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f321112064 Le Myst Re Bruce
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DE NORMANDIE
AU TRÔNE D'ECOSSE
La Saga des Bruce
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DU MEME AUTEUR
REFLETS DU SECOND-EMPIRE
(Editions Regain, Monte-Carlo, 1957)
LE DERNIER DES CROQUANTS
(Editions T.M.T., Paris, 1966, Prix Lubomirski)
LE DOUBLE JEU
(Imprimerie Arnaud-Bellée, Coutances, 1971)
LEGENDES DU COTENTIN
(Imprimerie Arnaud-Bellée, Coutances, 1972)
LA HAGUE
(Imprimerie Arnaud-Bellée, Coutances, 1973)
LE VAL DE SAIRE
(Imprimerie Arnaud-Bellée, Coutances, 1974)
BRIX, BERCEAU DES ROIS D'ECOSSE
(Imprimerie Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, 1980)
Claude PITHOIS
DE NORMANDIE
AU TRÔNE D'ECOSSE
La Saga des Bruce
^ D 1 T 1 0 si s
C h a r l e s C O R L E T
A mes petits-enfants :
Nelson, Chloé et Barbara
L'EMPIRE ANGLO-NORMAND
portail de l'église de Dives, où le duc Guillaume vint prier avant son embarquement,
qui comprend quatre cent cinquante noms, et celle apposée le 21 juin 1931 dans la
chapelle du château de Falaise, dont les noms évoquent les trois cent quinze biogra-
phies de l'ouvrage de Jackson Crispin et Léonce Macary : Falaise Roll, paru en
1938.
Il est patent que ces listes récentes s'appuient surtout sur l'œuvre de Wace et sur
le Domesday Book, c'est à dire sur les tenants de terres en Angleterre en 1086 ; ce
qui ne constitue pas une preuve de la présence d'un personnage à la bataille de
Hastings. D'illustres familles, qui reçurent de grands domaines outre-Manche, ne
participèrent pas à l'expédition de 1066. Roger de Montgommery, par exemple, cité
par Wace et dans le rôle de Dives, resta en Normandie à la tête du conseil qui gouver-
nait le duché et ne vint en Angleterre qu'en décembre 1067. Ne fallait-il pas en effet
que la Normandie conserve des défenseurs pendant l'absence de Guillaume et d'une
grande partie de son armée ? Certaines familles ne s'établirent même dans l'île que
bien après sa conquête. Car la colonisation de l'Angleterre fut un long processus et
chacun des trois premiers rois normands eut ses propres compagnons à récompenser.
Déjà, Henri Prentout, en 1927, avait eu le mérite de discriminer les sources
dignes de foi et sa liste ne comprenait plus que quatre-vingt huit noms. En 1943
David Douglas a repris la question et publié une liste critique, fondée sur les seules
sources contemporaines : Guillaume de Poitiers, Guy d'Amiens, la tapisserie de
Bayeux, Orderic Vital et certains cartulaires. Cette liste se réduit à une trentaine de
noms attestés.
Evidemment, les chevaliers normands présents à Hastings ne pouvaient compo-
ser un si faible contingent. La plupart de ceux cités par Wace durent réellement parti-
ciper à la bataille et certains, qui y tombèrent, ont probablement même été omis par
lui. Il n'en reste pas moins que, pour la plupart d'entre eux, aucune preuve formelle
n'existe de leur présence.
Un seigneur de Brix participa-t-il à la conquête de l'Angleterre ? Wace cite :
Brius, Brompton : Brus, Leland : Bruys, Holinshed : Brutz, Scriven : Brus ; les listes
modernes de Dives et de Falaise portent le nom actuel de la paroisse d'origine : Brix
et le prénom de Robert. La première mention date donc d'un siècle après l'événe-
ment, c'est-à-dire que la présence d'un Bruce à la bataille de Hastings apparaît dès
lors possible, mais non certaine.
Une autre source d'erreurs provient des noms eux-mêmes, dont la forme varie
selon les auteurs et selon les dates. C'est ainsi que dans l'ouvrage le plus récent
consacré aux compagnons de Guillaume le Conquérant, celui de Jackson Crispin et
Léonce Macary : Falaise Roll, subsistent certaines ambiguïtés qu'a relevées le pro-
fesseur Andrews Moriarty dans un article de 1939, repris dans la dernière édition de
l'ouvrage, en 1985.
Tout en reconnaissant que le livre n'est pas sans mérite et constitue une base
utile, Andrews Moriarty reproche aux auteurs d'avoir négligé certaines sources
importantes, comme les travaux de Léopold Delisle et de William Farrer. Et l'une des
plus grossières méprises qu'il note est la confusion entre les seigneurs de Brix et
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Suffolk, chevalier, qui, venu à Toddington pour visiter sa sœur, Alice Bruse, mourut le
13 de mars 1595 et fut par sa sœur enterré là le 14 de mars, 38e année du règne
d'Elizab.
On peut aussi citer ce Paganus de Braiosa ou de Brahuse qui figure vers 1120
sur une charte de l'église de Glasgow et auquel Drummond donna pour père Robert
de Brus. Or, il est attesté qu'il s'agit d'un fils de Guillaume de Briouze, qui vivait
dans le Huntingdon, en Angleterre, dont l'honneur appartenait au prince David avant
son accession au trône d'Ecosse.
Ces erreurs sont dûes certainement à la prononciation analogue des deux noms :
Brus et Brewes. Mais n'a-t-on pas été jusqu'à rapprocher de la famille Brus, non seu-
lement celle de Briouze, mais encore celle de Brézé, originaire d'Anjou, et celle de
Brueys, originaire du Languedoc, dont les armoiries figurent dans l'ouvrage de
Drummond, à côté de celles des Brus et des Briouze ? Et Pierre de Brézé, sénéchal
d'Anjou, de Poitou et de Normandie, qui combattit en Angleterre en 1457, au
moment de la guerre des Deux-Roses, est appelé Pierre Bruce par un historien écos-
sais ; au moment, il est vrai, où il venait d'acquérir la seigneurie de ... Briouze, qu'il
recéda l'année suivante. On pourrait même ajouter à ces noms celui de Pierre de
Bruys, le célèbre hérésiarque français, né à la fin du XIe siècle à Bruis, dans le
Dauphiné (05), brûlé vif à Saint-Gilles, dans le Gard, en 1147.
Aucun document historique ne permet d'allier, en Normandie les seigneurs de
Brix et de Briouze, en Angleterre ceux de Skelton et de Brember. Les historiens sont
aujourd'hui unanimes pour établir la distinction entre les deux familles. Lewis Loyd
l'a démontré dans son ouvrage sur les origines de quelques familles normandes.
Léopold Delisle lui-même, dans son rôle de Dives, cite séparément, parmi les com-
pagnons de Guillaume le Conquérant en 1066 : Robert de Brix et Guillaume de
Briouze.
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1 est par contre un point que nul n'a jamais mis en doute : le lien entre la
1 famille Bruce et Brix, paroisse de Normandie située entre Cherbourg et
Valognes, dont le nom s'est déformé au cours des siècles.
De nombreux témoignages, dont une enceinte protohistorique, prouvent que la
colline de Brix fut habitée avant notre ère et que les Romains y établirent une villa,
c'est-à-dire un petit centre d'administration. Mais le document le plus ancien que
nous possédons sur l'existence de Brix est le récit de la translation des reliques de
saint Georges de Portbail à Brix en 747, qui figure dans la chronique de l'abbaye de
Fontenelle, fondée au Vile siècle par saint Wandrille.
D'après ce récit, à cette époque s'échoua près du lieu appelé Port de Ballius un
petit vaisseau contenant des restes de saint Georges, gouverneur de Cappadoce, mar-
tyrisé à Nicomédie vers 303, qu'un chariot transporta jusqu'au sommet d'une col-
line, au pied de laquelle coulait la rivière Undwa (l'Ouve) et où se trouvait le village
de Brutius qui appartenait à un homme puissant nommé Benehardus. Celui-ci, pour
abriter les reliques, construisit une église en l'honneur de saint Georges et en fit don
à l'abbaye de Fontenelle.
La chronique de Fontenelle ne fut éditée pour la première fois par dom Luc
d'Achery qu'au XVIIe siècle. Mais Léopold Delisle la tenait pour une source sûre,
l'une des plus anciennes et des plus précieuses pour l'histoire de la Normandie.
Brix, paroisse située sur les bords de l'Ouve, s'appelait donc Brutius avant l'in-
vasion scandinave et son premier seigneur ne put donc qu'en prendre le nom.
Il est probable que l'église bâtie sur la colline de Brix et dédiée à saint Georges
fut détruite dès le IXe siècle par les pirates vikings, comme la quasi totalité des sanc-
tuaires du Cotentin, et que le village lui-même fut ravagé par eux.
On ne retrouve mention de Brix que vers l'an 1000, lorsque le duc Richard II
constitua le douaire de sa fiancée, Judith de Bretagne, qui comprenait Brix, appelé
Bruet. De même, en janvier 1026, Richard III prépara le douaire de celle qui ne fut
jamais sa femme, car il mourut avant le mariage : Adèle, fille de Robert le Pieux, roi
de France. Le texte est ainsi conçu : Moi, Richard, duc des Normands, je te reçois,
dame Adèle, comme ma femme en légitime mariage. Je te concède donc à titre de
douaire, parmi les lieux qui m'appartiennent, la cité qui se nomme Constantia
(Coutances), avec le comté, sauf la terre de l'archevêque Robert. Je te concède aussi
les châteaux qui s'y trouvent, à savoir Carusbuc (Cherbourg), celui qui s'appelle
Holmus (Isle-Marie, sur Picauville), celui qui s'appelle Bruscum, avec leurs dépen-
dances, ... Cet acte prouve que les princes normands possédaient alors tous les lieux
où, avant la conquête Scandinave, sous les rois francs de la première race, il y avait
des fiscs royaux dans le Cotentin.
Bruscum est indiscutablement Brix, rappelant le Brutius de la chronique de
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Fontenelle et préfigurant la forme du nom de famille Brus, qui ne devint Bruce que
beaucoup plus tard.
Il existait donc déjà un château à Brix, probablement simple tour ou donjon en
bois, au-dessus d'une motte, avec un fossé et une palissade, les premiers châteaux en
pierre n'apparaissant que vers le milieu du XIe siècle ; et un château qui appartenait
au duc de Normandie ; c'est-à-dire que le premier seigneur qui prit le nom de Brus
ne put obtenir ce domaine qu'après 1026, sous les ducs Robert le Magnifique, mort
en 1035, ou Guillaume le Bâtard, son fils.
Ce dernier, le 20 avril 1042, donna à l'église de Cerisy la dîme des deniers de la
vicomté de Cotentin, la dîme des vicomtés de Coutances et de Gavray, celle prélevée
sur les moulins et sur les revenus des forêts de Montebourg, de Brix, du Rabey, de
Cherbourg, du Valdecie, de la Luthumière... Mais la forêt de Brix ne doit pas être
confondue avec la seigneurie ; elle resta ducale jusqu'en 1204, devint royale et ne fut
vendue qu'en 1770.
Dans ce texte de 1042, Brix est appelé Bruis et n'allait prendre son aspect défi-
nitif qu'au cours des siècles suivants : Bruiz (1325), Bris (1399), enfin Brix.
D'après les formes latines les plus anciennes que nous connaissons, le nom de
Brix se rattacherait, d'après certains, au celtique Bruga ou vieil irlandais bruig, c'est-
à-dire à un terrain couvert de bruyères, à un bois. Au Moyen Age, broce ou brousse
était un bouquet d'arbres près d'un manoir féodal ; et brusc est encore le nom vul-
gaire d'une espèce de bruyère. D'autres se montrent plus réticents quant à cette éty-
mologie, comme François de Beaurepaire qui se contente de noter : Il s'agit d'un
nom de type prélatin, de signification indéterminée, confirmant ainsi son ancienneté.
Quant à Briouze, dont nous avons parlé, son étymologie semble totalement dif-
férente. Ecrit Braiosa au XIIe siècle, ce nom viendrait de l'ancien français brai,
signifiant boue.
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Il ne fait par conséquent aucun doute que la famille de Brus doit son nom au vil-
lage à présent connu comme Brix, la préposition de, toujours accolée au nom des
premiers seigneurs, témoignant de l'origine. Et Bruce est la forme moderne du nom
de famille.
Pourtant, si l'on s'en remet aux généalogistes des derniers siècles, comme
Drummond et Cumming-Bruce, repris en France par Borel d'Hauterive et d'autres, la
personnalité du premier Robert de Brus et son ascendance sont claires et précises ;
claires du moins pour chacun d'entre eux, car leurs propositions diffèrent sensible-
ment ; et trop précises pour une époque dont on connaît peu des familles les plus
illustres.
En étudiant les généalogies de Drummond et de Cumming-Bruce, une objection
majeure vient immédiatement à l'esprit : comment un domaine appelé Brutius dès le
début du Ville siècle, et probablement bien avant, put-il être précisément donné à un
scandinave du nom de Brusi ? A elle seule cette coïncidence démasque une hypo-
thèse. Il est clair que l'on est tombé dans un rapport de noms, dû à l'ignorance de
l'étymologie du lieu et de la chronique.
S'il parait probable que les ducs de Normandie et les comtes des Orcades eurent
pour commun ancêtre le comte de More, Rognvald le Riche (f vers 890), principal
soutien du roi de Norvège Harald aux beaux cheveux (f 933) dans son œuvre d'unifi-
cation du pays, si l'histoire des comtes des Orcades est aussi connue que celle des
ducs de Normandie, une parenté entre le comte Brusi et les Bruce n'est que pure fic-
tion. Les sagas relatent la vie brève et chargée de Rognvald, fils de Brusi, qui fut
assassiné par son oncle Thorfin aux Orcades en 1046. Elles ne parlent ni de ses
femmes, ni de sa postérité.
Malgré leur rapide intégration au pays qu'ils avaient conquis, malgré leur
conversion au christianisme, les Vikings conservèrent longtemps leurs anciennes
croyances et leurs mœurs. Dans une civilisation où la polygamie était courante com-
ment prendre au sérieux les alliances présentées par les généalogistes ? L'indiffé-
rence des Vikings en fait de légitimité jette un doute sur leurs essais. N'oublions pas
que des cinq ducs normands qui suivirent Rollon, seul Robert le Magnifique est fils
légitime. Si les chroniqueurs nous apprennent quelles furent les mères des ducs,
comment être sûr de quelles femmes sont issus des personnages moins illustres ?
