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Document éléchargé depuis wow cai info -IP 41.142.210:261- 09/30/2023 0733 -© Armand Colin Chapitre 17 Communication verbale et inférence Objectifs de connaissance * Définir la communication verbale cornme un processus & la fois codique et inférentiel. * Expliquer la notion d’inférence non démonstrative propre a la communication verbale, + Expliquer en quoi la pragmatique se démarque de la sérmamtique. La pragmatique a pour objet I’étude de l'usage du langage dans la communication. Nous vertons dans ce chapitre, ainsi que dans les chapitres 18 et 19, que l'image de la langue et de son usage a beaucoup changé depuis l'introduetion hypotheses pragmatiques et que la fagon de définir la communication verbale a été renouvelée et modifige par la pragima- tique. Enfin, nous montrerons pourquoi la pragmatique a, au cours de ces trente dernieres années, agrandi son tervitoire au détriment de la sémantique. La communication verbale Le modéle du code IL y a une image courante de la communication (cf. chapitre 3) que les sciences de la com- munication, de méme que Ia sémiologie, ont confortée depnis des décennies : Ia commu- nication est un processus visant & transmettre, d’ une source & une destination, un message via un code, Communiquer, ¢’est done transmettre de l'information par 'intermeédiaire dun code. Cette conception de la communication est appelée modéle du code. Un code est un systéme d’appariement permettant un systéme de t meat de Pinformation de communiquer avec un auire sysitme de traitement de linformation, Un message est une représentation interne A I’un des disposilifs de traitement de l'informa- tion, un signal une modification de environnement qui est produit par l'un des dispositifs (émetteur ou source) et taité par autre (récepteur ou destination). Un code est une liste de couples < message-signal >. Le message est non transportable et correspond, dans le systéme i e g i Communication verbale et inférence 177 linguistique, au signifié, alors que le signal, transportable, correspond au signifiant (cf, cha- pitre 2). L'intérét d'un code, c'est de rendre accessible pour le destinataire et mutuel pour les communicateurs le contenu des représentations mentales interes au locutcur Communiquer verhalement revient donc, pour une source (Ie locuteur), & encoder un ‘message (signifié) dans un signal (signifiant), a le transporter via un canal a une destination (le destinataire), qui va décoder le signal en un message. Si ’on parle d’une langue naturelle comme dun code, cela revient a la définis comme un systme de symboles et de régles qui produit des couples < message, signal >. Voici une schématisation du modéle du code (Spencer & Wilson 1989, 15): message signal signal regu message regu source }|—»| codeur |—» canal i décodeur | —} destination bruit Figure 1 : le modéle du code Le suecés duu modéle du code vient de ce qu’il explique le processus de communication, En d‘autres termes, le modéle du code explique comment les symboles sont émis, transmis et imterprétés dans la communication. Il explique 1a relation source-codeur (processus dencodage, linguistique par exemple), le transfert des symboles (via un canal, par exemple lair), et Ia relation décodeur-destination (processus de décodage via le systéme linguistique du destinataire). Ainsi, source et destination correspondent, dans la communication verbale, aux mécanismes cognitifs centraux du locuteur et du destinataire, le codeur et le décodeur a leurs capacités linguistiques, le message 4 une pensée du locuteur (signifié), le signal un signal acoustique (signifiant), et le canal a 1’air L’hypothese du modéle du code pour la communication verbale est que — les langues naturelles sont des codes ; —ces codes associent des pensées a des sons ; —la communication verbale est un processus d’encodage et de décodage. Malheureusement, si ce modéle est adéquat du point de vue explicatif (il explique la communication et son échec), il est inadéquat du point de vue descriptif. Pourquoi ? Parce que la communication verbale implique une bonne dose d’inférence. Si donc le partage «un code commun est une condition nécessaire pour la réussite de la communication, il nen est pas pour autant une condition suffisante. Or, pour rendre compte des processus inférentiels, il est nécessaire de dépasser le modéle du code et d’introduire une nouvelle conception de la communication, décrite par le modéle de V’i Le modéle de l’inférence Pour expliquer la communication verbale, et notamment la communication non littérale, il est nécessaire de recouris 3 un deuxiéme modéle de la communication, complétant le pre- micr. Le modéle du code rend compte de la dimension linguistique de la communication les phrases sont analysées en autant de formes logiques (cf. chapitre 19), qui doivent étre enrichies par le modéle de 1'inférence, dont Ia tiche est d’expliquer comment et pourquoi 023 0713 -© Armand Colin 178 Introduction & la linguistique contemporaine le destinataire est amené d assigner telle ou telle interprétation A