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Physiopathologie du diabète

Mécanismes d’une pandémie silencieuse



Chez le même éditeur

Diabétologie, 3e édition, par L. Monnier et C. Colette, 2019, 584 pages.


Diabétologie de l'enfant, par M. Nicolo et R. Coutant, collection « Pédia », 2019, 344 pages.
Guide pratique du diabète, 6e édition, par A. Hartemann et A. Grimaldi, 2019, 360 pages.
Le Syndrome du pied diabétique, par G. Ha Van, 2019, 432 pages.
Diabétologie : 55 démarches cliniques, par L. Monnier et C. Colette, 2017, 568 pages.
Manuel de nutrition pour le patient diabétique, par L. Monnier et J.-L. Schlienger, 2018, 432 pages.
Les Obésités. Médecine et chirurgie, par J.-M. Lecerf, K. Clément, S. Czernichow, M. Laville, J.-M. Oppert,
F. Pattou et O. Ziegler, 2021, 752 pages.

Physiopathologie du diabète
Mécanismes d’une pandémie silencieuse

Bernard Portha
Professeur émérite de physiologie

Laboratoire B2PE (Biologie et pathologie du pancréas endocrine),


Unité BFA (Biologie fonctionnelle et adaptive), CNRS UMR 8251,
Université Paris Cité, Paris, France
Elsevier Masson SAS, 65, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex, France

Physiopathologie du diabète de Bernard Portha.


© 2022, Elsevier Masson SAS
ISBN : 978-2-294-78025-7
e-ISBN : 978-2-294-78054-7
Tous droits réservés.

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En couverture : Image de pancréas de souris NOD diabétique. L'image montre une reconstruction 3D d'un lobe splénique. Le
contour du parenchyme pancréatique est généré à partir de son autofluorescence et le rendu transparent est créé par un logiciel
d'imagerie. Les îlots sont visualisés en rouge par un marquage spécifiques des cellules à insuline, et les agrégats de lymphocytes
infiltrantes CD3+ en vert.
Source : Gurzov ES, Ke PC, Ahlgren U, Garcia Ribeiro RS, Gotthardt M. Novel strategies to protect and visualize pancreatic β cells
in diabetes. Trends in Endocrinology and Metabolism 2020;31(12):905-17.

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Ce livre est dédié à CTR
Table des zooms

Chapitre 1 Zoom 4.5


La parabole des aveugles et de l'éléphant . . . . . . . . . . . 128
Zoom 1.1
Toronto 1920, Theodore Ryder, 4 ans, diabétique. . . . . . 1
Chapitre 5
Zoom 1.2 Zoom 5.1
Coma et coma. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
La pêche aux gènes impliqués dans
Zoom 1.3 les diabètes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135

Le who's who des diabètes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Zoom 5.2


Comprendre l'influence de l'environnement sur
l'expression des gènes grâce à l'épigénétique . . . . . . . . 144
Chapitre 2
Zoom 5.3
Zoom 2.1
Histoire de sucres. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
Mystérieuse thériaque. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
Zoom 5.4
Zoom 2.2 Sur l'écran radar des toxicologues. . . . . . . . . . . . . . . . . 175
Un prix Nobel polémique et du rififi chez les
physiologistes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 Zoom 5.5
Une histoire naturelle du diabète de type 2 :
le modèle indien. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
Chapitre 3
Zoom 5.6
Zoom 3.1
À quoi peut servir un modèle animal de diabète
Les adipocytes ne sont pas tous blancs : de type 2 ? Destinée d'un top-modèle . . . . . . . . . . . . . . 195
il y a aussi les bruns et les beiges ! . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Zoom 5.7
Zoom 3.2 Indispensable expérimentation animale. . . . . . . . . . . . . . 200
Comment explorer le métabolisme énergétique ? Outils
et méthodes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
Chapitre 6
Chapitre 4 Zoom 6.1
Diabète, dyslipidémie et perturbation du trafic
Zoom 4.1 des lipoprotéines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212
Un stress de plus : le SRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
Zoom 6.2
Zoom 4.2 La cellule endothéliale et l'hyperglycémie :
la cible et les quatre missiles. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
NAFL, NASH, stéatose non alcoolique, stéatohépatite
non alcoolique, cirrhose non alcoolique… Bref, la maladie
du foie gras !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 Chapitre 7
Zoom 4.3 Zoom 7.1
Le cerveau discute de métabolisme avec les La découverte du premier antidiabétique issu
tissus périphériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 de la chimie. Progrès et sérendipité . . . . . . . . . . . . . . . . 254

Zoom 4.4 Zoom 7.2


Glucagon, une hormone dans l'ombre de sa Les aventures de la metformine, l'antidiabétique
grande sœur l'insuline. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120 le plus utilisé au monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258
XII Table des zooms

Zoom 7.3 Zoom 8.2


L'intestin au secours du pancréas : les dérivés La place des Big Pharma en diabétologie. . . . . . . . . . . . 306
du GLP1 et les gliptines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263
Zoom 8.3
Zoom 7.4 Médicament et société : la controverse
Le rein au secours de l'hyperglycémie : des statines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 316
les glifozines. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268
Zoom 8.4
Mediator, l'antidiabétique de trop. . . . . . . . . . . . . . . . . . 319
Chapitre 8
Zoom 8.1
Développer un antidiabétique : 10 années à 1 milliard,
si tout va bien. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 302
Préface

On connaît le diabète depuis trois mille ans moins de 5 ans ? Par contre, on sait de mieux en
mais la diabétologie comme discipline clinique mieux mimer l'insulinosécrétion physiologique
est vraiment née en 1922 avec le premier trai- grâce aux progrès biotechnologiques permet-
tement par injections d'insuline d'un enfant, tant d'adapter le débit de perfusion des pompes
Leonard Thompson, en train de mourir d'acido- externes à insuline aux variations du taux de glu-
cétose. Dans son livre Physiopathologie du diabète. cose interstitiel mesuré en continu. On s'approche
Mécanismes d'une pandémie silencieuse, le profes- du pancréas artificiel. D'ores et déjà on peut éviter
seur de physiologie Bernard Portha rapporte un les complications de la « triopathie » diabétique
siècle d'histoire de la diabétologie. Il fait le point touchant l'œil, les reins et les pieds, dont la sur-
actuel des connaissances à la fois biologiques et venue était autrefois quasi inexorable. Cependant
cliniques, jusqu'aux avancées les plus récentes tant que la boucle de régulation glucose-insu-
concernant le métabolisme énergétique, les méca- line ne sera pas « fermée », tant que persistera un
nismes de sécrétion et d'action de l'insuline, la risque d'hyper- ou d'hypoglycémie, le patient
physiopathologie du diabète de type 1 et du dia- devra apprendre à mesurer pour décider. Grâce
bète de type 2 et des diabètes du 3e type, la part du aux progrès des dernières années, les outils sont
déficit insulinosécrétoire et celle de l'insulinorésis- de plus en plus précis et faciles à manier. En consé-
tance, le rôle de la génétique et celui de l'environ- quence, les décisions sont de plus en plus efficaces.
nement. En même temps, Bernard Portha nous L'apprentissage n'en reste pas moins indispen-
raconte l'histoire du progrès des connaissances sable et « l'acceptation de la maladie » en demeure
et des découvertes thérapeutiques, il explique le le préalable incontournable. Paradoxalement, plus
mode d'action des différents médicaments et trace on arrive à copier l'homéostasie biologique per-
les voies de la recherche fondamentale et de la due grâce aux progrès thérapeutiques, plus les
recherche clinique désormais étroitement liées. Il soignants doivent aider le patient à maintenir son
s'agit de mieux comprendre pour agir plus effica- « homéostasie émotionnelle », c'est-à-dire l'évite-
cement. La lecture de Physiopathologie du diabète. ment de l'anxiodépression, sans avoir besoin de
Mécanismes d'une pandémie silencieuse, véritable recourir au déni, au clivage ou à la dénégation,
encyclopédie moderne enrichie de rappels histo- sans céder aux recettes de la pensée magique et aux
riques, rend à la fois plus modeste et plus intelli- pratiques addictives ou s'adonner à des conduites
gent. Elle donne envie de participer à l'écriture de à risque. Ce processus de résilience suppose que le
la suite de cette aventure scientifique et humaine. patient arrive à remanier son « identité narrative »
On sait aujourd'hui que le diabète de type 1 pour faire une place à la maladie (ni l'exclure ni
est la cicatrice métabolique d'une maladie auto- lui donner toute la place) tout en gardant sa joie
immune. Mais, on ne sait toujours pas le préve- de vivre.
nir grâce à une immunothérapie sans risque. Et On sait aujourd'hui que le diabète de type 2
on ne connaît pas les facteurs environnementaux est une maladie hétérogène associant de façon
déclenchant le processus auto-immun. Qu'est-ce variable une résistance à l'action de l'insuline et
qui explique que l'incidence du diabète de type 1 une déficience de la sécrétion d'insuline qui s'ag-
augmente en particulier chez les petits enfants de grave au fil des ans. D'abord relative, elle devient
XIV Préface

absolue. Même si la physiopathologie met en ou chirurgicaux : l'homme chimiquement ou


exergue le défaut génétique d'adaptation de la anatomiquement modifié. Je me souviens d'une
capacité insulinosécrétoire à la demande accrue petite étude pilote randomisée portant sur la pré-
d'insuline provoquée par l'insulinorésistance, vention du diabète de type 2 chez quatre-vingt-
l'évolution de la pandémie de diabète de type 2 quinze Indiens pimas obèses non diabétiques,
s'explique fondamentalement par « l'épidémie publiée en 1998 dans la revue anglaise Diabetic
d'insulinorésistance ». Celle-ci a aussi une com- Medicine. Les auteurs avaient cherché à évaluer le
posante génétique, mais elle est essentiellement bénéfice d'une éducation active structurée prolon-
d'origine comportementale : diminution de l'acti- gée sur la prise de poids et les données biologiques
vité physique, sédentarisation, macdonisation de métaboliques des patients. Quarante-huit patients
l'alimentation et cocacolisation de la boisson. Elle constituant le groupe « Pima Action » bénéfi-
touche l'ensemble de la planète, mais tout parti- cièrent d'un « coaching » par des diététiciennes
culièrement les pays connaissant des changements et des moniteurs pour favoriser les changements
rapides du mode de vie suivant l'urbanisation et qualitatifs d'alimentation et l'augmentation de
l'industrialisation agroalimentaire. Les Indiens l'activité physique. Les quarante-sept patients du
pimas vivant en Arizona sur les rives de la rivière groupe contrôle reçurent une information stan-
Gila paient un lourd tribut. À l'âge de 35 ans, dard sur la diététique et l'activité physique recom-
75 % sont obèses et 50 % ont un diabète de type 2. mandées. Mais, de façon à bénéficier d'un temps
On sait que ce n'était pas le cas avant la Seconde comparable de « prise en charge » par rapport
Guerre mondiale et ce n'est toujours pas le cas des aux patients du groupe Pima Action, ces patients
Indiens des tribus pimas mexicaines partageant furent invités à participer à des conférences et à
le même patrimoine génétique mais ayant gardé des activités célébrant la culture pimas ancestrale.
leur mode de vie ancestral. En réalité, les gènes Ils formèrent le groupe Pima Pride, la fierté pimas.
« d'épargne » qui favorisaient la survie en période Au bout d'un an, c'est le groupe Pima Action et
de manque d'apports caloriques et d'activité phy- non le groupe Pima Pride qui avait pris le plus de
sique importante sont devenus des gènes de sus- poids et détérioré le plus la tolérance au glucose.
ceptibilité en période de sédentarité et d'apports Bien sûr, il ne s'agit que d'une étude pilote por-
caloriques excessifs. C'est la même hypothèse tant sur un tout petit nombre de personnes, mais
qui prévaut pour expliquer pourquoi l'hypotro- on peut néanmoins supposer qu'il existe une rela-
phie fœtale est un facteur de risque de survenue tion inverse entre d'une part la culture renforçant
d'obésité à l'âge adulte. Quoi qu'il en soit, le trai- l'identité narrative et la confiance en soi et d'autre
tement pharmacologique du diabète de type 2 a part la consommation alimentaire compensant les
fait de très grands progrès puisqu'en vingt-cinq insuffisances ou les frustrations du moi. L'obésité
ans nous sommes passés de trois classes thérapeu- se développe moins rapidement dans les pays de
tiques (la metformine, les sulfamides et l'insuline) vieilles traditions que dans les contrées connais-
à huit classes de médicaments dont deux classes sant des bouleversements rapides du mode de
favorisent la perte de poids et ont démontré un vie. De même, on sait que les enfants qui lisent
bénéfice cardiaque et rénal indépendant de l'amé- sont moins sujets au surpoids que les enfants qui
lioration de l'équilibre glycémique. La chirurgie regardent passivement les écrans.
bariatrique a même montré que la perte de poids L'épidémie du diabète de type 2 est peut-être
massive permettait d'obtenir une rémission pro- un modèle pour réfléchir aux grands défis de notre
longée du diabète et une réduction de la mor- monde postmoderne. Notre maîtrise de la nature
talité. Pourtant l'épidémie de diabète de type 2 a libéré l'être humain de ses contraintes environ-
continue à se développer, touchant 500 millions nementales jusqu'à ce que l'excès de la consom-
de personnes dans le monde, posant un problème mation et le toujours plus de la production se
humain, social et économique. Il est difficile et retournent contre lui, entraînant sa déculturation,
peut-être dangereux de penser que la solution perturbant sa qualité de vie et allant jusqu'à mena-
viendra seulement des progrès pharmacologiques cer sa survie. Comme le rappelle magistralement
Préface XV

Bernard Portha dans ce grand livre, la solution de lement et collectivement l'autolimitation, le choix
sagesse et de raison serait de combiner le progrès de la tempérance, le renoncement à l'ubris.
scientifique et technologique et les changements André Grimaldi
de modes de développement économique et de Professeur émérite de diabétologie,
comportements quotidiens, assumant individuel- CHU Pitié-Salpêtrière
Avant-propos

Le mal connu mal-connu fement climatique. Il n'est pas question bien sûr
de donner dans le catastrophisme et de noircir le
Cinq millions de Français souffrent de diabète – trait, mais les faits sont là.
une véritable épidémie. Cinq cents millions de ter- Il est vrai qu'on ne meurt plus du diabète
riens sont touchés – une véritable pandémie. dans des conditions dramatiques, mais la maladie
Il y a un siècle à peine, on mourait en quelques accompagne le patient toute sa vie et engendre
mois du diabète, inéluctablement. La découverte un cortège menaçant de complications (insuffi-
de l'insuline à la fin de l'année1921 allait mettre sance rénale, atteinte rétinienne, neuropathie des
un frein spectaculaire (définitif, pensait-on alors) à membres inférieurs, stéatohépatite, accident vas-
cette maladie heureusement rare, mais tellement culaire cérébral, insuffisance cardiaque, dépres-
implacable et effrayante. On pensait avoir trouvé sion, maladie d'Alzheimer, cancer). Le diabète a
l'antidote pour régler le problème. Aujourd'hui, fait 5 millions de morts dans le monde en 2013
le diabète est toujours là, et il est partout. Il a (la COVID-19 : 3,1 millions en un an de 2020 à
changé en fait de statut : initialement maladie 2021). Il faut savoir reconnaître qu'on sait trai-
brève et rare, à l'image spectaculaire en particu- ter le diabète, mais qu'on ne sait pas le guérir.
lier parce qu'elle frappe des enfants, le diabète Ce caractère durable fait du diabète le prototype
est devenu une pathologie silencieuse, de longue des maladies chroniques [1], dont les autorités
durée, très répandue, qui touche surtout les de santé n'ont pas encore tout à fait intégré les
adultes et dont on s'accommode avec fatalisme, contraintes particulières, en particulier les dimen-
bref, une pathologie banale dans l'esprit du grand sions sociologique et économique.
public et qui ne mobilise guère les décideurs en Et en même temps… un mal si familier et tou-
santé publique. Ce constat alarmant, on peut le jours si mystérieux. Pour beaucoup de Français, le
faire dans tous les pays du globe, et pas seulement diabète est une histoire de famille. Pour autant,
en France. Il me fait irrésistiblement penser à la leur connaissance de la maladie reste très approxi-
phrase culte prononcée par Jacques Chirac lors du mative, bien qu'ils soient persuadés du contraire.
4e Sommet de la Terre, en 2002 : « Notre maison C'est la conclusion d'une enquête IFOP [2] menée
brûle et nous regardons ailleurs. » En se référant en 2009. Trois quarts des Français connaissent au
en particulier au réchauffement climatique, la moins une personne diabétique et, pour plus de
déclaration du chef de l'État français faisait à la la moitié, cette personne est un membre de leur
fois le constat de la destruction de la nature et la famille. 25 % d'entre eux se sentent menacés par le
critique de l'indifférence des habitants de la Terre risque de développer la maladie. 56 % des Français
face à cette dévastation qui met en danger l'espèce ont déjà cherché à savoir s'ils étaient atteints du
humaine tout entière. Comparaison n'est pas rai- diabète, la plupart (83 %) par une prise de sang
son bien sûr, mais l'indolence actuelle de la prise en laboratoire sur prescription médicale, 8 % grâce
en compte des dangers du diabète qui est devenu au lecteur de glycémie appartenant à un proche,
en cinquante ans une maladie banalisée, mondia- et 5 % seulement par des séances de dépistage
lisée et mal maîtrisée, est du même tonneau que gratuites. 81 % de personnes enquêtées affirment
l'indigence de nos réactions vis-à-vis du réchauf- connaître bien ou assez bien ce qu'est le diabète.
XVIII Avant-propos

Mais quand on passe aux questions plus précises, les mesures prises pour éteindre l'incendie ne sont
on s'aperçoit que ce n'est pas vraiment le cas. pas à la hauteur de l'intensité actuelle du brasier.
Le bouche-à-oreille constitue le premier moyen À ce propos, la crise sanitaire liée à la COVID-
d'information sur le sujet pour 36  % des interro- 19 à partir de 2020 illustre de façon caricaturale
gés, avec toutes les erreurs et approximations que le rôle crucial des moyens dévolus à la recherche
cela représente. Les médecins ne sont cités qu'en fondamentale et appliquée (pharmaceutique) dans
seconde position (32 %). En réponse à la demande la résolution d'une pandémie.
de définir spontanément ce qu'est le diabète, les Ce livre n'est pas un ouvrage grand public qui,
références à la maladie restent majoritairement sous prétexte de pédagogie au rabais, vous révé-
vagues pour 88 %. Seules 11 % des personnes lera enfin les secrets cachés du diabète, en multi-
citent un dysfonctionnement du pancréas, et 8 % pliant les métaphores qui donnent l'illusion fugace
les deux types de diabète. Personne ne considère d'avoir compris, mais pas la compréhension. Ce
que les complications du diabète sont anodines, n'est pas un livre de recettes qui vous expliquera
mais 65 % seulement pensent qu'elles peuvent être comment vous devez vous soigner si vous êtes
graves. Le traitement médical évoque essentielle- diabétiques, ou vous apportera la solution miracle
ment l'insuline. Quant au mode de vie, seulement pour éviter le diabète. Il existe déjà nombre de
11 % des personnes y pensent de manière sponta- manuels qui font commerce sur le sujet. J'ai voulu
née et associent le diabète au régime alimentaire. rédiger un essai synthétique autant que possible,
Et le lien entre diabète et sport ne fait sens que réfléchi, basé sur des faits scientifiques publiés et
pour 1 % des Français interrogés. Dans le domaine solides car répliqués, loin du sensationnalisme.
alimentaire, la consommation de produits sucrés Ce livre a été construit pour résumer l'état actuel
ou gras est fréquemment relevée, ainsi que, dans des connaissances biomédicales en diabétologie
une moindre mesure, le grignotage entre les repas. et illustrer la complexité et l'immensité du sujet.
Une utilisation excessive des écrans de télévision La tâche est rude, puisqu'elle implique de faire le
et d'ordinateur est majoritairement reconnue par tri, puis la synthèse, entre la multitude de données
les personnes interrogées (induisant une séden- accessibles aujourd'hui au sujet du diabète, qui
tarité, elle représente une forme d'inactivité phy- vont de la molécule à la macroéconomie, en pas-
sique). 15 % déclarent ne pratiquer aucune activité sant par la biologie intégrée et la clinique bien sûr,
physique ou sportive, et 23 % le font moins d'une mais aussi par le comportement humain, le mode
heure par semaine. Il reste donc encore bien du de vie, et la sociologie. Cet essai a une double
chemin à faire dans la perception du diabète et ambition : faire comprendre les mécanismes qui
dans sa prévention. régissent l'apparition et l'évolution d'une des plus
Ce sont les diverses facettes de cette patho- préoccupantes maladies chroniques humaines, et
logie si singulière et complexe que je souhaite rendre accessible au plus grand nombre de lecteurs
mettre en relief en cherchant à dégager ce que le fonctionnement mondialisé de la recherche en
son exploration scientifique apporte à notre com- diabétologie (et au-delà de la recherche médicale)
préhension de la physiologie humaine, soulève avec ses succès et ses limites. C'est un livre de phy-
comme enjeux éthiques, ouvre comme perspec- siologie, donc de science, écrit par un scientifique
tives thérapeutiques. J'ai voulu prouver à quel universitaire armé par trente ans d'enseignement
point le noyau dur de l'innovation thérapeutique de la biologie, en utilisant le moins possible le
repose sur la progression de nos connaissances jargon spécialisé, et en considérant qu'il n'est pas
sur les mécanismes à l'origine de l'apparition du nécessaire d'avoir une thèse de physiopathologie
diabète, et donc sur l'augmentation des capaci- pour commencer à s'intéresser aux mécanismes
tés de recherche fondamentale. On ne pourra en biologiques qui nous font passer du bien-être à
faire l'économie, si l'on veut la victoire finale sur la maladie. C'est aussi un plaidoyer (un de plus)
la pandémie de diabète. On nous la promettait pour mettre le projecteur sur l'acculturation scien-
déjà cette victoire pour l'an2000![3]. Force est tifique si répandue dans notre pays, et son corol-
de constater qu'on s'en éloigne aujourd'hui, car laire, l'absence de considération pour la recherche
Avant-propos XIX

fondamentale, car sans cette dernière il n'y a pas choisis pour leur importance ou leur actualité. Au
de progrès biomédical. lecteur donc de choisir son propre rythme et ses
L'ouvrage est en priorité destiné aux étudiants propres entrées. J'ai choisi d'égayer le texte par
et professionnels concernés par le sujet du diabète des croquis dessinés personnellement et souvent
et ses multiples facettes disciplinaires – médecins inédits. Ils servent de jalons de notre connaissance
et étudiants en médecine; pharmaciens et étu- en diabétologie. Ce livre constitue donc une sorte
diants en pharmacie; chercheurs ; diététiciens; de visite guidée à travers un immense dédale de
économistes de la santé; acteurs de l'industrie données scientifiques compilées et triées. En allant
pharmaceutique; enseignants en sciences de la à l'essentiel et preuves à l'appui, il a l'ambition de
vie; étudiants biologistes en licence et master. Il tirer le portrait de l'homme diabétique en 2022,
s'adresse aussi aux patients devenus « experts », et de montrer combien il est devenu nécessaire et
parce qu'il est important pour un malade de cher- urgent d'agir plus efficacement dans la prévention
cher à comprendre sa pathologie et le fonctionne- et le traitement du diabète, ce mal rampant, silen-
ment de ses médicaments, s'il souhaite ne pas se cieux, invasif et planétaire.
soigner « idiot ».
J'ai voulu éviter de rédiger un traité classique,
formel et exhaustif sur le diabète. Mon parti pris Références
rédactionnel est basé sur le choix de 8 grandes
Grimaldi A.. Les maladies chroniques. Paris : Odile Jacob ;
questions qui reflètent, à mon sens, les multiples
2017.
facettes de la pathologie diabétique. Les éléments
de réponse à ces questions ont donc donné nais- IFOP. Les Français et le diabète. Enquête pour la Journée
mondiale du diabète. Disponible sur : www.ifop.com/
sance à 8 chapitres. Chaque chapitre est conçu publication/les-francais-et-le-diabete/ ; 2009.
pour pouvoir être lu de façon isolée et est orga- Lefebvre P.. Le diabète vaincu avant l'an 2000? Med Sci
nisé autour d'un texte principal agrémenté d'éclai- (Paris) 1991 ; 7(3) : 20810.
rages plus détaillés (les « zooms ») sur des sujets
Abréviations

ABCA1 ATP Binding Cassette Transporter A1 CART Cocaine- and Amphetamine-


ACC acétyl-CoA carboxylase Regulated Transcript
ACE2 Angiotensin-Converting Enzyme 2 CD26 Cluster of Differentiation 26
ACTH Adreno Corticotropic Hormone CD4 cluster de différenciation 4
ADA American Diabetes Association CDK kinases dépendantes des cyclines
ADCP2 Adenosine Deaminase Complexing CG charge glycémique
Protein 2 CHOP C/EBP Homologous Protein
ADN acide désoxyribonucléique ChREBP Carbohydrate Response Element
AFSSAPS Agence française de sécurité sanitaire Binding Protein
des produits de santé CI Comité de l'insuline
AGB Adjustable Gastric Banding CMH complexe majeur
AGCC acides gras à chaîne d'histocompatibilité
AGE Advanced Glycation End-Product CNAM Caisse nationale de l'assurance
AGL acides gras libres maladie
AGPI n-3 Acides gras polyinsaturés en oméga 3 CNAMTS Caisse nationale de l'assurance
AgRP Agouti-Related Peptide maladie des travailleurs salariés
AhR Aryl Hydrocarbon Receptor CODE-2 Cost of Diabetes in Europe – Type 2
AMPc adénosine monophosphate cyclique COVID-19 Coronavirus Disease 2019
AMPK AMP-activated protein kinase CPT carnitine palmitoyl transférase
ANSES Agence nationale de sécurité CRH Corticotropin Releasing Hormone
sanitaire de l'alimentation, DAG diacylglycérols
de l'environnement et du travail DCCT Diabetes Control and Complications
ANSM Agence nationale de sécurité du Trial
médicament et des produits de santé DE dépense énergétique
apo apolipoprotéine DES diéthylstilbestrol
AR aldose réductase DGAT2 diacylglycérol acyltransférase 2
ARC noyau arqué DHA acide docosahéxaénoïque
ARN acide ribonucléique DJA dose journalière acceptable
ARNm acide ribonucléique messager DMLA dégénérescence maculaire liée à l'âge
ARNt acide ribonucléique de transfert DMNX noyau moteur dorsal du vague
ARX Aristaless Related Homeobox (nerf X)
ATF6 Activating Transcription Factor 6 DMR régions différentiellement méthylées
ATP adénosine triphosphate DND diabète néonatal définitif
AVC accidents vasculaires cérébraux DNMT ADN méthyltransférases
BAT Brown Adipose Tissue DNT diabète néonatal transitoire
BB Biobreeding DOHaD Developmental Origins of Health and
BCAA Branched-Chain Amino Acid Disease
BCG Bacille de Calmette et Guérin DPP-IV dipeptidyl peptidase IV
BiP Binding immunoglobulin Protein DT1 diabète de type 1
BMI Body Mass Index DT2 diabète de type 2
BPA bisphénol-A DTR toxine diphtérique
XXII Abréviations

DYRK Dual Specificity Tyrosine Regulated HbA1c hémoglobine glyquée


Kinase HDAC histones déacétylases
EASD European Association for the Study HDAC histines déacétylases
of Diabetes HDAC histones déacétylases
EDC Endocrine-Disrupting Chemicals HDL High Density Lipoprotein
EFSA European Food Safety Authority HDLn HDL naissante
eiF2α Eukaryotic Translation Initiation HFCS High Fructose Corn Syrup
Factor 2α HGF Hyperglycemic-Glycogenic Factor
EMA Agence européenne des médicaments HGPO hyperglycémie provoquée par voie
eNOS oxyde nitrique synthase endothéliale orale ou hyperglycémie per os
EPA acide eicosapentanoïque HIP Hybrid Insulin Peptide
EPACs Exchange Protein Directly Activated HL lipase hépatique
by cAMP HMT histones métyltransférases
ERAD ER Associated Degradation HNF1α Hepatic Nuclear Factor 1α
ESC Embryonic Stem Cells HNF4α Hepatocyte Nuclear Factor 4α
ET-1 endothéline-1 HPA hypothalamo-hypophyso-adrénalien
EURODIAB European Community Concerted HPL hormone placentaire lactogène
action Programme in Diabetes HPT hypothalamus
EWAS Epigenome-Wide Association Studies HSL Hormone Sensitive Lipase
Ex4 Exendin-4 HTA hypertension artérielle
FAO Organisation des Nations unies pour HTAP hypertension artérielle pulmonaire
l'alimentation et l'agriculture IAA2 Insulinoma-Associated Antigen 2
FasL ligand de Fas IADPSG International Association of the
FFAR Free Fatty Acid Receptor Diabetes and Pregnancy Study
FGF Fibroblast Growth Factor Groups
FGF21 Fibroblast Growth Factor 21 IAPP Islet Amyloid Polypeptide
FIGO Fédération internationale de ICA Islet Cell Antibodies
gynécologie et d'obstétrique IDDM 1 Insulin Dependent Diabetes Mellitus 1
FOS fructo-oligosides IDF International Diabetes Federation
FOXO1A Forkhead Box Protein O1A IDL Intermediate Density Lipoprotein
GABA Gamma-Aminobutyric Acid IFN interférons
GAD Glutamic Acid Decarboxylase IG Indice glycémique
GAD Glutamic Acid Decarboxylase IGAS Inspection générale des affaires
GAPDH glycéraldéhyde-3-phosphate sociales
déshydrogénase IGF1 Insulin-Like Growth Factor 1
GBP Gastric By Pass IGT intolérance au glucose
GCGR récepteur du glucagon IKKβ Inhibitor of Nuclear Factor Kappa-B
GEFs Guanine Nucleotide Exchange Factor Kinase
GFAT Glutamine Fructose-6-Phosphate IL-6 interleukine 6
Amido Transférase IMC indice de masse corporelle
GIP Glucose-Dependent Insulinotropic InVS Institut de veille sanitaire
Polypeptide IPF1 Insulin Promoter Factor 1
GK Goto-Kakizaki iPSC induced Pluripotent Stem Cells
GlcN6P glucosamine-6-phosphate IR récepteur de l'insuline
Glm glutamine IRE1 Inositol-Requiring Enzyme1
GLUT Glucose Transporters IRM imagerie par résonance magnétique
GOS galacto-oligosides IV intraveineuse
GPCR récepteur couplé aux protéines G JNK JUN amino-terminal kinase, c-Jun
GS glycogène synthase N-Terminal Kinase
GSH glutathion réduit JUPITER Justification for the Use of Statins in
GSSG oxydé en fructose Primary Prevention : an Intervention
HAS Haute Autorité de santé Trial Evaluating Rosuvastatin
HAT histones acétyltransférases
Abréviations XXIII

LADA Latent Autoimmune Diabetes OGM Organisme génétiquement modifié


in Adults OGT O-GlcNAc transférase
LCAT Lecithin-Cholesterol Acyltransferase OGTT Oral Glucose Tolerence Test
LCD Low Calorie Diet OMS Organisation mondiale de la santé
LDL Low Density Lipoprotein ONIAM Office national d'indemnisation
LDLR Low Density Lipoprotein Receptor des accidents médicaux
FODMAP Fermentable Oligosaccharides PA prise alimentaire
Disaccharides Monosaccharides PACA Provence-Alpes-Côte d'Azur
And Polyols PAI-1 inhibiteur de l'activateur du
LH hypothalamus latéral plasminogène 1
LKB1 Liver Kinase B1 PAMP Pathogen Associated Molecular
LPG lipogenèse Pattern
LPL lipoprotéine lipase PAX4 Paired Box 4
LPS lipopolysaccharides PCB polychlorobiphényles
LRP LDL-Receptor Related Protein PCOS Polycystic Ovary Syndrome
LXR Liver X Receptor PCSK9 Proprotein Convertase Subtilisin/
MACE Major Adverse Cardiovascular Events Kexin Type 9
MET metformine PDH pyruvate déshydrogénase
MIDD Maternally Inherited Diabetes PDK Phosphoinositide-Dependent Kinase
and Deafness PEE perturbateurs endocriniens
MMP métalloprotéases matricielles environnementaux
MODY Maturity Onset Diabetes of the Young PEPCK phosphoénolpyruvate carboxykinase
MRC Medical Research Council PERK PKR-Like ER Protein Kinase
mTOR Mammalian Target of Rapamycin PGC-1α Peroxisome Proliferator Activated
NAD nicotinamide adénine dinucléotide Receptor-γ Coactivator 1α
NADPH nicotinamide adénine dinucléotide pH potentiel hydrogène
phosphate PI propionate d'imidazole
NAFL Non‐Alcoholic Fatty Liver PIB produit intérieur brut
NAFLD Non Alcoholic Fatty Liver Disease PKA protéine kinase A
NASCAR National Association for Stock Car PKC protéine kinase C
Auto Racing PKCε Proteine Kinase C Epsilon Type
NASH Non-Alcoholic Steatohepatitis PM Particulate Matter
NEUROD1 Neurogenic Differentiation Factor 1 PNDM Permanent Neonatal Diabetes
NF-kB Nuclear Factor-Kappa B Mellitus
NGN néoglucogenèse PNNS Programme national nutrition santé
NGT tolérance au glucose normale PNPLA3 Patatin-Like Phospholipase Domain-
NHANES National Health and Nutrition Containing 3
Examination Survey POMC pro-opiomélanocortine
NHS Nurses' Health Study PPARγ Peroxisome Proliferator-Activated
NIDD Non Insulin Dependent Diabetes Receptors Gamma
NIEHS National Institute of Environmental PTP1B protéine tyrosine phosphatase 1B
Health Sciences PVC polychlorure de vinyle
NIH National Institutes of Health PVN noyau paraventriculaire
NLRP3 NOD-Like Receptor Family, Pyrin RAA rhumatisme articulaire aigu
Domain-Containing 3 RAGE Receptor for Advanced Glycation
NO monoxyde d'azote ou oxyde nitrique Endproduct
NOD Non Obese Diabetes Rb protéine du rétinoblastome
NOS NO synthases RCIU retard de croissance intra-utérin
NPH Neutral Protamine Hagedorn RE réticulum endoplasmique
NTS noyau du tractus solitaire REACH Registration Evaluation
OCDE Organisation de coopération Authorization of Chemicals
et de développement économiques RMN résonance magnétique nucléaire
OCT Organic Cation Transporter ROS Reactive Oxygen Species
XXIV Abréviations

SAH S-adénosylhomocystéine TG triglycérides


SAM S-adénosylméthionine TGFβ Transforming Growth Factor-β
SARS-CoV-2 Severe Acute Respiratory Syndrome TGL triglycéride lipase
Coronavirus 2 TLR4 récepteur de type Toll4
SCFA Short Chain Fatty Acid TNF Tumor Necrosis Factors
SFD Société francophone du diabète TNFR récepteur du TNFα
SG Sleeve Gastrectomy TNFα Tumor Necrosis Factor Alpha
SGLT Sodium-Glucose Transporters tPA activateur tissulaire du plasminogène
SIAM système d'information de l'assurance UCP Uncoupling Protein
maladie UDP GlcNAc uridine diphosphate
SIDA syndrome d'immunodéficience N-acétylglucosamine
acquise UKPDS United Kingdom Prospective Diabetes
SMA sans modèle animal Study
SNC système nerveux central UPR Unfolding Protein Response
sncRNA Small Non-Coding RNA Sequences USF1 Upstream Stimulatory Factor 1
SNP polymorphismes nucléotidiques V3 troisième ventricule
SOCS Suppressor of Cytokine Signaling VEGF Vascular Endothelial Growth
SOD superoxyde dismutase Factor/facteur de croissance
SRAA système rénine-angiotensine- de l'endothélium vasculaire
aldostérone VIH virus de l'immunodéficience humaine
SRB1 Scavenger Receptor Class B Type 1 VLCD Very Low Calorie Diet
SRE stress du réticulum endoplasmique VLDL Very Low Density Lipoprotein/
SREBP1c Sterol-Regulatory Element Binding lipoprotéines de très basse densité
Protein-1C VMH ventromédian
SUMO Small Ubiquitin-like Modifier WGBS Whole Genome Bisulfite Sequencing
TAd tissu adipeux WOSCOPS West of Scotland Coronary Prevention
TC tronc cérébral Study
TCA cycle des acides tricarboxyliques XBP1 X-Box Binding Protein 1
ou cycle de Krebs XOS xylo-oligosides
TEP tomographie par émission αMSH αMelanocyte-Stimulating Hormone
de positrons
Chapitre 1
C'est quoi le diabète aujourd'hui ?

Comment diagnostiquer
les diabètes ?

Zoom 1.1

Toronto 1920, Theodore Ryder, 4 ans, diabétique


Le 8 mars 1993, Theodore Ryder est mort dans était un squelette de 5 ans et 12 kg lorsque
son sommeil d'une insuffisance cardiaque à l'âge Banting a commencé à lui donner de l'insuline
de 76 ans. Tristement banal, me direz-vous. En le 15 juillet 1922. En quelques mois, il était
fait, non : un chapitre du livre des records de revenu à la vie et en bonne santé apparente,
l'histoire médicale venait de se terminer. Ted un bel exemple de ce que tout le monde, per-
Ryder faisait partie des douze premiers patients sonnel médical compris, appelait à l'époque
qui reçurent de l'insuline et le dernier d'entre le « miracle de l'insuline ». Le destin a voulu
eux à mourir [1]. que Ted Ryder ait une vie longue et satisfai-
Ryder est né dans le New Jersey aux États- sante qui dura 77 années, une vie néanmoins
Unis, en 1916. À l'âge de 4 ans, il a com- rythmée par les inévitables injections journa-
mencé à montrer les symptômes d'un diabète lières d'insuline. Il avait été bibliothécaire ; il
juvénile sévère – miction excessive, soif et faim fut aussi un voyageur du monde. Finalement
insatiables, perte de poids rapide. L'annonce il n'eut à souffrir d'aucun des effets secon-
du diagnostic était vécue comme une condam- daires graves du diabète qui affligent encore
nation à mort, car le seul traitement du dia- de trop nombreux diabétiques. Il fut invité à
bète disponible à l'époque était de forcer les l'université de Toronto en octobre 1990, pour
patients à manger le moins possible. Leur l'inauguration d'une exposition historique
organisme avait perdu la capacité de méta- sur la découverte de l'insuline. Cette exposi-
boliser correctement les aliments, pensait-on. tion comportait ses propres photos « avant »
Au mieux, ces régimes de sous-alimentation et « après ». L'American Diabetes Association
permettaient aux diabétiques de prolonger lui remit une médaille spéciale et a produit un
leur vie d'un an ou deux en dépérissant len- livre de coloriage sur lui, Teddy Ryder Rides
tement de faim. Au printemps 1922, la famille Again. Le dernier des découvreurs de l'insu-
de Ryder a entendu parler de la découverte line, Charles Best, est décédé en 1978. Ted
de l'insuline à l'université de Toronto par Ryder, le dernier des patients pionniers, lui
Banting et Best. Un oncle médecin vient à survécut 15 ans. Avec lui disparut notre der-
Toronto avec Ted et supplie Banting d'accep- nier lien vivant avec les grands événements de
ter de traiter l'enfant. L'insuline manquait 1922 à Toronto. Mais le « miracle de l'insu-
désespérément. Banting lui dit d'attendre trois line » reste bien vivant, quotidiennement,
mois. « Docteur, il ne sera plus vivant d'ici là », pour le bénéfice de millions de diabétiques
argumente l'oncle de Ted. Banting cède. Ted dans le monde entier.

Physiopathologie du diabète
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2 Physiopathologie du diabète

Quel critère pour sucrés : l'hyperglycémie chronique. Mais à par-


diagnostiquer une tir de quelle valeur de la glycémie considère-t-
on qu'une concentration sanguine de glucose,
maladie le plus souvent mesurée à l'instant t, est élevée et pathologique ?
asymptomatique ? Des critères diagnostiques biologiques et statis-
tiques reposant sur la mesure de la glycémie ont
En dehors des cas où le diabète est révélé par une donc été progressivement affûtés pour rendre
complication (rétinopathie, néphropathie, neuro- possible un diagnostic précoce dans le but de
pathie, pathologie cardiovasculaire), la suspicion prévenir les complications de la maladie. Vaste
clinique de la maladie repose sur la présence de sujet, régulièrement rediscuté au niveau mondial
symptômes caractéristiques tels que polyurie, poly- et amendé par des ajustements, en 1979, 1997 et
dipsie, amaigrissement d'installation relativement 2006. Par exemple, comparés aux critères OMS
rapide. La polyurie est un symptôme caractérisé (Organisation mondiale de la santé) de 1985,
par une émission abondante d'urine, rencontrée ceux de 1997 se caractérisent par l'abaissement
dans le cas du diabète insipide (par diminution de de 1,4 g/l (8 mmol/l) à 1,26 g/l (7 mmol/l)
la sécrétion de l'hormone antidiurétique) et du du seuil de la glycémie à jeun définissant le dia-
diabète sucré (par augmentation de l'osmolarité bète [4, 5].
sanguine due à l'augmentation de la concentra-
tion en glucose). On parle de polyurie quand le
débit urinaire est supérieur ou égal à 3 l par jour La définition actuelle
chez l'adulte, alors que chez un individu sain, la du diabète
diurèse est comprise entre 0,8 et 1,5 l. La polydip-
sie est un symptôme caractérisé par une soif exces-
L'OMS, dans la dernière révision des critères diag­
sive avec augmentation de l'absorption de liquide,
nostiques en 2006 (figure 1.1), indique que le
causée par la polyurie dans le cas du diabète, qu'il
diagnostic de diabète est retenu, lorsque l'un au
soit de type insipide ou sucré (par augmentation
moins des trois critères suivants est rempli :
de l'osmolarité sanguine due à l'augmentation de
• présence de symptômes de diabète sucré (poly-
la concentration en glucose). Le diagnostic de dia-
urie, polydipsie, amaigrissement) et glycémie
bète sucré est ensuite confirmé par la mesure de
la concentration plasmatique en glucose le matin
à jeun (c'est la définition de la glycémie basale) INTOLÉRANCE
DIABÈTE AU GLUCOSE
lorsque la valeur de la glycémie est supérieure à (IG)
2 g/l (11 mmol/l). C'est le cas des diabètes de
GLYCÉMIE
type 1 [2]. À JEUN
≥ 7,0 < 7,0 (mmol/L)

Mais les médecins ont depuis longtemps ou ET


reconnu que dans la plupart des cas, il existe une GLYCÉMIE
≥ 7,8 ET < 11,1 (mmol/L)
longue phase silencieuse de la maladie, sans symp- 2 HEURES ≥ 11,1

tôme d'alerte. C'est ce qui se passe dans les deux ou


formes principales de diabètes, type 1 et type 2.
HbA1c ≥ 6,5 (%)
Cela explique la fréquence avec laquelle, même
encore actuellement, les complications sont déjà ou
présentes au moment du diagnostic : rétinopathie GLYCÉMIE > 11,1 (mmol/L)
dans 15 à 20 % des cas, protéinurie dans 5 à 10 % ALÉATOIRE

des cas, séquelle d'infarctus du myocarde dans 15 Figure 1.1. Critères actuels de diagnostic du diabète.
à 20 % des cas [2–4]. Être à jeun se définit comme l'absence d'apport calorique
Dès lors, comment dépister une maladie pendant au moins huit heures. Le test de glycémie à deux
heures doit être effectué en utilisant une charge en glucose
asymptomatique ? Heureusement, il existe une contenant l'équivalent de 75 g de glucose anhydre dissous
caractéristique commune à tous les diabètes dans l'eau.
Chapitre 1. C'est quoi le diabète aujourd'hui ? 3

basale tout-venant 2 g/l (11 mmol/l) (mesu- habituellement. Le souci de simplifier les procé-
rée sur plasma veineux). La polydipsie est un dures diagnostiques du diabète a aussi amené à
symptôme caractérisé par une soif excessive envisager d'utiliser le dosage de la HbA1c (hémo-
avec augmentation de l'absorption de liquide, globine glyquée) pour la détection du diabète dès
causée par la polyurie dans le cas du diabète, la fin des années 1970 [3–5]. Quarante ans plus
qu'il soit de type insipide (par diminution tard, la preuve de la supériorité du dosage de la
de la sécrétion de l'hormone antidiurétique) HbA1c dans cette indication n'a toujours pas été
ou sucré (par augmentation de l'osmolarité apportée, et l'OMS (Organisation mondiale de la
sanguine due à l'augmentation de la concen- santé) a renoncé pour le moment à l'utiliser dans
tration en glucose). La polyurie est un autre le diagnostic du diabète.
symptôme caractérisé par une émission abon-
dante d'urine, rencontrée dans le cas du dia-
bète insipide et du diabète sucré. On parle de Pourquoi 1,26 g/l ?
polyurie quand le débit urinaire est supérieur
ou égal à 3 l par jour chez l'adulte, alors que
Plusieurs éléments ont servi à établir le nouveau
chez un individu sain, la diurèse est comprise
seuil à 1,26 g/l. L'analyse d'enquêtes épidémiolo-
entre 0,8 et 1,5 l ;
giques faites dans trois échantillons de population
• glycémie basale à jeun supérieure ou égale à
différents (Indiens pimas, Égyptiens, population
1,26 g/l (7 mmol/l) (sur plasma veineux) ;
américaine) a montré une élévation nette de la
• glycémie deux heures après ingestion de 75 g
prévalence de la rétinopathie pour des glycémies
de glucose (dans le cadre du test standardisé
à jeun situées entre 1,1 et 1,3 g/l. Des données
dit de HGPO [hyperglycémie provoquée par
françaises issues du suivi d'une population pari-
voie orale]) ≥ 2 g/l (11,1 mmol/l) (sur plasma
sienne ont permis de valider ce seuil par rapport
veineux). La HGPO (ou hyperglycémie per os)
au risque de mortalité coronarienne qui repré-
est un examen de dépistage du diabète sucré
sente une menace beaucoup plus importante pour
(diabète gestationnel, diabète de type 2, dia-
les diabétiques de type 2 que le risque de rétino-
bète de type 1) [4, 6, 7]. Il consiste en l'ab-
pathie. Le taux cumulé de décès par maladie coro-
sorption d'une quantité standard de glucose
narienne après 20 ans de suivi double lorsque la
par voie orale et un suivi de la réponse glycé-
glycémie à jeun s'élève au-delà de 1,26 g/l. Les
mique de l'organisme dans les deux heures qui
recommandations des experts ont donc été de
suivent. Le sujet doit se présenter à jeun. Il doit
diagnostiquer le diabète asymptomatique sur une
cependant avoir eu, dans les 3 jours précédents,
glycémie à jeun supérieure à 1,26 g/l, mesurée à
un apport suffisant en glucides (environ 150 à
deux reprises au moins.
200 g par jour). Le sujet avale une dose de 75 g
de glucose diluée dans 150 à 200 ml d'eau.
Cette dose peut varier dans le diagnostic du
diabète gestationnel (50 à 100 g), tandis que
Donc, pas de diabète
chez l'enfant on administrera 1,75 g/kg sans si la glycémie à jeun est
dépasser 75 g. La glycémie (et éventuellement < 1,26 g/l ? Pas forcément !
l'insulinémie) est mesurée au départ lorsque le
sujet est à jeun, et deux heures après la prise de Parmi les sujets dépistés diabétiques, selon les
glucose. critères actuels, basés sur la glycémie à jeun et/
En pratique clinique, en l'absence de symp- ou la glycémie deux heures postcharge, un tiers
tômes, il convient d'obtenir confirmation par une ont une hyperglycémie postcharge isolée avec une
deuxième mesure glycémique avant de retenir le glycémie à jeun < 1,26 g/l. Sur le seul critère de
diagnostic de diabète. Dans la pratique, la HGPO la glycémie à jeun, ces sujets pourraient donc être
n'est que très peu utilisée (plus compliquée et déclarés indemnes de diabète. Mais le sont-ils
coûteuse) et seule la glycémie à jeun est effectuée vraiment ?
4 Physiopathologie du diabète

Quand on cherche plus en détail, on constate reuses spécifiques (rétinopathie, néphropathie,


que ces sujets ont un risque de décès prématuré neuropathie). Il est évident, à partir des résul-
augmenté, avec un risque deux fois plus grand tats de la grande étude épidémiologique anglaise
que celui des sujets avec une glycémie normale UKPDS (United Kingdom Prospective Diabetes
à jeun < 1,1 g/l et à deux heures < 1,4 g/l. Study) lancée par David Turner (1938–1999),
Les sujets avec une glycémie à jeun entre 1,1 que le contrôle glycémique intensif du diabète,
et 1,26 g/l et une hyperglycémie postcharge quel que soit le traitement utilisé, en réduisant
> 2 g/l ont un IMC (indice de masse ­corporelle), l'hyperglycémie, diminue significativement (de
une tension artérielle et une cholestérolémie 25 %) la survenue des complications microvas-
plus élevés que les sujets non diabétiques. Ces culaires (néphropathie, rétinopathie) [8]. Les
sujets ont un risque légèrement accru de décès résultats de cette étude, qui date de 1998, ne
précoce. On rappellera que l'IMC (en anglais, sont pas aussi nets pour la prévention des com-
Body Mass Index ou BMI) est un paramètre qui plications macrovasculaires : le traitement anti-
permet d'estimer la corpulence d'une personne. diabétique entraîne aussi une diminution de
Inventé au milieu du xixe siècle par Adolphe l'incidence de l'infarctus de myocarde de 16 %,
Quetelet, mathématicien belge et l'un des fon- mais n'a pas d'effet sur les AVC (accidents vas-
dateurs de la statistique moderne, cet indice est culaires cérébraux).
appelé aussi l'indice de Quetelet. Il se calcule en
fonction de la taille (T en mètres) et de la masse
corporelle (P en kilogrammes) : IMC = P/T2.
L'IMC s'exprime donc en kg/m2. Un IMC est
dit normal s'il se situe dans l'intervalle 18,5 à
La glycémie, pourquoi
25 kg/m2. L'OMS a défini en 1997 l'IMC est-ce si important ?
comme le standard pour évaluer les risques liés
au surpoids chez l'adulte. L'obésité est définie
par un IMC supérieur ou égal à 30 kg/m2. Le
surpoids est défini par un IMC compris entre 25
Au nom du glucose :
et 30 [4]. glycose, gleukose
Les experts ont donc défini une nouvelle classe ou glucose ?
d'hyperglycémie (on ne parle pas de diabète),
l'hyperglycémie modérée à jeun (glycémie à jeun Le premier à avoir supputé la présence de glu-
comprise entre 1,1 et 1,26 g/l), sorte de catégorie cose dans les urines des diabétiques serait un
intermédiaire entre l'hyperglycémie à jeun diabé- médecin indien Suçruta qui vécut au ve siècle de
tique et la glycémie normale. Les termes « prédia- notre ère [9]. Il avait remarqué que les urines
bète », « intolérance au glucose », « anomalie de de ses patients, riches et grands consommateurs
la glycémie à jeun » sont utilisés indifféremment de riz et de miel, attiraient de nombreuses colo-
pour nommer cette discrète anomalie de la régu- nies de fourmis. Il en déduit la présence probable
lation glycémique [4, 5, 7]. d'une substance sucrée et dénomme ces urines
madu méhé qui signifie « urine miellée ». Onze
siècles plus tard, Thomas Willis (1621–1675)
À quoi ça sert de remarque en effet que l'urine de certains patients
faire aussi subtil ? a une saveur « étonnamment douce comme si elle
contenait du miel et du sucre ». Il parle alors de
La finalité principale d'un critère diagnostique « diabètes anglicus ou mellitus ». Les malades dont
de diabète est de permettre un dépistage pré- l'urine n'a aucun goût particulier sont étiquetés
coce du diabète, pour qu'une prise en charge « diabètes insipidus ». Au xviiie siècle, les méde-
médicale puisse limiter l'hyperglycémie et ainsi cins se perdent dans les dédales de la nosologie.
retarder l'apparition des complications dange- Rappelons que la nosologie consiste à faire le
Chapitre 1. C'est quoi le diabète aujourd'hui ? 5

choix des critères qui servent à définir les mala- trente entrées à « glyc ». Seuls « glucose », « gluca-
dies afin d'établir une classification. Fleurissent gon » et « glucide » ont conservé leur racine origi-
alors de multiples variétés de diabètes. François nelle gleukos.
Boissier de Sauvages (1706–1767) ajoute aux
deux formes cliniques de Willis le « diabète hys-
térique », « artificiel », « causé par le vin », « arthri-
tique » et « fiévreux »… La confusion concernant
Pourquoi maintenir la
la physiopathologie du diabète est totale. glycémie autour de sa
Allait s'y ajouter une querelle sémantique autour valeur normale ?
du mot qui devait désigner le sucre retrouvé dans
le sang et les urines des patients diabétiques. En N'oublions pas que les apports alimentaires en
1776, Matthew Dobson (1745–1784) constate, glucides sont discontinus car rythmés par le cycle
en exposant au soleil des urines de diabétiques, journalier des prises alimentaires. On appelle
que cette substance sucrée donne lieu, en séchant, période interprandiale l'intervalle de temps (aussi
à la formation d'une matière cristalline. Ce méde- appelé état postabsorptif) entre deux repas (pran-
cin anglais remarque aussi que l'urine des diabé- dium en latin) successifs durant lequel l'intestin ne
tiques peut produire de l'alcool et du vinaigre par délivre plus, dans la circulation générale, de glu-
simple fermentation. En 1815, le chimiste français cose provenant de l'alimentation. Le foie est alors
Eugène Chevreul (1786–1889) identifie le sucre le seul organe produisant du glucose. La période
des diabétiques à celui du raisin. Et c'est ainsi que prandiale est l'intervalle de temps (aussi appelé
le 16 juillet 1838, un comité de l'Académie des état postprandial) qui correspond à la durée du
sciences, composé des chimistes Jean-Baptiste repas proprement dit (ingestion des aliments) et
Dumas et Louis-Jacques Thénard, des physiciens à la durée de la digestion au cours de laquelle les
Jean-Baptiste Biot et Louis Gay-Lussac, conclut nutriments sont absorbés par le tube digestif et
que « le sucre de raisin, celui d'amidon, celui du passent dans le sang. Malgré la discontinuité des
foie, et celui du miel constituent un seul corps », apports, la valeur de la glycémie de l'homme sain,
qu'ils proposent d'appeler glucose. Les scienti- non diabétique, reste néanmoins contenue entre
fiques justifient leur choix par l'étymon grec gleu- des bornes assez strictes : 0,80 g/l (4,5 mmol/l)
kos qui qualifie « le moût » ou « le vin doux ». En en période interprandiale, 1,2 g/l (6,5 mmol/l)
respectant le phonème grec – comme pour les en période prandiale, et cela quels que soient le
­leucocytes (de leukos, « blanc ») –, le sucre du dia- moment de la journée, le sexe, l'âge et l'activité
bète aurait dû être appelé « gleucose ». Émile Littré de chaque individu, au moment ou en dehors des
(18011881) préfère employer l'adjectif grec glykys repas ; au repos ou en lors d'un exercice muscu-
qui signifie « saveur douce » et précise que l'em- laire (figure 1.2). Cette valeur dite basale de la
ploi du substantif « glucose » est impropre : « on glycémie est une caractéristique majeure du méta-
écrit souvent ce mot glucose, ce qui est une faute bolisme énergétique des mammifères (les oiseaux
contre l'étymologie, et on le fait masculin, ce qui ont une valeur normale de glycémie autour de
est une faute contre l'analogie, les noms chimiques 2 g/l, une valeur de glycémie qui, chez le mammi-
en ose étant féminins ». Le glycose a comme syno- fère, est considérée comme un critère de diabète !).
nyme « sucre du diabète », « sucre du foie », « sucre Quel est l'intérêt biologique de maintenir aussi
des urines » ou « sucre de la deuxième espèce » strictement la valeur de la glycémie ? Il réside dans
par opposition au saccharose. En 1885, dans son le fait qu'il est crucial pour éviter les troubles liés
nouveau dictionnaire de médecine, Charles Robin à l'hypoglycémie d'une part, et à l'hyperglycémie
(1821–1885) reprend l'argumentation du Littré d'autre part.
dont il est le coauteur, et annonce à la rubrique Les effets de l'hypoglycémie se manifestent à
« gluc » : « les mots commençant par ce préfixe court terme et sont liés à ce que la consomma-
qui manquent ici sont à glyc ». Littré et Robin tion de glucose par le cerveau devient insuffisante
ont triomphé puisqu'il existe aujourd'hui plus de quand l'apport de glucose au cerveau diminue.
6 Physiopathologie du diabète

PETIT DÉJ DÉJEUNER DÎNER

50 INSULINE 8

GLYCÉMIE (mmol/l)
7
INSULINÉMIE (mu/l)

6
25
GLUCOSE
5

08 12 16 20 24 04 08

CYCLE DE 24 HEURES

Figure 1.2. Profil nycthéméral des variations de la glycémie et de l'insulinémie chez des individus sains.

GLYCÉMIE Les symptômes neuroglucopéniques apparaissent


lorsque la glycémie devient inférieure à 0,50 g/l
LIMITE SUP 6 1,1 (en cas de chute brutale de l'apport de sang et/
ou de glucose au cerveau) et se traduisent d'abord
NORMALITÉ

1,0

MOYENNE 5
ARRÉT DE
par une perte des fonctions cognitives, puis une
0,8 L'INSULINOSÉCRÉTION
ACTIVATION
léthargie, un état comateux, l'apparition de
LIMITE INF 4
DE LA SÉCRÉTION
DE GLUCAGON
convulsions, des lésions du tissu cérébral irréver-
3
ET D'ADRENALINE
sibles et le décès (figure 1.3). Les effets délétères
SYMPTÔMES DE
0,5
L'HYPOGLYCEMIE de l'hyperglycémie ne se manifestent, eux, qu'à
2 long terme, en particulier chez les diabétiques,
mais ils ont des conséquences fâcheuses sur l'indi-
(mmol/l) 1 0,2

(g/l)
MORT NEURONALE
vidu : rétinopathie, néphropathie, pathologies car-
0,1
diovasculaires (voir Chapitre 6 – Le danger pour
les artères et Le danger pour les capillaires). Un
Figure 1.3. Les valeurs de la glycémie. Entre glucopénie contrôle strict de la glycémie entre 0,8 et 1,2 g/l
et hyperglycémie.
est donc nécessaire pour la santé des individus. Il
est réalisé spontanément chez l'homme sain. On
parle d'homéostasie glycémique. Le diabète cor-
respond à une rupture de ces capacités homéos-
tatiques (de résilience, pour utiliser un mot
tendance…).
Chapitre 1. C'est quoi le diabète aujourd'hui ? 7

Zoom 1.2

Coma et coma…
Le coma est la forme la plus sévère d'altération lectrolytiques (en particulier du potassium).
de la conscience. Il correspond à l'abolition de Les complications de la cétoacidose diabétique,
la conscience et de la vigilance en réponse aux comme l'œdème cérébral et l'hypokaliémie,
stimulations. Il témoigne d'un dysfonctionne- résultent le plus souvent d'un traitement mal
ment cérébral sévère. Il constitue une urgence conduit. L'acidocétose s'accompagne d'une
diagnostique et thérapeutique. Il se distingue de polypnée (entraînant une alcalinisation respira-
la syncope, perte de conscience brutale et brève toire pour lutter contre l'acidose métabolique),
d'origine cardiovasculaire. Il s'agit en général de douleurs et éventuels vomissements, d'une
d'un état transitoire. Dans les cas les plus graves, tendance à l'hypothermie, et d'une haleine à
son évolution peut conduire au décès. À côté l'odeur de pomme de reinette. L'acétone, qui
des causes les plus fréquemment responsables est l'un des corps cétoniques produits, rappelle
d'un coma (traumatismes crâniens, hypoxie/ cette odeur. Très volatile, l'acétone est excrétée
ischémie cérébrale, accidents hémorragiques dans l'air pulmonaire.
cérébraux), il existe des causes métaboliques L'acidocétose traduit toujours un manque
qui concernent spécifiquement les diabétiques : sévère en insuline. Elle peut se manifester dans
les hypoglycémies et les cétoacidoses. Ces deux différentes circonstances :
états métaboliques entraînent un coma par per- • au moment où le diabète de type 1 se révèle,
turbation aiguë et diffuse du fonctionnement avant le diagnostic ;
cérébral. • lorsque les besoins en insuline augmentent
Coma acidocétosique brusquement chez le diabétique de type 1 ou
La cétoacidose diabétique est une complication de type 2 ;
aiguë du diabète qui survient le plus souvent • le plus souvent, en cas d'oubli d'une prise
chez les patients diabétiques de type 1 [10]. d'insuline ou d'un sous-dosage important ;
Cette complication se caractérise par une • en cas de choc physique ou psychique (le
hyperglycémie, une cétose et une acidose. Son développement d'une autre maladie, la surve-
pronostic peut être sévère avec un taux de nue d'un accident, une opération chirurgicale
mortalité estimé à 5 %. Plusieurs termes sont ou un stress aigu). Ne pas oublier que l'acido-
utilisés pour parler de cette complication méta- cétose peut aussi se manifester chez un individu
bolique : celui de coma acidocétosique est en non diabétique, lors d'un jeûne prolongé ou
fait impropre, car dans environ 90 % des cas, dans le cadre d'un régime hyperprotéiné. Ces
les patients en acidocétose restent conscients. deux situations provoquent en effet une baisse
On devrait aussi plutôt parler de cétoacidose de la sécrétion d'insuline.
pour tenir compte de la chronologie d'appa- Contrairement à une idée largement répandue,
rition des troubles métaboliques, car l'acidose l'acidocétose est essentiellement le reflet d'un
ne survient pas en premier. D'un point de vue dérangement du métabolisme lipidique (et
clinique, l'évolution est en effet marquée par non du métabolisme glucidique). Elle est en
deux étapes : une phase de cétose simple, sui- effet provoquée par une lipolyse incontrôlée
vie de la phase d'acidocétose, dont le diagnos- dans le tissu adipeux blanc, et une cétogenèse
tic repose sur des analyses sanguine et urinaire incontrôlée dans le foie. C'est la perte de l'ef-
mettant en évidence une hyperglycémie, une fet inhibiteur de l'insuline sur le triglycéride
cétonémie et une cétonurie. Le pH (potentiel lipase du tissu adipeux qui est responsable de
hydrogène) artériel (faible), le taux plasmatique l'envolée de la libération d'AGL (acides gras
des bicarbonates (faible) et l'osmolalité plasma- libres) et de glycérol dans la circulation géné-
tique (trop élevée) confirment le diagnostic. Le rale (et donc de l'envolée de l'utilisation de
traitement repose sur l'insulinothérapie, la réhy- ces métabolites dans le foie) (voir Chapitre 4 –
dratation et la correction des troubles hydroé- Diabète de type 2. Des pannes multiples).

8 Physiopathologie du diabète

Les hormones du stress, telles que l'adréna- tements pharmacocinétiquement imparfaits


line, l'hormone de croissance et le cortisol, avec un activateur de la sécrétion de l'insuline
stimulent aussi la lipolyse. Ces événements (par exemple une sulfonylurée), ou avec une
se déroulent en quelques heures et peuvent insuline exogène qui entraîne des épisodes
rapidement tripler ou quadrupler les concen- d'hyperinsulinémie exagérée. De fait, l'hypo-
trations sanguines d'acides gras libres. La glycémie du diabétique est généralement le
cétogenèse se déroule dans le foie par oxyda- résultat de l'interaction malencontreuse entre
tion des acides gras captés en corps cétoniques un excès d'insuline thérapeutique et une
(3-hydroxybutyrate, acétoacétate et acétone). panne des défenses physiologiques contre la
Lors de l'acidocétose, la cétogenèse devient baisse des concentrations plasmatiques de
incontrôlée et les niveaux circulants de corps glucose [11].
cétoniques augmentent rapidement et de L'hypoglycémie iatrogène est le facteur limi-
manière excessive. Cette situation est due à la tant de la prise en charge glycémique du dia-
conjonction de l'apport accru d'acides gras au bète. Elle provoque une morbidité ­récurrente
foie, et de l'activation de la voie de la cétoge- chez la plupart des personnes atteintes de
nèse hépatique induite par les concentrations diabète de type 1 et chez de nombreuses
d'insuline (faibles) et de glucagon (élevées) qui personnes atteintes de diabète de type 2
imprègnent le foie au même moment. Chez avancé, et est parfois mortelle. Elle compromet
les individus normaux, ce processus d'échap- les défenses physiologiques et comportemen-
pement est empêché par le niveau compensa- tales contre la baisse ultérieure des concentra-
toire de la sécrétion d'insuline, mais cela ne tions plasmatiques de glucose et provoque ainsi
se produit plus chez les diabétiques de type 1. un cercle vicieux d'hypoglycémies récurrentes.
La carence en insuline, plus particulièrement Elle empêche le maintien de l'euglycémie pen-
lorsqu'elle est de longue date, entraîne une dant toute une vie de diabète et donc la pleine
dégradation accrue des protéines corporelles, réalisation des bénéfices vasculaires du contrôle
comme en témoignent l'extrême sarcopénie glycémique. Les hypoglycémies insulino-
et la cachexie des personnes atteintes de dia- induites sont souvent impressionnantes pour le
bète de type 1 avant l'ère de l'insuline. Une patient et l'entourage, et frustrantes au point
dégradation excessive des protéines et la libé- de constituer une véritable gêne sociale. Elles
ration consécutive d'acides aminés cétogènes constituent, pour la majorité des diabétiques,
(leucine, lysine) et néoglucogéniques (ala- le risque ou la contrainte la plus redoutée, bien
nine, isoleucine, phénylalanine, tryptophane, avant la prise de poids et les contraintes tech-
tyrosine) peuvent donc contribuer à la cétose niques liées au traitement. Avec la pratique de
et à l'hyperproduction hépatique de glucose l'insulinothérapie intensifiée, les hypoglycémies
(donc aggraver l'hyperglycémie chez le diabé- sont devenues plus fréquentes, avec un risque
tique). Les corps cétoniques (essentiellement accru d'hypoglycémies sévères.
le 3-hydroxybutyrate) servent de carburant Quelles sont les manifestations cliniques de
pour le cerveau et d'autres tissus dans cer- l'hypoglycémie ?
taines conditions physiologiques telles que Les symptômes et les signes de l'hypoglycémie
le jeûne ou l'exercice prolongé. Ils sont ne sont donc pas spécifiques. Ainsi, un diagnos-
convertis dans ces tissus en molécules d'acé- tic sérieux d'hypoglycémie cumule en général
tyl-coenzyme A oxydées dans le cycle de un ensemble de données objectives (la triade
Krebs et la chaîne respiratoire pour libérer de Whipple) : symptômes comportementaux
leur énergie. polymorphes, faible valeur de la glycémie, réso-
Coma hypoglycémique lution des symptômes après normalisation de la
L'hypoglycémie dans le diabète est fondamen- glycémie (par resucrage ou injection de gluca-
talement iatrogène : elle est le résultat de trai- gon). Les symptômes neuroglucopéniques, qui

▲ Chapitre 1. C'est quoi le diabète aujourd'hui ? 9

résultent directement de la pénurie de glucose Le glucose est le substrat énergétique obli-


pour le cerveau, comprennent des troubles gatoire du cerveau. Plus de 90 % de l'énergie
cognitifs, des changements comportementaux nécessaire au fonctionnement de cet organe est
et des anomalies psychomotrices. Ils incluent dérivée de l'oxydation du glucose. Comme le
convulsions et coma lorsque l'hypoglycémie cerveau est incapable de stocker ou de synthéti-
est extrême. Les symptômes neurogènes (ou ser du glucose, un apport constant de glucose au
autonomes) incluent à la fois des réponses cerveau par la circulation sanguine est essentiel
adrénergiques (par exemple, palpitations, au fonctionnement normal de cet organe et à la
tremblements et anxiété/excitation) et choli- survie de l'individu. Étant donné que le trans-
nergiques (par exemple, transpiration, faim et port facilité du glucose hémato-encéphalique
paresthésies). Ils résultent des adaptations phy- est une fonction directe de la concentration
siologiques provoquées par la décharge sym- de glucose plasmatique artériel, cela nécessite le
patho-surrénalienne, en particulier la décharge maintien de la concentration physiologique de
neurale sympathique déclenchée par l'hypo- glucose plasmatique. Plusieurs études ont mon-
glycémie. Des mécanismes centraux peuvent tré que les fonctions cérébrales se détériorent
également être impliqués, comme la faim. La lorsque la glycémie devient inférieure à 0,55 g/l
prise de conscience de l'hypoglycémie est en (3 mmol/l) chez un individu. Compte tenu des
grande partie le résultat de la perception des dangers que représente l'hypoglycémie pour le
symptômes neurogènes. Les signes d'hypo- cerveau humain, il n'est pas surprenant qu'un
glycémie incluent aussi la pâleur et la diapho- système hormonal de contre-régulation existe
rèse (hypersudation), résultant respectivement pour protéger le cerveau des effets néfastes de
d'une vasoconstriction cutanée adrénergique l'hypoglycémie. L'injection d'insuline à un indi-
et d'une activation cholinergique des glandes vidu sain en période interprandiale provoque
sudoripares. une hypoglycémie rapide, d'intensité et de
L'hypoglycémie est un fait banal pour les durée variables (fonction de la quantité d'insu-
personnes atteintes de diabète de type 1. En line injectée), puis un retour de la glycémie à
moyenne, chaque patient a un nombre incal- une valeur normale (figure 1.4). L'analyse des
culable d'épisodes d'hypoglycémie asympto- cinétiques du glucose, à l'aide d'isotopes stables
matique (donc non perçue par le patient) et ou radioactifs, a montré que l'hypoglycémie
connaît deux épisodes d'hypoglycémie symp- initiale résultait de l'action inhibitrice de l'insu-
tomatique par semaine – des milliers de ces line sur la production hépatique de glucose et
épisodes au cours d'une vie de diabète – et de la stimulation par l'insuline de l'utilisation
un ou plusieurs épisodes annuels d'hypogly- périphérique (surtout musculaire) du glucose.
cémie grave et temporairement invalidante, Après trente minutes, la glycémie revient pro-
souvent avec convulsions ou coma par an. La gressivement à la normale malgré la persistance
fréquence des hypoglycémies est moins éle- d'un hyperinsulinisme, ce qui indique que la
vée chez les diabétiques de type 2, mais pour contre-régulation n'est pas due à la seule nor-
les raisons physiopathologiques discutées plus malisation de l'insulinémie. Le retour à la gly-
loin, l'hypoglycémie devient progressivement cémie normale (euglycémie) est en fait lié à une
plus fréquente lorsque les patients développent augmentation de la production hépatique de
la forme de diabète de type 2 la plus sévère et glucose concomitante de l'augmentation de la
deviennent insulino-requérants. concentration plasmatique du glucagon et de
Quelle est la réponse physiologique à l'adrénaline, deux hormones bien connues pour
l'hypoglycémie ? stimuler la production de glucose.

10 Physiopathologie du diabète

INS

–30 0 30 60 90 120

1,0

Glycémie 0,8
(g/l) 0,6

0,4

3,0 3,0 Production


Utilisation
de glucose
de glucose
(mg/kg/min)
(mg/kg/min)
2,0 2,0

300 100

Adré
Glucagon
200 (pg/ml)
(pg/ml) 150

100 0

40

Cortisol
GH 20 (µg/dl)
(ng/ml)

–30 0 30 60 90 120

Temps (min)

Figure 1.4. Modifications de la glycémie, de la production hépatique de glucose, de l'utilisation de glucose,


et des concentrations circulantes d'hormones contre-régulatrices – glucagon, adrénaline, GH (hormone de
croissance) et cortisol – sur une période de deux heures après une injection d'insuline, chez des individus sains.

Si l'on empêche la sécrétion de glucagon (par insulinique. Le système hormonal de contre-


perfusion de somatostatine), la production régulation est donc hiérarchisé et redondant.
de glucose n'augmente pas et l'hypoglycémie Enfin, l'augmentation tardive du cortisol et de
insulinique se prolonge. Lorsqu'une sécré- l'hormone de croissance joue un rôle mineur
tion normale de glucagon a lieu à la suite de dans la correction de l'hypoglycémie insuli-
l'hypoglycémie, les catécholamines ne sont pas nique, c'est-à-dire dans l'augmentation de la
indispensables. En effet, la correction normale production de glucose, mais elle participe au
de la glycémie reste normale chez des individus maintien de la glycémie dans les heures qui
surrénalectomisés, donc en absence d'élévation suivent l'hypoglycémie, en diminuant l'uti-
de l'adrénaline. En revanche, lorsque la sécré- lisation périphérique de glucose en synergie
tion de glucagon en réponse à l'hypoglycémie avec l'adrénaline. En dehors des régulations
est déficiente, la sécrétion d'adrénaline devient purement hormonales, une autorégulation
essentielle pour la correction de l'hypoglycémie de la production hépatique de glucose (donc

▲ Chapitre 1. C'est quoi le diabète aujourd'hui ? 11

par le glucose lui-même) a pu être démontrée aussi, défectueuse. Elle résulte en général de
lorsqu'on provoque une hypoglycémie lente et l'apparition d'une neuropathie diabétique. Le
modérée. Après une chute initiale, la produc- développement de la neuropathie diabétique,
tion hépatique de glucose augmente, malgré avec perte progressive de la sécrétion de glu-
l'absence de variations des concentrations plas- cagon puis de celle d'adrénaline, conduirait
matiques de glucagon et d'adrénaline. donc à une paralysie du système de contre-
Et la réponse à l'hypoglycémie chez le diabé- régulation, c'est-à-dire de la stimulation de la
tique ? Elle est défectueuse. production hépatique de glucose en réponse
Chez les diabétiques de type 1 dont le dia- à l'hypoglycémie insulinique. Cela prédispose
bète est de découverte récente (moins d'un donc les diabétiques insulinodépendants à
mois), la réponse contre-régulatrice à l'hypo- des hypoglycémies sévères et parfois fatales.
glycémie insulinique est normale. Dans les Toutes ces défenses contre l'hypoglycémie,
cinq ans qui suivent l'apparition du diabète, la et pas seulement la sécrétion d'insuline, sont
sécrétion de glucagon en réponse à l'hypogly- aussi généralement compromises chez les
cémie faiblit et la contre-régulation devient patients ayant un diabète de type 2 avancé
beaucoup moins efficace. Après dix ans de (c'est-à-dire totalement déficitaire en insuline
diabète, la sécrétion d'adrénaline devient, elle endogène).

le sang à chaque minute, soit un flux d'utilisa-


Comment maintenir tion. Il est important de réaliser que la valeur
la glycémie autour de la glycémie n'est que la photographie à un
de sa valeur normale ? instant d'un processus cinétique complexe, et
qu'elle n'informe pas des changements des flux
Le système de régulation de l'homéostasie glu­ de glucose au sein de l'organisme. Cela peut être
cidique peut être décrit de façon très simple. Un illustré de façon très simple par ce qui se passe
état d'équilibre est atteint lorsque les apports de au cours d'un exercice physique. Au repos (à
glucose dans la circulation sanguine sont exacte- l'état interprandial), la glycémie de l'individu
ment contrebalancés par le captage du glucose est de 0,8–1 g/l. Elle résulte du fait que la pro-
sanguin par l'ensemble des tissus utilisateurs duction hépatique de glucose (2 mg/min/kg
corporels. Lorsqu'un déséquilibre apparaît, la de poids corporel) est exactement équilibrée par
glycémie augmente ou diminue. On peut résu- une utilisation tissulaire de glucose de 2 mg/
mer les apports de glucose à la quantité de glu- min/kg de poids corporel. Durant un exercice
cose qui apparaît dans le sang à chaque minute ; de 90 minutes à 60 % des capacités maximales
sa valeur a les dimensions d'un flux ; ce flux s'ex- de l'individu, le captage musculaire de glucose
prime en milligramme de glucose/minute. Le augmente de façon considérable (× 5) et l'état
flux d'apparition du glucose dans le sang reflète stationnaire est maintenu parce que l'organisme
soit l'apparition dans le sang du glucose prove- s'adapte en augmentant d'un facteur 5 sa pro-
nant de la digestion des glucides dans l'intestin duction hépatique de glucose. Or, tout au long
(c'est ce qui se passe pendant chaque repas, en de l'exercice, la glycémie va rester à 0,8–1 g/l,
situation dite prandiale), soit l'apparition dans alors que les flux de glucose (d'utilisation et de
le sang du glucose produit par le foie hépa- production) ont augmenté 5 fois. On ne peut
tique (c'est ce qui se passe entre chaque repas, donc pas assimiler la glycémie à l'utilisation ou
en situation dite interprandiale, ou encore, lors à la production de glucose, et mesurer la seule
d'un jeûne). glycémie ne nous renseigne absolument pas sur
Dans la même logique, on peut résumer la la valeur d'un flux.
somme des captages tissulaires du glucose san- Aborder la régulation de la glycémie, c'est
guin par la quantité de glucose qui disparaît dans d'abord comprendre que la glycémie ne pourra
12 Physiopathologie du diabète

rester dans une zone de valeurs adaptées (état consiste en la fixation de résidus glucose sur cer-
stable) qu'au prix d'adaptations répétées face à tains acides aminés d'un polypeptide (formation
la vie quotidienne qui est, par définition, un état d'une liaison chimique de type cétoamine). Elle
instable. Ainsi, les transitions prandiale/interpran- peut affecter toutes les protéines de l'organisme
diale, la gestation, l'activité physique sont de vrais (circulantes et tissulaires). Dans le cas de l'hémo-
défis énergétiques. Ces adaptations à l'échelon globine humaine, c'est la HbA1c qui est glyquée
d'un individu entier font intervenir de multiples par le glucose sanguin pendant les quatre mois
acteurs, les premiers rôles étant tenus par le com- de vie du globule rouge contenant l'hémoglo-
portement alimentaire, l'absorption intestinale, les bine. La HbA1c est donc un index rétrospectif et
hormones (principalement l'insuline), le système cumulatif à long terme qui permet la surveillance
nerveux central et périphérique, des substrats bio- de la glycémie chez le diabétique. On exprime sa
chimiques circulants (dont les acides aminés et valeur en pourcentage de l'hémoglobine totale
les acides gras), des réserves énergétiques mobili- (% HbA1c) chez les patients. Les experts inter-
sables (les triglycérides stockés dans les tissus adi- nationaux considèrent que la valeur normale chez
peux), la composition corporelle (reflet sur le long les individus non diabétiques est entre 4 et 6 %.
terme de l'adéquation des réserves adipocytaires Au-delà de 7 %, il y a diabète [4].
par rapport aux besoins énergétiques)… Les corrélations établies par les experts inter-
Comprendre ces processus fondamentaux, c'est nationaux entre HbA1c et glycémie montrent
mieux connaître la physiologie de l'homme sain, qu'une glycémie de 1 g/l correspond à 5 %
mais c'est aussi se doter de connaissances qui per- d'HbA1c, et que chaque augmentation de la
mettront de mieux comprendre l'installation de HbA1c de 1 % correspond à une augmentation de
certaines maladies, comme l'obésité et le diabète. la glycémie moyenne de 0,35 g/l [4] (figure 1.5).
De grandes études épidémiologiques sur des
cohortes de patients diabétiques montrent qu'une
réduction de 1 % de l'hémoglobine glyquée s'ac-
L'hémoglobine glyquée, compagne d'une diminution de 30 % du risque
mètre étalon du diabète
c
La mesure de l'HbA1c dans le sang est actuel- HbA1
lement l'examen de référence dans le suivi du
GL
YC

diabète. Il permet de déterminer de façon rétro­


É
MI

spective l'équilibre glycémique des patients diabé-


E

tiques sur une durée d'environ quatre mois.


Par quel mécanisme un tel marqueur peut-il
donner cette information ? La Hb (hémoglobine)
est la protéine utilisée pour déterminer l'équilibre
glycémique en raison de sa durée de vie impor- 10 %
2,4 g/l
tante (cent vingt jours) et des faibles variations de 9% 2,1 g/l
sa concentration chez un même individu au cours
du temps. L'hémoglobine est un complexe formé 8% 1,8 g/l

de quatre chaînes peptidiques appelées globines et 1,5 g/l


7%
de quatre groupes hèmes (pigment rouge qui fixe 1,2 g/l
l'oxygène). L'hémoglobine chez l'adulte humain 6%
comporte plusieurs formes et certaines des formes
mineures (dont HbA1c) peuvent subir une modi-
fication chimique appelée glycation. La glycation Figure 1.5. Échelle de correspondance entre les valeurs
est un processus non enzymatique (spontané) qui moyennes de la HbA1c et de la glycémie basale.
Chapitre 1. C'est quoi le diabète aujourd'hui ? 13

relatif de développer des complications micro- Diabète de type 1


vasculaires (néphropathie, rétinopathie, neuropa-
thie), de 18 % du risque d'infarctus et de 25 % du
Soif excessive (polydipsie), miction fréquente
risque de mortalité lié au diabète [3]. La valeur
(polyurie), énurésie nocturne, vision floue, asthé-
de la HbA1c sert donc de marqueur prédictif de
nie, sensation constante de faim, soudaine perte
l'apparition des complications du diabète. Plus la
de poids composent le tableau classique des symp-
HbA1c est élevée, plus le risque de développer
tômes typiques du diabète de type 1. Certains
des complications est important. Ce marqueur
de ces signes cliniques peuvent cependant ne pas
est utilisé en routine par le médecin pour le suivi
être observés ou être négligés, conduisant à un
des diabètes de types 1 et 2, et en particulier pour
diagnostic retardé jusqu'à l'apparition du coma
apprécier au long cours la qualité du traitement
acidocétosique nécessitant l'hospitalisation en
antidiabétique. Idéalement, la HbA1c doit devenir
urgence sous peine d'issue fatale. Dans de nom­
< 7 % chez les patients diabétiques. Pour l'instant,
breux pays européens, environ un quart
le dosage de la HbA1c n'est pas préconisé dans le
des diagnostics de diabète de type 1 sont établis
dépistage du diabète. Son coût est 5 fois supérieur
uniquement sur la détection du premier épisode
(16,10 euros) à celui de la glycémie (2,68 euros).
d'acidocétose, donc trop tardivement. En pré-
Le terme « hémoglobine glycosylée », souvent
sence de certains ou, rarement, de tous les symp-
employé, est impropre. En effet, la glycosylation
tômes qui viennent d'être énumérés, le diagnostic
est un mécanisme enzymatique (et donc non spon-
de diabète de type 1 est posé lorsque la glycémie
tané) qui contribue aussi à modifier les protéines.
est élevée.
Le diabète de type 1 est provoqué par une
réaction auto-immune au cours de laquelle le
système immunitaire de l'organisme attaque les
Classer les diabètes cellules bêta du pancréas, qui produisent l'insu-
line (voir Chapitre 4 – Diabète de type 1. Une
panne majeure) [2]. L'organisme produit alors
Comme pour les critères diagnostiques, la clas- très peu ou ne produit pas d'insuline. On ne
sification des diabètes sucrés a aussi évolué. En connaît pas bien les causes de ce processus des-
1980, l'OMS considérait qu'il y avait essen- tructeur. L'explication probable est à rechercher
tiellement deux classes principales de diabète, dans l'association entre la susceptibilité géné-
le diabète insulinodépendant et le diabète non tique (conférée par un grand nombre de gènes)
insulinodépendant, auxquelles il fallait adjoindre et un déclencheur environnemental (peut-être
le diabète gestationnel et une catégorie annexe une infection virale) qui déclencherait la réaction
« fourre-tout » dite des diabètes d'autres types. auto-immune (voir Chapitre 5 – Un résumé de la
En 1999, l'OMS a changé ses recommanda- pathogenèse du type 1). Les toxines ou certains
tions, en supprimant les dénominations « insu- facteurs alimentaires ont également été impliqués.
linodépendant » et « non insulinodépendant » La maladie peut se développer à tout âge, bien que
pour adopter les termes « type 1 » et « type 2 », le diabète de type 1 survienne plus fréquemment
et en détaillant les différentes formes de diabètes chez les enfants et les jeunes. Les personnes vivant
« d'autres types », tout en continuant d'indivi- avec le diabète de type 1 dépendent d'injections
dualiser le diabète gestationnel. Pour chacune quotidiennes d'insuline pour maintenir leur gly-
des formes reconnues de diabètes, nous nous cémie à un niveau approprié. Sans insuline, elles
contenterons dans cet article de décrire les prin- ne pourraient pas survivre. Cependant, grâce à
cipales manifestations cliniques, en renvoyant un traitement quotidien approprié à base d'insu-
le lecteur aux chapitres correspondants pour en line, une surveillance régulière de la glycémie, et
savoir plus sur les aspects mécanistiques, étiolo- une éducation poussée sur le diabète, ces patients
giques et thérapeutiques [9]. peuvent mener une vie saine et retarder ou ­prévenir
14 Physiopathologie du diabète

bon nombre des complications associées à cette hypoglycémiant de l'insuline, alors que d'autres
pathologie. Dans la petite enfance et à l'ado- ne le sont guère : ils sont décrits respectivement,
lescence, il est plus particulièrement difficile de comme insulino-insensibles ou insulinorésistants.
réussir une gestion autonome comprenant l'uti- Les premiers sont en général plutôt minces, alors
lisation de l'insuline, la surveillance de la glycé- que les seconds sont en général plus âgés et obèses.
mie, l'activité physique et une alimentation saine. Le diabète de type 2 est le type le plus courant et
Vivre avec le diabète de type 1 reste un défi pour il représente environ 90 % de l'ensemble des cas de
l'enfant et toute sa famille, même dans les pays diabète dans le monde [3, 7]. Le diabète de type 2
au sein desquels l'accès à de multiples injections se manifeste le plus souvent chez les personnes
quotidiennes ou à une pompe à insuline, à la sur- âgées, mais on l'observe de plus en plus chez les
veillance de la glycémie, et à des soins médicaux enfants et les jeunes adultes du fait de la progression
spécialisés est possible. Car, outre les complications de l'obésité, du manque d'activité physique et d'une
aiguës de l'hypoglycémie (due à un surdosage de mauvaise alimentation dans ces tranches d'âge. Le
l'apport en insuline) et de l'acidocétose (due à une diabète de type 2 peut présenter des symptômes
carence totale de l'apport en insuline), un mauvais similaires à ceux du diabète de type 1 mais, en géné-
contrôle métabolique peut entraîner une crois- ral, cette pathologie est beaucoup moins aiguë et
sance anormale et l'apparition précoce de com- le patient peut être complètement asymptomatique.
plications vasculaires (voir Chapitre 6 – Le danger En outre, il est généralement impossible de déter-
pour les artères et Le danger pour les capillaires). miner le moment exact de l'apparition du diabète
Enfin, dans de nombreux pays, et en particulier au de type 2. Par conséquent, la période précédant le
sein des populations économiquement défavori- diagnostic est souvent longue. La moitié des per-
sées, l'accès à l'insuline et à l'éducation diabétique sonnes vivant de fait avec le diabète de type 2 ne
est trop souvent limité. Ainsi, le risque de faire des seraient pas diagnostiquées. Si le délai précédant le
acidocétoses diabétiques reste élevé dans certaines diagnostic est long, des complications telles que la
populations qui sont donc exposées à des invalidi- rétinopathie ou un ulcère du membre inférieur qui
tés plus sévères et des décès prématurés [2]. ne guérit pas peuvent être présentes au moment
du diagnostic. On ne connaît pas bien les causes
du diabète de type 2, mais il est étroitement lié à
Diabète de type 2 l'excès de poids et l'obésité, au vieillissement, ainsi

C'est le médecin Étienne Lancereaux (figure 1.6)


qui, dès 1883, formalisa la description du diabète
gras (par opposition au diabète maigre), introdui-
sant ainsi l'existence de formes différentes de la
maladie [12].
Cette dichotomie sera conservée jusqu'à nos
jours même si les dénominations officielles ont
subi des avatars. Ainsi avant de devenir type 2, le
diabète gras a été celui de la maturité, puis de l'in-
sulino-indépendance. Cette subdivision a été aussi
justifiée par la découverte, dans les années 1930,
que certains patients diabétiques ne réagissent
pas comme attendu à l'insuline. Wilhelm Falta
(1875–1950), à Vienne, et Harry Himsworth
(1905–1993), en Grande-Bretagne, proposent
que certains diabétiques sont sensibles à l'effet Figure 1.6. Étienne Lancereaux (1829–1910).
Chapitre 1. C'est quoi le diabète aujourd'hui ? 15

qu'à l'origine ethnique et aux antécédents fami- entités différentes : le diabète gestationnel et la
liaux. Comme pour le diabète de type 1, le diabète grossesse diabétique [3, 4, 7, 12]. Le diabète ges-
de type 2 est le résultat d'une combinaison de pré- tationnel est diagnostiqué pour la première fois
dispositions multigéniques et de facteurs environ- pendant la grossesse et peut survenir à n'importe
nementaux (voir Chapitre 5 – Le diabète, c'est dû quel moment de la grossesse (en général après
à quoi ?). Chez les diabétiques de type 2, les res- 24 semaines). La grossesse diabétique concerne
ponsabilités sont multiples et partagées. La prise en des femmes enceintes qui ont déjà développé un
charge du diabète de type 2 repose sur un élément diabète à l'état non gravide (que ce diabète ait
essentiel : favoriser un mode de vie qui comprend été diagnostiqué avant la grossesse ou découvert
une alimentation saine, une activité physique régu- à propos de cette grossesse). La plupart des cas
lière, le sevrage tabagique et le maintien d'un poids d'hyperglycémie pendant la grossesse sont de type
sain. Si les tentatives de modification du mode de gestationnel (75 à 90 %). Longtemps objets de
vie ne sont pas suffisantes pour contrôler la gly- débats controversés, les critères de diagnostic pré-
cémie, les médicaments oraux sont généralement conisés par l'Association internationale des groupes
initiés, la metformine étant l'antidiabétique oral de d'étude sur le diabète et la grossesse (IADPSG
première intention (voir Zoom 7.2). Si le traite- [International Association of the Diabetes and
ment par un seul antidiabétique n'est pas suffisant, Pregnancy Study Groups]) font consensus depuis
plusieurs options d'association thérapeutique sont 2010 [4]. En France, le Collège national des
maintenant disponibles (voir Chapitre 7 – Au choix, gynécologues et obstétriciens a retenu, pour le
pilule ou piqûre ?). Lorsque les médicaments oraux dépistage du diabète gestationnel, le principe d'un
ne sont pas en mesure de contrôler l'hyperglycémie test standardisé de tolérance au glucose par voie
aux niveaux recommandés, des injections d'insu- orale. Une prise de sang est réalisée à jeun, puis
line peuvent être nécessaires. Au-delà du contrôle à une et deux heures après l'administration de la
de l'augmentation de la glycémie, il est essentiel de solution sucrée (75 g de sucre). Pour chacune des
surveiller la tension artérielle et les taux de lipides trois glycémies, les valeurs à ne pas dépasser sont
sanguins et d'évaluer le contrôle métabolique sur les suivantes (elles définissent la normalité glycé-
une base régulière (au moins annuelle). Cela per- mique pour la femme enceinte) : glycémie à jeun
mettra de dépister les complications rénales, la = 0,92 g/l ; glycémie à une heure = 1,80 g/l ;
rétinopathie, la neuropathie, la maladie artérielle glycémie à deux heures = 1,53 g/l. Si, parmi les
périphérique et l'ulcère du pied diabétique. Les trois valeurs mesurées, une seule est supérieure à
patients diabétiques de type 2 peuvent vivre long- la valeur de consigne, le diagnostic de diabète ges-
temps et rester en bonne santé. À l'échelle mon- tationnel est posé.
diale, la prévalence du diabète de type 2 est élevée et Les facteurs de risque du diabète gestation-
en hausse dans toutes les régions [4, 13, 14]. Cette nel comprennent le vieillissement, le surpoids et
augmentation est due au vieillissement de la popu- l'obésité, une prise de poids excessive pendant la
lation, au développement économique et à l'urbani- grossesse, des antécédents familiaux de diabète, un
sation croissante, tous ces éléments entraînent une syndrome des ovaires polykystiques, le tabagisme,
sédentarisation plus importante et une consomma- des antécédents de mort fœtale tardive ou l'accou-
tion accrue d'aliments néfastes et associés à l'obésité chement d'un bébé présentant une malformation
(voir Chapitre 5 – Le diabète, c'est dû à quoi ?). congénitale. Le diabète gestationnel est générale-
ment transitoire, le temps de la grossesse, et dis-
paraît avec la parturition. Cependant, les femmes
Hyperglycémie pendant enceintes présentant une hyperglycémie courent
la grossesse un risque plus élevé de développer un diabète par
la suite, en particulier lors de grossesses ultérieures.
Selon l'OMS et la FIGO (Fédération internatio- De plus, le risque relatif de développer un diabète
nale de gynécologie et d'obstétrique), l'hyper- de type 2 est particulièrement élevé entre 3 et
glycémie pendant la grossesse regroupe deux 6 ans après avoir présenté un diabète gestationnel
16 Physiopathologie du diabète

et lorsque la femme enceinte a moins de 40 ans. les causes de ce diabète. Semblable au diabète de
Les bébés nés de mères présentant un diabète type 1 dans le sens qu'il est marqué par un déficit
gestationnel sont également exposés à un risque majeur de sécrétion de l'insuline, il s'en distingue
accru d'obésité et de développer eux-mêmes un néanmoins dans la mesure où il n'en présente pas
diabète de type 2 au cours de leur vie. Les femmes les marqueurs auto-immuns (du type 1 classique).
ayant une hyperglycémie détectée pendant la On en distingue deux formes :
grossesse courent un plus grand risque d'évolu- • diabète de type 1B, qui va rester définitivement
tion défavorable de la grossesse. Si une hypergly- insulino-requérant (insulinothérapie) ;
cémie est identifiée pendant la grossesse et qu'elle • diabète de type 2 cétonurique ou cétosique
est associée à un bon contrôle de la glycémie au (aussi appelé parfois type 3), qui débute bru-
cours de cette période, ces risques peuvent être talement avec des symptômes sévères et néces-
réduits. Les femmes en âge de procréer et dont le site d'emblée l'administration d'insuline (en ce
diabète avant la grossesse est connu doivent être sens il ressemble au type 1 classique), mais qui
conseillées avant la conception ; elles doivent rece- montre ensuite une évolution proche du dia-
voir un traitement à forte dose d'acide folique ; les bète de type 2.
médicaments qui leur sont prescrits doivent être Cette forme est plus particulièrement observée
analysés, leur diabète doit être pris en charge de dans certaines régions, en Afrique subsaharienne
façon poussée et une approche planifiée au regard notamment (20 % des Africains diabétiques
de leur grossesse doit être adoptée. Toutes les présentent cette forme) ou en Europe de
femmes présentant une hyperglycémie pendant l'Est. Dans la moitié, voire les trois quarts des
la grossesse doivent bénéficier de soins prénatals cas, une fois la phase aiguë passée, une bonne
optimaux et d'une assistance appropriée au regard hygiène de vie permet au patient de se passer
de la prise en charge postnatale. d'insulinothérapie.
Le diabète dit de type 1 lent, également appelé
LADA (Latent Autoimmune Diabetes in Adults),
Autres types de diabètes est une autre forme émergente de diabète. Comme
le diabète de type 1, il s'agit d'une maladie auto-
Le rapport publié en 2019 par l'OMS sur la clas- immune, mais contrairement à ce dernier, il ne
sification du diabète sucré énumère un certain provoque généralement pas de décompensation
nombre d'autres types spécifiques [4]. À côté cétosique (accumulation de déchets acides dans le
des diabètes de type 1 et de type 2 « classiques » sang dus à l'insuffisance d'insuline). Il représente
qui représentent l'immense majorité des diabètes environ 10 % des diabétiques de type 2.
sucrés et dont les causes et l'évolution sont main- Les diabètes monogéniques, comme le nom
tenant assez bien balisées, il existe en effet toute l'indique, résultent quant à eux de la mutation
une constellation de formes d'hyperglycémies d'un seul gène, et non de multiples gènes et fac-
chroniques apparentées. Plus ou moins graves, teurs environnementaux, comme c'est le cas dans
elles sont en général peu fréquentes et restent les diabètes de type 1 et de type 2 classiques. Les
sous-explorées. S'agit-il de formes passées inaper- diabètes monogéniques sont peu fréquents et
çues jusque-là faute de technique de diagnostic représentent 1,5 à 2 % de tous les cas. Ces formes
appropriée, ou de formes émergentes ? On ne peut monogéniques présentent un large spectre, du
répondre. Pour l'heure, on est donc confronté à diabète sucré néonatal (parfois appelé diabète
une compilation rébarbative dont il est difficile monogénique de l'enfance) au diabète de la matu-
de faire une synthèse, mais qui donne cependant rité apparaissant chez des jeunes, de type MODY
corps à l'idée que les frontières établies dans la (Maturity Onset Diabetes of the Young). Au cours
classification des type 1 et type 2 classiques ne des dernières années, grâce à la multiplication
sont pas si étanches que cela. Le diabète dit de des études génétiques concernant l'ensemble
type 1 idiopathique en est un premier exemple. Le du génome, de plus en plus de formes monogé-
terme idiopathique signifie qu'on ne connaît pas niques de diabètes ont été découvertes, de sorte
Chapitre 1. C'est quoi le diabète aujourd'hui ? 17

que la prévalence réelle de ces types pourrait être hyperglycémiantes antagonistes de l'insuline
sous-estimée. (cortisol, hormone de croissance, glucagon,
Un grand nombre de pathologies primaires hormones thyroïdiennes, phéochromocytome) ;
peuvent également provoquer secondairement un • diabète dit iatrogène provoqué par des médi-
diabète : caments qui perturbent la sécrétion d'insuline
• diabète dit mitochondrial ; ou son action (corticoïdes, IFN [interférons],
• diabète provoqué par une atteinte du pancréas antirétroviraux et antiprotéases) ;
exocrine, comme la pancréatite, un trauma- • diabète d'origine infectieuse occasionné par une
tisme, une infection, le cancer du pancréas ou la infection virale associée à la destruction des cel-
pancréatectomie ; lules bêta ;
• diabète secondaire à la mucoviscidose ; diabète • divers syndromes génétiques parfois associés au
secondaire à l'hémochromatose ; diabète (syndrome de Prader-Willi, syndrome
• diabète fibrocalculeux ; de Down, ataxie de Friedreich, syndrome de
• diabète dû à des troubles endocriniens engen- Klinefelter, syndrome de Turner, syndrome de
drant une sécrétion excessive d'hormones Wolfram).

