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Cour de Hpe
Cour de Hpe
Semestre 5
Parcours « Economie et Gestion »
2019-2020
INTRODUCTION GENERALE
D'où viennent les théories économiques ? Qui les a édifiées, pour quelles raisons et dans quel
contexte ? Adam Smith et son fameux concept de "main invisible" est souvent décrit comme
"le père du capitalisme libéral", mais une relecture de l'auteur amène de nouvelles
interprétations susceptibles de produire de nouveaux apports scientifiques. À quelles révisions
de notre réflexion peuvent alors nous conduire les relectures des grands auteurs comme
Ricardo, Say, Walras, Marx, Schumpeter, Polanyi, Keynes, Friedman, Hayek et tant d'autres ?
Comment ont-ils influencé les économistes contemporains ?
Au début de son Histoire de l'analyse économique, Joseph A. Schumpeter s'interroge sur les
raisons d'étudier l'histoire de la pensée économique. A l'encontre de ceux qui ne voient aucun
intérêt dans l'étude des auteurs anciens et des idées économiques périmées, il fait valoir en
premier lieu trois arguments (trad. fr., Gallimard, 1983, tome 1, pp. 27-28) :
- Les «avantages pédagogiques» dans les études d'économie. En effet, les manuels les plus
récents ne permettent pas de saisir l'importance des problèmes et la validité des méthodes
utilisées par les économistes.
- L'étude de l'histoire de la pensée économique permet de faire surgir des idées nouvelles et il
est toujours possible de glaner des «leçons utiles» pour le présent à partir des différentes
explorations tentées par les auteurs du passé : «Nous nous instruisons à la fois de la futilité et
de la fécondité des controverses ; des déviations, des efforts gaspillés, des impasses ; des
intervalles où le progrès s'interrompt, de notre soumission au hasard, des procédés à éviter,
des retards à rattraper. Nous apprenons à comprendre pourquoi nous sommes aussi avancés
que nous le sommes, et aussi pourquoi nous n'avons pas progressé au-delà. Et nous apprenons
ce qui arrive, comment et pourquoi».
- Enfin, l'histoire de toute science «nous dévoile les démarches de l'esprit humain» ; elle nous
offre le spectacle de «la logique incarnée dans le concret, de la logique liée à la vision et au
projet».
Au sens strict, une histoire de la théorie économique (ou de la science économique) qui
entend privilégier l'élaboration des concepts, des instruments d'analyse (le circuit économique,
par exemple) débute par des auteurs du début du XVIIIe siècle, souvent qualifiés de «pré-
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classiques», tels que Boisguilbert ou Cantillon, ou bien avec des auteurs de la seconde moitié
du XVIIIe siècle, tels que François Quesnay ou Adam Smith.
Mais une approche plus globale de l'histoire de la pensée économique doit aussi prendre en
compte les premières réflexions sur la vie économique développées de l'Antiquité jusqu'à la
scolastique médiévale, avant d'aborder la naissance de l'économie politique dans la période
dite «mercantiliste».
- L'approche « continuiste »
Cette première approche, représentée par exemple par Georges J. Stigler et Mark Blaug,
consiste à mettre en évidence une continuité, une succession de progrès analytiques au cours
du temps. Cette approche «continuiste» offre une interprétation cumulative de la science
économique, qui présuppose une séparation entre le travail analytique et les jugements de
valeur, les «visions» (pré-analytiques) des auteurs. Le discours économique est déconnecté de
l'évolution globale des sociétés. La progression de la science peut être envisagée de manière
plus ou moins régulière selon les historiens, admettant en général la possibilité de «retards» et
d'incidents de parcours. Elle aboutit à la théorie économique moderne, qui constitue une sorte
de «terre promise». Cette démarche était déjà revendiquée par l'économiste classique Jean-
Baptiste Say. Celui-ci explique en effet que l'histoire d'une science «ne peut être que l'exposé
des tentatives, plus ou moins heureuses [...] pour recueillir et solidement établir les vérités
dont elle se compose. Que pourrions-nous gagner à recueillir des opinions absurdes, des
doctrines décriées et qui méritent de l'être ? Il serait à la fois inutile et fastidieux de les
exhumer. Aussi l'histoire d'une science devient-elle de plus en plus courte à mesure que la
science se perfectionne» (Cours complet d'Economie Politique Pratique, 1ère édition, 1828-
29). Ce point de vue jette un doute sur l'utilité de l'histoire de la pensée économique, ou du
moins celle qui remonte avant Adam Smith. On qualifie aujourd'hui cette démarche de
rétrospective (Mark Blaug, Economic Theory in Retrospect, 1ère édition 1968).
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scientifique pendant un laps de temps plus ou moins long (par exemple, le paradigme
d'Aristote, le paradigme de Newton). Dans un état de «science normale», les chercheurs
développent le paradigme. Mais devant les difficultés qui surgissent, un état de crise va peu à
peu s'installer. Les chercheurs s'accrochent alors à leurs théories en dépit des difficultés
rencontrées. La crise du paradigme se résoudra par l'émergence d'un nouveau paradigme qui
va gagner l'adhésion progressive de la communauté. On a là le moment de la «révolution
scientifique».
Ensuite, à partir du XVIe siècle, se constituent les grands Etats modernes, centralisés, qui
aspirent à l'indépendance économique et on prend conscience des intérêts économiques
nationaux.
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Max Weber a insisté sur l'importance de la Réforme, en particulier le courant calviniste, pour
comprendre la genèse du capitalisme, la formation de l' « esprit capitaliste », le succès dans
les affaires étant un signe de l'élection divine.
« [_] qu'en l'Estat aussi bien qu'en la famille c'est un heur meslé de grandissime profit de
mesnager bien les hommes selon leur particulière et propre inclination. Et sur la
considération de ce rapport qu'ils ont ensemble, en ce qui concerne le poinct de l'utilité, joint
avec plusieurs autres raisons qui seroient longues à deduire, on peut fort à propos maintenir,
contre l'opinion d'Aristote et de Xenophon, que l'on ne sçauroit diviser l'oeconomie de la
police sans demembrer la partie principale de son Tout, et que la science d'acquerir des
biens, qu'ils nomment ainsi, est commune aux républiques aussi bien qu'aux familles. De ma
part, je ne puis que je ne m'estonne comme en leurs traitez politiques, d'ailleurs si
diligemment escrits, ils ont oublié cette mesnagerie publique, à quoy les necessités et charges
de l'Estat obligent d'avoir principalement égard. » (Traicté de l'oeconomie politique, édité
par T. Funck-Brentano, Paris : Plon, 1889, pp. 31-32).
La formule de Montchrestien n'a pas eu de succès en France, si bien que l'on a pu parler de «
naufrage de l'expression "économie politique" de 1615 jusqu'en 1755-1758 » (J.-C. Perrot,
Une histoire intellectuelle de l'économie politique (XVIIe-XVIIIe siècle), Paris : Ed. de
l'EHESS, 1992, pp. 66-67). En effet, Jean-Jacques Rousseau fera renaître le vocable en 1755
dans l'article "Economie politique" de l'Encyclopédie, mais avec un contenu différent,
désignant la "théorie de l'administration ou du gouvernement". Notons cependant qu'en
Angleterre, William Petty dans The Political Anatomy of Ireland (1691) utilise l'expression de
"Political Oeconomics".
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Sébastien Le Prestre, Marquis de Vauban (1633-1707), Maréchal de France, célèbre pour ses
fortifications et ses travaux statistiques est l'auteur du Projet de dixme royale (1707), dans
lequel il propose la création d'un impôt unique sur les différents revenus dont le taux le plus
élevé serait de 10 %.
En 1581, sous les initiales « W. S. » (William Smythe), est publié A compendious or briefe
examination of certayne ordinary complaints, of divers of our country men in these our days,.
Une version antérieure (1549) sera publiée en 1893 et attribuée à John Hales, sous le titre A
Discourse of the Common Weal of this Realm of England. Ce texte discute de l'impact de
l'arrivée des métaux précieux d'Amérique sur la hausse des prix.
Les principaux écrivains anglais dits "mercantilistes" au XVIIe siècle sont qualifiés de
"commercialistes", car ils mettent l'accent sur le rôle du commerce dans l'enrichissement de la
nation :
L'un des fondateurs d'un système d'économie politique occupe une place particulière dans la
mesure où il s'agit d'un banquier irlandais, émigré à Paris, à Amsterdam, puis à Londres :
Richard Cantillon (1680-1734), qui rédige en français, sans doute entre 1728 et 1734, un Essai
sur la nature du commerce en général, publié seulement en 1755.
Introduction
Entre le XVIe et le milieu du XVIIIe siècle, les idées économiques se transforment avec des
colorations nationales très marquées. Il n'existe donc pas de véritable "école mercantiliste", ou
de "système économique mercantiliste". Il est toutefois possible de dégager un fond commun
d'idées, un certain nombre de grands thèmes "mercantilistes", qui reviennent de façon plus ou
moins récurrente chez la plupart des auteurs, du XVIe au milieu du XVIIe siècle. En
revanche, du milieu du XVIIe jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, les contributions de William
Petty, de Boisguilbert et de Richard Cantillon, s'accordent mal avec la notion de
"mercantilisme", tant du point de leurs apports analytiques que du point de vue de leurs
propositions de politique économique.
Schématiquement, on peut dire que chez les historiens de la pensée économique il existe deux
grandes approches dans la considération du "mercantilisme".
Les Physiocrates, puis les économistes classiques accuseront les auteurs de la période
"mercantiliste" d'avoir identifié purement et simplement dans leurs écrits la richesse avec le
métal précieux.
Dans sa critique du "système mercantile", Adam Smith associe l'"idée populaire" qui confond
la richesse avec le métal précieux aux pratiques bullionnistes de certains Etats. Le
"bullionnisme" (de "bullion", lingot) correspond avant tout à des pratiques économiques, qui
en réalité, existaient déjà dans les cités du Moyen Age, donc bien avant la période dite
"mercantiliste" et se sont prolongées ensuite. Parmi ces pratiques, on peut mentionner, par
exemple :
3 - Un système, qui a été désigné au XIXe siècle comme celui du "Balance of bargains
System", la balance des contrats. Ce système consiste dans une politique de surveillance des
contrats entre les commerçants nationaux et les commerçants étrangers de façon à favoriser
l'entrée de monnaie dans le pays. Il s'agit là encore d'une pratique qui existait déjà dans les
cités du Moyen Age. Le système de la balance des contrats a fonctionné en Angleterre et en
Espagne, mais non en France.
En réalité, dans les différents pays, aucun écrivain de premier plan ne prend la défense des
pratiques bullionnistes. Les principaux auteurs dits "mercantilistes" souhaitent développer la
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production industrielle nationale. Ils rejettent donc le "bullionnisme", car il faut se résoudre à
accepter une sortie minimale de métal précieux afin de se procurer les matières premières
indispensables à la production.
Certes, les auteurs des XVIe et XVIIe siècles accordent une prééminence à la richesse
monétaire et ils insistent généralement sur les avantages de la possession du métal précieux
monétisé comme moyen de conserver la richesse (pouvoir d'achat). Certains ont pu
promouvoir la formation ou l'accroissement du trésor de guerre du Prince ou de l'Etat. Mais,
pour la plupart d'entre eux, la monnaie permet avant tout la production et la circulation de la
richesse. On rencontre souvent l'analogie entre la circulation de la monnaie celle du sang dans
le corps humain. On tient Bernardo Davanzati (Lezione delle monete,1588) comme l'un des
premiers auteurs à utiliser cette analogie. Après la découverte de la circulation du sang par
William Harvey, en 1628, on la retrouve par exemple chez Thomas Hobbes dans le Leviathan
(1651). La monnaie est aussi assimilée au capital, en particulier au capital circulant, à la
disposition des marchands et des industriels.
Le banquier écossais John Law (1671-1730) apportera un éclairage particulier avec ses
Considérations sur le numéraire et le commerce (1705) puisqu'il propose de substituer la
monnaie de papier émise par les banques aux espèces afin d'adapter la quantité de monnaie
aux besoins de la production et de la circulation. La France sera un terrain d'expérience de son
"système" de 1716 à 1720. John Law sera gratifié du qualificatif de "mercantiliste fiduciaire".