On a le plus souvent fixé l'établissement du premier seigneur de Brix entre
1030 et 1035, sous le duc Robert, père de Guillaume le Bâtard, en le présentant
comme son conseiller. Or, un Robert de Brus n'apparaît jamais dans les chartes de
cette époque. Et, s'il était arrivé en Normandie en 1030, comment pourrait-il être un
fils de Rognvald Brusison, né vers 1010 et qui se trouvait en Russie au temps du duc
Robert ? C'est chronologiquement impossible. Quant à son alliance prétendue avec
une fille du comte Alain de Bretagne, lui-même petit-fils du duc Richard Ier de
Normandie, aucun document ne la mentionne.
Quelles furent d'ailleurs les sources qui permirent à Drummond de tisser sa
généalogie ? Il se réfère principalement au Dr Nathaniel Johnstone qui écrivait, dans
l'avant-propos de son histoire de la famille Bruce : J'ai été le plus loin qu'il a été
possible à partir des archives les plus authentiques des royaumes d'Angleterre et
d'Ecosse. Et il ajoute qu'il a suivi avec une foi implicite, pour la première partie un
document qui lui fut montré par Lord Aylesbury ; pour la deuxième partie, au temps
où la famille était établie dans le Clackmannan, les notes manuscrites de George
Mackenzie. Une copie de cette histoire est en possession de Lord Elgin ; c'est la
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principale source qui a été suivie. Drummond cite également un Bruce d'York qui a
aimablement fourni une copie d'une généalogie tirée d'un manuscrit sur vélin, com-
pilée vers l'année 1670, donnant les mêmes particularités que celles du Dr
Johnstone.
Comme on peut en juger, ce sont là explications peu convaincantes. La thèse
n'est qu'hypothèse et ne résiste pas à une étude sérieuse.
Dès la fin du XIXe siècle, d'aucuns ne s'y trompaient déjà pas. On peut lire
dans le Dictionary of National Biography : Certains généalogistes disent que le nom
de Bruce vient d'un descendant d'Einar, un frère de Rollon, appelé Brusi (ce qui
signifie en vieux norvégien un bouc), qui se serait établi en Normandie et aurait
construit un château dans le diocèse de Coutances. Un Brusi, fils de Sigurd le Gros,
fut bien comte des Orcades et mourut en 1031. Mais cette généalogie ne peut être
acceptée. Le nom de Bruce est certainement territorial et vient sans doute des
domaine et château de Brix, entre Cherbourg et Valognes.
Il ne serait certes pas impossible qu'un scandinave ait reçu le domaine de Brix,
appelé Bruscum en 1026, Bruis en 1042, domaine dont il aurait pris le nom, sous le
court règne du duc Robert le Magnifique, rude et orgueilleux, enthousiaste et munifi-
cent, entre 1028 et 1035. Le naturel hospitalier de ce duc et le prénom de Robert
qu'aurait porté le premier seigneur de Brix, peut-être encore païen et fraîchement
christianisé, peuvent plaider en faveur de cette hypothèse. Celle-ci, cependant, paraît
fragile, car non seulement cet établissement ne put avoir lieu entre 1035 et 1047,
pendant la jeunesse tourmentée du fils du duc Robert, Guillaume le Bâtard, né des
amours du duc avec Arlette, fille d'un tanneur de Falaise, mais durant toute cette
période nous ne trouvons aucune mention d'un seigneur à Brix.
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E ntre 1030 et 1035 des chartes révèlent les noms des personnalités entourant
le duc Robert : son oncle Robert, fils de Richard 1er et archevêque de
Rouen, d'autres membres de la famille ducale, comme Gilbert, comte de Brionne,
petit-fils de Richard Ier, Guillaume, comte d'Arqués, fils illégitime de Richard II, des
familiers, tels qu'Onfroy de Vieilles, fondateur de l'abbaye de Préaux, près de Pont-
Audemer, Galeran de Meulan et Osbern de Crépon, le sénéchal, fils de Herfast, un
frère de Gonnor, concubine de Richard 1er. (Tableau Généalogique T.G. 1)
Soudainement, en janvier 1035, le duc Robert résolut de partir en Terre Sainte,
pour le salut de la Normandie et la rémission de ses péchés. Certains ont vu dans
cette décision un désir d'expiation et l'ont accusé d'avoir empoisonné son frère aîné,
Richard III, qui n'avait régné qu'un an. Même s'il paraît surprenant que Robert ait
envisagé de quitter pour de longs mois son duché, encore mal soumis, le mystère
reste entier. Toujours est-il qu'il réunit à Fécamp ses seigneurs et les évêques qui se
montrèrent atterrés à l'annonce de sa décision et leur dit : «C'est vrai ; je n'ai ni
enfant, ni héritier, sinon le fils que voici. Si vous l'acceptez, je vous le donnerai ; il
sera sous la protection du roi de France. Il est jeune, certes, mais grandira, avec
l'aide de Dieu, et deviendra fort». Aucune objection ne fut alors formulée, tous les
présents jurant fidélité au jeune Guillaume, le fils qu'il avait eu d'Ariette et qui
n'avait que sept ans.
Le duc partit aussitôt et tomba malade sur la route de Jérusalem. Il dut monter
dans une litière conduite par des Sarrasins et, rencontrant un pélerin originaire de
Pirou en Cotentin, il lui dit : «Tu diras à mes amis que tu as vu ton duc se faire por-
ter au paradis par quatre diables». Il mourut à Nicée le 2 juillet 1035 sur le chemin
du retour.
Avant son départ, Robert aurait nommé son cousin germain, Alain III, comte de
Bretagne, régent du duché et tuteur du jeune duc. Mais le pouvoir fut effectivement
exercé par son oncle, l'archevêque Robert, jusqu'à sa mort, survenue le 16 mars
1037. Ce fut Mauger, un fils illégitime de Richard II, qui succéda à Robert comme
archevêque de Rouen et prit la première place de l'aristocratie normande, avec
Gilbert de Brionne et le sénéchal Osbern de Crépon dit le Pacifique. Le sénéchal, ou
dapifer, était à l'origine un officier chargé du service de la table auprès d'un grand ;
fonction de domesticité qui s'effaça vite devant des attributions administratives, poli-
tiques, judiciaires et militaires.
Mais Mauger n'avait pas l'expérience et l'autorité de son prédécesseur. La plu-
part des seigneurs commencèrent à violer le serment qu'ils avaient prêté à leur duc.
Trop jeune encore, Guillaume faillit perdre sa couronne qui excitait les convoitises.
Plus d'un frère ou neveu des anciens ducs, la plupart bâtards eux-mêmes, se crut le
droit de supplanter cet héritier illégitime, ce petit-fils de tanneur. La guerre civile
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s'alluma. Une vague de violences déferla sur le duché. Tous les protecteurs de
Guillaume tombèrent les uns après les autres.
Ce fut d'abord le comte de Bretagne, Alain, qui mourut brusquement en 1040 à
Vimoutiers, où on aurait empoisonné les rênes de son cheval. Sa place de tuteur fut
prise par le comte Gilbert de Brionne qui fut lui-même assassiné peu de mois plus
tard, à l'instigation de son cousin, Raoul de Gacé, un fils de l'archevêque Robert.
Puis Osbern de Crépon, qui résidait au château de Vaudreuil, dans une île de l'Eure,
et mettait Guillaume dans son lit pour le mieux protéger, y fut une nuit étranglé par
des hommes commandés par Guillaume de Montgommery, dont le père, Roger, était
alors en exil à Paris ; ils ne s'aperçurent pas de la présence, aux côtés du sénéchal, de
leur jeune seigneur. Mais Osbern fut vengé par son prévôt qui pénétra, les armes à la
main, dans la demeure de Guillaume de Montgommery et le tua.
L'anarchie s'étendit alors à tout le duché. De furieuses guerres privées mirent
aux prises les grands seigneurs qui allèrent jusqu'à s'emparer de quelques forteresses
ducales, comme celle d'Alençon, saisie par Guillaume Talvas de Bellême.
A la frontière méridionale de la Normandie s'était constituée depuis le début du
siècle une vaste seigneurie de Mortagne à Domfront, qui englobait la place forte
d'Alençon. Guillaume Ier de Bellême, fils d'Yves de Creil, avait tenu cette place en
fief du duc de Normandie, mais avait tenté de se soustraire à ses obligations de vas-
salité. Le duc Robert, avant de lui accorder son pardon, l'avait humilié, l'obligeant à
porter en public sur ses épaules une selle équestre.
Guillaume Talvas, fils de Guillaume Ier de Bellême, mort en 1031, était, d'après
les chroniques, peureux au combat, mais redoutable par sa ruse. Il avait épousé
Hildeburge qui lui reprochait sa conduite fourbe et cruelle. Un matin il la fit
étrangler ; puis il demanda en mariage une fille de Roger, seigneur de Beaumont-sur-
Risle. Parmi les invités aux noces se trouvait Guillaume-Fils-Géré, un breton auquel
il était redevable et qui se rendit à Alençon sans armes. Le sire de Bellême lui fit bon
accueil, puis partit à la chasse. Mais ses serviteurs, sur son ordre, se jetèrent sur le
fils de Géré et, devant les invités atterrés, lui crevèrent les yeux, lui coupèrent le nez
et les oreilles. Le malheureux survécut et se retira au monastère du Bec. Mais deux
de ses frères jurèrent de le venger. Ils saccagèrent les terres de Guillaume Talvas et
s'avancèrent jusqu'aux portes du château où il se terrait, le sommant en vain de sortir
et de se battre. Ecœurés par tant de lâcheté, ses fils finirent par contraindre
Guillaume Talvas à sortir de son refuge, le condamnant ainsi à tomber sous les coups
de ses ennemis.
Roger de Beaumont était un fils d'Onfroy de Vieilles, premier seigneur de
Beaumont-sur-Risle. Il s'affronta violemment à ses voisins, les Tosny, nom d'une
commune de l'Eure, proche des Andelys. Cette dernière famille, d'origine française,
avait dû sa fortune à un de ses membres, Hugues, archevêque de Rouen en 942, qui
avait constitué un fief important pour son frère Raoul, seigneur vers 1005 de
Tillières-sur-Avre. Mort vers 1020, Raoul de Tosny fut l'un des premiers Normands à
visiter l'Italie. Son fils Roger aurait passé sa jeunesse en Espagne. De sa visite à
l'abbaye de Conques-en-Rouergue, il ramena l'idée de fonder celle de St-Pierre-de-
Castillon qui prit bientôt le nom de Conches. Roger avait été l'un des seuls seigneurs
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à insulter le jeune duc Guillaume pour sa bâtardise et profita des troubles de la mino-
rité pour ravager les terres de son voisin, Onfroy de Vieilles. Il fut assassiné en repré-
sailles, avec deux de ses fils, par Roger de Beaumont qui, lui, perdit un frère dans
cette guerre féroce.
Après la disparition du duc Robert, le roi de France, Henri Ier, aurait pu récla-
mer comme suzerain l'administration de la Normandie pendant la minorité de
Guillaume. Il n'en fit rien. Mais il accueillit à sa cour les trublions normands
condamnés à l'exil, comme Roger de Montgommery. Ces hommes le persuadèrent
d'intervenir pour éliminer l'équipe, dirigée par Raoul de Gacé, dit Tête d'Ane, qui
gouvernait alors le duché. Le prétexte invoqué par le roi de France pour entrer en
Normandie fut la menace que représentait pour son domaine le château de Tillières-
sur-Avre. Vers 1042 Henri 1er se présenta devant le château pour le détruire et exigea
qu'on lui en ouvrît les portes. Gilbert Crespin, auquel Richard II en avait naguère
confié la garde, refusa d'abord, malgré le conseil de Raoul de Gacé, auquel le roi de
France avait promis de ne pas reconstruire le château ; il ne céda qu'à la demande du
jeune duc Guillaume, alors âgé d'une quinzaine d'années. Henri Ier incendia donc le
château, puis poursuivit sa marche vers l'ouest, pillant Argentan, et revint à Tillières,
où il restaura les remparts, y installant une garnison à lui, contrairement à sa pro-
messe.
A la même époque, le vicomte d'Exmes, Turstein Goz, fils d'Ansfred le Danois,
qui avait joui de la confiance de Richard II, se dressa contre le gouvernement de
Raoul de Gacé et s'enferma dans le château de Falaise. Raoul de Gacé réunit alors
une troupe de chevaliers attachés au duc et vint assiéger la ville. Turstein Goz dut se
rendre. Il fut exilé, mais rentra en grâce quelques années plus tard et son fils, Richard
Goz, devint vicomte d'Avranches.
Vers la fin du Xe siècle, les ducs possédaient presque la moitié du sol de la
Normandie. Mais Richard II avait ébréché son patrimoine pour constituer les fiefs de
la nouvelle aristocratie. C'est ainsi que le Cinglais, pays s'étendant au sud de Caen,
était passé presque entièrement aux mains de Raoul et Erneis Taisson, fils d'un
immigré angevin, vers 1020. Mais Richard II avait cependant évité la constitution de
grands ensembles d'un seul tenant ; pratique prudente, qui devait être reprise en
Angleterre ; même le fief des Taisson était entrecroisé comme une marqueterie. Ainsi
détenteurs de terres dispersées, les vassaux du duc les divisaient à leur tour selon le
même principe pour constituer les fiefs de leurs propres vassaux.
Chaque vassal devait l'hommage à son suzerain, comme le duc de Normandie
lui-même le devait au roi de France. Toutefois, les liens de vassalité étaient beaucoup
plus une promesse d'assistance mutuelle qu'un contrat de subordination. Rois et ducs
étaient fréquemment obligés de partir en campagne pour se faire respecter. Ce fut
ainsi le cas au temps de la jeunesse de Guillaume dans le duché de Normandie.