Zoom 1.3

Le who's who des diabètes la biologie moléculaire et des méthodes géné-


À côté des principales formes de diabètes que tiques au cours des dernières décennies, on
sont le diabète de type 1, le diabète de type 2, et découvre des myriades d'associations génétiques
le diabète gestationnel, la classification actuelle qui suggèrent une physiopathologie extrême-
des diabètes reconnaît d'autres types beaucoup ment diversifiée entre les types de diabètes, mais
moins courants, tels que les diabètes monogé- aussi au sein de chacun de ces types de diabètes.
niques (dont font partie les diabètes néonataux Voici la carte de visite de quelques-uns d'entre
et les MODY), la maladie du pancréas exo- eux.
crine (comme les diabètes liés à la pancréatite,
la pancréatectomie partielle, la mucoviscidose, Diabète associé au syndrome des ovaires
l'hémochromatose), les diabètes consécutifs polykystiques
à une maladie endocrinienne (syndrome des Le syndrome des ovaires polykystiques (PCOS
ovaires polykystiques, acromégalie, syndrome en anglais, pour PolyCystic Ovary Syndrome) est
de Cushing, glucagonome, phéochromocy- la maladie hormonale la plus fréquente chez les
tome, hyperthyroïdisme, somatostatinome, femmes en âge de procréer. Il peut entraîner des
aldostérone), les diabètes médicamenteux (glu- troubles de la fertilité et de la pilosité (hirsu-
cocorticoïdes, hormone thyroïdienne, agonistes tisme), ainsi que des complications métaboliques
bêta-adrénergiques, interférons, antirétrovi- (diabète). À ce jour, il n'existe pas de traitement
raux, antiprotéases), les diabètes consécutifs spécifique. Le nom de cette maladie vient de
à une infection virale (rubéole, cytomégalo- sa description, effectuée dans les années 1930,
virus, SARS-CoV-2 [Severe Acute Respiratory reposant sur l'observation de ce que l'on pen-
Syndrome Coronavirus 2]), les diabètes rares sait être des kystes dans les ovaires des patientes.
liés à des anomalies génétiques touchant le mode En réalité, il s'agissait de multitudes de follicules
d'action de l'insuline (lepréchaunisme, ­diabète au développement inachevé. Le syndrome des
lipoatrophique, anticorps antirécepteur de ovaires polykystiques entraîne :
l'insuline), ou encore les diabètes associés à un • des troubles de l'ovulation (dysovulation ou
syndrome génétique rare (syndrome de Down, anovulation) qui se manifestent par des cycles
syndrome de Klinefelter, syndrome de Turner, irréguliers, voire par l'absence totale de règles
syndrome de Prader-Willi). Avec les progrès de (aménorrhée). Ces troubles provoquent une

18 Physiopathologie du diabète

infertilité chez environ la moitié des femmes diabètes MODY ; seule une élévation modérée
présentant un PCOS ; de la glycémie à jeun est détectée. Quatorze
• une hyperandrogénie, c'est-à-dire la produc- sous-types de MODY ont été rapportés à ce
tion excessive de testostérone, habituellement jour, en fonction des gènes affectés. Les deux
produites en petite quantité dans l'organisme plus courants sont le MODY 2 qui résulte d'une
féminin. Elle provoque une hyperpilosité, de mutation sur la glucokinase, et le MODY 3 qui
l'acné et une chute des cheveux (alopécie) ; porte une mutation sur le facteur de transcrip-
• des troubles des métabolismes glucidique et tion HNF1α (Hepatocyte Nuclear Factor 1α).
lipidique associés à une surcharge pondérale, qui Les autres formes de MODY, moins courantes,
augmentent le risque de développer un diabète résultent elles aussi de mutations touchant des
de type 2 et des pathologies cardiovasculaires. gènes codant des facteurs de transcription impli-
qués dans le fonctionnement des cellules bêta
Diabète néonatal (HNF4α [Hepatocyte Nuclear Factor 1α] pour
C'est un diabète insulinodépendant qui apparaît le MODY 1, IPF1 [Insulin Promoter Factor 1]
durant les premiers mois de vie. Le diabète néo- pour le MODY 4, NEUROD1 [Neurogenic
natal, pathologie rare observée chez environ 1 Differentiation Factor 1] pour le MODY 6).
enfant sur 300 000 nés vivants, est soit transitoire
(DNT), soit définitif (DND). Le DNT se mani- Diabète mitochondrial
feste dans les premières semaines de la vie dans Il résulte de mutations ponctuelles dans l'ADN
le cadre d'un retard de croissance intra-utérin, mitochondrial (et non dans l'ADN nucléaire).
entre une rémission au bout de quelques mois Dans la mesure où l'ADN mitochondrial est
et une récidive souvent vers l'adolescence sous exclusivement transmis par la mère, ce diabète
forme d'un diabète de type 2 définitif. Il semble est typiquement de transmission maternelle.
que l'altération de la fonction pancréatique dans Il touche donc, dans la famille, des hommes
cette affection existe tout au long de la vie mais ou des femmes, mais n'est transmis que par les
s'aggrave lors des périodes de demande méta- femmes. Les maladies mitochondriales peuvent
bolique accrue, notamment pendant la puberté être à l'origine d'atteinte de différents organes
ou la grossesse. Dans le cas du DND, la sécré- par un déficit enzymatique de la chaîne respi-
tion d'insuline devient insuffisante très tôt après ratoire mitochondriale. En raison de la varia-
la naissance. La découverte de mutations des bilité de la répartition et du pourcentage
gènes qui codent pour les sous-unités Kir6.2 et des mitochondries portant la mutation d'un
SUR1 du canal K+ ATP-dépendant de la cellule organe à l'autre et d'un membre de la famille
bêta a eu un impact thérapeutique important. à l'autre, l'expression phénotypique est extrê-
En effet, les ligands des canaux potassiques que mement variée. Le sous-type appelé MIDD
sont les sulfamides hypoglycémiants ont pu être (Maternally Inherited Diabetes and Deafness)
utilisés avec succès, permettant de sevrer d'une est la forme la plus fréquemment rencontrée
insulinothérapie que l'on croyait définitive la de diabète par mutation ou délétion de l'ADN
majorité des sujets atteints de cette forme spéci- mitochondrial. La mutation la plus rencontrée
fique de diabète. est le remplacement d'une alanine par une gly-
cine en position 3243 du gène de l'ARN de
Diabètes MODY (Maturity Onset Diabetes transfert de la leucine. Le MIDD est caracté-
of the Young) risé par une transmission maternelle et un phé-
Survenant généralement durant l'adolescence notype évocateur : indice de masse corporelle
ou chez l'adulte jeune, cette forme de diabète faible, petite taille, atteintes extrapancréatiques
est liée à des défauts monogénétiques différents, (surdité, atteinte maculaire, atteintes neurolo-
mais qui sont tous hérités sur un mode autoso- giques et musculaires, cardiomyopathie). Le
mique dominant et affectent tout le fonction- diabète se présente cliniquement comme un
nement des cellules bêta pancréatiques (peu ou type 1 ou un type 2 (80 % des cas), et est lié à
pas d'anomalies de l'action de l'insuline). Il n'y un déficit primitif de l'insulinosécrétion secon-
a donc pas un MODY, mais des MODY. Il n'y daire à la dysfonction de la chaîne respiratoire
a pas de signe clinique fort accompagnant les mitochondriale. La rétinopathie diabétique y

▲ Chapitre 1. C'est quoi le diabète aujourd'hui ? 19

est moins fréquente que dans les formes habi- présence d'une hépatopathie, en particulier cir-
tuelles de diabète du fait d'une moindre hyper- rhotique. Le dosage de la ferritinémie permet
glycémie et d'une plus faible fréquence de la uniquement de quantifier la surcharge en fer. Le
HTA (hypertension artérielle). Une néphro- traitement repose sur des saignées.
pathie mitochondriale spécifique, de pronostic
Diabète fibrocalculeux
sévère, est présente. Près de 20 mutations et
des délétions de l'ADN mitochondrial, res- Autrefois appelé pancréatite tropicale, il sévis-
ponsables de phénotypes diabétiques, ont été sait en Inde, à Madagascar et aux Comores.
rapportées à ce jour. On a longtemps pensé que la consommation
traditionnelle de manioc dont le tubercule est
Diabète de la mucoviscidose riche en glucosides cyanogènes toxiques pour le
Encore appelé maladie des mucus visqueux pancréas, associée à la malnutrition, était à l'ori-
ou fibrose kystique (cystic fibrosis en anglais), gine de cette forme de diabète. Avec sa quasi-
c'est l'une des maladies héréditaires les plus disparition en Inde, en lien avec l'électrification
fréquentes. Elle affecte les épithéliums glan-
­ du pays, on pense maintenant que l'exposition
dulaires de différents organes, et plus particu- à des vapeurs toxiques provenant en particulier
lièrement des voies respiratoires et du système de réchauds à pétrole ou autres hydrocarbures
digestif. L'épaississement du mucus, substance pourrait avoir été l'agent causal. Cette forme de
habituellement fluide qui tapisse et ­humidifie pancréatite était particulière par la sévérité de
les canaux de nombreux organes, entraîne des la maladie rénale associée et par le risque élevé
manifestations cliniques dominées par les com- de cancer.
plications respiratoires (encombrement bron-
Diabète du phéochromocytome
chique, surinfections pulmonaires) et digestives
(problèmes de digestion et anomalies du méta- C'est une affection tumorale (exceptionnelle)
bolisme du glucose). Maintenant que l'espé- parfois maligne. La tumeur se développe à partir
rance de vie des patients s'allonge à la faveur des des cellules chromaffines de la médullo-surré-
progrès de la prise en charge, on constate nale qui produisent l'adrénaline. Le phéochro-
une prévalence élevée du diabète chez les mocytome se manifeste par une hypertension
patients adultes (50 % des patients). Le dia- artérielle grave. Il peut également être associé à
bète de la mucoviscidose est dû essentielle- un diabète de type 2.
ment à une atteinte des cellules bêta (déficit
Diabète iatrogène dû aux interférons
d'insulinosécrétion).
Les interférons (IFN) sont de petites pro-
Diabète de l'hémochromatose téines produites naturellement dans le corps en
L'hémochromatose primitive est une maladie réponse à une infection virale. Ils appartiennent
autosomique récessive secondaire à une muta- à la famille des cytokines, dont la mission est
tion du gène HFE. Cette maladie est caracté- de jouer le rôle de messager au sein du système
risée par une hyperabsorption intestinale de fer immunitaire, dans le but d'organiser la défense
aboutissant progressivement à une surcharge de l'organisme face à une agression. Ils sont
multiviscérale en fer. Les premiers symptômes pourvus de propriétés antivirales, immunomo-
surviennent en règle vers l'âge de 40 ans chez dulatrices et anti-oncogéniques. L'IFN1α est
l'homme et de 50 ans chez la femme. On peut actuellement utilisé avec succès pour les traite-
observer, dans le cadre de cette maladie, des ments des hépatites B et C, de plusieurs lym-
arthropathies, une cirrhose, une insuffisance phomes et leucémies, et de certains cancers tels
gonadotrope, une cardiomyopathie, une méla- que le mélanome. L'IFN1β est utilisé dans la
nodermie. La moitié des patients ayant des sclérose en plaques. Il existe un risque poten-
signes cliniques sont diabétiques. Ce diabète est tiel (jusque-là pas démontré), chez ces patients
essentiellement lié à l'existence d'une cirrhose. traités chroniquement par l'IFNα, de déve-
En l'absence de cirrhose, il est beaucoup plus lopper un diabète. En effet, malgré ses effets
rare (20 %). Il est donc justifié de rechercher bénéfiques dans les infections virales, l'IFNα a
une hémochromatose chez un patient présen- été associé à plusieurs maladies auto-immunes,
tant un diabète de type 2 sans surpoids, en notamment la thyroïdite auto-immune, le lupus

20 Physiopathologie du diabète

érythémateux disséminé, la polyarthrite rhuma- induisent aussi directement une diminution de


toïde, la cholangite biliaire primitive, et a récem- la sensibilité des adipocytes à l'insuline.
ment émergé comme une cytokine majeure qui
Diabète du syndrome de Prader-Willi
déclenche le diabète de type 1. D'autre part,
des preuves provenant d'études récentes sur C'est une maladie génétique rare, qui se carac-
l'homme et la souris indiquent que l'IFNα joue térise par un dysfonctionnement hypothalamo-
un rôle central dans les phases précoces de la hypophysaire associé à une hypotonie majeure
mort des cellules bêta (attaque auto-immune) pendant la période néonatale et les deux pre-
et la survenue d'un diabète de type 1 chez les mières années de vie. De l'enfance à l'âge
individus génétiquement prédisposés. adulte, les problèmes principaux sont l'appari-
tion d'une hyperphagie avec le risque d'obésité
Diabète iatrogène dû aux antirétroviraux morbide, des difficultés d'apprentissage et des
et antiprotéases troubles du comportement, voire des troubles
Les médicaments utilisés contre le VIH (virus psychiatriques majeurs. Il concerne 1 cas sur
de l'immunodéficience humaine) sont des subs- 25 000 naissances.
tances conçues pour bloquer différentes étapes
Diabète du syndrome de Down
de la multiplication du VIH ou pour réduire
sa capacité à infecter de nouveaux lymphocytes Le syndrome de Down ou la trisomie 21 est
CD4 (Cluster de Différenciation 4). Ce sont des une anomalie chromosomique congénitale
médicaments dits antiviraux ou antirétroviraux provoquée par la présence d'un chromosome
(le VIH appartient à la famille des rétrovirus). surnuméraire pour la 21e paire. Chez la plupart
Les inhibiteurs de protéase (ou antiprotéases) des patients, il existe une déficience intellec-
bloquent la formation des protéines finales du tuelle et un retard au développement psycho-
VIH. Les molécules antirétrovirales et les anti- moteur qui sont très variables d'une personne
protéases utilisées actuellement pour le traite- à l'autre. Certaines malformations (cardiaques,
ment du VIH sont capables de bien contrôler digestives) sont plus fréquentes que dans la
l'infection par le VIH. Avant l'arrivée des mul- population générale. La durée de vie dépasse
tithérapies, le diabète était très rare chez les per- les cinquante ans. La cause des décès est sur-
sonnes infectées par le VIH. Il est courant de tout cardiaque et pulmonaire. L'obésité est fré-
voir des patients faisant l'objet d'une surveillance quente, ainsi que l'hypothyroïdie. Il existe un
médicale très étroite évoluer peu à peu vers le risque accru d'ostéoporose.
diabète (10 % des patients au bout de 2 ou 3 ans
Diabète dû à l'ataxie de Friedreich
de trithérapie). Il s'agit donc bien d'un pro-
blème iatrogène. La précocité des troubles de la Maladie rare (1/50 000), c'est une patholo-
glycorégulation dans cette population s'explique gie neuromusculaire héréditaire et dégénéra-
par l'apparition d'une insulinorésistance sous tive. Elle est caractérisée par une dégénération
traitement antirétroviral, ces facteurs spécifiques spinocérébelleuse (des voies allant du cervelet
s'ajoutant aux facteurs de risque habituels du à la moelle épinière). Elle débute le plus sou-
diabète de type 2. Dans la grande majorité des vent pendant l'enfance, généralement entre 5 et
cas, le diabète se développe dans le cadre d'un 18 ans. Elle se manifeste par des atteintes :
syndrome lipodystrophique apparu sous antiré- • neurologiques (trouble de l'équilibre, diffi-
troviraux. L'insulinorésistance chez les patients culté à coordonner ses mouvements, difficulté
traités chroniquement est corrélée avec une à s'exprimer, perte des réflexes) ;
redistribution du tissu adipeux (lipodystrophie) • ostéo-articulaires (déviation importante de la
en faveur d'une localisation intra-abdominale, colonne vertébrale) ;
une dyslipidémie souvent sévère, une stéatose • métaboliques et cardiaques (diabète dans
hépatique et un risque cardiovasculaire majeur. 30 % des cas, épaississement du muscle car-
Certains inhibiteurs de la protéase du VIH, diaque dû à la réduction de la production d'une
tels que l'indinavir, le ritonavir et l'amprénavir, protéine, la frataxine).

▲ Chapitre 1. C'est quoi le diabète aujourd'hui ? 21

Diabète du syndrome de Klinefelter somes sexuels (caryotype X) chez une femme,


Le syndrome de Klinefelter se caractérise entraînant une anomalie du développement
chez l'humain par un chromosome sexuel X sexuel (intersexuation), avec infertilité et retard
supplémentaire. L'individu présente alors de croissance. Ce syndrome est accompagné
2 chromosomes X et un chromosome Y, soit d'un risque accru de malformations congéni-
47 chromosomes au lieu de 46. L'individu tales et d'anomalies de type cardiovasculaires,
est alors de caractère masculin, mais infertile. rénales, osseuses, et de développer diverses
Ce syndrome est associé fréquemment à des maladies auto-immunes, diabète de type 1
troubles de la tolérance glucidique (signant un inclus.
diabète de type 2), à une répartition androïde Diabète du syndrome de Wolfram
des graisses et à une insulinorésistance.
C'est un syndrome rare qui associe un dia-
Diabète du syndrome de Turner bète de type 1, un diabète insipide, une atro-
C'est une pathologie génétique caractérisée par phie optique, une surdité et des troubles
l'absence totale ou partielle d'un des chromo- neurologiques.

Une inquiétante 100 000 personnes et par jour. On parle d'épidémie


pour désigner l'augmentation rapide d'une mala-
pandémie die en un lieu donné sur un moment donné, et de
pandémie lorsqu'une maladie s'étend rapidement à
une part importante de la planète. L'épidémiologie
Une pandémie (épidémie nous informe donc sur la prévalence et l'incidence
mondiale) de diabètes du diabète au sein d'une population donnée, élé-
ments déterminants pour construire une politique
On considère aujourd'hui le diabète sucré comme sanitaire. Elle décrit les complications liées à la
un véritable problème de santé publique et on parle maladie et estime leur fréquence et leur gravité.
d'épidémie ou de pandémie de diabète [4]. Nous Elle identifie les facteurs de risque, en quantifiant
allons faire le point sur l'actuelle étendue des dégâts la probabilité de survenue de la maladie ou d'une
en utilisant les données épidémiologiques relatives complication de celle-ci, chez les individus exposés
au diabète de type 1, puis du diabète de type 2. au facteur que l'on teste en comparaison avec les
C'est en effet la fonction de l'épidémiologie que de individus non exposés.
nous apporter des informations d'ordres quantitatif Lors de son dernier congrès tenu en 2019 en
et qualitatif. Rappelons que la prévalence mesure Corée du Sud, la Fédération internationale du dia-
le nombre total de cas d'une maladie donnée, à un bète (IDF [International Diabetes Federation]) a
instant donné (ou sur une période donnée), dans fait un point alarmant sur l'incidence croissante du
une population définie. Pour chaque maladie, on diabète dans le monde [4], une fois de plus ! Même
calcule la prévalence en rapportant le nombre de si le diabète de type 1 est en légère augmentation,
malades à la population considérée. La prévalence c'est avant tout le diabète de type 2 qui fait peser
(on parle aussi de taux de prévalence) est une pro- la menace. Comme expliqué plus en détail ailleurs
portion (exprimée en pourcentage). Par exemple, (voir Chapitre 5 – Le diabète, c'est dû à quoi ?), la
prévalence = nombre total de cas de la maladie pour pandémie de diabète est liée au vieillissement des
100 000 personnes aujourd'hui. L'incidence, quant populations et aux changements du mode de vie,
à elle, mesure le nombre de nouveaux cas d'une sources de prise de poids et d'obésité (réduction
maladie dans un intervalle de temps donné, au sein de l'activité physique, alimentation de plus en plus
d'une population définie. Par exemple, incidence riche en graisses saturées et sucres simples avec
= nombre de nouveaux cas de la maladie pour diminution des fibres).
22 Physiopathologie du diabète

Épidémiologie continuer à augmenter considérablement. Encore


du diabète de type 2 moins rassurant, il faut s'attendre à ce que la réa-
lité soit pire. En effet, on constate que toutes les
prévisions faites par l'IDF depuis des décennies
Le diabète est un problème majeur de santé qui ont été largement dépassées (figure 1.7). À titre
a atteint des proportions alarmantes : actuelle- d'exemple, selon les projections établies en 2003,
ment, près d'un demi-milliard de personnes dans le chiffre prévu pour 2025 était de 333 millions ;
le monde vivent avec le diabète [4, 14]. À l'échelle selon les projections établies en 2006, le chiffre
de la planète, la prévalence du diabète de type 2 prévu pour 2025 était de 380 millions ; ce chiffre
peut être assimilée en première approximation à est largement dépassé dès aujourd'hui puisque
la prévalence du diabète tous types confondus. nous étions à 463 millions en 2019 [4].
Depuis la première édition en 2000 de l'Atlas du À ces chiffres alarmants, il faut ajouter ceux qui
diabète de l'IDF, la prévalence estimée du diabète concernent les personnes atteintes d'intolérance
(type 1 et type 2 combinés) chez les personnes au glucose (et donc non classées comme diabé-
âgées de 20 à 79 ans est passée de 151 millions tiques). On estime le nombre d'adultes âgés de
(4,5 % de la population mondiale à l'époque) à 20 à 79 ans présentant une intolérance au glu-
463 millions (9 %) aujourd'hui (chiffre de 2019), cose à 374 millions (7,5 % de la population mon-
donc une multiplication du nombre de cas par 3 diale dans cette tranche d'âge). On prévoit une
en 20 ans à peine. En l'absence de mesures suffi- augmentation jusqu'à 454 millions (8 %) d'ici à
santes pour faire face à la pandémie, il est prévi- 2030 et jusqu'à 548 millions (9 %) d'ici à 2045. Et
sible que 578 millions de personnes (10 % de la l'inventaire n'est pas fini ! car il faut encore rajou-
population) vivront avec le diabète en 2030. On ter dans cette comptabilité inquiétante les dia-
atteindra 700 millions (11 %) en 2045. Les pro- bètes non diagnostiqués : 58 % en Afrique, 45 %
jections pour l'avenir indiquent donc clairement au Maghreb et Moyen-Orient, et même autour
que l'impact du diabète au niveau mondial devrait

700
(2019)
642
(2015)
592
578 (2013) 2045
(2019)
629
2040 (2017)

2035
463 2030
380 552
425 (2006) (2011)
415
438
382 2019 (2009)
366 2025 333
2017 (2003)
2015
285 2013
2011
246
194
2009
151 2006

2003

2000

Figure 1.7. Évolution de la prévalence des diabètes dans le monde.


Les chiffres dans les ronds blancs correspondent aux données réelles (en millions) compilées de 2000 à 2019. Les chiffres
(en millions) dans les carrés blancs correspondent aux prévisions pour la période 2025-2045. Dans chaque carré blanc est
indiquée entre parenthèses l'année à laquelle les prévisions ont été faites.
D'après IDF. IDF Diabetes Atlas. 9e éd. 2019. Disponible sur : https://diabetesatlas.org/en/resources.
Chapitre 1. C'est quoi le diabète aujourd'hui ? 23

de 20 % aux États-Unis, soit dans des régions où 120

NOMBRE DE DIABÉTIQUES (MILLIONS)


les diabètes déjà connus sont très nombreux. On
estime le nombre de diabétiques non diagnos- 100

tiqués à 65 millions en Chine et 44 millions en


80
Inde [4]. Mais la situation diffère grandement
selon les continents et les pays, tant pour ce qui
60
concerne la prévalence, l'incidence des diabètes
que le nombre de cas non diagnostiqués. Au 40
Maghreb, au Moyen-Orient (Égypte, Jordanie,
Syrie), en Arabie saoudite (où 1 femme sur 4 20
aurait un diabète de type 2 dès la quarantaine), en
Turquie, dans les pays d'Asie centrale, au Pakistan, 0
en Inde, en Chine et en Indonésie, les prévalences

IL
SA

AN
E

ÉG E
TE

FR E

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N
U

C
U

YP
ST
IN

AG
IQ

AN
H

BR
du diabète atteignent ou dépassent partout 10 %.

EX
KI

M
PA

LE
M
C'est aussi la situation des États-Unis, du Brésil, et

AL
plus encore du Mexique. La situation de l'Afrique Figure 1.8. Nombre (en millions) de diabétiques adultes
(hors Maghreb) est d'analyse plus délicate du fait (20 à 79 ans) par pays, en 2019.
de données souvent très parcellaires. Mais, déjà au
Soudan, la prévalence est de 22 %, et en Afrique
du Sud, elle atteint 13 %. En 2019, la préva- outre, 37 millions d'adultes européens âgés de 20
lence du diabète la plus élevée (ajustée en fonc- à 79 ans, soit 5 % de la population régionale de
tion de l'âge) est observée dans les îles Marshall ce groupe d'âge, présenteraient une intolérance
(30,5 %) [4]. au glucose en 2019. D'ici à 2030, on prévoit que
En 2025, plus de 75 % des diabétiques réside- la zone Europe comptera 66 millions d'adultes
ront dans les pays en développement (contre 62 % diabétiques et 40 millions d'intolérants au glu-
en 1995). Dans les pays en développement, la cose. Les prévisions pour 2045 suggèrent que ce
plupart des diabétiques sont âgés de 45 à 64 ans nombre augmentera encore pour atteindre res-
alors que dans les pays développés, la majorité des pectivement 68 et 40 millions de personnes dans
diabétiques a plus de 65 ans. Les pays compre- ces deux groupes. Le vieillissement est un facteur
nant le plus grand nombre de diabétiques sont, de risque particulièrement important pour le dia-
dans l'ordre, la Chine, l'Inde et les États-Unis bète de type 2 dans la zone Europe où 44 % de
(figure 1.8). D'après les projections, le nombre la population globale est âgée de 50 à 79 ans, et
d'adultes vivant avec le diabète au Pakistan devrait cette proportion devrait atteindre 50 % en 2045.
dépasser celui des États-Unis pour passer à la troi- Dans une large mesure, la forte prévalence du dia-
sième place d'ici à 2045. bète de type 2 et de l'intolérance au glucose est
Selon les estimations 2019 de l'IDF, la zone une conséquence du vieillissement de la popula-
géographique dite Europe (incluant les pays de tion européenne.
l'Union européenne, la Fédération de Russie et Dans la zone Europe, on estime que près de
la Turquie) compte 59 millions d'adultes âgés de 465 900 décès chez les 20 à 79 ans sont attribués
20 à 79 ans vivant avec le diabète, soit 9 % de la au diabète et à ses complications en 2019 (8 % de
population régionale de ce groupe d'âge. C'est en la mortalité toutes causes confondues). Le nombre
Turquie que la prévalence comparative ajustée en de décès dus au diabète et à ses complications est
fonction de l'âge est la plus élevée (11 %), sui- légèrement plus élevé chez les femmes que chez
vie de l'Allemagne (10 %) et du Portugal (10 %). les hommes : 237 900 et 228 000 respectivement.
L'Allemagne occupe le premier rang quant au Cela peut s'expliquer par le nombre des cas de
nombre de personnes vivant avec le diabète diabète légèrement plus élevé chez les femmes
(9,5 millions), suivie de la Fédération de Russie (29,9 millions) que chez les hommes (29,4 mil-
(8,3 millions) et de la Turquie (6,6 millions). En lions) et par le fait que la population compte
24 Physiopathologie du diabète

plus de femmes (342,8 millions) que d'hommes quence du diabète augmente avec l'âge, atteignant
(322,6 millions). La Fédération de Russie enre- un pic chez les 75 à 85 ans (21 % des hommes,
gistre le plus grand nombre de décès attribués au 15 % des femmes). Elle est aussi marquée par des
diabète (110 500). disparités territoriales. Les taux les plus élevés sont
En France, nous disposons depuis 1998 de observés dans les départements d'outre-mer : plus
données précises de prévalence du diabète, grâce de 20 %, deux fois plus de cas en Réunion qu'en
au SIAM (Système d'Information de l'Assurance métropole à âge identique. En métropole, c'est la
Maladie) qui enregistre toutes les prestations rem- Seine-Saint-Denis qui affiche la fréquence la plus
boursées aux assurés sociaux. Ainsi, en métropole, élevée (1,5 fois plus élevée que sur le reste du
le nombre de patients avec un diabète traité phar- territoire), suivie par le Val-d'Oise (1,3), le Pas-
macologiquement a été estimé à 1,2 million en de-Calais (1,3), l'Aisne, le Nord et les Ardennes
1995 et 1,5 million en 2000. En 2005, on estimait (1,2). Les départements où la fréquence de dia-
à 3,5 % la prévalence du diabète de type 2 traité bète est la plus faible sont l'Ille-et-Vilaine (0,6 fois
pharmacologiquement en France métropolitaine. moins élevée), le Finistère, les Côtes-d'Armor, le
L'étude de l'InVS (Institut de Veille Sanitaire) Morbihan (0,7) ainsi que la Mayenne et la Loire-
parue en 2008 [15] recensait 2,5 millions de Atlantique (0,7). Parmi les personnes identifiées,
personnes diabétiques traitées, ce qui représente plus de 8 100 ont été hospitalisées pour un infarc-
un pourcentage de près de 4 % de la population. tus du myocarde, plus de 19 800 pour un AVC
Selon le rapport 2012 de la CNAMTS (Caisse (accident vasculaire cérébral), plus de 26 700 pour
Nationale de l'Assurance Maladie des Travailleurs une plaie du pied, plus de 8 400 pour une ampu-
Salariés), le seuil des 3 millions de personnes trai- tation de membre inférieur et plus de 4 400 ont
tées en France pour un diabète a été franchi en été mises sous dialyse ou eu une greffe rénale.
2011, correspondant à une prévalence de 4,6 % L'âge moyen des personnes hospitalisées pour ces
de la population française. Cette prévalence ne complications était de plus de 69 ans. Les hommes
rend compte que des cas de diabète traités par des étaient 1,5 à 2,7 fois plus touchés par ces com-
médicaments. Il faut y ajouter 1,6 % pour inclure plications que les femmes. Notons que tous ces
les cas diagnostiqués, mais non traités par des chiffres sont certainement sous-estimés car ils ne
médicaments (traités par le régime seul), et les cas prennent en compte que les sujets identifiés sur
non diagnostiqués. Le diabète toucherait donc en la base de leurs remboursements de traitements
réalité 6,2 % de la population. Ces résultats ont antidiabétiques. Des disparités territoriales s'ex-
dépassé toutes les projections puisqu'en 2006, priment aussi sur l'incidence de la plupart des
les estimations les plus pessimistes prévoyaient complications avec des taux 1,2 à 1,9 fois supé-
2,9 millions en 2016. Santé publique France a rieurs en outre-mer comparés à la métropole. En
publié en 2018 un état des lieux de la prévalence métropole, les Hauts-de-France se distinguent par
du diabète et de ses complications en France [16]. des taux plus élevés d'amputations (1,3 fois plus
En 2016, 3,3 millions de Français reçoivent un élevés que le taux national) et de plaies des pieds
traitement médicamenteux pour un diabète (tous (1,4 fois plus). Les taux d'infarctus du myocarde
types confondus), soit 5 % de la population. En sont plus élevés en Centre-Val de Loire (1,3 fois
2019, selon les chiffres publiés par l'IDF, 3,5 mil- plus). À l'inverse, la Corse et la région PACA
lions d'individus sont atteints dans la tranche (Provence-Alpes-Côte d'Azur) montrent les taux
d'âge 20–79 ans, soit une prévalence qui reste aux les plus faibles de plaies du pied, et la Bretagne, de
alentours de 5 % (fourchette de variabilité entre mise sous dialyse ou greffe rénale.
3,8 et 6,3 %). Ainsi, l'épidémie de diabète conti- Concernant les examens de suivi recommandés,
nue-t-elle de progresser en France (mais peut-être en 2016, 86 % des sujets diabétiques ont fait réali-
plus doucement depuis 2015) [17]. Dans cette ser le dosage de la créatininémie et 74 % celui des
dernière enquête sur la situation en 2016, les lipides sanguins. En revanche, ils ne sont encore que
hommes sont légèrement plus nombreux que les 31 % à avoir réalisé les dosages de microalbuminu-
femmes (1,8 million versus 1,5 million). La fré- rie, 39 % le suivi ophtalmologique bisannuel, 54 %
Chapitre 1. C'est quoi le diabète aujourd'hui ? 25

les dosages d'HbA1c et 64 % le suivi cardiologique. révélé l'existence d'un gradient d'incidence du
L'analyse des données révèle que le diabète est plus diabète de type 1 croissant du sud au nord de
fréquent chez les personnes les plus défavorisées. l'Europe, les pays scandinaves étant les plus tou-
Par exemple, la prévalence du diabète était 2 fois chés (avec la Sardaigne qui fait exception dans le
plus élevée chez les plus de 60 ans bénéficiant de sud de l'Europe). Durant les 10 ans du programme
la complémentaire santé solidaire (ex-couverture EURODIAB, entre 1989 et 1998, presque par-
maladie universelle complémentaire) que chez ceux tout en Europe, l'incidence annuelle a augmenté,
n'en bénéficiant pas (3,4 % versus 1,6 %). La pré- avec une croissance moyenne de 3 % par an.
valence était aussi plus élevée dans les communes En France, on dispose également de don-
défavorisées (1,4 fois chez les hommes et 1,7 fois nées fiables d'incidence grâce aux registres mis
chez les femmes), comparée à celle des communes en place à la fin des années 1980 dans 4 régions
les plus favorisées. Enfin, la fréquence de la mise (Aquitaine, Lorraine, Basse-Normandie et Haute-
sous dialyse ou greffe rénale était 1,3 fois plus éle- Normandie) [18]. Dans les 4 régions disposant
vée dans les communes les moins favorisées et la d'un registre, le taux d'incidence était de 7,5 pour
fréquence des plaies du pied et des amputations de 100 000 enfants de moins de 15 ans en 1988. Il
membre inférieur 1,4 fois plus élevée (signe pro- était passé à 10 pour 100 000 en 1997 et à 18 pour
bable d'une prise en charge trop tardive). 100 000 en 2015. L'accroissement de l'incidence
annuelle est estimé à environ 3 % par an ; il est
très stable depuis 20 ans, et identique à l'évolution
Épidémiologie dans l'ensemble des pays du monde. Par contre,
du diabète de type 1 le diabète de type 1 apparaît de plus en plus pré-
cocement, notamment chez les enfants de moins
Par comparaison avec le type 2, le diabète de de 5 ans. On considère qu'il y a chaque année de
type 1 est une maladie relativement rare. Les l'ordre de 2 000 à 3 000 nouveaux cas de diabète
connaissances épidémiologiques sur le diabète de de type 1 chez les moins de 15 ans, en France.
type 1 ont beaucoup progressé avec la mise en En 2019, le nombre d'enfants de moins de 15 ans
place d'études internationales collaboratives qui diabétiques de type 1 est de l'ordre de 20 000.
ont permis des comparaisons précises entre pays. Les données de la CNAM indiquent que le
Selon les données de l'IDF, le nombre d'enfants diabète de type 1 représente de l'ordre de 6 %
et d'adolescents (âgés de moins de 20 ans) vivant de l'ensemble des diabètes et touche environ
en 2019 avec un diabète de type 1 dans le monde est 180 000 sujets sur l'ensemble de la population,
estimé à 1,1 million. Par rapport aux autres zones soit une prévalence de l'ordre de 0,25 % en
géographiques prises en compte par l'IDF, la zone France.
Europe enregistre le plus grand nombre d'enfants
et d'adolescents (0 à 19 ans) vivant avec le diabète
de type 1 (296 500). La zone Europe présente
également l'un des taux d'incidence du diabète de
Un fardeau économique
type 1 les plus élevés chez les enfants et les ado- mondialisé
lescents, avec environ 31 100 nouveaux cas par an.
Les pays nordiques que sont la Suède, la Finlande
et la Norvège figurent parmi les 5 premiers pays Dans le cas du diabète, comme pour toute mala-
du monde en termes d'incidence du diabète de die chronique, le dépistage, le traitement de la
type 1 dans ce groupe d'âge. Le Royaume-Uni maladie, la prévention et le traitement de ses com-
compte le plus grand nombre de nouveaux cas de plications ont d'importantes implications socio-
diabète de type 1 chez les enfants et les adolescents économiques. Cependant, la majorité des coûts
(environ 4 300 en 2019). Dès les années 1990, le sont largement liés aux complications du diabète,
programme EURODIAB (European Community et plus particulièrement à ses conséquences car-
Concerted action Programme in Diabetes) avait diovasculaires (voir Chapitre 6 – Le danger pour
26 Physiopathologie du diabète

les artères et Le danger pour les capillaires). Les Bas, Suède) pour évaluer les conséquences écono-
dépenses mondiales de santé pour le diabète en miques du diabète, et a mesuré les coûts de santé
2019 sont estimées à 760 milliards de dollars. On liés au diabète ainsi que ses conséquences sociales
pense que ces dépenses atteindront 825 milliards chez plus de 7 000 patients. Hormis des compa-
de dollars d'ici à 2030 et 845 milliards de dol- raisons entre pays, cette étude a permis de chif-
lars d'ici à 2045 [4]. La part que représentent ces frer le coût direct total du diabète de type 2 pour
coûts de santé dans les dépenses globales de soins ces 8 pays à 29 milliards d'euros par an (valeur
et leurs conséquences pour l'activité économique de 1999), soit un coût moyen annuel estimé à
sont très variables selon les pays, car ils dépendent 2 834 euros par patient diabétique. Le coût des
largement de l'organisation générale du système hospitalisations représentait la plus grande part
de soins et du niveau de développement écono- (environ 55 % des coûts), alors que le coût des
mique de chaque pays. traitements du diabète (antidiabétiques oraux et
insuline) ne représentait que 7 % des coûts directs.
Le coût direct moyen annuel par patient variait
Comment évaluer le coût toutefois considérablement selon les pays, allant
économique des diabètes ? de 1 305 euros en Espagne à 3 576 euros en
Allemagne. La part du diabète de type 2 dans les
Cette évaluation doit intégrer plusieurs dépenses de santé totale a pu être estimée pour
para­mètres : certains de ces pays : elle représentait 6,6 % en
• les coûts de santé dits directs, liés aux soins Italie, 6,5 % en Allemagne, 3,4 % en France, 2,5 %
directement nécessités par la maladie et ses com- en Grande-Bretagne et 1,6 % aux Pays-Bas. Il a
plications : traitements (antidiabétiques oraux, également été montré, par comparaison aux dia-
insuline, médicaments des complications asso- bétiques de type 2 indemnes de complications :
ciées), matériels (seringues ou stylos à insuline, • que la présence de complications microvas-
lecteurs de glycémie, pompes à insuline, soins culaires (voir Chapitre 6 – Le danger pour les
locaux et pansements), coût des séjours hospita- capillaires) conduisait à une augmentation de
liers motivés par la maladie et ses complications ; 70 % des coûts directs ;
• les coûts de santé indirects tels que séjours et • que l'existence de complications macrovascu-
soins dans des établissements adaptés lorsque la laires doublait les coûts directs ;
personne atteinte de diabète ne peut plus rester • que les diabétiques ayant des complications
à son domicile, perte de revenu de la famille ou micro- et macrovasculaires avaient un coût
des proches ne pouvant plus travailler car devant direct 3,5 fois plus élevé ;
s'occuper de la personne atteinte ; • que l'augmentation des coûts directs, quand ces
• la perte de productivité du patient, la perte de patients étaient hospitalisés, était de 100, 200
revenu liée au décès de la personne atteinte ou et 450 % respectivement selon qu'ils avaient des
en raison du temps non travaillé pour traiter complications micro-, macrovasculaires ou les
le diabète ou une complication associée, ou la deux à la fois.
réduction de l'activité en raison du handicap lié Et en France ? Sans considérer ces coûts sociaux
au diabète ou à ses complications. et humains, que les experts estiment tout de
Les coûts les moins quantifiables, mais néan- même à près de 30 % du coût total, le coût total
moins importants, sont les coûts intangibles tels du diabète croît rapidement en France (+ 30 %
que l'anxiété, la douleur, la discrimination face entre 2001 et 2007). En 2014, l'ensemble des
à l'emploi ou à l'investissement, la qualité de vie remboursements de soins pour des personnes
souvent réduite des malades et de leurs familles. traitées pour diabète était de 10 milliards d'eu-
Bien qu'ancienne car réalisée en 1998, l'étude ros. Sur cette somme, la CNAMTS estime que
CODE-2 (Cost of Diabetes in Europe – Type 2) a 7,7 milliards correspondent directement à la
été conduite dans 8 pays (Allemagne, Belgique, prise en charge du diabète et au traitement des
Espagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Pays- complications, et 2,3 milliards au traitement des
Chapitre 1. C'est quoi le diabète aujourd'hui ? 27

comorbidités plus fréquentes chez les patients dia- on compare les prix des insulines, aux États-Unis,
bétiques (obésité, cancer). Les projections suivent il est 7 fois plus élevé qu'en France ; le glucagon
la même tendance : le coût de la prise en charge injectable est au prix de 20 euros en France et
du diabète et du traitement des complications 33 euros en Allemagne, contre 363 dollars aux
devait atteindre, en 2017, 11,3 milliards (+ 69 % États-Unis ; le coût unitaire des gliptines (voir
par rapport à 2010). En 2019, selon l'IDF [4], Zoom 7.3) est en France le plus faible de toute
la France dépensait l'équivalent de 17 milliards l'Europe (bien moindre qu'en Allemagne ou dans
de dollars/an pour 4,5 millions de diabétiques. les pays scandinaves), et 2 à 3 fois moins cher que
A comparer aux 295 milliards de dollars par an dans les autres pays de l'OCDE (Organisation de
dépensés par les États-Unis pour ses 31 millions Coopération et de Développement Économiques).
de diabétiques, soient des dépenses par diabétique Mais la pression sur les prix doit être maniée de
2,5 fois plus faibles en France qu'aux États-Unis. façon subtile : des prix trop faibles proposés pour
En Allemagne, la dépense était de 44 milliards certaines innovations par les autorités de santé
de dollars par an pour 9 millions de diabétiques. peuvent décourager les industriels de mettre sur
Récemment la HAS (Haute Autorité de Santé) n'a le marché certains de leurs produits. C'est le cas,
pas manqué de souligner que 50 % des dépenses par exemple, des glifozines (voir Chapitre 7 – Au
de santé sont utilisées par 13 % des assurés atteints choix, pilule ou piqûre ?) : il a fallu attendre de lon-
d'affections chroniques et parmi ces patients, on gues années pour que soit enfin autorisée la com-
trouve bien sûr les 3,5 millions de diabétiques. mercialisation en France d'un premier représentant
Comment faire face aux enjeux ? Les pouvoirs (dapaglifozine) de cette nouvelle classe d'antidia-
publics, touchés au porte-monnaie, semblent bétiques (Journal officiel du 1er avril 2020). De
avoir pris la mesure des enjeux économiques de très nombreuses actions ont été impulsées dans
santé publique. Plusieurs mécanismes ont contri- le domaine du diabète pour améliorer la situation
bué à la stabilisation en France des coûts moyens des patients, réduire leurs complications. Ce qui
par patient attribuables au diabète et ses patholo- coûte le plus, ce sont, et de loin, les complications
gies liées [19, 20]. Le plus directement mesurable du diabète. Le diabète, c'est un tiers des nouveaux
est peut-être à mettre au compte de la politique dialysés en France et la dialyse, c'est 2 % du budget
très active en faveur de la baisse des prix des de la Sécurité sociale. Le diabète, ce sont 500 à
médicaments du diabète, qui a permis de limiter 1 000 cécités par an, et le coût annuel d'une cécité,
les conséquences de l'accroissement des volumes c'est pour la Sécurité sociale, 10 000 euros par an.
prescrits. La promotion de l'utilisation des géné- Le diabète, c'est 8 000 à 10 000 amputations d'or-
riques (et désormais des biosimilaires) est un des teils, de jambes ou de pieds par an, et une ampu-
leviers principaux utilisés en ce sens. Rappelons tation de jambe, c'est le salaire de 2 infirmières à
qu'un médicament générique est un médicament plein temps pendant un an. Les patients diabé-
identique ou équivalent à celui du médicament tiques présentant les complications les plus graves
princeps, ce dernier étant le médicament original (insuffisance rénale terminale, patients amputés du
protégé par brevet. Le principe actif du médica- membre inférieur, etc.) sont peu nombreux, mais
ment est soit identique, soit équivalent à celui leur consommation de soins dépasse 50 000 euros
du produit de marque. Quant au médicament par an, alors que la moyenne de consommation
biosimilaire, c'est un médicament qui, comme de soins pour l'ensemble des patients diabétiques
tout médicament biologique, est produit à partir est de l'ordre de 6 500 euros par an. Entre 1999
d'une cellule, d'un organisme vivant ou du dérivé et 2005, le nombre de patients diabétiques mal
de ceux-ci. Son efficacité et ses effets indésirables équilibrés en France, c'est-à-dire ayant une HbA1c
sont équivalents à ceux de son médicament biolo- supérieure à 8 %, est passé de 32 à 19 %, soit une
gique de référence. réduction absolue de 13 %. Or, un point d'HbA1c
Des baisses de prix sont également ­constamment en moins, c'est 30 % en moins d'atteinte des yeux,
obtenues auprès des industriels du secteur pharma- des reins et des jambes : la prévention rapporte, mais
ceutique et des dispositifs médicaux remboursés. Si sur le long terme ! Objectivement, la prévention
28 Physiopathologie du diabète

et le dépistage des complications ont donc été net- recherche ne tient aucunement pour les insulines,
tement améliorés, même si les populations les plus dont certaines ont plus de quarante ans, et dont
vulnérables restent insuffisamment ciblées par les les formes plus innovantes actuelles ont toutes été
dispositifs. Mais dans le même temps, des postes mises au point en Europe (Novo Nordisk, Sanofi).
de dépenses ont fait l'objet d'augmentations signi- Ainsi, dans ce pays, des diabétiques se rationnent
ficatives ces dernières années, qu'il s'agisse des chaque jour en antidiabétiques et en insuline et
soins infirmiers (souvent mobilisés d'une manière décèdent d'une acidocétose dite du pauvre.
peu rationnelle pour des actes techniques de faible
valeur ajoutée), de l'autosurveillance glycémique
ou des transports.
Et dans les pays en développement ? Peu de don-
Le diabète, une menace
nées sont disponibles pour ces pays, où l'épidé- pour l'économie mondiale ?
miologie du diabète est encore trop souvent mal
évaluée et ses conséquences socio-économiques le Le diabète représente donc une maladie mondia-
plus souvent ignorées. Néanmoins, il a pu être cal- lisée dont l'ampleur est sous-estimée, voire négli-
culé que dans des pays d'Afrique subsaharienne, tel gée, dans beaucoup de pays en développement
le Soudan, où le revenu moyen annuel est d'environ (banalisée dans les pays riches). Sa croissance
300 dollars, le coût des soins pour une personne rapide a pourtant des répercussions socio-écono-
diabétique pouvait représenter la moitié, voire les miques très importantes dans ces pays [21, 22].
deux tiers de ce revenu, dont environ 50 % dus au Par manque d'information, de structures et de
coût de l'insuline. Les actions se sont donc surtout personnel, son diagnostic, particulièrement celui
focalisées sur le coût et la disponibilité de l'insuline, du diabète de type 2, est tardif. Le coût des soins
vitale pour les diabétiques de type 1. Ainsi, au Mali, et du suivi est souvent beaucoup trop lourd pour
le prix de l'insuline reste p­ rohibitif : alors qu'en le malade et sa famille. Tous ces phénomènes
2000, le PIB (produit intérieur brut) par habitant entraînent des taux très élevés de complications
était de 310 euros, le prix d'un flacon d'insuline diabétiques. Dans les années à venir, dans les
pour un patient était de 9 euros, et une année pays en développement, et surtout parmi ceux
d'approvisionnement de la seule insuline représen- qui sont les plus pauvres, l'augmentation consi-
tait pour un malade approximativement 38 % des dérable du nombre de diabétiques et les consé-
ressources annuelles de la famille. Actuellement, en quences des complications, les coûts de santé qui
comptant le coût des seringues et du petit matériel, en résultent et le manque de ressources, finan-
le traitement revient à plus de 25 euros par mois, cières et humaines, pour s'occuper d'un nombre
pour un salaire mensuel moyen d'environ 50 euros. accru de malades pourraient devenir une barrière
Il faut savoir qu'aujourd'hui, dans beaucoup de au développement des systèmes de santé. Dans
pays émergents, les diabétiques se rationnent pour les pays industrialisés, le coût direct et indirect du
l'insuline du fait de son prix, du reste à charge que diabète, qui va encore croître avec l'augmentation
cela représente, ou de son indisponibilité. Cela considérable du nombre de diabètes de type 2 qui
vaut pour certains pays d'Afrique subsaharienne apparaissent de plus en plus tôt, du fait de l'aug-
ou d'Asie, où l'espérance de vie d'un sujet atteint mentation du nombre de jeunes en surpoids ou
de diabète de type 1 peut ne pas dépasser un an. obèses. Cela va conduire à des coûts insoutenables
Cela est dû au prix prohibitif des insulines et à pour les systèmes de santé, amplifiés par l'allonge-
l'autorationnement qui en résulte. Il ne faut pas ment de l'espérance de vie et l'émergence de com-
occulter non plus la situation actuelle aux États- plications, notamment cardiovasculaires chez des
Unis qui cumule trois particularités : être le pays adultes actifs. Le fardeau économique devient pri-
le plus riche au monde, avoir une couverture santé sonnier d'une spirale infernale qui va s'autoampli-
désastreuse, et des prix des médicaments honteu- fier. Le diabète représente un défi majeur pour les
sement élevés. L'argument avancé selon lequel systèmes de soins de santé et devient un obstacle
il convient de récupérer les investissements de la au développement économique durable [22, 23].
Chapitre 1. C'est quoi le diabète aujourd'hui ? 29

Que réserve l'avenir ? victoire finale sur la pandémie de diabète dépen-


dra plus que jamais de la capacité des organismes
gouvernementaux de santé et de recherche à pro-
Sans changement profond, le diabète va continuer
mouvoir les stratégies gagnantes. À ce propos, la
à concerner une part croissante de la population
crise sanitaire 2020–2021 liée à la COVID-19
dans les prochaines années [24, 25]. Les progrès
(Coronavirus Disease 2019) illustre de façon cari-
observés en matière de médecine préventive (pré-
caturale le rôle crucial des moyens dévolus à la
vention du surpoids et de l'obésité ; incitation à
recherche fondamentale et appliquée (pharmaceu-
plus d'activité physique) restent insuffisants, et
tique) dans la résolution d'une pandémie.
ils ne concernent pas de la même façon toutes
les catégories de la population. Fort heureuse-
Références
ment, le rythme des innovations technologique,
biologique, et pharmacologique reste élevé. Les [1] Bliss M. Theodore Ryder : the last living link
solutions technologiques sont axées sur le déve- to the discovery of insulin. Pract Diabetes Int
1995 ;12(4):187–8.
loppement du pancréas artificiel (voir Chapitre 8 – [2] Stene L, Tuomilehto J. Epidemiology of type 1 dia-
L'innovation technologique au service du dia- betes. In: Holt R, Cockram C, Flyvbjerg A, Goldstein
bète). Parmi les solutions biologiques, si les pos- B, editors. Textbook of diabetes. 5th ed. John Wiley &
sibilités offertes par les greffes semblent limitées, Sons Ltd ; 2017. p. 29–40.
d'autres types de cellules pourraient être utilisés [3] Zheng Y, Ley SH, Hu FB. Global aetiology and epi-
demiology of type 2 diabetes mellitus and its compli-
pour remplacer les cellules bêta pancréatiques cations. Nat Rev Endocrinol 2018 ;14(2):88–98.
(voir Chapitre 7 – Remplacer le pancréas défail- [4] IDF Diabetes Atlas. Ninth edition. 2019. Disponible
lant. Greffer un pancréas, des îlots ou des cellules sur : diabetesatlas.org/en/resources.
bêta ?). La recherche pharmacologique reste la [5] American Diabetes Association. Diagnosis and
voie la plus crédible à moyen terme pour réduire classification of diabetes mellitus. Diabetes Care
2014 ;37(Suppl 1):S81–90.
significativement le fardeau du diabète de type 2 [6] Balkau B, Andreelli F, Eschwège E. Épidémiologie
(voir Chapitre 8 – Inventer les antidiabétiques de la glycémie postprandiale. Médecine des maladies
de demain). Au cours des dernières années, la métaboliques 2007 ;1(1):22–6.
recherche s'est concentrée sur la réduction de la [7] Simon D. Définition, dépistage et épidémiologie du
glycémie, et a abouti à la commercialisation d'un diabète de type 2. Médecine des maladies métabo-
liques 2008 ;2(S1):5–9.
nombre croissant d'agents hypoglycémiants. La [8] Turner RC. The U.K. prospective diabetes study. A
recherche s'oriente maintenant vers la protection review Diabetes Care 1998 ;21(Suppl S3):C35–8.
des cellules de l'organisme contre les effets néfastes [9] Schadewaldt H. The history of diabetes. In: Von
de l'hyperglycémie, ainsi que sur le contrôle cen- Engelhardt D, editor. Diabetes. Its medical and cultu-
tral de l'apport et de la dépense énergétique. Les ral history. Springer-Verlag ; 1989. p. 43–100.
[10] Moller N. Acute metabolic complications of diabetes :
succès de la chirurgie bariatrique montrent que, diabetic ketoacidosis and the hyperosmolar hypergly-
dans certains cas spécifiques, il est possible de gué- cemic state. In: Holt R, Cockram C, Flyvbjerg A,
rir du diabète de type 2 (voir Chapitre 7 – Traiter Goldstein B, editors. Textbook of Diabetes. 5th ed.
le diabète de type 2 par la chirurgie [bariatrique]). John Wiley & Sons Ltd ; 2017. p. 534–9.
Le noyau dur de l'innovation repose néanmoins [11] Cryer P, Arbelàez AM. Hypoglycemia in diabetes. In:
Holt R, Cockram C, Flyvbjerg A, Goldstein B, edi-
sur la progression de nos connaissances sur les tors. Textbook of Diabetes. 5th ed. John Wiley & Sons
mécanismes à l'origine de l'apparition du dia- Ltd ; 2017. p. 513–29.
bète, et donc sur l'augmentation des capacités de [12] Schlienger JL. Étienne Lancereaux (1829-1910),
recherche fondamentale. Toutes ces innovations éclaireur de la maladie diabétique. Médecine des
ont naturellement un coût dont on ne pourra maladies métaboliques 2016 ;10(4):387–91.
[13] Ma R, Tong P. Epidemiology of type 2 diabetes. In:
faire l'économie. Il faudra, dans les prochaines Holt R, Cockram C, Flyvbjerg A, Goldstein B, edi-
années, soit augmenter les enveloppes, soit cher- tors. Textbook of Diabetes. 5th ed. John Wiley & Sons
cher ailleurs dans le système de santé les ressources Ltd ; 2017. p. 43–60.
nécessaires pour financer les progrès à venir. La
30 Physiopathologie du diabète

[14] Ali M, Galaviz K, Weber M, Narayan K. The global [20] Halimi S. Le diabète horizon 2030 – épidémie et
burden of diabetes. In: Holt R, Cockram C, Flyvbjerg dépenses de santé. La France mieux lotie. Médecine
A, Goldstein B, editors. Textbook of Diabetes. 5th ed. des maladies métaboliques 2020 ;14(2):93–6.
John Wiley & Sons Ltd ; 2017. p. 65–83. [21] Lefèbvre P. La pandémie de diabète : un fléau cardio-
[15] Bulletin épidémiologique hebdomadaire (InVS) vasculaire et une menace pour les systèmes de santé et
2008 ;43. l'économie mondiale. Médecine des maladies méta-
[16] Synthèse épidémiologique Santé publique France. boliques 2008 ;2(2):169–79.
Le poids du diabète en France en 2016, 2018. [22] Cefalu WT, Petersen MP, Ratner RE. The alarming
Disponible sur : www.santepubliquefrance.fr/. and rising costs of diabetes and prediabetes : a call for
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premier infléchissement dans plusieurs pays, dont and economic consequences of the global epidemics
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2019 ;13(7):577–8. [24] Timpel P, Harst L, Reifegerste D, Weihrauch-Blüher
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et al. Incidence du diabète de type 1 chez l'enfant en to prevent diabetes throughout the life course ?
France en 2013-2015, à partir du système national Diabetologia 2019 ;62(10):1842–53.
des données de santé (SNDS). Variations régionales [25] Schatz D. 2016 presidential address : diabetes at 212° –
Bull Epidemiol Hebd (Paris) 2017 ;27-28:571–8. confronting the invisible disease. Diabetes Care
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pectives. Médecine des maladies métaboliques
2018 ;12(2):190–3.
Chapitre 2
Trois mille ans d'histoire
de diabète

Repéré déjà dans les premières grandes sociétés sucreries. Les auteurs médicaux grecs, dont Rufus
humaines par des signes organiques déconcertants d'Éphèse (ier siècle) et Galien (130-201), frappés
et par la dangerosité de son évolution, le diabète eux aussi par l'urine abondante, la soif et l'amai-
a une longue histoire [1-4]. Trois mille ans au bas grissement des malades, inventent le terme de
mot, qui nous montrent comment va se construire « diarrhée des urines ».
l'histoire d'une maladie (le diabète), celle d'un Arétée dit de Cappadoce (figure 2.1), Grec de
organe (le pancréas) et celle d'une molécule (l'in- l'Empire romain, est probablement le plus grand
suline). Mais dans un contexte de presque igno- médecin connu de l'antiquité gréco-romaine
rance en anatomie et physiologie humaines, elle après Hippocrate.
laissait perplexe les médecins de l'époque qui mal- Né en Cappadoce, il fit des études de méde-
gré tout s'efforçaient de reconnaître des signes cli- cine à Alexandrie et pratiqua à Rome pendant
niques caractéristiques. Que sait-on de nos jours le iie siècle après J.-C. C'est lui qui invente le
de cette saga des urines, du sucre, du pancréas et terme de « diabète », du verbe grec diabaino qui
de l'insuline ? signifie passer à travers, pour verbaliser le fait que
les liquides (et probablement aussi les aliments)
ingérés ne font que couler à travers le corps
humain. Clinicien plus que théoricien, il décrit
De la diarrhée urinaire le premier le diabète dans la forme clinique qui
à l'urine sucrée

La première référence écrite se trouve sur le papy-


rus égyptien dit d'Ebers (daté de 1500 avant J.-C.)
et qui fait allusion à des sujets atteints d'une soif
et d'une miction urinaire excessives et qui étaient
traités par des extraits de plante. Au viie siècle avant
J.-C., le chirurgien hindou Sushruta rapporte le
gout sucré, le caractère poisseux au toucher et la
capacité à attirer les fourmis, des urines des gros
mangeurs de riz. Il introduit le terme « madhu-
meha » (urine de miel). Sushruta mentionne
aussi que cette maladie touche principalement les
castes indiennes les plus riches et ceux qui ont une
consommation excessive de riz, de céréales et de Figure 2.1. Arétée de Cappadoce (30-90 après J.–C.).

Physiopathologie du diabète
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El
32 Physiopathologie du diabète

correspond à ce que nous appelons maintenant voit au contraire une maladie des reins, lesquels
diabète de type 1, où « les chairs et les parties laisseraient passer les boissons comme à travers
solides du corps se fondent et se changent en un siphon. Pour le traitement de ce diabète,
urine », ce qui explique la soif intense et l'amai- Arétée propose la consommation de céréales,
grissement des patients. Il place le siège du dia- de lait et de vin, l'application de cataplasmes et
bète dans l'estomac. Claude Galien (131–201), l'administration de thériaque, le remède univer-
médecin grec qui exerça à Pergame et à Rome, y sel de l'époque.

Zoom 2.1

Mystérieuse thériaque
iersiècle après J.-C. On prétend qu'inventée par
Mithridate, elle fut vulgarisée par Andromaque,
médecin de Néron. Galien en donna une for-
mule qui subit ultérieurement bien des change-
ments. La thériaque était reconnue à l'époque
comme étant une panacée en vertu de son action
contre les poisons (pavot, ciguë, aconit, cantha-
ride) et les venins (vipère, scorpion), mais aussi
contre de nombreuses maladies ; elle conte-
nait aussi de l'extrait d'opium (environ 25 mg
pour 4 g). Elle ne fut supprimée du Codex de
la pharmacopée française qu'en 1884. À cette
époque, la médecine empirique est peu à peu
rejetée. Du fait de nombreuses fraudes durant sa
fabrication, les apothicaires parisiens décidèrent
au xviie siècle de la préparer en public devant
des médecins et des représentants des autorités.
Figure 2.2. Sa préparation nécessitait plus d'un an et demi
Pot à thériaque, XVIIIe siècle, Musée Ingres
Bourdelle, Montauban.
(car elle devait fermenter) et faisait appel à plus
de soixante-quatre ingrédients végétaux, miné-
raux et animaux des plus variés, sans compter le
Ancien remède, la thériaque doit son nom à sa vin et le miel : gentiane, poivre, myrrhe, acacia,
propriété de combattre les effets des morsures rose, iris, rue, valériane, millepertuis, fenouil,
de bêtes sauvages (du grec, thériaké, antidote anis ainsi que de la chair séchée de vipère, de
contre les bêtes). Son utilisation débuta au l'opopanax et des rognons de castor.

Dans la Chine ancienne, Chang Chung-Ching En 643 après J.-C., Chen Chuan (Zhen Quan)
(Zhang Zhongjing, nom officiel Zhang Ji, note que les urines sont sucrées dans cette même
150–219 après J.-C.) (figure 2.3), l'un des plus maladie qu'il nomme « Hsiao Kho Ping ». Dans
éminents médecins de la dynastie des empereurs un but thérapeutique, son collègue Li Hsuan
Han, décrit la polyurie, la soif et la perte de poids conseille la suppression du sucre et du sel, ainsi
comme les symptômes d'une maladie particulière. que l'abstinence sexuelle.
Chapitre 2. Trois mille ans d'histoire de diabète 33

Comme pour les autres affections, le Moyen


Âge occidental s'inspire de l'Orient, en particulier
de la médecine arabe. Avicenne (980–1037), phi-
losophe et médecin médiéval persan, soupçonne
la présence de sucre dans l'urine des diabétiques.
Au xiie siècle après J.-C., Avicenne mentionne la
maladie diabétique dans son livre El-Kanun (Le
Canon de la médecine) et son cortège de compli-
cations telles que la gangrène et les dysfonctions
sexuelles. Il attribue à la maladie différents symp-
tômes (polyphagie, furonculose, phtisie, gan-
grène, impuissance) et place l'origine du mal dans FAMOSO . DOCTOR PARESELSVS
le foie.
Figure 2.4. Paracelse (1493–1541).
Le Suisse Paracelse (Philippus Theophrastus
Aureolus Bombast von Hohenheim) (figure 2.4),
réformateur de la médecine médiévale, soutient
l'hypothèse d'une maladie générale causée par l'al-
tération du sang, lequel transporterait vers le rein
un principe salin anormal, cause de la polyurie.
Une étape importante est franchie par le méde-
cin anglais Thomas Willis (figure 2.5), qui goûte
l'urine de ses patients et mentionne sa douceur,
« comme si elle contenait du miel (mellitus en
latin) ou du sucre ».
C'est Willis qui introduit la terminologie dia-
betes mellitus. Selon sa conception, les parties
liquides du sang ne sont plus retenues par les par-

Figure 2.5. Thomas Willis (1621–1675).

ties solides, se mélangent aux particules salines et


s'échappent en abondance par les reins ; les tissus
se dessèchent, d'où l'amaigrissement et la soif.
Willis estime que le diabète est guérissable s'il est
pris très tôt. Il préconise l'eau de chaux, le riz,
les végétaux mucilagineux, l'orge mêlée de lait,
la rhubarbe et la cannelle… Cette période prés-
cientifique est aussi marquée par un souci de clas-
sification : on distingue alors le diabète vrai (ou
insipide) du diabète sucré et de toute une série
d'autres diabètes tels que les diabètes hystérique,
Figure 2.3. Chang Chung-Ching (150–219 après J.-C.). arthritique, fiévreux, chyleux, artificiel.
34 Physiopathologie du diabète

De l'urine sucrée dans l'urine et le sang passe pour une anomalie.


Personne n'envisage encore le moins du monde
au sucre sanguin qu'il puisse jouer un rôle dans le fonctionnement
normal de l'organisme.
En 1843, l'Anglais Thomas Watson observe
Willis n'avait cependant pas réussi à comprendre que l'urine du diabétique contient autant d'urée
pourquoi l'urine était sucrée. L'explication vint et d'acide urique que celle de l'individu sain et que
cent ans plus tard, lorsque Matthew Dobson le sang renferme toujours une certaine quantité
(1732–1784), un médecin de Liverpool, démon- de glucose, quel que soit l'état de santé. Surtout,
tra expérimentalement la présence de sucre dans il met au point le premier dosage sanguin du
les urines des malades. Il prouva en effet que le sucre. Les physiologistes et chimistes allemands
résidu cristallisé obtenu après avoir fait bouillir Friedrich Tiedemann (1781–1861) et Leopold
l'urine pour en évaporer la partie aqueuse avait le Gmelin (1788–1853) montrent que l'amidon se
goût de la cassonade. Dobson souligne que le dia- transforme normalement en sucre dans l'intestin,
bète est une altération de la digestion et non des sous l'action conjuguée de la salive et des sucs
reins : le sucre des aliments s'accumule au niveau digestifs pancréatique et entérique. Dès lors, le
du sang et sort par les urines. Thomas Cawley, glucose n'est plus considéré comme un produit
autre médecin anglais, publie en 1788 le premier étranger à l'organisme. Mais sa concentration
cas de diabète sucré avec obstruction des canaux trop élevée dans le sang (l'hyperglycémie donc)
pancréatiques par des calculs. À cette époque, le est associée au diabète. Le traitement de la mala-
diabète est surtout étudié en Grande-Bretagne die s'en trouve quelque peu amélioré. Les soupes
(notamment à l'université d'Édimbourg), ce qui à la graisse et au lard passent de mode, au profit de
lui vaut l'appellation diabetes anglicus, qui pré- l'alimentation modérée, des bons vins, des eaux
cède celle de diabetes mellitus. En 1797, dans un minérales, de l'exercice physique, du bon air, des
ouvrage remarqué, John Rollo, médecin écossais séjours à la campagne, des frictions, des bains de
de la marine anglaise, reconnaît la nature métabo- vapeur et des saignées…
lique du diabète. Pour lui, le trouble se situe au
niveau de l'estomac, dont il faut diminuer l'acti-
vité en supprimant les sucres. Ceux-ci provenant
en majorité de substances végétales, il propose un Du sucre sanguin à la
régime à base de produits chimiques, de viande et
de graisse. production de glucose
Les travaux de cette époque n'étaient pourtant par le foie
pas exempts d'erreurs. Ceux des Français Pierre-
François Nicolas et Victor Gueudeville, en 1803,
ont ainsi fait croire pendant longtemps que l'urine Pour aboutir à sa grande découverte – la fonction
des diabétiques ne contenait ni urée ni acide glycogénique du foie – le physiologiste français
urique. On en conclut un peu hâtivement que les Claude Bernard (figure 2.6), grand initiateur de
diabétiques n'avaient pas assez d'azote et trop de la médecine expérimentale, suit une voie métho-
carbone, ce dernier se combinant à l'oxygène et à dique [5]. En 1843, il s'intéresse le premier au
l'hydrogène pour former un sucre. D'où le régime parcours des aliments dans le corps. En 1847, le
carné, riche en substances azotées mais difficile- physiologiste François Magendie (1783–1855),
ment supportable, infligé aux patients à l'époque. dont Bernard fut le préparateur au Collège de
En 1815, Michel-Eugène Chevreul (1786– France, confirme la présence du sucre sanguin
1889) déclenche une polémique en assimilant chez l'animal sain. Bernard prouve à son tour que
le sucre urinaire non plus au sucre ordinaire le sang contient du sucre même lorsque l'animal
(le saccharose) mais au sucre de raisin (le glu- n'est plus alimenté. Son idée est que le sucre est
cose). Toujours est-il que la présence de sucre absorbé à partir des aliments ingérés, puis détruit
Chapitre 2. Trois mille ans d'histoire de diabète 35

sa femme et son fils qui menèrent une active cam-


pagne antivivisectionniste, de discréditation de
ses expériences. Mais le progrès en physiologie
ne pouvait (ne peut toujours pas d'ailleurs) faire
l'économie de l'expérimentation animale…
Cette fonction glycogénique du foie s'ajoutait
à celle, déjà connue, de sécrétion de la bile. Pour
Bernard, la glycémie (la concentration de glucose
dans le sang ; dénomination inventée par lui ; du
grec glukeros, « sucré », et haima, « sang ») est un
phénomène normal et constant de l'organisme
indépendant de l'alimentation. Le glycogène est
du sucre transformé en vue de son stockage dans
Figure 2.6. Claude Bernard (1813–1878). le foie, puis restitué sous forme de glucose en
fonction des besoins de l'organisme.
quand il arrive dans les tissus via le sang. Pour Et alors quelle est la relation entre glycémie et
tester cette théorie, Bernard donne à des chiens diabète ? Bernard avance que le diabète est une
un régime riche en glucides et il les sacrifie immé- perturbation de la fonction hépatique provenant
diatement après la prise de nourriture. À sa grande d'un dérèglement du système nerveux central.
surprise, il observe une grande quantité de sucre Il était persuadé que la production hépatique du
dans les veines hépatiques (qui évacuent le sang sucre était sous l'influence des nerfs pneumogas-
ayant transité par le foie) et ce résultat persiste triques : « la formation de sucre dans le foie qui est
chez le chien n'ayant consommé que de la viande évidemment un fait clinique se trouve directement
à l'exclusion de toute matière sucrée. Bernard liée à l'influence du système nerveux ». Il chercha
analyse alors le foie lui-même et trouve toujours donc à obtenir une hyperglycémie chez le lapin
du sucre dans ce tissu quel que soit le régime ali- en stimulant par une piqûre d'abord le haut de
mentaire du chien, alors que dans les autres tissus la moelle épinière, puis le plancher du quatrième
le sucre est en général indétectable. Il conclut que ventricule connu pour être le point de départ des
le foie du chien est capable d'accumuler une subs- fibres nerveuses du nerf pneumogastrique. Il par-
tance amylacée, insoluble dans l'eau, qu'il nomme vient à induire une hyperglycémie conséquente,
glycogène. Ce glycogène peut être converti dans mais transitoire, en stimulant avec une aiguille le
le foie en sucre (ou glucose) qui lui-même sera plancher du quatrième ventricule : « on pique un
sécrété dans le sang (il se retrouve dans le sang de point situé à la base de la moelle allongée ; le foie
la veine hépatique). Ainsi, non seulement le sucre se met à jeter dans le sang une telle quantité de
est un constituant normal du sang, mais l'animal sucre qu'il y a bientôt excès et que le sucre s'éli-
est capable de le synthétiser à partir d'aliments ne mine par le rein ». L'effet hyperglycémiant de la
contenant pas d'hydrates de carbone (on croyait piqûre diabétique disparaît après la section de la
alors que seuls les végétaux pouvaient synthétiser moelle épinière au-dessus de la sortie des nerfs
de nouveaux composés). L'identification de la sympathiques.
fonction glycogénique du foie est la découverte Bernard établit donc un lien causal entre valeur
emblématique de Bernard qui obtient en 1851 le de la glycémie et activité du cerveau. En réalité,
prix de physiologie expérimentale de l'Académie l'hyperglycémie induite par la piqûre du plan-
des sciences. En 1854, il deviendra membre de cher du quatrième ventricule, aussi impression-
l'Académie des sciences et plus tard succédera à nante que brève, a peu en commun avec celle du
Magendie à la chaire de physiologie expérimentale diabète. À l'évidence, ce type d'hyperglycémie
du Collège de France. Très soutenu par l'empereur transitoire ne mérite pas d'être appelé diabète.
Napoléon III, il devient sénateur. Sa vie privée fut Pourtant, le grand physiologiste n'en démord
moins fortunée puisqu'il dut affronter longtemps pas et envisage même de traiter le diabète par des
36 Physiopathologie du diabète

substances qui agiraient en augmentant la tonicité et irrégulière. Le diabète maigre, à l'inverse, com-
vasculaire. Pour lui, l'hyperglycémie fait suite à mence brusquement par un amaigrissement de
une dilatation des vaisseaux hépatiques entraînant plus en plus grand, un appétit et une soif intenses.
la mobilisation du glycogène. Ce n'est que plu- La glycosurie est considérable, les forces phy-
sieurs décennies plus tard, à la suite des travaux siques et intellectuelles décroissent rapidement ;
de Bernardo Houssay (1887–1971), prix Nobel la mort survient après deux ou trois ans. Dans le
de médecine en 1947 pour ses travaux sur les hor- diabète maigre, Lancereaux constate une atrophie
mones hypophysaires, que le diabète-piqûre sera du pancréas, alors que le diabète gras ne s'accom-
attribué à une décharge d'adrénaline induite par pagne d'aucune altération visible d'organe. Pour
la piqûre expérimentale, l'adrénaline libérée indui- lui, ces deux portraits sont ceux de deux maladies
sant une glycogénolyse hépatique aiguë. distinctes, bien qu'elles partagent un symptôme
Claude Bernard, polarisé sur l'hypothèse ner- commun, la glycosurie. Le déclic qui sera détermi-
veuse de l'hyperglycémie, passe par contre com- nant pour la compréhension du diabète et la mise
plètement à côté de la relation entre valeur de la au point d'un traitement se produit en 1889 avec
glycémie et activité endocrine du pancréas. Or, la rencontre de Joseph Von Mering (1849–1908)
cette relation va devenir par la suite l'élément clé et Oskar Minkowski (médecin allemand d'ori-
pour comprendre le mécanisme d'installation du gine lituanienne) (figure 2.7) au sein de l'institut
diabète. Hoppe-Seyler de l'université de Strasbourg alors
sous administration allemande. Les deux cher-
cheurs y étudiaient chez le chien l'absorption des
aliments au niveau intestinal et suspectaient un
Du sucre sanguin rôle du pancréas dans le mécanisme [7, 8]. Pour le
démontrer de façon radicale, Minkowski proposa
au pancréas à Von Mering de réaliser une ablation chirurgi-
cale du pancréas. Il s'agissait d'un acte chirurgi-
Apollinaire Bouchardat (1806–1886) attribue le cal délicat, mais que Minkowski, expérimentateur
diabète à la transformation prématurée de l'ami- très adroit, avait bien validé. Les quelques chiens
don en glucose dans l'estomac, sous l'effet d'une ainsi opérés survécurent tous à la chirurgie et, au
enzyme pathologique, avec pour conséquence grand étonnement de Minkowski, développèrent
néfaste un passage plus rapide du sucre dans le
sang. Avec lui commence la véritable connaissance
clinique du diabète (il est le premier à étudier la
rétinopathie) [6]. En 1875, Bouchardat met au
point un régime alimentaire antidiabétique qui
fera école. Il recommande les graisses, les viandes,
la farine de gluten, l'alcool, les boissons alcalines,
l'exercice physique mais pas le lait. Ayant remar-
qué que la santé des diabétiques s'était améliorée
pendant le siège de Paris par les Prussiens, de sep-
tembre 1870 à janvier 1871, il institue des jours
de jeûne.
En 1877, Étienne Lancereaux distingue pour la
première fois diabète gras et diabète maigre. Le
premier débute insidieusement par l'embonpoint,
la polyurie et la polydipsie. Les forces physiques et
intellectuelles ne baissent pas ; l'évolution est lente Figure 2.7. Oskar Minkowski (1858–1931).
Chapitre 2. Trois mille ans d'histoire de diabète 37

tous dans les vingt-quatre heures qui suivirent une


polyurie avec la présence de sucre dans les urines
(donc, une glycosurie), alors qu'aucun d'entre
eux n'était glycosurique avant la pancréatectomie.
Minkowski, qui associa loyalement Von Mering
à sa découverte, observa donc que l'ablation
totale du pancréas chez le chien entraîne l'appa-
rition d'un diabète grave, qu'il nomma « diabète
pancréatique ». Ils montrèrent aussi que la transfu-
sion de sang prélevé chez un chien pancréatecto-
misé (on dit aussi : dépancréaté) ne provoquait pas
de diabète chez un chien non opéré. En 1892, ils
montrent que la greffe sous-cutanée du même pan-
créas qui vient d'être extirpé empêche l'apparition
du diabète, mais que celui-ci réapparaît dès que le Figure 2.8. Paul Langerhans (1847–1888).
greffon est enlevé, ce que confirme Lancereaux la
même année. La révélation d'une relation intime
entre pancréas et diabète a un énorme retentisse-
ment, car elle prouve pour la première fois que
le pancréas est une glande à sécrétion interne
(une glande endocrine, dont le produit de sécré-
tion est libéré dans le sang), et pas seulement une
glande exocrine (comme prescrit par le dogme de
l'époque) dont les produits de sécrétion sont libé-
rés dans la lumière de l'intestin et contribuent à la
digestion des lipides. L'hypothèse neurogénique
du diabète proposée par Claude Bernard allait
être abandonnée, contredite par les expériences
magistrales de Minkowski. Le diabète devenait
une maladie du pancréas, et plus précisément une
maladie de la fonction de sécrétion interne (endo-
crine) du pancréas. Figure 2.9. Édouard Laguesse (1861–1921).
Mais alors, qu'est ce qui est responsable de la
fonction endocrine du pancréas ? Dès 1869, l'his-
tologiste allemand Paul Langerhans (figure 2.8)
avait observé au microscope des groupes de Du pancréas à l'insuline
petites cellules à l'intérieur du pancréas, sans pou-
voir définir leur fonction.
En 1893, son confrère français Édouard Dès lors, la recherche va progresser rapidement en
Laguesse (figure 2.9) suggère que ces cellules sont moins de trente ans, pour aboutir à la découverte
le siège d'une sécrétion interne et les baptise « îlots de l'insuline, produit de la sécrétion interne du
de Langerhans ». pancréas, au début du siècle suivant (1921). Cette
Après 1918, l'Américain Frederick Allen découverte va bouleverser le pronostic du diabète
(1879–1964) soutient que le diabète est une per- et aura un retentissement mondial immense. En
turbation du métabolisme en général – et non pas fait un nom va dominer la période avant 1914,
seulement de celui des glucides – due à une fai- celui du Berlinois George Zuelzer (1870–1949). Il
blesse du pancréas. est à deux doigts de montrer chez l'homme qu'un
38 Physiopathologie du diabète

extrait pancréatique permet de tirer certains indi-


vidus de leur coma diabétique. Malheureusement
l'extrait est mal toléré et son administration s'ac-
compagne de fièvre élevée et de convulsions, si
bien que Minkowski – alors professeur à Breslau
et à ce moment-là le grand homme de la diabéto-
logie – bloque toutes ces expérimentations car il
pense que l'extrait utilisé par Zuelzer est dange-
reux. Toutefois ce dernier ne se décourage pas. Il
obtient l'aide des laboratoires suisses Hoffman-La
Roche. Malheureusement la guerre de 1914 sur-
vient. L'hôpital où travaille Zuelzer est réqui-
sitionné, ce qui arrête tous les travaux. Zuelzer
mourra aux États-Unis où il s'était réfugié en
1934 sans jamais avoir repris ce travail. En 1905, Figure 2.10. Nicolae Paulescu (1869–1931).
le Français Eugène Gley (1857–1930) administre
des extraits de pancréas à des chiens dépancréa- l'y appellent fréquemment, car il est atteint d'une
tés, ce qui provoque une baisse sensible du sucre insuffisance rénale chronique et il est contraint
dans les urines et améliore les autres symptômes d'éviter les voyages. Cet isolement lui vaudra
du diabète. d'ailleurs d'être progressivement oublié. En 1916,
Deux autres noms également méritent d'être Paulescu publie les résultats de ses premières
mentionnés, ceux d'Ernest Scott et d'Israel expérimentations décisives. Il a en effet injecté
Kleiner, travaillant à l'institut Rockefeller de New un extrait aqueux de pancréas préparé par lui à
York, qui mettent au point des extraits efficaces. un chien devenu diabétique par pancréatectomie,
Mais malheureusement pour eux, Allen, grand et les symptômes du diabète ont été temporaire-
gourou du diabète de l'époque et qui ne jurait ment supprimés. La Première Guerre mondiale
que par le régime de famine comme traitement du empêche Paulescu de faire connaître ses travaux,
diabète, s'efforça par tous les moyens de décou- la Roumanie étant occupée alors par l'armée alle-
rager ces recherches qui allaient à l'encontre de mande. Néanmoins, en 1920, paraît le second
sa conception. En fait le progrès décisif résidera tome du traité de physiologie publié chez Doin
dans la mise au point d'une technique expérimen- à Paris, corédigé par Lancereaux et Paulescu. Ce
tale impeccable pour préparer les extraits pancréa- dernier y a inséré les résultats obtenus avec l'extrait
tiques. Il sera réalisé par un physiologiste roumain, pancréatique sur les chiens diabétiques. En 1921,
Nicolae Paulescu (figure 2.10), né à Bucarest en Paulescu présente sur le même sujet quatre notes
1869. Paulescu vient faire sa médecine à Paris à la Société de biologie de Paris. La première traite
en 1888. Il est élève et ami de Lancereaux qui de l'effet de l'extrait pancréatique chez un animal
publiait à cette époque des observations anatomo- diabétique sur la glycémie, la glycosurie et la céto-
cliniques tout à fait remarquables sur l'existence nurie. La seconde traite de l'intervalle de temps
vraisemblable de deux types de diabètes complè- entre cette injection et le début de ses effets. La
tement différents, le diabète maigre étant lié à une troisième explique la façon de préparer l'extrait
atrophie pancréatique. qu'il appelle « pancréine ». La quatrième indique
Paulescu fait en même temps que ses études de les effets de cet extrait chez un animal non dia-
médecine un doctorat de sciences au laboratoire bétique. Il rassemble ces résultats dans un article
d'Albert Dastre à la Sorbonne. Ce dernier le fait fondamental qu'il intitule « Recherche sur le rôle
travailler sur l'isolement du principe antidiabé- du pancréas dans la stimulation nutritive », article
tique du pancréas. En 1900, Paulescu est nommé qui est envoyé le 22 juin 1921 aux Archives inter-
professeur de physiologie à la faculté de Bucarest. nationales de physiologie. Cet article est publié le
Il ne reviendra jamais en France bien que ses amis 21 août dans les Archives internationales de phy-
Chapitre 2. Trois mille ans d'histoire de diabète 39

siologie éditées à Liège et à Paris. Cette revue est Cambrai. Il s'installe en 1920 comme chirurgien
la revue de base de la physiologie de l'époque, et orthopédiste à London, Ontario. Mais pendant le
les physiologistes du monde entier la connaissent. premier mois, il ne voit aucun malade à l'excep-
Enfin, le 10 avril 1922, Paulescu obtient du minis- tion d'un alcoolique qui vient lui demander une
tère de l'Industrie et du Commerce de Roumanie ordonnance pour obtenir un peu d'alcool que
un brevet d'invention (n° 6254) intitulé « La pan- l'on ne pouvait se procurer que par prescription
créine et le procédé de sa fabrication ». À partir médicale. Il gagne ce mois-là 4 dollars. Il est
de ce moment le scénario pour la suite de cette seul, ses parents ne peuvent l'aider. Pour s'occu-
aventure scientifique roumaine semblait écrit : per, il essaie de retaper un garage et une vieille
production d'un produit efficace, utilisation thé- Ford achetée de cinquième main. C'est la misère.
rapeutique chez l'homme et… gloire scientifique Fin 1920, il trouve un poste d'aide-anatomiste à
pour Paulescu. Il en fut autrement, car la saga temps partiel où il est payé 2 dollars de l'heure, ce
roumaine fut rapidement rangée aux oubliettes et qui lui permet de survivre. Il doit préparer pour
remplacée par la saga canadienne ! Pourquoi ? les étudiants de la petite école de Médecine de
L'affaire mérite d'être racontée avec quelques London un exposé sur le métabolisme des sucres.
détails [2-4, 9-15]. L'enquête démarre au Canada Il n'a absolument aucune notion sur cette ques-
à la fin de la Première Guerre mondiale. Frederick tion, et lit un article de Moses Barron, médecin
Banting (figure 2.11), né en 1891 dans une petite dans le Minnesota, sur la lithiase pancréatique qui
ferme canadienne, est un grand gaillard, pas très donnerait une atrophie du pancréas. Il a tout d'un
brillant. Engagé dans l'armée canadienne, il va coup une idée. Il écrit sur son petit carnet de notes
combattre comme médecin sur le front de l'Ar- la phrase suivante : « lier les canaux excréteurs du
tois. Il est blessé en 1918 durant la bataille de pancréas, garder le chien vivant jusqu'à ce qu'on
observe une dégénérescence des acini, laisser les
îlots de Langerhans intacts et essayer d'isoler la
sécrétion interne permettant de traiter la glyco-
surie ». Ses collègues de London lui suggèrent de
parler de tout cela à John Macleod alors professeur
de physiologie à Toronto. Banting voit Macleod
le 2 novembre 1920. L'entrevue est relativement
fraîche car Macleod voit dans cette proposition
un projet mal ficelé. Toutefois séduit par l'idée,
Macleod propose à Banting de tenter le projet
pendant l'été 1921, alors que lui-même, Macleod,
doit aller passer plusieurs mois en Europe. Il lui
fournit l'aide d'un jeune étudiant en médecine,
Charles Best, et un local désaffecté pour y réa-
liser des essais d'ablation du pancréas chez des
chiens. Dans l'esprit de Macleod, cela devrait per-
mettre de jeter les bases d'une expérimentation
plus élaborée à reprendre en octobre à son retour
d'Europe avec l'aide de James Collip, professeur
à l'université d'Alberta qui doit venir faire une
année sabbatique dans son laboratoire. Le 16 mai
1921, Best passe ses derniers examens et le lende-
main, et le 18 mai il se lance avec Banting dans la
première expérimentation, en utilisant un procédé
Figure 2.11. Charles Best (1899–1978) et Frederick d'ablation du pancréas que Minkowski et Paulescu
Banting (1891–1941). pratiquaient parfaitement chacun de leur côté.
40 Physiopathologie du diabète

L'animal est une épagneule brune, la n° 385. 20 ml


Après anesthésie, ils essaient d'extirper chirurgica-
10 ml
lement son pancréas. C'est une chose plutôt diffi- 4
cile en particulier pour ce qui concerne la ligature
des vaisseaux. Plusieurs chiens sont ainsi opérés, 3,5

sans succès. Saignements, infections se multi-


plient. Il n'y a plus de chiens. Il faut alors en cher- 3

cher clandestinement dans les rues de Toronto.

GLYCÉMIE (g/l)
2,5
Pendant deux mois les essais se poursuivent sans
ordre particulier, sans protocole, sans notes bien
2
tenues. Banting en était à ses premiers balbutie-
ments en chirurgie du pancréas. Toutefois peu à 1,5
peu la technique s'améliore tant et si bien que l'un
des chiens opérés est encore en vie au moment où 1
une lettre de Macleod arrive le 30 août. Macleod
vient de voyager en Europe pendant cette période 0,5
et il y a découvert les publications de Paulescu.
Dans sa lettre, Macleod demande que l'on change
8 12 16 20 24 (h)
la technique et que l'on suive pas à pas le pro-
tocole de Paulescu. C'est à ce moment-là pour Figure 2.12. Effet de deux injections sous-cutanées
la première fois effectivement qu'un chien sur- successives d'un extrait de pancréas fœtal de veau sur
la glycémie d'un chien préalablement pancréatectomisé.
vit suffisamment longtemps et qu'un extrait est Figure construite à partir des données présentées
injecté, la glycémie baissant alors légèrement. par Banting et Best dans leur cahier de laboratoire
Malheureusement le chien meurt presque immé- d'expériences (expérience du 22 novembre 1921).
D'après Best CH. Nineteen hundred twenty-one in Toronto. Diabetes
diatement en hyperthermie. Un deuxième essai 1972 ;21(S2):385-95.
permet d'enregistrer une chute légère de la gly-
cémie mais le chien meurt le lendemain. Par la
suite quelques expérimentations mieux conduites
permettent d'avoir un certain nombre de résul- où a lieu une réunion de physiologistes. Macleod
tats positifs, résultats qui semblent suffisants pour demande à Banting de présenter le travail. Banting
être présentés à un petit groupe de médecins à a beaucoup de difficultés à s'exprimer, si bien que
Toronto le 10 novembre. Macleod décide de s'ad- Macleod reprend les différents éléments et répond
joindre l'aide de Collip qui vient d'arriver pour aux critiques. Cet épisode lui vaut de la part de
son année sabbatique le 12 octobre 1921. Collip Banting des reproches considérables car Banting
sait travailler et prépare des extraits pancréatiques s'imagine à ce moment-là que Macleod veut le
pratiquement actifs à tout coup (figure 2.12). déposséder de la paternité d'un travail qu'il consi-
La collaboration entre Banting et Best d'un dère comme exclusivement le sien. À cette réu-
côté et Collip de l'autre ne va pas être sans éclat nion de New Haven est présent George Clowes,
et sans discussion. D'un côté un Banting brouil- qui travaille à la compagnie pharmaceutique Lilly.
lon, désireux de pousser son idée mais sachant mal Intéressé par les résultats présentés, il propose
travailler, et de l'autre un Collip bon technicien. son aide pour l'extraction du produit qui semble
Macleod, de son côté, a compris qu'on était là en effet se montrer de plus en plus efficace. En
sur un sujet très important, surtout depuis que janvier 1922, les essais se poursuivent avec l'ex-
le travail de Paulescu a été publié. Il s'agit main- trait préparé par Collip. On observe même des
tenant d'essayer de faire le plus vite possible des hypoglycémies. Banting de plus en plus excité
essais chez l'homme. Une publication est envi- pousse Macleod et Collip à tenter des essais chez
sagée pour le 30 décembre 1921, à New Haven l'homme. On trouve un volontaire en la personne
Chapitre 2. Trois mille ans d'histoire de diabète 41

du jeune Léonard Thompson, âgé de 14 ans. Mais passerait pas la barrière du comité de lecture. Ce
là un curieux épisode intervient. Banting se fâche qui est très informatif en tout cas dans ce papier,
avec Collip. Banting veut absolument préparer lui- c'est que Banting et Best citent bien les travaux
même son extrait avec Best, et il l'injecte le 11 jan- de Paulescu, mais en lui faisant dire l'inverse de
vier 1922 au jeune Thompson qui est en train de tout ce qu'il a publié ! Quoi qu'il en soit, dans
mourir d'un coma diabétique. L'injection a lieu un environnement nord-américain porteur et
dans l'après-midi du 11 janvier. Quinze millilitres grâce à la qualité des extraits de Collip, les succès
de l'extrait sont injectés (moitié dans chaque thérapeutiques s'accumulent : après le Canadien
fesse). La glycémie de Léonard baisse, un peu, de Thompson déjà mentionné viennent la New-
4,4 à 3, 2 g/l. Le sucre des urines de 24 heures Yorkaise Elisabeth Hughes Gossett, puis l'artiste
passe de 91 g dans 4 l (avant injection) à 84 g Jim Havens, pour ne citer que les plus célèbres
dans 4 l (après injection). Les corps cétoniques des sujets traités, qui voient leur état s'améliorer
restent néanmoins inchangés, aussi positifs le jour de façon spectaculaire. Ainsi, Elisabeth Hughes
précédent que le jour d'après. Un abcès apparaît Gossett, fille de Charles Evans Hughes, homme
au site de l'une des deux injections (conséquence politique américain en vue, diabétique à l'âge de
des impuretés présentes dans l'extrait). Il est donc 11 ans, reçut son premier extrait pancréatique en
évident que cette première injection n'est pas un août 1922. Elle survécut, fit des études, se maria et
grand succès. Pendant ce temps, Collip a préparé eut trois enfants. Une attaque cardiaque l'emporta
de son côté un autre extrait pancréatique qui va en 1981 à l'âge de 74 ans. Elle reçut 43 000 injec-
être injecté le 23 janvier et pendant les 11 jours tions d'insuline en 58 ans. Les médias américains
suivants : les résultats sont excellents ; la glycémie s'enthousiasment : publicité dans les journaux,
passe de 5,2 g/l à 1,2 g/l au bout de 24 heures ; dans la presse locale. La communauté scienti-
la glycosurie va être pratiquement réduite à zéro fique se motive. Le laboratoire Lilly apporte sa
grâce à l'extrait de Collip ! Le traitement fut pour- capacité technique. Si bien que le 3 mai 1922 à
suivi et Thompson vécut encore 13 ans. Il mourut Washington, Macleod va pouvoir présenter un
d'une pneumonie à 27 ans. Il est donc évident que travail bien structuré, qui est accueilli par une
l'extrait de Banting s'est révélé inefficace parce standing ovation de la salle. Notons pour la petite
que mal purifié. Cet épisode révèle chez Banting histoire qu'à ce congrès de Washington, Banting,
un manque de rigueur scientifique et de sens de entraînant Best dans son attitude d'opposition,
l'organisation : pas de registre de son travail, des- avait refusé de venir, estimant que Macleod lui
criptions approximatives basées sur le souvenir, volait son travail. Ensuite, c'est le succès rapide
sans trace écrite. C'est ainsi que, dans le discours de la première insuline commercialisée par Lilly,
de réception pour le prix Nobel, Banting présen- l'Isletine. Des dizaines de milliers de diabétiques
tera sa version des résultats : « dès l'injection de aux États-Unis, au Canada, puis bientôt à travers
mon extrait, la glycémie baisse et le sucre dispa- le monde, vont être enfin soignés. Ainsi débute
raît des urines ». Et c'est bien sûr cette version l'ère de l'insulinothérapie du diabète (de type 1).
des faits qu'a retenue l'histoire… Mais, à partir La fabrication d'insuline devient industrielle, à
de ce moment, les événements vont s'emballer, partir de pancréas de vaches et de porcs [16]. En
en perdant encore un peu plus de rigueur scien- 1936, le Danois Hans Hagedorn met au point
tifique !… Banting et Best publient leurs données une insuline-retard pour diminuer le nombre quo-
chez l'homme le 22 février 1922, dans le Journal tidien d'injections, tandis que la première insu-
of Laboratory and Clinical Medicine : un article line de synthèse apparaît en 1965. Aujourd'hui,
aux conclusions imprécises dans lequel on a comp- on utilise le plus souvent de l'insuline humaine,
tabilisé 18 erreurs grossières entre les tableaux et dont la fabrication a été mise au point dans les
le texte et qui indiscutablement actuellement ne années 1980.
42 Physiopathologie du diabète

Zoom 2.2

Un prix Nobel polémique et du rififi chez les physiologistes


Alors qu'indiscutablement Paulescu avait publié patibles avec la déontologie médicale. Il s'est en
un travail démonstratif irréprochable sur le effet mêlé de politique, et a été une figure de
plan expérimental, que Collip de son côté avait l'activisme nationaliste antisémite roumain. Il
réussi à préparer un extrait efficace, il est très fut l'un des fondateurs de ce qui donnera nais-
surprenant de voir en 1923, dans la foulée de sance, en 1930, à la Garde de fer, parti fasciste
l'enthousiasme nord-américain, le prix Nobel roumain qui accéda au pouvoir en 1940, en
de médecine attribué à Banting et Macleod. promulguant une législation raciste et antisé-
Alors qu'il aurait dû en toute logique être par- mite sous l'égide des nazis. Paulescu rédigea des
tagé avec Minkowski, Paulescu et Collip. On pamphlets antisémites haineux, où il ne cachait
sait que cette décision a fait l'objet de violentes pas sa volonté d'éliminer les juifs de la société
polémiques au Canada et dans le monde. On roumaine. Après la Seconde Guerre mondiale,
sait que Banting d'emblée a fait grise mine le souvenir de Paulescu et de ses travaux passa
lorsqu'on lui a annoncé la nouvelle, car il ne à la trappe. Paulescu fut réhabilité en Roumanie
pouvait plus voir Macleod et qu'il a ostensi- après la chute du régime communiste, en 1989,
blement partagé son prix avec Best. Or, Best à la suite de la démarche de quelques scienti-
semble s'être cantonné à un rôle d'exécutant. fiques nationalistes, qui souhaitaient rétablir la
Macleod de son côté, et c'est sans doute là la vérité historique. Paulescu fut nommé membre
critique la plus forte que l'on peut lui faire, a de l'Académie roumaine à titre posthume ; le
accepté cet honneur sans la moindre réticence centre de diabétologie de Bucarest fut rebap-
alors qu'il connaissait parfaitement le travail de tisé à son nom. L'engagement condamnable de
Paulescu. Macleod a été néanmoins le coordina- Paulescu, enfoui dans les oubliettes de l'histoire
teur de tout le programme qui a abouti à l'uti- avec la complicité de quelques compatriotes qui
lisation clinique d'un extrait efficace. Macleod ne souhaitaient retenir que ses travaux sur l'insu-
a partagé son prix avec Collip, rendant à ce line, refit surface brutalement à l'occasion d'une
dernier l'hommage qu'il méritait. Pour ce qui mise en garde du centre Simon-Wiesenthal et
concerne Paulescu, une sorte de conjuration du d'un article paru dans le quotidien Le Monde du
silence s'est établie et, malgré les protestations 26 août 2003, au moment où Paulescu allait être
de ce dernier, ni Banting, ni Best, ni Macleod honoré solennellement à Paris par les instances
n'ont jamais voulu reconnaître ouvertement internationales de diabétologie. En souvenir des
la priorité de Paulescu. Il est bien certain que années passées auprès d'Étienne Lancereaux à
lorsqu'une découverte médicale est dans l'air, il l'Hôtel-Dieu de Paris, et à la demande pres-
est fréquent de voir celle-ci aboutir en même sante de plusieurs diabétologues roumains, il
temps sous des cieux différents et par des cher- avait été décidé d'installer un buste de Paulescu
cheurs qui ne se connaissent pas [15]. Le grand à l'Hôtel-Dieu pour tirer de l'oubli celui que
reproche qu'on peut faire à Banting et Macleod beaucoup considéraient comme le véritable
est d'avoir péché par omission, ou plus exacte- découvreur de l'insuline, ignorant tout de son
ment d'avoir déformé la pensée de Paulescu. passé de fasciste antisémite. L'inauguration du
On ne peut que regretter qu'en particulier buste, qui devait se faire en 2003 à l'occasion de
Best qui était un homme courtois n'ait pas su la tenue à Paris du congrès de l'IDF (Fédération
au moment du cinquantenaire de l'insuline en internationale du diabète), fut annulée in extre-
1972, alors qu'on le lui demandait, reconnaître mis, tout comme le prix portant son nom qui
les mérites de celui qui leur avait ouvert la route. devait être décerné par l'IDF avec l'assenti-
Quant à Paulescu (mort en 1931), il n'a pas ment des autorités roumaines. C'est ainsi que
été qu'un physiologiste inspiré [17]. L'homme la décision fut prise de ne plus jamais honorer la
professait aussi des idées inacceptables et incom- mémoire de Paulescu.
Chapitre 2. Trois mille ans d'histoire de diabète 43

Références [9] Best CH. Nineteen hundred twenty-one in Toronto.


