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Ebook Philippe Aim - L Hypnose CA Marche Vraiment
Ebook Philippe Aim - L Hypnose CA Marche Vraiment
ISBN : 978-2-501-12986-2
« The primary suggestion in hypnosis is: change is possible. »
Milton H. Erickson
Table des matières
Couverture
Page de titre
Page de Copyright
Introduction
La controverse Paris-Nancy
Milton H. Erickson
Hypnose et inconscience
Hypnose et danger
Hypnose et passé
Hypnose et mystique
Triptyque
Transe
Technique
Relation
Indications de l’hypnose
Bon à savoir
Hypnose et métiers
Hypnose et spectacle
Hypnose et rue
Responsabilités de thérapeute
Améliorer la formation
Intermède : en pratique
Hypnose et perceptions
Mouvement de dissociation-réassociation
Hypnose et relaxation
Hypnose et méditation
Hypnose et nouveautés
Conclusion
Notes
Remerciements
Introduction
Rencontre
Questions
Compréhension
Depuis quelques années, il est dans l’air du temps d’écouter ceux que l’on
nomme des vulgarisateurs. Le site YouTube regorge de vidéos de jeunes
gens remarquables qui rendent accessibles les sciences (comme e-penser,
micmaths, dirty biology, science étonnante, pour n’en citer que quelques-
uns parmi les plus célèbres)2. Vous y trouvez aussi des conférences de
grands noms du monde de la science qui savent s’adresser au public
(comme les célèbres Étienne Klein pour la physique, Cédric Villani pour la
mathématique, Stanislas Dehaene ou Lionel Naccache pour les
neurosciences et bien d’autres…).
Loin de prétendre avoir leur génie (car il en faut pour rendre si
compréhensibles et passionnantes des notions aussi complexes), je crois
partager avec eux l’envie de délivrer une information à la fois claire ET
qui respecte la nuance et la complexité d’un sujet ; qui le rende accessible
ET ne le simplifie pas au point de le trahir et d’en donner une fausse idée.
Je fais mienne, en l’appliquant à l’hypnose et à la thérapie, l’idée du
physicien Étienne Klein concernant la mise à disposition de
connaissances scientifiques : c’est une question d’éthique. « Si l’on dit
mal les choses, on risque de mal les penser » et il ne faudra alors pas
s’étonner qu’on en parle mal.
Quelles sont les questions qui se posent aujourd’hui ? Qu’est-ce que
les patients ont besoin de savoir sur l’hypnose avant même d’entrer dans
mon bureau ? Que pourraient savoir mes étudiants ou collègues pour
mieux répondre à leurs plus fréquentes interrogations ? De quelle
introduction, ceux qui souhaitent se former à l’hypnose pourraient avoir
besoin ? Quelle information fiable, simple mais relativement complète
pour le public intéressé ou curieux de cette pratique ?
Est-il possible de répondre à ces questions de façon réaliste,
accessible, en adéquation avec la pratique de terrain et les connaissances
scientifiques actuelles ?
C’est l’ambitieux pari de cet ouvrage.
Donc…
Ce livre n’est pas un « manuel d’hypnose », qui serait trop technique,
adressé uniquement aux thérapeutes. Souvent ces ouvrages sont d’ailleurs
des compléments à une formation car l’apprentissage de l’hypnose ne me
semble pouvoir se faire que de façon « vivante ». Vous n’y apprendrez
donc pas à pratiquer des séances.
Ce livre n’est pas un « Changez votre vie grâce à l’hypnose », qui
serait, comme d’autres livres, trop simplifié et peu réaliste, voire
mystique ou « New Age », présentant l’hypnose comme une technique de
développement personnel merveilleuse, miraculeuse, universelle, simple,
fonctionnant toujours pour bouleverser la vie…
Ce livre n’est pas une « philosophie de l’hypnose », d’une portée
intellectualisante qui éloignerait de la réalité pragmatique du sujet.
Ce livre n’est pas une « encyclopédie de l’hypnose », qui serait
exhaustive au risque de ne pas assez se focaliser sur les questions qui se
posent réellement au plus grand nombre.
Ce livre n’est pas non plus « l’hypnose pour les
idiots/ignorants/imbéciles », trop simplifié au point de ne pas donner
d’information suffisamment précise, qui prendrait le lecteur pour
incapable de comprendre une notion complexe, si elle est bien exprimée.
En revanche, ce livre est le fruit de nombreuses discussions, de
questions qui m’ont été posées par des collègues, patients, amis et à qui
j’ai tenté de répondre. Parfois en reconstituant le dialogue, parfois en
reprenant l’enregistrement d’un échange quand il avait eu lieu, j’ai voulu
construire ce livre comme un jeu de questions/réponses. Quelquefois,
donc, le propos suit le fil de la discussion, permettant de présenter les
idées et la pratique mais aussi d’affirmer des opinions et arguments sur ce
qui fait débat dans l’hypnose.
J’ai tout de même divisé le propos en « parties » et « chapitres » pour
faciliter l’accès par thématiques. J’aimerais qu’il permette à chacun de
comprendre afin de savoir ce qu’il peut trouver d’utile dans l’hypnose.
La première partie évoquera l’origine de l’hypnose, indispensable pour
la décrypter.
La deuxième partie sera axée sur l’hypnose elle-même, ce qu’elle n’est
pas (les idées reçues) et ce qu’elle est, ses composantes et ses
caractéristiques.
La troisième partie tentera de clarifier les enjeux actuels de l’hypnose :
d’une part l’utilité et les indications de l’hypnose dans le soin et la
médecine, d’autre part aussi les autres usages de l’hypnose et les débats
que cela entraîne : hypnose spectacle, hypnose de rue, hypnothérapie
pratiquée par des non-soignants.
La quatrième partie permettra aux curieux d’aller un peu plus loin :
nous y présenterons ce qui se passe dans un cerveau sous hypnose mais
surtout ce qui, selon nous, fait le fonctionnement et l’efficacité de
l’hypnose. Enfin nous y aborderons les différences avec les techniques
qui lui sont apparentées (relaxation, méditation, sophrologie, EMDR…).
Coexpertise
Il me semble que partager nos connaissances est un enjeu très actuel. Les
soignants, à juste raison, attirent parfois l’attention des patients sur les
sources consultables pour se renseigner, les plus accessibles n’étant pas
toujours les plus qualitatives3 !
De leur côté, les patients reprochent aux médecins, parfois à juste titre,
de ne pas assez expliciter ou partager leur savoir. Le code de déontologie
médicale ne nous enjoint-il pourtant pas à donner une information claire,
loyale et appropriée ?
Je fais partie des optimistes qui pensent (et du moins espèrent) que, de
plus en plus, les patients et les soignants se rencontrent réellement et
partagent leurs savoirs. En plus de cette exigence éthique, la déferlante de
l’hypnose tant dans le soin que dans les médias nécessite d’informer, de
clarifier et même de « s’engager » en se positionnant face à la situation
actuelle.
Il nous faut apporter des réponses aux patients, et il faut apporter aux
soignants aussi, y compris ceux qui pratiquent l’hypnose, des réponses et
des arguments, pour eux et pour leurs patients.
Le temps où la fascination et l’obéissance étaient les ressorts de la
relation au médecin ou au thérapeute doit laisser place à
l’« empowerment », mot quasi intraduisible qui exprime l’idée de donner
plus de capacités et d’autonomie de décision, notamment aux patients, en
les aidant à comprendre les enjeux qui les concernent.
C’est en donnant aux patients le pouvoir de comprendre ce qui se joue,
que l’hypnose leur devient utile.
On a coutume de dire en hypnose et en thérapies brèves que « le
thérapeute n’est pas un expert de la vie du patient ». Il accompagne, avec
ses outils, une personne qui, elle-même, fait un chemin vers un objectif.
C’est au patient de juger que la thérapie avance, que les séances lui
conviennent et l’aident. C’est donc le patient qui est expert de sa vie, le
thérapeute restant un expert de sa pratique.
En somme, comme le dit justement ma consœur le Dr Marie-Christine
Cabié4 : « Le praticien est un expert de la thérapie et le patient est un
expert de sa thérapie. »
Cependant, au cours d’une thérapie, les protagonistes apprennent à se
connaître mieux, le patient partage notamment avec nous un peu de son
expertise sur sa vie.
Peut-être serait-il bon que nous aussi, en miroir, partagions un peu ce
que nous pensons et savons sur nos pratiques ; nous serions alors dans
une relation encore plus équitable et respectueuse.
Il n’y a pas de raison.
Bonne lecture !
Dr Philippe Aïm
www.institut-uthyl.com
I
Les origines de l’hypnose
On n’en a jamais autant parlé, mais sait-on d’où elle vient ?
Réduisons notre champ d’étude à l’Occident7, car c’est ici que les
controverses autour de l’hypnose finiront par se tenir.
Sous nos latitudes donc, au Moyen Âge, la maladie est considérée
comme purement organique. La médecine s’appuie sur d’antiques
conceptions héritées des Anciens : Galien, Avicenne et Hippocrate, et la
recherche, notamment anatomique, est muselée par l’hégémonie de
l’Église, qui a une forte autorité et contrôle la vie scientifique et
intellectuelle.
Reprenons donc nos trois notions initiales :
L’humain est vu comme un être qui peut se contrôler et qui ne doit pas
se laisser dominer par la matière. Si le corps produit des phénomènes
inattendus, incontrôlés, c’est donc qu’il est habité. La foi officielle se
méfie donc des phénomènes de transe, apanage des âmes « possédées » et
des sorcières8. Combien de patientes qui aujourd’hui bénéficieraient de
soins ont été brûlées sur les bûchers ?
Les ecclésiastiques ont aussi pour mission d’exorciser, de guérir par la
cérémonie religieuse et de combattre l’influence des puissances
maléfiques sur les malades. L’expérience mystique directe est suspecte,
car le clergé est l’intermédiaire « officiel » entre Dieu et les hommes.
Elle se méfie aussi de la relation interindividuelle car l’influence sur
l’homme doit venir du Ciel ou de ses représentants sur Terre, comme
Jésus qui influe sur les autres en amenant la guérison. « Je le pansai Dieu
le guérit » écrira même Ambroise Paré, père de la chirurgie, au sujet de
ses interventions, tant il est dangereux de s’attribuer une telle influence !
L’Église se méfie enfin de l’imagination, qui perturbe l’esprit de
l’homme et le détourne de la foi.
L’Église se méfie enfin de l’imagination, qui perturbe l’esprit de
l’homme et le détourne de la foi.
Giordano Bruno, imaginant le concept « d’infini » de l’univers, sera
brûlé. Galilée, osant affirmer que la Terre n’est pas au centre et que ce
n’est pas le soleil qui tourne autour d’elle, y échappe dans son procès en
hérésie face à l’église, en affirmant que c’est… son imagination qui l’a
conduit à produire cette étrange théorie ! À cette époque où le diable
devient une entité, on a peur que l’imagination ne soit l’appui des forces
du mal ; il existe un délit de « pensées hérétiques ».
En effet.
On doit le préfixe « hypn » et quelques néologismes comme
« hypnotique » au baron Hénin de Cuvilliers, magnétiseur
« imaginationniste », c’est-à-dire qui ne croyait pas à un fluide mais au
pouvoir de l’accès à l’imagination ; il tente dans son œuvre de
démystifier le magnétisme18.
C’est la médecine, dans la seconde partie du XIXe siècle, celle qui se
modernise, qui est de plus en plus scientifique et expérimentale, qui va
s’emparer du phénomène, le renommer, le développer et le faire entrer
dans le champ des sciences médicales.
Finalement, bien que la plupart des praticiens fussent guidés par l’idée
d’aider leur prochain, c’est la médecine, dans la seconde partie du
XIX siècle, celle qui se modernise, qui est de plus en plus scientifique et
e
La controverse Paris-Nancy
Et l’école de Nancy ?
C’est dans cette direction qu’il ira, jusqu’à l’extrême. Il dira même,
quelques années plus tard, qu’ « il n’y a pas d’hypnotisme, que seule existe
la suggestion ». En cela il se démarque nettement de la position de Liébault
qui se retrouve parfois embarrassé d’avoir été désigné comme étant le
fondateur de cette école qui s’éloigne de ses pensées. Il croit marquer une
étape : Mesmer avait cru créer un état nouveau de l’organisme par ses
manipulations, Braid le remplaça par l’hypnotisme, sommeil artificiel dans
lequel existent ces phénomènes, Liébault en fit un sommeil suggestif,
Bernheim voulait dégager la suggestion du sommeil artificiel. Il invente
alors le mot « psychothérapie », pour désigner les soins par « suggestions à
l’état de veille28 ». Au fond après avoir défendu l’hypnose, il s’en passe.
Dreyfusard29, fondateur d’un comité de la Ligue des droits de
l’homme, il subira des attaques antisémites de certains collègues. Il prend
sa retraite en 1911 et sera rapidement oublié par ceux qui font la vie
scientifique française. Il se retire à Paris où il meurt en 1919.
XX
e
siècle : déclin et renaissance
Milton H. Erickson
L’enfant handicapé
Erickson naît à Aurum (E.-U.), un petit village qui n’existe plus, dans une
petite baraque à flanc de montagne, d’un père d’origine nord-européenne et
d’une mère ayant du sang d’Indiens d’Amérique. Ils exploiteront par la
suite une ferme dans le Wisconsin. Le jeune Milton souffre d’un certain
nombre de troubles sensoriels et perceptifs congénitaux : il est daltonien,
dyslexique, amusique2. Dès son plus jeune âge, il vit le monde d’une
manière différente. Contraint d’apprendre autrement, il prend rapidement
conscience de la relativité des cadres de références des humains.
Notons déjà que l’idée de s’adapter, non pas en changeant les faits
parfois immuables, mais plutôt en observant la réalité dans un cadre de
référence différent sera un des points clés de la thérapie éricksonienne et
des thérapies brèves qui s’en inspireront.
Son apprentissage de l’écriture est laborieux. L’un de ses enseignants
bien inspiré, voyant qu’il avait du mal à distinquer le M et le E (les trois
barres, verticales ou horizontales, se confondaient), a la bonne idée de se
servir des connaissances de ce jeune fils de fermier. Il lui propose
d’imaginer que le M est comme la silhouette d’un cheval de profil qui
mange, avec les pattes arrière, avant, et sa tête vers le bas, le E en
revanche est comme un cheval qui se cabre sur ses pattes arrière et
hennit. Erickson, appréhendant cette connaissance par l’analogie, dans un
cadre de référence qu’il connaissait bien, déclarera avoir eu une véritable
« illumination ». Par la suite il comprendra mieux que personne
l’importance des images et des métaphores qui valent plus qu’une longue
explication pour faire passer une idée ou un concept et l’importance,
également, comme il le disait souvent de « parler le langage du patient ».
Le père d’Erickson est un jour en train de tenter de faire entrer un âne
dans l’étable. Il tire l’animal par le licol alors que celui-ci résiste des
quatre fers. Le jeune Milton rit de bon cœur des efforts de son père.
« Puisque tu trouves cela si drôle, fais-le donc toi-même ! » Le jeune
garçon va alors derrière l’animal et tire sur sa queue. L’âne détale et entre
en courant dans l’étable. Erickson racontera souvent cette histoire pour
illustrer la nécessité de penser autrement quand une tentative de solution
semble aggraver le problème.
À l’adolescence, Erickson est frappé par la poliomyélite. Alors qu’il
est en pleine crise fébrile, il entend les médecins, dans la pièce d’à côté,
annoncer à sa mère que « le garçon ne passera pas la nuit ». De façon
peut-être étrange à nos oreilles, Erickson est frappé non pas tant par
l’annonce de sa propre mort imminente que par la façon dont des
médecins annoncent ainsi, sans ménagement, à une mère que son enfant
va mourir. En colère, il se dit : « Que je sois damné si je ne revois pas un
lever de soleil. » Sa mère entre dans la chambre, cachant son émotion, et
il lui demande de déplacer l’armoire qu’il y a en face de lui, encore un
peu, non plus à gauche, voilà, un peu à droite… Le croyant délirant sous
l’effet de la fièvre elle s’exécute tristement, l’embrasse et le laisse. En
vérité, cette armoire comporte un miroir, qui, bien orienté, lui reflète la
fenêtre au travers de laquelle on peut voir le soleil se lever. Le jeune
Erickson se maintient éveillé et, au bout de ses ultimes forces, aperçoit
donc le lever de soleil. Il a fait mentir les médecins. Il tombe dans un
profond coma, dont il ressort trois jours plus tard, entièrement paralysé.
Par la suite, il passe beaucoup de temps, attaché à son fauteuil pour ne
pas tomber, devant la fenêtre, car la ferme et la famille nombreuse ne
laissent pas beaucoup de temps pour s’occuper de lui. Il acquiert alors
une faculté d’observation hors du commun. Pour ne pas dépérir ou
devenir fou, il ne laisse jamais son cerveau au repos, il écoute les pas et
essaie de reconnaître à qui ils appartiennent puis, même, s’il peut deviner
l’état d’esprit de la personne en fonction de son pas. Il regarde la nature
attentivement évoluer, il regarde ses petites sœurs jouer et s’aperçoit, par
exemple, que parfois elles disent quelque chose mais que leur corps
montre le contraire (ce qui sera en lien, bien plus tard, avec de
nombreuses élaborations sur la fonction du langage verbal et non verbal,
et le sens de leur désynchronisation).
Un jour, on oublie de le mettre devant la fenêtre. Désespéré de devoir
passer la journée dans son rocking-chair, sans même pouvoir observer le
dehors, il se met à fermer les yeux et se dit « si je regarde à droite, je
verrai le paysage ». Il imagine alors ce qu’il pourrait faire, marcher,
grimper aux arbres… Quand il rouvre les yeux, son fauteuil a légèrement
bougé. Comme si imaginer changeait quelque chose physiquement. Il
regarde sa main et se dit qu’il ne peut bouger un doigt mais peut se
souvenir de la sensation d’un doigt qui bouge3. Et son doigt bouge
légèrement. Dès lors, il n’a de cesse de faire sa propre rééducation, par
ces exercices psychocorporels de réactivation de souvenirs sensoriels, et
par l’observation intensive de lui-même et de ce qui l’entoure. Il dira par
exemple qu’il a beaucoup appris à remarcher en regardant sa petite sœur
apprendre à marcher, et en observant la séquence des mouvements de la
marche.
Il considérera plus tard que l’hypnose est avant tout un outil
d’apprentissage, particulièrement par la sensorialité, efficace pour
faire entrer dans la vie de nouveaux comportements, sensations,
émotions, appropriés à la situation nouvelle à laquelle le sujet est
confronté.
Il parlera plus tard de cette démarche de rééducation comme
d’autohypnose. Il lui apparaît comme évident qu’il peut adopter une
attitude similaire devant tout problème humain. Il considérera plus tard
que l’hypnose est avant tout un outil d’apprentissage, particulièrement
par la sensorialité, efficace pour faire entrer dans la vie de nouveaux
comportements, de nouvelles sensations, émotions, appropriés à la
situation nouvelle à laquelle le sujet est confronté.
Quelques mois plus tard, il remarche avec des béquilles et entreprend
un périple en solitaire, en canoë sur le Wisconsin. Il part pendant
quasiment deux mois, parcourt mille kilomètres, seul et avec 4 $ en
poche ! Erickson, ado un peu fier, refuse de mendier ou de demander de
l’aide, il s’efforce donc de communiquer de façon à amener les gens à
l’aider. Il découvre les formidables pouvoirs de la communication. Il en
revient avec une passion et une curiosité sans limite pour ses frères
humains, un corps bronzé et renforcé (il marche sans béquilles et peut
porter seul son canoë) et 2 $ de plus qu’à son départ.
EN SOMME…
L’hypnose, vue comme une pratique thérapeutique mettant en jeu, dans un état de
conscience particulier, la relation, la communication, l’action de l’esprit sur le corps, a
connu des hauts et des bas incessants dans son histoire.11
Actuellement elle est de plus en plus connue et pratiquée, son efficacité mieux
documentée. Néanmoins, son image reste toujours sulfureuse et associée à des aspects
magiques, mystiques, spectaculaires. Nous assistons tout à la fois à un phénomène de
mode, visible par la popularisation de l’hypnose de spectacle et dans le même temps à
une plus grande scientificité dans son abord médical, à un niveau de preuve de plus en
plus élevé de son efficacité, à de plus en plus de soignants qui la pratiquent. Ces deux
phénomènes s’alimentent l’un l’autre.
Erickson a beaucoup transmis par sa façon d’être, par ses recherches et par ses
témoignages. Il a influencé le monde de la psychothérapie au-delà même de
l’hypnose. Il a notamment permis à ses observateurs attentifs de mieux comprendre
les techniques de communication associées à l’hypnose et à la psychothérapie. Il a
inspiré les fondateurs des thérapies brèves pour mettre en lumière l’orientation vers
les ressources, l’importance des relations ou du langage corporel dans le processus
thérapeutique.
Il est important, de nos jours, d’en savoir plus sur l’hypnose, pour ne pas laisser
libre cours aux idées reçues et aux dérives.
II
Cerner l’hypnose
Peut-on définir ce qu’est l’hypnose ?
Hypnose et inconscience
Non, l’hypnose n’est pas imposée au sujet puisqu’elle est produite par le
sujet ! L’hypnose ne vient pas de l’hypnotiseur, mais de l’esprit du sujet
hypnotisé.
En vérité, on pourrait aller jusqu’à dire que le verbe « hypnotiser » ne
veut rien dire. Stricto sensu, on n’hypnotise personne, personne n’a un
« pouvoir » particulier qui permet cela. On aide quelqu’un à entrer en
hypnose, on lui facilite l’entrée en hypnose, on lui fournit un cadre qui
l’aide à entrer dans cet état de conscience ou à faire ce travail intérieur…
L’hypnopraticien, et encore plus particulièrement le thérapeute,
propose et le sujet dispose.
