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SCIENCE

SCIENCE
magazine

16e année • www.entreprendre.fr magazine

CERVEAU
Des découvertes majeures

N°76 - Trimestriel - Novembre/Décembre 2022/Janvier 2023 - BEL : 7,10 € -LUX 7,30€ - CH 12CHF - ESP/PORT-CONT 7,80€ - DOM 7,80€ - MAR 79MAD - N.CAL 930XPF - POL 970XPF - CAN 11,50$CAD
sur l’évolution de nos
personnalités

VIVRE SUR
LA LUNE CPPAP

Un habitat ARCHÉOLOGIE
opérationnel La science fait
L 12580 - 76 - F: 6,80 € - RD

des miracles
LA VOIE LACTÉE

On a trouvé un trou noir


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inédites
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Sommaire N°76 - Novembre/Décembre 2022/Janvier 2023
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53 rue du Chemin Vert - CS 20056
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courriel : robert.lafont@lafontpresse.fr

CERVEAU
Secrétaire générale des rédactions :
Isabelle Jouanneau - Tél. : 01 46 10 21 21
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Rédaction déléguée :
Sacha Lorens (sacha.Lorens@free.fr), Laurence Miglioli

Des découvertes majeures


avec Jean-Louis Carrel, Peter Collins, Raphaël Picard,
Jean-François Rosselin, Robert de Roqueserviere, Marie Castellas

sur l’évolution de nos


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didier.delignou@lafontpresse.fr
Comptable : Alizée Dufraisse - Tél. : 01 46 10 21 03

personnalités P.44
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L’ACTUALITÉ DE LA SCIENCE .............................................................................................................. 6


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Maquette : Delphine Balme
Imprimerie : Rotochampagne (52 - Chaumont)
Photo de couverture : © NASA/JPL-Caltech/ASU/MSSS
GAIA : LA VOIE LACTÉE COMME VOUS NE L'AVEZ JAMAIS VUE ! ................................36
Communication environnementale
Origine du papier : Allemagne - Taux de fibres recyclées : 100%
CERVEAU : LES DERNIÈRES DÉCOUVERTES ..............................................................44
Du langage des singes à celui des hommes ..................................................................................................... 46
Ce magazine est imprimé sur du papier porteur de
l’Ecolabel Européen sous le numéro : DE/011/010 -
Eutrophisation : PTot 0.001 Kg/t.

• DIFFUSION PRESSE
Quand le cerveau est sensible à la corruption ................................................................................................. 46
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Distribution : MLP - Tondeur (Belgique) Un défaut de communication lors de troubles psychotiques ...........................................................................48
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Où est le siège de la socialisation ? ................................................................................................................. 49
abonnement.rahmani@lafontpresse.fr
Reproduire le fonctionnement du cerveau ...................................................................................................... 50
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VIVRE SUR LA LUNE ................................................................................................... 52


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RCS NANTERRE 403 216 617 SIRET : 403 216 617 000 23 NAF : 5814Z SA
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L'expansion des humains dans le système solaire .......................................................................................... 54


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Science magazine sans l’accord écrit de la société éditrice est interdite, conformé-
ment à la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique. La rédaction
ne retourne pas les documents et n’est pas responsable de la perte ou de la Préparer les hommes ..................................................................................................................................... 55
détérioration des textes et photos qui lui ont été adressés pour appréciation.
N° de commission paritaire : 0926 T 87424 - N°ISSN : 1777-0173
Dépôt légal à parution.
La NASA teste les capacités des futurs astronautes sur la Lune et sur Mars ................................................. 56
Avertissement : L’éditeur se réserve la possibilité de republier certaines enquêtes
ou reportages des titres Lafont presse. LUNA : une maison sur la Lune ....................................................................................................................... 57
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éditorial 5

VOIR LE MONDE AUTREMENT


Au retour de la Lune ou des stations orbitales, les astro- s'intéresser à ce qui va se passer dans des milliards
nautes racontent comment notre planète paraît minuscule d'années puisque l'avenir de l'Homme sur Terre pourrait
et si fragile dans l'espace. Mais, de même que les magni- se compter en siècles ? Ce changement d'échelle laisse
fiques images de l'Univers lointain recueillies par le té- perplexe, nous faisant comprendre l'infinie petitesse de
lescope spatial James Webb (présentées dans nos pages), notre planète et de notre histoire au sein d'un Univers
les révélations de la sonde Gaia, de l'Agence spatiale sans fin.
européenne, nous propulsent dans une autre dimension.
Mais les agences spatiales s'intéressent également à des
La sonde est positionnée au point de Lagrange L2, projets plus « proches » : une station sur la Lune, un
sur la ligne Terre-Soleil mais au-delà de la Terre, pour voyage vers Mars... La mission Artemis de la NASA,
mieux observer l'Univers. Et les photos qu'elle a prises qui démarre cette année, a pour but d'emmener à nou-
de la Voie lactée nous montrent celle-ci comme nous ne veau des hommes sur la Lune, d'y construire une base,
l'avions jamais vue ! Deux milliards d'étoiles et autres de tenter d'exploiter les ressources locales pour pouvoir
objets célestes ont été cartographiés, avec leur âge, leur vivre là de manière permanente. Suite aux découvertes
masse, leur composition, leur vitesse, leur distance par qui seront effectuées sur notre satellite, et grâce à une
rapport à nous. C'est toute la structure et l'histoire de station en orbite lunaire qui permettra des lancements
notre galaxie sur des milliards d'années qui sont ainsi de manière plus simple qu'à partir de la Terre, des mis-
révélées. sions habitées pourront ensuite se diriger vers la planète
rouge : un but ultime aujourd'hui pour l'Homme.
Des millions d'autres galaxies, de quasars, de la pous-
sière interstellaire... les données nous renseignent éga- Réussir une telle prouesse humaine et technologique
lement sur l'Univers au-delà de la Voie lactée. Et les n'est pas encore totalement à notre portée. Mais que ce
découvertes ne s'arrêtent pas là. Par exemple, d'étranges soit aujourd'hui dans l'observation de la Voie lactée, ou
tremblements d'étoiles ont été détectés, de véritables tsu- demain dans le premier pas d'un être humain sur Mars,
namis qui en modifient la forme... ces avancées scientifiques nous amènent à voir le monde
autrement.
Les données de Gaia permettent aussi de prévoir l'évo-
lution future de notre galaxie. Certains diront : pourquoi Sacha Lorens
6 ACTUALITÉS BREVES

L'Univers comme on ne l'a jamais vu !


« Aujourd’hui, nous présentons au monde plus difficile jamais mené dans l’espace. Au de l'Univers primitif... les résultats sont fruc-
entier une image révolutionnaire du cosmos cours de plusieurs mois de mise en service, tueux. Grâce à une alliance sans précédent de
grâce au télescope spatial James Webb - une ses miroirs ont été minutieusement alignés et netteté et de sensibilité, les images en couleur
perspective que le monde n’a jamais vue ses instruments calibrés pour son environne- et les données spectroscopiques du télescope
auparavant », déclarait Bill Nelson, admi- ment spatial. sont stupéfiantes. Les observations vont révo-
nistrateur de la NASA, le 12 juillet dernier. lutionner notre compréhension du cosmos et
Très attendues, les premières images qui Observant dans le domaine de l'infrarouge, de nos propres origines. « C’est le début d’une
ont suivies laissent entrevoir combien ce té- Webb a pour objectif de résoudre les mys- nouvelle ère dans l’observation de l’Univers
lescope aux capacités fantastiques va nous tères de notre Système solaire, observer des et elle nous permettra de faire des décou-
révéler un monde inconnu, jusqu'ici insai- mondes lointains autour d’autres étoiles, son- vertes scientifiques passionnantes », a déclaré
sissable, et nous permettra de répondre à der les structures et origines mystérieuses de Günther Hasinger, directeur scientifique de
bien des énigmes spatiales : les questions notre Univers et la place que nous y occupons. l’ESA.
les plus essentielles sur l'Univers. Il détectera la lumière des premières étoiles et
galaxies apparues après le Big Bang, étudiera Webb est équipé de quatre instruments de
Premier observatoire scientifique spatial au la formation et l'évolution des galaxies, des pointe, parmi lesquels l'instrument de la
monde, succédant au télescope Hubble, le étoiles et des systèmes planétaires, et carac- NASA NIRCam (Near-InfraRed Camera) et
télescope spatial James Webb a été lancé le térisera l'atmosphère des exoplanètes. L’ESA l'instrument MIRI (Mid-InfraRed Instrument)
25 décembre 2021 sur un lanceur Ariane 5 (Agence spatiale européenne) et l’Agence développé sous la responsabilité de l'ESA. Ils
depuis le Port spatial de l’Europe, en Guyane spatiale canadienne sont partenaires de la ont permis d'obtenir ces images, le premier en
française. Depuis janvier 2022, il est en orbite NASA pour ce programme spatial. proche infrarouge et le second en infrarouge
autour du deuxième point de Lagrange, à en- moyen.
viron 1,5 million de kilomètres de la Terre. La vue la plus profonde de l'Univers, des
Son déploiement fut le plus complexe et le exoplanètes, des galaxies les plus éloignées

La vue la plus profonde de l'Univers lointain


© NASA, ESA, CSA, and STScI

Pour comprendre vraiment nos ori-


gines, nous devons retracer les ga-
laxies depuis le début de l'Univers.
Ce champ profond utilise la lentille
gravitationnelle d'un amas de ga-
laxies, Smacs 0723, pour grossir et
ainsi observer des galaxies les plus
éloignées jamais détectées. Certaines
n'auraient que 100 millions d'années.
On peut donc voir l'amas de galaxies
comme il est apparu il y a 4,6 milliards
d'années.

Prise en infrarouge, cette image ne


révèle cependant qu'un minuscule
« morceau » d'Univers visible depuis
l'hémisphère sud. Sur la gauche, elle
est en infrarouge moyen. Sur la droite,
elle est en proche infrarouge et en
fausses couleurs.
Science magazine n°76
BREVES ACTUALITÉS 7

Interaction cosmique dans le Quintette de Stephan

© NASA, ESA, CSA, and STScI

Voici la plus grande mosaïque révélée en juil- Les étoiles naissent du gaz et de la poussière poussière en action. Les scientifiques peuvent
let : composée de près de 1000 images, elle et elles y contribuent en quantités massives, désormais obtenir un rare aperçu, avec des
couvre environ un cinquième du diamètre de tourbillonnant autour des galaxies. détails sans précédent, de la manière dont
la Lune. Le télescope Webb y a capturé un les galaxies en interaction déclenchent la
groupe de 5 galaxies très proches les unes des La poussière évolue avec le temps et le téles- formation d’étoiles les unes dans les autres,
autres : un formidable laboratoire pour étudier cope Webb peut étudier les galaxies proches et comment le gaz de ces galaxies est affecté.
les interactions et les fusions galactiques. et en interaction dynamique pour voir cette
8 ACTUALITÉS BRÈVES

Un fantastique zoom sur l'Anneau austral


L'étoile très brillante au centre de NGC 3132, avec une seconde étoile mourante, à peine De la naissance à la mort d’une nébuleuse pla-
la nébuleuse de l'Anneau austral, située à visible en bas à gauche : c'est elle la source nétaire, Webb pourra explorer les poussières
environ 2 500 années-lumière de la Terre, de la nébuleuse. Elle a éjecté au moins 8 et les gaz des étoiles vieillissantes : celles-ci
joue un rôle essentiel dans la structure de la couches de gaz et de poussière durant des pourraient un jour devenir une nouvelle étoile
nébuleuse qui l'environne. Elle est en orbite milliers d'années et devient une naine blanche. ou planète.

© NASA, ESA, CSA, and STScI

Science magazine n°76


BRÈVES ACTUALITÉS 9

Des montagnes hautes de 300 années-lumière !

© NASA, ESA, CSA, and STScI


Ces immenses « montagnes cosmiques » sont on peut y distinguer des zones de naissance Capturer la période de tout début de la forma-
une région de formation stellaire, NGC 3324, d'étoiles jusqu'ici restées dans l'obscurité tion d'une étoile est difficile car cela dure entre
dans la nébuleuse de la Carène, à environ et étudier le gaz et la poussière qui les ont 50 000 à 100 000 ans. Webb peut montrer les
7 600 années-lumière de nous. Grâce à Webb, fabriquées. étapes de cet évènement rare.

Des images à couper le souffle !


Cette image de la galaxie du Chariot et de ses
galaxies compagnons révèle des détails incon-
© NASA, ESA, CSA, and STScI

nus. Cette galaxie a été formée suite à une


collision à grande vitesse qui s'est produite
il y a 400 millions d'années. Le Chariot est
composé de deux anneaux : un anneau interne
brillant et un anneau externe très coloré. Tous
les deux s'éloignent du centre de la collision
comme des ondes de choc.

On distingue ici des tourbillons rouges de


poussière et de nombreux points bleus qui
représentent des étoiles en formation. On voit
la différence entre d'une part les populations
d'étoiles anciennes et la poussière dense au
cœur de la galaxie, et d'autre part les popula-
tions de jeunes étoiles en périphérie.

Webb a capturé la galaxie du Chariot dans


une étape très transitoire. La forme qu'elle
va peut-être prendre, étant donné ces deux
forces en compétition, est encore un mystère.
Mais cette image fournit une idée de ce qui
s'est déroulé dans le passé et ce qui arrivera
dans le futur...

Science magazine n°76


10 ACTUALITÉS BRÈVES

Un frein inattendu à l'achat


d'une voiture électrique
À présent que les principaux obstacles,
financiers et technologiques, ont été levés,
quels sont les freins à l'adoption d'une voi-
ture électrique ? En fait, ils peuvent être
psychologiques...

Pourtant les consommateurs sont aujourd'hui


conscients que l’augmentation de la concen-
tration des gaz à effet de serre (GES) dans
l’atmosphère est l’une des causes princi-
pales du réchauffement climatique. Parmi
les GES figure le dioxyde de carbone - le
fameux CO2 - et le secteur des transports est
l’un des principaux émetteurs. Les véhicules
routiers fonctionnant aux énergies fossiles
représentent à eux seuls près de 18% des
émissions mondiales de CO2. L’électrification
du parc automobile est donc devenu l’un des
enjeux majeurs de la transition énergétique.

Et le nombre de véhicules électriques aug-


mente d'ailleurs dans de nombreux pays.
Mais ceux-ci sont encore loin d’occuper la
part de marché qui permettrait une réduction
significative des émissions. En 2020, ils ne financières à leur concrétisation, les facteurs Tobias Brosch, directeur du Laboratoire de
représentaient que 1% du parc automobile psychologiques étant très peu pris en compte. décision du consommateur et de comporte-
mondial, en incluant les véhicules hybrides. Pourtant de nombreuses études montrent que ment durable.
Les objectifs climatiques de 2030 requièrent l’individu n’adopte pas automatiquement les
que cette proportion atteigne un minimum meilleurs comportements pour lui-même ou Autrement dit, les consommateurs consi-
de 12%. pour la collectivité, notamment par manque dèrent, à tort, que l’autonomie des batteries
d’accès à une information complète », ex- actuelles ne suffirait pas à couvrir leurs tra-
Malgré les prix d’achat plus accessibles, les plique Mario Herberz, chercheur au Labo- jets quotidiens. Cette sous-estimation n'est
incitations financières, le réseau plus dense ratoire de décision du consommateur et de pas négligeable puisque les chercheurs la
de bornes de recharge, pourquoi ce mode comportement durable du Département de chiffrent aux environs de 30%.
de transport n'est-il donc pas adopté à large psychologie de la Faculté de psychologie et
échelle ? Une équipe de l’Université de des sciences de l’éducation de l’UNIGE. « Pour rassurer les automobilistes, la solution
Genève (UNIGE) s’est intéressée aux fac- ne réside donc pas seulement dans la densifi-
teurs cognitifs qui dissuadent encore nombre Les scientifiques ont interrogé plus de 2000 cation des réseaux de bornes de recharge ou
d’automobilistes de passer à l’électrique. Et il automobilistes d’horizons et d’âges diffé- dans l’augmentation de la taille des batteries,
s'avère qu'une grande partie de la réponse est à rents, en Allemagne et aux Etats-Unis. Ils ont qui nécessitent par ailleurs des ressources
chercher dans les biais et raccourcis cognitifs ainsi identifié la source des biais cognitifs qui plus rares comme le lithium et le cobalt. C’est
des automobilistes. les retenaient d’adopter d’un véhicule élec- la mise à disposition d’informations adaptées
trique. « Nous avons observé que les par- aux besoins concrets des automobilistes qui
« Jusqu’à présent, les initiatives liées à la ticipants sous-estiment systématiquement la permettrait de réduire leur préoccupation et
transition énergétique se concentraient géné- compatibilité des batteries disponibles sur le augmenter leur volonté d’adopter un véhicule
ralement sur les barrières technologiques et marché avec leurs besoins réels », indique électrique », note Mario Herberz.

Science magazine n°76


BRÈVES ACTUALITÉS 11

Plus précisément, l’équipe de recherche a mis observer qu’une autonomie plus importante, dans le cadre de la transition énergétique »,
en évidence que plus de 90% des trajets pou- au-delà de 300 km par exemple, ne répon- indique Mario Herberz.
vaient être parcourus avec des véhicules d’une dait pas à un besoin quotidien. Ceci n’aurait
autonomie de 200 kilomètres, soit une portée qu’un impact minime sur le nombre de trajets Cette recherche montre l’importance du
modeste en regard des batteries actuellement supplémentaires réalisables avec une charge facteur psychologique et de l’accès à l’in-
disponibles. « La tendance est à l’augmen- électrique. Augmenter la taille des batteries formation pour mettre en œuvre la transition
tation des performances mais nous avons pu n’est par conséquent pas un élément clé énergétique.

Une espèce proche de Néandertal au Laos


C'est le premier spécimen Dénisovien dé-
couvert en région tropicale et le troisième
site au monde livrant des fossiles apparte-
nant à ce groupe humain disparu. Dans la
grotte du Cobra, au nord-est du Laos, une
couronne de molaire humaine appartenant
à cette espèce proche de Neandertal mais
ayant vécu sur le continent asiatique a été
mise au jour...

Une campagne de fouilles paléoanthropolo-


giques menée en 2018 dans cette région a
livré certains des restes humains modernes les
plus anciens. Des prospections autour du site
de Tam Pà Ling ont permis d’identifier des
cavités karstiques propices à la conservation
de sédiments. L’une d’entre elles, au-dessus
de la plaine alluviale, s’est avérée prometteuse
avec de riches brèches fossilifères : il s'agit de
la grotte de Tam Ngu Hao, signifiant grotte
du Cobra. Dans ces brèches ont été mises au
jour des restes d’une faune et une couronne (CNRS)* et Laura Shackelford (University L'analyse de la structure interne de la dent a
de molaire humaine parfaitement préservée. of Illinois à Urbana-Champaign)**. La permis de la rapprocher de celle des molaires
L'analyse de plusieurs dents d’animaux et du dent humaine a été temporairement expor- du spécimen Dénisovien de Baishiya, au
sédiment qui contenait cette dent humaine a tée en Europe pour étudier sa structure in- Tibet, et de la différencier d’Homo erectus,
permis de les dater par différentes méthodes. terne par microtomographie à rayons X et des Néandertaliens et des humains modernes.
Leur âge est estimé à environ 160 000 à effectuer des analyses paléoprotéomiques. La morphologie et les grandes dimensions
130 000 ans. Les résultats ont révélé que ce spécimen de la couronne excluent aussi qu’elle puisse
appartenait à une jeune enfant du groupe des appartenir à un Homo floresiensis ou un
L'étude a été dirigée par Fabrice Demeter Dénisoviens, une espèce humaine disparue Homo luzonensis, deux espèces humaines
(Université de Copenhague et Muséum na- proche des Néandertaliens et ayant son ori- éteintes endémiques de l’Indonésie et des
tional d’Histoire naturelle), Clément Zanolli gine en Asie. Philippines. Même si la morphologie de la

* du laboratoire De la Préhistoire à l'actuel : culture, environnement et anthropologie (CNRS / Ministère de la Culture / Université de Bordeaux).
** Les laboratoires suivants ont également contribué à ces recherches : Institut Terre environnement Strasbourg (CNRS / Université de Strasbourg),
Laboratoire image, ville, environnement (CNRS / Université de Strasbourg), Institut des sciences de l'évolution de Montpellier (CNRS / IRD / Uni-
versité de Montpellier), De la diversité des populations à l'individu, de l'identification à l'identité (CNRS / Université Paris Cité).

Science magazine n°76


12 ACTUALITÉS BRÈVES

dent diffère de celle des Néandertaliens, elles Chaque découverte de fossiles humains sur le situés dans les hautes latitudes : la grotte de
présentent néanmoins des points communs, continent asiatique fait avancer la recherche : Denisova, en Sibérie, et la grotte de Baishiya,
telle la présence d’une crête du trigonide ces fossiles sont en effet encore peu nom- au Tibet. Grâce à la découverte de la dent
marquée. L’étude du génome des Néander- breux. La présence des Dénisoviens en Asie humaine de la grotte du Cobra, il est à pré-
taliens et des Dénisoviens a d’ailleurs montré du Sud-Est était déjà soupçonnée grâce à la sent évident que les Dénisoviens étaient bel
qu’ils étaient des groupes frères, partageant génétique, laquelle a révélé que les popula- et bien présents sous les tropiques, en Asie
vraisemblablement un certain nombre de tions actuelles de cette région avaient une du Sud-Est.
traits morphologiques. Les caractéristiques grande proportion de gènes dénisoviens dans
observées sur la dent semblent bien confirmer leur génome. Cela suggérait que les ancêtres Vraisemblablement, les derniers d’entre
cette hypothèse : cela devrait permettre de de ces populations modernes s’étaient hybri- eux ont pu rencontrer et s’hybrider avec les
faciliter l’identification d’autres spécimens dées avec des Dénisoviens sur le continent. groupes humains modernes pléistocènes lo-
Dénisoviens parmi les fossiles déjà mis au Mais la question était de savoir où ? Jusqu’à caux. Et ces derniers ont transmis leur héri-
jour, et notamment des spécimens de Chine maintenant, la présence des Dénisoviens tage génétique aux populations actuelles du
dont l’identification demeure problématique. était uniquement attestée dans deux sites sud-est asiatique.

Des mécanismes spécifiques aux femmes


dans le cancer
Un ARN non-codant aurait un rôle épi-
génétique* dans le développement de
tumeurs agressives, notamment dans le
cancer du sein. L’étude, menée par des
chercheurs français, pourrait expliquer
plus largement la prédisposition à certaines
pathologies.

Les mammifères disposent de deux chromo-


somes sexuels : les femelles possèdent deux
chromosomes X, contrairement aux mâles qui
ont un chromosome X et un Y. On connais-
sait le rôle d’un ARN non-codant spécifique,
appelé XIST, pour initier l’inactivation d’un
des deux chromosomes X de la femelle. Le
but de cette inactivation étant de bloquer la
double expression des gènes situés sur ce
chromosome, car celle-ci affecte la viabilité
des cellules. Une nouvelle étude démontre
que XIST joue non seulement un rôle pour
déclencher cette inactivation du chromosome
X, mais aussi pour la maintenir tout au long
de la vie des cellules. techniques : outils génétiques pour bloquer l’homéostasie*** du tissu mammaire, et
l’expression de XIST, ou techniques de impacte le développement tumoral. Les cher-
Afin de parvenir à ce résultat, des chercheurs CRISPR pour interférer avec l’expression et cheurs disent en effet observer généralement
de l’Institut Curie, l’Inserm, le CNRS, l’Ins- rendre le gène de XIST silencieux. une tendance à ce que XIST soit absent des
titut Paoli Calmettes et Aix-Marseille Uni- tumeurs du sein les plus agressives ; ainsi
versité ont étudié in vivo les effets de la La perte de XIST dans les lignées cellu- qu’une réactivation d’un certain nombre de
suppression de XIST à l'aide de plusieurs laires étudiées** a un effet important sur gènes du X inactif.

Science magazine n°76


BRÈVES ACTUALITÉS 13

Parmi les gènes réactivés par la perte de Pour rappel, les chercheurs expliquent que Pour conclure, la perte de XIST entraîne la
XIST, les scientifiques ont mis en évidence l’expression des gènes est contrôlée par les réactivation de certains gènes (sur le chro-
le gène codant pour MED14, une sous-unité promoteurs mais aussi par des morceaux mosome X inactif) impliqués dans la dif-
essentielle au sein du complexe protéique d’ADN, qui peuvent être assez distants du férentiation des cellules, et elle impacte le
Médiator, qui joue un rôle dans le contrôle de gène et du promoteur, et que l'on appelle les développement de cellules tumorales agres-
l’expression des gènes. Par conséquent, une enhancers. sives. Ce mécanisme épigénétique étant spé-
augmentation de l’expression de MED14 va cifique à la présence de deux chromosomes
impacter l’activité de Médiator et alors contri- Une communication s'opère entre les promo- X, ces résultats jouent un rôle majeur dans
buer à la perturbation de la différenciation des teurs et les enhancers. En intervenant dans l’étude des prédispositions aux pathologies
cellules souches mammaires****. Il s’agit cette communication, le complexe Médiator liées au genre de l’individu, masculin ou
probablement du résultat d’une augmentation permet aux enhancers de réguler finement féminin. D'où la possibilité d'envisager de
de l’activation des enhancers. l’expression des gènes. nouvelles stratégies thérapeutiques.

