus grande que l'usage du
terme au xx" siècle. Ils savent que le domaine de la peinture a été
considérablement plus étendu dans son emploi classique, c'est-à-
dire avant la formation de l'expression funeste beaux-arts (d'ailleurs
tout à fait périmée dans le vocabulaire technique de l'esthétique
16
PREMIÈRE PARTIE

Introduction au fait visuel

o-
CHAPITRE I

Sur quelques théories


du message visuel

1. Chez les philosophes de l'art

J.O. Notre livre n'a pas l'ambition de fournir un panorama de la


production des messages visuels, et moins encore de contribuer à
l'histoire des arts dits plastiques. ·
Néanmoins, il n'est pas inutile de se remémorer quelques.théories
déjà formulées à propos de ces arts. En examinant de manière
critique les concepts déjà établis dans ces théories, et en reformulant
sémiotiquement le produit de cet examen, on pourra peut-être
débroussailler le terrain sur lequel devra s'asseoir une théorie de la
communication visuelle. O::,
C'est par exemple le cas lorsqu'on se penche sur un phénomène
comme l'art abstrait : notre exposé ne portera pas sur ce phéno-
mène en lui-même, mais sur ce que l'on peut déduire théoriquement
de la notion d'abstraction.

1.1. L'abstrait_g le concret

Jean-Joseph Goux (1978) a mené cet examen en philosophe, et


voit dans la peinture abstraite la réalisation de la prescription
iconoclaste du Deutéronome. Elle viendrait comme l'aboutissement
logique de l'image, processus qui part (1) du fétichisme diffus et
magique, (2) reflue vers un symbolisme non diffus fondé sur des
21
IN TROD U CT IO N AU FAIT VISU EL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

signes surinvestis, puis (3) connaît une désémantisation de l'objet, et un'.: art abstrait qui serait pure création d'objets nouveaux
accompagnée d'une intériorisation du sens (l'œuvre devient alors (indépendants donc d'une réserve antérieure de signes). Goux
égocentrée). Au dernier moment connu de cette évolution ( 4), on se semble~ner comJil&...sila..p..cinture figJ1ra~n-de.v.(+i:F-de
détacherait complètement de l'objet réputé « sensible » pour pro- fidélité possible. Dans ce cas, l'idéal de la peinture serait le trompe-
duire des « signes dépourvus de toute valeur et de toute signification l'œil, ou la photographie à haute définition, et on sait bien que tel
intrinsèque », signes dont la combinatoire n'est autre chose que l'art n'a jamais été le cas; il y a bien longtemps que l'on a souligné que le
abstrait. véritable projet du peintre, ou du dessinateur, ou du cinéaste, etc.,
Toujours selon Goux, l'évolution iconoclaste a été marquée par n'était pas cette adéquation au réel. S'il y a commerce avec le réel, il
des ruptures radicales plutôt que par un processus continu et y a en même temps transformation de celui-ci. (On a même
progressif. Ces ruptures ont entraîné des changements dans l'atti- reformulé cette idée depuis Maurice Denis en tenant compte qu'il y
tude du sujet qui contemple les œuvres : on passa successivement du a sous tout tableau figuratif un tableau abstrait dont le premier n'est
sujet frontal au sujet focal, puis au sujet opératif que le prétexte.)
La première rupture ( du frontal au focal) est marquée par Pour notre part, n~~~-orce-que-te-message
l'apparition de la perspective 1, et la seconde (du focal à l'opératif) icoE!que ne peut être une co~.J::lyJ.é..eJ.,_.mais.-est..déj.à_et toaj.ours
par celle de l'art abstrait. Nous soulignerons à ce propos une une sélection par rapport a_y,~~r_çu. Que cette démarche générali-
dernière remarque de J.-J. Goux: les formes «libres» de l'art sante tend àdes types dont l'extension peut devenir de plus en plus
abstrait permettent un jeu indéfini de combinaisons qui lui confè- grande, à mesure que leur compréhension est plus faible. Avec la
rent une productivité inédite, d'où la notion de sujet opératif; et prise en considération des messages iconiques, nous sommes donc
ceci est notamment mis en rapport avec le développement de la déjà engagés dans une démarche qui donne une place importante au
pensée mathématique et structuraliste moderne, où il est devenu plastique.
possible de raisonner sur des entités abstraites que l'on pourra, par Cette continuité pratique entre le plastique et l'iconique seè'._é-ç_ifie
la suite, rattacher à des réalités concrètes si le cas se présente : sur parfois sur le plan de l'anecdote : l'analyse des messages plasti-
les deux registres, il y a donc une sorte de production à vide. ques de Kandinsky par J.-M. Floch (1981b), de Mondrian par
A ce stade il y a lieu de remarquer que Goux lui-même n'échappe J.-Cl. Lambert (1980) ou de Van der Leck par nous-mêmes (voir
pas à une conception négative de l'art abstrait - il parle de « dé- chapitre x, § 2.5.) - trois artistes qui ont contribué à la naissance de
sémantisation du perçu » -, conception négative exprimée en l'art abstrait - démontre que le message abstrait final dérive dans
termes divers par de nombreux théoriciens: Umberto Eco, que tous les cas d'une œuvre figurative par un processus de stylisation
nous retrouverons plus loin, parle ainsi de« messages sans code », très évident. Kandinsky est parti des montagnes, de l'arc-en-ciel, et
Lévi-Strauss de « renonciation au premier niveau d'articulation », des chevaliers armés de lances, Mondrian est parti d'arbres, de
Meyer Shapiro de « signes non mimétiques », Louis Marin façades et de paysages méthodiquement cultivés, Van der Leck a
d' « expression du sens sans référence». Ces deux dernières for- repris d'anciennes peintures naturalistes de natures mortes et de
mules étant sans doute plus correctes, mais renvoyant aussi à une sorties- d'usine, déjà marquées par son ancienne profession de
négativité. vitrailleur ...
On critiquera cette façon de voir. Elle est très idéologique en ceci On voit donc que nous ne saurions définir l'art abstrait de façon
qu'elle pose l'iconisme - le figuratif - en norme, et le plastique - négative ou privative. L'icône, que l'on peut isoler en tant que
l'abstrait - en surplus 2• construct théorique, n'a au reste jamais cessé d'être assassinée dans
Pour nous, il n'y a pas lieu de parler de rupture entre une les messages performés : aucun portrait ne peut être cassé par un
production de signes figuratifs, qui serait un « cimetière d'objets », boxeur, aucun paysage n'est exploitable par un artilleur.

22 23
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

J.-J. Goux fonde sa description historique sur un prétendu L'observation majeure de Merleau-Ponty est, selon lui, que
mouvement vers l'idéalisme, avec« dématérialisation » parallèle. Il l'expérience perceptuelle constitue phénoménologiquemènt « une
cite ( et approuve) de nombreux passages de Hegel, et estime que la intégration instantanée au monde et du monde ». Cette expérience
peinture tend à devenir comme la musique : un « signe dépourvu de est toujours première, en ce sens qu'elle précède (et a priorité sur)
toute valeur et de toute signification intrinsèque » ; formule énigma- sa propre explicitation. Or, dans le linguistique, cette expérience
tique, déjà citée, et qui n'est ni démontrée ni expliquée. Finale- visuelle ou sonore est aussitôt anéantie, ou plus exactement
ment, selon Goux, la naissance de la peinture abstraite ne célèbre dépassée, au profit du signifié : le signifiant« se fait oublier », « est
pas la« primauté du signifiant pictural », mais bien son passage au transparent », ou « transitif ».
second plan, sa « secondarité » : on se crée un alphabet de formes et Quant à J.-F. Lyotard, c'est un des premiers selon Paris à avoir
de couleurs qui seraient comparables aux unités linguistiques de la insisté sur la redécouverte du « signifiant visuel » ( qu'il nomme,
première articulation. Ces unités seraient donc distinctives ( ou d'une manière malheureuse, figura[). La « primauté ontologique »
« diacritiques » dans la terminologie de Goux) et non significatives, de celui-ci est toutefois affirmée avec autant d'absolutisme que
car « le réel en est évacué » 3• On crée ainsi des « formes pures », à l'était l'affirmation structuraliste de sa transparence : le fi~ural
relent platonicien : « Le sensible s'est évanoui. La matière a n'aurait pas de référent, et ne serait à la place de rien. Ceci aurait
disparu. » pour effet de le priver de tout statut sémiotique, et, par voie de
Selon nous, plutôt que de dématérialisation 4, il vaudrait mieux conséquence, d'invalider sa définition comme « signifiant ».
parler d'un relèvement continu du niveau d'abstraction, qui fait Mais un second argument de Lrotard est plus intéressant et moins
disparaître peu à peu le renvoi à un référent singulier; On peut provocant. Selon lui le ~r..QQ_~<!_e l'hommeactuel estde ne pas
d'ailleurs montrer que ce niveau d'abstraction n'a jamais été nul. accepter la p.ifflr:ence ( et par là, il faut entendre la différence pure,
rad~~~l!e.JI!!i .!.le pe~ dgnner lieu à aucune reconnaissance). En
tant qu'elle est hors système, la différence « va de pair avec
l'angoisse 6 ». '
1.2. La différence et l'opposition Introduire comme nous le faisons la notion d'opposition doit nous
rendre attentifs à la suite du raisonnement lyotardif. Car cette suite
consiste à distinguer différence et opposition : la tactique humaine
On a vu que les moments successifs de l'histoire de la peinture pour refouler la différence =nais système au départ - est de
s'articulent, selon Goux, en fonction du regard du spectateur. Or, il l'intégrer au système en en faisant un pôle d'une opposition. Ce qui
est curieux de constater qu'un autre essayiste contemporain, Jean transforme évidemment son statut, car elle est alors« récupérée » et
Paris (1978), fait lui aussi du regard le concept clé de la peinture, devient intelligible.
qu'elle soit figurative ou abstraite. Nous ne pouvons cependant accepter telle quelle cette vue
En un premier temps, Paris critique sévèrement, tout comme séduisante. Lyotard semble en effet juger de manière négative (au
nous, la démarche épistémologique qu'a été l'application par simple nom de critères moraux?) la manœuvre de finalisation des diffé-
décalque du structuralisme linguistique au domaine visuel. Ce type rences. Ce jugement montre que le philosophe privilégie personnel-
de réductionnisme entraîne le risque, dit-il justement, « de ne voir lement une lecture dionysiaque des messages visuels. Mais on ne
que ce g!l.:onlit .!>_, et de perdre ainsi ce qui est spécifique au-visuel 5• peut soutenir qu'il existe un extérieur au système où tout serait
PoGi'éviter ces écueils, Paris's'àppuie sur Merleau-Ponty (1945) et différence absolue et risque intégral, auquel s'opposerait un inté-
sur Lyotard (1962), dans la perspective de la « redécouverte du rieur où tout serait clair et rassurant. Cette pure extériorité,
corps », du signifiant et du plaisir. philosophiquement concevable, n'est pas une donnée existentielle :

24 25
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

car en fait, le système lui-même n'est pas donné, mais a été construit Or, qu'offre cette théorie à Paris? D'abord des illusions percep-
progressivement, en repérant et en structurant des différences. Il tives (bien qu'on ait fait justice depuis longtemps des théories
n'est même en fait rien d'autre qu'un système intégré de diffé- simplistes de l'art comme illusion). Ensuite des conditions de la
7
rences • Or, même à l'état discipliné d'oppositions sémiotiques, les vision par lesquelles la perception d'une ellipse peut être suscitée
différences continuent bel et bien à être ressenties comme une par une infinité de stimuli, descriptibles par ailleurs comme cercles
hétérogénéité anxiogène. Et il existe toute une rhétorique euphori- ou ellipses, éventail de possibilités parmi lesquelles il faut faire un
sante pour les suspendre (le cas est particulièrement clair pour la choix ; choix qui est au fond un pari. Enfin, les cas limites que sont le
poésie; cf. Groupe µ, 1976). cube de Necker, le gobelet de Rubin, etc. Dans ces cas indécidables,
Mais revenons à Jean Paris. Dans la suite de son argumentation, il le pari est impossible, et le système perceptif oscille sans cesse entre
critique Lyotard d'avoir imaginé la possibilité de déconditionner deux possibilités. D'où l'on conclut avec Gombrich qu'il est
l'œil, que l'on amènerait à percevoir la différence pure comme telle. « impossible de saisir l'ambiguïté comme telle », affirmation que
En fait, souligne très justement Paris, ce déconditionnement est l'on transformera aussitôt en ce concetto très parisien : « L'équivo-
impossible, car pour une bonne part les mécanismes de mise en que est refoulée. »
ordre se trouvent déjà montés dans l'œil, et même bien présents Avant de poursuivre, il faut immédiatement critiquer ces dévelop-
chez le chat et la grenouille. Au chapitre suivant, nous aurons pements. En effet, qui refoule? Quelle est cette instance maligne ou
l'occasion de décrire longuement ces mécanismes, à la lumière des paresseuse qui nous empêche de voir dans sa splendeur l'ambiguïté
travaux neurophysiologiques récents. fondamentale? Le pari perceptif est très largement réflexe, automa-
tique, car ce montage confère à son possesseur une indéniable
valeur de survie. Dans les cas indécidables, le système perceptif
nous donne à voir successivement les deux alternants. Nous serons
1.3. L'ambiguïté de la perception amenés à étudier ce phénomène, auquel Attneave (1971) a donné le
nom de multistabilité. Mais il faut ici distinguer entre les spectacles
naturels et les spectacles artificiels : si la nature est (suppose-t-on)
Ces problèmes de la référence, de la différence et de la spécificité une, les créations de l'homme n'ont pas à l'être. Et au vrai, bien loin
de la lecture réductrice se posent forcément à tout analyste sérieux de refouler l'équivoque, tout amateur d'images sait bien en détecter
de l'image. Voyons donc les solutions que leur apporte Paris. la polyvalence, en laquelle il trouve son plaisir. En s'abritant
Plut§.t.q.ue..de ...considé~ lusivement la fonction sémiqtique du derrière des autorités scientifiques, Jean Paris voudrait donner le
signe (qui est d'associer un signifiant et un signifié), le théoricj~n va change, mais il erre : ce qui est impossible, c'est de saisir simultané-
s'interroger sur la nature du rapport que ce signe entretientayec le ment les alternants dans notre système perceptif ; mais il reste tout à
monde, rapport étrange et ambigu, Et la notion d'ambiguïté fait possible de les percevoir successivement et de concevoir que ces
deviendra le concept central de l'analyse; il cherchera à se formuler perceptions successives peuvent être rapportées à un même stimu-
en termes se donnant quelque parenté avec ceux de la grammaire lus. En résumé; l'objet de la vision est une monovalence, et la
générative. Le signifiant serait ainsi une « structure superficielle », polyvalence n'est que la succession de ces monovalences. Ou
et le signifié une « structure profonde ». Au vrai, le rapport encore : nous pouvons concevoir la polyvalence, mais non la voir.
sémiotique entre les deux est «hésitant», et ne rend pas clair le
concept d'iconisme. Aussi cherchera-t-on dans la théorie de la
perception, issue de la Gestaltpsychologie (Gombrich, Arnheim,
Gregory, etc.), les fondements d'une théorie de l'ambiguïté.

26 27
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

pourquoi de ces couplages plastiques, répétition ou renforcement de


figures, sauf à indiquer fugitivement qu'il s'agit d'établir« l'adéqua-
1.4. La construction de la lecture tion du monde à l'homme, de l'espace au regard».

--
L'espaçe d'un .tahleaiî.est structuré_,-e_tJLs.'.agit.dès-1.ors de voir
comment, L'hynot~se de Pélris, ba5~e ~l!r UJJ.e phéuom~nologie des
ra_EQOrts~ntr~J'espace.et le regard, est que c'est justement leregard
des personnages représentés qui- bien qu'invisible- structure ainsi
1.5. L'ordre et le désordre

l' e.space-pictural. . - - . . -- - Sans prétendre avoir résolu pour notre part ces formidables
Avant d'appliquer ce concept à l'analyse d'une fresque célèbre (la problèmes, nous proposerons une méthodologie soucie_u~ de défi-
Présentation de la Vierge au Temple, de Giotto), Paris récuse nir ses hypothèses_au plan le plus général de.l'image visuelle.iet non
d'avance les« schématisations», ou tracés régulateurs, « résumant au seul plan des messages bien particuliers que sont telle ou-telle
un Poussin en quelques triangles, un Turner en spirale, un Delacroix œuvre relevant de l'activité tout aussi particulière qu'est l'art
en arabesques ». Mais sort analyse n'aboutit.à.rien d'autre.qu'à un pictural.
tracé régulateur ,_ à ceci près qu'il l'appelle, lui, «.réseau ». Ce tracé Leséléments de cette approche seront méticuleusement présentés
est constitué dans le cas analysé par le triangle que forment les dans les chapitres successifs de l'ouvrage mais, pour orienter le
regards des trois acteurs principaux, renforcé par diverses parallèles lecteur, nous donnerons dès maintenant une vue synthétique de
et perpendiculaires. notre position sur le problème de_Ja_stru.cturation. des messl!g~s
Ne cherchons pas à dénigrer cette analyse, qui comporte souvent ic,2.!!iqyes. Elle pourra aisément s'articuler sur les débris encore
des observations ingénieuses et témoigne certes d'une grande chauds des théories qui viennent d'être examinées, encore que la
sensibilité. Nous voulons seulement souligner qu'une théorie de liaison entre les concepts ici mobilisés et la réflexion sur l'art n'aient
l'image ne peut se contenter d'un outil forgé ad hoc, extemporané- aucun caractère nécessaire.
ment, à l'occasion de l'analyse d'une œuvre particulière. Dans le cas En produisgnt des icônes.jl apparaît nettement que .nous « mani-
présent, la généralisation de la méthode est rien moins que garantie, pulons ~}.!es. entités formelles qui, faisant-système, ont leur autono-
et aucun de ses présupposés théoriques n'est abordé. mie, mais que nous construisons à partir des stimuli du sensible. Ces
On aurait beau jeu de relever les multiples pétitions de principe, manipulations se font dans deux directions opposées, correspon-
voire la cécité théorique du propos. Jean Paris ne précise pas dant, dans le cas de l'art, à la recherche d'un plaisir spécifique.
comment il a détecté, isolé, et identifié les divers référents du La première vôjé _çons_iste à créer une certaine lisibilité, afin de
tableau ( on note qu'il fait appel dans son analyse à au moins satisfaire le désir de comprendre la nature ou les spectacles
7 personnages et à 16 objets). Il omet de nous dire comment il a arti.fiçl~ls. Ce sou~rusillectjmvepr~sent§ un primat endogène. La
sélectionné les lignes pertinentes, et même comment advient cette seconde voie, au contraire, essaie de recréer dans un spectacle
notion de ligne. En outre, en examinant le tableau d'un œil non artificiel une certaine « fraîcheur » aléj!!Q.ir_e._.c'est-à-dire fractale
prévenu, on y trouve de nombreuses lignes n'entrant dans aucun de (cf. § suivant). Cette..IDie..-tradYit-un-piimat-exogèue.
ses faisceaux de parallèles, en particulier des lignes courbes ou Ce sont là deux pôles, mais il n'est pas prouvé qu'ils s'excluent
brisées. Au nom de quoi les gomme-t-on ? Qui mérite ici le reproche dans un message donné. Dans les deux cas, la sensation possible de
de refouler l'hétérogénéité ? Restent dans le même suspens les plaisir esthétique résulterait d'une « caresse des neurones »
critères de découpage du message. On ne s'interroge pas sur le

28 29
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

L'opposition des tendances que nous isolons est polaire, mais


dans chaque œuvre les suppressions et adjonctions sont seulement
spectacle artificiel (supplément d'ordre, partielles. Il restera donc toujours un peu d'hétérogénéité, même
- tendance à l'ordre augmentation de la lisibilité) chez les peintres comme Piet Mondrian ou Léon Wuidar, et,
réciproquement, il subsistera de l'homogénéité chez les artistes du
1 touffu et de l'illisible. Ceci est capital, pour la critique d'art en tout
spectacle (référence perceptive, cas, car cela a pour effet de dissoudre l'irritant problème des
naturel proportion d'intelligible éléments pertinents et non pertinents d'un message visuel. Il n'y a
et d'inintelligible) plus d'arbitraire à isoler certains traits parce qu'ils entrent dans le
~ schéma de lecture, et à ignorer les autres parce qu'ils n'y entrent
pas. Ciu.Ja peinture,~qni~estune..V-ariationsur-la-perception, modifie
spectacle artificiel (supplément de désordre,
- tendance fractale simplement les proportions du mélange « naturel » dans un sens ou
augmentation de l'illisibilité) dans l'autre, c'est-à-dire qu'elle feint ou simule la toute-puissance.de
la perception, ou au contraire son impuissance totale. En toute
circonstance, le spectacle naturel reste la référence implicite, lui qui
est un mixte de traits lisibles - selon les montages de nos sens, aidés
Une question importante posée par ce modèle, et sur laquelle par ceux de notre culture - et de traits illisibles, résistant à l'analyse
nous reviendrons, est de savoir si les écarts présentés par les et à l'interprétation.
spectacles artificiels, par rapport aux spectacles naturels, sont ou Dans son analyse de Giotto, Jean Paris s'empresse de sélectionner
non de nature rhétorique {cf. chap. VI). S'ils sont rhétoriques, ils des traits dits pertinents, et ne relève pas les autres : il est donc le
représentent alors des cas particuliers de suppression-adjonction par premier coupable de refouler la différence, parce que son modèle
rapport à un degré zéro qui serait constitué par le spectacle n'est pas conçu pour l'accepter. En fait, selon nous, il est impossible
8
naturel ; nous aurions ainsi des opérations rhétoriques qui d'éliminer toute différence. Même le« carré blanc sur fond blanc»
seraient :
en contient. Ordre et hétérogénéité sont comme le fond l'un de
( a) suppression d'hétérogénéité l'autre, fond indispensable sur lequel l'autre se détache et peut être
adjonction d'ordre perçu, respectant le caractère contrastuel de toute perception 10•
(b) adjonction d'hétérogénéité Cette analyse, facile à admettre pour la peinture figurative, reste
suppression d'ordre valable pour la peinture abstraite, comme tente de le suggérer le
tableau suivant :
On peut élaborer davantage les deux tendances. Si l'on passe sur
le plan des effets, on remarque que la tendance endogène crée un
modèle euphorisant de l'univers, procure l'apaisement de la com-
préhension, et offre une médiation entre l'homme et le monde : tendance tendance
c'est une tendance apollinienne. Par ailleurs, la tendance exogène, à l'ordre fractale
qui engendre une fraîcheur fractale, propose le spectacle d'une figuratif Giotto Bresdin
nouveauté absolue et irréductible, une sorte de transcendance
inexhaustible, qui désarme d'emblée nos outils de compréhension et abstrait Mondrian Pollock
nous laisse dans un état dionysiaque 9•
30 31
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

particulier, la théorie des objets fractals de Benoît Mandelbrot


(1975) pourrait se révéler fort utile pour aborder l'irritant problème
de la « beauté de la nature 12 ».
2. Approche de l'esthétique scientifique Mandelbrot a montré que de nombreux « mouvements de la
nature » (tels que les oscillations de l'axe terrestre, les courants
sous-marins, les crues de rivière ... ) tout comme de nombreux
« objets naturels » (tels que littoraux, rivières, arbres, ciel étoilé,
2.0. Comme on le verra (chap. n), l'œil et le système de décodage nuages ... ) présentent une irrégularité tout à fait singulière. Ils ne
qui lui est associé (le système rétinex, composé de la rétine et du sont ni totalement désordonnés comme l'est un bruit blanc tout à
13
cortex) sont loin d'être des organes enregistrant point par point et fait aléatoire ni fortement corrélés comme l'est un bruit brownien ,
passivement la dominance colorée et la luminance de ce que nous mais sont à mi-chemin entre une suite blanche « trop' décousue »
regardons. A vrai dire, si l'image était un simple ensemble de ( autre métaphore révélatrice) et une suite brownienne « trop
points, elle ne nous intéresserait pas davantage qu'un écran de corrélée ».
télévision lorsqu'il n'y a pas de programme. Le fait même que ces On peut estimer que nos moyens de perception s'accordent
points noirs et clairs qui se meuvent de façon désordonnée sur parfaitement à certains spectacles. Peut-on en déduire que cet
l'écran soient appelés« neige » en dit long sur notre faculté et notre accord est nécessairement source de plaisir? C'est un problème que
volonté d'interpréter toute image, fût-ce la plus désespérément vide Mandelbrot n'hésite pas à traiter, en répondant positivement à la
de sens. (De même sur les écrans radar, les groupes de points clairs question, et ce par deux fois.
se déplaçant en l'absence de tout écho identifiable ont été nommés La première réponse consiste à noter que certains spectacles
« anges», jusqu'à ce qu'on ait découvert qu'il s'agissait en réalité de naturels ont d'évidents points communs : un littoral, une crête
vols d'oiseaux migrateurs.) montagneuse,- le ciel étoilé possèdent un caractère fractal, selon le
On peut donc soutenir que la vision est l'ensemble des méca- terme introduit par Mandelbrot. Ce sont des réservoirs spatiaux
nismes qui établissent des liens entre des groupes de points, qui d'irrégularité (et qui conservent cette irrégularité, qu'on les observe
dégagent leurs rapports et leurs caractéristiques. L'image n'acquiert de près ou de loin), ce qui n'est pas exactement synonyme de
une signification que lorsqu'elle est structurée. - · réservoirs d'aléatoire, lesquels sont, on le sait par la cybernétique
(Apostel, 1964), indispensables à l'action. Plus efficaces encore
sont les réservoirs spatio-temporels : nuages, vagues, feuillages,
flammes, où un léger frémissement dans le temps ajoute à l'illisibi-
2.1. L'objet et le sujet lité. Parler de fascination n'explique pas grand-chose : on pourrait
plus utilement avancer que devant de tels spectacles nos détecteurs
de motifs sont au repos parce qu'impuissants. Ce repos, sorte de
Or, à nouveau, on doit croire que ces mécanismes se sont établis, vacance hébétée dont chacun a fait l'expérience, est effectivement
au cours de l'évolution des espèces, en liaison avec l'univers qui les euphorisant parce qu'il décourage l'interprétation rationnelle qui
entoure. En ce sens, ils sont le reflet des structures de l'univers, et n'a de prise que sur Ia « forme ».
lui sont étroitement adaptés; mais en ce sens seulement, car ce n'est Des traces picturales de ce plaisir se découvrent çà et là dans la
'I jamais le « réel » qui donne ses formes au signe 11 • Toute théorie sur peinture : frondaisons de Reynolds, nuages de Turner, mur de
les spectacles naturels nous apportera donc une précieuse informa- Vermeer ... Et on sait combien il est difficile de réussir à peindre un
tion sur ce que pourraient être l'œil et le système Rétinex. En feuillage, une mer, un drapé, des nuages, qui aient l'air« naturel».
32 33
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

Un analogue en littérature pourrait être l'extrême difficulté du A ce stade, un nouveau principe découvert à propos de la
« récit de rêve ». L'excès de régularité, l'intention de signifier, sont perception visuelle (Gogel, 1978) peut être amené utilement dans la
aussitôt perçus comme des écarts chez un Douanier Rousseau discussion : le principe de proximité, entrevu déjà par les psycho-
(symétries, arbres en boule ... ). Mais l'excès de variation n'est pas logues de la forme. Le système visuel a pour fonction de combiner
moins perceptible : on en remet chez Rodolphe Bresdin ou chez des informations, et on a découvert que cette combinaison se fait
certains surréalistes. surtout sur des informations voisines, voire contiguës : les détec-
Au vrai, peindre c'est peindre une forme, c'est-à-dire dans le cas teurs de motifs - que nous décrirons au chapitre n - repèrent, par
présent attribuer une forme à ce qui par définition n'en a pas. Dans exemple, si des points voisins sont alignés, et l'inclinaison de cet
le cas où l'objet est fractal, la forme devient un concept-limite, alignement. A des niveaux d'analyse plus profonds, on combine des
dépendant de l'échelle à laquelle on inspecte le phénomène, et qui informations de plus en plus éloignées les unes des autres. On peut
pourrait plutôt se décrire comme « forme-enveloppe ». dire que tout élément du champ influence la perception de son
Dans une de ses dernières publications, Mandelbrot (1983) va voisin et réciproquement.
plus loin, et plus catégoriquement. Après avoir précisé la propriété Ce phénomène a été spécialement étudié à propos de la percep-
d'autosimilitude, « en termes vulgaires », d' « harmonie entre la tion du mouvement, et dans un espace à trois dimensions. La loi de
partie et le tout », il va jusqu'à affirmer que cette propriété est la proximité n'en est pas moins valable aussi pour des images statiques
base de la beauté de la nature, et est « inséparable de la structure en deux dimensions, et s'énonce comme suit : « L'importance
géométrique du monde ». L'art peut s'inspirer de ces principes. Il l'a qu'accorde le système visuel à un indice relatif est inversement
fait intuitivement par le passé, et peut le faire aujourd'hui en proportionnelle à l'éloignement apparent de l'objet-test et de l'objet
s'aidant de l'ordinateur. Le produit de cette démarche, ou art inducteur 16• » Dans le vocabulaire de ces expérimentateurs, l'objet-
fractal, « est à la fois très étrange et très familier ». test, ou plus simplement le test, est celui sur lequel s'opère l'effet,
L'intelligence de ce texte n'est pas simple. Elle suppose notam- alors que l'inducteur est l'élément qui produit l'effet. Les indices
ment que le caractère d'autosimilitude soit discret et non continu 14, relatifs sont des informations sur les relations perceptives entre
puisqu'il est possible encore de distinguer la partie du tout. objets, et Gogel formule ainsi son appréciation sur l'utilité de la loi
Ce qui frappe d'ailleurs dans cette structure fractale, c'est aussi le de proximité : « En l'absence d'indices relatifs, le monde semblerait
côté génétique de la construction, où l'algorithme s'applique fait de parties indépendantes et nous aurions la plus grande
presque à l'infini, depuis le microscopique jusqu'au télescopique 15• difficulté à réagir de façon sensée dans un monde aussi fragmenté. »
On voit à présent la convergence des approches, pourtant
indépendantes, de Mandelbrot et de Gogel. La fonction de proxi-
mité doit présenter un optimum : si elle décroît trop vite avec la
2.2. Le proche et le lointain distance, elle produira un univers perceptuel « trop fragmenté »; si
au contraire elle s'étend très loin, elle produira un monde où «-tout
se tient », c'est-à-dire « trop peu différencié ». La valeur optimum
Le hasard semble un concept auquel le cerveau humain est de la fonction n'est cependant pas une constante universelle, et peut
passablement réfractaire. On sait qu'il nous est impossible d'énon- varier d'un sujet à l'autre, déterminant ce que l'on appelle des
cer une suite de nombres aléatoires, et plus encore d'articuler une « styles de perception ». Elle peut, dans ces limites, être considérée
suite de mots désordonnés. Il faudrait peut-être réexaminer sous ce comme une norme perceptive. Elle est une hypothèse sur le degré
jour certaines compositions de Jackson Pollock telles que Free Form de cohérence du monde. Devant un spectacle naturel entièrement
(1946). fractal, elle est tenue en échec, alors que, devant un spectacle

34 35
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

artificiel fortement corrélé, elle devient insuffisante par défaut. ses déterminations statistiques les plus globales, a cependant le
En un sens, la loi de proximité a pour les formes et les mérite d'avoir formulé en termes très précis les notions de forme et
mouvements une origine et une fonction qui l'apparentent à ce que de prégnance (Moles, 1971) :
nous appellerons, à propos des couleurs, la loi de l'addition grise 17• - La Gestalt ou forme est un « groupe d'éléments perçus en une
Dans les deux cas il s'agit du résultat de notre adaptation au appréhension globale et simultanée comme n'étant pas le produit
monde : c'est le monde qui s'est projeté en nous. Inversement, il y a d'un assemblage au hasard, mais d'un certain nombre de règles
des mécanismes - telle l'inversion latérale - où c'est l'homme qui intentionnelles ».
projette son schéma corporel sur le monde. L'œil est ainsi à la - La forme « est une prédictibilité partielle ».
jointure de ce double mouvement anthropocosmocentrique. - « Les formes n'existent pas en elles-mêmes, elles ne sont que
Comment les spectacles artificiels viennent-ils s'insérer dans ce perçues. »
schéma? Beaucoup d'auteurs estiment que l'art consiste en un - La prégnance d'une Gestalt est« la force contraignante qu'elle
dosage convenable entre la régularité et l'inattendu, entre la exerce sur l'esprit du récepteur».
redondance et la trivialité, entre le banal et l'original. Abraham Quoi qu'il en soit du mode de reconnaissance 18, les unités une fois
Moles (1958) a quelque peu formalisé cette thèse, quoique toujours reconnues peuvent être assemblées selon des ensembles plus vastes,
à partir de critères statistiques globaux et macroscopiques. et le principe d'une hiérarchie de niveaux indépendants paraît
En fait, il faut dire que Gogel a étudié expérimentalement, et jusqu'ici solide.
formulé théoriquement au niveau de la perception, un principe que Or, si par ailleurs il se confirme que la structure géométrique du
l'esthétique informationnelle avait déjà découvert bien avant lui : la monde est scalante et fractale, elle n'offre aucune prise à la
distinction ordre proche vs ordre lointain. Cette distinction englobe démarcation entre· un ordre proche et un ordre lointain. Nos
et dépasse d'ailleurs sensiblement la loi de proximité, puisqu'elle perceptions sémiotisantes et intellectives s'effectuent donc sur un
affirme que l'image se présente comme un tout hiérarchisé en fond de nature impénétrable, qui serait en quelque sorte le degré
niveaux. Les unités du premier niveau sont liées entre elles selon un zéro absolu, présenté par la « nature » du monde en ses aspects les
« ordre proche », ce qui se traduit par des caractères statistiques plus « sauvages », et qui jouerait donc le rôle de la matière chez
précis mais globaux : restrictions combinatoires et probabilités de Hjelmslev.
transition markoviennes. Un analogue linguistique de ce premier
niveau serait la liaison entre les lettres successives d'un texte : les
liaisons entre lettres à l'intérieur d'un mot sont fortes ( ordre
proche), mais elles s'affaiblissent brusquement d'un mot à son 2.3. L'esthétique et le sémantique
voisin. Cet ordre proche produit ainsi les unités de second niveau,
qui peuvent à leur tour se combiner selon un ordre dit lointain. Le
nombre des niveaux n'est bien entendu pas limité à deux (les Il est un second concept proposé par l'esthétique informationnelle
psychophysiologistes en ont distingué au moins quatre), et ce qui et dont il est intéressant de débattre : c'est la distinction entre
caractérise leur hiérarchie est l'indépendance qu'ils manifestent par informations sémantique et esthétique.
rapport aux autres. L'analyse de l'image, surtout figurative, fournit Pour des chercheurs comme Moles, l'art reçoit une définition
d'innombrables exemples de ces parties emboîtées dans des totalités empirique et mille fois critiquée du genre« l'art est l'imitation de la
de plus en plus englobantes. Le principe hiérarchique nous permet- nature ». Il n'y a donc pas lieu pour eux de distinguer la nature et les
tra d'étudier l'articulation des signes visuels ( chap. 111, § 3). œuvres de l'homme. Nous voudrions ci-après montrer que la
L'esthétique informationnelle, si elle étudie surtout l'image dans distinction apparemment claire entre information sémantique et
36 37
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

information esthétique est en réalité confuse, et n'a qu'un très faible la démarcation entre sémantique et esthétique. En vérité, il semble
pouvoir explicatif. bien que les catégories estpétique et sémantique ne soient nullement
Dans cette théorie, tout message est en réalité composé de deux des dimensions opposables de notre perception.
messages superposés. Le premier, message sémantique, est un Au contraire, Abraham Moles (1960), en formalisant cette thèse à
assemblage de signes codés, intégralement traduisible, alors que le partir de critères statistiques globaux, a sans doute donné lieu au
second, message esthétique, est l'ensemble des variations subies par malentendu selon lequel l'original, ici confondu avec l'art et avec
la Gestalt, laquelle demeure néanmoins identifiable 19• Ces fluctua- l'inattendu, se ramène à un imprévisible que l'on ne peut distinguer
tions seraient perceptibles ( c'est-à-dire supérieures au seuil différen- de l'aléatoire pur et simple. Selon cette thèse radicale, les dés sont
tiel de perception) mais indécomposables : ce seraient la touche du aussi producteurs d'art que Guillaume Dufay. Mais inattendu ne
peintre, le timbre du chanteur, le phrasé de l'instrumentiste 20• Ce signifie pas aléatoire, car l'inattendu lui-même peut être au moins de
« riche » message esthétique serait à la base du plaisir provoqué deux sortes : -
chez le récepteur, lequel perçoit et éprouve l'originalité. Le plaisir - un inattendu« réductible », qu'à l'issue de procédures parfois
esthétique est ainsi provoqué grâce à l'existence chez le récepteur longues d'interprétation on peut justifier au nom d'un programme
d'une « constellation d'attributs » évoqués ou activés par l'œuvre. rationnel (apollinien?);
Il est clair que nous sommes ici en présence d'une explication - un inattendu « irréductible », qui introduit une part de mys-
nominaliste, où l'on croit avoir rendu compte d'un phénomène dès tère, rend l'œuvre fractale et inexhaustible, et suscite des réactions
qu'on lui a donné un nom. Le message esthétique, dit-on aussi, est de fascination (dionysiaques?).
une séquence de variations non normalisables, de jeux faits dans le L'inattendu et le prévisible forment évidemment un couple
champ de liberté existant autour des unités codées du message indissociable, tel que l'un ne puisse se manifester qu'à partir de
sémantique. Le répertoire de ces variations serait personnel, c'est-à- l'autre. L'inattendu réductible est un supplément d'ordre, et l'inat-
dire traduirait la personnalité de celui qui les émet 21• tendu irréductible un supplément de désordre. Ces suppléments ou
Malgré sa séduction, cette théorie nous apparaît fausse dans écarts sont perçus à partir des degrés zéro que sont les normes
toutes ses applications. Un exemple privilégié est proposé par perceptives décrites plus haut. Addition comme suppression d'ordre
Moles : celui de la lettre A, unité graphique codée, véhiculant la sont ici euphorisantes.
même information sémantique sous une grande multiplicité de
variantes typographiques. En fait, dans cet exemple, les deux
aspects appartiennent à des systèmes différents : d'un côté, un
2.4. L'ordre et le désordre
répertoire manifestement discret et codé, de l'autre des variantes
qui, continues, libres, n'en constituent pas moins un système.
L'exemple de la partition musicale exécutée par un « interprète » Les concepts d'ordre et de désordre sont étroitement liés à une
est très semblable. Dans ce dernier cas, comment expliquer que l'on autre notion de la science contemporaine : l'entropie.
peut qualifier (c'est-à-dire sémantiser) le style de l'interprète? (On Une certaine esthétique scientifique post-gestaltiste, conduite par
dira qu'il est puissant, sensuel, romantique, mécanique ... ) Inverse- Rudolf Arnheim (1971), a voulu situer l'activité artistique par
ment, il y a certainement une esthétique du sémantique, esthétique rapport aux principaux concepts de la science contemporaine :
étant pris dans le sens précis de « qui engage notre participation entropie, structure, information, redondance, Second Principe de la
affective ». On ne peut dire qu'une histoire racontée nous laisse thermodynamique ... Il faut convenir qu'au terme d'analyses labo-
esthétiquement froids ... Et si l'on tente une application de cette rieuses, confuses et souvent discutables, nous ne sommes guère plus
distinction aux images, on ne parvient pas plus là qu'ailleurs à tracer avancés.
38 39
./

INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

C'est le concept d'ordre qui se révèle le plus ambigu, puisqu'on L'ordre, disait justement Arnheim, est ce qui rend intelligible.
peut en trouver au moins trois acceptions. Dans les systèmes C'est-à-dire ce qui permet de détecter les similitudes et les diffé-
physiques, l'augmentation d'entropie mène à un état d'équilibre qui rences. Nous adoptons quant à nous une position qui radicalise
est « le meilleur ordre possible ». D'autres estiment au contraire encore ce principe : l'ordre est une propriété de la culture et non de
que l'entropie décrit« une tendance au désordre », par destruction la nature. Dans cette dernière, le même et le différent semblent
de la forme. Quant aux théoriciens de l'information, pour eux, l'état uniformément répartis, et on pourrait même soutenir qu'il n'y a à la
le plus imprévisible est le moins redondant, et par là le plus riche en limite que du différent. Comme on le verra au chapitre 11,
information : paradoxalement il est identique à l'état d'entropie l'imposition de l'ordre a lieu lors de la perception, et résulte des
maximum! spécificités du cerveau, qui ne peut assimiler une telle diversité sans
Il nous semble qu'il est impossible de sortir de ces paradoxes, tout la simplifier. L'ordre est alors plutôt une discrétisation du désordre,
simplement parce que l'entropie et la théorie de l'information l'établissement de seuils qui rachètent en une fois un amas de
mesurent des propriétés statistiques et globales, macroscopiques, différences, en faisant comme si tout était uniforme entre les seuils.
alors que l'ordre est un phénomène avant tout local et non C'est un peu comme un escalier tracé sur la pente irrégulière d'un
statistique. Les solutions proposées par Arnheim sont en tout cas parc : il facilite la marche mais il ne fait pas partie de la nature.
inacceptables parce que hautement spéculatives et exagérément D'ailleurs les psychologues de la forme ont eux-mêmes affirmé
idéalistes. Pour lui, il existe deux mouvements antagonistes, dont que « les formes n'existent pas en elles-mêmes, elles ne sont que
l'interaction mène à ce qu'il appelle une structure. La première perçues » (voir ci-dessus). Nous défendrons le principe apollinien
tendance est le« catabolisme », ou érosion des formes par réduction selon lequel l'ordre-ici synonyme de forme-, étant une propriété
des tensions et augmentation de l'entropie : on évolue vers des de l'esprit humain, est en dernière analyse un modèle. On appelle
ordres de plus en plus simples. La seconde tendance, « anabo- ordre la coïncidence, partielle ou totale, du perçu avec un modèle.
lique », est « the shapebuilding cosmic principle » (sic), principe D'où il découle qu'une image peut être ordonnée pour un spectateur
plus ou moins identifiable avec le divin, et qui produit sans cesse de (qui possède un modèle) et non pour un autre ( qui ne le possède
la structure et de l'ordre (par exemple dans les cristaux, les pas). C'est le lecteur qui fait la lecture.
radiolaires ... ).
Très gênante aussi dans cette analyse est l'absence de distinction
entre spectacle naturel et spectacle artificiel. Devant un spectacle
naturel, notre grille perceptive de décodage est équipée pour 2.5. Le continu et le discret, le spatial et le linéaire
détecter certaines régularités, ou ordres, mais ceci .doit en principe
être entièrement découplé de toute considération esthétique, et lié
seulement à des valeurs de survie. Devant un spectacle artificiel, Une des difficultés à parler adéquatement des faits visuels est
notre grille de décodage est modifiée, et inclut la recherche des évidemment qu'ils se donnent comme de nature continue et
ordres lointains. Ces ordres n'ont de signification que pour nous. Ils inhomogène, alors qu'une démarche sémiotique ou mathématique
ne se laissent pas décrire en termes statistiques ( entropie, quantité ne peut guère s'appliquer qu'à des phénomènes discrets et homo-
d'information ... ), et ils représentent un élargissement de la perméa- gènes, quantifiables en tout cas.
bilité à l'intelligence. Plus modestement, nous conclurons que la Plusieurs techniques peuvent aider à surmonter cet obstacle. D'un
qualité esthétique d'un ordre ou d'une structure ne peut pas encore, côté, on peut affiner les procédures de description de façon à mieux
aujourd'hui, s'évaluer autrement que par des jugements de valeur maîtriser le caractère continu des images - et c'est ce qu'on fait
ad hoc. lorsqu'on met au point la notion de fractale; de l'autre, on peut

40 41
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

réfléchir sur l'objet de la description afin de voir si le continu n'est Si la linéarisation du spatial est possible, l'inverse n'est pas moins
pas susceptible d'être discrétisé. vrai, comme on va le voir ci-après : le linéaire peut être spatialisé.
C'est dans cette direction que s'avance le mathématicien roumain Or, si le temporel et le spatial peuvent être de la sorte projetés l'un
Salomon Marcus (1982, 1986), dont les stimulantes propositions sur sur l'autre, c'est en vertu d'une analogie structurale entre temps et
la modélisation du langage poétique sont bien connues (cf. Marcus, espace, analogie sur laquelle repose d'ailleurs la théorie de la
1970; Klinkenberg, 1973). Le but lointain de la recherche est pour relativité. Analogie, mais non ressemblance totale, précisons-nous :
lui de mettre en relation, sous forme de propriétés mathématiques si l'espace peut être appréhendé comme un temps, c'est évidemment
régulières, l'univers du visuel avec les effets esthétiques qui s'y d'un temps réversible qu'il s'agit, d'un temps conçu comme un
associent. Mais cet univers doit préalablement révéler sa simplicité vecteur ayant une direction mais non un sens.
cachée. En d'autres termes, il faut des moyens pour discrétiser les La seconde justification serait d'ordre physiologique. Marcus
structures visuelles, de manière suffisamment fine pour expliquer critique à bon droit ces théoriciens de l'art qui ont opposé une
lesdites structures, mais assez simples pour les explorer avec rigueur. couleur qui serait une grandeur mesurable - une « couleur pour
Le modèle qui semble le plus adéquat à Marcus pour réaliser cet savant » - à une couleur définie en termes d'impression - une
objectif est la grammaire générative d'obédience chomskyenne. Ce « couleur pour spectateurs ». En fait, ce qui apparaît sous forme
modèle a déjà révélé sa puissance, au point qu'on a pu l'appliquer à qualitative a son répondant quantitatif, et vice versa. Plus précisé-
la génétique moléculaire (Marcus, 1974 et 1986 : 308-320), et qu'il a ment, la qualité colorée, perçue de manière intuitive et holis.te, est
pu par la suite être étendu à la projection architecturale (Marcus, partiellement transférée de la zone des phénomènes non linéaires -
1982). De là l'hypothèse que « les grammaires picturales sont des localisée dans l'hémisphère cérébral droit - dans la zone des
extensions des grammaires chomskyennes dans lesquelles le vocabu- phénomènes séquentiels analysables sous forme quantitative, zone
laire terminal est constitué par des entités géométriques, mais où la localisée dans l'hémisphère gauche. Si nous pouvons sans aucun
concaténation de ces entités est réglée par certaines opérations de doute souscrire à cette idée d'une correspondance entre faits
nature géométrique » (1986 : 316). Ces éléments de vocabulaires - quantitativement mesurables d'un côté, et qualitativement définis-
les formes, les couleurs et« autres entités picturales 22 » -paraissent sables de l'autre, c'est pour des raisons qui tiennent davantage à la
jouir d'une grande liberté d'association, de sorte que les structures méthodologie sémiotique que pour des raisons physiologiques. La
mathématiques qui traduisent les opérations de combinaison sont de sémiotique repose en effet sur cette idée d'un continuum - la
type probabiliste. fameuse mening de Hjelmslev - discrétisé par une forme et donc
Une telle perspective aboutit en fait à présenter sous forme susceptible de mesure. Ces formes sont évidemment des modèles
linéaire ce qui se donne comme spatial à la perception. Non que théoriques abstraits, comme par exemple, la « rotondité » dont
cette linéarité soit cherchée dans le message visuel lui-même ( on sait parle très bien Arnheim dans un paragraphe intitulé, de manière
ce que valent nombre de lectures de tableaux dans lesquels on suggestive, « Les formes sont des concepts 23 ». Que des processus
postule un parcours obligé) : « La perspective générativiste déplace physiologiques interviennent dans cette formalisation n'est pas
l'attention de la structure vers le procès, de l'attesté vers le possible, douteux. Mais ce n'est pas la trop belle et trop commode opposition
de l'actuel vers le potentiel, de la structure de surface vers la entre hémisphères gauche et droit qui nous le montre. Nous verrons
structure profonde, de la performance vers la compétence » (1986 : au chapitre n que c'est déjà au niveau rétinien que le processus
321). s'amorce ...
On peut trouver, en dehors des exigences épistémologiques Il est à noter que ces tentatives surviennent à un moment précis de
nécessaires pour que naisse une science du visuel, diverses justifica- l'histoire de la pensée et de l'expression qui n'est pas indifférent.
tions à cette linéarisation du spatial. C'est au moment où l'on tente de voir la « linéarité cachée » du

42 43
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

spatial qu'on souligne aussi la tabularité du langage. Nous avons


ainsi pu montrer, dans notre Rhétorique de la poésie - sous-titrée
Lecture linéaire, lecture tabulaire -, que la lecture qui crée la poly-
isotopie caractéristique des textes rhétoriques ne fait guère qu'ex- . 3. L'approche sémiotique
ploiter une règle banale de la communication l~uistique : le sens
n'est possible que dans l'établissement de relations, et ces relations
supposent un traitement simultané des données se présentant
linéairement à la perception. Produisant ainsi le spatial, la poésie - 3.0. Comme on l'a fait dans les paragraphes précédents, nous nous
note Marcus- est apte à exprimer des intuitions sur le mode holiste, contenterons ici de pointer quelques problèmes méthodologiques
en dépit du fait qu'elle se sert d'un médium typiquement voué à majeurs qui animent le débat contemporain. C'est dans les chapitres
l'activité intellectuelle 24• qui suivent - et particulièrement aux chapitres II et IV - que nous
D'autre part, une certaine évolution de l'art moderne semble bien proposerons des solutions théoriques d'ensemble, qui tireront parti
favoriser son traitement mathématique, quand il va du continu vers des acquis, en définitive peu nombreux, de ce qu'a été jusqu'à
le discret. Encore qu'il ne s'agisse pas là d'une opposition simple : le présent la sémiotique visuelle.
« continu » et le « discret » ne sont jamais, l'un et l'autre, que des
modèles. Modèles vers lesquels des réalisations singulières peuvent
bien tendre, comme asymptotiquement, mais qui n'ont d'existence
que théorique. Les œuvres réelles ne nous offrent jamais une totale 3.1. Codes et systèmes dans la communication visuelle
discrétisation : par exemple, une toile de Mondrian exhibe l'épais-
seur de sa matière colorée et laisse voir si tel carré a été peint
horizontalement ou verticalement ; les bandes des « peintures La sémiotique est la science des signes et, classiquement, le signe
noires » de Frank Stella ne dissimulent pas leurs irrégularités, et se définit de la façon la plus simple par la formule aliquid stat pro
même un Léon Wuidar doit composer avec le grain de son support. aliquo. En termes plus généraux et plus théoriques, on dira avec un
A l'inverse, le continu pur n'a jamais existé : on peut toujours Manfred Bierwisch 25 que tout code est constitué par une corrélation
déceler dans les messages tendant vers ce modèle des segments de entre deux entités provenant d'un espace différent. On désignera le
droite, par exemple, ou encore des arcs de cercle, figures qui premier ensemble A comme espace d'information (information
peuvent être organisées suivant des rythmes plus ou moins com- space); on désignera le second, l'ensemble B d'entités, comme
plexes. Notre chapitre v tentera de fournir une systématisation de espace de signalisation (signal space). Le code C est la mise en
ces formes, de ces couleurs, de ces textures. correspondance des entités. Mais cette définition était déjà dépas-
Ce n'est en tout cas pas un hasard si l'école de sémiotique sée, dans la théorie la plus élaborée qui soit de ce rapport : celle de
mathématique animée par Marcus, qui s'est assigné pour première Hjelmslev. Pour lui, le rapport sémiotique est simplement une
tâche une description précise et complète des œuvres picturales, fonction entre deux fonctifs, l'un relevant du plan de l'expression,
s'est adressée surtout à Sophie Taeuber, Piet Mondrian ou Theo l'autre du plan du contenu. Le code n'est rien d'autre que
Van Doesburg (cf. Petrache, Caloenescu, Andonie et Marian, l'ensemble de ces fonctions.
Marina, 1982). Ces descriptions ont déjà atteint un degré de finesse Si, dans cette définition, le signe cesse d'être naïvement défini
remarquable, et aboutissent à des sortes de matrices, tableaux de comme une chose mise à la place d'une autre, il n'en reste pas moins
relations et d'opérations où interviennent formes et couleurs. qu'elle sauvegarde l'idée d'un rapport entre deux choses différentes,
distinguées qu'elles sont par le plan qui les définit. C'est cette

44 45
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

conception qu'on retrouve chez Bierwisch : pour lui, le code met en entités sémiotiques, obéissant à d'autres règles et présupposés,
relation des entités a appartenant à A avec des entités b de B : c'est modèles dont Eco (1975) a fourni une excellente nomenclature.
la fonction F (a). Sans préciser davantage ici, disons que dans la communication
A titre d'exemple, A pourra être un ensemble de concepts et Bun visuelle la misè'êµ correspondance est le plus souvent tout, sauf
ensemble de mots. A et B sont en principe indépendants l'un de biunivoque et purement conventionnelle.
l'autre - c'est le principe de l'arbitraire du signe-, mais l'espace C'est sans doute pour cela que les analyses (encore rares malgré le
d'information A peut « infecter» l'espace de signalisation. Com- nombre de travaux qui, avec plus ou moins d'effronterie ou
ment décrire ce processus sans recourir à une terminologie méta- d'astuce, se revendiquent d'une« sémiotique de l'image») évitent
phorique comme celle-ci? C'est ce que nous verrons au chapitre IV. le phis souvent de poser explicitement la question des systèmes et
En résumé, pour qu'on puisse parler de sémiotique, il faut deux des codes. Ou bien elles se bornent à traiter des parties de systèmes
plans- celui de l'expression et celui du contenu, segmentés suivant aisément reconnaissables et isolables, ou bien elles éludent carré-
des règles qui varient avec chaque sémiotique particulière-, et que ment le problème en s'enfermant dans des messages isolés, sans se
26
ces plans soient en correspondance. Dans une sémiotique visuelle, poser la question de l'origine du sens de leurs composants • Les
l'expression sera un ensemble de stimuli visuels, et le contenu sera premières traitent de sous-systèmes relevant du plan de l'expression
tout simplement l'univers sémantique. (notamment les lignes et les couleurs), les secondes - envisageant
Le mécanisme qui vient d'être décrit laisse cependant dans aussi fréquemment le plan de l'expression-sont le plus souvent des
l'ombre la constitution des unités en question. Car celles-ci n'exis- exercices d'analyse d'œuvres d'art, s'offrant à nous sous la livrée du
tent pas naturellement, ni de toute éternité. Tant.dans l'espace A langage scientifique.
. que dans l'espace B, elles se structurent en systèmes ( cf. Eco, 1988 :
/ 86-93). Plutôt que par mise en équivalence d'unités de A et de B, le
/ code procède par équivalences de relations dans A et dans B. Pour
/ reprendre un exemple rebattu - celui du code de la route -, la
/ relation sémiotique n'est pas simplement celle du/rouge/et de 3.2. Deux approches du plan de l'expression:
« l'interdiction », mais celle des couples /rouge/ vs! vert/ et « inter- macrosémiotique, microsémiotique
dit » vs « permis >), faisant système chacun sur leur plan. Ces
1, systèmes permettent au code d'exister et, en retour, se constituent
\ grâce au code (la mise en relation des couples ci-dessus élimine On peut distinguer deux familles dans les approches du fait
\ comme non pertinents le grenat, le carmin, le garance sur le plan de visuel : l'approche macrosémiotique, et la microsémiotique.
\ l'expression, la supplication, la colère, la tristesse sur le plan du L'approche macros,émiotique étud~'.image comme un énoncé
\ contenu). Ce sont donc les codes qui, en imposant leur forme à la particulier, en travail-IâiîFdône-par grandes zones (d'où son-nom).
\ substance (par exemple, la substance des perceptions visuelles), Pour rendre compte de l'énoncé, on élabore des concepts ad hoc.
créent le système. Ces travaux peuvent déboucher sur des répertoires d'unités se
Le modèle de code le plus aisément descriptible est celui où il y a structurant en systèmes, mais ce n'est pas là son objectif prioritaire.
mise en correspondance, délibérée et biunivoque, des unités de De toute manière, le problème du transfert à d'autres messages des
l'expression et de celles du contenu. Modèle que sa simplicité rend systèmes ainsi découverts reste entier. Par définition, un concept ad
idéal, au point que certains sémioticiens effarouchés n'ont voulu hoc n'est pas transférable. Une telle approche reste empirique,
voir, en dehors de lui, que les ténèbres de l'inconnaissable. parce qu'elle travaille sur des énoncés ou tokens. En outre, elle ne
Il est cependant beaucoup d'autres modèles de relations entre discute pas sa méthode de lecture, qui repose sur l'idée que la

46 47
'-/'î
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

perception est un processus simple, et sur des consensus sociaux pris modèle linguistique. On sait que la transposition d'une terminologie
comme postulats. adaptée à un certain objet à d'autres objets aboutit souvent à une
Certaines de ces analyses sont célèbres. De l'analyse d'une poésie incantatoire : s'est-on jamais vraiment soucié de définir les
publicité pour des pâtes italo-françaises à celle d'une affiche vantant « articulations », la « syntaxe », les « sèmes » que l'on se plaisait à
les mérites d'un café belge, noir et chaud, d'une toile de Vélasquez à rencontrer dans les messages visuels? Nous reviendrons plus loin au
un tableau de Poussin. On ne peut sans doute faire l'économie de problème du modèle linguistique. Pour l'instant, l'essentiel est de "'
cette approche macrosémiotique. A condition qu'elle débouche sur constater que, en dépit des difficultés qu'elle suscite, l'approche
des hypothèses générales, et qu'elle soit suivie de la validation de microsémiotique est inévitable, et même qu'elle doit être préférée à
ces hypothèses de façon à ce qu'elle mène à la constitution de l'approche macrosémiotique. Elle seule peut donner son statut
modèles. C'est la voie que nous paraissent ouvrir avec bonheur les scientifique à la sémiologie visuelle : c'est donc elle que nous
travaux de J.-M. Floch. choisirons dans ce traité, ainsi que nous l'avons suggéré dans
L'approche microsémiotique part, quant à elle, d'éléments de l'introduction. Elle doit, pour être valide, se soucier de rendre sa
l'image qu'elle considère comme atomiques, d'où son nom. Ces démarche opératoire en définissant explicitement ses objets, et
éléments primitifs peuvent être, comme chez R. Odin (1976), interroger la perception et le consensus dont il était question plus
définis comme une « tache ». Les concepts élaborés pour rendre haut. C'est cette voie qu'ouvre, par exemple, la réflexion d'Odin.
compte du phénomène ne sont pas ici ad hoc mais a priori. Ces On pourrait nommer synthétique la première démarche, et
éléments sont des entités théoriques - des constructs - plutôt que analytique la seconde. En effet, les catégories de la première sont
des objets de perception ou percepts. L'approche est théorique, définies empiriquement et émergent a posteriori, sous forme de
puisqu'elle porte sur des faits de code généraux, des types (ou qualités translocales (par exemple, telle plage sombre s'oppose à
encore des « faits de langue », plutôt que des « faits de parole »), telle plage claire). Quant aux catégories de la seconde, elles sont
qu'elle constitue en système relationnel. L'approche microsémio- données a priori, sous forme de qualités locales et uniques.
tique peut - mais ce n'est pas son objectif prioritaire - montrer L'une part d'un énoncé et cherche une méthode pour le décompo-
comment ces unités peuvent s'organiser en message, par des ser, l'autre part d'éléments hypothétiques et cherche à recomposer
assemblages et des combinaisons. Mais se pose alors le problème un énoncé à partir d'eux. Elles vont donc à la rencontre l'une de
des lois régissant ces combinaisons : les analyses microsémiotiques l'autre. La première a semble-t-il un point de départ plus évident,
se perdent rapidement dans leur complexité, sans jamais parvenir à mais il lui est difficile de définir clairement ses limites de zones, et
rendre compte de l'image réelle. Si l'approche de ce type entend c'est pourquoi elle travaille de préférence sur des images privilé-
bien élaborer son concept de base - la tache-, celle-ci reste difficile giées : publicité, et parfois œuvres d'art.
à définir et, faute de recourir aux enseignements de certaines
disciplines scientifiques volontiers boudées des sémioticiens ( comme
l'optique ou la psychologie de la forme), on n'échappe guère à un
certain arbitraire lorsqu'on veut par exemple préciser l'étendue de 3.3. Le plan du contenu: une homologation problématique
cette tache.
L'approche microsémiotique se condamne ainsi fréquemment à
rester au niveau de grandes généralités épistémologiques. Celui où Si l'étude de la forme de l'expression a pu être abordée, l'accès au
est resté l'essentiel des travaux de René Lindekens. Les efforts pour contenu reste quant à lui semé de chausse-trapes. Il n'y a pas de
redescendre de ce paradis où l'on ne court guère de risques se sont code au sens strict du terme. Les éléments iconiques paraissent bien
souvent soldés par des échecs. L'écueil était ici l'impérialisme du conduire au contenu, mais d'abord il n'est pas certain que ce soit là
48 49
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

le contenu de l'image, et cela ne fournit pas de réponse au problème ce glissement soit dépourvu d'existence : Tristan avait de bonnes j
de l'image non figurative ... En effet, il peut paraître évident que raisons pour choisir une voile /noire/ : la société n'avait-elle pas
le contenu du dessin d'un arbre soit le concept d'arbre, mais déjà chargé - arbitrairement - cette couleur d'une valeur de deuil?
cette évidence apparemment si simple doit être requestionnée : Mais prenons un exemple chez Floch lui-même : son analyse d'une
le contenu peut être tout autre chose. Pour traiter ce problème, annonce publicitaire pour des cigarettes repère le couplage suivant :
J.-M. Floch (1981a) essaie de mettre au point une méthode \
plan de l'expression : / continuité/ vs / discontinuité/
d'homologation d'oppositions, parallèle à l'épreuve de commutation plan du contenu : « identité » vs « altérité »
en linguistique. Une opposition de l'expression sera jugée perti-
nente si elle peut être homologuée à une opposition de contenu Les qualifications de l'expression sont des critères perceptifs
( dans les cas où ce dernier est accessible, comme à nouveàu dans la macroscopiques tels que /rapports vifs/, /réseau de lignes tan-
publicité). Dans le cas où le contenu ne peut être atteint de façon gentes/ ... , et n'ont rien à voir avec des« taches élémentaires » façon
indiscutable par d'autres moyens que l'image elle-même, toute Odin. Quant aux qualifications du contenu, elles émanent certes des
affirmation le concernant ne peut évidemment être que conjectu- icônes, mais proviennent aussi beaucoup des éléments linguistiques
rale. de l'image, ce qui fait perdre à l'analyse et à son résultat beaucoup
Structuraliste, la méthode consiste à organiser le champ en y de son pouvoir de persuasion : le corpus analysé est « impur », les
relevant des oppositions sur le plan de l'expression. Ceci semble images sont légendées 27 •••
toujours relativement facile car ces oppositions sont nécessairement Dans le couplage étudié, Floch détecte donc une identité des
perceptibles. Mais cela veut-il dire qu'elles reposent sur la seule qualifications sur chacun des plans, et il semble aller de soi-que le
perception? En tant qu'oppositions, elles proviennent d'une systé- premier renforce le second, est à son service. Il est probable que la
matisation qui a peut-être sa source ailleurs que dans la perception. norme du genre publicitaire soit en effet une parfaite congruence de
Et la description des oppositions sur un seul plan suffit-elle à l'expression et du contenu. Cependant, il s'agit d'une image
constituer une sémiotique? Ou bien faut-il absolument un contenu? entièrement construite, et d'autres rapports sont possibles :
Avant de répondre à ces questions, voyons plus en détail la d'incompatibilité, d'indépendance, de permutation, etc. Si ces
méthode d'homologation de Floch qui, précisons-le, traite les rapports déviés sont rhétoriques, comment les réduit-on? Et
formes de l'expression et du contenu. Selon lui la pertinence d'une comment fonctionnent-ils au niveau des sens? Une analyse ainsi
opposition expressive est, rappelons-le, avérée quand elle est menée du plan de l'expression ne laisse-t-elle aucun résidu? En
homologable à une opposition du contenu. Il ne précise cependant d'autres termes, le tout du signifiant est-il dans sa relation au
pas comment se fait cette homologation, alors qu'elle soulève un signifié, dont il ne serait que le faire-valoir? C'est à ce paradoxe, qui
problème non négligeable. En effet, si on relève une opposition /El/ n'est rien d'autre que l'affirmation de la redondance du plastique
vs /E2/ au plan de l'expression, et qu'on l'homologue à une par rapport à l'iconique, qu'aboutit la méthode de Floch, comme le
opposition« Cl »vs« C2 » au plan du contenu, comment savoir si montre Sonesson (1989).
on doit envisager Nous ne pouvons pas souscrire à cette conclusion, car il existe un
signe plastique, et donc un signifié plastique, ainsi qu'une interac-
/El/ /E2/ /El/ /E2/ ?
« Cl »
vs « C2 » p l utoAt que « C2 » vs « Cl » • tion complexe entre le plastique et l'iconique. C'est ce que les
chapitres v et vm essaieront de démontrer.

Chez Floch, l'homologation se fait fréquemment au nom d'asso-


ciations provenant d'une autre sémiotique que la visuelle. Non que
50 51
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

La « sémiotique visuelle » dans laquelle nous avons identifié une


critique d'art déguisée est, on doit s'y attendre, fertile en propos où
3.4. Sémiotique visuelle et sémiotique de la langue éclate cet impérialisme du verbal. Il domine toute l'œuvre de Dora
Vallier. Celle-ci, qui semble tout ignorer de la physique des couleurs
(confondant par exemple saturation et luminance), assimile le
3.4.1. Le linguistique et le visuel triangle chromatique au triangle vocalique (1975). Mais au nom de
quoi? Pourquoi pas au triangle d'Ogden-Richards, ou à celui des
Plus encore que celui d'une transposition de concepts d'une Bermudes ? On retrouve ce défaut dans les travaux de Louis Marin,
discipline dans une autre, le problème de la relation entre le lesquels abondent pourtant en analyses attentives et documentées.
linguistique et le visuel est celui de l'imbrication de leurs objets. On Dans Détruire la peinture (1977 : 28), la question est abordée de
peut, en effet, estimer que les informations qui parviennent au front : « Le langage est-il l'interprétant général de tous les signi-
récepteur par le canal visuel sont, à un certain moment, transcrites fiants? ». Mais la prudente interrogation fait immédiatement place
dans le code du langage. à l'affirmation de la fusion (« Je cesse de tenir un discours sur le
On a souvent insisté - et Barthes en particulier - sur la primauté tableau pour seulement prêter ma voix, ma plume au tableau. »).
du linguistique. Un certain nominalisme naïf voudrait que nous Fusion qui se fait au seul profit du langage, comme le prouve, dans
percevions certains objets simplement parce que le mot qui les l'analyse des Bergers d'Arcadie, le recours à la grammaire de Port-
désigne existe. Sans nier l'existence d'interférences de ce genre, et Royal. Le premier Congrès international de Word and Image
sans vouloir entrer dans un débat dont la nature serait philosophi- (Amsterdam, 1987) a permis au critique de sombrer plus profondé-
que, il faut toutefois noter que le mouvement inverse est tout aussi ment encore dans sa conviction : tout le visuel réside dans ce qu'on
soutenable : le mot apparaît parce que l'entité s'impose perceptuel- en peut dire, et ses éléments entretiennent dans le tableau les
Iement, D'ailleurs la verbalisation ne va pas toujours de soi, puisque mêmes relations que les mots qui les désignent entretiennent dans la
d'une part, des informations spatiales doivent recevoir un ordre phrase où ils s'organisent. Confusion que dénonçait avec énergie
linéaire pour être verbalisées, et que, d'autre part, des percepts l'école greimasienne 28•
banals et vite acquis par l'enfant - comme la sphéricité - ne sont Le rapport entre le verbal et le visuel est, chez A. Moles (1972),
jamais dénommés que dans des métalangages bien élaborés. posé de manière à la fois plus prudente et plus audacieuse. Plus
L'idée que le langage est le code par excellence, et que tout audacieuse, parce qu'on l'envisage de manière systématique, au
transite par lui par l'effet d'une inévitable verbalisation, est une idée niveau microsémiotique; plus prudente, parce que l'auteur donne à
fausse, proposée d'ailleurs par des littérateurs. Il suffit de considérer son système le statut d'une hypothèse. Rappelons que Moles
des ouvrages de physique, de chimie, de mathématique, de techno- hiérarchise des « objets psychophysiques », des « morphèmes géo-
logie, pour constater qu'ils sont envahis par les schémas et les métriques » ( assimilables aux « géons » ou « ions géométriques » de
dessins. Imagine-t-on un traité de zoologie sans dessins? On peut Biedermann, 1987), puis des « objets signifiants » et enfin des
même douter qu'il soit possible de faire comprendre par le discours « phrases » et des « discours iconiques ». Mais cette terminologie
exclusivement, disons la structure chimique du DDT ou la double linguistique l'égare au point qu'il parle des « fonctions grammati-
hélice de l'ADN. En fait, la notion d'hélice ne peut guère être~ cales de l'image ». Il pose ainsi l'hypothèse d'une véritable matrice
communiquée que par un dessin ou par un geste, et le mot hélice · ' de traduction iconique. Dans ce tableau, chaque ligne est désignée
sert simplement à déclencher la représentation mentale de cette ': par un opérateur logique(« ou »;.« et»,« pour», etc.), et chaque
configuration. D'ailleurs, l'origine visuelle en est particulièrement i. colonne l'est par une « fonction infralogique iconique » (« commen-
claire, puisque le mot vient d' « escargot » ... taire», «contraste», «variations», etc.). Chaque case de la
52 53
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

matrice est occupée par un« coefficient de congruence », mesurant distinction entre unité et énoncé. Abordons-le par le biais d'un
la facilité avec laquelle une expression linguistique se prête à exemple voisin.
l'iconisation. Notons le sens de la relation : l'inverse n'aurait-il pas La définition du mot est une de ces questions qui, périodique-
été aussi pertinent? mesurer la facilité avec laquelle une « fonction ment, secoue l'univers de la linguistique. On connaît les contro-
iconique » est verbalisée? Et comment ces «fonctions» ont-elles verses qu'ont signées les noms de Vendryès, Trnka, Togeby,
été identifiées? Martinet, Holt, Greenberg, etc. De ces travaux, un courant se
Arnheim s'est lui aussi demandé si le monde visible était modelé dégage parfois en faveur de l'abandon de la notion de mot, et d'une
par les mots (1973 : 154-155). Étudiant les diverses théories allant relativisation de l'opposition mot-phrase. En dépit de la solidité
dans le sens d'une primauté du langage, il les ramène à trois intuitive de la notion de mot, de nombreux arguments militent en
formules, dites « introverties » : faveur de cette relativisation, dans certains contextes théoriques
(a) « la façon dont nous voyons découle des habitudes de tout au moins. Ce débat a pris toute son importance en rhétorique.
langage»; Ricœur (1975), par exemple, ne peut admettre qu'on restreigne la
(b) « il n'y a aucune forme de pensée hors des mots » ; et enfin la figure - et spécialement la métaphore - à une substitution de mots :
plus extrême, formulée par B.-L. Whorf qui pousse ici son dernier ce serait, en effet, emprisonner la rhétorique dans le domaine étroit
Sapir: du sens assigné aux unités du code. Or, pour le philosophe, il s'agit
(c) « la segmentation de la nature n'est qu'un aspect de la aussi . et surtout d'un phénomène de signification - ou sens en
grammaire ». discours-, impliquant donc la référence, et un tel problème ne peut
A ces formules introverties, on peut préférer, avec Arnheim, une être abordé qu'au niveau de l'énoncé",
visée plus extravertie. Elle sera celle de la psychologie de la forme. En fait, le reproche que Ricœur adresse globalement à tous les
Pour celle-ci, ce ne sont pas les mots qui organisent, mais la rhétoriciens contemporains est aisément réfutable dans le cadre
perception, sémiotisante. d'une rhétorique générale. Celle-ci montre en effet ( cf. Groupe µ,
Que le langage stricto sensu intervienne, à un certain moment, 1982 : 214 ss.) que toute figure fait intervenir trois niveaux contigus
dans le travail de perception, rien n'est plus sûr29• Nous le verrons d'articulation des signes dans la production d'une figure et dans son
au chapitre 11. Mais pour l'instant notre réflexion dicte une double décodage. Ces trois niveaux, que nous avons appelés formateur,
attitude à qui veut appliquer la démarche sémiotique aux faits porteur et révélateur, varient suivant le type de figure. Ainsi dans un
visuels : se méfier de la verbalisation et soigneusement mettre au calembour, le niveau révélateur est celui du mot équivoque, le
point un mode de description qui, notamment, (a) ne fasse pas niveau porteur étant celui du ou des phonèmes producteurs
perdre aux signifiants visuels leur caractère bi- ou tridimensionnel, d'équivoque, et le niveau formateur celui, plus élémentaire encore,
et (b) ne leur impose pas nécessairement un ordre chronologique des traits distinctifs modifiés ; dans une métaphore lexématique, le
séquentiel, sinon à travers une modélisation contrôlée comme celle niveau révélateur est celui de l'énoncé, le niveau porteur celui du ou
qui a été présentée au § 2. des mots et le formateur celui du sème. On le voit, l'unité de base de
chaque figure linguistique n'est pas fixe. Ce dont on a besoin pour
faire fonctionner la figure est un contexte, dont l'étendue peut
varier.
3.4.2. Unités et énoncés Cette longue digression sur la difficulté qu'il y a à maintenir la
rigueur de l'opposition mot - phrase en linguistique doit nous
Ceci nous amène à un thème majeur de toute sémiotique, et qui suggérer la prudence au moment où nous abordons l'hypothèse de
est même une des cruces de la sémiotique visuelle : celui de la l'opposition unité - énoncé dans le domaine visuel. Ou plutôt des

54 55
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL SUR QUELQUES THÉORIES DU MESSAGE VISUEL

oppositions unité - énoncé, puisque aussi bien ce problème doit livre. Cette conception échappe au caractère arbitraire que revêt
être traité et sur le plan de l'expression et sur celui du contenu. une définition a priori de la tache élémentaire telle qu'on la trouve
Problème qui est sans doute à la base de l'oscillation constante de la chez Odin : nous substituons à cet être de pure raison un être né des
théorie entre la micro- et la macrosémiotique, la première s'épuisant propriétés perceptives du système visuel. De même nous essayons
à la recherche d'unités minimales stables, la seconde récusant d'échapper à l'intuition - voire à la circularité - qui préside
l'existence de celles-ci au nom de l'originalité chaque fois renouve- souvent à l'établissement des homologations en redistribuant ce que
lée des énoncés complexes. Floch répartit sur les plans de l'expression et du contenu sous deux
C'est que dans le domaine visuel, on ne reçoit même pas le catégories dotées chacune d'une expression et d'un contenu (le
secours d'une opposition intuitive entre unité et énoncé. Sur le plan plastique et l'iconique).
du contenu, ce paysage que je vois constitue-t-il une unité, et ces
arbres, ces roches, ces vagues n'en seraient-ils alors que les
composants? ou l'unité est-elle ce rocher-là, qui s'intégrerait à un
message complexe avec ses voisins, cette vague, cet arbre ... ? Sur le
plan de l'expression, cette plage monochrome et géométrique doit-
elle être considérée comme une unité constitutive de l'énoncé de
Mondrian, ou ce tableau est-il lui-même immédiatement une unité?
La position épistémologique que nous avons défendue en rhétori-
que et nos références à la psychologie de la "forme ( qui voit le
mécanisme d'intégration comme un dynamisme constant) indiquent
sans doute assez que nous mettrons en question la bipartition des
unités èt de l'énoncé. Non qu'elle ne puisse être tenue en théorie :
on trouvera d'ailleurs dans les pages qui suivent une théorie de
l'unité plastique et de l'unité iconique, ainsi qu'une théorie de leur
articulation. Mais nous tenterons surtout de rendre compte du
phénomène empirique qu'est la variation du niveau d'analyse : tel
fait visuel peut tantôt être tenu pour une unité tantôt pour un
énoncé, sans que la raison de cette identification puisse être assignée
à sa nature physique.

3.5. Conclusion

Comme on le voit, les approches du contenu, autant que celles de


l'expression, soulèvent des difficultés sérieuses. Nous pensons y
avoir répondu en introduisant quelques concepts nouveaux, tels que
les notions de plastique et d'objet, qui seront développés dans ce
56
LES FONDEMENTS PERCEPTIFS DU SYSTÈME VISUEL

CHAPITRE II une formule polémique-, on peut soutenir, au risque de scandali-


ser, que la prise en compte de la matière est indispensable dans la
première description de tout système. Cette matière doit en effet,
Les fondements perceptifs pour devenir substance sémiotique, être perçue, et donc passer par
du système visuel un canal. Or, des contraintes de toute sorte - physiques aussi bien
que physiologiques - pèsent sur ce canal et interviennent dans la
sélection des éléments de la matière qui vont être rendus pertinents;
c'est-à-dire, en ultime analyse, dans l'établissement du système.
Ainsi, une partie importante de la tradition linguistique - de
Saussure à Martinet en passant par Bloomfield - inclut le caractère
O. Introduction : place de la description des canaux vocal dans la description de la langue. N'est-ce pas, en effet, ce
dans une sémiotique phénomène qui impose au signifiant linguistique son caractère
linéaire, dont l'importance est capitale 2?
Une description sémiotique peut évidemment - et sans doute le
doit-elle finalement - faire l'économie de l'étude physiologique du
Une vieille tradition des études sémiotiques classe les systèmes de canal considéré, dès lors qu'elle a intégré à sa description des formes
communication et de signification selon le canal physique utilisé et les caractères qui sont la conséquence des contraintes du canal. Ainsi
l'appareil récepteur humain concerné. Mais les systèmes transcen- la linéarité relève-t-elle aujourd'hui en linguistique du postulat, et il
dent ces canaux : l'unicité du système linguistique, par exemple, ne n'est plus nécessaire de commencer un exposé en ce domaine en
fait pas de problème, alors que la communication linguistique peut décrivant par le menu les bases de la perception temporelle. Cette
transiter tant par le canal visuel que par le canal auditif. économie, on ne peut cependant la faire lorsqu'on aborde à
On devrait donc contester la pertinence du canal. C'est chez nouveaux frais un système qui n'a pas encore été étudié dans sa
Greimas et Courtès qu'on trouve la formulation la plus nette de spécificité. Une sémiologie générale des signes visuels- telle qu'elle
cette condamnation. La classification selon les canaux de transmis- sera esquissée au chapitre 111 - suppose donc au préalable le rappel
sion des signes (ou selon les ordres de sensation) repose sur la de certaines propriétés du canal visuel, propriétés qui auront
considération de la substance de l'expression; or celle-ci n'est pas une influence décisive sur la façon dont nous appréhendons les
pertinente pour une définition de la sémiotique, qui est, en premier formes et les couleurs, et dont nous les instituons en systèmes
lieu, une forme 1• sémiotiques.
Si on ne peut que souscrire à la dernière proposition - sans
laquelle il n'y aurait pas de sémiotique - les prémisses du
raisonnement sont erronées. Elles procèdent de la méconnaissance
de ce qu'est le processus de la transmission du signe, méconnais-
sance explicable dans le cadre d'une théorie parfois éthérée. On
peut aisément montrer que canal et forme sont étroitement liés, de
sorte que la tradition classificatoire, à juste titre .critiquée, n'a pas
qu'une valeur mnémotechnique ou pédagogique : elle a aussi une
valeur épistémologique. Sans tomber dans la thèse de McLuhan
selon laquelle« le message, c'est le médium » - c'est là tout au plus

58 59
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL LES FONDEMENTS PERCEPTIFS DU SYSTÈME VISUEL

contre le bruit (discrétude, positions de contrôle, redondance), est


aujourd'hui bien connu (Mandelbrot, 1957; Cherry, 1961).
On peut intuitivement affirmer qu'il n'en va pas ainsi de nombre
1. Première comparaison du langage . de systèmes sémiotiques, parmi lesquels certains transitant par le
et de la communication visuelle canal visuel. Ceux-ci semblent, par comparaison avec le système
linguistique, particulièrement peu codés. Tout au plus observe-t-on
l'émergence de quelques systèmes où les unités présentent rarement
un niveau de stabilité comparable à celui du langage, et où les
1.1. Corrélation du codage et du canal relations syntaxiques restent en général sans commune mesure avec
le haut degré de l'élaboration linguistique 3•
Ceci va avoir un certain nombre de répercussions. La première est
Il ne faut pas voir de contradiction entre les propositions énoncées le rôle plus réduit des relations arbitraires, ce qui aura comme
plus haut. Rappelons-les. D'une part, c'est le primat du verbal qui conséquence le caractère flou du code. La seconde, corrélative, et
imposerait au code linguistique une de ses caractéristiques les plus qui nous intéressera le plus ici, est la relative importance des
essentielles : la linéarité. D'autre part, l'unité de la linguistique n'est particularités imposées au système par le canal.
pas mise en cause par la possibilité, pour le message linguistique, de
s'actualiser aussi bien dans la substance phonique que dans la
substance graphique. Si la linéarité reste un concept cardinal, le
caractère discret et arbitraire des unités du code permet de faire 1.2. Puissance et réduction
abstraction des conditions de lecture ou de décodage : la structure
sémantique d'un message linguistique est pratiquement identique
s'il parvient par le canal auditif ou par le canal visuel. Ses éléments, La première particularité du medium visuel, qui ne sera pas sans
dans leur transparence, ne servent que de relais, aussitôt oubliés incidence sur la communication par ce canal, est sa puissance : il
pour accéder au code. Bien entendu, la recherche contemporaine a permet d'acheminer 107 bits/seconde, soit 7 fois plus que l'oreille.
raffiné cette présentation un peu sèche, a fait une part plus Cette énorme quantité doit cependant être considérablement simpli-
accueillante aux onomatopées, revu le principe d'arbitrarité, fiée et réduite avant de parvenir à ce qu'on appelle la conscience,
démontré la tabularité des énoncés, recensé les convergences tout laquelle n'admet que de 8 à 25 bits/seconde (Francke, 1977). C'est
comme les incompatibilités son/sens ... Les poètes, en particulier, se ici que se place tout l'acquis de la Gestaltpsychologie, première
sont employés depuis toujours à « rémunérer le défaut des lan- discipline à avoir vu et analysé les processus par lesquels s'opérait ce
gues ». Mais l'essentiel n'en demeure pas moins intact. travail de réduction. Ce travail incombe à des organes analogues à
Ce qui est ici important - et nous aurons plus d'une fois à revenir ce qu'on appelle aujourd'hui des microprocesseurs : des processeurs
sur cette notion-, c'est que cette indifférence à la substance est liée sensoriels qui traitent les données avant même de les envoyer au
à l'arbitrarité, et que cette dernière est à son tour liée au caractère cerveau ou dans les couches périphériques de celui-ci 4• Les opéra-
contraignant du code. Car - et nous laissons pour l'instant de côté la tions réalisées sont essentiellement des transformations de pattern;
discussion sur la notion en cause - tout le monde sera d'accord pour des sélections ; une combinaison avec des informations venant de la
affirmer que le langage est un système de transmission étroitement mémoire (cette dernière opération nous retiendra longuement).
codé. Tout ce qui concerne les modalités de fonctionnement de ce Contentons-nous de· noter que les premières transformations ont
code, et en particulier les méthodes qu'il emploie pour se protéger notamment pour effet de transformer le continu en discontinu. On
60 61
LES FONDEMENTS PERCEPTIFS DU SYSTÈME VISUEL
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL

se souviendra que les neurones de l'œil sont en fait des cellules visuelle ne sont sensibles qu'à une zone moyenne couvrant une seule
isolées, qui ne peuvent donc transmettre que des points. Des octave (intervalle de deux vibrations dont les fréquences sont dans
caractères tels que « linéarité » et « spatialité », que nous considé- un rapport de 1 à 2) : c'est cette bande de stimuli, allant de 390 à
rons naïvement comme fondamentaux dans toute analyse de 820 nanomètres, qui agit sur nous pour donner naissance à la
l'image, se révèlent ainsi être de pures constructions (simplifica- sensation de « lumière », par l'intermédiaire d'un appareil optique
tions) de notre appareil récepteur 5• autorisant la projection des stimuli sur la surface sensible qu'est la
Un deuxième type de transformation doit également retenir notre rétine. Cette rétine est, on le sait, composée de deux types de
attention : si on admet que « l'épaisseur du présent» est de cellules : les bâtonnets (pigmentés par le « pourpre rétinien ») et les
10 secondes, la conscience ne pourra manipuler que des paquets de cônes. Ces cellules sont reliées à d'autres cellules constituant le nerf
160 bits, et risque d'être de temps à autre submergée. En cas optique, qui gagne le cerveau. On peut ainsi parler de « système
d'afflux d'information exagérément rapide, des routines spéciales rétinex », composé de la rétine et du cortex, ou, plus simplement,
dont la description est intéressante pour nous sont prévues, qui de l'œil et du système de décodage qui lui est associé.
ramènent le débit à une valeur acceptable. Ces routines sont A cette contrainte qualitative s'ajoutent deux autres contraintes
l'abstraction, la sélection ou concentration sur certaines classes (par quantitatives. La première est l'intensité sensorielle : il existe un
exemple la couleur plutôt que la forme), l'utilisation séquentielle seuil minimum et un seuil maximum de l'excitabilité visuelle
des informations en surnombre ; de même, des montages appropriés (l'organe récepteur n'est pas excité en deçà d'un millionième de
permettent le décodage d'informations tridimensionnelles grâce à la bougie par mètre carré, il ne l'est plus utilement devant un stimulus
vision binoculaire. dix milliards de fois plus intense). Le second est d'ordre temporel:
Comment ces transformations apportées à la perception brute des l'excitation n'a pas lieu en deçà d'une certaine durée dans l'émission
stimuli visuels vont-elles aboutir à l'élaboration des constructs du stimulus, durée appelée« temps utile ».
paraissant aller de soi ( comme la ligne, la surface, le contour, la Ce serait une erreur de croire que le système rétinex est un organe
forme, le fond) et, au-delà de ceux-ci, à des entités telles que enregistrant point par point et passivement les stimuli qui l'excitent.
l'objet? C'est ce que nous allons voir dans les divisions suivantes. A vrai dire, si l'image n'était qu'un ensemble non coordonné de
points - et elle n'est encore que cela lorsque les radiations
lumineuses sont projetées sur la rétine -, elle n'aurait pas le rôle
que la vision lui assigne. Pour user d'une comparaison, disons
2. Du stimulus à la forme qu'elle n'aurait pas plus d'intérêt qu'un écran de télévision n'en a
pour le spectateur lorsqu'il n'y a pas de programme.
On montre que c'est déjà au niveau physiologique que l'influx
circulant le long des voies nerveuses est retraité, à chaque jonction
2.0. Le système rétine+ cortex : un appareil actif entre fibres. Ce traitement consiste à intégrer d'autres données à
celles qui proviennent de l'excitation d'une terminaison nerveuse
La seconde contrainte imposée par le canal à la perception particulière. Ces nouvelles données peuvent à leur tour avoir deux
visuelle est d'ordre physiologique. sources : elles peuvent provenir soit de l'excitation d'autres termi-
Alors qu'on connaît l'existence d'un spectre couvrant approxima- naisons nerveuses, soit d'autres zones de l'organisme percevant. De
tivement 70 octaves - depuis les rayons gamma, de quelques sorte que le système rétinex fonctionne non pas comme une somme
dizaines de picomètres, jusqu'aux ondes hertziennes, couvrant d'excitations élémentaires et juxtaposées (ou successives), mais
jusqu'à des milliers de kilomètres -, les organes de réception comme un tout. On conçoit aisément que cette synthèse ait lieu au

62 63
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL LES FONDEMENTS PERCEPTIFS DU SYSTÈME VISUEL

niveau du cortex, c'est-à-dire du système nerveux central. Mais en


fait, c'est déjà au niveau de la rétine que les liaisons s'établissent :
les cellules multipolaires, dont les axones constituent le nerf 2.2( De~'!!:..!!!cept : la limite
optique, sont, comme leur nom l'indique, simultanément connec-
tées à plusieurs cellules sensorielles en contact avec les cônes et les
bâtonnets, et fonctionnent dès lors déjà comme un système central. Apte à dégager les similitudes, le système l'est également à
En outre, de nombreuses cellules d'association connectent plus dégager des différences. La différence est le premier acte d'une
étroitement encore ce réseau. Nous verrons plus loin quelle fonction perception organisée ; inégalement stimulé en ses différents
capitale ces connexions remplissent quant à la perception. endroits, le système perçoit la cessation ou le changement de la
qualité translocale : on passe par exemple du blanc au gris. On
parlera alors de limite ( concept que nous distinguerons pour l'instant
2.1. Premier perc~;t : le cha~) de la ligne, du trait et du contour, toutes notions à définir ci-après).
Précisons ceci : pour qu'il y ait limite, il ne faut pas nécessairement
que le passage d'une qualité translocale à l'autre soit brutal ( en
On comprend mieux alors le phénomène que la psychologie de la termes plus précis : que les inégalités de stimulation soient locale-
forme a excellemment mis en évidence : que la perception visuelle ment proches) ni que ce passage soit violemment marqué (que les
est indissociable d'une activité intégratrice. Cette activité, on peut la inégalités de stimulation soient quantitativement très importantes).
nommer reconnaissance d'une qualité translocale. En d'autres Une infinité d'intermédiaires sont possibles entre le champ indis-
termes, notre système de perception est programmé pour dégager tinct et le champ différencié, produisant des effets allant de la limite
des similitudes. nette à la limite floue (dégradé ou camaïeu). Si l'on examine de près
Si toutes les terminaisons nerveuses sont excitées de la même tel buste de femme de Boucher ou encore Après le bain de Renoir, il
manière, la similitude sera totale. En termes de théorie de l'infor- n'y a pas de contour net à la chair des personnages, et cependant ils
mation, la redondance sera donc totale également, et l'information forment pour nous des figures ségrégables. Nous allons même voir
par conséquent nulle. C'est ce que montre, entre autres choses, qu'il n'est pas nécessaire qu'il y .ait « clôture » pour que l'on puisse
l'expérience classique de Metzger (1930), qui avait placé ses sujets parler de limite d'une figure : une certaine proximité suffit pour que
dans des conditions telles que la lumière réfléchie par une paroi ait des points dispersés constituent une telle limite.
une distribution uniforme sur toute la rétine. L'impression ressentie Ce que la Gestaltpsychologie avait découvert par une expérimen-
est dans ce cas non pas la perception d'une surface, comme on aurait tation externe, la bionique l'étudie aujourd'hui par des manipula-
pu s'y attendre, mais celle d'un brouillard lumineux entourant les tions neurochirurgicales d'une extrême délicatesse. C'est ainsi qu'on
sujets de toute part, dans un espace aux distances indéfinies. commence à savoir comment fonctionnent les processeurs sensoriels
L'angle solide englobant ce qui est visible par l'œil sera le champ. évoqués plus haut, afin de réduire le flux d'information tout en en
Notons déjà que la densité des cellules sensibles est inégale. préservant l'essentiel. En termes de théorie de l'information, le
Elle présente un maximum dans la zone centrale - la fovéa -, de problème consistait - on s'en souviendra - à passer d'un débit de
sorte qu'on dirige sa fovéa sur la zone à scruter. Les notions de 107 bits ( capacité du canal visuel) à un débit très inférieur de 16 bits/
centre, d'attraction vers le centre et de périphérie sont donc déjà seconde (capacité de la conscience). En termes de bionique, il
préparées dans le système oculaire. s'énonce : comment alimenter le million de fibres nerveuses du nerf
optique à partir des cent millions de cellules photosensibles de la
rétine? Si le détail des processus n'est pas encore mis au jour (il
64 65
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL LES FONDEMENTS PERCEPTIFS DU SYSTÈME VISUEL

niveau du cortex, c'est-à-dire du système nerveux central. Mais en


fait, c'est déjà au niveau de la rétine que les liaisons s'établissent :
les cellules multipolaires, dont les axones constituent le nerf 2.2. Deuxième percept : la limite \
optique, sont, comme leur nom l'indique, simultanément connec-
tées à plusieurs cellules sensorielles en contact avec les cônes et les
bâtonnets, et fonctionnent dès lors déjà comme un système central. Apte à dégager les similitudes, le système l'est également à
En outre, de nombreuses cellules d'association connectent plus dégager des différences. La différence est le premier acte d'une
étroitement encore ce réseau. Nous verrons plus loin quelle fonction perception organisée ; inégalement stimulé en ses différents
capitale ces connexions remplissent quant à la perception. endroits, le système perçoit la cessation ou le changement de la
qualité translocale : on passe par exemple du blanc au gris. On
parlera alors de limite ( concept que nous distinguerons pour l'instant
2.1. Premier percept: le champ de la ligne, du trait et du contour, toutes notions à définir ci-après).
Précisons ceci : pour qu'il y ait limite, il ne faut pas nécessairement
que le passage d'une qualité translocale à l'autre soit brutal ( en
On comprend mieux alors le phénomène que la psychologie de la termes plus précis : que les inégalités de stimulation soient locale-
forme a excellemment mis en évidence : que la perception visuelle, ment proches) ni que ce passage soit violemment marqué ( que les
est indissociable d'une activité intégratrice. Cette activité, on peut la inégalités de stimulation soient quantitativement très importantes).
nommer reconnaissance d'une qualité translocale. En d'autres Une infinité d'intermédiaires sont possibles entre le champ indis-
termes, notre système de perception est programmé pour dégager tinct et le champ différencié, produisant des effets allant de la limite
des similitudes. nette à la limite floue (dégradé ou camaïeu). Si l'on examine de près
Si toutes les terminaisons nerveuses sont excitées de la même tel buste de femme de Boucher ou encore Après le bain de Renoir, il
manière, la similitude sera totale. En termes de théorie de l'infor- n'y a pas de contour net à la chair des personnages, et cependant ils
mation, la redondance sera donc totale également, et l'information forment pour nous des figures ségrégables. Nous allons même voir
par conséquent nulle. C'est ce que montre, entre autres choses, qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait « clôture » pour que l'on puisse
l'expérience classique de Metzger (1930), qui avait placq ses sujets parler de limite d'une figure : une certaine proximité suffit pour que
dans des conditions telles que la lumière réfléchie par mfe paroi ait des points dispersés constituent une telle limite.
une distribution uniforme sur toute la rétine. L'impression ressentie Ce que la Gestaltpsychologie avait découvert par une expérimen-
est dans ce cas non pas la perception d'une surface, comme on aurait tation externe, la bionique l'étudie aujourd'hui par des manipula-
pu s'y attendre, mais celle d'un brouillard lumineux entourant les tions neurochirurgicales d'une extrême délicatesse. C'est ainsi qu'on
sujets de toute part, dans un espace aux distances indéfinies. commence à savoir comment fonctionnent les processeurs sensoriels
L'angle solide englobant ce qui est visible par l'œil sera le champ. évoqués plus haut, afin de réduire le flux d'information tout en en
Notons déjà que la densité des cellules sensibles est inégale. préservant l'essentiel. En termes de théorie de l'information, le
Elle présente un maximum dans la zone centrale - la fovéa -, de problème consistait - on s'en souviendra - à passer d'un débit de
sorte qu'on dirige sa fovéa sur la zone à scruter. Les notions de 107 bits ( capacité du canal visuel) à un débit très inférieur de 16 bits/
centre, d'attraction vers le centre et de périphérie sont donc déjà seconde (capacité de la conscience). En termes de bionique, il
préparées dans le système oculaire. s'énonce : comment alimenter le million de fibres nerveuses du nerf
optique à partir des cent millions de cellules photosensibles de la
rétine? Si le détail des processus n'est pas encore mis au jour (il

64 65
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL LES FONDEMENTS PERCEPTIFS DU SYSTÈME VISUEL

comporte d'ailleurs plusieurs mécanismes distincts), le principal que cet univers est varié. En accentuant les contrastes, l'inhibition
d'entre eux est aujourd'hui bien connu : c'est l'inhibition croisée. latérale favorise la perception de ces variations et rend plus riche
Chaque cellule photosensible de l'œil ne se borne pas à transmettre l'univers sensoriel » (1968 : 111).
de l'information à son neurone, mais influence (par les connexions
latérales dont nous avons parlé) les neurones voisins. Cette
influence est une contre-réaction qui diminue la sensibilité des
cellules voisines : on parle d'inhibition latérale. Or on a pu prouver, 2.3. Limite, ligne, contour
notamment en construisant des analogues électriques, que ce
système d'inhibition latérale accentue les contrastes. Soit deux •
organes percepteurs : un œil humain et une cellule photoélectrique. Nous constaterons pour notre part que cette structure perceptive
Si l'on fait balayer par ces récepteurs deux plages juxtaposées- une crée la ligne, et inversement que la ligne dessinée est un analogon de
noire et une blanche - on obtient deux réponses totalement la sensation de limite. Mais ceci mobilise à un autre ordre de
différentes (cf. Ratcliff, 1972 : 98). phénomènes : ceux qui sont connus sous les noms de ressemblance,
analogie, iconisme ou mimesis. Cet important concept sémiotique
sera abordé dans le chapitre rv, v

Intensité
'~

Intensité •
™ C'est cependant ici que doit intervenir la distinction entre la limite
ou la ligne, et le contour. La limite est un tracé neutre divisant
l'espace (plan ou non) ou champ, en deux régions, sans établir a
priori aucun statut particulier pour l'une ou pour l'autre. Appeler la
première figure et la seconde fond est une décision qui repose sur
d'autres éléments (positionnels, dimensionnels, etc.) qui seront
examinés plus loin. Cette décision transforme la ligne en contour ; le
contour est la limite d'une figure et fait partie de la figure. La ligne
peut donc avoir deux statuts, et être annexée, en tant que contour, à
Distance Distance chacune des deux régions qu'elle détermine dans le plan 6•
cellule photoélectrique œil "
Réponse très différente pour les Réponse quasi égale pour les
deux plages et restitution exacte du plages uniformes ( qu'elles soient 2.4. Fond, figure, forme
front abrupt. claires ou noires), mais forte exagé-
ration du front : la ligne est créée.
( 2.4.1. Fond et figure
Figure 1. Accentuation des contrastes par l' œil
Ceci nous introduit à un nouveau couple important de concepts :
la figure, qui s'oppose au fond. Cette opération de ségrégation est le
Et L. Gérardin de commenter : « Une surface à illumination second degré d'une organisation différenciée du champ (le premier
absolument uniforme ne contient aucune information; un compor- étant, comme on l'a vu, l'apparition de la limite). Sera figure ce que
tement à l'égard de l'univers extérieur sous-entend obligatoirement nous soumettrons à une attention impliquant un mécanisme cérébral
66 67
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL LES FONDEMENTS PERCEPTIFS DU SYSTÈME VISUEL
Il
élaboré de scrutation locale (figure n'est donc pas ici pris au sens
rhétorique). Sera fond ce que nous ne soumettrons pas à ce type
d'attention, et qui de ce fait sera analysé par des mécanismes moins 2.4.3. Origine des formes et figures
puissants de discrimination globale des textures 7• Les effets de cette
opposition sont bien connus. Pointons-en deux qui ne seront pas Quelles sont les sources de l'élaboration de la figure et de la
sans importance dans l'établissement des codes visuels : forme? Celles qui concernent le stimulus sont bien connues. C'est,
1. le fond participe du champ en ceci qu'il est indifférencié et par par exemple, la proximité. Comme l'a montré Gogel (1978), des
définition sans limite ; points dispersés sur une surface peuvent être perçus comme
2. le fond paraît être doté d'une existence sous la figure, laquelle, délimitant une figure s'ils sont relativement proches les uns des
dès lors, paraîtra plus proche du sujet que le fond. autres; ils ne sont donc pas perçus comme figures individualisées, ce
qui serait le cas dans une autre dispersion. Une seconde loi
d'élaboration est l'identité des stimuli : les stimuli semblables entre
2.4.2. De la figure à la forme eux sont préférentiellement sélectionnés comme constitutifs de la
figure, comme le montre l'expérience classique de Wertheimer
Si la distinction figure/fond constitue le second degré d'organisa-
00 .. 00 .•
tion de l'espace perçu, deux modalités de ce processus doivent être
00 .. 00 ..
distinguées, la seconde étant plus élaborée que la-première. Et c'est
00 .. 00 ..
ici que nous distinguerons figure et forme, toute forme étant une
00 .. 00 •.
figure, mais non l'inverse.
Nous avons jusqu'à présent défini la figure comme le produit d'un où les cercles et les points sont perçus comme constituant des
processus sensoriel équilibrant des zones d'égalité de stimulation. colonnes individualisées. On verra plus loin tout le parti qu'une
Quoique très sophistiqué, ce processus est relativement primitif : rhétorique du visuel peut tirer de ces lois de proximité et d'identité.
l'aveugle de naissance opéré ou l'animal reconnaissent aussi bien Mais les sources de la figure ne sont pas fournies par le seul
que l'adulte éduqué l'unité perceptive que constitue une tache noire stimulus. Et d'ailleurs, ne voit-on pas que proximité et similitude
sur un fond blanc. Nous parlons ici de figure. sont des notions extrêmement élaborées, qui ne peuvent en aucun
La notion de forme fait, quant à elle, intervenir la comparaison cas gésir dans le stimulus lui-même? Ces sources sont donc aussi à
entre diverses occurrences successives d'une figure, et mobilise donc aller chercher du côté de l'appareil récepteur.
la mémoire. On sait qu'un aveugle de naissance opéré, quoique La reconnaissance des figures, comme aussi l'attribution d'une
percevant le cercle ou le triangle, ne pourra distinguer ces deux forme (stable) à ces figures, résultent d'un système hiérarchisé de
types de figure avant un certain apprentissage. Il n'y a donc de processeurs qui travaillent les stimuli sensoriels rétiniens. Ces
forme que lorsqu'une figure est décrétée semblable à d'autres processeurs, on les nomme extracteurs de figures ou de motifs (ou
figures perçues. Au mécanisme brut de scrutation locale s'ajoute un encore détecteurs de taches, ou détecteurs spécifiques; en anglais :
second mécanisme visant à · la reconnaissance de ce que nous cluster detectors). Il s'agit de cellules nerveuses se déclenchant
nommerons type au chapitre suivant. seulement si le « champ réceptif » auxquels ils sont raccordés
contient certaines formes. Il y a ainsi des extracteurs de contrastes,
qui permettent l'élaboration de la limite, ou des extracteurs de
direction, n'entrant en fonction que si le stimulus présente une
orientation déterminée (par exemple, la verticale ou l'horizontale).
68 69
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL LES FONDEMENTS PERCEPTIFS DU SYSTÈME VISUEL

On connaît encore des champs concentriques avec centre excitateur décrire un aspect grainé, lisse, hachuré, moiré, lustré, un« pied-de-
et entourage inhibiteur (selon le mécanisme d'inhibition croisée poule », etc. Cette sémidtique de la texture sera esquissée au
déjà exposé plus haut), des détecteurs de points et de lignes chapitre v.
(minces, épaisses, orientées de telle ou telle façon, etc.), des De telles microtopographies peuvent entrer en contraste entre
détecteùrs de fente et des détecteurs de bord. Ces extràcteurs de elles - et donc créer la figure -, ou au contraire se fondre dans un
motifs se hiérarchisent en trois étages (simple, complexe, hypercom- continuum - ce qui crée la texture.
plexe), aboutissant finalement au dispositif de scrutation locale qui Les mécanismes aboutissant ou n'aboutissant pas à dégager une
donne son statut aux figures et aux formes 8• figure sur la base des textures ont été étudiés par Béla Julesz (1975).
C'est au niveau de cette intégration des détecteurs que s'effectue Ses expériences, menées aux laboratoires de la Bell de 1965 à 1975,
le passage de la figure à la forme. Les extracteurs de motifs doivent portaient sur des textures pures, c'est-à-dire sur des arrangements
en effet, pour jouer pleinement leur rôle, être exercés. De sorte que de points générés par ordinateur, et ne produisant pas de signe
la perception de la forme, au sens où on l'a entendu plus haut, iconique. Il s'agissait de voir quelles propriétés statistiques il fallait
devient un phénomène mémoriel. Car dans la perception et la donner à ces réseaux de points (pouvant comporter, par exemple,
reconnaissance des formes, les processus cognitifs interviennent diverses valeurs de gris, ou diverses couleurs) pour qu'il soit
beaucoup plus qu'on ne le pensait 9. possible, ou au contraire impossible, de les distinguer les uns des
autres.

--
Quelques explications préliminaires sont indispensables pour la
I'
compréhension de ce qui va suivre.
Les textures étudiées sont discrétisées, en ce sens qu'elles
3. Textures et figures réduisent la continuité de l'espace à un réseau de points, ou plus
exactement de petites cellules carrées. On simplifie également le
problème en sélectionnant pour ces cellules un nombre réduit (2, 3
<, ou 4) d'échelons de luminance (concept défini ci-après au§ 4) : par
Si la figure peut àpparaître grâce au contour, elle peut aussi naître exemple, le carré sera blanc, gris ou noir. La texture est engendrée
grâce à un contraste de couleur ou grâce à un contraste de texture par un processus markovien : le long d'une séquence linéaire, le
(qui créeront à leur tour u~ contour). Le problème du contraste contenu d'une cellule sera déterminé à partir du contenu d'un
coloré sera abordé plus loin'(§ 4). nombre fixé de cellules précédentes, et selon une formule mathéma-
Texture vient d'un mot qui en latin signifie littéralement« tissu ». tique également fixée. Cette formule peut être aussi simple que : sur
Quand nous pensons à la texture, nous nous référons métaphorique- 30 cellules alignées, il doit y avoir 1/3 de blanches, 1/3 de grises et 1/3
ment au grain de la surface d'un objet et à l'espèce de sensation de noires ; pour le reste, la luminance de chaque cellule est
tactile qu'il produit visuellement. Le phénomène a une origine déterminée par le hasard. Ce processus détermine une statistique
syriesthésique 10• Mais cette « sensation » est ici un concept sémio- d'ordre 1. En plus de ce processus d'ordre 1, Ôn peut imposer
tique : elle est une unité de contenu correspondant à une expression aux points des restrictions supplémentaires concernant cette fois
constituée par un stimulus visuel. De manière plus analytique, on les paires de points : par exemple, on imposera une distance
dira que la texture d'un spectacle visuel est sa microtopographie, minimum entre deux points noirs. Il s'agira cette fois d'une statis-
constituée par la répétition d'éléments. La désigner par le terme de tique d'ordre 2.
microtopographie implique que l'on précise la nature d~ la-9i~n- Dès qu'on engendre des textures obéissant à ces lois et qu'on teste
sion des éléments, ainsi que la loi des répétitions : ainsi peut-on leur discrimination par un public, on s'aperçoit de deux choses :

70 71
INJ'RODUCTION AU FAIT VISUEL LES FONDEMENTS PERCEPTIFS DU SYSTÈME VISUEL

1. que les statistiques d'ordre 1 définissent une luminance


moyenne, et que toute différence de cette luminance moyenne entre
deux textures permet leur discrimination instantanée ( et donc 4. Couleurs et figures
l'apparition d'une figure); '
2. que les statistiques d'ordre 2 définissent une granularité,
laquelle constitue également un facteur de discrimination instanta-
née. 4.1. Les dimensions du signal coloré
Il en résulte cette « loi » intéressante, que l'on n'a pu jusqu'ici
infirmer : « Si deux textures ont les mêmes statistiques d'ordre 2, il \
est impossible de les distinguer 11• » L'appréhension que nous avons d'un message visuel coloré
Le principal intérêt de toutes ces expériences est de montrer dépend de deux choses : de la physique des couleurs, mais aussi du
qu'une discrimination est possible en dehors de toute forme, c'est-à- mécanisme de la perception des couleurs. Ce q!:J:i amène ~ distinguer
dire uniquement par la texture. Cependant, la perspective d'ensem- couleur physique et couleur phénoménologique. En résumant, on
ble qu'en dégage Julesz nous paraît entièrement erronée, car, peut dire que la couleur n'est rien d'autre que la réification de
opposant la perception globale à la scrutation locale en une l'appréhension de certains stimuli physiques ondulatoires par le
dichotomie fondamentale, il fait de la première l'instrument de la système récepteur.
discrimination des textures, et de la seconde celui de la reconnais-
sance des figures. Ce qui lui permet d'affirmer que.la perception
\ globale concerne le fond, et la scrutation locale la forme. S'il est vrai 4.1.1. La couleur physique d'une surface colorée est définie par son
que la figure - et par conséquent la forme - nous apparaît en effet spectre. Celui-ci donne, pour toutes les longueurs d'ondes aux- '-
toujours sur.un fond, il ne s'ensuit pas que la texture soit la véritable quelles le système perceptif est sensible, le rapport entre la quantité
nature perceptive du fond (au point qu'il propose de remplacer le de lumière reçue et la quantité réfléchie. Ce concept ne dépend
premier mot par le second, texture et fond devenant synonymes). donc pas de la composition de la lumière d'éclairage. Cette lumière
N'importe quel objet de .notre environnement peut être vu comme intervient en revanche pour déterminer la couleur phénoménolo-
figure ou comme fond, selon que nous fixons ou non sur lui gique. La lumière du jour, par exemple, comporte de manière
notre attention, et le fait de le scruter ne fait pas disparaître sa relativement constante une proportion de toutes les radiations
texture pour autant, comme le, prouvent indirectement tous ces spectrales visibles, de sorte que la lumière renvoyée par les objets
tests, pures textures, sur lesquelles notre attention scrutative se détermine pour nous leur « couleur naturelle » ( qui nous paraît
porte 12 ... altérée sous un autre éclairage : par exemple, un éclairage artificiel
pauvre en ondes courtes trouble notre perception des bleus).
Le mécanisme de perception des couleurs met donc trois éléments
en rapport les uns avec les autres : le stimulus global d'une part, qui
est constitué à la fois de la courbe spectrale de la surface colorée et
de la lumière d'éclairage, et d'autre part le système de perception.

4.1.2. On peut caractériser un signal coloré par trois dimensions : la


dominante colorée, la saturation, et la luminance (ou brillance).

72 73
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL LES FONDEMENTS PERCEPTIFS DU SYSTÈME VISUEL

L'impression colorée ressentie dépend de la longueur d'onde du 1 ... Vert idéof


l'V\n

y
signal. En général, nous recevons plutôt un mélange de longueurs
d'onde diverses (spectre), mais notre impression colorée n'en est
pas moins monochromatique : l'impression produite par un mélange
900
"" ""
quelconque peut toujours être égalée exactement par une longueur
d'onde déterminée, dite lumière monochromatique équivalente.
Celle-ci détermine la première dimension du signal coloré, que l'on
800 515/

5
J
ii<ll.
"" \"= -~
"::"'-

~
'\

appellera dominante chromatique. 100


\ ~
Par ailleurs, toute couleur se ramène également à un mélange = Vert
1\ ~, ..
entre deux percepts : d'une part cette lumière monochromatique, et \ Giou ,ue N60
600
d'autre part la lumière blanche(« blanc énergétique»). La propor- ~ , ___
tion de ces deux lumières détermine la saturation des couleurs. Une 5(1

certaine « tonalité » correspond à une certaine proportion de 5- \ ! i">,,s s


lumière monochromatique dans le mélange, proportion qui peut r- \ :f' {~ c;; ~ ~
s'accroître jusqu'à un maximum (différent pour chaque couleur) : la /J)/)4 s\
............ ....._
' / 'Î Kola )>;: ~ >,.,s ,0
couleur est alors saturée. Ces mélanges sont figurés dans les divers \ Eme aude '
Î'-- L J~
ès
/
-: '"-·- ~ v.., ~tll
a
/
« diagrammes trichromatiques » proposés depuis le xrx" siècle. \ rquo;,. ........
Ill'"' ,.... -e,
T<
Î I / ID,,, ) ~ ,s
Dans .ces schémas, les couleurs visibles sont contenues dans un 490

--- \"' v~ / I .s. ~1 .i ( '-......


V-......
,,/- ........... F/oug< w
'
~
triangle curviligne 13 qui a le blanc pour centre et dont le contour
joint les impressions colorées produites par toutes les longueurs
.v
---
\ so<f' /
/

/ r-, ' Cari in
./'
........ V )tt

~
\,

/BI /!. 1T .> _..,..--


\
"" "'
u; Gre l10f
d'onde du-spectre, depuis le bleu (420 nanomètres) jusqu'au rouge
(700 nm) (voir fig. 2, p. 75). Une impression colorée identique sera o.
480 \
/~ ',j ~
Mau, ~ \ /
V

donc produite dans des secteurs issus du blanc central et s'étalant 47~ /
"'/ ~1 t: /""'
vers l'enveloppe du spectre : plus on s'éloigne du centre et plus la
lumière sera « pure », ou saturée, plus on s'en rapproche et plus la
teinte sera « lavée » ou « diluée » par le blanc.
O. .. OIXJO
Bleu Idéal
'6?il J~ i-
-
OXJO 420 -0.200
V

O;J(XJ 0,400

Figure 2. Désignation des couleurs


O;î(X) 0,6/XJ 0,'l(X)
A

0,f!(X)
"" "':
0,9/XJ
Rouge
aèat
X
1.000

Mais ce schéma est continu, et l'appareil récepteur y introduit une


dans le diagramme trichromatique de la CIE
certaine discontinuité, de par la limitation de ses capacités discrimi-
(commenté à la note 13)
natives. La plupart des spécialistes attestent que le nombre total des
qualités discriminables est de l'ordre moyen de cent cinquante 14•
Ces cent cinquante nuances sont groupées en quelques grandes
familles, élaborées différemment selon les cultures, et qui autorisent vision crépusculaire, en noir et blanc. La vision colorée est possible
ce que l'on nomme la« vision chromatique absolue », ou. capacité pour des niveaux de brillance compris entre un millionième de
d'identifier une tonalité isolée par un terme convenu. bougie et 10000 bougies/m 2• Au-delà de cette intensité, l'œil est
Enfin, la troisième dimension du signal est sa luminance, qui aveuglé. C'est aux brillances moyennes que la sensibilité aux
mesure sa quantité d'énergie radiante. L'œil est extraordinairement nuances est maximale.
sensible à la lumière, et peut détecter quelques photons seulement. Wright et Rainwater (1962) font une observation intéressante sur
Toutefois, de si faibles intensités n'excitent que les bâtonnets de la ces trois dimensions du signal visuel. Luminance et saturation sont

74 75
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL LES FONDEMENTS PERCEPTIFS DU SYSTÈME VISUEL

toutes deux perçues comme des variables linéaires, qui évoluent coexistent nécessairement), l'œil la perçoit globalement comme une
chacune le long d'un seul axe de mesure (par exemple du blanc au lumière monochromatique sensoriellement équivalente.
noir). Or elles sont bien physiquement linéaires, et la perception En fait, tout, dans la perception, est affaire de seuil. L'existence
correspond ici à la physique. Il n'en va pas de même de la dominante de seuils (dans la saturation, dans l'intensité, dans la couleur)
colorée, qui est circulaire pour la perception ( cercle ou anneau des entraîne une amorce de discrétisation. Lorsque les stimulations
couleurs) et linéaire pour la physique ( augmentation continue de la enregistrées par les -trois pigments ne varient pas au-delà d'un
longueur d'onde de 380 à 750 nm). Pour la sensation, il y a donc certain seuil - variable d'individu à individu -, elles sont considé-
deux chemins pour relier entre elles deux couleurs par des transi- rées comme constantes et égales. Il se produit donc une égalisation
tions continues. Ce caractère provient de ce qu'il existe trois spatiale, lorsque des zones voisines présentant de faibles différences
pigments colorés, obligeant à tracer des diagrammes chromatiques de couleur sont perçues comme étant uniformes.
triangulaires sur une surface à deux dimensions, et non selon un seul
axe.
A cette distinction s'ajoute une autre complication, sur laquelle 4.2.2. En revanche, lorsque le seuil est dépassé, il y a contraste
toute la lumière est loin d'être faite : l'impression de simplicité. Si coloré. En effet, la seconde propriété du canal visuel est son
une impression colorée est en général le résultat de l'excitation, à caractère discriminatoire dont les physiciens décrivent les effets sous
des degrés variables, des trois pigments sensibles (vert, rouge et le nom d' « antagonismes chromatiques ». On veut dire par là que le
bleu-violet), on devrait s'attendre à ce qu'on sente comme « sim- système nerveux est particulièrement sensible aux contrastes.
ple » l'excitation d'un seul pigment. Tel est effectivement le cas On peut envisager d'abord le contraste successif : l'œil devient
'- pour. ces trois couleurs... mais aussi pour le jaune, qui ne peut
cependant résulter que de l'excitation simultanée de plusieurs
moins sensible à une couleur plusieurs fois répétée, mais hypersen-
sible à une occurrence de la couleur complémentaire. Par exemple,
pigments. Soulignons que le vert est perçu comme simple, et que l'œil du non-daltonien, ayant perçu une séquence de dix événements
c'est seulement un savoir qui nous le fait considérer comme verts, détectera le moindre signal rouge, même faible et dilué. Le
composé. Nous devrons revenir longuement sur ces problèmes au contraste peut aussi être simultané : la couleur perçue autour
chapitre v, § 3.3. d'une plage colorée (le halo) est la complémentaire subjective de
celle-ci. Ce halo résulte de l'influence inhibitrice de la cellule excitée
sur les cellules voisines. Ainsi, une tache rouge isolée sur une
surface blanche provoquera la sensation de l'existence d'un halo
4.2. Égalisation et contraste vert-bleu à ses abords, et une tache vert-bleu se verra entourée d'un
halo rouge.

Deux caractéristiques du système de perception doivent être


soulignées. Ces deux caractéristiques, qui entretiennent entre elles
une relation dialectique, sont la fonction égalisatrice et la fonction 4.3. La figure colorée
contrastive. '

La coexistence des fonctions égalisatrice et contrastive a des


4.2.1. En premier lieu, le système est égalisateur: quelle que soit la répercussions importantes sur la perception de la figure.
complexité de la courbe spectrale (où toutes les longueurs d'ondes La première fonction crée, en effet, des zones d'égalité de
76 77
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL LES FONDEMENTS PERCEPTIFS DU SYSTÈME VISUEL

stimulation, la seconde créant des zones d'inégalité de stimulation. exemples - est la résolution d'un conflit perceptif au profit de la
Si une figure perçue est devenue une forme (c'est-à-dire si elle a solution la plus simple.
connu différentes occurrences), les inégalités de stimulations peu- La vision chromatique, par son pouvoir discriminateur, aboutit en
vent même être défonctionnalisées, comme le montre l'exemple qui effet à la ségrégation de figures, suivant le schéma décrit plus haut.
suit : un vase arrondi avec des dégradés ou un bristol plié dont une Si ces figures sont dotées de la constance qui en fait des formes, la
face est à l'ombre seront cependant perçus comme possédant une perception privilégiera cette constance et l'unicité de la forme. C'est
couleur uniforme. On dira qu' « un regardeur tend à minimiser les manifestement ce qui se passe . dans les cas d'inhibition des
changements de luminance sur une surface perçue» (Beck, 1975). contrastes ( où les hypothèses de la discontinuité ou de la pluralité
Ceci s'inscrit parfaitement dans le postulat gestaltiste d'une organi- des formes sont rejetées : il n'y a pas deux feuilles collées, mais un
sation du perçu dans le sens de la simplicité : les manques seul bristol). C'est encore le cas lorsque c'est la fonction égalisatrice
d'uniformité sont perçus, mais au lieu d'être attribués à un manque qui est inhibée : la perception y minimise le nombre de formes,
d'uniformité de l'objet lui-même, ils sont pris comme indices d'une quitte à élaborer une forme unique décrétée transparente, par la
autre information (la provenance de l'éclairage, la nature ou la réunion de deux plages pourtant différemment colorées ou éclai-
position de la surface réfléchissante, etc.). La fonction de discrimi- rées.
nation est donc inhibée.
A l'inverse, la fonction égalisatrice peut également être inhibée
dans certains cas, où l'on sera donc en droit de parler de« scission
des couleurs ». C'est le cas avec les perceptions de transparence.

' Gilchrist (1979 : 95) commente une expérience ofi un livre rouge est
" déposé sur le tableau de bord d'une voiture, et se reflète dans le
pare-brise, à travers lequel on voit un paysage. Les objets verts vus à
travers le pare-brise restent verts, et le livre reste rouge : la fusion -
5. Apparition de la notion d'objet

qui donnerait du jaune - est refusée au nom de la connaissance que En ce point de l'exposé, nous ne pouvons manquer de rencontrer
nous avons des objets. Dans ce phénomène, la couleur de la plage la notion d'objet.
transparente est cependant unique, comme on s'en assure en la
regardant isolément à travers un cadre. Quand toutefois certaines
conditions sont remplies par rapport aux plages colorées adjacentes
(continuité des contours et continuité des zoe,es notamment), on 5.1. L'objet: une somme permanente et fonctionnelle
voit cette couleur se décomposer en deux : l'une attribuée à.la zone
transparente et l'autre attribuée à une zone opaque située au-delà. Il
va de soi que cette scission ne se fait pas n'importe comment : les Tout ce que nous avons montré des mécanismes de perception fait
deux composantes subjectives doivent pouvoir rendre, par fusion, la en effet apparaître que l'activité visuelle, jusques et y compris dans
couleur« objective » de la plage. Les peintres soucieux de représen- certaines de ses manifestations les plus brutes, est inséparable d'une
ter la transparence doivent tenir compte de ce phénomène. programmation. Cette programmation est déjà génétiquement
On voit donc que si les deux fonctions principales du système codée dans les détecteurs de figures, de sorte que, dans le cas des
récepteur sont complémentaires, cette complémentarité elle-même percepts qu'ils déterminent, on peut parler d'universaux visuels.
est un ensemble de forces régies par des règles sémiotiques. La Mais nous avons vu également que la perception ne devient
principale de ces règles - ayant manifestement joué dans les deux pleinement active qu'au moment où intervient une activité mémo-
78 79
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL LES FONDEMENTS PERCEPTIFS DU SYSTÈME VISUEL

rielle. C'est le passage de l'occurrence à la série, de l'événement au


type, qui permet d'introduire le concept d'objet. Et ici nous passons
définitivement dans le domaine du culturel et donc du relatif. 5.2. De l'objet au signe
Un pas supplémentaire est fait lorsqu'on introduit la notion
d'objet, car il est le plus souvent le produit d'informations prove-
nant. à la fois de plusieurs canaux sensoriels (visuel, certes, mais Mais il faut aller plus loin encore. De ce que les objets sont une
aussi tactile, olfactif ou kinesthésique). Nous parlerons d'objet à somme de propriétés, douées de permanence et guidant l'action, on
partir du moment où une forme est reconnue comme pouvant peut avancer que cette notion rejoint celle de signe. Le signe est en
s'accompagner d'une telle sommation d'informations, ou, en d'au- effet, par définition, une configuration stable dont le rôle pragmati-
tres termes, lorsqu'elle nous apparaît comme une somme de que est de permettre des anticipations, des rappels ou des substitu-
propriétés permanentes. C'est très tôt, dans une période qui va, tions à partir de situations. Par ailleurs le signe a, comme on l'a
selon les chercheurs, de 2 semaines à 4 mois, qu'apparaît chez l'être rappelé, une fonction de renvoi qui n'est possible que moyennant
humain une coordination entre canaux, fonctionnant jusque-là de l'élaboration d'un système.
manière indépendante. Une telle coordination - premier caractère La fonction perceptive rejoint donc ici la fonction sémiotique.
de l'objet - est évidemment le fruit de l'apprentissage. Dans son fondement, la notion d'objet n'est pas foncièrement
Qui dit apprentissage dit permanence. L'objet a acquis cette séparable de celle du signe. Dans l'un et l'autre cas, c'est un être
permanence dès le moment où son existerîce cesse d'être soumise à percevant et agissant qui impose son ordre à la matière inorganisée,
la présence d'une stimulation physique. Cette permanence dans le la transformant ainsi, par l'imposition d'une forme - le mot est pris
'- temps n'est au demeurant qu'un aspect particulier d'un phénomène
plus général qui est l'extraction ou. l'attribution d'invariants. On a
cette fois au sens hjelmslévien-à une substance. Cette forme, de ce
qu'elle est acquise, élaborée et transmise par apprentissage, est
même été jusqu'à parler de la « soif d'invariance du système éminemment sociale, et donc culturelle. C'est un savoir - une
nerveux central» (Wyszecki et Stiles, 1967). structure cognitive et non plus seulement perceptive - qui nous
Une telle invariance est liée à un troisième aspect de l'objet : son garantit l'unité de la feuille pliée en deux, comme elle nous garantit
caractère fonctionnel et pragmatique. Si notre perception isole des la différence de la. vitrine et du spectacle qui y transparaît. En
invariants dans la masse des informations sensorielles, c'est évidem- synthèse, on voit que la perception est sémiotisante, et que la notion
ment en fonction d'objectifs pratiques : ces invariants sont un guide d'objet n'est pas objective. Elle est au mieux un compromis de
pour l'action du sujet. Les propriétés de l'objet deviennent ainsi des lecture du monde naturel.
facteurs de décision. En ce point de l'exposé, passant des bases anatomophysiologiques
En résumé, on peut reprendre la formule de Maurice Reuchlin, de la perception à la notion d'objet, nous pouvons donc élaborer un
pour qui « l'objet perçu est une construction, un ensemble d'infor- modèle global du décodage visuel, à l'aide de concepts empruntés
mations sélectionnées et structurées en fonction de l'expérience aussi bien à la sémiotique qu'à la théorie de la perception. Ce sera
antérieure, des besoins, des intentions de l'organisme impliqué l'objet du chapitre suivant.
activement dans une certaine situation» (1979 : 80.).

80 81
INTRODUCTION AU FAIT VISUEL LES FONDEMENTS PERCEPTIFS DU SYSTÈME VISUEL

6. Récapitulation niveau
d'élaboration statut sémiotique base empirique

1 figure occurrence non dénommable propriétés visuelles


2 forme type dénomrnable propriétés visuelles
L'activité du système visuel (ou système rétinex), dans ses 3 objet type dénommable propriétés visuelles
dimensions que sont la spatialité, la texture et le chromatisme, + propriétés
permet d'expliquer la production et la structure des percepts non visuelles
élémentaires. Elle rend donc compte, dès avant que soit alléguée la
notion d'analogie ou de mimesis, de certains caractères des codes Tableau/. Trois niveaux d'élaboration perceptive
sémiotiques susceptibles de se manifester sur le canal envisagé.
Ce système analyse, intègre et organise les stimuli, notamment à
/ travers les mécanismes que-sont l'inhibition latérale et l'extraction
de figures. Tant sur le plan de la spatialité que sur celui du
chromatisme ou de la texture, ces mécanismes ont pour fonction
d'accentuer d'une part des égalités dans la stimulation (production
de similitudes) et de l'autre des inégalités (production de
contrastes). .»

C'est ainsi qu'apparaissent le champ, avec ses caractéristiques


spatiales (l'indifférenciation), et fa limite, le premier correspondant
à la reconnaissance d'une même qualité translocale (similitude), la
seconde à une modification de cette qualité (contraste). Cette
distinction aboutit à l'opposition figure-fond, produit de la discrimi-
nation, ou ségrégation de deux ou plusieurs régions du champ par la
limite. L'apparition de ce concept entraîne une modification du
statut de la limite (ou de son analogon, la ligne) qui, prise dans
l'opposition fond vs figure, devient contour (ou limite d'une figure).
La figure elle-même peut à son tour changer de statut lorsqu'elle
cesse d'être occurrence pour devenir type, mobilisant ainsi une
activité mémorielle : on parlera alors d'objet. Cet objet peut
connaître une complexité croissante si, cessant de se définir sur un
plan strictement visuel, il est associé à d'autres informations
provenant d'autres canaux sensoriels, en vue d'objectifs pratiques.
En schématisant très fort ce qui précède, on peut représenter les
trois niveaux supérieurs de l'élaboration perceptive-cognitive selon
le schéma suivant.

82
DEUXIÈME PARTIE

Sémiotique de
la communication visuelle
CHAPITRE III

Sémiotique générale
des messages visuels

1. Introduction : sémiotique et perception

1.1. On s'est attaché jusqu'ici à préciser les mécanismes de la


sensation, de la perception, et de la scrutation cognitive. Rien de ce
I qui a été avancé jusqu'à présent ne paraît aborder de front deux
thèmes qui paraissent bien avoir partie liée. Le premier est celui de
la distinction entre spectacles naturels et artificiels, opposition qui
semble aller de soi pour le bon sens, et dont l'évidence empirique est
telle qu'elle contamine la majeure partie des travaux de sémiotique
visuelle. Le deuxième est la notion même de signe, fondement de
toute sémiotique : existe-t-il des signes visuels? Si oui, constituent-
ils une classe homogène? Comment s'articulent-ils? Qu'en est-il de
leurs éventuelles combinaisons syntagmatiques ou paradigma- '
tiques?
Le moment est venu d'indiquer clairement l'articulation entre les
mécanismes cognitifs et la perspective sémiotique. Car l'exposé
mené jusqu'à présent ne visait pas à imposer un quelconque
syncrétisme théorique. Bien au contraire.
Mais se placer dans la perspective sémiotique - c'est-à-dire
étudier la relation entre le plan de l'expression et celui du contenu,
et poser cette relation comme un objet propre -, c'est aussi
« reconnaître que l'étude en tant que telle des événements de la vie
physique et émotive est du ressort de diverses sciences humaines
autonomes et indépendantes. Non seulement la sémiologie doit-elle
reconnaître la dépendance où elle est par rapport aux hypothèses de
la psychologie cognitive ou de la perception ou encore à celles des

87
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS

théories du sujet, comme bases nécessaires à son travail propre, conséquent le pouvoir de déterminer nos modèles. Ces modèles se
mais elle doit aussi faire état ouvertement des hypothèses qu'elle borneraient à extraire le sens du réel, sens en quelque sorte
emprunte et les appliquer sans les dénaturer, puisqu'elles servent de immergé dans celui-ci. La seconde position est représentée par
fondement à la construction de son propre objet d'étude » (Saint- l'idéalisme. Sans qu'elles versent nécessairement dans le crocéisme,
Martin, 1987 : 110). ' nombre de thèses contemporaines en restent proches, en refusant
En rappelant ces exigences, nous confirmons du même coup la tout ce qui vient du monde, naturel ou construit. Refusant tout aux
perspective qui est la nôtre, laquelle est de contribuer à l'avance- « objets », l'idéalisme tient que tout le sens est produit par
ment d'une « sémiotique particulière ». l'homme; et c'est le «-texte comme aboutissement de la production
En effet, très pédagogiquement, Umberto Eco distinguait dans progressive du sens » (Greimas-Courtès, 1979 : 148). Tout est cette
une entrevue une sémiotique gënérale - « une forme de la philoso- fois dans les modèles. Sur cette voie, on trouvait déjà Ugo Volli
phie, et peut-être même la seule » -, de la sémiotique particulière- (1972) qui rappelait énergiquement qu'il n'y a pas d'« objets» dans
« qui peut atteindre le statut d'une science quasiment exacte » -, et le monde : c'est la perception qui est sémiotisante, et qui transforme
de la sémiotique appliquée ( « par exemple la sémiotique appliquée à le monde en une collection d' « objets ».
la critique littéraire »). Qu'il soit ici répété que notre propos n'est Sans vouloir ici mener le débat, admettons que notre apport au
pas d'abord de fournir des « trucs » mécaniquement applicables à la problème de la formation du sens joue plutôt en faveur de
lecture d'énoncés comme les œuvres d'art, ni de rester, avec les l'interaction 2 entre un monde amorphe et un modèle structurant.