Dans ce cadre, le sujet peut accepter une suggestion, c’est-à-dire une
proposition d’une perception ou d’une vision différente. L’hypnotiseur de
spectacle joue sur cette ambiguïté en formulant ces propositions sur un
mode autoritaire, en affirmant haut et fort que le sujet va faire quelque
chose sans même le vouloir, en mettant en scène un « pseudopouvoir »
sur les gens…
Mais en réalité, l’hypnopraticien, et encore plus particulièrement le
thérapeute, propose et le sujet dispose.
Vous n’allez pas « révéler sous hypnose quelque chose que vous ne vouliez
pas dire », vous n’allez pas vous déshabiller si vous ne le voulez pas, même
si on vous le demande en hypnose, vous n’allez pas tuer votre voisin parce
qu’un hypnotiseur vous l’aura demandé sous hypnose. Il n’est pas possible
de faire sous hypnose quelque chose qui soit hors de nos dispositions, c’est-
à-dire que nous ne pourrions pas faire hors hypnose.
Hypnose et danger
Oui et non.
Non, de facto pas toujours. Car chez un grand nombre de gens il n’y a
pas d’incidents. Tout le monde, heureusement, ne sort pas
psychotraumatisé d’un spectacle d’hypnose. Signalons aussi que la
plupart des hypnotiseurs n’ont pas d’intentions négatives. Donc des
témoignages positifs, l’on en trouvera toujours, et vu la démultiplication
d’« hypnotiseurs » sans formation correcte ni cadre de pratique défini, il
est heureux que la plupart du temps il n’y ait pas d’incidents graves !
Eh oui, car elle n’est certainement pas, selon nous, la plus éthique telle
qu’elle est trop souvent pratiquée. En France, l’hypnose divertissante est
tolérée, ce qui n’est pas le cas partout dans le monde, où certains pays ont
clairement interdit la pratique de l’hypnose hors du cadre du soin.
Malgré cette tolérance, de nombreux soignants ne peuvent évidemment
pas l’encourager quand ils observent la situation telle qu’elle est. Un
nombre de plus en plus grand de personnes, sans aucune qualification
particulière dans le domaine relationnel ou du soin, pratiquent l’hypnose
après une formation très courte, avec une maîtrise seulement de la
technique (et encore, une maîtrise très partielle), de façon impromptue et
sur le plus grand nombre sans connaître les intéressés.
Sans compter que dans ces pratiques « divertissantes », on met en
avant les pratiques les plus spectaculaires, impressionnantes voire
« privatives » (on met la personne en impossibilité apparente de bouger
un membre, ou de se souvenir de son nom, ou en situation de chuter de sa
hauteur dans les bras de l’hypnotiseur…)13. Ces techniques de disparition
de repères d’identité personnelle mettent en jeu trop d’inconnues dans
l’équation pour qu’on les considère comme anodines. Elles peuvent
fragiliser ou aggraver une personne déjà fragilisée. Remettre en question
ses repères, changer ses perceptions, peut être, j’en témoigne, un outil
extraordinaire de thérapie pour changer sa vie, dans un cadre maîtrisé,
mais ne peut pas être considéré comme un simple jeu.
En somme, explorer les capacités de nos inconscients peut être tout à
fait inoffensif voire bénéfique à la condition que cela se fasse en
confiance, avec un praticien qui connaît son domaine et sécurise sa
pratique. Ce n’est, hélas, pas le cas de la plupart des contextes ludiques
actuels de l’hypnose. Un lecteur averti en vaut deux14.
Hélas non… c’est même dans des situations de « demande d’aide »15 que
l’on en a entendu parler…
Certes, « on ne peut pas faire faire quelque chose à quelqu’un sous
hypnose qui soit hors de ses dispositions morales », c’est-à-dire quelque
chose que sa morale personnelle réprouve. Et il n’est évidemment dans
les dispositions de personne d’être violé ! Dans le même temps, certaines
personnes en détresse, en souffrance, affaiblies ou malheureuses sont
plus enclines, « disposées », à confier littéralement leur vie, entre les
mains de celui qui prétend les sauver. Si celui-ci se révèle être animé de
mauvaises intentions, un danger existe.
Hélas, dans un grand nombre de cas16, il n’y a même pas besoin
d’hypnose pour qu’éclatent des histoires d’abus, de relation de
domination, de viols, y compris par des soignants, qui ont abusé de
situation de pouvoir…
Sur ces affaires, certains vous diront « c’est impossible puisqu’on ne
peut pas faire faire quelque chose à quelqu’un qu’il n’aurait pas
accepté… » d’autres tenteront de diaboliser l’hypnose comme une
immonde technique de domination. Comme on le voit, rien n’est simple,
et la réalité exige nuance et précision.
Il serait donc faux de dire que l’hypnose en soi permet des viols. La
« domination » d’un individu par un autre survient dans un contexte
(multifactoriel) de domination. Ainsi, ce qui est dit dans ce paragraphe
n’implique pas seulement l’hypnose, loin de là !
Toute situation de demande d’aide entraîne un positionnement
asymétrique au départ, dont « l’aidant » ne doit jamais abuser. L’éthique
est fondamentale dans la pratique de toute technique de soin ou de
relation d’aide.
Par ailleurs, comme tout outil de communication efficace, il peut
entraîner le meilleur potentiel (comme une réhumanisation de la relation
et du soin par un soignant consciencieux17) comme le risque (faciliter les
choses à un manipulateur, un pervers ou un charlatan malintentionné)18.
Ajoutons que certaines personnes ont vécu dans des contextes de
manipulation ou de domination. Les relations d’emprise ne sont souvent
pas des situations de « violence physique manifeste ». Un manipulateur
peut donc installer une relation de domination où l’affection se mêle et se
confond avec de la violence19. Une situation de sidération s’installe, la
victime se retrouve en difficulté pour résister, non pas du fait d’une
éventuelle violence physique mais à cause de la bien plus redoutable
emprise psychique.
Certaines personnes n’ayant pas complètement surmonté ces
traumatismes, ce genre de violences, de confusion, de sidération, d’abus,
de maltraitances, sont parfois en difficulté pour repérer assez tôt les
signes d’un nouveau danger, d’une nouvelle relation toxique quand elle
se présente20.
Et, bien sûr, il est aussi dans les « dispositions » des agresseurs
malintentionnés de jeter leur dévolu sur de telles personnes, hypnose ou
pas.
Le principe général « on ne peut pas faire quelque chose à quelqu’un
sous hypnose qu’il ne voudrait pas faire » s’exprime aussi en contexte :
en l’occurrence il est souvent question de contextes de demande d’aide.
C’est-à-dire un contexte où une personne affaiblie par sa souffrance place
sa confiance dans les mains d’un thérapeute, qui a donc une
responsabilité importante21. Ce n’est toujours pas l’hypnose en soi, en
tant qu’état de conscience qui est dangereuse, mais son utilisation.
Travailler en hypnose implique impérativement d’établir une relation de
confiance.
En somme, il ne s’agit pas littéralement de « viol sous hypnose », mais
de viol, sur une victime, par un agresseur qui a usé entre autres de
techniques d’hypnose pour arriver à ses fins. Le fait que l’hypnose soit
présente n’enlève rien, ni à la culpabilité de l’agresseur, ni à la souffrance
de l’agressé. Bien au contraire, le sentiment pour la victime de s’être
« fait avoir » par une personne « de confiance » à qui elle demandait de
l’aide peut être particulièrement mal vécu ; et le fait, pour l’agresseur,
d’abuser de la confiance que l’on lui donne, de dévoyer une technique
communicationnelle, potentiellement thérapeutique, à des fins
criminelles, est une circonstance particulièrement aggravante.
La relation de confiance avec un praticien en hypnose est donc
fondamentale. Plus largement, le sentiment de sécurité doit être présent
avec tout professionnel de la relation d’aide.
Hypnose et passé
Nous avons parfois l’impression que le passé nous définit, que notre
histoire est une suite d’événements enregistrés. Mais, en réalité, notre
histoire est une histoire racontée, construite, les événements sont
sélectionnés, inclus dans un récit cohérent… et, nous le savons aujourd’hui,
parfois remaniés, complétés.
De fait, notre cerveau est habitué à combler les blancs. Par exemple,
une petite partie de notre champ visuel est « aveugle », sur chaque rétine,
il y a une zone (celle où s’insère le nerf optique) qui ne voit littéralement
rien. Pourtant, constatez-vous un trou de chaque côté de ce que vous
voyez ? Non, évidemment. Votre cerveau reconstitue ce qui manque à
partir du contexte. Et ce n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres
de réarrangement de l’information pour y donner du sens…
De même, il est impossible de retenir toutes les informations
sensorielles quand nous vivons un moment : nos yeux, nos oreilles, tous
nos capteurs sensoriels sont bombardés d’informations dont nous ne
retenons qu’une petite partie. Nous pouvons compléter ce souvenir avec
des éléments issus de l’imagination, pour donner une cohérence à la
narration du souvenir. Et, par la suite, nos souvenirs sont en réalité des
puzzles, dont la trace est disséminée en plusieurs lieux cérébraux.
La mémoire, subjective, déforme peu à peu les souvenirs, notamment
selon les émotions associées : comme quand nous enjolivons le
souvenir d’une période heureuse quand nous sommes en difficulté, ou
relativisons le souvenir d’une tristesse passée, dans des moments
agréables.
Vous sentez une odeur et vous vous souvenez d’un amour passé ; vous
entendez une musique et vos vacances vous reviennent ; à partir d’une
sensation, les autres canaux sensoriels sont activés et reconstituent le
souvenir, et ce à chaque fois que le souvenir est sollicité. Ils sont donc
des reconstitutions et contiennent une part, indiscernable, d’imagination
qui donne une cohérence narrative à l’ensemble26.
Comme nous l’avons également souligné, la mémoire, subjective27,
déforme peu à peu les souvenirs, notamment selon les émotions
associées : comme quand nous enjolivons le souvenir d’une période
heureuse quand nous sommes en difficulté, ou relativisons le souvenir
d’une tristesse passée, dans des moments agréables.
Il est donc impossible au sein d’un souvenir de clairement différencier
la part de l’imagination de celle de la réalité.
Non, du moins ne peut-on pas compter dessus comme l’on compterait sur
une caméra chargée d’enregistrer passivement des données…
Il peut paraître effrayant de perdre l’illusion que notre cerveau est un
pur ordinateur. Mais c’est en même temps rassurant car c’est ce qui fait
de nous des êtres humains ! Car nous sommes des êtres de sens et de
cohérence, de discours, de dialogues et d’histoires racontables (pas de
répertoire de faits objectifs). Notre histoire est constituée des éléments
que nous retenons et de la cohérence que nous leur donnons. C’est une
immense richesse que de pouvoir donner, et éventuellement modifier, du
sens à nos vies. Mais cela a un prix : la possible inexactitude de certains
souvenirs. Comme le dit J.A. Malarewicz, « aucune technique ne permet
de contourner la subjectivité, c’est-à-dire la complexité du psychisme
humain28 ».
Notre mémoire n’est pas une sténographie de la réalité.
Notre mémoire n’est pas une sténographie de la réalité. La part d’un
ordinateur qui stocke passivement des données est parfois appelée
« mémoire morte ». Mais notre mémoire est bien vivante, elle travaille
sans cesse, intègre nos souvenirs dans notre système bien plus complexe
de pensée, d’émotion, d’imagination, de sens, de subjectivité.
On a longtemps pensé que notre mémoire contenait tous les souvenirs, tous
présents et encodés d’une manière ou d’une autre, et que l’on ne perdait,
éventuellement, que les chemins pour y accéder. Ce modèle était plutôt une
vision statique et passive d’un meuble à tiroirs, dans lequel chaque tiroir, si
on le retrouvait, contiendrait un souvenir impeccablement plié et repassé.
L’hypnose s’imposait alors comme une technique particulièrement adaptée
pour aider à se remémorer les souvenirs oubliés. L’état de conscience induit
par l’hypnose, la facilité avec laquelle des images semblaient se présenter et
le fort « réalisme » de ces dernières paraissaient indiquer cette pratique
comme une voie privilégiée.
Même Erickson pensait – l’idée ne provenait pas de lui au départ mais
il semblait y adhérer dans certains de ses écrits – qu’on pouvait, en
hypnose, accéder à toute la réalité des souvenirs. La mémoire se
présentait pour lui presque « par strates » au point de faire des
régressions en âge et de prétendre ramener réellement l’individu dans
l’état (émotionnel, mnésique, etc.) dans lequel il était à des époques
antérieures. Cela semble aujourd’hui assez aberrant et, sur ce point, on
peut affirmer qu’Erickson se trompait, ce qui ne remet aucunement en
question ni son admirable travail, ni les recherches et expérimentations
actuelles sur le fonctionnement et l’efficacité de l’hypnose dans le
traitement des psychotraumatismes.
Le maître de l’hypnose n’était d’ailleurs pas le seul à se représenter la
mémoire de la sorte. Cette conception était courante et partagée. Il n’y a
pas si longtemps, pour un tribunal américain, quasiment tout témoignage
obtenu sous hypnose était, de fait, crédible, qu’il s’agisse d’agression
sexuelle ou d’enrôlement dans une secte satanique. À la suite d’épisodes
de condamnations après ces témoignages, dont il avait été démontré par
la suite qu’elles étaient abusives, de nos jours la tendance est inverse :
tout souvenir remémoré par hypnose est reçu avec beaucoup de
circonspection (voire considéré comme non valable a priori) par la
justice américaine29.
Non ! Bien sûr que nous retenons les événements à partir de faits qui se sont
« objectivement passés ». Les faux souvenirs ne sont pas la norme. Mais
l’évolution a fait de nous des êtres de sens, et nous avons des fonctions
spécifiques pour donner du sens et de la subjectivité, qui sont bien plus
fortes que les fonctions d’un disque dur31. Tout n’est pas vrai, tout n’est pas
faux. Nous ne semblons simplement pas disposer des capacités nous
permettant de distinguer de façon absolue ce qui relève d’un souvenir
« réel » ou d’un souvenir reconstruit.
Paradoxalement, oui.
Les psychothérapies ont souvent instinctivement bien compris ce mode
de fonctionnement de notre cerveau. Les thérapies analytiques disent très
clairement qu’elles cherchent la vérité « du sujet » et non la vérité
absolue, Freud ayant bien montré qu’un traumatisme réel ou « fantasmé »
aura le même impact psychique ; les TCC recherchent plus une
« reprogrammation cognitive » et la possibilité de pensées alternatives
qu’une exploration des origines de la souffrance ; les modernes thérapies
brèves et l’hypnose médicale actuelle aident le patient à trouver des
solutions pour avancer, utiliser les ressources dont il dispose, redonner un
sens à sa vie et des capacités plutôt que d’interpréter indéfiniment des
causes ; la mindfulness (méditation de pleine conscience) invite à
l’acceptation, plutôt qu’à la lutte et à la rationalisation pour apaiser les
ressentis, etc.
En vérité, on ne peut échapper aux faits, effacer la réalité d’un
événement considérable qui s’est produit et dont on se souvient35. La
thérapie peut en revanche aider à l’appréhender différemment, à « s’en
sortir ». En vérité, on l’aura compris, la capacité du cerveau à ne pas être
un disque dur, mais plutôt à pouvoir opérer des changements de point de
vue et de perception sur le réel, à posséder des capacités de
« malléabilité », qui pourrait pour certains sembler une fragilité, est en
fait une capacité utile36, qui peut être particulièrement sollicitée en
hypnose.
Si l’esprit peut modifier ou réinterpréter un souvenir, il peut aussi,
éventuellement guidé par un thérapeute qualifié, utiliser cette capacité
pour le mettre dans une autre perspective, vivre mieux et avancer plus
sereinement dans son parcours de vie, dans les suites d’un traumatisme.
Et comme l’hypnose révèle des capacités existantes alors tout cela
n’est pas utile qu’en thérapie. « La mémoire sert à oublier » comme l’a
écrit Elisabeth Loftus. La mémoire est une fonction complexe faite
d’enregistrements partiels, de reconstitutions partielles, d’oublis partiels
et sélectifs qui permettent de donner un sens à notre identité. Fonction
précieuse et centrale !
Si l’esprit peut modifier ou réinterpréter un souvenir, il peut aussi,
éventuellement guidé par un thérapeute qualifié, utiliser cette capacité
pour le mettre dans une autre perspective, vivre mieux et avancer plus
sereinement dans son parcours de vie, dans les suites d’un traumatisme.
Toute personne en souffrance se devrait d’être attentive si elle souhaite
se faire aider, d’aller voir – notamment pour tout problème relatif à des
« mauvais souvenirs » au sens large (histoire difficile, traumatismes
subis, etc.) – un thérapeute diplômé, qualifié et compétent ; qu’il s’agisse
d’une thérapie classique ou a fortiori très spécialisée (TCC, hypnose,
mouvements oculaires, etc.)
Hypnose et mystique
L’hypnose permet-elle de voyager dans des vies antérieures ?
De faire de la télépathie ? De communiquer avec les morts ?
Il se trouve juste que les phénomènes non encore expliqués sont souvent
repris à leur compte par l’ésotérisme et le surnaturel. Il semble parfois plus
« facile » de recourir à une théorie fantasque que d’attendre qu’une
explication plus scientifique soit explorée (ou de se faire soi-même
chercheur et d’explorer ces phénomènes rationnellement).
Comme nous ne comprenons encore pas tout, le lien entre hypnose et
surnaturel persiste. Les croyances servent d’argument de vente. Mais tous
ces phénomènes ne sont pas avérés et leur lien avec l’hypnose n’a jamais
pu être vérifié. Bien entendu cela ne veut pas dire que ces phénomènes,
comme les vies antérieures, n’existent pas, chacun est libre de ses
croyances ! Il s’agit juste de dire ici que l’hypnose n’est pas un outil qui
nous renseigne sur ce point37 et n’est pas un moyen d’y accéder.
Des thérapeutes incompétents, car souvent peu formés et par de
véritables commerciaux (voire des gourous) qui leur « vendent » un outil
magique et lucratif, sont tentés par ces concepts. Énergie envoyée à
distance, vies antérieures, vibrations hors de l’espace/temps humain,
expérience hors du corps, pensées ou intentions transmises dans des
objets (ou dans une bouteille d’eau38 !), alchimie, réincarnations,
mémoire universelle ou cosmique…
Tous les termes étranges, occultes ou paranormaux associés à
l’hypnose devraient entraîner de la méfiance, tant des patients en
souffrance que des soignants en recherche d’outils thérapeutiques.
La lumière se fait petit à petit sur les explications rationnelles de ces
phénomènes inconscients ou complexes. Certains thérapeutes proposent
probablement ces techniques en toute bonne foi (c’est bien le mot juste),
mais des supercheries demeurent nombreuses et il est difficile de faire la
différence car, souvent, le discours est très travaillé, très convaincant et
très porteur d’espoir pour ceux qui souffrent…
Ces praticiens, sûrs de leur fait, certains de leurs pouvoirs ou des
pouvoirs de leur occultisme, trahissent l’esprit des pionniers en hypnose.
L’hypnose est une discipline du doute, du scepticisme, de la démarche
réflexive pour comprendre ce qui se passe hors du champ du surnaturel.
Elle a tenté, dans toute son histoire de dépouiller les phénomènes
magiques et suggestifs de leur folklore pour en révéler la nature, ou la
dimension utile au soulagement de la souffrance.
Pensons par exemple à la commission Lavoisier qui analyse le
mesmérisme et infirme l’existence du magnétisme et du « pouvoir » du
praticien. Pensons à Braid qui expérimente sur des aveugles vérifiant que
l’hypnose ne vient pas d’une fatigue oculaire. Bernheim qui pratique
toutes sortes d’expériences pour tester les implications possibles de la
suggestion dans différents domaines (y compris, au grand étonnement des
modernes que nous sommes, concernant l’éducation ou le médico-légal).
Au XXe siècle, Erickson écrivant des centaines d’articles dans lesquels il
teste toutes sortes de phénomènes hypnotiques et leur utilisation,
jusqu’aux neuroscientifiques essayant d’en décortiquer le fonctionnement
cérébral, en passant par les thérapies brèves qui extraient et développent
à partir de l’hypnose toute une panoplie de stratégies de communication
et leur utilisation thérapeutique.
Se remettre en question, chercher, douter et affiner notre pratique et
notre compréhension de l’hypnose, est bien plus dans l’état d’esprit de
cette discipline que la mystique et les explications « toutes faites » du
surnaturel.
Se remettre en question, chercher, douter et affiner notre pratique et
notre compréhension de l’hypnose, est bien plus dans l’état d’esprit de
cette discipline que la mystique et les explications « toutes faites » du
surnaturel.
Au fur et à mesure des travaux de recherche, il semble que l’hypnose
se révèle, de plus en plus, être un peu ce qu’en décrivait Erickson et bien
d’autres praticiens de terrain, à savoir un phénomène extraordinaire et
efficace, mais d’une certaine banalité car inscrit dans nos capacités
humaines naturelles.
Le mystère de l’hypnose et de son efficacité est surtout dans la richesse
des relations humaines et de leur potentiel de changement.
Qu’est-ce que l’hypnose ?
Triptyque
Et l’autohypnose ?
Transe
Cet état est difficile à décrire, bien que parfaitement reconnaissable pour
ceux qui l’expérimentent. Roustang synthétise d’ailleurs merveilleusement
cette difficulté par la question : « Comment décrire un dedans quand on est
dehors ? »
C’est d’ailleurs tellement difficile à définir et à résumer que je ne vais
pas tenter de le faire mais plutôt décrire, à l’aide d’exemples, certaines
caractéristiques de l’état hypnotique. En décrivant quelques
caractéristiques de certaines activités de la vie ordinaire, on peut se
donner une idée.
