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POLITIQUE

Georges Gilbert
Baongla, ce « fils »
autoproclamé de Paul
Biya
Depuis des années, il revendique sa
filiation avec le président camerounais, qui
n’a jamais démenti ses allégations.
Portrait d’un ambitieux qui se rêve en
héritier.
Réservé
9 juin 2023 à 09:24
Par :Jeuneafrique Yves Plumey Bobo
Mis à jour le 9 juin 2023 à 16 :00
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Sur la photo qui illustre son profil sur la messagerie


WhatsApp, Georges Gilbert Baongla ne veut pas
laisser de place au doute. Il a choisi d’afficher la une
d’un journal local qui titre : « Dr Georges Gilbert
Baongla, pour la continuité et l’alternance du
renouveau ». Or le « renouveau », comme chaque
Camerounais le sait depuis des décennies, fait
référence à l’immuable programme politique
du président Paul Biya.

Georges Gilbert Baongla fait plus que s’inscrire dans


la « continuité » du chef de l’État. Avec son look
soigneusement travaillé, il cultive sa ressemblance
avec le patriarche du Cameroun, au pouvoir depuis
1982. Sur les plateaux de télévision, il revendique
même régulièrement une filiation pure et simple avec
ce dernier, prononçant sans sourciller des expressions
telles que « tel père, tel fils ».

Est-il le fils de Paul Biya ? Quand nous arrivons à le


joindre par téléphone, l’homme affirme se trouver à
Douala, « dans [sa] voiture, accompagné de [s]es
gardes du corps ». « Je me suis dit que l’information
n’attendait pas, c’est pourquoi je me rends
disponible », déclare-t-il, en fin connaisseur du
monde de la presse. Il est 22h30 et Georges Gilbert
Baongla vient de s’installer dans son hôtel.
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« Est-ce que Paul Biya lui-même s’en


est plaint ? »

Le sexagénaire glisse d’abord quelques mots sur


Voice Radio, qu’il dirige et dont la fermeture a été
décidée voici quelques jours par le Conseil national de
la communication. Aucune raison officielle n’a été
donnée mais cette station s’est par le passé illustrée
par la diffusion de contenus jugés haineux. Cette
décision est « illégale », estime toutefois Georges
Gilbert Baongla. Pour lui, la raison de ses déboires est
cachée, et avant tout politique. « Vous pouvez
constater que, partout, on parle de la fermeture de la
radio du fils du chef de l’État. C’est Paul Biya qui est
visé, pas moi. »

PAUL BIYA N’A JAMAIS DIT


LE CONTRAIRE
Mais qui est véritablement ce Georges Gilbert
Baongla, qui se présente fièrement et depuis des
années comme l’enfant biologique de Paul Biya ? Pour
lui, sa filiation ne fait pas débat et il existe bien des
témoins, vivants comme morts, les premiers étant en
mesure de confirmer qu’il est le fils du président.
« D’ailleurs, lui-même [Paul Biya, NDLR] n’a jamais
dit le contraire », argumente-t-il. La présidence, elle,
est restée murée dans son silence et n’a jamais
démenti ces allégations, laissant persister le doute au
sein de l’opinion publique.
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Aurait-il profité d’une ressemblance physique peu


commune avec le président pour s’en faire le fils ? Il a
en tout cas bénéficié du silence du principal intéressé
pour appuyer son histoire. « Certaines personnes ont
demandé à un haut gradé de la police nationale de le
faire arrêter quand il a commencé à dire que Paul
Biya était son père. Mais ce patron de la police a
répondu : « Est-ce que Paul Biya lui-même s’en est
plaint ? » raconte une source qui a requis l’anonymat.