Selon Montchrestien, la richesse ne réside pas dans l'abondance de l'or ou de l'argent, mais
dans "l'accomodement des choses nécessaires à la vie et propres au vêtement" (p. 241). En
pratiquant toutes sortes d'industries, on peut attirer l'or et l'argent dans le pays. Mais la
richesse la plus grande de la France est sans conteste "l'inespuisable abondance de ses
hommes" (p. 24), le travail humain. L'homme est une richesse à condition qu'on l'éduque,
qu'on le forme aux "arts".
Thomas Mun dans England's Treasure by Forraign Trade (1664, p. 9) distingue deux types
de richesses : la richesse naturelle, composée de biens de subsistance et la richesse artificielle
qui consiste dans les biens manufacturés et les biens ré-exportables par le commerce
extérieur.
Plus tard, Vauban (Projet d'une dixme royale, 1707) déclare : "[_] ce n'est pas la grande
quantité d'or et d'argent qui font les grandes et véritables richesses d'un Etat, puisqu'il y a de
très grands Païs dans le monde qui abondent en or et en argent, et qui n'en sont pas plus à leur
aise, ni plus heureux [_]. La vraye richesse d'un Royaume consiste dans l'abondance des
Denrées, dont l'usage est si nécessaire au soûtien de la vie des hommes, qu'ils ne sçauroient
s'en passer" (pp. 77-78).
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Les auteurs du XVIIIe siècle franchiront un pas supplémentaire. Inspiré par W. Petty,
Cantillon affirme dans l'Essai sur la nature du commerce en général (1755) : « La terre est la
source ou la matière d'où l'on tire la richesse ; le travail de l'homme est la forme qui la produit
: et la richesse en elle-même, n'est autre chose que la nourriture, les commodités et les
agréments de la vie » (p. 1).
Ce que l'on nommera la "Révolution des prix" dans l'Europe du XVIe siècle a donné lieu à
une immense littérature et à de vives controverses sur les arrivées de métal précieux en
provenance du Nouveau Monde, la hausse des prix en Europe et leur corrélation.
Dans la littérature du XVIe siècle, on trouve beaucoup d'écrits qui rapprochent le phénomène
de l'entrée de métal précieux dans un pays et celui de la hausse des prix intérieurs, sans
toutefois établir clairement un lien causal.
Pour Bodin, l'afflux d'or et d'argent d'Amérique du Sud en Espagne contribue à faire croître
les prix espagnols et génère un flux d'importations et donc le déficit commercial. Il en résulte
la diffusion du métal précieux en Europe et des hausses différenciées de prix : « Voilà,
Monsieur, les moyens qui nous ont aporté l'or et l'argent en abondance depuis deux cens ans.
Il y en a beaucoup plus en Espagne et en Italie qu'en France, parce que la noblesse mesmes en
Italie trafique, et le peuple d'Espagne n'a autre occupation. Aussi tout est plus cher en Espagne
et en Italie qu'en France, et plus en Espagne qu'en Italie [_] » (La Response de Jean Bodin à
M. de Malestroit- 1568, édit. H. Hauser, A. Colin, 1932, p. 15).
Notons que Bodin ne souhaite pas l'arrêt de ces arrivées de métal. Selon lui, "l'abondance d'or
et d'argent, qui est la richesse d'un pays, doit en partie excuser la cherté" (p. 32) ; en effet, la
hausse des prix n'est qu'un moindre mal par rapport au bienfait pour les affaires généré par
l'abondance de métal.
Pour savoir si le nom de Bodin peut être associé directement à la naissance de la théorie
quantitative de la monnaie, il convient d'en rappeler les deux critères principaux.
Le premier critère : l'existence d'un lien causal entre la monnaie et les prix, sachant que la
théorie quantitative peut s'appliquer aussi au cas de la monnaie de papier. On envisage ici la
monnaie métallique (pièces d'or et d'argent) et non le métal précieux en général, car celui-ci a
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deux destinations principales : marchandise, usages industriels d'une part, et monnayage
d'autre part.
1 - Dans ses écrits, Bodin n'exprime pas un lien de causalité de la monnaie vers les prix dans
les différents pays, car il ne distingue pas clairement le métal précieux et la monnaie
métallique.
3 - Si pour Bodin, la cause principale ("et presque seule") de la hausse des prix réside dans
l'afflux de l'or et de l'argent espagnol, il ne s'agit pas pour lui du facteur explicatif unique de
l'inflation. En effet, il avance d'autres causes :
l'existence de "monopoles" des marchands, des artisans : dans les confréries de métiers
on organise des ententes pour fixer des prix plus élevés ;
la "disette" : l'exportation du royaume de France de biens tels que le blé ou le vin, et
les entraves à l'importation de certains produits nécessaires.
le gaspillage des rois et des grands princes, qui fait augmenter les prix des biens de
luxe (exemple : la soie).
Pour Bodin, il est possible de combattre les monopoles en faisant exécuter les ordonnances
royales et de freiner les exportations de certains produits comme le blé, sans toutefois fermer
les frontières. Le commerce extérieur est indispensable (certaines importations sont
nécessaires) et constitue un moyen d'entretenir "une bonne amitié" avec nos voisins.
Notons que dans la 2e édition (1578) de sa Réponse, Bodin intègrera l'explication de
Malestroit comme une autre cause de l'inflation : les mutations monétaires.
Les fondateurs de la théorie quantitative de la monnaie vont apparaître avec John Locke, puis
David Hume et par ailleurs, sous une forme assouplie, avec Richard Cantillon.
Les auteurs anglais en général s'inspirent des pratiques hollandaises. Ils mettent l'accent sur le
négoce, sur l'achat pour la revente avec profit. Il proposent même de créer une véritable
industrie de réexportation (J. Child). L'exportation d'argent par la Compagnie des Indes
Orientales ne conduit pas à un appauvrissement du pays. Bien au contraire. Thomas Mun
explique : « Et pour rendre la chose encore plus claire, quand nous disons [_] que 100 000
livres exportées en espèces peuvent faire importer l'équivalent d'environ 500 000 livres
sterling en marchandises des Indes Orientales, il faut comprendre que la partie de cette somme
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qui peut proprement s'appeler notre importation, étant consommée dans le royaume, est d'une
valeur d'environ 120 000 livres sterling par an. De sorte que le reste, soit 380 000 livres, est
matière exportée à l'étranger sous la forme de nos draps, de notre plomb, de notre étain, ou de
tout autre produit de notre pays, au grand accroissement du patrimoine du royaume et ce en
trésor, si bien qu'on est en droit de conclure que le commerce des Indes Orientales pourvoit à
cette fin » (A Discourse of Trade from England unto the East-Indies, 1621). Donc, selon Mun,
100 000 livres d'espèces exportées annuellement produisent 500 000 livres d'importations
brutes. A partir de là, l'Angleterre consomme 120 000 livres et réexporte pour 380 000 livres,
ce qui représente trois fois et demi le montant de l'argent exporté initialement.
Pour les auteurs anglais, il n'est pas nécessaire de réglementer l'industrie comme en France
sous Colbert. L'industrie nationale n'est qu'un moyen parmi d'autres pour fournir des produits
à l'exportation.
Les théoriciens anglais étudient la balance commerciale de leur pays à l'aide de calculs assez
précis. Selon T. Mun, le prix des exportations correspond au "first cost" (coût de production)
auquel on ajoute 25 % pour couvrir le fret, l'assurance et le profit des marchands. Les
importations doivent être évaluées à un niveau inférieur de 25 % par rapport aux livres des
Douanes. Mais les auteurs ne se limitent pas en général dans leurs travaux à la stricte balance
commerciale. Ils s'intéressent aussi aux services et transferts unilatéraux, pour former une
"balance des comptes". En revanche, les mouvements de capitaux ne sont pas retracés. Plus
tard, au XVIIIe siècle, James Steuart (1712-1780), dans An Inquiry into the Principles of
Political Economy (1767) va distinguer "balance of trade" (au sens strict) et "balance of
payments".
L'obtention d'une "balance du commerce" favorable va se traduire par une entrée nette de
métal précieux dans le pays. Il en résultera des effets positifs sur la production, le commerce
et l'emploi. A contrario, une balance du commerce défavorable a des effets négatifs dans le
pays sur la production, le commerce et l'emploi.
Edward Misselden et surtout Thomas Mun ne se contentent pas de suivre le mot d'ordre des
compagnies de commerce ("acheter à bon marché et vendre cher"). Ils se rendent compte qu'il
peut être plus avantageux de disposer de faibles coûts de production et de ne pas vendre trop
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cher les marchandises anglaises sur les marchés étrangers, car elles s'y vendent mal (Mun,
1664, p. 24). Des prix trop élevés conduisent donc à une balance du commerce déficitaire.
Au XVIIIe siècle, Richard Cantillon reprendra cette idée dans son Essai sur la nature du
commerce en général. Pour lui, la hausse différenciée des prix dans le pays conduit à des
importations de produits moins chers (donc à des sorties d'or et d'argent) et à une baisse de la
production nationale. Ce processus conduit à terme à la balance du commerce défavorable et à
la baisse des prix nationaux. Cependant, des mécanismes vont se mettre en marche et assurer
un retour à une balance du commerce favorable, par un mouvement de bascule.
Dès 1752 ("Of the balance of trade"), David Hume, défendra ce type d'approche, connue sous
le nom de mécanisme d'ajustement par les prix et les flux d'espèces ("price specie flow
mechanism").
Les importations. Pour les produits manufacturés, il faut importer le strict minimum
nécessaire à la consommation nationale en recourant, soit à de faibles droits de
douane, soit en taxant la consommation de produits étrangers. En principe, on ne
préconise pas de prohibitions. Pour les matières premières et les produits semi-finis,
nécessaires à l'industrie de réexportation, on n'impose pas de droits.
Les exportations. Pour les produits manufacturés, il faut exporter le plus possible On
peut même encourager ce mouvement par des primes. Pour les matières premières, il
ne faut exporter que l'excédent par rapport à la consommation nationale.
Au total, les auteurs plaident en faveur d'un faible protectionnisme.
Selon eux, il faut viser à l'autosuffisance du pays. Par exemple, la politique économique de
Colbert vise à réduire les barrières intérieures entre les provinces, mais à ériger des barrières
contre la concurrence étrangère :
pour les importations : ne pas taxer les matières premières étrangères, car elles servent
aux manufactures et taxer (ou prohiber) les produits manufacturés étrangers (biens de
luxe, en particulier);
pour les exportations : verser des primes pour les produits manufacturés français
(luxe) et empêcher les exportations de matières premières.
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Mais le protectionnisme de Colbert se veut temporaire, car il vise à développer et renforcer les
manufactures nationales.
En outre, les auteurs sont favorables au développement des compagnies de commerce, plus ou
moins contrôlées par l'Etat. A partir du XVIIe siècle, le "commerce triangulaire" prend son
essor à partir des principales puissances européennes. Le commerce colonial est sévèrement
gardé, chaque pays se réservant le monopole de commerce avec ses propres colonies.
Dans l'optique des auteurs des XVIe et XVIIe siècles, le commerce extérieur est un "jeu à
somme nulle". On ne s'enrichit pas mutuellement par le commerce extérieur, compte tenu de
l'opposition des intérêts nationaux entre eux. On peut rappeler ici la maxime de Jean Bodin
(Les Six livres de la République) : "il n'y a personne qui gagne qu'un autre n'y perde". Le
nationalisme économique débouche au XVIIe siècle sur plusieurs conflits armés (Pays-Bas-
Angleterre ; France-Angleterre).
En revanche, les auteurs du XVIIIe siècle vont développer des positions qui iront dans le sens
du libre-échange.