En effet, des constats des praticiens et patients aux études de
neurosciences, tout indique que l’état hypnotique est « physiologique »
c’est-à-dire accessible à tout cerveau humain, et même de fait rencontré,
parfois partiellement, dans le quotidien, sans que l’on y fasse attention…
— Supposons que vous conduisiez votre voiture et qu’en arrivant à la
maison, vous vous rendiez compte que vous avez fait le trajet en étant
complètement ailleurs, plongé dans des pensées, dans une conversation,
dans la radio ou dans la résolution d’un problème. Cet exemple peut
s’étendre à toute activité professionnelle ou personnelle pratiquée un peu
automatiquement et qui nous laisse des ressources mentales disponibles
pour tout autre chose. Il ne s’agit pas d’une « distraction » qui nous
sortirait d’une activité, perturbés que nous serions par une autre, mais
bien d’une possibilité de fonctionnement en automatique, nous laissant
suffisamment de ressources, par exemple, pour conduire, respecter un
itinéraire ou faire attention aux piétons (souhaitons-le !) tout en étant
capables d’utiliser d’autres ressources pour une autre activité (résoudre
un problème, chanter avec la radio ou discuter avec un passager).
Cet exemple témoigne de deux caractéristiques de l’état hypnotique :
Dissociation : la capacité de faire fonctionner des composantes de
notre fonctionnement mental (des cognitions, émotions, comportements,
pensées, souvenirs, capacités…) qui sont usuellement liées, associées,
« unifiées » en nous-mêmes, et qui ici fonctionneraient de façon
indépendante. C’est possible d’une certaine manière dans ces moments
de dissociation physiologique (c’est-à-dire faisant partie d’un
fonctionnement ordinaire de l’individu).
De façon caractéristique, quand c’est en hypnose (c’est-à-dire de
façon provoquée et parfois plus intense), il peut arriver que des états et
sensations inhabituels, paradoxaux, contradictoires soient possibles
De façon caractéristique, quand c’est en hypnose (c’est-à-dire de façon
provoquée et parfois plus intense), il peut arriver que des états et
sensations inhabituels, paradoxaux, contradictoires soient possibles (à la
fois ici et ailleurs, à la fois détendu et concentré, à la fois en rêverie et
très conscient, à la fois présent et à distance, à la fois très éveillé mais
profondément détendu, à la fois une impression de lourdeur et de légèreté
du corps ou des membres, de chaleur et de fraîcheur, d’hypo et
d’hyperesthésie6, la sensation d’une modification du schéma corporel,
d’avoir une partie de la pensée fonctionnant différemment d’une autre ou
pas à la même vitesse…)
Cela arrive aussi de façon parfois forte dans des situations de
dissociation « pathologique ». Typiquement lors d’un traumatisme, par
exemple, une personne sous l’effet du choc semblera sidérée, ailleurs ;
plus tard, les évocations du souvenir ou les stimuli ressemblants (comme
un bruit sourd pour quelqu’un ayant été traumatisé par une explosion)
provoqueront de nouveau un mouvement de dissociation, une
« replongée » dans le traumatisme rendu de nouveau présent qui
provoquera des comportements semblant dissociés et automatiques7.
Non, c’est une capacité naturelle. Tout le monde peut entrer en transe, mais
pas tout le monde de la même façon…
On a longtemps pensé (et beaucoup le pensent encore) qu’il y a une
hypnotisabilité. Mais, en vérité, les tests et échelles d’hypnotisabilité sont
des échelles de suggestibilité à un certain type de suggestions ! Comme
le soulignait Erickson : « Quand vous appliquez un protocole d’hypnose
sur une grande série de sujets et que celui-ci est inefficace chez 30 %
d’entre eux, vous concluez que 30 % des sujets sont résistants à
l’hypnose. Vous vous trompez. La vérité est que 30 % des sujets sont
résistants à votre protocole ; en définitive, vous n’avez pas mesuré la
résistance de la population étudiée à l’hypnose, vous n’avez mesuré que
votre protocole, c’est-à-dire rien du tout. Vous n’avez pas touché le
phénomène, mais une création artificielle de votre esprit ; c’est votre
esprit qui n’a pas saisi au moins 30 % de l’hypnose14. »
Un bon praticien devrait pouvoir vous aider à entrer dans « votre
transe ». Si vous n’êtes pas réceptif à une échelle officielle
d’hypnotisabilité, peut-être êtes-vous très réceptif à l’hypnose mais pas à
ces tests-là.
Un bon praticien devrait pouvoir vous aider à entrer dans « votre
transe ».
Chacun peut y entrer à sa façon, et chacun en connaît des équivalents
ou des aperçus, par exemple dans les activités que l’on a évoquées ici.
Eh oui…
Voici encore un niveau de complexité. Nous n’avons pas tous la même
sensibilité à l’hypnose, chacun la vit à sa façon.
Nous n’avons pas tous la même sensibilité à l’hypnose, chacun la vit
à sa façon.
Prenez encore une fois l’exemple d’autres états complexes : la
motivation se ressent aux niveaux psychique, cognitif, physique,
comportemental. Mais s’exprime-t-elle pareil chez tous ? Non,
évidemment. Certains auront plutôt l’air énergiques et joyeux, d’autres
déterminés et sérieux.
Certains, en état de fatigue seront plus ralentis et apathiques, d’autres
plus nerveux et irritables. Certains en état de stress seront volubiles,
agités, obsédés par une idée. D’autres plus distraits, renfermés, ayant du
mal à se concentrer.
Certaines personnes en état d’empathie auront besoin de l’exprimer, de
se rapprocher, de montrer une émotion, d’autres, simplement présents,
avec un regard plus expressif ou un silence qui en dira long…
Nous voyons bien que tout « état » complexe17 se manifeste par divers
aspects (émotionnels, cognitifs, comportementaux, éventuellement
relationnels…), pas toujours tous présents en même temps, pas présents
chez tout le monde de la même façon… et pourtant nous les
reconnaissons souvent (et surtout avec de l’entraînement), tant chez nous
que chez les autres !
Oui ! C’est pour cela qu’il faut se méfier de toute réduction simple de ce
phénomène et qu’il n’est pas près d’y avoir de définition consensuelle de
l’hypnose. Le fait même qu’il y ait un très grand nombre de définitions
nous dit bien quelque chose sur l’hypnose : elle fait partie de ces
phénomènes qui ne répondent pas à une définition simple et précise (il est
assez simple avec un dictionnaire de définir ce qu’est un ours blanc, une
petite cuillère verte ou un fil de soie). Certains mots ont en revanche
plusieurs définitions (énergie, compétence, cadre…) d’autres encore ont,
dans un dictionnaire, des définitions partielles, parfois courtes, qui tentent
d’approcher le concept en l’illustrant de beaucoup d’exemples (action,
conscience, art…), et qui pourraient faire l’objet de dissertations entières…
Comme le dit l’un de mes collègues18 : « Tel Théodore Monod
inventoriant les plantes sur son passage, c’est une forme de science que
le naturalisme, qui consiste à humblement produire des observations, les
mettre en forme et les ajouter à la connaissance générale. Et ainsi, notre
idée de l’hypnose se précise, non pas à mesure que le discours se
condense, jusqu’à une phrase lapidaire, ou une formule chimique, mais
au contraire qu’il s’enrichit. »
Technique
Tout dépend ce que l’on entend par ce terme ! Les outils de communication,
tout comme l’hypnose ou d’autres, ne portent pas en eux-mêmes d’éthique
ou d’absence d’éthique. L’éthique d’un outil dépend de celui qui l’emploie.
Si nous usons de techniques de communication pour extorquer,
soumettre, influencer, alors c’est le sens péjoratif de la manipulation.
C’est une arnaque en somme, le sujet allant dans une direction qu’il n’a
pas choisie. Certains outils de communication existent dans le domaine
de la publicité : ils visent alors à faire consommer. D’autres sont en usage
dans la politique : ils visent à convaincre, à faire voter.
Dans le cas d’un soignant, la différence n’est pas qu’une affaire de
technique, mais d’éthique ! Il existe un autre sens au mot manipulation,
celui qu’emploient par exemple les kinésithérapeutes qui manipulent
(c’est-à-dire prennent en main) leurs patients. Toujours de façon
consentie et avec comme seul bénéficiaire… le patient.
Le soignant se doit d’user de ses techniques de soin (qui incluent des
moyens de communication) non pas pour son propre bénéfice, mais
uniquement au bénéfice du patient qu’il soigne, et en servant les objectifs
de celui-ci, et non les siens.
L’usage de l’hypnose est tourné vers celui qui la pratique quand il
cherche uniquement à remplir une salle de spectacle ou à impressionner
les autres. L’éthique soignante est supposée différente. Il est donc encore
une fois fondamental pour le patient d’être en confiance, de s’assurer
qu’il travaille avec un praticien qualifié qui tient compte de ses attentes et
qui discute avec lui des objectifs de la thérapie (sans lui imposer). Alors
seulement le patient peut se laisser aller à expérimenter et peut-être
même à changer sans s’en être rendu compte, inconsciemment…
Les autres applications éthiquement acceptables de l’hypnose
(performance sportive, artistique, aide ou exploration personnelle, etc.)
doivent également être dans l’intérêt et jamais au détriment de la
personne. Il existe aussi des applications sans bénéfice individuel direct
au sujet (comme la recherche ou l’entraînement en formation) mais qui
correspondent aussi à un cadre éthique et ne sont pas orientées vers un
bénéfice caché du praticien au détriment du sujet.
L’idée qu’un thérapeute doit rester neutre est une idée ancienne.
Évidemment, un thérapeute ne doit pas émettre de jugement moral ou
s’impliquer d’une façon déplacée. Il est « neutre » quant à la réussite du
patient (c’est le patient qui est « motivé par le changement » et pas le
thérapeute qui doit vouloir à sa place26), il est neutre quant aux choix
moraux du patient27 et ne peut décider à sa place.
Cependant neutre ne veut pas dire qu’il n’est pas influent ! Car nous
sommes tous influents les uns sur les autres dès lors que nous
interagissons.
Dans les années 1960, un psychologue nommé Greenspoon avait
réalisé l’expérience suivante : deux personnes sont l’une derrière l’autre.
Celui de devant est le sujet, il ne voit pas celui de derrière, l’opérateur. Le
sujet a pour consigne de prononcer aléatoirement tous les mots qui lui
passent par la tête, pendant 50 minutes. L’opérateur a pour consigne (à
l’insu du sujet) de faire un « mmh hmm » d’approbation – comme ce que
l’on caricature d’un thérapeute – à chaque fois que le mot prononcé est
au pluriel et de se taire si le mot est au singulier. La plupart des sujets à la
fin de l’expérience n’ont pas compris sur quel critère l’opérateur
acquiesçait ou non. Et pourtant, au fur et à mesure, ils se sont mis à
prononcer, sans s’en rendre compte, de plus en plus de mots au pluriel.
L’expérience de Rosenthal, à la même époque, montrait que des élèves,
à qui on avait faussement augmenté le score à des tests « d’intelligence »,
et transmis ce résultat à leurs enseignants, augmentaient non seulement
leurs notes mais aussi leur (vrai) score aux tests28.
Un grand nombre d’expériences et de données psychologiques et
sociales montrent que nous sommes influents les uns sur les autres, notre
présence, notre parole, notre langage non verbal nous rendent influents.
Une des grandes originalités de l’hypnose (et des thérapies brèves qui
s’en sont inspirées) est de tenter d’utiliser, à bon escient cette influence,
plutôt que d’essayer vainement de l’éviter, la nier… ou la subir !
La pratique de l’hypnose nécessite selon nous de l’éthique ! Tous les
efforts de communication, toute la gestion de l’influence réciproque
doivent être dirigés dans l’intérêt du patient !
Ainsi, la pratique de l’hypnose nécessite selon nous de l’éthique ! Tous
les efforts de communication, toute la gestion de l’influence réciproque
doivent être dirigés dans l’intérêt du patient !
C’est la base de la relation hypnotique.
Relation
EN SOMME
L’hypnose est un état complexe, multifactoriel, polymorphe, naturel mais pouvant
se provoquer volontairement, notoirement relationnel mais visant l’autonomisation. Il
peut entraîner certaines caractéristiques parfois contradictoires (parfois de se
dissocier, parfois de se réassocier, parfois d’être ailleurs, parfois d’être très présent à
soi-même…) et des phénomènes qui sont une amplification ou un détournement d’un
phénomène naturel. Il s’exprime différemment selon les circonstances et les
personnes, certains signes pouvant être présents et d’autres non.
Voilà qui est bien complexe, n’est-ce pas ?
Comme tous les états complexes évoqués en analogie (amour, amitié, empathie,
motivation, respect, etc.) sa définition est délicate, changeante, multiple. Et pourtant,
ceux qui en parlent semblent la reconnaître.
Si cette diversité permet de s’y mouvoir, il n’est pas toujours simple de s’y
retrouver !
Retenons que l’état hypnotique a certaines caractéristiques (ni nécessaires, ni
suffisantes, mais formant une expérience identifiable de modification perceptive, faite
d’absorption, de fluidité mentale, d’intensité expérientielle…), qu’il est amené par la
« technique hypnotique », qui peut tout autant servir à faire revenir cet état qu’à créer
une certaine forme de relation. La relation hypnotique, à géométrie variable selon les
usages, vise la conduite de l’attention et de l’influence et la modification
expérientielle.
Indications de l’hypnose
Oui. Le même genre de procédures peut être utilisé pour la médecine dite
« interventionnelle » : gastroscopies, coloscopie, fibroscopies bronchiques,
ponctions, biopsies…
Les domaines d’utilisation sont ici très importants car de nombreux
soins et examens sont douloureux : par exemple, bien sûr, c’est un
avantage considérable en médecine d’urgence (ponction lombaire ou
pleurale, drain thoracique, points de suture, réduction de luxation…), en
hématologie (myélogrammes, ponctions médullaires…), en cancérologie
(biopsies, radiothérapie, injections…), en médecine dentaire, etc.
Les applications sont extrêmement larges5 et utiles tant sur la douleur
que sur l’anxiété due à ces situations.
Des collègues urgentistes, que j’ai eu le plaisir de former à l’hypnose,
mènent par exemple actuellement à Metz une très belle étude sur
l’utilisation de l’hypnose dans la coronarographie qui pourrait diminuer
la douleur, l’anxiété et la pression artérielle des patients venant de subir
un syndrome coronarien aigu (de type infarctus).
Il nous reste encore beaucoup à découvrir sur les applications de
l’hypnose.
Et la douleur chronique ?
Et sur le plan psychique ?
L’idée classique que l’on se fait parfois d’une séance peut ressembler à la
réalité. Le tableau est alors celui d’un patient assis confortablement,
souvent détendu et concentré les yeux fermés, et d’un thérapeute qui se
place près de lui et lui parle afin de faciliter son expérience.
Le tableau est alors celui d’un patient assis confortablement, souvent
détendu et concentré les yeux fermés, et d’un thérapeute qui se place
près de lui et lui parle afin de faciliter son expérience.
Cette apparence n’est évidemment pas très télévisuelle et explique
certainement pourquoi certains médias sont plus prompts à s’intéresser à
l’hypnose spectaculaire (en apparence) et moins à celle (en vérité bien
plus spectaculaire si l’on y réfléchit) qui aide les patients à changer et à
franchir des pas essentiels dans leur vie.
La séance avec un praticien en hypnose peut cependant être plus
atypique.
La séance avec un praticien en hypnose peut cependant être plus
atypique. L’hypnose n’est pas de la relaxation10, même si souvent les
patients (notamment anxieux) sont en demande de détente et risquent fort
d’en ressentir. L’hypnose peut aussi aider à travailler certains problèmes
douloureux ou traumatiques, qui aboutiront à une séance qui ne sera pas
de tout repos ; elle peut même se pratiquer debout, ou bien les yeux
ouverts, ou même en poursuivant une conversation. Le praticien, ayant
compris les principes qui font l’action de l’hypnose, peut s’affranchir
parfois de la « pureté » technique pour laisser place à une thérapie plus
« sur mesure », et donc possiblement atypique. De même que le dessin, le
jeu, l’histoire racontée peuvent favoriser l’hypnose et la thérapie de
l’enfant, les façons atypiques de procéder peuvent aider les… anciens
enfants !
Certains patients pourront parfois se demander après coup si ce qu’ils
ont vécu était bien de l’hypnose. Rappelons-nous alors que celle-ci est à
la fois état, technique et relation. L’état de conscience est protéiforme et
il n’est pas toujours facile de le reconnaître en soi-même au début, et
l’utilisation de techniques hypnotiques ou la gestion particulière de la
relation peut parfois suffire à parler d’un traitement par l’hypnose auprès
d’un praticien sensibilisé. Peut-être était-ce de l’hypnose, et peut-être
pas, et peut-être que ça n’est pas important, surtout si vous avez ressenti
une différence dans votre vie et pu observer un changement.
Il existe des écoles de formation dans toute la France, et donc des praticiens
un peu partout. Mais la pratique de l’hypnose est loin d’être la règle !
Il existe des praticiens « en ville ». Soit que ceux-ci l’utilisent en
accompagnement dans leur métier lorsque l’indication se présente
(médecins généralistes, spécialistes, infirmiers libéraux, kinés…) soit
qu’ils la pratiquent en tant que psychothérapie (certains généralistes,
psychiatres, psychologues, psychothérapeutes…).
Il existe aussi des thérapeutes / hypnothérapeutes non-soignants (qui
n’ont pas de cursus de formation aux métiers du soin) qui pratiquent
l’hypnose dans un but de bien-être et de développement personnel, mais
il est bien plus dur de savoir, les concernant, « sur qui l’on tombe ». C’est
un problème complexe sur lequel nous reviendrons dans un prochain
chapitre.
Concernant l’hôpital, un certain nombre (trop limité évidemment à
mon goût !) d’hôpitaux et de services a pris l’initiative de former certains
de leurs agents (services de traitement de la douleur, services d’urgence,
anesthésie, soins palliatifs, obstétrique…).
La question de la « façon dont se passe une séance », évoquée plus
haut, dépend aussi de si la séance est proposée ou recherchée, dans un
cabinet, un hôpital ou au milieu d’une scène d’accident de la route, sur un
événement prévu et programmé ou bien dans un contexte d’intervention
urgente…
Que ce soit en ville ou à l’hôpital, parfois le patient sait que le
praticien pratique l’hypnose (c’est notamment le cas dans la demande de
psychothérapie) ou le demande explicitement. Le reste du temps,
l’hypnose est souvent proposée par le praticien ou l’équipe, dans
l’arsenal thérapeutique.
En somme, il n’y a pas d’hypnose dans toutes les villes et les hôpitaux,
loin de là, et il est rare que cela soit affiché. D’un côté, cela évite bien sûr
des demandes inappropriées (un patient qui exigerait de l’hypnose alors
que ce n’est pas adapté à ce qui lui arrive).
Mais, dans le même temps, si les praticiens ont conscience de la valeur
ajoutée de l’hypnose en termes de communication et de qualité de
relation aux patients, et l’efficacité qu’elle présente notamment dans les
contextes anxieux ou douloureux, ils ne peuvent qu’espérer que la
pratique continue de s’étendre parmi les soignants… et donc la
promouvoir, ce qui passe par l’intégrer ouvertement à leur pratique.
Bon à savoir
Peut-on pratiquer l’hypnose seul pour se soigner ?
Si vous souhaitez vous faire aider par exemple sur l’une des indications, ou
l’un des types de difficultés, décrites plus haut. Mais aussi si vous vous
demandez si votre problématique pourrait être accessible ou non à
l’hypnose, vous pourriez vouloir consulter un professionnel pour savoir si la
technique pourrait vous aider.
Si vous faites confiance au thérapeute, alors vous pouvez faire
confiance à sa capacité à connaître l’hypnose et donc, possiblement, à
proposer autre chose que de l’hypnose !
Cependant, le praticien que vous rencontrerez a possiblement plusieurs
cordes à son arc, plusieurs méthodes possibles et devra s’adapter à vous
et aux objectifs que vous allez élaborer ensemble. La confiance est
encore une fois le premier facteur, et bien plus central dans la possibilité
de changement que la méthode. Si vous faites confiance au thérapeute,
alors vous pouvez faire confiance à sa capacité à connaître l’hypnose et
donc, possiblement, à proposer autre chose que de l’hypnose ! « Le bon
chirurgien est celui qui décide de ne pas opérer », nous disait l’un de mes
enseignants en chirurgie pendant mes études. Voilà qui calmait tant les
chirurgiens potentiels pressés de pratiquer, que les patients qui
attendaient l’opération miracle.
Hélas, si certains patients demandent de l’hypnose de façon adaptée,
sentant que cela sera leur « déclic », d’autres demandent (voire exigent)
de l’hypnose, comme si c’était un ingrédient magique qui allait, sans
effort, les transformer et les réparer. Or l’hypnose n’est pas prescrite
comme un médicament. Tout en attendre est le meilleur moyen
« qu’elle » échoue… puisque ce n’est pas l’hypnose qui doit changer
quelque chose, mais bien permettre à la personne de changer quelque
chose !
De façon lapidaire on pourrait dire que « l’hypnose ne marche pas » !
Comme toute forme de thérapie. Ce sont les patients qui « marchent » et,
en réalité, se saisissent de l’hypnose pour changer. C’est un travail actif,
qui nécessite une motivation et un engagement du thérapeute comme du
patient.
Dire que la relation est le facteur primordial ne signifie pas que le choix de
la technique soit secondaire. En effet, si celle-ci ne correspond pas aux
attentes du patient, cela pourra avoir une incidence négative sur son
implication personnelle, sur la qualité de l’alliance thérapeutique et sur la
confiance ressentie, réduisant d’autant les chances de succès. De l’autre
côté, si le thérapeute se sent en désaccord, en difficulté avec l’approche
qu’il pratique, s’il n’y « croit pas », il ne peut que laisser transparaître voire
transmettre ce manque d’enthousiasme.
