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Ce texte est paru sous le titre "Fonetion de l'éerit pour le psychotique”, in Ligeia, Dossiers sur lart, n°13+14. Octobre 1993-Juin 1994, pp. 117-125. Ci-dessous il a été revu et augmenté, FONCTIONS DE L'ECRIT POUR LE PSYCHOTIQUE” par J-C Maleval, Beaucoup de psychotiques sont des eréateurs. Une telle affirmation n'a rien d'une évidence. Pour saisir sa modemnité il faut se souvenir de son inconcevabilité rapportée aux aliénés. Un changement radical de perspective est intervenu aprés la premigre guerre mondiale. La théorie de la dégénérescence, qui domina la psychiatrie de la fin du XIX éme sidcle, ne pouvait appréhender les productions des malades que sous langle de débris de la pensée, dont Vintérét_résidait tout au plus dans leur contribution au diagnostic'. En discemant que le délire constitue une tentative de guérison, la découverte freudienne révéle le dégénéré comme une construction née de la peur. La ot ne se décelait auparavant qu'un déficit majeur de Ventendement, la psychanalyse souligne existence d'un travail créatif élaboré. Tl fallait que s‘opére une telle révolution copemicienne pour que "art des fous" devienne "art brut". Aussi les premigres études portant sur les travaux originaux des artistes psychotiques n'apparaissent-elles guére que dans le sillage du mouvement freudien?. La monographie du psychanalyste suisse, Walter Morgenthaler, consaerée aux productions d'Adolf Wolfli, a ses vingt-cing mille pages, et a ses seize mille dessins, est publige en 19212; tandis que Yadmirable recueil de Hans Prinzhom regroupant un grand nombre de créations de patients 1 Rogues de Fursac. Les éerits et les dessins dans les maladies nerveuses et mentales. Paris, Alcan, 1905, 2 Le travail sur L’art che: les fous (1907) de Marcel Réja -pseudonyme du Dr Meunier- constitue a cet égard une notable exception. Son intér&t pour les productions des alignés est suscité par une quate des mécanismes de la eréation géniale [Réja M. Liart chez les fous. Z'Editions. Nice. 1994.] } Morgenthaler W. Ein Gesteskraker als kimstler: Adotf Wolf. (Un malade mental en tant quiartiste: Adolf W8Ift). Bere, Ernst Bircher. 1921 hospitalisés, date de l'année suivante’. II est 4 noter que ces deux psychiatres ne respectent pas la tradition du secret médical en divulgant le nom authentique des sujet dont ils présentent les oeuvres, par ld ils indiquent nettement que artiste prime pour eux sur le psychotique. C'est encore en 1922 qne Jaspers publie son travail sur Strindberg, Van Gogh, Swedenborg et Holderlin dans lequel il étdie "Ia relation entre la schizophrénie et 'oeuvre” concluant que la psychose semblerait avoir constitu pour ceux-ci "une condition excitante” mais non spécifique du processus eréateur’. Au début des années 20, les temps sont mirs pour que "Part brut” sorte d'un ghetto et pour qu'il devienne une source d'inspiration dont s'emparent les surréalistes, Max Ernst, Paul Klee, René Magritte et quelques autres. L’efflorescence eréatrice des psychotiques constitue un phénoméne si remarquable et si peu exceptionnel quill suscite la fondation d'un musée de Tart brut fixé @ Lausanne depuis 1975. La foretusion du Nom-du-Pére postule certes une désorganisation initiale et fonciére de lordre symbolique, mais dans le méme mouvement elle souligne la mise en oeuvre d'un travail psychique achamé pour remédier a celle-ei par le truchement de productions multiples. C'est pourquoi un pousse-d-la-eréation siavére inhérent & la structure psychotique. "Un fait du moins parait acquis, affirme Réja dés 1907, les perturbations psychiques sont susceptibles de déterminer Vapparition dune activité artistique complexe"® Elles suscitent I'élaboration de dessins, de peintures, de sculptures, ete.; mais ce sont surtout les écrits qui prédominent. "Les fous, les vrais, constatait Réja, ont une littérature excessivement riche; & quelque rang quils appartiennent, pourvu quils ne soient pas réduits & une existence purement végétative, tombés en la décrépitude finale, ils sont capables de confier au papier leurs conceptions plus ou moins intéressantes"?. La richesse des ressources expressives des écrits en font la voie royale pour l'étude des productions artistiques des psychotiques Le dépét de la jouissance La forme la plus sommaire d'écriture, celle de certains schizophrénes, consiste en traits informes, en 4 Prinahorm H. Expressions de la folie: dessins, peintures, sculptures dasile. (Lene édition: Heidelberg. Springer. 1922) Pars. Gallimard. 1984. 5 aspers K. Sirmdberg et Van Gogh. Swedenborg-Holderlin. Etude psychiatrique comparative. Paris. Ed. de Mima. 1953, p.220, ©Réja M. Lat chez les fous, 0. ¢, p. 33, Tid. p76. plume sur la fell inaone fa motrilité qui se trouve an principe de cellescit T west pas reste rencontrer des sujets hospitalisés qui se livrent 4 une activité de eréation de telles choses seripturales de maniére inlassable. S'ils le font avec une insistance si remarquable, tout porte a eroire que ce travail posséde pour eux une fonetion importante. Pour préciser laquelle, il faut se tourer vers d'autres psychotiques, ceux qui peuvent servir de phares dans les arcanes de I'illisible, en raison de leurs dons intellectuels et de leur lucidité. se site au premier rang de ceux-ci. Il affirme que son écriture s'ancre en ses affies et en sa douleur extréme®, mais quelle "immunise et détoume les coups"!