un énoneé. Le modéle de Vinférence interviendra notamment pour expliquer le déclenchement des significations secondaires, a savoir non littérales, mais aussi pour déterminer les référents des expressions référenticlles (noms propres, syntagmes nominaux définis, indéfinis, démonstratifs, pro- noms personnels, cf. chapitre 20), ainsi que la force illocutionnaire de I’gnone¢ (cf. cha- pitre 15). Le modile de Vinférence est un modale pragmatique : il explique comment, & partir des informations fournies par 1’énoneé et d’autres informations non-linguistiques, le des- tinataire est amené & faire telle ou telle hypothese interprétative. Ila les caractéristiques suivantes : ~le moddle de Vinférence produit une conclusion sur la base d’hypothéses contex- tuelles, fonctionnant comme prémisses. Le mod2le de Vinférence doit d’une part expliquer comment consiruire les hypothéses, que Pon appelle contextuelles, nécessaires 3 l’inter- prétation de l’énoncé, ct d’autre part déterminer les régles d’inférence permettant d’en tirer des conclusions : ~ les inférences dérivées par le modéle de Vinférence sont non démonstratives. Com- prendre un énoncé pour le destinataire revient & faire une hypothese sur le vouloir-dire du Jocuteur. Pour autant, méme sl utilise pour ce faire des régles d’inférence, il n’a aucune garantic sur la vérité de Ia conclusion qu’il aura tirée. On donnera ta définition suivante de ’inférenee non démonstrative : On appetle non démonstrative toute inférence qui ne garantit pas la vérité de ses conclusions. Pour dsfinir précisément en quoi consistent les inférences pragmatiques non démons- tratives, ainsi que le systeme de régles sur lequel elles se fondent, nous les comparerons aux inférences logiques. Inférences logiques et inférences pragmatiques Validité des inférences logiques Les inférences logiques se caractérisent par le fait qu’elles préservent la vérité. On dira dune inférence logique que, si elle préserve la vérité, clle est valide. De manitre plus générale, on dira qu'un raisonnement est valide lorsque ses prémisses ont comme consé- quence Ta conclusion. La yétité de Ia conclusion, comme la validité du raisonnement, est une affaire de forme (logique), et non de contenu. Par exemple, le raisonnement suivant est logiquement valide (1) S'il fait beau, Anne ira faire des courses. Si Anne va faire des courses, ou les enfants iront chez Ghislaine, ou Jacques gardera les enfants. I fait beau, Les enfants n"iront pas chez Ghislaine. Done Jacques gandera les enfants. On peut montrer que ce raisonnement conduit une conclusion logiquement vraic, et qu'il est done valide, Pour le faire, on réduit les énoneés de (1) & des propositions Togiques, comme en (2), puis on traduit (1) en propositions logiques (3) : @Q) P=il fait beau Q= Anne ita faire des courses R=les eniants iront chez Ghislaine 5 = Jacques gardera les enfants Document éléchargé depuis wow cai info -IP 41.142.210:261- 09/30/2023 0733 -© Armand Colin Communication verbale et inférence 179 @) Si P, alors O. Si O, alors R ow 8. P. Non-R, Done 8. Pour montrer que Ia conclusion S est logiquement valid, il faut disposer de deux gles dinférence. Ces deux régles sont le modus ponendo ponens et le modus tollendo ponens : Modus ponendo Modus tollendo ponens ponens 1. si PalorsQ 1.PouQ 1. Poug hypotheses BP 2. non-P 2! non-Q. conclusions |@ Q P Nous notons chaque étape du raisonnement par un numéro de ligne, et en commentaire sa justification (hypothése, numéros de ligne et nom de la regle de déduction), Voici la déimonstration logique compléxe : 1.si P alors Q Hypothése 2.51 Q alors (Rou 5) Hypathese 3.P Hypothése 4. nonR Hypathése 5.9 1, 3, modus ponendo ponens 6. Rous 2, 5, modus ponendo ponens ES 6, 4, modus tollendo ponens Les deux régles d’inférence présentées sont des régles d’élimination : elles permettent de supprimer un comnecteur logique (cf. chapitre 10) comme si et ou dans l'une des pré- misses pour obtenit une proposition simple comme conclusion. De plus, cette régle est déductive ; elle produit des propositions vraies sur la base @hypotheses vraies. On dira gue les conclusions tirées par des régles d’élimination déductiyes produisent des implica- tions non triviales. En revanche, Ics régles d’introduction des connecteurs, comme les regles d'introduction de er ot do ou, produisent des implications triviales, qui n'apportent aucune inform: nouvelle : dintron een de ot) Ragles d’introduction de ou a LP LL? 1.0 hypothases |!