Par ailleurs la question est parfois mal posée dans les protocoles de
recherche. Il est souvent question de se demander si telle ou telle
technique serait meilleure face à tel ou tel symptôme. Mais ne serait-il
pas plus pertinent de se demander si elle n’est pas plus indiquée pour
répondre à tel ou tel besoin ? À telle ou telle typologie de patient ?
Certains patients, pour un « problème » similaire (disons, par exemple,
de nature anxieuse), ne pourraient-ils pas avoir besoin plutôt d’une
approche corporelle (pour apaiser les sensations physiques
désagréables) ? D’une approche centrée sur les solutions et
ressources (pour retrouver des compétences utiles) ? Sur la
restructuration cognitive (pour changer de pensées et de point de vue) ?
Sur l’analyse (pour tenter de changer en comprenant mieux sa
« vérité ») ? Sur l’acceptation en pleine conscience (pour cesser de lutter
contre ce qui ne peut être changé) ?
Les techniques spécifiques répondent, nous semble-t-il, à certains
besoins, et non à certains problèmes ! L’hypnose, par exemple, travaille
et tire son efficacité, entre autres, de l’utilisation des perceptions
corporelles, de l’utilisation de ressources et de changement (plutôt que
d’une recherche de « causes »), des recadrages par analogie, etc., ce qui
n’est pas le cas de toutes les techniques et peut correspondre à une attente
de certains patients.
En somme, les thérapies n’« entrent pas toutes par la même porte »
même si toutes peuvent produire des effets. Toutes les thérapies ne
conviennent donc pas à tout le monde, et le choix de la technique est
peut-être utile aussi pour améliorer la confiance et la relation !
En somme, les thérapies n’« entrent pas toutes par la même porte »
même si toutes peuvent produire des effets. Toutes les thérapies ne
conviennent donc pas à tout le monde, et le choix de la technique est
peut-être utile aussi pour améliorer la confiance et la relation !
Il est cependant à souligner que l’hypnose, et les thérapies brèves qui
lui sont reliées ont en commun de s’être intéressées, très tôt dans leur
histoire, non seulement à leurs outils spécifiques comme tous les autres
modèles, mais aussi à la communication et à la relation, et donc aux
« 85 % » d’outils non spécifiques. L’intérêt qu’elles portent à
l’amélioration du lien thérapeutique, en dotant la relation thérapeutique
d’outils de communication efficace, est aussi un intérêt non négligeable
pour le thérapeute et pour le patient. Un certain nombre de praticiens,
qu’ils pratiquent l’hypnose de façon formelle ou pas, voire qu’ils aient
conservé leurs « anciennes » techniques, ont trouvé que la relation au
patient était différente voire facilitée par l’apprentissage de l’hypnose et
l’utilisation de son aspect communicationnel et relationnel, et il semble
que les patients soient très sensibles à cette façon d’être entendus et pris
en charge différemment.
Et les patients ?
Tout d’abord parce que les études sont souvent trop peu nombreuses pour
conclure.
Les critères scientifiques sont de plus en plus stricts pour conclure à
l’efficacité, et l’on ne peut que se féliciter, de façon générale, du niveau
d’exigence scientifique toujours plus important de la communauté des
chercheurs dans le domaine médical.
Il y a évidemment une contrepartie à cette exigence : si une étude (et
c’est très fréquent) est favorable à l’hypnose, mais que trop peu d’études
comparables viennent le confirmer, que trop peu de patients au total ont
été évalués, cela donne un bon indice de l’efficacité de la technique, mais
ne la « démontre » pas.
Dans certaines indications les études sont peu nombreuses, limitées
(car réaliser une étude incluant de nombreux patients coûte extrêmement
cher !) et, surtout, même quand elles sont nombreuses, elles sont souvent
incomparables entre elles ! La technique ou la modalité hypnotique
utilisée n’est pas la même (par exemple dans l’une il s’agit de huit
séances en groupe et dans l’autre d’une seule séance individuelle), le
critère d’efficacité retenu (dans l’une le critère est le degré de douleur,
dans l’autre le niveau de stress ou la gêne fonctionnelle) ou la technique
à laquelle l’hypnose est comparée (dans une étude l’on compare hypnose
et médicament, dans l’autre hypnose et un autre modèle de
psychothérapie) ou encore l’indication précise diffère, ces éléments
rendant toute analyse globale impossible, et rendant décevantes ces
études qui, malgré l’impact clair de l’hypnose, ne permettent pas toujours
aux chercheurs de conclure de façon définitive…
Si par exemple (et c’est le cas) la majorité des études sur l’hypnose et
le tabac est plutôt favorable à l’hypnose, mais que ces études sont trop
différentes pour être comparées, ont des faiblesses méthodologiques ou
d’autres défauts : on a, comme on dit, « de bonnes raisons de penser »
que cela fonctionne (la clinique quotidienne nous l’indique clairement),
mais la conclusion de l’efficacité ne peut être affirmée de façon ferme
selon les critères stricts des recherches modernes.
Qu’est-ce qui les différencie ?
Oui ! Et c’est pour cela qu’il faut être prudent. Ce n’est pas la simple
connaissance de l’hypnose qui permet de la pratiquer de façon
thérapeutique, c’est la connaissance du domaine de son application !
De nombreux soignants me demandent pendant les formations s’ils
peuvent utiliser l’hypnose sur des populations plus atypiques (personnes
démentes, autistes, déficientes, surdouées…) ou bien dans des contextes
moins fréquents (orthophonie, radiologie interventionnelle…). Ma
réponse est toujours oui ; et plus précisément que l’hypnose, en tant
qu’outil aidant le patient, peut être appliquée par un soignant… qui
connaît le patient (et donc sa maladie éventuelle) ! Pas d’hypnose sur les
enfants si on n’a pas de connaissances sur les soins aux enfants, par
exemple…
Je connais peut-être les techniques dont se servent les anesthésistes
mais je n’irai pas au bloc opératoire pour pratiquer l’hypno-sédation.
Je connais la psychiatrie, je me permets donc d’appliquer l’hypnose
aux domaines de la souffrance psychique. À chaque praticien donc d’être
au clair avec ses compétences et son domaine de pratique.
La principale non-indication de l’hypnose est la méconnaissance du
domaine dans lequel on l’applique… L’utilité de l’hypnose dépend donc
aussi d’avec qui on la pratique…
La principale non-indication de l’hypnose est la méconnaissance du
domaine dans lequel on l’applique…
6
Hypnose et métiers
Et du côté du praticien ?
Et en France ?
Le terme « hypnose » n’est pas protégé par la loi. Tout le monde (et parfois
n’importe qui) pourrait s’arroger un « titre » d’hypno (-tiseur/-tiste/-
thérapeute/-praticien/-logue…). Et c’est bien ce qui inquiète parfois.
Comment savoir sur qui l’on va « tomber » quand quelqu’un dit pratiquer
l’hypnose ?
Hypnose et spectacle
Pour des raisons un peu sociales, ou des raisons d’image, ce sont des
« sœurs ennemies ».
L’hypnose est une discipline qui a toujours cherché, au travers des
hommes qui l’ont fait évoluer, à soigner et à rendre la démarche de plus
en plus pragmatique ou scientifique, en tentant de s’opposer à la
pratique simplifiée ou purement ludique.
Historiquement, l’hypnose de soin a toujours eu des liens avec le
spectacle ou la mystique. Mesmer élabore une théorie scientifique et une
pratique de soin à partir d’observations d’exorcisme ; Braid crée le
vocable hypnotisme et en fait un protocole médical alors qu’il a appris à
la suite d’une démonstration de foire…
L’hypnose de soin tente sans cesse de se détacher de la pratique du
spectacle, et cela lui est bien difficile ! L’hypnose est une discipline qui a
toujours cherché, au travers des hommes qui l’ont fait évoluer, à soigner
et à rendre la démarche de plus en plus pragmatique ou scientifique, en
tentant de s’opposer à la pratique simplifiée ou purement ludique. Les
soignants, les médecins, ont été les principaux artisans de l’évolution de
l’hypnose et ont eu pour cela à s’opposer à la pratique de spectacle.
Mais cette opposition est toujours complexe car il n’est pas facile de se
détacher d’un élément qui fait partie de son berceau…
Bien sûr, le soignant que je suis ne peut qu’être gêné de l’image que
cette pratique (telle qu’on la constate en ce moment) renvoie. Certes il
s’agit de spectacle et pas de soins… mais il s’agit d’hypnose alors la
confusion est rapidement opérée. Les personnes ont l’impression en
regardant (car tout est fait pour), que l’hypnose est une pratique plus
puissante si elle est plus spectaculaire, qui repose sur le pouvoir et le
charisme de l’hypnotiseur, qui impose sa volonté et manipule les pensées
et les comportements du sujet… Comment voudrait-on se soigner ainsi ?
Beaucoup se disent aussi « ce n’est pas possible, c’est truqué », ce qui
donne une image d’artifice et de doute.
Les thérapeutes voudraient faire passer les idées inverses sur leur
pratique : l’hypnose est produite par le sujet et le thérapeute ne fait que la
faciliter ; si le thérapeute est un aide, c’est bien le patient qui trouve
l’occasion de travailler et de changer ; le thérapeute n’est pas là pour
imposer mais pour permettre ; la suggestion est en fait une proposition
dont le patient peut se saisir ou pas ; la pratique thérapeutique est plus
puissante et complexe et produit des effets bien réels même si elle est
moins (télé)visuelle5…
Cependant, d’une certaine façon, les phénomènes s’alimentent l’un
l’autre : plus l’hypnose soignante est reconnue et fréquente et plus
l’hypnose de spectacle est populaire (c’était déjà le cas il y a un siècle6 !)
et, en miroir, il faut le reconnaître, la popularisation de cette hypnose de
spectacle entraîne aussi l’intérêt des patients pour comprendre7,
l’impression qu’elle peut produire des effets étonnants, l’envie de
demander cette aide et la demande de soignants pour apprendre à
l’intégrer éthiquement dans leur pratique…
En miroir, il faut le reconnaître, la popularisation de cette hypnose de
spectacle entraîne aussi l’intérêt des patients pour comprendre,
l’impression qu’elle peut produire des effets étonnants, l’envie de
demander cette aide et la demande de soignants pour apprendre à
l’intégrer éthiquement dans leur pratique…
Mais ce qui nous semble le plus gênant est le mélange des genres, les
ambiguïtés des showmen qui reçoivent des personnes en thérapie, les
thérapeutes qui utilisent le spectacle pour leur pratique, voire (ça s’est
vu) qui vendent des places à leurs patients pour aller voir leur
représentation…
Hypnose et rue
S’il y a une hypnose de rue bon enfant et de bonne foi, plus douce, plus rare
aussi, elle pèche par excès d’enthousiasme, par négligence ou imprudence.
Il y a aussi une hypnose de rue malsaine, hélas assez présente sur
YouTube. Et tous les intermédiaires. S’ils ne sont pas systématiques, loin
de là, des abus et des dérives existent, certains témoignages sont gênants.
Par exemple ceux où l’on nous parle d’hypnotiseurs de rue qui,
obtenant avec l’hypnose des réactions inattendues, des émotions difficiles
chez leur sujet, en profitent pour leur donner la carte de leur cabinet pour
qu’ils viennent consulter chez eux, cette séance de rue ayant sûrement
révélé, selon eux, un problème sous-jacent…
Voire certains qui vont dans la rue ou les bars explicitement pour
produire ces phénomènes pour faire de la pub à leur activité de
thérapeute.
Pour vendre des formations, on a pu voir certains proposer des
formations y compris à des mineurs. N’y a-t-il pas de quoi s’inquiéter
quand on sait la fragilité que peut représenter l’adolescence ? Et même si
l’on admettait que certains adolescents sont assez matures pour avoir des
notions d’hypnose, est-ce le cas de tous les autres qui seront hypnotisés
sous un mode autoritaire ? Qui sait comment un adolescent un peu
tourmenté pourrait réagir aux pratiques « privatives » (perte d’une
fonction d’un membre, immobilisation ou chute, oubli d’un chiffre, d’un
prénom…) ? Qui sait ce qu’un adolescent en difficulté pourrait faire
d’une telle pratique, qui joue aussi parfois sur les émotions,
comportements, pensées, si c’est sans aucun cadre ? Qui sait ce que les
adolescents fascinés par les « challenges » parfois dangereux sur les
réseaux sociaux pourraient vouloir faire des pratiques qui modifient l’état
de conscience ?
Mais on ne peut pas empêcher les gens d’apprendre l’hypnose…
Non, on ne le peut pas. De toute façon les livres, les vidéos existent. Ce
savoir n’est pas secret. Et il n’est pas souhaitable qu’il le soit, d’autant
qu’interdire l’hypnose ne ferait qu’augmenter un parfum de transgression et
de soufre qui rendrait les dérives encore plus gênantes car clandestines !
On n’interdit pas les « pratiques récréatives et potentiellement
dangereuses », surtout quand elles sont naturelles. On les interdit parfois
partiellement (par exemple aux mineurs ou sur eux) pour donner une
barrière au moins symbolique16, qui rappelle indirectement qu’elles sont à
manier avec une certaine précaution.
Il ne viendrait pas à l’idée de la plupart des parents d’initier leurs
enfants à l’alcool pour qu’ils sachent ce que ça fait. Mais de les informer
sur le fait, au moins, de ne pas consommer dans des circonstances
dangereuses.
Si possible de ne pas prendre un traitement donné par un ami, car on
n’est pas certain de souffrir de la même chose que lui, mais plutôt de
consulter quelqu’un qui s’y connaît en traitements, comme un médecin.
De se protéger en matière de sexualité. De ne pas utiliser d’objet
dangereux dans des circonstances instables, de ne pas rentrer avec
quelqu’un qui a bu…
Oui, dans la plupart des cas il n’y aura pas d’accidents, dans beaucoup
de cas on fait confiance au conducteur ou à notre bon sens, dans la
plupart des cas même, on s’amuse même si on s’expose… mais on prend
des risques.
Et les éléments totalement interdits (par exemple l’héroïne, dont seul
l’usage médical sous forme de morphine est possible et encadré, la prise
d’alcool en conduisant et autres) ont une dangerosité directe et bien plus
importante que l’hypnose en général.
À cela s’ajoute une difficulté matérielle : il n’y a pas d’« objet » dans
l’hypnose (contrairement à une arme, une drogue…), il s’agit de deux
personnes qui se parlent, difficile d’y mettre une police. Si en plus on
ajoute le fait qu’un consentement est exprimé (même s’il est parfois
obtenu de façon discutable) par une personne, a priori, en possession de
ses moyens, et si l’on ajoute même qu’il est difficile de définir avec
précision l’hypnose, on voit difficilement comment une interdiction
générale aurait lieu !
Il faut également éviter d’encourager la pratique sauvage, ou par/sur
des personnes qui n’ont pas la maturité pour l’aborder en dehors d’un
certain contexte et dans une certaine sécurité.
D’ailleurs, si l’hypnose a quelque chose de sérieux voire de
scientifique alors il n’y a rien à cacher, seulement des informations à
donner. Il faut également éviter d’encourager la pratique sauvage, ou
par/sur des personnes qui n’ont pas la maturité pour l’aborder en dehors
d’un certain contexte et dans une certaine sécurité. Apprendre ce que
peut amener l’hypnose (c’est un des objets de ce livre), mais pas
l’enseigner comme un jeu anodin. Les praticiens de l’hypnose de rue sont
souvent sûrement sincères dans leur volonté d’entrer en relation avec les
autres sur le mode de l’amusement et du plaisir, mais techniquement il y
a une réelle différence entre apprendre cette série de manœuvres
déstabilisantes et spectaculaires, et apprendre une modalité relationnelle
dans un cadre sécure…
Le problème n’est pas tant la technique mais ce que l’on va en faire et
dans quel cadre.
Pour rester simple : pratiquer l’hypnose avec quelqu’un qui a appris en
un rien de temps, qui n’a aucune notion de prudence par rapport à la
personne avec qui il pratique, comporte des risques, pas forcément
vitaux, mais réels.
Pratiquer l’hypnose avec quelqu’un qui a appris en un rien de temps,
qui n’a aucune notion de prudence par rapport à la personne avec qui
il pratique, comporte des risques, pas forcément vitaux, mais réels.
D’ailleurs, au moment de rédiger ces lignes, je m’apprête à recevoir un
patient, formé en quelques heures à l’hypnose de rue. Très mal après la
fin de sa formation, son parcours se terminera aux urgences
psychiatriques…
Supposons que vous receviez en consultation un adolescent, vous
l’aidez grâce à l’hypnose et à l’apprentissage de l’autohypnose
à dépasser une douleur, une difficulté anxieuse. Plus tard, il aide
un ami en reproduisant ce qu’il a appris… Le cas serait alors
différent ? Qu’en pensez-vous ?
Comment cela ?
Il faut craindre une hypnose qui serait sans objectif pour le sujet. Même si
on évoque officiellement la découverte par le sujet de sa capacité
hypnotique, le but est avant tout que l’hypnotiseur gagne en capacité à
hypnotiser l’autre… La rue devient son terrain d’entraînement.
Même si on évoque officiellement la découverte par le sujet de sa
capacité hypnotique, le but est avant tout que l’hypnotiseur gagne en
capacité à hypnotiser l’autre… La rue devient son terrain
d’entraînement.
Le sujet est donc utilisé dans un but qui n’est pas lui. On a
l’impression qu’il est amoindri (car pris dans un jeu qu’il n’a pas choisi
et diminue ses capacités de mouvement ou cognitives) pour qu’un autre
soit augmenté (amélioré dans sa technique, réussissant à « obtenir » un
phénomène).
Au-delà même de la question de « former » des gens en masse, le
problème est aussi « ce à quoi on les forme ». On pourrait débattre plus
clairement et largement de l’intérêt ou pas, de la pertinence ou pas, de la
possibilité ou pas d’une hypnose ludique en amateur. Mais le problème
n’est même pas là : il est celui de l’apprentissage d’une pratique d’abus
d’autorité et de soumission au nom de l’hypnose17. Pourquoi continuer à
enseigner au plus grand nombre possible comment confusionner un
inconnu, comment faire perdre le contrôle d’un membre du corps sans en
tirer la moindre métaphore thérapeutique, comment faire oublier son
propre prénom ?
La plus grande ambiguïté est là : c’est celle qui consiste à s’amuser des
(et avec elles) réactions inattendues obtenues des autres en position de
domination/fascination/autorité, et de le faire au prétexte de lui ouvrir des
portes et découvrir des aspects de lui-même. Les abuseurs en tout genre
ne tiennent pas un autre discours. Et si la personne n’a pas découvert ce
qu’elle est censée y trouver, alors elle aura été l’objet du plaisir d’un
autre. Est-ce acceptable ?
En vérité, c’est souvent l’hypnotiseur qui semble s’amuser, et
s’émerveiller de son pouvoir.
En vérité, c’est souvent l’hypnotiseur qui semble s’amuser, et
s’émerveiller de son pouvoir. Bien sûr, consentement et respect sont des
principes importants mais la plupart des hypnotiseurs de rue ne sont
probablement pas, en toute bonne foi, conscients de ce qui se joue. La
relation hypnotique n’est pas anodine et nécessite de la prudence. Peu
d’accidents, ce serait déjà beaucoup trop.
Certains hypnotiseurs de rue feraient peut-être de bons hypnotiseurs de
spectacle. Mais enseigner ces techniques à tour de bras
(superficiellement, sans prérequis), pour que n’importe qui hypnotise
n’importe qui dans n’importe quelles conditions n’est pas une pratique
que l’on peut encourager.
Dans l’hypnose de spectacle, le sujet consent à ce que l’artiste l’utilise
pour faire rire ou impressionner le public, il s’y présente à ses risques et
périls, il a payé sa place, c’est lui qui vient à l’hypnotiseur, et si les
choses sont clairement annoncées, il est difficile de refuser totalement le
principe18. Le souci survient plus quand on ment au sujet sur l’innocuité
de l’expérience ou sur son but, et qu’on ne le traite pas forcément d’une
manière dont il puisse lui aussi bénéficier.
Certaines oui, bien sûr. Mais le but est dirigé vers le patient, pas vers la
démonstration du talent ou du pouvoir du praticien.
Tout est fait dans la rue pour suggérer une autorité de l’opérateur, qui
n’est parfois pas vraiment hypnotiseur mais prétend l’être.
Le sujet doit accepter les suggestions et ce que veut l’hypnotiseur. Et
non pas s’en saisir pour développer des capacités… les mots comptent.
En thérapie, par exemple, une immobilité d’un membre survient pendant
une séance, qu’elle représente l’immobilité de la personne dans ses
difficultés, et qu’une ressource aide la personne à faire bouger de
nouveau ce membre et, donc symboliquement, sa vie ; ce ne serait alors
pas le thérapeute qui empêche le bras de se plier, montrant par là sa
capacité, et décidant en claquant des doigts que le mouvement redevient
possible.
L’intention et le contexte comptent parfois plus que l’acte lui-même.
Qui pratique l’hypnose ?
Qu’appelle-t-on l’hypnothérapie ?
Comment s’y retrouver ?
Pour vous faire aider par l’hypnose, vous trouverez des praticiens soignants
(PS) (médecins, psychologues, infirmiers et infirmières, sages-femmes,
kinés, orthophonistes…) et des praticiens non-soignants (PNS).
Le titre n’étant pas protégé, derrière les mots « hypnothérapeutes »,
« hypnopraticiens », « hypnologues » ou « coach » ou encore bien
d’autres appellations, on peut tomber sur les praticiens les plus
chevronnés comme les plus incompétents.
Si l’on tient un discours tout à fait officiel, on ne peut recommander
que d’aller voir des soignants diplômés dans leur domaine de soin, et
pour qui l’hypnose est un outil thérapeutique (parmi d’autres), même
s’il n’était pas dans leur cursus initial.