' mains trop propres, au niveau des considérations épistémologiques :


nous entendons nous situer entre la sémiotique générale et l'appli-
quée.
Cependant, de même qu'une sémiotique particulière peut fournir
en corollaire des instruments pour ceux qui se soucient de l'analyse
Les transformations iconiques (chap. IV,§ 5) ont un caractère réel,
même si la figure de départ demeure à jamais hors d'atteinte. Dans
l'acte de perception et dans le processus de reconnaissance qui lui
fait suite (voir ci-après § 2) interviennent des traits qui ont un
caractère réel et objectif. En revanche, les groupements de ces traits
d'énoncés, cette sémiotique particulière-ci pourra contribuer à faire en unités structurelles, qui sont le propre de la lecture humaine, sont
avancer la réflexion sur un problème central de la sémiotique dans le modèle et non dans les choses (§ 2 et 3). Dans l'image se
générale. En effet, dans la mesure où elle se préoccupe de noue donc un équilibre interactif entre ce que Piaget appelait
l'articulation entre un plan de l'expression et un plan du contenu, l'assimilation et l'accommodation.
elle se bute à l'irritant problème du lien qui se noue entre un sens
qui semble ne pas avoir de fondement physique et une stimulation
physique qui, comme telle, ne semble pas avoir de sens 1. 1.2. Les pages qui suivent ont donc pour ambition de poser des
Ce problème du lien entre le physique et le non-physique déborde jalons pour élaborer une théorie des signes utilisant de manière
évidemment le cadre de la sémiotique comme discipline institution- propre le canal visuel. On y proposera d'abord un modèle global du
nalisée. Il a animé toute la réflexion philosophique occidentale (cf. décodage visuel, réunissant en un schéma unique les processus déjà
Eco, 1987 et 1988), de Platon à Descartes, de Hume à Peirce, et de décrits. Mais ce modèle fera aussi et surtout apparaître le dyna-
l'idéalisme à la phénoménologie. Il est d'ailleurs reposé aujourd'hui misme du processus qui donne sens aux objets de la perception. On
en termes nouveaux par les recherches en intelligence artificielle. marquera un temps d'arrêt sur les notions de répertoire et de type
En gros, deux positions extrêmes n'ont cessé d'être occupées par qui, liées à celles de feed-back, sont capitales pour apprécier la
ceux qui se sont souciés de la question. La première, dans la foulée liaison dont nous parlons.
de l'empirisme et du behaviourisme, est un positivisme qui attribue On traitera ensuite de trois thèmes importants qui sont ,
aux « objets » du monde matériel une existence en soi, et par a. Le problème de l'articulation des signes visuels (§ 3). La
88 89
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS

perspective gestaltiste qui a d'abord été la nôtre peut en effet laisser obtiendra le tableau II. On y aperçoit les étapes successives par
croire que le sens ne s'établit que dans des énoncés appréhendés lesquelles on passe des entités perceptibles visuellement et de ce que
globalement ; alors que la perspective sémiotique, en avançant la nous nommerons « répertoire », au sens global intégré conféré à
notion de signe, postule la possibilité d'isoler ce dernier et de l'objet. Or, c'est bien ce processus d'attribution de sens qui est
l'articuler. C'est d'ailleurs la difficulté qu'il y a à concilier les l'aboutissement des procédures de décodage, raison pour laquelle
perspectives holiste et atomiste qui a conduit Eco (1975) à diluer la on y distinguera soigneusement ce qui est cognitif.
notion de signe iconique dans une « reformulation » où les relations
entre plan de l'expression et plan du contenu sont dépeintes à tra- PERCEPT CONCEPT
vers les métaphores «galaxie.textuelle» et « nébuleuse de contenu».
b. L'opposition entre spectacles naturels et spectacles artificiels,
1. Sensation Répertoire
qui n'est peut-être pas si essentielle qu'elle n'apparaît d'abord pour
fonder une sémiotique des signes visuels (§ 4).
c. L'opposition entre deux types de signes se manifestant sur le
canal visuel : le signe iconique et le signe plastique (§ 5).
Cette dernière opposition nous servira ensuite de guide : nous
proposerons aux chapitres IV et v une nouvelle définition des deux
sortes de signes en question, et discuterons les problèmes particu-
l
analyseurs
microtopographiques
l
extracteurs
1
analyseurs
chromatiques
de motif
liers qu'ils posent.
Sur toutes les questions que nous venons d'évoquer brièvement,
nous ne dirons pas le dernier mot ici. Par exemple, le problème de
l 1 1
l'articulation interne des signes visuels se reposera plus loin, mais en
termes distincts, pour le plastique et pour l'iconique ; le problème de
la sémioticité ou de la non-sémioticité des spectacles visuels se
reposera aussi, en des termes nouveaux, sur les terrains iconique et
plastique, et il en ira de même pour le problème du type, du [eed-
2. 1 Texture 1

T intégration
1 Couleur

back, etc. Il en ira a fortiori de même pour les problèmes de


rhétorique. ~ comparaison

3 ~et
l
2. Un modèle global du décodage visuel
Tableau Il. Modèle global du décodage visuel

2 .1. Du perceptif au cognitif


Pour lire ce tableau, on insistera sur le fait qu'il présente à la fois
Si l'on tente de réunir en un schéma unique les mécanismes qui des procès et des produits. Les procès (ou les appareils processeurs)
aboutissent à la reconnaissance des formes et des objets, on sont figurés par des flèches commentées, les produits le sont par des

90 91
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS

cases rectangulaires. On notera que, pour des raisons de simplicité, précédente : on ne préjuge pas ici de la complexité <lesdits objets.
on n'a pas voulu y faire figurer le très important phénomène dufeed- Le processus envisagé n'est pas terminal : il se poursuit par la prise
back. Mais ce phénomène y est implicitement présent : par exem- en compte d'unités qui peuvent être de plus en plus vastes.
ple, le « répertoire » qu'on aperçoit à droite du tableau n'a
évidemment pu être constitué que par la fréquentation des objets
qu'il permet de reconnaître; il est par conséquent en état permanent
de reconstitution, au fur et à mesure que des objets nouveaux ou des 2.2. Répertoires et types
configurations nouvelles d'objets lui sont confrontés.
Les différents produits se régartissent en trois niveaux. II reste à nous pencher sur le statut du répertoire, instrument qui
Le premier niveau est celui des données de base. Celles que, dans va nous permettre de passer définitivement sur le plan sémiotique 3.
la perspective dualiste que nous avons critiquée, on opposerait Son statut peut être défini à l'aide de quatre propositions : (1) le
comme physiques et non physiques. Du point de vue perceptuel, le répertoire rend compte de tous les objets de la perception, quel que
niveau 1 est celui des sensations ; celles-ci sont obtenues par soit le degré de complexité de cette dernière; (2) le répertoire est
balayage et couvrent la production du champ avec ses corollaires organisé par des oppositions et des différences : c'est un système;
(comme la limite). Du point de vue conceptuel, on note la présence, (3) le répertoire sert à soumettre les percepts à une épreuve de
dès ce niveau, du répertoire qui sera présenté ci-après. conformité; (4) ce qui autorise cette épreuve est la notion de type :
Le niveau 2 est celui des processus perceptifs, qui aboutissent à le répertoire est un système de types.
une transformation simplificatrice des premiers produits (simplifica-
tion quant au nombre des caractères retenus comme pertinents).
Mais les différents produits de l'étage précédent se voient intégrés 2.2.1. Répertoire et niveaux de complexité
dans un produit nouveau ( couleur et texture peuvent contribuer à la
naissance de la forme). Le répertoire intervient, comme on le voit, Si le répertoire paraît constituer la nouveauté principale de notre
dans ce mouvement vers la pertinence. schéma, il joue déjà en fait au niveau perceptif (niveau 2) et
Le niveau 3 est celui des processus cognitifs. C'est dire que la intervient dans les phénomènes que nous avons décrits au chapitre
répétition et la mémoire, productrices de l'objet, y interviennent. précédent. C'est lui qui, par exemple, est à l'origine de l'inhibition
Ce résultat n'est évidemment pas terminal, puisqu'il est soumis au de la fonction contrastive : si le carton plié, ou l'objet arrondi
feed-back. Notons deux choses à propos de cette présentation présentant un dégradé continu, ne sont pas interprétés comme un
schématique. Elle applique la belle devise cartésienne qui recom- ensemble d'objets juxtaposés ou reliés, mais bien comme des
mande d'aller du simple au complexe. Ce qui est peut-être aspects ou des éléments différents d'un seul objet, c'est en vertu
souhaitable lorsqu'on mène un discours quelconque, mais qui ne d'une connaissance antérieure, qui nous amène à parier sur l'uni-
correspond peut-être pas aux véritables processus de la perception. cité de cet objet. On assiste donc à une véritable disqualifi-
Certains tiennent au contraire que la véritable démarche cognitive cation du stimulus (lequel présente bien des zones d'inégalité de
emprunte la voie inverse : n'est-ce pas Lévi-Strauss qui déclare que stimulation). Ce processus joue non seulement au niveau terminal
« la connaissance du tout précède celle des parties »? Le débat sera (où l'existence de ces zones est interprétée, grâce au répertoire,
repris en détail plus loin (§ 3), mais notons déjà que le « simple » comme l'indice d'un phénomène autre, par exemple l'orientation
(sous les espèces de la sensation), tout autant que le complexe (sous de la lumière d'éclairage), mais déjà au niveau 1 : certains pro-
les espèces du répertoire) sont présents d'emblée au niveau 1. cesseurs qui fonctionnent à ce niveau voient leur activité infléchie
L'autre remarque porte sur la notion d'objet, et est liée à la par le répertoire.

92 93
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS

En toute rigueur, le schéma très simplifié que nous présentons de le baptiser de la sorte : on ne peut valablement parler d'un plan
devrait être complété par des flèches, partant du répertoire et de de l'expression que si les oppositions qui s'y manifestent sont
chaque niveau de feed-back vers les processus de même niveau ou associées à des oppositions sur un plan du contenu (l'association des
de niveau antérieur. Ces processus complexes verront s'affirmer deux systèmes aboutissant à un code). Or, le problème de savoir si
leur importance lorsque nous envisagerons les phénomènes de la /vert/ a un quelconque signifié, comparable à un signifié linguis-
représentation iconique. Mais il nous suffisait de noter ici que tique, ne peut être abordé avec quelque chance de succès que si
l'intervention du répertoire est la condition sine qua non du l'on a préalablement établi que /vert/ entrait dans un système.
caractère sémiotique d'un fait visuel. Ce caractère n'est en aucune C'est une chose à présent acquise et qui permet de parler de sémio-
manière lié à la complexité de ce fait visuel : il s'applique tant à des tique : la question de la sémioticité ou de la non-sémioticité se pose,
faits situés au niveau 2 du schéma qu'à des faits situés au niveau 3. en effet, en termes de systématicité, sans que le renvoi à un autre
Ce que l'on nommera ci-après le type sémiotique peut aussi bien plan y soit une condition nécessaire (sans quoi il n'y aurait pas
être une couleur (le /bleu/, le /vert bouteille/), une texture (le de sémiotique musicale). La notion de répertoire, telle que nous la
/lisse/, le/ grainé/) ou une forme (/vertical/, /allongé/) qu'une icône présentons ici, vaut donc autant pour le plan de l'expression que
(/tête/, /chat/), alors que les organisations de ces objets présentent pour celui du contenu, et nous aurions aussi bien pu prendre
évidemment des degrés différents de complexité. l'exemple du type « vert » que celui du signifiant /vert/.

Nous pouvons à présent revenir une dernière fois aux phéno-


2.2.2. Le répertoire comme système de différences mènes de perception : nous montrerons que la description qui en a
été donnée peut aisément être retraduite en termes sémiotiques 4•
Le répertoire en question est organisé. Ce qui le montre à Nous le ferons à partir de l'exemple de deux percepts dont
suffisance est la considération des niveaux les plus élémentaires du l'importance apparaît comme capitale : la ligne et le contour.
schéma. Si /bleu/ peut être isolé, c'est qu'il entre dans une relation Au plan perceptuel, la ligne permet la ségrégation d'un sous-
d'opposition avec /rouge/, /vert/, etc.; si /vert bouteille/ peut l'être, ensemble du champ.
c'est parce qu'il s'oppose à /vert eau/, /vert wagon/; le /mat/ Au plan sémiotique, nous dirons qu'elle instaure une partition
s'oppose au /brillant/, etc. Le répertoire est donc le résultat d'un dans une substance. Cette opération de délimitation crée une
processus de discrétisation du continuum de la perception, discréti- opposition, et donc un système élémentaire.
sation qui aboutit à des formes (au sens hjelmslévien) que l'on Est-ce à dire que la limite est une forme de l'expression, à quoi
désignera ci-après du nom de type. correspondrait une forme précise du contenu? Oui, si on laisse à ce
Loin d'être un« dictionnaire » où les types seraient conservés en contenu une grande généralité. On peut ainsi noter deux fonctions
vrac, le répertoire est donc structuré : c'est-à-dire qu'il est un de la limite : (a) elle constitue une marque de sémioticité; c'est elle
système constitué de différences. Peu importe, à partir d'ici, la qui crée le spectacle; (b) elle n'attribue pas un sens précis aux
nature de l'élément qui entre en opposition (et c'est pourquoi il ne espaces qu'elle oppose, mais crée leur condition de lisibilité. Le
nous revenait pas de discuter, par exemple, de la nature chimique continuum, d'abord perçu comme indifférencié et donc inapte à
ou électrique des phénomènes neurologiques considérés) : ce qui véhiculer le sens, se voit, par l'opposition première, attribuer une
compte c'est la présence ou l'absence de ces éléments, qui engendre potentialité de sens.
des valeurs dans le système. Les espaces opposés sont neutres et se bornent à être distincts l'un
Le système organisant les formes décrites jusqu'à présent paraît de l'autre. Dans un espace à deux dimensions, une limite fermée
bien être celui du plan de l'expression. Mais il est encore prématuré (sémiotiquement fermée : empiriquement, elle peut être faite de

94 95
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS

points, ou d'un trait incomplètement fermé) détermine topologique-


ment deux espaces, que l'on peut dire respectivement intérieur et 2.2.3. Répertoire et épreuve de conformité
extérieur. Mais ce statut n'est pas définitif et ce qui est un moment
désigné comme intérieur peut l'être ensuite comme extérieur. Le répertoire peut approximativement être défini comme un
La ligne se transforme en contour quand l'opposition primitive se système de types (une« typothèque»). Il le sera avec plus de rigueur
stabilise dans une opposition extérieure vs intérieur. Autrement en tant qu'organisation, hiérarchisée en niveaux, des propriétés
dit : quand nous donnons un statut définitif à chaque espace. visuelles ou non visuelles mobilisées par la mémoire du sujet
Ceci semble simple, mais pose en fait un problème encore mal percevant, et attribuées à l'objet.
résolu. Pourquoi donnons-nous un statut sémiotique plus solide à Toutes les figures perçues sont soumises à une épreuve de
l'intérieur de la limite plutôt qu'à son extérieur5? Arnheim (1982) conformité : elles sont confrontées à des types, et l'hypothèse est
invoque le « pouvoir du centre » : justification du même type que la faite qu'elles sont des occurrences de ce type. Elles se voient alors
fameuse virtus dormitiva qui expliquerait tautologiquement l'effet attribuer ou refuser les propriétés appartenant à ces types, de sorte
soporifique de l'opium. Une hypothèse plus solide serait que la que l'hypothèse est soit vérifiée, soit infirmée. Dans le premier cas,
limite fermée constitue un modèle sémiotique de notre champ de on aboutit au résultat« terminal » (avec la réserve qu'on a faite sur
perception. Celle-ci oppose en effet, en passant une série d'intermé- ce mot). Dans le second cas, l'échec débouche soit sur l'arrêt du
diaires, un champ de vision nette, dans lequel nous appréhendons processus, soit sur une nouvelle épreuve, soit encore sur un
avec précision les rapports de longueur, de surface, etc., et un réaménagement du répertoire.
champ de vision floue, non strictement délimité, offrant à la L'épreuve elle-même peut présenter plusieurs degrés de com-
perception un espace indifférencié 6• plexité : l'hypothèse peut concerner un ou plusieurs types; dans ce
Le type particulier de contour qu'est la bordure a pour fonction dernier cas, l'association peut être exclusive (avec conflit perceptif)
de donner le statut « intérieur » à un des espaces opposés par la ou non ; le jugement de conformité peut être immédiat ou demander
ligne. Autrement dit, de délimiter un espace. Quel est le statut de un long délai, etc. L'étude détaillée de ces opérations ne peut
cet espace? Sémiotiquement, ce n'est encore qu'un espace sans évidemment être menée ici.
contenu déterminé. En termes moins rigoureux mais plus parlants,
on dirait : un espace réservé pour une image à venir, mais non
encore produite 7• 2.2.4. Le type
La bordure assume un rôle sémiotique important vis-à-vis de cet
espace : elle le désigne en effet comme homogène. L'image à venir Peut-être faut-il s'étendre un peu sur la notion de type, constitu-
reçoit ainsi, avant même d'être émise, le statut d'unité : signe isolé tive de celle de répertoire. Les types sont des formes, au sens
ou énoncé 8. hjelmslévien du terme. Pas plus que dans le cas du phonème ou dans
L'espace réservé n'est pas toujours occupé par une image. Dans celui du signifié linguistique, il ne s'agit de réalités empiriques
ce cas, cet espace est souvent réputé « vide ». Mais quel est alors le brutes, antérieures à toute structuration : ce sont des modèles
statut de ce vide? Contrastant avec un plein attendu, serait-il une théoriques. Entre une forme type et la forme perçue, la couleur type
figure de rhétorique? C'est cette thèse que nous discuterons, au et la couleur perçue, l'objet type (qui sera plus loin défini comme
moment d'envisager les figures par suppression. icône) et l'objet perçu, il y a donc le même rapport qu'entre le
phonème et tous les sons qui peuvent lui être associés, entre le
nombre et tous les groupes d'objets associés suivant la loi de ce
nombre.

96 97
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS

Étant des modèles, les types constituent une définition 9• En différentes combinaisons de ces déterminants ( dont tous ne sont
extension, la classe à quoi s'applique cette définition est une classe donc pas nécessaires).·
de percepts groupés dans un mouvement qui néglige certains
caractères jugés non pertinents. La présence de telle ou telle ride "'
n'invalide ni ne confirme l'appartenance de tel objet à la classe
« tête », telle variation de saturation n'invalide ni ne confirme
l'appartenance de telle couleur à la classe « rouge », et ainsi de 3. L'articulation de l'énoncé et des signes visuels
suite. Par l'accentuation des contrastes, par la création (ou le
renforcement) des contours, par l'égalisation des plages, l'appareil
perceptif sémiotise. Il s'agit pour lui en fait d'extraire une informa-
tion utile, de dégager un signal d'un bruit et d'éviter d'avoir à 3.1. Approche globale et approche structurale
constituer un répertoire infini. Or, il se fait que ce sont générale-
ment les informations situées aux limites qui sont considérées
comme les plus utiles 10• Sémiotiser, c'est donc poser des classes en Si nous avons jusqu'à présent traité de la perception des objets en
dégageant des invariants (spécifiques) et en négligeant des traits nous inspirant largement de la psychologie de la forme, le moment
particuliers (individuels). est venu de reformuler ces acquis en termes tels que, au moment où
A la base d'un type visuel, il y a ainsi un seuil d'égalisation. les phénomènes visuels sont envisagés comme producteurs de
L'appareil perceptif, qui mérite bien d'être appelé machine sémio- signes, ils puissent fournir la base d'une rhétorique. Le moment est
tique, décide d'une part d'ignorer tout stimulus inférieur au seuil peut-être venu aussi de prendre quelque distance avec une concep-
choisi, et d'autre part d'exagérer tout stimulus dépassant ce seuil, et tion erronée du perceptivisme.
de lui donner valeur critériale. En relevant le seuil, on obtient des Car, comme le note Palmer (1977 : 441-442), les écoles structura-
types plus abstraits, et réciproquement. liste et gestaltiste ont souvent été présentées comme inconciliables :
En résumé, le processus de classement correspond à une stabilisa- pour la première, une figure globale se ramènerait à l'assemblage de
tion du percept ( élimination de caractères) et à une abstraction 11• ses éléments primaires; pour la seconde, cette figure constituerait
Cette abstraction peut être réalisée de différentes manières. On une entité indivisible dont les propriétés ne peuvent être détermi-
obtiendra de la sorte, dans l'univers des représentations, des types nées à partir des constituants.
stabilisés à divers niveaux d'abstraction. Mais les approches atomiste et holiste ne sont peut-être pas aussi
Stabilisation et abstraction ne sont cependant pas deux variables inconciliables qu'il n'y paraît. Intuitivement, les figures globales
proportionnelles. Si le répertoire des formes géométriques repré- semblent parfois pouvoir être décomposées en parties - et il faut
sente l'exemple d'une abstraction relativement poussée, nous ver- bien rendre compte de ce phénomène-, d'autre part l'ensemble a
rons combien ces abstractions, loin de toujours correspondre à des manifestement des propriétés que les parties n'ont pas.
modèles universels, sont les produits d'une élaboration culturelle Il importe donc de sortir de la fausse dichotomie dont on vient de
très poussée : c'est là que réside la source de la stabilisation, et non parler, notamment en refusant une conception de la perception qui
dans le fait même de l'abstraction. D'un autre côté, une forme se éliminerait toute possibilité d'une articulation des ensembles en
donnant d'abord comme moins abstraite, tel le visage humain, n'en parties. Or, c'est une telle conception holiste que nous trouvons
demeure pas moins un type stable. Simplement, cette forme dans la théorie de la perception syncrétique d'Ehrenzweig, théorie
comporte plus de déterminants, et le type peut se réaliser, comme dont il faut souligner les limites.
on le verra au chapitre suivant pour le signe iconique, à travers Dam, L'Ordre caché de l'art (1974: 52), Ehrenzweig daube
98 99
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS

sarcastiquement sur ce qu'il appelle la naïveté de la philosophie des tion syncrétique. Le premier inconvénient qu'elle présente est son
données sensibles, telle que la défendait Russell. Suivant cette relent platonicien marqué, qui va de pair avec un refus très net de la
théorie, la perception commencerait par « la vue de données fonction intellectuelle d'analyse, refus noté également chez Croce.
sensibles abstraites insignifiantes». Ces données seraient ensuite Le second inconvénient est qu'elle est beaucoup moins économique
élaborées par le cerveau en entités plus complexes, associées cette qu'une théorie faisant place à une articulation, où la multitude
fois aux objets du monde. Ehrenzweig approuve au contraire la innombrable des objets se ramène à des combinaisons d'éléments en
psychologie de la forme, pour laquelle « la perception va directe- nombre limité. Un troisième inconvénient, lié au second, est
ment à des patterns abstraits complets», tout en déplorant que ces particulièrement grave dans une étude où on s'attache à mettre au
formes restent abstraites et doivent ultérieurement être associées jour les mécanismes d'une rhétorique de l'image : c'est son inapti-
aux objets concrets. Il « comprend mal qu'il soit si difficile tude totale à rendre compte de la métaphore, plastique ou iconique.
d'envisager une perception( ... ) allant droit globalement aux objets En effet, la théorie syncrétique interdit toute abstraction ainsi que
individuels, sans avoir conscience de leurs éléments abstraits ». toute lecture générale. Pour prendre l'exemple de La Grande Vague
C'est ce qu'il appelle « la saisie syncrétique de l'objet total ». d'Hokusai (analysée au chap, IX,§ 3.2.), une saisie syncrétique à la
Quel que soit le respect que l'on éprouve pour ce savant Ehrenzweig irait d'une part droit à l'identification de la vague, et
psychologue, on ne peut aucunement souscrire à une telle théorie. d'autre part droit à celle du mont Fuji : incapable de rendre compte
En effet, ce n'est pas parce qu'un mécanisme est ultra-rapide qu'il de l'analyse d'une vague en composants (eau, écume, etc.) et d'un
n'existe pas. Et d'ailleurs, il est des cas où le mécanisme est mis en paysage hivernal en composants (montagne enneigée, flocons, etc.),
échec, et si ralenti que l'on redevient conscient de la recherche elle ne pourrait faire percevoir la « rime plastique » entre ces deux
volontaire de ces « données sensibles abstraites insignifiantes », qui objets, et ignorerait ce qui est sans conteste le sens de cette œuvre ...
seules permettent en dernière analyse de discriminer entre deux
types différents. Rappelons une fois encore l'excellente formulation
de B. Campbell (1967) : « The only way an entity can be recognized
as even existing is by criterial attributes that distinguish it from its 3.2. Un modèle d'articulation
environment. »
L'origine, et en même temps l'explication, de l'erreur d'Ehren-
zweig est fournie par les expériences récentes de Navon (1977) et Il importe de synthétiser l'approche gestaltiste, sans sa déviation
Palmer (1980). Ceux-ci ont montré que, selon toute vraisemblance, holiste, et l'approche structurale.
la forme globale est analysée en premier, ses caractéristiques Le modèle jusqu'ici le plus raisonnable pour la représentation
perceptives globales servant alors à poursuivre l'analyse au niveau perceptive des stimuli visuels a été fourni par Stephen Palmer, qui
des parties. Comme le pressentait Lévi-Strauss, le processus irait l'a élaboré sur la base d'expériences nombreuses et fiables (1975,
donc du global au local plutôt que l'inverse 12• Mais on voit bien que 1977, 1980). Ce modèle, que nous corrigerons sur quelques points et
cette primauté de l'intérêt pour la forme globale est bien autre chose que nous adapterons à notre propos, est également le plus apte à
qu'une saisie syncrétique : d'une part, cette forme n'est appréhen- être traduit en termes sémiotiques. Il permet en effet de résoudre à
dée qu'à travers ses caractéristiques (toutes globales qu'elles soient), la fois le problème de l'articulation des signes visuels (tant plastiques
et donc à travers un processus· de modélisation; d'autre part, le qu'iconiques) sur l'axe paradigmatique et celui de leur organisation
choix d'un niveau global donné plutôt que d'un niveau particulier ou syntagmatique.
local s'est imposé uniquement par sa valeur de survie. Palmer tend à synthétiser les deux approches décrites sous la
Bien d'autres critiques peuvent encore être opposées à la concep- forme d'un réseau hiérarchisé d'unités structurelles (US). A chaque

100 101
SÉM IOTIQ U E D E LA CO M M UNICATION V ISUELLE SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS

niveau, les unités sont définies à la fois comme un ensemble de Le modèle de Palmer, reformulé dans letableau III ci-contre, fait
« propriétés globales» (approche holiste) et comme un ensemble donc appel à deux types de propriétés, dont la définition laisse
organisé de parties ( approche structurale), ce que Palmer nomme malheureusement un peu à désirer.
« propriétés atomiques ». Il peut y avoir plusieurs niveaux hiérar- Les propriétés globales ou holistes sont des « valeurs quantitatives
chisés dans une représentation donnée, mais aucun n'est a priori selon des dimensions perceptives, spécifiées par rapport à un certain
dominant : « Les parties ont le même statut logique que le tout. » référent 14 ». Par exemple, la taille d'un œil sera déterminée par la
Les unités de Palmer sont des éléments de la représentation mentale taille de la tête. Mais pour nous les propriétés globales peuvent se
susceptibles d'être traitées « en bloc », même si elles possèdent une fonder sur autre chose que des formes : elles peuvent aussi être des
13
grande complexité interne (par exemple, une tête, un œil ... ) • propriétés de couleur, où de texture. Ces propriétés globales sont de
type intrinsèque : j'identifie un dessin d'œil parce qu'il présente des
configurations spatiales correspondant à celles du type culturel
USu qu'est le modèle de l'œil (cette correspondance posant évidemment
Niveau n+I
des problèmes, que nous aborderons au chapitre suivant). Elles sont
dites globales car elles transcendent, pour le niveau considéré, les

Niveau n
ft~
US2_1 ~ ·US2.2
éventuelles subdivisions de l'unité.
Vers le bas, les unités structurelles sont définies par des propriétés
atomiques : « Chaque US ( ... ) est définie par ses parties subordon-
nées( ... ) et par les relations entre elles» (1977 : 443). Par exemple,
la tête est définie comme l'ensemble de deux yeux, d'une bouche,

f\ff~
un nez, etc. placés dans une position respective précise. Ces
propriétés atomiques sont, quant à elles, extrinsèques. Elles font
intervenir la relation entre plusieurs éléments, et notamment des
relations de subordination et de superordination. Ainsi, c'est parce
que tel stimulus visuel est situé 1à tel endroit dans un signe que je
puis globalement identifier ce dernier comme une tête. Elles sont
~ US3_2 ~ US3_3
Niveau n-1 US3.1 dites atomiques parce qu'elles font nécessairement intervenir un

4V
4
V
4
V
processus de décomposition de l'unité en unités d'un rang inférieur.
Malgré ses imperfections sur lesquelles nous allons venir, le
modèle de Palmer constitue un point de départ élégant pour
l'analyse des messages visuels. Observons également que l'auteur
prend bien soin de souligner que la décomposition en unités
Tableau III. Schéma d'un modèle hiérarchique
structure l'acte de perception, et n'implique pas que les unités
de l'information perceptuelle structurelles choisies aient une existence réelle dans le stimulus :
« elles sont dans l'esprit, et non dans le monde » (1977 : 471). Le
US i, j = unités structurelles (niveau i, numéro j) stimulus peut seulement accepter différentes organisations, qu'il
Rs, Re= relations entre US s = subordination possède toutes à titre égal.
c = coordination
P = propriétés globales
V = valeur des P
102 103
,---

SÉMIOTIQUE DE LA COMMUN ICATION VISUELLE SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS

gation », « arrondi »: qui prennent pour telle unité structurelle une


" valeur déterminée (par exemple, pour« élongation », une valeur du
rapport longueur /largeur). On constate que ces valeurs sont des
3 .3. Discussion positions sur ce qu'on pourrait appeler des « axes visuels » (par
analogie avec les axes décrits par la sémantique linguistique). Un
Le modèle doit, comme nous l'avons dit, être corrigé en certains inventaire de ces axes reste à faire, mais on y trouverait probable-
de ses points. Nous examinerons successivement les propriétés ment:
atomiques, les propriétés globales et le statut des unités structu- - étendue relative
relles. - anguleux/ arrondi
- allongé/ramassé, etc.
3 .3 .1. La définition des propriétés atomiques est composite, et Or, les mêmes axes se retrouvent à tous les niveaux, où ils sont
devrait être plus élaborée pour devenir rigoureuse. On constate par chaque fois affectés d'une valeur. Ces valeurs sont donc parfaite-
exemple, dans le schéma, l'existence d'un type de relation qui nous ment composables, et fournissent une propriété véritablement
paraît devoir être distingué des autres (ici représentés par les flèches globale. C'est sur de telles compositions que se fonde l'opposition
horizontales) : il est clair qu'une unité peut également être définie des silhouettes globales d'un phasme - cet insecte aussi baptisé
par ses relations de coordination avec les unités de même niveau ; ce bâtonnet - et d'un scarabée, car dans ces deux cas la valeur de l'axe
qui est à la fois distinct d'une propriété globale et d'une définition « élongation » est la même à chaque niveau ( élevée pour le phasme,
par les parties subordonnées, ou subordonnantes. faible pour le scarabée) : le schéma général du phasme est allongé,
Enfin, un quatrième type de relation peut être envisagé, qui fait mais aussi celui de ses pattes, de ses antennes, etc.; le scarabée est
intervenir non plus l'espace, mais le temps : la préordination. Il ramassé, mais aussi ses élytres, son thorax, son abdomen, etc.
arrive, en effet, fréquemment que les objets visuels se présentent en Lorsqu'au contraire la valeur d'un axe visuel diffère fortement à
séquence, et que cette séquence élève le niveau de la redondance : chaque niveau, la composition qui en résulte ne fait pas émerger une
tel cercle peut être associé au type « visage » parce qu'il figure dans propriété globale caractéristique : cet axe ne participe que faible-
une séquence d'autres formes que leurs propriétés globales font ment aux propriétés globales. C'est ce que montre l'exemple
nécessairement percevoir comme des visages. fabriqué et extrême ci-dessous, où l'unité englobante a un rapport
d'élongation 1/1, alors que les unités englobées ont toutes une
élongation élevée :
3.3.2. Les propriétés dites globales ne sont peut-être pas si globales
qu'elles en ont l'air et impliquent un certain degré d'analyse : il faut,
pour les saisir, inventorier ces dimensions perceptives que Palmer M
présente de façon plutôt empirique et désordonnée.
Le statut des propriétés atomiques - extrinsèques - semble être
stable et univoque : la coordination des deux yeux et leur subordina-
tion dans le visage sont des relations permanentes que l'on peut
0
décrire avec précision. En revanche, le statut des propriétés globales Il semble donc (bien que la chose doive d'abord être confirmée par
- intrinsèques - apparaît comme tout différent. Partons d'exem- des expérimentations soigneuses) que les propriétés intrinsèques
ples donnés par Palmer lui-même : des propriétés telles qu' « élon- soient en réalité des combinaisons, intégrations ou synthèses

104 105
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE pES MESSAGES VISUELS

partielles de propriétés d'ordre supérieur (c'est-à-dire situé plus bas


dans le tableau) 15•
On peut alors conclure que les ~eules propriétés objectivement 3.4. Synthèse
descriptibles sont les propriétés extrinsèques (atomiques), et que les
propriétés intrinsèques (globales) en constituent des synthèses
subjectives toujours partielles, mouvantes et hypothétiques. L'ensemble de nos observations conduit à une reformulation
sémiotique du schéma de l'information perceptuelle.
Elles mettent l'accent sur la relation dialectique qui s'établit entre
3.3.3. Tout ceci n'est pas sans répercussion sur le statut de l'unité unité et parties d'unité. Chaque unité ou partie d'unité n'a en effet
structurelle elle-même, que nous allons enfin rapprocher de la de valeur que par sa position dans un énoncé visuel. Elle entretient
notion de type. donc des relations qui peuvent être de quatre espèces : coordina-
Dans l'examen d'un spectacle, naturel ou artificiel, ce qui est tion, subordination à une unité de niveau supérieur (ces deux types
d'abord donné aux sens est un faisceau de stimuli élémentaires. de relation fournissant les propriétés dites atomiques), superordina-
Leur examen est généralement très rapide, mais nous pouvons tion (par rapport à des unités de niveau inférieur) et préordina-
néanmoins en identifier les phases successives. Au premier moment tion 18• Ces relations fournissent les propriétés dites globales.
de l'analyse de l'image il y a un refus d'intégration : seuls ont le droit Ces relations déterminent les propriétés des unités ségrégées. On
de fonctionner les détecteurs de formes, de textures et de couleurs. appellera déterminant toute unité conférant une propriété à une
La ségrégation des unités structurelles est postérieure, et résulte de autre d'un rang supérieur.
l'intégration de ces traits (formes, textures, couleurs), en conformité Plus haut, on avait distingué deux sortes de déterminants : les
avec un type du répertoire. Ces intégrations sont toujours conjectu- intrinsèques et les extrinsèques. La critique de la notion de
rales : elles sont toujours susceptibles d'être remises en question par propriété globale et la reformulation de toutes les propriétés en
la mise en place d'un schéma hiérarchisé plus économique et plus termes de relation semblent devoir relativiser cette opposition. La
complet (rendant compte de davantage de traits). Il peut y avoir distinction reste cependant utile pour rendre compte des différentes
plusieurs oscillations 16 avant que l'intégration s'équilibre dans un possibilités d'identification d'une unité structurelle - en quelque
modèle de lecture déterminé et stable. C'est seulement à ce moment sorte de redondance l'une par rapport à l'autre. Un « œil » peut être
que les stimuli élémentaires ou traits prennent le statut de détermi- identifié parce qu'il a la forme d'un œil (déterminant intrinsèque
nants, car leur présence est alors la manifestation du type. fournissant une propriété globale) ou parce qu'il est situé à la place
On pourrait décrire de façon schématique le processus d'analyse d'un œil dans l'unité visage.
aboutissant à l'identification d'un type : présence du trait T1 -+ Une unité donnée peut être identifiée et par ce qui est elle et par
hypothèse : type 1, qui comporte T1 à titre de déterminant D1-+ ce qui n'est pas elle. Ceci prendra toute son importance au moment
implique présence supplémentaire de D2, D3 ... -+ retour aux traits où nous envisagerons les énoncés rhétoriques, ou énoncés associant
pour vérifier cette présence -+ décision oui/ non, etc. plusieurs signifiés à un même signifiant. Dans une image de Hergé
On peut donc affirmer - et ceci devrait clore les débats sur le qui sera commentée plus loin, une bouteille dessinée à la place
rapport entre le perceptuel et le conceptuel - que seuls les d'une pupille sera considérée à la fois comme une pupille ( en raison
déterminants sont « réels » au sens où ils existent dans leur de déterminants extrinsèques) et comme une bouteille (en raison de
interaction avec notre système nerveux périphérique. Les unités déterminants intrinsèques). Bien sûr, l'image non rhétorique ne
structurelles par contre restent des conjectures sémiotiques, des présente pas ce type de conflit entre les deux sortes de détermi-
nants ; on n'y trouve pas l'abaissement du niveau de la redondance
constructs 17•
106 107
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS

typique des énoncés rhétoriques, mais une complémentarité, qui essence conime un Martien. Dans le dessin d'André François (La
vise à maintenir un haut niveau de redondance. Famille, couverture pour Le Nouvel Observateur), certaines têtes
En résumé, nous avons cinq types de déterminations, en redon- sont remplacées par des cercles; dans l'Aube à Cayenne de
dance les unes par rapport aux autres. Elles peuvent être synthéti- Magritte, un arbre est représenté seulement par ses branches, sans
tronc. Pour ces deux exemples, c'est à nouveau le mécanisme ( 4) qui
sées dans le tableau IV
opère. Enfin le point (5) est bien illustré par l'exemple du chat de
Cheshire qui, ne cessant d'apparaître et de disparaître aux yeux
d'Alice irritée, se réduit par moments à son sourire labile. Cette
Déterminations extrinsèques possibilité est bien entendu limitée aux images en séquence ( que
Déterminations intrinsèques
synchroniques diachroniques cette séquence suive un axe spatial ou temporel).
Les exemples qui viennent d'être fournis sont de nature iconique.
Mais on trouverait sans peine des exemples' plastiques. On verra
superordination notamment l'importance de la détermination (5) dans le cas de la
propriétés globales coordination préordination rhétorique plastique. Le statut de ces déterminants devra être
subordination ultérieurement défini de manière plus précise, selon que l'on se
trouvera dans le domaine des messages plastiques ou dans celui des
Tableau IV. Articulation des signes visuels messages iconiques (sur cette opposition, v. ci-après, § 5). Enfin, la
notion d'unité - tout comme celle de type - devra également être
Ce tableau peut se traduire en cinq formules, qui seront ensuite travaillée, notamment pour respecter la distinction des plans de
l'expression et du contenu.
illustrées.
Une unité visuelle, iconique ou plastique, est reconnaissable :
1) par ses caractères globaux, c'est-à-dire par son contour, sa
coloration moyenne, sa texture;
2) par les relations positionnelles qu'elle entretient avec les unités
4. Spectacle naturel vs spectacle artificiel :
de même niveau;
3) par ses relations positionnelles avec l'unité qui l'englobe; une opposition à affiner
4) par ses relations avec les unités en lesquelles elle se décompose
(et qu'elle englobe donc);
5) par les unités qui l'ont précédée dans le temps et/ou dans la
4.1. Arrivés à ce point, il faut aborder une distinction dont on
même portion d'espace.
Le point (1) est évident et s'illustre facilement par la possibilité s'étonnera peut-être qu'elle n'a pas été présentée plus tôt dans un
d'images ramenées à des silhouettes (par exemple, dans le théâtre travail s'élaborant à l'enseigne de la sémiotique. C'est la distinction
d'ombres). Le mécanisme (2) fonctionne dans le dessin d'une armée entre les spectacles naturels et les spectacles mimétiques, ou
où seuls les premiers rangs de soldats sont figurés avec des visages artificiels : d'un côté, les nuages, les tables, les machines, la terre;
détaillés. Le point (3) permet, grâce à sa position dans le visage du de l'autre côté, les photos de nuages, les peintures de tables, les
capitaine Haddock, d'identifier comme pupille ce qui serait une plans de machines, les cartes de la terre ; d'un côté, l'eau, la peau, le
bouteille en vertu des déterminations (1) et (4). La détermination ciel; de l'autre, les tableaux abstraits, les tapisseries, etc. Nous
(4) permet d'identifier, dans un cartoon célèbre, une pompe à avons au contraire repoussé le plus loin possible 19 une distinction

108 109
SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
" signaux " et dont la fonction consiste en la transmission de
qui semblait aller de soi pour ce « bon sens » qui meut parfois même messages » aux autres membres d'un groupe humain (Prieto, 1966 :
les scientifiques, mais qui commence déjà à être sérieusement mis à 9). Face à cette sémiologie de la communication, d'autres cher-
mal si l'on se met à réfléchir aux raisons qui feraient ranger les cheurs étendent leur domaine à tous les faits de signification, par
machines dans les spectacles naturels, et les fumées de certains exemple la mode. Cette dichotomie, que le bon sens avalise
signaux dans les artificiels. aisément, est-elle fondée? Ses conséquences sont grandes : pour ses
C'est qu'il nous a paru prématuré de réifier une distinction qui a tenants, elle indiquerait un ordre de priorité dans la recherche.
certes quelques raisons d'être, sur lesquelles nous allons revenir, Priorité qui reviendrait à la sémiologie de la communication : celle-
mais qui ne s'imposait d'emblée ni dans le cadre de l'étude de la ci pourrait trouver un appui important dans les acquisitions de la
perception - ce qui est assez évident - ni dans celui de la sémiotique linguistique, et ce n'est que par la suite qu'une éventuelle sémio-
- ce qui l'est peut-être moins. tique de la signification ( dont on se demande .alors si elle mérite
On ne pouvait évidemment introduire une différence entre encore le nom de sémiotique) pourrait s'édifier, sur la base de la
spectacles naturels et spectacles artificiels tant qu'on ne prenait en première. Celle-ci lui fournirait en effet des modèles beaucoup plus
compte que les processus de perception : lesdits processus jouent appropriés que ceux de la linguistique dont elle s'est jusqu'ici
bien de la même manière dans les deux ordres de spectacles, qu'il inspirée, non sans déboires. Cependant, cette seconde étape est
s'agisse d'être sensible aux stimuli identifiant l'objet cheval ou à purement et simplement supprimée dans l'esprit de certains tenants
ceux qui renvoient à l'objet sculpture de cheval, les mécanismes de la sémiologie fonctionnelle (ainsi, Martinet, 1973 : 11, envisage
décrits dans le tableau récapitulatif II jouent bien de la même façon. sa possibilité, mais - lacune significative - ne revient plus une seule
Ceci est même la source de certaines difficultés dans la définition du fois sur ce problème). Pour eux, une sémiologie de la signification
signe iconique : on verra qu'un même objet empirique peut tantôt apparaît comme une discipline impérialiste, perdant sa spécificité à
avoir le statut de signifiant, tantôt celui de référent, et que deux mesure qu'elle étend ses frontières, et, dans la meilleure des
objets peuvent occuper tour à tour ces deux positions ; ce ne sont hypothèses, finit par s'assimiler à l'épistémologie.
donc jamais des critères perceptuels qui permettent de décider Mais on voit immédiatement ce que serait une « sémiologie de la
quand un objet a tel ou tel statut. communication » stricte : elle se réduirait à l'étude des insignes de
grades à l'armée, à celle des signaux routiers et à quelques autres
codes pour lesquels on peut avoir certes estime et intérêt. Elle se
priverait en tout cas de l'étude des indices et refuserait le droit à
4.2. Mais même sur le plan sémiotique, il n'est pas dit qu'on doive l'existence d'une part importante de la pragmatique actuelle. Mais il
privilégier les spectacles artificiels. y a plus : en une démonstration par l'absurde (cf. Klinkenberg,
C'est le problème qui est au cœur du débat, suscité par l'école 1979), on peut montrer que les schémas les plus rigoureux de la
fonctionnaliste, entre« sémiotique de la signification »et« sémioti- sémiotique de la communication se fondent sur l'intervention
que de la communication». Rappelons les grandes lignes de ce subreptice de faits pourtant réputés relever de la sémiotique de la
débat. La ligne de séparation entre les deux écoles serait la signification : ils comportent dans tous les cas une considération
suivante : pour les partisans de la sémiologie fonctionnelle, l'objet implicite du contexte pris comme un système structuré. On est donc
de notre discipline est exclusivement constitué par l'ensemble des fondé à renverser l'ordre hiérarchique proposé plus haut : la
« faits perceptibles associés à des états de conscience, produits sémiotique de la signification est une des conditions pour qu'une
expressément pour faire connaître ces états de conscience et pour sémiotique de la communication complète et rigoureuse puisse voir
que le témoin en reconnaisse la destination » (Buyssens, apud le jour.
Prieto, 1968 : 94). Ces instruments sont « ceux qu'on appelle
111
110
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS

Un des points les plus fragiles de la théorie des deux sémiotiques l'acceptation sociale d'équivalences sensoriellement forcées (j'ac-
est la notion d'intention. G. Mounio le souligne avec force : « Toute cepte que telle surface plane tactile uniforme et recouverte de taches
sémiologie correcte repose sur l'opposition catégorique entre les noires et grises et de zones blanches - la photo - vaille pour tel
concepts cardinaux d'indice et de signal» (1970 : 13), ce dernier objet tridimensionnel, tactilement hétérogène et chromatiquement
étant défini comme« un indice artificiel, c'est-à-dire comme un fait varié : acceptation hautement élaborée). Cette distinction semble
qui fournit une indication et qui a été produit expressément pour bien renforcer la puissance du répertoire, et agir en conséquence sur
cela» (Prieto, 1966: 15, d'après Mounio, ibid.). On voit donc que le phénomène du feed-back. On peut prévoir que le mécanisme de
l'opposition naturel-artificiel repose sur l'opposition intentionnel- perception des spectacles artificiels sera affecté par des phénomènes
non intentionnel, dont nous avons montré le caractère peu opéra- qualitativement distincts de ceux que nous avons décrits jusqu'ici.
toire (en dehors, bien sûr, d'études comme celles qui seront Les multiples techniques de production d'artefacts visuels sont donc
évoquées en 4.3.). susceptibles d'enrichir le répertoire des formes de l'expression et des
Nous pouvons donc remettre à leur juste place ces oppositions. Si formes du contenu des signes visuels. D'où le privilège que nous leur
la société nous offre des artefacts visuels dont la fonction est donnons volontiers, mais qui ne leur est pas dû par essence.
manifestement de signifier (sculpture, tableaux abstraits, photos, Par ailleurs, certaines familles de signes visuels peuvent jouer le
plans), cette fonction existe également dans le cas d'objets tels que rôle d'indice, donnant un statut sémiotique à l'espace désigné et à ce
couchers de soleil, arbres, pierres, étrons, eau. Il faut et il suffit que qui s'y trouve. C'est notamment le cas des cadres, des socles, des
ces objets soient introduits par quelqu'un, et fût-ce furtivement, étiquettes, etc. 21• Des stimuli qui, situés dans un autre environne-
dans un quelconque processus de sémiose; ce qui, d'une certaine ment, n'auraient pas été engagés dans ce processus de sémiose, sont
manière, les rend artificiels. La notion d'intention se voit, du coup, en quelque sorte arrachés du monde conçu comme naturel, et
remplacée par celle de projection : projection du récepteur sur une peuvent se voir conférer des valeurs nouvelles. C'est ainsi que se
série de faits physiques à quoi il donne sens. (C'est la théorie de la constituent d'ailleurs nombre de signes plastiques sur lesquels nous
lecture active, que nous n'avons cessé de défendre.) De sorte qu'il y devons maintenant nous arrêter.
a système sémiotique dès lors qu'un récepteur postule une valeur
différenciatrice dans une série d'objets 2°.

S. Une distinction fondamentale :


signe plastique et signe iconique
4.3. Mais de même que l'opposition intentionnel/non intentionnel,
une fois raffinée, permet d'intéressants développements sur la
manipulation, la ruse, le mensonge, la séduction, et permet 'I ·
l'analyse des stratégies des personnages au théâtre, dans le dialogue 5.1. Qu'il n'y a pas de« signe visuel »22
de roman, etc., l'opposition artificiel/naturel n'est pas dépourvue
de toute pertinence quand on descend au niveau de la description
détaillée des systèmes visuels. Et cela pour deux raisons au moins. Une des catégories à la fois des plus reçues et des plus discutées en
Le feed-back; jouant dans le mécanisme de décodage visuel, est sémiotique visuelle est celle d'icône : tous les dictionnaires s'accor-
d'autant plus actif que le répertoire de types est puissant et dent pour noter que les icônes sont « ceux des signes qui sont dans
structuré. Or, la' · distinction même entre spectacles naturels et un rapport de ressembljéce avec la réalité extérieure » (Dubois et
spectacles artificiels semble être de nature culturelle : elle relève de al., 1973 : 248).
, 113
112
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS

Laissons pour l'instant de côté les importants problèmes que pose Nous pouvons donc poser, par hypothèse, qu'il n'y a pas un signe
cette définition ( qui laisse croire à la validité de la thèse de visuel, mais qu'existent au moins deux types de signes visuels : les
l'isomorphisme) pour noter que celle-ci n'autorise nullement à poser signes que l'on nommera iconiques - en suivant la tradition - et
l'équation iconique= visuel. C'est pourtant à ce glissement massif, ceux que l'on nommera plastiques.
favorisé par l'étymologie, que l'on assiste : la notion d'icône est Cette distinction n'est évidemment pas nouvelle. On la trouve
surtout utilisée dans les domaines du cinéma, de la photographie, sous bien des plumes, avec ce nom ( e.g. Damisch, 1979 ; Sonesson,
etc., alors que, en rigueur de termes, le concept est totalement 1987) ou avec d'autres ( e.g. iconique et pictural chez Payant, 1980,
indépendant de la nature physique du médium; il y a un iconisme qui démarque Groupe µ, 1979, ou figuratif et plastique dans l'école
sonore (le bruitage, la musique narrative, le discours rapporté), greimasienne; cf. Floch, 1982). Mais il importe de dépasser le stade
voire tactile ou olfactif, et il y a peu ou prou de l'iconisme dans le de l'intuition ou de l'empirisme et, comme il a été dit, de donner un
récit ou dans la syntaxe (cf. Haiman, 1985). statut à chacun de ces signes. Chacun d'entre eux pose en effet des
Mais ce qui se trouve nié par l'assimilation de l'icône et du visuel, problèmes théoriques sui generis. Par exemple, dans le cas de
ce n'est pas seulement l'homogénéité de la classe des signes l'icône, on pourra ·se demander ce que peut bien être une quelcon-
iconiques. C'est aussi l'existence de signes à la fois visuels et non que « ressemblance » avec « la réalité »; concepts qui devraient
iconiques. être réexaminés (voir chapitre rv). Dans le cas du plastique, on
Or, de tels signes existent, et deux considérations banales pourra s'interroger sur la place qu'il prendrait dans une classifica-
suffiront à le montrer empiriquement. tion des signes comme celle de Peirce : indice? symbole ? ou les
Tout d'abord, des signes iconiques (visuels) équivalents peuvent deux? En outre, le!- structure de ces signes peut être fort différente.
se manifester sous des dehors divers : telle photo peut être plus ou Si la relation sémiotique la plus fondamentale est celle de l'expres-
moins floue, tel plan de ville peut organiser les couleurs d'une autre sion et du contenu, le type de relation entretenu peut varier. Et ne
façon que tel autre, avec un grain différent et sur un autre papier, parlons pas de problèmes comme l'éventuelle articulation de ces
deux peintres peuvent faire un usage différent de la pâte qu'ils signes, ou du classement de leurs variétés ... Tous ces problèmes
utilisent dans deux œuvres figuratives. Il importe de rendre compte seront envisagés aux chapitres rv et v, qui proposent respectivement
de ces différences et de définir leur statut sémiotique. La tâche est une théorie de l'iconisme (visuel; mais nombre de concepts
plus urgente encore si la sémiotique visuelle, par définition géné- pourront être étendus à l'iconisme non visuel) et une théorie du
rale, entend connaître une phase déductive et rendre compte de signe plastique.
domaines spécifiques, comme celui de la peinture. Il s'imposera là, à
un moment ou à un autre, de considérer ce que Hubert Damisch .,..
nomme - dans une terminologie paralinguistique dangereuse - le
5.2. Des ennemis, des voisins ou des frères?
« surplus de substance d'où lui viendraient [à la peinture] son poids,
sa charge, son titre spécifique de peinture » (1979 : 134).
Par ailleurs, la communication visuelle existe sans qu'elle soit liée 5.2.0. Même si elle est fondée en droit, la distinction iconique-
à l'icône. On a vu dans le chapitre n- où l'on discute le point de vue plastique ne doit pas nous faire oublier que des interactions existent
des philosophes de l'art - que tout le débat autour de l'art abstrait a entre ces signes. Par exemple, si l'on veut constituer une rhétorique
tourné autour du statut à donner à des objets bien paradoxaux, visuelle, on peut s'attendre à ce que la structure rhétorique des
puisqu'on nihésitait pas à les nommer signes en même temps qu'on messages (la rhé?cftique s'occupant des discours et non des signes
.leur déniait toute signification. Il s'impose, ici encore, de donner un isolés) joue à la fois sur les différents types d'unités constitutives de
statut sémiotique précis à ces signes. ces messages. L'approche linguistique des messages rhétoriques -
114 115
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS

textes littéraires, et principalement poétiques - a bien fait voir sémiotique iconique : « Face à une longue tradition valorisant les
l'intérêt des analyses prenant en considération la superposition des isotopies du contenu analogique ou symbolique, la promotion des
faits phonologiques et des faits sémantiques à l'intérieur d'un même isotopies de l'expression ne peut être que le fait d'une conquête : la
texte. négation délibérée de l'impérialisme de la communication et de la
Mais on ne pourra parler avec pertinence du rapport de l'iconique représentation 23• » Lorsque, à l'inverse, des théoriciens ont pris en
et du plastique qu'après les avoir posés chacun dans son individua- compte le piveau plastique des images, leur propos, qui prend
lité. C'est donc plus tard - au chapitre IX - que nous envisagerons fréquemment appui sur des genres historiques déjà investis d'un
ces phénomènes icono-plastiques. puissant discours idéologique (c'est le cas de la peinture), relèvent
Il est néanmoins nécessaire d'aborder ici deux questions relatives davantage de la spéculation esthétique, de la sociologie de la
audit rapport. perception ou de la critique psychanalytique que de la sémiotique
La première : pourquoi le signe plastique n'a-t-il pas, dans les proprement dite 24•
différentes théories de l'image, conquis le statut autonome que nous On pourrait disserter à l'envi sur les raisons historiques de cette
lui accordons ici? Est-ce dommageable pour les théories en situation. On notera en tout cas que les arts visuels n'étaient en
question? Quelles sont les conséquences de cette suprématie Occident, dans l' Antiquité et le Moyen Age, détenteurs d'aucune
donnée à l'iconique sur le plastique? légitimité culturelle. Leur pratique s'apparentait davantage à celle
La seconde : la distinction entre plastique et iconique semble de l'ouvrier ou de l'artisan qu'à celle du littérateur honnête homme.
d'emblée assez claire. Mais, claire, elle ne pourra vraiment le Cette pratique n'a donc été le support d'aucune spéculation
devenir qu'une fois réalisé le programme défini-plus haut: quand scientifique. D'où, par exemple, le retard qu'a pris la théorie de la
aura été mené à bien le travail de modélisation qui fera de ces objets communication visuelle sur la linguistique. Retard qui devait
empiriques deux concepts théoriques. Car, sur le plan pratique, on nécessairement affecter les composantes les plus « matérielles » -
éprouvera peut-être certaines difficultés à distinguer le plastique de donc les plus méprisables - de cette communication visuelle : le
l'iconique. C'est ce que dirait immédiatement un bon connaisseur de plastique. Le discours sacralisant les arts s'est développé au
l'art abstrait : l'interprétation des œuvres de Klee, Mir6, Van der XIXe siècle en s'emparant du fait visuel : il devait donc surtout se
Leck, Kandinsky est riche de cette ambiguïté qui consiste à jouer à porter sur le signe iconique.
la fois sur le figuratif et le non-figuratif (cf. Floch, 1981 ; Thürle- S'il s'explique, le privilège donné à la représentation ne se justifie
mann, 1985). Mais il y a plus. Ce n'est pas seulement au niveau des guère. Ou, s'il se justifie, c'est d'un poi.nt de vue strictement
énoncés complexes, et pour des raisons perceptives, que l'hésitation méthodologique. J.
est possible. Elle l'est aussi, et pour des raisons théoriques, au D'une part, on sait que la linguistique saussurienne a au moins eu
niveau des formes les plus simples : tel /cercle/, par exemple, est-il comme utilité de rappeler au théoricien des sciences humaines que
là pour lui-même (ce qui en ferait un signe plastique), ou repré- l'adage divide ut imperes recouvre en épistémologie une valeur que
sente-t-il une image de cercle (ce qui en ferait un signe iconique)? la morale lui refuse ; d'autre part, la nature sémiotique du phéno-
Envisageons successivement ces deux problèmes. mène de la représentation est d'emblée plus évidente que celle des
moyens par lesquels il se manifeste. On pourrait donc être fondé,
méthodologiquement, (1) à s'en tenir au niveau iconique, en
5.2.1. L'occultation du signe plastique déniant toute ~tinence sémiotique à des éléments qu'on définira
dès lors comme des caractéristiques « matérielles » ou « substan-
C'est un fait: dans la mesure où une sémiotique des images a tielles » du signe iconique, et (2) à définir les variations de ces
tenté de se constituer jusqu'à présent, elle n'est guère qu'une éléments comme de simples « variantes libres » ou « stylistiques ».

116 117
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS

C'est peu ou prou ce qu'a fait la « linguistique de la communica- ques. Mais si ces deux modèles théoriques peuvent rendre compte
tion», avant qu'on ne s'avise - notamment dans le cadre de la d'un même stimulus, il importe de les séparer en droit29•
sociolinguistique - que ce qui était structuré dans le langage n'était Bref, nous répétons que signe iconique et signe plastique peuvent
pas seulement ses formes, mais aussi ses usages sociaux, principale- être solidaires dans leur manifestation matérielle - et que la chose
ment saisissables dans ces variantes expulsées de la description. n'est pas sans intéressantes répercussions sur la communication
Néanmoins, de cette très relative légitimité du point de vue visuelle -, mais qu'il s'agit de signes parfaitement autonomes au
iconique, on ne peut pour autant déduire l'inexistence d'une plan de la théorie : autonomes et « complets», mettant en relation
structuration du niveau plastique. Ce serait là hypostasier ce qui est de manière chaque fois originale des portions d'un plan du contenu
simple choix méthodologique. et d'un plan de l'expression.
L'occultation du plastique n'est pas sans conséquences. Consé- La solidarité des signes plastique et iconique dans leur manifesta-
quences qui pèsent encore aujourd'hui sur son statut en sémiotique. tion vient compléter, soit dit en passant, nos conclusions du
Le plastique apparaît en effet fréquemment comme subordonné à paragraphe précédent sur l'opposition entre spectacle artificiel et
l'iconique : il constituerait le plan de l'expression, ou le signifiant, spectacle naturel.
25
d'un contenu iconique, l'icône ayant ainsi statut de signifié • On peut, en effet, poser que la lecture de ces derniers est une
Nous nous démarquons radicalement de cette position : plastique lecture qui parvient à reprendre tous les éléments plastiques au
et iconique constituent pour nous deux classes de signes autonomes. niveau iconique (ce qui ne veut pas pour autant dire qu'ils cessent
Signes à part entière, ils associent chacun un plan du contenu à un d'être plastiques et de signifier en tant que tels) : tel jaune permet
plan de l'expression, la relation entre ces deux plans étant chaque d'obtenir la reconnaissance du type « citron », tel bleu permet
fois originale. d'obtenir celle de« ciel ». Si l'on veut voir dans le plastique un type
Une fois de plus, la position ici critiquée n'est pas totalement sensoriel obtenu par les processus perceptifs primaires, on peut
inexplicable : elle a pu naître à la faveur de deux observations affirmer, de manière plus précise, que ces types peuvent être
partielles, qui ont en commun de ne pas prendre en compte le fait finalisés par l'intervention de processus cognitifs iconisants. La
que les deux types de signes sont des modèles théoriques et non des situation est plus claire dans les cas où ces processus laissent un
objets empiriques 26• résidu non interprétable iconiquenient, résidu qui doit bien, moyen-
Comme on le verra, la relation entre expression plastique et nant une autre chaîne d'interprétants fournir un sens qu'on
contenu ~lastique est moins univoque que celle qui joue au niveau nommera sens plastique. En fait, c'est pJrlois toute la démarche de
iconique 7, et les contours de l'unité sont éminemment labiles. Or, .,.f
reconnaissance iconique qui est vouée l'échec : le résidu cesse
les raisons que l'on a d'isoler tel signe plastique dans un énoncé alors d'en être un, puisqu'il vaut 100 % de l'information!
visuel peuvent provenir de la sélection de tel signe iconique dans le Comment le spectateur est-il orienté vers tel type de lecture plutôt
même message : ce sont alors les contours du second qui détermi- que vers tel autre? C'est ici qu'interviennent d'autres signes. Ils sont
nent l'extension du premier. Les deux signes apparaissent ainsi de la famille de l'index - comme le cadre 30 et ce que l'on nommera
comme solidaires. Ce qui, aux yeux de certains, a pu paraître plus loin la double performance. Ce sont de tels indicateurs de
28 culturalité qui contribuent à donner au plastique sa valeur auto-
comme une relation de subordination •
Le deuxième fait qui peut expliquer l'équation simpliste « signi- nome. En retour, la présence dans un message largement iconique
. fiant = plastique » et « signifié = icône » est la confusion évidem- de traits non f~lisables dans la reconnaissance d'un type iconique
ment rendue possible, dans une sémiotique obnubilée par les empêche les signes iconiques émis d'être confondus avec leur
mythes du sensible, par ceci que ces deux instruments peuvent de référent et joue donc le rôle d'indicateurs de sémioticité.
facto s'actualiser dans un même ensemble de phénomènes physi-
118 119
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS

visuel iconique, définition qui ne sera élaborée qu'au chapitre


suivant. Anticipons donc ( en demandant au lecteur son indulgence),
5.2.2. Comment distinguer pratiquement en avançant que le signifiant du signe iconique est lié à un référent
le signe iconique du signe plastique? par une relation dite de transformation, référent et signifiant étant
ensemble dans une relation de conformité à un type. Munis de cette
Il n'est pas aisé de distinguer empiriquement le signe plastique et définition, nous pouvons affronter le tenant de l'iconisme du cercle,
le signe iconique. En effet, devant un phénomène visuel, deux qui peut nous assaillir par deux côtés. Il peut en effet soutenir que :
attitudes sont possibles : y voir un simple phénomène physique, ou (1) le /cercle/ tracé est iconique parce qu'il a un cercle pour
une représentation. Devant une /tache bleue/, on peut déclarer: référent ; (2) qu'il est iconique parce qu'il renvoie à la classe des
« c'est bleu », aussi bien que : « cela représente du bleu». Dans le objets circulaires, à un type culturel stabilisé : le « cercle ».
premier cas, celui qui est pressé de traduire des comportements en Penchons-nous donc sur ce fameux/ cercle/ tracé. Si son dessin est
termes sémiotiques dira qu'il est en présence d'un phénomène une icône, quel peut être son référent? Il ne peut s'agir que d'un
plastique; dans le second cas, qu'il s'agit d'un signe iconique. Même autre cercle, ayant les caractéristiques propres (dimension, couleur
hésitation devant une forme simple : « c'est un cercle » et « ça éventuelle, etc.) qu'on voudra bien lui supposer. Dans cette
optique, tout phénomène physique descriptible comme cercle
représente un cercle ». renverrait à un autre cercle. Mais les choses vont-elles ainsi? La
On voit d'où vient la confusion : de la possibilité qu'il y a de réponse est évidemment négative : il faut de sérieuses raisons
toujours nommer une chose ; et du parti pris - que formulait pragmatiquespour décider qu'un phénomène n'a pas d'autre valeur
Barthes autrefois - selon lequel « il n'y a du sens que nommé ». Si que le renvoi à quelque chose qui lui est extérieur. Cette raison
l'on devait suivre cette voie, il n'y aurait jamais que de l'iconisme peut, par exemple, être ce que nous nommerons la double perfor-
dans le visuel, et les tentatives pour rendre son autonomie au mance. Par exemple, dans une photo représentant manifestement
plastique seraient vouées à l'échec 31 ... D'autant plus que d'autres un papier sur lequel un cercle a été tracé, on peut dire que la photo
arguments « de bon sens » tendent à établir une continuité entre le est iconique du tracé - c'est la première performance-, mais on ne
plastique et l'iconique : une simple tache informe serait plastique, le peut dire que le cercle tracé - deuxième performance - est l'icône
dessin d'un visage serait iconique, mais une figure géométrique d'un autre cercle. Mais dans les cas désimple performance, aucune
serait quelque part entre les deux : plastique parce qu'elle n'a pas situation pragmatique ne vient conférer l'iconicité au tracé : aucune
pour référent un être du monde naturel, iconique parce qu'elle n'est transformation n'est décelable.
pas seule de son genre, mais renvoie à une idée extérieure à elle, et à Le tenant de l'iconisme du cercle pourrait cependant insister, et
une actualisation de ce concept qui ne pouvait se définir que par sa prendre pour argument l'origine du cercle, en le liant au sémantisme
qu'il a dans notre culture. Le cercle, nous objecterait-il, ne pourrait-
forme dans l'espace.
Tentons d'y voir plus clair. Et, pour cela, partons d'un de ces il être décrit comme le produit d'un processus de stylisation et
exemples discutables que le bon sens désigne comme « intermé- d'abstraction 32? Son but serait alors de montrer l'invariant d'objets
diaires » : celui des figures géométriques. Pour être concrets, nous aussi divers que le soleil, la tête humaine, les ballons de football, les
pièces de monnaie, etc. Après tout, nombre de signes naissent de ce
reprendrons l'exemple du cercle.
Notre raisonnement prendra la forme d'une démonstration par type de pro~ure (cf. Eco, 1987). Qu'est-ce qui, dans le débat qui
l'absurde : nous partirons de l'hypothèse que le /cercle/ dessiné est nous occupe, ferait une icône de ce cercle? Le fait que les signifiés
un cas de signe iconique. Mais pour bien mener cette démonstra- pouvant lui être associés sont souvent proches des signifiés associés
tion, il faut évidemment disposer d'une définition solide du signe aux objets qui ont subi le traitement de stylisation : dans telle

120 121

'
/
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
SÉMIOTIQUE GÉNÉRALE DES MESSAGES VISUELS
culture, la circularité signifie peut-être la perfection divine, parce
que le soleil - qui présente ce trait de circularité - est un être divin. sion et celui du contenu, ces formes peuvent alors très bien être
La réponse à cette objection n'est pas malaisée. Oui, le cercle associées à un sémantisme stable lui aussi. C'est ainsi que le/ cercle/,
peut, dans certains cas, être iconique. Mais dans ce cas-ci, il n'est pas le /carré/, le /rouge/, le /noir/, donneront lieu à des interprétations
iconique en tant qu'il renverrait à un référent cercle, mais bien en sémantiques souvent plus riches que d'autres entités moins stables
tant qu'il renvoie au soleil, ou à la tête, ou à la monnaie ... Et même (la /ligne brisée/, la /terre d'ombre/ ... ). Mais cette cohérence n'est
si la /forme circulaire/ en elle-même - indépendamment de toute pas de n~ture iconique. Elle provient exclusivement des discours -
référence au soleil - s'associe à un signifié « perfection » parce religieux, mythologiques, scientifiques - qui ont réifié ces formes à
qu'un jour, à une époque peut-être révolue, le «soleil» a repré- nos yeux, au point d'entretenir ce que l'on sait désormais être
l'illusion iconique.
senté cette perfection, ce rapport diachronique (qui a pu être
d'iconisme) n'est d'aucun secours pour traiter d'un rapport de Toute cette discussion montre que l'on a besoin de concepts plus
signification jouant en synchronie. Et ce rapport-là (/cercle/- fermes que ceux qui ont été utilisés jusqu'à présent comme code,
« perfection») n'est pas d'iconisme. ratio difficilis, ou renvoi d'un objet à un autre. Les concepts de
Voilà donc la situation éclaircie : une forme circulaire peut être signes plastique et iconique seront définis avec toute la rigueur
une icône si elle renvoie à un référent ayant telles caractéristiques nécessaire dans les deux chapitres suivants. Pour l'instant, conten-
spatiales; elle ne l'est pas sinon. tons-nous d'avancer que le signe plastique signifie sur le mode de
l'indice ou du symbole, et que le signe iconique a un signifiant dont
Mais notre raisonnement laisse subsister le concept de renvoi - les caractéristiques spatiales sont commensurables avec celles du
référent.
qui est à la base de toute sémiotique - ; et, dans ce cas-ci, le renvoi
partant de la forme perçue semble bien se faire en direction d'un
type stable ( « l'idée » de « cercle »). Or ce renvoi à un type est aussi
constitutif du signe iconique ... Allons-nous céder enfin?
Non. On voit sur quoi se fonde le raisonnement adverse de celui
..~
qui conclut à l'iconisme : sur l'idée que le signe plastique n'est
jamais codé en dehors d'un énoncé particulier. Or, en va-t-il ainsi?
Nous démontrerons au chapitre v que les sous-systèmes plastiques
(qui sont la forme, la couleur et la texture) sont riches de formes de
l'expression relativement simples (ligne, brisure, verticalité, grain,
etc.). Il reste bien sûr que le lien susceptible d'être établi entre ces
formes et un contenu est fragile, flou et très dépendant des
contextes : ce que U. Eco (1975 : 246-247; 1988) nomme la ratio
difficilis. Mais la fragilité de ce lien n'exclut nullement qu'un
discours culturel donné s'empare d'un segment quelconque du plan
de l'expression, en lui assignant une forme précise (par exemple
/rouge/ vs /terre d'ombre/, /ligne droite/ vs /brisée/), au point que
ces formes au sens hjelmslevien tendent à devenir des formes au
......
sens gestaltiste : prégnantes, stables, aisément identifiables.
Conformément au principe du parallélisme entre le plan de l'expres-
)
122
LE SIGNE ICONIQUE

une icône particulière-par exemple, un portrait hyperréaliste - n'a


guère les propriétés de l'objet qu'il représente (par exemple, la
CHAPITRE IV
texture de la peau ou la mobilité du sujet). Et tenter de nuancer
l'affirmation de l'identité des propriétés par des précautions comme
Le signe iconique celle de Morris (« d'un certain point de vue») ou de Peirce
(«principalement») ne constitue qu'une caricature de la démarche
scientifique : dira-t-on que « l'atome est indivisible " d'un certain
point de vue "? », ironise Eco (1975 : 258). On ne peut qu'abonder
dans son sens. Mais si d'aventure ce « point de vue » pouvait être
défini, alors la conception de l'iconisme comme isomorphisme
1. Le problème de l'iconicité redeviendrait conforme aux exigences de la science. C'est la voie
que semble tout d'abord suivre Eco : « A ne rester que sur le plan
de la perception, il faut au moins prendre une autre précaution et
affirmer, par exemple, que le signe iconique construit un modèle de
1.1. Critique de la notion d'iconicité relations (entre phénomènes graphiques) homologue au modèle de
relations perceptives que nous construisons en connaissant et en
nous rappelant l'objet. » (Eco, 1970 : 21).
Le concept d'iconicité pose divers problèmes. Les uns sont Mais même la précaution consistant à apparier deux modèles de
logiques et épistémologiques, les autres sont techniques. Les uns et relations perceptives , paraîtra illusoire à l'Eco du Trattato, qui
les autres ont longtemps fait croire que le concept même d'iconisme éliminera purement et simplement la notion d'iconisme au nom de
était une aporie et qu'en conséquence il devait être évacué de la la cohérence épistémologique, En effet, note-t-il, l'iconisme semble
« définir de nombreux phénomènes différents : depuis " l'analo-
théorie.
C'est sans doute Umberto Eco qui a mené le plus loin la critique gie " des instruments de mesure ou des ordinateurs, jusqu'aux cas
du concept, et de la manière la plus solidement argumentée; il est où la similarité entre signe et objet est produite par des règles très ·
sans cesse revenu sur ce thème, de La Structure absente au Signe sophistiquées qui doivent être apprises et au cas de l'image
et au Trattato di semiotica. Sa critique porte sur les notions naïves spéculaire 3 » ; tous ces phénomènes ne relèveraient pas de la
présentes dans toutes les définitions du signe iconique - à travers sémiotique (mais, par exemple, de mécanismes perceptifs).
des termes comme ressemblance, analogie, motivation - lors- Un premier essai de clarification et de classement de ces
qu'elles insistent sur les similitudes de configuration entre le signe et phénomènes hétérogènes avait déjà été tenté par Nelson Goodman
l'objet qu'il représente 1• Ainsi, Peirce parle de « ressemblance (1968), qui, curieusement, avançait des exemples très comparables à
native », ou encore dit qu'un signe est iconique quand « il peut ceux dont Eco fait état dans son travail de la même année. Il
représenter son objet principalement par sa similarité » (2.276; distinguait, dans la notion d'iconicité, deux relations distinctes :
1978 : 149); selon Morris (1946), le signe iconique a« d'un certain d'une part la ressemblance et d'autre part la représentation. Ces
point de vue, les mêmes propriétés que le dénoté»; Ruesch et Kees relations ont des propriétés logiques bien différentes. Ainsi la
y voient « une série de symboles qui sont par leurs proportions et ressemblasse est réflexive (A p A) et symétriqûe (si A p B, alors B p
leurs relations similaires à la chose, à l'idée ou à l'événement qu'ils A), propriétés que n'a pas la représentation : il est absurde de dire
représentent » 2 ••• i
qu'un objet se représente lui-même (réflexivité), et est normale-
L'auteur a tôt fait de montrer les faiblesses de ces conceptions : ment absurde de dire qu'une personne représente son portrait

124 125
LE SIGNE ICONIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE

(symétrie). D'autres raisonnements plus empiriques montrent que doublement présente, grâce aux concepts de « type iconique » et de
ressemblance et représentation n'ont rien à voir entre elles : deux « transformation iconique ».
objets très ressemblants ne sont pas nécessairement prédisposés à se On peut cependant tomber d'accord avec la majeure partie des
représenter (dira-t-on qu'un jumeau «représente» son critiques ici résumées à grands traits, mais qui synthétisent l'essen-
Ménechme ?), et d'autre part, la représentation peut être obtenue à tiel du débat sur l'iconisme tel qu'il est mené depuis une quinzaine
l'aide d'objets peu ressemblants. Goodman cite cet excellent d'années 6. On conviendra en tout cas que le problème de l'isomor-
exemple d'une toile de Constable : elle représente un château, mais phisme a jusqu'ici été posé en des termes qui relèvent plus de
a en fait plus de traits de ressemblance avec n'importe quel autre l'empirisme rampant et du bon sens que de la démarche scientifique.
tableau qu'avec un quelconque château; et pourtant, c'est ce Nous irons même plus loin en disant qu'une définition fondée sur
des notions intuitives comme « analogie » ou « ressemblance »
château-là qu'elle représente, et non une autre toile.
La conclusion s'impose d'elle-même : la représentation, où un débouche, si on tire ses ultimes conséquences, sur deux propositions
objet est « mis pour » son sujet, n'a pas une relation nécessaire avec contradictoires mais également inintéressantes : (1) « Tout objet est
la ressemblance. A la limite, n'importe quoi peut représenter le signe de lui-même >> (puisqu'il en a toutes les caractéristiques et
n'importe quoi (ainsi Goodman retrouve-t-il le principe de l'arbitra- propriétés, conformément à la définition de Morris!), et (2)
« N'importe quoi peut être le signe d'un objet donné » (puisque
rité). « deux objets pris au hasard auront toujours l'une ou l'autre
L'idée de copie doit donc être abandonnée au profit de celle de
reconstruction : on verra que c'est là notre position, qui permettra propriété commune 7 »). La première proposition aboutit à dissou-
cependant de ne pas évacuer radicalement le .concept de motiva- dre la notion.même de signe (qui suppose nécessairement l'altérité
de l'expression .eqdu contenu). La seconde aboutit à la dissolution
tion 4• de la perspective sémiotique elle-même : cette perspective suppose,
Laissons Goodman, que nous allons retrouver, et retournons à
Eco. La crise de la définition de l'iconisme est pour lui le signe d'une en effet, qu'un clivage au moins vient structurer le champ du
crise plus importante : celle de la notion de signe elle-même. Cette contenu, et qu'il en va de même sur le plan de l'expression;
notion se condamne à être inopérante si on tente de la réduire à condition qui s'évanouit si tout renvoie indistinctement à tout.
l'idée d'une unité sémiotique, unité entrant toujours en relation fixe Une théorie qui conserverait la notion de signe iconique, et qui
avec un signifié. Pour la conserver, il faut envisager le signe comme donnerait un fondement scientifique à cette « similitude de configu-
lien, sans cesse remis en cause selon les circonstances, entre des rations » qui n'est jusqu'à présent qu'une intuition, devrait donc se
« textures expressives » peu précises et de vastes et inanalysables conformer à deux conditions au moins. Elle devrait, tout en
« portions de contenu ». Tirant les conséquences de ceci, Eco résolvant l'épineux problème de la « similitude », (1) respecter le
conclut : l'ambition d'une sémiotique ne sera plus d'élaborer une principe d'altérité : montrer que le « signe iconique » possède des
typologie des signes, mais plutôt d'étudier les modes de production caractéristiques qui montrent qu'il n'est pas « l'objet », et affiche
5 ainsi sa nature sémiotique ( ce qui donnerait un fondement rationnel
de la fonction sémiotique •
Le caractère impitoyable de la critique s'autorise cependant d'une à la formule vague de Morris : « d'un certain point de vue ») ;
erreur logique : on voit mal en quoi le maintien de la notion (2) montrer comment les oppositions et les différences y fonction-
d'iconisme déboucherait nécessairement sur « une théorie de la nent ou, en d'autres termes, comment se structure ce« signe » dont
motivation profonde du signe » - de tout signe -, évacuant la délimitatign est pour le moins problématique.
l'arbitrarité de la définition de celui-ci. On verra plus loin comment
l'arbitrarité peut, dans un modèle du signe iconique, coexister avec I
la motivation : dans celui que nous proposerons, l'arbitrarité sera

126 127
LE SIGNE ICONIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
exister entre les nébuleuses de l'expression et celles du contenu.
Pour explorer ces modes de relation, il nous faudra mettre au point
1.2. Critique de la critique ou : faut-il briser l'icône? un modèle rendant compte de l'hétérogénéité des phénomènes
jusqu'ici catalogués comme iconiques. Car cette hétérogénéité n'est
/
peut-être qu'un effet dû à l'état actuel de la réflexion sémiotique, et
L'ensemble des critiques opposées à la notion d'iconicité oblige à l'on peut poser comme hypothèse qu'elle n'est elle-même qu'une
reprendre le problème sur de nouvelles bases. Procéder à ce intuition empirique. Elle ne constitue pas une raison suffisante pour
réexamen, c'est peut-être d'abord pousser la critique plus loin pratiquer la fuite en avant que nous dénonçons. Ce modèle devra
encore, et examiner un concept qui a moins retenu l'attention que rendre compte (ce qui n'est pas la même chose qu'assumer) des
celui de l'isomorphisme : le concept d'objet. C'est à cette réflexion processus qui sont à la base des définitions naïves que l'on a
que nous nous livrerons plus loin(§ 1.2.2.), après avoir reformulé le critiquées. Il devra aussi être assez puissant pour permettre de
problème de la relation entre le signe et l'objet (§ 1.2.1.). En décrire la réception des signes ( et donc la production de la
examinant ce concept, on s'apercevra qu'on peut peut-être envisa- référence) autant que leur production. C'est ce modèle que nous
ger une solution au problème de l'isomorphisme. Poussant la construirons plus loin en élaborant le concept de transformation
critique plus loin qu'eux, nous aboutirons, paradoxalement, à une (§§ 2 et 5).
position moins radicale que celle de nos devanciers.
Car en effet, tout renvoyer à une typologie des modes de
production sémiotique, comme le fait Eco, -ou évacuer le problème 1.2.2. L'objet
de la référence, comme le suggère un représentant de l'école
greimasienne 8, n'est-ce pas pratiquer la fuite en avant (par dépit, Les critiques formulées par Umberto Eco visaient essentiellement
désespoir?) En tout cas, il nous semble que le projet d'une la relation iconique ; il ne fallait pas oublier cependant que leur
typologie des modes de production, pour valide qu'il soit, ne justesse dépendait de la valeur attribuée aux éléments engagés dans
supprime pas le problème de l'isomorphisme. Bien mieux : il cette relation. Car, si les définitions naïves de l'iconisme pèchent par
implique obligatoirement qu'on Je traite. C'est au problème de la quelque chose, c'est aussi (et peut-être surtout) par la naïveté avec
production (et de la réception) que nous reviendrons pour finir : on laquelle elles décrivent l'objet appelé à connaître les honneurs de
verra qu'il est, lui aussi, capital dans la description du signe iconique l'iconisation : l'idée d'une « copie du réel » est naïve, d'abord parce
qu'est naïve l'idée même du « réel ». La majeure partie des
(§ 1.2.3.). définitions critiquées prennent en effet les objets iconisés comme un
donné empirique (un « toujours déjà-là», aurait-on écrit il y a
quelques années). Et c'est bien là que le bât blesse. La linguistique a
1.2.1. Le problème de la relation 1
depuis longtemps fait litière d'une conception chosale du référent;
Une théorie des modes de production des signes ne saurait aller mais celle-ci a la vie dure en sémiotique visuelle (pour une raison
sans une théorie converse de la réception de ces signes, réciproque qu'on explicitera plus loin, et que nous nommerons la commensura-
de la première 9• Certes, la réception peut être décrite sous les bilité du référent et du signifiant).
espèces d'une production (c'est un processus qui produit du sens). C'est donc sur la notion /'objet représenté que la critique doit
Mais rien n'indique a priori que les règles de l'une soient obligatoi- --. porter, autant, sinon plus, q~e sur la relation que ledit « objet »
rement les règles de l'autre. L'obligation de tenir compte de cette entretiendrait avec le signe. C'est bien à cette critique qu'en
bilatéralité crée celle de se soucier des relations qui continuent à appellent Greimas et Courtès (1979 : 177) : « Reconnaître que la

128 129
LE SIGNE ICONIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE

sémiotique visuelle [ ... ] est une immense analogie du monde ambivalence. Expliquons-nous. Rappelons que pour Morris « le
naturel, c'est se perdre dans le labyrinthe des présupposés positi- designatum d'un signe est le type d'objet auquel le signe se rapporte,
vistes, avouer qu'on sait ce qu'est la " réalité ", qu'on connaît les c'est-à-dire les objets possédant les propriétés dont l'interprète peut
" signes naturels " dont l'imitation produirait telle ou telle sémioti- prendre connaissance par la présence du véhicule du signe ». Ce
que. » Le malheur veut que pour éviter l'écueil du réalisme n'est donc « pas une chose, mais une catégorie objective, une classe
positiviste, on soit tenté de faire l'ange, et d'opter pour l'idéalisme d'objets » (1974 : 18). Cependant, si le designatum est une classe,
cette catégorie est. de facto actualisée dans les actes d'énonciation
dénoncé au chapitre précédent. particuliers. Ce que Morris nous expose à quelques lignes de
Nos deux premiers chapitres, qui portaient sur la perception du
monde visuel, ont montré à suffisance que les « objets» n'existaient distance : « Les signes qui font référence au même objet n'ont pas
pas comme réalité empirique, mais comme êtres de raison : leur forcément les mêmes designata, puisque ce dont on prend connais-
identification et leur stabilisation ne sont jamais que provisoires, sance dans l'objet peut varier selon les interprètes [ ... ]. Demander
étant des découpages opérés hic et nunc dans une substance ce qu'est le designatum du signe dans une situation quelconque, c'est
inanalysable sans ce découpage. Si l'on se rappelle la distinction demander quelles sont les caractéristiques de l'objet ou de la
fondamentale entre « structuralisme méthodologique » et « structu- situation dont on prend connaissance en raison seulement de la
ralisme ontologique » (Eco, 1988 : 96), ce dernier fondé sur l'idée présence du véhicule du signe» (1974 : 17-18). On voit que le
que les opérateurs menant à un modèle sont structurellement concept de designatum recouvre deux choses, à bien distinguer : la
homologues aux relations que les « choses » entretiennent dans la classe ou catégorie d'une part ( classes différemment segmentées,
réalité, on aura compris que nous sommes radicalement du côté du plus ou moins stabilisées et identifiables selon les cultures, mais en
structuralisme méthodologique. Car, s'il y a un référent au signe principe indér,endantes des actes particuliers d'énonciation), et
iconique, ce référent n'est pas un « objet» extrait de la réalité, mais d'autre part l'actualisation de la classe dans une situation de
10
toujours, et d'emblée, un objet culturalisé • On se souviendra de la signification donnée.
critique que Nelson Goodman (1968) adresse à la théorie de la C'est pourquoi, dans ce qui suit, nous abandonnerons le terme
ressemblance. Il est clair, pour lui comme pour nous, qu'il est designatum pour distinguer les deux ordres de choses jusqu'ici
impossible de copier parfaitement un objet; par exemple, un être souvent confondus dans la notion de « signifié iconique » : le type
humain peut être décrit à divers niveaux : comme ensemble iconique d'une part (que l'on rapprochera de la classe) et le référent
d'atomes, de cellules, comme un ami, etc. Si l'on copie quelque de l'autre. Ce référent constitue l'actualisation du type, mais n'est
pas pour autant une « chose », antérieure à toute sémiose.
chose, c'est un aspect sélectionné de l'objet; et on le communique
dans un énoncé où au content (contenu) se mêle indissolublement un Notre discussion sur l'objet nous achemine vers une définition
triadique du signe. Triadique en ceci qu'elle substitue aux tradition-
comment (commentaire). nelles structurations binaires (signifiant-signifié, expression-
Ceci nous ramène à une distinction célèbre en sémantique : celle
que Morris a établie entre designatum et denotatum. Seul le contenu) jusqu'ici appliquées au signe iconique, une relation entre
designatum (« ce dont on prend connaissance», Morris, 1974 : 17) trois éléments qui seront définis ci-après : le signifiant, le type, le
référent. Entre ces trois éléments se noueront trois fois deux
fait partie de la sémiose, le denotatum- « l'objet 1el et existant »-
relations. I
en étant exclu.
Cette opposition, pour claire et convaincante qu'elle apparaisse,
',
n'est cependant pas pleinement satisfaisante : si l'objet « réel et
existant » est certainement à exclure de la sémiose, la définition du
designatum fait cependant problème, et recouvre une certaine
130 131
LE SIGNE ICONIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
Ce schéma simple a pour premier avantage de situer d'emblée
l'image globale I en position médiatrice entre Met P. Comme il n'y
1.2.3. La production et la réception a aucune raison d'estimer que seule la partie 11 est pertinente, le
destinataire considère et interprète aussi bien 12 que 11• Il peut ainsi
Soit M un modèle (référent) et I son signe iconique. remonter de 11 à M en inversant ti, et de 12 à P en inversant t2•
Il est possible de décomposer I en un ensemble d'éléments E ou (Turner peint autant Turner que des brumes sur un estuaire). Du
points tels que chacun, outre ses coordonnées de position, donne
11 la fait que le , regardeur R est mis en présence d'une structure
valeur de l'élément sur une des trois dimensions visuelles • Par médiatrice, il est lui-même placé en position médiatrice.
exemple E(x ; y1), situé en x1 et y1 sur la surface de l'image, aurait En résumé, le signe iconique possède certains caractères du
1
une certaine valeur de luminance, une certaine valeur de saturation, référent, conformément à la définition classique ( qui va être
et une certaine valeur de nuance : ces trois valeurs définiront le amendée de la manière qu'on va voir). Mais corrélativement, il
vecteur couleur pour ce point. En principe cette description devrait possède aussi certains caractères ne provenant pas du modèle mais
suffire 12• du producteur d'image ; dans la mesure où ce producteur est lui-
Disposant ainsi d'une description analytique exhaustive de I, nous même typé, le signe fonctionne une seconde fois en permettant sa
pouvons décrire de la même façon le modèle M et confronter les reconnaissance. Enfin, affichant d'autres caractères que ceux du
deux résultats. Si l'image est iconique, certains points du réseau de référent, il se montre distinct de lui et respecte le principe d'altérité.
l'image correspondront à des points du réseau du modèle, et Le signe iconique est donc un signe médiateur à double fonction
d'autres non. La correspondance en question sera généralement de renvoi : au m?dèle du signe et au producteur du signe 13•
réglée par une ou plusieurs transformations t: L'ensemble des
éléments de Ise partagera donc en deux sous-ensembles 11 et 12 tels
que 1 + 1 = I et que l'on ait entre M et li, la transformation t1 :
1 2
t1 1.3. Synthèse
M~I1.
D'où proviennent les autres éléments, ceux du sous-ensemble 12?
Ils ne peuvent provenir que du producteur d'image, que nous
désignerons par P (et qui peut être une machine ou un humain). Pour répondre à l'ensemble des cntiques formulées à l'endroit du
Étant produits par P, ces éléments seront (au sens large) une concept d'iconisme, le modèle adopté devra répondre à l'ensemble
des exigences que nous et nos devanciers avons formulées chemin
transformation t2 de P, et on aura P~I2• faisant, et que nous reprenons ici de manière systématique :
Le schéma global du signe iconique et de sa production sera
donc: 1. Partir d'un référent qui (a) ne soit pas « l'objet réellement
t2
existant » - lequel est hors de toute sémiotique, et d'ailleurs de
p toute théorie - mais qui (b) soit déjà modélisé (c) sans pour cela
t1 ~
M ~ être une classe ~on actualisable.
2. Rendre compte de l'altérité du référent et du signe, et donc de
l'identification de ce dernier en tant que signe.
3. Rendre compte également de l'effet d'isomorphisme du réfé-
Figure 3. Production du signe iconique rent et du signifiant, sans tomber dans la naïveté chosale ; ce qui
·, implique également que l'on rende compte de la décision toute

132 133
LE SIGNE ICONIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
iconiques(§ 4). Comme annoncé, nous prolongerons donc, à propos
culturelle d'identifier ou non un phénomène sémiotique comme de ce signe, l'exposé général sur l'articulation ouvert au chapitre m;
14
isomorphe à un référent • nous le ferons aussi à propos du signe plastique (chap. v).
4. Rendre compte de la multiplicité des formes de cet isomor- Pour terminer, nous proposerons au lecteur une systématique des
phisme, et donc de l'hétérogénéité et de la labilité de la relation transformations - la transformation étant une des relations qui se
iconique, aussi bien que du caractère culturel des codes de nouent dans le modèle général (§ 5). La longueur relative de cette
reconnaissance à l'œuvre dans l'identification du signe. division se' justifie de plusieurs manières.
5. Rendre compte aussi bien du décodage (donc de l'identifica- Tout d'abord, notre recherche veut rester à un certain degré de
tion d'un référent, éventuellement absent ou irréel) que de l'enco- généralité, qui garantisse sa validité pour l'ensemble des signes de la
dage des signes iconiques. communication visuelle. Mais cela ne veut pas dire qu'il faille
6. Rendre compte de la diversité des découpages sémiotiques ( du sacrifier la description fine des techniques à l'œuvre dans cette
signifiant, du type, du référent), variables selon les circonstances de communication : il n'est pas déshonorant de tenir compte des
l'acte sémiotique, et donc de la relativité de la notion « d'unité» conditions concrètes de son exercice. Cette description aboutira à
iconique 15• une typologie des transformations qui a sa place à côté de la
typologie des modes de production sémiotique proposée par Eco
L'exposé qui suit sera divisé en quatre parties. (1975 et 1978). Ensuite, ce champ étendu est jusqu'à présent resté
Nous décrirons d'abord, d'une manière très synthétique, le vierge dans son ensemble : seules quelques-unes de ses parcelles ont
modèle dont nous venons de parler. Nous fournirons la définition jusqu'à présent été explorées, et il fallait harmoniser dans un plan
des trois éléments qu'on y trouve et des relations qui se nouent entre d'ensemble les résultats partiels obtenus. Enfin, la technicité des
eux(§ 2). concepts manipulés a entraîné des développements sans doute plus
Ensuite, nous marquerons un temps d'arrêt sur trois problèmes longs que ne l'aurait souhaité le lecteur pressé.
distincts posés par ce modèle(§ 3). Le premier de ces problèmes est
celui de la motivation du signe, auquel le discours de la sémiotique
iconique a traditionnellement conféré une grande importance. Ce
concept sera éclairé d'un jour nouveau par le modèle triadique
proposé, de sorte que nous pourrons mettre un point final au débat 2. Modèle général du signe iconique
du paragraphe précédent. Le deuxième problème est celui de la
sémioticité ou de la non-~émioticité des faits visuels. Cette question
a une grande portée thiorique, et est même préjudicielle, puis-
qu'elle met en cause l'existence même du signe iconique. Mais on ne 2.1. Trois éléments
pouvait la résoudre d'emblée, faute de disposer d'outils adéquats.
En la posant, nous reprenons la discussion amorcée au chapitre
précédent à propos de la distinction entre spectacles naturels et Le signe i,f:mique peut être défini comme le produit d'une triple
artificiels (chap. in, § 4). Enfin, il faudra aborder une question qui relation entrê trois éléments. L'originalité de ce système est de faire
vient immédiatement à l'esprit : quelle différence peut-il bien y éclater la relation binaire entre un « signifiant » et un « signifié »,
avoir entre le type iconique et le signifié linguistique ? qui a posé des problèmes insurmontés à ce jour. Les trois éléments
Ensuite, nous nous arrêterons plus longuement sur deux pro- sont le signifiant iconique 16, le type, et le référent. C'est la
blèmes exigeant un exposé plus détaillé. distinction de ces deux dernières entités - le plus souvent confon-
Il s'agit tout d'abord de l'articulation des signes et des énoncés
135
134
LE SIGNE ICONIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
particulier, et possède des caractéristiques physiques. Le type, pour
dues dans le concept de « signifié iconique » - qui permettra de
lever les difficultés soulignées plus haut. Entre ces trois éléments se sa part, est une classe, et a des caractéristiques conceptuelles. Par
nouent trois fois deux relations. Ces relations sont telles qu'il est exemple, le référent du signe iconique chat est un objet particulier,
dont je puis avoir l'expérience, visuelle ou autre, mais il n'est
impossible de définir un élément indépendamment de ceux qui lui
sont corrélés (de sorte que chacune de nos premières définitions référent qu'en tant que cet objet peut être associé à une catégorie
devra être considérée comme provisoire). Ces éléments et relations permanente : l'être-chat.
sont figurés dans la figure 4.
2.1.2. Le signifiant est un ensemble modélisé de stimuli visuels
TYPE
correspondant à un type stable, identifié grâce à des traits de ce
signifiant, et qui peut être associé à un référent reconnu, lui aussi,
_.,/j
o nfo7
stabilisation

,,~•~
~ reconnaissance comme hypostase du type ; il entretient avec ce référent des
relations de transformation (§ 2.2.1. ).

2.1.3. La notion de type a déjà été avancée au chapitre précédent


(§ 2.2.). Il s'agit d'un modèle intériorisé et stabilisé qui, confronté
RÉFÉRENT SIGNIFIANT
avec le produit de la perception, est à la base du processus cognitif.
~ transfonnations ~ Dans le domaine iconique, le type est une représentation mentale,
Figure 4. Modèle du signe iconique constituée par un processus d'intégration ( qui peut être génétique-
ment décrit). Sa fonction est de garantir l'équivalence (ou identité
L'analogie avec d'autres triangles sémiotiques, et tout spéciale- transformée) du référent et du signifiant, équivalence qui n'est
ment celui d'Ogqen-Richards, est évidente. Les deux triangles jamais due à la seule relation "de transformation. Référent et
accusent cependafit les différences notables, notamment pour le signifiant sont donc entre eux dans une relation de cotypie.
statut qui est conféré au référent, et pour la relation entre signifiant Le type n'a pas de caractères physiques; il peut être décrit par une
et référent, qui a ici un caractère moins médiat. C'est pourquoi nous série de caractéristiques conceptuelles, dont quelques-unes peuvent
figurons ce rapport - sur le~uel nous allons revenir - par un trait correspondre à des caractéristiques physiques du référent (par
7 exemple, en ce qui concerne le chat, la forme de l'animal cou-
plein et non par un pointillé • ché, ou assis, ou en pied, la présence de moustache, de queue, de
rayures), d'autres ne correspondant pas à de telles caractéristiques
2.1.1. Le référent dont il est ici question est un designatum (et non (comme le miaulement). Ces traits constituent un produit de para-
un denotatum, par définition extérieur à la sémiose), mais un digmes dont les termes sont dans une relation de somme logique
designatum actualisé. En d'autres termes, c'est l'objet entendu non (par exemple,~ type << chat » comporte le paradigme de la couleur
comme somme inorganisée de stimuli, mais comme membre d'une - ou noir, ou roux, etc. - et celui de la position, etc.) :
classe (ce qui ne veut pas dire que ce référent soit nécessairement T= (a, U a2 U a3 ••• ) n (b1 U b2 U b, ... ). On verra plus loin que le
réel; cf. Lavis, 1971). L'existence de cette classe d'objets est validée produit des paradigmes définissant un type ne comporte pas un
nombre fixe de termes : il faut et' il suffit que les termes retenus
par celle du type. autorisent la reconnaissance du type, selon le processus de redon-
Type et référent restent cependant distincts : le référent est
136 137
LE SIGNE ICONIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE

dance décrit au§ 3.3. du chapitre_m. Chaque terme connaît une rendre compte de la production d'icônes bidimensionnelles pour des
série de variantes en nombre restreint, et constituant un paradigme. référents tridimensionnels, mais elles restent impuissantes à expli-
Le problème de la relation entre le type ainsi défini et le signifié quer la production d'icônes monochromes, les rétrécissements de
champ de netteté, les jeux de contrastes, ou les équivalences entre
linguistique sera traité à part (§ 3.3.). peinture et photographie, photo et croquis d'architecture, croquis et
plan.
Il faut ainsi ajouter aux transformations géométriques de Volli,
des transformations analytiques (au sens mathématique du terme),
2.2. Trois relations (doubles) algébriques (se fondant sur la variation continue de grandeurs) et
optiques (prenant en considération les positions respectives de
Entre les trois éléments se nouent des relations qui peuvent être l'émetteur ou du spectateur d'une part, du produit ou du stimulus
d'autre part). Nous ne décrirons pas ici par le menu ces diverses
décrites génétiquement ( dans le processus de formation des
signes) 18 ou synchroniquement (dans le fonctionnement du message opérations, qui seront détaillées au paragraphe 5.
iconique, que celui-ci soit émis ou reçu). Nous nous contenterons ici Notons enfin deux choses. La première : les opérations de
transformation doivent être appréhendées dans les deux sens
d'aborder le plan synchronique. (signifiant-e référent et référent- signifiant) selon que l'on envi-
sage la réception du signe ou son émission. Dans ce dernier cas, les
règles de transformation sont appliquées pour élaborer un signifiant
2.2.1. Axe signifiant-référent sur la base de la perception d'un référent (concret et présent, ou
On notera que cet axe réunit immédiatement les deux termes, ce postulé). Dans le premier, elles sont appliquées pour postuler, sur la
qui nous éloigne du modèle linguistique. Ces termes, ayant tous base des caractéristiques du signifiant, certaines caractéristiques du
deux des laractéristiques spatiales, sont en effet commensurables. référent; cette reconstruction par transformation se fait à l'aide des
Commensurabilité qui ne peut être éliminée au nom du radicalisme données fournies par le type ou par un archétype. Soit une icône en
deux dimensions d'un être inconnu mais identifiable comme ani-
sémiotique que nous avons dénoncé. C'est sur la commensurabilité
que se fonde ce que les théoriciens les plus pointus conservent dans mal: ma connaissance du rapport entre les dessins d'animaux et les
leur discours sous le nom d' « illusion référentielle » : cette idée veut animaux m'aide à postuler la tridimensionalité du modèle.
que certains caractères de l'objet sont traduits dans les signes,19alors La deuxième observation rebondira plus loin : il faut souligner
que les transformations qui vont être décrites permettent non
que certains traits du signe n'appartiennent pas à l'objet • En
seulement de rendre compte de l'illusion référentielle - celle qui
termes plus rigoureux, Eco parlait d'homologation entre deux
unit signifiant et référent -, mais également de rendre compte de
modèles de relations perceptives. Les relations sur lesquelles se
fondent cette commensurabilité, ou cette homologation, peuvent l'équivalence ~eux signifiants : celle d'une photo en noir et blanc
20 et d'une photo-couleurs, celle d'une photo et d'un dessin au trait,
être appelées transformations • d'une carte et d'une photo aérienne, et ainsi de suite. Le modèle est
Une première description de quelques-unes de ces transforma-
donc trop puissant. Ce n'est pas le phénomène de la transformation
tions a été donnée par Ugo Volli (1972), qui tente d'appréhender la
lui-même qui confère à un fait visuel le statut de signifiant ou de
notion de motivation à travers des concepts géométriques. Ces
référent : nous verrons que ce processus d'attribution est d'un autre
transformations géométriques ont cependant un rendement bien
ordre.
fruste : elles peuvent expliquer que le format réduit d'une icône par
rapport au référent n'empêche pas la reconnaissance de son type, ou
138 139
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
LE SIGNE ICONIQUE

Ce problème de relation entre type et signifiant est d'une grande


2.2.2. Axe référent-type importance en sémiotique générale.
Il existe sur cet axe une relation de stabilisation et d'intégration. Edeline (1972) a montré que l'unité d'articulation pouvait, en
sémantique générale, se formuler linguistiquement en un syntagme
Les éléments pertinents extraits du contact avec le référent sont
minimal, susceptible de prendre des formes dites prédicatives (la
additionnés dans les paradigmes constituant le type. Dans l'autre
terre est ronde) et des, formes dites verbales (l'eau coule)21•
sens (du type au référent), on peut isoler une opération constituée
L'intérêt de cette discussion était surtout d'attirer l'attention sur
par une épreuve de conformité, dont les mécanismes sont identiques
l'origine perceptuelle de ce syntagme minimal 22 et sur le modèle
à ceux de la troisième relation.
gestaltiste de la ségrégation d'une entité (sujet) à partir d'une
qualité translocale (prédicat).
2.2.3. Axe type-signifiant Toute reconnaissance d'un type à partir d'un signifiant (et on le
Le type étant un ensemble de paradigmes, les stimuli visuels vérifie aisément dans un spectacle naturel) est donc nécessairement
peuvent être objet d'une épreuve de conformité, qui fera ou non de conjecturale, en vertu du statut logique des concepts, relations et
ces manifestations sensorielles des hypostases du type. Ceci du processus impliqués dans le fonctionnement du signe iconique.
moins si l'on se place dans une perspective qui exclut l'étude de la
genèse du signifiant. Dans cette perspective, on aurait pu parler de
réalisation du type, opération visant à sélectionner un élément dans 2.3. En résumé, l'émission de signes iconiques peut se définir
les paradigmes du type. La réalisation ne doit pas être confondue comme la production, SU( le canal visuel, de simulacres du référent,
avec la transformation 1 pour le dire en termes simples, on ne grâce à des transformations appliquées de telle manière que leur
dessine (ou peint) jamais un type. résultat soit conforme au modèle proposé par le type correspondant
Si l'on aborde l'axe en sens inverse, dans le sens signifiant-type, au référent (cotypie). La réception de signes iconiques, quant à elle,
on parlera de reconnaissance du type. L'épreuve de conformité identifie un stimulus visuel comme procédant d'un référent qui lui
consiste ici à confronter un objet (singulier) à un modèle (général, corresponde moyennant des transformations adéquates ; tous deux
par définition). Le modèle étant structuré sous la forme de peuvent être dits correspondants, parce qu'ils sont conformes à un
paradigmes, beaucoup d'objets peuvent correspondre à un type type qui rend compte de l'organisation particulière de leurs caracté-
unique (à titre de signifiant ou de référent). ristiques spatiales.
Les critères de la reconnaissance sont de nature quantitative et ,
qualitative : si le nombre des traits autorisant la reconnaissance joue
un rôle certain, la nature de ces traits n'est pas moins importante.
Ainsi le type « chat » sera aisément reconnu si des traits identifia- '
3. Trois questions disputables
bles comme correspondant à des types « moustaches » et « oreilles
triangulaires » sont présents, sans que les deux types doivent
nécessairement être présents tous deux. Le problème peut se
résumer de la sorte : il n'y a pas un produit nécessaire de traits 3.J. La notion de « motivation» reste-t-elle valide?
d'identification, mais nécessité d'atteindre un taux d'identification
minimal, taux atteint par l'association en principe libre d'éléments
dont les types sont en nombre limité. Une conséquence peut-être surprenante d'une structuration ter-
naire du signe iconique est d'invalider le concept de motivation tel
140
141
LE SIGNE ICONIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE

qu'il a animé de longs débats (signés des noms de Peirce, Morris, type. Nous prévenons ainsi une objection facile qui pourrait se
Goodman, Greimas, Eco, etc.). Cette notion véhicule une ambi- formuler de la sorte : étant donné que n'importe quelle séquence de
guïté irritante, qui provient du fait qu'on a voulu l'enfermer dans transformations peut être appliquée à une configuration spatiale,
une définition unitaire. En fait, il importe de distinguer sa réalisa- n'importe quel objet peut être dit motivé par rapport à un autre
tion sur l'axe signifiant-référent d'une part, sur l'axe signifiant-type ( devant le dessin d'un képi, on pourrait affirmer : « ceci est une
d'autre part. Par motivation, on entend en effet fréquemment à la pipe »). Il faut donc souligner - et la précision est capitale - que les
fois une identité physique partielle du signifiant avec le référent transformations doivent préserver la cotypie, c'est-à-dire conserver
( cette identité partielle étant descriptible à travers les transforma- au signifiant une structure telle que celui-ci reste identifiable comme
tions), et une conformité aux caractères du type. C'est faute d'avoir hypostase du type dont le référent est également une hypostase.
distingué ces deux axes qu'Eco peut affirmer que le signe iconique
n'a « aucun élément matériel commun avec les choses » : vérité
pour le second axe, mais simplification abusive pour le premier.
Nous pouvons donc reformuler à travers deux propositions le 3.2. Quand un fait visuel est-il une icône?
concept de motivation tel que le présentent nos devanciers. Mais
chacune d'elles aboutit à une impasse si on l'isole de l'autre. (a) Par
rapport au référent, un signifiant peut être dit motivé lorsqu'on peut Ce dernier et important problème peut se formuler en termes plus
lui appliquer des transformations permettant de restituer la struc- précis : qu'est-ce qui, étant donné une série de stimuli visuels,
ture du référent ( dans des conditions qui vont être décrites ci-après). provoque le process~ d'association à ces stimuli d'un référent et
Mais ce type de lien seul ne fait pas de ces deux éléments un d'un type, ce qui le constitue en signe? Question rarement posée, et
signifiant et un référent.f Et, sans relation sémiotique, l'idée de cependant préjudicielle.
motivation perd toute pertinence. (b) Par rapport au type, un Car une telle association n'est pas nécessaire a priori. Si je
signifiant a pu être dit motivé lorsqu'il était conforme au type, dont rencontre un chat, je ne me dis généralement pas « voici une icône
il autorise la reconnaissance. Mais cette conformité et cette recon- de la photographie d'un chat », comme l'avait noté Goodman. Mais
naissance ont lieu sur la base d'une définition encyclopédique. Étant ce dernier érigeait en règle ce qui est tout au plus un fait
un modèle abstrait, le type n'a pas, comme tel, de caractéristiques d'expérience. Car, en droit, rien dans les objets ne les prédispose à
physiques, et n'est pas commensurable avec le signifiant. On ne assumer le rôle de signifiant ou le rôle de référent. Et la proposition
peut, en rigueur de termes, représenter un type. La liaison entre converse est possible : un corps humain peut être un signe ( dans le
type et signifiant est donc arbitraire, comme l'avait suggéré Good- Body Art, par exemple). Lq fétichisme aboutit parfois à cette
perversion sémiotique (V; que l'objet premier et véritable de la
man. passion devient ce que la grande majorité continue à prendre pour le
Ainsi qu'on l'a souligné (notamment à travers le raisonnement
par l'absurde qui clôt la proposition (a)), la motivation n'existe que substitut (éventuellement iconique) d'une personne, laquelle, pour
lorsque les deux conditions de transformation et de conformité sont le fétichiste, ne sera plus qu'une pâle icône de ce à quoi tendent ses
simultanément respectées. Solidaires, ces deux conditions sont de feux. Enfin, un objet socialement classé comme signe, tel un
surcroît hiérarchisées : la première - la transformation - est tableau, peut être le référent d'un autre signe ...
subordonnée à la seconde- la conformité. Car, pour que l'on puisse Rien, dans la transformation même, ne crée la relation iconique.
parler de motivation ~ur le premier axe, il est nécessaire que les On verra que les règles de transformation dont nous avons parlé
transformations soient appliquées de manière telle que le trans- rendent compte autant des relations s'instituant entre les signifiants
formé et le transformat apparaissent comme conformes au même de deux icônes (la photo aérienne et la carte, la peinture et le dessin
143
142
LE SIGNE ICONIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
particuliers, modes d'exécution particuliers, indications linguisti-
au trait, etc.), que de celles qui s'établissent entre référent et
ques. Une boîte d'allumettes n'est pas signe d'une autre boîte. Mais
signifiant. Deux relations dont il ne faut d'ailleurs pas surestimer la
si j'ignore ce qu'est une boîte d'allumettes et qu'on m'en montre
différence : d'une part le référent dont il s'agit est déjà un modèle
une, cet objet exhibé devient le signe de sa classe, par la sélection de
visuel, produit d'une élaboration perceptive codée; d'autre part, le
certaines de ces caractéristiques (la boîte marquée « Gauloises »
signifiant est, dans tout système sémiotique, non une réalité
vaut, dans le contexte choisi, pour toute autre boîte, Belga ou
physique mais un modèle théorique (ici aussi élaboré par un code
Dunhill). Quand je montre un objet pour en faire un signe, je le
perceptif) rendant compte des stimuli physiques. dépouille donc de certaines de ses fonctions, et je réorganise le
La littérature sémiotique regorge d'ailleurs d'exemples où un
répertoire de ses caractéristiques : c'est un contexte donné (où
même objet empirique reçoit tour à tour statut de référent ou de
interviennent des règles linguistiques, sociales, gestuelles, etc.) qui
signifiant. Depuis ces objets mis en vitrine, disqualifiés en tant
opère cette modification.
qu'objets en même temps qu'ils deviennent signes, et qui avaient
De sorte que l'iconisme dépend de la connaissance des règles
déjà attiré l'attention d'Abraham Moles, jusqu'à ces signes dits
d'usage des objets, règles qui instituent certains de ces objets en
occasionnels par Umberto Eco puisqu'ils sont occasionnellement
signes. La notification n'est cependant pas toujours aussi explicite
constitués de la même substance que le référent possible, comme la
que dans le cas du cadre, comme le fait voir le dernier exemple.
bouteille vide que je désigne au restaurant pour en réclamer une
pleine. Il faut dès tors généraliser l'hypothèse explicative. On peut
En définitive, le problème de la non nécessaire sémioticité des
avancer que tout 'stimulus visuel est soumis à un test de sémiose,
stimuli visuels - en termes plus simples, celui de la distinction entre
dont le résultat est influencé par des considérations pragmatiques,
objets et signes - ne peJt être que pragmatique. Pour reprendre un
fondées sur des caractéristiques non nécessairement spatiales de
exemple rendu célèbre par Eco, le verre de bière ne sera pas
l'objet. Le verre de bière de l'affiche, qui comporte une série de
considéré comme signe mais bien comme objet si sa liquidité permet
traits appartenant à l'objet, peut bien me faire saliver, mais certains
à ma soif d'être étanchée, si sa température rafraîchit ma paume.
de ses caractères m'indiquent l'impossibilité qu'il y a à le soumettre
On aura par contre affaire à un signe si l'utilisation de l'objet n'est
à un quelconque des usages sociaux auxquels on soumet les verres
possible que moyennant l'attribution à cet objet d'une somme de
de bière, et dès lors me démontrent sa sémioticité. On voit combien
propriétés différentes de celles qui sont perçues : mes papilles ne
se justifie le titre donné par H. Van Lier à son dernière ouvrage
perçoivent ni la saveur ni la température d'une bière photographiée,
(1980), lorsqu'il fait de I'homme L'Animal signé: notre réflexion ne
mais cependant les propriétés absentes (goût, fraîcheur), corrélées
le montre-t-il pas engagé dans une constante et anxieuse recherche
dans l'objet aux propriétés perçues (couleurs, par exemple), peu-
de sémiose 23 ?
vent me faire saliver. (Cette corrélation est- nous l'avons vu- une
partie de la définition de l'objet; cf. chap. n, § 5.) De sorte que
l'hésitation est parfois possible. Je puis être leurré par un signe :
mais alors il n'est pour moi plus signe d'un objet, mais cet objet lui- 3.3. Type iconique et signifié linguistique :
où est la différence?
même.
On peut globalement avancer qu'il existe dans certaines commu-
nications une indication notificative ( au sens de Prieto) absente dans
, On se rappelle le scandale que Roland Barthes suscita dans ses
d'autres. Dans nombre de cas, l'indication est claire, car explicitée
Eléments de sémiologie (1965) en renversant une proposition célèbre
par un code. Cette explicitation réside dans le « cadre », au sens très
de Saussure : alors que ce dernier concevait la linguistique comme
large du terme. Ce cadre est de l'ordre de l'indice : socles, lieux
145
144
LE SIGNE ICONIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
la cotypie). N'occupant pas la même place dans la structure, il
partie d'une science plus vaste baptisée sémiologie, le développe- s'ensuit que le type n'a pas la même nature structurale.
ment de cette linguistique devait amener l'auteur à renverser le La deuxième réflexion porte sur l'argument métalinguistique
rapport de subordination. Par là, il voulait dire non seulement que qu'invoquait Barthes. Un « concept perceptuel » (pour reprendre
la linguistique devait être, comme le prévoyait Saussure (cf. Godel, l'expression d'Arnheim) peut évidemment toujours produire un
1957 : 124), « le patron général de toute sémiologie», mais encore signifié linguistique, le monde du contenu ayant la labilité que l'on
que la langue, seul métalangage universel, subsumait de ce fait dans sait : tel analyste s'autorise à dégager le signifié « italianité » d'une
/

le plan de son contenu tous les autres systèmes de signes. affiche comme tel théologien pouvait bien manipuler le concept
Nous avons à plusieurs reprises attiré l'attention sur les dangers « transsubstantiation ».
de l'impérialisme linguistique, et critiqué la position de ceux qui De facto, il peut y avoir superposition entre type et signifié
prétendent ramener tout système de communication ou de significa- linguistique, dans la mesure où la perception, liée à la cognition, est
tion à ce qu'on en peut dire. Position qu'on trouve fréquemment ( cf. susceptible d'être verbalisée et où, d'autre part, le linguistique peut
chap. I, § 3.4.) chez ceux qui se préoccupent d'analyse de l'image. suggérer ses découpages à notre perception. Mais peut-on en
La critique est également formulée par Greimas et Courtès, qui lient déduire qu'en droit, tout signifié d'une quelconque sémiotique a
explicitement l'impérialisme linguistique à la notion de motivation : nécessairement son correspondant dans le langage ? Cette para-
voir dans la sémiologie visuelle « une immense analyse du monde phrase, toujours possible, c'est en fait chez l'analyste qu'elle se
naturel »f'c'est la nier en tant que telle : « L'analyse d'une surface trouve. L'observatioâ montre bien que le plan du contenu est, chez
plane articulée consistera, dans cette perspective, à identifier les un même individu, structuré différemment selon qu'il a affaire au
signes iconiques et à les lexicaliser dans une langue naturelle; il n'est langage ou à la perception visuelle : Arnheim, qui s'est penché sur
pas étonnant alors que la recherche des principes d'organisation des le sujet dans La Pensée visuelle (1969), rappelle à juste titre que l'on
signes ainsi reconnus soit amenée à se confondre avec celle de leur peut maîtriser le type « rotondité » sans même connaître le mot
lexicalisation, et que l'analyse d'un tableau, par exemple, se /rond/.
transforme en définitive en une analyse du discours sur le tableau » Par ailleurs, le fait que le type iconique est toujours verbalisable
(1979 : 177; s. v. !conicité). ne doit pas nous fain~ oublier que l'inverse n'est pas vrai : tout
Conservant la notion de motivatioï1- avec les limitations que l'on signifié linguistique n'est pas iconisable.
vient de voir-, nous avons donc à répondre à une question que le Autant d'arguments donc, pour aller au-delà de l'observation
lecteur n'a pas manqué de se poser à propos du type iconique : ce superficielle ( qui noys souffle que le type iconique « chat » est le
qu'on a décrit sous ce nom n'est-il pas, au fond, le signifié signifié linguistique « chat ») pour conserver l'idée que ces deux
linguistique? sémiotiques découpent différemment le plan du contenu.
Non, répondrons-nous, en invoquant deux arguments. Le pre- Évidemment, ces deux structures de contenu se rejoignent dans
mier est suggéré par l'examen des relations respectivement nouées l'encyclopédie propre à une culture donnée. C'est à ce niveau
par le type iconique et par le signifié linguistique ; le second procède seulement que peut se résoudre le conflit, bien dépassé, sur la
', de l'examen du rôle joué par le métalangage universel. primauté du linguistique ou du perceptuel. D'un côté, on a pu
Le premier argument est méthodologique et, pour le préciser, de camper sur les positions excessivement verbalistes qu'ont tenues
type structuraliste. Sapir et Whorf, et qu'occupa également Barthes; de l'autre, on a pu
Le type n'entretient pas dans la structure du signe iconique le avancer que les découpages linguistiques pouvaient provenir d'aven-
même genre de relation avec signifiant et référent que dans le signe tures perceptuelles, auditives ou visuelles. Positions auxquelles nous
linguistique : il y sert de garant à un, contrat qui se noue entre un préférons, pour les raisons qu'on a dites, celle de l'interaction entre
signifiant et un référent commensurables (c'est ce que l'on a appelé
147
146
LE SIGNE ICONIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE

des structures cognitives et des stimuli. Et c'est bien cette interac-


tion qui crée la représentation du monde qu'est l'encyclopédie, à
laquelle sont subordonnés aussi bien la sémantique linguistique que 4.1. Structure du signifiant
les répertoires de types iconiques.