Diabetes 1972 ;21(S2):385–95.
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Chapitre 3
Glycémie et énergie cellulaire,
le cœur du sujet

On a vu que le juge de paix pour définir les diabètes, perdue, mais peut être convertie d'une forme en
mesurer leur sévérité et leur évolution, vérifier l'effi- une autre. Dans les réactions nucléaires, la masse est
cacité des traitements, c'est la valeur de la glycémie. convertie en énergie, mais cela ne concerne pas les
Mais avant de parler de glycémie pathologique, il est systèmes biologiques. Au cours de la ­photosynthèse
nécessaire de prendre les faits dans le bon ordre, et par exemple, l'énergie radiante de la lumière est
donc de s'interroger en premier sur la signification transformée en énergie potentielle chimique dans les
biologique de la glycémie : à quoi sert le glucose liaisons covalentes entre les atomes d'une molécule
sanguin dans la vie de tous les jours ? Pour répondre, de saccharose ou d'amidon. Dans les muscles et les
il est bon d'élargir le débat et de s'imprégner de nerfs, l'énergie potentielle chimique stockée dans les
quelques rudiments de thermodynamique appli- liaisons covalentes est transformée respectivement en
quée à la biologie… Sans physique et sans chimie, il énergie cinétique pour la contraction musculaire et
n'y a pas de biologie : on n'échappe pas au principe en énergie électrique pour la transmission nerveuse.
de réalité. Mais, pas de panique, ça n'est pas sorcier ! Dans toutes les cellules, l'énergie potentielle libérée
par la rupture de certaines liaisons chimiques est uti-
lisée pour produire de l'énergie potentielle sous la
Une pincée forme de gradients de concentration et de potentiel
électrique [1]. De la même façon, l'énergie stockée
de thermodynamique dans des gradients chimiques de concentration ou
dans des gradients de potentiel électrique est utili-
pour comprendre sée pour synthétiser des liaisons chimiques ou pour
transporter des molécules d'un côté d'une mem-
Le monde vivant est alimenté par un flux d'énergie brane vers l'autre côté, produisant ainsi un gradient
en provenance du soleil qui illumine constamment de concentration. Ce dernier processus se produit au
la terre. On évalue à environ 13 × 1023 calories par cours du transport des nutriments tels que le glucose
an, soit quarante millions de milliards de calories par dans certaines cellules et le transport de nombreux
seconde, l'énergie fournie à la terre par le soleil ! Seuls détritus hors des cellules. Puisque toutes les formes
les plantes, certains protistes parmi lesquels les algues d'énergie sont interconvertibles, elles peuvent être
et certaines bactéries, captent une fraction de cette exprimées dans une même unité de mesure. Bien
énergie par photosynthèse. Lors de la photosyn- que l'unité standard de l'énergie soit le joule, les
thèse, de l'énergie solaire est utilisée pour combiner biochimistes utilisent traditionnellement une autre
de petites molécules (l'eau et le dioxyde de carbone) unité, la calorie (1 joule = 0,239 calorie). On utilise
en molécules plus complexes (des sucres). Le pro- la kilocalorie pour mesurer les changements d'éner-
cessus convertit le carbone inorganique en carbone gie (1 kcal = 1 000 cal).
organique. Les cellules peuvent transformer un type Les réactions d'oxydoréduction jouent un rôle
d'énergie en un autre. D'après la première loi de la essentiel dans les flux d'énergie à travers les systèmes
thermodynamique, l'énergie n'est jamais créée ni biologiques. La première loi de la t­ hermodynamique
Physiopathologie du diabète
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46 Physiopathologie du diabète

a trait à la quantité d'énergie présente dans l'univers. produite, elle doit être consommée ! Pour que la
Elle établit que l'énergie ne peut être ni créée ni cellule maintienne stable ses activités, il faut donc
détruite ; elle ne peut que subir des transformations que l'ATP y soit produite de façon continue et, qui
d'une forme d'énergie à une autre (par exemple plus est, de manière ajustée aux besoins énergé-
de l'énergie potentielle à l'énergie cinétique). La tiques de la cellule à chaque instant [1]. Ce sont les
quantité totale d'énergie dans l'univers est donc mitochondries, véritables centrales énergétiques de
constante. Un homme en train de dévorer une côte nos cellules, qui remplissent ce cahier de charges.
de bœuf capte de l'énergie. Cet homme ne crée pas
de l'énergie, ni ne capture de l'énergie solaire ; il
transfère dans son corps de l'énergie potentielle qui Coup de projecteur sur
était stockée dans celui du bœuf (énergie potentielle
que le bœuf avait lui-même prélevée dans des pâtu-
le travail et les besoins
rages quand il était vivant). Dans tout organisme, énergétiques de nos
l'énergie potentielle présente dans certaines molé-
cules peut être transmise à d'autres molécules et
cellules
stockée dans diverses liaisons chimiques ; elle peut
aussi être convertie en d'autres formes d'énergie : Un être humain adulte dépensant en moyenne
cinétique, lumineuse, électrique… Lors de toute 2 000 calories par jour dissipe autant de chaleur
conversion, une partie de l'énergie est dissipée dans qu'une ampoule de 100 W allumée ! (figure 3.1)
l'environnement sous forme de chaleur. Les cellules de notre organisme ont besoin d'un
La vie repose sur des réactions de biosynthèse apport continu d'énergie pour rester vivantes : par
qui, par définition, augmentent l'ordre de la exemple, pour permettre au cœur de pomper le
matière. La réalisation de ces processus biosyn- sang, pour respirer, pour maintenir la température
thétiques repose sur le couplage énergétique : ce corporelle, pour digérer les aliments, toutes fonc-
qu'un système perd, un autre le gagne, la somme tions physiologiques qui participent au maintien
algébrique de l'ensemble étant toujours négative de l'intégrité corporelle dans les conditions dites
(et correspondant à la chaleur libérée par la réac- basales (au repos et à jeun, par exemple).
tion). Le ∆ G (qui exprime la variation d'énergie
libre) de la synthèse de saccharose à partir de glu-
cose et de fructose est de + 5,5 kcal/mol ; cette
réaction ne peut donc se produire spontanément
puisque le système « consomme de l'énergie ».
Pour devenir possible, elle doit être couplée à
une autre réaction dont le ∆ G est négatif et plus 100W
grand en valeur absolue. La réaction la plus cou-
ramment utilisée en biologie est l'hydrolyse d'ATP
(adénosine triphosphate). Au sein de la molé-
cule d'ATP, les liaisons reliant les trois groupes P
(phosphate) sont instables et peuvent être rom-
pues facilement par hydrolyse. Lorsque la liaison
avec le troisième P casse, ce groupe P quitte la
molécule d'ATP (qui devient de l'ADP, adénosine
diphosphate) et de l'énergie est libérée (le ∆ G est
de – 7,3 kcal/mol d'ATP). Faire de l'ATP, c'est
donc un moyen astucieux pour fournir de l'éner-
gie aux réactions chimiques qui sont inhérentes à
Figure 3.1. Une illustration brillante et métaphorique.
chacune des fonctions de la cellule. L'ennui avec Même au repos, un être humain a besoin d'autant
l'ATP, c'est qu'elle ne peut être stockée : aussitôt d'énergie qu'une ampoule de 100 W.
Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 47

À chaque instant, que vous soyez actif ou assoupi, gage, on dit souvent simplement « oxygène ») à
la majorité de vos cellules sont actives (travaillent) et partir de son environnement proche (le sang) et
respirent. Selon la situation physiologique, le besoin rejette du dioxyde de carbone (CO2), un déchet.
énergétique peut augmenter fortement par rapport En ce sens, respiration cellulaire et ventilation
au besoin de maintenance (par exemple, lors d'un pulmonaire sont donc strictement interdépen-
exercice musculaire). Dans tous les cas, la principale dantes. Les biologistes définissent aussi la respira-
unité énergétique utilisée par toutes les cellules pour tion comme le procédé qui permet aux cellules de
leurs transactions énergétiques est la molécule de s'approprier l'énergie présente dans les molécules
nucléotide d'ATP (adénosine triphosphate). L'ATP d'aliments en présence de dioxygène (procédé dit
est une ressource constamment disponible parce que aérobie). Pour exemple, l'oxydation complète du
chaque cellule la régénère en permanence, ce qui glucose pour former du dioxyde de carbone
assure le maintien du travail cellulaire. Les cellules (C6H12O6 + 6 O2 → 6 CO2 + 6 H2O) donne un
n'accumulent pas de grandes quantités d'ATP. Elles ∆ G de -686 kcal/mol, ce qui veut dire que
n'en contiennent à un moment donné que de quoi 686 kcal d'énergie deviennent disponibles pour
alimenter pendant quelques secondes leurs besoins une conversion, chaque fois qu'une molécule de
énergétiques. Elles doivent donc en produire conti- glucose est oxydée (en langage non scientifique,
nuellement à partir d'ADP et de phosphate. Pour on dirait « brûlée »). L'expression populaire est
fixer les idées, on considère qu'une cellule muscu- cependant pleine de bon sens, car d'un point de
laire en contraction consomme (et donc doit régé- vue strictement chimique, il y a peu de différence
nérer aussitôt) 10 millions de molécules d'ATP par entre le catabolisme du glucose dans la cellule et
seconde ! Un individu sédentaire transforme ainsi la combustion du bois dans une cheminée. Dans
quotidiennement une quantité d'ATP équivalente les deux cas, les réactifs sont des glucides (glucose
à son poids, ce qui illustre bien l'importance de la dans un cas, lignine dans l'autre) et du dioxy-
synthèse d'ATP. Reste à savoir maintenant com- gène, et les produits, du dioxyde de carbone, de
ment ces mêmes cellules régénèrent en permanence l'eau. Que le glucide soit catabolisé ou brûlé, la
l'ATP consommée : autrement dit, quelles seront quantité totale d'énergie libérée est la même. Par
les réactions qui fourniront l'énergie nécessaire à la contre, 100 % de l'énergie est dissipée sous forme
synthèse d'ATP à partir d'ADP et de P. de chaleur lors de la combustion du bois, alors
que la dissipation en chaleur ne représente que
60 % de l'énergie fournie lors de la respiration
cellulaire. Cette dégradation aérobie du glucose
Comment fabriquer dépendante du dioxygène, c'est la voie principale
de production de l'ATP dans toutes les cellules
en permanence l'ATP ? animales.
De l'intérêt du glucose ! Les cellules utilisent un ensemble complexe de
réactions catalysées par des enzymes qui leur per-
mettent de coupler le métabolisme d'une seule
La production d'ATP dans les cellules animales molécule de glucose à la synthèse de plusieurs
et chez les micro-organismes non photosynthé- molécules d'ATP. Ceci représente la conversion
tiques résulte de la transformation chimique de d'environ 40 % de l'énergie présente dans la molé-
composés riches en énergie provenant de l'ali- cule de glucose. Le reste de ­l'énergie est perdu
mentation et, entre autres, le glucose (voilà, on y dans l'environnement local de la cellule sous
vient !). Elle est rendue possible par la respiration forme de chaleur. Le rendement de conversion
cellulaire et le fonctionnement des mitochon- énergétique biologique n'est donc pas parfait,
dries de chaque cellule. Le terme de respiration mais il est remarquablement performant si on
fait référence à un échange de gaz : une cellule le compare aux autres systèmes de conversion
obtient du dioxygène (O2, mais par abus de lan- de l'énergie : par exemple, dans un moteur à
48 Physiopathologie du diabète

explosion, le rendement de conversion de l'éner- endergoniques (synthèse d'ATP). Pour que


gie obtenue par la combustion de l'essence, en l'oxydation cellulaire du glucose fonctionne, il
énergie cinétique, n'est que de 25 %. Quand on faut encore deux éléments dont nous n'avons
écrit l'équation chimique de la respiration cel- pas encore parlé : une enzyme, appelée déshy-
lulaire, on constate que se produisent des trans- drogénase et un coenzyme appelé NAD+. NAD+
ferts d'atomes d'hydrogène. Le glucose perd des (nicotinamide adénine dinucléotide) est une
atomes d'hydrogène (H) lors de sa conversion molécule organique que les cellules fabriquent à
en CO2 ; l'oxygène moléculaire (O2) gagne des partir de la vitamine B3 (niacine, pour les Anglo-
atomes d'H en étant converti en eau (H2O). Saxons) et il sert à transporter les électrons dans
Ces mouvements d'hydrogène correspondent les réactions redox. La déshydrogénase arrache
en fait à des transferts d'électrons, car chaque deux atomes d'H au donneur ; NAD+ capte deux
atome d'H est composé d'un électron et d'un électrons et passe à l'état réduit (NADH) ; un
proton (H+). L'échange d'électrons entre deux proton est libéré. NADH livre ses deux électrons
molécules porte un nom : on parle de réaction à la chaîne de transport des électrons. Cette
d'oxydoréduction (ou réaction redox). La perte chaîne met en jeu un ensemble de molécules
d'électrons par une molécule est appelée oxyda- organisées en quatre ensembles protéiques (I,
tion ; l'addition d'électrons sur une autre molé- II, III, IV) qui fonctionnent comme accepteurs
cule est appelée réduction (figure 3.2). Parce d'électrons. Ce sont des protéines qui sont insé-
que le transfert d'électrons requiert à la fois un rées dans la membrane interne des mitochon-
donneur d'électrons et un accepteur d'électrons, dries. Lors de chaque transfert, de l'énergie est
oxydation et réduction sont toujours des réac- libérée ; celle-ci peut être capturée pour produire
tions couplées. Lors de la respiration cellulaire, le de l'ATP ou former d'autres liaisons chimiques,
glucose perd donc des électrons (via les atomes tandis qu'une fraction est perdue sous forme de
d'H cédés) et devient oxydé ; l'oxygène gagne chaleur. En fin de processus, les électrons (initia-
des électrons (via les atomes d'H gagnés) et lement riches en énergie des liaisons chimiques)
devient réduit. Les électrons transférés perdent ont perdu une bonne partie de leur énergie et
de leur énergie potentielle en chemin ; de l'éner- sont transférés à l'accepteur final, le dioxygène
gie devient disponible pour réaliser des réactions (figure 3.3).

Perte d’atomes H
(oxydation)

C6H12O6 6 O2 6 CO2 6 H2O ATP

Glucose Oxygène DIOXYDE EAU


DE ÉNERGIE
CARBONE

gain d’atomes H
(réduction)

Figure 3.2. Réarrangement des atomes d'hydrogène (avec leurs électrons) lors de la respiration cellulaire.
L'étape 1 correspond à une perte d'atomes d'hydrogène et est appelée oxydation (le glucose sera donc oxydé ici).
L'étape 2 correspond à un gain d'atomes d'hydrogène et est appelée réduction (l'oxygène est donc réduit ici).
Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 49

GLUT
GLUCOSE

membrane
plasmique
GLUCOSE

GLYCOLYSE
↑H+

ATP SYNTHASE
H+
H+ H+
H+

membrane
interne
MITOCHONDRIE IV
I III
II H2 O
O2

NADH
FADH2
ATP ADP

matrice
H+
CYCLE —
DE KREBS O2

Figure 3.3. Utilisation mitochondriale des atomes d'hydrogène (et de l'oxygène) et synthèse d'ATP.
Les équivalents réduits (NAH et FADH2) dérivés de la dégradation des nutriments sont pris en charge par une série de
complexes enzymatiques localisés dans la membrane interne mitochondriale. Les électrons transitent entre les différents
complexes pour finalement être transférés à l'oxygène et générer de l'eau. L'énergie libérée lorsque les électerons
traversent les différents complexes est utilisée pour pomper les protons à l'extérieur de la matrice. Il en résulte un gradient
électrochimique, l'équivalent biologique d'un condensateur, qui est utilisé comme source d'énergie potentielle pour
fabriquer de l'ATP via l'ATP synthase. La réduction de l'oxygène en eau n'est jamais complète et aboutit à une faible
production d'anions superoxydes (O2·-). La production de ROS est donc intrinsèque à la vie aérobie, mais elle est contrôlée
efficacement par un système de défenses antioxydantes. Bien que produits en continu, les ROS ne sont pas dangereux
dans les conditions physiologiques, et ne le deviennent qu'en cas de surproduction et/ou d'effondrement des défenses.

ATP et respiration vés réactifs de l'oxygène), les plus méchants pour


les cellules [2] (figure 3.3). Normalement, la
mitochondriale : quantité d'ions superoxydes produits à chaque
instant reste très faible, en particulier parce que
gare au stress oxydant ! les mitochondries sont équipées d'un système
de dégradation des ROS (ce sont les défenses
La respiration mitochondriale est donc carac- antioxydantes). Par contre, lorsque la fourni-
térisée par la réduction complète de l'oxygène ture de molécules de NADH aux mitochondries
moléculaire en eau. Ce système, très efficace devient pléthorique, le flux d'électrons le long
pour la synthèse d'ATP, a néanmoins un talon de la chaîne respiratoire devient excessif. La
d'Achille : il laisse fuir au niveau de la chaîne conséquence de cette situation, c'est l'envolée
respiratoire des ions superoxydes (.O2-) qui sont de la production de ROS et l'exposition des cel-
parmi les ROS (Reactive Oxygen Species, ou déri- lules à un stress oxydant.
50 Physiopathologie du diabète

Les trois étapes clés Chaque type cellulaire contient son propre assor-
timent de protéines de transport qui permettent
pour faire de l'ATP la sélectivité du passage de certaines molécules et
de certains ions. Chaque cellule assure ainsi son
à partir du glucose contrôle aux frontières de l'import/export des
molécules et ions qui sont nécessaires à son équi-
La respiration cellulaire nécessite une organisation libre fonctionnel. Toutes les protéines de transport
biochimique séquentielle en trois étapes qui sont sont des protéines transmembranaires contenant
étroitement couplées entre elles. de multiples segments transmembranaires qui
L'étape 1 se déroule dans le cytoplasme de sont généralement des hélices. On pense qu'en
la cellule et nécessite donc d'abord l'entrée du formant un passage tapissé de protéines à travers la
glucose dans la cellule. Or la pénétration des membrane, les protéines de transport permettent
molécules de glucose n'est pas automatique ! La le déplacement des substances hydrophiles (dont
membrane plasmique des cellules musculaires, le glucose) sans que celles-ci entrent en contact
adipeuses, hépatiques, nerveuses (et plus géné- avec l'intérieur hydrophobe de la membrane. On
ralement de toutes les cellules du corps humain) s'attardera plus longuement sur celles qui assurent
constitue une frontière qui sépare la cellule de le transport du glucose [3].
son environnement extracellulaire. Cette fron- Le glucose et les acides aminés traversent la
tière est douée de propriétés de perméabilité membrane plasmique à l'aide de transporteurs
variable qui garantissent à chaque instant le bon appelés uniporteurs qui transportent une seule
équilibre entre l'entrée dans chaque cellule des sorte de molécule dans le sens de leur gradient de
molécules telles que les ions, le glucose, les lipides concentration (figure 3.4). Ce type de ­diffusion
et les acides aminés, le maintien dans la cellule est aussi appelé diffusion facilitée. La vitesse de
des intermédiaires métaboliques, et la sortie des diffusion facilitée (autrement dit, le débit de pas-
déchets hors de celle-ci. Quelles sont les règles de sage du glucose à travers la membrane) assurée par
franchissement de cette frontière ? les uniporteurs est nettement supérieure à celle de
Première règle, imposée par la structure phy- la diffusion passive à travers une bicouche phos-
sico-chimique de la bicouche phospholipidique, pholipidique pure. Le transport utilise un petit
qui est l'unité structurale fondamentale des mem- nombre de molécules d'uniporteurs, plutôt que
branes cellulaires : seuls les gaz tels que O2 et de traverser directement la bicouche phospholipi-
CO2, et de petites molécules polaires non chargées dique. Par conséquent, il existe une vitesse maxi-
comme l'urée et l'éthanol, peuvent facilement male de transport Vmax (autrement dit, un débit
traverser à travers (on appelle cela une diffusion max) : cette dernière est atteinte lorsque le gra-
passive simple). Aucune énergie métabolique n'est dient de concentration à travers la membrane est
nécessaire car le déplacement de ces molécules se très élevé, que tous les uniporteurs sont utilisés,
fait dans le sens de la concentration la plus élevée et que chaque uniporteur fonctionne à son rende-
vers la concentration la plus faible de la molécule, ment maximal.
c'est-à-dire dans le sens de son gradient chimique Les transporteurs de glucose appartiennent
de concentration. Par contre la plupart des molé- à deux familles de protéines non apparentées :
cules hydrosolubles, les ions et l'eau elle-même, les SGLT (Sodium-Glucose Transporters) et les
ne peuvent traverser par diffusion passive une GLUT (Glucose Transporters). Les SGLT contri-
bicouche phospholipidique. Deuxième règle : buent à l'absorption et à la réabsorption du glu-
les déplacements de quasiment tous les ions et cose qui ont lieu respectivement, au niveau des
molécules à travers les membranes cellulaires cellules épithéliales de l'intestin grêle (SGLT1)
(sorties, comme entrées) se font par l'intermé- et du tube contourné proximal du néphron
diaire de protéines sélectives (dites de transport (SGLT2). La famille des protéines GLUT est une
transmembranaire) enchâssées dans la bicouche grande famille dont le premier membre appelé
phospholipidique. GLUT1 fut caractérisé en 1985 par le biologiste
Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 51

1 2 3

EXT

CYTO

ATP ADP FERMÉ OUVERT


UNIPORTEUR SYMPORTEUR
+
PI

Figure 3.4. Les différents types de protéines assurant le franchissement des membranes par les solutés.
Les gradients sont représentés par des triangles dont la pointe est dirigée vers la concentration ou le potentiel électrique le
plus faible ou les deux.
1. Les pompes utilisent l'énergie libérée par l'hydrolyse d'ATP pour le déplacement d'ions spécifiques (ronds noirs) ou de
petites molécules contre leur gradient électrochimique.
2. Les canaux permettent le déplacement d'ions spécifiques (ou d'eau) dans le sens de leur gradient électrochimique.
3. Les transporteurs facilitent le passage de petites molécules ou ions spécifiques. Parmi eux, on trouve les uniporteurs
qui transportent un seul type de molécule dans le sens de leur gradient de concentration, et les protéines de
cotransport (symporteurs) qui catalysent le déplacement d'une molécule contre son gradient de concentration (ronds
noirs), grâce au déplacement d'un ou plusieurs ions dans le sens de leur gradient électrochimique (ronds ouverts).
Ext : milieu extracellulaire ; Cyto : compartiment cytosolique.

américain Mike Mueckler (figure 3.5) à Saint- différentes cellules du corps de réguler leur cap-
Louis, États-Unis. tage de glucose (et donc le métabolisme du glu-
Ces protéines présentent entre elles une cose qui vient d'entrer dans la cellule) de façon
homologie forte (on parle d'isoformes) [3–8]. indépendante et, en même temps, de maintenir
L'expression des GLUT varie dans les divers types une glycémie constante [3–8] (figure 3.6). Par
cellulaires, et les propriétés fonctionnelles spéci- exemple, GLUT2, exprimé dans les hépatocytes
fiques de chacune des isoformes permettent aux et les cellules bêta du pancréas qui sécrètent l'insu-
line, a une affinité pour le glucose dix fois plus
élevée que GLUT1. Pour cette raison, lorsque le
glucose sanguin passe de son niveau de base de
5 mM (1 g/l) à 10 mM (2 g/l) environ après
un repas, le débit d'entrée de glucose double qua-
siment dans les cellules exprimant GLUT2, alors
qu'il augmente seulement légèrement dans les
cellules exprimant GLUT1 (dans les hématies par
exemple). Dans le foie, le glucose massivement
absorbé par les cellules y sera stocké sous la forme
d'un polymère, le glycogène. Dans les cellules bêta
des îlots pancréatiques, l'augmentation du débit
d'entrée de glucose y déclenchera la sécrétion de
l'insuline. Le fonctionnement de GLUT2 n'est
pas modulé par l'insuline. Une autre isoforme de
GLUT, GLUT4, est exprimée uniquement dans
les cellules adipeuses et les cellules musculaires,
Figure 3.5. Mike Mueckler (1953–2021). c'est-à-dire les cellules qui répondent à l'insuline
52 Physiopathologie du diabète

GLUT4 GLUT2
SGLT1 SGLT2
GLUT1

intestin adipocyte hépatocyte


hématie

capillaire
îlot
myocyte
rein

β β
β
β α

Figure 3.6. Localisation cellulaire des transporteurs de glucose.


Le rôle des différentes isoformes exprimées dans les tissus dépend de leurs propriétés cinétiques et de leur localisation
subcellulaire. GLUT1 (uniporteur) est l'isoforme la plus répandue. Dans les cellules épithéliales de l'intestin et du rein, le
transport du glucose est assuré par SGLT (symporteur glucose/sodium ; respectivement SGLT1 et SGLT2) au niveau de
la membrane apicale, et par GLUT2 (uniporteur) au niveau de la membrane basale. GLUT4 (uniporteur) est exprimé dans
les tissus où le transport du glucose est sensible à l'insuline. Localisé à l'intérieur des cellules musculaires et adipeuses,
GLUT4 gagne la membrane plasmique en réponse à l'insuline permettant ainsi l'entrée massive de glucose. Dans les
hépatocytes et les cellules bêta pancréatiques, le transport du glucose est assuré par GLUT2 qui est présent en grande
quantité et de façon permanente dans la membrane plasmique.

par une augmentation de leur captage de glucose. et consiste en la dégradation du pyruvate en CO2.
En l'absence d'insuline, on trouve GLUT4 dans L'intérêt majeur de cette étape est de fournir
les membranes intracellulaires, mais pas sur la des électrons qui seront utilisés dans la troisième
membrane plasmique des adipocytes. Dans cette étape.
configuration, GLUT4 est donc incapable de faci- L'étape 3, dite de la phosphorylation oxydative
liter le captage de glucose. L'insuline lorsqu'elle (on dit aussi oxydation phosphorylante), cor-
circule dans le sang à concentration élevée (après respond au fonctionnement de la chaîne mito-
un repas) provoque la fusion de ces membranes chondriale des transporteurs d'électrons que
internes riches en GLUT4 avec la membrane plas- nous avons déjà évoquée. Cette dernière réalise
mique, augmentant ainsi brusquement le nombre deux actions simultanément : elle transfère dans
de molécules de GLUT4 à la surface de l'adipo- des réactions d'oxydoréduction successives des
cyte, et par voie de conséquence le débit de cap- électrons depuis des donneurs d'électrons pro-
tage du glucose [3–8]. Le même mécanisme se duits dans la matrice mitochondriale (NADH,
produit au niveau des muscles squelettiques, en FADH2) vers des accepteurs d'électrons, et elle
période de repas. assure le pompage de protons (ions H+) à travers
Une fois que les molécules de glucose affluent à la membrane interne mitochondriale. Ceci a pour
l'intérieur de la cellule, elles sont prises en charge effet de générer un gradient de concentration de
par la glycolyse qui est la voie métabolique qui protons à travers cette membrane, et donc un
permet de fragmenter chaque molécule de glucose gradient électrochimique dont l'énergie poten-
en deux molécules de pyruvate, pyruvate qui sera tielle peut être récupérée par des ATP synthases
ensuite utilisé par les mitochondries. (localisées elles aussi dans la membrane interne
L'étape 2, appelée cycle de l'acide citrique (ou mitochondriale) pour phosphoryler des molé-
cycle de Krebs), se déroule dans la mitochondrie cules d'ADP en ATP.
Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 53

Comment se déroule à ces tissus est leur indépendance de l'insuline


pour ce qui concerne l'utilisation du glucose.
l'utilisation du glucose
par les tissus en Le cas des tissus
condition physiologique ? insulinodépendants
Un certain nombre de tissus sont impliqués,
Pour ce qui concerne l'utilisation du glucose dis-
soit dans la fourniture de glucose en période de
ponible dans la circulation générale, il existe une
carence glucidique (foie), soit dans le stockage du
dichotomie majeure entre les tissus qui ont besoin
glucose sous forme de glycogène (foie et muscles)
d'insuline pour réaliser cette fonction (tissus dits
et sous forme de lipides (tissu adipeux) en période
insulinodépendants) et ceux pour lesquels elle n'est
de pléthore glucidique. L'utilisation ou la pro-
pas nécessaire (tissus dits insulino-indépendants).
duction de glucose dans ces tissus est modulée
par l'insuline. Pour cette raison, ils sont réputés
insulinodépendants. On imagine donc aisément
Le cas des tissus que toute carence relative (diabète de type 2) ou
insulino-indépendants absolue (diabète de type 1) en insuline aura des
conséquences désastreuses pour le fonctionne-
Un certain nombre d'organes ou de cellules n'uti- ment métabolique de ces tissus.
lisent que le glucose comme source d'énergie. Le foie reçoit une double vascularisation : celle
Parce que certaines cellules ont peu ou pas de de l'artère hépatique (qui représente 20 % de l'ap-
mitochondries, l'énergie est fournie par le méta- port sanguin total hépatique) et celle de la veine
bolisme glycolytique du glucose. C'est le cas des porte (issue du système digestif). Cette particu-
hématies, des leucocytes, de la muqueuse intesti- larité a un rôle fondamental sur le plan métabo-
nale, de la médulla rénale, de la peau, des cellules lique. En effet, la veine porte va diriger vers le
de la rétine. Le cerveau, quant à lui, bien que pos- foie le glucose et des acides aminés absorbés par
sédant des capacités oxydatives importantes (les le tractus intestinal alors que les lipides (en majo-
cellules nerveuses sont riches en mitochondries), rité des triglycérides à chaîne longue) sont diri-
utilise presque exclusivement le glucose comme gés par le système lymphatique vers la circulation
source d'énergie. Le cerveau adulte humain pèse générale. Ainsi, le foie est le premier organe qui
environ 1,5 kg et utilise 120 g de glucose par jour. reçoit et métabolise les nutriments fournis par
Son activité mobilise 20 % de la dépense énergé- la digestion intestinale. Les veines pancréatiques
tique journalière du corps entier. La barrière sang- rejoignent la veine porte et apportent au foie l'in-
cerveau empêche le cerveau d'utiliser les lipides suline sécrétée par le pancréas endocrine lors du
comme substrat énergétique de telle sorte que le repas (période prandiale). Le foie est donc aussi le
cerveau est dépendant de l'apport en glucose pour premier organe recevant cette hormone avant sa
son fonctionnement quotidien (sauf en cas de dilution dans la circulation générale.
jeûne prolongé où les corps cétoniques peuvent Chez l'homme sain, en période prandiale, la
être utilisés). La quasi-totalité du glucose capté capture hépatique de glucose augmente, ce qui
par le cerveau est oxydée, ce qui explique que le permet au foie de reconstituer ses réserves de gly-
cerveau est un grand consommateur d'oxygène. cogène [3, 6–11]. La capture du glucose dans les
Les tissus dépendants du glucose comme source hépatocytes est réalisée par des transporteurs de
d'énergie fonctionnent de façon continue et ils type GLUT2. Il est à remarquer que l'entrée du
doivent donc disposer d'un apport sécurisé de glucose dans l'hépatocyte est insulino-indépen-
glucose. La régulation de l'utilisation de glucose dante [3, 6, 9–11], car elle est indifférente à la
dans ces tissus doit donc être indépendante des présence ou pas d'insuline. L'importante capacité
rythmes nutritionnels. L'autre caractère commun intrinsèque de transport de GLUT2 permet en
54 Physiopathologie du diabète

effet un transfert élevé du glucose vers les hépa- du glycogène puissent se tenir en même temps. Le
tocytes, qui dépend uniquement de la différence glucose par un effet propre de type allostérique
de concentration de glucose de part et d'autre diminue l'activité de la glycogène phosphorylase,
de la membrane de l'hépatocyte. Par contre, l'in- ce qui va permettre l'activation de la glycogène
corporation ultérieure des molécules de glucose synthase. Quant à l'insuline, elle active la phos-
dans les réserves de glycogène est activée par la phodiestérase, enzyme responsable de la dégra-
présence d'insuline (la synthèse de glycogène est dation de l'AMPc, et elle réduit la concentration
donc insulinodépendante). L'étape régulatrice d'ions Ca2 + : ces deux effets aboutissent donc à
de la synthèse de glycogène (glycogénogenèse) une inhibition de la dégradation du glycogène, et
est catalysée par la glycogène synthase. C'est donc une activation de la synthèse de glycogène
la forme déphosphorylée de l'enzyme qui est la (figure 3.7).
forme active. La glycogène synthase hépatique Lorsque le glucose a subi la glycolyse, le pyru-
peut être phosphorylée par la PKA (protéine vate formé entre dans la mitochondrie est converti
kinase de l'AMPc) : elle est alors inactivée. Son en acétyl-CoA. L'enzyme mitochondriale res-
activation (par déphosphorylation) est catalysée ponsable de cette formation d'acétyl-CoA est la
par des phosphatases. Ces glycogènes synthases PDH (pyruvate déshydrogénase) qui représente
phosphatases sont inhibées par les ions Ca++ et la le point de non-retour des carbones du glucose
glycogène phosphorylase (enzyme responsable de dans le métabolisme glucidique. En effet, l'acé-
la dégradation du glycogène). Cette inhibition est tyl-CoA formé ne pourra en aucun cas redonner
très puissante et évite que synthèse et dégradation du glucose. La régulation de l'activité de la PDH

G I

GLUT2 IR

VLDL G
4 GK
GS PI3K
5 Glycogène G6P
TG AKT
PKA
Fructose 6P

1 2 3 Glycérol-3.P PFK
F1,6 diP
Acyl.CoA
AGS
Malonyl-CoA Trioses phosphates
ACC
Acétyl CoA
PEPCK
Citrate OAA PEP

PK
Citrate OAA
6
Acétyl.CoA Pyt Pyruvate
PDH

Figure 3.7. Le foie en période prandiale.


Mécanismes d'activation par l'insuline de la synthèse du glycogène (4), de la glycolyse (3), de l'oxydation
intramitochondriale du pyruvate (6) et de la lipogenèse (1). Dans ces mêmes conditions, la glycogénolyse (5) et la
néoglucogenèse (2) sont bloquées.
G : glucose ; I : insuline ; IR : récepteur de l'insuline ; PI3K : Phosphoinositide 3-kinase ; AKT : AKT kinase, aussi
appelée protéine kinase B ; PKA : protéine kinase de l'AMPc ; GK : glucokinase ; G6P : glucose-6-phosphate ; GS :
glycogène synthase ; PFK : phosphofructokinase ; PEP : phosphoénolpyruvate ; PK : pyruvate kinase ; PDH : pyruvate
déshydrogénase ; ACC : acétyl-CoA carboxylase ; AGS : acide gras synthase ; TG : triglycérides ; VLDL : lipoprotéines de
très basse densité.
Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 55

est complexe et fait intervenir en particulier un et pour 30 % par les glucides. Tout cela est vrai en
système de phosphorylation/déphosphorylation dehors des repas (en période dite interprandiale),
(la PDH phosphorylée est inactive). L'insuline ou lorsqu'on est à jeun.
active la PDH en activant une phosphatase Par contre, au moment de chaque repas (donc
(la PDH phosphatase) dans le foie (et aussi les la plupart du temps en l'absence de toute activité
muscles). Dans le foie (et aussi le tissu adipeux), physique), le muscle augmente sa capture de glu-
l'acétyl-CoA peut aussi former du citrate dans la cose [3, 12]. Ce glucose est alors oxydé pour une
mitochondrie ; ce citrate est exporté dans le cyto- partie (suffisamment pour couvrir alors l'essentiel
plasme, retransformé en acétyl-CoA qui sert de des besoins énergétiques du muscle, l'oxydation
précurseur pour former du malonyl-CoA dans des acides gras devenant alors très minoritaire),
une réaction catalysée par l'ACC (acétyl-CoA car- l'autre fraction étant convertie et stockée sous
boxylase) et aboutir ensuite à la synthèse d'acides forme de glycogène. Cette augmentation de la
gras (lipogenèse). L'ACC est une enzyme qui consommation du glucose est induite par la sécré-
existe sous une forme protomérique peu active et tion d'insuline au moment du repas. L'insuline via
une forme polymérique très active. L'insuline et son récepteur induit une augmentation très rapide
le citrate augmentent la proportion de la forme de la quantité de transporteurs GLUT4 dans la
polymérique, alors que les acides gras la dimi- membrane de chaque cellule musculaire (méca-
nuent. Cette enzyme est également contrôlée par nisme de translocation de GLUT4). Ce méca-
un système de phosphorylation/déphosphoryla- nisme de capture insulinodépendante du glucose
tion (figure 3.7). par les cellules musculaires est essentiel pour éviter
Les muscles squelettiques humains ont une une trop forte augmentation de la glycémie lors
composition en fibres, hétérogène et variable de chaque repas [3, 12]. Dans les muscles (surtout
d'un individu à l'autre. Les fibres oxydatives (ou les muscles oxydatifs), le glucose capté sert à la
fibres rouges ou fibres à contraction lente) ont glycogénogenèse, et glycolyse et oxydation sont
un contenu en myoglobine élevé (favorise la cap- étroitement couplées (activation par l'insuline de
ture d'oxygène par les fibres) et sont riches en GS et PDH).
capillaires et en mitochondries. Ces fibres per- Il existe deux types de tissus adipeux. Le tissu
mettent un exercice musculaire modérément adipeux blanc où le stockage lipidique prédomine
intense mais de durée prolongée. Les fibres et où le noyau et les mitochondries sont confinés
musculaires blanches n'ont pas de myoglobine, dans une petite portion de la cellule, et le tissu
ont peu de mitochondries et tirent leur éner- adipeux brun, riche en gouttelettes lipidiques, en
gie uniquement de la glycolyse alimentée par mitochondries et en capillaires (voir Zoom 3.1).
la dégradation (glycogénolyse) de leur propre Le rôle métabolique essentiel du tissu adipeux
glycogène stocké localement (production rapide blanc est de stocker de l'énergie et de la libérer
d'énergie pour une durée courte). Elles sont sol- à la demande. Les réserves de triglycérides du
licitées dans les exercices intenses et de courte tissu adipeux blanc sont de 15 kg ce qui repré-
durée (sprint, levée de charges). Quand le muscle sente 100 000 kcal chez l'adulte (à comparer aux
exerce un travail, il augmente sa capture de glu- 400 kcal stockées dans le glycogène musculaire).
cose via les transporteurs GLUT4. Cela permet En période prandiale, le tissu adipeux blanc capte
au muscle de capter le glucose circulant afin de du glucose via des transporteurs GLUT4. Le
l'oxyder. La quantité de glycogène stockée dans glucose capté entre dans la glycolyse, et comme
les muscles est d'environ 120 g chez l'adulte dans le foie, glycolyse et synthèse de triglycérides
(soit une réserve énergétique de 400 kcal). Le sont couplées (activation par l'insuline de PDH et
muscle squelettique est également capable d'uti- ACC) [3, 13].
liser d'autres sources énergétiques que le glucose Le tissu adipeux brun est capable d'oxyder le
comme les acides gras circulants et les corps céto- glucose et les acides gras captés dans ses mito-
niques. Ainsi au repos, la couverture énergétique chondries (comme le ferait le muscle ou le foie).
du muscle est couverte pour 70 % par les lipides La particularité du tissu adipeux brun est que
56 Physiopathologie du diabète

l'oxydation phosphorylante y est moins bien interne des mitochondries du tissu adipeux brun
couplée avec la formation de l'ATP (on parle de que l'on a appelé UCP1 (Uncoupling Protein 1,
découplage partiel entre le fonctionnement de pour protéine découplante, aussi nommée ther-
la chaîne de transfert des électrons et la synthèse mogénine). Même si le tissu adipeux brun joue un
d'ATP). Ce découplage permet à l'énergie mito- rôle important en tant que générateur de chaleur,
chondriale d'être dissipée majoritairement sous on n'oubliera pas que toute respiration mitochon-
forme de chaleur [voir Zoom 3.1]. Ce méca- driale produit de la chaleur puisque la respiration
nisme fait intervenir une protéine de la membrane des cellules n'est pas parfaitement couplée à la

Zoom 3.1

Les adipocytes ne sont pas tous blancs : il y a aussi les bruns


et les beiges !
Le tissu adipeux est un organe dynamique qui un scanner à rayon X) a permis de mettre en évi-
peut représenter de 4 % à plus de 40 % de la dence la présence de tissu adipeux brun activable
composition corporelle totale chez l'homme chez l'homme adulte. En effet, la consomma-
adulte. Le tissu adipeux blanc est reconnu pour tion de glucose est stimulée par une exposition
sa fonction de stockage d'énergie sous forme au froid au niveau de différentes régions conte-
de graisse (triglycérides). Il est non thermogé- nant du tissu adipeux brun, l'identité du tissu
nique. Cependant, les mammifères possèdent ayant été confirmée par des analyses histolo-
également un tissu adipeux dit brun, qui joue giques. Le tissu adipeux brun est situé au niveau
un rôle crucial dans l'homéostasie énergétique de la glande thyroïde, des régions trachéales,
parce qu'il est l'effecteur majeur de la thermo- médiastinales, paracervicales, supraclaviculaires,
genèse sans frisson. Le tissu adipeux brun est parathoraciques et périrénales. La quantité de
qualifié de thermogénique. Il est en effet spé- tissu adipeux brun est inversement corrélée à
cialisé dans la production de chaleur sans frisson l'âge, à l'IMC, et au sexe (plus de tissu adipeux
(le frisson musculaire produit un peu de chaleur brun chez les femmes que chez les hommes,
par des mécanismes totalement différents). Très mais ceci est controversé). On sait maintenant
présent chez les nouveau-nés des mammifères, que des expositions au froid répétées pendant
il persiste à l'âge adulte dans certaines espèces dix jours consécutifs, ou l'utilisation d'agonistes
(rongeurs, ours, marmotte). Chez l'homme, le des récepteurs β3-adrénergiques, tels que le
tissu adipeux brun est présent chez le nouveau- mirabégron, augmentent la quantité et l'activité
né, en position interscapulaire majoritairement, du tissu adipeux brun humain.
et on estimait qu'il disparaissait à l'âge adulte
(sauf chez des patients atteints de phéochromo- Adipocytes bruns
cytome ou chez des travailleurs exposés à des Les adipocytes bruns, responsables de l'activité
températures extérieures très basses). Pour ces thermogénique du tissu, contiennent une mul-
raisons, le tissu adipeux brun a été mis de côté titude de petites gouttelettes lipidiques, pos-
par la communauté scientifique pendant cin- sèdent un très grand nombre de mitochondries
quante ans. et reçoivent une forte inervation sympathique.
En 2009, l'utilisation des nouvelles techniques La particularité de ces mitochondries réside dans
d'imagerie médicale non invasives a per- l'expression de la protéine découplante UCP1,
mis la découverte de tissu adipeux brun actif localisée au niveau de la membrane interne
chez l'homme adulte sain. Cela déclencha un mitochondriale. Suite à une exposition au froid,
immense regain d'intérêt pour l'étude de ce la diminution de la température cutanée est
tissu [14–18]. En pratique, l'injection de glu- perçue par des thermorécepteurs, l'informa-
cose non métabolisable (dG) couplé à un atome tion est véhiculée au niveau de l'hypothalamus,
de 18fluor (18F-fluorodeoxyglucose, 18FdG), qui intègre le signal et déclenche, entre autres,
couplé à une imagerie de type TEP-scan (tomo- l'activation du système nerveux sympathique
graphie par émission de positrons combinée à et la libération de noradrénaline qui stimule la

▲ Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 57

thermogenèse au niveau du tissu adipeux brun NA


par des effets métaboliques, transcriptionnels et βAR
trophiques. Le tissu adipeux brun joue aussi un
rôle dans l'augmentation de la dépense éner- Gs AC
gétique prandiale en réponse à l'ingestion du
AMPC
repas (notion de « diet induced thermogenesis »). TG
D'autres activateurs de la protéine UCP1 ont HSL PKA
été récemment identifiés, comme les espèces AGL AGL Pyr G G
actives de l'oxygène produites par la chaîne res-
piratoire mitochondriale, dont la production
augmente lors d'une exposition au froid.
L'activité de la protéine UCP1, qui agit comme
un canal à protons, dépend de l'équilibre entre
des signaux activateurs et inhibiteurs. Alors
que les nucléotides pyrimidiques (ATP, ADP)
ont un effet inhibiteur et maintiennent la pro-
H+
téine inactive à l'état basal, les acides gras sont
de puissants activateurs de la protéine UCP1.
H+
L'activation d'UCP1 permet alors de décou- +
H+
H+ H
pler le fonctionnement de la chaîne respiratoire H+

membrane
de celui de l'ATP synthase. La levée de ce frein

UCP1

interne
III IV
I
stimule le fonctionnement de la chaîne respira- II
toire : cela entraîne une forte consommation
de substrats énergétiques (dont les acides gras NADH
O2 H2O ATP ADP
libérés par la lipolyse in situ et/ou les acides FADH2 H+ H+

matrice
gras circulants). L'emballement des réactions chaleur chaleur
cataboliques est alors associé à une production TCA
de chaleur, au détriment de la synthèse d'ATP
[14–16] (figure 3.8). Figure 3.8. Mécanismes moléculaires de la
thermogenèse cellulaire.
Adipocytes beiges Les adipocytes bruns augmentent leur thermogenèse
À côté des adipocytes bruns, on sait depuis peu en réponse à toute stimulation par la NA (noradrénaline)
qu'il existe d'autres catégories d'adipocytes de leurs récepteurs βAR (β-adrénergiques). Ce
thermogéniques [15–17]. Certains adipocytes neuromédiateur augmente la concentration
intracellulaire d'AMPc, active PKA, qui stimule la HSL
blancs peuvent se convertir en tissu adipeux de
(lipase hormonosensible) capable de dégrader les TG
type brun par le phénomène de brunissement (triglycérides) stockés in situ. Les AGL (acides gras
(beiging) lors de différents stress, comme lors libres) ainsi libérés sont oxydés localement dans les
d'une exposition au froid. Ce processus cor- nombreuses mitochondries des adipocytes bruns.
respond à l'apparition d'adipocytes beiges qui L'originalité de ces mitochondries tient au fait qu'elles
présentent un phénotype et des propriétés disposent d'un mécanisme qui leur permet de dissiper
la plus grande partie de l'énergie des oxydations sous
métaboliques très proches des adipocytes bruns
forme de chaleur (par découplage de la synthèse d'ATP).
classiques, dont la richesse en mitochondries et Ce mécanisme de découplage de la respiration est dû à
l'expression d'UCP1. Cependant, des signa- la présence spécifique d'une protéine de la membrane
tures moléculaires différentes les distinguent interne mitochondriale appelée UCP1. UCP1 permet aux
des adipocytes bruns. Une des différences protons de l'espace intermembranaire mitochondrial de
majeures réside aussi dans le caractère inductible rentrer dans la matrice mitochondriale sans générer d'ATP
des adipocytes beiges, la présence des adipo- (la mitochondrie est dite découplée). La production de
la chaleur est augmentée par ce processus, et elle est
cytes bruns dans le tissu adipeux brun étant elle évacuée vers les diverses zones de l'organisme grâce aux
constitutive. Les adipocytes beiges apparaissent, nombreux vaisseaux qui irriguent le tissu adipeux brun.
en effet, dans des régions spécifiques, notam- TCA : cycle des acides tricarboxyliques ou cycle de Krebs.

58 Physiopathologie du diabète

ment au sein de lobules proches de ganglions, tissu adipeux brun chez la souris. Par ailleurs, la
ce qui suggère un rôle important des cellules délétion génétique d'UCP1 grâce à des modèles
du système immunitaire dans le développement d'invalidation entraîne le développement d'une
des adipocytes beiges. Ce processus de brunis- obésité et une perte de l'homéostasie gluci-
sement est réversible : lorsque l'exposition au dique et lipidique. À l'opposé, un traitement
froid cesse, l'expression d'UCP1 diminue for- chronique avec un agoniste β3 protège les sou-
tement ; les adipocytes beiges réacquièrent un ris contre l'obésité induite par un régime riche
phénotype blanc et peuvent à nouveau être en graisse, et diminue la glycémie et l'insuliné-
recrutés lors d'une nouvelle stimulation. En mie. Des expériences de transplantation de tissu
plus de cette plasticité, il existe une hétérogé- adipeux brun murin et humain chez la souris
néité au sein des adipocytes beiges, et plusieurs confirment son effet bénéfique. Chez l'homme
sous populations présentant des spécificités présentant du tissu adipeux brun détectable
métaboliques bien définies coexistent au sein par 18FdG/TEP-scan, son activation par une
des tissus adipeux blancs. Bien que l'exposi- exposition au froid est associée à une améliora-
tion au froid soit la condition physiologique tion des paramètres métaboliques (diminution
la mieux décrite pour stimuler l'apparition des de la glycémie, amélioration de la sensibilité à
adipocytes beiges, plusieurs autres stimuli ont l'insuline, amélioration de l'utilisation des AG
été récemment mis en évidence, tels que l'exer- plasmatiques), ce qui n'est pas le cas chez des
cice physique, la cachexie associée au cancer, patients où le tissu adipeux brun est indétec-
les brûlures massives ou le jeûne intermittent. table. Cependant, la contribution globale du
On ne manquera pas de faire la remarque qu'un tissu adipeux brun dans l'utilisation globale du
rôle thermogénique des adipocytes beiges dans glucose reste minime (1 %), comparée à celle des
ces conditions semble contre-intuitif ; ce qui muscles (50 %). Par ailleurs, l'utilisation des AG
soulève l'hypothèse selon laquelle ces cellules circulants par le tissu adipeux brun contribue à
pourraient assumer d'autres fonctions. À côté hauteur de 1 % de la clairance des AG circu-
du rôle important de la voie noradrénergique lants. Il faut toutefois noter que la contribution
dans l'apparition des adipocytes beiges, d'autres des tissus adipeux bruns au métabolisme systé-
signaux de stress, tels que des modifications mique global est calculée en prenant en consi-
du métabolisme redox, sont aussi de puissants dération sa masse, qui est estimée à entre 50 et
inducteurs de l'expression d'UCP1. 150 g chez un homme de 80 kg en moyenne.
Le rapport masse du tissu adipeux brun/poids
Un outil pour augmenter la dépense corporel est donc beaucoup plus faible chez
énergétique globale et combattre l'obésité l'homme que chez la souris (60 mg environ
et le diabète de type 2 ? chez une souris de 20 g). Mais on pense actuel-
Toutes ces nouveautés récentes ont relancé lement que le système de quantification à partir
l'hypothèse, déjà énoncée dans le passé, selon des signaux obtenus en 18FdG/TEP-scan pré-
laquelle l'activation du tissu adipeux brun/ sente des limites et sous-estime la masse réelle
beige permettrait de lutter contre le surpoids des tissus adipeux bruns/beiges. L'optimisme
et l'obésité, ainsi que les maladies métaboliques reste cependant de mise puisqu'une très belle
associées. De fait, de nombreuses études ont étude rétrospective d'une cohorte de plus de
montré que les tissus adipeux bruns et beiges 50 000 patients a mis en évidence en 2021 que
permettent d'améliorer l'homéostasie du glu- les individus possédant du tissu adipeux brun
cose et des acides gras au niveau systémique et avaient des prévalences plus faibles de maladies
d'augmenter la sensibilité à l'insuline [15–18]. métaboliques, et que la présence de tissu adi-
La première observation selon laquelle le tissu peux brun était un facteur indépendant corrélé
adipeux brun était impliqué dans la régulation à une probabilité plus faible de développer des
du métabolisme énergétique systémique date de désordres, tels que diabète de type 2, dyslipi-
1983, avec l'observation d'une augmentation démie, maladie cérébrovasculaire, insuffisance
de 18 % de la masse grasse suite à l'ablation du cardiaque, et hypertension artérielle [18].
Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 59

synthèse de l'ATP. Ainsi, les mitochondries de glucose qui comporte 6 carbones (et qui produit
tous les tissus autres que le tissu adipeux brun environ 30 ATP dans les cellules eucaryotes), envi-
possèdent un certain degré de découplage (qui est sageons le cas d'école d'un acide gras hypothétique
maximal dans le tissu adipeux brun). à 6 carbones. Deux séquences de β-oxydation
convertiraient cet acide gras en 3 molécules d'acé-
tyl-CoA. Chacune des séquences de β-oxydation
produit 1 molécule de NADH et 1 molécule de
Le glucose n'est pas FADH, qui, à elles deux, fourniront 4 molécules
le carburant exclusif d'ATP. Auxquelles il conviendra d'ajouter 10 ATP
supplémentaires résultant de l'oxydation (dans le
cycle de Krebs) de chaque acétyl-CoA produit. Au
II a été question jusqu'à présent de la respiration total donc le rendement en ATP de la dégradation
aérobie du glucose, molécule que les organismes complète d'une molécule d'acide gras à 6 carbones
animaux obtiennent par digestion des glucides ali- sera approximativement de 8 ATP (provenant des
mentaires. D'autres molécules organiques issues deux séquences de β-oxydation) + 30 ATP (prove-
de notre ration alimentaire, en particulier des pro- nant de l'oxydation des trois acétyl-CoA) – 2 ATP
téines et des lipides, sont également des sources qui ont été requises pour amorcer le processus de
importantes d'énergie [19–21]. β-oxydation, soit au total 36 molécules d'ATP. La
Les protéines alimentaires sont d'abord décom- respiration d'un acide gras à 6 carbones a donc un
posées (digestion intestinale) en leurs acides ami- rendement supérieur de 20 % à celui de la respira-
nés qui vont passer dans la circulation sanguine tion d'une molécule de glucose. En outre, un tel
générale. Le groupe latéral des acides aminés acide gras pèserait moins des deux tiers du glucose ;
contenant de l'azote (groupe aminé) est ensuite de sorte qu'un gramme d'acide gras contient deux
libéré dans une réaction appelée désamination, fois plus d'énergie qu'un gramme de glucose. On
qui se produit majoritairement dans le foie. Les retiendra donc que la valeur énergétique (quantité
chaînes carbonées restantes sont ensuite fournies à d'énergie finalement extraite et utilisable par l'or-
la glycolyse ou au cycle de Krebs, qui en extraient ganisme) est de 9 kcal pour un gramme de lipide,
les électrons et les utilisent pour produire de contre 4 kcal pour un gramme de glucose. C'est
l'ATP. la raison pour laquelle les graisses constituent une
Les triglycérides alimentaires sont scindés en forme de stockage énergétique pour de nombreux
acides gras et glycérol (lors de la digestion). Les animaux (dont l'homme). Si cette énergie était
acides gras à longues chaînes comportent typique- emmagasinée sous forme de glucides, comme c'est
ment un nombre pair de carbones et leurs nom- le cas habituel chez les plantes, l'homme (sain)
breuses liaisons C-H rendent possible l'obtention devrait être beaucoup plus gros.
d'une grande quantité d'énergie. Les acides gras
sont oxydés dans la matrice mitochondriale, où des
enzymes libèrent leurs deux carbones terminaux
sous forme d'acétyl-CoA, l'opération se répétant
Le mix énergétique :
jusqu'à conversion de tout l'acide gras en molé- oxydation du glucose
cules d'acétyl-CoA. Cette séquence de réactions ou des acides gras ?
porte le nom de β-oxydation. L'opération dépend
du dioxygène, ce qui explique pourquoi l'exercice Durant l'absorption d'un repas, le glucose d'origine
aérobie « brûle » les graisses, contrairement à l'exer- exogène (apporté par l'alimentation) est la source
cice anaérobie. Combien de molécules d'ATP vont principale d'énergie. Seulement une petite fraction
être produites lors du catabolisme des acides gras ? des acides aminés et des graisses absorbées est uti-
Cela dépend bien sûr de la longueur de l'acide lisée pour produire de l'énergie, et l'autre fraction
gras. À titre de comparaison avec la molécule de sert à la synthèse respectivement des protéines
60 Physiopathologie du diabète

corporelles et des graisses de structure et de générale. Ce lactate peut être capté par le foie qui
stockage. a la capacité de le reconvertir en glucose (c'est ce
En période interprandiale (ou postabsorptive), qu'on appelle le cycle de Cori). Le lactate donc,
donc en l'absence d'apport exogène de glucose, avec les 80 g d'acides aminés provenant de la
la priorité physiologique est d'éviter que la gly- protéolyse musculaire et les 15 g de glycérol pro-
cémie ne baisse pas trop. Pour fixer les idées, lors duit lors de la lipolyse sert comme substrat de la
d'un jeûne de courte durée (1 à 5 jours), la gly- néoglucogenèse (figure 3.9). Enfin environ 80 g
cémie peut chuter jusqu'à 0,7 g/l. La stratégie d'acides gras sont libérés à partir du tissu adipeux
adaptative va être de produire de façon endogène blanc dans la circulation via la lipolyse ; les deux
du glucose (glycogénolyse + néoglucogenèse), de tiers servent de substrats oxydatifs principalement
limiter la consommation tissulaire de glucose, et aux muscles, le tiers restant entrant dans la voie de
de mobiliser les réserves (lipolyse) en substituant la cétogenèse.
à l'oxydation du glucose, l'oxydation de substrats
de remplacement devenus disponibles en grande
quantité (acides gras, corps cétoniques) [6].
Tous les substrats participent alors à la produc-
Comment fonctionne
tion d'énergie : les acides gras du tissu adipeux, les la flexibilité énergétique ?
acides aminés musculaires et le glucose provenant
du foie. Ce dernier fournit, principalement via la À mesure que l'on s'éloigne du repas, la glycémie
néoglucogenèse, environ 140 g de glucose dont faiblit modérément, la concentration ­plasmatique
100 sont utilisés par le cerveau et les 40 restants en acides gras et en corps cétoniques s'élève,
par les autres tissus qui ne peuvent utiliser que la l'insulinémie chute nettement et la glucagonémie
glycolyse pour obtenir de l'énergie, c'est-à-dire les augmente. Les acides gras deviennent le carburant
cellules sanguines, la peau, la médulla rénale. Dans privilégié par les muscles et le foie. Le glucose reste
ces tissus, le pyruvate produit par la glycolyse est le carburant traditionnel du cerveau et des autres
converti en lactate qui est remis dans la circulation tissus insulino-indépendants, ce qui implique la

CC AGL G I GC
GLUT2 IR GCR
4
5 CC G
AGL (Acyl) G6 pase GK
G6P PI3K PKA
AKT
Fructose 6P
8 7 1 2 3 Acyl-CoA
F1,6 di Pase PFK
F1,6 diP

CPTA OAA TriosesPhosphates Glycérol


PEPCK
Acyl.CoA OAA PEP
PC PK
CC Acétyl.CoA Pyt Pyruvate Lactate
6 AcAm (Ala)
TCA

Figure 3.9. Le foie en période interprandiale.


Mécanismes d'activation de la β-oxydation (7), de la cétogenèse (8), de la glycogénolyse (5), de la néoglucogenèse (2)
induits par la baisse de l'insulinémie et l'augmentation de la glucagonémie. Dans les mêmes conditions, la synthèse du
glycogène (4), la glycolyse (3), l'oxydation du pyruvate (6) et la lipogenèse (1) sont freinées.
I : insuline ; IR : récepteur de l'insuline ; GC : glucagon ; GCR : récepteur du glucagon ; AGL : acides gras libres ; CPT1 :
carnitine palmitoyl transférase 1 ; TCA : cycle des acides tricarboxyliques (cycle de Krebs) ; CC : corps cétoniques ; PC :
pyruvate carboxylase ; PEPCK : phosphoénolpyruvate carboxykinase ; PEP : phosphoénolpyruvate ; F1,6diPase : fructose-
1,6-diphosphatase ; G6P : glucose-6-phosphate ; G6Pase : glucose-6-phosphatase.
Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 61

mise en route d'une production endogène de glu- Dans le cas du foie, lorsque l'afflux d'acides gras
cose. Comment explique-t-on ces adaptations ? est tel que la capacité de β-oxydation dans le cycle
Les acides gras plasmatiques proviennent des de Krebs est saturée, l'acétyl-CoA sert en plus à la
triglycérides stockés dans le tissu adipeux blanc synthèse de corps cétoniques. La mise en route de
qui, une fois hydrolysés, vont fournir des acides la cétogenèse hépatique aboutit alors à la forma-
gras et du glycérol. La dégradation des triglycé- tion d'acide acétoacétique et de β-hydroxybutyrate
rides est catalysée par la TGL (triglycéride lipase), qui sont exportés par le foie. Ce dernier ne peut
encore appelée HSL (lipase hormonosensible ou en effet utiliser in situ les corps cétoniques pro-
Hormone Sensitive Lipase), enzyme hormonosen- duits. Ces composés qui se retrouvent dans la
sible dont l'activation passe par une phosphoryla- circulation générale peuvent par contre servir de
tion AMPc-dépendante catalysée par une protéine substrats oxydatifs pour de nombreux tissus et en
kinase A. Les catécholamines (adrénaline, nora- particulier le cerveau.
drénaline) via les récepteurs α-adrénergiques C'est encore sur le foie que repose la production
adipocytaires provoquent une phosphorylation endogène du glucose nécessaire dans les périodes
de l'enzyme et agissent donc comme agent lipo- interprandiales (figure 3.9). Il est en effet le seul
lytique. L'insuline inhibe l'activité HSL en indui- organe (avec le rein) à posséder l'équipement
sant sa déphosphorylation [19]. enzymatique complet permettant l'hydrolyse du
Les acides gras mis dans la circulation générale glucose-6-phosphate en glucose et la libération
seront dirigés vers les tissus utilisateurs au sein de ce dernier dans la circulation sanguine. En
desquels ils seront oxydés (β-oxydation) : princi- période interprandiale, la production de glucose
palement les muscles squelettiques, le myocarde, est assurée par la dégradation du glycogène (gly-
le foie et dans une moindre proportion le rein. cogénolyse par activation de la glycogène synthase
Dans ces tissus, les acides gras captés puis trans- phosphorylase et inhibition de la glycogène syn-
formés en acyl-CoA peuvent alors entrer dans la thase), assistée puis progressivement relayée par
mitochondrie, y être transformés en acétyl-CoA la voie de la néoglucogenèse lorsque la période
par la voie de la β-oxydation et enfin être oxydés interprandiale se prolonge.
pour fournir de l'énergie. Dans la mesure où les Après quarante-huit heures de jeûne, lorsque
mécanismes oxydatifs sont intra-mitochondriaux les réserves de glycogène hépatique ont été épui-
et où la membrane mitochondriale est imper- sées, la néoglucogenèse représente alors la seule
méable aux dérivés CoA des acides gras, un sys- source de glucose. Cette synthèse de novo de glu-
tème de transfert est nécessaire pour l'entrée des cose se fait à partir de différents substrats : cer-
acyl-CoA dans la mitochondrie. Ce système est tains acides aminés, lactate, glycérol. La régulation
assuré par la CPT (carnitine palmitoyl transfé- de la néoglucogenèse repose sur la disponibilité
rase). L'oxydation des acides gras est particuliè- de ces substrats et l'environnement hormonal.
rement contrôlée à ce niveau. Dans le cas du foie La source majeure de glucose sanguin lors d'un
par exemple, la CPT est inhibée lorsque la lipoge- jeûne de durée moyenne provient des protéines.
nèse est très active (en situation prandiale, donc C'est la réduction de la concentration d'insuline
en situation d'hyperinsulinisme et d'activation du plasmatique qui provoque une augmentation de
récepteur de l'insuline). En situation interpran- la protéolyse musculaire et la mobilisation des
diale, lorsque la lipogenèse chute (et que le gluca- acides aminés. Il y a en effet, dans les muscles et
gon augmente), l'inhibition de la CPT est levée, dans une moindre mesure dans d'autres tissus,
les acyl-CoA rentrent dans la mitochondrie et y une quantité de protéines relativement impor-
sont oxydés. tante qui n'est pas absolument indispensable
La β-oxydation des acides gras permet donc aux aux fonctions cellulaires. Les stocks de protéines
muscles de fonctionner avec un carburant de subs- mobilisables sont estimés à environ 2 kg. Cette
titution au glucose. De ce fait, les muscles repré- fraction de protéines peut donc être catabolisée
sentent le principal site d'épargne du glucose dans sans entraîner de dysfonctionnements cellulaires
les périodes interprandiales et le jeûne. sérieux. Cette protéolyse peut fournir jusqu'à
62 Physiopathologie du diabète

80 g/24 heures d'acides aminés qui vont, via la


néoglucogenèse, être transformés en glucose par
Comment agit
le foie. On constate que l'alanine et la glutamine l'insuline sur les tissus
représentent une part considérable des acides
aminés produits par les muscles alors que la com-
insulinodépendants ?
position des protéines musculaires n'est pas parti-
culièrement enrichie en ces deux acides aminés. Il L'insuline, chef d'orchestre
existe en fait une synthèse de novo d'alanine et de
glutamine dans le muscle. Leur squelette carboné
du métabolisme énergétique
peut provenir soit des carbones du glucose soit des
carbones d'autres acides aminés. Les groupements À distance d'un repas, la valeur de la glycémie
aminés de l'alanine et de la glutamine proviennent résulte de l'équilibre entre la production hépa-
de la transamination des acides aminés ramifiés tique de glucose et son utilisation cellulaire par les
(leucine, isoleucine, valine) qui ont la particula- principaux tissus dits insulinodépendants (muscles
rité d'être métabolisés dans le muscle et non dans squelettiques, foie, tissu adipeux) et par les tissus
le foie. Transportée dans le plasma et les cellules dits insulino-indépendants (cerveau, rein). Cet
sanguines, l'alanine libérée par les muscles va au équilibre est étroitement contrôlé par les hor-
foie où elle est désaminée en pyruvate, lui-même mones pancréatiques, insuline essentiellement,
substrat de la néoglucogenèse. Il existe donc tout et glucagon. Ainsi, chez l'individu normal, lors
comme le cycle lactate-glucose (cycle de Cori) un de l'adaptation à une augmentation de la glycé-
cycle alanine-glucose. La stimulation du captage mie (repas par exemple), c'est l'augmentation de
hépatique de l'alanine est un des mécanismes par l'insulinémie (et le maintien a minima de la glu-
lesquels le glucagon augmente la néoglucogenèse. cagonémie) qui stimule l'entrée (le transport) du
La glutamine est pour sa part captée par le rein glucose dans les tissus périphériques et freine la
et l'intestin. Dans ce dernier, elle est transformée glycogénolyse et la néoglucogenèse hépatiques.
en alanine qui pourra alors être utilisée par le foie Outre ses effets sur la régulation glycémique,
pour produire du glucose. l'insuline module toute une série d'événements
Le glycérol est fourni par la lipolyse adipocy- cellulaires tels que le transport transmembranaire
taire. Les acides gras qui sont également mobi- d'acides aminés et de certains ions, la lipogenèse
lisés au même moment ne sont pas utilisables et la lipolyse, la synthèse et la dégradation du
directement comme substrats néoglucogéniques. glycogène, la transcription de certains gènes, le
Par contre, ils fournissent par leur oxydation renouvellement de certains ARNm, la protéosyn-
intrahépatique l'énergie nécessaire à la néoglu- thèse et la protéolyse, la synthèse de l'ADN.
cogenèse qui est une voie métabolique coû- On distingue, en fonction de leur cinétique
teuse en énergie. L'hyperglucagonémie favorise d'apparition, trois types d'effets physiologiques
directement la néoglucogenèse via l'AMPc par de l'insuline. Les effets dits rapides surviennent
des mécanismes de régulation allostérique et/ quelques secondes après l'exposition de la cellule
ou de phosphorylation/déphosphorylation de cible à l'hormone : c'est le cas de l'activation des
certaines enzymes au niveau des cycles glucose/ systèmes de transport du glucose, d'acides ami-
glucose-6-phosphate, fructose-6-phosphate/ nés ou d'ions, ou des modifications covalentes
fructose-1,6-bisphosphate et pyruvate/phos- d'enzymes induites par des modifications de leur
phoénolpyruvate. Il existe également une régula- phosphorylation. Les effets dits intermédiaires
tion de la synthèse de certaines enzymes et donc correspondent à la modulation de l'activité de cer-
de leur quantité. Cela a particulièrement bien été tains gènes et à des modifications de la quantité de
étudié pour la PEPCK (phosphoénolpyruvate certaines protéines : par exemple, l'inactivation de
carboxykinase) dont la transcription du gène est l'enzyme qui contrôle la vitesse de fonctionnement
activée par le glucagon et inhibée par l'insuline de la néoglucogenèse hépatique (la PEPCK, phos-
(figure 3.9). phoénolpyruvate carboxykinase) peut être détec-
Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 63

tée cinq à soixante minutes après l'exposition de ligands hydrophiles (c'est le cas de l'insuline) qui
la cellule hépatique à l'insuline. Les effets à long ne traversent pas facilement la membrane. Les
terme apparaissent après plusieurs heures, voire récepteurs de membrane sont des protéines trans-
plusieurs jours, et correspondent à une activation membranaires en contact aussi bien avec le milieu
par l'insuline de la synthèse d'ADN, de la synthèse extérieur qu'avec le cytoplasme. Le ligand ne tra-
protéique, et de la prolifération et de la différen- versera jamais la membrane. C'est le récepteur
ciation cellulaires (effet type facteur de croissance). lui-même, et non la molécule de signalisation, qui
transfère l'information à l'intérieur de la cellule.
L'interaction entre ligand et récepteur est un
exemple de reconnaissance moléculaire, proces-
Le signal insuline sus par lequel une molécule s'ajuste sur l'autre en
et sa transduction raison de la complémentarité de leurs formes. De
cette interaction résulte un changement subtil de
L'insuline est une molécule de signalisation qui, la structure du récepteur qui induit son activation.
après sa sécrétion par les cellules bêta du pancréas, C'est le point de départ de la voie de transduc-
circule dans le fluide extracellulaire, atteint le sys- tion du signal. De nombreux récepteurs de surface
tème circulatoire général et est ainsi entraînée dans fonctionnent en tant qu'enzymes ou sont directe-
l'ensemble de l'organisme. L'insuline fait partie de ment liés à des enzymes. C'est la fixation du ligand
ces molécules de signalisation à durée de vie relati- sur le récepteur qui active l'enzyme ; dans la plu-
vement longue et qui peuvent affecter des cellules part des cas, celui-ci est une protéine kinase. C'est
très distantes de la cellule émettrice et qui sont appe- typiquement le cas du récepteur de l'insuline.
lées hormones. Les événements qui se produisent Le concept du récepteur de l'insuline présent
dans la cellule cible dès la réception du signal insu- sur la membrane de la cellule cible est issu du tra-
line sont dénommés transduction du signal. Nos vail mené par le groupe de Jesse Roth et Ronald
connaissances sur ces voies de transduction ont Kahn à Bethesda, États-Unis, et qui avait montré
explosé ces dernières années ; elles révèlent un très en 1971 que l'insuline pouvait se fixer spécifi-
haut niveau de complexité qui explique entre autres quement in vitro sur des membranes plasmiques
que, dans certains cas, différents types de cellules isolées à partir d'hépatocytes [3, 22–24]. La pro-
répondent de la même façon à des signaux diffé- téine qui a la fonction de récepteur sera isolée
rents et que, dans d'autres cas, différents types de en 1972 par Pedro Cuatrecasas à San Diego,
cellules répondent différemment à un même signal. États-Unis. Quant au mécanisme de signalisa-
Pour être capable de réagir à une molécule de signa- tion déclenché par la liaison de l'insuline à son
lisation donnée, la cellule doit posséder un récep- récepteur, son histoire commence avec les tra-
teur spécifique pour cette molécule (qui devient un vaux de Masato Kasuga et Ronald Kahn en 1982,
ligand du récepteur). L'interaction entre ligand et qui eurent l'idée d'utiliser des anticorps isolés
récepteur est un exemple de reconnaissance molé- de patients atteints d'un syndrome rare auto-
culaire, processus par lequel une molécule s'ajuste immun de résistance à l'insuline, pour isoler (par
sur l'autre en raison de la complémentarité de leurs immunoprécipitation) le récepteur de l'insuline.
formes. De cette interaction résulte un changement Cet outil leur permit en effet de démontrer que
subtil de la structure du récepteur qui induit son le récepteur devient phosphorylé sur les résidus
activation. C'est le point de départ de la voie de de tyrosine en réponse à la liaison à l'insuline.
transduction du signal. C'était une découverte inattendue à l'époque,
La nature des molécules réceptrices dépend car la phosphorylation de la tyrosine était alors
de leur localisation et du ligand qu'elles fixent. considérée comme une propriété exclusive des
Les ligands hydrophobes, capables de traverser oncogènes. Il fallut attendre le clonage du gène
facilement la membrane plasmique, se fixent à du récepteur de l'insuline et son séquençage en
des récepteurs intracellulaires. Les récepteurs de 1985, pour que la notion de phosphorylation
surface, ou récepteurs de membrane, fixent des de la t­yrosine comme base de la signalisation
64 Physiopathologie du diabète

NOUS AVONS MAINTENANT


UNE REPRÉSENTATION
COMPLÈTE DE L'ENSEMBLE
INSULINE / RECEPTEUR

CHUCK
08

Figure 3.10. Mode d'action de l'insuline vu par Chuck (Pierre De Meyts).


D'après De Meyts P. Insulin and its receptor : structure, function and evolution. Bioessays 2004 ;26(12):1351-62.

de l'insuline soit finalement totalement adop- initiale était convertie en sérine/thréonine phos-
tée (figure 3.10). Dès lors, la curiosité des cher- phorylation, puisque la plupart des actions de
cheurs s'est tournée vers l'identification des voies l'insuline nécessitent la phosphorylation de rési-
intracellulaires médiant les diverses actions du dus de sérine/thréonine sur les diverses protéines
récepteur [9, 11–13, 22–25]. effectrices distales. Les effecteurs distaux les plus
importants étant GLUT4 (transport du glucose),
GSK3 (synthèse de glycogène), mTOR (lipoge-
Le décryptage de nèse, synthèse protéique) et FOXO (expression
l'internet intracellulaire génique). Bien sûr, l'insuline a des effets multiples
insulinodépendant et complexes sur le métabolisme, la croissance et
la différenciation cellulaire. Pratiquement toutes
Le réseau insulino-activable les cellules de mammifères possèdent des récep-
teurs de l'insuline et répondent donc à l'insuline.
En 1991, Morris White et Ronald Kahn ont cloné Les principaux tissus ciblés, on l'a déjà vu, sont les
la première des quatre protéines IRS (Insulin muscles où l'insuline favorise l'absorption du glu-
Receptor Substrate). Les IRS se révélèrent être cose et la synthèse des protéines, le tissu adipeux
des protéines adaptatrices dont le rôle principal où l'insuline favorise l'absorption du glucose et des
est de convertir le signal de tyrosine-phospho- acides gras et inhibe la lipolyse, le foie où l'insuline
rylation en un signal de type lipide-kinase, en favorise l'utilisation du glucose et la synthèse de
recrutant et activant la sous-unité catalytique de triglycérides et freine la production de glucose, et
l'enzyme PI3K. PI3K active alors la production les neurones où elle favorise la réponse anorexi-
de PIP3 (phosphatidylinositol-3,4,5-triphosphate) gène. Les autres cibles significatives de l'insuline
à partir des phospholipides membranaires, et ce sont les macrophages et les cellules endothéliales.
PIP3 active la kinase AKT. L'identification d'AKT On retiendra aussi que certains des médiateurs clés
en tant que sérine/thréonine kinase activable comme PI3K et AKT sont aussi modulés par des
par l'insuline, apportait la réponse à la question signaux intracellulaires émanant d'autres récep-
de savoir comment la tyrosine phosphorylation teurs de facteur de croissance (figure 3.11).
Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 65

IR

PIP3

IRS PI3K PDK

AKT

FOXO TSC2 GSK3B TBC1D4

mTORC1

SREBP1C S6K Captage glucose

Production
glucose Synthèse glycogène

Synthèse lipides Synthèse protéines

Figure 3.11. Activation de la signalisation de l'insuline.


Après la liaison à l'insuline (I), la tyrosine kinase du récepteur de l'insuline (IR) est activée, provoquant la phosphorylation
de tyrosines appartenant aux deux sous-unités bêta de l'IR et aux IRS. Les sites phosphotyrosines des IRS permettent la
liaison à la lipide kinase PI3K, qui synthétise des phosphoinositides de type PIP3 (phosphatidylinositol -3,4,5-triphosphate)
au niveau de la membrane plasmique. Cela recrute PDK (Phosphoinositide-Dependent Kinase) qui phosphoryle directement
un résidu thréonine de l'AKT. Un autre type de phosphorylation d'AKT (au niveau d'un résidu sérine) est possible grâce à
mTORC2 (complexe protéique mTOR2) (non représenté sur la figure).
Quand AKT est activée, elle peut phosphoryler de nombreux substrats au niveau de certains de leurs résidus sérine/
thréonine. Il s'agit notamment des facteurs de transcription de la famille FOXO (Forkhead Family Box O), de TSC2 (Protein
Tuberous Sclerosis 2) qui permet l'activation de mTORC1 et de ses cibles en aval S6K (protéine ribosomale S6 kinase)
et SREBP1c (Sterol Regulatory Element-Binding Protein 1c), de GSK3β (glycogène synthase kinase 3β) et de TBC1D4
(RabGAP TBC1 Domain Family Member 4). Ces protéines effectrices médient les effets de l'insuline sur la production, le
captage et l'utilisation du glucose, ainsi que sur la synthèse du glycogène, des protéines et des lipides.

Le réseau insulino-activable est exposé L'insuline, elle-même, est sans doute le plus
à de nombreuses influences négatives important régulateur négatif de sa propre signa-
Il ne nous aura pas échappé que chaque étape de la lisation. Comme tous les récepteurs de type RTK,
cascade de signalisation de l'insuline est une réac- l'IR subit une internalisation consécutive à la
tion enzymatique réversible. Comme il existe un fixation de l'insuline, suivie d'une dégradation
vaste répertoire de sérine/thréonine kinases régu- lysosomale (ou d'un recyclage à la surface de la
lées par l'insuline, il existe ainsi un groupe encore cellule). Ainsi, à mesure que les concentrations
plus important de phosphatases capables de sup- extracellulaires d'insuline augmentent, la régula-
primer les actions de l'insuline activées par les tion négative du nombre de récepteurs à la surface
kinases. Voici un aperçu de la diversité des méca- cellulaire diminue l'efficacité de la signalisation
nismes antagonistes dont la finalité est de limiter insulinique, et contribue à son extinction. C'est
l'effet biologique de l'insuline (figure 3.12). la base moléculaire de l'observation commune
66 Physiopathologie du diabète

IR

PKC PIP3

SOCS IRS PI3K PDK


PTEN SHiP2
PTP1B
PP2A
AKT

iKKB JNK S6K mTOR FOXO TSC2 GSK3 TBC1D4

mTOR

SREBP1C S6K

Figure 3.12. La signalisation de l'insuline est désactivable par de nombreux mécanismes.


Ces mécanismes peuvent être les suivants :
• internalisation et dégradation du récepteur de l'insuline (IR) induites par le ligand (non illustrées dans ce schéma) ;
• phosphorylation inhibitrice des IRS (par des kinases telles que IKKβ, JNK, S6K et mTOR) ;
• raréfaction membranaire en PtdIns(3,4,5)P3 (PIP3) induites par les lipides phosphatases (PTEN et SHIP2) ;
• élimination des sites tyrosine phosphorylés par des protéines phosphatases (PTP1B) ;
• élimination des sites sérine/thréonine phosphorylés par des protéines phosphatases (PP2A) ;
• inhibition par des substrats alternatifs de l'activité kinase de l'IR (protéines SOCS).

que la résistance à l'insuline est souvent associée à exemple de blocage du signal au niveau de l'IR est
une hyperinsulinémie. Cependant, comme ce phé- celui de la lipotoxicité. La PKCε qui est une kinase
nomène est strictement dépendant de l'insuliné- activable par le DAG phosphoryle une thréo-
mie, il est rapidement inversé lorsque la valeur de nine particulière (Thr1160) de l'IR, et ce faisant,
l'insulinémie chute, notamment en période inter- freine l'autophosphorylation de l'IR. Outre le
prandiale et lors du jeûne chez l'homme. DAG, l'accumulation de céramide stimule l'acti-
Certaines phosphorylations sont inhibitrices vité d'une autre PKC, la PKCζ. Cela modifie la
pour la signalisation insulinique (figure 3.12). En localisation membranaire de l'AKT et diminue son
règle générale, la phosphorylation sur tyrosine activité.
active et la phosphorylation sur sérine/thréonine Certaines lipides phosphatases sont inhibitrices
inactive l'IR et l'IRS. pour la signalisation insulinique (figure 3.12). La
Un exemple de voie conduisant à la phospho- concentration membranaire du second messager
rylation inhibitrice est celui des cytokines inflam- lipidique PtdIns(3,4,5)P3 est contrôlée non seule-
matoires. Cette voie peut être déclenchée par ment au niveau de la synthèse par PI3K, mais aussi
l'infiltration de macrophages dans le tissu adipeux au niveau de la dégradation et de la localisation.
pendant l'obésité (voir Chapitre 4 – Diabète de Deux phosphatases lipidiques sont connues pour
type 2. Des pannes multiples). Ces macrophages déphosphoryler PtdIns(3,4,5)P3 et ainsi atténuer
sécrètent des cytokines pro-inflammatoires, dont la signalisation de l'insuline en aval : PTEN et
le TNFα, IL1β et IL6, qui agissent de manière SHIP2 (Src homology 2 (SH2)-containing ino-
paracrine pour activer des sérine kinases dans les sitol 5ʹ-phosphatase 2). PTEN est une 3′-phos-
adipocytes, telles que IKKβ (IκB kinase β), JNK phatase qui convertit PtdIns(3,4,5)P3 en son
(Kinase c-Jun N-terminale), S6K et mTOR. Ces précurseur, PtdIns(4,5)P2, et arrête ainsi la signa-
kinases exercent des fonctions inhibitrices en phos- lisation insulinique. SHIP2 est une 5′-phospha-
phorylant IRS1, provoquant ainsi une résistance tase qui convertit PtdIns(3,4,5)P3 en PtdIns(3,4)
des adipocytes à l'action de l'insuline. Un autre P2, et arrête la signalisation insulinique.
Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 67

Certaines protéines phosphatases sont inhibi- pothétique sécrétion interne pancréatique, que
trices pour la signalisation insulinique (figure 3.12). l'Américain John Homans situe en 1913 dans les
La découverte de l'activité kinase de l'IR et de cellules bêta. En 1959, Paul Lacy à Saint-Louis,
l'IRS a déclenché une recherche de tyrosine phos- États-Unis, utilise pour la première fois l'immu-
phatases qui terminent leur activation. PTP1B nohistochimie et montre que l'insuline est pro-
(protéine tyrosine phosphatase 1B) régule négati- duite par les cellules bêta. Arthur Like en 1967
vement la signalisation de l'insuline en déphospho- utilise la microscopie électronique pour aborder
rylant des résidus de tyrosine sur les protéines IR l'ultrastructure de la cellule bêta.
et IRS. PP2A (protéine phosphatase 2A) est une En 1923, Charles Kimball et John Murlin à
autre sérine/thréonine phosphatase qui déphos- Rochester, États-Unis, montrent que le pan-
phoryle AKT. créas produit une hormone, différente de l'insu-
Les protéines SOCS constituent une autre classe line, puisqu'elle exerce un effet hyperglycémiant.
de protéines inhibitrices de l'IR. Quatre membres Cette hormone sera appelée glucagon dans
de cette famille (SOCS1, SOCS3, SOCS6 et les années 1950. Il a fallu attendre 1962 pour
SOCS7) atténuent la signalisation insulinique en connaître le lieu de production du glucagon : Bo
se comportant comme des substrats alternatifs. Hellman à Uppsala, Suède, montre en utilisant
Il existe deux mécanismes pour cette inhibition : une technique de coloration à l'argent que les
fixation d'une SOCS au site tyrosine phosphorylé cellules A décrites par Lane sont en fait de deux
de l'IR et recrutement par une SOCS d'une ubi- types, appelés A1 et A2. L'immunohistochimie
quitine ligase qui engage les protéines IRS vers permettra ensuite de prouver que les cellules A2
leur dégradation. sont les cellules alpha produisant le glucagon, et
que les cellules A1 (aussi appelées cellules D) sont
des cellules produisant une troisième hormone, la
somatostatine. Une quatrième hormone, appelée
PP (polypeptide pancréatique), sera découverte
Indispensables cellules en 1968 au sein des îlots. Une cinquième catégo-
bêta rie de cellules insulaires sera découverte au début
des années 2000 : elles produisent la ghréline.
La séquence des acides aminés constitutifs de la
L'anatomiste allemand Paul Langerhans décrivit molécule d'insuline sera découverte en 1955 par
pour la première fois en 1869 les « îles de cel- Frederick Sanger (figure 3.13), et sa structure tri-
lules claires » réparties dans tout le pancréas, mais dimensionnelle en 1969 par Dorothy Hodgkin,
perdues dans un océan de cellules dites exocrines tous les deux à Cambridge, Grande-Bretagne
(cellules acinaires et cellules canalaires, dont la (figure 3.14).
fonction est de fabriquer et sécréter les enzymes Pour ces deux découvertes, les auteurs reçurent
nécessaires à la digestion dans le duodénum). le prix Nobel. La synthèse artificielle complète de
Mais il ne s'était pas rendu compte de la signifi- l'insuline à partir de ses acides aminés fut réali-
cation physiologique de ces amas particuliers de sée par Ying-Lai Wang à Shanghai en 1965. Le
cellules, aujourd'hui connus sous le nom d'îlots précurseur naturel de l'insuline, la proinsuline, fut
de Langerhans. isolé en 1967 par Donald Steiner à Chicago [26]
Dès 1907, le Britannique William Lane (1856– (figure 3.15).
1943) est le premier à suggérer qu'il existe une Le premier dosage biologique de l'insuline
diversité certaine dans les cellules constituant les repose sur la mesure de la capacité de l'insuline
îlots de Langerhans. Il décrit les types cellulaires à faire baisser l'hyperglycémie chez le rat rendu
alpha (ou A) et bêta (ou B) : les cellules bêta ont diabétique par l'alloxane (un toxique détruisant
des granules basophiles, qui ne sont pas retrouvés les cellules bêta). Il fut mis au point en 1950 par
dans les cellules alpha. En 1909, Jean De Meyer, Joseph Bornstein et Robert Lawrence à Londres.
à Bruxelles, propose de nommer « insuline » l'hy- La procédure peu sensible et peu reproductible
68 Physiopathologie du diabète

devient obsolète avec la mise au point en 1956


d'une méthode qui mesure, pour la première fois
et directement, la concentration d'insuline dans le
sang. Cette méthode va révolutionner l'endocri-
nologie de façon générale, en rendant désormais
possible la mesure des hormones dans les compar-
timents biologiques (sang, tissus). Rosalyn Yalow
et Salomon Berson à New York avaient en effet
découvert que l'insuline était antigénique et pou-
vait générer des anticorps spécifiques. Ils exploi-
tèrent donc la capacité de l'insuline à se fixer à
des anticorps anti-insuline pour mettre au point
une méthode de dosage dite radio-immunolo-
Figure 3.13. Frederick Sanger (1918–2013). gique (RIA, pour radioimmunoassay), spécifique
de l'insuline et ultrasensible [27]. Rosalyn Yalow
(figure 3.16) reçut le prix Nobel de médecine en
1977.
Cette méthode dite à l'époque radio-immu-
nologique (appelée maintenant immunodosage)
fut appliquée ensuite aux hormones autres que
l'insuline. Elle permit pour la première fois de
suivre les variations de la concentration sanguine
des hormones et révolutionna l'endocrinologie en
général.
Elle permit à Berson et Yalow en particu-
lier de montrer que la plupart des diabétiques
diagnostiqués à l'époque (on est dans les
­
années 1960) avaient des insulinémies non négli-
geables et p­roduisaient donc de l'insuline. Ceci
allait donc à l'encontre du dogme de l'époque,
et ce fut un des arguments forts qui conduisirent
Figure 3.14. Dorothy Hodgkin (1910–1994). à l'idée que le diabète n'était pas une maladie

Figure 3.15. Donald Steiner (1930–2014). Figure 3.16. Rosalyn Yalow (1921–2011).
Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 69

unique, mais qu'il fallait distinguer ce que l'on a les îlots humains adultes). Les autres types insulaires
alors appelé diabète insulinodépendant et diabète sont les cellules alpha exprimant le glucagon, les cel-
non insulinodépendant. La séquence du gène lules delta exprimant la somatostatine, et des cellules
humain codant pour l'insuline (en réalité, pour son en nombre très restreint comme les cellules à poly-
précurseur la proinsuline) fut décrite en premier peptide pancréatique, à ghréline ou à peptide YY.
par Graeme Bell en 1970 à Chicago, États-Unis. Les îlots sont hautement vascularisés et
reçoivent jusqu'à 15 % de l'apport sanguin pan-
créatique. Chaque îlot reçoit un lit capillaire qui
Une société de cellules bêta pénètre jusqu'à son cœur, et une innervation par
des fibres sympathiques et parasympathiques dont
On sait maintenant que les îlots constituent le les terminaisons libèrent des neurotransmetteurs
compartiment endocrinien du pancréas qui repré- (dont l'acétylcholine et la noradrénaline) au voi-
sente au mieux 2 % du volume total du pancréas sinage immédiat des cellules insulaires [28–32]
(figure 3.17). Les îlots sont approximativement (figure 3.18).
sphériques avec un diamètre moyen de 100 à L'ensemble des cellules de chaque îlot fonc-
200 μm, et un pancréas humain sain peut conte- tionnent de façon intégrée, à la façon d'un micro-
nir jusqu'à 1 000 000 d'îlots, chacun de ces der- organe très élaboré (syncytium). Il existe en effet
niers ayant sa propre anatomie complexe, son des interactions fonctionnelles entre les différents
apport sanguin et son innervation. Un îlot typique types de cellules insulaires :
humain comprend 1 000 cellules endocrines parmi • le produit de sécrétion d'un type cellulaire
lesquelles les cellules bêta synthétisant et sécrétant donné peut influencer la fonction d'un autre
l'insuline sont majoritaires (60 % des cellules dans type cellulaire ;

CAPILLAIRE
SANGUIN

CELLULE CELLULE CELLULE CELLULE


CANALAIRE ACINAIRE BÊTA ALPHA

Figure 3.17. Le pancréas exocrine représente au moins 95 % du tissu pancréatique total et est composé de cellules
acineuses qui produisent des enzymes digestives, telles que la trypsine et l'amylase, et un réseau de cellules canalaires
qui transportent ces enzymes jusqu'à l'intestin. Les îlots endocrines comportent deux types majoritaires de cellules :
les cellules β sécrétant de l'insuline et les cellules α sécrétant du glucagon. Chez les rongeurs, les cellules à insuline
constituent une masse homogène au cœur de l'îlot, masse qui est enveloppée par un cortex de cellules à glucagon et à
somatostatine. Chez l'homme, les deux types cellulaires sont beaucoup plus mélangés.
70 Physiopathologie du diabète

• des jonctions membranaires ont été décrites


entre cellules endocrines homologues et
hétérologues ;
NTS
• au sein même de l'ensemble des cellules bêta,
DMNX
des sous-populations fonctionnellement diffé-
rentes ont été identifiées, en particulier pour
ce qui concerne leur réactivité au glucose.

Pa 
L'ensemble de ces propriétés, qui commencent

 a
ra
ME NG

r
Pa
à être répertoriées, contribuent à faire des cel-
 lules bêta en particulier, un système remarqua-
CG blement équipé pour régler à chaque instant le
SMG  
niveau d'utilisation des substrats énergétiques
DRG GCg INS circulants et, au premier chef, du glucose. Une
augmentation du débit de sécrétion de l'insu-
line est en effet le seul moyen dont l'organisme
IPG
dispose pour lutter contre l'hyperglycémie,
îlot alors qu'il existe plusieurs facteurs nerveux
Figure 3.18. Innervation sensorielle et autonome des ou hormonaux dits contre-régulateurs (gluca-
îlots pancréatiques. gon, adrénaline, cortisol, hormone de crois-
Chaque îlot est le siège d'une innervation efférente
(lignes pleines) des deux branches sympathique et
sance), dont la libération est déclenchée par
parasympathique du système nerveux autonome, ainsi que l'hypoglycémie.
d'une innervation afférente sensorielle (lignes pointillées).
Émergeant de la corne latérale de la ME (moelle épinière),
les corps cellulaires des fibres efférentes sympathiques
sont positionnés dans les CG (ganglions cœliaques)
La synthèse et le
et les SMG (ganglions mésentériques supérieurs). stockage de l'insuline
Ces fibres pénètrent dans l'îlot le long des vaisseaux
sanguins et libèrent de la noradrénaline au niveau de leurs
terminaisons. La noradrénaline stimule la sécrétion de La molécule d'insuline est un polypeptide de
glucagon (GCg) en se liant aux récepteurs β-adrénergiques taille modeste d'un poids moléculaire de 6 kDa.
sur les cellules alpha, et inhibe la sécrétion de l'insuline C'est un hétérodimère constitué de deux chaînes
(INS) par activation des récepteurs α2-adrénergiques
des cellules bêta. Les fibres sympathiques afférentes ont
polypeptidiques, la chaîne A et la chaîne B, reliées
leurs corps cellulaires dans la DRG (ganglions de la racine entre elles par deux ponts disulfures. Dans la plu-
dorsale) et se projettent dans la moelle épinière. Les fibres part des espèces, espèce humaine comprise, la
parasympathiques efférentes proviennent du DMNX et chaîne A comporte 21 acides aminés et la chaîne B
innervent aussi les IPG (ganglions intra-pancréatiques),
qui, à leur tour, envoient une entrée cholinergique à en comporte 30. Un pont disulfure intracaténaire
l'îlot pour stimuler l'augmentation de la sécrétion de relie les acides aminés 6 et 11 de la chaîne A.
glucagon par les cellules alpha et pour potentialiser la La structure du gène de l'insuline est remarqua-
sécrétion d'insuline par la libération locale d'acétylcholine blement conservée au cours de l'évolution. On peut
via des récepteurs muscariniques sur les cellules bêta
(encart). Les neurones parasympathiques afférents ont y voir là le reflet du rôle crucial de l'hormone dans le
leurs corps cellulaires dans le NG (ganglion noueux) contrôle du métabolisme énergétique. Dans toutes
et leurs terminaisons dans l'îlot et le NTS. En réponse les espèces de mammifères, l'espèce humaine com-
à l'hypoglycémie, l'activité sympathique est accrue et
prise, il n'existe qu'un exemplaire de ce gène. Le rat
inhibe la sécrétion d'insuline ; et l'augmentation à la fois
de l'activité sympathique et de l'activité parasympathique et la souris font exception puisqu'on y observe deux
stimule la sécrétion du glucagon. exemplaires non alléliques du gène de l'insuline (loca-
DMNX : noyau moteur dorsal du vague (nerf X) ; NTS : lisés tous deux sur le chromosome 1 chez le rat). Le
noyau du tractus solitaire.
D'après Faber C, et al.CNS control of the endocrine pancreas.
gène de l'insuline humaine est situé sur le bras court
Diabetologia 2020: 63 (10):2086-94. du chromosome 11 à proximité du gène de l'IGF2
(Insulin-Like Growth Factor 2). L'expression du gène
Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 71

de l'insuline est considérée classiquement comme de facteurs de transcription (de PDX1 en particulier)
l'apanage de la cellule bêta du pancréas endocrine. Le avec la participation, selon les cas, de la PKA, des
gène de l'insuline contrôle la synthèse d'un précur- MAPK ou de la PI3K. Le GLP1 stimule la transcrip-
seur protéique de haut poids moléculaire, la préproin- tion du gène de l'insuline et augmente la stabilité des
suline. Il contient 1 355 paires de bases et sa région ARNm. Cet effet passe par l'AMPc. Le GLP1 sti-
codante comporte 3 exons séparés de 2 introns. Le mule aussi l'expression de PDX1. La GH, la prolac-
premier exon contrôle la synthèse du peptide signal. tine et l'HPL (hormone placentaire lactogène) sont
Le deuxième exon code pour la chaîne B de l'insuline des hormones dont l'effet stimulant sur la transcrip-
et une partie du peptide connecteur (peptide C). Le tion du gène est reconnu.
troisième exon code pour la chaîne B et le reste du Le produit initial de la traduction des ARNm
peptide C. La transcription du gène et le processus de l'insuline est la préproinsuline. Les 25 pre-
d'épissage qui permet l'élimination des séquences miers acides aminés de la molécule représentent
codées par les introns aboutissent à un ARN mes- une séquence riche en résidus hydrophobes et
sager qui est traduit en une protéine de 11,5 kDa, permettent la pénétration du peptide en cours
la préproinsuline. Le contrôle de la transcription du de synthèse dans la lumière du RER (réticulum
gène de l'insuline est assuré par la région régulatrice endoplasmique rugueux) de la cellule bêta. Dès
5' flanquante en amont de l'exon 1. Cette région que cette séquence est passée dans le RER, elle
comporte de courtes séquences d'ADN appelées est éliminée par des peptidases spécifiques. Reste
boîtes régulatrices en cis. Ces séquences interagissent donc, dans les citernes du RER, le peptide tron-
avec des facteurs de transcription protéiques régula- qué : la proinsuline [7, 26, 28, 33].
teurs en trans. C'est l'interaction entre ces séquences Il existe une régulation de la traduction des
et les facteurs de transcription (spécifiques ou non, ARNm de la préproinsuline. Cette régulation est
de la cellule bêta) qui contrôle l'expression du gène rapide (dans les minutes qui suivent l'augmenta-
et sa modulation par des agents métaboliques et/ tion de la concentration extracellulaire du glu-
ou hormonaux. De manière générale, le glucose est cose). Plusieurs mécanismes en rendent compte :
un activateur puissant de la biosynthèse de l'insuline. • le glucose stimule l'association des ARNm pré-
Une partie de son action passe par la stimulation de proinsuline avec la membrane du réticulum
l'expression du gène de l'insuline qui résulte à la fois endoplasmique. Cette étape implique un effet
de son effet positif vis-à-vis de l'activité de transcrip- favorable du glucose sur l'interaction du com-
tion et de la stabilisation des ARNm. plexe SRP (Signal Recognition Particule) avec
L'effet du glucose ne s'exerce pas directement et le récepteur de SRP sur la membrane du réticu-
requiert son propre métabolisme intracellulaire. On lum endoplasmique ;
peut reproduire les effets du glucose par le glycé- • le glucose favorise l'élongation de la chaîne
raldéhyde, intermédiaire de la glycolyse, et l'inhibi- native de préproinsuline. Il existe aussi une matu-
tion de la glucokinase empêche l'effet du glucose de ration post-traductionnelle de la proinsuline qui
s'exercer. Le calcium, dont la concentration intra- implique le fonctionnement coordonné du RER
cytosolique est fortement augmentée par le méta- et de l'appareil de Golgi. Elle aboutit au stockage
bolisme du glucose, pourrait être impliqué dans la de l'insuline dans des vésicules sécrétoires lisses,
signalisation intermédiaire de la molécule, puisque matures, stockées dans le cytosol ou libérées au
le vérapamil, agent bloquant des canaux calciques, niveau de la membrane plasmique. Une cellule
abolit la stimulation de la transcription du gène pro- bêta humaine contient en moyenne 10 000 vési-
voquée par le glucose. Parmi les facteurs de trans- cules en réserve (figure 3.19). Comme dans la
cription impliqués, PDX1 et Maf-A sont en première plupart des cellules endocrines et des neurones,
ligne. Les mécanismes de la signalisation déclenchée l'exocytose de l'insuline est régulée et les varia-
par le métabolisme du glucose, bien que très étudiés, tions d'insulinémie à court et moyen terme sont
restent mal identifiés. Ils mettent en cause essentiel- majoritairement dues à cette régulation de l'exo-
lement des changements d'état de phosphorylation cytose, plutôt qu'à la synthèse d'insuline.
72 Physiopathologie du diabète

NOYAU

PPI
RER

GOLGI
PI

I PC

Figure 3.19. De l'ARNm préproinsuline à l'insuline des granules sécrétoires.