« Pour moi, la politique est un art »

Georges Gilbert Baongla a-t-il jamais rencontré le


chef de l’État ? Silence du côté du palais d’Etoudi,
depuis des années. Le prétendu rejeton, lui, reste
flou, mais affirmatif. « Ce sont des secrets de famille,
c’est un président de la République et je ne peux
dévoiler les lieux où je le rencontre et quand »,
glisse-t-il. Toutefois, il se fait plus bavard pour parler
de son enfance. Sa mère, Élise Baongla, était une
sage-femme originaire de la Sanaga Maritime,
raconte-t-il.

Décédée le 17 juillet 2001, celle-ci aurait surtout été


proche de Jeanne Irène Biya, la première épouse de
Paul Biya, disparue le 29 juillet 1992 à Yaoundé.
Quant à la sœur de Georges Gilbert, Danielle Léontine
Blanche Baongla, la quarantaine passée et annoncée
comme morte par les médias (pour le discréditer, dit-
il), elle est bien vivante, selon son frère. Aujourd’hui
mariée et mère de trois enfants, elle vivrait dans le
quartier Omnisports de la capitale.
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Georges Gilbert Baongla a été élevé dans la discrétion


à Yaoundé. « J’étais un enfant enfermé dans un
enclos. Je passais mes vacances entre Yaoundé et
Douala et ma mère m’a inscrit au collège Saint-Jean-
Bosco à Douala. Ensuite, elle a estimé qu’il fallait me
ramener à la prestigieuse école du Centre, à Yaoundé.
J’ai été très fermé parce que je suis un fils unique du
côté de ma mère », assure-t-il.

« Monsieur Preuves », comme l’appellent


affectueusement ses confrères des médias, assure
détenir un « bac C », passé au collège Vogt, mais
aussi trois licences, notamment en sciences politiques
et en sociologie, décrochées en 1982, ainsi qu’une
maîtrise obtenue dans le même domaine à l’Université
de Liège (Belgique) en 1983. Il se dit aussi diplômé
de l’École pratique des hautes études et titulaire d’un
doctorat en sciences politiques, évidemment avec
mention « très bien ».

Jeune, il rêve de devenir pilote ou mathématicien.


Mais le rêve demeure inaccessible. Alors il décide de
s’engager en politique, comme sa grand-mère
maternelle, Ngo Mbock Esther, une militante
de l’Union des populations du Cameroun
(UPC), proche de Ruben Um Nyobè. « Avant de
mourir, elle m’a dit qu’en politique, il ne fallait pas
avoir peur de prendre des coups, se souvient-il. Elle
m’a préparé psychologiquement. Je fais de la politique
parce que, pour moi, c’est un art. Je ne fais pas ça
pour me venger. »
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Franck Biya, le « petit frère »

Se présenter comme le fils « autoproclamé » du


président de la République lui a permis de se faire
quelques amis. Et aussi bon nombre d’ennemis. À la
fois raillé et redouté au sein du sérail, Georges Gilbert
Baongla est un véritable « trouble-fête » au banquet
de la famille présidentielle, déjà fracturée par les
luttes de clans à mesure que l’heure de la succession
de Paul Biya semble se rapprocher. À certains, il fait
ainsi l’effet d’une épine dans le pied.

SON EXISTENCE GÈNE LES


PLANS DE CHANTAL ET
FRANCK BIYA
« Son existence gène les plans de Chantal et Franck
Biya », croit savoir l’un de ses confrères. Lui préfère
botter en touche. Pas question de rentrer dans un
conflit de légitimité avec celui qu’il appelle son « petit
frère » – et qui est présenté régulièrement comme un
dauphin putatif du chef de l’État. Au contraire, clame
l’aîné autoproclamé, « si jamais il devenait président,
ce serait à mon avantage ». Mais Georges Gilbert
Baongla n’a pas toujours été aussi posé et conciliant.