Pour administrer le domaine qui lui restait, Richard II avait créé l'office de
vicomte, lequel exerçait des fonctions fiscales, judiciaires et militaires sur l'étendue
d'un certain territoire. Cet office pouvait devenir héréditaire, en cas de fidélité. C'est
ainsi que se fondèrent de vraies dynasties dans certaines régions : les vicomtes de
Saint-Sauveur régnaient sur le Cotentin, ceux d'Avranches sur l'Avranchin, ceux de
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Depuis la mort de ses protecteurs, le jeune duc, trahi par tous, errait de château
en château, résidant souvent dans le Cotentin, y nouant sans doute des amitiés parmi
les jeunes seigneurs de son âge ; mais il faillit y perdre la vie.
Au début du XIe siècle, la Normandie occidentale était encore considérée
comme une région à demi barbare. L'évêque de Coutances demeurait plus souvent à
Rouen que dans sa ville épiscopale et, sauf au Mont-Saint-Michel, aucun centre
monastique ne fut rétabli avant l'abbaye de Cerisy en 1032. Le commerce était si peu
développé dans le Cotentin qu'aucune ville n'y apparaît avant Valognes, vers 1030.
En 1047, après un calme précaire de quelques années, un certain nombre de sei-
gneurs de cette partie de la Normandie, désireux de conserver la liberté dont ils
avaient joui durant la minorité de leur duc, le voyant grandir et se fortifier, prêt d'at-
teindre vingt ans, formèrent une conjuration tendant à l'évincer et à confier le duché
à l'un de ses cousins, Guy de Bourgogne, petit-fils par sa mère de Richard II, qui
avait reçu Brionne et Vernon après l'assassinat du tuteur de Guillaume, Gilbert, dont
les deux fils, Richard et Baudouin, s'étaient réfugiés à la cour du comte de Flandre.
Guy prétexta l'illégitimité de Guillaume, près duquel il avait passé une partie de
son enfance, pour se poser en prétendant. Il réussit à séduire Néel II de Saint-Sauveur,
vicomte du Cotentin, et Renouf de Briquessart, vicomte du Bessin, qui entrainèrent
plusieurs barons puissants, comme Raoul Taisson, seigneur de Cinglais, Grimout du
Plessis, dont la seigneurie s'étendait près de Vire, et Hamon surnommé le Dentu à
cause de son prognathisme dentaire, seigneur de Creully et de Torigni. Tous jurèrent
sur les reliques des saints qu'ils frapperaient le duc partout où ils le trouveraient. Car
il s'agissait bel et bien, pour s'en débarrasser, d'assassiner Guillaume. Mais l'entre-
tien des conspirateurs, réunis à Bayeux, fut surpris par Golet, le fou de Guillaume,
qui courut à bride abattue à Valognes, où il savait trouver son maître. La nuit était
tombée. Guillaume dormait. Golet frappa à toutes les portes du château, criant par-
tout : «Ouvrez-moi et levez-vous, ou vous êtes morts !» Ainsi réveillé, Guillaume
comprit aussitôt son nouveau malheur, sauta sur un cheval en braies et en chemise et
s'enfuit ventre à terre. Après avoir traversé la baie formée par l'estuaire de l'Ouve et
de la Vire aux Veys, c'est-à-dire aux gués, il évita Bayeux, prenant un chemin que
l'on appela la Voie du duc. Un chevalier qu'il rencontra, Hubert de Ryes, lui donna
un cheval et ses fils pour l'escorter jusqu'à Falaise. A peine les cavaliers étaient-ils
partis qu'Hubert vit arriver les conjurés qui lui demandèrent s'il n'avait pas vu le
duc. «Oui» répondit-il. «Quelle route a-t-il prise ?» Hubert ne se troubla pas :
«Celle-là !» Et il indiqua une autre route que celle prise par Guillaume...
Le duc de Normandie alla trouver à Poissy son suzerain le roi de France, et
obtint cette fois son appui. Les deux alliés réunirent leurs troupes, puis marchèrent
contre les révoltés, rassemblés au sud-est de Caen, en un lieu appelé le Val-ès-Dunes.
La bataille, au cours de laquelle le roi de France fut renversé de son cheval, fut
acharnée et Guillaume y fit preuve d'une bravoure qui allait le rendre célèbre et lui
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valoir une réputation d'invincibilité. Mais son sort ne dépendit peut-être que de l'ac-
tion subite d'une troupe de guerriers restée à l'écart, dans l'expectative, et qui avait à
sa tête Raoul Taisson qui ne mérita jamais mieux son nom, qui signifie le blaireau,
animal d'un naturel méfiant. Raoul avait prêté à Bayeux le serment des conjurés et
on le vit soudain se diriger seul vers le duc Guillaume ; le frappant de son gant, il lui
dit : «J'ai juré de vous frapper partout où je vous trouverais ; je suis quitte». Puis,
rejoignant sa troupe, quand il vit Hamon le Dentu tomber, mortellement blessé, il se
jeta avec ses hommes dans la mêlée, combattant pour le duc. Aussitôt Renouf de
Bayeux, effrayé, s'enfuit, tête basse sur l'encolure de son cheval, honteux. Le dernier
à lutter fut Néel de Saint-Sauveur, surnommé Chef de Faucon pour son intrépidité.
Guy de Bourgogne courut s'enfermer dans son château de Brionne, dont
Guillaume fit le siège pendant deux ans. Réduit à la famine, Guy dut se rendre et se
retira, malgré le pardon du duc, dans sa Bourgogne natale.
Chaque fois que Guillaume eut à affronter une rébellion, il devait tenter, après
l'avoir matée, de ramener à lui les coupables. Ainsi en fut-il de Renouf de Bayeux,
dont le fils hérita de la vicomté du Bessin, et même de Néel de Saint-Sauveur, qui
s'était réfugié en Bretagne et dont les biens avaient été confisqués. Dès 1054 Néel
signait une charte du duc. Plusieurs de ses vassaux avaient partagé son exil, comme
Rainaud Foliot, Richard d'Esturcaville et Raoul de Glanville. Il recouvra ceux de ses
biens qui n'avaient pas été cédés, en particulier sa baronnie de Saint-Sauveur, avec le
titre de vicomte qui s'y trouvait attaché, mais sans ses attributions. On lui donne plu-
sieurs fils : Néel, Roger, deux Guillaume et Girard, dont le destin n'a jamais été clai-
rement élucidé.
La baronnie de Néhou, l'île de Néel, avec Varenguebec, fut donnée à Baudoin
de Reviers, du nom d'une paroisse située près de Creully, dans le Bessin ; une de ses
sœurs avait épousé Néel de Saint-Sauveur, lequel mourut en 1092. Les descendants
de Baudoin devinrent aussi seigneurs de Vernon.
Sous le règne de Guillaume, ce sont Eude au Capel, baron de la Haye-du-Puits,
et Robert Bertran, baron de Bricquebec, qui assurèrent à tour de rôle la fonction de
vicomte du Cotentin, comme en témoignent certaines chartes. Eude au Capel fut
avec son père, Turstein Haldup, le fondateur vers 1056 de l'abbaye de Lessay. Robert
Bertran dit le Tors, parce qu'il était bossu, dont la baronnie de Bricquebec était
proche de Brix, avait aussi un vaste domaine dans le pays d'Auge, où il exerça égale-
ment des fonctions vicomtales, et à Fontenay-le-Marmion, près de Caen. La plupart
des paroisses de la Hague dépendaient de la famille Bertran, dont certaines branches
ou certains vassaux prirent le nom de châteaux qu'ils possédaient, comme les
Vauville, Rosel, Barneville, Sottevast. Et on retrouve dans le Pays d'Auge des
paroisses du même nom, en particulier Vauville et Barneville-la-Bertrand, Rosel
figurant dans la plaine de Caen et dans l'île de Jersey.
C'était effacer les mauvais rapports qui avaient existé entre les deux pays et se rap-
procher de son suzerain, le roi de France Henri 1er, beau-frère du comte de Flandre et
qui venait de l'assister à la bataille du Val-ès-Dunes. Mais les fiancés étaient cousins
et le pape s'opposa au mariage. Celui-ci fut néanmoins célébré à Eu, en 1050 ou
1051. Avec l'appui de personnages ecclésiastiques, en particulier de Lanfranc, alors
prieur de l'abbaye du Bec, mais originaire de Pavie, le conflit avec la papauté se
trouva réglé, les jeunes mariés s'engageant à construire deux abbayes, l'une pour les
femmes, l'autre pour les h o m m e s ; telle fut l'origine des abbayes caennaises de la
Trinité et de Saint-Etienne.
Après le mariage de Guillaume et de Mathilde, on vit arriver à la cour de Rouen
de nombreux Flamands qui entrèrent au service du duc. Les deux fils de Gilbert de
Brionne, le tuteur de Guillaume assassiné, Richard et Baudouin, réfugiés en Flandre,
r e v i n r e n t aussi en N o r m a n d i e ; à l ' a î n é fut d o n n é B i e n f a i t e et O r b e c , au c a d e t
Meulles et Sap, en compensation de leur héritage perdu.
Ainsi se terminait la période troublée qui avait vu s'agiter les principaux barons
du Cotentin. Mais aucun chroniqueur, aucune charte ne mentionne un seigneur de
Brix. C o m m e n t ce conseiller du père de Guillaume, prétendument marié à une fille
du comte Alain de Bretagne, cousin des ducs de Normandie, aurait-il pu rester inac-
tif, à l'écart des factions et des complots ? Si le domaine de Brix ne fut pas concédé
entre 1028 et 1035, c o m m e il est probable, il ne le fut certainement pas avant 1047,
année où débuta réellement le règne du duc Guillaume.
L e p r o f e s s e u r Barrow, dans les A n n a l e s de N o r m a n d i e de d é c e m b r e 1965, a
écrit : Ce qui est, j e crois, inconnu, est l'origine de la famille Bruce en N o r m a n d i e
même ; mais le f a i t que Brix et sa f o r ê t étaient des p a r t i e s importantes du d o m a i n e
d u c a l et la haute f a v e u r dont R o b e r t de Brus j o u i t a u p r è s de H e n r i Ier suggèrent que
les Bruce étaient étroitement liés à la maison ducale, soit p a r le sang, soit p a r les
services rendus, soit p a r les deux à la fois.
L a châtellenie de Brix était en effet plus importante que celle de Valognes et de
Cherbourg. Dans les rôles de l'Echiquier de Normandie, conservés aux archives de la
Tour de Londres, en 1180 la fiefferme de Brix rendait 200 livres, celle de Valognes
153 livres et celle de Cherbourg 150 livres.
Il n ' e s t donc pas exclu que la famille de Brus était a p p a r e n t é e à la f a m i l l e
ducale de N o r m a n d i e . Mais il est possible q u e le p r e m i e r de B r u s était un cadet
d ' u n e famille normande, ou m ê m e flamande, plus ou moins importante et qui prit le
nom du domaine q u ' o n lui donna ; cas très fréquent à cette époque, qui obscurcit
souvent l'origine des familles. Les noms du père et de ses fils, tirés des biens que
chacun d ' e u x possédait, n'étaient pas les m ê m e s ; d ' o ù tant de controverses et d ' e r -
reurs généalogiques.
Depuis le début du XIe siècle se développait dans le duché une aristocratie nou-
velle. Parmi ces h o m m e s nouveaux, à partir de 1047, Guillaume choisit ceux qu'il
estimait les plus aptes à le soutenir. Il leur d o n n a parfois des biens confisqués à
d'autres, à la fidélité moins sûre, ou il créa de nouveaux fiefs, amputant un domaine
déjà amenuisé ; tel fut, semble-t-il, le cas pour Brix.
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L'héritage anglais
La reine Emma est l'une des figures les plus marquantes de la famille ducale
normande. Epouse de deux rois anglais, mère de deux autres, on peut dire que la
conquête de l'Angleterre par les Normands commença avec elle. Cette fille du duc
Richard Ier fut en effet mariée vers 1003 au roi d'Angleterre Ethelred, dont elle eut
deux fils : Edouard et Alfred.
Depuis longtemps, l'Angleterre était la proie des Vikings qui avaient virtuelle-
ment conquis la partie nord du pays, la Northumbrie. Avant sa mort, en 924, le roi
Edouard l'Ancien avait été reconnu dans les régions situées au sud de l'Humber. Au
nord, les colons scandinaves, d'origine danoise, étaient restés indépendants. Ils
furent rejoints par des Vikings d'ascendance norvégienne qui s'étaient établis en
Irlande et en avaient été chassés. Ces aventuriers s'intronisèrent eux-mêmes rois
d'York. En 954, l'Angleterre s'était retrouvée unifiée lorsque le dernier roi scandi-
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nave d'York, Eric à la hache sanglante, fut banni et tué. Mais elle restait exposée aux
raids vikings.
Ethelred, le mari d'Emma, monté sur le trône à dix ans, en 978, fut l'un des
monarques les moins dignes d'admiration de l'histoire d'Angleterre. Faible, capri-
cieux, beau, élégant et méchant, son long règne ne fut qu'une suite de défaites, de
trahisons, d'incompétence, dont profitèrent les envahisseurs danois.
En 1013, le roi de Danemark, Sven à la barbe fourchue, se rendit maître du pays
entier. Ethelred, Emma et leurs deux fils durent se réfugier à la cour ducale de
Rouen. Sven régna brièvement sur l'Angleterre, puisqu'il mourut en février 1014.
Bien qu'Ethelred, avec l'appui plus ou moins effectif du futur roi de Norvège Olav le
Saint, qui se trouvait alors à la cour de Rouen, soit revenu dans son pays pour tenter
de retourner la situation en sa faveur, sa mort, le 23 avril 1016, puis celle d'Ed-
mond II, surnommé Côte de Fer pour sa bravoure, fils de sa première femme, qui
régna quelques mois, marquèrent la fin des combats. Edouard, fils d'Edmond, se
réfugia en Hongrie, où il épousa une princesse de cette région. Les Anglo-Saxons
reconnurent alors comme souverain le fils de Sven : Knut.
En juillet 1017, un an après la mort d'Ethelred, sa veuve épousait le vainqueur
de son époux, le roi Knut, de quinze ans plus jeune qu'elle. Les contemporains et
l'histoire ont souvent réprouvé l'attitude d'Emma. Mais sans doute ne faut-il voir
dans ce second mariage qu'un acte de clairvoyance politique.