Si l’on tient un discours tout à fait officiel, on ne peut recommander
que d’aller voir des soignants diplômés dans leur domaine de soin, et
pour qui l’hypnose est un outil thérapeutique (parmi d’autres), même s’il
n’était pas dans leur cursus initial.
Tout simplement parce que, si la demande qui est faite concerne la
compétence des soins, alors c’est une démarche de santé. De façon
logique, il faut donc défendre que l’hypnose soit utilisée dans le cadre de
l’activité professionnelle pour laquelle le soignant possède un diplôme
reconnu, qui concerne non pas l’outil mais le soin sur un problème
donné.
Consulter un soignant en cas de difficultés est une forme de sécurité
supplémentaire. Notamment car il existe des lois spécifiques. Par
exemple en tant que médecin, si je commets une faute, une erreur envers
un patient, je serai inquiété en tant que médecin et selon la déontologie
de ma profession. Un soignant risque, entre autres, l’interdiction de
pratique de son métier. Pas un simple praticien de l’hypnose. De même
les psychologues, les infirmières, etc. doivent répondre à une déontologie
spécifique.
La profession d’« hypnothérapeute » n’étant pas réglementée par
décret, il n’y a pas la même obligation, il n’y a pas de notions comme le
secret professionnel (même si devrait bien sûr exister une certaine
confiance dans la confidentialité), le devoir d’information ou d’autres
contraintes déontologiques.
La profession d’« hypnothérapeute » n’étant pas réglementée par
décret, il n’y a pas la même obligation, il n’y a pas de notions comme le
secret professionnel (même si devrait bien sûr exister une certaine
confiance dans la confidentialité), le devoir d’information ou d’autres
contraintes déontologiques.
Par ailleurs, le rôle d’un soignant est de connaître le patient et la
pathologie dont il est question. Caricaturalement, il est arrivé à des
thérapeutes non qualifiés de tenter de calmer les crises d’angoisse de
quelqu’un qui vivait en fait une crise d’angine de poitrine…
Comme nous l’avons dit : l’anesthésiste pratiquant l’hypnose ne sera
pas forcément compétent sur les questions psychiques, de même qu’en
tant que psychiatre, bien que connaissant bien les techniques (puisqu’il
m’est arrivé d’en former certains), je n’irai pas pratiquer dans un bloc
opératoire. Pourquoi cela ? Car, bien que je connaisse l’hypnose, je ne
connais pas assez le bloc opératoire et l’anesthésie.
La différence entre « pouvoir le faire » au sens technique, et « pouvoir
le faire » au sens d’être autorisé à, habilité, tient compte de nombreux
paramètres périphériques à l’acte pur, et notamment la responsabilité
légale.
Après tout, si votre voiture est en panne, vous irez plutôt voir un
garagiste compétent plutôt qu’un plombier ou qu’un voisin qui sait un
peu bricoler. Si vous allez consulter le voisin, ce n’est pas interdit, et
c’est évidemment à vos risques et périls.
Beaucoup de PS ont été formés dans des écoles sérieuses avec des
formations rigoureuses1, et le diplôme de soignant est une forme de sécurité
(le soignant applique une certaine prudence par rapport à son patient car,
avant même de connaître l’hypnose, il connaît le cadre de son exercice etc.).
Il n’empêche que les formations pour soignants ne sont pas
harmonisées, donc inégales, certains soignants sont trop peu ou mal
formés en hypnose, certains, même après une formation sérieuse
n’appliqueront aucune déontologie, ou bien qui ont fréquenté, parfois par
erreur ou par facilité, des écoles de formation peu recommandables…
C’est un poncif, mais bien entendu le port de la blouse blanche s’il
est une protection partielle n’est jamais une garantie absolue.
C’est un poncif, mais bien entendu le port de la blouse blanche s’il est
une protection partielle n’est jamais une garantie absolue.
Du côté des PNS, nombreux sont ceux peu et/ou mal formés qui, tout
en connaissant trop peu l’hypnose, ne connaissent surtout pas assez le
genre de problématiques qu’ils rencontrent. En n’ayant pas ou peu de
connaissance en psychologie ou en médecine, mais des protocoles
préétablis, certains sont pour autant tout à fait sûrs d’eux et de leur
capacité à réussir mieux et à la place de toute médecine rationnelle.
Il n’empêche qu’il y a des PNS tout à fait remarquables,
professionnels, bons connaisseurs de l’hypnose avec une véritable
déontologie et du bon sens, et qui restent dans les limites de ce qu’ils
peuvent faire.
Il n’empêche qu’il y a des PNS tout à fait remarquables,
professionnels, bons connaisseurs de l’hypnose avec une véritable
déontologie et du bon sens, et qui restent dans les limites de ce qu’ils
peuvent faire (c’est-à-dire qu’ils accompagnent les personnes dans une
démarche de mieux-être et de développement personnel sans chercher à
soigner, diagnostiquer ou guérir).
Ils ont le droit de pratiquer la technique hypnotique, car celle-ci n’est pas
réglementée en France. Elle est reconnue utile à la santé par les
scientifiques, mais n’est pas pour autant définie comme une forme d’acte
médical (ce qui limiterait son utilisation de facto).
En revanche, les PNS n’ont pas le droit de s’en servir à des fins
diagnostiques ou thérapeutiques au risque d’enfreindre la loi sur la
pratique illégal de la médecine.
En revanche, les PNS n’ont pas le droit de s’en servir à des fins
diagnostiques ou thérapeutiques au risque d’enfreindre la loi sur la
pratique illégal de la médecine.
Oui et non.
Je ne suis pas juriste de métier mais, à lire les textes, il semble que
l’exercice illégal est une arme plus « simple d’utilisation » puisqu’il
s’agit de montrer qu’il y a une intention thérapeutique et une absence de
titre. C’est probablement plus simple à démontrer qu’une tromperie, une
escroquerie, qu’une méthode non scientifique ou nuisible dans certaines
configurations psychologiques, etc. (car cela nécessite moins de débat
scientifique, il s’agit juste de montrer l’absence de titre…).
Mais le but de la loi sur l’exercice illégal n’est pas prioritairement de
dénoncer le charlatanisme : « Il s’agit bien d’interdire l’exercice illégal
de la médecine, et non pas l’exercice d’une “médecine illégale”15. » Au
fond, condamner quelqu’un pour cela, ce n’est pas lui dire que sa
pratique est contestable ; mais qu’elle est peut-être légitime (ou pas),
peut-être efficace (ou pas), mais simplement sans droit légal de
l’exercer16.
Car de nombreux médecins ont fait des années d’études pour pratiquer
des médecines alternatives dont certaines n’ont pas fait la preuve
scientifique de leur efficacité (homéopathie, acupuncture, ostéopathie…)
ou sont très contestées, considérées parfois nuisibles par d’autres
(approche psychanalytique du traitement de l’autisme…), mais qu’ils ont
contribué à légitimer par leur diplôme et qui ne peut tomber sous le coup
de cette loi.
Si quelqu’un prétend guérir ou soigner mais n’en a pas les
compétences, s’il intervient en se substituant au rôle médical ou
paramédical, oui, l’exercice illégal de la médecine peut être un recours
légitime et protecteur.
Donc si quelqu’un prétend guérir ou soigner mais n’en a pas les
compétences, s’il intervient en se substituant au rôle médical ou
paramédical, oui, l’exercice illégal de la médecine peut être un recours
légitime et protecteur. Ce délit nous rappelle l’enjeu de santé publique de
laisser la santé entre les mains de ceux qui en ont acquis les compétences
et il est possiblement plus efficace dans sa mise en place et plus simple
sur un plan juridique.
Mais concernant les dérives et les dangers, sur le plan au moins
symbolique, d’autres délits concernant l’escroquerie, l’emprise sectaire,
les pratiques nuisibles, les abus de détresse et autres ne seraient-ils pas,
peut-être, mieux à même de dénoncer les mauvaises pratiques, leurs
dangers, leurs malhonnêtetés ?
Si l’on est inquiet de voir se démultiplier les « thérapeutes »
autoproclamés en hypnose (dont on ne sait souvent pas comment ils le
sont devenus) il faudrait pouvoir dénoncer les dangers réels et les
arnaques (et pas seulement une absence de diplôme), éviter un conflit
stérile avec des pratiques acceptables et inévitables du milieu du bien-
être, et avant tout protéger les patients, les malades en situation de
détresse.
Il faudrait pouvoir dénoncer les dangers réels et les arnaques (et pas
seulement une absence de diplôme), éviter un conflit stérile avec des
pratiques acceptables et inévitables du milieu du bien-être, et avant tout
protéger les patients, les malades en situation de détresse.
On ne peut non plus enlever le libre choix du patient sur sa manière de
gérer sa vie. Si un patient arrête de fumer en « vapotant », il a acheté ce
dispositif à des commerçants non médecins, s’il a décidé de se mettre au
yoga pour arrêter ou d’aller voir un « hypnotiseur » qui prétend
l’accompagner dans sa démarche libre d’arrêter (et ne prétend pas
soigner ni guérir), il est très difficile de rendre tout cela condamnable
sauf à enlever beaucoup de liberté ! Trouver l’équilibre entre protection
et liberté est (comme dans beaucoup de domaines) une véritable
gageure !
Est-ce possible ?
Comparaison n’est pas raison, comme on dit, mais je pourrais donner deux
exemples, le premier illustre la limite parfois floue entre bien-être et soin.
C’est la question des massages pratiqués en kinésithérapie : certains
représentants de la profession de kinésithérapeute ont tenté, sans succès,
de défendre l’idée que les massages étaient une pratique qui leur était
réservée. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, car on peut faire un massage
dans un institut de beauté par exemple, sans vocation thérapeutique et par
un non-professionnel de santé. Mais en revanche il y a toujours un
avertissement stipulant que ce massage n’est pas médical/thérapeutique
mais destiné au bien-être17.
Par ailleurs, les pratiques manuelles se sont démultipliées, sans
toujours de fondement scientifique. Bien que le décret de compétence
étende leur responsabilité (notamment dans la planification des soins), la
profession de « kiné » est débordée en tous sens par les instituts de soins
et de bien-être et par des thérapeutes manuels autoproclamés qui
pratiquent des techniques diversement recommandables. Il faut une
prescription médicale encadrée pour voir un kinésithérapeute mais
n’importe qui peut aller voir n’importe quel « thérapeute en
manipulation », sans compter les kinésithérapeutes eux-mêmes formés à
des thérapies alternatives sans fondement scientifique18.
Sur les thérapies diversement recommandables, il nous semble que,
comme dans le cas de l’hypnose, un plus grand arrière-fond scientifique
s’impose mais aussi une meilleure information aux personnes pour bien
se repérer.
Mais sur l’aspect massage, le parallèle semble possible dans une
certaine mesure : on ne peut interdire la pratique du massage, on peut
informer les personnes (et la plupart sont sûrement assez au clair là-
dessus) sur le fait qu’on peut le pratiquer dans un contexte soignant en
cas de problème médical, mais aussi hors de la pathologie, dans un
contexte de bien-être et de relaxation, mais aussi de façon perçue comme
assez sécuritaire dans un cadre personnel… ou qu’un massage est
sensiblement équivalent parfois à un bon étirement ou à un exercice de
yoga, qui paraît aussi difficilement condamnable !
La coexistence d’une discipline soignante et non-soignante pour le
massage est relativement tolérée. De même la sécurité totale n’existe
jamais et un massage par un amateur pourrait (mais rarement) être très
dangereux sur certaines fragilités constitutionnelles ; pour autant, il paraît
peu réaliste d’interdire la pratique du massage avec son conjoint, ses
proches…
Et le second exemple ?
En vérité, les PNS sont les plus concernés car ils sont moins reconnus par
les institutions, et devront fatalement montrer, plus que les soignants, le
sérieux de leur pratique…
Ce n’est pas le même métier puisque l’un soigne et l’autre pas. Mais nous
l’avons vu, certaines indications sont ambiguës et questionnent
légitimement le public. Tout professionnel de l’aide devrait pouvoir dire
clairement quand il ne se sent pas compétent pour prendre en charge le
patient qui se présente.
Concernant les soignants : la qualité du soignant s’acquiert par un
« diplôme d’État » qui atteste d’un certain nombre de connaissances
qu’au fond, l’État garantit. Cela donne, pour beaucoup de monde, l’idée
d’une forme de sérieux, de qualité et surtout de responsabilité. De fait,
pour les médecins et les soignants, contrairement aux autres, l’éthique, la
déontologie est une affaire légale, une obligation (du même ordre que
l’hygiène des mains avant un examen) dont la défaillance peut être jugée
en tant que telle et interdire tout exercice.
Il s’ensuit également que, lorsqu’un soignant propose une technique
que le patient ne connaît pas, le patient fait le plus souvent confiance à la
personne du soignant et le « suit » en premier lieu, plus qu’il ne suit une
technique.
La plupart du temps, le soignant n’est pas consulté parce qu’il serait
meilleur en hypnose (même s’il peut l’être), mais surtout parce qu’il est
meilleur en médecine ! La connaissance technique de l’outil suffit-elle à
en faire un métier pour aider ? À l’inverse, le diplôme de soignant
apporte-t-il une garantie pour la qualité de l’hypnose ?
Savoir obtenir des phénomènes hypnotiques et être un bon thérapeute
sont deux choses bien différentes.
Savoir obtenir des phénomènes hypnotiques et être un bon thérapeute
sont deux choses bien différentes.
Lorsque j’étais étudiant, en stage aux urgences, j’ai un jour appris à
intuber un patient en détresse respiratoire en… cinq minutes ! Malgré
l’urgence, tout se présentait « au mieux », les explications du médecin
qui me supervisait furent claires et l’intubation réussit du premier coup.
Alors, me direz-vous, n’importe qui peut le faire en ayant appris
rapidement ?
Non, évidemment, il s’agissait d’une toute première approche, et
rigoureusement encadrée ! Une formation qui donne une compétence à
l’intubation pour un médecin urgentiste prend plusieurs jours de
formation. Pourquoi ? Car le geste technique ne suffit pas, il lui faut
apprendre les tenants et aboutissants de ce geste, les cas atypiques ou
difficiles, les subtilités… et cette technique est apprise à des médecins
travaillant déjà quotidiennement aux urgences qui vont intégrer cette
nouvelle technique à leur métier préexistant.
La formation initiale des soignants, très encadrée en France est peut-
être contestable et vraisemblablement améliorable, mais elle est souvent
reconnue de bonne qualité, complète et complexe, et surtout émaillée de
nombreux stages. Un PS, avant même d’apprendre l’hypnose a été
confronté à des malades, des gens qui souffrent, qui meurent (souvent
même bien plus qu’il ne le voudrait). C’est une expérience sans
équivalent. Il forge son expérience de l’humain, et ne commence pas,
comme c’est souvent le cas chez des PNS, après un pur apprentissage
technique, à rencontrer seul à seul directement des personnes qui
viennent littéralement lui confier leur vie, leurs problèmes les plus
douloureux et les plus intimes.
L’apprentissage par compagnonnage prend du temps et se fait sur le
terrain.
L’apprentissage par compagnonnage prend du temps et se fait sur le
terrain.
L’idée que la technique et sa maîtrise pourraient suffire empêche
paradoxalement d’y trouver la limite. Pendant nos stages, nous entendons
sans cesse des personnes se relayer. Le chirurgien demande l’avis de
l’anesthésiste, celui-ci demande une information à l’infirmière, le
kinésithérapeute rend compte de ce qu’il fait au médecin pour savoir s’il
doit ou non continuer dans la même direction… Ou bien le cardiologue
interroge l’endocrinologue car le traitement qu’il compte prescrire a une
incidence sur la thyroïde, et celui-ci est relayé par un psychiatre car il
soupçonne une dépression, etc.
Dans des formations de mauvaise qualité le thérapeute apprend :
— parfois des protocoles préétablis correspondant à chaque situation
(deuil, stress, confiance en soi, traumatisme, phobie, etc.), comme si tout
problème avait une solution toute faite valable pour tous ;
— parfois qu’il peut tout gérer ou presque avec l’hypnose ;
— parfois au contraire, que, vu qu’il ne guérit rien (pour ne pas être
accusé d’exercice illégal de la médecine), et que le client fait tout en
hypnose, alors toutes les situations ou presque peuvent être prises en
charge : « Il suffit de faire de l’hypnose et le patient va faire le travail. »
Certes le patient travaille, mais le travail du thérapeute est de le mettre
dans les conditions de ce travail, et pour cela il est préférable de
connaître le contexte, nos limites et de développer cette culture du
relais… De nombreux problèmes rencontrés en thérapie sont venus de
praticiens qui ont dépassé leur compétence.
Forcément un doctorat ?
Peut-être pas selon les contextes, mais en tout cas des compétences. Le
débat est là, comment définir et attribuer des compétences, adaptées aux
diverses pratiques de l’hypnose, en dehors du système des diplômes ?
Le débat est là, comment définir et attribuer des compétences,
adaptées aux diverses pratiques de l’hypnose, en dehors du système des
diplômes ?
Si j’utilise un couteau pour couper mon pain et que d’autres l’utilisent
pour couper des têtes je ne vais pas pour autant interdire les couteaux ou
les réserver aux bouchers.
On peut interdire aux petits enfants de s’en servir puis leur dire que ce
n’est pas un jeu, qu’on peut apprendre à s’en servir de façon utile et
sécure (c’est-à-dire pas pour pratiquer la chirurgie…).
Les discours consistant à dire que l’hypnose est aussi dangereuse que
la roulette russe sont grandement exagérés. Mais tout discours consistant
à dire qu’il existe une forme systématiquement anodine et inoffensive
d’hypnose est irresponsable. L’un des problèmes est d’ailleurs qu’à force
de présenter l’hypnose comme une technique non dangereuse, naturelle,
inoffensive on a fini par laisser penser, soit qu’elle n’était pas efficace,
soit qu’il ne servirait à rien de l’encadrer, d’en rechercher des critères de
bonne pratique.
Leurs études leur donnent des responsabilités, la société et les patients les
mettent dans une situation d’aider des gens en souffrance, dans une position
de pouvoir, certains peuvent en perdre leur humilité, cela arrive… Mais
c’est aussi ce qui peut arriver dans beaucoup de métiers où l’on aide les
autres.
Les connaissances, compétences, ordonnances peuvent donner
l’impression, à tort ou à raison, d’une position haute par rapport au
patient. Parfois c’est bien le cas pour certains confrères, aucune
profession à responsabilités n’échappe au risque de « prendre la grosse
tête », mais souvent c’est plutôt une façon maladroite de communiquer,
malgré toutes les bonnes intentions de bienveillance et d’empathie.
Il est évident pour tous ceux qui s’y forment que l’hypnose les aide,
même en dehors des « séances » d’hypnose, à mieux communiquer cette
empathie à leurs patients.
Responsabilités de thérapeute
Comment ça ?
En tout cas ce n’est pas en laissant entendre qu’on n’en a aucune ou qu’on
ne fait rien !
Et oui, avoir des responsabilités implique un questionnement éthique.
Pour ma part cette « conscience » et cette préoccupation ont été
largement facilitées par l’apprentissage de la médecine. Tout étudiant
s’est rendu compte tôt dans son cursus, s’il n’a pris ne serait-ce que
quelques minutes de recul, du pouvoir que lui attribuent les gens dans la
détresse. Parce qu’on enfile une blouse et qu’on est dans un hôpital, alors
le patient nous « prend pour un docteur », nous fait confiance et, surpris,
nous entendons parler de sa vie et de ses problèmes personnels, nous lui
demandons de se déshabiller pour l’examiner…
La préoccupation éthique de ne pas abuser de notre pouvoir doit
survenir justement par la prise de conscience qu’une sorte de pouvoir
nous est (à tort) attribuée29.
On n’empêchera évidemment pas les criminels (qui se trouvent dans
toutes les professions, surtout celles en contact avec des personnes
vulnérables) de passer à l’acte, en les abreuvant de questionnements
éthiques dont ils n’ont cure, mais on aidera peut-être ceux qui,
inconsciemment, pourraient se mettre dans une posture inadaptée. Les
plus grands abus de pouvoir sont commis en prétendant le rendre…
Améliorer la formation
Balayons devant notre porte ! Quelle est cette aptitude dont
beaucoup de soignants manquent un peu ?
Oui !
Je souhaite que de plus en plus de soignants se forment, si ce n’est à
l’hypnose, du moins à la communication thérapeutique inspirée par
l’hypnose.
Concernant les soignants, je me suis exprimé sur la question dans mon
ouvrage Écouter, parler : soigner dans lequel je tente d’apporter aux
soignants des outils concrets de communication pour les aider à
améliorer la relation soignant-soigné, améliorer la confiance. Je souhaite
que de plus en plus de soignants se forment, si ce n’est à l’hypnose, du
moins à la communication thérapeutique inspirée par l’hypnose, et que,
souhaitons-le, ce genre de notions fasse son entrée dans le cursus initial
de tout médecin. Certaines initiatives récentes, notamment de certains
départements d’enseignement de la médecine générale, vont dans le bon
sens sur ces domaines.
De nombreux soignants sont authentiquement humanistes et
empathiques, font ce métier par vocation d’aider leur prochain avec
bienveillance, et il semble que la communication hypnotique les aide à
mieux l’exprimer.
Concernant l’hypnose non médicale et sa pratique, une réflexion de
fond s’impose.
Cela dit, je n’ai pas la prétention d’avoir de légitimité pour dire à
d’autres quoi faire, et nous avons déjà « bien assez de travail » pour
améliorer sans cesse la qualité des formations des soignants.
Il y a plusieurs tentatives de la part de ces thérapeutes de s’organiser et
de mettre de l’ordre et du professionnalisme dans leur pratique. Bien
entendu, n’étant pas une profession encadrée par la loi, par l’État,
l’aspect concurrentiel et commercial n’est jamais loin, mais les intentions
(ou la nécessité ?) de clarifier la question font évoluer le paysage de
l’hypnose. Il y a quelques années seulement, les écoles de PNS avaient
une vocation strictement de formation à la technique et les praticiens à
leur pratique. Actuellement, en plus d’une activité de formation et
d’accompagnement, plusieurs écoles et de nombreux PNS mènent des
actions nettement plus « engagées », qui visent à positionner plus
institutionnellement et légalement leur pratique.
