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© Marabout (Hachette Livre) 2017.

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autorisation de l’éditeur.

ISBN : 978-2-501-12986-2
« The primary suggestion in hypnosis is: change is possible. »
Milton H. Erickson
Table des matières
Couverture

Page de titre

Page de Copyright

Introduction

I. Les origines de l’hypnose

On n’en a jamais autant parlé, mais sait-on d’où elle vient ?

1.  D’où vient l’hypnose ?

Comment parler de cette vieille histoire ?

Moyen Âge et Lumières : la méfiance

XVIII e siècle : Mesmer et les magnétiseurs

XIX e siècle : la médecine et l’hypnose

La controverse Paris-Nancy

XXe siècle : déclin et renaissance

2.  Comment a évolué l’hypnose ?

Milton H. Erickson

Thérapies brèves, neurosciences et dérives : le XXIe siècle sera-t-il


hypnotique ?

II. Cerner l’hypnose


Peut-on définir ce qu’est l’hypnose ?

3.  Qu’est-ce que n’est pas l’hypnose ?

Hypnose et inconscience

Hypnose, domination et spectacle

Hypnose et danger

Hypnose et passé

Hypnose et mystique

4.  Qu’est-ce que l’hypnose ?

Triptyque

Transe

Technique

Relation

III. Soigner ou ne pas soigner avec l’hypnose

Quelles sont les principales pratiques de l’hypnose ?

5.  Comment soigne-t-on avec l’hypnose ?

Indications de l’hypnose

Déroulement et pratique de l’hypnose thérapeutique

Bon à savoir

L’hypnose fonctionne-t-elle vraiment ? Hypothèses, évaluations et


preuves

Contre-indications, nuances et complexité


6.  Peut-on jouer avec l’hypnose ?

Hypnose et métiers

Hypnose et spectacle

Hypnose et rue

7.  Qui pratique l’hypnose ?

Hypnothérapie soignante ou non

L’exercice illégal de la médecine

Trouver l’équilibre : liberté et sécurité, entre prohibition et anarchie

Différents praticiens face aux patients

Responsabilités de thérapeute

Améliorer la formation

Intermède : en pratique

IV. Comprendre l’hypnose

Sait-on comment l’hypnose fonctionne ?

8.  Le cerveau en hypnose ?

L’hypnose dans le cerveau

Hypnose et perceptions

Hypnose agentivité et inconscient

Hypnose et recherches en neurosciences

9.  Comment fonctionne l’hypnose ?


La force de l’apprentissage

Ressenti, inconscient, intention, point de vue

Mouvement de dissociation-­réassociation

Profondeur et typologie de transe

Relation, sécurité, changement

10.  L’hypnose et les autres ?

Hypnose et relaxation

Sophrologie, PNL, autres thérapies… se rapprocher ou s’éloigner de


l’hypnose

Hypnose et méditation

Hypnose et mouvements alternatifs

Hypnose et nouveautés

Conclusion

Notes

Remerciements
Introduction

D’où vient ce livre ?

Rencontre

L’envie ou la nécessité d’écrire naissent souvent de rencontres. Pour ce livre


ce fut celle des patients, des collègues et des étudiants.
 
Depuis des années, je mène des consultations dans toutes sortes de
milieux, centre hospitalo-universitaire, hôpital psychiatrique, psychiatrie
de liaison, centre médico-psychologique, centre pénitentiaire, pratique de
ville, et d’autres, explicitement orientées vers l’hypnose et les thérapies
brèves.
Cela n’allait pas toujours de soi, notamment dans certains services
d’un hôpital universitaire, de faire valoir que l’hypnose était un outil de
soin et de thérapie tout à fait valable. Je n’étais pas un praticien en
développement personnel ni un homme de spectacle. Pourtant l’hypnose
avait encore parfois l’image soit d’un amusement de foire, soit d’une
pratique ésotérique ou d’une vague relaxation, soit d’un dangereux
moyen de domination.
 
Mais tant auprès des collègues à qui je parlais de ma pratique, tant
pour les patients1, les questions étaient fréquentes, alors même que la
pratique soignante de l’hypnose devenait plus légitime en France… et
que l’effet de mode rendait le paysage moins lisible.

Questions

Qu’est-ce que l’hypnose  ? Comment fonctionne-t-elle  ? Est-on sûr


qu’elle « fonctionne » ? Sur quelles indications et dans quelles limites ?
Qui a le droit de la pratiquer  ? Comment et à qui peut-on se fier  ?
Comment se déroule une séance ? Y a-t-il plusieurs types d’hypnose ?
Est-ce la même chose que « ce qu’on voit à la télé » ? Qu’est-ce qui est
pareil ou différent  ? Relaxation  ? Méditation  ? Et ça agit sur le
cerveau ? En quoi est-ce utile ?
Les patients venaient donc me voir « pour l’hypnose », « car on leur
avait dit que l’hypnose… ». Comme pour les étudiants, et parce qu’il est
normal de donner des connaissances pour que le patient s’approprie le
soin, j’ai dû aussi enseigner aux patients, leur expliquer, déconstruire
leurs idées reçues, répondre à leurs questions sur la thérapie qu’ils
s’apprêtaient à expérimenter dans mon bureau.
 
Les collègues intrigués me questionnaient, et je répondais bien
volontiers, tentant de synthétiser, d’expliciter.
 
Des fonctions universitaires m’ont amené aussi à expliquer aux
étudiants en santé, parfois sceptiques, de quoi il s’agissait. Mais aussi aux
étudiants se formant spécifiquement à l’hypnose, professionnels de tous
horizons, qui, bien que motivés par cet apprentissage et cette pratique,
n’étaient pas épargnés, loin de là, par les questionnements et les idées
reçues  ; et qui parfois étaient bien en peine de clarifier leurs propres
arguments.
 
Rencontre aussi avec le fameux « grand public », cet inconnu. Au sein
de mon entourage, ou à l’occasion de conférences, les questionnements
foisonnaient. Malgré l’effet de mode qui fait que l’on en parle beaucoup,
l’information n’est pas toujours claire et compréhensible et chacun
voudrait mieux s’y retrouver.
 
Peu à peu j’ai appris à présenter un certain nombre de connaissances
sous une forme que j’espère claire et accessible, sans être simpliste.

Compréhension
Depuis quelques années, il est dans l’air du temps d’écouter ceux que l’on
nomme des vulgarisateurs. Le site YouTube regorge de vidéos de jeunes
gens remarquables qui rendent accessibles les sciences (comme e-penser,
micmaths, dirty biology, science étonnante, pour n’en citer que quelques-
uns parmi les plus célèbres)2. Vous y trouvez aussi des conférences de
grands noms du monde de la science qui savent s’adresser au public
(comme les célèbres Étienne Klein pour la physique, Cédric Villani pour la
mathématique, Stanislas Dehaene ou Lionel Naccache pour les
neurosciences et bien d’autres…).
 
Loin de prétendre avoir leur génie (car il en faut pour rendre si
compréhensibles et passionnantes des notions aussi complexes), je crois
partager avec eux l’envie de délivrer une information à la fois claire ET
qui respecte la nuance et la complexité d’un sujet ; qui le rende accessible
ET ne le simplifie pas au point de le trahir et d’en donner une fausse idée.
Je fais mienne, en l’appliquant à l’hypnose et à la thérapie, l’idée du
physicien Étienne Klein concernant la mise à disposition de
connaissances scientifiques  : c’est une question d’éthique. «  Si l’on dit
mal les choses, on risque de mal les penser  » et il ne faudra alors pas
s’étonner qu’on en parle mal.
 
Quelles sont les questions qui se posent aujourd’hui  ? Qu’est-ce que
les patients ont besoin de savoir sur l’hypnose avant même d’entrer dans
mon bureau  ? Que pourraient savoir mes étudiants ou collègues pour
mieux répondre à leurs plus fréquentes interrogations  ? De quelle
introduction, ceux qui souhaitent se former à l’hypnose pourraient avoir
besoin  ? Quelle information fiable, simple mais relativement complète
pour le public intéressé ou curieux de cette pratique ?
 
Est-il possible de répondre à ces questions de façon réaliste,
accessible, en adéquation avec la pratique de terrain et les connaissances
scientifiques actuelles ?
C’est l’ambitieux pari de cet ouvrage.
Donc…
Ce livre n’est pas un « manuel d’hypnose », qui serait trop technique,
adressé uniquement aux thérapeutes. Souvent ces ouvrages sont d’ailleurs
des compléments à une formation car l’apprentissage de l’hypnose ne me
semble pouvoir se faire que de façon «  vivante  ». Vous n’y apprendrez
donc pas à pratiquer des séances.
 
Ce livre n’est pas un «  Changez votre vie grâce à l’hypnose  », qui
serait, comme d’autres livres, trop simplifié et peu réaliste, voire
mystique ou « New Age », présentant l’hypnose comme une technique de
développement personnel merveilleuse, miraculeuse, universelle, simple,
fonctionnant toujours pour bouleverser la vie…
 
Ce livre n’est pas une «  philosophie de l’hypnose  », d’une portée
intellectualisante qui éloignerait de la réalité pragmatique du sujet.
 
Ce livre n’est pas une «  encyclopédie de l’hypnose  », qui serait
exhaustive au risque de ne pas assez se focaliser sur les questions qui se
posent réellement au plus grand nombre.
 
Ce livre n’est pas non plus «  l’hypnose pour les
idiots/ignorants/imbéciles  », trop simplifié au point de ne pas donner
d’information suffisamment précise, qui prendrait le lecteur pour
incapable de comprendre une notion complexe, si elle est bien exprimée.
 
En revanche, ce livre est le fruit de nombreuses discussions, de
questions qui m’ont été posées par des collègues, patients, amis et à qui
j’ai tenté de répondre. Parfois en reconstituant le dialogue, parfois en
reprenant l’enregistrement d’un échange quand il avait eu lieu, j’ai voulu
construire ce livre comme un jeu de questions/réponses. Quelquefois,
donc, le propos suit le fil de la discussion, permettant de présenter les
idées et la pratique mais aussi d’affirmer des opinions et arguments sur ce
qui fait débat dans l’hypnose.
J’ai tout de même divisé le propos en « parties » et « chapitres » pour
faciliter l’accès par thématiques. J’aimerais qu’il permette à chacun de
comprendre afin de savoir ce qu’il peut trouver d’utile dans l’hypnose.
 
La première partie évoquera l’origine de l’hypnose, indispensable pour
la décrypter.
La deuxième partie sera axée sur l’hypnose elle-même, ce qu’elle n’est
pas (les idées reçues) et ce qu’elle est, ses composantes et ses
caractéristiques.
La troisième partie tentera de clarifier les enjeux actuels de l’hypnose :
d’une part l’utilité et les indications de l’hypnose dans le soin et la
médecine, d’autre part aussi les autres usages de l’hypnose et les débats
que cela entraîne  : hypnose spectacle, hypnose de rue, hypnothérapie
pratiquée par des non-soignants.
La quatrième partie permettra aux curieux d’aller un peu plus loin  :
nous y présenterons ce qui se passe dans un cerveau sous hypnose mais
surtout ce qui, selon nous, fait le fonctionnement et l’efficacité de
l’hypnose. Enfin nous y aborderons les différences avec les techniques
qui lui sont apparentées (relaxation, méditation, sophrologie, EMDR…).

Coexpertise

Il me semble que partager nos connaissances est un enjeu très actuel. Les
soignants, à juste raison, attirent parfois l’attention des patients sur les
sources consultables pour se renseigner, les plus accessibles n’étant pas
toujours les plus qualitatives3 !
De leur côté, les patients reprochent aux médecins, parfois à juste titre,
de ne pas assez expliciter ou partager leur savoir. Le code de déontologie
médicale ne nous enjoint-il pourtant pas à donner une information claire,
loyale et appropriée ?
 
Je fais partie des optimistes qui pensent (et du moins espèrent) que, de
plus en plus, les patients et les soignants se rencontrent réellement et
partagent leurs savoirs. En plus de cette exigence éthique, la déferlante de
l’hypnose tant dans le soin que dans les médias nécessite d’informer, de
clarifier et même de « s’engager » en se positionnant face à la situation
actuelle.
Il nous faut apporter des réponses aux patients, et il faut apporter aux
soignants aussi, y compris ceux qui pratiquent l’hypnose, des réponses et
des arguments, pour eux et pour leurs patients.
Le temps où la fascination et l’obéissance étaient les ressorts de la
relation au médecin ou au thérapeute doit laisser place à
l’« empowerment », mot quasi intraduisible qui exprime l’idée de donner
plus de capacités et d’autonomie de décision, notamment aux patients, en
les aidant à comprendre les enjeux qui les concernent.
 
C’est en donnant aux patients le pouvoir de comprendre ce qui se joue,
que l’hypnose leur devient utile.
 
On a coutume de dire en hypnose et en thérapies brèves que «  le
thérapeute n’est pas un expert de la vie du patient ». Il accompagne, avec
ses outils, une personne qui, elle-même, fait un chemin vers un objectif.
C’est au patient de juger que la thérapie avance, que les séances lui
conviennent et l’aident. C’est donc le patient qui est expert de sa vie, le
thérapeute restant un expert de sa pratique.
En somme, comme le dit justement ma consœur le Dr Marie-Christine
Cabié4  : «  Le praticien est un expert de la thérapie et le patient est un
expert de sa thérapie. »
 
Cependant, au cours d’une thérapie, les protagonistes apprennent à se
connaître mieux, le patient partage notamment avec nous un peu de son
expertise sur sa vie.
Peut-être serait-il bon que nous aussi, en miroir, partagions un peu ce
que nous pensons et savons sur nos pratiques  ; nous serions alors dans
une relation encore plus équitable et respectueuse.
 
Il n’y a pas de raison.
 
Bonne lecture !

Dr Philippe Aïm

www.institut-uthyl.com
I

Les origines de l’hypnose
On n’en a jamais autant parlé, mais sait-on d’où elle vient ?

On la croise en effet un peu partout. Elle vient de nous, de notre état de


conscience, et elle vient du lien aux autres. Elle permet de connaître et de se
confronter à ce qu’on ne connaît pas complètement. Elle traverse l’histoire
de la médecine et des sciences mais aussi celle du mystère et du
charlatanisme comme celle de la psychothérapie et de la relation humaine.
Pour mieux comprendre ce qu’est l’hypnose il est indispensable de
commencer par apprendre d’où elle vient et ce qui la constitue. C’est au
fil de cette histoire que l’on est passé, plusieurs fois, du mystère aux
soins, qu’on l’a fait évoluer en cherchant à la rendre utile. C’est un
voyage passionnant et au fil de ce voyage, vous le verrez, on comprend
déjà l’essentiel des problématiques en jeu.
Nous verrons donc l’origine de l’hypnose au fil des étonnantes
anecdotes qui l’ont faite, puis son évolution moderne  : le fameux
Erickson, les thérapies brèves et la période actuelle.
1

D’où vient l’hypnose ?

Comment parler de cette vieille histoire ?

Alors quelle est l’histoire de l’hypnose ?

Je vous propose de lire cette brève histoire de l’hypnose à travers l’histoire


des trois notions suivantes.
— La notion de « transe », cet état de conscience particulier.
—  La question du pouvoir de notre esprit, particulièrement de
l’imagination.
— La relation interhumaine.
 
L’idée que l’imagination et plus généralement nos représentations
mentales peuvent influer sur notre corps, et soulager de certaines
souffrances, est le germe même de l’idée de « psychothérapie », c’est-à-
dire, en somme, la guérison par l’intermédiaire du psychisme et dans le
cadre d’une rencontre. Idée, nous le verrons, qui n’allait pas de soi.
La relation interhumaine, particulièrement son influence dans un cadre
thérapeutique, a toujours déclenché de vifs débats. Les avancées, y
compris scientifiques, dans ce domaine, n’ont pas toujours provoqué de
consensus, jusqu’à aujourd’hui. Il suffit pour s’en convaincre de
s’intéresser aux controverses contemporaines entre les différentes
«  écoles de psychothérapie  »  : on sait de mieux en mieux comment
fonctionne notre complexe corps mais, quand il est question de savoir
comment aborder l’autre et ses souffrances psychiques, personne n’est
d’accord1.
Le phénomène même de la transe, même s’il est aujourd’hui quasi
synonyme d’état hypnotique, a toujours été considéré avec fascination
ou méfiance.
La transe, quant à elle, est une  notion anthropologique présente dans
quasiment toutes les cultures humaines. Mais en Occident, jusqu’à il y a
très peu de temps, les savants s’intéressaient peu à ce qui se passait
ailleurs, et l’ethnopsychiatrie n’existait pas. Plus encore, le phénomène
même de la transe, même s’il est aujourd’hui quasi synonyme d’état
hypnotique, a toujours été considéré avec fascination ou méfiance. Il
s’est confronté, peu à peu, à la science expérimentale et à la culture
ambiante. Cela a permis au fil du temps de forger une vision plus
rationnelle et scientifique de l’hypnose, plus adaptée à notre culture, mais
qui laisse encore une part au mystère, celui de la relation et des capacités
de l’esprit.

La transe est donc une notion « ancestrale » ?

La notion de transe apparaît dans de nombreuses formes de médecines


tribales ou ancestrales, dans les pratiques associées aux diverses formes de
« chamanisme » (sibérien, africain, amazonien, etc.). Souvent dans cette
pratique, un homme possédant une connaissance, un rôle particulier de
sage, guérisseur, conseiller, souvent d’ailleurs avec une dimension
religieuse, entre et/ou fait entrer un autre souffrant dans un état de
conscience particulier afin de le guérir2.
Il semble que pour les médecins de l’Antiquité, et pour les cultures
«  traditionnelles  » qui ont gardé trace de leurs coutumes avant
l’influence occidentale, l’influence de l’esprit, de la parole sur le corps
et la guérison était facilement admise.
L’hypnose, si on la considère comme un état de conscience particulier
qui mène à un changement, a donc été pratiquée sous maintes
appellations à toutes les époques et en tous lieux. Aujourd’hui encore,
elle se perpétue sous d’autres formes dans la pratique traditionnelle de
différentes cultures  : en Extrême-Orient, en Afrique, chez les Indiens
d’Amérique, etc.
Il semble que pour les médecins de l’Antiquité, et pour les cultures
« traditionnelles » qui ont gardé trace de leurs coutumes avant l’influence
occidentale, l’influence de l’esprit, de la parole sur le corps et la guérison
était facilement admise3. À titre d’exemple, dans le papyrus d’Ebers, plus
ancien document médical connu, rédigé en Égypte au XVe  siècle avant
notre ère, on peut lire  : «  La parole m’a été donnée par le Maître de
l’Univers afin d’expulser la souffrance. »
Dans la Bible, on lit l’histoire de Hannah, jeune femme désespérée de
ne pas avoir d’enfants, et qui verra son problème se résoudre après une
prière ayant toutes les apparences d’une transe thérapeutique4.
Dans la Grèce antique, on soignait dans les temples d’Esculape autant
par les paroles que par les médicaments. À quelques remèdes tirés du
règne végétal, on ajoutait presque toujours des chants agréables ou des
prières mystiques qu’on appelait « charmes ».
Au Moyen Âge, dans un monde où la notion dominante est celle de
maladie organique, Maimonide ajoute la dimension de mental et de
social5.

Moyen Âge et Lumières : la méfiance

Mais cette vision intégrative, « holistique6 », va se dégrader


au Moyen Âge ?

Réduisons notre champ d’étude à l’Occident7, car c’est ici que les
controverses autour de l’hypnose finiront par se tenir.
Sous nos latitudes donc, au Moyen Âge, la maladie est considérée
comme purement organique. La médecine s’appuie sur d’antiques
conceptions héritées des Anciens : Galien, Avicenne et Hippocrate, et la
recherche, notamment anatomique, est muselée par l’hégémonie de
l’Église, qui a une forte autorité et contrôle la vie scientifique et
intellectuelle.
Reprenons donc nos trois notions initiales :
L’humain est vu comme un être qui peut se contrôler et qui ne doit pas
se laisser dominer par la matière. Si le corps produit des phénomènes
inattendus, incontrôlés, c’est donc qu’il est habité. La foi officielle se
méfie donc des phénomènes de transe, apanage des âmes « possédées » et
des sorcières8. Combien de patientes qui aujourd’hui bénéficieraient de
soins ont été brûlées sur les bûchers ?
Les ecclésiastiques ont aussi pour mission d’exorciser, de guérir par la
cérémonie religieuse et de combattre l’influence des puissances
maléfiques sur les malades. L’expérience mystique directe est suspecte,
car le clergé est l’intermédiaire « officiel » entre Dieu et les hommes.
Elle se méfie aussi de la relation interindividuelle car l’influence sur
l’homme doit venir du Ciel ou de ses représentants sur Terre, comme
Jésus qui influe sur les autres en amenant la guérison. « Je le pansai Dieu
le guérit » écrira même Ambroise Paré, père de la chirurgie, au sujet de
ses interventions, tant il est dangereux de s’attribuer une telle influence !
L’Église se méfie enfin de l’imagination, qui perturbe l’esprit de
l’homme et le détourne de la foi.
L’Église se méfie enfin de l’imagination, qui perturbe l’esprit de
l’homme et le détourne de la foi.
Giordano Bruno, imaginant le concept «  d’infini  » de l’univers, sera
brûlé. Galilée, osant affirmer que la Terre n’est pas au centre et que ce
n’est pas le soleil qui tourne autour d’elle, y échappe dans son procès en
hérésie face à l’église, en affirmant que c’est… son imagination qui l’a
conduit à produire cette étrange théorie  ! À cette époque où le diable
devient une entité, on a peur que l’imagination ne soit l’appui des forces
du mal ; il existe un délit de « pensées hérétiques ».

Mais à partir de la Renaissance, les connaissances s’affinent de plus


en plus… Les philosophes des Lumières ne sont-ils pas plus
rigoureux et moins influencés par une foi aveugle ?

Bien sûr. Cependant, l’imagination est toujours un objet de méfiance ! Les


philosophes en quête d’universalisme et de savoir absolu s’en méfient car
elle pourrait troubler la justesse et l’objectivité d’un raisonnement. C’est
l’avènement du scepticisme9.
Citons quelques-uns de ces philosophes à titre d’exemple. Pour Pascal
déjà, l’imagination «  fourvoie l’être humain  ». Montaigne juge
l’imagination «  perfide  ». Pour Descartes, l’imagination est un fossé
entre volonté et entendement, qui «  invente  » des propositions fausses,
c’est un obstacle qui pourrait l’empêcher de raisonner correctement et
rationnellement (de façon «  cartésienne  » en somme  !). Pour
Malebranche, c’est « la folle du logis (…) qui se plaît à faire la folle » et
à dérégler la raison humaine pour l’entraîner dans le monde de l’absence
et du fantasme.

XVIII siècle : Mesmer et les magnétiseurs


e

Rien ne semble favoriser l’idée que la relation et l’imagination


peuvent être bénéfiques ! Qu’est-ce qui a permis un changement
de paradigme10 ?

Le changement surviendra progressivement, et non sans encombre, mais il a


probablement été possible à partir de la drôle d’histoire de Mesmer.
En 1766, un médecin allemand, Franz Anton Mesmer, soutient à
Vienne une thèse intitulée De planetarum influxu in corpus humanum qui
présente une théorie selon laquelle tous les corps vivants sont soumis à
l’influence des astres par l’action d’un fluide magnétique universellement
répandu. La maladie résulterait d’une mauvaise distribution du fluide
dans les différents organes.
À l’époque, on pratique l’exorcisme et on recense plus de 150  000
entités diaboliques différentes. Mesmer est amené à donner son avis à
l’Académie des sciences de Munich sur des démonstrations d’exorcisme
de l’abbé Gassner, exorciseur réputé, qui arrive, pour obtenir la guérison,
à faire se reproduire les symptômes des possédés, donc à faire refaire une
« crise », en demandant au démon de se manifester et de reproduire les
symptômes.
Décortiquant les actions de Gassner, Mesmer en déduit qu’il n’y a pas
là d’intercession, mais une sorte de force de l’abbé lui-même, un
«  pouvoir magnétique  ». L’air de rien, il propose un changement de
paradigme  : le pouvoir n’est plus dans le démon, mais dans le
«  praticien  » et on passe du privilège de l’influence du clergé et des
monarques qui apposent leurs mains au « magnétisme animal11 ».
Il y aurait un fluide magnétique entre les êtres animés, pouvant se
transmettre d’une personne à une autre dans un pouvoir d’influence
mutuelle.
Personnage connu dans le Tout-Vienne, fréquentant des musiciens
comme Haydn ou Mozart, il pratique sa technique et obtient des effets
spectaculaires. Il guérit partiellement la cécité d’une jeune musicienne, ce
qui contrariera dans un second temps les parents de cette dernière, qui
craignent de ne plus toucher sa pension d’invalidité ! À deux doigts d’un
scandale, Mesmer quitte Vienne en 1777.
Il y aurait un fluide magnétique entre les êtres animés, pouvant se
transmettre d’une personne à une autre dans un pouvoir d’influence
mutuelle.
Il exerce à Paris, écrivant un mémoire sur la découverte de son
magnétisme animal, et développant sa technique avec des «  passes
magnétiques  », sortes d’appositions des mains sans contact, censées
rétablir la circulation de ce mystérieux fluide. Il invente également le
«  baquet  »  : vaste cuve contenant un fond d’eau, divers objets, des
aimants et de la limaille de fer qu’il magnétise. Des cordes en émergent
et six à huit malades les tiennent autour du baquet. Le magnétiseur se
promène entre les malades, effectuant ses passes, et le procédé suscite
des « crises magnétiques » qui se prolongent dans des petites chambres
particulières matelassées où on transporte le patient. Pour ajouter à
l’ambiance, un orchestre comprenant toujours un harmonium de verre
joue une musique étrange dans un coin de la pièce12. Le succès du
mesmérisme est rapidement prodigieux, le « Tout-Paris » ne parle que de
cela, jusqu’à la cour du roi.
La légende veut d’ailleurs qu’un élève de Mesmer, Deslon, provoque
un jour par le magnétisme un évanouissement chez Marie-Antoinette. Le
roi ne laissera pas cet événement passer sans conséquence, susciter un
évanouissement à la reine étant considéré comme le «  privilège du
roi13 »…
Ce dernier en profite pour éclairer son scepticisme sur la question, et
nomme une commission chargée d’enquêter sur l’existence du
magnétisme animal et l’origine des guérisons qu’il procure. On y
retrouve les plus grands noms de la science de l’époque  : Lavoisier,
Jussieu, Franklin, Guillotin, Bailly… Ils explorent le phénomène dans
des cadres expérimentaux précis, faisant preuve d’une grande rigueur
scientifique pour l’époque. Ils se mettent également en jeu, prenant la
place des magnétisés, puis apprenant les techniques et se mettant à la
place des magnétiseurs. Ils mettent au point, à cette occasion, le principe
dit de «  l’aveugle  », à l’origine de la méthodologie de la plupart des
études scientifiques modernes, en faisant des expériences avec un baquet
magnétisé et un autre non magnétisé à l’insu des sujets14. Au bout de
deux années de travail, ils produisent un rapport au roi.
Les différences de résultats selon les contextes les amènent à conclure
que le fluide magnétique «  n’existe pas  ». Mais dans ce cas, à quoi est
due la guérison ou la crise induite par Mesmer si ce n’est pas l’action du
magnétisme  ? D’après le rapport «  [les expériences] autorisent à
conclure que l’imagination15 est la véritable cause des effets attribués au
magnétisme ».
Avec une rigueur et une inventivité d’expérimentation remarquables,
ils avaient prouvé, et reconnu officiellement, que l’imagination possède
un pouvoir de guérison.

Soigner par l’imagination… c’est donc la naissance


de la psychothérapie ?

La médecine d’imagination, c’est-à-dire le soin par le biais d’un mécanisme


de l’esprit, aurait pu, aurait dû, être la porte ouverte à l’invention des
psychothérapies… sauf que l’imagination n’était pas la vertu la mieux
considérée, comme nous l’avons vu ! C’était l’imagination coupée du réel,
qui préludait aux dérèglements et à la folie. L’occasion sera donc
provisoirement manquée. À la suite des conclusions de cette commission, la
pratique du « magnétisme animal » est interdite, ce qui paradoxalement lui
fait de la publicité dans un premier temps. Puis des luttes intestines, de
nature économique et politique, déchirent Mesmer et ses élèves, et ce
dernier finit par quitter la France. Il séjournera notamment en Suisse
allemande où il mourra, oublié de tous quelques années plus tard.
Le fluide n’existait pas matériellement, l’imagination seule était
responsable des changements constatés.
Il a néanmoins laissé derrière lui un grand nombre de disciples, qui
continuent à pratiquer les passes magnétiques et évoluent en différents
courants. Deslon, notamment, répliqua astucieusement qu’il était
remarquable d’obtenir de l’imagination des effets aussi visibles sur la
santé  : si un tel traitement s’avérait aussi efficace, pourquoi ne pas
l’utiliser  ? Le fluide n’existait pas matériellement, l’imagination seule
était responsable des changements constatés. La commission Lavoisier
avait raison. Elle avait tellement raison que les magnétiseurs, sans dire
qu’ils magnétisaient, continuèrent à exercer et adoptèrent ce point de vue,
qui évolua et parfois dériva.

XIX siècle : la médecine et l’hypnose


e

Que devinrent les « magnétiseurs qui ne faisaient plus


de magnétisme » ?

Les élèves de Mesmer font évoluer la pratique et sa compréhension. Le


célèbre marquis de Puységur s’aperçoit que les « crises » ne sont pas
indispensables à la guérison, que les passes ne sont pas tant nécessaires que
le contact verbal, que la relation de confiance entre les protagonistes est
essentielle pour entrer dans cet état particulier qu’il nommera
« somnambulisme provoqué ». L’abbé De Faria, convaincu que tout se
passe dans l’esprit du sujet parle de « sommeil lucide16 » qu’il provoque
déjà par des suggestions de concentration ou de modification de
perceptions. Deleuze, Villers, Bertrand et d’autres, malgré de grandes
polémiques17, continuent à affiner le processus, comprennent la centralité de
la relation, l’importance de la forme des messages, le pouvoir de ce qui se
joue chez le sujet encore plus que chez l’opérateur, le maintien d’un niveau
de contrôle et de volonté du sujet, contrairement aux apparences…

On est « presque » à l’hypnose ! Malgré le mépris initial des autorités


scientifiques officielles, cette exploration méthodique du phénomène
et de ses effets encouragera-t-elle les médecins ?

En effet.
On doit le préfixe «  hypn  » et quelques néologismes comme
«  hypnotique  » au baron Hénin de Cuvilliers, magnétiseur
« imaginationniste », c’est-à-dire qui ne croyait pas à un fluide mais au
pouvoir de l’accès à l’imagination  ; il tente dans son œuvre de
démystifier le magnétisme18.
C’est la médecine, dans la seconde partie du XIXe siècle, celle qui se
modernise, qui est de plus en plus scientifique et expérimentale, qui va
s’emparer du phénomène, le renommer, le développer et le faire entrer
dans le champ des sciences médicales.
Finalement, bien que la plupart des praticiens fussent guidés par l’idée
d’aider leur prochain, c’est la médecine, dans la seconde partie du
XIX  siècle, celle qui se modernise, qui est de plus en plus scientifique et
e

expérimentale, qui va s’emparer du phénomène, le renommer, le


développer et le faire entrer dans le champ des sciences médicales.
James Braid, chirurgien écossais, assiste un jour à une démonstration
publique de magnétisme (qui préfigure l’hypnose de foire actuelle).
Fasciné, il essaie d’induire le somnambulisme sur ses proches, puis
l’expérimente sur ses patients, et l’introduit enfin dans sa pratique de
chirurgien19. Son approche sera plus médico-scientifique. Il tentera par
exemple de protocoliser sa technique, s’appuyant beaucoup sur la
fixation oculaire et les suggestions d’endormissement, pour la rendre plus
facilement reproductible et étudiable expérimentalement. Il propose une
théorie « psychoneurophysiologique » du phénomène, avec des éléments
de physiologie20. L’élément central lui semble être ce «  sommeil
spécial  », et notamment cet endormissement de la conscience et de la
douleur, qui lui permet d’opérer différemment. Il appellera donc cela
« l’hypnotisme » en 184321.

Avec le mot « hypnose » on redonne donc une vocation médicale


et scientifique au phénomène. Cela va-t-il l’aider à être accepté ?
Le braidisme rend acceptable l’hypnotisme aux yeux d’une communauté
médicale qui avait condamné le mesmérisme22. De nombreux chirurgiens
anglais en seront les émules malgré une réticence première : en effet, la
chirurgie était une pratique qui s’appuyait sur les réactions, notamment
douloureuses, des patients ! Cette naissance de l’anesthésie oblige à
modifier la pratique, ce qui ne se fait jamais sans quelque circonspection.
Quelques années plus tard, l’invention du chloroforme et du protoxyde
d’azote (gaz hilarant), et leur usage par les chirurgiens et les dentistes
mettent fin à cette première série d’anesthésies hypnotiques.

Encore une occasion manquée…

Mais l’hypnose a traversé la Manche. Le chirurgien Jules Cloquet


impressionne ses pairs en réalisant une mastectomie (ablation d’un sein)
sans douleur sous hypnose dès 1829. Azam, Broca et d’autres effectuent des
opérations sous hypnose dans les années 1860, ce dont Alfred Velpeau
rendra compte à l’Académie des sciences. Et c’est en France que l’hypnose
connaîtra le plus grand engouement à l’occasion de l’un des débats les plus
enflammés de son histoire : la controverse entre l’école de Paris de Charcot,
et l’école de Nancy de Liébault et Bernheim. C’est également un moment
fondamental de l’histoire des sciences médicales.

La controverse Paris-Nancy

Quelle était la pratique de l’école de Paris ?

Jean Martin Charcot, professeur et chef de service à la Salpêtrière dans les


années 1860, s’intéresse aux maladies nerveuses avec une grande rigueur
clinique. Lors des « leçons du mardi », il présente et examine un malade
devant ses élèves, montrant et classifiant les maladies. Après s’être
intéressé à la sclérose en plaques ou à la sclérose latérale amyotrophique,
maladie qui conservera son nom, il prend en charge des hystériques dans les
années 1870. Il contribuera à faire avancer les connaissances sur cette
maladie en postulant que la cause n’en est pas organique (certains la
pensaient due à l’utérus !), mais bien psychologique et due selon lui à des
traumatismes. Il remarque que la présence du public influence le nombre et
l’intensité des crises. D’ailleurs, les crises des hystériques de la Salpêtrière
avaient un caractère uniforme, ce qui devait sûrement beaucoup à
l’influence collective.
Pour Charcot, l’hypnose est un état de conscience pathologique
(c’est-à-dire un élément de maladie !) et caractéristique de l’hystérie.
Pour Charcot, l’hypnose est un état de conscience pathologique (c’est-
à-dire un élément de maladie !) et caractéristique de l’hystérie.
Charcot se met à pratiquer l’hypnotisme en 1878. Le premier
laboratoire de photographie médicale est à la Pitié-Salpêtrière, et l’on
peut voir encore aujourd’hui ces premières photos sur des sujets en état
de « léthargie », d’« extase » ou encore de « catalepsie ». C’est, estime-t-
il, une «  névrose expérimentale  », inductible à volonté mais seulement
chez les hystériques. C’est avant tout un moyen d’investigation, et non un
agent thérapeutique. Il distingue trois états spécifiques des hystériques
hypnotisées et formant le «  grand hypnotisme  »  : la léthargie, la
catalepsie, le somnambulisme.

Et l’école de Nancy ?

On a l’habitude de désigner sous ce terme un regroupement de penseurs de


l’hypnose : Bernheim, Liébault, Liégeois et Beaunis.
Le Dr  Ambroise Liébault est médecin de campagne à Pont-Saint-
Vincent près de Nancy. Il prend connaissance de la méthode hypnotique
et se met à soigner toutes sortes d’affections  : les «  mauvaises
habitudes », les tics, les phobies, les ulcères, les sciatiques, les diarrhées.
Extrêmement humain, il va jusqu’à proposer des soins gratuits pour ses
patients. Sa patientèle devient énorme (même si elle ne lui rapporte à peu
près rien). Grâce au Dr  Lorrain, ancien camarade d’études de Liébault,
un technicien de la faculté de Nancy, Drumont23 se passionne pour cette
technique et parvient, grâce à un aliéniste de l’asile de Maréville, à
pratiquer sur de nombreux malades psychiatriques, provoquant
l’engouement du «  Tout-Nancy  » pour cette pratique. Ces
démonstrations, ainsi que la guérison d’une sciatique chez un malade
traité sans succès par Bernheim pendant six mois24 poussent le professeur
à venir le voir pratiquer.
Hippolyte Bernheim avait fui l’Alsace après la défaite de 1871, et
s’était réfugié à Nancy, où il intégra la faculté de médecine,
originellement fondée pour accueillir les professeurs strasbourgeois qui
voulaient rester français. Il est nommé en 1879 professeur de médecine
interne. Il a la réputation d’être un clinicien exceptionnel et rigoureux. Il
se met à pratiquer l’hypnotisme après sa rencontre avec Liébault, à
l’hôpital et dans son cabinet de la place Carrière.
Petit à petit s’agrège autour de lui ladite « école de Nancy ».
 
De récentes recherches historiques montrent que, même si cette
appellation s’est installée avec une image positive dans l’imaginaire
collectif, il n’y a pas vraiment eu, à proprement parler, d’école de
Nancy25 au sens d’une école de pensée cohérente avec des objectifs
communs. Il y a une «  école de Liébault  » dans le sens où il fut le
principal praticien et inspirateur des autres. Mais, pour le reste, chacun
avait en fait sa propre opinion et ses propres intérêts. Beaunis,
physiologiste, y voit une possibilité d’étudier expérimentalement la
psychologie, Liégeois, juriste, s’intéresse avec passion au phénomène et
aux enjeux légaux et criminels, et Bernheim s’occupe de l’aspect
thérapeutique. Ils ne sont d’accord en vérité sur quasiment rien sauf sur
l’idée que Charcot se trompe dans sa vision de l’hypnose, et que Liébault
voit juste en mettant la suggestion verbale comme facteur assez central
de l’hypnotisme. À part ces points essentiels, leurs idées et intérêts
divergent.
Bernheim prend assez naturellement la tête de ce qu’il appellera
« l’école de Nancy », pour plusieurs raisons : il envisage immédiatement,
en clinicien, l’intérêt de cette thérapeutique pour ses patients  ; il peut
aussi être reconnu plus qu’un simple professeur mais comme un vrai
leader d’opinion après son transfert en Lorraine, ce qui correspond
d’ailleurs à la demande française de l’époque de faire de Nancy, dernier
bastion de l’orgueil français, un pôle d’excellence scientifique à quelques
kilomètres de la puissance allemande. Il y voit également un moyen, pour
se faire connaître, de s’opposer à Charcot (dont il a d’ailleurs suivi
l’enseignement) ; il est enfin professeur de médecine et à ce titre habitué
à cette position d’autorité et appelé, d’autant plus facilement qu’il « fait
école », à s’exprimer dans divers écrits scientifiques et congrès.
Ce qu’il fera d’ailleurs rapidement. Deux ans après la communication
initiale en 188226 par Dumont à la société de médecine de Nancy sur la
méthode de Liébault, qui marque le début de l’intérêt pour l’hypnotisme
des quatre compères nancéiens, il publie un écrit qui s’oppose point par
point à toutes les conclusions de Charcot.
L’hypnose n’est pas, selon les écrits de Bernheim, l’apanage de
l’hystérie, elle n’est en rien pathologique mais un état physiologique
(c’est-à-dire naturel chez tout individu en bonne santé).
•  L’hypnose n’est pas, selon les écrits de Bernheim, l’apanage de
l’hystérie, elle n’est en rien pathologique mais un état physiologique
(c’est-à-dire naturel chez tout individu en bonne santé).
•  Suivant Liébault, il affirme que tout un chacun peut entrer en
hypnose, à condition qu’il le souhaite et coopère avec l’hypnotiseur, et
que le facteur hypnotisant ne réside pas dans une action physique, mais
dans la suggestion verbale, qui est une réalité psychologique.
• Le « grand hypnotisme » n’existe pas, les attitudes des hystériques de
Charcot ne sont observables qu’à la Salpêtrière, largement suggérées par
l’ambiance et l’expérimentateur27.
•  En aucun cas il ne tient pour affaiblie ou détruite la volonté du
patient.
•  Comble de la provocation, l’hypnose est un moyen thérapeutique  !
L’hypnose entraîne une suggestibilité accrue, on peut donc suggérer la
guérison et soigner les maux de l’esprit.
 
La controverse entre les deux écoles s’amplifie, prenant même un
caractère politique et dépassant les frontières nationales. Le premier
Congrès international d’hypnotisme a lieu en 1889, réunissant de
nombreux médecins et savants dont certains devaient connaître plus tard
la célébrité, comme Freud ou Janet. L’autorité de Charcot est mise en
difficulté dans la communauté scientifique, les membres du congrès
semblent largement favorables aux thèses de Bernheim et iront jusqu’à
définir l’hypnotisme comme un ensemble de phénomènes produits par la
suggestion.

On découvrira plus tard que l’hypnose est très vraisemblablement


un état de conscience mais, pour le reste, science et histoire
donneront plutôt raison à l’école de Liébault… Bernheim réduisait-il
cependant le mécanisme de l’hypnose à la simple suggestion ?

C’est dans cette direction qu’il ira, jusqu’à l’extrême. Il dira même,
quelques années plus tard, qu’ « il n’y a pas d’hypnotisme, que seule existe
la suggestion ». En cela il se démarque nettement de la position de Liébault
qui se retrouve parfois embarrassé d’avoir été désigné comme étant le
fondateur de cette école qui s’éloigne de ses pensées. Il croit marquer une
étape : Mesmer avait cru créer un état nouveau de l’organisme par ses
manipulations, Braid le remplaça par l’hypnotisme, sommeil artificiel dans
lequel existent ces phénomènes, Liébault en fit un sommeil suggestif,
Bernheim voulait dégager la suggestion du sommeil artificiel. Il invente
alors le mot « psychothérapie », pour désigner les soins par « suggestions à
l’état de veille28 ». Au fond après avoir défendu l’hypnose, il s’en passe.
Dreyfusard29, fondateur d’un comité de la Ligue des droits de
l’homme, il subira des attaques antisémites de certains collègues. Il prend
sa retraite en 1911 et sera rapidement oublié par ceux qui font la vie
scientifique française. Il se retire à Paris où il meurt en 1919.

Et le fameux Coué n’était-il pas Nancéien également ?

Ce pharmacien nancéien est convaincu du pouvoir de l’imagination dans le


développement des maladies, et s’intéresse particulièrement au pouvoir que
peuvent avoir les paroles des soignants sur la santé des malades. Très vite, il
remarque qu’une plaisanterie, un conseil ou un commentaire personnel
augmente l’efficacité des pilules ou de la pommade. Il soigne notamment
des patients avec de l’eau distillée accompagnée de paroles rassurantes.
Il rencontre Liébault et Bernheim, pratique l’hypnose, et prône très
rapidement l’autosuggestion. Il est convaincu que chacun est maître de sa
santé physique et psychique et que, de même, chacun porte en lui les
moyens de sa guérison. Il croit au pouvoir de l’imagination, ce qui le
distingue de Liébault, qui met surtout en avant la volonté.
« Pratiquer la “méthode Coué” » est devenu une expression courante,
qui dérive sûrement d’un de ses conseils,  qui consistait à se répéter
plusieurs fois par jour  : «  Chaque jour, en tout point de vue, je vais de
mieux en mieux. »
«  Pratiquer la “méthode Coué”  » est devenu une expression
courante, qui dérive sûrement d’un de ses conseils, qui consistait à se
répéter plusieurs fois par jour : « Chaque jour, en tout point de vue, je
vais de mieux en mieux. »
Sa pensée intéresse le monde médical, il se met à donner des
conférences dans le monde entier. Emporté par sa naïveté et sa foi dans la
bonté de l’homme, il manque de discernement, donne des conférences
dans des milieux théosophiques, évangélistes, il ne se rend pas compte
des confusions qui s’opèrent. Sa popularité lui vaut les attaques des
facultés dénonçant le charlatanisme, des églises dénonçant
l’incompatibilité avec la religion. Il crée de nombreuses œuvres, aidant
les mutilés et les prisonniers de guerre. Épuisé par ses voyages, mais
aussi par les jalousies et trahisons qui jalonnent la fin de sa vie, il est
terrassé par une pneumonie en 1926.
Sa pensée est plus riche que les caricatures le laissent supposer et l’on
redécouvre petit à petit l’œuvre de cet humaniste, en avance sur son
temps30.

S’il y a controverse, c’est qu’il y a succès ! Malgré les débats


inévitables, l’idée de psychothérapie, particulièrement par l’hypnose,
connaît-elle enfin un développement au XXe siècle, ou est-ce encore
une occasion manquée ?

Au risque de décevoir, l’occasion va de nouveau être manquée !


Avec l’école de Nancy à la fin du XIXe siècle, le principe prééminent de
causalité externe (si un problème m’échappe, sa cause est extérieure)
devient de plus en plus interne (il se passe quelque chose en nous qui
nous échappe et détermine notre vécu). C’est, pourrait-on dire, dans l’air
du temps. C’est l’époque de la naissance de la phrénologie (l’idée que les
bosses du crâne révèlent le caractère), l’époque où l’idée de réflexe laisse
entrevoir que nos mouvements peuvent être influencés sans volonté. En
fait, le terrain est propice surtout à la naissance du concept d’inconscient
cérébral  : «  quelque chose  » agit à notre insu. C’est la thématique du
Horla et d’autres œuvres littéraires comme celles de Paul Valéry,
Nietzsche, Dostoïevski…
Les scientifiques sont aussi dans une époque de « mise au jour » des
phénomènes qui nous échappent  : l’atome, la mécanique quantique, la
relativité, l’évolution des espèces aussi, qui nous transforme et nous fait
évoluer pour que l’on s’adapte…
C’est en fait le bon moment pour que les symptômes, ces idées, affects
et comportements gênant le sujet et n’émanant pas de sa volonté
consciente, soient interprétés comme un élément «  caché  » de la réalité
psychique qu’il faudrait dévoiler pour mieux le comprendre… En somme
le temps de la psychanalyse est venu.

XX
e
 siècle : déclin et renaissance

La psychanalyse naît, en effet, à la même époque que cette


controverse…

On peut même dire que la psychanalyse naît de l’hypnose.


Le jeune Sigmund Freud pratique l’anatomo-pathologie et la
neurologie à Vienne. Il est sensibilisé à la pratique de l’hypnose sur
certaines névroses. Il obtient à 29 ans une bourse de voyage pour aller
suivre les cours de Charcot à la Salpêtrière.
Particulièrement impressionné par ce dernier (qu’il traduira en
allemand), il s’intéresse de plus en plus à la psychologie et adhère à
l’idée de Charcot sur l’origine traumatique de l’hystérie, part fondatrice
de ses travaux sur la dynamique de l’inconscient.
De retour à Vienne, il développe sa pratique de l’hypnose dans un but
thérapeutique, ayant entendu parler des travaux de Bernheim (qu’il
traduira également) et de Liébault. Il se montre très satisfait par cette
pratique, disant obtenir « toutes sortes de succès ».
Il cherche au départ à retrouver l’origine traumatique des symptômes31,
méthode qu’il ne pense possible qu’en hypnose profonde,
somnambulique. N’arrivant pas à produire cet état chez «  Emmy Von
N.  », il prend le train avec sa patiente et l’emmène à Nancy pour
rencontrer Bernheim en 1889. Il est impressionné par les praticiens de
l’école de Nancy, très touché par la pratique de Liébault. Mais Bernheim
n’arrive guère plus que Freud à mettre la patiente en hypnose profonde,
avouant par ailleurs qu’il parvient rarement à des hypnoses profondes
dans sa clientèle. Liébault lui confirme aussi que la possibilité de
parvenir à un « somnambulisme hypnotique » n’est pas toujours possible,
ni nécessaire à l’obtention d’effets.
Freud est alors tenté de renoncer à la méthode, convaincu à l’époque
que seule l’hypnose profonde pouvait élargir le champ de la conscience,
jusqu’à l’accès aux souvenirs pathogènes. Mais Bernheim lui montre sur
un patient que les amnésies sous hypnose n’étaient qu’apparentes et que
l’on pouvait faire revenir des souvenirs à l’état de veille. Freud en déduit
qu’il existe des représentations psychiques dont le patient n’a pas
conscience mais dont il garde le souvenir dans sa mémoire inconsciente.
C’est l’origine du concept de refoulement. Beaucoup d’autres pratiques
analytiques auront des parentés avec l’hypnose.
Freud cherche de plus en plus à se passer de l’hypnose, il lui
reproche entre autres le caractère aléatoire de l’hypnotisabilité du
patient et craint aussi une «  implication érotique possible  » de la
relation induite par l’hypnose.
Freud cherche de plus en plus à se passer de l’hypnose, il lui reproche
entre autres le caractère aléatoire de l’hypnotisabilité du patient et craint
aussi une «  implication érotique possible  » de la relation induite par
l’hypnose.
Il s’éloigne peu à peu de la technique, renonçant au contact physique,
ne demandant plus de fermer les yeux. Mais il laisse des « idées subites »
surgir, demandant au patient qu’il fasse preuve d’une franchise totale et
n’exclut aucune des idées qui se présentent spontanément  ; c’est le
phénomène de « l’association libre ». Il se place derrière le patient qu’il
installe sur un divan, pour ne pas l’influencer par ses attitudes, et
conseille aux médecins de s’abandonner eux-mêmes, dans un état
« d’attention flottante », afin de « capter l’inconscient du patient ».
Il creuse l’idée de « rapport » (mot utilisé par Mesmer pour qualifier
les sentiments qui entraient dans la relation hypnotique), en théorisant le
concept de transfert, projection inconsciente d’affects sur la personne du
thérapeute, et qui ne lui sont pas spécifiquement destinés. Les résistances
du patient seraient levées lorsque, à force d’investigations et
d’explications, le médecin aurait ramené à sa conscience ce qui était
dissimulé dans son inconscient. Freud fait de l’analyse des résistances et
de la liquidation du transfert le but de la cure analytique.

Alors il arrête donc de pratiquer l’hypnose ?

Freud prétendra que l’analyse est née le jour où il a renoncé à l’hypnose.


Freud prétendra que l’analyse est née le jour où il a renoncé à
l’hypnose.
Ce n’est évidemment qu’une formule puisqu’il continuera à l’utiliser
très tardivement et avec de bons résultats32. Mais petit à petit, tel un
chercheur, un explorateur curieux, il est gêné d’obtenir des résultats qu’il
ne peut expliquer. Plus le temps passe, plus il cherche à expliquer avant
de guérir, comprendre plus que soigner. « La guérison vient de surcroît »
écrira-t-il. Pour lui, l’analyse « satisfait le désir de savoir du médecin, qui
avait tout de même le droit d’apprendre quelque chose de l’origine du
phénomène qu’il s’efforçait de supprimer » ; l’origine donc, plus que le
mécanisme de la guérison.
Cette recherche obstinée de causes devient au fur et à mesure un but en
soi, laissant de côté, ou en retrait, l’idée de guérison, ou même de soin, de
thérapie. Dans l’un de ses derniers textes, L’analyse avec fin et l’analyse
sans fin, Freud dira même que : « L’analyse, avec sa prétention de guérir
les névroses en assurant la domination sur les pulsions, a toujours raison
en théorie mais pas toujours en pratique.  » Et cette considération sur
l’hypnose : « L’hypnose semblait être un excellent moyen pour atteindre
nos fins33 ; on sait pourquoi nous avons dû y renoncer. On n’a pas trouvé
jusqu’à présent de substitut à l’hypnose. »
Freud et son étrange théorie « sexuelle » auront un succès phénoménal.
Ses livres feront autorité et influenceront considérablement le monde de
la psychiatrie et de la psychologie. Tant et si bien qu’au milieu du
XX  siècle, il n’y a quasiment plus qu’une seule interprétation valable du
e

psychisme, des maladies mentales, des relations humaines, du lien


social : c’est celle qu’a théorisée la psychanalyse. Le succès de l’analyse
et le génie de son créateur à la défendre contribuent sûrement à la
régression de l’hypnose, thérapie qui s’intéresse plus aux effets
bénéfiques du traitement qu’aux causes supposées de la maladie ou aux
mécanismes sous-jacents. L’hypnose est reléguée grosso modo à un objet
d’étude pour les laboratoires de psychologie américains qui s’intéressent
aux états de conscience ou à la communication. La réhabilitation de
l’hypnose sera lente.
 
Le célèbre psychanalyste français Jacques Lacan ira jusqu’à l’interdire
à ses élèves dans son discours fondateur de Rome en 1956. Il était
possiblement inquiet du caractère autoritaire que l’on pouvait percevoir
dans les suggestions classiques, mais n’avait vraisemblablement pas tenu
compte des apports d’Erickson, pourtant l’un de ses contemporains34.
 
Difficile enfin en évoquant l’histoire de cette époque de ne pas citer
Pierre Janet, médecin, ancien élève de Charcot, titulaire de la chaire de
psychologie expérimentale au Collège de France. On lui doit notamment
la théorie de la dissociation en hypnose qui nous servira beaucoup par la
suite. Il aurait pu être à l’origine d’un regain d’intérêt pour la pratique,
mais son travail, pourtant remarquable, ne connaît pas une grande
diffusion. Son œuvre gigantesque, vingt volumes, trois cents articles, près
de cinq mille observations cliniques, est pourtant restée, à tort,
confidentielle.

L’hypnose est donc totalement tombée en désuétude pendant


la première moitié du XXe siècle ?

En réalité c’est surtout l’application clinique de l’hypnose qui s’éclipse au


début du XXe siècle, au profit de recherches expérimentales. C’est « l’époque
des chercheurs ».
C’est surtout l’application clinique de l’hypnose qui s’éclipse au
début du XXe siècle, au profit de recherches expérimentales.
En Union soviétique, le célèbre Pavlov et ses collaborateurs
s’intéressent beaucoup à l’hypnose dans l’élaboration de leur concept de
conditionnement. Ils construisent une théorie de l’hypnose à partir de
l’expérimentation animale. Mais c’est surtout aux États-Unis que des
recherches sont menées. Elles concernent notamment la nature de
l’hypnose, de la suggestion, de la dissociation. L’enjeu principal est la
querelle entre « étatistes » et « non-étatistes » : l’hypnose correspond-elle
à un état particulier de la conscience, ou n’est-elle que suggestibilité,
qu’un jeu social consenti entre les protagonistes35 ?
 
Quelques travaux se maintiennent sur le plan clinique : en Allemagne,
J.H. Schultz, psychanalyste et disciple de Freud, élève d’Oskar Vogt (le
concepteur de l’autohypnose), tente d’articuler autohypnose et concepts
psychanalytiques dans son « training autogène », méthode de relaxation
diffusée dès 1932, désormais classique en médecine et en psychiatrie. En
France, c’est Léon Chertok qui redonne un nouvel essor à l’hypnose à
partir des années 1950. De formation analytique, analysé lui-même par
Lacan, il hésite avant de s’intéresser vraiment au processus hypnotique,
ce qui lui vaudra d’être exclu de plusieurs cercles analytiques. Il aura
cependant de nombreux élèves.
 
Même si la vocation soignante reste la plupart du temps au centre de
l’hypnose, quelques « non-soignants » de formation ont laissé une trace
dans les mémoires et les pratiques, comme Dave Elman. Cet homme de
scène et de radio pratiquait une hypnose assez directive et rapide. Il
décida en seconde partie de carrière de passer du temps à enseigner ses
méthodes notamment à des médecins et dentistes qu’il forma en grand
nombre. Il a laissé quelques élèves qui ont poursuivi le travail de
popularisation de ses méthodes, et un livre au sujet de ses explorations
intitulé sobrement Hypnotherapy. On a surtout retenu de cet homme
certaines méthodes d’induction rapides et directives encore largement
utilisées dans le monde du soin (parfois même sans que les praticiens
sachent d’où viennent ces méthodes)36.
Mais, en vérité, l’hypnose redeviendra surtout un outil thérapeutique et
connaîtra un essor sans précédent grâce à un personnage fondamental.
Allons jusqu’à dire que, si vous ne deviez retenir qu’un seul nom de cet
historique, ce serait le sien : Milton H. Erickson.
2

Comment a évolué l’hypnose ?

Milton H. Erickson

Il a tellement marqué le monde de l’hypnose que beaucoup


de praticiens d’aujourd’hui disent faire de l’hypnose
« éricksonienne »… Mais qui était-il ?

Il est parfois difficile de distinguer la réalité de la légende tant les histoires


d’Erickson paraissent incroyables. De plus, tant par lui que par ses élèves,
ces anecdotes ont été racontées et redites encore et encore, et forcément
enjolivées avec le temps. S’il n’y avait pas tant de témoins directs et de
documents, on ne pourrait pas croire 10 % de ce qu’on raconte à son sujet.
Mais même si nous ne devions en croire que 10 %, ce serait déjà une
incroyable vie1.
 
L’évolution de son existence s’est faite en parallèle de l’évolution de
ses idées et de la transformation de l’hypnose. Raconter un peu de son
histoire c’est mieux comprendre aussi l’hypnose d’aujourd’hui, car un
grand nombre d’anecdotes, dont nous ne rapporterons que quelques-unes
utiles à comprendre son approche, ont été déterminantes dans sa pratique
et dans sa façon de considérer la thérapie et les patients.
Divisons sa vie chronologiquement en quatre phases.

L’enfant handicapé

Erickson naît à Aurum (E.-U.), un petit village qui n’existe plus, dans une
petite baraque à flanc de montagne, d’un père d’origine nord-européenne et
d’une mère ayant du sang d’Indiens d’Amérique. Ils exploiteront par la
suite une ferme dans le Wisconsin. Le jeune Milton souffre d’un certain
nombre de troubles sensoriels et perceptifs congénitaux : il est daltonien,
dyslexique, amusique2. Dès son plus jeune âge, il vit le monde d’une
manière différente. Contraint d’apprendre autrement, il prend rapidement
conscience de la relativité des cadres de références des humains.
Notons déjà que l’idée de s’adapter, non pas en changeant les faits
parfois immuables, mais plutôt en observant la réalité dans un cadre de
référence différent sera un des points clés de la thérapie éricksonienne et
des thérapies brèves qui s’en inspireront.
Son apprentissage de l’écriture est laborieux. L’un de ses enseignants
bien inspiré, voyant qu’il avait du mal à distinquer le M et le E (les trois
barres, verticales ou horizontales, se confondaient), a la bonne idée de se
servir des connaissances de ce jeune fils de fermier. Il lui propose
d’imaginer que le M est comme la silhouette d’un cheval de profil qui
mange, avec les pattes arrière, avant, et sa tête vers le bas, le E en
revanche est comme un cheval qui se cabre sur ses pattes arrière et
hennit. Erickson, appréhendant cette connaissance par l’analogie, dans un
cadre de référence qu’il connaissait bien, déclarera avoir eu une véritable
«  illumination  ». Par la suite il comprendra mieux que personne
l’importance des images et des métaphores qui valent plus qu’une longue
explication pour faire passer une idée ou un concept et l’importance,
également, comme il le disait souvent de « parler le langage du patient ».
Le père d’Erickson est un jour en train de tenter de faire entrer un âne
dans l’étable. Il tire l’animal par le licol alors que celui-ci résiste des
quatre fers. Le jeune Milton rit de bon cœur des efforts de son père.
«  Puisque tu trouves cela si drôle, fais-le donc toi-même  !  » Le jeune
garçon va alors derrière l’animal et tire sur sa queue. L’âne détale et entre
en courant dans l’étable. Erickson racontera souvent cette histoire pour
illustrer la nécessité de penser autrement quand une tentative de solution
semble aggraver le problème.
À l’adolescence, Erickson est frappé par la poliomyélite. Alors qu’il
est en pleine crise fébrile, il entend les médecins, dans la pièce d’à côté,
annoncer à sa mère que «  le garçon ne passera pas la nuit  ». De façon
peut-être étrange à nos oreilles, Erickson est frappé non pas tant par
l’annonce de sa propre mort imminente que par la façon dont des
médecins annoncent ainsi, sans ménagement, à une mère que son enfant
va mourir. En colère, il se dit : « Que je sois damné si je ne revois pas un
lever de soleil. » Sa mère entre dans la chambre, cachant son émotion, et
il lui demande de déplacer l’armoire qu’il y a en face de lui, encore un
peu, non plus à gauche, voilà, un peu à droite… Le croyant délirant sous
l’effet de la fièvre elle s’exécute tristement, l’embrasse et le laisse. En
vérité, cette armoire comporte un miroir, qui, bien orienté, lui reflète la
fenêtre au travers de laquelle on peut voir le soleil se lever. Le jeune
Erickson se maintient éveillé et, au bout de ses ultimes forces, aperçoit
donc le lever de soleil. Il a fait mentir les médecins. Il tombe dans un
profond coma, dont il ressort trois jours plus tard, entièrement paralysé.
Par la suite, il passe beaucoup de temps, attaché à son fauteuil pour ne
pas tomber, devant la fenêtre, car la ferme et la famille nombreuse ne
laissent pas beaucoup de temps pour s’occuper de lui. Il acquiert alors
une faculté d’observation hors du commun. Pour ne pas dépérir ou
devenir fou, il ne laisse jamais son cerveau au repos, il écoute les pas et
essaie de reconnaître à qui ils appartiennent puis, même, s’il peut deviner
l’état d’esprit de la personne en fonction de son pas. Il regarde la nature
attentivement évoluer, il regarde ses petites sœurs jouer et s’aperçoit, par
exemple, que parfois elles disent quelque chose mais que leur corps
montre le contraire (ce qui sera en lien, bien plus tard, avec de
nombreuses élaborations sur la fonction du langage verbal et non verbal,
et le sens de leur désynchronisation).
Un jour, on oublie de le mettre devant la fenêtre. Désespéré de devoir
passer la journée dans son rocking-chair, sans même pouvoir observer le
dehors, il se met à fermer les yeux et se dit «  si je regarde à droite, je
verrai le paysage  ». Il imagine alors ce qu’il pourrait faire, marcher,
grimper aux arbres… Quand il rouvre les yeux, son fauteuil a légèrement
bougé. Comme si imaginer changeait quelque chose physiquement. Il
regarde sa main et se dit qu’il ne peut bouger un doigt mais peut se
souvenir de la sensation d’un doigt qui bouge3. Et son doigt bouge
légèrement. Dès lors, il n’a de cesse de faire sa propre rééducation, par
ces exercices psychocorporels de réactivation de souvenirs sensoriels, et
par l’observation intensive de lui-même et de ce qui l’entoure. Il dira par
exemple qu’il a beaucoup appris à remarcher en regardant sa petite sœur
apprendre à marcher, et en observant la séquence des mouvements de la
marche.
Il considérera plus tard que l’hypnose est avant tout un outil
d’apprentissage, particulièrement par la sensorialité, efficace pour
faire entrer dans la vie de nouveaux comportements, sensations,
émotions, appropriés à la situation nouvelle à laquelle le sujet est
confronté.
Il parlera plus tard de cette démarche de rééducation comme
d’autohypnose. Il lui apparaît comme évident qu’il peut adopter une
attitude similaire devant tout problème humain. Il considérera plus tard
que l’hypnose est avant tout un outil d’apprentissage, particulièrement
par la sensorialité, efficace pour faire entrer dans la vie de nouveaux
comportements, de nouvelles sensations, émotions, appropriés à la
situation nouvelle à laquelle le sujet est confronté.
Quelques mois plus tard, il remarche avec des béquilles et entreprend
un périple en solitaire, en canoë sur le Wisconsin. Il part pendant
quasiment deux mois, parcourt mille kilomètres, seul et avec 4  $ en
poche ! Erickson, ado un peu fier, refuse de mendier ou de demander de
l’aide, il s’efforce donc de communiquer de façon à amener les gens à
l’aider. Il découvre les formidables pouvoirs de la communication. Il en
revient avec une passion et une curiosité sans limite pour ses frères
humains, un corps bronzé et renforcé (il marche sans béquilles et peut
porter seul son canoë) et 2 $ de plus qu’à son départ.

Le médecin et chercheur passionné

Conscient qu’il ne peut pas devenir fermier, il décide de devenir


médecin. En 1921, Erickson s’inscrit parallèlement en médecine et en
psychologie à l’université du Wisconsin. Il connaîtra une longue période
où il marchera plusieurs années sans béquilles. En 1923 et 1924, alors
étudiant en troisième année de médecine, il participe au séminaire sur
l’hypnose organisé à l’université par Clark L. Hull, un des pères
fondateurs de la psychologie expérimentale et des théories de
l’apprentissage aux États-Unis. Hull cherche à appliquer au domaine de
l’hypnose une méthodologie expérimentale stricte. Il cherche une
méthode universelle, une technique standard d’induction. Erickson est
convaincu que l’hypnose est thérapeutique, qu’elle offre de grandes
possibilités et doit s’adapter au patient. Erickson rompt rapidement avec
l’hypnose traditionnelle et les idées de Hull en se fondant sur sa propre
expérience.
En plus d’une application clinique, il décide de mener ses propres
recherches, sur ses collègues puis étudiants, et commence à développer
diverses techniques d’induction hypnotique permissives et indirectes.
Autoriser le patient plutôt que de lui imposer.
En plus d’une application clinique, il décide de mener ses propres
recherches, sur ses collègues puis étudiants, et commence à développer
diverses techniques d’induction hypnotique permissives et indirectes.
Autoriser le patient plutôt que de lui imposer4.
En 1928, Erickson obtient son doctorat en médecine en même temps
que sa maîtrise de psychologie et occupera différents postes hospitaliers.
Dans ce monde patriarcal qu’est la médecine des années 1930, il cherche
en permanence à compenser son handicap par une soif intarissable
d’apprendre, de se démarquer, de travailler plus dur. L’un de ses chefs lui
dit un jour : « Erickson, tu es handicapé, tu es un sous-homme, mais cela
te servira. Les patients te feront confiance car ils ne verront pas en toi un
rival, et tu gagneras la confiance de tes patientes aussi qui ne verront pas
en toi une menace. » Il découvre une fois de plus qu’il faut parfois penser
autrement et qu’un problème peut, sous un certain angle, être une
solution…
Pour lui, l’hypnose est un processus naturel, produit par le patient et
non imposé par l’hypnotiseur, elle est thérapeutique, permissive et
surtout elle permet un accès à des ressources.
Il ne cesse de poursuivre ses expériences sur l’hypnose et ses
réflexions sur le fonctionnement humain. Pour lui, l’hypnose est un
processus naturel, produit par le patient et non imposé par l’hypnotiseur,
elle est thérapeutique, permissive et surtout elle permet un accès à des
ressources. L’inconscient, plutôt qu’une « poubelle à pulsions  » comme
pouvait le laisser voir la psychanalyse, est plutôt une sorte de «  boîte à
trésors  » de savoirs et de capacités rendues inaccessibles par les
problèmes. Il serait donc plus cohérent d’aider ainsi les patients que de
leur appliquer ou leur imposer des théories, coupées de la réalité, pour
« comprendre » l’origine de leur problème.
Il travaille pour le gouvernement pendant la guerre à propos des effets
psychologiques de la propagande nazie. Il fera aussi la connaissance de
Bateson, père fondateur de l’école de Palo Alto et de la systémique5 avec
qui il sera ami tout le reste de sa vie, et participera aux premières
conférences Macy à l’origine du mouvement cybernétique.

Le thérapeute hors du commun

En 1948, Erickson subit un grave problème de santé (réaction immunitaire à


un vaccin ? rechute poliomyélitique ?) qui le paralysera de nouveau. Il
perdra l’usage de ses deux jambes et d’un bras. Peu à peu, il ne quittera plus
la chaise roulante, de façon quasi permanente pour le reste de sa vie. Les
muscles phonatoires sont également touchés. C’est aussi face à ses
difficultés qu’il sera continuellement amené à simplifier ses techniques.
Les médecins lui ayant conseillé un climat chaud et sec, il déménage
en Arizona, et ouvre une consultation privée chez lui. Il reçoit de
nombreux patients dans son bureau de Phoenix, obtient d’étonnants
résultats et fait preuve d’une créativité exceptionnelle dans ses stratégies
thérapeutiques et d’un grand sens de la relation humaine.
Il commence à être connu comme un spécialiste de l’hypnose et dirige
la principale revue américaine sur l’hypnose clinique. C’est à cette
époque que Haley et Weakland, membres du Mental Research Institute,
le rencontrent de façon régulière et que la pratique éricksonienne aura
une influence fondamentale pour le monde de la systémique et des
thérapies brèves.

Après 1973 : l’enseignement et l’héritage

En 1973, un livre de Haley, Uncommon therapy, qui deviendra en français


« Un thérapeute hors du commun » est édité et connaîtra un succès
international. De partout, dans le pays et dans le monde, on se « bouscule »
pour assister à un enseignement donné par Erickson. Il se met donc à
enseigner, chez lui, à de nombreux élèves, et ce jusqu’à la fin de sa vie. Ses
derniers élèves deviendront des successeurs dont certains sont célèbres.
Rossi, par exemple, le poussera à théoriser6, décortiquant avec lui des
milliers d’heures de thérapie, explicitant la « boîte à outils » du thérapeute
éricksonien ; Sydney Rosen recueillera les histoires et anecdotes du maître
dans un très beau recueil7 ; Bill O’Hanlon, patient d’Erickson puis
thérapeute à son tour, fera ouvrage de vulgarisation ; Jeffrey Zeig,
organisera les derniers séminaires, recueillera un grand nombre d’archives
et dirige encore aujourd’hui la fondation Erickson.
En septembre 1980, le premier congrès international consacré à
Erickson est organisé, mais il décède six mois plus tôt, le 25 mars 1980.

Thérapies brèves, neurosciences et dérives : le XXIe siècle sera-t-il


hypnotique ?

C’est donc grâce à Erickson que l’on est passé de l’hypnose


à l’hypnothérapie ?

Les apports d’Erickson ne se sont en fait pas limités à l’hypnose ; ils


interviennent dans une époque où, après un demi-siècle d’hégémonie
analytique8, de nombreux facteurs contribuent à l’émergence de thérapies
« brèves », des thérapies dont l’objectif serait défini, avec un nombre de
séances limitées, centrées sur le client et ses aspirations…
Certaines thérapies restent d’inspiration analytique, d’autres se
construisent un peu en opposition comme la célèbre thérapie cognitive ou
la thérapie comportementale qui n’en formeront plus qu’une quelques
années plus tard ; d’autres ont un cadre théorique plus original comme la
Gestalt-thérapie, l’analyse transactionnelle, les thérapies humanistes
comme la logothérapie…
Parallèlement naissent aussi celles qui sont restées appelées
communément «  thérapies brèves  » (même si c’est un abus de langage
puisque les thérapies citées précédemment sont également, stricto sensu,
des thérapies brèves). Ces thérapies (hypnothérapie éricksonienne,
thérapies orientées vers la solution, thérapies narratives, approches
stratégiques, systémique brève, provocatrice, etc.) sont inspirées par les
travaux d’Erickson et de Bateson (fondateur de l’école de Palo Alto) et,
bien que s’étant divisées en de nombreuses branches, partagent un certain
nombre de points communs.
Quels sont ces points communs à l’hypnose et aux thérapies brèves
qui en découlent ?

L’un de ces points communs est la prise en compte du langage et du ressenti


corporel. La psychothérapie n’est pas un « psychisme s’adressant à un
autre », mais s’intéresse à ce que ressent et à ce que peut le corps (aspect
fondamental en hypnose) et ce qu’il exprime.
Un autre aspect fondamental est la prise en compte avant tout des
ressources et capacités (ce que l’on appelle usuellement «  l’orientation
vers la solution ») plutôt que sur la cause des problèmes. Le problème du
patient, loin de «  révéler une faiblesse sous-jacente  », est plutôt un
obstacle à l’accès aux ressources. La thérapie devient un processus de
changement fondé sur des expériences mettant en jeu des ressources et
non pas une compréhension des tenants et aboutissants du symptôme ni
une méthode de résolution du problème.
La thérapie devient un processus de changement fondé sur des
expériences mettant en jeu des ressources et non pas une
compréhension des tenants et aboutissants du symptôme ni une méthode
de résolution du problème.
Un troisième aspect essentiel à la pratique est l’importance accordée à
la forme de la communication du thérapeute. L’objectif n’est pas tant de
maîtriser la psychopathologie, le danger serait alors grand d’explorer la
situation du malade pour la « faire coller » à nos prérequis, que de savoir
entrer en lien de la façon la plus efficace possible avec le patient… Pour
que le message passe, que le patient se sente entendu (tout un chacun a
expérimenté des situations où un message, pourtant tout à fait bien
intentionné, produit l’effet opposé…), qu’il accède à ses ressources, qu’il
sait souvent avoir, sans en trouver le chemin. Une communication qui ne
se contenterait pas de dire au patient qu’il a la ressource mais qui
permettrait qu’elle émerge de lui.
Enfin, une facette, particulièrement explorée par les thérapies dites
« systémiques », est l’aspect relationnel de l’individu, non pas considéré
encapsulé dans son problème, psychisme isolé en thérapie, mais bien
inclus dans un système relationnel où il interagit et où chaque
changement aura des conséquences complexes9.
Corps / Relations / Communication / Ressources sont les piliers de ces
pratiques.
Le développement des thérapies brèves contribue à faire connaître
l’hypnose (dont elles sont nées en quelque sorte).

Est-ce donc la fin des « hauts et des bas » pour l’hypnose ?

Dans les années 1990, c’est l’avènement des thérapies cognitivo-


comportementales (TCC). Il y a à cela de nombreuses raisons mais
soulignons avant tout que ces thérapies (du moins pendant les premiers
temps) se sont présentées comme plus facilement reproductibles dans leur
méthode, donc moins aléatoires, plus « protocolisables » donc
potentiellement démontrables… Elles ont donc fait l’objet de recherches
assez strictes, qui tentaient d’échapper un peu à un trop grand aléatoire
relationnel. C’était le début d’une époque de forte prétention scientifique de
sciences humaines comme la psychologie, et de la psychiatrie, notamment
avec le très fort développement des neurosciences qui laissait fantasmer que
l’on pourrait comprendre assez vite la « mécanique de l’esprit », et que tout
ce qui sortait de ce cadre était suspect ou moins crédible10. Ainsi les TCC
ont « montré leur efficacité » en clinique, ce qui a eu des retombées
positives sur toutes les pratiques psychothérapeutiques puisqu’on pouvait
montrer de façon assez scientifique qu’une thérapie (au moins un modèle !)
avait des effets réels sur la souffrance psychique. Mais étant les seuls à
pouvoir (et à vouloir ?) se soumettre à cette rigueur particulière, les autres
modèles (des thérapies analytiques à l’hypnose en passant par d’autres)
semblaient avoir perdu en crédibilité…

Encore une période de « bas » donc… et un nouveau « haut » dans


les années 2000 ?

Nous sommes en plein dedans !


De nombreux facteurs y ont contribué. Tout d’abord, les thérapies dites
«  complexes  » ont eu un regain d’intérêt  : des groupes de recherche en
thérapies brèves psychanalytiques étudient les facteurs relationnels, les
TCC de la «  troisième vague  » incluent des techniques comme la
méditation de pleine conscience, la prise en compte des valeurs ou des
émotions complexes, des recherches montrent les facteurs communs
relationnels et communicationnels de l’efficacité des thérapies… La
méthodologie d’évaluation de la thérapie évolue et laisse plus de place à
des études adaptées à l’évaluation de la psychothérapie. On peut donc
s’intéresser de nouveau à l’hypnose comme à une thérapie parmi
d’autres.
Par ailleurs, les neurosciences ont produit des travaux montrant « ce
qui se passe » dans un cerveau sous hypnose, contribuant à faire sortir
cette pratique du champ de l’ésotérique ou du paranormal.
Par ailleurs les neurosciences ont produit des travaux montrant « ce qui
se passe » dans un cerveau sous hypnose, contribuant à faire sortir cette
pratique du champ de l’ésotérique ou du paranormal.
L’étude de la conscience éclaire la question de l’hypnose et l’étude
scientifique de l’hypnose éclaire les neuroscientifiques sur la question
des phénomènes de conscience.
Mais les recherches également «  cliniques  », c’est-à-dire appliquées
aux situations rencontrées en pratique, ont montré une efficacité dans de
nombreuses situations.
Des psychologues, philosophes et thérapeutes ont également produit
une littérature importante sur l’hypnose, les thérapies brèves et cela
contribue à enrichir le corpus théorique qui entoure l’hypnose.
Il ne faut pas négliger non plus qu’après une période de très forte
scientificité, dans une société de plus en plus rationaliste, l’hypnose,
comme d’autres thérapies complémentaires, attire par sa part de mystère.

Aujourd’hui, l’hypnose est « à la mode », n’est-ce pas ?

Dans tous les milieux, en effet.


Les médecins, les soignants, parfois des services hospitaliers entiers se
forment de plus en plus et appliquent cette technique dans de nombreux
domaines. Le regain d’intérêt pour l’hypnose médicale, la scientificité de
plus en plus reconnue de l’usage de l’hypnose sont allés de pair avec un
regain pour son intérêt fascinant et donc pour son usage dans le spectacle.
Un peu partout l’on voit des personnes qui, sous prétexte de
divertissement ou de partage de plaisir, donnent à voir une pratique qui
donne l’impression de flatter l’ego de l’hypnotiseur et des phénomènes
qu’il produit (sur scène, à la télévision, dans la rue, sur YouTube…) et de
se jouer, au moins partiellement, du sujet.
Enfin, dans le même temps, on assiste à une «  explosion  » de toutes
sortes de formations à l’hypnose, de qualité plus ou moins bonne, qui
attirent des centaines de praticiens non-soignants qui deviennent (souvent
un peu trop) rapidement thérapeutes. Il se trouve parmi eux des praticiens
de qualité. Hélas, c’est aussi parfois chez ceux qui sortent d’une
formation trop rapide, trop peu rigoureuse, trop prometteuse, promouvant
l’ésotérique ou manquant d’éthique que l’on trouve des phénomènes
inquiétants, des usages qui relèvent de dérives.
Tous ces phénomènes (soins, spectacle, thérapeutes non-soignants,
formations d’inégale qualité, médiatisation…) se défient les uns des
autres autant qu’ils s’alimentent.

Il nous faudra aborder évidemment l’ensemble de ces facteurs


qui contribuent au paysage de l’hypnose actuelle. Mais peut-être
faut-il d’abord se demander ce qu’est l’hypnose, à quoi sert-elle
et comment elle fonctionne…

EN SOMME…
L’hypnose, vue comme une pratique thérapeutique mettant en jeu, dans un état de
conscience particulier, la relation, la communication, l’action de l’esprit sur le corps, a
connu des hauts et des bas incessants dans son histoire.11

Actuellement elle est de plus en plus connue et pratiquée, son efficacité mieux
documentée. Néanmoins, son image reste toujours sulfureuse et associée à des aspects
magiques, mystiques, spectaculaires. Nous assistons tout à la fois à un phénomène de
mode, visible par la popularisation de l’hypnose de spectacle et dans le même temps à
une plus grande scientificité dans son abord médical, à un niveau de preuve de plus en
plus élevé de son efficacité, à de plus en plus de soignants qui la pratiquent. Ces deux
phénomènes s’alimentent l’un l’autre.
Erickson a beaucoup transmis par sa façon d’être, par ses recherches et par ses
témoignages. Il a influencé le monde de la psychothérapie au-delà même de
l’hypnose. Il a notamment permis à ses observateurs attentifs de mieux comprendre
les techniques de communication associées à l’hypnose et à la psychothérapie. Il a
inspiré les fondateurs des thérapies brèves pour mettre en lumière l’orientation vers
les ressources, l’importance des relations ou du langage corporel dans le processus
thérapeutique.
Il est important, de nos jours, d’en savoir plus sur l’hypnose, pour ne pas laisser
libre cours aux idées reçues et aux dérives.
II

Cerner l’hypnose
Peut-on définir ce qu’est l’hypnose ?

C’est très difficile ! Il n’y a pas de consensus sur sa définition. L’histoire de


l’hypnose montre déjà divers changements de paradigme : pour F.A.
Mesmer c’est l’influence du praticien qui est au centre du processus, pour
Bernheim c’est la technique, la suggestion, Charcot y voyant la centralité de
l’état de conscience, pour Erickson, c’est avant tout une forme particulière
de lien entre thérapeute et patient…
Il s’agit d’un phénomène complexe, difficile à cerner.
 
En vérité il y a un peu de tout cela  : l’hypnose est un état de
conscience particulier (la transe), un ensemble de techniques de
communication (qui mènent à l’état de conscience ou influent sur le lien
entre les protagonistes), un type de relation (centrée notamment sur la
question de l’influence et de la conduite de l’attention et de l’intention),
le tout marqué par des influences sociales et culturelles…
 
Mais le plus important avec les phénomènes complexes est avant tout
de donner une sorte de définition négative et de dire ce que l’hypnose
n’est pas1, notamment parce qu’il y a beaucoup d’idées reçues à ce sujet.
3

Qu’est-ce que n’est pas l’hypnose ?

Hypnose et inconscience

L’hypnose est-elle du sommeil ?

Si l’on met un électro- encéphalogramme sur le crâne du sujet en


hypnose, on voit bien qu’il s’agit d’un tracé qui n’est pas celui d’une
phase de sommeil.
Non ! Il suffit d’en faire l’expérience pour se rendre compte qu’on ne dort
pas, qu’au contraire on est très « présent », focalisé, concentré, et que,
même pour des phénomènes ressentis comme involontaires, on ne perd
jamais conscience en hypnose2.
Par ailleurs, si l’on met un électroencéphalogramme sur le crâne du
sujet en hypnose, on voit bien qu’il s’agit d’un tracé qui n’est pas celui
d’une phase de sommeil. De même les études sur l’état hypnotique en
imagerie fonctionnelle cérébrale ont montré que le cerveau des sujets
n’est pas en sommeil, au contraire  : les circuits de l’attention sont
mobilisés !

Mais alors pourquoi le fameux : « Dormez ! Vos paupières sont


lourdes ! » ?

Nous sommes les héritiers de l’histoire de l’hypnose. Depuis le sommeil


magnétique, jusqu’aux malaises suscités par les hypnotiseurs de spectacle
en passant par le nom même « d’hypnose » (ὕπνος signifiant « sommeil »)
ou bien les crises avec perte apparente de conscience des hystériques de
Charcot, sans compter la collusion avec le champ de la relaxation,
l’apparence réaliste de l’imagerie mentale en hypnose un peu comme dans
les rêves, bref, la transe a, sous nos latitudes, souvent l’apparence d’une
sorte de sommeil. Notre culture, probablement assoiffée de rationalité
préfère la penser comme du sommeil plutôt que de revenir à des
mouvements involontaires et à une possession3.
La particularité de ce travail est aussi qu’il faut que l’esprit soit dans
une disposition particulière d’attention, de disponibilité, d’éveil de
certaines fonctions, de réceptivité à certains messages.
Dans d’autres cultures, elle peut être une transe chamanique avec une
danse rythmique, une méditation ou un mouvement plus ou moins lent
d’un moine shaolin, un rituel initiatique ; chez nous aussi, en vérité, une
séance d’hypnose peut être bien plus active qu’on ne le croit. Mais
l’imaginaire collectif a retenu cette idée d’une sorte d’endormissement.
De nombreux praticiens s’en sont saisis et ont même mis dans leur attirail
des suggestions de sommeil. Mais l’hypnose n’est définitivement pas du
sommeil comme celui de nos nuits. Hélas pour les patients qui arrivent
parfois en consultation et demandent qu’on les endorme, qu’on les
« répare » durant ce sommeil et qu’ils se réveillent guéris ! Même si elle
produit parfois des résultats spectaculaires, l’hypnose tire son efficacité
d’un travail actif dans l’esprit du patient4.
La particularité de ce travail est aussi qu’il faut que l’esprit soit dans
une disposition particulière d’attention, de disponibilité, d’éveil de
certaines fonctions, de réceptivité à certains messages. Cela est plus
facile (même si pas toujours) dans le calme… mais pas en dormant ! En
vérité, si vous perdez conscience ou que vous vous endormez réellement
ce ne sera justement plus de l’hypnose  et le travail
« hypnothérapeutique » ne sera alors pas possible.
On peut être relaxé, détendu, on peut perdre un peu ses repères pour
pouvoir en changer, mais on ne perd pas conscience en hypnose.

Hypnose, domination et spectacle


L’hypnose est-elle un moyen de domination ? D’imposition
des idées ?

Non, l’hypnose n’est pas imposée au sujet puisqu’elle est produite par le
sujet ! L’hypnose ne vient pas de l’hypnotiseur, mais de l’esprit du sujet
hypnotisé.
En vérité, on pourrait aller jusqu’à dire que le verbe « hypnotiser » ne
veut rien dire. Stricto sensu, on n’hypnotise personne, personne n’a un
«  pouvoir  » particulier qui permet cela. On aide quelqu’un à entrer en
hypnose, on lui facilite l’entrée en hypnose, on lui fournit un cadre qui
l’aide à entrer dans cet état de conscience ou à faire ce travail intérieur…
L’hypnopraticien, et encore plus particulièrement le thérapeute,
propose et le sujet dispose.
Dans ce cadre, le sujet peut accepter une suggestion, c’est-à-dire une
proposition d’une perception ou d’une vision différente. L’hypnotiseur de
spectacle joue sur cette ambiguïté en formulant ces propositions sur un
mode autoritaire, en affirmant haut et fort que le sujet va faire quelque
chose sans même le vouloir, en mettant en scène un « pseudopouvoir »
sur les gens…
Mais en réalité, l’hypnopraticien, et encore plus particulièrement le
thérapeute, propose et le sujet dispose.

L’hypnose n’est donc pas un moyen de faire dire ou faire des choses


qu’on ne veut pas ?

Vous n’allez pas « révéler sous hypnose quelque chose que vous ne vouliez
pas dire », vous n’allez pas vous déshabiller si vous ne le voulez pas, même
si on vous le demande en hypnose, vous n’allez pas tuer votre voisin parce
qu’un hypnotiseur vous l’aura demandé sous hypnose. Il n’est pas possible
de faire sous hypnose quelque chose qui soit hors de nos dispositions, c’est-
à-dire que nous ne pourrions pas faire hors hypnose.

Mais alors d’où viennent tous ces phénomènes décrits, par exemple,


par l’hypnose de spectacle où la personne semble « faire ce qu’on
lui ordonne » ? Ce n’est pas de l’hypnose ?

Et pourtant il peut tout à fait s’agir d’hypnose !


Précisons. Vous n’allez pas tuer votre voisin… sauf si vous êtes
fondamentalement un tueur qui peut s’en prendre à son voisin !
On ne fait pas sous hypnose quelque chose qui nous aurait été
totalement impossible hors hypnose. Nous faisons sous hypnose quelque
chose qui nous serait possible. Cependant l’hypnose nous « facilitera »
l’accès à cette possibilité.
Vous n’allez pas vous déshabiller… et pourtant, même sans hypnose, si
vous avez besoin de vous faire examiner par un médecin vous allez
retirer des vêtements pour que ce soit possible !
On ne fait pas sous hypnose quelque chose qui nous aurait été
totalement impossible hors hypnose. Nous faisons sous hypnose quelque
chose qui nous serait possible. Cependant l’hypnose nous «  facilitera  »
l’accès à cette possibilité.
 
L’hypnose est une sorte de «  catalyseur  ». En chimie, un catalyseur
facilite une réaction chimique  : il intègre cette réaction, il l’accélère ou
l’augmente par sa présence, puis s’en retire. La réaction était de toute
façon possible sans lui, il l’a facilitée, accélérée, amplifiée.
Il ne s’agit pas seulement de ce qu’un sujet produit comme
comportement, mais surtout ce qu’un sujet peut produire comme
comportement dans ce contexte donné…
Pour revenir à la question initiale : nous avons tous en nous, plus ou
moins présente, une capacité, par exemple, à nous donner en spectacle5,
une possibilité de nous laisser entraîner dans un «  délire collectif  ».
L’hypnotiseur de foire, de scène, va surtout créer le contexte qui rend
cela possible pour un certain nombre, et l’accentuer par de multiples
artifices.
 
Il ne s’agit pas seulement de ce qu’un sujet produit comme
comportement, mais surtout ce qu’un sujet peut produire comme
comportement dans ce contexte donné…
Je vous propose de considérer l’hypnose comme un catalyseur de
contexte.

Qu’est-ce que cela veut dire ? L’hypnose agit différemment selon


le contexte ?

En vérité c’est surtout… nous qui sommes différents selon le contexte !


 
Vous connaissez peut-être cet exemple. Le 12  janvier 2007, pendant
trois quarts d’heure, Joshua Bell a joué dans une station de métro de
Washington à l’heure de pointe. C’est l’un des plus grands violonistes du
monde. Le voir jouer en concert coûte des centaines d’euros et son
stradivarius vaut 3,5  millions de dollars. Il joue là six pièces classiques
parmi les plus élégantes jamais écrites. Plus de mille personnes passent,
quasiment personne ne s’arrête (7 personnes en tout, surtout des enfants).
Personne ne l’applaudit à la fin, une seule personne le reconnaît. « Dans
un environnement ordinaire, à une heure inappropriée, sommes-nous
capables de percevoir la beauté, de nous arrêter pour l’apprécier, de
reconnaître le talent dans un contexte inattendu  ?  » écrira Gene
Weingarten, le journaliste rapportant l’expérience (son article lui a valu le
prix Pulitzer).
L’hypnose, donc, catalyse, facilite, ce qu’un contexte permet.
Génie ovationné dans une salle de concert, musicien de rue ignoré,
peut-être par les mêmes qui l’ont applaudi la veille, dans une station de
métro le matin. Rien ne s’exprime en dehors d’un contexte qui le permet.
Le comportement n’est pas le même, la sensibilité à la scène vécue non
plus.
 
L’hypnose, donc, catalyse, facilite, ce qu’un contexte permet.
 