En épousant Emma, le but de Knut, roi fort, sagace, aimé de ses sujets et res-
pecté à l'étranger, qui s'était converti au catholicisme, était d'empêcher son frère, le
duc Richard II, de prendre parti pour ses neveux, Edouard et Alfred, prétendants légi-
times de la dynastie saxonne et réfugiés à sa cour. Emma, elle, évitait sa propre éli-
mination ; plutôt que d'être reine en exil, elle régnait effectivement sur l'Angleterre
et prenait des gages sur l'avenir, pouvant escompter qu'un jour un fils issu d'elle
occuperait le trône. (T.G. 2)
Quand Knut mourut, en novembre 1035, Emma engagea la lutte contre Harold,
un fils illégitime du Danois, qui venait de s'emparer de la couronne, pour
Harthaknut, le fils qu'elle avait eu de son second époux. Elle écrivit à ses fils aînés,
Edouard et Alfred, restés à Rouen, de venir à son secours. Le plus jeune, Alfred,
s'embarqua pour l'Angleterre, accompagné de six cents Normands. Mais il fut cap-
turé peu après son arrivée à Douvres et mis à mort.
Réfugiée en Flandre, Emma y prépara son retour. Quand Harold, l'usurpateur,
mourut, le 17 mars 1040, elle revint, accompagnée par Harthaknut et escortée par
soixante-deux navires de guerre. Malheureusement, le nouveau roi se montra à peine
moins barbare que son prédécesseur ; les deux frères étaient de jeunes dégénérés,
indignes de leur père, Knut le Grand. Emma s'aperçut de la haine qu'inspirait
Harthaknut à ses sujets et elle fit revenir d'un exil de trente ans son fils aîné,
Edouard, avec une troupe de chevaliers normands qui restèrent près de lui pour sa
sécurité. Quand, en 1042, Harthaknut mourut à son tour, elle réalisa son rêve de voir
le fils qui lui restait, l'héritier légitime, reconnu à Londres par le peuple anglais tout
entier.
Tous les désirs d'Emma semblaient comblés. Et pourtant, l'année qui suivit son
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mourut le 6 mars 1052 et les chroniqueurs anglais se sont fait l'écho de l'indignation
et de la haine soulevées par la présence des étrangers. Leur principale ennemie dispa-
rue, Godwin et ses fils revinrent de leur exil et reprirent les rênes du pouvoir. Godwin
devait mourir l'année suivante, en 1053, et son fils Harold devint comte de Wessex à
sa place. Edouard, fils de l'éphémère roi Edmond, fut rappelé de Hongrie, mais mou-
rut mystérieusement dès son retour, en 1057, laissant un fils encore enfant, Edgar,
qui devenait héritier légitime, et des filles. Quant aux Normands du roi Edouard,
chassés, la plupart seraient entrés au service de Macbeth, en Ecosse.
Depuis près de quinze ans le règne de Macbeth était prospère. Il avait gagné les
cœurs par sa générosité, ramené à l'obéissance les comtes émancipés et avait purgé
des bandits le royaume d'Ecosse. Il réformait et rétablissait la justice. On le considé-
rait comme le défenseur des innocents. (T.G. 3)
Puis, soudain, vers 1053, on assiste à un revirement total. Le tyran jette le
masque. Pour affermir sa couronne, il fait assassiner Banquo, son compagnon
d'armes et son complice dans le meurtre en 1040 de son cousin, le roi Duncan, un
remords de conscience lui faisant craindre qu'on ne lui serve la même coupe que
celle qu'il avait servie à son prédécesseur. Shakespeare, dans son célèbre drame, a
donné un saisissant relief à cette situation.
Macbeth se méfie de tous et fait secrètement assassiner ceux qu'il redoute. Sur
une montagne élevée, il érige un château, symbole de sa puissance. A tour de rôle,
tous les comtes d'Ecosse doivent contribuer à sa construction. Seul, Macduff, comte
de Fife, ne paraît pas. Se sentant menacé, il s'enfuit en Angleterre, où il persuade le
roi Edouard de soutenir les droits de Malcolm Canmore (Grosse tête), fils de
Duncan, à la couronne d'Ecosse. Comment Edouard, qui avait lui-même connu
vingt-sept années d'exil, n'aurait-il pu s'apitoyer sur un prince chassé violemment du
trône de ses pères et réfugié dans son pays ?
Malcolm vivait à la frontière de l'Ecosse, chez Siward, comte de Northumbrie,
d'origine danoise, favori de Knut et oncle maternel de Malcolm. En 1054, encouragé
par Macduff et appuyé par le roi d'Angleterre, il se décida à engager la bataille
contre Macbeth.
Siward et Malcolm envahirent l'Ecosse avec des forces considérables. Ils rem-
portèrent la victoire à Dunsinane, près de Scone. Macbeth réussit à s'enfuir, mais
trois mille de ses guerriers étaient tombés, dont tous les Normands qu'il employait et
qui avaient combattu jusqu'au dernier, assurent les chroniques écossaises, soulevant
l'admiration de Malcolm lui-même. De leur côté, les Anglo-Danois avaient perdu de
nombreux hommes, dont le fils aîné de Siward, lequel se consola en apprenant qu'il
n'avait reçu de blessures que par-devant...
Ce ne fut que le 15 décembre 1056 que Macbeth fut tué à Lumphanan par le
comte de Fife, Macduff, qui apporta sa tête à Malcolm au château de Kincardine, en
réclamant comme récompense, pour lui-même et ses descendants, de couronner
chaque nouveau roi d'Ecosse.
Peu après sa victoire de Dunsinane, au printemps de 1055, le comte Siward était
tombé très malade. La légende rapporte que, se voyant perdu, il déclara qu'il voulait
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mourir en guerrier, comme il avait vécu. Il se fit apporter ses armes, se fit asseoir sur
son lit et rendit le dernier soupir en s'appuyant sur sa lance... Le seul héritier qui lui
restait, Waltheof, était trop jeune pour remplacer son père. Aussi le comté de
Northumbrie fut-il donné à Tostig, troisième fils de Godwin, dont l'aîné, Harold,
était devenu le premier personnage dans le gouvernement de l'Angleterre.
Contrairement à ce qu'avance MacKenzie, il est douteux qu'Adelme de Bruis se
réfugia en Ecosse après le retour au pouvoir de Godwin et de sa famille, car il n'y
aurait rencontré que la mort aux côtés des Normands de Macbeth à Dunsinane. S'il
vint en Angleterre, il est plus probable qu'il repartit en Normandie. Quant au don de
Boulden, à présent Bowden, qu'il aurait reçu en Ecosse, il est récusé par tous les his-
toriens écossais. Bowden fut donné à l'abbaye de Kelso par le comte David, avant
qu'il devînt roi, en 1120, alors que les moines de Tiron étaient encore à Selkirk, huit
ans avant de s'installer à Kelso. La charte de David, qui figure dans Early Scottish
Charters de Lawrie, fait clairement ressortir que Bowden faisait partie de son
domaine ; et il n'y a aucune trace dans les archives de Kelso d'un Brus ayant pro-
priété aux environs ou dotant l'abbaye. Cependant, Robert de Brus, fils supposé
d'Adelme, figure comme premier témoin laïc de cette charte ; ce qui a pu provoquer
la confusion et la déduction qu'Adelme avait séjourné en Ecosse.
attribué les revenus à son prieuré de Héauville, dans la Hague, fondé vers 1020.
Entre 1050 et 1062 il concéda une langue de baleine par an aux moines de Héau-
ville ; la charte est témoignée par Roger de Montgommery, Raoul Taisson et Girard,
sénéchal, et son fils Robert. A la même époque il ratifia un achat de terres à
Héauville par le moine de Marmoutier chargé de l'administration des biens du
prieuré, avec le témoignage de Geoffroy, évêque de Coutances, Guillaume-Fils-
Osbern, Roger de Montgommery, Guillaume de Vauville et Hugues le Forestier.
Ayant alors dépassé trente ans, le duc Guillaume, d'après les chroniques du
temps, était de corpulence large et robuste. C'était un homme à la fois coléreux et
jovial, parlant avec exubérance. Une anecdote témoigne de sa vivacité. En 1062, lors
d'un séjour à la Hogue, une dune élevée, de Biville, près du prieuré de Héauville,
prenant son repas avec quelques compagnons, dont Roger de Montgommery,
Guillaume-Fils-Osbern et Hugues le Forestier, qui devait être chargé de l'administra-
tion des forêts ducales dans la région, le duc annonça son intention d'exempter de
coutumes le labourage de certaines terres du prieuré. Hugues le Forestier se permit
de faire des réserves. Guillaume, alors, prenant à pleines mains l'os du jambon qu'il
était en train de manger, menaça l'impertinent de l'en frapper.
Quelques années plus tard, vers 1076, alors que Robert Bertran remplissait l'of-
fice de vicomte du Cotentin, il méconnut la donation de Guillaume, reprenant en
quelque sorte l'opposition de Hugues le Forestier, dont il était peut-être parent et qui,
comme lui, avait des intérêts dans la région. Il saisit les biens des religieux de
Héauville, ces privilégiés du duc, qui se plaignirent à celui-ci et ne tardèrent pas à
obtenir justice.
Mais le duc Guillaume faillit laisser sa vie dans le Cotentin. En 1063 ou 1064,
pendant un séjour à Cherbourg, il tomba gravement malade et pensa mourir. Il fit
alors le vœu, s'il guérissait, de restaurer la chapelle du château et de la doter riche-
ment. Il ordonna également que fut bâtie une autre église en dehors du château, au
nom de la Sainte Trinité. A ces dons Guillaume de Vauville en ajouta d'autres à
Equeurdreville et Nouainville, dans les îles de Guernesey et d'Aurigny, et Hugues le
Forestier donna un pré, à la condition que les chanoines se chargent de l'éducation
de son fils. Outre Guillaume et sa femme, les témoins de la charte sont Robert et
Richard leurs fils, Hugues de Montfort, Robert Bertran, Guillaume de Vauville et
Guillaume son fils.
Comme on le voit, dans cette partie nord-ouest du Cotentin, outre Robert
Bertran et Hugues le Forestier, Guillaume de Vauville paraissait jouir de la faveur
ducale et il ne serait pas étonnant qu'il ait compté parmi ses compagnons de jeu-
nesse. Mais aucun Brus n'apparaît dans les chartes de cette époque. Même si la sei-
gneurie de Brix avait déjà été concédée, son titulaire n'était pas connu sous ce nom.
Guillaume le Conquérant
De tous les acteurs de la conquête de l'Angleterre, Tostig est l'un des plus énig-
matiques. Ce jeune frère de Harold et d'Edith, femme du roi Edouard, dont il avait su
gagner l'affection, était aussi l'ami du roi Malcolm d'Ecosse. Peu avant le bannisse-
ment de son père Godwin en 1050, il avait épousé Judith, demi-sœur du comte
Baudoin V de Flandre, et Guillaume de Normandie, en s'unissant à la fille de celui-
ci, était devenu son neveu par alliance. Nommé comte de Northumbrie après la mort
de Siward en 1055, Tostig n'avait cependant jamais su recueillir le respect admiratif
que ses sujets indociles, en majorité scandinaves, avaient accordé à leur vieux comte
danois, ami du roi Knut.
La Northumbrie, qui se composait des actuels comtés situés entre l'Humber et
la frontière écossaise, est la Normandie de l'Angleterre. Elle a conservé, comme elle,
maintes traces de l'occupation Scandinave. Beaucoup de termes danois se sont perpé-
tués dans le dialecte parlé par le peuple, surtout sur les côtes, et beaucoup de noms
de lieux témoignent également de la présence viking, où figurent beck (ruisseau),
kirk (église), thorp (ferme). Les hommes eux-mêmes y ont toujours eu réputation
d'indépendance.
Trois mois avant la mort du roi Edouard, en octobre 1065, deux cents hommes
avaient marché sur York. Ils s'emparèrent de partisans de Tostig, les tuèrent et pillè-
rent le trésor. Harold entra en négociations avec les rebelles qui exigèrent le renvoi
de Tostig. Il céda, peut-être heureux de se débarrasser d'un possible rival, aussi
ambitieux que lui, et conseilla au roi Edouard d'exiler son frère et son lieutenant
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Copsi. Morcar, jeune frère d'Edwin, comte de Mercie, fut nommé comte de
Northumbrie.
Tostig accusa Harold d'avoir fomenté la révolte contre lui, mais il dut quitter
l'Angleterre et se réfugier, avec son épouse et leurs enfants, à la cour du comte de
Flandre. Dès qu'il apprit la mort du roi Edouard, il se mit à la recherche d'un allié
capable de l'aider à revenir en Angleterre et à prendre sa revanche sur le nouveau roi.
Lui-même n'avait aucune chance de le remplacer, mais sans doute considérait-il que
la chute de son frère lui permettrait de reconquérir son comté, en même temps que
d'assouvir sa rancune.
Avec une petite troupe d'aventuriers flamands, Tostig se serait rendu en février
à la cour du duc Guillaume, son neveu, le plus sérieux prétendant au trône. Que se
passa-t-il entre eux ? C'est un mystère. Il semble toutefois que Guillaume soit resté
sur la réserve, n'ayant pas alors reçu l'assurance du soutien de ses barons pour une
expédition en Angleterre. Mais confia-t-il une mission diplomatique à Tostig ?
Toujours est-il que celui-ci se serait embarqué dans le Cotentin, gagnant d'abord le
Danemark, où il ne parvint pas à obtenir l'appui du roi Sven, puis la Norvège, où il
eut plus de succès.
En Norvège régnait alors Harald le Roux ou le Sévère, le dernier des grands
aventuriers Scandinaves, frère d'Olav le Saint. Il s'était illustré en Russie, puis à
Constantinople, s'emparant d'Athènes en 1040. Revenu en Russie avec d'immenses
richesses, il y avait épousé Elisabeth, fille de Iaroslav, prince de Kiev, puis était
devenu roi de Norvège en 1046, à la mort de son neveu Magnus. Or, ce dernier
s'était entendu vers 1040 avec le roi anglais Harthaknut, fils de Knut et d'Emma,
pour décider que si l'un d'eux mourait sans héritier, son royaume reviendrait au sur-
vivant. Harald estimait que les droits de son neveu lui étaient échus.