D'inquiétants gènes de résistance


aux antibiotiques en Arctique
Avec le changement climatique, l'Arctique
se réchauffe deux fois plus vite que les ré-
gions tempérées. La fonte du pergélisol,
le sol gelé en permanence qui constitue
90% de la Sibérie, réactive les popula-
tions microbiennes qui pourraient contri-
buer à l’émission de gaz à effet de serre et
à une possible résurgence périodique de
zoonoses.

Une équipe internationale, menée au


niveau français par des chercheurs du
laboratoire Information génomique et
structurale (CNRS/Aix-Marseille Uni-
versité), montre qu’elles constituent aussi
un énorme réservoir de gènes de résis-
tance aux antibiotiques, et notamment les
béta-lactamases.

On se souvient qu'en 2014 puis 2015, ce


même laboratoire avait isolé et réactivé deux
virus restés infectieux après 30 000 ans de libération éventuelle de virus « zombies » des désastres associés à la fonte du pergéli-
congélation dans le pergélisol sibérien ! Cette datant de l’époque de Neandertal. Une sol : émissions de gaz à effet de serre (CO2,
première découverte avait fait entrevoir la catastrophe s'ajoutant à la liste déjà longue méthane), destruction des infrastructures et

* L’épigénétique étudie les mécanismes intervenant dans la régulation des gènes, essentielle à l'action des cellules et au maintien de leur identité.
** Le tissu mammaire contient des canaux composés de cellules basales et luminales. Les lignées cellulaires choisies permettent de reproduire cette
hétérogénéité du tissu.
*** Le maintien de l’équilibre entre le milieu intérieur et extérieur.
**** La différenciation consiste en la capacité d’une cellule à acquérir une fonction propre. Une cellule souche peut devenir n’importe quelle cel-
lule (musculaire, excrétrice, osseuse...), mais c’est sa localisation (donc son environnement et les facteurs de transcription qu’on y trouve) qui va
déterminer son devenir.

Science magazine n°76


14 ACTUALITÉS BRÈVES

habitations, érosion des côtes, et résurgence pathogènes est effectuée en toute sécurité, un problème majeur de santé publique : elle
d’épidémies du passé (anthrax). sans qu’ils ne soient jamais mis en culture. est à l’origine de bactéries multirésistantes
dont les infections causent plus d’un million
Il s'agit donc d’estimer d’une manière exhaus- L’analyse d’une quantité massive de don- de morts par an. Cette proportion importante
tive les dangers infectieux éventuellement nées génétiques (près de 1000 milliards de de bactéries porteuses de béta-lactamases
associés au réchauffement du pergélisol nucléotides) a tout d’abord révélé que les dans des sols vierges de tout contact avec
sibérien. Pour ce faire, le laboratoire s’est communautés microbiennes étaient très l’activité humaine était totalement inattendue
entouré d’une équipe internationale (North variables d’un échantillon à l’autre, indé- et demeure inexpliquée.
Eastern Federal University en Russie, et pendamment de leur distance temporelle ou
Alfred Wegener Institute en Allemagne) afin géographique. Puis une analyse plus fine a Virus préhistoriques, gènes de résistance aux
d'effectuer une analyse métagénomique de révélé une propriété inattendue partagée par antibiotiques... quelle composition que celle
divers échantillons de sols prélevés dans la ces communautés microbiennes : elles sont du pergélisol ! Ces gènes sont susceptibles
région de Iakoutsk et au Kamchatka. La méta- bien composées de bactéries différentes, d’être remis en service au sein de bactéries
génomique consiste en l’extraction de l’ADN mais la plupart de celles-ci sont porteuses contemporaines au moment de la décongéla-
total des sols, suivi d’un séquençage massif d’un enzyme causant l’inactivation des anti- tion du sol. La fonte inexorable du pergélisol
réalisé au Genoscope d’Evry, et de sa carac- biotiques dérivés de la pénicilline, appelé sibérien pourrait donc conduire à deux risques
térisation détaillée à l’aide de méthodes bioin- β-lactamase. Or l’émergence constante de pour nos sociétés : le réchauffement clima-
formatiques. Par conséquent, la détection de nouvelles versions de β-lactamases à spectre tique et le retour de maladies infectieuses
microorganismes inconnus éventuellement étendu à partir de l’environnement représente échappant à notre arsenal thérapeutique.

L'ESA va intercepter une comète


ou un objet interstellaire. Cette mission
est originale car la comète cible ne sera
identifiée qu’après le lancement des trois
sondes qui se dirigeront vers elle. Comet
Interceptor sera la première mission à visi-
ter une comète issue des confins du système
solaire, voire hors de celui-ci.

Développée en collaboration avec l’agence


spatiale japonaise (JAXA) et plusieurs
agences spatiales nationales et centres de
recherches en Europe, dont le CNES et le
CNRS, Comet Interceptor peut être consi-
dérée comme une descendante des missions
cométaires pionnières de l'ESA, Giotto et Ro-
setta. Elle est cependant différente, d’une part
parce qu’elle fournira les premières observa-
tions simultanées - en trois points différents -
d’un objet situé en dehors de l’environnement
terrestre ; d’autre part parce qu'elle ciblera une
comète visitant le système solaire interne pour
la première fois - provenant probablement du
vaste nuage d'Oort entourant les extrémités
du système solaire. Ce type de comète ne
peut être observé que quelques années avant
Comet Interceptor, une nouvelle mission en 2029. Son objectif scientifique est de d’entrer dans le système solaire interne. C'est
d’exploration spatiale, vient d’être adop- caractériser, pour la première fois, une pour cela que l’une des singularités de la mis-
tée par l’ESA. Le lancement est prévu nouvelle comète dynamiquement jeune sion Comet Interceptor est que sa cible n’a

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BRÈVES ACTUALITÉS 15

Réveil d'un trou noir !


Crédit X-ray : NASA/CXC/U.Wisc-Madison/S. Heinz et al. ; Optical/IR : Pan-STARR

Prise par les télescopes du monde entier (ici l'observatoire de rayons X Chandra de la
NASA et l'observatoire Neil Gehrels Swift), l'image de ce spectaculaire ensemble d'an-
neaux autour d'un trou noir a passionné les astronomes : en effet, ce trou noir est devenu
à plusieurs reprises l'objet le plus brillant du ciel dans le rayonnement X.

Ce trou noir stellaire se situe dans le système binaire appelé V404 Cygni, situé dans la
constellation du Cygne à environ 8 000 années-lumière de la Terre. Il dévore son étoile
compagnon, rejetant activement de la matière : on ne voit qu'un disque autour de l'objet
invisible. Un phénomène qui s'est donc produit il y a 8 000 ans...

Science magazine n°76


16 ACTUALITÉS BRÈVES

pas encore été découverte, même si elle a déjà Comet Interceptor : le CNRS et le CNES gaz neutres dans la queue de la comète : ces
commencé son voyage vers nous ! contribuent à 4 instruments embarqués, dont mesures combinées permettront de com-
deux sont directement sous responsabilité prendre les interactions entre les plasmas, les
Trois sondes spatiales seront donc envoyées. française. Le CNRS est également respon- gaz neutres et les poussières d’origine comé-
Le vaisseau composite attendra patiemment sable de la coordination de la modélisation taire. Le LAM fournit le miroir primaire de la
en un point du système solaire (le point de scientifique, crucial pour la sélection de la caméra CoCa, développée par l’Université de
Lagrange L2) une comète cible appropriée, comète cible. Des scientifiques de 10 labora- Berne, et donnera des images en couleur du
puis il voyagera conjointement avant que les toires français sont impliqués dans la mission. noyau et de son environnement proche pen-
trois sondes ne se séparent quelques semaines Le CNES est maître d’ouvrage de la contri- dant la phase d’approche et de survol : ce qui
avant d'intercepter la comète. Les trois engins bution française. Le LPC2E est responsable servira à mieux comprendre l’origine de cette
spatiaux effectueront alors des observations de l’instrument COMPLIMENT qui mesu- comète et ses processus d’évolution. Le LAB
simultanées autour de la comète. Chaque rera la densité et la température du plasma, participe à la définition ainsi qu'à la réalisa-
sonde sera équipée d'instruments scientifiques également le champ électrique autour de la tion de la mécanique et de l’électronique de
spécifiques qui fourniront des informations comète et comptera les fines poussières comé- l’instrument LEES. Le LGL-TPE a la charge
complémentaires sur le noyau de la comète taires émises par son noyau : des mesures qui de coordonner et développer si besoin des
et son environnement de gaz, de poussière permettront de comprendre les interactions modèles cométaires pour l’ensemble de la
et de plasma, afin de comprendre la nature entre le soleil et les comètes. L’IRAP a la mission (pour effectuer le design des divers
d'une comète primitive en interaction avec responsabilité de l’instrument LEES (Low- instruments alors que la cible n’est pas encore
l'environnement du vent solaire en constante Energy Electron Spectrometer) et contribue connue) et est également impliqué dans la
évolution. Le premier profil 3D d'une comète par ailleurs à l’instrument MANIAC (Mass sélection de la future cible, en modélisant le
venant du nuage d’Oort, contenant des maté- Analyzer for Neutrals in a Coma). Le pre- développement de l’activité cométaire sur la
riaux ayant survécu depuis la formation du mier étudiera et caractérisera les populations base des premières observations qui seront
Soleil et des planètes, sera ainsi créé. d’électrons dans le vent solaire et au voisinage faites au sol. Enfin le laboratoire Lagrange
de la comète, tandis que le second, développé porte la responsabilité de la coordination des
La France, qui s'était illustrée dans la mission par l’Université de Berne (Suisse), mesurera activités françaises de la mission et la co-res-
Rosetta, participe pleinement à la mission la composition détaillée des populations de ponsabilité de l’instrument COMPLIMENT.

Attention au perturbateur endocrinien DEHP !


Avec certains perturbateurs endocriniens,
on a pu observer une altération de la qua-
lité de l’émail des dents. L'équipe de cher-
cheurs qui avait montré les effets délétères
du bisphénol A en la matière s’est penchée
sur les effets du DEHP, un perturbateur
endocrinien de la famille des phtalates.

La santé et le bien-être des populations, ainsi


que tous les organismes vivants, sont impac-
tés par les changements environnementaux
considérables des dernières décennies. Et les
chercheurs ont découvert que l'émail dentaire
pourrait figurer parmi les marqueurs d'expo-
sition aux substances toxiques présentes dans
l’environnement. L’analyse de l’émail per-
met, par exemple, une évaluation rétrospec-
tive des conditions environnementales, soit
en identifiant la présence de polluants piégés
dans le minéral, soit en distinguant des défauts

Science magazine n°76


BRÈVES ACTUALITÉS 17

de l’émail liés à des altérations de l’activité la formation des dents est en cours) et des ils ont identifié un retard de minéralisation de
cellulaire survenues au cours de sa formation. données antérieures sur les effets de certains l’émail associé à une altération de l’expres-
perturbateurs endocriniens sur l’émail, des sion des gènes clés dans la formation de cet
L’exposition au bisphénol A a déjà été asso- chercheurs de l’Inserm, de l’Université Paris émail. Bizarrement, en comparant l’impact
ciée à une pathologie de l’émail (appelée hy- Cité et de Sorbonne Université, au sein du de l’exposition selon le sexe de l’animal, ils
pominéralisation des molaires et incisives) et Centre de Recherche des Cordeliers, en colla- ont observé une susceptibilité plus importante
retrouvée chez environ 15% des enfants de 6 à boration avec le CNRS, ont voulu explorer les chez les mâles. Le DEHP a donc perturbé le
8 ans. Quant au DEHP, malgré les réglemen- effets potentiels du DEHP. Leur étude, menée développement de l’émail chez les souris en
tations et les interdictions, il peut encore être chez la souris, a permis d'observer les effets agissant directement sur les cellules dentaires,
présent dans de nombreux dispositifs médi- d’une exposition journalière, à faibles doses et ce avec une prévalence et une gravité plus
caux, et notamment les équipements dans les et à doses plus élevées. La première corres- élevées chez les mâles que chez les femelles.
unités de soins intensifs en néonatalogie. pondait au niveau d’exposition quotidienne
Ce perturbateur endocrinien appartient à la fa- estimée d’un enfant au DEHP ; la seconde au Enfin l'étude conclut que les effets observés
mille des phtalates, des composés chimiques niveau d’exposition chez les patients hospita- sur les dents en croissance de rongeurs expo-
couramment utilisés comme assouplissant lisés sous perfusion ou dialyse par exemple. sés au DEHP ou au bisphénol A présentent
des matières plastiques dans les contenants Au bout de 12 semaines d’exposition, des des points communs (altération de la qualité
alimentaires, les biens de consommation, défauts ont été repérés sur les incisives du ron- de l’émail, susceptibilité plus importante des
les jouets, les cosmétiques et les dispositifs geur, des dents qui ont la particularité d’être mâles) et des différences quant aux cellules
médicaux. Un règlement de la Commission en croissance continue et qui représentent ciblées et aux mécanismes moléculaires im-
européenne de 2021 ajoute des propriétés par conséquent le modèle expérimental idéal pliqués. « On sait que la période périnatale
de perturbation endocrinienne au DEHP, au pour l’étude d’une denture en développement. et les premières années de la vie après la
BBP, au DBP et au DIBP. Suite à cela, cer- Moins minéralisées et moins dures, les dents naissance sont déterminantes pour le déve-
tains usages précédemment exemptés doivent des souris exposées traduisaient une altéra- loppement de l’enfant et la santé de l’adulte
faire l’objet d’une autorisation, parmi lesquels tion de la qualité de l’émail plus importante qu’il deviendra » explique Sylvie Babajko,
« les dispositifs médicaux et les matériaux lorsque le niveau d’exposition au DEHP était directrice de recherche à l’Inserm. « L’émail
en contact avec les aliments comportant du élevé. dentaire pourrait être le reflet très précoce
DEHP ». des conditions environnementales des indi-
Au vu de la présence répandue du DEHP, de Les chercheurs ont poursuivi leurs observa- vidus à ce moment de la vie. »
la contamination potentielle des enfants (dont tions aux niveaux cellulaire et moléculaire. Et

Contre le changement climatique,


la diversité biologique
Face aux perturbations attendues au
cours des prochaines décennies, une étude
récente s'est intéressée à la stabilité des éco-
systèmes néotropicaux (sud du Mexique,
Amérique centrale, îles Caraïbes et Amé-
rique du sud) suite aux changements de
régimes de précipitations. Cette stabilité
repose-t-elle sur l’adaptation locale des
espèces ? Pas si sûr...

Grâce aux traits fonctionnels des animaux


(la taille de leur corps, leur cycle de vie,
leur régime alimentaire, la façon dont ils se
déplacent...), on voit la manière qu’ont les
espèces d’interagir avec leur environnement
ainsi que le rôle qu’elles jouent dans leur
écosystème (la décomposition de matière
Science magazine n°76
18 ACTUALITÉS BRÈVES

organique, la pollinisation, le remaniement trophique composé de microorganismes (bac- aux perturbations hydrologiques que ceux
des sédiments, etc.). Face aux changements téries, champignons, algues, protozoaires) et des sites plus pauvres en espèces ; en effet,
climatiques, la réponse des communautés de macroorganismes détritivores et prédateurs certaines espèces pourraient possiblement
animales aux modifications des températures (insectes, crustacés, mollusques, vers aqua- maintenir le fonctionnement des écosystèmes
et/ou des précipitations, en des lieux diffé- tiques). Les broméliacées, communes dans les malgré la perte des autres. De fait, l’aug-
rents sur de vastes étendues géographiques, écosystèmes terrestres néotropicaux, couvrent mentation de la fréquence d’évènements de
demeure inconnue. La biodiversité locale un vaste gradient de conditions locales, de la sécheresse a eu les effets les plus sévères sur
peut-elle jouer un rôle d’assurance écolo- Floride à l’Argentine. les écosystèmes des sites les plus pauvres en
gique contre la perte de traits fonctionnels espèces (Puerto Rico, Guyane, Argentine),
importants afin de soutenir le fonctionnement L'étude en question est le fruit de la colla- dans lesquels la perte de quelques espèces a
des écosystèmes ? boration entre le Laboratoire écologie fonc- éliminé des combinaisons de traits fonction-
tionnelle et environnement (CNRS/Université nels uniques. La sécheresse a par exemple
Les climatologues prédisent des fluctua- Toulouse III - Paul Sabatier/Toulouse INP) et éliminé les invertébrés se nourrissant d'algues
tions des précipitations pouvant provoquer ses nombreux partenaires à travers le monde*. microscopiques dans la colonne d’eau : les
des événements hydrologiques extrêmes, communautés aquatiques ont alors glissé
comme des inondations et des sécheresses, Les chercheurs ont placé des déflecteurs de d’une exploitation de ressources « vertes »
et dont les conséquences sur les écosystèmes, pluie individuels au-dessus de broméliacées (algues) à « brunes » (détritus). Au contraire,
notamment aquatiques, restent à déterminer. sur chacun des sites étudiés. Chaque plante la diversité des traits fonctionnels a été pré-
Une expérience réalisée simultanément sur 6 a reçu, pendant deux mois, des pluies simu- servée, quel que soit le scénario de change-
sites, du Costa Rica à l’Argentine, a permis lées par des apports d’eau contrôlés. Selon les ment de précipitations, sur les sites riches en
d’analyser les conséquences des change- broméliacées, les diverses manipulations ont espèces (Costa Rica, Colombie, Brésil) : la
ments des régimes de précipitations sur les simulé des changements de -50% à +200% perte de quelques espèces y a été compensée
traits fonctionnels des invertébrés aquatiques dans la fréquence des événements de pluie par la survie d'autres aux traits fonctionnels
vivant dans des broméliacées à réservoir par rapport aux normes locales, croisés avec similaires.
néotropicales. des modifications de -90% à + 300% dans
les quantités moyennes d’eau entrant dans La diversité biologique peut donc bien atté-
Ces broméliacées à réservoir représentent les réservoirs. A la fin des manipulations, la nuer les conséquences écologiques de la
un système modèle idéal pour étudier les diversité des invertébrés et de leurs traits fonc- perte d'espèces dans différentes régions des
réponses des écosystèmes d’eau douce tionnels, ainsi que des variables indicatrices néotropiques. Les politiques environnemen-
aux changements environnementaux. Ces du fonctionnement de l’écosystème, ont pu tales d'adaptation au changement climatique
plantes néotropicales possèdent en effet des être mesurées. devraient par conséquent chercher à préserver
feuilles, disposées en rosette, qui retiennent les espèces fonctionnellement uniques, ainsi
de quelques centaines de millilitres à quelques Les chercheurs supposaient que les éco- que leurs habitats.
litres d’eau de pluie. Ainsi elles forment des systèmes des sites les plus naturellement
microcosmes naturels qui abritent un réseau riches en espèces étaient plus stables face

Un dialogue direct entre le microbiote


intestinal et le cerveau
C'est un décryptage incroyable que variations de l’activité bactérienne dans de l’organisme. De plus en plus d'études
viennent de réaliser des scientifiques de l'intestin, et ils adaptent l’appétit et la montrent combien l’hôte et son micro-
l’Institut Pasteur (organisme de recherche température corporelle en conséquence. biote intestinal sont dépendants l’un de
partenaire d’Université Paris Cité), de l’autre, et soulignent l’importance de l’axe
l’Inserm et du CNRS. Des neurones de On sait que le microbiote intestinal repré- intestin-cerveau.
l’hypothalamus détectent directement les sente le plus grand réservoir de bactéries

* Les Universités de Colombie Britannique, Fédérale de Rio de Janeiro, de Campinas, de Sao Paolo, de Puerto Rico, Nationale de Rosario, de
l’Utah, des Andes et Queen Mary.

Science magazine n°76


BRÈVES ACTUALITÉS 19

A l’Institut Pasteur, des neurobiologistes de


l’unité Perception et mémoire (Institut Pas-
teur/CNRS)*, des immunobiologistes de
l’unité Microenvironnement et immunité (Ins-
titut Pasteur/Inserm), et des microbiologistes
de l’unité Biologie et génétique de la paroi
bactérienne (Institut Pasteur/CNRS/Inserm)
ont collaboré pour comprendre comment les
bactéries de l’intestin peuvent avoir un effet
direct sur l’activité de certains neurones du
cerveau. Les chercheurs se sont intéressés
particulièrement au récepteur NOD2 (Nu-
cleotide Oligomerization Domain) présent
à l’intérieur des cellules, en particulier des
cellules immunitaires. Ce récepteur détecte la
présence de muropeptides, des composés des
parois bactériennes qui peuvent être considé-
rés comme les produits dérivés du microbiote
intestinal. En outre, il était déjà connu que
des variants du gène codant pour le récepteur
NOD2 étaient associés à certaines maladies
du système digestif telles que la maladie de paroi bactérienne à l’Institut Pasteur (CNRS/ Ainsi, les neurones semblent donc détecter
Crohn, mais aussi à certaines maladies neuro- Inserm). Au contraire, dans le cas où le récep- l’activité bactérienne (la prolifération et la
logiques ou troubles de l’humeur. Cependant, teur NOD2 est défaillant, ces neurones ne mort) pour mesurer directement l’impact de
ces données ne permettaient pas de conclure à sont plus réprimés par les muropeptides : le la prise alimentaire sur l’écosystème intesti-
un rapport direct entre le fonctionnement des cerveau perd alors le contrôle de la prise ali- nal. « Il est possible qu’une prise alimentaire
neurones du cerveau et l’activité bactérienne mentaire et de la température corporelle. Par excessive ou un aliment particulier favorise
de l’intestin. conséquent, les souris prennent du poids et l’expansion exagérée de certaines bactéries
sont plus susceptibles à développer un diabète ou de pathogènes, et mette ainsi en danger
En utilisant des techniques d’imagerie céré- de type 2, notamment les femelles âgées. l’équilibre intestinal », remarque Gérard
brale, les scientifiques ont observé, chez la Eberl, responsable de l’unité Microenvironne-
souris, que le récepteur NOD2 est exprimé Chose étonnante, les chercheurs ont montré ment et immunité à l’Institut Pasteur (Inserm).
par des neurones de différentes régions du ici que ce sont les neurones qui perçoivent
cerveau, en particulier dans un centre nommé directement les muropeptides bactériens, Vu l’impact des muropeptides sur les neu-
l’hypothalamus. Puis il ont découvert que alors que cette tâche est habituellement rones de l’hypothalamus et le métabolisme,
ces mêmes neurones voient leur activité dévolue aux cellules du système immuni- on peut s’interroger sur leur rôle éventuel dans
électrique réprimée lorsqu’ils rencontrent taire. « Il est stupéfiant de découvrir que des d’autres fonctions du cerveau, et comprendre
des muropeptides bactériens provenant de fragments bactériens agissent directement ainsi l’association entre certaines maladies du
l’intestin. Les muropeptides sont libérés par sur un centre nerveux aussi stratégique que cerveau et les variants génétiques de NOD2.
les bactéries lorsque celles-ci prolifèrent. l’hypothalamus, connu pour gérer des fonc- Cette découverte ouvre la voie à de nouvelles
« Les muropeptides présents dans l’intes- tions vitales comme la température corpo- approches thérapeutiques contre les maladies
tin, le sang et le cerveau, sont considérés relle, la reproduction, la faim, ou la soif », du cerveau, ou les maladies métaboliques
comme les marqueurs de la prolifération note Pierre-Marie Lledo, chercheur CNRS et comme le diabète et l’obésité.
bactérienne », souligne Ivo G. Boneca, res- responsable de l’unité Perception et mémoire
ponsable de l’unité Biologie et génétique de la à l’Institut Pasteur.

* L'Unité de recherche porte aussi le nom de « Gènes, synapses et cognition » (Institut Pasteur/CNRS). A également participé à ces résultats l’Institut
du cerveau et de la moelle épinière (CNRS/Inserm/Sorbonne Université/AP-HP).

Science magazine n°76


20 ACTUALITÉS BRÈVES

La température entraîne la
reprogrammation de notre corps
Des chercheurs suisses ont montré que
les changements de température ont des
effets marqués dans tous les tissus du corps
humain, mais également des effets spéci-
fiques à chaque organe...

Les humains, comme la plupart des orga-


nismes vivants, sont continuellement exposés
à une alternance de températures. Le froid et
la chaleur ne sont pas sans conséquence sur le
métabolisme et sur la santé, comme le prouve
la répartition géographique de l’incidence de
certaines maladies. Mais au-delà de la réponse
physiologique générée dans certains tissus,
est-ce que le fait de vivre dans un environne-
ment froid ou chaud génère des modifications
biologiques dans l’ensemble du corps ?