L'ARNm de la PPI (préproinsuline) est traduit au niveau de ribosomes accrochés à la membrane du RER (réticulum
endoplasmique rugueux). Le peptide signal de la préproinsuline est découpé très tôt lorsque le peptide s'engage dans le
RER. La proinsuline (PI) quitte le RER dans des microvésicules qui se dirigent vers la face cis des complexes golgiens.
Dans l'appareil de Golgi, la PI semble être associée à un récepteur spécifique présent sur la face interne de la membrane
golgienne. Ce système pourrait fonctionner à la manière du système de reconnaissance du mannose-6-phosphate,
qui assure, dans l'appareil de Golgi, le triage des enzymes destinées aux lysosomes. Il est remarquablement efficace
puisque, dans la cellule bêta normale, la totalité de la proinsuline est dirigée vers des vésicules appartenant au mode
de sécrétion contrôlé. La proinsuline quitte la face trans du Golgi incluse dans des vésicules revêtues de clathrine. Ces
vésicules (ou granules) immatures vont subir une acidification de leur contenu et la proinsuline va y être convertie en
insuline. La conversion enzymatique de la proinsuline en insuline (I), possible seulement à pH acide, nécessite l'action de
deux endopeptidases (proinsuline convertases PC1/3 et PC2) qui ont pour cible des doublets d'acides aminés basiques,
et d'une carboxypeptidase H qui enlève les acides aminés basiques exposés du côté carboxyterminal après action des
endopeptidases. La vésicule mature est donc un granule lisse qui contient de l'insuline cristallisée (sous forme d'hexamères
avec des atomes de Zn), une quantité équimolaire de PC (peptide C) sous forme soluble et un peu de proinsuline résiduelle
non clivée. La vésicule mature peut être stockée, sécrétée par exocytose ou dégradée par crinophagie (fusion de la
vésicule avec des lysosomes). La demi-vie des vésicules est de quelques heures à quelques jours. Dans des conditions
physiologiques, plus de 95 % de l'hormone est sécrétée sous forme d'insuline (on parle de sécrétion « réglée ») et 5 % sous
forme de proinsuline (sécrétion « constitutive »).

Le système effecteur est étroitement régulé par des signaux activateurs


de l'exocytose de l'insuline ou inhibiteurs, en particulier par le glucose [7, 28,
34–40].
La sécrétion de l'insuline n'est pas spontanée : elle La majorité des vésicules de sécrétion sont loca-
nécessite l'activation de l'excrétion du contenu lisées dans le cytoplasme, associées à des microfila-
des vésicules sécrétoires. On appelle exocytose ce ments et des microtubules du cytosquelette. Elles
mécanisme de libération extracellulaire de pro- constituent un pool de réserve. Environ 1 % des
téines initialement contenues dans des vésicules vésicules sont accolées à la membrane plasmique
cytosoliques dont la membrane fusionne avec la (docked), prêtes à fusionner selon un mécanisme
membrane plasmique de la cellule. Ce processus dépendant du calcium. Ces dernières vésicules
Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 73

constituent un pool dit immédiatement mobili- L'étape de reconnaissance entre ces protéines est
sable (readily releasable pool) et il est maintenant contrôlée par des protéines G monomériques à
admis qu'elles sont responsables de la première activité GTPasique. L'étape conduisant à la fusion
phase de sécrétion d'insuline. La libération du des deux bicouches lipidiques à l'interface de la
contenu de la vésicule de sécrétion dans l'espace vésicule et de la membrane plasmique fait interve-
extracellulaire est assurée selon une séquence très nir au moins deux protéines supplémentaires, NSF
ordonnée, par un mécanisme similaire à celui (protéine de fusion sensible au N-éthylmaléimide)
décrit dans le cas des vésicules synaptiques des qui a une activité ATPase, et αSNAP.
neurones :
• accostage (docking) du granule sécrétoire à la
membrane après franchissement du réseau sous-
membranaire de filaments d'actine ; Les signaux extracellulaires :
• conditionnement (priming) du granule, étape initiateurs et amplificateurs
qui a pour but de rendre apte le granule avec la
membrane plasmique et qui est spécifiquement La modulation multifactorielle du fonctionne-
ATP-dépendante ; ment de la cellule bêta requiert l'intégration rapide
• fusion de la membrane du granule avec la mem- d'un ensemble d'informations qui engendrent des
brane plasmique, étape ATP-indépendante signaux intracellulaires distincts. Il est habituel de
mais qui nécessite des quantités relativement classer les agents qui stimulent la sécrétion d'insu-
élevées de Ca2 + sous la membrane plasmique line en deux catégories :
(figure 3.20). • les initiateurs qui sont capables de déclencher
L'accostage des vésicules à la membrane plas- une sécrétion d'insuline en l'absence de tout
mique met en jeu des protéines appelées SNARE autre agent stimulant (cela s'analyse in vitro).
qui existent en jeux complémentaires, v-SNARE Parmi ceux-ci : le glucose, la leucine et son
(VAMP2/synaptobrévine, synaptotagmine 3 cétoacide dérivé, l'acide alpha-cétoisocaproïque,
et cellubrévine) sur la membrane de la vésicule, certaines substances pharmacologiques ;
et t-SNARE (SNAP25 et syntaxines 1–4) sur la • les amplificateurs (ou potentialisateurs) qui sont inef-
face cytoplasmique de la membrane plasmique. ficaces seuls (in vitro), mais augmentent la sécrétion

accos
tage
2
5 fusion
3

4
1

Ca2+

Figure 3.20. Principales protéines impliquées dans le processus d'exocytose.


Les vésicules sont libres dans le cytoplasme, ou amarrées (accostage) à la membrane via l'interaction entre des SNARE
localisées à la surface des vésicules ou de la membrane. Lors de l'entrée de calcium dans la cellule via l'activation de
canaux voltage-dépendants (1), la fusion des vésicules avec la membrane plasmique se produit. Après la fusion, les
granules peuvent être recyclés.
Les v-SNARE sont ancrées à la membrane vésiculaire : VAMP2 (2), synaptotagmine (3).
Les t-SNARE sont ancrées à la membrane plasmique cible : syntaxine (4), SNAP25 (5).
NSF : N-ethylmaleimide Sensitive Fusion Protein (6) ; SNAP25 : Synaptosome-Associated Protein 25.
t-SNARE, v-SNARE : protéines SNARE, pour SNAP soluble NSF Attachment Protein Receptors.
74 Physiopathologie du diabète

d'insuline en présence d'un initiateur, en particu- lisation de cet hexose. Ensuite, la cellule bêta
lier du glucose. Parmi les potentialisateurs, citons : dispose de deux enzymes catalysant la phos-
le fructose, certains acides aminés, les AGL (acides phorylation du glucose. Outre une hexokinase
gras libres), les corps cétoniques, l'acétylcholine, le ubiquitaire (Km pour le glucose de l'ordre de
glucagon, certaines hormones gastro-intestinales, de 0,1 mM), elle contient également une glu-
nombreuses substances pharmacologiques. En réa- cokinase (Km pour le glucose > 10 mM). La
lité, le glucose est le seul initiateur physiologique de participation de cette deuxième enzyme à la
la sécrétion d'insuline chez les mammifères adultes. phosphorylation du glucose permet un ajuste-
Il est, en effet, le seul sécrétagogue naturel capable ment immédiat du flux glycolytique bêta à la
de déclencher une sécrétion d'insuline in vitro gamme des glycémies physiologiques. De plus,
lorsqu'il est utilisé seul aux concentrations rencon- la stimulation des cellules bêta par le glucose
trées in vivo. D'autres substrats, comme la leucine, comporte une activation de la phosphofruc-
ont été rangés parmi les initiateurs, mais leur effet ne tokinase par certains hexoses biphosphates, en
se manifeste qu'à des concentrations supraphysiolo- particulier le fructose-2,6-bisphosphate et le
giques. In vivo, ils se comportent comme des poten- glucose-1,6-bisphosphate. Cette activation de
tialisateurs. C'est le cas de la majorité des agents la phosphofructokinase semble requise pour
naturels ou pharmacologiques qui augmentent la que la vitesse de phosphorylation du fructose-
sécrétion d'insuline. Cela veut dire qu'un même 6-phosphate suive celle du glucose. Et surtout,
signal potentialisateur (un acide aminé, une stimu- l'exposition de la cellule bêta à des concentra-
lation vagale) pourra être inefficace si la glycémie est tions élevées de glucose conduit à une augmen-
basse, mais provoquera une sécrétion d'insuline si la tation préférentielle des étapes mitochondriales
glycémie est normale ou élevée. du catabolisme du glucose. Cela peut être attri-
bué à la conjonction de plusieurs particularités
métaboliques de la cellule bêta :
Comment agit 1. la LDH (lactate déshydrogénase) et le transpor-
le signal glucose ? teur membranaire du lactate/pyruvate MCT
(Monocarboxylate Transporter) sont très faible-
Le glucose initiateur ment exprimés. Ceci implique que le pyruvate
de l'exocytose endogène produit lors de l'activation de la gly-
colyse n'est pas converti en lactate et est « cana-
Il est maintenant admis que le glucose ne devient lisé » vers la mitochondrie ;
capable d'activer la sécrétion insulinique qu'après 2. la navette du glycérophosphate (dont l'enzyme
avoir été métabolisé dans la cellule bêta, le lien avec clé, la glycérol phosphate déshydrogénase mito-
les étapes distales de la séquence sécrétoire étant chondriale est activée par les ions Ca2 +) et pro-
assuré par un (des) métabolite(s) du glucose, et/ bablement aussi la navette malate/aspartate/
ou par des cofacteurs engendrés par sa dégradation oxaloacetate, sont efficacement activées. La
et son oxydation. De façon plus large, l'effet des réoxydation du NADH cytoplasmique par ces
nutriments non glucidiques (leucine par exemple) navettes plutôt que par la lactate déshydrogé-
sur la sécrétion d'insuline est également tributaire nase (qui impliquerait la conversion du pyru-
d'une augmentation des flux cataboliques et de la vate en lactate) permet dès lors l'oxydation
consommation d'oxygène dans la cellule bêta. d'une fraction importante du pyruvate dans le
Le métabolisme du glucose dans la cellule cycle de Krebs et une augmentation substan-
productrice d'insuline présente certaines parti- tielle de la production d'ATP ;
cularités qui font de cette cellule un remarquable 3. une autre partie du pyruvate est carboxylée (ana-
« détecteur de glucose ». D'abord, le transport plérose) et conduit à la formation de citrate, puis
du glucose dans la cellule bêta (GLUT2 chez les de malonyl-CoA qui, en inhibant l'oxydation des
rongeurs, GLUT1 et GLUT2 chez l'homme) acyl-CoA à longue chaîne, pourrait permettre à
n'est pas un facteur limitant dans la vitesse d'uti- ceux-ci d'agir comme seconds messagers.
Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 75

L'activation énergétique de la cellule bêta par le Glucose


glucose est couplée à des remaniements ioniques
contrôlés par des canaux K sensibles à l'ATP (voir
Zoom 7. 1).
MÉTABOLISME
Les observations classiques montrant que le
glucose stimule le captage d'ions Ca2 + par des
îlots isolés ont suggéré que le glucose pouvait
augmenter la quantité totale du calcium dans les ATP↑
cellules bêta. En fait, cet effet du glucose reste Insuline

faible dans le meilleur des cas (contenu total en


Ca2 + multiplié par 1,5). La technique de mesure [Ca2+]
du Ca2 + cytosolique avec des sondes fluores- CANAL K+ K+
centes a permis de montrer directement que le
glucose augmentait le Ca2 + cytosolique dans les POTENTIEL
CANAL Ca2+
cellules bêta isolées, en présence de concentra- ÉLECTRIQUE
tions en Ca2 + extracellulaires physiologiques. Figure 3.21. Mécanisme du déclenchement de la
Mais cet effet disparaît lorsque l'on rajoute un sécrétion de l'insuline par le glucose (triggering pathway).
bloqueur des canaux calciques dépendants du
voltage, ou lorsque l'on diminue la concentra-
tion en Ca2 + extracellulaire. À côté de cet effet est en fait multifactoriel. Le métabolisme mito-
majeur du glucose sur la perméabilité de la mem- chondrial de la cellule bêta peut fournir outre
brane plasmique aux ions Ca2 +, il a été proposé l'ATP d'autres messagers assurant le couplage
que le glucose avait aussi la faculté de stimuler métabolisme/exocytose. Par exemple, il a été pro-
la séquestration intracellulaire des ions Ca2 + (par posé que les acyl-CoA (à longue chaîne) et le glu-
le réticulum endoplasmique). Un tel processus, tamate joueraient le rôle de facteurs de couplage.
qui tend à diminuer la concentration en Ca2 + L'acidification intravésiculaire due au glutamate
cytosolique, a pu être corrélé, toujours in vitro, endogène pourrait représenter une étape majeure
à un effet paradoxal inhibiteur du glucose sur pour l'étape dite d'amorçage (priming) des vési-
l'insulinosécrétion. cules bêta, précédant la fusion des vésicules avec la
Il est actuellement proposé que la liaison entre membrane plasmique.
phénomènes métaboliques et ioniques est assurée Deux autres mécanismes intracellulaires qui
par des facteurs toujours issus de l'oxydation des sont la conséquence de l'élévation du calcium
substrats. Parmi les candidats potentiels que sont cytosolique permettent aussi d'amplifier la
les protons (H +), les équivalents réduits (NADH réponse sécrétoire au glucose. Le glucose pro-
ou NADPH) et l'ATP, le rôle tenu par l'ATP voque une dégradation rapide (< 1 min) des
est actuellement privilégié. Le schéma actuel de phosphoinositides membranaires (PIP1, PIP2)
déclenchement de la sécrétion de l'insuline (glu- et une augmentation concomitante des inositols
cose triggering pathway) est donc le suivant : une mono-, bi- et triphosphates et du diacylglycérol.
production accrue d'ATP entraîne la fermeture L'augmentation des inositols phosphates dans la
de canaux potassiques sensibles à l'ATP intra- cellule bêta stimulée par le glucose est supprimée
cellulaire. Il en résulte une dépolarisation de la en l'absence de Ca2 + dans le milieu extracellulaire
membrane, une ouverture des VDCC (canaux ou lorsque les canaux calciques sont bloqués par
calciques dépendants du voltage), un flux entrant le vérapamil. Il a donc été proposé que l'activa-
massif de Ca2 + et son accumulation cytosolique tion de la phospholipase C par le glucose dans la
(figure 3.21). cellule bêta soit une des conséquences (multiples)
Il est cependant maintenant admis que le lien de l'augmentation du Ca2 + cytosolique lors de
entre les phénomènes métaboliques et ioniques l'ouverture des canaux calciques de la membrane
76 Physiopathologie du diabète

plasmique. La dégradation des phosphoinositides de l'AMPc avec une protéine AMPc-GEF (ou
dans la cellule bêta fournit aussi du DAG (diacyl- Epac2A), qui forme un complexe (AMPc-GEF-
glycérol) activateur des protéines kinases C, ce Rim1) capable de stimuler l'activité d'une petite
qui permettrait la phosphorylation de certaines protéine G (Rab3) impliquée dans l'exocytose
protéines intracellulaires. La libération d'acide des granules d'insuline.
arachidonique est aussi une des conséquences
du catabolisme des phospholipides lors d'une
stimulation par le glucose. Elle résulte soit de Le glucose amplificateur
l'hydrolyse du DAG par la DAG lipase, soit de de l'exocytose
la déacylation des phospholipides (phosphoino-
sitides, phosphatidylcholine et acide phospha- Le glucose peut aussi stimuler l'exocytose en
tidique) par une phospholipase A2. L'élévation l'absence du contrôle par les canaux K+ sensibles
du Ca2 + cytosolique dans la cellule bêta pourrait à l'ATP (glucose amplifying pathway). Plusieurs
jouer un rôle dans l'activation de la phospholi- études ont démontré de façon concordante que
pase A2, puisque cette enzyme est dépendante du le glucose est aussi capable de stimuler la sécré-
Ca2 +. L'acide arachidonique pourrait participer au tion de l'insuline par la cellule bêta indépendam-
métabolisme du Ca2 + intracellulaire en induisant ment de toute action via les canaux K+-ATP. Par
la libération de Ca2 + depuis le réticulum endoplas- exemple, lorsque des îlots isolés sont exposés à
mique. L'acide arachidonique est aussi un précur- du diazoxide, de façon à prévenir la fermeture
seur des eicosanoïdes : les produits de la voie de la des canaux K+-ATP par le glucose, la sécrétion
cyclo-oxygénase (prostaglandines, prostacyclines, d'insuline reste contrôlée par les changements
thromboxane) semblent inhiber la sécrétion de la concentration de glucose, à condition tou-
d'insuline, puisque les inhibiteurs de la voie, tels tefois de dépolariser simultanément la membrane
que l'acide acétylsalicylique ou l'indométacine, des cellules bêta par une concentration de K+
potentialisent la sécrétion d'insuline induite par le extracellulaire élevée. Cette dernière manœuvre
glucose. déclenche par elle-même une sécrétion d'insuline
Le glucose active la production d'AMPc par la puisqu'elle aboutit à la stimulation de l'influx des
cellule bêta. Comme il est sans effet en l'absence ions calciques dans les cellules et à l'élévation de
de Ca2 + dans le milieu extracellulaire, il a été sug- la concentration cytosolique en Ca2 +. Dans ces
géré que la stimulation de l'adénylcylase par le conditions, la sécrétion induite par le glucose ne
glucose était en fait secondaire à l'augmentation résulte pas d'une élévation plus importante de la
des ions Ca2 + dans le cytosol et était calmoduline- concentration cytoplasmique en Ca2 +. Le rôle
dépendante. Les mécanismes par lesquels l'AMPc de cette seconde voie serait d'accroître (glucose
contrôle la sécrétion d'insuline sont sans doute amplifying pathway) l'efficacité des ions Ca2 + sur
multiples : les cibles intracellulaires qui gouvernent l'exo-
1. il augmente la sensibilité aux ions Ca2 + cytose de l'insuline. Glutamate, acyl-CoA, DAG
des effecteurs de l'exocytose (protéines du sont autant de candidats au rôle de messager intra-
cytosquelette) ; cellulaire responsable de cet effet du glucose indé-
2. il module, via la phosphorylation de certaines pendant du fonctionnement des canaux K+-ATP.
protéines, l'activité des canaux calciques et/ou
des canaux potassiques ;
3. via l'activation de PKA, il pourrait induire une Comment agissent
réponse lipolytique dans la cellule bêta (elle les autres signaux ?
contient des triglycérides) et une fraction des
molécules de DAG libérées pourrait activer la La sécrétion de l'insuline peut être modulée
PKC ; par des métabolites énergétiques non gluci-
4. une voie indépendante de la PKA a été décrite diques (AGL, leucine), des hormones et des
plus récemment : elle dépend de l'interaction neurotransmetteurs.
Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 77

Une panoplie de systèmes positivement, elle entre dans la cellule bêta par
amplificateurs le transporteur électrogénique mCAT2A, n'y est
pas métabolisée, et entraîne donc directement
En présence de fortes concentrations de glucose, une dépolarisation de la membrane plasmique,
les AGL circulants peuvent renforcer l'insulinosé- activant l'ouverture des canaux calciques, l'influx
crétion par au moins trois mécanismes différents : calcique et in fine l'exocytose. Finalement, parmi
1. les AGL cytosoliques sont moins facilement les acides aminés branchés, la leucine tout parti-
β-oxydés, du fait de l'inhibition de l'activité culièrement est un substrat activement oxydé par
CPT. Il en résulte une augmentation de la la cellule bêta. Elle contribue ainsi à l'activation
charge en lipides dérivés (LC-CoA, DAG) qui mitochondriale et amplifie la sécrétion de l'insu-
exercent des effets modulateurs sur les phéno- line induite par le glucose.
mènes ioniques ; Certaines hormones intestinales peuvent aug-
2. la formation de GL (glycérolipides) à partir du menter la concentration d'AMPc dans la cellule
glycérol-3-phosphate produit de façon excé- bêta. Par ce mécanisme, elles ne suffisent pas à
dentaire par la glycolyse, et l'activation du recy- elles seules à déclencher la sécrétion d'insuline,
clage GL/AGL (augmentation concomitante mais elles peuvent amplifier la réponse sécrétoire
de l'estérification et de la lipolyse des AGL) ; au glucose. Parmi les hormones intestinales, les
3. l'activation de récepteurs GPCR, tels que deux principales sont sans doute le GLP1 et le
GPR40 (FFAR1), GPR41 (FFAR3, GPR119 GIP. Ces deux hormones libérées par des cellules
et GPR120 [FFAR4]). Ce dernier mécanisme endocrines de la muqueuse intestinale (respective-
est d'ailleurs exploité pour développer des ago- ment L et K) lors de l'ingestion d'aliments ampli-
nistes pharmacologiques de ces GPCR à poten- fient la réponse des cellules bêta à l'élévation de
tiel antidiabétique (voir Chapitre 8 – Inventer la glycémie. L'AMPc intervient dans le processus
les antidiabétiques de demain). d'exocytose par l'intermédiaire de la PKA, et du
Il est à noter qu'un acide aminé donné, admi- facteur AMPc-GEF (ou Epac2A).
nistré seul à concentration physiologique, n'a pas L'acétylcholine qui peut être libérée par cer-
d'effet sur la sécrétion d'insuline induite par le taines terminaisons parasympathiques présentes
glucose. Par contre, à concentration pharmaco- dans les îlots (en particulier, lors de la phase dite
logique, ou en combinaison avec d'autres acides « céphalique » de la sécrétion de l'insuline, qui se
aminés à dosage physiologique, il peut amplifier produit lors de l'ingestion des aliments) amplifie
la sécrétion d'insuline induite par le glucose. La la sécrétion d'insuline en activant plusieurs méca-
glutamine, acide aminé le plus abondant dans le nismes. Elle dépolarise faiblement la membrane de
sang, n'induit pas la sécrétion de l'insuline, bien la cellule bêta en augmentant sa perméabilité pour
qu'elle soit aisément métabolisée par la cellule le Na+. Ceci a pour effet d'augmenter légèrement
bêta (formation d'aspartate et de glutamate). Par l'entrée de Ca2 +, du moins lorsque la membrane
contre, administrée en association avec la leucine, est déjà dépolarisée par le glucose. D'autre part,
elle devient capable d'activer l'exocytose de l'insu- l'activation du récepteur muscarinique (sous-type
line, via l'activation de la glutamate déshydrogé- M3) stimule une phospholipase C qui scinde le
nase et l'oxydation de la glutamine dans le cycle phosphatidylinositol-4,5-bisphosphate, en IP3 et
de Krebs des mitochondries de cellules bêta. Le en diacylglycérol.
glutamate intracellulaire produit à partir de la glu-
tamine peut aussi amplifier directement la sécré-
tion de l'insuline. Parmi les multiples mécanismes Des systèmes atténuateurs
envisagés pour rendre compte de cet effet, aucun
ne fait l'unanimité à l'heure actuelle. L'arginine La modulation de la sécrétion d'insuline par le sys-
est un autre acide aminé décrit comme poten- tème neurohormonal fait appel non seulement à
tialisateur de la sécrétion de l'insuline. Chargée des mécanismes d'amplification (décrits ci-dessus)
78 Physiopathologie du diabète

mais également à des mécanismes d'atténuation. de glucose et elle est en particulier accrue au
Les principaux responsables de cette atténuation moment des repas lorsque afflue le glucose d'ori-
sont les catécholamines et la galanine (libérées gine alimentaire. L'effet stimulant du glucose sur
par les terminaisons nerveuses intrapancréatiques) cette sécrétion dépend de son métabolisme oxy-
et la somatostatine. Elles agissent sur des récep- datif à l'intérieur de la cellule bêta et est médié
teurs distincts (sous-type alpha2 pour les caté- par des signaux déclenchants et amplificateurs.
cholamines, SSR2 pour la somatostatine), mais L'élévation de la concentration d'ATP cytoplas-
leur mode d'action est semblable. Une inhibition mique provoque la fermeture de canaux ioniques
directe des canaux calciques est possible, mais n'a membranaires K+, entraînant la dépolarisation
pas encore pu être formellement démontrée. Il est membranaire, l'ouverture de canaux ioniques
bien établi, par contre, que l'activation du récep- calciques, l'entrée de calcium dans le cyto-
teur entraîne une inhibition de l'adénylate cyclase plasme et l'activation de l'exocytose des vésicules.
par l'intermédiaire d'un sous-type de protéine Gi L'activation sécrétoire est en outre amplifiée au
et donc une diminution de la concentration même moment, puisque l'activation concomi-
d'AMP cyclique. Plusieurs travaux récents ont tante des fibres parasympathiques pancréatiques
permis d'établir que les catécholamines, la gala- libère de l'acétylcholine à proximité des cellules
nine et la somatostatine repolarisent partiellement bêta et l'arrivée des nutriments dans l'intestin
la membrane de la cellule bêta en augmentant sa grêle libère des hormones comme le GLP1. Il en
conductance pour les ions K+. Cette augmenta- résulte au final une exocytose proportionnée de
tion pourrait résulter de l'activation (par l'intermé- vésicules d'insuline.
diaire d'une protéine G) de canaux K+ sensibles à La réponse sécrétoire de la cellule bêta à tous
l'ATP. Enfin, différentes approches expérimentales ces régulateurs est rapide et ne nécessite en géné-
ont établi l'existence d'un effet inhibiteur distal par ral pas une activation de l'expression génique : la
rapport à l'élévation de la concentration de Ca2 + sécrétion se produit dans les secondes qui suivent
cytoplasmique. Cet effet, de nature encore mys- l'exposition au stimulus et elle s'annule aussi rapi-
térieuse, pourrait faire intervenir une protéine G dement dès que le stimulus est supprimé. On
impliquée dans l'exocytose. La leptine exerce aussi connaît aussi des régulations à long terme de la cel-
un effet atténuateur sur la sécrétion d'insuline, au lule bêta : elles se mettent en place pour répondre
moins in vitro. Elle agit en activant, suite à la liai- à des modifications plus durables du statut physio-
son à son récepteur, la voie impliquant JAK (janus logique (modifications dues à des facteurs ontogé-
kinase), le signal activateur de transcription STAT niques, nutritionnels ou endocriniens). Elles sont
et in fine la cascade des MAPK (MAP kinases). beaucoup plus lentes à s'établir, et se traduisent
Elle active aussi une phosphodiestérase 3B cAMP- le plus souvent par des ajustements touchant l'ef-
dépendante (PDE3B) (via la stimulation de ficacité de l'exocytose au sein de chaque cellule
la phosphoinositide 3-kinase) et réduit ainsi la bêta, et surtout le nombre total de cellules bêta
concentration intracellulaire en AMPc. présentes dans le pancréas. On devine aisément
que toute perturbation dans ce bel ordonnance-
ment fonctionnel puisse provoquer à lui seul des
En résumé ! troubles de fourniture de l'insuline, et donc des
troubles métaboliques dont les plus fréquents sont
La sécrétion d'insuline par les cellules bêta suit les hyperglycémies (les troubles hypoglycémiques
les variations des concentrations plasmatiques sont plus rares).
Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 79

Zoom 3.2

Comment explorer le métabolisme énergétique ? Outils et méthodes


Le GTT (test de tolérance au glucose) est une • par la perfusion continue de glucose et d'in-
technique fondamentale qui évalue l'homéosta- suline exogènes.
sie du glucose dans l'ensemble du corps après Dans cette technique proposée par Gerald
l'administration d'une charge de glucose (voir Reaven (1928–2018) à Stanford, États-Unis, la
Chapitre 1). Il n'est pas seulement utilisé dans sécrétion d'insuline est supprimée soit en infu-
la pratique clinique pour détecter l'intolérance sant de l'adrénaline et du propranolol, soit en
au glucose (prédiabète) et le diabète, mais est infusant de la somatostatine, et d'autre part, la
également largement utilisé dans les études production hépatique de glucose est totalement
métaboliques humaines cliniques et dans la inhibée par une perfusion de glucose et d'in-
recherche biomédicale et pharmaceutique utili- suline à débit constant. Lorsque des concen-
sant les modèles animaux. La réponse homéos- trations plasmatiques stables d'insuline et de
tatique à un bolus de glucose ingéré nécessite la glucose sont atteintes, la concentration sta-
régulation coordonnée de nombreux systèmes tionnaire de glucose plasmatique (steady-state
corporels qui stimulent l'élimination du glucose plasma glucose, SSPG) est un reflet direct de la
dans les tissus, inhibent la production endogène capacité des tissus à utiliser le glucose pour un
de glucose et régule l'entrée intestinale du glu- niveau d'insuline donné. Plus le sujet sera résis-
cose. En conséquence, la gestion du glucose tant à l'action de l'insuline, plus le SSPG sera
pendant le GTT dépend de nombreux facteurs élevé. Cette technique pose cependant un cer-
intégrés, parmi lesquels la sécrétion d'insuline, tain nombre de problèmes d'interprétation des
l'action de l'insuline, et l'efficacité du glucose résultats : l'hyperglycémie à elle seule peut, par
(c'est-à-dire la capacité de l'hyperglycémie à simple effet de masse, augmenter l'utilisation
réguler absorption et production de glucose de glucose ; l'utilisation d'adrénaline et de pro-
sous des concentrations basales/constantes pranolol rend nécessaire un contrôle électrocar-
d'insuline), sont particulièrement importantes. diographique des patients ; enfin, l'adrénaline,
le propranolol et la somatostatine peuvent avoir
Mesurer la sensibilité à l'insuline des effets directs et variables sur l'utilisation
et le métabolisme tissulaire du glucose et la production de glucose, selon la situation
• par le test de tolérance au glucose. expérimentale étudiée ;
Lors d'un test de tolérance par voie orale ou • par le clamp euglycémique hyperinsulinémique.
intraveineuse, la décroissance de la glycémie La technique du clamp euglycémique hype-
(souvent quantifiée par la pente du logarithme de rinsulinémique mise au point à la fin des
la glycémie et exprimée en % par min), considé- années 1970 par le groupe de Ralph DeFronzo
rée comme un reflet de la tolérance glucidique, à SanAntonio, États-Unis, est devenue depuis
dépend à la fois de l'insuline sécrétée pendant la méthode de référence pour quantifier l'effi-
le test et de la sensibilité des tissus à l'insuline. cacité de l'insuline in vivo chez l'homme et
L'existence d'une boucle de rétrocontrôle entre l'animal de laboratoire [41]. Son principe est le
la glycémie et la sécrétion d'insuline et le fait suivant : on perfuse par voie veineuse de l'insu-
que la glycémie et la sécrétion d'insuline ne sont line à un débit constant de façon à obtenir une
pas liées par une relation linéaire rendent diffi- concentration plasmatique d'insuline stable et
cile l'interprétation des données pour calculer la élevée, et on perfuse simultanément du glu-
sensibilité des tissus à l'insuline. cose à un débit tout d'abord variable pendant
Un certain nombre de méthodes ont été déve- la phase d'augmentation de l'insulinémie, puis
loppées, dont le principe de base consiste à constant lorsque le système est en état station-
annuler expérimentalement le contrôle bidirec- naire, de façon à maintenir la glycémie à son
tionnel glycémie/insuline ; niveau de base. La perfusion d'adrénaline ou

80 Physiopathologie du diabète

de somatostatine est inutile, puisque la sécré- lique, elle disparaît définitivement de l'orga-
tion endogène d'insuline reste à son niveau de nisme en tant que traceur. On parle de traceur
base (on reste en condition d'euglycémie). Il irréversible. Ce type de traceur mesurera donc
n'existe donc pas de problèmes liés à l'hypo- la vitesse d'entrée du glucose dans les voies
ou à l'hyperglycémie. Le débit de perfusion du métaboliques d'utilisation. Dans le cas d'un
glucose exogène est dès lors un reflet global de marquage sur le (les) carbone(s) du glucose,
la sensibilité du foie (suppression de la produc- l'un des produits majeurs du métabolisme du
tion endogène de glucose) et des tissus utilisa- glucose étant le lactate, ce dernier sera marqué
teurs (augmentation de l'utilisation de glucose) et pourra être réincorporé dans le glucose par la
à l'insuline. On peut en outre perfectionner la voie de la néoglucogenèse hépatique (cycle de
méthode pour différencier les effets sur le foie Cori). On parle de traceur réversible. L'emploi
et les tissus utilisateurs, en mesurant simultané- de ce type de traceur revient à sous-estimer la
ment le débit de Rd (renouvellement du glu- vitesse de renouvellement du glucose puisque
cose) à l'état stationnaire à l'aide d'un traceur le traceur, bien qu'il ait été métabolisé, pourra
approprié [41–43]. réapparaître sous forme de glucose marqué dans
Qu'est-ce qu'un traceur métabolique ? Un l'organisme. Le choix du marqueur est donc
traceur est une molécule dont la structure et primordial pour mesurer correctement la vitesse
le devenir métabolique sont semblables à la de renouvellement du glucose. Actuellement,
molécule étudiée (tracé), identifiable par une on utilise préférentiellement le glucose marqué
caractéristique physique donnée, et introduite sur le carbone 3 par un atome de tritium ou de
dans l'organisme en quantité suffisamment deutérium.
faible (dose traceuse) pour ne pas interférer Le développement des techniques permettant
avec le fonctionnement du système étudié. la détection des isotopes stables (spectromé-
L'utilisation d'isotopes stables ou radioactifs trie de masse) présente de gros avantages pour
des atomes d'hydrogène, de carbone ou de les investigations cliniques : comme ils ne pro-
phosphore permet de réaliser des molécules tra- duisent pas de radiations ionisantes et sont tota-
ceuses. Rappelons que tout isotope stable d'un lement inoffensifs, on a pu utiliser des molécules
élément chimique est un isotope qui n'a pas traceuses marquées par les isotopes stables pour
de radioactivité décelable. Le carbone (C) pos- étudier le renouvellement des substrats dans
sède 15 isotopes connus, de nombre de masse des groupes éthiquement préservés (enfants,
variant de 8 à 22, dont deux stables : 12C et 13C. femmes enceintes). Les isotopes stables utilisés
L'hydrogène (H) possède 3 isotopes naturels pour l'étude du devenir des nutriments (2H,
notés 1H, 2H et 3H. Le phosphore (P) possède 13
C) sont plus lourds de 1 à 2 unités de masse
23 isotopes connus, de nombre de masse variant atomique (un à deux neutrons supplémentaires
de 24 à 46. Un seul est stable : 31P. dans le noyau) que l'atome le plus abondant
Comment choisir un traceur ? Le glucose peut dans la nature (1H, 12C). Cette caractéristique
être marqué par un atome remplaçant un permet de distinguer par SM (spectrométrie
hydrogène (3H ou 2H) ou un carbone (14C ou de masse) les molécules ayant un ou plusieurs
13
C) ; d'un point de vue conceptuel, le mar- atomes marqués (molécule marquée ou traceur)
quage par un isotope radioactif ou stable est des molécules naturelles (molécule tracée).
strictement équivalent ; seules les méthodes de Le 2dG (2-désoxyglucose) est un analogue du
détection diffèrent. Dans le cas du marquage glucose qui est transporté dans les tissus par le
sur l'hydrogène, le principal produit de dégra- même transporteur (GLUT) que le glucose,
dation marqué est l'eau tritiée ou deutérée pro- mais son métabolisme intracellulaire s'arrête
duite par échange de protons ou par oxydation. après l'étape de phosphorylation catalysée par
La réincorporation de l'eau marquée dans le l'hexokinase. Ainsi pour un tissu donné, l'ac-
glucose est négligeable. En d'autres termes, dès cumulation du 2dG-6-phosphate piégé dans
que la molécule de glucose traceuse marquée le tissu est proportionnelle à l'utilisation de
sur l'hydrogène entre dans une voie métabo- glucose par ce même tissu (à condition bien

▲ Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 81

entendu que l'activité glucose-6-phosphatase un devenir métabolique équivalent à celui du


dans le tissu en question soit suffisamment tracé (glucose), leur utilisation respective sera
faible pour éviter la déphosphorylation du 2dG- proportionnelle à leur concentration dans le
6-phosphate en 2dG). Ainsi, le 2dG peut être sang (respectivement G* et G). Le débit de
marqué et utilisé comme un traceur. On suit renouvellement (Rd, appelé aussi turn-over) du
cette fois non pas la cinétique plasmatique du glucose dans l'organisme est alors donnée par
traceur, mais son accumulation tissulaire. Cette l'équation : RdG = DG*/(G*/G).
technique, développée initialement dans les Dans les conditions du clamp euglycémique
années 1970 par le neurophysiologiste améri- hyperinsulinémique, puisqu'on connaît le débit
cain Louis Sokoloff (1921–2015) pour mesurer de perfusion du glucose exogène (Rex), on peut
le métabolisme du glucose dans les structures en déduire le débit de production hépatique
cérébrales des rongeurs de laboratoire, a été (Rh) du glucose par une simple différence : Rh
étendue à l'homme en marquant le 2dG par = Rd – Rex, et donc quantifier l'action inhibi-
du 18F (fluorodésoxyglucose), traceur qui émet trice de l'insuline sur cette production. La tech-
des positrons (particules suffisamment énergé- nique du clamp permet donc d'étudier de façon
tiques pour ne pas être absorbées par la matière quantitative la sensibilité à l'insuline des tissus
organique environnante). Le contenu en 18F- utilisateurs et producteurs de glucose. On peut
2dG de chaque structure cérébrale est analysé d'autre part établir des courbes dose-réponse
par TEP-scan (tomographie d'émission de en faisant varier les niveaux d'insulinémie. Un
positrons). Comme l'activité du tissu cérébral exemple en est donné dans la figure ci-dessous
entraîne une consommation quasi exclusive de pour des diabétiques de type 2 comparés à des
glucose comme substrat énergétique, la mesure sujets sains (figure 3.22).
non invasive par TEP-scan du contenu en 18F-
2dG de chaque structure cérébrale permet la
reconnaissance et le suivi dynamique des activi- 10
tés fonctionnelles de ces mêmes structures céré-
brales. Une résolution spatiale suffisante et un
8
traitement informatique approprié des données
permettent ainsi d'établir de véritables cartes en
Utilisation du glucose

ND
trois dimensions de l'activité du cerveau. 6
(mg/min/kg)

Qu'est-ce qu'un débit de renouvellement ?


Lorsque la vitesse d'apparition d'une molécule 4 D
dans l'organisme est égale à sa vitesse de dispari-
tion et que cette vitesse demeure constante pen- 2
dant l'expérience, on parle d'état stationnaire.
Prenons l'exemple du glucose (G) chez un sujet
à l'état interprandial (postabsorptif). Si l'on 0
10 100 1000 10000
perfuse de façon continue et à débit constant
Insulinémie (µU/ml)
le traceur (G*) dans le sang, sa concentration
va s'élever puis se stabiliser. Le débit est suffi- Figure 3.22. Utilisation corporelle totale du
samment faible pour que la concentration du glucose (exprimée en mg de glucose utilisé par
traceur (G*) reste très inférieure à la concen- min et par kg de poids corporel) en fonction des
tration du tracé (G). La quantité de traceur uti- concentrations circulantes d'insuline chez des
lisée par l'organisme par unité de temps (c'est individus non diabétiques (ND) et des diabétiques
de type 2 (D).
le débit d'utilisation du traceur) est alors égale
Ces courbes dose-réponse ont été obtenues
à la quantité de traceur perfusée par unité de par la méthode du clamp euglycémique
temps (débit, DG*). Le traceur (glucose) ayant hyperinsulinémique.

82 Physiopathologie du diabète

Si l'utilisation de traceurs isotopiques permet à des mesures de concentration de glycogène


donc de quantifier la production endogène dans des biopsies.
de glucose par le foie et l'utilisation totale du
glucose par les tissus en condition basale et en Métabolomique
condition de clamp hyperinsulinémique, elle C'est une approche méthodologique récente
permet aussi de calculer les flux de conversion qui étudie l'ensemble des métabolites primaires
à travers d'autres voies métaboliques. Ainsi (sucres, acides aminés, acides gras, etc.) présents
l'incorporation d'eau deutérée dans le palmitate dans une cellule, un organe, un organisme.
hépatique donne une mesure de la lipogenèse Alors que les gènes et les protéines sont soumis
hépatique de novo. Des traceurs du palmitate respectivement à des processus épigénétiques
et du glycérol tels que [U-13C]palmitate et régulateurs et à des modifications post-tra-
[1,1,2,3,3-2H]glycérol sont utilisés pour tracer ductionnelles, les métabolites représentent des
la lipolyse. produits biochimiques terminaux qui sont plus
Outre la mesure des flux de substrats, les iso- proches du phénotype. En conséquence, il est
topes stables permettent de quantifier le devenir plus facile de corréler le phénotype avec les pro-
métabolique des substrats captés par les tissus. fils métabolomiques qu'avec les profils géno-
Par exemple, dans le cas du glucose. Le stoc- miques, transcriptomiques ou protéomiques
kage du glucose sous forme de glycogène peut (figure 3.23).
être mesuré de manière non invasive dans le Le suffixe « omique » désigne une approche
foie et le muscle en utilisant la spectroscopie technique capable de générer un catalogue
par RMN (résonance magnétique nucléaire) du complet des données qu'elle cherche à mesurer :
13
C. Le noyau de certains atomes possède des ARN messagers transcrits (transcriptomique),
propriétés magnétiques (moment magnétique protéines (protéomique), ou métabolites (méta-
ou spin). Leurs moments magnétiques sont bolomique et métabonomique). Les omiques
habituellement orientés de manière aléatoire sont donc des outils qui cherchent à étudier
dans le faible champ magnétique terrestre. En et à comprendre la biologie dans sa dimension
présence d'un champ magnétique puissant et systémique. La métabolomique s'est dévelop-
statique se crée un couple qui crée un mouve- pée depuis la fin des années 1990 pour explorer
ment des noyaux autour de leurs axes avec une le métabolome, qui est le cousin métabolique
fréquence caractéristique qui les aligne dans la du génome ou du protéome, et est donc défini
direction ou à l'opposé du champ magnétique. comme la composition métabolique d'une cel-
Cette technique a été validée par comparaison lule à un instant donné. La métabonomique,

Gène ARNm Protéine Métabolites

1, 2 3 4

Génomique Protéomique Métabolomique

Figure 3.23. La cascade omique.


Alors que les gènes, et les protéines sont soumis respectivement, à des mutations (1) et des processus
épigénétiques (2), les ARN messagers à des modifications post-transcriptionnelles (3), et les protéines à des
modifications post-traductionnelles (4), les métabolites représentent des produits finaux biochimiques en aval
qui sont plus proches du phénotype. En conséquence, il est plus facile de corréler le phénotype avec les profils
métabolomiques qu'avec les profils génomiques, transcriptomiques et protéomiques.

▲ Chapitre 3. Glycémie et énergie cellulaire, le cœur du sujet 83

elle, prend en compte la notion de réponse méta- en phase liquide (LC-MS) et, de plus en plus, à
bolique dynamique, et donc, formellement, elle l'électrophorèse capillaire (CE-MS). La SM est
inclut la métabolomique. En pratique, dans la donc une technique qui détruit l'échantillon. La
littérature, les termes métabolomique, métabo- SM est plus sensible que la RMN, mais les vastes
nomique ou profil métabolique sont souvent quantités d'informations détectées conduisent à
interchangeables. Le métabolome caractérise un nombre élevé d'entités moléculaires incon-
le phénotype métabolique d'un individu, inté- nues. Par exemple, seuls 30 à 70 % des pics
grant notamment sa génétique, son régime ali- détectés mesurés dans un profil global du plasma
mentaire, son microbiote intestinal, et son mode par GC-MS sont généralement attribués à des
de vie. Un profil métabolique est caractérisé par métabolites. Dans les deux méthodes, l'identi-
la mesure globale simultanée de composés de fication des métabolites fait partie intégrante de
faible poids moléculaire (< 1 500 Da) dans des la méthodologie. La RMN offre l'avantage de
échantillons biologiques (excluant les protéines pouvoir extraire des informations structurelles
ou les acides nucléiques qui sont les préoccu- sur un composé. En SM, il existe potentielle-
pations de la protéomique et de la transcrip- ment des milliers de composés pouvant corres-
tomique). Ce pool de petits métabolites inclut pondre à une masse donnée d'ions parents. Un
les acides aminés, les oligopeptides, les sucres, effort pour améliorer cet obstacle est la création
les acides gras simples, et les intermédiaires de bases de données SM plus complètes.
de nombreuses voies biochimiques, comme le L'utilisation de la métabolomique à l'explo-
cycle de Krebs ou la glycolyse [44–46]. ration de la pathogenèse du diabète de type 2
En pratique, il existe deux techniques ana- et des facteurs de risque associés a contribué à
lytiques principales couramment utilisées en des avancées significatives. Par exemple, elle a
métabolomique : la spectroscopie RMN et la définitivement validé l'existence des perturba-
SM. Ces méthodes mesurent simultanément tions dans le métabolisme des acides aminés
une large gamme de métabolites à partir d'une et des lipides, comme en témoigne l'augmen-
seule analyse fournissant des informations struc- tation plasmatique des acides aminés ramifiés
turelles et quantitatives (ou semi-quantitatives). (BCAA [Branched-Chain Amino Acids]) et
La spectroscopie RMN du proton est utilisée acides aminés aromatiques (AAA [Aromatic
pour observer tous les métabolites en grande Amino Acids]) et celle des acides gras à chaîne
abondance avec des protons non échangeables longue. En parallèle, les intermédiaires glyco-
(métabolomique non ciblée). Cette technique lytiques sont augmentés dans le muscle et les
non destructive bénéficie d'une grande repro- intermédiaires du cycle de Krebs y sont dimi-
ductibilité, de la préparation simple et rapide nués. Collectivement, ces données appuient
des échantillons, ainsi qu'une grande fiabilité, l'hypothèse selon laquelle l'altération du méta-
et ne nécessite pas de séparation préalable des bolisme des acides aminés et de celui des acides
métabolites par chromatographie. Un inconvé- gras pourrait contribuer à réduire le flux ana-
nient de la spectroscopie RMN est son relatif plérotique et le métabolisme oxydatif, contri-
manque de sensibilité (de l'ordre de 10 μM) et buant ainsi à la réduction de l'énergie cellulaire
c'est le degré élevé de chevauchement spectral lors de la résistance à l'insuline et du diabète de
des résonances dans les échantillons biologiques type 2. De nouvelles données issues de la méta-
qui complexifie l'identification des signaux. La bolomique indiquent par ailleurs que le micro-
SM fournit des informations relatives à la masse biome intestinal est un important contributeur
exacte d'un ion moléculaire, ainsi qu'à son au métabolisme énergétique de l'hôte.
schéma de fragmentation. Pour permettre l'ana-
lyse de mélanges complexes de métabolites, la Calorimétrie indirecte
SM nécessite la séparation des métabolites de Le but ultime du métabolisme des nutriments
l'échantillon biologique avant la détection et est est de produire l'énergie nécessaire au travail
ainsi généralement liée à la chromatographie en mécanique, chimique et osmotique de l'orga-
phase gazeuse (GC-MS), à la chromatographie nisme. La calorimétrie indirecte repose sur

84 Physiopathologie du diabète

l'équivalence entre l'énergie utilisée dans l'orga- ler les débits d'oxygène consommé et de CO2
nisme et celle convertie à partir de l'oxydation rejeté :
des nutriments. Il est donc possible d'utiliser • O2 consommé (l/min) = 0,83 G + 2,02 L
la consommation globale d'oxygène comme + 0,97 P ;
témoin de la dépense d'énergie. La mesure des • CO2 produit (1/min) = 0,83 G + 1,43 L
échanges gazeux respiratoires (consommation + 0,77 P.
d'oxygène et production de gaz carbonique) La production urinaire d'azote non protéique
peut être réalisée en chambres calorimétriques, est mesurée. On admet que cette quantité
dans des conditions où le sujet pourra repro- d'azote provient de l'oxydation des protéines
duire ses activités quotidiennes. La mesure et que tout l'azote des protéines oxydées est
peut également être réalisée sous une cagoule excrété dans l'urine. Cette dernière approxi-
ventilée. Cet appareil est plus léger et ne per- mation semble raisonnable dans la mesure où
met que des mesures limitées dans le temps l'excrétion d'azote à travers la peau (sueur) et
(métabolisme de base et effet thermique des ali- le tractus digestif (fèces) n'excède pas 10 % de
ments). Les échanges gazeux respiratoires sont l'excrétion totale. On peut donc calculer l'oxy-
couramment mesurés avec un embout buccal en dation des protéines, sachant que l'azote repré-
physiologie du sport : la dépense énergétique au sente 16 % de la masse protéique corporelle. Il
cours d'un exercice peut être évaluée ainsi. n'est pas entièrement exact de considérer l'azote
La calorimétrie indirecte permet de déterminer urinaire comme provenant des seules oxydations
le type (glucides, lipides, protéines) de subs- des acides aminés (provient aussi du catabolisme
trat oxydé et la production énergétique qui en des bases puriques et pyrimidiques). La valeur
résulte. Décrivons brièvement le principe de attribuée à l'oxydation protéique en déterminant
cette méthode. simplement l'azote urinaire reste cependant une
L'utilisation d'O2 et la production de CO2 sont approximation acceptable car le métabolisme
mesurées en continu chez un sujet au repos. protéique ne représente qu'une faible part des
Sachant que l'oxydation d'un gramme de glu- oxydations totales. On aboutit alors à un sys-
cose (G), de lipides (L) et de protéines (P) tème de deux équations à deux inconnues (G
consomme respectivement, dans des conditions et L) qui, une fois résolu, permet d'obtenir les
standard de température et de pression, 0,83, valeurs de (G) et (L) en fonction de O2, CO2
2,02 et 0,97 l d'O2, et produit respectivement et (P). Connaissant les équivalents caloriques de
0,83, 1,43 et 0,77 l de CO2, les équations sui- (G), (L) et (P), on en déduit l'énergie produite
vantes ont été validées et permettent de calcu- par l'oxydation des différents substrats.

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Chapitre 4
Quelles sont les raisons
de l'hyperglycémie chronique ?

On devine aisément que toute perturbation dans de l'alimentation, car les symptômes du diabète
le bel ordonnancement fonctionnel des cellules apparaissent souvent rapidement : faim intense
bêta tel qu'il vient d'être décrit dans le Chapitre 3 (polyphagie), fréquent besoin d'uriner ­(polyurie)
puisse provoquer des troubles de fourniture de et soif inextinguible (polydipsie). Parfois les
l'insuline, et donc des troubles métaboliques dont malades maigrissent très rapidement et il n'est
les plus fréquents sont les hyperglycémies (les pas rare qu'ils perdent 8 à 10 kg en quinze jours.
troubles hypoglycémiques sont plus rares). On est Un coma cétosique (à ne pas confondre avec le
donc très curieux de connaître les mécanismes qui coma hypoglycémique qui survient en réponse à
conduisent à l'installation et au maintien, voire à une dose trop forte d'insuline) (voir Zoom 1.2)
l'aggravation, de ce marqueur de la maladie. C'est peut apparaître, nécessitant des soins d'urgence.
ce qui va être discuté maintenant. Il traduit l'accumulation anormale dans le sang
de métabolites dont certains sont toxiques à forte
concentration pour le cerveau (en particulier les
corps cétoniques). Cette accumulation est due à la
Diabète de type 1. Une carence en insuline. Seul un traitement par l'insu-
line exogène permet la survie. Avant l'arrivée de
panne majeure l'insuline, le diabète de type 1 (appelé alors, dia-
bète insulinodépendant) était une maladie léthale
dans l'année qui suivait la date du diagnostic.
Trop de glucose dans En fait, il s'agit d'un stade tardif de la maladie
qui s'est installée lentement et silencieusement.
le sang pour une raison On sait maintenant que la maladie évolue en trois
unique : le génocide stades [1–4] :
de la population bêta 1. un stade d'auto-immunité asymptomatique,
caractérisé par la présence d'autoanticorps
La similitude étroite entre les signes cliniques du (avec un risque d'évolution vers un diabète de
diabète de type 1 chez l'homme et ceux observés type 1 dans seulement 50 % des cas) ;
après l'ablation totale du pancréas chez l'animal, puis 2. un stade de dysglycémie, encore asympto-
la découverte en 1921 que l'administration d'insu- matique, mais où les premières altérations
line permet de corriger les symptômes du diabète, de l'insulinosécrétion sont détectables par
désignent le coupable principal par lequel le drame une épreuve d'hyperglycémie provoquée par
est arrivé : la carence absolue en insuline, due à voie orale (retard de la sécrétion d'insuline)
l'extermination des cellules pancréatiques qui la pro- (figure 4.1). L'évolution vers un diabète de
duisent. Pourquoi ces dernières ont-elles disparu ? type 1 devient inéluctable à ce stade ;
On croyait que les cellules bêta étaient brus- 3. un stade 3, qui correspond à la maladie clinique
quement détruites, par un virus ou par une toxine telle que rencontrée dans la pratique courante.
Physiopathologie du diabète
© 2022 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
88 Physiopathologie du diabète

1 2 3
MASSE BÊTA RÉSIDUELLE 100

80
70
(en %)

50

30

10
0
TEMPS

Figure 4.1. Stratification du diabète de type 1.


Les experts reconnaissent actuellement trois stades dans le développement des diabètes de type 1 :
• le stade 1 est caractérisé par la présence d'autoanticorps et l'absence d'anomalies de la glycémie. La quantité de
cellules bêta est normale (mesurée par la masse de cellules bêta) et les symptômes cliniques du diabète (polyurie, soif,
faim et perte de poids) sont absents. On admet que les autoantigènes des cellules bêta sont présents des mois à des
années avant le début de la perte de cellules bêta ;
• le stade 2 est caractérisé par la présence à la fois d'autoanticorps et d'anomalies discrètes de la glycémie, mais sans
symptômes cliniques ;
• le stade 3 correspond au DT1 symptomatique avec une hyperglycémie sévère. Lors de l'installation d'un diabète
de type 1, la destruction de cellules bêta est plus rapide chez les enfants que chez les adultes. Les tentatives de
stratification du diabète de type 1 sont utiles lors du recrutement d'individus dans les essais dits de prévention
secondaire. La prévention secondaire consiste à identifier le diabète à son stade le plus précoce et à appliquer un
traitement pour arrêter ou au moins limiter son évolution néfaste.

Le diabète de type 1 d'où le T) sont eux impliqués dans l'immunité à


est une maladie du médiation cellulaire. Les lymphocytes B sont des
cellules provenant de la moelle osseuse, et qui cir-
système immunitaire culent dans le sang et la lymphe pour participer aux
et des cellules bêta défenses naturelles de l'organisme. Ils sont respon-
sables de l'immunité humorale et fabriquent les
Les raisons de la disparition massive des cellules immunoglobulines appelées anticorps. Les cellules
bêta à l'origine de l'insulinopénie sévère sont res- dendritiques font partie de la famille des cellules
tées longtemps mystérieuses [1]. L'existence d'une présentatrices d'antigènes et qui présentent dans
insulite (infiltration des îlots par des cellules immu- certaines conditions des dendrites (des prolonge-
nitaires) avait bien été notée dès 1901 à Baltimore ments cytoplasmiques). Les cellules dendritiques
par Eugène Opie (1873–1971), mais était restée ont deux fonctions principales :
sans interprétation. Il fallut attendre 1965 pour • le déclenchement de la réponse immunitaire
que Willy Gepts (1922–1991) à Bruxelles évoque adaptative dirigée contre des antigènes du non-
la responsabilité de l'insulite dans la destruction soi et dont les acteurs principaux sont les lym-
des cellules bêta au cours du diabète de type 1. Les phocytes T et les lymphocytes B ;
îlots sont le siège d'une réaction inflammatoire, et • le maintien de la tolérance centrale au soi dans
remplis de globules blancs qui normalement n'at- le thymus, par interactions avec les lympho-
taquent que les cellules infectées par des micro- cytes T dits régulateurs.
organismes et aident l'organisme à lutter contre Les macrophages sont une catégorie particu-
les infections : majoritairement des lymphocytes T, lière de globules blancs qui infiltrent les tissus.
auxquels s'associent des lymphocytes B, des cel- Ils sont capables de phagocytose. Ils participent
lules dendritiques et des macrophages. Rappelons à l'immunité innée en tant que défense non
que les lymphocytes T (maturés dans le thymus, spécifique, mais sont capables de participer à
Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 89

l­'immunité adaptative. Leur rôle est de phagocy- Identifier l'agresseur


ter les débris cellulaires et les agents pathogènes.
Comme les cellules dendritiques, ils peuvent se
La sélectivité de la destruction, strictement limitée
comporter comme des cellules présentatrices
aux seules cellules bêta, la présence d'une insulite et
d'antigène. Ce sont des grosses cellules arrondies
d'autoanticorps dirigés contre des protéines expri-
avec un noyau excentré et des vacuoles dans leur
mées par les cellules bêta et détectables sur coupes
cytoplasme. Les macrophages se différencient à
de tissu pancréatique, et enfin la survenue de la
partir des monocytes, qui sont des phagocytes
maladie chez des sujets exprimant des molécules
sanguins, eux-mêmes dérivés de la moelle osseuse.
du CMH (complexe majeur d'histocompatibilité)
Quand un monocyte infiltre un tissu en traversant
anormales, donnent au diabète de type 1 un statut
l'endothélium vasculaire par diapédèse, il subit sa
de maladie auto-immune [1–5]. Rappelons que le
différenciation terminale pour devenir un macro-
CMH est la partie du chromosome 6 humain qui
phage. Les monocytes, puis les macrophages, sont
code les protéines caractéristiques d'un individu, à la
attirés vers le lieu d'une inflammation par chimio-
surface de ses cellules, c'est-à-dire les molécules
tactisme. L'inflammation des îlots dans le diabète
grâce auxquelles l'organisme distingue ses propres cel­
de type 1 pouvait donc résulter d'une réaction de
lules des cellules étrangères (micro-organismes
défense contre un micro-organisme étranger qui
envahisseurs, greffons). L'identification des
aurait envahi les cellules bêta et provoqué l'appa-
étapes successives de la réponse auto-immune a lar-
rition d'antigènes (des protéines qui signalent l'in-
gement bénéficié de modèles animaux de diabète
trusion d'un envahisseur) à la surface des cellules
de type 1 spontané, en particulier la souris NOD
infectées. Telle fut l'hypothèse initiale. En 1979,
(Non Obese Diabetes) et le rat BB (Biobbreeding).
Gianfranco Bottazzo, à Londres (figure 4.2), fut
La souche de souris NOD a été développée au
le premier à démontrer que le diabète de type 1
Japon par Susumu Makino à partir de 1975. Les
pouvait résulter effectivement d'une autodestruc-
souris NOD représentent le modèle animal de dia-
tion des cellules produisant l'insuline.
bète de type 1 le plus utilisé. L'apparition (spon-
tanée) du diabète est associée à une insulite. Les
souris NOD sont également susceptibles de déve-
lopper d'autres syndromes auto-immuns (sialite,
thyroïdite, polyneuropathie périphérique). Au
milieu des années 1970, à la même époque où le
modèle de la souris NOD a été décrit au Japon,
ont été découverts à Ottawa, Canada, dans une
colonie de rats normaux de souche Wistar (souche
normale la plus utilisée), des individus dévelop-
pant spontanément une insulite, une glycosurie,
une hyperglycémie et une acidocétose, caractéris-
tiques cliniques du diabète de type 1. L'élevage
sélectif de ces animaux a conduit au modèle du
rat BB (Biobreeding).
À partir du début des années 1980, des argu-
ments convaincants ont donc été réunis chez
la souris NOD et le rat BB pour accréditer la
responsabilité centrale des cellules T dans le
­
Figure 4.2. Gianfranco Bottazzo (1946–2017). développement du diabète insulinodépendant.
90 Physiopathologie du diabète

Premier argument : le diabète est prévenu par des Par contre, lorsqu'on injecte à une souris saine un
traitements inactivant sélectivement les cellules T nombre limité de cellules T purifiées à partir de
ou empêchant leur maturation dans le thymus, cellules spléniques (de la rate) d'une souris diabé-
une petite glande située à la base du cou (le ris tique, la souris saine devient diabétique. Notons
de veau des gastronomes…). Ainsi, l'ablation néanmoins que le receveur doit être irradié pour
du thymus réalisée à la naissance chez le rat BB que le transfert soit efficace. Cette nécessité d'une
empêche la survenue du diabète chez l'adulte. irradiation du receveur, dont il a bien sûr été véri-
Les mêmes chercheurs ont montré un peu plus fié que par elle-même elle ne provoquait pas de
tard que des traitements par des sérums contenant diabète, suggère l'existence de mécanismes régu-
des anticorps antilymphocytes détruisant les cel- lateurs prévenant la survenue du diabète chez les
lules T avaient les mêmes effets préventifs. Dans le animaux non diabétiques, utilisés ici comme rece-
même esprit, il a été montré que la ciclosporine, veurs des cellules diabétogènes. Cela a conduit les
un médicament immunosuppresseur inactivant diabétologues à envisager qu'une autre popula-
sélectivement les fonctions des cellules T, avait tion de lymphocytes T pourrait aussi jouer un rôle
les mêmes effets. L'utilisation thérapeutique de la dans l'établissement de la réponse auto-immune :
ciclosporine dès le début des années 1980 a per- il s'agit des cellules T suppressives, lymphocytes
mis un essor considérable du domaine de la trans- qui, comme leur nom l'indique, ont la capacité de
plantation d'organes en prévenant le rejet aigu supprimer la réaction auto-immune dirigée contre
des allogreffes. Il s'agit d'un peptide cyclique de les îlots. Les cellules T suppressives, aussi appelées
onze acides aminés synthétisé par un champignon lymphocytes T régulateurs (Treg) aident à pré-
microscopique (tolypocladium inflatum) initiale- venir l'activation des lymphocytes auto-immuns
ment isolé dans un échantillon de sol en Norvège. qui détruisent les cellules de leur propre orga-
La ciclosporine a eu également des applications nisme. On les distingue des autres lymphocytes T
dans le traitement de certaines maladies auto- car ils portent à leur surface les marqueurs CD4
immunes. Elle s'était révélée ainsi capable de pré- et CD25. Les preuves directes de l'existence de
venir le diabète chez la souris NOD et le rat BB. ces cellules suppressives ont été obtenues dans le
Et dans les années 1980, la ciclosporine fut expé- modèle NOD : des lymphocytes T de souris NOD
rimentée (en France et au Canda) chez l'homme mâles non diabétiques, qui ne transmettent pas la
au moment de la découverte clinique du diabète maladie lorsqu'ils sont injectés à des souris irra-
de type 1 dans l'espoir de freiner l'installation de diées, empêchent le transfert de la maladie pro-
la maladie. Le passage à l'insulinodépendance fut voquée par des cellules de souris NOD femelles
bien retardé chez ces patients traités (rémission diabétiques ; l'injection d'un immunosuppresseur,
du diabète). Malheureusement, on réalisa rapide- le cyclophosphamide, qui détruit sélectivement les
ment que la ciclosporine inactivait tous les lym- cellules T suppressives, induit l'apparition d'un
phocytes T et pas seulement les lymphocytes T diabète chez les souris NOD mâles à un âge où
spécifiques des autoantigènes exprimés par les cel- aucun diabète n'est spontanément observé. Au
lules bêta, de sorte que les défenses de l'individu total, tout indique que ce sont les cellules T qui
diminuaient. De surcroît, les rémissions ne furent déclenchent la maladie. Ces cellules T, dites effec-
que temporaires, (de six à trente mois) et la ciclos- trices, ou leurs progéniteurs, sont probablement
porine entraînait une néphrotoxicité notable chez déjà présentes assez longtemps avant la survenue
les patients traités. clinique du diabète, mais elles n'expriment pas
Mais la preuve la plus directe de la responsabilité leurs potentialités diabétogènes tant qu'elles sont
des cellules T dans la survenue du diabète vient soumises au contrôle négatif exercé par les cel-
d'expériences de transfert. Des receveurs sains à lules T suppressives. Si l'action de ces cellules T
qui l'on injecte des lymphocytes B de souris NOD suppressives se maintient, le diabète n'apparaît
diabétiques ne deviennent pas diabétiques (les jamais, comme chez la majorité des souris NOD
lymphocytes B ne transfèrent donc pas la maladie). mâles.
Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 91

Comment l'agresseur Puis, lors de l'infiltration des îlots, les cellules T/


choisit sa victime ? CD4 viennent activer à leur tour les cellules T/
CD8 cytotoxiques elles-mêmes arrimées à l'au-
toantigène bêta présenté sur le complexe CMH à
Les lymphocytes T ne reconnaissent pas l'autoan- la surface des cellules bêta (figure 4.3).
tigène directement sur les cellules bêta, mais
seulement lorsqu'il est présenté par des cellules
dendritiques ou des macrophages (cellules dites
présentatrices). Plus précisément, les lympho- Comment l'agresseur
cytes T/CD4 reconnaissent les antigènes étran- exécute sa victime ?
gers ou les autoantigènes, seulement lorsque ces
derniers sont présentés (comme sur un plateau !) Au bout du compte, les cellules T/CD8 activées
par des molécules codées par les gènes du CMH détruisent les cellules bêta par plusieurs méca-
(complexe majeur d'histocompatibilité). Les anti- nismes : elles libèrent des protéines (perforines)
gènes libres, non présentés par ces molécules, ne et des enzymes de type hydrolase (granzymes)
sont pas reconnus par les lymphocytes T. De nom- dont la pénétration dans la cellule bêta cible pro-
breuses expériences soulignent le rôle central de voque l'apoptose de cette dernière. La perforine
l'interaction des cellules présentant l'antigène et est une protéine sécrétée par les lymphocytes T
des lymphocytes T. Ainsi, on prévient le diabète cytotoxiques et les lymphocytes NK. Elle s'insère
chez la souris NOD en injectant des anticorps dans la membrane plasmique de la cellule cible et
spécifiquement dirigés contre certaines protéines y forme un canal. Les granzymes sont une famille
du complexe majeur d'histocompatibilité des de protéines enzymes, des sérines protéases. C'est
cellules présentatrices, ou des anticorps spécifi- un des moyens d'action des cellules immunitaires
quement dirigés contre les lymphocytes T. Des cytotoxiques (lymphocytes T et lymphocytes NK)
clones de lymphocytes T isolés à partir de la rate pour lyser leur cible. Elles induisent la mise en
de souris NOD et qui sont spécifiques d'antigènes apoptose de la cible. Dans les cellules NK et les
exprimés par les cellules bêta accélèrent le déve- lymphocytes T, les granzymes sont stockées dans
loppement du diabète lorsqu'ils sont injectés à des des vésicules avec de la perforine. La perforine
souris NOD non diabétiques. Ces expériences sou- permet aux granzymes d'entrer dans la cible. Un
lignent le rôle central de l'interaction des cellules second mécanisme fait intervenir l'interaction
présentant l'autoantigène et des lymphocytes T/ d'une protéine transmembranaire appelée FasL
CD4. Selon l'hypothèse actuellement la plus vrai- (pour Fas Ligand, un membre de la famille du
semblable, des autoantigènes (que l'on appellera facteur de nécrose tumorale TNF [Tumor Necrosis
ici autoantigènes bêta) sont libérés au sein des Factor]) exprimée à la surface des lymphocytes T/
îlots, pour une raison inconnue (peut-être à la suite CD8 activés, avec une protéine réceptrice appelée
d'une attaque virale, ou d'un dysfonctionnement Fas exprimée sur les membranes des cellules bêta
des cellules bêta). Ils sont ensuite phagocytés sur cibles. La liaison de FasL avec le récepteur Fas (on
place par des cellules présentatrices (cellules den- dit Fas ou FasR) induit l'apoptose de la cellule qui
dritiques, macrophages), puis présentés dans les exprime Fas. Fas appartient à la superfamille des
ganglions lymphatiques aux lymphocytes T/CD4. récepteurs de TNF. Les cellules bêta humaines
L'interaction entre les lymphocytes T/CD4 et les n'expriment pas Fas de façon spontanée, mais des
cellules qui présentent l'autoantigène va comman- cytokines telles que l'interleukine 1β, le TNFα
der une cascade de réactions qui finalement abou- et l'interféron γ (IFNγ) sont capables d'induire
tira à la destruction des cellules bêta [1, 3, 5, 6]. l'expression de Fas par des cellules bêta. Or, les
Les cellules T/CD4 porteuses de l'antigène bêta lymphocytes T/CD4 activés et les macrophages
et alors activées stimulent l'expansion clonale des recrutés au sein de l'insulite produisent de l'in-
cellules B, conduisant à la production d'anticorps terféron γ, de l'interleukine 1β et du TNFα.
dirigés spécifiquement contre l'antigène bêta. Un troisième mécanisme de c­ytotoxicité repose
92 Physiopathologie du diabète

T/CD4
CELLULE DENDRITIQUE
OU CMH
MACROPHAGE T/CD4

B
AUTO ANTIGÈNES
ICA
T/CD4
B
IL1β
TNFα
IFNγ

BÊTA

T/CD8
CMH Fas
FasL

PERFORINE
GRANZYME

Figure 4.3. Pathogenèse du diabète de type 1.


Le diabète de type 1 est une maladie immuno-médiée. Lorsque des cellules présentatrices d'antigènes (macrophages,
cellules dendritiques) ingurgitent un autoantigène provenant de cellules bêta en cours de destruction, ces cellules migrent
vers le ganglion lymphatique pancréatique et, grâce à leurs protéines du CMH (complexe majeur d'histocompatibilité)
de classe II, elles présentent l'autoantigène (ou des fragments de cet antigène) aux lymphocytes T CD4 +. Cette
reconnaissance déclenche l'activation des lymphocytes T CD4 + qui vont se multiplier (expansion dite clonale). Ces
lymphocytes T CD4 + activés vont stimuler la multiplication de lymphocytes B qui se mettent à produire des autoanticorps.
En infiltrant les îlots, les lymphocytes activés T CD4 + induisent l'activation de lymphocytes T CD8 + cytotoxiques
accrochés spécifiquement aux cellules bêta (grâce au système de présentation des antigènes par le CMH de type 1). Les
CD8 + cytotoxiques vont finalement détruire les cellules bêta en utilisant plusieurs armes (FasL, perforine, granzyme).
Ce qui emballe la réaction immune : davantage de lymphocytes T CD4 +, T CD8 + et B sont activés et la destruction des
cellules s'auto-amplifie. Cette destruction dite T-dépendante induit un cercle vicieux puisque l'augmentation de mise en
circulation d'autoantigènes provenant des cellules bêta lysées renforce l'activation T-lymphocytaire et donc accélère la
destruction des cellules bêta survivantes.
ICA : autoanticorps anticellules d'îlots.

sur l'action directe de ces trois cytokines sur les n'est détectée lorsque ceux-ci proviennent de
cellules bêta : elles agissent en synergie pour sujets non diabétiques. On peut aussi détecter des
induire la mort des cellules bêta. Le diabète de autoanticorps anticellules d'îlot (ICA pour Islet Cell
type 1 apparaît donc comme la conséquence d'un Antibodies) dans le sang, au moment de la décou-
« contrôle au faciès » de la cellule bêta qui a mal verte clinique de la maladie. On peut vérifier qu'ils
tourné (figure 4.3). sont effectivement dirigés contre des antigènes pré-
Mais alors, quelle est la nature des autoantigènes sents dans les cellules bêta, par visualisation de leur
des cellules bêta contre lesquels se développe la fixation in vitro sur coupes histologiques d'îlots
réaction auto-immune ? Rappelons-nous qu'il s'agit pancréatiques. Détectés dans 60 à 90 % des cas, ils
bien dans le diabète de type 1 d'une activation du sont plus fréquents chez l'enfant que chez l'adulte.
système immunitaire vis-à-vis d'autoantigènes insu- Certains de ces autoanticorps reconnaissent des
laires. De fait, on peut détecter dans le sang des dia- antigènes identifiés. Les plus représentés sont les
bétiques de type 1 des lymphocytes T proliférant de autoanticorps anti-GAD détectés chez 80 à 90 %
façon spécifique en présence de cellules insulaires des sujets ayant un diabète de type 1 récent, les
normales (on parle alors de lymphocytes T auto- autoanticorps anti-insuline détectés chez 20 à 30 %
réactifs). Aucune prolifération des lymphocytes T des sujets (ces derniers sont des anticorps présents
Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 93

avant tout traitement par l'insuline, à distinguer de s'exercer sur leur réticulum endoplasmique
ceux qui apparaissent sous insulinothérapie), les (voir Zoom 4.2).
autoanticorps anti-IAA2, et enfin des autoanticorps Au bout du compte, si on met de côté un instant
dirigés contre ZnT-8A. La glutamate décarboxy- le détail des péripéties immunitaires qui conduisent
lase (en anglais, Glutamic Acid Decarboxylase ou à la destruction lente mais irréversible des cellules
GAD) est une enzyme qui assure la conversion du bêta, la diminution du nombre des cellules bêta en
L-glutamate (neurotransmetteur excitateur le plus dessous d'un seuil limite que l'on estime à 10 %
répandu) en acide γ-aminobutyrique (en anglais de la valeur normale entraîne un hypoinsulinisme
Gamma-Aminobutyric Acid ou GABA) qui est le entre chaque repas et une absence d'insulinosécré-
principal neurotransmetteur inhibiteur. L'IAA2 tion au moment de chaque repas. C'est ainsi que
(Insulinoma-Associated Antigen 2) est une protéine s'installera l'hyperglycémie basale, aggravée par les
de type récepteur-tyrosine phosphatase associée à excursions exagérées postprandiales. Les consé-
la membrane des granules de sécrétion des cellules quences métaboliques de la carence profonde en
endocrines. ZnT-8A est une protéine transporteuse insuline observée au cours du diabète de type 1
de zinc dont la fonction est liée à la biosynthèse de sont donc similaires à celles obtenues expérimen-
l'insuline chez l'homme. Il existe nombre d'autres talement chez l'animal par pancréatectomie ou
autoanticorps dont la nature est moins bien établie, administration d'agents chimiques cytotoxiques
mais leur diversité illustre bien la large diversifica- pour les cellules bêta (streptozotocine, alloxane),
tion de la réponse immunitaire au cours du diabète à savoir : hyperglycémie, hyperlipémie, hyperpro-
de type 1 (figure 4.3). duction hépatique de glucose, utilisation réduite
du glucose par les muscles, lipolyse accrue, com-
plications rétiniennes et rénales, neuropathie. Ce
Une victime facile sont celles décrites par les cliniciens à l'époque de
la découverte de l'insuline. En résumé, le diabète
Historiquement, le diabète de type 1 a été consi- de type 1 est la conséquence d'une carence abso-
déré comme une maladie du système immunitaire lue de l'insulinosécrétion due à la destruction spé-
où les cellules bêta sont des cibles passives, détruites cifique des cellules des îlots de Langerhans par un
par un processus auto-immun complexe médié par processus auto-immun dont les étapes successives
des lymphocytes T et favorisé par l'immunité innée. sont en bonne partie identifiées. Reste maintenant
Un nombre croissant de preuves expérimentales à comprendre comment se fait l'initiation de la
et cliniques soutiennent maintenant l'idée que maladie auto-immune dirigée contre les cellules
le dysfonctionnement des cellules bêta est tout bêta pancréatiques. Rendez-vous au Chapitre 5 –
aussi critique que le processus auto-immun dans Un résumé de la pathogenèse du type 1 !
l'installation du diabète de type 1 [1, 7, 8]. Trois
mécanismes liés au fonctionnement endogène des
cellules bêta pourraient contribuer à leur propre
disparition :
Diabète de type 2.
1. en raison de leur activité de biosynthèse très éle- Des pannes multiples
vée, les cellules bêta semblent particulièrement
vulnérables au stress généré par des infections
locales ou d'autres événements inflammatoires,
toutes situations entraînant la production de
Trop de glucose et
peptides autoantigéniques spécifiques recon- de lipides dans le sang
nus par les lymphocytes T pathogènes ; pour de multiples raisons
2. les cellules bêta sont particulièrement sen-
sibles à l'effet cytotoxiques des cytokines ; Le diabète de type 2 est par définition un état
3. elles ont une capacité d'autodestruction d'hyperglycémie chronique, reflet des difficul-
élevée en réponse aux contraintes pouvant tés de l'organisme à régler de façon normale son
94 Physiopathologie du diabète

métabolisme glucidique. On oublie souvent que cours du métabolisme, les acides gras permettent
l'hyperglycémie chez le diabétique est toujours aux êtres vivants de stocker 9 kcal d'énergie par
associée à une élévation chronique de la concen- gramme de lipides, contre 4 kcal pour les glu-
tration des acides gras libres circulant dans le sang cides. Ils servent de précurseur dans la synthèse
et qui, elle, traduit une dérégulation du métabo- des phospholipides, des triglycérides et des esters
lisme lipidique (figure 4.4). Rappelons que les de cholestérol. Les acides gras dits saturés ont
acides gras peuvent être synthétisés par l'orga- tous leurs atomes de carbone saturés en hydro-
nisme à travers un ensemble de processus méta- gène (pas de double liaison). Les acides gras dits
boliques appelés lipogenèse. Ils sont également insaturés comportent plusieurs doubles liaisons.
apportés en grande quantité par l'alimentation. Il en existe deux familles selon que la première
Ils sont stockés par l'organisme (tissus adipeux) double liaison est située sur le troisième (oméga-
sous forme de triglycérides, dans lesquels trois 3) ou le sixième (oméga-6) carbone à partir de
molécules d'acides gras forment un ester avec l'extrémité méthylée de la chaîne. Les mammi-
une molécule de glycérol (estérification). Ils fères ne possèdent pas les enzymes nécessaires
représentent une source majeure d'énergie au à la formation de la première double liaison et
doivent trouver dans l'alimentation les précur-
seurs (qui sont donc des acides gras essentiels) :
ND DT2
acide alpha linolénique et acide linoléique, à
2,2
l'origine respectivement du DHA (oméga-3) et
800 de l'EPA (oméga-6).
1,8
De façon formelle, on peut donc tout à fait
qualifier le diabète de lipidus. D'ailleurs certains
600 spécialistes parlent de diabésité [9] dans le cas des
(µEq/l)

(g/l)

1,4 diabètes associés à une obésité. Mais c'est bien


la qualification mellitus qui a été historiquement
400
retenue.
G
AGL

1,0 Si on rentre un peu plus dans le détail chez


200 0,8
les diabétiques, les concentrations sanguines de
glucose et d'acides gras sont trop fortes entre
les repas (état qualifié de postabsorptif ou
0 60 120 0 60 120 (min) interprandial). Lors du repas (état prandial),
Figure 4.4. Évolution des concentrations plasmatiques la concentration de glucose (qui normalement
en AGL (acides gras libres) (ronds noirs) et en glucose n'augmente que transitoirement) reste trop
(G, ronds blancs) en réponse à une surcharge orale en longtemps élevée, et celle des acides gras (qui
glucose (qui mime l'état prandial), chez des individus ND normalement baisse transitoirement) ne baisse
(non diabétiques) et chez des individus DT2 (diabétiques
de type 2) mais sans obésité associée (IMC entre 24 et 28). pas suffisamment.
La glycémie basale et la glycémie en réponse à la Cette situation chronique (tous les jours,
surcharge glucosée sont constamment plus élevées chez pendant des années) d'hyperglycémie associée à
les diabétiques de type 2. La concentration plasmatique
l'hyperlipidémie va avoir des conséquences néga-
basale en AGL (avant le test) est plus élevée chez les
diabétiques. Les AGL chutent en réponse à la surcharge tives non négligeables sur le fonctionnement de
glucosée, mais la baisse est plus tardive et moins forte beaucoup des tissus de l'organisme : c'est ce que
chez les diabétiques que chez les patients témoins. la plupart des experts appellent la glucolipotoxi-
Cela démontre que les diabétiques de type 2 ont une
concentration plasmatique en AGL constamment trop
cité. La question qui se pose est de comprendre
élevée (à l'état interprandial comme à l'état prandial). Cette pourquoi la glycémie et la lipémie sont en perma-
hyperlipidémie est due à la lipolyse qui reste anormalement nence trop élevées chez les diabétiques de type 2.
élevée dans le tissu adipeux blanc chez les diabétiques de Les raisons, on va le voir, sont multiples. Longue
type 2, et cela quel que soit l'état nutritionnel.
D'après Shafrir E, Raz I. Diabetes : mellitus or lipidus ? Diabetologia est la liste des dérèglements métaboliques et
2003;46(3):433–40. endocrines.
Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 95

Le grand chambardement la cascade de signaux intracellulaires qui est


du métabolisme ­normalement activée par la liaison de l'insuline à
son récepteur (voir Chapitre 3 – Le cas des tissus
énergétique et la perte insulinodépendants) est très perturbée : au total,
d'influence de l'insuline l'activité du réseau intracellulaire de signalisation
en aval du récepteur s'en trouve donc diminuée.
Des tissus adipeux bourrés C'est ce qui conduit à la réduction du transport
de lipides et qui relarguent trop adipocytaire de glucose (par défaut de recrute-
d'acides gras et des cytokines ment efficace des transporteurs GLUT4) et à une
lipolyse adipocytaire accrue par défaut de blocage
Chez les obèses de façon générale, et donc chez les de la HSL (lipase hormonosensible). La HSL
diabétiques de type 2 obèses, il existe un profond existe sous une forme longue et une forme courte.
remodelage des tissus adipeux. On sait que dans La forme longue est exprimée dans les tissus sté-
les conditions physiologiques normales, les adipo- roïdogènes tels que les testicules où elle agit sur
cytes subissent des changements morphologiques les esters du cholestérol pour en libérer ce dernier
rapides et réversibles liés à l'alternance des phases afin de produire des hormones stéroïdiennes. La
prandiales et interprandiales. Lors de l'ingestion forme courte est exprimée dans les tissus adipeux,
de nourriture, les adipocytes se dilatent pour où elle hydrolyse les triglycérides pour en libérer
stocker l'excès de carburant, y compris les lipides les acides gras. Elle est dite hormonosensible dans
circulants et le glucose, sous forme de triacylgly- la mesure où elle est favorisée lors du jeûne par
cérides dans la gouttelette lipidique. La masse des diverses hormones telles que l'adrénaline et le cor-
adipocytes peut se dilater de deux manières dif- tisol pour accroître la libération dans le sang des
férentes : hypertrophie (augmentation de taille) acides gras stockés dans les lipides des tissus adi-
et hyperplasie (augmentation du nombre). Une peux ; elle est au contraire inhibée par l'insuline.
fois que la taille limite est atteinte, les adipocytes Par ailleurs, chez les obèses diabétiques, les
deviennent dysfonctionnels. La suralimentation tissus adipeux deviennent le siège d'une inflam-
chronique est associée à un remodelage des tissus mation chronique d'intensité modérée (inflam-
adipeux caractérisé par l'apparition d'adipocytes mation dite infraclinique ou à bas bruit) [10–13].
hypertrophiques entourés d'adipocytes nécro- Cet état inflammatoire reflète la colonisation du
tiques et de macrophages. Ce remodelage adipeux tissu adipeux par des cellules du système immu-
s'accompagne du recrutement et de l'activation nitaire inné, en particulier des macrophages pro-
de cellules immunitaires, et favorise la fibrose du ducteurs de l'IL-6 (interleukine 6) et du TNFα
tissu [10–13] (figure 4.5). (Tumor Necrosis Factor Alpha). L'IL-6 est une
Les adipocytes sains sont très sensibles à l'ac- cytokine appartenant au trio des cytokines proin-
tion de l'insuline. Les adipocytes hypertrophiés flammatoires de l'immunité innée avec l'IL1 et le
deviennent résistants à l'action de l'insuline. Or, TNF dans la phase aiguë de l'inflammation. Les
l'insuline est un puissant frein pour bloquer la facteurs de nécrose tumorale forment une super-
lipolyse et favoriser ainsi la mise en réserve des famille de protéines dont le membre type est le
triglycérides dans les adipocytes au moment de TNFα, également appelé cachectine ou cachexine.
chaque repas. Chez les diabétiques de type 2, Le TNFα est une importante cytokine impliquée
cette extrême insulinosensibilité du tissu adipeux dans l'inflammation systémique et dans la réaction
est perdue, et il en résulte une lipémie anormale- de phase aiguë. Il est produit essentiellement par
ment élevée aussi bien en période prandiale qu'en des macrophages activés.
période interprandiale. Les études réalisées sur L'inflammation chronique du tissu adipeux
les adipocytes de diabétiques ont montré que le provoque surtout un déséquilibre dans la sécré-
nombre de récepteurs de l'insuline par cellule est tion adipocytaire des adipokines : diminution
en fait peu ou pas affecté, mais que, par contre, des cytokines à propriété anti-inflammatoire et
96 Physiopathologie du diabète

INFLAMMATION
INSULINOSENSIBILITÉ

LIPIDES
2 ECTOPIQUES

IL-6 UTILISATION DU GLUCOSE


ON TNF INSULINOSENSIBILITÉ
ATI RBP4
MM
LA ADIPONECTINE
F

RÉSISTINE
IN

AGL
LI GLYCÉROL
MACROPHAGE PO PRODUCTION DE GLUCOSE
LYSE
INSULINOSENSIBILITÉ

Figure 4.5. Remodelage pathologique du tissu adipeux et conséquences métaboliques.


1. Les adipocytes sont le siège de changements morphologiques rapides et réversibles à chaque transition entre le jeûne
et l'état nourri. Lors de l'ingestion de nourriture, les adipocytes se dilatent pour stocker l'excès de carburant, y compris les
lipides circulants et le glucose, sous forme de TG (triacylglycérides) dans la gouttelette lipidique. Cela s'accompagne de
modifications des sécrétions adipocytaires (lipides, cytokines et autres adipokines). Le tissu adipeux peut croître de deux
manières différentes : hypertrophie (augmentation de taille des adipocytes) et hyperplasie (augmentation du nombre des
adipocytes). Lorsque leur taille maximum limite est atteinte, les adipocytes deviennent dysfonctionnels. La suralimentation
chronique induit une accumulation d'adipocytes hypertrophiques, entourés de cellules nécrotiques et de macrophages. Ce
remodelage aberrant du tissu adipeux est associé à un état inflammatoire local à bas bruit, et peut évoluer à la longue vers
la fibrose.
2. Les adipocytes sains sont sensibles à l'action de l'insuline. Les adipocytes surchargés de TG sont devenus résistants
aux actions de l'insuline, en particulier à son action antilipolytique. Cela a des conséquences sur l'accumulation ectopique
de lipides dans d'autres tissus. Les adipocytes dysfonctionnels aussi ont une sécrétion réduite des adipocytokines qui ont
des effets métaboliques bénéfiques et une sécrétion accrue de protéines (cytokines) et de lipides nuisibles qui exercent à
distance des effets indésirables dans d'autres organes (muscles et foie en particulier).

insulinosensibilisante comme l'adiponectine, et en particulier le foie et les muscles squelettiques


augmentation des cytokines pro-inflammatoires (figure 4.5).
comme le TNFα et l'IL-6. Il existe des arguments L'adiponectine est impliquée dans la régula-
expérimentaux pour penser que l'IL-6 et le TNFα tion du métabolisme des lipides et du glucose.
contribuent directement et indépendamment L'insuline augmente sa production, alors que
à affaiblir la sensibilité de la voie de la lipolyse à les glucocorticoïdes et le TNFα la diminuent.
l'insuline. Ces dernières cytokines pro-inflamma- L'adiponectine exerce normalement un rôle
toires relâchées dans la circulation générale pour- antidiabétique au niveau du foie et du muscle
ront aussi contribuer à l'installation et au maintien squelettique en augmentant la sensibilité à l'in-
de l'insulinorésistance dans des tissus distants, suline de ces organes. Au niveau hépatique, elle
Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 97

contribue à diminuer la production de glucose et à Des muscles gavés de lipides


réduire le contenu en triglycérides pour ainsi favo- et de cytokines et qui refusent
riser une augmentation de la sensibilité à l'insuline. de consommer du glucose
Elle a aussi des propriétés anti-athérogéniques et
anti-inflammatoires. Sa concentration plasmatique À l'état interprandial (le matin à jeun, par
est diminuée chez les personnes en surpoids ou exemple), la grande majorité du glucose produit
obèses ainsi que chez les patients diabétiques. par le foie est utilisée par des tissus non sensibles
Quant à la leptine (du grec leptos, « mince ») à l'insuline (cerveau, reins, érythrocytes) pour les-
parfois dite hormone de la satiété, c'est une hor- quels il est un substrat énergétique essentiel. C'est
mone sécrétée par le tissu adipeux blanc, mais seulement lors du repas (état prandial) que l'uti-
aussi par l'estomac. Elle régule les réserves de lisation du glucose augmente au niveau des tissus
graisses dans l'organisme et l'appétit en contrô- sensibles à l'insuline, sous l'influence de l'éléva-
lant la sensation de satiété. C'est une hormone tion glycémique, mais surtout sous l'influence
anorexigène (satiétogène) contrairement aux de l'hyperinsulinisme dû à la sécrétion prandiale
hormones orexigènes (ghréline, cortisol). Elle d'insuline. La spectroscopie RMN au 13C a per-
agit au niveau du noyau arqué de l'hypotha- mis de mesurer pour la première fois de façon
lamus : elle y active les neurones POMC (pro- non invasive l'importance de la synthèse muscu-
opiomélanocortine) entraînant la libération de laire du glycogène en réponse à l'insuline chez
l'αMSH (αMelanocyte-Stimulating Hormone) l'homme (voir Zoom 3.2). Chez les diabétiques
qui, en agissant sur les récepteurs MC4R présents de type 2, la synthèse musculaire de glycogène
sur des neurones localisés dans l'hypothalamus insulinodépendante (mesurée en situation d'hype-
ventromédian et paraventriculaire, réduit la prise rinsulinisme prandial) est drastiquement diminuée
alimentaire et stimule la dépense énergétique (réduction de 60 %) et, à un degré moindre, l'oxy-
(voir Zoom 4.3). Une sécrétion accrue de lep- dation du glucose. La glycolyse est peu ou pas
tine (observée lorsque la masse grasse augmente) affectée (figure 4.6). L'insulinorésistance muscu-
induit normalement une lipolyse, inhibe la lipoge- laire est de très loin le principal poste de l'insuli-
nèse et augmente la sensibilité à l'insuline. Dans norésistance totale, tous tissus confondus [10, 11,
la quasi-totalité des cas d'obésités humaines, les 13–16].
concentrations circulantes de leptine ne sont pas L'utilisation de la RMN combinée 13C/31P
faibles, mais élevées (proportionnelles à l'impor- montre que les contenus intracellulaires musculaires
tance de la masse grasse). Le fait que l'augmenta-
tion de la leptine chez les sujets obèses n'empêche 3
pas l'inflation adipeuse a conduit à évoquer une
Utilisation du glucose

GGS
résistance centrale aux effets de cette hormone
(mg/min/kg)

(leptinorésistance). La leptine a également été 2


GGS
GL
identifiée comme puissant inhibiteur de la for- GL
mation osseuse lorsqu'elle est présente en grande 1
quantité, en stimulant la résorption et en dépri- OxG OxG
mant la formation ostéoblastique. À faible dose 0
par contre, elle préviendrait la perte osseuse. ND DT2
On retiendra donc que chez les diabétiques de
Figure 4.6. Résistance musculaire à l'insuline mesurée
type 2, et surtout s'ils sont aussi obèses, la capacité en condition euglycémique hyperinsulinémique.
des tissus adipeux à stocker les lipides (triglycé- La plus grande partie du glucose (75 %) est utilisée dans
rides) peut atteindre la saturation et entraîne alors des voies non oxydatives (synthèse de glycogène et
glycolyse). Chez les diabétiques, c'est la GGS (synthèse
l'accumulation anormale de lipides dans d'autres
de glycogène) qui est la plus affectée et, à un degré
tissus, en particulier le foie et les muscles squelet- moindre, l'oxydation du glucose (OxG). La GL (glycolyse)
tiques (graisses dites ectopiques). est peu ou pas affectée.
98 Physiopathologie du diabète

en glucose et glucose-6-phosphate augmentent de la quantité de la protéine GLUT4. Un défaut


moins en réponse à l'hyperinsulinisme prandial chez de la translocation de GLUT4 est donc probable.
les diabétiques de type 2 que chez les individus sains. Chez les diabétiques, la synthèse de glycogène
Cela reflète une anomalie fonctionnelle majeure de musculaire reste limitée en réponse à l'hyperinsu-
la cellule musculaire (appelée aussi myocyte) qui linisme. Ils présentent un défaut d'activation de
porte sur l'entrée du glucose dans les cellules mus- la glycogène synthase musculaire. Ce défaut de
culaires, et donc concerne le transport du glucose régulation n'est pas normalisé lorsqu'on cultive
insulinodépendant assuré par le transporteur de glu- les myocytes des diabétiques pendant plusieurs
cose GLUT4. Une longue série de brillants travaux semaines, ce qui suggère qu'il pourrait être en
de biologie cellulaire a montré que des défauts de la partie d'origine génétique. Le défaut d'activation
signalisation insulinique au sein du myocyte étaient de la glycogène synthase musculaire par l'insuline
responsables de la mauvaise translocation des trans- est aussi observé chez les descendants non diabé-
porteurs GLUT4 à la membrane plasmique (dans tiques de diabétiques (ayant un risque de déve-
la cellule saine, la mobilisation rapide depuis une lopper ce type de diabète), suggérant à nouveau
réserve intracellulaire permet l'augmentation du la possibilité d'un défaut génétique. Pour ce qui
nombre de transporteurs, et donc du transport concerne l'oxydation musculaire du glucose, elle
membranaire de glucose) (voir Chapitre 3). est contrôlée par la PDH (pyruvate déshydro-
Chez les diabétiques, à la fois l'augmentation génase) mitochondriale. Chez les diabétiques, il
du stockage et l'augmentation de l'oxydation existe une diminution de l'activité de la pyruvate
du glucose en réponse au même niveau d'hype- déshydrogénase qui est associée à la diminution
rinsulinisme sont donc réduites. Si les approches des effets de l'insuline sur l'oxydation musculaire
cliniques réalisables in vivo permettent de bien du glucose. Le déficit de captage musculaire de
identifier les principaux tissus et les voies méta- glucose est probablement une retombée colla-
boliques responsables de l'insulinorésistance chez térale de l'oxydation importante des acides gras
les diabétiques, elles ne permettent pas de savoir dans le muscle diabétique.
si ces défauts résultent de l'altération du transport Les études récentes chez les patients utilisant
transcapillaire de l'insuline, d'anomalies des effets cette fois-ci la RMN 1H (voir Zoom 3.2) ont
de l'insuline sur ses tissus cibles ou d'interrelations montré qu'il existait une relation étroite entre
entre les métabolismes du glucose et des acides l'insulinorésistance musculaire et l'accumulation
gras. Elles ne permettent pas non plus d'identifier de triglycérides non seulement intramusculaire
les étapes cellulaires altérées. Celles-ci sont poten- mais aussi intramyocytaire. Si elles confirment
tiellement nombreuses : récepteurs de l'insuline, bien sûr que l'insulinorésistance est corrélée à
transporteurs du glucose, enzymes impliquées l'importance de la masse grasse corporelle totale,
dans la synthèse ou la dégradation du glycogène, elles font ressortir une bien meilleure corrélation
dans l'oxydation du pyruvate dans le muscle. Pour avec le contenu intramyocytaire en triglycérides.
compliquer le tableau, il est difficile d'étudier Comment l'accumulation ectopique de ces lipides
in vitro les effets de l'insuline sur le muscle de peut-elle interférer avec le métabolisme du glu-
l'homme pour au moins deux raisons : nécessité cose chez les patients diabétiques de type 2 ? Le
de réaliser des biopsies et variabilité des effets de biochimiste anglais Philip Randle avait proposé
l'insuline selon la composition en fibres du muscle dès les années 1980 l'idée d'un « cycle glucose-
considéré. Malgré ces difficultés, il a pu être mon- acides gras » (appelé cycle de Randle) : les fortes
tré que la stimulation du transport de glucose par concentrations d'acides gras circulants indui-
l'insuline dans des biopsies musculaires de diabé- saient in fine une réduction du fonctionnement
tiques maintenues in vitro, était diminuée de 50 % du transporteur membranaire de glucose (et du
et que cette diminution était corrélée à l'intensité captage de glucose). Si le mécanisme de cette
du diabète. Dans la plupart des études, il n'a pas inhibition a longtemps été débattu, on considère
été possible de mettre en évidence la diminution actuellement :
Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 99

1. que ce sont bien les lipides intracellulaires qui de signalisation de l'insuline. Le TNFα et l'IL-6
sont directement responsables de la réduction stimulent en outre la transcription des protéines
du transport de glucose ; SOCS (suppresseurs de la signalisation des cyto-
2. que l'accumulation intracellulaire des lipides kines) qui diminuent la phosphorylation sur des
de type acyl-CoA et DAG (diacylglycérols) résidus tyrosine de l'IRS (et diminue donc la fonc-
est d'autant plus élevée que les concentrations tionnalité de cette dernière). Il est enfin probable
plasmatiques d'acides gras sont élevées ; que les AGL circulants à concentration élevée ren-
3. que les acyl-CoA et diacylglycérols freinent forcent directement l'activité de ce réseau toxique,
la signalisation insulinique intracellulaire car ils sont capables de se fixer sur les récepteurs
et contribuent de ce fait à limiter la trans- de type TLR4 (récepteur de type Toll 4) et d'acti-
location insulinodépendante des transpor- ver JNK et IKKβ (figure 4.7).
teurs GLUT4 à la membrane de myocytes. On retiendra donc que l'excès d'acides gras
Quelle est la connexion entre accumulation de et de cytokines induit une insulinorésistance
métabolites dérivés des lipides et la voie de signa- musculaire par des mécanismes très proches et
lisation de l'insuline ? Les médiateurs lipidiques complémentaires.
qui s'accumulent dans les muscles squelettiques
(DAG, céramides) activent certaines PKC (PKC-θ
en particulier), ce qui augmente la phosphoryla- Un foie qui devient gras
tion des résidus sérine appartenant à l'IRS (et et produit trop de glucose
diminue donc la fonctionnalité de cette dernière).
Cela a pour effet d'empêcher l'interaction de l'IRS Le foie possède la capacité singulière de pouvoir
avec la PI3K (PI3 kinase) ; la voie intracellulaire très rapidement changer son fonctionnement
de signalisation de l'insuline s'en trouve diminuée, métabolique de telle sorte que d'organe produc-
entraînant une réduction du transport de glucose teur de glucose, il se mute en organe de stockage
et de la synthèse de glycogène dans la cellule mus- de glucose et vice versa : c'est ce qui se produit
culaire. Enfin, le dysfonctionnement mitochon- lors de chaque transition entre l'état interpran-
drial musculaire prédispose à l'accumulation de dial et l'état prandial. Ainsi, à chacun de nos
ROS (espèces réactives de l'oxygène) et à l'aug- repas, le foie de tout individu sain supprime sa
mentation du SRE (stress du réticulum endoplas- production de glucose et capte une bonne partie
mique) (voir Zoom 4.1), ce qui exacerbe encore du glucose d'origine alimentaire pour le stocker
la résistance à l'insuline [10, 13–16] (figure 4.7). sous forme de glycogène (au total, il s'agit donc
Il existe aussi une composante inflammatoire d'une réponse physiologique qui aboutit à limiter
dans l'installation de l'insulinorésistance mus- l'importance et la durée de l'hyperglycémie pran-
culaire [10, 14, 15]. Elle est la conséquence de diale). Chez les diabétiques de type 2, la produc-
la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires tion hépatique de glucose est accrue plus que de
par les tissus adipeux diabétiques. Les cytokines raison, en période interprandiale (et à jeun). Une
(TNFα, IL-6) libérées par les tissus adipeux et qui étroite corrélation existe entre le degré de l'hyper-
atteignent les muscles via la circulation générale glycémie à jeun et la production hépatique de glu-
y réduisent la cascade de signalisation de l'insu- cose. L'hyperproduction de glucose par le foie des
line. Quelle est la connexion entre la sécrétion de diabétiques résulte surtout d'une augmentation
cytokines et la voie de signalisation de l'insuline ? de la néoglucogenèse (la glycogénolyse n'est pas
Le TNFα et l'IL-6 en se liant aux récepteurs des hyperactivée) [14–16] (figure 4.9).
cytokines comme TNFR activent diverses sérine/ Rappelons que la néoglucogenèse est la voie
thréonine kinases comme JNK (JUN amino-ter- métabolique hépatique qui permet la production
minal kinase) et IKKβ (IκB kinase) qui phospho- de novo de glucose à partir de précurseurs non
rylent le substrat du récepteur de l'insuline (IRS) glucidiques, les protéines en l'occurrence pour les
sur des résidus sérine et réduisent ainsi la cascade mammifères (mais pas les lipides).
100 Physiopathologie du diabète

Adipocyte
Macrophage

AGL IL-6 TNFα RBP4


IL-6 TNFα

TLR4 TNFR IR

JNK Cytokine R
DAG IKK IRS
lipides céramides
ectopiques PKC PI3K AKT JAK
ROS
SOCS STAT
Réponse UPR

hépatocyte SRE
ou
myocyte

Figure 4.7. Mécanismes cellulaires de l'insulinorésistance musculaire et hépatique induite par les cytokines et les AGL.
DAG : diacylglycérol ; JAK : janus kinase ; ROS : espèces réactives de l'oxygène ; SOCS : suppresseur de la signalisation
des cytokines ; SRE : stress du réticulum endoplasmique (voir Zoom 4.1) ; STAT : transducteur de signal et activateur
de transcription ; TLR4 : récepteur de type Toll 4 ; TNFR : récepteur du TNFα ; UPR : Unfolding Protein Response (voir
Zoom 4.1).