®, D'aprés Ini, ses peintures, ses mises en seéne et ses écrits lui ont permis de "eanaliser” ses "épouvantables tempétes interes", TL a le sentiment que la publication de son premier livre, sa Correspondance avee Jacques Riviére, dans laquelle il relate certains de ses troubles psychiques, pourrait constituer "une sorte Thoméopathie extrémement bienfaisante""2, Das 1923, il tente de convainere Riviere du caractire de nécessité que présentent pour Ini I'éeriture et la publication : "Je soufiie d'une effroyable maladie de l'esprit confie-t-il. Ma pensée m'abandonne a tous les degrés. Depuis le simple fait de la pensée jusqu'au fait extérieur de sa. matérialisation dans les mots. Mots, formes de phrases, directions intérieures de la pensée, réactions simples de esprit, je suis & Ja poursuite constante de mon étre intellectuel. Lors done que je peux saisir une forme, si imparfaite soit-elle, je la fixe, dans la crainte de perdte toute 1a pensée ... "3 Liécriture, la peinture et Ja sculpture se révélent en ces lignes comme pouvant contribuer au soutien de la pensée du psychotique. Quand le sujet pressent la désorganisation de sa structure, elles servent A produire des fixations formelles ressenties nécessaires confirme Timportance de la saisie des formes pour préserver l'intégrité de sa raison lorsquiil note que "toute suppression de I'éclairage, tout prolongement de lobscurité naturelle” impliquait pour Iui une aggravation de son état'*, Lion constate sans surprise que la période lors de laquelle Artaud cessa de faire ceuvre d'artiste, entre 1939 et 1943, concorda avee son état de détérioration psychique le plus 8 La lettre ne nait pas en tant que servant a la transcription de la langue: elle se trouvait déja la antérieurement en sa ‘matérialite. Elle n'est pas pure notation du phoneme: elle est nommée en tant que telle a Vinstar de tout autre objet, ainsi Ja graphie "w" se lit "double v" et se prononce [v]. La lettre ne s'ancre pas dans son lien au son, mais dans un trait differentiel désignant Ie rapport du langage au récl. A T'encontre de ce dont 'écriture alphabstique tend donner Tillusion, Ia lecture ne consiste pas 4 extraire des phonémes enclos, mais a dénommer un tracé. # Artaud A. Oeuvres completes. Paris. Gallimard. 1981, XVI. p. 10. 10 stand A. Lettre 4 J. de Boschére du 20.11.1928, in Oeuvres completes, 0.c.. I, p. 262. 11 Tid, XU, p. 184. 2 Did, °F, p.133. 8 Dbid. TF, p. 24. 14 Schreber DP. Mémoires d'un névropathe. Paris. Seuil. 1975, p. 148, avaneé. Pourtant, selon Roumieux, "il avait en permanence des bouts de papier dans les mains, il éerivait sans arrét, en long et en large. Evidemment on essayait de recueillir ses écrits, mais c'était absolument indéchiffrable: un embrouillamini épouvantable, dont il ne sortait rien du tout". Selon un autre témoignage: "il éerivait des lettres au médecin-chef, au directeur, 4 Vinteme et aussi a sa famille. Et puis il écrivait sans qu'on sache pour qui, donnant impression d’écrire pour le seul besoin d'éerire. La plupart du temps, les feuilles ainsi écrites, il les chiffonnait et les jetait dans un coin” Tl est concevable que certaines d'entre elles aient ét8 des conjurations, puisque Yon sait quen cette période il croyait que les "Bohémiens", au nombre desquels il se comptait, étaient en proie 4 une conspiration ourdie par les "Initiés"!6. Déj entouré de démons, il avait éprouvé la nécessité de rédiger des "conjurations" sur “n'importe quel bout de papier ou sur les livres qu'il avait sous la main"*”, Artaud suggére nettement que I'éeriture pos our Iui une fonction de soulagement. Un autre psychotique dexception, confiait que son éeriture s‘anerait dans obsession toujours renouvelée avoir 4 se débarrasser de quelque chose"® |. att Mexique, en 1937, quand il s'était erm Reste cependant & préciser de quoi le sujet cherche a se défaire. L'examen du contenu des textes devrait lindiquer. Il est aisé de constater que dans la majorité des cas ils trouvent leur source dans des thémes délirants. Ils sont 4 'évidence trop au service de ces demniers pour que Yon puisse suggérer que ce soit du délire dont le sujet s'efforce de se déprendre. A celui-ci, il tient, selon le mot de Freud, comme 4 lui-méme"®, car la se situe sa jouissance. Cependant il s'agit d'une jouissance hors-la-loi, Autre, non régulée par la signification phallique, et d'autant plus angoissante quelle est moins contenue par la construction délirante. Le psychotique s'avére encombré par une jouissance envahissante génératrice hallucinations, de troubles hypocondriaques, intuitions étranges, de sentiments de persécution, ete. La non-extraction structurale de Yobjet a, corrélative de la forclusion du Nom-du-Pére, implique une délocalisation angoissante de la jouissance, de sorte quelle porte volontiers le sujet a tenter de sen débarrasser. Pour ce faire, certains opérent sans médiation en recourant des mutilations réelles, d'autres empruntent le truchement plus élaboré de Ja production d'objets. L'éerit peut prendre place parmi ces derniers au méme titre que d'autres qui se détachent du corps. Quelques mois avant son suicide, lors d'une conférence débat, Attila Jozsef explique devant son public passablement ahuri, 1a naissance de ses poémes: ce sont des séerétions de son corps qui jaillissent comme son sperme ou ses exeréments?!, Ecoutons encore Schreber 15 Virmaux A. et O. Antonin Artaud. Qui étes-vous? Lyon. La Manufacture, 1986, pp. 68-69. 16 Artaud A. Nouveaux écrits de Rodez. Paris. Gallimard. 1977, p. 129. Y Astaud A. Les Tarahumaras. Paris, Gallimard, [dées, 1971, p. 32 18 Cité par Chauvité C. in Luchvig Wittgenstein. Paris. Seuil, 1989, p. 230. 