B- Industrialisme et populationnisme
Les auteurs de la période dite "mercantiliste" dans les différents pays (y compris ceux de
langue allemande) sont en général favorable à la croissance de la population, tout d'abord
parce que cela permet de disposer d'une main d'œuvre abondante pour l'industrie nationale et
ensuite parce que cela renforce le potentiel militaire du pays. Une population nombreuse ne
suffit pas. Il faut en effet qu'elle soit industrieuse, judicieusement employée dans l'industrie.
Les auteurs français à la suite de Montchrestien plaident tout particulièrement pour une
politique industrielle. Sous le ministère de Colbert, on établira des règlements d'industrie qui
codifient et normalisent la production. On mettra en place des manufactures d'Etat. Colbert
fera même travailler les enfants de six ans dans les manufactures. De plus, il convient de
maintenir les salaires à un niveau bas pour inciter à travailler et l'abondance de la main d'?
uvre est un moyen pour atteindre cet objectif. On cherche à obtenir de hauts niveaux d'emploi
en pourchassant les vagabonds, qui seront placés dans des maisons de travail (cf lois sur les
pauvres en Angleterre). L'activité agricole est quelque peu négligée chez les mercantilistes, ce
qui leur vaudra des reproches de la part des économistes du XVIIIe siècle. Pour eux,
l'industrie et le commerce sont des activités beaucoup plus profitables que l'agriculture et
susceptibles de connaître des innovations techniques.
Pour Jean Bodin, la vraie richesse est la population ("il n'y a de richesse ni force que
d'hommes"). Pour Antoine de Montchrestien, la vraie richesse consiste dans les "choses
nécessaires à la vie et propres au vêtement", mais réside surtout dans le travail des hommes.
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Influencé par Bacon et par les sciences expérimentales, William Petty (1623-1687) fonde en
Angleterre le courant de l'"Arithmétique politique". Il rédige, entre 1671 et 1676, Political
Arithmetick, publié après sa mort, en 1690. Selon lui, « Dans l'arithmétique politique, les
questions de gouvernement sont, suivant les règles ordinaires de l'arithmétique, ramenées à
des sortes de démonstrations ». L'"arithmétique politique" n'est pas seulement la statistique, la
comptabilité nationale ou la démographie ; elle est aussi une méthode qui consiste à construire
la théorie sur des données mesurables.
Parmi les disciples de W. Petty en "Arithmétique politique", on peut citer John Graunt (1620-
1674), Gregory King (1648-1712) et Charles Davenant (1656-1714).
William Petty affirme au sujet de la richesse : "Labour is the father and active principle of
wealth, as lands are the mother" [Le travail est le père et le principe actif de la richesse, et la
terre en est la mère] (1662, p. 68), le capital étant le fruit de l'accumulation du travail. Il
tentera d'établir un rapport d'équivalence entre la terre et le travail par la quantité de nourriture
quotidienne d'un homme adulte, en moyenne (son salaire de subsistance).
Boisguilbert esquisse un circuit monétaire annuel des revenus entre trois groupes sociaux, le
"Beau Monde" (propriétaires fonciers), les "laboureurs" et les "marchands". Le "Beau Monde"
reçoit les "revenus des fonds" (rente foncière) et ses dépenses vont former des "revenus
d'industrie", à la fois pour les "laboureurs" et pour les "marchands". Et à nouveau vont se
former les "revenus des fonds". Les "laboureurs" versent des "revenus d'industrie" aux
"marchands" (achat de biens et services en ville) et les "marchands" versent des "revenus
d'industrie" aux "laboureurs" (achats de matières premières, de produits agricoles).
Boisguilbert affirme que le "laboureur" "donne le premier mouvement à tout" (Factum de la
France) : il est donc le vrai initiateur du circuit.
Karl Marx considère William Petty comme le fondateur de l'"économie politique classique"
en Angleterre et Pierre de Boisguilbert jouerait le même rôle en France.
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Dans son Essai sur la nature du commerce en général, (1755) Richard Cantillon (1680-1734)
part des sources de la richesse chez W. Petty pour développer une théorie de la valeur-terre et
articuler "valeur intrinsèque" et "prix de marché". Il expose ensuite un circuit économique.
Dans ce circuit (sans représentation graphique), l'agriculture occupe une place centrale, car
elle fournit un surplus et l'ensemble de la société s'organise autour d'elle :
« Il n'y a que le Prince et les propriétaires des terres, qui vivent dans l'indépendance ; tous les
autres ordres et tous les habitants sont à gages ou sont entrepreneurs [_]. Les fermiers ont
ordinairement les deux tiers du produit de la terre, l'un pour les frais et le maintien de leurs
assistants, l'autre pour le profit de leur entreprise : de ces deux tiers le fermier fait subsister
généralement tous ceux qui vivent à la campagne directement ou indirectement, et même
plusieurs artisans ou entrepreneurs dans la ville, à cause des marchandises de la ville qui sont
consommées à la campagne. Le propriétaire a ordinairement le tiers du produit de sa terre, et
de ce tiers, il fait non seulement subsister tous les artisans et autres qu'il emploie dans la ville,
mais bien souvent aussi les voituriers qui apportent les denrées de la campagne à la ville. On
suppose généralement que la moitié des habitants d'un Etat subsiste et fait sa demeure dans les
villes, et l'autre moitié à la campagne : cela étant, le fermier qui a les deux tiers ou quatre
sixièmes du produit de la terre, en donne directement ou indirectement un sixième aux
habitants de la ville en échange des marchandises qu'il en tire ; ce qui avec le tiers ou deux
sixièmes que le propriétaire dépense dans la ville, fait trois sixièmes ou une moitié du produit
de la terre. Ce calcul n'est que pour donner une idée générale de la proportion ; car au fond, si
la moitié des habitants demeure dans la ville, elle dépense plus que la moitié du produit de la
terre, attendu que ceux de la ville vivent mieux que ceux de la campagne, et dépensent plus de
produit de terre, étant tous artisans ou dépendants des propriétaires, et par conséquent, mieux
entretenus que les assistants et dépendants des fermiers » (Essai sur la nature du commerce en
général, Paris : I.N.E.D., 1952, 1e partie, chap. XII, pp. 25-27).
Dans la suite du livre, Cantillon apporte les précisions suivantes : « C'est une idée commune
en Angleterre qu'un fermier doit faire trois rentes : 1° la rente principale et véritable qu'il paie
au propriétaire, et qu'on suppose égale en valeur au produit du tiers de sa ferme ; une seconde
rente pour son entretien et celui des hommes et des chevaux dont il se sert pour cultiver sa
ferme, et enfin une troisième rente qui doit lui demeurer, pour faire profiter son entreprise [_].
Lorsque j'ai dit qu'il faut nécessairement pour la circulation de la campagne, une quantité
d'argent, souvent égale en valeur à la moitié du produit des terres, c'est la moindre quantité ; et
pour que la circulation de la campagne se fasse avec facilité, je supposerai que l'argent
comptant qui doit conduire la circulation des trois rentes, est égal en valeur à deux de ces
rentes, ou égal au produit des deux tiers de la terre » (Essai sur la nature du commerce en
général, Paris : I.N.E.D., 2e partie, chap. III, pp. 68-71).
Le circuit envisagé jusqu'ici implique des paiements annuels. Or, Cantillon introduit ensuite
dans son analyse des paiements plus rapprochés. Il propose un circuit avec des paiements
semestriels, puis trimestriels. Il en résulte que l'on aura besoin de moins de monnaie dans
l'économie pour réaliser la circulation. Cantillon observe aussi que "l'argent comptant,
nécessaire pour conduire la circulation et le troc dans un état, est à peu près égal en valeur au
15
tiers des rentes annuelles des propriétaires de terres" (p. 73). La monnaie nécessaire à la
circulation représente un tiers de la rente véritable, soit l'équivalent de 1/9 du produit annuel
de la terre.
Le deuxième chapitre de cette partie est consacré aux idées développées par l'école
physiocratique en France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il s'agit de la première «
école » de pensée systématique en économie. Très marquée par le contexte économique et
politique français, elle tente de proposer un « modèle » cohérent dans le but de fournir des
solutions aux problèmes économiques. Cependant, la période active de la Physiocratie et de
son influence intellectuelle en France est assez courte puisqu'elle s'achève à la mort de
François Quesnay ; en revanche, l'influence au plan international se poursuit jusqu'au début du
XIXe siècle.
Au milieu du XVIIIe siècle, la France se trouve affaiblie par des conflits extérieurs ; elle est
vaincue par l'Autriche (Traité d'Aix-la-Chapelle, 1748) et elle cède des colonies à l'Angleterre
(Traité de Paris, 1763). L'excès de centralisme et la très forte réglementation des activités
entravent toutes les activités économiques. Le système fiscal pèse très lourdement sur la
population agricole. Bien que l'agriculture occupe une place prédominante dans le produit
global, les méthodes de culture restent traditionnelles et font encore une large part à la
jachère. La grande propriété foncière reste limitée, pour l'essentiel, au Bassin parisien, tandis
que la petite propriété domine sur le reste du territoire.
Sur le plan des idées, la période est marquée par les « Lumières », par l'influence des «
Encyclopédistes ».
Les « philosophes économistes », réunis autour de François Quesnay, souhaitent faire jouer à
l'agriculture un rôle fondamental dans leur projet de redressement de l'économie française et
de sauvegarde de la monarchie.
François Quesnay (1694-1774) est le fondateur de l'école des "Physiocrates". Chirurgien, puis
médecin réputé, il est le protégé de Mme de Pompadour et de Louis XV à la cour de
Versailles.
En décembre 1758, il met au point le "Tableau Economique". Cette version ainsi que les
suivantes sont connues sous le nom de "zigzag". Quesnay publie dans le Journal de
l'agriculture, du commerce et des finances les "Observations sur le droit naturel des hommes
16
réunis en société" (1765) et l'"Analyse de la formule arithmétique du Tableau économique"
(1766), En 1767, paraissent les "Maximes générales du gouvernement économique d'un
royaume agricole" dans le recueil préparé par Dupont de Nemours, Physiocratie.
A partir de 1767, les écrits des Physiocrates, en particulier le « Tableau » et les « Maximes »
ont un écho très important en Europe et plusieurs membres de l'école deviennent des
conseillers de princes ou monarques. Le Mercier de la Rivière est invité en Russie par
l'impératrice Catherine II. Mirabeau est en contact ave le futur roi de Suède, Gustave III, avec
le Grand-duc Léopold de Toscane et avec le margrave de Bade qui l'invite à expérimenter
l'impôt unique sur les terres dans certains villages de son duché.
Nicolas Baudeau affirme dans les Ephémérides du citoyen, en avril 1767 : « Les vrais
économistes sont faciles à caractériser [_]. Ils reconnaissant un maître, le Dr Quesnay ; une
doctrine, celle de la Philosophie rurale et de l'Analyse économique ; des livres classiques, en
premier La Physiocratie ; une formule, le Tableau Economique ; des termes techniques,
précisément comme les anciens lettrés de la Chine ».
L'école tend à former une orthodoxie, d'où le jugement des détracteurs qui parlent de la «
secte des Economistes ».
Victor de Riqueti, marquis de Mirabeau (1715-1789). Auteur de L'Ami des hommes, ou Traité
de la population (1756-1758), il devient dès 1757 le premier disciple de Quesnay. Avec l'aide
de ce dernier, il entreprend un Traité de la Monarchie (1757-59), puis rédige la Théorie de
l'impôt (1760) et la Philosophie rurale ou Economie générale et politique de l'agriculture
(1763).
Nicolas Baudeau (1730-1792), auteur des Principes de la science morale et politique sur le
luxe et les lois somptuaires (1767) et d'une Première introduction à la philosophie
économique des Etats policés (1771).
17
Parmi les disciples étrangers, on mentionnera le Margrave de Bade, Carl Friedrich von Baden-
Durlach (1728-1811), auteur d'un Abrégé des principes de l'économie politique (1772).
Ajoutons que les Physiocrates disposent de journaux pour diffuser leurs idées : les
Ephémérides du citoyen (1765-1772) et le Journal de l'agriculture, du commerce et des
finances (1765-1783).