L’enjeu de l’avenir immédiat se résume ainsi : quelles compétences
pour quelle hypnose ?
L’enjeu de l’avenir immédiat se résume ainsi : quelles compétences
pour quelle hypnose ?
Sans autre prétention que de contribuer à la réflexion, il me semble
qu’une formation professionnalisante devrait donc être plus exigeante (ne
faudrait-il pas être plus exigeant vis-à-vis d’un débutant que vis-à-vis de
quelqu’un qui a déjà un métier bien en place ?) et assumer qu’elle forme
à un métier exigeant. Cette formation devrait compter un nombre
d’heures suffisant pour apprendre un métier au-delà d’une technique
(c’est-à-dire plusieurs centaines), ces heures devraient être étalées sur
plusieurs mois et même plusieurs années pour permettre un recul
suffisant, un examen de connaissances minimales, ou une admission sur
dossier témoignant de connaissances minimales, devrait exister à
l’entrée. Par ailleurs, une telle formation devrait comporter un certain
nombre de lectures obligatoires, des stages et supervisions pendant un
temps assez long avec des praticiens chevronnés (y compris après la fin
de la formation initiale), des notions d’éthique, un examen théorique et
pratique (par exemple sur analyse vidéo, ou dans un stage…), peut-être
d’autres choses…
Espérons que cela évolue, mais comment en être sûr tant que l’on met
en avant l’attrait que représente une formation « facile », et la manne
commerciale que représentent ceux qui veulent apprendre vite et
aisément l’hypnose ?…
Et, en vérité, les très bons PNS qui ont une formation diversifiée et une
pratique qui va au-delà de la technique, avec une posture éthique, sont
parfois des autodidactes, qui ont complété leur formation par d’autres
formations, par des lectures cohérentes, par des supervisions.
Les praticiens (y compris soignants parfois !) formés « n’importe
comment » font donc potentiellement « n’importe quoi », à commencer
par faire perdre leur temps et leur argent à ceux qui les consultent…
Il est très difficile (et sans grand intérêt) de « faire le tour » de toutes les
formations existantes pour les « dénoncer ». Préférons donc « informer ».
Donnons quelques exemples de ce qui peut poser problème.
Par exemple, l’absence de sélection des dossiers. De nombreuses
écoles proposent explicitement de prendre des personnes sans aucun
background. Peut-être celles-ci ne savent-elles même ni lire ni écrire,
peut-être ont-elles un métier ou une formation qui n’a rien à voir avec la
relation d’aide, peut-être viennent-elles pour d’autres motifs pas toujours
clairs ; elles seront tout de même formées de la même manière et à la
même technique que si elles étaient des psychologues cliniciens, comme
si d’où nous venons et ce que nous voulons en apprenant un métier d’aide
n’avait aucune importance à être au moins questionné…
Que penser lorsqu’on promet à une personne sans aucune qualification
préalable qu’elle pourra ensuite, après quelques jours de formation (deux
à quatre semaines par exemple), prendre la responsabilité d’ouvrir un
cabinet et recevoir des personnes en souffrance ?
Il n’y a pas de diplôme d’hypnose en France, tous les certificats et
pseudotitres donnés par les écoles d’hypnose ne valent que pour ceux
qui reconnaissent ladite école d’hypnose…
Pour attirer les futurs thérapeutes, on leur fait miroiter des sortes de
diplômes ou certificats parfois vides de sens. Excellent argument
commercial peut-être. Nous l’avons dit, il n’y a pas de diplôme
d’hypnose en France34, tous les certificats et pseudotitres donnés par les
écoles d’hypnose ne valent que pour ceux qui reconnaissent ladite école
d’hypnose…
N’importe qui, même sans formation, peut, pour le moment,
s’autoproclamer hypnothérapeute, ou tout autre titre bien plus pompeux.
Nous ne pouvons que le rappeler car ce genre de vocabulaire berne
parfois les patients par son ambiguïté.
Prenons même un exemple qui serait caricatural s’il n’était réel : les
formations à distance. Alors que l’hypnose est une
technique relationnelle par essence, qui s’apprend par la pratique, alors
qu’un formateur devrait pouvoir répondre de l’attitude de ceux qu’il
forme, alors que l’on forme à des pratiques qui impliquent de la
responsabilité, comment peut-on comprendre que certains proposent,
après des formations à distance, sans même peut-être les avoir jamais
rencontrés, de donner un « certificat » ?
Effectivement, un patient qui ne connaît pas le système des soins et des
diplômes ne pourrait-il pas être séduit par une enseigne qui lui dirait qu’il
est en présence d’un « Maître Praticien Certifié en Hypnose
Ericksonienne par l’École…………. » ? Saurait-il alors qu’il est
potentiellement en présence d’une personne qui a eu ce titre après le
visionnage de quelques heures de vidéo et l’impression de quelques
feuilles ?
On peut aussi se laisser avoir autrement par l’origine de la
certification. Prenons par exemple un institut (il y en a plusieurs) qui
promettrait une certification par la NGH, la « National Guild of
Hypnotists », une institution américaine regroupant un (très) grand
nombre de professionnels en hypnose (dont certains sont professionnels
de santé). Sauf que cette « guilde » a plusieurs fois été mise en cause aux
États-Unis pour son manque de sérieux, son aspect commercial et sa
tendance à distribuer, sans être trop regardante, des certificats et
« diplômes » à partir du moment où un dossier en ligne était rempli et
une cotisation payée. Au point qu’un chercheur américain avait pu, il y a
une quinzaine d’années faire certifier… son chat en tant
qu’hypnothérapeute35 ! À la suite de cette affaire qui fit grand bruit, le
dossier à déposer à la NGH inclut obligatoirement une photo de permis
de conduire… Bref, la situation a peut-être évolué, mais on laissera
chacun juge de ce que peut signifier ce genre d’accréditation reçue en
quelques jours…
Techniquement oui.
Le double drame de l’hypnose est d’être une technique puissante… et
relativement simple !
Le double drame de l’hypnose est d’être une technique puissante… et
relativement simple ! La réalité est que les techniques de base de
l’hypnose (je ne parle pas de stratégies de thérapie avancées) sont assez
faciles à apprendre. Leur puissance fait évidemment que quelqu’un de
malintentionné ou de mal formé pourrait très vite obtenir des effets (y
compris spectaculaires). Mais c’est un saut sans filet. C’est ce qui fait
que certains, avec à peine quelques notions, constatent des résultats et se
croient tout permis.
Quand tout se passe bien, il est « facile » de se contenter d’une
technique, quand le patient est motivé pour changer, il est facile de se
croire « bon » et de promettre des miracles… mais la réalité est souvent
plus complexe qu’elle en a l’air. L’apprentissage relationnel et du cadre
éthique est plus déterminant que la technique.
Il n’y a pas d’argument fort pour penser qu’un PNS, notamment
supervisé, ne puisse pas pratiquer une hypnose de base, aidante pour un
certain nombre de personnes.
Mais il n’est pas raisonnable de penser qu’une certification en
quelques jours de cours est suffisante pour un bachelier pour traiter des
personnes avec des troubles anxieux, phobies, en dépression, addiction
ou des traumatismes… Il faut parfois plus que de bonnes intentions.
Entre l’incompétent, le charlatan, le praticien remarquable autodidacte,
le psy qui appuie sa compétence en hypnose sur les fondations de sa
formation initiale (qui inclut la capacité d’évaluer les difficultés
psychiques), bref, tout existe.
Tout n’est évidemment pas dramatique dans la pratique, mais c’est
surtout, pour le moment, relativement illisible36, et Internet est parfois un
miroir déformant.
Comme le dit le Pr Falissard, auteur du rapport INSERM sur
l’hypnose : « Ce qui me dérange dans l’hypnose c’est qu’aujourd’hui,
vous voulez aller voir un hypnothérapeute, vous allez regarder sur
internet ou dans un annuaire, vous ne savez pas trop qui vous allez aller
voir parce que les formations sont complètement hétérogènes… vous ne
savez pas si vous allez voir quelqu’un de sérieux ou de pas sérieux… »
On l’aura compris, c’est aussi du domaine de la formation que
l’organisation viendra ou pas : pour assainir le paysage de l’hypnose,
donner une éthique à la formation, aider à rendre la démarche cohérente
et lisible, rendre plus visibles les formations déjà cohérentes, se détacher
des dérives mystiques ou autoritaires dès le début de la démarche d’un
praticien.
Si quelques avatars ennuyeux ont été évoqués ici, ils ne sont pas forcément
systématiques, loin de là et tant mieux, mais sont les plus visibles.
Alors cela évoluera soit par une législation « dure » qui interdira la
pratique de l’hypnose hors des soins. Interdire l’usage d’un mot à
certaines catégories de population serait une décision forte des autorités.
Si cela arrive, certains de ceux qui le redoutent y auront contribué. Cela
dit, cette solution semble bien délicate à mettre en place, voire
inapplicable ou injuste pour les praticiens non médicaux de qualité40.
Bien sûr, dans un cadre soignant, l’hypnose comme soin devrait
rester… une affaire de soignants. Mais de nombreux praticiens non
médicaux qui s’affichent moins sur Internet, demeurent des artisans, qui
communiquent avec prudence, sans usurper un rôle de médecin, sans
faire ce pour quoi ils ne sont pas mandatés, et qui ont une éthique
correcte qui ne mérite pas censure.
Bien sûr, dans un cadre soignant, l’hypnose comme soin devrait
rester… une affaire de soignants. Mais de nombreux praticiens non
médicaux qui s’affichent moins sur Internet, demeurent des artisans, qui
communiquent avec prudence, sans usurper un rôle de médecin, sans
faire ce pour quoi ils ne sont pas mandatés, et qui ont une éthique
correcte qui ne mérite pas censure.
Soit par une absence de régulation comme maintenant qui rendra la
situation toujours un peu plus difficile à déchiffrer. Plus gênant
notamment si la confusion devient telle que la méfiance (des patients et
du monde scientifique) devient généralisée sur l’hypnose, nous ne
pourrions que le regretter.
Soit par une législation sur la qualité des formations et sur les
conditions, les compétences légitimant la possibilité de pratiquer
l’hypnose dans une application non-soignante éthique (qui pourrait
inclure la thérapie dans une certaine limite mais aussi la préparation
mentale du sportif et d’autres applications)41.
Car il existe des formations qui n’ont pas les problèmes évoqués ci-
dessus, qui respectent le cadre de leurs pratiques, qui ont un nombre
d’heures et un contenu conséquent et des notions de relation, d’éthique…
Dans tous les cas, les cadres de pratique gagneraient à être clarifiés, et
la définition de compétences correspondant à une pratique donnée nous
semble la meilleure voie à suivre. Dans l’attente, les patients sauront, je
le souhaite, faire la différence si on leur en donne les outils.
EN SOMME
Au moment de conclure cette partie sur les diverses pratiques de l’hypnose, tentons
de prendre du recul. La vocation première de l’hypnose, telle qu’elle est présentée
dans ce livre, est de soigner. L’histoire même de l’hypnose est faite particulièrement
de soignants et de scientifiques qui ont toujours lutté pour bien différencier, s’écarter,
s’éloigner de tout usage ludique, spectaculaire ou mystique.
Il revient peut-être aux soignants et aux « psys » de rappeler encore et encore que
cette pratique n’est pas anodine et que la prudence s’impose, particulièrement dans
les pratiques qui « jouent » sans prudence ou qui « aident » sans qualification.
Le plus juste serait de dire en fait que l’hypnose est une forme de communication
(dans sa part technique) et le fruit d’une communication (sur l’état de conscience
ou la relation qui en découle) et qu’elle facilite la communication.
Le plus juste serait de dire en fait que l’hypnose est une forme de communication
(dans sa part technique) et le fruit d’une communication (sur l’état de conscience ou la
relation qui en découle) et qu’elle facilite la communication.
Et si nous disons qu’elle est une des formes de la communication, et si nous
rappelons que la communication est un phénomène naturel qui peut avoir divers
usages : ludique, agréable, manipulatoire, banal, aidant ou soignant dans la thérapie et
qui peut s’apprendre ou se perfectionner…
Alors en disant cela sur l’hypnose, cela laisse penser que nous portons en nous-
mêmes des forces insoupçonnées qui pourraient être bénéfiques ou mortifères selon
comment on les utilise.
Bien utiliser la communication c’est utile, parfois indispensable, et même c’est
souvent un soin ! Mais elle peut devenir manipulation ou même pire…
À partir de là, n’est-il pas légitime que les gens revendiquent une forme
d’autonomie qui leur permettrait de mieux connaître cette communication ? C’est
l’une des raisons du succès actuel de l’hypnose et il faut en tenir compte.
On pourrait imaginer, d’une part, qu’il faut aider chacun à mieux connaître le sujet.
Non pas pour en faire usage sur d’autres ou se prétendre soignants, mais avant tout
pour savoir aussi se protéger des manipulateurs. Au fond, ce sont souvent les
charlatans qui sont dans la rétention de savoir et enveloppent leurs discours de
mystères pour mieux vendre.
Donner les moyens de mieux comprendre les tenants et aboutissants de la pratique,
pouvoir connaître les bénéfices, les dangers, mais aussi ce qu’on peut ou non en
attendre est le but poursuivi par ce livre. Pour se protéger des dérives, sans pour autant
entrer dans la prohibition ou la paranoïa, la connaissance a toujours été un rempart.
On pourrait imaginer, d’autre part, un usage peu risqué et simple. L’autohypnose
pourrait être apprise, par exemple, avec des thérapeutes qualifiés, de façon un peu
plus large, non pas pour soigner d’autres mais peut-être simplement pour prendre soin
de soi43 et de la façon dont on communique. On peut apprendre à quelqu’un à mieux
utiliser sa respiration, sans lui laisser entendre qu’il peut aller aider des patients
asthmatiques. On peut apprendre à mieux communiquer, ce serait même souhaitable,
sans pour autant mettre chacun en position d’expert en communication.
Nous ne pouvons échapper à la demande légitime de plus de connaissances. Mais il
faut tracer un peu mieux les contours de cette idée. Comment donner de l’autonomie
et du libre choix aux personnes, tout en s’assurant d’une certaine sécurité, tout en
s’assurant que l’hypnose ne se met pas à être pratiquée de façon anarchique,
autoritaire ou pour soigner sans que l’on soit compétent ?
La première étape est donc l’information. Pour ceux qui voudraient aller plus loin,
la dernière partie de ce livre permettra de mieux comprendre (au moins partiellement)
le mode de fonctionnement psychique de l’hypnose et de la distinguer des pratiques
qui lui sont proches.
Intermède : en pratique
Que dire aux soignants ?
Et que dire aux non-soignants ?
Comprendre l’hypnose
Sait-on comment l’hypnose fonctionne ?
Les curieux qui voudraient aller plus loin pour mieux comprendre les
mécanismes de l’hypnose pourraient être intéressés par les pages qui vont
suivre. Nous nous y pencherons, en évoquant l’angle des neurosciences (ce
qui se passe dans le cerveau en hypnose) et surtout nous présenterons
ensuite notre vision du fonctionnement des changements que l’on obtient en
hypnose.
Pour mieux encore la cerner, nous pourrons enfin poursuivre la
discussion sur les techniques « proches » avec lesquelles on la confond
parfois, pour y clarifier, un peu, points communs et différences.
8
Le cerveau en hypnose ?
Hypnose et perceptions
Il l’est mais n’en a pas toujours conscience. Ou plutôt il prend encore plus
conscience de ce qui se passe de façon automatique.
L’une des acceptations de la « dissociation » est à la fois une sensation
de relâchement et en même temps d’attention soutenue, mais sans effort,
c’est une des « bizarreries » de l’hypnose. Ou encore la sensation d’être
en plusieurs endroits, ressentir ce qu’il y a ici et ressentir de façon
réaliste les sensations suggérées (comme dans les expériences décrites ci-
dessus).
L’une des acceptations de la « dissociation » est à la fois une
sensation de relâchement et en même temps d’attention soutenue, mais
sans effort, c’est une des « bizarreries » de l’hypnose.
Une autre acceptation de la dissociation est cette automaticité. Les
choses « se font », permettant au sujet d’observer, de laisser venir, plutôt
que de contrôler frénétiquement… et de découvrir ainsi une autre forme
de contrôle.
Prenons un exemple. Quand nous levons le bras ou autre mouvement,
en schématisant grossièrement, le cortex préfrontal prend la décision, il
envoie un ordre moteur, et le cortex pariétal (entre autres) ressent la
position des membres dans l’espace et renvoie cette information au
cortex préfrontal pour qu’il corrige éventuellement le mouvement.
En hypnose, on utilise parfois la « lévitation du bras ». Il s’agit de
suggérer au patient que son bras se lève (parce qu’il devient léger, gonflé
d’air, ou accroché à des ballons, ou devenu un levier qui s’actionne, ou
toute autre métaphore thérapeutique). Le patient « lève » son bras, mais il
a l’impression qu’il « est levé » automatiquement, hors de sa volonté.
Des chercheurs ont étudié cette sensation de produire un mouvement
sans avoir l’impression d’en être l’auteur13.
Les sujets ont le bras attaché à une poulie.
Dans la première condition, on leur demande un mouvement
volontaire : lever le bras. Tout concorde, plan moteur, réponse motrice,
représentation sensorielle : le cortex frontal s’active (il donne l’ordre de
lever le bras) et le cortex pariétal s’active peu (il s’activerait plus en cas
de discordance, repérant la position inattendue du membre dans l’espace
pour éventuellement corriger le mouvement).
Dans la seconde condition c’est un mouvement passif, on actionne la
poulie pour lever le bras du sujet. L’activité frontale est minimale car il
n’y a pas de plan moteur, de décision d’agir, l’activité pariétale est en
revanche intense (le cerveau « vérifie sans cesse » où il se trouve et ce
qu’on lui fait) avec un sentiment d’altérité.
Enfin, dans la troisième condition, il s’agit d’une lévitation du bras
sous hypnose, où on suggère que la poulie va lever le bras, on ne touche
pas à la poulie et le bras « se lève ».
Et, dans ce cas-là, l’activité frontale est la même que dans un
mouvement actif, et l’activité pariétale est semblable à celle d’un
mouvement passif. C’est en quelque sorte un mouvement « actif-
involontaire ». C’est bien le sujet qui active son bras (heureusement !)
mais tout se passe dans son ressenti comme si son bras était agi. Les
explications ne sont pour l’instant que des hypothèses (rupture de
communication fronto-pariétale ? signal corollaire aberrant ?), et les
progrès de l’exploration fonctionnelle cérébrale élucideront peut-être
dans l’avenir le fonctionnement de ce sentiment d’automaticité. Ces
travaux pourraient contribuer à l’exploration de plusieurs questions
fondamentales relatives aux bases neurologiques de la représentation de
soi et de la conscience.
La fin des années 1990 et le début des années 2000 ont été riches en
recherche fondamentale à ce sujet et le flot s’est un peu ralenti. Par
ailleurs, certaines études ont montré des contradictions : pour certains le
cortex cingulaire antérieur est au contraire diminué, par exemple, comme
la connexion avec le cortex préfrontal.
En vérité, ces études n’ont pas toutes la même méthodologie et il est
difficile de les comparer, comme le soulignent certaines synthèses de
littératures17. Les premières études cherchaient des corrélations entre
hypnose et activité de certaines régions, on saurait aujourd’hui un peu
mieux explorer l’ensemble du cerveau ou des réseaux d’activation.
De plus, les études n’ont pas toutes la même méthodologie, alors qu’il
serait logique que, selon l’induction ou les suggestions, l’activité de
certaines zones, puisse être différente. Il est également possible que la
même réponse hypnotique puisse provenir de différentes stratégies
cérébrales selon les conditions et les individus…
Par exemple, certaines études ont souligné de façon intéressante
l’utilité de s’intéresser non pas ce qui se passe quand on suit une
suggestion mais le lien entre notre attention pendant que la suggestion est
formulée et le suivi de cette suggestion.
C’est compliqué !
Oui.
Certes il se « passe quelque chose dans le cerveau », mais il n’est pas
certain que l’on puisse donner avec une précision absolue la « signature
cérébrale » de l’hypnose.
Certes il se « passe quelque chose dans le cerveau », mais il n’est
pas certain que l’on puisse donner avec une précision absolue la
« signature cérébrale » de l’hypnose.
Sur les réseaux cérébraux habituels, distinguons-en trois :
Le « réseau exécutif », celui qui planifie et donne les ordres (ce sont
notamment les changements dans la région du cortex préfrontal
dorsolatéral).
Le « réseau de saillance », chargé de sélectionner les informations
pertinentes ou d’exclure parmi la somme d’informations (internes ou
externes) reçues à chaque instant (ce sont les changements dans le cortex
cingulaire et l’insula).
Ces deux premiers réseaux subissent des changements, une
augmentation de connectivité pendant l’hypnose18. Nous sommes
différemment conscients de ce que nous faisons, de ce qui se passe, de ce
que nous sentons.
Et enfin le « réseau par défaut » (notamment le cortex préfrontal
médian) semble désactivé. C’est le réseau qui fonctionne en permanence,
en automatique si on ne fait rien, le bruit de fond de pensées qui
s’enchaînent si on ne pense à « rien de particulier », les souvenirs et les
éléments de notre identité qui sont « immédiatement accessibles » sans
efforts.