19 "Ces malades siment leur délire comme ils s'aiment eux-mémes" (Freud S. Lettre 4 Fligss du 24.1.1895, in La naissarnce de Ia psychanalyse. Paris. P.UF. 1969, p. 101). 20 Sauvagnat F. Une passion psychotique du vrai: ironie et déréliction chez A. Jozsef, in La Cause ffeudienne. ECF. 1995, 31, pp. 141-152, 21 Kassai G, Attila Jozsef et ses psychanalystes hongrois, in Sublimation et suppléances. GRAPP. 1990, p. 130. confier le soulagement que Ini procure la défécation. Quand, "sous la pression d'un besoin, je décharge réellement, [...] eh bien, affirme-t-il, chaque fois cela s'accompagne d'un déploiement extrémement intense de la volupté dame. La délivrance de la pression causée dans le gros intestin par les excréments a notamment pour conséquence un bien-étre intense procuré aux nerfs de la volupté: c'est la méme chose quand j'urine Lacan note lexceptionnel bien-étre éprouvé en ces circonstances afin de souligner qne le Président sent alors "se rassembler les éléments de son étre dont 1a dispersion dans T'infini La défécation produit pour Schreber la perte dun objet qui condense temporairement sa jouissance, de sorte qu'elle le libére un instant des afties suscitées par Ja délocalisation de celle-ci, Pour tenter doffrir a Autre objet qu'il réclame, le psychotique se trouve poussé a effectuer des sacrifices propitiatoires, des plus bénins, telles que la défécation et la miction, jusqu’a coux qui mettent en jeu son étre méme, les suicides et les automutilations (Loreille coupée de Van Gogh, I'l erevé de Saint-Simon, etc.), voire ceux qui prennent le semblable comme objet 4 1a faveur d'un passage a l'acte. Le décret de la castration s'impose a tout parlétre, Or plus il est rejeté plus son exigence s'affirme avee force. Ce processus retient particuliérement ici note attention quand Ia JOUMSANGS BiaeheS ATER se trouve prise en compte, Souligner qu'une production textuelle constime un depot de jouissance posséde une pertinence tres générale, qui dépasse Ja particularité du sujet _psychotique, cependant celui-ci, plus que le névrosé ou le pervers, se trouve parasité par une jouissance hors-la- Joi. La fonction paternelle n'est pas intervenue pour opérer un travail de séparation a V'égard de celle-ci, de sorte quill manque du manque, ce qui se discemne au principe de 'angoisse. Dés lors, sil est poussé A I'écriture avec une telle fréquence, et souvent avec une telle nécessité, tout concorde pour considérer, comme le suggére Artaud, qu'un soulagement est recherché par lintermédiaire de cette activité. S'l en est bien ainsi, le contenu du texte posséde moins dimportance que sa conception _méme. 2+. Tl faut en premier liew porter Taccent sur leur dimension objectale, Dés le griffonnage vide, pas moins essentiel 4 tel schizophréne que ne Test au fou littéraire sa complexe élaboration scripturale, le psychotique met sa production au service d'une tentative de mise a distance de objet a incarné dans un dépét de lettres. A Tinstar de tout parlétre, il sait qu'il a contracté une dette a I'égard de I'Autre, mais 18 oti !obsessionnel tente de la régler par des procédures symboliques, il se trouve incité a recourir a des objets réels, ce qui le conduit parfois jusqu’au sacrifice de son étre. 2 Schreber DP... 0.c., p. 188. Lacan J, "D'une question préliminaire a tout traitement possible de la psychose", in Ecrits. Paris. Seuil.1966, p. 582. H Lacan Les pryhoses. Leséminare I Pais. Seuil 981, p89 Au fondement de I'écriture, et des autres productions du psychotique, opére le dépat d'une jouissance, dont il cherche 4 se séparer: or ce procédé, a fonetionner dans le réel, ne fait pas advenir tine symbolisation de la castration, de sorte que le soulagement qu'il procure est toujours 4 séitérer. L'insistante nécessité de certaines pratiques seripturales trouvent 1a leur raison, A la fin de sa vie, Artaud mettait 4 nu le phénoméne quand ses proches observaient que son corps avait besoin de écrit, non pour exprimer des idées, mais pour tracer de simples batons, une activité qui s*imposait impérieusement & lui et qui le tempérait, «Les demiéres semaines, rapporte P. Thévei il répétait fréquemment « je n'ai plus rien 4 dite, j'ai dit tout ce que Favais A dire», I déclarait qu'il n’écrirait plus. Un jour, il ne s*était pas encore seulement débarrassé de son manteau qu’il langa : «je vous annonce que je n’éerirai plus jamais, j'ai tout écrit. Voyez, dailleurs, (il s*adressait & P, Thévenin) je n’ai pas de cahier ». Et il montra la poche intérieure de sa veste, vide de I’habituel cahier. Je lui répondis en riant que je n’en croyais rien. Alors, avec ostentation, il s‘installa dans un fauteuil, croisa les bras. P’étais allée terminer un travail Pautre bout de l'appartement. Comme je revenais, je Ventendis, et le ton de sa voix était d'une courtoisie incomparable, qui demandait & ma fille : » ma petite Domnine, voulez-vous je vous prie, aller m’acheter un cahier 4 la papeterie ? » Je ne pus résister a Venvie de le taquiner un peu : « mais vous venez de dire que vous n’écrirez plus jamais! » - « C’est vrai, mais c’est pour faire des batons ! Ma main, elle, ne peut se passer d’écrire ». De fait, quand il eut le cahier, il se mit consciencieusement 4 faire des batons, qui peu 4 peu devinrent des lettres »25 Bien qu'une tentative de mise a distance d’un objet de jouissance soit au principe de cos pratiques, elle cherchent aussi, dés qu’elles se complexifient, a capter dans I’écrit la jouissance du sujet, ce dont témoigne la fréquence de telles productions mises au service du délire. A cet égard, Schreber et Artaud indiquent que le texte leur procure d”importantes fixations formelles. La significantiation de Ia jouissance De méme que Van Gogh confiait chercher "I'infini"?