B- Le « cas » Turgot
- Turgot affirme que « c'est par le travail que la terre produit » et que le produit agricole est
limité par les rendements décroissants ;
- Dans « Valeurs et monnaies » (1769), Turgot distingue deux notions de valeur des
marchandises : « valeur estimative » et « valeur appréciative ». La « valeur estimative »
concerne l'individu isolé et comprend trois aspects (besoin, excellence de la chose, et rareté).
La « valeur appréciative » met en jeu deux individus dans une relation d'échange ; les
échangistes attribuent une valeur estimative plus grande au bien reçu par rapport au bien cédé
et la « valeur appréciative » qui va déterminer le prix se situerait à la moitié de la différence
entre les deux valeurs estimatives.
- Selon Turgot, le capital est le résultat de l'accumulation d'épargnes dans tous les secteurs
d'activité. Selon lui, le rendement du capital le plus bas se fait par l'achat d'une terre affermée,
car il est le moins risqué. Ensuite, viennent les prêts à intérêt qui rapportent davantage. Enfin
viennent les investissements dans les activités agricoles, industrielles et commerciales qui
sont les plus profitables.
Sommaire
18
La notion d'"ordre naturel"
Le "Tableau économique"
Pour la liberté du commerce et le "bon prix" du blé
La question fiscale
Introduction
Dans les écrits de François Quesnay et des Physiocrates, un certain nombre de thèmes-clés
reviennent constamment. Tout d'abord, il faut mentionner la notion d'"Ordre naturel" qui
sous-tend le système de pensée, puis la représentation du "Tableau Economique". Parmi les
propositions de politique économique, on trouve un plaidoyer général en faveur de la liberté
du commerce et en particulier pour celui du blé, l'objectif recherché étant le "bon prix" et
l'organisation de l'agriculture sous la forme de grandes exploitations affermées. Enfin, la
réforme de la fiscalité est tout aussi urgente, afin de sauvegarder la monarchie.
Le néologisme "Physiocratie" est mentionné pour la première fois par l'abbé Nicolas Baudeau,
dans les Ephémérides du citoyen en avril 1767 ; il apparaît ensuite en novembre de la même
année comme titre du recueil d'écrits de Quesnay publié par Dupont de Nemours.
"Physiocratie" signifie littéralement "gouvernement de la nature" (de physis, nature et
Kratein, gouverner).
Les Physiocrates énoncent que la société est régie par un ordre providentiel et essentiel, voulu
par Dieu pour le bonheur des hommes, un ordre qui doit s'imposer à la sagesse des
gouvernements. Cet « ordre naturel », connu des hommes par l'"évidence", contient les lois
fondamentales et immuables de toute société. Ces lois, qui doivent être enseignées aux
hommes, légitiment tout d'abord la propriété privée, en particulier celle de la terre. La liberté
du commerce et de l'industrie est nécessaire et comme l'indique Mirabeau, « l'intérêt
particulier est le premier bien de la société ; d'où il suit que la société est d'autant plus assurée
que l'intérêt particulier est le plus à l'abri ». De plus, l'autorité incarnée par le monarque de
droit divin doit être respectée, mais il s'agit d'un « despote éclairé » par la connaissance de l' «
ordre naturel ». Le « despotisme légal » éloigne donc les Physiocrates des conceptions
politiques de Montesquieu et de Jean-Jacques Rousseau.
Dans De l'origine et des progrès d'une science nouvelle (1768), Dupont de Nemours affirme :
« La science économique n'étant autre chose que l'application de l'ordre naturel au
gouvernement des sociétés, est aussi constante dans ses principes et aussi susceptible de
démonstration que les sciences physiques les plus certaines ».
19
B- Le "Tableau économique"
Nous avons vu dans le thème précédent que les premières contributions à la question du
circuit économique venaient de Pierre de Boisguilbert, puis de Richard Cantillon. Elles vont
trouver des prolongements avec le « Tableau économique » des Physiocrates. Le « Tableau »
n'est pas un essai d' « arithmétique politique » mais constitue un premier « modèle »
macroéconomique simplifié, abstrait, de production et de circulation de la richesse. La
richesse chez les Physiocrates est constituée par les biens matériels qui sont échangeables (ils
ont une « valeur vénale »). Le « Tableau » va permettre de tester différentes mesures de
politique économique.
Les lignes en diagonales représentent les achats et la monnaie qui s'écoule dans le sens de la
pente des lignes. Dans cette version du "Tableau Economique", la classe productive (dont la
reproduction totale est de 4000) dépense 2000 (en millions de livres) en avances annuelles et
verse un revenu de 2000 aux propriétaires. Cette classe dépense en achetant 1000 de produits
agricoles à la classe productive et 1000 de produits manufacturés à la classe stérile. Cette
dernière va acheter 500 de matières premières et/ou de nourriture à la classe productive.
Celle-ci dépense 500 en achats à la classe stérile. La moitié des sommes reçues par les deux
classes est renvoyée à l'autre et le processus va continuer jusqu'à la limite d'une progression
géométrique. Le « zigzag » met en évidence un multiplicateur de dépense (ici égal à 2). La
classe stérile dispose de 2000. Or, elle n'a dépensé que 1000 en achats à la classe productive
et ses avances annuelles n'ont pas été entamées, si bien qu'elle dispose de 1000 en trop ! La
version du Tableau qui paraît en 1766-67 va clarifier le problème de la reconstitution des
avances annuelles de la classe stérile en distinguant les achats de matières premières (grâce
aux avances annuelles) et les achats de nourriture (grâce aux ventes d'ouvrages).
20
2- Le "Tableau économique" proprement dit
21
3- François Quesnay présente ainsi le Tableau économique d'un royaume agricole
« La nation est réduite à trois classes de citoyens : la classe productive, la classe des
propriétaires et la classe stérile.
La classe productive est celle qui fait renaître par la culture du territoire les richesses
annuelles de la nation, qui fait les avances des dépenses des travaux de l'agriculture, et qui
paye annuellement les revenus des propriétaires des terres. On renferme dans la dépendance
de cette classe tous les travaux et toutes les dépenses qui s'y font jusqu'à la vente des
productions à la première main, c'est par cette vente qu'on connaît la valeur de la reproduction
annuelle des richesses de la nation.
La classe des propriétaires comprend le souverain, les possesseurs des terres et les
décimateurs. Cette classe subsiste par le revenu ou produit net de la culture, qui lui est payé
annuellement par la classe productive, après que celle-ci a prélevé, sur la reproduction qu'elle
fait renaître annuellement, les richesses nécessaires pour se rembourser de ses avances
annuelles et pour entretenir ses richesses d'exploitation.
La classe stérile est formée de tous les citoyens occupés à d'autres services et à d'autres
travaux que ceux de l'agriculture, et dont les dépenses sont payées par la classe productive et
par la classe des propriétaires, qui eux-mêmes tirent leurs revenus de la classe productive [_].
Supposons donc un grand royaume dont le territoire porté à son plus haut degré d'agriculture,
rapporterait tous les ans une reproduction de la valeur de cinq milliards, et où l'état permanent
de cette valeur serait établi sur les prix constants qui ont cours entre les nations
commerçantes, dans le cas où il y a constamment une libre concurrence de commerce, et une
entière sûreté de la propriété des richesses d'exploitation de l'agriculture.
Le Tableau économique renferme les trois classes et leurs richesses annuelles, et décrit leur
commerce dans la forme qui suit :
Ainsi la classe productive vend pour un milliard de productions aux propriétaires du revenu ,
et pour un milliard à la classe stérile qui y achète les matières premières de ses ouvrages, 2
milliards.
22
Le milliard que les propriétaires du revenu ont dépensé en achats à la classe stérile, est
employé par cette classe pour la subsistance des agents dont elle est composée, en achats de
productions prises à la classe productive, 1 milliard.
Total des achats faits par les propriétaires du revenu et par la classe stérile à la classe
productive, 3 milliards.
De ces trois milliards reçus par la classe productive pour trois milliards de productions qu'elle
a vendues, elle en doit deux milliards aux propriétaires pour l'année courante du revenu, et
elle en dépense un milliard en achats d'ouvrages pris à la classe stérile. Cette dernière classe
retient cette somme pour le remplacement de ses avances, qui ont été dépensées d'abord à la
classe productive en achats de matières premières qu'elle a employées dans ses ouvrages.
Ainsi ses avances ne produisent rien; elle les dépense, elles lui sont rendues, et restent
toujours en réserve d'année en année.
Les matières premières et le travail pour les ouvrages montent les ventes de la classe stérile à
deux milliards, donc un milliard est dépensé pour la subsistance des agents qui composent
cette classe; et l'on voit qu'il n'y a là que consommation ou anéantissement de productions et
point de reproduction; car cette classe ne subsiste que du payement successif de la rétribution
due à son travail, qui est inséparable d'une dépense employée en subsistances, c'est-à-dire, en
dépenses de pure consommation, sans régénération de ce qui s'anéantit par cette dépense
stérile, qui est prise en entier sur la reproduction annuelle du territoire. L'autre milliard est
réservé pour le remplacement de ses avances, qui, l'année suivante seront employées de
nouveau à la classe productive en achats de matières premières pour les ouvrages que la classe
stérile fabrique.
Ainsi les trois milliards que la classe productive a reçu(s) pour les ventes qu'elle a faites aux
propriétaires du revenu et à la classe stérile, sont employés par la classe productive au
payement du revenu de l'année courante de deux milliards et en achats d'un milliard
d'ouvrages qu'elle paye à la classe stérile ».
23
Il est possible de reconstituer les différents flux monétaires du « Tableau ». Au départ, la
situation est la suivante :
La classe productive (animée par les fermiers) met en vente 3 milliards de produits
agricoles. Elle dispose de capital, c'est-à-dire d'"avances" (exclues de la circulation
monétaire) : les "avances annuelles" de 2 milliards, ou capital circulant (produits
agricoles utilisés comme subsistances et semences) indispensable pour produire durant
un an, et les "avances primitives" de 10 milliards (bâtiments, outils, bétail), ou capital
fixe, sujet à un dépérissement (10 % par an). A ce propos, Quesnay parle des « intérêts
des avances primitives » dont la justification est la suivante : « 1° Le fonds des
richesses d'exploitation qui constitue les avances primitives est sujet à un
dépérissement journalier qui exige des réparations continuelles, indispensablement
nécessaires pour que ce fonds important reste dans le même état [_] 2° La culture est
inséparable de plusieurs grands accidents qui détruisent quelquefois
presqu'entièrement la récolte; telles sont la gelée, la grêle, la nielle, les inondations, la
mortalité des bestiaux, etc., etc. ».
La classe de propriétaires (souverain, propriétaires fonciers et « décimateurs ») reçoit
l'intégralité du « produit net » de 2 milliards.
La classe stérile comprend tous les citoyens occupés à des activités autres que
l'agriculture : (artisans, manufacturiers, commerçants, professions libérales,
24
fonctionnaires). Elle dispose d'"avances" annuelles, mais sous une forme monétaire,
pour un montant de 1 milliard.
F. Quesnay fait l'hypothèse selon laquelle la classe des propriétaires dépense son revenu,
versé à la période précédente par la classe productive, de la manière suivante : 50 % en achats
de produits agricoles et 50 % en achats d'"ouvrages", de produits manufacturés.
La classe stérile d'une part, utilise 1 milliard d'avances annuelles pour acheter à la classe
productive les matières premières nécessaires à sa production. Elle utilise le milliard qu'elle
vient de recevoir des propriétaires pour acheter à la classe productive des biens de
subsistances qui seront consommés dans la période.
La classe productive consacre le milliard reçu des propriétaires (pour la vente de produits
agricoles) à l'achat d'"ouvrages d'industrie" (outils).
A la fin de la circulation monétaire, la classe stérile a reconstitué ses avances grâce à la vente
d'ouvrages à la classe productive et la classe productive, grâce à la vente de matières
premières et de biens de subsistances à la classe stérile, est en mesure de verser le "revenu"
aux propriétaires.