/ 4.1.1. Entités, sous-entités, surentités

Le type se manifeste en signifiants articulables en unités d'un rang


4. L'articulation du signe iconique inférieur.
Mais cette articulation peut se faire de deux manières distinctes.
Selon la première, nous aboutissons à des unités qui sont elles-
Dans notre approche de l'articulation des signes iconiques et mêmes le signifiant d'un signe iconique (exemple d'une /tête/ se
décomposant en/ œil/, /oreilles/, /nez/); selon la seconde, les unités
plastiques, nous avons fourni un modèle de relation hiérarchique
obtenues ne correspondent à aucun type, mais se laissent décrire
entre unités, et avons donné le nom générique de déterminants aux
comme de simples caractéristiques formelles autorisant la reconnais-
unités fournissant leur valeur à d'autres unités. Le moment est venu
sance du type ( exemple d'une /tête/ décrite comme l'organisation de
d'aprliquer ces notions au signe iconique reconnu dans sa spécifi-
cité. Nous le ferons à l'aide d'une série de concepts qui vont être courbes et de droites entretenant telle ou telle relation). Dans le
premier cas, nous parlerons d'une décomposition en sous-entités,
définis, et que nous organisons dans le tableau suivant.
dans l'autre d'une décomposition en marques.", les unes et les
autres constituant les déterminants du signifiant iconique. Nos
signifiant type marques correspondent aux propriétés globales de Palmer, tandis
niveau
que les unités de la famille des entités correspondent à ses unités
supratype
n+l marque \ surentité structurelles. t
TYPE
n marque 11 ENTITÉ Si l'on appelle entité25 le signifiant d'un type situé à un niveau n,
sous-type
n-1 marque \1 sous-entité nous nommerons donc sous-entités les unités du niveau n - l
provenant de ltt décomposition de son signifiant, quand elles
Tableau V. Articulation du signe iconique correspondent elles-mêmes à un type. La sous-entité d'une entité
déterminée correspond ainsi à un référent, intégrable de manière
Le principe saussurien de solidarité entre signifié et signifiant a ici stable à un autre référent correspondant à un type stable. Le
signifiant /tête/ est articulé de telle manière que /œil/ et /nez/
des applications telles que, tout en traitant successivement du
déterminent ce signifiant en renvoyant à des référents intégrables au
signifiant et du type, nous rencontrerons ici et là des problèmes
référent tête et en étant conformes à des traits constituant le type
communs à ces deux catégories. « tête ».
Si chaque sous-entité peut à son tour s'articuler à un niveau n - 2,
en nouvelles sous-entités, la première entité peut, dans l'autre sens,
s'associer à d'autres entités pour créer, au niveau n + l, de
nouveaux signifiants qu'on nommera surentités : la /tête/ comme
149
148
LE SIGNE ICONIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
effet, dans la compétence la plus courante, à un type stabilisé et
constitutive du/ corps/, celui-ci comme constitutif de/ couple/, ou de
suffisamment autonome {la dénomination linguistique de l'objet aile
/ groupe équestre/, ou de / régiment/ (n + 2) et ainsi de suite. du nez suggère d'ailleurs cette absence d'autonomie). A fortiori en
ira-t-il de même pour les signifiants hypothétiques qui correspon-
draient à une analyse plus poussée du référent.
4.1.2. Déterminants et déterminés : un statut flottant
Il va de soi que les statuts de déterminant (la sous-entité par
4.1.3. Déterminants et déterminés : une relation dialectique
rapport à l'entité) et de déterminé (l'entité par rapport à la sous-
entité) ne sont jamais fixes; et cette remarque vaudra aussi sur le
Si la délimitation entre déterminant et déterminé est flottante et
plan du type. Dans tel message iconique, ou dans telle description
labile, il faut encore souligner que leur relation est dialectique.
de ce message - appelons-les contexte A -, tel élément signifiant
Deux cas sont possibles. Premier cas : tel ensemble de traits est
sera désigné comme déterminé, et dès lors les éléments qui lui sont
identifié comme le signifiant de « tête » parce qu'on y a identifié
subordonnés dans ce contexte seront décrits comme des détermi-
/yeux/ et /nez/; second cas : comme on a identifié le type« tête »,
nants (exemple d'un dessin où /tête/ est entité, et /yeux/, /bouche/,
et qu'on sait qu'il est organisé en « yeux »et« nez », les signifiants
sous-entités). Dans un tel autre contexte (contexte B), un signifiant
correspondant à ces types sont isolés, reconnus conformes, et
renvoyant à l'objet subordonné dans le contexte A pourra être
reçoivent dès lors leur statut de sous-entités.
déterminé, et s'articulera à son tour en déterminants ( exemple : un
On peut donc poser deux principes : un déterminé peut être
gros plan sur un œil, où /œil/ est entité et /cil/, /pupille/, etc., sous-
identifié en cette qualité parce qu'il y a d'abord eu identification des
entités). Dans un autre contexte encore (contexte C), le signifiant
types correspondant à ses déterminants, ou il est immédiatement
qui était déterminé dans le contexte A aura un statut subordonné et
rapporté à un type, ce qui autorise l'identification de ses sous-types,
devie4dra dès lors déterminant (exemple : la /tête/ dans une
manifestés par des déterminants conformes. Dans les faits, ces
/silhouette/). Les statuts respectifs des déterminants et des déter-
minés sont fixés, on le voit, par une première instance : l'organisa- processus sont extrêmement complexes et, dans la plupart des cas,
simultanés. Contentons-nous de noter que joue entre déterminés et
tion particulière d'un message iconique et de l'information qui y est (
déterminants une sémantisation réciproque descriptible en termes
codée 26• de redondance, comme on l'a montré au chapitre m (§ 3.2.).
Mais une seconde instance intervient, celle des contraintes
culturelles pesant sur la typothèque. \
Car si, en principe, la labilité de l'articulation en déterminé6 et
4.1.4. Marques
déterminants ne connaît pas de limites, ni en amont ni en aval, dans
les faits le processus est freiné par l'organisation même du réservoir
L'articulation du signifiant en déterminants aboutit dans les faits à
de types. Ainsi, pour continuer à nous servir du même exemple, si
une limite. Au-delà de cette limite, les entités correspondant à des
/nez/ est déterminant de /tête/ dans le contexte A, il peut certes,
dans le contexte B, devenir un déterminé dont les déterminants types cessent de s'articuler en sous-entités correspondant à des types
subordonnés. Il est cependant possible de les décrire comme le
seraient / arête du nez/, / aile du nez/, etc. On voit cependant qu'il
est difficile, en dehors de contextes très spéciaux (un traité de résultat de l'articulation de manifestations iconiques complexes.
médecine ou de physiognomonie, un recueil de gros plans), de Nous nommons marques ces manifestations. Elles se définissent par
l'absence de correspondance avec un type. Ainsi, dans l'hypothèse
pousser l'analyse beaucoup plus loin, et de faire, par exemple, de
/aile du nez/ un déterminé. Ce signifiant-là ne correspondra pas, en où il n'existerait pas un type « arête du nez », la manifestation

150 151
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
LE SIGNE ICONIQUE
signifiante descriptible comme /ligne verticale/ ou /ligne oblique/
(selon le contexte) sera dite marque. Pour la clarté de ce qui suit, constitue un ensemble flou, comme aussi la liste des formes pouvant
nos exemples de marques seront constitués par des formes. Mais il correspondre à un référent donné. On peut néanmoins proposer un
exemple de telles listes 29 :
va de soi que ces marques peuvent également être chromatiques ou
texturales.
L'opposition entre marques et entités (avec leurs sous-entités et
(a) /tête/ = sl (/yeux/)
s2 (/oreilles/)
leurs surentités) suggère évidemment un rapprochement avec la
s3 (/nez/)
distinction linguistique entre unités de première et de seconde s4 (/bouche/)
articulation : aux entités, significatives, correspondent des types, les (b) /tête/ = ml
marques n'ayant qu'une fonction distinctive. Il faut toutefois (/superativité/; position par rapport à une
prendre garde à ceci : l'analyse en marques ne succède pas entité par ailleurs intégrée à une surentité
conforme au type « corps humain »).
nécessairement à l'analyse en sous-entités. Elle peut au contraire
m2' (/courbure/; ou, plus précisément, ligne
être appliquée simultanément27• En d'autres termes, on peut courbe tendant vers la clôture).
toujours faire l'économie d'une analyse du signifiant en entités : il m2" (/circularité/; ou, plus précisément, contour
peut être directement analysé en marques. Ainsi dans le schéma \. inscriptible dans un cercle ou un ellipsoïde).
correspondant à « tête », l'entité /tête/ peut certes s'articuler en
sous-entités /yeux/, /nez/, mais aussi directement en marques
Des tests empmques montrent que l'identification a lieu, de
(/contour circulaire/+ /superativité/ par exemple). On peut com-
manière constante, lorsqu'on est confronté à certains appariements
pléter la définition de ces marques en précisant qu'elles sont des
des et/ou de m et que, dans d'autres cas, elle est impossible. Ainsi
stimuli descriptibles indépendamment de leur éventuelle intégration
elle a lieu pour (sl + s2 + m2") mais non pour (m2") ou (m2'). Tout
à un signifiant iconique, mais concourant à l'identification d'un
ceci fait apparaître l'existence d'une hiérarchie entre déterminants,
type, ~ donc à l'élaboration d'un signifiant icon\que global, lequel
correspondant à une hiérarchie des sous-types. Certains sont très
les finalise 28• ,
prégnants, autorisant une identification aisée du type, et relèvent
fortement le degré dé redondance du message. Des stratégies de
choix entre traits prégnants et traits peu prégnants sont donc à la
disposition de l'émetteur de messages iconiques pour lui permettre
4.2. Structure du type d'atteindre Qu de dépasser le seuil d'identification.
Notons enfin que cette identification globale est tributaire non
seulement de celle des déterminants, mais aussi de la position de
4.2.1. Reconnaissance du type
ceux-ci. Ainsi un trait rectiligne identifiable comme œil (voir le
dessin du chap. nr, § 3.3.2.), lorsqu'il est situé en une certaine
Tout ceci nous permet de reprendre ce qui a été dit sur la
position de l'espace délimité par un contour qui est la marque du
recon_naissance du type (§ 2.2.3.) et de préciser ce qu'il fallait
signifiant /tête/, cesse d'être identifié en cette qualité s'il est situé
entendre par « taux minimal d'identification ».
dans une autre région de cet espace. Il peut alors, par exemple, être
Reprenons l'exemple de l'unité /tête humaine/. Son identification identifié comme bouche.
est assurée lorsqu'est exécutée une opération d'intégration de sous-
entités et/ou de marques. Les listes de sous-entités (s) et de marques
(m) ne sont pas fermées, car la liste des sous-types d'un type
152
153
LE SIGNE ICONIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
facteurs, qui sont : (a) la présence de déterminants particuliers (la
longueur d'un nez encourage à stabiliser la lecture au niveau
4.2.2. Types, sous-types, supratypes « Cyrano » ou « de Gaulle » plutôt qu'au niveau « humain ») ;
(b) le contexte iconique (la présence d'un panache détermine
Le type, avons-nous dit, n'a pas de caractères visuels, mais peut
l'identification« Cyrano»); (c) le contexte pragmatique (du fait de
être décrit par une série de caractéristiques dont certaines sont
sa présence dans un énoncé connu pour relever du code de la route,
visuelles et d'autres non, entrant dans un produit de paradigmes
telle image sera lue comme « bétail » et non comme « bœuf
dont les termes sont dans une relation de somme logique. charolais » ou « être animé »).
Nous pouvons à présent décrire ces caractéristiques avec plus de
Les types ainsi identifiés, les supratypes se présentent souvent
rigueur. comme des groupements de types entretenant entre eux des
Commençons par observer ceci : pas plus qu'il n'y a de définition
relations floues, ou simplement statistiques. C'est évidemment
essentielle de ce qu'est une entité et de ce qu'est une sous-entité
l'idéologie qui fixe les niveaux idéaux, toujours révisables, de
( elles tirent cette qualité de leur relation réciproque et du niveau
stabilité typique. On constatera que, dans notre civilisation, c'est le
d'analyse auquel on se situe), il n'y a pas non plus d'objets qui
plus souvent une conception de nature humaniste - celle pour qui
seraient en soit des types : tout type dégagé peut être perçu soit
« l'homme est la mesure de toute chose » - qui intervient.
comme partie d'un ensemble soit comme constituant lui-même cet
ensemble. On pourrait alors parler de supratypes (exemple : le
«cavalier», partie d'un supratype « groupe équestre») et de sous-
4.3. Types et usages
types (exemple : « œil », sous-type de « tête»). Les trois statuts de
type, de sous-type et de supratype sont donc fonction du niveau
d'analyse. En principe, ces niveaux d'analyse sont en nombre
Nous avons défini le type comme une somme de paradigmes.
illimité, tant vers le haut que vers le bas : si une entité est reconnue,
Nous pouvons maintenant préciser· que certains de ces paradigmes
'c'est qu'on l'identifie comme appartenant à un type; or cette
correspondent à un sous-type ( correspondant à une sous-entité sur
ap~artenance entraîne son appattenance à tous les supratypes qui
le plan du signifiant). Cette précision prendra toute son importance
englobeyt ce type (exemple, d'une chaîne «Julie», « pie noire»,
quand nous envisagerons les problèmes de la rhétorique iconique.
« vache », « bovidé,»,' « ruminant », « quadrupède », « être
D'autres paradigmes, cependant, ne se laissent pas décrire
animé », chaque maillon he la chaîne pouvant s'accrocher à d'autres
comme sous-types. Ils correspondent le plus souvent à des relations
supratypes : «bétail», « animal domestique », etc.).
Cependant, pas plus que l'analyse en sous-déterminants, en que le type entretient avec d'autres types, et qui sont fournies par
l'encyclopédie. Nous nommons ces relations usages. Par exemple, la
principe illimitée, ne peut être poussée dans les faits au-delà d'une
propriété qu'a la vache de donner du lait, qui est un trait du type,
certaine limite - ce qui nous poussait à reconnaître l'existence d'une
peut être décrite comme une relation fonctionnelle entre les types
certaine stabilité perceptuelle -, le processus menant à constituer
« lait » et « vache ». Ces usages font apparaître les référents des
les supratypes et les sous-types en types ne peut en pratique être
poursuivi indéfiniment : il est freiné par certaines considérations (il signes comme propres à entrer dans des configurations qui peuvent,
y a par exemple un type« cornemuse », bien stabilisé, qui n'est que à la limite, correspondre à un supratype. Mais la stabilité de ces
supratypes-là fait problème : que les poissons soient volontiers dans
rarement perçu comme un supratype composé par la réunion des
types « chalumeau », « porte-vent », « grand bourdon », « petit l'eau n'empêche pas qu'on puisse très aisément les concevoir, même
bourdon », « poche », sauf par des spécialistes). La sélection d'un vivants, sans relation avec l'eau. Ce qui est en cause ici est donc le
niveau d'analyse donné semble bien être déterminée par trois degré de cohésion des représentations dans l'encyclopédie 30•

154 155
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
Cil
r::
g.
Il)

0
·- 1
·.:: ~ ~ ~
5. Le système des transformations '<.>
eo e "'
0 'iU CO 0
.... r::
.5
.d
CO C..
1 1
'211) '2
5.0. Les problèmes techniques posés par les transformations requiè- :::: ~
11)
rent une certaine dose de raffinement. Il n'est pas question de les .... Cil r:: .... ll ~
Il)
::s ~ 11) ::sr::
Cil Cil
évacuer en faisant simplement appel à quelques notions de géomé- s ~
oE
Cil
.g!U"O ~ Cil
11)
11)
ot;;r:i"OE3
11) .g
....
r::
11)
....
Cil
11)

·- CO .8 8 IU C.. e ~
C' -~~"'r::Ec.. Cil
trie élémentaire. Néanmoins, il faut bien commencer par là, et c'est ·g_ ~-=o~~e .§S
ce que Ugo Volli (1972) et René Thom (1973) ont fait: établir un 0 Ë~·g<§~fj
r:i O CO ,_, 5h ..C::
::S r:i CO O·- CO (.) r::
11) ....
Cil ....
r:: 0 .!::: ....
l:: ~ ..c::
0
"'0
!Uo~c..,_,o '!Uor:: ,_,o ë.. (.) iü ,11)~
>
inventaire des transformations géométriques présentes dans la 8 11) :-;: 11) ~ ::s 'iU ::s
relation d'iconicité. Le recours à la géométrie est en effet inévitable
CO "O "O "O 'iU "O ~.g g .g -E .g "O "O .55 ~
.9
1 I _... 1 1 1 1 1 ~
dans la mesure où l'image aussi bien que son modèle « sont
~
nécessairement des formes étendues dans l'espace» (Thom). Nous .g_
verrons rapidement que les transformations géométriques ne sont Cil ~
Il) .el r:: ~ U'l g
qu'une partie simple et banale de l'ensemble des opérations qui g. ·.::: .9 ~
'§ .~ ,g
.... r::
"'0 r::
bll·- 0
Cil

~
",:s
mènent au signe iconique.
fc:: c, (.) ~
VJ
~,iü
~-~
s =~ ·-g .~~
'Q) ~--
Cil
11)
~::s
....
j
La notion de signe iconique, relevait Eco,« recouvre une grande -e co~·- eo ~ ~ bll·-
co t;
variété d'opérations productives fondées sur des conventions et des
t:~ E ~ iê ~ ~~ "'
~
;;:: e 0
u iE ;a :.a ..:: Cil

opérations précises; classer et analyser ces opérations est la tâche


'+'-t ·-
1 1 ·r 1 1 1 1 .....
;:::..:
d'une théorie plus développée que celle que nous connaissons et ::s
~
encore à yenir'» (1988 : 69). Dans cette théorie, nous envisagerons ~ ~
"'::,
'1)
,g Cil ~
q}Jl!f:re familles de transformations : des transformations géométri- Cil
U'J ....
r::
Cil
E::!
ques - c'est à elles qu'on vient de faire allusion -, mais aussi
C'
·c: -~
11)
-~ Cil
r:i
....
CO ::S
11) Cil
r:: 11)
11)
(.)

analytiques, optiques et cinétiques. Les transformations étant des i 'iU


..c::·
.... >
Cil
11)
....
'iU
..c:: >
Cil
11) .8 § .8'
ti .2 g,o ~ .8 ~
-~ ~ ~ s2
0
e
0 -~ ë·~ .a.> en -
opérations menées sur des .unités ( qui varient selon la famille de '<.>
C, ·,il e bl)
1â.... 08. ~"'o'I
8c.. ........ ~ ë.. ~
b .... ~U o
0 0 O'iU
transformation), on peut les décrire à l'aide des quatre opérateurs .d c.. ..c:: r:: (,)
logiques fondamentaux que sont l'adjonction ( + ), la suppression 1 1 1 1 1 1 1 1
(-), la suppression-adjonction(±) et la permutation(-). Le tout ~~§
fournit une matrice générale à 16 cases, que nous donnons ici à titre a~~
QJ i..;.. ·-

r::
de plan de lecture des pages qui suivent.
E
.,
IJ..
-E
l':? e
.8
ti ,-...
r::
0
".il
Cil,-...
e
0
-~~ -~0CO ,-...
.... 1
Si nous devons bien recourir à des exemples concrets comme le r:: +
contraste en photographie, le fusain ou le vitrail, nous n'entrerons
pas dans les détails pourtant indispensables pour bien décrire
Il)
c::
0
·.::
l':?
o-
~
<
~
C..'-'
g.
Cil
1 .t:: +I
"in'-'
'€l
Cil
i-
p.,

chacune de ces techniques. C'est que notre but n'est pas, on l'a dit, ~
0
de définir la spécificité de celles-ci.
156
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE ICONIQUE
d) Homothétie
Les homothéties ne conservent plus les longueurs. Par exemple
5.1. Transformations géométriques dans une homothétie de centre O et de rapport K, on passe de M à
M' de telle façon que g~' = K. (II y a réduction ou agrandissement
L'inventaire de Volli (1972) est plus complet que celui de Thom de la figure; v. fig. 6.)
(1973), mais nous nous fonderons aussi sur le traité de Bouligand,
plus détaillé, pour expliciter quelques notions relevant de la
géométrie élémentaire. 5.1.2. Couplages complexes

5.1.1. Couplages simples selon des opérations de somme géométrique ( + ),


Ces diverses transformations élémentaires peuvent se composer
de soustrac-
tion ( - ), ou d'égalité géométrique ( : : ). Certaines familles
On appelle figures couplées des figures telles que l'on passe de de transformations forment ainsi des groupes intéressants. Par
l'une à l'autre suivant une certaine loi. Soit F la première et F' la exemple, les déplacements (qui sont la composition d'une translation
seconde. On peut alors définir diverses lois, qui donnent chacune et d'une rotation), les similitudes (produits d'un déplacement et
naissance à un type de transformation. Nous énumérons ces types ci- d'une homothétie), ou les congruences (compositions de transla-
après, en ne décrivant d'abord que des transformations simples 31• tions, rotations et réflexions). Il est donc possible de revenir sur les
a) Translation principaux types de transformations du point de vue qui nous
Tous les points de F donnent tous les points de F' par des vecteurs occupe ici, c'est-à-dire leur aptitude à former des signes iconiques.
équipollents, donc parallèles : ceci entraîne des égalités de seg- On notera ainsi qu'une congruence conserve les propriétés
ments. En termes quotidiens, on dira que la figure se retrouve, métriques, projectives, affines et topologiques des figures, mais non
identique, en un autre endroit de l'espace. Toute production de leur orientation. Ces congruences rendent donc compte de la
signe iconique comportera entre autres une translation. proposition selon laquelle « deux entités ayant la même forme sont
b) Rotation des signes iconiques possibles l'un de l'autre ». C'est le cas du calque
Tous Ïes points de P sont obtenus à partir des points de F par une ou encore de l'empreinte (si du moins on fait abstraction de la
rotation d'un angle donné autour d'un centre O. La loi caractérisant différence de matériau entre l'empreinte et l'objet qui l'a faite :
cede transformation est la conservation des angles et des longueurs. cette différence est de l'ordre de l'indiciel). Les réflexions, ou
Eh termes quotidiens : la figure reste identique, mais son orienta- images en miroir, sont également des congruences. Exemple
tion se modifie dans le plan. graphique simplifié de congruence :
c) Symétrie
Dans la symétrie par rapport à un centre O, on passe de chaque

6-DV
point M de F au point correspondant M' de F' par un segment de
droite tel que O soit toujours le milieu de MM'. Dans la symétrie
par rapport à une droite D, on passe de même de M à M' par un
segment tel que la droite D soit toujours la médiatrice de MM'.
Dans les deux cas, on conserve encore les longueurs et les angles. La F
p•
figure est identique, mais « renversée ». Figure 5. Congruence
158 159
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
LE SIGNE ICONIQUE
Les homothéties doivent aussi nous retenir : ces transformations
conservent certaines des propriétés de la figure (en particulier les
angles), mais non les longueurs ni l'orientation. Ce sont les
M'
transformations familières des « triangles semblables », ou en
général les« similitudes » de figures. Elles rendent compte de l'idée
selon laquelle la maquette d'un immeuble peut être un signe
iconique de celui-ci. On peut également citer l'agrandissement ou la
réduction, que ces transformations soient photographiques ou
autres. Exemple : 0

N'

F F'
F

Figure 7. Projection

F F' C'est le cas de nombreux signes connus, et notamment des photos


et des dessins, iui3
projettent sur une surface plane des objets
Figure 6. Homothétie tridimensionnels • Les projections sont généralement déformantes,
et ne conservent que certaines propriétés projectives (par exemple
« être une ligne droite », ou « une courbe du second degré », mais
De telles transformations, malgré leurs caractères apparemment non « être dans le même plan ») et topologiques des figures (par
simples, peuvent affecter notablement la reconnaissance des types.
I Les expériences montrent qu'on est facilement amené à considérer
exemple« être à l'intérieur de »), Tous les systèmes de perspective
classiques sont ici en cause, ainsi que beaucoup d'autres, tels ceux
des variations affectant le signifiant comme des différences de utilisés pour établir les cartes géographiques. « La carte n'est pas le
référent : le même dessin, à deux échelles différentes, paraîtra territoire », dit-on, mais elle en est le signe iconique, par le biais de
renvoyer tantôt à un« gobelet », tantôt à un« pot », tantôt encore à la projection 33•
un « seau ». Un exemple plus banal et moins sophistiqué de transformation
Avec les projections, on s'éloigne encore davantage de ce qui par projection est la flèche ou l'inscription peinte sur le macadam
apparaît intuitivement comme une pure réduplication de la figure. d'une façon grossièrement anamorphosée (émission), mais que
Les transformations projectives sont multiples, elles peuvent être l'automobiliste voit dans ses proportions conforme au type attendu
polaires, planes, cylindriques, sphériques, etc. Exemples : (réception). Aux yeux de qui voit la flèche anamorphosée (du haut
d'un immeuble par exemple), il y a icône d'une flèche non
anamorphosée. Mais cet exemple nous montre surtout la limite dans
160 161
LE SIGNE ICONIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
L'introduction de ces transformations dans notre univers est
l'anamorphose, qui accentue la polysémie de l'icône, l'iconisant
historiquement récente, du moins dans leur utilisation massive, ce
pouvant renvoyer à un nombre illimité d'iconisés. Exemple : que note bien Saint-Martin (1980) : ce sont les schémas, dia-
grammes, organigrammes, etc. Parmi les exemples particulièrement

L démonstratifs, on citera le plan de métro (qui n'est pas à propre-


ment parler une carte : il n'est que d'examiner le plan du métro de
Londres, où les équivalences purement topologiques sont beaucoup
plus évidentes que celles du plan parisien), les circuits imprimés
électriques, certaines cartes routières ou plans de ville 35• Mais on

- ~ pense aussi à certaines transformations opérées par Miré dans ses


toiles. Dans certaines toiles Op, notamment les compositions en
noir et blanc de Vasarely, on observe de même des configurations
mettant bien en évidence l'équivalence topologique de ronds et
de carrés, comme nous aurons l'occasion de le montrer au cha-
F F
pitre vm 36•
Figure 8. Anamorphose par projection

Les transformations topologiques 34 ne conservent plus que des


propriétés très élémentaires, telles la continuité des lignes, l'inté-
rieur et l'extérieur, l'ordre. La ligne droite peut dès lors devenir 5.2. Transformations analytiques
'
courbe, les angles peuvent disparaître, les surfaces et les proportions
changer. De sorte qu'un triangle, un cercle et un carré ne sont pas
topologiquement différents (ils maintiennent tous, invariablement, L'inventaire des transformations ne s'arrête pas aux manipula-
l'opposition intérieur vs extérieur), mais bien une courbe ouverte, tions géométriques, comme ont pu le croire certains. En réalité ces
transformations n'expliquent en rien des phénomènes aussi voyants
• un ,grillage ou un entrelacs. Exemple :

O }}
que la différence entre un dessin au trait, une peinture en aplat, et
une photographie en modelé. D'autres transformations sont ici à
l'œuvre, plus subtiles, peut-être justement parce qu'elles paraissent
,·,; A aller de soi. Nous décrirons ci-après la différenciation et le filtrage,
ainsi que certaines de leurs modalités. Nous les appelons analytiques

- parce qu'elles relèvent de cette autre branche de la mathématique


qu'est l'analyse37•

F'
F
Figure 9. Transformation topologique
163
162
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
X
A. Balayage de
l'image
5.2.1. La différenciation

Nous employons ici le mot dans son sens mathématique strict


(c'est-à-dire examen des différences) que nous rappellerons tout
d'abord. Soit une courbe, représentant graphiquement une fonc-
tion, elle-même représentant un phénomène. Pour le cas des
images, nous retiendrons, par exemple, une grandeur physique Luminance L(x)
comme la luminance 38, qui varie d'un point à l'autre d'un champ de
vision. Si nous traçons un axe OX n'importe où sur ce champ et que B. Luminance
nous promenons le long de cet axe un appareil sensible à la réelle
luminance ( et qui plus est : d'une sensibilité identique à celle de 0
l'œil), cet appareil nous livrera un signal que nous pourrons
enregistrer graphiquement. La figure suivante (n° 10) illustre les
étapes successives du raisonnement. dl X
Si A est le spectacle perçu au départ (appelons-le le « trans- ax
formé»), B en est une image conforme au point de vue de la
luminance.
Si nous faisons subir à l'image B une transformation de différen- C. Première M
ciation, nous obtenons C, qui est dite « dérivée ». On voit qu'ici le différenciation 0 X
tracé donne zéro pour toutes les zones de B où le signal est constant.
Lorsque ce signal augmente, nous avons une dérivée positive,
passant par un maximum pour le point où la pente est maximum
(exemple : le point M). Ce maximum sera d'autant plus élevé que la
' pente elle-même est forte. C'est pourquoi on peut obtenir sur la N
, dérivée des pics très accentués, même pour des changements faibles d1L
'de L : il suffit que ces changements soient brusques ( exemple : le dxZ
,pqi'nt N). Inversement, lorsiue le signal diminue en B, la dérivée
prend des valeurs négatives 3 • D. Seconde
L'intéressant de cette différenciation est que le signal dérivé
d iff érenciat ion
revient toujours à zéro entre deux pics, et qu'en quelque sorte X
l'information qu'il contient se trouve localisée dans quelques bandes
étroites. C'est un transformat.
Il est possible de faire subir une seconde différenciation au
tracé B, ce qui revient à différencier le tracé C. On obtient alors la
courbe D (où le symbolisme d2L/dx2 s'explique de lui-même), où
chaque pic de C se trouve dédoublé e~ deux pics, l'un positif l'autre Figure 10. Différenciation
164 165
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE ICONIQUE

négatif : un peu comme si, creusant un fossé, on en utilisait la terre vecteur, et d'opérer ainsi une projection des points sur un plan (si
pour élever une digue juste à côté. Les transitions de l'image l'on supprime un composant) ou sur une droite (si l'on en supprime
40
originale sont ainsi encore plus vivement accusées • deux). Nous appellerons filtrage cette transformation.
Ces commentaires de géométrie analytique nous permettent de A vrai dire le composant n'est pas vraiment supprimé, il est
saisir la nature profonde du dessin au trait. Il constitue une seulement fixé : il garde une valeur constante et cesse d'être une
transformation différentielle du champ perçu : chaque pic corres- variable.
pond à un point sur un trait, et entre les traits il n'y a rien, ou plus De même, au lieu de sélectionner pour un composant une seule
exactement un espace neutre en tant que vecteur d'information. valeur fixe, on peut décider de lui permettre deux ou plusieurs
Cette transformation peut être envisagée pour son intérêt écono- valeurs discrètes, en excluant toute variation continue du paramètre
mique et instrumental, car elle permet de représenter un spectacle envisagé. Il s'agit donc cette fois d'un type moins radical de filtrage,
complexe par des interventions tout à fait localisées. Mais en même en quelque sorte intermédiaire entre les dégradés illimités et la
temps, elle met en œuvre un modèle de lecture ou de déchiffrement, fixation arbitraire d'une valeur unique. Nous appellerons cette
\ selon lequel le maximum d'information se trouve concentré dans les nouvelle transformation, qui est un filtrage incomplet, discrétisa-
transitions 41• Le transformat obtenu est une lecture du transformé, tion.
42
et plus précisément ici une sémiotisation • Muni de ces deux concepts, il devient possible d'inventorier
théoriquement les divers filtrages possibles, et d'examiner à quoi ils
correspondent dans la pratique des images. Comme on peut
supprimer chacun des 3 composants, ainsi que chacune des 3 paires
5.2.2. Le filtrage et la discrétisation possibles de deux composants nous aurons 6 possibilités théoriques,
que nous reprendrons sous forme de tableau (tableau VII).
L'information visuelle peut s'analyser comme un réseau de points
que l'on explore par balayage 43• Toute l'information obtenue dans
----.
un « point » est inévitablement confondue en un stimulus moyen qui
atteint notre œil, lequel l'analyse et produit en réponse un signal 5.2.3. Combinaisons et utilisations techniques
nerveux s sous la forme d'un vecteur à trois composants :
.. Revenant au filtrage, nous constatons qu'une certaine complica-

[t].
tion apparaît lorsque se combinent le filtrage et la différenciation,

..
ou lorsque le filtrage s'arrête à la discrétisation. C'est par discrétisa-
' s (L, S, D), ,0;1 encore tion qu'on retiendra par exemple seulement deux valeurs de
saturation, ou qu'on décidera de n'utiliser que des couleurs dites
ou L = lummance ( ou brillance)
primaires (ex. : Van der Leck, Mondrian, Matisse, etc.).
S· = saturation l
D = dominante chromatique S (forment un sous-ensemble) Nous sommes redevables à M. Guillot (1978) de beaux exemples
traditionnels de polychromies restreintes à deux couleurs. Le pre-
mier est celui des faïences de Rouen ( début du xvm" s.) à décor
Chaque signal s est donc un point dans un espace à trois dimensions, rayonnant, qui ont utilisé seulement le bleu et le rouge orangé. Le
selon par exemple l'espace des couleurs dans la représentation de second est celui du Beniye, type de gravures sur bois japonaises,
Munsell (v. fig. 2). pratiqué notamment par Harunobu, et qui se limite à deux
Or, il nous est loisible d'ignorer un ou deux composants du pigments : rose pâle et vert pâle.

166 167
LE SIGNE ICONIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
presque universellement employée pour la bande dessinée (procédé
DIFFÉ-
DISCRÉTISÉS
dit de « la ligne claire » chez Hergé). Le plus souvent les plages
Filtrages COMPLETS RENCIÉS
colorées n'ont par rapport au trait qu'une simple valeur de
- réserves redondance distinctive (le chandail bleu du capitaine Haddock, les
- aplats - offset golfs roux de Tintin, le poil blanc de Milou).
Fi_..o,L ou sérigraphie - émaux
- plages cloisonnés Examinons à présent les différentes formes de dessins au trait.
uniformes à deux valeurs
- la ligne Les pics des figures 10 C et 10 D sont analogiquement rendus par
claire des tracés linéaires que divers engins permettent d'obtenir. Leur
nombre est étonnamment réduit, dans les codes académiques : mine
polychromies inexploité de plomb avec ses divers degrés de dureté, fusain, sanguine, craie
V'J
Ill Fq,_..s,L - mono-
..l chromie restreintes : (sur tableau noir ou vert), touche (sur ardoise), encre appliquée au
""::E - camaïeu - utilisation pinceau, à la plume, au tire-lignes ou au stylo à aiguille.
iii des seules
- sanguine En gros on peut dire que l'écrasante majorité des techniques
- sépia couleurs primaires favorise le noir sur fond blanc ou le blanc sur fond noir, toutes
- bleus - gravures sur bois
techniques qui autorisent le jiltrage double F-L. Une technique
Beniye
faïences de Rouen très répandue de traits colorés est la sanguine. La figure 11 cherche
à montrer que le crayon tendre ou le fusain reproduisent un signal
idem idem très proche des pics de la dérivée à la figure 10 C. Les autres engins
Ft_..s,D inexploité
produisent par contre un signal carré, sans dégradés sur les bords,
- noir et blanc - hachures - dessin
Fi_..L au trait c'est-à-dire un signal à deux valeurs. Il s'agit donc bien d'une
- grisaille - tramage transformation par discrétisation, s'ajoutant à la différenciation.
- lavis - gravure
V'J
à 2, 3, 4 tailles Mais il n'est pas toujours souhaité de discrétiser par tout ou rien;
Ill
..l au contraire on peut chercher à suggérer partiellement les modelés,
~
;::i
idem idem en rétablissant une partie du signal non différencié. Si le fusain n'y
0 inexploité?
0 Fi.t---o suffit pas, on emploiera l'estompe et autres frottis, ou la hachure et
idem idem son système extrêmement complexe, discret et codé (particulière-
Fi,q,_..s inexploité?
ment élaboré dans la gravure). Le procédé de la hachure s'appa-
Tableau VII. Système des filtrages rente à la trame photographique : tous deux sont des transforma-
tions par discrétisation des luminances, et ont un impact sur les
."
J · Le cas le plus fréquent de filtrage double est celui qui mène au
textures (v. chap. v, § 2 et rx, § 2).
La discrétisation revient donc à établir un certain nombre de
· noir et blanc 44• seuils (et pas nécessairement deux) dans la grandeur de l'un ou
Mais la discrétisation peut porter sur d'autres paramètres et nous
l'autre composant du vecteur image : le noir et le blanc, les couleurs
tenons là clairement un des mécanismes de la stylisation, qui sera
primaires, l'orientation des traits, etc. Outre un système particulier
examinée en détail au chapitre x. de hachures, la gravure a mis au point un système discrétisé de
Combiné à une différenciation, le filtrage complet F- L donne le
représentation des demi-teintes : la gravure à deux tailles, à trois
dessin au trait, alors que le filtrage partiel F- D, L, qui n'élimine
tailles, et même à quatre tailles. Quant à l'orientation des traits, elle
que la saturation, donne la technique des réserves et du cloisonne-
a été notamment discrétisée aux multiples de 45° par Van der Leck
ment, bien connue pour l'émail. Cette technique était naguère
169
168
LE SIGNE ICONIQUE
Fusain Crayon dur 3H Tire-/ ignes.
dans sa Nature morte à la bouteille, par Cézanne dans La Route près
du lac, par Juan Gris dans sa Nature morte avec lampe à huile, et tant
d'autres 45•

5.3. Transformations optiques

Ce groupe de transformations affecte les caractéristiques phy-


siques de l'image, au sens optique de ce terme. (Rappelons que
l'optique géométrique est la science qui a pour objet les lois de la
réflexion et de la réfraction.) Nos transformations sont toutes bien
connues des phôtographes, et concernent les rayons lumineux, soit
dans leur intensité, soit dans leur convergence spatiale.

5.3.1. La transformation

Le tableau VII suscite l'observation très intéressante que toutes


les possibilités ont été exploitées, à l'exception de celles qui
L L L impliquent la fixation du composant L (brillance ou luminance). A
J première vue pourtant, ces possibilités ne semblent pas irréali-
sables : il s'agirait de produire une image de luminance uniforme.
Apparemment notre contrôle de ce facteur n'est pas suffisamment
précis pour que nous y parvenions, à moins que l'on sente
obscurément que le résultat ne serait pas intéressant. Si l'homme n'y
suffit pas, du moins des machines le pourront et il ne coûte que
,...
i·: d'essayer.
X X X Nous ne sommes pas insensibles au facteur luminance, et le
photographe, par exemple, dispose de toute une série de papiers
sensibles permettant, du dur au doux, de modifier le contraste d'une
image. Chez le photographe, le contraste est le rapport de lumi-
nance des plages extrêmes du « négatif » ou du « sujet tel qu'il est
perçu par l'œil ». Il faut en effet tenir compte des contrastes du
sujet, du négatif et du positif, ces contrastes n'étant pas nécessaire-
Figure 11. Discrétisation et différenciation ment équivalents. (Dans ce qui suit, on partira de l'hypothèse d'un
170 171
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE ICONIQUE

contraste équivalent pour le positif et le négatif.) On appelle y le données plus récentes. Dans ce tableau, les mesures de Lapicque
rapport de transformation du contraste, mesuré par le rapport sont marquées d'un astérisque.
log. du contraste du négatif
Y= log. du contraste du sujet
contraste y
Le y est donc l'atténuation (si y< 1) ou l'accentuation (si y> 1,
comme pour les clichés extra-durs dits « au trait », dont le y peut Spectacles naturels 6 à 15 -
atteindre 2 à 9) données au contraste du sujet. Les négatifs courants Maximum possible avec les pigments du peintre 50 1,74
sont développés avec 0,7 <y< 1, et sont donc le plus souvent Maximum possible en imprimerie et photogra-
phie ? 9?
atténués par rapport aux sujets : les contrastes de ces négatifs
(en logarithmes) varient de 1 à 1,4 (ce détail nous permet donc d'en * Peinture impressionniste et apparentée
finir une fois pour toutes avec l'idée selon laquelle la photographie (Cézanne, Pissarro, Sisley, Monet, Guillaumin) 3à6 0,64
est le plus haut degré « naturel » de l'iconicité). La suppression * Peinture« ancienne» (Van Eyck, Memling,
totale du contraste s'exprimerait par y= 0 : elle n'est donc pas Vermeer, Vélasquez, Zurbarân, Greco, Corot) 6 à 12 0,95
Traitement normal des photos 1,5 à 15 0,7-1,0
possible en noir et blanc (on obtiendrait un gris indifférencié), mais
* Peinture « classique » (Ingres, David) 10 à 20 1,18
seulement pour une image en couleurs 46 , où elle équivaudrait au ;;,,:2
Style noir (BD 1938) === 100
filtrage F s, L-4 o.
Ici nous avons affaire à un critère logarithmique, tout comme
celui des décibels, et qui renvoie à la loi de Fechner. Tableau VIII. Jeu sur la transformation y
Qu'en est-il par ailleurs du contraste présenté par les spectacles
naturels et par la peinture des musées? Nous nous référerons en Ces observations font ressortir le fait que les peintres, s'ils
cette matière aux mesures de pionnier effectuées par Ch. Lapicque, travaillent généralement avec un y= 1, peuvent néanmoins s'écarter
et qui restent parfaitement valables. significativement de cette valeur. Les impressionnistes sont sur ce
Le contraste entre les extrêmes présentés par la nature peut point caractérisés puisqu'ils ont un y atténuateur :
s'élever à 300000000 (soit 8,5 en unités logarithmiques), mais ces
extrêmes ne nous sont jamais présentés simultanément : en fait, le
log (3 à 6) log VJx6
rapport des luminances, dans ce que Lapicque appelle « un angle y = = = 0,64
solide pictural» (ce qui peut être perçu par l'œil restant immobile), log (6 à 15) log v'6x15
• varie de 6 à 15 (soit de 0,8 à 1,2 en unités logarithmiques). Pour
J ' rendre cette fourchette étroite, le peintre dispose de couleurs- Enfin, il faudrait reprendre les travaux de Lapicque en les
·' pigments commerciales, telles que du blanc le plus blanc au noir le appliquant au clair-obscur, procédé consistant à localiser et à exa-
plus noir le contraste soit de 50. Le contraste autorisé par les gérer les contrastes. Des mesures sur un peintre comme de La Tour
fabricats humains est donc plus élevé que celui qu'on trouve dans la seraient à cet égard révélatrices.
nature. Lapicque, prenant des mesures au musée du Louvre, a Il est toutefois une autre catégorie d'images présentant « une
prouvé que le peintre rétrécit en fait le contraste disponible et le application volontairement brutale du clair-obscur des peintres »
ramène précisément à la même fourchette que celle des spectacles (Couperie, 1967) : c'est le style noir des bandes dessinées, apparu
47
naturels • Il suggère les groupements suivants en un classement qui vers les années 1938-40 chez les Américains et réinterprété aujour-
n'a évidemment rien de rigoureux, et que nous complétons avec des d'hui par un Hugo Pratt. Ce style noir adopte le contraste maximum

172 173
r

SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE ICONIQUE

disponible en imprimerie, soit un y:::?= 2. Accessoirement, il est l'œil n'est pas fixe, il peut balayer l'image et déplacer sa zone de
conduit à une discrétisation poussée des brillances : deux niveaux vision nette sur n'importe quel point du champ. Il n'en demeure pas
seulement dans le style noir, contre quatre dans le procédé double- moins qu'il lui est impossible de voir simultanément toute l'image
tone; celui-ci permettait d'avoir, outre le blanc et le noir, deux gris avec la même netteté : nous retrouvons donc ici la dimension
par le jeu de deux réseaux de hachures, croisés et préimprimés sur temporelle qui, contrairement à une opinion répandue, n'est
un papier spécial, réseaux apparaissant grâce à deux révélateurs nullement absente de la communication et des arts visuels.
distincts (l'un fait apparaître un réseau de hachures, l'autre les Enfin la vision binoculaire permet d'apprécier la distance d'un
hachures croisées). point du champ, en accommodant sur lui. Seul ce point est alors vu
Notons que l'on peut parfaitement conserver la gradation d'un avec netteté, le reste, qu'il soit plus proche ou plus lointain, étant vu
référent dans un signifiant, tout en la déplaçant « en bloc » vers les flou.
valeurs foncées ou vers les valeurs claires : ceci constitue également Or, à partir de cette vision physiologiquement normale, il est
une transformation. Des exemples très nets du premier cas sont possible de procéder à des transformations intéressantes de l'angle
donnés par les gravures de Goya et de Bresdin, chez qui cet de vue, de la zone de vision nette, et de la profondeur de champ.
« assombrissement » systématique est évidemment chargé de sens. Les photographes sont coutumiers du fait de changer la focale de
Enfin, en inversant purement et simplement les luminances, on leur objectif, donc l'angle de vision (grand angulaire ou longue
obtient le négatif. L'effet de négatif est bien entendu familier chez focale). On passe ainsi de 18 à 35 mm dans le premier cas, ou de 85 à
48
les photographes, mais est présent aussi dans les dessins au crayon 200 mm ( voire à 1200 mm pour certains télés) dans le second •
clair sur papier sombre, voire dans les silhouettes .. La zone de vision nette, comme le remarquait Vasarely dans un
En synthèse, nous voyons que la luminance, si elle n'est semble- passage à la fois clairvoyant et virulent 49, a entraîné les artistes à
t-il jusqu'ici jamais filtrée (car on ne supprime pas quelque chose dans bien des « trucs » et des « tricheries ». Lorsque tout le plan de
ce cas-ci : on transforme plutôt une échelle), est néanmoins l'objet l'image est donné avec une netteté constante, comme dans la
d'une transformation qu'il est nécessaire d'impliquer dans la défini- peinture ancienne et classique ou dans la photographie courante,
tion de l'iconisme : nous proposons de l'appeler transformation y. l'œil ne perçoit cette netteté que localement, au cours de son
balayage, le reste demeurant flou. Ce type d'image est donc
acceptable comme spectacle, et tous ses points offrent une vision
5.3.2. Netteté et profondeur de champ stable. Si par contre, nous examinons une peinture dont le centre est
net et les bords flous (par exemple, chez Renoir), l'œil ne trouvera
Tout comme la transformation y emprunte aux photographes leur une vision physiologiquement satisfaisante qu'en se fixant au centre.
concept de contraste lumineux, nous pouvons également leur Tous les autres points, contrairement aux spectacles naturels,
emprunter leurs concepts de netteté et de profondeur de champ, et fournissent une vision floue. Un tel dispositif a évidemment pour
I .
,· en faire la base d'une nouvelle transformation.
Dans la vision normale (Déribéré, 1959), il existe un angle de vue
effet d'attirer l'œil efficacement vers le centre.
Enfin la profondeur de champ peut être diminuée fortement par
l
solide (± 140°), dans lequel on distingue plusieurs zones concentri- un objectif à longue focale peu diaphragmé, ou au contraire très
ques. Au centre (1 °) se situe la« zone de vision nette ou fovéale », augmentée par d'autres dispositifs. La peinture ancienne et classi-
qui possède le maximum de discrimination des formes et des que a volontiers donné la même netteté aux objets proches et
couleurs. En s'éloignant vers la périphérie, on trouve successive- lointains, ce qui crée un écart pour l'œil sensible car celui-ci
ment un « champ central » de 25°, puis un « entourage » de 60°, le accommode sur la distance unique de la toile et non sur les distances
50
reste constituant le« champ périphérique ». Bien entendu, comme supposées des objets représentés sur la toile •

174 175
r-

SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE ICONIQUE

iconique, et constitue une sorte de microtopographie de l'image.


Mais il est des cas (Arcimboldo, Dali...) où la proximité révèle une
5.4. Transformations cinétiques seconde image iconique.
Décrite de cette façon, l'intégration est-elle une transformation
au même titre que le filtrage ou la différenciation? On doit
Nous avons groupé sous ce label des transformations d'un tout répondre affirmativement à cette question, en précisant simplement
autre genre : au rebours des précédentes, qui supposaient un que si filtrage et différenciation sont des transformations in absentia
rapport fixe entre le regardeur et l'image, celles-ci impliquent le (on ne nous donne à voir que le transformé), l'intégration est en
déplacement du regardeur par rapport à l'image. C'est ce déplace- quelque sorte une transformation à vue, in praesentia, tout comme
ment qui va affecter le rapport entre le signifiant et les autres l'anamorphose, qui joue cette fois sur l'angle de vue plutôt que sur
éléments du signe. On y trouvera essentiellement l'intégration et la distance. L'anamorphose, bien étudiée déjà sur le plan géométri-
l'anamorphose, qui nous mènent directement à la multistabilité. que, présente d'ailleurs deux fonctionnements distincts. Le premier
On pourrait prétendre, dans une vision réductrice et académique, est basé sur la multistabilité et fait voir alternativement deux images
que les hachures d'une ombre ne sont pas tracées pour être vues, dans une seule. Le second au contraire est basé sur un effet
mais constituent un expédient destiné à pallier une insuffisance du cinétique : nous avons beau défiler devant la Joconde, elle continue
dessin au trait; expédient rendu possible par les particularités de à nous regarder. Nous retrouverons ces phénomènes au chapitre XII
notre système perceptif, et en quelque sorte annulé par le fonction- lorsqu'il s'agira d'apprécier la spatialité de la sculpture.
nement même de celui-ci. Mais il s'agirait là d'une pétition de
principe, et nous tiendrons au contraire que le fonctionnement des
trames et des hachures repose sur certaines propriétés de notre '--
système sensoriel, qui sont cette fois des propriétés d'intégration, et
attirent l'attention sur les concepts d'ordre proche et d'ordre S.S. Transformation, iconisme et rhétorique
lointain, bien connus en esthétique informationnelle (v. Moles,
1971 : 59 ss. et notre chap. v, § 2).
Il suffit de s'éloigner de l'image pour voir émerger l'ordre Marquons maintenant un temps d'arrêt sur trois questions d'iné-
lointain, puisque le pinceau visuel embrasse alors des zones d'image gale importance à propos de la transformation. La première porte
de plus en plus vastes, dans lesquelles toute l'information est sur certaines propriétés des transformations que notre classement
automatiquement sommée et moyennée. On obtient le même effet fait peut-être insuffisamment ressortir. La seconde porte sur l'hypo-
en clignant des yeux ( ce qui contracte le globe oculaire et inter- thèse d'une « échelle d'iconicité », qui a été formulée à plus d'une
pose le rideau des cils, intervenant comme un réseau de diffraction, reprise, et qui a évidemment partie liée avec les transformations. La
. ' •:,
c'est-à-dire mélangeant les stimuli provenant de zones voisines).
L'existence, pour la même image, d'un ordre proche et d'un ordre
troisième portera sur le caractère possiblement rhétorique de toute
transformation.
lointain, entraîne celle de deux distances offrant une perception
stable. L'exemple de l'image grossièrement tramée (bélinogramme)
est clair, mais celui de la peinture impressionniste ou pointilliste ne 5.5.1. Quelques propriétés des transformations
l'est pas moins. Ces phénomènes recouvrent en partie ce que l'on a
appelé texture, troisième composant du signe visuel avec la forme et Nous avons montré que l'iconisme établit une certaine distance
la couleur. Dans les textures, l'ordre proche n'a pas de signification entre référent et signifiant, distance qui se décrit par une série de
176 177
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE ICONIQUE

transformations, dont nous avons dressé un premier inventaire et b) les transformations iconiques sont composables entre elles, ou
dont nous avons dégagé certaines propriétés générales. mieux transitives : Charles Quint peut être peint, et son portrait
Il est encore un autre facteur qu'il faut prendre en considération : peut à son tour être photographié; la photographie est toujours une
celui de l'homogénéité des transformations. Nous dirons qu'une transformation du référent.
transformation est homogène ou hétérogène, selon qu'elle affecte Des opérations rhétoriques ou non peuvent s'exercer sur la
ou non la totalité du champ à transformer. première, ou sur la seconde, et resteront présentes dans la résul-
Car nous n'avons ici traité que des opérations elles-mêmes, qui tante. Elles peuvent aussi s'exercer dans les deux, et dans ce cas il
sont du niveau de la compétence. Si on passe au niveau de la est possible que la seconde transformation annule exactement la
performance, et que l'on considère la production d'énoncés, on première (cas d'un agrandissement suivi d'une réduction).
pourrait s'attendre à ce que les opérations opèrent uniformément
dans l'énoncé. En fait, cette homogénéité ne se retrouve guère que
dans les énoncés produits grâce à certains moyens de reproduction, 5.5.2. Transformation et échelle d'iconicité
chambre noire ou chambre claire. Et encore! Quel photographe n'a
été soucieux d'éliminer les anamorphoses apparaissant à la périphé- La transformation, telle que nous l'avons envisagée, est une
rie de sa photo ? Les énoncés iconiques procèdent le plus souvent à opération qui porte sur un ensemble de traits spatiaux attribués au
des séries hétérogènes de transformations. Fait sur lequel s'ap- référent.
puient, on le verra, nombre d'énoncés rhétoriques. Ces stimuli subissent, lors de la production d'un signifiant
Les traités de géométrie nous enseignent que les familles de entretenant avec lui une relation de co-typie, une modification, soit
transformations forment un groupe lorsqu'elles contiennent avec dans leur nature (valeur, couleur, luminance ), soit dans leurs
toute transformation son inverse, et avec deux transformations leur relations (proportions, contrastes, orientations ). Mais chaque
résultante. Sont ainsi des groupes les transformations linéaires, les modification laisse subsister un invariant, que nous avons souligné
déplacements, les similitudes. dans nos descriptions, et qui constitue en somme le support
Parmi ces transformations, on appelle équivalences celles qui sont physique de l'iconisme : en termes approchés, « ce qui reste de
symétriques, réflexives et transitives : l'égalité, la similitude et la l'original dans la copie», et qui justifie (cf. § 3.1.) le maintien du
congruence. Selon la même définition, on définit la transformation concept de motivation. La transformation à la fois change et
caractéristique de cette branche particulière ( non métrique) de la conserve, et la partie conservée doit rester supérieure à un certain
géométrie : la topologie. Cette transformation est appelée homéo- minimum ( d'ailleurs variable d'individu à individu) si l'on veut
morphie, et se définit par le fait qu'elle est biunivoque et bicontinue assurer la reconnaissance. En deçà de ce minimum, la redondance
(donc aussi : ordonnée). est détruite et le type est impuissant à assurer la co-typie. Nous
Ce qui nous intéresse dans ces théories, c'est qu'elles fournissent retrouverons donc ici le concept de redondance, capital dans toute
, l '. une description enfin rigoureuse de deux observations intuitives théorie rhétorique ; celle-ci envisage - on le rappellera plus loin -
1 concernant les images et dont nous avons déjà traité au moment des énoncés perçus, à travers lesquels on peut reconstruire d'autres
1
d'aborder le problème de l'iconisation (§ 3.2.) : énoncés, dits« conçus », et une telle reconstruction n'a évidemment
'. ' a) les transformations iconiques sont réversibles, ou mieux symé- lieu que grâce à la redondance.
triques. Dans deux figures couplées F et F', on peut aussi bien dire Mais le concept de transformation rend-il compte intégralement
que F est l'image de F' que l'inverse. Et effectivement, il peut de l'image? En dehors de l'exigence d'une redondance minimale, y
parfois y avoir hésitation. En tout cas, il faut sortir de la théorie des a-t-il une relation entre le nombre et la qualité des transformations
transformations pour distinguer l'image de son modèle ; et l'existence de l'iconisme?
178 179
p-- -~ ~ ~

SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE ICONIQUE


Au long des pages qui précèdent, on a pu lire des affirmations fondée sur la seule puissance des transformations. Il faut faire
suivant lesquelles, par exemple, la photographie serait « plus intervenir la qualité et la quantité de celles-ci, de même que la
iconique » que le dessin, celui-ci « plus iconique » que le schéma, nature des traits qu'elles affectent (dans la mesure où ces traits
etc. On a reconnu là l'idée d'une« échelle d'iconicité », avancée par correspondent à des traits du type).
de nombreux théoriciens, dont Volli. Un début de solution au problème de la silhouette apparaît si l'on
L'idée d'échelle laisse entendre qu'il serait possible de ranger admet que dans une image l'information n'est pas uniformément
toutes les transformations en fonction d'une grandeur« iconicité » répartie 51• C'est ce que nous avaient déjà appris les mécanismes
quantifiable. Au sein d'un groupe donné de transformations (par perceptifs : on a, par exemple, vu qu'ils attribuent plus d'impor-
exemple, les transformations géométriques), le nombre de pro- tance aux contours qu'aux surfaces; ce qui équivaut à une différen-
priétés conservées pourrait constituer une telle grandeur, mais si ciation. On sait en outre que dans les contours eux-mêmes, les
deux transformations conservent le même nombre de propriétés, changements de direction sont plus importants que les segments
nous ne dirons pas, le plus souvent, qu'elles sont égales en iconicité. droits ou les arcs réguliers; ce qui équivaut à nouveau à une sorte de
Sans doute il nous paraîtra plus important (« plus iconique») de différenciation le long de la ligne. Ceci nous montre qu'il n'y a pas
conserver les angles que les longueurs. Mais un petit changement une corrélation stricte entre la puissance des transformations et la
d'angle est-il plus, ou moins iconique qu'un grand changement de lisibilité des figures. Il faut donc concevoir ces transformations sur le
dimension? Le problème se compliquera encore lorsqu'il nous plan qualitatif également, et tenir compte des types iconiques
faudra décider s'il est plus iconique de conserver les couleurs, ou la auxquels ces objets correspondent. Lesdits objets peuvent avoir
texture, que la forme. Que faut-il penser de ces raisonnements, qui, dans le répertoire des types des statuts géométriques plus ou moins
dans l'état actuel de nos connaissances, restent largement spécula- contraignants. La représentation d'un homme implique, par exem-
tifs?
ple, non seulement une certaine configuration d'angles, mais encore
Volli soulignait que la prise en compte des transformations une certaine orientation (les signes renvoyant à la tête sont « au-
géométriques suggérait une base formelle pour la description de dessus » du corps). Une modification donnée affectera donc d'au-
l'iconicité, et fournissait même une échelle d'iconicité fondée sur la tant plus la reconnaissance de l'objet que ces statuts sont prégnants.
puissance des transformations : selon lui, cette iconicité s'affaiblit à On sait ainsi que la représentation photographique - pourtant
mesure qu'on passe de la congruence à la projection puis à la considérée comme très élevée dans l'échelle iconique - ne permet
', transformation topologique. Cependant, même en restant dans le qu'une identification malaisée lorsque la tête est présentée renver-
cadre étroit des transformations géométriques, il se rendait parfaite- sée 52, à l'issue d'une simple rotation.
ment compte que cette analyse est impuissante à expliquer pourquoi On isole ainsi un facteur qui explique l'intuition d'une échelle
une simple silhouette (faiblement iconique suivant ces critères d'iconicité. Ce facteur est la dimension pragmatique des transforma-
-, ,··. formels) permet néanmoins la reconnaissance efficace d'un objet ou tions. On peut en effet observer que les opérations fournissant des
'
. ,
J
d'une personne ( ce qui semble montrer que de tels signes restent signes qui seraient jugés très iconiques à l'aune du critère formel ne
empiriquement très iconiques)! sont pas toujours satisfaisantes pour l'usage auquel on destine ces
Cette contradiction - valable pour toutes les transformations, et signes : les traités de médecine, qui firent naguère un usage constant
pas seulement pour les géométriques - nous fait buter sur une des de la photographie, tendent aujourd'hui à revenir à des schémas,
grandes difficultés de l'analyse des images. On peut évidemment jugés plus clairs. C'est donc que les transformations aboutissant à
toujours répondre par la formule de « l'illusion référentielle ». Mais une faible iconicité sur le plan formel peuvent aussi être décrites
en l'occurrence, ce serait se permettre un tour de passe-passe. comme des filtres. Ces filtres sélectionnent certains traits suivant des
On doit donc remettre en question l'idée d'une échelle d'iconicité critères pragmatiques, de façon à ne pas noyer ces traits dans un
180 181
LE SIGNE ICONIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE

excès d'informations non pertinentes suivant ces critères. De ce


point de vue, « l'hypericonicité » apparaîtrait non comme une
information, mais comme un bruit. 5.5.3. La transformation est-elle en soi rhétorique?
Envisageons enfin la seconde remarque formulée par Volli à
l'endroit d'un classement fondé sur des critères géométriques. Elle Mais même ainsi corrigée sur deux points, la notion d'une échelle
nous permettra de dégager un autre facteur d'iconicité. d'iconicité appelle encore d'autres remarques. On a vu, en parcou-
Selon lui, il faudrait en effet ajouter, à une iconicité décrite rant les échelons de puissance de cette échelle, que chaque nouveau
suivant ces critères géométriques, un critère statistique. Empirique- type de transformation renonce à conserver certaines propriétés.
ment, la« reconnaissance » s'exprimerait plutôt comme une proba- Ces renoncements sont-ils autant d'écarts? Et doit-on dès lors les
bilité que comme une décision par oui ou par non. On considérerait considérer comme rhétoriques? (Ainsi un plan de métro est-il
comme semblables, selon ce nouveau critère, des lignes ayant « rhétorique »? Et si oui, par rapport à quoi? Et le noir et blanc?)
« presque » la même longueur, des figures ayant « presque » la Les exemples que nous avons cités, et qui n'hésitent pas à mettre sur
même orientation, des surfaces ayant« presque » la même couleur, un même pied un circuit imprimé et une composition de Miré,
les critères choisis étant dans une large mesure arbitraires 53• Volli pourraient laisser perplexe à cet égard.
estime que ce double mécanisme ( critères formels+ critères statisti- Une première attitude, simple et radicale, consistera alors à dire
ques) rend parfaitement compte de la façon dont nous reconnais- que toute transformation est rhétorique, et comme telle comporte
sons des lettres imprimées dans différents caractères ( un A en un certain éthos.
garalde et un A en times), ce qui constituerait la meilleure Par exemple, la transformation géométrique la plus générale 56,
démonstration de son caractère opératoire. qui consiste à projeter un spectacle à trois dimensions sur un support
Nous ne pouvons accepter cette analyse : elle reviendrait à à deux dimensions, seraitdéjà rhétorique 57• Cette transformation
admettre qu'il existe un A« vrai », dont tous les autres ne seraient géométrique entraîne inévitablement comme conséquence un réa-
que des copies approximatives et déformées. En réalité, il n'est pas justement de notre mode de déchiffrement, sous la forme d'un écart
nécessaire d'invoquer un critère statistique pour rendre compte du contraignant l'œil à reconstruire la troisième dimension à partir
processus de reconnaissance, parce que le type du A (tout comme le d'indices différents de ceux des spectacles naturels. La perception
type de la table, du chat, de la licorne ... ) ne spécifie que certaines dudit écart, vu l'extrême généralité de celui-ci, tend certes à
relations visuelles abstraites, laissant tout le reste à l'état de s'atrophier, mais ne cesse pas pour autant d'être réelle. Le prouvent
variantes libres. certaines études faites sur des populations non accoutumées aux
Voilà donc un autre facteur : le degré de socialisation des traits du images, et où la reconnaissance du type requiert un effort parfois
type auxquels les traits du signifiant doivent être conformes. considérable.
Ceci explique que des signifiants que l'on considérait comme peu Ce problème du conflit entre modèle à trois dimensions et image à
' ,. . iconiques au regard des critères formels puissent être les plus deux dimensions est central dans toute la peinture. Il nous paraît
. ·~ facilement lisibles. Une stylisation très poussée peut être largement absurde de prétendre que tout peintre figuratif est un illusionniste
acceptée 54• recherchant uniquement la profondeur. C'est à juste titre que
En conclusion, pour fonctionner de façon satisfaisante, la théorie Gregory (1966) rappelle que la texture nous force à percevoir la
des types doit poser des unités structurelles hiérarchisées à de planéité du support, mais nous ne pouvons souscrire à sa conclusion,
multiples niveaux. La théorie des transformations, si elle ne suffit à savoir que, cet effet contrecarrant l'impression illusionniste de
donc pas à expliquer le phénomène d'iconicité, fermet néanmoins profondeur, « le peintre est dans une large mesure vaincu par sa
de décrire avec précision un de ses paramètres 5 • toile ». Le fait même que le peintre peut au contraire rechercher les

182 183
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE ICONIQUE

effets de texture (qu'il pourrait aisément éviter) prouve qu'il peut transformation serait défendable, si l'on ajoute aussitôt que, comme
accepter, et même souligner, la planéité de son support. dans la métaphore d'usage, l'écart n'est plus guère senti.
La contradiction entre une troisième dimension illusoirement Cependant, d'autres arguments ne vont pas spécialement en
affirmée par la perspective, et en même temps niée par la texture, faveur de la rhétoricité des transformations.
est une manœuvre rhétorique apparentée à l'oxymore. Son carac- Celles-ci apportent, banalement, le principe d'altérité dans le
tère omniprésent est un argument de poids pour la thèse de la signe. A voir du rhétorique dans tout ce qui fait que « la carte n'est
panrhétoricité 58• pas le territoire », on courrait bien le risque de diluer tout le
Nous avons également rencontré plus haut déjà deux autres sémiotique dans le rhétorique.
exemples très parlants : celui du plan de métro et celui du dessin au Par ailleurs, la notion de rhétoricité suppose que l'écart puisse
trait. être posé par rapport à une norme. Or on a assez vu qui! le référent
Le plan de métro est un cas de transformation topologique. En un perçu (qui constituerait la norme si l'on adhérait totalement à la
sens, il correspond bien aux besoins d'un passager souterrain, qui ne thèse de la panrhétoricité) n'a aucune stabilité. Faire de la transla-
voit pas les paysages traversés, n'a pas notion des distances, perçoit tion une opération rhétorique suppose qu'il y aurait une position
à peine les virages et ne sent pas le relief. Le pédestrian terrestre, spatiale donnée une fois pour toutes. Faire de même avec l'homo-
qui voit son paysage au lieu d'être canalisé dans les rues bordées de thétie suppose qu'il y ait des dimensions fixes, existant en soi, alors
maisons, a une tout autre appréhension du voyage : il sait tous les qu'une dimension est toujours relative, et dépend de cet utilisateur
détours à faire pour contourner un marécage, passer un col ou qui procède, tant dans le codage que dans le décodage, aux
franchir un gué ; la liaison d'un point à un autre présente pour lui transformations.
une continuité visuelle. On peut soutenir que l'utilisation d'un plan Nous aurons donc à reprendre ce problème du rôle des transfor-
de métro implique la perception d'un voyage abstrait constitué mations dans les énoncés rhétoriques à nouveaux frais, dans le cadre
d'une séquence de stations alignées, équidistantes, que l'on peut du chapitre VI, où l'on rappellera de manière rigoureuse ce qu'il faut
d'ailleurs tout aussi bien compter qu'identifier par les marques entendre par rhétorique. Contentons-nous de noter ici que sur les
extrêmement localisées et socialisées que sont les panneaux indica- transformations vont s'articuler certains écarts proprement rhétori-
teurs. Rhétorique, ou choix opéré, pour des raisons pragmatiques, ques, et qu'on peut donc considérer les premières comme potentiel-
parmi plusieurs transformations possibles? lement productrices des seconds.
Le dessin au trait est un cas plus trompeur, puisqu'il effectue une
transformation de différenciation déjà inscrite dans les neurones du
,, ) 1 système rétinal. A ce titre, comme aussi en raison de la plus grande
commodité technique de l'emploi d'un instrument traceur par
1 rapport à des instruments tels que rouleau, pinceau, aérographe, il
est généralement considéré comme « naturel ». Aussi sommes-nous
enclins à cesser d'être sensibles à cette sorte de claire-voie qu'il
établit dans notre perception. Il n'y a plus que des zones linéaires
d'information concentrée, séparées par des blancs qui sont autant de
vides. Cette irruption du vide dans les objets constitue, tout bien
considéré, une opération extraordinaire, et ce n'est que par un
dressage ancien et constant que nous restituons à ces blancs leur
caractère substantiel évacué. Là aussi le caractère rhétorique de la
184
LE SIGNE PLASTIQUE

d'analyse utile. La difficulté reste de cerner le caractère sémiotique


CHAPITRE V des relations purement plastiques, indépendantes en droit, sinon en
fait, des relations à caractère iconique.
Dans son célèbre ouvrage sur L'Art de la couleur (1978),
Le signe plastique Johannes Itten fait observer qu'Ingres a prolongé la courbe du bras
droit de sa grande odalisque par un, pli du rideau jusqu'au bord
supérieur de la toile. Il s'agit, dit-il à peu près, d'une « pure ligne
pittoresque abstraite ». Il serait donc exclu d'interpréter ce fait
plastique comme « voulant dire » : ce bras de femme est aussi
gracieux que le troisième pli de la tenture; il n'est pas non plus
1. Comment décrire le signe plastique? question de donner à cette liaison entre le corps de la femme et le
rideau le sens d'un encerclement par rapport au fond sombre qui,
d'être ainsi encadré, paraît d'autant plus « mystérieux ». Un tel
commentaire n'est peut-être pas vain, mais il tombe dans l'interpré-
1.1. La sémioticité du plastique : un problème tation iconique. Il s'agit bien de s'interroger sur le sens de cette
qualification de« pittoresque ». Peut-être qu'en recourant au terme
de « circularité » on ne gagnerait pas grand-chose. C'est pourtant
On a à plus d'une reprise opposé signe iconique et .signe plastique. sur ce quelque chose que se joue l'enjeu sémiotique. Trois positions
Cette dernière notion est nécessaire pour développer une rhétorique peuvent être ici tenues. On peut tout d'abord expulser purement et
de la représentation visuelle qui ne se borne pas à la figuration, mais simplement ce type d'expérience du domaine sémiotique : en
qui puisse prendre en charge le non-figuratif, c'est-à-dire non musicologie, c'est la position radicaliste de Boris de Schloezer. On
seulement ce que l'art du xx" siècle a produit à cette enseigne, mais peut d'autre part tenir le regardeur pour insuffisamment compétent
aussi - citons en vrac - les plombs des vitraux cisterciens, les et lui opposer, par exemple, la lecture « figurativiste » de Mondrian
entrelacs des enluminures irlandaises, les ouvrages de dames en par Michel Butor, venant après celle de Seuphor et de bien d'autres.
macramé, etc. Expulsion ou récupération : telle est bien l'alternative que l'on
Sans doute les limites précises entre la figuration et la non- rencontre devant ces manifestations dérangeantes.
figuration sont-elles souvent difficiles à déterminer pratiquement. Une troisième position peut être envisagée. C'est celle que nous
Ce qui, dans les arts dits décoratifs, apparaît d'abord comme esquissons ici. Cette position consiste à refuser toute lecture de
« abstrait » se révélera vite à la perception plus fine comme la l'énoncé plastique faite de commentaires destinés à retrouver à tout
~
stylisation d'un objet (figure florale, minérale, etc.), et, inverse- prix une icône dans le non-figuratif 1, ou en tout cas à opposer ce
!. '.,. ment, les icônes identifiables comme telles par ceux qui vivent dans refus aussi longtemps que ce sera possible. La question est donc : le
,· une culture donnée seront, sans apprentissage, « illisibles » par plastique peut-il avoir une fonction sémiotique par soi-même?
d'autres regardeurs. Les exemples abondent ici : tapis d'Orient, Répondre à cette question nous oblige à faire un détour. C'est
peinture des Indiens de la côte Ouest. .. que la réflexion sur la distinction iconique/plastique en matière de
La rhétorique de l'image devrait pouvoir tirer profit de la somme rhétorique visuelle a-été viciée dès l'abord par une hypothèse de
des réflexions accumulées depuis des dizaines d'années dans les départ : celle qui voulait que l'on ait affaire à deux domaines
temps présémiotiques. Chez nombre d'historiens d'art, de peintres, distincts, certes, mais reliés par une relation d'analogie.
de critiques, de psychologues, on trouve en effet maint élément Or, qu'en est-il exactement? Posons la question en rappelant
186 187
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

l'approche de la sémiotique comme manifestation sensorielle. On Nous reposons donc la question : le plastique a-t-il une fonction
constate : sémiotique propre, qui soit généralisable, et si oui comment peut-
(a) que de l'univers (objets naturels ou artefacts) nous parvien- elle être décrite? C'est à quoi nous tenterons de répondre dans les
nent des stimuli ; pages qui suivent.
(b) que parmi ces stimuli, certains peuvent avoir le statut de
signe, pour autant (b') qu'on les fasse entrer dans une analyse où ils
sont disqualifiés comme objets autonomes et (b2) qu'ils vaillent par
leur fonction de renvoi à ce qui n'est pas eux. 1.2. Méthode de description
Où se situe le plastique dans ce schéma? Ce que l'on nomme
fréquemment ainsi est tantôt une description physique des stimuli
(niveau a), tantôt un véritable signe (niveau b). Or, de ce qu'un
phénomène soit descriptible physiquement, il ne s'ensuit pas 1.2.0. Ces réponses, nous les formulerons chaque fois en termes
nécessairement qu'il ait une fonction sémiotique, alors qu'on ne généraux, les applications à des énoncés précis ayant été fournies 2
peut concevoir, à l'inverse, un processus sémiotique qui ne serait dans d'autres travaux (par exemple Groupe µ, 1979a, 1987 ).
pas préalablement fondé sur un substrat sensoriel. Position difficile car le code plastique - dans la mesure où il existe -
Pour être concret, donnons un exemple. Je vois une fleur. Elle a mobilise des valeurs extrêmement variables. A les décrire en dehors
des caractéristiques formelles qui me permettent d'identifier le type de toute actualisation, on se condamne donc à rester à un très haut
de la « fleur » si je suis amené à considérer ces traits comme des niveau d'abstraction.
signifiants d'un signe iconique/fleur/. Cette couleur et cette texture, Un énoncé plastique peut être examiné au point de vue des
vais-je leur accorder une autre fonction que celle d'autoriser la formes, au point de vue des couleurs, au point de vue des textures,
reconnaissance? Il est difficile de l'affirmer d'emblée. Et cette puis à celui de l'ensemble formé par les unes et les autres. Il faut en
affirmation vaut pour les volumes d'un objet tridimensionnel, ou outre noter que ces données sont coprésentes, de sorte que l'image
pour les sons du langage, qu'on n'est pas tenté de dire sémiotiques est d'emblée potentiellement tabulaire. On comparera ceci avec les
en dehors d'une forme qui les finalise et d'une corrélation qui vienne arts du temps (poésie, musique ... ), où la tabularité n'est acquise que
s'établir entre le système de ces formes de l'expression et un système par construction.
du contenu. Dans le cas le plus général, nous sommes en face d'un syntagme
Sans doute est-on souvent amené à privilégier la substance dans le de formes et d'un syntagme de couleurs, et il apparaîtra rapidement
cas de certains messages, jusqu'à lui réserver un statut sémiotique. que les signifiés gisent bien moins dans les formes-en-soi ou dans les
Mais on n'a pas agi de la sorte pour tous les types de messages. Par couleurs-en-soi que dans leurs relations. En première analyse, le
"'l
\' exemple, on a jeté un tabou sur le plastique en linguistique. signifié se révèle relationnel et topologique, les unités étant avant
...
~ ' \·, Cette position est-elle indiscutablement légitime? Tous ceux qui tout structurées par le système plutôt que par un code.
•. se sont réclamés du cratylisme, sous une forme ou sous une autre, Néanmoins, les analyses plastiques auxquelles on peut se livrer ne
n'ont en somme fait qu'ériger en système le « plastique linguisti- sont possibles que moyennant l'utilisation d'une batterie d'opposi-
que ». La démarche qu'ils ont intuitivement suivie est éclairante. De tions structurales rendant compte des formes, des couleurs et des
ce que le langage poétique aboutit, par divers dispositifs, à l'effet textures. Citons parmi ces oppositions les couples /haut/-/bas/,
d'autotélisme, sa matière même apparaît comme signifiante et se /fermé/-/ouvert/, /pur/-/composé/, /clair/-/sombre/, /lisse/-
voit conférer un statut sémiotique en soi, indépendamment même /grené/. Comme ces oppositions peuvent se retrouver dans divers
de son usage dans un contexte particulier. énoncés et que diverses analyses de messages visuels les utilisent

188 189
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

effectivement, elles apparaissent comme l'actualisation dans le système signifié. Dans chacun des deux cas, le problème sera de voir
syntagme de structures existant dans un paradigme 3• Cette consta- si l'on peut invoquer la notion hjelmslévienne de forme. Ce fil
tation entre apparemment en contradiction avec le fait qu'au- directeur et la réflexion seront appliqués aussi bien à la dimension
cun signifié ne semble pouvoir être attribué avec constance aux couleur du plastique, qu'à la forme (dans son sens non hjelmslévien)
termes de ces paires en dehors de leur actualisation. Ce qui a pu ou à la texture 5•
faire prévaloir la thèse de structures sui generis, chaque fois à
recréer 4.
La démarche que nous proposons ici repose sur l'hypothèse que 1.2.1. L'avènement du système signifiant
nous sommes bien en face d'objets sémiotiques. En d'autres termes,
sur l'hypothèse qu'on peut y voir la relation d'une expression et d'un
contenu. Si cette hypothèse doit être vérifiée, elle suppose qu'il Sur le plan du signifiant, constatons d'abord que les unités simples
existe sur chaque plan une systématisation propre et qu'un rapport n'existent jamais isolées, en dehors de toute actualisation. Une
particulier s'établira entre les éléments relevant de chacun des /clarté/, une /rugosité/, une /ouverture/ ne sont telles qu'en
plans. fonction d'oppositions qui existent non seulement dans le para-
Afin de pouvoir décrire avec un maximum de précision la digme, mais aussi dans le syntagme. La réalisation effective des
structuration interne du signifiant plastique, recourons à la triade termes structuraux se fait donc dans et par le message. Mais en ceci
hjelmslévienne qui fait jouer l'une par rapport à l'autre une forme, qu'elle cristallise des expériences antérieures, où des stimuli compa-
une substance et une matière (de l'expression en l'occurrence, mais rables se sont déjà structurés, chaque forme reconnue peut se voir
aussi du contenu). assigner une place dans les couples d'opposés qui constituent alors
Confrontons ce schéma à l'expression du signe plastique. Pour ce les éléments d'un système 6•
qui est de la matière de celle-ci, il ne semble pas y avoir de Mais les relations qu'entretiennent ces éléments ne sont pas
problème : la matière existe bien dans le signifiant plastique définies univoquement au préalable. Par exemple, une plage
(comme dans le linguistique). Par exemple, c'est, notamment, la /rouge/ peut entrer à titre d'élément dans une opposition /vif/-
lumière non encore organisée en un système distinctif. /sombre/ (où elle occuperait le pôle /vif/), dans une opposition
La substance serait quant à elle la catégorie d'impressions /pur/-/composé/, et ainsi de suite; on peut même prévoir qu'en
visuelles que provoque cette lumière dans telle de ses actualisations ; fonction des autres éléments du syntagme, le même élément peut
j par exemple, le bleu en tant qu'il serait perçu comme distinct du occuper tantôt l'une tantôt l'autre des positions dans un couple (le
rouge. La forme de l'expression serait le spectre des couleurs, s'il /rouge/ de tout à l'heure pouvant occuper une position /sombre/).
constituait un répertoire général préalable, valable pour tous les Les couleurs sont donc traitées ici non pas en tant qu'objets
,r messages et où chacun d'eux viendrait puiser pour s'actualiser. empiriques, ou en tant que tokens d'un type donné, mais en
. ,,. Mais on voit d'emblée le problème : un tel système n'existe en fait tant qu'elles occupent une position définissable dans un énoncé.
que dans sa verbalisation, laquelle varie d'ailleurs d'une langue Parce que ce statut produit des oppositions par ailleurs transpo-
à l'autre, comme le sait le premier apprenti en anthropolin- sables, on est fondé à parler de forme, toujours au sens hjelms-
guistique. Il faut donc reprendre le problème sur d'autres bases, lévien.
en se refusant le confort que donnent les grands schémas cultu- L'énoncé revêt donc une première et importante fonction : il
ralisés par les langues, et qui sont à la base du symbolisme des inhibe ou excite l'identification de tel ou tel couple en puissance
couleurs. dans le système. Ainsi, on peut ·imaginer un énoncé où se
Nous envisagerons successivement le système signifiant et le manifesteraient les oppositions /clair/-/sombre/, mais non les oppo-
190 191
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE
sitions /lisse/-/ grené/ ou /fort saturé/-/peu saturé/ ou encore commenter telle estampe japonaise en invoquant le signifié « tris-
/ continu/-/ discontinu/; dans la mesure où le message ne présente tesse» pour le signifiant /courbure/. II y a mille courbes sans
pas de stimuli qui se différencieraient suivant ces critères, ces tristesse, et si la mélancolie est bien ici présente, c'est parce qu'il
oppositions n'y ont pas d'existence : elles n'appartiennent qu'à ce s'agit, non d'une courbure en général, mais de courbures particu-
discours métavisuel qui s'efforce de répertorier toutes les opposi- lières : celles du cou du héron, et celle d'une branche d'arbre, qui
tions dans leur exhaustivité. Nous n'avons donc pas un équivalent de ont préalablement fait l'objet d'une identification iconique, et qui
la structure existant dans les codes où, par le fait même de son sont eux-mêmes associés au contenu « tristesse » 9• Dans un autre
énonciation, une valeur évoque immédiatement celles qui lui sont contexte, il aurait été possible (mais non obligatoire) d'homologuer
corrélées : dans la langue, il suffit d'énoncer /petit/ pour que l'opposition /curviligne/ vs /rectiligne/ à n'importe quelle opposi-
/grand/ soit convoqué dans le message. Dans le domaine plastique, tion de contenu, par exemple « masculin» vs « féminin », ou
l'équivalent de /petit/ n'existerait que si / grand/ était manifesté lui « actif » vs « passif » 10•
aussi, et vice versa. Un mécanisme analogue a été décrit en linguistique, où F6nagy
L'énoncé joue encore un second rôle : outre qu'il établit les (1963) et Chastaing (1958), par exemple, ont analysé et décrit
systèmes, il donne aux éléments une place dans ces systèmes. comme système sémiotique la composante plastique du langage.
Comme déjà dit, un élément /jaune/ ne peut se voir affecter la Mais la nature du lien entre expression et contenu y est aussi
valeur /clair/ que dans la mesure où les autres éléments reconnus se malaisée à décrire que pour le signe plastique visuel. Delbouille
placent plus loin que lui sur l'axe /clair/-/sombre/. Dans un autre (1961) concluait que si le signifiant joue un rôle sémantique, c'est
énoncé, ce qui serait physiquement le même jaune pourrait occuper uniquement dans la mesure où il peut renforcer le signifié préalable-
le pôle /sombre/. ment dégagé. Dans le cas du linguistique, les signifiés plastiques
identifiés l'ont été-empiriquement, par enquête ( en utilisant des
oppositions polaires présentées sous la forme de différentielles
1.2.2. L'avènement du système signifié d'Osgood). On voit comme il serait commode de demander à un
échantillon d'étudiants (public de choix pour de telles expériences)
de situer le /rouge/ sur la différentielle « chaud »-« froid». Les
Nous sommes jusqu'à présent resté sur le plan du système du résultats auraient un poids statistique indubitable, mais ne fourni-
signifiant plastique. II reste maintenant à voir comment s'établit la raient même pas le début d'une explication. S'il apparaissait
, relation sémantique, puisqu'aussi bien on manipule des signifiés
chromatiques, des signifiés positionnels, etc.
toutefois que l'origine de toutes ces associations est du type« le sang
est rouge », il n'y aurait même plus place pour aucun signifié
Tout ce qui précède suggère assez qu'on ne peut en tout cas plastique perse : le plastique ne serait rien d'autre qu'une propriété
-+, ••. assigner de valeur préétablie à un élément isolé, en dehors de toute de l'icône ( de même que la valeur locale des sons ne serait qu'un
'.. j• relation syntagmatique. corollaire de leur valeur sémantique).
D'aucuns iraient même jusqu'à dire que ces signifiés ne naissent Ces réflexions mènent à s'interroger sur l'existence d'une relation
que dans la rencontre des systèmes plastiques avec des signes expression-contenu en matière de plastique. L'interprétation
iconiques 7• iconisante ou iconocentrique du plastique serait-elle le tout de
On constate en tout cas, en feuilletant la littérature sur le « signe celui-ci?
visuel », que beaucoup de propos sur un éventuel signifié plastique Pour Odin (1976), la sémiotique plastique comporte bien des
renvoient en fait à l'iconique, par le biais de l'identification de signifiés stables, constituant un répertoire. Mais ce répertoire, à
8
déterminants • C'est ce qui se passe lorsqu'on est amené à supposer qu'on puisse l'élaborer 11 , susciterait bien des réticences.
192 193
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

Car pour être inattaquable, un système des signifiés plastiques doit buées à tel élément, en dehors de son actualisation dans un
éviter le recours à des éléments iconiques, ou tout au moins situer syntagme (il acquiert donc une valeur autonome), ou à tel couple
avec exactitude la place de ce recours dans l'avènement du signifié d'éléments actualisé (la valeur est donc synnome). Ce sont, on
plastique. l'aura compris, tous les cas de symbolisme (au sens de Todorov,
1972 et 1978). Symbolisme des couleurs, par exemple, qui varie
On peut, à titre d'hypothèse, indiquer les trois niveaux suivants évidemment suivant le contexte pragmatique de l'énoncé :
d'investissement sémantique : même dans une culture identique, le symbolisme ne crée pas
les mêmes structures quand il s'agit de la correspondance amou-
(A) Sémantisme synnome plastique reuse, de l'héraldique, de la propagande politique ou de l'habil-
Certaines oppositions d'expressions plastiques peuvent être répé- lement liturgique chrétien. Systèmes symboliques, mais aussi
tées fréquemment, investies des mêmes valeurs sémantiques, en systèmes linguistiques, ou équivalents, qui ne se contentent
vertu d'associations contractées aux niveaux (B) et (C). Le ciel est pas de structurer la perception des couleurs... Dans les deux
bleu, l'herbe est verte, le sang est rouge, etc. Dans une culture cas, la relation est arbitraire, et met en liaison deux types
donnée, ces répétitions peuvent associer de manière stable opposi- abstraits 12•
tions d'expression et oppositions de contenu. C'est le cas du couple Comme on le voit, le signe plastique est malaisé à situer dans une
/noir/-/blanc/, associé à des concepts tels que« vie »-« mort». Ces typologie des signes. Il tend tantôt vers le symbole, tantôt vers
valeurs synnomes peuvent si bien se stabiliser qu'elles peuvent l'icône. Mais sa spécificité est peut-être ailleurs, et l'hypothèse la
déboucher sur des valeurs autonomes, qui seraient donc antérieures plus économique est sans doute de la voir dans la notion de trace, ou
à (A) : c'est l'origine du symbolisme chromatique, qui veut que d'index, parfois mise en avant à propos de la photographie
l'occurrence du /noir/, hors de toute opposition, ait toujours telle (cf. Dubois, 1983). Les traits formés, ou la couleur, ou la texture
valeur précise. En fait, nous savons que cette vision est naïve et que peuvent en effet être interprétés comme le produit d'une disposition
le sémantisme n'atteint jamais ce niveau d'autonomie radicale. Mais psychique ou physique particulière supposée. Le produit devient
l'essentiel est de noter ici qu'en stabilisant des valeurs sémantiques ainsi le signe figé de cette disposition 13 : telle trace plastique est lue
hors de tout énoncé, on a élaboré un système arbitraire qui paraît comme renvoyant à la « hâte », à la « fluidité des sentiments et des
bien s'éloigner des lois qui régissent les systèmes plastiques (nous perceptions », telle plage de couleur uniforme renvoyant à la
arrivons ainsi au niveau (C)). « stabilité » ... 14 • Les- signifiés plastiques seraient donc un système
(B) Sémantisme synnome icono-plastique de contenus psychologiques postulés par le récepteur, et qui n'ont
l'
L'élément plastique peut coexister avec des signes iconiques, avec pas nécessairement de correspondant dans la psychologie scienti-
lesquels il s'interpénètre plus ou moins bien : coïncidant avec eux, fique.
les excédant, s'y incluant ou entrant en intersection avec eux. Les Le type de renvoi entre indiquant et indiqué est ici d'une tout
-;,, valeurs, actualisées ou non, associées par le code au système autre nature que dans l'iconisme ( où il est ternaire) et que dans le
iconique peuvent s'attacher, suivant plusieurs modèles (déterminés symbolisme (où il est arbitraire). Le renvoi indexical est binaire et
par le mode particulier d'interprétation), aux éléments du système motivé. Binaire parce qu'il est une simple liaison entre indiquant et
plastique. indiqué 15 ; motivé par une structure causale ( comme la trace de pas
par le pas, ou la fumée par le feu).
(C) Sémantisme extra-visuel
Suite à des expériences répétées au niveau (B) ou à tels autres Comme il arrive dans tous les systèmes sémiotiques, la relation
accidents historiques, des valeurs permanentes peuvent être attri- des systèmes que le code met en présence est dialectique : le

194 195
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE
système du contenu ne se stabilise que parce qu'il est signifié par un
système d'expression où les oppositions sont sensibles, et celles-ci ne
sont correctement discriminées que parce qu'elles ont des fonctions
sur le plan du contenu.
.
2. Systématique de la texture

1.3. Plan 2.0. Introduction

Nous allons à présent décrire le fonctionnement de chacune des Rappelons que la texture d'une image est sa microtopographie,
grandes familles de signes plastiques : les couleurs, les formes et les constituée par la répétition d'éléments. Il s'agit d'une propriété de la
textures. Dans chaque cas, nous tenterons de fournir une grammaire surface, au même titre que la couleur.
des signifiants, et de montrer comment ces derniers s'associent à des La définition proposée fait apparaître que la texture, même
signifiés. réduite à un modèle théorique (l'unité texturale), ne constitue pas
Nous commencerons par la texture : on a vu qu'elle est jusqu'ici un tout inanalysable. La qualifier de microtopographie implique en
restée le parent pauvre dans la description des phénomènes visuels. effet l'intervention de deux paramètres que l'on pourrait nommer
C'est donc ici sans doute que l'effort d'innovation sera le plus grand. les texturèmes ( comme il y a des formèmes et des chromèmes) : celui
Nous poursuivrons avec la forme. Sans doute en a-t-on davantage des éléments répétés, qui sont des figures, et la loi de répétition de
parlé, mais rarement de manière systématique : c'est le plus ces éléments. Un classement des textures partira donc nécessaire-
fréquemment dans des analyses d'énoncés particuliers qu'on a ment de la qualité des éléments (leur nature et leur dimension),
étudié sa fonction, en s'empêchant donc de voir les mécanismes ainsi que de la qualité de leur répétition.
généraux de son sémantisme. Enfin, nous aborderons la couleur. La
situation est ici bien différente : c'est plutôt par excès que pèche le
discours sur le chromatisme, au point que le chercheur désireux de

,. dresser l'état des lieux ne sait à quel sème se vouer ... Quant au
problème de la relation du signe plastique avec le signe iconique, il
sera étudié ultérieurement 16•
2 .1. Les signifiants dè la texture

2.1.1. Premier texturème : les éléments


.~
Nous avons vu au chapitre n que la texture pouvait, comme la
couleur,. engendrer la forme. Quand une surface présentant une
texture A est incluse dans une autre surface de texture B, leur
couleur restant égale par ailleurs, un contour peut naître ; contour
qui crée la figure, puis la forme. Mais les éléments texturaux ne
constituent-ils pas une forme eux-mêmes? C'est ce que pourrait
laisser croire notre définition, qu'il nous faut maintenant préciser.
L'élément texturai se caractérise par une dimension réduite,
196 197
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

dimension telle qu'on ne puisse pas en faire une forme, car la


perception individuelle de ces éléments cesse à partir d'une certaine 2.1.2. Deuxième texturème: la répétition
distance, et est remplacée par une appréhension globale grâce à une
opération d'intégration. Ceci implique une distance type entre le Des éléments ne peuvent être intégrés en une surface uniforme
spectacle et le spectateur 17 • La texture du plafond de Sant'Ignazio, que dans la mesure où ils sont répétés et que cette répétition suit une
vue à trente mètres, sera déterminée par des éléments bien plus loi perceptible. En d'autres termes, plus simples, c'est le rythme qui
grands que ceux d'un timbre-poste examiné à la loupe. fait la texture.
La distance critique qui détermine la perception de toute texture La notion de rythme fournit ainsi une première loi, quantitative,
en tant que microtopographie est donc celle qui est nécessaire pour de la répétition texturale. Un rythme n'existe en effet que lorsque
que cesse la perception des éléments isolés, qui passent au-dessous trois éléments au moins sont groupés 20• Ce rythme ne doit pas
du seuil de discrimination. Ceux-ci restent néanmoins perçus, mais nécessairement être très élaboré, comme le démontrent les expé-
globalement et sous la forme d'une qualité translocale : l'informa- riences de Julesz commentées au chapitre 11 (§ 3) : les textures y sont
tion qu'ils contiennent éventuellement passe par un canal sublimi- engendrées par des sélections statistiques simples d'éléments qui,
nal. On peut donc conclure que deux flux indépendants d'informa- pour le reste (l'ordre exact de leur apparition, par exemple), sont
tion sont transmis par toute image. Il peut y avoir ou non interaction disposés de manière aléatoire. Mais une complexification - et donc
entre ces deux flux 18. une plus grande rigidité- des rythmes est toujours possible, et elle
21
1 La notion d'intégration pourrait bien nous décourager de décrire est de nature à modifier le statut de l'unité texturale •
la nature des éléments répétés (puisque les caractéristiques propres
à ces éléments sont destinées à s'abolir dans la perception intégra-
trice). Mais la nature desdits éléments détermine partiellement 2.1.3. L'unité texturale
l'information subliminale. Pour qui en douterait, on peut rappeler
une conséquence du principe de la distance critique : il existe en La texture étant une propriété de la surface, il ne faut pas voir
effet toujours un point de vision tel que le spectateur peut tantôt dans l'unité texturale une unité ayant son étendue proÎre : un pied-
2
percevoir une texture comme telle - c'est-à-dire comme une pure de-poule de 4 cm2 ou de 2 m2 reste un pied-de-poule •
surface ; tantôt la percevoir comme un ensemble de formes indivi- On dira donc que les unités texturales sont des qualités, et que ce
dualisées. Songeons à ces toiles impressionnistes destinées à une sont des noms de qualité qui nous permettront de les désigner et de
perception intégratrice - produisant les fameux effets de lumière les classer. Ce faisant, nous suivrons apparemment la tradition de la
t propres à cette école -, mais où les taches (points ronds, ou carrés, critique d'art et de la psychologie de l'art. Par exemple, les quelques
formes orientées, etc.) peuvent aussi être perçues individuellement pages qu'Arnheim (1966 : 185-197) consacre aux peintres de la
\. et font partie du dessein de l'œuvre. La deuxième perception, texture (Pollock et Tobey surtout, qui évacuent toute représentation
·t désintégratrice, abolit évidemment la texture au profit des formes. Il et cherchent, au détriment de la forme, à dégager des qualités
n'en reste pas moins que cette possibilité d'oscillation 19 ménage un texturales) contiennent une liste de telles qualités : « hérissement»,
rapport entre le signifié de ces formes (justiciable d'une autre « excitation », « viscosité », « flexibilité », « raideur mécanique »,
analyse, menée au paragraphe 3) et celui de la texture, laquelle en «moelleux» ... Il est à noter déjà que la critique parle de ces
tire une part de ses qualités. qualités comme représentant autant de signifiés des unités textu-
La nature des éléments texturaux est donc un critère de classe- rales. En définissant l'unité texturale comme une qualité, nous
ment pertinent des textures. envisageons, quant à nous, autant le signifiant de cette unité que son
signifié.
198 199
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

tion ». Mais y échappe-t-on vraiment? Ce qui gêne Arnheim, c'est


au fond qu'il ne voit pas comment la texture peut prendre place dans
2 .2. Les signifiés de la texture sa définition de l'œuvre d'art, laquelle doit « remplir une fonction
sémantique ; or, aucun énoncé ne peut être compris si les rapports
entre ses éléments ne forment pas un tout organisé ». A vouloir
Avant d'envisager un classement des signes texturaux, fondés sur ignorer que la texture est une organisation d'éléments, on ne peut
les deux paramètres que sont la nature des éléments et la loi de leur donc que l'exclure du propos. Mais on ne saurait sérieusement tenir
répétition, sans doute faut-il se demander si la texture n'a pas, en longtemps la texture pour aléatoire. De nombreux exemples - dont
tant que telle, un signifié global. Ou, pour être plus précis, s'il n'y a celui déjà cité des impressionnistes - montrent que la texture peut
pas un mode global de production des signifiés texturaux. être aussi assumée que le reste, et Ehrenzweig (1974) suit certes une
La question est d'autant plus urgente que les discours sur le signe piste plus sérieuse quand il y découvre une signification émotion-
plastique ont souvent occulté la texture. L'histoire de l'art, par nelle. Vu de près, un autoportrait de Rembrandt révèle des traces
exemple, a surtout traité des formes et des couleurs, et il a fallu de pinceau qui« ne sont pas sans ressembler à l'écriture fiévreuse du
attendre Waldemar Januszczak (1986) pour voir un ouvrage destiné Tachisme » ; dans le portrait de Vilana Windisch par Dürer,
au grand public prêter une attention un peu soutenue au rôle de la apparaît une « technique de dessin [ ... ] maîtrisée et délibérée »
texture en peinture. Ces réserves chez les historiens de l'art ont leur alors que les microformes des hachures croisées « révèlent l'indé-
pendant chez les sémioticiens. Ainsi Thürlemann (1982) distingue pendance de leur signification formelle et émotionnelle 23 ».
trois catégories plastiques : chromatique, éidétique ( que nous Nous pouvons donc envisager valablement l'existence d'un signi-
étudions sous le nom plus simple de forme) et topologique ( ou fié global du signe texturai.
emplacement relatif du résultat des deux premières catégories). Ce signifié nous paraît comporter trois traits, d'ailleurs liés : la
G. Sonesson (1989), qui commente Thürlemann, est embarrassé par tridimensionalité, la tactilo-motricité, l'expressivité.
le « coup de brosse », qu'il juge pertinent, mais qu'il ne peut Nous avons jusqu'ici décrit surtout des images à deux dimensions;
évidemment associer à aucune des catégories d'un système ignorant or il apparaît que la texture est liée, directement ou indirectement, à
la texture. la troisième dimension. Elle peut en effet, quoique à une échelle
La puissance de cette occultation est telle qu'à son propos bien très réduite (guère plus d'une dizaine de millimètres), jouer
des théoriciens se mettent en contradiction avec eux-mêmes. Un directement de la profondeur. Mais surtout, elle peut proposer des
Arnheim, que nous avons pourtant vu mettre un soin particulierâ impressions tactiles, ces impressions tactiles allant dans le sens de
nommer les effets texturaux, semble curieusement estimer que la l'illusion réaliste : le signe (plastique ou iconique) se présente au
texture en peinture est plutôt une « accumulation d'accidents » dus spectateur comme un objet manipulable. Les suggestions tactiles
à des coups de pinceau incontrôlés, involontaires et non construits: peuvent d'ailleurs se préciser en suggestions motrices (« flexibi-
Ces trois derniers caractères mènent Arnheim à assimiler texture et lité », « viscosité », etc.), ces dernières étant des modalités des
aléatoire : il rappelle ainsi la difficulté qu'il y a à simuler le hasard premières 24• On n'ignore bien sûr pas que ce type de suggestion
par des gestes humains, puis insiste sur le manque de diversité, et porte sur le fait qu'il s'agit d'une relation culturelle, donc sémioti-
donc d'intérêt, des textures. Des points disposés au hasard engen- que : telle texture /x/ est une expression renvoyant à un contenu,
drent la monotonie (bien que par définition, il n'y ait parmi eux « tactile » par exemple. '
aucune répétition). Il accorde néanmoins à la texture « le charme On a glosé à perte de vue sur l'opposition entre visuel et tactile : il
des imperfections»,« du contingent», en avançant qu'« il y a[ ... ) nous semble que cette opposition s'exprime d'une façon particuliè-
une grande satisfaction à échapper occasionnellement à la significa- rement claire dans l'opposition pictural/texturai. Le pictural
200 201
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

concerne une image strictement à deux dimensions et saisie visuelle- exploratoires de classification des unités texturales. Comme on l'a
ment. Si une image représente des objets que l'on aimerait toucher dit, ce seront les éléments de la microtopographie qui fourniront
et saisir dans ses bras (par exemple, une Grande Odalisque ou une une des deux bases de cette classification. Mais ces éléments seront
photo de Penthouse), ce n'est pas directement, mais par le relais du à leur tour le produit de deux sous-éléments : le support du sigl.!.e
type iconique. Le texturai concerne une image où est présente la plastique, et sa matière. Dans certains cas, ces deux sous-éléments
troisième dimension. Elle est saisie visuellement ( car les gardiens de sont distincts (en peinture, ~ exemQle), dans d'autres, ils se
musée interdisent sévèrement de caresser les peintures), mais confondent (par exemple en sculpture ou dans les images télévi-
renvoie à une expérience tactile par une suggestion synesthésique. sées). Le deuxième texturème est la loi de répétition des éléments.
Le visuel implique un rapport que notre culture qualifie de froid, Cette répétition est, elle aussi, le produit de deux variables : le
une certaine distance intellectuelle par rapport au sujet, alors que le support, une fois encore, qui impose certaines contraintes à la
tactile implique par contre un contact physique étroit et une distance répétition, et le type de comportement moteur qui la produit, et qui
minimum. Le premier mobilise l'intellect, le second le corps. Sans est en quelque sorte l'énonciation de l'énoncé texturai; nous
nous hasarder dans des divagations vite dangereuses sur ce thème, pourrons nommer cette dernière variable la manière.
nous nous bornerons à noter que l'équilibre atteint, dans une image, Chaque famille d'unités texturales pourra ainsi être décrite sous
entre le visuel et le tactile, résulte totalement du rôle qu'y joue la trois angles : le support, la matière et la manière. « Support »,
texture, rôle qui va de l'occultation résolue à l'envahissement total, « matière » et « manière » sont des mots qui désignent en général
par exemple dans la peinture d'un Pollock. des concepts techniques, et nous ne pourrons éviter d'utiliser
Enfin, on notera surtout ceci, pour compléter nos propos sur la ailleurs encore le langage des techniciens et des historiens de l'art
tridimensionalité et la tactilo-motricité. Les éléments constitutifs (« grain », « hachure », « empâtement », etc.). Il va de soi que nous
de la texture sont de petite dimension, on l'a dit; c'est pourquoi ils ne nous servons de ces termes que pour désigner des signifiants
ne peuvent que difficilement faire l'objet d'un contrôle moteur renvoyant à un signifié déterminé. L'existence de ces signifiés doit
rigoureux de la part de celui qui les trace. Ce qui ne signifie pas avoir été attestée par la culture, et.ils.doivent pouvoir entrer dans
qu'ils soient aléatoires : leur production, moins inhibée par le des systèmes d'oppositions, même relativement flous. Un exemple
contrôle rationnel et les formes globales de l'énoncé, leur permet de d'un tel micro-système à deux valeurs nous est fourni par l'opposi-
traduire des valeurs expressives ou émotionnelles d'origine pro- tion /lisse/vs/rugueux/. Dans le /lisse/, ce que je présente se veut
fonde+'. Nous admettons qu'il est difficile d'en établir un répertoire purement visuel; dans le /rugueux/, ce que je représente ressortit
complet, surtout sous la forme d'un dictionnaire. Le paragraphe du tactile aussi bien que du visuel.

suivant sera toutefois une tentative dans cette direction. Le signifié global majeur de la texture étant, comme on l'a vu, la
'· tridimensionnalité, on peut prendre ce critère pour distinguer deux
·7 familles de signes texturaux. On aura ainsi : (a) les signes qui font
directement intervenir la troisième dimension (nous les rangerons
,., sous la rubrique dq_ grain) ; (b) les signes qui ne font qu'indirecte-
2.3. Classement des textures
ment intervenir cette troisième dimension (nous les nommerons

2.3.1. Critères de classement

La texture n'a pas jusqu'ici fait l'objet d'études systématiques.


--
macules) 26•

Force nous sera donc d'innover et de proposer quelques critères

202 203
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

petite, et sont solubles dans leur véhicule ; et il en va de même pour


2.3.2. Le grain les composants de l'image photographique.
Pour ces raisons on pourrait penser que le caractère minéral,
naturel, organique ou métallique du pigment n'est pas pertinent
2.3.2.1. Le support. Le choix du support joue évidemment un dans l'étude des couleurs. Le sémioticien pressé emboîterait peut-
rôle déterminant dans la texture granulaire. Même lorsqu'il n'auto- être un peu vite le pas : en assimilant matière au sens où nous
rise aucune latitude d'exécution, le support n'est pas indifférent à la l'utilisons ici et matière hjelmslévienne, il aurait en effet tôt fait de
signification du signe plastique. Et de toute manière, cette latitude contester la sémioticité de la première.
est fréquente. Ce n'est pas le hasard, ni de simples considérations Mais il faut rappeler que chacune des classes matérielles de
technologiques, qui ont fait de la toile le support de prédilection des pigments se caractérise par un mode particulier de réflexion de la
peintres ; la toile permet des effets interdits dans la peinture sur lumière, immédiatement perceptible avec l'expérience, et qui n'est
bois ; si un peintre comme Klee, particulièrement sensible à la autre qu'une modalité extrafine de la microtopographie. Or, ce type
texture, a souvent peint« sous verre » (i.e. sur une plaque de verre, de perception est susceptible d'être sémiotisé. Sur sa palette, tout
mais retournée pour la présentation au public) 27, c'est bien sûr pour artiste groupe sans hésitation ses pigments par familles : minérales
obtenir le comble du lisse, et l'absence totale de profondeur réelle; (jaune de chrome, bleu de Prusse, blanc de zinc ... ), naturelles ou
de même, le dessinateur, le graveur et l'aquarelliste choisissent avec terres (d'ombre, de Sienne, d'ocre ... ), organiques (fèces, sang,
soin leur papier. Dans un dessin comme Le Nœud de ceinture, 29
pourpre, garance ... ), métalliques (doré, argenté, bronzé) • Classe-
Seurat utilise le papier Michallet grenu et le crayon Conté doux ment disponible parmi d'autres classements, ne coïncidant pas avec
(qu'il applique doucement et obliquement pour obtenir l'effet de les classements établis dans d'autres secteurs, comme la chimie par
balayé) : il est essentiel pour lui que la mine de plomb ne puisse pas exemple. De tels classements sont producteurs de sens ". On sait
atteindre le fond des creux du papier, sauf peut-être dans les noirs notamment que les impressionnistes bannissaient les terres de leur
les plus profonds. Il produit ainsi une alternance de micro-zones palette à cause de leur signifié «terreux», tout comme ils avaient
blanches et noires, analogue à une trame photographique, où le noir horreur de l'aspect « boueux » et « jus de pipe » que prennent les
est en fait plutôt disposé comme une grille 28• Comme on le voit avec pigments purs mélangés.
cet exemple, support et manière interfèrent toujours dans les faits,
et ne se distinguent qu'en théorie. 2.3.2.3. La manière. Sur le plan terminologique, il faut distinguer
Les significations les plus générales des supports sont le rapport à soigneusement l'empâtement du coup de brosse ou touche, le
~- un milieu donné : le moniteur TV renvoie à l'univers technologique, premier désignant l'épaisseur et la régularité des masses texturales
•.
la toile à l'univers des arts légitimes, etc. déposées sur le support, et le second se référant plutôt à la forme
-~ même des éléments. Disposant de toute une panoplie de brosses, de
2.3.2.2. La matière. Pour des raisons technologiques, les fabri- forme, de dimension et de raideur différentes, de couteaux à
cants de pigments cherchent à obtenir l'état de division maximum de palettes et de spatules, le peintre peut réaliser une large gamme
façon à les faire échapper au pouvoir discriminateur de l'œil le plus d'empâtements, depuis le fini lissé de la peinture ancienne jusqu'aux
31
aigu : les grains d'un pigment minéral tel que le cinabre ou le blanc engorgements extrêmes du vieux Titien ou de Mathieu • Dans ces
de titane sont ainsi typiquement de 0,25 µm (Rossotti, 1983); les derniers cas, des écarts de 3mm entre crête et creux ne sont pas
terres également doivent être broyées et atteignent des finesses rares. Le peintre n'a d'ailleurs pas le monopole de ces effets de
considérables ; les colorants synthétiques, eux, sont immédiatement relief : dans la mosaïque byzantine, les « smaltes » sont décalées
disponibles à la dimension moléculaire, encore beaucoup plus verticalement pour les obtenir. La perception de ces reliefs dépend

204 205
LE SIGNE PLASTIQUE
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE

fortement de la luisance superficielle et d'un éclairage incident 2.3.3.2. La matière. La macule peut donc se définir par la
oblique. Dans les empâtements les plus généreux, la microforme du discrétisation de la surface. Cette discrétisation s'occulte ou s'ac-
relief reste très irrégulière. Elle comporte généralement une saillie cuse, selon la dimension des macules. Ladite dimension est partiel-
finale, que l'on obtient, par exemple, lorsque le pinceau quitte le lement dépendante de la technique utilisée : le réalisateur d'une
support (l'« arraché», précédé d'une série de sillons donnés par les bande vidéo n'a évidemment guère de choix dans la plus ou moins
poils de la brosse). Les effets qui en résultent («désordre», grande finesse de définition de l'image, pas plus que l'informaticien
« puissance ») s'ordonnent autour du signifié« matière », alors qu'à avec son moniteur. Mais si toute peinture est faite de touches, par le
l'opposé, un résultat lisse (écran télé, icône sous-verre, papier- fait même que la matière est appliquée par petites macules
photo glacé, etc.) affirme la prééminence du plan-support, donc de homogènes à l'aide de divers instruments, le peintre peut choisir des
la bidimensionalité, et de ce fait, renvoie à la picturalité. brosses très fines et réduire à l'extrême la dimension des macules
élémentaires, ou au contraire travailler par grandes cellules. Lors-
qu'elle est ainsi accusée, la discrétisation est une transformation très
perceptible.De la sorte, une icône dont le signifiant est discrétisé en
2.3.3. La macule cellules de grande dimension paraîtra très transformée et perdra de
son « réalisme ».
On entend par macule la discrétisation plus ou moins poussée· de
l'élément texturai, quand cet élément s'inscrit dans deux dimensions 2.3.3.3. La manière. La forme de la macule n'est pas sans
seulement. importance quant au sens dégagé. Le répertoire de ces formes est
évidemment vaste, et ouvert. Elles peuvent être des rectangles, des
2.3.3.1. Le support. Ce qui a été dit du support à propos du grain virgules, ou des petits cercles - les trois formes que l'on obtient le
peut être répété, à cette différence que, par définition, il n'a pas plus aisément avec des pinceaux 32 -, mais elles peuvent être plus
ici de rôle déterminant dans l'élaboration de la tridimensionalité. complexes, tel le pied-de-poule. Chaque nouvelle technique - des
Cependant, il acquiert parfois un autre rôle : celui d'être le fond machines à tisser aux aérographes et aux ordinateurs - produit de
subliminal de la macule subliminale. On observera par exemple, que nouvelles variétés de macules.
l'existence de macules élémentaires est clairement perceptible dans On peut cependant distinguer, sur le plan du signifié, les macules
la peinture impressionniste et néo-impressionniste, où elles sont sans effet directionnel, ou macules proprement dites, et les macules
disjointes et laissent apparaître le support. On trouvera aussi ce à effet directionnel, ou hachures. C'est la faible ou la forte
phénomène dans la photo dite à grains, dans le bélinogramme, les élongation de la macule qui la range dans l'une ou l'autre de ces
schémas obtenus par imprimante à aiguilles, les lettres des journaux catégories.
lumineux, etc. Le support apparaît alors comme un fond continu (a) L'effet majeur des macules non directionnelles est la compo-
situé derrière les macules discontinues. On vient de voir que le choix sition optique, c'est-à-dire la composition dans l'œil des lumières
de macules, par opposition au grain, avait pour effet de renforcer le réfléchies par elles. On sait que cette synthèse est additive et a un
caractère sémiotique. L'adoption de macules disjointes fait un pas tout autre signifié que le mélange des pigments ou colorants, qui
supplémentaire dans la même direction, en affichant, en même provoque, lui, une synthèse soustractive et des teintes résultantes
temps que l'image, le mode de production de l'image. Le contenu plus« boueuses» (sur ceci, cf.§ 4.1.1.). La synthèse additive, quant
général de ce type d'expression est donc le caractère mécanique du à elle, est beaucoup plus lumineuse, et c'est pourquoi impression-
message visuel proposé. nistes, néo-impressionnistes et autres divisionnistes l'ont recher-
chée.

206 207
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

On ne peut s'astreindre à décrire toutes les compositions optiques l'interaction entre le signifié texturai global et les signifiés propres à
possibles. On se bornera à un seul exemple de tel signifié texturai : cette macule. Un cas intéressant est celui qui donne aux images une
celui du lustre. Cet effet a été bien décrit par le physicien allemand texture tirée de l'écriture. Jifi Kolaf constitue ses images par un
H.-W. Dove : « Quand deux masses de lumière agissent ensemble collage de petits fragments de livres ou de journaux imprimés. Dom
sur les yeux, on perçoit le lustre, à condition d'être en même temps Sylvester Houédard fait de même en utilisant les lettres de sa
rendu par quelque moyen conscient qu'il y a effectivement deux célèbre machine à écrire Olivetti Lettera 22.
masses de lumière» (apud Homer, 1964). L'effet obtenu est une
luminance plus ou moins douce, une qualité de lumière vibrante et
scintillante, une transparence qui donne l'illusion de voir à travers
l'œuvre. Fénéon paraphrase le signifié du lustre dans les termes
suivants : « L'atmosphère semble vaciller [ ... ] la rétine, anticipant 3. Systématique de la forme
des rayons distincts, [ ... ] perçoit en alternance rapide à la fois les
éléments séparés et leur mixture résultante ». Cette description
nous rappelle celle du cube de Neisser et des figures multistables en
général, dont on ne peut voir qu'un état à la fois, et qui oscillent 3.0. Introduction
avec soudaineté. Le lustre cependant n'entraîne ni gêne ni malaise
pour l'œil, et peut être recherché pour son signifié « variabilité » 33•
(b) Les macules directionnelles - qui tendent. vers le trait 34 - On trouvera dans les lignes qui suivent l'esquisse d'une sémiologie
présentent un plus grand degré de complexité : elles ajouteront de de la forme. Elle sera appréhendée dans une situation « pure » où
nouveaux signifiés aux effets de composition optique. On ne parle elle n'a aucune caractéristique chromatique ni texturale ( ce qui ne
pas de hachures isolées, mais au contraire d'un réseau de hachures. peut évidemment être le cas dans la communication visuelle
On ne peut guère y distinguer que deux types fondamentaux : les pratique; cf. Bense, 1971), et où elle présente un rapport de
hachures parallèles et les hachures croisées ou enchevêtrées. luminosité idéal et stable. Il va de soi qu'ainsi considérée cette
Les hachures, et particulièrement les hachures parallèles, ont un forme est un objet théorique.
effet directionnel marqué. Dans le cas où elles apparaissent Afin d'aller du plus simple au plus complexe, et toujours par
conjointement avec une icône, cet effet appartient à la texture, et hypothèse, on envisagera tout d'abord une forme unique, dans un
peut être tout à fait étranger au type présenté : on voit cela très bien énoncé visuel quelconque. Cet énoncé minimal sera donc constitué
dans un ciel de Van Gogh. Plus précisément les hachures peuvent de deux éléments : le fond et la forme qui s'en dégage. Nous
être parallèles aux contours d'objets, qu'elles renforcent donc, ou
. en conflit avec eux, ou encore étrangères aux objets, comme dans
n'ignorons évidemment pas qu'une forme peut constituer le fond sur
quoi se pose une nouvelle forme et ainsi de suite. Mais sur ce point
'l'exemple de Van Gogh. On saisit aussitôt que cette fibrillation de la encore, nous optons pour une situation idéale où une forme seule se
surface et de la matière, dans ses relations avec les objets repré- pose sur un fond stable et ultime. En faisant partir notre réflexion de
sentés, entraîne un effet de sens. Nous étudierons ce phénomène ce point, nous nous rapprochons de la position de Bertin (1967) et
lorsque nous envisagerons la relation que peuvent entretenir le signe d'Odin (1976), qui voient dans la « tache » l'unité élémentaire de
plastique et le signe iconique, relation qui sera dénommé « icono- l'image. '
plastique » (v. chapitres vn et IX). Cependant, même si on la réduit à sa forme pure, la tache ne
Lorsque la macule, directionnelle ou non, a déjà un statut constitue pas une unité ultime, inanalysable. Elle peut être décrite
sémiotique par elle-même, de nouveaux signifiés peuvent naître de suivant trois paramètres. La description de ces paramètres - les
208 209
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE
formèmes -fera l'objet du premier paragraphe. Le second sera une commentée par ailleurs ( chap. vm, § 2) fait ressortir des traits
esquisse d'une sémantique des formes. Le troisième dépassera comme /clôture/ et /concentricité/.
l'analyse d'une forme isolée, pour envisager la relation de diffé- Ce qui est vrai, c'est que ces formèmes peuvent varier très fort
rentes formes dans un énoncé. quant à la possibilité qu'on a de les systématiser. Vilches (1983)
propose des oppositions comme /proche/vs/lointain/ (avec le
moyen terme /moyen/), ou /vertical/vs/horizontal/ (avec le moyen
terme /oblique/). Mais Sonesson (1989) fait judicieusement obser-
3.1. Les signifiants de la forme ver qu'une forme peut être tout à fait /verticale/, mais non tout à fait
/proche/. De tels formèmes prendraient place suri une échelle
d'intermédiaires, dont chaque pôle serait une« bonne forme ». On
3.1.1. Le statut des formèmes s'éloignerait de ces« bonnes formes» par des formes plus ou moins
déviantes, pour passer par une zone neutre « d'indécision » ou
« d'équilibre »36• Il n'en reste pas moins que l'on peut continuer à
Toute forme peut être définie par trois paramètres : la dimension, parler de formes, au sens hjelmslévien comme au sens gestaltiste :
la position, et l'orientation. Ces trois paramètres peuvent prendre chacune des positions de l'échelle peut en effet être considérée
chacun un grand nombre de valeurs. Nombre qui n'est pas tel, comme faisant partie d'un ensemble flou.
cependant, qu'on puisse définitivement exclure l'hypothèse d'un Mais ces formèmes sont en nombre fini parce qu'ils sont des
registre fini de ces valeurs. • structures sémiotiques. Ils n'existent pas en soi, mais sont des
Cette articulation en trois traits, et cette hypothèse d'une finitude formes (au sens cette fois hjelmslévien du terme). Or, ces structures
du registre des valeurs, semblent entrer en contradiction avec la sémiotiques constituent sans nul doute une projection de nos
thèse suivant laquelle les signes plastiques s'instituent chaque fois structures perceptives, celles-ci étant à leur tour déterminées par
dans un énoncé suivant des règles sui generis 35• En fait des nos organes et par leur exercice (lequel est physiologiquement, mais
régularités peuvent être observées dès lors qu'on compare ces aussi culturellement, déterminé). Il en va ainsi de l'organisation de
formes. C'est même ce processus de comparaison qui donne l'espace perçu en trois dimensions (que cet espace soit vu comme
naissance à la forme proprement dite, à partir de la perception des droit ou courbe). Nous sommes sujets à la gravité; de là la naissance
figures (chap. 11, § 2.4.2.) : la notion de forme suppose l'existence des notions de haut et de bas, et celle d'un axe sémiotique de la
de caractérisations invariantes. verticalité. Nous nous mettons en mouvement (pour chasser, pour
La comparaison peut se faire à l'intérieur d'un seul énoncé, fuir, nous nourrir, entretenir des relations sexuelles) ; de là la
lorsqu'il comporte plusieurs formes, ou en comparant deux énoncés. naissance d'un rapport avant-arrière, entre le sujet et l'objet, et
Pour être décrites, les régularités repérées demandent un métalan- celle d'un axe sémiotique de frontalité. Nos organes sont symétri-
gage descripteur, et nos formèmes ne sont rien d'autre que des ques ; de là la naissance du couple gauche-droite, et d'un axe de la
éléments de ce langage. Par exemple, l'analyse plastique de l'œuvre latéralité. La linguistique a pu montrer- par exemple dans l'analyse
de Buffet fait ressortir le trait /verticalité/, celle de l'œuvre de de l'usage complexe des prépositions spatiales (cf. Vandeloise,
Pollock fait ressortir le trait /non fermeture/. De la même manière, 1986)- que la manipulation sémiotique de l'espace ne se faisait pas
on aura /verticalité/ et /horizontalité/ chez Mondrian, et ainsi de selon un système logique ou géométrique, mais par rapport à des
suite. Cette.procédure n'est rien d'autre que l'extension de celle que concepts fonctionnels liés à la perception et à l'usage social de
l'on peut appliquer à des énoncés complexes manifestant plusieurs l'espace 37•
formes simultanément. L'observation d'une œuvre de Vasarely Ces différents paramètres créent les formes, qui sont donc plus
210 211
SÉM IO TIQ UE DE LA COMMUN ICATIO N V ISUE LLE LE SIGNE PLASTIQUE

que la somme de leurs composantes. Deux figures de même


dimensionnalité et de même spatialité, mais d'orientation diffé- 3.1.3. Premier formème: la position
rente, pourront être considérées comme des formes distinctes.
Songeons par exemple que l'on peut désigner la même figure de Une figure a d'abord une position.
deux noms différents- comme« carré »et« losange »-lorsqu'elle Ce système de la position a souvent été mentionné dans les
est orientée différemment. diverses théories de l'art39• Il est évident que des effets de sens
différents surgissent selon qu'une forme est placée ~u centre d'un
fond ou ailleurs.
3.1.2. Le statut du fond Ce paramètre ne se réduit pas à une position dans un plan, car
fond et figure peuvent être perçus autant comme volume que
Avant d'aller plus loin, soulignons encore ceci : dans la descrip- comme surface. Une figure perçue comme volume sera réputée
tion qui va suivre, nous donnons au fond un statut particulier, avoir une position dans un espace à trois dimensions ; une figure
différent de celui qu'il avait dans notre exposé sur les fondements perçue comme surface aura une position dans un plan. Dans cette
perceptifs de la communication visuelle. deuxième éventualité, la figure peut être située dans un plan
Dans cet exposé, le fond était un percept indifférencié, par distinct. C'est le cas des formes perçues comme étant en avant du
définition non soumis à un processus élaboré de scrutation. Ce fond fond ou, plus rarement, comme en arrière du fond ( dans ce cas, la
idéal est, toujours par définition, dépourvu de contour précis forme semble « faire un trou » - de même forme évidemment -
(cf. Amheim, 1986 : 76), de sorte que l'expression« fond délimité» dans le fond).
serait une contradiction dans les termes ( car un tel « fond » Par définition, une position est relative. Dans le cas de la forme,
constituerait une figure par rapport au fond extérieur au contour). cette relativité est double. Elle est tout d'abord relative par rapport
Ici, nous partirons de l'hypothèse d'un « fond délimité » pourtant au fond 40 • En second lieu, elle est relative par rapport à un foyer.
bien considéré comme fond, et que nous nommerons « fond Nous appelons foyer le lieu géométrique de la perception, point
paradoxal ». Pourquoi le pouvons-nous? Nos habitudes culturelles nodal d'un système d'axes d'où proviennent des formèmes comme
nous poussent à neutraliser certaines figures que nous finissons par /centralité/, /haut/, /gauche/, etc.
'I
considérer comme des fonds. L'exemple auquel on pense en Ce sont les relations entre ces trois éléments - foyer, forme,
premier est évidemment le cadre, par rapport au mur. Mais il y a fond -, qui déterminent des percepts positionnels déjà très élaborés
aussi la feuille de papier, tel plan par rapport aux autres plans comme /au-dessus de/ et /devant/41• Le premier exemple corres-
' perçus, l'écran lumineux par rapport aux zones obscures qui pond à une mise en relation d'une forme et de la masse constituée
.:-.-
l'entourent, le socle de la sculpture, et ainsi de suite. Toutes choses par le fond le long de l'axe vertical, relation perçue d'un foyer,
en quoi nous voyons volontiers des fonds, et qui en acquièrent dès parallèlement au plan passant verticalement par le foyer, et telle que
lors un caractère paradoxal : ces fonds ont une forme ! Cette la forme est au sommet de l'axe. Le deuxième cas correspond à une
« forme du fond » interviendra pour imposer ses lois aux formes mise en relation des deux éléments le long d'un axe frontal passant
secondes se détachant de lui : que l'on songe aux influences par le foyer, relation telle que la forme est plus proche du foyer. On
différentes qu'exercent sur la perception de la figure un cadre peut décrire de la même manière les relations /dessous/, /derrière/,
rectangulai,re posé sur le petit ou sur le grand côté, un carré posé sur mais aussi /à gauche/, /à droite/, ainsi que des cas plus complexes
pointe, un tableau ovale, etc. 38• encore, comme /à côté de/, dans le cas où les formes sont plusieurs.
Tout ceci ne doit pas être pris dans un sens géométrique strict :
l'ensemble des points situés/ au-dessus/ constitue un ensemble flou.
212 213
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

Les relations entre les trois éléments peuvent être conflictuelles. choses sont dites grandes ou petites en fonction de deux facteurs. Le
Considérons un énoncé situé dans un plan horizontal (tapis ou premier est l'échelle du regardeur : on sait que celle-ci dépend d'un
mosaïque). Il pourra être lu comme horizontal ou comme vertical. angle de préhension en fonction de quoi il éprouve la taille des
Dans le second cas, la vision« redresse » l'énoncé, et fait triompher objets. Le second est la taille du fond ( ce fond paradoxal qui a une
la logique du foyer; dans le second, la logique du fond prévaut. dimension lui aussi).
La première opposition structurant le formème de position sera Ce paramètre se réduit, élémentairement, à un axe opposant à ses
donc une tripartition /fond s'inscrivant dans un plan vertical/, /fond extrêmes le / grand/ et le /petit/. Mais idéalement, on devrait
s'inscrivant dans un plan horizontal/, et /fond s'inscrivant dans un dédoubler cet axe suivant que la grandeur et la petitesse se mesurent
plan oblique/. à l'aune du fond ou à celle du foyer :
A partir de là, un point donné peut se laisser décrire par des axes
sémiotiques; c'est un vecteur à deux coordonnées, coordonnées Fond • A
indifféremment polaires ou rectangulaires (le point de référence étant
sans doute une projection du foyer au centre du couple fond/forme).

/cenfralité/ /rnarginalité/ 0 • A'


Foyer

/ élévation/ /latéralité/ Une forme quelconque peut ainsi se situer n'importe où dans cet
espace. A' est grand par rapport au foyer mais petit par rapport au
fond (cas d'une tache perdue sur un tableau gigantesque). A est
/haut/ /bas/ /gauche/ /droite/ petit par rapport au foyer, mais grand quant au fond ( cas de la tache
constituée par un visage sur une miniature). L'opposition de base
Un point donné peut se définir par plusieurs de ces descriptions à /petit/-/ grand/ se spécifie en oppositions plus raffinées comme
la fois (ex. : /en haut/ et /à gauche/), ce qui pose parfois des /long/ et /court/ ,/large/ et /étroit/ sur l'axe de l'unidimensionalité,
problèmes complexes. Ainsi un point situé perpendiculairement au le premier couple s'opposant sur l'axe de la perspectivité, le second
plan du fond, alors que le foyer n'est pas dans cet axe, peut-il être sur celui de la latéralité; /vaste/ et /exigui dans la bidimensionalité;
dit « devant » le fond ? Cette complexité peut être corrigée par des /volumineux/ et /menu/ dans la tridimensionalité.
conventions culturelles : dans le cas évoqué, il faut rappeler que
même si l'on regarde un tableau de biais, on est réputé avoir par
rapport à lui une position frontale. 3.1.5. Troisième formème: l'orientation

La dernière de nos trois catégories est la résultante de la


3.1.4. Deuxième formème: la dimension combinaison des deux coordonnées polaires du vecteur position.
1
L'orientation est donc une propriété du contour des formes asymé-
Ici encore, il serait banal de souligner combien ce paramètre est triques. Elle ne se limite pas aux phénomènes observés dans les
relatif : un élément isolé - nous parlons de lignes autant que de seuls espaces à deux dimensions.
surfaces- n'a pas de dimension. Il nous faudra une fois de plus faire La figure est orientée par rapport aux deux repères que sont le
intervenir la triade forme-fond-foyer. En effet, dans le plastique, les foyer et le fond paradoxal.

214 215
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

Lorsque nous envisagerons le signifié de l'orientation, nous de concevoir un « contour simple » : ce contour serait un point
rencontrerons la notion de mouvement. L'orientation pourra alors géométrique, qui n'a par définition pas de contour42•
être décrite comme le produit d'un mouvement virtuel ( et réversi- 1

ble) dans ou sur le fond, le long d'un tracé dont on peut établir le
modèle.
Pour définir le système de /l'orientation/, on peut se servir des 3 .2. Les signifiés de la forme
concepts permettant de décrire celui de la /position/. On y ajoutera
simplement le trait de / direction/ : on aura ainsi /vers le haut/ vs
/vers le bas/, /central/ vs /marginal/ devenant /centripète/ vs 3.2.0. Introduction
/centrifuge/, selon les mouvements projetés, etc.
Chaque possibilité se détaillant ensuite en : La forme, telle que nous l'avons jusqu'à présent envisagée,
apparaît comme une expression qui peut être corrélée de différentes
manières à des contenus. Établir le sémantisme de la forme est
/centripète/ /centrifuge/ nécessairement malaisé. Tout d'abord, nous sommes dans un
domaine qui n'est pas gouverné par ce qu'Eco nomme la ratio [acilis
/horizontal/ /vertical/ 1 (1975 : 246-248); en d'autres termes dans un domaine qui n'est pas
/horilontal/ /vertical/
rigoureusement codifié.
1 1 1 1 1 i i 1 Mais surtout, il est impossible d'appréhender la forme autrement
/à gauche/ /à droite/ /montant/ /descendant/ /à gauche/ /à droite/ /montant/ /descendant que par une démarche théorique : il n'y a, avons-nous dit, aucune
forme réelle qui soit dépourvue de couleur et de texture. C'est dire
On ne s'astreindra pas ici à l'exhaustivité : il est question de que nous aurons à nous méfier de tous les répertoires de contenus
contours, et les types de contours ne sont sans doute pas dénombra- que nous livrent et la critique d'art et la psychologie expérimentale.
bles. Par ailleurs, la labilité de ce percept autorise le décodage d'une La première n'appréhende la forme que dans le cadre des relations
même forme à se faire suivant des modalités qu'elle tisse dans l'énoncé global, dont elle a de la peine à l'extraire,
très diverses. Par exemple, la figure semi- et se condamne dès lors à économiser la démarche analytique. La
circulaire 12 peut être dite orientée verticale- deuxième, qui consent cette démarche, et peut à l'occasion chercher

1~.
ment et vers le haut (OA) si l'on tient compte la forme derrière les autres variables plastiques, est trop pressée
de la partie concave du tracé ; verticalement et d'envisager le lien entre le contenu plastique et les structures de
vers le bas (AO) si l'on tient compte de la l'émetteur (comme dans l'analyse du Rorschach), au point qu'elle
partie convexe; horizontalement (OB et BO) si néglige d'analyser le système de ce contenu. Sa contribution à
Figure 12 l'on tient compte de l'axe qui suit le diamètre l'analyse d'une sémiotique plastique- qu'elle ne distingue d'ailleurs
du cercle potentiellement tracé. Selon le pas bien de la sémiotique iconique - risque donc d'être bien
contexte, une ou plusieurs de ces descriptions sera ou seront mince 43•
retenues comme pertinentes. Pour ces raisons, il ne nous a paru ni utile ni souhaitable de
Cette impossibilité d'être exhaustif n'indique aucunement une dresser ici un inventaire exhaustif des contenus possibles des formes
faiblesse du système. Elle provient simplement du fait que tout actualisées. Nous envisagerons d'abord ce contenu au niveau
contour est un objet complexe, assimilable par conséquence à la théorique des formes pures et isolées, et ce que nous obtiendrons
présence de plusieurs formes sur (ou dans) le fond. Il est impossible sera plutôt un ensemble de signifiés qui pourront être exaltés ou
216 217
SÉMIOTIQUE DE LA_ COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

occultés par les contextes, et de toute manière largement biaisés par tangente à la limite du fond 45• La / non-centralité / peut articuler son
ceux-ci. Nous aborderons d'ailleurs ce problème de la forme en contenu en « supérieur » vs « inférieur » - ce qui correspond aux
contexte au § 3.3. expressions /dessus/ vs /dessous/ " - et en« gauche» vs« droite»
La forme se laissant définir par trois paramètres - la position, avec le sémantisme culturel « avant » vs « après » qui lui est
l'orientation, la dimension-, et le domaine plastique ne connaissant attaché.
pas, par définition, de double articulation, on pourra distinguer le
sémantisme des formèmes (§ 3.2.1.) de celui des formes(§ 3.2.2.). 3.2.1.2. La dominance. L'axe sémantique correspondant au troi-
On aura donc un sémantisme primaire, et un sémantisme secon- sième formème, la /dimension/, est la« dominance». Une /dimen-
daire, le second assumant le premier mais organisant les contenus de sion importante/ - par rapport aux repères que nous avons déjà
manière sui generis. Mais les formes simples peuvent s'organiser examinés - sera, sur le plan du contenu « dominante », ou « à
entre elles : on aura aussi à envisager un sémantisme tertiaire présence forte » ; une / dimension restreinte/ sera « dominée » ou
(§ 3.3.). « à présence faible ».

3.2.1.3. L'équilibre. L'axe sémantique correspondant au second


3.2.1. Le contenu des formèmes formème, /l'orientation/, sera « l'équilibre ».
Cet axe ne naît que par la projection dans le signe plastique des
3.2.1.1. La répulsion. L'axe sémantique correspondant à la habitudes psycho-physiologiques déterminées en nous par la gra-
/position/ sera la « répulsion ». vité. L'équilibre peut à son tour se définir par deux variables : la
Une forme n'ayant de position que par rapport au fond (para- « potentialité de mouvement » 47 et la « stabilité ». « L'équilibre
doxal puisqu'il a une limite), c'est la tension entre ces deux percepts maximal » est atteint lorsque l'orientation est /horizontalité/ : la
- forme et limite du fond -, assumés simultanément, que nous « potentialité du mouvement » est proche de 0, et la« stabilité » est
nommons répulsion : la limite du fond tend à repousser toute forme élevée; la /verticalité/ représente un « moindre équilibre » (« forte
se détachant sur le fond et par conséquent à la centrer. stabilité», mais « potentialité de mouvement plus élevée»). La
Cet axe sémantique a donc lui-même une organisation (sinon / diagonalité/ renvoie quant à elle au « déséquilibre » : « forte
nous ne parlerions pas d'axe). Il s'articule d'abord suivant l'opposi- potentialité de mouvement » et « stabilité nulle » ( cf. Bru, 1975 :
tion /central/ - /périphérique/, suivant le schéma commenté plus 175-177).
haut .
. "
On pourra ainsi dire que la position centrale, où la tension est la
~.- ... plus faible (les forces s'exercent sur la forme d'une manière 3.2.2. Le contenu des formes
symétrique et s'annulent donc), est «forte» et« stable ». C'est ce
qu' Arnheim nomme le pouvoir du centre, pouvoir que les mystiques Ce sémantisme secondaire ne peut être que complexe. Il s'établit
orientales ont pu raffiner dans leurs spéculations sur · le mandala en effet de deux manières. D'une part, les formes peuvent mettre en
(dont se sont aussi occupés quelques occidentaux) 44 • L'analyse évidence l'un quelconque des formèmes qui les constituent. Mais de
prétendument idéologique à laquelle on a pu soumettre le « centro- l'autre, ces formes dont le signifiant se laisse décrire comme une
centrisme » constitue elle aussi une confirmation de ce pouvoir. organisation de formèmes sont plus que la somme de leurs
A l'inverse, la position périphérique sera dite « faible » et composantes : elles ont des propriétés sui generis, auxquelles
« instable ». Elle correspond à un .état de tension supérieur. Le s'attachera un sémantisme particulier.
maximum de tension est d'ailleurs atteint lorsque la forme est
218 219
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

3.2.2.1. Traitons rapidement de la première source du séman- formes. On doit donc s'attendre à ce que plus une forme donnée se
tisme de la forme. La mise en évidence d'un formème dans une rapproche d'un type culturalisé, plus le sémantisme plastique qui lui
forme aura pour correspondant, sur le plan du contenu, l'exaltation vient de ses formèmes sera modalisé par le signifié que la culture en
du sémantisme propre à ce formème. Mais il va de soi que ce question a investi dans ce type (ce que nous avons nommé, au§ 1, le
sémantisme sera modalisé par la forme composée à l'aide du sémantisme extra-visuel). Le cercle est une de ces formes à forte
formème. Par exemple, un triangle isocèle fortement allongé mettra charge symbolique : « perfection », « divinité », « négation » sont
en évidence son formème /orientation/. Plus l'élongation (rapport quelques-uns des signifiés disponibles qui peuvent lui être associés.
d'une longueur et d'une largeur) est forte, plus la composante Le rôle des contextes sera évidemment déterminant dans la sélec-
orientation sera mise en évidence. Le cercle, sans élongation, n'a tion de ces signifiés : contextes internes à l'unité plastique ( couleur
pas d'orientation dans le plan. Ceci aura pour conséquence l'activa- et texture, s'alliant à la forme) autant que contextes externes (autres
tion de l'axe sémantique de « l'équilibre ». Mais si l'axe d'élonga- formes voisines, unités iconiques).
tion de ce triangle est vertical, le signifié « moindre équilibre » du Sur le plan de l'énonciation, le formème mis en évidence par la
formème pourra être biaisé par la figure elle-même. Dans le cas (b ), forme peut être considéré comme une trace (à l'instar de la texture ;
il sera corrigé en « fort équilibre », dans le cas (a), en « faible cf. § 2). Il peut indiquer, donc signifier, un processus que l'on
équilibre ». projette sur l'énoncé : par exemple, telle forme allongée, à orienta-
tion nette et rectiligne, sera associée à la « rapidité d'exécution »
(comme chez Georges Mathieu).

3.3. Les formes en syntagme, et leur sémantisme

(a) Figure 13 (b)


3.3.0. Introduction
Cette modalisation est due à l'objectivation des formes : ce qui
crée le faible équilibre dans le cas (a) est évidemment notre Nous avons souligné d'emblée combien, dans le cas d'un séman-
. ., connaissance du comportement des solides pointus lorsqu'ils sont tisme aussi ouvert que celui du signe plastique, le rôle des contextes
soumis à la gravité. était déterminant. Nous ne pouvons traiter ici de la contextualisa-
:.-"'
tion de la forme au sein du signe plastique complet (couleur+ textu-
3.2.2.2. Ceci nous amène à la seconde source du sémantisme des re+ forme), ni de sa contextualisation dans l'énoncé iconique
formes : leur caractère intégrant. Même si la forme peut se décrire (propos qui nous retiendront aux chapitres VI et IX). Mais nous
par ses trois formèmes, elle a une individualité propre. Le séman- devons au moins envisager le problème de l'organisation syntagma-
tisme qui en découle a, lui, une double composante, dans la mesure tique des formes.
où l'on perçoit cette forme en tant qu'énoncé ou dans son Si le sémantisme de la forme isolée et de ses formèmes provient
énonciation. de la relatibn qu'elle entretient avec le fond paradoxal, à plus forte
En tant qu'énoncé, une forme peut apparaître comme plus ou raison ce sémantisme sera-t-il modalisé par la présence d'autres
moins fidèle à un type de forme culturalisé. Le cercle, le carré, le formes sur ce même fond. C'est ce que nous avons nommé le
triangle, le point, l'ellipse, l'étoile, sont des exemples de telles sémantisme tertiaire de la forme.

220 221
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

Ce sémantisme tertiaire a deux sources. La première est le Nous n'avons jusqu'à présent observé le sémantisme de la tension
rapport que les formèmes des formes entretiennent entre eux. La que dans le jeu des deux formèmes de dimension et de position. Le
seconde est le rapport que les formes simples entretiennent entre formème de l'orientation intervient pour sa part en complétant le
elles. réseau de tensions engendré par les deux premiers formèmes. Cette
complexification est obtenue par la production de nouveaux facteurs
de tension, s'ajoutant donc à celui du centre géométrique, à celui du
3.3.1. Premier facteur: les relations entre formèmes contour du fond et au lieu géométrique des formes. Des formes qui
ont une orientation peuvent voir leurs axes converger en un point
Si une forme est le produit des trois formèmes, et si plusieurs donné du fond : un pôle. C'est un point virtuel construit par la
formes coexistent sur un même fond, leurs formèmes seront dits lecture de l'énoncé, qui en devient ainsi plus cohérent. L'exemple le
entretenir une certaine relation qui constitue un couplage. Pour ne plus connu est le point de fuite (utilisé dans l'iconisme occidental où
pas compliquer les choses, nous envisagerons tout d'abord les cas où ce point garantit l'unité de perspective, mais aussi dans l'art abstrait,
deux formes seulement sont en présence. par une Trotskaya Petrova, par exemple). Mais le point de fuite
Les positions respectives que les formes occupent l'une par n'est pas la seule illustration de ce phénomène d'orientation : une
rapport à l'autre et leurs dimensions viennent rendre plus complexe concentricité, par exemple, produira un autre pôle, comme aussi le
le rapport positionnel que chacune entretenait déjà avec le fond. croisement, la tangence, etc.
Chaque forme détient, en effet, individuellement, un capital d'éner- Notre propos n'est pas ici de fournir un relevé exhaustif des
gie : c'est sa capacité à attirer le regard sur elle. Cette tension est techniques productrices de pôles : il nous suffit de montrer que ces
déterminée par la dimension de la forme sur le fond mais également pôles sont bien le produit des trois formèmes, et qu'ils organisent le
par sa position. Dimension : une forme très grande ou, à l'inverse, sémantisme des formes en modalisant leurs sémantismes primaire et
très petite, sera peu contrastée, et exercera dès lors une tension secondaire.
faible; position : nous avons examiné le rôle de l'axe /central/ vs Tout ce qui vient d'être exposé l'a été à propos de relations
/périphérique/. Cette tension se complexifie dans le cas où nous dyadiques. Mais les énoncés plastiques présentent évidemment
avons deux formes. Leur tension réciproque qui ne résulte que surtout des énoncés polyadiques, bien plus complexes encore !
partiellement du rapport des tensions isolées, peut être forte, ou Un cas particulier de relation polyadique est le rythme. Le rythme
faible. La tension faible, ou même l'équilibre, sera obtenue lorsque est un phénomène qui mobilise la répétition d'au moins trois
deux formes ne seront ni très proches ni très éloignées. La tension événements comparables (cf. Groupe µ, 1977 : 128-132). Ces
forte sera obtenue lorsque les deux formes seront relativement événements peuvent être de natures fort variées et ne concernent
éloignées. Le cas de tension nulle sera observé lorsque les deux pas exclusivement la forme : il y a des rythmes de couleurs ( comme
formes entretiennent une grande proximité ou, à l'inverse, sont très dans les séries de tableaux de Ellsworth Kelly) ou de texture
~ éloignées l'une de l'autre. Ces valeurs ne sont évidemment pas (comme dans De chevelure en chevelure de Manuel Casimiro). Dans
arbitraires. L'équilibre provient de la tendance universelle, étudiée le cas de la forme, on observera que les rythmes sont toujours des
au chapitre n, à intégrer les faits isolés à des faits d'un rang rythmes de formèmes : rythmes de dimension, rythmes de position,
supérieur. Quand il y a tension, même faible, les formes conservent rythmes d'orientation.
leur individualité tout en créant l'unité supérieure qu'est la constel- Le rythme de dimension ordonne les figures suivant une loi
lation; la tension s'annule quand la perception abolit l'individualité affectant ce formème : progression croissante des volumes, alter-
des formes (ce qui crée la texture ... ), et quand la très grande nances, etc. Le rythme de position peut affecter les distances
distance conserve l'individualité, mais abolit la constellation. respectives des figures, ou les ordonner alternativement autour d'un
222 223
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

axe (pointillé, strie, damier, quinconce). Le rythme d'orientation coïncident pas avec ceux des figures de base, le signifié de la
peut permettre d'alterner les figures suivant une mesure régulière superfigure peut entrer en contradiction avec les sémantismes
(par exemple dans une séquence de carrés alternativement posés sur primaire et secondaire. Par exemple, une série de segments
leur base et sur leur pointe). Un grand nombre de motifs dits rectilignes courts, présentant le trait de /verticalité/ peut être
décoratifs proviennent d'une conjonction précise de ces rythmes. La organisée suivant l'axe de /l'horizontalité/. Dans ce cas, le séman-
grecque, par exemple, se définit par un rythme de dimension tisme primaire est affaibli, voire annulé.
(segments égaux), un rythme d'orientation (angles droits déter- Le sémantisme tertiaire peut enfin - troisième cas - n'être ni
minés par les segments) et un rythme de position ( distance égale identique aux sémantismes primaire et secondaire, ni contradic-
entre les figures). toire.
On notera quatre choses importantes à propos du rythme. La quatrième remarque à formuler à propos du rythme prendra
Tout d'abord, la définition même du rythme s'homologue facile- toute son importance quand nous aborderons la question de la
ment à la mesure du temps, de même que l'orientation suggérait le rhétorique plastique (chap. vm) : le rythme étant fondé sur une
mouvement. Le problème du signe plastique aboutit donc à poser régularité, la régularité de la superfigure fournit un critère pour
celui de l'inscription du temps dans l'espace. Temps qui n'est définir l'isotopie plastique. Elle crée une attente, qui peut être
d'ailleurs, comme le montrait Bergson, perceptible que dans comblée ou déçue. Par exemple, un polygone dans une séquence de
l'espace (dont il est cependant absent). cercles est cet« intrus » que les jeux d'enfants et les tests psycholo-
Ensuite, la répétition des figures rend possible la perception de giques invitent à chercher, et qui est le fondement même de
superfigures, englobant les figures rythmées. Ainsi la répétition l'activité rhétorique ..
régulière de points forrne-t-elle une ligne, la juxtaposition de figures
de dimensions croissantes le long d'un axe rectiligne forme-t-elle un
angle, etc. Ces superfigures ont à leur tour une dimension, une 3.3.2. Second facteur: les relations entre formes
position et une orientation. Elles créent de nouveaux pôles, et donc
de nouvelles tensions. On comprendra mieux, ainsi, la complexité à Cet exemple nous permet de passer de la relation entre formèmes
laquelle aboutissent les analyses plastiques peu ou prou empiriques à la relation entre formes. Celles-ci peuvent, en effet, offrir des
menées jusqu'ici par des chercheurs aussi différents que Damisch, caractéristiques telles qu'on les dira semblables ou dissemblables 48.
Floch, Paris ou Thürlemann. Le rapport qualitatif entre figures peut être décrit en termes de
La troisième remarque découle immédiatement de la seconde : en transformation (voir le chapitre IV,§ 5), étant entendu que, dans le
. "· tant qu'il crée une nouvelle superfigure, le rythme a un signifié sui cas envisagé, transformé et transformat sont coprésents. Ainsi deux
generis. Ainsi, dans le cas d'une séquence rectiligne de cercles de formes peuvent présenter des contours très différents et n'avoir en
dimension croissante, on aura les signifiés « expansion » ou « anni- commun que certaines propriétés topologiques (cas d'un cercle et
hilation », suivant le mouvement que l'observateur projette sur d'un carré, ayant la même propriété de clôture) : on pourra dire que
l'axe. Les formèmes de la nouvelle figure peuvent coïncider ou non l'un est le produit d'une transformation géométrique appliqué à
avec ceux des figures de base. Dans le cas où les formèmes l'autre. Deux formes aux contours identiques quant à leur orienta-
coïncident, on dira que le signifié de la superfigure exalte les tion, mais dissemblables quant aux dimensions de ces contours,
contenus des figures de base. Un bon exemple est fourni par une pourront être considérées comme étant le produit d'une transforma-
série de cercles concentriques. La figure rythmique qui en découle tion géométrique l'une de l'autre. Ces transformations rendent
met en exergue la / concentricité/ et donc les signifiés qui y sont manifeste l'existence d'archiformes. Et par contraste, font ressortir
associés. Dans le cas où les formèmes de la superfigure ne l'individualité des formes transformées.