Harald pouvait être à coup sûr, aussi bien pour Tostig que pour Guillaume, un
allié de poids. Lui seul possédait une flotte capable de rivaliser avec celle de Harold,
laquelle était commandée par des Danois, et une armée suffisamment forte pour créer
une diversion en un autre point que le sud de l'Angleterre.
Après avoir décidé le roi Harald de tenter l'aventure, Tostig était revenu en
Flandre au printemps pour réunir ses partisans. En mai, à la tête d'une flotte de
soixante navires, il avait écumé les côtes du Kent et l'île de Wight. Apprenant que
son frère marchait à sa rencontre, il avait mis le cap vers le nord. Rejoint par son
ancien lieutenant Copsi, avec dix-sept vaisseaux il avait abordé dans l'estuaire de
l'Humber. Défait par le comte Edwin, il s'était réfugié en Ecosse pour y recruter des
troupes et attendre la flotte du roi Harald. Vers la mi-août, il reçut l'avis que celle-ci
avait pris la mer et, au début de septembre, il rejoignait les forces norvégiennes près
de l'embouchure de la Tyne. C'est précisément le 12 du même mois qu'en
Normandie le duc Guillaume, resté dans la baie de la Dives depuis le début d'août, fit
mouvement avec sa flotte jusqu'à Saint-Valéry, se rapprochant de l'Angleterre. Si
Guillaume n'était pas l'allié du roi Harald, du moins était-il bien informé...
Débarqués le 18 septembre, Harald et Tostig livrèrent quelques combats victo-
rieux contre les armées locales, commandées par les frères Edwin et Morcar, en par-
ticulier à Fulford, au sud de York, l'ancienne capitale de Tostig, dont ils s'emparè-
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rent. Mais, au lieu d'occuper cette ville, ils se retirèrent jusqu'au lieu de leur débar-
quement. Le lendemain, 25 septembre, ils retournèrent à terre avec seulement la moi-
tié de leurs hommes. Il faisait beau et chaud. Les soldats avaient ôté leurs cottes de
mailles ; ils n'avaient que casques, boucliers, épées et lances. Tout à coup, en vue de
Stamford Bridge, ils aperçurent au loin un nuage de poussière soulevée par des che-
vaux ; au-dessous de lui brillaient des armures et des boucliers. C'était l'armée
anglaise. Averti du débarquement des Norvégiens, le roi Harold venait d'effectuer
une marche forcée à travers l'Angleterre pour les surprendre.
Furieuse fut la bataille. Mais, au plus fort de la mêlée, Harald fut frappé mortel-
lement à la gorge par une flèche. Tostig, repoussant dédaigneusement les offres de
pardon de son frère, prit la place du roi de Norvège et fut tué à son tour. L'obscurité
arrêta le massacre. Les Anglais étaient maîtres du champ de bataille et laissèrent
repartir les Norvégiens survivants.
Harold resta quelques jours à York. Mais, un matin, il vit arriver bride abattue
un de ses hommes qui lui apprit que le duc Guillaume de Normandie venait de
débarquer dans le sud du pays, à Pevensey.
Quatre jours après la bataille de Stamford Bridge, le 29 septembre au matin, la
flotte de Guillaume avait atteint librement la côte anglaise. Le sacrifice des
Norvégiens allait valoir un trône à leurs cousins normands. Avec une armée triom-
phante, mais épuisée, Harold dut commencer sa seconde grande marche de la
semaine.
coup de lance, mais tomba à son tour, transpercé par une pique. Alors, la vallée
résonna des éclats des trompettes, des cris des soldats et des sifflements des flèches.
Les Anglais supportèrent stoïquement la première attaque de l'infanterie nor-
mande, usant avec adresse de leurs lances et de leurs javelots, de leurs frondes et de
leurs haches. Ce fut ensuite à la cavalerie de se lancer à l'assaut, force mobile et
meurtrière. Mais les charges se brisèrent sur l'enchevêtrement de boucliers des
Anglais. Bientôt, même, l'aile gauche de l'armée normande plia ; cavaliers et fantas-
sins battirent en retraite.
Ce premier succès perdit les Anglais. Trop confiants, certains se jetèrent à l'as-
saut, rompant le mur efficace des boucliers. C'est alors que Guillaume, que l'on
croyait blessé, leva son casque, éperonna son cheval, exhortant ses soldats contre
leurs poursuivants, trop exposés, qui constituèrent une proie facile pour les cavaliers
normands. Deux frères de Harold : Leofwin et Gyrth étaient déjà tombés.
Cependant, le mur des boucliers s'était reformé sur la crête de la colline. Voyant
les Anglais résister à toutes les attaques, Guillaume eut recours à une ruse, inspirée
par la première débandade de ses troupes. Il ordonna à ses chevaliers de feindre la
fuite. Un grand nombre de combattants anglais se lancèrent à leur poursuite. Les
cavaliers tournèrent bride subitement, les entourèrent et les taillèrent en pièces.
Mais des Anglais tenaient toujours position sur la hauteur, serrés autour du roi
Harold. Guillaume commanda alors aux archers de diriger leur tir en l'air, très haut,
de façon que les flèches retombent comme une averse mortelle derrière le rempart
des boucliers, sur les têtes ennemies.
Cette manœuvre fut décisive. Les flèches s'abattirent sur les Anglais d'une
façon meurtrière. Les vivants ne furent plus assez nombreux pour permettre aux
cadavres de rester debout. Le rempart s'effondra.
Parmi les chroniqueurs qui contèrent cette célèbre bataille, Robert Wace écrit un
siècle plus tard :
Certains historiens en ont déduit que Brius signifiait Brix. Mais ne s'agit-il pas
plutôt du seigneur de Briouze ?
Le roi Harold se trouva parmi les premières victimes. Un de ses yeux fut crevé
par une flèche tombée du ciel. Il continua de combattre, mais la défense anglaise
était brisée. Et bientôt Harold fut abattu par quatre chevaliers normands. Ce fut alors
la panique dans les rangs anglais. La plupart des soldats s'enfuirent.
Lorsque la nuit tomba, le duc Guillaume était maître du champ de bataille. Sur
la hauteur où Harold avait déployé son étendard flottait la bannière bénie que le pape
avait offerte à Guillaume. C'est en cet endroit que celui-ci fit élever l'abbaye de la
Bataille.
D'après Guillaume de Poitiers, le soin d'ensevelir le corps de Harold serait
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revenu à Guillaume Malet, descendant d'un Guerard qui avait obtenu un fief près du
Havre, devenu Graville. Selon certains, Guillaume Malet, qui avait failli être tué au
cours de la bataille, sauvé qu'il fut par Hugues de Montfort et Guillaume de
Vieuxpont, aurait été d'origine anglo-saxonne par sa mère, fille de Léofric, comte de
Mercie, et sœur d'Alfgar, père des comtes Edwin et Morcar et de la femme de
Harold. Ce dernier aurait donc été un cousin germain par alliance de Guillaume
Malet, dont le père avait peut-être vécu en Angleterre au temps des favoris normands
du roi Edouard le Confesseur.
Quant au duc Guillaume, il fut couronné roi d'Angleterre le 25 décembre 1066
en la cathédrale de Westminster. Mais, devenu le Conquérant pour les historiens, il
resta le Bâtard pour ses amis.
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La pacification
sur Durham. A leur arrivée, l'évêque de cette ville prévint Comines de la proximité
d'une armée anglaise. Malgré cet avis, le nouveau comte s'installa à l'évêché et can-
tonna ses hommes aux alentours. Dans la nuit du 27 au 28 janvier 1069, ils furent
cernés par les Anglais qui incendièrent la ville, tuant ou brûlant les Normands, dont
certains moururent dans leur lit. Un seul des cinq cents hommes aurait réussi à
s'échapper !
Les rebelles marchèrent ensuite sur York, dont ils assiégèrent le château, ayant à
leur tête Edgar qui les avait rejoints. Ils entraient déjà en négociation avec les habi-
tants de la ville quand ils furent dispersés par l'arrivée soudaine de Guillaume qui
avait, après une marche forcée, atteint York avant même que les Anglais n'aient été
prévenus de son départ.
Après cette démonstration de force et avoir commandé la construction d'un
second château sur l'autre rive de la rivière l'Ouse, le roi laissa le nord de l'Angle-
terre aux mains de son plus fidèle compagnon, Guillaume-Fils-Osbern, le fils de son
sénéchal, Osbern de Crépon, qui avait été tué à ses côtés, dans son lit, alors qu'il était
enfant ; et il nomma symboliquement Gospatric comte du pays.
Mais il y avait un autre chef impatient de se mêler aux événements : le roi Sven
de Danemark qui n'avait pas renoncé à ses prétentions au trône anglais, comme
neveu de Knut le Grand. Les chefs de l'opposition anglaise le décidèrent à envoyer
une flotte de deux cent quarante navires pour les soutenir.
Débarqués à l'embouchure de l'Humber à l'automne de 1069, les Danois se joi-
gnirent à une puissante armée anglaise, rassemblée près d'York, sous le commande-
ment d'Edgar, de Waltheof et de Gospatric, le comte en titre. Anglais et Danois mar-
chèrent sur York, dont la garnison succomba sous le nombre. La ville fut incendiée.
Guillaume Malet fut l'un des seuls Normands à pouvoir s'enfuir.
Jamais le roi n'avait subi une telle défaite. Il semblait que la Northumbrie était
perdue pour lui et qu'un nouveau royaume allait s'y établir, sous obédience danoise,
ou saxonne avec Edgar, ou écossaise avec Malcolm qui ne tarda pas à entrer dans le
Cleveland.
Mais Guillaume n'abdiqua pas. Transporté de rage, il se remit aussitôt en
marche vers le nord et fut bientôt à Nottingham. A cette nouvelle, les Danois, aban-
donnant leurs alliés anglais, se retirèrent dans l'estuaire de l'Humber et adoptèrent
une attitude passive qui permit à Guillaume de réduire l'un après l'autre les foyers de
résistance, puis de repartir vers d'autres points du pays menacés.
Cependant les Danois continuaient de fraterniser avec la population anglo-scan-
dinave du Yorkshire et ils manifestèrent l'intention de fêter Noël à York. En l'appre-
nant, Guillaume reprit une nouvelle fois la route du nord, mais à une époque de l'an-
née où les Normands trouvèrent un pays sauvage, difficile d'accès ; leur marche était
sans cesse retardée par des forêts, des marécages, des hauteurs abruptes couvertes de
landes. C'est ce pays désolé, où hurle le vent l'hiver, qu'ont rendu populaire les
romans des sœurs Brontë, nées à Thornton, près de Bradford.
Quand les Normands arrivèrent à York, ils découvrirent que les Danois avaient
rejoint leurs vaisseaux. Mais les partisans d'Edgar s'étaient disséminés dans les bois
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Cumberland et la remise comme otage de son fils Duncan. Deux ans plus tard,
Malcolm conseilla à Edgar de faire sa soumission à Guillaume. Edgar accepta et fut
conduit sous bonne escorte en Normandie, où il vécut onze ans.
A cette époque, vers 1070, Guillaume recomposa les comtés de son royaume,
jugés trop vastes pour être fermement gouvernés. Aux frontières du Pays de Galles il
créa ainsi trois comtés : celui de Hereford, confié à Guillaume-Fils-Osbern, celui de
Shrewsbury pour Roger de Montgommery et celui de Chester pour Hugues
d'Avranches.
conseillant pourtant de ne pas hâter son retour. Il envoya l'armée royale, commandée
par Richard de Bienfaite et Guillaume de Varenne, contre les rebelles.
Raoul de Gaël fut repoussé, puis assiégé dans son château de Norwich. Il réussit
à s'enfuir en Bretagne, sa femme continuant à défendre le château jusqu'à ce qu'elle
eut l'assurance de pouvoir le rejoindre. Les troupes de Roger de Hereford furent éga-
lement décimées. Les Danois, appelés à l'aide, arrivèrent trop tard et repartirent
presque aussitôt. Waltheof, lui, n'avait pris aucune part active à la rébellion.
Quand Guillaume revint en Angleterre pour y célébrer Noël, il présida un
conseil pour juger les conspirateurs. Tous les biens anglais de Raoul de Gaël, en
fuite, furent confisqués. Cité devant le tribunal, Roger de Hereford, qui n'avait pas
été fait prisonnier, se présenta de lui-même et reconnut sa culpabilité. Lui aussi fut
condamné à la perte de tous ses biens et il fut enfermé pour le reste de ses jours à la
Tour de Rouen.
Waltheof, qui s'était confié à Lanfranc après la défaite des rebelles, fut égale-
ment convoqué. Il ne put être accusé que d'avoir appelé les Danois à l'aide, ce qu'il
nia fermement. Il avoua seulement avoir eu connaissance des plans des conspirateurs,
mais soutint qu'il n'avait jamais consenti à leur action criminelle. Le conseil, cepen-
dant, le reconnut coupable, mais on hésitait quant à la sanction à prendre.
Emprisonné au château de Winchester, où il resta près d'une année, ses ennemis tra-
maient sa perte, envieux qu'ils étaient de s'emparer des biens de ce dernier descen-
dant des comtes de l'ancienne dynastie ; ils l'emportèrent. Lors d'une nouvelle
session du tribunal royal, Waltheof fut condamné à mort pour n'avoir pas révélé le
complot.
Waltheof passait pour un homme brave et généreux, aimé dans ses comtés ; il
était, dit-on, grand, beau et extrêmement fort, mais de caractère faible. A l'aube du
31 mai 1076, il fut conduit sur la colline de Saint-Gilles, à l'extérieur des murs de
Winchester. Très pieux, il distribua aux pauvres ses riches vêtements brodés d'or,
puis se prosterna contre terre. Quand il se redressa, il demeura à genoux, la tête levée
vers le ciel et récita un Pater. Comme il venait de dire : «Ne nous induisez pas en ten-
tation», il éclata en sanglots. Impatienté, le bourreau dressa sa longue épée et, d'un
seul coup, trancha la tête du jeune comte. C'est alors, la tête séparée du corps, que
l'on aurait entendu sortir les derniers mots de la prière : «mais délivrez-nous du mal.
Amen».
Le corps du comte fut d'abord placé dans une tombe creusée sur la colline.