Quesnay nous avertit : "que le souverain et la nation ne perdent jamais de vue que la terre est
l'unique source des richesses, et que c'est l'agriculture qui les multiplie" ("Maximes générales
du gouvernement économique d'un royaume agricole", maxime III). Pourquoi l'agriculture
serait-elle l'unique activité "productive" ? Les Physiocrates font valoir que l'agriculture est la
seule activité à fournir un surplus physique, un produit net. Pour les disciples de Quesnay, il
s'agirait en réalité d'un « don gratuit de la Nature ».
En fait, le bouclage du circuit à l'identique est assuré grâce aux propriétaires qui répartissent
leurs dépenses à parts égales vers les deux autres classes. Si cette proportion est modifiée,
l'économie peut connaître, soit une croissance, soit un déclin. Par exemple, si les propriétaires
décident de dépenser moins en produits agricoles et plus en biens de luxe, il va en résulter un
25
déclin général de l'économie, car les dépenses ne sont pas substituables. Les Physiocrates
recommandent en effet le "faste de subsistance" et déconseillent le "luxe de décoration".
L'un des apports de Quesnay est le concept de capital, à la fois sous la forme monétaire
(avances de la classe stérile et reconstitution des avances primitives) et sous la forme
physique (avances annuelles de la classe productive). En revanche, le concept de profit ne
peut apparaître. Au sein de la classe productive, les fermiers disposent d'une rémunération
pour leur travail et le produit net est versé intégralement à la classe propriétaire. Turgot, quant
à lui, tentera d'intercaler entre les avances annuelles et le produit net une marge de profit
normal pour le fermier.
Le modèle abstrait du « Tableau » tombera largement dans l'oubli au cours du XIXe siècle et
Karl Marx sera l'un des seuls à s'y intéresser et à s'en inspirer. Ultérieurement, il fera l'objet
d'une présentation sous la forme d'une matrice input-output de type Léontief fermé (c'est-à-
dire sans demande finale) par Almarin Phillips dans un célèbre article (« The Tableau
économique as a simple Leontief model », Quarterly Journal of Economics, vol. 69, n° 1,
février 1955). Outre le traitement des avances annuelles des agriculteurs comme intra-
consommation, cet article envisage la classe des propriétaires, non plus comme des
consommateurs finaux, mais comme des « producteurs de services fonciers » vendus à la
classe productive pour un montant égal au produit net (ce qui augmente la production totale
de 2 milliards). Ainsi, le surplus ne peut plus apparaître en tant que tel et le « Tableau » perd
sa dimension séquentielle.
Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, la France remet en cause la "police des grains" et
tente avec les édits de 1763 et de 1764 de libéraliser le commerce intérieur et extérieur des
blés. Le blé doit devenir un objet de commerce ordinaire. Les physiocrates soutiennent cette
politique économique. Mais cette tentative de libéralisation du commerce du blé est remise en
cause en 1770 par le contrôleur général des Finances J.-M. Terray. Sous Louis XVI, Turgot,
devenu contrôleur général des Finances en 1774, tente une deuxième expérience de réformes
économiques, mais qui échoue rapidement.
Les Physiocrates défendent la théorie du "bon prix ". Selon Quesnay, « abondance et non-
valeur n'est pas richesse. Disette et cherté est misère. Abondance et cherté est opulence »
(Maxime n°XVIII). Le "bon prix" doit procurer un "gain suffisant" au-delà du coût de
production du producteur et il doit être relativement stable au cours du temps. La liberté
d'exporter les surplus agricoles permet d'atteindre le "bon prix ". Le prix sur le marché
international, en situation de libre concurrence, est stable et se situe à un niveau plus élevé
que celui des prix français. Grâce à la liberté de commerce, l'augmentation de la production
26
agricole et des avances des fermiers va être encouragée et conduira à la hausse du produit net.
En s'inspirant de l'expérience anglaise, Quesnay et les Physiocrates plaident en faveur du
développement de la grande culture (fermage), au détriment de la petite culture (métayage).
D- La question fiscale
Conclusion
L'objectif ultime des Physiocrates est de sauver l'ancien régime, sous la forme d'un «
despotisme légal ». Quesnay s'exprime clairement à ce sujet : « Le système des contre forces
dans un gouvernement est une opinion funeste, qui ne laisse apercevoir que la discorde entre
les grands et l'accablement des petits. La division des sociétés en différents ordres de citoyens
dont les uns exercent l'autorité souveraine sur les autres détruit l'intérêt général de la nation, et
introduit la dissension des intérêts particuliers entre les différentes classes de citoyens ; cette
division intervertirait l'ordre du gouvernement d'un royaume agricole qui doit réunir tous les
intérêts à un objet capital, à la prospérité de l'agriculture, qui est la source de toutes les
richesses de l'Etat et de celles de tous les citoyens » ("Maximes générales du gouvernement
économique d'un royaume agricole", maxime I).
Cependant, cette conception d'un circuit dynamique au service d'un « royaume agricole »
représente une sorte d'utopie dans la mesure où le « retour à la terre » ne garantit pas le
développement du capitalisme.
27
Deuxième partie: De la révolution industrielle à nos jours
Le courant libéral se compose de deux branches, l’une classique qui apparaît à la fin du 18 ème
siècle, l’autre néoclassique à la fin du 19ème siècle. L’économie politique classique est née
avec la société industrielle. La publication en 1776, par Adam Smith, des Recherches sur la
nature et les causes de la richesse des nations, est contemporaine des différents
perfectionnements de la machine à vapeur de Watt, symbolisant le point de départ de la
première révolution industrielle. Cette œuvre est aussi l’aboutissement d’un long mouvement
d’idées au XVIII siècle (siècle des lumières), connu sous le nom de philosophie de l’ordre
naturel, et à la base de l’idéologie du libéralisme économique.
Si 1776 est une date importante pour la science économique moderne, les années 1870-1874
ne le sont pas moins, car le classicisme légué par Adam Smith évolue grâce à la technique du
calcul à la marge et la théorie de l’utilité. Le terme néoclassique, parmi lesquels on trouve
Carl Menger (Ecole de Vienne), Léon Walras (Lausanne) et Stanley Jevons (Cambridge),
désigne des économistes qui travaillent dans le champ économique de l’équilibre général
indépendamment de leur idéologie respective (Walras se disait socialiste).
Principales œuvres : Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations d’Adam
Smith (1776),), Traité d’Economie Politique de Jean-Baptiste Say (1803), Principes de
l’Economie Politique et de l’Impôt de David Ricardo (1817), Principes d’économie politique
de Thomas Malthus (1820).
28
A- Le modèle de l’Homo oeconomicus
Plusieurs postulats sont évoqués par le courant classique :
- L’individualisme des agents économiques
L’individu est un être rationnel, il est le seul capable de juger et de décider ce qui est bon
pour lui. L’interventionnisme de l’Etat, même à but louable, est donc pervers dans ses
conséquences. Chaque individu poursuit son intérêt particulier (utilitarisme) par la
maximisation des satisfactions et la minimisation de l’effort (hédonisme). Ce postulat «
smithien » a été précisé par Jeremy Bentham avec la plus grande netteté.
- L’affirmation de la liberté économique
Dérivé de l’ordre naturel, le modèle de l’homo oeconomicus justifie en retour le libéralisme
économique. La propriété privée des moyens de production est une garantie de la liberté. Le
marché constitue le régulateur le plus efficace de l’activité économique (on parle également
de socialisation par le marché). La recherche de l’intérêt individuel permet de réaliser l’intérêt
général car il existe une main invisible (le marché) qui guide les passions individuelles vers
le bien de tous : « N Ce n’est pas le bienveillance du boucher, du marchand de bière et du
boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts.
Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n’est jamais de nos
besoins que nous leur parlons, c’est toujours de leur avantage » (Smith, 1776, [1991, p. 82]).
L’harmonisation des intérêts étant naturelle, il n’y a dès lors plus aucune raison pour qu’un
pouvoir politique -l’Etat - fasse passer l’intérêt général au dessus de la somme des intérêts
privés.
Le rôle de l’Etat selon Von Mises (1983, p 39), est de « garantir le fonctionnement sans
heurts de l’économie de marché contre la fraude et la violence, tant à l’intérieur qu’à
l’extérieur du pays ».
L’Etat doit donc se garder d’intervenir au delà de son domaine naturel (Etat gendarme),
d’autant plus qu’en portant atteinte aux libertés économiques, il engage les hommes sur la
route de la servitude. Les libertés économiques sont le « rempart des autres libertés », déclare
Hayek (1947), et la meilleure garantie des libertés est la propriété privée des moyens de
production : « Notre génération a oublié que la meilleure garantie de la liberté est la
propriété privée non seulement pour ceux qui la possèdent, mais presque autant pour ceux qui
n’en ont pas. C’est parce que la propriété des moyens de production est répartie entre un
grand nombre d’hommes agissant séparément, que personne n’a un pouvoir complet sur nous
et que les individus peuvent agir à leur guise » (Hayek, 1947, p 77-79).
B- L’analyse de la production
L’analyse de la production chez les classiques repose essentiellement sur les 4 piliers suivants
: la division du travail ; la théorie de la valeur ; la loi des débouchés de J-B Say ; la théorie
quantitative de la monnaie.
29
1 La division du travail : chez les classiques, le processus de production est la combinaison
de facteurs de production (terre, travail, capital). Plus la spécialisation des tâches, ou encore la
division du travail est poussée, plus le produit obtenu (la combinaison des facteurs de
production) sera élevé (efficace). Dans son ouvrage, « Recherches sur la nature et les causes
de la richesse des nations », Adam Smith introduira la division du travail en s’appuyant sur le
célèbre exemple de la manufacture d’épingles : « Un ouvrier tire le fil à la bobine, un autre le
dresse, un troisième coupe la dressée, un quatrième empointe, un cinquième est employé à
émoudre le bout qui doit recevoir la tête. Cette tête est elle-même l’objet de deux ou trois
opérations séparées : la frapper est une besogne particulière ; blanchir les épingles en est
une autre ; c’est même un métier distinct et séparé que de piquer les papiers et d’y bouter les
épingles ; enfin, l’important travail de faire une épingle est divisé en dix huit opérations
distinctes ou environ, lesquelles, dans certaines fabriques, sont remplies par autant de mains
différentes, quoique dans d’autres le même ouvrier en remplisse deux ou trois » (1776, [1991,
p. 72]). La division du travail aurait trois avantages. Premièrement, l’accroissement de
l’habileté de l’ouvrier augmente la quantité de produits qu’il peut réaliser.
Deuxièmement, le gain de temps qui se perd en passant d’un ouvrage à l’autre peut être
réutilisé dans une autre activité. Troisièmement, la division du travail serait à l’origine de
l’invention de toutes les machines propres à abréger et à faciliter le travail.
Par la suite, la division du travail sera à la base de la doctrine du Libre-échange prôné par les
classiques. En effet, Adam Smith souligne, dans le chapitre II des « Recherches sur la nature
et les causes de la richesse des nations », que c’est « la certitude de pouvoir troquer tout le
produit de son travail qui excède sa propre consommation, contre un pareil surplus du
produit du travail des autres qui peut lui être nécessaire, [qui] encourage chaque homme à
s’adonner à une occupation particulière, et à cultiver et perfectionner tout ce qu’il peut avoir
de talent et d’intelligence pour cette espèce de travail » (1776, [1991, p. 83]). Ainsi, puisque
c’est la faculté d’échanger qui donne lieu à la division du travail, l’accroissement de cette
dernière sera limité par l’étendue de la faculté d’échanger, ou, en d’autres termes, par
l’étendue du marché.
2 La théorie de la valeur s’interroge sur la richesse qu’il faut produit. C’est également l’une
des questions les plus controversées du 19 ème siècle. On distingue généralement deux écoles,
l’école anglaise basée sur la valeur d’échange, et l’école française basée sur la valeur utilité.