224 225
~ --

SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

Un cas particulier de ressemblance est la symétrie, qui présente vera que la perspective sémiotique ordonne ces recherches, qui se
de nombreuses variétés : symétries approchées, symétries axiales, laissent aisément regrouper en deux familles. Les premières envisa-
radiales ... gent le système du signifiant chromatique : elles visent à justifier -
La ressemblance entre formes induit une relation qui se superpose par des considérations physiques ou physiologiques - l'existence
à celle qu'entretiennent les formèmes. d'un système discrétisant le spectre coloré. En termes sémiotiques,
Le sémantisme tertiaire n'est pas uniquement dû au phénomène on dira qu'elles étudient le fonctionnement des unités du plan de
de la tension. On observera que l'objectivation des formes y joue l'expression. Les secondes étudient l'association de ces unités
également son rôle. Les tableaux sans titres de Laszlo Moholy-Nagy chromatiques avec des impressions ou des images mentales. En
ou de Nicolaï Mikaïlovitch Suetine, produits dans les années 30, termes sémiotiques, elles associent des portions du plan de l'expres-
sont fondés sur des droites diagonales par rapport à la position du sion à des portions du plan du contenu.
foyer et aux contours du fond (mais souvent orthogonales entre Notre effort de reformulation sémiotique indique assez quel sera
elles). Cette configuration suffit à mettre en évidence l'orientation le plan suivi : nous envisagerons d'abord les unités du plan de
et à produire le signifié« déséquilibre ». Cette signification se voit à l'expression, puis, dans un second temps, la liaison de celles-ci avec
son tour exaltée par la présence de cercles et de disques plus ou le plan du contenu.
moins tangents aux droites (et contrastant avec elles). En principe Jusque-là, nous n'envisagerons que des couleurs isolées. Mais à
non pourvu d'orientation, le cercle se voit ainsi pourvu d'un l'instar des formes, celles-ci devront aussi être étudiées dans leurs
mouvement (et donc d'une orientation, d'ordre cinétique). Il faut combinaisons. L'étude du plan du contenu se prolongera donc dans
évidemment voir là un effet de l'objectivation de la forme : la forme un troisième temps, portant sur la syntagmatique des couleurs. Ici
circulaire « roule » sur son support diagonal. .. encore, le lecteur rencontrera sur son chemin d'innombrables
théories pré-sémiotiques : toutes celles que l'on a élaborées à
l'enseigne de l'harmonie des couleurs.
La couleur isolée est un modèle théorique. Elle n'a pas d'exis-
tence empirique si elle ne s'associe pas, au sein du signe plastique, à
4. Systématique de la couleur une forme et à une texture. Mais, même ainsi isolée par un geste
théorique, la couleur n'est pas un objet simple. Sur le plan de
l'expression, elle se laisse articuler en trois composantes qu'il faudra
. ., distinguer - ce que ne font pas toujours nos devanciers - tant dans
4.0. Introduction l'étude du plan de l'expression que dans celle du plan du contenu.
-· Ces trois variables, que l'on nommera chromèmes, ont déjà été
présentées au chapitre 11 (§ 4.1.) et surtout au chapitre IV (au§ 5.2.2.
La couleur est la dernière des composantes du signe plastique. traitant des transformations chromatiques). Ce sont la dominance
Comme il en a été pour les deux autres paramètres de ce signe, elle (ce que le profane nomme « nuance », «teinte», voire, par
sera envisagée comme objet théorique. synecdoque du tout pour la partie,« couleur» : bleu, rouge, etc.),
L'état de la question est cependant ici bien différent : la forme la luminance ou brillance, et la saturation. Toute unité colorée ( ce
pure n'a jusqu'ici fait l'objet que de rares études, et la texture a été que l'on peut nommer« couleurs-sommes ») se définit donc par sa
quasiment oubliée; mais lorsqu'il s'agit de couleur, c'est plutôt de position dans un espace à trois dimensions, structuré par ces trois
réplétion qu'il faut parler. Ces multiples approches, on ·ne peut les coordonnées.
écarter d'emblée par purisme sémiotique. Au contraire, on obser-
226 227
SÉM IO TI QUE DE LA COM MU NICATIO N VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

ces héritages douteux ... Le sémioticien n'a pas à choisir entre ces
diverses structurations. Elles coexistent toutes dans une encyclopé-
4.1. Les signifiants de la couleur die globale de la société, et chacune d'entre elles peut être
mobilisée, dans des circonstances données, par une partie donnée
du corps social. Certaines fonctionnent de manière générale et
4.1.0. Généralités intuitive, tant elles ont été socialisées (c'est le cas du classement en
couleurs pures d'une part et composées de l'autre); d'autres
Jusqu'ici, nous n'avons guère proposé - volontairement - n'existent que chez certaines personnes et sont d'un haut degré
d'approche cohérente de la couleur, et on pourrait croire que nous d'élaboration consciente. Ces structurations sont disponibles,
avons utilisé au petit bonheur la physiologie des pigments visuels disons-nous : cela veut dire que le même individu qui sait qu'une
(Young), la physique des rayonnements (Munsell), la manipulation lumière jaune est obtenue par l'association d'une lumière rouge
des pigments (Chevreul) et la psychologie des couleurs (Bachelard, avec une verte peut par ailleurs aussi traiter- et ressentir- le jaune
Rousseau ... ), ainsi que les structurations intuitives que nous ont comme une couleur pure. Le sémioticien exécute donc sa tâche en
fournies les Goethe, les Itten, les Kandinsky, les Birren et tant donnant un aperçu de quelques résultats atteints par certaines des
d'autres. A cette liste il faudrait d'ailleurs encore ajouter les travaux approches mentionnées plus haut. Mais il lui faudra surtout, chemin
des psychologues expérimentaux, ou ceux des linguistes compara- faisant et pour clarifier les positions, reformuler ces modèles en
tistes comme Berlin et Kay. Chacun de ces courants, chacune de ces termes sémiotiques.
approches fournit une formalisation du monde de-la couleur tant sur
le plan de l'expression (/pur/ vs /composé/) que sur celui du contenu
(« chaud » vs « froid »). 4.1.1. Principales théories
Élaborer une synthèse de tout cela paraît hasardeux. Si notre but
avait été de faire un traité de la réception des couleurs - mais ce 4.1.1.1. Physiologie. Les acquis de la physiologie et les concep-
n'est pas le cas-, nous aurions pu noter que certaines zones de tions qui leur sont associées dérivent des expériences et des
connaissance peuvent exister chez telle personne et faire totalement raisonnements particulièrement clairvoyants de Young. Dès 1801,
défaut chez telle autre. Notre analyse d'une peinture de Jo Delahaut ce dernier a déduit, puis démontré expérimentalement, qu'il était
(Groupe µ, 1986) semblait par exemple reposer lourdement sur la possible d'obtenir toutes les couleurs (à l'exception du brun, du doré
manipulation des pigments. Il est en effet difficile de faire abstrac- et de l'argenté) à partir de trois lumières : c'est la synthèse additive.
tion d'un tel savoir sur les couleurs de la part d'un peintre, mais ce Il a établi que cela devait correspondre dans l'œil à une sensibilité à
f-"" savoir peut manquer à une partie du public. Ce même public a en trois couleurs: le /rouge/, le /vert/, et le /violet/ (et non /rouge/,
tout cas toute chance d'ignorer les théories de Young ou de Land, et /jaune/ et /bleu/, comme il l'avait d'abord cru). En fait, une infinité
se livrera plus vraisemblablement à une réception apparemment de telles triades permettent cette reconstitution des couleurs : il
naïve des messages colorés. Les associations qu'il établirait dépen- suffit que leurs éléments soient bien séparés sur le spectre, et qu'on
draient alors d'un savoir encyclopédique particulièrement lié à ces ajuste correctement leurs intensités. La physiologie a fini par isoler
basic color terms que Conklin reprend à Berlin et Kay. Ce savoir trois pigments, dans trois types de cellules-cônes. Ces pigments ont
peut lui-même représenter une appréhension ancienne et dépassée, respectivement un maximum de sensibilité au bleu (440 nm), au vert
conservée dans l'encyclopédie au même titre que la cosmogonie du (535 nm) et au rouge (575 nm)50•
Soleil« tournant autour de la Terre » et de la« voûte étoilée ». Les Par la suite on a montré aussi que le cerveau a son rôle à jouer
sept couleurs du prisme, dues à Newton 49, sont un autre exemple de dans l'allocation des couleurs, et qu'il ne s'agit donc pas seulement
228 229
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE

d'une question de pigments sensibles. En d'autres termes, la


simplicité de la sensation ne résulte pas de la simplicité des
processus. Ceux-ci étant parfaitement inconscients, il ne faut La synthèse des pigments primaires
nullement se baser sur la physiologie pour établir un système est soustractive
psychologique des couleurs.

4.1.1.2. Technologie des pigments. La théorie des couleurs à A


laquelle il est ici référé n'est ni physique ni physiologique, mais
scolaire et manipulatoire, et les pigments dont il est question ne sont
plus ceux de la rétine, mais ceux des matières colorées. La
manipulation de ces pigments produit, par rapport à celle des
lumières, une synthèse soustractive 51• L'ensemble de ces expé- La synthèse des fumières primaires
est additive
riences, enseignées à l'école, forme un système pratique solidement
ancré dans les mémoires, et dont la validité est considérée comme
absolue. A fortiori les artistes plasticiens, qui presque tous raffinent
à longueur de vie sur ces manipulations, codent et décodent à l'envi B
selon ce système : Léonard de Vinci notait dans ses carnets que le
mélange du jaune et du bleu donnait le vert; un peintre impression-
niste ou pointilliste estimait qu'en juxtaposant une touche bleue et
une touche jaune il créerait à distance une sensation verte.
La théorie des trois couleurs primaires semble avoir été publiée Les sensations visuelles primaires
pour la première fois par Le Bion en 1756, puis fut reprise par ne sont ni additives ni soustractives
d'innombrables savants et artistes. Mais c'est sans doute le cercle de
Chevreul (1839) qui a exercé l'influence la plus remarquable, sur les
peintres d'abord, sur la formation scolaire ensuite. On trouvera chez C
Birren (1969) un historique illustré de ces théories, auquel nous
empruntons la figure suivante pour aider le lecteur à éviter toute J : jaune ; 0 : orange ; V : vert ou violet ; R : rouge ; B : bleu ; M : magenta;
C: cyan.
confusion. La troisième partie de la figure reprend le cercle de
Hering (1878) : ses quatre couleurs (quatre sensations distinctes)
sont en effet reprises dans le système sémiotique que proposera Figure 14. Trois descriptions de la couleur
(d'après Birren, 1969)
Thürlemann (v. § 4.1.1.3.).

4.1.1.3. Essai de synthèse sémiotique. F. Thürlemann (1982), un On y retient d'abord quatre couleurs primaires « psychologi-
élève particulièrement actif de l'école de Greimas, a retenu une base ques» (c'est-à-dire ressenties comme «simples») : le /vert/ est
ethnolinguistique pour établir son système des couleurs, structura- primaire dans un tel système, car la sensation qu'il provoque ne le
tion reprenant également des critères psychologiques et physi- rapproche ni du /bleu/ ni du /jaune/; l' /orange/ et le /violet/ seront
52
ques • Cette synthèse débouche sur le schéma le plus élaboré appelés complexes, puisqu'on peut avoir un /jaune-orange/ et un
publié à ce jour. /violet rougeâtre/, alors qu'il n'y a pas de * /bleu jaunâtre/. On

230 231
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

remarque en outre que le /rose/ est en réalité un /rouge désaturé/, La symétrie du schéma est à peine entamée par cet ajout, qui
et que le système des quatre couleurs primaires est « cyclique ». On renforce indirectement la centralité du /rouge/. Au contraire on
obtient alors la figure suivante : dispose d'un pendant sursaturé au /rose désaturé/, et on fait
disparaître la catégorie « mi-chromatique ». Même ainsi corrigé le
schéma présente des dangers qui seront décrits plus loin(§ 4.1.2.2.)
Désaturation

PRIMAIRES ,;,~7,r.____,, . ,. ___,,_~~:;,


....,,,.
4.1.2. Principes de structuration du plan de l'expression
COMPLEXES
88 4.1.2.1. Trois préalables à un système de la couleur. Avant de
Figure 15a passer à l'examen critique de ces théories, il est essentiel de
souligner qu'elles considèrent les couleurs comme des unités inana-
lysables, c'est-à-dire qu'elles ne distinguent pas les trois compo-
Ce schéma présente une belle régularité, souligne le rôle central du santes du signe coloré, dominance, luminance, saturation 54• Or, si
/rouge/ (établi par les anthropologues: v. § 4.2.1.2.) et incorpore le la couleur peut être décrite comme une unité du plan de l'expres-
maximum de faits pertinents sur le plan de l'expression. Le/ noir/, le sion, elle n'en est pas moins constituée de ces trois chromèmes.
/gris/ et le /blanc/ sont pour leur part aisément structurés dans un Tenir compte de cette composition est la première condition à
ensemble dit « a-chromatique » ( en fait : où le paramètre de la l'établissement d'un système de la couleur (condition a). Décrire
dominance est neutralisé), où le /gris/ fait figure de terme com- complètement la couleur, c'est aussi se donner les moyens d'envisa-
plexe. La place du /brun/ nous paraît à vrai dire le point de détail le ger l'opposition entre deux plages d'un même /bleu/ à deux niveaux
plus faible de cette synthèse ingénieuse : il est rangé, tout seul, dans différents de luminance ou à deux niveaux de saturation ( de telles
une catégorie« mi-chromatique »53• Nous suggérons de ramener le oppositions peuvent de plein droit constituer une paire de signes
- /
/brun/ dans l'ensemble chromatique ( dans les « couleurs à part colorés). -
l
entière»), et de l'y faire figurer comme un /orange sursaturé/ (tout En termes sémiotiques, on parlera donc d'une articulation
comme le /rose/ était un /rouge désaturé/). La figure 15a devient d'unités dont les premières sont manifestées (les couleurs) et dont
alors: les secondes sont virtuelles (les chromèmes). Il ne faut cependant
pas pousser le parallèle avec le linguistique au point d'assimiler les
couleurs à des unités significatives et les chromèmes à des distinc-
Désaturation

~-=7
tives. Tout comme les formèmes, les chromèmes sont déjà des
unités significatives : les oppositions qu'elles déterminent dans leurs
PRIMAIRES
répertoires correspondent en effet à des oppositions sur le plan du
<
... ,. "'' contenu.
COMPLEXES Mais nous n'en sommes pas encore arrivés à ce stade. La
structuration du plan de l'expression suppose encore deux autres
Sursaturé étapes préalables, qui sont loin d'aller de soi : (b) percevoir la
couleur en tant que manifestation perse, c'est-à-dire non adhérente
Figure 15b à un objet55; (c) engager un processus de discrétisation de chaque
232 233
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

continuum ( dont les étapes se stabilisent in fine dans le vocabulaire). Que peut-on attendre alors d'un modèle de structuration des
La délimitation de ces unités fait évidemment question, puisqu'en couleurs?
tant que phénomènes physiques, les chromèmes sont de nature Un· système des couleurs basé sur les pigments colorés de l'œil
continue. On ne pourra parler d'unités que si les trois conditions (a) serait à la fois solide et universel, mais tout à fait inopérant : fondé
(b) et ( c) sont réunies 56• sur des processus subliminaux, il ne rend compte d'aucun phéno-
mène de communication ou de signification. L'autre système
4.1.2.2. Un système d'ensembles flous. Au terme de notre tour empirique, d'origine manipulatoire - celui qu'on a nommé techno-
d'horizon sur les diverses « structurations » du champ chromatique logie du pigment -, aurait plus de solidité sémiotique, parce que
proposées par diverses disciplines, un temps de réflexion s'impose. fondé sur un système fortement culturalisé ; ce qui interdit en
Le schéma de Thürlemann, qu'on serait tenté de considérer revanche de lui accorder l'universalité recherchée par certains
comme le plus satisfaisant, ne va pas sans danger. classificateurs. Le système de Thürlemann doit être considéré, lui,
Tout d'abord, il part d'un système de description des couleurs et comme une sorte de squelette ou de charpente du double cône
non d'un système proprement chromatique : ce qui est décrit est un d'Ostwald, En ce sens, il se rattache à la physique des couleurs par
système linguistique. Or, même si le métalangage de l'image est ses critères d'organisation et à la psychologie de la sensation colorée
nécessairement verbal - et l'on pourra trouver le présent livre par son choix des termes de base. C'est sans doute là son originalité.
bavard -, il faut éviter le risque de tomber dans les pièges Sa structuration même rendra possible la formulation précise de
linguistiques déjà maintes fois dénoncés. concepts tels que « opposition », « équilibre », « cycle », « anto-
Ensuite, même si le schéma prétend indiquer, par ses triangles, le nyme».
caractère continu des colorations intermédiaires possibles, il n'en est
pas moins une tentative de discrétisation, c'est-à-dire un essai
d'attirer les couleurs dans un système d'ensembles stricts, alors qu'il
aurait tout intérêt à traiter le continuum coloré dans un système 4.2. Les signifiés de la couleur
d'ensembles flous (cf. Volli, 1979). D'ailleurs peu de peintres
- J
utilisent des couleurs pures, qui seraient centrales par rapport à
chacun des triangles du schéma. A côté de Matisse et de Mondrian 4.2.1. Principales théories
- lesquels agissaient d'ailleurs par réaction-, on n'ignore pas que
les verts du Greco sont bien différents de ceux de Véronèse ou de 4.2.1.1. Psychologie sociale. Les psychologues n'ont pas manqué
" Cézanne, et de cela le modèle de Thürlemann rendra difficilement d'étudier les associations suscitées par les couleurs, tout comme les
compte. Le modèle doit donc être considéré comme un premier pas, Chastaing et les F6nagy avaient recherché le symbolisme des
qui permet d'aborder quelques images simples : Thürlemann a phonèmes. La différentielle d'Osgood fournit un outil commode
d'ailleurs choisi de l'appliquer à une toile extrême de Klee intitulée pour de telles investigations de la relation entre le plan du contenu
Le Rouge et le Noir. Nous-mêmes avons commenté une œuvre de Jo et celui de l'expression, mais les résultats de la recherche devront
Delahaut (Groupe µ, 1986) qui, bien que ne sortant pas de encore être sémiotisés.
l'inventaire de base, n'est néanmoins pas analysable par le système C'est par de telles procédures que Wright et Rainwater (1962) ont
de Thürlemann. Chez Delahaut le vert est indiscutablement traité finalement ramené à cinq adjectifs descripteurs les associations
comme une couleur composée, comme le prouvent les indices colorées : « happiness » (félicité), « forcefulness » (énergie),
suivants : symétrie de la composition et présence du vert entre le « warmth » (chaleur), « elegance » (élégance), « showiness »
jaune et le bleu. (ostentation). Ces descripteurs semblent relativement orthogonaux,

234 235
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

c'est-à-dire assez peu corrélés entre eux. L'intérêt d'un tel travail est s'amenuise, plus c'est « faible », « léger », « vague », « doux »,
qu'il tient compte de la distinction entre les trois dimensions du « terne », etc. ;
signal chromatique ( dominance, luminance, saturation). Il établit en - plus l'écart de luminance est élevé dans une paire, plus c'est
effet les associations suivantes : /couleur, brillante et saturée/ - « harmonieux », « chic », « plaisant », etc.
« happiness », /couleur saturée/ - « showiness », /couleur peu Les acquis de la psychologie expérimentale possèdent semble-t-il
brillante mais très saturée/ - « forcefulness », / couleur bleue la généralité souhaitée, mais ils se formulent dans un vocabulaire
saturée/ - « elegance », /couleur rouge sombre et saturée/ - affectif difficile à utiliser. C'est comme si on n'avait pas classé les
« warmth ». couleurs en tant que telles, mais seulement les affects qui leur sont
Il est intéressant de noter que les coefficients de corrélation entre plus ou moins fortement liés. Ce faisant, on n'a donc pas envisagé
stimulus et descripteur sont très élevés pour /luminance/ et /satura- les couleurs comme signes, puisqu'après avoir décrit isolément un
tion/, et très faibles pour la /dominance/. Cela veut dire que la stimulus et sa réponse, on continue à tout ignorer de la relation qui
nuance d'une couleur, ce qu'on perçoit et verbalise le plus familière- unit couleur et valeur. Cette relation, dont on n'ignore pas qu'elle
ment, est aussi ce qui est le moins spontanément codable, alors que ne peut être arbitraire, est ici traitée comme une boîte noire 58•
la saturation par exemple, beaucoup moins familière et qui n'a reçu
un nom que récemment, exerce une influence maximale sur les 4.2.1.2. Anthropologie. La linguistique comparative, appliquée à
association. Notre interprétation de cette observation importante un maximum de données disponibles dans des documents ethnolin-
est que /luminance/ et /saturation/ induisent une réponse sémioti- guistiques, a donné l'ouvrage mémorable de Berlin et Kay (1969),
que profonde, générale et intersubjective, alers que la / dominance/ dont Conklin (1973) a fourni une synthèse critique intéressante. On
serait davantage liée à des expériences personnelles, dont une partie se rappellera que ces auteurs ont pu identifier onze termes
seulement est commune à tous : dans cette mesure elle construit des chromatiques de base dans les langues du monde. Du plus au moins
idiolectes 57• fréquent, ce sont noir - blanc - rouge - [vert - jaune] -bleu -
De tels tests forcent bien entendu les choix en proposant aux brun - [ violet - rose - orange - gris] 59• Le vocabulaire chromati-
sujets des échelles de termes qu'ils n'auraient peut-être pas suggérés que des langues réputées primitives est plus pauvre ( ce qui ne
- 1
d'eux-mêmes. En outre la liste des descripteurs laisse mal à l'aise, signifie pas que leurs locuteurs ne perçoivent pas d'autres distinc-
par son côté erratique et presque saugrenu ( toutes les combinaisons tions), et les distinctions de couleurs apparaissent donc comme une
n'ont pas été testées). Mais surtout, ils manquent le point important succession quasi parfaitement réglée selon l'ordre de cette liste :
de la nature des liens conduisant du stimulus à la réponse. Les seuls les termes entre crochets sont parfois intervertis. La formule
auteurs appellent ces termes affectifs The meanings of color; mais suivante exprime bien la force de cette loi : « Si une langue ne
pourquoi le «sens» d'une couleur devrait-il être affectif? possède que trois noms de couleurs, ce sera blanc, noir et rouge. »
Kansaku (1963) travaille, lui, sur des paires de couleurs et non sur Cette structuration inconsciente est sans doute lourde de symbo-
des couleurs isolées. Il est d'ailleurs plus prudent, parlant seulement lisme et d'expériences vitales : il n'est pas plus « difficile » de
des valeurs affectives des couleurs, et veillant à ne faire varier, dans percevoir le vert que le rouge (nous avons même deux pigments
ses paires, qu'une seule dimension du signal chromatique. Il spécialisés pour le faire : le chlorolabe et l'érythrolabe) et le vert de
découvre ainsi quatre facteurs d'appréciation, qui concordent la végétation est heureusement bien plus abondant que le rouge du
remarquablement avec ceux de Wright et Rainwater : « plaisir », sang répandu. Mais il faut donc croire qu'il est plus important pour
« éclat », « force » et « chaleur ». Les résultats sont du genre : presque toutes les cultures de nommer le rouge que le vert, et on
- plus l'écart de dominance est élevé dans une paire, plus c'est peut deviner pourquoi.
« dynamique », « gai », «fort»,. « net », etc.; et plus l'écart
236 237
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

4.2.1.3. Synesthésie. L'opposition « chaud »/ « froid » corres- «froid» : jamais on ne rencontre des disjonctions exclusives du
pond à une réponse subjective très générale, et à laquelle on a pu type« permis »vs« interdit », ce qui est bien une indication supplé-
donner un caractère quantitatif. L'expérience la plus saisissante à mentaire de ce que nous sommes loin des codes où de telles opposi-
cet égard établit qu'un local bleu-vert donne la même impression de tions sont la règle. Parmi ces oppositions synesthésiques, le clivage
chaleur corporelle qu'un local rouge orangé qui serait objectivement le plus attesté est incontestablement celui entre couleurs « froides »
61
3 à 4 °C plus froid ... ro. (/bleu/, /vert/) et couleurs «chaudes» (/rouge/, /orange/) •
Bien que fortement corrélés dans les tests, les autres chromèmes
I
constituent un panachage souvent étrange où la dominance n'inter-
4.2.2. Les principes de structuration du plan du contenu vient pas seule. En particulier, la saturation (S) accompagne le pôle
« positif » des cinq différentielles sémantiques : « félicité », « osten-
Les théories que nous venons de présenter se sont attaquées à des tation », « énergie », « élégance », « chaleur ». Ceci nous permet
liaisons fortes entre plan du contenu et plan de l'expression, et à des de donner un contenu au chromème S isolé, que l'on pourrait
phénomènes que l'on peut étudier par la loi des grands nombres formuler par :
(c'est la ratio facilis d'Eco). Mais chacun sait qu'une infinité d'autres /désaturé/ vs /saturé/
liaisons, plus ou moins labiles, peuvent aussi se former à partir « catatonique » vs « tonique »
62

d'expériences personnelles ou concernant des groupes restreints
(ratio difficilis). Rien ne les interdit et rien ne les réprime : elles sont La brillance (B) ne possède pas le même contenu, car si elle
donc pleinement actives, et librement contradictoires ou surdéter- accompagne la « félicité », elle est antinomique à « l'énergie », et
minées, aussi bien chez les producteurs que chez les consommateurs indifférente aux trois autres différentielles.
d'images. On est étonné d'ailleurs d'observer que dans les tests seules
Quoi qu'il en soit, du moment que l'on attribue un contenu à la l' « élégance » et la « chaleur » postulent une valeur précise de D :
couleur, on est en présence d'un code, c'est-à-dire de la mise en respectivement le /bleu/ et le /rouge/. Pour les trois autres
correspondance d'un découpage du système de l'expression et d'un différentielles, D est indifférent.
- ' découpage du contenu. L'exemple traditionnel du code est celui des Nous avons déjà critiqué ce type de liste des descripteurs. On peut
feux tricolores, ou l'opposition /vert/ vs /rouge/ est homologuée à cependant essayer de la structurer, en laissant de côté l'opposition
l'opposition conceptuelle« permission »vs« interdiction ». Dans le « chaud » vs « froid » déjà bien documentée quant à elle. Les
domaine de la couleur, nous rencontrerons tous les états intermé- quatre descripteurs restants nous paraissent pouvoir être groupés en
diaires entre les codes stricts et les associations connotatives deux paires : '{< élégance » et « ostentation » d'une part, « félicité »
individuelles. Ces homologations, souvent formulées en termes et« énergie » d'autre part.
synesthésiques, nous les étudierons au niveau des chromèmes, puis Si toute couleur /saturée/ est jugée voyante, il est normal que
au niveau des couleurs-sommes. l'élégance, forme évoluée d'ostentation, requière les mêmes para-
mètres et ajoute une précision sur la dominance. Après tout on sait
4.2.2.1. Chromèmes. Si l'on examine isolément les trois dimen- depuis longtemps que l'élégance est entre autres choses une
sions de la couleur, on peut repérer des axes sémantiques primaires. méthode pour se faire remarquer à l'aide de couleurs. On notera en
C'est évidemment le chromème de la dominance (D) qui convoque passant que l'héraldique et la vexillologie adoptent toutes deux des
les homologations les plus nombreuses. On remarquera que les op- couleurs très saturées.
positions conceptuelles choisies sont toujours de celles qui permettent Le second couple est lui aussi sémantiquement lié. Une couleur
une gradation infinie de degrés intermédiaires, comme « chaud » vs /saturée/ peut (sans préjudice de son intervention dans le premier

238 239
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

couple) signifier « énergie » et « force », sans doute par le relais du toutefois, il n'est pas possible de décider si cette dimension est
concept de « concentration ». Si par surcroît, cette couleur est pertinente ou non, ni d'en éliminer les dimensions idéologiques.
/brillante/, elle renverra à cette forme particulière d'énergie que Tous les concepts évoqués jusqu'ici (« élégance », « énergie >.•,
l'on dit d'ailleurs volontiers « rayonnante » : le « bonheur ». « félicité », « archaïsme » ), tout comme la 'circularité et l'antinomie
Les axes sémantiques primaires ne s'arrêtent cependant pas aux utilisées par Thürlemann, ont une généralité qui dépasse de loin le
résultats des tests de Wright et Rainwater, ni à la réinterprétation monde des couleurs. Ces signifiés peuvent être produits par d'autres
que nous en faisons. D'autres homologations sont possibles, et éléments des énoncés (par exemple les formes, les textures, le sujet
même attestées, comme on va le voir. iconique), de sorte qu'il devient quasi impossible d'attribuer univo-
Une opposition très active est « pur »/ « impur » ( ou « simple »/ quement des contenus aux expressions chromatiques. Il faut accep-
«complexe»). ter que l'image plastique n'est pas codée a priori et choisit librement
Tous les peintres qui optent pour les couleurs pures (Mondrian, ses déterminations colorées. En ce sens, tous les découpages ici
Matisse, Van der Leck ... ) retiennent finalement le même répertoire recensés sont également et simultanément disponibles. C'est-à-dire
de dominances et avec un haut degré de saturation 63. Il existe deux qu'il est impossible de construire pour la couleur un système
moyens d'obtenir des couleurs impures à partir de couleurs pures : hiérarchisé comme on l'a fait pour la forme ou la texture. Même si
en les désaturant (par un mélange avec du blanc, c'est-à-dire avec l'on admet l'hypothèse d'un système général des couleurs (comme
toutes les couleurs), ou en les mélangeant avec d'autres couleurs celui de Munsell ou de Thürlemann), le message instaure son propre
quelconques. Le terme « couleur complexe » est donc bien mieux système local, dans tel réseau d'oppositions colorées. L'un, ou
approprié pour décrire cette opération que le terme « impur » dont l'autre, ou plusieurs, parmi ces découpages dominera donc, pour
le contenu moral est suspect (bien qu'évidemment actif). des raisons que tous ces efforts théoriques ont laissé dans l'ombre.
Du côté des chromèmes comme la luminance, à nouveau bien des Suivant le message considéré, on assistera à une actualisation ou à
couples de concepts sont disponibles pour une homologation, parmi une répression de tel découpage, tout comme en linguistique il est
lesquels on pourrait sélectionner - de façon quelque peu intuitive et possible de mettre en' avant les hypothétiques signifiés du groupe
bachelardienne - des paires comme IFLI s'ils servent le sens (par exemple dans fluide, fleuve ), ou de
« nocturne » / « diurne » les laisser en retrait s'ils ne le servent pas (flibustier, flic ).
'1
« inquiétant » / « rassurant »
«mystérieux»/« intelligible». 4.2.2.2. Couleurs-sommes. Dès que l'on envisage les couleurs-
Que l'on joue de ces signifiés de la luminance, c'est indiscutable si sommes, chacune caractérisée par une valeur précise des chro-
l'on pense aux œuvres de Bresdin et de Matisse, et si l'on réfléchit mèmes L, S et D~ on doit parler d'axes symboliques plutôt que
au clair-obscur comme dispositif sémantique : n'opère-t-il pas d'axes sémantiques primaires. On y trouve en effet une foule de
indépendamment de toute dominante colorée ? déterminations personnelles et/ou culturelles. Il est exclu de faire un
En faisant intervenir la dimension anthropologique on pourrait dictionnaire des «couleurs», car il y en a une infinité. Nous en
également ajouter le concept de « primitivité » : certaines opposi- avons déjà donné la raison principale : alors que les chromèmes Let
tions colorées sont relativement archaïques ou proches de modèles S peuvent s'intégrer à des codes relativement stricts, le chromème D
fondamentaux (par exemple, celles qui jouent sur le blanc, le noir, éveille au plus haut point des associations personnelles, idiolectales.
le rouge), et d'autres apparaissent comme plus évoluées (celles qui Le sommet dans cette direction est sans doute atteint par Malcolm
joueraient, par exemple, sur le magenta et l'indigo). Il s'agit de de Chazal qui, dans Sens-plastique, aligne d'innombrables considé-
prendre en charge le caractère progressif de l'apparition des rations sur les couleurs, la plupart hautement improbables et
oppositions de dominance. Dans l'état actuel des connaissances inattendues, mais en même temps extraordinairement poétiques.

240 241
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

progressive des dissonances, et prouvé du même coup l'inexistence


d'une règle absolue et éternelle. Il en-ira évidemment de même pour
4.3. Les couleurs en syntagme et leur sémantisme la couleur. Mais dans la mesure où une théorie de « l'harmonie »
représente la sensibilité d'une époque, nous pouvons lui reconnaître
un statut suffisamment stable pour que des écarts soient perçus par
4.3.1. Principales théories rapport à elle. Par conséquent, si ces écarts s'avèrent réductibles, il
existera bien une rhétorique colorée.
Disposer d'un modèle paradigmatique de la structuration physi- Examinons d'abord quelques théories sur l'harmonie des cou-
que du plan de l'expression de la couleur n'a en soi qu'une utilité leurs, mobilisant chaque fois des paires de concepts différents.
restreinte, même si l'on associe les couleurs-sommes - déjà bien
complexes - à des portions de contenu. Cela permet tout au plus de 4.3.1.1. Consonance! dissonance. Henri Pfeiffer (1966), ancien
tracer quelques axes, et de repérer grâce à eux des oppositions élève du Bauhaus, s'est donné la peine d'élaborer une théorie de
colorées, éventuellement même de façon quantitative. Mais un tel l'association des couleurs qui se veut à la fois physiologique et
modèle de repérage ne constitue en aucune façon un guide pour mathématique. Il part de la tétralogie de couleurs de Hering (bleu -
l'utilisation syntagmatique des couleurs : contenant toutes les cou- vert - jaune - rouge), et distingue soigneusement la combinaison
leurs possibles sans leur assigner de règles d'ordre syntagmatique, il optique des lumières colorées du mélange matériel des colorants.
n'impose aucune restriction dans leur usage. Or, qui veut élaborer Pfeiffer commence par construire une échelle de valeurs neutres
une rhétorique de la couleur ne peut la trouver que dans une série entre le blanc le plus blanc (blanc de zinc réfléchissant 89 % de la
d'écarts à des règles qui régenteraient la manifestation du champ de lumière) et le noir le plus profond ( encre typographique réfléchis-
la couleur dans les énoncés. Comme c'est notre cas, nous devons sant 5 % de la lumière). Sur le plan mathématique, sa théorie fait un
éprouver l'hypothèse de l'existence de ces règles. amalgame incohérent et souvent faux des notions de moyenne
De telles règles ont effectivement été formulées, sous le nom de arithmétique, harmonique et géométrique, à quoi vient s'ajouter le
règles d'harmonie. Historiquement, les recherches sur les règles nombre d'or. La moyenne harmonique vient du décalque, évident à
d'association se sont développées avec deux soucis principaux : chaque page, d'une théorie musicale où elle s'institue en « loi
• 1
(a) s'asseoir sur des fondements aussi sûrs que possible, à partir universelle et fondamentale de l'harmonie ». La moyenne géométri-
de la physiologie de la vision d'une part et des mathématiques que est quant à elle inspirée par la loi physiologique de Weber-
d'autre part; Fechner. Son caractère composite, sa pertinence réduite, ses
(b) mettre au point une description de plus en plus fine des innombrables erreurs et son simplisme naïf 64 ne doivent cependant
combinaisons colorées « harmonieuses ». (Notons déjà en passant pas mener au rejet pur et simple de cette théorie totalisante et
t-*'
que le terme est connoté positivement. S'il nous arrive de l'utiliser normative, car l'auteur parvient tout de même à un ensemble de
pour notre compte, qu'il soit entendu que c'est sans cette nuance : concepts fort élaboré. Il rend en tout cas discutable la notion
ce que le sémioticien élabore, c'est un ensemble de règles d'associa- d'harmonie.
tion, quel que soit son résultat psychologique.) Celle-ci est définie de plusieurs façons. L'harmonie dite conso-
Les débats sur l'harmonie des couleurs sont probablement aussi nante est obtenue entre deux tons « qui tendent vers la même
futiles que celui sur l'harmonie des intervalles musicaux. La tierce, tonalité intermédiaire » 65• La couleur intermédiaire idéale serait
que nous jugeons aujourd'hui banale et que nous abandonnons aux alors une « moyenne » 66 optique, c'est-à-dire la couleur qui produit
chorales scoutes, a été autrefois jugée dissonante. Jacques Chailley la même sensation que la combinaison optique des deux couleurs
(1967 ; v. aussi Barraud, 1968) a excellemment décrit cette réduction extrêmes sur un disque tournant. Elle renverrait à un phénomène de

242 243
'(

SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

médiation. L'harmonie dite dissonante, sorte de contradiction dans circulairement le long de l'équateur; le blanc et le noir y sont les
les termes, est décrite avec davantage d'embarras, car ici il n'y a pas pôles, et le gris moyen occupe son centre 69•
de tendance commune des deux couleurs vers une même troisième Cette sphère fournit une méthode simple pour décrire l'harmonie
tonalité (par exemple, il n'existe pas de rouge verdâtre ni de bleu de deux ou plusieurs couleurs. Une couleur doit être combinée avec
jaunâtre). Pfeiffer remarque correctement que la couleur moyenne son antipode, de sorte que la moyenne soit toujours le gris central.
des complémentaires est un gris neutre ( ce qui renvoie à nouveau à Une couleur non située sur l'équateur, parce que désaturée,
ce que nous avons appelé l'addition grise). II estime donc que les correspondra à une couleur sursaturée : la compensation se fait
complémentaires sont dissonantes et criardes, mais que la disso- automatiquement quant aux deux dimensions. Pour harmoniser
nance est néanmoins nécessaire à l'harmonie. L'astuce trouvée pour plusieurs couleurs, on les choisira le long de n'importe quel grand
« harmoniser » les complémentaires, c'est de leur donner une cercle joignant deux antipodes.
saturation équivalente. En dépit de sa prétention, le système d'Itten n'offre pas vraiment
Sémiotisant ces diverses définitions, nous retiendrons donc que une alternative aux jugements subjectifs, car il est à présumer que
pour Pfeiffer deux couleurs ne peuvent former une harmonie que si ces derniers résultent de la même expérience des contrastes. En
elles possèdent, in praesentia ou in absentia, un élément médiateur outre, la définition de l'harmonie serait pour lui l'abolition des
commun 67• tensions colorées dans l'œil, réalisée grâce à un équilibre des
Ceci nous fournit un critère permettant de partager en deux composantes chromatiques. Le paradoxe d'une telle définition,
espèces les paires de couleurs : jamais souligné jusqu'ici semble-t-il, est que l'idéal de l'harmonie de
(a) celles qui ont un terme médiateur coloré et seraient de ce fait couleurs serait justement d'abolir la couleur dans le gris. Comme si
harmonieuses ; la couleur était un écart par rapport au gris, écart pénible qu'il fallait
/
(b) celles qui ont un terme médiateur gris, c'est-à-dire non coloré, s'ingénier à annuler : une sorte de loi du moindre effort perceptif.
et seraient de ce fait dissonantes. La suite de l'exposé d'Itten e1t plus spéculative encore. Il
préconise de diviser le cercle équatorial en douze parties, et estime
4.3.1.2. Tension/neutralisation. Johannes Itten, dans son cours que les combinaisons les plus intéressantes sont obtenues lorsqu'on
• 1
du Bauhaus, prétend échapper aux jugements subjectifs sur l'har- inscrit dans ce cercle des figures régulières : triangle équilatéral,
monie des couleurs, en recourant à l'expérimentation. L'expérience carré, hexagone, rectangle ...
fondamentale est pour lui celle du contraste successif, au cours de On dira que deux couleurs différentes « contrastent », et ltten
laquelle l'œil nous fait percevoir un carré fantôme vert si nous distingue sept types ,de contrastes, qui pourraient pour nous se
fermons les yeux après avoir fixé un carré rouge : elle semble nous ramener à quatre :
t-.,. prouver que l'œil « appelle » une couleur« complémentaire » pour
établir un « équilibre » 68• 1. C. de la couleur en soi : entre couleurs« pures », non altérées, au
La seule couleur qui n'en appelle aucune autre, et qui peut donc maximum de luminance.
être appelée neutre, est le gris moyen. Il en découle directement 2. C. clair-obscur : entre le blanc et le noir, ou entre saturé et
qu'un minimum de tension est obtenu dans des compositions désaturé.
colorées dont la moyenne est un gris : nous retrouvons notre 3. C. chaud-froid : le pôle froid est le bleu-vert, et le pôle chaud le
addition grise (mais ici elle est jugée harmonieuse, alors que Pfeiffer rouge orangé.
jugerait les complémentaires dissonantes). 4. C. de complémentaires : dont le mélange donne du gris.
Itten intègre ces deux observations et construit, à la suite des 5. C. simultané: l'œil exige simultanément la complémentaire (voir
romantiques allemands, une sphère des couleurs : elles s'y disposent ci-après).
244 245
-.
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

6, C. de qualité : entre couleurs rompues de noir ou de blanc, ou primaires - bleu, rouge, jaune -, trois secondaires - orangé, vert,
mélangées avec leur complémentaire. violet-, et six intermédiaires). Les rayons unissant le centre à la
7. C. de quantité: par la dimension des taches. circonférence figurent la saturation : au centre le blanc, à la \
circonférence le maximum de saturation. Cet axe de saturation est
Il nous semble que les cas 1, 2, 4, 5, et 6 n'ont pas d'existence arbitrairement divisé en vingt degrés. On a donc un système à deux
distincte, mais sont des dosages divers des deux types d'oppositions dimensions : la nuance (dominance) et la gamme (saturation). Sur
que les dimensions de la sphère rendent possibles : oppositions de cette base, Chevreul va proposer des.lois d'harmonie. Lois empiri-
dominance chromatique et de saturation. Restent deux autres ques : elles entendent dégager les règles des accords les plus
critères de contraste : le contraste de quantité, et l'opposition «agréables» à l'œil, tels qu'ils sont« généralement perçus ». (Mais
chaud/froid, extérieure au système de la couleur, et dont nous Chevreul n'interroge pas les éventuelles origines culturelles du
avons parlé plus haut 70 • phénomène.) Ces harmonies sont de deux types : les « harmonies
L'intérêt du système d'ltten est aussi épistémologique. On aura de couleurs analogues » et les « harmonies de contraste ».
noté qu'il se fonde largement sur le concept - familier au Dans la première catégorie, on range les harmonies de gamme et
structuralisme- d'opposition binaire. Chaque couleur se définit par les harmonies de nuance. On parle d'harmonie de gamme lorsqu'on
sa position sur un axe, où son déplacement se fait de manière perçoit simultanément deux actualisations de la même dominance à
continue, sans le discrétiser 71 ; mais à chaque position ainsi définie deux degrés différents (mais proches) de saturation; d'harmonie de
correspond une position converse ( tel bleu très saturé correspond à nuance lorsqu'on perçoit simultanément deux dominances diffé-
tel rouge-orange très désaturé) de sorte que, par .contrecoup, se rentes (mais proches) présentant le même degré de saturation. Ces
dessine un système du plan de l'expression. harmonies mettent donc en présence des manifestations proches,
Postuler l'existence de ces oppositions paradigmatiques suggère que leur juxtaposition aboutit à différencier plus fortement 73• C'est
que toute manipulation colorée, même isolée, serait un syntagme en le sens même de l'expression« contraste simultané ».
puissance présentant à la fois la couleur et sa converse. Car ici, et à Les « harmonies de contraste » jouent lorsqu'on perçoit simulta-
la différence d'autres sémiotiques (où l'on ne se risquera pas à dire nément deux tons très distants l'un de l'autre et qu'ils sont au même
que tout paradigme est un syntagme en puissance), des mécanismes niveau de saturation ( contraste de nuance), ou tous deux proches
'1 )
physiologiques suscitent dans l'organisme des réactions susceptibles l'un de l'autre, mais à des degrés de saturation différents ( contraste
de produire des manifestations colorées complémentaires : la pré- de gamme), ou encore - combinaison des deux premiers contrastes
sentation d'un carré rouge peut, répétons-le, produire un halo vert - lorsque deux dominances différentes se présentent avec des
(c'est ce qu'Itten nomme le contraste simultané) 72• saturations très différentes. On le voit : alors que les « harmonies de
!.-~
couleurs analogues» fonctionnent sur la proximité, les« harmonies
4.3.1.3. Complémentarité/ressemblance. Ces derniers termes ainsi de contraste » jouent sur la distance (le cas optimal d'harmonie
que le germe de toute la théorie d'ltten se trouvaient déjà chez étant atteint par les complémentaires). Dans les deux cas, le
Michel-Eugène Chevreul, auteur d'une célèbre loi de « contraste contraste en sort renforcé.
simultané des couleurs » (1838). Chevreul traduit la différence en termes de qualité : les contrastes
Ces contrastes ne peuvent être décrits que parce que la position entre couleurs éloignées « embellissent » les couleurs actualisées
respective des couleurs est elle-même décrite. Chez Chevreul, les alors que deux couleurs analogues s'« injurieraient» 74•
couleurs sont disposées le long d'une circonférence. Pour mesurer Les lois de Chevreul semblent trop puissantes, multipliant les cas
les contrastes, Chevreul ( comme Itten et sans davantage justifier ce d'harmonie. Notons cependant qu'elles éliminent les cas, potentiel-
nombre) divise sa circonférence en 12 secteurs ( trois couleurs dites lement majoritaires, d'harmonie de couleurs quelconques : ne sont

246 247
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

en effet en harmonie que {l} les couleurs figurant dans une zone Il nous semble quant à nous que la notion d'ordre ne peut être
étroite du diagramme (harmonie des analogues), (2) celles qui sont associée aux autres sans précaution. Notre exposé sur les transfor-
diamétralement opposées ou presque (contraste de gamme}, ou (3) mations ( chap. IV, § 5) a montré que le producteur d'images
celles qui sont séparées par la valeur d'un rayon ou presque manipule la couleur pour la structurer à sa façon, soit au moyen de
(contraste de nuance). La théorie de Chevreul fournirait plutôt un variantes libres - et dans ce cas son intervention est imperceptible
critère unique d'harmonie : celui d'ordre. Deux couleurs entre -, soit en transgressant les données contenues dans le répertoire de
lesquelles on ne peut identifier aucune relation ne sont pas en types de sa culture. Cette transgression n'a rien à voir avec
harmonie, et réciproquement. La relation en question est soit la l'harmonie, concept d'emblée piégé par son contenu appréciatif et
proximité ou ressemblance (quasi-identité de nuance ou de satura- normatif. Car il n'est évidemment pas question de dire que
tion), soit l'opposition maximale (complémentarité}. Au désordre l'harmonie selon ltten ou Chevreul doit être « recommandée » aux
s'opposent deux types d'ordre. Chevreul a ainsi formulé ce qui se producteurs d'images : d'innombrables chefs-d'œuvre ne sont pas
rapproche le plus d'un critère plastique universel 75• harmonieux dans ce sens.
Nous ne retiendrons donc que le premier des quatre couples
d'opposés ci-dessus («ordonné» vs «désordonné»), et le ferons
4.3.2. Principes de structuration des couleurs en syntagme d'autant plus volontiers que les critères d'ordre et de désordre sont
spécifiques à la couleur. L'opposition ordre/désordre est ainsi la
Les quelques théories examinées, sans doute les plus sérieuses et structure la plus générale 'du champ coloré, et elle peut connaître un
aussi celles qui ont eu le plus d'impact sur le monde des artistes et nombre infini de manifestations : il y a un nombre infini de nuances
des critiques européens, convergent toutes sur deux points : et chacune d'elles a son complémentaire exact, etc. Au-delà de cette
(a) elles cherchent, comme on l'a déjà souligné, à fonder dans le structuration générale, peut-on attribuer une signification aux choix
champ de la couleur un ordre qui ne soit pas arbitraire mais repose chromatiques faits par le producteur d'images? La réponse est oui,
sur des données scientifiques ; mais les significations en question ne peuvent émerger que dans un
(b) elles manifestent en même temps une tendance à discrétiser le énoncé.
continu. Tout ceci laisse suffisamment entendre que nous n'aurons pas à
. ' ) Dans quelle mesure elles satisfont directement au critère scientifi- choisir entre les modèles proposés. Chacun constitue une approche,
que mis en avant pour (a), cela reste ouvert à la discussion 76• liée à une démarche scientifique précise, d'un système sémiotique
L'essentiel est qu'il s'agit toujours de dégager les principes d'un global qui subsume vraisemblablement des systèmes particuliers
ordre, de distinguer l'ordonné du désordonné. L'ordre dont il s'agit différents, voire antinomiques.
nécessite pour se manifester au moins deux couleurs ; il peut
consister en une proximité ou en une complémentarité. Pour trois En conclusion, la couleur en syntagme, qui est la règle dans
couleurs, ce pourra être que l'une d'elles est la moyenne harmoni- l'image, intègre les trois niveaux que nous avons étudiés. Elle doit
que des deux autres. Et les théoriciens (ou spéculateurs) nommés être analysée par rapport aux axes de structuration propres à chaque
n'hésitent pas à sous-entendre, voire à proclamer les homologations niveau:
suivantes: (a) toute couleur, en tant qu'unité du plan de l'expression, est
« ordonné » vs « désordonné » située en un point précis de chacune des trois échelles de Lumi-
« lisible » vs « illisible » nance, de Saturation et de Dominance chromatique. Sa manifesta-
« compréhensible » vs « incompréhensible » tion suscite virtuellement toute la gradation possible sur chacune des
« harmonieux » vs « discordant » échelles;
248 249
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LE SIGNE PLASTIQUE

(b) toute couleur, en tant qu'unité du plan du contenu, prend tion plus efficace que la couleur. Sa structure concerne l'esprit
place individuellement sur un ou plusieurs des nombreux axes « activement organisateur », et témoigne d'une activité rationnelle
sémantiques disponibles. Certains de ces axes sont intersubjectifs, que l'on peut qualifier de « classique ». La couleur est par contre
d'autres sont strictement personnels, aucun n'a de préséance; supérieure à la forme en tant que véhicule de l'expression. Elle
(c) toute couleur entre dans un réseau de relations avec les autres affecte surtout les esprits réceptifs et passifs et serait davantage liée
couleurs manifestées dans l'énoncé. Certaines de ces relations à une attitude « romantique ».
créent une tension, d'autres engendrent une impression d'équilibre; On peut disserter longuement sur cette opposition, mais les
(d) l'ensemble des déterminations (a), (b) et (c) est confronté aux raisonnements proposés risquent de rester longtemps encore de
autres composants du signe plastique - formes, textures -, et simples reconstructions spéculatives. Il est vrai que les couleurs se
éventuellement à ceux du signe iconique. Ceci mène au renforce- présentent souvent à nous dans la nature sous la forme de grandes
ment de certains contenus et à la mise en suspens de certains autres, masses (le bleu de la mer, ou du ciel, le vert des frondaisons, le
et ce d'une façon nouvelle pour chaque énoncé. jaune du sable et de la lumière solaire ... ), pouvant s'associer à des
affects (froid, chaleur, refuge sécurisant) ou encore à des événe-
ments dramatiques (le sang répandu). Il est non moins vrai que c'est
à des systèmes de formes et non de couleurs que nous avons confié
nos alphabets, porteurs de significations rationnelles.
5. La synthèse plastique, et son sémantisme D'autres auteurs (Growe, 1984) relèvent une autre opposition
intéressante. Le geste élémentaire du dessin consiste à marquer une
surface et à y laisser une trace, qui témoigne ainsi d'un mouvement.
La peinture par contre ne possède pas, ou beaucoup moins, ce
Si le signifiant des formes a pu être décrit comme une intégration caractère de « liaison processuelle de la vision et de l'activité de la
de celui des formèmes qui les constituent, et si une semblable main». On se trouve ainsi ramené au premier problème, avec cette
synthèse est apparue aussi à propos des textures et des couleurs, il fois une ébauche de réponse. Au principe du dessin, il y a la ligne
faut s'attendre à ce que le signe plastique global exécute à son tour qui, si elle est fermée, marque un extérieur et un intérieur. Fermée
~
une intégration de ses trois composantes : forme, couleur, texture. ou non, elle affirme une différenciation du monde, une disconti-
Ceci implique dès l'abord que les signifiés de la couleur puissent nuité, et par conséquent un lieu d'information concentrée : pas
former par exemple avec ceux des textures des oppositions significa- étonnant alors qu'elle s'associe aisément à l'activité rationnelle.
tives. Un autre type d'interaction est d'ailleurs possible, et inscrit Emporté par ce(te liberté du tracé différenciateur, on a été jusqu'à
dans la physiologie de la vision : la discrimination fine des formes associer le dessin à la création du monde : le dessin au trait est un
est extrêmement difficile lorsqu'elle doit se faire à partir des peu au visuel ce que le verbe est au phonatoire.
couleurs et dans des conditions d'équiluminance (Humphreys, Le dessin au trait est appelé « de l'extérieur», il ne fournit que
1990). des contours, alors que le dessin dit « de l'intérieur » se rapproche
Les signifiés le plus souvent retenus pour l'opposition couleur/ davantage de la peinture ( en couleurs) par la réalisation de
forme apparaissent bien dans cette citation de Suarès (1946) : « La transitions : ombrages, modelés, hachures. Ce dessin est une
couleur est le signe de la vie ; la ligne est le signe propre du style [ ... J peinture sans couleur, mais, comme elle, il vise à remplir les zones
passer de la ligne à la couleur, de la matière à l'esprit [ ... ]. » délimitées par les traits, et de ce fait à leur conférer une corporalité,
Arnheim (1976), qui reprend en gros cette opposition, essaie d'en une présence physique sensible, que l'on pourra ultérieurement lier
approfondir l'origine. La forme, dit-il, est un moyen de communica- à des affects.
250 251
SÉMIOTIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE

Nous remarquerons que cette corporalité peut venir de l'une


quelconque des deux propriétés de la surface du signe plastique :
couleur et texture (cette dernière se réservant d'ailleurs les sugges-
tions tactiles). Un point mystérieux subsiste selon nous dans cette
discussion par ailleurs cohérente : c'est l'apparition d'une illusion de
matérialité dans les zones intérieures d'un dessin au trait qui
cependant, objectivement, ne propose qu'un réseau à claire-voie.

TROISIÈME PARTIE

Rhétorique de
la communication visuelle

).

/
CHA PITRE V I

Rhétorique visuelle fondamentale

1. Programme d'une rhétorique générale

L'objectif d'une rhétorique générale est de décrire le fonctionne-


ment rhétorique de toutes les sémiotiques par des opérations
puissantes, restant identiques dans tous les cas.
Cette description a été menée à bien pour le linguistique et pour
quelques systèmes transsémiotiques (comme le récit). Dans tous ces
domaines, des figures aussi différentes que la suffixation argotique
et le flash-back cinématographique se laissent décrire par des
opérations de suppression, d'adjonction, de suppression-adjonction
et de permutation. Ce qui diffère dans chaque cas, ce sont les unités
à quoi s'appliquent ces opérations : sèmes pour les tropes, indices
pour certaines figures du récit, etc. La première tâche d'une
rhétorique particulière (celle du sens lexical, du récit, du plastique,
de l'iconique, etc.) est donc de délimiter les sous-systèmes homo-
gènes définissant et isolant les unités à quoi peuvent s'appliquer les
opérations rhétoriques (par exemple, dans le récit, il a fallu
distinguer les sous-systèmes des personnages, des indices, des
noyaux).
En distinguant des signes plastiques et des signes iconiques qui
s'intègrent en des messages visuels, on isole bien des systèmes
distincts, et on fournit au rhétoricien un nouveau programme : il
devra d'abord s'interroger sur la manière dont le rhétorique investit
les domaines iconique et plastique, et se demander s'il le fait de la
même manière dans les deux cas.
Dans la perspective qui est · 1a nôtre, la rhétorique est la
255
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

transformation réglée des éléments d'un énoncé telle qu'au degré cette opération aboutit, par exemple, à une synecdoque générali-
perçu d'un élément manifesté dans l'énoncé, le récepteur doive sante. (b) L'opération elle-même. Dans un même domaine, deux
dialectiquement superposer un degré conçu ( cf. Groupe µ, 1970a, opérations distinctes comme la suppression ou la substitution ont
1976b, 1977a). L'opération présente les phases suivantes : produc- des potentialités différentes. D'accord avec Paul Ricœur, nous
tion d'un écart que l'on nomme allotopie, identification et réévalua- avons, par exemple, pu démontrer que la particulière efficacité de la
tion de l'écart. Ces opérations ne se font pas au hasard, mais suivent métaphore dans des domaines aussi variés que la publicité, la poésie
des lois très strictes qui seront détaillées en leur lieu. Mais illustrons ou la philosophie, provenait de son caractère puissamment média-
d'abord notre propos par un exemple linguistique. Dans l'énoncé: teur. Et ce caractère, elle le doit à l'opération de substitution qui
« Le lit refait des sables ruisselants » de Saint-John Perse (analysé l'engendre.
par. Edeline, 1972), on perçoit une allotopie entre « lit» et Le programme complet d'une rhétorique des messages visuels, au
« sable », et le contexte impose la superposition du degré conçu sein d'un programme de rhétorique générale, se dessine ainsi
« plage » au perçu « lit ». Exemple iconique : dans tel collage clairement :
fameux de Max Ernst, on perçoit une allotopie entre une « tête 1. Élaborer les règles de segmentation des unités qui vont faire
d'oiseau » et le « corps humain » qui la soutient. Une résolution de l'objet des opérations rhétoriques, sur les plans plastique et
cette allotopie est de considérer la tête d'oiseau comme le degré iconique.
perçu iconique, et la tête supposée de l'être dont le corps est 2. Élaborer les règles de lecture des énoncés, plastiques et
manifesté comme le degré conçu. iconiques.
On doit donc en premier lieu s'interroger sur- les règles à l'œuvre 3. Élaborer les règles de lecture rhétorique de ces énoncés.
dans les énoncés plastiques et iconiques, règles qui amènent le 4. Décrire les opérations rhétoriques à l'œuvre dans ces énoncés.
récepteur (1) à considérer tel énoncé particulier (ou partie 5. Décrire les différentes relations possibles entre degrés perçus
d'énoncé) comme non acceptable (non grammatical), et (2) à y et degrés conçus, et donc aboutir à une taxinomie de figures.
projeter tel degré conçu. Dans le champ linguistique, ces règles 6. Décrire l'effet de ces figures.
commencent à être bien connues : les lois de combinaisons syntaxi- Les points 1 et 2 de ce programme précèdent obligatoirement la
,> ques et sémantiques sont décrites de manière sans cesse plus fine, et perspective rhétorique. Ils ont été couverts dans les pages qu'on a
cette description est encore améliorée par l'intervention de concepts lues jusqu'ici. La suite sera donc consacrée aux quatre autres points
pragmatiques. / du programme.
La seconde tâche du rhétoricien sera d'observer la relation qui est Ce programme devra être réalisé de manière distincte pour les
susceptible de s'établir entre degré conçu et degré perçu. C'est ce messages plastiques et pour les messages iconiques. Néanmoins, il
lien-là qui donne sa spécificité à telle ou telle figure de rhétorique et nous a paru intéressant de regrouper dans ce chapitre des considéra-
qui, en définitive, lui confère son effet ou son efficacité dans un tions assez générales, soit qu'elles vaillent pour les deux familles de
énoncé donné. messages, soit qu'elles nous permettent de distinguer clairement ce
La nature de cette relation provient elle-même de deux variables qui est propre à l'un ou à l'autre type de rhétorique.
qui sont : (a) les règles du domaine auquel s'applique l'opération Dans un premier développement, nous rendrons compte de la
rhétorique et (b) cette opération elle-même. disparité des deux domaines au regard de la rhétorique. Si nombre
Reprenons ces points. (a) Les règles du domaine : une suppres- de chercheurs ont jusqu'à présent parlé de« rhétorique de l'image »
sion dans le domaine des métaplasmes aboutit à l'apocope ou à -termes que l'on retrouve sous la plume de Barthes aussi bien que
l'aphérèse. L'effet d'une telle manœuvre est bien différent de celui de Kerbrat-Orecchioni -, ils n'ont jamais envisagé qu'une rhétori-
que produit une suppression dans le domaine des métasémèmes, où que du signe iconique. Est-ce à dire qu'une rhétorique du signe

256 257
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

plastique n'existe pas, ou ne peut exister? Non. Et nous le


montrerons. Mais il est vrai que le rhétorique fonctionne plus
facilement dans un énoncé dont les signes relèvent d'un code très
formalisé. C'est donc sur l'opposition générale « sémiotique forte· 2. Rhétorique et sémiotiques
ment codée » vs « faiblement codée » que nous nous arrêterons
d'abord (§ 2). Car cette opposition (déjà étudiée dans Groupeµ,
1980) explique la disparité notée : elle montre, en effet, la difficulté
qu'il y a, dans le cas du plastique - une sémiotique faiblement 2.1. Deux types de sémiotiques
codée-, à définir un « degré zéro ». Ce concept a souvent été
discuté, mais semble bien rester indispensable pour décrire une
rhétorique, à condition de le reformuler en des termes adéquats. 2.1.1. Les sémiotiques fortement codées (que nous nommerons
C'est pourquoi la réflexion sur les deux types de systèmes devra être « type 1 ») ont deux caractéristiques, qui ne sont pas automatique-
complétée par une réflexion sur le fonctionnement de ce degré zéro. ment liées l'une à l'autre : (I) la segmentation des plans de
La distinction qui sera proposée entre degré zéro général et degré l'expression et du contenu y est assez nette (la formalisation de la
zéro local aidera par la suite à comprendre pourquoi une rhétorique substance produit des unités aux contours relativement stables et
du plastique est possible. facilement identifiables comme unités); les ensembles qui s'y
Dans ce paragraphe, comme en d'autres endroits du chapitre, il dessinent sont des ensembles stricts. (II) la relation entre les unités
nous arrivera fréquemment de nous servir d'exemples linguistiques. de chacun des plans y est fortement stabilisée.
Qu'on n'y voie pas une inconséquence, mais l'effet d'un double De ce que ces sémiotiques sont hypercodées, institutionnellement
souci. D'abord un souci de clarté : il est plus facile d'illustrer des stabilisées, et de ce que les rapports unissant les deux plans de
concepts généraux avec des faits mieux connus ( comme le sont les l'expression et du contenu tendent vers la biunivocité, les unités
figures de la rhétorique linguistique). Un souci méthodologique acquièrent une valeur dans le système indépendamment de leur
ensuite : il s'agit de montrer l'applicabilité des concepts dégagés à actualisation dans des messages. En d'autres termes, ces systèmes
l'ensemble de la sémiotique. peuvent faire l'objet d'une première description hors des énoncj's, à
,>
Mais il faudra aussi poser la question de l'application de ces l'aide d'un dictionnaire et d'une syntaxe 1•
concepts généraux aux messages visuels. En d'autres termes : les
messages visuels remplissent-ils les conditions nécessaires pour être
le siège de manœuvres rhétoriques? Plus précisément encore : la 2.1.2. Les sémiotiques faiblement codées (type 2) ont des caracté-
condition d'existence d'une rhétorique du visuel étant la possibilité ristiques inverses à celles du type 1. (I) La formalisation du plan de
de discerner dans certains messages un degré conçu coexistant avec l'expression et du plan du contenu tend à la fluidité : les ensembles
un degré perçu, et de créer dans le message cette tension qui définit qui s'y dessinent sont des ensembles flous. (II) Le lien entre les
le rhétorique; cette condition est-elle remplie? C'est à ce débat que ensembles flous des deux plans est instable, difficile à établir.
sera consacré le développement suivant (§ 3). L'examen du pro· De ce que les relations entre expression et contenu y sont moins
blème ne serait cependant pas complet si l'on n'examinait dans le soumises à une légalité et sont dès lors plurivoques, la valeur des
détail le lien précis qui s'établit entre le degré perçu et le degré signes qui les unissent varie avec les contextes. C'est à propos de tels
conçu. Cet examen, mené au paragraphe 4, débouchera sur un systèmes qu'Eco (1978 : 178-191) parlait de« galaxies expressives»
premier classement des figures de la rhétorique visuelle. et de « nébuleuses de contenu » 2•
Notons que les caractéristiques (I) et (II) des sémiotiques de
258 259
RHÉTORIOVE DE LA COMMUNICATION VISUELLE RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

type 2 n'y sont pas liées de manière nécessaire. Ou, en tout cas, Je iconique. Les signes plastiques constituent, eux, une sémiotique de
caractère flou des ensembles peut n'être la caractéristique que d'un type 2.
seul plan (celui de l'expression seule ou celui du contenu). Ainsi,
dans telle composition de Vasarely, on discerne des unités d'expres-
sion aisément ségrégables et très organisées entre elles ( de sorte que
l'énoncé semble partiellement avoir la caractéristique d'une sémioti- 2.2. Stratégies rhétoriques
que de type 1), mais aucun contenu n'est fourni au destinataire par
un dictionnaire qui préexisterait à l'énoncé (et ici, nous avons la
caractéristique (II) des sémiotiques du type 2). Dans ce cas, le Voyons à présent l'application des concepts rhétoriques à cette
destinataire joue un rôle décisif quant à l'attribution de contenus distinction entre sémiotiques.
aux unités de l'énoncé et à l'énoncé dans son ensemble. Dans les systèmes du type 1, produire, identifier et réévaluer des
Cette attribution de contenu n'a d'ailleurs aucun caractère de écarts sont choses relativement aisées. Pour produire l'écart, il suffit
nécessité. Quand elle n'a pas lieu, il n'y a pas de signe. Lorsqu'elle a de s'écarter d'une des règles qu système, et ce sera d'autant plus
lieu, des portions de contenu aussi bien strictes que floues peuvent facile que le système est fermé. La coprésence d'un corps et d'une
être associées aux formes de l'expression 3• tête est constitutive d'une isotopie, puisque ces deux déterminants
s'intègrent à un signe d'un rang supérieur. Il est donc aisé à Max
' I. Segmentation Il. Relation Ernst de subvertir cette règle d'isotopie. Dans le système linguisti-
Type de sémiotique que, on pourra utiliser un terme possédant le sème non-r dans un
des unités · contenu/ expression
contexte induisant un classème x comme dans« boire la honte », où
1. fortement codée nette stable x = « liquidité » ; dans le domaine iconique encore, on peut pro-
2. faiblement codée floue instable duire un énoncé dans lequel une cafetière serait munie d'yeux, ou
encore un chat d'une queue fuminte 1(~f. Groupe µ, 1976a), etc.
Tableau IX. Deux types de sémiotiques Bref, pour encoder ou décoder une figure rhétorique dans un
,> système de type 1, il suffit de connaître les règles préalables de ce
2.1.3. Ceci montre qu'il n'y a pas, dans les faits, une simple système : /boire/ implique une distribution lexicale telle que le
polarisation type 1 vs type 2, mais plutôt un continuum, qui nous signifié du terme objet comporte le sème« liquidité », les cafetières
fait aller de ce qu'Eco nomme la ratio facilis la plus pure à la ratio n'ont point d'yeux, les troncs humains sont surmontés de têtes
difficilis la plus pure : (A) expression strictement formalisée+ con· humaines.
tenu strictement formalisé+ lien stable; (Ba) expression stricte· Dans les systèmes de type 2 (dont relève le signe plastique), il n'y
ment formalisée + contenu faiblement formalisé + lien instable; a pas, par définition, de code préalable. Cette connaissance des
(Bb) expression faiblement formalisée+ contenu strictement forma· règles ne peut donc exister. Il ne saurait par conséquent s'y produire
lisé + lien instable; (C) expression faiblement formalisée+ contenu d'écart, et il ne pourrait évidemment y avoir d'identification et de
faiblement formalisé+ lien instable 4• Comme exemples de sémioti- réévaluation de ces écarts inexistants, ni, partant, de rhétorique.
que approchant du type 1, on peut citer la canne blanche de Il faut évidemment corriger ce propos en tenant compte de la
l'aveugle, les flèches directionnelles, les logotypes les plus connus, remarque formulée plus haut sur le caractère de modèle théorique
les stéréotypes iconiques, la fumée de l'élection papale. La langue que revêt notre opposition. Mais il faut surtout le corriger en
tend à se conformer à ce modèle (même si l'on sait que la distinguant deux concepts distincts derrière l'expression « degré
biunivocité de ses signes est un leurre), comme aussi le domaine zéro » dont on a, à maintes reprises, souligné les ambiguïtés. On
260 261
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE

doit en effet parler de degré zéro général et de degré zéro local


(auquel nous ajouterons un type particulier de degré zéro local : le
degré zéro pragmatique; v. le § 3.3.).

2.3. Degrés zéro généraux et locaux

Le degré zéro général est fourni, ainsi qu'on l'a dit en une
première approximation, par la connaissance préalable du code : la
définition de boire dans la compétence lexicale, les modèles du
corps humain ou de la cafetière dans la compétence encyclopédique.
En fait, le processus est plus complexe et nous y reviendrons : on
verra qu'il 'y a aussi deux types de degré zéro général.
Le degré zéro local est, lui, fourni par l'isotopie d'un énoncé.
Ouvrons ici une parenthèse pour rappeler que le concept d'isoto-
pie a été introduit en sémantique structurale. pour donner un
fondement à l'idée de totalité de signification postulée à un message
ou même à un texte entier. Le discours se définirait ainsi non
seulement par des règles logiques d'enchaînement de séquences,
mais aussi par l'homogénéité d'un niveau donné des signifiés. On
s'est rapidement rendu compte de l'intérêt du concept pour l'étude
des messages relevant de discours particuliers (humour, publicité,
.>
mythe, poésie), caractérisés souvent d'une manière vague par la
notion d' « ambiguïté » ou de« polysémie » ou encore de « polypho- Transformation topologique
nie », mais qui pourraient être définis plus rigoureusement comme (Illustration pour Constellations d'André Breton, Miro)
discours poly-isotopes.
On a pu transposer le concept dans le domaine visuel ( comme
semblait devoir y pousser au moins l'étymologie du terme : topos),
dans la mesure où les messages visuels présentent des sèmes, au sens
de Prieto, c'est-à-dire des signes dont le signifié correspond à un
énoncé (cf. Min guet, 1979 et Odin, 1976). Dans les deux cas,
l'isotopie est constituée par une redondance. Redondance de sèmes
( au sens de Greimas cette fois) dans le domaine linguistique
(cf. Klinkenberg, 1973, Rastier, 1987), redondance de détermina·
tions ou homogénéité des transformations dans le domaine visuel.
Nous reviendrons ci-après au thème de la redondance(§ 3.2.).
262
f1N1'• w ..=>aexc:s~ -, · /·- ...... ...,,

Transformation y (Blanc et noir et niveaux de gris en bande dessinée; Silence,


Comès, Bu; Sawyer, Crane, Prince Valiant, Foster)
t~.._

.. ~ , 11

" ".
n''
'Ji:-,:
,,..,. ''
·'

,l
Trope iconique tRencontre de deux sourires, Max Ernst)

Sémantisme de la forme (Sans titre, Moholy Nagy)

Trope iconique
(Le Crabe aux pinces d'or, Hergé)
ôlfSL

,>

~ F•tmCII - 45 FB 4 FS SCAN 1.75 90 PTAS

Rhétorique du type (Couverture pour Le Nouvel Observateur, A. François) Couplage iconique (Les Promenades d'Euclide, Magritte)
@
NAARDEIVA*
TEMUNCHEN
PERlREIN
DEZELFDE DAG

Figures hiérarchisées non


réversibles (Vertumnus-
à
RudolfIl, Arcimboldo)
·-
-CY7.•
~N.
:c:::,-
:.w
UII'

:=:::x;.;:.
y

·= ~ ~ IUlNO H .t.' a.lO. -

. ),, Interpénétration iconique


(Affiche pour la SNCB, Pasture)

Interpénétration iconique 1
(Affiche pour le café Chat j Rhétorique des transformations géométriques
noir, Julian Key) :?:,J;.Ai,,,
(La Meilleure Forme de gouvernement, Grandville)
Couplage plastique (Mandala)

. ).,

Trope plastique (Bételgeuse, Vasarely) Médiation narrative (Archeologia, Spagnulo)


Exploitation de la forme par la rhétorique icone-plastique
(La Grande Vague, Hokusai) • Exploitation de la couleur par la rhétorique
icone-plastique (Mère et Enfant, Klee)

L,
. ) •. (.·:·
1:1-:1:11: •
-- •- •. ---
1·.1·11· ·-1
• Il
1
1. 1 .
·- -- --- . -- - - 1
1 1 1

Exploitation de la couleur par la rhétorique icono-plastique


(Paysage d'industries, Pirenne) Stylisation (Composition /917, n° 4, Van der Leck)
RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

C'est le degré zéro local, induit par l'isotopie, qui est producteur
de rhétoricité : le degré zéro général n'étant qu'une de ses condi-
tions d'existence. Reprenons notre exemple linguistique : c'est
parce que l'énoncé /boire la honte/ apparaît dans un contexte à
isotopie morale que j'identifie« boire » comme unité rhétorique et
que je lui superpose un degré conçu. Mais si l'on me raconte la vie
dissolue d'un fils de famille noble qui a trouvé le trépas par noyade
dans une baignoire emplie de champagne, je suis fondé à identifier
« honte », et non plus « boire », comme unité rhétoriq_ue. Le degré
zéro local est donc, pour faire court, l'élément attendu en tel endroit
d'un énoncé, en vertu d'une structure particulière à cet énoncé-là.
Dans les systèmes de type 2, même s'il n'est point de degré zéro
général possible, par définition, il reste possible d'identifier des
degrés zéro locaux. C'est le cas lorsque des énoncés visuels
plastiques engendrent des régularités internes ( comme chez Mon-
drian ou Vasarely). Ces énoncés, ayant élaboré leur propre régula-
rité, peuvent connaître des ruptures de régularité, lesquelles peu-
vent être réévaluées. C'est le cas dans le paysage que Folon a
intitulé Frustration, ce tableau prenant la forme d'un puzzle où une
pièce manque : on sait quelle forme, quelle texture et quelle couleur
doit avoir le fragment absent.
Nous analyserons le détail de ces figures plus loin. Notons, en tout
cas, que les degrés zéro locaux s'établissent de manière assez
différente dans les systèmés de type 1 et dans les systèmes de type 2; ,
' )
la figure y fonctionne donc différemment.
Bornage (La Représentation, Magritte) Dans le premier cas, le degré zéro local, quoique induit par des
mécanismes contextuels, est suspendu à l'existence du degré zéro
général : c'est parce que certains réseaux distributionnels sont
organisés par le code (réseaux où « boire » d'une part et « eau »,
« vin »;« pastis », etc. d'autre part ont leurs places respectives) que
je puis reconnaître l'énoncé / je bois de l'eau/ comme isotope et
l'énoncé/ je bois la honte/ èomme allotope. L'isotopie, qui induit les
degrés zéro locaux, me permet en outre de déterminer le lieu exact
de la production de l' allotopie (/boire/ ou /honte/, selon les cas), ce
qui n'est pas possible à l'aide du seul degré zéro général.
Dans les systèmes de type 2, le degré zéro local n'est aucunement
suspendu à l'existence d'un degré zéro général, et c'est au seul
énoncé qu'il appartient de désigner les isotopies ou les allotopies.

263
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

Dans ces systèmes, une simple rupture de continuité ne fait pas le réévaluer. La redondance est produite par la superposition de
automatiquement figure : ce n'est pas parce que telle tac,he rouge plusieurs règles sur une même unité de l'énoncé.
tranche sur une surface bleue que l'énoncé plastique est rhétorique. Dans le domaine linguistique, où ces notions sont familières, se
Il ne serait tel que si cet énoncé comportait un événement rouge - croisent, par exemple, sur un même morphème, des règles phonéti-
degré perçu - en une position où le destinataire est en droit ques, syntaxiques, morphologiques et sémantiques. Le taux de
d'attendre un événement bleu - degré conçu. Et pour que cela soit, redondance globale du français écrit est ainsi estimé à 52 % , de
il est nécessaire qu'un dispositif plastique quelconque ait introduit sorte qu'un grand nombre d'écarts par rapport à une des règles
dans l'énoncé une régularité, une règle. peuvent être détectés et corrigés grâce à l'ensemble des autres.
Dans le domaine visuel, les choses sont moins simples, quoique
tout aussi claires en principe. Mais il nous faut ici distinguer au
préalable les énoncés iconiques des énoncés plastiques.
3. La rhétoricité des messages visuels
3.2.J. Dans les premiers, le rôle du code est tenu par le répertoire
des types, qui énumère pour chaque unité une série de sous-unités
qui sont les déterminations (cf. chap. IV), classées de la plus
3.1. Base, élémentjiguré, invariant impérative à la plus contingente ou à la plus polyvalente. Chacun
pourra aisément fournir une liste de critères permettant de recon-
naître le type « tête » : · même si la /tête/ d'un énoncé donné ne
Rappelons que dans un énoncé comportant des figures, on peut présente pas tous ces critères, et si l'énoncé manifeste de nom-
théoriquement distinguer deux parties : celle qui n'a pas été breuses transformations (noir et blanc,· dessin au trait, etc.), cela
modifiée - ou base - et celle qui a subi des opérations rhétoriques- peut ne guère gêner la reconnaissance. La redondance du visuel, qui
ou élément figuré - , décelable grâce à certaines marques. La partie ne paraît pas chiffrable avec les moyens actuels, est à coup sûr de
ayant subi ces opérations (c'est lé degré perçu) conserve un certain loin supérieure à celle du linguistique. Sur le plan qualitatif, elle
' ) rapport avec son degré zéro (ou degré conçu). C'est ce rapport peut faire jouer des types de déterminations très variés, ce qui
qu'on peut nommer médiation; il se fonde sur le maintien d'une multipliera les stratégies rhétoriques possibles.
partie commune entre les deux degrés, ou invariant.
Parler de partie commune suppose que l'élément figuré puisse
être décomposé en unités d'ordre inférieur. C'est cette possibilité 3.2.2. Quant à l'image plastique, elle n'a par définition pas de
d'articulation qui permet d'identifier l'invariant, grâce à une évalua· référent, et le statut du type y est bien différent. L'énoncé plastique
tion des compatibilités entre la base et l'élément figuré. ne peut donc en principe être interprété à la lumière d'un code. On
pourrait en conclurè que cet énoncé ne présente pas de redondance
et, par conséquent, qu'il ne pourrait être le siège d'aucune
3.2. Redondance démarche rhétorique. Nous avons toutefois établi que le plastique
est sémiotique, en ce qu'il associe des formes de l'expression à des
formes du contenu. Et surtout, nous verrons que les énoncés
Cette compatibilité est mesurée grâce à la redondance de plastiques peuvent établir leur propre code, d'une manière suffisam-
l'énoncé. C'est elle qui permet à la fois de diagnostiquer l'écart etde ment stable pour que des écarts puissent y être perçus et réduits 5•
264 265
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

La redondance ainsi créée est juste suffisante pour le fonctionne· rhétorique peut provenir de ce que nous avons nommé ailleurs
ment rhétorique, et elle court certes le risque de n'être ,pas (Groupe µ, 1976) les isotopies projetées, qui dépendent de l'usage
suffisamment stable ni intersubjective, mais elle nous autorise à qu'une culture fait des grands champs qu'elle découpe. Il est en effet
répondre affirmativement à la question posée au départ, et qui des énoncés qui ne font figure que par rapport à des situations ou à
était : l'image visuelle remplit-elle les conditions pour que s'y des réalités extérieures au message. Sur le plan linguistique, tout
manifeste le rhétorique? proverbe fonctionne de cette façon : dans /Tant va la cruche à
l'eau/, qui ne comporte pourtant aucun écart interne, cruche est
celui qui n'y voit qu'elle 6•
Mais ce n'est pas seulement la production du fait rhétorique qui
3.3. Contexte pragmatique dépend du contexte pragmatique. Celui-ci peut aussi déterminer le
type de lien qui va s'instituer entre les deux pôles de l'unité
rhétorique, problème qui sera examiné de manière systématique
On a vu que l'écart pouvait provenir d'une impertinence par aux paragraphes 4 et 6. Notre exemple, plus honnête, sera emprunté
rapport à une règle du système ( degré zéro général) ou par rapport à à la peinture orientale, dont François Cheng (1979) a fourni une
une règle de l'énoncé (degré zéro local). bonne analyse.
Mais l'impertinence peut également provenir d'un contexte plus L'espace de notre perception est « simplement connexe » : il y a
large, d'ordre pragmatique, qui fournit dès lors un type particulier continuité, sans solution, entre les différentes portions du perçu. La
de degré zéro local. . peinture occidentale conserve généralement ce caractère, alors que
Partons d'un exemple trivial. Nous avons observé, dans des la peinture orientale - chinoise ou japonaise - ne le fait pas : elle
toilettes, un dessin très stylisé dans lequel la totalité d'un échantillon nous présente au contraire des îles de perception, séparées par des
d'une population mâle adulte a sans hésitation reconnu un sexe blancs où l'on ne voit que le support plan, et qui peuvent occuper
féminin. Le même dessin, une fois reproduit sur une feuille, n'a jusqu'aux deux tiers de l'énoncé. Ainsi, on peut rencontrer deux
jamais été interprété de cette manière par un échantillon équivalent. plages iconiques contrastées (par exemple, « mer » et « mon-
C'est donc le lieu (les lieux) où s'est produite la rencontre entre le tagne», un des nombreux couples topiques disponibles), non
. )·.
message et le spectateur qui a agi comme révélateur en relevant le seulement disjointes, mais séparées totalement par une zone non
niveau de redondance : dès lors qu'on était dans des vécés, un peinte, vide ou représentant le vide.
graffiti ne pouvait être que scatologique, sexuel ou politique. Du Car ce /vide/ peut être interprété de plusieurs manières. Un
coup, le rhétorique s'installe : ce qui sur le papier n'est que pure regard occidental peut en faire le signe de l'isolement des éléments
forme plastique devient un signifiant iconique dans l'édicule. Pour du monde (notre univers serait fait d'isolats, sans communication
qui préfère un exemple plus noble, renvoyons au célèbre Baiser de possible). On pourra aussi y voir un énoncé rhétorique : la zone non
Brâncusi, tel qu'il est reproduit sur la porte du même nom à Tirgu recouverte de couleur créerait ce que l'on analysera plus loin (au
Jiu, en Roumanie. A première vue, il s'agit d'un simple motif chap. XI) comme une rhétorique de la bordure. Dans certaines
géométrique. Mais cette première lecture peut être complétée par zones règne l'illusion de la profondeur (les zones iconiques), dans
une autre, où l'on peut retrouver l'emblème. Cette seconde lecture d'autres s'affirme la planéité du support : rhétorique donc, puis-
est déterminée par la connaissance que nous avons des règles de qu'un même énoncé fait coexister la bidimensionalité et la tridi-
stylisation propres à l'art populaire dans la région, et des codes mensionalité. A quoi s'ajoute une rhétorique de la discontinuité :
propres au sculpteur de cette marche romane. les blancs perçus peuvent être réévalués iconiquement en des
On doit conclure : la tension entre les deux pôles d'une unité portions de paysages conçues (le /blanc/ comme« ciel »,«neige»,
266 267
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

ou « brouillard ») ou, réciproquement, les fragments manifestés Cette règle de concomitance icono-plastique, n'a évidemment de
sont dénoncés comme artifices. La lecture orientale, quoique pertinence que dans le cas d'un énoncé fait de signes plastiques et de
rhétorique également, est toute différente. Elle relève d'un autre signes iconiques. Elle cesse par définition d'en avoir dans le cas
type d'appariement des pôles de la figure (mode de présentation d'énoncés purement plastiques. Cependant, dans ce cas, joue une
qu'on nommera ci-après- en 4.2.3. -l'in praesentia disjoint), dont autre règle de concomitance : celle des paramètres du signe
l'exemple le plus clair est le couplage ( ou comparaison, dans le plastique. A une homogénéité de forme correspondra également
domaine linguistique). Ici, point de désordre, mais l'ordre; pas de une homogénéité de couleur. Cette attente de concomitance s'expli-
discontinuité, mais la fusion. C'est que le /vide/ est cette fois une que par le mode de production des figures ( au sens perceptif) : une
sorte de zone histolytique, un brouillard géniteur, le lieu d'une figure, que son contour rend toujours distincte du fond, s'obtient
métamorphose des contraires. C'est sans doute la forme concevable autant par la reconnaissance de zones homogènes quant à leur
la plus extrême de ce qu'on nommera le tiers médiateur (v. § 6.2.). couleur ou leur texture que par la reconnaissance de formes
Nous avons donc une fois de plus ici une isotopie projetée, proprement dites. L'évidence des figures est donc favorisée par la
isotopie fournie par la culture. Ce qui est projeté, c'est en redondance des découpages observés dans les trois ordres du
l'occurrence l'obligation de procéder à une conjonction rhétorique plastique.
quand il y a /vide/. Et le sens donné à ce /vide/ est très général : loin Notons au passage que la règle de concomitance icono-plastique
d'avoir les fonctions précises que lui donne la lecture occidentale, il s'enrichit de cette deuxième règle de concomitance, purement
revêt le sens que l'algèbre donne à x ou la langue courante à machin. plastique. Dans le cas d'un énoncé icono-plastique, la concomitance
sera donc celle d'une unité iconique d'un côté, d'une forme, d'une
couleur et d'une texture de l'autre. Les écarts rhétoriques seront
souvent des tentatives pour contredire la nécessité de la concomi-
3.4. Concomitance du plastique et de l'iconique tance 8•

Dans un énoncé où l'on observe la coprésence de signes iconiques


~-
et de signes plastiques, le degré zéro semble être une règle générale 3.5. Nous n'avons évidemment pas dit ici le dernier mot sur le
de concomitance. On veut dire par là que les unités relevant d'un fonctionnement des énoncés plastiques et des énoncés iconiques, et
plan, lorsqu'elles sont ségrégées dans l'ensemble de l'énoncé, notamment sur les redondances qui y sont à l'œuvre. L'examen sera
coïncident avec des unités ou des parties d'unités de l'autre plan. approfondi dans les divisions consacrées à la rhétorique iconique
Autrement dit, les signifiants d'une entité iconique coïncident (où nous retrouverons la notion d'isotopie), à la rhétorique plasti-
généralement avec les signifiants d'une entité plastique et vice versa. que (où l'on verra, par exemple, que la redondance peut être
Comment naît cette règle de concomitance? Du regard porté sur produite par des .régularités comme les répétitions et les aligne-
les spectacles naturels. Dans leur cas le plastique n'est présent que ments) et à la rhétorique icono-plastique. Il nous suffisait ici de
comme le serviteur de la reconnaissance et se résorbe dès Ion mettre en évidence les mécanismes communs à ces différents types
entièrement dans le spectacle. Ce mode de lecture est volontien de rhétorique.
transposé aux énoncés artificiels ou réputés tels. Telle tache rouge
est là, semble-t-il, pour permettre l'identification de la veste de tel
personnage ; tel empâtement est là pour buriner le visage de tel
autre 7•
268 269
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

simultanéité là où le linguistique ne permet que la succession 9•


L'opposition in praesentia vs in absentia devra donc être complétée
d'une autre opposition, prenant en compte la possibilité qu'ont deux
4. La relation rhétorique ensembles de signifiants iconiques de se manifester soit en un même
lieu dans l'énoncé (ou plus précisément, grâce aux mêmes sous-
déterminants) soit en des lieux juxtaposés dans l'énoncé. Dans le
premier cas, on dira que les ensembles sont conjoints, dans le
4.1. Quatre modes de relation entre degrés conçu et perçu second qu'ils sont disjoints.
Cette nuance qui doit être apportée à l'opposition in praesentia vs
in absentia peut également naître de la considération de certains
Il faut à présent se pencher sur les différentes modalités de phénomènes linguistiques. On a rappelé plus haut que des énoncés
rapprochement du degré conçu et du degré perçu. Comment se linguistiques parfaitement' isotopes pouvaient être lus rhétorique-
manifeste leur invariant? Quel est le rapport (logique ou autre) des ment, par le jeu d'un contexte pragmatique particulier; nous avons
éléments extérieurs à cet invariant? Cette étude permettra d'élabo- illustré ceci par l'exemple du proverbe. Ces isotopies projetées
rer un premier classement des figures de rhétorique visuelle. donnent bien naissance à un type de figure in absentia, mais où le
Pour ce faire, nous pourrons une fois de plus partir d'une degré conçu, loin d'être induit par la redondance de l'énoncé lui-
comparaison avec la rhétorique linguistique. même, l'est par des facteurs pragmatiques. On peut donc considérer
que la source de ce degré conçu est extérieure à l'énoncé.
4.1.1. On a maintes fois opposé la métaphore et la comparaison en
faisant apparaître que, dans la seconde, l'énoncé fournissait à la fois 4.1.2. La distinction initiale comporte donc quatre termes, et non
le degré perçu et le degré conçu. On sait bien sûr que cette deux, et sa généralité est telle qu'elle peut s'appliquer aussi
opposition est forcée : tous les intermédiaires existent entre les deux efficacement aux domaines iconique et plastique qu'au linguistique.
figures. Néanmoins, on a affaire à deux positions polaires, qu'il a Elle nous fournira la structure de base de la mise en connexion des
~-., paru intéressant de désigner par les expressions in praesentia et in entités, et nous permettra de dégager la notion essentielle en
absentia. Des difficultés apparaissent dès que l'on veut appliquer rhétorique de tiers médiateur.
cette opposition au visuel. Nous les avons rencontrées lorsqu'il s'est Nous distinguerons donc quatre degrés de présentation des entités
agi d'étudier certaines images rhétoriques, comme cette « chafe- à médier :
tière » dont nous avons parlé plus haut (cf. Groupeµ, 1976a). Pour (1) Le mode in absentia conjoint (IAC) : les deux entités sont
rappel, il s'agit d'une affiche exécutée pour une marque de café, conjointes - c'est-à-dire qu'elles occupent le même lieu de
affiche montrant un objet composite, à la fois cafetière et chat. Dans l'énoncé 10, par substitution totale de l'une par l'autre.
un tel cas, on ne peut pas simplement parler de rapport in praesentia (2) Le mode in praesentia conjoint (IPC) : les deux entités sont
pur ou de rapport in absentia pur : le rapport entre degrés perçu et conjointes en un même lieu, mais avec substitution partielle
conçu est à la fois de coprésence (les types « chat » et « cafetière» seulement.
sont manifestés simultanément) et d'absence (aucun de ces deux (3) Le mode in praesentia disjoint (IPD) : les deux entités
types n'est manifesté de manière autonome ni complète). occupent des lieux différents, sans substitution.
Cette modalité particulière de production d'un invariant procède, (4) Le mode in absentia disjoint (IAD) : une seule entité est
une fois de plus, de la spécificité du visuel, qui autorise la manifestée, l'autre étant extérieure à l'énoncé, mais projetée sur
270 271
~

RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

celui-ci. Le tableau X ( où, pour rappel, nous introduisons le


-.... "'
domaine linguistique) nous permettra de poser la généralité de la

-
\
<:::! Cl "' Cl)
·.;:: ~ ;::l
Cl)
;::l
c:r distinction, avant de passer à l'examen détaillé des différents cas.
~ c:r ·.;:;:
~ 'a0 On aura remarqué que les quatre modes de présentation sont
~ i= "'cil
"' placés selon la progression IAC > IPC > IPD > IAD, afin de mar-
.~
- -
Cl)
<:::!
~ .~ ·-
...
,c, \~ ~~
...... "' Cl)
"' .....
Cl) Cl) "'
Cl) Cl) quer la distance de plus en plus grande entre le degré perçu
:.a > o..· o..·..-.
...
0
o.. ......
0
- o..
0
~a
0 0 (toujours manifesté, par définition) et les facteurs qui induisent le
degré conçu ( de plus en plus extérieurs à l'énoncé à mesure que l'on
~::s se déplace vers la droite) 11•
.S,! 5'
~--
V,
i: e:: i:::: ·~ Ce tableau n'est pas encore un tableau des figures (lesquelles
0
~<:::! "'... "'bl) ;::l"' "' "' s
~ diffèrent entre elles par les opérations qui les engendrent) : c'est au
... ·- i:::: ëii Cl) Cl) Cl)
eo ;::l
Cl)

Cl.. 0 cil
!: c:r cil c:r i: plus un tableau des domaines où se produisent les figures. Chaque
o.."' o..·- ~·.::: i:<:::! case demande à être illustrée, pour perdre de sa sécheresse. Il s'agit
~ :§' E Ë ;::l i::::

·-
;::l "'
-0
8 1:: : 0 8 0 !:
(.) o.. ï::: donc à présent de raffiner la description des quatre relations dans les
(.) <:::!
;::.
.s domaines iconique et plastique.
.S,! --....
o "'i:::: "'
i::::
::....
~

--... -...
~
- 11.. .9 .9 ~
~
~~ .5 - "'
Cl)
.~
.a>
,v
cil

"'
i:::: Cl)
cil
\~
i::::
tl:l
- .g
s 4.2. Les quatre modes dans la rhétorique iconique
,v g.
Cl)
~
Cl...~
-
1
~ ;::l
e-.sr ~
.:;
- o..._
i::::
0
(.) "'
0
1
Cl) i:::: ...
Cl) "'
~
<:::!
E .s- .~0 - cil
i::::- t:
·- o.. 4.2.1. In absentia conjoint (/AC) : les tropes
~

-
u "';::l
~
-
·'.:::
L'écart se présente ici sous la forme d'un conflit entre les
--
;::; "';::l
<:::! Cl) <:::!
~ ·.;::
Cl)
~
' 1

~
~
"'
<:::!
~
i::::
......
·-
0
·ae-

.~0
-
.sr
"'cil
ë..
~
~
faisceaux de déterminations externes et ceux de déterminations
internes, à propos d'un segment de l'énoncé. Par exemple, la tête du
capitaine Haddock avec des bouteilles là où l'on attendrait des
...... i:::: "' "'o.. "' ::s 1
0 Cl)
o..
Cl) Cl)
o.. <:::! 1 pupilles. Ne crions pas trop vite à la « métaphore » : les bouteilles
~
-... -... -e
(.)
0 0 1
~ n'ont guère de points de ressemblance avec les yeux, même si
~ 1
1 comme eux elles sont faites d'une enveloppe transparente contenant

Il
Cl)
-0
0
1
un liquide. Hergé était néanmoins justifié de mettre des bouteilles à
E Cl)
Cl) la place des yeux plutôt qu'à celle des oreilles. Si l'on veut
;::l ;::l
e- c:r
·.;:;: absolument faire un parallèle avec un trope linguistique, la figure
·a0 "'
cil
1

serait plutôt de l'ordre de la métalepse : c'est une hallucination


Cl)
Cl)
;::l
.g ·-(.)
ë..
causée par la soif qui fait que le malheureux ivrogne « voit » des
i::::
bouteilles, l'objet de la vision prenant ainsi la place de son agent.
'é,i
E
0
'êi"' l;}US!h
Mais quelle que soit sa nature, la liaison existe, et fait sens. On
-0 :.§ pourra de même repérer quelques autres figures de cette catégorie

273
I •

RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

pouvant être rapprochées d'un correspondant linguistique (méta· Nous citerons comme exemple l'ingénieuse toile de Magritte (Les
phore, métonymie). Ce qui nous pousse à baptiser les figures du Promenades d'Euclide) qui dénonce les artifices de la perspective en
type IAC du nom de « tropes iconiques ». montrant deux cônes ombrés (i.e. des triangles, pointe vers le haut,
Le mode IAC est le plus radical de la série, et produit comme tel de même couleur et de même dimension) dont l'un correspond à la
un effet qu'il n'est pas toujours facile de maîtriser. Des genres toiture conique d'une tourelle, et l'autre à la « fuite » d'un large
comme la BD s'en accommodent plus volontiers que la peinture de boulevard.
paysage. L'effet peut facilement toucher au ridicule, et c'est le
moment de rappeler cette observation que nous faisions à propos
des métaphores visuelles dans Rhétorique générale : on peut sans 4.2.4. In absentia disjoint (!AD) : les tropes projetés
difficulté louer le « cou de cygne » d'une jeune personne, mais le
peintre qui représenterait cette personne avec le long cou blanc du Dans ces figures, les types identifiés à première lecture donnent
volatile obtiendrait un effet opposé. C'est qu'il est plus facile de un sens satisfaisant 'à l'énoncé, mais nous avons tendance à
suspendre, dans le linguistique, les déterminations trop concrètes. réinterpréter ce sens à la lumière des isotopies projetées.
Ces isotopies sont bien souvent sexuelles, une obsession libidi-
neuse étant à la base de notre esprit perpétuellement mal tourné.
4.2.2. In praesentia conjoint (!PC) : les interpénétrations L'image visuelle ne leur échappe pas, où abondent les allusions
phalliques ou vaginales. On a depuis longtemps signalé que des
On groupera ici toutes les « chafetières », c'est-à-dire les cas où
paysages comme celui de la falaise dans l'île de Rügen, peint par
l'image présente une entité indécise dont le signifiant possède des
Caspar David Friedrich avaient tout des pudenda féminins. Un
traits de deux ( ou plusieurs) types distincts ; les signifiants sont non
professeur d'esthétique et de philologie romane, Arsène Soreil,
pas superposés mais conjoints. S'il n'était pas nécessaire que les
aimait faire voir à ses élèves qu'il y a dans toute peinture de vallée
bouteilles ressemblassent à des yeux pour autoriser la substitution
où la végétation enceint un plan d'eau un appel vulvaire, et dans l'ile
d'Hergé, il est au contraire indispensable que les chats (idéaux)
des morts de Bôcklin une pénétration plus ou moins réservée. Mais
ressemblent à des cafetières (idéales) pour que Julian Key puisse
~. tout aussi prégnantes et efficaces sont les associations du type forêt-
:, proposer sa célèbre affiche du café Chat noir. Nous avons d'ailleurs
cathédrale, ou celles qui auréolent le « regard tourné vers le ciel ».
analysé cette chafetière (Groupe µ, 1976a), et noté que son
Le mécanisme n'est plus, ici, fondé sur la redondance mais sur la
signifiant présentait des traits se rapportant univoquement à l'un ou
banalité inadmissible du message, banalité que nous nous efforçons
à l'autre type, ainsi que par des traits se rapportant aux deux. Il y a
de nier en la chargeant de significations projetées. D'autres
donc rupture de· liaisons intrasegmentales très solides, et par
mécanismes pragmatiques peuvent intervenir pour susciter la pro-
conséquent perception d'un écart violent. Nous nommerons ces
jection d'une isotopie extérieure au message : titres d'œuvres (on
figures interpénétrations. Si l'on devait trouver un équivalent
sait combien Magritte était friand de ces titres énigmatiques),
linguistique, ce serait évidemment celui du mot-valise 12•
séquences d'images, localisations particulières, savoirs partagés sur
l'auteur des énoncés, etc. Mais ce n'est pas ici le lieu de dresser un
4.2.3. In praesentia disjoint (!PD) : les couplages inventaire de ces mécanismes de projection.

Toute image visuelle iconique où deux entités disjointes peuvent


être perçues comme entretenant une relation de similitude, entre
dans ce groupe.

274 275
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

de déterminants, ils s'associent mieux aux manifestations concrètes;


s'ils en comportent peu (comme pour le cercle et le carré), ils
4.3. Les quatre modes dans la rhétorique plastique deviennent très généraux. Mais s'il y a des types qui prescrivent
comment se présentent les carrés et les cercles, il n'y a aucun type
qui prescrive qu'une place vide au milieu de 22 cercles doit
Le problème paraît dès l'abord plus délicat dans le domaine obligatoirement être occupée par un cercle. L'attente d'un cercle est
plastique pur. Quel sens peut avoir ici le concept de figure ? exclusivement engendrée hic et nunc, dans l'image, et par le
L'image plastique nous présente des entités formelles perceptibles dispositif spatial régulier imaginé par Vasarely. C'est l'évidence de
comme telles grâce à des attributs différentiels. Elles sont donc dans ces règles, manifestées par des alignements rigoureux et des
un premier temps posées comme distinctes, non interchangeables, modules formels uniformes, qui suscite l'attente du cercle. On a
opposées. Certains énoncés plastiques jouent d'ailleurs de ces donc un degré zéro local. La rupture consiste à remplacer un cercle
oppositions, et créent un effet d'affrontement plus ou moins diffus, par un carré de même surface. Et la réévaluation de l'écart
D'autres, au contraire, cherchent à montrer que les entités distinctes consisterait, par exemple, à conclure que le cercle et le carré, si
ne sont pas irréductiblement opposées, et qu'il existe des passages polairement opposés soient-ils, n'en sont pas moins tous deux des
de l'une à l'autre. L'efficacité d'une telle démarche sera d'autant formes fortement symétriques et topologiquement équivalentes.
plus grande que les unités médiées sembleront de prime abord être
plus inconciliables. Par exemple le cercle et le carré.
C'est sur cet exemple extrême que nous allons à présent raison· 4.3.2. In praesentia conjoint (/PC) : les interpénétrations
ner. Nous présumons que si l'on admet un rapport rhétorique entre
les éléments de ce couple, il sera superflu de refaire le raisonnement Les termes opposés sont ici présentés sous une forme intermé-
pour des cas de moindre tension. Les exemples de figure que nous diaire plus ou moins équivoque, possédant des traits reconnaissables
allons alléguer ( et que l'on retrouvera au chapitre vm) ont tous en de chacun des opposés.
commun, en effet, de proposer une atténuation de l'opposition L'opposition entre le cercle et le carré est bien représentée par
entre cercle et carré 13• deux exemples célèbres : la Sergel Torg à Stockholm et l'art des
~- Indiens de la côte Ouest (Kwakiutl, Haida, etc.). Dans les deux cas
la démarche est consciente et explicite, comme nous l'exposons en
4.3.1. In absentia
,, conjoint (JAC) : les tropes détail plus loin (chap. VIII). Les formes proposées n'appartiennent
pas à des types stables 14, et cependant ils renvoient irrésistiblement
Dans ce premier cas le degré perçu est totalement conforme à un
à d'autres formes proches : on ne peut s'empêcher de les voir soit
type, et des règles contextuelles amènent à superposer à cette
comme des cercles un peu aplatis, soit comme des carrés à coins plus
manifestation un autre type, constituant donc le degré conçu.
ou moins arrondis. Ces entités inclassables sinon comme mixtes sont
Nous illustrerons ce processus par une composition de Vasarely
donc des« chafetières plastiques ». Elles exaltent la copossession de
intitulée Bételgeuse et où sont présentées des rangées de cercles
certains formèmes par les deux formes.
parfaits. A l'intersection de deux alignements de 14 et de 22 cercles,
surgit un carré.
L'œuvre n'est pas figurative, mais néanmoins elle présente le 4.3.3. In praesentia disjoint (/PD) : les couplages
carré et le cercle, renvoyant à deux types aussi solidement établis
que pourraient l'être « homme » ou « vache ». Nous avons vu, en Dans cette troisième modalité, les deux entités, conformes
effet, que les types sont des abstractions : s'ils comportent beaucoup chacune à un type, sont simultanément manifestées mais des

276 277
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

dispositifs contextuels et/ou pragmatiques amènent à les considérer


comme la transformation l'une de l'autre. Cette modalité suppose
donc que le cercle et le carré soient tous deux présents. Elle est bien
illustrée par le mandala 15• Mais ici, contrairement au cas de S. La relation icono-plastique
Vasarely, il n'y a aucune norme locale qui permettrait de considérer
que le cercle est mis à la place d'un carré et vice versa. L'affronte·
ment est total et en apparence irréductible.
Cependant, la relation entre cercle et carré est rendue possible 5.1. Description générale
par le fait que les deux figures ont le même centre (même si ce point
est virtuel et non matérialisé) et sont tangentes. A ce facteur
contextuel s'ajoute un facteur pragmatique - le symbolisme indien Toutes les figures que nous avons envisagées fonctionnent dans
bien connu qui réfère le cercle à l'ordre cosmique et le carré à un seul plan : tantôt celui de l'icône, tantôt celui du signe plastique.
l'ordre humain - pour former un sens complet et satisfaisant de Dans le trope iconique (par exemple, les yeux-bouteilles), c'est une
cette structure 16• redondance iconique (notre connaissance du type « visage ») qui
nous aide à postuler derrière un degré perçu iconique ( « bouteille »)
4.3.4. In absentia disjoint (!AD) : les tropes projetés un autre type iconique constituant le degré conçu («pupille»).
Dans le trope plastique (le cercle-carré de Vasarely), c'est une
Pour exister, cette catégorie suppose que Je terme plastique redondance plastique (le rythme) qui nous fait postuler la superposi-
disjoint et absent puisse être évoqué avec suffisamment d'intensité tion d'un type plastique conçu («cercle») à une forme plastique
pour entrer en interférence avec les éléments plastiques manifestés. perçue («carré»). Dans chacun de ces deux cas, on peut donc
Or, nous avons vu que les normes et les régularités qui structurent parler de rhétorique homogène : tout se passe sur un seul plan, et la
le monde plastique sont immanentes à l'énoncé, et ne peuvent reconnaissance des deux degrés, et la redondance permettant
projeter leurs déterminations en dehors de celui-ci. Tout au plus d'établir leur relation, et cette relation elle-même.
pourrait-on admettre une attente intertextuelle, projetée d'un Il y a toutefois des figures qui nécessitent la prise en considération
énoncé à l'autre : une série de tableaux d'un même peintre, une simultanée des deux plans. Ces figures seront appelées icono-
. · séquence de détails architecturaux peuvent créer ce genre d'inter· plastiques.
texte. La faiblesse de telles liaisons les rendrait difficilement Elles sont rendues possibles par un fait étudié plus haut(§ 3.4.).
efficaces sans l'intervention massive de déterminations extérieures, Dans un énoncé, les signes iconiques ne peuvent se manifester
fondées sur d'autres sémiotiques (verbale ou autre), ces sémiotiques matériellement de manière autonome : ils doivent bien s'actualiser à
projetant une nouvelle isotopie sur l'énoncé plastique. Pour rester travers des signes plastiques, et cette coexistence tend à suivre une
dans notre famille d'exemples, un carré sur une toile, et qui serait loi que nous avons appelé concomitance.
intitulé « cercle » constituerait bien un trope projeté, comme le On obtiendra une figure icono-plastique dans tous les cas où une
serait un Mondrian authentifié qui ne serait constitué que de cercles. relation rhétorique s'établit entre deux éléments d'un même plan,
Comme on le voit, au fur et à mesure que l'on s'avance vers la mais où la redondance est obtenue sur l'autre plan. Forgeons un
droite du tableau, la figure a de plus en plus besoin, pour se exemple. Soit le dessin d'un corps humain, dessin détaillé et
manifester comme figure, que les caractéristiques internes de «réaliste». Imaginons que la tête y soit figurée par un carré. Ce
l'énoncé soient relayées par un discours extérieur : énoncé Iinguist- carré n'aurait rien eu d'anormal dans un dessin schématique, obtenu
que, code symbolique, etc. par une transformation topologique où la flexion des membres serait

278 279
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

rendue par des angles et les membres eux-mêmes par des tronçons
de droite. Mais notre contexte appelait plutôt un tracé, sinon
circulaire, du moins curviligne, tracé plastique correspondant aux 5.2. Classement
sous-déterminants du type « tête » compatibles avec ce contexte.
Nous nous trouvons donc devant un trope plastique : un de ceux qui
rendent possible l'accord du rectiligne perçu et du curviligne conçu. Le fonctionnement de ces catégories de figures peut être illustré
Ce trope plastique est cependant produit et reçu grâce à une par un schéma, où I et P signifient : ordre iconique ou plastique, pet
redondance d'ordre iconique. c : perçu et conçu, et E : énoncé.
Sur ces bases, nous pouvons envisager un classement des figures
icono-plastiques. Les critères de classement seront toutefois légère·
ment différents de ceux que nous avons utilisés plus haut : si le 5.2.1. Trope plastique dans l'iconique
couple in absentia vs in praesentia est encore valide ici, il n'en va pas
de même de l'opposition conjonction vs disjonction : les deux degrés Les deux unités relèvent du niveau plastique, et sont substituables
sont en effet toujours conjoints. Ils le sont grâce à la redondance de en vertu d'une redondance d'ordre iconique.
l'énoncé. Par définition, cette redondance agit sur un plan différent
de celui des unités rhétoriques. En d'autres termes, quand ces unités
sont de nature plastique, elles opèrent leur conjonction grâce à un El
énoncé iconique; quand elles sont de nature iconique, c'est grâce à
un énoncé plastique qu'elles sont conjointes. Le cas particulier des
couplages icono-plastiques met en jeu des paires d'unités copré
sentes dont l'une quelconque peut-être réévaluée par rapport à
l'autre. Dans ce cas, la réversibilité - en principe toujours présente
® Figure 16a ~

dans une figure, mais souvent bloquée par le contexte - est Exemple mobilisant la variable « forme » du signe plastique : notre
d homme à tête carrée de tout à l'heure. Exemple mobilisant la
,. garantie : on obtient un effet d'oscillation.
Nous obtenons finalement une matrice à quatre cases. variable « couleur » : lorsque Leloup, dans sa série dessinée ayant
pour héroïne Yoko Tsuno, invente une jeune personne venue de la
planète Vinéa, il lui donne tous les traits d'une Européenne, mais
pigmente sa peau en bleu. Certes il tente par là de nous proposer un
iconique plastique nouveau type « vinéen », comportant un sous-déterminant /bleu/,
mais le lecteur ne peut qu'osciller entre la reconnaissance de ce
nouveau type et la lecture humano-centriste, rhétorique : le /bleu/
Trope iconique (Pp) est alors perçu dans sa tension avec /couleur chair/ (Pc) 17•
Trope plastique
in absentia dans l'iconique dans le plastique

Couplage plastique Couplage iconique 5.2.2. Couplage plastique dans l'iconique


in praesentia dans l'iconique dans le plastique
Pour illustrer le cas de cette figure in praesentia - où deux entités
Tableau XI. Figures icono-plastiques plastiques seraient mises en relation rhétorique par l'effet d'une

280 281
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

redondance iconique -, on pourrait imaginer le dessin suivant. Le


sujet en serait un homme, ce qui assurerait une importante 5.2.4. Couplage iconique dans le plastique
redondance iconique; en particulier, les yeux, les oreilles, les bras,
les jambes doivent être semblables et symétriques. Si le dessinateur Il s'agit sans doute ici de la combinaison la plus fréquente dans la
n'a respecté que partiellement cette symétrie et a, par exemple, peinture occidentale. Nous analyserons plus loin la rime plastique,
peint une des jambes en rouge et l'autre en vert, la redondance le rappel, etc. à partir d'exemples de Hokusaï ou de Pirenne
iconique (El) nous contraindra à relever comme pertinent ce (v. chap. IX, § 4). Sans anticiper sur ces analyses, décrivons
couplage de deux entités plastiques (une plage rouge et une plage rapidement la dernière œuvre citée : il s'agit d'un paysage représen-
verte, qui sont tantôt Pp, tantôt Pc) et à l'interpréter, par exemple, tant conjointement un plateau campagnard et, en contrebas, un
comme indiquant la complémentarité des deux jambes plutôt que ensemble urbain, fait d'usines et d'habitations. Le trait remarquable
leur similitude. de l'ensemble est la dominante jaune, qui unit le plateau et les
constructions. Aucune rhétorique typologique ici : des pignons
El
peuvent bien être jaunes ! Mais la forte dominante chromatique
amène, en vertu de la loi de concomitance (v. § 3.4.), à poser
l'hypothèse d'un type iconique unique. Or, ce type a une faible
stabilité. L'oscillation se fait ici entre ce type iconique qui n'a pas de
~ Figure 16b ~
nom, et le couple de deux types stabilisés dans notre encyclopédie et
volontiers présentés comme antithétiques : ville et nature, ici
5.2.3. Trope iconique dans le plastique comparés de manière symétrique (Ip- le où la variable p est tantôt
la ville, tantôt la campagne). Cette comparaison est rendue possible
,' .:· Ici, l'homogénéité de l'énoncé est d'ordre plastique (EP). C'est le par l'englobement chromatique (EP) 18•
cas dans tous les rythmes que sont les frises, les séquences de
chapiteaux dans les cloîtres, etc. Même si les éléments répétés sont EP
~ d'ordre iconique, l'ordre de leur répétition est plastique (si du moins
elle n'est pas motivée par un type iconique, comme c'est le cas dans
les représentations de mille-pattes, de colonnes vertébrales, de
rayons de vélo et de régiments). Si un ensemble de chapiteaux crée
son rythme sur la répétition de figures humaines, et qu'en un endroit
é Flgure 16d ~

de la séquence apparaît une figure animale, on est en droit d'y voir


une substitution iconique, créant un rapport tropique entre l'animal
(Ip) et l'humain (le).

EP
f
0 Figure 16c ~

282 283
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

la figure. On peut en effet concevoir une figure vide, qui n'existerait


que comme pure structure, sans qu'aucun matériau ne vienne
6. Effets et classements l'actualiser. Cette figure dite nucléaire est évidemment purement
théorique. Mais nous devons l'envisager : il va de soi qu'une
opération de suppression ne peut pas avoir le même effet qu'une
opération d'adjonction, ou qu'une substitution.
6.1. Le phénomène de l'ëthos 2. L'éthos autonome. Il est fonction à la fois de l'éthos nucléaire
et de la nature des matériaux utilisés pour réaliser la figure ; dans
Groupe µ, 1970a: 150-151, nous prenions l'exemple de deux
Toute figure produit un effet. C'est même le plus souvent par ce métaphores empruntant leur vocabulaire l'une à l'argot l'autre à la
biais qu'on a décrit, analysé et classé les figures. La démarche que langue classique. Dans le domaine plastique, par exemple, l'effet
nous avons suivie depuis le début de nos travaux de rhétorique a d'une figure dépendra de la représentation culturelle de ce que la
toujours été différente : éviter de parler des effets, sur lesquels on figure affecte : formes, couleurs et textures n'ont pas les mêmes
peut aisément phantasmer, avant d'avoir décrit les données objec· valeurs, et encore moins telle forme particulière, jelle couleur, telle
tives sur lesquelles se fonde le phénomène de l'effet ou, comme texture. Un tel effet autonome est encore un modèle, sans existence
nous l'avons nommé ailleurs, de l'éthos (Groupe µ, 1970a : 145- réelle: on considère, en effet, la figure comme isolée (d'où le nom
156). de « autonome»), sans contexte, alors qu'une figure ne peut, par
Phénomène complexe, assurément, que la production de l'éthosl définition, être créée que par un discours. Nous devons donc faire
C'est un phénomène psychologique, donc individuel, se fondant àla intervenir un troisième niveau qui est :
fois sur une structure mythique collective - la culture - et sur des 3. L'éthos synnome. Seul l'éthos synnome est un fait, les deux
stimuli sémiotiques précis : la figure et ce qui l'entoure. Phénomène autres n'existant qu'en puissance. Il est fonction à la fois de la
qui se complique encore si l'on fait en outre intervenir le jugement structure de la figure, des matériaux qui l'actualisent et du contexte
de valeur; lequel se superpose si bien à la description de l'effet qu'il dans lequel elle s'insère.
-~ en devient le plus. souvent indissociable. Si on désire les laisser Ce phénomène de production d'effet doit évidemment être
\' distincts en droit - ce qui est notre position -, on devra admettre envisagé distinctement pour chacun des types de figures décrits.
qu'entre structure sémiotique et jugement de valeur, de nombreuses Toutefois il faut marquer un temps d'arrêt sur un phénomène très
variables se glissent, comme entre le caillou et la soupe qu'en général, relevant du niveau nucléaire puisqu'il exploite la relation
prétendait tirer certain cuistot célèbre 19• perçu-conçu : le phénomène de la médiation.
Phénomène complexe, donc. Mais que nous devons tout de même
aborder sans pratiquer cette fuite en avant que constitue trop
souvent le langage de la critique d'art et ses variantes hypocrites
abordées dans notre premier chapitre. 6.2. La médiation
Si l'on ne peut répondre d'emblée à la question « Qu'est-ce que
l'effet d'une figure plastique? », au moins pouvons-nous traiter
l'éthos comme un ensemble de phénomènes en droit distincts et Nos perceptions, dans leur tendance à sémiotiser l'univers,
hiérarchisés. Nous pouvons ainsi distinguer trois niveaux dans la établissent des couples d'opposés. Cette démarche structurale
production de l'éthos : polarise le perçu selon divers axes. Ces oppositions que nous
1. L'éthos nucléaire. C'est celui que produit la structure même de dégageons dans le perçu, nous inclinons à croire qu'elles viennent de

284 285
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

lui : elles seraient dans la nature et nous nous contenterions de les quelque sémiotique qu'on se trouve. Parfois les trois éléments sont
en extraire 20• En fait, le même perçu se prête aussi bien à une manifestés ; parfois les termes opposés sont seuls manifestés, le
analyse en termes fusionnels, puisque les opposés sont toujours terme médiateur étant implicite ; parfois enfin, seul le tiers média-
situés sur un même axe sémantique : en même temps que nous teur est manifesté et se dédouble lors de la lecture 22•
extrayons les couples d'opposés nous forgeons les outils de leur Mais chaque sémiotique impose évidemment ses spécificités au
réunion, ou, si l'on préfère, de leur médiation. Par rapport à un processus, et la visuelle n'échappe pas à la règle. La différence notée
spectacle naturel, on peut opter pour une lecture qui sémiotise au plus haut entre les deux sémiotiques (simultanéité vs linéarité) est à
maximum, c'est-à-dire qui étend à perte de vue le réseau des l'origine de telles spécificités. On a pu observer, dans le linguistique,
dichotomies qui le décrivent. On peut au contraire cligner des yeux des stratégies textuelles comme la « médiation tardive » (c'est une
et, renonçant à un grand nombre de distinctions, préférer le magma mise en relation rhétorique de deux champs sémantiques, mais qui
océanique. La lecture intellective s'oppose ainsi à la lecture n'est opérée qu'a posteriori, grâce à un mécanisme connecteur-le
unitaire : mais la première peut fournir une image trop morcelée, plus souvent une métaphore - agissant après la constitution de deux
trop divisée de l'univers, alors que la seconde peut paraître informe champs) ou encore la « médiation progressive » (v. Groupe µ,
et confusionniste. Le choix du type de lecture se fait selon des 1977). Ces stratégies ne sont évidemment pas possibles dans un
critères qui restent à déterminer, sans doute de nature psycholog- message iconique, où la médiation agit simultanément avec la
que et pragmatique. constitution des éléments de l'énoncé.
Nous avons examiné ailleurs (cf. Groupe µ, 1974a) divers Les divers types repérés sont brièvement présentés ci-après.
instruments de médiation tant par le discours rhétorique que par le
narratif.". Ici nous avançons qu'il peut exister une médiation
visuelle, dont nous tenterons de dégager les diverses modalités. 6.2.J. La transformation médiatrice
Mais dès l'abord, on doit remarquer que le processus de médiation a
une répercussion sur l'éthos en général. En effet, la médiation, Dans le domaine iconique, nous avons vu que par la transforma-
selon le cas, souligne ou impose une cohérence dans l'énoncé. C'est tion, l'image visuelle retient quelque chose du sujet et de l'objet
ainsi que toute médiation est euphorisante, car elle neutralise les (chap. rv). Elle pose ainsi l'image elle-même comme médiatrice
dichotomies. entre son producteur et son modèle. Les styles personnels des
On peut alors écrire la formule générale du processus de peintres, la stylisation d'école, en sont des exemples. La transforma-
médiation: tion affecte les propriétés globales des unités structurelles 23•

6.2.2. La médiation plastique


~~ TIERS ~1 TERME 1

~ MEDIATEUR B Nous visons ici les médiations qui structurent les œuvres non
figuratives. On peut obtenir des médiations par juxtapositions (le
mandala), par synthèse (la Sergel Torg), par transition (Vasarely),
Le tiers médiateur est un mixte qui participe de quelque manière par couleur intermédiaire ou complémentaire (Mondrian).
aux termes A et B (c'est l'invariant). Nous allons le retrouver dans
les divers domaines où s'exerce la rhétorique. Mais il faut d'abord
préciser que divers modes de présentation sont possibles, dans

286 287
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE RHÉTORIQUE VISUELLE FONDAMENTALE

reçus- tels que clair-obscur, caricature, silhouette ... -, et suscepti-


6.2.3. La médiation iconique bles de prendre du service dans un tableau systématique des figures.
Ils n'ont toutefois pas la belle neutralité que leur origine grecque
Cette médiation passe par les types iconiques. Elle fait intervenir confère au diasyrme, à l'anantapodose et à la syllepse. Au contraire,
notre compétence encyclopédique, laquelle se manifeste autant ils viennent d'usages divers et peu contrôlés, ce qui fait que nous les
dans des signifiés linguistiques que dans des types iconiques. La avons rarement trouvés exempts d'un éthos qui leur colle à la peau :
médiation peut donc être une relation logique, que nous projetons la caricature est automatiquement associée à la raillerie ou à la
sur l'énoncé. Nous pouvons ainsi y voir des relations de causalité, de dérision, la silhouette au mystère, etc. Il va sans dire que s'il nous
ressemblance, etc. Un exemple de causalité est le dynamisme de la arrive d'en faire usage à titre d'exemples, ces termes doivent être
narration, particulièrement dans des énoncés non rhétoriques : une considérés comme totalement aseptisés.
image représentant une armée et une citadelle est vite interprétée, Mais pour désigner les figures, nous devons le plus souvent
par un spectateur au courant des habitudes de la soldatesque, recourir à des descriptions techniques peut-être lourdes. Un peu
comme un épisode de conquête. comme si, au lieu de «métaphore» (linguistique), on utilisait la
circonlocution « trope obtenu par une suppression-adjonction de
sèmes ». Nous regrettons ce détour obligé par une description
6.2.4. La médiation icono-plastique technique. Mais il nous paraissait à tout prendre plus sûr que
l'application forcée de la terminologie linguistique au visuel. On
C'est sans doute le type le plus fréquemment r.encontré dans la verra ainsi que des phénomènes que l'on a souvent décrits comme
peinture figurative. Elle fait usage d'un terme médiateur purement des « métaphores visuelles » proviennent de mécanismes si diffé-
plastique (i.e. ne correspondant pas à un type iconique) pour unir rents que l'on n'a vraiment aucun intérêt à les coiffer d'un terme qui
deux entités figuratives, ou vice versa. Cette médiation induit alors les unifie de manière spécieuse 24•
un effet de sens sur les entités médiées. Cette structure n'est pas De toute manière, il faut souligner une dernière fois, et vigoureu-
sans analogie avec ce qu'on connaît en rhétorique linguistique sous sement, qu'établir une taxinomie n'est pas la finalité de la
les noms de parallélisme phonético-sémantique et de métaplasme. recherche: c'est la mise en évidence de mécanismes généraux qui
Le terme médiateur peut être une texture, une couleur ou une est le but de notre travail.
forme (Hokusai), ce peut être le contour (Klee, Escher), ce peut
même être comme on l'a vu, le « vide », l'espace non peint de la
peinture chinoise ... 6.3.2. Il reste cependant légitime de se demander pourquoi il
n'existe aucune taxinomie des figures visuelles.
Cette carence peut s'expliquer par deux faits, l'un de nature
historico-sociale, l'autre de nature plus sémiotique.
6.3. Taxinomie des figures et terminologie La tradition occidentale a beaucoup investi dans la réflexion sur la
communication verbale. Depuis l'Antiquité, seul le langage stricto
sensu pouvait dire la vérité sur l'Être et le monde (cf. Eco, 1987,
6.3.1. On pourrait s'étonner de ce que la rhétorique linguistique 1988). Dans la foulée, on a largement valorisé le travail sur la
regorge de noms très précis pour désigner les figures, alors que dam langue, qu'il incombe à des écrivains ou à des philosophes. L'image,
le visuel on n'observe rien de pareil. Nous avons péniblement relevi pour sa part, souffrait de relever - apparemment - du monde du
une dizaine de termes plus ou moins traditionnels, plus ou moim sensible. Elle ne pouvait se donner la même légitimité, et le travail
288 289
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE

sur la matière visuelle devait être abandonné aux artisans, aux


fabricants. C'est très tard - au siècle des Lumières, qui tenta de
CHAPITRE VII
donner une dignité aux arts mécaniques - qu'on commence à
prendre au sérieux l'image visuelle. Mais cette époque d'émergence
d'une bourgeoisie pragmatique est aussi celle qui condamne définit- La rhétorique iconique
vement la spéculation rhétorique (cf. Florescu, 1973). La terminolo-
gie qui se met alors en place désigne des techniques - réalités
complexes et empiriques -, ou des effets précis fédérant des
mécanismes différents mais liés dans un même usage social, ou
encore des effets très généraux liés à des moments historiques.
Techniques : le collage, le pointillisme, la silhouette, etc.; usages 1. Les deux rhétoriques iconiques : rhétorique du type et rhétorique
sociaux : la caricature, la publicité, etc. ; moments historiques: de la transformation
l'impressionnisme, l'hyperréalisme, etc. Aucune de ces catégories
n'a évidemment la même généralité que les noms désignant les
figures linguisti9.ues.
La seconde raison peut provenir de la spécificité même du visuel. 1.1. Plan
L'image en effet, quoique rendue possible par la capacité à abstraire
et à généraliser, ne permet pas de procéder, à ces opérations
d'abstraction et de généralisation de la même manière que le De la structure du signe iconique se déduisent les lois de sa
langage, comme l'a rappelé Kibédi Varga (1989, 1990). rhétorique.
Servons-nous d'un exemple déjà commenté. Si je dis d'une dame La rhétorique est la science des énoncés allotopes ou déviants. On
qu'elle a « un cou de cygne », je focalise bien l'attention sur le pourra rencontrer ces déviations rhétoriques sur deux des axes
caractère allongé et délié de son cou. On pourra bien rendre compte reliant les éléments du signe iconique : l'axe signifiant-type, et l'axe
de ce caractère dans un dessin. Mais il ne s'agira alors pas d'un cou signifiant-référent. Pourquoi deux axes seulement? Parce qu'il faut
« de cygne ». Il ne sera« de cygne » que si je lui ajoute ces plumes obligatoirement partir du pôle du signifiant : celui-ci induit un signe
qui, dans le linguistique, ont été éliminées de ma représentation. iconique constituant un« degré perçu » susceptible d'être, pour des
Avec l'effet ridicule que cela comporte. raisons contextuelles (l'isotopie iconique), considéré comme imper-
Cet exemple montre qu'il est presque impossible de décrire la tinent. Cette impertinence débouche sur une relecture : on associe
structure d'une image visuelle en faisant abstraction du matériel qui au degré perçu un degré conçu, qui correspond au produit de la
l'actualise. Concevoir l'effet de la figure indépendamment de ce relecture. L'appariement des degrés (perçu et conçu) est à la base de
matériel (ce que nous nommons l'éthos nucléaire) demande un la double lecture - polysémique -, qui est la lecture rhétorique.
effort de modélisation considérable. Mais s'il est difficile de Nous ne pouvons donc envisager de rhétorique que sur les axes
remonter à l'éthos nucléaire à partir d'une collection d'effets signifiant-type (axe de la reconnaissance) et signifiant-référent (axe
autonomes, peut-être en allait-il aussi de même du linguistique avant de la transformation). Ainsi serons-nous amenés à subdiviser la
Aristote. C'est aujourd'hui une des tâches de la sémiotique visuelle rhétorique du signe iconique en une rhétorique de la reconnaissance
que de dissocier .les structures (générales) des effets (particuliers). ou « rhétorique typologique », et une rhétorique de la transforma-
tion ou « rhétorique transformative ».
Ce classement peut être raffiné en tenant compte de la complexité
291
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LA RHÉTORIQUE ICONIQUE

des mécanismes qui permettent la reconnaissance d'une unité tions »). On ne s'apesantira pas sur les déterminations extrinsèques
iconique (cf. chap. 111, § 3.4.). Chaque unité est, on s'en souviendra, lorsqu'elles jouent dans des images en séquence ( cinéma, bande
le point de rencontre d'un faisceau de déterminations qui permet· dessinée, séries d'affiches, etc.), où la préordination apporte un
tent de l'identifier, tandis qu'elle-même fait partie des faisceaux qui, intéressant supplément de redondance. On abordera enfin les écarts
réciproquement, permettent d'identifier d'autres unités. affectant les caractères globaux du signe iconique (§ 4). Nous
Ces déterminants se classent en cinq catégories, reprises dans le désignerons chaque famille d'exemples par un nom propre, dési-
tableau XII ci-après. Ils sont en forte redondance les uns par rapport gnant une illustration hautement significative (« Arcimboldo »,
aux autres, de sorte qu'un écart dans le jeu d'une détermination « cyclope ») : comme on l'a vu, il est dangereux d'utiliser des termes
peut aisément être réduit par le jeu des quatre autres. Le tableau comme « métaphore », ou « synecdoque », et malaisé de toujours
des déterminations permettra ainsi de distinguer les différents recourir à des circonlocutions comme « figures hiérarchisées non
modes de manifestation de la figure rhétorique. réversibles ».

intrinsèques extrinsèques
-"'i::
t<l
e
synchroniques diachroniques
1.2. Règles de fonctionnement
1§...
-Cl)

-o
Q
caractères
globaux
superordination
coordination
subordination
· préordination
1.2.1. Rhétorique du type
Cl)
::, En première approximation, on pourra dire que toute manifesta-
cr
·i:: typologique tion référable à un type, mais non conforme à ce type, sera
~-0

.::
r:i:::
transformative
rhétorique.
Une telle proposition pose une série de problèmes : (1) Le type
constitue-t-il une somme stable de traits pertinents? Par exemple
Tableau XII. Subdivisions de la rhétorique iconique une tête représentée comporte-t-elle nécessairement deux yeux, un
nez, une bouche et des oreilles? Et toute représentation de tête non
Dans ce tableau, la colonne de gauche correspond à la rhétorique conforme à ce modèle doit-elle être considérée comme déviante?
transformative, qui altère les caractères globaux du signe obtenus Ce problème a été partiellement résolu au chapitre IV, § 4.
par les transformations ; celles de droite correspondent à la rhétori- (2) Qu'est-ce qui permet d'identifier, à partir d'un signifiant, un
que typologique, qui altère les relations entre types, sous-types el type dont ce signifiant serait la manifestation déviante? La notion
supratypes. Le tableau servira de guide de lecture aux pages qui de conformité ne mènerait-elle pas plutôt à élaborer un nouveau
suivent. On envisagera d'abord les écarts se manifestant dans les type dans chaque cas ? On rendrait ainsi compte de la spécificité du
déterminations extrinsèques, dans le cas des images isolées(§§ 2el nouveau signifiant, et ce serait peut-être plus économique que de
3). Cet exposé portera successivement sur les figures procédant d'un postuler un type imparfaitement manifesté.
trouble dans les relations, déjà étudiées, de coordination(« incoor· Ces deux problèmes trouvent leur solution si l'on fait appel à la
dinations ») ; ensuite sur celles qui procèdent d'un trouble des notion d'isotopie, indispensable dans toute théorie rhétorique. On
relations de subordination ou de superordination ( « insubordina- l'a déjà rappelé (chap. VI, § 2.3.), la rhétorique n'existe que dans

292 293
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LA RHÉTORIQUE ICONIQUE

des énoncés complets, et non dans des signes isolés. C'est l'énoncé La rhétorique typologique comporte, comme toute rhétorique,
qui fournit la base isotope, de laquelle vont se détacher les éléments des opérations et des opérandes.
impertinents. Ici, les opérandes sont les types et les déterminants. Les opéra-
Voici un exemple concret de ce mécanisme. Soit un message tions sont, classiquement, des suppressions ( comme dans l'ensemble
lisible comme un groupe de personnages dans la position de la retenu), des adjonctions, des suppressions-adjonctions ou des
traditionnelle « photo de famille », laquelle constitue un type permutations 1•
stable : il s'agit d'une couverture réalisée par André François pour
un numéro du Nouvel Observateur consacré au thème de La
Famille. On note que certains de ces personnages - ceux qu'on 1.2.2. Rhétorique de la transformation
identifie comme « parents » - ont en lieu et place de tête un simple
rond blanc. Dans d'autres contextes, ce rond blanc pourrait être Le degré zéro du message rhétorique est, ici encore, fourni par la
identifié comme tête sans qu'il soit question de rhétorique; ce loi d'isotopie. C'est l'exigence d'une application uniforme des
serait le cas dans les graffiti de pissotière, ou dans le jeu du transformations à tous les signifiants d'un même message iconique.
pendu, qui réduit le corps à cinq traits rectilignes. Mais dans On ne parlera donc de rhétorique transformative que dans le cas
notre contexte, une violation de l'isotopie apparaît : la reconnais· d'une violation de l'homogénéité des transformations. De tels
sance du type « corps humain », autorisée par un ensemble de exemples abondent : collages, dessins remplaçant les éléments
déterminations, laisse attendre une manifestation du type « tête d'une photo (ou vice versa), portions polychromes de messages
humaine» ne se limitant pas au déterminant _/circularité/, mais monochromes, etc. Par contre, on ne parlera pas de rhétorique
comportant également des déterminants « yeux», « oreilles», transformative dans le cas d'un énoncé même très stylisé, si cet
« bouche », etc. énoncé garantit une homogénéité de la transformation. Ceci
Le contexte a de cette façon un triple rôle, coïncidant avec les n'exclut pas qu'il puisse y avoir une stylistique de la stylisation : des
trois moments (synchroniques) du décodage rhétorique. Ces effets distincts sont liés aux transformations choisies, lesquelles ne
moments sont : sont pas équivalentes 2•
1. L'identification d'un degré conçu (ici le type « tête », sur la La rhétorique réside dans la multiplicité des transformations à
base d'un invariant (ici / circularité/) et d'une redondance (ici les l'intérieur d'un même énoncé. Les opérandes sont ici les règles de
éléments de la combinatoire : « corps humain » - « groupe de corps transformation. Les opérations sont les mêmes que ci-dessus.
humains »). Exemples : adjonction d'un filtrage lorsque tel auteur de bande
2. Le repérage de la déviance du degré manifesté (perçu) par dessinée nous livre un personnage en noir et blanc dans un énoncé
rapport au contexte. en couleurs; suppression de cette règle de filtrage lorsque Eisen-
3. L'appariement du degré conçu et du degré manifesté (la stein montre, dans une version du Cuirassé Potemkine, un drapeau
réévaluation). Il consiste à postuler un signifiant pour le type, rouge dans un film en noir et blanc (le rouge ayant été peint à la
signifiant conforme aux règles de transformation globalement main). On peut observer des combinaisons d'opérations où, encore
appliquées dans le contexte. On attendrait ici que ces transfor· une fois, les deux types de suppression-adjonction sont à rappro-
mations donnent un fond non blanc et des déterminants corres- cher. Un cas extrême est celui de l'anamorphose : elle montre une
pondant au moins à « nez », « yeux », « bouche ». La distance image vue de face et une autre vue de biais; l'écart est ici la
transformationnelle entre le signifiant perçu et signifiant conçu substitution d'une règle de vision latérale à la règle de la vision
est ensuite reformulée en termes d'éthos (la diminutio capili.r frontale.
parentale, etc.). Ces exemples peuvent paraître brutaux et frustes. Mais on peut
294 295
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LA RHÉTORIQUE ICONIQUE

faire un usage raffiné de ces figures transformatives. Nous n'en troisième quatre yeux ( qui plus est, disposés toujours les uns au-
prendrons qu'un seul exemple, jouant sur l'hétérogénéité des dessus des autres, en colonne).
projections, en suivant la belle analyse que J .-L. Koerner (1985) fait Dans ces coordinations, le tracé-enveloppe de l'englobant est
de Frühschnee, une toile de C. D. Friedrich (1828). Il commence par présent et contribue à la redondance, favorisant ainsi le repérage de
relever les divers indices de spatialité et d'étendue rendues par la la figure. Ce n'est toutefois pas toujours le cas. Dans le buste par
perspective. Suivant de l'œil le sentier enneigé, on plonge dans la exemple, mode de représentation tout à fait classique en sculpture,
distance et on entre dans la sombre forêt. Or, le centre de la toile est on a supprimé les bras et le bas du corps, normalement coordonnés.
une masse d'ombre indistincte, de sorte que « When the forest thus Le tracé-enveloppe du corps est absent, de sorte que la subordina-
flattens into the canvas' surface, depth and the illusion of space tion n'est pas troublée. Mais une éventuelle figure est neutralisée
vanishes ». Un peintre peut donc sciemment organiser sa toile de par l'existence d'une norme de genre.
façon à entretenir dans certaines zones l'illusion de la profondeur, C'est ici le lieu de signaler l'existence d'une norme implicite selon
tout en la maintenant plane et frontale en d'autres zones. Le laquelle un énoncé iconique doit être centré sur son sujet : tous les
spectateur est alors forcé de percevoir simultanément la profon· éléments importants doivent être représentés en entier. On ressent
deur du spectacle et la planéité du support : on lui rappelle que donc comme écart une toile de Toorop (De drie Bruiden, 1893), où,
l'image figurative est une illusion et qu'en réalité tout le support est dans une composition par ailleurs parfaitement symétrique et
centrée sur trois femmes, on voit apparaître aux deux coins
plan.
supérieurs une main clouée. On est tenté de décrire cette figure
comme une synecdoque, puisqu'elle retient la partie pour le tout :
les mains suffisent à indiquer la présence d'un crucifié de part et
d'autre, mais hors du tableau. Le sens de ce dernier s'en trouve
2. Rhétorique du type : figures par incoordination évidemment altéré. La figure employée, qui élimine le dessin
proprement dit du crucifié, rend celui-ci étranger au projet pictural.
Nous n'avons donc pas seulement affaire à un dessin de mains : ces
mains renvoient à leur tour à un corps absent. Si on désire
2.1. Suppression et adjonction de coordination : néanmoins les envisager comme dessin de mains, elles livrent
cyclope et troisième œil l'opinion que la Passion est un thème redondant, et que toute la
souffrance d'un crucifié est suffisamment montrée par la crispation
d'une main traversée par un clou.
Ces figures sont nombreuses et fort évidentes. Il convient
toutefois de noter qu'une altération de coordination entraîne
souvent une altération de subordination : en supprimant ou en
ajoutant des éléments coordonnés, on ajoute ou on supprime les 2.2. Suppression-adjonction de coordination
relations de subordination qui les impliquent.
Exemples : dans le dessin d'un cheval on peut ajouter une corne,
et produire une licorne ; dans le dessin d'un visage on pem Avec les suppressions-adjonctions, nous entrons dans un domaine
supprimer un œil et dessiner un cyclope. Francis Picabia nom plus complexe, et plus battu. Plusieurs sous-groupes peuvent y être
fournira quelques exemples plus contemporains. Dans Les Troâ distingués, à partir semble-t-il de deux critères : la réversibilité et la
Grâces (1927), la première a deux yeux, la seconde trois et la hiérarchisation. On aura ainsi trois groupes de figures.