Une équipe de l’Université de Genève


(UNIGE) a souhaité décrypter les méca-
nismes biologiques mis en œuvre. « Dans
nos précédentes recherches, nous avions déjà
observé que la température avait des effets adipeux, les muscles, le foie, le cerveau, l’hy- même sur les maladies auto-immunes, montre
importants sur le fonctionnement de certains pothalamus, l’iléon, la moelle épinière, la rate l’intérêt potentiel d’utiliser les variations de
organes », note Mirko Trajkovski, professeur et la moelle osseuse) de 3 groupes de souris température comme recommandations théra-
au Département de physiologie cellulaire et exposées à une température de 10°C, 22°C ou peutiques de modification des habitudes de
métabolisme et au Centre du diabète de la 34°C. « Nos données montrent que le corps vie. Mais avant cela, nous devons comprendre
Faculté de médecine de l’UNIGE qui a dirigé entier réagit profondément aux changements l’impact des effets induits par la température
l'étude. « Le froid favorise la perte de poids de température », explique Mirko Trajkovski. à l’échelle du corps entier, et non à l’échelle
grâce à l’augmentation de la thermogenèse - « Cependant, la réponse n'est pas uniforme : d’un seul organe. C’est exactement ce que
c'est-à-dire la production de chaleur par l’or- chaque organe modifie l’expression de ses nous cherchons à faire : comprendre les mé-
ganisme par augmentation du métabolisme gènes à sa manière, différemment du reste canismes à l’œuvre simultanément dans diffé-
cellulaire - et il atténue les symptômes de des tissus. » rents organes », remarque Mirko Trajkovski.
la sclérose en plaques ; tandis que la cha-
leur a des effets protecteurs contre certaines Pour mieux comprendre si cette différence Afin d'accélérer la recherche dans ce domaine
maladies liées à l’âge, comme l’ostéoporose. est due à l’expression génique spécifique à encore très novateur, l’équipe genevoise a
Mais que se passe-t-il à l’échelle de l’orga- chaque organe, l’équipe a effectué des ana- créé une application web gratuite et facile-
nisme entier ? Jusqu’à présent, nos résultats lyses supplémentaires en se concentrant sur ment accessible qui permet, aux scientifiques
concernaient les effets des changements de des gènes exprimés dans tous les organes. comme au grand public, de rechercher l’ex-
température dans le contexte précis de cer- Et même en ne tenant compte que de cet pression de milliers de gènes en réponse à
tains organes ou de certaines maladies. Nous ensemble restreint de gènes, les différences l’exposition au froid ou au chaud dans divers
avons voulu cette fois-ci étudier de manière d’activation demeuraient importantes. organes. « Nos résultats seront d’autant plus
intégrée l’adaptation globale d’un organisme utiles qu’ils seront partagés et exploités
aux changements de température. » « Savoir que l’exposition à une alternance par de nombreuses personnes » conclut le
de températures chaudes et froides a des chercheur.
Les scientifiques ont alors analysé l’expres- effets majeurs sur les maladies métabo-
sion des gènes dans 11 organes (tous les tissus liques comme l’obésité et l’ostéoporose, ou

Science magazine n°76


BRÈVES ACTUALITÉS 21

Un espoir pour la mucoviscidose


Une équipe de chercheurs suisses révèle serrées préservent l’intégrité des voies res-
qu’hydrater la surface des voies respira- piratoires, les mécanismes en jeu et les liens
toires des personnes atteintes de muco- entre ces deux mécanismes restaient mysté-
viscidose permettrait de restaurer leur rieux, ce qui freinait la mise au point de nou-
barrière de protection contre les bactéries velles thérapies », remarque Marc Chanson,
indésirables. Et ainsi éviter les infections professeur au Département de physiologie
respiratoires. cellulaire et métabolisme et au Centre de
recherche sur l’inflammation de la Faculté
Souvent très grave, la mucoviscidose est une de médecine de l’UNIGE, qui a dirigé ces
maladie génétique rare concernant une nais- travaux.
sance sur 2500 en Europe. Malgré de récentes
avancées thérapeutiques, les personnes at- Les scientifiques ont alors mis au point un
teintes ont une espérance de vie qui ne dépasse modèle in vitro à partir de cellules pulmo-
pas 46 ans et une qualité de vie très impactée. naires humaines (modèle récompensé en
Elles souffrent notamment d’infections bacté- 2021 par le Prix 3R de l’UNIGE qui vise à
riennes chroniques pouvant évoluer vers une réduire l’expérimentation animale). Il repro-
insuffisance respiratoire. La maladie est due duit l’épithélium des voies respiratoires saines
à une ou plusieurs mutations du gène CFTR, et atteintes de mucoviscidose de manière à la
qui affectent le bon fonctionnement d’une fois précise et proche de la réalité clinique.
barrière protectrice essentielle. En effet, les En collaboration avec des chercheurs des bactériennes, même lorsque CFTR ne fonc-
cellules épithéliales tapissant les voies res- départements de médecine et de microbio- tionnait pas.
piratoires sont habituellement scellées les logie et médecine moléculaire de la Faculté
unes aux autres et elles préservent ainsi les de médecine de l’UNIGE, les scientifiques Une trithérapie ciblant pharmacologiquement
voies respiratoires des colonisations bacté- ont comparé la réponse à une infection bacté- la protéine CFTR est aujourd'hui disponible
riennes. Elles sont également recouvertes rienne de cellules épithéliales porteuses d’une sur le marché. Elle ne cible toutefois que cer-
d’un mucus fluide et glissant qui capte les mutation du gène CFTR auxquelles avaient taines mutations du gène CFTR et elle n’est
germes indésirables et les évacue. Lorsque la été ajouté soit du mucus hydraté et sain, soit prescrite que pour une population précise de
protéine CFTR est altérée, les jonctions entre une solution physiologique saline. Et dans personnes atteintes de la mucoviscidose. Or,
les cellules se relâchent, le mucus déshydraté les deux cas, la réponse était similaire : la des traitements plus largement efficaces et
a tendance à stagner, et ces deux éléments présence de liquide, quelle que soit sa com- sans risque manquent cruellement. Le défi
favorisent le développement d’infections position, restaurait les voies respiratoires et est donc aujourd'hui de découvrir un moyen
respiratoires. les protégeait d’une infection. simple pour réaliser la réhydratation de la
L’hydratation de surface suffisait à resserrer surface des voies respiratoires chez toutes
« Si l’on savait déjà que l’hydratation du mu- les jonctions entre les cellules et à protéger les personnes atteintes de la maladie, quelle
cus et la présence de jonctions suffisamment l’intégrité de l’épithélium des colonisations que soit la mutation impliquée.

Etranges cellules
Pour donner leur forme finale à nos or- Les mécanismes de la morphogénèse Dans une récente recherche, l’équipe du
ganes et à nos tissus, nos cellules doivent déterminent la distribution des cellules professeur Roux à l’Université de Genève
s'organiser. C'est ce que l'on appelle la dans l’espace au cours du développement (UNIGE) a étudié la manière dont les cel-
morphogénèse, soit un ensemble de méca- embryonnaire. lules qui composent un tissu réagissent et
nismes qui régissent la distribution dans s’adaptent en cas de courbure de celui-ci. En
l’espace des cellules. Une équipe de cher- Ils permettent d’expliquer comment se for- pliant in vitro une monocouche de cellules,
cheurs suisses vient de faire une découverte ment, par exemple, les plis de nos intestins c’est à dire un assemblage compact et plat de
étonnante en la matière : quand un tissu ou les alvéoles de nos poumons. Autrement cellules disposées les unes à côté des autres,
se courbe, le volume des cellules qui le dit, ces phénomènes sont à la base de notre les chercheurs ont fait une découverte contre-
composent augmente au lieu de diminuer. développement et de celui de tout être vivant. intuitive. « Nous avons constaté que le volume

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22
© UNIGE Aurélien Roux ACTUALITÉS BRÈVES

mais pas le sel, et celui-ci exerce une certaine


pression sur la cellule. Plus la concentration
de sel extérieure est importante - et donc la
pression dite osmotique - plus la membrane
de la cellule laisse passer l’eau, ce qui fait aug-
menter son volume. « Lorsqu'une courbure
est induite, les cellules réagissent comme si
c’était la pression osmotique qui augmentait.
Elles absorbent par conséquent plus d’eau, ce
qui a pour effet de les faire gonfler », ajoute
le chercheur.

Comprendre comment s'effectue la réaction


des cellules à la courbure représente une
avancée importante pour le développement
in vitro d’organoïdes. Car ces structures mul-
ticellulaires en trois dimensions, conçues pour
reproduire la micro-anatomie d’un organe et
ses fonctions, permettent d’effectuer de nom-
breuses recherches sans recourir à l’expéri-
mentation animale. « Notre découverte est un
phénomène actif à prendre en compte pour
contrôler la pousse spontanée d’organoïdes,
« Feuille » de cellules courbées sous forme de tube. c’est-à-dire parvenir à obtenir la forme et la
Les cellules initialement organisées à plat ont été forcées à s’enrouler. taille d’organe souhaitées », se félicite A.
Roux. L’objectif à long terme consisterait à
des cellules situées dans la courbure aug- dans le temps et transitoire montre aussi qu’il parvenir à faire « pousser » n’importe quel
mentait d’environ 50% au bout de 5 minutes s’agit d’un système actif et vivant », remarque organe de remplacement à l’attention de cer-
au lieu de diminuer, puis revenait à la nor- Caterina Tomba, ex-chercheuse au sein du tains patients.
male en moins de 30 minutes », note Aurélien Département de biochimie de l’UNIGE.
Roux. Or, c’est exactement le contraire de ce Ces résultats revêtent aussi un intérêt pour les
que l’on peut observer en pliant un matériau Cette augmentation du volume s'explique milieux industriels. « Actuellement, il n’existe
élastique. par la conjugaison de deux phénomènes. pas à proprement parler de matériaux qui
« Le premier est une réaction mécanique à la augmentent de volume quand on les plie. Des
Cette « feuille » de cellules est similaire à courbure ; le second est lié à la pression dite ingénieurs ont conceptualisé un tel matériau
celle qui compose notre peau. En la courbant, osmotique exercée sur la cellule », souligne mais sans jamais le concrétiser, car sa pro-
les scientifiques ont remarqué plus particu- A. Roux. Les cellules évoluent effectivement duction s’avérait extrêmement compliquée.
lièrement que ces dernières gonflaient pour dans un environnement constitué d’eau salée. Nos travaux offrent donc aussi de nouvelles
prendre une forme de petits dômes. « Le fait La membrane semi-perméable qui les sépare clés de compréhension pour l’élaboration de
que cette augmentation de volume soit décalée de leur environnement laisse passer l’eau tels matériaux », conclut le professeur Roux.

Le Soleil et ses énigmes


Depuis le début des années 2000, rien n’al- internationale menée par des scientifiques fondamental pour notre compréhension de
lait plus dans le Soleil ! Les abondances de l’UNIGE est parvenue à élaborer un la physique stellaire. Nous disposons en effet
des éléments chimiques de sa surface nouveau modèle pour résoudre une partie de mesures d’abondances de ses éléments
ayant été revues à la baisse, les astrophy- de ce problème. chimiques, mais également de mesures de
siciens ne pouvaient plus réconcilier les sa structure interne, comme pour la Terre,
valeurs prédites par leur modèle standard « Le Soleil est l’étoile que l’on peut carac- grâce à la sismologie », remarque Patrick
avec ces nouvelles données. Une équipe tériser le mieux : il constitue ainsi un test Eggenberger, maître d’enseignement et de

Science magazine n°76


BRÈVES ACTUALITÉS 23

L'avion supersonique
« silencieux » de la NASA
© Maria Werries/NASA

La NASA présente son démonstrateur supersonique, le X-59 QueSST (Quiet SuperSonic


Technology), construit par Lockheed Martin.

Depuis une quinzaine d'années, la NASA cherche à rendre les avions de transport super-
soniques plus silencieux pour permettre ce type de vol au-dessus des zones habitées. Le
X-59 devrait donc voler plus vite que la vitesse du son sans générer le « bang » sonique
des autres avions. Des tests effectués cette année au-dessus des villes américaines ont
pour but d'évaluer les réactions des habitants qui devraient entendre un son équivalent à
celui du claquement d'une portière.

Science magazine n°76


24 ACTUALITÉS BRÈVES

recherche au Département d’astronomie de


l’UNIGE.

© UNIGE Sylvia Ekström


Mais ces observations doivent naturellement
coïncider avec les prédictions des modèles
théoriques qui tentent d’expliquer son évo-
lution. Comment le Soleil va-t-il brûler
l’hydrogène en son cœur ? Comment l’éner-
gie produite sera-t-elle transportée vers les
couches externes ? Comment les éléments
chimiques se déplacent-ils sous les effets de
la rotation et des champs magnétiques ?

« Le modèle solaire standard qui a été uti-


lisé jusqu’à maintenant considère notre
étoile sous une forme simplifiée, d’une part
en ce qui concerne le transport des éléments
chimiques dans ses couches les plus pro-
fondes, et d’autre part pour sa rotation et
ses champs magnétiques internes entièrement
négligés jusque-là », souligne Gaël Buldgen,
chercheur au Département d’astronomie de
l’UNIGE. Tout cela fonctionnait pourtant
de manière satisfaisante jusqu’au début des
années 2000, lorsqu’une équipe scientifique
internationale a révisé drastiquement les Le nouveau modèle solaire développé par Patrick Eggenberger et son
abondances solaires en fournissant une ana- équipe inclut l’historique de la rotation du soleil mais également les
lyse plus fine. Ces nouvelles abondances ont instabilités magnétiques que celle-ci génère.
jeté dès lors un gros pavé dans la mare des
modélisations solaires. Et plus aucun modèle Le nouveau modèle parvient non seulement redoutable, à 500 km près, la région où
ne parvenait à reproduire les données obte- à prédire correctement la concentration commencent les mouvements convectifs de
nues par l’héliosismologie, soit l’étude des d’hélium dans les couches externes du Soleil, matière, soit à 199 500 km sous la surface du
vibrations du Soleil, notamment l’abondance mais également celle du lithium qui, lui aussi, Soleil. Or, les modèles théoriques du Soleil
d’hélium dans l’enveloppe du Soleil. résistait à la modélisation jusqu’à présent. prédisent une profondeur en décalage de 10
« L’abondance en hélium est correctement 000 km ! » remarque Sébastien Salmon, cher-
Le nouveau modèle élaboré par l’équipe de reproduite par le nouveau modèle parce que cheur à l’UNIGE. Si le problème persiste avec
chercheurs suisses inclut non seulement l’his- la rotation interne du Soleil imposée par les le nouveau modèle, il ouvre cependant une
torique de la rotation elle-même, sans doute champs magnétiques engendre un mélange nouvelle porte de compréhension. « Grâce
plus rapide dans le passé, mais également les turbulent qui empêche cet élément de tomber au nouveau modèle de ce travail, nous met-
instabilités magnétiques qu’elle génère. « On trop rapidement vers le centre de l’étoile. Si- tons en lumière les processus physiques qui
doit absolument prendre en compte, simulta- multanément, l’abondance du lithium obser- peuvent nous aider à résoudre ce désaccord
nément, les effets de la rotation et des champs vée à la surface solaire est aussi reproduite critique. »
magnétiques sur le transport des éléments car ce même mélange le transporte vers les
chimiques dans nos modèles stellaires. C’est régions chaudes où il est détruit », souligne « Nous allons devoir réviser les masses,
important pour le Soleil comme pour la phy- Patrick Eggenberger. rayons et âges obtenus pour les étoiles de
sique générale des étoiles, avec un impact type solaire que nous avons étudiées jusqu’à
direct sur l’évolution chimique de l’Univers L'ensemble des défis posés par l’héliosis- présent », note Gaël Buldgen en détaillant les
puisque les éléments chimiques, si essentiels mologie n'est cependant pas résolu par le prochaines étapes. En effet, dans la grande
à la vie sur Terre, sont fabriqués dans le cœur nouveau modèle. « Grâce à l’héliosismo- majorité des cas, la physique solaire est trans-
des étoiles », note Patrick Eggenberger. logie, nous connaissons avec une précision posée aux cas d’études proches du Soleil.

Science magazine n°76


BRÈVES ACTUALITÉS 25

Donc, si les modèles pour analyser le Soleil Patrick Eggenberger explique : « ceci est devrait s’envoler en 2026 vers le point de
sont modifiés, cette mise à jour doit également particulièrement important si l’on veut Lagrange 2 (à 1,5 million de kilomètres de la
être effectuée pour les autres étoiles similaires mieux caractériser les étoiles hôtes de pla- Terre, à l’opposé du Soleil), pour découvrir et
à la nôtre. nètes, par exemple dans le cadre de la mission caractériser des petites planètes et affiner les
PLATO. » Cet observatoire de 24 télescopes caractéristiques de leur étoile-hôte.

Les étonnantes capacités des neurones olfactifs


La perception des odeurs chez les mam-
mifères est assurée par des millions de
neurones olfactifs, situés au niveau de
la muqueuse de la cavité nasale. Ce sont
eux qui reconnaissent les molécules odo-
rantes et transmettent cette information
au cerveau. Mais comment parviennent-
ils à détecter une grande variabilité de
signaux et à s’adapter à différents niveaux
de stimulation ?

Ces neurones olfactifs possèdent à leur sur-


face des récepteurs capables de se lier spéci-
fiquement à une molécule odorante. Chacun
n’exprime qu’un seul gène codant pour un
récepteur olfactif, choisi parmi un répertoire
d’environ 450 chez l’humain et 1 200 chez
la souris. Dès qu’une molécule volatile est
reconnue par un récepteur, ce dernier est
activé et génère un signal transmis au bulbe
olfactif dans le cerveau : un signal qui se tra-
duit ensuite en une odeur. Le système olfactif
répond à des environnements très variables
et il doit pouvoir s’adapter très rapidement.
Par exemple, lorsqu'il y a une stimulation en Les biologistes ont poursuivi cette approche, sont spécifiques au récepteur olfactif qu’ils
continu par certaines molécules odorantes, explorant la possibilité que cette adaptation à expriment », souligne Luis Flores Horgue,
l’intensité perçue va diminuer progressive- une expérience olfactive n’affecte pas seule- doctorant au Département de génétique et
ment pour parfois finalement disparaitre. ment le gène codant pour le récepteur, mais évolution et premier auteur de l’étude. Les
aussi d’autres gènes. Pour cela, le profil des neurones exprimant le même récepteur ne
Des chercheurs du Département de génétique gènes exprimés avant et après stimulation partagent par conséquent pas uniquement ce
et évolution de la Faculté des sciences de olfactive a été déterminé dans des milliers de récepteur mais ils se distinguent également
l'UNIGE, en collaboration avec le Départe- neurones olfactifs en séquençant leurs ARN par l’expression de centaines d’autres gènes.
ment des neurosciences fondamentales de la messagers (les molécules permettant ensuite Des gènes dont le niveau d’expression semble
Faculté de médecine, s’intéressent à ces méca- la production des protéines). être dirigé par le récepteur olfactif exprimé,
nismes adaptatifs. Dans une étude précédente, lequel jouerait donc un double rôle.
ils avaient découvert qu’après la stimulation « A notre grande surprise, nous avons
d’un récepteur par une molécule odorante constaté qu’au repos, c’est-à-dire dans un Les scientifiques ont ensuite analysé l’ex-
pendant moins d’une heure chez la souris, environnement sans stimulation, les profils pression des gènes dans ces neurones après
l’expression du gène codant pour ce récep- des ARN messagers des populations de neu- stimulation par des molécules odorantes. Ils
teur diminuait dans le neurone, indiquant un rones sensoriels olfactifs de la souris sont ont observé que celles-ci induisent des chan-
mécanisme d’adaptation très rapide. déjà très différents les uns des autres, et ils gements massifs de l’expression de gènes

Science magazine n°76


26 ACTUALITÉS BRÈVES

dans ces neurones activés. « Alors que l’on « Et cette nouvelle identité est à nouveau dé- leur identité est en évolution permanente, non
pensait que la liaison d’une molécule odo- pendante du récepteur exprimé : nous faisons seulement en fonction du récepteur exprimé
rante entraînerait uniquement l’activation du face à un mécanisme d’adaptation inattendu, mais aussi en fonction des expériences pas-
récepteur correspondant, on découvre que massif, rapide et réversible. » sées. Cette découverte ajoute un niveau sup-
les neurones olfactifs changent drastiquement plémentaire à la complexité et à la flexibilité
d’identité en modulant l’expression de cen- Les neurones olfactifs ne sont donc pas à de ce système olfactif. Mieux comprendre
taines de gènes après activation » remarque considérer comme des senseurs passant sim- comment cette identité est déterminée sera le
Ivan Rodriguez, co-dernier auteur de l’étude. plement d’un état au repos à un état stimulé : prochain défi de l’équipe genevoise.

Caféine et cerveau : des effets bénéfiques


sur la mémoire
On connaissait déjà les effets positifs de la
caféine sur la vigilance et l'attention, mais
peu de choses sur les mécanisme molécu-
laires cérébraux associés à sa consomma-
tion régulière. Pourtant la caféine est la
substance psychoactive la plus consommée
dans le monde !

Des scientifiques du Laboratoire Lille Neu-


roscience & Cognition (Université de Lille/
Inserm) et du Laboratoire de neurosciences
cognitives et adaptatives (LNCA - CNRS/
Université de Strasbourg) ont démontré, chez
la souris, qu’une consommation habituelle de
caféine induit des changements moléculaires
durables dans l’hippocampe ; cette structure
essentielle à la mémoire dégénère dans la
maladie d’Alzheimer.

En utilisant différentes méthodes associant l’épigénome hippocampique de manière dif- mémoire. Les effets moléculaires de cette
génomique, métabolomique et protéomique, férenciée selon qu’il s’agit de cellules neu- substance sur les différentes cellules céré-
les chercheurs suggèrent que la caféine favo- ronales ou non-neuronales : cela concourt à brales restent à étudier plus finement. L'étude
rise le traitement de l’information dans cette favoriser les processus moléculaires associés d'un potentiel effet bénéfique chez les patients
structure en réponse à une tâche d’apprentis- à la mémoire. atteints de maladie d’Alzheimer fait actuel-
sage, ceci en exerçant une action concertée sur La preuve expérimentale est ainsi obtenue lement l’objet d'un essai clinique. (Source :
les cellules neuronales et non-neuronales. La d’un lien entre la consommation de caféine INSB)
caféine modifie de manière très importante et les processus neuraux impliqués dans la

Le langage structuré des chimpanzés


Le langage humain trouve probablement communication chez les chimpanzés, les- Le langage se définit par une combinaison
son origine dans d'autres formes de com- quels utilisent des centaines de séquences de sons en des mots, lesquels sont ensuite
munication bien plus simplifiées chez les vocales. Et ils ont observé une flexibilité recombinés de façon hiérarchique etstructurée
animaux. Mais cela reste à démontrer. A insoupçonnée de ce « langage ». pour former des phrases. Mais comment a pu
l'Institut des Sciences Cognitives Marc naître une telle complexité ? Nul ne le sait
Jeannerod (CNRS/Université Lyon 1), On considère que les humains sont la seule jusqu'à présent.
des chercheurs se sont intéressés à la espèce sur Terre capable d’utiliser le langage.

Science magazine n°76


BRÈVES ACTUALITÉS 27

Pour retracer les origines évolutives du lan-


gage, on compare souvent la production
vocale des animaux (et en particulier des pri-
mates non-humains) à celle de l’homme. Ces
primates combinent très rarement les diffé-
rents types de cris qui forment leur répertoire
vocal pour former des séquences vocales ; de
ce fait, la diversité des séquences produites
reste limitée.

Et cela fait toute la différence car la spécificité


du langage ne réside pas dans le nombre de
sons que nous utilisons (autour de 50 sons
en moyenne par langue), mais dans notre
aptitude à combiner ces sons pour former les membres de trois groupes de chimpan- Par conséquent, il existe bel et bien un système
des mots, puis à utiliser ces mots dans des zés sauvages. Ils ont pu identifier 12 types de communication vocale complexe chez l’un
phrases structurées qui nous permettent de de cris différents et ils ont analysé comment de nos plus proches cousins, le chimpanzé.
communiquer un nombre infini de sens. Les ces cris étaient combinés dans des séquences Malgré un répertoire vocal limité, cela permet
primates non-humains utilisent également vocales. L’étude a prouvé que les chimpanzés une flexibilité dans leur communication. Il
jusqu’à 38 sons (types de cris) différents utilisent des centaines de séquences vocales reste maintenant à déterminer l'étendue de
pour communiquer, mais ils ne les recom- différentes, combinant jusqu’à 8 types de cris sa signification... Ces séquences vocales per-
binent que très rarement. Les scientifiques différents. mettent-elles aux chimpanzés d’étendre leur
ont voulu savoir si cette capacité à produire capacité à communiquer sur différents aspects
des séquences vocales était vraiment aussi Pour la première fois, une telle diversité a donc de leur vie sociale ? Ou bien ne sont-elles
limitée que constaté jusqu’à présent ou si, tout été observée chez une espèce de primates non- qu'une simple juxtaposition du sens qui est
simplement, insuffisamment de recherches humains. Et les chercheurs ont pu démontrer porté par chacun des cris qui les composent.
avaient été faites sur le sujet. que ces séquences vocales étaient structurées En résumé, ces séquences portent-elles un
puisque les différents cris qui les compo- sens diffèrent de celui des cris produits seuls ?
Au sein du Parc National de Taï, en Côte saient avaient une position déterminée dans (Source : INSB)
d’Ivoire, les chercheurs ont alors enregistré la séquence et des associations d’agencement
des milliers de vocalisations produites par stables avec les cris précédents et suivants.

Comment parler aux nourrissons ?


Parler fréquemment aux nourrissons est
supposé faciliter l'apprentissage des struc-
tures du langage, et par la suite améliorer
les résultats scolaires. Certains chercheurs
estiment toutefois que cette hypothèse est
exagérée. En effet, l'importance de la pa-
role dirigée vers le nourrisson se fait beau-
coup plus rare dans certaines populations.
Mais dans quelle mesure ?