L’hypnotiseur de spectacle, quand il a du talent (ce qui n’est pas si fréquent
en vérité), parvient surtout à créer une ambiance dans laquelle tout cela peut
se produire. Dès le billet acheté, chacun se demande s’il vivra ces
phénomènes, les premières expériences proposées au public sont
généralement des phénomènes quasi physiologiques6, ceux qui les vivent le
plus rapidement sont invités sur scène et à chaque nouveau phénomène sont
progressivement désignés comme « très hypnotisables » par rapport à ceux
qui ne les produisent pas et doivent quitter la scène.
S’insinue inconsciemment, dans l’esprit des quelques individus
soigneusement sélectionnés, l’idée qu’on est réceptif à ce qui se joue et
que tout le reste en découlera… À partir de là  : the show must go on  !
Souvent pour le plus grand amusement. Parfois au détriment des
difficultés ou des risques que peut entraîner la forme d’une telle
pratique…
Dans mon bureau de «  psy  », ce n’est pas la capacité à amuser, à
divertir, qui se révèle. La personne qui consulte un thérapeute souffre et
veut changer quelque chose dans sa vie. Dans le meilleur des cas,
l’hypnose révèle la capacité du patient à mettre la main sur ses
ressources, changer de point de vue, dépasser ses problèmes et trouver
ses solutions. Les suggestions du thérapeute ne sont que des propositions
dont le patient peut se saisir pour changer. Il nous faut donc, suivant en
cela Erickson par exemple, l’en croire capable, et l’aider à y accéder.
En cela, un hypnotiseur de scène ne pourrait soigner véritablement ni
durablement sur une scène une anxiété, une douleur, une addiction. Le
contexte ne favorise pas la révélation d’une « capacité à changer ».
Le contexte créé par un praticien utilisant l’hypnose ne change pas
la réalité, mais rend possible au sujet plus facilement l’accès à ses
ressources, capacités, possibilités.
Mais à l’inverse, je ne pourrais (et ne voudrais) pas dans le cadre d’un
bureau de médecin faire « faire le pitre » à un patient, le contexte ne s’y
prêtant évidemment pas.
 
Le contexte créé par un praticien utilisant l’hypnose ne change pas la
réalité, mais rend possible au sujet plus facilement l’accès à ses
ressources, capacités, possibilités7.
 
En somme, dans un contexte, installé par un homme de spectacle8, où
l’hypnose est perçue par certains comme un moyen visant à prendre le
contrôle sur eux, faire faire aux gens toutes sortes de choses ridicules ou
amusantes ou répondre à des ordres, c’est bien l’hypnose qui servira de
catalyseur, de révélateur9. En revanche, dans un contexte permettant de
percevoir l’hypnose comme un moyen dont se saisit le patient pour
reprendre le contrôle de sa propre vie, trouver des ressources face à ses
problèmes, ce sont ces capacités-là qui peuvent être recherchées par un
thérapeute et révélées par l’hypnose.

Hypnose et danger

C’est donc bien de l’hypnose, même sur scène, qui permet de révéler


quelque chose que l’individu semble faire contre
son gré (un comportement spectaculaire), mais dont, à un autre
niveau, il avait envie inconsciemment (se donner en spectacle,
participer à l’ambiance, se lancer un défi, se « prendre au jeu »,
même s’il ne se rend pas toujours compte au départ de ce que cela
implique). Alors, est-ce dangereux ?

Que l’on voie l’hypnose provoquer des phénomènes spectaculaires ou


inattendus sur une scène, une insensibilité à la douleur dans un bloc
opératoire, un esprit qui surmonte un traumatisme, une addiction ou une
dépression qui se poursuivait depuis des années, il apparaît à ceux qui en
sont les praticiens ou les témoins honnêtes que l’hypnose est un outil
particulièrement puissant.
Or, tout outil puissant est potentiellement dangereux s’il est mal utilisé.
Un cutter est un excellent outil de bricolage, mais peut devenir une arme
blanche  ; une substance chimique, comme la morphine ou le cannabis,
peut être selon les circonstances comme un médicament, une substance
récréative ou qui mène un individu fragilisé vers une mise en danger de
lui-même…
Pour qu’un outil puissant soit utile, il est nécessaire qu’il soit utilisé
par quelqu’un qui le connaît et sait l’utiliser en contexte. Le médecin
prescrivant de la morphine a pour objectif le soulagement du patient, le
dealer qui en vend a pour objectif la dépendance du sujet pour son
enrichissement personnel, l’ami bien intentionné qui en fait goûter a pour
but le partage de plaisir, sans se rendre compte forcément et
immédiatement des dangers…
 
Comparaison n’étant pas raison, revenons à notre hypnose.
 
Les critères de sûreté sont donc :
—  savoir utiliser l’hypnose (c’est-à-dire avoir reçu une formation
adéquate) ;
—  connaître le contexte dans lequel on l’applique (c’est-à-dire être
habilité et compétent à traiter le genre de troubles pour lesquels la
rencontre a lieu). Le danger serait de l’appliquer par exemple dans un
contexte que l’on ne connaît pas.
À titre d’exemple10  : je suis psychiatre, je ne vais pas pratiquer
l’hypnose dans un bloc opératoire pour une opération chirurgicale. Non
pas parce que je ne connais pas la technique hypnotique nécessaire (il
m’est arrivé de l’enseigner à des anesthésistes !) mais parce que je ne suis
pas anesthésiste. Je n’ai donc pas les compétences pour gérer les
paramètres vitaux, le déroulé de l’analgésie et surtout la conduite à
adopter en cas de difficulté en cours d’intervention, c’est-à-dire les
paramètres «  extrahypnotiques  ». À l’inverse, en tant que psychiatre je
peux être capable de savoir gérer une crise d’angoisse, une réminiscence
traumatique ou déterminer si telle ou telle condition psychiatrique est
compatible avec l’hypnose, ce que ne saura pas forcément faire un
confrère d’une spécialité différente…
L’hypnose est produite par un patient, dans un cadre offert par le
thérapeute. Il se doit de bien connaître ce cadre.
«  Bien faire  » de l’hypnose n’est pas, loin de là, qu’une question de
bonne maîtrise de l’hypnose elle-même, mais du sujet dont on s’occupe.
L’hypnose est produite par un patient, dans un cadre offert par le
thérapeute. Il se doit de bien connaître ce cadre. En thérapie, il s’agit de
la communication et de la relation thérapeutique, de certains aspects
psychologiques.
On peut maîtriser à merveille la technique hypnotique et commettre
des imprudences.
Par ailleurs, certaines situations présentent un danger car elles peuvent
entraîner des réminiscences et des «  abréactions11  ». Quand un
«  hypnotiseur  » met en scène, pour le spectacle, une relation de
domination, c’est souvent d’ailleurs plus sur le plan non verbal que
verbal (c’est-à-dire que même hors du contenu de son discours, c’est sur
la forme, le ton, la gestuelle qu’est exprimé le message : « Vous êtes en
mon pouvoir et allez faire et ressentir contre votre gré ce que je
souhaiterai. »)
Pour la plupart des gens, cela peut s’inclure dans un « jeu amusant ».
Pour certaines personnes fragilisées qui auraient subi des traumatismes et
des relations perverses, il peut se produire un « réveil » de ces difficultés.
Souvent l’hypnotiseur ne s’en rend pas compte car la réaction n’est pas
immédiate et la sidération induite par une situation « impressionnante »
peut être forte chez le sujet. Mais c’est souvent dans l’après-coup, après
quelques semaines, que la personne viendra consulter, mal à l’aise et
pleine de « mauvais souvenirs qui reviennent ».
Le danger est donc double  : d’abord de l’ordre de la relation (un
« hypnotiseur » malintentionné ou centré sur lui-même) et de l’ordre de
la compétence (un praticien qui ne maîtrise pas et ne se préoccupe pas
de ce qu’il peut réveiller chez l’autre), c’est-à-dire à  l’outil, qui, mal
utilisé, peut provoquer des difficultés chez des personnes fragilisées.
Le danger est donc double  : d’abord de l’ordre de la relation (un
« hypnotiseur » malintentionné ou centré sur lui-même) et de l’ordre de
la compétence (un praticien qui ne maîtrise pas et ne se préoccupe pas de
ce qu’il peut réveiller chez l’autre), c’est-à-dire à l’outil, qui, mal utilisé,
peut provoquer des difficultés chez des personnes fragilisées.
Bien entendu ce n’est pas l’hypnose en soi qui est un problème, car
elle n’est en elle-même ni bonne ni mauvaise, c’est une technique
(relationnelle, communicationnelle et de thérapie)12. Elle doit être
pratiquée d’une part à bon escient, d’autre part avec la compétence
requise pour déterminer si c’est à bon escient et enfin dans un cadre
éthique.

L’hypnose n’est pas éthique ?


Aucune technique ne porte en elle sa propre éthique ! Est-ce que la
chirurgie, la gastroscopie ou la mécanique automobile sont éthiques ?
L’éthique est un ensemble de principes qui guident nos actions, et non les
actions elles-mêmes. C’est la façon dont on utilise une technique qui est
porteuse ou non d’éthique et de respect.
Et concernant l’éthique du soin par l’hypnose, elle est simple  : le
bénéfice de l’hypnose doit être à celui qui entre en hypnose, pas à celui
qui l’aide à y entrer (en dehors de la satisfaction de bien exercer son
métier ou d’être normalement rétribué). On peut y ajouter l’adage
médical « primum non nocere » : d’abord ne pas nuire, ce qui implique
d’avoir la compétence pour gérer les situations.
Et concernant l’éthique du soin par l’hypnose, elle est simple  : le
bénéfice de l’hypnose doit être à celui qui entre en hypnose, pas à celui
qui l’aide à y entrer (en dehors de la satisfaction de bien exercer son
métier ou d’être normalement rétribué).
L’éthique est bien différente de celle du soin quand on utilise une
technique d’influence à son propre bénéfice, que ce soit pour remplir une
salle ou pour influencer le choix de quelqu’un ou encore pour flatter son
propre ego (« Je sais hypnotiser n’importe qui, n’importe où, n’importe
comment  ») ou dans un lieu de divertissement ou dans la rue sur des
inconnus avec une caméra pour s’en glorifier sur YouTube, ou encore
pour manipuler…

Alors toute « hypnose qui divertit » est dangereuse ?

Oui et non.
 
Non, de facto pas toujours. Car chez un grand nombre de gens il n’y a
pas d’incidents. Tout le monde, heureusement, ne sort pas
psychotraumatisé d’un spectacle d’hypnose. Signalons aussi que la
plupart des hypnotiseurs n’ont pas d’intentions négatives. Donc des
témoignages positifs, l’on en trouvera toujours, et vu la démultiplication
d’« hypnotiseurs » sans formation correcte ni cadre de pratique défini, il
est heureux que la plupart du temps il n’y ait pas d’incidents graves !
 
Eh oui, car elle n’est certainement pas, selon nous, la plus éthique telle
qu’elle est trop souvent pratiquée. En France, l’hypnose divertissante est
tolérée, ce qui n’est pas le cas partout dans le monde, où certains pays ont
clairement interdit la pratique de l’hypnose hors du cadre du soin.
Malgré cette tolérance, de nombreux soignants ne peuvent évidemment
pas l’encourager quand ils observent la situation telle qu’elle est. Un
nombre de plus en plus grand de personnes, sans aucune qualification
particulière dans le domaine relationnel ou du soin, pratiquent l’hypnose
après une formation très courte, avec une maîtrise seulement de la
technique (et encore, une maîtrise très partielle), de façon impromptue et
sur le plus grand nombre sans connaître les intéressés.
Sans compter que dans ces pratiques «  divertissantes  », on met en
avant les pratiques les plus spectaculaires, impressionnantes voire
« privatives » (on met la personne en impossibilité apparente de bouger
un membre, ou de se souvenir de son nom, ou en situation de chuter de sa
hauteur dans les bras de l’hypnotiseur…)13. Ces techniques de disparition
de repères d’identité personnelle mettent en jeu trop d’inconnues dans
l’équation pour qu’on les considère comme anodines. Elles peuvent
fragiliser ou aggraver une personne déjà fragilisée. Remettre en question
ses repères, changer ses perceptions, peut être, j’en témoigne, un outil
extraordinaire de thérapie pour changer sa vie, dans un cadre maîtrisé,
mais ne peut pas être considéré comme un simple jeu.
 
En somme, explorer les capacités de nos inconscients peut être tout à
fait inoffensif voire bénéfique à la condition que cela se fasse en
confiance, avec un praticien qui connaît son domaine et sécurise sa
pratique. Ce n’est, hélas, pas le cas de la plupart des contextes ludiques
actuels de l’hypnose. Un lecteur averti en vaut deux14.

Mais que penser de ces affaires entendues, de « viols sous


hypnose » ? Là, il n’est plus question de divertissement…

Hélas non… c’est même dans des situations de « demande d’aide »15 que
l’on en a entendu parler…
 
Certes, «  on ne peut pas faire faire quelque chose à quelqu’un sous
hypnose qui soit hors de ses dispositions morales », c’est-à-dire quelque
chose que sa morale personnelle réprouve. Et il n’est évidemment dans
les dispositions de personne d’être violé ! Dans le même temps, certaines
personnes en détresse, en souffrance, affaiblies ou malheureuses sont
plus enclines, «  disposées  », à confier littéralement leur vie, entre les
mains de celui qui prétend les sauver. Si celui-ci se révèle être animé de
mauvaises intentions, un danger existe.
Hélas, dans un grand nombre de cas16, il n’y a même pas besoin
d’hypnose pour qu’éclatent des histoires d’abus, de relation de
domination, de viols, y compris par des soignants, qui ont abusé de
situation de pouvoir…
 
Sur ces affaires, certains vous diront «  c’est impossible puisqu’on ne
peut pas faire faire quelque chose à quelqu’un qu’il n’aurait pas
accepté…  » d’autres tenteront de diaboliser l’hypnose comme une
immonde technique de domination. Comme on le voit, rien n’est simple,
et la réalité exige nuance et précision.
 
Il serait donc faux de dire que l’hypnose en soi permet des viols. La
«  domination  » d’un individu par un autre survient dans un contexte
(multifactoriel) de domination. Ainsi, ce qui est dit dans ce paragraphe
n’implique pas seulement l’hypnose, loin de là !
Toute situation de demande d’aide entraîne un positionnement
asymétrique au départ, dont « l’aidant » ne doit jamais abuser. L’éthique
est fondamentale dans la pratique de toute technique de soin ou de
relation d’aide.
Par ailleurs, comme tout outil de communication efficace, il peut
entraîner le meilleur potentiel (comme une réhumanisation de la relation
et du soin par un soignant consciencieux17) comme le risque (faciliter les
choses à un manipulateur, un pervers ou un charlatan malintentionné)18.
 
Ajoutons que certaines personnes ont vécu dans des contextes de
manipulation ou de domination. Les relations d’emprise ne sont souvent
pas des situations de « violence physique manifeste ». Un manipulateur
peut donc installer une relation de domination où l’affection se mêle et se
confond avec de la violence19. Une situation de sidération s’installe, la
victime se retrouve en difficulté pour résister, non pas du fait d’une
éventuelle violence physique mais à cause de la bien plus redoutable
emprise psychique.
 
Certaines personnes n’ayant pas complètement surmonté ces
traumatismes, ce genre de violences, de confusion, de sidération, d’abus,
de maltraitances, sont parfois en difficulté pour repérer assez tôt les
signes d’un nouveau danger, d’une nouvelle relation toxique quand elle
se présente20.
 
Et, bien sûr, il est aussi dans les «  dispositions  » des agresseurs
malintentionnés de jeter leur dévolu sur de telles personnes, hypnose ou
pas.
 
Le principe général « on ne peut pas faire quelque chose à quelqu’un
sous hypnose qu’il ne voudrait pas faire » s’exprime aussi en contexte :
en l’occurrence il est souvent question de contextes de demande d’aide.
C’est-à-dire un contexte où une personne affaiblie par sa souffrance place
sa confiance dans les mains d’un thérapeute, qui a donc une
responsabilité importante21. Ce n’est toujours pas l’hypnose en soi, en
tant qu’état de conscience qui est dangereuse, mais son utilisation.
Travailler en hypnose implique impérativement d’établir une relation de
confiance.
 
En somme, il ne s’agit pas littéralement de « viol sous hypnose », mais
de viol, sur une victime, par un agresseur qui a usé entre autres de
techniques d’hypnose pour arriver à ses fins. Le fait que l’hypnose soit
présente n’enlève rien, ni à la culpabilité de l’agresseur, ni à la souffrance
de l’agressé. Bien au contraire, le sentiment pour la victime de s’être
« fait avoir » par une personne « de confiance » à qui elle demandait de
l’aide peut être particulièrement mal vécu  ; et le fait, pour l’agresseur,
d’abuser de la confiance que l’on lui donne, de dévoyer une technique
communicationnelle, potentiellement thérapeutique, à des fins
criminelles, est une circonstance particulièrement aggravante.
 
La relation de confiance avec un praticien en hypnose est donc
fondamentale. Plus largement, le sentiment de sécurité doit être présent
avec tout professionnel de la relation d’aide.

Hypnose et passé

L’ hypnose est-elle un moyen de retrouver les causes, les origines de


nos problèmes ?

Une idée, issue d’une compréhension un peu simplifiée de la psychanalyse,


s’est ancrée dans l’inconscient collectif : il faudrait retrouver les causes de
nos problèmes pour avancer. Au point que nombre de patients rencontrent
un thérapeute en demandant en premier lieu : « Je voudrais savoir pourquoi
j’ai cela », alors qu’en les interrogeant quelques minutes, on s’aperçoit que
c’est surtout : « Je voudrais savoir comment me sortir de cela » qui est leur
demande la plus importante.
Cette idée de recherche d’origine est problématique à plus d’un titre.
Tout d’abord parce que, parfois, la «  cause  » semble évidente22. Quelle
« origine » au problème rechercher chez ce patient qui m’explique qu’il
est en difficulté depuis qu’il a été enfermé au Bataclan le 13 novembre et
a survécu aux attentats ?
Le présent agit sur le passé et le transforme. Si nous ne remontons
pas physiquement le temps, en revanche, nous changeons sans cesse la
vision que nous avons de notre passé.
Ensuite, parce que la causalité est vue, par ceux qui s’inspirent de
l’hypnose, comme circulaire et non linéaire. La causalité linéaire, plus
familière, nécessaire d’ailleurs dans certaines disciplines comme la
physique classique, et généralement admise instinctivement quand on
pense à notre propre vie, signifie que ce qui se produit est la conséquence
d’une cause qui le précède. Le passé influence le présent, et le temps
poursuit son infatigable cours, sans retour en arrière.
 
Mais si l’on considère une causalité circulaire, l’effet vient rétroagir
sur la cause et la transformer en permanence ! Le présent agit sur le passé
et le transforme. Si nous ne remontons pas physiquement le temps, en
revanche, nous changeons sans cesse la vision que nous avons de notre
passé. Si j’observe une période de ma vie passée, alors que je vais bien,
je la raconterai bien différemment que si je raconte la même période
passée, pendant un moment présent de difficultés et d’épreuves.
L’hypnose éricksonienne est donc assez naturellement une thérapie
qui travaille dans le présent et tournée vers l’avenir.
Il n’y a donc souvent pas de causes « objectives » aux problèmes, elles
sont souvent multiples, complexes et changeantes. En vérité, tous les faits
nous parviennent accompagnés d’une interprétation. Ce qui nous fait
souffrir n’est pas, finalement, ce qui s’est passé ; mais la façon dont ce
qui s’est passé vient nous faire souffrir maintenant. Savoir ce qui s’est
« réellement passé » est bien sûr fondamental pour la justice ou la police,
c’est logique  ; cela peut être important aussi pour certains patients et
c’est totalement respectable. Mais pour le thérapeute, le but de la
démarche n’est pas de découvrir des indices de vérité, mais de soulager la
souffrance. Il ne mène pas l’enquête et ne doute pas du patient, ne
cherche pas de preuves ou d’indices, mais des possibilités de soulager et
de construire un avenir résilient.
Il ne s’agit donc pas de retrouver une cause, connaître l’origine de la
souffrance, mais bien regarder celle-ci différemment pour continuer à
avancer. L’hypnose éricksonienne est donc assez naturellement une
thérapie qui travaille dans le présent et tournée vers l’avenir.

Mais quel est alors l’effet de l’hypnose sur la mémoire ? On entend


dire parfois qu’elle est un moyen de retrouver des « vrais »
souvenirs, jusqu’ici enfouis, refoulés. Même si cela ne fait
pas complètement guérir, cela n’est-il pas apaisant de remettre
la main sur ce qui cause une souffrance ? On entend aussi parler
de « faux souvenirs » induits par l’hypnose ? L’hypnose nous aide-t-
elle à accéder à la mémoire ou bien la modifie-t-elle23 ?
L’hypnose a fait l’objet de vives controverses sur cette question, notamment
sur le plan judiciaire avec la question d’abus sexuels remémorés de façon
très précise sous hypnose, parfois très tardivement après les faits, lors d’une
séance, après une longue amnésie24. Parfois la justice a démontré la véracité
des faits et condamné les coupables, parfois il a été montré que les faits
n’étaient pas arrivés tels que remémorés, parfois il n’a pas été possible de
vérifier quoi que ce soit.
On sait par ailleurs, bien au-delà de l’hypnose que la mémoire est
faillible et que certaines convictions sur nos souvenirs peuvent être
fausses. Pour l’anecdote, 30 % des personnes accusées, puis innocentées
par leur ADN, avaient avoué un crime pendant leur interrogatoire25, ce
qui est considérable…
Avant de connaître les effets de l’hypnose sur la mémoire, il est
nécessaire d’en savoir un peu plus sur la mémoire elle-même…

Comment fonctionne donc notre mémoire ?

Nous avons parfois l’impression que le passé nous définit, que notre
histoire est une suite d’événements enregistrés. Mais, en réalité, notre
histoire est une histoire racontée, construite, les événements sont
sélectionnés, inclus dans un récit cohérent… et, nous le savons aujourd’hui,
parfois remaniés, complétés.
 
De fait, notre cerveau est habitué à combler les blancs. Par exemple,
une petite partie de notre champ visuel est « aveugle », sur chaque rétine,
il y a une zone (celle où s’insère le nerf optique) qui ne voit littéralement
rien. Pourtant, constatez-vous un trou de chaque côté de ce que vous
voyez  ? Non, évidemment. Votre cerveau reconstitue ce qui manque à
partir du contexte. Et ce n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres
de réarrangement de l’information pour y donner du sens…
De même, il est impossible de retenir toutes les informations
sensorielles quand nous vivons un moment : nos yeux, nos oreilles, tous
nos capteurs sensoriels sont bombardés d’informations dont nous ne
retenons qu’une petite partie. Nous pouvons compléter ce souvenir avec
des éléments issus de l’imagination, pour donner une cohérence à la
narration du souvenir. Et, par la suite, nos souvenirs sont en réalité des
puzzles, dont la trace est disséminée en plusieurs lieux cérébraux.
La mémoire, subjective, déforme peu à peu les souvenirs, notamment
selon les émotions associées  : comme quand nous enjolivons le
souvenir d’une période heureuse quand nous sommes en difficulté, ou
relativisons le souvenir d’une tristesse passée, dans des moments
agréables.
Vous sentez une odeur et vous vous souvenez d’un amour passé ; vous
entendez une musique et vos vacances vous reviennent  ; à partir d’une
sensation, les autres canaux sensoriels sont activés et reconstituent le
souvenir, et ce à chaque fois que le souvenir est sollicité.  Ils sont donc
des reconstitutions et contiennent une part, indiscernable, d’imagination
qui donne une cohérence narrative à l’ensemble26.
 
Comme nous l’avons également souligné, la mémoire, subjective27,
déforme peu à peu les souvenirs, notamment selon les émotions
associées  : comme quand nous enjolivons le souvenir d’une période
heureuse quand nous sommes en difficulté, ou relativisons le souvenir
d’une tristesse passée, dans des moments agréables.
Il est donc impossible au sein d’un souvenir de clairement différencier
la part de l’imagination de celle de la réalité.

Cela semble effrayant ! Nous ne pouvons donc pas vraiment compter


sur nos « vrais » souvenirs pour être une transcription fidèle
de ce qu’il s’est passé dans notre vie…

Non, du moins ne peut-on pas compter dessus comme l’on compterait sur
une caméra chargée d’enregistrer passivement des données…
Il peut paraître effrayant de perdre l’illusion que notre cerveau est un
pur ordinateur. Mais c’est en même temps rassurant car c’est ce qui fait
de nous des êtres humains  ! Car nous sommes des êtres de sens et de
cohérence, de discours, de dialogues et d’histoires racontables (pas de
répertoire de faits objectifs). Notre histoire est constituée des éléments
que nous retenons et de la cohérence que nous leur donnons. C’est une
immense richesse que de pouvoir donner, et éventuellement modifier, du
sens à nos vies. Mais cela a un prix : la possible inexactitude de certains
souvenirs. Comme le dit J.A. Malarewicz, « aucune technique ne permet
de contourner la subjectivité, c’est-à-dire la complexité du psychisme
humain28 ».
Notre mémoire n’est pas une sténographie de la réalité.
Notre mémoire n’est pas une sténographie de la réalité. La part d’un
ordinateur qui stocke passivement des données est parfois appelée
«  mémoire morte  ». Mais notre mémoire est bien vivante, elle travaille
sans cesse, intègre nos souvenirs dans notre système bien plus complexe
de pensée, d’émotion, d’imagination, de sens, de subjectivité.

D’où vient cette idée que la mémoire contiendrait « quelque part »


tous les faits réels ?

On a longtemps pensé que notre mémoire contenait tous les souvenirs, tous
présents et encodés d’une manière ou d’une autre, et que l’on ne perdait,
éventuellement, que les chemins pour y accéder. Ce modèle était plutôt une
vision statique et passive d’un meuble à tiroirs, dans lequel chaque tiroir, si
on le retrouvait, contiendrait un souvenir impeccablement plié et repassé.
L’hypnose s’imposait alors comme une technique particulièrement adaptée
pour aider à se remémorer les souvenirs oubliés. L’état de conscience induit
par l’hypnose, la facilité avec laquelle des images semblaient se présenter et
le fort « réalisme » de ces dernières paraissaient indiquer cette pratique
comme une voie privilégiée.
Même Erickson pensait – l’idée ne provenait pas de lui au départ mais
il semblait y adhérer dans certains de ses écrits  – qu’on pouvait, en
hypnose, accéder à toute la réalité des souvenirs. La mémoire se
présentait pour lui presque «  par strates  » au point de faire des
régressions en âge et de prétendre ramener réellement  l’individu dans
l’état (émotionnel, mnésique,  etc.) dans lequel il était à des époques
antérieures. Cela semble aujourd’hui assez aberrant et, sur ce point, on
peut affirmer qu’Erickson se trompait, ce qui ne remet aucunement en
question ni son admirable travail, ni les recherches et expérimentations
actuelles sur le fonctionnement et l’efficacité de l’hypnose dans le
traitement des psychotraumatismes.
Le maître de l’hypnose n’était d’ailleurs pas le seul à se représenter la
mémoire de la sorte. Cette conception était courante et partagée. Il n’y a
pas si longtemps, pour un tribunal américain, quasiment tout témoignage
obtenu sous hypnose était, de fait, crédible, qu’il s’agisse d’agression
sexuelle ou d’enrôlement dans une secte satanique. À la suite d’épisodes
de condamnations après ces témoignages, dont il avait été démontré par
la suite qu’elles étaient abusives, de nos jours la tendance est inverse  :
tout souvenir remémoré par hypnose est reçu avec beaucoup de
circonspection  (voire considéré comme non valable a priori) par la
justice américaine29.

Les souvenirs « partiellement faux » sont donc monnaie courante.


Et les souvenirs « totalement faux » ?

De façon logique par rapport à ce qui précède, on peut imaginer que


certaines formes de communication (avec ou sans état de conscience
particulier) peuvent modifier mémoire et souvenirs. Cela est tellement vrai
qu’on a pu démontrer, sans trop de difficulté, qu’il était possible non
seulement de déformer les souvenirs mais aussi d’inculquer des faux
souvenirs. Ces expériences, menées, entre autres, par la psychologue
américaine Elizabeth Loftus, ont quelque chose de troublant. Le scénario
est souvent le suivant : les examinateurs demandent l’autorisation à des
étudiants de joindre leurs proches pour collecter des souvenirs. Ils racontent
à l’étudiant ces épisodes pour voir s’il s’en rappelle et ils en incluent un
faux. Initialement, un certain nombre ne s’en « rappelle » évidemment pas.
Et à force de répéter le faux souvenir, ou de lui ajouter des détails cohérents
avec la vie de la personne (« Vous vous rappelez ? C’était quand vous viviez
avec vos parents dans le Colorado… ») ou même de demander à la
personne d’imaginer des détails de l’histoire, environ les deux tiers finissent
par croire en l’existence réelle de ce souvenir. Toutes sortes de faux
souvenirs ont ainsi pu être implantés : depuis s’être perdu dans un centre
commercial jusqu’à avoir commis une agression ou un vol, en passant par
avoir pris le thé avec le prince Charles ! Quand on a finalement révélé aux
intéressés que le souvenir était faux, certains n’arrivaient plus à le croire…
 
De nombreuses méthodes, mais aussi des modalités de
communications anodines et quotidiennes peuvent créer involontairement
de faux souvenirs, ou «  contaminer  » les vrais souvenirs avec de
l’imaginaire. Il n’y a pas lieu de s’en inquiéter et c’est même
parfaitement physiologique, notre esprit donnant ainsi un sens et une
cohérence à notre vécu.
Parfois un interrogatoire, une question suggestive peut modifier la
mémoire. Particulièrement dans des situations ou une relation d’autorité
s’installe (thérapie de toute sorte, police, hiérarchie…)
Dans de rares cas, de véritables charlatans ont induit volontairement de
faux souvenirs pour manipuler les gens30. Dans certains pays on a même
interdit les thérapies de «  remémoration du passé  ». Un souvenir qui
« revient » par hasard au détour d’une autre expérience (visiter un lieu de
l’enfance, ou même une séance d’hypnose sur un tout autre sujet) n’est
pas la même chose qu’une forte suggestion par un « thérapeute », même
sous forme de question (« vous êtes sûr que vous n’auriez pas… ? »)

Mais alors tout est faux dans notre mémoire ?

Non ! Bien sûr que nous retenons les événements à partir de faits qui se sont
« objectivement passés ». Les faux souvenirs ne sont pas la norme. Mais
l’évolution a fait de nous des êtres de sens, et nous avons des fonctions
spécifiques pour donner du sens et de la subjectivité, qui sont bien plus
fortes que les fonctions d’un disque dur31. Tout n’est pas vrai, tout n’est pas
faux. Nous ne semblons simplement pas disposer des capacités nous
permettant de distinguer de façon absolue ce qui relève d’un souvenir
« réel » ou d’un souvenir reconstruit.
 

En thérapie, que ce soit un rappel suggestif (lorsqu’on laisse la


personne s’exprimer librement sur ses souvenirs) ou «  indicé  »
verbalement (quand on donne des indices pour aider à se remémorer), ou
d’un état de conscience particulier (comme celui par l’hypnose), il paraît
clair que l’on peut faciliter la remémoration (parfois spectaculaire) de
souvenirs réels : c’est ce que l’on nomme « l’hypermnésie ».
Mais dans le même temps, on facilite aussi la « paramnésie » : la mise
en route de l’imaginaire et des capacités extraordinaires de notre cerveau
à chercher cohérence et signification pour donner un sens nécessaire à
nos représentations mentales (quitte parfois à les modifier).
 
Mais revenons à la thérapie. Le patient n’arrive pas en consultation
avec seulement des événements à raconter, mais une souffrance actuelle,
qui, elle, est bien réelle. Ayant travaillé avec des centaines de personnes
psychotraumatisées, je sais que l’important est qu’un thérapeute ne
travaille pas avec la question de « connaître la vérité » des faits. Ce n’est
pas une enquête. Cela est l’affaire de la justice, du droit, de la loi qui se
devrait d’être la plus juste possible pour tous (et il y a du travail  !).
Parfois pour le patient cela peut être important d’avoir des preuves que
«  c’était bien réel  », ce qui est parfaitement compréhensible et
respectable. Parfois il y a évidemment des « indices extérieurs objectifs »
qui permettent de savoir. Mais en tant que thérapeutes, si des souvenirs
«  reviennent  », pendant une thérapie, notamment en état de conscience
particulier, nous savons qu’ils peuvent être totalement vrais ou
partiellement vrais, ou partiellement faux !
Nous travaillons avec le récit que le patient nous amène. Sous cet
angle-là, tout est « vrai » dans ce que dit le patient !
Toutefois cela n’a pas d’importance : nous travaillons avec le récit que
le patient nous amène. Sous cet angle-là, tout est « vrai » dans ce que dit
le patient  ! Le patient souffre parce qu’il revoit, au présent, ces images
d’agression32. Je n’ai aucune enquête à mener, aucune approbation ou
remise en question de la parole du patient à émettre. Comment établir une
relation de confiance avec le patient si je suis dans une attitude de doute
et de recherche d’indices face à ses propos ? Ce qu’il me dit me suffit33.
C’est à lui d’évaluer ce qu’il fera avec ce qu’il perçoit. Je dois
travailler avec lui, sans jugement, à partir de sa souffrance, de son
ressenti, ici et maintenant.
 
Il est important que, face à une demande d’un patient qui voudrait
« retrouver de vrais souvenirs enfouis », le thérapeute puisse informer le
patient que la prudence est nécessaire, que travailler sur une souffrance
peut se faire sans forcément rechercher la vérité34. Si un travail en
hypnose devait s’engager sur le passé, le patient peut aussi être informé
que tout ce qu’il percevra n’a pas valeur de preuve légale, et qu’il ne lui
sera d’ailleurs pas possible de savoir avec une certitude absolue si ce
qu’il perçoit relève d’une mémorisation ou comporte des parts
d’imagination. Cependant la motivation d’une personne en souffrance est
généralement et prioritairement que la souffrance s’apaise !
 
À ce titre, voici deux petites histoires illustratives.
Alors que je travaillais en centre pénitentiaire, un patient vint me voir
dans les suites de sa condamnation pour meurtre. Son drame était qu’il
n’avait aucun souvenir du meurtre, et qu’il ne se connaissait pas violent,
fuyait plutôt les conflits, n’avait jamais recours aux mains… Il ne pouvait
se résoudre à l’idée qu’il avait pu commettre un tel acte, même si tout
l’accusait vraisemblablement au vu de la condamnation.
Je lui ai donc expliqué les éléments cités au paragraphe ci-dessus : pas
de certitudes sur la véracité absolue de ce qu’il pourrait percevoir dans
une éventuelle séance d’hypnose, pas de possibilité de distinguer
l’enregistrement de souvenir de l’interprétation et l’imagination qui
l’accompagnent, pas d’éléments de preuve médico-légale.
Il m’annonça à la séance suivante qu’il renonçait à sa demande initiale.
Le doute, m’expliqua-t-il, était déjà pour lui insupportable et
permanent entre s’avérer être un meurtrier, ou s’avérer être condamné à
tort à une lourde peine  : deux options inacceptables. Si, en plus de ce
doute, il percevait quelque chose en hypnose, dont il pourrait douter de la
véracité, cela serait pour lui encore pire, une sorte de «  doute sur du
doute  », un «  doute au carré  », d’autant que cela ne changerait rien, le
procès avait eu lieu et n’était plus révisable. L’objectif du patient devint
plutôt celui de faire le deuil de la certitude.
 
Une patiente vint me voir dans le cadre d’un deuil non résolu d’un
proche mort d’une « longue maladie », qu’elle avait vu douloureusement
dépérir à domicile alors qu’elle était assez jeune. Sous hypnose elle revit
la scène difficile et je lui demandai d’observer des détails de ce souvenir,
d’éventuelles différences, des choses qu’elle n’aurait pas remarqué la
première fois. Elle remarqua en effet des aspects qu’elle n’avait pas pris
en compte dans le souvenir initial, des gestes discrets mais significatifs,
des images, des mots qui changeaient clairement l’interprétation qu’elle
avait de son passé. « Je n’avais pas remarqué ces détails, je n’avais pas
vu les choses comme ça, je comprends mieux maintenant… »
À la séance suivante la patiente était grandement soulagée, à son grand
étonnement. Elle n’était plus obsédée jusque dans ses cauchemars par le
deuil, elle pouvait en parler sans se laisser déborder par les émotions…
Mais elle me demanda si ce qu’elle avait vu était « bien réel ou alors dans
[sa] tête ».
«  Est-ce vraiment important  ?  » lui demandai-je. Et après une courte
réflexion, elle dut bien admettre que non. L’expérience vécue en séance
suffisait à changer son vécu subjectif de ce deuil, que les éléments
retrouvés aient été réels ou produits par son esprit pour lui laisser
entrevoir un autre point de vue…

Cette fragilité des souvenirs peut de fait s’avérer utile en thérapie…

Paradoxalement, oui.
Les psychothérapies ont souvent instinctivement bien compris ce mode
de fonctionnement de notre cerveau. Les thérapies analytiques disent très
clairement qu’elles cherchent la vérité «  du sujet  » et non la vérité
absolue, Freud ayant bien montré qu’un traumatisme réel ou « fantasmé »
aura le même impact psychique  ; les TCC recherchent plus une
«  reprogrammation cognitive  » et la possibilité de pensées alternatives
qu’une exploration des origines de la souffrance ; les modernes thérapies
brèves et l’hypnose médicale actuelle aident le patient à trouver des
solutions pour avancer, utiliser les ressources dont il dispose, redonner un
sens à sa vie et des capacités plutôt que d’interpréter indéfiniment des
causes  ; la mindfulness (méditation de pleine conscience) invite à
l’acceptation, plutôt qu’à la lutte et à la rationalisation pour apaiser les
ressentis, etc.
En vérité, on ne peut échapper aux faits, effacer la réalité d’un
événement considérable qui s’est produit et dont on se souvient35. La
thérapie peut en revanche aider à l’appréhender différemment, à «  s’en
sortir ». En vérité, on l’aura compris, la capacité du cerveau à ne pas être
un disque dur, mais plutôt à pouvoir opérer des changements de point de
vue et de perception sur le réel, à posséder des capacités de
«  malléabilité  », qui pourrait pour certains sembler une fragilité, est en
fait une capacité utile36, qui peut être particulièrement sollicitée en
hypnose.
Si l’esprit peut modifier ou réinterpréter un souvenir, il peut aussi,
éventuellement guidé par un thérapeute qualifié, utiliser cette capacité
pour le mettre dans une autre perspective, vivre mieux et avancer plus
sereinement dans son parcours de vie, dans les suites d’un traumatisme.
Et comme l’hypnose révèle des capacités existantes alors tout cela
n’est pas utile qu’en thérapie. « La mémoire sert à oublier » comme l’a
écrit Elisabeth Loftus. La mémoire est une fonction complexe faite
d’enregistrements partiels, de reconstitutions partielles, d’oublis partiels
et sélectifs qui permettent de donner un sens à notre identité. Fonction
précieuse et centrale !
 
Si l’esprit peut modifier ou réinterpréter un souvenir, il peut aussi,
éventuellement guidé par un thérapeute qualifié, utiliser cette capacité
pour le mettre dans une autre perspective, vivre mieux et avancer plus
sereinement dans son parcours de vie, dans les suites d’un traumatisme.
 
Toute personne en souffrance se devrait d’être attentive si elle souhaite
se faire aider, d’aller voir – notamment pour tout problème relatif à des
«  mauvais souvenirs  » au sens large (histoire difficile, traumatismes
subis, etc.) – un thérapeute diplômé, qualifié et compétent ; qu’il s’agisse
d’une thérapie classique ou a fortiori très spécialisée (TCC, hypnose,
mouvements oculaires, etc.)

Hypnose et mystique
L’hypnose permet-elle de voyager dans des vies antérieures ?
De faire de la télépathie ? De communiquer avec les morts ?

Rien de tout cela ! L’hypnose n’est pas un instrument du paranormal, et le


thérapeute n’a aucun pouvoir particulier. C’est bien le cerveau du sujet qui a
cette capacité à produire des phénomènes hypnotiques, avec son
consentement. Le thérapeute n’a qu’une technique qui l’aide à y accéder. Il
n’y a pas d’énergie ou de magnétisme ou de capacité surhumaine chez les
praticiens en hypnose. Ils n’ont aucun pouvoir particulier. Quant au travail
thérapeutique, il dépend avant tout de la qualité de la relation entre le
thérapeute et le patient.

Mais alors pourquoi un tel lien à travers l’histoire entre hypnose


et surnaturel ?

Il se trouve juste que les phénomènes non encore expliqués sont souvent
repris à leur compte par l’ésotérisme et le surnaturel. Il semble parfois plus
« facile » de recourir à une théorie fantasque que d’attendre qu’une
explication plus scientifique soit explorée (ou de se faire soi-même
chercheur et d’explorer ces phénomènes rationnellement).
 
Comme nous ne comprenons encore pas tout, le lien entre hypnose et
surnaturel persiste. Les croyances servent d’argument de vente. Mais tous
ces phénomènes ne sont pas avérés et leur lien avec l’hypnose n’a jamais
pu être vérifié. Bien entendu cela ne veut pas dire que ces phénomènes,
comme les vies antérieures, n’existent pas, chacun est libre de ses
croyances ! Il s’agit juste de dire ici que l’hypnose n’est pas un outil qui
nous renseigne sur ce point37 et n’est pas un moyen d’y accéder.
 
Des thérapeutes incompétents, car souvent peu formés et par de
véritables commerciaux (voire des gourous) qui leur « vendent » un outil
magique et lucratif, sont tentés par ces concepts. Énergie envoyée à
distance, vies antérieures, vibrations hors de l’espace/temps humain,
expérience hors du corps, pensées ou intentions transmises dans des
objets (ou dans une bouteille d’eau38  !), alchimie, réincarnations,
mémoire universelle ou cosmique…
Tous les termes étranges, occultes ou paranormaux associés à
l’hypnose devraient entraîner de la méfiance, tant des patients en
souffrance que des soignants en recherche d’outils thérapeutiques.
La lumière se fait petit à petit sur les explications rationnelles de ces
phénomènes inconscients ou complexes. Certains thérapeutes proposent
probablement ces techniques en toute bonne foi (c’est bien le mot juste),
mais des supercheries demeurent nombreuses et il est difficile de faire la
différence car, souvent, le discours est très travaillé, très convaincant et
très porteur d’espoir pour ceux qui souffrent…
 
Ces praticiens, sûrs de leur fait, certains de leurs pouvoirs ou des
pouvoirs de leur occultisme, trahissent l’esprit des pionniers en hypnose.
L’hypnose est une discipline du doute, du scepticisme, de la démarche
réflexive pour comprendre ce qui se passe hors du champ du surnaturel.
Elle a tenté, dans toute son histoire de dépouiller les phénomènes
magiques et suggestifs de leur folklore pour en révéler la nature, ou la
dimension utile au soulagement de la souffrance.
Pensons par exemple à la commission Lavoisier qui analyse le
mesmérisme et infirme l’existence du magnétisme et du « pouvoir » du
praticien. Pensons à Braid qui expérimente sur des aveugles vérifiant que
l’hypnose ne vient pas d’une fatigue oculaire. Bernheim qui pratique
toutes sortes d’expériences pour tester les implications possibles de la
suggestion dans différents domaines (y compris, au grand étonnement des
modernes que nous sommes, concernant l’éducation ou le médico-légal).
Au XXe  siècle, Erickson écrivant des centaines d’articles dans lesquels il
teste toutes sortes de phénomènes hypnotiques et leur utilisation,
jusqu’aux neuroscientifiques essayant d’en décortiquer le fonctionnement
cérébral, en passant par les thérapies brèves qui extraient et développent
à partir de l’hypnose toute une panoplie de stratégies de communication
et leur utilisation thérapeutique.
Se remettre en question, chercher, douter et affiner notre pratique et
notre compréhension de l’hypnose, est bien plus dans l’état d’esprit de
cette discipline que la mystique et les explications « toutes faites » du
surnaturel.
Se remettre en question, chercher, douter et affiner notre pratique et
notre compréhension de l’hypnose, est bien plus dans l’état d’esprit de
cette discipline que la mystique et les explications «  toutes faites  » du
surnaturel.
 
Au fur et à mesure des travaux de recherche, il semble que l’hypnose
se révèle, de plus en plus, être un peu ce qu’en décrivait Erickson et bien
d’autres praticiens de terrain, à savoir un phénomène extraordinaire et
efficace, mais d’une certaine banalité car inscrit dans nos capacités
humaines naturelles.
Le mystère de l’hypnose et de son efficacité est surtout dans la richesse
des relations humaines et de leur potentiel de changement.

Mais alors, pourquoi dit-on qu’il faut « y croire » ?

Lorsque j’étais interne en médecine, voulant faire ma thèse sur un sujet en


lien avec l’hypnose, j’étais soutenu dans ce projet par un professeur qui,
bien que non-praticien en hypnose, m’aida en « dirigeant » ce travail. Il
s’agissait d’évaluer une indication de l’hypnose. Un jour, nous étions face à
un confrère que nous souhaitions convaincre du bien-fondé de cette
démarche de faire bénéficier des patients de l’hypnose et d’en analyser les
effets. Peu convaincu, peu disposé à nous aider, ce dernier déclara : « De
toute façon, l’hypnose, moi je n’y crois pas ! » Mon directeur de thèse lui fit
alors la réponse la plus intègre et scientifique qui soit : « Ce n’est pas une
affaire de croyance. C’est une technique, et pour savoir si elle marche, il
faut la tester. »
 
En vérité, un patient, qui «  y croit  » beaucoup, qui se montre très
enthousiaste, peut parfois mettre tant d’espoir en l’hypnose qu’il pourra
être déçu, avec l’impression qu’il ne se passe rien, ou à l’inverse
anticiper, presque simuler, ce qu’il croit être des manifestations
d’hypnose. Ou bien, en attendant tout de l’hypnose, il court le risque de
se reposer sur la technique, comme un élément extérieur, magique, qui
pourrait le faire changer sans travail effectif (conscient ou non) de sa
part.
À l’inverse quelqu’un qui «  n’y croit pas  » ne consultera tout
simplement pas ou bien résistera, et comme il est impossible de faire
entrer quelqu’un en hypnose et d’obtenir des effets thérapeutiques sans
son consentement…
De moins en moins rattachée à des croyances et de plus en plus
admise comme une technique thérapeutique, l’hypnose ne nécessite pas
tant de croire que de vouloir simplement en faire l’expérience et en
constater les effets.
De moins en moins rattachée à des croyances et de plus en plus admise
comme une technique thérapeutique, l’hypnose ne nécessite pas tant de
croire que de vouloir simplement en faire l’expérience et en constater les
effets. Même un peu sceptique au départ, on peut se laisser surprendre
par les résultats que l’on observe pour peu qu’on accepte de suivre
quelques instructions simples et qu’on scrute son expérience de
modification perceptive39.
 
L’élan pour venir consulter, la motivation, la confiance accordée au
thérapeute sont cependant de réels facteurs d’efficacité. Au fond, bien
plus qu’en l’hypnose elle-même, il faut surtout arriver à croire qu’un
changement nous est possible.
4

Qu’est-ce que l’hypnose ?

Triptyque

Comment cerner l’hypnose ?

La définition de l’hypnose est sujette à controverse et à des changements


réguliers. Évidemment, c’est une bonne chose pour ne pas « figer la
pensée », pour aborder cela sous plusieurs angles… mais ce n’est pas parce
que c’est un phénomène complexe et subtil qu’il n’y aurait rien à en dire ou
qu’il serait impossible de cerner quelques idées générales.
Notons déjà, pour éclairer notre lanterne, qu’on utilise le même mot
pour désigner plusieurs composantes de l’hypnose.

Quelles sont ces composantes de l’hypnose ?

Quand on prononce le mot « hypnose », on fait référence :


—  À un état de conscience particulier, la transe hypnotique, qui se
caractérise notamment par une absorption dans une expérience de
modification perceptive ou par un « champ de conscience élargi1 ».
—  À une technique de communication, qui vise à faire efficacement
passer un message.
— À un certain type de relation qui met en jeu l’attention, l’influence.
Vous pouvez retenir l’acronyme « RTT » : relation-transe-technique.
Vous pouvez retenir l’acronyme « RTT » : relation-transe-technique2.
Pour reprendre une métaphore chère à Patrick Bellet3, supposez que ce
livre ne parle pas d’hypnose mais de vélo. Et que je vous promette qu’à
la fin de sa lecture vous saurez identifier un vélo. Ce n’est pas la même
connaissance que de savoir se servir d’un vélo pour avancer. Et quand on
sait avancer sur un vélo, encore faut-il savoir prendre une carte et prévoir
un itinéraire cohérent pour qu’il devienne réellement utile.
 
En somme, on utilise le même mot pour parler de ce que c’est,
comment on le fait et à quoi ça sert…
 
L’hypnose est donc une forme de relation entre un praticien utilisant
des techniques particulières de communication et un sujet qui
expérimente un état de conscience particulier appelé transe.
 
L’hypnothérapie est généralement comprise comme la psychothérapie
utilisant cette modalité relationnelle. Mais d’autres néologismes au
préfixe « hypno » ont vu le jour : « hypno-analgésie » pour l’utilisation
de l’hypnose dans le soulagement de la douleur, « hypno-sédation » dans
le cadre d’un bloc opératoire en remplacement d’une anesthésie générale,
sans compter la désignation de ceux qui pratiquent et les définitions qui
alternent entre les hypno-tistes/tiseurs/thérapeutes/praticiens/logues, etc.

Et l’autohypnose ?

Il s’agirait d’expérimenter seul l’hypnose. L’idée fait cependant débat.


Pour ceux qui réduisent l’hypnose à l’état de conscience, il n’y a
presque «  que  » de l’autohypnose, le thérapeute ne pouvant
éventuellement que mettre en place un cadre et laisser le patient faire.
Pour les thérapeutes qui ont dans l’idée que l’hypnose est un état avant
tout relationnel, alors l’autohypnose n’existe pas. C’est ce qu’a soutenu,
plus d’une fois, le célèbre Jeffrey Zeig (président de la fondation
Erickson). À la limite, entrer seul en transe (la transe n’étant qu’une des
caractéristiques de l’hypnose), mais faire de l’hypnose seul (tout comme
produire un autre état relationnel  : amitié, empathie, amour,  etc.) paraît
un non-sens.

Alors c’est possible ou impossible ?

Peut-être pouvons-nous adopter une position plus nuancée. Certes


l’hypnose est une forme de relation. Elle ne s’apprend pas seul ou dans un
livre, au risque de n’être « que » une transe. En revanche, avoir expérimenté
l’hypnose en relation permet possiblement de la reproduire. Cela ne veut
pas dire qu’il s’agit de se « rappeler ce qu’on nous a dit » ou de
« reproduire la séance », mais on peut faire revenir un état relationnel
qu’on a connu.
 
De même qu’avoir connu un sentiment de sécurité dans l’enfance
facilite la confiance en soi, qu’avoir été aimé peut nous aider à aimer,
qu’avoir été respecté nous aide à nous respecter nous-même. Non pas
qu’on se rappelle à chaque fois qui nous a respecté ou comment, non pas
qu’on se rappelle le contexte, mais plutôt que notre esprit se rappelle, non
consciemment, qu’il a expérimenté le respect. La question n’est pas
comment ou avec qui, mais que cette possibilité ait existé4.
Il en va de l’hypnose comme d’un bon nombre de phénomènes
relationnels ; l’expérience vécue, même sortie des détails de son contexte
relationnel, représente un apprentissage que l’on peut utiliser ailleurs.
Concrètement, quand l’état d’hypnose s’inscrit dans une relation, on
parle généralement d’hypnose, quand il est obtenu par la personne seule
(en se mettant en condition, en s’autosuggestionnant…), on parle
d’autohypnose.
Concrètement, quand l’état d’hypnose s’inscrit dans une relation, on
parle généralement d’hypnose, quand il est obtenu par la personne
seule (en se mettant en condition, en s’autosuggestionnant…) on parle
d’autohypnose.
Il me semble donc que l’on peut faire de l’autohypnose,
particulièrement si on a connu l’hypnose.
Et l’hypnose « conversationnelle » ?

Originellement c’est notamment la pratique d’Erickson qui continuait à


s’adresser au patient pendant la transe, à lui poser des questions, à maintenir
le dialogue, faisant voler en éclats les représentations classiques du
praticien donnant des ordres à un somnambule automate… L’état
d’hypnose, bien que tout à fait formel, qu’il considérait naturel, devait
amener à se comporter naturellement ce qui inclut la possibilité de parler.
 
Aujourd’hui et par extension, ce terme est utilisé la plupart du temps
quand le praticien n’induit pas de façon formelle, et du moins pas de
façon ratifiée, une transe. C’est la conversation qui utilise des outils
techniques de l’hypnose et le patient peut expérimenter progressivement
une modification perceptive, une transe légère voire plus intense.
 
Ce terme est parfois aussi utilisé quand il n’y a pas de transe (ce qui est
parfois difficile à affirmer  !), ou du moins qu’elle n’est en rien
recherchée, mais que des outils de communication thérapeutique
hypnotiques sont utilisés. Ce qui correspond aussi à une autre pratique
éricksonienne, ce dernier ne faisant pas que de l’hypnose, loin de là. On
est alors presque dans le cadre des thérapies brèves, parfois décrites
comme de « l’hypnothérapie sans transe5 ».

Transe

Commençons par le commencement : qu’est-ce que la transe


hypnotique ?

Cet état est difficile à décrire, bien que parfaitement reconnaissable pour
ceux qui l’expérimentent. Roustang synthétise d’ailleurs merveilleusement
cette difficulté par la question : « Comment décrire un dedans quand on est
dehors ? »
 
C’est d’ailleurs tellement difficile à définir et à résumer que je ne vais
pas tenter de le faire mais plutôt décrire, à l’aide d’exemples, certaines
caractéristiques de l’état hypnotique. En décrivant quelques
caractéristiques de certaines activités de la vie ordinaire, on peut se
donner une idée.
 
En effet, des constats des praticiens et patients aux études de
neurosciences, tout indique que l’état hypnotique est «  physiologique  »
c’est-à-dire accessible à tout cerveau humain, et même de fait rencontré,
parfois partiellement, dans le quotidien, sans que l’on y fasse attention…
 
— Supposons que vous conduisiez votre voiture et qu’en arrivant à la
maison, vous vous rendiez compte que vous avez fait le trajet en étant
complètement ailleurs, plongé dans des pensées, dans une conversation,
dans la radio ou dans la résolution d’un problème. Cet exemple peut
s’étendre à toute activité professionnelle ou personnelle pratiquée un peu
automatiquement et qui nous laisse des ressources mentales disponibles
pour tout autre chose. Il ne s’agit pas d’une «  distraction  » qui nous
sortirait d’une activité, perturbés que nous serions par une autre, mais
bien d’une possibilité de fonctionnement en automatique, nous laissant
suffisamment de ressources, par exemple, pour conduire, respecter un
itinéraire ou faire attention aux piétons (souhaitons-le  !) tout en étant
capables d’utiliser d’autres ressources pour une autre activité (résoudre
un problème, chanter avec la radio ou discuter avec un passager).
 
Cet exemple témoigne de deux caractéristiques de l’état hypnotique :
 
Dissociation  : la capacité de faire fonctionner des composantes de
notre fonctionnement mental (des cognitions, émotions, comportements,
pensées, souvenirs, capacités…) qui sont usuellement liées, associées,
«  unifiées  » en nous-mêmes, et qui ici fonctionneraient de façon
indépendante. C’est possible d’une certaine manière dans ces moments
de dissociation physiologique (c’est-à-dire faisant partie d’un
fonctionnement ordinaire de l’individu).
De façon caractéristique, quand c’est en hypnose (c’est-à-dire de
façon provoquée et parfois plus intense), il peut arriver que des états et
sensations inhabituels, paradoxaux, contradictoires soient possibles
De façon caractéristique, quand c’est en hypnose (c’est-à-dire de façon
provoquée et parfois plus intense), il peut arriver que des états et
sensations inhabituels, paradoxaux, contradictoires soient possibles (à la
fois ici et ailleurs, à la fois détendu et concentré, à la fois en rêverie et
très conscient, à la fois présent et à distance, à la fois très éveillé mais
profondément détendu, à la fois une impression de lourdeur et de légèreté
du corps ou des membres, de chaleur et de fraîcheur, d’hypo et
d’hyperesthésie6, la sensation d’une modification du schéma corporel,
d’avoir une partie de la pensée fonctionnant différemment d’une autre ou
pas à la même vitesse…)
Cela arrive aussi de façon parfois forte dans des situations de
dissociation «  pathologique  ». Typiquement lors d’un traumatisme, par
exemple, une personne sous l’effet du choc semblera sidérée, ailleurs  ;
plus tard, les évocations du souvenir ou les stimuli ressemblants (comme
un bruit sourd pour quelqu’un ayant été traumatisé par une explosion)
provoqueront de nouveau un mouvement de dissociation, une
«  replongée  » dans le traumatisme rendu de nouveau présent qui
provoquera des comportements semblant dissociés et automatiques7.
 

Automaticité : pendant ces moments de dissociation (physiologiques


ou hypnotiques), nous avons l’impression qu’une partie de notre activité
est automatique, ou, pour reprendre un terme issu des études de
neurosciences, nous observons une « disparition du soi-agent ».
Pendant ces moments de dissociation (physiologiques ou
hypnotiques), nous avons l’impression qu’une partie de notre activité
est automatique, ou, pour reprendre un terme issu des études de
neurosciences, nous observons une « disparition du soi-agent ».
En hypnose, il arrive que nous produisions des actes, des sensations,
des perceptions (et c’est pourtant bien notre corps et notre cerveau qui en
sont l’origine et le support) mais ils semblent pour partie se produire de
façon automatisée, sans que nous les ayons totalement choisis, sans que
nous en soyons pleinement conscients, sans nous en sentir vraiment les
agents. L’idée est même recherchée parfois par le thérapeute qui fait
ressentir, constater au patient ces gestes automatiques ou même
simplement que son cœur bat, que ses poumons respirent, qu’il ressent
beaucoup de choses sans avoir rien à y faire, que le corps possède en lui
des ressources pour fonctionner. Constater cela, le constater réellement et
hypnotiquement, est, par exemple, propice au lâcher-prise des tentatives
de contrôles caractéristiques de l’anxiété.
 
—  Supposons que vous lisiez un roman passionnant ou regardiez un
film captivant. Vous êtes tellement plongé dedans que les stimuli
sensoriels alentour (les sons, les images qui environnent) deviennent
moins forts, moins présents. Il faut vous interpeller plusieurs fois pour
vous « sortir » de votre lecture ou de votre visionnage.
Les perceptions hypnotiques sont vécues comme très présentes alors
que les sensations « ordinaires » deviennent plus secondaires.
Absorption  : l’hypnose présente également cette composante
d’absorption dans l’expérience. Les perceptions hypnotiques sont vécues
comme très présentes alors que les sensations « ordinaires » deviennent
plus secondaires. Nous sommes absorbés dans les sensations et sensibles
à leurs changements avec une sorte de «  fluidité mentale  » et donc
d’accès facilité à d’autres sensations, des souvenirs, des éléments
habituellement non conscients, des ressources internes. Ce qui peut être
utile, par exemple, pour se détacher d’une sensation douloureuse due à un
examen clinique pour s’absorber dans un souvenir.
 
—  Car si le livre était bien écrit (ou le film bien fait), vous pourriez
ressentir des perceptions ou des émotions évoquées, provoquées par la
lecture. Vous expérimentez donc une modification perceptive
(modification par rapport aux sensations alentour que vous ressentiriez si
vous ne lisiez pas) qui vous est suggérée par l’auteur, par l’interaction
entre les mots, les images et vos propres représentations. Elles sont même
souvent suggérées de façon très indirecte. Un bon livre ne saurait
contenir des indications comme « à ce moment-là vous devriez être ému
par le sort du personnage » ou bien « cette description de nourriture est
tellement bien faite qu’elle devrait vous donner faim  ». De fait, sur les
évocations de l’auteur, vous construisez, par votre réceptivité à ces
évocations, l’autre partie de l’histoire que vous lisez8. Si on décrit un
désert brûlant, le lecteur peut avoir subjectivement chaud, si on décrit une
couleur ou un paysage, il pourrait le « voir », sans faire d’effort pour se le
représenter. De même en hypnose, on peut proposer de façon indirecte,
par la description, de vivre une sensation utile (un relâchement, une
chaleur, une énergie), sans l’imposer directement mais en tentant de la
faire naître chez le patient.
 
Suggestibilité : la notion de « suggestibilité » a mauvaise presse dans
le langage courant (ce serait être faible, influençable). Mais en hypnose,
c’est avant tout la possibilité de pouvoir accepter un changement, une
perception différente, un autre point de vue. Les patients arrivent souvent
avec la perception d’une réalité immuable, de sensations désagréables et
permanentes. Il s’agit alors d’évoquer, de suggérer et non pas d’imposer.
«  Et si quelque chose était un peu différent  ? Qu’est-ce qui changerait
alors ? »
L’exemple du livre illustre à nouveau l’idée  : si certaines personnes
sont informées par leur lecture, d’autres sont touchées, émues, d’autres
même vivent ce qu’elles lisent, elles sont suggestionnées.
La suggestibilité n’est pas une caractéristique générale et valable en
tout temps  : chacun de nous, selon sa sensibilité est plus ou moins
réceptif à certains contextes, à certaines propositions, bref à certaines
formes de suggestions.
Ce vécu plein, ce vécu d’absorption sensorielle totale, d’oubli du soi
et de la pensée est appelé « flow » par les psychologues qui l’étudient,
notamment chez les sportifs
—  Le sportif, le peintre ou autre personne devant réaliser une
performance, connaît un état d’absorption particulier dans lequel il est
« dans son geste » ou sa performance. Il devient ses jambes qui courent
ou ses mains qui jouent. Il est la vitesse ou la musique. Il dépasse son
cadre habituel de perceptions sans effort cognitif, sans contenu de pensée
particulier, il n’est que sensation pure et perception.
 
Ce vécu plein, ce vécu d’absorption sensorielle totale, d’oubli du soi et
de la pensée est appelé «  flow  » par les psychologues qui l’étudient,
notamment chez les sportifs9. La focalisation est maximale sur certaines
sensations, sans en supporter la dénomination et à l’exclusion d’autres. Si
l’on se disait à ce moment-là «  je suis en train de faire ce geste / de
ressentir cette sensation  » alors la sensation ou la performance
s’arrêterait, on s’en « décollerait ».
 
Absorbé dans son geste, partiellement indifférent à ce qui l’entoure, le
temps du sujet ne s’écoule plus de la même manière10. De même les
patients peuvent éprouver une distorsion temporelle, pensant par
exemple que la séance a duré trois minutes alors qu’elle en a duré plus de
vingt…
 
Il ne s’agit pas de relaxation ou de rêverie stérile, car le contenu de
conscience n’est pas anarchique et fluctuant, il peut être focalisé. Mais ce
n’est pas non plus un état d’effort cognitif intense puisque cette
concentration, cette absorption se fait sans effort. Cet état de sensation
pure est appelé « perceptude » par François Roustang. C’est en cela que
c’est une « veille élargie » par rapport à la « veille ordinaire » habituelle,
puisqu’elle permet d’être attentif à de nombreuses sensations ignorées le
reste du temps, masquées par des cognitions conscientes11. Libéré du
contrôle cognitif, de l’anticipation, de la pensée automatique, de la
pensée-action, perdant un peu ses repères habituels, le patient peut
s’appuyer sur d’autres ressources pour réinterpréter son monde. Cette
expérience peut laisser une trace à l’état de veille et être une aide au
changement.
 
— Parfois, justement absorbé par une activité réflexe, répétitive, voire
une activité qui incite à la rêverie, alors que rien ne nous y prépare, une
idée surgit, survient. Vous êtes en train de vous raser, de vous coiffer, de
conduire, de cuisiner et, d’un coup, votre esprit, ailleurs, vous fait dire :
« Tiens, je sais comment régler ce problème » ou bien : « Oh ! je sais ce
qu’il faut que je lui dise et que je fasse. »
C’est ce que l’on nomme le phénomène « d’illumination12 », ce que
les scientifiques, les découvreurs, connaissent bien. La légende veut que
Newton, se reposant et rêvant (tiens tiens…) sous un arbre, arrive enfin à
mettre en forme sa théorie en voyant tomber une pomme (ou en la
recevant sur la tête selon les versions  !). Poincaré a l’idée de son
théorème en mettant le pied sur le marchepied du tramway. Kekulé
révolutionne la chimie en laissant son esprit vagabonder devant sa
cheminée, Archimède dans son bain, Crick en bas d’un escalier et Percy
Spencer fouillant ses poches en sont d’autres exemples13.
Il arrive donc qu’en hypnose, la perte de certains repères, le réveil de
certaines capacités ou parfois l’état de conscience, l’attente et la
disponibilité au changement que suscite l’hypnose mènent à un soudain
changement de point de vue ou l’émergence d’une nouvelle solution,
surtout quand on ne l’attend pas !
Si l’on ajoute en diverses proportions les éléments précédents  :
dissociation, automaticité, absorption, suggestibilité, absorption
sensorielle, distorsion temporelle ou spatiale, possibilité d’illumination…
on peut avoir une petite idée de ce qu’est un état de transe.
Si l’on ajoute en diverses proportions les éléments précédents  :
dissociation, automaticité, absorption, suggestibilité, absorption
sensorielle, distorsion temporelle ou spatiale, possibilité
d’illumination… on peut avoir une petite idée de ce qu’est un état de
transe.

Tous ces éléments sont donc présents toujours et en même temps ?

Non. Ces composantes peuvent être plus ou moins présentes ou non. Et il y


en aurait même d’autres…
Certaines transes nous semblent très «  associées  » et, en conscience,
nous sommes très présents à nous-mêmes et pas «  ailleurs  », les
fonctionnements sont unifiés et pas dissociés, (de grands praticiens
comme Roustang utilisaient beaucoup ce genre de phénomènes), d’autres
transes sont plus sensorielles, plus imaginatives  ; parfois la distorsion
temporelle est forte, parfois le thérapeute ne fait quasiment pas de
suggestion, d’autres fois c’est la suggestibilité qui est forte et nous nous
laissons guider tandis que certains seront en transe mais insensibles à
toute suggestion, poursuivront un autre chemin que celui proposé…
 
En tout cas, l’hypnose consiste à reproduire de façon volontaire, voire
assistée, guidée, en relation, cet état particulier de conscience, dans un
but thérapeutique. Les phénomènes de « transe du quotidien » ne sont pas
exactement de l’hypnose, qui, elle, consiste en la possibilité de
rechercher volontairement à reproduire ce genre de phénomène naturel et
utile, de façon plus stable, plus dirigée, plus stratégique.

Tout le monde peut entrer en hypnose ? Il n’y a pas des personnes


hypnotisables ou non hypnotisables ?…

Non, c’est une capacité naturelle. Tout le monde peut entrer en transe, mais
pas tout le monde de la même façon…
On a longtemps pensé (et beaucoup le pensent encore) qu’il y a une
hypnotisabilité. Mais, en vérité, les tests et échelles d’hypnotisabilité sont
des échelles de suggestibilité à un certain type de suggestions ! Comme
le soulignait Erickson : « Quand vous appliquez un protocole d’hypnose
sur une grande série de sujets et que celui-ci est inefficace chez 30  %
d’entre eux, vous concluez que 30  % des sujets sont résistants à
l’hypnose. Vous vous trompez. La vérité est que 30  % des sujets sont
résistants à votre protocole  ; en définitive, vous n’avez pas mesuré la
résistance de la population étudiée à l’hypnose, vous n’avez mesuré que
votre protocole, c’est-à-dire rien du tout. Vous n’avez pas touché le
phénomène, mais une création artificielle de votre esprit  ; c’est votre
esprit qui n’a pas saisi au moins 30 % de l’hypnose14. »
Un bon praticien devrait pouvoir vous aider à entrer dans «  votre
transe  ». Si vous n’êtes pas réceptif à une échelle officielle
d’hypnotisabilité, peut-être êtes-vous très réceptif à l’hypnose mais pas à
ces tests-là.
Un bon praticien devrait pouvoir vous aider à entrer dans «  votre
transe ».
Chacun peut y entrer à sa façon, et chacun en connaît des équivalents
ou des aperçus, par exemple dans les activités que l’on a évoquées ici.

Mais si cela s’exprime dans tant d’activités, si aucune


de ces caractéristiques n’est totalement indispensable
ou permanente, si chacun a sa façon d’y aller, alors on pourrait voir
de la transe partout !

C’est le risque. S’imaginer que toute activité ou tout souvenir où l’on


s’absorbe et se focalise, toute activité automatique, toute manifestation de
l’imaginaire, toute activité très sensorielle, toute distraction de
l’environnement serait une réelle transe.
Et ce serait pourtant faux. Nous ne sommes pas tout le temps en état
d’hypnose.
 
Certes, il y a une sorte de lien de parenté entre ce genre d’activités et
l’hypnose, de continuum. Mais dans l’état d’hypnose, le sujet vit une
certaine stabilité de cet état (alors que dans le quotidien les transes sont
souvent plus légères, instables ou fluctuantes), une intensité sensorielle
(plus que lors de la simple imagination ou distraction), une perte plus ou
moins grande de certains repères spatio-temporels, une tolérance à la
contradiction ou à des idées qui seraient difficiles à accepter si elles
étaient traitées cognitivement (par exemple si l’on propose à un patient
de concentrer son angoisse dans une seule partie du corps, ou d’expirer
les tensions à chaque souffle). Et surtout en hypnose, cet état est
recherché volontairement et guidé par un praticien !
 
Pour certains neuroscientifiques15, l’état d’hypnose est surtout
l’association de deux éléments  : la fluidité mentale (mental ease) et
l’absorption. Pour ces scientifiques, l’état de conscience est un peu
paradoxal.
On connaît des états de concentration, où nous nous «  absorbons  »  :
nous faisons un effort, focalisés sur une tâche (un exercice de maths, par
exemple), notre esprit est très actif, au point que les stimuli autour
deviennent plus affaiblis, il est difficile de passer d’une idée à l’autre tant
on est absorbés.
À l’inverse, il existe des états de rêverie, où nous sommes en état de
«  fluidité mentale  »  : notre esprit fait peu d’effort, un rien, dans les
stimuli extérieurs, peut nous distraire et nous fait passer d’une idée à
l’autre, d’une représentation à l’autre.
L’hypnose serait une sorte de mélange : nous n’avons pas forcément
le sentiment de produire un effort important, cependant nous sommes
absorbés dans une sensation ou une perception, au point que les stimuli
extérieurs nous dérangent moins.
L’hypnose serait une sorte de mélange : nous n’avons pas forcément le
sentiment de produire un effort important, cependant nous sommes
absorbés dans une sensation ou une perception, au point que les stimuli
extérieurs nous dérangent moins. Malgré cette absorption, nous passons
fluidement d’une perception à l’autre, par exemple au rythme d’une
suggestion. C’est une sorte de « concentration sans effort ».
 
Il y a des situations dites « naturelles » (c’est-à-dire qui appartiennent
aux capacités normales d’un esprit humain) qui sont proches de
l’hypnose, mais plus ou moins intenses, plus ou moins recherchées, plus
ou moins guidées, donc plus ou moins hypnotiques. Mais y a-t-il une
rupture, une « bascule », un point-seuil très précis qui sépare un état de
veille ordinaire et un état hypnotique ? Rien n’est moins sûr.
C’est une question dans l’étude de tous les états subjectifs  et de leur
« frontière » qu’il est parfois dur… d’objectiver !
 
Si vous appuyez sur le dos de votre main, très progressivement avec la
pointe d’un stylo, au bout d’un moment cela vous fait mal. Mais à quel
moment exactement est-on passé du contact à la gêne, de la gêne à la
douleur ?
Vous rencontrez quelqu’un de charmant. À quel moment passez-vous
d’apprécier une présence au coup de cœur, puis à l’attirance ; de l’envie
de se rapprocher à l’amour « véritable » ?
À quel moment précis passe-t-on de l’éclairage à la forte luminosité
puis à l’éblouissement ?
 
De la même façon pour la transe, même si je sais identifier un bout et
l’autre du spectre (intensément hypnotisé/à l’état de veille)16 un certain
nombre d’états intermédiaires et apparentés, difficiles parfois à distinguer
les uns des autres, permettent des possibilités similaires s’ils sont utilisés
à bon escient…

Et une fois que l’on y est, même en y étant parvenu à notre façon,


l’hypnose se manifeste pour tout le monde différemment ?

Eh oui…
Voici encore un niveau de complexité. Nous n’avons pas tous la même
sensibilité à l’hypnose, chacun la vit à sa façon.
Nous n’avons pas tous la même sensibilité à l’hypnose, chacun la vit
à sa façon.
Prenez encore une fois l’exemple d’autres états complexes  : la
motivation se ressent aux niveaux psychique, cognitif, physique,
comportemental. Mais s’exprime-t-elle pareil chez tous  ? Non,
évidemment. Certains auront plutôt l’air énergiques et joyeux, d’autres
déterminés et sérieux.
Certains, en état de fatigue seront plus ralentis et apathiques, d’autres
plus nerveux et irritables. Certains en état de stress seront volubiles,
agités, obsédés par une idée. D’autres plus distraits, renfermés, ayant du
mal à se concentrer.
Certaines personnes en état d’empathie auront besoin de l’exprimer, de
se rapprocher, de montrer une émotion, d’autres, simplement présents,
avec un regard plus expressif ou un silence qui en dira long…
 
Nous voyons bien que tout « état » complexe17 se manifeste par divers
aspects (émotionnels, cognitifs, comportementaux, éventuellement
relationnels…), pas toujours tous présents en même temps, pas présents
chez tout le monde de la même façon… et pourtant nous les
reconnaissons souvent (et surtout avec de l’entraînement), tant chez nous
que chez les autres !

Cela devient compliqué !

Oui ! C’est pour cela qu’il faut se méfier de toute réduction simple de ce
phénomène et qu’il n’est pas près d’y avoir de définition consensuelle de
l’hypnose. Le fait même qu’il y ait un très grand nombre de définitions
nous dit bien quelque chose sur l’hypnose : elle fait partie de ces
phénomènes qui ne répondent pas à une définition simple et précise (il est
assez simple avec un dictionnaire de définir ce qu’est un ours blanc, une
petite cuillère verte ou un fil de soie). Certains mots ont en revanche
plusieurs définitions (énergie, compétence, cadre…) d’autres encore ont,
dans un dictionnaire, des définitions partielles, parfois courtes, qui tentent
d’approcher le concept en l’illustrant de beaucoup d’exemples (action,
conscience, art…), et qui pourraient faire l’objet de dissertations entières…
Comme le dit l’un de mes collègues18  : «  Tel Théodore Monod
inventoriant les plantes sur son passage, c’est une forme de science que
le naturalisme, qui consiste à humblement produire des observations, les
mettre en forme et les ajouter à la connaissance générale. Et ainsi, notre
idée de l’hypnose se précise, non pas à mesure que le discours se
condense, jusqu’à une phrase lapidaire, ou une formule chimique, mais
au contraire qu’il s’enrichit. »

L’on sent bien en effet que définir l’hypnose n’est pas chose simple


si l’on doit avoir recours à toutes ces approches, toutes
ces analogies…

Elle est une sorte d’expérience « naturelle », reproduite


volontairement, de façon peut-être plus stable, plus intense et plus
dirigée stratégiquement et avec quelques caractéristiques
particulières. Soit.

Mais étant si difficile à objectiver, on pourrait dire que si l’hypnose


n’est pas partout, peut-être qu’elle est… nulle part !
Certains « constructionnistes »19 le disent. La transe serait une sorte de jeu
consenti entre deux personnes.
La sensation de transe, le travail qu’il est possible de faire en
hypnose, n’a pas besoin de preuve quotidienne et permanente pour
qu’on en constate les effets.
Aujourd’hui cela devient tout de même difficile de le dire de cette
façon-là. Nous avons des indices congruents qui montrent que la transe
s’accompagne de changements réels au niveau du fonctionnement
cérébral, justement dans des zones qui régulent attention et conscience.
Les neurosciences actuelles nous poussent à dire qu’il s’agit bien d’un
état de conscience particulier. De plus, certains phénomènes
thérapeutiques (sur les maladies cutanées ou d’autres troubles) vont au-
delà d’un simple comportement compliant.
 
En revanche, dans la pratique quotidienne, prouver l’existence de la
transe n’a pas, pour le praticien d’importance fondamentale  ! La
sensation de transe, le travail qu’il est possible de faire en hypnose, n’a
pas besoin de preuve quotidienne et permanente pour qu’on en constate
les effets20. Nous appliquons des techniques, le patient ressent quelque
chose de particulier, qu’il ne ressent pas le reste du temps, et produit des
phénomènes hypnotiques qui aident bien souvent à changer quelque
chose à sa vie, ses perceptions, ses sensations.
 
Concernant les phénomènes relationnels, il en va toujours de même. Je
serais bien en peine de vous définir avec précision l’amitié ou l’amour.
L’amour existe-t-il ou n’est-il qu’une convention, une habitude  ? Une
histoire qu’on se raconte pour justifier certains comportements, une façon
de les décrire mais qui ne reposerait sur rien de tangible ? Ou au contraire
un phénomène mécanique et chimique, scientifique, objectif, cérébral ?
Cela n’a pas non plus vraiment d’importance en pratique  ! C’est
probablement un peu de tout ça. Et pourtant, même si je ne sais pas
exactement le définir, l’expliquer, je crois savoir quand je suis amoureux
et quand je ne le suis pas, et, d’expérience, ce mode relationnel produit
des effets bien réels !
 
Même si le savoir expert est en perpétuelle recherche d’objectivité, de
données et de définitions, le savoir du terrain donne des indications
légitimes et indispensables ! Les phénomènes de cette complexité mettent
en jeu un tel nombre de paramètres qu’il est impossible (et restera
sûrement impossible) de tous en tenir compte. La complexité du cerveau
humain et du fonctionnement de l’esprit est peut-être trop difficile à
appréhender pour… un esprit humain  ! Il subsiste une part de mystère
dans la relation, et le mystère contribue d’ailleurs à l’efficacité.
 
Cependant, il y a un intérêt, sur le plan de la recherche fondamentale, à
explorer ces questions, à en apprendre plus sur nos états de conscience.
On a l’habitude, par exemple, de distinguer des états différents du
sommeil, des phases, des cycles. Les neurologues ont, en quelque sorte,
découpé le sommeil en morceaux.
Et quand nous ne sommes pas dans une des formes de sommeil, nous
sommes en «  veille  ». Cependant, la perception d’états très divers (de
l’absorption à la dissociation en passant par la sidération, la transe, la
rêverie, la pleine conscience, l’hypnose…) se passe en état de veille,
nécessite d’être éveillé (on ne fait pas d’hypnose à quelqu’un qui dort,
presque par définition, on n’y perd pas connaissance, on n’y est pas en
sommeil…).
Un créneau d’avenir des recherches sur la conscience n’est-il pas de
sortir de l’idée d’une uniformité de l’état de veille ? Et s’il s’y produisait
des phases ? Des états bien différents, ou présentant des caractéristiques
cérébrales communes ? Et lesquelles ?
 
En attendant de telles recherches (dont certaines ont déjà commencé !),
nous disposons de notre expérience clinique auprès des patients.

Peut-on voir des « signes de transe » ? Peut-on savoir si le patient


est hypnotisé ?

Là aussi, il y a des signes « physiologiques » de la transe, mais qui n’ont


rien de spécifique en eux-mêmes à l’hypnose (c’est-à-dire qu’on peut
trouver chacun de ces signes dans d’autres situations).
Généralement le corps connaît une détente musculaire, surtout si
l’installation l’y invite, accompagné d’un désintérêt envers certaines
parties de l’environnement et certaines actions. La respiration et le pouls
sont ralentis (et peuvent accélérer selon la suggestion donnée ou le travail
de la séance), la fréquence respiratoire et la tension artérielle également.
Les réflexes ostéotendineux sont présents contrairement à ce qu’on
constate dans le sommeil. Les mouvements volontaires sont inhibés dans
une sorte de catalepsie, et paraissent plus durs à produire, les muscles du
visage sont relâchés et davantage irrigués par un effet de vasodilatation
périphérique. Le réflexe de déglutition est inhibé, le débit verbal peut être
ralenti avec une légère dysarthrie21.
D’autres indices «  psychologiques  » sont appelés logique de transe
(« trance logic »). Il s’agit d’une forme de réceptivité au discours, qu’on
appelle l’interprétation littérale. Les mots sont pris à la lettre, sans
nuance, dans leur signification concrète et immédiate. Le sujet présente
une tolérance au scénario qui lui est proposé même quand il y a une
contradiction ou moins de logique. Une distorsion temporelle a lieu, une
production d’images abstraites ou concrètes avec des émotions ou des
souvenirs est facilitée. La capacité de se focaliser (sur le présent ou sur
l’imagerie mentale) est augmentée, ainsi que celle de suivre,
consciemment ou non, une suggestion.
 
Comme nous l’avons dit, aucun de ces signes n’existe qu’en hypnose,
mais tout n’est pas non plus présent en permanence pendant la transe…
L’expérience du praticien lui est utile pour savoir «  où  » le patient se
situe, le vécu subjectif du patient également sera un bon indicateur.
 
Bien entendu, l’idée que le patient soit réellement et plus ou moins
profondément en transe a souvent assez peu d’importance objective.
Autant dans un contexte de geste douloureux, de chirurgie ou
d’urgence traitée sous hypnose, le praticien fera tout pour s’assurer que le
patient est dans une transe confortable, stable et dans une sensation
d’anesthésie avant le début du geste.
Autant dans un contexte de thérapie, savoir si le patient est entré en
transe légère ou profonde, en début, dès l’induction, ou en cours de
séance juste pour un moment « clé », s’il a suivi à la lettre les consignes
ou s’il a fait un peu autre chose mais de plus profitable pour lui, a moins
d’importance car il lui sera possible dans tous les cas d’atteindre son
objectif à sa manière. L’hypnose est un élément formidable dans la
démarche de thérapie mais l’absence d’hypnose formelle ne signifie pas
l’échec ou l’impossibilité de la thérapie.

Qu’entend-on par « profondeur » de transe ?

Ce concept de « profondeur » de transe, qui est admis comme une vérité


absolue par certains est pourtant discutable. Il semble plutôt que la
profondeur est une métaphore (on n’est pas réellement plus « profond » ou
« enfoncé » dans quoi que ce soit) qui sert à décrire l’intensité avec laquelle
sont vécus les signes de transe ou bien la facilité pour le sujet à produire
certains phénomènes hypnotiques. Mais tout cela ne repose sur quasiment
rien d’objectivable et de reproductible.
Certains ont même établi des niveaux de profondeur, avec des
caractéristiques qui nous permettraient de les reconnaître. Mais il s’agit
en général de prophéties autoréalisatrices. Si je définis le niveau de
profondeur «  1  » comme la fermeture des yeux, le «  2  » comme une
détente musculaire profonde et le « 3 » comme une analgésie du bras, en
les suggérant dans cet ordre, je les obtiendrai dans cet ordre et je croirai
avoir vérifié ma théorie ! En vérité il n’y a pas d’ordre et de profondeur
car les éléments hypnotiques peuvent être produits ou non, de façon
concomitante ou non, selon la technique, le patient, le thérapeute…
N’accordez donc pas de valeur absolue aux transes décrites par
niveaux bien établis (qu’elles soient des légères, super ou gigatranses) ou
même classées par chiffres arabes ou lettres grecques…

La « profondeur » de la transe n’a donc pas d’importance dans


la réussite de la thérapie ?

Dans l’hypnose conversationnelle, dans les thérapies brèves (qui ont


emprunté de nombreux outils et stratégies à l’hypnose sans pratiquer de
transes formelles), l’efficacité est fréquente alors même que la transe n’est
ni formelle ni flagrante. L’important est que la modalité technique et
relationnelle soit adaptée au patient, à sa personnalité, à sa problématique,
donc oui, tous les « niveaux » de transe sont potentiellement efficaces s’ils
sont bien utilisés !
 
Par ailleurs, certains supposent une plus grande profondeur avec
l’obtention de plus de phénomènes hypnotiques «  visibles  »  : c’est une
erreur. Si l’on disait par exemple que la profondeur signe l’efficacité de
la transe, sa plus grande capacité à nous transformer intérieurement alors
c’est l’inverse !
L’obtention de phénomènes spectaculaires (mouvements ou
immobilités ressentis comme involontaires ou analgésie/anesthésie
temporaire) s’obtient souvent en quelques minutes (comme me le
soulignent souvent mes collègues urgentistes et anesthésistes), avec des
techniques relativement simples et n’est pas corrélée avec une plus
grande intensité de la transe.
Même si moins «  télévisuels  », les changements internes plus
profonds, durables (se libérer d’une addiction, d’une douleur chronique,
d’une dépression, d’un traumatisme) et significatifs donc de cette
véritable action en profondeur de l’hypnose, ne se font pas forcément de
façon bruyante ou spectaculaire pour les yeux.
 
Il n’y a pas de corrélation entre l’obtention de phénomènes et une
quelconque «  profondeur  ». Le praticien devrait se demander si les
exercices proposés au patient sont en corrélation avec l’aide qu’il peut y
trouver, et pas s’il est à tel ou tel « niveau ». Il arrive que des effets plus
spectaculaires aient lieu dans un bureau (émotions, mouvements…) ou
que la séance paraisse « calme » (en la filmant on aurait l’impression que
l’un dort et que l’autre lui parle doucement). Rien de cela n’indique ni
l’efficacité, ni la supposée « profondeur ».
 
Bien entendu, c’est surtout une sensation  : subjectivement un patient
peut avoir l’impression de vivre les phénomènes hypnotiques de façon
plus ou moins intense, la transe peut paraître plus stable, plus loin du
point de départ en veille. Il est probable que, dans certaines thérapies, ce
vécu plus intense (donc plus « profond ») signe une meilleure efficacité,
mais ce n’est pas une règle absolue.

Technique

Qu’appelle-t-on la technique hypnotique ?

Un certain nombre d’outils de communication qui ont pour objet :


— d’obtenir un état hypnotique ;
—  ou d’obtenir un effet possible de l’hypnose, avec ou sans l’état
formel de transe…
L’hypnose (notamment dans sa part technique) vise à ce que le
message de l’opérateur/du thérapeute atteigne sa cible, c’est-à-dire,
soit entendu par le sujet/le patient.
Car en vérité, l’hypnose (notamment dans sa part technique) vise à ce
que le message de l’opérateur/du thérapeute atteigne sa cible, c’est-à-
dire, soit entendu par le sujet/le patient. Comme l’affirme Dominique
Megglé22 : « Communiquer une idée, un sentiment ou une émotion, et la
communiquer efficacement, c’est-à-dire de manière à ce que le patient y
réponde, telle est la meilleure définition de l’hypnose.  » Certains
messages, certaines nouvelles idées ou perceptions arrivent de façon plus
«  efficace  » pendant l’état d’hypnose, mais aussi, une façon
« hypnotique » de communiquer aide à améliorer la qualité de la relation,
même sans transe formelle…
 
Ainsi, un praticien en hypnose soigne sa façon de communiquer.
 
Ce livre ne se veut pas un cours ou un manuel d’hypnose mais un
éclaircissement sur cette pratique et son cadre d’application. Aussi, il
n’est pas nécessaire de s’étendre sur les techniques, simplement d’en
donner des exemples pour s’en donner quelque idée.
 
Les messages donnés par le praticien en hypnose sont généralement
appelés « suggestions ». Entendez cela comme des propositions qui sont
faites au patient et à son inconscient de modifier certaines perceptions,
sensations ou comportements. Ces suggestions peuvent prendre une
forme directive, c’est-à-dire que la phrase peut être prononcée sur le
mode impératif ou avec une seule possibilité (que le sujet peut ou non
accepter).
Mais attention, directif ne veut pas dire autoritaire ! Les hypnotiseurs
de spectacle surjouent cet aspect-là et leurs suggestions ressemblent à des
ordres (pour mieux masquer des suggestions subliminales). En thérapie je
pourrais parfaitement dire à un patient : « Si vous êtes d’accord, asseyez-
vous confortablement, fermez les yeux et respirez tranquillement  »  ; de
facto, la phrase est à l’impératif, mais je peux rester courtois, poli et
respectueux…
La communication se fait par l’intermédiaire du langage dit
« digital » (le contenu, le sens des mots) mais aussi « analogique » (le
phrasé, le ton, la posture, le langage non verbal).
Souvent les thérapeutes, notamment éricksoniens, useront de
suggestions indirectes, qui peuvent être par exemple permissives : « Vous
pouvez peut-être ressentir dans l’une de vos mains une sensation… peut-
être est-ce de la légèreté  ? Du confort  ? Autre chose  ?  » La suggestion
indirecte permet au patient de ressentir une modification tout en se
sentant libre d’y trouver son propre chemin.
 
La communication se fait par l’intermédiaire du langage dit « digital »
(le contenu, le sens des mots) mais aussi « analogique » (le phrasé, le ton,
la posture, le langage non verbal). Ainsi, la façon de dire les mots, le
moment où les dire, l’attitude sont des facteurs qu’un thérapeute étudie.
Pour prendre un exemple concret : essayez de dire à quelqu’un de fermer
les yeux et de ressentir une sensation agréable. Maintenant réessayez en
prononçant le mot «  agréable  » lentement et pendant le temps de
l’expiration. Vous constaterez que l’expérience est différente.
 
Un principe important dans la thérapie hypnotique est le principe
d’analogie. La pensée non consciente est souvent plus sensible à un
langage analogique que trop conceptuel ou littéraire. Souvent même,
c’est le recours à la pensée consciente qui maintient certains problèmes :
préoccupations, ruminations, obsessions, réflexions conscientes et
incessantes pour résoudre une difficulté d’ordre émotionnel ou physique.
Parfois, ces préoccupations laissent apparaître la difficulté bien plus
importante qu’elle n’est en réalité, ou nous empêche de percevoir les
ressources qui aideraient. Pour cela, l’hypnose propose de mettre un peu
en veille ou en retrait le contrôle cognitif conscient et de laisser la place
au ressenti, au corporel, à l’analogique, à l’image et à l’imaginaire.
Le thérapeute peut donc user d’images, d’analogies, de métaphores
«  parlantes  » pour aider le patient à mettre en route les processus
imaginaires et inconscients utiles, ou tout simplement remplacer le
« raisonnement » par « l’expérience ».
«  Une image vaut mieux que de longs discours  » dit-on parfois. Le
thérapeute peut donc user d’images, d’analogies, de métaphores
«  parlantes  » pour aider le patient à mettre en route les processus
imaginaires et inconscients utiles, ou tout simplement remplacer le
«  raisonnement  » par «  l’expérience  ». En effet, il arrive que le patient
«  sache  » intellectuellement ce qu’il pourrait, voudrait, devrait faire ou
penser. Mais il ne peut pas (au niveau de son comportement, ses
émotions, son vécu) commencer réellement le changement. Une
métaphore remplace une connaissance par une expérience. De la même
façon qu’un récit ne dit pas que son contenu, mais nous fait vivre une
expérience personnelle en le découvrant. L’analogie, l’image, la
métaphore marque l’individu à un autre niveau qu’un simple
raisonnement.
 