296 297
LA RHÉTORIQUE ICONIQUE
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
ibibio (Nigeria) où chaque œil, globuleux, est une tête de person-
nage, les joues et les bajoues étant figurées par le corps des
personnages.
Groupe Réversibilité Hiérarchisation
de figures On notera deux autres traits importants de ces figures. Le premier
est le « remplissage » : il n'y a aucun vide entre les parties. Le
- + second est plus complexe et plus intéressant : les parties substituées
A(§ 2.2.1)
+ - font apparaître une coordination d'un nouveau type. En effet,
B (§ 2.2.2)
C (§ 2.2.3) - - Arcimboldo ne construit pas un visage à partir de déterminants
+ +)
(D référables pêle-mêle aux types « fleur », « fruit », « légume »,
«feuille» ... : il use d'entités formant un paradigme parfaitement
Tableau XIII. Figures par suppression-adjonction de coordination repérable (tel visage est exclusivement fait de fruits, tel autre de
légumes, de livres, d'ustensiles ménagers, etc.). C'est même ce
Les concepts de réversibilité et de hiérarchisation seront illustrés
paradigme qui permet de nommer le personnage (le jardinier, le
par quelques exemples, mais auparavant fournissons une définition
bibliothécaire, l'amiral) ou d'y voir une allégorie des saisons. Or les
de ces deux paires d'opposés : une figure est réversible lorsque le
parties d'origine(« nez»,« gorge»,« oreilles» ... ) ne forment pas
signifiant manifesté - le degré perçu - correspond à un type connu,
un paradigme dans le même sens 4•
et que Je degré conçu est également un type connu. La figure est
Ceci étant noté, on voit que l'ensemble des parties, toutes
alors réversible, puisque les deux types pourraient, moyennant une
substituées, est étroitement subordonné au contour d'ensemble,
manipulation rhétorique adéquate, être indifféremment manifestés
qui, lui, ne peut être modifié sous peine de ne pas autoriser la
par leurs deux signifiants. La relation est irréversible quand un
reconnaissance (il est et reste celui d'un visage). C'est le critère de
signïfiant manifesté correspond à un type nouveau, et renvoie à
hiérarchie dont il a été parlé plus haut. Il semble que ce soit cette
deux degrés conçus distincts. La figure est hiérarchisée lorsqu'une
hiérarchisation qui entraîne du même coup l'irréversibilité de la
des deux entités (ou classes d'entités) en relation domine l'autre.
figure : l'image d'un visage s'impose, et contraint de voir chaque
Elle est non hiérarchisée lorsque aucune des entités ou classes
fruit, chaque légume, comme un organe transformé et non l'inverse.
d'entités ne domine 3• Le dernier cas envisagé (hiérarchisation+ ré·
versibilité) est impossible : si une entité domine l'autre, les deux
Ici, on ne peut donc hésiter entre les deux hypothèses suivantes :
(a) il s'agit d'un visage, dont chaque partie a été ingénieusement
types qui leur correspondent ne peuvent se substituer l'un à l'autre.
remplacée par un fruit ;
(b) il s'agit d'une corbeille de fruits, dont l'agencement prend
ingénieusement la forme d'un visage 5•
2.2.1. Figures hiérarchisées non réversibles : Arcimboldo Mais certains contextes, narratifs par exemple, peuvent confirmer
l'hypothèse (b). Dans le vidéo-clip Sledgehammer de Peter Gabriel
La figure type de ce groupe est la tête composée d' Arcimboldo, oà
(dirigé par Stephen R. Johnson, 1986), des fruits animés s'agencent
les diverses parties d'un visage sont remplacées par des fruits, des
progressivement en visage.
légumes, etc., mais où le contour global du visage n'est pas altéré.
La coordination ainsi produite a de nombreuses répercussions.
On peut relever dans cet ensemble la substitution du « nez» par une
D'abord elle mène à l'identification de l'allégorie. Mais aussi, elle
« courge » ( ou par une « poire », ou par un « dos de livre » ... ) sur~
produit inévitablement des inférences sémantiques provenant de
base de propriétés globales communes aux deux signifiants. Il enila
notre compétence encyclopédique : nous sommes faits de ce que
de même pour toutes les autres parties du visage. Ce genre de figUIC
nous mangeons, nous finissons par ressembler aux objets ou aux
se retrouve dans d'autres cultures : nous avons à l'esprit un masque

298 299
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
LA RHÉTORIQUE ICONIQUE
êtres que nous fréquentons, identification qui peut tourner au
ridicule et donner prise à la satire 6• autre exemple, l'affiche de Pasture sur la Frauenkirche de Munich,
Dans un Arcimboldo, toutes les parties du visage sont rempla- tout en retenant quelques-uns des caractères propres de l'édifice
cées, mais il n'est pas nécessaire d'aller jusqu'à cette suppression· bien connu (les deux bulbes de cuivre), y injecte une lettre M
adjonction totale. Renvoyons une fois de plus à cet exemple où (l'initiale de Munich et de Messe) et un appareil de rails et de billes
seules les pupilles du capitaine Haddock, halluciné par la soif dans le de chemin de fer 8. Aucun de ces trois ensembles n'est subordonné
désert, sont remplacées par de petites bouteilles. aux autres. De même le chat n'est pas subordonné à la cafetière, ni
On se rapellera que la suppression-adjonction est, dans le l'inverse, et c'est ce qui permet la réversibilité du processus figurai 9•
domaine linguistique, la structure par laquelle on décrit habituelle· La réversibilité de la figure n'implique cependant pas que tous les
ment la métaphore, pour autant que le substituant et le substitué traits du signifiant soient lisibles comme se rapportant à deux types.
possèdent des propriétés intrinsèques communes 7• Le parallèle est Dans le cas de la chafetière, certains déterminants tendent à se
ici possible : les parties substituées correspondraient aux unités rapporter à un type, plutôt qu'à un autre (ainsi, à bien y regarder,
lexicales, alors que les relations de coordination et de subordination I' /appendice/ figurant sur le dessin correspond mieux à« bec» qu'à
joueraient le rôle des relations syntaxiques dans l'énoncé. La nature «queue», à cause de son caractère bifide). Mais il y a plus, certains
des propriétés intrinsèques communes sera examinée plus en détail déterminants ne correspondent qu'à un seul des types manifestés :
,au§ 5 (Éthos autonome). ceux que l'on associe à « yeux » et « bouche » ne peuvent être
On verra dans la catégorie suivante ce que signifie une réelle rapportés qu'à « chat » ; la /volute/ située au-dessus de l'appendice
réversibilité. ne peut que correspondre au type « fumée » et n'est donc associable
qu'à la seule « cafetière ».
En définitive, l'identification du type « chat» suppose un ensem-
2.2.2. Figures réversibles non hiérarchisées : la « chafetière » ble signifiant A, celle de « cafetière » un ensemble B, les deux
ensembles étant en intersection : soit C, la plage qui correspond aux
Dans ce groupe on réalise une intégration plus ou moins poussée déterminants indifféremment référables aux deux types coprésents.
entre deux ou plusieurs entités visuelles dont les signifiants présen- A et B contiennent aussi des éléments restant extérieurs à I 'intersec-
tent des traits semblables. L'entité synthétique ainsi créée est tout à tion: les premiers ne sont référables qu'au type «chat», à
fait nouvelle, et il est impossible de décider s'il s'agit d'une injection l'exclusion de la cafetière, les seconds ne sont référables qu'à cette
du type A dans B ou du type B dans A. Le nom même que nous dernière. L'opération qui permet de passer des premiers aux
seconds ou vice versa est une substitution.
avons choisi pour ce type de figure, lorsque nous l'avons naguêa
soumis à un examen approfondi (La chafetière est sur la table, Ce schéma de deux ensembles en intersection est celui qui sert
Groupeµ, 1976a), reflète cette indécision. Dans ce chat-cafetière- généralement à décrire la métaphore en linguistique. Dans l'exem-
une publicité de Julian Key pour le café Chat noir -, il y a ple rebattu où Achille est un lion, A représente le signifié désigné
interpénétration entre le bec de la cafetière et la queue du chat, ou, par /Achille/, B celui de «lion», l'intersection C représentant
pour le dire avec plus de rigueur, le déterminant /oblong, vertical, l'ensemble des propriétés communes(« vaillance»,« force», etc.).
sinueux/ correspond et au type «queue» (de chat) et au type A et B contiennent des propriétés exclusives : « humanité » en A,
« buse » ( de cafetière) ; / triangle noir/ peut autant être associé l « animalité » en B. Comme dans la métaphore linguistique, le
« oreille » ( de chat) qu'à « bosse » ( de couvercle) ; le corps de schéma montre un certain équilibre entre les traits en exclusion
l'animal correspond à celui de l'instrument, etc. Cette lectwe réciproque, et qui laisse cours plus libre à la réversibilité.
double des signifiants fonde la réversibilité de la figure. Dans 111 Il faut toutefois souligner une importante différence avec la
métaphore linguistique - et c'est elle qui nous pousse décidément à
300
301
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
LA RHÉTORIQUE ICONIQUE
ne pas utiliser la terminologie rhétorique classique 10 : dans la
métaphore pure (in absentia), l'interaction des signifiés se produit que nous reconnaissions une « classe des arrière-trains » (un para-
dans un contexte où n'est manifesté qu'un seul des deux signifiants digme, construit sur le mode~. et où toute« patte» fait l'affaire).
(le« degré perçu »); dans la figure de type chafetière, c'est à la fois Mais dans l'énoncé iconique final, la coordination se fait sur le
sur le plan du type et sur celui des signifiants manifestés que se mode Il: c'est un produit de parties distinctes. La figure n'est donc
pas non plus hiérarchisée.
manifeste l'interaction 11• Si la chafetière est une métaphore, c'est
tout au plus une métaphore in praesentia. Par ailleurs, l'effet
correspondant à la métaphore linguistique peut être obtenu par
d'autres opérations que la suppression-adjonction : on le verra ci- 2.3. Permutation: Le Viol de Magritte
après en commentant un exemple de permutation (§ 2.3.).

2.2.3. Figures non réversibles non hiérarchisées : le centaure La permutation est une figure rare, sans doute en raison de l'effet
violent et quasi tératologique qu'elle produit. Il n'est donc pas
Le troisième groupe rencontré contient notamment tous les étonnant d'en trouver l'exemple le plus net chez un peintre
animaux mythiques constitués de parties de deux ou trois animaux surréaliste comme Magritte : dans Le Viol (1934), le visage féminin
réels. Le centaure manifeste le type « homme » par sa moitié représenté (et identifiable comme tel grâce à sa chevelure et à sa
antérieure et « cheval » pour la moitié postérieure ; l'hippogriffe est position sur un cou) voit ses yeux figurés par deux seins 12• On en
de même un griffon par l'avant et un cheval par l'arrière; le griffon a trouvera d'autres exemples dans la bande dessinée ou dans des
le corps du lion, la tête et les ailes de l'aigle et les oreilles du cheval; genres réputés marginaux (voir Petzi et les Animaux de Lune où les
la chimère, selon Homère, a le buste du lion, le corps de la chèvre et animaux ont leur tête à la place de leur entrejambe, ou ces monstres
la queue du serpent ; le basilic a une tête de coq et le corps d'un médiévaux étudiés par Baltrusaïtis). Dans ces figures, « paire
batracien terminé par une queue de reptile. .Ouant au satyre, c'est d'yeux» ou « paire de seins» peuvent s'intervertir. Chaque organe
un homme-bouc. Mais les exemples sont nombreux en dehors de la est parfaitement reconnaissable, et le reste du corps également : le
mythologie : des collages de Max Ernst à ceux d'André Stas, par seul écart réside dans l'emplacement des parties, qui trouble à la fois
la coordination et la subordination.
exemple.
Les déterminants sont ici prélevés dans le même paradigme Oe L'effet de cet écart n'est pas simplement de choquer. Le degré
paradigme animal, tout comme chez Arcimboldo ils étaient pris perçu et le degré conçu sont mis en rapport, symétriquement, et on
parmi les fruits ou les légumes). Mais il ne s'agit plus de former un ne peut éviter de sentir apparaître deux analogies, inverses l'une de
tout bien connu, comme un visage humain : il s'agit au contraire de l'autre. Si les yeux sont des sortes de seins, les seins ont aussi des
former un type nouveau, ce qui empêche la figure d'être réversible. sortes d'yeux (on croirait lire du Jean-Luc Parant). Et la base de ces
En outre, la juxtaposition opérée n'implique aucune intersection métaphores est comme toujours la copossession de quelques traits,
sémantique entre le substituant et le substitué. Il s'agit uniquemei par exemple ceux-ci : « vont par paires », « apparaissent comme des
de se conformer à la structure habituelle de la classe qui les englobe, demi-sphères»,« possèdent un point sombre central ». A ces traits
ici celle du type de l'animal, lequel doit comporter les sous-type, s'en ajoutent d'autres comme« objet d'attirance », « mous et pleins
« tête », « pattes d'avant », « poitrine », etc. On ne créera donc de liquide», ces traits typologiques n'étant pas visuels, mais figurant
jamais un être à partir d'un torse d'homme et d'un torse de cheval. dans la compétence encyclopédique des usagers.
Pour accepter la substitution de la moitié arrière du centaure il suffi!
302
303
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LA RHÉTORIQUE ICONIQUE

3.2. Adjonction de subordination : la poupée russe


3. Rhétorique du type : figures par insubordination
L'exemple classique de mise en abyme est celui de ces fascinantes
bouteilles de vinaigre, dont l'étiquette reproduit une bouteille, elle-
3.1. Suppression de subordination: la silhouette et la vignette même pourvue d'une étiquette et ainsi de suite jusqu'à la limite de la
perception ou des techniques graphiques. Souvenons-nous aussi de
l'immortelle Vache qui rit de B. Rabier. La fascination obtenue
Cette combinaison est très représentée, par des techniques résulte de plusieurs facteurs. Tout d'abord on déclenche une sorte
de vertige devant une série (potentiellement) infinie de représenta-
presque classiques ou académiques.
Le silhouettage consiste à ne donner que le contour, par exemple tions s'amenuisant jusqu'à l'infiniment petit. Mais aussi, dans le cas
d'un personnage. On a ainsi le trait-enveloppe avec l'intérieur vide, évoqué, on crée une oscillation déconcertante entre le réel et sa
ou - effet plus net encore - avec l'intérieur entièrement noirci. représentation : ce qui porte une étiquette réelle, c'est une bouteille
L'effet sera d'autant plus senti que le contour sera fouillé et réelle. L'étiquette est une image, donc un énoncé, et elle porte ainsi
contrastera avec l'absence totale de détails intérieurs. Il s'a~t une nouvelle bouteille-énoncé. Or, cette bouteille-énoncé est en
évidemment d'une suppression complète de l'eriglobé. Certains même temps bouteille-énonciatrice, puisqu'on la représente comme
artistes se sont fait une spécialité de cette technique à laquelle le portant une étiquette, etc. Chaque bouteille est donc sentie à la fois
financier Etienne de Silhouette a bien involontairement donné son comme énonciatrice et énoncé, l'effet de réel étant du côté de
nom vers 1760 et dont le théâtre d'ombres fait un usage exclusif 13, l'énonciateur, et l'effet de fiction du côté de l'énoncé.
Le vignettage est également pratiqué par les portraitistes et les Les petites poupées russes dites « matriochkas » sont un autre
photographes. Il consiste en une suppression partielle ou totale de exemple d'ajout de subordination par mise en abyme. Plus encore
ce qui entoure le sujet, éventuellement avec des dégradés. Un ea.i que dans l'exemple précédent, où on est renvoyé chaque fois d'une
remarquablement discret de suppression partielle est celui où bouteille à une étiquette et inversement, l'englobant n'a ici qu'une
l'englobant est présenté de manière floue ou peu détaillée. Cette seule partie, identique à lui, sous réserve d'une transformation
mise en scène mime le champ visuel d'un regardeur qui fixe son géométrique assez simple. Avec un rapport d'échelle constant, on a
attention sur un sujet, en y braquant sa fovéa riche en cônes et construit ainsi une suite potentiellement infinie d'éléments douée
bâtonnets. Rien d'étonnant que cette méthode soit surtout d'autosimilitude : la partie est semblable au tout. Comme dans le
employée pour le portrait.
cas précédent, chaque entité de la série est à la fois englobante et
Un exemple assez complexe de suppression totale, s'apparentant englobée. Et l'évocation de la filiation continue par les femmes
à l'ellipse, est fourni par le dessin pour la couverture du Nouvd depuis Ève devient inévitable.
Observateur consacré à La Famille et qui a été commenté plus haut
(§ 1.2.1).

304 305
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LA RHÉTORIQUE ICONIQUE

la couleur et/ ou la texture translocale qui la caractérisent, sont à


considérer comme propriétés globales.
3.3. Permutation de subordination : L'Oiseau de ciel Ces propriétés peuvent être modifiées par les transformations, qui
peuvent être homogènes ou hétérogènes.
Dans notre description des transformations iconiques (chap. rv,
Il est difficile de concevoir une permutation de subordination : § 5), nous n'avons décrit que les premières : elles opèrent uniformé-
elle implique, en effet, que l'englobant devienne l'englobé, et ment sur tout l'énoncé, qu'elles soumettent à une règle unique.
réciproquement. Ce n'est toutefois nullement impossible, comme le Nous avons déjà discuté ci-dessus (chap. IV, § 5.5.3.) la position
prouve une toile de Magritte qui peint un oiseau dont l'intérieur est « panrhétorique », qui tient toute transformation pour rhétorique.
le ciel (L'Oiseau de ciel, motif publicitaire commandé par la Sans aller jusque-là, on doit reconnaître que certaines transforma-
compagnie Sabena en 1965 ; repris de La Grande Famille, 1947). tions sont de véritables suppressions-adjonctions délibérées : ce
La même opération est à l'œuvre dans un dessin de Topor, où un sont celles que l'on appelle généralement stylisation. La stylisation
ours en peluche tient une fillette dans les bras. Il ne s'agit pas d'une modifie les propriétés globales des entités, le plus souvent quant aux
simple transformation d'échelle non homogène, où le jouet et formes mais aussi quant aux couleurs, pour y introduire des
l'enfant seraient représentés à une échelle différente. Le dessin éléments provenant du producteur d'image, et qui ne sont rien
fonctionne parce qu'il existe une image stéréotypée (un supratype) moins qu'un modèle d'univers. La stylisation sera examinée plus en
de la « fillette-câlinant-son-ours-en-peluche », laquelle fonctionne détail au chapitre x.
comme type englobant, à l'intérieur duquel a lieu la permutation. Mais nous pouvons observer que les discours iconiques ne
L'existence de ce supratype est nécessaire, comme le prouvent a fonctionnent pas toujours de manière homogène : ils procèdent
contrario les illustrations de Gulliver, aussi bien à Lilliput qu'à parfois à des opérations hétérogènes; telle partie de l'énoncé subit
Brobdingnag : ici, aucun stéréotype n'enjoint à Gulliver d'être dans une transformation A, tandis que le reste subit une transformation
telle ou telle relation avec les autres êtres vivants, et la figure - car B. C'est par exemple le cas dans le portrait-charge ou la caricature :
figure il y a bien - est une transformation d'échelle. certaines transformations d'échelle peuvent n'y affecter que quel-
ques déterminants, par exemple les lignes d'un nez, toutes les autres
transformations (filtrage, discrétisation, etc.) restant homogènes
(v. § 4.3.).
On peut ici à bon droit parler d'opération rhétorique dans la
4. Rhétorique de la transformation mesure où toutes les autres transformations B, constituant les
applications d'une règle générale, créent l'isotopie de l'énoncé, à
laquelle contrevient la transformation A. Toute transformation
hétérogène manifeste ainsi à la fois la norme de l'énoncé - par
4.1. Transformations hétérogène et homogène laquelle la figure est détectée et réduite - et les écarts par rapport à
œtte norme 14•
A des fins didactiques, nos exemples seront sélectionnés parmi
La rhétorique des transformations altère les propriétés globales des cas extrêmes et très voyants ; mais le lecteur pourra se
d'une entité. Comme on l'a vu, celles-ci ne se confondent ni avecles convaincre par lui-même de l'existence de cas plus subtils et sans
liens de subordination ni avec ceux de coordination dans lesquek doute plus intéressants.
l'entité se trouve impliquée : seules les formes de l'entité, ainsi que Dans les sections qui suivent, nous présentons en vrac des

306 307
LA RHÉTORIQUE ICONIQUE
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE

transformations hétérogènes mais aussi des homogènes, illustrant


quatre types importants d'opérations : le filtrage, la transformation
géométrique, la transformation analytique, la transformation 4.3. Rhétorique des transformations géométriques

gamma. Parmi les transformations géométriques, il en est une qui a donné


lieu à un développement rhétorique considérable : celle qui, dans la
caricature, consiste à ne pas adopter un rapport de réduction
(facteur d'homothétie) constant 15•
4.2. Rhétorique du filtrage C'est une figure dans laquelle un ou plusieurs éléments du
Ajouter un filtrage à une image normalement colorée est une signifiant de l'énoncé sont produits par une transformation qui le ou
transformation peu sentie, parce qu'elle a résulté longtemps de les met en évidence par rapport aux éléments restants. Un bel
limitations techniques. Aujourd'hui que la photo et le film couleurs exemple de cette figure par suppression-adjonction est fourni par le
sont généralisés, le noir et blanc, résultant d'un filtrage total, peut à dessin de Grandville où les six personnages, plus le chien, ont une
nouveau être senti comme écart. Mais on se refusera à considérer le tête démesurée par rapport à leur corps, et de même un front
noir et blanc comme producteur automatique de rhétorique. démesuré par rapport à leur menton.
Le filtrage menant aux compositions monochromes - il en existe On citera également Paul Delvaux, dont les femmes nues
des exemples figuratifs - fera problème à cet égard. La suppression touchent parfois le plafond d'un péristyle à colonnades; ou Orson
locale d'un filtrage peut produire un effet· rhétorique saisissant, Welles, qui, dans Citizen Kane, a diminué volontairement l'échelle
des pièces d'habitation et des meubles afin de faire paraître le héros
comme dans l'exemple du Cuirassé Potemkine.
On voit malaisément en quoi pourrait consister une suppression- plus impressionnant 16•
ad jonction de filtrage, mais la permutation par contre est parfaite- On pourrait alléguer aussi la peinture cubiste : selon un de ses
ment attestée. Il existe en effet un portefeuille de Jean Dubuffet axiomes les plus constants elle réalise systématiquement une trans-
intitulé La Vache au pré vert (publié en l'an XC par les soins du formation hétérogène, en rassemblant dans une même image des
Collège de Pataphysique), où 24 planches couleurs présentent les points de vue différents, au sens géométrique du terme.
principaux cas de permutation des couleurs de la quadrichromie. On
sait en effet que l'impression en quadrichromie procède d'une
« sélection » des quatre dominantes suivantes dans une photogra·
phie en couleurs : rouge, jaune, bleu, noir. Si on décide d'imprimer 4.4. Rhétorique des transformations analytiques
en bleu le cliché prévu pour le rouge, etc., on peut réaliser
théoriquement 256 permutations. Dubuffet et son imprimeur Louis On a vu que cette famille de transformations donnait naissance à
Barnier se sont limités à 24 combinaisons, et ont éliminé toutes la ligne, mais qu'elle était rendue quasi inévitable par un câblage
celles qui donnent deux couleurs identiques, ou plus, à partir de particulier du système nerveux périphérique de l'œil (v. chap. 11,
§ 2).
clichés différents. Il est toutefois possible de créer des images qui s'écartent de cette
norme, même lâchement définie. On peut ajouter des traits et
obtenir des œuvres comme les peintures de Buffet, les dessins de
Villon ou l'Annette de Giacometti (1954), qui ressemblent parfois
davantage à un jeu de mah-jong qu'à un portrait ou un paysage.

308 309
LA RHÉTORIQUE ICONIQUE
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
Toujours dans le domaine de la photographie, une permutation
Moins systématique est l'exemple bien connu de Cézanne « dou-
17 totale des blancs et des noirs est possible : c'est le négatif.
blant » les contours de ses pommes ; la disposition des détermi·
La peinture pratique elle aussi une transformation y non homo-
nants est dès lors brouillée et la reconnaissance du type plus difficile.
gène connue sous le nom de clair-obscur. On peut la décrire comme
Symétriquement, on peut supprimer de la ligne, et de plusieurs
une suppression-adjonction de contraste de luminance. Son effet de
façons, entamant ainsi la redondance. Par exemple, on peut
focalisation de l'attention l'apparente au vignettage.
supprimer certaines lignes pour ne laisser subsister que celles jugées
importantes. On obtient ainsi l'esquisse, qui fournit du sujet une
vision synthétique, et livre souvent des tracés régulateurs utiles pour
l'interprétation correcte de l'œuvre finale.
Un autre mode de suppression de la ligne consiste à faire usage de S. L'éthos de la figure iconique
cette propriété de l'œil : sa tendance à joindre par une ligne fictive
des points alignés. Plusieurs dessinateurs travaillent selon cette
méthode, produisant des images pointillées : dans les grandes toiles u. Éthos nucléaire
autobiographiques de Rudy Pijpers, on trouvera des silhouettes
18
figurées par de tels pointillés • Comme toute autre, la rhétorique iconique réduit la redondance
Autre exemple de rhétorique des transformations analytiques: des énoncés, et de ce fait rend ceux-ci moins lisibles. Nous savons
dans ses « transparences », Picabia superpose deux messages iconi- cependant que la redondance dans le visuel est énorme, et inlassable
ques (ou davantage). La perception du second énoncé est rendue la volonté de sémiotisation par le spectateur. Lorsque le décodage
possible parce que le premier n'est manifesté que par un contour réussit, la frustration initiale est compensée par la découverte de la
s'apparentant à celui du dessin au trait. Du même coup, une polysémie. Le regardeur est satisfait parce qu'il n'a pas été passif :
propriété du dessin au trait se voit contestée : celle de délimiter un on a exigé de lui une épreuve qu'il a réussie. Il a ainsi l'impression
espace indifférencié. Cette manœuvre d'adjonction se retrouve au d'avoir « rejoint » le producteur d'image. Ce sont là les éthos très
cinéma avec le fondu. généraux de toute rhétorique.
On peut rechercher des éthos plus spécifiques, correspondant à la
structure nucléaire de chaque opération, et remarquer une diffé-
rence fondamentale entre les figures affectant la coordination et
celles qui portent sur la subordination.
4.5, Rhétorique de la transformation y
Les figures de subordination en effet, selon qu'elles en ajoutent
ou en suppriment, ont un signifié global opposé sur le même axe
Toutes les opérations sont ici possibles, et sont surtout pratiquéel sémantique : « unicité et isolement total » vs « insertion dans une
en photographie noir et blanc. Les écarts obtenus peuvent êUC série infinie ».
tellement repérables qu'on ne peut plus les attribuer à des limilt Toute entité est normalement perçue comme située dans une série
tions techniques. Dans ces cas particuliers, même une transformt de subordinations dont seuls quelques maillons proches sont mani-
tian homogène peut être sentie · comme écart rhétorique. Le pbl festes (unités qui l'englobent aussi bien qu'unités qu'elle englobe).
amateur des photographes sait qu'il doit « adoucir » ses épreuvesi L'entité semble ainsi être « à sa place » dans le tissu de l'univers,
elles ont pour sujet des scènes de tendresse (enfants, maternités, même si les mouvements de subordination et de superordination
fiançailles, etc.), et au contraire les « durcir» s'il s'agit de scènesli vers l'englobant et l'englobé ne sont qu'amorcés dans l'énoncé.
brutalité, de joie, de rire, de vacances, etc.
311
310
LA RHÉTORIQUE ICONIQUE
RHÉTORIQUE DE LA coMMlJNICATION VISUELLE

La suppression de l'englobant par le vignettage produit automati·


quement une coupure dans la chaîne et place l'entité dans un
isolement qui renforce son unicité: c'est pourquoi nous avons 5.2. Éthos autonome
souligné que le vignettage convenait particulièrement au portrait (ce
dernier n'étant pas sans analogie avec le nom propre en Unguis·
La réduction des figures iconiques convoque l'encyclopédie,
tique).
L'adjonction frénétique d'englobé par contre, dans la mise en c'est-à-dire l'ensemble de nos savoirs et de nos croyances sur les
abîme répétée, rend perceptible l'infinité de la série endocentrique, choses : elle peut dès lors faire valablement intervenir des « isoto-
et force en quelque sorte une perception vertigineuse de \'infiniment pies projetées » (l'isotopie érotique étant à nouveau particuliè-
petit, le « point de vue de Sirius». rement sollicitée).
Qu'il s'agisse d'adjonction ou de suppression de subordination, Par exemple, si l'on désire « réduire » un Arcimboldo à autre
on voit que ces figures ne modifient pas l'isotopie de l'énoncé, et chose qu'à une série habile d'analogies formelles, on pourra,
n'introduisent aucune polysémie 19• Il en va tout autrement des disions-nous, proposer l'énoncé : « Le corps humain se constitue
suppressions-adjonctions de coordination, puisque dans ces der· à partir de tout ce qu'il mange ou de tout ce qu'il lit. » Ou en-
nières une sous-entité est remplacée par une autre prélevée dans un core, pour commenter l'affiche de Pasture sur la Frauenkirche
ensemble appartenant à une autre isotopie. Même dans les cas où la (cf. § 2.2.2), affiche qui coordonne les types « rails de chemin
modification porte seulement sur le déplacement d'une sous-entité, de fer», « lettre M », « église célèbre à Munich », on proposera :
comme dans le cubisme, la réduction provoque une pluralité, non « Allez à Munich par le train ».
cette fois d'isotopies, mais de « points de vue» sur l'entité. La Ici on aperçoit que la moindre de ces figures recouvre un
pluralisation apparaît ainsi comme un éthos nucléaire des figures agencement complexe de relations. En effet, il n'est pas indifférent
portant sur la coordination. C'était aussi le cas de la métaphore dans qu'on ait substitué des bouteilles aux yeux du capitaine Haddock, ni
le domaine linguistique. qu'une courge ait été choisie pour figurer le nez de tel personnage,
Nous retrouverons aussi ici, dans ce domaine où il n'y a que des ni qu'un cœur de voie s'échange contre la rosace de la cathédrale de
décompositions possibles, une distinction équivalente à celle que Munich. La figure aurait eu un autre effet si au lieu de bouteilles on
nous faisions (Groupeµ, 1970a) entre figures à niveau constant (par avait mis des poignards, des éclairs ou des femmes, si au lieu de la
suppression-adjonction) et figures à niveau variable (par suppret courge on avait une étoile de mer ou une salade frisée, si au lieu du
sion ou adjonction simples). Les opérations à l'œuvre dans l'affiche cœur de voie on avait mis un levier d'aiguillage ou un sémaphore.
de Pasture ne concernent pas les modifications imposées à des sout Pour que la figure « tienne », il faut que les entités substituées
entités englobées dans une entité englobante invariable : l'église présentent à la fois une analogie sur le plan du signifiant et une
n'englobe pas le chemin de fer, ni l'inverse. Par contre, cbel relation encyclopédique perceptible à travers l'iconisme. Par exem-
Arcimboldo les contours d'un visage humain englobant SOS ple, les yeux comme les bouteilles sont des objets plus ou moins
conservés, et les sous-entités englobées sont modifiées par prélèvt compacts, transparents, et contenant un liquide, mais sur un autre
ment systématique dans un répertoire d'entités végétales. La figUIC plan de l'encyclopédie, une seconde relation s'établira : n'a-t-on pas
à niveau variable attire l'attention sur la composition du monœ. substitué l'organe de la vision à l'objet (fantasmatique) de celle-ci?
éventuellement jusqu'au vertige devant \'infiniment grand ou l'int Dans les exemples que l'on vient de citer, des relations entre
niment petit. La figure à niveau constant télescope des types, saJ1 signifiants établissent des couplages plastiques in absentia, alors que
trop mettre en évidence leur articulation dans l'univers du contelll les relations encyclopédiques mettent en jeu toutes espèces de
Son éthos est donc plus fusionnel.
313
312
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE

tropes : métonymie, métaphore, synecdoque, métalepse ... L'éthos


autonome de ce type de figure iconique pourrait se formuler comme
CHAPITRE VIII
suit : « A toute relation plastique entre deux entités correspond une
relation sémantique. » Soit un principe analogue au parallélisme
phonético-sémantique bien connu dans le domaine linguistique. La rhétorique plastique

5.3. Éthos synnome


En plaçant la figure dans un contexte où se présentent éventuelle· 1. Problèmes de la norme plastique
ment d'autres figures, on peut renforcer, corriger ou même neutrali·
ser et masquer l'éthos autonome des figures. Le rôle de l'éthos
synnome peut être capital, car il permet de déterminer si une figure
est réversible ( église en forme de chemin de fer ou chemin de fer en Le problème de toute rhétorique est de définir la norme par
forme d'église?). C'est lui aussi qui nous indique qu'un Arcimboldo rapport à quoi va se poser l'écart que constitue la figure. Le
ne l'est pas : on ne peut hésiter, et prétendre que l'image représente problème de la norme dans le plastique se pose, on le sait, de la
avant tout des légumes. manière suivante : comment faire coexister le principe de l'imma-
nence d'une norme plastique dans l'énoncé et celui d'une forme
prégnante, préexistant à cet énoncé?
Coexistence impossible si l'on admet que le sémantisme du
plastique provient toujours d'une démarche hic et nunc, produisant
un sens à partir des relations entre éléments d'un énoncé plutôt qu'à
Partir des éléments eux-mêmes, envisagés hors de tout énoncé ...

1.1. La norme comme redondance

Pour éclairer ce problème, on a rappelé le principe selon lequel


une norme est toujours de nature syntagmatique. S'il existe bien un
degré zéro général, la norme déterminante est quant à elle toujours
celle d'une position donnée. Cette norme est fournie par la
redondance au sein de l'énoncé.
Nous avons donc à nous demander si dans un énoncé plastique le
contenu d'une position précise dépend des éléments entourant cette
position. Si c'est le cas, on pourra considérer comme rhétorique
315
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LA RHÉTORIQUE PLASTIQUE

toute occurrence plastique occupant une position dans laquelle une pour simplifier, nous prenons un syntagme linéaire tel que 1

autre occurrence serait attendue, en fonction de la redondance du ooo(>oo, on y observe une redondance totale quant à la couleur et
quant à la texture. Sur le plan de la forme, des traits comme
message.
Tout ceci demande des précisions, et suscite deux commentaires. « clôture », « symétrie », « dimension » sont redondants, mais non
Tout d'abord, la relation syntagmatique n'est pas, dans le visuel, les traits constituant le type géométrique.
d'ordre linéaire (comme c'est le cas dans le linguistique) : elle est La nécessité de définir exactement les traits qui supportent la
d'ordre spatial. De sorte que le facteur chronologique y est en redondance et ceux qui introduisent la déviation fait surgir une
principe absent 1 : on ne peut affirmer que le récepteur regarde question : l'analyse embryonnaire à laquelle on vient de se livrer
d'abord telle position, puis telle autre, puis encore telle autre. Mais aboutit-elle à un inventaire fini des traits du plastique? Nous avons
dès le moment où des unités distinctes peuvent être ségrégées dans déjà répondu à cette question en élaborant le concept de type
un énoncé plastique, on est en droit de dire qu'elles s'organisent en plastique. -
syntagme. Syntagme que l'on peut décrire comme un réseau spatial On peut noter que des traits dégagés dans un énoncé sont
d'implications réciproques. La deuxième difficulté est que, même totalement dépourvus de pertinence dans d'autres. Dans l'exemple
lorsque l'on a identifié les règles syntagmatiques d'un énoncé, toute évoqué, l'orientation, qui, ailleurs, peut être un trait descripteur du
variation dans les éléments ordonnés ne doit pas nécessairement carré, ne joue ici aucun rôle dans la redondance (il peut être
être considérée comme une rupture. Il peut très bien s'agir d'une indifféremment tracé D ou <> : la présence du cercle - qui n'a
différence apportant de l'information. Peut-on dire qu'une occur· aucune caractéristique d'orientation - ne sélectionne que le trait
rence colorée rouge survenant dans un ensemble gris constitue «symétrie»). On peut en tirer la conclusion qu'un trait quelconque
nécessairement un écart? Un contraste, certainement, mais non pas d'un type reste à l'état de potentialité et ne devient effectif que dans
nécessairement une déviation. On ne parlera de déviation que le cas où ce trait apparaît dans d'autres occurrences plastiques,
lorsque le contenu effectif d'une position donnée n'est pas conforme présentant le même trait et manifestées dans le message 2•
à ce qui est attendu. A la condition énoncée plus haut s'en ajoutera Ces problèmes se reposeront chaque fois en termes particuliers
donc une seconde : le message devrait programmer le principe d'un pour les trois paramètres du plastique : la forme, la texture, la
ordre mais encore, pour que l'on puisse parler de rhétorique, de couleur. Néanmoins, l'essentiel de la démarche descriptive restera
manière telle que le contenu d'une position soit fortement déter· le même dans les trois cas. Nous entrerons donc dans plus de
miné par le syntagme. détails dans la prochaine division - la rhétorique de la forme ;
certaines observations qui y sont formulées seront valables pour
les deux autres domaines ( comme les caractères de la norme :
§ 2.1.1.).
1.2. Norme et traits plastiques Nous partirons de l'analyse d'un énoncé exemplaire : Bételgeuse,
de Vasarely. Elle permettra à la fois de voir se former une norme,
illustrant les questions soulevées plus haut (§ 1.1.), et de voir se
Une occurrence plastique se définit chaque fois par trois paramè- manifester des transgressions de ces normes 3, comme de préciser
tres: la forme, la couleur, la texture. La norme plastique d'un davantage les caractéristiques de la norme plastique.
message donné s'élabore donc sur ces trois plans, et une occurrence
peut la transgresser à deux ou trois points de vue ou à un seul
d'entre eux. Sur chacun de ces plans, il faudra en outre décrire les
éléments entrant en combinaison à travers une description fine. Si,

316 317
LA RHÉTORIQUE PLASTIQUE
RHÉTORIQUE DE LA coMMUNICATION VISUELLE
ces degrés zéro généraux sont évanescents dans le domaine plasti-
que. Ce qui leur confère de la solidité, ce sont surtout les discours
qui s'emparent de ces grands modèles.

2. Rhétorique de la forme
2.1.2. Puissance de la redondance . __
Notons deux phénomènes de détail :
a) la redondance d'un énoncé peut être très faible. Dans une
2.1. Normes imprévisibilité maximale, aucune norme ne pourrait être identifiée
et aucune variation ne pourrait être décrétée rhétorique. Dans le cas
2.1.1. Caractères des normes plastiques contraire d'une forte redondance ( dont nous approchons avec
Vasarely, qui remplit toutes les cases de son réseau), la norme est
Les normes ici observables se caractérisent de trois manières : solidement établie et toute rupture sera donc fortement rhétorique.
elles sont plurielles; plurielles, elles sont hiérarchisées, mais jouent b) Par ailleurs, certains traits semblent être plus prégnants que
entre elles de manière dialectique. Plurielles : chaque position entre d'autres. C'est le cas ici des horizontales et des verticales, plus
dans plusieurs séquences possibles. Hiérarchisées : une séquence perceptibles que les diagonales. L'organisation de l'énoncé sous
peut être considérée comme la manifestation particulière d'une forme d'unités quadrangulaires posées sur un côté y est évidemment
norme plus générale. Dialectique : chaque norme particulière est la pour quelque chose. La norme générale renforce donc la solidité des
manifestation d'une norme générale, mais celle-ci ne peut être normes particulières.
reconnue que grâce au fonctionnement de ces normes particulières.
Observons ces trois caractéristiques dans le détail. 2.1.3. Pluralité des syntagmes
On voit, dans le tableau de Vasarely, se constituer un réseau
syntagmatique clairement structuré, à base d'alignements 4. Chacun On peut aussi examiner en détail la notion de pluralité de norme.
des axes horizontaux, verticaux, diagonaux du tableau peut consti· Chaque position entre dans plusieurs relations syntagmatiques.
tuer ces alignements. C'est le cas ici, et sur le plan de la position dans la relation, et sur
L'orthogonalité de tout le réseau est elle-même rendue apparente celui de la qualité de la relation.
par d'autres formes : la rectilinéarité, la perpendicularité, la clôture a) Place dans la relation. Chaque position est à l'intersection d'un
dans cette rectilinéarité et cette perpendicularité. Ces traits redon· axe horizontal, d'un axe vertical et de deux axes diagonaux au
dants créent la régularité globale. En retour, celle-ci permettra moins. Il y a donc, pour chacune d'elle, quatre syntagmes possibles.
d'identifier les ruptures de régularité aux niveaux inférieurs. (Quatre au moins, car en outre, chaque position peut entrer dans
Notons que les normes entrant en jeu ici (et qui seront détaillées des figures plus complexes, qui en font des positions remarquables :
ci-après, § 2.1.3. : alignement, progression, etc.) constituent le coins, centre, pôles hauts et bas, etc.).
degré zéro local. Cependant, on peut aussi les interpréter - à b) Par ailleurs, dans toutes ces relations, une position peut voir
l'instar de maints autres degrés zéro locaux (v. chap. VI, § 2.3.)- son contenu déterminé par une règle syntagmatique particulière. Un
comme étant suspendues à un degré zéro général : c'est parce que la syntagme se définissant par sa régularité (telle que le contenu d'une
ligne droite, le carré, le cercle, préexistent à l'énoncé, comme position soit partiellement ou totalement déterminé), il faut encore
autant de types plastiques, que l'on peut projeter sur l'énoncé une distinguer différents types de régularité. On a ainsi, par exemple :
attente fondée sur ces lignes, ces carrés, etc. Mais on sait combien
319
318
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
LA RHÉTORIQUE PLASTIQUE
- la régularité par alignement. Il en a été suffisamment question
pour l'exemple qui nous occupe. b) ·un élément peut avoir sa place dans une régularité sous un de
- la régularité dimensionnelle. Ici, cette régularité est bien ses aspects seulement, et rompre avec la régularité sous un autre
illustrée par la dimension des formes et de leurs intervalles. aspect. Le petit carré (Ill) de l'énoncé a sa place dans la séquence
quant à sa dimension, mais il détonne quant à sa forme.
- la régularité par progression. Elle est régie par un principe de
proportionnalité ou d'incrémentation entre les éléments qui crois- c) Certaines ellipses (celles de la rangée b, de la colonne 6 et
sent ou décroissent. Cette norme est également présente ici 5 dans d'autres encore) peuvent être considérées comme des transgressions
les ellipses qu'on trouve, par exemple, aux rangs b et s et à la d'une régularité. Mais elles peu~nt être reconverties en éléments
colonne 3. d'une autre régularité si on élabore, pour en rendre compte, une
- la régularité par alternance (ici, par exemple, l'orientation des norme générale différente; si on voit dans l'énoncé plan l'icône d'un
ellipses situées sur des diagonales ou celles des quatre ellipses qui spectacle tridimensionnel, alors l'ellipse peut être considérée
s'inscrivent dans un carré). comme la forme que prend un disque pivotant autour de son
Il est évidemment possible de créer d'autres régularités, d'autant diamètre, et la série d'ellipses comme un ensemble de disques
plus perceptibles qu'elles font appel à des agencements simples du représentés à différents moments de leur rotation, et dans un ordre
rationnel 6•
point de vue perceptif, non fondés sur le principe de la séquence,
mais par exemple, sur celui de la surface : carrés, cercles, polygones
réguliers, convexes ou étoilés, sinusoïdes, quinconces ... De telles
régularités existent dans notre exemple : on voit se dessiner ainsi un 2.2. Transgressions
grand carré excentrique dans le coin supérieur droit. Dans tous ces
cas, une régularité est créée, que l'on nommerait rythme si ces
éléments étaient inscrits dans une ligne temporelle.
La constatation de la pluralité des normes a une conséquence Le moment est venu de synthétiser les phénomènes de transgres-
importante : suivant l'axe que l'on considère, chaque occurrence sion observés dans Bételgeuse. Ces transgressions n'affectent que les
peut être considérée tantôt comme participant à une régularité, formes (laissant intactes les autres variables de couleur et de
tantôt comme brisant une autre régularité : tel cercle de l'énonœ texture): ce sont des ruptures (a) d'orientation (ellipses diago-
peut être pris dans une relation de régularité dimensionnelle selon nales), (b) de dimension (par exemple, le petit cercle p13), soit deux
l'axe horizontal, mais ne pas être conforme à la régularité attendue des trois formèmes de la forme 7, mais aussi (c) des ruptures dans le
sur l'axe vertical. D'où une certaine tension dans la lecture qui peut choix du type de forme (exemple : les carrés survenant dans des
séquences de cercles).
être faite de ces positions. On savait déjà combien la notion d'écart
rhétorique était relative : la considération d'un exemple pourtaDI Certaines transgressions peuvent être créatrices de nouvelles
aussi rigoureusement formalisé que Bételgeuse le démontre l régularités. Mais elles peuvent aussi s'additionner à d'autres trans-
suffisance. gressions pour se renforcer. Une ellipse, transgression de type de
Le nombre d'exemples que l'on peut prendre ici est élevé. NOII forme, peut aussi être considérée comme une transgression de
dimension.
nous bornerons à en signaler trois de nature différente :
a) La verticale de l'extrême gauche comporte une ellipse (JI).
Rupture sur le plan du contour ( exclusivement fait de cercles), mai
norme respectée si l'on considère la progression sur l'axe horizontal
(où les cercles sont de plus en plus aplatis).

320
321
LA RHÉTORIQUE PLASTIQUE
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
opposerait à e, /angularité/ (relevant du même formème). Perçu et
conçu doivent être à la fois semblables et différents (c'est le principe
du tiers médiateur), et ce rapport se dégage de la possibilité qu'il y a
pour le spectateur d'identifier une classe qui les englobe tous deux.
2.3. Figures Ici, par une abstraction topologique, cercle, carré, ellipse, losange,
peuvent être vus comme, équivalents, en ce qu'ils sont des figures
La transgression d'une régularité ne peut suffire pour que l'on closes et simplement connexes 8•
parle de rhétorique. Encore faut-il que la redondance ne soit pas La rhétorique vasarelyenne abolit ainsi la différence entre cercle
détruite au point qu'on ne puisse déterminer la nature de l'occur· et carré, en mettant l'accent sur ce que ces deux types ont en
rence attendue en cette position. C'est ce savoir sur la position en commun. Comme on le notera en passant, on retrouve ici l'applica-
question qui permet de réduire l'écart- On sait que le résultat d'un tion d'un grand principe qui régissait déjà la rhétorique linguisti-
écart réduit est une figure, qui définit le rapport entre le degré perçu que : une figure n'est possible que grâce au caractère décomposable
et un degré conc;u. Dans l'exemple choisi, le degré conçu de la des unités (les métaplasmes sont rendus possibles par l'existence des
position f 11 est un cercle et son degré perçu un carré. phonèmes, les métasémèmes par celle des sèmes). De même, le jeu
La coprésence du perc;u et du conçu aboutit à une analyse qui fait de similitudes et de différences qui vient d'être évoqué n'est pas sans
ressortir les traits communs de l'un et de l'autre, ainsi que ceux qui analogie avec celui de la métaphore.
se trouvent en relation d'exclusion. Ce que peut illustrer le schéma La figure prise ici comme exemple est en effet obtenue par des
transformations (géométriques, topologiques). Et toutes ces trans-
suivant: formations procèdent d'une même opération de suppression-
adjonction ( comme dans la métaphore) : certains des traits du degré
conçu ont été oblitérés (la courbure) et remplacés par des traits
constituant la spécificité du degré perçu (l'angularité).
D'autres figures existent-elles? Autrement dit, les opérations de
suppression et d'adjonction simples sont-elles possibles?
.e A première vue, on est tenté de récuser l'hypothèse de la
.d .b
suppression simple et de croire que seule la suppression-adjonction
est possible. Le type de la forme est une somme de propriétés, que
nous avons définies comme des traits, organisés en formèmes; or,
comme ces traits sont directement manifestés dans une expression,
?D pourrait se dire qu'il n'est pas possible d'en supprimer un sans
/carré/ ,Pso facto le remplacer par un autre. (Il ne serait pas possible, par
/cercle/
exemple, de supprimer la« courbure» d'un cercle et d'en rester là :
laforme devant être manifestée sur le plan de l'expression, on devra
Figure 17 a. Médiation du cercle et du carré (1) représenter autre chose, qui pourrait par exemple être l'angularité).
Cependant ce raisonnement ne vaut que pour certains types de
traits, s'organisant de manière polaire (trait p vs trait non-p). Il ne
où a, b, c, communs, seraient par exemple : /fermetuRI, 'But pas pour des traits s'organisant suivant le schéma trait q vs trait
/convexité/, / taux élevé de symétrie/ (relevant du formème o- 0. Par exemple, dans le couple O vs C , où la seconde forme
tion) et où d, n'appartenant qu'au cercle, serait /courbure/, quer•
323
322
LA RHÉTORIQUE PLASTIQUE
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE lui-même, comme on l'a vu au chapitre v. Ce message ne véhicule
constituerait le degré perçu, la clôture est totalement supprimée, et aucun contenu iconique que la figure viendrait disqualifier. Cet
la ligne en tant que telle est partiellement supprimée (d'autres uaits, autotélisme que le message plastique, quel qu'il soit, partage avec le
comme la symétrie, étant conservés). Par ailleurs, la suppression message iconique lorsque celui-ci est rhétorique, a une conséquence
totale est toujours envisageable. C'est elle que nous aurions daos importante : il nous fait percevoir le message plastique comme étant
l'hypothèse où une case du tableau de Vasarely serait vide. de toute manière en puissance de rhétorique.
Le raisonnement reste toutefois valide dans l'hypothèse d'une Mais la figure ne joue-t-elle aucun rôle dans cet autotélisme?
adjonction. On ne peut ajouter un trait à un type de fonne qu'au Évidemment si : elle souligne davantage encore la palpabilité des
détriment d'un autre trait. Adjoindre l'angularité à la somme des signes. Elle joue donc un rôle de renforcement de l'autotélisme, et
traits du cercle, c'est le détruire en tant que cercle, et dooc accentue le caractère plastique du message. Le renforçant, elle tend
à disqualifier, comme par avance, toute perception iconique.
supprimer sa courbure. Un second effet nucléaire de la figure, bien illustré dans l'exemple
envisagé, est que l'attention du regardeur est attirée sur la résistance
de la forme à sa destruction. Des forces peuvent bien s'exercer sur
elle : elle résiste, et cela tant que la limite de la redondance n'est pas
atteinte. On manipule le cercle pour en produire les manifestations
2.4. Éthos les plus déviantes, mais ces distorsions restent acceptables. Au point
qu'on en vient à inclure le carré dans la famille 9 : c'est l'élasticité de
Voyons à présent comment les différen,. niveaux d'éthos - la forme.
nucléaire, autonome, synnome (cf. chap. vi, § 6)- qui valent Po"' Enfin, un des éthos nucléaires de la figure est la mise en évidence
tout système rhétorique, s'articulent dans le cas de la figuI' de l'invariant. L'équivalence d'un degré conçu et d'un degré perçu
plastique, et plus particulièrement de la figure de forme. est, on le sait, garantie par l'invariant. Dans le cas d'une opération
de suppression-adjonction, cet invariant est l'intersection entre les
deux ensembles. Dans notre exemple, les traits qui opposent le
carré et le cercle sont négligés au profit des traits qui leur sont
2.4.l. Éthos nucléaire communs (convexité, fermeture du contour, surface à peu près
On peut distinguer trois aspects dans l'éthos nucléaire: percet> égale, taux élevé de symétrie). Alors que ce ne sont peut-être pas
lion de la rhétoricité, perception de l'élasticité de la forme, ceux-ci qui ressortent dans la représentation que nous avons de ces
perception des invariants. Envisageons successivement ces t1'iI deux formes 10 •
Une figure par suppression-adjonction tend aussi à mettre en
Perception de la rbétoricité : on veut dire par là que l'eild
points. évidence des représentations inusitées de l'espace. De même que la
premier d'une figure est toujours de déclencher la lecture rhêtoril!"' substitution iconique crée des types nouveaux, ou des discours
du message dans lequel elle s'insère. C'est ce qu'en linguistique OIII nouveaux sur des référents, de même que la métaphore linguistique
nommé la poéticité, qui « met en évidence le côté palpable dd crée des lieux conceptuels nouveaux, la métaphore plastique de la
signes» (Jakobson, 1963, 218), et nous lait percevoir le di- forme crée des concepts spatiaux nouveaux, n'existant pas au niveau
lui-même et non principalement sa signification. Dans le cas à manifesté (comme la pure convexité, ou la pure fermeture). Nous
signe plastique, la figure n'a pas essentiellement ce rôle autot!i pouvons nommer ces formes nouvelles des archiformes. Elles
que : ce rôle est déjà en entier fondé sur la palpabilité de ses sil"' procèdent en effet de la neutralisation des traits spécifiques différen-
Une grande partie des signifiés plastiques est immanente au meuaf
325
324
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
LA RHÉTORIQUE PLASTIQUE
ciant les formes particulières : la figure contribue à disposer ces
formes dans une même classe, au regard d'un formème donné. autre au carré, 1a composition de Vasarely ne peut manquer
Cette démarche cognitive n'est pas sans analogie avec celle de la d'affecter ses représentations. Si par hypothèse - et nous ne
topologie. présentons cette interprétation que pour illustrer Je mécanisme - le
carré est associé à une perfection humaine et le cercle à une
perfection divine, leur conciliation dans un jeu fonnel ne peut
manquer d'avoir de profondes répercussions symboliques : fusion
2.4.2. Éthos autonome de l'homme
divin ... dans la divinité, ou humanisation de l'ordre

Nous n'avons pas pu parler du troisième aspect de l'éthos


nucléaire - la mise en évidence des invariants-, sans faire au moins
remarquer que I'opérationportait ici sur des cercles et des carrés. Si 2.4.3. Éthos synnome
l'on prend maintenant pleinement en considération ces deux
formes, nous obtiendrons l'éthos autonome. Il faudra distinguer
deux aspects du phénomène, suivant que l'on donne aux formes un Si c'est le contexte qui génère 1a figure, c'est lui aussi qui oriente
contenu sémantique pauvre et simple (a) ou riche et complexe (b), son effet l'éthos
renforcer final. Il peut en effet mettre en cause, moduler, ou
autonome.
problème dont nous avons vu qu'il n'était pas aisé à résoudre (chap.
V, § 3.2.). On obtiendra, par exemple; l'effet de renforcement si certaines
(a) Les formes que la figure rend substituables ont leur personna- disvositions du contexte aboutissent à mettre le même invariant en
lité propre. L'effet de la manipulation de Vasarely n'aurait pas du valeur (éthos autonome a), ou encore si d'autres figures totale-
tout été le même si c'étaient des hexagones qui commutaient sur le ment différentes mettent en jeu les mêmes manipulations séman-
tableau ! Cercle et carré sont en effet des formes familières et tiques queb.celles qui ont été décrites comme créatrices de l'éthos
autonome
simples, très stables et ayant par conséquent une forte préexistence
à l'énoncé. Une atteinte à leur stabilité sera dès lors plus ressentie Or c'est bien un tel effet de renforcement que l'on observe dans 1a
que dans le cas d'une figure affectant des formes plus rares et composition de Vasarely; l'équivalence du cercle et du carré est
complexes, et donc moins stables. La stabilité des deux formes et la plusieurs fois exhibée, à travers des manifestations différentes de la
représentation que nous en avons les rendent inconciliables dans nos fi.!ure : ici le carré occupe une aire plus grande que la moyenne des
discours. Les traits en exclusion réciproque apparaissent comme cercles, là une aire plus petite. Mais dans les deux cas, il constitue
polaires dans nos représentations - /droite/ vs /courbe/ - ce qui l'aboutissement de progressions exclusivement fondées sur des
n'est pas le cas pour une opposition du genre /6 côtés/ vs /7 côtés/. cercles (et sur certaines ellipses). Ailleurs, c'est 1a disposition même
Leur conciliation forcée par le créateur d'archiformes sera d'autant des cercles qui suggère la présence d'un carré. La multiplicité et
plus remarquable. SUrtout la variété des exemples- c'était comme si l'on jouait sur un
Il faudra encore faire apparaître un deuxième aspect de l'éthos thème donné- ne manquent pas de renforcer les éthos autonomes
dégagés.
autonome.
(b) Si l'on accorde aux formes des signifiés très particuliers, la
manipulation desdites formes et les effets qui en découlent (trans-
gression, conciliation) ne manqueront pas d'affecter ces signifiés.
Dès lors que le spectateur attribue un signifié précis au cercle et un
326
327
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
LA RHÉTORIQUE PLASTIQUE

2.4.4. La médiation

(a) Variété des modes de médiation


On peut imaginer, entre le cercle et le carré, une série discrète
d'intermédiaires qui pourraient, par exemple, être :

OOQOO Figure 17 b. Médiation du cercle et du carré (2)

Ces cinq éléments d'un répertoire idéal constituent une régularité


par progression. Ils ne sont pas présents dans Bételgeuse, mais la
série existe cependant potentiellement 11• Dans. la séquence, on
s'écarte peu à peu du carré et on se rapproche du cercle: la
« distance » entre les deux formes iz peut ainsi connaître une mesure
précise. Que la substitution cercle-carré soit donnée une seule fois, à
travers une équivalence pure et simple (comme dans Bételgeuse) ou Figure 17c. Médiation du cercle et du carré (3)
qu'elle emprunte la voie d'une série d'intermédiaires sert en
définitive au même but : procéder à la médiation des opposés. C'est
cependant au premier phénomène - la substitution pure et simple- qui engendre la superellipse. La superellipse est une courbe qui
que l'on réservera le nom de médiation rhétorique. Le second, lui, réalise la médiation du cercle et du carré par synthèse, car elle est
est assimilable à une médiation narrative. « à la fois » le contour de l'un et de l'autre.
D'autres types de médiation sont encore possibles. Dont la Un type approchant de médiation, combiné à une médiation de
médiation par synthèse, qui n'est évidemment rhétorique que dans type narratif, se rencontre dans l'œuvre Archeologia, du sculpteur
le contexte approprié. Les mathématiciens connaissent les célèbres italien Giuseppe Spagnulo (19n). Il s'agit d'un ensemble de seize
courbes de Lamé, qui sont à l'origine de l'élégante solution trouvée Volumes en fer massif disposés sur le sol.
par Piet Hein au problème de la Serge! Torg à Stockholm. Il On trouve donc ici une médiation non plus entre le cercle et le
s'agissait de trouver une courbe« agréable » qui soit intermédiaire earrë, mais entre le cube et le cylindre (un cylindre à vrai dire fort
entre les quadrangles induits par la perpendicularité des artères plat : une « galette »). Médiation par synthèse dans la mesure où
urbaines, et l'ovale prévu pour le bassin central. A cet effet, Hein fous les volumes intérieurs présentent certains caractères du cube et
propose l'équation du cylindre ; médiation narrative dans la mesure où tous ces
X 12,5 1 y 12,5 intennédiaires sont présentés en séquence.
1a + 6 =1 Alais médiation narrative et médiation par synthèse ne vont pas
leules comme on l'a vu au chapitre VI (§ 6.2.). On peut encore
328
329
LA RHÉTORIQUE PLASTIQUE
RHÉTORIQUE DE LA coMMUNICATION VISUELLE
Martin Gardner, dans un texte intéressant (1975), décrit lui aussi
invoquer, par exemple, les médiations par juxtaposition et concen- une bipolarité plastique du monde perçu, depuis les sports (ballon
tricité : ce sont elles qui sont à l'œuvre dans le mandala (cf. Edeline, rond sur terrain rectangulaire) jusqu'à l'argent (pièces de monnaie
et billets de banque), en passant par les lettres de l'alphabet (de l'S à
1985). l'E), les meubles, les jeux d'intérieur, etc., à quoi on pourrait
(b) Variété des objets de médiation ajouter encore les pleins et les déliés de l'écriture à la ronde, qui se
S'il y a plusieurs modes de médiation, les objets de celles-ci rapprochent fort de l'U et de l'S indiens.
peuvent évidemment varier. Elles fonctionnent dans bien d'autres
oppositions de traits plastiques, tels que / central/ vs I périphérique/,
/vertical/ vs /horizontal/, / anguleux/ vs /flexueux/. Concernant le
second couple, on pourrait soutenir que les courbes de Lamé lui
apportent aussi une médiation puisque la figure 17c se ramène à 3. Rhétorique de la texture
quatre fois la séquence suivante :

_J__j)/(\ 3.1. Nonnes de la texture

Figure 17d Une rhétorique suppose que deux unités au moins sont présentes ;
nous devons donc énumérer les configurations possibles de la
où la verticale se transforme en horizontale et réciproquement. répartition entre textures d'une part, couleurs et formes de l'autre,
Quant au couple anguleux-flexueux, on peut faire appel à son dans un message plastique donné.
propos à des exemples de médiation par synthèse fournis par l'art Deux cas sont en principe possibles :
des Indiens du Canada, où abondent les formes dites « ovoïdes ». (a) un message plastique donné est homogène quant à sa texture,
Selon les spécialistes (Stewart, 1979), l'attrait d'un ovoïde bien mais accuse des variations quant à ses formes et ses couleurs;
réussi réside dans son caractère tendu (« taut »). Par contre, le (b) un message plastique donné accuse des variations de forme
cercle est décrit comme une forme dégénérée de l'ovoïde, de même et/ou de couleur mais aussi de texture 14• Si l'on y regarde
que le rectangle. « The negative circle (is) a crescent which has attentivement, on verra que ce deuxième cas peut se réaliser de
fallen in on itself. » « There is a feeling that if the ovoid 'let go', it deux manières différentes : ou bien (b l) les variations texturales
would spring back into a rectangle or an aval. » Les mêmes épousent les variations des autres éléments ( de forme et de
spécialistes baptisent des lettres U et S certaines autres formes, ce couleur), ou bien (b2) elles en sont indépendantes : songeons, par
qui voile peut-être le fait que ces formes sont en réalité semi- exemple, à une tache rouge sur fond blanc, telle qu'une partie de la
13 tache et du fond seraient lisses, et que le reste, comprenant aussi une
anguleuses

u
:
fraction de la tache et du fond, serait rugueux 15•

_J On aurait ainsi trois cas, que nous appellerons, pour faire court :
(1) homogénéité de la texture, (2) variation concomitante, et (3)
variation contradictoire.
Quel est le statut de ces trois cas, relativement à la rhétorique?
Figure 18
331
330
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE

Dans le premier cas (homogénéité de la texture), la texture est neu- LA RHÉTORIQUE PLASTIQUE
tralisée, et est privée de pertinence : l'absence de variation lui ôte tout
pouvoir discriminateur. Il n'y aurait donc pas de rhétorique dans ce cas. 3.2.J. Figures de l'homogénéité
Pour le second cas (concomitance), nous avons également une
forme de degré zéro qui semble bien être une application de la règle L'homogénéité texturale est fréquente : pensons au fait que
générale de concomitance étudiée plus haut (chap. VI,§ 3.4.) : à la nombre de messages plastiques artistiques nous parviennent à
variation de la couleur doit correspondre une variation texturale. travers des photos, qui homogénéisent la texture aux yeux de
16
Ces deux premiers cas sont des applications de la règle générale l'amateur moyen • Mais les autres exemples abondent : peinture
d'isotopie. Mais cette règle ne s'applique pas de la même manière : s'efforçant de gommer les matières, conformément à l'idéal du
dans le premier, il y a isotopie du plan de l'expression, cette isotopie « tableau léché » longtemps prôné par l'Académie, églomisés
mettant en évidence l'homogénéité de l'énoncé et son caractère (peinture sur verre), dévaluation des matériaux dans une conception
intégrateur; dans l'autre cas, la correspondance des isotopies formaliste et géométrique de l'architecture (qui fut encore celle du
plastiques met en évidence la relative indépendance des unités à Bauhaus et du style international), image télévisuelle, telle qu'on
l'intérieur de l'énoncé. On va voir que cette distinction entre les l'idéalise : le spectateur de la télévision, dans les situations les plus
deux types de degrés zéro est riche d'implications. courantes, considère comme un bruit et non comme message les
Le troisième cas crée indubitablement la figure rhétorique : une lignes qui peuvent apparaître sur un appareil mal réglé, l'idéal étant
répartition contradictoire des plages viole, en effet, la norme de la une définition parfaitement « piquée » 17• Quoi de plus normal que
concomitance. tous ces phénomènes ? Dès qu'il y a signe, la substance de
A ces normes générales viennent évidemment s'ajouter les l'expression se· donne à nous comme procédant d'une matière
homogène.
normes locales étudiées précédemment. Comme les formes, les
textures peuvent conférer une régularité interne à un énoncé. On Cependant, notre perception des énoncés visuels est fréquem-
peut, par exemple, imaginer des gradations de grain dans un énoncé ment contaminée, comme déjà noté, par la fréquentation des
qui jouerait sur la variété de ces grains (ainsi que le fait Carelman, spectacles naturels, où l'homogénéité texturale est absente. Ce
18
lorsqu'il reconstruit Guernica en papier verré, à l'usage des mal commerce avec les objets nous a, en effet, habitués à la variation
concomitante.
voyants).
Dans certains cas, l'uniformisation de la texture peut donc être
sentie comme rhétorique, violant l'autre degré zéro. L'homogénéité
3.2. Figures apparaît donc comme une rhétorique potentielle, occultée et en
sommeil. Cette rhétorique se réactualise obligatoirement si des
raisons particulières, dans un énoncé plastique particulier, font
La rhétorique de la texture apparaîtrait ainsi comme assez attendre une texture particulière à tel endroit particulier. Mais elle
simple : deux normes, et une seule famille de figures. est toujours à la disposition du sujet recevant qui entend regarder
Nous sommes cependant restés ici au niveau des degrés zéro les signes plastiques comme des signes et non comme des applica-
généraux. Et nous savons qu'il faut aussi faire jouer des normes de tions d'une technique historiquement localisée.
genre, historiquement localisées. Si on les fait intervenir, les Ces figures, en l'occurrence, procèdent d'une adjonction. Elles
messages où se manifestent l'homogénéité texturale aussi bien que neutralisent en effet les variations attendues, au profit d'un ordre
la concomitance pourront également présenter des phénomènes qui intègre les unités : on a donc ajouté une « architexture ».
rhétoriques.

332
333
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
LA RHÉTORIQUE PLASTIQUE

3.2.2. Figures de la concomitance signe iconique (du sable, des grains de café, des pâtes alimentaires,
du riz, des bouts d'étoffe ... ) Ainsi, Enrico Prampolini mélange du
La variation texturale est historiquement contenue dans certaines sable à ses huiles en certaines zones d'œuvres comme Apparition
plastique.
limites, liées aux techniques de production des signes plastiques.
Une norme générique veut qu'un même message soit performé dans La rhétorique de la concomitance procède de toute évidence
une seule « matière » (isomatérialité). Or une telle technique va le d'une substitution : le verre est substitué à une peinture lisse, etc.
plus souvent dans le sens d'une occultation des variations. Le plus
beau cas étant, une fois de plus, celui de la photographie (l'identité
3.2.3. Figures de la variation contradictoire
de papier et de bain assure l'homogénéité texturale de l'énoncé).
Notons cependant ceci, qui est important : il faut prendre les termes
« technique » et « matière » dans un sens phénoménologique; il Le troisième cas est le plus simple. L'écart qu'il institue viole, en
n'est pas vrai que la matière physique d'une terre de Sienne soit« la effet, la norme de correspondance de la variation entre paramètres :
même » que celle d'un bleu de cobalt. La différence physique de à la variation de la couleur ou de la forme doit correspondre une
pigment est cependant occultée, dans notre savoir, au profit de variation identique de la texture 20. Une répartition contradictoire
l'identité du véhicule, ici l'huile. C'est donc un apprentissage des plages s_uivant ces trois paramètres constitue donc un écart.
culturel - tel celui qui a créé pour nous la notion de « peinture à L'opération est aussi de l'ordre de la substitution : la contradiction
l'huile » - qui distribue la diversité et l'homogénéité suivant des fait, en effer, exister simultanément sur le support deux découpages
distincts.
règles chaque fois arbitraires et localisées historiquement. Ces
règles sont si contraignantes qu'elles aboutissent à proposer aux D'autres figures proviennent en outre de normes socio-histori-
artistes des répertoires de matières qu'il est interdit de mélanger : ques, Il y a par exemple écart lorsque le matériau employé viole une
pas de lavis avec la peinture à l'huile, pas d'aquarelle avec la certaine représentation d'une pratique, artistique ou autre. On
sanguine, pas de gouache avec l'acrylique ... pensera ainsi aux sculptures japonaises en neige durcie : ne sont-
Mais ces règles culturelles créent la possibilité d'existence de elles pas une insulte à la pérennité que vise toute sculpture ? De
nouvelles figures : pousser la variation au-delà des limites qu'auto- même, les œuvres en ouate, en pâtes italiennes collées ou en
rise la règle de l'unité technique produit bien de telles figures. Il est capsules de bouteille sont un pied de nez aux matériaux « nobles »
dans la norme que tel peintre rende telle tache plus claire à l'aide de de la sculpture traditionnelle. II est vrai que ces cas se rencontreront
telle texture plus lisse, à condition de produire cette tache avec la le plus souvent dans des énoncés iconiques. Mais le degré conçu, et
la norme, relèvent uniquement du plastique.
même matière : il l'est moins qu'il le fasse par le collage d'un
morceau de verre comme dans la Komposition mit quadratische
Glasscheibe de Carl Buchheister. Ce type d'écart peut porter le nom 3.3. Éthos
d'allomatérialité 19• On a donc ici l'inverse de ce que nous obser-
vions dans le premier cas : là, la norme de la concomitance était
violentée par l'excès d'homogénéité; ici, la norme de l'homogénéité
3.3.J. Figures de l'homogénéité
est contestée par une exagération de la concomitance.
Ce genre de figure par allomatérialité peut connaître une variante
particulière lorsque l'énoncé est par ailleurs iconique : l'énonciateur L'éthos nucléaire de la figure par homogénéisation est triple.
peut, en effet, utiliser des matières qui coïncident avec le référent du Tout d'abord, nous avons vu qu'elle jouait un rôle intégrateur, en
renforçant l'unité de l'énoncé. Ensuite elle affirme la présence de la
334
335
RH ÉTORI Q U E DE LA CO M M U NICA TI ON VISU ELLE
LA RHÉTORIQUE PLASTIQUE
technique plastique, et donc la revendication du caractère sémioti-
que de l'énoncé. S'il s'agissait d'un objet, et non d'un signe, on
3.3.3. Figures de la variation contradictoire
observerait la variation concomitante.
On peut enfin dire que ce type de figure exalte le support : c'est
lui qui semble présenter une texture uniforme, avant tout avène- Loin de neutraliser la texture, comme le fait la figure par
ment d'une forme ou d'une couleur. Si les formes et les couleurs se homogénéité, la variation texturale donne à cette dernière une
présentent avec cette homogénéité-là, c'est qu'elles sont en quelque indépendance vis-à-vis des formes et des couleurs. Loin d'appartenir
sorte subordonnées à ce fond, et aux grands partis techniques pris au fond, et d'y attirer les deux autres paramètres, elle se superpose à
dans la communication 21• la couleur, comme pour la disqualifier, en affirmant son propre
caractère de pseudo-couleur23• A la limite, elle disqualifie la forme
comme telle en lui donnant un statut proche de celui du fond, où elle
la relègue.
3.3.2. Figures de la concomitance
Ce type d'écart est, sur le plan historique, relativement moins
Ce type de figure affiche, au rebours de la précédente, le fréquent que le précédent, sans doute à cause de cette occultation
caractère relatif des techniques de production des signifiants. C'est des valeurs phénoménologiques de la texture dont nous avons parlé,
particulièrement vrai de la figure par allomatérialité. Toutes ajou- et qui est idéologiquement liée au rejet du corps. Ce refoulement
tent une composante « non préparée », « bricolée », qui constitue pudibond n'est pas absurde car il apprécie justement - quoique
un des effets du genre très compiexe qu'est le.collage, genre que négativement - les suggestions excrémentielles ou éjaculatoires des
nous avons étudié par ailleurs 2 • Les arts contemporains offrent pigments étalés sur la toile ( cette dernière elle-même pouvant
nombre d'exemples d'allomatérialité : chez Picasso ou Braque, le évoquer le lit), selon des isotopies projetées constamment à l'œuvre.
papier journal ou la toile cirée font irruption sur le tableau; II est d'ailleurs à noter que le métalangage propre à appréhender la
Schwitters va plus loin encore, puisque la rupture est exclusivement texture a longtemps fait défaut à la critique artistique, apparemment
plastique - donc sans justification iconique, ce qui est encore le cas si prompte à innover 24. Cette rareté relative du phénomène, ou en
chez Picasso -, et qu'aucune matière ne domine vraiment. tout cas de ses manifestations les plus perceptibles, fait en sorte qu'il
« Non préparé » : au lieu de s'exhiber comme fini, l'énoncé n'a engendré aucun degré zéro générique atténuant la figuralité.
montre les traces de son énonciation, d'habitude occultées. Effet
renforcé encore lorsque le collage se fait avec des éléments
· identifiables du monde naturel : exhiber les matières brutes, c'est
rappeler qu'elles interviennent d'habitude sous une forme culturali- 4. Rhétorique de la couleur
sée à l'extrême (terres finement broyées, pigments extraits du
monde et dilués). Ce type de figure joue donc un rôle référentiel,
mais qui ne mobilise pas, ici, l'iconisme. 4.1. Normes de la couleur
Un effet autonome fréquent de ces figures s'apparente à l'hyper-
bole. Substituer une pièce de verre à une peinture lisse, c'est exalter
ce texturème, en le manifestant par la matière qui le possède au plus Dans le chapitre v (§ 4) ont été examinés les différents systèmes
proposés pour organiser les couleurs en syntagmes. On a vu à cette
haut degré. C'est aussi insinuer que-les techniques classiques sont
occasion la faible part d'objectivité présente dans ces systèmes et, au
incapables de produire un lisse ou un éclat véritables; c'est de ce fait
contraire, la prépondérance des systématisations culturelles arbi-
discréditer et refuser une esthétique de la simulation.
traires, importées d'autres disciplines, scientifiques ou non.
336
337
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
LA RHÉTORIQUE PLASTIQUE
A titre de degré zéro ne devrait être retenu qu'un système
reposant sur une expérimentation psychologique de portée très de l'e~ression, autant que des unités du contenu) est intermédiaire
générale, comme les fusions sur disques tournants, ou les contrastes entre un degré zéro général et un degré zéro local. Elle ne fournit
simultanés et successifs. Si l'on devait ensuite purger de tels que la base abstraite d'un degré zéro (et ainsi se présente comme
systèmes de toute importation idéologique (par exemple, les nom- générale), lequel s'actualisera librement dans chaque énoncé : il
bres 7 ou 12), on imagine qu'il ne resterait, après l'intervention n'est pas prescrit qu'un énoncé doive utiliser tel répertoire, mais
implacable de ce rasoir d'Occam, que bien peu de chose pour seulement un répertoire unique; le même raisonnement s'applique
élaborer un degré zéro général neurophysiologique transposable au à la gradualité. En cela, et conformément à la loi dégagée au
plan sémiotique : ce reste serait sans doute l'addition grise, l'harmo- chapitre VI(§ 2.3.), la règle ne permet que d'engendrer des degrés
zéro locaux.
nie de couleurs analogues, l'harmonie de contrastes 25 ... Les règles
ainsi dégagées sont peu nombreuses. Elles sont cependant solides A propos des formes et des textures, nous avons relevé la
et rentables, ainsi qu'on le verra plus loin (avec l'exemple formation possible de degrés zéro locaux à partir de certaines
de l'application du principe de l'addition grise aux œuvres de régularités. Tout particulièrement pertinente sera ici la régularité
Mondrian). par progression connue sous le nom de dégradé, et quasi codifiée
A côté de ces manifestations du degré zéro général, il faut dans la pratique classique sous le nom de camaïeu. La série des
cependant faire une place aux normes génériques ou pragmatiques. niveaux de saturation du camaïeu (idéalement égale à sept, une fois
Il peut exister des systèmes normatifs imposés par une culture de plus!) .constitue évidemment la condition d'un de ces ordres
locaux.
donnée, et intériorisés par ses membres. Ces systèmes seront moins
stables, géographiquement et historiquement, mais ils pourront
constituer des normes capables de l'emporter sur les degrés zéro
neurophysiologiques au point de les déclasser.
Il s'agira parfois de pures règles d'école ou de règles de genre. 4.2. Figures
L'une d'entre elles pourrait consister en l'obligation de conserver
dans toute l'image une même gradualité des couleurs (i.e. un niveau
constant sur l'axe unissant les aplats aux dégradés), ou encore un
même registre (sur l'axe de l'opposition entre les couleurs dites II est sans doute nécessaire de rappeler en commençant que seules
« pures >> et les autres). Il n'y a pas de doute que cette notion de des dispositions syntaxiques particulières permettent de dire si une
registre fonctionne comme une puissante coercition pratique. Une adjonction ou une suppression constitue un écart rhétorique. Le
preuve en est l'existence d'un vocabulaire désignant des« familles» rythme, ou les autres séquences de formes que nous avons étudiées
de couleurs plutôt que des couleurs isolées : outre la famille des au chapitre v (§ 3.3.), peuvent par exemple jouer ce rôle.
couleurs« pures », on parlera des tons« chauds »ou« froids », des Ces dispositions spatiales peuvent en outre fortement affecter les
couleurs fauves, terreuses, métalliques, des nuances pisseuses, des écarts. La perception de ceux-ci est singulièrement renforcée si
tons fades, ternes, ou pastel, etc. Chaque famille ainsi désignée l'écart porte sur un élément d'une paire de positions couplées 26•
constitue un sous-ensemble homogène parmi l'infinité des couleurs Les opérations peuvent porter sur les composants de la couleur
possibles, que l'on peut considérer comme un répertoire : c'est ce (les chromèmes de dominance, luminance et saturation). Elles
que l'on désigne souvent par la« palette » d'un peintre. peuvent aussi porter sur les principes mis en œuvre dans la syntaxe
L'obligation d'isogradualité ou d'isorépertorialité ( chacune de ces des couleurs : gradualité et répertorialité. Nous obtenons ainsi cinq
palettes constitue un véritable code, puisqu'elles listent des unités composants, susceptibles d'être affectés par des opérations rhéto-
riques.
338
339
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE

Parmi les trois premiers composants, un seul n'autorise pas les


~
opérations d'addition ou de suppression partielles : la dominance
·=
<!)
«i
chromatique. Tous les autres ont un caractère intensif, donc
linéaire, sur des axes allant d'un moins à un plus. On peut donc
"'::,
<!)

O"'
·c::0
t::
&
·-
i::
0
::,
.-:::
-
0
....
<!)
c,
-~
ajouter ou retirer de la saturation, ajouter ou retirer de la
- ...
'0 -
Vl '<1>
....
.0 <!)
luminance. Mais la dominance chromatique étant cyclique, les i::
;,... ~ "O

notions d'addition ou de suppression n'ont pas ce sens à son "'


"'o.
<1)
propos : toute modification de dominance sera obligatoirement une ·oC:
suppression-adjonction 27• Un bel exemple est fourni par la lecture ~ c= -~
'V
·c::
p..
«i
::, 0 «i
plastique du poème spatial de Reinhard Dôhl reproduit sur la ·.p ::s

-
"O ::, "O
couverture de l'édition« Points» de Rhétorique générale : une série "'6'o .-=: Ci:j

"' Oil
....
de taches noires (le mot Apfel - pomme ) disposées avec régularité, .0 <!)
~ "O
est interrompue par une occurrence verte (le mot Wurm - ver). ~~
Enfin, un bon exemple de permutation totale nous est fourni par le <:::!'<
·.:::
drapeau de la Croix-Rouge, inverse du drapeau suisse. i:: i::
<:::S
E
.! 1 0
. ·.p i:: §
Néanmoins, il existe pour la dominance la possibilité d'avoir des
....::,"'
c:: ·.:::
0
0 ·- 1
e
-"' -
1 -s::
0
.B "'....::, 'V) ~
...
suppressions et des adjonctions totales. Ces opérations consistent
tout simplement à passer de la couleur au noir et blanc et vice versa.
On se rapproche d'un tel exemple avec Spazio inquieto de Emilio
"'
~Cl)
C:
0
-"'
"'
"'
<1)

o. "'
::,
::,
....o. "'
<!)
1.)

~~

Vedova: ce tableau apparaît d'abord comme fait de noir et de


"' "O "' "O ~
blanc, mais un second regard y fait apparaître, çà et là, des taches de ~
"'
Q) <!)
u
~
couleur. 8 i:: e ~<:::S
Pour ce qui est des règles régissant la syntaxe des couleurs, les
opérations y seront toujours de substitution : un contexte donné
,<1)

8
0
....
"'
i::
13
i::
0
·.;:: ~
<!)
....
·- 0
"' ...
<!)

,<!)
1 1 ~
..c
..c:: .E
u
i::
8::, ~o. 'ë::, ~
impose une certaine gradualité, ou une certaine répertorialité, que u 0- o.-
des occurrences viennent troubler. Certains tableaux de Hans :.o' "O
<!) ::, <!)

Hartung présentent ainsi des gradualités très nettes, mais l'une ou


"' "' "O

l'autre tache s'y présente en dégradé. Exemple de rupture de


répertorialité avec le Napoléon d' Auguste Herbin : ce tableau se 8C:
présente sous la forme d'une composition géométrique en noir et
blanc d'une part, en tons pastel de l'autre. Par surcroît, deux ou
"'
C:
'ë0
i::
0

g
·-
...
::,
<!)
"3
i::
0
"'
·-
-
...
::,
<!)
::,
·- -
-
i::
0

::,
....
::,
<!)

trois éléments peints en rouge franc viennent comme démentir ces "O 0
•--.
-
<!)

Ci:3
0
u
e ~ 8
o. "'
-~
- 0
$ u
::s
"O - <!) o. - <!)
~ .g
"' 2 "O ~ 2 "O
deux palettes.
L'ensemble des opérations attestées peut être synthétisé dans le C:
0
tableau XIV. -~... +
'V + 1
o.
0

340
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LA RHÉTORIQUE PLASTIQUE

l'existence de plusieurs structures chez Mondrian, et l'existence d'un


itinéraire du peintre d'une structure à l'autre.
4.3. Réduction et éthos La première structure concerne des compositions à trois couleurs
(plus le noir) où une des couleurs est la résultante des deux autres :
nous décrirons cette structure comme une médiation.
Pour qu'une réduction soit possible, il faut un degré zéro Une seconde structure met en œuvre trois couleurs saturées, deux
quelconque suffisamment établi pour provoquer une attente précise couleurs claires, et du noir; les deux points résultant de la
en un lieu de l'image, et que cette attente soit déçue. composition entre elles des couleurs saturées et des couleurs claires
Soit le cas d'une dominante colorée A. En vertu d'un degré zéro sont situés sur un même alignement de part et d'autre du noir : les
général comme l'addition grise, elle peut engendrer l'attente d'une deux sous-ensembles sont complémentaires, et rnédiés par le noir.
couleur B dans une position couplée. Si au lieu de B, c'est C qui est Guiraud oppose à juste titre le sous-ensemble des couleurs claires
manifesté (et donc perçu), on peut considérer B comme degré (les fameux « bleus clairs » de Mondrian) à celui des couleurs
conçu, et le couple B-C comme les éléments d'une figure rhéto- saturées, dans une structure d'équilibration précise.
rique. Dans une troisième étape, Mondrian abandonne la référence du
Il s'agit ici de suppressions-adjonctions in absentia, et leur neutre central ( addition grise) pour adopter un alignement privilégié
réduction est possible par un acte mental du regardeur. Des écarts in et décentré, entre le bleu-pourpre et le jaune. Ces dernières ont
praesentia sont également possibles, avec une médiation dans comme résultante la troisième couleur (le rouge), et cette fois les
l'image même, grâce cette fois à un acte du producteur de l'image. points résultants, au lieu de s'aligner, ont tendance à se grouper : ils
Nous avons déjà abordé ce point au chapitre VI, § 6.2., où nous finiront par fusionner.
relevions des médiations comme : blanc -+ gris -+ noir/ jaune -+ Du point de vue qui nous occupe ici, les œuvres de Mondrian
orangé-» rouge. Ce type de médiation peut se complexifier sous la présentent des oppositions colorées dans des dispositifs spatiaux qui
forme d'une échelle de tons intermédiaires, voire d'une graduation sont autant de médiations raffinées. Ce sont des résolutions in
infinitésimale ou fondue. praesentia. Les signifiés possibles pour de tels dispositifs sont :
Pour une application stricte de la théorie de l'addition grise à des neutralité et équilibre.
œuvres non figuratives, on pourra se reporter au remarquable Lorsque chez d'autres peintres des écarts ou des réseaux d'écarts
travail de J. Guiraud (1986). Cet auteur a élaboré une méthode réductibles existent, il reste à envisager le signifié de ces dispositifs
attribuant un poids aux cases de nombreux tableaux de Mondrian. pour qu'on puisse parler pleinement de rhétorique. La matière est
Chaque case est ainsi définie par sa dominante colorée (selon le extraordinairement délicate si on veut éviter de tomber dans les
système de Munsell), par sa saturation et par un poids correspon- pièges des idées préconçues, des placages arbitraires, et de la
dant à sa surface 28 • systématisation forcée. C'est que les effets des figures chromatiques
Les cases sont numérotées, et les numéros sont reportés à la place sont fournis par la conjonction de deux productions de sens qui se
adéquate sur le cercle des couleurs. On détermine alors le barycen- caractérisent l'une et l'autre par leur remarquable ouverture. C'est
tre de celles-ci en utilisant les règles habituelles de la mécanique d'une part le sémantisme plastique, dont on a vu à de multiples
statique. Le barycentre est un point résultant dont on pourra relever reprises combien il était pluriel, et offert à des lectures très
la position. De plus, les couleurs composées deux à deux peuvent ou individualisées; c'est d'autre part la production de l'éthos synnome,
non fournir des points alignés, ou même superposés, et manifester dont les règles sont, ici plus qu'ailleurs, extrêmement floues. C'est
ainsi un ordre ou un désordre. dire que le signifié des figures obtenues dépend largement de
Les résultats sont nombreux et intéressants, car ils montrent l'intervention du regardeur : on peut voir de la fantaisie dans le petit
342 343
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE

carreau de couleur que l'architecte postmoderne glisse dans un


rythme de fenêtres, on peut voir de la violence dans les rouges qui CHAPITRE IX
viennent contrarier la gradualité de Napoléon. Mais ces lectures ne
sont évidemment pas exclusives d'autres lectures.
La rhétorique icono-plastique

1. Le rapport Icono-plastique

1.1. Du plastique à l'iconique

La relation entre les deux types de signes est le plus souvent


abordée dans le sens plastique-o iconique. En effet, lorsqu'on décrit
le processus d'identification d'un type iconique, on met en avant la
perception d'une manifestation plastique. Mais ce signifiant plasti-
que n'est que potentiel : il tend à s'effacer au profit de l'iconisme.
Il faut à ce moment réintroduire la distinction entre spectacle
naturel et spectacle artificiel. La lecture d'un énoncé ou d'un
spectacle ne fonctionne pas de la même manière dans les deux cas,
les présupposés de l'opération étant différents. Mais les conver-
gences existent aussi. Tout d'abord, de part et d'autre, l'énoncé est
supposé obéir à une cohérence interne, avoir sa raison suffisante,
représenter une structure réglée. En outre, les outils perceptifs
périphériques à l'œuvre sont chaque fois les extracteurs de motifs,
qui détectent des alignements, des orientations, des contours, des
plages colorées uniformes, etc.
Dans la première étape de la lecture, le faisceau de stimuli bruts
est donc balayé pour y détecter des régularités. A partir de ce
moment, ce faisceau de stimuli cesse d'être un magma informe.
Dans une deuxième étape de la lecture sémiotique, les motifs sont
confrontés au répertoire de types et il y a pour la plupart d'entre eux
identification. Beaucoup de spectateurs s'arrêtent là et négligent la
345
RH ÉTORI Q U E DE LA CO MMU NICATIO N V ISU ELLE LA RHÉTORIQUE ICONO-PLASTIQUE

forme de l'expression pour s'intéresser uniquement à la forme du vnr) qu'elle constituait la norme. Mais avant de passer à l'examen
contenu 1• des grandes familles de figures icono-plastiques, il nous faudra
En présence d'un spectacle naturel, le processus peut en tout cas examiner les conditions de possibilité de ces phénomènes : soient la
s'arrêter à ce niveau-ci : une lecture achevée et sans reste a identifié redondance et les variantes libres.
tous les objets. Car dans un tel spectacle, il n'y a que des objets, Dans le domaine iconique, le fonctionnement de l'énoncé repose
même si certains de ceux-ci peuvent se révéler fallacieux, comme les sur la reconnaissance des types. Mais ces types sont formellement
constellations 2• surdéterminés : ils comportent de nombreuses déterminations redon-
Mais devant un spectacle sémiotique, même iconique, les choses dantes. La simple possibilité du dessin au trait prouve qu'on peut se
sont différentes : il n'est plus nécessaire que tous les stimuli visuels, passer à la fois de la couleur et de la représentation des surfaces en
groupés en objets plastiques, se résolvent en objets iconiques. Dans étendue. Mais ce n'est là qu'un exemple : l'examen des transforma-
un spectacle sémiotique, le même droit à l'existence est reconnu aux tions montre que celles-ci peuvent être nombreuses et profondes,
signes plastiques et aux signes iconiques, qui parfois coïncident et sans que cela empêche la reconnaissance, la redondance intervenant
parfois demeurent distincts. Un observateur froid déduirait valable- en ce cas pour conserver la possibilité de repérer les altérations.
ment, à partir de la loi « Dans un spectacle naturel, il n'y a que des Par ailleurs, les types auxquels nous nous référons ont un certain
objets », les corollaires « Dans un tel spectacle, il n'y a pas de niveau de généralité, impliquant par corollaire l'existence de
plastique » et« pas de rhétoricité possible ». Mais être sensible à la variantes libres : une « maison » peut être peinte en /bleu/, en
beauté de la nature (par exemple), c'est y percevoir des caractères /blanc/, en / jaune/, sans cesser d'être une maison. Un peintre
plastiques, comme si elle était un spectacle sémiotique. Cette pourra, par exemple, modifier les couleurs et les formes de son
attitude est fréquente. C'est toutefois avec le spectacle sémiotique modèle ou de son sujet sans cesser pour autant d'être considéré
qu'apparaît le plus spécifiquement un second type de relation entre comme figuratif, car le caractère iconique n'est jamais évalué à
signe plastique et signe iconique, relation que nous avons appelée partir de la conformité de l'image au modèle : il l'est par la
icono-plastique. conformité du signifiant au type.
Dans un énoncé donné, comportant des signes plastiques et des L'ensemble de ces caractères rend possibles les manœuvres icono-
signes iconiques, il se peut qu'une manœuvre plastique délibérée plastiques, qui occupent tout simplement les degrés de liberté
mène à percevoir des signes plastiques dont les limites ne coïncident rendus disponibles par la redondance et par les variantes libres.
pas avec celles des signes iconiques. Dans un premier cas, le Cette occupation se fait évidemment au nom d'un projet plastique
spectateur s'efforce de résorber cette différence en la supposant qui se surimpose au projet iconique, et en infléchit la signification.
chargée de modifier le signifié iconique. Dans un second cas, Si l'on se place dans une optique génétique, on peut estimer que
l'énoncé iconique est modelé pour servir une logique plastique ce projet plastique préexiste à l'énoncé, et que l'iconique ne fait que
particulière. s'y conformer. On voit qu'ici, loin d'être vassal de l'iconique, le
plastique l'informe et le modèle. Et l'interaction ne s'arrête pas là
puisque l'iconique identifié aide à son tour à identifier le projet
plastique.
1.2. L'icono-plastique comme rhétorique
Le phénomène est bien de nature rhétorique. En effet, l'énoncé
plastique est un signe. Comme tel il a un signifiant consistant en
Nous sommes fondés à considérer ce processus comme rhétori- répétitions, parallélismes, symétries, etc. : or ce sont là toutes
que : il viole en effet constamment la concomitance entre les adjonctions ou suppressions d'ordre par rapport à un degré zéro
signifiants plastiques et iconiques dont nous avons vu ( chap. VI et figuratif.

346 347
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LA RHÉTORIQUE ICONO·PLASTIQUE

Quant à l'effet de ces écarts rhétoriques, il est lié aux deux le plan plastique, et contredit la division du champ en entités
catégories d'écarts possibles sur l'axe de l'ordre : un supplément colorées.
d'ordre renforce la cohésion de l'énoncé et traduit une conception Une contradiction apparaît aussi, dans une telle œuvre figurative,
réglée du monde représenté (pas nécessairement harmonieuse par rapport à l'orientation naturelle des objets représentés. La
d'ailleurs, ni euphorisante). Un excès de désordre traduit à l'inverse hachure a un signifié directionnel (cf. chap. v, § 2.3.). Il serait alors
une conception chaotique du monde, dont le sens est destiné à nous « normal » d'affecter des hachures horizontales à des types comme
échapper toujours, ou d'un monde tout simplement dénué de sens. le sol du« chemin » ou l'« eau du lac». Il l'est moins d'affecter des
Signifié nucléaire d'ordre très général, on le voit, et à la mesure de hachures obliques à des « troncs d'arbre » et sans pertinence
la généralité des manipulations qui l'instituent. On verra par les d'affecter ces mêmes hachures au « ciel ». Il s'agit donc d'écarts,
exemples qui suivent que ce signifié peut se préciser quelque peu au que l'on peut sans hésitation qualifier de rhétoriques, puisqu'en ces
niveau autonome, selon les entités iconiques entraînées de force lieux on attendait soit une autre orientation de hachures (verticales
dans le projet plastique, et que les énoncés complexes peuvent pour les troncs), soit une absence de hachures (pour le ciel)3•
exalter ou non ces effets. La réduction de l'écart, second temps de la démarche rhétorique,
pourrait proposer l'obliquité des rayons solaires comme principe
unificateur et formateur des hachures obliques. Cette interprétation
reste cependant subjective 4, car on pourrait proposer aussi d'autres
justifications iconiques comme l'effet du vent, qui fait pencher tout
2. Icono-plastique de la texture ce qui vit, ou l'obliquité des flancs de colline 5.
Quoi qu'il en soit du cas Cézanne, où plusieurs interprétations
peuvent d'ailleurs coexister, nous notons l'influence Icone-plastique
dominante de la hachure oblique. A quoi servent alors les 16,5 %
La toile de Cézanne intitulée La Route près du lac (1885-1890) d'horizontales et les 4,5 % de verticales? Tout simplement à nous
nous a déjà fourni un exemple intéressant de discrétisation des fournir les axes à la fois rationnels et physiques de la perception des
hachures ou coups de brosse : seules l'horizontale, la verticale et angles. En rappelant la pesanteur et l'horizontale de l'eau et du sol,
l'oblique « montante » à 60° y sont employées. La longueur et la Cézanne intemalise les directions de référence du cadre, et atténue
largeur des touches sont sensiblement constantes. l'effet de déséquilibre et de fragilité provoqué par l'abondance des
L'examen quantitatif de la toile en question révèle une forte obliques. En « encadrant » l'oblique entre la verticale et l'horizon-
dominance de la /hachure oblique/ (79 % ) sur la /hachure horizon- tale, on la neutralise en quelque sorte, ou encore on la médiatise par
tale/ (16,5 %) et la /hachure verticale/ (4,5 %). Il révèle aussi que rapport non seulement au cadre de la toile, mais aussi par rapport
toutes les espèces de hachures sont en contact les unes avec les aux murs et aux chambres qui nécessairement la contiennent. A
autres : il n'y a ni progression de l'obliquité, ni zone lisse. Chaque moins que l'oblique ne vienne médier l'opposition entre horizontale
type iconique manifesté l'est à travers une espèce homogène de et verticale.
hachures (par exemple, le chemin est en hachures horizontales), Cézanne a de tout temps été intéressé par la texture. Dans ses
mais une même espèce de hachure peut s'étendre d'un type à ses années de jeunesse (1862-1868), qu'il appelait sa « période couil-
voisins : par exemple, la /hachure oblique/ passe inchangée d'un larde », il se caractérisait par la « générosité d'une pâte épaisse,
talus à des buissons, à un feuillage, et au ciel. On doit donc constater amoncelée par le couteau en couches superposées» (AA.VV.,
que l'effet discriminateur de la texture est ici faible (sinon nul) sur le s.d. : 1353). C'est cependant par l'usage qu'il fait de la hachure qu'il
plan iconique : bien au contraire, la texture a un effet unificateur sur va à nouveau nous retenir dans sa célèbre toile Trois Baigneuses. Ici

348 349
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LA RHÉTORIQUE ICONO·PLASTIQUE
un effet icono-plastique est une fois encore manifesté, bien que la Effectivement la hachure, par son système répétitif, découpe
toile ne soit pas complètement hachurée. l'espace de façon rythmique. Ici l'effet est doublement rythmique
Deux inclinaisons de hachures sont présentes : la /hachure puisqu'il comporte des répétitions intrasérielles (hachures parallèles
oblique/ à 38° pour le haut de la toile, - c'est-à-dire les arbres et la entre elles) et des répétitions intersérielles (zones hachurées selon
baigneuse principale-, et la /hachure horizontale/ pour le bas de la des écarts angulaires fixés). L'effet de sens imparti à l'énoncé par
toile - c'est-à-dire l'eau et l'herbe de la rive. Les surfaces occupées cette manœuvre plastique reste général et diffus. Il n'est plus icono-
par ces hachures sont différentes et l'oblique l'emporte, mais pas plastique dans le sens où il modifierait le sens de telle ou telle unité
d'une façon aussi nette que dans La Route près du lac. (D'ailleurs la figurative mais, en discrétisant l'espace et les orientations, il impose
hachure n'est pas ici systématique, et il y a des zones non hachurées une grille rationnelle au paysage, réduit son étrangeté ou son
ou indécises, comme le corps des deux autres baigneuses.) La imprévisibilité, et augmente au contraire sa lisibilité.
distribution des hachures contrevient à nouveau au principe de
variation concomitante. Elle viole aussi celui de la figuration des
textures naturelles. En effet, le système de hachures convenant pour
de l'herbe n'est pas horizontal, et si les baigneuses nues de nos
plages étaient hachurées nous les embrasserions moins volontiers. 3. Icono-plastique de la forme
Les hachures adoptées par Cézanne sont donc des écarts, rendus
possibles par la redondance de la texture par rapport aux couleurs,
et réductibles grâce aux informations contenues dans le répertoire
de types. 3.1. Généralités
Mais bien entendu, la réduction n'est pas la pure et simple
annulation, ni la solution d'une énigme : elle implique au contraire
la perception d'un effet de sens. Cet effet est ici double. D'une part Contrairement à la texture et à la couleur, la ligne n'est pas une
l'herbe est niée en tant que substance végétale, et assimilée à propriété de la surface. Elle fait donc intervenir des mécanismes
l'horizontalité du sol qui la supporte : il s'agit sans doute avant tout, différents, examinés au chapitre n. Ceux-ci sont des détecteurs de
comme dans La Route près du lac, de fournir une assise perceptive motifs spécialisés dans le repérage des lignes et de leurs caractéristi-
au tableau, une direction de référence. On notera que la hachure ques (ligne droite, ligne courbe, brisée, pointillée ... ). Ces détec-
rend beaucoup plus massive la perception de cette référence : c'est teurs fonctionnent à courte portée et par contiguïté, c'est-à-dire
l'effet de surlinéarisation dont nous avons déjà parlé. D'autre part la qu'ils concernent des continuums de points adjacents. En tant que
grande baigneuse, dont l'attitude est légèrement penchée, est variable plastique, la ligne entre dans une analyse plus globale, qui
assimilée par la hachure au monde végétal qui l'entoure : elle est en organise un ensemble de lignes selon certaines règles (par exemple,
quelque sorte végétalisée, avec tout ce que cela peut entraîner sur le « elles se touchent » ou « elles constituent un tracé fermé ») et
plan sémantique ou poétique. constitue alors la forme. La forme à son tour contribue à l'identifica-
Les choses ne s'arrêtent cependant pas là, comme le note assez tion des types par consultation du répertoire, et si un nombre
bien l'auteur du commentaire suivant à propos des Trois Bai- suffisant de points de conformité au type (tant pour la forme que
gneuses : « Dans cette composition, comme dans celles consacrées pour la couleur et la texture) est enregistré, on formule une
au même thème, Cézanne accorde à la touche apparente une valeur hypothèse iconique (v. chapitre IV). On ne rappellera pas ici
essentiellement rythmique en lui conférant une orientation détermi- comment cette hypothèse iconique peut déclencher une lecture
née, oblique, verticale, ou horizontale. » (AA.VV., s.d. : 1359). rhétorique. On s'intéressera au cas où les écarts concernent des
350 351
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LA RHÉTORIQUE ICONO-PLASTIQUE

ensembles d'au moins deux types et sont donc suprasegmentaux. Ils interviennent toutes trois dans le repérage iconique, mais le propos
se présentent lorsque les signifiants de deux types sont manifestés de qui suit se limitera volontairement à la forme.
manière conjointe dans une seule forme plastique, soit que le Ces trois formes se ressemblent par les caractéristiques /limité par
premier signifiant semble se continuer dans le second ( exemple : la deux obliques symétriques plus ou moins curvilignes/, et /détermi-
chafetière, étudiée au chapitre vn, § 2.2.), soit que ces signifiants nant un angle ayant sa pointe vers le haut/.
présentent tous deux des caractères morphologiques dont la simili- On connaît le mécanisme perceptif appelé « constance de taille »
tude est tellement évidente qu'ils forment ensemble un signe (cf. Pirenne, 1972 : 23), qui compense subjectivement les effets de
plastique homogène (parallélisme, similitude, complémentarité : ce l'éloignement. Ici cependant, les transformations dues au point de
que l'on appelle généralement, à la suite d'André Lhote, des vue donnent aux signifiants de Vl, V2, et F une dimension
« rimes plastiques ») 6• Le répertoire ne fournit cependant aucun apparente comparable ( et même inverse des dimensions des réfé-
type permettant de voir dans ces nouvelles manifestations des rents). Ceci gêne l'identification iconique, de sorte qu'on pourrait
signifiants iconiques ; sauf à les créer, ce que fait du reste parfois le parfaitement lire F comme une vague lointaine (n'était le titre de la
regardeur, comme avec la chafetière. Dans ce cas, il a supposé que série d'estampes). Mais s'il gêne une certaine discrimination, cet
les manœuvres détectées étaient intentionnelles, et y a projeté un angle de vue favorise en échange la confusion des types et la
signifié de son cru. perception des couplages plastiques : ceux-ci tendent à établir entre
les types une liaison suprasegmentale, et nous poussent à formuler,
fût-ce faiblement, l'hypothèse de l'existence d'un architype qui les
subsume tous trois, et dont ils ne seraient plus que les manifestations
3.2. Analyse d'un corpus de couplages plastiques particulières; la justification d'un tel type n'est que plastique, mais
sa perception entraîne néanmoins un faisceau de relations sémanti-
ques, unissant les types particuliers.
Dans le spectacle artificiel, les couplages plastiques font souvent Il en va de même pour cet autre couplage plastique présenté par
partie du projet plastique, par lequel l'énonciateur entend procéder les barques, dont les lisses épousent si bien les vagues que la couleur
à une manœuvre icono-plastique. Nous illustrerons ce point par des est bien utile pour les en distinguer.
exemples clairs et bien documentés, tirés des Trente-six et Cent Vues Il faut à présent examiner par le menu cette intégration plastique
du Fuji d'Hokusai. Soit la plus célèbre gravure de cette série, parfois et ses conséquences. Les diverses manifestations des types, dis-
connue sous le nom de La Grande Vague et représentant le mont jointes dans l'espace, conservent en tout état de cause leur identité.
Fuji enneigé, aperçu entre des vagues écumantes depuis la côte de Comment peuvent-elles néanmoins s'influencer les unes les autres?
Kanagawa. Sur le plan de la perception, on se rappellera le principe de
On repère aisément dans cet énoncé - et plus aisément encore proximité de Gogel. Ce principe montre qu'il y a une limite à la
avec l'aide du titre de la série - deux occurrences du type« vague » perception des couplages plastiques : ceux-ci sont d'autant mieux
et une du type« montagne». On repère de même trois occurrences perçus qu'ils se manifestent dans des zones voisines de l'énoncé. On
du type « barque ». Appelons Vl la grande vague écumante, V2 la trouve ainsi, chez Hokusai toujours, des« rimes enchâssées » faciles
vague en formation, et F le Fuji-Yama. Les signifiants de ces trois à percevoir : par exemple, le même mont Fuji aperçu à travers l'étai
signes iconiques manifestent une grande ressemblance, qui porte sur triangulaire des scieurs de long (Vue des montagnes dans la province
les trois variables du signe plastique : la forme, la couleur (/bleu- de Totomi). Mais le risque de voir échapper les couplages est de plus
tés/, /tachés de blanc/, et /surmontés d'un apex blanc/), et sans en plus grand à mesure que les termes à comparer sont plus distants
doute aussi sur la texture si on pouvait en juger. Ces trois variables les uns des autres, et de dimension plus dissemblable. Une méthode

352 353
LA RHÉTORIQUE ICONO-PLASTIQUE
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
certains traits d'une vague. Par contre, les petites /taches blanches/
pour compenser ce risque est de ramener les objets à une dimension
n'appartiennent pas plus (ni moins) à l'isotopie « oros » qu'à
comparable, comme dans La Grande Vague, où l'angle de vision
l'isotopie « thalassa » : tous leurs traits s'indexent sur les deux
donne un effet de perspective très particulier. Une autre méthode
isotopies.
consiste à susciter la mise en comparaison par des symétries ou des
La copossession, partielle ou totale, de déterminants et la double
alignements. isotopie définissent très précisément une figure : la métaphore. Et
C'est ainsi que Vl et V2 sont à l'aplomb l'une de l'autre et situées
en effet la configuration que nous venons d'analyser est rhétorique.
sur une verticale pratiquement symétrique à l'axe de F par rapport
La figure est en principe réversible, aucune isotopie prétextuelle ne
au centre géométrique du tableau. De même, la disposition de Fau
donnant la préférence à une des deux lectures : le Fuji, vague
centre du creux semi-circulaire de la grande vague Vl crée en son
immobile ; la vague, montagne mouvante ... L'essentiel est de voir
apex un centre secondaire par rapport auquel se définissent
que le processus rhétorique de superposition des deux isotopies est
également des symétries. Selon ce nouveau centre, Vl et V2 ont une
déclenché par un phénomène de lecture bi-isotope directe.
position marginale et F une position centrale. Enfin les apex des
Des raisonnements de même nature permettraient d'élaborer
trois objets sont disposés sur une courbe virtuelle de la même
aussi le couplage plastique entre les barques et le creux des vagues
famille que les contours de vagues, et cet alignement pertinent mène
(leur crête étant le lieu de l'autre métaphore).
à les considérer en séquence. Il se fait que dans cette séquence les
Enfin nous allons voir que les oppositions et les complémentarités
trois images d'objet se présentent selon une dimension croissante
sont tout aussi importantes que les similitudes dans un projet
F < V2 < Vl , Or, cet ordre est aussi celui d'une déformation
plastique.
progressive des contours, qui deviennent de plus en plus curvilignes.
L'estampe où on aperçoit le Fuji triangulaire à travers une tonne
Progression immédiatement renforcée sur le plan sémantique : on
ronde de tonnelier (Vue de Fujimigahara dans la province d'Owari)
va de l'indéformable et de l'immuable (le Fuji comme pivot de
est sans doute un exemple un peu simple d'opposition, mais il n'est
l'univers) au mobile (V2), puis à la fragilité extrême (Vl, saisie juste
pas douteux qu'entre ces deux objets enchâssés s'exerce une
avant sa destruction). La vague ··v2 est ainsi en position de
influence icono-plastique. Il en va de même pour la célèbre Vue
médiation plastique, et aide à étendre la rime de F à Vl : si V2
depuis la baie de Noboto, où le Fuji apparaît à travers le portique
n'existait pas il serait plus difficile de percevoir le couplage de F et
trapézoïdal d'un temple.
de Vl , Or, c'est bien là que veut nous conduire Hokusai dans cette
Notre Grande Vague fournit un exemple plus élaboré de ce
surprenante figure. processus où les éléments se groupent aisément en deux triades sur
Une dernière méthode consiste à présenter des parties d'objets
le plan plastique : les trois barques et les trois vagues ( en comptant
iconiquement équivoques. C'est ainsi que dans notre exemple les
pour un instant le Fuji comme une vague). Ces deux triades
petites /taches blanches/ sur fond de ciel sont lisibles sur l'isotopie
s'opposent comme /apex/ vs /creux/, c'est-à-dire à la fois de façon
maritime comme « fragments d'écume », et sur l'isotopie monta-
complémentaire ( toute vague comporte nécessairement une crête et
gneuse comme « flocons de neige » tombant sur le mont sacré (sans
un creux contigus) et de façon oppositive (la crête / angulaire et
exclure la lecture« produits d'une éruption» sur la même isotopie).
convexe/ s'oppose au creux /courbe et concave/). La lecture peut
C'est une manœuvre que nous avons aussi rencontrée dans l'analyse
s'arrêter là, et se borner à enregistrer ces jeux de similitudes et
de la chafetière (Groupeµ, 1976a). d'oppositions plastiques. Elle peut aussi, au gré du regardeur, y
Dans l'estampe d'Hokusai on a donc deux degrés différents
projeter des éléments sémantiques en homologuant à l'opposition
d'intégration entre les isotopies manifestées ~ar l'énoncé, isotopies
/apex/ vs /creux/ une opposition sémantique comme« puissance»
que nous nommerons « oros » et « thalassa » . Les vagues Vl et V2
vs «soumission», que supportent très bien les types iconiques
ne possèdent pas tous les traits d'une montagne, et F n'a que
355
354
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LA RHÉTORIQUE ICONO-PLASTIQUE

identifiés (la soumission étant associée à la barque-jouet-des-flots). Pensons au Cimetière arabe de Kandinsky (1919) : le turban qui
Le pôle « puissance » lui-même peut se préciser en « puissance couronne la stèle y renvoie sans hésitation, par ses bandes obliques
menaçante » pour la grande vague déferlante, et en « puissance et ses couleurs, à la coiffure de la femme : leurs positions sont en
stable et protectrice » pour le Fuji. « Stabilité » est ici un contenu outre symétriques par rapport à l'axe vertical.
iconique, constituant un trait du type« montagne », souligné par un Un dernier exemple est celui de Mère et Enfant de Klee (1938).
contexte qui oppose montagne« stable» et vague« instable ». Or, On y relève d'abord une polychromie restreinte : mis à part une
il se fait que cette stabilité iconique est renforcée par une stabilité plage blonde figurant les cheveux de la mère, et qui est probable-
plastique. Nous avons vu (chap. v, § 3.2.) que l'opposition de ment la seule couleur à valeur iconique dans le tableau, on a affaire
signifiants /central/ vs /non central/ peut correspondre à une à deux couleurs appartenant aux catégories terre d'ombre et
opposition de contenu« stable »vs« instable ». Les deux contenus turquoise. Ces couleurs ne sont pratiquement jamais en contact,
se confortent ainsi. (Par contre, l'opposition de contenu plastique mais bien séparées par des contours épais brun foncé 9• Les deux
« fort »vs« faible », qui peut aussi correspondre à/ central/ et /non teintes librement choisies, en dehors de tout souci iconique, sont
central/, est contredite par le sémantisme iconique. Elle est donc complémentaires et leur somme forme un gris. Cette complémenta-
occultée au profit de la première.) Poursuivre l'homologation rité renforce évidemment le thème.
jusqu'à l'opposition « masculin » vs « féminin » relèverait toutefois Un deuxième trait est l'imbrication complète des deux person-
8
d'une isotopie projetée, rien d'iconique ne nous y conduisant • nages, engrenés l'un dans l'autre comme les pièces d'un puzzle. La
On devine que le procédé est quasi le même dans toute la série complémentarité des couleurs se double donc d'une complémenta-
d'estampes. Par exemple, dans la Vue de Surugacho à Edo, le volcan rité des figures, dont la somme forme un plan sans lacune ni
apparaît non plus entre deux vagues, mais entre deux toits triangu- superposition. Le tout est soutenu par un équilibre du même ordre
laires, ce qui autorise la lecture « Le Fuji protège comme le toit entre les verticales et les horizontales : nez, axe des visages, mains
d'une maison ». En outre, un commun dénominateur est ce procédé de la mère ...
de perspective et de plan rapproché (très cinématographique) par Mais une figure plastique plus audacieuse est employée, qui
lequel l'énorme montagne est ramenée aux dimensions d'un objet concerne le contour. On sait que le contour est toujours perceptive-
familier : une vague, un toit, un portique, un tonneau ... ment considéré comme faisant partie de la figure. Or, ici le contour
Il reste à s'interroger sur ce qui, dans l'énoncé iconique, joue le du visage et du cou de la mère est en fait une ligne commune aux
rôle du comme dans l'énoncé linguistique. En rhétorique linguisti- deux personnages. De sorte que l'image est le siège d'une oscilla-
que, la métaphore in praesentia ou comparaison est un trope tion : contour de la mère, ou contour de l'enfant? Comme dans la
instrumenté, alors que l'énoncé visuel ne comporte aucune marque figure bien connue de Rubin - vase ou profils ? - il est impossible
comparative. En fait, ce rôle est joué automatiquement par les de voir les deux à la fois. On peut dire que cette ligne réalise une
détecteurs de motifs, jouant sur le plan plastique. L'image fait médiation plastique entre les deux types iconiques, et suggère leur
l'économie du comme, lequel est incorporé d'avance dans les consubstantialité.
mécanismes perceptifs. Enfin il y a comme une indication que la mère elle-même est
Mais si l'instrument de la comparaison est précablé, la justifica- imbriquée dans un corps plus grand qu'elle situé hors cadre, corps
tion des couplages ne l'est pas, et nécessite de la part du destinataire dont on verrait une épaule en haut à droite et un menton en haut à
un important et subjectif travail d'interprétation. Nous rejoignons gauche. La même ambiguïté des lignes joue entre la mère et cette
ici les observations de Kibédi Varga (1989, 1990). hypothétique figure englobante. L'œuvre entière apparaît donc
D'autres exemples de médiation iconique par le plastique pour- comme une hiérarchie de figures enchâssées, dans un mouvement
raient encore être commentés. généralisateur que le spectateur est appelé à continuer et auquel
356 357
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE LA RHÉTORIQUE ICONO·PLASTIQUE

s'applique aisément le concept de maternité (voir les matriochkas) dans le répertoire de types. Par contre, en tant que couleur des
ou de filiation. pignons et façades, le jaune est une variante libre, non listée dans le
répertoire. Pirenne, qui n'était pas libre de choisir la couleur du
foin, l'était de choisir celle des maisons. En les choisissant identi-
ques, il s'est à coup sûr écarté d'un quelconque référent réel à partir
duquel il aurait peint, sans cesser pour autant d'être figuratif. Il a
4. Icono-plastique de la couleur fait subir au référent une transformation (partielle) de filtrage
coloré, afin d'assurer la formation d'un objet plastique unique dont
les limites ne coïncident que très partiellement avec des démarca-
tions iconiques. Cet objet est perçu, mais ne mène à aucune
La couleur peut également être impliquée dans une relation reconnaissance globale : c'est séparément, et à partir d'autres
icono-plastique, et ceci vaut d'ailleurs pour chacune de ses dimen- indices tels que la forme, que l'on reconnaît d'une part les
sions : dominante colorée, saturation ou luminance. Formuler un constructions et d'autre part les champs cultivés. (La manœuvre
énoncé iconique en « couleurs désaturées », c'est le soumettre à un décrite à propos du jaune se retrouve avec le vert. Aux pignons
projet plastique. Ce projet plastique peut souvent se définir par les jaunes se mêlent, en effet, des toitures verdâtres ; mais le couplage
restrictions que l'on impose à la liberté des couleurs : on a dit qu'il y chromatique associe cette fois les toits et le flanc des collines.)
avait, parmi les peintres intéressés à la couleur, des « coloristes » et Le sens que pourrait avoir le projet plastique reste toutefois
des « valoristes ». Parler d' « une toile dans les- tons fauves » c'est parfaitement impénétrable tant que n'a pas eu lieu d'abord la
définir l'œuvre par sa plastique, et il saute aux yeux de l'observateur reconnaissance des types, et ensuite un certain travail d'élaboration
le moins averti qu'un Matisse, un Mondrian, un Van der Leck, qui à partir de ces objets : le spectateur ne peut rester inactif, et nous
travaillent en couleurs pures très saturées, se distinguent profondé- surprenons ici la démarche qui lui est demandée s'il veut rendre
ment de Boucher, Constable, Turner ou Buffet. compte de l'image dans tous ses aspects. Cette démarche n'est pas
A nouveau nous constatons que le projet plastique est indépen- codée, et comporte une certaine part d'incertitude dans son résultat.
dant du projet iconique et peut être perçu avant toute identification Néanmoins, comme elle est essentiellement sémantique, elle permet
figurative. Il n'en est pas moins vrai que les deux projets interfèrent, d'ajouter aux composants visuels de l'image des significations très
comme nous allons le montrer à partir d'un pastel de Maurice élaborées, faisant parfois intervenir des concepts implicites, dont la
Pirenne, Paysage d'industries. représentation visuelle est impossible, et que seul le langage
Cette œuvre nous montre une vallée industrielle avec des cités pourrait expliciter. Dans le cas du pastel de Pirenne, le paysage unit
ouvrières et des usines, avoisinant un paysage plus rural. Sur le plan un univers industrialisé à un univers agricole ; la première est
de la couleur, une forte stratification horizontale oppose les bleus et décidément du côté de l'artefact humain, c'est-à-dire du culturel,
les roses du ciel à l'ensemble de la vallée et des collines, avec ses alors que la seconde, sans être à proprement parler de la nature, en
maisons, ses usines et ses prairies à foin. Or il se fait que les pignons demeure néanmoins proche. Sur le plan iconique nous avons donc
des maisons sont jaunes, et du même jaune doré que les prés. L'œil une opposition « nature >>/ « culture », alors que sur le plan plasti-
perçoit donc d'emblée un objet plastique jaune, qui ne correspond à que les deux pôles de cette opposition tendent à s'unir en un même
aucun type iconique. L'énoncé est intégralement iconique, mais il objet. L'opposition est de la sorte médiée par la couleur.
faut tout de même distinguer soigneusement le double statut du Il devient possible de donner une justification au projet plastique,
jaune constituant l'objet plastique. En tant que couleur de la prairie et d'attribuer à l'œuvre une signification qui fasse justice aussi bien
à foin sec, ce jaune est iconique et appartient au modèle conservé de ses éléments plastiques que de ses objets iconiques : « l'opposi-
358 359
RHÉTORIQUE DE LA COMMUNICATION VISUELLE
LA RHÉTORIQUE ICONO·PLASTIQUE
tian entre nature et culture est vaine, elle s'abolit dans la lumière du
Il faut signaler également un résultat théorique indirect très
soleil. .. » important : l'existence de la relation icono-plastique fournit une
La question de la rhétoricité d'une telle démarche se pose. Pour
preuve de l'autonomie du plastique par rapport à l'iconique. En fait,
qu'il y ait rhétorique, il faut qu'il y ait un écart perceptible et
plastique et iconique sont ici l'adjuvant l'un de l'autre. Le plastique,
réductible. Or une maison jaune est toujours une maison, comme
en tant qu'il est phénoménologiquement le signifiant du signe
un toit moussu est toujours un toit, et si écart il y a, ce pourrait être iconique, permet l'identification de l'iconique. A son tour l'iconi-
dans une certaine improbabilité de rencontrer tant de maisons
que, une fois identifié, permet d'attribuer un contenu aux éléments
jaunes, tant de toitures vertes côte à côte ... De même la réduction plastiques étrangers aux types iconiques. Ce dernier processus
de l'écart est tout aussi incertaine, puisqu'il n'y a pas de couleur
démontre une fois de plus que le signe plastique est bien un signe, et
« normale » d'une maison, ni de combinaison « normale » de plus précisément l'union d'une expression et d'un contenu.
couleurs pour les façades d'une ville.
Si l'on cherche du rhétorique indiscutable, on le trouvera dans des
œuvres plus audacieuses qui, renonçant à travailler sur les variantes
libres, ne craignent pas d'altérer l'iconicité. Dans sa série de
planches publiées par le Collège de 'Pataphysique, Dubuffet per-
mutait les quatre couleurs de la tétrachromie : La Vache au pré vert
prend ainsi successivement toutes sortes de couleurs dont bien peu
sont acceptables selon le type de la vache. Ici l'écart est indiscutable,
et sa réduction ne l'est pas moins; quant au projet plastique, il est
également clair.

5. Conclusion

La relation icono-plastique est sans doute une des plus impor-


tantes qui ait été exploitée par l'art figuratif. On l'a vue à l'œuvre
pour les trois composants du signe plastique : texture, couleur et
forme, avec chaque fois un scénario identique. On a vu également
que cette relation, en introduisant soit un supplément d'ordre, soit
un supplément de désordre, est en fait de nature rhétorique. Nous
avons d'ailleurs montré quel était l'éthos nucléaire des figures ainsi
produites, et dans divers exemples nous avons précisé les éthos
autonome et synnome que produit la figure dans un énoncé
déterminé.