Au Laboratoire de sciences cognitives et psy-


cholinguistique (LSCP, UMR8554, CNRS/
EHESS/ENS-PSL), la directrice de recherche
CNRS Alejandrina Cristia et son équipe ont
examiné la littérature scientifique parue sur
la question. Parmi elle, 29 articles portent

Science magazine n°76


28 ACTUALITÉS BRÈVES

sur environ 1 300 nourrissons (âgés de 0 à environ trois fois moins fréquente dans le utiles pour l'apprentissage du langage ? Les
2 ans) et leurs familles, observés dans leur premier groupe que dans le second. Une dif- nourrissons ne prêtent ils pas une meilleure
milieu naturel, mais dans deux types de popu- férence bien plus importante que celle obser- attention à ce qu'ils entendent ? Le chant,
lations très différentes. Les familles du pre- vée dans des études menées aux États-Unis la conversation de groupe n'ont-ils pas leur
mier groupe, vivant dans des milieux ruraux sur des familles au statut socio-économique importance ?
(petits agriculteurs, chasseurs-cueilleurs...), élevé et des familles au statut socio-écono-
avaient généralement moins accès à l'éduca- mique faible. L'équipe de chercheurs envisage de pour-
tion. Celles du second groupe vivaient dans suivre les recherches en effectuant des enre-
des environnements urbains, avec probable- Il existe donc des différences très mar- gistrements sur le long terme, en équipant les
ment un meilleur accès à l'éducation, à un quées dans la fréquence à laquelle les gens nourrissons d'un petit enregistreur afin d'évi-
système de santé et à d'autres services. parlent aux nourrissons selon les populations ter, comme dans les autres études, l'interaction
humaines. Cependant, en considérant l'uni- d'une personne proche de l'enfant. (Source :
La fréquence des comportements de vocali- versalité de nombreux aspects du langage INSHS)
sation dirigés vers les nourrissons différait humain, n'y aurait-il pas d'autres pratiques
nettement entre ces deux groupes. Elle était dans ces populations rurales particulièrement

Le plus ancien traité antique sur Platon !


Le manuscrit était conservé à la Biblio-
thèque Capitulaire de Vérone, en Italie,
mais il restait à le déchiffrer... C'est ce
qu'ont réalisé des chercheurs du Centre
Léon Robin de recherche sur la pensée
antique (Sorbonne Université/CNRS) en
appliquant des technologies d'imagerie
multispectrale. Nos connaissances sur
l'œuvre de Platon devraient ainsi s'étendre
grandement.

L'étude a été faite dans le cadre du projet


RESCAPALM, à l'intersection des sciences
naturelles et des sciences humaines, sous la
responsabilité de Victor Gysembergh, cher-
cheur CNRS, et en collaboration avec les
équipes américaines EMEL (Early Manus-
cripts Electronic Library) et Lazarus Project
(Université de Rochester). Leur objectif : faculté des Lettres de Sorbonne Université, a un manuscrit beaucoup plus récent, datant du
récupérer les textes effacés dans le manuscrit découvert le plus ancien exemplaire d'un traité XIIIe siècle, époque où il appartint d'ailleurs
palimpseste désigné par la cote XL (38) de la sur l'œuvre de Platon, rédigé par le célèbre à la Sorbonne médiévale (il est conservé à la
Bibliothèque Capitulaire de Vérone, la plus écrivain latin Apulée de Madaure (une cité Bibliothèque Vaticane).
ancienne bibliothèque d'Europe. d'Afrique du Nord, aujourd'hui en Algérie).
Dans le passage ayant permis l'identification
Un manuscrit palimpseste est composé de Cet exemplaire du traité sur Platon est écrit en du texte, Apulée donne un résumé du dixième
feuillets de parchemin qui ont été effacés et ré- lettres onciales pouvant être datées approxi- livre de la République de Platon. Le déchif-
utilisés. Celui-ci était déjà connu pour conte- mativement du Ve ou VIe siècle après JC. Il frage de ce manuscrit plus ancien va donc
nir des exemplaires très anciens des oeuvres contient un passage d'un texte attribuable permettre de combler d'importantes lacunes
de Virgile, de Tite-Live et d’Euclide, effacées au troisième livre du traité latin Sur Platon dans le texte d'Apulée, et de compléter ainsi
ensuite pour recevoir une copie des Leçons rédigé par Apulée de Madaure qui vivait dans notre connaissance de la tradition platoni-
morales de Grégoire le Grand. Et parmi les l'Empire romain au IIe siècle. Ce texte avait cienne dans l'Antiquité grecque et latine.
textes effacés, Emanuel Zingg, chercheur à la été édité pour la première fois en 2016 d'après

Science magazine n°76


BRÈVES ACTUALITÉS 29

Etonnante Patagonie
© contains modified Copernicus Sentinel data (2022), processed by ESA, CC BY-SA 3.0 IGO

Le satellite Sentinel-3 du programme Copernicus a pris cette vue impressionnante de


la Patagonie et des îles Falkland (les Malouines), à la pointe méridionale de l'Amé-
rique du Sud. Couvrant une superficie d'environ 673 000 km2, la Patagonie s'étend
sur l'Argentine et le Chili. La région comprend le sud de la Cordillère des Andes, avec
des lacs, des fjords, des forêts tropicales et des glaciers à l'ouest, et des déserts et
des plateaux à l'est. À l'extrême sud, c'est l'archipel de la Terre de Feu et, entre les
deux, le Détroit de Magellan.
Quant aux Malouines, situées à droite de l'image à environ 600 km à l'est du conti-
nent, elles sont composées de deux îles principales, séparées par un canal d'une
vingtaine de kilomètres de large. Les tourbillons bleu clair et vert sont les zones où
le phytoplancton est très dense. Ceci grâce aux nutriments charriés par les fleuves
ou emportés par les vents.

Science magazine n°76


30 ACTUALITÉS BRÈVES

De l'espoir pour le captage et


la transformation du CO2
Pour la première fois, les deux voies les
plus industrialisables du recyclage du car-
bone, le captage du CO2 par des absorbants
liquides et l’électroréduction par un cata-
lyseur immobilisé sur support solide, ont
pu être couplées et intégrées l’une à l’autre
en laboratoire.

La réduction du CO2 représente une problé-


matique environnementale majeure, et cette
performance prometteuse est le fruit de re-
cherches menées par l’Institut de chimie et
biochimie moléculaires et supramoléculaires
(ICBMS, Université Claude Bernard Lyon 1/
CNRS/CPE Lyon/INSA Lyon) et l’Univer-
sité de Turin. Les scientifiques ont mis en
évidence que l’association de deux briques
technologiques - le captage du CO2 par des
absorbants liquides et l’électroréduction par
un catalyseur immobilisé sur support solide - du CO2 semblent agir comme des co-enzymes de production de molécules carbonées à partir
permettait la production d’acide formique à vis-à-vis du catalyseur immobilisé, partici- du plus emblématique gaz à effet de serre.
partir du CO2. pant à l’activation du CO2 qui mène à la for- L'intégration du captage et de la transforma-
mation d’acide formique. L'acide formique tion du CO2 en un seul procédé permet la
Cette production sélective et inattendue d’une est une molécule résultant du stockage de naissance de synergies entre les deux pro-
molécule essentielle dans les secteurs de la l'hydrogène et de l'énergie électrique, sur le cessus, également de s'affranchir de certaines
chimie et du stockage de l’énergie est due à support moléculaire qu'est le CO2. étapes énergivores, impactantes et coûteuses
la coopérativité à l’échelle moléculaire entre (chauffage, compression du gaz, transport).
le captage du CO2 et sa réduction électrochi- Il s'agit là d'un premier pas significatif vers C'est une manière de répondre aux ambitions
mique. En effet, certains produits de captage une approche éco-efficiente et industrialisable de la COP21.

Retrouver la notion d’espace


dans la surdité unilatérale
Et cela grâce à un implant cochléaire. Il cognition (Cerco - CNRS/UT3 Paul Sabatier) neuroprothèse cochléaire) sur des sujets avec
faut savoir que la surdité unilatérale peut était-elle essentielle. Elle révèle que l’im- surdité unilatérale et des sujets contrôles. Ces
avoir des conséquences considérables sur plantation d’une neuroprothèse rétablissant personnes étaient également impliquées dans
la vie quotidienne : elle est responsable l’activité de l’oreille sourde (implantation une tâche comportementale de localisation
de déficits de localisation des sons dans cochléaire) permet de restaurer le traitement spatiale de sons.
l’espace environnant et elle perturbe for- de l’espace auditif chez l’adulte.
tement l’intelligibilité de la parole dans des Chez le sujet à audition normale, chaque
environnements bruyants. Chez l'enfant, Pour réaliser ces travaux, les équipes du hémisphère cérébral présente une préférence
elle peut également être à l’origine de re- Cerco, des services ORL et d’Imagerie pour l’oreille controlatérale, ce qui se traduit
tards des acquisitions cognitives. nucléaire du CHU Purpan ont utilisé une par une réponse plus forte du cortex auditif
technique d’imagerie médicale, la tomogra- à une stimulation de l’oreille située du côté
Aussi l'étude menée par une équipe de scien- phie par émission de positons (seule tech- opposé. Cette préférence disparait chez le
tifiques du Centre de recherche cerveau et nique compatible avec une activation de la sujet ayant une surdité unilatérale ; celui-ci

Science magazine n°76


BRÈVES ACTUALITÉS 31

présente alors une préférence ipsilatérale (du


même côté) liée à la perte des capacités spa-
tiales. L'implantation cochléaire permet une
réhabilitation de cette préférence controla-
térale. En outre, le niveau de cette restaura-
tion est directement corrélé aux capacités de
localiser les sons dans l’espace des patients
implantés : ce résultat met en lumière les capa-
cités de plasticité cérébrale du cerveau adulte.

Cette étude démontre que la préférence pour


l’oreille controlatérale est le support cortical
de la représentation spatiale de notre espace
auditif. Et elle révèle clairement que l’im-
plantation cochléaire représente une approche
optimale de réhabilitation de la surdité unila-
térale. Celle-ci permet de rétablir les fonctions
auditives spatiales comme la compréhension
de la parole dans le bruit et de restaurer ainsi
la qualité de vie des patients.

Voyage dans les profondeurs de la Terre


La surface terrestre est divisée en plaques La Terre est la seule planète du système so- plus visibles marquant les frontières entre
tectoniques distinctes : elles composent la laire dont la surface se divise en différentes ces plaques. Au niveau des dorsales, là où
lithosphère et « flottent » en quelque sorte plaques. Le concept de la tectonique des se forme la croûte océanique par remontée
sur l’asthénosphère. On ne connaissait pas plaques est basé sur l’existence d’une lithos- et fusion du manteau, la lithosphère est de
vraiment à quel niveau se situait la fron- phère solide et rigide qui se déplace sur une faible épaisseur. Mais à mesure que la plaque
tière entre ces deux couches. Le mystère asthénosphère au contraire déformable. Les s’éloigne de la dorsale, la lithosphère refroi-
est levé... volcans et séismes sont les manifestations les dit et s’épaissit, marquant la séparation avec
l’asthénosphère.

Cette frontière est située à plusieurs dizaines


de kilomètres de profondeur. Son étude est
fondamentale à la compréhension de la for-
mation et de l’évolution de la lithosphère, et
plus largement de la dynamique de la tecto-
nique des plaques. Cependant les techniques
sismologiques d’imagerie traditionnelles pro-
posent une résolution trop faible pour imager
précisément la base de la lithosphère. Certains
résultats indiquent que la lithosphère s’épais-
sit avec le temps, tandis que d’autres montrent
que la lithosphère se trouve à une profondeur
constante d’environ 70 km, d'où des modèles
contradictoires de la frontière lithosphère-as-
thénosphère. Par exemple, certaines études
suggèrent que cette frontière lithosphère-as-
thénosphère correspond à la discontinuité de

Science magazine n°76


32 ACTUALITÉS BRÈVES

Gutenberg, définie par Beno Gutenberg au la surface. Ce signal de retour a été enregistré lithosphère-asthénosphère ressemble bien à
début du 20e siècle, située à une profondeur grâce à un câble de 12 km de long, appelé une frontière entre état solide et fusion qui
de 70 à 80 km. flûte marine, sur lequel des capteurs étaient correspond à une température d'environ
disposés tous les 3,125 mètres. Le navire se 1250°C, où la lithosphère solide repose sur
Des chercheurs de l’Institut de physique du déplaçant à une vitesse d’environ 7 km/h, les des lentilles de magma riche en eau ; et d’autre
globe de Paris (IPGP/Université Paris Cité/ données sismiques ont été enregistrées tous part que la discontinuité de Gutenberg est une
CNRS) ont mené en 2015 une campagne à les 75 mètres, permettant d’imager les struc- frontière qui se forme à la dorsale, divisant le
bord du navire océanographique Trident, tures de la Terre profonde avec une résolu- manteau riche en eau et le manteau pauvre en
de la société WesternGeco, dans l’océan tion jamais égalée, et ce à intervalles de 6,25 eau, et qu'elle reste stable au cours du temps.
Atlantique équatorial. Grâce à une techno- mètres en continu tout le long des 1 400 km
logie de pointe utilisée dans l’industrie, ils ont de profil. Autre conclusion de l'étude : les données
pu acquérir 1 400 km de profil de sismique collectées indiquent que le passage ou la
réflexion couvrant une zone de la lithosphère Les scientifiques ont ainsi découvert deux ré- présence d’un point chaud, qui remonte du
océanique âgée de 2 à 75 millions d’années. flexions distinctes dans le manteau terrestre : manteau, peut avoir un effet de rajeunisse-
Pour sonder les profondeurs de la Terre, une une frontière lithosphère-asthénosphère qui ment de la lithosphère, soulever la frontière
puissante source d’énergie sonore a été uti- s’approfondit avec l’âge de la lithosphère, lithosphère-asthénosphère, et détruire la dis-
lisée, ce signal émis se reflétant sur les diffé- et une discontinuité de Gutenberg qui reste continuité de Gutenberg...
rentes couches en profondeur et formant, en constante à une profondeur de 75 km. Ces
retour, une image de la structure interne sous résultats suggèrent d’une part que la frontière

Pourquoi un tel chaos planétaire


dans le système solaire ?
Le mouvement des planètes dans le Sys-
tème solaire est chaotique. En effet, suite
aux perturbations gravitationnelles entre
les planètes, leurs orbites se déforment
avec le temps. Et cela de façon relative-
ment irrégulière et donc imprévisible sur
le long terme...

Grâce à des méthodes de calcul formel, c'est


Jacques Laskar, de l'IMCCE (l'Institut de mé-
canique céleste et de calcul des éphémérides/
Observatoire de Paris), qui a montré il y a plus
d'une trentaine d'années le chaos planétaire.
Il a mis en évidence le rôle majeur de deux
résonances* entre les mouvements de préces-
sion planétaires (soit les lents changements
d'orientation de l’axe des orbites). L’une fait
intervenir les modes associés aux planètes
Mercure, Vénus, Jupiter, et l’autre est liée à
la Terre et à Mars.
le mouvement des planètes sur une durée de par 10 tous les 10 millions d’années. Ceci
Malheureusement, l'une des premières plus de 60 millions d’années, l’incertitude sur limite donc les possibilités de calculer les
conséquences est l’impossibilité de prédire les trajectoires des orbites étant multipliée variations de l’insolation à la surface de la

* Deux mouvements sont en résonance lorsque le rapport de leurs périodes est un nombre rationnel.

Science magazine n°76


BRÈVES ACTUALITÉS 33

Terre résultant des variations de l’orbite ter- Mercure, la probabilité de collision avec le développé depuis 1988 à l'IMCCE. Et ils ont
restre, elles-mêmes dues aux perturbations Soleil est de l’ordre de 1%. bien retrouvé les résonances découvertes il y
des autres planètes. Ceci limite aussi la pos- a 30 ans par J. Laskar. En même temps, ils ont
sibilité d’établir des échelles de temps géolo- Les scientifiques reconnaissent bien au- révélé un réseau multidimensionnel complexe
giques basées sur la corrélation entre les séries jourd'hui l’existence du chaos, mais l'origine de nouvelles résonances, couplant les planètes
sédimentaires qui témoignent des variations de celui-ci restait encore source de contro- internes. Les chercheurs démontrent que la
climatiques du passé et les calculs d’insola- verses. C'est pourquoi Federico Mogavero et prise en compte des résonances principales
tion de la mécanique céleste. Sur des durées Jacques Laskar, de l'IMCCE, ont mené une permet de rendre compte du temps de diver-
plus longues (de l’ordre de l’âge du Système étude systématique des résonances présentes gence exponentielle des orbites planétaires.
solaire), les planètes peuvent même entrer en dans le Système solaire interne, utilisant pour (Source : INSU)
collision, entre elles ou avec le Soleil. Pour cela utilisé le logiciel de calcul formel TRIP,

Lumière de verre : un procédé d'illumination


monumentale inédit
A Chartres, les ateliers de Lumière de Verre
© Lumière de Verre – Villers-Cotterêts - 2022

(www.lumdeverre.fr) font une proposition


artistique directement issue du fameux
Diascope, la lanterne magique des petits
Savoyards au XVIIIe. Ils réalisent ainsi des
projections d'images sur des monuments
qui sont de véritables œuvres d'art...

C'est un vrai travail d'orfèvre que ces arti-


sans effectuent depuis quelques années sur
des diapositives de verre gravées, peintes à la
main, puis cuites à des températures fortes et
précises. Il s'agit d'un procédé de projection
monumentale inédit, alliance de la lumière et
d'un savoir-faire d'exception dans le verre. Il
s'inscrit dans la tradition historique et cultu-
relle de la lanterne magique. Mais il sert ici à
illuminer de manière artistique le patrimoine
public et privé.

Le système de mise en œuvre a été développé


il y a 7 ans autour d'une machine optique qui
existait donc déjà : le Diascope dit rétropro-
jecteur. On la connaît mieux sous le nom de
« lanterne magique ». Ce dispositif combine
un système optique à une source de cha-
leur-lumière, permettant ainsi de projeter « Evocation forestière dans chantier en lumière »
une image peinte sur une plaque de verre. au Château de Villers-Cotterêts (Aisne).
Il aurait été inventé au XVIIe siècle et s'est
répandu en Europe au XVIIIe. Et ce grâce XIXe, l'objet perfectionné sera à la base du Lumière de Verre a adapté cet appareil fas-
aux Savoyards qui, de village en village, cinéma. Puis cet ancêtre des projecteurs ré- cinant, sous diverses formes, selon les diffé-
produisaient un spectacle avec cette modeste apparaîtra au XXe siècle sous la forme du rentes configurations rencontrées (distance de
machine alors que des exploits techniques et rétro-projecteur, aujourd'hui abandonné au la source de projection, etc.). Mais toutes les
optiques s'opéraient dans les châteaux. Au profit du vidéo-projecteur. solutions sont fonctionnelles sous tout climat.

Science magazine n°76


34 ACTUALITÉS BRÈVES

© Lumière de Verre – Illustrations 2022


En cas de scénographie sur un grand bâti,
dans un espace ou un parcours, les sources
de lumière sont multipliées.

Cet été, des œuvres ont été conçues pour


l’abbaye de Beaulieu-en-Rouergue (Tarn-
et-Garonne), tout juste restaurée, et pour
l’abbaye de Noirlac (Cher).

Les artisans gravent les


motifs sur des diaposi-
tives de verre.

Un astéroïde fracturé
Grâce à la mission OSIRIS-REx, de la physico-chimiques et dynamiques du système orientées préférentiellement dans une direc-
NASA, un astéroïde livre ses secrets : de solaire en formation. Il est donc essentiel pour tion Nord-Sud et sont plus nombreuses à
nombreuses fracturations étonnantes à cela de caractériser finement les processus l’équateur qu’aux pôles. Cela signifie qu'elles
sa surface contribuent à la chute de mété- contrôlant leur dynamique de surface, ceci ont été créées par un processus appelé fatigue
roïdes sur Terre. afin de pouvoir séparer ce qui dépend de leurs thermique, dû aux chocs de température entre
propriétés primitives ou de leur évolution à le jour (très chaud, soit ≈ 80 C) et la nuit (très
Les astéroïdes les plus communs du sys- l’échelle de milliards d’années. Cependant froide, soit ≈ -80 C) : cela mène à la formation
tème solaire sont similaires aux chondrites peu d’échantillons sont connus à la surface de fractures macroscopiques. Le processus
carbonées. Ils ont un caractère « primitif », de la Terre : en effet, les météorites prove- est rapide et peut créer des fractures de taille
car non différencié, et représentent des objets nant de ces astéroïdes sont très facilement métrique en un temps beaucoup plus court
idéaux pour mieux contraindre les conditions désintégrées lors de la rentrée atmosphérique. (< 100 000 ans) que la durée de vie des asté-
roïdes, donc beaucoup plus rapidement que
La mission OSIRIS- ce qui était considéré jusqu’ici.
Crédits NASA/Goddard/University of Arizona

REx a étudié pen-


dant deux ans et demi Ce processus fait perdre peu à peu les pro-
l’astéroïde Bénou. En priétés thermomécaniques primordiales des
2023, elle ramènera roches de Bénou, au fur et à mesure que le
ses échantillons sur nombre de chocs thermique augmente. En
Terre. Cette mission outre, les blocs mécaniquement endommagés
a acquis des milliers et fracturés sont plus facilement délités, ce
d’images de la surface qui diminue la taille moyenne des blocs pré-
des roches de Bénou, sents à la surface de l’astéroïde. Le processus
à très haute résolution. influence par conséquent la dynamique et la
Plus de 1500 fractures vitesse de renouvellement des surfaces de
sur les blocs rocheux ces astéroïdes. De plus, la fracturation ther-
de l'astéroïde ont ainsi mique contrôle possiblement les phénomènes
été analysées et combi- d’éjection de masse qui ont été observés sur
nées à une modélisation Bénou, contribuant ainsi à l’érosion globale
thermo-mécanique. de ce type d’astéroïdes et à la population des
météroïdes carbonées, dont une partie atteint
Il s'avère que la plu- la Terre. (Source : INSU)
part des fractures sont

Science magazine n°76


BRÈVES ACTUALITÉS 35

Singapour : un pays unique


© contains modified Copernicus Sentinel data (2021-22), processed by ESA, CC BY-SA 3.0 IGO

Seule cité-Etat insulaire au monde, la République de Singapour est également l'un


des ports les plus actifs : il est relié à plus de 600 ports dans 123 pays. Située à
l'extrême sud de la péninsule de Malaisie, Singapour s'étend sur une superficie de
710 km2 et se compose d'une île principale (en haut de l'image) et d'une soixantaine
d'îlots. Près des deux-tiers du pays se trouvent à moins de 15 mètres au-dessus du
niveau de la mer, le plus haut sommet n'atteignant que 160 mètres.

Sur cette image radar prise par le satellite Sentinel-1 du programme Copernicus de
l'ESA, on aperçoit l'aéroport de Changi, l'un des plus importants d'Asie, à l'extrémité
est de l'île. Quant à la prospérité du pays, elle est due notamment à sa position domi-
nante sur le détroit de Malacca qui relie l'océan Indien à la mer de Chine méridionale.
On peut distinguer des points brillants sur l'eau : ce sont les navires qui franchissent
ce détroit.

L'intérêt d'une image radar est de pouvoir l'obtenir quel que soit le temps (nuageux,
pluvieux), et cela de jour comme de nuit. Ce qui est très pratique pour visualiser
l'Arctique notamment pendant l'hiver ou pour répondre en urgence lors de conditions
climatiques extrêmes.
Science magazine n°76
36 DOSSIER GAIA : LA VOIE LACTÉE

GAIA : la Voie lactée comme


© Spacecraft: ESA/ATG medialab; Milky Way: ESA/Gaia/DPAC; CC BY-SA 3.0 IGO. Remerciement : A. Moitinho

La Voie lactée, observée par la mission Gaia de l'ESA (vue d'artiste du satellite). Près de 2 milliards d'étoiles et
autres objets célestes ont pu être étudiés.
Science magazine n°76
GAIA : LA VOIE LACTÉE DOSSIER 37

vous ne l'avez jamais vue !

Près de 2 milliards d'objets


célestes ! Jamais un tel
recensement n'avait été
effectué sur les étoiles,
astéroïdes, quasars et autres
galaxies ! Après ses deux
précédents catalogues publiés
en 2016 et 2018, la mission
Gaia de l'ESA a révélé cette
année un nouveau trésor
de données, et notamment
d'étranges « tremblements
stellaires », de l'ADN stellaire,
des mouvements asymétriques
et d'autres informations
fascinantes... Cette étude sur
la Voie lactée la plus détaillée
à ce jour est maintenant à la
disposition des astronomes du
monde entier.

Science magazine n°76


38 DOSSIER GAIA : LA VOIE LACTÉE

Seulement 2 télescopes pour étudier


2 milliards d'étoiles
© Left: NASA/JPL-Caltech; right: ESA; layout: ESA/ATG medialab

La Voie lactée, notre galaxie. Agée d'environ 13 milliards d'années, la Voie lactée contient 100 à 200 milliards d'étoiles.
Sur la gauche de cette vue d'artiste, notre galaxie spirale est de face : son disque mesure environ 100 000 années-lumière
de diamètre et le Soleil est situé à peu près à mi-chemin entre le centre et la périphérie.
Sur la droite de l'image, on peut voir la forme plate du disque galactique. Un disque fin, mesurant environ 700 années-
lumière d'épaisseur, est englobé dans un disque plus épais de 3 000 années-lumière d'épaisseur composé d'étoiles plus
anciennes. Au centre, le bulbe galactique contient environ 10 milliards d'étoiles, principalement anciennes.
Autour du disque galactique se situe le halo stellaire, lequel contient des étoiles isolées et de nombreux amas globulaires
qui regroupent certaines des plus anciennes étoiles de la galaxie. Au-delà, la Voie lactée est entourée d'un halo encore plus
vaste fait de matière noire.