-F conclusions | Pet Poug Poug On définira enfin Jes rdgles synthétiques et les régles analytiques : Une régle analytique ne contient qu'une prémisse comme hypothese. Une régle synthétique contient aur moins deux prémisses comme hypotheses. i e g i 180 Introduction & la linguistique contemporaine Alors que les r8gles d’élimination de si et de ou sont des rgles syathétiques, la rgle d'Alimination de ef est une régle analytique, tout comme la régle d’introduction de ow Ragle d’élimination de et hypotheses Peto + Pp conclusions ef Une des caractéristiques des régles pragmatiques est de n’étre que des régles d’ él nation. De plus, les inférences non démonstratives (pragmatiques) sont le résultat de re gles synthétiques. Inférences non démonstratives + La communication comme processus @ haut risque Les inférences pragmatiques sont bien sir le résultat d'un raisonnement. Mais ce raison- nement n’est ni conscient, ni démonstratif, comme celui opéré & propos de |’ exemple (1). La plupart du temps, les hypothdses ne sont pas toutes fournies par le discours : le desti- nataire doit les inférer, les construire pour pouvoir tirer la conclusion qu’il pense pouvoir attribuer au locutenr. Le destinataire n’a donc aucune garantie que le résultat du processus dinterprétation qu’il a déclenché correspond & l’intention communicative du locuteur. On dira, des lors, que la communication est un processus & haut risque La communication est un processus & haut risque en ce que rien ne garantit au destinataire qu’il a fait les bonnes hypotheses contextuelles lui permeuant d’obtenir la conclusion de T'inférence non démonstrative, & savoir I"intention informative du locuteur. On comprend maintenant pourquoi la description de la communication via le scul modéle du code est incompléte : une telle description supposerait en effet que la réussite est I'état normal de la communication, son échee devant étre interprété comme le résultat de bruits soit au niveau du canal, soit au niveau des dispositifs de traitement de I’informa- tion (par exemple, pour la communication verbale, des dysfonctionnements cognitifs) + La construction des hypothéses contextuelles Tlexiste heureusement une autre explication au dysfonctionnement possible de 1a commu- nication verbale. D’une part, les hypothéses contextuelles ne nous sont pas données expli- citement, & savoir verbalement, d’autre part nos discours sont souvent elliptiques. Reptenons l'exemple (1), qui correspond a un raisonnement explicite, Dans la communi- cation, la locutrice aurait plutét produit un discours comme (4) (A) S'il fait beau, Anne ira faite des courses. Si Anne va faire des courses, ou Tes enfants iront hea Ghislaine, ou Jacques gardera les enfants, 1 fait beat. Les enfants «’itont pas chez, Ghislaine. Done Jacques gardera les enfants. @ Anne : Jacques, il fait beau, Je vais faire des courses. A propos, Ghislaine n'est pas Th. Jacques, en interprétant (4), comprend qu’il doit garder les enfants. Il comprend aussi qu'il y a un certain rapport entre le beau temps et le fait que Ie locuteur aille faire des courses. Il comprend enfin que si la voisine (Ghislaine) est absente, il doit garder les 023 0713 -© Armand Colin Communication verbale et inférence 181 enfants. Il est capable de faire ces hypotheses, parce que ces données lui sont accessibles, et surtout parce qu’il est pertinent de les convoguer pour comprendre ce qu’Anne a voulu lui communiquer. On peut supposer que les hypotheses contextuelles auxquelles il doit accéder ressemblent & (5) : (5) a. S'il fait beau, Anne va faire des courses. 1b, Si Anne va faire des courses, ou Ghislaine gardera les enfants, ou Jacques gardera les enfants, Ces hypotheses contextuelles, complétées par les énoncés d’ Anne (ef. (6)), produisent bien (7): a Ml fait beau b. Anne va faire des courses. ¢. Ghislaine est absente. (7) & Ghislaine ng gardera pas les enfants, ‘b. Jacques gardera les enfants. Jacques peut aussi comprendre, non seulement que la locutrice lui communique quelque chose & propos d’un état de choses futur, mais surtout qu’elle lui demande de garder les enfants : Gi). Anne demande & Jacques de garder les enfants en son absence. Supposons maintenant que le locuteur ajoute & son discours une précision (GY Avi iSTotajnsa il tate Wena. Je vals eaecaeaioonaees, A pats, OhalAine aa pe Male Fai demandé @ Veneranda de venir couper les cheveux des enfants. Avant de traiter le dernier énoneé (Mais j'ai demandé & Veneranda de venir couper les cheveux des enfants), Jacques est en droit de penser qu’Anne lui demande de garder les enfants. Mais son hypothése s’avére fausse, quand bien méme elle est le résultat dun pro- cessus inférentiel : étant donné les hypotheses contextuelles (5) et les énoncés (6), il est autorisé @ conclure (7). Mais voila, ce n’est pas ce que voulait communiquer Anne : elle veut lui dire que méme si Ghislaine est absente, il n‘aura pas a se charger des enfants, puisque la coiffeuse du village sera 12, Cet exemple montre au moins deux choses : —T'interprétation d’un énoneg est fonction de son contexte ; les inférences non démonstratives sont annulables ou défaisables : elles peuvent S‘avérer vraies dans un contexte, et fausses dans un autre. ‘Comme nous le verrons an chapitre 18, cela ne veut pas dire que la notion de vérité n’a rien a voir avec les interpretations pragmatiques : cola veut simplement dire que la vérité d'une conclusion est dépendante des hypotheses qui permettent de 1’ inférer. Sémantique et pragmatique : aspects vériconditionnels et non vériconditionnels Nous venons de voir pourquoi l'interprétation des énoneés déclenchait des inférences non

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