® en des tableaux parfois nourris, hallucinations, de méme que les travaux recueillis par Prinzhorn trouvent le plus souvent leur source en des themes paranoidles, Ia majorité des écrits psychotiques sont consacrés 4 exposé et A Yargumentation d'idées délirantes. Das lors il faut souligner que le dépét de jouissance 25 Thévenin P. Antonin Artaud, ce Désespéré qui vous parle, Paris, Seuil. 1993, pp. 69-70, 26 Jaspers K. Strindberg et Van Gogh, o.¢., pp. 201-202. slaccompagne en régle générale dune significantisation de celle-ci: il s‘agit de contraindre par le signifiant les expériences énigmatiques, mais essentielles, qui surgissent du réel. En ces circonstances, l'écriture collabore au travail du délire qui s'exerce a rendre assimilable par 'intellect les intuitions et les hallucinations. Ainsi le curiewx sentiment de Schreber, d'abord irrecevable, selon lequel "il serait beau d’étre une femme en train de subir l'accouplement", nécessita. ‘il de longs efforts de mobilisation du signifiant, complétés par un important labeur d'écriture, pour devenir compatible avec ordre de Iunivers. Tl est 4 noter que les Mémoires d'un névropathe, rédigés de fé qne tout laisse supposer que leur rédaction et leur publication contribuérent la stabilisation du rier 1900 4 fin 1902, parurent en 1903, peu de temps aprés la sortie d'asile de l'auteur?”, de sorte sujet. Au reste, Schreber indiqua nettement Iui-méme Ja valeur curative de son travail 'écriture "devant toute expression écrite de la pensée, affirma-t-il, les miracles sont impuissants; [...] je peux facilement venir a bout des tentatives qui sont faites pour disperser ma pensée, ajouta-til, lorsque jai le loisir de m'exprimer par éerit et de rassembler suffisamment mes esprits"?® TI précisa en outre a cet égard que la mobilisation de formes visuelles mettait parfois en jew une fonction équivalente a celle instaurée par la pratique de la lettre. Diaprés son expérience, Ja faculté du "dessiner", & savoir la capacité de susciter des images grice a un processus volontaire imagination possédait une importante valeur de “consolation” et de "réconfort”. Il considérait cette aptitude comme "un contre-pouvoir miraculeux": "la vue des images, éerivit-i effet purificatoire, ils me pén leur serait sans cela attaché’ |, a sur les rayons un rent alors sans aucunement démontrer ce tranchant destructeur qui TL est probable qu'un dépot pictural de ces images contribuerait accentuer le processus de contention de la jouissance de l'Autre décrit par Schreber en termes de protection contre 1a nocivité des rayons divins. La finesse et la pénétration de son témoignage suggérent que les fixations scripturales et formelles possédent une aptitude du méme ordre, propre a soulager le sujet, en contraignant le réel. A ce stade, le travail d'eriture collabore la fiction du délire. Tl arrive que la cure analytique favorise !'émergence du dépot scriptural de la jouissance Autre et 'laboration d'un processus de chiffiage de celle-ci par ce moyen. Jéréme, rapporte J. Borie, en proie a une masse infinie de sons qui 'opprimait, développa, parallélement 4 ses séances, une pratique de Icrit qui consista "tout d'abord 4 remplir des feuilles dites 'eahiers de passions! avec des équations mathématiques et des phrases en anglais, deux langages auxquels il dit ne rien comprendre”. TI s‘agit dans un premier temps d'éerits dont le sens est absent, de sorte que le geste initial de dépot de la matérialité de la lettre s'y avére nettement discemable. Cette pratique évolua vers la remise de textes 4 analyste, dont lun, intitulé "la parole sacrée", consistait en de 27 apres Israels, il quitta le Sonnenstein en décembre 1902. (Israéls H. Schreber. pére et fils. Paris. Seuil. 1986, p 208) 2 Schreber DP. 0.6. p. 331 ?? Thid., pp. 193-194. longues considérations sur la certitude de Jéréme de communiquer avec des extra-terrestres. Ils se long dérati la certitude de J de des extra-terrestres. Il ponetuaient sur "mon sens est compatible avec le monde". Témoignage de la réussite au moins partielle d'un certain chiffrage de la jouissance. Ce qu'il confirme en confiant: "Ecrire, ¢a me rassemble quand j'ai pas de partenaire et trop de bruit", il appelle ga "mettre le son en boite”? Tl apparait que Ia pratique de la lettre suscite pour le psychotique non seulement un dépét et une significantiation de la jouissance de I'Autre, mais ces processus peuvent encore se compléter d'un effort de vidage de celle-ci recherché par I'entremise de la « poubellication »31 Cette derniére change I'écrit en ordure. Elle instaure une coupure entre le sujet écrivant et ce qui de son étre a pris substance de livre. A Ia fiction du délire, elle ajoute alors une tentative de fixion de etre du sujet. Le vidage de la jouissance Le phénoméne de vidage opéré par la "poubellication” se discerne avec une particuliére netteté lors d'une expérience relatée par Raymond Roussel. La "gloire universelle d'une intensité extraordinaire", lui donnant le sentiment de porter le soleil en Tui, qui éelata a la faveur de Ja rédaction de son premier roman, diminua "beaucoup pendant impression du volume", de sureroit Tinsuceés de Youvrage causa & son auteur “un choc dune