360
QUATRIÈME PARTIE

Vers une rhétorique générale


CHA PIT RE X

La stylisation

1. Théorie de la stylisation

1.1. Les trois paramètres de la stylisation

Dans notre chapitre rv, nous avons décrit la formation du signe


iconique en utilisant la notion de type, dont nous avons aussitôt
montré qu'elle était généralisante : les types se stabilisent à divers
niveaux d'abstraction.
Par ailleurs, on a vu que le signifiant de ce signe, tout en
possédant suffisamment de traits . conformes au type pour en
permettre la reconnaissance, possède également des traits qui
empêchent de confondre signifiant et référent. Ces derniers traits
proviennent du producteur d'image, et l'intervention de ce dernier
dans l'image n'est jamais innocente. Elle commence, cette interven-
tion, au niveau périphérique avec les extracteurs de motifs et se
continue dans le cerveau par les algorithmes que s'essaie à imiter
l'intelligence artificielle, et qui ont nom lissage et squelettisation.
Enfin l'icône est élaborée dans des conditions matérielles précises
(support, instruments, pigments ... ) qui, elles aussi, laissent leurs
traces dans le produit final qu'est le signifiant.
Dans la, discussion qui va suivre à propos des notions de
stylisation, de lissage et de schématisation, nous devrons retenir les
trois aspects primordiaux suivants :
(a) le processus est généralisant; ·
(b) l'icône porte la trace de son émetteur et
365
VERS UN E RH ÉTOR IQ UE G ÉN ÉRA LE LA STYLISATION
(c) des conditions de sa production. stylisation peut être décrite avec plus de précision si on la formule à
Ces trois facteurs vont rendre possible la stylisation. partir des traits fondamentaux de la perception visuelle (voir
Si l'objectif des producteurs d'images était simplement d'obtenir chapitre n), La perception tend à établir des seuils de variation, en-
la reconnaissance des icônes, le degré zéro des énoncés iconiques deçà desquels nous tendons à égaliser, et au-delà desquels nous
correspondrait à une sorte de loi d'Estoup-Zipf : la paresse et remplaçons la transition par une rupture.
l'économie, du côté de l'émetteur, tendraient à réduire le nombre Les seuils qui ont servi à élaborer cette sémiotique visuelle sont
de déterminants, alors que le récepteur exigerait pour sa part un essentiellement pratiques et utilitaires. Mais il n'est pas impossible
nombre-seuil de traits, et même une réserve de sécurité (sans de jouer rhétoriquement avec eux, de les relever et de les abaisser
toutefois demander à être noyé sous un excès de déterminants de façon non utilitaire. On pourrait alors définir la stylisation comme
redondants). On conçoit qu'un équilibre s'établirait ainsi dans un relèvement rhétorique des seuils d'égalisation. La stylisation n'est
chaque situation de communication. donc pas seulement un processus de suppression 1 : c'est une
suppression-adjonction. Le facteur adjonction est précisément un
modèle d'univers, provenant de l'énonciateur, et dont nous donne-
rons des exemples plus loin.
1.2. La stylisation comme rhétorique Un premier exemple, banal, fera saisir directement le fond du
problème de la stylisation. On décrit fréquemment un arbre par des
expressions comme« arbre en boule »,ou« arbre en torche ». Or,
1.2.1. Les opérations la ligne qui définit une boule ou une torche est justement la seule
que les arbres ainsi désignés n'ont pas. On peut même dire qu'il s'en
Mais les énoncés rhétoriques n'ont pas pour but la simple faut de beaucoup, cette ligne que l'on trouve volontiers dans une
reconnaissance des icônes, et leur producteur peut par exemple y icône d'arbre étant pratiquement perpendiculaire à toute ligne
supprimer systématiquement des traits, au profit d'autres qu'il peut réellement présente dans l'arbre. Dans ce cas il paraît clair que la
éventuellement grossir : la suppression généralisante de traits a ainsi stylisation n'est pas dans la chose. Cependant, on peut aussi estimer
un effet synecdochique, l'exagération des traits sélectionnés ayant que cette courbe-enveloppe est virtuelle dans l'arbre perçu, où elle
un effet hyperbolique. Les deux opérations concourent à rendre traduit une modalité précise de la loi allométrique de croissance.
l'image plus facile à lire, en augmentant le rapport signal/bruit, et Styliser consisterait-il à rendre actuel ce qui est virtuel? Ou explicite
sont constitutives de ce type particulier de transformation qu'on ce qui est implicite? A y regarder de plus près, la notion même de
connaît sous le nom de stylisation. contour d'un arbre est tout aussi évanescente que celle de contour
Toute stylisation est, en effet, une opération rhétorique sur d'un littoral, et mène inévitablement au concept d'objet fractal,
l'image, et comporte fréquemment une géométrisation des tracés établi par Mandelbrot. Le contour normalisé d'un arbre en boule est
par des moyens tels que : le lieu des extrémités de toutes les branches possibles.
- ramener les lignes à un nombre restreint de types, tels que la Ce qui est dans cet exemple un excès de lissage peut ailleurs se
droite, l'arc de cercle, telle ou telle courbe choisie; présenter comme un excès de squelettisation, et on aurait en
- ramener les angles à des valeurs discrètes et distinctes, avec quelque sorte deux possibilités de normalisation des formes : par
parfois une préférence pour l'angle droit; l'extérieur et par l'intérieur. C'est l'excès qui est ici rhétorique : il
- rendre les tracés aussi continus que possible ; est détectable, réévaluable, et entraîne un effet de sens.
- exagérer les symétries. On a l'habitude de considérer la stylisation comme portant
Mais l'opération de suppression qui constitue pour une part la uniquement sur les formes. Rien n'interdit cependant de considérer
366 367
VE RS UNE RH ÉTORI QUE GÉNÉRAL E LA STYLISATION
comme stylisation la démarche qui filtre les couleurs (par exemple, 3
modèle de l'univers , caractérisé par des traits précis, et qu'une
chez Matisse, Mondrian et Van der Leck, lesquels ne retiennent que démarche adéquate de sélection/rejet peut imposer à tout objet.
des couleurs pures ou primaires) ou celle qui uniformise les textures. Par ailleurs, les groupes stables de suppressions et d'adjonctions
En d'autres termes, la stylisation porte sur ces propriétés globales qui constituent un style contribuent à le rendre reconnaissable entre
que sont formes, couleurs et textures, auxquelles elle fait subir une tous. Le style sumérien ne saurait être confondu avec l'ashanti, ni le
opération de suppression-adjonction. kwakiutl avec l'égyptien. Et il en va de même des styles indivi-
duels 4•

1.2.2. Éthos de la stylisation : la lisibilité?

Toutes les stylisations ont un commun dénominateur : elles


réduisent le nombre de degrés de liberté de l'énoncé, elles le 2. Examen de quelques cas
rendent descriptible par un nombre minimum d'équations et de
constantes, accentuent l'interdépendance de ses divers éléments et
lui confèrent de ce fait une unité plus grande. L'objet stylisé est aisé
à percevoir et donne l'impression d'être facile à comprendre: il Après avoir dégagé, de façon un peu abstraite et théorique, les
paraît résulter d'un principe formateur clair. traits fondamentaux de la stylisation, il est sans doute temps de les
Il est possible de passer insensiblement du .dessin d'une feuille examiner dans quelques exemples. Comme à l'habitude, et pour
d'acanthe à celui d'une feuille de vigne, par une série continue bien montrer la généralité de notre approche et son caractère
d'intermédiaires formels2: à partir d'où décidera-t-on que l'on est opératoire, nous les choisirons aussi divers que possible : la
passé de l'une à l'autre? La stylisation résout ce problème et montagne sacrée, l'art des Indiens de Colombie britannique, le jeu
augmente la lisibilité ( ou diminue le risque d'erreur). Elle discrétise, de tangram, les tapis d'Anatolie, etc. Chacun de ces cas sera
puisqu'elle sémiotise, et constitue la première étape dans un examiné non pour lui-même, mais parce qu'il est particulièrement
processus constant dans toutes les cultures : celui de la formation de représentatif d'un aspect du phénomène général de la stylisation 5•
répertoires codés (et finalement d'alphabets), celui d'une sémiotisa-
tion de plus en plus poussée. Toutefois, la stylisation peut être
poussée si loin qu'elle finit par détruire la lisibilité, de sorte
qu'envisager pour elle ce seul éthos paraît exagérément réducteur. 2.1. La pluralité des stylisations: la pyramide
L'analyse de nos divers exemples nous oriente vers un second éthos
qui pourrait être l' « extraction de traits faiblement présents ».
On a affirmé et prouvé que la pyramide d'Égypte était une
montagne stylisée (Samivel, 1976), mais on a dit la même chose de
1.2.3. Stylisation et styles la ziggurat, de la stûpa, du mastaba, de Borobudur et de bien
d'autres temples (Hautecœur, 1954). Il apparaît immédiatement
Il est banal de souligner que le même objet peut être stylisé de qu'on peut styliser une montagne de bien des manières qui
plusieurs façons. Une fleur ou une feuille peut faire l'objet d'une s'excluent l'une l'autre. Mais réciproquement, le triangle et la
stylisation romantique, fantastique, modern style, puérile, mécani· pyramide peuvent aussi être des flammes stylisées ... Comme l'a dit
que, psychédélique, etc. Sous chaque type de stylisation il y a un fortement Lévi-Strauss (1979 : 58) : « [La signification] résulte à la
368 369
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE
LA STYLISATION
fois du sens que le terme choisi inclut, et des sens, exclus par ce aérien 9soient, à l'inverse, totalement oubliés dans les compositions
choix même, de tous les autres termes qu'on pourrait lui substi- finales • On peut également observer que ce placage systématique
tuer. » Le parti choisi est donc révélateur des intentions des de deux formes sur d'innombrables représentations iconiques parti-
producteurs de l'œuvre, qui eux-mêmes reproduisent une « lec- cipe d'une métaphore plastique généralisée. La géométrisation, qui
ture » de la montagne et non une « vision » de celle-ci. Ceux semble obligatoirement constitutive de toute stylisation, est certes
d'Égypte ont retenu de la montagne ses arêtes obliques, son sommet ici aussi présente, mais elle sous-tend une icône plutôt qu'une simple
aigu, ses proportions massives, ses vastes pans rocheux. D'autres, rationalisation. Son application uniformise le champ visuel et donne
éliminant les arêtes, les pans et la pointe, retiendront la forme de une grande cohérence au monde perçu, ce qui bien entendu véhicule
coupole ou de cloche et feront la base circulaire et non carrée. sa part d'idéologie.
Doit-on croire que des traits aussi mutuellement exclusifs sont Dans un second temps, les Indiens de la côte Ouest ont élaboré
tous des « accidents organisateurs fondamentaux » (AOF) au sens quelques règles simples quoique non triviales pour la représentation
de René Thom (1973)? D'autre part si on appelle AOF les traits des êtres. La première est une sorte de perspective connue sous le
communs à toutes ces représentations stylisées de la montagne, il ne nom de « représentation dédoublée ». La seconde est un principe de
reste guère que les deux suivants ( qui, soit dit en passant, ne sont remplissage qui veut que l'intérieur d'une figure ne comporte
pas plus matérialisés dans la représentation que la boule dans l'arbre aucune partie vide mais soit au contraire bourré d'éléments figura-
dit en boule) : tifs divers. Ceci aboutit à une équipartition de l'information : plutôt
- axe vertical ; que de laisser vide le flanc de l'animal, on y placera un visage. Ce
- section décroissant de la base au sommet. principe de remplissage peut connaître un degré de plus quand le
dessin est déformé jusqu'à remplir toute la surface du support (un
coffre, un chapeau, une plaque de cuivre, un vêtement). D'autres
règles semblent être la non-obligation de respecter les proportions,
2.2. La stéréotypie : l'art de la côte Ouest et l'insistance sur les points d'articulation du corps (la création finale
n'est pas sans analogie avec notre pantin).
Ces règles étant données, il s'agira de représenter à partir de ce
La stylisation n'est jamais une opération de simple suppression: répertoire limité fait d'ovoïdes et d'U fendus tout être réel ou
elle remplace et ajoute. L'art graphique et la statuaire de la imaginaire. Des restrictions chromatiques sévères s'ajoutent à cela,
Colombie britannique illustrent ceci à merveille 6• ainsi que diverses représentations stéréotypées ou motifs tels que la
Dans un premier temps, cette civilisation s'est donné quelques « tête de truite saumonée» (elle-même à base d'ovoïdes). Loin de
unités de figuration dont les deux principales sont l'ovoïde et l'U rendre les ensembles confus et méconnaissables, ces techniques
fendu 7• Leur origine figurative paraît indéniable, car le mot Haida améliorent au contraire la lisibilité : avec un peu d'habitude on
pour / ovoïde/ désigne aussi dans cette culture les grandes taches identifie sans peine des êtres mythiques, même hybrides, tels ce
sombres sur les ailes de la plie, et la même tribu appelle plume Serpent Dancer, mi-loup mi-homme, et en même temps serpent... 10
trémulante (flicker-feather) la forme en U fendu correspondant en
effet à l'extrémité de cette plume de pic flamboyant ou pic rosé (red-
shafted flicker) 8• Ces deux formes ont une grande généralité et
peuvent s'adapter à de nombreuses situations, sans pour autant
évoquer irrésistiblement le poisson ou l'oiseau. Cela ne veut bien
entendu pas dire que ces habitants du monde abyssal et du monde
370 371
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE

2.3. Le rôle des contraintes géométriques: le tangram

Il existe un jeu vénérable et qui soulève à nouveau le problème de


la stylisation et de la double articulation : le jeu de tangram. On en
sait la règle : il s'agit d'obtenir à partir de sept pièces toutes
différentes la silhouette de n'importe quel être, réel ou imaginaire. ~
Les pièces ont une forme simple : cinq triangles, un losange, un
carré, et peuvent elles-mêmes par surcroît s'assembler en un carré, 1 1 (b)
1 1
un rectangle ou un triangle. c:::l c:::::l
Les pièces élémentaires forment en un sens un répertoire de base
limité, et la règle d'assemblage se formule comme l'obligation de (a)
mettre toutes les pièces en contact dans un seul plan, sans
répétition, omission ou chevauchement.
On est surpris de voir comment, à l'instar du jeu surréaliste de
L'Un dans l'autre, il est possible de représenter ainsi acceptable-
~-- - ---~
,,,,,,,,,,.~
(c)
ment à peu près n'importe quoi. Mais ici si l'on peut considérer, en
effet, le résultat comme « stylisé », on ne peut plus dire que la
stylisation prend ses directives dans les systèmes perceptif et (d)
psychique d'un artiste : elles sont bien plutôt imposées arbitraire-
ment et de l'extérieur par la règle du jeu, et manifestent à la limite le
système perceptif d'une culture ici formulé en termes abstraits et
géométriques, alors que chez les Indiens de la côte Ouest, il l'était
en termes iconiques et mythiques.

2.4. Le rôle des contraintes techniques : le tapis


~

(e) (1)
+ (g)

Figure 19. Motifs de tapis d'Orient : (a) cheval; (b) oiseau;


Un autre exemple de contraintes extérieures nous est donné par (c) « Boteh » (pomme de pin); (d) peigne; (e) étoile;
les stylisations typiques des tapis d' Anatolie ou kilims. On sait que (f) insecte; (g) cimetière.
les tapis noués se divisent en deux familles, selon qu'ils sont réalisés
avec le nœud senneb ou persan, ou avec le nœud ghiordès ou turc.
Ce dernier - sans doute le véritable nœud gordien - est un nœud
double qui enroule le brin de laine autour de deux fils de chaîne, et
372
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE LA STYLISATION

de ce fait ne se prête pas à la réalisation de lignes courbes : on ne concevoir des rythmes plastiques et des « lignes dynamogènes»,
peut tracer avec lui que des lignes droites ou des lignes en escalier, obtenues en utilisant uniquement des obliques selon des angles
sinon des trous apparaîtraient entre les fils de chaîne. Contrainte multiples de 15°. Il ne s'agit pas d'autre chose que d'un modèle de
très stricte qui rend difficile la représentation de sujets animaux ou lecture harmonique du monde naturel- tout aussi rêvé et mythique,
floraux, et explique en partie l'abondance des thèmes géométriques. dans son genre, que l'ovoïde et l'U fendu des Indiens de la côte
Néanmoins, on trouve sur les kilims de nombreux motifs comme les Ouest-, une sémiotisation simplificatrice ayant servi de base à une
bordures à vrilles, les fleurs, les feuilles, l'arbre de vie, les rosettes, stylisation picturale.
les palmettes, les clôtures, les papillons, les scorpions, les araignées, C'est toutefois au peintre hollandais Bart Van der Leck que nous
les insectes, etc. Ceux-ci ont subi une stylisation poussée qui, tout en demanderons une démonstration de l'idée suivant laquelle la
témoignant de l'imagination et du goût des facteurs (généralement stylisation est parente du processus de la synecdoque généralisante
des jeunes femmes), rend parfois l'identification incertaine. C'est le sur le mode Il.
cas par exemple d'une bordure dite en « chien qui court », et qui Dans une stylisation, les formes deviennent de plus en plus
pourrait être dérivée de la représentation ... de crêtes de vagues. simples perceptivement : les courbes complexes sont remplacées par
L'illustration montre quelques-uns de ces motifs remarquables. des courbes régulières, ou par des droites ; les angles sont ramenés à
Dans le système de coordonnées d'un tapis anatolien, les axes 30°, 45°, 60° ou 90°; les couleurs deviennent uniformes; les nuances
sont orthogonaux et l'espace est discontinu : seule est permise diminuent en nombre et sont finalement ramenées au noir, au blanc
l'occupation des points équidistants d'un réseau, ce qui forme une et à quelques couleurs dites « primaires ». C'est bien une telle
image faite de points colorés qui sont en fait des pixels. stylisation que Van der Leck a fait subir à ses toiles, pourtant déjà
La contrainte technique ne suffit cependant pas pour expliquer passablement contraintes : personnages toujours vus de face ou de
pourquoi les formes se simplifient à ce point. Deux facteurs peuvent profil, faces inexpressives et uniformes ( quoique typifiant un
ici jouer : la nécessité de mémoriser un « patron » ( du moins pour Néerlandais moyen), perspective à l'égyptienne. En 1916 et 1918, le '
les tapis traditionnels faits à la main), et le désir de parvenir à une peintre a repris un grand nombre de ses toiles pour leur faire subir
lisibilité excluant l'hésitation ou l'erreur. A nouveau, selon cette une dernière transformation généralisante, vers ce qu'il appelait des
hypothèse, l'image iconique évoluerait vers la représentation codée, « images mathématiques ». En fait, il s'agissait de blocs (le plus
avec au stade ultime un véritable alphabet. souvent rectangulaires) de couleur noire, rouge, bleue ou jaune sur
fond blanc. Ces blocs, reprenant les masses colorées de ses toiles
antérieures, sont disposés sans contact aucun les uns avec les autres.
On possède des dessins et des gouaches permettant de suivre ce
2.5. Une échelle de stylisation? L'exemple de Van der Leck processus et - en ayant à l'esprit cette origine« figurative » (ce qui
a pour effet de relever le niveau de redondance) - il est possible
d'identifier des silhouettes d'objets ou de personnes dans des
Tout le monde connaît les dernières toiles de Seurat (Le Chahut, compositions d'apparence tout à fait abstraites. Ce qui frappe est
Le Cirque). On a montré comment elles illustrent les spéculations l'extraordinaire soin avec lequel ces blocs sont choisis ; ils préservent
(ou les élucubrations) de Charles Henry. Ce dernier, ayant conçu de façon remarquable l'équilibre des masses et des coloris, et leur
une transposition de l'harmonie musicale à la peinture, se trouva disposition (comportant rarement des lignes obliques) fait usage de
entraîné à discrétiser toutes les dimensions du signe visuel, du moins propriétés bien établies du système visuel : toute ligne manifestée
la forme et la couleur. En particulier transposer la notion de rythme, dans un bloc tend à être prolongée par l'œil, et tout alignement est
qui implique une répétition et une reproduction d'intervalle, lui fit alors perçu comme significatif. Il en va de même des symétries. En

374 375
VE RS UNE RHÉ TORI Q UE G ÉN ÉRAL E

jouant à compléter les figures sur cette base, on reconstituerait sans


trop de peine la silhouette des objets de départ, ce qui prouve que le CHAPITRE XI
peintre s'est contenté de détruire une bonne part de la redondance
des types, n'en laissant subsister que juste ce qu'il faut pour rendre
possible la lecture. Dans certains cas, sans doute les plus réussis, Sémiotique et rhétorique du cadre
cette reconstitution est à la limite du possible (par exemple, la
Composition n° 4 (1917), tirée d'une toile antérieure intitulée Sortie
d'usine (1910)).

1. Sémiotique du cadre

La question du cadre a depuis longtemps préoccupé les cher-


cheurs en sémiotique visuelle 1• La définition qu'a donnée Meyer
Shapiro de cet objet empirique est connue : il s'agirait de la
« clôture régulière isolant le champ de la représentation de la
surface environnante >~ (1982 : 13). Définition qui pèche d'évidence
par son côté restrictif : elle semble en effet postuler que la notion de
cadre ne s'applique qu'aux messages iconiques ( « représentation » ),
dans un univers à deux dimensions (« surface environnante»), et
qu'elle se limite à certaines formes seulement parmi celles qui sont
possibles(« régulières »).

1.1. Contour et bordure

Mais il y a plus : la notion de cadre, telle qu'on la trouve chez


Shapiro et d'autres, ne définit jamais qu'un objet empirique. Or,
elle recouvre des phénomènes bien différents en droit sur le plan
sémiotique. Ces phénomènes, nous les distinguons ci-après en les
dénommant respectivement contour et bordure.
Le contour est le tracé non matériel qui divise l'espace en deux
régions, pour créer le fond et la figure (ce mot n'étant pas pris au
sens rhétorique). Le contour se distingue de la simple limite en ce
377
SÉMIOTIQUE ET RHÉTORIQUE DU CADRE SÉMIOTIQUE ET RHÉTORIQUE DU CADRE

que cette dernière définit topologiquement - c'est-à-dire de façon


neutre - un intérieur et un extérieur 2. Le contour, lui, appartient
perceptivement à la figure repérée. Il est donc un percept, qui 1.2. Relation du contour et de la bordure
intervient dans la délimitation des unités et des ensembles iconiques
et/ou plastiques.
Le contour peut être plus ou moins marqué, suivant que La relation entre contour et bordure est complexe. Une réflexion
l'opposition du fond et de la figure se manifeste sur un plus ou moins rapide pourrait faire dire qu'il peut y avoir contour sans bordure,
grand nombre de plans (couleur, texture, etc.). mais que la bordure crée toujours automatiquement le contour; ou
La bordure est l'artifice qui, dans un espace donné, désigne encore faire affirmer que ces deux concepts n'ont rien à voir entre
comme une unité organique un énoncé d'ordre iconique ou plasti- eux - le contour délimitant des signes isolés, la bordure délimitant
que. La manifestation matérielle de la bordure peut être une des énoncés. Voyons ce qu'il en est exactement.
baguette, un ensemble de tringles, un tracé quadrangulaire au Partons de l'unité visuelle plastique (mais ceci vaudra évidem-
crayon sur un mur, etc. Cependant, la bordure ne se définit en ment pour l'unité iconique). Son statut de figure lui vient de ce
aucun cas par son apparence matérielle, mais bien par sa fonction qu'elle est distinguée du fond par un contour. Mais la figure et son
sémiotique. La bordure est un signe, de la famille des index. Son fond immédiat peuvent constituer à leur tour une nouvelle figure
signifié pourrait être glosé de la matière suivante : par rapport à un autre fond : il suffit que les deux premiers objets
(a) Tout ce qui est compris dans les limites de la bordure reçoit soient séparés de ce nouveau fond par un nouveau contour qui les
nécessairement un statut sémiotique. intègre tous deux. Dans ce processus, il est malaisé de définir
(b) Cet ensemble de signes constitue un énoncé homogène, l'énoncé et de le distinguer de l'unité. Pour y arriver, il faut que
distinct de ceux qui pourraient être perçus dans l'espace extérieur à plusieurs unités soient identifiées et que, par ailleurs, se manifestent
cette limite. certains signes démarcatifs. Le plus souvent, la démarcation produc-
(c) C'est sur cet ensemble que l'attention du spectateur doit se trice d'énoncé sera obtenue par la redondance des contours en un
focaliser3• Cette fonction d'indication pourrait être infléchie dans même endroit de l'espace. Prenons une toile colorée posée contre
telle ou telle direction, et enrichie de sémantismes variés par des un mur de craie blanc : ce tableau se distingue du mur par sa
procédures particulières, comme la bordure rimée que nous étudie· couleur, sa forme, sa texture, sa position avancée dans l'espace.
rons plus loin 4• Distinctions dont chacune suffirait à créer un contour mais qui,
Le signifiant d'un tel index peut varier. Il peut être matérialisé par jouant au même endroit, se renforcent l'une l'autre. On est donc
un « cadre », au sens artisanal du terme, mais aussi par les socles, fondé à faire de ce tableau un énoncé homogène, même s'il n'est
les vitrines, les barrières, etc. : tous ces artifices organisent l'espace pas monochrome, même s'il comporte un emboîtement de figures,
de façon à ce que l'on y puisse identifier et délimiter des énoncés. c'est-à-dire un enchâssement de contours. La notion de contour
L'espace intérieur étant ainsi indiqué, un autre espace, extérieur concerne donc aussi bien les énoncés que les unités isolées ou les
celui-ci, l'est du même coup : c'est de la bordure qu'il reçoit son groupes d'unités à l'intérieur d'un énoncé 5•
statut d'extériorité. Le contour ne demande nullement, à quelque niveau d'intégra-
tion qu'on le considère, à être matérialisé par une bordure. Ce
dernier signe indexical a pour fonction, soit de confirmer l'existence
du contour d'énoncé, soit, lorsqu'il n'y a pas de contour d'énoncé
identifiable, de stabiliser la constante prolifération des contours
englobants. Mais la bordure a aussi une valeur propre comme

378 379
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE SÉMIOTIQUE ET RHÉTORIQUE DU CADRE

signe plastique, valeur que l'on ne peut résorber dans le message fonction d'index étant représentable par un vecteur, et l'espace
prioritairement indiqué étant l'espace central, il reste possible que la
indiqué.
bordure indique son propre espace. C'est d'ailleurs ce qui se passe
avec les bordures concentriques, que nous venons d'évoquer. La
bordure est donc à la fois incluse dans et exclue de l'espace indiqué.
1.3. Espaces indiqués, artifices indiquants On en arrive ainsi à la définir à la fois comme limite et comme lieu
de passage. Ou mieux : comme instrument de médiation entre
l'espace intérieur, occupé par l'énoncé, et l'espace extérieur.
Notre définition de la bordure ne serait pas complète si nous ne la Les théories sur le cadre ont peu ou prou négligé, au profit de
précisions par trois remarques. Les premières portent sur l'espace l'espace intérieur, cette relation pourtant importante : les amateurs
indiqué (ou plutôt sur les espaces indiqués : l'extérieur comme d'art se gaussent volontiers de telles dames qui achètent une toile
l'intérieur), la dernière sur l'artifice indiquant. « parce qu'elle va bien avec le rideau du vestibule », mais eux-
mêmes, pourtant, accordent une certaine importance à l'emplace-
ment des œuvres dans les galeries, et à leur compatibilité plastique.
1.3.1. Si l'on demandait au lecteur de donner un exemple de
bordure, sans doute avancerait-il d'abord celui du « cadre » classi-
que : moulure délimitant un plan rectangulaire. Cet exemple 1.3.3. Si la bordure est un index à la puissance variable, sans doute
pourrait faire croire que la bordure délimite un espace strictement doit-il exister un« dictionnaire de bordures » où, à chaque bordure,
défini. Mais le signe qu'est la bordure ne « délimite» rien de correspondrait une force indiquante donnée. Et il en va bien ainsi.
manière rigoureuse : il indique, ce qui n'est pas la même chose. Certains objets ont une valeur de bordure fortement socialisée,
Quatre traits, hâtivement tracés à la craie sur un mur, et plus ou d'autres non. Le statut d'un cadre doré, au xvm", ne faisait pas de
moins parallèles deux à deux, indiquent bien un espace, sans le doute. Par contre, l'ouverture d'une boîte n'a pas, aujourd'hui, la
délimiter de façon stricte. Le socle aussi indique un espace, sans que fonction de bordure (nous savons à quoi servent habituellement les
celui-ci soit délimité autrement que par les contours de l'objet qui y boîtes); elle n'est susceptible de l'acquérir que dans certaines
est posé. Il y. a plus : l'indication pourrait être définie comme un circonstances pragmatiques. Comme tout système sémiotique, celui
vecteur dont l'intensité est par conséquent variable. Le concept de la bordure varie donc dans le temps et dans la société. Est-on sûr,
d'indication peut ainsi rendre compte de phénomènes qui complexi· par exemple, que les peintures rupestres préhistoriques n'avaient
fient le cadre classique comme le biseau, le filet et le passe-partout: pas de bordure ? Certains index pouvaient alors fonctionner,
chacune de ces bordures concentriques indique l'espace situé dans auxquels nous sommes aujourd'hui moins sensibles : la lueur d'une
sa juridiction, mais les indications ainsi données se renforcent au lampe, par exemple, pouvait très bien créer la bordure qui indiquait
profit de l'espace central. En termes psychologiques, on dira qu'il Y un espace aux limites forcément floues. Selon le moment historique
a une focalisation sur cet espace •
6 et la circonstance pragmatique, un objet donné peut donc avoir une
plus ou moins grande puissance indexicale. Ce qui ne varie pas, par
contre, c'est l'existence même de cette fonction.
1.3.2. Il faut enfin s'interroger sur l'espace occupé par la bordure
elle-même. Fait-elle partie de l'espace indiqué ou en est-elle
exclue ? Concevoir le cadre comme une délimitation aurait évidem-
ment conduit à opter pour le second terme de l'alternative. Mais la
380 381
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE

'O ........
c:: u -o
0 c:: ."';:
0
Cil '.P 0 ] C 0 "'
2. Plan d'une rhétorique du cadre 0 Cl:
... - 'O
<Il
... 0 'O O O ::,
;:I O ' -
~ ,o
..., ·-
..., ........ 6::, ::lÜ
bO'"' 0
~~5 s s
0 ~ U
.BCO·~
Q.)
u
s ·c: .~.g.s
0 C "' 0
0 'E C ... 0 ~ ...
::, u-::,
"O 0
.0
0 ~ C
·-. .... 0 -
·.= "O ·- o.."O
La rhétorique du cadre suppose, comme toute rhétorique, -~ 'O o 0
l'"\..C:+-0..
6 1 1 6
i,...t ..._, Q.) ..._, i::Q i::Q
l'établissement d'une norme. La notion de cadre ayant éclaté au
profit de celles de contour et de bordure, on doit s'attendre à avoir
une rhétorique du contour, distincte de la rhétorique de la bordure.
0
Mais une nouvelle distinction affectera cette dernière. Si la 0 ...
... c::
::,
O"' ...
bordure est un signe, une rhétorique pourra porter sur le signifié et ;:I <Il ·;:: o 5 C o {Î
"'"O..::
f:! .. ·- ~ § ·;:: .s -~ &
sur le signifiant de ce signe. On observera donc des figures affectant So_g So p..·;:: ~ ~ 6 ·- 0
8
~::, ~ C '"'0 C ;,.

la fonction principale de la bordure - l'indication d'un espace ·- <Il v5 § 6 .0 B 1: 8
- ...
C C o "<il
intérieur-, et des figures affectant sa morphologie. Dans ce dernier '"'"'- p:i
0
0 "O 0
'B ô
0
·- '"' C: ~ U ·- p.. C
~
cas, les figures s'établissent par rapport à une norme tendancielle,
"O ...
~
::iu-
~
0
.0
...e
"'0
-e
0
....
c,
~..8~~.?;-06~
.... ,(1) ,eu ,Q)
·-5;
,g
"O "O "O
1
o !::
1
v,
0..-5
1 6
"<il
1
0
1 ~
.
.9"'
variant au long de l'histoire : celle qu'ont établie les usages en u
0--o
0
Q ::i:: i::Q
[/"J
~
matière de cadre.
Mais, jusqu'en ce point, on aura envisagé séparément l'espace -i::
.s
{l
bordé et l'objet bordure. Or il va de soi que l'espace ainsi bordé
n'est pas vide (comme on l'a vu). Le serait-il même phénoménologi-
0
... 'Cl)
"';:I..::
~;:! "E0 ·-c:: Cl)
'0
'E0 0 ... ...... ...
0
oil
~
-
0
6
0
~.
::s
quement que ce vide constituerait un objet sémiotique : un énoncé, g .0 u C •::, C C
0
<Il
()
bO..o -~ ~Cl)~ '0
Cl) Cl) 0
6 ~ 'Cl) ~
-~ ~ ~ g 6 .-::: û 6
en ceci qu'il est désigné par l'index. Mais le plus souvent, l'espace ~ <Il V}
6 0 0 ::, ::, 0 ·..:: c, u
... 6 0
bordé est le lieu d'un énoncé (iconique ou plastique) explicitement ~< o...o 0
'E0 oil '"O "O "O
<Il i:: c:: ... [.<il ~ ~
performé. Une relation s'établit ainsi entre la bordure et l'énoncé
U
0 "' - C
g~.g~
o o ... o
'"O O '"O
.D
,o
Q
s , ,
i:: ·- ·- 0

i::Q
a
.... 8
6 1 1
j
bordé : l'énoncé, et non plus seulement son espace. Cette relation -Cl

peut donner lieu à une quatrième famille de figures de rhétorique. ~


"'C
Ce sont ces quatre familles que l'on trouvera dans le tableau XV 5 0
·;::
0

ci-après, tableau qui sera ensuite commenté dans le détail. "'0


0 ... 0 ~ ~
... c:: u u
i:: ...
0 ...
So 0 ~ ~ C- .~
0 o..-
·- u
~::, '"O 6 .vl 6 ::i
C 'O
"O 0 "O §·<il 6
'"O
Cl) "'
Cl) ~ 1 1
~ '"O U-l
3. Figures du contour
i:: C '
C

-~
0
·€
0 C
-~ .9
û
0
~c, i:: Cl)

3.1. On l'a vu, le contour est un percept: il est ou n'est pas. On § c,


0 '"'C
c, 0
0 ::, :o' o...~
pourrait donc croire qu'aucune rhétorique du contour n'est pos- z [/") -,X:
::, "O
[/") ~

382
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE SÉMIOTIQUE ET RHÉTORIQUE DU CADRE

sible : pourrais-je concevoir d'autre contour que celui qui est offert constitué par la pierre seule, et l'herbe constitue le fond sur lequel
à ma perception? Objection simpliste, déjà partiellement réfutée elle se détache. On est évidemment amené à cette interprétation si
dans les pages qui précèdent : des signes visuels distincts peuvent l'on se laisse aller au réflexe consistant à opposer le fabricat humain
coexister dans un même espace sensoriel, et des conflits de contours au cadre naturel : l'herbe n'est plus alors qu'une parcelle de la
peuvent se manifester entre signes iconiques et signes plastiques. nature englobante. C'est l'opposition anthropologique nature vs
Mais nous traitons ici non du contour de l'unité (plastique ou culture qui fournit la démarcation essentielle dans le spectacle
iconique), mais de celui de l'énoncé. Et sur ce point existe une offert. Dans la seconde lecture, l'énoncé est l'ensemble constitué
norme statistique, tendancielle : celle qui nous pousse à ne recon- par la stèle et l'herbe environnante. La démarcation est fournie non
naître un énoncé que là où un ensemble de signes est séparé du par un clivage anthropologique quelconque, mais par un savoir
monde environnant par un faisceau redondant de contours, que intertextuel : qui se souvient de l'aquarelle du peintre allemand (et
cette démarcation soit ou non soulignée par une bordure. le titre choisi par Finlay est La Grande Motte de Dürer) n'aura
aucune difficulté à intégrer l'herbe à l'énoncé. Mais la difficulté
devient alors la même que dans le cas de la gravure pariétale ou du
graffiti urbain : y a-t-il une démarcation qui isolerait du monde
3.2. Dans cette hypothèse, deux types de figures sont possibles. environnant l'énoncé pierre+ herbe? La seule démarcation est
Toutes deux procèdent de l'abaissement du niveau de redondance fournie par l'énoncé de Dürer, que l'on superpose à celui de Finlay.
(donc d'une opération de suppression) 7• Mais elle n'est relayée par rien. La redondance manque, et
l'ensemble délimité est flou : il n'y a aucune raison impérieuse
d'endiguer la production de contours englobants. C'est donc tout
3.2.1. La première est la suppression totale du contour. Cette figure l'environnement qui est contaminé par l'énoncé de Finlay8•
montre l'énoncé comme en expansion dans l'espace.
C'est une figure de cette sorte que nos contemporains voient dans
les peintures rupestres. Démunis des codes indexicaux qui leur
permettraient de traiter adéquatement l'énoncé, ils sont gênés par le 4. Figures de la bordure
caractère flou de l'espace qui entoure les unités représentées.
L'enfant qui, sur la plage, trace un cadre autour du tableau de
4.1. Rhétorique du signifié: A. Le dedans et le dehors
coquillages qu'il vient d'achever, ressent vraisemblablement le
même malaise devant ce qui pour lui serait une figure s'il ne
contenait son œuvre dans un champ délimité. 4.1.1. La norme

Nous envisageons ici le signifié de la bordure. La fonction de cette


3.2.2. L'affaiblissement de la redondance du contour peut aussi dernière est de désigner un espace à l'attention, et de créer une
amener à s'interroger sur les démarcations de l'énoncé et donc sur distinction entre intérieur et extérieur. La norme est évidemment,
l'étendue spatiale réelle de celui-ci (figure que nous nommerons comme ailleurs (cf. chap. VI,§ 3.4. et chap. rx), la concomitance : il
expansion multistable). Un tel exemple nous est offert par le Jardin doit y avoir superposition de l'espace bordé et de l'espace occupé
de Stonypath de 1. H. Finlay. Soit une pierre où se trouve gravé le par l'énoncé 9• On pourra attenter à cette norme en aménageant la
monogramme d' Albrecht Dürer, pierre posée dans l'herbe. Deux bordure de façon à ce qu'un conflit se manifeste entre celle-ci et le
lectures de ce message sont possibles. Dans la première, l'énoncé est contour d'énoncé.
384 385
SÉMIOTIQUE ET RHÉTORIQUE DU CADRE
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE
l'a vu, la limite est fréquemment renforcée par la bordure. Elle
réside plutôt dans ce fait que l'habituel rapport fond - figure est
troublé : nos habitudes nous auraient fait attendre la représentation
4.1.2. Figures par suppression : débordement d'un espace dans lequel se serait inscrit le bassin. L'adjonction de la
bordure bloque ici le développement de cet espace, ou, autrement
Le cas le plus simple est obtenu par une opération de suppres- dit, nie le contour d'énoncé.
sion : le débordement. L'énoncé iconique ou plastique« sort» alors C'est une figure apparentée que l'on retrouve dans L'Annon-
de la bordure : il déborde. ciation de Savinio. Le trapèze rectangle du cadre semble suivre la loi
Par exemple, dans Rythme plastique du 14 Juillet (1913), Severini de ce qui est représenté : on peut en effet y voir un rappel de la
outrepasse les limites de la toile : les traits colorés débordent sur le structure du grenier mansardé dans lequel la scène se passe. Une
cadre d'un gris neutre en une dizaine d'endroits. fois de plus, l'autonomie de l'espace de représentation est niée au
L'effet de cette figure est bien connu : si l'énoncé s'approprie profit de l'espace représenté.
l'espace extérieur à la bordure cela lui donne un dynamisme Dans un autre cas d'adjonction, le bornage crée de toute pièce un
cinétique remarquable. Le procédé est connu des auteurs de bandes espace représenté. Dans les exemples précédents, elle coïncidait
dessinées, qui ont tôt fait crever les limites de la vignette à tel avec lui; d'où une distinction entre bornage induit- la forme de la
personnage ou à tel objet en mouvement. Il a été largement exploité bordure du tableau de Magritte est induite par celle du bassin de la
par des artistes aussi différents que Çésar Domela avec ses Reliefs femme - et bornage inducteur. On partira ici du Couple avec la tête
néoplastiques ou Niele Toroni avec sa Toile-Mur (1976), faite pleine de nuages de Salvador Dali (1936). Ce qui est peint représente
d'empreintes de pinceaux répétées à intervallesde 30 cm sur la toile deux paysages désertiques, sous des ciels nuageux; à l'avant-plan,
et sur le mur qui l'environne. Mais c'est aussi cette figure que créent deux tables couvertes d'objets mystérieux. Ce qui n'aurait peut-être
des performances comme celle du groupe japonais Gutai (en 1957; rien de remarquable si ces espaces représentés n'étaient découpés
photo dans AA.VV., 1981a : 95) où le «destructeur-créateur» par une bordure formant deux silhouettes humaines. La bordure
surgit à l'œil du spectateur en crevant au passage une série de induit ainsi un signifiant iconique, qui, comme dans La Représen-
grandes feuilles de papier tendues sur des cadres. tation, ne s'inscrit dans aucun fond représenté.
L'adjonction peut aussi aboutir à l'imbordement, exact opposé du
débordement. Autant cette dernière figure dénonce un défaut de
4.1.3. Figures par adjonction : bornage et imbordement l'espace offert à l'énoncé, autant l'imbordement signale l'excès
d'espace. Il s'observe lorsque l'espace bordé n'est pas entièrement
Dans le bornage, les limites attendues de l'énoncé sont réduites occupé par l'énoncé. C'est le cas de peintures où des fragments de
par la bordure. toile restent vierges, non couverts par la couche de fond
Un bon exemple nous est fourni par Magritte dans La Représenta· (réserves) 10•
tion. Cette toile représente un bassin de femme. La bordure trace Parfois, l'imbordement est rendu sensible par des stratégies
les deux droites horizontales qui coupent le corps à la taille et aux complexes d'énonciation. On pense à ces énoncés où un élément
cuisses- ce qui n'a rien d'anormal-, mais épouse aussi étroitement manque manifestement, cette lacune étant rendue sensible par une
la ligne sinueuse des flancs. Négligeons pour l'instant le fait que loi de régularité, du type de celle que nous avons étudiée chez
l'objet matériel ainsi obtenu n'est pas conforme à nos habitudes (ce Vasarely. Par exemple, dans Car disaster d'Andy Warhol, la même
type de figure sera traité plus loin, § 4.2.) : observons plutôt que la scène est répétée six fois sur deux colonnes, la dernière case restant
bordure vient ici au secours d'un contour d'unité qui n'en avait pas vide.
besoin. Mais ce n'est pas encore en cela que consiste la figure: on
387
386
SÉMIOTIQUE ET RHÉTORIQUE DU CADRE
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE

4.1.4. Figures par suppression-adjonction : compartimentage 4.2. Rhétorique du signifiant : B. L'objet

La troisième famille de figures est le compartimentage.


A titre de paradigme, nous prendrons Le Jugement de Pâris de 4.2.1. Les normes
M. Klinger. Cette huile très allongée (à peu près trois mètres sur
sept) représente une seule scène, dans un paysage homogène. Les figures que nous allons décrire affectent non plus la fonction
L'unité iconique de l'énoncé est confirmée par un contour, lui- indexicale de la bordure - son signifié -, mais bien celle-ci, en tant
même appuyé par une bordure de bois sculpté. Mais cet énoncé se qu'objet signifiant.
voit subdivisé par des bordures intérieures, faisant ressembler Comme on l'a dit, la norme est ici de nature historique : ce sont
l'ensemble à un polyptyque. Le spectateur est ainsi confronté à deux des usages réels, historiquement datés, qui font que l'on s'attend à
types de découpages concurrents. Une première lecture lui fait voir une bordure réalisée dans tel matériau (comme le bois ou l'alu),
certains motifs des panneaux latéraux comme sortant de la bordure avec une telle forme (rectangle, ovale), présentée dans une telle
centrale (ce qui nous ramène au débordement, premier type de position, avec de telles couleurs, etc. A vrai dire, la norme
figure étudié), une mitre lui fait voir un espace homogène, historique est allée dans le sens de l'occultation de la bordure. A
simplement segmenté par des bordures internes, celles-ci étant l'époque classico-baroque, il y a une banalisation de cette bordure,
partiellement privées de leur fonction indexicale par la bordure le plus souvent très. sculptée. Au XIXe siècle, ce type de cadre
extérieure 11• • continue à prévaloir, malgré la révolution impressionniste. Ce sont
Un cas particulier de compartimentage (compartimentage avec sans doute les cubistes qui, au xx" siècle, ont le mieux traité le
éclatement) est obtenu lorsque plusieurs bordures juxtaposées dans problème. D'où ces bordures à moulure inversée, soulignant que le
un espace donné présentent les fragments disjoints de ce qui est message icono-plastique part d'un plan imaginaire pour aller au-
manifestement un seul énoncé. La différence avec l'exemple précé- devant du spectateur. Quand une partie de la peinture s'est voulue
12
dent vient de ce qu'un espace non connexe s'est inséré entre les strictement bidimensionnelle, une simple baguette de bois ou de
éléments disjoints. C'est le cas chez Magritte dans L'Éternelle métal est devenue la règle, baguette souvent mince et parfois
Évidence, dans L'inca Pisco B de Gilbert et George, et dans réduite au bord apparent du châssis. Cette norme d'une occultation
nombre de bandes dessinées, qui découpent un même paysage en de la bordure a encore été renforcée par l'habitude qu'on a de ne
différentes cases. L'unité de l'énoncé est le plus souvent assurée plus connaître les œuvres qu'à travers leurs reproductions. Le
grâce à une cohérence iconique 13• C'est grâce à cette redondance visiteur des musées qui ne connaît que les Skira est toujours étonné
que l'on continue à voir un seul corps de femme chez Magritte, alors devant les cadres de Seurat. L'histoire de la sculpture enregistre le
que les fragments du corps sont représentés à des échelles diffé· même mouvement : disparition fréquente du socle.
rentes (ont fait l'objet de transformations différentes selon les
parties d'énoncé), ou encore que l'on perçoit un seul paysage dans
une bande dessinée, alors que les différentes cases représentent des 4.2.2. Figures par suppression : destruction
moments narratifs successifs (par exemple chez Régis Franc). Une
fois de plus, deux découpages coexistent et se contredisent : celui Dans un tel contexte historique, il faut s'attendre à ce que la
des bordures et celui de l'énoncé. figure par suppression soit peu sentie : la simple absence de
baguette ne fait plus figure depuis longtemps. Mais cette rhétorique

388 389
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE SÉMIOTIQUE ET RHÉTORIQUE DU CADRE

peut être mise en scène : l'opération même de suppression est la bordure : elles en affectent la forme et la position ou la texture,
représentée par une bordure incomplète, ou brisée. La bordure peut en substituant à la forme et à la texture attendue une nouvelle forme
aussi être mise à part, comme arrachée de la surface exhibée. Le ou une nouvelle texture (opposition conçu/perçu). Nous les nom-
Décollage de Man Ray (1917), où l'encadrement est incomplet, merons substitutions plastiques.
procède de cette opération. La figure obtenue pourra être nommée Une seconde procédure consiste à faire de la bordure un signe
destruction. L'usage consistant à peindre une bordure sur la toile, iconique. Constituant elle-même un énoncé autonome, la bordure
que nous envisageons ci-après, peut également rendre sensible voit sa fonction indexicale mise en question (et c'est pourquoi il
l'absence de bordure hétéromatérielle. s'agit d'une suppression partielle), au profit d'une nouvelle fonction
de représentation (d'où notre description de la figure comme
procédant aussi d'une adjonction).
4.2.3. Figures par adjonction: hyperbole Les substitutions plastiques peuvent affecter la forme de la
bordure. La Compénétration iridescente n° 7 de Ballà, procède
Plus-courantes en revanche seront les figures par adjonction. Un d'une telle opération : la bordure entourant le champ carré est plus
spectateur du xx" siècle ne peut qu'être frappé par des œuvres où la mince, au point de disparaître, au milieu de chaque bord. L'ensem-
superficie de la bordure représente le quadruple ou le quintuple de ble suggère ainsi une étoile à quatre branches. Le même Ballà avait
celle du tableau ( que celui-ci date de la Renaissance ou de l'époque d'ailleurs expérimenté nombre de formes nouvelles : par exemple,
de Khnopff), ou par des sculptures comme celles de Brâncusi, dont avec un triangle sur pointe pour Les Mains du violoniste (1912).
le socle est souvent une sculpture abstraite matériellement plus La figure peut également affecter la position de la bordure. Que
importante que l'énoncé indiqué. A la limite, la bordure peut celle-ci soit rectangulaire, ovale, ou triangulaire, elle s'inscrit
« étouffer » l'énoncé, au point de le faire disparaître. C'est dans d'habitude dans le système horizontalité-verticalité. L'inscription de
cette catégorie de figures, parentes de l'hyperbole, que l'on rangera L'Ange de l'Amour dans un ovale diagonal par Segantini (1894-
les fameux emballages de Christo : lorsque celui-ci enveloppe le 1897) fait donc assurément figure.
musée d'Art contemporain de Chicago, en 1969, il change assuré· La texture de la bordure peut aussi être affectée. La norme prévoit
ment le statut du bâtiment, dorénavant désigné par une toile cirée ence domaine une large liberté d'exécution (lisse, mat, grenu, etc.).
jouant un rôle indexical; mais au moment même où il l'exhibe, il le Mais elle ne prévoit pas l'usage de certains matériaux : ceux-ci font
fait disparaître à la vue, laissant à la mémoire la tâche de rétablir dès lors figure. C'est le cas lorsque Pascali exhibe un cadre fait de
l'ensemble. Sur le plan des effets obtenus, l'hyperbole de la bordure bottes de foin soutenues par un châssis à la Galerie nationale d'Art
rencontre deux autres phénomènes que nous examinerons chacun moderne de Rome.
en son lieu : la bordure représentée et la bordure iconique ostensive Enfin, la substitution de couleur existe également. Non que le
(§§ 5.2. et 4.2.4.). cadre ait une couleur convenue. Mais, la norme tendant vers la
monochromie, certaines compositions colorées, comme celles de
Seurat, de Severini, de Russel, de Delaunay, font évidemment
4.2.4. Figures par suppression-adjonction : substitution, iconisation écart.
Dans tous ces cas de substitution plastique, l'écart est rendu
Les opérations par suppression-adjonction (ou substitutions) sont particulièrement sensible par la rime plastique s'établissant entre la
plus complexes à décrire et, pour le faire, il nous faudra une fois de bordure et le bordé. La figure est ainsi récupérée par l'espace
plus recourir à l'opposition iconique-plastique. indiqué. Nous avons déjà rencontré le phénomène avec la forme du
Les premières substitutions transgressent, en effet, la plastique de cadre, qui peut susciter la perception d'un type iconique (l'exemple

390 391
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE SÉMIOTIQUE ET RHÉTORIQUE DU CADRE

fourni était la forme polygonale du tableau de Savinio, qui figurait nous situer dans un autre registre, des chefs-coqs porte-menu de nos
l'architecture du grenier). A la limite, même une bordure rectangu- friteries et gargotes. Nous nommerons la figure bordure iconique
laire peut être perçue comme figurant une porte, ou un jeu de ostensive.
poutres si le contexte iconique l'autorise. Une œuvre comme Die
Tochter des Künstlers in der Veranda de Fritz von Uhde multiplie à
tel point les cadres, les fenêtres, les miroirs qu'on est fondé à croire
que l'espace de représentation est aussi un espace représenté.
Ceci nous amène évidemment à la bordure iconique, autre type S. Bordure indiquante, énoncé indiqué
procédant par suppression-adjonction.
Les exemples de telles pratiques ont été nombreux à la fin du
siècle dernier et au début de celui-ci, depuis les zincs colorés de 5.1. Un rapport instable
J.-F. Willumsen jusqu'aux cadres historiés de Klimt, et des japonai-
series de Van Gogh aux sculptures arborescentes de Lévy Dhurmer.
Dans la plupart des cas, l'iconisation de la bordure reprend un Nous pouvons à présent étudier le problème du rapport entre la
thème du bordé (phénomène que nous retrouverons ci-après avec la bordure et l'énoncé inscrit dans l'espace indiqué. C'est ici, sans
bordure rimée), sans cependant que la relation entre indiquant et doute, que jouera pleinement le statut paradoxal de l'objet bordure,
indiqué soit contestée. La sculpture choisie par Dhurmer pour lequel reste extérieur à l'espace qu'il indique, tout en lui apparte-
encadrer ses Oiseaux aquatiques dans un paysage (1880), avec ses nant 14.
branches tombantes, figure comme un avant-plan de décor théâtral Si nous considérons bordure et énoncé comme deux choses
qui serait dans l'ombre, la scène à l'arrière étant vivement éclairée. distinctes, nous observons que leur rapport normal est à la fois de
Cependant, le rôle dévolu à la bordure dans la représentation peut disjonction et de conjonction. De disjonction nécessairement,
devenir si important que son statut en devient problématique. Le puisqu'un index ne peut totalement se fondre dans l'espace qu'il
portrait d'Empédocle par Signorelli (dans la cathédrale d'Orvieto) indique. La bordure doit donc être plastiquement différente de
est de ce point de vue exemplaire. On peut y voir un énoncé l'énoncé bordé, sur le plan de la couleur, de la texture et de la
complexe où le philosophe considère la paroi ornée qui est forme. C'est ce que nous nommons son hétéromatérialité. En
représentée, le torse émergeant d'un œil de bœuf; mais on peut principe, elle n'est pas iconique, sauf à utiliser des motifs que le
aussi voir dans cette paroi une bordure complexe, entourant le genre historique du cadre a inclus dans sa norme : feuilles,
médaillon où Empédocle est représenté, un dialogue s'instaurant branchages, vrilles de vignes, etc. Mais cette relation de disjonction,
alors entre le sujet et la bordure. fondamentale, est tempérée par une relation de conjonction : la
Un cas particulier de bordure iconique se présente lorsque la bordure doit être pertinente à l'énoncé bordé, comme elle doit l'être
bordure iconique met iconiquement en scène d'autres signes osten- à l'espace extérieur. D'où le choix de baguettes présentant la
sifs de sa propre famille : personnages indiquant l'espace bordé, couleur complémentaire de la note dominante d'un tableau, ou de
bras tenant l'espace de représentation, décor de théâtre (comme formes reprenant tel formème de l'énoncé. Wôlfflin (1915) montre
chez Salvador Dali, etc.). Dans tous ces cas, la fonction indexicale ainsi que dans un cadre de la Renaissance, il y a un couplage
se voit hyperbolisée (effet qui était également obtenu par l'adjonc- plastique entre la quadrangularité ( ou la circularité) du cadre et les
tion simple). Évidemment ce type de figure peut être récupéré par compositions qui s'y inscrivent. Par exemple, le tondo de La Vierge
une convention de genre, de sorte que la rhétorique cesse d'y être d la chaise de Raphaël nous montre la Vierge et l'Enfant tout en
sentie ; cas des tenants, supports et soutiens de l'héraldique ou, pour spirales.
392 393
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE SÉMIOTIQUE ET RHÉTORIQUE DU CADRE

Les lois de toutes ces congruences sont encore mal connues, bordure un corps stylisé de femme, Strindberg écrivit au peintre :
comme le sont (notamment) celles des alliances de couleurs ( dont la « Tu sais à quel point je déteste les femmes, et c'est justement pour
norme semble être la disjonction). Mais, sous quelque forme cela qu(? tu en as introduit une dans mon portrait» (apud AA.VV.,
qu'elles puissent s'énoncer, elles n'infirmeront pas cette constata· 1981a : 53).
tion : les figures observées dans le domaine qui nous occupe ici La rime plastique peut jouer sur tous les paramètres du signe
constituent toujours des abaissements du niveau de disjonction plastique. Les bordures pointillistes de Seurat constituent un bon
(renforçant donc la conjonction) et non l'inverse. Augmenter la exemple de couplages de couleur et de forme à la fois. Les lignes en
disjonction, c'est simplement confirmer la bordure dans son rôle zigzag qui, chez Munch, entourent le portrait de Strindberg
indexical. On n'aura donc ici, comme dans le domaine du contour, constituent une rime de forme. Dans C'est moi qui fais la musique de
que des figures par suppression. G. Van Elk, le cadre triangulaire, inhabituel, souligne la structure
du sujet où la queue de pie du pianiste et le piano à queue déformé
créent la large base d'un triangle obtusangle.
L'effet obtenu par la figure de la rime procédant d'un mouvement
5.2. Figures: bordure rimée, bordure représentée centrifuge peut s'apparenter à celui du débordement : l'espace de la
bordure est envahi par l'espace central. Mais ce qui est propre à la
rime, c'est qu'elle enrichit la valeur indexicale de la bordure. Non
Les deux figures qui abaissent le niveau de disjonction sont d'une seulement celle-ci indique-t-elle un espace, mais commente-t-elle le
part la bordure rimée, d'autre part la bordure représentée. Dans la message qui y est inscrit, par un autre message iconique ou
première figure, c'est l'énoncé qui confère à la bordure quelques· plastique. Toutes les rimes sont en effet susceptibles d'être associées
unes de ses caractéristiques (couleurs, motifs, etc.). Dans la à des contenus riches et détaillés : les lignes brisées de Munch
seconde, c'est la bordure qui donne ses caractéristiques à l'énoncé, peuvent apparaître comme un commentaire sur le caractère tour-
puisque celui-ci la reproduit iconiquement. On pourrait donc dire menté de l'œuvre de Strindberg; quand Van Gogh dessine des
que la bordure rimée procède d'une démarche centrifuge, et la idéogrammes de fantaisie sur la bordure de ses japonaiseries, ou
bordure représentée d'une démarche centripète. quand il les entoure d'icônes reprenant des stéréotypes orientaux
En fait, ces deux démarches sont parfois difficiles à distinguer. On (bambous, etc.), il produit un effet de pastiche, etc.
a décrit plus haut les feuillages et les grappes de raisin de Dhurmer
comme extérieurs à l'énoncé, ce qui fait qu'on y verrait volontiers
une rime. Mais la bordure est dans un tel accord avec l'énoncé qu'un 5.2.2. La réflexion des artistes sur le caractère paradoxal de la
amateur de paradoxes pourra décréter que la toile ne fait que bordure les a parfois amenés à expliciter la fonction indexicale de la
représenter cette bordure-là. Ce qui domine est la parenté de bordure en la représentant. On peut donc voir dans ces bordures
fonction des deux figures : la compénétration de la bordure et de incluses un effort pour déplacer les espaces en présence : la bordure
l'énoncé. prétend s'installer pleinement dans l'espace bordé.
Ce mouvement ne fait bien sûr qu'accentuer une propriété de la
bordure : celle qui fait de l'espace qu'elle occupe elle-même un lieu
5.2.1. La bordure rimée peut l'être iconiquement ou plastiquement. de médiation entre l'intérieur et l'extérieur. N'appartenant que
Un exemple de rime iconique vient d'être rappelé avec Dhurmer. faiblement à l'espace intérieur, la bordure y est résolument convo-
Rime suggère ici équivalence. Mais le rapport institué n'est pas quée par tous ceux qui l'ont peinte, dessinée ou sculptée. Lorsque
toujours de ce type. Portraituré par Munch, qui avait dessiné dans la P. Ranson dessine des ménagères en train de peler des pommes de
394 395
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE SÉMIOTIQUE ET RHÉTORIQUE DU CADRE

terre, il les entoure d'une bordure dont les arabesques suggèrent des compartimentage représenté : de L'Automne de Larionov à la
épluchures. Bordure donc, mais qui viole la règle d'hétéromatéria· bande dessinée qui, parfois, subdivise ses vignettes en cases plus
petites.
lité.
Les effets obtenus par la représentation sont variables et dépen-
dent du contexte. Si la bordure homomatérielle se complète d'une
bordure hétéromatérielle (une« vraie bordure »), alors on se trouve
devant un effet parent de celui qui est produit par l'hyperbole. Si par
contre, il n'y a aucune bordure hétéromatérielle, la bordure 6. Modèles et réalités
représentée pourrait bien suggérer que celle-là a fait l'objet d'une
destruction... Car la représentation de la bordure disqualifie la
bordure extérieure 15•
La représentation de la bordure peut aller fort loin. A la limite, 6.1. II nous faut répéter ici que la description des figures du cadre
elle peut aller jusqu'à l'exclusion de toute autre représentation: concerne des modèles, et non des faits empiriques; les exemples ne
c'est la bordure elle-même, avec toutes les significations qu'on lui sont là qu'à titre d'actualisations de mécanismes généraux, et le
associe, qui devient le seul objet du message iconique. On peut ici propos tenu sur chacun d'eux n'épuise pas, évidemment, la totalité
évoquer certains trompe-l'œil du xvn" siècle, et les mettre en regard du message qu'ils constituent. Par ailleurs, certaines figures ont été
d'œuvres modernes comme la toile de Johns (1976) sur laquelle un désignées ici qui attendent peut-être encore leur exploitation
cadre est collé, ou la couverture de Lichtenstein pour le catalogue concrète par des peintres, des affichistes, des collagistes, etc.
Art about art. C'est la même démarche, sans doute de dérision, Qui voudrait · se tourner du côté des phénomènes empiriques
qu'on observe chez tous ceux qui représentent les éléments de serait vite confronté à deux problèmes : celui de la compénétration
l'activité qu'est l'encadrement : Le Clou de Braque est resté des figures, et celui de la production de l'effet.
célèbre. Plus neufs et plus riches sont les Champs limites de Rudy
Pijpers, qui procèdent d'une autre technique, mais qui aboutissent
aussi à l'évacuation de toute autre représentation que celle de la
bordure : ces baguettes recouvertes de toile représentent la tranche 6.2. Si chaque figure a son mécanisme propre, il va de soi que, dans
d'un tableau vu de profil. En renvoyant à un énoncé par ailleurs les faits, telle figure peut être la condition matérielle de la
identifiable ( on reconnaît les géométries de Mondrian, les traits production d'une autre figure. Ainsi le bornage observé dans
arrachés de Van Gogh), l'artiste exhibe en fait cet endroit oil L'Annonciation (figure du signifié de la bordure, procédant d'une
l'énoncé s'arrête, qui est le contour, et montre la bordure elle-même adjonction) va de pair avec la production d'une bordure trapézoï-
comme lieu de médiation entre l'espace indiqué intérieur et l'espace dale (figure du signifiant de la bordure, procédant d'une suppres-
indiqué extérieur. sion-adjonction). De même, la rime plastique de C'est moi qui fais la
Notons que la bordure incluse peut fournir une icône de toutes les musique, cité plus haut, va de pair avec la production d'une bordure
figures de la bordure, de quelque famille qu'elles soient. triangulaire ; les rimes iconiques vont de pair avec une iconisation de
Ainsi la Madone de Munch offre-t-elle une bordure peinte, de la bordure. Concrètement, aucune de ces figures ne peut être
couleur rouge, mais cette bordure s'interrompt en deux endroits: dissociée de sa voisine : on ne peut dire qu'il y en ait une qui soit la
cas de destruction. La bordure peinte dans Les Éplucheuses de conséquence de l'autre. Mais ceci ne met nullement en question
Ranson, déjà nommées, offre un cas de bordure incluse rimée. US l'existence de la figure isolée en tant que modèle.
cas de bordures incluses multiples ne sont pas rares, pas plus que le
396 397
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE SÉMIOTIQUE ET RHÉTORIQUE DU CADRE

de réduire les faits à un squelette inintéressant, la prise en


considération des différents niveaux de pertinence rhétorique attire
au contraire notre attention sur l'extraordinaire richesse des faits de
6.3. Quant à la production de l'effet, on connaît la complexité du communication visuelle.
problème. On sait aussi - toute l'histoire de la rhétorique ancienne
est là pour nous le prouver - qu'aucun classement fondé sur les
effets ne peut reposer sur des bases solides : de tels classements
entraînent l'éparpillement du sujet dans des distinctions ad hoc, en
principe infinies ( ou du moins en même nombre que les objets
rencontrés). Des classements fondés sur les procédures matérielles
utilisées pour obtenir la figure auraient le même manque de
pertinence : ils nous égareraient dans le dédale des « spécialités »
individuelles, de l'emballage de Christo à l'inimage de Passeron, du
décollage de Man Ray au crozermitage de Dubidon) 16 •••
On rappellera donc ici notre proposition d'approche du phéno-
mène de l'éthos. Nous distinguons un éthos nucléaire, dépendant
exclusivement de la structure de la figure, et qui est pure virtualité;
un éthos autonome, prenant en considération le premier éthos et le
matériel dans lequel s'actualise réellement la figure (éthos qui reste
encore virtuel puisqu'il considère, par abstraction, la figure comme
indépendante de son contexte) ; un éthos synnome enfin, qui tient
compte de ce contexte et en particulier des autres figures qui s'y
manifestent (que ces figures soient des figures du cadre ou qu'elles
soient d'une autre espèce).
Nous avons, dans le cas de chaque figure, défini l'éthos nucléaire
en cause : indistinction pour les figures de la relation bordure·
bordé, mouvement centrifuge pour le débordement, etc. Il va de soi
que des affinités existent, sur le plan des effets, entre des figures
relevant de domaines différents. Ainsi, l'effet d'exaltation de la
bordure peut être obtenu par des figures du signifiant, qui sont aussi
bien d'adjonction (hyperbole) que de suppression-adjonction (bor-
dure iconique ostensive), mais aussi par des figures de la relation
bordure-bordé. L'effet d'évacuation de l'énoncé représenté est aussi
bien suggéré par des bordures hyperboliques (Christo) que par la
bordure représentée (Pijpers). L'expansion de l'énoncé vers l'exté-
rieur est obtenue par les opérations de suppression se produisant
dans les trois domaines du contour (Finlay), du signifié de la
bordure (le débordement) et du rapport bordure-bordé (rime). Loin
398
VERS UNE RHÉTORIQUE DES ÉNONCÉS À TROIS DIMENSIONS

les fleurs ont un langage, très raffiné comme on sait, sous les espèces
CHAPITRE XII
de !'Ikebana, etc.
Pour en revenir à des manifestations statistiquement normales en
Vers une rhétorique des énoncés Occident comme en Orient ou en Afrique, qui aborde la sculpture
à trois dimensions soulignera d'abord sa tridimensionnalité vraie par opposition à la
tridimensionnalité signifiée que l'énoncé planaire se donne par la
perspective, le jeu des ombres, etc. Art du volume, comme
l'architecture, la statuaire diffère de la peinture en ce qu'elle induit
un rapport distinct entre l'énoncé et le spectateur. En dehors de
l'anamorphose à double icône (une image en vue frontale, une autre
en vue latérale), étudiée dans le cadre des transformations, la
1. La sculpture
peinture est faite pour une vue frontale dont les conditions
optimales sont étroitement codifiées.
Les différences entre les conditions de perception des messages
1.1. Caractéristiques des énoncés tridimensionnels bi- et tri-dimensionnels ont été mises en évidence par un Wallach
(1985). Lorsque l'observateur se meut autour d'un buste, l'objet
La sémiotique et la rhétorique de la sculpture sont encore dans les tourne par rapport au sujet, mais ce dernier compense cette
limbes. Ce qui a requis l'attention des chercheurs, ce sont les rotation, en l'annulant. Lorsque le même buste est représenté en
énoncés iconiques - et dans une moindre mesure les énoncés deux dimensions, la compensation n'a pas lieu, et la figure semble
plastiques -, dans la mesure où ils s'inscrivent dans les deux suivre l'observateur dans sa translation.
dimensions. Ceci au point que l'école greimasienne a inventé la La sculpture ne programme donc pas la lecture frontale, du moins
notion de « langage planaire» (cf. Floch, 1982). dans son principe. A l'instar des hologrammes, elle autorise en
Toutes les considérations qu'on a pu lire jusqu'ici sont d'applica· principe une lecture circumambulatoire. En principe, disons-nous.
tion pour la sculpture ( et non seulement pour la sculpture en relief, Car historiquement, et sans doute par analogie avec la peinture, la
mais aussi pour la statuaire proprement dite, pour la ronde-bosse, lecture frontale de la sculpture fut longtemps de règle. Ce sont les
qu'elle soit iconique ou non). L'étude des transformations a montré phases dites « baroques » qui rompent délibérément avec cette loi :
que les énoncés planaires n'étaient qu'un cas particulier parmi les groupe du Laocoon, art bourguignon, Bernin, et, pour la sculpture
énoncés visuels, et qu'il n'y avait pas lieu de privilégier l'opération moderne abstraite, Gabo, Calder, Arp, etc. 1• Nous sommes donc
qui les produit, à savoir un certain type de projection. en présence de normes culturelles, liées à la pédagogie esthétique :
Évidemment, les manifestations tridimensionnelles ajoutent aux on a dû apprendre à regarder une statue en tant que telle, c'est-à-
faits une spécificité dont il faut rendre compte. Songeons que la dire comme message à trois dimensions. A cet égard, le « Musée
texture est déjà une manifestation tridimensionnelle, comme on a imaginaire » ( comme l'a appelé Malraux, sur une idée de Benjamin)
eu l'occasion de le voir (chapitre v). Songeons aussi à tant de freine considérablement la perception de la sculpture en la transfor-
manifestations des avant-gardes contemporaines en ce qu'elles ont mant en énoncés à deux dimensions. Malraux lui-même dans son
eu de plus déconcertant pour les classifications traditionnelles. Musée imaginaire de la sculpture mondiale, sélection de dix mille
Emballer le Pont-Neuf, est-ce de la sculpture, est-ce un cadre photographies, n'a pas eu l'idée de montrer plusieurs vues d'un
(comme on l'a suggéré au chapitre précédent), ou est-ce une même énoncé ; pire encore, son anthologie est quasiment une
sophistication de l'art de l'emballage-cadeau? En bouquet ou non, succession de visages 2 •••

400 401
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE VERS UNE RHÉTORIQUE DES ÉNONCÉS À TROIS DIMENSIONS

Ces normes culturelles désignent trois lieux où la réthorique peut lité sert bien le dessein de l'imagier car ces morceaux de corps
venir agir. changent d'aspect, par rapport au type, selon le point de vue
Les conditions de perception de l'énoncé tridimensionnel indui- adopté; vu d'un côté, tel volume est un ventre de parturiente, vu
sent plusieurs types de relations entre l'énoncé et le spectateur. d'un autre, il devient cuisse, etc.
L'une de ces relations est la multiplicité (§ 1.2.1.). Une autre Dans la sculpture iconique, la tridimensionnalité se fait instru-
caractéristique communément attribuée à la sculpture est sa maté· ment de rhétorique dans des sujets tels que Janus. Le célèbre Persée
rialité (§ 1.2.2.). Une dernière, moins essentielle, est son immobi- de Cellini est un exemple subtil de telle figure à double face.
lité; ce trait n'est guère ici qu'une tendance statistique (§ 1.2.3.). Une autre rhétorique de la tridimensionnalité est peut-être à
chercher dans certaines œuvres du Bernin. Comme toutes les statues
baroques, celles du Bernin sont à dynamisme centrifuge et donc
d'aspect très changeant ; mais quand l'illustre sainte Thérèse est
1.2. Rhétorique disposée dans tout un environnement architectural et lumineux,
l'œuvre nous force, par sa situation, à la vue frontale. Tel est bien
l'un des critères wôlffliniens du baroque : la visualité l'emporte sur
1.2 .1. Figures de la multiplicité la tactilité. Il y a donc ici comme un paradoxe, puisque le signe, très
tactile, est forcé à n'être que vu. Ceci nous amène à la seconde
Que peut -on tirer de ce caractère évident ( ou qui devrait l'être) de caractéristique reconnue à la sculpture.
la statuaire qu'est la tridimensionnalité? La critique d'art en a
parfois conclu à un fondement de la valeur esthétique : à la
différence d'un volume naturel, la statue doit enchaîner les profils 1.2.2. Figures de la matérialité
de manière à ce que chacun d'eux soit en quelque sorte prégnant du
suivant. Entre la vision frontale unique et la vision circumambula- A divers endroits, nous avons souligné l'importance sémiotique et
toire, induisant une infinité de lectures, il y aurait donc une rhétorique de la texture dans les messages visuels à deux dimen-
troisième vision : celle qui privilégie certains moments de la sions. La sculpture ne pouvait manquer de nous y ramener. En
deuxième. On appellera cette vision : multiplicité. Dans la sculpture effet, c'est un lieu commun de la critique d'art de faire valoir
iconique, le type commande de toute façon l'unité de la série. l'importance de la matière dans la sculpture 3• Le langage quotidien
Avec certaines sculptures purement plastiques, surtout de porte d'ailleurs témoignage de cette importance depuis longtemps
grandes dimensions - ainsi du Gabo qui flanque le bâtiment De ressentie : on dit communément un bronze de Rodin, un bois de
Bijenkorf à Rotterdam -, la multiplicité est poussée très loin. Brâncusi, un marbre d'Arp, etc. Archéologiquement, on doit
Beaucoup de sculptures d' Arp, quoique généralement petites, nuancer cette constatation, ici encore : nous savons que les statues
recherchent assez évidemment la même diversité. Il est vrai qu'elles grecques étaient plus ou moins peintes, comme les chapiteaux
sont proches de la figuration, étant donné qu'elles font penser romans ; le baroque populaire connaît aussi les statues habillées de
généralement à des corps animaux avec leurs protubérances parfois vrais tissus et perruquées ; à un degré plus bas de la légitimité
obscènes; mais ces volumes n'en sont pas moins perçus comme culturelle, on passe au musée Grévin, inventeur de l'hyperréalisme
monstrueux. On peut donc y voir une rhétorique qui joue sur les de Hanson qui, lui, est socialement situé en haut de l'échelle des
types (le corps féminin, les seins, les fesses, les épaules), en leur valeurs, notamment économiques. Mais la pratique contemporaine,
faisant subir des distorsions à faire rêver un biologiste féru de Y compris la façon contemporaine de traiter la sculpture ancienne,
manipulations génétiques. On remarquera qu'ici la tridimensiona· favorise la statue qui ne dissimule pas le matériau. On ne repeint

402 403
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE VERS UNE RHÉTORIQUE DES ÉNONCÉS À TROIS DIMENSIONS

plus les statues grecques comme rêvaient de le faire les archéologues corps, le signe iconique est comme précontenu dans le message
allemands du néo-classicisme. plastique. Dans ces cas, la figure n'est plus de contradiction, mais
bien de renforcement.
On peut donc parler d'une texturalité statistiquement normale
dans la sculpture : celle-ci y joue un rôle plus important qu'en
peinture. (Pour cette dernière, l'idéal classique était le « léché »,
sorte de degré zéro de la texture.) Elle concourt même au repérage 1.2.3. Figures de l'immobilité
du genre esthétique qu'est la sculpture. Dans le collage à la Picasso
(guidon + selle de vélo = bucrane), il n'est pas indifférent que les L'immobilité est par définition une des caractéristiques des arts de
ready made soient coulés en bronze : ce matériau ne connote-t-il pas l'espace. Ce qui n'a jamais empêché les plasticiens de multiplier les
la « sculpturalité » ? trucs pour suggérer le mouvement. Ici, à nouveau, il semble que la
Cette texturalité normale de l'esthétique contemporaine de la sculpture l'emporte, dans l'un et l'autre cas, sur la peinture et
sculpture nous introduit d'emblée, semble-t-il, dans le rhétorique. l'architecture. De par son aspect matériel, la statue iconique nous
Du moins lorsque la sculpture est iconique. met presque toujours en face d'un objet soumis au principe de
Chaque texture a en effet, comme on l'a vu au chapitre v (§ 2), sa gravité. L'immobilité lui est tellement inhérente qu'il suffit à une
propre sémantique. Les signifiés ainsi dégagés entrent nécessaire· personne vivante de rester immobile pour « faire la statue ». Dans
ment en relation avec les signifiés iconiques, et cette relation peut notre enfance belge, on appelait ça « jouer aux postures ». On sait
être rhétorique. que MM. Gilbert and George ont, pendant un temps, ennobli le
Quand le marbre ou le bronze sont une tête de femme, par genre, pratiqué aussi par de pauvres diables qui font la manche sur
exemple avec Mademoiselle Pogany de Brâncusi, on peut être la plaza de Beaubourg et devant le Metropolitan Museum ou Les
frappé par la relation contradictoire entre les signifiés « animé » et Deux Magots. Et de toute évidence la sculpture hyperréaliste joue
« minéral », dégagés respectivement par le type iconique et la sur cette donnée : la mimesis est poussée aussi loin que possible,
sculpture. Ceci nous rapproche des figures linguistiques que sont sauf que ces mannequins ne sont pas articulés, ce qui serait
l'antithèse ou l'oxymore. techniquement facile à faire. La pesanteur statuaire a commandé
Évidemment, ce type de rencontre n'a pas toujours lieu. A ce aussi bien des sculptures abstraites.
compte, tout énoncé iconique serait rhétorique, et nous savons que Mais, depuis Dédale, les sculpteurs ont cherché aussi à suggérer le
ce n'est pas le cas : le plus souvent, les facteurs plastiques sont mouvement. Les archéologues supposent que les premières statues
résorbés dans l'identification du type iconique. Mais cette rhétori- où une jambe fait un pas en avant ont été ressenties comme un
cité est potentiellement présente partout, et des circonstances prodige de mobilité, un peu comme le vérisme de l' Entrée du train
pragmatiques peuvent en susciter la perception. Et l'habitude de dans la gare de La Ciotat faisait que les spectateurs reculaient dans
considérer l'importance de la texture en sculpture constitue bien une leur fauteuil. Malheureusement, la suggestion du mouvement oblige
de ces circonstances. à des artifices de soutènement, qui sont des béquilles, au sens
La lecture rhétorique est encore plus nécessaire lorsque les propre et figuré. Ainsi le Louis XIV du Bernin, sur son cheval
_signifiés des autres paramètres du plastique entrent en jeu pour cabré, ne tient que par le buisson dont il surgit. Même le Discobole,
multiplier les relations possibles. qui ne représente pas un instantané du lancer du disque, mais le
Si le marbre est veiné - et la langue porte ici le témoignage de moment d'arrêt avant la détente, a une béquille.
notre tendance à iconiser -, il y a une analogie sémantique avec le Reste alors la possibilité d'intégrer le mouvement réel. Cette
corps animal. Si telle nodosité du bois correspond à telle saillie du intégration a donné naissance à l'art de la marionnette, qui est,

404 405
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE VERS UNE RHÉTORIQUE DES ÉNONCÉS À TROIS DIMENSIONS
chose curieuse, toujours très stylisant. La non-figuration allait est, on n'en veut pour preuve que les écrits de Jencks (1969) ou
reprendre à nouveaux frais cette mobilité. Calder a fait beaucoup encore le titre d'une traduction de Zevi, Le Langage moderne de
d'enfants jusque dans les écoles maternelles 4• Nicolas Schôffer a l'architecture (1981). Inutile de dire que dans l'abondant discours
lancé les mobiles « high tech », cybernétiques et tout. Naturelle- autour de ce thème, le terme langage est pris le plus souvent dans un
ment, il y a des effets rhétoriques propres au travail d'un artiste, sens bien large 5•
comme lorsque les « mobiles » de Calder ont dû faire place à des Limitons-nous à la légitimité du discours sémiotique sur l'archi-
« stabiles ». L'impécuniosité légendaire de la municipalité liégeoise tecture. Voyons si l'art de bâtir des habitations - et il est commode
a transformé le mobile de Schôffer en stabile : rhétorique par d'y rattacher le design des objets et l'urbanisme - constitue un
suppression de crédits. système de signes.
Comme on court au ridicule en enfonçant des portes ouvertes,
empressons-nous de rendre hommage à Umberto Eco, lequel -
pour des raisons circonstancielles autant que par intérêt scientifique
- consacra dès 1968 quelque 80 pages à la « Sémiotique de
2. L'architecture l'architecture », sous-titre de la troisième section de La Structure
absente. Malgré sa valeur heuristique, cette tentative souffrait peut-
être du postulat que l'objet architectural- à la différence des autres
objets visuels étudiés par l'auteur dans la section précédente - est
2.1. La sémiotique de l'architecture essentiellement fonctionnel : est réputé architectural, selon Eco,
« tout projet de modification de la réalité, à niveau tridimensionnel,
ayant pour but de permettre l'accomplissement de fonctions con-
Parente pauvre des arts de l'espace, la sculpture n'a guère suscité nexes à la vie collective » (1968 : 261). Définition qu'on pourrait
d'approche sémiotique et rhétorique. Sur l'architecture, par contre, discuter. Tout d'abord, « fonction » est un mot qui a fait, depuis un
a pris appui un essor théorique considérable. Dans le vaste siècle, dans les écrits sur l'architecture, bien des ravages; on y
mouvement architecturologique, en cours depuis un quart de siècle, reviendra (§ 2.2.). Ensuite, est-il nécessaire de rappeler qu'il y a
la sémiotique s'est taillée une part non négligeable. Et l'invasion quantité de messages visuels à deux dimensions qui « modifient la
néologique a succédé à la transposition des concepts linguistiques réalité » et « accomplissent des fonctions collectives » ? Sans même
des années 80. Mais l'assimilation de l'architecture au langage, dans tenir compte des affiches, cas trop faciles, bien des icônes remplis-
un sens plus ou moins large, a des origines lointaines, médiévales au sent ou ont rempli des fonctions sociales : faire prier des fidèles,
moins : pour un Pierre Roissy (xn" siècle, apud De Bruyne, 1946), célébrer un Tout-Puissant, prince ou président, conseiller un juteux
« les vitraux qui empêchent le vent et la pluie et qui permettent à la placement, etc. Eco ne partait pas d'un bon pied, semble-t-il, en
lumière du soleil d'entrer sont l'image de la Sainte Écriture qui, opposant l'architecture et ses annexes aux formes d'expression dont
nous illuminant par ses histoires et ses allégories, repoussent de le but est la contemplation, « comme par exemple les œuvres d'art
nous les doctrines dangereuses». Plus tard, Condillac soutiendra ou la réalisation de spectacles ». Notre auteur est bien trop
l'idée que c'est le langage d'action, langage muet, danse de gestes, intelligent pour ne pas s'être rendu compte très vite que nous
qui a produit tous les arts. Au XIXe siècle, les romantiques pouvons au moins « jouir de l'architecture comme d'un fait de
exploitèrent à fond l'équation cathédrale = livre des illettrés. On a communication » (souligné par lui). Encore un peu plus loin, se
cité mille fois, à ce propos, Notre-Dame de Paris et La Bible dégage l'idée de « modèle mental », à propos de la grotte primitive,
d'Amiens. Que ce lieu commun soit encore fréquenté à l'heure qu'il ensuite la possibilité de communiquer la fonction.
406 407
VERS UNE RHÉTORIQUE DES ÉNONCÉS À TROIS DIMENSIONS
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE
dégagées soit toujours stricte : le narthex, le balcon, le kiosque ne
Arrivés à ce point 6, nous pouvons admettre une évidence : les
délimitent pas un espace mais l'indiquent). L'important est de
objets architecturaux - de même que les objets usuels et l'environ- souligner que ce mode d'intégration fait jouer les relations de
nement bâti - communiquent non seulement leurs fonctions cons- subordination, de superordination et de coordination que nous
tructives d'abris, sur lesquelles on reviendra, mais des signifiés
avons rencontrées dans le modèle de Palmer. La deuxième chose à
comme des sentiments ou des « atmosphères», exactement comme
noter est liée à cette organisation. Les diverses modalités de
la musique et la peinture abstraite. réalisation de la fonction entraînent l'existence d'autant de types
Il est facile et naturel de projeter diverses significations sur une
(maison particulière, gare, complexe sportif, cabane au Canada).
habitation, et on peut à ce sujet bachelardiser à perte de vue : la
La question de l'articulation du signe architectural débouche sur
Porte Étroite (avec ses connotations d'épreuve ou de naissance) et
celle de la relation entre l'architecture et ce qui l'englobe - son
les Caves du Vatican, l'escalier d'honneur, le foyer, le balcon du environnement. Tout architecte est attentif à la relation entre le
Général ou des époux Ceau§escu, les greniers de toutes les
bâtiment d'une part et le terrain, la végétation, le relief, les
enfances. De ce point de vue, le signe architectural peut être
constructions voisines d'autre part. L'urbanisme n'est donc qu'un
assimilé au signe plastique, et pose les mêmes problèmes que lui. degré supérieur de l'articulation architecturale, et Schuiten et
Comme lui, il est à rapprocher de plusieurs familles de signes
Peeters étaient fondés à créer le néologisme d' « urbatecte ». Mais
motivés étudiés par la sémiotique. Il se rapproche ainsi souvent de
qu'il soit entendu qu'on en appelle ici à un urbanisme descriptif, qui
l'indice : indice de sa fonction, mais aussi indice de sa facture, donc
prendrait par exemple en considération ce que l'on nomme la
de son énonciation (construction hâtive ou soignée, etc.). « skyline » d'une ville. Cette articulation pose le problème des
Autre certitude : l'architecture connaît aussi des significations
frontières supérieures de l'objet architectural : s'arrête-t-il à son
conventionnelles. Certaines sont des connotations arbitraires (telle
contour, ou l'espace négatif intervient-il dans sa définition, comme
couleur utilisée dans certain édifice public me fait rapprocher celui·
c'est le cas pour la sculpture? Tout ce que nous avons appris des
ci d'un hôpital ou d'une caserne), d'autres ont un caractère plus ou
mécanismes de la perception fait évidemment pencher pour la
moins iconique : plans d'églises chrétiennes cruciformes, plans de
seconde branche de l'alternative.
bordels en forme de phallus ou de sein, etc. De nombreux érudits
Cette spatialité englobante de l'architecture a été tenue pour non-
ont étudié depuis longtemps le Symbolisme du cercle et de la coupole
pertinente par un Souriau, mais des spécialistes comme Focillon ou
(Hautecœur, 1954). D'autres ont mis en évidence les signifiés
Zevi (1981) l'ont bien mise en valeur. A partir de ces emboîtements,
sexuels des colonnes classiques grecques (Chaslin, 1985). Récem·
Ursula von Goeknil a forgé le mot d' Umraum pour focaliser notre
ment encore, on a mis beaucoup de soin à décrypter une figure
attention sur cette particularité fondamentale de l'architecture
comme le mandala, dont on sait quelle place elle tient dans
qu'est l'espace interne : nous sommes dans l'architecture, nous ne
l'architecture orientale (Edeline, 1984a). sommes jamais dans une statue, sauf celle de la Liberté, qui est un
En tant que signe plastique, les éléments architecturaux ont des
monstre comme le cheval d'Ulysse. Nous nous contenterons de
formes, des couleurs, des textures. Tout ce qui a été dit au sujet du
quelques exemples typiques d'effets liés à l' Umraum. L'espace peut
fonctionnement et de l'organisation de ce signe peut être repris ici
être « central » en plan (la célèbre rotonde de Palladio), ou allongé
(jusqu'à sa décomposition en formèmes, chromèmes, texturèmes).
(nef gothique ou baroque) ; dans le deuxième cas, il a une direction
Mais deux choses sont particulières à l'architecture, tenant toutes
qui en appelle à notre motricité, le premier étant plus statique. On
deux à son caractère fonctionnel. La première est son mode
connaît l'histoire de Saint-Pierre-de-Rome, du plan centré de
d'articulation. Tel mur peut être constitutif de telle pièce, cette Bramante au plan basilical de Maderno, allongé encore par la
pièce s'insère dans tel immeuble, l'immeuble dans telle zone
célèbre colonnade du Bernin, dont le plan est ovale (avec un dessein
urbanisée (sans que la démarcation entre les différentes unités
409
408
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE VERS UNE RHÉTORIQUE DES ÉNONCÉS À TROIS DIMENSIONS

iconique : ce sont les bras maternels de l'église). L'espace peut être dimension iconique à la fonction ( cas d'une maison-visage, ou d'un
haut en élévation (très haut dans le gothique) ou plutôt bas (petits restaurant-bateau). La première famille de figures doit être subdivi-
appartements rococo à Versailles, appartements de Le Corbusier). sée. Quand on parle de fonction en architecture il faut en effet
Il peut être ouvert ou fermé (maison personnelle de Philip Johnson distinguer sa fonction constructive ou tectonique - sa « solidité » -
ou bunker) ... Comme on le voit, nous retrouverons dans l'Umraum de sa fonction d'usage, son« habitabilité ». Une rhétorique pourra
les principaux formèmes de position (/verticalité/, /centralité/) ou dès lors s'établir sur chacun de ces plans(§§ 2.2.1. et 2.2.2.). Quant
d'orientation (/saillance/, /ascension/, etc.). aux signifiés plastiques non fonctionnels, leur nombre est si élevé
Tout ce qui a été dit sur le sémantisme de ces formèmes vaut donc que nous n'en retiendrons que deux : l'effet de spatialité (§ 2.3.1.)
ici. Ainsi, la hauteur du gothique induit tous les signifiés habituelle- et l'effet de temporalité (§ 2.3.2.).
ment associés au mouvement ascendant.
Ce détour par la question du caractère sémiotique de l'architec-
ture, que nous n'avons pas épuisée 7, était nécessaire pour aborder
celle d'une rhétorique dans le même domaine. C'est que l'architec- 2.2. Rhétorique de la fonctionnalité
turologie, comme la musicologie ou la pinacologie, doivent d'abord
établir leurs objets respectifs comme systèmes de communication
avant de pouvoir étudier valablement ces variations isotopiques ou 2.2.1. La fonction tectonique et sa rhétorique
transformations secondaires que constituent les figures de la rhéto-
rique. . Certains esthéticiens ont soutenu que les caractères spécifiques de
Si elle peut espérer puiser dans la rhétorique des « images », en l'architecture par rapport à la sculpture tiennent en deux mots :
avance sur elle, la rhétorique de l'architecture forcera celle-ci, en construction et habitat. Mais il importe de se placer ici du point de
retour, à définir d'une manière plus complète les « messages vue proprement sémiotique et non technologique, et de préciser que
visuels ». les deux concepts pointés n'interviennent qu'à titre de signifiés :
Une des difficultés primordiales dans l'établissement d'un sys- c'est l'aspect constructif qui compte, et non sa réalité tectonique,
tème rhétorique consiste ici comme ailleurs dans la détermination éprouvée seulement par l'expert en résistance des matériaux.
des normes par rapport auxquelles se définissent les figures. Notons au passage cette différence essentielle d'avec la sculpture,
A première vue, il semble que l'architecture relève en gros d'au laquelle ne cherche pas à manifester le travail de lutte contre la
moins trois codes, délimitant autant de domaines rhétoriques. Le pesanteur (au contraire, nous l'avons vu, les béquilles y sont
premier concerne la communication de la fonction ( comme dé- ressenties comme des faiblesses). Par contre, nous admirons les
montré par Eco) ; le second la communication d'autres signifiés arcs-boutants d'une nef gothique, dont on perçoit le travail de
plastiques; le troisième la communication d'éventuels énoncés ico- soutènement. La première fonction d'une architecture est donc de
niques. La rhétorique exploiterait dès lors trois types de manipu- se soutenir visiblement. Ceci revient à dire que le premier signifié
lations. La première est la « subversion » de la fonction ( exemple fonctionnel de l'architecture est« solidité de l'abri proposé ». Entre
d'une fausse fenêtre) ; la seconde est la manipulation de signifiés ou les tentes et les bunkers qui fleurissent aujourd'hui côte à côte dans
de signifiants plastiques : ces signifiés peuvent entrer en relation les déserts, bien des intermédiaires sont possibles ( ce que les trois
rhétorique avec les valeurs fonctionnelles, de la même manière que petits cochons savaient depuis longtemps).
dans la sculpture figurative les signifiés plastiques pouvaient inter- Mais évidemment, si ce type de considération est à même de
férer avec les types iconiques (un exemple pourrait ici être celui d'une fournir une norme rhétorique, cette norme sera nécessairement
prison attrayante). La troisième manipulation consiste à ajouter une affectée par des facteurs historiques. Le système constructif ogival

410 411
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE VERS UNE RHÉTORIQUE DES ÉNONCÉS À TROIS DIMENSIONS
représente un modèle de construction très élaboré. Mais avec la campus de l'Illinois est d'une franchise sans pareille, les gratte-ciel
Renaissance, on s'éloigne progressivement de l'explication tectoni- de Chicago sont trop hauts pour qu'on puisse se fier à l'œil. Sans
que : les murs de gravats sont habillés d'un système d' « ordres » qui doute les parties hautes d'un édifice paraissent-elles plus légères que
n'a plus rien à voir 'avec la structure du bâtiment 8. C'est l'architec- les basses (Arnheim); mais, passé un certain seuil, il ne paraît pas
ture des ingénieurs qui renouera avec l'évidence constructive, vraisemblable que des poutrelles puissent soutenir une masse
principalement avec l'entrée en scène du métal 9• pareille, malgré le mur-rideau.
On voit ainsi se dessiner les bases d'une rhétorique, qu'il faut
tenter maintenant de mettre en ordre. Bien entendu, nous ne
chercherons pas son degré zéro dans la mythique hutte primitive 10 : 2.2.2. La fonction d'usage et sa rhétorique
le clivage sur lequel elle va reposer est celui qui oppose une
constructivité où apparence et substance sont parallèles aux yeux du « Fonctionnalisme » renvoie pour le grand public à l'idée
spectateur ou de l'usager, et une constructivité seulement appa- d'expression de la fonction pratique par la forme. On se rappellera
rente. Les effets de ces deux familles de techniques sont bien l'axiome Form follows Function, formulé par Sullivan, artisan du
différents : aux premières l'effet de constructivité authentique, aux modern style, et le non moins fameux adage « Maison = machine à
secondes celui d'artifice. habiter » de Le Corbusier. Le problème est évidemment - et il est
En principe, nous pouvons ranger du premier côté le système insoluble en dehors du néo-platonisme - de savoir quelle est la
fruste du romain et du roman, le gothique comme modèle théorique fonction suffisante de l'habitat : faut-il une chambre isolée par
élaboré par Viollet-le-Duc, l'art du trait ou stéréotomie, dont la personne? La cuisine doit-elle être séparée ou reliée au dining-
France s'est faite le champion, et au xx" siècle Mies Van der Rohe room? Faut-il des appartements dans une cité radieuse ou une
dans ses constructions en poutrelles d'acier. C'est la recherche d'une petite maison dans la prairie? Quel serait alors le second signifié
tectonique non rhétorique ( au sens où selon Barthes certaine fonctionnel de l'architecture? Il est clair qu'on ne peut sélectionner
écriture serait « sans figures»). S'écartent délibérément de ce uniquement les besoins de la vie privée - comme y mèneraient les
purisme toutes les constructions seulement apparentes. Un exemple considérations ci-dessus - et négliger les fonctions collectives :
canonique est le fameux mur colossal du sud de la chapelle de gares, parlements, maisons de la culture, long-houses, maisons de
Ronchamp : il semble épais de deux mètres, mais on sait qu'il est thé, temples ... Nous proposerons (sans prétendre aucunement
fait de deux voiles minces reliés par des tirants. C'est un mur épuiser la question) un signifié fonctionnel à deux aspects, l'un
hyperbolique, au sens rhétorique (et non géométrique) du terme. exotérique, l'autre ésotérique, au sens étymologique de ces termes :
Franchement rhétorique est souvent la construction de ceux que - offrir une coupure ou une séparation par rapport au monde
Jencks appelle les modernes tardifs, ou le bas-moderne. Ainsi extérieur;
l'hôtel de ville de Dallas s'incline-t-il en forme de pyramide - permettre une focalisation sur une activité ou sur un groupe
renversée : I.M. Pei y va un peu fort. d'activités connexes.
Mais le système authentique est également capable de nous Il apparaît aussitôt que ces concepts neutres peuvent aisément
surprendre en déplaçant d'un facteur sur l'autre (de la forme à la être envahis par d'innombrables projections idéologiques.
matière, par exemple) la source de l'effet de solidité : la voûte plate Dans un domaine proche de l'architecture-l'art du mobilier-, le
de l'hôtel de ville d'Arles, attribué à Hardouin-Mansart, a beau siège semble une voie royale de l'adéquation rêvée entre la forme et
tenir, nous le savons, par le seul art de l'appareillage, elle nous fait la fonction. Mais la « sédibilité » peut être assurée par à peu près
spontanément l'effet de ne pas s'écrouler grâce à l'on ne sait quel n'importe quoi : on s'assied sur un pouf, une banquette, un muret,
puissant mortier. Et si la structure des bâtiments miesiens du etc. Il est remarquable que le dernier siècle ait tenté tant de
412 413
VERS UNE RHÉTORIQUE DES ÉNONCÉS À TROIS DIMENSIONS
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE

solutions différentes à ce meuble si commun qu'est le siège :


pourquoi des dossiers démesurés comme chez Mac Kintosh, des 2.3. Rhétorique de la plasticité
fauteuils sans appuie-bras comme chez Corbu, des complexités néo·
plasticistes comme chez Van Doesburg, du kitsch chic comme chez
Mendini, etc. ? 2.3.J. L'isotopie plastique
La question du siège dans la production du xx" siècle doit nous
rendre sceptiques vis-à-vis de la formule de Sullivan et de la vulgate Tout ce que nous avons dit de la rhétorique plastique sera
du design 11• Il semble que les contraintes culturelles pèsent ici d'un
d'application ici. Les énoncés architecturaux sont créateurs de
poids bien plus lourd que les contraintes physiologiques, anatomi- normes locales. Et la chose est d'autant plus aisée à produire qu'ils
ques ou même techniques, au point qu'on pourrait affirmer que la mobilisent fréquemment les régularités constitutives du rythme. Ces
forme constitue une variante libre. Il y aurait alors place pour une régularités peuvent être violées par des performances qui sont
foisonnante stylistique des choix, mais non pour une rhétorique. autant de figures.
Pourtant, s'agissant de sièges, d'automobiles et d'habitats, la Dans tel cloître roman d'Espagne, les milieux des côtés sont
rhétorique a toujours son mot à dire. Passons rapidement sur des occupés par quatre colonnes verticales disposées en carré. Mais l'un
figures assez particulières, comme la citation (le fauteuil « Marcel des quatre ensembles de quatre colonnes rompt avec cette régula-
Proust » de Mendini est évidemment une citation de Monet, par son rité: les quatre fûts créent une torsade. Figure par substitution,
revêtement pointilliste en matière plastique ; les chaises du Stijl portant sur le signifiant plastique, et produisant l'éthos « fantaisie ».
appellent un environnement mondrianesque et vice versa). Le plus C'est donc une fois de plus la loi d'isotopie qui est à l'œuvre. Les
souvent, on observera des redondances ou des contradictions entre éléments plastiques (formèmes, chromèmes, texturèmes) des
les valeurs attachées à la fonction et les signifiés plastiques, que
énoncés architecturaux obéissent normalement aussi à l'isotopie.
ceux-ci proviennent de la forme, de la texture ou de la couleur. Ces énoncés peuvent être affectés par des figures de renforcement.
Ainsi les « relax» Corbu, où l'on est si mal, prétendent communi· Ce sont ces signifiés de formème qui autorisent la rhétorique,
quer la fonction « détente musculaire », notamment grâce à leur dans laquelle on rencontrera une fois de plus les figures de
forme. Le résultat de ces opérations est fréquemment d'activer une renforcement et de contradiction. Renforcement lorsque la vertica-
fonction de l'objet considérée comme secondaire, voire de créer de lité de l'ogive va de pair avec la directionnalité de la nef, les deux
toute pièce cette nouvelle fonction. Lorsque dans les années 60, mouvements pouvant être associés au sein du même système de
certains se sont mis à recouvrir leur voiture de fourrure, ils valeurs ; contradiction dans les fausses ruines, dont l'habitabilité est
atténuaient l'évidence des fonctions que sont le transport, la vitesse,
nulle, mais qui présentent tous les signes de l' Umraum.
la mécanicité, au profit de la chaleur, de l'animalité, de l'habitabi·
Au passage, on aura sans doute remarqué que les figures de
lité. Barthes (1957) avait ainsi montré toutes les suggestions renforcement sont en général bien plus fréquentes que les figures de
métaphoriques de la DS Citroën : le lisse, la transparence, induisant contradiction. C'est que ce dernier type de figure présente en
la « spiritualisation » et la perfection. Mais l'iconisme, auquel il architecture un coût bien plus élevé que dans d'autres sémiotiques
nous faudra décidément passer, n'est pas loin : un autre esthète a w (voir le Palais idéal du facteur Cheval). L'isotopie architecturale
un arrière-train dans l'arrière des 4 CV Renault de son temps, et il n'est en effet pas que plastique : elle est plastico-fonctionnelle (une
ne faut pas être Freud pour comprendre le sens des immenses capots « maison de verre » est presque oxymorique, la transparence - fait
de 1930 ... plastique-, entrant en contradiction avec la valeur d'intimité - fait
fonctionnel). On ne s'étonnera donc pas de voir la figure de

415
414
VERS UNE RHÉTORIQUE GÉNÉRALE VERS UNE RHÉTORIQUE DES ÉNONCÉS À TROIS DIMENSIONS

contradiction récusée par les maîtres de l'œuvre, et de voir les


architectes suivre l'ordre social en favorisant le renforcement.
Au xvm" siècle, les penseurs-constructeurs, comme Ledoux et 2.3.2. La temporalité
Lequeux, tentent de définir de manière normative la signification
architecturale globale : une prison ne doit pas avoir un air guilleret, Si l'architecture produit des signes plastiques, nous pressentons
une église ou un temple doivent attirer les fidèles avec componction, que les formes, les couleurs et les textures n'y ont pas le même
statut. C'est surtout dans le travail sur les formes qu'elle s'est
etc.
A côté de ces figures relativement simples à décrire, d'autres sont investie. Le fait que ces formes sont au service d'une fonction
plus complexes, comme la multistabilité bien décrite par Arnheim : débouche sur une nouvelle particularité de la spatialité architectu-
dans une madrassa, le ciel devient figure sur un fond, ou le rale.
Apollinaire et les cubistes étaient fiers d'avoir découvert une
contraire.
L'isotopie peut être violée à tous les niveaux d'articulation de « quatrième dimension » de la peinture. Celle-ci provient de la
l'énoncé : au niveau des composants simples comme les colonnes, multiplicité (dont nous avons vu qu'elle était une ressource de la
mais aussi à des niveaux plus élevés. Songeons à l'effet que sculpture), théoriquement intégrée à la toile : c'est le visage
produirait une mosquée (une église) dont le minaret (le campanile) représenté à la fois de face et de profil, tarte à la crème de Picasso.
serait remplacé par une cheminée d'usine. Ici, nous voudrions attirer l'attention sur une autre caractéristique
A un niveau supérieur encore, se pose le problème de la relation de l'architecture, qui est le fait qu'un bâtiment, s'il n'est pas une
entre l'architecture et son environnement. Cette relation va permet· maquette, est le plus souvent imperceptible dans sa globalité. Il faut
tre une rhétorique qui nous rappellera celle du cadre, étudiée au du temps pour faire le tour de la cathédrale et, à l'intérieur, pour y
chapitre précédent. Ici comme là, l'environnement peut jouer un déambuler aléatoirement ou selon un code processionnel ( chemin
rôle indexical. Mais les différentes cultures répartissent ce rôle sur de croix, déambulatoire, etc.). Et même une fois ce temps dépensé,
des signes pouvant s'opposer de façon polaire. D'un côté, les la forme globale ne peut être reconstituée que par la mémoire. C'est
rideaux d'arbres, les murs d'enceinte, les haies de hêtre, les douves, de la même manière, on s'en souviendra, que la lecture linéaire d'un
qui séparent l'édifice de l'environnement; de l'autre le camouflage, texte linguistique engendrait une lecture tabulaire 12•
les buttes de terre, les branchages, qui contribuent à l'y fondre. En ce sens, l'architecture glisse vers les arts du temps. Les œuvres
Entre l'opposition et la fusion, la médiation, bien illustrée par la les plus percutantes sont celles où le parcours est programmé. Le
topiaire. A Versailles ou à Belœil, l'édifice est entouré de végétaux déambulatoire d'une église l'inscrit ainsi dans le plan, mais il en va
manifestant les formèmes de l'architecture (mais non ses chro- de même des expositions dans les musées, de la circulation dans les
rnèrnes et ses texturèmes) et, au fur et à mesure qu'on s'en éloigne, supermarchés, etc. Par contre, il faut plus de temps pour pressentir
ces végétaux retrouvent leur forme et leur disposition naturelles. - et c'est parfois impossible - l'intérieur de la villa Savoye de Le
Une autre médiation se retrouve dans le projet de Finlay pour un Corbusier ou, du même architecte, le Carpenter Center de Cam-
monument à J .-J. Rousseau, à installer à Ermenonville. Il s'agit bridge.
d'un mur de béton revêtant la forme d'une coupe, et disposé de telle Une autre rhétorique peut donc venir s'inscrire ici : celle qu'on
façon que le voyageur perçoive l'arrière-plan naturel comme issant retrouve dans les arts du temps comme le couplage, la rime, etc.
Elles peuvent évidemment induire des figures iconoplastiques du
de la coupe.
type de celles que nous avons rencontrées au chapitre IX.
Une autre temporalité est néanmoins perceptible dans certaines
architectures : celle qui résulte de la nécessité de construire de bas

416 417
VE RS UNE RH ÉTORIQUE GÉNÉRA LE VERS UNE RHÉTORIQUE DES ÉNONCÉS À TROIS DIMENSIONS
en haut, et que l'on peut exploiter en quelque sorte phylogénétique- occupée par le bureau du chef de famille, au poste de commande, et
ment ; on a vu qu'un édifice pouvait superposer les ordres architec- par des utilitaires représentant le tender.
turaux dans l'ordre de leur invention. Il y aurait en définitive deux Plus sensibles sont les figures jouant en élévation. Ce sont aussi
échelles de temps dans l'architecture. La première, courte, concerne celles qui risquent de produire l'effet le plus kitsch. Ce sont, par
le temps éprouvé par le corps au cours de son exploration ou de sa exemple, les façades qui évoquent des visages : la porte comme
consommation du bâtiment. La seconde, longue, concerne la bouche, les fenêtres comme yeux (à Osaka, on va jusqu'à utiliser les
dimension historique reconstituée non plus corporellement mais oreilles). Deux exemples sont particulièrement connus. D'abord
mentalement. l'aérogare de la TW A à l'aéroport Kennedy à New York, qui n'a pas
exactement la forme d'un avion, mais au moins la forme inventée
d'un grand oiseau ou d'un aéronef prêt à décoller. L'autre cas est
l'opéra de Sidney. L'intention probable de l'architecte Utson était
2.4. Rhétorique de l'iconisme d'évoquer une suite de bateaux à voile. Mais, plus ou moins
ironiquement, on y a vu aussi quelques religieuses en file indienne
ou - révérence parler - une partouze de tortues. Plus subtil est le
cas de la chapelle de Ronchamp. Explicitement, l'idée de Le
Répétons ce qui a été dit fugacement quelques pages plus haut : Corbusier était de répondre au paysage environnant : courbes des
statistiquement parlant, l'architecture n'est pas un art iconique 13 • collines des Vosges- analogie, bien sûr-, mais l'édifice est blanc-
Cependant, un assez grand nombre de projets ou de réalisations, contraste cette fois ! Les facétieux y ont vu bien d'autres choses ...
tant naïves que sophistiquées, s'avancent assez loin dans la violation
de ce principe d'aniconisme. Autant de figures donc, que l'on peut
rapprocher de la famille icono-plastique.
Certaines de ces figures sont peu senties. Ce sont notamment
celles dont l'iconisme réside dans le plan. Elles ne sont perceptibles
qu'à l'utilisateur des bleus, à l'observateur aérien, ou à l'usager qui
aura pu déboucher sur la lecture tabulaire dont nous parlions plus
haut. En outre, certaines de ces figures sont résorbées par une
norme générique. Dans les lieux de culte chrétiens, la norme fut
longtemps la croix (latine ou de Saint-André). Petit écart: la
branche orientale s'incline pour imiter la tête du Crucifié pendant
sur l'épaule (gothique tardif). Dans d'autres cas, la figure est
manifeste, et n'est récupérée dans aucune norme de genre. Soit la
maison d'un architecte-urbaniste-professeur. Le maître d'œuvre
étant aussi le maître de l'ouvrage, il donne libre cours à son héritage
culturel et à ses phantasmes idiosyncrasiques : en l'occurrence, une
obsession par les trains de chemin de fer. D'où un plan tout en
longueur, où la salle à manger-salon, très allongée, figure le wagon-
restaurant, où les chambres sans portes, alignées le long d'un
couloir, représentent les compartiments, et où l'extrémité est

418
Notes

1. Sur quelques théories du message visuel

1. Remarquons en passant que le sujet focal de la perspective doit tout de


même se dédoubler dans l'anamorphose ...
2. On sait combien les débats de la poétique contemporaine sur les couples
norme-écart, règle-déviation, ont pu rendre suspectes de telles manœuvres
(cf. Klinkenberg, 1990).
3. La différence - de taille - est ici que ces unités non significatives (encore
une formulation privative), ne servant pas à opposer des unités significatives
e.ntre elles, ne pourraient en rigueur de termes même pas être dites ~ distinc-
tives».
4. Terme de toute manière équivoque puisque la peinture reste matérielle.
5. On verra au paragraphe suivant à quelles aberrations peut mener cet
impérialisme du linguistique.
6. Cette remarque est faite pour nous plaire, car elle renforce a contrario le
'" concept d'art régressif (cf. Groupe µ, 1976), dont nous pensons précisément
qu'il euphorise en supprimant les distinctions.
7. On retrouve ici, formulée d'autre façon, la problématique qui a mené
Piaget à proposer les concepts couplés d'Assimilation et d'Accommodation.
8. Tous ces concepts- suppression-adjonction, degrés zéro, perçu et conçu-
seront repris par la suite.
9. Reprenons à Paris deux citations, qui témoignent de ces deux tendances
opposées. Selon Gregory,« Notre pensée la plus abstraite pourrait bien être le
prolongement direct des premières tentatives de l'œil primitif pour interpréter
les structures en termes d'objets externes », tandis que pour V. Chklovski, le
procédé de l'art consiste à « dérouter la perception » : « C'est en déroutant, en
ralentissant, en obscurcissant une perception toujours guettée par l'automatisme
que l'art nous rend au 'sentiment des choses' et à leur présence énigmatique ».
A vrai dire, la citation de Chklovski entraîne dans une direction opposée à celle
suivie par Paris, qui croit pouvoir s'appuyer sur elle. En effet, pour Paris,
l'œuvre n'est pas « déroutante » : elle est lisible, même si cette lisibilité est
plurielle.
10. Ce qui confirmera cette façon de voir, c'est l'approche du problème en
termes de perception, qui sera menée au chapitre II.
421
NOTES DU CHAPITRE I NOTES DU CHAPITRE I

11. Ceci est en accord avec nos connaissances sur le cerveau. Pour Young 19. Cette distinction peut être rapprochée des couples de concepts structura-
(1965) le cerveau est une« carte de l'environnement ». Ce n'est au départ qu'un listes unité vs variante libre et type vs token.
groupe de neurones possédant peu de connexions préétablies, mais susceptibles 20. Une telle théorie aboutit à ce paradoxe que toute la beauté d'une musique
de s'associer par l'apprentissage. Il en résulte un isomorphisme (terme emprunté viendrait de son interprétation, le compositeur n'y ayant aucune part (à moins
aux gestaltistes, mais qui reçoit ici un contenu plus précis) du cerveau avec de modifier intolérablement le sens du mot« esthétique»).
certaines configurations « utiles » du milieu. 21. Nous retrouvons ici toutes les spéculations autour du concept de « style »
12. On ne peut en effet se débarrasser de ce problème en décrétant {cf. Klinkenberg, 1985a).
simplement que la « beauté » est une catégorie culturelle, et qu'elle ne peut en 22. Nous verrons plus loin que tous les phénomènes plastiques sont descrip-
conséquence être trouvée que dans des œuvres humaines : non seulement on tibles à l'aide de trois paramètres : forme, couleur et texture.
peut toujours projeter des schémas culturels sur la nature (schémas religieux ou 23. 1976 : 35-36; le mot forme n'a pas ici son sens hjelmslevien, mais bien son
laïques) mais encore on ne peut a priori écarter l'hypothèse que cette dernière se sens vulgaire. Citons un passage de ce paragraphe : « Percevoir la forme
présente à nous avec des structures propres à susciter le plaisir esthétique consiste à appréhender les caractéristiques structurales que contient le matériau-
(Cohen, 1979, n'a pas craint d'aborder ce problème, auquel on reviendra en stimulus ou qui lui sont conférées. II est rare que ce matériau soit exactement
2.4.). conforme aux formes qu'il acquiert dans la perception. Certes, la pleine lune est
13. Le bruit brownien est analogue au mouvement brownien, dans lequel des ronde, pour autant que nous sachions voir. Mais la plupart des choses que nous
particules ont un mouvement désordonné, mais tel que chaque position dépend voyons rondes n'incarnent pas la rotondité à la lettre; ce sont de simples
très étroitement de la précédente. Un tel mouvement décrit une trajectoire dont approximations. Néanmoins, le percevant non seulement les compare à la
chaque point est obtenu à partir du précédent, par un déplacement aléatoire rotondité, mais encore y voit effectivement la rotondité. Percevoir consiste à
dans sa longueur et dans sa direction. adapter le matériau-stimulus à des spécimens aux formes relativement simples,
14. Ceci est énoncé clairement par Mandelbrot, 1975 : 28. que j'appelle concepts visuels ou catégories visuelles. La simplicité de ces
15. Nous rappellerons ici les concepts de « figures à niveau constant» et de concepts visuels est relative, en ce sens qu'un modèle-stimulus complexe vu par
« figures à niveau variable » que nous avions développés à propos de la une vision raffinée est susceptible d'engendrer une forme assez compliquée, la
rhétorique des messages linguistiques (concepts introduits dans Groupe µ, plus simple à laquelle on puisse atteindre en l'occurrence. L'important, c'est
1970a, § 1, B. 1, et approfondis dans Groupeµ, 1970b). L'harmonie entre partie qu'on puisse dire d'un objet regardé par quelqu'un qu'il n'est vraiment perçu
et tout (harmonie étant chez Mandelbrot synonyme de similitude) joue que dans la mesure où il s'adapte à une forme organisée. »
« verticalement » à la façon d'une synecdoque ou, mieux, d'une mise en abyme, 24. Notons que Marcus se sert de la notion d'espace en utilisant aussi ce mot
et non « horizontalement » à la façon d'une métaphore. Or, s'agissant d'une au sens strict. Il note ce qui peut apparaître comme une évidence, mais qui
similitude, nous aurions ici une structure à la fois synecdochique et métaphori· prend un sens sous l'éclairage que nous venons de donner : de nombreuses
" que, dont la mise en abyme est effectivement la meilleure et vertigineuse structures classiques du langage poétique tendent bien à renforcer le caractère
!,
description. bidimensionnel du message; c'est notamment le cas de la présentation visuelle
16. Des théories plus récentes (Poggio et Marr, 1984) ont permis de préciser des vers.
la forme de cette fonction globalement « inversement proportionnelle ». On 25. Communication (non publiée) au ne Congrès de l'Association internatio-
estime actuellement que dans la zone examinée l'image est d'abord « lissée par nale de sémiotique, Vienne, 1979.
le calcul des moyennes locales (pour résoudre le problème des images 26. Voir aussi le § 3.4. Exceptons ici les travaux de Michel Tardy sur la
« brouillées ») ». Ensuite s'applique une fonction qui attribue effectivement des sémiogénèse.
poids décroissants aux informations provenant de points de plus en plus éloignés 27. Ce sera vrai également pour l'analyse des compositions de Kandinsky par
d'un point central, selon une courbe de Gauss légèrement transformée. le même auteur. Il dégage, chez le peintre, « un petit lexique d'unités
17. L'addition grise exprime le fait que la synthèse des couleurs d'une image figuratives », c'est-à-dire iconiques, et estime que ce peintre traite certains
jugée « harmonieuse » donne un gris. En d'autres termes, si l'on fait tourner sujets religieux de façon « relativement figurative », sans s'interroger sur ce qui
une telle image comme un disque de Maxwell, l'impression colorée résultante constitue cette plus ou moins grande figurativité. On s'aperçoit ainsi que le seul
sera grise. véritable garant de l'iconicité pour Floch est linguistique : le titre des tableaux,
18. Précisons que la recherche récente (v.p. ex. Noton et Stark, 1971) n'a pas les écrits de Kandinsky ou d'autres artistes ...
confirmé la théorie gestaltiste ou holistique dans tous les cas, mais irait plutôt 28. Voir l'article « icône » de Greimas et Courtès. Cependant cette école
dans le sens atomistique ou analytique selon lequel l'objet est un assemblage de n'est pas elle-même à l'abri des défauts qu'elle dénonce : voir la critique de
parties ou de traits. L'hypothèse gestaltiste ne vaudrait que pour des objets Sonesson (1989 : 156-163).
simples et familiers : une Gestalt bien établie, comme la sphère, résiste 29. Des tests psychologiques célèbres, comme le Thematic aperception Test,
prodigieusement bien aux perturbations (cf. § 3.4.1.). sont d'ailleurs fondés sur ce mécanisme de projection.
422 423
NOTES DU CHAPITRE II NOTES DU CHAPITRE II

30. La justification théorique d'une telle position se trouverait aisément chez correction (si elle est possible). On constate que la perception des relations
un Benveniste, qui distingue les unités sémiotiques (ou signes) et les unités importe plus que les caractères absolus, la géométrie interne de la figure (thèse
sémantiques (ou phrases) : une véritable signification n'apparaît qu'au second qu'on retrouvera dans le modèle de Palmer, chap. III,§ 3.2.). Les relations avec
niveau. l'environnement sont particulièrement importantes : notamment, si les côtés de
l'espace visuel sont interchangeables, le haut et le bas ne le sont pas. De sorte
qu'on peut dire d'une figure qu'elle a trois limites perceptuelles principales : un
sommet, une base et des côtés. On voit que la simple description des contours
Il. Les fondements perceptifs du système visuel ne suffit pas à expliquer la perception de la forme : il faut en outre des pro-
cessus mentaux de description, parmi lesquels l'attribution d'une orientation.
Nous fournirons une traduction de tout ceci en termes sémiotiques aux cha-
1. 1979 : 341 ; s. v. Typologie sémiotique. Les auteurs ajoutent (1979 : 27; s.v. pitres m et v.
Canal) que certains ensembles signifiants très vastes sont en fait « des lieux 10. Nous sommes ici au niveau visuel. L'intervention de la synesthésie ne
d'imbrication de plusieurs langages de manifestation étroitement mêlés en vue peut se faire que lorsque des équivalences entre perception tactile et perception
de la production de significations globales ». Ce qui est évident, mais n'invalide visuelle ont été établies. Et ces équivalences ne naissent que dans des
pas la démarche consistant à isoler un de ces langages de manifestation, expériences très élaborées comme celle de la tridimensionalité ou comme celle
démarche que nous avons défendue dans notre introduction. de « l'objet » - qui sera défini plus loin -, somme permanente d'informations
2. Ceci n'est pas infirmé par les travaux des sémioticiens qui considèrent provenant de canaux variés. Sur ceci voir le chapitre v, § 3.1.
séparément un « langage phonémique» et un« langage graphémique » (déjà 11. Il faut noter que s'il y a égalité entre les statistiques d'ordre n, il y a
réhabilités par I. J. Gelb et J. Derrida}, tous deux étant susceptibles de automatiquement égalité de toutes les statistiques d'ordre inférieur.
fonctionner, soit de façon autonome, soit de façon concomitante au sein d'une 12. Tous ces processus sont statistiques, et concernent des arrangements de
seule et même langue (cf. Catach, 1988b}. points largement aléatoires et en dehors de toute figuration. A de tels processus
3. Car, bien sûr, certains systèmes hypercodés mobilisant des signes arbi- peuvent se superposer des ordres non aléatoires, tels que la répétition et la
traires peuvent transiter par ce canal. C'est le cas du code de la route, de nombre rymétrie. Il est en effet parfaitement possible d'engendrer une structure
de logos, etc., qui sont tous à rapprocher du langage écrit. aléatoire et de la doubler par son image en miroir, ou de la répéter un nombre
4. Certains d'entre eux seront décrits plus loin (§ 2.4.3.). illimité de fois. On a la surprise de constater : 1) que la symétrie est détectée
5. En fait nous devrions mieux tirer les leçons de techniques tout à fait immédiatement et surtout, semble-t-il, à partir des paires symétriques situées
familières et quotidiennes, comme le cinéma et la télévision. Tout le monde sait aux abords de l'axe de symétrie; 2) que la répétition n'est détectée que si la
que l'image écranique est immobile au cinéma : c'est la persistance des distance périodique est suffisamment petite; ceci est illustré par l'exemple
impressions rétiniennes - propriété purement sensorielle - qui nous permet de familier du tissu dit « pied-de-poule ».
reconstruire ( dans les films ordinaires) ou de construire ( dans les films 13. Pourquoi un triangle chromatique? Parce que la vision colorée est
d'animation) le mouvement. De même, nous admirons chaque jour qu'un écran produite par les cellules cônes de la rétine et que ces cônes contiennent chacun
de TV où apparaissent 625 lignes nous permette néanmoins de percevoir des un des trois pigments existants : l'un sensible au bleu (pic d'absorption à
surfaces (un écran vidéo comporte 300000 points ou pixels, alors qu'une 445 nm), l'un sensible au vert (pic à 535 nm) et le troisième sensible au rouge
diapositive 24 x 36 en 100 ASA en comporte 18 000 000). Dans ces exemples, le (pic à 575 nm). On voit que physiologiquement les trois composantes de toute
découpage a lieu hors de l'homme. Mais un découpage tout semblable, l'œil le impression colorée sont le bleu, le vert et le rouge (et non le bleu, le jaune et le
pratique aussi : la transmission des impulsions nerveuses le long des axones ne rouge comme on l'enseignait naguère). La représentation logique d'un système
peut se faire que de façon discontinue, chaque train étant suivi d'une période coloré reposant sur trois récepteurs sensoriels est le diagramme triangulaire.
d'inhibition de 1 à 2 millisecondes. Chacun n'étant pas familiarisé avec ce diagramme, la Commission Internatio-
6. La pertinence de cette observation se révélera notamment au moment œ nale de !'Eclairage a opté pour un diagramme cartésien où les couleurs se
nous étudierons la rhétorique du cadre (chap. IX}, ou dans des œuvres comme déploient en une sorte de « langue », avec le blanc au milieu. L'abscisse x
Mère et Enfant de Klee (v. n. 12 du chapitre VI}. représente la fraction (de O à l} de« rouge idéal» et l'ordonnée y celle de« vert
7. Ce concept de texture sera réexaminé plus loin (§ 3 et chapitre v). Les idéal» composant une couleur donnée. Le point origine (x =y= o) correspond
oppositions tranchées fond/figure et scrutation locale/discrimination globalt au« bleu idéal ». Ces trois couleurs sont dites idéales parce qu'elles ne sont pas
devront être relativisées. visibles : seuls les points contenus dans la « langue » correspondent à des
8. Bonne synthèse de tout ceci dans Frisby, 1981. couleurs visibles. Pour une brillance donnée, il suffit de connaître deux des
9. C'est ce qui apparaît lorsqu'on désoriente les figures (par exemple un texte composants (la fraction de rouge et la fraction de vert) pour trouver la troisième
en miroir ou un portrait présenté à l'envers) et qu'on examine comment se fait la par différence. On observera que la ligne droite oblique qui joint les points y= 1
424 425
NOTES DU CHAPITRE III NOTES DU CHAPITRE III

et x = 1 est tangente à la « langue » et comporte le jaune en son milieu exact. pour le justifier, devait recourir au tour de passe-passe de la glande pinéale.
Une lumière constituée de 50 % de rouge et de 50 % de vert est jaune. Enfin le Bien des auteurs, par des approches et avec des vocabulaires qui leur sont
point o central correspond à 33,3 % de chacune des trois composantes : c'est le propres, ont formulé des conceptions qui se rapprochent de la nôtre. Par
blanc. Les nombres indiqués le long du contour sont les longueurs d'onde des exemple Claude Lévi-Strauss (v. Merquior, 1977) pour qui l'univers entier, dans
rayons monochromatiques correspondants, en nanomètres (nm). Les points sa réalité physique, est signifiant. Ce signifiant est toujours « en surplus » par
situés le long de la base de la langue correspondent à des couleurs non rapport au signifié, et ledit surplus constitue un« signifiant flottant », disponible
spectrales : c'est la ligne des pourpres. Divers théoriciens ont voulu simplifier le pour des allocations de signifié. Parlant plus spécifiquement de l'art, Lévi-
diagramme et lui donner la forme d'un cercle ou d'un cylindre, ce qui n'a pu se Strauss rappelle qu'il est la « remémoration de l'instant inaugural du phéno-
faire qu'en « forçant » les données physiques. Ostwald a proposé un cercle de mène du sens», ou encore que« l'art ne s'élabore qu'au réveil incessant d'une
24 nuances ordonnées autour de quatre couleurs principales disposées en croix problématique de la signification - des apories insurmontables de l'effort, sans
(vert-jaune-rouge-bleu). Munsell a proposé un cylindre dont les tranches cesse repris, d'interprétation de l'univers ».
horizontales sont des cercles divisés en 100 divisions ordonnées autour de cinq 3. La théorie du répertoire peut paraître très spéculative. Pourtant elle reçoit
couleurs principales (les mêmes plus le pourpre, non spectral). Cette hésitation une confirmation expérimentale dans ce qu'on a appelé la« théorie de la cellule
sur le nombre de couleurs de base atteste du peu d'objectivité de ces grand-mère », selon laquelle chaque représentation d'objet déterminée est fixée
découpages, sur lesquels nous reviendrons au chapitre v ; § 3. dans une cellule nerveuse stabilisée. On a commencé à localiser de telles cellules
14. Mais ce chiffre peut varier selon les individus et selon les conditions dans le cerveau (lobe inféro-temporal). Cf. Frisby, 1981 : 121-122.
d'expérience auxquelles ils sont soumis : ne dit-on pas que les trieurs de laine 4. Les considérations sur la perception donnent donc raison à Eco lorsqu'il
des Gobelins distinguent jusqu'à 14000 tonalités? constate que si « un code s'établit arbitrairement », en revanche « un système
s'organise pour des raisons objectives» (1988 : 91).
5. L'utilisation de lettres et de phrases en peinture - comme chez Klee - ou
la tradition des poèmes calligraphiés - comme en Orient - confirment ce statut
III. Sémiotique générale des messages visuels sémiotique de l'espace intérieur de l'image, opposé à l'extérieur, et destiné à
recevoir des signes.
6. On verra plus loin le détail de fonctionnement du contour. Ce qui nous
1. Eco et, à sa suite, Saint-Martin exposent également ce problème mais en permettra d'élaborer une rhétorique du contour, en même temps qu'une
termes sans doute exagérément dualistes : « L'on pourrait évoquer la probléma- rhétorique de la bordure (chap. IX).
tique générale de l'émergence de la signification dans l'expérience humaine, e~
utilisant les termes d'Umberto Eco : " Comment passe-t-on d'une réalité qw 7. Cette opposition entre espace réservé et image produite est, notons-le,
n'est pas physique à un continuum matériel? ". Comment le sens, construction parfaitement assumée par les peintres. Beaucoup de ceux-ci distinguent
spécifique d'une activité mentale, existant donc en deçà de l'épiderme, peut-il soigneusement deux étapes dans leur art : la préparation des fonds - souvent
trouver un véhicule d'expression à travers des éléments de type matériel, blancs, mais parfois colorés ou noirs - et la peinture proprement dite.
hétérogène, externe, composant les divers langages et possédant une dynamique 8. Le contour aussi donne à l'image à venir le statut d'une modulation de la
structurelle propre? » (1987 : 104; la citation d'Eco est tirée de 1978 : 182). La lumière au sein d'un espace qui est le lieu d'une lumière brute indifférenciée.
proposition pouvait évidemment être inversée; elle vaut pour l'encodage, mais, C-eci est certes vrai partout, mais un exemple repris à la peinture nous aidera à le
dans le sens du décodage, elle s'écrirait alors : « Comment passe-t-on d'un comprendre. Les impressionnistes ont toujours proclamé qu'ils travaillaient sur
continuum matériel à une réalité qui n'est pas physique? » Saint-Martin la lumière (les c, couleurs-lumières »). Et précisément, chez eux, les couleurs
poursuit : « La linguistique verbale se contente le plus souvent d'une théorie pures sont disposées par taches sur un fond blanc, très souvent perceptible
sémantique de type conventionnaliste, invoquant un accord, une " convention• comme continuum qui en principe les isole les unes des autres, mais en même
pré-établie entre êtres humains, par laquelle lorsque je profère les sons /p:,m/,il temps les baigne comme le ferait une solution.
faut penser à tel fruit, et à un autre, lorsque je profère les phonèmes /RE'liJ. 9. L'organisation des types ainsi conçus au sein du répertoire permet
Cette sémantique lexicaliste ne se pose qu'au terme d'un processus sémantique d'obtenir des découpages du type E, Une conception de la signification visuelle
et recouvre d'un voile opaque les étapes qui précèdent la convention. Elle exclusivement fondée sur des critères perceptifs aurait pu laisser croire qu'on
n'explique pas comment le sens s'est élaboré, quelles sont ses structures propres, ne pouvait y attendre que des découpages de type Il, semblables à ceux qui
ni ce qui se passe, au niveau de l'expression, avant que les consensus ne soient vont être envisagés au paragraphe suivant (sur l'opposition entre Il et ~. cf.
établis » (id.). Groupeµ, 1970a et Edeline, 1972).
2. L'interactionnisme contemporain est cependant bien différent de celui de 10. La généralité de ce principe est attestée. Par exemple, Shannon a montré
Descartes (dans la théorie de qui il faisait un peu figure de corps étranger), qui, que l'initiale d'un mot contient plus d'informations que les autres lettres. Noton
426 427
NOTES DU CHAPITRE III NOTES DU CHAPITRE III

et Stark (1971) ont montré l'importance des limites, et plus encore des angles, 21. Cf. le chapitre XI.
22. En dépit des titres de notre livre et du paragraphe 3. Mais - on le sait
dans la lecture de l'image.
11. · Notion qui sera précisée grâce aux concepts de transformation (chap. IV) depuis Balzac - « les titres des livres sont souvent d'effrontés imposteurs ».
23. Odin, 1976. La terminologie nous paraît quelque peu inadéquate comme
et de stylisation (chap. x).
12. Les avantages d'un tel processus sont multiples (Navon, 1977) : on va le voir : elle semble suggérer que le plastique n'est que le plan de
- une idée grossière de la structure générale est plus utile que quelques l'expression correspondant à un contenu iconique. Le programme de sémiotique
planaire de l'école greimasienne (v. Greimas et Courtès, 1979 : 281-282; Floch,
détails isolés bien vus ;
- on valorise une information à faible résolution ; 1982) participe de la même volonté de réhabiliter le plastique. Cette sémiotique
- on économise l'énergie de traitement de cette information; entend en effet se distancer des « sémiologies qui se fondent essentiellement sur
- on réalise une désambiguïsation des détails indistincts. l'analogie et l'iconicité de l'image (dont elles ne donnent finalement qu'une
13. Palmer ajoute que ses « unités structurelles » ne sont autres que les transcription linguistique) ». Perspective excellente mais qui pèche, selon nous,
« chunks » de Miller (1956). On se souviendra que ce dernier, dans un article en trois points : le traitement ambigu de la notion d'iconisme (qui sera discuté
brillant et souvent cité, maintient que le cerveau humain, afin d'augmenter sa au chap. IV, § 1), le privilège - nulle part justifié - accordé aux objets
capacité de traitement et de mémorisation de l'information (quelle qu'elle soit, bidimensionnels (cette sémiotique se baptise du nom de planaire) sur les
et non seulement visuelle), procède à un recodage. Ce recodage consiste en un tridimensionnels, et enfin le flou sur les relations réciproques du signe plastique
regroupement des bits en chunks, selon des procédures qui pourraient varier de et du signe iconique (v. ci-après, notes 25 et 29), flou qu'on trouvait dans la
culture à culture, et même d'individu à individu. Bits et chunks constituent ici un formulation choisie par R. Odin.
jeu de mots intraduisible : les bits - binary digits ( unités d'information) - sont 24. Parmi les tentatives les plus courageuses pour donner un statut sémioti-
aussi des bouchées; les chunks sont alors des « quignons ». que au plastique, citons, à côté de celles de Wôlfflin et de Souriau, celle de Max
14. Palmer, 1977 : 443. On verra ci-après, à travers un exemple concret Bense (1971). On sait que Carnap a introduit un « langage logique rigoureux»
(§ 3.3.2.), ce qu'il faut entendre par «valeur» (donnée présente également LP; constitué précisément de tels syntagmes affectant des prédicats p à des noms
dans le tableau III). d'objets i. Par analogie, Bense suggère de définir un « langage visuel rigou-
15. Pour alimenter ce débat, signalons que Palmer a montré que la lecture du reux » V\ où seraient cette fois associées des couleurs c et des formes f.
champ visuel procède du global vers le local : en d'autres termes qu'on perçoit L'association c;.f; repose sur l'observation qu'il est impossible de percevoir une
d'abord les propriétés d'ensemble. Ces synthèses peuvent se déplacer de niveau forme sans 'couleur, ni une couleur sans forme. La relation forme-couleur
en niveau, et ne sont pas contraintes de reprendre tous les niveaux subordonnés. pourrait être appelée, selon Bense, « unité perceptive visuelle » ou perceptème.
Dans l'exemple ci-dessus, la composition avec émergence d'une propriété Le théoricien semble faire de la forme l'analogue de l'objet, et de la couleur
globale est possible si on envisage la bouche, le nez et les yeux, mais s'arrête au l'analogue du prédicat, mais il n'élabore pas cette correspondance qui, pour
niveau de !'US visage. On ne doit pas nécessairement appréhender de manière nous, n'est pas soutenable, pas plus que ia correspondance inverse d'ailleurs.
simultanée la stature d'un homme et les poils de son nez. Tout d'abord cette analyse néglige le troisième composant perceptif : la texture.
16. On pourrait citer à ce propos les images bistables, les objets fallacieux tels En outre, elle laisse entendre que la liaison c;.f; est privilégiée et significative,
que les constellations célestes, etc. alors que formes et couleurs interviennent séparément comme déterminants.
17. Par exemple une nébuleuse spirale ne présente aucune spirale et un arbre Par exemple, l'entité « vêtement » pourra être identifiée à partir de détermi-
en boule aucune boule, sinon dans notre représentation (cf. chap. X, § 1.2.). nants de forme, et peut-être de texture, mais sans aucun appel à des
18. Notons ici une différence notable avec ce que nous savons des signes déterminants de couleur : dans le type « vêtement », la couleur est une variable
linguistiques : les relations de subordination et de superordination jouent à la libre. Enfin il est inexact de dire qu'une forme est associée à une couleur, bien
fois dans l'ordre paradigmatique et dans l'ordre syntagmatique. Les notions de qu'on puisse comprendre la pétition de principe d'où vient cette analyse naïve :
subordination et de superordination étaient préfigurées chez Arnheim (1973 : pour celui qui a déjà identifié un citron dans un panier de fruits, il semble
104) sous les appellations de groupement et subdivision. effectivement logique d'associer fortement sa forme ronde et sa couleur jaune ;
19. Davantage même : nous avons associé étroitement les notions de signe et mais pour ce faire, il faut déjà savoir que la forme ronde est la limite extérieure
d'objet (chap. II,§ 4.2.), ce qui peut paraître bien hardi: le « signe» n'est-il pas d'un objet fruit - d'une espèce connue - et que la couleur jaune, intérieure à
un concept propre à rendre compte des spectacles mimétiques, alors que la cette limite formée, est coexistensive à cet objet. En fait, avant l'identification
notion d'« objet » semble désigner le siège des spectacles naturels? du citron, la forme ronde pourrait tout aussi bien être associée à la couleur qui
20. A l'opposition empirique spectacles artificiels vs spectacles naturels, lui est extérieure, qu'elle limite également : dans ce cas le jaune sera, par
confuse, il faudrait donc substituer une opposition spectacles (sémiotiques) vs exemple, la couleur d'un trou, ou d'un fond situé derrière l'objet identifié. On
sensations (non sémiotiques) : si le spectacle est ce qui est fait pour être regardé, voit ainsi qu'il y a une ambiguïté fondamentale dans la liaison forme-couleur
il n'y a à proprement parler pas de spectacles naturels. proposée par Bense, chaque forme pouvant toujours être liée à deux couleurs.
428 429
NOTES DU CHAPITRE III NOTES DU CHAPITRE IV