Zoom 4.1

Un stress de plus : le SRE


Le RE (réticulum endoplasmique) est une nier comme un message d'erreur (un stress) qui
composante de la cellule, au même titre que le entraîne l'apparition d'une réponse cellulaire
noyau ou les mitochondries. Le RE est le siège adaptative appelée UPR (Unfolding Protein
de nombreuses fonctions cruciales au maintien Response) qui vise à en rétablir l'homéostasie
de l'homéostasie cellulaire. Parmi ces fonctions, cellulaire.
on peut citer le stockage du Ca2 + intracellulaire,
la synthèse des macromolécules lipidiques, telles La réponse UPR
que les triglycérides, le cholestérol, les céramides La réponse UPR quand elle se met en place doit
ou les phospholipides, ou encore la synthèse avant tout être considérée comme une réponse
des protéines sécrétées ou celle des protéines physiologique destinée à éviter l'agrégation des
de membrane. Ces protéines sont orientées au protéines dans le RE, qui serait fatale à la cel-
cours de leur traduction vers la lumière du RE, lule. Elle est tout particulièrement pertinente
où elles vont subir des modifications post-tra- pour les cellules qui ont une fonction sécré-
ductionnelles (N-glycosylation, ajout de ponts toire très intense (cellules bêta, hépatocytes,
disulfures, oligomérisation) qui sont nécessaires plasmocytes).
à l'acquisition de leur structure et de leur fonc- Une réponse UPR démarre avec l'activation de
tion. Toute modification physiologique ou phy- trois protéines transmembranaires du réticulum
siopathologique qui conduit à une altération endoplasmique : la kinase PERK (PKR-Like
des fonctions du RE (par exemple, modifica- ER Protein Kinase), le facteur de transcription
tion de l'homéostasie calcique, accumulation de ATF6 (Activating Transcription Factor 6), et
lipides ou de protéines) est ressentie par ce der- la kinase dotée d'une activité endoribonucléa-

Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 101


sique IRE1 (Inositol-Requiring Enzyme 1). Elle Les acteurs proximaux de la voie UPR sont les
a pour but d'augmenter les capacités de replie- protéines PERK (PKR-Like ER Kinase), ATF6
ment, de maturation, voire de dégradation, du (Activating Transcription Factor 6) et IRE1
réticulum endoplasmique. La réponse UPR (figure 4.8). Ces protéines sont des protéines
est une réponse physiologique qui joue un transmembranaires du RE et sont maintenues
rôle majeur dans les cellules à forte capacité dans un état inactif par leur liaison avec une pro-
­sécrétrice comme les plasmocytes ou les cellules téine chaperonne BiP (Binding immunoglobulin
bêta. Protein). Lors d'un SRE, PERK et IRE1 se dis-

SRE
BIP
SRE
BIP BIP
SRE
BIP

ATF6
PERK
PERK

BIP

ATF6
BIP
PERK

P P
IRE1
IRE1

IRE1
P P
P
eiF2α JNK

ATF6
traduction Apoptose
globale

ATF4
XBP1
CHOP ATF6

ATF6
ATF4 XBP1

Figure 4.8. SRE et voie UPR : la police du réticulum endoplasmique.


Certaines perturbations de l'homéostasie du réticulum endoplasmique entraînent la mise en place d'une réponse UPR
qui conduit à l'activation des trois protéines effectrices de cette voie : PERK, ATF6 et IRE1, après dissociation
de la protéine chaperonne BiP. PERK, après homodimérisation et autophosphorylation, phosphoryle eiF2α, ce
qui conduit à une inhibition globale de la traduction. Paradoxalement, la phosphorylation d'eiF2α s'accompagne
d'une augmentation de la traduction du facteur de transcription ATF4. L'autophosphorylation de IRE1 déclenche
son activité endoribonucléase dont l'action principale est l'épissage de l'ARNm du facteur de transcription XBP1.
L'activité endonucléase d'IRE1 permet également la dégradation de certains ARNm afin de diminuer leur traduction.
Le facteur de transcription ATF6 est activé par clivage protéolytique de son précurseur ancré dans le réticulum
endoplasmique. ATF4, XBP1 et ATF6 vont contribuer de manière coordonnée à l'augmentation de la transcription
de protéines impliquées dans la maturation des protéines. Enfin, si l'ensemble de ces mécanismes ne parviennent
pas à rétablir l'ordre au sein du réticulum endoplasmique, la voie UPR induit l'apoptose, en activant la protéine pro-
apoptotique CHOP par la voie PERK ou l'activation de la kinase JNK par la voie IRE1.
ATF4 : Activating Transcription Factor 4 ; ATF6 : Activating Transcription Factor 6 ; BiP : Binding Immunoglobulin
Protein ; CHOP : C/EBP Homologous Protein ; eiF2α : Eukaryotic Translation Initiation Factor 2 subunit α ; IRE1 :
Inositol-Requiring Enzyme 1 ; PERK : Pkr-Like ER Kinase ; XBP1 : X-Box Binding Protein 1.

102 Physiopathologie du diabète


socient de la protéine BiP, ce qui entraîne leur chronique et les concentrations élevées d'acides
activation. Une fois activée, PERK phosphoryle gras (particulièrement les acides gras saturés)
le facteur d'initiation de la traduction eiF2α sont des activateurs majeurs du SRE dans les
(Eukaryotic Translation Initiation Factor 2α), ce cellules bêta [17]. De nombreuses données de
qui provoque une inhibition globale de la syn- la littérature préclinique et clinique montrent
thèse protéique et donc de l'afflux de nouvelles que le SRE joue un rôle significatif dans l'instal-
protéines vers le RE. La traduction de la plupart lation de la résistance à l'insuline (foie, muscles,
des ARNm est donc bloquée. Mais paradoxale- tissus adipeux blancs) [18]. Par exemple, au
ment la traduction de certains ARNm se trouve cours de la NAFL, la réponse UPR peut deve-
augmentée (ces ARNm portent une structure nir chronique et contribuer à l'évolution de la
particulière au niveau de leur région 5'). C'est maladie vers la NASH en favorisant l'inflam-
le cas, par exemple, du facteur de transcription mation et l'apoptose des hépatocytes, et les
ATF4 (Activating Transcription Factor 4) qui désordres métaboliques associés.
traduit, joue alors un rôle important dans l'acti- Le SRE pourrait contribuer à l'altération de la
vation des gènes impliqués dans le métabolisme sensibilité à l'insuline de deux façons : une action
des acides aminés, l'autophagie, la réponse directe de la voie UPR sur la voie de signalisa-
antioxydante et l'apoptose. Quant à IRE1, en tion insulinique, et une action indirecte via
réponse à un SRE, il passe à l'état actif et exerce l'activation de la synthèse et du stockage des
alors son activité endonucléase vis-à-vis de triglycérides, qui sont eux-mêmes responsables
l'ARNm de la protéine XBP1 (X-Box-Binding de la résistance à l'insuline. Concernant la voie
Protein 1), ce qui conduit finalement à la pro- directe, il a été montré que le SRE pouvait, par
duction du facteur de transcription XBP1s. Le l'intermédiaire de IRE1, activer les kinases de
dernier acteur de la voie UPR est le facteur de stress JNK et IKK, qui inhibent les protéines de
transcription ATF6 qui est libéré par clivage la voie de signalisation insulinique en les phos-
protéolytique à partir d'une forme précurseur phorylant sur les résidus sérine. Concernant la
ancrée dans le RE, et devient dès lors actif. voie indirecte, le SRE pourrait contribuer au
La production du cocktail de facteurs de trans- développement de la résistance à l'insuline en
cription XBP1s/ATF6/ATF4 va alors assurer augmentant la synthèse d'espèces lipidiques
la réponse transcriptionnelle de la voie UPR délétères pour la voie de la signalisation insu-
en activant une pléiade de gènes codants pour linique. Cela a été particulièrement étayé dans
des protéines (chaperonnes, foldases) qui vont le foie où il a été montré que l'activation de
restaurer l'homéostasie du RE en aidant à la l'UPR entraîne le développement d'une stéa-
maturation des protéines. Ces facteurs vont éga- tose hépatique principalement par deux méca-
lement permettre la mise en place de l'ERAD nismes. D'une part, le SRE active le facteur
(ER Associated Degradation) et de l'autopha- de transcription SREBP1c (Sterol Regulatory
gie, deux voies cellulaires qui permettent de Element Binding Protein 1c) qui est un des
diminuer la charge protéique en dégradant régulateurs majeurs de la lipogenèse hépatique
les protéines incorrectement repliées. Enfin, (voir Zoom 4.2). Le facteur de transcription de
si tous ces mécanismes ne parviennent pas à l'UPR, XBP1, a également été impliqué dans
rétablir l'homéostasie du RE, la voie UPR va le contrôle de la lipogenèse de manière indé-
induire l'apoptose de la cellule. Ce processus pendante de SREBP1c. D'autre part, le SRE
d'apoptose fait intervenir notamment l'activa- diminue l'exportation des acides gras en dimi-
tion de la protéine proapoptotique CHOP (C/ nuant la synthèse hépatique des VLDL (Very
EBP Homologous Protein) par la voie PERK, ou Low Density Lipoprotein). Ainsi, en favorisant la
l'activation de la kinase JNK (c-Jun N-Terminal synthèse et le stockage d'acides gras au niveau
Kinase) par la voie IRE1 (figure 4.8). du foie, le SRE pourrait entraîner l'accumula-
Cependant, si le SRE persiste et n'est pas résolu tion d'espèces lipidiques néfastes à la signalisa-
par la voie UPR, la réponse UPR est alors per- tion insulinique. Chez des souris obèses avec
çue comme pathologique, puisqu'elle conduira une stéatose hépatique, l'inhibition du stress du
à terme à la mort de la cellule. L'hyperglycémie RE, à l'aide de la chaperonne BiP, entraîne une

Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 103


diminution de la lipogenèse et de la stéatose et l'inflammasome NLRP3 (NOD-Like Receptor
une amélioration très nette de la sensibilité à Family, Pyrin Domain-Containing 3). NLRP3
l'insuline. est un complexe multiprotéique qui, à travers
L'UPR chronique, qui se met en place dans le foie l'activation des caspases (protéases qui jouent un
au cours de la stéatose, joue un rôle majeur dans rôle essentiel dans l'apoptose cellulaire) qui lui
la transition vers la stéatohépatite en induisant sont associées, conduit au clivage des pro-cyto-
des atteintes inflammatoires, fibrotiques et apop- kines pro-IL1β et pro-IL18 en cytokines inflam-
totiques qui sont caractéristiques de la NASH. matoires IL1β et IL18. L'inflammasome NLRP3
L'activation chronique de la voie PERK à travers est activé dans les foies de patients et de souris
son effet inhibiteur global de la traduction conduit développant une NASH. Les souris qui expri-
également à l'activation de NF-kB en inhibant la ment une forme constitutivement active de
synthèse de IKKB (qui normalement maintient NLRP3 développent une NASH. Au contraire,
NFkB à l'état inactif dans le cytoplasme). Le l'inhibition de NLRP3 améliore la NASH et la
SRE est également impliqué dans l'activation de fibrose chez les souris obèses.

3,5

de glucose (mg/min/kg)
Production hépatique
4
Production de glucose

3,0
(mg/min/kg)

GGL
2 2,5
GGL
NG
NG 2,0
0
ND DT2 0,5 1,0 1,5 2,0 2,5 3,0
Glycémie (g/l)

Figure 4.9. En période interprandiale, la glycémie des diabétiques de type 2 est étroitement corrélée à la production
hépatique de glucose (figure de droite). Cette hyperproduction de glucose est liée à une augmentation de la NG
(gluconéogenèse), la GGL (glycogénolyse) restant peu affectée (figure de gauche).

En période prandiale, et contrairement à ce tient à la moindre efficacité de l'insuline sur le


qui se passe chez un individu sain, la production foie, en raison d'une défectuosité de la signali-
hépatique de glucose reste élevée et le stockage sation insulinique intracellulaire (insulinorésis-
hépatique de glucose (synthèse de glycogène) tance hépatique). Cette diminution de l'action de
est peu efficace. Ces deux anomalies contri- l'insuline touche en particulier le fonctionnement
buent évidemment à aggraver l'augmentation de deux enzymes : la GS (­glycogène synthase),
prandiale de la glycémie chez les diabétiques de enzyme majeure pour la synthèse du glycogène
type 2. Leur origine est multifactorielle. La pre- (la GS est insuffisamment activée lors du repas)
mière cause tient à l'insuffisance de la sécrétion et la PEPCK (phosphoénolpyruvate carboxyki-
de l'insuline au moment du repas. Il en résulte nase), enzyme majeure de la néoglucogenèse (la
un blocage pas assez efficace de la g­ lycogénolyse PEPCK n'est pas assez inhibée lors du repas). Le
et de la ­néoglucogenèse qui restent actives en quatrième déterminant est la présence de concen-
phase postprandiale chez les diabétiques. La trations sanguines de glycérol et d'acides gras
seconde résulte de l'existence d'une hypergluca- élevées tout au long de la journée. C'est le tissu
gonémie tout au long de la journée (alors que adipeux blanc (en particulier dans sa localisation
la glucagonémie devrait diminuer pendant les viscérale) qui libère trop ­abondamment ces acides
repas) (voir Zoom 4.4). Le troisième détermi- gras et ce glycérol (du fait d'une lipolyse anorma-
nant de l'hyperproduction hépatique de glucose lement hyperactive). Les acides gras et le glycérol
104 Physiopathologie du diabète

libérés dans le sang sont captés par les hépato- Pour faire court, un grand nombre d'arguments
cytes. Le glycérol sert de carburant aux hépato- laissent penser qu'une orientation des acyl-CoA
cytes pour faire du glucose (néoglucogenèse) et vers la voie d'estérification et une déficience de
les acides gras y sont transformés en acyl-CoA l'oxydation mitochondriale des acides gras sont à
(mais pas en glucose). Normalement, les acyl- l'origine du développement de l'insulinorésistance
CoA servent à la production énergétique cellu- hépatique chez le diabétique. De façon similaire à
laire car ils sont oxydés dans les mitochondries ce que l'on vient de voir pour les muscles, DAG
hépatiques. Mais, lorsqu'ils sont en fort excès, et céramides activent des PKC (ici, ce serait plu-
ils peuvent générer des métabolites dérivés qui tôt la forme ε). PKCε phosphoryle l'IRS sur des
s'accumulent dans l'hépatocyte : diacylglycérols, résidus sérine, empêchant l'insuline de phospho-
céramides et triglycérides. L'insulinorésistance ryler l'IRS sur des résidus tyrosine et l'interac-
hépatique induite par l'excès de lipides est aussi tion de l'IRS avec la PI3 kinase. L'activité de la
en partie déterminée par l'induction d'un stress voie intracellulaire de signalisation de l'insuline
du réticulum endoplasmique des cellules hépa- se trouve diminuée, ce qui entraîne une augmen-
tiques, qui aboutit aussi à brouiller le signal insu- tation de la production de glucose par le foie.
linique. L'accumulation des triglycérides dans L'insulinorésistance hépatique induite par l'excès
le cytoplasme des hépatocytes aboutit à un type de lipides est aussi en partie déterminée par l'in-
particulier de stéatose nommé NAFLD (Non duction d'un stress du réticulum endoplasmique
Alcoholic Fatty Liver Disease) (voir Zoom 4.2). des cellules hépatiques, qui induit l'activation de
Pour compliquer les choses, la lipogenèse reste JNK qui, elle aussi, phosphoryle l'IRS sur des
activée de façon chronique dans le foie des dia- sérines.
bétiques : c'est paradoxal puisque, cette voie Enfin, comme dans le cas des muscles, il
étant sensible à l'insuline, on s'attendrait à la existe aussi une composante inflammatoire
trouver peu active. Dans ces conditions, la lipo- dans l'insulinorésistance hépatique chez le dia-
genèse hépatique convertit donc une fraction bétique. Là encore elle est la conséquence de
importante du glucose entré dans l'hépatocyte l'exposition du foie aux cytokines pro-inflam-
en malonyl-CoA, puis en acyl-CoA (qui vient matoires. La consommation d'une alimen-
s'ajouter à l'acyl-CoA fabriqué à partir des acides tation riche en lipides, ou l'obésité, entraîne
gras circulants !). Les acyl-CoA, lorsqu'ils sont une activation du facteur de transcription
en grand excès, peuvent générer des métabolites NF-kappaB et de ses cibles moléculaires dans le
dérivés, qui s'accumulent dans le foie. Une frac- foie. Chez la souris génétiquement manipulée,
tion des acyl-CoA est alors dirigée vers la synthèse la surexpression hépatique d'une forme active
de DAG (diacylglycérols), de céramides et de TG de la kinase IKKβ suffit à elle seule à entraîner
(triglycérides). L'accumulation des acyl-CoA dans une insulinorésistance dans le foie des souris et
le cytoplasme des hépatocytes aboutit à une syn- un diabète. L'administration d'un régime riche
thèse importante de triglycérides, et in fine à une en lipides, ou la surexpression d'IKKβ, aug-
stéatose du foie. Des expériences réalisées chez les mente la production de l'IL6, de l'IL1 et du
rongeurs diabétiques obèses ont montré que l'in- TNFα par le foie. La délétion d'IKKβ dans le
hibition de la voie d'estérification des acyl-CoA foie protège contre l'insulinorésistance hépa-
se traduit par une diminution de la concentration tique induite par le régime hyperlipidique. De
de DAG et du malonyl-CoA, une augmentation façon tout à fait similaire à ce que l'on vient de
de l'oxydation des acides gras et la disparition de voir pour les muscles, les cytokines pro-inflam-
l'insulinorésistance hépatique. De même, l'inhibi- matoires libérées par les tissus adipeux du
tion des enzymes impliquées dans la synthèse des diabétique activent dans le foie des protéines
céramides réduit également l'insulinorésistance kinases qui réduisent la cascade de signalisation
induite par l'excès d'acides gras. de l'insuline.
Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 105

Zoom 4.2

NAFL, NASH, stéatose non alcoolique, stéatohépatite non alcoolique,


cirrhose non alcoolique… Bref, la maladie du foie gras !
Définition et épidémiologie prévalence de la NASH pourrait atteindre 80 %
de la stéatohépatite non alcoolique avec une prévalence de la fibrose estimée à au
La maladie du foie gras ou stéatohépatite non moins 25 %.
alcoolique (en anglais, NAFLD pour Non- Mécanismes métaboliques responsables
Alcoholic Fatty Liver Disease) correspond à une du développement de la NAFL et de la
surcharge chronique en graisse du foie (stéatose) NASH
sans rapport avec la prise d'alcool. C'est une
L'accumulation intrahépatique de triglycérides
maladie le plus souvent asymptomatique, mais
s'installe lorsqu'il y a un déséquilibre entre les
dont la prévalence est actuellement en augmen-
flux entrants et sortants d'acides gras dans le
tation en raison de la double épidémie mondiale
foie. Dans des conditions physiologiques, les
de diabète de type 2 et d'obésité. Chez certains
sources d'AGL (acides gras libres) disponibles
patients, la stéatose évolue vers une fibrose, puis
dans le foie sont triples :
une cirrhose, et parfois un cancer du foie (car-
cinome hépatocellulaire). Les autorités de santé 1. le captage depuis la circulation sanguine des
estiment qu'en France six millions de personnes AGL qui proviennent de la lipolyse dans le tissu
seraient touchées par la NAFLD. adipeux blanc périphérique ;
La NAFLD définie par l'accumulation de tri- 2. la synthèse locale intrahépatique d'AGL
glycérides dans plus de 5 % des hépatocytes est (lipogenèse de novo) ;
diagnostiquée à l'aide d'une imagerie ou d'une 3. le captage des AGL d'origine alimentaire
biopsie hépatique. Le terme de NAFLD englobe venant du tube digestif et qui sont emballés
en fait un spectre de troubles h ­ épatiques allant dans des chylomicrons et libérés par la lipopro-
de la simple stéatose hépatique non alcoolique téine lipase tissulaire.
(NAFL [Non-Alcoholic Fatty Liver]) à l'hépatite À l'intérieur des hépatocytes, les AGL peuvent
graisseuse (stéatohépatite, ou NASH [Non- soit subir une β-oxydation dans les mitochon-
Alcoholic Steatohepatitis]), à la fibrose et la cir- dries pour fournir de l'ATP et servir à la synthèse
rhose hépatiques. La NAFLD est présente dans de corps cétoniques, soit subir une estérification
au moins 25 % de la population générale qu'elle pour former des TG (triglycérides) qui seront
soit américaine, européenne ou asiatique, ce qui stockés sous forme de lipides gouttelettes lipi-
en fait la maladie du foie la plus courante dans diques dans les hépatocytes, ou conditionnés
le monde. Environ 20 % des personnes atteintes dans des apolipoprotéines et sécrétés dans le
de stéatose développent une NASH et 5 % des sérum sous la forme de VLDL (lipoprotéines de
patients NASH développent une cirrhose du très basse densité).
foie dans les 5 ans. La présence de cirrhose liée Les voies d'utilisation locale des lipides accu-
à la NASH expose les individus à des compli- mulés dans le foie sont la β-oxydation dans les
cations sévères puisque dans cette population, mitochondries et l'export de VLDL. Au cours
environ 10 % des malades développent dans de la NAFLD, la β-oxydation semble plutôt
les 3 ans un carcinome hépatocellulaire et des augmentée tout au moins au début de la stéa-
complications majeures dues à une hyperten- tose (les données chez l'homme sont parfois
sion portale. En outre, les personnes atteintes contradictoires). Cette augmentation de la
de NASH ont un risque cardiovasculaire et une β-oxydation pourrait favoriser l'augmentation
mortalité plus élevés que les individus avec une de la production de radicaux hydrogénés qui
NAFL. Actuellement, la NASH est la troisième majorent le stress oxydatif. Ce dernier pourrait
indication de transplantation hépatique aux à la longue altérer le fonctionnement des mito-
États-Unis. Bien que la stéatose stricto sensu soit chondries hépatiques elles-mêmes et d'autres
considérée par les cliniciens comme bénigne organelles cellulaires. L'export des VLDL est
dans la population générale, 90 % des diabé- aussi augmenté pour compenser cette surcharge
tiques de type 2 développent une NAFLD et la hépatique en lipides. ▶
106 Physiopathologie du diabète


La NASH se définit par la présence de stéatose phosphorylation des résidus tyrosine et conduit
et d'une inflammation, avec ou sans dévelop- à une inhibition de la signalisation insuline
pement de fibrose. La progression de la NAFL intracellulaire. Il a été rapporté que le blocage
vers la NASH découle des lésions cellulaires qui de la synthèse des TG en inhibant la DGAT2
naissent lorsque la capacité d'adaptation des (diacylglycérol acyltransférase 2), l'enzyme
hépatocytes à la surcharge en lipides intracellu- d'estérification des DAG en TG, provoque
laires est dépassée (figure 4.10). une augmentation des acides gras libres, de la
Ce ne sont pas les triglycérides accumulés qui peroxydation lipidique, et de l'inflammation
sont toxiques, mais d'autres intermédiaires lipi- hépatique. L'exposition à des lipides toxiques
diques bioactifs, tels que les céramides et les tels que DAG et céramides entraîne l'activation
DAG (diacylglycérols). Ces deux grandes classes des macrophages résidant dans le foie, les cel-
de métabolites jouent en particulier un rôle lules de Kupffer, qui acquièrent un phénotype
majeur dans l'apparition de la résistance hépa- pro-inflammatoire (de type M1). Les cellules
tique à l'insuline. Les individus avec NAFLD de Kupffer activées non seulement sécrètent un
montrent une augmentation des concentrations excès de cytokines pro-inflammatoires (TNFα,
hépatiques de céramides et de DAG par rap- IL-6) qui provoquent la réponse inflammatoire
port aux sujets ayant une histologie hépatique locale, mais activent une catégorie de cellules
normale. Céramides comme DAG stimulent mésenchymateuses résidentes du foie appelées
tous les deux l'activation de protéine kinases C cellules étoilées hépatiques. Activées de façon
(PKCξ pour les céramides et PKCε pour les chronique, ces cellules étoilées produisent du
DAG). La PKC activée phosphoryle IRS2 sur collagène conduisant à la formation d'un tissu
des résidus sérine/thréonine, ce qui empêche la cicatriciel et d'une fibrose locale (figure 4.10).

NAFL NASH
Microbiote

LPS
lipolyse
βOX
KC fibrose
LPTx CER
AGL DAG INFL
LPC DMt
ROS HSC
DNL TG SRE
RG
Adiponectine

fructose VLDL

Figure 4.10. Physiopathologie de la NASH (stéatohépatite non alcoolique).


Les principaux moteurs sont l'obésité et la résistance à l'insuline, favorisées par la consommation de régimes RG
(riches en graisses) ou en fructose. La prédisposition génétique joue également un rôle clé. Alors que l'obésité
viscérale se développe dans le contexte de résistance à l'insuline, il en résulte une plus grande libération d'AGL
car la résistance à l'insuline conduit à un échec de l'inhibition de la lipolyse par cette hormone. L'apport excessif
d'AGL au foie constitue le moteur du développement de la NASH, parce qu'il induit une LPTx (lipotoxicité), un DMt
(dysfonctionnement mitochondrial), une production excessive de ROS, un SRE (stress du réticulum endoplasmique)
et une INFL (inflammation). L'accumulation de ces anomalies et leur aggravation aboutissent finalement à l'activation
des HSC (cellules étoilées hépatiques) et à la fibrogenèse. La NASH peut évoluer vers la cirrhose, l'insuffisance
hépatique, et in fine, le carcinome hépatique. βOX : β-oxydation ; CER : céramides ; DAG : diacylglycérol ; DNL :
lipogenèse de novo ; LPC : lysophosphatidylcholine ; LPS : lipopolysaccharide ; VLDL : lipoprotéine de très basse
densité ; KC : cellules de Kupffer.

Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 107


Des études cliniques ont démontré que l'expres- rement préoccupante dans cette perspective car
sion de NF-kB était accrue en situation dans le le fructose ingéré est métabolisé par le foie et
foie des patients NASH. Cette suractivation de sert presque exclusivement à la synthèse des tri-
NF-kB augmente à son tour la production hépa- glycérides par lipogenèse de novo. Tout cela est
tique de cytokines proinflammatoires (TNFα, à l'image de ce qui se produit lors de l'obten-
IL-6). Les mécanismes physiopathologiques tion du foie gras chez les oies ou les canards en
conduisant au développement de la NASH réponse au gavage avec des céréales, c'est-à-dire
restent encore flous. L'accumulation chronique avec de l'amidon dont le produit de dégrada-
de graisse, comme on le voit dans les modèles tion est le glucose !
de rongeurs génétiquement obèses tels que les Les situations d'insulinorésistance, on l'a vu, sont
souris ob/ob, n'induit pas à elle seule les lésions aussi caractérisées par le recrutement et l'acti-
inflammatoires. Un autre déclencheur semble vation de macrophages dans les tissus adipeux
être nécessaire. Ce pourrait être une peroxy- blancs. Ces macrophages activés (de type M1)
dation lipidique toxique puisque la NASH est sécrètent à leur tour de grandes quantités de cyto-
fortement associée à une augmentation de la kines (MCP1, TNFα et IL1β) qui non seulement
peroxydation lipidique microsomale hépatique. induisent le cercle vicieux de l'insulinorésistance
En effet, dans un modèle expérimental de stéa- locale, mais aussi aggravent l'inflammation systé-
tohépatite (induit par la carence en méthionine mique et en particulier hépatique. En effet, des
et choline), l'activité de CYP2E1, une enzyme études cliniques ont montré que les personnes
microsomale qui a un rôle clé dans le déve- atteintes de NASH ont des niveaux sanguins de
loppement du foie alcoolique par sa capacité à TNFα et d'IL-6 plus élevés par rapport aux indi-
déclencher un stress oxydatif, devient très éle- vidus NAFL, et que la charge en TNFα est égale­
vée. L'activité hépatique de CYP2E1 est égal­ ment augmentée chez les individus NASH, à la
ement accrue dans le foie des patients NASH. fois dans le foie et le tissu adipeux. La résistance
CYP2E1 activé contribue à accroître la produc- à l'insuline des muscles squelettiques et du foie
tion de ROS, ce qui altère davantage les voies (deux défauts parmi les plus précoces associés à
de signalisation de l'insuline via ­l'inhibition l'obésité) peut également promouvoir le déve-
de IRS1/IRS2 et de leurs cibles en aval telles loppement de la NAFLD en détournant le glu-
que PKB, GSK3, FOXO1A (Forkhead Box cose ingéré à chaque repas, de la voie de synthèse
Protein O1A). En résumé, c'est la lipotoxicité du glycogène dans les muscles squelettiques et
hépatique en provoquant une cascade ordonnée dans le foie, au profit de la lipogenèse hépatique.
de réponses inflammatoires, puis cicatricielles À l'appui de cette notion, les souris expérimenta-
(fibrotiques), qui fait évoluer progressivement lement dépourvues de glycogène synthase hépa-
la NAFL vers la NASH [18, 19]. tique ont comme attendu une insulinorésistance
En induisant différents stress cellulaires (stress hépatique, mais une augmentation de la lipoge-
oxydatif, stress du réticulum endoplasmique, nèse hépatique et une stéatose.
altération de l'autophagie) qui finalement s'ad- Le dysfonctionnement des adipocytes influence
ditionnent, la lipotoxicité joue certainement un également le développement de la NAFLD. La
rôle moteur dans l'apparition de la NASH, mais NASH sévère est une complication des lipodys-
elle n'est probablement pas la seule responsable trophies congénitales, où l'absence de tissu adi-
de cette aggravation. peux force le foie à stocker l'excès d'acides gras,
Bien que la consommation excessive de tout ali- conduisant à une résistance sévère à l'insuline.
ment puisse conduire au développement de la Outre les influences génétiques spécifiquement
NAFL, certains glucides, en particulier le fruc- impliquées dans l'installation d'un surpoids
tose, le saccharose et le sirop de maïs à haute ou d'une obésité, il existe un déterminisme
teneur en fructose, qui sont omniprésents dans génétique spécifique de la NASH. Une étude
les aliments transformés, peuvent activer des a montré que la prévalence de la NASH était
programmes de la lipogenèse hépatique de novo. significativement plus élevée chez les apparentés
La surconsommation du fructose est particuliè- au premier degré de patients avec une NASH

108 Physiopathologie du diabète


par rapport à un groupe contrôle. Plusieurs tration de doses pharmacologiques exogènes de
polymorphismes génétiques sont associés à l'ap- FGF21 chez les souris obèses montre des effets
parition de la NASH. Une partie de cette héré- bénéfiques de cette hormone sur la régression de
dité était liée à la présence d'un polymorphisme la stéatose.
du gène PNPLA3 (Patatin-Like Phospholipase
La NAFL chez le non-diabétique augmente
Domain-Containing 3). La protéine normale
le risque de développer ultérieurement
PNPLA3 a une activité hydrolase des trigly-
un diabète de type 2
cérides. La substitution d'un acide aminé
(méthionine en position 148) dans la structure La NAFL peut contribuer au développement
de PNPLA3 induit une perte de fonction qui d'un diabète de type 2 [18, 19]. Dans les
conduit à une séquestration des triglycérides grandes études d'individus sans diabète à l'in-
dans les gouttelettes lipidiques des hépatocytes. clusion, la présence d'une NAFL est en effet
Ce polymorphisme du gène PNPLA3 a été associée à un risque ajusté accru (× 3) de déve-
associé à une augmentation de la sévérité de la lopper un diabète, et les personnes atteintes de
stéatose, de la NASH, de la fibrose et du carci- NASH ont un risque de développer un diabète
nome hépatocellulaire dans plusieurs cohortes. augmenté (× 3) par rapport à celles ayant une
stéatose simple. Pour ce qui est des mécanismes
Le microbiome intestinal pourrait également
conduisant au diabète induit par la NAFL, nous
jouer un rôle important dans la pathogenèse de la
retrouvons le jeu complexe de la lipotoxicité, de
NAFL. À mesure que la NAFL progresse et que la
l'inflammation et du stress oxydatif. Comme on
fibrose s'aggrave, les communautés microbiennes
vient de le voir, la présence d'une stéatose est
intestinales chez les individus affectés deviennent
souvent associée à une insulinorésistance hépa-
moins diverses et présentent une plus grande
tique. Celle-ci pèse sur le fonctionnement de la
abondance de streptocoques et de bactéries Gram
voie de production du glucose qui perd sa capa-
négatives. Les modèles murins de stéatose expéri-
cité à être freinée par l'insuline. Cela se traduit
mentale sont en faveur d'une augmentation anor-
par l'augmentation de la production endogène
male de la perméabilité intestinale au cours de la
de glucose qui participe à l'installation et au
NAFL et de la NASH, avec une augmentation
maintien de l'hyperglycémie à jeun (donc du
dans la circulation portale et systémique de débris
diabète).
bactériens appelés PAMP (Pathogen Associated
Molecular Pattern), en particulier de LPS (lipo- Les diabétiques de type 2 ont un risque accru
polysaccharide). Ces éléments participeraient à de développer une NAFL et une NASH
l'activation des macrophages hépatiques. Au cours du diabète de type 2, l'accumulation
Enfin, les hépatokines, des protéines de signa- des AGL hépatiques est augmentée en raison de
lisation sécrétées par le foie, sont récemment la perte de la sensibilité à l'insuline de différentes
apparues comme de puissants régulateurs du voies métaboliques hépatiques (ou extrahépa-
développement de la NASH, en particulier le tiques). Dans l'insulinorésistance associée au
FGF21 (facteur de croissance des fibroblastes 21, diabète de type 2, le puissant effet inhibiteur de
Fibroblast Growth Factor 21). Le FGF21 est un l'insuline sur HSL (lipase hormonosensible qui
membre de la famille des FGF dépourvus d'acti- est le principal régulateur de la lipolyse du tissu
vité mitogène (malgré leur nom !) et fonctionne adipeux blanc) est diminué. Il en résulte une
comme une hormone avec des effets sur le méta- mise en circulation accrue d'AGL (et de glycé-
bolisme du glucose et des lipides, et globalement rol) et un afflux accru d'AGL dans le foie. Au
des propriétés insulinosensibilisantes et hépato- même moment, et bien que l'effet inhibiteur de
protectrices. Le FGF21 s'exprime principale- l'insuline sur la production hépatique de glucose
ment dans le foie et le FGF21 circulant provient (glycogénolyse et gluconéogenèse) soit affaibli
en grande partie de cet organe. Des concentra- (ce qui est attendu dans une situation d'insuli-
tions sanguines élevées de FGF21 ont été rap- norésistance hépatique), la lipogenèse hépatique
portées dans la NAFLD, l'obésité et le diabète (qui est bien une voie métabolique sensible à
de type 2. Elles sont ­positivement ­corrélées à la l'insuline en physiologie normale) reste forte-
sévérité de la NASH. Fait intéressant, l'adminis- ment stimulée (alors qu'elle devrait être freinée).

Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 109


En effet, les enzymes glycolytiques (glucokinase, PGC1β (PPARγ Coactivator1β) ou LXR (Liver
pyruvate kinase) et lipogéniques (acétyl-CoA X Receptor) ;
carboxylase, synthase des acides gras, stéaroyl- 3. l'hyperglycémie chronique active en perma-
CoA désaturase) restent activées, ce qui conduit nence ChREBP.
à une production excessive d'acides gras dans le Pour résumer, dans le diabète de type 2 (et pro-
foie. On commence à comprendre les raisons bablement aussi dans tous les états d'insulinoré-
de ce paradoxe. Dans les conditions normales, sistance), le déséquilibre entre la production et
insuline et glucose poussent en tandem pour sti- l'élimination des lipides entraîne une augmenta-
muler la lipogenèse hépatique via l'activation de tion de la teneur en triglycérides dans les hépa-
deux facteurs de transcription, respectivement tocytes, suggérant que le diabète de type 2 peut
SREBP1c et ChREBP (tous les deux stimulent aggraver la progression de la stéatose hépatique.
l'expression des enzymes de la lipogenèse). En En effet, il a été rapporté que les diabétiques de
situation de diabète, la lipogenèse hépatique type 2 ont 80 % de plus de graisse hépatique
reste hyperactive, et l'activité de SREBP1c reste que les sujets non diabétiques du même âge,
élevée dans le foie diabétique malgré la perte poids et sexe. Peut-on freiner l'aggravation de la
d'effet de l'insuline. Pourquoi ? On sait mainte- stéatose chez les diabétiques ? Plusieurs études
nant [18, 19] que : ont montré que le traitement par un agoniste
1. SREBP1c peut être régulé indépendam- du récepteur GLP1 ou par un inhibiteur de
ment de l'insuline, ainsi que le suggère l'induc- la DPP4 (en augmentant la disponibilité en
tion hépatique de SREBP1c par le repas chez GLP1) diminue la teneur intrahépatocytaire en
des souris dépourvues de récepteurs hépatiques lipides. Ces effets bénéfiques pourraient être liés
de l'insuline ; aux effets anti-inflammatoires de ces médica-
2. il existe d'autres facteurs de transcription ments plutôt qu'à leur effet hyperinsulinémiant.
capables d'activer la lipogenèse hépatique de L'association entre NAFL et diabète de type 2
façon insulino-indépendante tels que ChREBP, est donc bidirectionnelle [18, 19].

Un hypothalamus déboussolé niveau : hormones telles qu'insuline et leptine, et


nutriments tels que glucose et acides gras libres.
Un dysfonctionnement du système nerveux cen- De son côté, le PVN (noyau paraventriculaire)
tral peut-il être l'un des facteurs responsables joue le rôle du centre d'intégration des signaux
de la mise en place de l'insulinorésistance ? venant de l'ARC (noyau arqué) et du TC (tronc
Cette question mérite d'être soulevée car nom- cérébral). Enfin, les noyaux ventromédians et
breux sont les arguments qui mettent en avant latéraux (il s'agit de formations paires situées de
le rôle crucial joué par le HPT (hypothalamus). part et d'autre du troisième ventricule, V3) sont
L'hypothalamus, l'un des constituants du cer- respectivement les centres nerveux contrôlant les
veau dit « végétatif », est l'un des éléments clés systèmes respectivement sympathique et parasym-
du maintien de l'homéostasie énergétique (voir pathique (figure 4.11). Les tissus intervenant dans
Zoom 4.3). le maintien de l'homéostasie énergétique (foie,
Rappelons qu'il est constitué de noyaux qui tissus adipeux, cellules bêta) sont innervés par les
représentent des populations de neurones cor- deux systèmes. On comprend aisément que tout
respondant à une régionalisation fonctionnelle. dysfonctionnement de l'hypothalamus aura des
Parmi les noyaux hypothalamiques, le noyau répercussions sur l'équilibre sympathico-vagal, et
arqué, situé sous le troisième ventricule, est la par voie de conséquence sur le métabolisme glu-
véritable porte d'entrée dans le système nerveux cido-lipidique. L'hypothalamus est aussi la tour de
central de signaux circulants périphériques qui contrôle de la prise alimentaire et de la dépense
franchissent la barrière hémato-encéphalique à ce énergétique globale. Le maintien d'un équilibre
110 Physiopathologie du diabète

Zoom 4.3

Le cerveau discute de métabolisme avec les tissus périphériques


Une découverte chassée par une autre chez le chien cause le diabète) déplacèrent
Lors de la séance de l'Académie des sciences l'orientation des recherches sur la régulation
du lundi 26 mars 1849 à Paris, le physiologiste du glucose, du cerveau aux îlots pancréatiques.
François Magendie (1783–1855), alors maître La découverte de l'insuline et le glucagon au
d'un thésard appelé Claude Bernard, déclarait : début du xxe siècle fournirent les preuves sup-
« Il résulte des expériences de ce jeune savant, plémentaires que les hormones pancréatiques
qu'on modifie la constitution des urines, et avaient un rôle clé dans la régulation de la glycé-
qu'on y fait apparaître le sucre, en blessant, avec mie. L'hypothèse du rôle du SNC perdit donc
un instrument piquant, une certaine partie du de son sel et resta aux oubliettes pendant un
plancher du quatrième ventricule. On pratique siècle [23–25].
cette piqûre en pénétrant par l'orifice inférieur du Le retour en force du SNC
ventricule ; et bientôt après, l'urine de l'animal De nos jours, on sait que le cerveau participe à
(lapin) – qui avant cette opération était trouble, différents aspects de l'homéostasie énergétique
alcaline et dépourvue de matière sucrée –, abon- en modifiant les entrées (prise alimentaire) et
dante, claire, acide et tenant en dissolution une les sorties d'énergie (dépenses énergétiques). Il
très grande quantité de sucre, devient analogue à est impliqué dans la régulation du métabolisme
ce qu'on a connu dans le diabète. Il ne faut pas, intermédiaire en contrôlant l'activité méta-
en général, plus d'une heure et demie à deux bolique ou sécrétoire de différents tissus qu'il
heures pour opérer ce changement complet dans innerve via le système nerveux autonome. Les
les caractères de l'urine. Le sang contient éga- fibres parasympathiques ont leur origine dans la
lement beaucoup de sucre… Le point du qua- région du noyau moteur du vague, elle-même
trième ventricule, qu'il fallait blesser pour opérer sous l'influence de l'aire hypothalamique laté-
ce singulier phénomène, était très limité et cor- rale. Les fibres sympathiques émanant de la
respondait à un espace situé un peu au-dessus de racine ventrale de la moelle épinière sont, elles,
l'origine des nerfs de la huitième paire » (nerfs sous le contrôle de l'hypothalamus ventromé-
pneumogastriques ou vagues). dian. Le SNC est informé en retour des modifi-
Au début, Bernard a soutenu que c'était en cations du statut énergétique de l'organisme par
raison de la stimulation du nerf vague que la des afférences nerveuses provenant de différents
« piqûre diabétique » induisait une hyperglycé- organes ou tissus mais également par les varia-
mie. Mais comme le résultat restait le même tions de concentration de signaux hormonaux
après vagotomie, il en a conclu que l'hypergly- (insuline, leptine, ghréline) et de métabolites
cémie était causée en fait par l'action du système (glucose, acides gras, acides aminés). Parmi
sympathique sur le foie. Le concept selon lequel les structures cérébrales impliquées dans cette
le SNC (système nerveux central) a un rôle pri- régulation, l'hypothalamus occupe une place
maire dans le contrôle de l'homéostasie du glu- importante en particulier de par sa capacité à
cose est donc très ancien. Si ancien qu'il a été détecter les variations de certains métabolites
longtemps oublié et fut pratiquement redécou- circulants. Après avoir traité ces informations, le
vert au début des années 2000. Cet oubli tran- SNC envoie en périphérie une réponse adaptée,
sitoire s'explique par le contexte des recherches via notamment le système nerveux autonome.
et des découvertes de l'époque. Bernard propo- Cette réponse permet le contrôle de l'activité
sait que le SNC régule l'homéostasie du glucose des principaux organes périphériques impliqués
grâce à un équilibre reposant sur des nerfs aux dans l'homéostasie énergétique (foie, muscles,
fonctions opposées, l'une stimulant la produc- tissus adipeux, pancréas). Il existe donc un véri-
tion du glucose, l'autre stimulant l'absorption table dialogue permanent entre SNC et tissus
du glucose. Bien que Bernard fût un physiolo- périphériques, qui structure la mise en place de
giste très influent à l'époque, les découvertes mécanismes adaptateurs [26–29]. Les d ­ écouvertes
faites entre 1850 et 1900 (la pancréatectomie récentes dans ce domaine ­d'interface entre la

Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 111


neurophysiologie et le métabolisme (identifi- Fonctions de l'insuline et de la leptine centrales
cation des réseaux neuronaux et des voies de L'insuline circulante traverse rapidement la BHE
signalisation impliqués) constituent des avan- (barrière hémato-encéphalique) et contribue à
cées importantes dans la compréhension de ce la régulation de la glycémie en agissant sur des
système de régulation. récepteurs spécifiques localisés dans l'hypothala-
La tour de contrôle hypothalamique mus médio-basal. L'idée que l'insuline circulante
contrôle la production hépatique de glucose (effet
De nombreuses régions du cerveau sont impli-
inhibiteur), au moins en partie par son action sur
quées dans la régulation de l'homéostasie éner-
le SNC, s'appuie sur des données expérimentales
gétique, mais parmi celles-ci certaines zones
montrant qu'une réduction de 50 % des récep-
du tronc cérébral (noyau du tractus solitaire
teurs de l'insuline dans l'ARC était suffisante
et area postrema) et de l'hypothalamus jouent
pour diminuer la sensibilité à l'insuline dans le
un rôle clé. Parmi les noyaux hypothalamiques
foie. De plus, la perfusion de petites doses d'insu-
impliqués, on peut citer les principaux : noyau
line directement dans le SNC et spécifiquement
ARC (arqué), noyau VMH (ventromédian),
dans l'hypothalamus médio-basal des rats réduit
noyau PVN (paraventriculaire) et noyau LH
la production hépatique de glucose (en inhibant
(hypothalamus latéral). Le noyau arqué du fait
la gluconéogenèse). L'insuline semble déclencher
de son accessibilité aux facteurs circulants (bar-
ces effets par l'activation de la voie PI3K et l'inhi-
rière hémato-encéphalique incomplète) joue
bition de l'activité locale de l'AMPK, une kinase
un rôle primordial dans la détection et l'inté-
connue pour être impliquée dans la médiation
gration des signaux métaboliques et hormo-
des réponses cellulaires à la faible disponibilité
naux. Il contient, entre autres, deux catégories
énergétique.
de neurones (dits neurones de premier ordre)
dont l'implication dans le contrôle de la prise Comme l'insuline, la leptine pénètre dans le
alimentaire a été bien caractérisée au cours de SNC et semble agir sur l'ARC pour réguler
ces dernières années. Ceux coexprimant le NPY les niveaux de glucose périphérique. La leptine
(neuropeptide Y) et l'AgRP (Agouti-Related modifie le métabolisme du glucose en utili-
Peptide) stimulent la prise de nourriture. À sant deux mécanismes. Premièrement, il réduit
l'inverse ceux exprimant la POMC (pro-opio- l'apport alimentaire et augmente la dépense
mélanocortine) l'inhibent. Il faut signaler qu'il énergétique sur le long terme, ce qui amé-
existe d'autres systèmes inhibiteurs constitués liore indirectement la sensibilité à l'insuline et
de neurones exprimant le CART (Cocaine- and le métabolisme glucidique. Deuxièmement,
Amphetamine-Regulated Transcript) ou la neu- il peut réguler directement le métabolisme du
romédine U. Schématiquement lorsque l'une glucose en l'absence de changement de la com-
des catégories est stimulée, l'autre est inhibée. position corporelle. Chez les animaux maigres,
Ces deux populations de neurones, POMC l'administration centrale de leptine redistribue
et NPY/AgRP, envoient des projections sur les flux intrahépatiques vers la gluconéogenèse.
d'autres noyaux hypothalamiques, le VMH, La réactivation des récepteurs de la leptine dans
le LH et le PVN qui contrôlent la prise ali- l'ARC de souris initialement obèses et défi-
mentaire, la dépense énergétique et le système cientes en récepteurs de leptine provoque une
nerveux sympathique. Ceux-ci synthétisent diminution marquée de leur glycémie, avant
d'autres peptides et/ou neurotransmetteurs même toute perte de poids. Il existe aussi des
et les neurones qu'ils contiennent sont dits de preuves suggérant que la leptine affecte le méta-
second ordre. bolisme du glucose et la sensibilité à l'insuline
en déclenchant l'activation des kinases hypotha-
Que connait-on des signaux captés par le SNC
lamiques PI3K et mTOR.
pour réguler l'homéostasie énergétique et plus
particulièrement glucidique ? Que connait-on Fonction du GLP1 central
des réponses induites ? Initialement décrit comme un peptide intestinal
sécrété en réponse à un repas, le GLP1 est égale-
ment fabriqué dans le cerveau, et ses ­récepteurs

112 Physiopathologie du diabète


sont répartis dans tout le SNC y compris l'ARC. peut observer que la plupart des mécanismes
Des données suggèrent que le GLP1 renforce la de gluco-détection centrale, qui sont actuel-
sécrétion de l'insuline et l'utilisation du glucose, lement les mieux décrits, sont ceux activés
aussi via ses récepteurs dans le SNC. On ne sait par l'hypoglycémie, pour stimuler la réponse
pas comment ce système est activé, mais il est contre-régulatrice et la prise alimentaire. Cela
possible que les GLP1R centraux soient activés reflète certainement le besoin essentiel en
par contact direct avec du GLP1 circulant. Une glucose pour le fonctionnement du cerveau.
autre option possible est que les GLP1R soient Schématiquement, on considère deux classes de
activés par la libération locale de GLP1 à partir neurones en fonction de leur réponse à une aug-
de neurones centraux producteurs de GLP1. mentation de la concentration extracellulaire en
Enfin, le GLP1 circulant peut agir sur certains glucose, ceux dont l'activité électrique diminue,
nerfs périphériques qui activeraient dans un dits gluco-inhibés, et ceux dont l'activité aug-
deuxième temps le SNC en y stimulant les neu- mente, dits gluco-excités. La présence de ces
rones producteurs de GLP1. Il a été démontré deux classes de neurones a depuis était étendue
que le GLP1 exerce une action inhibitrice insu- à d'autres régions cérébrales impliquées dans la
lino-indépendante sur la production hépatique régulation de la prise alimentaire et plus géné-
de glucose chez l'homme. L'administration ralement de l'homéostasie énergétique : noyau
de GLP1 directement dans l'ARC chez l'ani- arqué, noyau paraventriculaire, noyau du trac-
mal diminue aussi la production hépatique de tus solitaire, locus cœruleus et substance noire.
glucose. Ces neurones sensibles au glucose contrôlent,
par modulation de l'activité des branches sym-
Fonction des métabolites signaux centraux pathique et parasympathique du système ner-
Comme le cerveau dépend presque exclusive- veux autonome, la sécrétion d'insuline et de
ment du glucose comme carburant, son rôle glucagon, ainsi que certaines fonctions des
pour assurer sa disponibilité est en accord avec tissus sensibles à l'insuline tels que le foie, le
les principes de la physiologie. Des travaux sur muscle et le tissu adipeux. Les neurones activés
la mouche des fruits Drosophila melanogaster par l'hypoglycémie contrôlent non seulement la
révèlent que le niveau de glucose systémique sécrétion de glucagon, mais aussi l'axe hypotha-
(dans l'hémolymphe) et la sécrétion induite par lamo-hypophyso-surrénalien et la sécrétion de
le glucose de l'homologue de l'insuline de la corticostérone et de catécholamines. Enfin ils
mouche sont gouvernés par une seule paire de contrôlent les aspects homéostatique et hédo-
neurones qui détectent le glucose en utilisant nique de la prise alimentaire.
une machinerie cellulaire analogue à celle trou- Parmi les autres nutriments, les acides gras
vée dans les cellules bêta des mammifères. Faire semblent également jouer un rôle crucial dans
taire ces neurones provoque une élévation de la régulation des activités nerveuses. L'existence
la glycémie, démontrant ainsi que leur fonction dans l'hypothalamus de neurones sensibles aux
est essentielle pour l'homéostasie normale du acides gras est à présent démontrée. In vivo,
glucose chez les mouches. Fait intéressant, cela l'administration centrale d'acides gras chez le
en effet est associé à une diminution de la sécré- rat normal inhibe la production hépatique de
tion d'insuline. Ces résultats suggèrent qu'au glucose et la prise alimentaire et est associée à
cours de l'évolution, l'homéostasie du glucose une amplification de la sécrétion d'insuline en
est à l'origine un processus régi par le cerveau. réponse au glucose, et ce, sans aucune modifi-
Une autre explication est que la machinerie cel- cation de la concentration circulante des acides
lulaire pour la détection du glucose a évolué à gras dans la circulation générale. Cet effet est
l'origine dans les neurones, pour finir dans les associé à des modifications des activités ner-
cellules bêta de mammifères. veuses autonomes. Certaines données sug-
Chez les rongeurs de laboratoire, l'existence gèrent que l'accumulation cytoplasmique de
de neurones centraux sensibles au glucose a été malonyl-CoA et d'acyl-CoA constitue un signal
initialement décrite dans l'hypothalamus laté- hypothalamique d'excès de nutriments qui
ral et ventromédian. De façon intéressante, on déclenche des réponses neuronales appropriées

Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 113


pour ­diminuer l'apport alimentaire et suppri- systèmes neuronaux impliqués dans l'équilibre
mer la production hépatique de glucose. Pour énergétique. Par exemple, les neurones dopa-
d'autres auteurs, ce serait plutôt l'activation de minergiques de l'hypothalamus contiennent des
la β-oxydation qui joue ce rôle, car la perfusion récepteurs de leptine et sont innervés par des
simultanée d'un inhibiteur de la β-oxydation neurones POMC et les neurones dopaminer-
prévient l'effet des acides gras dans les expé- giques du mésencéphale sont impliqués dans la
riences décrites ci-dessus. régulation de la prise alimentaire médiée par la
leptine.
Fonction des neurotransmetteurs centraux
La dopamine et la sérotonine présentes dans Difficulté des études chez l'homme
le SNC émergent en tant que modulateurs de Bien qu'une multitude de travaux sophistiqués
l'homéostasie glucidique. En particulier, les et invasifs utilisant des modèles animaux sug-
antipsychotiques atypiques (comme l'olanza- gèrent un rôle important pour le SNC dans
pine) qui agissent sur ces systèmes monoami- la régulation de l'homéostasie du glucose [30,
nés sont soupçonnés de favoriser l'apparition de 31], il existe bien peu de données établissant
l'obésité et du diabète chez certains individus. que les mécanismes décrits sont aussi valides
Des études animales montrent en effet que les pour l'homme. En effet, les preuves provenant
antipsychotiques atypiques peuvent provoquer des modèles animaux suggèrent que des noyaux
une résistance à l'insuline hépatique en l'ab- et des réseaux de neurones situés dans l'hypo-
sence de changements dans la masse de tissu thalamus sont les cibles clés. L'hypothalamus
adipeux. Chez la souris, l'utilisation d'anta- est situé profondément dans le mésencé-
gonistes des récepteurs de la dopamine induit phale. Or, la résolution spatiale des techniques
une prise de poids et une résistance à l'insuline, non invasives disponibles et utilisables chez
alors que des agonistes spécifiques des récep- l'homme n'est pas suffisante pour détecter spé-
teurs de la dopamine diminuent la prise alimen- cifiquement des changements survenant au sein
taire et améliorent la sensibilité à l'insuline. La de ces noyaux. Ces techniques sont les scans de
suppression ciblée du gène qui code le récep- tomodensitométrie et d'imagerie par résonance
teur 5HTR2C de la sérotonine chez la souris magnétique qui fournissent uniquement des
conduit à l'obésité, à la résistance à l'insuline informations anatomiques, et la TEP (tomogra-
et à l'intolérance au glucose. Bien que le méca- phie par émission de positrons) qui permet seu-
nisme de ces effets reste inconnu, ces données lement d'évaluer l'activité du métabolisme du
suggèrent un lien entre les monoamines et des glucose dans certaines régions cérébrales.

harmonieux de ces fonctions implique les voies de l'appui de ces affirmations, mais particulièrement
signalisation de l'insuline et de la leptine présentes démonstratifs :
au niveau local (neurones et cellules microgliales 1. dès les premiers jours de l'exposition à un
hypothalamiques) et le métabolisme local du glu- régime obésogène, les marqueurs de l'in-
cose et des acides gras (figure 4.12). flammation hypothalamique deviennent
Un apport excessif de leptine ou d'insuline et/ détectables chez la souris. Ils sont associés à
ou un dysfonctionnement de leur effet biologique l'apparition d'une gliose et de lésions neuro-
sur les neurones hypothalamiques, un apport nales, et ils se manifestent avant même tout
excessif de glucose ou d'acides gras et/ou un dys- gain de poids corporel. Dans le système nerveux
fonctionnement de leur métabolisme au niveau central, les cellules de la microglie (ou cellules
hypothalamique, peuvent-ils contribuer aux ano- gliales) sont l'équivalent résident des macro-
malies caractéristiques du diabète de type 2 telles phages circulants, et sont donc capables d'assu-
que l'insulinorésistance ? Des données expéri- rer une phagocytose et de sécréter des cytokines
mentales de plus en plus nombreuses suggèrent variées (TNFα, IL1β, IL10). Elles constituent
que oui [17–19]. Voici quelques exemples à la principale défense immunitaire locale active,
114 Physiopathologie du diabète

a b

CERVELET

HPT
MOELLE ÉPINIÈRE
a b
a CORTEX
b
CORTEX V3 HIPPOCAMPE
THALAMUS
THALAMUS
NOYAU
DORSO MÉDIAN

NOYAU
NOYAU
LATÉRAL
LATÉRAL
NOYAU
NOYAU
VENTROMÉDIAN
PARAVENTRICULAIRE
a b NOYAU ARQUÉ
NOYAU
ÉMINENCE MÉDIANE
SUPRACHIASMATIQUE

Figure 4.11. Les noyaux de l'hypothalamus impliqués dans la régulation de l'homéostasie énergétique.
Haut : coupe sagittale d'un cerveau de rat. HPT : hypothalamus.
Bas : coupes transversales du cerveau suivant les axes a-a et b-b. V3 : troisième ventricule.

grâce à leur capacité phagocytaire. Il a été à la leptine. Les acides gras saturés, contrai-
proposé que la microglie activée chez l'obèse rement aux acides gras insaturés, exercent
libérait localement des cytokines qui avaient cet effet en activant la cascade de signalisa-
la capacité de freiner le signal nécessaire à tion inflammatoire TLR4/IKKβ/NF-κB qui
l'action de la leptine et/ou de l'insuline sur conduit à l'expression de gènes pro-inflam-
certains neurones hypothalamiques ; matoires dans l'hypothalamus. En revanche,
2. l'administration intra-hypothalamique d'in- l'injection intracérébroventriculaire d'acide
suline chez les rongeurs obèses active moins gras oméga-3 (insaturé) restaure la sensibi-
bien (que chez des rongeurs non obèses) l'uti- lité hypothalamique à la leptine et à l'insuline
lisation de glucose par les tissus périphériques, chez les souris obèses (figure 4.13).
et diminue moins efficacement la production Ces perturbations induites par l'obésité (induite
de glucose par le foie et la lipolyse dans le tissu expérimentalement ici chez la souris par un
adipeux blanc ; régime riche en graisse) sont en outre amplifiées
3. l'injection intracérébroventriculaire d'acide par l'activation de la réponse UPR qui reflète la
gras saturé chez la souris normale diminue présence d'un SRE (voir Zoom 4.1). L'obésité
la sensibilité hypothalamique à la leptine et à modifie également la plasticité synaptique, dans
l'insuline. Les acides gras saturés tels que le les principaux systèmes neuronaux hypothala-
palmitate et le stéarate sont en effet capables miques. Ainsi, les neurones POMC et AgRP des
de traverser la barrière hémato-encéphalique souris obèses présentent moins de synapses par
et s'accumulent spécifiquement dans l'hypo- comparaison aux souris non obèses. La diminu-
thalamus, où ils atténuent la signalisation ano- tion des synapses POMC affecte spécifiquement
rexigène mobilisée par l'insuline et la leptine, les contacts inhibiteurs. Enfin, lorsque l'inflamma-
et favorisent ainsi un bilan énergétique positif ; tion est prolongée, elle conduit à l'apoptose des
4. l'inhibition pharmacologique de la signalisa- neurones hypothalamiques et à une diminution
tion neuronale TLR4 corrige l'insulinorésis- de la capacité neurogène de l'hypothalamus. Les
tance induite par les acides gras et la résistance neurones POMC en sont les principales victimes.
Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 115

Signaux Risistance à
insuline/leptine insuline/leptine

neurone neurone
AgRP POMC

ARC ARC

PVN PVN

AgRP αMSH AgRP αMSH

neurone +
MC4R –

DE PA DE PA

NTS NTS

Figure 4.12. Le contrôle hypothalamique de l'homéostasie énergétique.


L'hypothalamus détecte et intègre la rétroaction des hormones adipostatiques, qui circulent à des niveaux ajustés aux
apports nutritionnels et à l'état des réserves adipeuses (fonctionnement normal, panneau de gauche). L'insuline et la
leptine agissent directement sur des sous-ensembles neuronaux dans l'ARC (noyau arqué) de l'hypothalamus pour
contrôler l'énergie homéostasie. C'est l'équilibre dynamique entre l'activité des neurones POMC qui libèrent de l'αMSH
et celle des neurones AgRP qui détermine le niveau d'activité des neurones exprimant MC4R dans le PVN (voir Zoom
4.3). À l'état nourri (panneau de gauche), les niveaux d'AgRP sont diminués et les niveaux de POMC augmentent, ce qui
active la signalisation MC4R et induit la satiété (effet anorexigène) et la stimulation de la dépense énergétique. À l'état
interprandial, l'expression d'AgRP augmente, alors que l'expression de POMC est réduite, entraînant une diminution
de la signalisation MC4R (effet orexigène). L'inflammation et la résistance aux signaux anorexigènes (insuline et leptine)
des neurones ARC, lorsqu'elles surviennentt (obésité), perturbent de façon chronique l'équilibre AgRP/MSH et freine la
signalisation MC4R, ce qui se traduit par un apport alimentaire accru et un gain de poids corporel (panneau de droite).
PVN : noyau paraventriculaire ; NTS : noyau du tractus solitaire situé dans le tronc cérébral ; DE : dépense énergétique ; PA :
prise alimentaire.

Et chez l'homme ? Il est de plus en plus évident dans l'hypothalamus médio-basal des patients
que la consommation d'aliments riches en graisses obèses. Des études à l'aide de l'imagerie ont
et en glucides est associée à une dérégulation rapporté que l'intensité inflammatoire hypotha-
hypothalamique dans le cerveau humain, mais lamique chez les obèses était associée à la dégra-
jusqu'à présent, seules quelques études se sont dation des performances cognitives, ou encore
penchées sur les anomalies de la fonction hypo- à l'intégrité des structures cérébrales impliquées
thalamique dans le cerveau humain directement. dans les comportements de récompense et de
L'analyse rétrospective des IRM de cerveaux prise alimentaire. L'essor actuel des techniques
humains montre la présence d'une gliose accrue de neuro-imagerie telles que l'IRM fonctionnelle,
116 Physiopathologie du diabète

AGL I TNF LEP AGL


IR TLR2/4
TNFR LP

IRS1 JAK JAK MyD88


ceramide STAT3

PKC PI3K JNK STAT3 IKK

FOXO1 AKT lkB


NF kB
ol
cytos
u
noya AgRP SOCS3
FOXO1 STAT3 STAT3 POMC NF-kB Cytokines

Figure 4.13. Les voies moléculaires de l'inflammation métabolique dans l'hypothalamus.


L'activation de la voie de signalisation de l'insuline conduit à la phosphorylation de FOXO1, ce qui entraîne l'exclusion
nucléaire de FOXO1 et l'inhibition de la répression des gènes cibles de FOXO1. En levant la répression exercée par FOXO1,
l'insuline augmente le tonus anorexigène via l'activation de l'expression du gène POMC dans les neurones POMC et la
suppression simultanée de l'expression du gène AgRP dans les neurones AgRP.
La liaison de la leptine à son récepteur active et recrute STAT3. La tyrosine-phosphorylation de STAT3 déclenche sa
dimérisation et sa translocation vers le noyau, où le complexe STAT3 induit POMC dans les neurones POMC et supprime
AgRP dans les neurones AgRP.
La liaison de TNFα à son récepteur favorise la trimérisation du récepteur TNF, active JNK et inhibe la signalisation
intracellulaire de l'insuline. De plus, la signalisation TNF déclenche l'activation de NF-κB.
La voie TLR4 peut être activée directement par les AGL (acides gras libres). Dans la voie TLR4, MyD88 sert de protéine
d'échafaudage pour les molécules de signalisation en aval. Au repos, les dimères NF-κB sont séquestrés dans le
cytoplasme par IκBα (l'inhibiteur de NF-κBα). La phosphorylation (par le complexe IKK) suivie de la protéolyse de IκBα
conduit à la libération de NF-κB. Et à sa translocation nucléaire. NF-κB active l'expression de gènes cibles, tels que des
gènes proinflammatoires ou le gène SOCS3 (qui est un inhibiteur de la signalisation de l'insuline et de la leptine).

la TEP, ­l'électroencéphalographie et la magné- tance) [14, 32–36]. Cette incapacité se manifeste


toencéphalographie devrait rapidement amélio- de multiples façons :
rer nos capacités d'investigation de la fonction 1. perte de la phase précoce (aiguë) de la sécrétion
cérébrale dans les obésités et diabètes humains. Il insulinique en réponse au glucose, alors que
devrait nous permettre de combler le fossé actuel la sécrétion insulinique en réponse à d'autres
qui empêche la recherche clinique chez les patients activateurs classiques (physiologiques comme
obèses de profiter des nombreuses avancées de la le glucagon ou le GLP1, ou pharmacologiques
recherche préclinique. comme les sulfonylurées [voir Chapitre 7])
reste significative. Cela reflète une « cécité »
bêta cellulaire spécifique au glucose. Ennuyeux
Des cellules bêta en burn out quand on pense à la fourniture de l'insuline
nécessaire à l'organisme, puisque le glucose est
À côté de l'insulinorésistance multi-organe, l'activateur majeur de la sécrétion de l'insuline
l'autre anomalie majeure du diabétique de type 2 (figure 4.14) ;
touche la population des cellules bêta du pancréas. 2. diminution de la phase tardive (prolongée) de la
Elle se traduit par une incapacité de ces cellules à sécrétion insulinique en réponse au glucose – dispa-
ajuster la sécrétion d'insuline aux besoins de l'or- rition de l'effet potentialisateur (amplificateur de
ganisme (qui sont accrus du fait de l'insulinorésis- la réponse insulinique au glucose) de toute une
Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 117

800 C'est en fait cette dernière option qui est la plus


probable [32–35]. La question est donc d'arri-
600 ver à identifier les anomalies de fonctionnement
Réponse insulinique

intrinsèques à la cellule et de quantifier la perte


1
de cellules.
400
L'effondrement du nombre total des cellules
bêta dans le pancréas des diabétiques de type 2 est
200 une notion maintenant bien argumentée et solide.
2 Plusieurs études nécropsiques (analyse de pancréas
de donneurs diabétiques après mort cérébrale)
0 3
rapportent toutes une diminution du nombre
0 15 30 60 90 120 des cellules bêta (le terme de masse cellulaire bêta
Temps (min) très souvent utilisé a la même signification) d'un
facteur deux en moyenne chez les diabétiques de
Figure 4.14. Relation entre la sécrétion insulinique aiguë
en réponse au glucose et la sévérité du diabète de type 2. type 2. Aucune étude n'a jamais rapporté de dis-
La réponse insulinique aiguë au glucose intraveineux a parition complète des cellules bêta (comme cela
été mesurée dans trois groupes d'individus classés en est malheureusement le cas dans les diabètes de
fonction de leur glycémie basale (à jeun) avant le test.
type 1). D'autre part, l'étude épidémiologique de
Le groupe 1 avait des valeurs de glycémies comprises
entre 0,8 et 0,9 g/l ; le groupe 2 avait des valeurs de référence UKPDS (voir Chapitre 1) montre qu'à
glycémies comprises entre 1,0 et 1,2 g/l ; le groupe 3 la découverte du diabète de type 2, il existe déjà
avait des valeurs de glycémies comprises entre 1,2 et une perte de près de 50 % de la sécrétion maxi-
1,5 g/l. La réponse insulinique est représentée ici en
pourcentage d'augmentation de la sécrétion par rapport à
mum d'insuline (la capacité maximum de sécré-
la sécrétion basale non stimulée. Cette étude montre que tion de l'insuline intègre toutes les modifications
la réponse insulinique au glucose est d'autant plus faible pancréatiques éventuelles : nombre et fonction-
que la glycémie basale des individus est élevée. Elle est nement individuel des cellules bêta). Chez l'indi-
carrément absente dès que la glycémie à jeun dépasse
115 mg/dl (6,4 mmol/l).
vidu normal, on sait maintenant que la population
des cellules bêta croît durant la première décade
postnatale, avec en particulier une prolifération
série de signaux utiles (certains aminés comme la importante de ces cellules dans les premières
leucine, certaines hormones comme le GLP1, cer- cinq années et une stabilisation à l'adolescence,
tains neurotransmetteurs comme l'acétylcholine). avec cependant des différences interindividuelles
Rappelons que la leucine est l'un des 22 acides de capacité de croissance importantes (de trois à
aminés protéinogènes et l'un des 9 acides aminés cinq fois !) dont le déterminisme reste inconnu.
essentiels pour l'humain. Elle fait partie des acides On retrouve cette variabilité interindividuelle
aminés branchés (BCAA, Branched-Chain Amino dans le nombre des cellules bêta chez les diabé-
Acid) avec la valine et l'isoleucine ; tiques de type 2, puisque les écarts extrêmes de
3. augmentation du pourcentage de proinsuline chiffrage de la population bêta résiduelle vont de
circulant dans le plasma, suggérant un défaut de 80 à 20 % de la valeur normale. Cette variabilité
conversion de la proinsuline en insuline dans les pourrait s'expliquer, en partie au moins, par le fait
cellules bêta. Il en résulte la libération anormale que les variations du nombre de cellules bêta suivent
de proinsuline dans le sang (en lieu et place de les variations de la sensibilité à l'insuline : chez les
l'insuline). obèses non diabétiques (mais insulinorésistants),
À quoi sont dues ces anomalies de la sécrétion le nombre des cellules bêta est accru (× 2). On
de l'insuline chez les diabétiques de type 2 ? peut donc postuler que même si le nombre de
• À une diminution du nombre des cellules bêta ? cellules bêta est proche de la normale chez un
• À une perte de fonction de chaque cellule ? diabétique de type 2 insulinorésistant, ce nombre
• À une combinaison de ces deux possibilités ? est en fait relativement faible et donc inadéquat,
118 Physiopathologie du diabète

en regard du niveau d'insulino-insensibilité de ce en réponse au glucose). Ces modèles proviennent


même patient. La grande question que se pose pour l'essentiel de diverses lignées clonales cel-
le ­diabétologue est donc celle de l'état du stock lulaires, de rongeurs chez lesquels on a induit
de cellules bêta au tout début de la maladie et expérimentalement une hyperglycémie durable
de l'évolution de ce stock durant sa progression. qui ressemble au diabète de type 2 humain (pas
Question sans réponse aujourd'hui pour les rai- si mal !), ou de rongeurs qui développent spon-
sons suivantes. Actuellement, on est capable de tanément un diabète qui ressemble au diabète de
compter les cellules bêta à partir de prélèvement type 2 humain (mieux !).
de pancréas post-mortem, donc chez des patients Pour résumer allègrement cinquante ans d'ex-
dont le pancréas a été exposé au diabète plusieurs ploration de ces outils indispensables et des milliers
dizaines d'années. La méthodologie histomorpho- d'articles scientifiques sur le sujet [17, 37–43], on
métrique utilisée, bien que précise et spécifique, retient actuellement six grandes familles de per-
est complexe et lourde. L'idéal serait de disposer turbations insulaires intrinsèques (donc localisées
chez le même patient de mesures répétées de sa au niveau de l'îlot endocrine) qui semblent déter-
population bêta, depuis l'installation de son dia- minantes pour abîmer la cellule bêta, même si on
bète de type 2. Oui, mais il est hors de question hésite encore sur l'ordre dans lequel ces facteurs
d'accéder in vivo par biopsie aux cellules bêta, de stress cellulaire doivent intervenir pour léser
cellules enfermées dans des îlots pancréatiques durablement la cellule (figure 4.15) :
aussi dispersés au sein du pancréas que quelques 1. Une réponse de type stress du réticulum endo-
aiguilles au sein d'une botte de foin (imaginez que plasmique (voir Zoom 4.1) survient dès lors que
la somme de tous les îlots pancréatiques représente la demande accrue de l'organisme en insuline
1 % seulement de la totalité du tissu pancréatique). déclenche une augmentation importante de la
La biopsie du pancréas, organe profond, est de synthèse de l'insuline et donc une activité très
toute façon non praticable éthiquement. La seule (trop) forte de l'usinage de la proinsuline au sein
alternative viable est donc de disposer d'une tech- du réticulum endoplasmique de la cellule bêta.
nique non invasive, fiable et sensible de mesure de Cela provoque une sollicitation brutale des pro-
cette population cellulaire. En 2022, cela reste un téines régulatrices de type chaperon et la réponse
rêve ! et probablement le plus grand obstacle dite UPR. Ces changements peuvent altérer la
méthodologique auquel se trouve confronté le sécrétion de l'insuline et, s'ils deviennent chro-
chercheur diabétologue du début du xxie siècle. niques, entraîner la mort cellulaire par apoptose.
On parle souvent, en science, de saut méthodolo- 2. Un autre type de stress, dit métabolique et oxy-
gique dont la résolution permet de surmultiplier datif (voir Chapitre 3), survient chaque fois que
rapidement les connaissances : mettre au point la cellule bêta est exposée à un apport excessif
une mesure non invasive du nombre des cellules en glucose et/ou lipides, tels que ceux qui sur-
bêta est actuellement le Graal des diabétologues. viennent dans les situations prolongées de lipo-
Dans ce contexte difficile, peut-on néanmoins toxicité (obésité, diabète de type 2 avec obésité)
comprendre la maladie des cellules bêta au cours et de glucotoxicité (diabète de type 2). Une aug-
du diabète de type 2 ? En langage concret, cette mentation du stress oxydatif bêta cellulaire, donc
question devient : comment faire pour avoir une de la production intracellulaire de ROS est dans
vision synthétique des différentes anomalies intra- les deux cas le prix à payer pour que les mito-
cellulaires impliquées dans la survie et le fonction- chondries bêta gèrent la surcharge métabolique
nement sécrétoire des cellules bêta diabétiques ? imposée (voir Chapitre 3). Or l'équipement de
Puisque l'accès aux cellules humaines d'intérêt est la cellule bêta en enzymes de détoxification des
plus que problématique, le salut vient de la compi- ROS (enzymes antioxydantes) est faible. Une
lation de milliers d'études exploitant des modèles production excessive de ROS peut aisément
de cellules bêta mimant le défaut fonctionnel car- endommager la sécrétion de l'insuline et com-
dinal (la perte de la capacité à sécréter de l'insuline promettre la survie de la cellule bêta en activant
Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 119

AGL

Îlot

Cellule
Macrophage β

ROS
Inflammation
SRE

Dysfonctionnement Apoptose Dédifférenciation

Figure 4.15. Compilation des perturbations insulaires intrinsèques actuellement considérées comme néfastes
pour la cellule bêta. Collectivement, elles aboutissent au dysfonctionnement des cellules bêta, à leur dédifférenciation et
éventuellement à l'apoptose.

l'apoptose. On sait depuis peu que les perturba- bêta. Elles induisent aussi la production de la
tions du cholestérol circulant, communes chez cytokine proinflammatoire IL1 qui permet le
les patients diabétiques de type 2, peuvent se recrutement de macrophages et augmentent
traduire par une accumulation anormale de cho- ainsi l'inflammation au sein de l'îlot.
lestérol dans la cellule bêta et que cette surcharge 4. Les îlots chez les diabétiques de type 2 sont le
affecte négativement la sécrétion de l'insuline. siège d'une inflammation locale (au même titre
3. Une des caractéristiques typiques des îlots que les tissus adipeux, le foie et les muscles). On
humains diabétiques est la présence de dépôts a du mal à savoir si cette inflammation résulte
amyloïdes autour des cellules. Ces dépôts sont d'une infiltration macrophagique déclenchée
constitués d'une protéine, l'IAPP. La subs- par la nécessité de nettoyer les îlots de leurs
tance amyloïde est un agrégat de protéines qui cellules bêta nécrotiques, ou s'il s'agit plutôt
se plient sous une forme leur permettant de d'une réponse inflammatoire innée.
s'agglutiner les unes aux autres et de constituer 5. Les différentes populations cellulaires au sein des
des fibrilles. On ignore si cela est important du îlots diabétiques sont souvent désorganisées. Cela
point de vue fonctionnel. Le composant prin- a probablement des conséquences négatives dans
cipal de l'amyloïde pancréatique est un peptide la façon dont les différents types de cellules com-
de 37 résidus d'acides aminés connu sous le muniquent entre elles, en particulier les cellules
nom d'amyline ou polypeptide amyloïde des bêta et les cellules alpha. Cela pourrait entraîner
îlots (IAPP, Islet Amyloid Polypeptide). Celui-ci des perturbations de la sécrétion de l'insuline et
est stocké avec de l'insuline dans les granules de du glucagon, et contribuer en particulier à l'hy-
sécrétion des cellules bêta et est cosécrété avec perglucagonémie qui aggrave l'hyperglycémie
l'insuline. L'amyline joue un rôle dans la régu- chez le diabétique de type 2 (voir Zoom 4.4).
lation glycémique en ralentissant la vidange 6. Enfin, la perte de la sécrétion d'insuline
gastrique et en favorisant la satiété. Dans des induite par le glucose chez les diabétiques
conditions d'hyperglycémie et hyperlipidé- de type 2 pourrait résulter d'une trop forte
mie chroniques, la sécrétion de cette protéine accumulation locale de facteurs inhibiteurs
augmente suffisamment pour que la formation connus pour inhiber directement la sécré-
extracellulaire d'oligomères d'IAPP (polymé- tion de la cellule bêta (tels que les catécho-
risation) puisse se produire. Ces fibrilles amy- lamines noradrénergiques via leurs récepteurs
loïdes sont pro-apoptotiques pour les cellules α2-adrénergiques).
120 Physiopathologie du diabète

Zoom 4.4

Glucagon, une hormone dans l'ombre de sa grande sœur l'insuline


L'histoire du glucagon est indissociable de celle géniques. Sur le moment, cette théorie fut assez
de l'insuline [44]. Elle commence en 1921 mal accueillie dans le milieu de la diabétologie.
lorsque Banting et Best testent des extraits La preuve que l'insuline et le facteur HGH
pancréatiques chez des chiens diabétiques : ils étaient deux molécules différentes fut fournie
observent sans comprendre ce que cela signi- en 1953, avec l'isolement du glucagon sous
fie que très souvent les extraits provoquent une forme cristallisée hautement purifiée par
une hyperglycémie transitoire avant l'arrivée de l'équipe d'Otto Béhrens chez Eli Lilly. La mise
l'hypoglycémie attendue. John Murlin (1874– au point en 1959 d'un dosage radio-immuno-
1960) à Rochester, États-Unis, suggéra deux logique par Roger Unger à Dallas, États-Unis
ans plus tard que l'hyperglycémie précoce était (figure 4.16), et les progrès plus récents de la
due à un contaminant présent dans les extraits biologie moléculaire rendirent possibles les pre-
pancréatiques. Il proposa de donner le nom de mières études cliniques et ouvrirent un nouveau
« glucagon » à cet agent hyperglycémiant. Il chapitre de la physiologie du glucagon.
tenta d'isoler et de le purifier mais sans succès.
C'est le Belge Christian De Duve (1917–2013)
qui sera l'artisan principal de la renaissance du
glucagon, bien que son rôle dans ce domaine
fût éclipsé par ses travaux ultérieurs sur les lyso-
somes et les peroxysomes qui lui vaudront le
prix Nobel de médecine et de physiologie en
1974. À partir de 1948, De Duve travailla à
Saint-Louis, États-Unis, en collaboration avec
l'Américain Earl Sutherland (1915–1974),
qui deviendra célèbre pour la découverte de
l'AMPc. Sutherland avait alors entrepris d'étu-
dier les effets hyperglycémiants d'une substance
présente dans les extraits pancréatiques et qui
stimulait la glycogénolyse d'un foie incubé
in vitro, donc une susbstance aux effets oppo-
sés à ceux de l'insuline, et qu'il nomma HGF
(Hyperglycemic-Glycogenic Factor). Il découvrit
que l'HGF était synthétisé, non seulement par
Figure 4.16. Roger Unger (1924–2020).
le pancréas, mais également par la muqueuse
gastrique et certaines portions du tube digestif.
Son action glycogénolytique dans le foie était Un rôle possible du glucagon dans la physiopa-
médiée par la stimulation de l'AMP cyclique. thologie du diabète fut suspecté dès 1969, par
De Duve réalisa que l'HGF n'était autre que le Roger Assan (1932–2003) à Paris, à la suite de la
glucagon décrit une trentaine d'années aupara- description d'une hyperglucagonémie au cours de
vant, et confirma la dénomination « glucagon » l'acidocétose diabétique réversible après insulino-
en 1951. Il démontra expérimentalement que la thérapie. Roger Unger démontra que la glucago-
lésion sélective des cellules non bêta des îlots de némie est habituellement élevée dans le diabète,
Langerhans par du cobalt supprimait la produc- tant en période interprandiale que prandiale (ce
tion de glucagon chez le cobaye. De Duve en qui est paradoxal), et que cela est vrai pour le dia-
déduisit que le glucagon était produit et sécrété bète de type 1 comme pour le diabète de type 2.
par les cellules alpha. Il formula alors l'hypo- Grâce à ses travaux, l'hyperglucagonémie a été
thèse qu'un équilibre dynamique entre l'insu- interprétée comme une conséquence (directe ou
line et le ­glucagon était nécessaire au maintien indirecte) du déficit insulinique sur les cellules
de l'homéostasie glucidique, et que l'hypogly- alpha des ilots. La réduction de la glucagoné-
cémie induite par l'insuline stimulait la sécrétion mie est dès lors devenue (et reste) une voie de
de glucagon pour mobiliser les réserves glyco- recherche dans le traitement des diabètes. Pour

Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 121


preuve, l'inhibition de la sécrétion de glucagon est Gcg dans les cellules alpha, mais elle l'augmente
un élément important du mécanisme d'action des dans les cellules endocrines intestinales.
agonistes du GLP1 et des inhibiteurs de DPP4 Comment comprendre ces différences dans
(Dipeptidyl Peptidase 4) (voir Zoom 7.5). l'expression du gène Gcg ? Les différences
Gcg, le gène du glucagon portent en fait sur les mécanismes responsables
Le gène Gcg dont l'expression génère une grosse des modifications post-traductionnelles du pro-
protéine appelée préproglucagon (qui sert de glucagon par les PC (prohormones convertases)
précurseur pour plusieurs peptides dont le glu- et qui sont tissu-spécifiques (figure 4.17). Dans
cagon) est exprimé dans les cellules alpha des la cellule alpha, PC2 est la convertase majeure
îlots pancréatiques, mais aussi dans le cerveau et clive des sites spécifiques le long du proglu-
postérieur, en particulier le noyau du tractus cagon pour libérer le glucagon, mais pas les
solitaire et dans les cellules L entéroendocrines peptides apparentés au glucagon (Glucagon-
de la muqueuse intestinale (figure 4.17). Des Like Peptides). En revanche, dans les cellules L
travaux récents suggèrent que l'expression du intestinales, la convertase PC1/3 est majori-
gène Gcg est réglée différemment dans le pan- taire et transforme le proglucagon en GLP1,
créas et l'intestin. Ainsi, l'expression de Gcg oxyntomoduline et GLP2 en tant que produits
est favorisée par le jeûne dans les îlots, tandis dominants. L'expression de PC1/3 dans les cel-
que c'est l'état prandial qui la favorise dans les lules alpha n'est pas nulle, bien qu'à des niveaux
cellules L. L'insuline inhibe la transcription de inférieurs à celle de PC2, et on dispose depuis

Cellule L

Proglucagon

Cellule α
Glicentine

Oxyhtomoduline

GLP1(7-36)
PC2
PC1 GLP1(9-36)

GLP1(28-36)

IP2
GLP2(1-33)

GLP2(3-33)

Proglucagon PC1
PC2
Glucagon

Miniglucagon

GRPP1
MPGF

Figure 4.17. Le découpage sur mesure du proglucagon.


Un seul gène (Gcg) donne naissance à un polypeptide précurseur appelé proglucagon, identique dans les cellules
entéroendocrines L et les cellules alpha pancréatiques. Le proglucagon subit un traitement post-traductionnel
différentiel, spécifique au type cellulaire qui exprime le gène, et qui donne naissance à différents peptides. Ces
peptides peuvent eux-mêmes subir à leur tour un clivage enzymatique supplémentaire comme indiqué sur la figure.
GLP1 : peptide 1 de type glucagon ; GLP2 : peptide 2 de type glucagon ; GRPP : polypeptide apparenté à la
glicentine ; IP : peptide intermédiaire ; MPGF : fragment pricipal du proglucagon ; PC1 : prohormone convertase 1 ;
PC2 : prohormone convertase 2. ▶
122 Physiopathologie du diabète


peu de preuves de la production de GLP1 par local. L'insuline contribue à la suppression du
les îlots. Bien que PC2 soit exprimé par certains glucagon après les repas. Plusieurs études ont
neurones du système nerveux central, il n'est apporté la preuve que l'insuline supprime la
pas colocalisé avec Gcg et seules des traces de sécrétion de glucagon. Cet effet pourrait être
glucagon ont été détectées dans le SNC. médié directement via les récepteurs de l'insu-
line sur les cellules alpha ou indirectement via
La sécrétion de glucagon par la cellule
une augmentation de la sécrétion de somatos-
alpha
tatine des cellules delta voisines. La suppression
Le glucagon est le principal produit de sécrétion de la sécrétion de glucagon par l'insuline est, au
des cellules alpha. Il n'y a aucune preuve suggé- moins en partie, médiée par une réduction des
rant que les cellules L entéroendocrines ou les taux intracellulaires d'AMPc et de la signalisa-
neurones du cerveau postérieur (ils expriment tion dépendante de la PKA (protéine kinase A)
Gcg) contribuent au taux circulant de glucagon. (figure 4.19). Les cellules alpha expriment aussi
Ce qui signifie que la glucagonémie reflète prin- des récepteurs de la somatostatine, et leur acti-
cipalement le fonctionnement sécrétoire des vation supprime la sécrétion de glucagon. Il a
cellules alpha insulaires. Le glucagon sécrété par été suggéré que d'autres composés libérés par
les îlots du pancréas s'accumule dans la veine les cellules bêta inhibent la libération de glu-
porte, où les concentrations sont plus élevées cagon, notamment le zinc ionique (Zn2 +) joue
que dans d'autres systèmes vasculaires majeurs, un rôle important dans le stockage de l'insu-
et il est généralement admis que le foie est la line dans les vésicules de sécrétion bêta, et le
cible principale de la signalisation du glucagon. GABA (acide γ-aminobutyrique, stocké dans
À la manière de la cellule bêta sa voisine, la cel- des vésicules spécialisées dans les cellules bêta) ;
lule alpha est surveillée par un réseau complexe mais l'importance réelle de ces composés n'est
de facteurs nutritifs, endocriniens, paracriniens cependant pas claire.
et neuronaux [45–48].
Enfin, le système nerveux autonome est essentiel
La sécrétion de glucagon dépend d'abord forte- pour la régulation de la sécrétion de glucagon,
ment des concentrations ambiantes de glucose. en particulier dans le cadre de la contre-régu-
Les faibles concentrations de glucose (< 5 mM) lation hypoglycémique. L'activation des com-
augmentent la sécrétion de glucagon et des posantes parasympathique et sympathique du
concentrations élevées l'inhibent, en partie via système nerveux autonome augmente la libé-
des modifications de l'activité électrique cellu- ration de glucagon. L'adrénaline surrénalienne
laire alpha impliquant les canaux KATP. Il semble a un effet similaire. Comme dans le cas de
étonnant que les cellules alpha et bêta présentent ­l'insuline, la sécrétion de glucagon est également
des similitudes pour ce qui concerne le captage modulée par les peptides entériques. Le GIP
du glucose, son métabolisme intracellulaire et (Glucose-Dependent Insulinotropic Polypeptide)
l'activité des canaux KATP, alors que les réponses stimule la libération de glucagon, alors que le
sécrétoires sont diamétralement opposées. On GLP1 l'inhibe. Le GLP1 augmente la sécrétion
connaît maintenant les bases moléculaires de ce d'insuline et de somatostatine et pourrait donc
paradoxe (figure 4.18). ainsi agir indirectement pour réduire la libéra-
Des différences substantielles existent entre la tion de glucagon. Ce mécanisme (paracrine) est
libération de glucagon par les cellules alpha actuellement considéré comme le plus crédible
isolées et les îlots intacts, ce qui suggère que pour rendre compte de l'action du GLP1 sur
d'autres cellules des îlots jouent un rôle impor- les cellules alpha. Dans la liste des modulateurs
tant dans la régulation des cellules alpha. Les pharmacologiques de la sécrétion du glucagon,
cellules endocrines des îlots sont exposées à de on retiendra les inhibiteurs de DDP4 (l'enzyme
fortes concentrations de produits libérés loca- qui dégrade et inactive le GLP1 endogène) qui
lement, dont l'insuline et la somatostatine qui inhibent la sécrétion de glucagon. Les inhibi-
sont des inhibiteurs très efficaces de la libération teurs de DPP4 ainsi que les agonistes du récep-
de glucagon. Ces signaux agissent via la micro- teur du GLP1 sont largement utilisés en tant que
circulation locale, et/ou le milieu extracellulaire médicaments antidiabétiques (voir Chapitre 7).

Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 123

A β B β
GLUT2 GLUT2

ATP
ATP
ADP
ADP
[Ca2+]
[Ca2+]
SUR r
K-ATP Ki
K-ATP
– 60 mV
Ca-L Ca-L

C α D α
GLUT1 GLUT1

ATP ATP
ADP ADP
[Ca2+]
[Ca2+]
R
SU
K-ATP
r
Ki

K-ATP
Ca-P/Q
Ca-P/Q

Na-V Na-V

Figure 4.18. Modulation par le glucose de l'activité électrique dans les cellules alpha et bêta : un ballet subtil
entre des canaux ioniques.
La sécrétion d'insuline est inhibée aux faibles (A) et stimulée aux fortes concentrations de glucose (B).
Inversement, la sécrétion de glucagon est stimulée aux faibles (C) et inhibée aux fortes concentrations
de glucose (D). (A) : à faible glucose (< 5 mM), les niveaux d'ATP sont suffisamment faibles pour que les
canaux KATP soient actifs (donc ouverts), ce qui maintient la membrane des cellules bêta hyperpolarisée et
bloque l'activité électrique membranaire et la libération d'insuline. Lorsque la concentration extracellulaire
augmente (B), le glucose est capté et métabolisé ce qui accroît la quantité d'ATP disponible dans le cytosol.
Cela induit la fermeture des canaux KATP, qui déclenche la dépolarisation de la membrane plasmique, l'ouverture
de canaux Ca2 + voltage-dépendants (de type L) et l'influx d'ions Ca2 +. L'augmentation de [Ca2 +]cytosolique
déclenche à son tour l'exocytose des grains d'insuline. (C) : à faible glucose (< 5 mM), les canaux KATP des
cellules alpha sont moins largement ouverts que dans les cellules bêta. Cet état de fait est suffisant pour
dépolariser la membrane, activer des canaux Na+ voltage-dépendants, et des canaux Ca2 + de type P/Q (un type
particulier de canal calcique voltage-dépendant). Cela entraîne un influx de Ca2 + et une libération de glucagon.
Par contre, lorsque la concentration extracellulaire du glucose dépasse 6 mM (D), l'augmentation du métabolisme
dans la cellule alpha provoque la fermeture complète des canaux KATP, et induit donc une dépolarisation
membranaire plus forte. Cela inactive les canaux Na+ voltage-dépendants et, par voie de conséquence,
les canaux Ca2 + de type P/Q. Avec une sécrétion réduite de glucagon à la clé. Lorsque la concentration
extracellulaire du glucose est très élevée, la sécrétion d'insuline, de zinc et de GABA par les cellules bêta
adjacentes aux cellules alpha contribue à l'inhibition de l'activité électrique de ces dernières et au blocage de la
sécrétion de glucagon (modulation paracrine).
M : métabolisme oxidatif du glucose ; K-ATP : canaux K+ ATP-dépendants ; Ca-L : canaux Ca2 + voltage-dépendants
de type L ; Ca-PQ : canaux Ca2 + voltage-dépendants de type P/Q ; Na-V : canaux Na+ voltage-dépendants.