Une patiente vient me voir, épuisée. Elle a l’impression d’être
débordée par sa propre vie, de s’occuper toujours des autres, de son mari,
de ses enfants, de son travail. Puis de ses parents vieillissants, de ses
collègues, de ses amies en difficulté…
Les autres passent toujours avant elle-même, elle n’arrive pas à refuser
les sollicitations. Elle dort moins bien, devient irritable, a envie « de tout
envoyer balader ». Il est évident, et son entourage le lui dit parfois, qu’il
faudrait qu’elle s’occupe d’elle/apprenne à dire non/prenne du temps
pour elle,  etc. Mais elle ne voit pas comment/ne voit pas comment ce
serait possible/ne peut quand même pas refuser de, etc.
Il ne servirait à rien de lui répéter tout cela une fois de plus  ! Le
raisonnement et la réflexion atteignent leur limite, les belles idées restent
« dans la tête » mais ne sont pas vécues « dans le corps ».
Je lui demande alors si elle a déjà pris l’avion. Surprise, elle me répond
que oui et je commence, en apparence, à discuter de tout autre chose que
de son problème. « Voyez-vous, au début du voyage, les hôtesses donnent
les consignes de sécurité, elles indiquent les issues de secours, ce qu’il
faut faire en cas de panne… certains se moquent même des gestes
qu’elles font en indiquant les sorties avec leurs mouvements de bras ou
en enfilant le gilet de sauvetage !… Et elles nous informent qu’en cas de
dépressurisation, un masque à oxygène tombera devant nous et qu’il
faudra le mettre sur le visage… Et si vous lisez attentivement les
consignes de sécurité, vous verrez que, si vous êtes avec un enfant il faut
d’abord mettre le masque sur… »
« Sur mon enfant bien sûr ! » m’interrompt-elle.
« Eh non ! Sur vous-même… »
« Mais c’est impossible, je ne pourrais pas faire cela… »
« Sauf que si vous ne le faites pas et que vous vous évanouissez avant
d’avoir pu lui mettre le masque, vous en mourrez plus certainement tous
les deux… »
Par le biais de cette petite analogie, la patiente comprend, bien mieux
que par un raisonnement, un conseil ou une leçon de morale, qu’il vaut
mieux se protéger pour aider efficacement ceux qui nous entourent.
Qu’en somme : pour aider quelqu’un, il faut être en état de le faire !
Cette façon de procéder est assez typique de l’hypnose (en
l’occurrence conversationnelle)  : elle nous emmène vers une histoire,
plus qu’elle explique un raisonnement, et elle suggère une nouvelle idée,
une nouvelle perception du monde mais de façon très indirecte, en
passant par le langage analogique (surprise, émotion) et l’imaginaire.
 
D’autres usages plus formels d’une métaphore pourraient être par
exemple de prendre au sérieux les images que notre inconscient nous
envoie et de «  filer la métaphore  ». Un patient se plaint d’une «  boule
d’angoisse  » dans le ventre. Loin des caricatures de psy qui parleraient
alors uniquement de son angoisse (ou de sa mère !), le thérapeute pourrait
l’aider à percevoir en hypnose… cette fameuse boule  ! Sa couleur, sa
température, sa texture, son mouvement  ; puis à en changer quelque
chose. Étonnamment, le patient perçoit un soulagement.
 
Une patiente souffre de céphalées «  comme si ma tête était une
casserole d’eau bouillante ». La séance d’hypnose l’aidera selon elle « à
trouver le bouton qui diminue le feu sous la casserole » et de nombreux
changements en termes de sensations, émotions, comportements se
mettent en route. Ainsi de cette patiente qui s’équipa d’une
télécommande pour ralentir sa vie trop rapide, ce patient qui déposa
quelques cailloux d’un sac à dos trop lourd, ou celui-ci à qui je proposai
de visualiser une mer agitée au même rythme que son esprit angoissé,
puis de s’entraîner grâce à des techniques hypnotiques, en apaisant son
esprit, à voir cette mer devenir de plus en plus calme et paisible.
 
Faut-il s’étonner que ces suggestions imagées et étranges puissent,
dans les faits, aider à aller mieux  ? Notons-le bien  : notre inconscient
nous envoie des images, des sensations «  digérables  », plus facilement
appréhendables de notre problème. L’hypnose ne fait rien d’autre que les
prendre au sérieux. Il n’est pas incohérent de penser qu’avec la résolution
de cette image fournie par notre inconscient, celui-ci résolve par ricochet
le problème initial. Cette résolution par l’analogie est facilitée par l’état
hypnotique (un peu comme, toutes proportions gardées, un film ou un
livre nous marque d’autant plus que nous plongeons dedans.)
La métaphore peut aussi être plus complexe et aider à percevoir un
changement de point de vue ou de perception en racontant une histoire
construite.
La métaphore peut aussi être plus complexe et aider à percevoir un
changement de point de vue ou de perception en racontant une histoire
construite. De la même façon qu’un conte, un roman, un film peuvent
nous marquer, il existe des histoires thérapeutiques. Donc, même si cela
peut surprendre, il n’y a rien d’invraisemblable qu’un thérapeute raconte,
pendant la conversation ou en cours de transe, une véritable histoire, qui
peut commencer par  : «  Il était une fois…  » ou par  : «  Il y a bien
longtemps, dans une galaxie lointaine…  » Que l’on comprenne ou non
immédiatement le sens, qu’elle agisse consciemment ou inconsciemment,
une histoire, une métaphore, une analogie aidera toujours plus à un
changement expérientiel qu’une explication23.
 
Il peut également arriver que pendant une séance se produisent des
phénomènes « idéosensoriels » (littéralement une idée qui provoque une
sensation), c’est-à-dire que le patient perçoit sensoriellement (vue,
toucher), sans apparemment l’avoir décidé, des phénomènes qui ont été
suggérés par le praticien. Il existe aussi des phénomènes « idéomoteurs »
(littéralement une idée qui provoque un mouvement), c’est-à-dire que le
patient produit, de façon involontaire, un mouvement ou un arrêt de
mouvement (un bras se déplace ou reste comme suspendu dans l’air, une
main s’ouvre…).
Bien entendu, encore une fois, les hypnotiseurs de foire usent et
abusent à des fins discutables de ce genre de phénomènes. Ils font
halluciner aux sujets des sons, odeurs et sensations pour les troubler et les
faire réagir, leur font produire des comportements bizarres ou dangereux
(comme le fameux corps raidi qui tient entre deux tables) dans le seul but
d’impressionner, de montrer une sorte de pouvoir sur l’autre ou d’amuser
le public aux dépens des volontaires.
Mais, bien utilisés, certains de ces phénomènes peuvent avoir une
utilité thérapeutique et ne sont aucunement des «  gadgets  » pour
s’amuser. Par exemple, un patient ayant du mal à s’apaiser, se remémore
d’un jour où sa capacité à rester calme s’était exprimée. Revivant en
hypnose ce souvenir agréable ayant eu lieu en été, sa peau se met à
ressentir de la chaleur, son nez semble sentir l’odeur caractéristique de
l’endroit. Il revit avec plus d’intensité son souvenir porteur de ressource,
et gagne en confiance à pouvoir accéder à cette ressource. « Je sais que je
peux le faire » n’est plus alors juste une idée mais une expérience.
 
Quant aux phénomènes idéomoteurs, ils expriment parfois quelque
chose de nos mouvements inconscients, peuvent être une métaphore de la
stabilité (quand un mouvement reste suspendu), de la remise en
mouvement (quand le corps effectue un geste), d’un apaisement ou d’une
sécurité (quand une main vient d’elle-même se poser sur une zone
douloureuse) ou même simplement du fait que, parfois, nous acceptons
de ne pas tout maîtriser de ce qui se passe en nous, parfois un mouvement
se produit, même hors de notre «  contrôle conscient  », sans être pour
autant désagréable, dangereux ou angoissant. Un geste banal en
apparence, qui peut signifier un changement, est parfois vécu comme un
vrai bouleversement24.
 
Il existe également des procédés de communication permettant de
faciliter aux patients l’accès plus «  réaliste  » aux sensations suggérées.
Par exemple si je me contente de dire et répéter « il fait chaud, de plus en
plus chaud », je peux moins facilement susciter la sensation de chaleur
que si je dis «  vous commencez à ressentir cette chaleur peut-être au
niveau de la tête ou des yeux qui chauffent, les oreilles également qui
deviennent rouges. Le dos chauffe du haut vers le bas, comme quand le
soleil est dans notre dos au travers d’une vitre, et va peut-être transpirer,
et cette chaleur… », etc. Nous apprenons en hypnose à parler un langage
évocateur de sensations.
 
D’autres principes de langage facilitent la communication, et l’accès à
un vécu différent. On dit par exemple qu’en transe (mais c’est aussi un
peu le cas dans la vie de tous les jours) «  l’esprit n’entend pas la
négation  ». Par exemple si je vous dis «  ne pensez pas à un ours
blanc »… évidemment vous y pensez25 ! Ainsi le thérapeute éricksonien
fera attention à ses formulations. Pas la peine de dire à un patient
«  détendez-vous et ne pensez pas à votre stress, à vos problèmes…  ».
«  N’ayez pas peur  » peut-être reçu comme un message de peur (mieux
vaut lui préférer « rassurez-vous »). On peut aussi utiliser d’autres outils
comme les présupposés  : «  Regardez si vous ressentez cette sensation
différente plutôt en haut ou en bas du corps » ce qui présuppose que la
sensation aura lieu, la seule question étant où. L’esprit, occupé à scruter
cette question, a accepté inconsciemment le présupposé de la phrase.
Bref, il existe un grand nombre de techniques qui ne font pas l’objet de
ce livre mais sont assez bien répertoriées et en constante évolution. Les
outils présentés ici ne le sont qu’à titre d’exemple. L’idée générale est
qu’un message soit reçu par le patient, de façon consciente ou non.

Savoir orienter la communication…, amener l’inconscient


à se diriger dans une direction différente…, c’est
de la manipulation ?

Tout dépend ce que l’on entend par ce terme ! Les outils de communication,
tout comme l’hypnose ou d’autres, ne portent pas en eux-mêmes d’éthique
ou d’absence d’éthique. L’éthique d’un outil dépend de celui qui l’emploie.
Si nous usons de techniques de communication pour extorquer,
soumettre, influencer, alors c’est le sens péjoratif de la manipulation.
C’est une arnaque en somme, le sujet allant dans une direction qu’il n’a
pas choisie. Certains outils de communication existent dans le domaine
de la publicité : ils visent alors à faire consommer. D’autres sont en usage
dans la politique : ils visent à convaincre, à faire voter.
Dans le cas d’un soignant, la différence n’est pas qu’une affaire de
technique, mais d’éthique ! Il existe un autre sens au mot manipulation,
celui qu’emploient par exemple les kinésithérapeutes qui manipulent
(c’est-à-dire prennent en main) leurs patients. Toujours de façon
consentie et avec comme seul bénéficiaire… le patient.
Le soignant se doit d’user de ses techniques de soin (qui incluent des
moyens de communication) non pas pour son propre bénéfice, mais
uniquement au bénéfice du patient qu’il soigne, et en servant les objectifs
de celui-ci, et non les siens.
L’usage de l’hypnose est tourné vers celui qui la pratique quand il
cherche uniquement à remplir une salle de spectacle ou à impressionner
les autres. L’éthique soignante est supposée différente. Il est donc encore
une fois fondamental pour le patient d’être en confiance, de s’assurer
qu’il travaille avec un praticien qualifié qui tient compte de ses attentes et
qui discute avec lui des objectifs de la thérapie (sans lui imposer). Alors
seulement le patient peut se laisser aller à expérimenter et peut-être
même à changer sans s’en être rendu compte, inconsciemment…
Les autres applications éthiquement acceptables de l’hypnose
(performance sportive, artistique, aide ou exploration personnelle,  etc.)
doivent également être dans l’intérêt et jamais au détriment de la
personne. Il existe aussi des applications sans bénéfice individuel direct
au sujet (comme la recherche ou l’entraînement en formation) mais qui
correspondent aussi à un cadre éthique et ne sont pas orientées vers un
bénéfice caché du praticien au détriment du sujet.

Alors notre thérapeute communique activement, de façon à aider


le patient à atteindre son objectif. Il l’aide à accéder à ses capacités,
conscientes ou non en communiquant pour rendre « efficaces »
les messages thérapeutiques.

Mais la thérapie ne consiste-t-elle pas justement à rester « neutre » ?

L’idée qu’un thérapeute doit rester neutre est une idée ancienne.
Évidemment, un thérapeute ne doit pas émettre de jugement moral ou
s’impliquer d’une façon déplacée. Il est « neutre » quant à la réussite du
patient (c’est le patient qui est « motivé par le changement » et pas le
thérapeute qui doit vouloir à sa place26), il est neutre quant aux choix
moraux du patient27 et ne peut décider à sa place.
Cependant neutre ne veut pas dire qu’il n’est pas influent  ! Car nous
sommes tous influents les uns sur les autres dès lors que nous
interagissons.
 
Dans les années 1960, un psychologue nommé Greenspoon avait
réalisé l’expérience suivante : deux personnes sont l’une derrière l’autre.
Celui de devant est le sujet, il ne voit pas celui de derrière, l’opérateur. Le
sujet a pour consigne de prononcer aléatoirement tous les mots qui lui
passent par la tête, pendant 50  minutes. L’opérateur a pour consigne (à
l’insu du sujet) de faire un « mmh hmm » d’approbation – comme ce que
l’on caricature d’un thérapeute – à chaque fois que le mot prononcé est
au pluriel et de se taire si le mot est au singulier. La plupart des sujets à la
fin de l’expérience n’ont pas compris sur quel critère l’opérateur
acquiesçait ou non. Et pourtant, au fur et à mesure, ils se sont mis à
prononcer, sans s’en rendre compte, de plus en plus de mots au pluriel.
L’expérience de Rosenthal, à la même époque, montrait que des élèves,
à qui on avait faussement augmenté le score à des tests « d’intelligence »,
et transmis ce résultat à leurs enseignants, augmentaient non seulement
leurs notes mais aussi leur (vrai) score aux tests28.
Un grand nombre d’expériences et de données psychologiques et
sociales montrent que nous sommes influents les uns sur les autres, notre
présence, notre parole, notre langage non verbal nous rendent influents.
Une des grandes originalités de l’hypnose (et des thérapies brèves qui
s’en sont inspirées) est de tenter d’utiliser, à bon escient cette influence,
plutôt que d’essayer vainement de l’éviter, la nier… ou la subir !
La pratique de l’hypnose nécessite selon nous de l’éthique ! Tous les
efforts de communication, toute la gestion de l’influence réciproque
doivent être dirigés dans l’intérêt du patient !
Ainsi, la pratique de l’hypnose nécessite selon nous de l’éthique ! Tous
les efforts de communication, toute la gestion de l’influence réciproque
doivent être dirigés dans l’intérêt du patient !
C’est la base de la relation hypnotique.

Relation

Quelles sont les spécificités de la relation hypnotique ?

La relation hypnotique est la part la plus variable de cette affaire… et la


plus fondamentale.
 
La transe est cet état complexe et partiellement caractérisé que nous
avons décrit. Il reste de la transe dans divers types de relation. Certes on
pourrait distinguer, de façon parfois artificielle, certains «  sous-types  »
(comme la transe léthargique –  le sujet semble relaxé, fatigué  – ou la
transe somnambulique –  le sujet reste dynamique et alerte, il peut par
exemple facilement bouger ou parler pendant sa transe, mais est sensible
aux suggestions ou dans une pensée plus littérale). Mais,
fondamentalement, le ressenti peut être assez proche.
 
La technique peut être variable. Si l’on caricature  : en hypnose de
spectacle, les techniques seront par exemple très directes, les suggestions
ressembleront à des ordres (même s’il existe des suggestions masquées,
subliminales de «  mise en condition  »). En soins, le thérapeute pourra
avoir des formulations permissives (qu’elles soient énoncées de façon
directe ou plus indirecte), son but premier étant que le patient change (et
non pas obéisse) et qu’il se saisisse de l’opportunité de la séance pour
modifier par lui-même, à partir de lui-même, quelque chose à sa vie.
La relation hypnotique, elle, est fondée sur la gestion de l’influence
réciproque.
La relation hypnotique, elle, est fondée sur la gestion de l’influence
réciproque. C’est ici que l’éthique de la pratique se joue. C’est là où
l’influence sera utilisée au bénéfice de l’hypnotiseur ou du patient.
De  même que l’influence en général, la communication en général, la
possibilité de faire passer un message de sorte qu’il soit reçu, peut être
utilisée aux meilleures fins (éducation, relation de confiance, thérapie…)
mais aussi aux moins bénéfiques (arnaquer, manipuler, soumettre…) ; de
même l’hypnose peut être un soin extraordinaire, humain, efficace et
générateur de liberté, ou bien, entre de mauvaises mains, peut exposer.
La relation hypnotique permet aussi de gérer la répartition de
l’attention. D’une attention focalisée par exemple sur les difficultés, le
patient pourra au fur et à mesure s’intéresser aussi aux changements, aux
compétences et aux possibilités.
 
De façon générale, la relation thérapeutique a certaines
caractéristiques  : elle est «  abstinente  » dans le sens où certains
rapprochements ne sont pas déontologiques, elle est « équilibrée » dans
le sens où chacun doit y trouver son compte, l’un cherchant des soins et
l’autre exerçant sa profession, elle est « régressive », l’un se sentant en
défaut d’une capacité et demande de l’aide,  etc. Ces caractéristiques
existent bien évidemment en hypnose thérapeutique.
 
Ce qui est un peu spécifique à l’hypnose est la façon dont l’influence
s’exerce pour contrebalancer l’asymétrie initiale. L’un (le patient)
demande de l’aide à l’autre (le thérapeute), cependant ce dernier, bien
qu’il «  fasse quelque chose  » en menant une séance d’hypnose, en
suggérant, ne doit pas agir à sa place ou lui dire quoi faire, mais bien lui
permettre d’agir…
Prenons l’exemple d’un parent chantant à son enfant une berceuse
pour l’apaiser. Nous pourrions avoir l’impression que c’est le parent qui
mène l’échange, c’est lui qui chante ou murmure doucement en faisant
attention aux besoins de l’enfant. Ce murmure n’a pas pour but que
l’enfant se soumette, mais bien qu’il s’autonomise, qu’il arrive à
s’apaiser, qu’il dispose d’un espace de sécurité pour retrouver en lui-
même le calme et le repos dont il besoin. C’est pourquoi le parent le fait
en accompagnant, en observant l’enfant.
Un peu de la même façon, même si la relation hypnotique
thérapeutique donne l’impression que l’un parle et que l’autre écoute et
accepte éventuellement les propositions faites, il s’agit bien en réalité
d’un thérapeute qui permet au patient, par ses propositions et techniques,
de trouver un espace, dans lequel un changement sera possible. Le
thérapeute accompagne plus qu’il ne guide, il soutient et suit le patient
plus qu’il ne demande que le patient le suive. Quand ce dernier ferme les
yeux, les mots, détachés de leur contexte d’émission sont appropriés. Le
thérapeute est un cadre qui permet cette appropriation, il vise à ce que la
relation soit suffisamment sécurisante pour que le patient crée un espace
où il puisse se permette un changement intérieur.
Le thérapeute accompagne plus qu’il ne guide, il soutient et suit le
patient plus qu’il ne demande que le patient le suive.
On n’insistera donc évidemment jamais assez sur l’éthique nécessaire
et l’importance de se sentir en sécurité avec un praticien…

EN SOMME
L’hypnose est un état complexe, multifactoriel, polymorphe, naturel mais pouvant
se provoquer volontairement, notoirement relationnel mais visant l’autonomisation. Il
peut entraîner certaines caractéristiques parfois contradictoires (parfois de se
dissocier, parfois de se réassocier, parfois d’être ailleurs, parfois d’être très présent à
soi-même…) et des phénomènes qui sont une amplification ou un détournement d’un
phénomène naturel. Il s’exprime différemment selon les circonstances et les
personnes, certains signes pouvant être présents et d’autres non.
 
Voilà qui est bien complexe, n’est-ce pas ?
 
Comme tous les états complexes évoqués en analogie (amour, amitié, empathie,
motivation, respect, etc.) sa définition est délicate, changeante, multiple. Et pourtant,
ceux qui en parlent semblent la reconnaître.
 
Si cette diversité permet de s’y mouvoir, il n’est pas toujours simple de s’y
retrouver !
Retenons que l’état hypnotique a certaines caractéristiques (ni nécessaires, ni
suffisantes, mais formant une expérience identifiable de modification perceptive, faite
d’absorption, de fluidité mentale, d’intensité expérientielle…), qu’il est amené par la
« technique hypnotique », qui peut tout autant servir à faire revenir cet état qu’à créer
une certaine forme de relation. La relation hypnotique, à géométrie variable selon les
usages, vise la conduite de l’attention et de l’influence et la modification
expérientielle.

Maintenant que nous avons une idée générale de ce qu’est l’hypnose, il nous faut


mieux connaître ses usages…
III

Soigner ou ne pas soigner avec


l’hypnose
Quelles sont les principales pratiques de l’hypnose ?

Nous distinguerons, dans cette partie, tout d’abord l’hypnose


« thérapeutique », c’est-à-dire celle qui soigne.
Une personne en souffrance, tentée de recourir à l’hypnose a besoin
d’en savoir plus sur les indications, les bénéfices attendus et le
déroulement de l’hypnose dans un cadre soignant. Nous verrons aussi les
arguments scientifiques qui gravitent autour de l’étude de la pratique de
l’hypnose.
 
Puis, il sera question des cadres de l’hypnose : tout d’abord de l’usage
« ludique » dans le monde du spectacle et la pratique dite « de rue ». Puis
nous parlerons de l’hypnose des praticiens qui l’utilisent pour aider, avec
ou sans formation soignante initiale. Nous tenterons de faire le point sur
cette problématique très actuelle.
 
Attention  : cette partie concerne la situation présente, c’est une
photographie subjective du moment. Elle essaie de clarifier qui sont les
personnes qui pratiquent l’hypnose, qui consulter, de quelle manière elle
est pratiquée. Tout cela pourrait avoir évolué (en bon ou en mauvais) si
vous lisez ce livre quelques années après son écriture. Il s’agit aussi
parfois d’interrogations personnelles de l’auteur, qui ne se veulent donc
pas des vérités sur l’hypnose elle-même mais des questionnements sur le
cadre de sa pratique.
5

Comment soigne-t-on avec l’hypnose ?

Indications de l’hypnose

Quelles sont les indications de l’hypnose thérapeutique ?

Globalement les grandes catégories d’application de l’hypnose sont :


— le soulagement de la douleur ;
— la psychothérapie pour de nombreuses souffrances psychiques ;
—  le soin complémentaire de difficultés où le corps et l’esprit, le
somatique et le psychique, s’imbriquent particulièrement.
L’indication « reine » de l’hypnose, son domaine de pratique le plus
fréquent et l’objet du plus grand nombre de publications est sans
conteste la prise en charge de la douleur, que celle-ci soit aiguë,
procédurale ou chronique.
L’indication «  reine  » de l’hypnose, son domaine de pratique le plus
fréquent et l’objet du plus grand nombre de publications est sans conteste
la prise en charge de la douleur, que celle-ci soit aiguë, procédurale ou
chronique.

Qu’entend-on par douleur aiguë, procédurale ou chronique ?

La Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD)


distingue ces trois catégories.
 
— La douleur aiguë est due à une atteinte physique, brutale. Sa finalité
est d’alerter notre organisme de cette atteinte, de cette blessure. Bien
entendu, la priorité médicale est le diagnostic et le soin de l’atteinte à
l’origine de la douleur. L’hypnose est alors un soin complémentaire
visant un soulagement parallèlement aux soins médicaux. Lors
d’accidents, de blessures, de chocs, en accompagnant la nécessaire
démarche médicale, les soignants formés peuvent aider le patient à mieux
supporter la situation et la douleur physique. Dans ce domaine, l’hypnose
est pratiquée notamment par les équipes de médecine d’urgence ou de
SAMU. Dans certaines villes des pompiers ont également été formés aux
bases de l’hypnose.
 
—  La douleur procédurale est induite par le soin (par exemple  :
examen nécessitant aiguilles ou autres dispositifs, réduction de luxation
ou de fracture, chirurgie au bloc opératoire, soins dentaires…).
 
Un style assez proche de procédures hypnotiques peut s’envisager pour
ces deux types de douleurs, du fait de leur caractère aigu et
potentiellement limité dans le temps. Ces méthodes sont plus directes,
rapides et visent à entraîner temporairement et rapidement le patient vers
un soulagement. Bien sûr pour une douleur procédurale, si le geste est
programmé (ne serait-ce que quelques minutes avant), le praticien a le
temps de préparer le patient, de prendre plus le temps d’induire une
transe efficace. Dans les cas suraigus d’intervention en urgence,
l’hypnose est encore plus rapide et directe. Mais, dans le fond, le
fonctionnement est le même.
Il ne s’agit pas d’effacer purement et simplement la douleur puisque le
signal physiologique existe toujours (c’est-à-dire que l’information
produite par les capteurs douloureux arrive automatiquement au cerveau),
mais plutôt de pouvoir guider l’attention du patient pour que celle-ci
aille, au moins partiellement, vers autre chose que la scène douloureuse.
Tout se passe comme s’il ne souffrait pas (ou souffrait moins) de sa
douleur.

Mais comment est-ce possible ?


Le principe est toujours le même : comme nous l’avons dit, l’hypnose
révèle des capacités, ordinairement à l’état latent. Nous avons en nous cette
capacité à ressentir, ou pas, certaines sensations selon le lieu de notre
attention. Par exemple, ressentiez-vous le contact de votre montre avant de
lire cette phrase ? Le contact des vêtements sur la peau ? Et alors que vous
ressentiez le contact des vêtements sur la peau, ressentiez-vous votre
respiration ? Que se passe-t-il si vous vous focalisez attentivement sur l’une
de ses sensations ? La lecture de ces lignes devient-elle plus lente ou
difficile ?
Concernant la douleur, il arrive qu’en situation extrême, certaines
douleurs soient tout simplement exclues du champ de la conscience.
Le cerveau reçoit sans cesse des milliers d’informations sensorielles
pour ne retenir que les plus pertinentes. Dans un restaurant ou à un
cocktail vous focalisez votre attention sur les propos de votre
interlocuteur malgré le bruit de fond et les conversations alentour. Dans
une pièce avec une horloge, vous finissez par ne plus entendre le « tic-
tac » jusqu’à ce que vous y pensiez ou qu’on vous le fasse remarquer !
Nous avons la capacité de prioriser certaines informations, d’en mettre
d’autres à distance.
 
Concernant la douleur, il arrive qu’en situation extrême, certaines
douleurs soient tout simplement exclues du champ de la conscience.
Quelqu’un court dans une maison en flammes pour sauver un enfant sans
sentir les brûlures, un autre se cache pour survivre sans même
s’apercevoir qu’il est blessé…
En 2008 sur le Vendée Globe (course à la voile autour du monde en
solitaire et sans assistance), à 1 500 km des côtes australiennes, en plein
océan Indien, le skipper Yann Elies est éjecté de son bateau. Sous le
choc, son fémur se brise (le fémur étant le plus grand os du corps
humain, le choc a dû être considérable), et le navigateur arrive tout de
même (c’est à peine croyable) à nager, à remonter sur son bateau et aller
jusqu’à sa cabine pour alerter ! Il sera secouru 36 heures plus tard.
La capacité de s’autoanesthésier temporairement existe, la capacité
de réinterprétation de la douleur, d’attention détournée au point de
pouvoir supporter ou négliger temporairement une douleur est une
capacité naturelle de notre corps.
Il reconnaîtra avoir trouvé des ressources insoupçonnées pour
remonter sur son bateau et y progresser, et que le plus gros de la douleur
arrivera réellement pendant la longue attente des secours.
 
Ces exemples nous disent que la capacité de s’autoanesthésier
temporairement existe, la capacité de réinterprétation de la douleur,
d’attention détournée au point de pouvoir supporter ou négliger
temporairement une douleur est une capacité naturelle de notre corps.
Certes, c’est une ressource qui ne s’exprime pas dans n’importe quelles
circonstances, mais qui peut être réveillée par l’hypnose. Encore une fois,
l’hypnose ne fait que révéler des ressources latentes existantes, on ne le
dira jamais assez.

La chirurgie « sous hypnose » est donc possible ?

Et même très régulièrement pratiquée !


C’est d’ailleurs sûrement un domaine où la méthodologie des études a
été parmi les plus strictes. Par exemple, plusieurs études ont comparé,
pour des opérations de type chirurgie de la thyroïde ou chirurgies
réparatrices, un groupe de patients sous anesthésie générale à un groupe
sous anesthésie locale avec hypnose.
Qu’y découvre-t-on ? Que l’anxiété postopératoire est moindre dans le
groupe « hypnose »1, que la douleur n’y est pas supérieure, que la durée
moyenne de séjour et la reprise du travail y sont plus rapides, que les
doses de produits anesthésiques utilisés y sont (évidemment) moindres et
que les effets secondaires (évidemment) aussi. Notons enfin que certains
marqueurs physiologiques de l’inflammation (dérivés du cortisol ou
interleukine-6 dans les urines) sont également moindres dans le groupe
« hypnose »2.
Les chirurgies pratiquées aujourd’hui avec une «  hypno-sédation  »
selon le terme usité sont diverses  : adénectomies, thyroïdectomies,
parathyroïdectomies, chirurgie plastique, esthétique, réparatrice,
interruption volontaire de grossesse, soins aux grands brûlés3, certaines
interventions cancérologiques (tumeurs mammaires ou cutanées de
volume réduit ou peu invasives) ou gynécologiques, etc.
Ces techniques ne se pratiquent donc pas partout, mais plutôt là où
la politique de tout un service va dans ce sens avec une équipe
anesthésique formée et une équipe chirurgicale sensibilisée.
En revanche l’hypnose n’est pas (ou très peu) utilisée dans les
opérations plus lourdes comme les laparotomies (ouverture de
l’abdomen), la chirurgie orthopédique ou cardiaque.
 
Les praticiens de l’hypno-sédation aiment à rappeler que ces
techniques nécessitent néanmoins la bonne coordination de toute l’équipe
anesthésique et chirurgicale qui doit opérer dans des conditions
différentes de l’habitude : silence relatif dans le bloc opératoire en dehors
de la voix de l’anesthésiste, patient non curarisé4, confiance absolue dans
l’anesthésiste qui, en fonction des réactions du patient, peut demander à
interrompre le geste pour réapprofondir la transe… Ces techniques ne se
pratiquent donc pas partout, mais plutôt là où la politique de tout un
service va dans ce sens avec une équipe anesthésique formée et une
équipe chirurgicale sensibilisée.

Mais si l’on ajoute toutes les chirurgies où c’est possible, cela fait


beaucoup… Sans compter les autres domaines où il existe
de la « douleur procédurale »

Oui. Le même genre de procédures peut être utilisé pour la médecine dite
« interventionnelle » : gastroscopies, coloscopie, fibroscopies bronchiques,
ponctions, biopsies…
 
Les domaines d’utilisation sont ici très importants car de nombreux
soins et examens sont douloureux  : par exemple, bien sûr, c’est un
avantage considérable en médecine d’urgence (ponction lombaire ou
pleurale, drain thoracique, points de suture, réduction de luxation…), en
hématologie (myélogrammes, ponctions médullaires…), en cancérologie
(biopsies, radiothérapie, injections…), en médecine dentaire, etc.
Les applications sont extrêmement larges5 et utiles tant sur la douleur
que sur l’anxiété due à ces situations.
 
Des collègues urgentistes, que j’ai eu le plaisir de former à l’hypnose,
mènent par exemple actuellement à Metz une très belle étude sur
l’utilisation de l’hypnose dans la coronarographie qui pourrait diminuer
la douleur, l’anxiété et la pression artérielle des patients venant de subir
un syndrome coronarien aigu (de type infarctus).
 
Il nous reste encore beaucoup à découvrir sur les applications de
l’hypnose.

Et la douleur chronique ?

La douleur chronique est un syndrome plus complexe, multidimensionnel.


On commence à parler de douleur chronique généralement quand elle dure
depuis plus de 3 mois ou en tout cas plus longtemps que ce que la cause
initiale pouvait le laisser supposer6. La douleur n’est plus le signal d’alerte
d’un problème dans ce cas-là, mais devient le problème en lui-même. Cette
douleur survient par excès de stimulation douloureuse de façon récurrente
(maladie arthrosique, douleur cancéreuse…), par lésion d’un nerf
(névralgie, douleur de membre fantôme… on parle de douleurs
neuropathiques) ou par dysfonction des systèmes de régulation de la
douleur, sans lésion identifiée (colopathie fonctionnelle, fibromyalgie,
céphalées de tension…).
L’hypnose trouve ici une place intéressante puisqu’elle a une action
non seulement sur l’intensité perçue de la douleur mais surtout sur le
vécu de cette douleur, son aspect émotionnel, la gêne provoquée par la
douleur, la possibilité de mieux la gérer ou de mieux gérer la vie avec
cette douleur.
Dans tous les cas, les symptômes vont rapidement dépasser la simple
douleur et peser sur le fonctionnement général de l’individu (sa capacité
à mener son quotidien), avec des retentissements psychologiques parfois
importants. La médecine reste parfois limitée dans ce domaine, les
traitements soulageant partiellement la douleur, et les conséquences
fonctionnelles et psychologiques prenant peu à peu de plus en plus de
place. L’hypnose trouve ici une place intéressante puisqu’elle a une
action non seulement sur l’intensité perçue de la douleur mais surtout sur
le vécu de cette douleur, son aspect émotionnel, la gêne provoquée par la
douleur, la possibilité de mieux la gérer ou de mieux gérer la vie avec
cette douleur.
 
L’honnêteté oblige bien sûr à dire que dans les syndromes douloureux
chroniques, les soins, tant médicaux «  classiques  » que l’hypnose,
n’arrivent pas toujours à obtenir l’extinction totale de la sensation de
douleur. En revanche, praticiens et patients peuvent témoigner que
l’amélioration fréquente de la qualité de vie, de l’humeur et du
retentissement psychologique et relationnel, de la gêne fonctionnelle sont
des améliorations utiles, fondamentales même, qu’on obtient
possiblement avec l’hypnose, et qui constituent une véritable différence.

Par extension, on imagine bien que tous les domaines où le physique


et le psychique se trouvent « entremêlés » pourraient trouver
une place pour l’hypnose…

Oui. L’algologie reste l’indication la plus fréquente et le sujet du plus grand


nombre de publications (plus de 1 000 !)7. D’autres domaines voient sans
cesse l’atteinte physique et les difficultés psychiques s’entremêler comme la
cancérologie ou les soins palliatifs (où la gestion tout à la fois de la douleur,
des troubles fonctionnels, l’amélioration du confort et la prise en compte de
la souffrance psychique sont le cœur du travail, bref, la prise en charge
globale de l’individu).
Mais on peut aussi penser à toutes les affections où peuvent exister à la
fois une part physique et une part psychosomatique  : gastralgies et
ulcérations peptiques, acouphènes, maladies dermatologiques, (verrues,
psoriasis, alopécie, prurit, urticaire), ou encore asthme, obésité et pertes
de poids…
 
Signalons aussi la sexologie, les indications entourant l’obstétrique
(préparation à la naissance et à l’accouchement, douleurs de
l’accouchement ou provoquées par les gestes médicaux douloureux,
anxiétés et difficultés autour des accouchements et grossesses,
procréation médicalement assistée dans sa part « non technique »), mais
aussi l’utilisation par d’autres professionnels du soin.
Des kinésithérapeutes pour les manipulations douloureuses et douleurs
chroniques, des orthophonistes qui peuvent en faire bénéficier pour le
bégaiement, les aphonies psychogènes et d’autres troubles, des
ergothérapeutes ou psychomotriciens ont également pu trouver du
bénéfice à cette pratique pour leurs patients…

Et sur le plan psychique ?

Évidemment, en psychiatrie, en psychologie, pour la psychothérapie8, les


applications de l’hypnose sont nombreuses, et, au fond, les mêmes que
toute méthode de communication ou de psychothérapie. À disposition du
professionnel se trouvent non seulement la méthode hypnotique formelle
mais aussi le mode de communication hypnotique (parfois appelé hypnose
conversationnelle9) qui peut être la base de la communication du praticien.
À disposition du professionnel se trouvent non seulement la méthode
hypnotique formelle mais aussi le mode de communication hypnotique
(parfois appelé hypnose conversationnelle) qui peut être la base de la
communication du praticien.
Sont donc essentiellement concernés  : les troubles anxieux (phobies,
troubles anxieux généralisés…), le stress posttraumatique, les
dépressions, les addictions, les urgences (gestion de la crise anxieuse ou
suicidaire), les troubles du comportement alimentaire, les difficultés
anxieuses ou comportementales en pédopsychiatrie…
 
Certaines affections psychiatriques nécessitent évidemment une prise
en charge spécifique et souvent médicamenteuse (comme la
schizophrénie, le trouble bipolaire ou unipolaire), mais ne contre-
indiquent pas la pratique de l’hypnose thérapeutique en complément. En
période d’équilibre thérapeutique, avec un professionnel (souvent
psychiatre) connaissant bien le sujet et sans que ce soit le traitement
principal (mais bien un traitement complémentaire de certaines anxiétés
ou des troubles d’humeur associés), l’hypnose est tout à fait
envisageable. Elle nécessite une utilisation particulière de ses différents
outils pour les différentes indications.

Peut-on soigner des enfants en hypnose ?

Oui. Les enfants sont d’excellents sujets hypnotiques. En effet, le monde de


l’imaginaire leur est plus directement accessible ; les frontières entre le jeu,
la réalité, la fiction, le rêve sont parfois moins marquées que chez l’adulte et
peuvent être utilisées pour aider l’enfant à mobiliser des ressources.
La thérapie hypnotique (comme toute thérapie chez l’enfant) passera
volontiers par le biais du jeu, du dessin, de l’histoire métaphorique ou
d’autres modes d’accès à l’imaginaire qui mobiliseront, avec un
praticien expérimenté, les mêmes ressources hypnotiques.
Ainsi si les indications sont sensiblement les mêmes (douleur aiguë,
gestes douloureux, douleurs chroniques, psychosomatiques, troubles
psychologiques ou familiaux, etc.), les modalités sont souvent
différentes.
 
Les enfants n’entrent pas en hypnose de façon aussi formelle que les
adultes (caricaturalement : assis, les yeux fermés. etc.). Un enfant peut au
contraire se focaliser ou peut sembler faire des « allers-retours » entre un
état de veille et de transe, mais peut aussi être en hypnose sans que cela
soit particulièrement évident pour l’œil extérieur. La thérapie hypnotique
(comme toute thérapie chez l’enfant) passera volontiers par le biais du
jeu, du dessin, de l’histoire métaphorique ou d’autres modes d’accès à
l’imaginaire qui mobiliseront, avec un praticien expérimenté, les mêmes
ressources hypnotiques.
 
Avec les grands enfants ou les adolescents, l’hypnose peut se
rapprocher un peu plus de celle pratiquée chez l’adulte.

Déroulement et pratique de l’hypnose thérapeutique


Justement, comment se passe une séance d’hypnose ?

Concrètement, cela va beaucoup dépendre, déjà, du contexte d’application.


Dans un contexte d’hypno-sédation au bloc opératoire, l’anesthésiste
va parler doucement, proche de la tête du patient en l’aidant à se détacher
du contexte immédiat de la chirurgie et à mettre son attention dans un
« ailleurs » plus sécurisant.
 
Dans le contexte des urgences ou de la pratique d’un soin douloureux,
de même, le thérapeute réalise souvent une « induction » (procédure qui
amène le patient d’un état de veille à un état de transe) puis pratique son
geste, parfois même sans que le patient s’en rende compte, s’il est
correctement absorbé dans sa transe.
 
Dans un contexte moins «  prévu à l’avance  » (accident, urgence…),
l’hypnose va être pratiquée également plus spontanément, de façon plus
dynamique (le praticien parlant plus vite, plus directement), pour aider un
patient à être soulagé le plus vite possible, apaisé ou au moins « distrait »
de la scène douloureuse.
 
En revanche quand nous entrons dans des phénomènes moins aigus,
c’est-à-dire qui durent, qui sont moins limités dans le temps (douleurs
chroniques ou récurrentes, souffrances psychologiques…), on entre dans
le contexte de la pratique de la thérapie au sens large du terme.

Donc en thérapie c’est de l’hypnose comme on l’imagine ? Assis dans


un fauteuil, les yeux fermés, se relaxer…

L’idée classique que l’on se fait parfois d’une séance peut ressembler à la
réalité. Le tableau est alors celui d’un patient assis confortablement,
souvent détendu et concentré les yeux fermés, et d’un thérapeute qui se
place près de lui et lui parle afin de faciliter son expérience.
Le tableau est alors celui d’un patient assis confortablement, souvent
détendu et concentré les yeux fermés, et d’un thérapeute qui se place
près de lui et lui parle afin de faciliter son expérience.
Cette apparence n’est évidemment pas très télévisuelle et explique
certainement pourquoi certains médias sont plus prompts à s’intéresser à
l’hypnose spectaculaire (en apparence) et moins à celle (en vérité bien
plus spectaculaire si l’on y réfléchit) qui aide les patients à changer et à
franchir des pas essentiels dans leur vie.
La séance avec un praticien en hypnose peut cependant être plus
atypique.
La séance avec un praticien en hypnose peut cependant être plus
atypique. L’hypnose n’est pas de la relaxation10, même si souvent les
patients (notamment anxieux) sont en demande de détente et risquent fort
d’en ressentir. L’hypnose peut aussi aider à travailler certains problèmes
douloureux ou traumatiques, qui aboutiront à une séance qui ne sera pas
de tout repos  ; elle peut même se pratiquer debout, ou bien les yeux
ouverts, ou même en poursuivant une conversation. Le praticien, ayant
compris les principes qui font l’action de l’hypnose, peut s’affranchir
parfois de la « pureté » technique pour laisser place à une thérapie plus
« sur mesure », et donc possiblement atypique. De même que le dessin, le
jeu, l’histoire racontée peuvent favoriser l’hypnose et la thérapie de
l’enfant, les façons atypiques de procéder peuvent aider les… anciens
enfants !
 
Certains patients pourront parfois se demander après coup si ce qu’ils
ont vécu était bien de l’hypnose. Rappelons-nous alors que celle-ci est à
la fois état, technique et relation. L’état de conscience est protéiforme et
il n’est pas toujours facile de le reconnaître en soi-même au début, et
l’utilisation de techniques hypnotiques ou la gestion particulière de la
relation peut parfois suffire à parler d’un traitement par l’hypnose auprès
d’un praticien sensibilisé. Peut-être était-ce de l’hypnose, et peut-être
pas, et peut-être que ça n’est pas important, surtout si vous avez ressenti
une différence dans votre vie et pu observer un changement.

Mais comment le praticien peut-il savoir si le patient


est en hypnose ?
En neurosciences, il y a des indices « cérébraux » de transe. Cependant, il
est bien évidemment impossible d’avoir un dispositif d’IRM fonctionnelle
ou de « PET Scan » dans nos bureaux !
En clinique quotidienne, c’est une question complexe. Parfois c’est
une évidence (le patient expérimente subjectivement un état particulier,
sa posture change, il réagit aux suggestions du thérapeute, il vit en pleine
absorption et de façon très réaliste des sensations qui n’ont rien à voir
avec le contexte initial de la pièce où il se trouve…), parfois ça l’est
beaucoup moins (le patient n’a pas la sensation que sa perception change
comme il s’y attendait, il ne connaît pas encore sa façon d’entrer en
transe pour la reconnaître directement, les changements corporels
observés ne sont pas flagrants…).
L’hypnose étant un état de conscience particulier, il reste en bonne
partie subjectif et déclaratif.
En vérité, il n’y a pas de signe absolu que le patient est en transe, il y a
un faisceau d’arguments concernant sa façon de se tenir et de réagir aux
suggestions, mais il n’y a pas toujours de certitude absolue, et c’est
parfois dans l’après-coup, quand le patient explique ce qu’il a ressenti
que l’on peut, éventuellement, le lui confirmer. L’hypnose étant un état
de conscience particulier, il reste en bonne partie subjectif et déclaratif
(de même que pour toute sensation : c’est bien la personne qui nous dit
être douloureuse, motivée, de bonne humeur ou autre, même si les
personnes sont plus ou moins aptes ou plus ou moins entraînées à
reconnaître leurs états internes, et même si nous avons des signes
extérieurs de ces états, évidents pour certaines personnes, beaucoup
moins pour d’autres…)
 
Par ailleurs, même le patient qui s’en rend compte, le réalise souvent
par contraste, au moment où il « revient » et s’aperçoit qu’il sort d’un état
différent de la veille ordinaire. Précisons cependant que plus on pratique
l’hypnose et plus on sait reconnaître en nous-même cet état, naturel et
accessible à tout le monde, rappelons-le.
Les praticiens constatent qu’un des meilleurs moyens d’aider le
patient à entrer en transe est en quelque sorte de l’accompagner, de se
synchroniser et d’être eux-mêmes un peu en transe.
Il convient aussi de préciser que le thérapeute peut parfois ressentir si
le patient est en transe… en s’observant lui-même. En effet, les praticiens
constatent qu’un des meilleurs moyens d’aider le patient à entrer en
transe est en quelque sorte de l’accompagner, de se synchroniser et d’être
eux-mêmes un peu en transe. Si le patient est focalisé sur sa recherche et
son travail intérieur, le thérapeute est, lui, focalisé sur le patient pour
adapter sans cesse et au plus près ses interventions, ses gestes ou ses
silences. Un patient en difficulté pour entrer en transe peut provoquer
chez le thérapeute aussi une difficulté à être pleinement présent, et
inversement. Patient et praticien s’influencent mutuellement et, en vérité,
coconstruisent la séance. Un praticien expérimenté saurait reconnaître en
lui-même une transe légère, une focalisation particulière, une
« présence », assez bon indice que le patient vit aussi une modification de
son état de conscience. Ce genre de synchronisations thérapeute-patient
fait actuellement l’objet de recherches prometteuses.
 
Comme un certain nombre d’états complexes, encore une fois c’est en
les vivant plusieurs fois et en les apprivoisant qu’on parvient à les
reconnaître. Et qu’ils peuvent être décrits subjectivement différemment
selon les personnes ! Certains ont des sensations physiques, d’autres une
activité visuelle élaborée, d’autres tout à fait floue, d’autres encore une
activité plus imaginaire et d’autres au contraire une plus grande présence
au réel.
Mais cet état étant naturel, il suffit de suivre quelques consignes et
suggestions, d’accepter de se prêter à l’expérience ou au questionnement
proposé par le thérapeute pour avoir toutes les chances de vivre un
moment hypnotique.

Est-il indispensable aux soins d’avoir la certitude que le patient


est en transe ?

L’anesthésiste qui veut faire signe au chirurgien de commencer à inciser,


l’urgentiste qui veut commencer un geste potentiellement douloureux
peuvent, en effet, avoir besoin de percevoir leur patient de façon quasi
certaine en transe, et vont, pour cela, utiliser des inductions hypnotiques
plus formelles, longues de plusieurs minutes parfois. Ils ne se fieront
toutefois pas uniquement aux signes « extérieurs » de transe. Le patient a
parfois des réactions inattendues mais de significations différentes de ce
qu’on imagine.
Une collègue eut ainsi un patient qui semblait souffrir pendant un geste
douloureux (grimaces, gémissements…), malgré la séance et malgré la
présence assez claire de certains signes de transe hypnotique. Mais le
patient lui dit après coup qu’il n’avait absolument pas souffert et au
contraire passé un moment agréable !
L’état d’hypnose n’est pas un but en soi dans la thérapie, mais un
moyen, seulement éventuel, d’atteindre un objectif de changement…
J’ai vu pour ma part de nombreux patients pleurer en séance mais
c’était, au final, plutôt des pleurs de soulagement… Bref, il n’existe pas
de décodeur fiable et universel des attitudes.
Concernant la psychothérapie, si un état «  réel  » de transe survenait
dès le début de la séance ou bien à la 5e minute ou bien peu avant la fin de
séance, ou bien qu’il soit arrivé de façon douteuse ou avec des
changements perceptifs très légers, mais qu’il suffisait à provoquer un
changement attendu, nous l’avons dit, cela n’aurait aucune importance.
L’état d’hypnose n’est pas un but en soi dans la thérapie, mais un moyen,
seulement éventuel, d’atteindre un objectif de changement… Bien sûr,
dans certains cas, la transe est une véritable valeur ajoutée et rend la
thérapie plus directement efficace.
Mais l’hypnose est surtout, nous ne le dirons jamais assez, un certain
type de relation dans lequel le thérapeute verra, touchera, entendra le
patient d’une autre façon, pour lui permettre d’accéder à un changement.
 
L’apprentissage de la « reconnaissance » de la transe peut être parfois
immédiat, sorte de «  révélation  » lors de notre première expérience
hypnotique, parfois long, nuancé et complexe. Il faut se fier à un
thérapeute compétent et surtout en qui on a confiance et avec qui l’on se
sent en sécurité. La sécurité relationnelle est non seulement indispensable
mais aussi… facilitatrice de l’émergence de l’hypnose !
Mais l’hypnose est surtout, nous ne le dirons jamais assez, un certain
type de relation dans lequel le thérapeute verra, touchera, entendra le
patient d’une autre façon, pour lui permettre d’accéder à un
changement.

Peut-on bénéficier d’hypnose partout ?

Il existe des écoles de formation dans toute la France, et donc des praticiens
un peu partout. Mais la pratique de l’hypnose est loin d’être la règle !
 
Il existe des praticiens «  en ville  ». Soit que ceux-ci l’utilisent en
accompagnement dans leur métier lorsque l’indication se présente
(médecins généralistes, spécialistes, infirmiers libéraux, kinés…) soit
qu’ils la pratiquent en tant que psychothérapie (certains généralistes,
psychiatres, psychologues, psychothérapeutes…).
 
Il existe aussi des thérapeutes / hypnothérapeutes non-soignants (qui
n’ont pas de cursus de formation aux métiers du soin) qui pratiquent
l’hypnose dans un but de bien-être et de développement personnel, mais
il est bien plus dur de savoir, les concernant, « sur qui l’on tombe ». C’est
un problème complexe sur lequel nous reviendrons dans un prochain
chapitre.
 
Concernant l’hôpital, un certain nombre (trop limité évidemment à
mon goût !) d’hôpitaux et de services a pris l’initiative de former certains
de leurs agents (services de traitement de la douleur, services d’urgence,
anesthésie, soins palliatifs, obstétrique…).
 
La question de la «  façon dont se passe une séance  », évoquée plus
haut, dépend aussi de si la séance est proposée ou recherchée, dans un
cabinet, un hôpital ou au milieu d’une scène d’accident de la route, sur un
événement prévu et programmé ou bien dans un contexte d’intervention
urgente…
 
Que ce soit en ville ou à l’hôpital, parfois le patient sait que le
praticien pratique l’hypnose (c’est notamment le cas dans la demande de
psychothérapie) ou le demande explicitement. Le reste du temps,
l’hypnose est souvent proposée par le praticien ou l’équipe, dans
l’arsenal thérapeutique.
En somme, il n’y a pas d’hypnose dans toutes les villes et les hôpitaux,
loin de là, et il est rare que cela soit affiché. D’un côté, cela évite bien sûr
des demandes inappropriées (un patient qui exigerait de l’hypnose alors
que ce n’est pas adapté à ce qui lui arrive).
Mais, dans le même temps, si les praticiens ont conscience de la valeur
ajoutée de l’hypnose en termes de communication et de qualité de
relation aux patients, et l’efficacité qu’elle présente notamment dans les
contextes anxieux ou douloureux, ils ne peuvent qu’espérer que la
pratique continue de s’étendre parmi les soignants… et donc la
promouvoir, ce qui passe par l’intégrer ouvertement à leur pratique.

Combien de temps dure une séance ?

Désolé, une fois de plus, de répondre par un autre « cela dépend » ! En


réalité, l’hypnose est une pratique assez flexible, elle s’adapte au patient et
le praticien peut l’adapter à son exercice.
En réalité, l’hypnose est une pratique assez flexible, elle s’adapte au
patient et le praticien peut l’adapter à son exercice.
L’urgentiste, le dentiste ou l’anesthésiste maintiendra une séance le
temps de l’intervention, le médecin généraliste pourra mettre quelques
éléments d’hypnose dans sa consultation plus courte…
Les «  psys  » et autres thérapeutes ont des séances qui varient d’une
demi-heure (c’est souvent le cas des psychiatres) jusqu’à une heure. Il est
important de comprendre que le temps passé en hypnose, même court en
apparence, peut être utile. Même quelques minutes sur une consultation
qui en a « préparé le terrain » (permis d’entrer en relation de confiance et
de choisir la bonne méthode) peuvent amener des effets.

Bon à savoir
Peut-on pratiquer l’hypnose seul pour se soigner ?

C’est ce qu’on appelle l’autohypnose. C’est un sujet, en vérité, assez


controversé !
 
Pour certains théoriciens11, il n’y a au final « que » de l’autohypnose.
En effet, l’hypnose n’est pas le fait du praticien, la guérison non plus. Le
thérapeute crée un cadre dans lequel le patient peut entrer en transe (qui
est un état naturel qui émane de lui), et ce cadre thérapeutique hypnotique
permettra au patient de trouver une nouveauté, de s’en saisir. Cela ne
veut pas dire que le thérapeute ne fait rien, bien au contraire, mais qu’il
doit cibler son action pour autonomiser au maximum le patient. Il n’y
aurait alors aucune différence entre l’hypnose en séance (qui est de
« l’autohypnose relationnelle ») et hors séance.
 
Pour d’autres c’est l’inverse ! La transe (être un peu dissocié, absorbé
dans la sensation…) est possible seul, mais l’hypnose (qui aide et qui
change la perception de la vie) est un état fondamentalement
relationnel12. Comme certaines comparaisons que nous avons faites dans
les chapitres précédents, l’empathie, l’amitié sont aussi des «  états  »
relationnels, qu’on ne peut éprouver qu’en compagnie.
 
Comme nous l’avons déjà souligné, on peut nuancer ces positions.
L’hypnose en tant que relation est un ingrédient essentiel. Il est donc
possible de faire de l’autohypnose, si l’on a déjà bénéficié d’hypnose en
relation. L’autohypnose est possible car elle fait revivre la trace
relationnelle hypnotique. Par «  faire revivre la trace relationnelle  », je
veux dire qu’il y a des modalités relationnelles qu’on peut faire vivre,
parce qu’on les a apprises en relation. J’ai notion (pour reprendre les
mêmes exemples) de ce qu’est aimer, respecter, être en empathie ou en
amitié, parce que quelqu’un me l’a appris en entrant en relation avec moi
de cette manière. Cela ne veut pas dire que chaque fois que je respecte
(moi-même ou les autres) je « repense » à une expérience relationnelle ou
à une personne, mais j’en fais, inconsciemment, revivre la trace.
Il est donc possible de faire de l’auto-hypnose, si l’on a déjà
bénéficié d’hypnose en relation. L’auto-hypnose est possible car elle
fait revivre la trace relationnelle hypnotique.
C’est souvent donc à partir d’une expérience (ou plusieurs) « d’hétéro-
hypnose » que l’on peut commencer à pratiquer l’autohypnose. À partir
de livres ou de vidéos on peut vivre un état de conscience particulier de
transe, peut-être, mais de l’hypnose au sens « plein » du terme, peut-être
pas. Et ce n’est pas un problème puisque, si les états de transe ordinaires
et quotidiens sont inévitables voire bénéfiques, on n’a, en revanche, pas
forcément tous besoin d’hypnose au sens (psycho) thérapeutique.
Viser l’apprentissage de l’autohypnose comme objectif de la thérapie
permet d’en faire une thérapie brève : au bout de quelques séances, le
patient peut continuer par lui-même, ce qui lui donne une plus grande
autonomie.
En revanche, viser l’apprentissage de l’autohypnose comme objectif de
la thérapie permet d’en faire une thérapie brève  : au bout de quelques
séances, le patient peut continuer par lui-même, ce qui lui donne une plus
grande autonomie.

Comment savoir si je dois consulter en hypnose ?

Si vous souhaitez vous faire aider par exemple sur l’une des indications, ou
l’un des types de difficultés, décrites plus haut. Mais aussi si vous vous
demandez si votre problématique pourrait être accessible ou non à
l’hypnose, vous pourriez vouloir consulter un professionnel pour savoir si la
technique pourrait vous aider.
Si vous faites confiance au thérapeute, alors vous pouvez faire
confiance à sa capacité à connaître l’hypnose et donc, possiblement, à
proposer autre chose que de l’hypnose !
Cependant, le praticien que vous rencontrerez a possiblement plusieurs
cordes à son arc, plusieurs méthodes possibles et devra s’adapter à vous
et aux objectifs que vous allez élaborer ensemble. La confiance est
encore une fois le premier facteur, et bien plus central dans la possibilité
de changement que la méthode. Si vous faites confiance au thérapeute,
alors vous pouvez faire confiance à sa capacité à connaître l’hypnose et
donc, possiblement, à proposer autre chose que de l’hypnose ! « Le bon
chirurgien est celui qui décide de ne pas opérer », nous disait l’un de mes
enseignants en chirurgie pendant mes études. Voilà qui calmait tant les
chirurgiens potentiels pressés de pratiquer, que les patients qui
attendaient l’opération miracle.
 
Hélas, si certains patients demandent de l’hypnose de façon adaptée,
sentant que cela sera leur « déclic », d’autres demandent (voire exigent)
de l’hypnose, comme si c’était un ingrédient magique qui allait, sans
effort, les transformer et les réparer. Or  l’hypnose n’est pas prescrite
comme un médicament. Tout en attendre est le meilleur moyen
«  qu’elle  » échoue… puisque ce n’est pas l’hypnose qui doit changer
quelque chose, mais bien permettre à la personne de changer quelque
chose !
 
De façon lapidaire on pourrait dire que « l’hypnose ne marche pas » !
Comme toute forme de thérapie. Ce sont les patients qui « marchent » et,
en réalité, se saisissent de l’hypnose pour changer. C’est un travail actif,
qui nécessite une motivation et un engagement du thérapeute comme du
patient.

Et si « ça n’a pas marché pour moi » ? Si je ne suis pas entré


en hypnose ?

Alors peut-être que ce n’était pas le moment, peut-être que vous ne


souhaitiez pas entrer en transe ou peut-être le souhaitiez-vous si fort que
vous étiez crispé ? Ou peut-être n’était-ce pas le moment de changer ? Ou
peut-être que le thérapeute n’a pas trouvé le moyen de vous accompagner
en transe ? Ou peut-être que vous vous attendiez à autre chose comme
sensation ?… À quoi d’ailleurs ? Ou peut-être y étiez-vous, de façon
évidente pour le thérapeute, tandis que vous n’étiez pas habitué à
reconnaître cela en vous ?
Et si votre façon de vivre la transe vous surprend par sa familiarité ?
Vous êtes peut-être un expert de l’autohypnose sans le savoir et vous
vous attendez à autre chose…
Et si (ça arrive souvent !) après une première séance un peu décevante,
la deuxième s’avère absolument extraordinaire ?
Vous avez besoin d’apprivoiser cela, c’est normal. Tout le monde peut
le faire en trouvant la bonne manière d’apprendre et la bonne personne.
Il est fondamental de pouvoir parler au thérapeute, de lui dire ce que
vous avez ressenti ou n’avez pas ressenti si cela vous questionne. Peut-
être serez-vous surpris…

On entend parfois dire que l’hypnose ne « résout » pas le problème


mais le « déplace »

La notion de « déplacement » est une notion psychanalytique, et est donc


essentiellement valable dans ce cadre théorique. Certains psychanalystes
ont reproché à toutes les thérapies plus brèves et ciblées que la démarche
analytique (qui serait plus globale) de courir le risque qu’à réduire un
symptôme, sans vraiment en résoudre les tenants et aboutissants, il risque
de réapparaître sous une autre forme, voire de s’aggraver. Un peu comme
une fièvre soignée par du paracétamol mais dont l’absence d’antibiotiques
empêcherait une véritable résolution.
 
Sauf que dans le monde de la souffrance psychique, ou
psychosomatique, retrouver la « cause sous-jacente », la « vérité », n’est
pas toujours possible, ni toujours souhaitable, ni toujours utile.
Parfois, les causes sont multiples, changeantes, et diffèrent selon le
point de vue.
Dans le monde de la souffrance psychique, ou psychosomatique,
retrouver la «  cause sous-jacente  », la «  vérité  », n’est pas toujours
possible, ni toujours souhaitable, ni toujours utile.
Parfois, les causes sont bien connues (un événement traumatique, un
deuil…) et les creuser n’a aucun sens.
Parfois les causes sont connues, reconnues, ruminées, et pour autant
rien ne change. Le patient va mal, et sait pourquoi, mais va toujours aussi
mal13.
 
L’hypnose n’est pas une approche causale, mais n’est pas non plus une
approche symptomatique, elle ne vise pas plus la recherche de causes que
la pure disparition du symptôme. L’approche hypnotique est clairement
globale, psychique, corporelle, sensorielle, et aide le patient non pas à
résoudre un problème mais à changer quelque chose dans sa vie, à faire
de nouveaux choix, à reprendre contact avec des ressources, plus utiles et
pérennes.
Donc il ne s’agit pas d’une approche centrée sur les causes, ni sur les
symptômes mais sur le changement, les ressources et les solutions. Si la
découverte de la cause ne semble pas toujours provoquer pour autant de
changement et si l’approche purement symptomatique peut sembler
temporaire ou partielle, en revanche la découverte d’une ressource, d’une
solution, d’un changement de point de vue, semble, elle, plus efficace et
durable. Nous avons tous vécu des événements qui changent notre regard
sur la vie. Encore une capacité naturelle, parfois rendue inaccessible, et
que l’hypnose peut réveiller.
Il ne s’agit pas d’une approche centrée sur les causes, ni sur les
symptômes mais sur le changement, les ressources et les solutions.

L’hypnose fonctionne-t-elle vraiment ? Hypothèses, évaluations


et preuves…

Je vous trouve bien enthousiaste ! Vous défendez l’hypnose


et pas les autres approches… L’hypnose marche donc toujours ?
À tous les coups ? Sur tout ?

Non ! Et bien heureusement ! Dans le domaine de l’humain il faut se méfier


des « 100 % » qui sont rarement scientifiques.
Il est évident (ne nous mentons pas) qu’à titre personnel, si je pratique
l’hypnose, c’est parce qu’elle me convient, m’aide à aider, et,
subjectivement, plus que d’autres approches.
Pour peu qu’il utilise une technique éprouvée, un praticien à l’aise
avec sa technique n’en sera que plus efficace en la proposant au patient.
Un patient qui adhère à la technique proposée est aussi un facteur de
réussite.
Cependant aucune approche n’est toujours efficace ! L’hypnose, pour
une même problématique, peut avoir des résultats diamétralement
opposés d’un patient à l’autre. L’esprit humain est bien trop complexe,
les individus bien trop uniques pour que l’on trouve une recette
universelle qui fonctionne.
L’hypnose, pour une même problématique, peut avoir des résultats
diamétralement opposés d’un patient à l’autre.
Si vous entendez un jour un défenseur de telle ou telle façon de faire,
vous expliquer que sa méthode « marche à tous les coups », fuyez ! Les
facteurs relationnels sont si importants dans la réussite d’une thérapie que
l’adaptation relationnelle, la confiance du patient, l’aisance du thérapeute
avec sa méthode sont plus importants que la méthode elle-même !

Ce qui voudrait dire que toutes les thérapies fonctionnent ?

Sans équivoque, les psychothérapies fonctionnent, de manière générale.


C’est-à-dire que consulter un professionnel et se soigner par des moyens
relationnels, communicationnels est une méthode valable de soins. Bien
entendu, cela se complexifie quand on prend conscience qu’il y a plusieurs
courants de pensée, plusieurs façons de faire et de voir pour un même but
de soulagement de la souffrance par des moyens psychiques.
Dans les années 1970, avec la diversification des modalités de
psychothérapie, certains psychologues s’interrogent sur une possible
émergence d’un «  effet dodo  ». Cette dénomination «  effet dodo  »
provient du livre Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll. Dans
l’histoire, lors d’une course à laquelle Alice participe, le dodo, oiseau-
juge, déclare que tous ceux qui ont participé à la course ont gagné et
recevront un prix.
On a alors nommé effet dodo ou verdict du dodo les situations où
«  tout le monde a raison  ». Chaque type de thérapie (qu’elle soit
analytique, comportementale, hypnotique ou autre) a ses « supporters »,
tous convaincus qu’elle fonctionne bien et avec une expérience clinique
qui le corrobore. Et si, se demandèrent ces chercheurs et leurs suiveurs,
tout le monde avait raison14 ?
Dans le processus de la psychothérapie (c’est-à-dire, selon la définition
de l’APA, ce processus interpersonnel conçu pour produire des
modifications dans des sentiments, des pensées, des attitudes et des
comportements qui se sont avérés pénibles pour la personne requérant
l’aide d’un professionnel), on a recherché les ingrédients du succès.
Quand une thérapie marche, qu’est-ce qui marche ?
 
La réponse est aussi logique que déconcertante. Les thérapies dites
bona fide, globalement, fonctionnent. Cette locution latine signifie «  de
bonne foi  » et désigne des «  conditions minimales  » pour qu’une
psychothérapie soit considérée comme telle : le thérapeute doit avoir une
maîtrise universitaire ou un équivalent, le traitement doit reposer sur une
approche psychologique cohérente et valable, et le problème doit pouvoir
être raisonnablement traité par une approche psychothérapeutique. Si des
différences flagrantes d’efficience entre les psychothérapies ne peuvent
pas toujours être clairement établies, c’est bien que leur fonctionnement
repose beaucoup sur… ce qu’elles ont en commun !
Il y a des facteurs communs aux psychothérapies pouvant être à
l’origine de l’effet dodo. Bien entendu, comme pour toute bonne
recherche, il existe des contre-arguments. Pour certains, les facteurs
spécifiques ont une importance plus décisive et certaines thérapies
seraient plus efficaces que d’autres…
Mais même en tenant compte de ces controverses, quelques idées
semblent clairement émerger  : la majorité des thérapies bien menées
donne des résultats  ; la réussite de la thérapie dépend beaucoup de la
motivation et de l’engagement du patient dans la thérapie  ; enfin et
surtout, l’alliance thérapeutique qui s’établit entre le patient et le
thérapeute est absolument déterminante pour prédire l’issue du
traitement, bien plus que la technique utilisée par l’intervenant.
La majorité des thérapies bien menées donne des résultats  ; la
réussite de la thérapie dépend beaucoup de la motivation et de
l’engagement du patient dans la thérapie  ; enfin et surtout, l’alliance
thérapeutique qui s’établit entre le patient et le thérapeute est
absolument déterminante pour prédire l’issue du traitement, bien plus
que la technique utilisée par l’intervenant.
Même si toutes les psychothérapies ne sont pas équivalentes pour tout
le monde, certains éléments sont primordiaux quel que soit le modèle et,
au final, 85 % au moins du succès thérapeutique repose sur des facteurs
« non spécifiques », indépendants de toute théorie.
 
•  L’implication, la détermination du patient  : dans une proportion
d’environ 40 %.
Il s’agit de sa motivation, son engagement, son intention d’être actif
dans le processus, son acceptation de travailler des questions y compris
difficiles ou qui peuvent le confronter à des émotions.
 
• La confiance en l’efficacité du traitement : environ 15 %.
Elle inclut aussi la confiance dans le thérapeute et la compréhension de
l’approche utilisée15.
 
•  La qualité de l’alliance thérapeutique entre le patient et le
thérapeute : 30 %
Il s’agit du lien de confiance réciproque et de collaboration qui
s’établit entre thérapeute et patient. Il semble que ce facteur, déjà
déterminant en soi, influe aussi sur tous les autres, puisque l’alliance
favorise aussi l’implication du patient et sa confiance dans l’efficacité de
l’approche.
 
•  Au final, la spécificité de l’approche thérapeutique privilégiée  ne
compte que pour 15 %.
 
Dans l’état actuel des recherches, il est difficile d’établir clairement si
certaines approches thérapeutiques sont beaucoup plus efficaces que
d’autres face à des affections particulières. Il est plus important, pour la
réussite du traitement, de se sentir en confiance, d’avoir une relation
honnête, respectueuse avec le thérapeute, que de privilégier la technique.
Est-ce qu’après avoir défendu l’hypnose, vous allez nous dire qu’il
n’y a pas lieu de privilégier cette technique ? !

Dire que la relation est le facteur primordial ne signifie pas que le choix de
la technique soit secondaire. En effet, si celle-ci ne correspond pas aux
attentes du patient, cela pourra avoir une incidence négative sur son
implication personnelle, sur la qualité de l’alliance thérapeutique et sur la
confiance ressentie, réduisant d’autant les chances de succès. De l’autre
côté, si le thérapeute se sent en désaccord, en difficulté avec l’approche
qu’il pratique, s’il n’y « croit pas », il ne peut que laisser transparaître voire
transmettre ce manque d’enthousiasme.
 
Par ailleurs la question est parfois mal posée dans les protocoles de
recherche. Il est souvent question de se demander si telle ou telle
technique serait meilleure face à tel ou tel symptôme. Mais ne serait-il
pas plus pertinent de se demander si elle n’est pas plus indiquée pour
répondre à tel ou tel besoin  ? À telle ou telle typologie de patient  ?
Certains patients, pour un «  problème  » similaire (disons, par exemple,
de nature anxieuse), ne pourraient-ils pas avoir besoin plutôt d’une
approche corporelle  (pour apaiser les sensations physiques
désagréables)  ? D’une approche centrée sur les solutions et
ressources  (pour retrouver des compétences utiles)  ? Sur la
restructuration cognitive (pour changer de pensées et de point de vue) ?
Sur l’analyse (pour tenter de changer en comprenant mieux sa
« vérité ») ? Sur l’acceptation en pleine conscience (pour cesser de lutter
contre ce qui ne peut être changé) ?
 
Les techniques spécifiques répondent, nous semble-t-il, à certains
besoins, et non à certains problèmes ! L’hypnose, par exemple, travaille
et tire son efficacité, entre autres, de l’utilisation des perceptions
corporelles, de l’utilisation de ressources et de changement (plutôt que
d’une recherche de « causes »), des recadrages par analogie, etc., ce qui
n’est pas le cas de toutes les techniques et peut correspondre à une attente
de certains patients.
En somme, les thérapies n’« entrent pas toutes par la même porte »
même si toutes peuvent produire des effets. Toutes les thérapies ne
conviennent donc pas à tout le monde, et le choix de la technique est
peut-être utile aussi pour améliorer la confiance et la relation !
En somme, les thérapies n’«  entrent pas toutes par la même porte  »
même si toutes peuvent produire des effets. Toutes les thérapies ne
conviennent donc pas à tout le monde, et le choix de la technique est
peut-être utile aussi pour améliorer la confiance et la relation !
 
Il est cependant à souligner que l’hypnose, et les thérapies brèves qui
lui sont reliées ont en commun de s’être intéressées, très tôt dans leur
histoire, non seulement à leurs outils spécifiques comme tous les autres
modèles, mais aussi à la communication et à la relation, et donc aux
«  85  %  » d’outils non spécifiques. L’intérêt qu’elles portent à
l’amélioration du lien thérapeutique, en dotant la relation thérapeutique
d’outils de communication efficace, est aussi un intérêt non négligeable
pour le thérapeute et pour le patient. Un certain nombre de praticiens,
qu’ils pratiquent l’hypnose de façon formelle ou pas, voire qu’ils aient
conservé leurs «  anciennes  » techniques, ont trouvé que la relation au
patient était différente voire facilitée par l’apprentissage de l’hypnose et
l’utilisation de son aspect communicationnel et relationnel, et il semble
que les patients soient très sensibles à cette façon d’être entendus et pris
en charge différemment.

Comment les thérapeutes peuvent s’y retrouver, choisir leur


pratique de thérapie ?

On ne leur apprend généralement pas de technique spécifique pendant leurs


études (ce sont des formations complémentaires) et ils sont souvent
influencés évidemment par les préférences théoriques de leurs
enseignants… Curiosité et travail personnel sont nécessaires…
Les psychiatres ou psychologues débutants s’interrogent parfois
beaucoup sur le « courant de pensée » dans lequel ils se reconnaîtraient.
Certains peuvent être fascinés par une technique ou une théorie, mais ils
découvrent aussi, en rencontrant leurs premiers patients, l’importance
que peut avoir la qualité de la relation.
Il faut tout à la fois ne pas s’attacher trop à la technique (car la qualité
de la relation est primordiale), et à la fois être à l’aise avec la technique
que l’on va utiliser. Aussi étrange que cela puisse paraître, une technique
est plus efficace, pas tant du fait de critères objectifs et mesurables
(même s’il est important d’utiliser une technique potentiellement utile !),
mais surtout parce qu’elle nous « plaît » et nous correspond ! Si l’on est à
l’aise avec l’approche, qu’elle concorde avec nos attentes, nos valeurs,
cette aisance facilite la relation, et donc les facteurs non spécifiques,
vecteurs de succès thérapeutiques.

Et les patients ?

Parfois ce n’est effectivement pas facile de s’y retrouver. Certains patients


se renseignent. D’autres sont « instinctivement » attirés par une modalité de
thérapie ou une autre. Peut-être que le patient qui consulte en hypnose a
parfois à l’esprit l’aspect corporel de l’approche ou la conviction plus ou
moins consciente qu’il pourrait trouver en lui-même certaines capacités que
l’hypnose lui permettrait d’atteindre. Mais, on l’aura compris, un patient qui
verrait l’hypnose comme une technique magique ou miraculeuse qui va le
transformer sans qu’il ait rien à faire prend le risque d’être déçu16 !
Il ne faut pas hésiter à changer de praticien pour trouver quelqu’un
avec qui l’on soit suffisamment confortable pour poursuivre un travail
aussi personnel qu’une psychothérapie.
Le patient qui n’a pas de connaissances particulières dans les
techniques de thérapie devrait, encore une fois, privilégier son aisance
relationnelle avec le praticien. Il ne faut pas hésiter à changer de praticien
pour trouver quelqu’un avec qui l’on soit suffisamment confortable pour
poursuivre un travail aussi personnel qu’une psychothérapie. Le travail
est parfois impliquant, éprouvant, mais la confiance relationnelle doit être
présente.
 
Ce message est donc valable tant pour les patients que pour mes
collègues thérapeutes  : pratiquer une thérapie qui vous convient, que
vous «  aimez  » est encore le meilleur moyen que cela «  marche  ». Si
vous êtes plus à l’aise, le patient pourra l’être aussi.
Le confort étant, pour une fois, un critère scientifique d’efficacité, ne
boudons pas notre plaisir !

Tant que nous sommes dans les études scientifiques, concernant


l’hypnose plus spécifiquement, quelles indications cliniques font
l’objet d’arguments scientifiques ?

Une revue attentive de la littérature révèle un certain nombre de données


intéressantes mais qui demanderaient à être expliquées de façon précise.
En France un rapport de l’Académie de médecine sur les thérapies
complémentaires et surtout un rapport de l’INSERM de juin  2015 au
sujet de l’hypnose (rapport facilement consultable en ligne) ont exploré
une bonne partie de cette littérature, chacun peut y consulter les
références, et la maîtrise de l’anglais facilitera les recherches pour qui
voudrait lire les articles originaux17.
Plusieurs indications sont vraiment étayées concernant la douleur
aiguë (anesthésiologie, soins douloureux aux urgences notamment
impliquant des aiguilles, médecine interventionnelle…), la douleur
chronique (par exemple les troubles fonctionnels intestinaux «  côlon
irritable  »), la santé des femmes (difficultés hormonales, préparation à
l’accouchement…), la psychiatrie (notamment dans l’anxiété, dans le
stress posttraumatique…).
 
Cependant, pour de nombreuses indications, les résultats paraissent
incertains aux chercheurs. Bizarrement, en se penchant de plus près sur la
littérature, de nombreuses études sont favorables à l’hypnose, mais ne
leur suffisent pas pour conclure (pas assez larges, pas assez strictes…).
Dans de nombreuses indications il est tout à fait possible que l’hypnose
fonctionne mais on a de grandes difficultés à l’évaluer de façon adaptée.

Pourquoi est-ce si dur à évaluer ?

Tout d’abord parce que les études sont souvent trop peu nombreuses pour
conclure.
 
Les critères scientifiques sont de plus en plus stricts pour conclure à
l’efficacité, et l’on ne peut que se féliciter, de façon générale, du niveau
d’exigence scientifique toujours plus important de la communauté des
chercheurs dans le domaine médical.
Il y a évidemment une contrepartie à cette exigence : si une étude (et
c’est très fréquent) est favorable à l’hypnose, mais que trop peu d’études
comparables viennent le confirmer, que trop peu de patients au total ont
été évalués, cela donne un bon indice de l’efficacité de la technique, mais
ne la « démontre » pas.
 
Dans certaines indications les études sont peu nombreuses, limitées
(car réaliser une étude incluant de nombreux patients coûte extrêmement
cher !) et, surtout, même quand elles sont nombreuses, elles sont souvent
incomparables entre elles  ! La technique ou la modalité hypnotique
utilisée n’est pas la même (par exemple dans l’une il s’agit de huit
séances en groupe et dans l’autre d’une seule séance individuelle), le
critère d’efficacité retenu (dans l’une le critère est le degré de douleur,
dans l’autre le niveau de stress ou la gêne fonctionnelle) ou la technique
à laquelle l’hypnose est comparée (dans une étude l’on compare hypnose
et médicament, dans l’autre hypnose et un autre modèle de
psychothérapie) ou encore l’indication précise diffère, ces éléments
rendant toute analyse globale impossible, et rendant décevantes ces
études qui, malgré l’impact clair de l’hypnose, ne permettent pas toujours
aux chercheurs de conclure de façon définitive…
 
Si par exemple (et c’est le cas) la majorité des études sur l’hypnose et
le tabac est plutôt favorable à l’hypnose, mais que ces études sont trop
différentes pour être comparées, ont des faiblesses méthodologiques ou
d’autres défauts  : on a, comme on dit, «  de bonnes raisons de penser  »
que cela fonctionne (la clinique quotidienne nous l’indique clairement),
mais la conclusion de l’efficacité ne peut être affirmée de façon ferme
selon les critères stricts des recherches modernes.

Alors on pourrait faire des études plus grandes et comparables…


cela simplifierait les choses ?
Il y a d’autres complications…
D’autres limites méthodologiques entrent en jeu, qui sont d’ailleurs
communes à l’évaluation de toute «  psychothérapie complexe  », ces
thérapies qu’on ne peut (même si cette idée gêne certains chercheurs)
évaluer comme on évalue d’autres soins ou comme des médicaments…

Qu’est-ce qui les différencie ?

En apprenant à déchiffrer les études cliniques, l’étudiant en médecine


découvre souvent que le modèle érigé comme parfait ou presque pour
affirmer l’efficacité d’un médicament est celui dit de « l’étude clinique de
phase 3 ».
De quoi s’agit-il ?
 
Il s’agit entre autres de tenter de diminuer «  l’effet placebo  » pour
connaître l’efficacité de la molécule elle-même. L’effet placebo fait que
l’efficacité de tout traitement est modifiée par les conditions de son
administration. Un thérapeute empathique, chaleureux, ouvert, qui croit
dans l’efficacité de son traitement ; un patient avec de fortes attentes et
de forts espoirs, une certaine disposition psychologique  ; un traitement
avec une présentation particulière  ; bref, tous ces facteurs et d’autres
contribuent à augmenter l’effet du traitement. Ces facteurs ne doivent pas
(ou le moins possible) parasiter l’étude, dont le seul but est de connaître
l’efficacité de la « part chimiquement active » du médicament.
 
Il s’agit aussi d’éliminer un effet qui serait simplement dû au hasard.
 
Il est donc recommandé de :
 
—  «  Contrôler  »  : si on donne un traitement contre la grippe à un
groupe de patients et qu’ils guérissent en huit jours, cela ne veut pas dire
que le traitement est efficace, mais juste que toute grippe passe en
quelques jours. Il faut donc comparer à un groupe dit « groupe contrôle ».
Pour contrôler : on divise le nombre de patients par exemple en deux
groupes. La moitié des patients (le groupe «  expérimental  ») prendra le
nouveau traitement et l’autre (le « groupe contrôle ») un placebo (ou le
traitement de référence habituel) pour pouvoir savoir si notre nouveau
traitement est plus efficace que son absence.
 
— « Randomiser » : le groupe contrôle doit être identique au groupe
expérimental. Car il faut être sûr qu’ils auraient évolué de la même façon
sans le traitement, pour s’assurer que le traitement modifie leur devenir.
Pour cela, les patients ne choisissent pas leur groupe, ils sont attribués au
hasard à l’un ou l’autre groupe.
 
—  Travailler en «  double aveugle  »  : l’idéal, pour ne pas modifier
espoirs et attentes des uns et des autres, est que le patient ne sache pas
s’il prend un traitement actif ou un placebo et que le médecin ne sache
pas non plus la nature du traitement distribué pour ne pas communiquer,
verbalement ou non, ses propres espoirs. Ils sont tous les deux
«  aveugles  » des conditions de leur expérience  : les traitements sont
identiques (couleur, forme,  etc.), distribués dans des conditionnements
anonymisés. La ou les personnes attribuant les numéros ne rencontrent
jamais les patients, et ne sont pas les mêmes que ceux qui distribuent les
comprimés.
 
Ces critères (entre autres) sont ceux de ces études « bien faites », ces
dispositifs absolument remarquables, élaborés au fil du temps et
globalement fiables s’ils sont bien réalisés pour que nous connaissions
l’efficacité des traitements.

C’est pour que les études « disent la vérité » ?

Ces études servent à démontrer qu’une molécule ou une technique


fonctionne sur un symptôme dans l’absolu, mais elles ne décrivent pas pour
autant la réalité de la pratique !
Les patients pouvant bénéficier de ces études sont consentants au
dispositif, ils sont généralement sélectionnés selon des critères
d’inclusion qui peuvent inclure par exemple de ne pas prendre les
personnes « trop malades » avec des formes graves (car il ne serait pas
éthique de les priver au hasard du traitement de référence pour leur
donner un placebo), ni les patients « trop peu malades » (avec une forme
trop légère, il serait plus compliqué de mettre en évidence une différence
importante d’efficacité). Il faut également éviter les patients avec des
formes atypiques du trouble, pour qu’ils puissent être comparables.
Bref, les patients des études ne sont pas toujours représentatifs de
nos « vrais patients ».
Les patients trop âgés ne peuvent être pris en compte car ils ont
souvent d’autres maladies associées qui pourraient modifier les résultats.
Dans certaines études, les femmes ne sont pas incluses car les variations
hormonales modifient les données ou bien pour éviter d’avoir à exclure la
patiente de l’étude en cours de route du fait de la survenue d’une
grossesse…
 
Bref, les patients des études ne sont pas toujours représentatifs de nos
« vrais patients ».
Une analyse récente a par exemple montré que les critères de
recrutement des patients pour les études habituelles sur la dépression, ces
mêmes études, qui mènent à l’agrément de médicaments sur le marché,
auraient exclu… 82 % des patients souffrant de dépression18 !
Ces critères sont heureusement de plus en plus pris en compte et la
qualité des études s’améliore.

À ces problèmes généraux sur les études s’ajoutent les problèmes


spécifiques à la psychothérapie…

Oui. Le sujet de l’évaluation des psychothérapies est un sujet très vaste et


controversé. N’entrons pas dans les détails qui seraient trop longs et
complexes19.
Posons juste quelques questions. La démarche des études consistant à
vouloir s’extraire du contexte pour n’observer que l’intervention « nue »,
sans son aspect influencé par la relation a-t-elle un sens dans la thérapie,
qui est par essence une intervention par la relation ?
Le contexte justement, et son changement sont souvent à l’origine du
changement en thérapie (la réalité ne peut parfois pas changer mais on
peut changer la façon de la regarder et de la contextualiser).
 
Par ailleurs il y a une différence essentielle entre la thérapie et les
autres traitements : un médicament ou une procédure chirurgicale apporte
de l’extérieur du patient une solution. En thérapie, il s’agit de créer un
cadre qui permette au patient, de l’intérieur, de changer quelque chose,
de trouver en lui-même, à partir de lui-même (même s’il est guidé par un
thérapeute) d’autres possibilités.
 
En somme la thérapie peut moins facilement se prescrire. La
motivation du patient, la relation qui s’engage sont des facteurs qu’on ne
peut balayer puisqu’ils sont, eux-mêmes, le traitement. Si nous
supposons que la part spécifique des thérapies est l’équivalent de la part
active des traitements chimiques et que la part relationnelle est le
placebo, alors, en utilisant une méthodologie qui vise à retirer au
maximum cet aspect placebo et relationnel pour se concentrer sur la part
spécifique, nous négligeons ce qui fait « 85 % » de l’efficacité selon les
chercheurs qui se sont intéressés à l’« effet dodo ».
Dans tous les cas, nous dénaturons le traitement lui-même, ou du
moins nous négligeons les intrications très complexes entre les facteurs
spécifiques ou non qui s’entremêlent !
Les thérapies sont une forme de «  placebo structuré  »20 qui tente
d’améliorer volontairement, d’optimiser avec méthode, l’action de la
relation et de la communication sur la souffrance.
 
Donc évidemment, concernant l’hypnose  : le double aveugle est
impossible, l’hypnose n’est pas un cachet rond et blanc qu’on pourrait
confondre avec un autre : le patient, parce qu’on en parle de plus en plus,
se rend bien compte ou devine que c’est une séance d’hypnose qu’il a
reçue. Quant au thérapeute il ne peut bien sûr être aveugle de ce qu’il fait
lui-même ! On peut restreindre le problème en faisant évaluer le patient
par quelqu’un qui ne sait pas quel traitement a été reçu, mais ça n’est pas
tout à fait équivalent. Il n’y a pas de placebo d’hypnose. La
randomisation, alors qu’elle permet la comparaison des groupes, fausse
ici complètement la donne. Quand un patient sait qu’il aura «  soit de
l’hypnose soit une thérapie x », s’il avait un peu peur de l’hypnose et se
retrouvait dans ce groupe, il pourrait y résister  ; s’il souhaitait au
contraire avoir la possibilité de se soigner par l’hypnose et se retrouvait
dans le groupe contrôle, il perdrait sa motivation.
Et contrairement à une action chimique pure qui peut avoir lieu quand
même, quel que soit l’état d’esprit du patient, en revanche dans certaines
affections (comme l’addiction au tabac), sans motivation aucun
traitement n’est efficace. Dans la vraie vie, l’hypnose est rarement
prescrite.
 
Les patients se font parfois à l’avance une idée du genre de thérapie
qu’ils souhaitent. Et la préférence du patient pour un type de thérapie est
un critère fondamental, contrairement à l’action d’un médicament pour
lequel il est rare que le patient ait une idée du principe chimique à
l’œuvre. Les critères qui font qu’un patient s’oriente, plus ou moins
pertinemment, vers une thérapie ou une autre  ; la typologie de patient,
pour un même problème, qui serait le plus «  à risque de succès  » pour
l’hypnose, est un abord qui n’est, à ma connaissance, jamais évalué !
 
La méthodologie médicale standard de l’évaluation des traitements,
que l’on appelle parfois « evidence-based medicine » (médecine fondée
sur des preuves), si elle est un progrès indéniable, un facteur de qualité de
la recherche, peut parfois, pour les phénomènes complexes, éloigner trop
drastiquement de la pratique.

Il arrive que la recherche se rapproche plus de la pratique ?

On en a quelques aperçus. Par exemple quand les critères d’évaluation de


l’efficacité ne sont pas quantitatifs (des évaluations chiffrées, des
échelles…) mais qualitatifs (on demande par exemple aux patients de
décrire les apports de l’hypnose dans leur situation), on se rend compte de
façon plus subtile que les patients apprécient la qualité de la relation (plus
sécurisante) et de la communication, l’approche globale qui inclut l’aspect
corporel, le fait d’avoir un rôle actif, un sentiment de contrôle sur leur peur,
une capacité à changer de point de vue et à découvrir leurs ressources, de
rendre des expériences difficiles plus positives…
De même, toutes les études qui s’éloignent un peu de la méthodologie
stricte et se rapprochent plus des conditions de réalité voient l’efficacité
de l’hypnose augmenter.
Ces critères sont complexes et la difficulté à les quantifier ne permet
pas de retenir ces études comme des preuves absolues !
 
De même, toutes les études qui s’éloignent un peu de la méthodologie
stricte et se rapprochent plus des conditions de réalité voient l’efficacité
de l’hypnose augmenter.
 
Je reprends l’exemple du tabac. Il est traditionnel de dire que les
études sur le sujet, même si elles sont assez positives, sont trop peu
nombreuses et pas assez comparables pour pouvoir affirmer l’efficacité
de l’hypnose…
Mais à y regarder de plus près, il se passe un drôle de phénomène, à
ma connaissance unique en médecine  : une disparité de résultats
absolument invraisemblable. Dans toutes les études, sur tous les
traitements, pour toutes les pathologies, les résultats ne sont évidemment
jamais identiques d’une étude à l’autre, mais ils sont dans une certaine
« fourchette »
Mais l’efficacité de l’hypnose sur l’arrêt du tabagisme varie de 4 à
88 % d’efficacité !
 