Nous verrons ailleurs que Bense n'est pas cohérent dans sa position sur la liaison
essentielle entre forme et couleur, puisque quelques pages plus loin il indique, à
la suite de Peirce, et cette fois de façon judicieuse, trois façons pour la couleur
de signifier, trois façons dont une au moins (la « couleur symbolique») dissocie IV. Le signe iconique
complètement la couleur de la forme qui la limite.
25. Confusion qu'on trouve même dans l'école greimasienne, que l'on a vue
soucieuse de ne pas céder à l'impérialisme de l'icône. Le programme de la 1. Toutes ces définitions proviennent du concept d'isomorphisme, que les
« sémiotique planaire est de tenter de mettre en place des catégories visuelles psychologues de la Gestalt ont poussé un peu loin, même dans le domaine qui
spécifiques au niveau du plan de l'expression, avant d'envisager leur rapport à la était le leur. Précisons qu'ici comme dans ce qui précède, nous visons l'iconisme
forme du contenu », et de« mettre à jour les contraintes générales que la nature qui se manifeste sur le canal visuel. Mais nous n'ignorons pas qu'il peut y avoir
d'un tel plan de l'expression impose à la manifestation de la signification» uniconisme tactile, auditif (les onomatopées, le bruitage, la musique à histoire),
(Greimas et Courtès, 1972 : 282), formules auxquelles on souscrirait volontiers etc., et que ces manifestations peuvent se stabiliser dans des codes particuliers
si elles précisaient que le contenu et la signification en question sont de nature (le langage des signes, l'Ameslan, etc.) Une partie du débat qui va suivre vaut
plastique. cependant pour tous les signes iconiques. Ici, comme ailleurs dans notre traité,
26. Comme le sont les unités décrites par la linguistique, que l'on ne saurait nous écrivons icône avec accent circonflexe, en dépit des précautions (ou des
prendre pour des « choses » : qui a jamais entendu un phonème? coquetteries) de certains lexicographes.
27. Au point qu'on a pu dire (et c'était notre position en 1979) qu'il n'était 2. Pour eux, non seulement l'image est isomorphe de l'objet, mais l'image
pas préalablement codé (propos que le Barthes de 1964 tenait, un peu vite, au ~tinienne le serait également (ce qui èst faux: cf. Frisby, 1981), et ils vont
sujet de toute l'image). Plus nuancée apparaît la distinction faite par Eco (1975, Jusqu'à postuler une reconstruction cervicale spatialement isomorphe de l'objet
1988) entre ratio facilis et ratio difficilis, distinction qui ne résout cependant pas perçu. Toutes les recherches récentes ont montré l'absurdité de ce postulat.
toutes les questions posées par l'iconisme, comme on le verra ci-après. 3. Volli (1972) montrait déjà que l'adjectif« iconique » pouvait être pris dans
28. Solidarité, mais non subordination : car, si les contours du signe plastique un sens large et un sens restreint. Au sens large, il désignerait la similitude,
sont fournis par ceux du signe iconique, c'est bien à travers le premier que le toujours partielle, des configurations entre un signe et son référent. Ainsi, selon
second se donne au récepteur du message. Circularité? Acceptons la critique; Volli, la forme que prend la magnétisation sur un ruban vidéo est iconique du
elle n'est pas gênante. Cette circularité est bien du même ordre que celle qu'on spectacle enregistré (alors qu'elle est indexicale). Au sens restreint,« iconique»
retrouve en linguistique fonctionnelle : le sens est perçu à travers un signifiant serait réservé aux seules configurations qui se manifestent par le canal visuel;
manifesté, mais cette manifestation n'est à son tour structurable qu'en fonction dans ce cas, on dira que le spectacle perceptible sur l'écran est iconique des
des sens apparaissant avec l'épreuve de commutation des signifiants. ~énements réprésentés. L'opposition restreinte/large correspond donc ici
29. Ainsi, en narratologie, un même acteur d'un récit peut actualiser deux explicitement à une opposition canal visuel/totalité des canaux possibles, mais
actants, et un de ceux-ci peut être actualisé par deux acteurs. Sonesson (1989 : les exemples fournis - comme ceux qu'allègue Eco - montrent qu'elle couvre
151, qui reproche à Floch d'abolir la distinction plastique/iconique coupable également, dans un même canal donné, différents types plus ou moins
d'être redondante) fait observer à juste titre que si les signes plastique et sophistiqués de relations entre configurations. Nous aurons donc à réfléchir (a) à
iconique peuvent avoir les mêmes matière et substance, leurs formes doivent l'hypothèse de l'applicabilité du concept d'iconicité à d'autres canaux que celui
différer « vu le principe d'hétérofonctionnalité des significations distinctives». de la vision et (b) à la possibilité d'élaborer un modèle rendant compte de la
Reprenant un exemple que nous commentions (1979), il observe que les limites diversité des relations entre configurations visuelles.
de variabilité d'un /cercle/ ne sont pas les mêmes lorsqu'on l'associe à« tête> 4. Autre distinction due à T. Kowzan : celle d'iconisme et de mimétisme.
ou « soleil » d'une part (/iconique/), à « circularité » de l'autre (/plastique/). Pour Kowzan « le caractère iconique d'un signe se manifeste à l'étape de la
30. Sur le cadre, v. chapitre x. réception et de l'interprétation », et son caractère mimétique « à l'étape de la
31. Une lecture distraite du chapitre II pourrait conforter cette méprise. Dans création et de l'émission» (1988 : 221), de sorte que« seuls les signes créés et
la mesure où l'on a pu distinguer figure et forme, on peut être tenté de dire que mùs volontairement ayant un sujet producteur conscient, donc seuls les signes
le plastique c'est l'ordre des figures dépourvues de forme, et que toute forme, en artificiels, sont susceptibles d'être mimétiques» (id.). Ainsi, la couleur de la
tant qu'elle renvoie à un répertoire stable, est de nature iconique. Nous peau d'un nouveau-né est susceptible d'être iconique- elle peut nous renseigner
préciserons cependant le statut de la forme plastique au chapitre V. sur le géniteur -, mais elle n'est pas mimétique. Passons sur les concepts
32. Sur la stylisation, v. chapitre x. d'intentionnalité et de signe artificiel, déjà discutés antérieurement, et sur le fait
que l'icône ainsi définie peut devenir synonyme d'indice.
Retenons également l'importance qu'il y a à tenir compte et de la réception et
de la production des signes. Si nous continuons uniformément à parler
430 431
NOTES DU CHAPITRE IV NOTES DU CHAPITRE IV

d'iconisme, nous aurons à élaborer un modèle pouvant rendre compte d'un 10. Une réflexion de ce type - qui reste encore insatisfaisante - est amorcée
par Volli (1972). Selon lui, le processus d'iconisation comporterait deux étapes.
processus comme de l'autre.
5. Qui constitue le § 3.6. du Trattato. Le lecteur francophone pourra se Un signe iconique n'a pas pour référent une source de stimuli, mais bien « un
objet déjà sémiotisé ». Pour créer une relation motivée entre forme de
reporter à Eco, 1978 et 1988. l'expression et forme du contenu, par une opération de transformation ( concept
6. Le radicalisme d'Umberto Eco est également partagé, pour des raisons
épistémologiques (mais moins bien argumentées), par l'école greimasienne. sur lequel on reviendra : § 5), il faut au préalable établir socialement les stimuli,
Celle-ci radicalise l'autonomie d'une sémiotique visuelle par rapport au monde les sémiotiser en repérant leurs caractères jugés pertinents. La précision ainsi
de la perception. Pour J.-M. Floch (1982: 204), « la sémiotique des langages apportée, et qui est précieuse, n'est cependant pas pleinement satisfaisante : elle
planaires se veut saussurienne et fait sien, en conséquence, le principe laisse en effet supposer qu'il existerait des objets « non sémiotisés », sorte de
d'immanence fondateur d'une théorie autonome des signes ». (Mais, comme « bons sauvages » du monde réel, à côté des objets sémiotisés, confirmés par la
nous l'avons déjà dit, le principe d'immanence, auquel nous souscrivons culture. Or tout ce que nous avons montré du processus de perception montre
également, n'évacue pas ipso facto la possibilité d'une relation de motivation.) que dès le moment où l'on fait intervenir la notion d'objet (chap. 11, § 5), on est
Dans l'article le plus lumineux écrit en ce sens, Ada Dewes Botur (1985 : 80) déjà dans le culturel, donc dans le sémiotique.
énonce : « L'hypothèse de l'autonomie des sémiotiques visuelles implique, par 11. Ce qui suit développe et élabore considérablement le modèle proposé par
définition, son autonomie par rapport au référent, par rapport à cet objet du Krampen (1973).
monde « réel» dont elles sont censées être le signe( ... ). Considération qui nous 12. Pourvu que le grain choisi soit inférieur au pinceau de la fovea, soit
ramène à la discussion autour de l'iconicité des sémiotiques visuelles et 200 secondes d'angle. Il en résultera un découpage de l'image selon un réseau
réactualise la distinction entre sémiotiques « naturelles » et « artificielles s discrétisé. Les lignes, contours et textures seront indirectement définis par ce
qu'on s'est efforcé d'éviter. » Et de rappeler - comme Eco (1973) le faisait à système, car ils ne constituent pas des composants ultimes du signe visuel.
juste titre - combien ce désir de trouver des signes visuels renvoyant un à un aux 13. Notons cependant que si la transformation t1 est exclusivement visuelle, la
objets du réel ( et de voir dans la peinture une description du monde) a retardé la transformation tz ne l'est absolument pas, même si son point d'aboutissement est
recherche. Comme on le verra, nous partageons l'essentiel de ces critiques: !i5uel. Elle définit par exemple la « manière » d'un peintre, et son étude n'a
nombre de « sémioticiens de l'image » n'ont eu de cesse que d'interpréter )11Squ'ici jamais été abordée de façon positive.
iconiquement des messages visuels auxquels la notion de signe plastique restitue 14. Car un signe n'est tel que dans un acte de sémiose qui l'institue en sa
leur autonomie. Mais elles visent surtout, comme celles d'Eco, une conception qualité. En 1962, quelqu'un notait déjà : « La propriété qu'a le mot " or " de
naïve de la référentialité, tout en laissant intact ce dernier problème. pouvoir être gratté par la pointe d'un canif ne suffit pas à en faire une image de
7. Ceci n'est pas sans rappeler le jeu surréaliste de « L'un dans l'autre ... ,. l'or, qui peut être semblablement gratté; cette propriété n'appartient pas au mot
8. Dewes Botur, 1985. Le disciple iconoclaste va ici bien plus loin que le en tant que signe. » (Minguet, 1962 : 46).
maître. Si l'article Iconicitë du Dictionnaire raisonné de Greimas et Courtès 15. Comme on le voit, nous généralisons le programme proposé par
(1979) fournit bien une critique que l'étude citée développe, il ménage J.-M. Floch : « Comment la sémiotique peut-elle maintenir l'idée d'" arbitraire
cependant une place à« l'illusion référentielle », plus largement évoquée encore du signe " et rendre compte du fait que certaines images donnent l'impression
à l'article Figurativisation. Rappelons d'ailleurs que Hjelmslev, auquel se réfère d'une " fidélité " à la " réalité " ? » Refuser de voir dans la photographie
volontiers l'école greimasienne ( cf. Floch, 1982), distingue systèmes sémiotiques r« analogique pur » ne dispense pas d'élaborer une théorie des conditions
et systèmes symboliques, ces derniers ne comportant qu'un plan ou deux plans IEmiotiques du phénomène. On considérera tout d'abord que cette « ressem-
liés par une « relation de conformité » (Greimas et Courtès, 1979 : 234), blance» n'est qu'un effet de sens (« illusion référentielle») et non quelque
relation qui n'est pas autrement élucidée. Pour Floch, le système des « objets pouvoir de re-production. L'iconicité sera alors redéfinie comme le résultat d'un
planaires » est « semi-symbolique », en ce sens que des corrélations partielles ensemble de procédures discursives jouant sur la conception, très relative, de ce
entre les deux plans s'établissent dès lors « qu'à deux figures de l'expression Sa que chaque culture conçoit comme la réalité (ce qui est ressemblant pour telle
et Sb peuvent être homologués les deux termes d'une opposition du plan du culture ou telle époque ne le sera pas pour telle autre!), et sur l'idéologie
contenu» (1982 : 204). Le modèle que nous proposerons fait l'économie de « réaliste » assumée par les producteurs et les spectateurs de ces images (surtout
cette catégorie mal définie ( « les corrélations partielles créent en quelque sorte paries spectateurs). On le constate, l'iconisation n'est plus ainsi une« faculté»
des micro-codes ») : les relations qui s'y établissent entre type et signifiant sont qui appartenait en propre aux images mais un phénomène sémiotique qu'on
sémiotiques, comme une partie des relations entre signifiant et référent; seules peut retrouver dans des discours, littéraires par exemple (1982 : 205).
quelques-unes de ces dernières relations sont d'ordre symbolique. 16. Distinct en droit- sinon empiriquement- du signifiant plastique, comme
9. Remarque que formule également Thürlemann (1985 : 63-64). Nous avons on l'a vu : les deux types de signifiants peuvent avoir la même matière, mais
déjà souligné plus haut (note 4) la nécessité de prendre les deux processus CIi lem substances sont différentes, puisque leurs formes sont distinctes.
17. Convention qui n'est qu'un artifice graphique et à quoi il ne faudrait pas
considération.
432 433
NOTES DU CHAPITRE IV NOTES DU CHAPITRE IV
donner une signification qu'elle n'a pas, comme dans la critique qu'en fait - «éclat» ne suffit pas pour inférer l'objet « or » : tout au plus un objet brillant
comme par avance - Francesco Casetti (1972: 44) : « Rafforzata la linea nel est-il« peut-être de l'or ». La démarche est cette fois d'un autre ordre, et on voit
segno iconico, anzi resa esclusiva, la verità non puè piû essere data da! posto que que dans le cas présent son résultat est toujours hypothétique, qu'il s'agisse
l'entità occupa ne! tutto, ma dalla realtà oggettuale di cui essa è insieme il d'une induction, ou d'une abduction (espèce la plus immédiate et la plus
supplente e la rappresentazione. La verità, insomma, non piû la coerenza, ma
è hypothétique du raisonnement par inférence, que Peirce rapprochait d'ailleurs
è ancora l'adeguazione. » du processus perceptif; cf. Eco, 1988 : 174-177).
18. Dans le processus diachronique, on pourrait postuler la priorité de l'axe 22. Notons qu'un syntagme possède une dimension linéaire, ce qui le rend
référent-type : c'est le référent qui produit le type. Ou, dit avec plus de orthogonal à toute image. Mais le syntagme traduit ici les opérations du
précision, les expériences répétées des stimuli (qui seront réputés provenir d'un producteur d'image - qui ne travaille qu'à partir du type-, ainsi que celles du
référent une fois que la sémiose aura conféré ce statut à la source des stimuli) se spectateur.
stabilisent dans un type élaboré. Le type a par conséquent un statut historique et 23. La notion de type vaut cependant aussi pour les objets du monde naturel.
anthropologique et n'est stable qu'en tant qu'il constitue un modèle : ce n'est Madonna correspond au type « femme ». Cependant le type n'est pas pris ici
pas une idée platonicienne. De surcroît, il n'est pas possible d'envisager l'axe dans la relation triangulaire que nous avons décrite, et l'objet n'est donc pas un
référent-type en un seul sens : il faut plutôt prendre en considération une référent.
relation dialectique entre type (élaboré ou en voie d'élaboration) et expériences 24. Le mot n'a pas ici le sens qu'il a en phonologie, où il désigne le trait
du référent. Il est évident qu'une expérience unique peut aboutir à l'élaboration pertinent qui, par son absence ou sa présence, distingue deux séries de traits
d'un type, mais ce type ne peut avoir que le statut fragile d'une hypothèse. eux-mêmes distinctifs.
19. D'où une définition - critiquable, comme on le verra - de l'iconicité 25. Ce mot est à comprendre au sens que lui donne le Dictionnaire Robert :
comme liée au nombre des caractères communs. Si la partie semblable est très « Objet concret considéré comme un être doué d'unité matérielle et d'individua-
large, et la partie non commune très petite, on a le trompe-l'œil, et effectivement lité alors que son existence objective n'est fondée que sur des rapports. »
le spectateur ne distingue plus le signe et l'objet : le signe est « pris pour» 26. On peut noter que dans chaque énoncé iconique, ou chaque type
l'objet. Inversement, si la partie commune tend vers zéro, le signe devient de d'énoncé iconique, les stimuli reçoivent le plus souvent un statut identique de la
moins en moins iconique et tend vers Je signe arbitraire (exemple : Je lambel, part des usagers. Il existe donc un consensus culturel, établissant un modèle de
brisure héraldique, représentation à peine reconnaissable d'un lambeau de hiérarchisation des entités, surentités et sous-entités, telle que la marge
tissu). d'indécision soit relativement réduite. Ainsi la représentation d'un cavalier
20. Nous n'utilisons donc pas ici transformation au sens de la linguistique (o~ pourra être perçue tantôt comme constituée d'une seule entité (le groupe
le mot désigne le rapport dynamique qui s'établit entre structures profondes, ~uestre), tantôt comme constituée de deux entités(« cheval» et « cavalier»),
générées par la base, et structures de surface). rarement - du moins de manière immédiate - comme constituée de trois ou de
21. Reprenons à la lumière de cet acquis le processus d'analyse aboutissant à quatre entités («cavalier», « cheval » et « selle » ou encore «cavalier»,
l'identification d'un type ( cf. chap. III, § 3.3. ), et qui se schématise comme suit: c uniforme », « cheval » et « selle » ). Nous reviendrons à cette question en
présence du trait 11-+ implique D2, D3 ... -+ vérification de cette présence-He· examinant la structure du type (§ 4.2.).
ceptation ou rejet. Soit l'énoncé « L'or brille », qui contient une entité et une 'JJ. Autres différences avec le modèle phonologique : non seulement la liste
qualité, un type et un déterminant, un sujet et un prédicat (selon le vocabulaire des marques n'est pas descriptible de manière exhaustive, mais surtout celles-ci
employé). Cet énoncé est dit déductif, car il passe du type à l'occurrence, de n'ont pas de valeur fixe. On peut en effet associer à un type différents
l'extension à la compréhension. Il a la forme d'une fonction propositionnelle, et signifiants, ceux-ci étant constitués par des ensembles de marques pouvant
peut se traiter conformément au calcul des prédicats. Il peut aussi bien se varier : le type « visage » pourra être identifié à partir de signifiants constitués
formuler en termes de classes, ce qui le rend justiciable du calcul des classes de/segments de droites/ ou de /segments de courbes/, ou de /couleur blanche/,
(Selon Blanché, 1957 : § 47, « L'appartenance à une classe est assimilable à unt OU/rose/, etc. La commutation de déterminants /droit/-/courbe/ n'est donc pas
fonction prédicative [ ... ] Le calcul des classes est une simple doublure du calcul ~ssairement pertinente. Et que l'on n'objecte pas qu'une telle commutation
des prédicats [ ... ] Un prédicat (monadique) a une compréhension qui est une doive être assimilée à une pure variation phono-stylistique, où les diverses
propriété et une extension qui est une classe [ ... ] La compréhension d'une exécutions d'une forme seraient les hypostases d'un même modèle théorique (ce
fonction prédicative, c'est son sens»). Soit ici : « Or E [objets brillants]». Pour qui laisserait le parallélisme intact). Car cette même commutation pourra avoir,
passer d'une occurrence au type - position dans laquelle se trouve le récepteur dans d'autres énoncés, la conséquence de modifier les entités, et par conséquent
d'images (avec la réserve formulée note 22)-, il faut inverser le syntagme. Mais les types. En termes plus simples, et pour reprendre l'exemple, la commutation
la relation contenue dans le syntagme minimum n'est pas symétrique (comme le /droit/-/courbe/ peut parfois modifier la nature du type identifié. On en conclut
serait, par exemple, une équivalence), ce que traduit la sagesse populaire quand que si l'entité est bien une forme (au sens hjelmslévien du terme), cette forme
elle affirme : « Tout 'ce qui brille n'est pas or. »; la présence du déterminant n'est pas donnée antérieurement à l'énoncé, comme c'est le cas dans le système
434 435
NOTES DU CHAPITRE IV NOTES DU CHAPITRE IV

linguistique : ce n'est qu'à travers l'identification d'un type qu'une forme est enjeux des projections ne sont pas que pragmatiques. Si on a pu s'écrier
conférée à l'entité et à ses éléments constitutifs, les marques. Contrairement àœ « Démercatorisons-nous ! » et récemment proposer un planisphère selon la
qui se passe avec le signifiant linguistique, on ne peut dire que le continuum des projection de Peters, respectant la surface relative des pays, c'est que les
réalisations est segmenté de manière stable par des classes théoriques d'unités. transformations peuvent, consciemment ou non, se charger de sens : Peters rend
28. La marque ne doit pas être confondue avec l'unité plastique. C'est un aux pays en voie de développement un espace que Mercator leur refusait.
concept de nature iconique, puisque la sélection d'une marque dans un énoncé 34. Les structures topologiques formalisent les notions intuitives de voisi-
est soumise à l'identification de l'entité : c'est parce que l'on a identifié l'entité nage, proximité, intérieur, extérieur, frontière, empruntées à notre perception
/nez/ ou l'entité /visage/ dans tel énoncé, que tel stimulus (une courbe, par de l'espace (v. p. ex. Delachet, 1949).
exemple) reçoit le statut de marque (/courbe/constitutive du nez, ou d'une 35. Eco se sert également de l'exemple du plan de métro pour contester
pommette). La marque n'est donc pas, en droit, une unité plastique, même si les l'iconisme. Ce plan n'a pour lui qu'une valeur « symbolique », car il est le
manifestations physiques de la marque iconique et de l'unité plastique peuvent résultat d'une convention qui « traduit » le tracé réel sinueux en lignes droites
parfois se laisser décrire de manière identique. -La preuve en est que la inscrites dans le plan, et ce dédale de couloirs des stations en un cercle coloré.
répartition des marques d'un énoncé peut ne pas coïncider avec la répartition On aura reconnu dans ce processus prétendument « symbolique » la transforma-
des unités plastiques de ce même énoncé. Par exemple, sur le plan iconique, on tion topologique : le plan a conservé une propriété de la station (la clôture), une
peut ne distinguer, à travers la reconnaissance d'un type« tête», qu'une seule propriété de la voie (la continuité), ainsi que l'ordre des stations.
marque chromatique, référable à la sous-entité/chevelure/, alors que, sur le 36. Appartiennent encore aux transformations géométriques les effets obte-
plan plastique, on serait fondé à distinguer deux ou trois unités plastiques (le nus avec des objectifs photographiques spéciaux comme le fish eye, ou dans
critique d'art parlera alors de « dégradés» de ladite chevelure). certains « pièges visuels» de M. C. Escher (l'expression est de Vasarely, 1978).
29. Cette liste de sous-entités et de marques a été obtenue grâce à une 37. Les concepts mathématiques utilisés sont parmi les plus élémentaires de
enquête menée en 1983 auprès d'étudiants universitaires priés de dessiner une l'algèbre et de la géométrie analytique. Nous les expliquons très simplement, à
tête (sans autre précision). Les résultats obtenus ont présenté une cohésion l'intention de ceux des lecteurs pour qui ils ne sont pas familiers. Dans ce qui
étonnante : ce fut le plus souvent une tête isolée, vue de face, asexuée ou suit, « information » sera pris au sens de la théorie du même nom.
masculine, très schématique. Notre double liste reprend les sous-entités et les 38. Rappelons que luminance et brillance sont, en physique, synonymes. Les
marques présentes dans plus de la moitié des réalisations, et dans plus de la traités modernes tendent à abandonner« brillance » au profit de « luminance ».
moitié des analyses qui, postérieurement, ont été faites de ces réalisations. 39. Le symbolisme dL/dx signifie tout simplement que l'on compare les
30. Ces réflexions font justice d'une distinction que pourrait proposer une différences de luminance (dL) enregistrées pour des déplacements infiniment
rhétorique iconique sommaire. Celle-ci pourrait établir l'existence d'une « rhé· petits le long de l'axe OX (dx).
torique des objets» (où le degré zéro serait le type tel qu'il existe dans 40. Une double différenciation peut s'observer dans le Déjeuner de Paul
l'encyclopédie) et celle d'une « rhétorique des relations entre objets» (où le Signac.
degré zéro serait Je modèle des relations entretenues par ces types tel qu'il existe
41. Ce point a été établi par d'innombrables expériences, dans le domaine du
dans l'encyclopédie). En fait, cette différence n'est pas de nature mais de degré:
langage comme dans celui de l'image. C'est vrai pour la ligne en tant que
dans le premier cas, les relations sont perçues comme des relations entre sous-
transition entre deux zones voisines, et ce l'est aussi le long de la ligne elle-
types, étant donné la forte prégnance du modèle intégratif constituant l'entité;
même, là où elle change Je plus brusquement de direction.
dans le second cas, aucun modèle n'impose la perception des stimuli comme
sous-types intégrés à un type et, dès lors, on est fondé à parler de « relations» 42. Nous avons examiné d'ailleurs (au chapitre II) le fonctionnement du
entre types. système nerveux dans les organes perceptifs ; il est évidemment capital de
31. Pour la clarté de l'exposé, tous nos exemples de transformations remarquer que celui-ci est en somme physiquement agencé de façon à réaliser
géométriques sont donnés à partir de dessins au trait. Mais la chose n'avait rien des différenciations, grâce aux connexions nerveuses engendrant l'inhibition
d'obligatoire : les opérations envisagées peuvent très bien porter sur des figures latérale.
ombrées, ou floues. 43. Le mot point ne doit pas être pris ici dans son sens géométrique
32. L'ombre est ainsi une projection affine. d'inétendu, mais comme zone du champ correspondant à l'angle solide
33. L'intérêt pragmatique des différents systèmes de projection est évident. minimum pouvant être discerné par l'œil, c'est-à-dire son pouvoir de discrimina-
Ainsi les artilleurs étudient-ils les mérites comparés des divers systèmes de tion (environ 200 secondes d'arc).
projection cartographique que sont Mercator, UTM, Lambert-Nord de Guerre, 44. La raison de ceci est perceptuelle et non seulement, comme on pourrait le
Peters... Les uns conservent les angles, les autres les lignes droites ou les croire, instrumentale : c'est parce que nos yeux ont des cônes et des bâtonnets,
rapports de longueur. Mercator, par exemple, projette à partir du centre de la et que ces derniers permettent une vision satisfaisante dans les conditions dites
terre tous les points du globe sur un cylindre tangent à l'Équateur. Mais les « crépusculaires », que nous avons pu développer l'image en noir et blanc
436 437
NOTES DU CHAPITRE IV NOTES DU CHAPITRE IV

parallèlement à l'image en couleurs. Les raisons instrumentales interviennent nément visible !'extrêmement lointain comme le très proche ». Or selon lui, cet
aussi, pour la surdéterminer, dans la photographie. effet est caractéristique des états physiques de narcose ou d'extase, et il en
45. Notre tableau prévoyait également des « filtrages positifs ». Ils corres- donne pour preuve certains dessins d'opiomanes comme Cocteau, ou certaines
pondent à des ajouts. Mais à quoi peut bien correspondre un « ajout de toiles du Greco comme Le Christ au Jardin des oliviers. La perspective extatique
couleur », se demandera-t-on ? Nous devons ici rappeler que les transformations exerce un puissant effet d'attraction du spectateur vers le tableau, et le
sont en droit symétriques (nous y reviendrons au § 5.5.1.). On peut donc « propulse à l'intérieur de la toile ».
projeter des couleurs sur un spectacle en noir et blanc (c'est sur cette faculté que 51. Il ne faut cependant pas négliger les critiques sévères faites à l'application
comptaient les fabriquants de ces filtres réfringents donnant l'illusion de la trop directe par Attneave de la théorie de l'information à l'image (v. Green et
couleur aux pauvres possesseurs de la télé en noir et blanc, à l'époque où la télé Courtis, 1966). La concentration de l'information aux angles pourrait, par
couleurs était, sinon mythique, du moins hors de prix). exemple, n'être qu'un artefact résultant du découpage des images. Quoi qu'il en
46. Les contrastes se mesurent à l'aide d'un densitomètre ou photomètre soit de la valeur des expériences d'Attneave, nous pensons pour notre part que
mobile. Face au pôle théorique où y= 0 (suppression totale des contrastes), on a la possibilité et le succès du dessin au trait, dans ses millions de répétitions, est
un autre pôle théorique où y= oo (« noir absolu» et « blanc absolu»). en elle-même la démonstration expérimentale que l'information d'une image
47. Dans l'évaluation de ce fait, il ne faut pas oublier qu'aux luminances n'est pas uniformément répartie.
élevées, la sensibilité de l'œil aux nuances diminue. La « langue » de la figure 2 52. Cette remarque, que formulent bien des neurologues, s'adresse pourtant
se réduit finalement à une « languette », allant du blanc au jaune. C'est aux à ce que Thom appelle « le cas le plus parfait » d'iconisme, qu'il définit comme
luminances moyennes qu'un peintre peut le mieux jouer avec les nuances. Pierre une relation de congruence métrique! C'est sur cette ressource qualitative de
Getzler nous fait observer qu'ayant été faites sur des toiles anciennes, les notre système de types qu'est fondée la bande dessinée The incredible upside
mesures de Lapicque peuvent être faussées par des ombres ou altérations de downs. Chaque page y est constituée d'une série de bandes où objets et
pigments et vernis. Cependant ces altérations mèneraient à sous-estimer le y réel personnages apparaissent normalement. Arrivé à la dernière case, le lecteur doit
de ces œuvres, et ce d'autant plus qu'elle sont anciennes. L'éventail des y réels, renverser la page. Apparaissent ainsi sous ses yeux de nouveaux dessins, non
corrigé, n'en serait que plus large, et nos conclusions renforcées. ~rçus jusque-là, qui constituent la suite de l'histoire. La difficulté d'interpréta-
48. Un peintre peut sans difficulté obtenir le même effet, mais on n'a guère ~on est encore plus grande lorsque ces signifiants malaisément identifiables sont
étudié les musées de ce point de vue : il y a là matière pour une recherche mtégrés à des énoncés rhétoriques. Le Cuisinier et Le Paysan d'Arcimboldo
intéressante. sont de pures natures mortes, qu'il faut retourner pour y voir les célèbres figures
49. « A partir du xvr siècle, la plupart des peintres ont négligé la vérité du humaines.
plan pour prendre l'œil comme mesure suprême. En établissant une concor- 53. Cela correspond à ce que nous appelons ailleurs « seuil de pertinence »
dance entre le champ visuel et le tableau, ils se sont heurtés à d'insurmontables (voir ici-même les pages consacrées à la stylisation, au chapitre x). Ces
difficultés. En effet, pour un artiste, le plus grand défaut de la perception est de phénomènes de similitude approchée résultent d'une interférence entre le
n'être pas rectangulaire. Le regard humain balaie le champ visuel. Le peintre est système de perception (égalisateur, comme on le sait) et le résultat brut des
donc contraint de stabiliser artificiellement l'œil. En regardant un personnage transformations.
ou un objet, on perçoit alors une image précise, mais entourée d'un halo flou. 54. On peut même poser l'hypothèse qu'il y a une relation directe entre la
Comment inscrire cette sensation incertaine dans les contours nets d'un stabilité du type et le nombre des transformations possibles. Les types les plus
rectangle ou d'un ovale? Pour respecter la vraisemblance du champ visuel tout stables autorisent la production de signifiants produits par des séries plus
en poursuivant la peinture jusqu'au bord de la toile, les peintres du passé furent nombreuses de transformations. Ces signes renvoient fréquemment à des classes
entraînés à l'emploi d'innombrables trucs et d'incroyables tricheries : objets et d'objets riches en extension. Les signes qui correspondent à des types moins
personnages principaux sont plongés dans un bain d'artifice, ils apparaissent stables connaîtraient des transformations moins poussées, de façon à maintenir
entourés de sombres draperies ; dans les ténèbres se pressent des comparses mal plus élevé le niveau de redondance.
éclairés. L'élément plastique du motif central flotte donc dans un espace 55. Mais cette discussion factuelle des principaux types de transformation
superflu, sorte de remplissage sans intérêt pictural» (Vasarely, 1978: 20). débouche inévitablement sur des considérations plus fondamentales s'inspirant
50. Le jeu sur la distance focale est une transformation très bien étudiée déjà de Cassirer (1973); d'aucuns pourraient avancer que toute création artistique est
par Eisenstein dès 1927. L'effet obtenu par l'objectif 28 mm « repose sur un une copie, par nature inévitablement en retrait par rapport à un original. On
raccourcissement perspectif dans la profondeur, considérablement plus marqué reconnaît là la théorie du manque fondamental du langage qui parcourt toute la
et rapide que pour l'œil normal» (1980: 83 .ss.). En d'autres termes, il produit philosophie occidentale (cf. Eco, 1987 et 1988), a fortiori applicable à l'image.
une exagération de l'impression de profondeur. Eisenstein désigne également Lambert (1980) exprimait poétiquement ce dilemme; « Comment choisir,
l'éthos de cette transformation, c'est « l'objectif extatique », capable de réunir disait-il, entre le TOUJOURS TROP des mots et leur JAMAIS ASSEZ? » Il est vrai
en une seule perception des entités opüquement disjointes : on rend « simulta- qu'en transformant les structures du référent, le signifiant renvoie en même
438 439
NOTES DU CHAPITRE V NOTES DU CHAPITRE V
temps à autre chose que lui, et donc le dépasse. Volli décrit ce très bel exemple pas de· structuration générale possible de la matière en substance, celle-ci se
des « colorations cellulaires» où, par l'application de colorants bien choisis, présentant comme un continuum. Certes, ce continuum était découpable, certes
nous cherchons à rendre compréhensibles des préparations microscopiques des différences opéraient bien ( chacun peut percevoir des nuances dans les
inintelligibles. Nous créons du sens car les transformations iconiques ne bleus), mais cette apparence de structuration n'aurait nullement suffi pour
résultent nullement d'une simple pauvreté instrumentale, à laquelle on pourrait parler d'une forme de l'expression. C'est qu'une telle forme aurait été, par
et devrait remédier par la recherche de meilleurs outils. Ce sont des opérations exemple, une opposition de bleus reçue comme un lexique établi, investie de
par lesquelles on rend moins pertinents des éléments issus des stimuli visuels valeurs fixes pour chacune de ses unités, telle que chaque message performé
produits par l'objet pour augmenter la pertinence d'éléments visuels venus de n'existerait qu'à raison de l'existence préalable de ce système abstrait en
l'énonciateur, de telle sorte que l'icône constitue le témoignage d'une média- général. Un tel système n'existe évidemment pas dans l'image. Nous avancions
tion. Les transformations sont donc sémiotisantes : ce sont elles qui confèrent que si de telles oppositions paraissent parfois s'organiser, elles ne valent en fait
un sens à l'image, en même temps qu'elles affichent son caractère signique. jamais qu'en fonction d'un message donné, ou d'un groupe de messages
56. La plus générale au point que l'école greimasienne a, on l'a vu, hypostasi~ déterminés (par exemple, le jeu de couleurs « pures » qui fait système dans
son produit en inventant la « sémiotique planaire ». l'ensemble de l'œuvre du Mondrian classique). De là la conclusion, sans doute
57. C'est ce qu'Ambrose Hierce, dans son Dictionnaire du Diable exprimait un peu rapide, de l'inexistence d'une grammaire du signifiant plastique
plaisamment dans sa définition : « Tableau (n. m.). Représentation en deUI préexistant à toute performance particulière, et la réduction d'un système
dimensions d'une chose fort ennuyeuse en trois dimensions. » plastique à des contractualités communicationnelles ponctuelles, spécifiques et
58. A ceux qui douteraient de l'effet profond de la transformation 3D-+2D, momentanées, minicodes qui se dissolvent hors le message. Comme on va le
on pourrait rappeler un de ses effets secondaires, tout à fait remarquable. Si l'on voir, le présent texte rend caduc le concept de graduat qui n'a constitué qu'une
fait le tour de la tête de Nefertiti en 3D, notre système perceptif compense avec étape dans la recherche.
précision cette rotation, de sorte que son regard paraît s'éloigner ou se 5. Car il faut tenir compte de ces trois paramètres des systèmes plastiques.
rapprocher de nous. Chacun sait, par contre, que la Joconde continue à nous Une forme plus raffinée du perceptème de Bense, dont nous avons vu
regarder dans les yeux même si nous nous déplaçons par rapport au tableau rimpossibilité, est proposée par l'école de Greimas (Thürlemann, 1982).
(cf. Wallach, 1985). L'illusion 3D n'est plus possible, et cependant les méca- S'interrogeant sur les «éléments» (nom donné aux unités plastiques que l'on
nismes de compensation continuent de jouer avec les éléments réduits qui leur peut ségréger}, elle inventorie les catégories pertinentes permettant cette
sont fournis : le visage aminci perçu par la vision oblique est ramené à ses ~grégation. Selon Thürlemann la couleur« constitue» la forme (ou, dans sa
proportions normales et ne paraît pas anormal. Songeons à l'effet grotesque que terminologie, les « catégories chromatiques » constituent les « catégories éidéti-
produirait la transformation inverse, où le visage serait au contraire élargi : la ques )\}, et pour cela, il suffit d'une seule opposition chromatique. L'auteur
compensation serait dans ce cas impossible. ajoute que la texture - appelée par lui grain ou matière - remplit un rôle
analogue à la couleur pour constituer la forme. C'est un fait que la texture, étant
comme la couleur une propriété étendue à une surface, peut présenter des
oppositions de même statut, telles que /lisse/-/rugueux/. Cette théorie à
l'avantage de distinguer couleur et forme, en évitant le concept syncrétique de
V. Le signe plastique perceptème. Néanmoins, elle n'est pas exempte de difficultés. En effet, une
opposition chromatique constitue en fait deux éléments, situés de part et d'autre
d'une ligne de partage. Il faudrait alors élaborer les procédures par lesquelles on
1. Ce refus n'est d'ailleurs pas dogmatique et tient compte des grands profill IC croit en droit de décider que l'un est un élément et l'autre un fond, ou qu'ils
que les tests projectifs ont fait obtenir aux psychologues ; il est méthodologique. sont tous deux des éléments, et ce sans sortir du plan plastique, c'est-à-dire sans
2. Comme on l'a déjà souligné (Introduction et chapitre 1), nous n'accordons donner aux éléments un statut chosal qui en ferait des sortes d'objets. Mais il
en effet aucun crédit à la démarche inductive qui a trop souvent été celle de nous suffisait d'insister ici sur le caractère contrastif de ce qui « constitue » la
« sémioticiens » du fait visuel : cette démarche condamne à n'élaborer que des forme à partir de la couleur. Nous généraliserons ce concept en posant que toute
modèles théoriques ad hoc. ~grégation d'une entité plastique (forme, couleur ou texture, signifiant ou
3. Pour être définitivement prouvé, ceci nécessiterait une épreuve de signifié) est de nature contrastive. Les côtés d'un carré peuvent être isolés, grâce
commutation, où les mêmes unités, placées dans des syntagmes différents, se au contraste de leurs alignements, alors qu'aucune ségrégation n'est possible sur
verraient également attribuer des signifiés différents. un cercle; de même aucune ségrégation n'est possible à l'intérieur d'un segment
4. Dans des travaux antérieurs (Groupe µ, 1979c), nous avions avancé la de droite. Les contrastes auxquels il a été fait allusion jusqu'ici sont discrets,
notion de graduat : cette notion était fondée sur l'hypothèse qu'il n'y avait pas mais rien n'empêche de les graduer : changement progressif de couleur dans les
de forme (au sens hjelmslévien) de l'expression plastique, parce qu'il n'y avait corps de femme de Renoir, changement progressif de courbure dans une
440 441
NOTES DU CHAPITRE V NOTES DU CHAPITRE V

parabole. Ces contrastes gradués engendrent des limites floues, localisées entre signifiés potentiels ou« flottants », au sens donné à ce terme par Lévi-Strauss. Il
deux lieux extrêmes et non en un lieu précis. s'agit donc d'isotopies « projetées » (idem).
6. Nous disons système et non pas code : un système est un ensemble de 11. On pourrait en effet retenir, comme signifiés plastiques spécifiques, ceux
valeurs structurées sur un seul plan (exemple canonique : /vert/-/rouge/ dans le qui découlent d'observations parfaitement générales et abstraites, comme, par
cas du code de la route). Un code est la mise en relation terme à terme exemple, celle-ci de l'artiste Ian Hamilton Finlay sur l'opposition /ligne droite/-
d'oppositions structurant des systèmes de plans différents (le code de la route /ligne ondulée/ : « The presence of the straight line is dominant in the
met en regard l'opposition /vert/-/rouge/, valant pour un plan, et l'opposition serpentine, whose undulations are so many departures from the idea of the
« permis»-« interdit», valant pour un autre). straight. One cannot see an undulating line without forming the thought of a
7. Au point que le « signe visuel complet» se décrirait par une matrice à straight line, whereas the straight line does not produce the thought of the
quatre cases : serpentine, but appears complete in itself. This applies to the conceptual line, as
well as to the line of a lawn, flowerbed, or trees »(«More detached Sentences
on Gardening is the Manner of Shenstone », Poetry Nation, n° 42, 1984, p. 20).
Signifiant Signifié De même on pourra sans doute retenir, à propos de la même ligne droite, la
1
1 définition géométrique qui la considère comme « le plus court chemin d'un point
Iconique A B à un autre ». On devine que les signifiés plastiques de ce type ne seront pas
légion, et que l'inventaire est loin d'en être fait.

Plastique A'---_l__j1
12. C'est évidemment vrai pour le signifié du symbole, le symbolisé, mais
aussi pour le symbolisant. Les symboles spirituels se présentent le plus souvent
sous la forme de schémas abstraits (la croix, le mandala, le triangle). Même
lorsque le symbolisant semble iconique (pour le bon sens), le mécanisme
où la case signifié plastique (B') serait remplie par une double projection. proprement symbolique est d'une autre nature. Suivons Dietrich Seckel (1984)
8. Sans parler des taches du Rorschach, où c'est le type lui-même qui est lorsqu'il soutient que la civilisation indienne a recouru dès son origine à un
reconnu. symbolisme aniconique (sans donc que celui-ci résulte d'un iconoclasme). Les
9. Mais pourquoi dit-on d'un arbre à port tombant qu'il est « pleureur», ety symboles dont il est question sont au nombre de cinq : la trace de pas, l'arbre
a-t-il quelque objectivité à dire que le héron est un oiseau « triste »? On voit d'illumination, le trône de diamant, la roue de la sagesse et le stûpa. Tous ces
que le phénomène de renvoi est ici bien complexe, et comporte au moins deux symboles sont bel et bien des icônes, dira-t-on. Mais ils sont« aniconiques » en
étages : un premier renvoi du plastique à l'iconique ; un second de l'iconique au ceci qu'ils renvoient à des attributs du Bouddha. La roue de la sagesse, décrite
symbolique, qui fait intervenir une philosophie hylozoïste de la nature, prêtant comme une roue mise en mouvement par le Bouddha lors de sa première
nos états d'âme aux objets du monde sensible ... En examinant attentivement prédication, pourrait en fait n'être qu'un cercle (et il faut rappeler que mandala
des milliers d'images datées de la période 1000-1500 A.C.N., sans y projeter des signifie proprement cercle), celui-ci étant« un symbole particulièrement impres-
significations issues du texte qui les accompagne ni du bagage spirituel d'un sionnant de la vérité suprême, tant par sa perfection totalisante que par sa
homme d'aujourd'hui, F. Garnier (1982) a relevé nombre d'attitudes typiques vacuité sans début ni fin ». Et « dans la terminologie bouddhiste des concepts
ou de relations typiques de l'imagerie médiévale : la position des mains, des tels que " illumination ronde ", " vérité ronde ", " fruit rond " (le Nirvâna) et
pieds, de la tête, etc. détermine des attitudes non équivoques, lisibles sans même" le Bouddha rond " jouent un grand rôle, dans le sens d'une perfection
hésitation parce que codées. Ces significations, précises et constantes, sont soit insurpassable et définitive, mais aussi d'un "vide" radical..., qui transcende
des idées, soit des sentiments, soit des relations entre personnes. Un index de dialectiquement toutes les déterminations pensables et tous les contraires ».
146 entrées (telles que abandon, bienveillance, colère, défi, détresse, fermeté, Cette longue citation est reproduite à seule fin de montrer le vocabulaire
humilité, impuissance, méfiance, orgueil, recueillement, trahison, vice ... ) conceptuel et abstrait employé pour définir le signifié symbolique du cercle,
recueille ces significations, et montre la tendance très avancée du système de lequel ne saurait être autre que son signifié plastique. Même là cependant, la
représentation figurative vers une codification discrétisée, en réaction contre dérivation icono-plastique pourrait bien ne pas être absente, du moins histori-
l'ambiguïté de l'image. Bien entendu, le plus souvent cette codification ne fait quement, c'est-à-dire en quelque sorte étymologiquement. L'un d'entre nous a
que traduire dans l'image une codification préalable des gestes et attitudes. (La compilé, dans une analyse sémiotique du mandala (Edeline, 1984a), toutes les
recherche d'univocité et de clarté est un fait d'idéologie. A d'autres époques on métaphores associées au cercle et au carré, dont ressort l'origine très motivée
bannira cette clarté et on recherchera au contraire la polysémie ou le mystère). d'un symbole aujourd'hui parfaitement arbitraire.
10. On constate que le choix se fait de préférence sur des oppositions du 13. C'est sur une telle hypothèse que se fondent la physiognomonie et la
domaine Anthropos (pour l'explication de ce terme, v. Groupe µ, 1m, graphologie, à cette réserve près que ces «sciences» postulent l'existence
chap. n), La masse des oppositions anthropiques constitue une réserve de antésémiotique de ces dispositions.
442 443
NOTES DU CHAPITRE V NOTES DU CHAPITRE V
14. Évidemment, on ne prétendra pas que de telles valeurs existent authenti- ble, surtout lorsqu'il est inséré dans un contexte assez complexe. » Lorsque,
quement chez l'émetteur du signe. Un Dotremont, par exemple, peut tracer très dans les lignes de ce chapitre, il nous arrivera de parler d'effet, il ne faudra donc
lentement des traits que le spectateur percevra comme rapides, de même qu'une pas oublier que cet effet est un contenu sémiotique.
écriture peut être contrefaite. Sans remonter au paradoxe du comédien, de 19. Oscillation, car les deux perceptions - intégratrice et désintégratrice - ne
Diderot, signalons que Eco (1973 : 38-42) a bien traité de tous les cas de figure peuvent être simultanées.
où varient l'intention et le degré de conscience supposé de l'émetteur. 20. Sur le rythme et ses lois, renvoyons une fois encore à Groupe µ, 1977 :
15. C'est pourquoi nous abandonnons, in fine, le mot de« signifié»: celui-ci 149-160.
et le référent se confondent. 21. Les régions locales élémentaires appartiennent à un répertoire (par
16. Voir chapitre VII, § 5, et chapitre IX. exemple celui des taches des peintres impressionnistes) et sont pour l'observa-
17. Pour que l'élément texturai puisse à bon droit être une unité sémiotique, teur des ensembles de pixels connectés possédant une propriété tonale donnée.
il faudrait qu'il ait une existence stable ; or il est éminemment variable dans un La dépendance spatiale entre les éléments peut être aléatoire (textures faibles)
même énoncé. Il faut donc le modéliser : l'unité texturale n'est pas une surface ou non aléatoire : structurelle (textures fortes). Les textures fortes, pourvues
élémentaire, mais un angle solide de vision ( ce qui rend sa surface effective d'une loi de répétition approximative partielle, ou même totale (cas du pied-de-
dépendante de la distance entre le spectateur et l'image). L'unité ne peut non poule), sont liées au rythme.
plus être l'angle solide minimum de discrimination oculaire, car tout ce qui est 22. Un éventuel contraste de cette surface avec son fond n'est plus en soi un
contenu dans cet angle est moyenné, sans analyse possible. Il s'agira donc d'un problème de texture, mais de forme.
angle solide plus grand, non défini avec précision et sans doute variable. Notons 23. Plus près de nous Max Ernst a publié en 1926 un recueil de 34 planches
en tout cas qu'il y a interaction entre la texture et la distance d'examen : pour intitulé Histoire naturelle. Le peintre fasciné par le grain du bois, la texture du
toute surface lisse il existe une échelle pour laquelle elle paraît sans texture (le tissu, le réseau des feuilles d'arbre, avait reproduit ces textures par simple
lisse étant ici provisoirement défini comme non-texture), mais à mesure que la frottage au crayon, et les avait découpées et assemblées en images à la fois
résolution augmente (c'est-à-dire que l'observateur s'approche), la surface mystérieuses et suggestives.
prend une texture d'abord fine, puis de plus en plus grossière. Des esthéticiens 24. Ce que n'ont toujours pas vu les théoriciens de la« sémiotricité » (suivant
se sont penchés sur ce problème, dans une tout autre perspective il est vrai. Il la jolie formule de Parlebas), tout à leur description de comportements très
s'agissait notamment d'établir la distance idéale de vision d'un tableau. Homer élaborés (pédagogiques et sportifs essentiellement).
(1964) a tenté de la mesurer à propos de La Grande Jatte de Seurat, où il trouve 25. La citation suivante, tirée du Klee de M. Brion, l'illustre très bien pour ce
quatre distances critiques. A 0,3 m, on voit individuellement les éléments; à peintre : « Si Klee attache une importance pareille à la technique picturale et à
1,8 m (ou entre 1,5 m à 2,1 m): effet de« lustre» (voir ci-après en 3.2.3.);à ses possibilités diverses, c'est parce que chacun de ces moyens techniques
4,5 m : impression de gris « neutre et morne » ; à 6 m : fusion intégrale des élé- répond à quelque chose qui ne peut pas être exprimé autrement. Le grattage du
ments avec synthèse optique. Bien entendu, la distance idéale variera avec chaque sous-verre, les « effets de dentelle », les hachures et les parallèles, la grossièreté
tableau (elle serait de 4 à 4,5 m pour La Parade, ou de 1,8 m pour Les Poseuses du de l'inégalité du support, le dessin et la peinture à l'huile associés à l'aquarelle,
même Seurat). D'après Pissarro, la distance idéale serait de 3 fois la diagonale du les brossages et les grattages, l'emploi de toutes sortes d'outils pour peindre, et
tableau, règle vraisemblablement acceptée par tout le groupe néo-impressionniste. même du pistolet, ne sont pas le symptôme d'une inquiétude ou d'une
18. La possibilité de deux transmissions simultanées a déjà été démontrée insatisfaction, mais bien au contraire, la manifestation d'un désir de plénitude,
dans la publicité subliminale étudiée par Vance Packard. Il s'agissait là de et de ce suprême savoir qu'il n'existe qu'une seule manière d'exprimer une
chaînes différentes entrelacées selon l'axe temporel : le message subliminal se certaine chose et que, plus l'artiste explore un champ plus vaste du visible et de
loge dans de minimes segments du message « clair ». Le message subliminal de l'invisible, plus doivent être nombreuses les ressources plastiques mises à la
la texture se loge, lui, dans les interstices d'une surface. On est en droit de se disposition de sa volonté créatrice » (1955 : XXI). Une question subsidiaire très
demander si un signal subliminal, par définition inconscient chez le récepteur, intéressante, mais qu'il appartient plutôt à des psychologues ou à des exégètes
relève de plein droit de la sémiotique. Ce serait peut-être là accorder au critère de trancher, est de savoir si ces significations émotionnelles échappant au
de la conscience une valeur qu'il n'a pas dans cette discipline, quoi qu'en aient peintre, sont dissimulées par lui grâce au canal subliminal, ou enfin sont
dit certains (comme Mounin, 1970). Eco (1978 : 177) range les excitations pleinement conscientes et ouvertement incorporées à l'image ...
subliminales, à côté d'autres artifices en général classés comme stimuli, parmi 26. Nous donnerons à ces mots un contenu précis : ainsi le prétendu « grain »
les signes dans la mesure où « l'émetteur les reconnaît comme provocateurs d'un du papier photographique relève-t-il de la macule. Nous utilisons ce dernier mot
effet déterminé » : il en a donc une connaissance sémiotique puisqu'il associe un plutôt que son synonyme tache, non par amour diafoiresque du latin, mais pour
effet déterminé à un stimulus donné. En d'autres termes, « on a une fonction éviter une ambiguïté. La tache, en effet, peut être unique - et le mot est alors
sémiotique quand le stimulus est le plan de l'expérience et l'effet prévu, le plan synonyme de forme - alors que la macule est plus volontiers saisie comme
du contenu ». Et d'ajouter : « Cependant, l'effet n'est pas totalement prévisi- multiple.

444 445
NOTES DU CHAPITRE V
NOTES DU CHAPITRE V
27. Cette technique, qui a particulièrement été utilisée pour les icônes, porte
le nom d' « églomisé ». diable», le « crâne de squelette», le « fagot emmêlé », « or et jade»,
28. Les rapports entre cette technique automatiquement « proto-pointil- « fragment de jade», « courte ronde», « pierre d'alun », « sans os».
liste » et le pointillisme ultérieur de Seurat ont été soigneusement étudiés par 35. Cette question est une des cruces de la sémiotique visuelle. G. Sonesson
Homer (1964), de même que la combinaison optique du noir et du blanc qui en (1989) reproche à bon droit aux meilleurs représentants de l'école de Greimas-
découle. Floch et Thürlemann - de ne pas dire clairement si les oppositions plastiques
29. L'héraldique présente un classement de ce type, elle qui distingue les qu'ils extraient des énoncés analysés valent seulement hic et nunc ou font partie
d'un système universel.
émaux, les métaux et les pannes, ou fourrures. Ce classement - texturai autant
que technologique - a donné lieu à une intense activité sémiotique (partielle· 36. Ces deux termes sont intéressants, mais ne font pas l'objet d'une
ment décrite dans Mounin, 1970), à son tour productrice de règles qui finissent théorisation chez Sonesson. L'équilibre peut être rapproché de ce que nous
par ne plus avoir de justification technologique (la règle « jamais émail sur nommons « médiation » - cf. chap VI, § 6 - et l'indécision peut l'être de la
« multistabilité ».
émail » avait une telle fonction au départ, mais cesse de la remplir avec les
pigments modernes). 37. Vandeloise (1986 : 22-30) dégage cinq groupes de traits universels jouant
30. D'autres classements comme huile vs gouache vs aquarelle transcendent un rôle dans l'analyse de l'espace telle qu'elle apparaît dans le vocabulaire de la
le premier : l'huile peut être le véhicule de terres autant que de minéraux. spatialité: ce sont (1) la forme du corps humain, (2) la « physique naïve» (qui
31. D. Sutton, 1968, précise ainsi ce qu'il appelle « la principale innovation veut, par exemple, qu'une relation comme porteur/porté intervienne dans la
technique de Nicolas de Staël » : « Il obtient l'effet désiré en se servant d'un description des prépositions sur/sous); (3) « l'accès à la perception» (qui joue
grattoir dans le genre de ceux qu'on emploie pour arracher les papiers peints. ll un rôle dans la description de derrière et de sous) : (4) la « rencontre
étale la couleur et l'écrase comme un pâté de sable. La puissance de la masse est potentielle » entre entités (mouvement que décrivent, par exemple, les préposi-
mise en évidence par un bord de couleur flamboyant. » On sait que l'intérêt tions avant/après); (5) l'orientation générale et l'orientation latérale (qui, outre
pour la touche et l'empâtement en peinture est apparu à la Renaissance, et n'a les trois dimensions déterminées par (1), font intervenir la ligne du regard et de
pris de réelle importance qu'au xvnr siècle. la direction du mouvement).
32. Les impressionnistes ont eu besoin d'un coup de brosse court et 38. Sur le cadre, voir notre chapitre XI.
irrégulier : le plus souvent en virgules, en traits courts, en hachures et taches de 39. En particulier, Kandinsky en a proposé une interprétation dans le langage
formes moins définissables (cf. Homer). Monet, par exemple, à la fin des années qui est le sien (1972, trad. de 1926), et Lindekens (1971a) s'est efforcé de
structurer son propos.
1870, utilise surtout une virgule irrégulière. Pissarro par contre, dans les années
1880, a recours au « balayé », frotté largement et légèrement, ou même croisé. 40. Chose qui n'est possible que par le « caractère paradoxal » du fond ici
Le peintre classique, lui, obtient le « léché » avec ses brosses fines. ~tudié : dans un espace indifférencié, il n'y a pas de coordonnées, et, par
33. Dans le cadre de la théorie des transformations, le lustre, tout comme les conséquent, pas de position définissable.
perceptions caractérisant les autres distances critiques, est la description d'un 41. On pourra faire remarquer, à propos 'de la position, qu'un axe comme
type particulier de transformation optique. celui de la frontalité implique également le mouvement (en avant/en arrière).
34. Le trait et non la ligne. La théorie des transformations explique la Mouvement qui se révèle d'ailleurs capital pour l'analyse de nombreuses
naissance de la ligne par une différenciation. Mais cette opération aboutit à une expressions verbales de la spatialité {cf. Vandeloise, 1986).
ligne idéale (sans épaisseur ni texture), qu'il convient d'opposer au trait, doœ 42. Notons également au passage que l'orientation est également une
d'une texture et d'une épaisseur. En considérant le trait non comme ~ propriété des textures, comme on l'a vu (§ 2.3.3.3.). Les textures pouvant,
différenciation ponctuelle mais comme une zone de différenciation, la théone COmme les couleurs, ségréger des figures sur des fonds, on doit aussi envisager
chinoise de la peinture (cf. Cheng, 1979) permet d'appréhender la texture du les rapports entre l'orientation des formes et celle des textures.
trait. Cette théorie repose, en effet, sur quatre conceptions que nous refonnu- 43. L'analyse du système du contenu plastique se trouve, à l'état embryon-
lons de la manière suivante : (a) le contour appartient à l'objet et tout trait~ naire, dans ces enquêtes expérimentales présentant des axes sémantiques
un contour; (b) le trait fournit les limites d'objets par différenciation; (c) le trait gradués selon des échelles d'Osgood. Le malheur veut non seulement qu'elles ne
donne une indication de texture, plus ou moins codée, par son épaisseur IC préoccupent pas d'isoler la variable forme des autres variables plastiques,
différenciée ; ( d) le trait projette la validité de sa texture vers l'intérieur des mais aussi qu'elles analysent ces dernières dans le cadre de systèmes iconiques,
tracés. Les écoles de peinture chinoises ont ainsi systématiquement décrit toutes OU de systèmes fortement codés. C'est la principale critique qu'on peut adresser
les modalités de ce qu'ils appellent le trait ridé ou modelé, dégageant toute~ses ll'étude de Lindekens (1971b) sur les différentes caractéristiques formelles des
associations tactiles dans des variétés désignées métaphoriquement. Ces vanét& ~es typographiques (graisses, corps, empâtements - qui sont des dimen-
sont les « nuages enroulés », le « taillé à la hache », la « ligne dorée ». le aoos -, oppositions du type italiques-romaines - qui sont des oppositions
« chanvre éparpillé », le « blanc volant », le « pinceau sec », la « face de d'orientation ... ). Les valeurs relevées ne peuvent être que tendancieuses : les
caractères de l'imprimerie sont, préalablement, investis de nombre de valeurs
446
447
NOTES DU CHAPITRE V NOTES DU CHAPITRE V

culturelles. Même lorsqu'une analyse descend au niveau de la forme simple, elle la couleur résultante sera donc la somme des radiations non absorbées : c'est
considère fréquemment celle-ci comme inanalysable. Elle lui attribue donc pourquoi cette synthèse est dite soustractive.
fréquemment ce qui vient d'un seul formème, et le surcroît de complexité 52. Il cite notamment Hering (1874 !) et Heimendahl (1969).
provenant de l'intégration des formèmes crée les conditions d'un discours du 53. Suggérée par Heimendahl (1969), lequel l'avait visiblement créée pour les
système et de l'ineffable. Que de spéculations sur les « lois de proportions», besoins de la cause.
dont la moins célèbre n'est assurément pas la « section dorée»! Sans conteste, 54. Seul Thürlemann fait intervenir la saturation.
la mathématisation du propos, chère à un Matila Ghyka, risque bien de rester un 55. Distinction encore problématique en philosophie : la phénoménologie
subterfuge pour masquer son caractère non scientifique. Plus sérieuses nous husserlienne, par exemple, distingue malaisément l'objet et ses propriétés. Cf.
semblent les expérimentations plastiques d'un Bru (1975) : elles sont précisé· Eco, 1988: 176-178.
ment fondées sur la distinction « d'éléments picturaux», parmi lesquels nous 56. Enfin, il faut inlassablement rappeler que la structuration du plan de
détacherons la position, la direction, la dimension, analogues à nos trois l'expression est le découpage d'une substance, et aboutit à un système : il n'est
formèmes. point encore ici question de code, qui suppose l'association des plans du contenu
44. Cf. Edeline, 1984. et de l'expression.
45. On dit d'ailleurs communément dans ce cas que la forme « sort du 57. Lévi-Strauss (1983 : 163-164) note aussi que les chromèmes Let S sont
champ», constatation qui n'est valide que dans le cas où, l'orientation relayant ceux qui sont le plus aptes à se structurer en système. Commentant le travail de
la position, un simulacre de mouvement centrifuge est perçu. Berlin et Kay (1969), sur lequel nous reviendrons, il observe: « Il est [ ... ]
46. On trouvera une bonne analyse de ces phénomènes dans Bru, 1975 : 247- frappant que leur triangle initial incluant le blanc, le noir et le rouge, comparé
255, qui fournit une base quantifiable à la notion de« poids» spatial (poids qui aux triangles consonantique et vocalique, ne requiert pas non plus la teinte,
correspond à notre tension). c'est-à-dire le paramètre le plus "étique" des trois (en ce sens qu'on peut
47. Le «mouvement» dont il est question ici n'est évidemment qu'un seulement déterminer la teinte par un critère de fait : la longueur d'ondes). Au
mouvement signifié, et non un mouvement réel. Il en va de même pour ce que contraire, pour dire d'une couleur qu'elle est saturée ou non saturée, qu'elle a
l'on a nommé « poids »ou« équilibre ». L'idée du « dynamisme » du plastique, une valeur claire ou sombre, il suffit de considérer son rapport à une autre
jointe au fait, connu de tous, que le regard est mobile a amené nombre couleur : l'appréhension du rapport, acte logique, prime la connaissance
d'esthéticiens à proférer des contresens graves, comme celui-ci, qui dépare individuelle des objets. »
l'estimable essai de Ch.-P. Bru (1955 : 87) : « Les limites, aussi bien que les 58. La psychologie analytique n'est pas exactement une psychologie expéri-
cernes ou les traits, ne deviennent en effet des lignes que si on les suit du regard. mentale, mais elle se base néanmoins sur un corpus de documents, notamment
Et c'est précisément dans ce mouvement du regard que réside la spécificité de la iconographiques. Jung a ainsi distingué quatre types psychologiques, et a
ligne : elle n'est rien, en elle-même, qu'un mouvement déterminé. » A montré que chacun était associé à une couleur préférentielle. Il se fait que les
condition de n'être pas aveugle, chacun sait qu'il ne suit pas les contours des quatre couleurs de Jung sont précisément les couleurs « pures » au sens intuitif
objets qu'il perçoit. Le dynamisme qui préside à la création de la ligne n'est pas du terme : « Pensée » - /bleu/
celui des mouvements musculaires de l'œil : c'est celui des détecteurs de motifs «Intuition» - /jaune/
décrits au chapitre II. « Sentiment » - /rouge/
48. Cette relation n'est évidemment pas celle du tout et du rien : des figures « Sensation » - /vert/
peuvent être très ressemblantes, totalement ressemblantes ou peu ressem- Nous ne retiendrons que la théorie de Jung, la plus sérieuse sans contredit, et
blantes, et ces ressemblances peuvent affecter tel formème ou tel autre (un nous n'accorderons aucun crédit aux innombrables autres théories, toutes plus
cercle, un triangle et un carré peuvent avoir la même dimension; une ligne, une ou moins fantaisistes ou légères, qui cherchent à raffiner sur ce découpage,
ellipse, un losange peuvent avoir la même orientation). aboutissant par exemple à /brun/ - « enracinement », « sécurité » ... /violet/ -
49. On sait que Newton, qui le premier étudia la décomposition de la lumiè~ • mystique », « sacrifice », « secret », « noblesse », « hauteur » ...
par le prisme, a d'abord donné une liste de cinq couleurs, où n'intervenaient m 59. Des règles strictes ont été respectées pour établir cette liste, et notam-
l'indigo ni l'orange. C'est deux années plus tard qu'il ajouta ces deux couleurs en ment de ne retenir que les couleurs désignées par un seul mot ( ce qui exclut, par
vue, semble-t-il, d'asseoir une correspondance avec les sept notes de la gamme exemple, /bleu verdâtre/. Une telle liste ne fait pas usage de l'analyse en
(cf. Conklin, 1973). chromèmes, que Berlin et Kay n'ignorent cependant pas. Dans son commen-
50. Ces découvertes montrent que le jaune, dont on croit volontiers qu'il est taire (1983: 163-164), Lévi-Strauss observe que des trois premières couleurs,
une couleur simple, résulte de la sensibilité combinée des récepteurs rouge et deux n'impliquent pas de dominante, la troisième - le rouge - devenant ainsi à
vert. ses yeux un simple synonyme de « coloré » !
51. La couleur d'une matière ne lui est pas propre, mais représente la somme (i(), On va jusqu'à suggérer que le bleu-vert ralentirait la circulation sanguine
des radiations incidentes qu'elle n'absorbe pas. Si l'on mélange deux pigments, alors que le rouge orangé l'accélérerait. L'intervention inattendue d'une
448 449
NOTES DU CHAPITRE V
NOTES DU CHAPITRE V
Interviennent deux des trois dimensions du signal coloré : la dominante
dimension thermique dans le système des couleurs ne laisse pas d'être
chromatique et la saturation.
embarrassante. 70. ltten ne souligne pas, mais sa construction l'implique, que l'addition grise
61. On n'a cependant rien dit de la chaleur des couleurs en la qualifiant
neutralise aussi automatiquement l'effet thermique des couleurs. Le gris neutre
simplement de psychobiologique (Pfeiffer, 1966: 11). central est non seulement le lieu d'abolition des couleurs considérées comme des
62. Il serait évidemment intéressant de tester cette hypothèse sur un genre
tensions, mais aussi une impression chromatique « qui ne nous fait ni chaud ni
traditionnel exclusivement basé sur la saturation : le camaïeu. Le camaïeu est froid».
relativement codifié dans la tradition. Il peut connaître sept niveaux de 71. C'était peu ou prou ce que nous entendions naguère par graduat
saturation de vert, qui seront choisis équirépartis. Il y aurait donc une (cf. Groupe µ, 1979c).
progression réglée entre les échelons, et une « loi » académique interne, du 72. On peut voir ici le germe d'une rhétorique de la couleur (cf. chap. VIII,
genre : « Le camaïeu, pour être harmonieux, doit être équiréparti. » Un écart à 14).
ce système serait immédiatement perçu, mais serait-il rhétorique (i.e. réductible
73. Chevreul parle également d'un troisième type d'harmonie de couleurs
et sémantisable) pour autant? analogues. C'est celui qu'on obtient quand on juxtapose deux couleurs
63. Mais qu'est-ce qu'une couleur «pure»? Il ne s'agit pas de la « pureté
différentes, assorties suivant la loi des contrastes, et que l'une d'entre elles est
spectrale» (laquelle serait mieux appelée monochromatisme), mais de pureté dominante, comme si on regardait le tout à travers des verres colorés. En ce
perceptive et manipulatoire. Un modèle sensoriel serait plus satisfaisant : on qu'elle fait intervenir la notion de lumière colorée, cette harmonie est d'un autre
appellerait couleur pure celle qui donne une réponse sensorielle simple,
type que celles qui sont ici traitées.
correspondant au maximum de sensibilité de chacun des trois pigments rétiniens
74. Cette magnification du contraste entre deux couleurs n'aboutit pas à un
(soit le bleu 440 nm, le vert 535 nm et le rouge 575 nm). Nous avons déjà signalé « contraste absolu». C'est ce qui ressort clairement de la loi de Schônfelder,
que ceci laisse de côté le jaune, qui donne cependant l'impression d'être une
suivant laquelle la différence entre deux couleurs est encore renforcée si elles
couleur simple ... La sélection finale de quatre couleurs « simples » résultera
sont présentées ensemble dans un environnement qui concorde avec la moyenne
donc d'un modèle hybride, à la fois physiologique et intuitif. de ces deux couleurs.
64. Caractère composite : cette théorie est à la fois spéculative et expérimen·
75. Parmi d'autres classifications des couleurs, on peut encore citer la
tale. Pfeiffer utilise systématiquement de petits disques tournants où l'espace
circonférence de Henry - un des pourvoyeurs de Seurat en matière d'idées
occupé par les plages colorées peut être varié à volonté : ces disques sont en
rcientifiques -, qui n'est pas sans analogie avec celle de Chevreul. Les lois
somme une version du disque de Maxwell. Pertinence réduite : la technique du
d'harmonie que Henry en déduit sont cependant totalement arbitraires : pour
disque tournant mène à considérer surtout la composition optique des couleurs,
lui, l'harmonie est liée à un « rythme ». Mais par rythme, il ne faut pas entendre
ce qui en peinture ne se retrouve guère que chez les impressionnistes et les
celui que ferait l'apparition de taches colorées sur une toile, mais bien la
divisionnistes. Parfois un effort est fait pour trouver les équivalences entre des
ltgularité de la succession des points sur la circonférence qui sert à décrire les
mélanges de pigments et des combinaisons optiques. Simplisme : l'échelle des couleurs. Seraient ainsi rythmiques les divisions du cercle en 2, en 2°, en un
valeurs neutres, ou «gamme», est construite selon une progression géométri·
nombre premier de la forme 2° + 1... Mais cette « rythmique des méta-
que dont la raison est le nombre d'or ... ce qui lui permet d'obtenir exactement
couleurs » n'a aucun fondement, ni physiologique ni physique. La rage
sept échelons, comme dans la gamme musicale (mais il semble ignorer que les
normative et la prétention scientiste à une irruption totalitaire de la science dans
intervalles n'y sont précisément pas égaux ... ). Quant à la valeur normative du
~ monde naïf des artistes sont poussées à leur comble chez Henry, qui alla
nombre d'or, elle est étrangère au système et n'est nullement établie. )IISqu'à commercialiser un « rapporteur », petit disque gradué à l'usage des
65. Ailleurs on trouve que l'harmonie existe entre les couleurs « enchaînées
peintres, et dont Seurat se sert dans Le Chahut (1889-1890). Cette sorte de règle
les unes aux autres par intercalation des parties communes de leur combinaison
~ ~cul introduit le concept rythmique à la fois dans les couleurs et dans les
optique ». L'harmonie comportera donc cette fois trois couleurs et non plus
mclinaisons : le peintre est invité à choisir pour celles-ci uniquement des sous-
deux. multiples simples de 360°. C'est ainsi que les danseuses de french cancan lèvent
66. Ne précisons pas sa forme mathématique ... aimablement la jambe à 72° = 360° : 5 ! On passera sur le fait qu'il s'agit d'une
67. Cette définition se détruit en grande partie elle-même puisque toute paire
~uipartition spatiale plutôt que d'un rythme au sens temporel du terme. En
de couleurs - hormis les complémentaires - possède une telle moyenne optique
cela il est bien le continuateur de Chevreul, qui introduisait une notion d'ordre
et serait par conséquent harmonieuse. Le seul cas où la définition fonctionne est
(proximité ou opposition), et l'annonciateur d'Itten, qui préconisera l'inscrip-
celui de l'harmonie à trois tons avec ton médiateur (sur la médiation, voir plus
tion de figures «simples» (triangle, carré, hexagone) dans le cercle des
loin, chap. VI, § 6). couleurs. Le refus du continu est en fait une obsession du code, et mène
68. Ce serait le physicien Rumfort qui aurait pour la première fois, en 1797,
klgiquement aux efforts de discrétisation que nous venons de décrire. Gardons-
fait de cette observation la base de l'harmonie des couleurs. nous de ratifier une telle démarche, tout comme de la condamner sans appel. Ce
69. Cette représentation est isomorphe du double cône d'Ostwald, oà
450 451
NOTES DU CHAPITRE V
"TOTES DU CHAPITRE VI
qui est irrecevable n'est pas tant l'exploration de la discrétisation des formes et Sa) expression non codée
du champ coloré que son association, sous forme d'un impératif esthétique, à la Ratio difficilis
lb) contenu non codé, non segmenté, confus
beauté.
76. On a vu que des données purement intuitives (le jaune ... ) ont été captées On peut regretter que Eco n'ait pas appliqué un terme particulier au deuxième
en cours de route. Comme quoi, même chez le scientifique pur, tout peut faire cas de ratio facilis, qui participe à la fois du « facile » et du « difficile », car cela
entraîne des ambiguïtés dans sa démonstration.
farine au bon moulin : nombre d'or, diviseurs entiers ... Il y a même, à propos de
ce dernier point, une résurgence pythagoricienne extrêmement curieuse. Ainsi, se situant du point de vue du locuteur, il pose comme un cas de ratio
difficilis, ce qui nous apparaît plutôt comme le « facilis » du deuxième cas. II
VI. Rhétorique visuelle fondamentale s'agit de Piero della Francesca ayant à représenter dans une œuvre la rencontre
de Salomon avec la reine de Saba. Même si à la rigueur, cet événement
1. D'une syntaxe, dans le cas où les signes qui le composent sont combinables appartient à un texte et à un contexte culturel bien connus, la Bible, le « contenu
(ce qui n'est pas toujours nécessairement le cas : il y a des systèmes à signe culturel » de l'événement n'a jamais été vraiment analysé, segmenté et
unique). verbalisé : « Quand le peintre a commencé son travail, le contenu qu'il voulait
2. Dans ces codes, « l'expression est une sorte de GALAXIE TEXTUELLE qui exprimer (selon sa nature de nébuleuse) n'était pas encore suffisamment
devrait véhiculer des portions imprécises de contenu, ou une NÉBULEUSE DE segmenté. Ainsi a-t-il dû INVENTE R. » " Inventer "un contenu d'abord. » Mais
CONTE NU[ ... ]. Ce sont des situations culturelles où n'a pas encore été élaboré Saint-Martin n'envisage pas l'existence de notre combinaison (Bb).
un système de contenu précisément différencié dont les unités segmentées 5. Cette démonstration sera menée au chapitre VIII à partir d'un exemple
puissent correspondre exactement à celles d'un système d'expression. Dans de précis: un tableau de Vasarely, qui sera déjà évoqué ici au§ 4.3.
telles situations, l'expression est produite selon la ratio difficilis, et fréquemment 6. L'énoncé proverbial est donc globalement figuré, mais n'offre pas lui-
ne peut être reproduite parce que le contenu, qui est pourtant exprimé, ne peut même un couple base-élément figuré : c'est entre l'énoncé et le contexte que
être ni analysé ni enregistré par ses interprètes. C'est alors que la ratio difficilis l'écart se marque. Sur la grammaire du proverbe, voir !'encore actuel article de
gouverne des opérations d'institution de code» (Eco. 1978: 147-148). Le Greimas, 1960 (repris dans Greimas, 1970 : 309-314).
raisonnement d'Eco n'est pas toujours exempt de glissements, le terme ratio 7. Si le rôle d'un énoncé est de permettre la reconnaissance de types
s'appliquant tantôt au rapport contenu/forme, tantôt au rapport type/token. A iconiques, il est dès lors normal que, de signe iconique à signe iconique, les
propos de ces sémiotiques, d'autres invoquaient des énoncés constituant eux· moyens plastiques utilisés diffèrent. De la même façon, dans le langage, la
mêmes leur propre code. A la limite, on devrait donc parler de « systèmes a· production d'une isotopie de contenu a pour corollaire la variété des formes de
systématiques ». Le fonctionnement flou de ces systèmes peut sans doute l'expression, présente uniquement à titre de véhicule.
s'expliquer par des règles assez précises, voire strictes, mais ces règles ne sont 8. Certains grands peintres ont pu décrire explicitement cette concomitance
pas immanentes au système (ce sont, par exemple, des déterminations sociocul- comme une servitude dont il importait de se libérer; citons par exemple ce
turelles). propos de Braque : « La mise au point de la couleur est arrivée avec les papiers
3. Eco a bien vu l'existence de ce type de code, où il place ce qu'il nomme des collés[ ... ). Là on est arrivé à dissocier nettement la couleur de la forme[ ... ). La
pseudo-unités combinatoires : « Ainsi des lignes d'un tableau de Mondrian ou couleur agit simultanément avec la forme, mais n'a rien à faire avec elle» (cité
des notes d'une partition : il est difficile d'en déterminer le signifié, offertes par Leymarie, 1961 : 56).
qu'elles sont à diverses interprétations, et privées qu'elles sont d'un lien 9. Encore que la simultanéité de la manifestation puisse exister sur le plan
rigoureux à un contenu précis. On pourrait dire qu'il s'agit d'unités prêtes à linguistique. A la lumière de ces chafetières, si l'on ose dire, nous nous sommes
devenir des fonctifs sans que leur destin soit prédéterminé » (1988 : 143). Mais retournés vers le verbal, pour nous apercevoir que le mot-valise est une sorte de
dès l'instant où le travail d'interprétation commence, le lien assigné peut être cbafetière linguistique, cas intéressant sur lequel nous avions sans doute passé
rigoureux. trop légèrement dans Rhétorique générale.
4. Les combinaisons du type « contenu (ou expression) faiblement formaJi. 10. La notion de lieu pourra paraître assez floue, et autorisant bien des
sëes » et « lien stable » sont impossibles. F. Saint-Martin (1987 : 105) reproche glissements : deux éléments disjoints dans un tableau, comme le ciel et un
également à Eco son binarisme excessif : « On pourrait résumer ces ratios dans personnage, ne sont-ils pas dans un même lieu? Précisons donc que nous
le tableau suivant : entendons le mot dans un sens rigoureux : pour que l'on puisse parler de « lieu
a) expression codée identique», il faut que le signifiant du degré conçu se manifeste dans les mêmes
b) contenu connu, segmenté sous-déterminants que celui du degré perçu. Dans le cas de l'image que nous
Ratio fa ci lis appelons ~ chafetière » (IPC), c'est le même /tracé tronconique/ qui mani-
} a) expression codée ~te les types « corps de chat» et « corps de cafetière», c'est le même /tracé
b) contenu confus, non segmenté smueux/ qui manifeste les types « queue de chat »et« buse de cafetière ». Dans
452 453
NOTES DU CHAPITRE VII
NOTES DU CHAPITRE VI
montagne est un topos éternel de la peinture orientale, nous penchons plutôt
le cas d'un visage où les yeux sont remplacés par des bouteilles (IAC), le pour la seconde hypothèse.
signifiant correspondant au degré perçu ( « bouteilles ») a les sous-déterminants 19. Ce que ne voulait pas voir le structuralisme triomphant, prompt à croire
/caractère interne/, /binarité/, /symétrie/ du type« yeux». que les quelques formes qu'il était en mesure de décrire étaient le fondement
11. On aurait aussi pu conjoindre les colonnes 1 et 4, qui ont en commun le même de toute valeur esthétique (cf. Groupe µ, 1977a : 193-200).
trait in absentia : elles renferment donc les figures qui demandent au destina· 20. Ceci se vérifie dans tous les domaines et non seulement dans le visuel :
taire la collaboration la plus intense pour produire le degré conçu. dionysiaque et apollinien, ondes et corpuscules, cercle et carré, saint Georges
12. Une sorte de cas-limite de ces figures par interpénétration pourrait être
et le dragon. Lors d'une récente émission de la BBC, un célibataire déclarait que
ces œuvres de Paul Klee (Mère et Enfant) ou de M. C. Escher (Soleil et Lune)
les femmes se partagent en deux groupes : le type Georges et le type Dragon ...
où, bien que l'entité globale ne soit pas indécise, les deux types conjoints
21. Le processus de la médiation a été bien étudié dans les travaux de Lévi-
partagent le même contour : l'enfant est le complément de la mère (et
Strauss. G. Sonesson (1989) tente également de l'adapter au domaine visuel.
réciproquement), l'oiseau diurne est le complément de l'oiseau nocturne. Ce 22. L'intérêt de la question déborde largement du cadre rhétorique, mais
type de figure rhétorique joue en outre efficacement de l'exclusion du fond par
concerne la production même du sens. Si, lorsqu'on perçoit trois termes dont
la figure, ainsi que de l'avancée de cette dernière par rapport au fond. deux sont en opposition, on cherche activement à placer le troisième en position
13. Les exemples porteront donc sur une des dimensions seulement du signe
médiatrice, comme on l'a plus d'une fois noté (cf. les travaux de Thürlemann et
plastique : sa forme. Mais il va de soi que la classification ici proposée vaudra
Sonesson), c'est que la structure triadique T1 -TM - T2 est le schéma le plus
aussi pour la couleur et les textures. général de l'engendrement du sens. Même les oppositions frontales, apparem-
14. Ou bien sont en voie de constituer un tel type, mais toujours plus faible
ment non médiées dans le contexte, le sont par l'axe sémantique sur lequel elles
que le cercle ou le carré. s'opposent, mais qui leur est commun.
15. Lui aussi étudié en détail ailleurs : cf. Edeline, 1964a. 23. Contrairement aux autres types de médiation, elle ne met pas en relation
16. Sa caractéristique essentielle, et capitale pour notre propos, est de
deux zones de l'image.
fonctionner visuellement. On a pu à juste titre l'appeler psycho-cosmogramme
24. Il est inintéressant de dire, avec Farassino (1969), que si dans la
(G. Tucci, 1974). • rhétorique verbale la métaphore est la « reine des tropes », c'est la métonymie
17. On peut tenir le même type de raisonnement à propos de la représenta·
qui règne dans la visuelle (cette métonymie ayant - le chiffre est beau - sept
tion de certaines divinités hindoues, quand le lecteur européen ignore la
variétés : le personnage pour l'idée, l'effet pour la cause, l'objet pour le groupe
signification religieuse de leur transformation chromatique. L'opération est
social qui l'utilise, le concret pour l'abstrait, l'image pour l'objet). Ce genre de
notamment rendue possible par un phénomène qu'on peut baptiser coextensi·
distinction massive a pu un instant être stimulant (et l'on sait le rôle fondateur
vité. Nous visons ici la superposition en chaque lieu de trois composantes qu'a joué la pourtant bien fragile opposition métaphore - métonymie de
coextensives : la forme, la couleur et la texture. Ces composantes sont donc
Jakobson), mais il peut aussi être source de véritables blocages épistémologi-
parfaitement conjointes; chacune d'elles prise isolément est plastique et ques.
généralement insuffisante pour créer l'iconique, celui-ci naissant de leur
superposition. Il devient possible de manipuler telle composante plastique, tout
en laissant les autres intactes et sans entamer trop fortement la redondance
iconique : il s'agit donc bien d'une opération icono-plastique. Notons qu'en
linguistique, toutes les unités manifestées sont mutuellement exclusives : on ne VII. La rhétorique iconique
peut disposer deux phonèmes en un même point de la chaîne. Seuls les traits
distinctifs sont coextensifs, parce qu'ils sont virtuels. Ce qui autorise une
rhétorique fondée sur cette propriété (voir le chapitre « métaplasmes » ~ 1. Ces dernières opérations peuvent être confondues en droit, la permutation
Rhétorique générale, et l'exemple d'un imitateur de l'accent allemand qui n'étant qu'une espèce particulière de la substitution, où les éléments substitués
supprimerait le voisement dans une phrase comme /che fous téteste/). l'un à l'autre coexistent dans le type, et dès lors doivent être simultanément
18. L'analyse de La Grande Vague de Hokusai (chap. IX, § 3.2.) attire notre
manifestés dans l'énoncé. Si ces deux opérations sont à rapprocher davantage
attention sur un autre phénomène : l'artiste peut, entre les deux entités couplées
dans le cas visuel que dans celui de l'énoncé linguistique, c'est que ce dernier est
(ici le volcan et la vague déferlante), utiliser un terme intermédiaire en guise de linéaire, et l'énoncé iconique spatial.
tiers médiateur; c'est le rôle joué par la seconde vague, dont la forme est 2. V. chap. IV,§ 5.5.3. et chap. x. Nous excluons ici, évidemment, les cas de
exactement à mi-chemin des termes extrêmes, et qui est par ailleurs située entre
séquences d'images données pour la transformation l'une de l'autre, qui pose
eux. Il est difficile de décider s'il s'agit d'un adjuvant optique permettant de
des problèmes sui generis. La question de la stylisation est liée au niveau de
mieux guider la lecture, ou d'une entité fonctionnelle destinée à noter les étapes redondance de l'énoncé. Cette redondance provient de facteurs intrinsèques (en
d'un processus de transformation. Sachant que l'opposition de la mer et de la
455
454
NOTES DU CHAPITRE VII NOTES DU CHAPITRE VII
gros : plus le nombre de transformations différentes appliquées est élevé, plus les organes sexuels de la musicienne. Évidemment les cubistes ne sont ni les
faible est la redondance). Mais elle vient aussi de facteurs intrinsèques: seuls ni les premiers à noter de telles analogies (souvenons-nous de la femme-
projection du spectateur (recherchant des types dans les nuages, les rochers, les violon de Man Ray). Leur expression populaire, malicieuse et truculente, est
rideaux et le Rorschach), ou éléments contextuels activant ces projections. profonde (c'est-à-dire ancrée dans des croyances archaïques), et se retrouve
Exemple : un titre accompagnant un tableau, ou encore une séquence d'images dans le proverbe « Ce qui vient par la flûte s'en retourne par le tambour » et
permettant, comme c'est le cas dans la production de Van der Leck, d'observer dans bien d'autres croyances relatives aux instruments.
le procès de la stylisation à l'œuvre et, au moment du contact avec l'énoncé, 9. L'expérience la plus commune semble cependant infirmer cette réversibi-
d'avoir en mémoire l'énoncé antérieur ( énoncé plus redondant et où l'identifica- lité: le spectateur est sûr, n'est-ce pas, d'être face à une réclame pour un café, et
tion du type est encore possible). Sur cet exemple, v. le chap. x, § 2.5. pas pour une boutique de félins ! Mais ce sont des facteurs pragmatiques qui
3. Odile Le Guern (1981 : 219) fait remarquer que certaines dispositions de empêchent ici la réversibilité de jouer : nous savons ce qu'est une publicité et,
l'énoncé peuvent soit occulter soit exalter la hiérarchisation. Ainsi une mise en dans le cas précis, les intérêts qu'elle sert (au point que la marque n'apparaît pas
abyme exalte plus facilement une hiérarchie ( ainsi que le fait le mot comme dans sous forme d'un message linguistique). Mais à ne considérer que l'image,
la langue), alors que la simple juxtaposition est plus neutre. Rappelons que pour indépendamment de ces facteurs, la figure est bien réversible.
l'auteur, la métaphore linguistique est hiérarchisée et irréversible, ce que nous 10. On parlerait avec plus de bonheur « d'interpénétration ».
contestons. 11. On objectera que l'énoncé iconique peut comme dans la métaphore
4. En vérité, on a remplacé une coordination de type Il par une coordination linguistique in absentia être porteur de signifiés ne correspondant à aucune
de type E (v. Groupe µ, 1970a, 1977a, et Edeline, 1972). manifestation signifiante. Par exemple, un chat noir faisant de la réclame pour
5. A propos de la description (a) il faut néanmoins citer, toujours du même un café peut être investi de tout ce que le consommateur projette dans sa drogue
diabolique maniériste, le Cuisinier et le Paysan qui ne deviennent visage que si favorite : douceur, énergie, éveil, etc. N'y aurait-il aucun lien entre un bon café
on retourne la toile de 180". bien chaud et un bon chat bien ronronnant? Mais le rapport n'est plus ici
6. N'a-t-on pas été jusqu'à invoquer à propos des Têtes composées une strictement iconique. Cette relation entre le type « chat » et un autre concept est
influence indienne de la transmigration et de la méfempsycose? Ou encore, à d'une autre nature. Elle est binaire et est celle du symbole (celle qui unit le
plus juste titre sans doute, une des épiphanies de ce Green Man, personnage concept« noir» à celui de« deuil », celui de« croix» au « Christ», celui-ci au
symbolique lié aux anciens cultes de la végétation dans tout l'espace européen, christianisme et ainsi de suite). La figure se produit donc dans un autre lieu,
et qui survit encore dans le folklore anglais? dont nous n'avons pas à nous préoccuper ici.
7. Définition évidemment très large (aussi large que chez Ricœur, 1975), mais 12. Autre exemple de ce type chez Hans Bellmer. Assez curieusement Les
qui seule autorise l'extension de concept de métaphore au domaine iconique Seins de F. Picabia (1926) montrait des yeux à la place des seins ...
(Odile Le Guern le montre bien dans Peut-on parler de métaphore iconique], 13. On connaît aussi le célèbre illustrateur anglais Arthur Rackham, et plus
tout en niant, paradoxalement, la possibilité de mener une analyse componée- près de nous la portugaise Lourdes Castro. Francis Picabia a occasionnellement
tielle du visuel). Si l'on ne peut suivre Joëlle Tamine (1975) dans tous les détails silhouetté ses personnages vers 1922-1923 (p. ex. le Dresseur d'animaux) dans
de son argumentation quand elle conteste l'extension de l'opposition méta- des œuvres où l'intention caricaturale est avouée.
phore/métonymie à tous les systèmes sémiotiques, nous soulignerons avec elle 14. Pour être génératrice de rhétorique, la transformation homogène néces-
que cette extension est peu rentable, parce qu'elle ne rend pas compte des site l'intervention de facteurs extérieurs à l'énoncé : expérience du référent, ou
mécanismes iconiques dans leur spécificité. D'ailleurs, nos critères aboutissent à connaissance du type (ce qui nous ramène à la rhétorique du type). L'expérience
ranger plusieurs figures que l'on serait tenté de nommer métaphores (cf. du référent peut ainsi rendre rhétorique, pour certains, une tour Eiffel peinte
Kerbrat-Orecchioni, 1979) dans des catégories différentes : en § 2.2.1. par Delaunay. La force de la figure dépendra de l'autorité de ces facteurs. Dans
(«Arcimboldo»), § 2.2.2. (« Chafetière ») ou § 2.3.3. (« Le Viol»), par ce cas, la transformation est signifiante, tant par ce qu'elle supprime que par ce
exemple. qu'elle apporte, et est dès lors productrice d'indices sur l'énonciation (impossi-
8. Autre exemple : les cubistes ont souvent comparé le corps humain à un ble de confondre un Buffet et un Mir6, même lorsqu'ils peignent les mêmes
instrument de musique : généralement une guitare, un violon ou un violoncelle, objets). La médiation rhétorique s'exerce ici sur l'axe qui va du producteur
tous instruments possédant une « taille » et se fondant aisément avec la d'image au référent et au type.
silhouette humaine. La démarche est acceptable par l'œil. Lipchitz s'est livré à 15. Dire que la caricature accentue les effets « comiques » ou « déplaisants »
des recherches plus originales en utilisant la harpe dans ses sculptures, comme est de l'ordre de l'éthos et ne doit pas intervenir ici : vidons donc le mot de toute
Les Joueurs de harpe (1930) où le châssis courbe de l'instrument devient une connotation liée à l'usage de cette figure dans des genres localisés tels que la
paire de bras. Dans l'Homme à la clarinette (1919), le même Lipchitz transforme caricature politique, etc.
le tuyau de l'instrument en revers de vêtement, et ses clés en boutons. Les 16. Des transformations géométriques homogènes peuvent être senties
cordes d'une guitare peuvent aussi devenir les doigts de l'instrumentiste, voile comme rhétoriques quand le contexte s'y prête : un éléphant - dont le type
456 457
NOTES DU CHAPITRE VIII NOTES DU CHAPITRE VIII
comporte le trait « grandeur » - peut être représenté à une très petite échelle de l'énoncé en adoptant les coordonnées échiquéennes (a : rangée du haut; 1 :
sans qu'il y ait rhétoricité. Mais dans certains cas (éléphant isolé, sans contexte, colonne de gauche).
sur un support de grande taille), ce signifiant pourra produire une figure 4. Un alignement est le lieu d'une cohérence privilégiée, et l'œil est cablé
géométrique par adjonction. Le même raisonnement vaudra évidemment pour pour les détecter, voire pour les compléter s'ils sont lacunaires. Cette puissance
un dessin de puce couvrant plusieurs mètres carrés. de l'appareil rétinex est bien connue des bons typographes, lesquels cherchent à
17. Le cas, et son éthos, ont été bien étudiés par Merleau-Ponty (1966). éviter les « lézardes » dans une page : ces alignements ne sont pas pertinents,
Citons Je passage entier : « Le contour des objets, donné comme une ligne qui mais sont néanmoins impitoyablement perçus.
les cerne n'appartient pas au monde visible mais à la géométrie. Si l'on marque 5. On trouve abondamment, dans le graphisme et l'imagerie publicitaires, des
d'un trait Je contour d'une pomme, on en fait une chose, alors qu'il est la limite exemples de séries dimensionnelles en progression régulière : une même forme
idéale vers laquelle les côtés de la pomme fuient en profondeur. Ne marquer se répétant régulièrement pour constituer une gamme de tailles, selon la
aucun contour, ce serait enlever aux objets leur identité. En marquer un seul, ce technique de la réduction en photocomposition. Ou encore, on peut penser au
serait sacrifier la profondeur, c'est-à-dire la dimension qui nous donne la chose, procédé de la mise en abyme, définissable lui aussi visuellement comme une
non comme étalée devant nous, mais comme pleine de réserves et comme une stricte régularité dimensionnelle par progression.
réalité inépuisable. C'est pourquoi Cézanne suivra dans une modulation colorée 6. Insistons sur le fait que la notion de séquence, déjà récusée, serait
le renflement de l'objet et marquera en traits bleus plusieurs contours. Le regard impropre à décrire ces phénomènes, chaque série pouvant indifféremment être
renvoyé de l'un à l'autre saisit un contour naissant entre eux tous comme il le fait examinée à partir de l'une ou de l'autre de ses extrémités.
dans la perception. » Sur la rhétorique du contour de l'énoncé, voir le 7. Le peintre n'a pas joué sur le formème de la position : toutes ses figures
chapitre XI. sont rigoureusement centrées sur les nœuds du réseau. Mais il aurait évidem-
18. Dans ce cas-ci, il s'agit d'un hommage à la technique des fresquistes de la ment pu le faire, par exemple en décentrant légèrement un cercle ou une ellipse.
Renaissance, qui traçaient de la sorte les grandes lignes de leurs compositions. 8. Sur la notion de connexité, voir la note 10 du chapitre XI.
19. Constatation qui rappelle ce que nous avons établi à propos de la 9. Ceci vaut pour les deux carrés aux bords continus, occupant la position de
synecdoque linguistique ( dont les différents types proviennent également cercles, mais également pour les carrés produits par les alignements.
d'opérations d'adjonction et de suppression). Nous avions pu constater que ces 10. On crée ainsi une classe, dont la définition est strictement topologique, et
figures étaient impuissantes à connecter deux isotopies, sauf dans certaines dont les traits définitoires sont ceux qui ont été énumérés (convexité, clôture,
organisations textuelles très particulières (Groupe µ, 1977a : 67-72). surface équivalente, symétrie). Les traits que la figure dispose en situation
d'exclusion réciproque se répartissent dans les oppositions /droite/ vs /courbe/,
et/dérivable/ vs /non dérivable/ (c'est-à-dire /sans angle/ vs /avec angle/).
11. On retrouve d'ailleurs certains éléments dans d'autres compositions du
VIII. La rhétorique plastique maître de Pécs, ou dans ce Computer Graphie de Kornura et Yamanaka souvent
reproduit, qui passe d'un profil de femme au cadre par 9 intermédiaires, ou à un
losange intérieur par 49 intermédiaires.
1. Le lecteur attentif des chapitres I (§ 2.4.) et v (§ 3.2) y aura cependant 12. Distance plastique : un concept ni plus ni moins métaphorique que celui
trouvé des correctifs à ces affirmations. Nous avons vu que le mouvement de distance sémantique (cf. Marcus, 1970).
pouvait être signifié dans des énoncés plastiques en principe statiques (à cause 13. Stewart loue Bill Holm (1967) d'avoir utilisé le mot « ovoïde » pour
du formème de l'orientation). remplacer les anciennes appellations de « round-cornered rectangle » ou de
2. Le phénomène repose une fois de plus Je problème de la préexistence des « squared-off oval ». Il est vrai que le mot est commode, tout comme est simple
inventaires plastiques. On pourrait considérer que ces traits ne font pas partie fassimilation d'autres formes aux lettres U et S. Néanmoins, ces nouvelles
d'un inventaire préalable, et qu'ils sont chaque fois générés par un énoncé dénominations nous paraissent malencontreuses, car elles éliminent la notion de
donné. Mais alors, comment ces traits pourraient-ils être identifiés? Il faut sans synthèse entre carré et cercle, entre rectangle et ellipse, entre flexueux et
doute concéder qu'il existe un certain nombre de traits simples (au sens anguleux. Or cette notion pourrait contenir une des clés de la séduction que ces
gestaltiste) et abstraits, tels que « régularité », « égalité », « progression», formes exercent, et de l'efficacité que leur reconnaissent les peuples de la côte
« alignement », qui préexistent à tout message, et qui s'actualisent dans des Nord-Ouest.
ensembles plus complexes. 14. Un troisième et un quatrième cas seraient théoriquement à envisager :
3. L'énoncé est analysé ici comme un réseau de figures blanches sur fond (c) : celui où le message serait totalement homogène quant aux trois paramètres
noir. On peut aussi bien le décrire comme un réseau de losanges curvilignes de la texture, de la forme et de la couleur, et (d) celui où le message serait
noirs sur fond blanc. Cela ne modifie évidemment rien au propos théorique sur homogène quant à la forme et à la couleur, mais varié quant à la texture. II s'agit
lequel ces deux analyses débouchent. Nous désignerons les différentes positions cependant de deux cas purement théoriques. Dans (c), il n'y aurait tout
458 459
NOTES DU CHAPITRE VIII NOTES DU CHAPITRE IX

simplement pas de message plastique, puisqu'il n'y aurait aucune figure (au sens rnatériologies de Jean Dubuffet. Au xx" siècle, René Huyghe (1955 : 196-204),
non rhétorique; cf. chap. II). Dans (d), la variation de texture perçue créerait après quelques remarques sur les ressources de la pâte, consacrait plusieurs
ipso facto une forme, ou une figure, ce qui nous ramène au cas (b). pages au thème « La matière picturale accède à l'indépendance » et au
15. Le lecteur attentif de la note 14 pourrait nous objecter que ce cas est tout « prestige de la facture », formules paraissant impliquer que matière et facture
aussi théorique que le cas ( d) : des variations de texture dans une plage sont des conquêtes de l'art moderne. Reproduisant un détail macrophotographi-
homogène quant à la couleur créent, en effet, une forme distincte. Il faut que d'un tableau de Chardin, il y note « une prodigieuse contexture » (nous
cependant rappeler qu'il existe des échelles de prégnance, aussi bien sur le plan soulignons), terme que Lurçat utilisait déjà dans son traité peu connu de 1952
de la texture que sur celui de la forme ou de la couleur. Dans l'exemple que nous (t. III: 21 et ss.). Quant à Henri Van Lier, il fait place, dans une classification
donnons, les identités de la forme et de la couleur sont très accusées; les sur « les familles de peintres », aux maîtres qui « soulignent la matière » ou qui
variations de la texture, moins accusées, créent donc des formes à l'identité « s'évertuent à rendre visible, jusque dans l'état final, Je geste inscripteur »
moins prégnante, et peuvent être considérées comme secondes (dans tel autre (1959 : 186). Cette classe ne figure pas dans la première ni dans la deuxième
contexte, la variation de couleur - par exemple, deux nuances proches de vert édition {1960), preuve qu'il a fallu des artistes spécialisés {Pollock, Mathieu,
eau - pourrait être seconde par rapport à une opposition texturale très marquée etc.) pour faire surgir dans la conscience critique l'importance de la texture.
lisse-granuleux). Dans son essai Mind and Image (1976), l'architecture américain Herb Greene
16. Notons cependant que si l'amateur livré aux laboratoires conserve utilise explicitement le terme « texture », auquel il consacre un chapitre
seulement Je maigre choix entre Je mat, Je semi-mat et Je glacé, des effets (précédé d'une référence intéressante à Merleau-Ponty, notant que la percep-
d'écarts texturaux ont depuis longtemps été introduits dans la photographie tion synesthésique est de règle). Greene souligne que les traditions de
d'art et/ou professionnelle. l'architecture classique occidentale ont occulté la valeur des textures. Il n'est
17. Autre exemple du même type: une diapositive projetée sur écran perlé donc pas étonnant que ce soit avec des architectes marginaux et « anti-
gagnera sans doute un aspect supplémentaire de grain qui n'existe pas sur le rnodernes » comme Bruce Goff, dont Greene fut l'élève à l'université de
transparent. Mais il s'agit là d'un aspect que Je spectateur neutralise, le perlé l'Oklahoma, qu'une attention nouvelle se soit portée sur la valeur des
ayant pour but de donner plus de luminosité au support. matériaux. A l'enseigne du postmodernisme, K. Frampton (in Foster, 1983)
18. Objet est pris au sens très général, et donc pas nécessairement iconique, postule également que les valeurs tactiles - éventuellement manifestées par
que nous lui avons donné au chapitre II. synesthésie - constituent une réaction contre le primat du pur visuel dans Je
19. Cf. Groupe µ, 1978a. technologisme du mouvement moderne. Au lecteur qui douterait de l'impor-
20. Ou pour être plus précis, c'est par rapport à la couleur que la tance de la texture en architecture, Greene demande d'imaginer une pièce
concomitance doit s'observer : couleur et texture sont, en effet, toutes deux entièrement tapissée de cheveux - hypothèse saugrenue mais plausible pour un
susceptibles de créer des formes. indien coupeur de têtes ou pour un Dalî qui prédisait : « L'architecture moderne
21. Dans la concomitance, texture, couleur et forme sont en redondance. La sera molle et poilue » - ou encore recouverte complètement d'acier inoxydable,
texture étant Je moins évolué des trois composants, son rôle distinctif est ce qu'a peut-être fait un disciple exacerbé de Mies van der Rohe, ou d'un Loos
moindre, et c'est elle qui disparaîtra souvent la première si l'on doit sacrifier des qui prônait les surfaces lisses pour leur valeur hygiénique.
éléments du signifiant. Par ailleurs, Je signe visuel iconique, en tant que signe, 25. Sur tout ceci, voir le chapitre v, § 4.3.
doit présenter des similitudes avec Je type représenté, mais aussi des différences. 26. Couplage est ici entendu au sens que Levin donnait à ce terme en
La présentation en deux dimensions et l'isotexturalité sont les deux principales poétique.
différences rencontrées. 27. On pourrait même ajouter la remarque curieuse qu'en théorie on peut
22. Cf. Groupe µ, 1978a. Cet effet est accentué lorsque la matière utilisée a parcourir Je cercle des couleurs dans les deux sens, et y définir des écarts
une justification iconique (du sable collé sur un tableau représentant une plage). lévogyres et dextrogyres. Quoique possible, cette distinction ne semble pas
Transformation iconique, qui joue sur Je rapport de classe entre signifiant et encore exploitée.
référent, les deux ensembles étant l'un plus vaste (plage, désert), l'autre plus 28. Le moment correspondant à ses coordonnées positionnelles dans l'œuvre
précis. L'usage symbolique de telles figures est évident. n'est pour l'instant pas pris en considération.
23. Voir la note 20.
24. C'est l'usage même du terme texture en sémiologie des messages visuels
qui semble assez récent. S'agissant de peinture en particulier, la notion, et plus IX. La rhétorique icono-plastique
encore le goût et la pratique de ce qu'on entend aujourd'hui par là, sont certes
plus anciens que l'apparition du mot; en multipliant les empâtements, Je dernier
Titien recherchait à coup sûr un effet de sens dont plus d'un maître d'autrefois a 1. La sociologie de la réception des œuvres laisse apparaître, ce qui est banal,
entendu la leçon, bien avant les coups de brosse des impressionnistes et les que certains spectateurs sont sensibles à la production de sens iconique, et
460 461
NOTES DU CHAPITRE X
NOTES DU CHAPITRE IX
En le voyant à travers l'étai d'un scieur de long, nous nous rappellerons qu'il
d'autres à la production de sens plastique. Nombre de malentendus célèbres
soutient notre monde,
dans l'histoire de l'art - du Déjeuner sur l'herbe de Manet à tel ready made - à travers le cercle d'un tonneau, qu'il est le foyer de notre Japon,
proviennent de cette double perspective. L'esthéticien méprise le goût des
à travers le portique du temple de Nobotura, qu'il est lui-même un temple et
touristes (au féminin) d'âge mûr pour le David de Michel-Ange ou le goût des un Dieu.
bourgeois fin de siècle pour les charges de dragons. Les masses ne voient que
Nous savons qu'il nous protège comme le toit d'une maison. [ ... ]
tératologie dans le goût des connaisseurs pour les monochromies de Klein ou les
Et par le vent du sud, ciel clair, quelquefois il se met à se révéler rouge,
recherches de la compagnie de l' Art brut. Est-il besoin de dire qu'en prenant
comme une gigantesque réserve de sang. »
parti (ce qu'il n'évite presque jamais de faire), le sémioticien cesse d'être
9. On peut hésiter sur la pertinence de ce brun, car souvent la couleur des
sémioticien? lignes « n'est pas vue ».
2. Ces groupements d'étoiles sont si caractéristiques qu'il est impossible de ne
pas les voir: Orion, Cassiopée, les deux Ourses ... Il s'agit d'objets plastiques,
auxquels l'impossibilité d'en vérifier l'existence par ailleurs a conduit à conférer
le statut d'objets iconiques. X. La stylisation
3. Un commentaire de R. W. Oxenaar nous explique que « par là il a exclu
son" écriture "personnelle et sensible », affirmation qui semble à première vue
contredire notre théorie du canal émotionnel subliminal. En fait c'est le
1. S'il est juste de considérer, avec Odile Le Guern, que la gravure permet
contraire : en inhibant et contrôlant sa touche, Cézanne reconnaît du même
plus d'abstraction que la peinture (1981 : 218; « L'épuration des lignes d'un
coup sa capacité de véhiculer des émotions. dessin permet d'augmenter sa valeur de généralité »), il est hâtif de voir dans
4. En effet, les hachures obliques sont perpendiculaires à la direction des
tout processus de stylisation une tendance univoque à la lisibilité.
rayons du soleil, tels qu'indiqués par les ombres. Ces hachures ne figurent donc
pas la lumière et ses rayons, mais montrent le feuillage comme orthogonal,
2. Citons aussi ce dessin obtenu à l'ordinateur, et fournissant de nombreux
tracés intermédiaires entre un visage et un carré (reproduit in Moles, 1971 :
composé de nombreuses masses opaques arrêtant la lumière. 127), ou encore la série de J;-J. Grandville où l'on passe en sept étapes d'un
5. Cette dernière interprétation est loin d'être fragile, car dans une œuvre
éphèbe grec à une grenouille.
justement célèbre, l'artiste écossais I. H. Finlay a précisément choisi les
oppositions horizontale/oblique à 120° et bleu/brun pour caractériser les
3. La stylisation d'école n'est pas le seul lieu d'émergence d'une lecture des
objets selon un modèle de l'univers. Tout artiste se caractérise aussi par des
paysages marin et terrestre (sealland). Cette œuvre nous fournit un exemple
écarts systématiques, et la tendance à la géométrisation, par exemple, est
extrême et sans doute rarissime d'un paysage ramené à sa texture, elle-même
extrêmement bien attestée. Pour un Rodolphe Bresdin qui « en ajoute » quant
manifestée sous la modalité « hachures ». au grouillement des formes, combien de Cézanne qui les simplifient? Les étapes
6. 1967. L'expression de « rime plastique» présente l'inconvénient de ne
renvoyer qu'à des couplages positifs. Dans la structuration plastique des graphiques de ce processus peuvent être suivies avec une clarté particulière dans
l'œuvre de Van der Leck (voir § 2.5.).
énoncés il y a bien d'autres couplages possibles, et qui tous ont une effica-
4. En particulier celui de Cézanne, lorsqu'il recommande : « Traitez la
cité icono-plastique. C'est pourquoi, nous préférons l'expression « couplages
nature par le cône, le cube et la sphère », ou celui de Monet qui affirmait : « J'ai
plastiques
7. Cette».commodité est toutefois aisément justifiable car l'apparition des passé toute ma vie à tricoter des prismes ». Pour une reformulation sémiotique
domaines marin et terrestre est tout aussi primordiale pour le sémantisme du concept de style (utilisant les concepts d'énonciation, de pragmatique et de
variante libre), voir Klinkenberg, 1985a.
iconique de la peinture orientale (cf. Cheng, 1979) que l'est dans le sémantisme
5. Par ailleurs, l'étude permet de tester l'universalité des concepts dégagés,
linguistique l'opposition intéroceptif/extéroceptif, retenue par Greimas (1967)
puisqu'ils relèvent de cultures on ne peut plus différentes.
au sommet de son arbre. C'est d'ailleurs elle que nous avons vue à l'œuvre à
6. La présentation de l'art de la côte Ouest de l'Amérique qui est donnée ci-
propos de seal land, une sérigraphie de Finlay que nous avons analysée pour sa
après est quelque peu simplifiée. Elle tire ses éléments de Stewart (1979) et
texture (cf. note 5). Lévi-Strauss (1979).
8. Le résultat sémantique de ces opérations, par-delà leur éthos nucléaire
7. Ces formes elles-mêmes présentent deux cas intéressants de médiation
fusionnel, a pu donner naissance aux divagations butoriennes des Litanies du
plastique, étudiées comme tels au chapitre VIII (§ 2.4.4.).
Fuji:
« Si vous allez à Mishima, vous comprendrez à quel point il est semblable au
8. Lat. Co/aptes cafer (picidae).
9. Ce serait même une conjecture mythique intéressante et à vérifier, que
ciel; toute composition graphique se révèle en dernière analyse un puzzle équilibré
Si vous le voyez pendant l'orage d'été, vous saurez qu'il est semblable à la
de parties rhétoriques des deux mondes (la plume pour l'oiseau, la tache pour le
foudre. [ ... ]
462 463
NOTES DU CHAPITRE XI
NOTES DU CHAPITRE XI
7. Les opérations d'adjonction ne sont pas envisageables dans le domaine de
poisson : synecdoques ; l'oiseau pour l'espace aérien, le poisson pour l'espace la limite. Toute adjonction de limite renforce, en effet, la redondance qui
aquatique : métonymies). constitue la limite d'énoncé; elle ne fait donc que confirmer l'existence de cette
10. On aurait là, toujours sous réserve d'une vérification méticuleuse et avec
limite, sans créer de figure.
le risque que le parallèle tourne court, une évolution du matériel graphique
8. On pourrait alléguer un autre exemple de la même figure, dû à Finlay
selon les voies mêmes du langage, c'est-à-dire tendanciellement : équipartition
également (cf. Edeline, 1977) : il aboutit aussi à la sémiotisation de la nature.
de l'information ; renforcement de la redondance ; codage des unités du premier
Mais un autre procédé est ici à l'œuvre. Soit une plaque transparente sur
niveau et formation d'un répertoire clos; règles d'assemblage pour le second
laquelle sont portés les mots « rock » et « wave ». A travers cette plaque, on
niveau. perçoit le paysage, fait de collines et d'étangs. La nature est convoquée dans
l'énoncé mais, comme elle n'offre pas elle-même de démarcation, il est loisible
au spectateur de considérer que cet énoncé ne se limite pas à ce qui est perçu à
travers la seule plaque, mais comprend aussi l'espace environnant.
XI. Sémiotique et rhétorique du cadre 9. Ou de manière plus précise, l'espace compris à l'intérieur du contour
d'énoncé.
1. Signalons un essai de L. Marin, présenté au Congrès international 10. Le niveau admissible des réserves varie avec les cultures : la peinture
chinoise, par exemple, en fait un plus large usage que les arts occidentaux.
d'esthétique de Bucarest, en 1972 (Marin, 1976), puis ensuite, sans changement
L'espace de la peinture chinoise n'est pas « simplement connexe ». (Soit un
autre que de langue, au premier Congrès international de sémiotique à Milan,
espace topologique E : E est dit simplement connexe si tout chemin fermé de E
en 1974 (Marin, 1979); voir aussi Marin, 1988 et un recueil émanant de
l'université de Dijon, AA.VV., 1987, auquel il faut ajouter l'importante commençant et finissant à x peut se rétrécir à x, c'est-à-dire si on peut déformer
exposition de Turin, en 1981, avec son catalogue, qui nous fournissait un bon ce chemin de façon continue sans sortir de E. C'est le cas d'un disque circulaire,
corpus (AA.VV., 1981a). On ne peut pour autant mépriser dans la préhistoire d'un rectangle, de tout espace euclidien, de l'espace de nos perceptions.) Dans
de la sémiotique, les fines remarques de H. Wôlfflin (1915) ni l'article de l'espace topologique chinois, il y a des points de l'image que l'on ne peut joindre
entre eux par un chemin entièrement situé dans l'image. Ce qui est rarement le
M. Shapiro qui fit frémir les critiques d'art parisiens en 1969 (repris en français
cas en Occident. Que l'horizon d'attente déterminé par une culture soit
dans Shapiro, 1982). déterminant, comme dans toute rhétorique, cela n'est pas douteux ; songeons
2. Il s'agit là d'un invariant parmi toutes les représentations possibles de
que les dommages faits à certaines œuvres peuvent, pour certains spectateurs
l'espace, euclidien ou non (cf. Saint-Martin, 1980). seulement, créer ce type de figure : on peut lire comme imbordement les
3. On retrouve ici la notion d'énoncé dont on sait combien il est difficile de
l'établir dans le domaine de la sémiotique visuelle. Soulignons qu'en l'absence nombreux fragments de fresques qui nous restent de la peinture romane ou
de redondance nette des signes de démarcation, on est en droit d'hésiter sur renaissante.
l'étendue à donner à un énoncé. Hésitation sur quoi jouent bien des œuvres, 11. Une analyse fouillée de l'œuvre (que nous ne prétendons pas mener ici)
comme on le verra ci-après. Notons deux corollaires importants du principe (a) : fournirait une justification d'ordre iconique à ces deux lectures. Les personnages
1. même un « vide » peut, par l'effet de la bordure, recevoir un statut du tableau se meuvent sur un sol plan (contrastant avec l'environnement
sémiotique (cf. une fois de plus Cheng, 1979); 2. la bordure peut jouer le rôle naturel) qui figure de toute évidence une scène de théâtre. Cette hypothèse est
« d'inducteur d'icône ». Un objet du monde - un soulier, un porte-bouteille, un
confirmée par les figures sculptées sur la base de la bordure, et soutenant la
corps humain ... - est par elle disqualifié en tant qu'objet du monde, pour scène. Les bordures intérieures deviennent donc comme des colonnes et les
espaces latéraux comme des coulisses (un des personnages est d'ailleurs appuyé
devenir un signe. contre l'une des colonnes). Exemples comparables en bande dessinée, où l'on a
4. Ce n'est sans doute pas par hasard si le titre des œuvres a souvent figuré sur
la bordure elle-même. L'identification du référent d'une étiquette ne peut se pu voir des personnages s'appuyer à des bordures de vignettes incomplètes. Plus
faire que si des règles pragmatiques précises permettent l'embrayage. La simples sont les cas de véritables polyptyques comme dans Jour et Nuit de Max
Ernst : des énoncés différents sont inclus dans un même espace désigné par une
bordure peut être un de ces embrayeurs. bordure extérieure importante, et simplement séparés par de minces baguettes à
S. On pourra ainsi distinguer, dans ce qui suit, le contour d'unité et le contour
l'intérieur de cet espace. Cette répartition fait apparaître les petits énoncés
d'énoncé, ou contour extrême. comme des parties d'un énoncé plus vaste.
6. Une question peut ici se poser : pourquoi la bordure focaliserait-elle
l'attention sur l'espace intérieur et non sur l'extérieur? Puisqu'elle délimite deux 12. Voir note 10.
espaces, il n'y a aucune raison d'en privilégier un a priori. Mais il faut ici 13. La fragmentation d'un énoncé purement plastique amènerait plus aisé-
rappeler le rôle de la fovéa, qui permet d'opposer un espace scruté à un espace ment sa dissolution.
indifférencié. La bordure pourrait être un analogon de cette fovéa. 14. Avant d'explorer cette relation ambiguë, notons que l'appartenance

464 465
NOTES DU CHAPITRE XII NOTES DU CHAPITRE XII

complète de la bordure à l'espace indiqué est inconcevable. Puisqu'elle indique rapprochant de la musique ou des arts graphiques, mis en œuvre des catégories
un espace intérieur, la bordure ne peut se fondre totalement dans cet espace, de figures que nous avons nommées ailleurs (1970a: 51-53) « métagraphes »
sous peine de disparaître en tant qu'index, donc en tant que bordure. (sémantisation de la substance, valorisation de l'effet graphique); on devrait y
15. Comme dans les compositions de Gérard Titus-Carmel, où la distance adjoindre les « métaphones » pour désigner ce qu'on a appelé « la poésie à la
entre bordure d'énoncé et bordure représentée peut varier sensiblement : ce qui limite du son».
montre que l'espace situé entre ces bordures n'a plus tout à fait le même statut 4. Jean-Paul Sartre, dans sa discutable esthétique« sémantique » (1949 : 307-
que l'espace intérieur à la seconde. 311), affirme que les mobiles de Calder« ne signifient rien, ne renvoient à rien
16. Prendre en charge toutes ces spécialités dans un classement modélisé qu'à eux-mêmes : ils sont, voilà tout; ce sont des absolus ». On reconnaît la
serait céder à la rage taxinomique qui caractérisait certaines époques de la vieille formule de Focillon dont le philosophe existentialiste avait sans doute lu
rhétorique classique. la Vie des formes et notamment : « La forme ne signifie rien parce qu'elle ne
signifie qu'elle-même» (cf. Minguet, 1962). Le lecteur de ce qui précède devine
que nous ne pouvons admettre ici cette esthétique très entre-deux-guerres de la
pureté (peinture pure, Jacques Maritain, poésie pure de l'abbé Bremond, etc.).
XII. Vers une rhétorique des énoncés à trois dimensions Rappelons que Sartre disait la même chose de la poésie, non point concrète,
mais racinienne, homérique, etc., ce qui est encore plus fort. En est-ce fait de la
sémiotique du plastique à trois dimensions? Il est remarquable que le
1. Dans un texte de jeunesse, Baudelaire se demande « pourquoi la sculpture philosophe, par une contradiction flagrante, se corrige lui-même en parlant
est un art ennuyeux ». Dans ses réponses un peu confuses, nouvelle version du « d'étranges agencements de tiges et de palmes, de palets, de plumes, de
vieux paragone, il constate que le sculpteur est forcé de prévoir tous les profils pétales». A tout Je moins, les calders - puisque ces jouets sont à présent des
de son œuvre et qu'immanquablement le spectateur, supposé bourgeois donc noms communs - sont des objets semi-figuratifs, plus proches de l'iconique que
niais, choisira le plus mauvais ... A vrai dire, c'est Baudelaire qui fait ici la bête. du plastique. De même que Vasarely dans ses multiples noir et blanc fait penser
C'est précisément le génie propre à cet art d'obtenir un enchaînement des profils à des engrenages et plus spécifiquement aux synergies du troisième âge
qui soit Je meilleur. Laissons de côté les cas multiples où la sculpture est destinée industriel, de même Arp produit-il des icônes de protubérances organiques.
à « décorer » une architecture, sur un portail, dans une niche, sur un 5. Saussure, nul ne l'ignore, est en partie responsable du - lent - démarrage
tympan, etc. D'une certain façon, il y a quelque chose de vrai dans la remarque de la sémiotique de l'architecture avec sa fameuse comparaison entre l'assem-
de Baudelaire. En général, on peut constater que Je spectateur, surtout quand la blage d'une colonne et d'une phrase.
statue est iconique - et dans l'immense majorité des cas il s'agit d'une figure 6. On ne commentera pas davantage Je propos de l'éminent sémioticien
humaine-, Je spectateur, disons-nous, cherche instinctivement la vue frontale, italien. Outre sa valeur propre, il a Je mérite de rendre justice à quelques
qui n'est pas forcément la moins bonne. pionniers de la question. Koenig, pour qui le signe architectural est une
2. La reproduction des peintures gauchit également l'aspect des messages expression de la fonction à travers l'espace; ltalo Gamberini, qui a proposé une
dans un nombre de cas non négligeable (voir plus haut ce qui a été dit à propos codification des signes constitutifs de l'architecture; Hall, dont la proxémique
du cadre). Mais la sculpture est logée à pire enseigne. est évidemment d'application pour d'importants aspects de l'espace architectu-
3. Sans doute tous les arts ont-ils une matière. La musique comme la ral.
sculpture peut être étudiée par le physicien. Mais, comme on Je sait depuis 7. La question a d'ailleurs débordé depuis longtemps Je champ institutionnel
Lessing, les arts du temps ont, du point de vue de la perception esthétique, une de la sémiotique. De Françoise Choa y, exemple entre cent, on a pu lire dans
plus grande « spiritualité ». C'est l'opposition kantienne entre l'espace comme L'Architecture d'aujourd'hui (1967) une tentative d'aborder les rapports entre
forme a priori du sens externe et le temps comme forme du sens interne. Bien « Sémiologie et urbanisme » : on restait un instant rêveur devant un croquis en
entendu, il faut nuancer immédiatement cette constatation. La prétendue perspective aérienne d'une ville moyenâgeuse, légendée « le syntagme médié-
immatérialité de la musique était une norme de la musique dite classique et val»; Roland Barthes, un peu plus tard, et dans la même publication (1970), y
surtout de l'idéologie de cette musique (« la matière musicale est le son», est aussi allé de sa contribution. Des études plus ponctuelles, mais déjà
écrivait Étienne Gilson). La pratique musicale contemporaine, y compris la formalisées, ont tôt paru çà et là (cf. Ghioca, 1982, qui parle de la « structure
façon contemporaine d'écouter la musique ancienne, intègre Je bruit comme profonde » de l'architecture dans les termes de la grammaire transformation-
matériau valable (musique dite concrète, John Cage, etc. ; mais aussi recherche nelle). Van Lier, dans la quatrième édition de son brillant essai sur Les Arts de
d'une instrumentalité archéologique pour la musique baroque, « Klangfarben- fespace, s'excuse presque d'oser parler d'architecture, laquelle. précise-t-il,
melodie » de Webern, etc.). La poésie, et en général la littérature, neutralise « n'est pas d'abord esthétique, mais sémantique » (sic). Dans l'autre sens,
aussi - et au maximum - l'aspect sensible dans la pratique de la lecture muette. Norberg-Schulz (1977) soutient que« l'architecture[ ... ] ne peut être décrite de
Contre cette norme, des pratiques de la fin du xix" et du xx" siècle ont, se manière satisfaisante au moyen de concepts géométriques ou sémiologiques ».
466 467
NOTES DU CHAPITRE XII
Puis vinrent Everaert-Desmedt (1989) avec ses interprétations peirciennes,
l'école de Marcus, etc.
8. Dans Je maniérisme et Je baroque, on a vu se dégager progressivement des
types de façade à deux ou trois étages, où par un symbolisme codifié, les trois,
cinq ou sept ordres (selon les théories) se superposent dans l'ordre « histori-
que » de leur apparition. Un effet rhétorique très fort est obtenu involontaire-
ment dans certaines formes périphériques du baroque ; par exemple, la tour-
Bibliographie
porche de Saint-Amand-les-Eaux superpose les ordres, mais les colonnes sont si
courtes et trapues qu'on les perçoit comme quasi crétoises, et qu'on les conçoit
comme conformes/ difformes par rapport aux « règles » de Vignole.
9. Encore la tour Eiffel sacrifie-t-elle à l'aspect par les grands arcs qui relient
les piles au premier niveau et qui ne sont pas fonctionnels.
10. On sait que Je xvnr' siècle, anxieux des origines humaines - origine du
langage, notamment-, s'est occupé aussi du degré zéro de la construction; mais AA.VV., 1970a, L'Analyse des images, numéro 15 de Communications.
il s'agit d'un degré zéro défini cette fois comme une étymologie ou un point fixe -, 1970b, Recherches rhétoriques, numéro 16 de Communications.
et authentique. Cette rêverie s'est poursuivie jusqu'à nos jours. Pour l'abbé -, 1976, L'isotopie, numéro 1 de Linguistique et Sémiologie.
Laugier, la cabane primitive est le squelette d'un temple antique fait en tronçons -, 1978, Image(s) et Culture(s), numéro 29 de Communications.
d'arbre. Champion du réductionnisme, Mies van der Rohe a écrit : « L'art de -, 1980, Semi6tica de las artes visuales, Buenos Aires, CA YC.
bâtir commence en posant soigneusement deux briques l'une sur l'autre. » On -, 1981a, Il limite svelato : Artista, Cronice, Pubblico, Milan, Electa, s.d.
pourrait soutenir que les Babyloniens néolithiques étaient encore plus radicaux -, 1981b, Les Ordres de la figuration, numéro 34 de Communications.
puisqu'il leur suffisait de nouer des joncs vers Je haut pour se faire un abri. Et -, s.d., Les Muses. Encyclopédie des arts.
avant cela, au-dessous de zéro, la caverne ... Habitat mis à part, on peut
-, 1987, Le Cadre et le Socle dans l'art du xs" siècle, Dijon, Université de
descendre encore jusqu'au tumulus en pyramide.
11. Cela reste aussi vrai si l'on choisit un autre domaine connexe à Bourgogne, Paris, Musée national d'Art moderne.
J'architecture où les contraintes techniques semblent aussi devoir assurer l'unité -, 1989, Umberto Eco. Du sémiologue au romancier, dossier du Magazine
de la forme : la carrosserie automobile. Les modèles de 1950 semblaient plus
littéraire, 262.
aérodynamiques que les formules 1 ou les voitures de série des années 80 ... Au.EN, P. M., SANGLIER, M., ENGELEN, G., Boox, 1986, F., « Dynamic
12. Cf. Groupe µ, 1977a et Je paragraphe 2.4. du chapitre 1. modelling in evolving complex systems : towards a new synthesis »,
13. Pour cette raison, l'abbé Batteux ne la comptait pas dans sa liste des six Colloque sur les systèmes, Université de Bruxelles, 1-50.
beaux-arts réduits à un même principe d'imitation. ALVAREZ, Lluis X., 1986, Signas estëticos y teoria. Critica de las ciencias del
arte, Barcelona, Anthropos ( = Palabra plâstica, 7)
ANnoNIE, Razvan, MARIAN, Adrian, 1982, « Piet Mondrian. Analizâ §Ï
sinteza eu ajutorul calculatorului », in Marcus (éd.), 1982, 66-72.
APosTEL, Léo, 1957, « Logique et langage considérés du point de vue de la
précorrection des erreurs », Logique, Langage et Théorie de l'informa-
tion, Paris, PUF, 79-172.
-, 1964, « Symbolisme et anthropologie philosophique : vers une hermé-
neutique cybernétique », Cahiers internationaux de symbolisme, 5, 7-
31.
AANHEIM, Rudolf, 1966, Toward a psychology of Art, Berkeley, University
of Ca!ifornia Press (tr. fr., 1973, Vers une psychologie de l'art. Suite
d'essais, trad. par Nina Godneff, Paris, Seghers, = Psychologie
contemporaine).
-, 1969, Visual Thinking, Berkeley, Los Angeles, University of California
Press (tr. fr., 1976, La Pensée visuelle, traduit de l'américain par