violence terrible”, tandis que la sensation de gloire et de luminosité s'éteignit brusquement®, Le sentiment de vide ressenti par tout éerivain lorsquil se sépare de son travail alla dans cette cireonstance jusqu'd un grave épisode dépressif. Roussel dut étre hospitalisé. Pourtant, du souvenir de sa gloire, il conserva la conviction de son génie, et ne cessa de trouver dans I'éeriture ume orientation a son existence, Dans son cas, elle se déterminait pour une grande part de la nécessité d'avoir A soutenir le nom de 'auteur, cependant elle n'atteignit pas son but: lorsque I'échee de ses efforts lui apparut patent, en raison de ses insuccds réitérés, il n'eut plus dautre ressource que de mettre fin a ses jours. La publication de son premier roman semble avoir opéré plus qu'un soulagement de jouissance, une véritable hémorragie, qui lorieux" laissa le sujet désemparé. En cette circonstance la condensation de jouissance sur un éerit fut extréme, si bien que l'insuecés de Vouvrage, fort inattendu pour l'auteur, décupla les effets de vidage produits par la séparation du livre. En outre, Vabsence de Ia limite phallique, caractéristique de la jouissance Autre, rend les manifestations de celle-ci propices a osciller entre un bonheur inout et une soufitance extréme - ce que montre aussi bien le balancement éprouvé par Schreber entre les Stats de béatitude et les terreurs du laisser-en-plan, Pour un psychotique le vidage de jouissance Borie J. Construction de la séalité dans la cure d'un psychotique, in Revue de IEcole de la Canse Freudienne, 1991 19, p53, 31 Lacan J, "D'un dessein", in Ecrits, Seuil, Paris. 1966, p. 364. 32 Roussel R. Comment,'ai éerit certains de mes livres. Pats, Pauvert, 1963, p.128, auquel donne lien la séparation du livre s'avére parfois quasiment sans limite. Il dépasse alors l'effet thérapeutique initial qui s'attache au processus. Les expositions d'oenvres et les. publications diouvrages entrainent parfois de graves épisodes dépressifs et des passages 4 l'acte suicidaires. Althusser décrit ainsi ce phénoméne:"Lorsque mes livres parurent, en octobre, je fis saisi d'une panique telle que je ne parlais que de les détrnire (mais comment?) et finalement, solution demiére mais radicale, de me détruire moi-méme"®3. Conseiller 4 un sujet psychotique, qui a une production littéraire abondante, de trouver des lecteurs, peut parfois mettre la cure en péril: "Me vendre, vous n'y pensez pas, ce sont des morceaux de mon étre"™ Avec son habituelle prescience de la structure, Artaud discerne que Ia production du psychotique participe certes d'un équivalent de défécation salvatrice, mais aussi qu'elle se situe toujours aux bords angoissants d'un réel déchirement du sujet . "Quand on ereuse le caca de létre et de son langage, affirme-t-il, il faut que le posme sente mauvais’. A cet égard, il dénonce le Tabberwocky de Lewis Carroll comme n'incluant qu'une "fécalité de snob anglais". Malgré des similitudes formelles entre ce texte et ses glossolalies, il appréhende fort bien que la position subjective de auteur anglais différe de Ia sienne, "Taime, souligne-til, les po’mes des affamés, des malades, des parias, des empoisonnés [...] et les pomes des suppliciés du langage qui sont en perte dans leurs éctits, et non de ceux qui saffectent perdus pour mieux étaler leur conscience et leur science et de la perte et de Veécrit"35, La divination sans égale d'Artand lui fait pereevoir que l'étre du sujet s'incarne dans ' de sorte que leur production littéraire participe toujours d'un véritable déchirement. En une formule saisissante, il affirme que ceux-li, 4 les textes de coux quill nomme les "suppliciés du langage’ instar de lui-méme, se trouvent "en perte dans leurs éerits". Rien en commun avec les artistes qui étalent "leur science de 1a perte" - tels que Carroll, le logicien. Ses variations ludiques sur des mondes merveilleux prennent leur source dans l'intuition de lirréductible division entre le sujet de Vénoncé et celui de !'énonciation®s. L'auteur n'y risque pas une partie de son étre: les productions de Carroll se déploient dans les limites instaurées par la jouissance phallique. En revanche celles Artaud tentent de faire contention de la jouissanee Autre, par leur intermédiaire il cherche a se débarrasser d'objets de jouissance qui lencombrent, mais faute den étre symboliquement séparé, il sait que le vidage opéré risque parfois, comme le montra Roussel, de mettre en péril Vintégrité de son étre Althusser L. L'avenir dure longtemps, suivi de Les faits. Autobiographies. Stock / Imec.Paris. 1992, p. 141 34 Communication personnelle du Dr J. Tréhot 35 Artaud A. Oewwres completes. Patis. Gallimard. 1979, IX, p. 170. 38 Mamret 8. Lewis Carroll. De autre cété de ta logique. Presses Universitaires de Rennes. 