Cartographier en 3D plus d’un milliard d’ob- Des résultats uniques !


jets de notre galaxie (étoiles, exoplanètes...) La mission Gaia a publié :
avec une précision inégalée, en estimant la ◗ le plus grand relevé de spectroscopie à basse résolution jamais réalisé ;
distance qui les sépare de la Terre ainsi que ◗ le plus grand relevé de vitesses radiales jamais réalisé ;
leur vitesse propre, tel était l'objectif de la mis- ◗ la plus grande collection de données astrophysiques sur les étoiles de la Voie
sion Gaia, de l'Agence spatiale européenne. lactée jamais réalisée ;
Mais les informations publiées cette année ◗ pour de nombreuses classes d’étoiles variables, le plus grand recensement jamais
vont bien au-delà... effectué ;
◗ une étude sur les étoiles binaires qui surpasse tous les travaux des deux derniers
Lancée en 2013 et débutée en 2014, Gaia est siècles ;
positionnée au point de Lagrange L2, à 1,5 ◗ l'étude la plus précise des astéroïdes combinant leurs compositions avec leurs
million de kilomètres au-delà de la Terre. Elle orbites ;
profite ainsi des attractions du Soleil et de la ◗ la première étude depuis l’espace de tout le ciel portant sur les quasars et la
Terre et a la même période orbitale que notre forme des galaxies de l’Univers local ;
planète. Elle est composée de 2 télescopes ◗ le relevé photométrique de la galaxie d’Andromède.

Science magazine n°76


GAIA : LA VOIE LACTÉE DOSSIER 39

optiques, de 3 instruments scientifiques (un pixels. Pour créer la carte multidimension- et de mieux comprendre le cycle de vie des
photomètre chargé d'analyser les propriétés nelle la plus précise et la plus complète de étoiles ainsi que notre place dans l’Univers.
des étoiles observées - température, masse, la Voie lactée, Gaia surveille de nombreuses Egalement de prévoir l'évolution future de la
âge… -, un spectromètre dédié à l'évaluation fois les milliards d'étoiles du ciel tout entier. galaxie. Et aujourd'hui elle obtient des révé-
de la vitesse des objets célestes, et un astro- La mission permettra de lever le voile sur lations que les astronomes n'auraient pas pu
mètre permettant de mesurer leur position), la formation, la structure de notre galaxie et imaginer...
ainsi que d'un appareil photo de 1 milliard de son histoire pendant des milliards d’années,

La mission de tous les records


Dans le 3e catalogue de données de la mis- sont également inclus. Parmi les nouveautés, interstellaire. Celui-ci est composé de pous-
sion Gaia figurent de nouveaux détails sur on notera le plus grand catalogue réalisé à ce sières et de gaz qui bloquent une partie de la
près de 2 milliards d'étoiles : composition jour d’étoiles binaires, de milliers d’objets du lumière stellaire. La mission participe à la
chimique, température, couleur, masse, âge système solaire (astéroïdes, satellites de pla- création d'une carte 3D de la poussière dans
et vitesse (radiale) à laquelle ces étoiles se nètes...), ainsi que, au-delà de la Voie lactée, la Voie lactée. Elle explore les molécules pré-
rapprochent ou s'éloignent de nous. Des sous- de millions de galaxies et de quasars. sentes dans la poussière et de mystérieuses
ensembles d'étoiles spéciales, comme celles Enfin, Gaia cartographie non seulement les macromolécules présentes dans le gaz.
qui changent de luminosité au fil du temps, étoiles de notre galaxie mais aussi le milieu
Remerciements : ESA/Gaia/DPAC/CU6, D. Katz, N. Leclerc,
© ESA/Gaia/DPAC; CC BY-SA 3.0 IGO, CC BY-SA 3.0 IGO

P. Sartoretti and the CU6 team.

La Voie lactée en mouvement. On peut voir ici la vitesse à laquelle plus de 30 millions d'objets de la Voie lactée (principa-
lement des étoiles) se déplacent, s'éloignant ou se rapprochant de nous. C'est ce que l'on appelle la vitesse radiale (à la dif-
férence de la vitesse propre des étoiles, la vitesse radiale tient compte du déplacement du Soleil, lui-même en orbite autour
du centre de la galaxie). Une large partie du disque galactique est ainsi étudiée.
La rotation du disque est visible avec l'alternation de zones brillantes (les objets qui s'éloignent) et de zones sombres (ceux
qui se rapprochent de nous). Plusieurs objets, dont la vitesse radiale diffère de celle de leur environnement proche, sont
visibles par contraste. Le Petit et le Grand Nuage de Magellan apparaissent comme deux points brillants dans la partie
inférieure droite de l’image. La galaxie du Sagittaire est visible : c'est la bande pâle presque verticale juste en dessous du
centre galactique. Tous trois sont des galaxies naines satellites de la Voie lactée. Plusieurs amas globulaires se distiguent
sous forme de points minuscules, tel 47 Tucanae, dans la constellation du Toucan (le petit point juste à gauche du Petit
Nuage de Magellan).

Science magazine n°76


40
Remerciements : ESA/Gaia/DPAC/CU6, N. Leclerc, P. Sartoretti
DOSSIER GAIA : LA VOIE LACTÉE
© ESA/Gaia/DPAC; CC BY-SA 3.0 IGO, CC BY-SA 3.0 IGO

and the CU6 team.

Carte de la poussière interstellaire dans notre galaxie. Gaia cartographie non seulement les étoiles, mais aussi ce qui
se trouve entre elles. L'espace n'est pas vide mais rempli de nuages de poussières et de gaz dans lesquels naissent les
étoiles.
Grâce aux mesures précises des positions des étoiles et à la lumière qu'elles diffusent, Gaia peut cartographier l'absorption
de cette lumière dans le milieu interstellaire. Ces cartes fournissent des preuves essentielles sur les mécanismes physiques
de la formation des étoiles, des galaxies, et sur l'histoire de la Voie lactée.
Les régions sombres au centre de la galaxie contiennent beaucoup de poussière interstellaire. Elles prennent la couleur
jaune au fur et à mesure que la quantité de cette poussière décroît. Et celles en bleu au-dessus et en-dessous du plan
galactique en contiennent peu.

D'étranges tremblements stellaires


Parmi les découvertes les plus surprenantes étoiles de façon périodique, celles-ci gardant Certaines vibrations observées avaient rare-
figurent les tremblements stellaires. Gaia cependant leur forme sphérique. Mais d'autres ment été détectées sur certaines étoiles qui ne
est capable de détecter ces tremblements, de vibrations ont été repérées, qui ressemblent devraient pas subir de tremblements selon la
minuscules mouvements à la surface d'une davantage à de gigantesques tsunamis. Et ces théorie actuelle.
étoile qui modifient la forme de l'astre. Et oscillations non radiales modifient la forme Or ces tremblements stellaires donnent des
pourtant ce n'était pas prévu dans la mission ! globale d'une étoile. renseignements importants notamment sur le
Gaia avait repéré auparavant des oscillations Des milliers d'étoiles seraient sujettes à ces fonctionnement interne des étoiles.
radiales qui faisaient gonfler et rétrécir des puissants tremblements stellaires non radiaux.

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GAIA : LA VOIE LACTÉE DOSSIER 41

Les étoiles ont un « ADN »


Etudier la composition des étoiles était par à l'intérieur des étoiles. Lorsque ces dernières situées les plus proches du centre et du plan
contre un des objectifs clés de la mission. meurent, ces métaux sont libérés dans le gaz et de notre galaxie sont plus riches en métaux
Connaître cette composition peut informer la poussière interstellaire qui serviront ensuite que celles situées à de plus grandes distances.
sur leur lieu de naissance et leur voyage : un à la naissance d'autres étoiles. Par conséquent, Enfin certaines étoiles identifiées par Gaia
moyen de mieux connaître l'histoire de la Voie plus le processus de naissance et de mort stel- proviennent à l'origine d'autres galaxies que la
lactée. La plus grande carte chimique de la laires est important, plus l'environnement nôtre : on le voit à leur composition chimique.
galaxie, couplée à des mouvements 3D, a été sera riche en métaux. Ainsi la composition
établie par Gaia, et cela jusqu'aux galaxies chimique d'une étoile est presque comme son C'est donc toute l'histoire de la formation de
plus petites qui nous entourent. ADN : il nous informe sur son origine. notre galaxie qui peut s'observer désormais,
avec les processus de migration en son sein,
Il s'avère que certaines étoiles contiennent Certaines étoiles de notre galaxie, comme d'accrétion depuis les galaxies externes. Gaia
plus d'éléments « lourds » que d'autres. Seuls le montre Gaia, sont constituées de matière a également montré que notre Soleil et son
des éléments légers (hydrogène et hélium) se primordiale. D’autres, comme notre Soleil, système sont en constante évolution et ont
sont formés lors du Big Bang. Les autres élé- sont constituées de matière enrichie par des été formés par l'assemblage d'étoiles et de
ments plus lourds (les métaux) sont construits générations précédentes d’étoiles. Celles gaz d'origines diverses.
© ESA/Gaia/DPAC; CC BY-SA 3.0 IGO, CC BY-SA 3.0 IGO

La carte chimique de la Voie lactée. Il est important de connaître la composition des étoiles pour en savoir plus sur le lieu
de leur naissance et le voyage qu'elles ont accompli depuis. Cela raconte l'histoire de la Voie lactée.
Sur cette cartographie chimique, la couleur indique les métaux présents dans les étoiles : celles les plus rouges sont riches
en métaux.
Grâce à Gaia, nous pouvons voir que certaines étoiles de notre galaxie sont composées de matière primordiale, alors que
d'autres comme notre Soleil sont faites de matières enrichies par de précédentes générations d'étoiles. Les étoiles proches
du centre galactique, situées dans le plan de la galaxie, sont plus riches en métaux que les étoiles plus éloignées.

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42 DOSSIER GAIA : LA VOIE LACTÉE

Des objets étonnants dans l'Univers


Les découvertes réalisées par Gaia s'avèrent systèmes binaires. Sa nouvelle étude d'asté- millions d'étoiles variables ont été recueillies
extrêmement étendues. Son nouveau cata- roïdes porte sur 156 000 corps rocheux et ainsi que sur 1,9 million de quasars (des trous
logue d'étoiles binaires présente les carac- approfondit nos connaissances sur l'origine noirs supermassifs accrétant de la matière) et
téristiques orbitales de plus de 800 000 du système solaire. Des informations sur 10 2,9 millions d'autres galaxies.
© ESA/Gaia/DPAC; CC BY-SA 3.0 IGO, CC BY-SA 3.0 IGO
Remerciements : P. Tanga (Observatoire de la Côte d'Azur)

La trajectoire de 156 000 astéroïdes ! Gaia nous donne ici la position de ces astéroïdes le 13 juin dernier. Chaque asté-
roïde est représenté par un segment équivalent à son déplacement sur 10 jours. Ces corps rocheux se déplacent plus vite
lorsqu'ils sont proches du Soleil (le rond jaune au centre de l'image). En bleu est représentée la partie interne du système
solaire où se trouvent les astéroïdes géocroiseurs (ceux proches de la Terre qui peuvent la menacer), ceux qui croisent la
trajectoire de Mars, et les planètes telluriques.
La Grande Ceinture d'astéroïdes entre Mars et Jupiter apparaît en vert, tandis que les deux nuages orange correspondent
aux astéroïdes troyens de Jupiter (on distingue la planète en haut à droite).

Science magazine n°76


GAIA : LA VOIE LACTÉE DOSSIER 43

© ESA/Gaia/DPAC; CC BY-SA 3.0 IGO. Acknowledgement:


A. Brown, S. Jordan, T. Roegiers, X. Luri, E. Masana, T. Prusti
and A. Moitinho.

Les mouvements des étoiles dans les 400 000 prochaines années. Les étoiles sont en perpétuel mouvement. Pour l'œil
humain, ce mouvement propre est imperceptible, mais Gaia a pu le mesurer avec de plus en plus de précision. Les traînées
sur cette image montrent comment 40 000 étoiles du système solaire, toutes situées à moins de 326 années-lumière, vont
se déplacer dans le ciel au cours des 400 000 prochaines années.
Le catalogue n°2 de Gaia avait déjà fourni ces informations qui sont aujourd'hui complétées par le catalogue n°3 grâce à
des observations plus nombreuses et sur de plus longues périodes.

Science magazine n°76


44 DOSSIER CERVEAU : LES DERNIÈRES DÉCOUVERTES

Cerveau : les dernière

Science magazine n°76


CERVEAU : LES DERNIÈRES DÉCOUVERTES DOSSIER 45

s découvertes

Reproduire en électronique le
fonctionnement du cerveau
humain, comprendre comment
fonctionne l'hypnose, détecter
les origines de la schizophrénie,
déterminer pourquoi on peut être
sensible à la corruption, trouver
le siège de la socialisation ou
encore comprendre la naissance
du langage, tels sont des
sujets très variés sur lesquels
la recherche a accompli des
avancées cette année.
Petit tour d'horizon...

Science magazine n°76


46 DOSSIER CERVEAU : LES DERNIÈRES DÉCOUVERTES

Du langage des singes à celui des hommes...


Dans le cerveau humain, l'aire de Broca
est impliquée dans la production du lan-
gage, en particulier dans le cerveau gauche.
Chez le singe, c'est une structure cérébrale
similaire qui permet la communication
gestuelle.

Caractéristique spécifique de l'espèce hu-


maine, le langage implique une spécialisation
hémisphérique du cerveau, notamment dans
des régions clés comme l'aire de Broca dans
le lobe frontal. Autrement dit, le langage est
clairement asymétrique entre les deux hémis-
phères du cerveau : il favorise, pour la plu-
part de ses fonctions, l'hémisphère gauche.
Déterminer quelles sont ses origines et son
évolution reste un défi majeur, le langage et
ses précurseurs ne se "fossilisant" pas.

Les scientifiques entreprennent alors des re-


cherches comparatives entre les espèces de
primates vivants pour tenter de reconstruire babouins dans leur groupe social afin de déter- Il y aurait donc, chez les babouins, une
les traits cognitifs de notre ancêtre commun. miner quelle main ils préféraient utiliser pour signature de latéralisation cérébrale de la
Une équipe du Laboratoire de Psycholo- communiquer. communication gestuelle au sein de la région
gie Cognitive (LPC - Univ. Aix-Marseille/ Pour ce qui est des 28 babouins qui com- homologue de l’aire de Broca. De cette signa-
CNRS) a analysé des images IRM cérébrales muniquent préférentiellement avec leur ture « gestuelle » pourrait avoir découlé la
recueillies auprès de 50 babouins et montré main droite, il s’est avéré que la bordure de latéralisation du langage dans cette même
que les gestes de communication manuelle leur aire de Broca dans le sillon arqué infé- région chez les humains. De telles similarités
de nos cousins les primates sont clairement rieur était plus profonde dans l'hémisphère gestes/langage et leur organisation cérébrale
associés à l'aire de Broca. La taille de leur gauche que celle des 22 individus préférant asymétrique commune pourraient avoir été
aire homologue de Broca a été mesurée en leur main gauche. Et inversement, chez ces héritées du système de communication de
quantifiant son bord antérieur (à savoir la derniers,cette zone était plus profonde dans nos lointains ancêtres, et précéder l’origine
profondeur de la portion ventrale du sillon l’hémisphère droit que celle des babouins de la parole.
nommé "arqué inférieur" dans le lobe frontal). communiquant plutôt avec leur main droite.
Et ce dans les deux hémisphères cérébraux, Par contre, les mesures des préférences Ce système remonterait ainsi, non pas à
gauche et droit, afin de déterminer l'asymé- manuelles pour des actions dites « non com- l'émergence des hominidés, mais plutôt à
trie inter-hémisphérique de cette région pour municatives », de manipulation d'objets par l'ancêtre commun des singes de l'Ancien
chaque babouin. Les scientifiques ont aussi exemple, n'étaient liées à aucune asymétrie Monde et des humains, il y a 25-35 millions
observé les comportements gestuels de ces cérébrale dans cette région. d'années. (Source : INSB)

Quand le cerveau est sensible à la corruption


Chez les individus malhonnêtes, plus pré- un don ou un avantage quelconque en vue nombreux projets de développement éco-
cisément ceux qui sont prêts à accepter un d'accomplir, ou de s'abstenir d'accomplir, un nomique, aggrave les inégalités sociales et
"pot-de-vin", une région du cerveau serait acte entrant dans le cadre de ses fonctions, on défie les organisations et les gouvernements à
en cause... parle alors de corruption. Cet abus de pou- travers le monde. Aussi la corruption a-t-elle
voir, confié à des fins privées, est aujourd'hui été largement étudiée au cours des deux der-
Lorsqu'une personne investie d'une fonction un problème social répandu mais complexe nières décennies dans des domaines comme
déterminée décide de solliciter ou d'accepter à étudier. Il freine malheureusement de la science politique, la sociologie, l'économie

Science magazine n°76


CERVEAU : LES DERNIÈRES DÉCOUVERTES DOSSIER 47

et la psychologie. Mais ses bases cérébrales participants plus enclins à accepter des pots de l’inégalité relative entre soi-même et celui
sont encore mal comprises. Difficile en effet vin lorsque la proportion de l’offre augmente. proposant le pot de vin.
d'étudier les mécanismes neuronaux sous- Cet effet s'explique par un modèle mathéma-
jacents à la prise de décision impliquant des tique de préférence sociale intégrant le coût Ces résultats identifient donc les bases neu-
actes de corruption ! moral de connivence. Le modèle démontre rocomputationelles sous-jacentes à la corrup-
que cette modulation par la tDCS altère la tion : l’intégrité du fonctionnement du cortex
A l'Institut des Sciences Cognitives Marc considération pour profiter soi-même des préfrontal dorsolatéral est nécessaire à la pré-
Jeannerod (CNRS/Université de Lyon), des pots de vins, et transforme la perception de vention des décisions corrompues.
chercheurs ont utilisé la stimulation électrique
transcrânienne par courant continu (tDCS) et
ont demandé à 120 participants, placés dans
un rôle de détenteurs de pouvoir, de décider
d'accepter ou de rejeter des offres monétaires
proposées par une autre personne. Si l’offre
était acceptée, les deux individus (participant
et ‘corrupteur’) bénéficiaient de l’offre ; si elle
était rejetée, personne ne gagnait d’argent.
Décider d'accepter un ‘pot-de-vin‘ comprend
un coût moral (le coût de la connivence
avec la malhonnêteté du corrupteur). Cette
expérience permet alors d’identifier le rôle
spécifique du cortex préfrontal dorsolatéral
dans les décisions de pots-de-vin proposés
par un corrupteur, en pesant les avantages
monétaires et les coûts moraux.

Et de fait, la perturbation avec la tDCS du


cortex préfrontal dorsolatéral droit rend les

On sait comment se produit


la suggestion hypnotique
Cette suggestion permet d’induire volontai- originale qui éclaire les mécanismes céré-
rement chez un individu des états mentaux braux et psychologiques de la suggestion
conscients très variés. Elle peut être utilisée hypnotique.
à la fois dans le cadre de la recherche sur la
biologie de la conscience, et également dans Les scientifiques ont induit une surdité tran-
un cadre thérapeutique, par exemple pour sitoire chez une femme en bonne santé, tout
diminuer l’expérience douloureuse associée en disséquant les étapes cérébrales de sa per-
à une intervention chirurgicale chez un sujet ception auditive à l’aide de la technique de
éveillé conscient. l’électroencéphalographie (EEG) à haute den-
sité, laquelle permet de suivre la dynamique
Au sein de l’hôpital Pitié-Salpêtrière AP- du fonctionnement cérébral à l’échelle fine du
HP, là où Charcot a exploré l’hypnose à la millième de seconde. Ils ont enregistré l’acti-
fin du XIXe siècle, une équipe de recherche vité cérébrale de la volontaire en situation
associant des chercheurs et chercheuses de normale et en situation de surdité hypnotique.
Sorbonne Université, de l’AP-HP, du CNRS A partir des mécanismes cérébraux connus de
et de l’Inserm, et dirigée par le professeur la perception auditive (voir encadré) et de la
Lionel Naccache, a effectué une observation théorie de l’espace de travail neuronal global

Science magazine n°76


48 DOSSIER CERVEAU : LES DERNIÈRES DÉCOUVERTES

conscient élaborée depuis 2001 par Stanis- Quelle est la physiologie


las Dehaene, Jean-Pierre Changeux et Lionel de la perception auditive ?
Naccache, ils avaient formulé trois prédic-
tions. Soit les premières étapes corticales de La perception auditive d’un stimulus extérieur débute dans l’oreille interne. Là,
la perception d’un stimulus auditif devraient les variations de pression de l’air induites par ce son sont converties en impul-
être préservées durant la surdité hypnotique ; sions électriques. Puis elle se poursuit dans les différents relais neuronaux des
soit la surdité hypnotique devrait être asso- voies auditives avant de gagner le cortex auditif vers 15 millièmes de seconde.
ciée à une disparition totale de la P300 qui A partir de là, la perception auditive enchaîne trois étapes sérielles principales,
signe l’entrée de l’information auditive dans identifiables à l’aide des outils de neuro-imagerie fonctionnelle tels que l’élec-
l’espace neuronal global conscient ; ou bien ce troencéphalogramme (EEG).
blocage devrait être associé à un mécanisme
inhibiteur déclenché volontairement par En premier lieu, les régions auditives dites primaires construisent activement
l’individu qui accepte de suivre la consigne une carte mentale des caractéristiques acoustiques du son perçu. On l'observe
d’induction hypnotique. notamment par une onde cérébrale (l’onde P1 qui survient moins de 100 millièmes
de seconde après le son).
Ces trois prédictions ont pu être confirmées Puis des régions auditives primaires et secondaires (qui calculent en temps réel
de manière remarquable en analysant l’acti- les régularités statistiques de la scène auditive à l’échelle de la seconde écoulée, et
vité cérébrale de la volontaire. De plus a été qui anticipent donc quels devraient être les sons suivants) détectent à quel point
mise en lumière l’implication probable d’une ce stimulus transgresse leurs prédictions. Cette deuxième étape, détectable par
région du lobe frontal connue pour son rôle une onde cérébrale, se produit vers 120 et 200 millièmes de seconde.
inhibiteur : le cortex cingulaire antérieur.
Les chercheurs ont alors pu proposer un scé- Enfin, vers 250-300 millièmes de secondes après le son, la représentation neu-
nario cérébral précis du phénomène d’induc- ronale du stimulus auditif gagne un vaste réseau cérébral s’étendant entre les
tion hypnotique, qui affecte spécifiquement régions antérieures (préfrontales) et postérieures (pariétales) du cerveau. Cette
les étapes de la prise de conscience tout en troisième étape se détecte par l’onde P300. Mais tandis que les deux premières
préservant les premières étapes inconscientes étapes corticales de la perception auditive opèrent de manière inconsciente, la
de la perception. P300 est la signature de la prise de conscience subjective de ce son qui devient
dès lors rapportable à soi-même : « j’entends le son X ».
Ces résultats, qui restent à confirmer sur un
groupe plus important d'individus, ouvrent neurologiques fonctionnels. Ceux-ci sont souvent sensibles à l’induction hypnotique,
des perspectives thérapeutiques non seule- très fréquents (près de 20% des urgences semblent partager avec l’hypnose plusieurs
ment dans le champ de l’hypnose médicale, neurologiques) et génèrent chez les patients facteurs clés.
mais aussi dans le champ voisin des troubles des symptômes invalidants. Ces symptômes,

Un défaut de communication lors de troubles


psychotiques
Les aires cérébrales doivent communiquer
pour permettre au cerveau de traiter les si-
gnaux sensoriels et d’adopter une réponse
comportementale appropriée. Des dysfonc-
tionnements de ces voies de communication
pourraient être fortement corrélés à l’appa-
rition de la schizophrénie.