Adam Smith et David Ricardo se sont engagés sur la voie d’une théorie objective de la valeur,
recherchant au delà de la valeur d’usage des biens (subjective et variable d’une situation à
une autre), les fondements d’une valeur d’échange acceptable par tous. Selon Adam Smith, «
il s’agit d’examiner quelles sont les règles que les hommes observent naturellement, en
échangeant les marchandises l’une contre l’autre, ou contre de l’argent. Ces règles
déterminent ce qu’on peut appeler la Valeur relative ou échangeable des marchandises »
(1776, [1991, p. 96]). Cette approche ne concerne que les biens reproductibles. Pour Smith, à
l’état primitif, il n’existe qu’un seul facteur de production, le travail. Le rapport de valeur de
deux biens sera alors directement en proportion de la quantité de travail nécessaire pour les
obtenir : « la valeur d’une denrée quelconque pour celui qui la possède et qui n’entend pas en
user ou la consommer lui-même, mais qui a intention de l’échanger pour autre chose, est
égale à la quantité de travail que cette denrée le met en état d’acheter ou de commander. Le
travail est donc la mesure réelle de la valeur échangeable de toute marchandise » (1776,
30
[1991, p. 99]) Dans un état plus avancé, il faut tenir compte du profit du capital et de la rente
foncière incorporés dans chaque produit. Ce n’est plus une théorie de la valeur travail, mais
une expression du coût de production. Smith propose cependant de ne pas abandonner le
travail et d’estimer la valeur des biens en termes de travail commandé ou équivalent salarié.
Ricardo rappelle que les quantités proportionnelles de travail nécessaire pour obtenir chaque
objet paraissent être la seule règle d’échange possible. La valeur d’échange se ramène à une
quantité de travail incorporé (travail consacré aux outils et aux machines).
De son côté, J-B Say, suivant une tradition déjà bien établie en France par Turgot (1769) et
Condillac (1776), revient sur la théorie subjective de la valeur, l’utilité. Dans son Traité
d’économie politique, Jean-Baptiste Say précise que « si les hommes attachent de la valeur à
une chose, c’est en raison de ses usages : ce qui est bon à rien, ils n’y mettent aucun prix.
Cette faculté qu’ont certaines choses de pouvoir satisfaire aux divers besoins des hommes,
qu’on me permette de la nommer utilité… La production n’est point création de matière, mais
une création d’utilité. Elle ne se mesure point suivant la longueur, le volume ou le poids du
produit, mais suivant l’utilité qu’on lui a donnée » (1803, [1972, p. 50-51]). Une formulation
rigoureuse de l’utilité ne sera donnée qu’à la fin du 19 ème siècle avec l’introduction
concomitante de la rareté. La théorie de la valeur serait alors liée à l’utilité et la rareté d’un
bien.
3 La loi des débouchés de J-B Say souligne que « c’est la production qui ouvre des
débouchés aux produits » (1803, [1972, p. 138]). Par la suite, cette loi a donné lieu à quelques
polémiques.
Certains l’ont assimilé au précepte « toute offre crée sa demande » et reproché à l’approche
classique son incapacité à saisir la portée de la demande. Or, Jean-Baptiste Say était tout à fait
conscient de l’importance de la demande. En insistant sur les débouchés, il souhaitait
simplement rappeler que les produits s’échangeaient contre d’autres produits et que la
monnaie ne remplissait « qu’un office passager dans ce double échange » (1803, [1972, p.
140]). Dès lors, l’achat d’un produit ne pouvait être fait qu’avec la valeur d’un autre produit.
Dans ces conditions, « plus les producteurs sont nombreux et les productions variées, et plus
les débouchés sont faciles, variés et vastes » (ibid).
4 La théorie quantitative de la monnaie (TQM) rappelle que la monnaie est un voile, elle
sert uniquement à faciliter les transactions économiques. La monnaie est une marchandise
comme une autre, sa seule fonction est de servir d’intermédiaire des échanges. Dans son
Traité d’économie politique, J-B Say note que « la marchandise intermédiaire, qui facilite
tous les échanges (la monnaie), se remplace aisément dans ce cas-là par d’autres moyens
connus des négociants, et bientôt la monnaie afflue, par la raison que la monnaie est une
marchandise, et que toute espèce e marchandise se rend aux lieux où l’on en a besoin »
(1803, [1972, p. 139]).
L’équation de la TQM illustre ce phénomène. Elle se présente de la manière suivante : M .v =
p.Y M désigne la masse monétaire ; v, la vitesse de circulation de la monnaie ; p, le niveau
général des prix et Y, les transactions économiques. Considérer que la monnaie est un voile,
revient à accepter le raisonnement suivant : toute hausse de M doit correspondre à une hausse
de Y (c’est parce que les transactions économiques augmentent, que l’on a besoin de plus de
monnaie). Si M augmente indépendamment de Y, alors c’est p qui augmentera (une
31
augmentation de monnaie qui ne correspond pas à une augmentation des transactions
économiques, génère une hausse des prix, c’est à dire dans le langage courant, de l’inflation).
C- La répartition
La question de la répartition du produit concerne les classes, au nombre de trois : les
propriétaires terriens, les capitalistes, les travailleurs. Chaque classe offre une contribution
particulière au produit, un facteur de production propre : la terre, le capital, le travail. Chaque
facteur reçoit un revenu qui lui est propre (et dont la détermination est spécifique) : la rente, le
profit, le salaire.
1- La théorie de la rente est associée à deux apports. Malthus et Smith considèrent que la
rente foncière est considérée comme un don gratuit de la nature récupérée par les
propriétaires fonciers en vertu de leur pouvoir monopole de détention de la terre. De leur
côté, Ricardo et Mill introduisent le principe de la rente différentielle. Comme la terre est
limitée, les rendements sont décroissants. On admet ainsi que les nouvelles terres qui
seront mises en chantier, seront de moins en moins fertiles.
2- La théorie de l’intérêt : les classiques considèrent que le profit et l’intérêt sont
assimilables.
Smith avance que le profit est la part de la richesse produite qui revient aux capitalistes. Pour
Ricardo, il s’agit de faire une soustraction entre la valeur créée et la part allant aux salariés
pour assurer leur entretien, la part aux propriétaires fonciers en vertu de la rente différentielle.
En fait, dans l’approche libérale, le profit rémunère le risque de l’entrepreneur et des
apporteurs de capitaux.
Le profit d’aujourd’hui est la condition des investissements de demain.
PROFIT (t) → INVESTISSEMENTS (t+1) → PRODUCTION (t+1) → EMPLOI (t+1) →
SALAIRES (t+1)
3- La théorie du salaire présente deux versions complémentaires. La première de court
terme s’appuie sur la théorie du fonds des salaires (A. Smith, J-S Mill). La masse
salariale (salaire multiplié par le nombre de travailleurs) est considérée comme
prédéterminée par le montant des capitaux accumulés (épargne) par les capitalistes pour
engager le processus de production. Ainsi w N = S (où w désigne le salaire ; N, le travail
et S, l’épargne). La seconde, de long terme, introduit le salaire naturel (Malthus,
Ricardo). Le travail est une marchandise, qui a un coût de production correspondant au
minimum nécessaire à l’entretien de l’ouvrier et de sa famille.
L’Ecole néoclassique, née dans les années 1870, regroupe des économistes rattachés au
courant marginaliste. Ses théories sont en grande partie encore dominantes aujourd’hui et
elles se basent sur les notions d’utilité marginale et d’équilibre du marché et sur une
conception de l’individu en tant qu’Homo œconomicus.
32
économistes néoclassiques s’opposent à l’intervention de l’Etat dans l’économie. Ils font
confiance au marché pour allouer efficacement et justement les ressources.
A- Auteurs et écoles
Dans les années 1870, trois économistes développent presque simultanément et sans se
concerter le concept d’utilité marginale. Ils sont à la base d’un courant de pensée
économique, le marginalisme, et sont considérés comme les fondateurs de l’Ecole
néoclassique.
33
cardinale or Pareto considère cela comme irréalisable car chacun est seul juge de sa
satisfaction et que cette dernière dépend de nombreux facteurs (moment, durée...) donc
on ne peut procéder à des comparaisons interpersonnelles (entre des individus
différents). C'est une rupture dans les pratiques des économistes travaillant aussi sur
l'utilité puisqu'il effectue une séparation entre les comparaisons interpersonnelles
d'utilité et les comparaisons interpersonnelles... Malgré la difficulté Pareto va chercher
des modes de comparaison pour déterminer l'optimum de satisfaction sans brimer les
individus ou faire intervenir un être suprême (Dieu, Grand Horloger...). Dans son
ouvrage "Cours d'Économie Politique", Pareto nous présente le terme d'ophélimité
comme étant plus ou moins semblable à la valeur d'usage, ou plus exactement comme
le "rapport de convenance entre l'homme et l'objet". On ne peut que réaliser un
classement, une échelle de préférence du meilleur au pire de cette ophélimité. Pareto
propose dans son "Manuel d'Économie Politique" comme Edgeworth de réaliser des
"lignes d'indifférence" des goûts qui seront largement utilisées par la suite et qui
permettent de se débarrasser des difficultés liées à l'utilité cardinale. L'optimum de
Pareto est atteint lorsqu'il n'est pas possible en situation de concurrence
d'améliorer la situation d'un individu (d'un agent) sans diminuer le bien-être
d'au moins un autre individu... Tant qu'il est possible d'accroître par la réallocation
des ressources la satisfaction ou ophélimité de certains sans nuire à d'autres, le critère
du maximum d'ophélimité n’est pas atteint. Il faut toutefois remarquer que ce
maximum d'ophélimité n'est pas unique bien au contraire... sa définition récuse
l'existence d'un optimum unique et met à la place un nombre infini d'optimum qui ne
peuvent être comparés. V. Pareto observera dans son ouvrage "Manuel d'Économie
Politique" (ch6.61) qu'en théorie un optimum de Pareto peut être atteint aussi bien
grâce à une planification parfaite que grâce à une concurrence pure et parfaite.
34
mathématiques apparaissent comme gage de rigueur scientifique, leur utilisation est
donc intensive dans les analyses économiques néoclassiques.
Les Néoclassiques accordent une grande importance aux raisonnements
microéconomiques: toute la théorie repose sur des postulats concernant les
comportements individuels, à partir desquels les phénomènes collectifs sont expliqués.
Ils conçoivent la société comme composée uniquement d’individus, contrairement aux
Classiques qui envisagent des classes ou des groupes sociaux. Le monde tel que conçu
par les néoclassiques exclut aussi l’Histoire et les institutions (celles-ci ne servent qu’à
garantir le bon fonctionnement du marché).
Le concept d’Homo œconomicus est à la base de la théorie: il s’agit d’une conception
abstraite de l’être humain, dans laquelle l’individu agit rationnellement, c’est-à-dire en
essayant de maximiser sa satisfaction compte tenu de ses ressources limitées.
D- La révolution marginaliste
- La valeur par l’utilité
La conception objective de la valeur portée par certains auteurs classiques explique
que la valeur d’un bien peut être définie par la quantité de travail nécessaire pour sa
production. Les Néoclassiques rejettent cette idée au profit d’une théorie subjective de
la valeur: la valeur par l’utilité. Carl Menger (cité par Samuelson, 1990, p. 132)
affirme que « l’utilité est la capacité que possède une chose de servir à la satisfaction
des besoins humains » et que « la valeur n’est pas inhérente aux biens, elle n’en est
pas une propriété; elle n’est pas une chose indépendante qui existe en soi. C’est un
jugement que les sujets économiques portent sur l’importance des biens dont ils
peuvent disposer pour maintenir leur vie et leur bien-être ».
Ainsi le prix d’un produit n’est pas déterminé par la production, mais par le marché:
c’est simplement le prix que quelqu’un est disposé à payer pour ce produit. Il s’agit du
prix « d’équilibre » du marché.
- L’utilité marginale
Les auteurs néoclassiques sont aussi appelés « marginalistes », car ils défendent l’idée
que la valeur est proportionnelle à l’utilité marginale. Celle-ci est la satisfaction que
procure la consommation d’une unité de bien supplémentaire. L’utilité marginale est
décroissante: par exemple, si l’on a soif, un verre d’eau procure une grande
satisfaction, un second verre une satisfaction un peu moins grande, etc. L’utilité
marginale du verre d’eau décroît donc avec la quantité consommée.