Dans l’émission L’Arène, un programme dominical


diffusé sur Canal 2 International, il a déjà déclaré, au
sujet de sa filiation : « Nous sommes trois : Junior,
Brenda et moi. Terminé ! Le reste, nous ne voulons
pas l’entendre. » Sous-entendu, à cette époque :
Franck Biya ne serait pas le fils du chef de l’État.
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Certains observateurs n’avaient alors pas manqué de


voir derrière cette saillie la main de Chantal Biya,
résolue selon eux à éliminer Franck. Évidemment,
rien de cela n’a jamais été prouvé. Et, depuis,
Georges Gilbert affirme avoir recollé les morceaux
avec son « petit frère ».

Le Mont-Fébé aux frais du palais

Georges Gilbert Baongla, le fils autoproclamé, s’est-il


aussi rêvé en successeur ? En 2013, il a en tout cas
créé sa formation politique, le Parti républicain (PR),
grâce auquel il comptait conquérir le pouvoir, si
jamais son père lui en donnait « l’autorisation », et
« son « onction ». « J’ai même réservé le poste de
“président du comité des sages” à mon papa dans le
parti », assure-t-il. On devine son sourire, même à
distance.

Une tournée dans les régions du Littoral et du Nord-


Ouest en 2014 avait fait grand bruit. Au point de
rendre Georges Gilbert Baongla trop encombrant ? Lui
juge en tout cas que c’est à cette époque qu’a débuté
sa descente aux enfers. Un de ses anciens
collaborateurs parle pour sa part d’ennuis « purement
politiques », apparus alors que l’intéressé
devenait une véritable « bombe » pour le pouvoir de
Paul Biya.

Mais c’est aux alentours de 2018 que ses vrais


déboires commencent. Cette année-là, le 29
novembre, Georges Gilbert Baongla est en effet
expulsé de son logement en raison de « 46 mois
de loyers impayés ». Une décision de justice qu’il
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conteste et derrière laquelle il voit la main d’un


certain Jean-Pierre Amougou Belinga, homme
d’affaires et de médias, dont les connexions au sein
de la magistrature ont beaucoup fait parler ces
dernières années à Yaoundé.

« C’était une affaire purement politique. La juge a


reconnu que je ne devais rien à mon bailleur mais a
quand même ordonné mon expulsion », déplore-t-il. À
l’époque, il ne se retrouve toutefois pas sans domicile,
raconte-t-il, pour démontrer une fois de plus sa
théorique filiation avec Paul Biya. Il avait alors posé
ses valises au luxueux Mont-Fébé, hôtel proche du
palais présidentiel, aux frais du cabinet civil du
président et « sur haute instruction du chef de
l’État », tient-il à préciser. Mais pourquoi accuser
Jean-Pierre Amougou Belinga ?

Le « chouchou de la jeunesse »

Entre Georges Gilbert Baongla et l’homme d’affaires


controversé, le bras de fer n’est pas nouveau. Le
premier n’a en effet pas digéré qu’un jour, la chaîne
de télévision Vision 4, propriété du second, nie sa
qualité de rejeton du chef de l’État. Il avait donc
déposé plainte, demandant aux journalistes Jean
Jacques Zé et Bruno Bidjang de « prouver qu’il
[n’était] pas le fils biologique du président ». Jean-
Pierre Amougou Belinga aurait vécu cette plainte
comme une « humiliation », et juré la perte de
Georges Gilbert Baongla.

Ce dernier est alors visé par plusieurs plaintes, dont


une pour « escroquerie » et « diffamation », déposée
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par Amougou Belinga lui-même. Dénonçant un


« complot », il est interpellé le 29 mai 2019, puis
écroué à la prison principale de Yaoundé le 3 juin. Et,
le 10 juin 2020, le « chouchou de la jeunesse »,
comme il ne cesse de se présenter, est condamné par
le tribunal de première instance de Yaoundé à deux
ans de prison ferme et à une amende de 25 millions
de F CFA. Incarcéré, il perd la présidence de son
propre parti.