Chez les mammifères, l’activité électrique


des neurones du cerveau répond à des
rythmes oscillatoires détectables par élec-
troencéphalogramme (EEG). L’activation

Science magazine n°76


CERVEAU : LES DERNIÈRES DÉCOUVERTES DOSSIER 49

coordonnée de ces différentes ondes, qui par communication cérébrale, les scientifiques L’équipe de recherche a également identi-
exemple régit le traitement des stimuli senso- ont donc mesuré l’activation des ondes fié une forte corrélation entre le déficit de
riels ou la consolidation des souvenirs, per- gamma suite à un stimulus auditif chez des l’activation des ondes gamma et la sévérité
met au cerveau de fonctionner correctement. patients 22q11 de tous âges, ainsi que chez des symptômes psychotiques, comme les hal-
Les chercheurs de l’Université de Genève des personnes sans cette microdélétion. lucinations auditives : ce qui confirme l’exis-
(UNIGE) soupçonnaient le rôle déterminant tence d’une progression neurobiologique de
des ondes gamma, la fréquence la plus élevée Résultat : les enfants et adolescents à risque la maladie. « Les résultats confirment que ce
des rythmes cérébraux, dans l’apparition des génétique de troubles schizophrènes, mais dysfonctionnement apparaît très tôt », notent
symptômes de la schizophrénie. Cette hypo- sans symptômes visibles, présentaient les les auteurs. « Il reste maintenant à identifier
thèse d'anomalie de synchronisation des voies mêmes schémas de perturbation des ondes le meilleur moment lors du développement
de communication neuronale restait à vérifier gamma que les patients souffrant effective- de l’enfant pour intervenir en fonction de ce
chez l'humain... ment de la maladie. De plus, une croissance virage pathologique. »
linéaire des oscillations de la bande gamma
Il s'avère que les personnes porteuses d’une était observable chez les personnes sans pré- Chez les souris, les études montrent par ail-
microdélétion chromosomique 22q11 ont disposition génétique à la schizophrénie, ce leurs que des traitements neuroleptiques ciblés
entre 25% et 30% de risques de dévelop- qui montre une maturation progressive de parviennent à corriger les dysfonctions neu-
per une schizophrénie à l’âge adulte. Cette la communication entre les aires cérébrales ronales. De plus, les défauts des oscillations
population à risque est donc intéressante lorsque l’on grandit. « Or, cette maturation est gamma identifiés ici pourraient être corrigés
pour étudier le développement cérébral de absente chez les patients 22q11, quel que soit grâce à des techniques de neurostimulation
cette maladie. Et les personnes schizophrènes leur âge, ce qui suggère un développement non invasives ciblant les régions cérébrales
souffrent souvent de capacités réduites de anormal des circuits sous-tendant les oscil- concernées. Ce qui ouvre la voie à de toutes
traitement des informations auditives. Pour lations neuronales durant l’adolescence » nouvelles perspectives thérapeutiques pour
détecter d’éventuelles perturbations de la expliquent les chercheurs. traiter cette maladie souvent dévastatrice.

Où est le siège de la socialisation ?


C'est dans le cervelet, une région du cer-
veau essentielle au contrôle de la fonction
motrice, que se situerait la fonction de so-
cialisation. Cette région située à l'arrière
du crâne contribue en effet aussi aux
fonctions cognitives supérieures, notam-
ment aux comportements sociaux. Un
consortium de recherche international a
découvert comment l’action d’un neuro-
transmetteur dans le cervelet, la dopamine,
module la sociabilité et la préférence pour
la nouveauté sociale.

Dans le système de récompense du cerveau, la


dopamine est le neurotransmetteur clef. Elle est
impliquée dans le contrôle de la motivation, des
états émotionnels, des interactions sociales. La
régulation de ces processus repose, en grande
partie, sur l’activation de circuits neuronaux
intégrés dans les régions limbiques. Toutefois,
des preuves récentes indiquent que le cervelet,
une région classiquement associée au contrôle
moteur, peut aussi contribuer aux fonctions
cognitives supérieures, y compris les compor-
tements sociaux.
Science magazine n°73
50 DOSSIER CERVEAU : LES DERNIÈRES DÉCOUVERTES

Pour mieux comprendre ce rôle du cervelet, « Cette première série de résultats était déjà de D2R exprimés dans les cellules de Purkinje
des chercheurs de l'Inserm, de l’Université déterminante pour nous, car elle dévoilait que et la modulation des comportements sociaux.
de Montpellier, du CNRS, de l'Institut de les D2R étaient bien présents dans le cervelet, « Réduire l'expression de ce récepteur spéci-
Neurociències Universitat Autònoma de ce qui n’était pas clair jusqu’à ce jour ; et fique de la dopamine a altéré la sociabilité des
Barcelone (Espagne) et de l'Université de que, malgré leur faible niveau d'expression, souris ainsi que leur préférence pour la nou-
Lausanne (Suisse) ont mis en évidence un ils étaient fonctionnels » remarque Emmanuel veauté sociale, alors que leur coordination et
nouveau rôle de la dopamine au niveau de Valjent, directeur de recherche à l'Inserm et leurs fonctions motrices n'ont pas été affec-
cette région, montrant qu’elle module les coordinateur de l'étude. tées » souligne le Dr Laura Cutando, post doc-
comportements sociaux chez la souris. En torante à l'Inserm, aujourd'hui chercheuse à
combinant une analyse transcriptomique* Les scientifiques se sont ensuite intéressés à l’UAB (Universitat Autònoma de Barcelone)
spécifique au type de cellule, des analyses par la fonction de ces récepteurs D2R au sein de et première auteure de l'article. Cette étude
immunofluorescence ainsi que de l'imagerie ces neurones du cervelet. En utilisant des ap- constitue un premier pas vers une meilleure
3D, les chercheurs ont tout d'abord démontré proches génétiques permettant de réduire ou compréhension du rôle de la dopamine dans
la présence d’un type particulier de récepteurs d’augmenter la quantité des récepteurs D2R le cervelet et des mécanismes sous-jacents
de la dopamine (nommé D2R) dans les prin- sélectivement dans les cellules de Purkinje, aux troubles psychiatriques comme la schi-
cipaux neurones de sortie du cervelet, les cel- ils ont pu analyser l'impact de ces altérations zophrénie, le TDAH et les troubles anxieux.
lules de Purkinje. Grâce à des enregistrements sur les fonctions motrices et non motrices Ces troubles ont en effet tous en commun
de l’activité neuronale, ils ont montré que les du cervelet. Les chercheurs ont ainsi montré une altération des niveaux de dopamine et
D2R modulaient l'excitation de ces cellules. qu’il existe une association entre la quantité des comportements sociaux.

Reproduire le fonctionnement du cerveau


Pour maximiser les fonctions à réaliser, d’électronique, de microélectro-
les réseaux de neurones de notre cerveau nique et de nanotechnologie (IEMN,
s’auto-organisent en topologies complexes. CNRS/Université de Lille/Université
Une équipe de chercheurs français est par- Polytechnique Hauts-de-France) ont
venue à imiter le mécanisme de croissance développé une technique qui repro-
dendritique avec un polymère organique : duit les croissances dendritiques à
une nouvelle piste pour des systèmes l’origine de la structuration de nos
bioinspirés. réseaux de neurones, tout en ému-
lant le rôle des synapses. Ce système
Le vivant, et en particulier le cerveau, repré- innovant repose sur le principe de
sente un modèle pour l’électronique et l’intel- l’électropolymérisation pulsée : des
ligence artificielle. Mais de là à pouvoir le électrodes en fils d’or sont immergées
copier, il y a un grand pas ! Notre cerveau dans une goutte d’eau, et l’on ajoute
fascine notamment par sa plasticité structu- ensuite un composé organique appelé
rale, soit son aptitude à auto-organiser les ré- EDOT. Une tension est envoyée sur
seaux de neurones dans des topologies 3D qui les électrodes, ce qui provoque l’ag-
optimisent énormément leur fonctionnement. glomération de l’EDOT et le soumet
Mais cela repose sur des mécanismes bio- à des réactions d’oxydoréduction, et cela finit Il devient alors possible de réaliser les fonc-
logiques très complexes, et les tentatives de par former un polymère : le PEDOT:PSS. tions clés de la plasticité synaptique telles que
l’émuler de manière matérielle dans des sys- Ce dernier forme des dendrites et, grâce à la plasticité à court terme (STP) et la plasticité
tèmes électroniques demeurent exploratoires. ses propriétés de conducteur électronique à long terme (LTP). Ces travaux permettent
De plus, la transmission de l’information dans et ionique, les structures obtenues se com- d’envisager une électronique en perpétuelle
ces réseaux est pondérée par les synapses, les- portent véritablement comme des transistors évolution structurelle, où les concepts de mé-
quelles relient les neurones et implémentent organiques électrochimiques (OECT). Elles moire et d’apprentissage dériveraient plus de
la fonction clé de l’apprentissage. peuvent ainsi moduler les signaux transmis la capacité du réseau à former de nouvelles
Dans le cadre du projet ERC-IONOS, des entre deux neurones artificiels connectés par connexions qu’à un transport figé d’informa-
chercheurs et chercheuses de l’Institut une fibre organique. tions. (Source : INSIS)

* La transcriptomique est l’analyse des ARN messagers transcrits dans une cellule, tissu ou organisme, qui permet de quantifier l’expression des gènes.

Science magazine n°76


52 DOSSIER VIVRE SUR LA LUNE

© NASA/Cory Huston

La pleine Lune au-dessus d'Artemis


Au Kennedy Space Center de la NASA, en Floride, la fusée Space Launch System (SLS) surmontée du vaisseau
Orion se préparent pour la première mission du programme Artemis. Les premiers vols auront lieu sans équipage
avant d'envoyer à nouveau des hommes sur la Lune. Ce sera le début d'une présence humaine à long terme sur
notre satellite. L'objectif final étant que la Lune serve de tremplin pour que l'Homme aille sur Mars.

Science magazine n°76


VIVRE SUR LA LUNE DOSSIER 53

Vivre sur la Lune


Cette année se déroule Artemis 1, la première d'une longue série de missions
destinées à faire retourner l'Homme sur la lune. La NASA a conçu à cet effet le
vaisseau Orion, en collaboration avec Lockheed Martin, tandis que l'ESA fournit
le Module de service européen (ESM), en collaboration avec Airbus.

Orion est actuellement le seul vaisseau spatial capable d’acheminer un


équipage dans les alentours de la Lune, puis de le faire revenir sur Terre.
Le nouveau lanceur super-lourd de la NASA, SLS (Space Launch System),
permettra son décollage. Le Module de service européen est la source
principale d’énergie d'Orion. Il le maintiendra sur sa trajectoire, fournissant
la propulsion nécessaire au transfert orbital, commandant la puissance et la
température, contrôlant l’altitude, etc. Connecté au module d’équipage, il
approvisionnera également les astronautes en eau et en air.

Artemis 1 enverra le vaisseau Orion sans équipage en orbite lunaire, tandis


qu'Artemis 2 (prévue en 2024) consistera en une mission habitée autour de
notre satellite. Le premier alunissage aura lieu avec Artemis 3, qui se déroulera
au plus tôt en 2025. Avec le programme Artemis, les humains poseront donc à
nouveau le pied sur la Lune pour la première fois depuis 1972.

Dans le cadre de ce programme spatial ambitieux, une station en orbite lunaire,


Lunar Gateway, sera progressivement construite, suivie d'une base sur la
Lune...

Science magazine n°76


DOSSIER VIVRE SUR LA LUNE
54

L'expansion des humains dans le système solaire


Après divers retards dus à des problèmes de

©NASA
financement et à des tests supplémentaires,
la première mission du programme Artemis
doit donc être lancée cette année (à l'heure où
nous mettons sous presse).

Le décollage s'effectuera grâce à la nouvelle


fusée SLS de la NASA, plus puissante que
toutes les précédentes : elle peut emmener
vers la Lune le poids de 12 éléphants ! Cette
fusée de nouvelle génération révolutionne
l'exploration spatiale par l'homme au-delà
de l'orbite terrestre dans le sens où elle peut
faire partir, lors d'un même vol, à la fois les
astronautes et un fret important.

Quant au vaisseau Orion, il a été conçu et


mis au point pour emmener un équipage de
4 personnes à de telles distances dans des
conditions de sécurité maximale. Il conduira
des hommes plus loin qu'ils ne sont jamais

Un premier lancement

Le 28 juin dernier, la NASA a lancé


une sonde expérimentale, son Cube- Un jour prochain, l'homme occupera de façon permanente notre satellite
Sat Capstone, afin d'expérimenter (vue d'artiste d'un astronaute équipé pour la mission Artemis).
une nouvelle orbite unique.
En effet, assemblée autour de la Lune, allés. Puis il les ramènera sur Terre. En orbite missions commerciales apporteront de plus en
la station spatiale Gateway aura une lunaire, il s'attachera à la petite station spa- plus de matériel sur la Lune. Ainsi, les astro-
orbite très elliptique et excentrée. Le tiale Lunar Gateway où l'équipage pourra nautes pourront y séjourner pour des durées
but consiste à approcher la surface travailler à des expériences scientifiques et plus longues. Des rovers seront envoyés qui
lunaire (à 3 000 km) pour les alunis- technologiques. C'est de cette station que des parcourront la surface de notre satellite. De
sages, mais aussi à s'en éloigner (de astronautes pourront rejoindre le sol lunaire. nouveaux systèmes d'énergie sont prévus
70 000 km) pour les approvisionne- À cet effet, un nouveau système d'alunissage, pour alimenter ces avant-postes lunaires. Des
ments à partir de la Terre. Jamais une prévu pour être à terme réutilisable, est mis imprimantes 3D permettront aux astronautes
telle orbite n'avait été effectuée mais au point. de fabriquer et construire autant que possible
elle facilitera grandement les allers- avec des matériaux trouvés sur place.
retours des astronautes sur la Lune Le premier équipage qui se posera sur la Lune
tout en économisant de l'énergie. devra disposer d'un minimum d'équipements Après plusieurs missions habitées qui se
pour pouvoir y travailler. C'est pourquoi, pré- poseront sur le sol lunaire, le projet de base
CubeSat Capstone expérimente éga- alablement à cette première mission habitée, occupée de manière permanente sur la Lune,
lement un nouveau système de com- différents instruments scientifiques et tech- prévu initialement en 2028, sera possiblement
munication et de navigation. Celui-ci nologiques seront envoyés sur notre satellite. reporté selon la conjoncture.
mesure la position de la sonde par Ces « livraisons commerciales lunaires » se-
rapport à la sonde en orbite mar- ront réalisées majoritairement par des parte- C'est cependant à partir des enseignements de
tienne Lunar Reconnaissance Orbi- naires de la NASA, les premières d'entre elles ce qui aura été découvert qu'il sera possible
ter, sans dépendre de stations basées ayant pour but de tester notamment les tech- par la suite d'envoyer des hommes vers Mars,
sur Terre. nologies pour l'alunissage. Et peu à peu, ces ce qui est envisagé pour la décennie suivante.

Science magazine n°76


VIVRE SUR LA LUNE DOSSIER 55

Préparer les hommes


Etudier la surface de la Lune est en effet d'étudier les effets sur la physiologie humaine développent divers scénarios pour protéger
une étape indispensable avant d'aller plus de la vie prolongée dans l'espace. Assurément les astronautes en cas d'aléas sur les missions
loin. Si le programme Apollo a bouleversé le plus gros problème pour un voyage vers la vers la Lune et vers Mars. Il faudra à chaque
nos connaissances sur le système solaire, il planète rouge... fois prendre la bonne décision et évaluer les
reste encore beaucoup à apprendre sur notre priorités.
satellite. La plupart des régions demeurent C'est au Johnson Space Center de la NASA,
inexplorées, et Artemis s'intéresse en pre- à Houston, que les astronautes s'entraînent Au Glenn Research Center, dans l'Ohio, une
mier lieu au pôle sud lunaire où se situe une pour ces futures missions habitées consistant équipe de mathématiciens, d'ingénieurs et
grande quantité de glace d'eau. Découvrir des à vivre et travailler sur la Lune. Ils apprennent d'experts informatiques développe des mo-
ressources vitales pour pouvoir effectuer des à se déplacer, à installer des modules d'habita- dèles pour maximiser la possibilité pour les
séjours de longue durée sur le sol lunaire est tion, à recueillir des échantillons, à déployer astronautes de disposer de ressources médi-
indispensable. Dans une base lunaire, les du matériel d'expérimentation comme s'ils cales adaptées dans l'espace, en envisageant
astronomes apprendront à vivre et travailler étaient sur notre satellite. L'entraînement se des milliers de scénarios possibles. La NASA
sur la surface d'un autre corps céleste, en toute fait notamment dans l'immense piscine qui développe même des modèles en fonction de
autonomie de ressources. Cet entraînement, est habituellement utilisée pour préparer les systèmes physiologiques spécifiques.
réalisé à seulement trois jours de voyage de la astronautes aux sorties extravéhiculaires lors Le programme Artemis a pour objectif de
Terre, est un préalable nécessaire avant d'en- de missions sur la Station spatiale internatio- retourner avec des missions habitées sur la
visager l'installation sur une planète comme nale. Il s'agit de simuler la marche sur la Lune, Lune, mais son ambition finale consiste donc
Mars, située à deux ou trois années de voyage. où la gravité est 6 fois moindre que sur Terre. à aller plus loin, notamment vers Mars. Au
Il s'agira également d'employer des systèmes Johnson Space Center, l'installation HERA
réutilisables, permettant des expéditions de On connaît l'ampleur des risques pour un (Human Exploration Research Analog) per-
longue durée. Par exemple, la propulsion humain lors d'un voyage dans l'espace, des met de faire des simulations afin de préparer
électrique fournie par des panneaux solaires risques qui se multiplient lors de missions de les astronautes à ces missions dans l'espace
installés sur la station orbitale Lunar Gateway. longue durée. C'est pourquoi les scientifiques profond.
Artemis va aussi permettre d'observer et du Human Research Program de la NASA
Une simulation a ainsi eu lieu, de mai à juillet
© ESA/DLR-F. Rometsch

dernier, avec un équipage expérimentant un


voyage vers une lune de Mars, Phobos. Les
astronautes sont restés enfermés pendant 45
jours. HERA permet aux chercheurs d'étudier
comment l'équipage s'adapte à l'isolement, au
confinement, à l'éloignement avec la Terre.
Les astronautes doivent également faire face à
l'accroissement des délais de communication
avec leur support au sol au fur et à mesure
du voyage. Les chercheurs voient comment
les membres de l'équipage deviennent plus
autonomes, travaillent comme une équipe
et communiquent de manière effective pour
accomplir les tâches de la mission.

D'autres simulations se déroulent au sein de


HERA, le Human Research Program de la
NASA qui prévoit 15 études sur le compor-
tement humain.

Au Centre européen des astronautes


de l’ESA à Cologne (Allemagne),
l'installation ESA-DLR LUNA va servir
d'entraînement pour les missions
lunaires.
Science magazine n°76
DOSSIER VIVRE SUR LA LUNE
56

La NASA teste les capacités des futurs astronautes


sur la Lune et sur Mars
Perte d'équilibre, mal des transports... c'est

© NASA
à peu près ce que ressentent les équipages
lorsqu'ils reviennent de l'espace. Dès qu'ils ont
atterri, leur corps entier (même les muscles,
les os, l'oreille interne et les organes) com-
mence à se réadapter à la gravité terrestre.
Les astronautes disent souvent ressentir des
vertiges, des étourdissements, des nausées et
des pertes d'équilibre à leur retour. Ces symp-
tômes peuvent durer plusieurs jours, jusqu'à
ce qu'ils retrouvent leurs « jambes terrestres ».

Pourtant, peu d'études sont faites pour s'as-


surer de la bonne santé des astronautes lors
de leur retour sur Terre. Aussi un groupe de
scientifiques du Human Research Program
de la NASA s'est employé à déterminer com-
ment, juste après l'atterrissage, les astronautes
pouvaient réaliser des tâches critiques de leur
mission.
Marcher sur Mars. Un astronaute volontaire du groupe d'entraînement sur les
« Dans le cadre du programme Artemis, la activités extravéhiculaires du programme Artemis déplace un objet de 15 kg à
NASA va prochainement envoyer la première travers un champ de rochers. Il effectue une « course d'obstacles » tandis que le
femme, la première personne de couleur, et système le soulève pour simuler la gravité martienne. Des astronautes revenant
d'autres membres d'équipage à la surface de de l'ISS effectuent les mêmes tests immédiatement après leur retour sur Terre.
la Lune. Et ensuite, nos yeux seront tournés
vers Mars », explique Jason Norcross, un
scientifique qui étudie les performances hu- sortir d'une capsule d'atterrissage et simuler tête les limites de la capsule) et déploie une
maines au Johnson Space Center. Sur Mars et une marche sur la surface d'une planète tout échelle. Après l'avoir solidement installée, il
sur la Lune, les astronautes devront être prêts en portant une combinaison spatiale. A leur saisit un pack de survie, escalade l'échelle et,
à agir sans qu'il y ait beaucoup de retour de la retour sur Terre, ils doivent réaliser à nou- à travers une trappe située au sommet de la
part des équipes sur Terre. Et ce notamment veau la sortie de la capsule quelques heures capsule, remet le pack à un chercheur. Puis,
dans le cadre de scénarios d'urgence. « C'est après l'atterrissage, et la marche environ un l'astronaute redescend de l'échelle, marche
pourquoi nous devons savoir ceci : dès que jour après. sur environ 7 mètres, et retourne à sa position
les astronautes se posent sur la surface d'une de départ.
planète, que sont-ils vraiment capables de Pour la première tâche, les chercheurs ont
faire physiquement ? Et combien de temps passé des mois à développer une maquette de « Dans le test effectué avant le vol, les astro-
après leur arrivée devront-ils attendre pour capsule : il s'agit d'un tube métallique léger nautes pouvaient se mettre debout, monter à
être aptes à réaliser certaines tâches ? » qui, une fois déployé, représente les limites l'échelle, et marcher facilement. Et cela en
d'une capsule spatiale. Replié, il peut rentrer quelques minutes », notait J. Norcross avant
Pour tenter de répondre à ces questions, les dans un grand sac à dos. À un aéroport proche le premier retour d'un équipage. « Mais après
scientifiques ont élaboré une « course d'obs- de l'endroit où la capsule Crew Dragon amer- le vol, nous nous attendons à ce que ce soit
tacles » à laquelle ont participé des astro- rit lors des retours des équipages de l'ISS, complètement différent. Les astronautes
nautes volontaires des plusieurs équipages l'équipe de scientifiques installe cette ma- devront s'arrêter, retrouver leur équilibre,
de Space X vers l'ISS. Avant de partir pour la quette. Chaque astronaute y entre, s'allonge, reprendre leur respiration, faire des pauses, et
Station spatiale internationale, ces équipages et le test peut commencer. Durant celui-ci, peut-être même s'arrêter un bon moment s'ils
ont dû accomplir deux ensembles de tâches : l'astronaute se met debout (tout en gardant en sont malades. Ce peut être une vraie lutte. »

Science magazine n°76


VIVRE SUR LA LUNE DOSSIER 57

La tâche comprend plusieurs changements de d'expérimenter différentes gravités. Pour ce Pour les deux tâches, les astronautes commu-
posture, comme tourner la tête ou se mettre test, ARGOS est programmé sur la gravité niquent avec les chercheurs au fur et à mesure
debout après s'être allongé. « Ces change- martienne, équivalente à environ trois-hui- du déroulé des tests. Ils ont également sur eux
ments de posture sont les choses les plus tièmes de celle de la Terre. des capteurs pour vérifier leur fréquence car-
dures à réaliser après l'atterrissage pour Ensuite, après être équipés et avoir vérifié diaque et leurs dépenses d'énergie. Enfin, ils
l'équipage » ajoute J. Norcross. « Nous avons qu'ils pouvaient marcher, les astronautes sont filmés et il est ainsi possible de comparer
besoin de savoir s'ils en seront capables. Nous montent une échelle, passent à travers une les vidéos prises avant le lancement à celles
pensons que oui mais, encore une fois, nous ouverture, et redescendent l'échelle. En bas enregistrées immédiatement après l'atterris-
n'avons jamais pu l'évaluer sur des astro- de celle-ci, ils connectent des câbles d'alimen- sage pour étudier quelles sont les tâches les
nautes dans ces conditions précises. » tation à une maquette de module de support plus difficiles et pourquoi elles le sont.
de vie. « Nous voulons que les astronautes
La seconde tâche - la simulation de la marche simulent ce qui peut arriver dans une mis- Des études à venir incluront plus de parti-
sur une autre planète - se déroule lorsque les sion en dehors de notre monde », poursuit cipants, avec des tâches plus complexes et
astronautes retournent au Johnson Space Cen- J. Norcross. plus longues, et des simulations à partir de
ter. Là, ils doivent accomplir un ensemble la gravité lunaire. Les informations obtenues
de challenges. Tout d'abord, ils essaient Finalement, les astronautes tentent de dépla- permettront à la NASA de concevoir des acti-
d'enfiler leurs combinaisons spatiales sans cer de manière répétée une paire de deux ob- vités de mission, des protocoles d'urgence, des
être assistés. Puis, les chercheurs connectent jets modérément volumineux, pesant chacun combinaisons spatiales et des capsules qui
leurs combinaisons au système ARGOS 15 kg, d'une extrémité à une autre d'un champ minimiseront les tâches difficiles à réaliser
(Active Response Gravity Offload System), de rochers. « Nous essayons de faire accom- lorsque les astronautes arriveront sur la Lune
une machine qui soulève et pressurise la plir aux astronautes des tâches réalistes, mais ou sur Mars.
combinaison, permettant aux astronautes en les challengeant sur les postures. »

LUNA : une maison sur la Lune


En Europe, des études sont également pré-
vues sur ces sujets cruciaux. Au Centre euro-

© ESA-E. Rosselli Del Turco


péen des astronautes de l’ESA à Cologne, en
Allemagne, l'objectif est de recréer notam-
ment la surface lunaire pour servir de terrain
d'entraînement aux astronautes. L'installation
ESA-DLR LUNA, projet collaboratif entre
l’Agence spatiale européenne (ESA) et le
Centre aérospatial allemand (DLR), sera
aussi un centre d’essai pour de nouvelles
technologies, permettant ainsi d’accumuler
les connaissances nécessaires pour aller de
l’avant vers la Lune.