Les chercheurs s’interrogent sur le phénomène prépondérant. Est-ce
avant tout une activation exécutive, donc un contrôle, une sorte de tâche
mentale qui modifie les pensées ? Ou bien avant tout une désactivation
de ce réseau par défaut, une sorte de « désautomatisation » ? Ou une
attention « de saillance » dirigée ou perturbée ? Ou encore,
particulièrement typique du ressenti en hypnose : un mécanisme qui
perturberait l’agentivité (l’impression d’être à l’origine de nos actes et de
nos pensées) ? Donc un changement d’activité et de connectivité entre
ces réseaux…
En hypnose, à la suite des suggestions ou du contexte, des sensations,
pensées ou actes semblent « se produire d’eux-mêmes ». Certains
chercheurs pensent que ce phénomène pourrait venir d’un « contrôle
dissocié », d’une déconnexion entre les systèmes exécutifs du cerveau et
les systèmes de contrôle de nos actions, ces structures chargées de
vérifier, de superviser si nous faisons bien ce que nous souhaitions faire.
Cette faculté de nous autoobserver, c’est ce que l’on appelle la
« métacognition », observer nos propres phénomènes mentaux.
L’hypnose court-circuiterait ces systèmes, nous pourrions faire
directement les choses, pleinement, et sans accéder à cette métacognition,
nos mouvements et perceptions pourraient sembler involontaires et sans
effort.
Mais comment expliquer alors dans certaines études une activation
plus forte de certaines zones justement liées à ce contrôle de nos actes ?
Comment expliquer que les réseaux « exécutifs » et « de saillance » ne
soient pas non plus déconnectés puisque les mêmes structures sont
engagées ?
D’autres chercheurs pensent plutôt que les structures fonctionnent
correctement, mais que l’hypnose ferait produire des informations
métacognitives erronées ! C’est cela qui expliquerait l’activation plus
forte du cortex préfrontal dorso-latéral qui intervient également dans
cette fonction…
Quelles que soient les hypothèses (coupure entre exécution et
métacognition ou métacognition erronée) ce défaut d’agentivité ne suffit
pas à lui seul à expliquer un phénomène aussi complexe que l’hypnose.
L’absorption, les altérations sensorielles et du sens de soi, la relaxation…
aucun de ces mécanismes n’est l’hypnose à lui seul.
C’est possible, mais tout n’est pas encore bien clair, et ce d’autant que
les études ne sont pas comparables dans leurs méthodes… Sans compter
l’intérêt qu’il y aurait à étudier l’hypnose comme un processus, en
observant la modification temporelle des oscillations d’un réseau à
l’autre…
Tous ces phénomènes mériteraient d’être mieux expliqués, explorés
méthodiquement avec les moyens de recherche qui ont tant progressé ces
dernières années, et surtout mis en lien avec les découvertes d’autres
domaines connexes. Ce n’est plus tant l’effet « réel » des suggestions
(l’essentiel de ce qui a été étudié jusqu’ici en neurosciences !) qui est un
sujet d’avenir que les effets de l’hypnose sur la conscience et la
perception, les effets sur la relation, etc. qui questionnent.
Bref, il y a encore du travail. Il est vrai que les premières études ont
défriché le terrain et ont été moins nombreuses par la suite.
Le flot s’est un peu ralenti et les plus récentes études produites n’ont
pas eu le même impact.
La recherche fondamentale s’est intéressée à d’autres sujets, les études
étaient coûteuses…
La recherche clinique (sur les difficultés des patients) a, en revanche,
explosé. Ayant acquis que l’hypnose « existe », les cliniciens se sont
surtout évertués à montrer son efficacité concrète.
Il existe un niveau de preuve raisonnable de l’existence d’un état
hypnotique (attentif et relâché, actif sur certaines structures perceptives)
et de l’efficacité de l’hypnose dans certaines situations.
Mais on ne comprend pas toujours complètement comment et pourquoi
cela marche ainsi. Souhaitons donc que les nombreuses recherches
récentes et à venir sur le sujet de la « conscience » donnent envie aux
chercheurs de se pencher encore sur une modalité particulière de celle-
ci : l’hypnose.
La force de l’apprentissage
L’hypnose est une technique qui permet d’apprendre comment accéder à ses
propres ressources, à la prise en compte de ses propres besoins.
L’hypnose est une technique qui permet d’apprendre comment
accéder à ses propres ressources, à la prise en compte de ses propres
besoins.
En souffrance, sur la défensive, dans une modalité de « survie », on ne
peut apprendre. Ceux qui s’occupent d’enfants, par exemple, savent bien
qu’un enfant en souffrance n’explore plus le jeu, qui est sa principale
modalité d’apprentissage.
Apprendre nécessite un cadre fait de sécurité relationnelle, nécessaire à
la possibilité de « jouer », de tester, d’oser.
Oui et le sens que nous attribuons change tout, jusqu’à notre motivation à
agir.
Par exemple un patient me dit un jour : « Si je continue comme ça à me
droguer, c’est que je dois être suicidaire11. » Ces actes (se droguer) et
sensations (le manque, l’envie de consommer) produits apparemment
spontanément, hors de son contrôle, se voyaient attribuer une
« intention » a posteriori (c’est que je dois être suicidaire).
« Mais que vouliez-vous au départ en vous droguant ? Vous vouliez
mourir ? » demandai-je.
« Non ! Je voulais calmer ma douleur, vivre plus sereinement les
difficultés… » me répondit-il.
« Donc finalement, vous vouliez vivre ?… et même vivre mieux ?…
donc pas mourir… »
Dans la séance d’hypnose, je lui demandai simplement s’il pouvait
entrer en contact avec la vie qui était en lui. Vouloir vivre étant reconnu
comme son intention véritable, il changea juste le moyen d’y accéder
pour se remettre en accord avec lui-même.
L’hypnose nous donne une chance, en entrant plus directement au
contact avec nos perceptions inconscientes et immédiates, de leur donner
une intention différente, la nôtre. L’étape préalable est donc cet état
hypnotique, qui nous met au contact de ce que nous ressentons, qui nous
ouvre ensuite à ce que nous imaginons et à ce « jeu » hypnotique, qui ne
semble pas toujours immédiatement concerner le problème, mais
finalement change notre rapport au monde.
En premier lieu, oui. Le problème est souvent un arbre qui cache une forêt
(de compétences, de ressources, de capacités de changement).
Mais pensez-y, pour qu’un arbre cache une forêt, où faut-il se trouver ?
Évidemment le nez collé sur l’arbre (et peut-être au départ parce que
c’était le meilleur endroit où se cacher…). En s’en détachant, en s’en
dissociant en somme, même si cela nous « découvre », on peut voir le
reste…
Il ne s’agit pas seulement, comme ont pu le laisser penser certaines
dérives « New Age » de l’hypnose, de la décrire comme un accès à un
monde merveilleux uniquement fait de capacités formidables de tous et
de bonheur. Il s’agirait là d’une distorsion de l’hypnose qui mettrait au
contraire une forme de « pression à être heureux » qui plongerait au final
dans un sentiment d’échec et de culpabilité.
Au contraire, un praticien comme Erickson était optimiste, mais pas
idéaliste, il était très réaliste sur le fait que la perfection n’était pas
envisageable, que certaines difficultés devaient être avant tout acceptées
ou ne pouvaient être résolues… Il était convaincu en revanche que
chacun pouvait changer, avancer ou évoluer dans sa façon de voir la vie,
et était porteur de plus que ce qu’il perçoit en termes de capacités
d’apprentissage et de compétences, et que cela nécessitait souvent du
travail.
Donc il ne s’agit pas seulement de trouver des ressources, mais de
trouver des ressources utiles en situation, même si l’approche peut
paraître contre-intuitive. C’est-à-dire que « la solution n’est pas dans le
problème », elle n’est pas non plus le contraire du problème, mais elle se
situe dans les ressources.
Un certain nombre de thérapies s’orientent vers l’exploration du
problème et de ses causes, ou vers sa résolution qui tente de faire
« l’inverse du problème ». Or, la solution est avant tout dans les
capacités.
Un certain nombre de thérapies s’orientent vers l’exploration du
problème et de ses causes, ou vers sa résolution qui tente de faire
« l’inverse du problème ». Or, la solution est avant tout dans les
capacités.
Une patiente vient me voir avec des difficultés importantes à gérer ses
émotions, sa concentration, dans le cadre d’études très difficiles. Nous
arrivons à l’idée qu’elle a eu des ressources par le passé qu’elle a
utilisées pour résoudre un grand nombre de difficultés, se lancer des
défis. « Mais ce ne sont pas les ressources dont j’ai besoin pour ce
concours-là, celles dont j’ai besoin je ne les ai pas, c’est pour cela que je
vous reparle de mes difficultés et de mes crises d’angoisse… »
Je prends une feuille de papier et lui demande12 : « Supposons que
cette surface représente tous vos potentiels, vos capacités, vos
ressources. Combien vous en reste-t-il ? » Elle prend la feuille et en
déchire un morceau d’environ 10 % de la surface, je pose ce petit
morceau et lui tends une autre feuille. « Supposons que cette surface
représente tous vos potentiels, vos capacités, vos ressources. On n’est
jamais à 100 % mais dans vos bons moments, quand vous arriviez à
relever des défis, à surmonter des épreuves, à mieux vous épanouir, vous
en étiez où ? » Elle déchire la feuille et cette fois garde un morceau
d’environ 80 % que je pose à côté de l’autre.
Je désigne ces deux feuilles et lui demande : « Si vous deviez
demander de l’aide à l’une de ces deux personnes ? À qui vous
adresseriez-vous ? »
La réponse est bien sûr évidente, l’aide se trouve dans les ressources…
« Oui mais je ne sais pas comment utiliser ces capacités que j’ai
potentiellement [elle désigne les 80 %] pour ma situation actuelle [elle
désigne les 10 %]. » Notre objectif devenait donc un apprentissage visant
à faire revenir (par le vécu en séance) des capacités existantes et à ajuster
l’utilisation des capacités existantes à la situation… et non plus une
plainte, une difficulté, une recherche de méthode de travail ou un
impossible à résoudre.
La base sur laquelle repose l’état hypnotique est une forme particulière
de sensorialité. Et ce qui se joue dans cet état oscille sans cesse entre une
forte qualité de présence (je suis là, simplement présent à ressentir tout ce
que je peux ressentir maintenant, c’est la notion de « perceptude » chère
à Roustang) et à l’autre bout du spectre une absorption dans l’imaginaire
(je suis ailleurs, plongé dans un souvenir ou un imaginaire qui n’a rien de
réel à ce moment-là mais devient ce qui est le plus directement accessible
à mon esprit pendant un temps).
Et il y a tous les intermédiaires et les mélanges. Par exemple : au lieu
de la refuser, je tente de percevoir les détails de ma douleur (présence,
acceptation) puis de la déplacer ou de l’évaporer (imaginaire). À
l’inverse, je suis plongé en hypnose dans un souvenir agréable
(imaginaire) qui me rappelle une compétence que j’ai, puis je tente de
ramener cette compétence sous la forme d’une sensation, et j’observe ce
que mon problème actuel advient quand j’ai présente en moi cette
sensation (présence au réel à nouveau).
Ajoutons que l’imaginaire transforme le présent en vertu du principe
d’analogie. Il y a neurologiquement quelque chose de commun entre faire
et imaginer faire. Quand on imagine, on a « presque fait » (et quand on
fait, on a aussi imaginé) et cela peut avoir des effets. Finalement,
l’imaginaire entre dans le réel.
À l’inverse, la présence est accessible par le biais de l’imaginaire (pour
être vraiment présent à moi-même, je suis souvent contraint de passer par
des images : observer ma respiration, être attentif à ce qui bouge ou
change en moi-même, etc. ou tout simplement « être présent », qui est
déjà une métaphore)13.
Notons que ce n’est pas là un imaginaire forcément fantastique ou fou
qui ne ferait que nous renvoyer à des impossibles (imaginer qu’on est
plus grand, plus beau, plus riche ou omnipotent peut mener à un
sentiment de déception au retour de transe…).
C’est plutôt un imaginaire prosaïque qui pourra conduire à une
meilleure adaptation. Il permet de sortir du réel figé, étroit, douloureux
en allant puiser dans les ressources, dans les possibles déjà présents,
masqués par les symptômes. Ce n’est pas une imagination qui imagine,
mais une imagination qui voit ce que, sans imagination, avec un regard
conformiste et habitué, il était impossible de voir. Mais, pour le voir, il
faut se laisser aller à toutes les images et aux substitutions qui émergent
quand l’induction, parfois la confusion, parfois la relation sécure, parfois
la différence, la multitude des perceptions, bref quand l’hypnose nous
permet d’arrêter de penser et réfléchir, pour enfin faire, être et ressentir.
Mouvement de dissociation-réassociation
Nous pourrions dire plutôt que l’hypnose est un éveil à d’autres possibilités,
on réveille littéralement des capacités, que l’on s’en rende compte
consciemment ou pas.
Nous pourrions dire que l’hypnose est un éveil à d’autres
possibilités.
Prenons une autre image. Je m’aperçois que les livres de ma
bibliothèque ne sont pas bien ordonnés. Si un ouvrage n’est pas au bon
endroit, je vais le sortir, trouver l’étagère appropriée, écarter les livres et
le remettre à sa place. Mais si je m’aperçois que tout est mélangé, ou que
je ne m’y retrouve pas, je vais vider complètement les étagères et ensuite
« re-ranger » les livres dans un ordre adéquat. C’est toujours la même
bibliothèque, avec les mêmes livres, je la reconnais. Mais elle est dans
une autre version d’elle-même qui me convient mieux. J’ai l’impression
de la découvrir, je « m’éveille » à ce que cette nouvelle disposition
m’inspire ou me dit sur la personne qui l’a rangée ainsi…
Il faut donc accepter le désordre temporaire, le temps passé, le risque
de la nouveauté.
Et le réveil, effectivement, n’est pas un réveil, puisqu’on est éveillé,
mais est une réassociation.
Les « phases hautes » dont nous parlions sont les phases associatives, où
l’on est présent et ce maintien des briques ensemble est, de façon logique,
énergivore.
Mais les tentatives de réassociation, qui n’aboutissent pas, nous
épuisent encore plus (à l’image de votre téléphone qui se décharge plus
vite quand il « cherche le réseau » que lorsqu’il capte bien…)
Et surtout, quand un problème survient, et quand il dure et se
chronicise, ce n’est pas qu’une brique de Lego, mais en fait souvent
plusieurs qui sont en dehors de l’édifice principal, désassociées de lui…
mais reliées entre elles.
Les « briques problèmes » ont une certaine cohérence entre elles qui
leur permet de s’associer. Par exemple, un patient a très peur de
l’abandon. Il y a là sûrement des briques souvenirs, émotions,
comportement, volonté, sentiments, automatismes, valeurs, opinions,
sensations, etc. qui sont reliées par cette ligne commune.
De même un patient qui fait des crises de boulimie (qu’il semble vivre
de façon automatique, pulsionnelle, incontrôlable, en transe) a, là aussi,
des peurs, des envies, des pulsions, des troubles de mémoire et de
jugement, des rationalisations, etc. De même pour la dépression qui
comporte des idées, des phénomènes psychiques, moteurs, cognitifs, ou
pour le traumatisme dont nous avons parlé, etc.
Et ce « sous-édifice problème », en se « sous-associant », et en tentant
de s’imposer, de s’intégrer, prend de l’énergie, occupe l’esprit, empêche
les patients de penser, de se concentrer, d’être connectés avec les autres,
avec les intentions et les valeurs, bref, d’être eux-mêmes.
Il semble que le problème est à la fois en eux, lié à eux, mais n’est pas
eux (et c’est important qu’ils le sachent). Le travail de l’hypnose, même
s’il passe par la dissociation, est un travail de reconnexion différente de
cette partie, en passant par leurs ressources, leurs sensations, leurs
émotions, leurs intentions ou leurs valeurs, pour intégrer plus
harmonieusement les diverses parties de ce qu’ils veulent être et devenir.
En ce sens-là, pour ce genre de difficultés dissociatives, l’hypnose vise
en quelque sorte à déshypnotiser.
C’est ainsi qu’on nomme les transes vécues de façon plus intense.
La profondeur est une métaphore et c’est très marqué culturellement.
La transe a tout de même des façons de s’exprimer préférentiellement.
L’observation clinique me fait dire qu’il y a différentes formes qui
peuvent chacune s’approfondir. Je pense qu’il est toujours question
d’hypnose, que ce ne sont pas des hypnoses différentes ou des niveaux
toujours identifiables. Mais on observe des ressentis, qui laissent penser à
des phénomènes différents, qui pourront être utilisés selon les besoins.
Cette description phénoménologique n’a donc pas valeur de vérité et
n’engage que son auteur et ses observations cliniques…
Retenons pour cela le sigle « ADSL ».
Attention
Dissociation
Somnambulisme
Léthargie.
Souvent une séance d’hypnose se déroule selon le schéma suivant :
L’hypnose et les autres ?
Hypnose et relaxation
Presque !
Son concepteur Caycedo, neuropsychiatre colombien, pratiquait
l’hypnose. Mais il préféra1 prendre un autre nom pour cette pratique, par
crainte d’être assimilé à ce terme sulfureux d’hypnose. Il recherchait un
état plus apaisé et harmonieux, il s’inspirait aussi du zen et du yoga…
Il parlait de « relaxation dynamique », oxymore bien utile pour décrire
cet état, finalement assez hypnotique donc, où le relâchement va de
concert avec une activité intérieure.
Et puis seule la sophrologie dite « caycédienne », terme protégé
comme une marque, continua à être l’héritière directe de ces concepts, et
un grand nombre d’autres « sophrologies » virent le jour…
Globalement, nous pourrions dire que la sophrologie pratique une
forme d’induction, dite « sophronisation », fondée essentiellement sur
la détente corporelle de chaque partie du corps et la respiration.
Bien que pratiquée aussi par des soignants, et que certaines forment
reprennent des fonctionnements de psychothérapie, elle est plutôt
considérée comme une pratique de développement personnel que de
soins.
Globalement, nous pourrions dire que la sophrologie pratique une
forme d’induction, dite « sophronisation », fondée essentiellement sur la
détente corporelle de chaque partie du corps et la respiration. Par la suite,
le thérapeute peut proposer des images ou des tâches mentales ou
physiques, souvent neutres (c’est-à-dire peu chargées émotionnellement
puisque l’apaisement et la pensée positive sont recherchés). L’état
sophronique peut faire penser à la relaxation profonde, l’hypnose
léthargique ou l’état de détente et de ressenti physique qui se trouve à la
limite entre veille et sommeil.
On peut différencier avec l’hypnose le fait que cette dernière, usant
(éventuellement) de relaxation comme d’un moyen, ne cherche pas à
« tout relaxer » (juste ce qui est utile) alors que la sophrologie peut
demander au sujet de vérifier que chaque muscle se détend et se
relâche.
On peut différencier avec l’hypnose le fait que cette dernière, usant
(éventuellement) de relaxation comme d’un moyen, ne cherche pas à
« tout relaxer » (juste ce qui est utile) alors que la sophrologie peut
demander au sujet de vérifier que chaque muscle se détend et se relâche.
Par ailleurs l’hypnose est moins neutre, et peut parfois de façon très
dynamique explorer le problème ou les émotions. Là aussi certains
sophrologues ont pu trouver une dimension complémentaire ou plus
précise, rapide ou stratégique.
Toutes ces informations sont à nuancer aussi selon les types de
sophrologie pratiqués, qui sont devenus moins lisibles avec la
multiplication et l’aspect commercial : depuis la pratique presque
médicale jusqu’à des pratiques alternatives et orientalisantes…
Et qu’est-ce que la PNL ?
Oui.
D’une part celles qui en sont directement dérivées et qu’on appelle
parfois les « thérapies brèves ». Comme nous l’avions brièvement évoqué
dans la partie historique, au milieu du XXe siècle, le monde de la « psy »
(chiatrie/chologie/chothérapie) a connu de grandes évolutions. La
psychanalyse était remise en cause, de nombreux psychologues et
thérapeutes élaboraient de nouveaux modèles pour faire face aux
contraintes de leur temps (psychologisation de problèmes sociaux,
chômage et banlieues, contraintes économiques et coût de la santé,
évolutions scientifiques dans l’évaluation des soins et la compréhension
du cerveau…).
La seconde moitié du XXe siècle sera donc la période la plus productive
avec de nombreux modèles naissant et se perfectionnant en
psychothérapie.
Certains construisirent de nouvelles théories du psychisme, de
nouveaux modèles qui en découlaient.
Parmi eux, certains se mirent en droite ligne de la psychanalyse et
élaborèrent des thérapies brèves d’inspiration psychanalytiques (PIP).
D’autres élaborèrent des théories différentes comme la thérapie
cognitive et comportementale (TCC).
Mais, parallèlement, un autre courant naissait. Il était issu de la
collaboration fructueuse entre un psychiatre qui pratiquait comme aucun
autre, Milton Erickson, et un anthropologue passionné de
communication : Gregory Bateson. Ce dernier avait fondé le MRI :
Mental Research Institute à Palo Alto. Avec de grands intellectuels et
chercheurs (Haley, Weakland, Watzlawick…) ils réfléchissent à la
communication, notamment en thérapie et s’intéressent grandement au
travail d’Erickson.
De cette collaboration fructueuse naîtront de nombreux modèles de
thérapie : la thérapie familiale, systémique brève, orientée vers la
solution, stratégique, narrative, provocatrice… On a parfois regroupé ces
modèles sous le nom de thérapies brèves. Il s’agit d’un « abus de
langage » puisque les thérapies brèves d’inspiration psychanalytiques ou
les TCC sont aussi au sens strict des thérapies brèves (nombre de séances
limité, sur un objectif et avec une méthode…) mais l’usage, notamment
dans la francophonie, a gardé la dénomination « thérapies brèves » pour
ces modèles-là.
Bien que différents entre eux, ces modèles se reconnaissent une
filiation commune à Erickson et Palo Alto et des intérêts communs pour
la question du corps, de la forme communication, des ressources, des
relations…
Dans tous les cas ces modèles se distinguent par leur pragmatisme.