JEAN-PIERRE AMOUGOU
BELINGA A RÉUSSI À LE
FAIRE JETER EN PRISON
« Son mythe et sa capacité de nuisance se sont un
peu affaiblis quand Jean-Pierre Amougou Belinga a
réussi à le faire jeter en prison », observe un membre
de la société civile. Georges Gilbert Baongla retrouve
la liberté le 3 juin 2021 – il laisse aujourd’hui penser
qu’Etoudi est intervenu en sa faveur, sans preuves.
Fin de ses ambitions politiques ? Aucunement. Selon
lui, il n’est en effet pas condamné de façon définitive,
ayant fait appel devant la Cour suprême. Le dossier
est en cours et il reste donc éligible, au grand dam de
ses détracteurs, croit-il savoir.

Acharnement judiciaire ?

« Le but recherché était de le rendre inéligible,


affirme un collaborateur. Mais ce fut un coup d’épée
dans l’eau. » Depuis l’arrestation de Jean-Pierre
Amougou Belinga dans le cadre de l’affaire Martinez
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Zogo, Georges Gilbert Baongla a choisi de repasser à


l’offensive. Dans ses innombrables sorties
médiatiques, il ne manque pas de dépeindre l’homme
d’affaires comme son ancien « garçon de course » ou
comme un « prédateur qui finira ses jours en
prison ». Il soutient avoir recruté ce dernier pour le
faire travailler au sein de son média, Le Démenti, en
qualité de distributeur de journaux.

Amougou Belinga aurait ensuite profité de ses


relations pour fonder son propre
journal, L’Anecdote, avant de rencontrer Paul Atanga
Nji, l’actuel ministre de l’Administration territoriale
(Minat), à la Cameroon Postal Service (Campost).
« J’étais au courant de ses manœuvres, mais je l’ai
laissé faire », assure Georges Gilbert Baongla. Une
façon, une nouvelle fois, de vanter son rôle central
supposé dans le marigot politique camerounais.

Si certaines histoires relèvent sans doute du


fantasme, Georges Gilbert Baongla dispose tout de
même d’un réseau non négligeable au sein du sérail.
Au point d’en faire un acteur, voire un arbitre, dans la
guerre des clans qui sévit à Yaoundé, comme en est
persuadé l’un de ses collaborateurs. Lui-même botte
une nouvelle fois – faussement – en touche, tout en
ne démentant pas son prétendu pouvoir. « Mon parti
est celui de tous les Camerounais. Je ne me reconnais
pas dans les guerres de clans », déclare-t-il, se
plaçant au-dessus de la mêlée.
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« On ne sait jamais, c’est peut-être


vraiment le fils »

Peut-il profiter des querelles dans les coulisses du


pouvoir ? Il s’est en tout cas servi à de nombreuses
occasions de l’ambiguïté de sa position. « Il a
beaucoup usé de cette filiation supposée pour faire du
trafic d’influence », souligne un leader d’opinion
camerounais. « Comme beaucoup de personnalités
sont corrompues au Cameroun, chaque fois qu’il
appelait un ministre, celui-ci s’exécutait en se disant :
“On ne sait jamais, c’est peut-être vraiment le fils de
Paul Biya” », ajoute encore cette source.

Georges Gilbert Baongla affirme avoir été « le premier


à dénoncer la ligne 94 » du budget de l’État, qui a
grandement agité le landerneau politique
camerounais ces dernières années. Beaucoup le
suspectent aussi d’être derrière les déboires de Jean
Louis Beh Mengue, ex-directeur général de l’Agence
de régulation des télécommunications (ART),
condamné à vingt ans de prison ferme pour
détournements de fonds publics en 2021.

Le « fils aîné » du président a en tout cas su


construire son mystère et son influence grâce au
silence complice du sommet de l’État, pourtant
directement concerné. Au téléphone, depuis son hôtel
de Douala, Georges Gilbert Baongla clame une
dernière fois, sans que l’on sache vraiment s’il croit
en ses propres paroles, son ambition. Celle d’un
successeur et d’un héritier : « La seule personne qui
peut gagner les élections devant moi,
c’est Paul Biya. »

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