1995 De se décharger de ses écrits dans l'espoir de trouver un soulagement constitue chez le psychosé un processus insistant qui connait d'autres formes que celles de la publication. Dans "L’homme-jasmin", publié en 1970, Unica Zitm fait oeuvre dlart de sa psychose. Elle y parle d'elle- méme en troisiéme personne avec un détachement qui évoque celui de Wolfson. Elle confirme dans les lignes suivantes la fonction libératrice de la perte de I'écrit "Cette mui 1a, écrit Unica Zitrn, elle déchire, avec le plus grand calme, une grande partie de ses dessins et de ses lettres publiés 4 Berlin. Tout ce papier déchiré forme une montagne dans sa chambre. Cet acte - qu'elle regrettera plus tard, car elle a anganti_ les documents du travail sérieux et fietueux de ses quinzes années passées - cet acte la libare: T'idée de ne plus vouloir rien posséder, de ne plus rien devoir porter, de vider les valises !"5". De prime abord, il semble que de maniére semblable Fritz Zom ait été périodiquement poussé a la destruction de toutes ses ceuvres par le few®, Cependant, précise- de temps aprés Tautodafé, l'inspiration revenait, j'avais envie décrire quelque chose de nouveau. il, “on ne peut pas briller le gout d'écrire et, presque tonjours, peu Aussit6t la production recommengait de plus belle et je m'accommodais de me sentir poussé Vécriture, tout simplement parce quiil "devait en étre ainsi"; jusqu’au moment od le processus se répétait et od j/anéantissais de nouveau tous mes éerits."°%. Il faut noter que sa position 4 'égard de Vécriture subit une modification profonde. Dans un premier temps, il la rattache a une identité artiste, qui lui procure certes quelques satisfactions, mais qui, selon Iui, confine par trop a sa déchéance pour étre acceptable, Les autodafés siimposaient quand il lui apparaissait que l'éeriture “exprimait et exposait et symbolisait” son infériorité "d'artiste - sans - plus". La conception quil se faisait de ce dernier "ne pouvait comporter, affirme-til, que mélancolie, dépression et fiustration, était pour moi une honte et une désolation"*®. Or, dans un second temps, aprés l'apparition de son cancer, il prend la plume, non plus 4 des fins artistiques, mais pour conter "Vhistoire dune névrose"#!, Dés lors il n'y eut plus de destruction de ses textes, bien au contraire, il se soutint de la volonté de faire connaitre son récit, ressentant sa publication comme nécessaire"”, La nouvelle de Yaccord d'un éditeur lui parvint la veille de sa mort. Malaré leur ressemblanee, l'anéantissement des documents de Zitm et les autodafés de Zom répondent & des processus quelque peu différents. Le premier, postérieur au surgissement manifeste de la jouissance Autre, tente dopérer un vidage de ce é chiffié dans les textes et mis en forme dans les dessins. En revanche Vcriture initiale de Zorn, antérieure au cancer, est rejetée par refus de lidentité dlartiste quelle qui, se levant de celle-ci, a 6 cherche promouvoir. C'est dans un trouble de la représentation de soi-méme que s'anere sa fonction la plus discemable. Au-dela de celle-ci cependant la nécessité périodique @avoir a détruire 37 Zam U. L'homme-Jasmin, Paris. Gallimard. 1971, p. 99. 28 11 m’apparait hautement probable que la structure de Zor soit déterminée par la forclusion du Nom-du-Pére, ce que suggérait deja Jean Guir, in Psychosomatigue et cancer. Patis. Point Hots Ligne. 1983, 3° Zorn F. Mars, Paris. Gallimard. 1979, p. 133, + Ibid, p. 134 #1 Dbid,, p34. 2 Ibid, p. 7, les textes suggére déja la présence d'une jouissance encombrante dont le sujet s'efforce réellement de se défaire - faute qu'elle soit saisie dans les rets du symbolique. Postérienrement 4 l'apparition du cancer I'écriture se trouve mise au service d'un chiffrage de la jouissance Autre, en stessayant résoudre lénigme de la maladie, tandis que la publication n'est plus refuse, prenant méme un caractére de nécessité impérieuse. Zor y exprime sa colére d’étre le "carcinome de dieu"- dénongant avee violence les incarnations de l'Autre jouisseur qu'il rend responsable de son mal, A savoir ses parents, la bourgeoisie zitrichoise et la religion catholique. Le caractére convaineant de son témoignage ne doit pas détourner de concevoir que sa "névrose" participe en fait d'un theme de revendication qui tente de remédier a la carence de la fonction protectrice du fantasme. Tl existe pour le psychotique des degrés divers dans Ia réussite du processus par Jequel il cherche 4 se soulager de la jouissance Autre en Ia localisant partiellement sur un éerit. A un extréme, celui de certains schizophrénes, il ne produit que des griffonnages compulsif’ portés sur des bouts de papier queleonques. La lettre y reste une chose sans connexion avee le signifiant. Un dépot de jouissance s'effectue sans que s'y adjoigne un travail de chiffiage. Les bénéfices pour le sujet restent médiocres. En revanche il s‘avére de régle générale que Vaccroissement de laptitude a prendre en des productions textuelles ce qui est rejeté du symbolique aille de pair avec une diminution des troubles dus 4 la jouissance délocalisée. Liecrit dans la cure. Tl arrive quiune cure analytique déclenche chez un psychotique un travail d'éeriture Quand le phénoméne se produit, ce qui advient sfavére riche denseignements, c'est pourquoi Vobservation de Casque-de-Bronze retient notre attention®®, Lors d'une premigre "psychothérapie”, quand ses associations se tarissent, ce jeune homme, nous rapporte-t-on, "découvre un nouveau mode dexpression sous la forme de ses réves, dont il apporte les manuscrits dactylographiés omés denluminures et soigneusement religs. Ce sont de véritables réves -objets, dont la rédaction et la confection occuperont progressivement toute la joumée de R. Tl les apporte & son thérapeute, parle du texte et souvent le récite mot a mot tout au long de la séance. L'amélioration symptomatique est au prix de cette activité exclusive, Casque-de-Bronze se sent heureux. Tl a quitté ses parents pour habiter en ville prés de son thérapeute qu'il inonde peu a peu de ses productions littéraires"*, L’on constate que les processus préeSdemment d&gagés se trouvent mobilisés par la cure: elle incite le 8 Anonyme. "Casque-de-Bronze ou itinéraire paychothérapique