- Consommation et production et équilibre
A partir de cette théorie de l’utilité et du postulat de rationalité des individus, les
économistes néoclassiques analysent le comportement du consommateur (la demande)
et du producteur (l’offre). Le consommateur est rationnel: il cherche à maximiser sa
satisfaction tout en minimisant ses dépenses. Il doit faire des choix pour répartir son
argent dans les différents produits dont il a besoin. Sa situation optimale (l’équilibre)
est atteinte lorsque les utilités marginales sont égales pour chaque bien, en tenant
compte des prix relatif, c’est-à-dire quand l’achat d’une unité supplémentaire d’un «
bien A » lui apporte la même satisfaction que l’achat d’un « bien B » supplémentaire.
Ainsi, on détermine la demande d’un individu à partir de ses choix rationnels. Pour
35
connaître la demande globale sur un marché, il suffit d’additionner toutes les
demandes individuelles. La fonction de demande globale est décroissante: plus un bien
est cher, moins il y a de demande.
Le producteur est aussi un agent rationnel, son objectif est de maximiser son profit (ou
minimiser ses coûts). Dans ce but, il produit des biens en combinant différents «
facteurs » (le travail, les machines, la terre). Comme pour le consommateur, le
producteur a une situation d’équilibre: lorsque le coût de production d’une unité
supplémentaire de marchandise égale le revenu qu’il en tire. En additionnant les offres
de chaque producteur, on obtient une fonction d’offre globale. Celle-ci est croissante
par rapport aux prix: plus le prix d’un bien est élevé, plus les producteurs voudront
augmenter les quantités produites de ce bien.
En confrontant l’offre et la demande globale pour un produit, on trouve la situation
d’équilibre qui indique le prix auquel s’échange le produit. En raisonnant sur un seul
marché, on fait l’étude d’un équilibre partiel. Mais si l’on considère que les marchés
s’influencent entre eux (on dit qu’ils sont interdépendants), on étudie l’équilibre
général. Un changement d’offre ou de demande sur un marché influence directement
ou indirectement tous les autres marchés. Léon Walras a proposé un modèle
d’équilibre général: il prend en compte l’interdépendance des marchés. Dans cette
situation d’équilibre général, tous les agents sont simultanément dans la meilleure
situation possible compte tenu de leurs ressources.
- Les salaires
Les salaires sont déterminés par la confrontation de l’offre et de la demande de travail:
le travailleur offre son travail en échange d’un salaire. Il compare l’utilité (le gain)
tirée de son travail à sa « désutilité » (la pénibilité, la fatigue) et peut décider de
travailler ou non. La demande de travail vient de l’entrepreneur. Dans cette
conception, on ignore les rapports de forces entre classes sociales, qui sont pourtant
importants dans la détermination des salaires. La vision des individus comme libres de
vendre ou non leur travail est aussi critiquable: c’est oublier l’obligation des individus
de travailler pour vivre.
- Chômage et crises
Les économistes néoclassiques s’intéressent peu aux crises et au chômage. Ils pensent
que si l’Etat n’intervient pas et qu’on laisse libre cours au marché, le chômage ne peut
être que passager et le plein-emploi est assuré. Le chômage ne persiste qu’à cause de
l’intervention de l’Etat et des syndicats qui empêchent de baisser les salaires, nuisant à
la concurrence sur le marché du travail. S’appuyant sur la loi des débouchés de Say,
les Néoclassiques pensent que les crises de surproduction sont impossibles: à une offre
globale correspond forcément une demande globale. Ceci sera remis en question lors
de la grande crise des années 1930.
36
Avec Franck Knight (1885-1972) est le fondateur de l’école dite de Chicago. Dans son
ouvrage « Risque, Incertitude et Profit » (1921), Knight introduira une distinction entre le
risque et l’incertitude. Le risque correspond à une situation dans laquelle l’avenir peut être
appréhendé par l’intermédiaire de probabilités (on dit que l’avenir est probabilisable). A
l’opposé, l’incertitude désigne une situation dans laquelle il est impossible de faire une
quelconque projection (pas de probabilités possibles). Le profit est ainsi présenté comme la
contrepartie du risque assumé par l’entrepreneur, ou tout du moins l’incertitude dans laquelle
il est lorsqu’il prend une décision. Le profit sera donc d’autant plus élevé que l’incertitude de
l’avenir est grande.
Milton Friedman fait partie de l’Ecole de Chicago. Dans son ouvrage « Capitalism and
Liberty » (1962), il explique que dans une économie de marché, la réduction du rôle de l’Etat
est la seule manière d’atteindre la liberté politique et économique. Dans un autre ouvrage,
intitulé « Free to Choose » (1980) co-rédigé avec sa femme, Rose, Milton Friedman défend la
thèse de la supériorité du système libéral sur tous les autres systèmes.
Milton Friedman sera également l’initiateur du courant monétariste et l’un des plus grands
opposants à la théorie keynésienne. Il considère que la monnaie a un rôle déstabilisateur à
court terme sur les prix et sur les changes (une politique monétaire limitant la progression de
la masse monétaire serait donc efficace pour lutter contre l’inflation). La monnaie ne joue
cependant aucun rôle à moyen ou long terme.
37
Le niveau de recettes fiscales OR peut être obtenu avec un taux de pression fiscale faible (t)
ou un taux de pression fiscale élevé (v). Le point E correspond au niveau maximum de
recettes fiscales.
Marx (1818 -1883) est né en Prusse, de famille aisée, cultivée et libérale (père avocat), il
entre à l’université de Bohn en Droit-Philosophie. Il fait une thèse sur Epicure. Faisant partie
des hégéliens de Gauche, le gouvernement le refuse en tant que professeur. Il sera
successivement expulsé de la
France (1845), de la Belgique (1848), puis d’Allemagne, il s’installera en Angleterre dans la
misère malgré l’aide de son ami Engels.
38
mouvement de contestation syndical (le socialisme) et une réflexion d’ensemble sur les
rouages et l’avenir du capitalisme (le marxisme). Marx étudie en effet la société capitaliste
anglaise, première nation industrielle afin d’en tirer certaines lois. Il s’agit avant tout d’une
étude historique du développement et de l’essor du capitalisme. Cette critique du capitalisme
est contenue dans son œuvre majeure 6 « Le capital » publié en quatre tomes.
Les principaux travaux de Marx sont : la Lutte des Classes en France (1850) ; Le 18
Brumaire de L.N Bonaparte
(1852) ; La contribution à l’économie politique (1857) ; Salaires, prix et profits (1865) ; Le
capital I (1867) ; La guerre civile en France (1871) ; Critique du programme de Gotha
(1875) ; Le Capital II et III (1895) ; Le Capital IV (1905).
B- La crise du capitalisme
Pour Karl Marx, la crise du capitalisme est inéluctable, et ceci pour plusieurs raisons :
- Les décisions des agents économiques ne sont pas coordonnées. D’une part, la production et
la consommation sont des opérations disjointes. Les biens sont produits pour être vendus en
échange
de monnaie, et non pour satisfaire la demande, ce qui entraîne des désajustements entre
production et consommation. D’autre part, l'investissement est réalisé par les entreprises
capitalistes dans les branches susceptibles de procurer des taux de profit élevés sans pour
autant qu'une demande effective soit assurée. Si l’économie est décomposée en deux sections
productives : l'une de biens de production (section I), l'autre de biens de consommation
(section II). L'absence de coordination de l'investissement empêche la réalisation permanente
des conditions d'équilibre d'une telle économie.
39
- L'économie capitaliste fait apparaître un problème de sous-consommation ouvrière.
L'entrepreneur individuel, en cherchant à maximiser ses profits, va faire pression sur les
salaires qui représentent un coût. Or ces salaires sont un élément de la demande effective
(cette situation devrait s'accentuer avec la croissance du salariat). Ceci caractérise une
situation de surproduction par rapport à la demande effective. Le marché va sanctionner cette
surproduction en entraînant une baisse des prix qui va elle même provoquer une baisse du
taux de profit. Cette baisse du taux de profit va inciter les capitalistes à investir dans d'autres
activités. Le taux de profit joue ainsi le rôle de régulateur des désajustements. La chute des
prix et du taux de profit provoque une baisse de la production, de l'emploi, et du pouvoir
d'achat. C'est la dépression.
- Enfin, la recherche d’une plus-value toujours plus importante (notamment grâce à des
salaires bas, que Marx appelle, Minimum de Subsistance) et la concurrence entre capitalistes
devraient provoquer une paupérisation des ouvriers et un blocage dans le développement du
système capitaliste. Cette contradiction doit entraîner la destruction du capitalisme et
l’avènement du socialisme (l’un des fondements de l’idéologie socialiste repose sur
l’abolition des moyens privés de production, source d’exploitation du prolétariat, il faut lui
substituer des moyens collectifs de production).
Cette crise du capitalisme est un phénomène structurel. Il existe en effet une cause profonde
(à rechercher dans les contradictions du système capitaliste) et une cause immédiate
(concurrence permanente entre capitalistes, le développement économique, l'accumulation du
capital en vient à créer les conditions d'une surcapacité de production par rapport à la
demande effective). Dans le même temps, elle est cyclique et régulatrice. Marx considère que
de la crise va naître la reprise. La dépression entraîne une dévalorisation de la partie du capital
productif qui n'est plus en mesure de produire suffisamment de profit. Ce processus a trois
conséquences : (i) la concentration industrielle ; (ii) la réduction du taux de salaire permettant
la hausse du surplus pour les entreprises restantes ; (iii) la hausse du taux de profit (qui est le
rapport entre la valeur du surplus [qui augmente] et la valeur du capital engagée [qui
diminue].
40
avec le même ensemble d’hypothèses des problèmes tels que le chômage, le progrès
technique, la construction européenne... Ses chefs de file sont R. Boyer, M. Aglietta.....
Dans son ouvrage La théorie de la régulation : une analyse critique, Robert Boyer (1986)
précise que la généralisation de l'échange marchand rend les crises possibles. Il introduit une
notion intermédiaire, celle de régime d'accumulation, suggérant que de telles contradictions
peuvent être surmontées: « On désignera sous ce terme l'ensemble des régularités assurant
une progression générale et relativement cohérente de l'accumulation du capital, c'est à dire
permettant de résorber ou d'étaler dans le temps les distorsions et déséquilibres qui naissent
en permanence du processus lui-même » (1986, p. 46). En ce sens, les crises économiques
majeures sont des crises de mutation entre une régulation ancienne qui ne permet plus la
croissance économique et une nouvelle régulation qui permettra de résoudre les causes
profondes de la crise.
L'origine même de ces régularités apparaîtra au travers des formes institutionnelles, définies
comme la codification d'un ou plusieurs rapports sociaux fondamentaux. R. Boyer introduit
cinq formes institutionnelles (la monnaie, le rapport salarial, la concurrence, les modalités
d'adhésion au régime international, l'Etat) intervenant dans la détermination du régime
d'accumulation. Cet ensemble de concepts intermédiaires permet à Boyer de définir la notion
de régulation : « On qualifiera de mode de régulation tout ensemble de procédures et de
comportements, individuels et collectifs, qui a la triple propriété de : reproduire les rapports
sociaux fondamentaux à travers la conjonction de formes institutionnelles historiquement
déterminées, soutenir et piloter le régime d'accumulation en vigueur, assurer la compatibilité
dynamique d'un ensemble de décisions décentralisées » (1986, p. 54). Le mode de régulation
décrit ainsi comment les formes institutionnelles à travers leurs moyens d'actions, conjuguent
et contraignent les comportements individuels tout en déterminant les mécanismes
d'ajustement sur les marchés. Ces moyens d'action au nombre de trois, sont les suivants:
- La loi, la règle ou le règlement, définis au niveau collectif, ont pour vocation d'imposer,
par la coercition, directe ou symbolique et médiatisée, un certain type de comportement
économique aux groupes et individus concernés.
- La recherche d'un compromis, issu de négociations, insistant sur le fait que ce sont les agents
privés ou des groupes qui, partant de leurs intérêts propres, aboutissent à un certain nombre de
conventions régissant leurs engagements mutuels.