Cette « base lunaire » devrait être opération-


nelle avant la fin de l'année. Elle couvrira une Une « base lunaire ». Au sein du Future Lunar Exploration Habitat (FLEXHab)
superficie d’environ 1 000 m2, comprenant de l'ESA-DLR à Cologne, une simulation d'un module d'habitat lunaire, les astro-
des salles préparatoires, un espace de labora- nautes vont pouvoir se préparer à diverses activités et expériences scientifiques.
toire et des infrastructures de soutien. Par exemple, un sas d'entrée et de sortie a été aménagé pour s'entraîner aux sor-
ties extra-véhiculaires sur la Lune. Pour celles-ci, il faudra notamment prévoir une
Son hall principal contiendra un banc d’essai protection contre la poussière, si dangereuse pour les astronautes et le matériel,
de régolithe de 700 m2, fabriqué à partir d’un ainsi que le nettoyage et la maintenance des combinaisons et des outils.
matériau simulant la poussière lunaire appelé
EAC-1, et il sera équipé d’un éclairage contrô- lunaire. La simulation des conditions d’éclai- lunaire, sera possible en se concentrant ini-
lable afin de permettre la reproduction fidèle rage d’un cycle lunaire de jour et de nuit, tialement sur les caractéristiques des zones
des expériences et conditions de la surface et de différents emplacements sur la surface polaires.

Science magazine n°76


DOSSIER VIVRE SUR LA LUNE
58

© ESA/DLR-F. Rometsch
Un module d’habitation adjacent, du nom
de « Future Lunar Exploration Habitat »
(FLEXHab), représentera ce qui pourrait être
un module de base lunaire où les astronautes
vivront et travailleront. FLEXHab et le hall
principal seront tous deux alimentés par des
systèmes d’énergie solaire, combinés aux
technologies innovantes de piles à combus-
tible pour le FLEXHab.

Un large éventail d’activités pourra être étudié


et testé au sein de LUNA. Tout d'abord, des
simulations d’entraînement et d’exploration
par les astronautes, notamment pour la colla-
boration entre les équipes sur la Lune et celles
au sol ; également la simulation, la validation
et l’exploitation de systèmes robotiques ; les
Recréer la Lune sur Terre. Le hall principal de l'installation LUNA simule la sur-
interactions homme-machine (les activités
face lunaire. C'est un terrain d'entraînement pour les astronautes et un centre de
scientifiques, la construction et l’entretien des test pour les industries partenaires qui conçoivent les technologies et les équipe-
infrastructures, de même que les processus ments requis pour aller sur la Lune. On peut voir ici le sol lunaire reconstitué avec
opérationnels et les procédures d’urgence) ; le régolithe (la poussière lunaire), ainsi que la chambre à poussière (destinée à
les applications de réalité virtuelle et de réa- extraire l'oxygène présent en abondance dans ce régolithe). Rappelons que le
lité augmentée. Mais aussi la recherche et le régolithe, particulièrement collant et abrasif, a toujours perturbé les missions
développement de matériaux, d'outils et de lunaires.
procédés de production (la manipulation de
la poussière lunaire, l’utilisation de produits donc être entraînés au sein de cette installation. Centre européen des astronautes de l’ESA et
lunaires locaux) et les systèmes d’énergie Elle fournira une simulation complète d’une des instituts de recherche du DLR. En effet,
renouvelable. mission sur le sol lunaire dans un environne- le Centre européen des astronautes propose
ment adapté, avec des outils réels et un soutien actuellement une formation pour les astro-
Tous les futurs astronautes européens destinés opérationnel puisque LUNA bénéficie de la nautes participant aux missions sur la Station
à explorer la Lune, voire au-delà, devraient proximité des installations et de l’expertise du spatiale internationale, ainsi qu’une formation
analogique sur le terrain et sous l’eau. Comme
© ESA - P. Carril

le souligne Juergen Schlutz, chef de projet de


l’ESA, « LUNA comblera le fossé entre la
Station spatiale et la formation analogique
existante, visant ainsi à se préparer à des
défis lunaires uniques tels que les capacités
de transport, la mobilité de surface, les confi-
gurations de communication et d’autonomie,
et l’environnement poussiéreux sur la Lune ».

De nombreux partenaires commerciaux et


internationaux seront également intéressés
par LUNA lors de leurs préparatifs pour des
missions lunaires habitées. C'est pourquoi
l'installation est conçue pour devenir un
centre ouvert destiné aux chercheurs et aux
développeurs du monde entier.

Vue d'artiste d'une base sur la


Lune (image ESA).

Science magazine n°76


DOSSIER 20 ANS D'ARCHÉOLOGIE
60

20 ans d'archéologie
l'histoire de la France
© Denis Gliksman, Inrap

Fouilles au Mont Saint Michel.


Science magazine n°76
20 ANS D'ARCHÉOLOGIE DOSSIER 61

qui ont révolutionné


Partie 2
Du Moyen Âge au monde
contemporain
Depuis 2002, les archéologues de l'Inrap (Institut
national de recherches archéologiques préventives) ont
réalisé près de 50 000 opérations archéologiques, dont
5 000 fouilles en France métropolitaine et ultramarine.
Comptant 2300 collaborateurs, l'Institut est la plus
importante structure de recherche archéologique en
Europe. Lors de chaque opération d'aménagement du
territoire (autoroutes, lignes TGV, aéroports, rénovations
de quartier urbain...), donc sur de vastes surfaces, son
intense activité de sauvegarde des archives du sol a
entraîné un profond renouvellement de la connaissance
du passé, du Paléolithique au XXe siècle.

Retour sur ces deux décennies de découvertes qui


ont véritablement révolutionné notre regard sur nos
ancêtres. Dans notre précédent numéro, nous avons
détaillé les fouilles relatives à la période « De la
Préhistoire à la Gaule romaine ». Nous poursuivons ce
dossier avec les périodes plus récentes et l'archéologie
des Outre-mer.

Science magazine n°76


DOSSIER 20 ANS D'ARCHÉOLOGIE
62

Pas d'invasions barbares soudaines


au Moyen Âge

© Denis Gliksman, Inrap


S'il est une période qui a nourri les ima-
ginaires et fut victime d'idées reçues et de
clichés, c'est bien le Moyen Âge. Ce long
millénaire a fait récemment l’objet d’une
relecture en profondeur grâce aux décou-
vertes archéologiques et aux progrès des
archéosciences. Elles redonnent notamment
une place centrale au début de la période,
le premier Moyen Âge (Ve-XIe siècles), en
déconstruisant son image d’âges sombres.

En effet, le monde antique occidental ne s’ef-


fondre pas brutalement au début du Ve siècle
dans le sillage d’invasions barbares. Même
si l’établissement de groupes extérieurs au
monde romain a eu un impact décisif sur un
empire déjà politiquement et économique-
ment fragilisé, de nouvelles traditions cultu-
relles - fusions de cultures gallo-romaines
et d’apports nouveaux - se sont mises en
place, auxquelles s’ajoutera l’influence du
christianisme. Des églises « emboîtées » à Propriano, en Corse.

Aucune trace de débarquement massif et sou- les fouilles d'habitats et de nécropoles. On Des découvertes exceptionnelles ont été faites
dain de populations étrangères n'apparaît dans observe plutôt de longs mouvements migra- sur cette période. Par exemple, les formes de
toires de groupes diversifiés qui s’intègrent l’habitat varient selon les régions, les activités
rapidement. Ces mouvements commencent et le statut social de leurs occupants, même si
© Laurent Petit, Inrap

dès les IIe-IIIe siècles, puis s’accélèrent au Ve. une physionomie générale s’impose. À partir
La transition entre Antiquité et Moyen Âge se de la seconde moitié du VIIe siècle et du VIIIe
déroule sur plusieurs siècles, de nombreuses siècle, avec le développement agricole, les
villae antiques continuent d’être occupées sites de peuplement augmentent en nombre
aux IVe et Ve siècles voire au-delà, tandis et en taille, de nombreuses exploitations sont
que les territoires et les sociétés sont réorga-
nisés progressivement, en profondeur, avec De mystérieux aristocrates
des diversités régionales. Les campagnes, où francs
vit 90% de la population, sont des lieux de
vie dynamiques. Les structures d’habitat et A Saint-Dizier (Haute-Marne), trois
de production se transforment peu à peu à sépultures aristocratiques franques,
la faveur des mouvements de population, de datées de la fin du Ve ou du début du
la mise en place des royaumes et de l’ins- VIe siècle, ont été mises au jour en 2002.
titution de l’Église chrétienne. Une densité Elles contenaient les dépouilles de
et une variété insoupçonnée de sites ruraux deux hommes et une femme parés des
datés du premier Moyen Âge a été révélée plus riches attributs de l’élite : armes,
par les fouilles. bijoux d’or et d’argent, d’ambre et de
pierres précieuses, vaisselle de verre et
Pièce d'échec en os mise au de bronze, céramiques.
jour à Pineuilh, en Gironde.

Science magazine n°76


20 ANS D'ARCHÉOLOGIE DOSSIER 63

regroupées en hameaux, structurés ou non,

© Denis Gliksman, Inrap


voire en villages plus denses, associés à un
cimetière, voire un édifice religieux, et cela
bien avant l’an mille. La christianisation des
campagnes se fait de manière très progres-
sive. Aux VIIIe et IXe siècles, les espaces de
vie et de travail sont agrandis ou acquièrent
de nouvelles fonctions. Des sites se spécia-
lisent dans l’élevage, l’artisanat. La gestion
des récoltes s'effectue de manière plus col-
lective, les capacités de stockage augmentent.
Les nécropoles, situées au départ à l'écart des
habitations, s'intègrent désormais à l'espace
habité. Quant aux lieux liés au pouvoir, ce ne
sont plus uniquement des châteaux mais aussi
des résidences fortifiées ou non.
Les villes évoluent et plusieurs formes se
côtoient : ville chrétienne héritière de la ville
antique et centre du pouvoir ecclésiastique,
ville polynucléaire, ville fantôme masquée
dans des « terres noires » témoins d’une den-
Elément de pavement à Saint Martin d'Hardingem (Pas-de-Calais).
sité d’habitat et d’intenses activités, ville nou-
velle portuaire le long des côtes du nord et forêt). Les initiatives furent nombreuses : du moulin, de l’hydraulique et du vent, etc.
de la Manche suite à de nouveaux axes com- multiplication d’étangs pour la pisciculture, Multiculturel, ouvert sur le monde et inven-
merciaux nord-sud. A partir du XIIe siècle, développement des landes pour le fourrage et tif, le Moyen Âge a donc été redécouvert par
on observe un développement sans précé- l’élevage, aménagement des rivières, digues l'archéologie préventive qui nous invite à
dent de l’urbanisme qui deviendra le moteur pour contenir les crues, marais salants des repenser ce millénaire.
d’une société nouvelle. Dans un contexte de rives atlantiques, diversification des usages
changement climatique et environnemen-
tal, les sociétés médiévales ont joué un rôle Un village mérovingien presque entier
actif dans la transformation des paysages,
réalisant de grands travaux (défrichement, La quasi-intégralité d’un village mérovingien a été mise au jour en 2020 à Pon-
déforestation, pollution ou détournement tarlier (Doubs). On y trouve de grands bâtiments à l’architecture jusqu’alors très
des cours d’eau). Mais elles savaient aussi peu documentée en France, et une église en bois à plan basilical. Ils constituent
s'adapter et ont appliqué une politique de une avancée majeure dans les connaissances du premier Moyen Âge. Le village
gestion des milieux durable et renouvelable est né dans le courant du VIe siècle et abandonné à la fin du VIIe siècle. Etait-il
(diversité des pratiques agricoles et d’élevage le résultat d’enjeux géopolitiques ? Comme probablement la mise sous contrôle
favorisant la biodiversité, gestion raisonnée par le royaume franc du grand axe de circulation reliant l’Italie à l’Europe du
de certaines ressources comme celles de la Nord-Ouest.

Des connaissances inédites sur le monde


moderne et contemporain
Pour cette période plus récente, au cours Si les deux tiers de la population vivent en- siècle) : transformation des moyens et des sys-
de laquelle la France connaît de profonds core à la campagne jusqu’au XIXe siècle, on tèmes de production, évolution des moyens
bouleversements économiques, techniques, observe à partir de la fin du XVIIIe siècle les de transport, nouvelles sociabilités (notam-
culturels et sociaux, notamment avec la Ré- premiers exodes ruraux pour se rapprocher ment celles du monde ouvrier), nouvelles
volution industrielle, l’archéologie a livré des manufactures, puis des usines. L'archéo- formes du contrôle social (centres de déten-
également des connaissances inédites, en logie s'intéresse à ces sociétés industrielles tion, asiles...), naissance de la consommation
particulier sur les pratiques sociales. (proto-industrielles à partir de la fin du XVIe de masse, perfectionnement des techniques
Science magazine n°76
DOSSIER 20 ANS D'ARCHÉOLOGIE
64

© Gaël Pollin, Inrap


agricoles... Les archéologues peuvent obser-
ver toutes ces évolutions, leurs effets sur les
formes du paysage, les pratiques horticoles,
viticoles et maraîchères en grande partie
disparues. Changement d'échelle aussi pour
le commerce, désormais transatlantique,
avec le développement des villes portuaires
notamment. Des activités nouvelles appa-
raissent, comme le raffinage du sucre ou le
commerce des cotonnades et du tabac. De
nouveaux modes de consommation se font
jour, de nouvelles espèces et de nouveaux
produits sont introduits. Dans les Outre-
mer, l’archéologie contribue à documenter
les conditions et modes de l’économie de
plantation fondée sur l’esclavage. Ceci grâce
aux fouilles de grands habitations sucrières,
ou plus généralement agricoles, avec leurs
parties résidentielles, leur appareil industriel
et les quartiers serviles. Diagnostic dans la cour royale du château de Versailles.
Les évolutions politiques sont lisibles dans
la transformation des trames urbaines où les De son côté, l’archéologie des sépultures de guerre, sur les politiques de soin et de secours
grands programmes architecturaux coïncident la Première Guerre mondiale, qui a lancé des troupes. Tactiques, stratégies et ravitail-
souvent avec l’adaptation des systèmes for- l'archéologie contemporaine, s'est étoffée en lements sont étudiés lors du débarquement
tifiés aux progrès rapides de l’artillerie. On livrant de précieux témoignages sur les zones de 1944 sur les côtes normandes. Des décou-
observe la transformation de l’habitat des de combat. La fouille des réseaux de tranchées vertes sont effectuées aussi sur les guerres de
élites en grandes résidences de plaisance où apporte de nombreux renseignements. Celle siège (Louis XIII à La Rochelle, Louis XIV
l’archéologie capte les différentes phases des zones de cantonnement et de campement en Île-de-France ou dans les Flandres) grâce
d'aménagement mais également toutes les permet aussi d’exhumer des données sur la lo- aux fouilles des réseaux de fortifications et
pratiques de distinction sociale. gistique et l’approvisionnement des zones de des structures de campement. L'occasion d'en
apprendre beaucoup sur la vie dans les cam-
© A. Szczuczynski, Inrap

pements, les déplacements de troupes, mais


aussi les modes de recrutement de l'armée
dans les provinces. Les archéologues s'inté-
ressent également aujourd'hui aux guerres
napoléoniennes.

Enfin, l’archéologie médico-légale est un


outil de la construction des preuves juridiques
quand elle assiste la justice et les tribunaux
pénaux.
Les archives matérielles ont parfois disparu
et, quand il y en a, elles n’ont plus forcément
de sens ; l'archéologie leur en redonne. En
effet, le monde matériel de nos grands-parents
ou de nos arrière-grands-parents, avec leurs
pratiques et leurs codes sociaux, nous échappe
déjà en partie. Comme le souligne l'Inrap,
conserver leurs traces est « une obligation
intellectuelle et scientifique et une responsa-
bilité pour les générations à venir ».
Au Mans, un charnier des 12 et 13 décembre 1793.

Science magazine n°76


20 ANS D'ARCHÉOLOGIE DOSSIER 65

© Emmanuel Ghesquière, Inrap


Débarquement sur les côtes
normandes
Des abris enterrés d’infanterie et
d’artillerie et des restes de planeurs
de la 6th Airborne Division ont été
mis au jour en 2020 à Blainville-sur-
Orne (Calvados). Des recherches en
archives ont permis d’identifier les
unités britanniques en présence dé-
barquées au matin du 6 juin 1944 à
Sword Beach.

Un camp canadien
à Fleury-sur-Orne
(Calvados).

Un camp militaire sous Louis XIV


© Laurent Petit, Inrap

Au XVIIe siècle, près de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines),


les troupes de la Maison du Roi, les soldats d’élite de Louis
XIV, avaient un camp d’entraînement à la guerre de siège.
C'est le fort Saint-Sébastien, résultat de deux forts successifs
constitués de fortifications de terre et de bois, mis au jour
par l'Inrap. L’existence de ces ouvrages était quasi tombée
dans l’oubli.

Vaisselle du Fort
Saint-Sébastien.

Outre-mer, les traces des Amérindiens


il y a 7 000 ans
Les Petites Antilles, La Réunion, Mayotte L'histoire des départements français des Amé- l’économie des plantations, l’esclavage ou
et la Guyane connaissent une urbanisation riques, avant la conquête, est demeurée long- l’exploitation aurifère. Ainsi, en Guyane,
soutenue par une forte démographie. temps inconnue, faute de documents. D'autant les archéologues ont révélé l’ancienneté de
que certaines zones sont particulièrement dif- l’occupation amérindienne, vieille de 7 200
La modification des paysages permet de ficiles d'accès. Les fouilles archéologiques n'y ans, et bouleversé la chronologie préhisto-
mettre en évidence un riche patrimoine ar- ont débuté qu'à la fin du XXe siècle, et même rique. L’Institut a surtout montré l’impact
chéologique sur ces territoires habités pour beaucoup plus récemment pour des territoires de l’homme sur l’environnement forestier et
certains (Petites Antilles et Guyane) depuis comme La Réunion ou Mayotte. L'Inrap a démontré l’aménagement ancien du territoire
plusieurs millénaires, et pour d'autres (La contribué à leur accélération. Les fouilles à travers, par exemple, des « montagnes cou-
Réunion, Mayotte) depuis plusieurs siècles. mettent en évidence l’impact des civilisations ronnées » (200 avant notre ère -1600 de notre
amérindiennes et, pour les périodes récentes, ère). L’extraordinaire densité de l’occupation

Science magazine n°76


DOSSIER 20 ANS D'ARCHÉOLOGIE
66

© Xavier Peixoto, Inrap


humaine ancienne a été mise en évidence,
avec deux sites au kilomètre carré.

La recherche archéologique sur le passé des


populations amérindiennes, bushinguées
(noirs marrons), créoles ou européennes,
en milieux forestiers, littoraux ou urbains, a
connu un formidable essor. Dans les Petites
Antilles, les archéologues ont découvert le
plus ancien peuplement connu dans l’archipel
de la Guadeloupe : des groupes arawaks, ori-
ginaires du continent américain, s’implantant
à Saint-Martin voici 5 400 ans. Ce groupe,
identifié dans le nord des Petites Antilles
et à Puerto Rico, est associé aux premières
migrations de populations possédant de la
A Mayotte, la fouille de la sucrerie de Coconi.
céramique. Des sites de cultures Huécoïde
et Saladoïde ont été fouillés. catastrophes naturelles, et aussi à l'histoire de
Dans l’océan Indien, la première fouille l'esclavage et du maronnage, de l'engagisme, A Kourou, 6 000 ans d'histoire
préventive terrestre est entreprise en 2014 à de l'agriculture et de l'industrie sucrière. L'une
La Réunion sur les vestiges de la sucrerie de des études les plus étonnantes est celle du A l'occasion des travaux d’aménage-
Grand-Fond. La fouille des restes d’un habitat Plateau de l’îlet, à Guillaume, qui abrite les ment des chantiers Soyouz et Ariane
du XVIIIe siècle, à Saint Paul, a révélé une vestiges d’une colonie pénitentiaire pour en- 6 au Centre spatial guyanais en 2014-
importante culture matérielle dont des céra- fants entre 1864 à 1879. Entre 2006 et 2013, 2015, cinq chantiers préventifs ont été
miques importées de France et d’Angleterre, les fouilles conduites sur l’île de Tromelin pionniers dans la découverte des pé-
mais aussi de Chine. L'archéologie réunion- redonnent la parole aux esclaves malgaches riodes mésoindiennes (6 000 ans avant
naise s'intéresse aux villes, à l'influence des qui, à partir de 1761 et pendant 15 ans, vé- notre ère) de la Guyane française. Ils
curent, abandonnés, sur ce minuscule écueil ont permis une avancée importante
© Mickaël Mestre, Inrap

des Terres australes et antarctiques françaises. dans la connaissance des groupes pré-
colombiens et des premiers contacts
Enfin à Mayotte, 101e département français, entre les peuples autochtones et les
la fouille d'usines sucrières du XIXe siècle colons européens.
(les domaines de Coconi et de Longoni) a
été réalisée. Egalement celle de la mosquée que celle-ci était attribuée au XVIe siècle, les
de Tsingoni, monument historique classé recherches de l’Inrap ont mis au jour des ves-
et plus ancienne mosquée de France. Alors tiges du XIIIe siècle, mais aussi un premier
édifice cultuel édifié au XIVe siècle. Cette
Masque mis au jour sur le site de
opération fut la première d'ordre préventive
Vivé, en Martinique, et daté du 5e
sur l'archéologique islamique.
siècle avant notre ère.

Archéozoologie, carpologie, palynologie...


et nouvelles techniques
Au cours de ces 20 dernières années, les pro- le jour, notamment dans le domaine de la Plusieurs spécialités sont concernées : ar-
grès dans les techniques archéologiques ont bioarchéologie : cette discipline documente chéozoologie, carpologie, anthracologie,
été remarquables. L'Inrap, le ministère de la l'interaction entre sociétés, biodiversité et palynologie, xylologie et malacologie. En
Culture, le CNRS et certaines universités se environnement, grâce à l'étude des vestiges France, 200 spécialistes travaillent sur le
sont engagés dans ces efforts. De nouveaux biologiques (restes végétaux et animaux). sujet, en parfaite collaboration. L'Inrap pos-
outils, techniques, méthodes, etc. ont vu sède également d'autres compétences comme

Science magazine n°76


20 ANS D'ARCHÉOLOGIE DOSSIER 67

© Rozenn Colleter, Inrap


l’archéoentomologie, l’étude des phytolithes
ou des coquillages marins. Car l'archéologie
préventive se distingue par l'abondance de
données bioarchéologiques et la diversité des
vestiges découverts : restes macroscopiques
(graines, fruits, bois, charbons, ossements,
dents, coquilles et coquillages, insectes…),
mais aussi microscopiques (pollens, spores,
phytolithes, diatomées, parasites…).

Des analyses peuvent être effectuées sur ces


prélèvements : reconnaissance des compo-
sants physico-chimiques, détection de traces
de substances organiques (lait, graisses,
cires…), examen de données histologiques,
moléculaires, isotopiques ou génétiques.
Rappelons que les travaux de l'Inrap sur des
sites parfois extrêmement vastes permettent Scanner d'un corps momifié (celui de Louise de Quengo, une noble bretonne
d'obtenir des données, non plus sur un seul du XVIIe siècle).
site, mais sur un ensemble de sites et leur
environnement. Cela offre la possibilité de à l'interprétation des sites archéologiques : paléogénomique, paléoprotéomique), de la
mieux répondre aux grandes problématiques elles renseignent en effet sur l’organisation biogéochimie isotopique, ainsi que dans les
anthropologiques, mais aussi écologiques et spatiale et les activités humaines par l’identifi- protocoles de traitement statistique et dans la
sociétales. Il devient par exemple possible de cation des espaces à vocation agraire (aires de modélisation. L'utilisation de ces outils n'est
restituer l’évolution des paysages et des évè- stockage des denrées, espaces de stabulation pas encore généralisable mais elle le sera pro-
nements climatiques, la gestion des ressources des troupeaux), domestique ou artisanale. chainement grâce la baisse rapide des coûts
végétales et les pratiques agricoles, les modes d’analyse et à l’amélioration des techniques.
d’exploitation des animaux (chasse, domesti- Aussi les bioarchéologues de l'Inrap parti- Ce qui permettra aux archéologues de nous
cation, élevage, pastoralisme), et également cipent-ils à de nombreux programmes de passionner par des découvertes encore plus
les habitudes alimentaires et culinaires, les recherche interdisciplinaires et interinstitu- approfondies et étonnantes...
techniques de construction, les pratiques funé- tionnels comme celui consacré à l'étude de la
raires, de même que les conditions d’hygiène charpente de Notre-Dame de Paris ou d'autres L'archéologie passionne
et le statut des populations. Une variété foison- portant sur les recherches sur l'ADN ancien, la les Français !
nante d'informations qui participe pleinement paléoclimatologie, la paléonutrition. D'impor-
tantes synthèses ont été réalisées sur les re- La politique culturelle de l’Inrap
cherches carpologiques et archéozoologiques trouve un écho favorable auprès de
© Muriel Boulin, Inrap

sur l’âge du Fer et sur l’âge du Bronze, la nos concitoyens. En effet, en France
culture de l’engrain, les données polliniques plus que dans les autres pays euro-
sur le Néolithique moyen, l'archéologie des péens, nombreux sont les adultes
cépages, les pratiques de l’élevage et de la qui ont eu envie un jour de devenir
chasse du Néolithique à l’âge du Fer… archéologue (38% en France contre
Mais le principal problème de la variété crois- 27% en moyenne en Europe) et les
sante de ces données bioarchéologiques réside citoyens sont demandeurs d’actions
dans la difficulté de gestion, conservation permettant de découvrir le patri-
et diffusion. L'Inrap se félicite des progrès moine archéologique.
technologiques fulgurants réalisés depuis C'est ainsi que plus de 12 millions de
20 ans dans les domaines de l’imagerie (3D, visiteurs ont été sensibilisés à l’ar-
tomographie par rayons X), des molécules chéologie par les actions de l’Inrap
organiques anciennes (paléogénétique, au cours de ces 20 dernières années.