avee un psychotique”. Seiliger 23. Pars. Seuil. pp. 381-36; et Schaetzel JP. "Casque-de-Bronze ou itinéraire psychothérapique avec tn psychotique". Lerwes de I'Ecale Freudienne de Paris, 7, mars 1970, pp. 44-57. + Ibid, p. 353. sujet & une localisation de sa jouissance sur des écrits, a un chiffrage de ses fantasmes oniriques‘®, et 4 se séparer de textes hautement investis. L'analyste est situé en position d'Autre jouisseur que Casque-de-Bronze cherche 4 satisfaire en Ini sacrifiant ses "réves-objets’. Il tente par 14 a la fois de régler la dette symbolique et de se protéger du désir de l'Autre. La confection des manuserits enlumings ne stabilise le sujet qu'au prix d'une mobilisation de sa jouissance sur un essai de guérison, qui étouffe certes les symptémes les plus pénibles, mais qui ne produit pas douverture au désir. Le processus se heurte 4 une impossibilité qui conduit le réitérer avec insistance. TI semble que le détour par I'éerit fasse intervenir une défense plus élaborée que la constmiction de 1a fiction délirante: cette demiére ne dépasse pas l'étape chiffrage du processus de contention de la jouissance. or Ia remise des textes 4 I'analyste pousse leffort de stabilisation jusqu'a une tentative de vidage, apparentée a une quéte de la castration défaillante Dans le cours de Ia premiére cure, environ deux ans aprés son début, il arriva qu'une malencontreuse interprétation dun réve de Casque-de-Bronze déchaine le signifiant et libére la jouissance, Le monde se mit & lui faire signe de toutes parts. 1 interrompit le travail "en demandant Ja restitution immédiate de tous ses réves". Déstabilisé par Tintervention de son analyste, il tenta de se soustraire & ce danger, et chercha a rétablir une illusoire complétude entamée par la cure. La non- restitution immédiate de ses textes, "qui contenaient ce quiil y avait de meilleur en lui", le blessa profondément: la situation actualisa une castration réelle, imposée au sujet, et non plus mise en oeuvre de sa propre initiative dans un processus de stabilisation, Quand i entreprit quelques temps plus tard une seconde cure, il confia de nouveau au médecin les réves-objets, lesquels avaient été tous récupérés, et il leur ajouta des éerits plus récents. Puisqu'il disait étre tout entier en eux, I'analyste ne refusa pas leur dépét. Casque-de-Bronze prévint cependant d'emblée quil fallait "pouvoir rendre ce qu'on vous donne" La séparation de ses objets, appelée par le dispositif analytique, il ne Tacceptait qu'a Tessai et non sans méfiance. Les phénoménes observés dans 1a cure précédente se répétérent: les manuscrits affluérent tandis que le sujet passa ses nuits & réver et ses journées transcrire minutieusement le matériel onirique. 11 trouva de nouveau une certaine stabilisation en ces activités. Une avaneée de sa cure le conduisit ‘méme 4 abandonner son ouvrage et & n'y revenir quen des moments difficiles. Notons que le retour de Vinvestissement des écrits en ces circonstances confirme Timportanee de leur fonction thérapeutique. Toutefois le travail analytique s'interrompit de maniére abrupte**, pour des raisons dont lexamen entrainerait ici hors de notre propos, de sorte qu'il 4Sboucha sur un échee réitérs. Liobservation de Casque-de-Bronze révéle une forme originale de vidage de la jouissance, non pas ici par "poubellication", ni par destruction, ni par perte, mais par cession d'un 45 Casque-de-Bronze confirme que les signifiants rejetés du symbolique s'annoncent souvent dans les réves du psychotique. #8 Communication personnelle de J.P. Schaetzel. texte. Quiil s'agisse en chactne de ces occasions d'une tentative pour faire don I'Autre de lobjet quil réclame, pour prix de la dette symbolique, cela s'avére mis 4 nu par 'actualisation du phénoméne dans la cure analytique. ‘Nous en trouvons confirmation a Voccasion d’une cure plus récente, lors de laquelle la cession de Péerit, produite de maniére réitérée par un envoi postal, prend une place prépondérante. Elle participe nettement d’un processus de vidage d’une jouissance encombrante, puisqu’elle s’avére I’équivalent de coupures de la pean, opérées « pour voir le sang couler, pour que le mal sorte », produites antérieurement par Sylvie pour calmer son angoisse quand elle avait le sentiment @’étre un objet de moquerie. Dés le début de la cure analytique, elle apporte de nombreux crits, anciens et récents. Puis, assez rapidement, se met en place un seénario qui fonctionne depuis une dizaine d’années pour une analysante qui ne manque jamais une séance. Elle adresse & son analyste, par voie postale, des lettres 4 teneur érotomaniaque, s’enquérant simplement de leur bonne réception, « Un véritable seénario, rapporte C, Dewambrechies-La Sagna et JP Deffieux, préside & Pécriture de ces lettres. Tous les matins Sylvie se leve A sept heures et va prendre son petit déjeuner dans un eafé de la ville. Elle s'installe 18, toujours 4 la méme table, face 4 une glace, se regarde, allume une cigarette et écrit. Elle apporte une précision supplémentaire, & savoir qu’elle met elle- méme ses lettres & la poste, qu'elle ressent une grande angoisse avant de licher la lettre dans la fente de la boite, et, quand elle a pu s’y résoudre, elle obtient un soulagement de son angoisse. Ce soulagement obtenu est identique 4 celui qui, précédemment, suivait la coupure de la peau, C’est le point crucial : effet de cession de la lettre peut étre assimilé a une cession de jouissance et a pour conrélat la cession de Vangoisse »*’, Malgré