124 Physiopathologie du diabète


mie et ont conduit au principe général qu'il a
β δ un rôle opposé à celui de l'insuline et contribue
à maintenir une glycémie adéquate en situation
G G
de stress, de jeûne ou d'exercice [45–48].
La voie de signalisation AMPc/PKA est essen-
INS
SMT tielle pour l'action hépatique du glucagon. C'est
IR ainsi qu'il contrôle l'activation de la phospho-
SMTR rylase kinase et de la glycogène phosphorylase,
GCG et active la glycogénolyse et inhibe la glycoge-
AMPC nèse. Cependant, l'insuline régulant également
PKA
ces enzymes, le résultat final (dégradation versus
G
synthèse du glycogène) dépend de l'équilibre
des effets de l'insuline et du glucagon sur les
hépatocytes. La signalisation GCGR régule
α
également le flux entre le glucose-6-phosphate
et le fructose bisphosphate via une action sur
Figure 4.19. Mécanismes intercellulaires impliqués la fructose-2,6-bisphosphatase et l'inhibition
dans la suppression de la sécrétion de glucagon par consécutive de l'activité de la pyruvate kinase.
le glucose. Le résultat global est une inhibition rapide de
Le glucose à concentration élevée supprime la sécrétion la glycolyse hépatique et la mobilisation du glu-
de glucagon par des mécanismes de signalisation
cose stocké (glycogénolyse) afin de libérer le
impliquant sa capture et son métabolisme, mais aussi
indirectement en modulant la libération de facteurs glucose dans la circulation générale.
paracrines dérivés des cellules bêta et/ou delta Un autre aspect essentiel de l'effet du gluca-
(respectivement, insuline et somatostatine). gon sur la production hépatique de glucose a
G : glucose ; INS : insuline ; IR : récepteur de l'insuline ; trait à l'activation de la voie gluconéogénique,
SMT : somatostatine ; SMTR : récepteur de la
un effet médié à nouveau par l'activation PKA
somatostatine.
dépendante des facteurs de transcription CREB
et FOXO. Le glucagon régule positivement la
transcription de la PEPCK (phosphoénolpyru-
Les glifozines, inhibiteurs de SGLT2 (cotrans- vate carboxykinase), une enzyme dont l'activité
porteur sodium-glucose de type 2), qui sont et la quantité varient avec l'état métabolique
depuis peu utilisées comme antidiabétiques (augmentant pendant le jeûne et diminuant en
en favorisant la perte urinaire du glucose (voir réponse à l'insuline). La PEPCK catalyse une
Chapitre 7), augmentent par contre la sécrétion étape clé de la gluconéogenèse en convertissant
de glucagon. l'oxaloacétate, un produit du cycle de Krebs,
en phosphoénolpyruvate. Dans les modèles
Effets biologiques du glucagon animaux, la gluconéogenèse est augmentée par
L'action du glucagon est médiée par le GCGR la surexpression hépatique de la PEPCK, et à
(récepteur du glucagon), un récepteur couplé à l'inverse diminuée par sa délétion. D'autres
la protéine G de type Gs. La liaison du glucagon protéines clés impliquées dans la production
sur le GCGR active l'adénylate cyclase couplée de glucose, telles que PGC1 (coactivateur 1
à la protéine Gs, augmente l'AMPc intracellu- du récepteur activé par les proliférateurs de
laire et active la PKA. Les tissus les plus riches en peroxysomes) et l'enzyme G6Pase (glucose-
récepteurs au glucagon sont le foie et les reins, 6-phosphatase), sont également activées par la
et à un moindre degré, le cœur, le tissu adipeux signalisation du GCGR. Au total, le glucagon
et le SNC. Le premier effet identifié du gluca- régule plusieurs processus favorables à la voie
gon – stimuler la production de glucose par le de la néoglucogenèse. La gluconéogenèse est
foie – remonte à cent ans. Les travaux ultérieurs un processus exigeant en énergie (nécessitant
ont démontré l'importance du glucagon pour 6 moles de liaisons phosphate à haute énergie
la défense de l'organisme contre l'hypoglycé- pour chaque mole de glucose produite), et

Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 125


elle est étroitement liée à l'activité du cycle de identifiés, il est maintenant clair que l'adminis-
Krebs et à l'oxydation des lipides pour ce qui tration pharmacologique de glucagon diminue
concerne la fourniture d'ATP. En effet, en faci- l'apport alimentaire chez plusieurs espèces et,
litant l'oxydation des acides gras hépatiques et en outre, augmente leur dépense énergétique
la cétogenèse, le glucagon exerce de puissants au repos. Un autre site d'action du glucagon
effets sur le métabolisme énergétique hépatique récemment découvert est le tissu adipeux
et stimule la récupération d'énergie à partir des brun (BAT, Brown Adipose Tissue), un organe
lipides pour soutenir la production de glucose. cible reconnu comme médiateur de la dépense
On considère actuellement que le facteur de énergétique (voir Zoom 3.1). Dans certaines
transcription FOXA2 joue un rôle central dans études, le glucagon augmente à la fois la tem-
ce processus. FOXA2 contrôle l'expression de pérature corporelle centrale, ainsi que la masse
gènes impliqués dans l'oxydation des acides et la température du BAT, ce qui traduit une
gras et la cétogenèse, et est activé à la fois par le augmentation des dépenses énergétiques. Une
jeûne et par le glucagon. L'insuline exerce des exposition au froid qui active fortement le BAT
effets opposés sur FOXA2 ; on a là un nouvel augmente aussi les concentrations de glucagon
exemple de régulation coordonnée et inverse dans le plasma et le BAT lui-même, suggérant
par l'insuline et le glucagon sur le métabolisme que le glucagon lui-même contribue à la ther-
du glucose et des lipides, le glucagon étant plus mogenèse. Le GCGR est aussi exprimé par les
actif à jeun et l'insuline prédominant pendant cellules bêta insulaires et on sait depuis long-
et après l'alimentation. Le glucagon contribue temps que des quantités supraphysiologiques
également au maintien de la glycémie pendant de glucagon stimulent la sécrétion de l'insu-
l'exercice, un autre facteur de stress métabo- line in vitro et in vivo. Le glucagon amplifie
lique. De façon similaire à ce qui est observé la sécrétion d'insuline stimulée par le glucose
lors de la réponse à l'hypoglycémie, la combi- principalement par le biais de mécanismes acti-
naison « catécholamines élevées + glucagon vés par l'augmentation de l'AMPc. Dans des
élevé + insuline faible », caractéristique de la îlots humains et de rats isolés étudiés en culture,
réponse à l'exercice, est optimale pour assurer le blocage du GCGR par un antagoniste altère
une production de glucose élevée et maintenir la sécrétion d'insuline en réponse au glucose.
une fourniture adéquate de glucose aux muscles Cela suggère que le glucagon libéré localement
périphériques qui travaillent. Si l'exercice se (effet paracrine) exerce un rôle tonique sur les
prolonge, l'impact du glucagon sur la promo- cellules bêta leur permettant de conserver un
tion de l'oxydation des lipides devient de plus couplage stimulus-sécrétion optimal. Par ail-
en plus important et permet d'épargner une leurs, les cellules bêta expérimentalement dis-
production de glucose limitée, en offrant un persées in vitro et maintenues isolées de leurs
relai énergétique (mécanisme d'épargne du voisines sont moins sensibles au glucose que
glucose). lorsqu'elles se sont réassociées avec des cellules
Bien que le foie soit la principale cible du glu- alpha. Il existe donc un ensemble de preuves en
cagon circulant, des travaux récents indiquent faveur de l'idée que le glucagon est important
que d'autres tissus répondent également à dans la potentialisation de la sécrétion d'insu-
l'hormone. Le cerveau est l'une de ces cibles, line, très probablement grâce à une interaction
et il est prouvé que le glucagon peut affec- paracrine et/ou de cellule à cellule.
ter le comportement alimentaire. Les per-
sonnes recevant des doses pharmacologiques Glucagon et diabètes
de glucagon, ou celles atteintes de tumeurs L'hyperglucagonémie a initialement été rap-
neuroendocrines produisant de grandes quan- portée chez les diabétiques de type 1 non
tités de glucagon (glucagonome), réduisent traités ou mal équilibrés. Des concentrations
considérablement leur apport alimentaire élevées de glucagon sont également présentes
et perdent du poids. Bien que les centres du tout au long de la journée chez les diabétiques
SNC responsables de ces effets n'aient pas été de type 2, et l'hyperglucagonémie ­ persiste ▶
126 Physiopathologie du diabète


malgré la présence de l'hyperglycémie, ce qui journée (petit-déjeuner, repas du midi, dîner).
est paradoxal à première vue. Chez ces der- L'hyperglycémie interprandiale résulte d'une
niers, et à la différence des individus non dia- hyperproduction de glucose par le foie et, en
bétiques, la glucagonémie ne diminue pas en particulier, d'une augmentation de la néoglu-
période prandiale ; elle peut même augmenter cogenèse hépatique. Cette dernière est due à
(en fonction de la richesse en protéines du l'augmentation chronique de la transcription
repas). Cela suggère que les cellules alpha ne des gènes de certaines enzymes clés de la voie
sont pas capables de percevoir l'hyperglycémie (PEPCK, G6Pase) provoquée par l'hyperglu-
comme un signal d'inhibition de la sécrétion cagonémie. Quant à l'hyperglycémie prandiale,
du glucagon. Chez les diabétiques de type 1, elle est due, en partie, à la non-suppression de
une cause de l'hyperglucagonémie semble être la production hépatique de glucose elle-même
la carence en insuline, puisque la correction de due à la non-suppression de la glucagonémie.
l'hyperglycémie par insulinothérapie norma-
Des cellules alpha transgenres ? un
lise en général la glucagonémie. Dans le cas
phénotype plastique bien utile pour guérir
des diabètes de type 2, les raisons sont moins
du diabète
claires et probablement multiples. Le nombre
total des cellules alpha est-il anormalement La première preuve expérimentale que des cel-
augmenté chez les diabétiques de type 2 ? Ce lules alpha chez la souris adulte étaient capables
ne semble pas être le cas (données non concor- de transdifférenciation (ou reprogrammation)
dantes concluant qu'il est normal ou légère- a été fournie en 2010 par le groupe de Pedro
ment augmenté), bien que la masse des cellules Herrera à Genève [49, 50]. La transdifféren-
bêta chez ces mêmes patients soit nettement ciation désigne l'acquisition d'une nouvelle
diminuée (d'au moins de 50 %). Il n'en reste identité phénotypique par des cellules différen-
pas moins vrai que même dans le cadre d'un ciées via une conversion directe ne passant pas
nombre inchangé de cellules alpha, le rapport préalablement par un état de cellule souche.
nombre de cellules alpha/nombre de cellules C'est un phénomène rarement décrit in vivo
bêta est toujours anormalement élevé chez les et qui reste mal compris. En l'occurrence les
diabétiques de type 2. Pour rendre compte chercheurs ont démontré la capacité spontanée
du dysfonctionnement sévère des cellules des cellules alpha à se reprogrammer in vivo en
alpha, trois possibilités sont retenues à l'heure cellules bêta. Ils ont utilisé un nouveau modèle
actuelle : de souris diabétique chez laquelle 99 % des cel-
lules bêta sont éliminées. Cela a été possible
1. un déficit de sécrétion d'insuline à l'inté-
grâce à l'expression par transgenèse du récep-
rieur des îlots ;
teur humain de la DTR (toxine diphtérique) à
2. une résistance des cellules alpha à l'effet de la surface des cellules bêta. Alors que l'admi-
l'insuline ; nistration de toxine diphtérique n'a aucun effet
3. une cécité des cellules alpha à l'hyperglycé- sur les souris normales puisqu'elles n'ont pas le
mie. récepteur DTR, elle induit la mort de la quasi-
Cette idée d'un contrôle de la cellule alpha par totalité des cellules bêta présentes chez les
la cellule bêta de l'îlot a conduit Unger et Orci souris transgéniques. Ces dernières deviennent
en 2010 à avancer l'idée que l'hyperglucagoné- donc rapidement hyperglycémiques et déve-
mie diabétique serait une paracrinopathie. loppent tous les symptômes liés à un diabète
Comment l'hyperglucagonémie explique-t-elle insulinodépendant sévère. Elles meurent en
l'hyperproduction de glucose en période pos- peu de temps si elles ne sont pas traitées avec
tabsorptive comme en période postprandiale, de l'insuline. Grande fut la surprise des cher-
chez les diabétiques de type 2 ? Ces derniers cheurs de constater que de nouvelles cellules
sont hyperglycémiques le matin à jeun (période productrices d'insuline apparaissaient progres-
interprandiale) et présentent une intolérance sivement et spontanément dans les îlots des
au glucose à la suite de chacun des repas de la souris. Étonnamment, certaines de ces cellules

Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 127


contenaient simultanément de l'insuline et du de nouvelles cellules bêta à partir de cellules
glucagon. De telles cellules hybrides (bi-hor- non bêta, alpha en l'occurrence. Ce degré de
monales) ne sont jamais observées dans le pan- plasticité cellulaire confère au pancréas adulte
créas adulte sain. Par ailleurs, chez toutes les des propriétés régénératives intrinsèques
souris qui avaient développé primitivement un jusqu'alors méconnues, mais qui pourraient
diabète, une franche amélioration du contrôle être exploitées pour développer de nouvelles
glycémique était observée après quelques thérapies contre le diabète (voir Chapitre 8).
mois, contemporaine de la capacité de restau- Ces travaux pionniers ont suscité un inté-
ration de la population des cellules à insuline. rêt considérable ces dernières années.
Afin d'identifier l'origine des nouvelles cel- L'efficacité de ce mécanisme de conversion
lules sécrétrices d'insuline observées dans ce alpha vers bêta a été confirmée dans plusieurs
modèle, un marquage irréversible des cellules autres modèles précliniques en réponse à
bêta initiales avant leur destruction a été mis diverses interventions : modifications géné-
au point à l'aide d'un traceur fluorescent. Ce tiques induisant un changement de l'équi-
marquage a montré que les cellules bêta néo- libre entre les facteurs de différenciation Arx
formées ne dérivaient pas de l'expansion des et PAX4, activation de la voie de signalisation
très rares cellules bêta qui avaient échappé à la du GABA, surexpression des facteurs PDX1
mort induite par la toxine. En revanche, le tra- et MafA, inhibition de la Ménine (suppres-
çage des cellules alpha a révélé sans équivoque seur de tumeur), induction de modifications
que ces dernières étaient à l'origine non seule- épigénétiques par un inhibiteur de DNMT1,
ment des cellules bi-hormonales exprimant le utilisation d'un inhibiteur du cotransporteur
glucagon et l'insuline, mais aussi de la plupart sodium-glucose de type 2 (l'antidiabétique
des cellules contenant uniquement de l'insu- dapagliflozine). Le décryptage des méca-
line. Au cours de ce processus, les cellules alpha nismes cellulaires et moléculaires impliqués
expriment de novo une multitude de facteurs dans cette plasticité alpha sera essentiel pour
indispensables au bon fonctionnement des cel- concevoir des approches de transdifférencia-
lules bêta, tels que des facteurs de transcrip- tion guidée applicables en clinique. La pru-
tion comme PDX1 et Nkx6.1 (normalement dence est cependant de mise, car on ne sait
non exprimés dans la cellule alpha mature). pas si ce qui a été rapporté chez la souris est
Ainsi, une fraction des cellules alpha change extrapolable à l'homme : une étude récente
spontanément d'identité cellulaire après la sur des pancréas post-mortem suggère que la
destruction des cellules bêta préexistantes. conversion cellule alpha en cellule bêta est un
Ces données spectaculaires indiquent que le événement très rare chez les patients diabé-
pancréas adulte possède la capacité de générer tiques de type 1 [51].
128 Physiopathologie du diabète

▶ Zoom 4.5

La parabole des aveugles et de l'éléphant


La parabole des aveugles et de l'éléphant rendue une corde ! » Alors, les six aveugles discutèrent long-
célèbre par le poète américain John Godfrey temps et passionnément, tombant chacun dans un
Saxe au milieu du xixe siècle est une fable d'ori- excès ou un autre, insistant sur ce qu'ils croyaient
gine indienne. exact. Ils semblaient ne pas s'entendre, lorsqu'un
Un jour de grand soleil, six aveugles originaires de sage, qui passait par là, les entendit argumenter.
l'Hindoustan, instruits et curieux, désiraient, pour « Qu'est-ce qui vous agite tant ? » dit-il. « Nous ne
la première fois, rencontrer un éléphant afin de pouvons pas nous mettre d'accord pour dire à quoi
compléter leur savoir… Le premier s'approcha de ressemble l'éléphant ! » Et chacun d'eux lui dit ce
l'éléphant. Et, alors qu'il glissait contre son flanc qu'il pensait à ce sujet. Le sage, avec son petit sou-
vaste et robuste, il s'exclama : « Dieu me bénisse, rire, leur expliqua : « Vous avez tous dit vrai ! Si cha-
un éléphant est comme un mur ! » Le deuxième, cun de vous décrit l'éléphant si différemment, c'est
tâtant une défense, s'écria : « Oh ! Oh ! rond, lisse parce que chacun a touché une partie de l'animal
et pointu ! selon moi, cet éléphant ressemble à une très différente ! L'éléphant a réellement les traits que
lance ! » Le troisième se dirigea vers l'animal, prit la vous avez tous décrits. » « Oooooooh ! » s'exclama
trompe ondulante dans ses mains et dit : « Pour moi, chacun. Et la discussion s'arrêta net ! Et ils furent
l'éléphant est comme un serpent. » Le quatrième tous heureux d'avoir dit la réalité, car chacun déte-
tendit une main impatiente, palpa le genou et fut nait une part de vérité.
convaincu qu'un éléphant ressemblait à un arbre ! Fable précieuse qui nous aide à comprendre que
Le cinquième, s'étant saisi par hasard de l'oreille, chaque chercheur en regardant par le bout de sa
dit : « Même pour le plus aveugle des aveugles, cette lorgnette doit rester humble, car il ne découvre
merveille d'éléphant est semblable à un éventail ! » au mieux qu'une pièce d'un gigantesque puzzle.
Le sixième chercha à tâtons l'animal et, s'emparant Le diabétologue et cartooniste belge Pierre De
de la queue qui balayait l'air, perçut quelque chose Meyts (Chuck) (figure 4.20) a transposé cette
de familier : « Je vois, dit-il, l'éléphant est comme fable à l'univers du diabète…
QUI EST LE COUPABLE ?

C'EST
LA GLUCOKINASE !
C'EST
GLUT2 !

C'EST
LA
CELLULE
BÊTA !

DIABÈTE
DE
C'EST TYPE 2
LE C'EST
RÉCEPTEUR LE C'EST
C'EST MUSCLE ! GLUT4 !
DE L'INSULINE ! LE
FOIE !

CHUCK
92

Figure 4.20. Qui est le coupable ?


D'après De Meyts P. The diabetogenes concept of NIDDM. In : Östenson CG, Efendic S, Vranic M. New concepts in the pathogenesis of
NIDDM. Proceedings of the second Toronto-Stockholm symposium on perspectives in diabetes research. Stockholm, Suède ; 1992.

Chapitre 4. Quelles sont les raisons de l'hyperglycémie chronique ? 129


Espérons que la mondialisation de la recherche, ensemble l'éléphant que représente le diabète,
en mettant un jour bout à bout toutes les pièces afin qu'on puisse mieux le soigner et, pourquoi
du puzzle, puisse permettre de voir dans son pas, en guérir.

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Chapitre 5
Le diabète, c'est dû à quoi ?

Le poids de l'inné, le est inné et ce qui est acquis relève de la mission


impossible.
choc de l'acquis Qu'en est-il pour le diabète de type 2 ? L'étude de
la distribution géographique du diabète de type 2
fait bien ressortir l'importance des interactions
Une maladie génétique (innée) résulte de l'action profondes entre génome et environnement. Dans
d'une cause endogène à l'individu, due à un gène le diabète de type 2, la répartition mondiale très
anormal. Une maladie acquise résulte de l'action hétérogène plaide en faveur d'un déterminant eth-
d'une cause extérieure (un facteur présent dans nique : 4 % de la population au Cambodge, 10 % en
l'environnement humain) comme une infection Chine continentale, 20 % à l'île Maurice, 30 % aux
(bactérie, virus, parasite), un empoisonnement ou îles Marshall. Ce sont surtout les analyses des migra-
un accident. Le plus souvent, l'impact du génome tions de population qui sont informatives. D'une
sur la santé n'est pas exclusif, mais seulement manière générale, les populations rurales sont moins
relatif. Nous ne sommes pas « tout génétique » ! exposées que ces mêmes populations devenues
« Genes alone do not determine our futures… » urbaines. Ainsi, le suivi migratoire de populations
Dans la plupart des maladies chroniques les plus japonaises transplantées aux États-Unis a mis en
fréquentes (et le diabète en fait partie), il existe des
gènes dont certains allèles rendent plus probable
le développement de la maladie sans pour autant
le rendre certain. Le plus souvent les modes de vie
et de milieu interviennent également et le déve-
loppement de la maladie dépend alors de l'interac-
tion complexe entre facteurs du milieu et génome.
L'exemple de l'obésité commune est exemplaire
à cet égard. Fernando Botero, peintre et sculp-
teur colombien, est réputé pour ses personnages
aux formes rondes et voluptueuses. Sur plusieurs
œuvres de Botero, tous les membres d'une même
famille, parents et enfants, mais aussi leur ani-
mal domestique, affichent une obésité tranquille
(figure 5.1).
Comment comprendre une telle affaire de
famille : responsabilité du patrimoine génétique
familial ? Responsabilité de l'environnement fami-
lial et en particulier des habitudes alimentaires
de la famille ? Très probablement les deux ! Mais Figure 5.1. Una familia.
chiffrer le partage des responsabilités entre ce qui D'après Fernando Botero, 1970.

Physiopathologie du diabète
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132 Physiopathologie du diabète

é­ vidence une augmentation significative du nombre une insulinorésistance et est elle-même sous
de personnes diabétiques, en rapport avec les modi- contrôle génétique.
fications de l'alimentation, devenue plus calorique Mais construire un schéma cohérent et complet
et qualitativement plus pauvre en fibres et plus riche des causes du diabète de type 2 est devenu une
en graisses saturées (beurre, charcuterie, fromage). entreprise complexe et subtile. On comprend aisé-
Ce qu'il est advenu des Indiens Pimas est une par- ment qu'une des difficultés majeures qui complique
faite illustration de l'interaction entre le stock per- notre compréhension de l'étiologie du diabète de
sonnel de gènes (le génome individuel) et l'impact type 2 tient au fait que de multiples facteurs envi-
de l'environnement sur le fonctionnement des ronnementaux et génétiques modulent la sensibi-
gènes (voir Zoom 5.5) [1, 2]. Aujourd'hui, et en lité à l'insuline et l'insulinosécrétion : l'âge, le sexe,
quelques générations seulement, 80 % sont obèses l'ethnicité, l'activité physique, le régime alimentaire,
et 50 % diabétiques de type 2. À l'inverse, moins de l'obésité, la répartition corporelle du tissu adipeux.
5 % des Pimas restés mexicains sont diabétiques. Le Or, si la plupart de ces éléments phénotypiques sont
génome Pima ne s'est pas modifié sur ces quelques évidemment sous contrôle génétique, il est essentiel
dizaines d'années, mais le style de vie Pima tradi- de réaliser que les gènes impliqués ne représentent
tionnel de type cueilleur/chasseur a été transformé pas forcément des gènes spécifiques du diabète.
par la « coca-colonisation ». Cette population Prenons un exemple à l'appui de cette subtilité.
indienne, extrêmement performante en période de Supposons que l'insulinorésistance chez les diabé-
disette, se trouve maintenant prédisposée au dia- tiques de type 2 soit due essentiellement à l'accu-
bète en situation d'abondance et de sédentarité. mulation de gras intra-abdominal et que ce dernier
Les gènes impliqués dans ce diabète ne sont pas de caractère phénotypique soit sous déterminisme
mauvais gènes, mais plutôt des gènes mal adaptés à génétique seulement. On serait dans ce cas en droit
l'évolution de nos sociétés industrialisées (on parle de conclure que l'insulinorésistance est génétique,
de « gènes de susceptibilité »). Pour devenir diabé- mais le ou les gènes responsables ne pourraient être
tique de type 2, il faut donc cumuler à la fois des qualifiés de gènes diabétiques. Pourquoi ? Parce qu'il
gènes qui favorisent le stockage (autrement dit, existe de nombreux obèses avec le même phéno-
un « génome économe ») et avoir un mode de vie type gras et la même insulinorésistance génétique,
caractérisé par une alimentation trop riche et une qui ne sont pas diabétiques ! Imaginons cette fois-ci
faible activité physique. qu'une mutation du gène du récepteur de l'insuline
Pour résumer notre conception actuelle des (une forme dite morbide du gène) provoque une
causes du diabète de type 2 [3–7], il existe un insulinorésistance. Si la mutation est assez grave
consensus général sur au moins les points suivants : pour entraîner l'apparition d'un diabète, et si on ne
1. le déterminisme de la maladie repose à la fois retrouve jamais cette mutation chez les gens sains,
sur des bases génétiques (innées) et environne- l'allèle morbide du gène du récepteur de l'insuline
mentales (acquises) ; sera alors qualifié de gène diabétogène et spécifique
2. le terrain génétique nécessaire à l'expression de la du diabète. On comprend dès lors qu'il est essentiel
maladie est polygénique, ce qui signifie que la pré- d'arriver à faire le tri entre les gènes diabétogènes
sence simultanée de plusieurs gènes modifiés (les et les gènes en rapport avec le diabète (c'est-à-dire
allèles malades) est nécessaire (mais pas forcément ceux impliqués dans les mécanismes de régulation
suffisante…) pour que la maladie se développe ; de l'appétit, de la dépense énergétique ou de l'accu-
3. des anomalies à la fois dans le mode d'action mulation de gras viscéral). Les gènes en rapport avec
de l'insuline et la sécrétion de l'insuline sont le diabète sont non spécifiques et ils ne sont pas suf-
des éléments nécessaires à la pathogenèse de la fisants pour causer le diabète car on peut retrouver
maladie, et on sait que chacun de ces deux élé- leurs allèles morbides chez des gens qui n'ont pas le
ments est lui-même sous contrôle génétique ; diabète. Pour ces raisons, ils sont considérés comme
4. la plupart (80 %) des patients sont obèses ; des facteurs du risque génétiquement programmé
5. l'obésité, en particulier l'obésité due à une accu- (voir Zoom 5.1). L'exemple des gènes responsables
mulation de graisses intra-abdominales, induit de l'excès de masse grasse (obésité) illustre cette
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 133

idée. La présence de ces gènes n'est pas limitée aux de familles nucléaires), mais aussi sur l'existence de
individus dont le destin est de devenir diabétiques ; situations dans lesquelles une anomalie molécu-
leur présence n'est pas suffisante pour causer un dia- laire isolée contribue au développement du diabète
bète (puisque la plupart des obèses ne deviennent (formes monogéniques). D'une part, les études épi-
pas diabétiques) ; et enfin leur présence n'est pas démiologiques montrent de grandes variations dans
essentielle puisque le diabète de type 2 peut appa- la prévalence du diabète de type 2 notamment en
raître chez des individus minces sans excès de masse fonction de l'origine des populations. La prévalence
grasse. Une autre source de complication réside dans est estimée à 5 % au moins dans les populations cau-
le fait que l'hyperglycémie chronique, à elle seule, casiennes ou asiatiques. Dans les populations plus
provoque des anomalies de l'insulinosécrétion et de homogènes sur le plan ethnique, la fréquence du dia-
la sensibilité à l'insuline. Ainsi, il est tout à fait conce- bète de type 2 est considérable : 50 % ou plus, chez
vable (et prouvé expérimentalement chez l'animal) les Indiens Pimas, ou dans des populations des îles du
que l'insulinorésistance et le déficit de l'insulinosé- Pacifique Sud. Le brassage génétique fait baisser la
crétion des patients diabétiques de type 2 n'aient pas prévalence du diabète de type 2 dans les populations
une origine génétique, et résultent simplement de de ces îles (83 % chez les insulaires d'origine et 17 %
l'exposition à l'hyperglycémie. On considère dans chez les sujets métissés). D'autre part, les études chez
ce dernier cas que l'hyperglycémie chronique est un les jumeaux ont permis de démontrer une contribu-
facteur d'environnement délétère pour certains tis- tion forte de facteurs génétiques dans la survenue
sus (ici, le foie, les muscles squelettiques, les cellules du diabète de type 2. Le taux de concordance entre
bêta pancréatiques) et on utilise le terme de gluco- jumeaux mono- ou dizygotes, même s'il varie d'une
toxicité pour nommer cet effet. Et le même type de étude à l'autre, est systématiquement plus élevé (au
raisonnement tient pour une autre source de com- moins le double) pour les jumeaux monozygotes
plication : l'hyperlipidémie chronique, à elle seule, (90 %) que pour les dizygotes (30 %). Pour simple
provoque des anomalies de l'insulinosécrétion et de rappel, les jumeaux monozygotes proviennent de
la sensibilité à l'insuline (on parle dans ce cas-là de la division d'un œuf fécondé unique. Ils sont issus
lipotoxicité). Devant cet amoncellement d'interac- du même ovule et du même spermatozoïde et pos-
tions complexes entre génome et contraintes liées à sèdent une information génétique identique. Sont
l'environnement dans lequel fonctionnent nos gènes synonymes les termes : univitellins, vrais, identiques.
à chaque instant, il est donc nécessaire de se poser et Les jumeaux dizygotes proviennent de deux ovules
d'analyser un par un le jeu de rôle de chaque acteur distincts. Ils n'ont donc pas le même patrimoine
(chaque fois que cela sera rendu possible grâce aux génétique. Un autre moyen de quantifier le rôle de la
données expérimentales fournies par la recherche). susceptibilité génétique est de mesurer dans une fra-
trie comportant un sujet atteint de diabète, le risque
relatif : il s'agit du rapport entre la prévalence du
diabète chez les apparentés d'un sujet atteint de dia-
Le génome des bète de type 2 et celle du diabète dans la population
générale. Dans les populations européennes, le risque
diabétiques de type 2 relatif est de l'ordre de 3,5 (35 % contre 10 %).

Le diabète de type 2 est


une maladie du génome Les formes communes
de diabète de type 2 sont
Les arguments qui ont permis de mettre en évidence des maladies génétiques
le rôle du génome dans la survenue du diabète de multifactorielles
type 2 sont multiples. Ils reposent sur des études
d'épidémiologie génétique au sein de populations On a déjà compris que la recherche « du gène
(études de cohortes, études de jumeaux, études du diabète » était une utopie (bien que la
134 Physiopathologie du diabète

­ ajorité des généticiens des années 1980 en


m glycémie et la contribution de ces gènes de sus-
ait fait leur fonds de commerce pendant vingt ceptibilité ne devient significative qu'en inte-
ans). L'immense majorité des diabètes de type 2 raction avec des facteurs environnementaux
ne relève pas d'un mode héréditaire monogé- prédisposant à leur expression phénotypique
nique (voir Zoom 5.1). De façon prémonitoire, (suralimentation, baisse d'activité physique,
le généticien américain James Neel (figure 5.2) obésité) (voir Zoom 5.1).
écrivait en 1965 que le diabète sucré, maladie Ce jeu subtil entre allèles à risque et facteurs du
multifactorielle « modèle », était un cauchemar milieu s'accorde bien avec l'idée émise par Neel [8,
pour le généticien [8, 9]. 9], selon laquelle certains génotypes favorables à l'es-
Cela reste vrai cinquante ans après, malgré pèce humaine durant des millénaires seraient deve-
d'innombrables études, des investissements mas- nus défavorables du fait du changement de milieu
sifs de la recherche publique et l'accroissement dans lequel vit l'homme, du moins dans les pays
considérable des connaissances en génétique. Les industrialisés. Ainsi, l'augmentation de la fréquence
stratégies actuelles développées pour comprendre du diabète de type 2 serait due au fait qu'un géno-
les bases génétiques des maladies multifactorielles type ayant permis une utilisation optimale des ali-
sont basées sur l'hypothèse « à maladie commune/ ments pendant les périodes de pénurie alimentaire et
variant commun ». Selon cette hypothèse, le risque de famine (génotype dit « d'épargne »), ce qui a été le
génétique des maladies communes comme le dia- cas pendant des millénaires, est devenu défavorable
bète de type 2 serait lié à des variants génétiques dans les populations à régime alimentaire abondant.
polymorphes (allèles) apparaissant avec une grande Des considérations analogues peuvent s'appliquer à
fréquence dans le génome des populations. l'obésité et aux maladies cardiovasculaires. La consé-
La contribution de l'hérédité au diabète de quence de tout cela est que les allèles impliqués dans
type 2 peut donc être déterminée par l'interac- ces maladies sont fréquents, voire très fréquents, et
tion d'un grand nombre de variants géniques on attend chez les malades des fréquences encore
fréquents, diversement associés selon les indivi- plus élevées de ces allèles. L'hypothèse de Neel sug-
dus et les populations (on parle alors d'hérédité gère que les génotypes associés à ces pathologies
polygénique). Chaque gène, pris individuel- sont très sensibles au milieu. Ce dernier, favorable
lement, a un faible effet sur la variance de la ou défavorable selon les périodes, peut être différent
d'une population à l'autre, d'autant que ces popu-
lations peuvent aussi avoir des histoires génétiques
différentes (dérive génétique, migration). Une des
conséquences possibles est que les gènes de suscep-
tibilité peuvent différer d'une population à l'autre,
entraînant des phénomènes d'hétérogénéité géné-
tique au sein d'une même maladie.

Qu'apportent les études


GWAS appliquées au
diabète de type 2 ?
Indiscutablement, les études GWAS (voir
Zoom 5.1) ont permis d'améliorer l'identifica-
tion des gènes de susceptibilité pour le diabète de
Figure 5.2. James Neel (1915–2000). type 2 commun. Plus de 130 variants GWAS sont
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 135

maintenant décrits. Il est frappant de constater affectée n'est pas identifiée. Enfin, malgré les cen-
que la plupart de ces variants touchent des gènes taines de millions de dollars dépensés, l'addition
qui sont impliqués dans le fonctionnement des de tous les variants dépistés par GWAS n'explique
cellules bêta. Cela accrédite donc l'hypothèse que qu'une toute petite fraction (de l'ordre de 15 %)
le déficit d'insulinosécrétion est génétiquement de l'héritabilité du diabète de type 2 commun
déterminé. Ces aspects positifs ne doivent cepen- (situation en 2019). La valeur prédictive positive
dant pas masquer des aspects décevants, car pour des allèles identifiés est donc faible et ne permet
nombre des variants impliqués, la voie cellulaire pas de dépister des populations à risque.

Zoom 5.1

La pêche aux gènes impliqués dans les diabètes


Génétique, héréditaire, héritabilité, somes des parents, elle est aussi héréditaire. Par
familial, monogénique, multifactoriel, exemple, l'hémophilie, qui est transmise par
susceptibilité ? Un peu de définitions pour les femmes, est héréditaire. Tandis que la triso-
ne pas tout mélanger ! mie 21, résultant d'un accident au cours de la
Une maladie génétique est une maladie due à division cellulaire, ne l'est pas. Toutes les mala-
une ou plusieurs anomalies sur un ou plusieurs dies génétiques ne sont donc pas héréditaires.
gènes qui entraînent un défaut de fonctionne- Par exemple, la plupart des cancers résultent de
ment de certaines cellules de l'organisme. La mutations affectant des gènes dans les cellules
structure et l'activité de chaque protéine fabri- tumorales qui sont des cellules somatiques et
quée par une cellule donnée sont déterminées à ce titre ne participent pas à la reproduction
par l'information génétique contenue dans un sexuée. Quant au terme de maladie familiale, il
gène. Si un gène est altéré, il entraîne la cellule qualifie juste une affection plus fréquente dans
dans un dysfonctionnement, qui peut rester ina- la famille, comme peuvent l'être la migraine ou
perçu ou être démasqué avec l'apparition d'une le cancer dans certains cas. Le terme de mala-
maladie. Un gène, une protéine, une fonction die héréditaire est aujourd'hui plutôt réservé
normale ; un gène malade (morbide), une pro- aux maladies génétiques et on préfère utiliser le
téine manquante, une fonction pathologique : terme de maladie transmissible quand la cause
c'est la séquence la plus simple (simpliste) n'est pas génétique, par exemple les maladies
pour signer l'origine purement génétique de la sexuellement transmissibles.
maladie. Ces définitions ne sont pas obligatoirement
Les maladies génétiques sont dites dominantes contradictoires : certaines maladies génétiques
ou récessives, si l'allèle responsable est ou non sont congénitales et d'autres ne le sont pas ; cer-
dominant (chez un individu, chaque gène est taines maladies génétiques sont héréditaires et
représenté par deux allèles). Parmi les maladies d'autres ne le sont pas. Il existe plusieurs modes
génétiques, on trouve aussi bien des affections d'hérédité pour les maladies génétiques. Quand
bénignes ou faiblement handicapantes (par une maladie génétique résulte du dysfonction-
exemple, le daltonisme) que des affections nement d'un seul gène, elle est dite monofac-
extrêmement graves. Leur caractéristique com- torielle ou monogénique (ces deux termes sont
mune est généralement d'être des affections à équivalents). On parle d'hérédité mendélienne
vie qui peuvent, dans certains cas, être trans- quand le mode de transmission d'une maladie
mises à la descendance, puisque inscrites dans génétique monofactorielle ou monogénique
les gènes de l'individu. suit les lois de Mendel, ce qui explique l'usage
Une maladie génétique, héréditaire ou fami- du terme « maladie mendélienne ».
liale, c'est pareil ? Pas forcément. Une maladie Il existe aussi une hérédité mitochondriale. Les
est dite génétique lorsqu'elle est causée par cellules possèdent, outre le génome nucléaire,
l'anomalie d'un gène ou d'un chromosome. un deuxième système génétique constitué par les
Si cette anomalie est transmise par les chromo- génomes mitochondriaux. Chaque cellule ren-

136 Physiopathologie du diabète

ferme, dans son cytoplasme, plusieurs dizaines monogénique à une maladie « simple » : l'alté-
ou centaines de mitochondries qui se divisent ration d'un seul gène est nécessaire et suffi-
indépendamment du noyau et sont réparties sante pour que la maladie génétique se déclare
au hasard lors des divisions cellulaires. Lors de (un gène anormal, une maladie). Découverts à
la fécondation, le spermatozoïde apporte un partir des années 1990, les diabètes monogé-
noyau d'origine paternelle qui va fusionner avec niques font la fierté des diabétologues généti-
le noyau de l'ovule, d'origine maternelle, mais ciens parce que ces derniers ont pu attribuer
le cytoplasme de l'œuf ainsi réalisé est exclusi- à chacun d'entre eux une cause moléculaire
vement d'origine maternelle. Par conséquent, définie [10]. Gardons-nous de tout triom-
les maladies mitochondriales sont des maladies phalisme néanmoins, car il est important de
à transmission maternelle exclusive (mode de retenir qu'ils ne représentent qu'une toute
transmission non mendélien). petite fraction de la totalité des diabètes de
Enfin, on parle d'hérédité multifactorielle dans type 2 (2 à 5 %). Les deux types de diabètes
le cas des maladies multifactorielles, encore monogéniques les plus fréquents sont les dia-
appelées maladies polygéniques ou à hérédité bètes MODY (Maturity Onset Diabetes of the
complexe. Ces maladies ont une répartition chez Young) et le diabète mitochondrial à transmis-
les apparentés qui ne suit pas les lois de Mendel sion maternelle associé à une surdité, appelé
et sont dues à l'interaction entre une compo- MIDD (Maternally Inherited Diabetes and
sante génétique polygénique et des facteurs de Deafness).
milieu. Fait important, il n'y a pas à proprement Les diabètes MODY se caractérisent par un
parler de dysfonctionnement des gènes impli- début précoce (avant 25 ans) de la maladie,
qués dans une maladie multifactorielle (il n'y une forme de diabète non insulinodépendante
a pas de mutation délétère ou pathologique), et une transmission autosomique dominante.
contrairement aux maladies mendéliennes où Actuellement, des mutations de sept gènes
il y a dysfonctionnement d'un gène. Les allèles diabétogènes différents ont été identifiées :
impliqués ne sont donc pas, dans la très grande HNF4A, GCK, HNF1A, HNF1B, PDX1,
majorité des cas, délétères mais ils confèrent une NEUROD1, INS. Quels sont ces gènes ?
susceptibilité accrue à la maladie (on parle de HNF4A (Hepatocyte Nuclear Factor 4) est un
facteur de risque accru). Dans une maladie mul- gène codant pour un facteur de transcription
tifactorielle, c'est la combinaison particulière impliqué dans la régulation de la différencia-
d'allèles « pseudo-normaux » de certains gènes tion cellulaire hépatique, intestinale et pan-
qui est pathologique (comme peut être patho- créatique. GCK (glucokinase) code pour une
logique l'association de plusieurs médicaments, enzyme de phosphorylation du glucose. La
sans danger lorsqu'ils sont pris isolément). glucokinase est exprimée dans le foie et les
Cette classe concerne une grande partie des cellules bêta pancréatiques. Active en période
maladies communes chroniques, telles que les prandiale, elle répond bien aux besoins res-
maladies cardiovasculaires, certains cancers fré- pectifs du foie qui doit alors stocker le glucose
quents, des maladies neurologiques et psychia- sous forme de glycogène, et de la cellule bêta
triques, l'asthme et les maladies auto-immunes, qui doit alors sécréter de l'insuline en réponse
et on va y retrouver la plupart des diabètes de au glucose. HNF1A (Hepatocyte Nuclear
type 1 et 2. Factor 1A) et HNF1B (Hepatocyte Nuclear
Factor 1B) sont des gènes de la famille des
Les diabètes monogéniques : HNF, codant pour des facteurs de transcrip-
génétiquement simples, mais rares ! tion impliqués dans la régulation du fonction-
La mise en évidence de diabètes monogé- nement de la cellule hépatique et de la cellule
niques à transmission dominante, ainsi que bêta. PDX1 (Transcription Pancreatic and
l'identification des anomalies moléculaires qui Duodenal Homeobox 1, ou Insulin Promoter
en découlent ont prouvé ces dernières années Factor 1) est un gène codant pour un facteur
le rôle contributif de la génétique dans le dia- de transcription dont l'expression est indispen-
bète. On peut assimiler une maladie génétique sable pour la différenciation et la maturation

▲ Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 137

des cellules bêta. Il règle aussi la transcription facteurs d'environnement. Dans le premier cas,
du gène de l­ 'insuline. NEUROD1 (Neurogenic on parle de susceptibilité (ou prédisposition)
Differentiation Factor 1) est un gène codant génétique à la maladie ; dans le second, on parle
pour un facteur de transcription qui règle de susceptibilité (ou prédisposition) environne-
l'expression du gène de l'insuline. Son expres- mentale (ou non génétique) à la maladie.
sion est importante pour la différenciation Il est possible de modéliser ces concepts par la
des cellules bêta. INS (préproinsuline) est le notion de « part de variance ». En statistique,
gène codant la préproinsuline, précurseur de la variance est une mesure de la dispersion des
l'insuline. La transcription du gène est princi- valeurs d'un trait phénotypique (par exemple, la
palement réglée par les facteurs de transcrip- glycémie). La variance de la maladie se décom-
tion PDX1, NEUROD1 et MafA. Le glucose pose donc en deux sous-variances : la variance
est le principal activateur de la synthèse de résultant des facteurs environnementaux et la
l'insuline. variance résultant des facteurs génétiques. On
Le diabète MIDD décrit au début des est amené à penser que les parts respectives
années 1990 est dû à une mutation ponctuelle de ces deux variances sont variables selon les
de l'ADN mitochondrial maternel. La transmis- maladies complexes considérées. En réalité,
sion mitochondriale est le processus par lequel le les choses sont encore plus complexes puisque
matériel génétique des mitochondries est trans- pour une même entité clinique, les parts respec-
mis de parents à enfants. Les mitochondries de tives des deux variances sont en général variables
la cellule-œuf (le futur embryon) proviennent d'un patient à un autre. Il existe des méthodes
exclusivement de l'ovocyte ; le spermatozoïde mathématiques indirectes pour estimer la valeur
n'apporte en effet que son matériel génétique de l'héritabilité d'une maladie génétique com-
nucléaire ; la transmission de l'ADN mitochon- plexe et ainsi avoir une idée du poids de la géné-
drial se fait donc uniquement de mère à enfant ; tique dans une maladie donnée.
la transmission mitochondriale ne suit donc pas La variance phénotypique (totale) est la somme
les règles de transmission mendélienne. de la variation due à des raisons génétiques et
Des mutations des gènes de l'insuline et du de la variation due à des raisons environne-
récepteur de l'insuline ont aussi été décrites, mentales. Le rapport entre les deux donne la
mais elles sont des causes très rares de diabète proportion de variation observée qui peut être
de type 2 (10 familles décrites au total dans le attribuée à des raisons génétiques. L'hérédité
monde). désigne l'ensemble des effets biochimiques des
acides nucléiques (ADN et ARN) dans la trans-
Les diabètes communs : fréquents, mais
mission des caractères. L'héritabilité désigne
génétiquement compliqués !
la part des gènes dans les différences interin-
La plupart des diabètes (de type 2, comme de dividuelles, c'est-à-dire dans la variance d'un
type 1) sont en fait des maladies génétiques caractère exprimé par un échantillon de sujets.
« complexes », avec un déterminisme génétique L'héritabilité ne concerne jamais un individu,
polygénique. Ces maladies sont dites com- mais toujours un ensemble d'individus, un
plexes car outre leur déterminisme génétique, échantillon statistique. L'héritabilité est la pro-
il existe une part cruciale de l'environnement portion du génotype dans le phénotype d'une
du patient dans la survenue de ces maladies population. Autrement dit et en utilisant le lan-
multifactorielles les plus répandues (dont le gage de la génétique quantitative : la part de
diabète). L'environnement est ici à prendre au variance phénotypique relevant de la variance
sens très large : ce qui environne ou a environné génotypique.
le patient depuis sa conception, y compris les
différents aspects de son mode de vie. Le déter- Comment procède-t-on pour identifier les
minisme de la maladie génétique complexe facteurs génétiques multiples impliqués
est donc en fait double, avec une composante dans une maladie génétique complexe ?
génétique prenant en compte le cumul des alté- La recherche et la caractérisation des déter-
rations génétiques, et une composante prenant minants génétiques impliqués dans les mala-
en compte la responsabilité cumulée de divers dies génétiques complexes ont démarré dans

138 Physiopathologie du diabète

les années 1990 en utilisant deux stratégies typer chez les sujets un maximum de marqueurs
majeures : la stratégie gène candidat et la stra- recouvrant la totalité du génome. La GWAS est
tégie génome entier. L'exploration du diabète donc une stratégie dite de génétique inverse et
type 2 a bénéficié très tôt de ces approches. sans a priori, contrairement à l'approche gène
La stratégie gène candidat consiste à rechercher candidat. Elle mesure les cotransmissions entre
et à analyser les variants génétiques dans des des régions du génome repérées par les mar-
gènes dont la fonction pourrait jouer un rôle queurs et le phénotype malade ou non malade,
dans la pathologie en question. Elle repose sur et renseigne donc sur la liaison génétique entre
une bonne connaissance préalable de la physio- les marqueurs et les loci en rapport avec la mala-
logie et de la fonction du gène mis en examen. die complexe. Les études GWAS appliquées au
Une fois le ou les variants génétiques identifiés diabète de type 2 ont accrédité l'idée qu'il exis-
(en général par séquençage direct de l'ADN tait en fait une multitude de variants génétiques
de sujets atteints et de sujets non atteints), il ayant tous un effet mineur.
reste à conclure sur chacun quant à son rôle (ou Historiquement, les marqueurs utilisés étaient
son absence de rôle) dans la maladie génétique de type microsatellites. Un microsatellite (ou
complexe. Comme dans la maladie complexe, séquence microsatellite) est une séquence
chaque variant génétique ne possède qu'un effet d'ADN formée par une répétition continue de
minime sur la variation du trait phénotypique et motifs composés de 1 à 4 nucléotides le plus
donc sur la survenue ou non de la maladie, cette souvent. Un même microsatellite peut être pré-
phase nécessite une approche épidémio-géné- sent en milliers d'exemplaires dans le génome
tique sur des groupes importants de patients d'une espèce. Le polymorphisme des micro-
atteints et de sujets témoins indemnes de la satellites permet donc de mesurer la diversité
maladie (études cas-témoins), pour répondre génétique au sein d'une population.
chaque fois à cette question : le variant géné- Les études GWAS ont maintenant abandonné
tique est-il plus fréquent chez les sujets présen- les microsatellites, et utilisent comme mar-
tant la maladie que chez les témoins ? N'ayant queurs polymorphes les SNP (SNP : pronon-
aucune information objective et biologique cer « snip », Single Nucleotide Polymorphism),
quant au retentissement du variant génétique et mesurent donc l'association entre un allèle
sur la fonction du gène et sur la maladie, on ne donné d'un SNP et le phénotype malade ou
peut que constater qu'il existe une association non malade. Le polymorphisme nucléotidique
significative au sens statistique entre la présence (ou polymorphisme d'un seul nucléotide) cor-
du variant génétique et la présence de la mala- respond à la variation (= polymorphisme) d'un
die. C'est pourquoi ces analyses sont appelées constituant unique détectable à un endroit
analyses d'association. Ces approches gène can- spécifique du génome, lorsqu'on compare la
didat, qui ont mis en évidence de nombreux séquence de l'ADN de plusieurs individus de
variants impliqués dans des maladies génétiques la même espèce. Rappelons que la séquence de
complexes, présentent intrinsèquement le l'ADN est faite d'une chaîne de quatre bases
défaut de ne pouvoir cibler et analyser que les nucléotidiques A, C, G et T. Si plus de 1 % de
gènes connus dont la fonction est évidemment la population ne porte pas le même nucléotide
connue et présente un rapport a priori évident à cet endroit spécifique, on décrète par défini-
avec la pathologie. tion que cette marque de variabilité est un SNP.
La stratégie d'association pangénomique dite Si le SNP se trouve à l'intérieur d'un gène, on
GWAS (Genome Wide Associated Studies) est une conclura que le gène a plusieurs formes allé-
analyse de nombreuses variations génétiques liques (plusieurs allèles). Dans ce dernier cas,
chez de nombreux individus, afin d'étudier les SNP pourront modifier la séquence d'acide
leurs corrélations avec des traits phénotypiques. aminé de la protéine produite. Si les SNP se
Ces études se concentrent généralement sur trouvent dans des régions non codantes, les
les associations entre des marqueurs poly- conséquences affecteront l'épissage des ARN,
morphes et des phénotypes tels que les maladies les facteurs de transcription, ou les séquences
humaines majeures. La GWAS consiste à géno- d'ARN non codants. Les SNP sont stables,

▲ Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 139

très abondants (environ une paire de bases sur tiques. Par exemple, dans le cas de la surcharge
mille dans le génome humain) et distribués uni- pondérale, l'héritabilité de l'IMC est consi-
formément dans tout le génome. Chaque être dérée comme étant de 50 %. Une étude de
humain possède plusieurs millions de SNP. Ils génotypage de 125 000 individus a identifié
constituent la forme la plus abondante de varia- 32 variants, mais qui n'expliquent que 1,45 %
tions génétiques et représentent plus de 90 % de de la variabilité génétique. La modélisation
toutes les différences entre les individus. Ils sont mathématique indique que si l'étude avait
à la base des différences dans notre susceptibilité rassemblé 730 000 sujets, on aurait pu espé-
à la maladie et dans notre réponse individuelle rer l'identification de 280 loci, qui néanmoins
aux médicaments. n'expliqueraient toujours que 9 % de la varia-
À partir des années 1990, le génotypage a gagné bilité génétique. Il persiste ainsi une différence
en vitesse, tout en devenant moins coûteux, considérable entre héritabilité et résultats obte-
grâce aux progrès de la biologie moléculaire, nus par les études GWAS : ce hiatus a été qua-
de la robotique de laboratoire et de la bioinfor- lifié d'hérédité manquante (missing heredity).
matique. Le génotypage à haut débit, basé sur Plusieurs hypothèses, très techniques, sont
l'utilisation des « puces à ADN » (DNA chips), avancées pour expliquer cette héritabilité man-
est une technique qui permet de déterminer quante : puces à ADN ne testant que les SNP
l'identité d'une variation génétique, à une posi- relativement répandus, c'est-à-dire dont l'allèle
tion spécifique sur tout ou partie du génome, mineur a une fréquence supérieure à 5 %, et
pour un individu. Il est effectué de manière donc ne prenant pas en cause des variants plus
standardisée et automatisée par des robots, et rares mais avec des effets forts ; fréquences allé-
grâce à lui, il est devenu envisageable de géno- liques différentes d'une population à l'autre ;
typer un très grand nombre de marqueurs géné- non-utilisation dans les analyses statistiques des
tiques chez un très grand nombre de sujets. méthodes de la génétique quantitative…
Les études GWAS utilisent des puces consti- La méthode GWAS qui pouvait apparaître
tuées de fragments d'ADN (oligonucléotides) comme la méthode définitive susceptible
correspondant à des séquences données, dépo- de repérer tous les déterminants génétiques
sées sur un support solide selon une disposi- d'une maladie, compte tenu de sa haute den-
tion ordonnée (array), le fonctionnement de sité de couverture du génome, souffre donc
ces puces reposant sur une hybridation par des d'un certain nombre de limites.
séquences complémentaires marquées par un Une approche technologique différente pour-
fluorochrome. L'évolution technique récente rait-elle apporter un progrès ? Partant du
des puces à ADN a été considérable : de 2007 principe que les séquences codantes ne repré-
à 2010, elles sont passées d'une densité de sentent qu'une faible partie du génome mais
370 000 à 2 500 000 SNP avec des distances concentrent 85 % des mutations potentiellement
les séparant en moyenne sur le génome passant responsables des maladies, des méthodes per-
de 4,9 à 0,63 kb. Depuis 2007, une série de mettant de capturer l'ensemble des séquences
SNP (et donc de loci) associés à la maladie de codantes et d'en déterminer la composition ont
Crohn, à la polyarthrite rhumatoïde, au diabète été développées. Cette méthode de séquençage
de type 1, au diabète de type 2 et à l'obésité, de l'exome dite WES (Whole Exome Sequencing)
à l'hypertension artérielle, mais avec des effets permet d'identifier, en théorie, la presque tota-
très faibles (risques relatifs à peine supérieur à lité des variations de séquences qui existent au
1), ont été décrits. niveau des séquences codantes entre des sujets
Les loci identifiés aujourd'hui par les études atteints de la maladie multifactorielle et des
GWAS correspondent donc à une augmen- sujets indemnes. Même si le WES doit amélio-
tation de risque faible (en général inférieur rer la détection des possibles variants rares qui
à 1,3). Même associés, les loci identifiés contribuent à l'héritabilité des maladies multi-
expliquent généralement moins de 10 % de la factorielles, il est vraisemblable qu'il subsistera
variabilité d'un trait attribuée aux effets géné- encore « une part d'héritabilité manquante ».

140 Physiopathologie du diabète

Qu'apportent finalement les études GWAS tous les variants dépistés par GWAS n'explique
appliquées aux diabètes ? qu'une toute petite fraction (de l'ordre de 25 %)
Indiscutablement, elles ont permis d'améliorer de l'héritabilité du diabète de type 2 commun
l'identification des gènes de susceptibilité pour (situation en 2020). La valeur prédictive posi-
le diabète de type 2 commun et le diabète de tive des allèles identifiés est donc faible et ne
type 1 [3, 11, 12]. Pour ce qui concerne le permet pas en particulier de dépister des popu-
diabète de type 2, les études de liaison au sein lations à risque.
de familles ont initialement identifié des gènes Sur quoi reposent donc les 75 % manquants ?
dont deux ont été validés, HNF4A et TCF7L2. et quelles méthodes d'investigation employer
Les études de gènes candidats ont identifié les pour caractériser cette part manquante et ainsi
gènes KCNJ11, GCK, PAX4, PPARγ ou IRS1. expliquer 100 % de l'héritabilité ?
Avec l'introduction des études GWAS, plus de Selon certains spécialistes, il est temps de revoir
150 gènes ont aujourd'hui été associés au dia- notre conception de l'héritabilité. Quand on
bète de type 2. Plus de 150 gènes ou régions prend en compte les récentes études sur le rôle
génétiques ont été identifiés : les deux tiers sont des microARN non codants qui sont un méca-
exprimés par les cellules bêta ; un nombre plus nisme nouveau de régulation génique et dont on
faible donc est impliqué dans l'action de l'insu- va reparler dans ce chapitre à plusieurs reprises,
line sur ses cibles périphériques. Il s'agit de gènes on est conduit à conceptualiser l'héritabilité
fonctionnels qui induisent des variations quan- dans les maladies multifactorielles comme la
titatives aux paramètres qu'ils contrôlent. Ils résultante d'une superposition (juxtaposition ?
ont individuellement un impact mineur, chiffré interaction ?) de différentes couches de com-
par des risques relatifs inférieurs à 1,5 pour les plexité. La première couche serait la variabilité
variants fréquents qui expliquent au mieux 10 % de la structure primaire de l'ADN (le génome)
de l'héritabilité. Le séquençage d'exome (WES) accessible par les méthodes habituelles (GWAS,
dans plus de 20 000 cas de diabète de type 2 a séquençage). Sur cette couche pourraient s'ad-
permis en 2019 d'identifier de nouveaux allèles joindre d'autres couches de complexité créées
rares de gènes précédemment rapportés. par des modifications de type épigénétique
Pour ce qui concerne le diabète de type 1, cette fois-ci (voir Zoom 5.2) impliquant des
plus de 60 loci hébergeant des SNP associés au variations de la chromatine ou de l'expression
risque diabétique ont été décrits jusque-là. Au des microARN non codants (composante de
sein du CMH, des allèles de prédisposition et l'épigénome), modifications épigénétiques qui
des allèles de protection ont été identifiés dans modulent aussi l'expression des gènes. Or c'est
la région HLA-DQ et HLA-DR. La plupart des l'épigénome qui constitue pour l'essentiel l'in-
gènes identifiés ont un impact sur le système terface par laquelle l'environnement interagit
immunitaire. Mais une région en 5'du gène avec le génome (voir Zoom 5.2). La découverte
de l'insuline contribue à elle seule à 10 % de la de l'incorporation des impacts de l'environne-
prédisposition. Un des gènes identifiés contrôle ment dans l'épigénome représente une véritable
les réponses virales. La multiplicité des régions révolution conceptuelle : qui aurait pu imagi-
génétiques impliquées suggère une prédisposi- ner que les épreuves physiques et psycholo-
tion là encore complexe. Si certains gènes sont giques endurées par des femmes enceintes lors
probablement retrouvés chez la majorité des de l'épisode Ice Storm au Québec en 1981, ou
patients, d'autres pourraient n'être retrouvés les attentats du 11 septembre 2001 à New-
que dans des sous-groupes de patients. Le dia- York, allaient laisser des traces dans l'épigénome
bète partage certains variants de prédisposition des fœtus et influencer leur phénotype et leur
avec d'autres maladies auto-immunes. devenir ? L'environnement peut en effet laisser
Ces aspects positifs ne doivent cependant pas sur notre épigénome des traces qui sont conser-
occulter des aspects décevants, car pour nombre vées longtemps après l'exposition à l'événe-
des variants impliqués, la voie cellulaire affectée ment, voire qui sont transmises aux générations
n'est pas identifiée. Enfin, malgré les centaines suivantes via nos épigénomes, sans altérer la
de millions de dollars dépensés, l'addition de séquence de notre ADN (notre génome).

▲ Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 141

Pour conclure, le bilan actuel montre que génétiques, il est très difficile de recueillir de
l'approche des maladies multifactorielles ne manière objective les variables environnemen-
peut se dispenser d'inclure les variables envi- tales (passées et présentes) d'un sujet donné.
ronnementales dans les modèles d'analyse (on Tout cela doit donc nous inciter à une grande
parle maintenant d'analyse de l'exposome…). modestie quant à l'étendue de notre connais-
Cette nécessité soulève de gros problèmes car, sance réelle des déterminants d'une maladie
contrairement à un génotypage de variants multifactorielle.

L'environnement fœtal fœtale, la période postnatale précoce (entre nais-


sance et sevrage) est aussi une période critique
et le risque de diabète pour l'installation d'une réponse adaptative : par
extension, on parle donc d'une origine dévelop-
de type 2 pementale des pathologies de l'adulte. C'est le
concept actuel de l'origine développementale de
Sur la base de données épidémiologiques, l'idée la santé et des maladies de l'adulte (en anglais :
de « phénotype économe » a été proposée en Developmental Origins of Health and Disease ;
1992 [13-16]. Elle repose sur l'observation que DOHaD), qui met en avant l'importance de
face à un environnement nutritionnel intra-uté- l'environnement fœtal et néonatal, et tout par-
rin insuffisant, le fœtus adopte une stratégie de ticulièrement de l'environnement métabolique
défense à court terme dont la finalité est d'op- maternel, dans le déterminisme de la santé méta-
timiser ses chances de survie après la naissance bolique à long terme chez l'individu devenu
dans des conditions nutritionnelles qui reste- l'adulte (figure 5.3).
raient insuffisantes. Cette stratégie passe par La terminologie utilisée pour décrire les phé-
la préservation de la croissance du cerveau aux nomènes biologiques propres au DOHaD varie
dépens de celle d'autres tissus tels que les muscles selon les auteurs : le terme « programmation »
squelettiques ou le pancréas, et elle règle (notion (programing en anglais) a été proposé par réfé-
de programmation) le métabolisme énergétique rence aux effets à long terme (donc, durables)
dans le sens d'une efficacité accrue du stockage d'une atteinte survenue lors d'une période sen-
des nutriments lorsque ces derniers sont dis- sible plutôt précoce. L'expression d'« empreinte
ponibles. Cette réponse que l'on peut qualifier métabolique » est aussi utilisée pour nommer la
d'adaptative est donc bénéfique à court terme réponse adaptative à une situation nutritionnelle
pour le jeune qui doit continuer d'affronter des non habituelle survenant en début de vie (péri-
conditions de sous-alimentation. Dans les popu- natale). Chaque empreinte métabolique se met
lations humaines qui continuent de subir de telles en place dans une fenêtre temporelle précoce
conditions de sous-alimentation tout au long de bien précise et elle persiste tout au long de la vie
leur vie, la prévalence des maladies métaboliques adulte, même en l'absence de l'élément qui lui a
est très faible. donné naissance. Le concept d'origine dévelop-
Par contre, lorsque le jeune qui s'est adapté pementale des maladies est maintenant accepté
in utero aux conditions de sous-alimentation par l'OMS.
est exposé après sa naissance à un environne-
ment nutritionnel différent, la réponse adapta-
tive développée in utero n'est plus appropriée. Influence de
C'est ce conflit entre la nutrition anténatale et l'environnement maternel
la nutrition postnatale qui ferait le lit de l'appa-
rition plus tard à l'âge adulte des pathologies Plusieurs études cliniques montrent une corréla-
du métabolisme énergétique. Outre la période tion entre phénotype pathologique maternel et
142 Physiopathologie du diabète

tement dans l'espèce humaine l'impact de la nutri-


tion maternelle sur ses descendants. Néanmoins
on dispose de quelques études précieuses portant
sur la santé adulte d'individus dont les mères ont
subi une sous-alimentation pendant la gestation et
l'allaitement. Ainsi, la pénurie sévère qui sévit dans
la partie ouest des Pays-Bas de novembre 1944 à
mai 1945 à la fin de la Seconde Guerre mondiale
instaura une période de famine d'environ cinq
mois. Cet événement bien défini dans le temps a
créé les conditions d'une étude rétrospective des
conséquences de la sous-alimentation des mères
sur la tolérance glucidique de leurs descendants
adultes. Cette étude a montré que :
1. les individus qui étaient in utero pendant la
famine ont une tolérance glucidique dégradée
par rapport à celle des individus nés l'année
avant la famine ;
Figure 5.3. Influence du phénotype maternel. 2. les glycémies les plus élevées sont enregistrées
D'après la couverture de Time Magazine, 4 ocobre 2010
chez les individus qui ont été exposés à la
famine pendant seulement le premier trimestre
risque accru de survenue d'un phénotype patho- de la gestation et qui sont devenus obèses à
logique similaire chez les descendants de première l'âge adulte.
génération (génération F1). Ces études suggèrent Ces conclusions sont donc cohérentes avec l'idée
en particulier que ce sont des modifications non que le risque de développer un diabète survient
génomiques induites par certains environne- lorsque l'environnement nutritionnel de l'adulte
ments maternels qui font le lit des pathologies est en discordance complète avec les conditions
métaboliques chez l'adulte (obésité, diabète de nutritionnelles préalablement subies in utero. Une
type 2) [13–20]. Elles suggèrent aussi, et cela est autre grande étude suggère aussi que les individus
encore moins classique, que certains des carac- (8 000 adultes nés entre 1954 et 1964) exposés
tères phénotypiques acquis dans la F1 peuvent à la famine en Chine, de 1959 à 1961, lors de
être transmis à leur tour sur plusieurs des géné- leur développement intra-utérin, ont un risque
rations suivantes via la lignée maternelle. L'une accru de développer un diabète de type 2 à l'âge
des preuves les plus solides en faveur d'un rôle adulte. La grande famine chinoise de 1959 à 1961
étiologique fort de l'environnement sur la rela- est souvent considérée comme la famine la plus
tion croissance fœtale/maladie métabolique de meurtrière de l'histoire de l'humanité. Les prin-
l'adulte (dans le cas précis, le diabète de type 2) a cipaux facteurs contribuant à la famine étaient les
été fournie par l'étude des jumeaux homozygotes. politiques du Grand Bond en avant (1958-1962)
Une étude danoise a ainsi montré que dans les et de la commune populaire. Après le lancement
paires de jumeaux adultes discordants pour le dia- des réformes et les ouvertures qui ont suivi la mort
bète de type 2, le jumeau diabétique avait tou- de Mao Zedong, le Parti communiste chinois a
jours un poids de naissance plus faible que celui déclaré officiellement en 1981 que la famine était
de son jumeau normoglycémique, et cela était principalement due aux erreurs du Grand Bond en
vrai chez les jumeaux monozygotes (génétique- avant, ainsi qu'à la campagne antidroitiste, outre
ment identiques) comme chez les dizygotes (non la survenue de plusieurs catastrophes naturelles et
identiques). Il reste difficile d'apprécier plus direc- de la rupture sino-soviétique.
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 143

Bien sûr, dans ces études de populations ou de diabète a d'abord été suggérée par des
humaines, il est impossible de définir la contri- études épidémiologiques de cohortes humaines.
bution propre de la malnutrition (à côté de celle Ainsi, les enfants dont le père avait subi une sous-
des facteurs génétiques) puisque lui sont associés alimentation durant la famine qui sévit aux Pays-
des facteurs de confusion tels que les infections et Bas en 1944–1945, à la fin de la Seconde Guerre
le stress. On sait en effet que les stress prénataux mondiale, ont développé plus fréquemment un
modulent de façon irréversible l'axe hypothalamo- excès de masse grasse que les témoins, et ce même
hypophyso-surrénalien et la sécrétion de cortisol phénotype anormal a été retrouvé chez les descen-
(voir Chapitre 5 – Le stress psychologique, fac- dants de deuxième génération (F2). Par ailleurs,
teur aggravant). À lui seul ce dernier mécanisme dans la cohorte d'Överkalix, une communauté du
pourrait installer une programmation prénatale de nord de la Suède dont les ancêtres ont enduré des
la réponse au stress et contribuer à la prévalence périodes de famine récurrentes, la fréquence des
accrue de l'hyperglycémie chez l'adulte. diabètes est accrue, et on a pu relier le risque accru
Les données obtenues depuis vingt ans avec des de diabète chez les descendants au fait que leurs
modèles de rongeurs corroborent cette idée que grands-pères avaient subi une sous-nutrition. Les
certains phénotypes induits peuvent en effet pas- approches expérimentales ont prouvé la réalité de
ser au-delà de la F1 et persister pendant plusieurs l'héritabilité, via le père, du risque d'obésité ou
générations, par un mécanisme non génomique. de diabète. Plusieurs études récentes chez l'animal
Chez le rat, l'alimentation des mères pendant la ont montré que la suralimentation paternelle à elle
gestation (génération F0) avec un régime pauvre seule était suffisante pour modifier le phénotype
en protéine entraîne une insulinorésistance chez métabolique des enfants. Ainsi, les rats adultes
les individus des générations F1 et F2, et cela mal- nés de pères nourris avec un régime hyperlipi-
gré une alimentation adéquate des femelles F1 dique présentent une diminution de la sécrétion
durant leur gestation. L'intolérance glucidique de l'insuline en réponse au glucose, associée à
caractéristique des descendants F1 de mères ali- une intolérance glucidique. Ils héritent donc d'un
mentées pendant leur gestation avec un régime phénotype métabolique analogue à celui de leur
pauvre en protéines a été retrouvée aussi chez les père. Les souris adultes nées de pères élevés avec
descendants F2 et F3. un régime pauvre en protéines et riche en glucides
Pour résumer, à ce stade, l'un des intérêts ont une lipogenèse hépatique hyperactive (surex-
majeurs de ce concept d'héritabilité de l'influence pression des gènes hépatiques de la biosynthèse
physiologique d'un facteur d'environnement des lipides). Dans le même ordre d'idée, le dia-
maternel est qu'il donne la possibilité aux parents bète du père affecte le phénotype métabolique
biologiques d'« informer » leurs descendants (F1, des enfants. Le diabète paternel obtenu chez la
et peut-être au-delà) sur les propriétés de l'envi- souris par administration de streptozotocine pro-
ronnement auxquels ils ont été confrontés. voque une inflammation pancréatique (insulite) et
un déficit de l'insulinosécrétion chez les descen-
dants F1. Le diabète de type 2 chez le rat mâle
Influence de provoque des modifications du développement
l'environnement paternel précoce du pancréas endocrine chez les descen-
dants F1. Cela a été rapporté par notre groupe
Historiquement, les efforts de recherche se sont de recherche en utilisant le modèle de diabète
focalisés sur l'influence de l'environnement mater- du rat GK mâle (voir Zoom 5.6), et confirmé
nel. Par contre, l'impact du phénotype métabo- avec un modèle non génétique de diabète
lique paternel, au moment de la conception, est sévère chez le rat mâle traité par la streptozoto-
resté jusqu'à il y a peu très largement ignoré. L'idée cine [20]. La streptozotocine est une molécule
d'une héritabilité via le père du risque d'obésité de la famille des nitrosourées, utilisée comme
144 Physiopathologie du diabète

antinéoplasique ou comme antibiotique. Elle génome paternel (l'héritabilité génétique clas-


est particulièrement toxique envers les cellules sique), puisque des modifications des séquences
bêta pancréatiques chez les mammifères. Elle du génome paternel induites par l'environne-
est à ce titre largement employée en recherche ment diabétique sur une période aussi courte
médicale pour obtenir un diabète expérimental sont hautement improbables et que certaines
(plus ou moins sévère selon la dose administrée) études concluent à la réversibilité des altérations
par destruction primaire des cellules bêta chez les phénotypiques après plusieurs générations (donc
modèles rongeurs. transmission non mendélienne). Actuellement,
Toutes ces observations, non attendues, posent on pense que les vecteurs de cette héritabilité
la grande question du vecteur qui assure la trans- non génomique sont essentiellement des marques
mission du risque diabétique entre les généra- ­épigénomiques (obésogènes et/ou diabétogènes)
tions. D'emblée, on peut écarter la transmission induites par les phénotypes parentaux (maternel
du risque via l'héritabilité des séquences du ou paternel) (voir Zoom 5.2).

Zoom 5.2

Comprendre l'influence de l'environnement sur l'expression des gènes


grâce à l'épigénétique
Le mot « épigénétique » (du grec « épi », littérale- à la construction d'une maison, les gènes per-
ment : au-dessus de la génétique) vient d'épige- mettent la synthèse des briques, mais l'agence-
nèse, terme introduit au xviie siècle pour désigner ment de ces briques et le nombre de briques
la construction progressive de l'organisme au à fabriquer à un moment donné ne sont pas
cours de l'embryogenèse. Bien avant l'usage du le ressort du code génétique, et dépendent de
mot, un tel processus de formation progressive processus cellulaires interactifs. » Waddington
de l'organisme avait été déjà décrit par Aristote y voit la solution à l'ensemble des mécanismes
au ive siècle avant J.-C., et largement accepté développementaux qui à partir d'un génotype
par les naturalistes après lui. À la suite des pre- donné (identique pour toutes les cellules de
mières observations microscopiques, l'idée que notre organisme) permet d'obtenir des phéno-
l'organisme était entièrement préformé dans types divers (les différents types cellulaires).
l'œuf s'imposa pendant un siècle (du milieu du La définition opérationnelle actuelle de l'épigé-
xviie siècle au milieu du xviiie) avant de céder de nétique est la suivante : c'est l'exploration des
nouveau la place à une conception épigénétique. modifications transmissibles et réversibles de
De nombreux biologistes virent dans la nais- l'expression des gènes ne s'accompagnant pas de
sance de la génétique au xxe siècle le retour de changements des séquences nucléotidiques. Il y
la vision préformationniste : les caractéristiques a maintenant un large consensus pour admettre
de l'organisme adulte seraient contenues (pré- que ce sont des modifications épigénétiques qui
formées) dans les gènes que l'organisme reçoit à gouvernent la plasticité développementale, et
la fécondation (un individu n'est que l'addition que ces modifications peuvent se propager chez
de ses gènes). En découla le premier usage du un individu donné au cours de la division des
terme épigénétique pour désigner des processus cellules somatiques, et même, dans certains cas,
qui ne devaient rien aux gènes. être transmises à sa descendance via la lignée
Une nouvelle interprétation du terme épigé- germinale (transmission transgénérationnelle).
nétique fut donnée en 1942 par le généticien Une brève description de l'épigénome et de la
britannique Conrad Waddington (figure 5.4) : machinerie épigénétique est donc maintenant
« Si l'on compare l'élaboration d'un être vivant nécessaire.

▲ Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 145

QUEUE
D'HISTONE

HISTONE

ADN

Figure 5.5. Structure d'un nucleosome.


La figure montre un brin d'ADN enroulé autour d'un
Figure 5.4. Conrad Waddington (1905–1975).
octamère d'histones composé de deux copies de
chacune des histones H2A, H2B, H3 et H4.
L'épigénome, un habillage du génome
Nos 46 chromosomes représentent 2 m Lorsque la chromatine est très dense (hétéro-
d'ADN ! Comment les faire tenir dans le noyau chromatine, compactage élevé de l'ADN), les
d'une cellule qui mesure 10 à 100 μm de dia- gènes ne sont pas accessibles et donc pas expri-
mètre ? La solution est le compactage : la molé- més. Les zones de la chromatine peu condensée
cule d'ADN s'enroule autour de complexes (euchromatine) sont en revanche accessibles
formés par des protéines nommées histones. aux facteurs de transcription qui permettent
Les structures ainsi constituées appelées nucléo- l'expression des gènes. Des modifications épi-
somes (le schéma ci-dessous représente l'un génétiques qui affectent les histones permettent
entre eux) s'agglomèrent entre elles de manière à la chromatine de passer de l'un à l'autre de
plus ou moins serrée, formant ainsi des fibres de ces états, et de faciliter ou non l'accessibilité des
chromatine plus ou moins denses (figure 5.5). facteurs de transcription au gène (figure 5.6).


146 Physiopathologie du diabète

FACTEURS + COMPLEXE
TRANSCRIPTIONNEL

TRANSCRIPTION
QUEUE D’HISTONE

HISTONES

ADN

ETAT ACTIF

ETAT INACTIF

Figure 5.6. Remodelage chromatinien.


Il existe deux formes primaires de conformation de la chromatine :
• une forme active (en haut à gauche) dite forme ouverte ou euchromatine, dans laquelle les histones sont acétylées.
La transcription du gène exposé au complexe transcriptionnel devient possible ;
• une forme inactive (en bas à gauche) dite forme condensée ou hétérochromatine, dans laquelle la transcription
génique est impossible.

Pour qu'un gène soit transcrit et conduise à d'arrivée de ces complexes, conduisant ainsi à
la synthèse d'une protéine, il faut encore qu'il l'inactivation du gène concerné : il s'agit de
soit directement lisible, c'est-à-dire que les marques dites de méthylation qui sont appo-
différents complexes protéiques nécessaires sées directement sur l'ADN du gène. Enfin, un
puissent se fixer directement sur le gène. Or troisième système de régulation épigénétique
le plus souvent, un deuxième système de régu- met en jeu des petites molécules d'ARN non
lation par marque épigénétique obstrue l'aire codants (figure 5.7).

▲ Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 147

1) MODIFICATIONS DES HISTONES

Me

HMT 2) MÉTHYLATION DE L’ADN


Ac
HAT DNMT
Ac
Me Me
Me
C G A C G C T
NUCLÉOSOME G C T G C G A

Me Me

HISTONES mi ARN

AAAAA
ARN m
CHROMATINE
3) PETITS ARN

Figure 5.7. Régulation épigénétique de l'expression d'un gène.


La régulation épigénétique de l'expression d'un gène met en jeu des modifications stables de l'ADN et de la structure
de la chromatine qui modifient l'expression de ce gène, et cela de façon indépendante de toute modification de
la séquence de ce gène. Il existe plusieurs niveaux de contrôle épigénétique. Le premier est l'acétylation et la
méthylation de la queue des histones, contrôlées respectivement, par des HAT (histones acétyltransférases) et des
HDAC (histones déacétylases), et des HMT (histones métyltransférases). Le second porte sur la méthylation de
l'ADN, assurée par des DNMT (ADN méthyltransférases). Le troisième implique des petits ARN non codants de type
miARN (microARN) capables d'activer la dégradation des ARNm ou de bloquer leur traduction.

Il faut finalement imaginer que des combinai- chaque type cellulaire. Parce que durant la
sons variables de ces marques épigénétiques division cellulaire, les cellules filles acquièrent
apportent une dimension dynamique cruciale le même épigénome que la cellule mère, les
pour l'interprétation de l'information géné- marques épigénétiques assurent une mémoire
tique, de façon à permettre que les gènes appro- de l'identité cellulaire qui permet la stabilité de
priés soient exprimés (ou réprimés) au bon l'état différencié au sein d'un tissu donné mal-
moment durant les phases critiques de la diffé- gré le renouvellement cellulaire, tout au long
renciation cellulaire (acquisition des phénotypes de la vie de l'organisme. Si les marques épi-
adaptés). Le mot « épigénome » fait donc réfé- génétiques acquises progressivement au cours
rence à l'information épigénétique globale qui du développement sont stables dans les cel-
est caractéristique de chaque type cellulaire d'un lules somatiques adultes, elles sont néanmoins
individu. L'épigénome est dynamique et peut flexibles dans certaines situations : par exemple,
varier au cours de la vie en fonction du contexte elles sont effacées dans les cellules germinales
environnemental : cela se traduit à chaque fois et l'embryon primitif pour permettre la pluri-
par des changements dans les marques épigéné- potentialité embryonnaire, puis reconfigurées
tiques sans atteinte de la séquence de l'ADN. (reprogrammation). On sait aussi maintenant
L'habillage épigénétique du génome, ce qu'on que certaines d'entre elles sont modifiées par
appelle l'épigénome, est donc spécifique de des facteurs d'environnement tels que le régime

148 Physiopathologie du diabète

alimentaire ou des polluants chimiques. Il récemment mise en évidence, n'a fait qu'ajou-
existe donc une vaste panoplie de marques épi- ter à sa gloire. Mais OCT4 a aussi été identifié
génétiques différentes. Chacune d'entre elles comme un régulateur de la destinée des cellules
nécessite toute une machinerie moléculaire spé- pluripotentes vers différents lignages cellulaires.
cifique qui assure mise en place, maintien et La protéine NANOG (dont le nom vient du
effacement. celte Tir Nan Og, la terre de l'éternelle jeu-
nesse) est un facteur transcriptionnel qui aide
La méthylation de l'ADN
les cellules souches embryonnaires à maintenir
La marque épigénétique la plus explorée la pluripotence en supprimant les facteurs de
jusque-là correspond à la méthylation (addi- détermination cellulaire.
tion d'un radical CH3) des bases cytosines de
Par ailleurs les patrons de méthylation de l'ADN
l'ADN (méthyl-C) au sein de doublets cyto-
diffèrent d'un tissu à l'autre : un gène peut être
sine-guanine (des dinucléotides CpG appelés
méthylé dans un tissu donné et déméthylé dans
îlots CpG). Chez les mammifères, les régions
un autre, reflétant ainsi les différences d'identité
promotrices de beaucoup de gènes contiennent
et de fonction entre tissus. On retiendra enfin
des éléments riches en CpG qui sont le plus
que la méthylation de l'ADN joue un rôle clé
souvent dans un état déméthylé. On sait que
lors de la différenciation des tissus en mainte-
leur méthylation est en général corrélée avec
nant inactive la transcription des gènes dont
l'extinction de la transcription. Chez les mam-
l'expression n'est pas nécessaire.
mifères, la méthylation de l'ADN est assurée par
des protéines enzymes appelées DNMT (DNA Les modifications post-traductionnelles
Methyltransferases) (figure 5.7). La méthyla- des histones
tion de l'ADN est essentielle au développement Chaque protéine histone possède une partie
embryonnaire. Elle est impliquée dans des N-terminale qui émerge librement du nucléo-
processus épigénétiques spectaculaires tels que some et certains acides aminés portés par cette
l'empreinte génomique parentale (expression queue N-terminale peuvent subir des modifica-
mono-allélique d'un gène en fonction de son tions chimiques très variées (on parle de modi-
origine parentale), ou l'inactivation d'un des fications post-traductionnelles de l'histone)
chromosomes X chez les mammifères femelles. (figure 5.7). Ces retouches sont polymorphes :
Elle joue également un rôle crucial dans la acétylation, méthylation, ubiquitinyla-
stabilité du génome. Des pertes massives de tion et sumoylation (figure 5.8) [21, 22].
méthylation de l'ADN sont observées lors de la L'ubiquitinylation (ou ubiquitination) désigne
reprogrammation qui survient dans les cellules la fixation spécifique et régulée d'une ou plu-
germinales primordiales ou chez l'embryon à sieurs ubiquitines sur une protéine cible.
certains stades précis du développement. On L'ubiquitine est une protéine servant elle-même
sait aussi que la méthylation de l'ADN participe de marqueur pour toutes les protéines qui sont
à la spéciation cellulaire : des facteurs de trans- destinées à être éliminées dans la cellule. Elle
cription responsables de la pluripotence, tels est ainsi appelée parce qu'elle est présente dans
que OCT4 et NANOG, sont exprimés dans les toutes les cellules (ubiquitaire). Cette modifi-
cellules souches embryonnaires et sont inactivés cation post-traductionnelle a pour principale
par méthylation de l'ADN lors de la différencia- fonction l'étiquetage, puis la destruction de la
tion de ces cellules. Pour information, OCT4 protéine ainsi marquée par le complexe intracel-
est un des facteurs de transcription les plus pré- lulaire protéolytique du protéasome. La sumoy-
cocement exprimés au cours du développement lation est une modification post-traductionnelle
embryonnaire. Il a été découvert il y a vingt ans aboutissant à la fixation d'une ou plusieurs pro-
et sa renommée s'est faite lors de la mise en évi- téines SUMO sur une protéine cible. Elle contri-
dence de son rôle dans le maintien de la plu- bue à réguler les propriétés fonctionnelles des
ripotence des cellules souches embryonnaires protéines cibles (trafic intracellulaire, interaction
en 1998. Sa fonction indispensable dans la entre protéines, interaction ADN-protéine). Les
reprogrammation des cellules somatiques, très protéines SUMO (pour Small Ubiquitin-Like

▲ Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 149

β OH butyrate
SAM/SAH ATP/ADP Acetyl-CoA Glucose UDP-Glc Nac
FAD/FADH2 NAD/NADH UDP

E E E E E

P Gly
Me Ub
Ac

Figure 5.8. La machinerie épigénétique est sensible au métabolisme cellulaire.


Représentation schématique d'une queue d'histone H3, avec des résidus pouvant être modifiés par diverses
enzymes (E) de remodelage de la chromatine, conduisant à la méthylation (Me), la phosphorylation (P),
l'acétylation (Ac), l'ubiquitination (Ub), ou la glycosylation (Gly). Ces modifications sont associées à des
changements dans l'organisation de la chromatine, et à l'activation ou à l'inactivation des gènes. Chaque enzyme
utilise des métabolites intracellulaires dont la disponibilité dicte l'efficacité de la réaction enzymatique. SAM :
S-adénosylméthionine ; SAH : S-adénosylhomocystéine ; UDP GlcNAc : uridine diphosphate N-acétylglucosamine ;
βOHB : β-hydroxybutyrate.
D'après Katada S, Imhot A, Sassone-Corsi P. Connecting threads : epigenetics and metabolism. Cell 2012 ;148(1-2):24–8 ; Bartke T, et al.
You are what you eat. How nutrition and metabolism shape the genome through epigenetics. Mol Metab 2020 ;38:100987.

Modifier) sont des petites protéines structurale- d'histone, la neutralisation des charges positives
ment proches de l'ubiquitine. sur les queues d'histones diminue l'affinité de
Ces modifications post-traductionnelles rendent liaison de ces histones pour l'ADN et provoque
possible le recrutement et la fixation de pro- un démasquage de l'ADN par ouverture de
téines régulatrices de l'activité du génome et l'emballage nucléosomal. L'accès à l'ADN deve-
conduisent à une modulation de la transcription, nant possible, la transcription locale des gènes
de la réplication, de la recombinaison ou de la devient possible. Les HMT (histones méthyl-
réparation de l'ADN. Les marques épigénétiques transférases) sont les enzymes responsables de la
des histones constituent donc un niveau sup- méthylation des histones, et là encore il existe
plémentaire de signaux régulateurs spécifiques des enzymes de déméthylation (HDMT) qui
(on parle de « code histone ») qui, seuls ou en rendent labile et dynamique la méthylation des
interaction avec d'autres marques, vont exercer histones. Contrairement aux acétylations qui
des effets fonctionnels fugaces ou chroniques. modifient directement les interactions histone/
L'acétylation des histones est réglée par l'acti- ADN, la méthylation des histones modifie uni-
vité relative des enzymes HAT (histones acétyl- quement le recrutement de facteurs régulateurs.
transférases) qui catalysent l'addition de groupes On retiendra donc que l'état fonctionnel de la
acétyl aux résidus lysine, et des HDAC (histones chromatine est déterminé par la combinaison
déacétylases) qui enlèvent les groupes acétyl aux des modifications post-traductionnelles des his-
résidus lysine. Lorsque des HDAC déacétylent tones présentes à un instant donné, plutôt que
des lysines d'histone, chaque lysine retrouve par une marque isolée.
une charge positive de plus et cela entraîne la
condensation du nucléosome. Les nucléosomes Les ARN non codants
riches en histones hypoacétylées se lient forte- Outre les effets de la méthylation de l'ADN et
ment aux phosphates de la molécule d'ADN et des modifications des histones, l'expression des
freinent ainsi la transcription locale des gènes. gènes peut être régulée par l'action des ARN
Lorsque des HAT acétylent certaines lysines non codants. Ce sont de petits ARN qui ne

150 Physiopathologie du diabète

codent pas pour des protéines, mais qui vont génétiques induites par ces signaux environ-
interagir avec les transcrits de gènes, les ARN nementaux qui déterminent les changements
messagers (ARNm). La grande famille des d'expression génique (configuration 2 sur la
ARN non codants comprend des petits ARN figure 5.9). Contrairement aux mutations géné-
non codants et des longs ARN non codants. tiques qui sont irréversibles (configuration 1
Pour l'heure, les ARN non codants les plus sur la figure 5.9), le marquage épigénétique
importants en épigénétique sont les microARN est labile. Il existe cependant des modifications
(miARN), constitués en moyenne de dix-huit épigénétiques pérennes qui persistent lorsque le
à vingt-deux nucléotides. La fonction primaire signal qui les a induites disparaît. Globalement,
des microARN est de réguler l'expression des l'épigénome peut être considéré comme
gènes après la transcription, via leur liaison avec une interface majeure qui rend l'expression
les ARN messagers. Cette régulation se fait génique particulièrement sensible aux facteurs
par deux mécanismes qui dépendent du degré d'environnement.
de complémentarité entre leur séquence et Il existe maintenant de multiples preuves de
celle de leurs ARNm cibles. Si la complémen- concept que des facteurs environnementaux
tarité de séquence est parfaite, la liaison du communs (stress, alimentation, polluants) en
microARN entraînera la dégradation de l'ARN modifiant le programme épigénétique normal
messager. Au contraire, si la complémentarité modifient le phénotype d'un organisme et éven-
de séquence est imparfaite, il n'y aura pas de tuellement créent les conditions pour la surve-
dégradation de l'ARNm mais une inhibition nue de pathologies communes, dont le diabète.
de sa traduction en protéine. Les microARN
régulent près de la moitié des ARN messagers
des cellules, et chaque microARN peut avoir
jusqu'à plusieurs centaines de gènes cibles. NT

NT
ME

ME
ME
NE

L'épigénome, interface

NE
NO
ON
E

ME
M

ON
IGÉ
avec l'environnement
NO

VIR

NO

VIR
ÉP

EN

Chacune de nos cellules reçoit en permanence


EN
toutes sortes de signaux l'informant sur son
environnement, de manière à ce qu'elle se spé-
cialise au cours du développement, ou ajuste son
activité à la situation une fois qu'elle est mature.
Ces signaux, y compris ceux liés à nos styles de
vie (alimentation, stress…) conduisent la plu- 1 2
part du temps à des modifications dans l'expres-
sion de nos gènes, sans affecter leur séquence,
et ce sont les modifications des marques épi- Figure 5.9. Impact de l'environnement.
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 151

L'épigénome des leurs que la plupart des gènes de prédisposition au


diabète de type 2 sont des gènes exprimés par la
diabétiques de type 2 cellule bêta (voir Zoom 5.1).

On a déjà insisté sur le rôle majeur des interac- Dans quel état se trouve
tions gènes/environnement dans l'installation l'épigénome des cellules
du diabète. Mais on n'a encore rien dit sur le
mécanisme de ces interactions. Or, beaucoup
bêta diabétiques ?
de facteurs d'environnement ont la capacité de
modifier l'épigénome des tissus importants pour Méthylation de l'ADN
le métabolisme énergétique. L'acquisition de ces Avec la mise au point de méthodes adaptées, la
modifications épigénomiques (on utilise aussi les cartographie des régions méthylées de l'ADN sur
termes de marques ou empreintes épigénétiques) la totalité du génome est devenue récemment
pourrait contribuer au développement et/ou à possible (voir Zoom 5.2). La réaliser pour l'ADN
l'aggravation des diabètes, voire à leur transmis- insulaire provenant d'îlots diabétiques est une
sion intergénérationnelle. vraie performance, car l'accès à ce type de maté-
riel humain est problématique. Menées à partir
de 2010, les premières études de méthylation de
Le diabète de type 2 l'ADN insulaire provenant de diabétiques de type 2
est aussi une maladie ciblaient des gènes candidats et dont on connais-
de l'épigénome sait bien l'importance dans le fonctionnement bêta
cellulaire. Elles montrent que les promoteurs de
Dépister et cartographier les modifications épi- plusieurs gènes dont on connaît bien l'importance
génomiques qui pourraient toucher les différents dans le fonctionnement bêta cellulaire, sont tous
tissus au cours du diabète de type 2, et com- hyperméthylés lorsqu'on compare l'ADN d'îlots
prendre leurs interactions, sont assurément un diabétiques à l'ADN d'îlots normaux. C'est le cas
défi excitant mais colossal et terriblement ambi- des gènes INS, PDX1, PPARGC1A et GLP1R.
tieux (décripter l'épigénome des diabétiques, alors INS code pour l'insuline. PDX1 code un facteur
que l'on connaît encore mal leur génome). Cette de transcription important pour le développement
nouvelle aventure de la biologie vient de com- et la différenciation des cellules bêta. PPARGC1A
mencer depuis quelques années. L'entreprise est code pour la protéine PGC-1α qui est un coac-
tellement gigantesque qu'il faudra des dizaines tivateur transcriptionnel. PGC-1α est présent
d'années pour découvrir et assembler toutes les dans le cœur, les muscles squelettiques, le rein,
pièces du gigantesque puzzle que représente l'épi- le foie, le pancréas et le cerveau, chez l'homme
génome. Le catalogue des diverses modifications comme chez les rongeurs. Il est impliqué dans
épigénétiques touchant les tissus impliqués dans l'augmentation de la mitochondriogenèse et la
la pathogenèse du diabète de type 2 commence respiration mitochondriale musculaire, ainsi que
à se remplir. Mais, plutôt que de nous perdre dans l'activation de l'oxydation des acides gras et
dans un inventaire à la Prévert, je vous propose de la néoglucogenèse hépatique. Cette protéine
de restreindre notre analyse à ce qui se passe dans interagit avec le récepteur nucléaire PPARγ. Les
la cellule bêta pancréatique [23–25]. Pour se activateurs naturels du récepteur PPARγ sont des
donner bonne conscience puisqu'on ne peut être acides gras (ligands de faible affinité). Plusieurs
exhaustif, on se souviendra que l'état du phéno- ligands synthétiques de forte affinité pour PPARγ
type de la cellule bêta est l'élément déterminant ont été élaborés : ce sont les thiazolidinediones
pour faire basculer l'organisme dans le diabète ou (ou glitazones). L'activation de PPARγ favorise
au contraire prévenir sa survenue. On sait par ail- la différenciation adipocytaire par son action sur
152 Physiopathologie du diabète

la régulation de l'expression de nombreux gènes Sequencing), méthode qui tire son nom de l'utili-
impliqués dans le phénotype adipocytaire. Il aug- sation du bisulfite dans la préparation des échan-
mente aussi la sensibilité à l'insuline. GLP1R code tillons d'ADN. Les premières études utilisant le
pour le récepteur du GLP1, hormone qui stimule WGBS (la première date de 2017) identifient un
la sécrétion de l'insuline et favorise la survie des nombre énorme (26 000) de DMR (régions dif-
cellules bêta. férentiellement méthylées) sur l'ADN insulaire
Il est très probable que l'hyperméthylation de des diabétiques par comparaison à l'ADN d'îlots
ces régions du génome soit due à un effet direct normaux. Quand les expérimentateurs miment
de l'hyperglycémie chronique, puisqu'on peut in vitro sur des cellules bêta normales le niveau
la reproduire in vitro dans des expériences de d'expression de chacun de ces gènes tel que ren-
culture de cellules bêta cultivées dans des milieux contré chez les diabétiques (sur- ou sous-expres-
contenant des concentrations élevées de glucose. sion, c'est selon), la conséquence fonctionnelle est
L'utilisation de méthodes adaptées pour explorer toujours une détérioration de l'insulinosécrétion.
les régions méthylées de l'ADN sur la totalité du Est-ce qu'il existe une association entre les
génome (passage à l'approche dite EWAS, pour DMR et les SNP (polymorphismes nucléoti-
Epigenome-Wide Association Studies) montre diques) ? Autrement dit une association entre
maintenant que certains des changements de la méthylation de l'ADN des îlots diabétiques
méthylation observés entraînent des différences et le risque génétique de diabète ? Oui, très
d'expression de gènes dont l'implication dans le probablement.
fonctionnement des cellules bêta était inconnue
jusqu'ici. C'est le cas, par exemple, pour le gène
HDAC7 qui code une HDAC (histone déacé- Modification des histones
tylase). Dans les îlots diabétiques, HDAC7 est
Il existe encore peu d'études de la modification
hypométhylée, ce qui se traduit par une surex-
des histones chez les diabétiques et on ne dis-
pression de la protéine HDAC et une hyperacti-
pose d'aucune information sur l'état des histones
vité de cette enzyme. Des études complémentaires
dans la cellule bêta pancréatique diabétique (voir
ont montré que la surexpression expérimentale de
Zoom 5.2).
HDAC7 dans des cellules bêta au départ normales
et maintenues in vitro diminuait leur insulinosé-
crétion et l'activité de leurs mitochondries. De Modifications des microARN
façon intéressante, l'utilisation in vitro d'inhi-
biteurs pharmacologiques de HDAC permet de Les microARN sont des ARN qui ne codent
réparer en partie au moins les anomalies dues à la pas des protéines (ils ne sont pas traduits) (voir
surexpression du gène. Cela suggère donc forte- Zoom 5.2). Plusieurs études récentes suggèrent
ment que l'anomalie de méthylation de HDAC7 qu'un grand nombre de microARN sont impli-
détectée dans l'ADN des îlots diabétiques contri- qués dans le contrôle du métabolisme glucidique,
bue au déficit fonctionnel des cellules bêta chez les du métabolisme lipidique, de la signalisation insu-
diabétiques de type 2. Dans le domaine de l'explo- linique et aussi de l'insulinosécrétion. Pour ce qui
ration de l'épigénome comme dans tous les autres concerne le diabète de type 2 et la cellule bêta,
domaines de la biologie, les progrès cognitifs sont des microARN spécifiques tels que miR-130 et
étroitement dépendants des avancées méthodo- miR-152 ont été trouvés surexprimés dans des
logiques. Or l'approche EWAS ne permet pas de îlots humains. On a pu prouver que cela rédui-
détecter tous les sites CpG (et donc ne garantit sait la production mitochondriale d'ATP par les
pas la détection de toutes les régions différentiel- cellules bêta (en freinant l'expression de certains
lement méthylées). Elle cède la place maintenant gènes mitochondriaux) et diminuait la sécrétion
à l'approche dite WGBS (Whole Genome Bisulfite d'insuline en réponse au glucose.
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 153

Qui est responsable descendant : ils sont décrits chez le mouton après
de l'installation des supplémentation en vitamine B12 et méthio-
nine pendant la période péri-conceptionnelle.
marques épigénomiques Rappelons que la vitamine B12 agit en tant que
diabétogènes ? coenzyme dans la synthèse de méthionine (trans-
fert d'un groupement méthyl sur l'homocys-
L'environnement métabolique téine). La méthionine est le précurseur de la SAM
à l'âge adulte (S-adénosylméthionine), métabolite qui rend pos-
sible le transfert de groupes méthyl sur l'ADN,
Le vieillissement, le sexe, la glucolipotoxicité, l'ARN ou les protéines.
sont des facteurs d'environnement qui, chacun Autres exemples : la supplémentation du régime
à sa façon, formatent la méthylation globale du en donneurs de méthyl pendant la gestation chez
génome dans les îlots. Par exemple, l'exposition la souris entraîne la méthylation de gènes impli-
in vitro des cellules bêta à une concentration éle- qués dans les pathologies respiratoires ; la restric-
vée de glucose et/ou d'acides gras (mimant les tion protéique chez la mère pendant la gestation
niveaux atteints chez les diabétiques) change le modifie le niveau de méthylation du promoteur
profil général de méthylation de leur ADN, ainsi de NR3C1. Pour information, NR3C1 est un
que la méthylation et l'expression de gènes qui sont gène codant pour le récepteur des GR (gluco-
importants pour la sécrétion de l'insuline. Bien sûr, corticoïdes). GR est une protéine de la famille
l'expression des microARN est réglée par l'héré- des récepteurs des stéroïdes, liant naturellement
dité (comme tous les transcrits, ils sont codés par le cortisol, qui est la principale hormone gluco-
des gènes spécifiques). Mais elle est aussi particu- corticoïde dans l'organisme. GR est exprimé dans
lièrement sensible aux facteurs d'environnement. toutes les cellules de l'organisme et participe à la
Ainsi, l'expression de certains microARN dans la régulation du développement, du métabolisme
cellule bêta est directement sous la dépendance de énergétique et de la réponse immune. Le point
la concentration de glucose et d'acides gras. faible commun à toutes ces études descriptives est
qu'elles ne permettent pas d'établir une relation
de cause à effet entre modification des marques
L'environnement métabolique épigénétiques au niveau d'un gène candidat,
à l'âge fœtal et néonatal modifications du niveau de transcription du gène
Par définition, il est déterminé par la santé méta- concerné et conséquence fonctionnelle de ces
bolique des parents. modifications. Encore rares sont les études qui
apportent un niveau de causalité suffisant pour
pouvoir conclure qu'une perturbation de l'envi-
L'impact de la santé ronnement maternel pendant la vie intra-utérine
métabolique de la mère provoque dans la descendance une modification
de l'épigénome suffisante pour entraîner un dia-
Des études récentes rapportent que dans l'espèce bète. La plus convaincante à mon sens est celle
humaine aussi, le régime alimentaire de la mère qui met en évidence l'installation des modifica-
peut modifier les marques épigénétiques : les tions épigénétiques induites par un environne-
individus qui ont été exposés in utero à la sous- ment maternel défectueux tel que celui rencontré
nutrition pendant la famine hollandaise montrent dans le RCIU (retard de croissance intra-uté-
à l'âge adulte des modifications de méthylation rin) [18, 19].
du gène de l'IGF2 dans les globules blancs. On peut modéliser ce RCIU par ligatures des
Nombreux sont les exemples expérimentaux artères utérines chez la rate gestante (en choi-
montrant qu'une modification de l'alimentation sissant une souche de rat sans prédisposition
maternelle pendant la gestation induit des chan- génétique au diabète de type 2). Ce modèle est
gements de méthylation globale de l'ADN chez le spécialement intéressant pour notre propos car
154 Physiopathologie du diabète

les descendants de première génération (dans facteur de transcription PDX1 dans les îlots pan-
l'espèce humaine, on dirait : les enfants) des rates créatiques. Or, PDX1 joue un rôle central dans
ayant subi un RCIU développent progressive- le fonctionnement normal (croissance, survie,
ment un diabète de type 2 dont l'apparition est fonction sécrétoire) des cellules bêta. Chez les
corrélée à l'effondrement progressif du nombre descendants de rates RCIU, le déficit d'expres-
des cellules bêta pancréatiques et de la sécrétion sion de PDX1 précède l'apparition des anomalies
de l'insuline, et à un déficit de l'expression du bêta-cellulaires et son aggravation au cours du

ADN ADN HISTONE HISTONE HISTONE


NON MÉTHYLÉ ACÉTYLÉE TRI-MÉTHYLÉE DI-MÉTHYLÉE
MÉTHYLÉ
A M M

PROMOTEUR DU GÈNE PDX1

A A A A
CELLULES M M M EXPRESSION
M
BÊTA
N USF1
CELLULES
BÊTA
(NOMBRE) M M M M M
M M M
CELLULES
INACTIVATION
N RCIU RCIU BÊTA
+EX4 RCIU
HDAC
ARNm
– PDX1 A A A
CELLULES A
(QUANTITÉ) EXPRESSION
BÊTA M M M M
RCIU
N RCIU RCIU + EX4 USF1
+EX4