- L'existence d'un système de valeurs ou de représentations suffisant " pour que la routine
remplace la spontanéité et la diversité des pulsions et initiatives privés. De tels exemples se
retrouvent dans les croyances religieuses, dans les règles de bonne conduite, dans les vues sur
l'avenir selon Keynes...
Le krach boursier de 1929 a débouché sur une grande dépression et un chômage massif. Les
économistes de l'époque (dont Alfred Marshall, Irving Fisher ou Arthur Pigou), les
« classiques » tels que les dénomme Keynes, considèrent que le chômage est volontaire. Si les
individus sont sans emploi, c'est parce qu'ils refusent de travailler au niveau de salaire en
41
vigueur : ils jugent que ce dernier est trop bas. Pour Keynes, il est impossible de continuer à
soutenir une telle thèse avec un chômage massif en Grande-Bretagne et dans la plupart des
pays industrialisés.
Cette ambition apparaît sans ambiguïté dès la publication en 1930 de son premier ouvrage
théorique majeur, le « Traité sur la monnaie ». Son objectif principal est alors de démontrer
que la « théorie quantitative de la monnaie » (TQM) n'est pas une bonne approche de la
détermination du niveau général des prix. Ce dernier est le rapport d'échange entre la quantité
de monnaie en circulation et l'ensemble des biens et services. Il ne doit pas être confondu avec
les prix relatifs, qui sont les rapports d'échange des biens et services entre eux.
La (TQM) affirme que les quantités produites et échangées dépendent uniquement des
techniques de production et des préférences des agents économiques. La monnaie n'a
d'influence que sur le niveau général des prix. La démonstration de ces assertions repose sur
une égalité comptable : dans une économie donnée, au cours d'un intervalle de temps donné,
la valeur des moyens de paiements activés est égale à la valeur des transactions effectuées
(MV = PT). La valeur des moyens de paiements activés est la quantité de monnaie disponible
(M) multipliée par la « vitesse de circulation de la monnaie » (V). Cette dernière correspond
au nombre de paiements que la monnaie disponible permet d'effectuer au cours de la période
de temps considérée. La valeur des transactions est égale au volume des transactions
effectuées (T) multiplié par le niveau général des prix (P). Les partisans de la théorie
quantitative considèrent que la vitesse de circulation de la monnaie est une constante naturelle
indépendante des ajustements économiques. Ils considèrent aussi que la quantité de monnaie
42
est une variable entièrement exogène. Ils affirment enfin que le volume des transactions est
déterminé par la confrontation de l'offre et de la demande des différents biens et services, en
dehors de toute influence monétaire. Tout cela implique que les variations de la quantité de
monnaie ont une influence mécanique sur le niveau général des prix, mais aucune influence
sur les prix relatifs et les quantités produites.
Keynes entame sa critique de cette approche dichotomique en insistant sur plusieurs de ses
faiblesses. Il indique tout d'abord qu'il n'y a aucune raison de considérer la vitesse de
circulation de la monnaie comme une constante indépendante. De fait, les épargnants font
circuler leurs dépôts plus ou moins rapidement en fonction des circonstances économiques,
notamment en fonction des taux d'intérêt et des prix d'actifs. Keynes montre aussi qu'il n'est
pas satisfaisant de considérer la monnaie comme un élément exogène perturbateur alors
qu'elle est créée par l'intermédiaire du crédit bancaire, pour répondre aux besoins de
financement de l'économie. Mais son objectif le plus important est de démontrer que les
volumes de la production et de l'emploi ne sont pas déterminés indépendamment des
conditions monétaires. Cette ambition sera pleinement réalisée dans son œuvre majeure de
1936, la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie.
Dès le deuxième chapitre de la Théorie générale, Keynes affirme son refus de ce qu'il appelle
le « second postulat de l'économie classique ». Ce postulat résulte d'une application directe de
la théorie de l'utilité marginale (Stanley Jevons, Carl Menger) au comportement des salariés.
Ces derniers sont censés offrir leur travail jusqu'à ce que la désutilité marginale de celui-ci,
c'est-à-dire le sacrifice de loisir qu'il représente à la marge pour le travailleur, soit égale au
salaire réel. Ils sont donc en mesure, lorsqu'ils se présentent sur le marché du travail,
d'exprimer une offre de travail qui soit fonction croissante du salaire réel. Le salaire réel, qui
est égal au salaire nominal – celui qui est mentionné sur le contrat de travail et le bulletin de
salaire – divisé par le niveau général des prix, mesure le pouvoir d'achat du salaire.
Si l'on admet ce postulat, l'emploi et les salaires réels résultent d'une négociation entre les
entrepreneurs et les salariés, négociation où les deux parties sont sur un pied d'égalité. La
flexibilité du salaire réel permet alors à l'offre et à la demande de travail de s'égaliser, et les
salariés ne travaillant pas sont des chômeurs « volontaires » qui se sont retirés de la
négociation pour cause de salaire réel jugé insuffisant. Keynes affirme, au contraire, que les
préférences des salariés ne sont pas prises en compte : pour lui, le volume de l'emploi est
choisi par les entrepreneurs de manière unilatérale, en fonction de leur objectif de
maximisation des profits. Plus précisément, les entrepreneurs anticipent un certain niveau de
recettes, et choisissent ensuite un niveau d'emploi et de production tel que leurs coûts de
production soient exactement couverts par les recettes attendues. En choisissant le volume de
l'emploi, les entrepreneurs déterminent les revenus distribués et donc finalement les recettes
qui leur parviendront grâce à la consommation des salariés. Ces recettes constituent ce que
Keynes appelle la « demande effective ». Plus les recettes anticipées sont élevées et plus les
entrepreneurs sont prêts à embaucher un volume important de main-d'œuvre.
43
Au niveau macroéconomique, les ventes des entrepreneurs sont égales à la somme de deux
éléments : la consommation de biens et services et les achats de biens d'équipement
nécessaires à la production (investissement). La première dépend du revenu distribué et donc
du volume de l'emploi et des salaires. Les seconds résultent de la comparaison entre le taux
d'intérêt, qui est le coût de financement de l'investissement, et l'« efficacité marginale du
capital », qui est son taux de rendement anticipé. Les entrepreneurs ne décident d'investir que
si le taux d'intérêt est plus faible que l'« efficacité marginale du capital ».
En fin de compte, alors que les classiques et les néo-classiques considèrent que le niveau de la
production et de l'emploi sont déterminés par des données techniques ou naturelles (la
démographie, les besoins naturels, les préférences des agents et les techniques de production),
Keynes affirme que l'essentiel se joue dans la sphère des croyances : croyances des
entrepreneurs concernant le niveau des débouchés futurs ; croyances des épargnants
concernant leurs besoins en liquidités.
Si l'offre ne crée pas sa propre demande, l'économie peut être durablement bloquée dans des
régimes de faible croissance ne permettant pas d'employer pleinement les facteurs de
production. Il s'agit donc prioritairement de concevoir des politiques susceptibles d'accroître
la demande globale.
L'école de la synthèse regroupe deux grands courants. D'une part, les recherches qui, à partir
de la publication de l'article de John Hicks intitulé « Mr. Keynes and the Classics » (1937),
ont formalisé la Théorie générale dans des modèles de type IS/LM/DG/OG. D'autre part, les
travaux de « l'école du déséquilibre », encore appelée « théorie des équilibres à prix fixes » ou
« équilibres non walrassiens ».
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A- Le modèle IS-LM
Ce modèle permet de présenter dans un seul diagramme les relations entre le taux d’intérêt et
le niveau de production sous deux formes : une liaison traduisant l’équilibre offre demande de
biens et une relation traduisant l’équilibre offre et demande de monnaie.
La consommation est une fonction croissante du revenu : C = C(Y) 1 > dC/dY > 0 avec
Y pour le revenu national ou la production ; la propension marginale à consommer est
comprise entre 0 et 1 parce que plus de revenu permet de consommer davantage. Mais une
partie du revenu supplémentaire est épargnée donc dY > dC. L’investissement est une
fonction décroissante du taux d’intérêt r : I = I(r) dI/dr > 0. Les dépenses publiques G sont
exogènes : les pouvoirs publics décident du montant des dépenses et des recettes budgétaires.
La demande de monnaie est constituée de deux composantes : Une demande de monnaie pour
les transactions et le motif de précaution, L T(Y), fonction croissante du revenu Y ; et une
demande de monnaie de spéculation, LS(r), fonction décroissante du taux d’intérêt r :
La liaison positive avec le revenu traduit le fait que pour échanger des produits (faire des
transactions) il faut de la monnaie. Quand le revenu augmente il faut plus de monnaie pour
financer les transactions. De la même manière les ménages conservent de la monnaie par
prudence (précaution) et cela d’autant plus qu’ils ont un revenu plus élevé. La liaison négative
avec le taux d’intérêt traduit un motif de spéculation.
On retient ici la présentation keynésienne du taux d’intérêt : il n’a pas pour fonction
l’arbitrage entre consommer et épargner (taux d’intérêt contre préférence pour le
présent) mais entre deux usages de l’épargne : conserver de la monnaie et faire des
placements. Le taux d’intérêt comparé à la préférence pour la liquidité détermine s’il est
plus intéressant de détenir de la monnaie ou des titres (dans l’esprit du modèle, les titres
sont des obligations).
L’équilibre sur le marché des biens est réalisé si la demande est égale à l’offre :
Y=C+I+G Y = C + S avec S = Y - C = I + G
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r = D(Y) + G
Cette équation définit la courbe IS (pour Investement-Saving), qui est l’ensemble des couples
(Y,r) tel que le marché des biens est en équilibre.
La courbe IS est décroissante ce qui signifie que quand le taux d’intérêt augmente,
l’investissement diminue, réduisant la demande et le revenu (via le mécanisme du
multiplicateur keynésien).
Cette expression peut être transformée de manière à faire apparaître une liaison entre Y et r :
r = f(Y,M*). Cette équation définit la courbe LM (Liquidity Money), qui est l’ensemble des
couples (Y,r) tels que le marché de la monnaie est en équilibre.
Le résultat est intuitif puisque lorsque le revenu augmente, à masse monétaire inchangée, la
demande de monnaie pour un motif de transaction augmente. Pour rétablir l’égalité entre offre
et demande, le taux d’intérêt augmente (la monnaie ne peut pas être utilisée à la fois pour les
transactions et pour constituer des liquidités de précaution ou de spéculation. Cette part doit
être réduite ce qui implique une hausse du taux d’intérêt.
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Deux cas particulier sont généralement envisagés :
Celui où la demande de monnaie pour réaliser les échanges est tellement importante
(du fait de l’importance de Y) qu’elle absorbe toute la masse monétaire. En supposant
que L(Y,r) s’écrit L(Y,r) = LT(Y) + LS(r), ce cas signifie que LT(Y) = M*. Alors, LM
est verticale (augmenter le taux d’intérêt n’a pas d’effet sur la demande de monnaie).
Celui de la trappe à liquidité. Cas où les anticipations sont telles que la demande de
monnaie est infinie, quel que soit le niveau du taux d’intérêt. Un taux d’intérêt plus
bas n’a pas d’influence sur la demande de monnaie. LM est horizontale.
La confrontation des deux courbes permet de déterminer le couple taux d’intérêt et revenu
total compatible avec les deux équilibres : celui des biens et celui de la monnaie.
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En particulier le modèle montre qu’une politique budgétaire augmentant la demande de
produits voit ses effets réduits par l’élévation du taux d’intérêt qu’elle induit pour respecter
l’équilibre entre offre et demande de monnaie. C’est l’effet de retour financier : une demande
plus importante. Plus de produits demandés, c’est une plus grande demande de monnaie de
transaction et si l’offre de monnaie est constante cela implique une hausse du taux d’intérêt.
Cette dernière pénalise l’investissement et affaiblit l’effet multiplicateur : la production
augmente moins fortement qu’elle ne l’aurait fait en l(absence de "retour financier".
On en vient naturellement à l’idée d’une politique mixte, policy-mix, associant une politique
budgétaire et une politique monétaire (destinée à réduire la hausse du taux d’intérêt).
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