Nous pourrions gloser à l’infini sur cet étonnant constat21, mais
retenons quelques points relativement clairs.
La majorité des études est plutôt favorable à l’hypnose, la
reconnaissant comme au moins aussi efficace, voire nettement plus, que
les méthodes habituelles ou qu’une absence d’intervention. Cependant les
mêmes problèmes méthodologiques apparaissent dans toute leur acuité.
La très sérieuse et indépendante revue Cochrane par exemple, quand elle
analyse avec des critères très précis cette littérature, n’arrive à retenir que
11 études (sur plusieurs dizaines), dont 9 ont plus de 30  ans. Leurs
méthodologies sont incomparables et pas toujours aussi précises que pour
les critères actuels, rendant toute métaanalyse globale impossible. Et,
bien que la majorité de ces études soit favorable à l’hypnose, les auteurs
ne peuvent conclure…
Si l’on regarde les études qui n’ont pas été retenues par cette revue,
certaines suivaient les patients moins de temps, d’autres n’étaient pas
randomisées ou pas contrôlées. Si ces études s’éloignaient des
méthodologies standard utilisées pour les médicaments, elles se
rapprochaient en revanche plus des conditions de la pratique et, sans
surprise, la majorité d’entre elles était favorable à l’hypnose.
 
L’exploration de l’hypnose nous montre qu’elle est un phénomène
complexe. Les insuffisances de ces études ne doivent pas décourager de
mener des recherches, bien au contraire, beaucoup reste à faire.
Mais il faut arriver à faire évoluer les méthodologies de la recherche
pour que celles-ci soient adaptées à la complexité de leur objet, aux
nombreux paramètres qui jouent dans un soin par l’hypnose, infiniment
plus complexe et relationnel qu’une prescription médicamenteuse…
 
On peut supposer qu’une recherche incluant l’hypnose mais étudiant
un phénomène simple ou avec peu de critères (comme la pression
artérielle) ou une perception aiguë (comme une douleur procédurale)
pourrait quelque peu imiter les études habituelles. Car, dans ces cas-là,
l’hypnose est proposée pour faire advenir une capacité ordinairement
inhabituelle.
Mais dès que le phénomène devient relationnel, chronique,
multidimensionnel, dès que la solution doit clairement venir du patient
comme dans les problématiques psychiques, comportementales,
émotionnelles (l’hypnose ne faisant qu’installer le cadre qui rend ce
mouvement possible) alors la complexité de l’évaluation des thérapies
se rappelle à nous.
Mais dès que le phénomène devient relationnel, chronique,
multidimensionnel, dès que la solution doit clairement venir du patient
comme dans les problématiques psychiques, comportementales,
émotionnelles (l’hypnose ne faisant qu’installer le cadre qui rend ce
mouvement possible) alors la complexité de l’évaluation des thérapies se
rappelle à nous.
 
Dans le cas du tabac, comment ne pas penser que certains chercheurs
auraient pu vouloir simplifier le comportement tabagique à une addiction
à la nicotine facilement mesurable par un comportement (fumer ou non),
alors que le tabagisme met en jeu le rapport au corps, les liens sociaux,
l’image de soi, le stress et l’anxiété, le rapport au temps…
 
Ce cas où le changement ne peut venir que du patient, et l’hypnose lui
rend le changement possible, est un cadre de thérapie qui n’est pas
forcément compatible et réaliste avec une évaluation de type « evidence-
based ».

Et puis le thérapeute n’est pas une molécule… c’est la relation


qui est soignante… Doit-on aussi tenir compte de lui ?

L’utilisation de l’hypnose amène un plus grand confort au praticien qui


propose une véritable alternative au patient.
Les exemples sont infinis  : l’urgentiste qui n’a plus à maintenir
physiquement un enfant pour lui faire ses points de suture et travaille
dans le calme, le dentiste qui sent son patient en train de rêver sur le
fauteuil plutôt que subir douloureusement les soins, le cancérologue qui
« perd » quelques minutes à induire l’hypnose avant sa ponction et gagne
du temps en pratiquant en compagnie d’un patient plus détendu, le
médecin proposant autre chose que des médicaments pour la douleur
chronique ou la souffrance psychique…
 
De nombreux praticiens reconnaissent une amélioration dans la
pratique, une plus grande facilité à communiquer, une aisance… et le
confort est «  contagieux  » quand les patients sentent le praticien plus à
l’aise et mieux en lien. Ce genre de facteurs interactionnels sont
complexes, et durs à évaluer, mais peuvent être déterminants.
 
Bref, bien qu’empiriquement efficace, il ne faut pas économiser
l’effort pour le démontrer de façon toujours plus claire et scientifique,
continuer à chercher des méthodologies complexes et adaptées, comme
(et peut-être encore plus que) pour toute thérapie ou phénomène
relationnel…

Contre-indications, nuances et complexité

Certaines indications sont prouvées, d’autres probables… Y a-t-il


des domaines où elle n’est pas indiquée ou même contre-indiquée ?

On pourrait dire quelques généralités :


L’hypnose thérapeutique n’est pas indiquée quand il n’y a pas besoin
de thérapie. Elle n’est pas indiquée quand la personne n’a pas de
demande, on ne peut faire de l’hypnose contre le gré d’un sujet, tant pour
des raisons techniques qu’éthiques.
Il ne faut pas non plus prétendre soigner des affections non
accessibles à la thérapie. L’hypnose ne guérit pas le cancer ou le
diabète.
Il ne faut pas non plus prétendre soigner des affections non accessibles
à la thérapie. L’hypnose ne guérit pas le cancer ou le diabète. S’il est
possible d’accompagner en complément, psychiquement, corporellement
un patient au travers d’un processus pathologique, douloureux, anxieux
ou existentiel, en revanche toute maladie grave et curable doit toujours
faire prioriser le traitement médical.
 
De façon générale, il faut éviter l’hypnose dans un contexte où la
pratique pourrait mettre le patient en danger (s’il en venait à négliger un
traitement indispensable par exemple).
 
Il n’est pas indiqué non plus de pratiquer l’hypnose thérapeutique
«  pour s’amuser  ». Si la pratique de l’hypnose peut être agréable et
souriante, en tant que soin elle n’est pas un jeu. De même qu’il n’y a pas
lieu d’aller voir un médecin pour «  voir ce que ça fait  » de prendre tel
traitement ou de subir tel examen. L’hypnose a un potentiel de
changement, peut surprendre, remuer psychiquement même, ce qui
nécessite la prudence, et de ne pas se « jeter dans les bras22 » du premier
venu, juste pour rire…
Sur le plan pathologique, la plupart des praticiens s’accordent à dire
qu’une contre-indication de l’hypnose serait l’existence d’un
phénomène psychotique décompensé. En d’autres termes, un épisode
schizophrénique aigu, une bouffée délirante, une phase maniaque ou
mélancolique, une psychose puerpérale, etc. dans leur phase aiguë.
Sur le plan pathologique, la plupart des praticiens s’accordent à dire
qu’une contre-indication de l’hypnose serait l’existence d’un phénomène
psychotique décompensé. En d’autres termes, un épisode
schizophrénique aigu, une bouffée délirante, une phase maniaque ou
mélancolique, une psychose puerpérale, etc. dans leur phase aiguë.
En revanche, l’hypnose n’est pas exclue, y compris dans ces maladies
si elles sont traitées et équilibrées et que le praticien connaît ces
pathologies…

C’est bien compliqué tout cela !

Oui ! Et c’est pour cela qu’il faut être prudent. Ce n’est pas la simple
connaissance de l’hypnose qui permet de la pratiquer de façon
thérapeutique, c’est la connaissance du domaine de son application !
De nombreux soignants me demandent pendant les formations s’ils
peuvent utiliser l’hypnose sur des populations plus atypiques (personnes
démentes, autistes, déficientes, surdouées…) ou bien dans des contextes
moins fréquents (orthophonie, radiologie interventionnelle…). Ma
réponse est toujours oui  ; et plus précisément que l’hypnose, en tant
qu’outil aidant le patient, peut être appliquée par un soignant… qui
connaît le patient (et donc sa maladie éventuelle) ! Pas d’hypnose sur les
enfants si on n’a pas de connaissances sur les soins aux enfants, par
exemple…
Je connais peut-être les techniques dont se servent les anesthésistes
mais je n’irai pas au bloc opératoire pour pratiquer l’hypno-sédation.
Je connais la psychiatrie, je me permets donc d’appliquer l’hypnose
aux domaines de la souffrance psychique. À chaque praticien donc d’être
au clair avec ses compétences et son domaine de pratique.
 
La principale non-indication de l’hypnose est la méconnaissance du
domaine dans lequel on l’applique… L’utilité de l’hypnose dépend donc
aussi d’avec qui on la pratique…
La principale non-indication de l’hypnose est la méconnaissance du
domaine dans lequel on l’applique…
6

Peut-on jouer avec l’hypnose ?

Hypnose et métiers

Qui a le droit de pratiquer l’hypnose ?

Cette question soulève beaucoup d’ambiguïtés.


D’une part nous pourrions dire que « les états naturels d’hypnose » que
nous avons évoqués en début d’ouvrage sont possibles pour tous donc on
ne peut évidemment en dénier le droit à qui que ce soit ! À cela s’ajoute
l’idée que l’hypnose n’est pas produite par le praticien, celui-ci ne
pouvant que fournir le cadre qui va aider la personne à entrer dans son
hypnose. De prime abord il paraît donc difficile de parler de «  droit à
l’hypnose » du moins du côté de l’hypnotisé !

Et du côté du praticien ?

Là c’est un peu différent, puisqu’on admet que l’hypnose est le fait de


reproduire volontairement (parfois de façon plus stable, profonde,
stratégique, et grâce à un praticien, sauf dans le cas d’autohypnose) un état
naturel de transe pour accéder aux possibilités qu’il permet. La question du
rôle et de la responsabilité de celui qui provoque ce phénomène pose donc
évidemment question.
 
Dans certains pays, la loi a restreint les usages de l’hypnose (comme
en Belgique, Grande-Bretagne, Suède, Israël…), en ne permettant parfois
de ne pratiquer l’hypnose (sur d’autres) qu’aux soignants, voire qu’à
certains types de soignants (par exemple seulement les médecins et
psychologues dans certains pays).

Et en France ?

Le terme « hypnose » n’est pas protégé par la loi. Tout le monde (et parfois
n’importe qui) pourrait s’arroger un « titre » d’hypno (-tiseur/-tiste/-
thérapeute/-praticien/-logue…). Et c’est bien ce qui inquiète parfois.
Comment savoir sur qui l’on va « tomber » quand quelqu’un dit pratiquer
l’hypnose ?

Vous parlez de pratique de l’hypnose, mais y a-t-il des « métiers


de l’hypnose » ?

La pratique de l’hypnose peut s’inclure dans un métier mais n’en est


pas un à part entière.
Quitte à surprendre je dirais que non. L’hypnose n’est pas un métier. Elle
est tantôt vue comme une technique, un état, une forme de relation, une
pratique, mais pas un métier. La pratique de l’hypnose peut s’inclure dans
un métier mais n’en est pas un à part entière. Je ne suis pas
« hypnothérapeute », je suis un médecin qui pratique (entre autres)
l’hypnose. Je forme des médecins, des psychologues, des infirmières, des
kinés, etc. à la pratique de l’hypnose.
 
Si des personnes non-soignantes la pratiquent à des fins d’aide (ce qui
est le cas de facto), alors il s’agit de définir ce/ces métier(s) (thérapeute ?
accompagnant ? aidant ? coach ? marabout ? autre ?), qui serait un autre
« métier qui utilise entre autres l’outil hypnotique ».

Hypnose et spectacle

Et pour l’hypnose de spectacle ?

Là aussi « l’hypnotiseur » de spectacle a pour métier… le spectacle !


 
Par exemple, le plus célèbre des hypnotiseurs de spectacle actuel (celui
qui a pris comme pseudonyme un nom proche d’un personnage de
l’histoire de l’hypnose…) ne m’impressionne pas tant par ses capacités
hypnotiques que par sa capacité à mener un show de bout en bout. Les
techniques sont, en réalité, assez simples.
 
Mais son véritable talent ne réside pas dans ce qu’il « fait » ou « fait
faire »1 mais bien dans sa capacité à mener un spectacle pendant deux
heures et de tenir un large public en haleine. Le showman conditionne
très progressivement, par toute une série d’artifices, assez simples à
déchiffrer au final, le public qui joue le jeu de plus en plus et « sait » quel
est le comportement qu’il devra produire…
 
Rappelons que l’hypnose est avant tout un révélateur de contexte, si
les personnes produisent ces comportements, c’est notamment par ce
conditionnement progressif, du fait de l’ambiance générale, et parce que
l’hypnose fait, ici, ressortir cette capacité, plus ou moins consciente, à
«  faire l’idiot  », se donner en spectacle, compétence plus ou moins
enfouie en chacun de nous depuis l’enfance…
 
Après quelques «  tests  », l’hypnotiseur sélectionne généralement un
certain nombre de personnes dites « réceptives ». Sur scène, il fait alors à
chacun une suggestion très directe et ne garde que ceux qui y répondent.
L’argument semble simple  : «  Si ça n’a pas marché sur vous c’est que
vous n’êtes pas assez hypnotisables pour les besoins du spectacle. Avec
vous, cela demanderait trop de temps. »
 
Bien entendu l’argument est un peu spécieux. Tout le monde est
«  hypnotisable  » puisque la capacité d’entrer en hypnose est en chaque
esprit humain, de façon physiologique. Cependant tout le monde n’a pas
la même façon de faire et un thérapeute, par exemple, se doit de
s’adapter. Ce que teste l’hypnotiseur de spectacle, ce n’est pas la capacité
à entrer en transe, la prétendue «  hypnotisabilité  », mais la capacité à
répondre, de cette façon et dans ce contexte, à ses suggestions directes et
autoritaires. Ce sont presque des tests d’obéissance. En réalité, certains
sujets «  non retenus  » entreraient peut-être très bien en transe, seraient
même «  très hypnotisables  », mais pas avec des phénomènes de ce
genre…
À partir de là, beaucoup devient possible car la «  pression sociale  »
(par le public qui observe, a fortiori si, comme à la télévision, il est perçu
comme très nombreux par les autres personnes sur scène qui produisent
des phénomènes…) est un facteur de production de comportements.
Chacun connaît les effets des mouvements de foule, de l’entraînement
collectif de groupe, ou, dans un contexte plus dramatique, les
implications des expériences de Milgram2, ou les conclusions de la
psychologie sociale sur la « soumission librement consentie3 ».
L’hypnose de spectacle repose même essentiellement sur ces
spirales d’engagement, sur une communication autoritaire bien rodée,
bien plus que sur une hypnose avec des suggestions simplistes et
directives (même si c’est ce que l’on remarque le plus en apparence).
De fait, l’hypnose de spectacle repose même essentiellement sur ces
spirales  d’engagement, sur une communication autoritaire bien rodée,
bien plus que sur une hypnose avec des suggestions simplistes et
directives (même si c’est ce que l’on remarque le plus en apparence).
Les phénomènes hypnotiques présentés sur scène sont généralement
assez simples à obtenir et tout un chacun pourrait apprendre à les
«  imiter  » en quelques heures4. Mais on peut aussi faire l’hypothèse
(étayée par l’observation, tant la mienne que celle d’un certain nombre de
confrères connaissant bien l’hypnose) que certains sujets ne sont pas en
état de transe sur scène mais suivent le mouvement de groupe, s’y
laissent entraîner de façon ludique, dans une désinhibition collective et
une ambiance potache qu’ils prennent pour de l’hypnose.
 
Il n’y a jamais eu besoin d’hypnose pour que, sous l’effet d’un
mouvement collectif, on fasse des choses inattendues.
Mais dans le concret, souvent, dans le domaine du spectacle, il y a
finalement peu d’hypnose et beaucoup de jeu de rôle.
Et finalement, on pourrait imaginer, pourquoi pas, un spectacle de
qualité, avec une certaine forme d’éthique et de véritables
« tours d’hypnose », au sens de la magie/prestidigitation, que je considère
comme un art très noble. Mais dans le concret, souvent, dans le domaine
du spectacle, il y a finalement peu d’hypnose et beaucoup de jeu de rôle.
Les spectacles se sont démultipliés, et le niveau tant sur le plan hypnose
que sur la valeur des spectacles me semble souvent décevant. La
créativité et la qualité ne sont pas au rendez-vous, quand ce n’est pas
carrément des numéros répétitifs ou de mauvais goût.
 
Nous avons déjà évoqué les dangers potentiels de cette pratique. Au-
delà des dangers physiques (dus au risque de chute, les hypnotiseurs
ayant semble-t-il un certain goût pour faire tomber les gens –  et les
rattraper dans leurs bras si possible  –, ou dus au risque sérieux pour le
dos quand ils mettent les personnes «  entre deux tables  »), rappelons
qu’effectivement, dans beaucoup de cas tout se passe plutôt bien, le
spectacle peut être parfois drôle, souvent inoffensif, et qu’il existe
quelques professionnels un peu plus sérieux.
Certaines personnes ont eu des conséquences négatives de l’hypnose
de spectacle (du moins telle qu’elle est un peu trop souvent pratiquée)
et nombre de thérapeutes pourraient en témoigner.
Mais des personnes fragiles ou fragilisées par certaines circonstances
de vie peuvent être vivement perturbées (parfois inconsciemment) par la
forme de la mise en scène qui reprend la forme d’une relation de
domination. Les effets douloureux seront souvent retardés, parfois de
plusieurs jours ou semaines, ce qui contribue à laisser penser cette
pratique comme totalement inoffensive (puisqu’ils vont bien juste après
le spectacle). Certaines personnes ont eu des conséquences négatives de
l’hypnose de spectacle (du moins telle qu’elle est un peu trop souvent
pratiquée) et nombre de thérapeutes pourraient en témoigner.
 
Le plus inquiétant dans cette affaire est qu’il arrive que certaines des
personnes parmi les plus réceptives aux suggestions et à la dissociation
soient justement des personnes qui ont vécu des événements
«  dissociants  » (comme des traumatismes, des violences, des
manipulations) ou aient connu, consciemment ou non, des fragilités
relationnelles. La mise en scène peut entraîner une sidération qui
empêche de réagir ou d’avoir un regard critique. Certaines de ces
personnes seront alors des « excellents sujets », suivant sans problème en
apparence tout ce qui leur est demandé, mais en paieront possiblement le
prix à retardement.
 
Pas besoin de chercher loin pour trouver des témoignages, car les
spectacles se démultiplient et la qualité des praticiens de spectacle est
souvent assez mauvaise, ils sont peu formés, et mènent ces numéros
stéréotypés d’hypnose sans tenir compte de ce qui peut se jouer pour les
sujets, sans réellement terminer les transes à la fin (erreur de débutant
mais fréquente dans les spectacles, ce qui peut être assez désagréable), et
en favorisant souvent les effets d’apparente domination, les humiliations
ou les rires aux dépens des sujets.
Avec la popularisation de l’hypnose, les personnes savent souvent à
quoi elles s’exposent : un hypnotiseur qui se joue d’eux pour amuser la
galerie. Ce à quoi on ne peut bien évidemment pas les en empêcher s’ils
y consentent…
 
À l’inverse, certains n’ayant pas répondu aux « tests » s’imaginent ne
pas être sensibles à l’hypnose et se découragent de se soigner, ce qui est
bien dommage puisque, comme on l’a vu, tout le monde peut travailler
en hypnothérapie.

Et en plus de ces cas, rares mais bien gênants, l’hypnose de spectacle


est, pour d’autres raisons, l’ennemie du soin ?

Pour des raisons un peu sociales, ou des raisons d’image, ce sont des
« sœurs ennemies ».
L’hypnose est une discipline qui a toujours cherché, au travers des
hommes qui l’ont fait évoluer, à soigner et à rendre la démarche de plus
en plus pragmatique ou scientifique, en tentant de s’opposer à la
pratique simplifiée ou purement ludique.
Historiquement, l’hypnose de soin a toujours eu des liens avec le
spectacle ou la mystique. Mesmer élabore une théorie scientifique et une
pratique de soin à partir d’observations d’exorcisme  ; Braid crée le
vocable hypnotisme et en fait un protocole médical alors qu’il a appris à
la suite d’une démonstration de foire…
 
L’hypnose de soin tente sans cesse de se détacher de la pratique du
spectacle, et cela lui est bien difficile ! L’hypnose est une discipline qui a
toujours cherché, au travers des hommes qui l’ont fait évoluer, à soigner
et à rendre la démarche de plus en plus pragmatique ou scientifique, en
tentant de s’opposer à la pratique simplifiée ou purement ludique. Les
soignants, les médecins, ont été les principaux artisans de l’évolution de
l’hypnose et ont eu pour cela à s’opposer à la pratique de spectacle.
Mais cette opposition est toujours complexe car il n’est pas facile de se
détacher d’un élément qui fait partie de son berceau…
 
Bien sûr, le soignant que je suis ne peut qu’être gêné de l’image que
cette pratique (telle qu’on la constate en ce moment) renvoie. Certes il
s’agit de spectacle et pas de soins… mais il s’agit d’hypnose alors la
confusion est rapidement opérée. Les personnes ont l’impression en
regardant (car tout est fait pour), que l’hypnose est une pratique plus
puissante si elle est plus spectaculaire, qui repose sur le pouvoir et le
charisme de l’hypnotiseur, qui impose sa volonté et manipule les pensées
et les comportements du sujet… Comment voudrait-on se soigner ainsi ?
Beaucoup se disent aussi «  ce n’est pas possible, c’est truqué  », ce qui
donne une image d’artifice et de doute.
 
Les thérapeutes voudraient faire passer les idées inverses sur leur
pratique : l’hypnose est produite par le sujet et le thérapeute ne fait que la
faciliter  ; si le thérapeute est un aide, c’est bien le patient qui trouve
l’occasion de travailler et de changer  ; le thérapeute n’est pas là pour
imposer mais pour permettre  ; la suggestion est en fait une proposition
dont le patient peut se saisir ou pas  ; la pratique thérapeutique est plus
puissante et complexe et produit des effets bien réels même si elle est
moins (télé)visuelle5…
 
Cependant, d’une certaine façon, les phénomènes s’alimentent l’un
l’autre  : plus l’hypnose soignante est reconnue et fréquente et plus
l’hypnose de spectacle est populaire (c’était déjà le cas il y a un siècle6 !)
et, en miroir, il faut le reconnaître, la popularisation de cette hypnose de
spectacle entraîne aussi l’intérêt des patients pour comprendre7,
l’impression qu’elle peut produire des effets étonnants, l’envie de
demander cette aide et la demande de soignants pour apprendre à
l’intégrer éthiquement dans leur pratique…
En miroir, il faut le reconnaître, la popularisation de cette hypnose de
spectacle entraîne aussi l’intérêt des patients pour comprendre,
l’impression qu’elle peut produire des effets étonnants, l’envie de
demander cette aide et la demande de soignants pour apprendre à
l’intégrer éthiquement dans leur pratique…
Mais ce qui nous semble le plus gênant est le mélange des genres, les
ambiguïtés des showmen qui reçoivent des personnes en thérapie, les
thérapeutes qui utilisent le spectacle pour leur pratique, voire (ça s’est
vu) qui vendent des places à leurs patients pour aller voir leur
représentation…

Hypnose et rue

Que penser d’une autre forme « ludique » comme la pratique dite


« de rue » ou « de trottoir » ?

Quelques hypnotiseurs décidèrent un jour, outre-Atlantique, de pratiquer


dans la rue, de proposer la pratique de l’hypnose de façon rapide à des
inconnus. Ce « mouvement » (au départ anecdotique et presque « punk »
dans l’idée) a pris une ampleur sans précédent, et en France un aspect
commercial, qui fait que la pratique de rue a de nombreux émules. Plusieurs
milliers de personnes sont passées dans notre pays par une formation à
l’hypnose de rue et quelques uns pratiquent régulièrement sur les trottoirs et
les places de villes françaises.
 
Cette pratique se présente avec un discours officiel de partage de
plaisir et de démocratisation. L’hypnose y est vue, par les hypnotiseurs de
rue, d’une part comme un simple phénomène agréable que l’on souhaite
pouvoir faire partager au plus grand nombre, juste pour le plaisir  ; et,
d’autre part, comme une sorte de revendication de pouvoir faire vivre et
faire pratiquer l’hypnose en masse, et ne pas réserver l’hypnose à une
sorte d’élite (par exemple médicale) qui voudrait se l’approprier.

Voilà pour le discours officiel… et si l’on va un peu plus loin ?

Il y a, sur le premier aspect (simple partage de plaisir, petits jeux


d’imagination, expériences), de facto, une sorte de tromperie quand on
observe la différence avec les faits (puisqu’en réalité les séances sont
souvent d’apparence dominante, autoritaire, privatives) ; et sur le second
aspect (démocratisation de l’hypnose), une sorte de discours quasi politique
(que dans ce champ on qualifierait stricto sensu de populiste, puisque
prétendant défendre les intérêts du peuple contre une forme d’élite) visant
en quelque sorte, facilement et en s’amusant, à « rendre le pouvoir de
l’hypnose au peuple » qui en aurait été privé.
Bien sûr, on peut s’interroger  : véritable revendication, pratique
amusante ou argument commercial pour attirer  ? Les formations en
hypnose de rue, l’idée de l’hypnose pour tous représentent un véritable
business pour leurs promoteurs.
 
Les soignants s’en méfient  : craignant souvent que des pratiques,
potentiellement soignantes dans d’autres situations, soient pratiquées
dans un contexte peu sécurisé ou par des personnes qui n’en ont pas la
compétence. Cette inquiétude des soignants les amène encore plus
facilement à être assimilés à des censeurs élitistes.
Mais plutôt que de défendre ou de cliver, observons. Un œil un peu
critique est nécessaire pour savoir à quoi nous avons affaire. Si vous
observez les prestations de ces hypnotiseurs ou si vous lisez leurs livres,
vous vous apercevrez que la pratique dans la rue emprunte tous les codes
de l’hypnose de spectacle8. Même derrière le discours officiel, il ressort
très clairement que les routines9, les séquences d’hypnose de rue, sont
quasi toujours fondées sur des suggestions relativement directes, dans un
dispositif relationnel où l’hypnotiseur est clairement en position haute et
amène le sujet à obtenir les phénomènes qu’il (l’hypnotiseur) a choisis.
Les phénomènes hypnotiques obtenus dans la rue sont généralement
stéréotypés, standardisés, répétitifs et donc peu, voire aucunement,
adaptés au sujet.
Autant qu’on puisse en juger (témoignages, contenus des formations,
nombreuses vidéos sur Internet…), les phénomènes hypnotiques obtenus
dans la rue sont généralement stéréotypés, standardisés, répétitifs et donc
peu, voire aucunement, adaptés au sujet. Par ailleurs, les phénomènes
privilégiés pour impressionner les passants et internautes sont souvent
des phénomènes privatifs  : on fait en sorte que le sujet ressente une
incapacité à bouger un membre, à se souvenir de son nom ou à percevoir
(ou non) une sensation. Alors qu’il est officiellement question de faire du
bien gratuitement aux personnes, de partager un moment d’amusement et
de découverte ; ce qui est réellement mis en avant dès qu’on regarde la
scène avec un peu de recul, c’est souvent l’ego de l’hypnotiseur qui
arrive à obtenir ce qu’il veut du sujet, avec parfois un ascendant, une
assurance, un rayonnement pour susciter l’admiration et à le montrer si
possible sur Internet.
Si vous observez les prestations de ces hypnotiseurs ou si vous lisez
leurs livres, vous vous apercevrez que la pratique dans la rue emprunte
tous les codes de l’hypnose de spectacle.

Donc ce sont des phénomènes spectaculaires qui rejouent


la caricature habituelle de l’hypnose et ses clichés ?

Ce qu’on apprend à un hypnotiseur de rue est la maîtrise rapide d’une


technique (sans la comprendre) généralement d’induction rapide et
d’obtention d’effets spectaculaires10.
Dans la rue se rejouent effectivement des clichés. Certains évidents  :
l’hypnotiseur qui obtient en position haute des phénomènes involontaires
et peu maîtrisés de ses sujets par exemple.
 
Certains moins évidents mais pourtant réels si l’on sait observer. Un
article11 récent montre un psychologue journaliste intégrant une
formation d’hypnose de rue. Au-delà du fond de l’article, un détail retient
mon attention : il remarque que l’immense majorité des stagiaires venus
s’initier sont des hommes, sans que ce phénomène soit expliqué ou
analysé, ni par les formateurs, ni par l’auteur de l’article.
De mon côté, je ne peux que remarquer le contraste avec les
formations dont j’ai l’habitude. La majorité des postes de professions
soignantes étant occupés par des femmes, quand je forme des soignants,
l’auditoire est plutôt féminin…
 
Quand on se penche sur les vidéos de rue diffusées en ligne, on
constate parallèlement que la majorité des sujets sur lesquels ces
hypnotiseurs en herbe vont pratiquer sont… des femmes. Les vidéos sont
frappantes quand on fait attention à cette dimension. Des femmes, plutôt
jeunes, et des hommes qui leur donnent des suggestions directes, se
comportent avec elles parfois de façon assez « tactile » en multipliant les
légers contacts, qui les font quasiment tomber, souvent pour les rattraper
dans leurs bras, et leur font faire des actes, disons non totalement
volontaires, sous prétexte de partager un moment de plaisir.
 
De fait, l’hypnose de spectacle ou de rue remet sans cesse sur le devant
de la scène (si l’on peut dire) la question de la vulnérabilité de la
personne hypnotisée, le risque d’emprise voire d’abus. C’est parce que,
de facto, s’institue un rapport de domination, non véritablement négocié
ou contractualisé ; cette pratique peut avoir l’apparence d’une victoire de
l’un qui prive l’autre de facultés, d’une intrusion tactile. Partant de la
reproduction de ce cliché de domination, il n’y a rien de vraiment
surprenant de retrouver le plus classique d’entre eux  : celui du rapport
homme-femme, des stéréotypes de genre, de ces implicites qui banalisent
ou valorisent la relation homme-femme centrée sur la domination
physique, l’emprise psychologique, la séduction, ou plus simplement la
vision de l’homme comme actif et de la femme comme passive12…
De fait, l’hypnose de spectacle ou de rue remet sans cesse sur le
devant de la scène (si l’on peut dire) la question de la vulnérabilité de
la personne hypnotisée, le risque d’emprise voire d’abus.

D’accord, mais après tout dans l’hypnose de soin aussi on peut


le craindre. Même si on diminue (imaginons…) un aspect
potentiellement sexiste sur la forme, avec la féminisation
des professions soignantes, le cliché de domination peut exister :
la personne est affaiblie, malade, et dominée par le savoir
du soignant qui l’a sous son emprise, non ?…

La relation de soin comporte évidemment un risque du même genre… et


c’est bien pour ça qu’elle est tellement encadrée. Une sorte de vulnérabilité
est accordée par le patient, pour un temps donné et dans un contexte choisi,
admise et pas niée par le praticien. La relation est bornée par un cadre légal
et déontologique, voire contractuel, ce qui n’est absolument pas le cas dans
une pratique « sauvage » de l’hypnose. Une pratique qui pense, à tort, que
l’hypnose peut être juste ludique et totalement anodine sur des inconnus
particulièrement réceptifs.

Concrètement, les hypnotiseurs de rue maîtrisent-ils ce qu’ils font ?

On peut supposer que non, dans la plupart des cas.


Leur maîtrise de l’hypnose est extrêmement superficielle. La plupart
des formations à l’hypnose de rue ont lieu en quelques heures, deux
jours, quatre dans le « meilleur » des cas. Comment prétendre maîtriser
une technique relationnelle complexe en si peu de temps ?
Il leur est appris des protocoles, tours de passe-passe pour obtenir en
un minimum de temps un maximum d’effets. Comme certains de ces
effets ne sont pas ceux produits quotidiennement dans une pratique
soignante, on leur fait parfois croire qu’ils maîtrisent mieux l’hypnose
que les thérapeutes.
Même si l’hypnotiseur de rue passe du temps verbalement à dire au
sujet que c’est son propre inconscient qui produit tout cela, on lui
montre bien, non verbalement (voir une vidéo en coupant le son pour
s’en convaincre), que c’est l’hypnotiseur qui lui fait faire…
Alors que les thérapeutes définissent usuellement l’hypnose comme
une sorte de recherche interne de solutions, elle est ici réduite à sa
dimension de suggestibilité. Alors ces inductions «  rapides  »
« ultrarapides » « flash éclair » modifient l’état de conscience par le biais
du choc… comme un uppercut pourrait aussi le modifier…
 
Même si l’hypnotiseur de rue passe du temps verbalement à dire au
sujet que c’est son propre inconscient qui produit tout cela, on lui montre
bien, non verbalement (voir une vidéo en coupant le son pour s’en
convaincre), que c’est l’hypnotiseur qui lui fait faire…

Mais on trouvera en hypnose de rue uniquement des jeunes gens


en mal de domination ?

Ce serait aux formateurs en hypnose de rue de le dire s’ils souhaitaient


répondre honnêtement13.
 
Pour autant que je puisse en juger, les motivations peuvent être
multiples et complexes. Certains, de bonne foi, veulent s’amuser, plus
rares (ou moins visibles), ils vont valoriser une pratique douce…
Mais, l’hypnose fascine, elle donne l’image d’un apprentissage
possible de l’influence, elle attire aussi pour cela, consciemment ou non,
et pour la perspective d’apprendre à obtenir ces phénomènes.
La perspective d’amener du «  bon temps aux autres  » peut aussi
rassurer les personnes timides. L’hypnose est aussi vendue dans les
milieux de la rue (et des partisans de la pratique sauvage de l’hypnose en
général) comme une possibilité de vaincre sa difficulté d’aborder les gens
et d’entrer en relation (c’est une illusion bien sûr puisque ce ne sont pas
des relations bilatérales, et surtout pas authentiques). On a pu voir, dans
un reportage télévisé sur le sujet, un lycéen (était-il timide et réservé au
départ ?) apprendre en imitant des vidéos et devenir une véritable « star »
dans sa classe14, mi-admiré mi-craint.
 
C’est ainsi d’ailleurs qu’on vend aussi ces formations à des
thérapeutes, des soignants, pour leur « apprendre à oser ». Il s’agit de les
«  déniaiser » en les poussant à hypnotiser n’importe qui dans la rue, se
« lancer ». Un certain mélange des genres un peu gênant15.
 
L’hypnose ludique devrait rester ludique et anodine.

Bien sûr, on a toujours peur de dérives et d’abus…

S’il y a une hypnose de rue bon enfant et de bonne foi, plus douce, plus rare
aussi, elle pèche par excès d’enthousiasme, par négligence ou imprudence.
Il y a aussi une hypnose de rue malsaine, hélas assez présente sur
YouTube. Et tous les intermédiaires. S’ils ne sont pas systématiques, loin
de là, des abus et des dérives existent, certains témoignages sont gênants.
Par exemple ceux où l’on nous parle d’hypnotiseurs de rue qui,
obtenant avec l’hypnose des réactions inattendues, des émotions difficiles
chez leur sujet, en profitent pour leur donner la carte de leur cabinet pour
qu’ils viennent consulter chez eux, cette séance de rue ayant sûrement
révélé, selon eux, un problème sous-jacent…
Voire certains qui vont dans la rue ou les bars explicitement pour
produire ces phénomènes pour faire de la pub à leur activité de
thérapeute.
 
Pour vendre des formations, on a pu voir certains proposer des
formations y compris à des mineurs. N’y a-t-il pas de quoi s’inquiéter
quand on sait la fragilité que peut représenter l’adolescence ? Et même si
l’on admettait que certains adolescents sont assez matures pour avoir des
notions d’hypnose, est-ce le cas de tous les autres qui seront hypnotisés
sous un mode autoritaire  ? Qui sait comment un adolescent un peu
tourmenté pourrait réagir aux pratiques «  privatives  » (perte d’une
fonction d’un membre, immobilisation ou chute, oubli d’un chiffre, d’un
prénom…)  ? Qui sait ce qu’un adolescent en difficulté pourrait faire
d’une telle pratique, qui joue aussi parfois sur les émotions,
comportements, pensées, si c’est sans aucun cadre ? Qui sait ce que les
adolescents fascinés par les «  challenges  » parfois dangereux sur les
réseaux sociaux pourraient vouloir faire des pratiques qui modifient l’état
de conscience ?
Mais on ne peut pas empêcher les gens d’apprendre l’hypnose…

Non, on ne le peut pas. De toute façon les livres, les vidéos existent. Ce
savoir n’est pas secret. Et il n’est pas souhaitable qu’il le soit, d’autant
qu’interdire l’hypnose ne ferait qu’augmenter un parfum de transgression et
de soufre qui rendrait les dérives encore plus gênantes car clandestines !
 
On n’interdit pas les «  pratiques récréatives et potentiellement
dangereuses », surtout quand elles sont naturelles. On les interdit parfois
partiellement (par exemple aux mineurs ou sur eux) pour donner une
barrière au moins symbolique16, qui rappelle indirectement qu’elles sont à
manier avec une certaine précaution.
Il ne viendrait pas à l’idée de la plupart des parents d’initier leurs
enfants à l’alcool pour qu’ils sachent ce que ça fait. Mais de les informer
sur le fait, au moins, de ne pas consommer dans des circonstances
dangereuses.
Si possible de ne pas prendre un traitement donné par un ami, car on
n’est pas certain de souffrir de la même chose que lui, mais plutôt de
consulter quelqu’un qui s’y connaît en traitements, comme un médecin.
De se protéger en matière de sexualité. De ne pas utiliser d’objet
dangereux dans des circonstances instables, de ne pas rentrer avec
quelqu’un qui a bu…
Oui, dans la plupart des cas il n’y aura pas d’accidents, dans beaucoup
de cas on fait confiance au conducteur ou à notre bon sens, dans la
plupart des cas même, on s’amuse même si on s’expose… mais on prend
des risques.
 
Et les éléments totalement interdits (par exemple l’héroïne, dont seul
l’usage médical sous forme de morphine est possible et encadré, la prise
d’alcool en conduisant et autres) ont une dangerosité directe et bien plus
importante que l’hypnose en général.
 
À cela s’ajoute une difficulté matérielle : il n’y a pas d’« objet » dans
l’hypnose (contrairement à une arme, une drogue…), il s’agit de deux
personnes qui se parlent, difficile d’y mettre une police. Si en plus on
ajoute le fait qu’un consentement est exprimé (même s’il est parfois
obtenu de façon discutable) par une personne, a priori, en possession de
ses moyens, et si l’on ajoute même qu’il est difficile de définir avec
précision l’hypnose, on voit difficilement comment une interdiction
générale aurait lieu !
Il faut également éviter d’encourager la pratique sauvage, ou par/sur
des personnes qui n’ont pas la maturité pour l’aborder en dehors d’un
certain contexte et dans une certaine sécurité.
D’ailleurs, si l’hypnose a quelque chose de sérieux voire de
scientifique alors il n’y a rien à cacher, seulement des informations à
donner. Il faut également éviter d’encourager la pratique sauvage, ou
par/sur des personnes qui n’ont pas la maturité pour l’aborder en dehors
d’un certain contexte et dans une certaine sécurité. Apprendre ce que
peut amener l’hypnose (c’est un des objets de ce livre), mais pas
l’enseigner comme un jeu anodin. Les praticiens de l’hypnose de rue sont
souvent sûrement sincères dans leur volonté d’entrer en relation avec les
autres sur le mode de l’amusement et du plaisir, mais techniquement il y
a une réelle différence entre apprendre cette série de manœuvres
déstabilisantes et spectaculaires, et apprendre une modalité relationnelle
dans un cadre sécure…
 
Le problème n’est pas tant la technique mais ce que l’on va en faire et
dans quel cadre.
Pour rester simple : pratiquer l’hypnose avec quelqu’un qui a appris en
un rien de temps, qui n’a aucune notion de prudence par rapport à la
personne avec qui il pratique, comporte des risques, pas forcément
vitaux, mais réels.
Pratiquer l’hypnose avec quelqu’un qui a appris en un rien de temps,
qui n’a aucune notion de prudence par rapport à la personne avec qui
il pratique, comporte des risques, pas forcément vitaux, mais réels.
D’ailleurs, au moment de rédiger ces lignes, je m’apprête à recevoir un
patient, formé en quelques heures à l’hypnose de rue. Très mal après la
fin de sa formation, son parcours se terminera aux urgences
psychiatriques…
Supposons que vous receviez en consultation un adolescent, vous
l’aidez grâce à l’hypnose et à l’apprentissage de l’autohypnose
à dépasser une douleur, une difficulté anxieuse. Plus tard, il aide
un ami en reproduisant ce qu’il a appris… Le cas serait alors
différent ? Qu’en pensez-vous ?

Bien sûr qu’un adolescent traité médicalement en hypnose va « apprendre


l’autohypnose » pour lui-même, et – qui sait ? – l’apprendra-t-il à sa
manière à un parent, un ami en difficulté.
L’hypnose marchera alors, partiellement peut-être, car elle n’aura pas
été taillée sur mesure, mais elle donnera possiblement l’occasion d’un
soulagement ou l’idée de vouloir consulter…
 
L’hypnose n’aura pas ici été apprise pour déstabiliser ou soumettre,
elle n’aura pas été une pratique qui se joue du sujet pour l’impressionner,
elle ne sera qu’un partage de compétence pour prendre soin de soi.
Quelques techniques de communication thérapeutique qui peuvent
apaiser comme on partagerait un conseil reçu.

N’y a-t-il pas de pratique un peu plus sérieuse ou éthique dans


ce contexte ludique ?

Ludique, sympathique, bon enfant : peu sur les réseaux sociaux.


 
De façon organisée  et affichée  ? L’honnêteté oblige à dire qu’il y a
plusieurs tentatives (peu convaincantes à notre goût) de promouvoir cette
pratique avec quelques avertissements éthiques formels. Mais ces
recommandations semblent elles-mêmes comporter paradoxes ou
imprécisions.

Comment cela ?

Demander d’être prudent, parler d’éthique, revient à reconnaître à demi-mot


des dangers potentiels à l’hypnose ; tout en encourageant à former
beaucoup de monde ; et pratiquer sur le plus grand nombre après une
formation réduite, tout en disant que c’est une pratique anodine et
inoffensive, cela revient à nier tout problème…
 
Si l’on rappelle qu’un cutter est un bon outil de bricolage, mais devient
dangereux s’il est mal utilisé, il faut rappeler qu’un être humain n’est pas
un bout de bois, et qu’il n’y a pas beaucoup d’amusements éthiques avec
un objet tranchant appliqué sur un humain.
 
Il ne suffit pas de rassurer si se produit une abréaction (réaction
émotionnelle forte et inattendue qui peut survenir en hypnose quand un
souvenir difficile refait surface). Le traumatisme est un sujet complexe et
subtil qui serait difficilement gérable efficacement sans formation
spécifique s’il « surgit » lors d’une séance impromptue.
 
L’équilibre éthique peut paraître précaire quand on souligne un
potentiel danger tout en affirmant l’absence de danger  ; quand on
demande du respect en promouvant des pratiques qui interrogent à ce
sujet…
Et, surtout, comment reconnaître qu’il existe un certain danger et faire
des avertissements, tout en enjoignant le plus de personnes à pratiquer
sur le plus grand nombre  ?… Comment, alors même que plusieurs
milliers de personnes sont formées en quelques jours, s’assurer de
l’éthique de ces « hypnotiseurs » ? C’est évidemment impossible.
Et une grande partie du paradoxe est là. L’éthique est un
questionnement qui prend un peu de temps, d’expérience et de maturité,
d’autant plus selon l’outil et son caractère relationnel.

Former le « tout-venant » en masse et en quelques heures


(ou à partir de livres ou vidéos) à aller pratiquer sur n’importe
qui dans la rue : dans quel but, au fond ?

Il faut craindre une hypnose qui serait sans objectif pour le sujet. Même si
on évoque officiellement la découverte par le sujet de sa capacité
hypnotique, le but est avant tout que l’hypnotiseur gagne en capacité à
hypnotiser l’autre… La rue devient son terrain d’entraînement.
Même si on évoque officiellement la découverte par le sujet de sa
capacité hypnotique, le but est avant tout que l’hypnotiseur gagne en
capacité à hypnotiser l’autre… La rue devient son terrain
d’entraînement.
Le sujet est donc utilisé dans un but qui n’est pas lui. On a
l’impression qu’il est amoindri (car pris dans un jeu qu’il n’a pas choisi
et diminue ses capacités de mouvement ou cognitives) pour qu’un autre
soit augmenté (amélioré dans sa technique, réussissant à «  obtenir  » un
phénomène).
 
Au-delà même de la question de «  former  » des gens en masse, le
problème est aussi « ce à quoi on les forme ». On pourrait débattre plus
clairement et largement de l’intérêt ou pas, de la pertinence ou pas, de la
possibilité ou pas d’une hypnose ludique en amateur. Mais le problème
n’est même pas là : il est celui de l’apprentissage d’une pratique d’abus
d’autorité et de soumission au nom de l’hypnose17. Pourquoi continuer à
enseigner au plus grand nombre possible comment confusionner un
inconnu, comment faire perdre le contrôle d’un membre du corps sans en
tirer la moindre métaphore thérapeutique, comment faire oublier son
propre prénom ?
 
La plus grande ambiguïté est là : c’est celle qui consiste à s’amuser des
(et avec elles) réactions inattendues obtenues des autres en position de
domination/fascination/autorité, et de le faire au prétexte de lui ouvrir des
portes et découvrir des aspects de lui-même. Les abuseurs en tout genre
ne tiennent pas un autre discours. Et si la personne n’a pas découvert ce
qu’elle est censée y trouver, alors elle aura été l’objet du plaisir d’un
autre. Est-ce acceptable ?
En vérité, c’est souvent l’hypnotiseur qui semble s’amuser, et
s’émerveiller de son pouvoir.
En vérité, c’est souvent l’hypnotiseur qui semble s’amuser, et
s’émerveiller de son pouvoir. Bien sûr, consentement et respect sont des
principes importants mais la plupart des hypnotiseurs de rue ne sont
probablement pas, en toute bonne foi, conscients de ce qui se joue. La
relation hypnotique n’est pas anodine et nécessite de la prudence. Peu
d’accidents, ce serait déjà beaucoup trop.
 
Certains hypnotiseurs de rue feraient peut-être de bons hypnotiseurs de
spectacle. Mais enseigner ces techniques à tour de bras
(superficiellement, sans prérequis), pour que n’importe qui hypnotise
n’importe qui dans n’importe quelles conditions n’est pas une pratique
que l’on peut encourager.
 
Dans l’hypnose de spectacle, le sujet consent à ce que l’artiste l’utilise
pour faire rire ou impressionner le public, il s’y présente à ses risques et
périls, il a payé sa place, c’est lui qui vient à l’hypnotiseur, et si les
choses sont clairement annoncées, il est difficile de refuser totalement le
principe18. Le souci survient plus quand on ment au sujet sur l’innocuité
de l’expérience ou sur son but, et qu’on ne le traite pas forcément d’une
manière dont il puisse lui aussi bénéficier.

Donc si on disait au sujet ce qu’il en est réellement, ce serait moins


problématique ?

Évidemment ! Et cela reviendrait à du spectacle de rue.


Un soignant a le mandat de soigner, dans le spectacle le public vient
volontairement et donne à l’hypnotiseur le mandat de l’amuser en
utilisant ses réactions inattendues.
Je tiens beaucoup à cette notion de «  mandat  ». Un soignant a le
mandat de soigner, dans le spectacle le public vient volontairement et
donne à l’hypnotiseur le mandat de l’amuser en utilisant ses réactions
inattendues.
 
Dans l’hypnose de rue, il n’y a pas de mandat au départ, c’est
l’hypnotiseur qui en propose un  : celui d’amuser de façon totalement
inoffensive le volontaire et d’explorer l’imaginaire. Et, au final, ce
mandat n’est pas respecté puisqu’il s’agit de le faire obéir, de lui faire
produire des phénomènes involontaires, de l’utiliser pour progresser
(progresser en confiance en soi… ou en ascendant sur ses semblables, à
leurs dépens !) ou pour faire rire les spectateurs.
 
Cette tromperie sur le mandat me semble la plus gênante, plus encore
que la pratique elle-même. Ce n’est pas qu’une technique. Il s’agit d’une
pratique aux effets psychocorporels réels, sur des humains pris au débotté
dans la rue ou dans un lieu public.
Reconnaître un danger (il y a un danger pour tout outil puissant mal
utilisé) mais se contenter de constater les effets de l’hypnose et
l’amusement que cela procure. L’appliquer sur des passants qui n’avaient
rien demandé, et qu’on doit rassurer, et  rassurer encore sur l’innocuité
totale du phénomène, dans le but qu’ils acceptent et se laissent faire…
cela interroge, pour le moins…
 
Les séances de rue filmées évoquent parfois les défis que se lancent
certains jeunes sur internet : ceux-ci sont souvent inoffensifs et potaches,
parfois pleins d’inconséquence, et c’est au départ toujours «  juste pour
rire ».
Mais même si on admet qu’on peut, j’en conviens parfaitement, aider
les gens à passer un bon moment, à développer des capacités, ce ne serait
pas avec ces inductions très dissociantes, mal maîtrisées et autoritaires…
C’est une vision de l’hypnose qui consiste à « suivre », dont l’essence
est de céder aux suggestions. En faisant de la réussite des suggestions
l’objectif, on place la relation sous le signe de cette obéissance.

Les suggestions directes n’existent pas en thérapie ?

Certaines oui, bien sûr. Mais le but est dirigé vers le patient, pas vers la
démonstration du talent ou du pouvoir du praticien.
 
Tout est fait dans la rue pour suggérer une autorité de l’opérateur, qui
n’est parfois pas vraiment hypnotiseur mais prétend l’être.
Le sujet doit accepter les suggestions et ce que veut l’hypnotiseur. Et
non pas s’en saisir pour développer des capacités… les mots comptent.
En thérapie, par exemple, une immobilité d’un membre survient pendant
une séance, qu’elle représente l’immobilité de la personne dans ses
difficultés, et qu’une ressource aide la personne à faire bouger de
nouveau ce membre et, donc symboliquement, sa vie ; ce ne serait alors
pas le thérapeute qui empêche le bras de se plier, montrant par là sa
capacité, et décidant en claquant des doigts que le mouvement redevient
possible.
L’intention et le contexte comptent parfois plus que l’acte lui-même.

Moraliser l’hypnose de rue ne serait pas une mauvaise intention


au départ…

Évidemment. Mais, dans les faits, si on s’en tient à de l’hypnose dominante


et spectaculaire, il devient difficile de se présenter comme un moralisateur
de l’hypnose ludique. De nombreux formateurs montrent ainsi
formellement « patte blanche ». L’éthique, un peu creuse, finirait par
contredire le propos. L’intention bienveillante finirait par contredire les
suggestions autoritaires.
 
Une personne malintentionnée peut très facilement entrer dans ce
système de revendications éthiques associées à des exercices privatifs,
dominants qui peuvent « mal tourner » malgré les intentions officielles.
Et même si des témoignages reçus indiquent que l’état d’esprit est
présent dans certaines formations (rester respectueux, ne pas prendre le
pouvoir, rester ludique, etc.), les techniques apprises ne vont pas dans le
même sens.
 
Sur beaucoup de vidéos, on constate que, même si le sujet vit ces
expériences d’étrangeté, les phénomènes obtenus sont accompagnés de
« suggestions positives », ce qui ne fait qu’augmenter l’ambiguïté de la
situation. Même si la personne vit une perte de contrôle, un sentiment
bizarre, tout le long il lui est non pas demandé ce qu’elle ressent mais
plutôt il lui est répété (suggéré) encore et encore que c’est «  super  »,
« génial », « cool », « incroyable » et drôle… Il n’y a pas de dialogue. En
lieu et place de demander à la personne comment elle se sent, on lui dicte
que c’est formidable. À la fin, les personnes sourient, sans qu’il soit
possible de dire si cette suggestion itérative n’y est pas pour quelque
chose…
 
Les pratiques elles-mêmes restent le suivi de suggestions qui montrent
le pouvoir de l’opérateur, les numéros de mauvais goût qui rendent le
sujet risible pour un auditoire ou le mettent dans une position faussement
humiliante, lui font perdre une fonction, modifient une composante
identitaire (prénom, sexe, trait de personnalité…), font apparaître des
quasi-«  symptômes  » (contrôle à distance des sensations, étrangetés,
modification émotionnelle…).
Chez une personne qui joue le jeu de façon potache, il est possible que
cela amuse le public et se contente de surprendre le sujet. Mais qu’en
sera-t-il chez une personne en proie à des difficultés de maîtrise
émotionnelle, des troubles de repères identitaires, des difficultés dans les
relations d’autorité et de contrôle, voire des troubles psychiatriques ?…
L’hypnotiseur « en deux jours » sait-il ce qu’il risque ?
La fragilité n’est pas écrite sur le visage. Et il est important de savoir
que la difficulté peut s’exprimer à retardement, à l’insu de l’hypnotiseur-
qui-fait-rire.
 
Le consentement est recherché mais demander un accord n’est pas
forcément suffisant pour rendre tout processus (incluant contact
physique, suggestion de prise de contrôle…) acceptable. Comme si le
consentement de la personne était aussi libre que possible après une
demi-heure de suggestions et d’ascendance relationnelle…
 
Car, au-delà des suggestions gênantes, en vérité le contexte ne fait
qu’ajouter au questionnement. Les suggestions les plus sulfureuses sont
souvent prononcées alors que la session d’hypnose est déjà bien avancée,
avec des exercices « progressifs » et une spirale d’engagement dont il est
difficile de se sortir.
Cette expression a déjà été employée : mais en fait qu’est-ce qu’une
spirale d’engagement ?

Je ne saurais trop conseiller l’excellent livre de Joule et Beauvois Petit


Traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (Éd. PUG). Il clarifie,
avec beaucoup d’explications et d’exemples des éléments de la psychologie
sociale, c’est-à-dire des déterminants contextuels et sociaux de nos pensées
et comportements, et notamment dans des situations de manipulation ou,
pour reprendre leurs termes, de « soumission librement consentie ». Vous y
liriez par exemple que si vous demandez 20 centimes dans la rue, vous avez
une chance sur dix qu’on vous les donne. Si vous demandez cette somme
après avoir demandé l’heure, vous avez quatre fois plus de chances de les
obtenir…
 
Pourquoi ? Car en vous donnant l’heure (une demande simple qu’il est
dur de refuser), la personne s’engage, elle fait un acte qui va dans le sens
de vous aider.
Il se produit alors ce qu’on nomme un « effet de gel », et les décisions
suivantes seront plus facilement prises en cohérence avec la première.
Vous commencez par un acte puis un suivant, et il y a plus de chances
que les suivants soient pris en cohérence avec les premiers, il devient de
plus en plus difficile d’en sortir. C’est la spirale d’engagement.
 
C’est une technique commerciale classique  : on demande à une
personne de nous écouter cinq minutes, ou de regarder quelque chose, ou
on l’aborde par une question simple à laquelle «  on ne peut pas ne pas
répondre » (« vous avez une cuisine ? »), et l’on a bien plus de chances
de lui vendre un produit que si on lui avait proposé directement : « Êtes-
vous intéressé par… ? » Technique astucieusement surnommée « le pied
dans la porte » : le tout est de commencer à entrer, la porte ne peut plus
trop facilement être refermée après…
«  Tout se passe, effectivement, comme si la décision –  notamment
lorsqu’elle est prise en situation de groupe – gelait le système des choix
possibles en focalisant l’individu sur le comportement le plus directement
relié à sa décision (…) nous parlons, ici, de l’adhérence au
comportement même de décision et non de l’adhésion aux raisons bonnes
ou mauvaises qui sont censées orienter ce comportement19. »
 
«  On ne peut faire faire quelque chose en hypnose que le patient ne
ferait pas ordinairement  » me dira-t-on encore. Mais ce n’est pas ici
l’hypnose qui est en jeu, mais le contexte de manipulation progressive de
langage qui fait aller les personnes parfois plus loin qu’elles ne l’auraient
voulu…
En hypnose de rue, c’est souvent de ce genre de manipulation (au sens
de Joule et Beauvois) qu’il s’agit. On aborde un passant en lui demandant
quelque chose et puis on amène progressivement le mot hypnose et on
propose un « simple test » ou un « exercice imaginatif ».
Au fur et à mesure que le jeu commence, chaque étape emmène plus
loin que la précédente.
Après ces demandes, jeux de langage et autres processus (qui seraient
trop longs, ici, à détailler et « déchiffrer »), on propose des suggestions
simples et peu engageantes, puis de plus en plus engageantes… L’effet de
groupe ne fait que démultiplier la difficulté à s’en extraire. Demander le
consentement initial n’est encore une fois en rien suffisant pour affirmer
que c’est inoffensif.
 
Au bout de la spirale de l’engagement, et de l’hypnose fractionnée20,
peuvent alors commencer les suggestions dont il nous semble donc qu’il
s’agit, dans cette modalité :
— non pas de faire découvrir à la personne les pouvoirs de son propre
inconscient, mais bien de découvrir et renforcer les pouvoirs de
l’hypnotiseur sur la personne ;
— non pas tant de donner le pouvoir mais de le prendre ;
—  non pas tant de donner le sourire à la personne que de faire rire
ceux qui l’observent et observent ses difficultés ou incapacités à se
libérer de la suggestion.

Que faire par rapport à cette pratique ?


Je n’ai évidemment aucun pouvoir de décision.
Et au-delà des décideurs, rêvons un peu, et si c’étaient ceux-là mêmes
qui promeuvent la possibilité d’une pratique non thérapeutique et
ludique, qui faisaient, librement, amende honorable (qui s’engageraient à
renoncer aux manipulations, pratiques dominatrices ou privatives, etc.) et
montreraient qu’on peut promouvoir autre chose ?
On l’aura compris, ce qui me gêne le plus n’est pas l’intention que
l’hypnose puisse avoir un aspect non-soignant et agréable, ou même
ludique voire spectaculaire, mais plus la tromperie sur l’objet de
l’hypnose de rue et les contradictions.
On l’aura compris, ce qui me gêne le plus n’est pas l’intention que
l’hypnose puisse avoir un aspect non-soignant et agréable, ou même
ludique voire spectaculaire, mais plus la tromperie sur l’objet de
l’hypnose de rue et les contradictions.
 
Je voulais ici faire remarquer qu’à encourager des pratiques telles que
nous les avons décrites, qui mettent en scène une domination ou qui
imitent des symptômes psychiatriques, qui insistent uniquement sur les
phénomènes hypnotiques, qui révèlent un décalage entre un discours
bienveillant, ludique et une pratique douteuse de phénomènes non
anodins et dissociatifs, qui ne respectent pas le mandat donné au départ,
bref, à encourager ces pratiques, les auteurs et vidéastes amateurs qui
envahissent la Toile vont finir par faire fuir ou interdire la pratique qu’ils
croient défendre.
 
Comme nous l’avons dit, interdire est possiblement inutile, cela ne
ferait qu’ajouter au côté sulfureux et créer des pratiques « clandestines ».
On peut discuter d’une interdiction de la pratique sur les mineurs, afin, au
moins, de protéger les enfants. Mais je ne suis ni favorable aux
anathèmes bien-pensants, ni à l’irresponsabilité du «  tout est permis  au
nom de la liberté ».
Globalement, le mieux à faire est probablement d’expliquer,
d’argumenter voire d’avertir.
 
D’une manière générale : pratiquer l’hypnose peut être agréable, peut
soigner, peut comporter des risques (comme un massage peut vous
soigner chez un kiné, être agréable avec un ami ou conjoint… ou être
dangereux si un inconnu vous faisait sauvagement « craquer les vertèbres
cervicales »).
L’usage de l’hypnose, technique de communication puissante s’il en
est, de façon très large, non contrôlée, sans but thérapeutique ou cadre
scientifique ne semble pas assez protecteur sur le plan éthique et issu
d’un apprentissage sans sécurité et autres notions importantes.
L’usage de l’hypnose, technique de communication puissante s’il en
est, de façon très large, non contrôlée, sans but thérapeutique ou cadre
scientifique ne semble pas assez protecteur sur le plan éthique et issu
d’un apprentissage sans sécurité et autres notions importantes. Voir
quelqu’un le faire et reproduire la technique en autodidacte ne constitue
pas une formation satisfaisante à une telle technique. C’est pourquoi, on
ne peut encourager l’explosion de ces pratiques sans aucune borne.
 
L’hypnose théâtrale, telle qu’elle est pratiquée, aliène ou assujettit,
appauvrit les capacités ; l’hypnose thérapeutique se fixe plutôt pour but
de libérer l’individu de schémas et comportements contraignants,
d’enrichir ses capacités et ressources, de lui faire acquérir une plus
grande autonomie et liberté dans son adaptation au monde.
 
Alors avertissons en concluant ce chapitre  : si vous vous faisiez
hypnotiser dans la rue, vous auriez des risques de vivre cette séance en
compagnie de quelqu’un qui ne connaît quasi rien à ce qu’il prétend faire,
qui a une formation de deux jours ou qui a appris par cœur des vidéos
YouTube, qui a appris des protocoles standardisés et des manœuvres
parfois déstabilisantes.
Il est impossible de contrôler l’éthique, les intentions et la pratique de
tant de gens, formés sur des temps très courts, à une approche purement
techniciste de l’hypnose21.
Le puissant outil thérapeutique qu’est l’hypnose sera alors dévoyé en
un amusement non maîtrisé. Sans état d’esprit thérapeutique, il ne restera
qu’un tour de passe-passe, parfois amusant, quelquefois dangereux, opéré
parfois par des débutants en mal de reconnaissance…

L’avertissement est clair. Vous disiez parallèlement qu’il pourrait


exister une pratique acceptable de l’hypnose ludique.

On la voit bien peu, mais oui, pourquoi pas !


Pourquoi la responsabilité, l’humilité, la prudence seraient-elles
incompatibles avec la créativité et le plaisir ?
 
Puisqu’il y a toujours eu en parallèle de l’hypnose de spectacle, il y en
aura peut-être toujours. Elle fascine le public, elle interroge sur ce qu’il y
a en nous. Il ne sert à rien de lui faire la guerre, même si on peut parfois
regretter l’image qu’elle donne de notre pratique.
 
On ne peut que déplorer que le domaine soit accaparé de la sorte, par
ces pratiques de domination, de fascination, qui donnent l’air de se jouer
des gens. Et encore, le contexte est différent quand le message est clair
(une personne qui monte volontairement sur scène et sait que
l’hypnotiseur peut l’utiliser pour faire son numéro et amuser le public)
que lorsqu’il y a une tromperie du public (qui consiste à présenter à ceux
qui n’ont rien demandé des exercices anodins d’imagination quand en
vérité on va entrer dans les mêmes pratiques privatives, déstabilisantes ou
dominatrices).
 
Nous ne pouvons que formuler comme un « vœu pieux » et un vague
espoir que l’on aimerait pouvoir voir autre chose que (presque
uniquement) des numéros répétitifs et de mauvais goût ainsi que de la
grossièreté technique ; et plutôt renouer avec la finesse, l’élégance et la
magie22.
Que l’on aimerait surtout éviter le message désolant de domination qui
est renvoyé. Que l’on aimerait que l’hypnose ne soit pas source de
tentation pour ceux qui sont attirés par le pouvoir qu’ils croient y trouver,
alors qu’elle pourrait être un apprentissage de la liberté…
7

Qui pratique l’hypnose ?

Hypnothérapie soignante ou non

Qu’appelle-t-on l’hypnothérapie ?

C’est généralement le terme qu’on utilise concernant cette « hypnose qui


vise une aide », et on l’utilise d’ailleurs qu’elle soit médicale ou non…

Elle n’est pas plus réglementée que la précédente, n’est-ce pas ?

Nous l’avons dit, en France, l’hypnose n’est pas réglementée. Tout un


chacun pourrait (pour le moment) s’autoproclamer
hypnopraticien/thérapeute/logue ou autre. C’est donc souvent l’unique titre
des personnes hors du monde du soin qui pratiquent l’hypnose.

Et la crainte des abus et dérives est bien présente ?

Je me suis étendu sur l’hypnose ludique en raison de sa visibilité (biaisée


par les réseaux sociaux et les médias qui rendent visibles le spectaculaire et
les gens en quête d’admiration).
Mais, si quelques anecdotes désolantes existent à ce sujet, je pense que
le risque est encore plus du côté de l’hypnothérapie. Les histoires d’abus
sexuel, de dérives et de prises de pouvoir graves, de faux souvenirs
induits, de mélange avec la mystique, le sectarisme, de dérives
commerciales, etc. concernent essentiellement des « thérapeutes ».
Comment l’expliquer ?

La relation d’aide laissant plus de place à la vulnérabilité des uns,


elle peut laisser plus de place à la cupidité éventuelle des autres.
Tout d’abord le danger est plus grand parce que la demande d’aide induit
une vulnérabilité du patient qui a des attentes envers son thérapeute. En
demandant de l’aide le patient se met « à nu », « en danger » car il confie sa
difficulté à un autre. La relation d’aide laissant plus de place à la
vulnérabilité des uns, elle peut laisser plus de place à la cupidité éventuelle
des autres.
Beaucoup de monde est formé, sans qu’aucun critère n’encadre très
clairement cette pratique.
 
Dans ces domaines on peut donc craindre la «  véritable dérive  »
(praticien pervers, démarche d’arnaque et de business ou dérive mystique
ou sectaire,  etc.) grave mais heureusement plus rare  ; mais aussi et
surtout, et bien plus banal et fréquent : praticiens trop peu ou mal formés
et faisant « n’importe quoi » sur le dos de patients crédules.

Pourquoi ce niveau de pratique souvent bas ?

— Il y a une ambiguïté entre la position d’hypnose non-soignante (qui se


voudrait un simple accompagnement physiologique), la position soignante
(qui se voudrait une aide à surmonter un processus pathologique), et
certaines demandes d’hypnose (ou plus largement de thérapie) qui sont à la
limite des deux quand elles demandent un mieux-être, un soutien dans un
moment difficile ou dans une démarche volontaire. L’ambivalence est
d’autant plus forte que l’hypnose présuppose que le travail de changement
se fait essentiellement chez le patient, qui découvre son propre potentiel, le
thérapeute n’étant qu’une condition pour que cela survienne. Nous verrons
que, pour autant, le thérapeute ne fait pas « rien » et qu’aider les personnes
en situation de souffrance psychique et émotionnelle n’est pas anodin.
 
—  Confusion, d’autant plus, du fait du caractère de plus en plus
extensif des définitions de troubles mentaux et des exigences sociales
plus importantes sur le bien-être et le développement personnel.
Du coup, la demande est très forte pour cette pratique.
Pour vous faire aider par l’hypnose, vous trouverez des praticiens
soignants (PS) (médecins, psychologues, infirmiers et infirmières,
sages-femmes, kinés, orthophonistes…) et des praticiens non-soignants
(PNS).
— Il existe corollairement un flou légal sur les professions exercées et
un vide juridique concernant la pratique et la formation.
 
— De ce fait, des formations très commerciales et de mauvaise qualité
fleurissent, forment le tout-venant et lui promettent parfois un certificat
sans valeur mais présenté tel un diplôme extrêmement savant, promettent
souvent ou laissent entendre l’accessibilité à un métier, une nouvelle
carrière professionnelle présentée comme intéressante et lucrative…

Comment s’y retrouver ?

Pour vous faire aider par l’hypnose, vous trouverez des praticiens soignants
(PS) (médecins, psychologues, infirmiers et infirmières, sages-femmes,
kinés, orthophonistes…) et des praticiens non-soignants (PNS).
Le titre n’étant pas protégé, derrière les mots «  hypnothérapeutes  »,
«  hypnopraticiens  », «  hypnologues  » ou «  coach  » ou encore bien
d’autres appellations, on peut tomber sur les praticiens les plus
chevronnés comme les plus incompétents.
Si l’on tient un discours tout à fait officiel, on ne peut recommander
que d’aller voir des soignants diplômés dans leur domaine de soin, et
pour qui l’hypnose est un outil thérapeutique (parmi d’autres), même
s’il n’était pas dans leur cursus initial.
Si l’on tient un discours tout à fait officiel, on ne peut recommander
que d’aller voir des soignants diplômés dans leur domaine de soin, et
pour qui l’hypnose est un outil thérapeutique (parmi d’autres), même s’il
n’était pas dans leur cursus initial.
Tout simplement parce que, si la demande qui est faite concerne la
compétence des soins, alors c’est une démarche de santé. De façon
logique, il faut donc défendre que l’hypnose soit utilisée dans le cadre de
l’activité professionnelle pour laquelle le soignant possède un diplôme
reconnu, qui concerne non pas l’outil mais le soin sur un problème
donné.
 
Consulter un soignant en cas de difficultés est une forme de sécurité
supplémentaire. Notamment car il existe des lois spécifiques. Par
exemple en tant que médecin, si je commets une faute, une erreur envers
un patient, je serai inquiété en tant que médecin et selon la déontologie
de ma profession. Un soignant risque, entre autres, l’interdiction de
pratique de son métier. Pas un simple praticien de l’hypnose. De même
les psychologues, les infirmières, etc. doivent répondre à une déontologie
spécifique.
 
La profession d’«  hypnothérapeute  » n’étant pas réglementée par
décret, il n’y a pas la même obligation, il n’y a pas de notions comme le
secret professionnel (même si devrait bien sûr exister une certaine
confiance dans la confidentialité), le devoir d’information ou d’autres
contraintes déontologiques.
La profession d’«  hypnothérapeute  » n’étant pas réglementée par
décret, il n’y a pas la même obligation, il n’y a pas de notions comme le
secret professionnel (même si devrait bien sûr exister une certaine
confiance dans la confidentialité), le devoir d’information ou d’autres
contraintes déontologiques.
Par ailleurs, le rôle d’un soignant est de connaître le patient et la
pathologie dont il est question. Caricaturalement, il est arrivé à des
thérapeutes non qualifiés de tenter de calmer les crises d’angoisse de
quelqu’un qui vivait en fait une crise d’angine de poitrine…
Comme nous l’avons dit  : l’anesthésiste pratiquant l’hypnose ne sera
pas forcément compétent sur les questions psychiques, de même qu’en
tant que psychiatre, bien que connaissant bien les techniques (puisqu’il
m’est arrivé d’en former certains), je n’irai pas pratiquer dans un bloc
opératoire. Pourquoi cela  ? Car, bien que je connaisse l’hypnose, je ne
connais pas assez le bloc opératoire et l’anesthésie.
La différence entre « pouvoir le faire » au sens technique, et « pouvoir
le faire  » au sens d’être autorisé à, habilité, tient compte de nombreux
paramètres périphériques à l’acte pur, et notamment la responsabilité
légale.
 
Après tout, si votre voiture est en panne, vous irez plutôt voir un
garagiste compétent plutôt qu’un plombier ou qu’un voisin qui sait un
peu bricoler. Si vous allez consulter le voisin, ce n’est pas interdit, et
c’est évidemment à vos risques et périls.

Et la réalité est plus complexe que cette dichotomie ?

Beaucoup de PS ont été formés dans des écoles sérieuses avec des
formations rigoureuses1, et le diplôme de soignant est une forme de sécurité
(le soignant applique une certaine prudence par rapport à son patient car,
avant même de connaître l’hypnose, il connaît le cadre de son exercice etc.).
Il n’empêche que les formations pour soignants ne sont pas
harmonisées, donc inégales, certains soignants sont trop peu ou mal
formés en hypnose, certains, même après une formation sérieuse
n’appliqueront aucune déontologie, ou bien qui ont fréquenté, parfois par
erreur ou par facilité, des écoles de formation peu recommandables…
C’est un poncif, mais bien entendu le port de la blouse blanche s’il
est une protection partielle n’est jamais une garantie absolue.
C’est un poncif, mais bien entendu le port de la blouse blanche s’il est
une protection partielle n’est jamais une garantie absolue.
Du côté des PNS, nombreux sont ceux peu et/ou mal formés qui, tout
en connaissant trop peu l’hypnose, ne connaissent surtout pas assez le
genre de problématiques qu’ils rencontrent. En n’ayant pas ou peu de
connaissance en psychologie ou en médecine, mais des protocoles
préétablis, certains sont pour autant tout à fait sûrs d’eux et de leur
capacité à réussir mieux et à la place de toute médecine rationnelle.
Il n’empêche qu’il y a des PNS tout à fait remarquables,
professionnels, bons connaisseurs de l’hypnose avec une véritable
déontologie et du bon sens, et qui restent dans les limites de ce qu’ils
peuvent faire.
Il n’empêche qu’il y a des PNS tout à fait remarquables,
professionnels, bons connaisseurs de l’hypnose avec une véritable
déontologie et du bon sens, et qui restent dans les limites de ce qu’ils
peuvent faire (c’est-à-dire qu’ils accompagnent les personnes dans une
démarche de mieux-être et de développement personnel sans chercher à
soigner, diagnostiquer ou guérir).

Donc les PNS ont le droit de pratiquer ?

Ils ont le droit de pratiquer la technique hypnotique, car celle-ci n’est pas
réglementée en France. Elle est reconnue utile à la santé par les
scientifiques, mais n’est pas pour autant définie comme une forme d’acte
médical (ce qui limiterait son utilisation de facto).
En revanche, les PNS n’ont pas le droit de s’en servir à des fins
diagnostiques ou thérapeutiques au risque d’enfreindre la loi sur la
pratique illégal de la médecine.
En revanche, les PNS n’ont pas le droit de s’en servir à des fins
diagnostiques ou thérapeutiques au risque d’enfreindre la loi sur la
pratique illégal de la médecine.

L’exercice illégal de la médecine

En quoi consiste l’exercice illégal de la médecine ?

La loi est assez large, voire extensive.


L’exercice illégal de la médecine survient lors de toute démarche
«  d’établissement d’un diagnostic ou d’un traitement de maladie
congénitale ou acquise, réelle ou supposée, par actes personnes,
consultations verbales ou écrites ou par tous autres procédés quels qu’ils
soient (…) sans être titulaire d’un diplôme, certificat ou autre titre (…)
exigé pour l’exercice de la profession de médecin2. »
 
Le diagnostic consiste à déterminer la nature de l’affection dont une
personne est atteinte3, le traitement comprend les moyens pour guérir
mais existe, selon la Cour de cassation, dès qu’un  but curatif  est
poursuivi, quel que soit le procédé mis en œuvre (il n’est pas nécessaire
qu’un médicament soit prescrit)4.
 
Notons aussi qu’il n’est pas nécessaire que le traitement soit un
traitement médical exercé par un non-médecin. La nature du traitement,
pour ainsi dire, ne compte pas vraiment. La loi ne s’intéresse pas à la
valeur scientifique du diagnostic (il est question de maladie réelle ou
supposée) ni même du traitement (mais juste à son intention
thérapeutique, même si c’est de la poudre de perlimpinpin)5 !
 
De même, elle ne s’intéresse pas à la réussite ou a l’échec de ce
traitement  : un non-médecin qui a guéri quelqu’un est tout de même
condamnable à ce titre. La loi trouve son origine dans une volonté de
santé publique mais pour cela, de facto, elle protège le monopole des
médecins sur l’exercice de la médecine, pour éviter que tout un chacun
s’improvise soignant. «  L’exercice illégal de la médecine ne sanctionne
pas la “non-médecine”, il sanctionne le “non-médecin”6. »
Par exemple, bien que depuis deux siècles il n’y en ait toujours aucun
fondement scientifique, la jurisprudence fait état de condamnations pour
exercice illégal de la médecine, de praticiens du magnétisme par
exemple7…
 
Quand les traitements des «  guérisseurs  » sont de nature purement
psychologique, les condamnations ne sont pas systématiques8 (bien qu’ils
puissent avoir potentiellement le même but ou les mêmes effets). En
effet, la loi ne peut, par exemple, condamner les croyances (si un patient
veut favoriser son traitement avec des prières, ou toute autre croyance
dans une forme de psychologisme ou de magie). Cependant il faut garder
en tête qu’un traitement purement psychologique peut être, évidemment,
un traitement à part entière, tout à fait compatible voire inclus dans la
vocation thérapeutique de la médecine et efficace.
 
C’est l’une des ambiguïtés auxquelles peuvent faire face des juges
dans ce genre de cas, une autre étant la limite à tracer entre une pratique
relevant du « mieux-être » (dont certaines formes, incluses dans les soins,
sont codifiées, comme la psychiatrie) ou du « développement personnel »
ou de la psychothérapie…
 
Précisons que tout cela ne vaut que pour la France et d’autres pays où
l’on considère que seuls les médecins (et par délégation les professions
paramédicales) peuvent exercer les soins de santé (une conception très
large de l’exercice illégal de la médecine)9.
Dans d’autres pays (comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou d’autres
pays du nord de l’Europe) il existe légalement une liberté de soigner, à
condition qu’on ne prétende pas au titre de médecin ou qu’on ne pratique
pas certains actes réservés. Dès lors, des professions se sont elles-mêmes
organisées pour mieux se définir. Ce type de modèle laisse plus de liberté
au patient mais moins de protection, pour les praticiens sérieux et les
patients, face à un éventuel charlatan.

Des condamnations ont déjà eu lieu pour l’hypnose en France ?

Il y a eu des tentatives de recensement10 : on peut au moins évoquer 16


décisions de justice impliquant l’hypnose. Dont 6 affaires de viol ou
d’agression sexuelle11 et un tiers des cas pour l’exercice illégal de la
médecine12.

L’hypnose est-elle particulièrement concernée par cette question


de l’exercice illégal de la médecine ?

Oui et non. À la fois technique descriptible assez précisément mais au mode


d’action non encore élucidé, à la fois usitée dans le milieu médical mais
manœuvre purement psychologique (sans objet utilisé ou intervention
directe sur le corps), à la fois utilisable sur une modalité
psychothérapeutique mais aussi utilisable sans intention thérapeutique,
utilisée dans les milieux de la psy/chiatrie/chologie/chothérapie, mais aussi
dans des indications parfois proches du « développement personnel », à la
fois présente dans le milieu du spectacle… Et surtout se fondant sur un état
naturel (la transe) et sur une modalité particulière d’une aptitude commune
à tous (la communication). Bref, l’hypnose a une place assez unique et « à
la limite ».
Les professionnels non-soignants l’ont bien compris. Ceux qui se
sont autobaptisés hypnothérapeutes ou autres appellations font
attention à ne jamais dire qu’ils soignent ou guérissent mais qu’ils
«  accompagnent  ». Ils n’ont pas de patients mais des volontaires, des
clients, des partenaires…
Les professionnels non-soignants l’ont bien compris. Ceux qui se sont
autobaptisés hypnothérapeutes ou autres appellations font attention à ne
jamais dire qu’ils soignent ou guérissent mais qu’ils « accompagnent ».
Ils n’ont pas de patients mais des volontaires, des clients, des
partenaires13…
Le mot psychothérapie est peu employé (une loi encadre le titre de
psychothérapeute), le mot « thérapeutique » non plus, mais on parle plus
volontiers de « thérapie » voire simplement de relation d’aide…
 
La loi étant ce qu’elle est, il ne reste à ces praticiens qu’à « jouer sur
les mots » (puisqu’on leur interdit certains mots et que, ce faisant, on leur
demande de clarifier leur pratique avec plus ou moins de succès).
Il y a donc des cas évidents  : si un non-médecin faisait de l’hypnose
dans un bloc opératoire, et s’amusait à poser un diagnostic ou prétendait
guérir une maladie comme une allergie ou postulait pouvoir guérir un
cancer (ça s’est vu…), il est bien évident qu’il pourrait facilement être
dénoncé pour exercice illégal de la médecine.
 
En revanche, le diagnostic ou le traitement des troubles anxieux ou
psychosomatiques relèvent officiellement de la médecine  ; mais si
quelqu’un consultait pour faire des séances d’hypnose et de relaxation
car il se sentait stressé, et que, le stress s’apaisant, son eczéma
régressait ? On n’a pas soigné son eczéma mais on l’a aidé à se mettre
dans une situation telle que l’eczéma se reproduit moins (comme un
sportif qui, après avoir soigné médicalement sa blessure, améliorerait sa
technique avec un coach pour ne plus retomber).
Les troubles de l’humeur, du sommeil peuvent être les signes d’une
dépression  ; mais si quelqu’un se pose des questions sur sa vie
professionnelle et son équilibre personnel, et qu’à l’occasion d’un
«  coaching  » hypnotique, il se met à aller mieux, être de meilleure
humeur et mieux dormir ?
Le sevrage tabagique est officiellement une indication soignante mais,
si l’initiative venait du patient de s’arrêter de fumer (ce qui est le cas le
plus fréquent  et de loin  !) et qu’il se faisait accompagner dans cette
démarche par un PNS en hypnose… ou par un massage relaxant ou par
des huiles essentielles ou par la pratique du sport ?
Nous sommes dans une sorte de «  zone grise  ». Certains praticiens
en santé aimeraient combattre de front tous les praticiens non-
soignants, d’autres, plus réalistes, aimeraient surtout trouver un moyen
de protéger les patients des dérives.
On voit bien que c’est tout de suite plus difficilement condamnable.
L’hypnose dans le cadre d’une démarche de santé doit clairement rester
une affaire de soignants, mais tout n’est pas soin de santé. Et d’ailleurs, si
le praticien aide sans sortir des limites de son statut non médical (c’est-à-
dire notamment en sachant passer le relais si c’est nécessaire), sans
prétendre diagnostiquer ou guérir mais simplement aider la démarche du
patient/client, est-ce réellement moralement condamnable ?
 
Nous sommes dans une sorte de « zone grise ». Certains praticiens en
santé aimeraient combattre de front tous les praticiens non-soignants,
d’autres, plus réalistes, aimeraient surtout trouver un moyen de protéger
les patients des dérives14.

L’exercice illégal de la médecine est-il l’infraction la mieux adaptée


pour sanctionner les dérives de l’hypnose ?

Oui et non.
 
Je ne suis pas juriste de métier mais, à lire les textes, il semble que
l’exercice illégal est une arme plus «  simple d’utilisation  » puisqu’il
s’agit de montrer qu’il y a une intention thérapeutique et une absence de
titre. C’est probablement plus simple à démontrer qu’une tromperie, une
escroquerie, qu’une méthode non scientifique ou nuisible dans certaines
configurations psychologiques,  etc. (car cela nécessite moins de débat
scientifique, il s’agit juste de montrer l’absence de titre…).
 
Mais le but de la loi sur l’exercice illégal n’est pas prioritairement de
dénoncer le charlatanisme : «  Il s’agit bien d’interdire l’exercice illégal
de la médecine, et non pas l’exercice d’une “médecine illégale”15. » Au
fond, condamner quelqu’un pour cela, ce n’est pas lui dire que sa
pratique est contestable  ; mais qu’elle est peut-être légitime (ou pas),
peut-être efficace (ou pas), mais simplement sans droit légal de
l’exercer16.
Car de nombreux médecins ont fait des années d’études pour pratiquer
des médecines alternatives dont certaines n’ont pas fait la preuve
scientifique de leur efficacité (homéopathie, acupuncture, ostéopathie…)
ou sont très contestées, considérées parfois nuisibles par d’autres
(approche psychanalytique du traitement de l’autisme…), mais qu’ils ont
contribué à légitimer par leur diplôme et qui ne peut tomber sous le coup
de cette loi.
Si quelqu’un prétend guérir ou soigner mais n’en a pas les
compétences, s’il intervient en se substituant au rôle médical ou
paramédical, oui, l’exercice illégal de la médecine peut être un recours
légitime et protecteur.
Donc si quelqu’un prétend guérir ou soigner mais n’en a pas les
compétences, s’il intervient en se substituant au rôle médical ou
paramédical, oui, l’exercice illégal de la médecine peut être un recours
légitime et protecteur. Ce délit nous rappelle l’enjeu de santé publique de
laisser la santé entre les mains de ceux qui en ont acquis les compétences
et il est possiblement plus efficace dans sa mise en place et plus simple
sur un plan juridique.
 
Mais concernant les dérives et les dangers, sur le plan au moins
symbolique, d’autres délits concernant l’escroquerie, l’emprise sectaire,
les pratiques nuisibles, les abus de détresse et autres ne seraient-ils pas,
peut-être, mieux à même de dénoncer les mauvaises pratiques, leurs
dangers, leurs malhonnêtetés ?
 
Si l’on est inquiet de voir se démultiplier les «  thérapeutes  »
autoproclamés en hypnose (dont on ne sait souvent pas comment ils le
sont devenus) il faudrait pouvoir dénoncer les dangers réels et les
arnaques (et pas seulement une absence de diplôme), éviter un conflit
stérile avec des pratiques acceptables et inévitables du milieu du bien-
être, et avant tout protéger les patients, les malades en situation de
détresse.
Il faudrait pouvoir dénoncer les dangers réels et les arnaques (et pas
seulement une absence de diplôme), éviter un conflit stérile avec des
pratiques acceptables et inévitables du milieu du bien-être, et avant tout
protéger les patients, les malades en situation de détresse.
On ne peut non plus enlever le libre choix du patient sur sa manière de
gérer sa vie. Si un patient arrête de fumer en « vapotant », il a acheté ce
dispositif à des commerçants non médecins, s’il a décidé de se mettre au
yoga pour arrêter ou d’aller voir un «  hypnotiseur  » qui prétend
l’accompagner dans sa démarche libre d’arrêter (et ne prétend pas
soigner ni guérir), il est très difficile de rendre tout cela condamnable
sauf à enlever beaucoup de liberté ! Trouver l’équilibre entre protection
et liberté est (comme dans beaucoup de domaines) une véritable
gageure !

Est-ce possible ?

Un équilibre imparfait qui peut toujours s’améliorer, oui, et qui passe


prioritairement par l’information du public.
S’il ne faut pas faire dans la prohibition, cela ne veut pas dire, selon
nous, qu’il y a lieu de laisser la pratique devenir de plus en plus
anarchique.
S’il ne faut pas faire dans la prohibition, cela ne veut pas dire, selon
nous, qu’il y a lieu de laisser la pratique devenir de plus en plus
anarchique.

Trouver l’équilibre : liberté et sécurité, entre prohibition


et anarchie

Aucune autre pratique ne traverse les mêmes dilemmes ?

Comparaison n’est pas raison, comme on dit, mais je pourrais donner deux
exemples, le premier illustre la limite parfois floue entre bien-être et soin.
 
C’est la question des massages pratiqués en kinésithérapie  : certains
représentants de la profession de kinésithérapeute ont tenté, sans succès,
de défendre l’idée que les massages étaient une pratique qui leur était
réservée. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, car on peut faire un massage
dans un institut de beauté par exemple, sans vocation thérapeutique et par
un non-professionnel de santé. Mais en revanche il y a toujours un
avertissement stipulant que ce massage n’est pas médical/thérapeutique
mais destiné au bien-être17.
Par ailleurs, les pratiques manuelles se sont démultipliées, sans
toujours de fondement scientifique. Bien que le décret de compétence
étende leur responsabilité (notamment dans la planification des soins), la
profession de « kiné » est débordée en tous sens par les instituts de soins
et de bien-être et par des thérapeutes manuels autoproclamés qui
pratiquent des techniques diversement recommandables. Il faut une
prescription médicale encadrée pour voir un kinésithérapeute mais
n’importe qui peut aller voir n’importe quel «  thérapeute en
manipulation », sans compter les kinésithérapeutes eux-mêmes formés à
des thérapies alternatives sans fondement scientifique18.
Sur les thérapies diversement recommandables, il nous semble que,
comme dans le cas de l’hypnose, un plus grand arrière-fond scientifique
s’impose mais aussi une meilleure information aux personnes pour bien
se repérer.
 
Mais sur l’aspect massage, le parallèle semble possible dans une
certaine mesure  : on ne peut interdire la pratique du massage, on peut
informer les personnes (et la plupart sont sûrement assez au clair là-
dessus) sur le fait qu’on peut le pratiquer dans un contexte soignant en
cas de problème médical, mais aussi hors de la pathologie, dans un
contexte de bien-être et de relaxation, mais aussi de façon perçue comme
assez sécuritaire dans un cadre personnel… ou qu’un massage est
sensiblement équivalent parfois à un bon étirement ou à un exercice de
yoga, qui paraît aussi difficilement condamnable !
La coexistence d’une discipline soignante et non-soignante pour le
massage est relativement tolérée. De même la sécurité totale n’existe
jamais et un massage par un amateur pourrait (mais rarement) être très
dangereux sur certaines fragilités constitutionnelles ; pour autant, il paraît
peu réaliste d’interdire la pratique du massage avec son conjoint, ses
proches…

Et le second exemple ?

Il illustrerait la limite entre accompagnement dans un processus


physiologique et soins médicaux. Car l’hypnose aussi va plus loin que la
relaxation, et dans sa version « d’aide non-soignante » prétend
accompagner un processus…
Il s’agit de l’accouchement. Bien qu’extrêmement médicalisé de nos
jours, il est malgré tout un moment physiologique (c’est-à-dire qu’il n’est
pas une maladie). Il reste, certes, un moment de fragilité, mais il peut,
dans de nombreux cas « bien se passer ».
 
Un certain nombre de médecins et de sages-femmes voient un danger
dès que cet aspect est hors des mains de la médecine et voudraient
fortement, voire légalement, dénoncer toute autre pratique que la
médicalisation totale de l’accouchement, et exercer une sorte de pression
sociale sur les femmes qui feraient un choix différent.
Bien sûr, la médecine propose des actes (de prévention, de confort, de
gestion des complications et autres) autour de l’accouchement, on lui doit
la diminution absolument considérable de la mort en couches et de la
mortalité infantile, nous rappelant que la médecine n’est pas limitée à la
guérison…
Mais cet accouchement devient-il une propriété totale de la médecine,
semblent demander ces femmes qui revendiquent d’accoucher
autrement ?
 
À l’autre bout du spectre donc, certaines pratiques sont totalement
sauvages avec des accouchements à domicile sans aucune assistance
« parce que c’est naturel », et tous les intermédiaires.
 
Un certain nombre de sages-femmes ont pris le parti d’aider des
femmes à accoucher à domicile. Dans ce domaine aussi, un certain
nombre de professionnelles non-soignantes, qu’on appelle souvent des
« doulas » exercent de façon alternative cette aide. Parmi elles, certaines
se vivent comme un complément non médical à l’accompagnement
obstétrical, d’autres dans une opposition farouche à la médecine, ou avec
des théories ou des pratiques qui n’ont plus grand-chose de rationnel…
 
Certains médecins tentent plutôt un compromis, maintenir une sécurité
raisonnable et mettre au centre l’humanité et le libre choix des femmes.
Le meilleur moyen d’y parvenir est évidemment d’informer le mieux
possible pour que les choix soient le plus éclairés19…
Les complications d’un accouchement doivent être gérées avec
prudence et médicalement. Les contractions de l’accouchement, elles,
peuvent être gérées médicalement, mais peuvent également être gérées
non médicalement  ; elles peuvent aussi être gérées par les personnes
elles-mêmes…

Et qu’en est-il des « contractions de la vie » ? Nous passons


par des zones douloureuses dans notre existence. Certains
surmontent par eux-mêmes…

Oui, on parle alors souvent de « résilience ». Ce terme, emprunté à la


physique et qui désigne la capacité d’un métal à retrouver sa forme initiale
après avoir été déformé ou soumis à une force, désigne en psychologie la
capacité à surmonter, notamment, les traumatismes. Certains, grâce à
l’accessibilité de leurs ressources et à des relations aidantes peuvent
développer cette capacité face aux épreuves et remous de la vie.