Figure 5.10. Le risque de diabète dans la descendance est programmé épigénétiquement par le RCIU (retard de
croissance intra-utérin).
Chez le rat, les descendants (F1) ayant subi un RCIU (obtenu par ligatures des artères utérines chez la rate gestante)
développent tous progressivement et tardivement un diabète de type 2, dont l'apparition est liée à l'effondrement progressif
dès la vie postnatale du nombre des cellules bêta pancréatiques et de la sécrétion de l'insuline. Ces deux dernières
caractéristiques sont associées chronologiquement à la diminution progressive de l'expression du facteur de transcription
PDX1 dans les îlots pancréatiques. Le déficit d'expression de PDX1 précède l'apparition des anomalies bêta-cellulaires et
son aggravation au cours du temps évolue de façon parallèle,
Dans les îlots de rats normaux (N), le promoteur proximal de PDX1 se trouve au sein d'une chromatine en configuration
ouverte, non méthylée, permettant l'accès de divers facteurs de transcription dont USF1 (Upstream Stimulatory Factor 1)
qui est un facteur activateur de la transcription de PDX1, et s'y trouve associé avec des histones H3 et H4 acétylées et H3
triméthylées (me3H3K4).
Dans les îlots de rats RCIU devenus adultes, les histones H3 et H4 présentes au niveau du promoteur PDX1 sont
partiellement déacétylées, la fixation du facteur USF1au promoteur PDX1 est perdue. Cela est corrélé avec le recrutement
de HDAC (histones déacétylases), une perte de méthylation de H3K4me3, une augmentation de méthylation de H3K9
(me2H3K9), et pour terminer, une méthylation des îlots CG du promoteur PDX1. La mise en place de tous ces changements
est corrélée avec une extinction complète de la transcription de PDX1.
Dans les îlots de rats RCIU devenus adultes, mais qui ont bénéficié de l'administration d'Exendine-4 (analogue du GLP1 ;
Ex4) à un âge précoce où ils ne sont pas encore hyperglycémiques mais souffrent déjà d'un déficit en cellules bêta (Ex4),
l'acétylation des histones est restaurée ; la capacité de USF1 à se fixer au promoteur PDX1 est préservée, et la méthylation
de l'ADN est prévenue. Conséquences : l'administration d'Exendine-4 in vivo restaure l'expression de PDX1, normalise le
nombre de cellules bêta et finalement prévient la survenue du diabète.
D'après Pinney S, et al. Epigenetic mechanisms in the development of type 2 diabetes. Trends Endocrinol Metab 2010 ;4:223-9 ; Bansal A,
Simmons R. Epigenetics and developmental origins of diabetes : correlation or causation ? Am J Physiol Endocrinol Metab 2018 ;315(1):E15-E28.
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 155

temps évolue de façon parallèle. Ce déficit d'expres- d'un déficit en cellules bêta restaure l'expression
sion ne peut-il pas s'expliquer par des m
­ odifications de PDX1, normalise le nombre de cellules bêta
de l'épigénome local au niveau du gène et finalement prévient la survenue du diabète.
PDX1 ? On va voir avec ce qui suit qu'il en est L'autre mérite de cette expérience est d'apporter
bien ainsi ! La démonstration réalisée par l'équipe la preuve que l'on peut gommer des marques épi-
de Rebecca Simmons à Philadelphie, États-Unis, génomiques délétères, ce qui ouvre la porte à la
est suffisamment magistrale pour qu'on passe un conception de stratégies d'intervention sur l'épi-
peu de temps à en décrire le déroulé [18, 19] génome à visée thérapeutique.
(figure 5.10). Il a été montré en effet que cer- En résumé, ces études très élégantes apportent la
taines histones (H3 et H4) présentes au niveau démonstration que des mécanismes épigénétiques
du promoteur de PDX1 dans les îlots pancréa- induits par un environnement materno-fœtal
tiques des fœtus étaient partiellement déacétylées ­particulier peuvent être un moteur dans l'appa-
et que la fixation du facteur USF1 (Upstream rition progressive des anomalies de transcription
Stimulatory Factor 1) au promoteur de PDX1 génique et ainsi faire le lit du diabète de type 2.
était perdue. USF1 est un facteur activateur de la
transcription de PDX1 et, en l'absence de liaison
d'USF1, la transcription de PDX1 est beaucoup L'impact de la santé
moins efficace. À ce stade précoce, la modifica- métabolique du père
tion des marques épigénétiques des histones est à
elle seule responsable de l'inactivation de PDX1 Plusieurs travaux expérimentaux récents montrent
qui, à ce niveau, n'est encore que partielle. Plus de façon convaincante que l'obésité ou le diabète
tard chez l'adulte, une sur-méthylation des motifs du père est source de modifications de nature
CpG du promoteur de PDX1 va s'installer et sera épigénétique touchant les spermatozoïdes. Ces
corrélée avec une extinction complète de la trans- modifications concernent le profil de méthylation
cription de PDX. On assiste donc dans ce modèle de l'ADN spermatique et la quantité et la qua-
animal à l'accumulation progressive de marques lité des petits ncARN (ARN non codants) sper-
épigénomiques anormales au niveau d'un gène matiques, les meilleurs candidats décrits étant des
crucial pour le maintien de la production de l'in- ARNt tronqués appelés tRFs, et des microARN
suline. On peut donc penser que c'est cette accu- (ou miRNA). Rappelons que les ARN de trans-
mulation qui va entraîner le dysfonctionnement fert (ARNt ou tRNA) sont de petites molécules
de ce gène et rendre in fine possible l'installation d'ARN qui fonctionnent comme donneurs
du diabète de type 2. Enfin, un argument majeur d'acides aminés au cours de la synthèse protéique.
pour la démonstration du rôle causal de certaines Chaque ARNt se lie de manière covalente à un
anomalies épigénomiques dans la survenue du acide aminé particulier, formant un aminoacyl-
diabète de type 2 est apporté par la possibilité de ARNt. Par contre le rôle de leurs dérivés fragmen-
briser expérimentalement l'enchaînement néfaste tés, les tRFs, est encore mal documenté. Ce sont
des modifications épigénétiques induites par le de petits ARN non codants, mais ils sont proba-
RCIU. L'administration d'Exendine-4 (une pro- blement importants dans la régulation de l'expres-
téine analogue de l'hormone intestinale GLP1 ; sion des gènes. Quant aux microARN (miARN,
voir Zoom 7.5) chez les descendants de mères ou miRNA, ou miR), ce sont des petits ARN
RCIU permet en effet de corriger les niveaux (de l'ordre de 20 nucléotides), simple brin, non
d'acétylation des histones (en augmentant l'acti- codants. Ils peuvent réprimer la traduction d'un
vité des histones acétyltransférases), restaure la ARNm spécifique ou entraîner sa dégradation.
capacité de USF1 à se fixer au promoteur PDX1 et Parce qu'ils affectent l'expression de nombreux
empêche la méthylation de l'ADN (figure 5.10). gènes, les miARN interviennent dans la plupart
Conséquences : l'administration d'Exendine-4 des processus biologiques. Les miARN ont été
in vivo chez les ratons jeunes lorsqu'ils ne sont impliqués dans de nombreux processus, allant
pas encore hyperglycémiques mais souffrent déjà du développement à la formation de tumeurs.
156 Physiopathologie du diabète

Plusieurs centaines de gènes codants pour des Comment savoir si des ARN spermatiques à eux
miARN ont été identifiés chez les animaux. Ne seuls peuvent être les vecteurs de la transmission
pas confondre les microARN avec les ARNm tra- des caractères phénotypiques du père à sa descen-
ditionnels (ARNm ou mRNA) qui dictent l'ordre dance ? Pour répondre, des chercheurs ont réalisé
des acides aminés lors de l'étape de traduction des micro-injections d'ARN dans des zygotes (ovo-
de la synthèse protéique (par définition, ils sont cytes fécondés) de souris normales (figure 5.11).
codants !). L'exposition de rongeurs mâles de souche normale
Chez l'homme aussi, l'épigénome des sper- (non prédisposée à l'obésité ni au diabète) à un
matozoïdes est remodelé par l'obésité et/ou le régime riche en graisses ou au diabète induit des
diabète [26]. Dans les spermatozoïdes issus d'in- modifications du phénotype métabolique dans la
dividus obèses, les profils d'expression des petits descendance immédiate (F1). L'obésité ou le dia-
ARN non codants et de méthylation de l'ADN bète paternel modifie les marques épigénétiques
sont profondément remaniés, le profil de répar- (méthylation, variété des sncRNAs) portées par
tition des histones restant inchangé. Chez des les spermatozoïdes. Des expériences d'injection
patients initialement obèses et ayant subi un bypass d'ARN directement dans l'embryon normal au
gastrique, la perte de poids est accompagnée d'un stade une cellule montrent que diverses catégo-
remodelage spectaculaire de la méthylation de ries de sncRNAs (tRFs, miRNAs) isolées à partir
l'ADN spermatique qui retrouve un profil proche des spermatozoïdes d'obèses ou de diabétiques
de la normalité. Ces données montrent que chez ont la capacité de transférer, au moins en partie,
l'homme (comme chez les rongeurs) l'épigénome le phénotype d'intolérance glucidique chez les
du spermatozoïde est éminemment plastique et descendants (effet intergénérationnel et peut-être
fluctue en fonction de l'exposition aux facteurs transgénérationnel) (figure 5.5).
nutritionnels, et en particulier en fonction des Les ARN testés étaient des ARN totaux extraits
caractéristiques métaboliques du père. de spermatozoïdes provenant de souris mâles,

RÉGIME RÉGIME RÉGIME


GRAS NORMAL GRAS

SPERMATOZOÏDE OVOCYTE

ARN ZYGOTE
non codants NORMAL

OBÈSE OBÈSE

Figure 5.11. La micro-injection d'une préparation d'ARN non codants isolés à partir des spermatozoïdes de rats
obèses, directement dans un embryon normal au stade une cellule, suffit pour transférer le phénotype de surpoids
et d'intolérance glucidique chez les descendants (effet intergénérationnel et peut-être transgénérationnel). Diverses
catégories de sncRNAs (tRFs, miRNAs) provenant de spermatozoïdes d'obèses ont cette capacité. sncRNA : petits
ARN non codants.
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 157

soit normales, soit rendues obèses et intolérantes Les marques épigénomiques


au glucose par un régime riche en graisse. Les diabétogènes sont-elles
ovocytes, une fois fécondés, étaient implantés
chez des femelles normales porteuses. Les nou-
durables et transmissibles ?
veau-nés issus de cette procédure ont été suivis
jusqu'à l'âge adulte et leur phénotype a été carac- Un certain nombre d'études suggèrent qu'il
térisé. Seuls les individus issus des zygotes ayant existe une transmission non génomique entre
reçu les ARN spermatiques de souris obèses générations des phénotypes acquis à la suite d'une
et diabétiques ont développé à l'âge adulte un exposition précoce mais temporaire à un envi-
excès de poids corporel, une intolérance gluci- ronnement donné et que ce mécanisme pourrait
dique et une diminution de la sensibilité tissu- contribuer à la propagation intergénérationnelle
laire à l'insuline. Ces données montrent le rôle des maladies de l'adulte. Ainsi, l'étude épidémio-
des ARN spermatiques dans la transmission à la logique portant sur les hommes nés à Överkalix
descendance des caractères métaboliques du père dans le nord de la Suède en 1890, 1905 et 1920
(figure 5.11). Elles ne permettent néanmoins pas a montré que la mortalité par diabète était accrue
de conclure sur la nature des ARN responsables lorsque le grand-père paternel avait bénéficié
de cette transmission, puisque les ARN totaux d'une alimentation abondante tout au long de
sont hétérogènes. En analysant ensuite les dif- la croissance prépubertaire. D'un autre côté, la
férentes familles d'ARN spermatiques des sou- sous-alimentation parentale, mais uniquement
ris mâles exposées au régime HF, les chercheurs lorsqu'elle est maternelle, est elle aussi associée
ont identifié au sein des ARN non codants un à un risque accru de diabète de type 2 chez les
membre de la famille des microARN (miRNA, descendants et sur plusieurs générations. C'est
appelé aussi miR) particulièrement surreprésen- vrai chez les Indiens Pimas et chez les Hollandais
tés, appelé miR-19b. Ce candidat a été testé en dont les grands-parents ont subi in utero une
utilisant la stratégie d'injection dans des zygotes sous-nutrition consécutive à la famine lors de la
de souris normales. Les résultats ont montré Seconde Guerre mondiale. Par ailleurs, l'exposi-
que les adultes issus des zygotes injectés avec tion des femmes enceintes au diéthylstilbestrol est
miR-19b avaient un phénotype obèse et diabé- connue pour provoquer une augmentation des
tique. Plus étonnant encore, on retrouve aussi anomalies de l'appareil reproducteur chez leurs
ce phénotype obèse et diabétique chez leurs filles, pas seulement dans la F1 mais aussi jusqu'à
descendants F1 (les individus F1 résultent alors la F3 : il s'agit donc d'un effet transgénérationnel
du croisement de mâles miR-19b avec des souris transmis via la lignée maternelle.
femelles normales). Ces travaux prouvent donc Les données obtenues avec des modèles de ron-
que certains petits ARN spermatiques sont des geurs corroborent cette idée que certains phéno-
vecteurs directs de la transmission paternelle du types induits peuvent en effet passer au-delà de la
risque d'obésité et d'intolérance glucidique chez F1 et persister pendant plusieurs générations, par
les descendants [20]. un mécanisme non génomique. Chez le rat, l'ali-
Ces résultats, spectaculaires dans la mesure où mentation des mères (génération dite F0) pendant
ils prouvent que certains petits ARN sperma- la gestation avec un régime pauvre en protéine
tiques ont le pouvoir à eux seuls de transférer les entraîne une intolérance glucidique chez les indi-
traits métaboliques paternels à la descendance, vidus des générations F1, F2 et F3, et cela malgré
soulèvent évidemment de nouvelles et multiples une alimentation adéquate des femelles F1 et F2
questions. Les marques épigénétiques paternelles durant leur gestation. Le mécanisme de l'héritabi-
sont-elles réversibles ? Suffit-il de gommer les lité des marques épigénétiques induites n'est pas
marques épigénétiques paternelles pour prévenir connu.
l'obésité ou le diabète ? Les données précliniques On considère comme possibles quatre scéna-
sont-elles extrapolables à l'humain ? rios possibles (car tous les quatre ont été validés
158 Physiopathologie du diabète

chez les rongeurs) de transmission non génétique maternelle chez le rat entraîne une diminu-
du phénotype maternel [14, 20, 27]. tion de la masse bêta chez les femelles F1 ; ces
• Scénario 1 : la transmission est limitée à la F1 femelles F1 nourries normalement vont malgré
(on parle alors d'un effet intergénérationnel). tout développer un diabète gestationnel du
La mère (F0) est affectée pour la première fois fait de leur déficit en cellules bêta ; l'hypergly-
par un perturbateur (surpoids, diabète) durant cémie gestationnelle chez les femelles F1 va à
la gestation, ainsi que le fœtus (F1). Divers tis- son tour entraîner une diminution de la masse
sus de F1 sont programmés (ils vont conser- bêta chez les femelles F2 et ce cycle peut se
ver le marquage épigénomique durant leur vie répéter à l'identique sur plusieurs générations
adulte), mais la lignée germinale (les gamètes) (voir Zoom 5.6). Dans ce cas-là, l'héritabilité
échappe aux modifications épigénomiques. du phénotype morbide impliquerait l'induc-
Conséquences : le perturbateur change le phé- tion de novo des modifications épigénétiques à
notype de F1, mais il n'y a pas de transmission à chaque génération.
la génération suivante (F2). Ces avancées même si elles restent pour l'instant
• Scénario 2 : la transmission s'arrête à la F2 (on fragmentaires sont majeures car elles fournissent
parle alors d'un effet multigénérationnel). La une base moléculaire pour aborder les mécanismes
mère (F0) est affectée pour la première fois par responsables de l'héritabilité des caractères acquis
un perturbateur (surpoids, diabète) durant la sous l'influence de facteurs de l'environnement.
gestation, ainsi que le fœtus (F1). Le pertur- Leur apport est précieux pour la compréhen-
bateur affecte aussi la lignée germinale de F1 sion de la prévalence des maladies chroniques de
qui va conserver le marquage épigénomique. l'adulte, telles que l'obésité et le diabète de type 2.
Le perturbateur change donc le phénotype de On peut faire le pari que les vecteurs épigénétiques
F1, mais aussi celui de F2. Dans ce scénario héritables nouvellement identifiés se révéleront à
possible, il n'y a pas de transmission à la géné- terme aussi importants que les facteurs génétiques
ration F3, car lors de la formation des cellules classiques, pour avancer dans notre compréhen-
germinales de F2, le marquage épigénomique sion de l'étiologie des obésités et des diabètes. Les
sera effacé dans ces cellules. généticiens des maladies chroniques multifacto-
• Scénario 3 : la transmission continue jusqu'à la rielles nous ont en effet habitués à considérer que
F3 et au-delà (on parle alors d'un effet transgé- diabètes et obésités étaient le résultat de l'accumu-
nérationnel) [11, 22]. La mère (F0) est affec- lation au sein du génome de variants génétiques
tée pour la première fois par un perturbateur défavorables (gènes de prédisposition transmis ;
(surpoids, diabète) durant la gestation, ainsi que héritabilité de type mendélien classique). Il est
le fœtus (F1). Le perturbateur affecte aussi la temps de compléter cette réponse classique notoi-
lignée germinale de F1 qui va conserver le mar- rement insuffisante, puisque les grandes études
quage épigénomique. Dans ce scénario possible, pangénomiques disponibles ne rendent compte
le marquage ne sera pas non plus effacé lors de la que de 25 % de l'héritabilité du diabète de type 2.
formation des cellules germinales de F2, ni dans Le nouveau paradigme propose que diabètes et
les générations ultérieures. Conséquences : le obésités découlent de l'accumulation au sein de
perturbateur change le phénotype de F1, celui l'épigénome, de traces épigénétiques induites par
de F2, et aussi celui de F3 et au-delà. l'environnement nutritionnel et métabolique des
• Scénario 4 : La contrainte prénatale primitive parents (mère et père), et transmissibles (hérita-
induit des changements physiologiques chez bilité de type non mendélien). Ce modèle appa-
la femelle F1 qui seront à l'origine de modi- raît certainement plus pertinent pour expliquer
fications de l'environnement intra-utérin à la l'explosion récente de la prévalence des maladies
gestation suivante. Ces dernières, à leur tour, métaboliques et leur lien majeur avec l'environne-
provoqueront l'apparition de nouvelles (ou des ment nutritionnel.
mêmes) marques épigénétiques. Un tel scéna- Enfin, ces travaux qui apportent la preuve expé-
rio a été validé chez le rongeur : la malnutrition rimentale qu'une transmission non génétique de
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 159

Figure 5.12. Jean-Baptiste de Lamarck (1744–1829).


« Tout ce qui a été acquis, tracé ou changé, dans
l'organisme des individus, pendant le cours de leur vie,
est conservé par la génération, et transmis aux nouveaux
individus qui proviennent de ceux qui ont éprouvé ces
changements. »

Figure 5.13. Affiche vantant les mérites du sucre au


milieu du xxe siècle.
D'après Schlienger M, et al. Du « sel indien » au high fructose corn
l'obésité ou du diabète est possible redonnent un syrup : histoire du sucre des origines à nos jours. Médecine des
éclat tout particulier à la prophétie (quatrième loi) Maladies Métaboliques 2012 ;6(5) :451-5.
de Jean-Baptiste de Lamarck (figure 5.12).
de consommer du sucre. Pourvoyeur d'énergie
à bas prix pour les travailleurs, il passe pour être
indispensable au régime des enfants et des femmes
Le sucre des aliments, (figure 5.13).
nouveau grand satan. Cet enthousiasme ne sera pas éternel car dès
1935, la Société des Nations (l'ancêtre de l'ONU
Vrai ou faux ? actuelle) s'inquiète de ce que « l'habitude crois-
sante d'une grande consommation de sucre tend
à diminuer la quantité d'aliments protecteurs dans
Adulé jadis, diabolisé le régime et doit être observée avec attention ».
aujourd'hui Vers les années 1970, des esprits éclairés relèvent
des dégâts sanitaires qu'ils attribuent à la surcons-
Le sucre, porté aux nues au début du xxe siècle, ommation de sucre, et portent le débat sur la place
sera voué aux gémonies au xxie siècle [28, 29]. publique en mettant en cause la responsabilité de
C'est au xixe siècle que la culture de la bette- l'industrie sucrière. À première vue, comment ne
rave s'intensifie en France. L'extraction du sucre pas être interpellé en effet par le triplement de la
devient une affaire vite maîtrisée par les chimistes ; consommation de sucre dans le monde en moins
les coûts de production, la prohibition de l'escla- de cinquante ans ? Comment ne pas l'associer à
vage et les taxes favorisent le sucre de betterave l'incidence plus élevée des caries dentaires, de
qui devient une « joie quotidienne pour tous ». l'obésité, des maladies cardiovasculaires, et de dia-
Le pain de sucre (de canne) est remplacé par les bète ? Des lanceurs d'alerte, dans les rangs desquels
morceaux de sucre (de betterave). La politique figurent quelques nutritionnistes censés appor-
hygiéniste en vigueur met l'accent sur la nécessité ter leur expertise, sont partis en croisade contre
160 Physiopathologie du diabète

le sucre sur la foi d'arguments qui ne brillent pas L'article était signé… par Didier Raoult, bien
tous par leur objectivité, et qui dupliquent les cli- connu pour son expertise en microbiologie (beau-
chés conspirationnistes venus d'outre-Atlantique : coup moins pour son expertise en nutrition). Le
le sucre est une poudre blanche aussi addictive et sucre est donc dans la tourmente et accusé d'être
toxique que la cocaïne ; l'excès de sucre induit la l'un des promoteurs des maladies cardiovascu-
stéatose hépatique et la dépression, comme l'al- laires et métaboliques, un rôle que tenaient il y a
cool, donc il faut l'interdire ; les industriels du peu de temps encore et de façon quasi exclusive
sucre nous rendent gros et malades depuis qua- les graisses (qui du coup, sont réhabilitées et se
rante ans ; ils nous rendent accros en ajoutant refont une virginité). Alors, peut-on distinguer le
du sucre dans les produits alimentaires pour en vrai du faux ?
acheter davantage ; ils ont développé une tactique Il faut aller lire les études validées par leur
de longue date pour essayer de museler et de dis- publication dans la presse scientifique internatio-
créditer les lanceurs d'alerte et faire du lobbying nale spécialisée. Que disent-elles ? L'impact de la
auprès des influenceurs et des institutions d'état. consommation de boissons sucrées sur la morta-
Leurs messages sont devenus de plus en plus pré- lité toutes causes confondues a été largement éva-
sents (sinon convaincants) avec l'arrivée d'Inter- lué. Il n'y a pas d'augmentation de la mortalité
net et de son cortège de réseaux dits sociaux. La chez les forts consommateurs de sucre comparés
raison est toujours du côté de celui qui parle le aux faibles consommateurs, ni de relation simple
plus fort, n'est-ce-pas ? En face, le consommateur entre la consommation de sucre et la morta-
est assailli par les affirmations péremptoires, mais lité. Seules les études effectuées aux États-Unis
n'a jamais accès aux éléments factuels permettant mettent en évidence une augmentation de près de
une analyse critique (trop compliqués, trop scien- 7 % de la mortalité chez les sujets consommant
tifiques, réservés aux sachants). Alors, le consom- plus de 250 ml/jour de boissons sucrées (soit au
mateur doute du sucre : le sucre est-il le diable moins 8 canettes de soda par jour). L'existence
caché dans les aliments transformés ? Une source d'une relation entre le sucre et l'obésité est
de plaisir, longtemps rare, est-elle maintenant un démontrée de longue date chez l'enfant. L'excès
poison, d'autant plus pervers qu'il contribue à une de prise de poids est proportionnel en particu-
forme de récompense psychologique et emprunte lier à la consommation de boissons sucrées (une
peut-être les voies de l'addiction ? L'excès de « sel canette = 35 g de sucre = 7 morceaux de sucre),
indien » est-il aussi néfaste que l'excès de sel de mais la responsabilité directe du sucre est difficile
cuisine ? Manger du sucre tue, comme fumer tue ? à établir. En effet, la consommation de soda est
Pourquoi ne ferait-il pas confiance aux infos diffu- associée à des comportements propices à la prise
sées par les médias généralistes ? À titre d'échan- de poids, tels que le grignotage, la consomma-
tillon représentatif, voici ce que publiait Le Point tion de produits gras à forte densité énergétique,
n° 2354, du 19 octobre 2017 : « La vérité sur le ou le temps passé devant un écran. La plupart
sucre. Il est intéressant d'observer que presque des études observationnelles menées jusque-là
toutes les grosses entreprises agroalimentaires concluent à l'absence de lien significatif entre la
font des campagnes d'information sur la santé consommation de boissons sucrées et l'obésité
en utilisant des peurs écologiques telles que les chez l'enfant, l'adolescent ou l'adulte, pour peu
OGM ou les pesticides, alors que le poison le plus qu'elle ait été ajustée sur l'apport calorique et
répandu vendu en masse, c'est le sucre ajouté. La l'activité physique. C'est donc le surplus d'apport
plupart des experts en santé publique considèrent calorique associé à la consommation de produits
que, après le tabac, le plus gros problème de santé sucrés, et le mode de vie sédentaire plus fréquent
publique au monde est le sucre. Sa consommation chez les consommateurs de boissons sucrées qui
s'est développée d'une manière parallèle à celle font grossir. Pour ce qui concerne le risque de dia-
du tabac et s'est répandue comme une véritable bète de type 2, il existe une relation positive entre
épidémie qui, pour l'instant, n'est pas stabilisée. » consommation de sucre et incidence du diabète.
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 161

Il est difficile d'affirmer que les sucres ajoutés, ou de triglycérides, et plus particulièrement des tri-
qu'une alimentation à indice glycémique élevé ou glycérides associés aux lipoprotéines de très basse
à forte charge glycémique, sont par eux-mêmes densité (VLDL [Very Low Density Lipoproteins]).
des facteurs de risque de diabète de type 2. Il Ce phénomène est attribué à une augmentation
est vraisemblable que leurs effets délétères sur le de la synthèse de lipides induites par le fructose
métabolisme glucosé soient en lien avec la prise dans le foie, associée à une augmentation de la
de poids qu'ils génèrent. Il n'y a pas non plus à sécrétion hépatique de VLDL. Ces modifications
ce jour de preuves permettant d'incriminer la du profil lipidique sont principalement observées
consommation de sucres ajoutés comme facteur dans les études utilisant un ajout de fructose à
de risque cardiovasculaire indépendant. Les nutri- l'alimentation de base (régimes hypercaloriques),
tionnistes restent cependant méfiants à l'égard mais sont aussi rapportées dans certaines études
du fructose (contenu dans les sirops de glucose isocaloriques au cours desquelles le fructose est
ou le HFCS (High Fructose Corn Syrup ; sirop de substitué à de l'amidon. Un autre effet de l'aug-
maïs à haute teneur en fructose), ou contenu à mentation des apports en fructose est une aug-
l'état naturel dans les fruits et le miel) [30]. Il est mentation de la concentration de triglycérides
actuellement davantage stigmatisé que le glucose intrahépatocytaires. Cela laisse penser qu'une ali-
ou le saccharose. De nombreux essais cliniques, mentation riche en fructose pourrait contribuer à
effectués sur de petits effectifs de sujets sains ou de la pathogenèse de la stéatohépatite non alcoolique
patients atteints d'obésité ou de diabète de type 2, (voir Zoom 4.2). Il faut cependant souligner que
ont permis de documenter les effets d'une alimen- l'augmentation des graisses intrahépatiques n'est
tation enrichie en fructose ou en saccharose sur observée que lorsque la quantité de fructose quo-
le métabolisme glucidique et lipidique. Plusieurs tidienne ingérée est très importante (> 100 g/j),
de ces études ont d'abord montré que, lorsqu'on et est associée à un excès d'apport calorique. Cet
remplace du saccharose ou de l'amidon par des effet semble devoir être attribué à un excès d'ap-
quantités équivalentes de fructose pur dans l'ali- port énergétique sous forme glucidique plutôt
mentation de sujets sains ou de patients diabé- qu'aux propriétés métaboliques propres du fruc-
tiques, la glycémie moyenne observée au cours tose, puisqu'une suralimentation en glucose ou
de la journée et la concentration d'hémoglobine en fructose conduit à une augmentation similaire
glyquée diminuent de manière significative, ce qui des concentrations de graisse intrahépatocytaire.
suggérait un effet plutôt bénéfique de l'apport Ce phénomène est aussi observé lors d'ingestion
de fructose sur la régulation glycémique. Pour de doses importantes (50 g ou plus) de fructose
cette raison, il a même été proposé au cours des par voie orale. Des initiatives de santé publique
années 1980-1990 de remplacer tout ou partie visant à réduire la consommation de fructose et
du saccharose par du fructose dans l'alimenta- de saccharose (limitation de la consommation à
tion des patients diabétiques. Cette recomman- moins de 10 % des apports énergétiques totaux)
dation a cependant été rapidement abandonnée ont donc été instaurées dans plusieurs pays. Leur
au vu des autres effets métaboliques induits par effet à long terme sur la consommation de sucres
une alimentation riche en fructose. En effet, et l'incidence des maladies métaboliques ne sont
certaines études mentionnent une altération de pas encore connus.
la tolérance au glucose attribuée à une moindre
suppression de la production hépatique de glu-
cose par l'insuline chez les sujets consommant
des quantités importantes de fructose dans leur Que conclure pour
alimentation (> 80 g/j). La sensibilité extrahépa- le moment ?
tique à l'insuline (principalement dans le muscle)
n'est en revanche pas affectée. L'augmentation Si on accepte de faire fi des interprétations ins-
des apports alimentaires en fructose s'accompagne trumentalisées et des réactions passionnées, l'en-
d'une augmentation des concentrations sanguines semble de ces données ne justifient pas la mise à
162 Physiopathologie du diabète

l'index du sucre, dès lors qu'il n'est pas consommé ver les qualités gustatives du produit alimentaire de
en excès. Elles ne permettent pas cependant de référence. Ainsi, les sucres peuvent être remplacés
lever toutes les interrogations soulevées par la par des édulcorants intenses artificiels (saccharine,
consommation des sucres rapides. Leurs effets sur cyclamate, aspartame, stéviosides) qui n'apportent
la balance énergétique et sur la santé restent donc pas de calories et ont un pouvoir hyperglycémiant
incertains. Une attitude intransigeante consistant nul, ou par des polyols (xylitol ou sorbitol) qui ont
à exclure le sucre de l'alimentation n'a pas lieu une valeur calorique plus faible que celle du saccha-
d'être, d'autant que les résultats les plus alarmants rose (3 kcal/g contre 4 kcal/g). Pour information,
proviennent des États-Unis où la consommation la saccharine est le plus ancien des édulcorants arti-
de fructose et de glucides à index glycémique ficiels (additif alimentaire E954). La saccharine a un
élevé est près de 2 fois plus élevée qu'en France. pouvoir sucrant 300 à 400 fois plus élevé que le sac-
Il est licite et raisonnable de limiter la consomma- charose, mais a un arrière-goût métallique ou amer
tion des sucres ajoutés à moins de 10 % de l'apport déplaisant. La saccharine n'apporte aucune calorie
énergétique total, en veillant tout particulière- et est éliminée dans les fèces par le système digestif
ment à réduire le fructose qui expose à un risque sans passer dans le sang. Le cyclamate de sodium est
métabolique plus marqué dès lors que sa consom- 30 à 40 fois plus sucrant que le saccharose (additif
mation excède 50 g/jour. Pour ce faire, il suffi- alimentaire E952). L'aspartame est un édulcorant
rait de diminuer la consommation de nombre de artificiel découvert en 1965. C'est un dipeptide
produits transformés et des boissons sucrées dites composé de deux acides aminés naturels, l'acide
nutritives, et d'inciter les industriels à ne pas uti- L-aspartique et la L-phénylalanine. Sa consomma-
liser massivement le HCFS. Une autre alternative tion est déconseillée chez les personnes atteintes
est de remplacer les sucres rapides par des édulco- de phénylcétonurie. L'aspartame (additif alimen-
rants ; mais là une autre histoire commence… taire E951) a un pouvoir sucrant environ 200 fois
Finalement, le sucre n'est pas le diable, mais supérieur à celui du saccharose. La phénylcétonurie
la marque apparente d'un mode de vie et d'un est une maladie génétique rare, liée à un déficit en
mode alimentaire non adaptés à nos besoins. Ce phénylalanine hydroxylase, entraînant l'accumula-
mode de vie est effectivement dangereux parce qu'il tion de phénylalanine dans le sang. L'excès de phé-
mène à l'obésité et au diabète. Mais le sucre ne nylalanine est toxique pour le système nerveux et
doit pas devenir le bouc émissaire alimentaire perturbe le développement du cerveau de l'enfant,
« tendance » parce qu'il n'est ni un poison ni un entraînant un retard mental. La stevia est un genre
stupéfiant par lui-même. Ce qui est à blâmer, c'est végétal de la famille des Astéracées. Il regroupe
son mésusage par l'industrie agroalimentaire qui a environ 240 espèces d'herbes aromatiques ou d'ar-
du mal à admettre ses responsabilités sociétales en brisseaux dont quelques-uns (notamment Stevia
matière de santé publique, et les consommateurs eupatoria et Stevia rebaudiana) contiennent des
malformés scientifiquement, désinformés nutri- édulcorants naturels. Les composés qui donnent
tionnellement, et plus réceptifs aux injonctions à la stevia son goût sucré sont le stévioside et le
sans nuances du type interdiction qu'aux messages rébaudioside. Ils sont de 250 à 300 fois plus sucrés
appelant au discernement et à la modération. que le saccharose. L'introduction des édulcorants a
donc bien arrangé les affaires des producteurs des
boissons sucrées pour échapper aux critiques poin-
tant l'excès d'apport en sucre et en énergie. Hélas,
Les édulcorants : le goût rien n'est jamais gagné totalement : les édulcorants
sucré sans les calories ne sont peut-être pas exempts de tout risque pour
la santé !
Alléger un aliment consiste à remplacer ses nutri- Considérés comme des additifs alimentaires,
ments énergétiques par des substituts dont la teneur leur utilisation est subordonnée à une réglementa-
calorique est quasiment nulle ou plus faible que celle tion européenne et nationale qui valide leur place
du nutriment naturel, tout en essayant de conser- dans l'alimentation. L'histoire des édulcorants
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 163

(qui commence en 1879 avec celle de la saccha- l'homéostasie glucidique. Des études expérimen-
rine) est une suite de controverses, de restrictions tales chez l'animal montrent que les édulcorants
ou d'interdictions, même lorsque leur innocuité peuvent perturber la régulation de la prise alimen-
apparaît démontrée à un moment donné. D'abord taire en augmentant le seuil de perception du goût
accusés dans les années 1970–1980 d'être cancéri- sucré du fait de leur forte affinité de liaison avec
gènes (notamment la saccharine et l'aspartame), les les récepteurs buccaux du goût sucré. En corollaire,
édulcorants sont à présent suspectés d'accroître le les messages perçus au niveau central sont pertur-
risque cardiométabolique, au point d'être ramenés bés, avec une diminution de la sensibilité au sucre
à la même enseigne que les sucres qu'ils ont voca- et une satiété moindre. Les sujets non obèses sous
tion à substituer ! En fait, les données disponibles édulcorants consommeraient alors davantage d'ali-
chez l'homme sont contradictoires : certaines ments énergétiques pour compenser de façon non
études cliniques sont en faveur d'une relation posi- consciente. D'autres études animales suggèrent
tive entre substitution des sucres par les édulcorants que les édulcorants induisent une dysbiose (modi-
et apports énergétiques ou prise de poids, quand fication du microbiote intestinal) à l'origine du
d'autres concluent à l'intérêt des édulcorants en développement d'une inflammation de bas grade
termes de réduction de l'apport calorique et du et d'une insulinorésistance. À titre d'exemple,
poids. L'incertitude demeure aujourd'hui quant à la transplantation du microbiote de souris sou-
la possibilité des édulcorants d'interférer négative- mises à la saccharine à des souris témoins entraîne
ment avec la régulation de la prise alimentaire et une intolérance au glucose chez ces dernières.

Zoom 5.3

Histoire de sucres
Sucres ou glucides ? Comment s'y retrouver fructose, le galactose, l'arabinose, ou le ribose,
dans la jungle sémantique des sucres par exemple, sont des oses. Le saccharose, le lac-
apportés par l'alimentation ? tose et le maltose sont des diosides. Saccharose,
Les glucides (avec les protéines et les lipides) font glucose, fructose, lactose, maltose et galactose
partie des macronutriments qui composent nos (tous des sucres) sont naturellement présents
aliments. Ils apportent une bonne part (au moins dans un grand nombre d'aliments (fruits et lait
50 %) des calories essentielles à notre fonctionne- notamment) dont la consommation est encoura-
ment énergétique. Qu'entend-on par « glucides » gée par ailleurs. Les sucres sont le support princi-
et qu'entend-on aussi par « sucres » ? On emploie pal du goût sucré, mais leurs usages vont en fait
ces deux termes en nutrition souvent sans distinc- bien au-delà de leur rôle édulcorant, car beau-
tion et à toutes les sauces. Est-ce correct ? C'est coup d'entre eux ont une valeur technologique
vrai que les glucides sont aussi appelés les sucres, importante. En effet, les sucres ne sont pas seule-
pour la simple et bonne raison que ce sont des ment des édulcorants, ils ont aussi des fonctions
sucres ! Explications [31], pour éviter d'y perdre technologiques importantes pour les aliments
son latin… Les glucides, anciennement appelés auxquels ils apportent texture, volume et cou-
hydrates de carbone (mais toujours carbohydrates leur, tout en servant d'agents de conservation.
en anglais) sont des polyalcools (aussi appelés Pour ces raisons, divers sucres sont ajoutés aux
polyols) portant le plus souvent une fonction aliments transformés. Sur le plan nutritionnel
aldéhyde ou cétone. La plupart des glucides ont et étabolique, il ne peut y avoir de distinction
une formule chimique brute de type (CH2O)n entre les sucres constituants intrinsèques des
avec n ≥ 3. Les glucides sont généralement clas- aliments et les sucres extrinsèques ajoutés par
sés selon leur structure chimique, poids molécu- l'industriel, le cuisinier ou le consommateur, car
laire, et DP (degré de polymérisation). Les oses ce sont les mêmes molécules. Il est impossible en
(DP = 1) et diosides (DP = 2) (à l'exception des pratique de les distinguer au sein d'un produit
polyols) sont les sucres (ils sont ainsi identifiés donné et, comme pour tous les glucides, leur
sur les étiquetages alimentaires). Le glucose, le valeur énergétique est de 4 kcal/g.

164 Physiopathologie du diabète

Parmi les oligosides (DP = 3 à 9), on trouve légumes). Les chaînes de pectines sont reliées
l'inuline, les fructo-oligosides (FOS) (obtenus entre elles pour constituer un réseau ou gel. Cet
par hydrolyse de l'inuline, ou par synthèse à ensemble permet d'emmagasiner une grande
partir du saccharose), les galacto-oligosides quantité d'eau. L'espèce humaine ne sécrète
(GOS) tels que ceux présents dans les légumes pas d'enzymes dégradant la pectine (l'une des
secs (haricots, pois chiche) ou ceux obtenus par molécules les plus difficiles à dégrader de notre
synthèse à partir du lactose et introduits dans alimentation). C'est le microbiote intestinal qui
des préparations pour nourrissons. L'inuline permet sa digestion, et il est en partie façonné
est un polymère plus ou moins long, composé par la présence des pectines.
de fructoses. Elle est particulièrement abon- Les glucides sont aussi classés en fonction de leur
dante dans la racine de chicorée dont elle est devenir physiologique. On distingue alors les
extraite industriellement. On la trouve aussi glucides « digestibles » (et/ou absorbables) dans
dans d'autres végétaux tels que l'artichaut ou l'intestin grêle (glucose, fructose, saccharose,
les topinambours. À la différence de l'amidon, lactose, amidon digestible), par opposition aux
l'inuline n'est pas digestible par les enzymes glucides « non digestibles » constitutifs des fibres
de l'intestin humain (amylases) et est consi- alimentaires (celluloses, hémicelluloses, pectines,
dérée comme une fibre alimentaire soluble. amidons résistants, oligosides non digestibles)
L'inuline atteint donc intacte le côlon, où elle qui ne sont pas digérés dans l'intestin grêle, mais
est métabolisée par la flore intestinale, avec parviennent au côlon où ils sont partiellement ou
libération de quantités importantes de dioxyde totalement fermentés par le microbiote. L'EFSA
de carbone, d'hydrogène et de méthane : elle (European Food Safety Authority) utilise en outre
est ainsi considérée comme un prébiotique, au le terme intéressant de glucides « glycémiants »
sens qu'elle stimule le développement des bac- (glycaemic carbohydrates) pour qualifier ces
téries de la flore intestinale. L'inuline est utilisée mêmes glucides digestibles, qui procurent des
dans l'industrie comme ingrédient dans diffé- glucides aux cellules du corps, principalement
rentes préparations agroalimentaires. Le degré sous forme de glucose. Les principaux glucides
de polymérisation varie et conditionne la fonc- glycémiants sont le glucose et le fructose (oses),
tionnalité. Les FOS sont utilisés comme agents le saccharose et le lactose (diosides), les malto-
sucrants. Les polymères comprenant plus de dix dextrines et l'amidon (polyoside). Enfin, les
unités de fructose n'ont pas de pouvoir sucrant glucides (sous-entendu, les glucides digestibles)
mais sont utilisés pour améliorer la texture des sont fréquemment classés en « glucides rapides »
aliments ou remplacer des matières grasses. Les et « glucides lents ». Ces termes sont très ambi-
XOS (xylo-oligosides), et une grande partie gus et contribuent à la confusion sur le sujet,
des maltodextrines (obtenues par hydrolyse de car les premiers sont généralement associés aux
l'amidon), font aussi partie des oligosides. sucres, tandis que les derniers le sont à l'amidon
Parmi les polyosides (DP ≥ 10), on trouve (et donc aux féculents). Les féculents sont des
l'amidon, le glycogène, la cellulose, les pectines aliments d'origine végétale, constitués dans une
et autres polymères glucidiques des fibres ali- forte proportion d'amidon ou plus généralement
mentaires. La cellulose est un glucide constitué de glucides complexes. Il peut s'agir de parties
d'une chaîne linéaire de molécules de D-glucose de plantes non transformées (graines, fruits,
(entre 15 et 15 000). C'est le principal consti- tubercules, racines, tiges) ou de produits déri-
tuant de la paroi des cellules végétales, y com- vés de l'industrie agroalimentaire (farine, fécule,
pris du bois. La cellulose constitue la matière pâtes alimentaires). Les glucides que les féculents
organique la plus abondante sur la Terre (plus contiennent peuvent être assimilés plus ou moins
de 50 % de la biomasse). La quantité synthétisée rapidement (index glycémique élevé ou faible) :
par les végétaux est estimée à 50-100 milliards bien que possédant des glucides complexes, cer-
de tonnes par an. Les pectines sont des poly- tains féculents sont classés dans les sucres rapides.
saccharides caractérisés par un squelette d'acide Ils sont aussi liés à la notion d'index glycémique,
galacturonique et de faibles quantités de rham- et donc à leur pouvoir hyperglycémiant. Or,
nose plus ou moins ramifiés. Les pectines sont l'amidon des féculents peut être rapidement
un des constituants de la paroi végétale (fruits, absorbé et être très hyperglycémiant (baguette

▲ Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 165

de pain, pomme de terre bouillie, semoule) et l'alimentation, on retrouve le fructose (fruits,


beaucoup plus que du saccharose (commu- miel, sirops de glucose-fructose), le lactose (lait et
nément appelé « sucre »), même si celui-ci est produits laitiers non fermentés), les polyols édul-
rapidement absorbé. Les glucides peuvent être corants (sorbitol, mannitol, xylitol, maltitol), les
aussi classés en fonction de leur pouvoir sucrant. fructanes (inuline, fructo-oligosides présents dans
Difficile avec tout ça d'éviter les confusions, les topinambours, l'ail, l'oignon, l'artichaut, ou le
interprétations erronées, utilisations pas toujours blé et le seigle), les GOS (galacto-oligosides) (pré-
sans arrière-pensée que les différences de vocabu- sents dans les haricots, pois chiche, lentilles, soja).
laire ne manquent pas de produire ! Les FODMAP déclenchent des troubles gastro-
Quelques appellations sont donc à proscrire. Le intestinaux chez les sujets qui ont une forte sen-
terme « sucres » au pluriel n'est pas synonyme sibilité viscérale, et semblent jouer un rôle dans le
de « glucides », les sucres étant les seuls glucides syndrome de l'intestin irritable. Un régime pauvre
de DP 1 et 2. L'utilisation des termes « sucres en FODMAP entraîne en effet la disparition des
rapides » pour qualifier les sucres (DP < 2) et symptômes. Les FODMAP sont osmotiquement
« sucres lents » pour désigner l'amidon ou les actifs, c'est-à-dire qu'ils peuvent entraîner un
féculents, sources d'amidon, doit être prohibée. afflux d'eau à l'intérieur de l'intestin et conduire
L'OMS (Organisation mondiale de la santé) et à des symptômes diarrhéiques. Quand ils sont
la FAO (Organisation des Nations unies pour consommés en excès, ils peuvent ne pas être digé-
l'alimentation et l'agriculture) recommandent rés ou absorbés et parviennent au côlon où ils sont
que les termes de glucides complexes (DP ≥ 3) fermentés rapidement par le microbiote, pouvant
et de glucides simples (DP < 2) ne soient plus conduire à des flatulences, et donc à un inconfort
utilisés. digestif, voire à des douleurs abdominales liées
Quelques dénominations et définitions sont par à la distension de la paroi colique. Les fibres ali-
contre à retenir. Le terme « sucre » au singulier, mentaires sont définies par le Codex Alimentarius
désigne le saccharose. D'un point de vue régle- (Commission internationale créée par la FAO et
mentaire (décret Légifrance n° 93-1130), le l'OMS) comme des polymères glucidiques ayant
terme « glucides » englobe tous les glucides méta- au moins 10 unités monomériques, qui ne sont
bolisés (après absorption dans l'intestin grêle) par pas hydrolysés par les enzymes endogènes de l'in-
l'homme. Ce sont les « glucides » qui apparaissent testin grêle de l'homme.
sur les étiquetages alimentaires. Les polyols (ou
sucres alcools) (DP < 2), tels que le sorbitol, le Les sucres et les calories
xylitol, le mannitol et le lactilol, sont réglementai- L'absorption intestinale des glucides appor-
rement inclus dans les « glucides » et pas dans les tés par l'alimentation ne peut se faire que sous
« sucres ». Ces composés sont partiellement absor- forme d'oses. Les diosides et polyosides doivent
bés, mais sont surtout en grande partie fermentés donc être scindés en unités d'oses avant d'être
dans le côlon. Les sucres ajoutés (ou extrinsèques) absorbés. Cela se déroule dans l'intestin grêle
incluent les sucres (DP = 1 et 2), ajoutés lors de où des enzymes hydrolytiques spécifiques (lac-
la fabrication ou la préparation de l'aliment (sac- tase, sucrase et isomaltase) sont produites par
charose, fructose, glucose), les hydrolysats de les entérocytes et sécrétées par eux dans la
l'amidon [sirop de glucose, sirop de glucose-fruc- lumière intestinale au moment de la prise ali-
tose (High Fructose Corn Syrup, HFCS, pour les mentaire. Les oses produits dans la lumière
Anglo-Saxons]), ainsi que les ingrédients utilisés intestinale (essentiellement du glucose, mais
pour leur pouvoir sucrant (jus concentré de fruits, aussi du fructose et du galactose) sont ensuite
miel, mélasse). Ils se distinguent des sucres intrin- absorbés par les entérocytes. Ils arrivent ensuite
sèques qui sont les sucres (fructose, saccharose, au foie par voie sanguine (veine porte). Lors de
glucose, lactose) naturellement présents dans les la digestion, la plupart des glucides ingérés sont
aliments traditionnels (fruits entiers, lait et pro- transformés en glucose. Que les glucides ali-
duits laitiers nature). Les FODMAP (Fermentable mentaires soient de source naturelle ou ajoutés,
Oligosaccharides Disaccharides Monosaccharides ils sont donc convertis en glucose pour fournir
and Polyols) sont des glucides fermentescibles à de l'énergie aux cellules du corps (ils ont donc
chaîne courte. Dans les FODMAP présents dans tous un impact sur la glycémie).

166 Physiopathologie du diabète

Un certain nombre d'organes ou de cellules fortement, de façon insulinodépendante. Quand


n'utilisent que le glucose comme source d'éner- les muscles exercent un travail, ils augmentent
gie. Parce que certaines cellules ont peu ou pas aussi leur capture de glucose (mais cette fois-
de mitochondries, l'énergie y est fournie uni- ci de manière insulino-indépendante). Le tissu
quement par le métabolisme glycolytique du adipeux blanc capte du glucose de façon insu-
glucose. C'est le cas des hématies, des leuco- linodépendante, et cela permet essentiellement
cytes, des cellules de la muqueuse intestinale, de mettre en réserve des triglycérides lors de la
de la médulla rénale, de la peau, et de la rétine. ré-estérification des acides gras en triglycérides.
Le cerveau, quant à lui, bien que possédant des
capacités oxydatives importantes (les cellules Les sucres et le sucré
nerveuses sont riches en mitochondries), utilise L'importance du goût sucré vient de ce que
aussi (presque exclusivement) le glucose comme le goût sucré est normalement associé dans la
source d'énergie. Le cerveau adulte humain nature à la présence d'énergie. Il en découle
pèse environ 1,5 kg ; son activité mobilise 20 % que les humains (et les autres animaux) ont tout
de la dépense énergétique journalière du corps pour être fortement attirés par les aliments et les
entier et il utilise 120 g de glucose par jour. boissons sucrées [32, 33]. Ces propriétés hédo-
La barrière sang-cerveau empêche le cerveau niques du sucré font que les aliments sucrés ont
d'utiliser les lipides comme substrat énergétique un fort potentiel de récompense renforçant leur
de telle sorte que le cerveau est dépendant de propre consommation et les comportements de
l'apport en glucose pour son fonctionnement consommation. La stimulation des récepteurs
quotidien (sauf en cas de jeûne prolongé où au goût sucré au niveau de la muqueuse buc-
les corps cétoniques peuvent être utilisés). La cale s'accompagne d'une stimulation des voies
quasi-totalité du glucose capté par le cerveau dopaminergiques dites de la récompense et
est oxydée, ce qui explique que le cerveau est situées dans le tronc cérébral. Cela confère un
un grand consommateur d'oxygène. Les tissus pouvoir hédonique élevé aux aliments conte-
dépendant du glucose comme source d'énergie nant du fructose ou du saccharose, favorisant
fonctionnent de façon continue et ils doivent ainsi leur ingestion en quantité exagérée.
donc disposer d'un apport sécurisé de glucose. C'est l'appareil gustatif qui décrypte les saveurs
La régulation de l'utilisation de glucose dans ces fondamentales : le sucré, le salé, l'amer, l'acide
tissus doit donc être indépendante des rythmes et l'umami (qui correspond au glutamate de
nutritionnels. L'autre caractère commun à ces sodium, condiment utilisé dans la cuisine asia-
tissus est leur indépendance à l'insuline pour ce tique). Les bourgeons du goût ou papilles sont
qui concerne l'utilisation du glucose (on parle les unités fonctionnelles situées majoritaire-
de tissus non insulinodépendants). Un certain ment au niveau de la langue. Chaque bourgeon
nombre d'autres tissus sont impliqués, soit dans est constitué d'une petite centaine de cellules
la fourniture de glucose en période de carence sensorielles sensibles à divers types de stimuli
glucidique (foie), soit dans le stockage du glu- sapides. Le récepteur au goût sucré exprimé à
cose sous forme de glycogène (foie et muscles) la surface des cellules est composé de deux pro-
et sous forme de lipides (tissu adipeux) en téines couplées, capables de reconnaître deux
période de pléthore glucidique. L'utilisation squelettes chimiques. La liaison des molécules
ou la production de glucose dans ces tissus est édulcorantes (saccharose, fructose, polyols, mais
modulée par l'insuline. Ils sont donc réputés aussi les édulcorants chimiques ou naturels) à
insulinodépendants. Lors du repas, la capture ces récepteurs déclenche une cascade de mes-
hépatique du glucose fourni par la digestion des sages intracellulaires aboutissant à l'émission
glucides alimentaires augmente. Cela permet au d'un signal électrique par la cellule sensorielle.
foie de reconstituer ses réserves de glycogène Ces récepteurs ne fonctionnent qu'en milieu
(de façon insulinodépendante). Une fraction du liquide, et ne sont activés que par des substances
glucose capté peut aussi être convertie en acides dissoutes dans la salive. Des cellules gustatives
gras (lipogenèse hépatique). La consommation partent des afférences nerveuses aboutissant
de glucose par les muscles squelettiques au repos dans le tronc cérébral avant de gagner les aires
est faible. En période prandiale, elle augmente corticales après un relais dans l'hypothalamus.

▲ Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 167

Tous les messages gustatifs sont traités au depuis plusieurs millénaires, mais on se conten-
niveau central, en intégrant d'autres messages tait de la mâcher pour consommer le suc de ce
provenant d'autres appareils sensoriels tels que « roseau donnant du miel sans le concours des
l'épithélium olfactif (l'olfaction joue un rôle abeilles », dixit Néarque, amiral d'Alexandre le
majeur dans l'analyse d'une saveur), le tube Grand (325 avant J.-C.). Selon Pline, Néron
digestif et le système limbique. Les signaux aurait goûté sans conviction le « sel indien sem-
sont alors perçus dans toute leur complexité blable au sel ordinaire à la saveur de miel ».
sous forme de ce que l'on appelle la flaveur. Le Claude Galien, le médecin de l'empereur Marc
terme flaveur (dérivé de l'anglais flavour, lui- Aurèle, classa le sucre de canne parmi les pro-
même issu de l'ancien français flaour et du latin duits chauds et secs et en fit un médicament. Ce
flare) désigne l'ensemble des sensations olfac- statut allait perdurer jusqu'à la fin du Moyen
tives, gustatives et tactiles ressenties lors de la Âge. Découvert par les Croisés au xiie siècle et
dégustation d'un produit alimentaire. Précisons commercialisé par les Vénitiens, le sucre de canne
que le système limbique (appelé parfois cerveau et son goût ont eu du mal à percer en Occident.
limbique ou cerveau émotionnel) est un groupe Délaissé pendant tout le Moyen Âge au profit du
de structures jouant un rôle très important dans goût acide, il n'éveille l'intérêt des classes aisées
la manifestation de diverses émotions comme qu'au xviiie siècle, avec le développement de la
l'agressivité, la douleur morale, la peur, le plai- culture de la canne dans les Caraïbes grâce à la
sir, ainsi que dans la formation de la mémoire. main d'œuvre importée par les négriers. Sa véri-
Ces structures sont : l'hippocampe impliqué table expansion et sa démocratisation datent du
dans la formation de la mémoire à long terme, xixe siècle, à la suite de l'accroissement de la pro-
l'amygdale impliquée dans l'agressivité et la duction de sucre à partir de la betterave sucrière.
peur, la circonvolution (ou gyrus) cingulaire, le En 1811, Benjamin Delessert parvint à produire
fornix et l'hypothalamus. Trois de ces structures du sucre de betterave à l'échelle industrielle, et
(amygdale, hippocampe, cortex insulaire) parti- fut fait baron d'empire par Napoléon Ier en per-
cipent aussi activement au circuit du plaisir. sonne. Le succès du sucre de betterave ne man-
La population française a un seuil de perception qua pas de déranger les planteurs qui firent tout
du goût sucré assez bas, ce qui fait que les bois- leur possible pour s'y opposer, mais le triomphe
sons sucrées commercialisées à leur intention des betteraviers sur le lobby sucrier colonial fut
ont une teneur en sucre parmi les plus faibles assurément une des causes de l'abolition de l'es-
en Europe. Le goût sucré est présumé inné. clavage. La folie du sucre se répand dans toutes
Il est perçu très tôt, puisque le fœtus possède les couches de la société. La consommation de
ce type de bourgeons gustatifs. Le goût sucré sucre, qui était de 2 kg/habitant/an au début
est accepté avec satisfaction dès la naissance, à du xixe siècle, va être multipliée par 10 ! Il n'y a
en juger par le réflexe gusto-facial, alors que guère que les guerres et leur cortège de pénuries
l'acidité et l'amertume sont rejetées. Le réflexe pour stopper, transitoirement, l'engouement
gusto-facial est une mimique instinctive chez pour le sucre qui menace aujourd'hui l'équi-
le bébé, conséquence de la sensation gustative. libre alimentaire. La consommation de sucre
La mimique est différente selon la saveur de et son évolution dans le temps restent difficiles
l'aliment présenté à l'enfant (amer ou sucré par à cerner avec précision, qu'il s'agisse d'esti-
exemple) mais identique pour une même sti- mation à partir de la production commerciale,
mulation entre les individus. Ces mimiques ont des achats ou des enquêtes alimentaires. Dans
également été observées chez les animaux, et ce l'ensemble, la consommation de sucre semble
dès la naissance. stable depuis une dizaine d'années ; elle est esti-
L'histoire montre que le goût sucré était appré- mée autour de 30 kg/personne/an. En France,
cié dans le monde antique gréco-romain, mais un adulte consomme actuellement en moyenne
seulement à travers la consommation du miel 100 g/jour de sucre sous forme de saccharose.
ou des fruits secs. En fait, la canne à sucre sau- Les Français sont proches des recommandations
vage était déjà connue dans le nord-est de l'Inde (ANSES) d'apports en sucre.
168 Physiopathologie du diabète

L'autorisation récente de l'extrait de stevia ouvre biote intestinal a rapidement évolué ces der-
de nouvelles perspectives peut-être plus sereines car nières années grâce au séquençage du génome
la sécurité de cet édulcorant n'est pas contestée. bactérien. Les analyses métagénomiques (de
Bref, l'utilisation des édulcorants intenses par l'ensemble des génomes microbiens intestinaux)
la population générale en dehors de toute patho- ont permis de revisiter le rôle clé que jouent les
logie, encouragée de fait par la saccharophobie micro-organismes qui colonisent le tractus gastro-
ambiante, n'est probablement pas souhaitable, intestinal sur le métabolisme énergétique de l'hôte
en dépit des avis rassurants des autorités de santé. qui les abrite, et d'évaluer comment le micro-
Elle pourrait même se révéler contre-productive biote évolue avec l'âge, les conditions de vie, et
puisque l'incertitude demeure quant à leur neu- les caractéristiques physiopathologiques. Chaque
tralité physiologique. Par contre, leur utilisation individu se caractérise par un microbiote distinct.
dans un contexte de diabète et/ou d'obésité Cependant, un ensemble de bactéries communes
n'est pas sans bénéfice, dans la mesure où ils faci- à tous les individus (le « noyau dur » du micro-
litent l'adhésion à un régime imposant la restric- biote) serait requis pour la gestion optimale de
tion des sucres ajoutés. Chez les diabétiques, la la symbiose métabolique et fonctionnelle entre
consommation de produits allégés en sucre et de cellules eucaryotes (les nôtres) et procaryotes (les
boissons édulcorées est intéressante car elle per- bactéries) dans cet écosystème particulier qu'est le
met d'améliorer la palatabilité des repas tout en tube digestif. On distingue ainsi 4 grandes familles
évitant la consommation d'aliments ou de bois- bactériennes distinctes (on les appelle des phyla)
sons à fort pouvoir hyperglycémiant. Quant au présentes dans le microbiote fécal (Bacteroidetes,
risque oncologique, longtemps placé au premier Firmicutes, Actinobacteria, Proteobacteria).
rang des critiques, il paraît négligeable dans le Celles-ci seraient indépendantes des caractéris-
cadre d'une utilisation raisonnée. Il reste que la tiques ethniques, géographiques ou génétiques.
modération, comme toujours en nutrition, est de Dans la famille des Bacteroidetes, Bacteroides
mise ! est associée à la consommation de protéines et
matières grasses, alors que Prevotella serait davan-
tage liée à la consommation d'une alimentation
riche en glucides complexes et en fibres.
Présomption Des modèles expérimentaux de rongeurs axé-
niques (nés et élevés en condition stérile stricte,
de culpabilité pour et exempts de tout micro-organisme colonisateur)
le microbiote intestinal et de rongeurs spécifiquement colonisés avec cer-
taines bactéries ont permis d'entrevoir le rôle que
joue le microbiote intestinal sur le métabolisme
La flore intestinale depuis qu'elle a été rebaptisée énergétique. En effet, il apparaît que la présence
microbiote intestinal au début des années 2000 du microbiote chez les souris colonisées, notam-
est devenue une star du domaine biomédical. ment celle des bactéries caractérisées par une
En 2018, plus de 4 000 publications scientifiques activité saccharolytique importante (dégradent
ont été consacrées à l'étude du microbiote intes- les glucides), peut favoriser le développement de
tinal ! Le microbiote intestinal est constitué de la masse grasse et, par là, induire des désordres
100 000 milliards (1013) de bactéries, avec au métaboliques associés au surpoids et à l'obésité.
moins 1 000 espèces caractérisées à ce jour. Le De manière étonnante, la colonisation de souris
génome collectif de l'ensemble de ces bacté- axéniques par le microbiote de souris présentant
ries est appelé microbiome (9 fois plus gros que une obésité d'origine génétique (par exemple, de
notre génome !). L'analyse de la composition et souris ob/ob présentant une obésité génétique),
des fonctions biologiques associées au micro- ou nutritionnelle (administration chronique préa-
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 169

lable d'un régime hyperlipidique), transfère vérita- rôle régulateur du métabolisme de l'hôte a été
blement le phénotype du donneur au receveur (ce obtenue en 2012. L'expérience clinique (que
dernier devient obèse). l'on peut qualifier d'héroïque pour les partici-
Tout cela est-il transposable à l'homme ? Depuis pants…) a consisté à instiller dans le duodénum
une dizaine d'années, on assiste à une proliféra- de sujets obèses le microbiote fécal de sujets sains
tion de travaux cliniques qui relatent la compo- minces. Ce transfert allogénique de microbiote
sition du microbiote intestinal chez des patients sain à des sujets obèses a induit une amélioration
sains et chez des patients obèses et/ou diabé- de la sensibilité hépatique et périphérique à l'insu-
tiques soumis à une prise en charge diététique line qui a persisté au moins six semaines après le
(régime hypocalorique) ou chirurgicale (voir transfert.
Chapitre 7) [34–38]. L'analyse des changements Pour revenir à l'expérimentation animale qui
bactériens associés à la perte de poids chez les seule permet de démonter les mécanismes, les
patients montre que certains types bactériens sont données actuellement disponibles montrent que
corrélés (positivement ou négativement) à l'excès le transfert chez un hôte sain, d'un microbiote
de masse grasse. Par exemple, une étude menée d'obèse, favorise l'adiposité (donc le stockage
chez des patients obèses soumis à un bypass énergétique), l'inflammation et l'insulinorésis-
gastrique (voir Chapitre 7) a révélé que le ratio tance. Par quels mécanismes moléculaires ?
Bacteroides/Prevotella était plus faible chez les Le microbiote intestinal interagit avec la fonc-
patients obèses que chez les individus normo-pon- tion barrière de l'intestin. La présence de cent
dérés et corrélait négativement avec la corpulence, mille milliards de bactéries dans le tractus gas-
mais augmentait et restait stable trois mois après tro-intestinal serait dramatique sans une gestion
la chirurgie. Il reste à démontrer, dans des études adéquate des processus impliqués dans la fonction
à large échelle, si les changements de microbiote barrière de la paroi intestinale. Les protéines de
sont dus aux modifications anatomiques du trac- jonctions, la présence de cellules sécrétrices de
tus digestif suite à la chirurgie, aux conséquences mucus, la régulation fine du transport transcel-
physiologiques (modification du métabolisme lulaire, sont autant d'éléments qui permettent
des acides biliaires, du pH, des hormones gastro- d'éviter une translocation bactérienne incontrô-
intestinales…) ou à l'impact de l'opération sur le lée. Les jonctions serrées ou étanches ou imper-
comportement alimentaire (modulation qualita- méables ou occlusives (dites zonula occludens ou
tive et quantitative de l'apport en nutriments). tight junction en anglais) sont caractéristiques des
Certaines études suggèrent aussi que les caracté- tissus épithéliaux et de l'épithélium intestinal en
ristiques de l'écosystème bactérien durant la petite particulier. Elles bloquent la circulation de fluides
enfance peuvent exercer une influence sur l'inci- entre les cellules (voie paracellulaire) et assurent
dence de l'obésité bien plus tard au cours de la ainsi l'étanchéité entre deux compartiments tis-
vie. Par exemple, le taux de bifidobactéries chez le sulaires. Les éléments principaux contribuant à la
bébé est inversement corrélé avec l'apparition du formation de cette jonction sont deux protéines,
surpoids à l'adolescence, la diminution des bifido- la claudine (du latin : claudere, fermer) et l'occlu-
bactéries étant par ailleurs associée à l'obésité et au dine. Sans ces barrières paracellulaires, il ne serait
diabète dans certaines études. Les bifidobactéries pas possible de maintenir les propriétés du milieu
appartiennent à la famille des bactéries lactiques. au sein de compartiments donnés, comme la
Elles participent à la fermentation du lait dans le grande acidité (pH de 1 à 2) de la lumière de l'es-
cadre de la fabrication de fromages et de yaourts. tomac. Des études expérimentales, corroborées
De plus, elles produisent de grandes quantités par un nombre limité d'études exploratoires chez
d'acide lactique, ce qui entraîne une baisse du pH l'homme, suggèrent que la fonction barrière de
qui leur est favorable et qui inhiberait la croissance l'intestin serait compromise en cas d'obésité et de
d'autres germes. stéatose hépatique. Des éléments d'origine micro-
La première preuve de concept convaincante bienne pourraient alors pénétrer dans la circulation
que le microbiote humain, lui-même, joue un sanguine, et participer à l'inflammation modérée
170 Physiopathologie du diabète

associée à l'obésité. Par exemple, l'augmentation Par ailleurs, l'activité métabolique du micro-
modérée des concentrations plasmatiques de LPS biote intestinal module profondément le contenu
(lipopolysaccharides) chez les individus obèses est de l'intestin en métabolites issus des glucides
due à la translocation de LPS principaux compo- complexes, des lipides et des protéines d'origine
sants de la membrane des bactéries Gram néga- alimentaire. Ainsi, la fermentation bactérienne
tives. On parle d'endotoxémie métabolique. Les dans le côlon des glucides non digestibles (fibres)
endotoxines (du grec éndon, « à l'intérieur », et qui échappent à la digestion dans la partie haute
toxicon, « poison ») sont des toxines situées dans de l'intestin (duodénum) permet la libération
la membrane externe de certaines bactéries Gram d'acides gras à chaîne courte (AGCC, ou SCFA
négatif, de nature LPS (lipopolysaccharidique) et pour Short Chain Fatty Acid) tels que le butyrate,
thermostables. Elles sont libérées lors de la lyse le propionate et l'acétate. Cela contribue à res-
de ces bactéries, et peuvent occasionner lors d'une tituer à l'hôte une part de l'énergie ingérée (qui
infection une réponse inflammatoire générale sans cela serait perdue dans les fèces). Le buty-
démesurée, ou un syndrome de réponse inflam- rate est utilisé comme substrat énergétique par les
matoire systémique, pouvant entraîner la mort. Si colonocytes (les cellules épithéliales de la paroi du
les endotoxines parviennent à atteindre la circu- côlon), le propionate et l'acétate, par les hépato-
lation sanguine, elles peuvent entraîner un choc cytes. D'autre part, ces AGCC issus de la fermen-
septique. La pullulation de certaines bactéries tation jouent également un rôle dans la régulation
du microbiote et l'augmentation de la perméa- métabolique, en interagissant avec des facteurs qui
bilité de l'intestin contribuent aussi à accroître la contrôlent l'expression de gènes (par exemple, les
concentration d'endotoxines (LPS) dans la circu- histones déacétylases), ou en se liant à des récep-
lation de la veine porte. Normalement phagocytée teurs spécifiques. Les AGCC sont considérés à ce
par les cellules de Kupffer, la charge en LPS peut jour comme les ligands physiologiques des récep-
dépasser leur capacité phagocytaire et engendrer teurs GPR41 et GPR43. GPR41 et GPR43 sont
une endotoxémie modérée en gagnant la circula- des récepteurs de type GPCR et sont exprimés par
tion systémique. Ce type d'endotoxémie est favo- des cellules entéro-endocrines. Leur activation sti-
risé par un régime alimentaire riche en graisses mule la sécrétion d'hormones intestinales comme
ainsi que par la consommation d'alcool. le GLP1. Ils ont pour ligands les acides gras à
D'autres constituants bactériens retrouvés chaîne courte (acides propionique, acétique et
dans le sang pourraient également être prédictifs butyrique) produits en majorité dans le côlon par
de pathologies associées à l'obésité. Par exemple, fermentation bactérienne des fibres alimentaires.
l'ADN ribosomiquel 16S caractéristique molé- À côté des AGCC, la fermentation microbio-
culaire des bactéries a été proposé comme un tique de certains acides aminés (phénylalanine,
marqueur plasmatique et il corrèle bien à l'adi- tyrosine, tryptophane, histidine) fournis par les
posité viscérale. Pour information, l'ARNr 16S protéines alimentaires produit des composés de
est l'ARN ribosomique constituant la petite type indoles, phénols ou imidazoles, dont certains
sous-unité des ribosomes des procaryotes (donc ont des effets délétères pour l'hôte lorsqu'ils sont
des bactéries). Les gènes codant cet ARN sont produits en grande quantité. La structure indole
appelés ADNr 16S et leur séquence est très formée d'un cycle benzénique et d'un cycle pyr-
utilisée en phylogénie (l'étude des relations de role accolés est présente dans de nombreux com-
parenté entre êtres vivants) pour reconstruire posés organiques, comme le tryptophane. La
l'histoire évolutive des familles de bactéries. Les structure phénol est présente dans de nombreux
peptidoglycanes, constituants de la paroi des composés organiques, comme la tyrosine. Les
bactéries Gram positives, pourraient également dérivés portant plusieurs fonctions hydroxyles
être impliqués dans l'inflammation associée à sont appelés polyphénols (flavonoïdes, tanins). La
l'obésité. structure imidazole, structure organique aroma-
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 171

tique hétérocyclique à trois atomes de carbone et l'ensemble des écosystèmes et des êtres humains
deux atomes d'azote, est présente dans de nom- s'est trouvé exposé à d'innombrables substances
breux composés organiques comme l'histidine et chimiques dont certaines ont la capacité d'interfé-
la vitamine B12. rer avec le fonctionnement du système endocrine.
Une étude récente [39] portant sur le PI (pro- Pour cette raison, on les regroupe sous l'appella-
pionate d'imidazole) est particulièrement instruc- tion de PEE (perturbateurs endocriniens environ-
tive dans ce contexte, car elle illustre comment, nementaux). Défini officiellement en 1991 lors
en partant d'une simple association entre la pré- de la conférence de Wingspread (États-Unis), le
sence de PI dans le sang et la survenue du dia- terme de PEE (en anglais, EDC, pour Endocrine-
bète de type 2, des chercheurs ont découvert un Disrupting Chemicals) décrit toute substance
mécanisme qui explique comment la production chimique d'origine naturelle ou artificielle, étran-
de PI par le microbiote à partir de l'histidine des gère à l'organisme, capable d'interférer avec le
protéines provoque l'installation d'une insulino- fonctionnement du système endocrinien et d'in-
résistance et une intolérance au glucose. Tous les duire des effets délétères sur l'individu et/ou sa
éléments de la démonstration sont là : descendance, qu'il s'agisse de pathologies du déve-
• Streptococcus mutans et Eggerthella lenta, pro- loppement, de la reproduction, de cancers hormo-
ducteurs de PI, sont plus abondants dans le nodépendants, ou du métabolisme énergétique.
microbiote des patients diabétiques ; Plus de 90 000 composés chimiques produits
• le microbiote des patients diabétiques produit par les activités humaines sont couramment uti-
du PI, à la différence du microbiote normal ; lisés, principalement dans l'industrie chimique ou
• PI est présent à concentration élevée dans le phytosanitaire. Parmi eux, les composés reconnus
sang portal et dans la circulation générale chez comme PEE constituent un groupe très hétéro-
les diabétiques de type 2 ; gène : on y retrouve des solvants industriels (PCB
• PI bloque l'action cellulaire de l'insuline dans [polychlorobiphényles], dioxines), des plastiques
le foie, en inactivant plusieurs signaux intermé- (2,2'-bis-4-hydroxyphenyl-propane, ou BPA
diaires de la signalisation insulinique ; [bisphénol-A]), des plastifiants (phtalates), des
• l'administration de PI à des souris normales pesticides (méthoxychlore, chlorpyrifos, DDT
entraîne une intolérance au glucose associée à [dichlorodiphényltrichloroéthane]), des fungi-
une insulinorésistance. cides (vinclozoline), et des substances médica-
menteuses (diéthylstilbestrol [distilbène]). À ces
produits synthétiques s'ajoutent les substances
naturelles retrouvées dans l'alimentation humaine
comme contaminants accidentels des aliments
Suspicion envers (mycotoxines produites par les champignons telles
que la zéaralénone), ou comme additifs de l'ali-
les perturbateurs mentation animale (phytoestrogènes comme le
endocriniens et les coumestrol, isoflavonoïdes tels que la génistéine,
et lignanes contenus dans le soja, la luzerne, le
polluants atmosphériques lin). Ces produits sont largement répandus dans
notre environnement quotidien, dans l'air, dans
l'eau, dans les objets usuels, ainsi que dans la
Une flopée de suspects chaîne alimentaire en tant que contenants, cos-
présents dans l'alimentation métiques, surfactants, conservateurs, y compris
dans l'alimentation pour les nouveau-nés et les
Depuis la fin du xixe siècle, la révolution industrielle enfants (voir Zoom 5.4). Les sources d'exposi-
s'est accompagnée d'un développement sans précé- tion sont diverses, et peuvent varier autant dans
dent de l'industrie chimique. Au fil des décennies, le temps que dans l'espace. Habituellement, les
172 Physiopathologie du diabète

PEE sont dispersés dans l'air ou dans le sol où cription initiale des PEE impliquait un mode d'ac-
ils contaminent les nappes d'eau souterraines : tion utilisant les récepteurs hormonaux nucléaires
les mélanges rejoignent ainsi la chaîne alimen- aux stéroïdes (estrogènes, progestérone, andro-
taire via l'eau de boisson. En général, ils ont une gènes, hormones thyroïdiennes, acide rétinoïque),
mauvaise solubilité dans l'eau, mais forte dans il est reconnu actuellement que les modes d'ac-
les graisses, conduisant ainsi à leur accumulation tion sont beaucoup plus complexes et peuvent
dans le tissu adipeux. En fait, ces produits sont faire intervenir des récepteurs membranaires, des
théoriquement métabolisés par le foie, d'abord récepteurs orphelins (comme AhR, le récepteur
oxydés par des enzymes de détoxification (les de la dioxine [pour Aryl Hydrocarbon Receptor])
cytochromes P450), puis transformés en compo- et différentes voies enzymatiques du métabo-
sés glucurono- ou sulfoconjugués, qui eux seront lisme glucidique et lipidique. Pour information,
éliminés par les reins (urine) ou le tube digestif la superfamille des récepteurs nucléaires com-
(fèces). Pour information, les cytochromes P450 porte une cinquantaine de membres dans l'espèce
sont des hémoprotéines (protéines ayant une humaine. Leur principale action est le contrôle
molécule d'hème comme cofacteur) qui inter- de l'expression des gènes cibles (régulation de la
viennent dans les réactions d'oxydoréduction de transcription). Certains récepteurs nucléaires sont
substrats naturels du métabolisme endogène ou des facteurs de transcription dont les ligands sont
de xénobiotiques (polluants, toxines, médica- des hormones (stéroïdiennes, thyroïdiennes) ou
ments). Les cytochromes P450 des vertébrés sont des substances diffusibles à travers les membranes
principalement exprimés dans le foie. Les com- cellulaires (vitamine D, acide rétinoïque, acides
posés qu'ils oxydent deviennent plus polaires et gras). Les récepteurs orphelins sont des protéines
peuvent être excrétés dans les urines. Cependant, de la superfamille des récepteurs nucléaires, pour
compte tenu des capacités limitées de détoxifi- lesquels les ligands physiologiques n'ont pas été
cation hépatique et d'une longue demi-vie, les à ce jour identifiés, ou qui ne possèdent pas de
composés glucurono- ou sulfoconjugués peuvent ligands naturels, ou encore dont la fonction n'a
être bioaccumulés pour des années dans le tissu pas été élucidée.
adipeux (c'est le cas pour les pesticides organo-
chlorés, les dioxines, très lipophiles). À l'inverse,
d'autres PEE (comme le BPA) vont être métabo- Les PEE sont-ils
lisés très rapidement, mais compte tenu de leur tous toxiques ?
présence quasi ubiquitaire dans l'environnement,
leur exposition devient permanente et prolongée, En toxicologie classique, la toxicité d'une molé-
et donc potentiellement dangereuse pour des cule chimique (hors molécules cancérigènes pour
populations plus fragiles, ou à des périodes clés lesquelles il n'existe pas de dose sans effet) repose
du développement (femmes enceintes, enfants en sur la notion de seuil toxicologique et sur la
bas âge). Il a été ainsi prouvé que l'ensemble de la linéarité des effets toxiques engendrés (« c'est la
population présente des taux faibles, mais détec- dose qui fait le poison ! », Paracelse, xvie siècle),
tables, de BPA, autant au niveau urinaire que san- ainsi que sur l'immédiateté des effets générés en
guin, et ce, dès la naissance. réponse à l'exposition, molécule par molécule.
Les cibles des PEE sont multiples. Si les premiers Les toxicologues ont donc calculé pour chaque
effets décrits des PEE concernaient essentielle- molécule chimique, étudiée en expérimentation
ment les gonades, la thyroïde et les surrénales, on animale, des valeurs toxicologiques de réfé-
sait actuellement que les PEE peuvent interférer rence, comme la DJA (dose journalière accep-
avec tous les tissus endocrines de l'organisme, en table), sur lesquelles repose la réglementation
particulier le pancréas endocrine, mais aussi avec en vigueur. De ce point de vue, le mécanisme
des tissus non endocrines (système nerveux cen- d'action des PEE est paradoxal et déroutant :
tral, tissu lymphoïde, système cardiovasculaire, de multiples observations ont rapporté que les
tube digestif, tissu adipeux). Par ailleurs, si la des- PEE étaient capables d'induire des anomalies à
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 173

de très faibles doses, alors que paradoxalement ils Les PEE, facteurs
peuvent n'avoir qu'un effet faible ou nul à forte de risque de diabète
dose. Certains PEE peuvent également avoir une
activité selon une courbe en U pour des concen-
de type 2 ? Quels arguments
trations situées aux deux extrêmes (courbes dites épidémiologiques ?
non monotoniques).
Un autre point important à considérer est L'épidémie d'obésité et de diabète s'est développée
celui de l'âge à l'exposition. En effet, l'expo- quasi parallèlement à l'augmentation exponentielle
sition d'un adulte à un PEE peut avoir des de la production et l'utilisation de composants
conséquences très différentes de celles obser- chimiques, ce qui suggère qu'une exposition
vées chez le fœtus ou chez l'enfant. L'exemple chronique à certains composés chimiques pour-
le plus démonstratif a été apporté par la thali- rait contribuer à l'augmentation d'incidence de
domide, utilisée comme sédatif et antinauséeux l'obésité et du diabète. Cette notion a d'ailleurs
chez les femmes enceintes entre 1957 et 1961, été validée par le NIEHS (National Institute of
et qui détermine une phocomélie en cas d'admi- Environmental Health Sciences) aux État-Unis et
nistration entre le 20e et le 36e jour suivant la par l'Union européenne. Mais corrélation n'est
fécondation, même à de très faibles doses. La pas causalité !
phocomélie est une anomalie du développe- Les arguments les plus solides quant à un rôle
ment fœtal aboutissant à l'arrêt de développe- causal des PEE sur la survenue d'un diabète de
ment d'un ou de plusieurs membres aboutissant type 2 sont fournis par l'analyse d'expositions
en quelque sorte à l'implantation directe des aiguës accidentelles à des fortes doses de polluants
mains et des pieds sur le tronc. Cela a conduit persistants [40-42]. Ce fut le cas de la dioxine
à la notion de fenêtre de vulnérabilité, retrou- après l'accident industriel de Seveso, en Italie, et
vée pour de multiples composés fœto-toxiques, parmi les vétérans de la guerre du Viêtnam ­exposés
notamment le DES (diéthylstilbestrol, ou dis- à l'agent orange. La catastrophe de Seveso est une
tilbène), puissant estrogène de synthèse qui a catastrophe écologique et sanitaire qui s'est pro-
été utilisé jusqu'en 1975 pour la prévention des duite en 1976, dans le nord de l'Italie. Un nuage
fausses couches, responsable de malformations d'herbicide, contenant de la soude caustique et
du tractus génital féminin, et d'infertilité et de de la dioxine, s'échappe d'une usine chimique.
cancers hormonodépendants chez les descen- À l'époque, la connaissance de la toxicité de la
dants, avec un effet transgénérationnel marqué. dioxine est limitée par l'absence quasi complète de
Plus récemment, il a été montré que l'exposition données scientifiques. Mais la dioxine entre dans
prénatale au DES était responsable de la survenue la composition des défoliants (agent orange) utili-
d'une obésité chez la souris, avec un phénotype sés au Viêtnam par l'armée américaine pendant la
similaire à celui observé chez les enfants subis- guerre de 1961 à 1971. La question de dangers
sant un retard de croissance intra-utérin marqué éventuels pour la santé est rapidement posée. Les
et qui présentent ensuite une obésité infantile. pouvoirs publics européens se réfèrent à cet évé-
Ce schéma physiopathologique n'est pas sans nement pour créer en 1982 une série de directives
rappeler le concept de programmation fœtale afin de prévenir tout risque d'accident majeur sur
(DOHaD) (voir Chapitre 5 – L'environnement un site industriel présentant un risque potentiel.
fœtal et le risque de diabète de type 2) et pré- Des risques analogues ont été identifiés en Asie
suppose l'existence de fenêtres de vulnérabilité après consommation d'huile culinaire contaminée
aux PEE, variables selon le produit considéré par des PCB, des dioxines et des furanes (acci-
et selon l'organe cible. Il faut donc s'attendre dents de Yusho et Yucheng). En 1968, une fuite
chez l'homme à ce que le délai possible entre d'un mélange de PCB (polychlorobiphényles)
l'exposition à un ou plusieurs PEE et sa réper- utilisé comme liquide caloporteur dans le système
cussion clinique (donc son diagnostic) puisse de chauffage se produisit dans une usine de pro-
aller jusqu'à plusieurs décennies. duction d'huile de riz à Yusho au Japon. L'huile
174 Physiopathologie du diabète

contaminée fut commercialisée et utilisée par les DT2 sont d'autant plus fortes que les personnes
habitants. Elle intoxiqua près de 1 800 personnes, sont obèses, suggérant que les PEE pourraient
entraînant des troubles graves de santé. En 1979, jouer un effet synergique avec l'augmentation
un accident similaire se produisit à Yucheng, pondérale sur le déterminisme du diabète.
Taiwan. Deux mille personnes présentèrent les
mêmes symptômes que ceux observés à Yusho.
Cependant, ces observations correspondent Les PEE, facteurs de risque
à des expositions à des doses très importantes,
ponctuelles, dans des populations particulières,
de diabète de type 2 ? Quels
et ne peuvent expliquer à elles seules l'épidémie arguments expérimentaux ?
de diabète de type 2 observée dans le reste du
monde. Les arguments épidémiologiques les L'exposition chronique de rongeurs adultes à de
plus formels entre exposition aux PEE et surve- faibles doses de BPA est responsable d'une hyperin-
nue d'un diabète de type 2 proviennent du pro- sulinémie prandiale avec apparition, à terme, d'un
gramme américain NHANES (National Health état d'insulinorésistance périphérique, notamment
and Nutrition Examination Survey), débuté en au niveau du foie, du muscle squelettique et du
1960, et dont l'objectif initial était de détermi- tissu adipeux. Une exposition chronique au BPA
ner l'état de santé et le statut nutritionnel de conditionne également des changements dans
la population américaine à partir d'un échantil- la balance énergétique, en modulant la prise ali-
lon représentatif d'enfants et d'adultes. Depuis mentaire mais, surtout, en diminuant la dépense
1999, tous les deux ans, ce programme a ajouté énergétique par un effet direct au niveau du sys-
de manière systématique la recherche dans le tème nerveux central, suggérant ainsi que le BPA
sang et les urines d'un certain nombre de com- pourrait être un composant diabétogène et/
posés chimiques. Il a pu montrer que la plupart ou obésogène. Des résultats similaires ont été
des participants avaient des niveaux sanguins et/ rapportés avec d'autres PEE, parmi lesquels des
ou urinaires détectables de plusieurs PEE, en dioxines, le diéthylhexyl-phtalate, certains retar-
particulier de BPA, et que l'existence d'un dia- dateurs de flamme polybromés, et le tributylétain
bète était fortement corrélée avec une exposition utilisé comme additif antifouling dans les peintures
aux PCB, aux dioxines, au DDT, aux phtalates, marines. L'exposition prénatale à des PEE (DES
et au BPA. Plus récemment, il a été également en particulier) chez le rongeur est également
montré une corrélation positive entre exposition capable de déterminer des anomalies métaboliques
préalable au BPA et au butyl-phtalate et la surve- dans la descendance, en particulier des anomalies
nue d'un diabète de type 2 dans la cohorte NHS du métabolisme glucidique. Les résultats d'une
(Nurses' Health Study). exposition prénatale au BPA sont plus hétérogènes
Néanmoins, il faut garder en mémoire que la d'une étude à l'autre, selon la dose utilisée, la voie
majorité des études épidémiologiques se sont d'administration, et la durée d'exposition.
concentrées sur l'effet d'un seul composé chimique Au total, bien que la participation des PEE
dosé à un instant donné, et non sur l'effet du dans la physiopathologie du DT2 ne soit pas
mélange auquel nous sommes quotidiennement et formellement démontrée, il existe des présomp-
chroniquement exposés. Par ailleurs, l'association tions sérieuses sur le rôle éventuel d'un certain
entre exposition aux PEE et survenue d'un diabète nombre d'entre eux présents de façon ubiqui-
pourrait être aussi une association fortuite due à taire dans l'environnement quotidien, qui pour-
l'excès de tissu adipeux (où sont stockés la plupart raient dans des périodes critiques d'exposition,
des PEE), ou due à la consommation de produits même à faibles doses, favoriser le développement
contenant davantage de PEE (comme les canettes des maladies métaboliques [43-48], tout comme
de soda) chez des patients ayant une alimentation certains troubles de la reproduction et certains
mal équilibrée. De manière intéressante, les corré- cancers hormonodépendants (prostate, côlon,
lations entre exposition aux PEE et survenue d'un testicule). Des études épidémiologiques longitu-
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 175

dinales prospectives sont maintenant nécessaires ambiant, particulièrement les particules de dia-
pour confirmer ou infirmer une telle responsabilité mètre inférieure à 2,5 microns (particules dites
dans l'épidémie mondiale d'obésité et de diabète. PM2,5) et la prévalence du diabète de type 2
Malheureusement, face à l'absence actuelle de bio- dans diverses cohortes [49]. Pour information,
marqueurs capables d'évaluer la durée et l'intensité les matières particulaires ou PM (Particulate
de l'exposition de chaque individu, l'évaluation du Matter) sont les particules en suspension dans
rôle de cette exposition sur la santé humaine s'avère l'atmosphère. Les PM2,5 ont un diamètre infé-
très difficile à démontrer. On ne peut cependant rieur à 2,5 μm. Elles pénètrent dans les alvéoles
faire l'économie de cette évaluation qui est indis- pulmonaires, et sont génératrices d'inflammation
pensable pour les agences chargées de définir les et de stress oxydant. Un taux élevé de PM2,5 dans
normes des seuils d'exposition tolérables, et d'éta- l'air est un facteur de risque sanitaire (maladies
blir les autorisations ou interdictions de mise sur cardiovasculaires, altération des fonctions pulmo-
le marché des nouveaux produits chimiques (pro- naires, cancer du poumon), induisant une nette
gramme européen REACH, pour Registration diminution de l'espérance de vie. Selon l'OMS,
Evaluation Authorization of CHemicals). les PM2,5 tuent plus de 4 millions de personnes
par an. Une étude datant de 2017 a d'ailleurs
fait du bruit dans nombre de médias publics en
Les polluants clamant que la pollution de l'air par les PM2,5
atmosphériques. était responsable de l'apparition de 3,2 millions de
nouveaux cas de diabète en 2016, soit 14 % des
Une triplette coupable : nouveaux cas de diabète apparus dans le monde,
PM, NO2 et O3 cette année-là. Cette estimation de 14 % est issue
du suivi médical de 1,7 million d'anciens combat-
Dès 1951, une étude concluait que l'exposition tants américains, sur une période de 8,5 ans. Tous
au brouillard (le fameux smog) entraînait une au départ avaient été choisis parce qu'ils n'avaient
surmortalité chez les Londoniens. Ce fut le pre- pas de diabète. Il existe aussi une association entre
mier indice suggérant que la pollution atmosphé- exposition au dioxyde d'azote (NO2) et diabète
rique pouvait avoir des effets néfastes sur la santé chez les femmes résidant en zones urbaines, chez
humaine. Depuis, l'accélération mondiale de l'ur- les sujets ayant un mode de vie sain, non fumeurs
banisation, et en particulier dans les pays en déve- et physiquement actifs, quel que soit leur sexe.
loppement, n'a fait que renforcer cette menace, Une association entre pollution atmosphérique
en apportant toujours plus de pollution de l'air (NO2) et mortalité liée au diabète a été rapportée.
ambiant. Il est largement admis que l'exposition Pour ce qui concerne les effets de la pollution
chronique à cette dernière est associée à une aug- aérienne sur le système cardiovasculaire, on sait
mentation de la prévalence des pathologies respi- qu'ils sont médiés par l'installation d'un stress oxy-
ratoires et cardiovasculaires. On sait moins qu'elle datif systémique et d'une inflammation. Le même
contribue aussi très probablement à l'augmenta- mécanisme semble opérer pour induire ou aggra-
tion de la prévalence des diabètes de type 2. ver une insulinorésistance dans les tissus tels que
Plusieurs études épidémiologiques récentes foie et muscles. Les données expérimentales chez
montrent en effet une association positive claire les rongeurs indiquent que l'exposition chronique
entre la richesse en particules fines dans l'air aux PM2,5 fait apparaître une ­insulinorésistance

Zoom 5.4

Sur l'écran radar des toxicologues


Dioxines ayant deux atomes d'oxygène dans un cycle aro-
Elles constituent une famille de molécules orga- matique. Ces molécules sont pour certaines à la
nochlorées, hétérocycliques et aromatiques fois très persistantes et toxiques. Les dioxines

176 Physiopathologie du diabète

sont formées de manière non intentionnelle, que les framboises, la laitue, le kiwi, les haricots
et comme sous-produits de certains procédés. verts et les oignons. Il est également utilisé sur
Toute combustion ou pyrolyse en présence de le gazon des terrains de golf. C'est un perturba-
chlore peut générer des dioxines dans l'envi- teur endocrinien antiandrogénique
ronnement. Au début du xxie siècle, les deux
Diéthylstilbestrol
premières sources de dioxines et de composés
apparentés aux dioxines sont la combustion Le DES (diéthylstilbestrol, distilbène en
non contrôlée de déchets solides et les incen- France) est un diphénol de synthèse aux pro-
dies de forêt, alors que dans les années 1880- priétés œstrogéniques puissantes. Dès 1940,
1990, il s'agissait de l'incinération des déchets le DES fut considéré comme un moyen sûr de
ménagers. prévenir ces avortements spontanés à répéti-
tion et de réduire les menaces d'accouchements
Bisphénols prématurés. Dans les décennies qui ont suivi
Composés organiques de la famille des aroma- les premières prescriptions, un certain nombre
tiques, utilisés principalement dans la fabrication d'anomalies génitales ont été rapportées chez
de plastiques et de résines. Ce sont des pertur- les enfants nés de mères ayant pris du DES pen-
bateurs endocriniens œstrogénomimétiques. dant leur grossesse (les enfants distilbène) : chez
les filles ont été rapportées des malformations
Phtalates
génitales, des risques augmentés de cancer du
Groupe de produits chimiques dérivés (sels ou vagin et de l'utérus, et nombreux cas de stéri-
esters) de l'acide phtalique. Ils sont composés lité ; chez les garçons, des cas de malformations
d'un noyau benzénique et de deux groupe- de l'urètre, de l'épididyme, et des cas d'hypo-
ments alkyles. Les phtalates sont couramment trophie testiculaire avec oligospermie. Depuis
utilisés dans la fabrication du PVC (polychlo- 1977, le DES est interdit en France. Mais les
rure de vinyle) pour le rendre souple. Certains problèmes de stérilité rencontrés par les nom-
possèdent un effet perturbateur endocrinien et breux adultes exposés au DES in utero et nés
sont toxiques pour l'appareil reproducteur mâle entre 1940 et 1980 représentent un authen-
chez le rongeur. tique problème de santé publique.
Méthoxychlore Mycotoxines
Il est utilisé pour protéger les cultures, les Toxines élaborées par diverses espèces de
plantes ornementales, le bétail et les animaux champignons microscopiques (moisissures).
domestiques contre les puces, les moustiques, Difficilement dégradables, elles peuvent subsis-
les blattes et autres insectes. Il était destiné à ter dans les denrées même après l'élimination
remplacer le DDT, mais a été interdit en 2002 des moisissures. Ce sont des contaminants natu-
en raison de sa toxicité aiguë et de son activité rels de nombreuses denrées d'origine végétale.
de perturbateur endocrinien. Cela concerne notamment les céréales mais
Chlorpyrifos aussi les fruits, noix, amandes, pommes et les
Substance phytosanitaire qui présente un effet produits manufacturés destinés à l'alimentation
insecticide à large spectre, et qui appartient à humaine. Elles sont également présentes dans
la famille chimique des organophosphorés chlo- les grains, fourrages et aliments composés des-
rés. Chlorpyrifos est la molécule utilisée pour tinés à l'alimentation animale et peuvent être
tenter de contrôler les invasions de criquets retrouvées dans le lait, les œufs, les viandes ou
pèlerins. Actuellement, il n'existe pas d'alterna- les abats, si les animaux ont été exposés à une
tive pratique validée pour lutter contre ce fléau. alimentation contaminée. La FAO estimait en
1985 que 25 % des récoltes de légumes, fruits et
Vinclozoline céréales dans le monde étaient affectées par des
Fongicide dicarboximide utilisé pour lutter mycotoxines. Plus de 300 d'entre elles ont été
contre les maladies des végétaux, telles que les identifiées, mais seule une trentaine possède des
brûlures, les pourritures et les moisissures dans propriétés toxiques réellement préoccupantes
les vignobles et sur les fruits et légumes tels pour l'homme ou l'animal.