Mais une foule de gens ne cessait d'y défiler, en pleurs. Deux semaines après, à la
demande de Judith, son corps fut exhumé et enterré dans l'église du monastère de
Crowland. Lors d'une translation, vers 1090, on constata que ce corps était parfaite-
ment conservé et, ce qui parut extraordinaire, la tête était unie au tronc ; on ne devi-
nait, à la jonction de l'un et de l'autre, qu'une mince ligne rouge autour du cou. Ces
récits et les miracles qui se produisirent, dit-on, pendant de nombreuses années sur la
tombe rendirent la mémoire de Waltheof populaire, tant ses malheurs avaient ému.
On avait en effet châtié davantage un témoin, qui s'était refusé à dénoncer ses
amis, que les criminels. Pour quelle raison Guillaume assuma-t-il la responsabilité de
ce qui a paru à beaucoup une injustice ? La méfiance ? Son enfance dramatique qui
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lui avait appris à connaître la perfidie des hommes ? La volonté d'éliminer le dernier
représentant estimé, donc dangereux, de l'ancienne dynastie ? Le souci de l'ordre
public qui le hanta toute sa vie, comme tous ceux qui ont beaucoup gagné et qui ont
peur de perdre ?
Selon Orderic Vital, Waltheof aurait été chargé par sa propre femme, Judith,
nièce du roi, qui hérita des comtés de Huntingdon et de Northampton et qui désirait
se remarier à un Normand de son choix. Guillaume chercha-t-il à la punir de sa perfi-
die ? Car il élut pour elle un humble chevalier de Senlis, nommé Simon, laid et boî-
teux, que Judith refusa dédaigneusement. Son oncle ordonna alors que le comté de
Northampton soit donné au prétendant éconduit qui devait épouser en 1089
Mathilde, fille aînée de la comtesse, héritant ainsi également du comté de Hunting-
don, que le roi avait retenu. C'est ainsi que la veuve de Waltheof finit ses jours en
Angleterre de façon obscure, méprisée par les Normands et haïe des Anglais.
Waltheof fut remplacé par Walcher, évêque de Durham, comme comte de
Northumbrie. Mais Walcher fut massacré en 1080. C'est alors que la Northumbrie fut
divisée et que furent créés les comtés de Northumberland, de Durham et du
Yorkshire.
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Le Domesday Book
Assistés d'un jury composé pour moitié de Normands et d'Anglais, ils devaient
convoquer tous les hommes de chaque hundred, c'est-à-dire centaine, division admi-
nistrative créée longtemps avant la conquête normande, et leur poser un grand
nombre de questions, que d'autres commissaires, étrangers au comté, vérifiaient par
la suite. On enregistrait ainsi le nom des manoirs, leurs propriétaires en 1066 et en
1086, l'étendue des domaines, avec description des terrains boisés, des prairies, des
pâturages, des moulins et des étangs. D'après la Chronique Anglo-Saxonne, on n'ou-
bliait ni une bête à corne, ni un cheval, ni un mouton, ni un cochon. Grâce à cette
enquête, prodigieuse pour l'époque, dont Guillaume eut entre les mains les princi-
paux résultats dès la fin de 1086, la plupart des villages anglais apparaissent pour la
première fois dans l'histoire.
Cette vaste enquête fait ressortir les transformations subies par l'Angleterre en
vingt ans. En 1066 la plupart des propriétaires anglo-saxons possédaient des fermes
assez petites et peu morcelées. En 1086, au contraire, environ la moitié de la terre
concédée, soit près d'un quart du territoire de l'Angleterre, appartient à une douzaine
d'hommes, dont les domaines, dispersés, s'étendent souvent sur plusieurs comtés. Le
reste des terres se trouve divisé entre des seigneurs de moindre importance, ayant
leurs propres vassaux.
Le Domesday Book est mentionné en 1099 comme un ouvrage rédigé à
Winchester, qui était alors la capitale royale. C'est d'ailleurs à Winchester que s'est
tenue en 1986 l'importante exposition commémorant son neuvième centenaire. Ces
plus anciennes archives nationales d'Angleterre recensent 13 418 noms de lieux et
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283 242 noms de personnes, sur une population estimée entre un million et demi à
deux millions d'habitants. L'original, écrit en latin, fut conservé à Winchester pen-
dant un siècle, puis remis en 1180 au Trésor de la Tour de Londres. Sa première
publication fut réalisée entre 1771 et 1783. Récemment, en 1984, il fut décidé d'en
exécuter un fac-similé complet et sa réédition vient d'en être effectuée.
Cet inestimable document ne put cependant être achevé qu'au début du XIIe
siècle, sous Henri 1er. En 1086 le roi possédait encore en propre une partie du
Yorkshire et nous connaissons les principaux seigneurs de ce comté à la même date.
Aucun d'entre eux n'est originaire du Cotentin. Mais quatre se rattachent à
l'Avranchin : Hugues d'Avranches, Robert de Mortain, Raoul Painel et Gilbert
Taisson ; auxquels on peut ajouter Richard de Sourdeval, vassal de Robert de
Mortain. Le nom de Brus n'apparaît pas.
Ce n'est qu'à la fin des partages du Yorkshire que se trouve dans le Domesday
un rapport concernant le fief de Roberti de Bruis, selon lequel il ne lui fut donné
qu'après que le livre de Winchester ait été écrit. Il s'agit en quelque sorte d'un post-
scriptum enregistrant l'origine du fief d'une des plus illustres familles du Yorkshire.
William Farrer pense que Robert de Brus ne reçut son fief du roi Henri 1er
qu'après la bataille de Tinchebray, qui se déroula le 28 septembre 1106, et la confis-
cation des biens de Guillaume, comte de Mortain, fils de Robert, mort en 1091, et
neveu de Guillaume le Conquérant ; assertion reprise par Andrews Moriarty dans ses
Corrections au Falaise Roll de Jackson Crispin et par tous les historiens modernes
d'outre-Manche. Les domaines du comte de Mortain dans le Yorkshire ne se trou-
vaient-ils pas d'ailleurs dans le Cleveland, où s'étendit le fief des Brus ? Ce que prou-
ve le Domesday Book est que le seigneur de Brix ne le possédait pas encore en 1086.
Tout le monde est tributaire de quelqu'un ; les rois eux-mêmes de Dieu. Les
dernières années de Guillaume le Conquérant furent douloureuses, assombries
qu'elles furent par des soucis familiaux, en particulier par de longues querelles avec
son fils aîné Robert, surnommé Courte Heuse à cause de sa petite taille qui l'obli-
geait à porter de courtes bottes.
Après l'expédition d'Angleterre, en 1067, Robert, qui avait alors quinze ans,
avait été associé avec sa mère dans le gouvernement de la Normandie et, à une
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assemblée de ses seigneurs, Guillaume avait proclamé Robert héritier du duché. Déjà,
en 1063, il lui avait donné le titre de comte du Maine. En 1077, cédant aux mauvais
conseils de ses compagnons de plaisir, jeunes seigneurs parvenus, Robert demanda à
son père d'avoir le contrôle indépendant de la Normandie et du Maine. Guillaume,
qui connaissait les défauts de son fils et avait jugé qu'il n'avait pas les qualités d'un
homme d'Etat, aurait répliqué : «Je ne me dévêts que pour me coucher !»
Robert, alors, après avoir tenté de s'emparer de Rouen, se réfugia près du roi de
France, Philippe 1er, qui ne contrôlait à l'époque que l'Ile de France et souffrait de
l'immense puissance de son vassal normand. Au début de 1079, le père et le fils se
trouvèrent face à face au siège de Gerberoy et Robert, aidé par ses alliés français,
vainquit son père qui dut entrer en négociations et reconnaître à son aîné la succes-
sion au duché de Normandie.
Réconcilié avec Guillaume, Robert fut envoyé en 1080 combattre les Ecossais
qui avaient profité des difficultés du roi sur le continent pour envahir le nord de
l'Angleterre. Mais, en 1083, il fut de nouveau poussé à la révolte, quitta la Norman-
die et ne devait jamais revoir son père. Vivant d'expédients, il était soutenu en
cachette par la reine Mathilde qui lui envoyait des secours en argent, à la grande
colère de Guillaume qui l'apprit un jour.
A la même époque, en 1082, le demi-frère de Guillaume, Eude de Conteville,
évêque de Bayeux et comte de Kent, un des principaux acteurs de la conquête de
l'Angleterre, mû par l'ambition, se mit à intriguer pour devenir pape. Averti, le roi
dut le faire arrêter et ne devait accorder sa libération qu'à son lit de mort.
Enfin, la reine Mathilde mourut le 2 novembre 1083, fidèle compagne de
Guillaume, auquel ne restait plus guère, parmi ses vieux conseillers, dont l'avis était
fréquemment sollicité, que Lanfranc, Robert de Mortain, son autre demi-frère, Roger
de Montgommery et Guillaume de Varenne. A la solitude et à l'amertume du roi
s'ajouta une altération de sa santé. Avec l'âge, il s'était épaissi. De taille moyenne, sa
corpulence accentuait la dignité de son maintien et ne l'empêchait pas de monter à
cheval. Mais son embonpoint excitait les railleries de ses ennemis. C'est ainsi que le
roi de France se serait moqué publiquement de lui, disant à un ambassadeur normand :
«Le roi d'Angleterre est bien long à faire ses couches. Il y aura sûrement grande fête,
avec quantité de cierges, le jour de ses relevailles !» Ces propos suscitèrent chez
Guillaume une réaction violente. Il sortit péniblement de son lit, en proie à une vive
colère et jura : «Par la splendeur de Dieu ! Allez dire au roi de France que j'irai faire
mes relevailles à Notre-Dame de Paris, avec dix mille lances en guise de cierges !»
Dans les derniers jours de juillet 1087, Guillaume ordonne à ses troupes de mar-
cher sur Mantes, pouvant compter sur l'appui d'un de ses plus fidèles Normands,
Robert de Beaumont, qui tenait depuis 1080 l'important fief de Meulan, sur la Seine,
comme héritier de son grand-père maternel, Galeran de Meulan. Il entre à leur tête
dans la ville incendiée. Mais, las ! en passant devant une église en flammes, son
grand cheval de bataille pose le pied sur un charbon ardent et, soudain, s'abat.
Guillaume reste à cheval ; mais il s'est cogné fortement au dur pommeau de fer de la
selle. Il est mortellement blessé.
Avec lucidité, pendant trois semaines, le roi mit en ordre ses affaires et se prépa-
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Le mystère Bruce
Brus attestés au XIIe siècle ; mais ce ne fut pas lui non plus qui reçut le fief du
Yorkshire, même si sa présence est possible en Angleterre vers 1050 à la cour du roi
Edouard le Confesseur.
Les personnages du Robert de 1066 et d'Adelme n'ont donc aucune authenti-
cité, faute de documents probants. Ce ne sont que des ombres. Aussi paraît-il sage et
logique de s'aligner sur les historiens d'outre-Manche pour la numérotation des
nombreux Robert de la famille Brus, en appelant Robert Ier celui qui mourut en 1142.
L'origine du premier seigneur de Brix demeure ignorée. On ne sait quel person-
nage se cache derrière celui qui prit le nom du village de Bruis. Cadet d'une grande
famille normande ? Chevalier d'origine plus modeste qui aurait soutenu le duc
Guillaume au moment de la bataille du Val-ès-Dunes ou plus tard ? Immigré de
fraîche date, par exemple Flamand de l'entourage de la duchesse Mathilde ? On en
est réduit aux hypothèses.
Cette obscurité qui précède la fortune d'une famille illustre, dont l'histoire fut
également celle du monde pendant des siècles, n'a pu que servir la légende, car la
légende est irréfutable : les preuves dont elle sait se passer manquent pour la
détruire. Sans support écrit, la mémoire collective arrive assez vite à un temps qui
n'est plus celui de l'histoire, mais celui du mythe. La seule chose incontestable,
quels que soient son nom et son origine, est que le premier seigneur de Brix se
trouva mêlé à certains évènements du règne de Guillaume le Conquérant, que nous
venons de conter ; et aussi que nombreux sont les personnages que nous avons évo-
qués qui figurent dans la parentèle de ses descendants, comme nous allons le montrer.
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L'ECLOSION
L e nom de Robert de Brus est cité pour la première fois en Angleterre entre
1094 et 1100, comme témoin d'une charte de Hugues le Loup, vicomte
d'Avranches et comte de Chester ; charte qui figure dans le cartulaire de Whitby,
mais qui serait d'authenticité douteuse d'après William Farrer. Celui-ci ajoute cepen-
dant : Il est possible que le comte de Chester inféoda vers 1100 certaines parties de
son fief du Cleveland à Loftus, Upleatham, Ingleby et autres lieux.
Mort en 1142, Robert Ier de Brus devait avoir entre cinq et dix ans de moins
que le plus jeune fils du roi Guillaume, Henri, né en 1068 dans le Yorkshire. Le nom
qu'il porte dès 1100 : de Brus atteste de façon certaine que sa famille reçut en fief le
domaine de Brix au XIe siècle.
Un château en bois existait sur la colline du Haut-Brix, près de l'église
actuelle, en 1026. Un château en pierre, protégé de douves, le remplaça, construit à
la fin du XIe siècle ou au début du XIIe, dont l'archéologue Frédéric Scuvée a étudié
les restes dans notre ouvrage sur Brix. Mais seules des fouilles pourraient livrer
quelques indices intéressants.
Juste avant sa mort, le 9 septembre 1087, Guillaume le Conquérant avait détruit
son oeuvre ; peut-être avec la prémonition qu'elle se trouverait rebâtie un jour. En
attendant, les vœux du roi de France, pour lequel la séparation de la Normandie et de
l'Angleterre était l'objectif politique fondamental, se trouvaient comblés ; et d'autant
mieux que les fils de Guillaume ne s'entendirent pas et que de grands seigneurs en
profitèrent pour s'émanciper de toute autorité.
Le nouveau duc de Normandie ne manquait ni de bravoure, ni d'esprit ; mais il
était insouciant, débauché, prodigue et d'une faiblesse de caractère honteuse. Orderic
Vital a raconté qu'il restait couché une partie de la journée, parce que courtisanes et
libertins lui dérobaient ses vêtements. Il ne tint pas longtemps le gouvernail sans lais-
ser le navire partir à la dérive. Dès 1088, ruiné, il dut vendre à son jeune frère Henri
pouf trois mille livres le comté de Coutances, qui comprenait le Cotentin et
l'Avranchin.