Certains consultent un thérapeute non-soignant pour être


accompagnés, ou d’autres un soignant pour être aidés à changer,
ce qui n’est pas tout à fait pareil…

Oui, basiquement, le recours à l’hypnose implique qu’on peut avoir besoin


d’aide pour trouver en soi la capacité à changer (c’est le principe de la
thérapie, notamment en hypnose éricksonienne). Mais une nouvelle
ambiguïté survient alors.
 
Certaines maladies clairement identifiées (même dans l’esprit du
public) font l’objet de soins médicaux (le cancer, le diabète, ou, en
psychiatrie, la schizophrénie, la dépression sévère…).
Et certaines difficultés (notamment d’ordre psychologique et qui
représentent beaucoup de demandes de thérapie, comme certaines
anxiétés, troubles de l’adaptation, etc.) se trouvent à la limite.
La médecine n’est pas toujours le cadre unique par lequel les
personnes passent pour aller mieux.
La médecine n’est pas toujours le cadre unique par lequel les
personnes passent pour aller mieux. Concernant notamment les pratiques
qui activent le placebo ou l’autoguérison, elles sont parfois incluses dans
la médecine, prescrites par des médecins, surtout quand elles le sont face
à des diagnostics ou comme complément dans un cadre de soins
traditionnels… mais pas toujours.

Il y a donc bien une ambiguïté entre l’hypnose-psychothérapie


et une hypnose « inoffensive », centrée sur le bien-être,
le développement personnel…
Prenons un exemple : une personne a peur du sang, des aiguilles. Cette peur
est « logique ». Pendant des milliers d’années, la nature a inscrit en nous
que la douleur et la vue de notre sang à l’extérieur de nous est un signal
d’alerte. Aujourd’hui, au contraire, cela peut être parfois bon signe, pour un
soin. L’hypnose peut être une simple « pédagogie par l’expérience » pour
apprendre à ajuster sa peur et se relaxer en situation.
Mais, en même temps, une anxiété majeure avec une surréaction
handicapante provoquée par ce trouble anxieux relève bien de la maladie
ou du soin spécialisé !…
 
Entre une peur de tout contact physique à la suite d’un traumatisme
sexuel, où le travail peut être profond, thérapeutique, potentiellement
émotionnel, où la fragilité du sujet est grande… Et une personne qui
aurait peur de parler en réunion devant cinq collègues et veut se détendre
un peu… est-ce du même acabit ? Il ne semble pas…
Mais si cette peur lui rappelle en fait une dévalorisation abandonnique
dans une enfance difficile  ? Provoque une véritable dépression
réactionnelle ? Là, en revanche…
 
Le curseur n’est pas toujours facile à placer.
 
Avec le temps, de la même façon que la médecine s’est « approprié »
l’accouchement (entre autres au départ dans un but de protection,
puisqu’il est un vrai moment de fragilité où, dans les cas difficiles, le
pronostic est potentiellement grave), de la même façon, pour limiter
certains risques, les diagnostics de la psychiatrie, les descriptions de la
psychologie se sont mis à concerner de très nombreux aspects de la vie
psychique.
De la même façon que la médecine s’est «  approprié  »
l’accouchement (entre autres au départ dans un but de protection,
puisqu’il est un vrai moment de fragilité où, dans les cas difficiles, le
pronostic est potentiellement grave), de la même façon, pour limiter
certains risques, les diagnostics de la psychiatrie, les descriptions de la
psychologie se sont mis à concerner de très nombreux aspects de la vie
psychique.
C’est encore plus vrai avec l’inflation de diagnostics du DSM-V20. En
voulant les décrire, on a de facto rendu pathologiques de nombreux
mouvements psychiques. C’est-à-dire par exemple qu’il y a un diagnostic
si vous êtes triste plus de deux semaines après la mort d’un proche, si
vous fumez des cigarettes en cas de stress, si vous dormez mal, si votre
licenciement vous affecte plus de deux semaines, si, pour les femmes,
vous avez des changements d’humeur la veille de vos règles…
Alors que les pathologies lourdes (dépression, troubles anxieux
sévères, psychotraumatismes graves, bipolarité, schizophrénies…)
relèvent sans grande ambiguïté de la spécialité en santé mentale, qu’en
est-il quand on parle de gestion du stress ou de problèmes de
sommeil ?…
Alors que les pathologies lourdes (dépression, troubles anxieux
sévères, psychotraumatismes graves, bipolarité, schizophrénies…)
relèvent sans grande ambiguïté de la spécialité en santé mentale, qu’en
est-il quand on parle de gestion du stress ou de problèmes de
sommeil21 ?…
 
Il est clair que les classifications qui décrivent les maladies mentales
« enflent ». La vision de la maladie psychiatrique évolue. Jusqu’à il y a
peu, la maladie mentale était vue comme toute difficulté
comportementale ou psychologique qui cause de la souffrance, limite la
liberté22… Mais au fur et à mesure (et c’est, là aussi, un peu plus évident
dans le DSM-V23), la maladie mentale est distinguée, non plus seulement
comme une souffrance, mais comme une déviation de la norme.
On veut objectiver et mesurer le psychisme et, en l’absence de
connaissance de toutes les causes sous-tendant les troubles mentaux, la
maladie devient donc un dysfonctionnement entraînant une déviation de
la norme des processus cognitifs, de régulation des émotions ou du
comportement… ou d’occupations sociales ou professionnelles.
Autrement dit, tout ce qui sort de ce qui est socialement accepté et
provient d’un dysfonctionnement psychologique quelconque (ce qui est
large !) est potentiellement un trouble mental classifié…
 
Les normes sociales occidentales24 sont parfois exigeantes. Si la
déviation de ces normes peut être classifiée comme un
dysfonctionnement, alors le nombre de «  maladies  » ne peut
qu’augmenter25.
Parallèlement, le domaine du « développement personnel » ne peut que
s’étendre sous la pression de cette norme plus pesante. La promesse
d’aider, sur un grand nombre de problèmes de vie, les personnes à aller
mieux, si possible rapidement et sans trop d’efforts, associée à l’appât du
gain, donnent un souffle aux formateurs et aux thérapeutes en
développement personnel, sans qu’il soit si facile de distinguer a priori
les vraies aides potentielles des arnaques.

Le phénomène que vous appelez « PNS » est donc assez récent ?

Eh bien, il y a toujours eu des guérisseurs, des rebouteux et des thérapeutes


non conventionnels (pour lesquels, à une époque, la frontière avec les
croyances religieuses n’était pas toujours claire). Mais, depuis une vingtaine
d’années, sous l’effet conjugué de nombreux facteurs, les thérapeutes
employant des méthodes proches ou similaires à celles des soignants se sont
multipliés.
Depuis une vingtaine d’années, sous l’effet conjugué de nombreux
facteurs, les thérapeutes employant des méthodes proches ou similaires
à celles des soignants se sont multipliés.
Par exemple la possibilité et l’envie d’employer une technique au
parfum sulfureux et mystérieux ou, au minimum, qui laisse penser qu’on
va découvrir une part cachée de nous-mêmes. Technique d’ailleurs à
laquelle un certain nombre de thérapeutes ne comprennent pas grand-
chose et entourent sa pratique de mots mystérieux et de croyances
ésotériques mal dissimulées par des mots empruntés au vocabulaire de la
science (physique quantique, neurosciences…) ou de la psychologie. Et,
dans le même temps, à une époque où cette technique gagne en
crédibilité, elle entre dans les hôpitaux, et fait l’objet d’études de plus en
plus encourageantes et scientifiques. À tout cela s’ajoute un intérêt
croissant pour la psychologie, la thérapie, le développement personnel,
parfois de façon peu distincte dans l’esprit du public.
Même si ces médecins et soignants en ont été très largement les
acteurs principaux, l’hypnose a presque toujours existé aussi au-delà
de la médecine (notamment par les pratiques spectaculaires) mais on
n’a jamais eu dans l’histoire autant de PNS se réclamant d’une
pratique qui emprunte, dans sa forme, beaucoup à la pratique d’une
véritable psychothérapie.
Il est clair que les Mesmer, Braid, Charcot, Bernheim, Hull, Erickson
ou plus récemment Chertok, Zeig, Rossi, etc. bref, ceux qui ont fait vivre
et évoluer l’hypnose étaient très majoritairement animés par l’idée de
soigner, et eux-mêmes soignants. Même si ces médecins et soignants en
ont été très largement les acteurs principaux, l’hypnose a presque
toujours existé aussi au-delà de la médecine (notamment par les pratiques
spectaculaires) mais on n’a jamais eu dans l’histoire autant de PNS se
réclamant d’une pratique qui emprunte, dans sa forme, beaucoup à la
pratique d’une véritable psychothérapie.
 
De fait et par ricochet, la «  crispation  » légitime du milieu soignant
médical (qui utilise de plus en plus les bienfaits de l’hypnose pour le
soin) face à la démultiplication de pratiques moins cadrées n’a jamais été
si forte…

L’hypnose devient à la fois plus crédible… et pourrait souffrir


de problèmes de crédibilité !

En vérité, les PNS sont les plus concernés car ils sont moins reconnus par
les institutions, et devront fatalement montrer, plus que les soignants, le
sérieux de leur pratique…

Différents praticiens face aux patients


Face à une personne qui souffre, qu’amène une formation
de soignant à la pratique de l’hypnose par rapport à un thérapeute
non-soignant ?

Ce n’est pas le même métier puisque l’un soigne et l’autre pas. Mais nous
l’avons vu, certaines indications sont ambiguës et questionnent
légitimement le public. Tout professionnel de l’aide devrait pouvoir dire
clairement quand il ne se sent pas compétent pour prendre en charge le
patient qui se présente.
 
Concernant les soignants  : la qualité du soignant s’acquiert par un
«  diplôme d’État  » qui atteste d’un certain nombre de connaissances
qu’au fond, l’État garantit. Cela donne, pour beaucoup de monde, l’idée
d’une forme de sérieux, de qualité et surtout de responsabilité. De fait,
pour les médecins et les soignants, contrairement aux autres, l’éthique, la
déontologie est une affaire légale, une obligation (du même ordre que
l’hygiène des mains avant un examen) dont la défaillance peut être jugée
en tant que telle et interdire tout exercice.
Il s’ensuit également que, lorsqu’un soignant propose une technique
que le patient ne connaît pas, le patient fait le plus souvent confiance à la
personne du soignant et le « suit » en premier lieu, plus qu’il ne suit une
technique.
La plupart du temps, le soignant n’est pas consulté parce qu’il serait
meilleur en hypnose (même s’il peut l’être), mais surtout parce qu’il est
meilleur en médecine ! La connaissance technique de l’outil suffit-elle à
en faire un métier pour aider  ? À l’inverse, le diplôme de soignant
apporte-t-il une garantie pour la qualité de l’hypnose ?
Savoir obtenir des phénomènes hypnotiques et être un bon thérapeute
sont deux choses bien différentes.
Savoir obtenir des phénomènes hypnotiques et être un bon thérapeute
sont deux choses bien différentes.
 
Lorsque j’étais étudiant, en stage aux urgences, j’ai un jour appris à
intuber un patient en détresse respiratoire en… cinq minutes  ! Malgré
l’urgence, tout se présentait «  au mieux  », les explications du médecin
qui me supervisait furent claires et l’intubation réussit du premier coup.
Alors, me direz-vous, n’importe qui peut le faire en ayant appris
rapidement ?
 
Non, évidemment, il s’agissait d’une toute première approche, et
rigoureusement encadrée  ! Une formation qui donne une compétence à
l’intubation pour un médecin urgentiste prend plusieurs jours de
formation. Pourquoi  ? Car le geste technique ne suffit pas, il lui faut
apprendre les tenants et aboutissants de ce geste, les cas atypiques ou
difficiles, les subtilités… et cette technique est apprise à des médecins
travaillant déjà quotidiennement aux urgences qui vont intégrer cette
nouvelle technique à leur métier préexistant.
 
La formation initiale des soignants, très encadrée en France est peut-
être contestable et vraisemblablement améliorable, mais elle est souvent
reconnue de bonne qualité, complète et complexe, et surtout émaillée de
nombreux stages. Un PS, avant même d’apprendre l’hypnose a été
confronté à des malades, des gens qui souffrent, qui meurent (souvent
même bien plus qu’il ne le voudrait). C’est une expérience sans
équivalent. Il forge son expérience de l’humain, et ne commence pas,
comme c’est souvent le cas chez des PNS, après un pur apprentissage
technique, à rencontrer seul à seul directement des personnes qui
viennent littéralement lui confier leur vie, leurs problèmes les plus
douloureux et les plus intimes.
L’apprentissage par compagnonnage prend du temps et se fait sur le
terrain.
L’apprentissage par compagnonnage prend du temps et se fait sur le
terrain.
 
L’idée que la technique et sa maîtrise pourraient suffire empêche
paradoxalement d’y trouver la limite. Pendant nos stages, nous entendons
sans cesse des personnes se relayer. Le chirurgien demande l’avis de
l’anesthésiste, celui-ci demande une information à l’infirmière, le
kinésithérapeute rend compte de ce qu’il fait au médecin pour savoir s’il
doit ou non continuer dans la même direction… Ou bien le cardiologue
interroge l’endocrinologue car le traitement qu’il compte prescrire a une
incidence sur la thyroïde, et celui-ci est relayé par un psychiatre car il
soupçonne une dépression, etc.
 
Dans des formations de mauvaise qualité le thérapeute apprend :
—  parfois des protocoles préétablis correspondant à chaque situation
(deuil, stress, confiance en soi, traumatisme, phobie, etc.), comme si tout
problème avait une solution toute faite valable pour tous ;
— parfois qu’il peut tout gérer ou presque avec l’hypnose ;
—  parfois au contraire, que, vu qu’il ne guérit rien (pour ne pas être
accusé d’exercice illégal de la médecine), et que le client fait tout en
hypnose, alors toutes les situations ou presque peuvent être prises en
charge : « Il suffit de faire de l’hypnose et le patient va faire le travail. »
 
Certes le patient travaille, mais le travail du thérapeute est de le mettre
dans les conditions de ce travail, et pour cela il est préférable de
connaître le contexte, nos limites et de développer cette culture du
relais… De nombreux problèmes rencontrés en thérapie sont venus de
praticiens qui ont dépassé leur compétence.

Effectivement, nous avons déjà vu l’hypnose définie comme


une pratique qui permet au patient de changer, puisque c’est naturel,
comme respirer… on ne peut pas interdire aux gens de respirer ?…

« Respirer » tout le monde peut le faire. Aider quelqu’un à mieux respirer


demande des compétences. Former des personnes, soignantes ou non, à une
technique vectrice de changement n’a rien d’anodin. Ce n’est pas parce que
l’état hypnotique est naturel que le susciter dans un but de changement
psychique est comparable.

Forcément un doctorat ?
Peut-être pas selon les contextes, mais en tout cas des compétences. Le
débat est là, comment définir et attribuer des compétences, adaptées aux
diverses pratiques de l’hypnose, en dehors du système des diplômes ?
Le débat est là, comment définir et attribuer des compétences,
adaptées aux diverses pratiques de l’hypnose, en dehors du système des
diplômes ?
Si j’utilise un couteau pour couper mon pain et que d’autres l’utilisent
pour couper des têtes je ne vais pas pour autant interdire les couteaux ou
les réserver aux bouchers.
On peut interdire aux petits enfants de s’en servir puis leur dire que ce
n’est pas un jeu, qu’on peut apprendre à s’en servir de façon utile et
sécure (c’est-à-dire pas pour pratiquer la chirurgie…).
 
Les discours consistant à dire que l’hypnose est aussi dangereuse que
la roulette russe sont grandement exagérés. Mais tout discours consistant
à dire qu’il existe une forme systématiquement anodine et inoffensive
d’hypnose est irresponsable. L’un des problèmes est d’ailleurs qu’à force
de présenter l’hypnose comme une technique non dangereuse, naturelle,
inoffensive on a fini par laisser penser, soit qu’elle n’était pas efficace,
soit qu’il ne servirait à rien de l’encadrer, d’en rechercher des critères de
bonne pratique.

Et pourtant, l’on a dit et redit que l’hypnose est produite


par le patient, qu’Erickson pensait que les ressources étaient dans
le patient…

Bien sûr. Et pourtant Erickson était un universitaire, qui croyait beaucoup à


la valeur d’un diplôme universitaire, qui était opposé à l’hypnose de
spectacle (dont il qualifiait les praticiens de « charlatans »), et peu favorable
à la démocratisation de l’hypnose.
 
Certes, à son époque, il a lutté contre l’idée du «  danger  » de
l’hypnose26. Mais c’était surtout dans un contexte historique particulier
où il devait rassurer ses confrères détracteurs27 à qui il devait prouver
sans cesse l’utilité de cette pratique, défendre son droit à pratiquer et
montrer qu’il n’était pas un dangereux illuminé mais bien un médecin
responsable…
Par ailleurs les «  dangers  » qui inquiètent le monde médical actuel
(possibilité d’arnaque, d’emprise ou de manipulation, reviviscences et
déstabilisation de personnes fragilisées) sont différents. Et Erickson a
toujours conseillé la prudence avec les sujets fragiles, et visait toujours
l’amélioration de la santé et le soin. Il parlait bien de «  medical
hypnosis », l’éthique médicale étant pour lui la capacité à ne pas mettre
son propre ego en avant mais bien à servir uniquement l’intérêt du patient
et la révélation des compétences de ce dernier…

Avertissement non inutile puisque les médecins ont parfois


un ego un peu grand…

Leurs études leur donnent des responsabilités, la société et les patients les
mettent dans une situation d’aider des gens en souffrance, dans une position
de pouvoir, certains peuvent en perdre leur humilité, cela arrive… Mais
c’est aussi ce qui peut arriver dans beaucoup de métiers où l’on aide les
autres.
Les connaissances, compétences, ordonnances peuvent donner
l’impression, à tort ou à raison, d’une position haute par rapport au
patient. Parfois c’est bien le cas pour certains confrères, aucune
profession à responsabilités n’échappe au risque de «  prendre la grosse
tête », mais souvent c’est plutôt une façon maladroite de communiquer,
malgré toutes les bonnes intentions de bienveillance et d’empathie.
Il est évident pour tous ceux qui s’y forment que l’hypnose les aide,
même en dehors des « séances » d’hypnose, à mieux communiquer cette
empathie à leurs patients.

Mais, justement, s’il ne s’agit que de révéler les capacités du patient,


au moins le PNS « sait qu’il ne fait rien » puisque par définition
il ne soigne pas ?…

L’hypnose n’est pas « rien faire ».


L’hypnose n’est pas « rien faire ».
Le PNS ne soigne pas mais ne fait pas rien quand il hypnotise. Il utilise
une technique psychologique, puissante, potentiellement génératrice de
changements. Et en vérité s’il ne « soigne pas » c’est juste parce qu’il n’a
pas le droit de le dire sous cette forme. Mais il « prend soin », il pratique
l’hypnose en tant que technique d’aide, sur des indications parfois à la
limite, parfois clairement intriquées avec le registre médical (par exemple
entre le PS qui aide à soulager une douleur chronique par l’hypnose et le
PNS qui « l’accompagne dans ce processus d’acceptation et de reprise de
contrôle sur sa propre vie dans ce contexte de douleur chronique » et qui
vont tous deux utiliser le même genre de technique…). Le cadre n’est pas
légalement formalisé, mais concrètement c’est bien ce qui se passe.
Le soignant insère cette technique dans son métier et n’en fait pas a
priori un métier en soi. La déontologie veut qu’il pratique l’hypnose
dans le cadre de ses compétences.
À cela s’ajoute que certains PNS ayant des croyances d’un ordre quasi
mystique sur leur pratique sont aussi dans des positions de pouvoir et
d’ego.
Le soignant insère cette technique dans son métier et n’en fait pas a
priori un métier en soi. La déontologie veut qu’il pratique l’hypnose dans
le cadre de ses compétences. Le cadre est assez clairement fixé.

Donc vous encouragerez les patients à…

Être prudents et libres ! Je n’ai rien à enlever à la liberté des personnes de


consulter qui ils souhaitent.
Certes il y a ces métiers de soignants qui « existent » et ces métiers de
thérapeutes non-soignants qui sont mal délimités. En tant que soignant
soucieux de la sécurité des malades, je ne saurais encourager, soutenir la
pratique de l’hypnose comme une distraction ou comme une
psychothérapie par des personnes non qualifiées. Mais quand un
phénomène existe et engage potentiellement la santé, on ne peut que le
constater et par rapport à cela informer, éduquer.
 
La pratique des soignants n’est pas vraiment en danger d’une
éventuelle législation ni leurs intérêts menacés pour le moment. La
demande des patients pour cette pratique dans un cadre soignant est forte,
la confiance dans le système de santé est globalement bien réelle dans la
population générale et par ailleurs de nombreux soignants veulent se
former, de nombreux hôpitaux forment leur personnel à cette pratique de
plus en plus reconnue comme efficace.
 
Cependant, je n’aimerais pas que, du fait de mauvaises pratiques, le
discrédit soit jeté sur cette technique formidable et utile. Nous avons
souligné les dangers d’un apprentissage purement technique, superficiel,
motivé par une promesse de reconversion lucrative ou épanouissante,
trop rapidement confronté à des patients parfois malades, affaiblis,
potentiellement crédules, qui vont leur présenter des problèmes d’une
complexité ou d’une gravité considérable…
 
Sur les forums d’entraide des thérapeutes, l’on voit régulièrement des
messages de PNS formés depuis peu demander des «  protocoles  »
préétablis, pour une problématique décrite en deux lignes.
«  Que me conseillez-vous de faire pour un homme de 54  ans que je
reçois demain et qui vit une séparation difficile ? »
« Avez-vous un protocole pour quelqu’un qui a de gros problèmes de
confiance en soi suite à une enfance avec des maltraitances de la part de
sa mère ? » « Un protocole pour améliorer la guérison ? »
Heureusement d’autres professionnels, soignants ou non, sont souvent
là pour leur rappeler qu’on ne peut régler des problèmes humains à coups
de protocoles tout faits, qu’il faut utiliser la technique pour s’adapter, non
pour formater et qu’on ne peut répondre ainsi à de telles questions.
Milton Erickson a insisté plus que n’importe qui sur le caractère unique
de chaque patient.
Il n’empêche que certains patients vont peut-être voir des thérapeutes
qui, face à leur problématique complexe et unique, une fois leurs yeux
fermés, vont leur lire un protocole standardisé, qu’ils auront récupéré la
veille, sur Facebook, auprès d’un inconnu…
Il y a de quoi s’interroger sur la qualité de leur apprentissage initial.
 
Rassurons-nous, non sans malice, sur le fait qu’une mauvaise maîtrise
de l’outil rend peut-être le praticien moins dangereux, juste trop peu
efficace…

Responsabilités de thérapeute

Donc le PNS a un certain nombre de responsabilités qu’il devrait


apprendre avec la technique…

Ajoutons qu’en cas de dérive, de comportement inadéquat, la justice sera


plus facilement sévère avec le soignant, car l’État lui donnant son diplôme
se veut en être un peu le garant. Puni par la loi, le soignant peut perdre le
droit d’exercer son métier en plus de la sanction pénale. C’est cette
responsabilité qui est une assurance supplémentaire pour les patients.
Rappelons tout de même que l’absence de diplôme d’État n’autorise
pas plus les comportements inadaptés et qu’il faut les dénoncer de la
même façon28.
 
Si une formation de thérapeute non-soignant devait valider un métier
de relation d’aide avec des critères de qualité, il lui faudrait cesser d’être
«  dupe  » du discours standard de l’accompagnement et du
développement personnel, qui voit l’hypnose comme simple, douce et
inoffensive…
Si la crainte du charlatanisme existe, l’un des premiers éléments de
réponse éthique consiste notamment à apprendre à tout thérapeute qu’il
ne fait pas rien et qu’il a une responsabilité importante.

Comment ça ?

Prenons un exemple : le 22 février 2017, Corse-Matin titre dans un article :


« Un hypnotiseur sous les verrous pour des faits présumés de viol. » Les
faits se seraient déroulés à Biguglia et six femmes ont porté plainte,
l’homme est sous les verrous.
 
Certains ne manquèrent pas de noter que, si le danger est moins dans
l’hypnose que dans la personne qui l’utilise, pourquoi rappeler la
« profession » du suspect ? Ne risquait-on pas de jeter le discrédit sur une
pratique ? Ce n’est pas un « hypnotiseur » mais bien un « violeur » qui
est en cause, qu’importe sa profession n’est-ce pas ?
 
Évidemment, l’homme est responsable des actes éventuellement
commis, que l’hypnose lui ait ou non «  servi  » pour manipuler les
victimes.
On remarquera que si un médecin avait été mis en cause dans une telle
affaire on aurait bel et bien dit «  un médecin a violé/abusé ses
patient(e)s  ». Mais quand un homme agresse une jeune femme dans un
parking ou une forêt on rappelle rarement, dans le titre de l’article, sa
profession…
 
Car ces professions d’aide représentent une «  circonstance
aggravante  ». Qu’on le veuille ou non, que ce soit juste ou pas, dans
l’esprit de la population, pour un médecin, un soignant ou même un
thérapeute non « conventionnel », un tel acte implique d’avoir abusé dans
ce contexte professionnel, de la faiblesse, de la détresse des gens venus
demander de l’aide.
 
Notons ici encore un avantage de la formation soignante initiale, un
avantage rarement formulé car peu explicite. Nous savons déjà,
implicitement ou explicitement, depuis nos études, que notre
responsabilité nous oblige, que des procès sont faits contre les soignants
en faute et qu’en cas d’escroquerie ou d’abus de faiblesse, la justice
considérera notre profession comme une circonstance aggravante a
priori.
Ce qui manque parfois dans les formations, c’est ce rappel que nous,
soignants ou thérapeutes, avons, involontairement, une position sociale
et relationnelle de pouvoir, position que nous attribuent les gens au
départ.
Ce qui manque parfois dans les formations, c’est ce rappel que nous,
soignants ou thérapeutes, avons, involontairement, une position sociale et
relationnelle de pouvoir, position que nous attribuent les gens au départ.
C’est une idée qui manque car on passe beaucoup de temps à dire au
futur thérapeute en hypnose qu’il n’a pas la solution à la place de la
personne, que l’hypnose émerge de l’hypnotisé et pas du pouvoir de
l’hypnotiseur, que le thérapeute ne fait qu’accompagner et surtout pas
imposer sa solution, qu’il doit respecter les choix…
 
Tout cela est éminemment vrai et c’est une des forces de l’hypnose.
Mais la force de guérison de cette « position basse » du thérapeute, qui
doit agir humblement pour que les gens fassent leur chemin et trouvent
leurs ressources, toute la force d’arriver à cette position vient du fait que
les gens nous attribuent souvent au départ une «  position haute  ». Ils
croient que nous (ou notre technique « miraculeuse ») avons un pouvoir
ou que nous allons leur donner la solution. C’est assez logique car la
souffrance pousse à vouloir de l’aide, donne envie de trouver un moyen
de s’en sortir, si possible facilement.
Et l’une des forces de la thérapie réussie est, pour le thérapeute, de
quitter la position de pouvoir, pour aider les personnes (par cette
technique ou une autre) à trouver en eux-mêmes, à partir d’eux-mêmes,
quelque chose d’utile.
Que l’on soit médecin, ou soignant, ou « thérapeute » ou… quand on
propose de l’aide, quand des patients nous en demandent sur leur vie,
leur santé, leur façon de mener leur existence, on a de facto une
responsabilité. Il faut en être extrêmement conscient pour avoir la
préoccupation de ne pas en abuser.
Que l’on soit médecin, ou soignant, ou « thérapeute » ou… quand on
propose de l’aide, quand des patients nous en demandent sur leur vie,
leur santé, leur façon de mener leur existence, on a de facto une
responsabilité. Il faut en être extrêmement conscient pour avoir la
préoccupation de ne pas en abuser.
 
Pour éviter d’avoir l’air d’encourager les personnes à s’installer sans
assez de connaissances, pour éviter de parler d’exercice illégal de la
médecine, peut-être parfois par manque d’expérience clinique, beaucoup
de formateurs cherchant à former le tout-venant, cherchant parfois à
plaire pour vendre d’autres formations, ne parlent pas assez de la
responsabilité des praticiens, aspect, admettons-le, moins excitant a
priori… et pourtant fondamental. Oublier ou ne pas assez insister sur
cette dimension de responsabilité c’est commettre un impair sur le plan
éthique.
 
Les soignants ont en revanche été beaucoup sensibilisés à cette notion
de responsabilité, des risques à commettre une erreur ou un impair, ils se
sont rendu compte, par la pratique, de la confiance de leur patient,
confiance qui, pour tout praticien humain et éthique, les oblige.
Parler à des soignants de cette position basse de l’hypnose et de la
communication thérapeutique, c’est les aider à pratiquer une thérapie
respectueuse de l’individu, et c’est parfois aller à contre-courant d’une
formation initiale qui nous a appris au contraire beaucoup en termes de
connaissances, qui nous a donné déjà de grandes responsabilités.

Est-ce parce qu’on a conscience des responsabilités que pour autant


on évite d’abuser de sa posture de pouvoir ?

En tout cas ce n’est pas en laissant entendre qu’on n’en a aucune ou qu’on
ne fait rien !
Et oui, avoir des responsabilités implique un questionnement éthique.
Pour ma part cette «  conscience  » et cette préoccupation ont été
largement facilitées par l’apprentissage de la médecine. Tout étudiant
s’est rendu compte tôt dans son cursus, s’il n’a pris ne serait-ce que
quelques minutes de recul, du pouvoir que lui attribuent les gens dans la
détresse. Parce qu’on enfile une blouse et qu’on est dans un hôpital, alors
le patient nous « prend pour un docteur », nous fait confiance et, surpris,
nous entendons parler de sa vie et de ses problèmes personnels, nous lui
demandons de se déshabiller pour l’examiner…
 
La préoccupation éthique de ne pas abuser de notre pouvoir doit
survenir justement par la prise de conscience qu’une sorte de pouvoir
nous est (à tort) attribuée29.
 
On n’empêchera évidemment pas les criminels (qui se trouvent dans
toutes les professions, surtout celles en contact avec des personnes
vulnérables) de passer à l’acte, en les abreuvant de questionnements
éthiques dont ils n’ont cure, mais on aidera peut-être ceux qui,
inconsciemment, pourraient se mettre dans une posture inadaptée. Les
plus grands abus de pouvoir sont commis en prétendant le rendre…

Bref, personne n’est à l’abri de problèmes d’ego…

Beaucoup de praticiens font leur métier avec beaucoup de passion et


d’altruisme.
 
Certes, quels que soient les défauts du système de santé, avant même
de se former à une technique spécifique comme l’hypnose, un soignant a
rencontré des personnes en souffrance, malades ou mourantes, et pour
toute personne douée d’empathie, « l’ego » en prend un coup…
Ces rencontres sont une expérience incomparable.
 
S’il existe, de facto, une hypnose non-soignante, elle est cependant,
comme l’hypnose soignante, ni neutre, ni anodine. Car souvent, la
situation où un «  client vient voir un thérapeute pour un
accompagnement  » et celle où un «  patient vient voir un psy pour une
thérapie  » sont parfois bien ressemblantes, ce qui complique tout et
n’offre pas de solution simple30.
 
Pour ma part, sans l’équivalence des «  stages hospitaliers  » si
formateurs sur ce plan-là, je pense en effet que des chapitres sur l’éthique
dans une formation, ainsi qu’une supervision conséquente par quelqu’un
d’expérimenté (et je ne parle pas d’une supervision purement technique,
mais bien sur les aspects relationnels) peuvent être une façon d’aller dans
la bonne direction…
 
Se former à l’hypnose dans ces contextes ambigus («  pas soignant
mais aidant ») demande dans tous les cas beaucoup de travail, du temps,
du sérieux, de la supervision et de la pratique, même pour ceux qui
seraient doués en empathie, eh oui, plus que pour les soignants qui ont un
background relationnel expérientiel, qui n’ont pas appris qu’ils ne
faisaient rien, et ont appris, parfois malgré eux, la responsabilité face aux
soins.

Mais est-ce qu’un soignant est forcément thérapeute ?

Voici un autre contexte ambigu : quand des soignants dépassent leur


domaine de compétences initial et renoncent à leur cœur de métier pour
devenir des thérapeutes et prendre en charge des souffrances (notamment
psychiques) qui n’auraient jamais été « dans leurs cordes » avec leur métier
initial.
Un kinésithérapeute soigne un patient avec des troubles respiratoires, il
le fait en hypnose pour que la manœuvre soit moins pénible. Il en profite
pour émettre des suggestions qui ont pour effet d’aider le patient à arrêter
de fumer. Difficile de condamner une telle pratique.
Le même reçoit des personnes «  comme un thérapeute  » pour faire
arrêter leur tabagisme… et puis réduire l’anxiété générale qui empêche
de se sevrer… dépasse-t-il ses compétences ? Et s’il s’occupe de plus en
plus d’anxiété ?…
Une infirmière refait le pansement d’un patient douloureux sous
hypnose, elle est dans ses compétences. Elle fait une séance, hors des
soins, «  comme un thérapeute  » pour l’aider sur le vécu (notamment
psychologique) de cette douleur, et peut-être va-t-elle gérer des éléments
dépressifs, psychotraumatiques… officiellement dépasse-t-elle ses
compétences ?… Il semble bien.
Mieux encore, un infirmier dans un service de traitement de la douleur
fait des consultations impliquant l’hypnose, il est dans son cœur de
métier. Si ce même infirmier s’installe en ville comme thérapeute pour
recevoir des patients douloureux chroniques, il devient thérapeute au
même titre que n’importe quel thérapeute, et quitte de facto son métier !
Il n’est plus infirmier.
 
Encore une « zone grise » et complexe. On se plaît à penser cependant,
que, même en dehors de leur champ officiel, leurs connaissances
soignantes de base (relationnelles, éthiques, «  culture du relais  » ou
d’expérience dans la santé, la souffrance, la maladie) représentent un
avantage et, que, formés dans une école d’hypnose de qualité avec
d’autres soignants, moins de dérives seront possibles31…

Les PS sont exemptés des dérives ?

Non. Formation mal choisie, de mauvaise qualité, manque d’éthique


personnelle, dérives mystiques ou parascientifiques appuyées par un
argument d’autorité (regarder certaines conférences TEDx édifiantes…).
Tout cela arrive bien sûr. Il semble que le pourcentage en soit très faible car
la médecine forme, dans une large proportion, des esprits rationnels et
pragmatiques.
Même si cela semble être minoritaire également, il y a lieu de penser
que les PNS sont plus concernés par ce que l’on nomme les « dérives ».
Cela dit, aujourd’hui, aucune étude d’envergure ne fait le point sur tout
cela, l’on en est réduit au « cas par cas ».

Mais s’ils étaient si douteux ces PNS, pourquoi un tel engouement ?


Et surtout, si des praticiens sont mauvais, ils devraient
« disparaître » d’eux-mêmes non ? Après tout si une nouvelle
boulangerie ouvre et que tout le quartier dit qu’elle vend du mauvais
pain, elle ne tiendra pas longtemps…

Les personnes qui consultent sont en position de faiblesse, et beaucoup de


souffrances psychiques sont associées à une culpabilité. Ainsi certains
patients ont tendance à se culpabiliser (à tort) de l’échec d’une thérapie ou
d’un malaise dans la relation thérapeutique. Ce ne sont pas de simples
consommateurs.
Étrangement, si le boulanger vous dit  : «  Mon pain est bon  » et que
vous n’êtes pas d’accord, vous allez écouter votre palais. Mais la
souffrance peut faire que, si un médicament est amer, vous l’avalerez
quand même, parce que vous faites confiance à celui qui vous le prescrit.
Confiance qui vient, entre autres, de votre souffrance et de votre espoir
de changement.
 
Cela entraîne que la santé, l’aide face à la souffrance ne sont pas
totalement comparables à des biens de consommation ordinaires qu’un
« marché libre » viendrait réguler par la concurrence.
Il est ici utile de rappeler aux patients qu’ils sont les mieux à même
de ressentir s’ils se sentent bien et en sécurité avec leur thérapeute, si
la thérapie avance ou pas, s’ils peuvent évaluer les avancées et
exprimer leur ressenti, et interrompre le traitement s’ils ne s’y
retrouvent pas.
La confiance est donc première. Le diplôme inspire confiance à
certains ; pour d’autres, il n’est pas nécessaire, ce qui n’enlève rien à la
nécessité d’une relation de confiance. Il est ici utile de rappeler aux
patients qu’ils sont les mieux à même de ressentir s’ils se sentent bien et
en sécurité avec leur thérapeute, si la thérapie avance ou pas, s’ils
peuvent évaluer les avancées et exprimer leur ressenti, et interrompre le
traitement s’ils ne s’y retrouvent pas.
Par ailleurs, la demande concernant la souffrance psychique est forte,
bien plus que l’offre de soins dans le domaine, puisque les soignants sont
trop peu formés dans leur cursus initial à la psychothérapie32, ce qui attire
vers des thérapeutes plus immédiatement disponibles.
 
Enfin, il faut porter quelque chose au crédit des non-soignants et au
discrédit de mes confrères concernant leur formation initiale…

Améliorer la formation
Balayons devant notre porte ! Quelle est cette aptitude dont
beaucoup de soignants manquent un peu ?

L’aptitude à bien communiquer !


Un PNS peut manquer de notions sur la relation, la psychologie ou le
contexte (médical par exemple) de la problématique qu’il prend en
charge, mais il a appris avec l’hypnose, si sa formation est bonne, un
processus de communication. La présentation, la forme est parfois plus
séduisante et agréable que la médecine, parfois austère.
 
Quand nous formons, en revanche, des soignants à l’hypnose, ils
placent assez vite cette pratique dans leur contexte médical et, en même
temps, apprennent souvent beaucoup sur une meilleure manière de
communiquer avec le patient, de lui parler, de l’écouter, de l’aider à
avancer… parce que cela manquait à leur formation  ! Ils sortent d’un
cadre techniciste de la médecine, ils apprennent à «  réhumaniser le
soin33 ».
Si l’étude de la médecine nous apprend beaucoup sur le plan
technique (le fond), la communication (la forme) s’apprend, hélas,
uniquement sur le tas.
Si l’étude de la médecine nous apprend beaucoup sur le plan technique
(le fond), la communication (la forme) s’apprend, hélas, uniquement sur
le tas. Bien trop peu d’heures, voire aucune, sont consacrées à la
communication. Il ne reste que l’apprentissage empirique auprès des
patients (indispensable bien sûr), des pairs, ou l’empathie et le talent
naturel de certains…
Si l’on ajoute les contraintes administratives qui pèsent sur les
médecins et ont réduit leur temps médical, les amenant parfois à
diminuer les temps de consultation, ainsi qu’un certain nombre d’autres
facteurs alors, en effet, un praticien « différent » devient attirant.
Mais bien communiquer, communiquer en sorte que le message
parvienne à l’interlocuteur et l’aide, s’apprend. Il est désolant que les
formations médicales ne l’aient pas encore assez compris et soient, sur ce
plan-là, souvent nettement doublées par des formations « alternatives ».
Si la formation à la santé en France est de bon niveau, elle n’est pas
assez humainement satisfaisante.
Si la formation à la santé en France est de bon niveau, elle n’est pas
assez humainement satisfaisante.

Donc il faudrait améliorer la qualité des formations ?

Oui !
Je souhaite que de plus en plus de soignants se forment, si ce n’est à
l’hypnose, du moins à la communication thérapeutique inspirée par
l’hypnose.
Concernant les soignants, je me suis exprimé sur la question dans mon
ouvrage Écouter, parler  : soigner dans lequel je tente d’apporter aux
soignants des outils concrets de communication pour les aider à
améliorer la relation soignant-soigné, améliorer la confiance. Je souhaite
que de plus en plus de soignants se forment, si ce n’est à l’hypnose, du
moins à la communication thérapeutique inspirée par l’hypnose, et que,
souhaitons-le, ce genre de notions fasse son entrée dans le cursus initial
de tout médecin. Certaines initiatives récentes, notamment de certains
départements d’enseignement de la médecine générale, vont dans le bon
sens sur ces domaines.
De nombreux soignants sont authentiquement humanistes et
empathiques, font ce métier par vocation d’aider leur prochain avec
bienveillance, et il semble que la communication hypnotique les aide à
mieux l’exprimer.
 
Concernant l’hypnose non médicale et sa pratique, une réflexion de
fond s’impose.
Cela dit, je n’ai pas la prétention d’avoir de légitimité pour dire à
d’autres quoi faire, et nous avons déjà «  bien assez de travail  » pour
améliorer sans cesse la qualité des formations des soignants.
 
Il y a plusieurs tentatives de la part de ces thérapeutes de s’organiser et
de mettre de l’ordre et du professionnalisme dans leur pratique. Bien
entendu, n’étant pas une profession encadrée par la loi, par l’État,
l’aspect concurrentiel et commercial n’est jamais loin, mais les intentions
(ou la nécessité  ?) de clarifier la question font évoluer le paysage de
l’hypnose. Il y a quelques années seulement, les écoles de PNS avaient
une vocation strictement de formation à la technique et les praticiens à
leur pratique. Actuellement, en plus d’une activité de formation et
d’accompagnement, plusieurs écoles et de nombreux PNS mènent des
actions nettement plus «  engagées  », qui visent à positionner plus
institutionnellement et légalement leur pratique.
L’enjeu de l’avenir immédiat se résume ainsi : quelles compétences
pour quelle hypnose ?
L’enjeu de l’avenir immédiat se résume ainsi  : quelles compétences
pour quelle hypnose ?
 
Sans autre prétention que de contribuer à la réflexion, il me semble
qu’une formation professionnalisante devrait donc être plus exigeante (ne
faudrait-il pas être plus exigeant vis-à-vis d’un débutant que vis-à-vis de
quelqu’un qui a déjà un métier bien en place ?) et assumer qu’elle forme
à un métier exigeant. Cette formation devrait compter un nombre
d’heures suffisant pour apprendre un métier au-delà d’une technique
(c’est-à-dire plusieurs centaines), ces heures devraient être étalées sur
plusieurs mois et même plusieurs années pour permettre un recul
suffisant, un examen de connaissances minimales, ou une admission sur
dossier témoignant de connaissances minimales, devrait exister à
l’entrée. Par ailleurs, une telle formation devrait comporter un certain
nombre de lectures obligatoires, des stages et supervisions pendant un
temps assez long avec des praticiens chevronnés (y compris après la fin
de la formation initiale), des notions d’éthique, un examen théorique et
pratique (par exemple sur analyse vidéo, ou dans un stage…), peut-être
d’autres choses…
 
Espérons que cela évolue, mais comment en être sûr tant que l’on met
en avant l’attrait que représente une formation «  facile  », et la manne
commerciale que représentent ceux qui veulent apprendre vite et
aisément l’hypnose ?…
 
Et, en vérité, les très bons PNS qui ont une formation diversifiée et une
pratique qui va au-delà de la technique, avec une posture éthique, sont
parfois des autodidactes, qui ont complété leur formation par d’autres
formations, par des lectures cohérentes, par des supervisions.
Les praticiens (y compris soignants parfois  !) formés «  n’importe
comment » font donc potentiellement « n’importe quoi », à commencer
par faire perdre leur temps et leur argent à ceux qui les consultent…

Quels sont les problèmes de ces formations de mauvaise qualité ?

Il est très difficile (et sans grand intérêt) de « faire le tour » de toutes les
formations existantes pour les « dénoncer ». Préférons donc « informer ».
Donnons quelques exemples de ce qui peut poser problème.
 
Par exemple, l’absence de sélection des dossiers. De nombreuses
écoles proposent explicitement de prendre des personnes sans aucun
background. Peut-être celles-ci ne savent-elles même ni lire ni écrire,
peut-être ont-elles un métier ou une formation qui n’a rien à voir avec la
relation d’aide, peut-être viennent-elles pour d’autres motifs pas toujours
clairs  ; elles seront tout de même formées de la même manière et à la
même technique que si elles étaient des psychologues cliniciens, comme
si d’où nous venons et ce que nous voulons en apprenant un métier d’aide
n’avait aucune importance à être au moins questionné…
 
Que penser lorsqu’on promet à une personne sans aucune qualification
préalable qu’elle pourra ensuite, après quelques jours de formation (deux
à quatre semaines par exemple), prendre la responsabilité d’ouvrir un
cabinet et recevoir des personnes en souffrance ?
Il n’y a pas de diplôme d’hypnose en France, tous les certificats et
pseudotitres donnés par les écoles d’hypnose ne valent que pour ceux
qui reconnaissent ladite école d’hypnose…
Pour attirer les futurs thérapeutes, on leur fait miroiter des sortes de
diplômes ou certificats parfois vides de sens. Excellent argument
commercial peut-être. Nous l’avons dit, il n’y a pas de diplôme
d’hypnose en France34, tous les certificats et pseudotitres donnés par les
écoles d’hypnose ne valent que pour ceux qui reconnaissent ladite école
d’hypnose…
N’importe qui, même sans formation, peut, pour le moment,
s’autoproclamer hypnothérapeute, ou tout autre titre bien plus pompeux.
Nous ne pouvons que le rappeler car ce genre de vocabulaire berne
parfois les patients par son ambiguïté.
 
Prenons même un exemple qui serait caricatural s’il n’était réel  : les
formations à distance. Alors que l’hypnose est une
technique  relationnelle par essence, qui s’apprend par la pratique, alors
qu’un formateur devrait pouvoir répondre de l’attitude de ceux qu’il
forme, alors que l’on forme à des pratiques qui impliquent de la
responsabilité, comment peut-on comprendre que certains proposent,
après des formations à distance, sans même peut-être les avoir jamais
rencontrés, de donner un « certificat » ?
 
Effectivement, un patient qui ne connaît pas le système des soins et des
diplômes ne pourrait-il pas être séduit par une enseigne qui lui dirait qu’il
est en présence d’un «  Maître Praticien Certifié en Hypnose
Ericksonienne par l’École………….  »  ? Saurait-il alors qu’il est
potentiellement en présence d’une personne qui a eu ce titre après le
visionnage de quelques heures de vidéo et l’impression de quelques
feuilles ?
 
On peut aussi se laisser avoir autrement par l’origine de la
certification. Prenons par exemple un institut (il y en a plusieurs) qui
promettrait une certification par la NGH, la «  National Guild of
Hypnotists  », une institution américaine regroupant un (très) grand
nombre de professionnels en hypnose (dont certains sont professionnels
de santé). Sauf que cette « guilde » a plusieurs fois été mise en cause aux
États-Unis pour son manque de sérieux, son aspect commercial et sa
tendance à distribuer, sans être trop regardante, des certificats et
«  diplômes  » à partir du moment où un dossier en ligne était rempli et
une cotisation payée. Au point qu’un chercheur américain avait pu, il y a
une quinzaine d’années faire certifier… son chat en tant
qu’hypnothérapeute35  ! À la suite de cette affaire qui fit grand bruit, le
dossier à déposer à la NGH inclut obligatoirement une photo de permis
de conduire… Bref, la situation a peut-être évolué, mais on laissera
chacun juge de ce que peut signifier ce genre d’accréditation reçue en
quelques jours…

Mais même si les titres des thérapeutes sont un peu « vides »,


la pratique, elle, peut avoir lieu bien concrètement.
Il n’y a, là non plus, pas besoin d’un niveau « bac +15 » pour arriver
à mener une séance !

Techniquement oui.
Le double drame de l’hypnose est d’être une technique puissante… et
relativement simple !
Le double drame de l’hypnose est d’être une technique puissante… et
relativement simple  ! La réalité est que les techniques de base de
l’hypnose (je ne parle pas de stratégies de thérapie avancées) sont assez
faciles à apprendre. Leur puissance fait évidemment que quelqu’un de
malintentionné ou de mal formé pourrait très vite obtenir des effets (y
compris spectaculaires). Mais c’est un saut sans filet. C’est ce qui fait
que certains, avec à peine quelques notions, constatent des résultats et se
croient tout permis.
 
Quand tout se passe bien, il est «  facile  » de se contenter d’une
technique, quand le patient est motivé pour changer, il est facile de se
croire « bon » et de promettre des miracles… mais la réalité est souvent
plus complexe qu’elle en a l’air. L’apprentissage relationnel et du cadre
éthique est plus déterminant que la technique.
 
Il n’y a pas d’argument fort pour penser qu’un PNS, notamment
supervisé, ne puisse pas pratiquer une hypnose de base, aidante pour un
certain nombre de personnes.
Mais il n’est pas raisonnable de penser qu’une certification en
quelques jours de cours est suffisante pour un bachelier pour traiter des
personnes avec des troubles anxieux, phobies, en dépression, addiction
ou des traumatismes… Il faut parfois plus que de bonnes intentions.
 
Entre l’incompétent, le charlatan, le praticien remarquable autodidacte,
le psy qui appuie sa compétence en hypnose sur les fondations de sa
formation initiale (qui inclut la capacité d’évaluer les difficultés
psychiques), bref, tout existe.
Tout n’est évidemment pas dramatique dans la pratique, mais c’est
surtout, pour le moment, relativement illisible36, et Internet est parfois un
miroir déformant.
 
Comme le dit le Pr Falissard, auteur du rapport INSERM sur
l’hypnose : «  Ce qui me dérange dans l’hypnose c’est qu’aujourd’hui,
vous voulez aller voir un hypnothérapeute, vous allez regarder sur
internet ou dans un annuaire, vous ne savez pas trop qui vous allez aller
voir parce que les formations sont complètement hétérogènes… vous ne
savez pas si vous allez voir quelqu’un de sérieux ou de pas sérieux… »
 
On l’aura compris, c’est aussi du domaine de la formation que
l’organisation viendra ou pas  : pour assainir le paysage de l’hypnose,
donner une éthique à la formation, aider à rendre la démarche cohérente
et lisible, rendre plus visibles les formations déjà cohérentes, se détacher
des dérives mystiques ou autoritaires dès le début de la démarche d’un
praticien.

Au-delà de la « forme » (le titre, le nombre d’heures, les modalités


de la pédagogie, le niveau…) il y a parfois des problèmes de « fond »
sur le contenu même ?

Cela arrive, oui.


La rigueur n’est pas toujours de mise chez les « vendeurs de formation
en hypnose ».
Depuis quelque temps, il ne se passe pas une année sans
qu’apparaissent un nouveau concept, une nouvelle hypnose (dite
humaniste, intégrative, quantique, ultra, spirituelle, nouvelle, profonde,
évolutive,  etc. dont certaines sont devenues des marques déposées) qui
sont général un agrégat de diverses théories psychologiques et un
mélange de techniques faussement nouvelles empruntées ici ou là, quand
ce n’est pas une dérive mystique, ésotérique ou pseudoscientifique.
L’hypnose est une discipline en évolution mais il n’y a pas plusieurs
hypnoses. Des façons de procéder, des points de vue sur la pratique,
oui, mais pour l’essentiel il n’y a pas de rupture épistémologique assez
forte pour parler d’hypnose différente.
L’hypnose est une discipline en évolution mais il n’y a pas plusieurs
hypnoses. Des façons de procéder, des points de vue sur la pratique, oui,
mais pour l’essentiel il n’y a pas de rupture épistémologique assez forte
pour parler d’hypnose différente. Bien entendu, « créer un concept » est
potentiellement lucratif, et on reste gêné par la démarche de breveter une
thérapie37.
Les allégations de nouveauté résistent rarement à une lecture avertie,
les concepts sont flous et mélangés. Par exemple on confond dissociation
et perte de conscience, réassociation et volonté, inconscient (les fonctions
non conscientes) et inconscience (comme une perte de connaissance et de
contrôle)… On prétend changer l’hypnose en appliquant des recettes bien
anciennes… On prend une induction pour une thérapie… On emprunte
des mots à la physique théorique…
De nombreux auteurs-vendeurs nous donnent l’impression de
réinventer l’eau tiède et de la breveter, faisant parfois preuve d’une
ignorance crasse mais enrobée de propos séduisants et qui semblent tout
expliquer et tout résoudre.
 
Nous sommes aussi parfois en présence de concepts qui flirtent avec la
mystique, l’ésotérique voire le paranormal. Interventions thérapeutiques à
distance, concepts « quantiques » allègrement transposés de la physique
vers le mysticisme New Age, action sur le corps « éthérique » (concept
issu de l’occultisme), connexion à une sorte de conscience supérieure, et
bien d’autres, sont parfois enseignés au même titre que l’hypnose dans
certaines formations.
S’y ajoutent selon les cas des emprunts mal maîtrisés à l’hindouisme, à
des concepts analytiques (comme les très à la mode «  archétypes  » de
C.G. Jung que l’on sert à toutes les sauces sur les réseaux sociaux,
parfois pour justifier des stéréotypes, notamment sur les hommes et les
femmes)  ; ajoutons à tout cela un peu de complotisme antimédical, des
hypothèses univoques, explicatives de tout (le meilleur moyen d’enlever
de la liberté à une personne étant de la priver d’une interprétation libre de
son ressenti), et un découragement systématique à questionner les
dogmes sous peine d’être accusé de fermeture d’esprit…
 
Bref, nous pourrions passer du temps sur de nombreuses théories qui
sont soit des concepts maquillés en nouveauté, des pseudosciences
jargonnantes avec des références pauvres, quand elles ne sont pas de
l’ordre de l’ésotérique ou du paranormal.
Mais ce serait inutile. Car ce ne seraient que des exemples
«  archétypiques  » de ce genre de démarches, qui continueront
probablement encore d’abuser de l’ignorance des gens, et face auxquelles
nous ne pouvons que recommander de conserver l’esprit critique si l’on
veut s’en faire une idée…
 
Pouvons-nous faire autre chose que de recommander de s’éloigner de
ce genre de praticiens ou de formations pour quiconque voudrait
envisager une pratique ayant une image sérieuse ?
Car, de fait, des médecins et des scientifiques sont aussi parfois attirés
et, en écrivant des préfaces ou en participant à des rencontres, donnent
une caution scientifique à tout cela…

Innover n’est donc pas une bonne idée ?

Sur le principe oui, évidemment. Mêler divers modèles, effectuer des


emprunts théoriques, affiner la pensée sont un bon moyen de s’adapter aux
besoins du patient.
Inventer et breveter de fausses révolutions, de nouveaux types inédits
de transes, ou des classifications bancales de « niveaux de profondeur »,
avec des « signes distinctifs38 » est une démarche plus questionnante.
Les inventions de nouveaux «  modèles  » ou de nouveaux types
d’hypnose, surtout s’ils prétendent «  tout changer  » doivent d’abord
être regardés avec circonspection et esprit critique.
Un peu de connaissance en psychothérapie et en hypnose fait souvent
rapidement tomber l’illusion. Mais tout cela est très confusionnant pour
les patients, déjà saturés d’informations contradictoires. Les inventions
de nouveaux « modèles » ou de nouveaux types d’hypnose, surtout s’ils
prétendent «  tout changer  » doivent d’abord être regardés avec
circonspection et esprit critique. Car si certains soignants ou scientifiques
communiquent mal, certains excellents communicants s’embarrassent
rarement des faits.

Donc des galimatias théoriques… et concernant la pratique ?

Notons pour exemple sur le plan pratique, la promotion parfois gênante,


dans certaines approches, de suggestions autoritaires et dominatrices pour
l’induction hypnotique39 ou même pour la sortie de transe ! N’a-t-on pas vu
des « thérapeutes » s’échanger l’astuce d’une suggestion sous forme de
menace, dans laquelle on dit au sujet que s’il n’obéit pas, s’il ne se
« réveille » pas quand on le demande, le thérapeute l’empêchera à tout
jamais de ressentir à nouveau du bien-être ?
Est-ce vraiment l’état d’esprit d’un thérapeute que de produire des
phrases qui laissent imaginer une domination sur le sujet et ses ressentis ?
Ne devrions-nous pas encourager les patients et les praticiens qui veulent
aider par l’hypnose à refuser ce genre de pratiques dominatrices ?
 
Pour l’anecdote (telle qu’on me l’a rapportée) une des filles du célèbre
Erickson, elle-même thérapeute, assistait un jour à un atelier, animé par
d’estimés collègues, juste avant celui qu’elle devait elle-même donner.
Pleine d’humilité elle participa comme tous les thérapeutes présents,
débutants ou chevronnés aux exercices et jeux de rôle proposés par petits
groupes. Alors qu’elle «  jouait le rôle du patient  » elle prévint son
partenaire  de ne pas lui faire de «  suggestions d’amnésie  ». (Il s’agit
d’une suggestion du thérapeute d’oublier, au besoin, ce qui vient de se
produire en séance pour le laisser « travailler » dans l’inconscient, ce qui
peut parfois être utile mais n’a rien de systématique.) En effet lui
expliqua-t-elle, bien que l’amnésie puisse parfois être utilisée sur le plan
thérapeutique, son père l’avait entraînée et conditionnée pour
immédiatement sortir de transe à la moindre suggestion d’amnésie, pour
ne jamais être manipulée à son insu.
Voilà qui en dit long sur la lucidité d’Erickson au sujet de l’éthique à
géométrie variable qui peut exister chez ceux qui prétendent aider. Bien
sûr, il y a aussi l’inquiétude d’un père, puisque ce sont des suggestions
qui peuvent être utiles par ailleurs.
En revanche, je suis convaincu de l’aspect délétère de ce genre de
suggestions menaçantes. Comme j’aimerais, de mon côté, apprendre aux
patients à immédiatement interrompre la relation d’avec tout praticien,
soignant ou pas, qui userait de menaces ressemblant à des prises de
pouvoir sur leur psychisme…

Comment tout cela pourrait-il évoluer ?

Si quelques avatars ennuyeux ont été évoqués ici, ils ne sont pas forcément
systématiques, loin de là et tant mieux, mais sont les plus visibles.
 
Alors cela évoluera soit par une législation «  dure  » qui interdira la
pratique de l’hypnose hors des soins. Interdire l’usage d’un mot à
certaines catégories de population serait une décision forte des autorités.
Si cela arrive, certains de ceux qui le redoutent y auront contribué. Cela
dit, cette solution semble bien délicate à mettre en place, voire
inapplicable ou injuste pour les praticiens non médicaux de qualité40.
Bien sûr, dans un cadre soignant, l’hypnose comme soin devrait
rester… une affaire de soignants. Mais de nombreux praticiens non
médicaux qui s’affichent moins sur Internet, demeurent des artisans, qui
communiquent avec prudence, sans usurper un rôle de médecin, sans
faire ce pour quoi ils ne sont pas mandatés, et qui ont une éthique
correcte qui ne mérite pas censure.
Bien sûr, dans un cadre soignant, l’hypnose comme soin devrait
rester… une affaire de soignants. Mais de nombreux praticiens non
médicaux qui s’affichent moins sur Internet, demeurent des artisans, qui
communiquent avec prudence, sans usurper un rôle de médecin, sans
faire ce pour quoi ils ne sont pas mandatés, et qui ont une éthique
correcte qui ne mérite pas censure.
 
Soit par une absence de régulation comme maintenant qui rendra la
situation toujours un peu plus difficile à déchiffrer. Plus gênant
notamment si la confusion devient telle que la méfiance (des patients et
du monde scientifique) devient généralisée sur l’hypnose, nous ne
pourrions que le regretter.
 
Soit par une législation sur la qualité des formations et sur les
conditions, les compétences légitimant la possibilité de pratiquer
l’hypnose dans une application non-soignante éthique (qui pourrait
inclure la thérapie dans une certaine limite mais aussi la préparation
mentale du sportif et d’autres applications)41.
 
Car il existe des formations qui n’ont pas les problèmes évoqués ci-
dessus, qui respectent le cadre de leurs pratiques, qui ont un nombre
d’heures et un contenu conséquent et des notions de relation, d’éthique…
 
Dans tous les cas, les cadres de pratique gagneraient à être clarifiés, et
la définition de compétences correspondant à une pratique donnée nous
semble la meilleure voie à suivre. Dans l’attente, les patients sauront, je
le souhaite, faire la différence si on leur en donne les outils.

EN SOMME
Au moment de conclure cette partie sur les diverses pratiques de l’hypnose, tentons
de prendre du recul. La vocation première de l’hypnose, telle qu’elle est présentée
dans ce livre, est de soigner. L’histoire même de l’hypnose est faite particulièrement
de soignants et de scientifiques qui ont toujours lutté pour bien différencier, s’écarter,
s’éloigner de tout usage ludique, spectaculaire ou mystique.

Il revient peut-être aux soignants et aux « psys » de rappeler encore et encore que
cette pratique n’est pas anodine et que la prudence s’impose, particulièrement dans
les pratiques qui « jouent » sans prudence ou qui « aident » sans qualification.

Un certain nombre de phénomènes actuels nécessitent de considérer attentivement


la question et avec prudence. Les spectacles se multiplient, l’hypnose fleurit dans la
rue, les formations parfois douteuses sont un véritable business, les praticiens non-
soignants n’ont jamais été aussi nombreux, avec toute l’ambiguïté que charrie leur
pratique.
 
Tout en défendant, avec d’autres, l’hypnose thérapeutique, celle qui a vocation à
soigner, pour autant l’hypnose n’appartient pas à un groupe de personnes. En
revanche il revient peut-être aux soignants et aux «  psys  » de rappeler encore et
encore que cette pratique n’est pas anodine et que la prudence s’impose,
particulièrement dans les pratiques qui « jouent » sans prudence ou qui « aident » sans
qualification.
 
 
Nous espérons que le champ de l’hypnose thérapeutique deviendra plus lisible, et
que son utilité aux soins sera plus clairement remarquée et reconnue par nos tutelles.
Que la confiance en cette pratique perdurera chez les patients, auprès des soignants
compétents qui pourront faire valoir son intérêt au quotidien. Elle est un atout
remarquable dans de nombreux domaines. Les soignants font mieux avec l’hypnose ce
qu’ils faisaient déjà sans.

Si doit continuer une forme d’hypnose non-soignante, orientée vers le bien-être


ou la prévention, alors elle devra peut-être s’organiser, mieux se définir, se
structurer, et participer au débat sur les compétences nécessaires à une bonne
pratique, pour être plus solide et légitime que maintenant.

Si doit continuer une forme d’hypnose non-soignante, orientée vers le bien-être ou


la prévention, alors elle devra peut-être s’organiser, mieux se définir, se structurer, et
participer au débat sur les compétences nécessaires à une bonne pratique, pour être
plus solide et légitime. Les praticiens non-soignants qui voudraient donner du crédit à
leur pratique seraient bien inspirés de se détacher clairement des dérives mystiques,
non scientifiques ou impliquant des relations de domination relationnelle. Il s’agit que
le nécessaire cadre se clarifie également, avec des praticiens formés correctement,
respectueux d’une éthique et des limites de leur domaine de compétences au moment
de recevoir des personnes en souffrance qui lui confieront leurs doutes et leurs
espoirs.
 
S’il doit subsister une forme d’hypnose ludique, il faut qu’elle soit juste agréable,
étonnante, prudente, sécurisée, de l’ordre de la magie/prestidigitation mais éloignée
des dominations de mauvais goût, fascinations humiliantes, déstabilisations gratuites
aux dépens des personnes. Rappelons que la dignité humaine consiste à ne pas utiliser
un autre comme un moyen, ni le diminuer.
 
Si le débat dont nous parlions  : «  Quelles compétences pour quelle pratique  ?  »
s’ouvre avec honnêteté alors un développement de l’hypnose s’annonce plutôt qu’un
risque pesant sur sa pratique.
Soyons optimistes…
Pour finir, précisons que pour parler de l’hypnose, de ses cadres, de ses risques et
limites, toutes les comparaisons que l’on a pu faire sont imparfaites42.

Le plus juste serait de dire en fait que l’hypnose est une forme de communication
(dans sa part technique) et le fruit d’une communication (sur l’état de conscience
ou la relation qui en découle) et qu’elle facilite la communication.

Le plus juste serait de dire en fait que l’hypnose est une forme de communication
(dans sa part technique) et le fruit d’une communication (sur l’état de conscience ou la
relation qui en découle) et qu’elle facilite la communication.
 
Et si nous disons qu’elle est une des formes de la communication, et si nous
rappelons que la communication est un phénomène naturel qui peut avoir divers
usages : ludique, agréable, manipulatoire, banal, aidant ou soignant dans la thérapie et
qui peut s’apprendre ou se perfectionner…
 
Alors en disant cela sur l’hypnose, cela laisse penser que nous portons en nous-
mêmes des forces insoupçonnées qui pourraient être bénéfiques ou mortifères selon
comment on les utilise.
 
Bien utiliser la communication c’est utile, parfois indispensable, et même c’est
souvent un soin ! Mais elle peut devenir manipulation ou même pire…
À partir de là, n’est-il pas légitime que les gens revendiquent une forme
d’autonomie qui leur permettrait de mieux connaître cette communication  ? C’est
l’une des raisons du succès actuel de l’hypnose et il faut en tenir compte.
 
On pourrait imaginer, d’une part, qu’il faut aider chacun à mieux connaître le sujet.
Non pas pour en faire usage sur d’autres ou se prétendre soignants, mais avant tout
pour savoir aussi se protéger des manipulateurs. Au fond, ce sont souvent les
charlatans qui sont dans la rétention de savoir et enveloppent leurs discours de
mystères pour mieux vendre.
Donner les moyens de mieux comprendre les tenants et aboutissants de la pratique,
pouvoir connaître les bénéfices, les dangers, mais aussi ce qu’on peut ou non en
attendre est le but poursuivi par ce livre. Pour se protéger des dérives, sans pour autant
entrer dans la prohibition ou la paranoïa, la connaissance a toujours été un rempart.
 
On pourrait imaginer, d’autre part, un usage peu risqué et simple. L’autohypnose
pourrait être apprise, par exemple, avec des thérapeutes qualifiés, de façon un peu
plus large, non pas pour soigner d’autres mais peut-être simplement pour prendre soin
de soi43 et de la façon dont on communique. On peut apprendre à quelqu’un à mieux
utiliser sa respiration, sans lui laisser entendre qu’il peut aller aider des patients
asthmatiques. On peut apprendre à mieux communiquer, ce serait même souhaitable,
sans pour autant mettre chacun en position d’expert en communication.
 
Nous ne pouvons échapper à la demande légitime de plus de connaissances. Mais il
faut tracer un peu mieux les contours de cette idée. Comment donner de l’autonomie
et du libre choix aux personnes, tout en s’assurant d’une certaine sécurité, tout en
s’assurant que l’hypnose ne se met pas à être pratiquée de façon anarchique,
autoritaire ou pour soigner sans que l’on soit compétent ?
 
La première étape est donc l’information. Pour ceux qui voudraient aller plus loin,
la dernière partie de ce livre permettra de mieux comprendre (au moins partiellement)
le mode de fonctionnement psychique de l’hypnose et de la distinguer des pratiques
qui lui sont proches.

Intermède : en pratique

Que dites-vous concrètement aux patients alors ?

Que dans l’absolu, tout problème de santé nécessite de rencontrer un


professionnel de la santé, que la santé psychique fait partie de la santé et
qu’il faut un peu connaître les pièges dans lesquels ne pas tomber.
Les soignants ne sont pas tous irréprochables, loin de là, même si voir
un soignant protège, c’est souvent un peu plus un gage de compétence,
voir un non-soignant protège moins, mais on trouvera toujours des
contre-exemples à la pelle  : des non-soignants formidables qui ont
véritablement sauvé des personnes et des soignants lamentables qui ne
méritent pas leur titre.
 
Dire aux patients aussi que le prisme d’Internet est parfois trompeur,
car il nous montre avant tout les entreprises commerciales qui
« vendent » de la formation et les praticiens qui s’affichent. Mais sur le
terrain on trouve des PNS potentiellement aidants. Il est dur d’en estimer
la proportion. Du fait de l’absence de régulation du phénomène et de
protection du titre, il n’y a aucune garantie. Il convient d’être prudent
avant de confier ses difficultés personnelles à quelqu’un, quel qu’il soit.
 
Dans la réalité, beaucoup de patients ont confiance dans le diplôme
d’État de la personne qu’ils rencontrent, mais surtout les patients vont
souvent consulter par bouche à oreille, et c’est, finalement, un filtre
inévitable et pas si mauvais… Un praticien répétitivement incompétent
ou dangereux peut parfois finir par se faire (mal) connaître. Un de vos
proches qui a bénéficié avec succès d’une thérapie n’est pas une garantie
que «  ça marchera pour vous  » mais doit vous indiquer déjà si ce que
vous raconte votre proche ne vous met pas mal à l’aise.
Mais le plus important reste la notion de sécurité relationnelle. Il faut
se sentir bien, se sentir à l’aise, se sentir en sécurité face à son
praticien.
Mais le plus important reste la notion de sécurité relationnelle. Il faut
se sentir bien, se sentir à l’aise, se sentir en sécurité face à son praticien.
Le moindre malaise, la moindre difficulté, doit pouvoir être évoqué avec
le praticien et résolu, ou doit mener à une sortie sans problème de la
relation. A fortiori le moindre geste déplacé, toute tentative de
manipulation, tout abord mystique ou toute tentative d’empêcher la
volonté éventuelle du patient d’interrompre la thérapie, toute
culpabilisation du patient pour ses problèmes doit entraîner une légitime
méfiance.
 
Sans confiance envers le praticien, pas de thérapie possible.
J’encourage les patients à faire confiance à leur bon sens, à leurs
sensations et à chercher avant tout à se protéger eux-mêmes.

Que dire aux soignants ?

S’ils veulent se former qu’ils surveillent, concernant l’école de formation,


un certain nombre de critères.
Premièrement, il me semble qu’un soignant est plus à même de former
des soignants. Les soignants parlent « le même langage », connaissent les
soins, les hôpitaux, les filières, les patients, les enjeux des pratiques
soignantes. Ainsi ils devraient préférentiellement se tourner vers un
institut d’hypnose thérapeutique qui forme uniquement dans un cadre
thérapeutique (c’est-à-dire qui forme des professionnels de santé). Par
symétrie, il est logique que les enseignants et dirigeants de ces instituts
soient également des professionnels du soin expérimentés dans la
pratique de l’hypnose et dans l’enseignement. 
 
Se méfier donc des titres un peu atypiques « maître praticien de… »/
«  formé par…  »/ «  seul habilité à…  ». Il n’est pas logique et cohérent
qu’en tant que soignant vous soyez supervisé par des personnes qui n’ont
aucune expérience dans ce domaine. Aujourd’hui ces instituts sont
essentiellement ceux de la CFHTB (Confédération francophone
d’hypnose et de thérapies brèves, association qui regroupe un grand
nombre d’instituts soignants qui ont adopté cette éthique), le CHTIP
(Collège d’hypnose et thérapies intégratives de Paris), le centre Ipnosia,
l’IFH (Institut français d’hypnose) et quelques autres44.
 
De même les étudiants doivent être encouragés à pratiquer l’hypnose
dans le cadre du décret de compétences, du règlement ou de la
déontologie de leur profession soignante. La formation d’hypnose à elle
seule ne faisant pas une qualification professionnelle, il faut se méfier
donc des lieux où l’on vous promet facilement métier reconnu et
reconversion professionnelle, ce genre d’option se réfléchit de façon
posée…
 
Par ailleurs, attention au mélange des genres. Pour les soignants, le
soulagement du patient doit être notre seul souci. Un institut sérieux de
soins ne peut aucunement soutenir ou promouvoir l’hypnose-
spectacle. Méfiez-vous donc de ceux qui ne se démarquent pas de cette
pratique, qui considèrent qu’une technique de soins peut être apprise
comme un simple divertissement amusant.
 
Enfin, une formation en hypnose pour un soignant doit contenir un
certain nombre d’heures. Il paraît impensable d’apprendre les bases de
l’hypnose en moins de 8 ou 10 journées, et une formation complète
incluant les notions de thérapie à ajouter au background soignant devrait
comporter 200 à 300 heures au total.
 
La formation doit comporter beaucoup de pratique et d’exercices,
l’hypnose est plus qu’un savoir, c’est avant tout un savoir-faire,
impossible à apprendre uniquement en théorie.
De ce fait il ne paraît pas raisonnable d’apprendre l’hypnose par
Internet ou uniquement dans un livre. Il faut être guidé et entraîné par un
thérapeute expérimenté.
Méfiez-vous donc de ceux qui vous promettent une formation
complète et rapide à la fois, de ceux qui cherchent absolument à vous
vendre leur livre ou leurs leçons en e-learning. La supervision par des
pairs ou des personnes ayant les compétences requises est également très
recommandée.
 
Pour la qualité intrinsèque de la formation, les critères sont assez
superposables à ceux exposés ci-après pour le milieu de la relation d’aide
non médicale45.

Et que dire aux non-soignants ?

Si vous souhaitez apprendre un peu d’hypnose, peut-être faut-il vous


tourner vers l’apprentissage de l’autohypnose. Il est très dur de « choisir
vers qui se tourner ». Si vous avez la moindre crainte, notez qu’il existe de
plus en plus de formations à l’autohypnose, organisées aussi par des
soignants.
 
Si vous souhaitez vous-même devenir soignant, eh bien vous pouvez
apprendre un métier de soins. Découvrez le métier d’infirmier, de
psychologue, ou autre, et la relation thérapeutique. Les formations à
l’hypnose viendront en complément et vous enseigneront donc un outil
précieux. C’est le meilleur moyen de gagner la reconnaissance de vos
compétences, par la profession et par les patients, et de lever toute
ambiguïté.
 
Si malgré tout vous souhaitez pratiquer l’hypnose en tant que pratique
d’aide non-soignante, en lien avec le bien-être et le développement
personnel, alors soyez prudent en choisissant l’école de formation46.
 
L’existence d’une sélection minimale à l’entrée ou d’interrogations sur
les motivations à se former est un critère de sérieux intéressant. La
sélection à la sortie aussi, c’est-à-dire où il peut être signifié au stagiaire
qu’il n’a éventuellement pas acquis assez de connaissances si c’est le
cas ; et non pas qu’il sera forcément « diplômé » s’il paie…
 
La formation doit pouvoir inclure des lectures obligatoires
(l’apprentissage d’un métier nécessite des connaissances), des
supervisions, des notions d’éthique, de psychologie et de relation, un
nombre d’heures suffisant (qui doit se compter en centaines) avec une
large part d’exercices pratiques.
Méfiez-vous des écoles qui donneraient des titres trop ronflants et
fuyez ceux qui disent avoir inventé un concept ou déposé une marque de
thérapie.
Éviter les formations qui enseignent des concepts mystiques,
ésotériques, spiritualistes, magiques, antiscientifiques, ou qui refusent de
donner certaines explications quand vous posez des questions. Attention
aux écoles qui vous apprendraient uniquement un discours
« antimédical » pour montrer qu’ils font encore mieux que la médecine
habituelle. Un praticien doit savoir connaître ses propres limites et un
formateur doit les enseigner, et il faut absolument savoir passer la main si
besoin est, c’est un gage de crédibilité. Un discours dans la confrontation
permanente avec la médecine habituelle (même si celle-ci doit rester
critiquable) est souvent l’apanage de ceux qui dépassent leurs
compétences et leur cadre de pratiques et prennent des risques.
 
Évitez les formations qui pratiquent l’e-learning, cela ne correspond
pas à l’hypnose qui est un savoir-faire qui s’apprend auprès d’autres.
Par ailleurs une formation qui vous enseignerait uniquement des
protocoles ne serait pas sérieuse. Un «  script tout fait  » pour chaque
difficulté (un « script-deuil » « script-tabac » « script-confiance en soi »)
est une pratique qui n’a pas de sens et révèle souvent l’incompétence.
Apprendre l’hypnose doit apprendre à vous ajuster au patient, doit vous
donner une boîte à outils souple et adaptative.
 
Pendant les formations, méfiez-vous de ceux qui vous enseigneraient
l’hypnose en vous montrant leur «  force  », en montrant leur capacité à
déstabiliser certains de leurs stagiaires ou à s’acharner sur les plus
fragiles. Une formation sérieuse n’est pas une psychothérapie publique
ou de groupe. On ne devrait pas être encouragé à résoudre nos gros
problèmes personnels en public ou en « démonstration », les formateurs
ne doivent pas chercher à nous déstabiliser ou à «  s’acharner  » sur
quelqu’un en public. Si une personne ne se sent pas très bien pendant un
exercice un formateur doit la rassurer, l’apaiser et éventuellement la
guider vers un thérapeute mais pas la déstabiliser en public ou la pousser
à révéler des choses intimes comme, hélas, on le voit parfois. Ne pas
hésiter à partir si l’on se sent mal et qu’il est impossible d’en parler au
formateur, ou pire, si l’on se sent mal et qu’un formateur tente de nous
culpabiliser de nos propres difficultés. Dénoncez les dérives.
 
Ne faites pas confiance à des formateurs qui passeraient la quasi-
totalité de leur temps à faire des formations et pas à rencontrer des
personnes. Seule la pratique fait notre crédibilité. Un formateur, aussi
beau parleur soit-il, pourra vous convaincre sur le coup, vous
« hypnotiser » mais ne vous forme pas à la réalité du terrain s’il n’y est
pas confronté.
 
Enfin, ne vous contentez jamais d’une formation à l’hypnose, la
relation d’aide est complexe, restons modestes, questionnons sans cesse
notre pratique, lisons, doutons et restons éthiques.
 
J’ai conscience que peu d’écoles non-soignantes sont dans ces critères
exigeants car l’appât du gain l’emporte parfois sur l’éthique. Là aussi, le
bouche-à-oreille, assorti d’un peu de bon sens, d’esprit critique est un
outil intéressant. Mais j’espère que des critères de qualité identifiables
adviendront pour le plus grand bien des patients qui s’interrogent et
cherchent, sans toujours savoir où les trouver, des thérapeutes compétents
et déontologiques.
IV

Comprendre l’hypnose
Sait-on comment l’hypnose fonctionne ?

Les curieux qui voudraient aller plus loin pour mieux comprendre les
mécanismes de l’hypnose pourraient être intéressés par les pages qui vont
suivre. Nous nous y pencherons, en évoquant l’angle des neurosciences (ce
qui se passe dans le cerveau en hypnose) et surtout nous présenterons
ensuite notre vision du fonctionnement des changements que l’on obtient en
hypnose.
 
Pour mieux encore la cerner, nous pourrons enfin poursuivre la
discussion sur les techniques « proches  » avec lesquelles on la confond
parfois, pour y clarifier, un peu, points communs et différences.
8

Le cerveau en hypnose ?

L’hypnose dans le cerveau

J’ai bien compris qu’en pratique quotidienne, objectiver l’hypnose


n’était pas la priorité, l’essentiel étant son efficacité pratique. Mais
on est tout de même bien tenté de demander si les neurosciences
ont caractérisé cet état de conscience ! S’il est bien naturel, il doit
se « passer quelque chose dans le cerveau », non ?

Question légitime… et bien actuelle…


Il est vrai que le mot «  neurosciences  » sert parfois d’argument
d’autorité. Il est important de connaître les apports extraordinaires de
cette discipline, et d’avoir en tête qu’elle a aussi des limites dans
l’interprétation que l’on peut en faire.
Cet organe de 1,5  kg à peine comporte environ 100  milliards de
cellules (les neurones), connectés entre eux par 10  000  milliards de
connexions.
Les neurosciences étudient le fonctionnement de l’objet le plus
complexe connu à ce jour  : le cerveau. Cet organe de 1,5  kg à peine
comporte environ 100  milliards de cellules (les neurones)1, connectés
entre eux par 10  000  milliards de connexions. Les neurones sont
entremêlés les uns aux autres de façon extrêmement complexe, si on
démêlait cette « pelote  », et qu’on les mettait bout à bout, les neurones
d’un seul cerveau feraient 4  fois le tour de la terre. Malgré les progrès
incroyables de ces dernières décennies, il n’est pas exagéré de dire que
nous n’en sommes qu’à la préhistoire de l’étude du cerveau.
 
Les techniques dont on dispose sont indirectes, c’est-à-dire qu’on ne
voit pas directement le fonctionnement du cerveau, mais des indices de
son fonctionnement. Par exemple, l’électroencéphalographie (EEG pour
les intimes), par la pose d’électrodes sur le crâne, mesure le changement
de potentiel électrique entre les diverses zones du cerveau. L’imagerie
fonctionnelle (répondant par exemple aux doux acronymes fMRI ou
PETScan) mesure la perfusion sanguine, car une zone du cerveau qui
s’active reçoit immédiatement un afflux plus important.
Cependant, les cellules du cerveau fonctionnent en réseau. Quand on
constate des zones cérébrales actives ensemble, il n’est pas toujours
évident de savoir si une zone en a activé une autre et dans quel ordre. Par
ailleurs, et même si ces aspects progressent de jour en jour, il reste
beaucoup plus facile d’étudier les zones qui s’activent que celles qui sont
inactivées, inhibées… ou de savoir si elles s’activent pour s’inhiber !
 
Enfin, la découverte d’une activation ou d’une inactivation d’une zone
du cerveau doit être interprétée, et il s’agit souvent d’hypothèses de
fonctionnement plus que de certitudes absolues. Une corrélation (deux
phénomènes ayant lieu en même temps) ne signifie pas toujours une
causalité (un phénomène a lieu à cause, en conséquence de l’autre). Les
neuroscientifiques se méfient des «  explications qui expliquent enfin
tout  » (et dont les «  buzz  » sur Internet sont hélas friands) et parlent
souvent au conditionnel.
Les recherches actuelles amènent à penser l’hypnose non pas comme
un état figé, mais comme un processus dynamique.
Ces restrictions étant posées, certaines découvertes neuroscientifiques
nous éclairent déjà un peu sur le fonctionnement de l’hypnose, en faisant
le lien entre certains constats de praticiens et certains indices de
fonctionnement du cerveau sous hypnose. Plus encore que la description
d’un état, les recherches actuelles amènent à penser l’hypnose non pas
comme un état figé, mais comme un processus dynamique.

Ouf, il est donc possible d’étudier neuroscientifiquement l’hypnose !


Il est même important de le faire. Ce n’est pas parce qu’un phénomène est
subjectif qu’il ne doit pas être étudié rationnellement. La médecine, dans sa
dimension de soin et de soulagement, a progressé quand elle s’est intéressée
sérieusement à la douleur, par exemple. Phénomène subjectif s’il en est,
dont on connaît pourtant de mieux en mieux les corrélats neurologiques.
 
Il en va de même des états de conscience : est-ce que le changement
constaté chez le sujet reflète des changements «  véritables  » dans son
fonctionnement cérébral, qu’on pourrait distinguer, «  mesurer  »  ? Cette
idée porte un nom, un peu barbare  : la «  neurophénoménologie
expérientielle ».
 
Aujourd’hui l’étude de l’hypnose par les neurosciences intéresse les
chercheurs qui étudient les états de conscience, de même que les études
sur la conscience intéressent ceux qui étudient l’hypnose. De nombreuses
études sont en cours et à faire et l’exploration de la conscience est un
phénomène qui n’a pas fini de faire couler de l’encre2.
 
Mais l’étude scientifique de l’hypnose a aussi ses limites. Par exemple,
une des caractéristiques de l’hypnose thérapeutique est de tenter de
s’adapter au patient, au plus près possible. Si l’on adapte la méthode à
chacun des patients, on se place dans le domaine de l’expérience vécue,
l’état hypnotique est «  extraordinaire mais naturel  », en continuité avec
des phénomènes ordinaires (communication, influence, suggestion,
relation, imagination…). C’est l’idée à l’origine de la psychothérapie.
Mais l’étude scientifique de l’hypnose a aussi ses limites. Par
exemple, une des caractéristiques de l’hypnose thérapeutique est de
tenter de s’adapter au patient, au plus près possible. Si l’on adapte la
méthode à chacun des patients, on se place dans le domaine de
l’expérience vécue.
La plupart de ceux qui pratiquent l’hypnose thérapeutique prennent le
parti de l’expérience vécue, mais une analyse scientifique de l’hypnose
nécessite un positionnement expérimental. Dans ce raisonnement, il
existe un « état » hypnotique, différent de l’état « normal » de veille qui
peut être défini par des signes spécifiques.
Une étude scientifique doit être menée sur un certain nombre de
sujets, et nécessite que l’on pratique exactement la même chose avec
chacun pour qu’ils soient «  comparables  » et que l’on puisse en tirer
des informations.
Une étude scientifique doit être menée sur un certain nombre de sujets,
et nécessite que l’on pratique exactement la même chose avec chacun
pour qu’ils soient «  comparables  » et que l’on puisse en tirer des
informations. Ainsi, pour étudier l’hypnose il faut faire des suggestions
«  standardisées  » que l’on va répéter à l’identique chez les divers
patients. Pour cela on sélectionne les patients les plus « hypnotisables »3,
pour observer plus clairement les phénomènes.
Bref, les études de neurosciences sur l’hypnose ont leurs limites et ne
sont jamais complètement transposables à la réalité clinique  ! Mais
malgré ces petites «  trahisons  » à l’état d’esprit de l’hypnose
thérapeutique, elles ont néanmoins permis de comprendre des éléments
fondamentaux !

Bon alors, que se passe-t-il dans le cerveau sous hypnose ? Le sujet


s’endort ?

Eh bien non. On sait très bien reconnaître le sommeil en EEG, et un sujet


hypnotisé ne dort pas.
Même s’il y a débat chez les scientifiques pour savoir si  on peut
reconnaître l’hypnose sur un EEG, tout le monde s’accorde sur le fait que
ce n’est pas un EEG de sommeil.
L’hypnose porte donc mal son nom, elle n’est pas un état de sommeil,
mais au contraire d’éveil.
D’autres études en imagerie cérébrale ont permis de montrer que c’est
bien les circuits de l’attention et non pas ceux du sommeil qui étaient
sollicités dans l’hypnose4. L’hypnose porte donc mal son nom, elle n’est
pas un état de sommeil, mais au contraire d’éveil.

L’hypnose est-elle un état de conscience objectivable ?


Il y a lieu de le penser. La progression des neurosciences cognitives permet
aujourd’hui de poser des hypothèses plus précises quant aux régions
cérébrales impliquées dans différents aspects de l’expérience subjective.
Assez peu d’études se sont intéressées à l’hypnose « seule », sans
suggestions très dirigées vers un phénomène précis (diminution de la
douleur, changement de perception sensorielle), cependant, il ressort dans
ces quelques études des changements assez convergents5.
Il n’y a pas une «  zone de l’hypnose  », mais plutôt un «  patron
d’activation  », c’est-à-dire un ensemble de zones qui s’activent ou qui
diminuent leur activité. Il s’agit plus de chercher une sorte de signature
de l’effet de l’hypnose dans le cerveau.
Il n’y a pas une «  zone de l’hypnose  », mais plutôt un «  patron
d’activation », c’est-à-dire un ensemble de zones qui s’activent ou qui
diminuent leur activité.
Que constate-t-on ?
— Tout d’abord, des zones sont mobilisées des deux côtés du cerveau :
toutes les hypothèses sur une différence entre l’hémisphère droit qui
serait plus artistique et intuitif – le gauche étant plus rationnel – sont déjà
battues en brèche depuis longtemps et fausses, et l’idée qui en découlerait
que l’hypnose active plutôt l’hémisphère droit est ici, a fortiori,
complètement exclue.
—  Par ailleurs, on observe dans plusieurs études une activation des
régions qui assurent le contrôle exécutif (cortex préfrontal et frontal) : ce
qui pourrait bien vouloir dire que nous participons activement à
l’hypnose ; nous ne sommes pas « démobilisés » mais actifs dans ce qui
se joue, même quand les phénomènes se « produisent d’eux-mêmes » ou
nous surprennent.
—  Ces zones frontales sont reliées plus fortement aux zones qui
contrôlent certaines fonctions corporelles (comme l’insula), ce qui
pourrait ouvrir une hypothèse sur le contrôle en hypnose de nos réactions
physiques habituellement plus automatiques.
—  On observe à la fois une réduction des zones qui nous repèrent
habituellement dans le temps (cortex pariétal), dans l’espace (cortex
temporal, précunéus) et une modification de celles qui évaluent le
contexte (cortex cingulaire postérieur) et nous aident à décider, dans tout
ce qui nous entoure, ce qu’il faut ignorer ou observer attentivement (ce
que l’on appelle le « réseau de saillance »).
En somme il semble bien qu’on réduise notre attention d’ensemble, et
qu’on en augmente fortement l’intensité sur ce sur quoi on la focalise
sans effort.
En somme il semble bien qu’on réduise notre attention d’ensemble, et
qu’on en augmente fortement l’intensité sur ce sur quoi on la focalise
sans effort.
—  D’autres changements au niveau de l’hypophyse (peut-être un
changement dans les neurohormones  ?) ou du cortex visuel occipital
(régulation des informations sensorielles même sans implication
d’images  ?) ou du tronc cérébral (régulation de l’état de conscience  ?)
font l’objet d’hypothèses et de questionnements.
— Enfin un changement d’activité dans le cortex cingulaire antérieur,
dont les significations possibles sont potentiellement intéressantes. Du
fait de sa position particulière entre le cortex (perceptions, décisions…)
et le sous-cortex (émotions, souvenirs…), certains estiment qu’il serait à
l’origine de la possibilité d’associer ou non un stimulus (perception
corticale) avec une émotion ou un souvenir (mémoire et affects étant
l’apanage du sous-cortex).
Un certain nombre de difficultés ne sont-elles pas des «  associations
aberrantes » ? Sursauter ou cauchemarder à chaque bruit qu’on a associé
au danger depuis le vécu d’une explosion, avoir une peur qui au lieu de
protéger paralyse, bref associer des perceptions, de façon inadaptée à des
émotions, à des souvenirs, à des pensées automatiques ou à des décisions
de façon douloureuse n’est-il pas l’essence même du mécanisme sur
lequel il faudrait jouer pour aider  ? Dans cette hypothèse, l’état
hypnotique activant fortement cette zone pourrait être à l’origine de la
réinterprétation des contenus de conscience, en donnant la possibilité
accrue de désassocier et d’associer autrement images, sensations,
souvenirs et émotions6.
 