469
BIBLIOGRAPHIE BIBLIOGRAPHIE

Claude Noël et Marc Le Cannu, Paris, Flammarion, = Nouvelle BLOOMER, KENT C. et MOORE Ch., 1977, Body, Memory and Architecture,
New Haven, London, Yale University Press.
bibliothèque scientifique).
-, 1971, Entropy and Art. An essay on disorder and order, Berkeley, Los Bourssxc, Paul, HERZFELD, Michel, POSNER, Roland (éd.), 1986, Iconi-
Angeles, Londres, University of Califomia Press. city. Essays on the Nature of Culture, Festschrift for Thomas A. Sebeok,
-, 1982, The Power of the Center. A Study of Composition in the visual Tübingen, Stauffenburg.
Arts, Berkeley, Los Angeles, Londres, University of Califomia Press. BouuGAND, Accès aux principes de la géométrie euclidienne, Paris,
-, 1986, Dynamique de la forme architecturale, trad. par M. Schoffeniels· Vuibert.
Jeunehomme, G. Van Cauwenberghe, à l'initiative de P. Minguet et BRION, Marcel, 1955, Klee, Paris, Somogy.
C. Henrion, Liège, Mardaga (=Architecture+ Recherches). BRu, Charles-Pierre, 1955, Esthétique de l'abstraction. Essai sur le pro-
ATINEAVE, Fred, 1971, « Multistability in perception», Scientific Ameri· blème actuel de la peinture, Paris, Privat, PUF.
-, 1975, Les Éléments picturaux, Louvain, Vander.
can, 225, 63-71.
BALTRUSAITIS, Jurgis, 1969, Anamorphoses ou magie artificielle des effets BUYSSENs, Eric, 1943, Les Langages et le Discours. Essais de linguistique
merveilleux, Paris, Perrin. fonctionnelle dans le cadre de la sémiologie, Bruxelles, Office de
BARRAUD, Henry, 1968, Pour comprendre les musiques d'aujourd'hui, Publicité (=coll. Lebègue, 27).
Paris, Le Seuil. CALOENEscu, Adina, 1982, « Preliminarii la constructia spatiului plastic »,
BARTHES, Roland, 1957, Mythologies, Paris, Le Seuil. in Marcus (éd.), 1982, 29-33.
-, 1964, « Rhétorique de l'image », Communications, 4, 40-51. CAMPBELL, Brenton, 1967, « Linguistic meaning », Linguistics, 33, 5-23.
-, 1965, Le Degré zéro de l'écriture, Paris, Gonthier (= Médiations). CAMPBELL, Fergus, MAFFE!, Lamberto, 1974, « Contrast and spatial
-, 1970, « Sémiologie et urbanisme », L'Architecture aujourd'hui, XLII, frequency », Scientific American, 231, 106-113.
CASEITI, Francesco, 1972, « Discussione sull'iconismo », VS, 3, 43-47.
153, 11-13.
BATICLE, Yveline, « Le verbal, l'iconique et les signes », Communications CASSIRER, Ernst, 1973, Langage et Mythe (à propos des noms de dieux),
et Langages, 33, 20-35. Paris, Éd. de Minuit (=Le sens commun). Original anglais : Yale
BAUDRILLARD, Jean, 1977, Le Trompe-l'œil, Université d'Urbino, CISL University Press, 1973.
( = Documents de travail, 62). CATACH, Nina (éd.), 1988a, Pour une théorie de la langue écrite, Paris,
BECK, Jacob, 1975, « The Perception of surface color », Scientific Ameri· CNRS.
-, 1988b, « L'écriture en tant que plurisystème ou théorie de L prime »,
can, 233, 62-74. in Catach (éd.), 1988, 243-259.
BENSE, Max, 1969, Einführung in die informations-theoretische Astherik,
Hamburg, Rowohlt. CliAJLLEY, Jacques, 1967, Expliquer l'harmonie?, Lausanne, Éditions
, 1971, Zeichen und design. Semiotische Âsthetik, Baden-Baden, Agis Rencontre (=Histoire de la musique, 16).
ÙiASLIN, François, 1985, « Du sexe incertain des colonnes », Feuilles,
Verlag. 30-41.
BERLIN, Brent et KAY, Paul, 1969, Basic Co/or Terms. Their Universalily
and Evolution, Berkeley, University of Califomia Press. ÙiASTAING, Maxime, 1958, « Le symbolisme des voyelles : signification
BERTIN, Jacques, 1967, Sémiologie graphique. Les diagrammes. Les des I », Journal de psychologie, 55, 403-423, 461-481.
réseaux. Les cartes, Paris, La Haye, Mouton, Gauthier-Villars. ÙiATMAN, Seymour, Eco, Umberto, KLINKENBERG, Jean-Marie (éds),
BIEDERMAN, Irving, 1987, « Recognition-by-components : A Theory of A Semiotic Landscape. Panorama sémiotique, La Haye, Paris, New
Human Image Understanding », Psychological Review, 94, 2, 115-147. York, Mouton ( = Approaches to Semiotics, 29).
BIERCE, Ambrose, 1964, Le Dictionnaire du Diable, Paris, Nouvel Office CHENG, François, 1979, Vide et Plein. Le langage pictural chinois, Paris,
Le Seuil.
d'Édition.
BIRREN, Faber, 1969, Princip/es of Co/or, New York, Van Nostrand ÙIERRY, Colin, 1961, On Human Communication, New York, J. Wiley &
sons.
Reinhold. ÙIKLOVSKI, Viktor, 1973, « L'Art comme procédé», trad. par G. Verret,
BLANCHÉ, Robert, 1957, Introduction à la logique contemporaine, Paris,
in Sur la théorie de la prose, Lausanne, L'Age d'homme.
Armand Colin (=A. Colin).
470 471
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
CHOAY, Françoise, 1967, « Sémiologie et urbanisme», L'Architecture
modes de production sémiotique», Communications, 29, 141-191
aujourd'hui, XXXVIII, 132, 8-10. (fragment de Eco, 1975).
COHEN, Jean, 1979, Le Haut Langage. Théorie de la poéticité, Paris, -, 1987, Sémiotique et Philosophie du langage, Paris, PUF (= Formes
Flammarion (=Nouvelle bibliothèque scientifique). sémiotiques).
CONKLIN, Harold C., 1973, « Color categorization », American Anthropo- -, 1988, Le Signe. Histoire et analyse d'un concept, adapté de l'italien par
logist, 75, 931-942. J.-M. Klinkenberg, Bruxelles, Labor (=Média).
COQUET, Jean-Claude et al., 1982, Sémiotique. L'école de Paris, Paris, EDELINE, Francis, 1972, « Contribution de la rhétorique à la sémantique
Hachette (=Université, Série Langue, Linguistique, Communication). générale», VS, 3, 69-78.
COUPERIE, Pierre et al., 1967, Bande dessinée et Figuration narrative, Paris, -, 1977, Jan Hamilton Finlay. Gnomique et gnomonique, Liège, Yellow
Musée des Arts Décoratifs. Now, Atelier de l'agneau.
DAMISCH, Hubert, 1972, Théorie du nuage, Paris, Le Seuil. -, (éd.), 1984a, Herméneutique du mandala, numéro des Cahiers interna-
-, 1979, « Sur la sémiologie de la peinture», in Chatman, Eco, Klinken- tionaux de symbolisme, 48-50.
berg (éds), 1979, 128-138 (aussi publié dans Macula, 2, 1977, 17-23). -, 1984b, « Structure perceptive et sémiotique du mandala », in Edeline
DE BRUYNE, Edgar, 1946, Etudes d'esthétique médiévale, Bruges, De (éd.), 1984a, 91-112.
Tempe!. -, 1984c, « Le Logo Mandala», in Edeline (éd.), 1984a, 205-224.
DELACHET, André, 1949, La Géométrie contemporaine, Paris, PUF EDELINE, Francis et MINGUET, Philippe, 1982, « Les Métaplasmes dans la
(= Que Sais-je?, 401). poésie lettriste et spatialiste », Schéma et Schématisation, 17, 31-42.
DELBOUILLE, Paul, 1961, Poésie et Sonorités. La critique contemporaine
EHRENZWEIG, Anton, 1967, The Hidden Order of Art. A study in the
devant le pouvoir suggestif des sons, Paris, Belles-Lettres (=Bibl. de la psychology of artistic imagination, London, Weidenfeld and Nicolson
Faculté de Philosophie et Lettres de l'Université de Liège). (tr. fr., 1974, L'Ordre caché de l'art, Paris, Gallimard).
DE MEY, Marc, 1982, The Cognitive Paradigm, Dordrecht, London,
EiLENBERGER, Gert, 1986, « Freedom, Science, and Aesthetics », in
Boston, D. Reidel Publishing Company(= Sociology of the Sciences Peitgen et Richter (éds), 1986, 175-180.
monographs). EISENSTEIN, Serge Mikhaïlovitch, 1980, Cinëmaüsme, Peinture et Cinéma,
DEREGOWSKI, Jan B., 1972, « Pictorial Perception and Culture», Scientific Bruxelles, Complexe.
American, 227, 82-88. EussEEFF, V., 1968, « De l'application des propriétés du scalogramme à
DÉRIBÉRÉ, Maurice, 1959, La Couleur dans les activités humaines, Paris,
l'étude des objets », Calcul et Formalisation dans les sciences de
Dunod, 2° éd. l'homme, Paris, Ed. du CNRS, 107-120.
DEWES BOTUR, Ada, 1985, « Notas sobre la semi6tica visual », Discurso, 6,
ERNsT, Max, 1926, Histoire naturelle, Paris (rééd. Arts Council of Great
69-81. Britain, 1982).
DUBOIS, Jean et al., 1973, Dictionnaire de linguistique, Paris, Larousse.
EVERAERT-DESMEDT, Nicole, 1989, « How to read Façades : Scales and
DUBOIS, Philippe, 1983, L'Acte photographique, Paris, Nathan, Bruxelles, Interpretant », Semiotische Berichte, n° 2-3, 153-174.
Labor (= Média). FARASSINO, Alberto, 1969, « Ipotesi per una retorica della comunicazione
Eco, Umberto, 1968, La struttura assente, Milano, Bompiani (tr. fr., 1972a,
fotografica », Annali della Scuola Superiore delle Comunicazioni
La Structure absente. Introduction à la recherche sémiotique, trad. par sociali, 9, 167-189.
Uccio Esposito-Torrigiani, Paris, Mercure de France). FILLMORE, C. J., 1982, « Towards a descriptive Framework for spatial
-, 1970, « Sémiologie des messages visuels», AA.VV., 1970a, 11-51
deixis », in Jarvella et Klein (éds), Speech, Place and Action, London,
(fragment de Eco, 1972a, 169 ss.). J. Willey.
-, 1972b, « Introduction to a Semiotics of Iconics Signs », VS, 2, 1-15. FLOcH, Jean-Marie, 1980, Sémiotique poétique et Discours mythique en
-, 1973, Segno, Milan, ISEDI (= Enciclopedia filosofica). photographie. Analyse d'un « Nu » d'Édouard Boubat, Université
-, 1975, Trattato di semiotica generale, Milano, Bompiani (= Il campo d'Urbino, CISL (=Documents de travail, 95).
semiotico). -, 1981a, « Sémiotique plastique et langage publicitaire », Actes sémioti-
-, 1978, « Pour une reformulation du concept de signe iconique. Les ques. Documents, III, 26.
472 473
BIBLIOGRAPHIE BIBLIOGRAPHIE

-, 1981b, « Kandinsky : sémiotique d'un discours plastique non figura· GREENE, Herb, 1976, Mind and Image. An essay on art and architecture,
tif», AA.VV., 1981b, 135-157. London, Toronto, Sydney, University Press of Kentucky, Granada.
-, 1982, « Les langages planaires», in J.-C. Coquet et al., 1982, 198-207. GREGORY, Richard L., 1966, Eye and Brain, World University Library (tr.
-, 1984, Petite Mythologie de l'œil et de l'esprit, Paris, Hadès. fr., 1966, L'Œil et le Cerveau. La psychologie de la vision, Paris,
FôNAGY, Istvan, 1963, Die Metaphern in der Phonetik. Ein Beitrag zur Hachette, = L'Univers des connaissances).
Entwicklungsgeschichten des Wissenschaftlichen Denkens, La Haye, -. 1968, « Visual illusions», Scientific American, 219, 66-76.
Mouton ( =:= Janua Linguarum). -, 1970, The Intelligent Eye, Londres, Weidenfeld & Nicolson ( = World
FosTER, Hal, 1983, The Anti-Aesthetic. Essays on Postmodern cultures, Bay University).
Press. GREIMAS, Algirdas-Julien, 1966, Sémantique structurale. Recherche de
FOUCAULT, Michel, 1966, Les Mots et les Choses. Une archéologie des méthode, Paris, Larousse ( = Langue et Langage).
sciences humaines, Paris, Gallimard (=Bibliothèque des sciences GREIMAS, Algirdas-Julien et CouRTÈS, Joseph, 1979, Sémiotique. Diction-
humaines). naire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette ( = Hachette
FRANCKE, Herbert W., 1977, « Observations Concerning Practical Visual université, série Langage, Linguistique, Communication).
Languages », Visible Language, XI, 2, 22-32. GREMY, François, PERRIN, Jean, Éléments de biophysique, t. II, Paris,
FRESNAULT-DERUELLE, Pierre, 1976, La Couleur et l'Espace dans les Flammarion ( = Médecine-Sciences), 1977.
Comics, Université d'Urbino, CISL (= Documents de travail, 40). GROUPE µ 1967, « Rhétorique généralisée», Cahiers internationaux de
FRISBY, John, P., 1981, De l'œil à la vision, trad. de l'angl. par P. Guilhon, symbolisme, 15-16, 103-115.
Paris, Nathan. -, 1970a, Rhétorique générale, Paris, Larousse (=Langue et Langage);
GARDNER, Martin, 1975, « The curious magic of anamorphic art», rééd. : Paris, Le Seuil, 1982 (=Points, 146).
Scientific American, 232, 110-116. -, 1970b, « Rhétoriques particulières», AA.VV., 1970b, 70-124.
-, 1978, « Musique blanche et musique brownienne, courbes fractales et -, 1976a, « La chafetière est sur la table », Communication et Langages,
29, 37-49.
musique en un surf. », Pour la science, 8, l, 118-126.
GARNIER, François, 1982, Le Langage de l'image au Moyen Age (Significa·
-, 1976b, « Isotopie et allotopie : le fonctionnement rhétorique du
texte », VS, 14, 41-65.
tion et symbolique), Paris, le Léopard d'or.
GÉRARDIN, Lucien, 1968, La Bionique,.. Paris, Hachette(= L'Univers des -, 1977a, Rhétorique de la poésie. Lecture linéaire, lecture tabulaire,
Bruxelles, Complexe, Paris, PUF; rééd. : Paris, Le Seuil, 1990
connaissances, 27). (=Points, 216).
Gmocx, Gabriela, 1982, « Un model generativ al structurilor architectu·
-, 1977b, « Miroirs rhétoriques», Poétique, 29, 1-19 (repris dans Rhéto-
raie plane», in Marcus (éd.), 1982, 113-146. rique générale, éd. de 1982, 201-218).
GILCHRIST, Alan, 1979, « La perception des noirs et des blancs d'une
-(éd.), 1978a, Collages, Paris, UGE (= 10/18, 1277, Revue d'esthétique,
surface », Pour la science, 19, 85-97. 1978, 3-4).
GODEL, Robert, 1957, Les Sources manuscrites du cours de linguistique -, 1978b, « Ironique et iconique », Poétique, 36, 427-442.
générale de F. de Saussure, Genève, Droz ( = Publications romanes et -, 1979a, Trois Fragments d'une rhétorique de l'image, Urbino, CISL
françaises). (=Documents de travail, 82-83).
GoGEL, Walter C., 1978, « Le principe de proximité dans la perception - (ëd.), 1979b, Rhétoriques, Sémiotiques, Paris, UGE ( = 10/18, 1324,
visuelle», Pour la science, 9, 1, 49-57. Revue d'Esthétique, 1979, 1-2).
GOODMAN, Nelson, 1968, Languages of Art. An approach to a theory of -, 1979c, « Iconique et plastique. Sur un fondement de la rhétorique
symbols, Indianapolis, Bobbs-Merrill, visuelle», in Groupeµ (éd.), 1979b, 173-192.
Goux, Jean-Joseph, 1978, Les Iconoclastes, Paris, Le Seuil (= L'ordre -, 1980, « Plan d'une rhétorique de l'image », Kodikas-Code, II, 3, 249-
philosophique). 268.
GREEN, R. T. et COURTIS, M. C., 1966, << Information Theory and Figure -, 1984a, « Avant-gardes et rhétoriques », Les Avant-gardes littéraires au
Perception : the Metaphor that failed », Acta Psychologica, 25, 12-36. XX siècle, Budapest, Akadérniai Kiad6, Il, 881-940.
474 475
BIBLIOGRAPHIE BIBLIOGRAPHIE

-, 1984b, « Artes de la imagen y lectura de los mensajes visuales », JANUSZCZAK, Waldemar, 1986, Les Grands Peintres et leurs techniques,
Revista de estética, 2, 15-22. Éditions du Fanal, 1982. Orig. angl. : QED Publishing Ltd, 1980.
-, 1985, « Structure et rhétorique du signe iconique », in H. Parret et JENCKS, Charles, 1969, « Semiology and architecture », in Jencks et Baird
H. G. Ruprecht (éds), Exigences et Perspectives de la sémiotique. (éds), 1969, 10-25.
Recueil d'hommages pour A. J. Greimas, Amsterdam, Philadelphie, JENCKS, Charles et BAIRD, G. (éds), 1969, Meaning in Architecture,
Benjamins, 449-461. Londres, Barrie & Jenking.
-, 1986, « Du sensible à l'intelligible dans l'image : essai de lecture JULEsz, Béla, 1975, « Experiments in the visual perception of texture »,
plastique d'une œuvre non figurative », Analyse musicale, 4, 19-22. Scientific American, 232, 34-43.
-, 1987, « Illustrations pour une rhétorique», Art & Fact, 6, 4-11. KANDINSKY, Wassily, 1972, Point, Ligne, Plan, Paris, Gonthier. Original
GROWE, Bernd, 1984, Georges Seurat. Zeichnungen, Munich, Preste! ail., Punkt und finie zu Fliische, 1926.
Verlag. -, 1974, Du spirituel dans l'art, Paris, Denoël. Orig. ail., Über das
GUILLOT, Marcel, 1978, « Sur l'harmonie des couleurs en peinture», Geistige in der Kunst, 1912.
Journal de psychologie normale et pathologique, 75, 1, 5-26. KANISZA, Gaetano, 1976, « Subjective contour », Scientific American, 234,
GUIRAUD, Jean, 1986, « Études sur Mondrian. Première partie: les 48-52.
facteurs photochromatiques », La Part de l'œil, 2, 33-65. KANZAKU, J., 1963, « The analytic study of affective values of color
HAIMAN, John (éd.), 1985, Iconicity in Syntax, Amsterdam, Philadelphie, combinations. A study of color pairs», Japanese Journal of Psycho-
John Benjamins ( = Typological Studies in Language, 6). logy, 34, 11-12.
HALL, Edward T., 1971, La Dimension cachée, Paris, Le Seuil (=Intui-
KENNEDY, Donald, 1963, « Inhibition in visual systems», Scientific Ameri-
tions). Orig. am. de 1966. can, 209, 122-130.
HAUTECŒUR, Louis, 1954, Mystique et Architecture. Symbolisme du cercle
et de la coupole, Paris, Picard. KERBRAT-ÜRECCHIONI, Catherine, 1979, « L'image dans l'image», in
Groupeµ (éd.), 1979b, 193-233.
HEFFERMAN, J. A. W., 1989, « Wordsworth, Constable, and the poeticsof
chiarooscuro », Word & Image, 5, 38, 260-277. KmÉDI VARGA, Aaron, 1989, Discours, Récit, Image, Liège, Mardaga
HEIMENDAHL, Eckart, 1969, Licht und Farbe. Ordnung und Funktion der (=Philosophie et langage).
Farbwelt, Berlin, W. De Gruyter. -, 1990, « Une rhétorique aléatoire : agir par l'image », in Meyer et
HÉNAULT, Anne, Les Enjeux de la sémiotique. vol. 1, Introduction à la Lempereur (éds), 193-200.
sémiotique générale, Paris, PUF, 1979; vol. 2, Narratologie, sémiotique KLINKENBERG, Jean-Marie, 1973, « Le concept d'isotopie en sémantique et
générale, Paris, PUF, 1983. en sémiotique littéraire», Le Français moderne, 41, 285-290.
HoLM, Bill, 1967, Northwest Coast Indian Art: An Analysis of Form, -(éd.), 1983, Problèmes de la synecdoque, numéro du Français moderne,
Seattle, University of Washington Press. 51, 4.
HOMER, William Innes, 1964, Seurat and the Science of Painting, Cam· -, 1984, « Le rôle du composant encyclopédique en linguistique », in
bridge, MIT Press. Tasso Borbe (éd.), Semiotics Unfolding, Berlin, New York, Mouton,
HuBBARD, Ruth et KRoPF, Allen, 1967, « Molecular Isomers in vision», Ill, 1169-1174.
Scientific American, 216, 6, 64-76. -, 1985a, « Reformulation sémiologique du concept de style », Le
Français moderne, 53, 3-4, 242-245.
HuBEL, David, 1963, « The visual cortex of the brain », Scientific Ame·
rican, 209, 54-67. -, 1985b, « El signo ic6nico. La ret6rica ic6nica. Proposiciones », Teoria
HuMPHREYS, Glynn W., 1990, « Vision, art and the black box», Word & semi6tica, Madrid, Consejo superior de investigaciones cientificas, I,
713-722.
Image, 6, 259-272.
HUYGHE, René, 1955, Dialogue avec le visible, Flammarion, Paris. -, 1990, Le Sens rhétorique. Essais de sémantique littéraire, Toronto,
ITTEN, Johannes, 1978, Art de la couleur, Paris, Dessain et Tolra. G.R.E.F., Bruxelles, Les éperonniers.
JAKOBSON, Roman, 1963, Essais de linguistique générale, Paris, Minuit. KOERNER, Joseph-Léo, 1985, « Borrowed sight : the halted traveller in

476 477
BIBLIOGRAPHIE BIBLIOGRAPHIE

Caspar David Friedrich and William Wordsworth», Word & Image, LURÇAT, André, s.d. (1953-1957), Formes, Compositions et Lois d'harmo-
I, 2, 149-163 (repris dans Caspar David Friedrich, and the Subject of nie, Paris, Vincent Fréal, 5 vol.
Landscape, Londres, Reaktion Books, 1990). LYOTARD, Jean-François, 1962, Discours, Figures, Paris, Klincksieck.
KowzAN, Tadeusz, 1985, « Iconographie - iconologie théâtrale: le signe MANDELBROT, Benoît, 1957, « Linguistique statistique macroscopique»,
iconique et son référent », Diogène, 130, 51-68. in Logique, Langage et Théorie de l'information, Paris, PUF, 1-78.
-, 1988, « Iconisme ou mimétisme? », Semiotica, 71, 3-4, 213-226. -, 1975, Les Objets fractals. Forme, hasard et dimension, Flammarion
KRAMPEN, Martin, 1973, « lconic signs, supersigns and models », VS, 4, 3, (=Nouvelle bibliothèque scientifique).
101-108. -, 1983, « Les fractales, les monstres et la beauté», Le Débat, 24, 54-72.
-, 1979, Meaning in the urban environment, Londres, Pion. MARcus, Solomon, 1970, Poetica matematicii, Bucarest, Editura Acade-
LAMBERT, Jean-Clarence, 1980, Le Noir de l'azur, Paris, Galilée. miei.
LAPICQUE, Charles, 1958a. Essais sur l'espace, l'art et la destinée, Paris, -, 1974, « Linguistic structure and generative devices in Molecular
Grasset. Genetics », Cahiers de linguistique théorique et appliquée, XI, 1, 77-
-, 1958b, «Les contrastes adoptés par les peintres et ceux de la nature i1, 104.
in Lapicque, 1958a, 233-245. -(éd.), 1982, Semiotica matematicii a artelor vizuale, Bucarest, Editura
LAVIS, Georges, 1971, « Le texte littéraire, le référent, le réel, le vrai », ~tiintifica §i Enciclopedicâ.
Cahiers d'analyse textuelle, 13, 7-22. -, 1986, Artii §i Stiintâ, Bucarest, Editura Eminescu ( = Sinteze ).
LEGRAND, Francine-Claire et SLUYS, Félix, 1955, Arcimboldo et les MARIN, Louis, 1971, Études sémiologiques. Écritures, peintures, Paris,
Arcimboldesques, Aalter, Collections d'art De Rache (=Les peintres Klincksieck (=Coll. d'Esthétique, 11).
fantastiques). -, 1976, « Le cadre du tableau ou les fonctions sémiotiques de la limite de
LE GuERN-FOREL, Odile, 1981, « Peut-on parler de métaphore iconi- la représentation », dans Actes du Congrès international d'esthétique,
que? », Travaux : Parcours sémantiques et sémiotiques, Université de Bucarest, Editura Academiei Republicii Socialiste România, II, 61-65
St-Étienne, CIRIEC, 30, 213-226. (republié sous le titre « The Frame of the Painting or the Semiotic
LEMOINE, Serge, 1987, Le Cadre et le Socle dans l'art du xx' siècle, Dijon, functions of Boundaries in the Representative Process », in Chatman,
Université de Bourgogne, Paris, Centre Georges Pompidou. Eco, Klinkenberg (éds), 1979, 777-782.
LÉVI-STRAUSS, Claude, 1979, La Voie des masques, Paris, Pion. -, 1977, Détruire la peinture, Paris, Galilée.
-, 1983, Le Regard éloigné, Paris, Pion. -, 1988, « Le cadre de la représentation et quelques-unes de ses figures »,
LEYMARIE, J., 1961, Braque, Paris, Skira. Les Cahiers du musée national d'art moderne, 24, 63-79.
LHOTE, André, 1967, Les Invariants plastiques, Paris, Hermann (=Les MARINA, Vladimir, 1982, « Forma §i culoare », in Marcus (éd.), 1982,
73-79.
miroirs de l'art).
LINDEKENS, René, 1971a, Éléments pour une sémiotique de la photogra- MARTINET, André (éd.), 1968, Le Langage, Paris, Gallimard (=Encyclo-
phie, Bruxelles, Paris, AIMAV, Didier. pédie de la Pléiade, 25).
-, 1971b, Sémiotique de l'image. Analyse des caractères typographiques, MARTINET, Jeanne, 1973, Clefs pour la sémiologie, Paris, Seghers (=Clefs,
Université d'Urbino, CISL (=Documents de travail, 3). 31).
-, 1971c, « Éléments pour une théorie générale des objets iconisés », MERLEAU-PONTY, Maurice, 1945, Phénoménologie de la perception, Paris,
Gallimard.
Semiotica, IV, 3, 197-214.
-, 1976a, Essais de sémiotique visuelle, Paris, Klincksieck. -, 1966, Sens et Non-sens, Paris, Nagel.
-, 1976b, « L'image et le problème de l'isotopie », AA.VV., 1976, 13-54. MERQUIOR, José-Guilherme, 1977, L'Esthétique de Lévi-Strauss, Paris,
- (éd.), 1979, De l'image comme texte au texte comme image, n° (double) PUF, 1977 (=Croisées).
du Journal canadien de recherche sémiotique. The Canadian Journal of METELLI, Fabio, 1974, « The perception of Transparency », Scientific
Research in Semiotics, 6, n° 3 et 7, n° 1. American, 230, 91-98.
LôPEZ ANAYA, Jorge, « Consideraciones sobre las isotopias del discurso METZ, Christian, 1970, « Au-delà de l'analogie, l'image», AA.VV., 1970a,
iconogrâfico », AA.VV., 1980, 24-48. 1-10.

478 479
BIBLIOGRAPHIE BIBLIOGRAPHIE

-, 1977, Essais sémiotiques, Paris, Klincksieck (=Coll. d'esthétique). ÜS'IER, Gerald, NISHIJIMA, Yasunori, 1963, « Moiré patterns», Scientific
MEYER, Michel ~t LEMPEREUR, Alain (éds), 1990, Figures et Conflits American, 208, 54-63.
rhétoriques, Editions de l'Université de Bruxelles. PALMER, Stephen E., 1975, « Visual Perception and Knowiedge : Notes on
MILLER, George A., 1956, « The magical number seven, plus of minus a Mode! of Sensory cognitive Interaction », in Norman et Rumelhart
two : some limits on our capacity for processing information », The (éds), 1975, 279-307.
Psychological Review, 63, 2, 81-97. -, 1977, « Hierarchical Structure in Perceptual Representation », Cogni-
MINGUET, Philippe, 1962, « L'esthétique sémantique aux États-Unis», tive Psychology, 9, 441-474.
Revue d'esthétique, XV, 1, 43-63. -, 1980, « What Makes Triangles Point : Local and Global Effects in
-, 1979, « L'isotopie de l'image», in Chatman, Eco, Klinkenberg (éds), Configurations of Ambiguous Triangles », Cognitive Psychology, 12,
1979, 791-794. 285-305.
MOLES, Abraham, 1958, Théorie de l'information et Perception esthétique, PANOFSKY, Erwin, 1967, Essais d'iconologie, Paris, Gallimard.
Paris, Flammarion. PARIS, Jean, 1978, Lisible/Visible. Essai de critique générative, Paris,
-, 1971, Art et Ordinateur, Tournai, Casterman (= Synthèses contempo- Seghers, Laffont (= Change).
raines). PAYANT, René, 1979, « La reproduction photographique comme sémioti-
-, 1972, « Vers une théorie écologique de l'image», in Thibault-Laulan que», in Lindekens (éd.), 1979, 55-74.
(éd.), 49-73. -, 1980, « L'art à propos de l'art. Citation et intertextualité », Parachute,
MoNNERET, Sophie, 1978, Cézanne, Zola ... La fraternité du génie, Paris, 17, 25-32.
Denoël. PEIRCE, Charles, S., 1978, Écrits sur le signe, rassemblés et commentés par
MORRIS, Charles, 1938, Foundations of the Theory of Signs, in International G. Deledalle, Paris, Le Seuil(= L'ordre philosophique).
Encyclopedia of Unified Science, vol. 1, n° 2, University of Chicago
PEITGEN, Heinz Otto et RICHTER Peter H. (éd.), 1986, The Beauty of
Press. Fractals. Images of complex dynamical systems, Berlin, Springer
-, 1946, Signs, Language and Behavior, New-York, Prentice Hall. Verlag.
-, 1974, « Fondements de la théorie des signes », Langages, 35, 15-26
(trad. fr. des trois premiers paragraphes de Morris, 1938). i>ETRACHE, Mihaela, 1982, « 0 modelare matematicâ a unor idei din teoria
culorii », in Marcus (éd.), 1982, 34-65.
MouNIN, Georges, 1970, Introduction à la sémiologie, Paris, Éditions de
Minuit (=Le Sens commun). PFEIFFER, Henri, 1966, L'Harmonie des couleurs, Paris, Dunod.
NAVON, D., 1977, « Forest before trees: the precedence of global features PIRENNE, Maurice-Henri, 1972, L'Œil et la Vision, Trad. et augmenté par
in visual perception », Cognitive Psychology, 9, 353-383. R. Crouzy, Paris, Gauthier-Villars.
NoRBERG-SCHULTZ, Christian, 1968, Intentions en architecture, Cam- PLEYNET, Marcelin, 1977, Système de la peinture, Paris, Le Seuil (=Points,
82).
bridge, The M.I.T. Press.
-, 1977, La Signification dans l'architecture occidentale, Bruxelles, Mar- POGGIO T. et MARR N., 1984, « Vision humaine et vision par ordinateur»,
daga. Pour la science, juin, 48-58.
NORMAN, D. A. et RUMELHART, D. E. (éds), 1975, Explorations in PRŒTo, Luis, J., 1966, Messages et Signaux, Paris, PUF (= Le linguiste) (2e
Cognition, San Francisco, W. H. Freeman. éd., 1972).
NoTON, David & STARK, Lawrence, 1971, « Eye movements and Visual -, 1968, « La sémiologie», in Martinet (éd.), 1968, 93-144.
Perception», Scientific American, 224, 6, 35-43. -, 1975, Pertinence et Pratique. Essai de sémiologie, Paris, Éd. de Minuit
NOWAKOWSKA, Maria, 1985, « Erkennungspotenz: Gründlagen einer (=Le sens commun).
Theorie der Grapheme », Zeitschrift für Semiotik, VII, 1-2, 27-34. PRIOLEAUD, Jacques, 1972, Technique et Pratique du développement des
ODIN, Roger, 1976, « Quelques réflexions sur le fonctionnement des émulsions négatives « noir et blanc», 3e éd., Paris, Éd. Paul Montel.
isotopies minimales et des isotopies élémentaires dans l'image », RASTIER, François, 1987, Sémantique interprétative, Paris, PUF (= Formes
AA.VV., 1976, 81-116. sémiotiques).

480 481
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
RATCLIFF, Floyd, 1972, « Contour and contrast », Scientific American, 226,
90-101. par Richard Stanley Baker), New York, Weatherhill, Tokyo, Hei-
REUCHLIN, Maurice, 1979, Psychologie, Paris, PUF (= Fondamental). bonsha (=The Heibonsha Survey of Japan Art).
REY, Alain, 1979, « "Abstraction " et représentation (iconologie et ÎAMINE, Joëlle, 1975, « Métaphore et syntaxe», Langages, 54, 65-82.
sémiotique picturale) », in Chatman, Eco, Klinkenberg (éds), 1979, ÎARDY, Michel, « Communication iconographique et sémiogenèse »,
812-814. Revue des sciences humaines, 159, 3, 327-341.
Rrcœun, Paul, 1975, La Métaphore vive, Paris, Le Seuil (= L'ordre ÎHIBAULT-LAULAN, Anne-Marie (éd.), 1972, Image et Communication,
Paris, Éditions Universitaires.
philosophique).
Rock, Irvin, 1974, « The Perception of disoriented Figures», Scientific ÎHOM, René, 1973, « De l'icône au symbole (esquisse d'une théorie du
American, 230, 78-85. symbolisme) », Cahiers internationaux de symbolisme, 22-23, 85-106.
Ross, Steven, 1971, La Chimie de la vie, Paris, Gauthier-Villars. -, 1983, « Local et global dans l'œuvre d'art», Le Débat, 24, 73-89.
Rossorrr, Hazel, 1983, Colour. Why the world isn't grey, Harmondsworth, ÎHÜRLEMANN, Félix, 1982, Paul Klee. Analyse sémiotique de trois pein-
tures, Lausanne, L'Âge d'homme.
Penguin books.
Rousssxu, René-Lucien, 1959, Les Couleurs, Paris, Flammarion(= Sym- ÎODORov, Tzvetan, 1972, « Introduction à la symbolique», Poétique, 11,
273-308.
boles).
SAINT-MARTIN, Fernande, 1980, Les Fondements topologiques de la -, 1978, Symbolisme et Interprétation, Paris, Le Seuil(= Poétique).
peinture, Montréal, Hurtubise HMH (nouv. éd., 1989, BQ). Tuccr, Giuseppe, 1974, Théorie et Pratique du mandala, Intr. par A. Pa-
-, 1987, Sémiologie du langage visuel, Québec, Presses universitaires de doux, trad. de H. J. Maxwell, Paris, Fayard (=Documents spirituels,
10). Orig. it. de 1969.
l'Université du Québec.
SAMIVEL, 1976, Hommes, Cimes et Dieux, Paris, Arthaud. VALLIER, Dora, 1975, « Malevitch et le modèle linguistique en peinture»,
Critique, 334, 284~296.
SARTRE, Jean-Paul, 1949, Situations, Ill, Paris, Gallimard.
SHAPIRO, Meyer, 1969, « On Sorne Problems of the Semiotics of Visual -, 1979, « Le blanc et le noir dans l'art abstrait», in Chatman, Eco,
Art : Field and Vehicle in Image-Signs », Semiotica, I, 3, 223-242 Klinkenberg (éds), 1979, 825-829.
(repris en français dans Schapiro, 1982, 7-34). VANDELOISE, Claude, 1986, L'Espace en français. Sémantique des préposi-
-, 1982, Style, Artiste et Société, Paris, Gallimard (=Bibliothèque des tions spatiales, Paris, Le Seuil (=Travaux linguistiques).
Sciences humaines). VAN LIER, Henri, 1959, Les Arts de l'espace, Paris, Tournai, Casterman.
ScHôNFELDER, W., 1933, « Der Einfluss des Umfeldes auf die Sicherheit -, 1980, L'Animal signé, Rhode-St-Genèse, De Visscher.
der Einstellung von Farbengleichungen », Zeitschrift für Sinnesphysio- VASARELY, Victor, 1978, Le Musée imaginaire de Vasarely, Gembloux,
Duculot.
logie, 63, 228 ss.
SEBEOK, Thomas, A., 1976, « lconicity », Modern Langage Notes, 91, 6, VILCHEs, Lorenzo, 1983, La lectura de la imagen, Barcelona, Paid6s
1427-1456. (== Paid6s Comunicaci6n, 11).
SONESSON, Goran, 1987, « Notes sur la macchia de Kandinsky: le VoLLI, Ugo, 1972, « Sorne possible developments of the concept of
iconism », VS, 3, 14-30.
problème du langage plastique », Actes sémiotiques, X, 44, 23-28.
-, 1989, Pictorial Concepts, Inquiries into the semiotic heritage and its -, 1979, « Pertinence sémiotique de la notion d'ensemble flou», in
relevance for the analysis of the visual word, Lund University Press Chatman, Eco, Klinkenberg (éds), 1979, 565-568.
(=Aris, Nova Series, 4.). WALLACE, Andrew, 1957, An Introduction to Algebraic, Oxford, Pergamon
Press.
STEWART, Hilary, 1979, Looking at Indian Art of the Northwest Coast,
Vancouver, Douglas & Mclntyre. WALLACH Hans, 1985, « La perception stable de l'environnement», Pour
la Science, juillet, 80-86.
SUARÈS, André, 1946, « Pietà », Saturne, Cahiers de poésie, Paris, Pion,
16-18. WôLFF1.1N, Heinrich, 1952, Principes fondamentaux de l'histoire de l'art,
Surrox, D., 1968, Nicolas de Staël, Paris, Hachette. Paris, Pion (orig. de 1915; rééd, Paris, Gallimard, = Idées/art, 1971).
TAKAHASHI, Seichiro, 1972, Traditional Woodblock Prints of Japan (trad. WRIGHT, B. et RAINWATER, L., 1962, « The Meanings of Co!or », Journal
of General Psychology, 67, 89-99.
482
483
BIBLIOGRAPHIE

WYSZECKI, Günter et STILES, W. S., 1967, Color Science. Concepts and


Methods, Quantitative Data and Formulas, New York, London,
Sydney, John Wiley & Sons.
YOUNG, J. Z., 1965, A Model of the Brain, Oxford, Clarendon press. Index des noms cités
ZEVI, Bruno, 1981, Le Langage moderne de l'architecture, Paris, Dunod,
Bordas.

Allen, P. M., 469. Bierce, Ambrose, 440, 470.


Alvarez, Lluis X., 469. Bierwish, Manfred, 45, 46.
Andonie, Razvan, 44, 469. Birren, Faber, 228, 230, 470.
Aposte!, Léo, 33, 469. Blanché, Robert, 434, 470.
Arcimboldo, Giuseppe, 177,293, 298- Blavier, André, 14.
300, 302, 312-314, 439,456,478, ill. Bloomer, Kent C., 471.
h.t. Bloomfield, Leonard, 59.
Arnheim, Rudolf, 26, 39, 40, 54, 96, Bôcklin, Arnold, 275.
147, 199, 200, 201, 212, 250, 413, Borbe, Tasso, 477.
416, 428, 469, 470. Boubat, Édouard, 473.
Arp, Hans, 401-403, 467. Boucher, François, 17, 65, 358.
Attneave, Fred, 27, 439, 470. Bouissac, Paul, 471.
Bouligand, 153, 158, 471.
Bachelard, Gaston, 228. Bramante, Donato di Angelo, 409.
Baird, G., 477. Brâncusi, Constantin, 266, 390, 403,
Ballà, Giacomo, 391. 404.
Balnusaitis, Jurgis, 303, 470. Braque, Georges, 13, 336, 396, 453,
Balzac, Honoré de, 429. 478.
Ramier, Louis, 308. Bremond, abbé Henri, 467.
Barraud, Henry, 242, 470. Bresdin, Rodolphe, 31, 34, 174, 240,
Barthes, Roland, 10, 16, 52, 145, 147, 463.
257, 412, 414, 430, 467, 470. Brion, Marcel, 445, 471.
Baticle, Yveline, 470. Bru, Charles-Pierre, 219, 448, 471.
Batteux, abbé, 468. Buchheister, Carl, 334.
Baudelaire, Charles, 466. Buffet, Bernard, 210, 309, 358, 457.
Baudrillard, Jean, 470. Butor, Michel, 187.
Beck, Jacob, 78, 470. Buyssens, Éric, 110, 471.
Bellmer, Hans, 457.
Benjamin, Walter, 401. Cage, John, 466.
Bense, Max, 209, 429, 430, 441, 470. Calder, Alexander, 401, 406, 467.
Benveniste, Émile, 424. Caloenescu, Adina, 44, 471.
Bergson, Henri, 224. Campbell, Brenton, 100, 471.
Berlin, Brent, 228, 237, 449, 470. Campbell, Fergus, 471.
Bernin, Gian Lorenzo, dit le -, 401, Carelman, Jacques, 13, 332.
403,405. Carnap, Rudolf, 429.
Bertin, Jacques, 209, 470. Casetti, Francesco, 434, 471.
Biederman, Irving, 53, 470. Casimiro, 223.

485
INDEX DES NOMS CITÉS
INDEX DES NOMS CITÉS
Cassirer, Ernst, 439, 471. Delahaut, Jo, 228, 234. Fillmore, Charles J., 473.
Castro, Lourdes, 457. Delaunay, Robert, 391, 457. Finlay, Jan Hamilton, 14, 384, 385, Grandville, J. J., 309, 463, ill. h.t.
Catach, Nina, 424, 471. Delbouille, Paul, 193, 472. 398, 416, 443, 462, 465. Greco, Dhominikos Theotok6poulos,
Cellini, Benvenuto, 403. Deledalle, Gérard, 481. dit le-, 173, 234, 439.
Floch, Jean-Marie, 23, 48, 50, 51, 57, Green, R. T., 439, 474.
Cézanne, Paul, 171, 173, 310, 348- Delvaux, Paul, 309. 115, 116, 224, 400, 423, 429, 430,
350, 458, 462, 463, ill. h.t. De Mey, Marc, 472. 432, 433, 447, 473, 474. Greenberg, Charles, 55.
Chailley, Jacques, 242, 471. Denis, Maurice, 23. F1orescu, Vasile, 290. Greene, Herb, 461, 475.
Chardin, Jean-Baptiste Siméon, 461. Deregowski, Jan B., 472. Focillon, Henri, 409, 467. Gregory, Richard L., 26, 183, 421,
Charles Quint, 179. Déribéré, Maurice, 174, 472. 475.
Folon, Jean-Michel, 263.
Chaslin, François, 408, 471. Derrida, Jacques, 424. F6nagy, Istvan, 193, 235, 474. Greimas, Algirdas-Julien, 58, 89, 129,
Chastaing, Maxime, 193, 235, 471. Descartes, René, 88, 426. Poster, Hal, 461, 474. 142, 146, 230, 423, 429, 430, 432,
Chatman, Seymour, 471, 472, 480, Dewes Botur, Ada, 432, 472. Poster, Harold, ill. h.t. 441, 447, 453, 462, 475, 476.
482. Dhurmer, Lévy, 392, 394. Foucault, Michel, 474. Gremy, François, 475.
Chazal, Malcolm de, 241. Diderot, Denis, 444. Frampton, K., 461. Gris, Juan, José Victoriano Gonzâles
Cheng, François, 267, 446, 462, 464, Dôhl, Reinhard, 340. Franc, Régis, 388. dit-, 171.
471. Domela, César, 386. Groupe Gutai, 386.
François, André, 109, 294, ill. h.t.
Cherry, Colin, 61, 471. Dotremont, Christian, 444. Francke, Herbert W., 61, 474. Groupe µ, 10, 15, 26, 55, 115, 189,
Cheval, Ferdinand, dit le facteur -, Dove, H.-W., 208. Fresnault-Deruelle, Pierre, 474. 223, 228, 234, 256, 258, 261, 267,
415. Dubidon, Aimé-Fortat, 398. Freud, Sigmund, 414. 270, 274, 284-287, 300, 312, 354,
Chevreul, Michel-Eugène, 228, 230, Dubois, Jean, 113, 472. Friedrich, Caspar David, 275, 296, 421, 422, 427, 440, 442, 445, 451,
246-249, 451. Dubois, Philippe, 195, 472. 477,478. 455, 456, 458, 460, 468, 475-477.
Chklovski, Viktor, 421, 471. Dubuffet, Jean, 308, 461. Frisby, John P., 424, 427, 431, 474. Growe, Bernd, 251, 476.
Choa y, Françoise, 467, 472. Dufay, Guillaume, 39. Guilhon, P., 474.
Christo, Christo Javacheff, dit-, 390, Dürer, Albrecht, 201, 384, 385. Gabo, Naum, 401, 402. Guillaumin, Armand, 173.
398. Gabriel, Peter, 299. Guillot, Marcel, 167, 476.
Cocteau, Jean, 439. Eco, Umberto, 10, 22, 46, 47, 88, 90, Gamberini, ltalo, 467. Guiraud, Jean, 342, 343, 476.
Cohen, Jean, 422, 472. 121, 122, 124, 125, 128, 130, 135, Gardner, Martin, 331, 474.
Comès, Dieter, dit Didier, ill. h.t. 138, 142, 144, 156, 217, 238, 259, Garnier, François, 442, 474. Haiman, John, 114, 476.
Condillac, Étienne Bonnet de -, 406. 260,289,407,410,426,427, 430- Gauss, Carl Friedrich, 422. Hall, Edward T., 467, 476.
Conklin, Harold C., 228, 237, 448, 432, 435, 437, 439, 444, 449, 452, Gelb, 1. J., 424. Hanson, Duane, 403.
472. 453, 469, 471-473, 479,480,482. Gérardin, Lucien, 66, 474. Hardouin-Mansart, 412.
Constable, John, 358, 476. Edeline, Francis, 141, 256, 330, 408, Getzler, Pierre, 438. Hartung, Hans, 340.
Coquet, Jean-Claude, 472, 474. 427, 443, 448, 454, 456,465,473. Ghioca, Gabriela, 467, 474. Harunobu, Hozumi Jimei, dit Suzuki,
Corot, Jean-Baptiste Camille, 173. Ehrenzweig, Anton, 99, 100,201,473. Ghyka, Matila, 448. 167.
Couperie, Pierre, 173, 472. Eilenberger, Gert, 473. Giacometti, Alberto, 309. Hautecœur, Louis, 369, 408, 476.
Courtès, Joseph, 58, 89, 129,146,423, Eisenstein, Serge Mikhaïlovitch, 295, Gilbert & George, 388, 405. Hefferman, J. A. W., 476.
429, 430, 432, 475. 438,473. Gilchrist, Alan, 78, 474. Hegel, Friedrich, 24.
Courtis, M.C., 439, 474. Elisseeff, V., 473. Gilson, Etienne, 466. Heimendahl, Eckart, 449, 476.
Crane, Roy, ill. h.t. Empédocle, 392. Giotto di Bondone, 28, 31. Hein, Piet, 328.
Croce, Benedetto, 101. Engelen, G., 469. Gode!, Robert, 146, 474. Hénault, Anne, 476.
Crouzy, R., 481. Ernst, Max, 13, 256, 261, 302, 445, Godneff, Nina, 469. Henrion, Colette, 470.
465, 473, ill. h.t. Henry, 374, 451.
Goethe, Johann Wolfgang von, 228.
Dali, Salvador, 177, 387, 461. Escher, Maurits Cornelius, 288, 437, Goff, Bruce, 461. Herbin, Auguste, 340.
Damisch, Hubert, 114, 115, 224, 472. 454. Gogel, Walter C., 35, 36, 69,353,474. Hergé, Georges Prosper Rémi, dit -,
Damourette, Jacques, 14. Everaert-Desmedt, Nicole, 468, 473. Gombrich, Ernst H., 26, 27. 107, 169, 273, ill. h.t.
David, Louis, 173. Hering, 230, 243, 449.
Goodman, Nelson, 125, 126, 130, 142, Herzfeld, Michel, 471.
De Bruyne, Edgar, 406, 472. Farassino, Alberto, 455, 473. 143, 474.
Delachet, André, 437, 472. Fechner, Gustav Theodor, 172,243. Goux, Jean-Joseph, 21-24, 474. Hjelmslev, Louis Troll, 37, 44, 46,
Delacroix, Eugène, 28. Fénéon, Félix, 208. 432.
Goya y Lucientes, Francisco de, 174.
Hukosai, Tokitaro, dit Tetsuzo, dit
486 487
INDEX DES NOMS CITÉS INDEX DES NOMS CITÉS
Katsukawa Shunro, dit Tawaraya Kœnig, 467. Manet, Édouard, 462. Navon, D., 100, 428, 480.
Sori, 101, 283, 288, 352-354, 454, Kœrner, Joseph-Léo, 296,477,478. Marcus, Solomon, 42, 423, 459, 468, Necker, 27.
465, ill. h.t. Kolar, füi, 13, 209. 479.
Neisser, 208.
Holm, Bill, 459, 476. Komura, 459. Marian, Adrian, 44. Newton, Isaac, 228, 448.
Holt, 55. Kowzan, Tadeusz, 431, 478. Marin, Louis, 22, 53, 464, 479. Nishijima, Yasunori, 480.
Homer, William Innes, 208,444,446, Krampen, Martin, 433, 478. Marina, Vladimir, 44, 479. Noël, Claude, 470.
476. Maritain, Jacques, 467.
Norberg-Schultz, Christian, 467, 480.
Homère, 302. Lambert, Jean-Henri, 436. Markov, Andreï Andreïevitch, 71. Norman, D. A., 480, 481.
Houédard, Dom Sylvester, 209. Lambert, Jean-Clarence, 23,439,478. Marr, Nicolas, 422, 481. Noton, David, 422, 480.
Hubbard, Ruth, 476. Lamé, Gabriel, 328, 330. Martinet, André, 55, 59, 479, 481. Nowarowska, Maria, 480.
Hubei, David, 476. Land, 228. Martinet, Jeanne, 111, 479.
Hume, David, 88. Lapicque, Charles, 172,173,438,478. Mathieu, Georges, 205, 221, 461. Odin, Roger, 48, 57, 193, 209, 262,
Humphreys, Glynn W., 250,476. Larionov, Mikaïl Fiodorovitch, 397. Matisse, Henri, 167, 234, 240, 358, 429, 480.
Huyghe, René, 461,476. La Tour, Georges de, 173. '368.
Ogden, Charles Kay, 53, 136.
Laugier, abbé, 468. Maxwell, James Clerk, 422, 450. Osgood, Charles E., 193, 447.
Ingres, Dominique, 173. Lavis, Georges, 136, 478. McLuhan, Marshall, 58. Oster, Gerald, 480, 481.
Itten, Johannes, 187, 228, 244, 249, Le Bion, 230. Memling, Hans, 173.
Mendini, 414. Ostwald, Wilhelm, 235, 426, 450.
451, 476. Le Cannu, Marc, 470. Oxenaar, R.W., 462.
Le Corbusier, Charles-Édouard Jean- Mercator, Gerhard Kremer, dit -,
Jakobson, Roman, 10, 324, 476. neret, dit-, 410, 413,417,419. 436,437. Packard, Vance, 444.
Januszczak, Waldemar, 200, 477. Legrand, Francine-Claire, 478. Merleau-Ponty, Maurice, 24, 25, 458, Palladio, Andrea di Pietro dalla Gon-
Jencks, Charles, 407, 412, 477. Le Guern-Forel, Odile, 456,463,478. 479.
dola, dit-, 409.
Johns, Jasper, 396. Leloup, Roger, 281. Merquior, José-Guilherme, 427, 479. Palmer, Stephen E., 99, 100-103, 425,
Johnson, Philip, 410. Lemoine, Serge, L, 478. Metelli, Fabio, 479. · 428,481.
Johnson, Stephen R., 299. Lempereur, Alain, 480. Metz, Christian, 479. Panofsky, Erwin, 481.
Julesz, Béla, 71, 72, 477. Léonard de Vinci, 17, 230. Metzger, 64.
Parant, Jean-Luc, 303.
Jung, Carl Gustav, 449. Lessing, Gotthold Ephraïm, 466. Meyer, Michel, 477, 480. Paris, Jean, 24-28, 31, 224, 481.
Lévi-Strauss, Claude, 22, 92,369,427, Michel-Ange, Michelangelo Buonar- Parlebas, Pierre, 445.
Kandinsky, Wassily, 23,116,228,357, 443, 449, 455, 463, 478, 479. rotti, dit-, 16, 462. Parret, Herman, 476.
423, 447, 474, 477, 482. Levin, Samuel R., 10, 461. Mies van Der Rohe, Ludwig, 412, Pascali, 391.
Kanisza, Gaetano, 477. Lévy Dhurmer, 392. 461, 468. Passeron, René, 398.
Kanzaku, J., 236, 477. Leymarie, Jean, 453, 478. Miller, George A., 428, 480. Pasture, André, 301, 313, ill. h.t.
Kay, Paul, 228,237,449,470. Lhote, André, 352, 478. Minguet, Philippe, 262,433,467,473. Payant, René, 115, 481.
Kees, W., 124. Lichtenstein, Roy, 396. Mir6, Joan, 116, 163, 183,457, ill. h.t. Peeters, Benoît, 409.
Kelly, Ellsworth, 223. Lindekens, René, 48, 447, 478, 481. Moholy-Nagy, Lâszlo, 226, ill. h.t. Pei, Ieoh Ming, 412.
Kennedy, Donald, 477. Lipchitz, Jacques, 456. Moles, Abraham, 36-39, 53, 144, 176, Peirce, Charles Sanders, 88, 115, 124,
Kerbrat-Orecchioni, Catherine, 257, Loos, Adolf, 461. 463,480.
142, 430, 435, 481.
456, 477. L6pez Anaya, Jorge, 478. Mondrian, Piet, 23, 31, 42, 44, 167, Peitgen, Heinz Otto, 481.
Key, Julian, 274, 300, ill. h.t. Lurçat, André, 461, 479. 187, 210, 234, 240, 263, 278, 287, Perrin, Jean, 475.
Khnopff, Fernand, 390. Lyotard, Jean-François, 24-26, 479. 338, 342, 343, 358, 368, 396, 441, Peters, 436, 437.
Kibédi Varga, Aaron, 290, 356, 477. 452, 469, 476.
Petrache, Mihaela, 44, 481.
Klee, Paul, 116, 234, 288, 357, 424, Mac Kintosh, 414. Monet, Claude, 173, 446, 463. Petrova, Trotskaya, 223.
427, 445, 454, 471, 483, ill. h.t. Maderno, Carlo, 409. Monneret, Sophie, 480.
Pfeiffer, Henri, 243, 244, 450, 481.
Klein, Yves, 462. Maffei, Lamberto, 471. Morris, Charles, 124, 127, 130, 131, Piaget, Jean, 89.
Klimt, Gustav, 392. Magritte, Georges, 109,275,303,306, 142, 480.
Picabia, Francis, 290, 296, 310, 457.
Klinger, Max, 388. 386, 388, ill. h. t. Mounin, Georges, 112, 444, 446, 480. Picasso, Pablo Ruiz, 13, 336, 404.
Klinkenberg, Jean-Marie, 42, 111, Malraux, André, 401. Munch, Edvard, 394, 395, 396. Pichon, Édouard, 14.
262, 421, 423, 463, 471-473, 477, Mandelbrot, Benoît, 33-35, 61, '367, Munsell, 166, 228, 241, 342, 426. Piero Della Francesca, 14, 453.
479, 480, 482. 422,479. Pijpers, Rudy, 310, 396, 398.

488 489
INDEX DES NOMS CITÉS INDEX DES NOMS CITÉS

Pirenne, Maurice-Henri, 283, 481. Saint-John Perse, Alexis Léger dit -, Taeuber, Sophie, 44. Vasarely, Victor, 163, 175, 210, 260,
Pirenne, Maurice, 283, 353, 358, 359, 256. Takahashi, Seichiro, 482. 263, 276-279, 287, 317, 318, 324,
ill. h.t. Saint-Martin, Fernande, 88, 163,426, Tamine, Joëlle, 456, 483. 326, 327, 387, 437, 438, 453, 483,
Pissarro, Camille, 173, 444, 446. 452, 453, 464, 482. Tardy, Michel, 423, 483. ill. h.t.
Platon, 88. Samivel, 369, 482. Thibault-Laulan, Anne-Marie, 483. Vedova, Emilio, 340.
Pleynet, Marcelin, 481. Sanglier, M., 469. Thom, René, 156, 173, 370, 483. Vélasquez, Diego Rodrigues de Silva
Poggio, T., 422, 481. Sapir, Edward, 147. Thürlemann, Félix, 116, 200, 224, y, 48, 173.
Pollock, Paul Jackson, 31, 34, 199, Sartre, Jean-Paul, 467, 482. 230, 235, 241, 432, 441, 447, 449, Vendryès, Joseph, 55.
202, 210, 461, ill. h.t. Saussure, Ferdinand de, 59, 145, 146, 455, 483. Vermeer de Delft, Johannes, 33,173.
Posner, Roland, 471. 474. Titien, Tiziano Vecellio dit le-, 205. Véronèse, Paolo Caliari, dit-, 234.
Poussin, Nicolas, 14, 28, 48. Savinio, 387, 392. Titus Carmel, Gérard, 466. Verret, G., 471.
Prampolini, Enrico, 335. Shapiro, Meyer, 22, 377,464,482. Tobey, Mark, 199. Vignole, 468.
Pratt, Hugo, 173, Schlœzer, Boris de, 187. Todorov, Tzvetan, 10, 195, 483. Vilches, Lorenzo, 211, 483.
Prieto, Luis, J., 110-112, 262, 481. Schoffeniels-J eunehomme, Michèle, Togeby, Knud, 55. Villon, Jacques, 309.
Prioleaud, Jacques, 481. 470. Toorop, Jan, 297. Viollet-le-Duc, Eugène, 412.
Schôffer, Nicolas, 406. Topor, Roland, 306. Volli, Ugo, 89, 138, 139, 156, 158,
Rabier, Benjamin, 305. Schônfelder, W., 451,482. Toroni, Niele, 386. 180,182,234,431,433,440,483.
Rackham, Arthur, 457. Schuiten, François, 409. Trnka, 55. Von Goeknil, Ursula, 409.
Rainwater, L., 75,235,236,240,483. Schwitters, Kurt, 13, 336. Tucci, Giuseppe, 454, 483.
Ranson, Paul, 395 Sebeok, Thomas, A., 482. Turner, Joseph Mallord William, 28, Wallace, Andrew, 483.
Raphaël, Raffaello Sanzio, dit-, 393. Seckel, Dietrich, 443. 33, 133. Wallach, Hans, 401, 440, 483.
Rastier, François, 262, 481. Segantini, Giovanni, 391. Warhol, Andy, 387.
Ratcliff, Floyd, 66, 482. Seuphor, Michel, 187. Uhde, Fritz von, 392. Weber, Wilhelm Edvard, 243.
Ray, Man, 390, 398, 457. Seurat, Georges, 204, 374, 389, 391, Utson, 419. Webern, Anton von, 466.
Renoir, Auguste, 65, 175, 441. 395, 444, 446, 451, 476. Welles, Orson, 309.
Reuchlin, Maurice, 80, 482. Severini, Gino, 386, 391. Vallier, Dora, 483. Whorf, Benjamin Lee, 54, 147.
Rey, Alain, 482. Shannon, Claude, E., 427. Van Cauwenberghe, Geneviève, 470. Willumsen, J. F., 392.
Reynolds, Joshua, 33. Signac, Paul, 437. Vandeloise, Claude, 211, 447, 483. Wôlfflin, Heinrich, 393,429,464,483.
Richards, lvor Armstrong, 53, 136. Signorelli, Luca, 392. Van der Leck, Bart Anthony, 23, 116, Wordworth, William, 476, 477.
Richter, Peter H., 481. Silhouette, Étienne de, 304. 167, 169, 240, 358, 368, 375, 456, Wright, B., 75, 235, 236, 240, 483.
Ricœur, Paul, 55, 257, 456, 482. Sisley, Alfred, 173. 463, 470, ill. h. t. Wuidar, Léon, 31, 44.
Rimbaud, Arthur, 17. Sluys, Félix, 478. Van Doesburg, Theo, 44, 414. Wyszecki, Günter, 80, 484.
Rock, lrvin, 482. Sonesson, Goran, 51, 211, 430, 447, Van Elk, G., 395.
Rodin, Auguste, 403. 455,482. Van Eyck, Jean, 173. Yamanaka, 459.
Roissy, Pierre, 406. Soreil, Arsène, 275. Van Gogh, Vincent, 208, 392, 395, Young, J. Z., 228, 229, 422, 484.
Rorschach, Hermann, 217, 442, 456. Souriau, Étienne,"'409, 429. 396.
Rose, Steven, 482. Spagnulo, Giuseppe, 329, ill. h.t. Van Lier, Henri, 145, 146, 461, 467, Zevi, Bruno, 407, 409, 484.
Rossotti, Hazel, 204, 482. Staël, Nicolas de, 446, 483. 483. Zurbaràn, Francisco de, 173.
Rousseau, Henri, dit le Douanier -, Stark, Lawrence, 422, 428, 480.
34. Stas, André, 13, 302.
Rousseau, Jean-Jacques, 416. Stella, Franck, 44.
Rousseau, René-Lucien, 228, 482. Stewart, Hilary, 330,459,463,482.
Rubin, Edgar, 27, 357. Stiles, W. S., 80,484.
Ruesch, Jurgen, 124. Strindberg, Auguste, 395.
Rumelhart, D. E., 480, 481. Suarès, André, 250, 482.
Rumford, Benjamin Thompson, Suétine, Nicolaï Mikhaïlovitch, 226.
comte de, 450. Sullivan, Louis Henry, 413.
Ruprecht, Hans-George, 476. Sutton, D., 446,482.
Russel, Bertrand, 100. Swift, Jonathan, 7.

490
INDEX DES NOTIONS
Bande dessinée: 168-169, 173-174, Cerveau: 422, 427, 431; v. cortex,
388, 397, 439,465; v. ligne claire, rétine.
noir et blanc. Champ : 64, 82, 96, 428 ; profondeur
Baroque : 468.
Index des notions Barycentre : 342 ; v. poids chromati-
de - : 174-175, 438-439.
Chromatique: catégorie - : 441 (mi- :
que. 232-233); ensemble a - : 232; v.
Base : 264, 453. chromème, couleur, diagramme-,
Behaviourisme : 88-89. répertoire, transformation, vision.
Beniye: 167-168. Chromème: 227, 233, 238-241, 408,
Bidimensionalité : 95-96, 139, 183- 415, 416,449; v. dominance, lumi-
184, 206, 215, 267, 296, 377, 389, nance, saturation.
400-401, 407, 429-430, 440; v. plan Chunk: 428; v. information.
(2) et (3), projection. Cinéma: 11, 12-13, 212, 255, 424.
Abduction : 435. Antithèse : 404. Bionique : 65-66. Cinétique: v. mouvement, transfor-
Abstraction: 62, 98, 101, 189, 365, Aplat: 168. Blanc: 71, 74-75, 174, 243, 427; - mation-.
463; v. art abstrait, plastique, styli- Apollinien : 30,455; v. dyonisiaque. énergétique : 74; v. lumière, noir
Arbitrarité : 60, 126-127, 194, 195, et blanc. Clair-obscur: 173,240; v. luminance,
sation. peinture.
Accidents organisateurs fondamen- 424,433,434; v. motivation, signe. Bleu: 168.
Archi- : - forme : 225, 325-326 (v. Classème : 261 ; v. sème.
taux: 370. Bordure : 96, 378-382, 385-398, 427,
forme, formème); - texture: 333 464-466; - rimée : 392, 394-395; - Cloisonnement : 168; v. contour,
Accommodation: 89, 175, 421; v. peinture.
assimilation. (v. texture);- type : 353 (v. type). représentée : 390 ; - ostensive :
Addition : - grise : 36, 244, 338, 342- Architecture : 13, 333, 406-419, 461, 390, 392-393, 398 ; - iconique : 392- Cluster detector : v. détecteur de
467-468; sémiotique de l'-: 40& 393, 397; - incluse : 395-396 ; - motifs.
343, 422, 451; v. couleur, média-
tion. 411; v. fonction, tridimensionalité. concentrique : 379-381 ; v . cadre, Code: 144-145, 189, 192, 195-196,
Adjonction: 156, 255, 285, 295, 296- Articulation: 11, 22, 36, 87, 89-90, contour, limite. 238, 259-263, 265, 374, 410, 427,
297,312,324, 333, 340-341, 464; v. 99-109, 134-135, 148-152, 218,264, Bornage : 386, 397, ill. h.t. 442, 449, 452; recodage: 428;
opération rhétorique. 372, 408-409; v. unité, sub-, co-, Brillance: v. couleur, chromème. sémiotique fortement, faiblement
Aérographe : 207. pré- et superordination. Bruit: 61, 98, 181-182, 333, 366; - codée: 217,258, 259-261; v. oppo-
Affiche : 407; v. dessin, publicité. Art: 16, 21, 29-31, 117, 200-201,421, brownien : 422; v. désordre, sition, signe, structure, système.
A,
Aléatoire : 33, 34, 39, 71, 199, 200- • 427,468; - abstrait: 21-23, 30-31, redondance. Cognition: 90-94, 119, 137, 147; v.
202; v. entropie, prévisibilité. 116, 186-187, 408; philosophie de Buste: 297,401,440; v. sculpture. psychologie cognitive, perception.
Alignement : 318-320, 345, 459; v. l' - : 21-31; v. architecture, baro- Collage : 13, 295, 334, 336; v. art,
ligne. que, cinéma, critique d' -, esthéti- Cadre: 212, 349, 377-399, 400, 416; peinture, matérialité.
Allégorie: 299. que, genre, histoire, littérature, v. bordure, contour, limite. Commensurabilité : 123, 138, 142,
Allotopie : 256, 263-264, 291,294; v. musique, outils, peinture, poésie, Camaïeu : 168, 339, 450. 146; v. référent, signifiant (iconi-
écart, isotopie, poly-isotopie. sculpture, télévision, théâtre, etc. Canal: 58-62, 80, 82, 198; v. puis- que), transformation.
Ambiguïté: 26-27, 262; v. multistabi- Assimilation : 89, 421; v. accommo- sance. Communication : 110-111, 114, 118,
lité. dation. Caractères globaux, atomiques : v. 407-408; v. sémiotique de la-.
Analyseur : - chromatique : 91 ; - Attente : 225, 263, 278, 316, 342; v. propriété, détermination, forme. Commutation : 430, 435, 440.
microtopographique : 91; v. détec- isotopie, réception, redondance. Caricature: 289, 307, 309, 457; v. Comparaison : 210, 270, 272, 356.
teur, processeur. Automobile : 414,468; v. design. dessin. Compartimentage : 388,397; v. bor-
Analytique: 163-171; démarche - : Autonome : éthos - : v. éthos. Carré : 212, 220, 225. dure.
217 (v. opposition, synthèse). Autosimilitude : 34, 305, 312; v. Carte: 160-161, 163, 183-184. Complémentaire: 244-245; v. cou-
Anamorphose: 161-162, 176-177, réflexivité. Cellule grand-mère : 427 ; v. neurone. leur, harmonie.
295,401. Autotélisme : 324-325. Centralité: 174-175, 213, 214, 218, Concentricité : 223-224, 330, 380; v.
Angle solide: 172, 174-175. Axe sémiotique, visuel, sémantique, 223, 356; v. concentricité. bordure, centralité.
Anthropologie : 232, 237, 434; symbolique : 105, 214, 218, 241, Cercle: 121-122, 220-221, 225, 226, Concomitance : 268-269, 279, 331-
anthropolinguistique : 190. -250, 286, 455. 276-278, 294, 318, 322-330, 430, 332, 334-336, 346-347, 459-460; V.
Anthropos : 442. 455; v. concentricité. bordure, variation.

492 493
INDEX DES NOTIONS INDEX DES NOTIONS

Conflit : - perceptif: 78-79, 97; - de plexe : 231, 240; - primaire: 230, Désordre : 248-249, 268, 360; v. Écart: 183, 255, 261, 264-266, 291,
contour : 384. 375; - idéale : 425; - somme : 227, entropie, ordre. 294, 315-316, 320, 360, 421; réduc-
Conformité : 93, 97, 140, 142-143, 241, 242 ; v. antagonisme chromati- Dessin : 180, 204, 251, 463; - au tion de l' - : v. réévaluation; v.
293, 347, 351, 365; v. référent, que, chromème, contraste, dia- trait: 168-171, 176, 184, 251-252, allotopie, degré perçu.
signifiant, type (iconique). gramme, dominance, luminance, 265, 310, 436, 439 (v. ligne, trait); Écriture : 60, 209; v. production,
Congruence: 159, 178, 180, 393-394, monochromie, plastique, polychro- v. art, caricature. typographie.
439. mie, saturation, signifiant, signifié, Destruction : 389-390; v. bordure. Effet : 10; v. éthos.
Conjonction : 270-278, 280, 393-394; synthèse. Détecteur de motifs : 69-70, 79, 345, J;:galité : 178; égalisation: 76-78, 98.
v. bordure, disjonction, figure. Couplage : 28-29, 51, 158-163, 222, 351, 356, 448, 459; v. analyseur, Eglomisé: 333,446; v. peinture.
Constance de taille : 353; v. dimen- 359, 417, 461, 462; - iconique: processeur, rétine. Éidétique; catégorie - : 200, 441; v.
sion. 274-275, 283, ill. h.t.; - plastique: Déterminant, sous-déterminant, , forme plastique.
Contenu ; plan du - : 45-46, 49-51, 57, 277-278, 281-282, 313-314, 352-353, déterminé, détermination : 98-99, Elément : - plastique : 444; - textu-
87, 88, 90, 95, 118, 194-196, 227, 356, 462; v. opposition, rime. 106, 148, 152, 261, 262, 276, 292- rai : 197-198, 444; v. unité.
233, 235, 238-242, 259-260, 346, Critique d'art : 10, 31, 47, 186-187, 293, 295, 301-302, 347, 355, 366, Ellipse : 303; v. suppression.
429, 452-453; v. expression, nébu- 199, 217; v. art, philosophie de 429,434; v. diagramme chromati- Elocutio : 9; v. rhétorique.
leuse, signifié. l'art. que, propriétés intrinsèque, extrin- Émail: 168.
Continu, continuum, continuité : 41- Croissance : loi allométrique de - : sèque.
Empâtement : 203, 205-206; v. pein-
44, 61, 71, 94, 95, 233-234, 351, 367. Diagramme chromatique: 74-76, 244- ture, texture.
426, 427, 441,436; v. discret. Cubisme : 309, 312, 456-457. 245, 246-248, 425-426; v. couleur.
Culture : 81, 359, 368, 372, 435; v. Différence : 25-26, 31, 65, 93, 94, Encyclopédie : 147-148, 155, 228-229,
Contour: 62, 65, 67, 181, 215-217, 283, 299-300, 303, 313-314, 436; V.
223, 310, 354, 357, 367, 377-379, encyclopédie, nature, spectacle 184 ; différenciation : 164-170, 251,
437; v. opposition. usage.
382-385, 409, 425, 427, 446, 454, artificiel.
Dimension : - de l'élément texturai : Englobement: 311-312, 384-385; v.
458; v. bordure, cadre, conflit, énoncé, subordination, superordi-
limite. Débordement: 386-387, 395,398; v. 197-198; - de la forme : 210-211,
214-215, 218, 219, 222-224, 320- nation.
Contradiction : 415-416; v. variation. bordure.
Découpage II et~ : v. mode. 321, 448 (v. constance, formème); Énoncé : 54-56, 96, 116, 122, 178,
Contraste: 66-67, 69, 76-77, 82, 93,
Définition : 98. v. bi- et tridimensionalité. 191-192, 202, 203, 209, 217, 220-
98, 171-174, 311, 438, 441, 451; -
Degré : - zéro : 258, 261-264, 337· Direction : v. orientation. 221, 249-250, 256-257, 262-265,
successif: 244; - simultané : 245,
246; - absolu : 451; v. couleur, 339, 347, 389, 410-411, 421 (-: Discret, discrétisation : 41-44, 60-62, 267, 268, 277, 278, 280, 285, 293-
harmonie, inhibition croisée, oppo- général : 258, 261-263, 315-319, 94, 227, 233-234, 251, 348, 366, 294, 305, 307, 315-317, 332, 345-
333, 338-339; - local : 258, 261- 368; v. continu. 348, 353-354, 368, 379, 384-386,
sition.
264, 277-278, 315-319, 339, il!. h.t.; Discrimination : 77,250; v. contraste, 390, 393, 398, 434, 441, 447, 453,
Coordination: 102-106, 108-109, 292,
- local pragmatique : 266-268, 338; détecteur, différenciation, percep- 456, 464-465; v. homogénéité, iso-
296-303, 312, 409; v. incoordina-
v. isotopie projetée); - perçu, tion, scrutation, seuil. topie, message, séquence, syn-
tion. tagme.
Coordonnées : 349, 447. conçu : 256, 258, 264, 291, 294, Disjonction : 270-278, 280, 393-394;
Cortex : 62-64, 82, 229; v. cerveau, 298, 322, 453-454 (relation du perçu v. degré, relation rhétorique, Énonciation : 192, 203, 217, 220-221,
rétine. et du conçu : v. relation rhétori- conjonction. 305, 367, 387, 408.
Côte Ouest : 186, 277, 330-331, 370- que); v. écart, isotopie, norme, Distance : 202; - critique : 198, 444 Entité : 148-152, 435; sous - : 148-
372, 459, 463. tension. (v. vision); - plastique : 459; v. 159, 152-153; sur - : 149-150; v.
Cotypie: 137, 141, 142-143, 146-147, Démarcation : 464-465. position. détermination.
179; v. type (iconique), transfor- Dématérialisation : 24; v. matérialité. Dominance: - chromatique: 73-74, Entropie : 39-40; v. désordre.
mation. Denotatum: 130-131, 136; v. référent. 76, 166-169, 227,233,236, 238-239, Equilibre : 219, 220-226, 250, 343; v.
Couleur: 43, 47, 73-79, 82, 92, 132, Déplacement: 159, 178. 246-247, 249, 340-342 (v. chro- harmonie.
189, 197, 223, 226-252, 269, 331, Désaturation : 232, 358; v. satura· mème, couleur); - de la forme : Espace : 64-65, 95-96, 211, 310, 377,
337-344, 358-360, 391, 425-426, tion. 219 (v. forme). 380-381, 393, 417, 423, 437, 447,
429-430, 441-442, 448-452, 454, ill. Designatum : 130-131, 136 ; v. réfé- Double-tone: 174; v. hachure, lumi- 464; - d'information et de signali-
h.t.; - physique: 73; - phénomé- rent. nance. sation : 45; - interne : 409-410,
nologique : 73 ; - simple ou pure : Design : 407, 413-414 ; v. architec- Dyonisiaque : 25, 30, 455; v. apolli- 415; structure del'- : 211; v. bi- et
231, 234, 240, 338, 450; - corn- ture, automobile. nien. tridimensionalité, champ, con-

494 495
INDEX DES NOTIONS INDEX DES NOTIONS

nexité, spatialité, structure, sur- 415-416; - d'usage : 411, 413-414, Graduat: 441; gradualité : 338-341; 260-261, 265, 288, 345-347, 354,
face, topologie. 415; - tectonique : 411-413. isogradualité : 338-339. 361, 377, 390-393, 397, 404-405,
Esquisse : 310. Fond : 62, 67-68, 72, 82, 209, 337, Grain, granularité: 15, 71-72, 203, 408, 410-411, 423, 429-430, 431-
Esthétique : 11, 16-17, 199, 203, 213, 378,447,454; v. forme perceptive. 204-206, 332, 441,445; v. texture. 433, 443, 454, 460, ill. h.t.; échelle
422, 466-467; - scientifique : 32- Forme (perceptive) : 14, 15, 24, 37, Grammaire générative : 26, 42, 467 ; d' - : 177, 179-183; v. bordure
44 ; - informationnelle : 36-37, 41, 43, 62, 70, 82-83, 92, 116,213, v. linguistique. iconique, icono-plastique, média-
, 176; - sémantique: 467. 337, 367-368, 422, 423; v. fond, Graphologie : 443; v. écriture. tion, plan (4), production, rhétori-
Ethos: 183, 284-290, 294, 335-337, psychologie de la perception. Gravure: 169-169, 463. que iconique, signe, signifié et
360, 368, 398; - nucléaire : 284- Forme (plastique) : 15, 189, 196, 198, Grisaille : 168. signifiant iconique, symbolisme
285, 290, 311-312, 324-326, 335- 209-227, 269, 316-331, 337, 351- aniconique.
336, 398; - autonome : 285, 313- 357, 391, 423, 429-430, 441, 448, Habitabilité : v. fonction (architectu- Icono-plastique : 15, 116, 208, 268-
314, 326-327; - synnome : 285, 460, ill. h.t.; - pure: 209-210; rale) d'usage. 269, 279-283, 288, 345-361,389,
314, 327, 343-344, 398; v. figure. élasticité de la- : 324-325; v. archi- Hachure: 169-171, 174,176,201, 207- 417-418, 454, 461-463; v. média-
Ethnolinguistique : 230, 237; v. lin- forme, plastique. 208, 348-351, 462; v. texture. tion, rhétorique -.
guistique (et anthropo -). Forme (sémiotique) : 50-51, 58-59, Harmonie : 227, 242-249, 422, 450- Idéalisme : 24, 88-89, 130.
Expression : plan de l' - : 45-46, 49- 81, 94, 97-99, 188, 190-191, 211,
451; - consonante, dissonante : Identification : v. reconnaissance.
51, 57, 87, 88, 90, 94-95, 118, 190, 250-251, 259-260, 346, 439, 440- Identité : 69; v. similitude.
243-244;- d'analogie: 247, 338 ;-
194-196, 227, 233-235, 249, 259- 441; v. contenu, expression, subs- de contraste : 247, 338 ; v. couleur, Illisibilité : v. lisibilité.
260, 332,333,346,429; v. contenu, tance. syntagme. Illusion : - perceptive : 27 (v. multis-
signifiant. Formème : 209-212, 218, 219-225, Héraldique : 195, 239, 446. tabilité) ; - référentielle : v. réel
Extérieur, extériorité: 67, 96, 162, 326, 330, 408, 410,415,416,448; v. Hétérogénéité : v. transformation (effet de-); - de matérialité : 251-
212,251,378,385,386,396,398;v. dimension, orientation, position, hétérogène. 252 (v. matérialité).
intériorité. plastique. Hiérarchisation : - dans le trope iconi- Image: 14, 15-17.
Extracteur de motifs : v. contraste, Fovéa : 64, 174, 304,437; v. rétine. que: 298-303, ill. h.t.; - de la Imbordement: 387,465; v. bordure.
détecteur, direction, figure, forme, Foyer : 213-215; v. forme, vision. norme plastique : 318. Immobilité : 405-406 ; v. mouvement.
tache. Fractale : 30-31, 33-34, 35, 41,367; v. Histoire: 12, 13-14, 16, 21, 24, 242, Impertinence : v. écart, iso- et alloto-
désordre, ordre. 333, 335, 338, 382, 389, 393; - de pie.
Faïence: 167-168. Frontalité: 22, 211, 213-214, 447; v. l'art: 200, 203 (v. art, baroque, Imprimerie : 173-174; imprimante :
Feed-back: 89, 92, 94, 112-113; v. vision. cubisme, impressionnisme, pein- 206; v. double-tone, typographie.
1.. répertoire, code. Fusain : 169-170 ; v. art, outils. Impressionnisme: 12, 198, 205-207,
ture, pointillisme, etc.).
Figuration: 115-116, 186-187, 287; v. Futurisme : 12. Holisme: 43, 99-101, 103, 422. 230,389,446; v. art, histoire, poin-
art abstrait, iconique. Homogénéité : - de l'énoncé plasti- tillisme.
Figure (perceptive) : 14, 15, 67-79, 82- que : 333-335, 368 ; - de la texture : In absentia, in praesentia : v. relation
83, 197, 212-213, 377-379, 454: Galaxie textuelle, expressive : 90, 331-333, 334, 348; v. transforma- rhétorique.
super - : 224-225; v. forme, per- 259,452; v. expression. tion, rhétorique homogènes. Incoordination: v. coordination.
ception. Gamma : v. transformation -. Homologation : - d'opposition : 50- Index, indice : 113, 115, 119, 123, 144-
Figure (rhétorique) : 14, 15,256, 258, Généralisation : v. abstraction. 51, 57, 356 (v. opposition); - de 145, 195, 378-382, 384, 390, 395,
264, 270, 273, 410; - linguistique : Genre : 12, 14, 332, 334; v. art, perception : 138. 408, 431; v. trace.
256, 258, 273-274, 288, 312; - à cinéma, photo, théâtre, etc. ; v. Homothétie : 159-160, 309; v. géomé- Indication notificative : v. notifica-
niveau constant, variable : 312, norme. trie. tion.
422; taxinomie de la-: 288-290; v. Géométrie, géométrique : 156, 158- Horizontalité : 69, 210, 214, 216, 219, Information : 35, 37-38, 39-40, 61-62,
comparaison, couplage, méta -, 159, 211, 213, 243, 366, 371, 437; 225, 318-319, 348-350; v. bidimen- 66-67, 119, 164-166, 181, 198, 251,
métonymie, interpénétration, moyenne - : 243 ; transformation sionalité, verticalité. 371, 428, 439; v. esthétique infor-
hiérarchisation, synecdoque, trope. - : v. transformation; v. analyti- Hyperbole: 336; v. figure. mationnelle, perception, redon-
Film : v. cinéma, photographie. que, homothétie, mathématique, dance.
Filtre, filtrage : 166-169, 181-182, 295- topologie. Inhibition : 191; - de contraste : 77-
308, 363, 369, 438. Geste : 442, 461; v. motricité. !conicité, iconisation, iconisme : 22- 78, 93 (v. contraste); - d'égalisa-
Fonction : - sémiotique : 26, 45-46 ( v. Gestalt : v. forme, psychologie de la 24, 26, 90, 109, 114-115, 124-135, tion : 78 ; - latérale ou croisée : 66-
plan 1); - architecturale : 407-410, perception. 186-187, 192-195, 217, 255-257, 67, 70.

496 497
INDEX DES NOTIONS INDEX DES NOTIONS

Insubordination : 292-293, 296, 303- Limite : 64-64, 67, 82; 92, 95-96, 218, Matière (sémiotique) : 37, 43, 190; v. Moniteur : 204, 207; v. télévision,
306; v. figure, subordination. 377; v. bordure, cadre, limite. substance. vidéo.
Intégration: 10, 69-70, 140,176,177, Linéarité : 42-44, 59-61, 62, 316,455; Matière (texturale) : 13, 24, 203-205, Monochromie : 168,450; v. couleur.
198, 220, 222,353; v. forme, stabi- v. ligne, préordination, spatialité, 207, 334-335, 336; v. illusion, Mosaïque : 205-206.
lisation. tabularité. manière, texture. Mot : 36, 52, 54-55, 426; - valise :
Interaction : 88, 147-148, 426-427. Linguistique : 10-11, 48-49, 52-56, 59, Matière (phénoménologique) : v. 274, 453; v. langue.
Intérieur, intériorité : 67, 96, 162, 60-61, 111, 117-118, 145-146, 148, matérialité. Motif : v. figure perceptive.
251, 378, 382, 385, 396, 427, 437, 190, 193, 195, 234, 255, 261, 265, Médiation : 30, 133, 244, 264, 268, Motivation: 126, 134, 141-143, 146,
466; v. extériorité. 270-274, 314, 423, 426, 430, 434, 276, 285, 328-331, 342-343, 356, 195; v. arbitrarité, signe.
Interpénétration : 272; - iconique : 436 ; - comparée : 228 ; v. anthro- 396, 416, 447, 455; - iconique : Motricité: 201-203, 251; v. mouve-
274, ill. h.t.; - plastique : 277; v. po - et ethno -, commutation, 288; - plastique : 287; - iconoplas- ment, sémiotricité, tactilo-motri-
figure. écriture, grammaire générative, tique : 288; - narrative : 328-329, cité.
Intersection : 301-302, 325; v. figure. plastique -, prédicat, rhétorique ill. h.t. ; - par synthèse : 328-329; Mouvement: 35, 176-177, 211, 216,
Invariant, invariance: 80, 179, 264, (et figure, métaphore, métony- autres types : 330 ; v. neutralisa- 219, 251, 386, 398, 402, 405-406,
270, 325-326. mie, etc.), signe, signifié, structu- tion, rhétorique, tiers médiateur. 415, 417-418, 447, 448, 458; -
Irrégularité : 33-34. ralisme. Mémoire : 61-62, 70, 79-80, 82; v. brownien : 422; v. immobilité,
Irréversibilité : v. réversibilité. Lisibilité : 29-30, 31, 182, 186, 248, information, répertoire. motricité, transformation cinéti-
Iso- : v. gradualité, matérialité, réper- 311,351,368,371,372,421,463; v. Message : 191, 255, 258; v. énoncé, que.
toire, texture. vision. syntagme. Multiplicité : 402-403.
Isomorphisme : 422, 431. Lissage : 365-367. Métabole : 15, 16; v. figure, trope. Multistabilité : 27, 176-177, 416, 428,
Isotopie : 261, 262-263, 312, 354-355; Littérature : v. poésie. Métagraphe : 467; v. typographie. 447; v. oscillation.
- iconique : 291, 293-295, 307; - Lumière : 63, 73-76, 190, 198, 427, Métalangage : 14-15, 120, 146-147; v. Musique: 24, 95, 187, 189, 242, 243,
plastique : 225, 251, 260, 261, 263, 448, 449; - monochromatique équi- sémiotique. 374, 431, 450, 466-467; V. art.
265,333, 415-416 ;- projetée: 267, valente : 74, 77; v. couleur, domi- Métalepse : 273; v. figure, métony- Mythologie : 123, 262, 302.
268,271,275,278,313,356,443;- nance, luminance, optique, satura- mie.
architecturale : 415-416; v. alloto- tion. Métaphore : 101, 273, 274, 289, 293, Narration: v. médiation, séquence,
pie, énoncé, poly-isotopie, syn- Luminance: 53, 71-72, 73-76, 164- 355, 371, 422, 455; - linguistique : temps.
tagme. 168, 171-174, 227, 232, 233, 236, 5, 14, 270, 274, 289, 300-302, 312, Nature : 336, 346, 359, 422, 435,465;
239-240, 249, 341, 438; v. chro- 323, 355-356, 456-457 ; - d'usage : v. spectacle naturel, culture.
mème, couleur, lumière. 185; v. comparaison, figure, trope. Nébuleuse de contenu: 90, 128-129,
Langue, langage : 10-11, 52-56, 60-61, Lustre : 71, 208,446; v. texture. Métaplasme : 15, 256, 288, 323, 454; 259,452; v. contenu.
146-148, 234, 289-290, 424; - (logi- v. figure. Négatif: 171-172, 174, 311; v. photo-
que, visuel) rigoureux : 429; v. lin- Métasémème : 256-257, 323 ; v. graphie.
guistique, sémiotique. Macramé : 186. figure. Netteté: 174-175; v. vision.
Latéralité : 211, 214, 218-219. Macule : 203, 206-209, 445; v. tex- Métonymie: 455, 456,464; - linguis- Neurone : 62, 64-67, 184,422,437; v.
Lavis: 168. ture. tique : 14, 274, 455; v. figure, œil, rétine (neurophysiologie : v.
Lecture : 257, 286, 345-346 ;- rhétori- Mandala : 278, 287, 408, 443; v. cer- métalepse, trope. physiologie).
que : v. réévaluation, poly-isoto- de, peinture orientale. Microtopographie: 70-71, 91, 176- Neutralisation : 244, 325-326; v.
pie; - frontale : v. vision; - Manière : 203-209; v. matière, tex· 177, 197,203; v. texture. médiation, tension.
linéaire, tabulaire: 417-418 (v. ture. Mimesis : v. iconisme ; mimétisme : Noir: 172-173, 204,243; - et blanc:
linéarité, tabularité); v. énoncé, Marionnette : 405-406; v. sculpture. 431. , 74-75, 168-169, 172-174, 183, 204,
lisibilité. Marque : 149, 151-152, 153, 436. Mise en abyme: 305, 456, 459. 265, 308, 310, 438 (v. photogra-
Liberté : degré de - : 368. Matérialité : 403-404, 441, 460; allo Mobile : 406,467; v. sculpture, mou- phie).
Lieu : 453-454 ; v. qualité. - : 334-336; hétéro - : 393,396; iso vement. Nom propre : 312; v. linguistique.
L~~=~.~.~.~.m.m.~,9~ - : 334; v. matière (2).
Mathématique : 42-44, 243; v. analy-
Mode Il, mode ~ : 303, 427.
Modèle, modélisation : 11, 13, 41,
Nombre d'or : 243, 448, 450, 452.
96, 187, 251, 309-310, 318, 320, Norme : v. degré zéro, isotopie,
351, 374, 437, 446, 448, 459; - tique, fractale, géométrie, nombre, 100, 16, 132-133, 140,144,434; v. écart ; - perceptive : 35-36, 39 ; -
claire : 14, 169; v. limite, linéarité, statistique, topologie, transforma· forme, mathématique, ordre. plastique : 315-319; - de genre :
trait. tion. Moiré : 71 ; v. texture. 266-267, 297, 334, 337, 338, 401,

498 499
INDEX DES NOTIONS INDEX DES NOTIONS

411-412, 418 (v. degré zéro pragma- Paradigme: 101-103, 137-138, 140, Plan (1) : v. expression, contenu. Primat endogène, - exogène : 29-30.
tique). 154, 155, 242, 246, 299,303,428. Plan (2), planéité : v. bidimensiona- Processeur sensoriel : 61-61, 65; v.
Notification: 144-145. Parallélisme phonético-sémantique: lité, champ, dimension, espace, analyseur, détecteur.
Nucléaire : v. éthos. 288, 314; v. linguistique, poésie. sémiotique planaire, surface. Production : - sémiotique : 128, 200,
Peinture : 11, 13, 15-17, 21-31, 114, Plan (3): 160, 163, 183-184, 417,418; 431, 435, 444; - iconique: 128,
172-173, 175, 183-184, 190, 199, v. bleu, carte, schéma. 132-133, 140, 156, 311 : - plasti-
Objet : 14, 15, 22, 56, 62, 79-83, 88- 203-208, 401, 404, 427, 460-461; - Plan iconique, plastique (4) : 279-280, que: 206, 249,342, 365-367; v.
89, 110, 128-131, 144 , 188, 346, orientale : 267-268, 288, 454-455, 378; v. iconoplastique. énonciation, sujet.
425, 428, 429, 433, 434, 436, 449. 462, 465 ; - abstraite, - figurative : Plastique : 22-23, 56, 90, 109, 186-196, Projection: 160-162, 180, 296, 400,
Œil : 26, 36, 65-66, 73-76, 166 , 175, v. art abstrait; - rupestre : 381, 255-257, 265-266, 276, 314, 315- 436-437; - affine : 436 (v. transfor-
176, 183, 309, 424, 438, 44 8; v. 384; v. art, outil, plastique, iconi- 349, 351, 358, 361, 404, 405, 408, mation) ;-du sujet : 112, 256, 271-
détecteur, perception, physiologie, que. 410, 415-418, 429-430, 433, 441, 272, 275, 423, 442, 456 (v. degré
rétine, vision. Perception: 26-27, 31, 67-79, 87-88, 450, ill. h. t. ; - linguistique : 188, conçu, isotopie projetée).
Ombre : 251, 436; v. projection. 90-93, 95-96, 99-106, 125, 137, 138, 193; - sémantique : v. couplage, Propriété : 449 ; - globale, - atomique
Onde: 62-63, 74-76, 76-77; v. cou- 147,181,211,409,421,433,447; distance, icono -, signe, signifié et ou - intrinsèque, - extrinsèque :
leur. degré perçu : v. degré; v. conflit signifiant -, couleur, forme, tex- 102-109, 287, 292, 300, 306-307,
Onomatopée : 431; v. langue, moti- perceptif, figure, homologation, ture ; rhétorique -, médiation -, 428 ; - statistique : 71- 72; v. déter-
vation. illusion perceptive, multistabilité, sémiotique, synthèse -, homogé- minant, qualité.
Opération rhétorique : 30, 255, 295 proximité, psychologie de la -, néité. Proximité : 34-37, 69; principe de - :
( opérande rhétorique : 295) ; v. style. Poésie: 10, 44, 115-116, 188, 189, 35-36, 353; proxémique : 467; v.
adjonction, permutation, suppres- Percept: 48, 52, 98,147,212; percep- 262, 423, 466-467. ordre proche.
sion, suppression-adjonction. tème : 441; v. perception. Poids : - chromatique : 342-343 ; - Proverbe : 267, 453.
Opposition (sémiotique) : 25-26, 93, Permanence : 80-81 ; v. intégration, spatial : 448 (v. tension) .. Psychologie : - de la perception et -
94, 189, 191-192, 194, 203, 233, mémoire, stabilisation. Point : 70, 96, 166, 198, 220, 437 ;- de cognitive: 11, 35-37, 87-88, 100-
246,285,287,355,441,447,455;v. Permutation : 156, 302-303, 306, 308, fuite : 223; - de vue : 198, 309, 101; v. forme; - expérimentale:
code, contradiction, contraste, 340-341, 455; v. opération rhétori- 312, 353, 354, 447 (v. foyer, dis- 217, 228; - sociale : 235-237; -
homologation, système. que. tance critique); pointillé : 224, analytique: 449.
Optique: 11, 48, 243-244; composi- Perspective : 175, 223, 421; v. point 310; pointillisme : 446. Publicité : 262,459; v. affiche.
tion - : 207-208; moyenne - : 243- de fuite, vision. Poly- : - isotopie : 262, 355 ( v. isoto- Puissance du canal : 61-62, 65-66.
244, 450; v. transformation-, œil. Phonème : 430, 454; phonologie, pie); - phonie: 9, 262; - sémie: Pyramide: 369.
Ordination: v. sub -, super-, pré-. phonostylistique : 435; v. parallé- 262, 311, 312; v. lecture rhétori-
Ordre: 30-31, 39-41, 178, 248-249, lisme, unité distinctive. que. Qualité ; - locale : 49 ; - translocale :
268, 347-348, 360 (v. désordre); - Photographie : 12, 23, 169, 171-175, Portrait: 304,312; - charge : v. cari- 49, 141.
proche, lointain : 34-37, 176-177 (v. 178, 180, 181, 204, 205, 206, 333, cature; v. centralité, peinture.
proximité); v. ordination. 334, 438,460; v. profondeur, noir. Position: 108-109, 447, 448; - de la Ratio : - facilis, - difficilis : 122-123,
Orientation : 69, 169-171, 181, 349, Physiognomonie : 443. forme : 210, 213-216, 218, 222-224, 217, 238, 260, 430.
410, 415, 447,448; - de la forme: Physiologie : - de la vision : 11, 61-81, 315-316, 410; v. coordination, for- Réalisation : 140; v. production.
210-211, 213-216, 218, 222-224, 94, 229-230, 243, 246, 250 (v. mème, pré-, sub- et superordina- Réception : 128, 260, 262-263, 311,
317, 321, 322 (v. formème). vision); v. bionique, cortex, per- tion. 316, 431; - iconique : 132-133 (v.
Oscillation : 198, 283, 445; v. multis- ception, rétine. Pragmatique: 80-81, 82, 144-145, 155, reconnaissance).
tabilité. Physique : v. couleur, forme, poids. 181-182, 184, 271, 278, 286, 381, Récit : 10, 12, 255,288; v. narration,
Ostension : v. bordure, index. Pied-de-poule : 207 ; v. texture ; 457; v. isotopie projetée, usage. préordination, séquence.
Outils: 170, 203, 205, 207, 365; v. Pigment (1) : 204-205, 228, 230, 235, Prédicat: 141,429; v. syntagme mini- Reconnaissance: 37, 89, 119, 133,
énonciation, peinture. 243, 448-449; v. matière (2), maté- mal. 137-138, 140, 142-143, 152-153,
Oxymore : 404 ; v. figure. rialité. Prégnance : v. forme. 182, 265, 291-292, 345, 347, 365-
Pigment (2) : 76, 228-230, 235; v. Préordination: 104, 108-109, 292; v. 366, 453; v. attente, rhétorique
Panrhétoricité : 183-185, 307; v. rhé- rétine. énoncé, séquence, ordination. typologique.
torique, transformation. Pixel : 374, 424, 445. Prévisibilité : 37, 39 ; v. aléatoire, iso- Redondance: 61, 104, 107-108, 137-
Papier : 204; v. dessin, outils. Pi : v. mode-. topie, redondance. 138, 151, 169, 179, 262, 264-266,

500
INDEX DES NOTIONS INDEX DES NOTIONS

269,275, 279-281, 294,297, 311, 270,288-290,323,422,453;-iconi- 187-196, 206, 217, 246, 255, 265, Simplification : v. abstraction, stylisa-
315-319, 347, 350, 360, 379, 384, que: 273-275, 291-314;-typologi- 285-286, 346, 368, 375; test de tion.
388, 439,454, 455-456; v. entropie, que : 15, 291-295, 457, il!. h.t.; - sémiose : 97, 145 ; - ( ou langage) Skyline : 409.
isotopie, prévisibilité. transformative : 291-292, 295-311, planaire : 430, 440 ; macro - et Sociologie: 12-13.
Réel : 23, 24, 32, 88-89, 129-130, 432; ill. h.t.; - plastique : 225, 276-278, micro - : 47-49, 53, 56; - de la Sous- : - déterminant : v. détermi-
effet de - : 139, 180, 207, 432-433; 315-344; - chromatique: 242, 337- communication et - de la significa- nant ; - entité : v. entité ; - type : v.
v. référence. 344; - icono-plastique : 280-283, tion: 110-111; trans - : 255; v. type.
Réévaluation : 256-257, 261, 342; v. 345-361, ill. h.t. (- homogène: architecture, fonction, forme, ico- Spatialité : 42-44, 60, 62, 82,189,316;
degré conçu, écart, figure, poly- 279); - de la forme : 318-331; - de nique, matière, plan, plastique, v. dimension, espace, linéarité.
isotopie. la texture : 331-337; - du cadre: production, substance. Spectacle : 95 ; - naturel et - artifi-
Référence : 9, 22, 26, 55, 128, 138. 382-399; v. figure, lecture, panrhé- Sémiotricité : 445; v. mouvement. ciel : 29-31, 32-37, 40, 87, 90, 109-
Référent: 24, 25, 28, 130-131, 133- toricité, relation-, trope. Sensation : 58, 91-92; v. percepteur, 113, 119, 183, 345-346, 428; specta-
134, 136-140, 141-143, 144, 149, Rime : 101, 272, 352, 417; - plasti- processeur. teur : 24 (v. réception, sujet,
178-179, 291, 432, 433-434, 439, que : 391, 394-395, 462; v. bordure Séquence : 104, 455-456, 459; v. vision).
457; v. designatum, denotatum. rimée, couplage, répétition. . énoncé, préordination, récit, syn- Spectre : 74-76, 190, 227, 229; v.
Réflexivité : 125, 178. Rotation : 158, 159; v. transformation. tagme. couleur, diagramme.
Regard: 24-27, 28-29, 36, 447; v. Rythme : 199, 223-225, 279,282,339, Seuil : 63, 169; - d'égalisation : 367; Stabilisation, stabilité : 98, 106, 137,
perception, spectateur, sujet, 351, 374-375, 451; v. répétition. - de discrimination : 198. 140, 167, 259, 260, 277, 326, 365,
vision. Sigma : v. mode-. 439.
Relation rhétorique : 270-278, 280- Sanguine : 169, 169. Statistique : 182; - d'ordre n : 71-72,
Saturation: 53, 73-76, 166, 169, 227, Signe: 87, 88-90, 96, 116, 128-129,
283, 294, 302, 342, 454; v. degré,
130-131, 143-145, 260, 424, 428, 199, 425; v. propriété.
rhétorique. 232, 233, 236, 239-240, 245, 246- Statuaire : v. sculpture.
247, 249, 339, 341, 358, 449; v. 434 ;- intrinsèque : v. réflexivité ; -
Répertoire : 89,93-99, 112-113, 338,
plastique : 51, 113-123, 186-252, Stimulation : v. contraste, neurone,
345, 351, 427, 430; répertorialité chromème, couleur, désaturation. rétine.
Schéma, schématisation : 163, 180. 255, 257-258, 260, 268-269, 279 (v.
chromatique : 338-341; isoréperto- plastique); - occasionnel : 144; - Structuralisme : 24-25, 130, 246,455;
rialité : 338-339; v. type. Scrutation locale : 68, 72,212,464; v. v. linguistique.
figure, forme, perception. iconique: 113-116, 118-123, 124-
Répétition : 91-97 ; - texturale : 70- Structure : 189-191, 286; - superfi-
Sculpture : 12, 203, 212, 335, 389, 185, 186-252, 250, 255, 257, 260-
72, 199, 203, 223-224, 425 (v. 261, 268-269, 279, 291 (v. ico- cielle, profonde : 26; v. code,
manière, support); v. couplage, 390, 400-406, 411, 446-467; v. espace, opposition, sémiotique,
buste, marionnette, mobile, tridi- nisme); v. arbitrarité, articulation,
Î isotopie, redondance, rythme, système.
mensionalité. linguistique, motivation, plan, syn-
séquence. thèse, système. Style: 38,117,287, 368-369, 463 ;-de
Représentation : v. iconisme; - Ségrégation : 77, 259-260; v. différen- perception : 35.
,1 • - dédoublée : 371. ciation, perception, scrutation. Signifiant : 25, 378, 427, 430, 432, Stylisation : 23, 121, 182, 186, 266,
Répulsion : 218-219; v. forme, ten- Sémantique : 262-263, 265, 426; v. 433;-iconique: 131,133, 137-141, 295, 307, 365-376, 455-456, 463-
sion. contenu, esthétique, plastique et 142-143, 149-152, 178-179, 291, 464, ill. h.t.
Réserve : 168, 387,427,465; v. pein- iconique, linguistique, parallélisme, 294, 298, 300, 347, 352; - plasti- Subliminal: 235, 444, 462; v. dis-
ture, suppression. sémiotique, signe, signifié. que: 190-192, 197-199, 210-217, tance, seuil, texture.
Rétinex : v. cortex et rétine. Sémantisation : 21-22, 98, 151, 194- 228-234, 415; v. expression. Subordination : 102-104, 108-109,
Rétine : 32, 43, 62-64, 82, 184, 431, , 195, 285-286, 311, 455. Signification : v. sémiotique, signe, 150, 311-312, 409, 428; v. in -,
437-438; v. détecteur, inhibition, Sémantisme ; - autonome, synnome : contenu, sémantisation. ordre, superordination.
pigment, vision. 194-195; - extravisuel : 194-195, Signifié, 378, 411, 427, 430, 444; - Substance {sémiotique) : 14, 46, 59,
Réversibilité : - de la transformation : 221 ; - plastique primaire, secon- iconique : 135-138, 190, 346; - lin- 188, 195, 259, 333, 441; - phoni-
178; - de la figure : 280, 355, 456, daire, tertiaire : 218, 220, 223-225, guistique: 138, 145-148, 262; - que : 60; v. forme, matière.
457, ill. h. t. ; - du trope iconique : 343. plastique: 190, 192-196, 200-202, Substitution : v. suppression-adjonc-
298-302. Sème : 11, 55,255,261,262, 289-323; 217-221, 235-241, 404, 442-443, tion ; - plastique : 390-392.
Rhétorique: 14, 44, 55, 115-116, 183- v. classème. 447-448; v. contenu. Sujet : - frontal, focal, opératif : 22,
185, (253-419), 324-325, 333, 347- Sémiogenèse : 423. Silhouette: 180-181, 298, 304, 376. 421; v. production, projection,
348, 398; - générale : 9, 55, 255- Sémiotique : 9, 1-12, 43,45, 57, 87-88, Similitude : 82, 159, 160, 178,422; v. réception, vision.
258, 363; - linguistique : 255, 258, 117-118, 127, 134, 143-145, 185, comparaison, égalisation. Superordination: 102-104, 108-109,

502 503
INDEX DES NOTIONS INDEX DES NOTIONS
150, 292, 311, 409, 428; v. ordre, Tabularité : v. bidimensionalité, liné- 291-292, 305, 307, 347, 446, 455- Umraum: v. espace interne.
subordination. rarité, spatialité, surface. 456; - géométrique : 156-163, 180, Unité : 36, 55-56, 126, 134, 191, 233,
Support : 203, 204, 206, 296, 336; v. Tache : 68, 77, 198, 209-210, 331, 225, 323, 457-458, ill. h.t. (groupe 234, 255, 259, 261, 264, 268, 292,
fond, réserve. 445; - élémentaire : 48, 57,209; v. de - : 178) ; - analytique : 163-172, 379, 423, 430; - sémiotique : 424;
Suppression : 96, 156, 255, 256-257, forme, macule. 309-310; - optique : 171-175; - perceptive visuelle : 429 ; - structu-
285, 296, 297, 304, 312, 323-324, Tactilité, tactilo-motricité : 201-203; topologique : 162-163, 180, 323, relle : 89, 101-109, 149,287,428 ;-
340-341, 347-348, 366-367, 385-386, v. motricité, texture. il!. h.t.; - gamma: 171-174, 310- distinctive, significative : 24, 152,
389-391, 394; v. opération rhétori- Tapis : 186, 372-374. 311, ill. h.t.; - cinétique : 176-177; 233, 421, 454 (v. articulation); -
que. Tangram : 372. - chromatique: 166-169, 227; - diacritique : 24; - pseudo-combi-
Suppression-adjonction : 255, 257, Télévision : 203, 204, 206, 212, 333, homogène, hétérogène : 178, 262, natoire : 452 ; plastique : 436, 448 ;
274, 285, 289, 297-299, 301-306, 424. 295, 306-311, 457; - rhétorique : texturale : 199 (v. texturème); -
309, 312, 323, 325, 335, 340-341, Temps, temporalité : 43, 59, 63, 175, 256 (v. opération); v. rhétorique colorée: 227 (v. chromème); -
366, 388, 390-393, 415, 455; v. 416-418 : - utile : 63; v. énoncé, transformative. rhétorique: 263, 267; v. contenu,
opération rhétorique. histoire, séquence, tabularité. Transitivité: 178-179. expression, iconique, linguistique,
Supratype : v. type. Tension : 222-223, 226, 244,250,448; Translation : 158, 159, 185; v. trans- plastique, variante libre.
Surentité : v. entité. - rhétorique : 258, 266-267, 276, formation. Urbanisme : 409; v. architecture.
Surface : 65, 96, 181, 197-198, 252, 281; v. médiation, neutralisation. Translocal : v. qualité. Usage : 155; v. fonction, pragmati-
351, 441, 444; v. bidimensionalité, Texture : 13, 68, 70-72, 82, 92, 176- Triangle: - chromatique: v. dia- que.
espace, ligne, plan (2), tabularité. 177, 183-184, 189, 196-209, 222, gramme; - iconique : 136; -
Surréalisme : 34, 372. 223, 226, 227, 250-252, 269, 331- sémantique : 136. Variation : - concomitante : 331-336
Symbolisme: 115, 117, 123, 194-195; 337, 348-351, 391, 403-404, 441, Tridimensionalité : 13, 62, 139, 183- (v. concomitance); - contradic-
semi - : 432 ; - phonétique : 235 ; - 444-445, 446, 460-461; isotextura- 184, 201-203, 211, 215, 267, 296, toire : 331, 335.
aniconique : 443. lité : 460, ill. h. t. ; v. architecture, 400-402, 407, 425, 440, 455; v. Variante libre : 117, 249, 347, 359,
Symétrie : 158, 211, 226, 277, 317, archi -, élément texturai, empâte- bidimensionalité, espace. 423,463; v. unité.
322, 324-325, 366, 425; - logique : ment, grain, hachure, macule, Trope : - iconique : 272, 273-274, Verticalité : 69, 210, 211, 213-214,
125-126. manière, matière (2), microtopo- 279,282, ill. h.t. ;- plastique : 272, 216, 219, 225, 318-319, 348-349,
Syncrétisme: 87, 99-101; v. holisme. graphie, plastique, support. 276-277, 279,281, il!. h.t. ;- linguis- 391,415; v. horizontalité.
Synecdoque: 257, 297,366,375,422, Texturème : 197, 408, 415, 416. tique : 272; - projeté : 272, 275, Vidéo : 207, 212; v. art, moniteur,
458; - linguistique : 458; v. Théâtre : 12. 278; v. figure, hiérarchisation, télévision.
concentricité, figure, trope. Tiers médiateur : 268, 271, 288; v. métalepse, métaphore, métonymie, Vignettage : 304, 311, 312.
Synesthésie : 202, 238, 425. médiation. rhétorique, synecdoque. Vision: 11, 61-81, 114, 172, 176-177,
Synnome: v. éthos, sémantisme. Titre : 275, 278, 456. Type : 15, 48, 68, 82-83, 89, 193-94, 183, 198, 250, 423, 447; - frontale :
Syntagme: 87, 101-103, 189-192, 221- Toile : 204; v. outil, peinture. 97-99, 106, 119, 182, 191, 195, 347, 177, 214, 295, 401-403, 466 (v.
222, 242-250, 428, 434-435 ; - mini- Token: 47, 82-83, 191, 423; v. 365 ; - iconique : 131, 135-137, 140- frontalité) ; - latérale : 401 ; -
mal : 141, 434; - plastique : 315- énoncé, type. 143, 146-147, 151-155, 181,279; - nette : 96, 174,175; - chromatique
320; v. énoncé, paradigme, Topiaire : 416. plastique : 94, 98, 191, 277-278, absolue : 74 (v. couleur); - laté-
séquence. Topologie : 96, 162-163, 178, 189, 317, 318, 324, 423, 432, 434-436, rale: 177, 295; - circumambula-
Syntaxe : 11, 259, 265, 300; v. 200, 225, 326, 378; v. géométrie. 439 ; sous - : 153-155, 436 ; supra toire: 401-402, 440 ;- multiple: v.
énoncé, séquence. Trace : 195; v. index. - : 154-155; v. répertoire, rhétori- multiplicité; multistabilité; v.
Synthèse : - additive, soustractive : Trait (plastique) : 65, 208, 317, 330, que typologique, token. angle solide, perception, physiolo-
207, 229-231; - plastique : 250- 458 ; - linéaire : 446 ( v. dessin, Typographie : 182, 209, 251, 447, gie, sujet.
252; démarche synthétique : v. ligne, linéarité); v. chromème, for- 459; v. écriture, imprimerie, méta- Vitrail : 156, 186.
forme, holisme. mème, texturème. graphe. Volume: v. tridimensionalité.
Système : 25-26, 46-47, 58-59, 93, 94- Trait (sémiotique): 140,454; v. arti-
97, 189-192, 194-196, 203,233,259, culation, déterminant, unité.
261, 424, 427, 441, 442, 449; - Trame: 168, 169, 176, 204; v. tex-
rétinex : v. rétine; v. code, opposi- ture.
tion, structure. Transformation : 61-62, 121,129,135,
137-139, 143-144, 156-185, 265,

504
Table

Avant-propos , , , · · · · · · · · · 9

PREMIÈRE PARTIE

Introduction au fait visuel

Chapitre I. Sur quelques théories du message visuel 21

1. Chez les philosophes de l'art . . . . 21


(
1.1. L'abstrait et le concret. . . . 21
1.2. La différence et l'opposition. 24
1.3. L'ambiguïté de la perception 26
1.4. La construction de la lecture. 28
1.5. L'ordre et le désordre .... 29
2. Approche de l'esthétique scientifique . 32
Illustrations
2.1. L'objet et le sujet . 32
BN, Paris: 1. - DR: 2. - © KFS-Opera Mundi: 3. - Bâle, galerie 2.2. Le proche et le lointain . . . . 34
Beyeler: 4. - DR: 5. - Zurich, galerie Schlëgl: 6. - BN, Paris: 7a. - 2.3. L'esthétique et le sémantique . 37
© Casterman: 7b. - DR: 8. - New York, galerie Alexandre Iolas: 9. - 2.4. L'ordre et le désordre . . . . . . . . . . . . .
Skoklosters Slott : 10a. -© Julian Key : 10b. - Coll. SNCB : lla. - DR : llb. 39
2.5. Le continu et le discret, le spatial et le linéaire . 41
-Galerie Louise René : 12. -RMN: 13a. -DR: 13b, 14a. -Coll. part. : 14b.
- Otterloo, musée Krëller-Muller : 15a. - Berne, coll. Félix Klee : 15b. - Coll. '°i:'L•approche sémiotique . 45
part. : 16.
3.1. Codes et systèmes dans la communication visuelle 45
© ADAGP, 1992 pour J. Mir6, P. Klee, R. Magritte et M. Ernst. 3.2. Deux approches du plan de l'expression : macrosérnio-
© SPADEM, 1992 pour V. Vasarely et A. François. tique, microsémiotique . . . . . . . . . . . . . . . . 47
3.3. Le plan du contenu : une homologation problématique 49 DEUXIÈME PARTIE
3.4. Sémiotique visuelle et sémiotique de la langue . 52
3.4.1. Le linguistique et le visuel. 52 Sémiotique de la communication visuelle
3.4.2. Unités et énoncés . 54
3.5. Conclusion . 56 Chapitre Ill. Sémiotique générale des messages visuels . 87
Chapitre Il. Les fondements perceptifs du système visuel 58 1. Introduction : sémiotique et perception. 87
2. Un modèle global du décodage visuel . 90
Introduction : place de la description des canaux dans une 2.1. Du perceptif au cognitif . . . . . . . . . . . . . 90
sémiotique . . . . . . . . . . • . . • . . . . . . . . . . . 58 2.2. Répertoires et types. . . . . . . . . . . . . . . 93
1. Première comparaison du langage et de la communication 2.2.1. Répertoire et niveaux de complexité . . . . 93
visuelle ...............•. 60 2.2.2. Le répertoire comme système de différences 94
2.2.3. Répertoire et épreuve de conformité . 97
1.1. Corrélation du codage et du canal . 60 2.2.4. Le type. . . . . . . . . . . . . . 97
1.2. Puissance et réduction. 61
3. L'articulation de l'énoncé et des signes visuels . 99
2. Du stimulus à la forme . . . . . . . . . 62
3.1. Approche globale et approche structurale 99
2.0. Le système rétine+ cortex : un appareil actif. 62 3.2. Un modèle d'articulation . 101
2.1. Premier percept : le champ . 64 3.3. Discussion . . . . . . . . . . . . . . . 104
2.2. Deuxième percept : la limite. 65 3.4. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . 107
2.3. Limite, ligne, contour . . . . 67
2.4. Fond, figure, forme . . . . . 67 4. Spectacle naturel vs spectacle artificiel : une opposition à
2.4.1. Fond et figure .... 67 affiner. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
<' 2.4.2. De la figure à la forme 68 S. Une distinction fondamentale : signe plastique et signe iconique 113
2.4.3. Origine des formes et figures 69
5.1. Qu'il n'y a pas de « signe visuel » . . . . . . . . . . . 113
3. Textures et figures . 70 5.2. Des ennemis, des voisins ou des frères? . . . . . . . . 115
4. Couleurs et figures . 73 5.2.1. L'occultationdusigneplastique. . . . . . . . . 116
5.2.2. Comment distinguer pratiquement le signe iconi-
4.1. Les dimensions du signal coloré • 73 que du signe plastique ? . . . . . . . . . . . . . 120
4.2. Egalisation et contraste . 76
4.3. La figure colorée . . . . . 77
Chapitre IV. Le signe iconique . 124
5. Apparition de la notion d'objet . 79
5.1. L'objet : une somme permanente et fonctionnelle 79 1. Le problème de l'iconicité . . . 124
5.2. De l'objet au signe 81 1.1. Critique de la notion d'iconicité . . . . . . 124
6. Récapitulation . . . . . 82 1.2. Critique de la critique ou : faut-il briser l'icône? . 128
1.2.1. Le problème de la relation . 128
1.2.2. L'objet. . . . . . . . . . . 129
1.2.3. La production et la réception 132
1.3. Synthèse . . . . . . . . . . . . . 133

-
2. Modèle général du signe iconique 135 5.5.1. Quelques propriétés des transformations ... 177
2.1. Trois éléments . . • • 5.5.2. Transformation et échelle d'iconicité. . . . . 179
135
2.1.1. Le référent .. 136 5.5.3. La transformation est-elle en soi rhétorique?. 183
2.1.2. Le signifiant . 137
2.1.3. Le type .... 137 Chapitre V. Le signe plastique ..... 186
2.2. Trois relations (doubles) 138
2.2.1. Axe signifiant-référent
2.2.2. Axe référent-type ..
138
140
1. Comment décrire le signe plastique? . . 186
2.2.3. Axe type-signifiant .. 1.1. La sémioticité du plastique : un problème 186
140
1.2. Méthode de description . . . . . . . . . 189
3. Trois questions disputables 141 1.2.1. L'avènement du système signifiant.
1.2.2. L'avènement du système signifié.
. 191
3.1. La notion de« motivation» reste-t-elle valide? 141 192
3.2. Quand un fait visuel est-il une icône? ..... 143
1.3. Plan .•.•.••. .. .. 196
3.3. Type iconique et signifié linguistique : où est la diffé-
rence?· . . .
2. Systématique de la texture . . . . . . 197
145
4. L'articulation du signe iconique . 148
2.0. Introduction . . . . . . .
2.1. Les signifiants de la texture
. . 197
197
4.1. L'articulation du signifiant. 2.1.1. Premier texturème : les éléments. 197
149
4.1.1. Entités, sous-entités, surentités 149
2.1.2. Deuxième texturème : la répétition.
2.1.3. L'unité texturale ...
. 199
4.1.2. Déterminants et déterminés : un statut flottant 150 199
2.2. Les signifiés de la texture . . 200
4.1.3. Déterminants et déterminés : une relation dialecti-
que . 151
2.3. Classement des textures . . •
2 .3 .1. Critères de classement.
. 202
4.1.4. Marques . 151 202
4.2. Structure du type . . . . . . . 152
2.3.2. Le grain . . . .. . .. 204
~
4.2.1. Reconnaissance du type, 152
2.3.3. La macule . . 206
4.2.2. Types, sous-types, supratypes . 154 3. Systématique de la forme . . 209
4.3. Types et usages . 155
5. Le système des transformations . . .
3.0. Introduction . . . . . . .
3.1. Les signifiants de la forme .
. 209
156 210
3.1.1. Lestatutdesformèmes . 210
5.1. Transformations géométriques 158
3.1.2. Lestatutdufond .... 212
5.1.1. Couplages simples .. 158
5.1.2. Couplages complexes .. 159
3.1.3. Premier formème : la position. . 213
5.2. Transformations analytiques .. 163
3.1.4. Deuxième formème : la dimension
3.1.5. Troisièmeformème: l'orientation.
... 214
5.2.1. La différenciation ... 164 215
5.2.2. Le filtrage et la discrétisation 166
3.2. Les signifiés de la forme • . . . . . • •
3.2.0. Introduction ...........
. 217
5.2.3. Combinaisons et utilisations techniques 167 217
3.2.1. Lecontenudesformèmes ..... 218
5.3. Transformations optiques . 171
5.3.1. La transformation . 3.2.2. Le contenu des formes . . . . . . . . 219
171
5.3.2. Netteté et profondeur de champ . 3.3. Les formes en syntagme, et leur sémantisme . 221
174
5.4. Transformations cinétiques . ·..... 3.3.0. Introduction ............. 221
176
5.5. Transformation, iconisme et rhétorique 177 3.3.1. Premier facteur : les relations entre formèmes 222

-
3.3.2. Second facteur : les relations entre formes . • • 225
4. Systématique de la couleur . 226 4.2.3. In praesentia disjoint (!PD) : les couplages .• 274
4.0. Introduction . 226 4.2.4. In absentia disjoint (!AD) : les tropes projetés . 275
4.1. Les signifiants de la couleur • 228 4.3. Les quatre modes dans la rhétorique plastique . . . . 276
4.1.0. Généralités .....• 228 4.3.J. In absentia conjoint (!AC) : les tropes. , ... 276
4.1.1. Principales thé_ories. . . . . . . . . . . . . . . 229 4.3.2. In praesentia conjoint (/PC) : les interpénétra-
4.1.2. Principes de structuration du plan de l'expression 233 tions .•............ · · · · · · · 277
4.2. Les signifiés de la couleur .••..•....•.... 235 4.3.3. In praesentia disjoint (!PD) : les couplages .• 277
4.2.1. Principales théories .........•..... 235 4.3.4. In absentia disjoint (JAD) : les tropes projetés • 278
4.2.2. Les principes de structuration du plan du contenu 238 5. La relation icono-plastique
4.3. Les couleurs en syntagme, et leur sémantisme ...•. 242 279
4.3.1. Principales théories ..............• 242 5.1. Description générale
5.2. Classement . . . . . . • . . . . . . • . 279
4.3.2. Principes de structuration des couleurs en syn- 281
tagme ..•.•.•.•.. 248 5.2.1. Trope plastique dans l'iconique ..
281
5.2.2. Couplage plastique dans l'iconique
5. La synthèse plastique, et son sémantisme . 250 281
5.2.3. Trope iconique dans le plastique. .
282
5.2.4. Couplage iconique dans le plastique . 283
TROISIÈME PARTIE 6. Effets et classements . . . . .
284
Rhétorique de la communication visuelle 6.1. Le phénomène de l'éthos
284
6.2. La médiation . . . . • • . . . . . .
6.2.1. La transformation médiatrice .
285
Chapitre VI. Rhétorique visuelle fondamentale. 255 287
6.2.2. La médiation plastique .••.
6.2.3. La médiation iconique . . . .
287
1. Programme d'une rhétorique générale . 255
6.2.4. La médiation icone-plastique . •
288
288
2. Rhétorique et sémiotiques .... 259 6.3. Taxinomie des figures et terminologie .
288
2.1. Deux types de sémiotiques 259
2.2. Stratégies rhétoriques . . .
2.3. Degrés zéro généraux et locaux
261
262
Chapitre VIT. La rhétorique iconique . ....... 291
1. Les deux rhétoriques iconiques; rhétorique du type, et rhétori-
3. La rhétoricité des messages visuels . . 264 que de la transformation. . . . . . · . . . . . . . . . . . . . 291
3.1. Base, élément figuré, invariant 264 1.1. Plan ••....••...
3.2. Redondance ....•..•.• 264 291
1.2. Règles de fonctionnement .
3.3. Contexte pragmatique ..... 266 1.2.1. Rhétorique du type ..••...•
293
3.4. Concomitance du plastique et de l'iconique 268 293
1.2.2. Rhétorique de la transformation. • 295
4. La relation rhétorique . 270 2. Rhétorique du type :figures par incoordination .
296
4.1. Quatre modes de relation entre degrés perçu et conçu 270
2.1. Suppression et adjonction de coordination : cyclope et
4.2. Les quatre modes dans la rhétorique iconique • • • • 273
troisième œil . . . . • . . . . . . . . . • • • • . . • 296
4.2.1. In absentia conjoint (/AC) : les tropes .•... 273 2.2. Suppression-adjonction de coordination . • • • • . . .
4.2.2. In praesentia conjoint (/PC) : les interpénétra- 297
2.2.1. Figures hiérarchisées non réversibles: Arcim-
tiqns . • • • • • • • • • . • • • • • • . . • • • 274
boldo ....••..•••••...••••• 298
2.2.2. Figures réversibles non hiérarchisées : la « chafe- 3. Rhétorique de la texture . .
tière » . . . . . . . . . . . . . . • . . . . .. 300 331
2.2.3. Figures non réversibles non hiérarchisées : le 3.1. Normes de la texture
331
centaure . 302 3.2. Figures . . . . . . .
332
2.3. Permutation : Le Viol de Magritte . 303 3.2.1. Figures de l'homogénéité 333
3.2.2. Figures de la concomitance 334
3. Rhétorique du type : figures par insubordination . . . . 304 ~.2.3. Figures de la variation contradictoire 335
3.1. Suppression de subordination : la silhouette et la 3.3. Ethos .
335
vignette . 304 3.3.1. Figures del'homogénéité . 335
3.2. Adjonction de subordination : la poupée russe .. 305 3.3.2. Figures de la concomitance . . . . . 336
3.3. Permutation de subordination : L'Oiseau de ciel . 306 3.3.3. Figure de la variation contradictoire . 337
4. Rhétorique de la transformation . . . . . . . . . 306 4. Rhétorique de la couleur .
337
4.1. Transformations hétérogène et homogène . 306 4.1. Normes de la couleur
337
4.2. Rhétorique du filtrage. . . . . . . . . . . 308 4.2. Figures . . . . . .
339
4.3. Rhétorique des transformations géométriques . 309 4.3. Réduction et éthos .
342
4.4. Rhétorique des transformations analytiques 309
4.5. Rhétorique de la transformation y . . . . . . 310 Chapitre IX. La rhétorique icono-plastique. 345
5. L 'éthos de la figure iconique . 311
1. Le rapport icono-plastique . . . . . . . . .
5.1. Éthos nucléaire. 311 345
5.2. Éthos autonome. 313 1.1. Du plastique à l'iconique . . . . . . 345
5.3. Éthos synnome . 314 1.2. L'icono-plastique comme rhétorique. 346
2. lcono-plastique de la texture.
Chapitre VIII. La rhétorique plastique 315 348
3. lcono-plastique de la forme .
351
1. Problèmes de la norme plastique . . . 315
3.1. Généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . 351
1.1. La norme comme redondance . 315 3.2. Analyse d'un corpus de couplages plastiques . 352
1.2. Norme et traits plastiques . 316 4. lcono-plastique de la couleur
318 358
2. Rhétorique de lafonne .
5. Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2.1. Normes . 318 360
2.1.1. Caractères des normes plastiques 318
2.1.2. Puissance de la redondance . 319
319 QUATRIÈME PARTIE
2.1.3. Pluralité des syntagmes .
2.2. Transgressions . 321 Vers une rhétorique générale
2.3. Figures . 322
2.4. Éthos . 324
2.4.1. Éthos nucléaire. 324 Chapitre X. La stylisation
365
2.4.2. Éthos autonome 326
2.4.3. Éthos synnome. 327 1. Théorie de la stylisation .
365
2.4.4. La médiation. . 328 1.1. Les trois paramètres de la stylisation . 365
1.2. La stylisation comme rhétorique . . . . . . 366
1.2.1. Les opérations . 366 Chapitre Xll. Vers une rhétorique des énoncés à trois
dimensions . .
1.2.2. Éthos de la stylisation : la lisibilité? . 368 400
1.2.3. Stylisation et styles ....•... 368 1. La sculpture
2. Examen de quelques cas. . . . . . . . . . . . 369 400
1.1. Caractéristiques des énoncés tridimensionnels .•
2.1. La pluralité des stylisations : la pyramide 369 1.2. Rhétorique . . . . . . . . . . 400
402
2.2.
2.3.
La stéréotypie : l'art de la côte Ouest ..
Le rôle des contraintes géométriques : le tangram
370
372
1.2.J. Figures de la multiplicité
1.2.2. Figures de la matérialité.
.. ... 402
2.4. Le rôle des contraintes techniques : le tapis . . . . . • 372 1.2.3. Figures de l'immobilité . 403
2.5. Une échelle de stylisation? L'exemple de Van der Leck 374 405
2. L'architecture .... , ...••..
406
Chapitre XI. Sémiotique et rhétorique du cadre 2.1. La sémiotique de l'architecture
377 406
2.2. Rhétorique de la fonctionnalité
411
1. Sémiotique du cadre. . . . . . . . . . . . 377 2.2.1. La fonction tectonique et sa rhétorique.
2.2.2. La fonction d'usage et sa rhétorique . 411
1.1. Contour et bordure . . . . . . . . . 377 2.3. Rhétorique de la plasticité. 411
1.2. Relation du contour et de la bordure . 379 2.3.1. L'isotopie plastique. 415
1.3. Espaces indiqués, artifices indiquants 380 2.3.2. La temporalité .. 415
2.3. Rhétorique de l'iconisme . 417
2. Plan d'une rhétorique du cadre 382 418
3. Figures du contour . 382 Notes .....•••.•.. r •••

Bibliographie . . . . . . . . . • . 421
4. Figures de la bordure . . . . . 385 469
Index des noms cités . . . • . . • . • . . . . . . . . . . . . . . . . .
4.1. Rhétorique du signifié : A. Le dedans et le dehors . 385 485
Index des notions . . . . . . . . . . • . . . . . . . . • . • . . . . . .
4.1.1. La norme ..............•.• 385 492
4.1.2. Figures par suppression : débordement ... 386
4.1.3. Figures par adjonction : bornage et imbordement 386 Tableaux et figures
4.1.4. Figures par suppression-adjonction :
compartimentage . . . . . . . • . . • • • • • 388
4.2. Rhétorique du signifiant : B. L'objet .
Tableaux
389
4.2.1. Les normes . 389 1. Trois niveaux d'élaboration perceptive, 83. - 2. Modèle global du
4.2.2. Figures par suppression : destruction 389 décodage visuel, 91. - 3. Modèle hiérarchique de l'information percep-
4.2.3. Figures par adjonction : hyperbole . • 390 tuelle, 102. -4. Articulation des signes visuels, 108. -5. Articulation du
4.2.4. Figures par suppression-adjonction : substitution, signe iconique, 148. -6. Système des transformations, 157. - 7. Système
iconisation . . . . . . . • . • • 390 des filtrages, 168. - 8. Jeu sur la transformation y, 173. - 9. Deux
S. Bordure indiquante, énoncé indiqué . 393 types de sémiotiques, 260. - 10. Manifestations de l'invariant
rhétorique, 272. - 11. Figures icono-plastiques, 280. - 12. Subdivi-
5.1. Un rapport instable .......•..... 393 sions de la rhétorique iconique, 292. - 13. Figures par suppression-
5.2. Figures : bordure rimée, bordure représentée 394 adjonction de coordination, 298. - 14. Figures chromatiques, 341. -
6. Modèles et réalités . . . . . . . . . . . . . . . . 397 15. Figures de la rhétorique du cadre, 383.
-::;
! j 1. 31 Fr. 2&>,/~

Figures
1. Accentuation des contrastes par l'œil, 66. - 2. Diagramme chromati-
que, 75. - 3. Production du signe iconique, 132. - 4. Modèle du signe
iconique, 136. - 5. Congruence, 159. - 6. Homothétie, 160. - 7.
t
Projection, 161. - 8. Anamorphose par projection, 162. - 9. Transfor-
mation topologique, 162. -10. Différenciation, 165. -11. Discrétisation
et différenciation, 170. - 12. Pluralité des orientations, 216. - 13.
Opposition sur l'axe de l'équilibre, 220. - 14. Trois descriptions de la
couleur, 231. - 15 a et b. Classification synthétique de Thürlemann, et
correction, 232. -16 a, b, cet d. Fonctionnement contextuel des figures
icono-plastiques, 281-283. -17 a, b, c, et d. Médiations de formes, 322,
328-330. -18. Dessins des Indiens de la côte Ouest, 330. -19. Motifs de
tapis d'Orient, 373.

IMPRIMERIE S.E.P.C. À SAINT-AMAND (CHER)


DÉPÔT LÉGAL JANVIER 1992. N° 12985 (1965-1505)

You might also like