Ils ne cherchent pas à élaborer des théories psychologiques mais plutôt
à trouver les moyens de rendre la thérapie efficace.
Dans tous les cas ces modèles se distinguent par leur pragmatisme. Ils
ne cherchent pas à élaborer des théories psychologiques mais plutôt à
trouver les moyens de rendre la thérapie efficace. La communication et la
relation ne sont pas des sujets moins complexes, mais la théorie est
fondée sur les facteurs d’utilité bien plus que sur l’origine des problèmes
ou sur les structures psychologiques. Un thérapeute « bref » soigne sa
communication ou sa façon de poser des questions avant tout. Comment
aider quelqu’un le plus efficacement, rapidement et durablement
possible, dans le respect de son contexte de vie, de son « écologie ».
Les divers aspects développés par ces thérapies sont comme
différentes facettes du travail d’Erickson qui auraient été
« surdéveloppées » par tel ou tel modèle.
Par exemple, Erickson fut un pionnier en recevant des couples ou des
familles entières à une époque où dominait le modèle du « colloque
singulier » entre un thérapeute et un patient. Les thérapeutes familiaux
ont développé des pratiques spécifiques à ce genre d’entretiens.
Erickson était stratégique, aspect qui a le plus attiré et a été affiné par
les thérapeutes stratégiques. Il était clairement orienté vers les ressources,
et les thérapeutes « orientés vers la solution » ont développé très
fortement cet aspect… Il était aussi provocateur, narratif… Chacun
chercha quelle était l’essence de l’efficacité d’Erickson (ou chercha à
vendre un nouveau modèle) mais son génie était surtout d’être adaptatif
dans ses stratégies…
De nos jours, la tendance actuelle est à l’intégration. Les tenants de
l’hypnose éricksonienne cherchent souvent à réintégrer ensemble ces
différents aspects du « puzzle éricksonien » pour enrichir leur palette et
tenter de s’adapter humainement et stratégiquement à ce qui se joue avec
un patient donné. Ces thérapies ont l’avantage de pouvoir s’associer
facilement car elles reposent sur des bases théoriques en partie
communes, ce qui facilite leur intégration dans une même pratique, c’est
du moins le travail que nous tentons de mener avec un certain nombre de
mes collègues.
Hypnose et méditation
Pleine conscience
Le contraire de l’hypnose ?
Vue sous cet angle et à première vue, la méditation semble le contraire de
l’hypnose.
La méditation nous demanderait d’être présents alors que l’hypnose
nous emmène ailleurs. L’hypnose nous dissocie, nous envoie dans des
analogies et des métaphores, alors que la méditation serait une totale
association de toutes les dimensions acceptées, non transformées, telles
qu’elles sont ici et maintenant. La méditation vise une pratique solitaire
et autonome alors que l’hypnose se pratique en étant dirigé…
Sur le schéma que nous avons fait au chapitre précédent, il faudrait
voir la méditation de pleine conscience complètement à gauche et
l’hypnose complètement à droite, toutes deux ne partageant que le fait
d’être attentif à la sensorialité.
Mais à ce stade de la lecture vous savez déjà que tout cela est inexact
concernant l’hypnose !
En hypnose, c’est bien la réassociation qui est le but, la présence (la
dissociation n’est qu’un moyen d’y parvenir), l’absorption sont des
dimensions centrales. S’associer aux diverses dimensions de l’existence
est un objectif commun à ces pratiques et le seul moyen de trouver une
autre façon de vivre.
S’associer aux diverses dimensions de l’existence est un objectif
commun à ces pratiques et le seul moyen de trouver une autre façon de
vivre.
Mais, même du côté de la « pleine conscience », la description de cette
pratique comme d’un contraire absolu de l’hypnose semble inexacte et il
n’est pas sûr que tous les tenants de ces programmes5 en soient toujours
« pleinement conscients ».
Tout d’abord, ne serait-ce qu’en s’en tenant à cette vision, nous le
verrons, réductrice (une sorte de sport mental consistant à ramener sans
cesse notre attention au présent ou à certaines sensations ou à se détacher
et à observer sensations et pensées comme des événements mentaux),
nous pouvons souligner qu’être « observateur de soi-même »
contrairement à ce qui se dit n’est pas une pratique associative mais bien
dissociative.
Si je suis à un point d’observation où je me regarde penser je suis
double : celui qui pense / celui qui observe la pensée. Plutôt que d’être
présent, je me distancie de moi-même, mes sensations sont détachées de
moi. Le risque est que cela constitue une forme d’évitement (« si votre
attention s’éloigne, ramenez-la encore et encore à votre respiration »), ou
d’un exercice cognitif plutôt que d’une réelle acceptation et présence.
Par ailleurs, tout est présenté comme si la pleine conscience visait
l’association de façon directe, mais en fait elle passe aussi (comme
l’hypnose) par une forme de dissociation (ou de désassociation). Sur le
plan technique, malgré la prétention à ne pas recourir à l’imaginaire ou à
la suggestion dissociative, on constate des « entorses » faites au
phénomène purement attentionnel comme le recours à des métaphores
(« respirez comme si tout votre corps respirait »).
La pleine conscience vise l’association, mais elle passe fatalement
par une part de dissociation. L’hypnose assume plus facilement ce
détour et va même l’utiliser.
La pleine conscience vise l’association, mais elle passe fatalement par
une part de dissociation. L’hypnose assume plus facilement ce détour et
va même l’utiliser.
Par ailleurs, malgré la prétention d’une pratique personnelle et
solitaire, il y a un lien à un instructeur, qui transmet et guide, ce qui n’a
rien d’anodin. De nombreux témoignages évoquent la différence
d’apprentissage entre un livre et des séances guidées et/ou collectives.
Cela entraîne de facto une pratique qui comporte une dimension
suggestive. Et même si l’on ne « guide pas la rêverie » comme dans
certaines hypnoses, il y a au moins une suggestion inaugurale,
fondamentale, ne serait-ce que de s’asseoir et d’être attentif…
Alors ne serions-nous pas gagnants à observer les différentes
dimensions de l’hypnose ou celles de la méditation plutôt que de vouloir
les étiqueter séparément à tout prix ?
Nous pourrions dire pour résumer que la pleine conscience est une pratique
issue des TCC de la troisième vague et qui consiste à observer (« instant
après instant et sans jugement ») les pensées, émotions et comportements.
« Je » reste celui qui observe « moi ». Le soi ne disparaît pas mais change
sa position de sujet par rapport à l’expérience.
La méditation, dans son aspect originel, propose plutôt la dissolution
du soi dans la perception, l’absorption dans l’expérience.
Donc une certaine approche techniciste de la pleine conscience
pourrait être critiquable, voire porterait en elle une sorte de déformation
de ce qu’est originellement la méditation. C’est ce qui semble, si on lit
certains auteurs pétris de philosophie et de textes bouddhiques comme
Fabrice Midal9 par exemple.
Soulignons à sa suite que « pleine conscience » est une bien mauvaise
traduction qui conduit à une certaine confusion. « Mindfulness is not
consciousness » comme le disent certains auteurs, dans la langue anglaise
qui permet parfois certaines nuances…
To mind en anglais porte l’idée de « faire attention », comme dans
« mind the gap » (attention à la marche) il s’agit donc plutôt d’une
« pleine attention » voire d’une « pleine présence » notions bien
différentes de l’idée de conscience. Le message originel de la méditation,
être présent à soi-même, dans une présence authentique n’est pas
s’observer soi-même, ni être pleinement conscient, comme le laissent
penser certains, au contraire c’est simplement être.
Si on le réduit à « ramener sans cesse son attention à notre
respiration », c’est un exercice qui ne met pas en présence de tous nos
ressentis mais confine à l’évitement. Se focaliser de force pour ne pas
être à ce que l’on vit. Dans l’idée d’un sport mental, on est bien loin de
l’idée de simplement être et se « foutre la paix » comme le propose
Fabrice Midal dans son dernier ouvrage. Dans une société de la
performance on a parfois présenté tout cela comme une technique de
gestion du stress… alors que, justement, nous allons mal quand on nous
demande de tout gérer ! Ne pas gérer c’est laisser être, se rendre
disponible.
Être disponible aux dimensions de notre existence est un enjeu central.
Non pas s’en décaler, s’en distancier. Les vivre et les accepter pour ce
qu’elles sont. Ni faire le vide, ni se relaxer, ni s’abstraire, mais plutôt
s’ouvrir à tout ce qui vient.
Le risque de s’obstiner, de s’obséder par l’idée d’écarter nos pensées
ou de les observer de loin n’y aide pas. En somme entre une définition de
la méditation qui a pour perspective une présence authentique, pleine et
entière, une disponibilité à la vérité de son être, et une pratique perçue
comme un entraînement à une technique pour être observateur de ses
mouvements psychiques il y a un pas certain, hélas parfois franchi (ou
risquant d’être franchi) par les plus technicistes supporters de la pleine
conscience sous forme de protocoles rigides ou de « techniques ». Et
cette nuance a son importance.
« Pour la plupart des gens, être attentif signifie “s’observer et se
surveiller”. En réalité, l’attention que nous cultivons dans la méditation
implique d’être un avec ce que l’on considère. (…) Il existe un second
malentendu, plus subtil : penser qu’être attentif signifie “être totalement
focalisé”. je serais alors d’autant plus attentif que je suis entièrement
pris par ce que je considère – que je ne suis plus en rapport avec rien
d’autre. (…) L’attention que nous développons dans la méditation est, à
l’inverse, ouverte et détendue10. »
En somme méditer c’est apprendre la présence et pas viser une
performance de conscience. Attention aux simplifications et aux
« recettes miracles ».
Alors, peut-être y a-t-il des précisions à faire sur ce que recouvre,
parfois de bien contradictoire, ce mot « méditation » selon qui
l’emploie… peut-être aussi qu’il faut différencier les études standardisées
qui nécessitent des protocoles reproductibles, des patients et leur
individualité qui exigent une adaptation constante.
Peut-être faut-il simplement être pleinement attentif à ne pas laisser
dériver la pratique méditative (tout comme l’hypnose) vers une approche
standardisée, protocolaire, technique, qui, en croyant la pratiquer, la
trahirait.
Pour éviter la remise en question d’un management pressurisant, on
envoie un employé stressé en stage pour le calmer, on fait méditer un
enfant pour l’apaiser, le contenir en lui disant de se regarder respirer, en
oubliant de le rassurer et d’accueillir son émotion…
L’intention qui sous-tend la pratique (qui détermine d’ailleurs la façon
de s’y prendre) est fondamentale. Méditer ou faire de l’autohypnose dans
le but de s’ouvrir à soi-même et peut-être trouver d’autres façons de vivre
est thérapeutique, libérateur. Mais contrôler toujours plus
narcissiquement sa vie, gérer tout et vouloir mieux réussir, ne fait que
renforcer ce qui mène à la souffrance.
Il est encore plus flagrant, en revanche, que cette description de la
méditation, comme une qualité de présence, est très proche de la vision
de Roustang sur l’hypnose.
Une pratique qui n’aurait pas pour but de « calmer la souffrance » mais
de se mettre différemment en lien avec elle. Explorer notre présence, être
là, vivant, ne rien faire, se mettre là où l’on est, dans cette veille
augmentée, nous ramener à cette perception généralisée qui, au fond, ne
supporte pas vraiment la description et la dénomination, et y découvrir
nos propres ressources.
Alors que nous sommes coincés dans l’idée de faire quelque chose,
sans cesse, nous découvrons qu’en ne faisant rien, ça change tout. Ce
n’est pas très compliqué dans l’idée mais, comme c’est simple, c’est
assez difficile…
Il y a donc des différences, des complémentarités… et des liens réels
(notamment cette immersion dans l’être plutôt que dans le faire).
Mais tous ces états de « veille différente » ne sont pas tous équivalents
entre eux. Le mot « méditation », le mot « hypnose » recouvrent des
réalités différentes et des définitions variables. Tout n’est pas égal à
tout… ni l’exact opposé ! Un patient et honnête travail de
compréhension, de clarification, de recherche est nécessaire dans les
temps qui viennent.
Hypnose et nouveautés
Les convergences que l’on constate dans certaines thérapies nous montrent
qu’il y a différentes façons de s’y prendre, mais, au fond, il y a quelques
idées qui « marchent », qui ont tendance à aider plus volontiers les patients.
Résultat : parfois avec une terminologie ou un rituel différents, les
thérapeutes arrivent à des conclusions quasi-similaires. Ils cherchent moins
une « vérité absolue du psychisme » qu’une façon d’aider leurs patients à
trouver le changement dont ils ont besoin de la façon la plus écologique
possible.
Alors dans le monde actuel des psychothérapies, il y a plus
d’évolutions que de révolutions, et l’on doit toujours, par principe, être
circonspect et critique pour garder une démarche la plus rigoureuse et
scientifique possible.
Si la thérapie produit des résultats dans un certain nombre de cas, la
priorité n’est donc pas à la révolution mais à l’affinage. La faire évoluer
est prioritaire à la changer radicalement. L’avenir est déjà dans la
recherche des déterminismes de fonctionnement des relations,
notamment thérapeutiques. Les principes, communs ou divergents entre
les « courants de pensée » (et de pratique) en thérapie, passionnent les
thérapeutes.
L’on pouvait s’attendre, dans ce contexte, à des fausses ou à des demi-
nouveautés. Nous ne comprenons pas tout, alors l’explication nouvelle
séduit même quand elle se passe de rationalité. Les patients sont en
souffrance, alors l’apparition d’une méthode miraculeuse donne un
légitime espoir, qui empêche parfois de se poser des questions.
Continuons à garder un œil critique. Il semble important que la
thérapie du futur puisse être, elle aussi, intégrative, cette fois-ci dans le
sens où nous pourrions intégrer diverses approches, leurs convergences et
leurs divergences, pour le bien de nos patients.
On a encore beaucoup de travail. Tout ce qui a été dit ici est une vision
incomplète, parce que trop courte, trop subjective, trop précoce par rapport
à tout ce qu’il reste à apprendre. Il y a encore beaucoup à découvrir sur ces
thérapies. Sur le plan des neurosciences mais aussi sur le plan
phénoménologique (c’est-à-dire de description plus précise des dimensions
des phénomènes subjectifs).
Il y a plusieurs états de sommeil (profond, paradoxal…) alors
pourquoi, tout simplement, ne pas dire qu’il pourrait bien y avoir
plusieurs états d’éveil ? Il faudrait alors en définir les dimensions (nous
avons évoqué la désassociation, la présence, l’absorption, il y a aussi
l’agentivité, la saillance des représentations… peut-être celles-ci et/ou
d’autres qui seraient opérantes…).
Pour définir ces états, plutôt qu’une approche catégorielle (c’est-à-dire
qui les sépare en catégories définies, démarche parfois simplificatrice,
parfois commerciale…), pourquoi ne pas plutôt opter pour une approche
dimensionnelle (qui, en définissant l’intensité de chaque dimension, en
dresse un portrait plus complexe et plus complet) ?
Sortir des querelles, rendre plus précises et opérantes nos définitions…
et surtout se rapprocher de la pratique clinique.
Car, au-delà des connaissances sur la conscience, l’horizon des
recherches doit être l’utilité en direction du soin. Dans la pratique
courante, notre seule obsession de thérapeute doit être de recourir à ce
qui est le plus utile pour le patient, pas d’appliquer à la lettre un protocole
ou une idéologie. On ne soigne pas avec des principes. La thérapie n’est
pas une quête d’absolu et ne doit pas imposer une vision. Faire ce qui est
utile et adapté, au sein d’une relation d’aide, c’est travailler avec
l’humain.
Citons encore Erickson : « Psychotherapy is treating a patient as an
individual who is unique. There will never be a duplicate of that person.
And you use the uniqueness of that person. And that person posseses a lot
of unknown qualities15… »
Conclusion
Depuis quelques temps, l’hypnose intrigue tellement que je ne suis pas
certain d’avoir répondu à toutes vos questions. En réalité, j’espère même
en avoir suscité de nouvelles…
On dit souvent que la technique hypnotique est simple, que la transe
est naturelle. Mais pourtant il est difficile de bien en parler ou de bien
l’enseigner. C’est une gageure car plus on l’approche, plus elle nous
échappe. Elle ne laisse pas de questionner et ne se laisse pas réduire.
L’hypnose nous dit quelque chose sur la conscience, la parole, la relation
humaine et ces sujets sont infinis.
La psychologie, la médecine mais aussi les sciences humaines, la
philosophie et même, on l’a vu, dans une certaine mesure une vision
sociale et politique gravitent autour de la pratique de l’hypnose.
Sa popularité actuelle est à double tranchant : dérives commerciales et
arnaques, mais aussi intérêt des cliniciens et des chercheurs. Elle attire
autant qu’elle intrigue, intéresse autant qu’elle inquiète. C’est une
période riche.
Je souhaitais en écrivant ce livre, aider à mieux la comprendre, la
situer, afin que chacun sache utilement se repérer concernant la nature de
l’hypnose, ses cadres d’utilisation, ses soubassements théoriques et ses
applications pratiques…
J’espère y être un peu arrivé : se protéger c’est aussi s’informer.
J’espère que l’avenir clarifiera peut-être mieux les cadres de pratique,
peut-être aussi plus précisément les modalités de son fonctionnement et
le champ étendu de son utilité.
Car, même si l’étude ou la pratique de l’hypnose dépassent en partie le
cadre du soin, je souhaite avant tout, en tant que soignant, que sa
popularité actuelle soit le symbole et même le vecteur d’un changement
dans le soin. Nous vivons dans un monde où la qualité de présence d’un
soignant auprès d’un patient n’est pas comptabilisée, ni même le temps
passé avec lui. Pour les autorités, seul le nombre d’actes compte dans la
journée d’un médecin ou d’une infirmière. Il y a là une vraie menace sur
l’humain. Un vrai enjeu pour le soin.
La pratique de l’hypnose, non seulement, donne des clés pour
améliorer la relation thérapeutique, mais aussi nous permet de ressentir
comme la relation est, en elle-même, thérapeutique.
Montrer que l’hypnose est utile, c’est montrer que l’hypnose est utile
aussi pour cela. Elle devrait intéresser ceux qui veulent mettre la relation,
la présence, la rencontre, mais aussi les compétences, le corps, la
communication au cœur du soin. La pratique de l’hypnose, non
seulement, donne des clés pour améliorer la relation thérapeutique, mais
aussi nous permet de ressentir comme la relation est, en elle-même,
thérapeutique.
Cette discipline est donc différente à bien des égards d’autres formes
de thérapie, non seulement parce qu’elle met en jeu un état de
conscience, des ressources, une stratégie, mais aussi et surtout pour ce
qui fut le cœur du travail d’Erickson : le lien humain.
Contrairement à d’autres inventeurs ou chefs de file de courants
psychothérapeutiques, on ne se souvient pas uniquement du technicien
hors pair qu’il était, ou du théoricien génial. Même si, à n’en pas douter,
il y a une très importante part technique dans l’hypnose et même s’il y a
une réelle épistémologie, mais ce que l’on a souvent retenu est l’aspect
relationnel.
Erickson comme artisan de la relation. Capable d’entrer dans le monde
du patient, d’être présent, pour l’aider à saisir sa chance de faire quelque
chose de différent, mobiliser ses ressources, voir et vivre sa vie
autrement. Trouver comment être pour laisser l’autre être.
Un des plus célèbres livres sur Erickson raconte les histoires qu’il
racontait aux patients. Et son titre est une phrase dite à une patiente alors
qu’elle entre en transe : « Ma voix t’accompagnera1 ». Comme si celui
qui a choisi cette phrase pour titre voulait mettre en avant, non pas la
façon magistrale qu’aurait Erickson d’induire une transe, ni la pertinence
parfaite qu’aurait la séance d’hypnose par rapport au problème de la
patiente mais bien ceci : « Ma voix t’accompagnera », l’accompagnement
relationnel comme déterminant dans la thérapie.
Erickson formateur en hypnose ne voulait pas qu’on l’imite, qu’on
« fasse du Erickson ». Il craignait plus que tout qu’on fasse de lui un
gourou. Il souhaitait que chacun trouve son style, que l’on fasse du nous-
même. En trouvant sa propre façon de faire, on emmène le patient avec
qui l’on travaille à trouver aussi son propre chemin. Il faut donc garder
en mémoire que contribuer à ce que quelqu’un prenne du pouvoir sur sa
vie, de la liberté pour son existence, c’est prendre le risque de devenir
inutile, et même le souhaiter. C’est le grand paradoxe du travail du
thérapeute et de l’enseignant (et a fortiori de l’enseignant en thérapie) :
c’est réussi quand on peut se passer de nous !
Prendre de la liberté et de l’autonomie, de l’espoir et de la résilience,
au travers d’une relation et d’un état de conscience particuliers, propice à
la découverte de la sensorialité et des ressources est une opportunité
thérapeutique réelle.
Mais le message essentiel que nous devons garder de l’étude de
l’hypnose est qu’il existe toujours une possibilité de changer, de
percevoir la vie autrement, d’aller différemment vers soi-même et les
autres.
Mais le message essentiel que nous devons garder de l’étude de
l’hypnose est qu’il existe toujours une possibilité de changer, de
percevoir la vie autrement, d’aller différemment vers soi-même et les
autres. La vie est une route pleine d’épreuves mais elle n’est pas une voie
sans issue. S’inspirer d’Erickson, c’est surtout s’inspirer de cela, et c’est
l’apprentissage de la plus grande des libertés.
Erickson est mort bien avant que je puisse être en âge de le rencontrer.
Une nuit j’ai pourtant rêvé de lui2. C’était l’Erickson des dernières
années, dans son fauteuil roulant, habillé en violet, avec sa voix lente et
essoufflée qui découpait les phrases…
Il était assis à côté de moi et il me disait :
« You need time… until you know… what it is exactly… that you want
to forget… right now3 ! »
Puis nous éclations de rire ensemble.