Il y aurait encore beaucoup à dire, mais en somme l’hypnose change
l’activité des zones cérébrales impliquées dans la régulation des états de
conscience (ce qui entraîne peut-être cette sensation de «  fluidité
mentale  ») et dans les circuits de l’attention (peut-être à l’origine de ce
sentiment « d’absorption »). L’hypnose, n’est pas juste « ne rien faire », il
s’agit d’être dans cette sorte de relâchement et dans une forme d’attention
focalisée en même temps.
 
Ces fonctions sont disponibles dans notre cerveau, et nombre de mes
collègues les expérimentent même chez des patients déficients, déments,
autistes, sourds, aveugles, psychotiques et bien d’autres (alors que
certains imaginent que ce serait plus difficile ou impossible). En vérité,
quand on connaît son «  sujet  », on trouve des possibilités d’adapter la
technique et on obtient des résultats.
Cela nous indiquerait que ce sont des fonctions indépendantes des
fonctions cognitives, de la mémoire ou de l’intelligence7 qui sont
sollicitées pour la transe. C’est une faculté humaine que l’on peut vivre et
apprendre à améliorer en nous-mêmes quelle que soit notre situation de
départ, avec un thérapeute.

Hypnose et perceptions

Mais l’hypnose modifie réellement les perceptions comme


la douleur ?

La douleur s’accompagne de l’activation d’un réseau de structures


cérébrales (le thalamus, le cortex somatosensoriel primaire et secondaire,
l’insula et le cortex cingulaire antérieur…). Plusieurs études d’imagerie
cérébrale fonctionnelle démontrent que des suggestions hypnotiques
d’analgésie produisent une diminution significative dans l’activité de ces
régions8.
 
Ces études impliquent une diminution de la douleur rapportée par des
sujets à la suite des suggestions hypnotiques d’analgésie. Elles ne
reflètent pas simplement un changement dans leur propension à
rapporter verbalement des niveaux plus bas de douleur. Elles témoignent
clairement d’une modification dans le traitement des informations
sensorielles et émotionnelles qui constituent la douleur.
 
Plus intéressant encore, la forme que prennent les suggestions
d’analgésie affecte directement les effets observés au niveau cortical. La
douleur est perçue selon deux dimensions : la première est la dimension
sensori-discriminative. Il s’agit de la sensation, sa qualité, son intensité,
sa localisation, ses caractéristiques ou, comment, combien j’ai mal. Au
niveau cérébral, cette dimension est essentiellement encodée dans le
cortex somatosensoriel.
La deuxième est la dimension affective  : le désagrément associé à la
douleur, la perception d’une menace, l’aspect aversif de l’expérience.
Le Pr Rainville a bien montré que des suggestions visant
spécifiquement l’intensité de la douleur peuvent affecter l’activité dans le
cortex somatosensoriel primaire, alors que des suggestions visant à
atténuer spécifiquement le désagrément de la douleur agissent
spécifiquement sur le cortex cingulaire antérieur, associé aux émotions9.
Les suggestions « visent » donc une zone du cerveau.

Et sur les autres sens ? En hypnose on a l’impression de voir


ou d’entendre de façon plus intense, presque « réaliste », il se passe
quelque chose ?

Certains parlent même d’hallucination hypnotique…


 
Je cite juste deux études intéressantes par curiosité. Dans l’une10 on
présente sur un écran une figure avec des carreaux, soit en niveaux de
gris, soit avec la couleur rouge. On repère la zone du cortex qui perçoit la
couleur rouge. On enregistre l’activité cérébrale (dans le «  gyrus
fusiforme  ») quand la personne voit le rouge (condition 1), imagine
simplement le rouge (c’est-à-dire qu’on lui dit de «  voir  » la couleur
rouge à la place des niveaux de gris mais sans état hypnotique) (condition
2), et enfin, sous hypnose, « hallucine » le rouge (c’est-à-dire qu’on lui
suggère qu’on va projeter cette couleur alors qu’on laisse l’écran en
niveaux de gris) (condition 3).
Une étude similaire11 met en jeu l’audition. On repère la zone cérébrale
impliquée dans l’audition d’une phrase enregistrée. On enregistre cette
activité à l’écoute (condition 1), l’imagination mentale de la voix
(condition 2) ou l’hallucination auditive de la voix (on suggère que l’on
va rediffuser l’enregistrement alors qu’on ne diffuse pas de son)
(condition 3).
 
Pour ces deux études, on s’aperçoit que l’activité cérébrale sous
hypnose ressemble bien plus à la perception réelle qu’à l’imagination.
Plus les sujets avaient l’impression claire de la perception, plus ils
avaient la sensation que le stimulus était externe à eux, et plus les zones
de la perception « réelle » s’activaient12…
 
Bien entendu c’est leur cerveau qui produisait le stimulus. On peut
donc penser que l’hypnose altère d’une certaine manière la représentation
de soi en tant qu’agent responsable de l’expérience, ce que l’on appelle
«  l’agentivité  ». Les changements surviennent et nous arrivent comme
automatiques, nous les laissons advenir…

Hypnose, agentivité et inconscient

Ainsi le sujet ne se sent pas toujours agent de ses actes ?

Il l’est mais n’en a pas toujours conscience. Ou plutôt il prend encore plus
conscience de ce qui se passe de façon automatique.
L’une des acceptations de la « dissociation » est à la fois une sensation
de relâchement et en même temps d’attention soutenue, mais sans effort,
c’est une des « bizarreries » de l’hypnose. Ou encore la sensation d’être
en plusieurs endroits, ressentir ce qu’il y a ici et ressentir de façon
réaliste les sensations suggérées (comme dans les expériences décrites ci-
dessus).
L’une des acceptations de la «  dissociation  » est à la fois une
sensation de relâchement et en même temps d’attention soutenue, mais
sans effort, c’est une des « bizarreries » de l’hypnose.
Une autre acceptation de la dissociation est cette automaticité. Les
choses « se font », permettant au sujet d’observer, de laisser venir, plutôt
que de contrôler frénétiquement… et de découvrir ainsi une autre forme
de contrôle.
 
Prenons un exemple. Quand nous levons le bras ou autre mouvement,
en schématisant grossièrement, le cortex préfrontal prend la décision, il
envoie un ordre moteur, et le cortex pariétal (entre autres) ressent la
position des membres dans l’espace et renvoie cette information au
cortex préfrontal pour qu’il corrige éventuellement le mouvement.
En hypnose, on utilise parfois la «  lévitation du bras  ». Il s’agit de
suggérer au patient que son bras se lève (parce qu’il devient léger, gonflé
d’air, ou accroché à des ballons, ou devenu un levier qui s’actionne, ou
toute autre métaphore thérapeutique). Le patient « lève » son bras, mais il
a l’impression qu’il « est levé » automatiquement, hors de sa volonté.
Des chercheurs ont étudié cette sensation de produire un mouvement
sans avoir l’impression d’en être l’auteur13.
 
Les sujets ont le bras attaché à une poulie.
Dans la première condition, on leur demande un mouvement
volontaire  : lever le bras. Tout concorde, plan moteur, réponse motrice,
représentation sensorielle : le cortex frontal s’active (il donne l’ordre de
lever le bras) et le cortex pariétal s’active peu (il s’activerait plus en cas
de discordance, repérant la position inattendue du membre dans l’espace
pour éventuellement corriger le mouvement).
Dans la seconde condition c’est un mouvement passif, on actionne la
poulie pour lever le bras du sujet. L’activité frontale est minimale car il
n’y a pas de plan moteur, de décision d’agir, l’activité pariétale est en
revanche intense (le cerveau « vérifie sans cesse  » où il se trouve et ce
qu’on lui fait) avec un sentiment d’altérité.
 
Enfin, dans la troisième condition, il s’agit d’une lévitation du bras
sous hypnose, où on suggère que la poulie va lever le bras, on ne touche
pas à la poulie et le bras « se lève ».
Et, dans ce cas-là, l’activité frontale est la même que dans un
mouvement actif, et l’activité pariétale est semblable à celle d’un
mouvement passif. C’est en quelque sorte un mouvement «  actif-
involontaire  ». C’est bien le sujet qui active son bras (heureusement  !)
mais tout se passe dans son ressenti comme si son bras était agi. Les
explications ne sont pour l’instant que des hypothèses (rupture de
communication fronto-pariétale  ? signal corollaire aberrant  ?), et les
progrès de l’exploration fonctionnelle cérébrale élucideront peut-être
dans l’avenir le fonctionnement de ce sentiment d’automaticité. Ces
travaux pourraient contribuer à l’exploration de plusieurs questions
fondamentales relatives aux bases neurologiques de la représentation de
soi et de la conscience.

L’état d’hypnose permet-il un accès à l’inconscient ?

L’inconscient… mais qu’est-ce ? Freud en avait une définition qui


s’intégrait dans sa théorie analytique, et le voyait donc comme une sorte de
« poubelle à pulsions » dans laquelle on cachait tous les éléments refoulés
et insupportables, et qui venaient nous embêter sous une forme masquée
dans les névroses.
Les cognitivistes en ont une vision qui ressemble plus à un
« superordinateur » aux programmations complexes.
Les éricksoniens le décrivent parfois comme une «  boîte à trésors  »,
contenant des apprentissages et des ressources, rendus temporairement
inaccessibles par les difficultés et les problèmes…
 
Si l’on écoute les chercheurs qui s’expriment sur la question de la
conscience14, il semble plus correct de ne parler non pas « d’inconscient »
comme d’une entité, mais de «  phénomènes non conscients  » pour
désigner l’ensemble de ce qui n’arrive pas à notre conscience. Cette
appellation semble en accord avec un propos d’Erickson quand il
définissait l’inconscient par « tout ce qui n’est pas conscient ».
Si l’on écoute les chercheurs qui s’expriment sur la question de la
conscience, il semble plus correct de ne parler non pas
«  d’inconscient  » comme d’une entité, mais de «  phénomènes non
conscients  » pour désigner l’ensemble de ce qui n’arrive pas à notre
conscience.
De fait, la conscience (au sens transitif du terme « avoir conscience de
quelque chose  ») n’est qu’une partie très minoritaire de notre activité
cérébrale. Non seulement la plupart de nos fonctions les plus basiques,
mais aussi une grande partie des fonctions perceptives, mnésiques, mais
également une bonne partie des fonctions les plus complexes
(reconnaissance et réminiscences, prises de décision, attribution de sens,
choix moraux…) se font de façon non consciente !
 
Quand une idée nous arrive, elle a déjà été, parfois depuis un bon
moment, élaborée, travaillée de façon inconsciente.
 
Alors dans ce sens peut-être, l’hypnose permet de suspendre, de
diminuer des fonctions conscientes (tentatives de contrôle, ruminations
anxieuses, réticences…) et d’atteindre des fonctions non conscientes
(rendues indisponibles ou «  inaudibles  » temporairement à cause du
problème qui sature notre conscience) qui permettent alors un
changement.

On a des indices de cela en recherche ?

Peu ! Je prends un exemple. Une étude15 avait étudié l’effet « Stroop » en


hypnose.
On fait lire à des sujets des lignes avec les noms de couleur avec
l’encre congruente à la couleur (par exemple le mot «  rouge  » écrit à
l’encre rouge, « bleu » à l’encre bleue, etc.)
Puis on leur présente quasiment la même chose, mais de façon non
congruente : c’est-à-dire par exemple le mot « noir » écrit en encre jaune,
le mot « vert » écrit en couleur bleue, etc. Et on leur demande, non pas de
lire mais de citer la couleur de l’encre.
Essayez ! Vous le verrez : l’exercice devient bien plus difficile quand
on doit citer les couleurs non-congruentes aux mots ! Ce ralentissement
est l’effet « Stroop ».
Cette étude démontrait qu’en suggérant aux sujets sous hypnose de ne
plus voir que les couleurs, on supprimait l’effet Stroop et ils retrouvaient
à peu près « la même vitesse ».
Sur l’enregistrement EEG, l’onde dite «  p400  » qui arrive à 400
millisecondes et perçoit les couleurs était modifiée de façon logique dans
le cerveau.
 
Mais les auteurs ne disaient rien du fait que sur les courbes, l’onde
« p100 » qui se déclenche à 100 millisecondes et qui n’est pas liée aux
couleurs était également modifiée…
 
Cela a attiré l’attention, 15 ans plus tard, d’une équipe de recherche à
Nancy, avec qui j’ai eu la chance de participer au travail l’an dernier16.
L’onde p100 perçoit les contrastes, de façon très précoce. Le traitement
de cette information est non conscient, pour la bonne raison qu’à cette
vitesse l’information n’a pas eu le temps d’arriver à la conscience. Pour
modifier l’amplitude de l’onde p100 il faut faire varier les contrastes.
Nous avons montré à des sujets des damiers noir-blanc / blanc-noir
clignotant alternativement, chaque seconde pendant une minute  : à
chaque clignotement une onde p100 est produite que l’on mesure.
Quand il s’agit de gros carreaux, de petits carreaux ou de carreaux de
taille moyenne, l’onde p100 est différente.
 
Puis, en état d’hypnose, on leur diffuse de nouveau ce « clignotement »
mais uniquement des carreaux de taille moyenne en leur suggérant que
les carreaux vont grossir progressivement et on enregistre leur onde p100
pendant une minute dès qu’ils perçoivent un changement de taille.
Idem avec des carreaux de taille moyenne dont on leur dit qu’ils
rapetissent.
 
La perception consciente de changement de taille des carreaux est
corrélée à une modification de l’onde p100, comme s’ils avaient
« réellement » perçu des carreaux de taille différente !
Avant même la perception des carreaux, la perception non consciente
et automatique des contrastes a été modifiée par la suggestion.
 
Jusqu’ici, toutes les études ont testé la modification de phénomènes
perceptifs usuellement perçus consciemment (comme la perception de
douleur, de couleur, de mouvement). Mais c’est, à ma connaissance, la
première fois que l’on montre que l’hypnose modifie aussi un
phénomène qui est « objectivement » non conscient.
Ce genre de travaux ouvre de nouvelles portes, et nous espérons que
les recherches dans ce domaine seront poursuivies…

Hypnose et recherches en neurosciences

À part ce dernier exemple, comment expliquer que nombre


de ces études soient anciennes ?

La fin des années 1990 et le début des années 2000 ont été riches en
recherche fondamentale à ce sujet et le flot s’est un peu ralenti. Par
ailleurs, certaines études ont montré des contradictions : pour certains le
cortex cingulaire antérieur est au contraire diminué, par exemple, comme
la connexion avec le cortex préfrontal.
En vérité, ces études n’ont pas toutes la même méthodologie et il est
difficile de les comparer, comme le soulignent certaines synthèses de
littératures17. Les premières études cherchaient des corrélations entre
hypnose et activité de certaines régions, on saurait aujourd’hui un peu
mieux explorer l’ensemble du cerveau ou des réseaux d’activation.
De plus, les études n’ont pas toutes la même méthodologie, alors qu’il
serait logique que, selon l’induction ou les suggestions, l’activité de
certaines zones, puisse être différente. Il est également possible que la
même réponse hypnotique puisse provenir de différentes stratégies
cérébrales selon les conditions et les individus…
 
Par exemple, certaines études ont souligné de façon intéressante
l’utilité de s’intéresser non pas ce qui se passe quand on suit une
suggestion mais le lien entre notre attention pendant que la suggestion est
formulée et le suivi de cette suggestion.

C’est compliqué !

Oui.
Certes il se « passe quelque chose dans le cerveau », mais il n’est pas
certain que l’on puisse donner avec une précision absolue la « signature
cérébrale » de l’hypnose.
Certes il se «  passe quelque chose dans le cerveau  », mais il n’est
pas certain que l’on puisse donner avec une précision absolue la
« signature cérébrale » de l’hypnose.
Sur les réseaux cérébraux habituels, distinguons-en trois :
Le «  réseau exécutif  », celui qui planifie et donne les ordres (ce sont
notamment les changements dans la région du cortex préfrontal
dorsolatéral).
Le «  réseau de saillance  », chargé de sélectionner les informations
pertinentes ou d’exclure parmi la somme d’informations (internes ou
externes) reçues à chaque instant (ce sont les changements dans le cortex
cingulaire et l’insula).
Ces deux premiers réseaux subissent des changements, une
augmentation de connectivité pendant l’hypnose18. Nous sommes
différemment conscients de ce que nous faisons, de ce qui se passe, de ce
que nous sentons.
 
Et enfin le «  réseau par défaut  » (notamment le cortex préfrontal
médian) semble désactivé. C’est le réseau qui fonctionne en permanence,
en automatique si on ne fait rien, le bruit de fond de pensées qui
s’enchaînent si on ne pense à « rien de particulier », les souvenirs et les
éléments de notre identité qui sont «  immédiatement accessibles  » sans
efforts.
 
Les chercheurs s’interrogent sur le phénomène prépondérant. Est-ce
avant tout une activation exécutive, donc un contrôle, une sorte de tâche
mentale qui modifie les pensées  ? Ou bien avant tout une désactivation
de ce réseau par défaut, une sorte de «  désautomatisation  »  ? Ou une
attention «  de saillance  » dirigée ou perturbée  ? Ou encore,
particulièrement typique du ressenti en hypnose  : un mécanisme qui
perturberait l’agentivité (l’impression d’être à l’origine de nos actes et de
nos pensées)  ? Donc un changement d’activité et de connectivité entre
ces réseaux…
 
En hypnose, à la suite des suggestions ou du contexte, des sensations,
pensées ou actes semblent «  se produire d’eux-mêmes  ». Certains
chercheurs pensent que ce phénomène pourrait venir d’un «  contrôle
dissocié », d’une déconnexion entre les systèmes exécutifs du cerveau et
les systèmes de contrôle de nos actions, ces structures chargées de
vérifier, de superviser si nous faisons bien ce que nous souhaitions faire.
Cette faculté de nous autoobserver, c’est ce que l’on appelle la
«  métacognition  », observer nos propres phénomènes mentaux.
L’hypnose court-circuiterait ces systèmes, nous pourrions faire
directement les choses, pleinement, et sans accéder à cette métacognition,
nos mouvements et perceptions pourraient sembler involontaires et sans
effort.
 
Mais comment expliquer alors dans certaines études une activation
plus forte de certaines zones justement liées à ce contrôle de nos actes ?
Comment expliquer que les réseaux « exécutifs » et « de saillance » ne
soient pas non plus déconnectés  puisque les mêmes structures sont
engagées ?
 
D’autres chercheurs pensent plutôt que les structures fonctionnent
correctement, mais que l’hypnose ferait produire des informations
métacognitives erronées  ! C’est cela qui expliquerait l’activation plus
forte du cortex préfrontal dorso-latéral qui intervient également dans
cette fonction…
 
Quelles que soient les hypothèses (coupure entre exécution et
métacognition ou métacognition erronée) ce défaut d’agentivité ne suffit
pas à lui seul à expliquer un phénomène aussi complexe que l’hypnose.
L’absorption, les altérations sensorielles et du sens de soi, la relaxation…
aucun de ces mécanismes n’est l’hypnose à lui seul.

C’est plus le changement entre ces « 3 réseaux » qui compte ?

C’est possible, mais tout n’est pas encore bien clair, et ce d’autant que
les études ne sont pas comparables dans leurs méthodes… Sans compter
l’intérêt qu’il y aurait à étudier l’hypnose comme un processus, en
observant la modification temporelle des oscillations d’un réseau à
l’autre…
Tous ces phénomènes mériteraient d’être mieux expliqués, explorés
méthodiquement avec les moyens de recherche qui ont tant progressé ces
dernières années, et surtout mis en lien avec les découvertes d’autres
domaines connexes. Ce n’est plus tant l’effet «  réel  » des suggestions
(l’essentiel de ce qui a été étudié jusqu’ici en neurosciences !) qui est un
sujet d’avenir  que les effets de l’hypnose sur la conscience et la
perception, les effets sur la relation, etc. qui questionnent.
Bref, il y a encore du travail. Il est vrai que les premières études ont
défriché le terrain et ont été moins nombreuses par la suite.

Les études pourraient se relancer ?

Le flot s’est un peu ralenti et les plus récentes études produites n’ont
pas eu le même impact.
La recherche fondamentale s’est intéressée à d’autres sujets, les études
étaient coûteuses…
La recherche clinique (sur les difficultés des patients) a, en revanche,
explosé. Ayant acquis que l’hypnose «  existe  », les cliniciens se sont
surtout évertués à montrer son efficacité concrète.
 
Il existe un niveau de preuve raisonnable de l’existence d’un état
hypnotique (attentif et relâché, actif sur certaines structures perceptives)
et de l’efficacité de l’hypnose dans certaines situations.
 
Mais on ne comprend pas toujours complètement comment et pourquoi
cela marche ainsi. Souhaitons donc que les nombreuses recherches
récentes et à venir sur le sujet de la «  conscience  » donnent envie aux
chercheurs de se pencher encore sur une modalité particulière de celle-
ci : l’hypnose.

Les querelles scientifiques ont-elles encore lieu d’être autour


de l’hypnose ?

On ne pourra jamais tenir rigueur aux hommes de trouver étrange


l’hypnose. Le béotien entrant dans une salle de séminaire de formation à
l’hypnose, ou dans un cabinet d’hypnothérapeute, pourrait être surpris de
ce qu’il y voit et des effets que praticiens et patients lui attribuent, il lui
faut parfois être sceptique pour ensuite s’informer.
 
Le spectacle continue à faire perdurer une notion «  magique  » dans
l’hypnose. Les concepts mystiques doivent continuer à faire l’objet de
sévères critiques pour qui défend une pratique sérieuse. L’on est en droit
de vouloir aller vers des pratiques plus rationnelles dans les soins.
 
On ne pourra jamais non plus tenir rigueur aux scientifiques de vouloir
critiquer et remettre toujours leur ouvrage sur le métier et tenter de
démontrer et délimiter leurs pratiques.
Si l’hypnose est toujours l’objet de débats nécessaires et parfois
passionnés (et notamment en ce moment sur la question des cadres de
pratique), sur le plan scientifique, la recherche et la pratique actuelle
ont permis d’apaiser un peu les esprits.
Néanmoins, si l’hypnose est toujours l’objet de débats nécessaires et
parfois passionnés (et notamment en ce moment sur la question des
cadres de pratique), sur le plan scientifique, la recherche et la pratique
actuelle ont permis d’apaiser un peu les esprits.
 
On a presque réconcilié Nancy et Paris  : les neurosciences laissent
penser que l’état de conscience se modifie en hypnose, et la pratique
éricksonienne et les études cliniques montrent qu’elle n’est pas
pathologique et qu’elle est une forme de psychothérapie, avec des
capacités thérapeutiques et des indications, et pour laquelle la relation
thérapeutique est fondamentale.
 
Mais les études sur le cerveau ne seront jamais des preuves absolues.
Les neurosciences sont une des voies d’exploration de l’humanité par
elle-même, avec ses potentiels extraordinaires, et ses limites.
Bien sûr que l’hypnose modifie votre cerveau. Les études nous
guideront peut-être sur la façon dont elle le fait.
Mais vivre un moment d’émotion intense, apprendre, surmonter des
épreuves, relire ou revoir un chef-d’œuvre, jouer du rock ou improviser
du jazz, vivre un deuil ou tomber amoureux, élever des enfants… tout
cela aussi modifie votre cerveau ! Nous n’avons pas fini d’en apprendre
et il faut rester prudent et patient sur ces questions…
Comme le disait avec justesse Barack Obama : « As humans, we can
identify galaxies light years away, we can study particles smaller than an
atom.  But we still haven’t unlocked the mystery of the three pounds of
matter that sits between our ears19. »
9

Comment fonctionne l’hypnose ?


Avec le temps, les lectures, les échanges et surtout la pratique, j’en suis
venu à avoir une représentation personnelle de la façon dont fonctionne
l’hypnose, les ressorts de son efficacité, de sa spécificité. Cette tentative
d’explication ne change pas la pratique, elle ne révolutionne pas l’hypnose
et ne prétend pas être absolue. Par ailleurs elle est exprimée ici de façon
simplifiée et métaphorique. Ces idées sont en constante évolution et
s’affinent avec le temps.
Mais il me paraît indispensable de laisser au lecteur curieux quelques
pistes sur la façon dont on peut comprendre le phénomène thérapeutique
en hypnose. Les notions principales en sont l’expérience par l’analogie et
la sensation, la sécurité relationnelle, l’apprentissage des ressources, la
réassociation de la conscience1.

La force de l’apprentissage

Est-ce Erickson qui amène des jalons pour comprendre ?

Bien que lui-même n’ait jamais vraiment bâti de modèle, de théorie


complète de sa pratique, il a laissé beaucoup d’articles, beaucoup de vidéos,
de témoignages, d’enregistrements de ses cours.
Il a énormément insisté notamment sur la notion d’« apprentissage »,
très récurrente dans ses propos. Pour lui, nous sommes des apprentis
perpétuels pour nous adapter aux changements de la vie, et la personne
qui vient nous voir est un peu «  à court d’apprentissages  », elle ne sait
plus faire…
Alors le thérapeute lui apprend ce qu’il faut faire ?

Et c’est là que la subtilité intervient puisqu’il ne lui apprend pas à faire


mais… à réapprendre…
Il ne se place pas en expert de ce qu’il faut faire, mais en expert sur
l’apprentissage de la façon d’apprendre. Il lui permet de découvrir ce que
le patient sait déjà mais lui était rendu inaccessible par le problème.
« Vous savez plus que vous savez que vous savez » disait-il.

Il fait de la pédagogie en quelque sorte ?

Presque. Distinguons là deux concepts : la didactique, centrée sur les


connaissances à enseigner et la façon de les acquérir, et la pédagogie,
centrée sur ce qui permet d’adapter la méthode d’apprentissage aux publics
concernés.
Le thérapeute est plus pédagogue que didacticien dans le sens où il
n’a pas de connaissances préétablies sur le patient qu’il découvre mais
doit surtout créer le cadre pour que l’apprentissage (jusqu’ici rendu
difficile) ait lieu sur cette personne donnée…
L’apprentissage serait une sorte de synthèse de ces notions. Le
didacticien cherche à rendre les connaissances digérables, organisées,
transmissibles, tandis que le pédagogue cherche à les transmettre au
public à qui il s’adresse.
 
Le thérapeute est plus pédagogue que didacticien dans le sens où il n’a
pas de connaissances préétablies sur le patient qu’il découvre et doit
surtout créer le cadre pour que l’apprentissage (jusqu’ici rendu difficile)
ait lieu sur cette personne donnée…
 
Mais même l’enseignant pédagogue a un savoir à transmettre ! Tandis
qu’en thérapie, le thérapeute n’a pas le savoir de la «  solution toute
faite » au problème du patient. Il n’est censé que créer un cadre propice à
l’apprentissage, et coconstruire le contenu du cadre avec le patient et à
partir de celui-ci. C’est bien le patient qui a la possibilité d’apprendre, de
découvrir en lui-même une connaissance dont il demeurera possesseur.

Son apprentissage est donc de s’approprier son propre


apprentissage ?

L’hypnose est une technique qui permet d’apprendre comment accéder à ses
propres ressources, à la prise en compte de ses propres besoins.
L’hypnose est une technique qui permet d’apprendre comment
accéder à ses propres ressources, à la prise en compte de ses propres
besoins.
En souffrance, sur la défensive, dans une modalité de « survie », on ne
peut apprendre. Ceux qui s’occupent d’enfants, par exemple, savent bien
qu’un enfant en souffrance n’explore plus le jeu, qui est sa principale
modalité d’apprentissage.
Apprendre nécessite un cadre fait de sécurité relationnelle, nécessaire à
la possibilité de « jouer », de tester, d’oser.

Pourquoi est-ce plus efficace d’apprendre cela en hypnose ?

Essayer de comprendre, ou essayer de simplifier quelque chose de


complexe s’adresse à notre intellect. Or, la pratique d’Erickson nous
apprend que le meilleur apprentissage, celui que l’on s’approprie, se fait
par l’expérience, pas par la connaissance.
Il ne suffit pas de savoir, il ne suffit pas de connaître la « vérité » ou la
« solution ». Il faut que la solution entre dans notre vie.
Étudiant en médecine, je me souviens avoir passé du temps à
apprendre des listes de symptômes servant à diagnostiquer telle ou telle
maladie. Mais il suffisait qu’en stage j’examine attentivement une
personne porteuse de ce diagnostic pour le retenir facilement, l’image, le
souvenir du patient, l’expérience de l’avoir examiné et d’avoir parlé avec
lui me revenant à chaque fois.
 
L’apprentissage éricksonien est un processus de subjectivation,
d’appropriation d’une expérience correctrice. On vit une expérience avec
son corps.
Pour accepter de vivre réellement une expérience correctrice, il faut
accepter de perdre un peu ses repères pour en trouver d’autres, perdre ses
savoirs habituels et ses certitudes douloureuses pour changer de cadre.
En ce sens, la confusion est un meilleur opérateur de découverte que
l’explication.

Donc il ne s’agit pas que d’apprendre mais d’intégrer


l’apprentissage, de nous situer face à cet apprentissage…

Il s’agit d’apprendre non pas sur le problème ou sur nous-même ou sur le


monde, car nous irions de nouveau vers des connaissances figées. Mais
plutôt d’apprendre sur notre façon d’aborder le monde, sur notre
changement, non pas du problème mais du lien au problème, à nous-même
et aux autres.
L’hypnose aide à s’approprier une connaissance, non à la manière d’un
étudiant qu’on gaverait comme une oie de savoir prémâché, mais plutôt
comme un étudiant intrigué par une idée soulevée en cours et qui lèverait
le doigt, montrant par là qu’il sort d’une passivité (parce qu’il ressent
qu’il y a un enjeu à acquérir cette connaissance) et montre qu’il veut
incorporer, emporter avec lui ce savoir.
En hypnose, le patient peut vivre une expérience surprenante,
intrigante. Il est obligé de s’y «  mouvoir  », de la manipuler pour lui
donner du sens, pour s’en approprier un sens.
De même en hypnose, le patient peut vivre une expérience
surprenante, intrigante. Il est obligé de s’y « mouvoir », de la manipuler
pour lui donner du sens, pour s’en approprier un sens.
Le thérapeute est celui qui déclenche ce processus, puis ne fait
qu’accompagner pour que la personne apprenne… en faisant
l’apprentissage.
Et même si la scène hypnotique nous donne l’impression que le
thérapeute suggère à un patient qui y réagit, c’est bien du patient que tout
dépend au final. Comme le dit Roustang : « Il (le thérapeute) le met en
demeure de le faire mais se sait dans l’incapacité radicale de le faire à sa
place. »
 
Car si le patient est un peu perdu au début du processus, à la fin il est
le mieux placé pour savoir ce qui va mieux, ce qui avance, ce qui est au
final vraiment utile. Le thérapeute lance des pistes, s’adapte, tente de
faire bouger les lignes et coconstruit avec le patient un cadre hypnotique
propice au changement. Il ne lui transmet pas de savoir, il l’aide à
accéder à sa propre connaissance et à l’intégrer.
Et même si la scène hypnotique nous donne l’impression que le
thérapeute suggère à un patient qui y réagit, c’est bien du patient que
tout dépend au final.

N’y a-t-il que la confusion ou le questionnement qui soit


un opérateur de mouvement et de changement en hypnose ?

Non, il y en a d’autres. Par exemple le principe d’analogie2. Nous


apprenons mieux par l’expérience, par l’image, la métaphore, bref par
l’analogie que par l’explication. Nous avons évoqué dans la partie 2
l’importance notamment des métaphores. Elles permettent un saisissement
plus immédiat de la connaissance, car elles sont plus « expérientielles ». Si
je dis « celui-ci, c’est un peu l’enfant qui criait “au loup !” », tout le monde
comprend, et bien mieux et bien plus vite que si je dis « celui-ci, à force de
mettre en alerte sans qu’il y ait vraiment danger, les personnes vont finir
par s’habituer à l’idée qu’il déclenche de fausses alertes et du coup, le jour
où le danger sera réel, plus personne ne le croira ».
L’hypnose laisse les analogies survenir et l’imaginaire travailler, non
pas pour y donner un sens prévu à l’avance (si un sens doit être donné,
ce sera par le patient ou en coconstruction avec lui, mais pas imposé
par le thérapeute) mais surtout pour que ces analogies soient le support
du changement.
L’hypnose laisse les analogies survenir et l’imaginaire travailler, non
pas pour y donner un sens prévu à l’avance (si un sens doit être donné, ce
sera par le patient ou en coconstruction avec lui, mais pas imposé par le
thérapeute) mais surtout pour que ces analogies soient le support du
changement. On demande à un patient de faire comme si son angoisse se
rassemblait en une seule partie du corps ou s’évaporait pour qu’il en soit
libéré, on aide le patient à comprendre que son émotion gênante vise à lui
apporter un message, à le guider vers un besoin…
Je me rappelle aussi avoir vu François Roustang, face à un patient qui
avait accompagné la formulation de son objectif (se calmer, s’apaiser)
d’un geste de la main, lui avoir demandé de refaire ce geste, de plus en
plus lentement, de plus en plus «  hypnotiquement  » pour «  entrer dans
son geste, devenir son geste  ». Finalement ce mouvement qui n’était
qu’une idée, peut être «  in-corporé  » par l’analogie du geste, du
mouvement qui fait vivre au patient sa propre ressource.
 
Les métaphores, mais aussi les suggestions, quand elles sont
thérapeutiques, le sont parce qu’elles sont le support des analogies, de
façon consciente ou non. Le patient se saisit de la suggestion pour y
mettre un vécu qui n’était pas toujours voulu par le thérapeute, pour y
mettre consciemment ou non un sens.
 
Je demande à un patient s’il peut ressentir de la chaleur dans l’une de
ses mains.
Selon son besoin, le voit-il comme un défi lancé et se met-il à ressentir
un meilleur contrôle de ses sensations  ? Perçoit-il plutôt une liberté à
pouvoir le faire ou plutôt une liberté à faire complètement autre chose ?
Perçoit-il un lâcher-prise dans le fait de le ressentir sans l’avoir décidé ?
Perçoit-il quelque chose de différent maintenant ou plus tard ? Y verra-t-
il une utilité consciemment ou parfaitement inconsciemment  ? La
suggestion n’est qu’une proposition qui ouvre à différents vécus
analogiques…
 
Au fond, le principe d’une suggestion est qu’une personne réponde (en
changeant son comportement, son état mental, ses représentations, ses
sensations), parfois inconsciemment ou involontairement, à une idée,
proposée souvent par une autre personne3 qui lui a évoqué par un geste
ou une phrase ou une allusion. Elle est un phénomène courant, ordinaire,
pas toujours contrôlable.
 
Au lieu de vouloir sortir la suggestion de la communication4, au lieu de
lutter contre la suggestion ou de la subir, l’hypnose reconnaît qu’il y a
une influence réciproque et tente de rendre ce phénomène le plus
thérapeutique, le plus pertinent, le moins aliénant et le plus écologique
(c’est-à-dire respectueux de l’environnement… du patient !) possible5. Ce
qui passe souvent par un langage analogique, ouvert et sensoriel.

Ressenti, inconscient, intention, point de vue

S’agit-il alors non seulement de ressentir mais aussi de faire quelque


chose de nos ressentis ?

Il s’agit de ressentir et de se réapproprier le ressenti. Le sens découlera de


cette meilleure réappropriation. En vérité nous ressentons d’abord. Nous
percevons un grand nombre d’informations d’abord de façon non
consciente, nous les traitons, et nous les percevons consciemment et leur
donnons du sens seulement après.
Il s’agit de ressentir et de se réapproprier le ressenti. Le sens
découlera de cette meilleure réappropriation.
Ainsi, contrairement à d’autres thérapies, l’hypnose n’agit pas par le
biais de la « métacognition » (par l’observation de nos propres pensées et
mouvements psychiques), mais par le biais du corps et du ressenti. La
pensée est incarnée, les souvenirs, les émotions sont perçus dans le corps,
et certaines approches intellectuelles nous l’auraient presque fait oublier.
La perception nous constitue également et fait partie de notre identité. En
d’autres termes, « je sais parce que je sens » (et même, pour paraphraser
Descartes, « je sens donc je sais que je suis »), et non pas « je sais parce
que c’est “je” qui “sait” ».
En somme, les informations sensorielles sont des «  intégrateurs
d’expérience » et la « matière première » de l’hypnose.
La peur ou la joie, par exemple, sont vécues dans le corps. L’hypnose
accepte cela, le prend tout à fait au sérieux, et voit le message du corps
comme le message lui-même et pas seulement comme le porteur d’un
autre message qui serait mental.
 
En somme, les informations sensorielles sont des «  intégrateurs
d’expérience » et la « matière première » de l’hypnose.

Alors quel est donc le rôle de l’inconscient ? Que signifie changer


inconsciemment ?

Comme nous l’avons dit, il y a lieu de remettre en cause la notion


d’« inconscient » en tant qu’entité. Il n’y a pas d’inconscient qui a une vie
autonome. Les chercheurs, que nous avons déjà cités dans le domaine de la
conscience, ont plutôt dans l’idée qu’on ne peut que constater qu’il y a des
« phénomènes non conscients ».
 
En vérité, l’inconscient décrit par Erickson (plein de ressources
rendues parfois inaccessibles par le problème, centré sur le corps et les
relations…) est une forme de «  métaphore utile  », mais pas une réalité
tangible et ontologique.
Il amène plus d’espoir au patient de leur dire (que cela transparaisse de
nos mots ou de nos attitudes) et de croire que «  vous avez en vous des
possibilités qui peuvent se manifester et sur lesquelles nous pouvons
travailler ensemble pour changer » que de leur dire et de croire dans un
discours plus classique « vous avez en vous des pulsions et des troubles
sous-jacents que nous allons explorer pour comprendre ».
Et même si la première proposition me semble, d’expérience, la plus
juste, ce n’est pas pour autant que l’on va dessiner une sorte d’entité
bienveillante et impalpable qui nous guide vers le droit chemin pour peu
qu’on la laisse faire6…
Si, donc, on définit l’inconscient comme l’ensemble des phénomènes
non conscients, tout simplement, alors nous découvrons qu’un grand
nombre de processus s’y trouvent en termes de perceptions, de réactions
et même de prises de décision7.
L’hypnose permet d’accéder et de moduler des fonctions
ordinairement inconscientes.
L’hypnose permet d’accéder et de moduler des fonctions ordinairement
inconscientes.
 
Prenons un exemple  : un patient vit un deuil, une tristesse, voire une
angoisse, des sensations physiques désagréables. De fait, il refuse cette
sensation désagréable, il tente de la contrôler, ou de chasser ces pensées
négatives, ce qui généralement aggrave la situation et augmente l’envie
de contrôle.
Ce refus initial peut être une manifestation automatique et logique de
l’inconscient. Chacun cherche à éviter la souffrance. Cependant, ce refus
devient déni ou tentative d’effacement («  je ne veux pas que cette
tristesse existe ») de ce qui est inévitable (la perte d’un être cher ne peut
se passer sans tristesse). Et plus on repousse cette tristesse et plus elle
augmente. Le patient est dépassé par ce qu’il ressent, qui le laisse
désarmé et désespéré.
 
L’hypnose lui propose d’observer sa sensation de tristesse, d’y accéder
physiquement. Indirectement, cela signifie accepter son existence. Que ce
soit dans une métaphore de cette tristesse que l’on peut transformer, que
ce soit dans une sensation que l’on peut accepter puis légèrement
changer ; dans tous les cas le patient, ayant accepté ce qui le traverse, le
regarde autrement, lui donne un sens nouveau, souvent sans même le
savoir. Il découvre, par exemple, que cette tristesse lui montre à quel
point cette relation était importante. Loin d’être uniquement source de
souffrance, cette tristesse se met à prendre un sens, à devenir précieuse
même, puisqu’elle lui rappelle aussi la beauté et la force de cette relation.
La tristesse de se quitter est liée à la joie de s’être connus, même si, dans
l’expérience hypnotique, le patient aura avant tout vécu une expérience
sensorielle, un geste différent ou un changement de couleur ou de
sensation…
 
Nous voyons bien ici également l’importance du corps et de
l’expérience. Le patient tentait de se raisonner, « avec la tête », alors que
son problème était corporel, émotionnel, expérientiel. Ce n’est pas le bon
outil  ! Là encore, le raisonnement peut nous servir à résoudre un
problème intellectuel8 mais pour un problème émotionnel, corporel, cela
revient à tenter d’enfoncer un clou avec un tournevis. Peu efficace,
potentiellement douloureux et frustrant.
Le fonctionnement par analogie (comme l’apprentissage de tous les
fondamentaux par le jeu chez l’enfant) permet d’accéder à cette sensation
plus brute, dans une autre forme de contrôle, d’acceptation de ce qui ne
peut changer, sans déni, pour changer ce qui peut l’être.
L’accès à l’inconscient permet de passer d’une situation figée à une
situation vivante et en action.
L’accès à l’inconscient permet de passer d’une situation figée à une
situation vivante et en action.

En changeant la façon d’aborder cette sensation douloureuse, elle


change ?

On peut le dire. De même que si vous observez un enfant qui pleure et


agace par ses cris, vous pouvez aussi regarder cet enfant comme en détresse
et ayant besoin d’aide.
Cela change sensiblement la capacité de supporter ces larmes, de
s’approcher de cet enfant qui pleure (donc d’accepter qu’il pleure) et de
le consoler.
 
Accepter ne veut pas dire se résigner. Ce n’est pas accepter le monde
tel qu’il est et ne rien y faire. Au contraire, la force de changer vient bien
du fait que l’on refuse la souffrance ou la situation actuelle. Mais le refus
ne doit pas se transformer en déni. Il s’agit d’accepter l’existence de ce
que l’on refuse, l’accepter pour l’accueillir et le mettre en perspective,
l’inclure pour pouvoir en faire quelque chose9 et, seulement alors, aller
vers ce que l’on voudrait à la place, au nom de la façon différente dont on
veut aborder la vie.
Il s’agit d’accepter l’existence de ce que l’on refuse, l’accepter pour
l’accueillir et le mettre en perspective, l’inclure pour pouvoir en faire
quelque chose et, seulement alors, aller vers ce que l’on voudrait à la
place.
Pour prendre une image, sous une pluie battante, nous sommes tentés
de marcher en plissant les yeux, en contractant les épaules. Et pourtant,
cette posture est inutile, ne nous empêchera pas d’être tout autant
mouillés, nous fera mal à force de se contracter, nous empêchera de tout
observer à force de plisser les yeux. Et si nous décidons d’accepter la
pluie, alors en nous détendant, nous la vivons, même désagréable, nos
yeux s’ouvrent, nous voyons mieux, et notre cou s’assouplit. Et c’est
finalement là que nous sommes mieux équipés pour tourner la tête et
percevoir un abri.

Mais alors nous produisons des pensées, des actes (de façon


automatique), nous vivons les événements et nous leur donnons
un sens après ?

En règle générale, nous ne pouvons changer ce qui nous arrive. Mais


nous pouvons changer ce que nous faisons avec ce qui nous arrive.
En règle générale, nous ne pouvons changer ce qui nous arrive. Mais nous
pouvons changer ce que nous faisons avec ce qui nous arrive.
 
Nous savons par exemple qu’une information perçue n’arrive à notre
conscience que plusieurs centaines de millisecondes après avoir été
perçue. Pourtant, le cerveau n’est pas inactif pendant tout ce temps  !
L’information est traitée de façon non consciente, certaines réactions
peuvent peut-être même avoir lieu immédiatement, et seulement après
nous les « réalisons » et leur donnons un sens, voire nous leur attribuons
une intention consciente.
Et, de façon plus générale, on dit que « l’agentivité est rétrospective »,
nous faisons quelque chose et nous en attribuons la paternité et
l’intention de façon décalée dans le temps (même si, subjectivement, cela
nous paraît simultané !)10.
 
Dans certaines études, par exemple, on fait défiler de façon très rapide,
subliminale, un certain nombre d’instructions sur un écran. La personne
n’a pas consciemment le temps d’avoir l’information, pourtant elle peut
la suivre… Si une des tâches proposées est de sortir de la pièce, la
personne se lève alors qu’elle n’a pas pris conscience de sa lecture.
Quand on lui demande pourquoi, elle a toujours une raison qui semble
relever de ses intentions (par exemple « je voulais aller aux toilettes »)…
 
Nous pourrions dire que notre inconscient produit un grand nombre de
phénomènes dont nous ne nous sentons pas les concepteurs directs.
Pensées spontanées, émotions, sensations échappent à notre volonté.
Même si nous les ressentons comme immédiates, nous les
«  intentionnalisons  » après leur production. De la même manière, nos
souvenirs, selon le moment et la façon dont nous nous en rappelons, dont
nous en parlons, n’ont pas tout à fait la même couleur émotionnelle. Tout
événement nous parvient dans une gangue d’interprétation, car nous
voulons y trouver un sens. En changeant l’angle de vue, nous
réinterprétons nos actes, nous « réintentionnalisons » une partie de notre
vécu spontané. C’est peut-être cela que nous appelons «  accéder à
l’inconscient ».
Nous pourrions dire que notre inconscient produit un grand nombre
de phénomènes dont nous ne nous sentons pas les concepteurs directs.

L’hypnose permet donc de changer surtout la façon dont nous


regardons ce qui se passe ?

Oui et le sens que nous attribuons change tout, jusqu’à notre motivation à
agir.
 
Par exemple un patient me dit un jour : « Si je continue comme ça à me
droguer, c’est que je dois être suicidaire11.  » Ces actes (se droguer) et
sensations (le manque, l’envie de consommer) produits apparemment
spontanément, hors de son contrôle, se voyaient attribuer une
« intention » a posteriori (c’est que je dois être suicidaire).
«  Mais que vouliez-vous au départ en vous droguant  ? Vous vouliez
mourir ? » demandai-je.
«  Non  ! Je voulais calmer ma douleur, vivre plus sereinement les
difficultés… » me répondit-il.
«  Donc finalement, vous vouliez vivre  ?… et même vivre mieux  ?…
donc pas mourir… »
Dans la séance d’hypnose, je lui demandai simplement s’il pouvait
entrer en contact avec la vie qui était en lui. Vouloir vivre étant reconnu
comme son intention véritable, il changea juste le moyen d’y accéder
pour se remettre en accord avec lui-même.
 
L’hypnose nous donne une chance, en entrant plus directement au
contact avec nos perceptions inconscientes et immédiates, de leur donner
une intention différente, la nôtre. L’étape préalable est donc cet état
hypnotique, qui nous met au contact de ce que nous ressentons, qui nous
ouvre ensuite à ce que nous imaginons et à ce « jeu » hypnotique, qui ne
semble pas toujours immédiatement concerner le problème, mais
finalement change notre rapport au monde.

Il s’agit donc aussi de ne pas être attentif aux mêmes choses ?

En premier lieu, oui. Le problème est souvent un arbre qui cache une forêt
(de compétences, de ressources, de capacités de changement).
Mais pensez-y, pour qu’un arbre cache une forêt, où faut-il se trouver ?
Évidemment le nez collé sur l’arbre (et peut-être au départ parce que
c’était le meilleur endroit où se cacher…). En s’en détachant, en s’en
dissociant en somme, même si cela nous «  découvre  », on peut voir le
reste…
 
Il ne s’agit pas seulement, comme ont pu le laisser penser certaines
dérives «  New Age  » de l’hypnose, de la décrire comme un accès à un
monde merveilleux uniquement fait de capacités formidables de tous et
de bonheur. Il s’agirait là d’une distorsion de l’hypnose qui mettrait au
contraire une forme de « pression à être heureux » qui plongerait au final
dans un sentiment d’échec et de culpabilité.
 
Au contraire, un praticien comme Erickson était optimiste, mais pas
idéaliste, il était très réaliste sur le fait que la perfection n’était pas
envisageable, que certaines difficultés devaient être avant tout acceptées
ou ne pouvaient être résolues… Il était convaincu en revanche que
chacun pouvait changer, avancer ou évoluer dans sa façon de voir la vie,
et était porteur de plus que ce qu’il perçoit en termes de capacités
d’apprentissage et de compétences, et que cela nécessitait souvent du
travail.
Donc il ne s’agit pas seulement de trouver des ressources, mais de
trouver des ressources utiles en situation, même si l’approche peut
paraître contre-intuitive. C’est-à-dire que «  la solution n’est pas dans le
problème », elle n’est pas non plus le contraire du problème, mais elle se
situe dans les ressources.
Un certain nombre de thérapies s’orientent vers l’exploration du
problème et de ses causes, ou vers sa résolution qui tente de faire
«  l’inverse  du problème  ». Or, la solution est avant tout dans les
capacités.
Un certain nombre de thérapies s’orientent vers l’exploration du
problème et de ses causes, ou vers sa résolution qui tente de faire
«  l’inverse  du problème  ». Or, la solution est avant tout dans les
capacités.
 
Une patiente vient me voir avec des difficultés importantes à gérer ses
émotions, sa concentration, dans le cadre d’études très difficiles. Nous
arrivons à l’idée qu’elle a eu des ressources par le passé qu’elle a
utilisées pour résoudre un grand nombre de difficultés, se lancer des
défis. «  Mais ce ne sont pas les ressources dont j’ai besoin pour ce
concours-là, celles dont j’ai besoin je ne les ai pas, c’est pour cela que je
vous reparle de mes difficultés et de mes crises d’angoisse… »
Je prends une feuille de papier et lui demande12  : «  Supposons que
cette surface représente tous vos potentiels, vos capacités, vos
ressources. Combien vous en reste-t-il  ?  » Elle prend la feuille et en
déchire un morceau d’environ 10  % de la surface, je pose ce petit
morceau et lui tends une autre feuille. «  Supposons que cette surface
représente tous vos potentiels, vos capacités, vos ressources. On n’est
jamais à 100  % mais dans vos bons moments, quand vous arriviez à
relever des défis, à surmonter des épreuves, à mieux vous épanouir, vous
en étiez où  ?  » Elle déchire la feuille et cette fois garde un morceau
d’environ 80 % que je pose à côté de l’autre.
Je désigne ces deux feuilles et lui demande  : «  Si vous deviez
demander de l’aide à l’une de ces deux personnes  ? À qui vous
adresseriez-vous ? »
La réponse est bien sûr évidente, l’aide se trouve dans les ressources…
 
«  Oui mais je ne sais pas comment utiliser ces capacités que j’ai
potentiellement [elle désigne les 80  %] pour ma situation actuelle [elle
désigne les 10 %]. » Notre objectif devenait donc un apprentissage visant
à faire revenir (par le vécu en séance) des capacités existantes et à ajuster
l’utilisation des capacités existantes à la situation… et non plus une
plainte, une difficulté, une recherche de méthode de travail ou un
impossible à résoudre.

Ce serait donc bien un changement de perception et pas de réalité ?

De façon générale quand une thérapie fonctionne, c’est par un effet de


changement de perspective. De façon intéressante, on peut décrire la
situation du patient en difficulté comme en « perception étroite ». Il a le nez
collé sur son problème, figé, immobile, ne pouvant observer le monde qu’à
travers le prisme de sa souffrance. L’hypnose, parfois en amenant son
attention sur des éléments qui n’ont en apparence rien à voir avec le
problème, lui permet d’avoir une « perception élargie » (que le thérapeute
François Roustang appelait « perceptude »), ce qui lui donne accès,
finalement, à plus de choix.
L’hypnose, parfois en amenant son attention sur des éléments qui
n’ont en apparence rien à voir avec le problème, lui permet d’avoir une
«  perception élargie  » (que le thérapeute François Roustang appelait
« perceptude »), ce qui lui donne accès, finalement, à plus de choix.
Un jour, le fils d’Erickson se blesse, ça saigne, comme beaucoup
d’enfants il panique. Son père lui dit alors : « Tu as mal, vraiment mal. Tu
as mal ici [en désignant la blessure], pas ici [à côté] ni ici [de l’autre
côté], exactement là ! » Ces exemples ne sont pas de l’hypnose au sens
formel mais en montrent bien la démarche expérientielle. La perception
étroite ne voit que la douleur. Et plus elle est refusée et plus on lutte, et
plus elle nous revient et occupe tout le champ de la conscience. En
permettant d’abord une acceptation, une inclusion de cette douleur (« tu
as mal exactement ici »), on peut introduire l’idée qu’il y a autre chose
que la douleur en lui (« pas ici, ni ici »), et dire à cet enfant qu’il n’est
pas que douleur. Une porte s’ouvre.
 
Souvent le problème n’est pas tant d’avoir un problème (ou d’avoir
traversé une épreuve) mais surtout de ne plus arriver à voir autre chose.
En passant par l’expérience, par le corps, par le ressenti et les ressources,
l’hypnose aide à changer.
Le registre de la perception étroite est essentiellement mental, de
rumination, d’obsession, de peur refusée qui devient panique, de tristesse
inacceptable qui devient déprime. Les sensations et les comportements
nous échappent. Ils ne sont plus que des réactions à la difficulté, et non
plus liés à des actions et des choix délibérés. Les relations
s’appauvrissent, semblent décevantes ou nous culpabilisent…
Le registre élargi en revanche est celui de l’imaginaire, du corps, des
relations et des actes qui ont un sens pour nous.
L’hypnose permet non pas tant de prendre conscience d’autres aspects
de la vie mais de les expérimenter. Expérimenter une ressource,
expérimenter un moment où l’on est associé à ses ressources.
 
En passant par le ressenti, l’hypnose nous met en relation plus directe
avec l’expérience (et non pas en relation indirecte par le biais de la
rumination, de la tentative de solution inefficace). Parallèlement elle nous
met en lien avec notre capacité à accepter ce qui ne peut changer, à
mobiliser des ressources pour faire face. Puis d’associer ces différents
aspects pour que le mouvement de la vie reprenne.
 
Une telle démarche est engageante et nécessite une relation sécurisante
pour quitter nos certitudes, nous permettre d’entrer en transe, d’accéder à
la multitude des sensations et perceptions qui nous situent dans
l’existence, pour augmenter notre liberté. «  La transe, qui laisse les
perceptions sans hiérarchie et sans ordre, réveille à la surface la
multitude des impressions qui n’ont jamais été traitées et qui dormaient,
en attente. » (F. Roustang.)

Mais alors est-ce être présent et accepter ou être dans l’imaginaire


et l’ailleurs ?

Les deux dimensions existent dans l’hypnose et sont aussi opposées


qu’interdépendantes.
Représentons-les dans le schéma suivant.

L’hypnose, sensorialité entre présence et imaginaire.

La base sur laquelle repose l’état hypnotique est une forme particulière
de sensorialité. Et ce qui se joue dans cet état oscille sans cesse entre une
forte qualité de présence (je suis là, simplement présent à ressentir tout ce
que je peux ressentir maintenant, c’est la notion de « perceptude » chère
à Roustang) et à l’autre bout du spectre une absorption dans l’imaginaire
(je suis ailleurs, plongé dans un souvenir ou un imaginaire qui n’a rien de
réel à ce moment-là mais devient ce qui est le plus directement accessible
à mon esprit pendant un temps).
Et il y a tous les intermédiaires et les mélanges. Par exemple : au lieu
de la refuser, je tente de percevoir les détails de ma douleur (présence,
acceptation) puis de la déplacer ou de l’évaporer (imaginaire). À
l’inverse, je suis plongé en hypnose dans un souvenir agréable
(imaginaire) qui me rappelle une compétence que j’ai, puis je tente de
ramener cette compétence sous la forme d’une sensation, et j’observe ce
que mon problème actuel advient quand j’ai présente en moi cette
sensation (présence au réel à nouveau).
 
Ajoutons que l’imaginaire transforme le présent en vertu du principe
d’analogie. Il y a neurologiquement quelque chose de commun entre faire
et imaginer faire. Quand on imagine, on a « presque fait » (et quand on
fait, on a aussi imaginé) et cela peut avoir des effets. Finalement,
l’imaginaire entre dans le réel.
À l’inverse, la présence est accessible par le biais de l’imaginaire (pour
être vraiment présent à moi-même, je suis souvent contraint de passer par
des images  : observer ma respiration, être attentif à ce qui bouge ou
change en moi-même,  etc. ou tout simplement «  être présent  », qui est
déjà une métaphore)13.
 
Notons que ce n’est pas là un imaginaire forcément fantastique ou fou
qui ne ferait que nous renvoyer à des impossibles (imaginer qu’on est
plus grand, plus beau, plus riche ou omnipotent peut mener à un
sentiment de déception au retour de transe…).
C’est plutôt un imaginaire prosaïque qui pourra conduire à une
meilleure adaptation. Il permet de sortir du réel figé, étroit, douloureux
en allant puiser dans les ressources, dans les possibles déjà présents,
masqués par les symptômes. Ce n’est pas une imagination qui imagine,
mais une imagination qui voit ce que, sans imagination, avec un regard
conformiste et habitué, il était impossible de voir. Mais, pour le voir, il
faut se laisser aller à toutes les images et aux substitutions qui émergent
quand l’induction, parfois la confusion, parfois la relation sécure, parfois
la différence, la multitude des perceptions, bref quand l’hypnose nous
permet d’arrêter de penser et réfléchir, pour enfin faire, être et ressentir.

Mouvement de dissociation-réassociation

Ici et ailleurs… présence et imaginaire… Est-ce qu’on touche


ici à la question de la dissociation ? Comment fonctionne-t-elle ?

C’est, me semble-t-il, un autre principe central du fonctionnement de


l’hypnose : la mobilisation du mécanisme naturel de dissociation et de
réassociation. On décrit de façon simple l’hypnose comme un état de
dissociation. Mais c’est inexact à plus d’un titre : il s’agit plutôt d’une
désassociation et le principe même de l’hypnose est plutôt de réassocier.
On décrit de façon simple l’hypnose comme un état de dissociation.
Mais c’est inexact à plus d’un titre  : il s’agit plutôt d’une
«  désassociation  » et le principe même de l’hypnose est plutôt de
réassocier.
Mais revenons au concept de base  : le mot «  dissociation  » exprime
l’idée du contraire d’une unité. On peut parfois le définir comme une
sensation contradictoire simultanée, ou comme une perte d’agentivité
(c’est-à-dire que je deviens spectateur de ce qui se passe au lieu d’acteur,
d’agent de mon acte, je me regarde faire sans avoir l’impression que c’est
totalement moi). Il peut arriver que l’on se sente très légèrement hors de
soi-même, dans un moins grand sentiment d’être associé à ce que l’on
vit, quand on fait une sieste, de la relaxation, qu’on « rêvasse », quand on
conduit en automatique… On peut être encore plus dissocié quand on
s’absorbe dans un tableau, un concert… Et cela peut aller jusqu’à des
phénomènes pathologiques quand un patient a l’impression de faire
quelque chose sans vraiment l’avoir voulu, de vivre un moment qui lui
échappe (crise de boulimie, TOC, conduite dissociative, etc.).
 
Mais le mot « dissociation » est inadapté à décrire pleinement ce qui se
joue dans ces moments, qu’ils soient «  quotidiens  » ou formellement
hypnotiques. Car dissociation laisse entendre que l’esprit est coupé en
deux, une partie par ici, une partie par-là. Mais ce qui se produit est plus
en réalité une désassociation14. Car il ne s’agit pas d’une scission, il ne
s’agit pas de deux morceaux… mais d’un peu plus que cela…
 
Supposons que nos fonctions psychiques, des plus simples aux plus
compliquées, des plus concrètes aux plus abstraites (les perceptions,
sensations, émotions, conscience, sentiments, choix, intentions, relations,
souvenirs, réflexes, comportements, mouvements…), qui forment au total
notre vie psychocorporelle, notre «  soi  », soient une structure très
complexe faite de briques de Lego15. Quand nous sommes associés, les
briques connectées fonctionnent ensemble, dans une forme de cohérence.
Quand nous sommes désassociés, certaines de ces briques se mettent à
fonctionner de façon indépendante  ; quand nous nous réassocions, ces
briques se réintègrent. Parfois au même endroit et dans la même
configuration. Parfois ailleurs, formant une nouvelle sculpture complexe.
C’est toujours nous, nous nous «  reconnaissons  », mais il y a du
changement.
 
Pour produire un mouvement simple, par exemple, je tends la main
pour boire un verre d’eau, se produisent de très nombreux phénomènes
associés entre eux  : le besoin de boire, la vue du verre, l’analyse de ce
qu’il faudrait faire, l’ordre moteur, la vérification que le geste produit
correspond à l’intention, le contact du verre qui donne d’autres
informations, boire, recevoir le signal correspondant dans la bouche, etc.
Il y en a des milliers  ! Eh bien, une désassociation (modérée), c’est la
possibilité de ne pas vivre tout cela comme entièrement relié, d’en faire
une partie de façon différente, de changer, de déplacer une des briques.
Par exemple je désassocie la volonté du mouvement et la
reconnaissance d’en être l’auteur : mon bras a semblé se lever « seul »,
du fait d’une suggestion hypnotique. C’est bien une part de moi qui en a
donné l’ordre, mais cette «  brique  » est désassociée du reste et  j’ai
l’impression que cela vient de l’extérieur, que cela se produit seul. Mais
je peux aussi associer d’autres briques : la sensation de boire de l’eau est
associée, par suggestion hypnotique, à un souvenir de réussite. À chaque
verre d’eau, une sensation positive m’envahit et m’encourage.
La dissociation est-elle utile au quotidien ?

Quand quelque chose survient, quand la vie avance, de nouvelles briques


cherchent à venir dans cet édifice. Pour intégrer de nouvelles briques, il faut
désassocier certaines briques de la sculpture pour faire entrer les nouvelles,
les intégrer.
 
Selon Rossi, psychologue et chercheur éricksonien16, nous passons par
des cycles, en journée, d’une heure et demie à deux heures. Pendant 90-
120 minutes environ, nous sommes en phase « haute », nous arrivons à
être présents, à nous concentrer, bref, nous sommes associés. Puis
pendant 10-20 minutes nous sommes en phase «  basse  », nous sommes
ailleurs, en repos, associations d’idées et pensées spontanées, bref,
désassociés.
 
Cet état désassociatif (bien que plus léger, plus spontané, moins stable,
souvent moins fort) est très proche de l’hypnose (qui reproduit cela de
façon plus intense et choisie). L’hypothèse est que cet état permet
d’intégrer le grand nombre d’éléments nouveaux auxquels la vie nous
soumet. Nous avons ce besoin ; soit régulier, soit parfois provoqué par les
événements quand « il y a beaucoup à intégrer ». Nous pouvons donc être
en transe en nous plongeant dans un tableau, un concert, un livre, une
activité prenante. Nous mettons notre cerveau disponible pour une
intégration, nous mettons aussi certaines fonctions de côté (ou en arrière)
pour en privilégier d’autres qui nous absorbent dans l’expérience. En
nous réassociant, nous en conservons quelque chose dans notre vie.
 
Ni de façon pathologique, ni thérapeutique, certains sont « très doués
pour la dissociation » et l’hypnose, par exemple les personnes qui ont une
grande imagination, une capacité d’ouverture d’esprit, de remise en
question, un intérêt pour des expériences nouvelles ou beaucoup de
créativité. Mais aussi tout simplement… les enfants  ! En effet, leurs
«  briques de Lego  » sont encore souples et flexibles, facilement
réarrangeables. Ils se désassocient facilement (par exemple ils croient
avec facilité aux contenus de l’imagination et entrent littéralement dans
le jeu, sans effort). En vérité c’est sûrement pour cela que l’on apprend
tant dans l’enfance, et que l’on apprend moins bien en grandissant…

Et dans l’hypnose ? Il s’agit aussi de se désassocier pour intégrer ?

Ainsi, entre autres, fonctionne l’hypnose. Elle met en jeu la dissociation et


la réassociation, elle opère une décomposition pour faire une recomposition
différente.
 
Avec les enfants, avec les personnes qui ont développé leur créativité,
avec certains types de personnalités, on vise nettement moins la
dissociation dans l’induction hypnotique puisqu’elle y est déjà
facilement. On entre immédiatement dans le jeu. Avec d’autres, c’est au
contraire très associé, les briques de Lego sont collées à la glu et il faut
apprendre l’hypnose, cela peut prendre un peu plus de temps (souvent
quelques minutes, parfois un peu plus…).
 
Le problème est en fait un élément non intégré  : un souvenir qui
revient sans cesse à la conscience, une idée angoissante que l’on repousse
sans cesse et qui s’impose, une façon de percevoir le monde qui nous le
rend difficile, une douleur qui gâche des domaines de la vie bien au-delà
de la perception physique, une culpabilité qui nous empêche d’être
présents à ce qui se passe…
Le but de l’hypnose n’est donc pas la dissociation, mais la
réassociation !
Un hypnothérapeute amène une désassociation, qui vise au final une
réorganisation, une intégration différente de ces briques de Lego. Nous
en sortons (quand c’est réussi) encore plus nous-mêmes, réassociés
dans une intégration de plus d’aspects de nous-mêmes.
Nous ne cessons alors de nous désassocier, sans arriver pour autant à
intégrer autrement, à rendre différent ce qui nous pose problème. Nous
sommes parfois coincés dans cette dissociation-problème. Le but de
l’hypnose n’est donc pas la dissociation17, mais la réassociation !
Un hypnothérapeute amène une désassociation, qui vise au final une
réorganisation, une intégration différente de ces briques de Lego. Nous
en sortons (quand c’est réussi) encore plus nous-mêmes, réassociés dans
une intégration de plus d’aspects de nous-mêmes.

Attendez, je ne comprends pas. La transe est un état agréable


pourtant, non ? Et dissociatif ! On est ici et là-bas, lourd et léger…
Là vous présentez des moments dissociatifs, mais désagréables !

La transe n’est ni positive ni négative. Cet état de désassociation est vécu


positivement quand il amène à nous plonger dans l’expérience puis nous
réassocier, à revenir à nous-mêmes. Il est désagréable voire pathologique
quand il est « coincé », quand il se répète ou se prolonge, quand il est
focalisé sur des éléments désagréables sans amener d’intégration et de
réassociation.

Mais qu’est-ce qui fait que l’état désassociatif va se réassocier ou


pas ?

C’est l’acceptation et la sécurité.


Si je me dissocie comme pour tous les cycles de la journée (c’est
fréquent après le repas de midi, mais arrive plus subtilement le reste du
temps…), je peux le percevoir comme insécure et le refuser (« arrête de
rêvasser, ce n’est pas le moment »), et dans ce cas-là je vais désorganiser
ce cycle et me sentir ailleurs et en lutte, parfois plusieurs heures, essayant
vainement de « revenir ».
Mais je peux aussi l’accueillir et l’accepter en faisant une «  vraie  »
pause, en me laissant le loisir de me reposer ou de rêver (ou de faire un
peu d’autohypnose). Et au bout de 10  minutes ou un quart d’heure, je
serai « reparti » efficacement pour le cycle suivant. Faire simplement une
pause régulière, proposer pendant cette pause de laisser venir ce qui
vient, sans lutter, peut s’avérer un conseil efficace dans un bon nombre
de cas.
Prenons d’autres exemples de la vie quotidienne :
Vous avez eu une journée difficile au travail. Vous repartez du bureau
dissocié, perdu dans votre rumination sur les événements. Dans la
voiture, vous conduisez en automatique pendant que votre esprit ressasse
cette affaire.
 
Hypothèse 1 : Vous refusez cette difficulté (choix légitime puisqu’elle
est désagréable !). Pendant le trajet vous vous dites : « Ça va passer, le
chef a dit que ce serait temporaire et il faut prendre sur soi.  » Par un
subtil effet ours blanc, l’anxiété augmente. Vous ne retrouvez pas de
sécurité, car vous ne vous sentez pas prêt à en parler à la maison
(«  Après tout ce n’est rien et il/elle ne pourrait pas comprendre  »). La
dissociation s’installe, elle se coince. Vous êtes ailleurs, vous vous
répétez en boucle : « Il faut que je tienne, ça va passer », vous ne jouez
plus avec vos enfants («  Bon, je suis fatigué là, je n’ai pas la tête à
ça…  »), tout vous énerve, vous dormez mal et le problème,
potentiellement, s’installe.
 
Hypothèse 2 : Vous acceptez la difficulté, son côté pesant, donc cette
dissociation. « Je suis fatigué, c’est dur en ce moment, et je n’ai qu’une
envie, c’est de prendre des vacances. » En arrivant chez vous, vous êtes
sécurisé par l’idée que vous pouvez faire quelque chose qui vous plaît et
vous aide à vous sentir mieux, ou que vous pouvez exprimer vos
difficultés auprès de la personne qui collabore alors avec vous. Ou bien,
sans même en parler en détail, vous dites : « Je suis bien fatigué, tu sais,
je pense qu’on devrait prendre quelques vacances en famille, ne serait-ce
qu’un week-end… » Ou bien vous savez que le lendemain vous pourrez
voir un bon collègue à qui vous confier, ou un ami à même de vous
changer les idées. Vous réassociez alors les diverses dimensions de la
vie  : ici la difficulté et la ressource qui vous en extrait. Il s’agit d’un
mouvement physiologique de dissociation et réassociation.
 
Notons bien que nier ou refuser l’angoisse est au départ logique
puisqu’elle est désagréable ! La lutte contre la dissociation (« Il faut que
je tienne, allez, concentre-toi, sois présent, arrête d’y penser  ») nous
coince en dissociation.
 
Je bois un verre avec un ami, je suis associé, je me sens présent et
agréable, dans le moment.
Il m’annonce être atteint d’un cancer. J’accuse le coup et me dissocie
en somme pour encaisser la nouvelle. Je rentre chez moi la tête ailleurs,
perturbé.
Refuser, consciemment ou non, est possible et peut se pérenniser.
(«  C’est dingue  ! Vraiment je n’en reviens pas…  ») La relation se
« désassocie » un peu de la personne. Tous les patients atteints de cancer
vous raconteront, c’est triste mais hélas fréquent, que certaines de leurs
connaissances se sont éloignées au moment de la maladie, celle-ci étant
trop dure à accepter pour eux.
Mais l’acceptation est possible  : «  Ça m’a vraiment fait quelque
chose  », le reconnaître, c’est s’ouvrir à l’envie d’agir. La personne en
parle alors à quelqu’un d’autre et elles l’appellent pour le revoir… C’est
une réassociation des relations, sur fond d’acceptation et resécurisation.

Et donc un certain nombre de problèmes de vos patients sont


des « dissociations coincées » ?

Oui, des dissociations coincées ou des associations gênantes.


 
Par exemple, la procrastination désassocie la nécessité de faire de la
volonté ; la dépression désassocie chez le patient les aspects positifs de la
vie, de l’attention portée ou de la satisfaction ; le traumatisme amène le
survivant à associer des bruits sourds aux souvenirs d’explosion et de
mort  ; le TOC pousse à associer une pensée obsédante à un rituel
répétitif  ; la phobie désassocie l’image d’une araignée du faible danger
réel et l’associe plutôt à une réaction d’évitement incontrôlée  ;
l’addiction désassocie le malaise physique, l’autodestruction et la
consommation pour plutôt l’associer à l’apaisement temporaire…
Un patient vient nous voir pour nous dire que quelque chose « cloche
dans la structure », des briques sont mal associées ou défectueuses. Et
il n’arrive pas à le résoudre en s’y attaquant directement. Nous passons
par un « chemin détourné » appelé « dissociation ».
Alors tout se mélange, les pensées sont répétitives et mortifères
(ruminations, dévalorisations, flash-backs), l’action que nous croyons
avoir n’est qu’une réaction, une tentative de fuite (addiction, TOC), voire
de lutte contre notre propre émotion, tentative qui ne soulage que
temporairement (puisqu’elle nous sort provisoirement de la passivité
mais sans permettre d’intégrer réellement)…
 
Un patient vient nous voir pour nous dire que quelque chose « cloche
dans la structure », des briques sont mal associées ou défectueuses. Et il
n’arrive pas à le résoudre en s’y attaquant directement. Nous passons par
un «  chemin détourné  » appelé «  dissociation  ». Nous l’aidons à
désassocier, parfois des fonctions annexes, parfois très indirectement
liées aux difficultés.
Puis en ayant laissé le patient plus facilement accéder à la capacité
de changer, nous laissons la construction se réassocier, un peu
différemment. Désapprendre est nécessaire pour apprendre.
Puis en ayant laissé le patient plus facilement accéder à la capacité de
changer, nous laissons la construction se réassocier, un peu différemment.
Désapprendre est nécessaire pour apprendre.

Ce sont toujours des briques très profondes ?

Pas toujours. Parfois c’est superficiel, ce sont des briques externes,


récentes. Parfois cela touche presque à l’identité profonde du patient.
Cela ne veut pas dire qu’il faudra forcément plus de temps, mais juste
« viser au bon endroit ».

Donc l’hypnose n’est pas du sommeil et le réveil n’est pas un réveil…

Nous pourrions dire plutôt que l’hypnose est un éveil à d’autres possibilités,
on réveille littéralement des capacités, que l’on s’en rende compte
consciemment ou pas.
Nous pourrions dire que l’hypnose est un éveil à d’autres
possibilités.
Prenons une autre image. Je m’aperçois que les livres de ma
bibliothèque ne sont pas bien ordonnés. Si un ouvrage n’est pas au bon
endroit, je vais le sortir, trouver l’étagère appropriée, écarter les livres et
le remettre à sa place. Mais si je m’aperçois que tout est mélangé, ou que
je ne m’y retrouve pas, je vais vider complètement les étagères et ensuite
«  re-ranger  » les livres dans un ordre adéquat. C’est toujours la même
bibliothèque, avec les mêmes livres, je la reconnais. Mais elle est dans
une autre version d’elle-même qui me convient mieux. J’ai l’impression
de la découvrir, je «  m’éveille  » à ce que cette nouvelle disposition
m’inspire ou me dit sur la personne qui l’a rangée ainsi…
Il faut donc accepter le désordre temporaire, le temps passé, le risque
de la nouveauté.
 
Et le réveil, effectivement, n’est pas un réveil, puisqu’on est éveillé,
mais est une réassociation.

Alors si on peut désassocier, il n’y a pas de risques qu’on « réassocie


n’importe comment » ?

Disons que si le remaniement est plus superficiel, le risque est moindre, et


si le remaniement est plus profond, il faut surtout que le patient soit en
sécurité relationnelle. C’est ce qui lui permettra de réassocier les briques du
puzzle de façon stable et sécure.
 
C’est dans ces cas-là, en cas de fragilité plus profonde qu’interviennent
les «  dangers  » dont certains parlent parfois  : induction profonde et
autoritaire, sans vraie réassociation et désassociations mal maîtrisées,
sécurité relationnelle absente18… La personne peut être déstabilisée.
Nous sommes des êtres de sens et de cohérence. Quand nous sommes en
sécurité relationnelle nous sommes moins sur la défensive et pouvons
prendre le temps de donner du sens à nos mouvements psychiques en
reconstruction. En insécurité nous faisons moins de choix et nous nous
construisons « en réaction ».
Certains ont un édifice intérieur solide et souple, résilient au sens
propre du terme. D’autres ont été fragilisés et ont besoin de sécurité pour
se solidifier plus que de déstabilisation gratuite…
 
Bien sûr, il faudrait affiner plus les connaissances, des études sont
nécessaires pour évaluer ces destabilisations. Il ne s’agit pas d’inquiéter
inutilement mais de souligner qu’un «  excellent sujet pour l’hypnose  »
peut l’être parce qu’il est un enfant, parce qu’il est imaginatif, créatif ou
le plus souvent motivé pour changer. Mais il peut parfois l’être parce
qu’il est dans une phase de fragilité, parfois pathologique, qui nécessite
de ne pas réduire l’hypnose au phénomène dissociatif, mais bien à ce qui
se passe après et d’avoir une vraie compétence dans la stratégie
thérapeutique hypnotique (qui est fondamentalement intégrative,
réassociative).
 
Ce n’est pas trop s’avancer surtout que de dire que la collaboration
thérapeutique et la sécurité relationnelle sont des facteurs de « risque de
succès » et de meilleur déroulement de l’hypnose. Se sentir à l’aise avec
la personne avec qui on fait l’expérience de l’hypnose.
Ce n’est pas trop s’avancer surtout que de dire que la collaboration
thérapeutique et la sécurité relationnelle sont des facteurs de « risque
de succès » et de meilleur déroulement de l’hypnose.
En somme on « réassocie n’importe comment » si on désassocie sans
sécurité, si on désassocie sans réassocier, si on pense que l’hypnose est
l’obtention de phénomènes et pas un remaniement intérieur, actif et
thérapeutique.

En somme l’hypnose thérapeutique permet de dissocier en sécurité


pour réassocier…

Exactement. La thérapie par l’hypnose commence par permettre cette


dissociation, sur un fond de sécurité (la relation de confiance est
essentielle), d’acceptation de ce qui se passe et de la perspective d’un
changement.
La thérapie par l’hypnose commence par permettre cette
dissociation, sur un fond de sécurité (la relation de confiance est
essentielle), d’acceptation de ce qui se passe et de la perspective d’un
changement.
Nous comprenons alors l’approche d’Erickson centrée sur les
ressources. Aller vers celles-ci, par le vécu, nous sécurise en nous offrant
de nouvelles perspectives, masquées par le problème. La thérapie ouvre
une porte, un cadre dans lequel ce mouvement est possible. La relation de
confiance va également d’Erickson vers son patient, car il est convaincu
que celui-ci a les ressources pour changer. La sécurité naît aussi face à un
thérapeute qui ne compte pas imposer la solution par sa suggestion dans
une relation autoritaire. Plutôt, le thérapeute sait que la solution peut
émerger du patient, et de sa façon de se saisir de la suggestion, dans une
relation de confiance réciproque.
 
Nous pouvons voir dissociés d’autres éléments de notre vie psychique
comme les perceptions et les comportements (manifestations d’angoisse,
évitement, rejet…) d’une part et les intentions (projets, envies de calme,
d’épanouissement de nos valeurs et capacités) d’autre part.
 
Nous avons donné l’exemple de la tristesse due à un deuil.
Redécrivons-le sous cet angle. Dans le cadre du refus et de l’insécurité
(«  Ce n’est pas possible, il ne peut pas mourir, je ne peux m’en
remettre  »), la disparition du mort laisse le patient tel un enfant sur un
vélo qui se retournerait et ne verrait plus son parent le suivre. Seule la
dimension de tristesse revient sans cesse, le patient se met à refuser cette
tristesse même. Il est triste d’être triste («  Je devrais m’en remettre, je
suis ridicule ») et se « coince » dans ce deuil. À l’inverse, accepter cette
dissociation (« Je suis triste, j’y pense souvent, c’est vraiment difficile »)
permet de voir plus loin. («  Je suis triste car je n’aurai plus cela avec
lui… je suis donc triste parce que j’avais une relation très proche avec
lui… »)
En l’acceptant, l’esprit peut se détourner de cette tristesse qui revenait
en boucle. Quand on s’occupe de quelque chose… on n’a plus à s’en
préoccuper !
On peut alors ressentir la tristesse et le reste  : ce qui reste de cette
relation, ce qui vient de lui et vit encore en soi. La tristesse de la perte est
corrélée, associée, à la joie de cette relation. La personne alors aura
réassocié les dimensions de l’existence au lieu de maintenir un blocage.
La résolution du deuil n’est pas de passer à autre chose, tourner la page,
oublier, mais bien au contraire d’arriver à se rappeler sans avoir à le
craindre, pouvoir se souvenir, en parler, peut-être même avec le sourire.
La vie est plus nuancée et complexe que monochrome.
 
Reprenons aussi l’exemple de certains patients consultant avec des
addictions.
C’est une dissociation souvent entre actions et intentions. La personne
voudrait être libre, se préserver, ne pas faire le geste (fumer, boire, jouer),
mais le fait et le refait de façon automatique, quasiment non reconnue :
« C’est [l’action] plus fort que moi [l’intention] ! »
Tout se désassocie. Le corps est dissocié de la tête (la personne ne se
rend plus compte des effets négatifs du produit), les intentions des autres
sont détachées du ressenti qu’elles suscitent (par exemple, tout
l’entourage ou le milieu médical tente bienveillamment de montrer au
patient ses problèmes, alors que le symptôme fait dire au patient qu’il
aime ça, que ça le détend, qu’il en a besoin  ; à l’inverse les dealers ou
amis «  de défonce  », ou camarades qui «  sortent avec moi pour fumer
ensemble  » sont vus comme des soutiens alors qu’ils participent à
l’aggravation de la difficulté).
L’hypnose, alors, va accompagner cette dissociation, par exemple faire
ressentir au patient ce qui se passe dans ses sensations douloureuses liées
au manque et en même temps le mettre en contact avec une expérience
différente, bref vivre une expérience multiple et dissociative qui va
permettre de réintégrer à leur juste place tous ces éléments.
C’est ainsi qu’un patient qui avait «  peur du manque  » de tabac (les
briques «  peur  » et «  manque  » semblaient être associées  !) termina la
séance en se rendant compte que le manque était difficile physiquement
mais aussi que le manque était présent uniquement dans les moments
d’arrêt ! On n’est pas en manque quand on fume, quand on est dépendant.
Il me dit donc qu’il accueillerait le manque comme une difficulté
physique mais associée à la joie d’être sur la bonne voie.
 
À l’inverse dans une dépression, par exemple, c’est l’intention qui ne
se retrouve jamais dans les actes et les faits  : la personne aimerait un
monde plus juste et moins triste mais se trouve toujours déçue de ce qui
se passe, finit par avoir son attention accaparée par la tristesse ou le
sentiment d’échec…
 
Un dernier et plus «  grave  » exemple, souvent lié à la notion de
« dissociation » : le psychotraumatisme.
Si un événement difficile « banal » arrive, sous l’effet du choc, parfois
nous nous « dissocions » (vous sursautez en arrière parce qu’une voiture
arrivant à toute vitesse a failli vous écraser). Mais si l’urgence s’arrête,
nous retrouvons de la sécurité et nos esprits, et nous pouvons accepter ce
qui s’est passé, et en « faire quelque chose » (une histoire à raconter, une
leçon à retenir, un souvenir…).
 
En revanche, dans un traumatisme, un événement terrible arrive, vécu
en dissociation (on parle même de « sidération ») de façon logique car il
est trop «  fort  » pour être intégré sereinement. La dissociation est une
capacité, et ici elle est fondamentale pour nous protéger de l’horreur ou
du choc pendant qu’il se produit. On se dissocie de son corps présent car
ce qui lui arrive est trop difficile.
Il n’y a par la suite pas de retour immédiat à la sécurité (le
traumatisme dure plus qu’un « sursaut ») et ce mauvais souvenir est de
façon logique refusé car insupportable.
 
La dissociation se « coince » donc, et se répète régulièrement. Une part
de nous tente d’intégrer cet événement (car il est « inévitable »). Une part
tente de ne surtout pas l’intégrer (car il est «  insupportable  »). Il se
présente de façon inappropriée sous forme de flash-back ou de
cauchemars (des tentatives d’intégrations qui échouent) et envahit la vie.
À chaque élément qui rappelle même indirectement le souvenir, ou au
détour d’un moment vide, le traumatisme, ainsi que des réactions
perceptives ou comportementales, revient automatiquement à l’esprit et
la personne semble à nouveau « dissociée », ailleurs, absorbée dans cette
difficulté. En fait, le mécanisme qui nous a dissociés pour nous protéger
devient le problème lui-même.
 
Quand un traumatisme est gênant, c’est donc parfois parce qu’une
partie des briques qui le constituent est à l’extérieur, en difficulté
d’intégration par refus et insécurité (« Arrête de penser à ça, ce n’est pas
le moment que ça revienne… »), ou au mauvais endroit (dans les signaux
d’alertes perpétuels, par exemple). La peur du contact physique ou du
bruit sourd est au même rayon que la peur du vide, de la mort, de la
douleur… au lieu d’être dans le rayon des mauvais souvenirs. Ou encore,
une autre partie du trauma s’est peut-être placée, à la longue, au cœur de
la sculpture, faisant reposer une partie de l’édifice dessus. Le patient se
met alors à penser que sa vie est fondée en partie là-dessus  : «  Je suis
ainsi parce qu’il m’est arrivé cela19  », ou à l’associer à des humeurs
négatives ou dépressives.
Un patient n’est pas malade de son passé, mais malade de son
souvenir.
Et il n’y a pas de fatalité, il n’y a pas de maladie liée au passé. Un
patient n’est pas malade de son passé, mais malade de son souvenir.
Celui-ci lui revient en boucle inopinément, devient comme une part de ce
qui le constitue ou détermine ses actes, brouille ses intentions véritables
et ses relations. Le problème n’est plus tant ce qui lui est arrivé que la
façon dont ce qui lui est arrivé l’envahit et le dissocie de lui-même (de ce
qu’il veut être) au présent, la façon dont ce souvenir se place de façon
inadéquate dans sa structure de Lego, qui se désassocie et se réassocie
sans cesse et sans succès…
Au lieu de se battre contre la dissociation, l’hypnose l’accompagne,
l’accentue même parfois, pour permettre de réorganiser l’édifice
intérieur. L’hypnose permet une sortie de cette dissociation, en
s’appuyant sur les mêmes mécanismes qui ont mené au trouble, mais en
proposant une ouverture.
L’hypnose permet alors de réorganiser cette dissociation, c’est sa
grande force et sa grande originalité. Au lieu de se battre contre la
dissociation, l’hypnose l’accompagne, l’accentue même parfois, pour
permettre de réorganiser l’édifice intérieur. L’hypnose permet une sortie
de cette dissociation, en s’appuyant sur les mêmes mécanismes qui ont
mené au trouble, mais en proposant une ouverture.
Ce qui était un traumatisme (un souvenir laissant une empreinte
négative et récurrente, cherchant répétitivement à s’intégrer sans y
arriver) devient alors, cette fois-ci, un véritable souvenir. Un mauvais
souvenir bien sûr, mais un souvenir, qui, comme tous les autres, n’est pas
présent à la conscience si on ne lui demande pas, que l’on peut mettre à
une autre place, et qui peut s’étioler avec le temps, et qui n’est qu’une
histoire parmi d’autres, c’est-à-dire un élément qui est parfois utile, ou
pas, mais qui n’est pas à lui seul déterminant de tout pour la personne.
Il m’arrive souvent de dire que, ne pouvant effacer le passé (les
attentats du 13  novembre se sont, hélas, bien réellement produits, par
exemple), le but d’une thérapie pour le traumatisme est bien de
transformer un trauma en souvenir.
Cette souffrance est réelle, intense et ne peut être niée mais, en la
plaçant ailleurs que dans ce qui constitue, on s’aperçoit qu’elle ne
fonde pas une identité, et l’on peut vivre.
J’ai en mémoire cet entretien de François Roustang avec une patiente
ayant vécu un lourd traumatisme sexuel. Et alors qu’elle lui racontait
cette immense détresse, il la regarda intensément et lui dit  :
« Mademoiselle… c’est quelque chose qui vous est arrivé… Cela ne vous
constitue pas. » Cette phrase ne fait peut-être pas à elle seule la thérapie
mais en résume l’état d’esprit. Cette souffrance est réelle, intense et ne
peut être niée mais, en la plaçant ailleurs que dans ce qui constitue, on
s’aperçoit qu’elle ne fonde pas une identité, et l’on peut vivre.

La dissociation lors d’un problème prend toute notre énergie…

Les « phases hautes » dont nous parlions sont les phases associatives, où
l’on est présent et ce maintien des briques ensemble est, de façon logique,
énergivore.
Mais les tentatives de réassociation, qui n’aboutissent pas, nous
épuisent encore plus (à l’image de votre téléphone qui se décharge plus
vite quand il « cherche le réseau » que lorsqu’il capte bien…)
 
Et surtout, quand un problème survient, et quand il dure et se
chronicise, ce n’est pas qu’une brique de Lego, mais en fait souvent
plusieurs qui sont en dehors de l’édifice principal, désassociées de lui…
mais reliées entre elles.
Les «  briques problèmes  » ont une certaine cohérence entre elles qui
leur permet de s’associer. Par exemple, un patient a très peur de
l’abandon. Il y a là sûrement des briques souvenirs, émotions,
comportement, volonté, sentiments, automatismes, valeurs, opinions,
sensations, etc. qui sont reliées par cette ligne commune.
De même un patient qui fait des crises de boulimie (qu’il semble vivre
de façon automatique, pulsionnelle, incontrôlable, en transe) a, là aussi,
des peurs, des envies, des pulsions, des troubles de mémoire et de
jugement, des rationalisations,  etc. De même pour la dépression qui
comporte des idées, des phénomènes psychiques, moteurs, cognitifs, ou
pour le traumatisme dont nous avons parlé, etc.
Et ce « sous-édifice problème », en se « sous-associant », et en tentant
de s’imposer, de s’intégrer, prend de l’énergie, occupe l’esprit, empêche
les patients de penser, de se concentrer, d’être connectés avec les autres,
avec les intentions et les valeurs, bref, d’être eux-mêmes.
 
Il semble que le problème est à la fois en eux, lié à eux, mais n’est pas
eux (et c’est important qu’ils le sachent). Le travail de l’hypnose, même
s’il passe par la dissociation, est un travail de reconnexion différente de
cette partie, en passant par leurs ressources, leurs sensations, leurs
émotions, leurs intentions ou leurs valeurs, pour intégrer plus
harmonieusement les diverses parties de ce qu’ils veulent être et devenir.
 
En ce sens-là, pour ce genre de difficultés dissociatives, l’hypnose vise
en quelque sorte à déshypnotiser.

La dissociation en hypnose est donc une étape vers la réassociation


hors de l’hypnose.
Le but fondamental de l’hypnose est la réassociation.
Une pratique purement dissociante ne fait que nous rendre spectateur de ce
qui se passe en nous. Le but fondamental de l’hypnose est la réassociation.
Remettre en mouvement ensemble notre identité, nos relations, nos
souvenirs, nos intentions, nos ressources…
 
Mais il est dur de se laisser aller à être, s’associer, sans passer par la
dissociation. La dissociation est une compétence fondamentale. Lâcher
ces certitudes implique de les accepter, de les regarder (donc ne plus être
dedans, s’en désassocier) puis de changer de point de vue et laisser être
ce qui est. Prêter attention à la sensation arrête l’action, le faire, pour
nous permettre d’être.
Au final, le but de cette réassociation, dans un cadre thérapeutique,
est donc l’intégration.
Au final, le but de cette réassociation, dans un cadre thérapeutique, est
donc l’intégration.

Mais alors il est faux de dire que l’hypnose dissocie ?

Il est plus juste de dire qu’elle utilise la dissociation !