la tonalité parfois persécutive prise par le transfert érotomaniaque, il reste contenu, et la cure peut se poursuivre, avec des effets d’apaisement, grace a une régulation de la jouissance obtenue par ’entremise d’un vidage de I’écrit dans la boite A lettres. A la faveur du dépét de la jouissance, puis de son chiffrage et enfin de son vidage, une atténuation croissante des symptémes semble zénéralement observée. Cependant, méme lorsque les trois étapes du processus se trouvent menées A leur terme, lors duquel le sujet parvient a se séparer de ses textes, Ia psychose clinique s'en trouve plus ou moins contenue, mais non pas nécessairement dissipée. L’exceptionnelle propension des psychotiques au travail de la lettre est comrélatif de Ja défaillance de I’inscription subjective de celle-ci, Faute d’avoir incorporé le corps du symbolique, le psychotique extériorise. Il écrit pas que sur la feuille de papier : bien souvent la surface de son corps devient un lieu d’inseription, parfois ce sont les murs de sa chambre qui sont couverts d°écrits La structure psychotique semble générer un rapport spécifique au langage, il y apparait volontiers 47 Dewambrechies-La Sagna C. Deffieus J-P. Usages du corps et symptomes, in La psychose ordinsire. La conversation d°Antibes, Agalma-Seuil. 1999, pp. 93-95, comme un parasite envahissant, tandis qu’il révéle l'une des fonctions les plus cachées de la lettre, celle de faire accueil a la jouissance. L’utilisation que le psychotique fait de la lettre n’est pas celle de la mathématique, qui congédie la jouissance, mais phutét celle de la calligraphie et de la littérature, qui s’exercent a la récupérer Le psychotique est encombré de l'objet a, il est essentiellement présence 4 Iui-méme. 4 son corps, A ses intuitions, a son délire. Ses objets ne sont pas décollés de son étre. En atteste ce lapsus du meurtrier d'une de ses maitresses laissant échapper a propos de celle-ci qu'il avait un corps de femme entre lui#8. En revanche. ce qui est originairement refoulé du sujet ayant assumé la castration symbolique fait sa présence au monde, Il se trouve aimanté par un manque quiil s‘efforee de combler 4 l'aide des objets qui entrent dans le champ dattraction de son désir. Quand il fagonne une oeuvre d'art il erée autour d'un vide. TI s‘appuie sur la béance creusée par le refoulement originaire. La logique de la création psychotique n'est pas du méme ordre: ce n'est pas le manque qui suscite la production, mais un trop plein de jouissance. Elle consiste fondamentalement en un travail d'ex-pression et d'laboration par lequel s'opére une contention de la jouissance de 'Autre. Liactivité créatrice des sujets qui ne sont pas affrontés a une telle nécessité ressortit d'un processus different: elle vise a satisfaire 1a jouissance phallique. Cette demigre consiste en une tension orientée vers la retrouvaille de l'objet perdu, elle simpose quand intervient la fonetion paternelle qui sépare le sujet de Vobjet du souverain bien. Ce décollement vide le corps de la jouissance de sorte quelle se localise en un hors-corps phallique. En revanche le corps du psychotique n'est pas un désert de jouissance: il se trouve encombré par la jouissance de l'Autre. Elle lui revient de tous c6tés, Par le truchement du travail d'écriture c'est un soulagement a I'Sgard de cet envahissement qui est recherché, De méme que le délire constitue une oeuvre complexe construite afin de servir une tentative de guérison, de méme I'élaboration de I'erit participe d'un processus d'auto-thérapie. Toutefbis le décollement obtenu par ce moyen reste précaire fate de symbolisation de la perte réelle. Tl en résulte que non seulement le travail est souvent a réitérer, mais quill dépasse parfois son but, il siavére alors véeu comme un déchirement cataclysmique, pouvant entrainer ume aggravation des troubles, voire leur déclenchement. L'issue des efforts eréatifs d'un psychotique reste incertaine, mais ils s‘anerent dans Tintuition de existence d'une tempérance de la jouissance inhérente & la production d'ceuvres. La logique subjective spécifique qui donne naissance 4 ces demigres a-t-il un retentissement sur leurs qualités esthétiques intrinséques? Rien ne le suggére, Elles vont du médiocre au génial, du griffonnage insensé aux chefs-d'oeuvre de la littérature, des barbouillages queleonques aux toiles de Van Gogh, La plupart des cliniciens ont constaté depuis les années 50 que Ja diffusion des neuroleptiques a produit 4 la fois un abrasement des formes cliniques et un stouffement des potentialités créatrices des psychotiques, cette concomittance indique nettement la #8 Karlin D. Laing T. L'amour en France. Paris. Grasset et Fasquelle. 1989, p. 125 nature identique de la source des unes et des autres. Il existe une dimension esthétique du délire 4 laquelle les surréalistes sfefforeérent de nous introduire. Leur attitude a cet égard n'a guére fait école. Les ceuvres des psychiatrisés restent contraintes dans le champ marginal de "Mart brut” Malaré ses efforts Raymond Queneau n'est pas parvenu faire aboutir son projet consistant 4 introduire un florilége des fous littéraires, chez Gallimard, dans la prestigieuse collection classique de La Pléiade. Les temps ne sont pas miirs pour que les productions psychopathologiques soient reconnnes comme I'nn des Beaux-Arts, mais il est urgent de veiller 4 ce que I'Autre de la science ne se précipite pas 4 les étouffer en des mythologies eérébrales.

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