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Après quelques difficultés avec ses frères et certains de ses nouveaux vassaux,
dont le vieil évêque de Coutances, Geoffroy de Montbray, Henri se retira dans son
comté, où il sut rallier des amis capables et puissants, tels que Hugues d'Avranches
et Richard de Reviers, baron de Néhou et fondateur de l'abbaye de Montebourg. Il
établit sa résidence à Avranches et construisit plusieurs châteaux ; on lui attribue
ceux de Vire, de Gavray, de Pontorson et le donjon de Coutances.
Il n'est guère douteux que c'est à cette époque que le jeune Robert de Brus, qui
n'avait pas vingt ans, entra au service de Henri, auquel il devait rester fidèle et qui
assura sa fortune.
Le plus jeune fils de Guillaume était le plus apte à lui succéder. Si son âme
était calculatrice et son cœur sec, il était d'un esprit vif, réaliste, et se fit la réputation
d'un mécène, d'où son surnom de Beauclerc. On l'a souvent accusé de manquer de
scrupules ; mais en politique qui veut avancer peut-il s'embarrasser de scrupules ?
Pendant ce temps, Robert et Guillaume s'affrontaient. Puis ils en vinrent à s'al-
lier contre Henri qui se retira avec une petite troupe au Mont Saint-Michel, où ses
frères vinrent l'assiéger au printemps de 1091.
Henri obtint finalement la permission de se retirer librement, mais dut renoncer
à. son comté de Coutances. Il partit dans le Vexin, avec la permission du roi de
,France, mais revint bientôt à Domfront, à l'appel des habitants de la ville. Avec l'ap-
pui de Richard de Reviers, de Roger de Mandeville et de Hugues d'Avranches, il
entreprit de reconquérir son comté.
Plusieurs barons s'étant révoltés contre Robert Courte Heuse, les hostilités
reprirent entre celui-ci et son frère Guillaume en 1094. Robert reçut l'appui du roi de
France, Guillaume appela Henri à son secours. Ceux-ci durent se réfugier un temps
en Angleterre, mais, dès l'année suivante, Guillaume renvoya Henri en Normandie
pour reprendre la lutte. Ce fut le signal d'un soulèvement général. Le duché était en
état d'anarchie. La terreur et la misère régnaient dans les campagnes.
Redevenu comte de Coutances, Henri finit par dominer dans la Basse-
Normandie, tandis qu'une partie de la Haute reconnaissait l'autorité de Guillaume.
C'est alors que Robert se décida à partir en Orient, après que le pape Urbain II eut
prêché la première croisade en 1095 au concile de Clermont, et il céda le gouverne-
ment de la Normandie au roi d'Angleterre contre 10 000 marcs d'argent pour finan-
cer son expédition.
Robert, après la prise de Jérusalem en juillet 1099, n'était pas encore de retour
quand, le 2 août 1100, le roi Guillaume le Roux fut tué en Angleterre au cours d'une
chasse dans la New Forest par une flèche qui aurait ricoché contre un arbre, alors que
le comte Henri chassait dans une autre partie de la forêt. La culpabilité de celui-ci
n'a jamais pu être prouvée. Il n'en reste pas moins que la mort de son frère survenait
au moment le plus opportun pour lui et qu'il ne perdit pas son temps en pleurs
inutiles. Il courut à bride abattue à Winchester pour mettre la main sur le trésor royal
et, trois jours après, le 5 août, il se faisait couronner roi à Westminster par l'évêque
de Londres.
Ce coup de force plaçait cependant Henri Ier dans une situation délicate. Mais il
agit avec cette adresse qui devait toujours rester la sienne, accordant dès son couron-
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nement certaines libertés d'ordre féodal qui satisfaisaient les grands seigneurs.
Revenu d'Orient quelques semaines plus tard, Robert reprit possession de la
Normandie sans opposition de son frère. Mais, au lieu d'en être satisfait, il décida de
conquérir l'Angleterre. Mettant à la voile, il débarqua à Portsmouth et marcha contre
Henri. Les deux frères allaient en découdre quand, sur une intervention des barons,
une réconciliation survint : Robert se désistait de ses prétentions sur l'Angleterre et
Henri lui abandonnait son comté de Coutances, ne conservant que Domfront. Il sem-
blait alors que la division du pouvoir anglo-normand se trouvait consommée.
En 1102 Henri Ier dut affronter une rébellion rassemblant des seigneurs nor-
mands ayant des biens des deux côtés de la Manche, conduite par Robert de
Montgommery, seigneur de Bellême et comte de Shrewsbury, et par son frère Roger,
dit de Poitou parce qu'il avait épousé la sœur et héritière du comte de la Marche,
dans le Poitou. Après la réduction de cette révolte, les Montgommery furent bannis
d'Angleterre ; Roger se réfugia dans le Poitou et ses terres du Yorkshire furent don-
nées à Etienne de Blois.
Cette victoire témoignait de la supériorité de Henri sur son frère aîné. Il se sen-
tit dès lors capable de prendre sur lui l'avantage en Normandie. Les maladresses et
les exactions de Robert, qui laissait tout aller à la dérive, devaient rapidement l'en-
courager. En 1104 le roi d'Angleterre passa à son tour la mer avec une flotte nom-
breuse pour visiter sa bonne ville de Domfront. Plusieurs seigneurs qui avaient des
fiefs en Angleterre se déclarèrent ouvertement pour lui. Saisi de crainte, le duc de
Normandie céda à son frère le comté d'Evreux.
Après le départ de Henri, toute la Basse-Normandie fut de nouveau la proie de
troubles et le roi d'Angleterre fut obligé d'y revenir au printemps de 1105, décidé à
déposer son frère. Débarqué à Barfleur, il arriva le samedi saint 8 avril à Carentan,
après avoir traversé des campagnes désertes. Fuyant l'incendie et le massacre, les
paysans s'étaient réfugiés dans l'église de la ville, où Serlon, évêque de Séez, chassé
de son diocèse par la guerre civile, fit, en présence du roi Henri et de ses courtisans,
assis au milieu des paniers, un sermon mémorable, attaquant violemment le duc
Robert et fustigeant les seigneurs présents qui portaient sur leur tête des chevelures
de femmes et au bout de leurs pieds des queues de scorpion. Et le sermon se termina
par la tonte du roi et de ses courtisans, Serlon, prévoyant, ayant caché des ciseaux
dans sa manche.
De Carentan, Henri et ses fidèles allèrent saccager et brûler la ville de Bayeux,
puis ils marchèrent sur Caen, qui leur fut livrée, et sur Falaise, où se trouvait Robert.
Une entrevue des deux frères n'aboutit à rien. Mais Henri, ne se sentant pas suffi-
samment fort, regagna l'Angleterre au mois d'août, se promettant toutefois de reve-
nir avec une armée plus puissante.
Durant cette période, entre 1103 et 1106, Robert de Brus attesta, avec Raoul
Painel et seize autres seigneurs, une charte de Guillaume, comte de Mortain, sans
doute comme tenant du fief de Mortain, soit en Angleterre, soit en Normandie, à
l'abbaye de Marmoutier.
Guillaume de Mortain, fils de Robert, demi-frère de Guillaume le Conquérant,
se montrait l'un des plus zélés défenseurs du duc Robert, parce qu'il avait demandé
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au roi Henri, après 1100, en plus de son propre héritage en Angleterre, le comté de
Kent qui avait appartenu à son oncle défunt, l'évêque Eude de Bayeux, et avait essuyé
un refus. Quand Henri, au cours de l'été 1106, repassa la Manche avec une puissante
armée, il porta donc ses premiers coups contre le comte de Mortain, puis ordonna
d'assiéger la forteresse de Tinchebray, que le duc de Normandie vint secourir.
Après quelques tentatives de conciliation, la bataille s'engagea le 28 septembre
1106. Henri, dont l'armée était supérieure en nombre, avait placé en première ligne
ses fidèles guerriers du Cotentin, de l'Avranchin et du Bessin, sous le commande-
ment de Renouf de Bayeux, appuyés par une troupe de cavaliers manceaux et bretons
dirigés par Etienne de Blois. Malgré la bravoure du duc Robert et du comte de
Mortain, après une courte bataille acharnée, où l'on s'affrontait corps à corps entre
voisins, entre parents, au coucher du soleil une charge de cavalerie prit en flanc les
troupes normandes et décida de la victoire du roi d'Angleterre qui devenait duc de
Normandie, réunissant les titres et les biens qu'avait possédés son père. L'unité de
l'empire anglo-normand était restaurée.
Robert Courte Heuse et Guillaume de Mortain, prisonniers, furent emmenés en
Angleterre. Orderic Vital raconte que le roi Henri traita sévèrement son frère et son
cousin ; le premier fut enfermé à Cardiff, où il mourut en 1134, âgé de quatre-vingts
ans ; le second aurait été assassiné dans sa prison. Le comté de Mortain fut donné en
récompense à Etienne de Blois, neveu du roi.
A cette époque les règles de succession aux trônes n'étaient pas fixées. Ce
n'était pas toujours à l'aîné que revenait la couronne ; le plus fort ou le plus habile
s'en emparait. D'où ces luttes fratricides auxquelles nous assistons.
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L a personnalité de Henri Ier apparaît ambiguë aux historiens, car il fut l'un
des rois les plus habiles et les plus durs qui gouvernèrent l'Angleterre.
William de Malmesbury le décrit comme un homme de moyenne stature, aux che-
veux noirs, au regard brillant, musclé et assez fort. Ses principaux vices auraient été
la luxure, l'avarice et la cruauté. Il reconnut effectivement dix-neuf bâtards. Son ava-
rice n'était pas plus grande que celle de son père, mais il employait des méthodes
plus tortueuses pour s'enrichir. C'est sa cruauté qui a été le plus souvent condamnée.
Si le doute subsiste sur sa complicité dans la mort suspecte de Guillaume le Roux, il
n'en reste pas moins qu'il garda son autre frère, Robert, en prison près de trente ans,
jusqu'à sa mort. Il n'était pas batailleur, mais il punissait impitoyablement, non seu-
lement ses ennemis, mais les malfaiteurs et prévaricateurs. C'est ainsi que, vers
1125, certains trésoriers d'Angleterre, soupçonnés de fabrication de fausse monnaie,
furent castrés. Il faut certes replacer cette brutalité dans les moeurs du temps, mais
Henri aurait employé des procédés particulièrement pervers.
Le roi d'Angleterre était donc un homme à redouter ; mais c'était une main de
fer dans un gant de velours. Il était en effet capable d'inspirer l'affection à ceux qu'il
favorisait. Il jouit même d'une grande popularité, à cause de l'ordre qui régnait dans
le royaume. Car il possédait l'art de mener les hommes et ne cessa de développer
l'administration. Son père avait emprunté aux Saxons l'office de shérif, officier aux
pouvoirs étendus, administratifs, judiciaires, militaires, chargé d'appliquer dans
chaque comté les décisions royales. Lui institua un service comptable, l'échiquier,
qui tenait un relevé des gages et des recettes. On lui doit également le justicier itiné-
rant qui réglait les différends ; ce qu'on appelle aujourd'hui un conciliateur. C'est
pourquoi son gouvernement fut très efficace. Grâce à lui, la puissance anglo-nor-
mande se trouva renforcée et son prestige en Europe s'accrut.
Cette consolidation du royaume ne fut pas seulement due au roi, mais à l'aris-
tocratie dont il sut s'entourer. Ses conseillers, issus d'un petit groupe de familles,
assuraient la cohésion entre la Normandie et l'Angleterre, possédant de vastes terres
des deux côtés de la Manche. Souvent alliés entre eux, leur influence ne cessa d'aug-
menter.
Cette aristocratie était surtout d'origine normande, mais il y avait aussi des
Flamands et des Bretons. Et Henri 1er y avait introduit un élément nouveau, venu de
Basse-Normandie, et surtout du Cotentin, dont il avait longtemps été comte. Les
familles de cette région n'avaient pas aussi largement profité de la conquête de
l'Angleterre que celles de la région de Rouen. Orderic Vital raconte comment
Henri 1er destitua les plus puissants seigneurs qui s'étaient opposés à lui de leurs
sièges pour y établir de nouveaux hommes, venus de la poussière. De nombreux fiefs
changèrent ainsi de mains.
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fille de Geoffroy Bainard, shérif du Yorkshire après Raoul Painel et qui donna à l'ab-
baye Sainte-Marie d'York l'église de Burton Agnes, domaine dont le tenant en 1086
est inconnu, mais qui passa à Robert de Brus. Cependant, en reconstituant le fief des
Painel, il revint sur cette idée. Il s'aperçut en effet que la totalité des terres de Richard
de Sourdeval, vassal du comte de Mortain, se trouvait partagée entre Raoul Painel et
Robert de Brus, tous deux associés comme témoins entre 1103 et 1106 dans une char-
te de Guillaume de Mortain à l'abbaye de Marmoutier, que nous avons mentionnée.
Raoul Painel, plus âgé que Robert de Brus, se serait marié deux fois : la pre-
mière avec une fille ou une sœur d'Ilbert de Lassy, un autre tenant de fief dans le
Yorkshire, constructeur du château de Pontefract ; la seconde avec Mathilde, fille de
Richard de Sourdeval, bienfaiteur de la collégiale de Mortain, établie par le demi-
frère de Guillaume le Conquérant en 1082. Farrer en conclut alors que Robert de
Brus épousa l'autre fille et cohéritière de Richard, dont le fief incluait Skelton. Cette
suggestion, même si elle ne repose sur aucune preuve documentaire, a été reprise par
la plupart des historiens actuels.
Mais ces chartes sont surtout instructives par ce qu'elles nous révèlent des per-
sonnages qui dépendirent des seigneurs de Skelton aux XIIe et XIIIe siècles et parce
qu'elles nous permettent d'établir des liens entre le Yorkshire et la Normandie. Grâce
à elles nous connaissons en effet les principaux vassaux des Brus et les lieux où ils
tenaient des biens.