Et même si certains parlent d’hypnose « associée » pour parler d’une
hypnose où l’on reste en contrôle, en réalité une forme de dissociation a
quasiment toujours lieu, ne serait-ce que par notre observation de nous-
mêmes («  je  » observe «  moi  ») ou notre sensation de contrôler des
habituels automatismes.
Parfois l’hypnose nous semble aussi associée quand la présence à soi-
même est maximale, quand «  je  » n’existe plus, se fond dans la
perception, état quasi-méditatif…
 
En tout cas, si elle n’est donc pas forcément associée dans sa forme, en
revanche une séance d’hypnose thérapeutique est toujours associante
dans son objectif !
 
Différencions cependant les cas :
 
—  Celui d’une douleur, par exemple procédurale (lors d’un soin
douloureux, d’une anesthésie), où le praticien se retrouve en face d’une
personne associée et va créer une dissociation, comme dissocier les
sensations d’une partie du corps –  opérée  – de celles des autres, ou
dissocier la conscience en lui permettant d’être «  un peu ailleurs  »
pendant qu’on l’opère, ou encore en désassociant la sensation de
l’interprétation de la douleur –  perçue habituellement comme signe de
danger, ou en transformant la sensation de douleur en picotements…
 
On révèle cette capacité (d’apaisement, d’analgésie) par la
dissociation. Ces «  briques  » sont plutôt en surface20 et temporairement
désassociées. Le thérapeute va maintenir cette dissociation par ses
suggestions hypnotiques, et aider le patient à la maintenir, le temps du
soin. Ici on crée presque de la «  pathologie  temporaire  » (insensibilité
d’une zone, dissociation de la conscience…), et à la fin on réassocie la
personne, toujours en réunissant les conditions de sécurité et
d’acceptation (par exemple, acceptation par la validation de l’expérience
vécue et par la sécurité de la relation avec le médecin)21.
 
—  Il en va différemment dans une difficulté suraiguë qui dissocie
brutalement et très fortement la personne. Il s’agira alors de resécuriser
pour réassocier. Une personne venant de vivre une agression, par
exemple, aura d’abord besoin de ressentir le retour à la sécurité et à la
protection pour sortir mieux de sa sidération initiale.
 
—  Dans un phénomène plus chronique (douleur chronique, difficulté
psychologique…) où l’hypnose va faire appel à la désassociation
récurrente que vit le patient, mais au lieu de lutter contre (ce que le
patient fait déjà, sans succès  !), elle va l’accompagner (parfois
l’accentuer) pour aider une réorganisation, une intégration différente et
finalement la réassociation. Ou plus précisément le retour à un
mouvement naturel de dissociation-réassociation qui est le mouvement
de la vie.
 
Par exemple un patient vient me voir avec une émotion difficile, vécue
comme  une sensation physique automatique, dissociée de son contrôle,
entraînant des pensées et des comportements gênants. Je lui propose alors
de ne pas lutter contre frontalement (acceptation), de la laisser exister,
mais de l’associer à une image. Puis de modifier volontairement cette
image (sécurisation, reprise de contrôle, approche indirecte). L’émotion,
bizarrement, se calme… Le patient emporte avec lui cette expérience et
commence à faire dans la «  vraie vie  » des expériences de reprise de
contrôle de son existence.
Même sans connaître les mécanismes complexes de la thérapie, on
sent bien que l’on joue sur des mouvements de changements de
dissociation et de réassociation.
Même sans connaître les mécanismes complexes de la thérapie, on sent
bien que l’on joue sur des mouvements de changements de dissociation et
de réassociation.
L’hypnose est, là encore, un révélateur de capacités permises par (et
par le biais de) la dissociation.
En résumé, la dissociation est une capacité extraordinaire de l’esprit
humain, qui vise l’intégration. Parce qu’on se dissocie, on perçoit, à
certains moments, séparément, toutes les (ou du moins d’autres)
dimensions de l’existence. On révèle «  l’autre partie  », celle des
possibles, des intentions, capacités du corps et autres ressources, rendues
inaccessibles ou invisibles par les difficultés. Alors on peut intégrer,
mettre en avant ou en retrait, agencer différemment les éléments.
L’hypnose est, là encore, un révélateur de capacités permises par (et par
le biais de) la dissociation. Accédant à ces capacités, je peux les mettre
en lien dans l’ensemble, et donc me réassocier, dans ces conditions de
sécurité et d’acceptation. Car le but n’est pas «  d’aller bien  » ni de
trouver le bonheur. L’idée n’est pas tant de trouver des ressources que
d’associer les ressources, les problèmes, les intentions, les actes, les
valeurs, les relations et autres, pour leur donner une direction. Le but de
la manœuvre est que les diverses dimensions de l’existence soient
associées les unes aux autres, ce qui donne espoir, résilience, sens et
cohérence à la vie.
Le but de la manœuvre est que les diverses dimensions de l’existence
soient associées les unes aux autres, ce qui donne espoir, résilience,
sens et cohérence à la vie.
Pour résumer le mécanisme comme en une formule mathématique :
Dissociation + Refus + Insécurité = Dissociation coincée (répétitive).
Dissociation + Acceptation + Sécurité = Intégration et Réassociation.
 
D + R + I = DC
D + A + S = I→R

Profondeur et typologie de transe

Se dissocier, se réassocier, trouver des ressources et compétences,


réorganiser notre vie psychique… décidément, il ne s’agit
pas de dormir !

De ce point de vue, le même nom servant d’étymologie pour les


phénomènes observables en hypnothérapie et les médicaments induisant le
sommeil appelés « hypnotiques » est une assimilation sémantique bien peu
pertinente…
Il est vrai que les effets analgésiques, le besoin de nombreux patients
de se détendre (alors que l’hypnose peut bien d’autres choses) et la
ressemblance de la transe profonde avec le sommeil expliquent ce
« télescopage linguistique » bien malheureux.

Donc il y a bien une « transe profonde » ?

C’est ainsi qu’on nomme les transes vécues de façon plus intense.
La profondeur est une métaphore et c’est très marqué culturellement.
La transe a tout de même des façons de s’exprimer préférentiellement.
 
L’observation clinique me fait dire qu’il y a différentes formes qui
peuvent chacune s’approfondir. Je pense qu’il est toujours question
d’hypnose, que ce ne sont pas des hypnoses différentes ou des niveaux
toujours identifiables. Mais on observe des ressentis, qui laissent penser à
des phénomènes différents, qui pourront être utilisés selon les besoins.
Cette description phénoménologique n’a donc pas valeur de vérité et
n’engage que son auteur et ses observations cliniques…
 
Retenons pour cela le sigle « ADSL ».
 
Attention
Dissociation
Somnambulisme
Léthargie.
 
Souvent une séance d’hypnose se déroule selon le schéma suivant :

Une séance commence volontiers par un exercice d’attention. Pour se


focaliser sur ce qui se passe au présent, on demande au patient de porter
son attention sur sa sensorialité par exemple, ce qu’il perçoit ici et
maintenant, la façon dont il est assis ou dont il respire. On se dirige vers
une forme de transe  : ce moment où l’on est attentif mais sans pour
autant être dans une tension.
 
«  Prêtez tranquillement attention à votre respiration, à l’inspiration
quand l’air entre en vous, à l’expiration quand il en sort, et à cette petite
pause qui se trouve à la fin de l’expiration, ce petit moment, régulier où
il ne se passe rien… »
 
C’est ensuite généralement que survient la dissociation. Le patient est
invité progressivement à entrer en contact avec une sensation subjective
et différente («  Peut-être ressentez-vous un de vos bras devenir plus
léger… ») ou un mouvement automatique (« Vous ressentez vos épaules
s’affaisser de plus en plus et votre bras se maintenir à l’équilibre… ») ou
une image (« Et alors que vous êtes sur ce fauteuil, une partie de votre
esprit peut vous emmener sur une plage et ressentir sur votre peau la
chaleur du soleil… ») ou bien désassocier subtilement certaines « briques
de Lego  » pour les associer différemment dans une métaphore («  Vous
pouvez ressentir qu’à chaque expiration vous descendez une marche
d’escalier… et en bas de cet escalier il y a une porte… votre main tourne
la poignée…  ») et l’on peut éventuellement voir la main du patient
bouger, mimant le mouvement. Il y a bien là dissociation : une part de lui
est ici, une autre est ailleurs, en train d’ouvrir la porte, cette porte ailleurs
agissant sur sa main « réelle » qui est toujours dans la pièce…)
 
Et puis, si nous continuons des manœuvres d’approfondissement, nous
entrons dans ce qui a été décrit par Erickson comme les deux types
essentiels d’hypnose profonde. Les niveaux précédemment décrits sont
les plus usuels et suffisent dans une majorité de cas.
La transe dite «  somnambulique  » serait comme une absorption
« totale » dans la transe, comme si le patient n’était pas « un peu ici et
un peu là-bas » mais « totalement là-bas ».
Parfois nous cherchons à atteindre, ou atteignons sans même l’avoir
cherchée, une forme somnambulique ou léthargique.
 
La transe dite somnambulique serait comme une absorption « totale »
dans la transe, comme si le patient n’était pas « un peu ici et un peu là-
bas  » mais «  totalement là-bas  ». Il est en fait «  totalement dissocié de
son corps d’ici  » et «  totalement associé à son corps de là-bas  ».
Concrètement c’est une forme de transe dans laquelle la personne peut
être les yeux ouverts, alerte, avoir une conversation, mais est totalement
dans l’hypnose, peut suivre des suggestions, être très consciente de ce
qu’on lui dit, et sembler vivre pleinement ce qui se joue en transe,
souvent le regard fixe et avec un langage plus littéral. Il n’est pas exclu
qu’elle soit parfois dans cet état avant même que la séance officielle
commence (ce que les thérapeutes ne repèrent pas toujours) ! Et il n’est
pas exclu qu’elle ne perçoive pas avoir été en transe puisqu’elle a eu
l’impression de se comporter de façon alerte.
La transe dite «  léthargique  » ou stuporeuse est une transe où l’on
constate un fort relâchement musculaire avec parfois un affaissement
sur soi-même.
La transe dite léthargique ou stuporeuse est une transe où l’on
constate un fort relâchement musculaire avec parfois un affaissement sur
soi-même. La relaxation est profonde, l’anesthésie fréquente. Le patient
nous entend d’assez loin et ne répond pas forcément de façon visible aux
suggestions.
 
Je redis ici qu’entrer en hypnose dite «  profonde  » n’a rien de
nécessaire pour qu’un changement survienne et ne doit pas forcément
être recherchée comme un but ni même comme un préalable  ! Disons
également que, sans aucun approfondissement et parfois sans s’en rendre
compte, le patient entre «  directement  » dans une de ces transes
profondes… Qui ne sont peut-être donc pas plus profondes ni forcément
progressives, mais simplement différentes.
 
Pour être plus juste, il me semble que chacun de ces quatre modes peut
être plus ou moins profond, et que le schéma pourrait être :
—  Nous nous servons de l’attention pour ensuite dissocier mais la
dimension de l’attention, à elle seule, possède une sorte de palette de
nuances progressives, qui vont de la simple focalisation consciente sur
quelque chose (« Observez vos mains »), jusqu’à la mindfulness, c’est-à-
dire, non pas comme on le traduit assez mal « pleine conscience », mais
bien une «  pleine attention  », c’est-à-dire une pleine présence à tout ce
qui est. Transe d’une nature particulière, que connaissent par exemple les
méditants ou bien les disciples de Roustang en hypnose, qui consiste à
« être pleinement là » en somme.
 
— La dissociation peut être légère dans des expériences du quotidien :
on «  décroche  », on conduit de façon automatique, mais peut aller
beaucoup plus loin en hypnose avec une dissociation «  complète  »  : je
suis totalement ici et je ressens les sensations de là-bas, je sais que c’est
telle partie de mon corps et je ressens qu’on la touche, qu’on l’opère,
mais je ne pense plus pouvoir la bouger et je ne ressens pas la douleur de
ce soin, ou encore je ressens lourdeur et légèreté, mouvement et
involontarité…
 
—  La transe somnambulique (forme, disons, aboutie de la
dissociation puisqu’il s’agit d’une absorption dans cette réalité
alternative) peut arriver spontanément, par exemple quand l’on nous dit
une phrase suffisamment significative pour changer totalement notre
perspective. Parfois, sans toujours le vouloir, et dans tout type de
thérapie, le thérapeute prononce une phrase «  clé  » et on voit alors le
patient, toujours les yeux ouverts, être instantanément dans une nouvelle
réalité. « Ah, je n’avais pas vu les choses comme ça, mais maintenant que
vous le dites…  » Il se projette, se vit déjà dans une scène alternative et
ressent, là, comme si c’était présent, une nouvelle perception. C’est une
forme légère et fragile du phénomène.
La forme que l’on trouve en séance plus formelle va être celle d’un
patient qui poursuit son vécu hypnotique avec les yeux ouverts et semble
«  halluciner  » son vécu, décrivant son expérience et pouvant échanger,
répondant aux suggestions.
À l’exemple de ce patient que soigna un de mes collègues, qui suggéra
qu’ils étaient dans une galerie d’art. Thérapeute et patient se levèrent
alors, et, marchant dans la pièce, devant les murs (pourtant peints en
blanc)  ; le patient se mit à décrire ce qu’il voyait sur des tableaux
significatifs accrochés là…
 
—  Enfin la transe léthargique peut aller de formes légères de
relaxation musculaire22 jusqu’à un état qui semble entre la veille et le
sommeil profond, avec un relâchement musculaire très intense, une
sensation de distance avec les perceptions extérieures (par exemple le
patient entend de très loin nos suggestions et peut ne pas y répondre, du
moins pas de façon visible, c’est après la séance, généralement après un
«  retour de transe  » qui lui prendra un certain temps, qu’il pourra
éventuellement nous informer de son vécu).
 
Évidemment, les hypnotiseurs de spectacle et les praticiens de
l’hypnose autoritaire usent et abusent de ces deux dernières formes de
transes. C’est le moment où l’on peut voir des personnes «  comme
éveillées » mais qui continuent pourtant à jouer le jeu du spectacle ; ou
bien ces moments où l’hypnotiseur provoque un grand relâchement pour
faire «  tomber en avant  » (ou en arrière ou dans ses bras…) le sujet
hypnotisé.
Il y a bien sûr des utilisations thérapeutiques de ces phénomènes,
d’autant que certaines personnes, dans certains contextes relationnels,
entrent plus aisément dans ce type de transe.
Notons cependant que, dans le monde de l’hypnose, l’on s’est mis à
appeler « transe » tout ce qui n’est pas de la veille ordinaire. Mais c’est
très possiblement une approximation car, bien que les manœuvres
techniques pour les obtenir soient ressemblantes, les vécus sont malgré
tout différents et les phénomènes cérébraux également sans aucun doute.
La « phénoménologie » de la transe ou plutôt « des transes » est une piste
de recherche largement ouverte.
 
L’essentiel en thérapie reste bien sur pas uniquement le phénomène
mais l’usage que l’on en fera, dans une relation particulière, centrée sur
les objectifs thérapeutiques et l’autonomisation de la personne et
(contrairement à l’hypnose autoritaire) pas sur les envies du praticien.

Relation, sécurité, changement

Une relation centrée sur le patient et pas sur le praticien, c’est


l’aspect éthique, dont nous avons parlé. Mais qu’est-ce qui fait,
en termes de relations, que l’hypnose aide à changer ?

L’hypnose marche parce qu’elle construit l’autonomie dans le cadre


et sur la base d’une relation.
Dans la société dans laquelle nous vivons, c’est un paradoxe : l’hypnose
marche parce qu’elle construit l’autonomie dans le cadre et sur la base
d’une relation. Alors que nous vivons dans une société qui a mis
l’autonomie comme tout à fait centrale pour acquérir la liberté et la sécurité
(« Soyez autonomes et performants, ne comptez sur personne et c’est
comme ça que vous serez tranquille et en sécurité » semble-t-on nous
dire…), en réalité, l’humain fonctionne un peu à l’inverse. C’est la sécurité
relationnelle qui précède l’autonomie !
Seule la relation respectueuse (c’est-à-dire accueillante de ce qui se
joue chez l’autre) permet un apprentissage qui autonomise23.
 
Prenons un exemple métaphorique d’un apprentissage qui
autonomise : la marche. Le petit enfant apprend à marcher, cette capacité
est en lui et elle a à se « révéler ». Pour y arriver, il lui faudra forcément
se « lancer », accepter de lâcher la main qui le tient.
Si la sécurité se transforme en étayage permanent et anxieux (« Je ne
te lâcherai pas, je te tiens pour que tu ne puisses jamais tomber  »), il
s’agit d’une fausse sécurité. Le message est au contraire que le monde est
trop dangereux pour être affronté seul, que l’autonomie entraîne une
perte de sécurité ! Alors l’autonomie devient dangereuse ou impossible.
Dans le cadre de la thérapie, ce sont ces cas où, par exemple, le patient
a dans l’idée que le thérapeute sait ce qu’il faut faire, ou que le thérapeute
veut imposer sa solution.
 
À l’inverse, si l’autonomie totale est attendue (« Je ne l’aide pas, il se
débrouille, il est censé y arriver seul  »), c’est l’absence de base sécure
pour rassurer l’enfant avant cette prise de risque de l’autonomie. L’adulte
accepte plus difficilement que l’enfant fasse son propre chemin ET ait
besoin d’être accompagné quand même.
 
Quand un enfant se lance, qu’on lui lâche la main, le message pourrait
être en somme : « Je lâche ta main mais je suis là si tu tombes. » Si la
sécurité est « internalisée », si l’enfant sent en lui cette présence sécure, il
se lance. Si la sécurité n’est pas encore ancrée en lui, il se retourne pour
voir si l’on est réellement là… et tombe.
Le message que l’adulte fait passer (pas forcément explicitement mais
par son attitude) est même dans le meilleur des cas : « Je suis présent, et
tu peux y aller, et tu peux tomber [et pour apprendre, il tombera !] mais
ici, en ma présence ou dans ce contexte, tomber est OK. »
 
Évidemment, on ne peut comparer la thérapie et l’éducation de façon
générale, car, contrairement aux parents, nous ne transmettons pas au
patient des valeurs ou des façons de faire dans le but de les lui inculquer.
La comparaison n’est valable que pour les apprentissages qui révèlent
des capacités. Marcher, parler, lire sont des capacités humaines, pour
lesquelles les adultes qui prennent soin de l’enfant ne font que donner les
conditions pour les révéler.
 
De façon intéressante, nous avons tendance à oublier les modalités de
ces apprentissages. Vous avez oublié comment vous avez appris à
marcher, à parler, et même peut-être les difficultés pour apprendre à lire.
Vous avez oublié le moment où vous avez appris le sens des mots et des
concepts, pour ne garder que les apprentissages eux-mêmes. Le propre
d’un contexte relationnel sécure est de pouvoir laisser une trace discrète
quasi invisible qui laisse toute la place à l’autonomie.
 
Plus tard dans les apprentissages, l’enfant découvrira qu’il y a le
domaine de ce qu’il sait faire, le domaine de ce qu’il veut faire et, entre
les deux, le domaine de ce qu’il peut réaliser avec de l’aide et dans un
contexte sécure. La découverte est un compromis entre les capacités de
l’enfant, l’aide et la sécurité que peut apporter l’adulte et les objectifs que
l’on se donne.
L’autonomie ne se construit donc pas en solitaire comme on pourrait
le penser. Elle est le fruit d’un processus collaboratif.
Et tout comme parler ou marcher, nous avons des capacités, à révéler,
d’espoir, de résilience, d’acceptation, de changement…
 
La thérapie est, dit-on, une chose sérieuse. Aussi pourrait-on la
comparer à un jeu  ! Encore une fois dans le sens développemental du
terme : les enfants jouent et c’est leur meilleure façon d’apprendre24.
Tous les professionnels de la petite enfance vous diront qu’un enfant
qui ne joue plus (c’est-à-dire qui n’utilise plus cette façon privilégiée
d’explorer et d’apprendre) les inquiète. Il est insécure soit dans son corps
(par exemple, il a une douleur dont il ne sait que faire) ou dans ses
relations (maltraitance, conflits). Sans base sécure, il ne peut entrer dans
l’autonomisation et l’apprentissage. En revanche, dans un contexte où il
se sent sécurisé dans son corps et ses relations, il peut se laisser aller à
jouer. C’est parce qu’on est bien accompagné qu’on peut se débrouiller
seul  ! L’autonomie ne se construit donc pas en solitaire comme on
pourrait le penser. Elle est le fruit d’un processus collaboratif.
Un enfant pourra faire toutes ces activités «  risquées  », et même les
faire de façon ludique, parce qu’il a été protégé. Ni étouffé, ni lâché, mais
sécurisé pour avancer25.
 
En grandissant nous oublions donc la phase d’apprentissage, pour ne
garder que la compétence utile. Nous découvrons qu’être autonome n’est
pas se défaire, s’affranchir de ceux qui nous entourent. C’est au contraire
internaliser la trace de leur présence, sous la forme d’une compétence
propre, pour construire notre propre chemin.
 
De la même façon, le thérapeute devient peu à peu inutile au fur et à
mesure que la personne découvre ses propres capacités. Il n’est là que
pour faire en sorte qu’une liberté émerge26.
C’est ainsi qu’un thérapeute peut être utile sans pour autant créer une
dépendance relationnelle car le patient peut apprendre, auprès de lui,
quelque chose qui reste et qu’il peut faire ensuite par lui-même sans qu’il
soit fait référence à cette relation thérapeutique. Il a appris quelque chose
qui était déjà en lui sous forme potentielle.

Il y a aussi des différences avec une relation à un enfant…

Oui, fondamentales. Aucune comparaison n’est jamais totalement juste,


mais une analogie pour saisir un peu mieux.
Dans la thérapie, le patient n’est pas un enfant, il ne doit pas
subsister de relation « paternaliste » qui, au final, place le thérapeute
en situation de savoir et de supériorité.
Dans la thérapie, le patient n’est pas un enfant, il ne doit pas subsister
de relation « paternaliste » qui, au final, place le thérapeute en situation
de savoir et de supériorité. Si le thérapeute possède une technique, le
patient est un expert de sa vie et de sa souffrance et il possède les
ressources qui le feront avancer. La technique ne sert d’ailleurs qu’à
laisser se construire la compétence chez le patient, et pas à la donner
d’autorité comme si l’on savait mieux que lui ce qui lui faut pour sa
vie…
 
Il s’agit de deux personnes avec des compétences utilement réparties.
Ce n’est donc pas un « thérapeute parent » qui crée un cadre, mais plutôt
deux personnes (ou plus si c’est, par exemple, un thérapeute familial) qui
coconstruisent le cadre relationnel de collaboration et de confiance
mutuelle.
Dans ce cadre, dont le thérapeute peut se faire le garant par son
éthique, le patient peut «  jouer  », explorer de nouvelles idées ou
sensations ou perceptions dans l’hypnose, par exemple. Dans ce cadre
relationnel peut naître, à partir du patient même, une solution, une
compétence, qui n’appartiendra qu’à lui.
 
Milton Erickson aimait à rappeler que le plus important en thérapie
n’est pas de convaincre la personne mais de créer des conditions dans
lesquelles elle va modifier par elle-même sa façon de penser. Le patient
peut se permettre, dans le respect de ce cadre relationnel, de ne pas faire
exactement ce que le thérapeute lui suggère s’il y a plus utile. Et c’est
parce qu’on respecte, au sein de la relation, sa liberté d’être ce qu’il est,
qu’il s’autonomise.
 
L’alliance thérapeutique, cette capacité à coopérer (et non à s’affronter
ou à donner une leçon), ce partenariat patient-thérapeute, est un
ingrédient essentiel à la réussite des objectifs de thérapie. Elle passe par
des techniques et des stratégies, par une pratique et une présence27.
L’alliance thérapeutique, cette capacité à coopérer (et non à
s’affronter ou à donner une leçon), ce partenariat patient-thérapeute,
est un ingrédient essentiel à la réussite des objectifs de thérapie.
Comme dans toute démarche d’autonomie, les patients en thérapie se
mettent dans une situation dangereuse et courageuse, celle de changer,
d’aller vers ce qui semble la nouveauté, l’inconnu. C’est parce que la
situation est périlleuse qu’elle est autothérapeutique. Et c’est pour qu’elle
soit autonomisante qu’ils ont besoin d’une sécurité relationnelle.
 
Avant Erickson, on hypnotisait, en général des personnes très fragiles
et suggestibles, pour suggérer directement un changement radical. On
obtenait des résultats souvent spectaculaires et pas toujours durables.
Déçus par cette apparente superficialité de l’hypnose, inquiets aussi de
cette «  prise de pouvoir  » de la suggestion autoritaire, certains
développèrent d’autres approches (comme Freud, dont la pratique voulut
exclure l’hypnose pour lui préférer une analyse d’un individu solitaire, de
ses résistances et relations de rivalité), d’autres renièrent la transe
(comme Bernheim), d’autres continuèrent de s’accrocher à cette
approche…
Mais un certain Erickson réussit à résoudre ce dilemme apparent
(« L’hypnose est puissante mais impuissante ») en mettant en route une
pratique, dans laquelle on se garde bien une fois en hypnose de dicter
directement au sujet ce qu’il doit faire. On crée plutôt un contexte où il
pourra par lui-même développer de nouveaux choix et comportements.
Le sujet ne va pas mieux sous l’emprise de la suggestion. Il est un peu
plus lui-même parce qu’il a appris, à partir de lui-même, une
compétence, dans un contexte favorable, dans une acceptation
relationnelle de son autonomie et de sa liberté. C’est pour cela que les
progrès sont plus réels et durables.
 
L’apport d’Erickson a donc été essentiellement relationnel, pas
technique (même si c’était un technicien hors pair). Il amena à l’hypnose
la subjectivité (en s’opposant à ses maîtres qui en faisaient un outil
standardisé de recherche, en dénonçant les showmen qui en faisaient un
outil pour se valoriser eux-mêmes, et surtout en définissant l’hypnose
comme une relation chaleureuse et porteuse d’opportunités…)28
L’hypnose n’a donc pas pour but d’entrer en transe comme ceci ou
cela, de suivre les suggestions d’un expert ou de lâcher-prise.
L’hypnose dans une relation adéquate a pour but de nous réassocier à
nous-même, de nous faire avancer dans notre propre voie, en relation
avec soi, le monde et les autres…
L’hypnose n’a donc pas pour but d’entrer en transe comme ceci ou
cela, de suivre les suggestions d’un expert ou de lâcher-prise. L’hypnose
dans une relation adéquate a pour but de nous réassocier à nous-même,
de nous faire avancer dans notre propre voie, en relation avec soi, le
monde et les autres…
C’est une remise en lien avec certains aspects de nous-même (par
exemple, des ressources) pour découvrir nos capacités par l’expérience et
pas par le savoir théorique.
 
C’est un processus naturel (espoir, résilience, compétence) que l’on
accompagne en sécurité pour le faciliter.

Et c’est ce qui fait aussi le succès de l’hypnose chez les patients ?

Oui, sans soupçonner même la complexité du mécanisme (qu’il n’est pas


nécessaire de comprendre d’ailleurs pour changer !) il semble que les gens
apprécient particulièrement ces aspects : pouvoir parler, pas uniquement des
problèmes mais aussi des ressentis et des expériences agréables, entrer dans
un processus de coopération et de meilleure communication avec le
thérapeute, vivre des expériences sensorielles.
 
Alors est-ce la présence, la réassociation, l’apprentissage, l’analogie, la
place du corps, les ressources, la relation sécure ?…
Il y a de nombreux ressorts possibles à l’efficacité de l’hypnose, il y a
tant encore à dire. Elle ne laisse pas de fasciner par ce qu’elle suscite en
nous. Nous espérons avoir donné un angle de compréhension de ce qui se
joue possiblement dans une relation hypnotique. Restons alertes et
souples, gardons notre curiosité mais aussi notre esprit critique et notre
capacité à questionner et à faire évoluer la compréhension de l’hypnose,
car quelque chose me dit que nous n’avons pas du tout fini d’en
apprendre…
L’hypnose est en tout cas une pratique qui nous rappelle de façon
extraordinaire comme l’esprit a des capacités insoupçonnées et comme la
relation humaine a des effets importants.
10

L’hypnose et les autres ?

Hypnose et relaxation

L’hypnose, c’est de la relaxation ?

Non, ce serait assez réducteur.


Les techniques de relaxation sont un ensemble de moyens qui visent
une détente et un relâchement musculaire. On trouve des
«  relaxologues  » aussi bien en psychothérapie qu’en développement
personnel. Parfois la thérapie est fondée, centrée ou a pour objectif la
relaxation (par exemple pour lutter contre le stress). Parfois il s’agit d’un
des aspects du travail.
 
Par exemple, les thérapies «  cognitives et comportementales  »
pratiquent aussi des techniques de relaxation et des exercices
respiratoires en plus d’autres techniques comme les tâches thérapeutiques
ou la reprogrammation cognitive.
 
Concernant l’hypnose, il peut arriver que l’objectif poursuivi par le
patient soit de se relaxer, et ce sera, en cas de réussite, l’effet obtenu. Il
peut arriver aussi, même quand ce n’est pas l’objectif explicite, que cela
fasse partie de ce que l’on observe chez le patient en hypnose.
Cependant, parfois ce n’est ni possible ni souhaitable. On évoque
parfois Erickson reprochant à ses élèves de toujours trop vouloir détendre
leurs patients. Si un patient arrive douloureux, hurlant «  J’ai mal au
bras ! », est-ce qu’il est raisonnable de lui dire de se détendre, « Calmez-
vous, tout va bien se passer  »  ? Le thérapeute rejoint le patient,
l’accompagne et l’aide à opérer un changement progressif.
Et même si le mieux-être se manifeste souvent chez les humains par
un sentiment de détente, celle-ci n’est ni le seul but, ni le seul moyen de
l’hypnose.
Par ailleurs, certains patients n’ont pas besoin de relâchement mais
d’énergie, d’autres ont besoin d’un travail actif ou sur leurs émotions (qui
peuvent parfois être vives…), ou sur leur souvenir traumatique et, dans
certains cas, l’hypnose n’est pas spécialement « reposante » !
Et même si le mieux-être se manifeste souvent chez les humains par un
sentiment de détente, celle-ci n’est ni le seul but, ni le seul moyen de
l’hypnose.
L’hypnose en tant que thérapie vise un véritable changement interne
plus que de la relaxation.
Soit il s’agit «  d’hypno-relaxation  », forme peut-être plus simple,
moins remaniante, d’hypnose. Soit il s’agit de ce qui se passe à la fin
d’une séance quand on intègre et réassocie (la relaxation comme
soulagement après le travail accompli), parfois ce qui se passe en début
de séance, ce relâchement permettant de laisser venir un monde intérieur
plus riche, plus facilement. Parfois le patient semble relaxé, mais nous dit
à la fin avoir vécu un travail interne d’une rare intensité et repart épuisé !
L’hypnose en tant que thérapie vise un véritable changement interne
plus que de la relaxation.
 
Ajoutons que «  relaxer pour relaxer  » peut conduire à une sorte de
course à la performance relaxante, de course au mieux-être. Un peu
comme si l’on disait : « Quelle est la meilleure façon de tout relâcher ? »
Alors qu’en s’appuyant sur la recherche de besoins, de ressources,
d’hypnose centrée sur le changement, nous pourrions simplement nous
demander : « Quelle(s) partie(s) de notre corps a-t-on besoin de relâcher
[ou de dynamiser, ou de mieux ressentir, ou de changer ou…] pour le
changement dont on a besoin ? »
Par ailleurs, la suggestion hypnotique et la dissociation peuvent aider à
obtenir parfois des relaxations profondes et rapides.
 
En somme la relaxation est une possibilité importante et très utile.
L’hypnose permet aussi d’y accéder même si elle ne se limite pas à cela.
Certains praticiens en relaxologie ont été ravis de constater qu’en se
formant à l’hypnose, ils arrivaient plus vite à des résultats similaires
(relaxer complètement un patient en 5  minutes au lieu de 20, par
exemple), ou à ne relaxer «  que ce qu’il y a besoin de relaxer pour ce
travail », ou inscrire la relaxation dans une stratégie plus globale centrée
sur le patient.

Sophrologie, PNL, autres thérapies… se rapprocher ou s’éloigner


de l’hypnose

Et la sophrologie, c’est de l’hypnose ?

Presque !
Son concepteur Caycedo, neuropsychiatre colombien, pratiquait
l’hypnose. Mais il préféra1 prendre un autre nom pour cette pratique, par
crainte d’être assimilé à ce terme sulfureux d’hypnose. Il recherchait un
état plus apaisé et harmonieux, il s’inspirait aussi du zen et du yoga…
Il parlait de « relaxation dynamique », oxymore bien utile pour décrire
cet état, finalement assez hypnotique donc, où le relâchement va de
concert avec une activité intérieure.
Et puis seule la sophrologie dite «  caycédienne  », terme protégé
comme une marque, continua à être l’héritière directe de ces concepts, et
un grand nombre d’autres « sophrologies » virent le jour…
Globalement, nous pourrions dire que la sophrologie pratique une
forme d’induction, dite «  sophronisation  », fondée essentiellement sur
la détente corporelle de chaque partie du corps et la respiration.
Bien que pratiquée aussi par des soignants, et que certaines forment
reprennent des fonctionnements de psychothérapie, elle est plutôt
considérée comme une pratique de développement personnel que de
soins.
 
Globalement, nous pourrions dire que la sophrologie pratique une
forme d’induction, dite « sophronisation », fondée essentiellement sur la
détente corporelle de chaque partie du corps et la respiration. Par la suite,
le thérapeute peut proposer des images ou des tâches mentales ou
physiques, souvent neutres (c’est-à-dire peu chargées émotionnellement
puisque l’apaisement et la pensée positive sont recherchés). L’état
sophronique peut faire penser à la relaxation profonde, l’hypnose
léthargique ou l’état de détente et de ressenti physique qui se trouve à la
limite entre veille et sommeil.
On peut différencier avec l’hypnose le fait que cette dernière, usant
(éventuellement) de relaxation comme d’un moyen, ne cherche pas à
«  tout relaxer  » (juste ce qui est utile) alors que la sophrologie peut
demander au sujet de vérifier que chaque muscle se détend et se
relâche.
On peut différencier avec l’hypnose le fait que cette dernière, usant
(éventuellement) de relaxation comme d’un moyen, ne cherche pas à
«  tout relaxer  » (juste ce qui est utile) alors que la sophrologie peut
demander au sujet de vérifier que chaque muscle se détend et se relâche.
Par ailleurs l’hypnose est moins neutre, et peut parfois de façon très
dynamique explorer le problème ou les émotions. Là aussi certains
sophrologues ont pu trouver une dimension complémentaire ou plus
précise, rapide ou stratégique.
Toutes ces informations sont à nuancer aussi selon les types de
sophrologie pratiqués, qui sont devenus moins lisibles avec la
multiplication et l’aspect commercial  : depuis la pratique presque
médicale jusqu’à des pratiques alternatives et orientalisantes…

Et qu’est-ce que la PNL ?

Dans les années 1970, un étudiant en psychologie passionné de


mathématiques (Bandler) et un professeur de linguistique (Grindler)
élaborent une modélisation de techniques de communication de façon un
peu systématisée.
Ils repèrent des modèles de réussite qu’ils cherchent à détailler,
s’intéressent à l’influence de la linguistique sur l’expérience subjective
comme base de la théorie et outil de la thérapie.
Ils s’intéresseront à la systémique, à Bateson, puis beaucoup à
l’hypnose et au travail d’Erickson, et contribueront à détailler ses
techniques de communication, voire parfois à les nommer (et une bonne
part de ce vocabulaire est inclus dans les cours, livres et formations en
hypnose, parfois à l’insu des enseignants). Ils appellent par la suite leur
démarche : « programmation neurolinguistique », dite « PNL » (NLP en
anglais).
Aujourd’hui c’est la technique peut-être la plus dévoyée du monde de
la thérapie.
Avec le temps, la technique connaissant un fort succès, elle a été
appliquée à d’autres domaines où l’on cherchait la «  réussite  ».
Aujourd’hui c’est la technique peut-être la plus dévoyée du monde de la
thérapie. Alors qu’elle mettait au jour les structures de langage qui font la
communication thérapeutique, notamment en hypnose, elle devint un
modèle de « communication efficace ». Usant d’astuces de langage et de
dissociation, elle passa dans le domaine du marketing, de la persuasion,
de la séduction, en laissant penser qu’on pouvait justement
« programmer » les réponses des individus. C’est aussi ce qui fait que les
personnes formées à l’hypnose parfois reconnaissent certains outils de
communication dans le discours des politiques ou les démarches
publicitaires, domaines dans lesquels tous les conseillers en
communication ont appris une forme plus ou moins dérivée de la PNL…
 
Parfois très enrobée de promesses marketing assurant de pouvoir
convaincre les autres, parfois forme sursimplifiée d’hypnose
éricksonienne, parfois modélisation complexifiée et jargonnante, elle est
aussi chez certains psychothérapeutes un accessoire de psychothérapie,
faite de jeux de langage mais dans un usage plus humaniste. Bien qu’elle
n’ait, en elle-même, jamais montré scientifiquement son efficacité ni
même la vraie solidité de ses bases, elle semble bénéficier à la
communication de ses utilisateurs, mais elle est très loin d’être la
méthode miracle vendue par certains.
 
Comme pour l’hypnose (dont elle est au final une explicitation d’une
part communicationnelle) il paraît assez clair que l’éthique devrait y être
fondamentale et s’exprimer selon le même enjeu  : une technique de
communication efficace utilisée au bénéfice du patient est éthique  ;
utilisée au bénéfice de chacun pour gagner en liberté, elle est utile ; une
technique de communication utilisée au seul bénéfice de celui qui émet
cette communication (pour instiller une idée, vendre quelque chose ou
faire qu’on vote pour lui) est nettement plus critiquable…

D’autres formes de psychothérapies complexes se rapprochent


de l’hypnothérapie ?

Oui.
D’une part celles qui en sont directement dérivées et qu’on appelle
parfois les « thérapies brèves ». Comme nous l’avions brièvement évoqué
dans la partie historique, au milieu du XXe siècle, le monde de la « psy »
(chiatrie/chologie/chothérapie) a connu de grandes évolutions. La
psychanalyse était remise en cause, de nombreux psychologues et
thérapeutes élaboraient de nouveaux modèles pour faire face aux
contraintes de leur temps (psychologisation de problèmes sociaux,
chômage et banlieues, contraintes économiques et coût de la santé,
évolutions scientifiques dans l’évaluation des soins et la compréhension
du cerveau…).
La seconde moitié du XXe siècle sera donc la période la plus productive
avec de nombreux modèles naissant et se perfectionnant en
psychothérapie.
 
Certains construisirent de nouvelles théories du psychisme, de
nouveaux modèles qui en découlaient.
Parmi eux, certains se mirent en droite ligne de la psychanalyse et
élaborèrent des thérapies brèves d’inspiration psychanalytiques (PIP).
D’autres élaborèrent des théories différentes comme la thérapie
cognitive et comportementale (TCC).
 
Mais, parallèlement, un autre courant naissait. Il était issu de la
collaboration fructueuse entre un psychiatre qui pratiquait comme aucun
autre, Milton Erickson, et un anthropologue passionné de
communication  : Gregory Bateson. Ce dernier avait fondé le MRI  :
Mental Research Institute à Palo Alto. Avec de grands intellectuels et
chercheurs (Haley, Weakland, Watzlawick…) ils réfléchissent à la
communication, notamment en thérapie et s’intéressent grandement au
travail d’Erickson.
De cette collaboration fructueuse naîtront de nombreux modèles de
thérapie  : la thérapie familiale, systémique brève, orientée vers la
solution, stratégique, narrative, provocatrice… On a parfois regroupé ces
modèles sous le nom de thérapies brèves. Il s’agit d’un «  abus de
langage » puisque les thérapies brèves d’inspiration psychanalytiques ou
les TCC sont aussi au sens strict des thérapies brèves (nombre de séances
limité, sur un objectif et avec une méthode…) mais l’usage, notamment
dans la francophonie, a gardé la dénomination « thérapies brèves » pour
ces modèles-là.
 
Bien que différents entre eux, ces modèles se reconnaissent une
filiation commune à Erickson et Palo Alto et des intérêts communs pour
la question du corps, de la forme communication, des ressources, des
relations…
Dans tous les cas ces modèles se distinguent par leur pragmatisme.
Ils ne cherchent pas à élaborer des théories psychologiques mais plutôt
à trouver les moyens de rendre la thérapie efficace.
Dans tous les cas ces modèles se distinguent par leur pragmatisme. Ils
ne cherchent pas à élaborer des théories psychologiques mais plutôt à
trouver les moyens de rendre la thérapie efficace. La communication et la
relation ne sont pas des sujets moins complexes, mais la théorie est
fondée sur les facteurs d’utilité bien plus que sur l’origine des problèmes
ou sur les structures psychologiques. Un thérapeute «  bref  » soigne sa
communication ou sa façon de poser des questions avant tout. Comment
aider quelqu’un le plus efficacement, rapidement et durablement
possible, dans le respect de son contexte de vie, de son « écologie ».
 
Les divers aspects développés par ces thérapies sont comme
différentes facettes du travail d’Erickson qui auraient été
« surdéveloppées » par tel ou tel modèle.
Par exemple, Erickson fut un pionnier en recevant des couples ou des
familles entières à une époque où dominait le modèle du «  colloque
singulier  » entre un thérapeute et un patient. Les thérapeutes familiaux
ont développé des pratiques spécifiques à ce genre d’entretiens.
Erickson était stratégique, aspect qui a le plus attiré et a été affiné par
les thérapeutes stratégiques. Il était clairement orienté vers les ressources,
et les thérapeutes «  orientés vers la solution  » ont développé très
fortement cet aspect… Il était aussi provocateur, narratif… Chacun
chercha quelle était l’essence de l’efficacité d’Erickson (ou chercha à
vendre un nouveau modèle) mais son génie était surtout d’être adaptatif
dans ses stratégies…
 
De nos jours, la tendance actuelle est à l’intégration. Les tenants de
l’hypnose éricksonienne cherchent souvent à réintégrer ensemble ces
différents aspects du « puzzle éricksonien » pour enrichir leur palette et
tenter de s’adapter humainement et stratégiquement à ce qui se joue avec
un patient donné. Ces thérapies ont l’avantage de pouvoir s’associer
facilement car elles reposent sur des bases théoriques en partie
communes, ce qui facilite leur intégration dans une même pratique, c’est
du moins le travail que nous tentons de mener avec un certain nombre de
mes collègues.

Et dans les autres courants de pensée ?

Dans d’autres thérapies, on retrouve des éléments qui permettent de jeter


des ponts entre les pratiques. Par exemple, certaines thérapies analytiques
modernes interrogent la question des relations et de la communication qui
sous-tend l’alliance thérapeutique.
La logothérapie aide les patients à retrouver du sens à leur vie. Il s’agit
d’un très beau modèle élaboré par Victor Frankl, psychiatre autrichien
qui découvrit, notamment en faisant l’expérience des camps de
concentration, que la perte de sens était une source de grande souffrance
et que redonner du sens à notre expérience était un facteur majeur de
résilience.
Et puis bien sûr la TCC évolue. Si la première vague s’intéressait
surtout aux changements comportementaux et la deuxième vague, aux
changements cognitifs, ladite «  troisième vague  » des TCC s’intéresse
aux émotions, aux relations, aux valeurs qui donnent un sens, à la
pratique de l’imagerie mentale ou à la méditation de pleine conscience…
Il semble bien que les diverses thérapies, en se focalisant, avec peut-
être plus de bon sens et de pragmatisme qu’avant, sur la réussite des
patients et les facteurs qui y mènent, finissent par dire presque la même
chose.
La thérapie «  ACT  » (Acceptation and Commitment Therapy), par
exemple, incluse dans la troisième vague des TCC, a de vrais points
communs avec les thérapies brèves, même si la terminologie est
différente.
 
Il semble bien que les diverses thérapies, en se focalisant, avec peut-
être plus de bon sens et de pragmatisme qu’avant, sur la réussite des
patients et les facteurs qui y mènent, finissent par dire presque la même
chose.

Hypnose et méditation

Vous évoquez la méditation. On en parle de plus en plus. Est-ce


pareil ou différent ?

On me pose souvent cette question, concernant ces deux pratiques


extraordinaires et libératrices (et à la mode), et la réponse ne tient pas en un
mot.
Tentons de clarifier, car il est parfois délicat de s’y retrouver,
notamment quand une pratique rencontre du succès, est «  à la mode  »,
d’ailleurs tant auprès du public que dans le monde médical…
Les psychiatres se sont mis il y a quelques années à s’intéresser aux
effets de la méditation, notamment dite de «  mindfulness  ». La plus
célèbre influence américaine puis mondiale sur cette tendance fut celle
du psychiatre Jon Kabat-Zinn. Celui-ci définit cette pratique comme  :
«  La portée volontaire d’attention à une expérience particulière, instant
après instant et sans jugement. » Ou comme le dit le psychiatre François
Bourgognon  : «  Méditer c’est s’arrêter, ressentir, observer et laisser les
choses être telles qu’elles sont2. »
Inspirée de la tradition bouddhique, mais dans une version laïque, la
mindfulness s’appuie sur les apports de la méditation et a tenté de mieux
en définir la méthodologie.
Des programmes3 ont été élaborés et mis en forme, souvent en pratique
de groupe de patients, notamment par des spécialistes de la thérapie
cognitive et comportementale. La pratique méditative (qui n’est pas à
l’origine une thérapie mais un chemin de vie) s’insérant ici dans des
modèles thérapeutiques. L’un de ces programmes a même montré dans
diverses études son efficacité sur la prévention de la rechute dépressive.
 
Mais peut-on voir une tendance (la méditation) qui reste plus proche
de la pratique méditative originelle et une autre (la pleine conscience) qui
se place de plus en plus du côté de la technique en thérapie cognitive ?
En passant d’une pratique spirituelle à une pratique méthodique,
protocolaire, la méditation, cette «  pleine présence », risque-t-elle de se
dénaturer en devenant la « pleine conscience » ?…

Pleine conscience

Observons. Pour la plupart des praticiens de cette méthode de pleine


conscience, il est proposé au patient d’être observateur de ses propres
perceptions, de ne pas réagir de façon automatique (par exemple avec de
l’angoisse ou des idées dépressives) aux divers stimuli (internes ou
externes) mais simplement de les observer, de les accepter sans jugement. Il
peut être aussi proposé des exercices d’attention plus dirigée comme faire
attention aux sensations corporelles des pieds à la tête (body scan) ou
d’amener son attention sur la respiration.
Peu à peu, on apprend donc à focaliser continuellement sur une seule
perception, puis à considérer les perceptions, émotions et cognitions
comme des événements mentaux que l’on peut observer, ou ramener son
attention volontairement au présent. Tout cela peut demander des efforts
et nécessiter un entraînement. C’est ce qui fait qu’après une
« instruction » avec un praticien (qui dans cette version laïque a remplacé
le «  maître  ») de nombreuses séances personnelles d’entraînement,
régulières, sont requises pour mieux maîtriser la technique.
 
Les dimensions de la méditation étudiées par les neuroscientifiques
sont soit une forme d’attention focalisée (par exemple, on demande au
patient de se focaliser sur sa respiration, de ramener son attention si elle
s’en éloigne), soit une forme d’attention ouverte (être présent à tout ce
qui se passe, en le percevant sans le juger). Parfois l’accent est mis sur la
question de la compassion (une forme de connexion avec les autres, qui
relève d’un présupposé religieux originellement dans le bouddhisme et
un ingrédient essentiel de certaines pratiques méditatives.) Cet aspect est
un peu plus étudié et a été pratiqué récemment dans certaines versions
laïques de la méditation4.
C’est une forme de concentration, d’attention non réactive, de
présence à ce qui est… ou à ce à quoi on s’impose d’être attentif.
Il s’agit globalement de stabiliser l’attention, voire d’avoir une sorte de
« méta-attention » (c’est-à-dire d’être attentif à ce à quoi on est attentif),
de favoriser la défusion (regarder nos pensées au lieu de les suivre
comme si elles étaient nous), de quitter le « mode par défaut », c’est-à-
dire cette «  rêverie automatique  » de pensées qui s’enchaînent et
d’attention qui se disperse lorsqu’on ne fait rien… C’est une forme de
concentration, d’attention non réactive, de présence à ce qui est… ou à ce
à quoi on s’impose d’être attentif.

Le contraire de l’hypnose ?
Vue sous cet angle et à première vue, la méditation semble le contraire de
l’hypnose.
La méditation nous demanderait d’être présents alors que l’hypnose
nous emmène ailleurs. L’hypnose nous dissocie, nous envoie dans des
analogies et des métaphores, alors que la méditation serait une totale
association de toutes les dimensions acceptées, non transformées, telles
qu’elles sont ici et maintenant. La méditation vise une pratique solitaire
et autonome alors que l’hypnose se pratique en étant dirigé…
 
Sur le schéma que nous avons fait au chapitre précédent, il faudrait
voir la méditation de pleine conscience complètement à gauche et
l’hypnose complètement à droite, toutes deux ne partageant que le fait
d’être attentif à la sensorialité.

Mais à ce stade de la lecture vous savez déjà que tout cela est inexact
concernant l’hypnose !
En hypnose, c’est bien la réassociation qui est le but, la présence (la
dissociation n’est qu’un moyen d’y parvenir), l’absorption sont des
dimensions centrales. S’associer aux diverses dimensions de l’existence
est un objectif commun à ces pratiques et le seul moyen de trouver une
autre façon de vivre.
S’associer aux diverses dimensions de l’existence est un objectif
commun à ces pratiques et le seul moyen de trouver une autre façon de
vivre.
Mais, même du côté de la « pleine conscience », la description de cette
pratique comme d’un contraire absolu de l’hypnose semble inexacte et il
n’est pas sûr que tous les tenants de ces programmes5 en soient toujours
« pleinement conscients ».
Tout d’abord, ne serait-ce qu’en s’en tenant à cette vision, nous le
verrons, réductrice (une sorte de sport mental consistant à ramener sans
cesse notre attention au présent ou à certaines sensations ou à se détacher
et à observer sensations et pensées comme des événements mentaux),
nous pouvons souligner qu’être «  observateur de soi-même  »
contrairement à ce qui se dit n’est pas une pratique associative mais bien
dissociative.
Si je suis à un point d’observation où je me regarde penser je suis
double  : celui qui pense / celui qui observe la pensée. Plutôt que d’être
présent, je me distancie de moi-même, mes sensations sont détachées de
moi. Le risque est que cela constitue une forme d’évitement («  si votre
attention s’éloigne, ramenez-la encore et encore à votre respiration »), ou
d’un exercice cognitif plutôt que d’une réelle acceptation et présence.
 
Par ailleurs, tout est présenté comme si la pleine conscience visait
l’association de façon directe, mais en fait elle passe aussi (comme
l’hypnose) par une forme de dissociation (ou de désassociation). Sur le
plan technique, malgré la prétention à ne pas recourir à l’imaginaire ou à
la suggestion dissociative, on constate des «  entorses  » faites au
phénomène purement attentionnel comme le recours à des métaphores
(« respirez comme si tout votre corps respirait »).
La pleine conscience vise l’association, mais elle passe fatalement
par une part de dissociation. L’hypnose assume plus facilement ce
détour et va même l’utiliser.
La pleine conscience vise l’association, mais elle passe fatalement par
une part de dissociation. L’hypnose assume plus facilement ce détour et
va même l’utiliser.
 
Par ailleurs, malgré la prétention d’une pratique personnelle et
solitaire, il y a un lien à un instructeur, qui transmet et guide, ce qui n’a
rien d’anodin. De nombreux témoignages évoquent la différence
d’apprentissage entre un livre et des séances guidées et/ou collectives.
Cela entraîne de facto une pratique qui comporte une dimension
suggestive. Et même si l’on ne «  guide pas la rêverie  » comme dans
certaines hypnoses, il y a au moins une suggestion inaugurale,
fondamentale, ne serait-ce que de s’asseoir et d’être attentif…
 
Alors ne serions-nous pas gagnants à observer les différentes
dimensions de l’hypnose ou celles de la méditation plutôt que de vouloir
les étiqueter séparément à tout prix ?

Exemple d’approche dimensionnelle

Nous avons évoqué par un schéma une dimension d’imaginaire-analogie-


dissociation d’une part, et une dimension d’acceptation-présence-
association d’autre part.
Il y a des pratiques méditatives très associatives où l’on doit juste être
présent à soi-même. Il existe aussi des pratiques hypnotiques (notamment
une bonne partie du travail de Roustang, qui n’a d’ailleurs jamais caché
son intérêt pour le zen) qui consistent aussi à prendre contact avec ce qui
est, à laisser être, à prendre juste sa place et habiter son corps, attendre
sans rien attendre et se rendre disponible à toutes les dimensions de notre
être.
 
De même il existe des pratiques hypnotiques consistant à beaucoup
«  désassocier  » ou à s’absorber dans l’imaginaire, et même à modifier
très directement les perceptions, nous en avons parlé. Et des pratiques
méditatives très dirigées ou métaphoriques qui ont l’apparence de
l’hypnose. Si on lit par exemple Matthieu Ricard6, chercheur en sciences,
moine bouddhiste, auteur et promoteur de méditation, très impliqué sur la
question de la bienveillance et de l’altruisme, on peut être frappé par
certains exemples. Je me souviens de ce passage où il décrit avoir vu un
documentaire sur un orphelinat à l’étranger avec des images poignantes
d’enfants en souffrance. La méditation qu’il se propose consiste alors à se
focaliser… puis à convoquer l’image de ces orphelins comme s’ils
étaient présents devant lui et se représenter qu’à chaque inspiration il
absorbe leur souffrance et à chaque expiration il souffle en leur direction
de la compassion et de l’amour inconditionnel… Nous sommes bien là
dans un travail dissociatif et métaphorique.
 
Pour prendre un exercice assez connu des méditants débutants, celui
du «  grain de raisin  » pour distinguer (et simplifier) ces dimensions
différentes (mais pas incompatibles)  : dans une pure idée de «  pleine
conscience », je mets un grain de raisin dans ma bouche et je ressens ses
aspérités sur la langue et le palais, son goût, ma salive qui devient sucrée,
sa texture qui se modifie…
Dans une approche centrée sur la compassion, je mets un grain de
raisin dans la bouche et je sens qu’il y a un lien avec la personne qui a
labouré la terre et planté la vigne, celle qui a pris soin de la plante alors
que soleil et pluie l’aidaient à mûrir, celle qui a cueilli le raisin, l’a
conditionné, mis dans un camion, la personne qui a conduit ce camion et
livré ce fruit, mis en rayon par une autre personne pour que je le trouve,
en lien encore avec la personne qui me l’a finalement vendu pour que je
l’aie dans la bouche… Je suis alors relié à beaucoup d’autres êtres
vivants par cette expérience.
 
Alors, ceux qui croient pratiquer comme Roustang font-ils de la
méditation en croyant faire de l’hypnose ?
Ceux qui sont influencés par le bouddhisme tibétain tel Matthieu
Ricard mènent-ils parfois des méditations proches d’exercices
d’hypnose7 ?…
L’approche par des dimensions ou des descriptions de phénomènes
n’est-elle pas plus pertinente que de vouloir absolument séparer ces
catégories qui parfois se chevauchent ?
L’approche par des dimensions ou des descriptions de phénomènes
n’est-elle pas plus pertinente que de vouloir absolument séparer ces
catégories qui parfois se chevauchent ?
Dans la pratique, il y a des dimensions communes et les pratiques ne
sont pas toujours complètement distinguables.
Dans la pratique, il y a des dimensions communes et les pratiques ne
sont pas toujours complètement distinguables.
Les deux dimensions, de présence et d’analogie sont présentes : toutes
deux au cœur de l’hypnose, l’idée de la présence semble en revanche
bien plus mise en valeur que l’analogie dans la pratique méditative8.
Dans le vécu subjectif également, des points communs sont clairement
ressentis par ceux qui pratiquent les deux approches.

Pleine conscience ou méditation ?

Nous pourrions dire pour résumer que la pleine conscience est une pratique
issue des TCC de la troisième vague et qui consiste à observer (« instant
après instant et sans jugement ») les pensées, émotions et comportements.
« Je » reste celui qui observe « moi ». Le soi ne disparaît pas mais change
sa position de sujet par rapport à l’expérience.
 
La méditation, dans son aspect originel, propose plutôt la dissolution
du soi dans la perception, l’absorption dans l’expérience.
 
Donc une certaine approche techniciste de la pleine conscience
pourrait être critiquable, voire porterait en elle une sorte de déformation
de ce qu’est originellement la méditation. C’est ce qui semble, si on lit
certains auteurs pétris de philosophie et de textes bouddhiques comme
Fabrice Midal9 par exemple.
 
Soulignons à sa suite que « pleine conscience » est une bien mauvaise
traduction qui conduit à une certaine confusion. «  Mindfulness is not
consciousness » comme le disent certains auteurs, dans la langue anglaise
qui permet parfois certaines nuances…
To mind en anglais porte l’idée de «  faire attention  », comme dans
«  mind the gap  » (attention à la marche) il s’agit donc plutôt d’une
«  pleine attention  » voire d’une «  pleine présence  » notions bien
différentes de l’idée de conscience. Le message originel de la méditation,
être présent à soi-même, dans une présence authentique n’est pas
s’observer soi-même, ni être pleinement conscient, comme le laissent
penser certains, au contraire c’est simplement être.
 
Si on le réduit à «  ramener sans cesse son attention à notre
respiration  », c’est un exercice qui ne met pas en présence de tous nos
ressentis mais confine à l’évitement. Se focaliser de force pour ne pas
être à ce que l’on vit. Dans l’idée d’un sport mental, on est bien loin de
l’idée de simplement être et se «  foutre la paix  » comme le propose
Fabrice Midal dans son dernier ouvrage. Dans une société de la
performance on a parfois présenté tout cela comme une technique de
gestion du stress… alors que, justement, nous allons mal quand on nous
demande de tout gérer  ! Ne pas gérer c’est laisser être, se rendre
disponible.
 
Être disponible aux dimensions de notre existence est un enjeu central.
Non pas s’en décaler, s’en distancier. Les vivre et les accepter pour ce
qu’elles sont. Ni faire le vide, ni se relaxer, ni s’abstraire, mais plutôt
s’ouvrir à tout ce qui vient.
Le risque de s’obstiner, de s’obséder par l’idée d’écarter nos pensées
ou de les observer de loin n’y aide pas. En somme entre une définition de
la méditation qui a pour perspective une présence authentique, pleine et
entière, une disponibilité à la vérité de son être, et une pratique perçue
comme un entraînement à une technique pour être observateur de ses
mouvements psychiques il y a un pas certain, hélas parfois franchi (ou
risquant d’être franchi) par les plus technicistes supporters de la pleine
conscience sous forme de protocoles rigides ou de «  techniques  ». Et
cette nuance a son importance.
 
«  Pour la plupart des gens, être attentif signifie “s’observer et se
surveiller”. En réalité, l’attention que nous cultivons dans la méditation
implique d’être un avec ce que l’on considère. (…) Il existe un second
malentendu, plus subtil : penser qu’être attentif signifie “être totalement
focalisé”. je serais alors d’autant plus attentif que je suis entièrement
pris par ce que je considère –  que je ne suis plus en rapport avec rien
d’autre. (…) L’attention que nous développons dans la méditation est, à
l’inverse, ouverte et détendue10. »
 
En somme méditer c’est apprendre la présence et pas viser une
performance de conscience. Attention aux simplifications et aux
« recettes miracles ».
 
Alors, peut-être y a-t-il des précisions à faire sur ce que recouvre,
parfois de bien contradictoire, ce mot «  méditation  » selon qui
l’emploie… peut-être aussi qu’il faut différencier les études standardisées
qui nécessitent des protocoles reproductibles, des patients et leur
individualité qui exigent une adaptation constante.
 
Peut-être faut-il simplement être pleinement attentif à ne pas laisser
dériver la pratique méditative (tout comme l’hypnose) vers une approche
standardisée, protocolaire, technique, qui, en croyant la pratiquer, la
trahirait.
 
Pour éviter la remise en question d’un management pressurisant, on
envoie un employé stressé en stage pour le calmer, on fait méditer un
enfant pour l’apaiser, le contenir en lui disant de se regarder respirer, en
oubliant de le rassurer et d’accueillir son émotion…
L’intention qui sous-tend la pratique (qui détermine d’ailleurs la façon
de s’y prendre) est fondamentale. Méditer ou faire de l’autohypnose dans
le but de s’ouvrir à soi-même et peut-être trouver d’autres façons de vivre
est thérapeutique, libérateur. Mais contrôler toujours plus
narcissiquement sa vie, gérer tout et vouloir mieux réussir, ne fait que
renforcer ce qui mène à la souffrance.
 
Il est encore plus flagrant, en revanche, que cette description de la
méditation, comme une qualité de présence, est très proche de la vision
de Roustang sur l’hypnose.
Une pratique qui n’aurait pas pour but de « calmer la souffrance » mais
de se mettre différemment en lien avec elle. Explorer notre présence, être
là, vivant, ne rien faire, se mettre là où l’on est, dans cette veille
augmentée, nous ramener à cette perception généralisée qui, au fond, ne
supporte pas vraiment la description et la dénomination, et y découvrir
nos propres ressources.
Alors que nous sommes coincés dans l’idée de faire quelque chose,
sans cesse, nous découvrons qu’en ne faisant rien, ça change tout. Ce
n’est pas très compliqué dans l’idée mais, comme c’est simple, c’est
assez difficile…
 
Il y a donc des différences, des complémentarités… et des liens réels
(notamment cette immersion dans l’être plutôt que dans le faire).
 
Mais tous ces états de « veille différente » ne sont pas tous équivalents
entre eux. Le mot «  méditation  », le mot «  hypnose  » recouvrent des
réalités différentes et des définitions variables. Tout n’est pas égal à
tout… ni l’exact opposé  ! Un patient et honnête travail de
compréhension, de clarification, de recherche est nécessaire dans les
temps qui viennent.

Hypnose et mouvements alternatifs

Qu’en est-il des mouvements oculaires ? L’EMDR, l’IMO…

Les techniques de mouvements oculaires sont de plus en plus pratiquées et


leur efficacité est reconnue, notamment dans le cadre du traumatisme
psychique, sujet majeur en psychothérapie et motif très fréquent de
consultation.
 
Il existe deux techniques de base qui se sont fait connaître. Elles
proviennent toutes les deux des États-Unis.
La première et la plus connue est l’EMDR (Eye Movement
Desensitization and Reprocessing : désensibilisation et reprogrammation
par les mouvements des yeux). Elle a été créée en 1987 par Francine
Shapiro. Doctorante en lettres, elle s’intéressera à la psychologie à la
suite de graves problèmes personnels de santé. Elle explore la méditation,
l’hypnose éricksonienne et la PNL, deviendra chercheuse associée au
MRI de Palo Alto. Elle expérimente un peu par hasard sur elle-même,
puis sur d’autres, l’effet de mouvements oculaires sur les pensées
négatives et traumatiques11. Elle se rapproche d’acteurs importants des
thérapies cognitives et comportementales et développe son modèle
EMDR en 1990. Y seront également ajoutés des éléments provenant
aussi de nombreux modèles dont l’hypnose (place sûre, imagerie guidée,
utilisations de ressources…). En  France, c’est surtout le regretté David
Servan-Schreiber qui contribuera au développement et à la diffusion de
sa technique en fondant EMDR France.
 
L’IMO (Intégration par les mouvements oculaires, ou EMI –  Eyes
Movement Integration en anglais) a été développée par Steve et son
épouse Connirae Andreas (acteurs importants de l’hypnose éricksonienne
américaine) en 1989. La psychologue canadienne Danie Beaulieu
apprendra cette technique au cours d’une démonstration dans un congrès
en 1993. Par la suite, elle standardisera la technique et l’enrichira
grandement de techniques de PNL et «  d’impact  » (regroupement de
techniques, assez dynamiques et métaphoriques, de thérapie). Elle sera la
principale promotrice et formatrice dans le monde.
 
Depuis un certain nombre d’années ont émergé des « modèles » qui se
veulent plus globaux ou intégratifs de différentes techniques. Citons pour
exemple la modélisation de  l’HTSMA (Hypnose tissage stratégique et
mouvements alternatifs), élaborée par le psychiatre et pédopsychiatre
français Éric Bardot et qui rassemble des techniques de thérapies brèves
(solutionnistes, stratégiques, narratives) avec le modèle EMDR. Notons
aussi le MATH, extrêmement proche, enseigné à l’institut Erickson du
nord de la France. Il y en a d’autres…
Globalement les techniques de mouvements oculaires présentent un
aspect fascinant. Les praticiens qui s’y essaient constatent que la
charge émotionnelle associée aux souvenirs traumatiques diminue
significativement en très peu de temps.
Globalement les techniques de mouvements oculaires présentent un
aspect fascinant. Les praticiens qui s’y essaient constatent que la charge
émotionnelle associée aux souvenirs traumatiques diminue
significativement en très peu de temps.
 
Pourtant tout cela ne va pas sans poser de questions.
Tout d’abord peut-on regrouper ces diverses techniques ou du moins
les deux techniques princeps ou bien faut-il les distinguer et sur quelles
bases ?
Certes il y a des différences de protocole : l’EMDR n’utilise que des
mouvements horizontaux, rapides, sans parler et poursuit avec l’idée qui
vient au patient dans une technique d’associations libres, dont le
déroulement est mesuré avec des échelles  ; l’IMO utilise des
mouvements lents, dans de nombreuses directions et le thérapeute peut
énoncer des mots en lien avec l’expérience traumatique principale même
si le patient ressent librement émotions, sensations et images entre les
mouvements.
 
Mais au-delà des différences, n’y a-t-il pas surtout un principe
commun : celui des mouvements oculaires, efficaces notamment pour la
gestion des flash-backs et souvenirs parasites ? Énoncer des différences
techniques est une chose, mais le principe n’est-il pas similaire  ? Les
oppositions d’écoles sont-elles justifiées au-delà de la volonté des
enseignants de dire que ce qu’ils font marche mieux que ce que fait le
voisin12 ?…
Ces mouvements existent depuis bien longtemps, dans les pratiques
chamaniques et bien évidemment dans l’hypnose, c’est même l’origine
de la caricature du thérapeute avec le pendule. Les mouvements oculaires
sont connus comme induction et approfondissement de transe hypnotique
depuis plus de deux siècles. Ne faut-il pas plutôt y voir une des raisons de
leur efficacité ?
 
Autre question concernant les mouvements oculaires et les protocoles
associés : s’agit-il d’une technique ou d’une thérapie ? La technique elle-
même des mouvements oculaires étant relativement simple à apprendre
(seulement quelques jours de formation), peut-on la qualifier réellement
de psychothérapie ? Comporte-t-elle en soi une stratégie ? Un savoir-faire
relationnel  ? Il nous semble bien qu’il s’agit d’un outil plus que d’une
psychothérapie structurée à part entière. Mais c’est un outil qui prend
toute sa dimension quand il est intégré dans le spectre plus large d’un
modèle psychothérapeutique, ce qui explique l’apparition de modèles
intégratifs qui mettent ensemble mouvements oculaires et autres
stratégies…
Intégrer le corps au travers des mouvements oculaires ou du tapping
alternatif, avec les aspects émotionnels, cognitifs et comportementaux est
réellement porteur de changement.
 
D’ailleurs, les mouvements oculaires portent-ils ontologiquement une
tendance naturelle à se rapprocher d’un modèle existant ? L’utilisation de
techniques de mouvements oculaires doit-elle pour fonctionner se
rapprocher du cognitivo-comportementalisme (comme on peut l’entendre
chez certains praticiens de l’EMDR)  ? Est-elle une pure
«  neurothérapie  » (comme on a pu entendre le dire dans certaines
formations à l’IMO)  ? Et donc agirait-elle «  mécaniquement  » sans
dimension relationnelle au premier plan  ? Doit-elle plutôt retrouver ses
racines avec l’apport de l’hypnose, de l’orientation solution et de la
stratégie systémique ?
 
Ces techniques (notamment l’EMDR) ont été également critiquées par
certains sur l’aspect commercial de leur transmission. Les principaux
modèles de mouvements oculaires sont des «  marques déposées  », ne
pouvant être enseignés que par des écoles bien précises et des
enseignants très spécialement habilités. De même un étudiant ne pourrait
prétendre pratiquer la technique s’il n’a pas suivi le parcours initiatique
extrêmement balisé (et onéreux) de l’institution mère.
Si l’on comprend qu’une technique de soins ne peut être enseignée ou
apprise par «  n’importe qui  », on peut s’étonner du procédé visant à
déposer une marque de thérapie. De même, cela proscrit, ou du moins
limite, les évolutions des modèles sous l’influence des praticiens de
terrain.
 
S’il faut s’entourer de précautions pour enseigner des techniques de
soins, pour autant, la thérapie devrait pouvoir être librement apprise et
transmise, et ce d’autant plus qu’elle est utile à nos patients. Les en priver
(encore une fois en usant de toute la prudence nécessaire sur la
déontologie des étudiants) ne serait pas éthique. Les grands praticiens
n’ont jamais limité l’usage de leurs thérapies à ceux qu’ils avaient
spécifiquement accrédités13.
 
Se pose également la question du mode de fonctionnement de ces
techniques. Empiriquement, la plupart des promoteurs de ces techniques
expliquent grosso modo que les souvenirs traumatiques ne sont pas
intégrés dans la mémoire autobiographique ce qui explique les
réminiscences et autres flash-backs dissociatifs. Les mouvements
oculaires en évoquant le trauma provoqueraient en somme l’intégration,
tout comme nos vécus quotidiens sont «  intégrés  » quand nos yeux
bougent sous nos paupières pendant le sommeil.
Pour les praticiens en PNL, la position des yeux est révélatrice de la
sollicitation d’une modalité sensorielle (visuelle, auditive…). Dès lors,
les mouvements oculaires «  mélangent  » et intègrent les différentes
sensorialités du souvenir au sein du corps et du psychisme de l’individu,
plus « unifié », intégré et réassocié. Au lieu d’une focalisation répétitive
sur une seule modalité sensorielle («  je revois toujours son visage
menaçant  »), c’est-à-dire une perception étroite, l’enrichissement
sensoriel amené par la technique (de nouveaux détails reviennent pendant
la séance et sont revécus) permet un plus grand choix de réinterprétation
et de réintégration.
 
Pour de nombreux praticiens de l’hypnose, les mouvements en sont
une extension ou une modalité, avec des principes de fonctionnement et
d’efficacité relativement similaires.
Pour notre part, en suivant le modèle décrit au chapitre précédent, il
apparaît très clairement que les mouvements oculaires sont très
dissociatifs. Tout connaisseur de l’hypnose, dans une séance d’EMDR ou
d’IMO reconnaît bien la dissociation et la transe. Quand on dit à un
patient de se focaliser sur son trauma, son expérience actuelle et le
mouvement des yeux, que fait-on d’autre qu’accentuer la possibilité de se
dissocier ?
 
Et, exactement de la même façon qu’en hypnose, nous revivons le
souvenir dissocié, en accentuant la dissociation, en l’accompagnant dans
un contexte relationnel qui permet de l’intégrer (voir le chapitre
précédent). Cet accompagnement de la dissociation dans un contexte
d’acceptation bienveillante est tout ce qui fait cette magistrale efficacité.
Réduire ces techniques à de la neurothérapie, ou n’y voir qu’une
reprogrammation cognitive, ou encore rester extrêmement strict sur le
protocole14, est une réduction du processus. Les mouvements oculaires
s’intègrent très naturellement dans la pratique de l’hypnose, ils semblent
même en accélérer ce processus de dissociation-réassociation pour peu
qu’on les intègre à une structure psychothérapeutique fondée sur une
sécurité relationnelle, une acceptation stratégique, une orientation vers le
changement.
 
Mais ce ne sont là que des hypothèses, la pratique de terrain et
l’efficacité empirique assez flagrante semblent avoir de l’avance sur la
recherche fondamentale de l’explication de ces phénomènes. On «  sait
que ça marche » mais comment exactement ?…
 
Nous garderons pour notre part quelques idées :
—  Les mouvements oculaires semblent une technique efficace pour
désensibiliser les patients de leurs expériences traumatiques apparaissant
notamment sous forme de cauchemars et de flash-backs.
—  Il nous paraît cohérent et naturel de rapprocher et d’intégrer ces
techniques à l’hypnose et à ses prolongements naturels que sont les
thérapies brèves, dans le sens où les mouvements oculaires sont
inducteurs et facilitateurs de la transe. Il existe de nombreux outils
efficaces que les mouvements oculaires semblent catalyser.
—  Par extension, l’intégration des mouvements oculaires avec
l’hypnose et les thérapies brèves nous semble même utile et efficace pour
d’autres problématiques, notamment anxieuses.
— Le temps ne doit pas être à créer un « nouveau modèle » de plus,
déposer une marque ou révolutionner la thérapie, mais plutôt rendre
accessible aux soignants la possibilité d’intégrer des outils efficaces de
diverses natures au service des patients, en l’occurrence notamment
anxieux ou psychotraumatisés. C’est le sens de la démarche que nous
avons avec certains de mes collègues.
 
Il existe d’autres techniques (on peut citer l’EFT, le « Brainspotting »
et d’autres) qui prétendent régulièrement amener des choses radicalement
nouvelles mais reprennent peu ou prou les mêmes principes  :
stimulations répétitives, alternatives ou pas, accompagnées d’une
exposition aux stimuli liés au traumatisme ou à l’angoisse, qui provoque
un état de conscience particulier, de libération émotionnelle, dans une
ambiance «  d’acceptation de ce qui vient  », propice à ce réagencement
interne qui permet l’intégration du trauma et la réassociation.

Hypnose et nouveautés

Alors y aura-t-il encore d’autres « nouveautés ou presque » ?

Les convergences que l’on constate dans certaines thérapies nous montrent
qu’il y a différentes façons de s’y prendre, mais, au fond, il y a quelques
idées qui « marchent », qui ont tendance à aider plus volontiers les patients.
Résultat : parfois avec une terminologie ou un rituel différents, les
thérapeutes arrivent à des conclusions quasi-similaires. Ils cherchent moins
une « vérité absolue du psychisme » qu’une façon d’aider leurs patients à
trouver le changement dont ils ont besoin de la façon la plus écologique
possible.
 
Alors dans le monde actuel des psychothérapies, il y a plus
d’évolutions que de révolutions, et l’on doit toujours, par principe, être
circonspect et critique pour garder une démarche la plus rigoureuse et
scientifique possible.
 
Si la thérapie produit des résultats dans un certain nombre de cas, la
priorité n’est donc pas à la révolution mais à l’affinage. La faire évoluer
est prioritaire à la changer radicalement. L’avenir est déjà dans la
recherche des déterminismes de fonctionnement des relations,
notamment thérapeutiques. Les principes, communs ou divergents entre
les «  courants de pensée  » (et de pratique) en thérapie, passionnent les
thérapeutes.
 
L’on pouvait s’attendre, dans ce contexte, à des fausses ou à des demi-
nouveautés. Nous ne comprenons pas tout, alors l’explication nouvelle
séduit même quand elle se passe de rationalité. Les patients sont en
souffrance, alors l’apparition d’une méthode miraculeuse donne un
légitime espoir, qui empêche parfois de se poser des questions.
 
Continuons à garder un œil critique. Il semble important que la
thérapie du futur puisse être, elle aussi, intégrative, cette fois-ci dans le
sens où nous pourrions intégrer diverses approches, leurs convergences et
leurs divergences, pour le bien de nos patients.

Par moments, en vous écoutant, on est tenté de dire « tout


est équivalent à tout, il y a de l’hypnose partout, ces états
de conscience (relaxation, sophrologie, EMDR, méditation, etc.) sont
très proches ». Par d’autres aspects on est tenté de dire « mais alors
rien n’est semblable à rien, tous ces états sont très différents ».

On a encore beaucoup de travail. Tout ce qui a été dit ici est une vision
incomplète, parce que trop courte, trop subjective, trop précoce par rapport
à tout ce qu’il reste à apprendre. Il y a encore beaucoup à découvrir sur ces
thérapies. Sur le plan des neurosciences mais aussi sur le plan
phénoménologique (c’est-à-dire de description plus précise des dimensions
des phénomènes subjectifs).
 
Il y a plusieurs états de sommeil (profond, paradoxal…) alors
pourquoi, tout simplement, ne pas dire qu’il pourrait bien y avoir
plusieurs états d’éveil ? Il faudrait alors en définir les dimensions (nous
avons évoqué la désassociation, la présence, l’absorption, il y a aussi
l’agentivité, la saillance des représentations… peut-être celles-ci et/ou
d’autres qui seraient opérantes…).
 
Pour définir ces états, plutôt qu’une approche catégorielle (c’est-à-dire
qui les sépare en catégories définies, démarche parfois simplificatrice,
parfois commerciale…), pourquoi ne pas plutôt opter pour une approche
dimensionnelle (qui, en définissant l’intensité de chaque dimension, en
dresse un portrait plus complexe et plus complet) ?
 
Sortir des querelles, rendre plus précises et opérantes nos définitions…
et surtout se rapprocher de la pratique clinique.
 
Car, au-delà des connaissances sur la conscience, l’horizon des
recherches doit être l’utilité en direction du soin. Dans la pratique
courante, notre seule obsession de thérapeute doit être de recourir à ce
qui est le plus utile pour le patient, pas d’appliquer à la lettre un protocole
ou une idéologie. On ne soigne pas avec des principes. La thérapie n’est
pas une quête d’absolu et ne doit pas imposer une vision. Faire ce qui est
utile et adapté, au sein d’une relation d’aide, c’est travailler avec
l’humain.
 
Citons encore Erickson : «  Psychotherapy is treating a patient as an
individual who is unique. There will never be a duplicate of that person.
And you use the uniqueness of that person. And that person posseses a lot
of unknown qualities15… »
Conclusion
Depuis quelques temps, l’hypnose intrigue tellement que je ne suis pas
certain d’avoir répondu à toutes vos questions. En réalité, j’espère même
en avoir suscité de nouvelles…
On dit souvent que la technique hypnotique est simple, que la transe
est naturelle. Mais pourtant il est difficile de bien en parler ou de bien
l’enseigner. C’est une gageure car plus on l’approche, plus elle nous
échappe. Elle ne laisse pas de questionner et ne se laisse pas réduire.
L’hypnose nous dit quelque chose sur la conscience, la parole, la relation
humaine et ces sujets sont infinis.
 
La psychologie, la médecine mais aussi les sciences humaines, la
philosophie et même, on l’a vu, dans une certaine mesure une vision
sociale et politique gravitent autour de la pratique de l’hypnose.
Sa popularité actuelle est à double tranchant : dérives commerciales et
arnaques, mais aussi intérêt des cliniciens et des chercheurs. Elle attire
autant qu’elle intrigue, intéresse autant qu’elle inquiète. C’est une
période riche.
 
Je souhaitais en écrivant ce livre, aider à mieux la comprendre, la
situer, afin que chacun sache utilement se repérer concernant la nature de
l’hypnose, ses cadres d’utilisation, ses soubassements théoriques et ses
applications pratiques…
J’espère y être un peu arrivé  : se protéger c’est aussi s’informer.
J’espère que l’avenir clarifiera peut-être mieux les cadres de pratique,
peut-être aussi plus précisément les modalités de son fonctionnement et
le champ étendu de son utilité.
 
Car, même si l’étude ou la pratique de l’hypnose dépassent en partie le
cadre du soin, je souhaite avant tout, en tant que soignant, que sa
popularité actuelle soit le symbole et même le vecteur d’un changement
dans le soin. Nous vivons dans un monde où la qualité de présence d’un
soignant auprès d’un patient n’est pas comptabilisée, ni même le temps
passé avec lui. Pour les autorités, seul le nombre d’actes compte dans la
journée d’un médecin ou d’une infirmière. Il y a là une vraie menace sur
l’humain. Un vrai enjeu pour le soin.
La pratique de l’hypnose, non seulement, donne des clés pour
améliorer la relation thérapeutique, mais aussi nous permet de ressentir
comme la relation est, en elle-même, thérapeutique.
Montrer que l’hypnose est utile, c’est montrer que l’hypnose est utile
aussi pour cela. Elle devrait intéresser ceux qui veulent mettre la relation,
la présence, la rencontre, mais aussi les compétences, le corps, la
communication au cœur du soin. La pratique de l’hypnose, non
seulement, donne des clés pour améliorer la relation thérapeutique, mais
aussi nous permet de ressentir comme la relation est, en elle-même,
thérapeutique.
 
Cette discipline est donc différente à bien des égards d’autres formes
de thérapie, non seulement parce qu’elle met en jeu un état de
conscience, des ressources, une stratégie, mais aussi et surtout pour ce
qui fut le cœur du travail d’Erickson : le lien humain.
Contrairement à d’autres inventeurs ou chefs de file de courants
psychothérapeutiques, on ne se souvient pas uniquement du technicien
hors pair qu’il était, ou du théoricien génial. Même si, à n’en pas douter,
il y a une très importante part technique dans l’hypnose et même s’il y a
une réelle épistémologie, mais ce que l’on a souvent retenu est l’aspect
relationnel.
Erickson comme artisan de la relation. Capable d’entrer dans le monde
du patient, d’être présent, pour l’aider à saisir sa chance de faire quelque
chose de différent, mobiliser ses ressources, voir et vivre sa vie
autrement. Trouver comment être pour laisser l’autre être.
Un des plus célèbres livres sur Erickson raconte les histoires qu’il
racontait aux patients. Et son titre est une phrase dite à une patiente alors
qu’elle entre en transe  : «  Ma voix t’accompagnera1  ». Comme si celui
qui a choisi cette phrase pour titre voulait mettre en avant, non pas la
façon magistrale qu’aurait Erickson d’induire une transe, ni la pertinence
parfaite qu’aurait la séance d’hypnose par rapport au problème de la
patiente mais bien ceci : « Ma voix t’accompagnera », l’accompagnement
relationnel comme déterminant dans la thérapie.
Erickson formateur en hypnose ne voulait pas qu’on l’imite, qu’on
«  fasse du Erickson  ». Il craignait plus que tout qu’on fasse de lui un
gourou. Il souhaitait que chacun trouve son style, que l’on fasse du nous-
même. En trouvant sa propre façon de faire, on emmène le patient avec
qui l’on travaille à trouver aussi son propre chemin. Il faut donc garder
en mémoire que contribuer à ce que quelqu’un prenne du pouvoir sur sa
vie, de la liberté pour son existence, c’est prendre le risque de devenir
inutile, et même le souhaiter. C’est le grand paradoxe du travail du
thérapeute et de l’enseignant (et a fortiori de l’enseignant en thérapie) :
c’est réussi quand on peut se passer de nous !
 
Prendre de la liberté et de l’autonomie, de l’espoir et de la résilience,
au travers d’une relation et d’un état de conscience particuliers, propice à
la découverte de la sensorialité et des ressources est une opportunité
thérapeutique réelle.
Mais le message essentiel que nous devons garder de l’étude de
l’hypnose est qu’il existe toujours une possibilité de changer, de
percevoir la vie autrement, d’aller différemment vers soi-même et les
autres.
Mais le message essentiel que nous devons garder de l’étude de
l’hypnose est qu’il existe toujours une possibilité de changer, de
percevoir la vie autrement, d’aller différemment vers soi-même et les
autres. La vie est une route pleine d’épreuves mais elle n’est pas une voie
sans issue. S’inspirer d’Erickson, c’est surtout s’inspirer de cela, et c’est
l’apprentissage de la plus grande des libertés.

Les praticiens de l’hypnose aiment bien les histoires et métaphores.


Alors deux petites histoires pour conclure.
 
J’ai rencontré l’hypnose presque par hasard. Alors jeune interne en
psychiatrie, je me suis inscrit à un diplôme universitaire d’hypnose
médicale. Pour tout dire (mes maîtres me le pardonnent), c’était surtout
par curiosité. Je n’avais pour tout contact avec l’hypnose qu’un mauvais
spectacle vu quelques années plus tôt dans un quelconque club de
vacances. Alors comment le mot « hypnose » pouvait-il être accolé avec
le si sérieux mot « médicale » ? me demandais-je alors.
Assistant au début du premier cours animé par médecins et
professeurs, je fus intrigué par la présence d’un vieil homme (il avait plus
de 80 ans), également sur cette estrade. J’ignorais que j’étais en présence
d’un des plus grands penseurs de l’hypnose que j’ai d’ailleurs beaucoup
cité dans ces pages  : François Roustang. Il se mit à parler et, à ce
moment-là, quelque chose se passa en moi, sans que je sache vraiment
quoi. Pour expliquer l’hypnose il nous fit cette simple proposition :
 
«  Se mettre en présence de la multitude des perceptions qui nous
situent dans l’existence… »
 
Je fermai les yeux et tentai de suivre cette suggestion que je
comprenais à peine… Je réaliserai seulement bien plus tard avoir vécu
une première expérience hypnotique fondamentale… car, sur le coup, si
je pressentis confusément que cela pourrait changer ma façon de soigner,
je me dis surtout  : «  Je n’y comprends rien… mais je sais que je veux
faire ça ! »
En vérité, « les jeux étaient faits », « la messe était dite », je venais de
«  tomber dans la marmite  » l’hypnose et les thérapies brèves ne
quitteraient plus ma vie professionnelle, jusqu’à maintenant et sûrement
encore pour longtemps…
 

Erickson est mort bien avant que je puisse être en âge de le rencontrer.
Une nuit j’ai pourtant rêvé de lui2. C’était l’Erickson des dernières
années, dans son fauteuil roulant, habillé en violet, avec sa voix lente et
essoufflée qui découpait les phrases…
Il était assis à côté de moi et il me disait :
« You need time… until you know… what it is exactly… that you want
to forget… right now3 ! »
Puis nous éclations de rire ensemble.