Vue au microscope optique d'un Retrouvez tous les événements 2022 pour
échantillon palynologique. les 20 ans de l'Inrap sur www.inrap.fr

Science magazine n°76


DOSSIER 20 ANS D'ARCHÉOLOGIE
68

La cathédrale Notre-Dame de Paris :


un exemple de chantier hors norme
Dès le lendemain du dramatique incendie du 15 avril 2019, ce
sont les archéologues de l'Inrap qui ont été appelés au chevet de
la cathédrale Notre-Dame de Paris. L'Institut a en effet l'habitude
d'intervenir sur des monuments classés, au titre des monuments
historiques ou encore au patrimoine mondial de l'Unesco.
Les équipes de l'Inrap œuvrent depuis L'intervention des archéolo-

© Denis Gliksman, Inrap


trois ans à un programme de diagnostics, gues s'est effectuée également à
de prospections et fouilles archéologiques, l’extérieur de l’édifice, au sud-
pour accompagner le projet de restauration est du chevet de Notre-Dame,
de l'édifice. Parmi les archéologues, de avant l’implantation de la
nombreuses spécialités ont été sollicitées : grande grue à tour destinée au
céramologie, anthracologie, mais aussi spé- retrait de l’échafaudage calciné
cialistes du métal, de la géophysique, des de la flèche. Parallèlement, des
carrières et des matériaux de construction. interventions archéologiques
non invasives ont été privilé-
Une opération de fouille a été prescrite giées à l'intérieur du bâtiment
notamment dans la croisée du transept, pour détecter des cavités et
en amont du montage de l’échafaudage des maçonneries inconnues.
nécessaire aux travaux de reconstruction Une campagne de prospection
de la flèche. Menée de février à avril 2022, géophysique a pu ainsi révé-
elle a livré d’importantes données sur la ler des anomalies structurelles
construction et l’évolution de la cathédrale, dans le choeur, l’abside et les
des sépultures, ainsi que de très nombreux bas-côtés.
éléments du jubé médiéval (détruit sous le
règne de Louis XIV) dans un exceptionnel C'est en 1163 qu'a débuté l’édi-
état de conservation. fication de la cathédrale. La
construction du transept, cette
Une intervention immédiate partie coupant perpendiculai-
Vu l’urgence de la mise en sécurité du site au rement la nef avec laquelle il
lendemain de l’incendie, les archéologues forme une croix, a suivi celle
sont intervenus sans délai à l’intérieur de de l’abside et du choeur. La
Notre-Dame pour repérer, trier et sauvegar- fouille de la croisée prévoyait
der, au sol et sur les voûtes, l’ensemble des un terrassement sur environ
Vue générale de la fouille à la croisée du
matériaux effondrés (bois, pierres, métal) ; 35 cm sous le niveau de dal-
transept de la cathédrale Notre-Dame de
ils ont bénéficié de l'aide d'engins roboti- lage actuel. Elle a révélé, dès ce Paris, en 2022. Son sol a révélé des vestiges
sés au sol, de cordistes sur les voûtes, et de niveau de décapage, un radier d’une qualité scientifique remarquable.
relevés photogrammétriques. Il s'agissait de daté entre le XIVe et le XVIIe
préserver ces vestiges fondamentaux pour siècle. Il repose sur une strati- de chaux, et dont certains présentent des
la recherche, les études et la restauration graphie constituée de plusieurs niveaux traces de rubéfaction pouvant témoigner
de la cathédrale. de sol construits en un mortier de sable et d’un incendie (peut-être celui de 1218 ?).

Science magazine n°76


20 ANS D'ARCHÉOLOGIE DOSSIER 69

Le jubé perdu de Notre-Dame

© Denis Gliksman, Inrap


La clôture monumentale qui séparait le
chœur (réservé au clergé) de la nef (es-
pace ouvert aux fidèles) fut construite
vers 1230, puis détruite au début du
XVIIIe siècle afin de répondre aux nou-
veaux usages liturgiques. Sous le règne de
Louis XIV, la section de jubé séparant le
transept et le choeur fut démolie. Il ne sub-
siste aujourd’hui que les sections du jubé
le long des parois latérales du choeur, au
nord (daté du XIIIe siècle) et au sud (daté
du XIVe siècle) : on l'appelle la « clotûre
du cœur ».

Quelques éléments de ce mur décoré et


sculpté ont été mis au jour lors des travaux
de Viollet-le-Duc (conservés au Louvre),
Vue du sarcophage en plomb entouré des carneaux de chauffage du
ainsi que quelques blocs dans les réserves XIXe s. découvert sous le sol de la croisée du transept de la cathédrale
lapidaires de la cathédrale. Mais grâce à Notre-Dame de Paris en 2022.
la fouille, plusieurs centaines d’éléments
lapidaires, allant de plusieurs centaines de épouse de Philippe-Auguste, a été enterrée de conservation et mesure 1,95 m sur 48
grammes à près de 400 kg, ont été retrou- dans le chœur de la cathédrale et, lors des cm de large. Une caméra endoscopique a
vés, enfouis dans la zone est du transept. travaux de Viollet-le-Duc, les cercueils permis d’identifier la présence de restes
Ce sont des fragments sculptés et poly- de plomb découverts dans la nef et dans végétaux sous la tête du défunt (peut-être
chromes, des personnages et des éléments le choeur appartenaient principalement à des cheveux, du textile) ainsi que de la
architecturaux religieux. Une première des archevêques. matière organique sèche. Sa datation et son
analyse stylistique des décors végétaux, identification restent à définir mais il s’agit
de la façon de représenter les visages, les Plusieurs sépultures ont pu être identifiées probablement d’un personnage important :
cheveux, les drapés, etc., permet d’envi- et exhumées lors de la fouille de la croisée. il figure donc possiblement au registre des
sager une datation au XIIIe siècle. Contrai- Elles sont organisées et ne se recoupent inhumations du diocèse.
rement à ceux conservés au Louvre, ces pas : ce qui est rare dans un espace aussi
fragments frappent par leur polychromie : prisé. Leur étude reste à mener mais leur Cette fouille a aussi livré du mobilier céra-
les couleurs se superposent parfois avec datation est pour l’instant estimée entre mique daté du XIVe siècle. Les remblais
des rajouts, des réparations, l’application le XIVe et le XVIIIe siècle. À l'heure où des tranchées des carneaux du XIXe siècle
de feuilles d’or… nous mettons sous presse, les archéologues contiennent, pour leur part, du mobilier
ont identifié une dizaine de sarcophages antique qui témoigne des percements de
Leur disposition dans la fosse interroge : en plâtre, la plupart très perturbés par les couches archéologiques plus anciennes
ils ont sans doute été laissés dans la cathé- carneaux. L’un d’entre eux a cependant par les calorifères (céramique sigillée et
drale pour des raisons pratiques, mais ils y livré des restes de tissus brodés au fil d’or marbre). Enfin, un mur plus ancien qui ne
ont cependant été « inhumés » avec soin, et quelques ossements en place. Au moins correspondrait pas avec l’édifice gothique
avec des couches très bien organisées et quatre tombes en pleine terre ont en outre laisse les archéologues perplexes.
agglomérées par un liant. été identifiées.
Il reste désormais à passer à une longue
Des découvertes inattendues Dans la partie ouest de l’emprise, un sar- période d’analyse et d’étude du mobilier,
Pendant toute la période médiévale et mo- cophage anthropomorphe en plomb a été des vestiges organiques, de l’ADN, des
derne, les inhumations dans les églises et également mis au jour. Il a été déplacé - matériaux, de la stylistique, de la poly-
cathédrales se sont pratiquées ; les places selon une chronologie qui reste à déter- chromie, du répertoire iconographique,
les plus près du choeur étant les plus re- miner - dans un caveau en plâtre. Malgré etc. De quoi faire d'autres découvertes
cherchées. Par exemple, la reine Isabelle, quelques percements, il s'avère en bon état inattendues...

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DOSSIER LES NOUVEAUX GÉOPARCS MONDIAUX DE L'UNESCO
70

Sites d'exception : les nouveaux g


© Johannes Sipponen / Salpausselkä Geopark

Le géopark mondial de Salpausselkä, en Finlande, compte une centaine de lacs.


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LES NOUVEAUX GÉOPARCS MONDIAUX DE L'UNESCO DOSSIER 71

éoparcs mondiaux de l'UNESCO


Aux 177 sites du Réseau mondial des géoparcs,
répartis dans 46 pays, s'ajoutent cette année
8 nouveaux géoparcs désignés par l’UNESCO :
2 se situent en Amérique latine et 6 en Europe.
Deux nouveaux pays, le Luxembourg et la Suède,
rejoignent ainsi ce réseau suite à la désignation de
leurs premiers géoparcs.

Le label « Géoparc mondial de l’UNESCO » reconnaît


un patrimoine géologique dont la portée est
internationale. Les sites du réseau sont dotés d’une
diversité géologique hors du commun, qui sous-
tend la biodiversité et la richesse culturelle de
nombreuses régions. Les géoparcs sont avant tout
au service des communautés locales, en alliant la
conservation de leur patrimoine géologique unique
à la sensibilisation du public et au développement
durable.

Avec ces 8 nouvelles désignations, le réseau


couvre désormais 370 662 km², soit une superficie
comparable à celle du Japon. A noter qu'en raison
des restrictions liées à la pandémie de Covid-19,
aucune nouvelle candidature d’Asie, d’Afrique
ou de la Région arabe n’a pu être évaluée cette
année. Cependant, plusieurs projets de création de
nouveaux géoparcs dans ces régions du monde sont
en cours.

Partons à la découverte des 8 magnifiques sites


choisis en 2022...

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DOSSIER LES NOUVEAUX GÉOPARCS MONDIAUX DE L'UNESCO
72

© Dietmar Denger / Geopark Ries e. V.


Randonnée dans le cratère de Ries.

Ries, Allemagne : le cratère de météorite le mieux


préservé d’Europe
Le Géoparc mondial UNESCO de Ries est est entrée en collision avec la Terre. Il reste en suivant les sentiers naturels qui mènent
situé principalement en Bavière. Il déborde le cratère montrant le lieu d’impact : c'est les randonneurs, seuls ou accompagnés d’un
légèrement sur le Bade-Wurtemberg, terri- aujourd’hui le cratère de météorite le mieux guide, vers des paysages pittoresques. Des
toire du cratère de Ries, niché dans le sud préservé d’Europe et la structure de l’impact centres d'information et des programmes sco-
de l’Allemagne entre les juras franconien et a été la plus largement étudiée parmi les 200 laires sont aussi disponibles. Ce géoparc offre
souabe. Il compte 162 500 habitants sur une cratères recensés à travers le monde. Il est un aperçu fascinant de l’histoire de la Terre
superficie de 1 749 km2. À cet endroit, il y a possible d'explorer le cratère de Nördlinger grâce à son paysage naturel unique ainsi qu'à
près de 15 millions d’années, une météorite Ries et y découvrir sa géologie et son histoire son histoire culturelle et culinaire.

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LES NOUVEAUX GÉOPARCS MONDIAUX DE L'UNESCO DOSSIER 73

Seridó, Brésil : 600 millions d’années d’histoire


terrestre
Dans la région semi-aride du nord-est du Bré- musées et les centres culturels. Symbole de exceptionnelle de cette région, représentée en
sil, le Géoparc mondial UNESCO de Seridó 600 millions d’années d’histoire terrestre, ce particulier par la Caatinga (« forêt blanche »
s’étend sur une superficie de 2 800 km². Il re- géoparc abrite l’un des plus grands gisements en langue tupi), une écorégion caractérisée par
groupe une population de plus de 120 000 ha- de scheelite d’Amérique du Sud, une grande une flore subtropicale spécifique. La Caatinga
bitants, dont la communauté des Quilombolas. quantité de tungstène et de coulées basal- est le seul biome 100 % brésilien : de ce fait,
Celle-ci perpétue la mémoire de ses ancêtres tiques, issues de l’activité volcanique aux ères la majeure partie de son héritage biologique
africains, réduits en esclavage, afin de pré- mésozoïque et cénozoïque. De cette géodi- n’existe nulle part ailleurs sur la planète.
server sa culture à travers les traditions, les versité résulte en grande partie la biodiversité
© Marcos Nascimento / Seridó UNESCO Global Geopark

Une histoire ancienne dans le géoparc de Seridó.

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DOSSIER LES NOUVEAUX GÉOPARCS MONDIAUX DE L'UNESCO
74

Les Chemins des Canyons du Sud, Brésil : l’un des


écosystèmes les plus riches de la planète
D'une superficie de 2 830,8 km², le Géoparc biodiversité. La population précolombienne visibles. Le site inclut également les canyons
mondial UNESCO des Chemins des Canyons de la région trouvait autrefois refuge à l’inté- les plus impressionnants d’Amérique du Sud ;
du Sud est situé dans le sud du Brésil et rieur des « paleoburrows » (soit des tunnels ils ont été formés au cours du processus géo-
compte 74 120 habitants. Sa forêt atlantique souterrains creusés par certaines espèces morphologique exceptionnel que le continent
est considérée comme l’un des écosystèmes éteintes de la mégafaune, telles que le pares- a subi il y a 180 millions d’années, lors de la
les plus riches de la planète en matière de seux terrestre), dont les vestiges sont encore dislocation du supercontinent, le Gondwana.

© Priscila Ventura

Les canyons les plus impressionnants d’Amérique du Sud !

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LES NOUVEAUX GÉOPARCS MONDIAUX DE L'UNESCO DOSSIER 75
© Juha-Pekka Huotari / City of Lahti

La ville de Lahti, dans la Région des lacs, en Finlande.

Salpausselkä, Finlande : des moraines témoignant


de la dernière glaciation
Situé dans le sud de la Finlande, dans la partie dans le sud de la Finlande, les moraines sont 11 700 ans avant notre ère). Étudiées depuis
la plus méridionale de sa Région des lacs, le des amas de débris rocheux qui ont été dépo- le 19e siècle, ces moraines représentent le ves-
géoparc mondial UNESCO de Salpausselkä sés par les glaciers. Ils témoignent du chan- tige géologique le plus connu de Finlande.
couvre une superficie de 4 506 km² et compte gement climatique, et plus précisément du Il a été façonné par la fonte des glaciers qui
177 000 habitants. Près de 21% de ce géoparc Dryas récent, soit la période allant approxi- a créé un relief fluvioglaciaire ainsi que des
est recouvert d’eau et plus de 50% de forêt. mativement de 12 900 à 11 600 ans avant formations rocheuses capables de stocker des
L’attraction principale de ce site réside dans notre ère. Celle-ci a perturbé la vague de ré- eaux souterraines en abondance ; ce qui a
la centaine de lacs ainsi que les moraines de chauffement de l’hémisphère Nord à la fin du fourni à la région une eau potable naturelle
Salpausselkä. S’étendant sur plus de 600 km Pléistocène (lequel s’étend de 2,6 millions à d’excellente qualité.

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DOSSIER LES NOUVEAUX GÉOPARCS MONDIAUX DE L'UNESCO
76

Céphalonie-Ithaque, Grèce : la région la plus active


en Europe au niveau tectonique
C'est à l’est de la Grèce que se situe le géoparc souterrains - disséminés à travers les îles. Ils d’Ulysse, héros du poème épique d’Homère.
mondial UNESCO de Céphalonie-Ithaque, racontent une histoire géologique de plus de Par ailleurs, il abrite des monuments préhisto-
un archipel appartenant à l’Heptanèse (ap- 250 millions d’années. Les deux îles sont riques, hellénistiques et romains, des châteaux
pellation dérivée du chiffre « sept » en grec, proches d’une chaîne de montagnes en forme médiévaux, des monastères byzantins et post-
en référence au nombre d’îles Ioniennes). d’arc (arc égéen), née de la subduction de la byzantins, des baraques traditionnelles, des
Kefalonia couvre une superficie de 773 km² plaque africaine sous l’Eurasie. Il s’agit de moulins à vent, des ponts et des phares : tout
et compte 35 801 habitants, alors qu’Ithaca la région la plus active en Europe au niveau un patrimoine culturel d’une grande richesse
s'étend sur 117 km² et recense 3 084 habi- tectonique. Ce géoparc détient aussi une por- disséminé dans cette région dotée de caracté-
tants. Ce géoparc regorge de géosites d’ori- tée littéraire puisque Kefalos et Ithaca sont ristiques géologiques extraordinaires.
gine karstique - grottes, dolines, cours d’eau citées dans l’Odyssée comme terres natales

© Kefalonia-Ithaca

L'île d'Ulysse

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LES NOUVEAUX GÉOPARCS MONDIAUX DE L'UNESCO DOSSIER 77

© NGPM, Uli Fielitz


Au Luxembourg, l’un des paysages de grès les plus spectaculaires d’Europe occidentale.

Mëllerdall, Luxembourg : un décor du Jurassique


Zone rurale située à l’est du Luxembourg, Luxembourg, qui peut atteindre jusqu’à 19e siècle. Un dense réseau de sentiers de
le géoparc mondial UNESCO de Mëllerdall 100 mètres d’épaisseur et remonte au Juras- randonnée, bien balisés, permet d'explorer
couvre une superficie de 256 km² et recense sique inférieur (205 à 180 millions d’années aujourd'hui la région, tels que le Mullerthal
une population de près de 25 500 habitants. Il avant notre ère). C'est assurément l’un des Trail, long de 112 km et qui a remporté le
est niché au cœur du « bassin Trèves-Luxem- paysages de grès les plus spectaculaires prix Leading Quality Trails - Best of Europe.
bourg », lequel s’étend du Bassin parisien d’Europe occidentale : aussi constitue-t-il
au Massif rhénan. On y trouve le Grès de une attraction touristique depuis la fin du

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DOSSIER LES NOUVEAUX GÉOPARCS MONDIAUX DE L'UNESCO
78

Pays de Buzãu, Roumanie : une terre de légendes


En Roumanie, dans la région du « coude des toute cette période, des mouvements tecto- du monde, vestiges d’importants dépôts de
Carpates », le territoire vallonné et monta- niques ont soulevé des montagnes et trans- sel et de gypse formés par l'évaporation de
gneux du géoparc mondial UNESCO du formé les eaux profondes en environnement masses d'eau emprisonnées peu profondes.
Pays de Buzău s’étend sur 1 036 km² et abrite terrestre. Des fossiles d’espèces marines, de Cette géodiversité d’une grande richesse a
quelque 45 000 habitants. Plusieurs plaques végétation terrestre, de mammifères et d’oi- nourri un patrimoine culturel unique : notam-
tectoniques sont entrées en collision dans la seaux remontant à la dernière glaciation ont ment des légendes locales dans lesquelles les
région, créant ainsi une chaîne montagneuse été bien conservés dans les Carpates. De nom- volcans de boue se changent en dragons, les
très alambiquée, qui fut ensuite érodée par breux fossiles de scarabées, d’araignées, de chaudières de boue sont des pièges à bétail
l’action glaciaire. Ce géoparc est l’une des crustacés, de reptiles et d’autres espèces ont fabriqués par des géants, et l’avenir peut être
zones les plus actives d’Europe sur le plan été conservés dans l’ambre, une résine fossi- prédit en regardant à travers d’une lentille
géodynamique et il contient plus de 40 mil- lisée. On y trouve aussi certaines des grottes d’ambre.
lions d’années d’histoire géologique. Pendant salines les plus longues et les plus profondes

© Buzãu Land NGO / Rãzvan-Gabriel Popa

En Roumanie, on trouve certaines des grottes salines les plus longues et les plus profondes du monde.

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LES NOUVEAUX GÉOPARCS MONDIAUX DE L'UNESCO DOSSIER 79
© Henrik Theodorsson

Dans le géoparc de Platåbergens se dressent des tombes mégalithiques et la première église en pierre connue en
Suède.

Platåbergens, Suède : un paysage unique composé


de 15 montagnes tabulaires
Situé dans l’ouest de la Suède, le géoparc au cours de la dernière période glaciaire, il de nombreux vestiges témoignant de l’uti-
mondial UNESCO de Platåbergens couvre y a quelque 115 000 ans. La région s’étend lisation de la pierre locale par les habitants
une superficie de 3 690 km² et recense une aussi sur la plaine de Västgöta avec ses lacs au fil des millénaires : des tombes mégali-
population de 289 198 habitants. Son paysage de plaines superficiels, ses crêtes ondulées thiques (5 300-4 700 avant notre ère) à la
unique est composé de 15 montagnes tabu- et ses paysages culturels bien préservés. première église en pierre connue en Suède,
laires aux sommets plats (« platåbergen » en Certaines des découvertes historiques les qui fut construite par des Vikings chrétiens
suédois) qui ont donné leur nom au site. Ces plus intéressantes de Suède ont été faites au début du 11e siècle.
montagnes ont été façonnées par l’érosion dans cette région. Les musées y conservent

Science magazine n°76


82 DÉBATS FORUM DES LECTEURS SCIENCE magazine

Science magazine donne la parole


aux passionnés de science…
Votre article sur la mission de l'astromobile
Perseverance sur Mars (Science Magazine
n°75) était réellement passionnant. Mais
combien y a-t-il de rovers aujourd'hui sur la
planète rouge ?
Camille H., Levallois-Perret (92)

Science magazine : Ils sont actuellement trois :


Perseverance, le rover américain Curiosity ar-
rivé sur la surface martienne en 2012, et le rover
chinois Zhurong qui s'y s'est posé en 2021.
Sur Mars est également présente depuis 2018 la
sonde américaine InSight, non mobile et dédiée
à la structure interne de la planète (séismes...).
Tandis que des sondes tournent en orbite :
Mars Reconnaissance Orbiter, Mars Odyssey
© NASA/ESA/JPL-Caltech

et MAVEN pour la NASA, Mars Express et


ExoMars Trace Gas Orbiter pour l'ESA, mais
aussi une sonde indienne, une chinoise, et une
des Emirats Arabes Unis.

Quelle est l'origine du nom du trou noir présent


au centre de notre galaxie : Sagittarius A* ? Science magazine : Comme vous le soulignez, planète à une autre... et que la vie sur Terre pour-
Lucas N., La-Roche-sur-Yon (85) leur quantité est innombrable et ces vestiges rait donc provenir d'une autre planète.
sont découverts dans le cadre de grands travaux
Science magazine : Tout simplement, le centre d'aménagement. Par exemple, la construction Quels animaux connaissent, comme l'être
de la Voie lactée a été localisé, dès 1918, dans la d'une ligne de TGV va automatiquement ren- humain, le sommeil paradoxal propice aux
constellation du Sagittaire. En 1960, une source contrer des restes de fermes néolithiques ou rêves ?
d'ondes radio a été détectée dans la région la médiévales. Il est impossible de les conserver Betty R., St Laurent de Nestes (65)
plus brillante de cette constellation. D'où le nom toutes. Après l'étude du site (qui retarde déjà
de Sagittarius A. L'astérisque a été ajouté au beaucoup les travaux !), les objets recueillis sont, Science magazine : Il semble que tous les mam-
début des années 80 : il désigne les états excités pour leur part, conservés. mifères connaissent des périodes de sommeil pa-
des atomes. Au début des années 80, le fait que radoxal, mais particulièrement ceux qui naissent
Sagittarius A* soit un trou noir supermassif fut J'ai entendu dire que certaines bactéries pou- « immatures ». Les animaux qui représentent
confirmé. Il a été photographié pour la première vaient survivre dans les conditions extrêmes des proies ne peuvent se permettre de dormir
fois cette année. de l'espace... beaucoup. Les oiseaux connaîtraient apparem-
Sébastien T., La Rochelle (17) ment des phases de sommeil paradoxal, mais ces
Votre dossier sur les 20 années de fouilles et dernières seraient très brèves également. Chez
découvertes réalisées par les archéologues Science magazine : Effectivement. En 2020, les autres animaux, le sommeil peut être très
de l'Institut national de recherches archéo- une expérience japonaise a montré qu'une bac- varié (en durée comme en profondeur) mais le
logiques préventives nous permet de relire térie, appelée Deinococcus radiodurans, avait cerveau demeure peu actif : ils ne rêvent pas
différemment notre histoire. La quantité de survécu 3 ans dans l'espace, à l'extérieur de la mais se reposent uniquement.
vestiges présents sur notre territoire est vrai- Station spatiale internationale (ISS). Elle avait
ment étonnante. Mais pourquoi donc sont-ils été soumise à une très forte exposition aux ultra-
recouverts après avoir été mis au jour ? violets et à de grandes amplitudes de tempé-
Geneviève F., Brest (29) ratures. Cela suggère que des formes simples
www.lafontpresse.fr
de vie seraient susceptibles de voyager d'une

Science magazine n°76

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