L'origine de certaines familles ne peut être établie, car elles ont adopté le nom
des paroisses du Yorkshire où elles avaient reçu des terres. Alfred d'Acclum était
ainsi établi à Acklam, Hugues de Boythorpe à Boythorpe, Théobald de Lofthus à
Loftus. Les Thocotes, parfois appelés Caratil, prirent leur nom de Tocketts, les
Normanby, alias Lost, de Normanby. Guillaume Pinchun donna pour l'hôpital de
Barnaby, à Guisborough, et aux religieuses de Nunthorpe des terres à Pinchinthorpe,
et Pagan de Wykeham aux moines de Whitby une terre à Wykeham, du fief de Robert
de Brus. Jean Engelram ou Ingram possédait des biens à Ayresome, sur la Tees, à
Moredale et à Middlesbrough, Ilger de Kilton à Kilton et Kirkleatham, où il avait
comme sous-tenant Robert de Skelton.
Ces familles n'étaient peut-être pas toutes anglaises, mais il est évidemment
difficile de découvrir leur origine réelle. Il arrive même que certains membres d'une
famille soient connus sous des noms différents et ils ont ainsi souvent pour nous
perdu leurs liens.
Par contre, de nombreuses autres familles avaient conservé leur identité nor-
mande. Dans la mouvance des Brus il y avait des Percy à Ormesby, Kilnwick et
Kildale ; des Lascelles à Bordelby et East Harlsey ; des Bretteville à Guisborough ;
des Rosel à Easington ; des Baard à Loftus ; des Escarbot à Upleatham ; des
Estourmy à Crathorne et Marton, où nous trouvons également des Sottevast ; des
Mesnil à Ormesby ; des Mangevilain à Thornton Dale ; des Maulévrier à Allerton ;
des Lyons à Coatham. Et certaines de ces familles sont encore représentées dans le
Yorkshire, en particulier les Percy, les Lascelles et les Lyons.
La plupart des noms de lieux cités sont groupés autour de Skelton et de
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R e n i e r de B r u s , s e i g n e u r d e P a n é a s
place de Panéas, perdue sept ans plus tôt par eux et q u ' o c c u p a i t un certain Ibrahim,
vassal de Zengi. Foulque accepta et courut au secours de Damas. L a nouvelle de ce
m o u v e m e n t p o u s s a aussitôt Z e n g i à lever le siège. Les conventions de l ' a l l i a n c e
f u r e n t l o y a l e m e n t e x é c u t é e s . U n u r m a r c h a sur P a n é a s au d é b u t de m ai 1138.
Ibrahim, qui venait de quitter la ville, se fit s u r p r e n d r e et tuer par R a y m o n d de
Poitiers, prince d'Antioche. Mais la forteresse résista plus d ' u n an aux assauts conju-
gués des Francs et des Damasquins. Ceux-ci, finalement, décidèrent de construire
une tourelle dominant la ville. Les bois de Panéas ne fournissant pas suffisamment de
madriers, Unur en envoya chercher à Damas. Les assiégeants purent alors dresser un
chastel si haut que l'on en poist veoir p a r toute la cité et tirer là où l ' o n voloit d ' a r s
et d ' a r b a l e s t e s . L a place fut si énergiquement battue par la pluie des flèches et le tir
des catapultes q u ' à peine si les défenseurs osaient se hasarder sur la muraille.
Q u a n d les Turcs capitulèrent, en j u i n 1140, ils purent s ' e n aller avec leurs
femmes et leurs enfants. La place fut rendue à son ancien seigneur, Renier de Brus,
et l'archidiacre de Saint-Jean-d'Acre, A d a m , fut n o m m é évêque de la ville qui fut
munie de nouvelles murailles et de tours.
Le pacte d'amitié franco-damasquin survécut à la c a m p a g n e de 1140, mais le
seigneur de Panéas faillit le briser. Les pâtres arabes avaient obtenu l'autorisation de
faire paître leurs troupeaux dans la forêt de Panéas, en une gorge boisée, pleine de
peupliers et de saules, au nord de la ville qui jouait le rôle de charnière entre le terri-
toire de l'Islam et le domaine de la Chrétienté croisée. Or, Renier de Brus se permit
de séquestrer certains troupeaux de brebis appartenant à des Damasquins, qui pâtu-
raient en cet endroit.
L ' é m i r Usâma, qui résidait alors à Damas, auprès de son ami Unur, se chargea
d'aller présenter des doléances au roi Foulque, auquel il dit : «Ce s e i g n e u r a f a i t acte
d'hostilité contre nous en s ' e m p a r a n t de nos troupeaux. C ' é t a i t l ' é p o q u e où les bre-
bis mettent bas ; leurs petits sont morts en naissant. Il nous les a rendues a p r è s a v o i r
c a u s é la p e r t e de leur progéniture». Le roi fit aussitôt venir six chevaliers et leur
c o m m a n d a : «Allez siéger p o u r lui f a i r e justice !» Les chevaliers sortirent et délibérè-
rent j u s q u ' à ce qu'ils fussent tombés d'accord. Rentrés dans la salle où le roi tenait
son audience, ils lui dirent : «Nous avons décidé que le seigneur de P a n é a s a l'obli-
gation de leur rembourser ce q u ' i l leur a f a i t p e r d r e p a r la m o r t de leurs agneaux».
Le roi ordonna alors à Renier d'acquitter sa dette qui fut fixée par U s â m a à quatre
cents dinars.
Renier de Brus dut mourir entre 1145 et 1150. A u début de décembre 1151, à la
suite d ' u n e incursion des Turcs contre Panéas, le seigneur de la ville s ' é l a n ç a à leur
poursuite, mais subit un échec et de sérieuses pertes. Le nom du seigneur n ' e s t pas
précisé, mais il devait déjà s'agir d ' O n f r o y II de Toron, gendre et héritier de Renier
de Brus, depuis 1148 connétable de Jérusalem après Guillaume de Bures. Panéas fut
de nouveau assiégée en 1157 et Onfroy de Toron ne dut son salut q u ' à l'arrivée d ' u n e
armée de secours, c o m m a n d é e par B a u d o i n III, roi de Jérusalem. L a ville devait
cependant capituler le 18 octobre 1164, en l'absence de son seigneur, et ne fut jamais
reprise aux Arabes.
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Onfroy II de Toron s'illustra par de hauts faits d ' a r m e s . Un arabe a dit de lui :
Il est impossible de d o n n e r une idée de ce qu 'était Onfroy. On se servait de son nom
comme synonyme de b r a v o u r e et de p r u d e n c e d a n s la guerre. Il mourut en 1179 de
blessures reçues dans une embuscade, en couvrant la retraite du roi Baudoin IV ; le
protégeant de son corps, il fut criblé de flèches et souffrit dix jours avant de succom-
ber. Son fils, Onfroy III, m o r t avant lui, en 1172, avait épousé en 1163 Etiennette de
Milly, fille du seigneur de Naplouse, et en avait eu deux enfants : Onfroy et Isabelle.
O n f r o y I V de T o r o n , a r r i è r e - p e t i t - f i l s de R e n i e r de B r u s , é p o u s a le 22
n o v e m b r e 1183 au château de Kérak Isabelle de Jérusalem, sœur du roi Baudoin IV.
Joli garçon, très cultivé, qui devait servir d'interprète entre Richard C œ u r de Lion et
Saladin lors de la croisade du roi d'Angleterre, en 1191, il aurait pu devenir roi de
J é r u s a l e m à la m o r t sans postérité de B a u d o i n IV, en mars 1185. Les barons lui pro-
posèrent la couronne, mais, timide et sans ambition, il refusa, effrayé du rôle q u ' o n
voulait lui faire jouer. Et ce fut son beau-frère, G u y de Lusignan, marié à Sibylle,
l'autre sœur de B a u d o i n IV, qui devint roi.
Onfroy IV de Toron ne laissa pas d'enfant. Mais sa sœur, Isabelle, mariée en
1181 à R o u p e n III, p r i n c e a r m é n i e n de Cilicie, eut u n e fille, Alix, qui é p o u s a
R a y m o n d , prince d ' A n t i o c h e , descendant du célèbre Robert Guiscard, duc normand
de Pouille et de Calabre. Alix m o u r u t après 1231, léguant la seigneurie de Toron à sa
petite-fille, Marie d ' A n t i o c h e , fille de R a y m o n d - R o u p e n , prince d ' A n t i o c h e de 1216
à 1219, et d ' H e l v i s de Lusignan, et mariée en 1240 à Philippe de Montfort, seigneur
de Tyr, qui en eut postérité.
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La baronnie de Brix
Mais la mer offrait aussi aux habitants d'autres ressources appréciées. Les
pêcheries anglaises et normandes étaient les plus actives dans les mers froides,
l'Angleterre et la Normandie devant beaucoup dans le domaine maritime à l'établis-
sement des Scandinaves. Noms de lieux, vocabulaire nautique, méthodes de naviga-
tion et de pêche le prouvent, de même que les techniques d'exploitation du sol,
influencées par les Danois implantés dans le nord de l'Angleterre depuis longtemps.
C'est ainsi que les chartes nous révèlent l'existence de salines dans la baronnie des
Brus du Yorkshire, à l'embouchure de la Tees ; et il y en avait aussi dans le Cotentin,
baigné de trois côtés par la mer, comme à Vauville, Barneville, Lessay, Saint-Vaast,
dont certaines survécurent jusqu'au XIXe siècle. Le sel était entassé sur des hogues,
d'un nom scandinave signifiant butte.
Ce qui est moins connu est l'établissement dans le Cotentin de ports baleiniers,
en particulier à Saint-Marcouf, Quinéville, Lestre, Réville et Héauville. A cette
époque, baleines, cachalots, marsouins abondaient dans la Manche. Les côtes s'éten-
daient beaucoup plus loin qu'aujourd'hui, la mer ayant mangé par endroits des kilo-
mètres en mille ans. Ce phénomène, dû à la fonte des glaces qui a élevé le niveau des
eaux, s'est produit d'une manière identique dans le Yorkshire. Il explique que l'es-
tuaire de la Dives, par exemple, où Guillaume le Conquérant rassembla sa flotte et
son armée en 1066, était alors beaucoup plus profonde ; et aussi que Héauville pou-
vait abriter, entre les deux ruisseaux qui se jettent dans la mer, une de ces pêcheries
fixes vers lesquelles des barques poussaient les cétacés à hue et à cri ; forme de
pêche d'un grand profit.
Au centre du Nord-Cotentin, le bourg de Brix, situé sur une éminence, domi-
nait alors l'immense forêt. Protégé du côté du plateau par trois remparts encore
visibles, le château fut bâti à l'extrémité d'un éperon rocheux. Perché comme un nid
d'aigle, sa situation était magnifique. L'Ecossais Gabriel Surenne, après sa visite à
Brix en 1853, a donné la description des vestiges de cette forteresse dans les
Mémoires de la Société des Antiquaires d'Ecosse.
Ce château est resté connu sous le nom de Château d'Adam, de même que le
principal chemin qui traversait la paroisse, ancienne voie gallo-romaine joignant
Cherbourg à Coutances par Bricquebec, s'appela longtemps la querrière d'Adam ;
querrière étant la forme normande du vieux français charrière, voie carrossable par
laquelle peut passer un char, une charrette. Cette appellation se rapporte sans nul
doute à un membre de la famille Brus qui remit en état ce chemin antique qui passait
près du bourg, où s'édifiaient église et château, sans qu'on puisse préciser s'il s'agit
du père supposé de Robert 1er de Brus, Adelme, d'un frère ou de son propre fils.
Il n'est d'ailleurs pas sans intérêt de noter qu'un autre chemin partant de
Bricquebec et rejoignant les Veys, près de Carentan, aux embouchures de l'Ouve et
de la Vire, portait le nom de Querrière Bertran et appartenait aux seigneurs de
Bricquebec, de même que la voie qui le prolongeait, des Veys à Bayeux, dépendait
des évêques de cette ville. Ces concessions, qui impliquaient l'entretien du chemin,
ne portaient pas sur les terres qu'il traversait.
On construisit l'église près du château, en dehors de l'enceinte. Maintes fois
remaniée, quelques traces qui subsistent du bâtiment primitif prouvent qu'elle était
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de style ogival, avec des petites fenêtres étroites et allongées, en forme de fer de
lance.
Le prieuré Saint-Pierre de la Luthumière, lui, fut édifié à trois kilomètres du
bourg, dans un pittoresque vallon boisé, à la limite de Sottevast et à l'orée de la forêt
de la Luthumière. Bien qu'il n'en subsiste que des vestiges, abandonné qu'il fut pen-
dant des siècles, il est le seul souvenir visible en Normandie de la famille de Brus. Sa
simplicité, face aux ruines grandioses du prieuré de Guisborough, donne une idée de
l'importance respective qu'eurent les baronnies des Brus en Normandie et en
Angleterre.
La première charte du prieuré de la Luthumière, reproduite dans le cartulaire de
l'abbaye de Saint-Sauveur, ne date que de 1144. C'est le don à cette abbaye, fondée à
la fin du XIe siècle par Néel le Vicomte, par Adam, fils de Robert de Bruis, lequel
était mort deux ans plus tôt, du prieuré Saint-Pierre, des églises de Bruis, de
Couville,de Saint-Martin-Ie-Girart et de Saint-Christophe, ainsi que de la dîme des
foires de Saint-Christophe et de Saint-Nicolas pour l'entretien du luminaire de
l'église de Bruis. Les témoins d'Adam étaient Robert, son frère, tige de la branche
écossaise, Adam de Sottevast et Robert Escarbot, vassaux des Brus, et Roger
d'Auvers, d'une paroisse proche de Carentan, qui dépendait de la baronnie de Saint-
Sauveur-le-Vicomte, et peut-être lui aussi vassal des Brus.
Paroisses du Cotentin dans lesquelles s'étendait le fief des Bruce au XIIe siècle.
Dans les chartes normandes du début du XIIe siècle, Brix prend déjà la forme
Bruis, alors qu'outre-Manche le nom conserve le plus souvent la forme Brus qui
s'est maintenue. Saint-Martin-le-Girart (aujourd'hui le Gréart), Couville et Saint-
Christophe (devenu du Foc, c'est-à-dire du fou, ancien nom du hêtre), constituent un
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