Paris, Nancy, septembre 2016 – mai 2017


Notes
Introduction
1. Certains soignants ne disent pas a priori qu’ils pratiquent l’hypnose
même si cela finit généralement par se savoir. (Il faut souligner que dans un
certain nombre de métiers, dont celui de médecin, la présence de la
technique utilisée, notamment l’hypnose, est interdite sur la plaque ou sur
l’ordonnance, l’ordre des médecins ayant une liste précise et limitative à ce
sujet.) Ne pas « afficher » sa pratique de l’hypnose peut permettre au
praticien qui a plusieurs outils de choisir plus librement ce qui lui paraît
approprié pour son patient à un moment donné de la prise en charge. Cela
permet aussi d’éviter quelques « demandes magiques » de patients qui
exigeraient cette méthode comme unique planche de salut, comme on
demanderait un miracle. C’est aussi, parfois, pour éviter que l’hypnose, mot
auréolé de mystère et d’idées reçues, n’attire des personnes qui ne seraient
pas dans une demande de soins et une démarche de santé, mais viendraient
pour d’autres attentes.
2. L’auteur de ces lignes s’y est même risqué avec nettement moins de
talent et de succès en publiant quelques vidéos sur la chaîne « CommPsy ».
3. Ils leur suggèrent de se méfier, par exemple, des sites Internet trop
simplifiés et parfois aberrants.
4. Auteure notamment d’« Alliance thérapeutique et thérapies brèves », Éd.
Érès.
Chapitre 1
1. La plus célèbre des controverses récentes, pour les amateurs, se situe
entre les psychanalystes et les cognitivo-comportementalistes, et est à
l’origine d’une grande littérature, notamment le médiatisé « Livre noir de la
psychanalyse » (Éd. Les arènes) et les réponses diverses qui ont suivi…
2. Pour l’aspect anthropologique de la question on peut consulter
« Anthologie du chamanisme » de Narby et Huxley (Éd. Albin Michel) ou
« Le chamanisme » de M. Perrin (Éd. PUF).
3. Contrairement au « dualisme » (séparation du corps et de l’esprit) qui a
prévalu longtemps en Occident sous l’influence de Platon, d’Aristote et plus
tard de Descartes.
4. Pour les intéressés par cet épisode, voir Aïm P., « Voyage entre hypnose
et pensée juive », Hypnose et thérapies brèves, no 17, mai 2010.
5. Rabbin, médecin, philosophe, auteur d’ouvrages philosophiques, de
travaux religieux de référence et de traités médicaux, il vécut autour de
1100 en Espagne puis en Égypte. Son « Traité des aphorismes » a été la
source médicale la plus consultée du Moyen Âge. Il considérait que la
maladie résulte de la rupture d’un équilibre à la fois psychique et physique
et avait une approche holistique (c’est-à-dire considéré comme un tout) de
l’homme malade. Dans son « Traité sur l’asthme » notamment, il sait en
reconnaître l’origine psychosomatique : « Aussi ne faut-il pas trop y penser,
ni trop se réjouir, ni trop s’attrister car bonheur et malheur ne sont grands
que dans notre imaginaire. » Dans son « Traité des huit chapitres »,
introduction talmudique qui est vraisemblablement un des premiers traités
de psychologie, il s’éloigne de l’idée de déterminisme et laisse la
possibilité, la liberté aux humains de pouvoir agir sur eux-mêmes,
provoquer des changements, utiliser leurs ressources pour changer leurs
penchants, leurs dispositions, leurs émotions négatives, les « maux de leurs
âmes ». On pourrait y voir un rapprochement avec des concepts non
déterministes qui seront plus tard ceux de l’hypnose et de ses « filles », les
thérapies brèves.
6. C’est-à-dire qui considère l’homme comme un « tout » non pas séparé
corps/esprit.
7. Il est certain que l’étude de ces questions, sur le plan historique et
international, ferait l’objet de longs et passionnants développements qui
dépassent de loin l’objet de cet ouvrage. Remarquons simplement au
passage que les praticiens de la transe ailleurs (par exemple, les chamanes
africains et leurs danses, les transes amérindiennes ou sibériennes, les
pratiques méditatives des moines shaolin et bien d’autres partout dans le
monde…) ont une pratique souvent associée à la croyance et à la notion de
« guérison » (malgré les fonctions religieuses, les prêtres, chamanes et
autres moines produisant de la transe sont aussi des guérisseurs). Le nom
qu’on lui donne importe peu, il apparaît que partout dans le monde peut
exister une forme de soin mettant en jeu l’état de conscience, la croyance,
l’influence, l’apaisement de la souffrance. C’est pourtant bien en Occident
que l’hypnose telle que nous la connaissons aujourd’hui apparaît, et nous
verrons que ce n’est peut-être pas par hasard.
8. C’est peut-être cet héritage qui fait que, notamment en France, le mot
« transe » est souvent vu négativement et garde une connotation mystique,
ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays notamment anglo-saxons.
9. Paracelse (1493-1541), malgré ses explications alchimiques sur la
guérison, admet cependant le caractère relationnel et introduit l’imagination
quand il dit par exemple : « Supprimez l’imagination et la confiance, et
vous n’obtiendrez rien. » Mais il fait figure d’exception.
10. Un paradigme est un modèle, une façon de voir les choses, un ensemble
de croyances et d’accords partagés par des scientifiques ou des philosophes
pour un sujet donné.
11. Le mot est évidemment emprunté à la physique. Les forces attractives
ou répulsives du « magnétisme » intriguent alors beaucoup et on ne connaît
pas encore les ondes et les champs qui les expliquent. Des aimants ont déjà
été utilisés par certains médecins, pour obtenir des guérisons. Mesmer
imagine un magnétisme « animal », par analogie, mais sans le confondre,
avec le magnétisme « minéral ».
12. Cet instrument, inventé à cet effet par Franklin, est parfois surnommé
« instrument du diable ». Dans un registre beaucoup moins « étrange »,
Mozart a composé un concerto pour harmonium de verre. Malgré toute
l’harmonie qui lui fut donnée par Mozart, cette pièce est connue pour
provoquer des évanouissements dans la salle quand elle est jouée… Mozart
fait également une allusion aux effets du mesmérisme dans son œuvre
« Cosi fan tutte ».
13. Dans une version moins savoureuse, c’est le décès d’un patient que
Mesmer soignait, même si ce décès n’avait rien à voir avec sa pratique, qui
provoqua un scandale et des titres de journaux du genre : « Magnétisé à
mort ! » Dans tous les cas, en difficulté pour condamner ouvertement le
magnétisme (que ce soit Mesmer, du fait que ce dernier était protégé par
Marie-Antoinette [tous deux ayant les mêmes origines], ou Deslon qui était
le médecin particulier de son frère), Louis XVI opta plutôt pour la
commission d’enquête scientifique.
14. En sorte que le patient soit « aveugle » de ce qu’il reçoit et que l’on
puisse le différencier du « placebo » (concept non usité à l’époque, mais
effet bien réel perçu comme celui de l’imagination). Aujourd’hui la plupart
des études cliniques, par exemple pour tester l’efficacité d’un médicament,
utilisent le principe du « double aveugle », ni le patient, ni le médecin ne
savent s’ils donnent ou prennent un placebo ou un traitement actif afin
d’éliminer au maximum la part de placebo et déterminer l’efficacité
« réelle » du traitement.
15. Nous soulignons.
16. Cette contradiction entre l’apparence du sommeil et la lucidité, la
présence du sujet est un point clé de cet état de conscience et est au centre
des descriptions de l’hypnose d’un grand nombre d’auteurs, depuis
Puységur jusqu’au plus moderne Roustang qui parle de « veille
paradoxale », par analogie au sommeil paradoxal, moment d’intense activité
psychique (les rêves) dans un corps pourtant endormi et immobile.
17. Experts comme autorités ne sont pas d’accord, un rapport de
l’Académie royale de médecine y est catégoriquement favorable en 1831,
mais une nouvelle commission en 1837 nie l’état de somnambulisme
magnétique… Restituer les polémiques autour du magnétisme au XIXe siècle
pourrait faire l’objet de livres entiers.
18. Un livret tentant de réhabiliter l’œuvre de cet homme a été écrit par le
psychologue canadien Rémi Côté, « Hénin de Cuvilliers, concepteur de
l’hypnose ».
19. Sans utiliser ce vocable, un autre chirurgien écossais installé en Inde,
James Esdaile, utilisa beaucoup le sommeil magnétique à partir de 1845
pour pratiquer la chirurgie sans douleur. Son nom est demeuré dans l’esprit
de certains hypnotistes notamment pour un certain niveau de « profondeur »
hypnotique incluant une analgésie et qu’Elman appelait « l’état Esdaile ».
Esdaile lui-même n’a jamais employé le mot « hypnose » et demeurait
« mesmériste », pratiquant des passes, supposant un passage de substance
entre praticien et patient (ou objets), attribuant à la méthode des possibilités
quasi surnaturelles quant à la nature de l’influence…
20. Il cherchera par exemple à savoir pendant l’hypnose les réflexes
ostéotendineux sont préservés si l’état provient d’une fatigue oculaire ou
d’un mécanisme neurologique (en testant par exemple l’hypnose sur des
non-voyants), etc.
21. Le XIXe siècle et l’insistance des praticiens sur cette notion de
« sommeil » (bien que qualifié de magnétique, lucide, spécial, etc.),
jusqu’au nom donné par Braid (il s’inspire du nom d’Hypnos (Ὕπνος),
personnification du sommeil dans la mythologie grecque, fils de la Nuit
(νύξ), et frère jumeau de la Mort (Θάνατος) laisseront une idée reçue tenace
dans les esprits sur la « perte de conscience » supposée en hypnose ; alors
même que praticiens et chercheurs ne feront que redire et montrer au travers
du temps que l’état d’hypnose est au contraire associé à une grande
présence, une attention plus forte, une lucidité accentuée sur certains
aspects et une autre forme de contrôle. Même Braid tenta de changer ce
terme au bénéfice de « monoïdéisme » (insistant sur l’idée de
concentration), mais sans succès. Il faut croire que l’idée « d’endormir un
autre » avait (et a encore aujourd’hui) un attrait suffisamment fort pour que
le terme demeure…
22. Notons que c’est à l’époque où l’Occident fera tout pour débarrasser la
médecine du mystère, pour évacuer la sorcellerie et le charlatanisme, et
tenter de faire de la médecine une science rationnelle (à partir du
XIX  siècle) ; c’est à ce moment-là que, comme par hasard, l’hypnose fera
e

son apparition comme une technique médicale « sérieuse ».


23. Personnage atypique, touche-à-tout génial, avocat et docteur en droit,
licencié ès lettres, ayant fait ensuite des études de médecine sans toutefois
passer de thèse, inventeur de procédés photographiques, plus tard
bibliothécaire de l’université (à la suite du docteur Netter), il est à l’époque
« chef des travaux de physiques » à la faculté.
24. Une légende urbaine veut que ce soit Bernheim lui-même qui souffrait
de cette sciatique et qui, bien que réticent à ces « guérisons » et ne portant
pas forcément une haute estime des praticiens de campagne par rapport aux
universitaires, bénéficia des soins du bon docteur Liébault…
25. Voir à ce sujet le passionnant texte d’Alexandre Klein : « Nouveau
Regard sur l’école hypnologique de Nancy à partir d’archives inédites », Le
Pays lorrain, 2010, pp. 337-348, dont nous reprenons les propos et
l’analyse.
26. La même année où Charcot présente l’hypnose à l’Académie des
sciences.
27. Ce qu’il appellera une « hypnose de culture » : « Une seule fois j’ai vu
un sujet qui réalisait à la perfection les trois périodes : léthargique,
cataleptique, somnambulique. C’était une jeune fille qui avait passé trois
ans à la Salpêtrière… »
28. Il écrira en 1897 : « Ce qu’on appelle hypnotisme n’est autre chose que
la mise en activité d’une propriété physiologique du cerveau, la
suggestibilité. (…) La thérapeutique dite hypnotique est remplacée par la
psychothérapie, qui consiste à actionner cette suggestibilité avec ou sans
suggestions préalable du sommeil. (…) aujourd’hui, quand je fais de la
suggestion verbale dans un but thérapeutique, je m’inquiète peu de savoir si
le sujet dort ou ne dort pas. »
29. L’affaire Dreyfus, du nom du militaire qui avait été condamné pour
trahison, dans un contexte propice à l’antisémitisme, puis finalement
innocenté, créa une crise politique et sociale majeure qui opposa pendant
des années les « dreyfusards » convaincus de l’innocence du capitaine
Dreyfus et les « antidreyfusards » certains de sa culpabilité.
30. En mettant notamment en avant le rôle de l’imagination et des capacités
de changement, il est clairement le nancéien le plus proche des éricksoniens
(qui le suivront de quelques décennies).
31. C’est la méthode dite « cathartique ».
32. Les travaux de recherche du Pr Antoine Bioy l’ont bien montré.
33. Le renforcement du moi face aux symptômes provoqués, selon Freud,
par des pulsions.
34. En effet, les analystes comme les hypnotistes voulaient sortir de la
relation d’autorité des suggestions classiques, c’est-à-dire d’une relation où
la liberté du sujet se perd, pour obéir. Dans le meilleur des cas le thérapeute
nous « réparerait » comme un automate. Comment libérer le sujet de cette
relation de suggestion/sujétion ?
Dans la vision analytique, on envisagea la liberté comme l’envers de la
relation. Un analyste qui parle peu, que l’on ne voit pas derrière un fauteuil
et qui analyse nos résistances relationnelles. On entre dans un monde de
transfert, de manque, de projection et de rivalités, de « défenses », de
traumatismes fondateurs et de refoulements indépassables. Bref, être libre
mais sans, ou contre, les autres.
Erickson donna une réponse plus originale à cette même question, pour
échapper à la dichotomie d’une liberté solitaire ou d’une relation aliénante.
Il présenta la relation thérapeutique comme une collaboration et un
apprentissage. C’est-à-dire que la relation existe et fait naître l’autonomie.
La relation est guidée mais même la suggestion ne mène qu’à trouver en
soi, et à partir des ressources, une plus grande liberté. En relation sans
opposition à l’autonomie, en autonomie sans que cela remette en cause la
relation. Pour une brillante présentation de ces idées voir Betbèze J.,
« L’autonomie relationnelle », Hypnose et thérapies brèves.Hors-série
no 11, mars 2017.
35. Nous n’entrerons pas ici dans les détails de leurs arguments car
aujourd’hui le débat semble nettement moins pertinent. Même si le
comportement social « attendu » dans une situation donnée possède une
influence, les observations tendent à montrer que les expériences des sujets
(mouvements volontaires, analgésies…) sont un peu plus qu’un simple
comportement compliant, elles produisent des variations physiologiques
observables et un état expérientiel ; par ailleurs, bien plus tard, les études de
neurosciences semblent aller dans le sens d’un état de conscience avec des
répercussions observables en imagerie sur le fonctionnement cérébral.
36. Elman a aussi présenté une construction théorique dans son livre au
travers de ses techniques, on entend encore parler de concepts comme la
« faculté critique » (et non pas du « facteur » critique comme on l’entend)
qu’il faut arriver à contourner, des inductions très rapides et « fractionnées »
ou d’une élaboration sur les « niveaux de profondeur » de la transe (Elman
a popularisé la dénomination « état Esdaile », par exemple, ainsi que
d’autres auxquels il attribuait des caractéristiques). Comme il n’existe pas
de possibilité objective de mesurer la « profondeur » de la transe (qui n’est
probablement qu’une métaphore comme nous le verrons), on peut dire que
les idées d’Elman représentent surtout sa pratique plutôt que des « réalités »
hypnotiques. Il n’y a pas, contrairement à ce que l’on peut entendre
d’« hypnose elmanienne » à proprement parler. Le corpus théorique, même
s’il a légué quelques idées intéressantes, n’est pas assez fourni et cohérent
pour que l’on puisse réellement parler d’« hypnose elmanienne » (cette
dénomination désigne seulement, semble-t-il, chez ceux qui l’emploient, en
réalité un ensemble limité de techniques d’induction assez rapides et
directives).
Chapitre 2
1. Pour ceux intéressés par la vie et la carrière d’Erickson de façon plus
détaillée que le résumé qui va suivre, nous pouvons recommander les
documents suivants : « Wizard of the desert » du réalisateur Alexander
Vesely, excellent documentaire dont une version sous-titrée est disponible
via le site de l’institut Erickson de Rezé (www.rime44.com) ; « Erickson,
hypnose et psychothérapie » de Dominique Megglé (Éd. Retz), dont la
première partie est une biographie d’Erickson, « Le Dr Erickson, médecin
et guérisseur américain » de Betty Alice Erickson et B. Keeney, qui contient
des anecdotes, témoignages et documents, dont la retranscription de son
carnet de voyage sur le Wisconsin. À noter aussi qu’au moment où nous
imprimons, Jeffrey Zeig, président de la fondation Erickson, achève un
travail important de biographie qui devrait être publié dans les mois qui
viennent.
2. Le daltonisme est un trouble de la vision des couleurs, la dyslexie, un
trouble des apprentissages et notamment de la lecture, et l’amusie, une
incapacité rare à percevoir la musique (les personnes perçoivent des sons
discontinus).
3. La poliomyélite atteint les fonctions motrices, mais pas sensitives. Le
patient ne peut bouger mais il garde sa sensibilité.
4. Notons qu’on aurait tort de limiter Erickson à la permissivité ou à
l’indirectivité. Il maîtrisait tous les aspects de l’hypnose comme peu de
monde avant ou après lui. Il était tout à fait capable, si la situation
l’exigeait, d’être directif, autoritaire ou même spectaculaire. Son apport est
plutôt, justement, dans cette adaptation aux besoins du patient. Quelle que
fût la méthode, son objectif était toujours d’aider le patient à accéder à ses
ressources et à changer. Il nous a surtout montré qu’un thérapeute se
distinguait par son intention de soigner bien plus que par sa technique.
Invité un jour à la télévision pour parler de l’hypnose médicale et la
montrer, il dit assez justement à une « patiente » : « L’hypnose médicale est
très différente de l’hypnose de scène. L’hypnose de scène, c’est celle où
quelqu’un bombe le torse, écarquille les yeux et dit au public quel homme
formidable il est… Mais ce que je voudrais que vous compreniez ici, c’est
que c’est vous, en tant que personne, qui êtes vraiment une personne
formidable. » C’est bien cette attention dirigée vers le patient et ses
ressources qui est véritablement éricksonienne et pas une modalité
technique.
5. Discipline qui étudie communication et relations dans des systèmes,
notamment familiaux, à l’origine de la thérapie familiale systémique.
6. Erickson y a toujours été réticent. On peut supposer que c’était d’une part
parce qu’il savait parfaitement ce qu’il faisait tout en étant (de son propre
aveu) en difficulté pour l’expliquer ; d’autre part du fait de sa façon
d’enseigner (il ne répondait que rarement aux questions mais proposait
plutôt un apprentissage par l’expérience, tout comme en thérapie), enfin il
estimait surtout que les théories pouvaient figer ou contraindre la pensée
alors qu’il fallait sans cesse faire preuve de créativité pour s’adapter à
chaque personne.
7. « Ma voix t’accompagnera », Éd. Terres et hommes.
8. La psychanalyse (sous sa forme initiale) va décliner un peu partout dans
le monde, à l’exception notable de la France et de l’Argentine, grâce à un
penseur génial, original et charismatique : Jacques Lacan… farouche
opposant à l’hypnose…
9. On a parfois tendance à mettre de côté cette dimension quand on parle
d’hypnose, pourtant la pratique d’Erickson notamment invite à considérer
cet aspect familial, ce qui était assez révolutionnaire à l’époque. Erickson
surprenait (et faisait l’objet de critiques) lorsqu’il recevait un couple, une
famille ou, disons, « plus d’un patient » dans son bureau…
10. Encore aujourd’hui, dans bien des domaines, dire « une étude à montré
que… » / « les neurosciences disent que… » / « la recherche montre que le
cerveau… », fait office d’argument d’autorité un peu trop facilement brandi
face à un public pas toujours à même de vérifier et d’évaluer les sources…
11. TCC : Thérépie cognitivo-comportementale qui, comme on l’a vu, a eu,
plus fortement que d’autres thérapies, la caractéristique d’être évaluée avec
les méthodes « habituelles » des autres médecines.
EBM : « Evidence-based medicine » : avènement de l’idée qu’il faut fonder
la décision médicale sur des preuves établies par des critères scientifiques.
Dans le champ de la psychothérapie, certaines méthodologies doivent être
repensées pour les thérapies complexes, dont l’évaluation et la « preuve de
leur efficacité » est possible mais avec des méthodes peut-être différentes de
l’EBM « classique ».
Chapitre 3
1. C’est la démarche scientifique et de progrès : on évolue dans le monde
des idées en s’attelant, en premier lieu, non pas à ce que l’on doit penser,
mais avant tout à ce que l’on ne peut plus croire.
2. Bien entendu, on pourrait « suggérer le sommeil », dire au sujet de se
placer dans un état qui lui évoque le sommeil, lui demander de se relaxer
très profondément. Il pourra être en hypnose profondément relaxé ET très
présent. Et s’il se détend encore et que l’on attend en se taisant, il pourrait
même éventuellement s’endormir (cela n’arrive quasiment jamais en
séance)… et ce ne serait alors plus de l’hypnose mais bien du sommeil qui
suit une période hypnotique relaxante.
3. D’ailleurs, des formes plus actives et spectaculaires de transes ont
longtemps été réfrénées, décrites comme hors normes par le pouvoir
religieux (la possession des sorcières) ou par le pouvoir médical (des
hystériques en crise jusqu’aux syndrome de personnalités multiples). Il y a
cependant un champ de recherches ouvert sur l’hypnose en mouvement…
4. C’est peut-être même le plus grand progrès de l’hypnose au XXe siècle et
le plus grand apport d’Erickson. Il ne s’agit plus d’hypnotiser et de donner
la solution mais d’aider le patient à entrer en hypnose et à trouver sa
solution, même s’il travaille parfois de façon inconsciente, ce qui ne veut
pas dire inactive !
5. Se rappeler son enfance, ou observer des enfants autour de soi vouloir
faire des « pestacles » pour en voir les racines…
6. Par exemple l’hypnotiseur va dire au public d’entrecroiser les doigts, de
décroiser seulement les index et de se focaliser dessus pour voir à quel
moment ils se rapprochent… ce que physiologiquement ils sont de toute
façon « naturellement » censés faire !
Présenter un signe physiologique comme inconsciemment produit peut
s’entendre, mais le présenter comme le produit d’une suggestion et d’une
suggestibilité ne relève-t-il pas déjà d’une mise en scène voire d’une
entourloupe intellectuelle ? Et dans quel but ?
7. L’hypnothérapie ne transforme donc pas une station de métro en salle de
concert, mais quand la thérapie est réussie, peut-être en nous laissant, dans
un métro sombre, simplement fermer les yeux et imaginer une salle de
concert, elle nous aide à y apprécier le violoniste qui joue.
8. Au contexte décrit plus haut et qui commence dès l’achat du billet et
même avant, s’ajoutent l’ambiance, le son, l’excitation, la fascination quand
le premier sujet très suggestible se met à produire des comportements
étonnants…
9. Cette capacité qui existe donc bien, y compris sans hypnose. De
nombreuses émissions de télévision révèlent ce genre de dispositions
« naturelles » à se donner en spectacle par d’autres moyens comme l’appât
du gain ou d’un éphémère « passage à la télé ».
10. Exemple similaire cité par G. Tosti dans « Le grand livre de
l’hypnose », Éd. Eyrolles.
11. C’est-à-dire le fait de « re-vivre » un souvenir traumatique avec une
décharge émotionnelle similaire quand une situation l’évoque et le ramène à
la conscience.
12. De la même manière, plus largement, certaines émissions de télévision,
certains jeux vidéo, certains usages dans certains contextes (jeux
adolescents, baptêmes de promotion, rites sociaux…) peuvent être bien ou
mal vécus selon les circonstances. Ce n’est pas le problème de la télévision
ou du jeu en soi, mais celui d’une éducation plus globale à faire sur
l’importance du respect de ses propres limites et de celles des autres, mais
c’est un débat bien plus large…
13. Un des drames de cette pratique est la conviction de maîtrise des
praticiens parce qu’ils arrivent à obtenir des effets en apparence plus
impressionnants ou captivants. Les cas de jeunes gens, voire de lycéens,
surfant sur YouTube et imitant des protocoles établis et obtenant des
« phénomènes » montrent bien qu’il est relativement facile techniquement
de « faire jouer le jeu » sur un temps limité. Déstabiliser ou manipuler un
interlocuteur sont, hélas, des phénomènes techniques et faciles, (être
professionnel et éthique demande un autre effort d’apprentissage !) et cette
« maîtrise » n’est qu’une illusion. Nous reviendrons plus loin sur les
différences de contextes entre « les hypnoses ».
14. Nous reviendrons plus en détail sur la question du spectacle et de la rue
dans la partie 3.
15. De façon intéressante, pas seulement d’aide psychothérapeutique
puisqu’un avocat, par exemple, a été mis en cause à ce sujet aux États-Unis.
Il s’agit là aussi d’une demande d’aide par une personne en détresse qui
confie (une partie de) sa vie à quelqu’un qui prétend avoir la solution pour
l’aider…
16. Nombre de cas rarissimes au vu du nombre immense des situations de
demande d’aide chaque jour, mais chaque cas est un cas de trop.
17. On parle de réhumanisation du soin (l’expression est reprise du titre de
l’ouvrage de Patrick Bellet « L’hypnose pour réhumaniser le soin »,
Éd. Odile Jacob) par opposition à une médecine qui serait froide et
purement technique, qui ferait moins cas de la qualité et de l’humanité de la
relation. J’ai, pour ma part, voulu montrer à mes collègues soignants dans
mon livre « Écouter, parler : soigner » (Éd. Vuibert) que la pratique des
thérapies brèves (issues de l’hypnose) nous donne des outils de
communication qui améliorent l’efficacité thérapeutique et la relation de
confiance entre soignant et patient. L’ouvrage « Construire la
communication thérapeutique avec l’hypnose » (Bioy & Servillat [dir.],
Éd. Dunod) montre aussi que les outils d’hypnose sont des atouts précieux
pour améliorer la communication thérapeutique, support d’une relation
thérapeutique humaine, cohérente, utile.
18. Il en est de même pour toute technique de communication, qui permet,
selon la personne qui en retire bénéfice, le meilleur comme le pire. Par
exemple une technique, non hypnotique, visant à faire passer plus
facilement un message pourrait être utilisée par un enseignant au bénéfice
de l’instruction d’un élève, ou bien par un publicitaire au bénéfice de la
vente, ou bien par un politicien en son propre bénéfice pour faire passer
plus facilement l’idée de voter pour lui…
19. Et, bien sûr, ce n’est pas le plus rare. Notons que la violence sexuelle a
été potentiellement connue, selon les statistiques sérieuses les plus
inquiétantes, par un tiers des femmes et un quart des hommes (d’après
l’association « Stop aux violences sexuelles ») et que la plupart des
situations de viol se déroulent dans un contexte intrafamilial ou dans un
contexte où l’agresseur et l’agressé(e) se connaissent.
20. En somme, le traumatisme ancien se « réveille » sous la forme, de
nouveau, d’une sidération.
21. Les thérapeutes formés en quelques jours se rendent-ils toujours compte
des responsabilités qui seront les leurs quand, dès le lendemain de leur
« formation », des patients potentiellement malades, en souffrance, perdus,
viendront leur confier leur détresse ?
22. La tentation fut alors grande pour les théoriciens d’élaborer un système
« d’origines cachées » pour justifier leur expertise. Problématique non sans
lien avec l’idée qu’il faudrait « retrouver », « revivre » le traumatisme en
hypnose. C’est surtout qu’il faut en modifier la trace actuelle, l’empreinte
qu’elle laisse dans la vie de la personne. Pour rendre ce travail possible,
l’idée que tout événement est la conséquence d’une cause unique qui le
précède est un handicap, voire une grave erreur.
23. Une bonne partie des propos qui suivent sont inspirés d’un article
« Psychothérapies et faux souvenirs », que j’ai écrit pour le site « La
réponse du psy », site d’information tenu par des psychiatres pour les
patients et leur entourage. L’article est accessible sur :
http://www.lareponsedupsy.info/FauxSouvenirs.
24. L’amnésie temporaire d’un traumatisme est tout à fait possible même si
la plupart du temps, quand un événement traumatique survient, on s’en
souvient, parfois bien douloureusement.
25. On pourra consulter des chiffres à ce sujet sur ce site spécialisé :
http://www.falseconfessions.org/fact-a-figures ou sur le site de « The
Innocence Project », une ONG américaine ayant pour objectif de faire sortir
de prison des personnes condamnées à tort.
26. Vous pouvez tenter l’expérience suivante : discutez avec un proche d’un
souvenir commun en essayant de le décrire avec le plus de détails possibles.
Vous allez finir par ne pas être d’accord sur des détails. Et plus vous allez
vouloir justifier ou expliquer le détail qui fait votre désaccord, plus cette
histoire deviendra cohérente en vous, et plus vous allez y croire.
27. Bien entendu dans cette partie nous ne parlons que de la mémoire
autobiographique, celle des événements, et pas des « autres mémoires » :
procédurale (qui nous permet d’apprendre des procédures comme lire,
conduire…), de travail (qui permet de retenir une information utile pour un
temps limité), sémantique (qui a retenu les définitions des mots et les
concepts), etc. qui ne fonctionnent pas de la même façon et n’engagent pas
les mêmes zones du cerveau.
28. On lira avec intérêt le livre de ce psychiatre, pionnier des approches
systémiques et éricksoniennes en France « La femme possédée » (Éd.
Robert Laffont) qui évoque entre autres sujets cette question des souvenirs
vrais ou faux, de l’hypnose, des implications judiciaires, en perspective
avec l’histoire de l’enjeu de la possession du corps de la femme en Occident
depuis les sorcières possédées par le diable au Moyen Âge, les hystériques
possédées par le désir à l’époque de Charcot et de Freud jusqu’aux
« personnalités multiples » qui ont fasciné thérapeutes, médias et système
judiciaire dans les années 1980.
29. Voir à nouveau les écrits de Malarewicz à ce sujet (op. cit.).
30. Tout récemment encore, en mai 2017, la justice a par exemple
condamné à Paris une kinésithérapeute qui induisait de faux souvenirs
d’abus sexuels à de nombreuses patientes, et leur extorquait au passage
beaucoup d’argent…
31. D’ailleurs en termes évolutionnistes, la capacité de « tout stocker » est
difficile à justifier. Pourquoi la nature dépenserait-elle tant d’énergie plutôt
que (comme cela semble être le cas) pour stocker plus particulièrement ce
qui est utile à guider nos actions ou à donner du sens. La capacité de donner
du sens aux événements a permis un grand nombre d’activités
spécifiquement humaines (politique, psychologie, philosophie…), c’est une
ressource étonnante et précieuse, mais qui a un prix : ne pas pouvoir
« tout » retenir objectivement. La « vérité » subjective est plus importante
que la « vérité » objective, le sens passe parfois avant le réel.
32. Bien sûr le raisonnement est extensif à toute pathologie. Même avec un
patient souffrant de schizophrénie, m’affirmant entendre la voix de Dieu, je
peux toujours douter qu’il s’agisse de Dieu, je peux penser que cela s’inscrit
dans une maladie, mais la perception, elle, est bien réelle : il entend cette
voix ! Un thérapeute n’est pas « juge de vérité » mais artisan de la
subjectivité.
33. N.B. : il s’agit bien d’une position de thérapeute et pas dans le cadre
d’une expertise bien sûr.
34. Pour une réflexion plus large sur la question de la vérité en thérapie, on
peut lire l’article de feu le Pr Thierry Melchior « Healing through truth », en
français sur : https ://www.academia.edu/16913497/Healing_through_truth.
35. Il arrive que des personnes attribuant un pouvoir quasi magique à
l’hypnose demandent qu’on leur « efface la mémoire ». Ce n’est
évidemment pas possible. Il n’est possible que de changer la façon que nous
avons de vivre un souvenir, ce qui, de facto, le transforme, au moins dans
son interprétation. Mais effacer le souvenir que quelque chose s’est produit
n’est pas possible. L’excellent film de science-fiction « Eternal sunshine of
the spotless mind » explore la question des conséquences d’un effacement
hypothétique de souvenirs.
36. Capacité extraordinaire pour apaiser, avancer et changer mais qui
présente, on l’aura compris, des revers : la contrainte de « sélectionner »
parmi ce qu’il y a à mémoriser, la possibilité de modification voire de
création de faux contenus de conscience…
37. Comme le souligne le Pr A. Bioy dans « Découvrir l’hypnose », Éd.
Marabout.
38. Comme on peut le voir sur un désolant site plein d’ésotérisme et de
paranormal mélangés à de l’hypnose, et dont nous tairons le nom pour ne
pas lui faire de publicité…
39. De façon intéressante, « sceptique » tire sa racine de « skeptos » qui en
grec signifie « scruter »…
Chapitre 4
1. On doit cette formulation au Pr A. Bioy, je la préfère très nettement au
classique « état de conscience modifié ». L’hypnose n’est pas seulement un
« état » stable mais un processus complexe, et n’est pas « modifié »
puisque, finalement, naturel.
2. J’ai découvert l’idée de ces trois composantes dans l’excellent livre de
Salem et Bonvin « Soigner par l’hypnose », Éd. Masson, et je dois l’idée de
l’acronyme à mon ami Laurent Gross.
3. Médecin et hypnopraticien, président et fondateur de la Confédération
francophone d’hypnose et de thérapies brèves et de l’institut Erickson
d’Avignon, auteur de « L’hypnose » et de « Réhumaniser le soin », Éd.
Odile Jacob.
4. Il faut souligner ici que certains patients consultent car ils ont le
sentiment de n’avoir pas assez connu ces expériences de respect ou
d’amour. L’hypnose permettra là aussi un réapprentissage et, par exemple
dans bien des cas, de savoir tirer un meilleur profit des expériences,
initialement vécues comme « insuffisantes » pour être utilisées dans
d’autres contextes, pour se reconstruire.
5. On sent bien qu’il est un peu hasardeux d’étendre la définition de
l’hypnose conversationnelle jusqu’à cette « hypnose sans hypnose ». La
dénomination d’hypnose (conversationnelle) devrait en toute logique
inclure l’idée de pratiquer réellement de l’hypnose, ce qui peut inclure de la
transe ! Mais il s’agissait, notamment de la part de ces thérapeutes à
l’origine des thérapies brèves, de marquer leur lien originel à la pratique
éricksonienne (pour ses stratégies, ses outils de communication, et les très
nombreux cas où Erickson ne faisait pas d’hypnose, du moins formelle et
ratifiée) sans pour autant pratiquer formellement l’hypnose avec induction
de transe et suggestions.
Avec le temps la définition est donc passée de « dialoguer ordinairement
avec une personne en hypnose » à « dialoguer hypnotiquement avec une
personne en état ordinaire »… Tout cela pourrait faire l’objet de débats…
6. L’hypoesthésie est la diminution de la sensibilité. L’hyperesthésie, au
contraire, est une augmentation de l’intensité des sensations.
7. Nous aurons l’occasion de revenir sur le fonctionnement de la
dissociation pour s’intéresser au cœur du fonctionnement thérapeutique de
l’hypnose dans un prochain chapitre. Nous lui préférerons alors le terme de
« désassociation » proposé par notre collègue le Dr Luc Farcy, psychiatre au
CHU de Nîmes.
8. C’est ce qui fait dire à mon collègue le Dr Betbèze que, lorsque plusieurs
personnes ont lu un mauvais livre, elles ont toutes lu le même ; s’il s’agit
d’un bon livre, chacun en aura lu un différent.
9. Le psychologue à l’origine de ce concept est Mihály Csíkszentmihályi,
voir notamment son livre initial de 1990 « Flow : the psychology of optimal
experience », Éd. Harper and Row. Le concept a donné lieu à un grand
nombre d’études ces 20 dernières années.
<!--@@100-->10. On peut lire des témoignages de cet état dans les
performances extrêmes des passionnés comme le joueur de football Pelé
décrivant : « J’ai ressenti comme une sorte d’étrange calme, une sorte
d’euphorie. J’ai eu l’impression de pouvoir courir une journée entière sans
fatigue, de pouvoir dribbler à travers toutes leurs équipes… » ou comme
Michael Jackson qui décrit ce phénomène dans son poème « The Dance » :
« On many occasions, when I’m dancing, I’ve felt touched by something
sacred. In those moments I’ve felt my spirit soar and become one with
everything that exists. […] I keep on dancing, and dancing, and dancing,
until there is only… the dance. »
11. Il s’agit fréquemment surtout d’une attention déplacée sur des contenus
moins accessibles le reste du temps, plus qu’élargie ou totale.
12. Ne voir dans ce terme aucune connotation mystique ! Le terme anglais
enlightment nous montre bien que c’est une « lumière qui vient de
l’intérieur », une idée qui surgit de notre inconscient, un « eurêka ».
13. Le lecteur curieux enquêtera probablement sur ces légendes urbaines
qui donnent du piment aux découvertes scientifiques les plus austères.
14. Cité par Megglé in « Erickson, hypnose et psychothérapie » (op. cit.).
15. On consultera avec intérêt les études de D. Price ou celles de
P. Rainville à ce sujet.
16. Tout comme ébloui/non ébloui, amoureux/indifférent, contact/douleur.
17. Nous entendons par là, au sens où le souligne Jeffrey Zeig dans un de
ses livres, qu’une émotion est « simple », univoque et fugace (joie, colère,
tristesse…), une humeur est plus durable, et un « état » est une disposition
complexe faite d’émotions, cognitions, comportements et éventuellement
relations. Si l’émotion était un atome, l’état serait une molécule. Selon lui,
l’hypnose est un « état », complexe et relationnel (comme certains
états évoqués ici : l’empathie, l’amitié ou l’amour…).
18. Antoine Garnier, que je salue ici.
19. C’est-à-dire de ce courant de pensée qui estime que les phénomènes
sociaux ou psychologiques sont essentiellement construits par la façon dont
on en parle, sont définis par les conversations, les récits, les conventions
relationnelles, le contexte. Par exemple, la même personne que nous
rencontrerions dans un contexte festif, dans un accident de voiture ou dans
une situation professionnelle nous ferait entrer en relation de façon bien
différente, ce serait bien plus une histoire de contexte social que de réalité
de la personne. J’ai tenté d’illustrer longuement le phénomène dans mon
livre « Écouter, parler : soigner », Éd. Vuibert.
20. Même certains médicaments n’ont pas un mécanisme d’action
totalement clarifié, ce qui n’empêche pas de les utiliser quand on constate
leur effet et leur tolérabilité.
21. Difficulté à parler, à articuler les mots.
22. Psychiatre et auteur de nombreux livres tels que « Les thérapies
brèves », « La dépression », « 12 conférences » ou l’excellent « Erickson,
hypnose et psychothérapie » (op. cit.) d’où est extraite cette citation.
23. Le « principe d’analogie », au sens plus large, pourrait même être un
des ressorts centraux de l’efficacité de l’hypnose. On pourra lire à ce sujet
« Hypnose clinique et principe d’analogie » de Bioy et Keller (Éd.
De Boeck).
24. Sur la question beaucoup plus large du « geste » hypnotique et
thérapeutique, on peut lire le magistral « Il suffit d’un geste » de François
Roustang (Éd. Odile Jacob).
25. Je me permets de conseiller cette vidéo au sujet de « l’effet ours blanc »
sur la chaîne YouTube « CommPsy » à ceux qui voudraient en savoir plus
sur ce drôle d’effet psychologique : https ://www.youtube.com/watch?
v=84QLSGflh4w.
26. Le thérapeute peut être satisfait que son patient aille mieux mais il n’a
pas de bénéfice personnel à la guérison (c’est pour cela qu’un thérapeute
n’est pas censé soigner ses proches), il ne peut le vouloir à sa place, et n’a
qu’une obligation de moyens.
27. Bien entendu à l’exception des situations qui sortent d’une situation de
thérapie et exigent un signalement de la part du thérapeute. Si un patient
handicapé ou mineur avoue être maltraité ou abusé, si un patient exprime
des projets meurtriers, etc. le thérapeute sortirait de sa neutralité. En
revanche, ce qui met en jeu uniquement les valeurs du patient ne doit pas
entraîner de jugement de valeur de la part du thérapeute. Je pense par
exemple à ce patient pris dans une difficulté pour choisir entre sa femme et
sa maîtresse. Il ne m’appartenait sûrement pas de lui dire quoi faire ou de
lui donner mon avis personnel !
28. L’on pourra là aussi consulter cette vidéo de la chaîne « CommPsy » si
l’on veut en savoir plus à ce sujet : https ://www.youtube.com/watch?
v=4JsfjQOGXPM et sur l’effet Greenspoon :
https ://www.youtube.com/watch?v=mbpzlhqZ9yY.
Chapitre 5
1. De façon intéressante, remarquons que l’anxiété préopératoire y est
comparable. Le contraire aurait pu être étonnant ! Cela nous dit bien que
l’inquiétude anticipatoire d’une opération ne varie pas selon la méthode
d’anesthésie, mais dépend bien sûr d’un grand nombre d’autres variables.
2. Comme pour tout le reste de ce chapitre, je ne citerai pas extensivement
les références des études cliniques sur lesquelles je m’appuie. Et cela pour
plusieurs raisons : tout d’abord cela alourdirait inutilement les notes de
références nombreuses, longues et en anglais. Par ailleurs toutes les études
sont facilement accessibles et disponibles et au moins leurs résumés et
résultats principaux sur les bases de données médicales habituelles (comme
PubMed). Enfin ces études ont des intérêts et des limites que nous
expliquerons un peu plus loin.
Concernant l’anesthésie, on consultera prioritairement et avec intérêt les
travaux pionniers de M.-E. Faymonville.
3. Ces derniers par exemple nécessitent une réfection de pansement
fréquente avec une anesthésie à chaque fois. Le bénéfice en termes de doses
administrées de molécules est évident si l’on compare l’utilisation de
l’hypnose à une anesthésie générale plusieurs fois par semaine…
4. C’est-à-dire qu’on ne lui administre pas ces molécules qui relâchent
complètement les muscles, il continue à déglutir, etc.
5. Ici aussi, le lecteur intéressé trouvera de nombreuses références sur les
bases de données de recherches médicales. Signalons que, récemment, une
étude de la revue indépendante Cochrane a montré que l’hypnose était la
meilleure technique non médicamenteuse pour gérer les soins douloureux
nécessitant des aiguilles…
6. Je m’appuie là aussi sur les définitions de la SFETD.
7. Pour être plus précis pour les amateurs de recherche bibliographique
PubMed, au moment où nous écrivons (mai 2017), ce chiffre doit être
ramené autour de 800 pour les publications dont ce sont les mots clés
MeSH (avec la requête : « “Hypnosis”[Mesh] AND “Pain”[Mesh] »), dont
environ un quart ont été publiées ces 10 dernières années, ce qui est
considérable.
8. Pour les personnes peu familières de ces mots : un psychiatre est un
médecin spécialiste des souffrances psychiques et des maladies mentales.
Un psychologue a suivi un cursus long de psychologie le rendant spécialiste
de l’étude et de l’exploration du psychisme. Un psychothérapeute (terme
depuis peu encadré par la loi) est un praticien ayant acquis des
connaissances et une formation suffisante pour pratiquer la psychothérapie.
La psychothérapie est une méthode de soin par des moyens relationnels et
psychiques qui peut être pratiquée sous des modalités très diverses
(psychothérapie psychanalytique, TCC [thérapie cognitive et
comportementale], hypnose, thérapie brève, ou bien d’autres) par un
praticien (qu’il soit psychiatre, psychologue ou psychothérapeute) dûment
formé à la pratique en question.
9. Voir le chapitre « Qu’est-ce que l’hypnose ? » pour plus d’informations
sur ce terme.
10. Se référer au chapitre qui aborde les différences avec les autres
techniques pour plus de détails.
11. C’est ce qui peut ressortir d’une lecture d’un élève d’Erickson comme
Ernest Rossi.
12. C’est ce qui peut ressortir des derniers travaux d’un autre élève
d’Erickson, et d’ailleurs président de la fondation Erickson : Jeffrey Zeig.
13. On lira avec intérêt l’article « Guérir par la vérité », « Healing through
thruth », du regretté Pr Thierry Melchior, que l’on trouve en accès libre sur
Internet.
14. Les lecteurs intéressés par ce phénomène pourront consulter avec intérêt
les travaux, par exemple, de Bruce Wampold, un des auteurs les plus
intéressants sur la question, je pense notamment à ses articles : « Placebo is
powerful », « Where oh where are the specific ingredients » ou encore
« Bona fide psychotherapies are similar in effectiveness » dont on trouvera
facilement les textes en intégralité et en anglais sur Internet.
15. Si vous comptez entreprendre une thérapie par l’hypnose, souhaitons
que ce livre y contribue !
16. Toute thérapie implique un travail du patient. Comme le disent
ironiquement certains Américains : « If a dead man can do it, it’s not
therapy », aucune méthode ne nous « répare » passivement.
17. Comme nous l’avons également précisé plus haut, les lecteurs
maîtrisant la langue anglaise pourront aussi trouver facilement les
références et articles (et même bien d’autres) sur les bases de données
(comme PubMed) avec les mots clés correspondant aux indications
recherchées, associés au terme « hypnosis ».
18. Voir notamment : Sheldon H. Preskorn, Matthew Macaluso, Madhukar
Trivedi, « How Commonly Used Inclusion and Exclusion Criteria in
Antidepressant Registration Trials Affect Study Enrollment », Journal of
Psychiatric Practice, 2015 ; 21 (4) : 267.
19. Le lecteur curieux pourra creuser la question avec des ouvrages comme
« Les psychothérapies sont-elles rationnelles ? » d’A. Blanchet, Éd. PUG,
« The great psychotherapy debate » de B. Wampold, Éd. Routledge, ou
« Méthodologie de la recherche en psychologie clinique » de S. Ionescu,
Éd. PUF, pour se donner une petite idée de la complexité à laquelle les
chercheurs sont confrontés…
20. Je reprends ici une expression extrêmement pertinente du Pr Antoine
Bioy au sujet de l’hypnose.
21. J’ai, de façon parfois maladroite à l’époque, mais le plus
exhaustivement possible, soulevé cette problématique et analysé une partie
des tenants et aboutissants dans ma thèse d’exercice « Hypnose et arrêt du
tabagisme » soutenue à la faculté de médecine de Nancy en 2009. J’ai
présenté depuis plusieurs fois cette recherche de façon actualisée dans des
formations et conférences.
22. Cette expression est employée à dessein, comme on pourra le
comprendre au prochain chapitre…
Chapitre 6
1. Évidemment, celui qui prétend « hypnotiser » n’a, contrairement à ce
qu’il a besoin de laisser paraître, aucun pouvoir, puisque l’hypnose est
produite par le sujet ! Comme nous l’avons dit, « hypnotiser » est un terme
impropre puisqu’on ne peut que (au mieux) créer les conditions pour une
entrée du sujet en hypnose.
2. Je renvoie de nouveau à cette vidéo qui explicite cette expérience sur la
chaîne « CommPsy » : https://www.youtube.com/watch?v=LJrFB5CeX4o.
3. Lire l’indispensable « Petit Traité de manipulation à l’usage des honnêtes
gens » de Joule et Beauvois, Éd. PUG.
4. Comme nous l’avons souligné il serait nettement plus difficile d’obtenir
des effets thérapeutiques sur une pathologie lourde, chronique ou
complexe ; dans ce cas-là l’apprentissage est bien plus long, tant pour la
connaissance de ladite pathologie que pour le savoir hypnotique
nécessaire…
5. Sauf, bien sûr, pour l’hypnose en chirurgie ou dans d’autres soins…
spectaculaires et qui intéressent les reportages télévisés…
6. Voir le livre de C. Bernheim « Hippolyte Bernheim : un destin sous
hypnose » (Éd. JBZ) qui dit aussi qu’à cette époque de controverse, les
spectacles battaient leur plein et attiraient parfois Bernheim lui-même…
7. Peut-être une des raisons qui vous a fait acheter ce livre ?
8. Cette expression s’est mise d’ailleurs à désigner un certain type
d’hypnose (spectaculaire, avec un hypnotiseur en position de domination
qui obtient des phénomènes) même par certains qui l’utilisent sans jamais
avoir monté de spectacle ou joué sur une scène.
9. Mot ici plus proche du sens anglophone, particulièrement usité dans le
domaine du spectacle ou de l’art et qui désigne une séquence d’actions
consécutives.
10. Nous avons déjà souligné à quel point les effets visuellement
spectaculaires n’étaient pas forcément les plus profonds ni les plus durs à
obtenir (ce qui ne veut pas dire que s’ils sont mal utilisés ils ne peuvent pas
laisser de traces).
11. Marmion J.-F. « On a testé pour vous… l’hypnose de rue », Le cercle
psy – no 22 – sept./oct./nov. 2016.
12. Comme il semblerait plus difficile à beaucoup d’imaginer les scènes
inversées : une femme derrière un homme, les mains posées sur les épaules,
et qui lui dit qu’il se sent tomber en arrière et le ramasse dans ses bras… Ou
bien face à lui, mettre la main derrière sa nuque (sans l’avoir prévenu) pour
créer la surprise et l’attirer légèrement vers elle, en lui disant que sa tête va
tomber vers l’avant…
Des femmes hypnotiseuses autoritaires qui inversent les clichés, cela doit
exister, me dira-t-on. Oui, sûrement. Mais cela ne doit pas nous priver d’une
certaine lucidité sur les réalités de cette pratique…
13. Ce qui leur serait peut-être difficile car c’est aussi leur « gagne-pain » et
il est dans leur intérêt de flatter leur auditoire.
14. Émission Envoyé spécial, « L’hypnose de rue », reportage de Laurent
Dy, disponible en ligne : http://www.francetvinfo.fr/replay-
magazine/france-2/envoye-special/video-envoye-special-hypnose-de-
rue_1417113.html (consulté le 29 mars 2017).
15. Je regrette un peu que certains collègues se prêtent à ce drôle d’exercice
alors, évidemment, que le complément de formation, ou la supervision par
un praticien plus chevronné, est la voie naturelle et adaptée à emprunter
pour les thérapeutes utilisant l’hypnose.
16. La vente d’alcool ou de cigarettes est interdite aux mineurs, même si
tout le monde sait que certains boivent ou fument ! Les enfants doivent être
toujours un peu plus protégés avant d’avoir l’âge de prendre leur
responsabilité. Aux adultes de les informer et de les protéger et non pas de
les exposer ou de les amener à en exposer d’autres, tant sur l’usage d’objets
dangereux, de substances, sur les relations, la sexualité, etc. Je ne sais pas si
l’interdiction pure et simple de la pratique de l’hypnose dans la rue
résoudrait quoi que ce soit, mais son interdiction de la pratiquer sur des
mineurs devrait en revanche être un principe minimal, et qui aurait la
fonction symbolique d’attirer l’attention sur le caractère pas toujours anodin
de l’hypnose.
17. Il y a à s’inquiéter du relatif danger qui peut survenir par la pratique non
maîtrisée de l’hypnose, mais aussi et surtout du danger qu’ils font courir à
l’hypnose, la décrédibilisation qui la guette en la laissant assimiler aux yeux
du public à ce genre de pratiques suggestives et dominatrices…
18. Et dont on pourrait juste souhaiter qu’elle puisse favoriser les numéros
respectueux et de bon goût.
19. Joule & Beauvois, op. cit.
20. L’hypnose fractionnée consiste à successivement faire « sortir et
rentrer » la personne dans la transe. À chaque « rentrée », la personne va
dans une hypnose plus profonde. Quand cette relation d’hypnose a été
fondée sur l’obéissance aux suggestions, la personne va encore plus
facilement faire ce qu’on lui demande…
21. Il appartient aux amoureux avertis, éthiques et scientifiques de
l’hypnose, de réfléchir à des moyens sécures et sans dérives de rendre la
connaissance de l’hypnose et de l’autohypnose agréable. Certaines
formations de groupe à l’autohypnose organisées entre autres par des
soignants (sur le modèle des groupes de méditation) est une des pistes.
22. Un joli tour de Derren Brown m’a été montré (il s’agit d’un magicien et
hypnotiseur anglais, connu pour faire des tours spectaculaires et parfois
dérangeants… mais aussi, en sceptique assumé, pour révéler après coup la
supercherie et nous questionner sur nos croyances) (disponible en vidéo sur
YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=qK32_9PGOCg). Je ne le
décris pas pour laisser les curieux aller voir.
Après la surprise initiale qui peut nous faire craindre le même genre de
dérives, Brown révèle élégamment l’aspect artificiel de la croyance
limitante. Le numéro est fin, et introduit l’idée, non pas d’un message de
pouvoir de l’hypnotiseur sur la personne (il ne s’agit pas de la « toucher à
distance » pour amuser) ou de domination, mais d’esprit critique, de lui
faire découvrir, à elle-même, son propre pouvoir et son propre scepticisme.
Quand un numéro fait preuve de finesse, on pourrait presque envier le sujet
de vivre une expérience de « libération de croyance limitante », alors
qu’hélas, nombre de numéros visant à subjuguer, ne donnent pas
franchement envie de s’y plier…
Chapitre 7
1. C’est le cas souvent des soignants formés, par exemple, dans l’un des
33 instituts de la CFHTB (Confédération francophone d’hypnose et
thérapies brèves) ou à l’IFH (Institut français d’hypnose) ou au CHTIP
(Collège d’hypnose et thérapies intégratives de Paris) ou au centre
Ipnosia…
2. Article 4161-1 du Code de la santé publique.
3. Cass. crim., 19 mars 1953, D. 1953, 664.
4. Cass. crim., 19 juin 1947, Bul. crim. nos 505 et 506 ou encore Crim., 24
nov. 82, Bull. crim. no 381 ; Crim., 28 mai 1957, D. 1958, 388.
5. Crim., 30 mars 1954, D. 1954, 351.
6. Boudot J. « Le droit face au paranormal (2) : l’exercice illégal de la
médecine », SPS, no 253, juillet 2002.
7. Par exemple : C.A. Douai, 22 févr. 1951, Gaz. Pal. 1951, I, 268. Et
parfois pas condamnés quand ils estimaient que le traitement n’était pas en
conflit ou concurrence avec la médecine officielle : C.A. Toulouse, 18 juin
1952, Gaz. Pal. 29-31 octobre. Le magnétiseur « agissant simplement par
imposition des mains et renvoyant les clients à leur médecin s’il constatait
que le pouvoir magnétique qu’il prétendait détenir demeurait inefficace ».
Mais à l’inverse, la Cour de cassation, laquelle a censuré un arrêt de la Cour
d’appel de Nancy, qui avait elle aussi relaxé un magnétiseur, au motif que
« les impositions des mains auxquelles il se livrait n’étaient pas de nature à
nuire à la médecine officielle, dont il acceptait le diagnostic et le
contrôle », Crim., 26 janv. 1966, Gaz. Pal. 30 avril-3 mai, R.S.C. 1966,
p. 615 (cité par Boudot J. op. cit.).
8. Cependant, il est parfois difficile de comprendre pourquoi une technique,
bien que ses effets ne soient vraisemblablement que psychologiques, puisse
être condamnée (comme la radiesthésie ou l’imposition des mains) alors
qu’une autre, parce qu’elle n’engagerait qu’une technique uniquement
verbale, soit moins à risque d’être considérée comme un élément de
diagnostic ou thérapeutique… Et ce d’autant que les psychothérapies, par
exemple, évoquées à la faculté de médecine, partie intégrante de l’arsenal
thérapeutique du psychiatre, efficaces scientifiquement, sont bien un des
moyens de la médecine. En légiférant sur le titre de psychothérapeute, la loi
a ajouté une complexité, rapidement contourné par ceux qui ont alors
enlevé le préfixe « psycho » et continuent, tout simplement, à exercer des
« thérapies »…
9. Précisons aussi que l’exercice illégal de la médecine est de facto utilisé
dans la lutte contre les sectes qui ont souvent prétention de guérir et
pratiquent des pseudomédecines. Ce que l’on peut regretter dans un certain
sens car, au lieu de dénoncer l’escroquerie du charlatan sectaire, on dénonce
son absence de titre. On dit donc qu’il l’a fait illégalement mais qu’il a
exercé illégalement… la médecine !
10. On peut voir notamment : Keke L. M. (2014), Hypnose et gestion du
risque éthico-juridique. Mémoire de DU Hypnose médicale, Université
Paris-6.
11. Qui concernaient un médecin dans deux cas, un ostéopathe dans un cas,
un « magnétiseur » dans un cas, un « hypnotiseur » non-médecin dans un
cas, et un proche (ami/famille) dans le dernier cas.
12. On peut citer par exemple : C.A. Paris, 7 juin 1937 (pratique de
l’hypnose sans ordre ni contrôle médical) ou plus récemment :
C.A. Toulouse, Chambre des appels correctionnels 3, 17 févr. 2009 –
 no 08/00429, 203/09 et no 09-81.778 de la chambre criminelle du 9 mars
2010 (exercice illégal de la médecine).
13. Ce dernier mot dans le cadre d’une thérapie (c’est-à-dire qui vise quand
même une aide, même si on admettait que ce n’est pas un « soin ») est
quasiment une forme d’hypocrisie visant à gommer artificiellement
l’asymétrie inévitable entre quelqu’un qui demande de l’aide et celui à qui
il le demande et le paie pour cela… tout en étant une façon d’éviter
l’ambiguïté et la tromperie qu’induiraient des mots soignants…
14. C’est pourquoi plus que de prohiber ou d’interdire, moi qui n’en ai
aucunement l’intention ni le pouvoir, je prendrais encore une fois l’option
de l’information. Donner de l’autonomie et de la connaissance renforce et
protège.
15. Boudot J., op. cit.
16. Ou considérée comme illégalement concurrentielle par les médecins, ce
qui grandit presque son auteur….
17. Citons, par exemple, le jugement correctionel du TGI de Dijon du
16 juin 2000 (no 2000/1715), où le syndicat départemental des masseurs-
kinésithérapeutes est partie civile poursuivante face à des praticiens pour
exercice illégal de la profession de masseur-kinésithérapeute. « Attendu que
si l’article L. 487 du Code de la santé publique réserve aux seuls titulaires
du diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute la pratique du massage, ce
texte n’instaure de protection qu’à l’égard de l’activité elle-même de
massage mais sans protéger le terme lui-même ; [je souligne]
(…) Que dans le langage courant, et en particulier dans le domaine de
l’esthétique, de la beauté et du bien-être, le terme de massage s’applique à
de simples attouchements, à des effleurements légers (…) sans pour autant
comporter une mobilisation ou une stimulation mécanique ou réflexe des
tissus ;
Que les pièces de la procédure et les débats ne démontrent pas que Madame
M (…) ait pratiqué ou fait pratiquer le massage au sens des décrets
précités. »
18. Pour un état des lieux sur la question et un appel à une réflexion
scientifique on pourra lire : Monvoisin N. & Pinsault N., « La
kinésithérapie piégée par les mages », Le Monde diplomatique, déc. 2015,
p. 22.
19. Sur ces stratégies dites d’empowerment et pour apprendre beaucoup et
faire des choix plus libres autour de la question de la parentalité, je
recommande vivement le livre de Béatrice Kammerer : « Comment éviter
de se fâcher avec la terre entière en devenant parent ? », Éd. Belin.
20. Il s’agit de la dernière version du « Manuel statistique et diagnostique »
de la société américaine de psychiatrie. Son pendant européen/international
est l’ICD édité par l’OMS (Organisation mondiale de la santé).
21. D’une certaine manière, les demandes un peu plus liées à un mal-être
non sans lien avec une exigence sociale normative que l’on s’impose : « je
devrais » dormir mieux/m’en sortir/ne pas être autant affecté par/tenir/ne
pas avoir si peur, etc. et, bien que la médecine ait développé des réponses,
on pourrait les opposer aux demandes psychiatriques plus lourdes qui
reflètent des comportements ou des souffrances vus comme problématiques
dans la plupart des sociétés.
22. Finalement, si la société voulait croire à une possible vie heureuse et en
faire la norme, elle pourrait adapter cette définition, la souffrance étant une
déviation de cette norme et la maladie mentale, le syndrome clinique qui
semble nous en empêcher.
23. Je compare la définition du trouble mental dans le DSM 4 et 5 en
soulignant la subtile différence qui permet de voir cette évolution.
Dans le DSM 4-TR : « Un syndrome comportemental ou psychologique
cliniquement significatif, survenant chez un individu et associé à une
détresse concomitante (syndrome de souffrance) ou à un handicap
(altération du fonctionnement) ou à un risque significativement élevé de
décès, de souffrance, de handicap ou de perte importante de liberté. (…)
Quelle qu’en soit la cause originelle, il doit être considéré comme la
manifestation d’un dysfonctionnement comportemental psychologique ou
biologique de l’individu. » [Je souligne.]
La définition du trouble mental dans l’édition suivante (DSM 5) : « Un
trouble mental est un syndrome caractérisé par une perturbation
cliniquement significative de la cognition d’un individu, de sa régulation
émotionnelle ou de son comportement et qui reflète l’existence d’un
dysfonctionnement dans les processus psychologiques, biologiques ou
développementaux sous-tendant le fonctionnement mental. Les troubles
mentaux sont le plus souvent associés avec une détresse ou altération
importante des activités sociales, professionnelles ou autres domaines
importants de fonctionnement. » [Je souligne.]
Dans le premier cas le trouble est avant tout une souffrance (ou un
handicap ou une perte de liberté) qui doit être considérée comme la
manifestation d’un dysfonctionnement. Dans le deuxième cas il est avant
tout une perturbation, un dysfonctionnement d’un processus normé, et
usuellement (seulement) associé à la détresse ou à la perturbation des
occupations sociales. La norme psychique, sociale et occupationnelle a pris
clairement le pas sur la question de la souffrance, du risque élevé de décès
ou de perte de liberté.
24. Sur la question de l’apparence physique, l’accès au bonheur,
l’accomplissement, le comportement à avoir face aux difficultés, la façon
d’apprendre et tous les « il faut »…
25. Ajoutons à cela que les paradigmes changent encore en psychiatrie, on
parle de plus en plus d’intervention précoce, de prévention sélective (c’est-
à-dire de prévoir une prise en charge sociale ou familiale des sujets à risque,
avant que les symptômes « francs » ne se déclarent en fonction
d’indicateurs de risques) et même de tentatives de réviser la nosographie.
La psychiatrie décrirait alors des groupes de signes cognitifs en lien avec
des dysfonctions pouvant diversement évoluer… Voir l’interview du
Pr Boyer sur le Congrès européen de psychiatrie :
http://francais.medscape.com/voirarticle/3603178?
faf=1&src=soc_fb_170416_mscpfr_feat_EPA1.
26. Il a en fait voulu rassurer sur le fait que l’hypnose ne pouvait être tenue
pour responsable de comportements dangereux ou violents, dont les auteurs
se seraient défendus en arguant qu’ils étaient sous hypnose. C’est un vieux
débat médico-légal, et aujourd’hui tout le monde accepte l’idée que la
responsabilité légale est conservée sous hypnose.
27. On trouvera dans « Quatre Conférences sur l’hypnose », Éd. ESF ce
texte où Erickson moque gentiment ses confrères craintifs de l’hypnose en
tant que technique médicale, les comparant à ceux qui avaient rejeté la
transfusion ou d’autres innovations depuis parfaitement reconnues…
28. Certains patients n’osent pas dénoncer les arnaques car ils pensent « ne
pouvoir s’en prendre qu’à eux-mêmes » d’être allés voir un praticien non
qualifié s’avérant finalement être un charlatan. Attention ! C’est ainsi qu’ils
prospèrent. Abuser de la confiance des personnes en situation de détresse
est une circonstance aggravante, diplôme officiel ou pas.
29. Un livre de référence dans le domaine des thérapies brèves s’intitule
« Pour une thérapie brève. Le libre choix du patient comme éthique en
psychothérapie » (Cabié et Isebaert, Éd. Érès). Plus que jamais je fais
mienne cette maxime.
30. On peut se féliciter, bien sûr, que la France vise toujours à avoir des lois
protectrices des gens vulnérables, et il y en aura d’autres, mais il subsiste
toujours un jeu de langage possible qui ne fait parfois que repousser le
problème. Espérons qu’une future – éventuelle – loi tiendrait compte de ces
nuances.
31. La loi Accoyer, me diront certains, prévoit des critères pour le métier de
psychothérapeute. Certes, mais la loi n’est pas franchement appliquée et est
ambiguë. Certains en retirant le préfixe « psycho » sont devenus thérapeutes
sans que l’on se rende compte (ou presque) du changement, d’autres ne sont
plus psychothérapeutes mais pratiquent des techniques de
psychothérapies… tout cela nous montrant qu’il est dur de protéger des
mots d’un usage.
32. En effet et quitte à surprendre, même un psychiatre, qui a appris dans
son cursus de base à diagnostiquer et à soigner des maladies mentales, n’a
pas appris les outils des psychothérapies ; de même que le psychologue, qui
a appris dans son cursus initial un certain nombre de théories et de moyens
d’évaluation du psychisme, mais pas de modèle psychothérapeutique. Les
« psys » formés l’ont été souvent au prix d’une formation complémentaire,
d’initiative et de financement personnels.
33. Comme le dit le titre de l’ouvrage de P. Bellet (op. cit.).
34. Il y a quelques DU (diplômes universitaires), ouverts uniquement à
certaines catégories de soignants, qui assurent un certain nombre de
connaissances théoriques mais qui sont parfois insuffisants pour pratiquer
pleinement quand ils contiennent trop peu d’heures de pratique. Ils
devraient selon nous, pour pouvoir se lancer dans une vraie pratique, être
assortis d’une formation où une large place est laissée aux exercices et
supervisions.
35. Il raconte son aventure dans cet article :
http://www.hypnosisnetwork.com/articles/this-cat-is-not-a-hypnotist.
Un psychologue anglais a réussi la même expérience avec des associations
anglaises : http://news.bbc.co.uk/2/hi/8303126.stm.
36. On peut même dire ironiquement que, si la plupart des PNS sont à la
fois bien intentionnés et d’un niveau peu élevé, cela les rend plus
inefficaces que dangereux et, dans ce sens, le mauvais niveau des
formations n’est pas une si mauvaise chose…
37. Erickson n’a jamais dit être éricksonien (et n’aurait sûrement pas aimé
l’idée), il encourageait chacun à trouver son style et à ne pas limiter,
enfermer l’hypnose.
<!--@@200-->38. Plus ou moins dissocié, plus ou moins profond, plus ou
moins modifié, augmenté, focalisé, internalisé, externalisé, amnésié,
anesthésié, activé…
39. Tout en reconnaissant que, bien sûr, les techniques directes d’hypnose
peuvent avoir un intérêt en pratique, si elles sont utilisées dans un but dirigé
vers le sujet, d’aide ou de mieux-être et pas pour le désarçonner ou réduire
inutilement son confort.
40. L’option serait de tout simplement faire reconnaître l’hypnose comme
uniquement une technique de soins. À partir de là, les choses seraient
officiellement claires, de la même façon que certains termes et gestes
(injections, chirurgie…) sont réservés aux soignants, il deviendrait donc
interdit à tout non-soignant de pratiquer l’hypnose. (Il n’apparaît pas
flagrant cependant qu’un diplôme soignant entraîne automatiquement et à
lui seul une meilleure capacité en hypnose…)
Option claire mais… réalisable ? On se heurterait aux mêmes problèmes
que ceux déjà rencontrés : comment interdire l’apprentissage d’une
technique qui ne nécessite aucun objet particulier et dont les livres
foisonnent ? Comment exclure tous les usages non-soignants mais éthiques
de l’hypnose ? Comment ne pas imaginer qu’un autre mot viendrait le
remplacer et que les mêmes problèmes continueraient ?
41. Solution qui n’empêcherait pas tout, notamment l’usage d’un mot
« dérivé » pour continuer une mauvaise pratique pédagogique. Mais elle
permettrait de protéger un peu des formations aberrantes qui emploient ce
vocable ce qui permettrait dans l’idéal de les distinguer.
42. Pour rappel : elle n’est pas comme une drogue ou un médicament. Bien
qu’une substance puisse donner le meilleur comme le pire selon l’utilisation
et l’utilisateur, dans le cas de l’hypnose, il n’y a pas d’objet extérieur, de
substance, mais un fonctionnement naturel.
Les massages sont une comparaison intéressante même si elle est imparfaite
puisqu’ils tolèrent une pratique agréable et personnelle, une pratique du
milieu du bien-être, une pratique soignante pour les kinés, par exemple.
On a pu comparer cela à la sexualité dans le sens où elle est un acte
physiologique mais qui nécessite d’être prudent et de ne pas s’y exposer
n’importe comment. Elle peut être agréable mais aussi l’expression de
relation pervertie. Cependant, elle n’a pas d’usage à proprement parler
médical ou thérapeutique et en tout cas n’est pas une thérapie.
La comparaison avec l’accouchement pouvait aussi avoir sa pertinence dans
le sens où il s’agit d’un acte physiologique, qui peut être accompagné non
médicalement, mais aussi potentiellement médicalisable, qui a vu apparaître
des praticien-ne-s non-soignant-e-s aux pratiques des plus recommandables
aux plus ésotériques.
43. C’est d’ailleurs le titre d’un ouvrage de mes consœurs Isabelle Prévot-
Stimec et Élise Lelarge : « Prendre soin de soi par l’auto-hypnose », Éd.
Dunod.
44. Se méfier des « copies presque conformes » qui imitent parfois à une
lettre près les noms d’institutions soignantes pour appliquer une autre
éthique…
45. C’est-à-dire un nombre d’heures suffisant, une large place à la pratique,
l’absence de concepts mystiques, de marques déposées de thérapie, de
protocoles préétablis uniquement et pour tout, d’e-learning, de formateurs
qui ne seraient pas cliniciens, de formateurs qui ne feraient
qu’impressionner en déstabilisant les stagiaires ou en les poussant à livrer
publiquement des aspects trop intimes…
46. Je n’ai pas à dicter la conduite de qui que ce soit, et je ne souhaite pas
encourager la pratique de la thérapie par des personnes non qualifiées, mais,
puisque la demande existe (et m’est régulièrement formulée) et que je peux
ici donner mon avis, j’indique quand même quelques points.
Chapitre 8
1. Si vous vouliez compter jusqu’à 100 milliards, il vous faudrait 3 200 ans.
À cela s’ajoute que les cellules gliales représentent environ autant de
cellules du cerveau, dont le rôle est encore imparfaitement élucidé…
2. Je n’entre volontairement pas dans les délicats problèmes de définitions
et de limites de la conscience. Une fois de plus je recommande les
passionnants ouvrages et les conférences disponibles sur Internet de
chercheurs comme Stanislas Dehaenne ou Lionel Naccache qui viendront
chatouiller les neurones de la curiosité des intéressés…
3. Notion critiquable. Tout le monde est en fait hypnotisable puisque c’est
un état naturel, commun à tous. En revanche, tout le monde n’y accède pas
de la même façon. Le thérapeute s’adapte, à la personnalité, aux attentes.
Pour les besoins de la recherche fondamentale ont été élaborées des
« échelles d’hypnotisabilité » (qui sont plutôt des échelles de suggestibilité
car elles sont mesurées non en fonction de l’état d’hypnose, mais en
fonction de la réponse aux suggestions). La corrélation entre la réponse aux
suggestions et l’intensité de l’hypnose (qu’il n’est pas vraiment possible de
« mesurer ») ou « l’hypnotisabilité » (la facilité à entrer dans cet état) est
loin d’être évidente ! Certains « non hypnotisables » en recherche seraient
peut-être très hypnotisables autrement !
Ces échelles sont en fait d’un certain nombre d’exercices hypnotiques, les
uns à la suite des autres. Plus le patient répond à un grand nombre de ces
exercices, plus il est dit « hypnotisable ». Mais, pour être précis, il n’est pas
« plus hypnotisable » en général, mais plus sensible à ces suggestions et
dans ce contexte.
4. Rainville & Price DD., Hypnosis phenomenology and the neurobiology
of consciousness, Int J Clin Exp Hypn., 2003 Avr. ; 51(2) : 105-129.
5. On peut consulter là aussi, à cet effet les publications par exemple de
Rainville et Price :
Rainville & al., Cerebral mechanisms of hypnotic induction and suggestion,
J Cogn Neurosci., 1999 Jan. ; 11(1) : 110-125.
Rainville & al., Hypnosis modulates activity in brain structures involved in
the regulation of consciousness, J Cogn Neurosci., 15 août 2002 ; 14(6) :
887-901.
De Maquet et Faymonville :
Maquet & al., Functional neuroanatomy of hypnotic state, Biol. Psychiatry.
1er févr. 1999 ; 45(3) : 327-333.
Faymonville & al., Functional neuroanatomy of the hypnotic state,
J. Physiol, Paris, juin 2006 ; 99(4-6) : 463-469.
De Jiang et Spiegel :
Jiang & al., Brain Activity and Functional Connectivity Associated
with Hypnosis, Cereb Cortex, 28 juill. 2016.
6. Voir la métaphore du « Lego » au chapitre suivant.
7. De plus en plus, nous formons des personnes qui traitent des patients
avec des déficits cognitifs, sensoriels ou autres et il apparaît clairement
qu’il est toujours possible d’entrer en transe et d’en vivre un effet
thérapeutique. Ainsi de cette collègue qui nous montra comment ses
patients âgés atteints de démence entraient de plus en plus facilement en
hypnose, en vivaient des phénomènes et des bénéfices thérapeutiques, alors
même qu’ils ne se souvenaient pas du thérapeute d’une séance à l’autre du
fait de leurs troubles de mémoire !
8. Faymonville et al., Neural mechanisms of antinociceptive effects of
hypnosis, Anesthesiology, mai 2000 ; 92(5) : 1257-1267.
Hofbauer et al., Cortical representation of the sensory dimension of pain,
J. Neurophysiol, juill. 2001 ; 86(1) : 402-411.
Wik et al., Functional anatomy of hypnoticanalgesia : aPETstudy of patients
with fibromyalgia, Eur J Pain, mars 1999 ; 3(1) : 7-12.
Willoch et al., Phantom limb pain in the human brain : unraveling neural
circuitries of phantom limb sensations using positron emission tomography,
Ann. Neurol, déc. 2000 ; 48(6) : 842-849.
Et bien d’autres.
9. Voir par exemple : Rainville P. Hypnosis and the analgesic effect of
suggestions, Pain, janv. 2008 ; 134(1-2) : 1-2.
10. Kosslyn et al., Hypnotic visual illusion alters color processing in the
brain, Am J Psychiatry, août 2000 ; 157(8) : 1279-1284.
11. Szechtman et al., Where the imaginal appears real : a positron emission
tomography study of auditory hallucinations, Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A.,
17 févr. 1998 ; 95(4) : 1956-1960.
12. Pour le visuel, une zone du cortex occipital gauche et pour l’auditif, une
région frontale médiane, non actives en « imagerie mentale volontaire ».
13. Blakemore et al., Delusions of alien control in the normal brain,
Neuropsychologia, 2003 ; 41(8) : 1058-1067.
14. Lire notamment les travaux de Lionel Naccache ou Stanislas Dehaene,
aussi innovants chercheurs que passionnants vulgarisateurs. Pour ceux qui
souhaiteraient passer par d’autres canaux que la lecture, l’on trouve sur
Internet un certain nombre de conférences en vidéo et l’ensemble des cours
de S. Dehaene au Collège de France, somme considérable de connaissances.
15. Raz et al., Hypnotic suggestion and the modulation of Stroop
interference, Arch Gen Psychiatry, déc. 2002 ; 59(12) : 1155-61.
16. Bacher et al., Bigger Than Life, 2017. Soumis à publication.
17. Landry & al., Brain correlates of hypnosis : a systematic review and
meta-analytic exploration, Neurosci Biobehav Rev., 24 févr. 2017.
Remarquable synthèse et hypothèses sur lesquelles nous fondons la suite du
propos dans ce paragraphe.
18. Jiang H. & al., Brain activity and functional connectivity associated
with hypnosis, Cereb. Cortex, 2016.
19. « En tant qu’humains, nous pouvons identifier des galaxies situées à des
années-lumière, étudier des particules plus petites qu’un atome, mais nous
n’avons toujours pas élucidé le mystère du kilo et demi de matière qui se
trouve entre nos deux oreilles. »
Chapitre 9
1. On peut relier ces 4 éléments importants aux niveaux de conscience et de
ressources décrits dans le modèle « CRAI » (corps relations actions
intentions) exposé dans mon précédent ouvrage « Écouter, parler :
soigner. », op. cit. L’analogie procure une expérience sensorielle donc du
corps, la relation est sécure, accéder à la ressource est un acte qui devient
réassocié à nos intentions.
2. Considéré même comme assez spécifique de cette pratique et en lien
étroit avec la dynamique relationnelle qui s’y joue, par Bioy & Keller in
« Hypnose clinique et principe d’analogie », Éd. De Boeck.
3. Comme le montre l’effet placebo, le stéréotype social, la prophétie
autoréalisatrice, etc., la suggestion par une autre personne n’est pas la seule
modalité.
4. Il est, disons-le clairement, dangereux de penser que l’on peut s’en
affranchir. Il est impossible que l’on puisse tenir un discours à une personne
et garantir que les idées qui s’y formeront ne vont pas la suggestionner.
Négliger le phénomène, devenir aveugle à ses manifestations, c’est risquer
de ne plus le maîtriser.
5. C’est parce que l’on reconnaît que l’hypnose nous enseigne un peu
comment fonctionne la question de l’influence sur l’autre que la nécessité
de l’éthique est une évidence…
6. Sinon, quelle différence avec le concept d’âme ?…
Il nous semble que cela relèverait presque d’un certain « théisme » (quelque
chose décide pour moi, à travers moi ou par rapport à moi), qui n’est pas
vraiment un « déisme » (c’est Dieu qui agit) ni un psychologisme
déterministe (c’est le passé, ma structure profonde, bref, quelque chose en
moi, animé d’une volonté autre que la mienne qui me détermine, et ma
seule liberté est de mieux connaître ce qui me détermine), mais plutôt une
possibilité d’interagir avec ce qui, d’habitude à mon insu, se meut en moi.
La sortie de l’idée d’une entité inconsciente, le cycle de dissociation et
réassociation, la notion de « réintentionnalisation » et quelques autres idées
présentées plus loin sont peut-être des ébauches de dépassement de ce
nouvel animisme.
7. L’intuition par exemple, l’idée qui semble « surgir » et être la bonne est
en fait une apparition dans la conscience du résultat d’un calcul de
probabilités réalisé inconsciemment, dont seul le résultat passe le « seuil »
de la conscience. De même, nos choix moraux sont assez largement
élaborés de façon non consciente.
8. Et encore ! Peut-être pour certains problèmes « sur le papier » mais les
plus grands découvreurs ont fait une expérience d’imagination ou même
corporelle pour découvrir quelque chose de nouveau. La pomme de
Newton, la marche de tram de Poincaré (voir notamment le livre de Cédric
Villani « Théorème vivant » sur la façon dont les idées lui viennent en
construisant un théorème), ou la relativité d’Einstein (lire « Le pays où
habitait Einstein » d’É. Klein qui montre bien le lien entre expérience,
imagination, contexte et avancée intellectuelle).
9. Nous pourrions même dire qu’il faut accepter… le refus ! Si je subis un
événement extérieur que je refuse, que je trouve injuste, je ressens alors une
colère qui m’envahit. Je ne peux rien faire par rapport à l’événement, mais
je peux inclure pour utiliser cette colère, si je l’accepte, pour lui donner du
sens. Par exemple ce refus de l’injustice est le signe que la justice est une
valeur forte pour moi et je peux entrer en lien avec ce qui est une ressource
véritable. La colère est accueillie, elle prend du sens dans l’ensemble de
l’existence et s’apaise car elle entre dans le mouvement général de la vie.
10. Voir par exemple cet article : Chambon & al., From action intentions to
action effects : how does the sense of agency come about ?, Front Hum
Neurosci., 2014 ; 8 : 320. Il y a de très nombreux articles neuroscientifiques
sur ce sujet fascinant.
11. Bien entendu mes confrères analystes pourraient voir ici la fameuse
« pulsion de mort ». Mais cette idée n’existe pas chez Erickson qui, en plus
de penser que l’inconscient contient fondamentalement la vie et la vitalité,
se refusait à interpréter de façon univoque les propos d’un patient, pour que
le patient puisse se mettre en mouvement psychique, pour ne pas le figer
dans une réalité imposée de l’extérieur.
12. Je dois en bonne partie cette métaphore agie à Danie Beaulieu, brillante
psychologue canadienne à l’origine de la « thérapie d’impact » et de la
popularisation de l’IMO (Intégration par les mouvements occulaires)
13. La réelle « pleine présence » ne supporterait pas la dénomination, on y
serait totalement plongé. Mais elle semble relativement inaccessible sans
passer initialement par l’analogie et l’imaginaire.
14. Je remercie le Dr Luc Farcy qui défend ce mot et m’a ouvert les yeux
sur cette nécessaire précision.
15. Merci à Antoine Garnier pour cette métaphore qu’il développe à
merveille sur son blog et sur sa chaîne vidéo YouTube, ainsi que de
nombreuses idées et formulations que je lui ai repris dans ces pages en
tentant de ne pas trop les trahir. Ce chapitre ne serait pas le même
notamment sans cette simplification remarquable qui, l’air de rien, permet
d’expliquer aisément des phénomènes psychologiques d’une grande
complexité.
16. Voir notamment son livre « Du symptôme à la lumière », Éd. Satas
17. Pas plus que ce n’est le sommeil…
18. C’est là qu’on voit caricaturalement ce qui nous gêne dans la fameuse
« menace » de certains thérapeutes décrite dans la partie précédente. La
transe est profonde, la position est autoritaire et on demande une « sortie »
rapide, avec une forme de chantage ou de menace, sans faire attention à
l’écologie du patient et en position de domination (et non pas
d’autonomisation).
19. Parfois, pour certains, ce qui s’est produit semble avoir « gâché toute
leur vie » et pour d’autres « ce qui ne me tue pas me rend plus fort » disent
ceux qui ont trouvé dans leur vie plus de conditions de résilience, dont
certaines thérapies peuvent faire partie.
20. C’est-à-dire, de façon générale, plus accessibles. En effet, en quelques
minutes l’on peut obtenir une dissociation assez grande pour une
chirurgie… ou autre effet tout aussi spectaculaire dans le contexte moins
thérapeutique du spectacle ! les briques touchant à l’identité profonde
nécessitent un plus grand remaniement, ou une plus grande stratégie, pour
atteindre l’objectif de façon indirecte ou par le biais d’autres briques.
21. C’est l’exemple de ces phénomènes qui arrivent spontanément et que
l’on reproduit en hypnose, que nous décrivions en partie 2. Spontanément,
ils ne sont qu’automatisme naturel. L’hypnose consiste à recréer cela
volontairement et plus fortement. Les phénomènes naturels et spontanés de
la conscience, chez un sujet sain, sont très profonds, et rapides, mais
également très instables et difficiles à orienter et à exploiter. Par exemple, je
peux oublier mon bras et ne plus le ressentir parce que je suis totalement
absorbé par le film que je regarde. Mais ce n’est pas encore une anesthésie
hypnotique. On peut simplement m’en parler et je le ressens à nouveau.
Recréée en hypnose, cette anesthésie par déplacement de la tension
attentionnelle a vocation à se consolider par une dissociation qui va plus
loin que la distraction. On pourrait m’en parler sans que je le ressente. La
dissociation cimente, rend stable l’expérience et l’on parle alors de
phénomène hypnotique.
22. Il ne s’agit pas de « relaxation rêverie » ou de détente, mais bien d’un
sentiment de relâchement de plus en plus profond, sans forcément d’autre
contenu de conscience très identifiable.
23. Un apprentissage d’une connaissance livresque, théorique, est utile mais
ne nous change pas en profondeur autant qu’une expérience,
n’autonomisera jamais autant qu’un contexte relationnel qui permet d’être
soi. De même un « protocole préétabli » pour tel ou tel problème a quelque
chose de déshumanisant car il n’accueille et n’utilise pas l’individualité de
l’autre mais au contraire le réduit à son symptôme. Voir des personnes
pratiquer ainsi tout en critiquant l’approche médicale qui serait trop
technique est d’une grande ironie…
24. Il est d’ailleurs aberrant que l’école n’ait pas intégré suffisamment cet
aspect. C’est juste faire preuve de connaissances scientifiques et
d’observation empirique que de savoir qu’un enfant apprend mieux,
s’approprie mieux le savoir, quand il bouge, quand il agit et quand il joue.
L’éducation scolaire continue à privilégier l’enfant statique et sérieux
comme modèle… Ce n’est donc pas un contexte naturellement sécure, et ce
n’est pas un contexte qui favorise l’autonomie, puisqu’il favorise, en vérité,
la soumission au « moule » du système institutionnel scolaire… mais cela
est une autre histoire…
25. La référence à la théorie de l’attachement, que mes confrères auront
sûrement reconnue, n’est pas sans actualité.
L’idée de l’attachement semble « à la mode » (même si elle est souvent mal
comprise). Est-ce par hasard ?
Il me semble que notre sédentarité (travail moins physique, transports de
plus en plus présents…) a fait naître le besoin de plus en plus courant de
jogging et de salles de sport.
De même notre sursollicitation mentale (abondance d’informations,
Internet, réseaux sociaux…) a fait naître un besoin de plus en plus répandu
de méditation, de « pleine conscience » et d’hypnose.
Il faut peut-être, dans cette nouvelle popularité de la théorie de
l’attachement, au-delà des effets de mode et des compréhensions partielles,
y voir une réponse à un malaise ambiant, dans ce monde de l’autonomie et
de la performance. Nous sommes donc tentés, parfois maladroitement, de
revenir à ce qui compte, à ce qui nous attache et nous sécurise. Nous avons
peut-être l’envie de donner la sécurité comme base à nos enfants, pour être
en mesure de pouvoir affronter un environnement relationnellement violent,
qui parfois isole, et sollicite un peu trop…
26. On trouve ici la contradiction la plus forte avec l’hypnose de spectacle
et surtout de rue dans la forme que nous avons critiquée, qui, malgré un
discours d’amusement, cherche, à « obtenir ».
Il faut obtenir une « bonne » transe, un phénomène qui soit « de bonne
qualité », une « belle » amnésie. Et si le sujet prend la liberté, consciente ou
pas, de ne pas le faire, alors il est « résistant » (le mot en dit long) et il faut
recourir aux astuces, manipulations et choix illusoires pour arriver à obtenir
une démonstration, non pas tant des pouvoirs de l’inconscient que de celui
qui arrive à en obtenir ce qu’il souhaitait…
Et c’est souvent une privation de fonction que l’hypnotiseur décide de lui
rendre, quand il le souhaite, d’un claquement de doigts, et lui suggère de
façon autoritaire que c’était bon pour lui. Il n’apprend rien sur lui, à part
que quelque chose lui échappe, et n’est pas plus libre d’avoir été un
automate.
27. On comprend encore une fois qu’il ne suffit donc pas, après une
formation express, d’être empathique et humain pour être véritablement
thérapeute.
28. Certains tenants d’une approche directe et profonde se retrouvent dans
une situation où ils suggèrent à l’autre quoi faire. « Vous allez vous sentir
bien. » C’est spectaculaire, ça marche sur le coup, mais ce n’est pas un
apprentissage. Au mieux le patient se le réapproprie s’il est motivé, au pire
ça ne marche pas et, entre les deux, ça marche mais « ça sonne faux »,
l’amélioration est agréable mais semble venir de façon peu spontanée ni
naturelle. Un peu comme si face à un enfant n’arrivant pas à construire un
puzzle, nous prenions les pièces pour les emboîter à sa place. Le résultat est
joli mais l’enfant n’a rien appris qui pourra lui servir plus tard.
Chapitre 10
1. Selon, notamment, Léon Chertok qui fut un grand spécialiste de
l’hypnose au XXe siècle et d’autres auteurs.
2. Voir son ouvrage : « Savoir pour guérir : la méditation en 10 questions »,
Mona Éditions, collection « La réponse du psy ».
3. Dont certains très cadrés comme le programme MBCT ou MBSR
(Mindfulness-Based Cognitive Thérapy ou Mindfulness-Based Stress
Reduction).
4. Voir notamment cet article qui interroge l’apport respectif et le
fonctionnement de ces types de pratique, notamment sur le plan cérébral.
Lippelt & al., Focused attention, open monitoring and loving kindness
meditation : effects on attention, conflict monitoring, and creativity – A
review, Front Psychol., 2014 ; 5 : 1083
5. Du moins dans leur version la plus « techniciste » et la moins en lien
avec les pratiques méditatives originelles.
6. Dont je recommande le très beau livre « Plaidoyer pour l’altruisme », Éd.
Pocket.
7. Il nous faut tout de même souligner que dans l’optique de la méditation
bouddhique tibétaine, telle que nous la comprenons, la direction est
suggérée par une croyance spirituelle (même s’il est possible de la laïciser)
sur la valeur de bienveillance. L’hypnose éricksonienne ne préjugerait
aucunement de la nature de la valeur, de la ressource qui serait utile.
Simplement de faire accéder à cet état de conscience, utiliser ce qu’amène
le patient et suggérer, proposer, métaphoriser parfois, mais ne pas estimer
une ressource, ou une valeur, prioritaire sur une autre, le changement ne
pouvant venir que de ce qui fait sens pour la personne.
8. Même si le passage par une forme de désassociation, d’analogie, de perte
de repères, semble indispensable pour réassocier les dimensions de soi et de
son rapport au monde. Arrêter la lutte consciente pour que puisse émerger
une autre façon de vivre.
9. Fabrice Midal est un des principaux enseignants de la méditation en
France, fondateur de l’École occidentale de méditation et auteur de
nombreux ouvrages dont « Foutez-vous la paix », Éd. Flammarion,
« Frappe le ciel, écoute le bruit », Éd. Pocket, « Pratique de la méditation »,
Éd. Le livre de poche. Son parcours philosophique, ses références à
Nietzsche, Husserl ou Heidegger autant qu’aux grands hommes du
bouddhisme est à l’origine de sa façon de lire et penser la méditation.
10. F. Midal, « Pratique de la méditation » (op. cit.).
11. La légende veut que Shapiro, suit des yeux le mouvement tournoyant de
feuilles dans un parc, alors que des pensées négatives lui reviennent
notamment en lien avec un cancer qu’elle a eu. Quand ses yeux bougent les
pensées disparaissent, quand elle les ramène à son esprit leur charge
émotionnelle est moins négative… Voir son livre « Des yeux pour guérir »,
Éd. Seuil.
12. D’ailleurs, en parlant de voisinage, Grindler (concepteur de la PNL –
 Programmation neurolinguistique) n’a-t-il pas affirmé que, quelques
années avant la « découverte » par Shapiro de l’EMDR, il avait parlé à cette
dernière d’une technique de mouvements oculaires en PNL pour le
traitement du trauma psychique, technique qui allait devenir en évoluant de
son côté… l’IMO !
13. Erickson par exemple n’a jamais été « éricksonien », et n’aurait
probablement pas aimé ce terme. Il n’a jamais donné d’accréditation
spécifique, et n’a jamais restreint ses élèves de diffuser l’hypnose à d’autres
soignants.
14. La rigidité protocolaire est un avatar particulièrement gênant. S’il faut
bien appliquer un protocole comparable dans une étude statistique ; dans la
réalité, les patients, les relations, les séances sont toujours différents et
nécessitent une souplesse adaptative. Comment un thérapeute pourrait-il
laisser à un patient un message de liberté et de changement si lui-même ne
s’autorise qu’à faire toujours la même chose ?
15. « La psychothérapie consiste à traiter un patient comme un individu, qui
est unique. Il n’y aura jamais de duplicata de cette personne. Et vous
utilisez le caractère unique de cette personne. Et cette personne possède de
nombreuses qualités insoupçonnées… »
Conclusion
1. Par Sidney Rosen, Éd. Terres et hommes.
2. Il n’est pas dans les habitudes des praticiens en hypnose d’interpréter les
rêves ou d’y voir des messages cachés, aussi me contenterai-je de dire que
je n’ai fait ce rêve qu’une fois, mais l’impression qu’il m’a laissée me suit
encore aujourd’hui.
3. « Tu as besoin de temps… pour savoir… ce que précisément tu veux
oublier… maintenant ! »
Remerciements
Merci inaugural à Laura Zuili pour m’avoir contacté un jour de pluie
parisienne. Grâce à toi, l’opportunité d’écrire ce livre s’est présentée.
Merci éditorial et cordial à Hélène Gédouin et Agnès Vidalie aux
éditions Marabout pour leur confiance, et à Amélie Poggi pour l’efficace
et compréhensif travail d’édition.
 
Merci important aux relecteurs-trices, même «  partiels  »  : Antoine,
Béatrice, Émilie, Julie, Laurent, Théo, Valérie.
Merci respectueux à Antoine Bioy qui m’a aidé à affiner ma
compréhension de l’hypnose, et à Julien Betbèze qui m’a donné quelques
précieux éclairages sur les questions relationnelles selon les cadres de
pratique en hypnose.
Merci chaleureux à Fabrice Midal pour avoir relu la partie concernant
la méditation, pour nos échanges précieux et pour ses propos qui ont
guidé un peu les miens sur cette question.
Merci confraternel à François Bourgognon pour les échanges
passionnés et passionnants que nous avons eus et aurons encore à ce
sujet.
Merci particulier à Béatrice Kammerer pour ta relecture aiguisée et la
pertinence de tes remarques lors de nos conversations autour de certains
chapitres.
Merci vif à Antoine Garnier pour la richesse de nos échanges et
l’apport, déterminant à cet écrit, de certaines de tes réflexions et
métaphores.
Merci transatlantique à Sarah Bloch-Elkouby pour une partie de la
réflexion sur l’évolution de la psychiatrie et le DSM.
Merci général à ceux qui ont parlé, débattu, argumenté et même se sont
disputés respectueusement avec moi, sur Facebook et ailleurs, pour que
nos idées s’affinent.
 
Merci respectueux à ceux qui m’ont enseigné et m’enseignent encore
l’hypnose.
Merci fraternel à ceux qui l’enseignent avec moi, merci à Valérie
(bienvenue à bord !), merci à Laurent et Marion, merci aux formateurs du
CHTIP et d’UTHyL qui font vivre l’aventure.
Merci sincère à ceux qui m’ont laissé leur enseigner, c’est en vous
parlant que ce livre s’est progressivement écrit dans ma tête, il tente
d’avoir la forme libre de nos réflexions et discussions.
 
Merci profond aux patients, qui m’accordent leur confiance et, en
vérité, sont ceux qui m’apprennent véritablement l’hypnose chaque jour.
 
Merci reconnaissant à Anna, pour bien plus qu’elle ne pense. Sans toi
rien ne serait possible.
À Samuel et Léa dont l’existence et la présence sont la plus grande de
mes ressources.
 

Ce livre est dédié à la mémoire de deux immenses thérapeutes qui


furent présents en moi tout au long de cette écriture :
Milton Erickson (1901-1980) décédé l’année de ma naissance.
François Roustang (1923-2016), décédé l’année de la naissance de ce
livre.
 
Vos voix m’accompagnent.

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