▲ Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 177

Zéaralénone Lignanes
C'est une mycotoxine émise par des cham- Ce sont des polyphénols s'accumulant dans les
pignons du sol, les fusariums, qui peuvent tissus ligneux (lignine), les graines et les racines
coloniser certains végétaux (notamment les de nombreuses plantes. Certains lignanes (ceux
graminées). Le zéaralénone est un perturbateur du lin par exemple) sont des phytoestrogènes
endocrinien, qui mime les œstrogènes. qui sont métabolisés en entérolignanes après
leur ingestion par les mammifères, et offrent
Coumestrol une protection face au développement de cer-
C'est un composé organique naturel de la tains cancers hormonodépendants.
classe des coumestanes, identifié dans certains Additif antifouling
végétaux (soja, choux de Bruxelles, épinards, Un antifouling (peinture antifouling, ou pein-
trèfle, luzerne). Il a une activité œstrogénique ture antisalissure) est une peinture contenant
(phytoestrogène). des biocides et destinée à empêcher les orga-
nismes aquatiques (bactéries, algues unicellu-
Génistéine laires, algues vertes, bernacles, éponges, vers
La génistéine est une des nombreuses isofla- marins) de se fixer sur la coque des navires ou
vones (qui sont des polyphénols). Elle est pré- sur d'autres objets immergés. Parmi les bio-
sente dans un certain nombre de plantes utilisées cides utilisés, le tributylétain a été très utilisé des
dans l'alimentation animale et/ou humaine années 1960 à 1990 (presque tous les bateaux en
(lupins, fèves, soja, psoralée). Les isoflavones portaient dans les années 1970). Trop toxique
sont des antioxydants utiles pour l'organisme, (à faible dose, il est neurotoxique, génotoxique,
mais elles préoccupent les toxicologues, car perturbe la réponse immunitaire de certaines
ce sont aussi des perturbateurs endocriniens espèces, et est un perturbateur endocrinien), il
(phytoestrogènes). laisse peu à peu place aux sels de cuivre.

musculaire, très certainement en lien avec une et les structures pulmonaires, et dont la demi-vie
inflammation du tissu adipeux viscéral, du foie et est suffisante pour leur permettre de rejoindre la
de l'hypothalamus. Elle provoque aussi une hype- circulation générale et être véhiculées au sein de
ractivité du système sympathique et de l'axe HPA l'organisme. Une étude expérimentale a montré
(hypothalamo-hypophyso-surrénalien). récemment qu'une exposition aiguë à l'ozone
Alors que le rôle diabétogène des PM2,5 induit une insulinorésistance chez le rat (rôle
et du dioxyde d'azote semble prendre consis- causal). Elle démontre que ce phénotype est dû
tance, l'effet des polluants photochimiques tels à la production de médiateurs pro-oxydants pul-
que l'ozone présent dans l'air ambiant reste mal monaires toxiques qui circulent et soumettent les
défini. L'ozone est produit dans la troposphère muscles squelettiques à un stress oxydant. Il en
par la réaction photochimique de composés issus résulte une insulinorésistance musculaire.
d'émissions anthropogéniques, et contribue for-
tement au développement des maladies respira-
toires et cardiovasculaires. Quelques rares études
épidémiologiques ont cependant identifié un lien
possible entre pollution à l'ozone et diabète, et la Le stress psychologique,
pollution à l'ozone pourrait augmenter le risque facteur aggravant
d'insulinorésistance chez les personnes âgées.
L'ozone est trop réactif pour pénétrer profon-
dément dans les tissus et atteindre la circulation Le terme de stress a été d'abord utilisé par les
sanguine. Cela suggère donc que ses effets péri- physiciens à propos du stress mécanique, qui
phériques sont médiés par d'autres molécules, correspond à une force de résistance qui se déve-
produits secondaires de réaction entre l'ozone loppe lorsqu'un corps, en particulier un métal,
178 Physiopathologie du diabète

est soumis à une déformation ou à une charge. Il CRH va agir sur l'hypophyse toute proche, pour
traduit ici l'idée de contrainte et d'adaptation du commander la sécrétion d'ACTH dans la circu-
matériau. La notion de stress a été introduite en lation systémique (générale), avec au bout de la
biologie par l'endocrinologue canadien d'origine chaîne, une sécrétion importante de cortisol (une
hongroise, Hans Selye, qui, en se basant sur le hormone glucocorticoïde) par les capsules surré-
concept de stress mécanique, publie en 1956 The nales. La corticolibérine (ou CRH, Corticotropin
Stress of Life (le stress de la vie). Dans cette accep- Releasing Hormone) est une neurohormone pro-
tation, le stress définit d'abord la réponse et non duite par l'hypothalamus. Elle agit au niveau
l'agression initiale et constitue une réaction adap- de l'hypophyse sur la synthèse et la sécrétion
tative. Observant ses patients, Selye décrit donc d'ACTH. L'hormone corticotrope (ACTH,
le mécanisme du syndrome d'adaptation, c'est-à- Adreno Corticotropic Hormone, ou adrénocor-
dire l'ensemble des modifications qui permettent à ticotropine) est une hormone polypeptidique
un organisme de supporter les conséquences d'un sécrétée par des cellules du lobe antérieur de l'hy-
traumatisme naturel ou artificiel. Le stress aigu est pophyse et qui stimule la glande corticosurrénale.
adaptatif et correspond à une réponse adaptative Elle est le produit de maturation de la POMC
et nécessaire à la survie. Il met en jeu de multiples (proopiomélanocortine). Le cortisol est une hor-
médiateurs, neurotransmetteurs, neuropeptides et mone stéroïde sécrétée par le cortex de la glande
hormones, coordonnés dans le temps et l'espace. surrénale (corticosurrénale) à partir du cholesté-
Le stress chronique est, en revanche, délétère et rol, sous la dépendance de l'ACTH. Ses fonctions
peut conduire à diverses pathologies. Ses effets principales sont l'augmentation de la glycémie
néfastes résultent d'une dérégulation des réponses par le biais de la néoglucogenèse, l'inhibition de
adaptatives au stress. Biologistes et psychologues certaines réponses du système immunitaire, et la
se sont ensuite emparés de ce terme de stress pour modulation de certains aspects du métabolisme
en faire un usage sensiblement différent. Ils uti- des lipides et des protéines. Le cortisol régule
lisent ainsi le terme, qui fait partie maintenant du des fonctions physiologiques vitales pour l'orga-
vocabulaire du grand public, pour désigner toutes nisme, dont nombre d'entre elles ont à voir avec
les sortes d'agressions que la cellule ou l'organisme la régulation du métabolisme glucidique (d'où le
vivant peut subir. Progressivement, le mot stress qualificatif d'hormone glucocorticoïde) et donc
s'est identifié à l'agression plutôt qu'à la réponse : le diabète. En réponse au stress, le cortisol per-
on parle de réponse au stress. Confrontés à une met de mobiliser les réserves énergétiques, ce qui
menace (un stress donc), animaux et humains se traduit par une élévation rapide des concen-
répondent aussitôt par une activation de leur sys- trations sanguines en glucose et lipides (acides
tème nerveux sympathique et de l'axe HPA. gras). Ce même cortisol ralentit les réponses
L'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HPA, inflammatoires et, en partenariat avec le système
pour hypothalamo-hypophyso-adrénalien) corres- nerveux sympathique, active le système cardio-
pond à un ensemble fonctionnel constitué de trois tis- vasculaire (augmente la pression systémique). Le
sus neuroendocrines ayant des interactions intimes : système sympathique innerve de multiples tissus
le noyau paraventriculaire de l'HPT (hypothalamus) (dont les médullo-surrénales) et son rôle est ren-
avec ses neurones sécrétant la CRH, l'antéhypophyse forcé par l'adrénaline circulante (hormone libé-
dont certaines cellules sécrètent l'ACTH, et le cor- rée par les médullo-surrénales). En réponse au
tex surrénalien dont certaines cellules sécrètent le stress, l'activation du système sympathique et la
cortisol. Le cortisol en retour module la sécrétion de sécrétion accrue d'adrénaline se traduisent par
CRH et d'ACTH (influence inhibitrice sur l'hypo- une augmentation de la pression sanguine et du
thalamus et l'antéhypophyse ; on parle de feed-back rythme cardiaque, une mobilisation accrue des
négatif). réserves énergétiques et la libération de cytokines
En réponse au stress perçu par le cerveau, l'axe pro-inflammatoires.
HPA est activé, ce qui se traduit par la libération Qu'il s'agisse de s'enfuir ou de se défendre, ce
de la neurohormone CRH par l'hypothalamus. véritable système d'alarme partagé par tous les
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 179

mammifères s'est mis en place au cours de l'évolu- diabète de type 2 [50]. Étudier la relation stress/
tion pour leur permettre d'échapper à une menace, survenue du diabète chez l'homme n'est pas
aidant par exemple nos lointains ancêtres primates réalisable pour des raisons éthiques. Des études
confrontés à une menace à réagir plus vite et de expérimentales ont permis de prouver que l'admi-
façon adaptée. De nos jours, la nature des stress nistration chronique de glucocorticoïdes entraîne
auxquels nous sommes exposés n'est plus tout à l'apparition d'une hyperglycémie, une insulinoré-
fait la même qu'à l'époque des chasseurs-cueilleurs sistance et une hyperlipidémie chez des rongeurs
du Paléolithique. Mais délais à tenir, performance normaux au début de l'expérience. Ces anoma-
artistique ou sportive à accomplir, examen à réussir, lies sont amplifiées si le rongeur consomme un
danger à fuir… sont autant de situations au cours régime hypercalorique (intéressant, si on se sou-
desquelles notre organisme se sert du même méca- vient qu'une prise alimentaire exagérée est une
nisme pour faire face : la réponse au stress ! Le stress réponse fréquente chez les individus stressés).
lié au travail, la détresse psychologique, les troubles Toujours chez les rongeurs, il existe un certain
de l'émotion tels que la dépression ou l'anxiété, nombre de preuves expérimentales montrant
certains traits de personnalité tels que la colère qu'un stress précoce néonatal (par exemple, la
ou l'agressivité, sont autant de conditions diverses séparation des nouveau-nés et de leur mère, de
reflétant une forme de stress. On les regroupe façon brève mais répétée) entraîne une insulino-
aujourd'hui sous le vocable général de stress psy- résistance et un mauvais contrôle glycémique plus
chologique. La réponse normale (physiologique) tard chez l'animal devenu adulte. Chez l'homme,
de chaque individu à un stress psychologique pas- l'implication de facteurs psychologiques sur la
sager est adaptative, en ce sens qu'elle assure une survenue du diabète est une hypothèse ancienne,
mobilisation harmonieuse de l'organisme pour mentionnée dès le xviie siècle par le médecin
réagir et mettre en place des mécanismes de
­ anglais Thomas Willis. Au xxe siècle, un psychiatre
défense. On utilise le terme d'allostasie pour p­ arler américain avait même décrit une « personnalité
de ces mécanismes bénéfiques qui se mettent en diabétique » et la croyance que le stress peut être
place de façon transitoire pour assurer le maintien responsable d'un diabète reste fortement répan-
de l'intégrité de l'organisme (l'homéostasie). Ces due. Cependant, les études épidémiologiques qui
mécanismes qui passent ici par la production de ont recherché un lien entre stress psychologique
signaux régulateurs comme adrénaline et cortisol, et survenue d'un diabète ont rapporté des résul-
persistent tant que l'élément déclencheur perdure. tats contradictoires. Une explication à la diversité
Et quand l'exposition au stress devient chronique, de ces conclusions repose sur la définition du
l'activation chronique des systèmes biologiques stress employée. En effet, malgré son utilisation
impliqués dans la réponse au stress peut provo- courante, le concept de stress est difficile à cir-
quer un dépassement des capacités d'allostasie et conscrire et à quantifier, car il est polymorphe.
avoir des conséquences négatives, voire patholo- Certaines études utilisent des échelles d'événe-
giques. Le stress rime alors avec détresse lorsqu'il ments de vie stressants (cumul d'événements de
devient chronique. vie négatifs mais également positifs, et dont le
total représente le score de stress). D'autres s'in-
téressent à l'évaluation subjective du stress perçu
Un lien entre stress par les sujets (la mesure repose sur la conception
que dans une situation stressante, l'évaluation
chronique et diabète subjective qui est faite de la situation importe plus
de type 2 que les faits eux-mêmes). D'autres encore se foca-
lisent sur un type spécifique, par exemple le stress
Adaptations cardiovasculaires, neuroendocrines professionnel. Au final, on peut cependant retenir
(cortisol, adrénaline) et inflammatoires sont autant que les études épidémiologiques les plus solides
d'éléments de la réponse biologique au stress qui montrent une relation (association) significative
peuvent potentiellement faciliter l'apparition d'un entre dépression, stress chronique au travail ou
180 Physiopathologie du diabète

encore exposition à un stress précoce, et incidence qui était devenu un dogme non négociable pour
accrue de diabète de type 2. nombre d'entre eux : au prétexte que la plupart
Enfin, on sait que chez les sujets déjà diabé- des diabétiques de type 2 et des prédiabétiques
tiques, la dépression et l'anxiété due au diabète étaient hyperinsulinémiques (ils ne manquaient
lui-même sont associées significativement à une donc pas d'insuline), le sujet à traiter était celui
péjoration du contrôle glycémique et à plus de de l'insulinorésistance (et pas celui de l'insulino-
complications cardiovasculaires. sécrétion). Quant au déficit d'insulinosécrétion
(absolu dans ce cas), il était considéré comme
la marque de fabrique exclusive du diabète de
type 1, ce qui assurait au passage une distinction
commode et franche entre la pathogenèse du
Un résumé de la diabète de type 2 et celle du diabète de type 1
pathogenèse du type 2 (deux pathogenèses distinctes, donc deux mala-
dies distinctes…). En fait, ce dogme reposait sur
une interprétation fausse de paramètres exacts.
La pathogenèse d'une maladie, ou pathogénie (du Utiliser le fait que les patients ont une insuli-
grec pathos, maladie, et genesis, origine) désigne némie élevée comme une preuve irréfutable
les événements ayant conduit à l'apparition d'une que leur sécrétion d'insuline n'est pas altérée,
maladie et à son déroulement. À propos du dia- c'est aller trop vite en besogne. Concrètement,
bète de type 2 « commun », plusieurs questions imaginons un patient avec une glycémie de
de fond ont émergé à partir des années 1980. 2 g/l (donc, diabétique) et une insulinémie de
Elles ont été débattues souvent de manière exces- 20 mU/l : il sera considéré comme hyperinsuli-
sivement passionnée et partisane, et même si un némique, si on le compare au patient sain (non
consensus s'est progressivement établi récem- diabétique) qui a une glycémie de 1 g/l et une
ment, la controverse n'est toujours pas totalement insulinémie de 10 mU/l. Mais, ce même patient
éteinte. Voici ces questions. La présence simul- non diabétique augmente son insulinémie à
tanée des deux anomalies est-elle une condition 50 mU/l lorsque sa glycémie s'élève à 2 g/l.
nécessaire pour faire un diabète ? Quelles sont les Le vrai comparateur du patient diabétique n'est
contributions quantitatives de l'insulinorésistance donc pas le patient sain avec une glycémie à
et de l'insulinosécrétion à la survenue du diabète ? 1 g/l, mais le patient sain avec une glycémie
Qu'est ce qui arrive en premier ? Quel est le tissu à 2 g/l. Et là, la conclusion change radicale-
qui est le plus impliqué dans l'insulinorésistance ment : le diabétique est incapable de sécréter
(foie ou muscles squelettiques ou tissu adipeux) ? autant d'insuline que l'individu sain (2,5 fois
Quels sont les différents stades de progression du moins dans cet exemple) ; il présente donc un
diabète (ce qu'on appelle l'histoire naturelle du déficit (relatif, pas absolu) d'insulinosécrétion.
diabète) ? On comprend donc qu'opposer insulinoré-
sistance et déficit d'insulinosécrétion pour en
dériver un classement entre diabète de type 2 et
diabète de type 1 est très simplificateur, abusif
Insulinorésistance et/ou et finalement erroné. Pas de chance, les idées
déficit de l'insulinosécrétion : simples, même si elles apparaissent de bon sens,
dans quel ordre ? ne sont pas toujours les meilleures ! Les biolo-
gistes aiment les idées simples, peut-être parce
Les diabétologues ont longtemps privilégié ce qu'ils étudient des phénomènes trop complexes
qui apparaissait comme une vérité première, et pour eux… les cliniciens aussi.
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 181

Insulinorésistance anomalie primaire un déficit de l'insulinosécré-


et déficit d'insulinosécrétion : tion. Ce sont des patients qui déclarent un diabète
en l'absence de tout surpoids.
réversibles ou non ?
Plusieurs études ont en effet montré que l'insuli- Le diabète de type 2
norésistance chez des patients obèses diabétiques apparaît quand la cellule
de type 2 pouvait être complètement corrigée par
une simple intervention nutritionnelle (une res-
bêta lâche prise
triction calorique de plusieurs semaines). D'autres
études ont montré que l'on pouvait obtenir un Pendant de nombreuses années, le diabète de
résultat aussi efficace avec une insulinothérapie de type 2 a été considéré comme une maladie de
quelques jours chez des patients diabétiques de l'insulinorésistance. Plusieurs études avaient sug-
type 2, obèses ou non. Par contre, dans ces mêmes géré que l'entrave à l'action de l'insuline était le
études, aucune normalisation du déficit d'insuli- défaut majeur identifiable chez les sujets à risque
nosécrétion n'a jamais été obtenue. Il est impor- de diabète de type 2, alors que la fonction pan-
tant de retenir que ces données ont été obtenues créatique ne devenait anormale qu'à partir du
sur de petits effectifs de patients, et en l'absence moment où la glycémie à jeun commençait à s'éle-
d'études de cohortes (trop coûteuses, trop com- ver. Ces études avaient comparé des groupes de
pliquées), elles ne permettent pas d'extrapoler à patients différents et qui présentaient au moment
l'ensemble des diabétiques de type 2. Néanmoins, de l'étude des niveaux variables de tolérance au
elles révélaient que l'insulinorésistance était une glucose. Cette approche dite transversale postule
anomalie acquise et déterminée plutôt par des que chaque groupe représente un stade évolutif
facteurs d'environnement, alors que le déficit du processus pathologique. Elle a conduit à pro-
d'insulinosécrétion était plutôt génétiquement poser l'existence de deux stades de la maladie :
déterminé. celui de l'insulinorésistance compensée et celui
de l'insulinorésistance décompensée, avec au
premier stade un hyperinsulinisme suffisant pour
surmonter l'obstacle de l'insulinorésistance, et au
Tous les diabétiques contraire au deuxième stade une sécrétion insuli-
de type 2 sont-ils nique insuffisante. Les conclusions de ces études
insulinorésistants ? n'ont pas toujours été confirmées par les études
longitudinales qui, elles, prennent en compte l'en-
On pourrait raisonnablement penser que tous les semble du processus évolutif au sein d'un même
diabétiques de type 2 sont insulinorésistants, ne groupe suivi dans le temps.
serait-ce que parce qu'ils sont tous exposés à la Certaines études longitudinales, en particulier
glucotoxicité (par définition, ils sont tous hyper- celles réalisées chez des patients développant un
glycémiques). En fait, il n'en est rien ! Plusieurs diabète de type 2 sans obésité associée, ont ainsi
études ont montré que certains patients diagnos- fait ressortir le rôle de l'insuffisance de la sécrétion
tiqués comme diabétiques de type 2, le déficit insulinique dès le début de la maladie. De plus,
d'insulinosécrétion était bien là, mais la sensibilité deux études de cohortes, l'une sur un large échan-
à l'insuline restait tout à fait normale. En fait, le tillon de population présentant tous les stades de
trait physiologique commun à tous ces patients est la décompensation métabolique du type 2, l'autre
qu'ils étaient minces, avec une masse grasse nor- sur des apparentés du premier degré de patients
male. À l'évidence, l'insulinorésistance n'est donc diabétiques de type 2 (prédiabétiques), ont
pas forcément un prérequis pour l'installation démontré une diminution précoce et régulière
d'un diabète. Il existe dans le diabète de type 2 de la fonction pancréatique et une aggravation
une partie de la population de patients qui a pour régulière de l'entrave à l'action de l'insuline. La
182 Physiopathologie du diabète

500
ZONE
DE
NORMALITÉ
DÉCLIN DE L’INSULINOSÉCRÉTION 400

INDICE D’INSULINOSÉCRÉTION 300


NGT
NGT
NGT NGT

200

IGT

100
DT2

0
0 1 2 3 4 5
INDICE D’UTILISATION DU GLUCOSE

DÉCLIN DE LA SENSIBILITÉ À L’INSULINE

Figure 5.14. Variabilité de l'indice de disposition du glucose.

perte précoce de la fonction pancréatique devient se passe pour les patients NGT [à la tolérance
alors un facteur à part entière apparaissant très au glucose normale] de la figure ci-dessous).
tôt dans la maladie et jouant un rôle majeur dans La nature de cette relation est donc telle que
la physiopathologie du diabète de type 2, plutôt sensibilité à l'insuline et insulinosécrétion sont
qu'un phénomène secondaire comme cela est inversement et proportionnellement ajustées,
encore évoqué probablement à tort, par certains de telle sorte que le produit des valeurs de ces
auteurs [4-7, 51–55]. deux paramètres est constant chez l'homme sain
Pour résumer, deux modes d'entrée dans la (figure 5.14). Cette constante est appelée indice
maladie restent a priori possibles, et il est conce- de disposition du glucose [5, 55].
vable qu'une association des deux troubles soit Cet exemple type nous montre ce qui peut
nécessaire pour qu'un diabète survienne. En réa- advenir dans un groupe de 48 Indiens Pimas
lité, le poids respectif de ces deux perturbations tous normoglycémiques, obèses et insulinorésis-
pourrait être très variable d'un individu à l'autre, tants au début de l'étude. Ils furent suivis pen-
ce qui contribuerait à l'hétérogénéité clinique dant 5 ans (étude clinique dite prospective).
du diabète de type 2. Comment l'expliquer ? Il Dix-sept (dits progresseurs) développèrent une
est important de réaliser qu'il existe une rela- IGT (intolérance au glucose), puis un DT2 (dia-
tion bidirectionnelle de type hyperbolique entre bète de type 2) durant cette période, alors que les
la sécrétion d'insuline et la sensibilité à l'insu- 31 autres (dits non-progresseurs) conservèrent
line chez les individus tout à fait normaux. Elle une NGT (tolérance au glucose normale). Les
implique que dans les situations physiologiques non-progresseurs prirent un peu plus de poids et
où une insulinorésistance apparaît (puberté, aggravèrent un peu leur insulinorésistance, mais
grossesse, prise de poids passagère, vieillisse- conservèrent un indice de disposition parfaite-
ment), la sécrétion va augmenter pour couvrir ment normal : la « compensation bêta cellulaire »
les besoins accrus en insuline, et vice versa. fut donc adéquate.
Cette capacité adaptative permet aux individus Par contre, chez les progresseurs, l'indice de
de conserver une glycémie normale (c'est ce qui disposition était dès le départ inférieur à la valeur
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 183

normale (ce qui indique la présence d'un déficit cumulatifs des facteurs de risque qui touchent
bêta cellulaire primaire, alors même que l'into- la sécrétion de l'insuline et la sensibilité à l'insu-
lérance au glucose n'est pas encore là). L'indice line entraînent l'installation de l'hyperglycémie
chute ensuite irrémédiablement face à une aggra- basale chronique (marqueur du phénotype dia-
vation modeste de l'insulinorésistance, ce qui se bétique). L'autre pilier de ce modèle fait réfé-
traduit cliniquement par le passage au stade IGT, rence au fait que le déficit d'insulinosécrétion est
puis DT2 : l'absence de compensation bêta cellu- le défaut principal qui fait basculer vers le dia-
laire traduit donc la détérioration de la fonction bète. Rappelons-nous que l'hyperglycémie basale
bêta durant la période de suivi. n'apparaît pas tant que la population des cellules
Si la collusion déficit insulinique/insulino- bêta résiduelles reste capable de subvenir aux
résistance est nécessaire pour assurer l'instal- besoins tissulaires en insuline (compensation de
lation d'un vrai diabète de type 2, l'étude chez l'insulinorésistance). La résilience fonctionnelle
les Indiens Pimas dits progresseurs nous montre de la population des cellules bêta est donc l'élé-
bien que la défaillance bêta continue à évoluer ment clé déterminant dans la survenue du dia-
tout au long de la vie du diabétique de type 2, bète. Les données les plus récentes accréditent
entraînant malheureusement une dégradation l'idée que le déficit d'insulinosécrétion est for-
continue de la situation métabolique du patient. tement dépendant de facteurs de risque d'ordre
En dehors de l'étude de cette population particu- génétique (figure 5.14).
lière, la grande étude UKPDS (voir Chapitre 1) Selon ce modèle, chez quelques individus qui
montre bien qu'au moment du diagnostic de vont devenir diabétiques, la combinaison de
diabète de type 2, la capacité maximale de sécré- quelques défauts génétiques (polymorphismes
tion de l'insuline est déjà amputée de moitié, défavorables) affectant l'insulinosécrétion peut
et qu'ensuite, la fonction bêta pancréatique se être suffisante pour induire un diabète, avec en
dégrade de façon régulière selon une pente appa- parallèle une adaptation au vieillissement (aug-
remment inexorable. mentation de la masse grasse et diminution de
l'activité liées à l'âge) qui garde des caractéris-
tiques normales. C'est ce qui se passe chez les
Faire un diabète de patients MODY, les Suédois ou les Noirs non
type 2, c'est tirer une des obèses qui développent un diabète de type 2 sans
insulinorésistance. Chez la plupart des individus
innombrables combinaisons cependant, l'accumulation de polymorphismes
perdantes à la grande loterie génétiques délétères pour la sécrétion de l'insu-
des facteurs de risques line n'est pas suffisante pour entraîner à elle seule
l'installation de l'hyperglycémie. Pour que cela
Prendre en compte les multiples facteurs de se produise, il faut cumuler d'autres facteurs de
risque, aussi bien environnementaux que géné- risque acquis tels que l'insulinorésistance (celle
tiques et épigénétiques, pour en faire une syn- due à la grossesse, au surpoids, à la glucotoxicité,
thèse cohérente de la pathogenèse du diabète de à l'inactivité physique, à l'inflammation, à des
type 2, est extraordinairement compliqué. On perturbateurs endocriniens d'origine alimentaire
l'aura compris ! On peut néanmoins proposer un ou respiratoire) et/ou d'autres facteurs de risque
modèle de pathogenèse version actuelle (2022) génétiques prédisposant à l'insulinorésistance.
qui met l'accent sur le caractère hautement hété- Selon les individus, on peut donc s'attendre à
rogène du diabète de type 2. D'ailleurs, on ne trouver une multiplicité de combinaisons de
devrait plus logiquement parler « du » diabète de facteurs de risque environnementaux ou géné-
type 2, mais de « n » formes de diabète de type 2. tiques, combinaisons toutes différentes entre
Ce modèle repose sur l'existence hautement elles mais qui aboutissent à un même résultat
probable d'un seuil à partir duquel les effets final : l'installation d'un diabète de type 2. Cela
184 Physiopathologie du diabète

EXCÈS DE
MASSE GRASSE

INFLAMMATION
ENVIRONNEMENT
INTRA-UTÉRIN
MICROBIOTE
INTESTINAL
VIEILLISSEMENT INSULINO
SURALIMENTATION
RESISTANCE

FACTEURS
OBÉSITÉ DIABÈTE DE
DE
TYPE 2
RISQUE

INACTIVITÉ
INSULINO
GÉNÔME ÉPIGÉNÔME SÉCRÉTION

DÉTECTION CROISSANCE
DU GLUCOSE ET SURVIE
DES CELLULES BÊTA

Figure 5.15. Interactions gènes et environnement dans le développement du diabète de type 2.

expliquerait l'hétérogénéité du diabète de type 2 Faire un diabète de type 2, c'est donc bien tirer
(figure 5.15). une des innombrables combinaisons perdantes à la
Prenons un exemple concret et réaliste pour grande loterie des facteurs de risques.
illustrer la capacité de ce modèle à rendre compte
de la formidable hétérogénéité du diabète [3].
Considérons une simulation du modèle dans
laquelle un patient cumulerait trois familles de
Un résumé de la
défauts : pathogenèse du type 1
1. deux gènes ciblant l'insulinosécrétion sont
défectueux parmi les quatre qui sont nécessaires
à un fonctionnement normal du pancréas ; Comme chaque fois qu'on s'interroge sur l'ori-
2. un facteur d'environnement néfaste, parmi les gine d'une maladie complexe, on n'échappe pas
quatre auxquels est exposé le patient à risque à l'évaluation du rôle causal du terrain génétique,
(par exemple : surpoids, glucotoxicité, inacti- et de celui des facteurs d'environnement. La par-
vité physique, toxiques alimentaire) ; ticipation de facteurs génétiques au déterminisme
3. un polymorphisme génétique défavorable por- (étiologie) du diabète de type 1 est suggérée par
tant soit sur le contrôle hypothalamique de la le fait que le taux de concordance pour le diabète
prise alimentaire, soit sur le contrôle de la dépense de type 1 est deux à quatre fois plus élevé chez
énergétique, ou sur la répartition de la masse les jumeaux monozygotes que chez les jumeaux
grasse. dizygotes. Mais l'absence de concordance com-
Le calcul montre que le nombre de combinai- plète pour la maladie chez les jumeaux mono-
sons de ces seuls facteurs de risque et qui abou- zygotes et l'augmentation rapide de l'incidence
tissent toutes au diabète de type 2 est de l'ordre du diabète de type 1 dans la population géné-
de 4 000 ! rale suggèrent que des facteurs d'environnement
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 185

peuvent moduler les stades initiaux et l'évolution confirme l'implication du système immunitaire.
de la maladie auto-immune. Le polymorphisme allélique de ces gènes est
responsable de variations de séquence des pro-
téines exprimées à la surface des cellules pré-
La susceptibilité génétique : sentatrices d'antigène (macrophages, cellules
quelle importance ? dendritiques) dont le rôle est de présenter les
peptides antigéniques aux lymphocytes T, et
Plusieurs arguments démontrent l'existence donc de leur capacité à présenter tel ou tel pep-
d'une susceptibilité génétique au diabète de tide (voir Chapitre 4 – Diabète de type 1. Une
type 1 et en fixent les limites [56–58]. Les cas panne majeure). Le locus IDDM 2 a également
familiaux représentent environ 10 % des dia- été identifié : il s'agit de la région promotrice
bètes de type 1. Le risque de développer un du gène de l'insuline, qui est également poly-
diabète est de l'ordre de 5 % chez un enfant morphe. Très récemment, il a été montré qu'à
de diabétique insulinodépendant, de 10 % ce polymorphisme de la séquence du gène cor-
chez un frère ou une sœur. Le taux de concor- respondent des niveaux d'expression différents
dance chez les jumeaux monozygotes est de du gène de l'insuline. On considère ainsi que
35 %. Les études de familles multiplex (com- les individus « faibles sécréteurs » d'insuline ont
portant plusieurs cas) à l'aide de marqueurs une susceptibilité particulière à développer la
génétiques polymorphes répartis sur la quasi- maladie si leurs cellules bêta sont soumises à
totalité du génome, et les études GWAS, ont une agression auto-immune. La multiplicité des
permis aujourd'hui (situation 2019) d'iden- régions de susceptibilité, dont le poids géné-
tifier plus de 60 gènes ou régions génétiques tique est faible (à l'exception d'IDDM 1 et
impliqués dans la prédisposition au diabète 2), laisse penser que la survenue du diabète de
de type 1 [11]. La région génétique de plus type 1 résulte de la « conjonction malheureuse »
forte susceptibilité (appelée IDDM 1 ; pour d'une susceptibilité génétique, dont il n'est pas
locus Insulin Dependent Diabetes Mellitus 1) certain qu'elle soit la même pour tous les sujets
est située sur le bras court du chromosome 6, diabétiques, et de facteurs d'environnement
dans le CMH (complexe majeur d'histocompa- déclenchants ou modulateurs de l'auto-immu-
tibilité) qui comprend les gènes HLA. Le rôle nité. L'espoir d'un dépistage des sujets à risque
des gènes de classe II du CMH dans la suscepti- de type 1, sur le seul typage génétique, apparaît
bilité au diabète de type 1 est connu de longue donc peu réaliste.
date. Le risque de développer un diabète de
type 1 pour les frères et sœurs d'un patient
atteint dépend de leur degré d'identité HLA à La pression de certains
ce patient : de 10 % en cas d'identité, il passe à
5 % en cas de semi-identité et à moins de 1 % si
facteurs d'environnement :
les sujets sont HLA différents. Dans le cas du quels suspects ?
diabète de type 1, 90 % des sujets caucasiens Quelle importance ?
qui développent un diabète insulinodépendant
dans l'enfance ou l'adolescence sont porteurs L'absence de concordance complète pour la
des allèles DR3 et/ou DR4 du CMH. Pour maladie chez les jumeaux monozygotes évoque
compliquer encore le tableau, d'autres allèles, indirectement le rôle de l'environnement dans la
comme DR15, sont au contraire « protecteurs » physiopathologie du diabète de type 1. Les épidé-
(les sujets DR15 ne sont que très rarement miologistes nous montrent par ailleurs qu'il existe
diabétiques insulinodépendants). On connaît de fortes variations géographiques de l'incidence
la traduction physiopathologique de l'associa- annuelle du diabète de type 1 : en Europe, l'in-
tion du diabète de type 1 à certains allèles : elle cidence varie d'un facteur 10 (de 3/100 000 en
186 Physiopathologie du diabète

Macédoine, à 40/100 000 en Finlande) et un gra- Des agents infectieux viraux


dient décroissant nord-sud a été décrit. L'incidence
de la maladie augmente chez les migrants venant
Des agents infectieux, en particulier de nombreux
d'une région à faible incidence et qui s'établissent
virus, ont depuis longtemps été incriminés dans
dans une zone de forte incidence. Des épidémies
l'étiologie du diabète de type 1. Les observations
saisonnières et l'agrégation de nouveaux cas dans
de diabète aigu succédant à une destruction des
des aires géographiques restreintes ont été rappor-
cellules bêta par une infection cytopathogène
tées. Mais surtout, l'incidence annuelle du diabète
restent exceptionnelles. Un authentique dia-
de type 1 augmente considérablement en Europe,
bète auto-immun est observé dans 10 % à 20 %
à un rythme très variable d'un pays à l'autre, en
des cas de rubéole congénitale, dans un délai
moyenne de 3,5 % par an. En Finlande, pays où
de 5 à 25 ans. Une infection du pancréas par le
l'incidence annuelle est la plus élevée, l'incidence
virus a été montrée chez certains sujets atteints.
du diabète de type 1 a quadruplé en 40 ans. Cette
La survenue du diabète pourrait être secondaire
augmentation concerne particulièrement les enfants
à l'effet cytotoxique direct du virus pour les cel-
de moins de 5 ans et ne peut s'expliquer par des
lules bêta, et à un mimétisme moléculaire entre
facteurs génétiques. Cependant, l'interprétation
la protéine de l'enveloppe virale et un antigène
de toutes ces données observationnelles n'est ni
bêta-pancréatique encore mal identifié. Le lien
simple ni probablement univoque. Chez l'homme,
entre infection virale et diabète de type 1 repose
le diabète de type 1 est une affection dont l'expres-
surtout sur des arguments épidémiologiques. En
sion clinique est hétérogène, ainsi que le montrent
Grande-Bretagne et en Suède, la distribution des
la grande variabilité de l'âge de survenue de l'hy-
naissances des enfants diabétiques est relativement
perglycémie, son association éventuelle à d'autres
restreinte quand on considère la date et le lieu des
affections auto-immunes spécifiques d'organe
naissances, ce qui suggère indirectement le rôle
(maladie cœliaque, thyroïdite, vitiligo, gastrite).
potentiel d'infections périnatales. Plusieurs études
Pour information, la maladie cœliaque (aussi appe-
ont rapporté une association entre infections par
lée entéropathie au gluten, ou intolérance au glu-
entérovirus, plus particulièrement le virus coxsac-
ten) est une maladie auto-immune, caractérisée par
kie B, et la survenue ultérieure d'un diabète de
une atrophie villositaire (destruction de la paroi de
type 1. Les entérovirus (du grec enteron, « intes-
l'intestin grêle). Cette maladie est une intolérance
tin ») sont des virus à ARN simple brin. Poliovirus,
permanente à différentes fractions protéiques du
virus coxsackie A et B, échovirus, rhinovirus et
gluten contenues dans différents types de céréales
virus de l'hépatite A font partie de la famille. Les
(blé, orge, seigle). Il en résulte une malabsorption
entérovirus, en dépit de leur nom, ne donnent pas
de certains nutriments (vitamines, fer, calcium…),
de gastroentérites. Les entérovirus et les virus des
donc des carences alimentaires. Les personnes
gastroentérites sont deux entités distinctes.
atteintes doivent suivre un régime strict sans gluten
De fait, certaines souches de virus coxsackie B
à vie. La maladie cœliaque ne doit pas être confon-
peuvent infecter les cellules bêta humaines et
due avec l'allergie au gluten, qui est une allergie ali-
induire des anomalies fonctionnelles et/ou la mort
mentaire. La thyroïdite est une inflammation de la
cellulaire. Une autre hypothèse fait intervenir le
glande thyroïde. Il en existe plusieurs sortes, dont
concept séduisant de mimétisme moléculaire :
la thyroïdite de Hashimoto. Le vitiligo (aussi appelé
l'infection par le virus coxsackie B par exemple
leucodermie) est une maladie chronique de l'épi-
déclenche une réponse immunitaire antivirale
derme. Il se caractérise par une dépigmentation de
normale impliquant l'activation de lymphocytes T
la peau due à la fragilisation des mélanocytes. Une
spécifiques ; mais cette réponse immunitaire nor-
gastrite est une maladie inflammatoire de la paroi
male vis-à-vis d'un antigène viral conduirait à la
de l'estomac. La liste des facteurs d'environnement
destruction des cellules bêta, du fait de l'existence
maintenant considérés comme des déterminants
d'homologies de structure entre antigènes viraux
possibles du diabète de type 1 est en train de deve-
et antigènes de la cellule bêta (par exemple, la
nir une liste à la Prévert [56-59].
GAD). Heureusement, les virus ne sont pas tou-
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 187

jours à charge ! L'environnement infectieux peut tant des complications sont considérés à risque de
également exercer des effets protecteurs vis-à-vis développer une forme grave de COVID-19. Les
du développement du diabète de type 1. Chez formes graves de COVID-19 sont en effet plus
la souris NOD, les infections précoces par divers fréquentes chez les patients porteurs d'un diabète
virus (chorioméningite lymphocytaire, hépatite A) avec des complications secondaires. Ces patients
réduisent l'incidence du diabète. À l'inverse, la pré- présentent le risque de voir leur diabète se désé-
valence du diabète est accrue chez la souris NOD quilibrer comme lors de toute infection intercur-
et le rat BB élevés en conditions stériles. Chez rente. Des formes graves sont aussi plus fréquentes
l'homme, les gradients nord-sud d'incidence du chez les patients souffrant d'une pathologie endo-
diabète de type 1 et de l'hépatite A sont inverses, crinienne associée au diabète avec complications
ce qui est en faveur d'un rôle protecteur de cer- d'insuffisance cardiaque, les patients présentant
taines expositions virales. D'autres agents infec- une obésité, qu'elle soit morbide (indice de masse
tieux, en particulier les mycobactéries, pourraient corporelle > 40) ou pas (indice de masse corpo-
avoir le même effet protecteur. Une mycobactérie relle > 30). Est-ce que la COVID-19 peut cau-
est une bactérie aérobie. Parmi les mycobactéries, ser un diabète de type 1 ? À ce jour, il n'est pas
on trouve Mycobacterium tuberculosis responsable prouvé que la COVID-19 peut causer un diabète
de la tuberculose et Mycobacterium leprae respon- de type 1. Les études à grande échelle menées
sable de la lèpre. jusque-là ne permettent pas de conclure à une
association entre COVID-19 et survenue d'un
diabète de type 1. Elles sont cependant contre-
dites par un petit nombre d'observations cliniques
Et le SARS-CoV-2 ? individuelles bien documentées qui suggère que
la COVID-19 pourrait entraîner l'apparition d'un
Au moment où ces lignes ont été rédigées diabète de type 1. Ainsi, l'histoire de ce jeune
(début 2022), on dispose de quelques ­premiers Allemand, contaminé par ses parents, mais asymp-
éléments sérieux qui permettent d'apporter tomatique, et qui a présenté plusieurs semaines
des débuts de réponses à un certain nombre de après l'infection par SARS-CoV-2 un diabète de
grandes questions. Est-ce que les personnes type 1 avec acidocétose sévère, témoignant d'une
atteintes de diabète de type 1 courent un plus perte de fonction des cellules bêta pancréatiques
grand risque de rencontrer le SARS-CoV-2 ? Rien sécrétrices d'insuline [60, 61]. Comment com-
n'indique qu'ils courent un plus grand risque que prendre ce phénomène ? La protéine ACE2 sert
toute autre personne dans la communauté. Pour de porte d'entrée cellulaire au virus SARS-CoV-2.
ce qui concerne les patients diabétiques de type 2, Or, ACE2 est l'enzyme de conversion de l'angio-
même conclusion : ils n'ont pas plus de risque tensine 2 (Angiotensin-Converting Enzyme 2).
d'être contaminés que tous les autres citoyens, à Elle est exprimée sur la face externe des mem-
tranche d'âge équivalente. Au début de la pan- branes plasmiques de cellules du poumon, des
démie, les taux d'infection étaient peut-être plus artères, du cœur, du rein et de l'appareil digestif.
élevés chez les personnes dans la communauté des Elle joue un rôle physiologique important dans le
diabétiques puisque leurs contacts dans les milieux SRAA (système rénine-angiotensine-aldostérone),
de soins de santé étaient plus fréquents. qui régule l'homéostasie hydrosodée et la pression
Est-ce que les personnes atteintes de diabète artérielle. Il s'agit d'une peptidase qui conduit par
de type 1 courent un plus grand risque si elles clivage de l'angiotensine 2 à la production d'an-
contractent la COVID-19 ? Rien n'indique que giotensine 1–7, peptide induisant une vasodilata-
les enfants ou les jeunes adultes atteints de dia- tion. Quant à l'angiotensine 2, c'est un peptide
bète de type 1 courent un plus grand risque de aux propriétés vasoconstrictrices, qui résulte du
complications de la COVID-19 s'ils contractent découpage de l'angiotensine 1 par une enzyme
la maladie. Par contre, les patients diabétiques appelée ACE1. De la sorte, toute activation de
(type 1 comme type 2) non équilibrés ou présen- l'ACE2 réduit la concentration en angiotensine 2 ;
188 Physiopathologie du diabète

celle-ci agissant comme vasoconstrictrice, cela fait tions). Quant au vaccin BCG, il a attiré quelque
de l'ACE2 une cible a priori intéressante pour le peu l'attention parce qu'on pensait que son rôle
traitement des maladies cardiovasculaires. Pour immunomodulateur pourrait théoriquement
infecter son hôte, le virus SARS-CoV-2 s'attache réduire l'incidence de l'auto-immunité. Le vaccin
aux molécules d'ACE2 présentes à la surface des BCG (bacille de Calmette et Guérin) est un vaccin
cellules, notamment pulmonaires. En se fixant sur contre la tuberculose. Il est préparé à partir d'une
ACE2 et en bloquant son fonctionnement, le virus souche atténuée de bacille tuberculeux bovin
SARS-CoV-2 pourrait favoriser les effets négatifs vivant qui a perdu sa virulence sur l'homme par
de l'angiotensine 2 et déséquilibrer le SRAA. Or, culture spéciale sur des milieux artificiels pendant
chez les personnes hypertendues, comme chez les des années. Ce bacille proche du Mycobacterium
personnes diabétiques et celles souffrant d'obésité, responsable de la tuberculose humaine confère
le SRAA est déjà déséquilibré. Le virus pourrait une antigénicité croisée suffisamment forte pour
renforcer le phénomène, et favoriser le dévelop- devenir un vaccin effectif pour la prévention de
pement de complications. De récentes études ont la tuberculose humaine. Chez la souris NOD
montré que la protéine ACE2 est exprimée par les et le rat BB, à condition d'être précoce, l'injec-
cellules bêta humaines (ainsi que par les cellules tion d'adjuvant complet de Freund (émulsion
alpha qui sécrètent l'hormone glucagon qui, à contenant des mycobactéries inactivées) confère
l'inverse de l'insuline, augmente le taux de glucose une protection contre le diabète, et ces résul-
dans le sang). Les auteurs de l'étude du patient tats ont été reproduits par vaccination BCG. Le
allemand font l'hypothèse que l'infection par le mécanisme de cette protection n'est pas spéci-
SARS-CoV-2 est responsable de la destruction des fique et fait probablement intervenir une immu-
cellules bêta et a entraîné un diabète de type 1 en nomodulation par des cytokines suppressives.
l'absence de pathologie classique auto-immune. Chez l'homme, les données épidémiologiques
Ils soulignent néanmoins que le lien de causalité ne confirment cependant pas de rôle protecteur
entre l'infection virale et la pathologie diabétique de la vaccination par le BCG. Les observations
ne peut être formellement établi en l'état, et que cliniques n'ont décelé aucune association entre
des études sont nécessaires pour mieux détermi- vaccination BCG et développement du diabète de
ner l'effet direct du SARS-CoV-2 sur les cellules type 1, ou de l'auto-immunité anti-îlots. D'autre
des îlots pancréatiques. Les diabétologues doivent part, la vaccination BCG au moment du diagnos-
donc être conscients de la possibilité de survenue tic de diabète de type 1 ne protège pas contre la
de diabète de type 1 comme complication aiguë perte de cellules bêta.
chez les patients infectés par le SARS-CoV-2. Les
prochaines études et l'établissement d'un registre
international devront donc s'attacher à déterminer
si l'infection SARS-CoV-2 est diabétogène, autre- Certains facteurs
ment dit si la COVID-19 peut entraîner la sur- d'origine alimentaire
venue d'un diabète et quel type de diabète, mais
également dans quelle proportion cette infection Chez les modèles animaux NOD et BB, diverses
virale influe sur la pathogenèse du diabète chez les interventions diététiques peuvent moduler l'his-
patients déjà atteints de diabète. toire naturelle du diabète de type 1 [62, 63].
Chez l'homme, les premiers travaux suggérant
l'influence de facteurs nutritionnels sur l'incidence
Les vaccins du diabète de type 1 ont montré un lien entre la
consommation d'aliments riches en nitrosamines
Certains ont émis l'hypothèse que certains vaccins ou en nitrites, ou la consommation d'une eau de
pouvaient déclencher une réaction auto-immune. boisson riche en nitrates. Les nitrosamines sont
En fait, l'incidence de l'auto-immunité anti-îlots, formées par une réaction de nitrosation entre
ou celle du diabète de type 1, n'est pas modifiée des nitrites ou des nitrates et des amines ou des
par le calendrier vaccinal (type et âge des vaccina- amides. L'exposition aux nitrosamines peut se
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 189

faire par absorption d'aliments contenant déjà des leur mère ou de façon brève, et le risque appa-
nitrosamines (bière, poissons et viandes fumées, raît plus élevé chez les sujets porteurs des haplo-
charcuterie), ou par nitrosation en milieu acide types HLA de susceptibilité. Mais plusieurs études
dans l'estomac à partir d'aliments contenant n'ont pas trouvé d'association entre l'apparition
des nitrites et d'autres contenant des amines. de marqueurs d'auto-immunité anticellules bêta
L'exposition aux nitrosamines peut se faire par et les modalités d'allaitement chez les enfants à
voie aérienne (fumée de tabac, émanations résul- haut risque (apparentés du premier degré d'un
tant de certains procédés industriels). La cancé- sujet diabétique de type 1). La physiopathologie
rogénicité des nitrosamines chez l'animal a été de cette association reste très floue. La composi-
démontrée. Chez l'homme, elle est suspectée, en tion protéique du lait de vache diffère de celle du
particulier les cancers de l'œsophage, de l'estomac lait humain par sa plus forte concentration pro-
ou du nasopharynx. Les nitrites (et les nitrates) téique (notamment en caséine) et par la présence
sont des additifs utilisés par le secteur alimentaire, de β-lactoglobuline. Les caséines (du latin, caseus,
en tant qu'agents conservateurs. Ils empêchent fromage) sont des protéines qui constituent la
le développement de bactéries dangereuses pour majeure partie des composants azotés du lait
l'homme (botulisme, salmonellose). Depuis les (80 % des protéines du lait de vache ; 40 % dans
années 1960, les nitrites (sous forme de nitrite le cas du lait humain). La première phase de la
de sodium) sont couramment employés dans les fabrication du fromage est leur précipitation par
charcuteries, notamment dans la fabrication du adjonction d'un acide ou de présure. L'allergie
jambon, ce qui lui confère sa couleur rosée. Les aux protéines du lait de vache est probable-
nitrates sont aussi naturellement présents dans ment l'allergie alimentaire la mieux connue. Les
certains légumes (épinards, laitue). Ils peuvent caséines et la β-lactoglobuline sont les allergènes
également pénétrer dans la chaîne alimentaire en le plus souvent en cause. En France, la prévalence
tant que contaminant environnemental dans l'eau, cumulée de l'allergie au lait de vache est estimée
en raison de son utilisation dans les pratiques agri- à 1,1 % chez les enfants scolarisés âgés entre 2 et
coles intensives. Les nitrites et les nitrates ingérés 14 ans. La β-lactoglobuline est une protéine du
sont rapidement absorbés par le corps et, pour la lait qui fait partie de la famille des albumines. Elle
plus grande partie, excrétés comme nitrate. Le est absente chez la femme, mais assez abondante
nitrate qui demeure dans l'organisme est partiel- chez la vache. L'étude de la réponse immunitaire
lement converti par les bactéries de la bouche en vis-à-vis des protéines du lait de vache chez les
nitrite. Le nitrite dans les aliments (et le nitrate sujets présentant un diabète de type 1 récent n'a
converti en nitrite dans le corps) peut contribuer à pas apporté d'argument décisif. Chez l'animal,
la formation de nitrosamines, dont certaines sont le rôle des protéines du lait de vache est égale-
cancérigènes. ment controversé. L'incidence du diabète est plus
À la fin des années 1990, sur la base d'une cor- faible chez les souris NOD et chez les rats BB qui
rélation positive entre consommation de lait de reçoivent une alimentation composée d'acides
vache et prévalence du diabète de type 1, un inté- aminés et d'hydrolysat de caséine, comparative-
rêt particulier a été porté au lien potentiel entre ment aux animaux recevant un régime standard
modalités d'allaitement dans la petite enfance et contenant de la caséine. Chez le rat BB, cepen-
survenue d'un diabète de type 1. Il a été ainsi dant, l'effet aggravant du régime standard est dû
proposé que, d'une part, un allaitement maternel à des constituants végétaux et non aux protéines
suffisamment long (3 à 18 mois) pouvait proté- du lait de vache.
ger contre la survenue ultérieure d'un diabète de Quelques études chez l'enfant ont montré par
type 1 et que, d'autre part, l'introduction précoce ailleurs que le passage à l'alimentation solide, l'in-
de protéines du lait de vache, chez des sujets à troduction des céréales (contenant ou non du glu-
risque génétique de diabète de type 1, pouvait ten), pouvait être associé à une augmentation du
constituer un facteur de risque supplémentaire. risque d'auto-immunité anti-îlots, en particulier
Il existe une augmentation modeste du risque de lorsque la diversification alimentaire se faisait trop
diabète de type 1 chez les enfants non allaités par tôt, avant 4 mois. Ces données n'ont pas toujours
190 Physiopathologie du diabète

été confirmées. On dispose d'une étude d'inter- ergocalciférol, produite par les végétaux, et la vita-
vention chez l'enfant destinée à évaluer l'impact mine D3 ou cholécalciférol, produite par les ani-
du gluten sur le risque de développer un diabète maux. Chez l'homme, ces deux formes exercent
de type 1 : un régime dépourvu de gluten appli- les mêmes activités biologiques, puisqu'elles sont
qué de 6 à 12 mois d'âge postnatal ne réduit pas converties par le rein en 1,25-dihydroxyvita-
le développement de l'auto-immunité anti-îlots mine D (calcitriol) qui est la forme active au niveau
chez des enfants à forte prédisposition génétique ; cellulaire de la vitamine D. Un apport suffisant en
il ne réduit pas non plus les quantités circulantes vitamine D est particulièrement nécessaire durant
d'anticorps anti-îlots chez des enfants qui ont la petite enfance afin d'éviter le rachitisme. Il est
déjà développé une auto-immunité anti-îlots. également nécessaire chez l'adulte afin de dimi-
Rappelons que le gluten (du latin gluten, « colle ») nuer le risque d'ostéoporose. La vitamine D est
est contenu dans le grain de blé et correspond à la un candidat potentiellement protecteur intéres-
principale fraction protéique de la farine de blé. Il sant car elle participe à la régulation du système
contient en effet des protéines insolubles, gliadines immunitaire. En particulier, elle contribue à faire
et gluténines, qui contribuent respectivement à la pencher l'équilibre de la réponse T lymphocy-
viscosité et à la cohésion de la pâte à pain (donc à taire au profit des lymphocytes Th2 (en freinant
la qualité de la panification). La consommation de la réponse Th1). Or, le caractère saisonnier du
blé peut être responsable de manifestations patho- diagnostic de diabète de type 1 pourrait être en
logiques regroupées sous le terme d'hypersensi- relation avec la saisonnalité de la production de
bilité au gluten. Ce terme recouvre en fait deux vitamine D qui dépend de l'exposition au soleil.
maladies différentes. La maladie cœliaque (0,5 % Dans certaines études de populations, un ensoleil-
de la population générale) survient chez des sujets lement réduit (ou un environnement plus froid ?)
prédisposés (certains types de HLA sont des fac- est associé à un risque accru de diabète de type 1
teurs génétiques de risques) ; elle se traduit par et à une carence relative en vitamine D également.
une réponse immunitaire excessive dans la partie Deux grandes études ont montré que le risque de
haute de l'intestin avec des lésions de l'épithélium diabète de type 1 était plus faible chez des enfants
absorbant. La maladie cœliaque disparaît avec un supplémentés en vitamine D (calcitriol). Cela est
régime sans gluten strict à vie. L'allergie au blé peut-être à rapprocher des puissants effets protec-
affecte 0,1 % de la population. Elle se traduit par teurs de la vitamine D et de ses analogues obtenus
des symptômes similaires à ceux des autres aller- dans le modèle de la souris NOD.
gies alimentaires (urticaire, œdème de Quincke).
Elle s'aggrave avec l'exercice musculaire. On lui
rattache l'asthme du boulanger lié lui à l'inha-
La composition
lation de farine de blé. Ces deux affections sont du microbiote intestinal
dépendantes de la production d'anticorps contre
certaines protéines du blé. Le traitement nécessite Quelques études ont décrit une moindre diver-
l'éviction du blé. sité microbienne chez les enfants porteurs d'une
auto-immunité anti-îlots et avant que le diabète
soit installé. Il a ainsi été suggéré que la composi-
L'apport en vitamine D tion du microbiote pouvait moduler le risque de
diabète de type 1.
La vitamine D est une vitamine liposoluble
(soluble dans les lipides). C'est une hormone à
la fois fournie par l'alimentation et synthétisée Le gain de poids dans les
directement par l'organisme humain à partir d'un premiers mois postnataux
dérivé du cholestérol ou d'ergostérol sous l'action
des rayonnements solaires de type UVB. Deux Un poids de naissance élevé et une prise de poids
formes de vitamine D existent : la vitamine D2 ou rapide à l'âge de 12 à 18 mois sont deux para-
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 191

mètres qui ont été associés positivement avec de protéines bêta-cellulaires typiques telles que
le risque de diabète de type 1. Ce qui serait en la proinsuline, la GAD ou la chromogranine. Les
cause dans l'effet de ce facteur de risque, c'est chromogranines forment une famille de p­ rotéines
l'apparition prématurée d'une insulinorésistance localisées exclusivement dans les granules de
induite par la prise de poids excessive (rapportée à sécrétion des cellules endocrines, neuroendo-
l'âge), et qui pourrait donc faciliter l'épuisement crines et des neurones. La chromogranine A est
des cellules bêta, surtout dans un contexte où ces la protéine la plus connue mais sa fonction bio-
mêmes cellules bêta sont le siège d'une attaque logique n'est pas élucidée. Son dosage est utilisé
auto-immune. dans le diagnostic des tumeurs neuroendocrines
(phéochromocytomes, neuroblastomes, gastri-
nomes), la plupart de ces tumeurs hypersécré-
Le stress des cellules bêta trices libérant également de la chromogranine A.
L'hypothèse de l'apparition de néo-autoantigènes
On vient de voir qu'une croissance globale chez bêta a trouvé récemment un fondement avec la
l'enfant trop rapide pourrait induire une forme découverte d'une nouvelle famille de protéines
de stress fonctionnel sur la population disponible modifiées appelées HIP (Hybrid Insulin Peptides)
des cellules bêta en lui imposant une production qui sont des assemblages de peptides issus de la
accrue d'insuline (pour faire face à l'insulinorésis- chromogranine ou de l'insuline et retrouvés uni-
tance). De façon plus générale, on va retrouver quement dans les îlots de souris NOD et chez les
cette idée d'un stress fonctionnel qui s'abat sur les diabétiques de type 1. Ces peptides HIP jouent
cellules bêta dans toute situation qui requiert une le rôle de néo-antigènes et des lymphocytes T
demande accrue en insuline chez l'enfant : crois- réactifs aux HIP ont été identifiés aussi bien
sance accélérée, surpoids, faible activité physique, chez la souris NOD que chez des diabétiques de
traumatismes, infections, puberté, apport gluci- type 1. Ce nouveau mécanisme pourrait donc être
dique excessif, stress psychologique. Une étude responsable de la rupture de la tolérance immune
scandinave a par exemple montré que le risque observée dans le diabète de type 1.
d'auto-immunité anti-îlots et de diabète de type 1
était accru chez les enfants confrontés à des évé-
nements graves de la vie (divorce, décès). Quand En guise de bilan ?
tout va bien, la cellule bêta est capable d'adapter sa Hétérogénéité et complexité
production d'insuline (synthèse) en réponse à une
demande accrue. Mais si la demande reste trop Le diabète de type 1 est considéré maintenant
élevée, trop longtemps, la suractivité prolongée comme une maladie hautement hétérogène avec
va entraîner une suractivité cellulaire qui touche diverses formes qui diffèrent par l'âge d'appari-
particulièrement le réticulum endoplasmique tion, le génotype, le phénotype auto-immun, la
(stress du réticulum endoplasmique ou SRE) (voir morphologie insulaire. La multiplicité des agents
Zoom 4.1). Or le SRE entraîne progressivement incriminés, qui constituent autant de facteurs
un effondrement de la synthèse de l'insuline et confondants, souligne la difficulté de l'identifica-
conduit à l'apoptose de la cellule bêta. De plus, on tion, sur la base des seules données épidémiolo-
sait maintenant que le SRE provoque des anoma- giques, des facteurs modulant le risque de diabète
lies dans la structure et la conformation des pro- de type 1. Aucun des facteurs d'environnement
téines qui viennent d'être synthétisées au moment suspectés à ce jour ne semble jouer un rôle majeur,
de leur passage par le réticulum endoplasmique en particulier dans le déclenchement de la maladie.
(pour y subir ce qu'on appelle des modifications Les données disponibles sont en faveur de l'inter-
post-traductionnelles). Rapporté au contexte vention de plusieurs facteurs, certains favorisant,
de la cellule bêta, on peut donc imaginer que le d'autres limitant l'agressivité de l'auto-immunité
SRE favorise l'apparition de néo-autoantigènes anticellules bêta, éventuellement différents d'un
résultant de modifications post-traductionnelles individu à l'autre en fonction du terrain ­génétique,
192 Physiopathologie du diabète

et dont les effets peuvent également varier selon le prospectives chez les sujets à risque génétique issus
moment de leur intervention dans l'histoire natu- de la population générale. Elle pourrait conduire
relle du diabète de type 1. Pourtant, une meilleure à la découverte d'une stratégie de prévention pri-
connaissance de ces facteurs pourrait conduire maire du diabète de type 1. Les recherches actuelles
à des interventions thérapeutiques destinées à dans le domaine commencent à exploiter les outils
limiter la destruction des cellules bêta à un stade de la métabolomique et de la protéomique et
infraclinique chez les patients porteurs de mar- devraient révéler de nouveaux marqueurs. Celles
queurs prédictifs d'auto-immunité. Une meilleure qui portent sur la compréhension de l'interface
compréhension des phases initiales de la maladie entre facteurs d'environnement et transmission du
auto-immune conduisant au diabète de type 1 est risque de diabète de type 1 devraient bénéficier de
nécessaire, reposant en particulier sur des études l'essor actuel de l'épigénétique.

Zoom 5 5

Une histoire naturelle du diabète de type 2 : le modèle indien


La population Pima est championne du coton. Les systèmes d'irrigation étaient riches
monde pour la prévalence du diabète de de poissons et attiraient le gibier, ce qui amé-
type 2 liorait l'alimentation. Leurs premiers contacts
Les Indiens Pimas vivent dans le désert de au cours des années 1690 avec les Espagnols,
Sonora au sud de Phoenix, Arizona, États-Unis, qui leur ont donné le nom de Pimas, ont été
depuis au moins 2 000 ans (figure 5.16). Leurs minimes. Ce n'est que 150 ans plus tard, vers
ancêtres lointains ont fait partie de la première le milieu du xixe siècle, que les contacts avec les
migration paléoindienne à travers le détroit de Européens se sont développés. Les colons venus
Béring il y a 30 000 ans. On pense qu'ils des- de l'Est se sont approprié l'eau des rivières
cendraient des Ho Ho Kam qui ont migré du pour leur propre agriculture asséchant ainsi
Mexique vers la Gila River (désert de Sonora) bon nombre de fermes Pimas. La carence en
300 ans avant le début de notre ère. eau a transformé l'économie et le style de vie
Les Ho Ho Kam ont apporté lors de leur migra- des Indiens. Ils sont devenus dépendants des
tion une connaissance approfondie de l'agricul- aides gouvernementales qui leur apportaient du
ture qu'ils ont adaptée au désert en construisant sucre, du lard et de la farine de mil. Ainsi, le
des systèmes d'irrigation sophistiqués. Ainsi, ils passage au xxe siècle a été marqué par la perte de
ont su implanter des fermes sur la terre aride du l'activité physique liée aux travaux des champs
désert et produire du maïs, des haricots et du et le changement brutal de leur alimentation.
Le diabète chez les Indiens Pimas est une his-
PHOENIX
toire récente dont on connaît le début [1, 2].
En 1901, un anthropologue signale un cas de
CALIFORNIA N
GILA RIVER
NEW MEXICO

ARIZONA TUCSON
diabète dans la population. En 1940, Joslin, le
célèbre diabétologue de Boston, relève en étu-
diant les dossiers cliniques de l'hôpital de la
NOGALES
réserve indienne 21 cas de diabète et conclut que
BA
JA

MEXICO
chez les Indiens Pimas la fréquence de la mala-
CA
LIF

die est similaire à celle des Américains blancs. En


OR

HERMOSILLO
NIA

1963, une étude de prévalence de la polyarthrite


rhumatoïde chez les Pimas révéla fortuitement
MAYCOBA
que de nombreux membres de la communauté
étaient diabétiques. Au vu des résultats, le NIH
Figure 5.16. Pimas d'Arizona (Gila River) et Pimas américain (National Institutes of Health) met-
mexicains (Maycoba). tait en route une étude prospective au sein de

▲ Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 193

la communauté d'Indiens Pimas vivant dans la d'âge. Ainsi, une des raisons majeures de l'ac-
réserve de la Gila River. Tous les 2 ans, chaque croissement du nombre de diabétiques dans
résident de plus de 5 ans a ainsi été convié pour cette population est en fait un accroissement des
un examen comprenant la mesure du poids et de taux d'incidence spécifique par âge.
la taille et une épreuve d'évaluation de la sécré- Le diabète de type 2 survient plus fréquemment
tion et de la sensibilité à l'insuline. Le diabète de chez les Pimas que dans toute autre popula-
type 2 a été considéré comme un problème de tion étudiée. Les questions essentielles sont
santé majeur dans la communauté à partir des alors : qu'est ce qui leur confère un tel degré
années 1960. Dans la période 1981-1988, plus de susceptibilité envers le diabète ? Quels sont
de la moitié des adultes âgés de plus de 35 ans les facteurs de risque et les déterminants de ces
étaient atteints de diabète, et la prévalence attei- facteurs ? Quel est le processus qui conduit à la
gnait le chiffre record de 70 % chez les hommes survenue du diabète et de quelle manière peut-
et les femmes entre 55 et 64 ans. Ce diabète est on le prévenir ?
typiquement un diabète de type 2 (non insu-
linodépendant, comme on disait à l'époque). Les facteurs de risque de diabète de type 2
Pourtant, il est fréquemment diagnostiqué chez chez les Pimas
des sujets jeunes, parfois même des adolescents Agrégation familiale
et le pic d'incidence se situe vers l'âge de 40 ans. L'idée d'une agrégation familiale pour le dia-
Cette particularité est à l'origine d'un véritable bète de type 2 apparaît clairement chez les
cercle vicieux qui explique au moins en partie Pimas. La maladie est plus fréquente parmi
l'augmentation persistante de la prévalence de les descendants de deux parents diabétiques.
la maladie. Une proportion non négligeable de Sa fréquence est intermédiaire lorsqu'un seul
jeunes femmes sont en effet déjà diabétiques au des parents est diabétique et elle est plus faible
moment de leurs grossesses et donnent naissance lorsqu'aucun des parents ne l'est. L'agrégation
à des enfants dont le risque de développer ulté- familiale peut résulter du partage commun de
rieurement un diabète est supérieur à celui des facteurs environnementaux ou génétiques. Un
enfants nés de mères non diabétiques. Pour les des arguments les plus solides pour penser que
générations les plus récentes, l'environnement la susceptibilité au diabète est de nature héré-
utérin diabétique semble donc être un facteur ditaire (au moins en partie) provient de l'exa-
de risque supplémentaire, qui se surajoute aux men de la prévalence du diabète selon le degré
autres risques que nous allons aborder. Le suivi d'hérédité indienne (de métissage). Parmi les
clinique des Pimas sur de nombreuses années a membres de la communauté de Gila, certains
permis de mesurer la fréquence de survenue de ne sont pas d'origine indienne et d'autres ont
nouveaux cas de diabète pendant une période une hérédité mixte. Parmi ces sous-groupes, la
donnée, ce qu'on appelle l'incidence. Bien que prévalence du diabète varie, à tel point que les
le diabète soit déjà très répandu dans la popu- sujets de pure souche indienne ont une préva-
lation Pima, l'incidence du diabète s'est effec- lence 2 fois plus forte que celle des membres
tivement fortement accrue entre 1970 et 1985. non indiens, alors que ceux qui partagent leur
Le nombre absolu de diabétiques dans la popu- hérédité se situent à mi-chemin entre ces deux
lation pima a doublé au cours des 25 dernières extrêmes.
années. Cependant, une telle évolution pourrait
être le résultat de changements démographiques Grossesse
comme un accroissement de la population ou Un facteur supplémentaire influant sur l'inci-
de sa proportion de sujets âgés. Pour mieux dence du diabète parmi les Indiens Pimas et qui
en tenir compte, on a calculé l'incidence de la illustre aussi l'importance de l'interaction entre
maladie par groupe d'âge et de sexe au cours de l'hérédité (le génotype) et le milieu environne-
deux périodes de 10 ans s'échelonnant de 1965 mental sur la survenue du diabète est la présence
à 1975 et puis de 1975 à 1985. L'incidence du diabète chez la mère pendant la grossesse.
moyenne de la maladie diabétique s'est accrue Les enfants nés au cours de grossesses diabé-
d'environ 50 % entre ces deux périodes. Elle tiques sont beaucoup plus susceptibles d'être
est également plus élevée dans chaque groupe obèses et de devenir eux-mêmes diabétiques

194 Physiopathologie du diabète

que ne le sont les enfants dont les mères avaient étaient prédictives de la survenue du diabète de
une tolérance normale au glucose au cours de type 2 : l'insulinorésistance et la diminution de
la grossesse, même si celles-ci sont elles-mêmes l'insulinosécrétion en réponse au glucose. Les
devenues diabétiques ultérieurement et donc Pimas qui ont développé leur diabète pendant
étaient, elles aussi, prédisposées. Lorsque les la période de suivi ont ainsi montré une dété-
enfants nés de grossesses diabétiques atteignent rioration progressive de l'action de l'insuline et
l'âge de 20 à 24 ans, environ la moitié d'entre un effondrement de l'insulinosécrétion, lors du
eux sont déjà diabétiques, alors que seulement passage au diabète. Ainsi, une diminution de
10 % des enfants dont les mères sont deve- l'action de l'insuline et de la sécrétion de l'insu-
nues diabétiques après l'accouchement le sont. line en réponse au glucose est un phénomène
L'influence de la grossesse, sur le risque ulté- précoce dans la physiopathologie du diabète de
rieur de diabète dans la descendance, peut s'ex- type 2. Ceux qui n'ont pas développé de diabète
pliquer par l'interaction entre l'environnement et conservé une tolérance normale au glucose
intra-utérin et la prédisposition génétique au pendant cette même période d'observation de
diabète. cinq ans ont également pris du poids et aggravé
leur résistance à l'insuline, mais leur capacité
Obésité d'insulinosécrétion ne s'est pas effondrée ; elle a
Les Indiens Pimas adultes sont en moyenne plus même augmenté parallèlement à la diminution
obèses que le reste de la population des États- de l'action de l'insuline. Cela est une indication
Unis. L'obésité étant définie comme un état forte pour penser que l'installation du diabète
d'excès de masse grasse corporelle, son évalua- de type 2 chez les Pimas est liée pour l'essentiel
tion quantitative est fondée sur une approxima- à l'effondrement des capacités de sécrétion de
tion de la graisse corporelle, appelée indice de l'insuline.
masse corporelle (IMC = poids en kg/taille2 en
m2). Un IMC > 30 kg/m2 est habituellement Alimentation et sédentarité
utilisé comme critère pour définir l'obésité. Comme évoqué en entrée, la communauté
Chez les Pimas âgés de 25 à 44 ans, plus de Pima a été confrontée de façon caricaturale à
64 % des hommes et plus de 73 % des femmes des modifications phénoménales de son mode
ont un IMC > 30 kg/m2. L'obésité chez les de vie durant la première moitié du xxe siècle :
Pimas a un caractère familial. passage de l'alimentation traditionnelle de
L'incidence du diabète ajustée à l'âge varie selon « subsistance » vers une alimentation moderne
l'IMC et la présence ou l'absence de diabète « industrialisée », un bouleversement (transition
dans les ascendants directs : l'incidence du dia- alimentaire) effectué sur une courte période
bète s'accroît avec l'élévation de l'IMC, et cela de deux générations seulement. Pour tester
de façon plus nette lorsque les deux parents du cette hypothèse d'un rôle étiologique (causal)
sujet sont diabétiques. Elle est, à l'inverse, beau- de l'environnement alimentaire et de l'activité
coup plus faible lorsque les sujets sont obèses, physique, les Pimas d'Arizona ont été comparés
mais qu'aucun des parents n'est diabétique. Le aux Indiens Pimas ayant gardé un mode de vie
diabète survient beaucoup moins fréquemment traditionnel. Ces derniers sont restés localisés
parmi les Pimas les plus minces, même lorsque dans une région reculée et montagneuse située
leurs parents sont diabétiques. L'obésité est au nord-ouest du Mexique, région de Pimeria.
donc un facteur de risque puissant de diabète, Jusqu'en 1991, l'accès à la communauté (village
mais l'accroissement de l'obésité observé chez appelé Maycoba) nécessitait 8 à 12 heures de
les Pimas ne peut pas expliquer à lui seul l'ac- transport avec un véhicule tout-terrain à par-
croissement de l'incidence du diabète. tir de Hermosillo (environ 160 km). Depuis
1992, il existe une route pavée et étroite qui
Insulinorésistance et déficit a raccourci la durée du trajet à 5-6 heures. Les
d'insulinosécrétion Indiens vivant à Maycoba cultivent de manière
Le programme de suivi clinique des Pimas traditionnelle (à la faux) des petites parcelles de
sur de nombreuses années a aussi révélé que, terre à flanc de coteau (maïs, haricots, pommes
outre l'obésité, deux anomalies métaboliques de terre). Ils font pousser dans les jardins de

▲ Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 195

leurs habitations des légumes tels que tomates, poids, un mode de vie traditionnel caractérisé
oignons, haricots verts et ils élèvent du bétail. par une alimentation réduite, difficile à obtenir,
D'autres activités comprennent les travaux dans moins riche en graisses animales et plus riche en
les ranchs, des constructions de route et des glucides complexes, et par une activité physique
activités minières. Le phénotypage des Indiens plus importante, réduit le développement de
Pimas de chaque communauté a été réalisé en l'obésité et du diabète de type 2.
comparant des individus vivant à Maycoba ou L'émergence du diabète comme maladie aussi
en Arizona, de même âge et de même sexe. fréquente parmi les Pimas au cours du siècle
Rappelons qu'on appelle phénotypage la carac- dernier est porteuse de leçons et d'avertisse-
térisation du phénotype d'un individu, qui ments importants pour les autres populations.
correspond à l'ensemble de ses caractéristiques De l'expérience Pima, il paraît évident que le
physiologiques, qui elles-mêmes résultent de diabète de type 2 résulte d'une interaction entre
l'expression de ses gènes et de leurs interac- des facteurs environnementaux et génétiques.
tions avec l'environnement. Chez les Pimas de La rapidité de son émergence a montré que les
Maycoba, l'IMC était plus faible (25 contre facteurs environnementaux jouent un rôle cri-
33,5 kg/m2) et la prévalence du diabète de tique. À l'inverse, cela suggère que la survenue
type 2 nettement inférieure (6 % contre 54 %). de la maladie chez des individus prédisposés
Ces données montrent que, indépendamment pourrait être prévenue si des mesures appro-
de la prédisposition génétique à prendre du priées étaient adoptées.

Zoom 5.6

À quoi peut servir un modèle animal de diabète de type 2 ? Destinée d'un


top-modèle
Le rat GK chien provoquait un diabète sucré, de nombreux
GK ? Logo d'une marque de liqueur à base de modèles animaux avec un diabète expérimenta-
guignes fraîchement cueillies et d'eaux-de-vie lement induit ou spontané ont été/sont utilisés
de cerise ? En fait, dénomination d'une célèbre dans la perspective d'une meilleure compréhen-
(uniquement au sein du cercle très limité de ses sion de la maladie et d'une amélioration des
consommateurs !) lignée de rats à l'origine d'un attitudes thérapeutiques. Cela est valable pour
paradigme scientifique inédit. Les rats de la le diabète de type 2 bien sûr, mais aussi pour
lignée dite Goto-Kakizaki (rats GK) expriment le diabète de type 1. L'essentiel de ce que l'on
spontanément les principaux troubles métabo- connaît au sujet des processus pathologiques,
liques et hormonaux caractéristiques du dia- des anomalies de l'insulinosécrétion et de la
bète de type 2 humain : hyperglycémie basale signalisation insulinique, des effets modulateurs
modérée en période interprandiale (en dehors de la nutrition, ou encore des désordres immu-
de la prise alimentaire), dégradation très nette nitaires, dérive de l'étude des diabètes animaux.
de la tolérance glucidique et déficit de sécrétion Les modèles de diabète sont de fait fondamen-
d'insuline en période prandiale (à chaque prise taux et incontournables puisque l'investigation
alimentaire), et enfin diminution de la sensibi- directe chez les sujets humains se prête rarement
lité à l'insuline des tissus adipeux, musculaires et à une approche fondamentale des phénomènes
hépatiques [64]. cellulaires, du fait de l'inaccessibilité des tissus,
des très longues durées d'observation requises
À quoi peut servir un modèle animal et des interdictions d'ordre éthique. Parce qu'il
de diabète de type 2 ? existe actuellement une véritable pandémie de
À tester des idées et à apporter des réponses diabète de type 2, que nombre des facettes de sa
rationnelles aux questions soulevées par la pathophysiologie restent largement inconnues
même maladie chez l'homme ! Depuis la décou- et que le besoin en solutions curatives et/ou
verte par Minkowski il y a plus de 130 ans que préventives devient plus pressant, les modèles
l'ablation du pancréas (pancréatectomie) chez le animaux de diabète de type 2 représentent plus

196 Physiopathologie du diabète

que jamais un élément stratégique dans l'orga- diabète de type 2, au moins aussi vaste que celle
nisation de la recherche en diabétologie. décrite chez l'homme diabétique :
Des syndromes ressemblant au diabète de type 2 a) chez certaines lignées, l'obésité est associée
humain se produisent spontanément chez cer- au diabète de type 2 ;
taines espèces animales. Parmi les modèles b) ce n'est pas le cas dans d'autres ;
animaux, les modèles murins qui reproduisent c) le degré de sévérité de l'hyperglycémie et/ou
spontanément les caractéristiques principales du de l'intolérance glucidique est très variable ;
diabète de type 2 sont aujourd'hui essentiels à d) dans beaucoup de modèles, l'insulinorésis-
l'étude des anomalies génétiques responsables tance représente le défaut primaire ;
de la maladie. L'homogénéité génétique des
e) dans d'autres, la détérioration de la
souches (rongeurs), le contrôle strict de l'envi-
sécrétion de l'insuline survient avant
ronnement et la sélection des croisements les
l'insulinorésistance.
plus informatifs permettent de simplifier la loca-
lisation des régions chromosomiques liées à la Ainsi, chaque modèle aide à l'identification
maladie et l'identification des gènes morbides. des composants de la séquence pathogène qui
Enfin, ces dernières années ont vu se développer conduit au diabète de type 2, mais aucun de ces
des cartes génétiques de rongeurs extrêmement modèles ne peut, à lui seul, être considéré comme
résolutives. Ces cartes permettent d'établir une une reproduction fidèle de la maladie humaine.
correspondance entre les génomes du rat et de L'objectif de ce qui suit est donc de montrer
l'homme : l'identification des loci ou des gènes concrètement comment le chercheur peut faire
liés au diabète de type 2 chez les rongeurs per- « parler » un modèle animal de diabète de type 2
met donc d'orienter la recherche des gènes can- (le rat GK ici) pour améliorer notre connaissance
didats chez l'homme en se concentrant sur les des mécanismes qui conduisent au diabète.
régions synténiques humaines. En génomique Recette pour créer un modèle de diabète de
comparative, le terme de synténie décrit des type 2 spontané
régions chromosomiques conservées entre plu- Le diabétologue japonais Yoshio Goto
sieurs espèces. Pour des espèces relativement (figure 5.17) est à l'origine de la création de
proches au niveau phylogénétique (rongeurs, cette lignée, à l'université Tohoku à Sendai.
homme), l'organisation spatiale des gènes au Avec son collègue Masaei Kakizaki, il a utilisé
sein de ces régions est souvent conservée en comme point de départ une technique de sélec-
bloc au cours de l'évolution. tion animale basée sur un caractère phénotypique
À côté des modèles animaux de diabète de quantifiable : la valeur de la tolérance glucidique
type 2 à caractère spontané, il est possible d'in- (trait phénotypique plus fin que la simple valeur
duire expérimentalement des syndromes res- de la glycémie basale). La tolérance au glucose
semblant au diabète de type 2 : est quantifiée ici par des mesures répétées de
a) en traitant les animaux (là encore essen-
tiellement des rongeurs) par des molécules
cytotoxiques telles que l'alloxane et la
streptozotocine ;
b) par ablation du tissu pancréatique ;
c) en manipulant les ingestats (régimes hyper-
lipidiques ou hyperglucidiques) et en asso-
ciant entre elles plusieurs de ces procédures.
C'est ainsi qu'un nombre impressionnant
d'espèces de mammifères, essentiellement des
rongeurs de laboratoire, présente des formes
variées de diabète avec une ou plusieurs des
caractéristiques du diabète de type 2 humain. Il
existe donc chez l'animal une hétérogénéité du Figure 5.17. Yoshio Goto.

▲ Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 197

la glycémie durant les deux heures qui suivent 1. hyperproduction hépatique de glucose ;
l'administration d'une dose calibrée de glucose 2. insulinorésistance périphérique (et cela en
par gavage (test de tolérance au glucose par voie l'absence d'obésité avérée) ;
orale, OGTT). On sait que dans une population 3. déficit d'insulinosécrétion (dû à la conjonc-
normale de rats de la souche Wistar (souche tion d'un déficit numérique de cellules bêta et
choisie par Goto et Kakizaki ; c'est une souche de l'absence de réactivité des cellules bêta rési-
tout à fait courante de rats normaux, donc non duelles au glucose).
diabétiques), la mesure de ce paramètre sur un Les rats GK âgés développent tous des compli-
grand nombre d'individus montre que les valeurs cations (néphropathie, rétinopathie).
individuelles obtenues suivent une distribution
Chez le rat GK, l'hyperglycémie basale (assortie
classique selon un mode dit gaussien (courbe
d'une hypertriglycéridémie modeste) apparaît
de Gauss). Cette distribution indique donc que
seulement après le sevrage. Or c'est précisé-
90 % des individus de la population testée ont une
ment le moment où l'anomalie sécrétoire des
tolérance au glucose normale, mais que quelques
cellules bêta GK (perte de la réponse au glu-
individus (< 5 %) ont une gluco-tolérance légè-
cose) devient détectable. Il existe donc une
rement supérieure à la normale, et que quelques
corrélation chronologique entre l'acquisition
autres (< 5 %) ont une gluco-tolérance légère-
de l'anomalie sécrétoire et l'exposition des
ment inférieure à la normale. Goto et Kakizaki
cellules bêta à un environnement métabolique
ont fait l'hypothèse que ces derniers individus
diabétique. Ces changements dans le fonction-
(mâles et femelles) pouvaient être intéressants
nement bêta-cellulaire pourraient donc refléter
du fait de leur légère intolérance par rapport à
une perte de l'état de différenciation des cel-
la population générale. Ils les ont donc croisés
lules bêta lorsqu'elles sont exposées à l'hyper-
entre eux et ces croisements ont été poursuivis
glycémie et/ou à l'hyperlipidémie chroniques
sur des dizaines de générations. À la 10e géné-
(même d'intensités modestes), un phénomène
ration, l'hyperglycémie basale devenant mani-
appelé gluco-lipotoxicité. Les îlots pancréa-
feste, des croisements entre frères et sœurs ont été
tiques chez le rat GK adulte sont le siège d'une
effectués pour obtenir une lignée génétiquement
inflammation à bas bruit. Leur vascularisation
pure. À partir de la 30e génération, les valeurs d'in-
est altérée et ils deviennent fibrotiques au cours
tolérance glucidique se sont stabilisées et tous les
du vieillissement.
rats GK, mâles ou femelles, étaient diabétiques à
l'âge adulte (figure 5.18). Six couples de rats GK Avant l'installation de l'hyperglycémie qui se
issus de la 35e génération (F35) japonaise furent fait au moment du sevrage (à quatre semaines),
gracieusement fournis en 1989 à notre Unité à il existe une période de normoglycémie chez
Paris et furent à l'origine d'une nouvelle colonie tous les jeunes rats GK, qui représente une
maintenue depuis cette date à l'université Paris- phase de prédiabète bien identifiable. Pendant
Diderot (lignée dite GK/Par). Dans notre modèle cette période, il existe déjà un déficit important
GK/Par, tous les animaux adultes, quel que soit (diminution de moitié) du nombre des cellules
leur sexe, gardent un poids normal (diabète sans bêta pancréatiques. En fait, ce déficit bêta insu-
surpoids) et présentent une hyperglycémie à jeun laire est très précoce puisqu'il est présent chez le
modérée (11 mM) et stable (> 24 mois). Le dia- fœtus in utero, et nous avons montré qu'il était
bète GK/Par est remarquablement stable, puisque en relation avec un déficit partiel de la différen-
aucune atténuation, ni aggravation, de la gravité ciation des toutes premières cellules bêta fœtales
du diabète n'a été observée en plus de 30 ans dans (ce qu'on appelle la néogenèse des cellules
nos conditions d'élevage [64]). bêta). Nous pensons que c'est là que se situe
l'anomalie princeps, la plus précoce et à l'ori-
Écrire l'histoire naturelle du diabète de gine de l'installation ultérieure du diabète dans
type 2, version rat GK ce modèle. Il est important de retenir que cette
Chez les rats de la lignée GK/Par, l'hypergly- anomalie princeps est observée chez le fœtus
cémie diabétique, lorsqu'elle est installée, est qui est plongé dans l'environnement diabétique
accompagnée de la triade pathologique caracté- de sa mère tout au long de son séjour in utero
ristique du diabète de type 2 humain : (la mère GK est évidemment hyperglycémique).

198 Physiopathologie du diabète

SOUCHE NON DiAB


20

NOMBRE DE RATS
(% DU TOTAL)
0
N

iNDEX GLYCÉMIQUE

F1
F2

F3
F4
F5
F6

F35 F150

LiGNÉE GK
20 F35
NOMBRE DE RATS
(% DU TOTAL)

F150

0
Non DiAB DiAB

iNDEX GLYCÉMIQUE

Figure 5.18. Du rat W (Wistar) non diabétique au rat GK (Goto-Kakizaki) spontanément diabétique.
La lignée consanguine de rats GK (souche Wistar) a été inventée par Y. Goto à l'université de Tohoku, Sendai, Japon,
par élevage sélectif de rats W normaux sur plusieurs générations, en utilisant la valeur de tolérance au glucose (et non
la valeur de glycémie de base uniquement) comme phénotype discriminant. Seuls les rats W sélectionnés à la limite
supérieure de la normale distribution pour la tolérance au glucose ont été utilisés. L'état diabétique (hyperglycémie
basale) s'est stabilisé après les 30 générations de croisements sélectifs dans la colonie japonaise d'origine. Ici est
illustrée la distribution de la somme des valeurs de glycémie (marqueur phénotypique appelé index glycémique)
mesurées lors de tests standardisés de tolérance au glucose par voie orale réalisés chez des rats W parents d'origine,
chez des rats des générations F1 à F35 dans la colonie japonaise d'origine et chez les rats des générations F35 à
F150 élevés dans nos conditions à Paris de 1989 à nos jours (sous-lignée GK/Par). Dans la lignée consanguine de
rats GK/Par, tous les rats sont indemnes de surpoids, non cétosiques et présentent une hyperglycémie basale à jeun
modérée et une forte intolérance au glucose en période prandiale.

Enquêter sur la transmission gène morbide. Or ce gène morbide unique


intergénérationnelle du diabète, version n'existe pas puisque le génome du rat GK est
issu d'un génome normal, celui du rat Wistar !
rat GK
La transmission du risque de diabète ne peut
Ce qui est étonnant, c'est que le diabète du donc s'expliquer par un mode héréditaire mono-
rat GK affecte à chaque génération tous les indi- génique. La transmission du risque de diabète
vidus, et cela depuis plus de 100 générations. peut-elle alors refléter un mode polygénique
Comment expliquer une telle héritabilité ? impliquant de multiples gènes de susceptibilité
Le plus simple évidemment est d'imaginer qu'il dont la combinaison organiserait la prédispo-
existe un gène morbide responsable du diabète sition à la maladie ? C'est tout à fait probable
de type 2. L'hérédité du diabète GK r­ efléterait puisque nos travaux ont permis d'identifier
alors la transmission entre générations de ce différentes régions chromosomiques (des loci)

▲ Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 199

contenant plusieurs gènes (dont l'identité reste Les nouveau-nés issus de ces mères GK sont
à établir) et situées sur des chromosomes dif- ensuite allaités par des mères nourrices Wistar
férents. Ces régions ont été appelées Nidd/gk (non diabétiques), puis sevrés normalement.
et numérotées de 1 à 6 (NIDD : Non Insulin Les résultats obtenus ont montré que l'expo-
Dependent Diabetes). Nous avons identifié sur sition in utero à l'hyperglycémie maternelle
les chromosomes 2 et 17 deux loci liés, res- (génération 0, F0) à elle seule suffit pour retar-
pectivement, à l'insulinémie à jeun (Nidd/ der la mise en place des premières cellules bêta
gk2) et à la glycémie à jeun (Nidd/gk6). Des chez le fœtus (génération 1, F1), et induire à
loci de contrôle de la réponse insulinosécré- long terme (chez l'adulte) un déficit important
trice au glucose ont été situés sur les chromo- de cellules bêta. Ces données accréditent donc
somes 4 (Nidd/gk3) et 8 (Nidd/gk5). Enfin, l'existence d'une empreinte fœtale exercée sur
les loci Nidd/gk1 (chromosome 1) et Nidd/ la population des cellules bêta pancréatiques par
gk4 (chromosome 5) sont liés à la tolérance au l'environnement maternel diabétique. Ce scé-
glucose. Ces multiples composants génétiques nario est évidemment applicable au modèle GK,
attestent du caractère polygénique du dia- puisque à chaque génération, les mères GK
bète chez le rat GK. Enfin, la disponibilité de exposent leur descendance à une hyperglycémie
cartes génétiques extrêmement résolutives des modérée tout au long de la gestation. Ainsi,
génomes de rat et d'homme a permis de mon- l'hyperglycémie gestationnelle des femelles F0
trer que le locus Nidd/gk1 est synténique du a pu contribuer à établir dès la F1, puis à per-
chromosome 11p chez l'homme qui contient pétuer (héritabilité) au cours des générations
plusieurs gènes de prédisposition au diabète de successives, les anomalies du pancréas endo-
type 2, notamment les gènes de l'insuline et de crine GK. Il s'agit donc là d'un mécanisme
l'IGF2 (Insulin-Like Growth Factor 2). L'IGF2 non génomique stable de transmission intergé-
(Insulin-Like Growth Factor 2), aussi appelée nérationnelle du diabète, qui rend compte du
somatomédine A, est une hormone peptidique fait que l'environnement maternel hyperglycé-
présentant des similarités structurelles avec l'in- mique est à lui seul un facteur de risque de dia-
suline. Elle est normalement sécrétée par le foie bète (voir Chapitre 5) [65].
et possède des propriétés hypoglycémiantes, Comme les réponses à une question simple
mitogènes, et régulatrices de la croissance. ne sont jamais simples, il existe un autre scé-
C'est un facteur de croissance important chez nario théoriquement possible (pas exclusif,
le fœtus, tout comme l'IGF1 est un facteur de mais alternatif et potentiellement additif) pour
croissance chez l'adulte. aboutir à la même conclusion : l'ovocyte GK
L'hérédité polygénique du diabète chez le subit l'influence de l'environnement diabé-
rat GK suffit-elle à elle seule à expliquer l'hérita- tique ; certaines catégories de microARN pré-
bilité du diabète dans ce modèle ? Probablement sents dans cet ovocyte sont modifiées (nature,
pas, car il existe d'autres causes potentielles qui quantité) au cours de sa différenciation dans
doivent être prises en compte chez le rat GK. les ovaires de la femelle GK ; ces microARN
N'oublions pas d'abord que la femelle GK est anormaux se retrouvent donc dans l'œuf une
diabétique tout au long de sa vie et qu'elle fois la fécondation réalisée ; ils sont à l'origine
le reste à chacune de ses gestations, exposant de modification de la différenciation des tis-
ainsi ses fœtus à un environnement intra-utérin sus somatiques, en particulier des cellules bêta
hyperglycémique. L'environnement maternel insulaires ; le descendant F1 naît avec un défi-
hyperglycémique à lui seul peut-il contribuer au cit de cellules bêta. Les cellules somatiques de
risque de DT2, même si le génome fœtal est la F1 (et donc les cellules bêta) héritent d'un
normal ? Est-ce vrai dans le cas du modèle GK ? épigénome anormal. Il s'agit donc cette fois-ci
Pour le démontrer, nous avons utilisé une stra- d'un mécanisme épigénétique de transmission
tégie expérimentale reposant sur l'implantation intergénérationnelle du diabète (voir Chapitre
d'ovocytes fertilisés (génome normal) prove- 5). Ce scénario, plausible car validé dans cer-
nant de mères non diabétiques de souche Wistar tains modèles, ne l'a cependant pas encore été
dans l'utérus de rates gestantes diabétiques GK. dans le cas du modèle GK.

200 Physiopathologie du diabète

Puisque la mère GK contribue à l'héritabilité du ment paternel diabétique ; certaines catégories


diabète par des mécanismes non génomiques, de microARN présents dans les spermatozoïdes
l'idée d'une héritabilité non classique du risque sont modifiées (nature, quantité) au cours de sa
de diabète cette fois-ci via le père est-elle cré- différenciation (donc dans les testicules du futur
dible chez le rat GK ? Et oui ! très probablement, père) ; ces microARN anormaux se retrouvent
car nous avons montré que la présence d'un dia- dans l'œuf une fois la fécondation réalisée ; ils
bète chez le seul parent mâle suffit pour obtenir sont à l'origine d'une modification de la dif-
un déficit précoce du pancréas endocrine chez férenciation des tissus somatiques ; le descen-
les descendants F1 (croisement mâle diabétique dant F1 naît avec un déficit de cellules bêta qui
et femelle normale). Cela a été rapporté dans ne lui permet pas de disposer d'une capacité
un modèle de diabète chez le rat mâle généti- d'adaptation suffisante. Les cellules somatiques
quement normal mais rendu hyperglycémique de la F1 héritent d'un épigénome anormal. Il
par la streptozotocine, et aussi chez le rat GK s'agit cette fois encore d'un mécanisme épigé-
mâle. Quel pourrait être alors le mécanisme ? nétique de transmission intergénérationnelle
En l'absence de données expérimentales, on du diabète. Ce scénario de transmission via la
peut raisonnablement proposer l'hypothèse lignée paternelle est plausible, car validé dans
suivante (voir Chapitre 5) : les spermatozoïdes certains modèles. Il n'a pas encore été validé
paternels subissent l'influence de l'environne- dans le cas du modèle GK.

Zoom 5.7

Indispensable expérimentation animale


Fondé sur la notion d'abord intuitive que tous accessible à l'homme les thérapies géniques ou
les organismes vivants sont apparentés et par- cellulaires [66, 67] (figure 5.19).
tagent un nombre significatif de caractères com-
muns, le recours à l'animal est apparu au cours
du développement de la médecine, comme la
démarche naturelle de l'homme pour appro-
fondir sa connaissance de lui-même et vaincre
la maladie.
L'expérimentation animale sous sa forme
actuelle est née au xixe siècle sous l'impulsion
des grands physiologistes de l'époque, Claude
Bernard notamment, qui en a défini les règles
dans ses fameux Principes de médecine expéri-
mentale. Elle a été depuis largement utilisée
pour élucider les lois générales de la physiolo-
gie et du métabolisme, déchiffrer les mystères
de l'hérédité, comprendre les mécanismes de
l'immunité et les modalités de fonctionnement
du système nerveux. Sans l'expérimentation
animale, nous ne disposerions sans doute pas
de vaccins contre les maladies infectieuses, nous
ne saurions pas soigner les déficits endocriniens, Figure 5.19. Badge édité par la Société américaine de
transplanter un organe, rendre prochainement physiologie.

▲ Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 201

Tellement précieuse en diabétologie Dans le domaine des maladies métaboliques


Parmi les découvertes d'importance en patho- dont relève le diabète, il est facile de donner des
logie nutritionnelle qui sont redevables à l'ex- exemples de systèmes qui ne peuvent être étudiés
périmentation animale, la plus spectaculaire qu'à l'état intégré. En ce qui concerne l'insuline,
concerne sans doute le diabète. La cause du par exemple, les chercheurs ont pris conscience
diabète fut découverte fortuitement, vers la fin du rôle, longtemps négligé, de l'innervation
du xixe siècle. En effet, c'est dans le cadre de pancréatique dans les états d'hyperinsulinisme
recherches sur la fonction digestive du pancréas accompagnant l'obésité et dans certains déficits
que l'on a mis en évidence cette pathologie sur de l'insulinosécrétion qui s'observent dans des
des chiens ayant subi l'ablation de cet organe. formes modérées de diabète. Or, il est évident
Ces travaux, poursuivis pendant les décennies que ce problème ne peut être étudié que sur un
suivantes, ont permis de postuler l'existence modèle expérimental intégré, incluant le pan-
d'une hormone glucorégulatrice, puis de l'iso- créas, son innervation autonome et les centres
ler en 1921. Ainsi fut découverte l'insuline. nerveux qui la régulent. Autrement dit, de telles
Quelques mois seulement après son isolement, recherches ne peuvent être menées que sur l'ani-
on commença à l'utiliser pour traiter des cen- mal entier. Le cas de l'athérome artériel illustre,
taines, et rapidement, des milliers de diabé- de la même façon, la nécessité de travailler à par-
tiques autrement promis à une mort rapide. tir d'organismes entiers. Cette maladie touche
Bien entendu, cet exemple frappant est déjà entre autres la paroi artérielle. Or cette paroi a
ancien et certains n'hésitent pas à prétendre un métabolisme profondément influencé par les
qu'avec les progrès actuels de la biologie, l'expé- conditions hémodynamiques qui règnent dans
rimentation peut se transporter entièrement au l'artère : il est donc évident que seul un modèle
niveau cellulaire et moléculaire : on ferait ainsi in vivo permet une approche réaliste de la ques-
l'économie de l'utilisation d'animaux. Mais les tion. De même, l'obésité, pathologie dont les
choses sont autrement plus complexes. Tout effets sur la longévité sont bien connus, oblige à
d'abord il faut souligner que les cellules utilisées travailler sur un animal entier. En effet résultant
lors d'expériences in vitro proviennent le plus d'un excès des prises caloriques sur les dépenses,
souvent d'animaux qu'il faut bien euthanasier son étude doit obligatoirement prendre en
pour obtenir le matériel de départ. Certes, il compte la régulation de la consommation ali-
existe un certain nombre de souches cellulaires mentaire, aussi bien que celle de la dépense
immortalisées qui peuvent être perpétuées sans énergétique. Or la régulation de la prise alimen-
qu'il y ait lieu d'effectuer de nouveaux prélève- taire est un phénomène hautement intégré, qui
ments, mais ce type de cellules n'existe pas pour implique des structures nerveuses, notamment
tous les tissus. Par ailleurs, ces cellules immorta- hypothalamiques, ainsi que les taux circulants de
lisées présentent des anomalies intrinsèques liées divers substrats et hormones. Dans ces condi-
à des remaniements chromosomiques, ce qui tions, l'idée d'étudier un tel système au seul
rend difficile leur comparaison avec les cellules niveau cellulaire est dépourvue de sens. À noter
normales correspondantes. Ensuite, les physio- que ce sont des expériences sur l'animal por-
logistes ont fait observer depuis longtemps que teur de lésions hypothalamiques susceptibles de
dans un système complexe – tissu, organe, orga- modifier la prise alimentaire qui ont conduit à la
nisme – les propriétés du tout ne peuvent se mise au point de techniques stéréotaxiques, pré-
déduire de celles des parties. Ce constat paraît cieuses dans certaines interventions chirurgicales
indépassable, en l'état actuel des connaissances, cérébrales chez l'homme. C'est l'expérimenta-
et pour longtemps. Enfin la même remarque tion animale qui a permis d'établir les lois de
vaut, en fait, pour la biologie cellulaire ou la la transplantation d'organes et l'étude détaillée
biologie moléculaire, et les biologistes les plus des mécanismes responsables du rejet des gref-
réductionnistes ne sont pas prêts à accepter l'idée fons. On lui doit aussi la mise au point de molé-
que les propriétés des molécules biologiques cules qui empêchent, retardent ou atténuent ce
puissent être déduites de leurs ultimes consti- rejet. Sans expérience sur les animaux, il aurait
tuants : l'ensemble de la biologie s'en trouverait été impossible de parvenir à la réussite dans le
condamné et la seule science expérimentale qui domaine des greffes de pancréas ou d'îlots de
resterait de mise serait la physique des particules ! Langerhans. Mentionnons pour terminer l'inté-

202 Physiopathologie du diabète

rêt de la femelle gestante. Ce modèle, et lui seul, assez mal le procès d'intention qui leur est fait
offre la possibilité d'étudier les interactions entre quant à leur supposée indifférence au bien-être
diabète maternel, développement fœtal, survie animal. Dans la réponse qu'elle a publiée en 2015
néonatale et développement ultérieur. à Stop Vivisection, la Commission européenne
Bien d'autres exemples pourraient encore être jugeait prématuré un bannissement immédiat,
traités quant au rôle majeur de l'expérimenta- mais elle concédait « partager la conviction que
tion animale dans la progression de nos connais- l'expérimentation animale doit être progressi-
sances sur le diabète. vement supprimée en Europe ». Une position
qui inquiète beaucoup les chercheurs, car peu
Très critiquée malgré un encadrement d'entre eux croient qu'on pourra un jour, même
strict à long terme, se passer totalement des études sur
Reste qu'en dépit de sa contribution incompa- les modèles animaux [67].
rable aux progrès de la biologie et de la médecine,
le recours aux modèles animaux est désormais la Les pièges du tout SMA (« sans modèle
cible de critiques de plus en plus virulentes, tant animal »)
sur le plan épistémologique qu'éthique. Devant En réalité, l'interdiction complète des tests sur
le nombre de plus en plus grand d'organismes l'animal est déjà appliquée en Europe depuis
modèles à sa disposition, le biologiste se doit 2009 dans le domaine des produits cosmétiques,
aujourd'hui de bien s'interroger sur la pertinence et cela pourrait un jour poser problème : en cos-
de celui ou ceux qu'il va choisir pour répondre métologie, les tests peuvent être pratiqués sur
à la question qu'il se pose. Toutefois, bien plus des cultures isolées de peau humaine, mais il faut
que les interrogations sur la validité et la valeur savoir que cette peau bioartificielle ne comporte
prédictive des modèles animaux, ce sont celles ni poils, ni terminaisons nerveuses, ni vaisseaux
concernant le statut et le bien-être de l'animal sanguins, bref rien de tout ce qui fait de la peau
qui, trouvant un écho croissant auprès de la popu- un organe et pas un simple tissu. Ainsi, les tests
lation, ont fini par mettre l'expérimentation ani- pratiqués vont pouvoir nous dire si tel ou tel
male sur la sellette. La communauté scientifique produit est irritant ou localement cancérigène,
n'a d'ailleurs pas attendu que le grand public et le mais nous ne saurons pas par exemple si les éven-
législateur s'y intéressent pour réfléchir aux pro- tuelles nanoparticules entrant dans sa composi-
blèmes éthiques posés par l'expérimentation ani- tion peuvent gagner la circulation sanguine et
male et à l'élaboration de méthodes alternatives. interférer avec notre système immunitaire. Dans
Dès 1959 ont été posés les principes permettant le développement de nouveaux médicaments,
de favoriser les méthodes d'investigation pouvant renoncer à l'expérimentation sur plusieurs
se substituer à l'utilisation de l'animal (replace- modèles animaux revient à reporter le risque sur
ment, substitution en français), mais aussi celles l'être humain. Le scandale de la thalidomide, cet
capables de réduire le nombre d'animaux utilisés antinauséeux prescrit dans les années 1950 aux
(réduction) ou encore de diminuer la douleur femmes enceintes et qui a entraîné la naissance de
ou le stress imposés à ces animaux (refinement, dizaines de milliers d'enfants malformés, illustre
amélioration en français). Cette philosophie dite dramatiquement ce risque. La molécule avait
des 3 R a également inspiré la plupart des recom- été testée sur des rates gravides, sans qu'aucun
mandations éthiques, règlements et lois élaborés effet tératogène ne soit détecté. Or, la thalido-
depuis pour réguler le recours à l'expérimenta- mide n'est pas métabolisée de la même manière
tion animale. Ces progrès et ces réglementations par les rongeurs et par les primates. Il faut se
sont néanmoins jugés insuffisants par une par- méfier de la facilité du modèle animal unique
tie du public. L'initiative citoyenne européenne et généraliste. On viole aussi l'éthique en utili-
« Stop Vivisection », prônant notamment l'inter- sant un modèle inadéquat. Depuis le désastre de
diction de toute expérimentation sur l'animal au la thalidomide, le recours à une espèce « non-
profit de méthodes substitutives, a été lancée en rongeur » est devenu obligatoire dans les essais
2012 et signée par 1,2 million de citoyens de précliniques des médicaments. La difficulté est
l'UE (Union européenne). Outre la guérilla que la même pour la recherche fondamentale, où se
mènent certains activistes contre les centres de restreindre à l'étude des molécules, des cellules
recherche animale, les scientifiques supportent et des tissus risque de freiner tout progrès dans
Chapitre 5. Le diabète, c'est dû à quoi ? 203

notre compréhension de la mécanique et des animaux, car c'est tout simplement le seul
interactions complexes entre constituants qui moyen dont nous disposons pour observer et
caractérisent tout organisme vivant. Même si de comprendre le fonctionnement de l'organisme
nouvelles approches et des méthodes d'explora- et les mécanismes des grandes maladies systé-
tion révolutionnaires émergent, l'utilisation de miques comme le diabète, les maladies neurodé-
modèles animaux demeurera encore longtemps génératives ou les cancers. Bien entendu, cette
indispensable au progrès scientifique et médical. recherche doit se faire dans le plus grand respect
La recherche biologique a besoin des modèles des règles d'éthique et de bien-être animal.

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Chapitre 6
Le diabète, c'est
dangereux. Pourquoi ?

Morbidité et mortalité. L'hypoglycémie est une autre complication,


encore plus courante, en cas de diabètes de type 1
Le cortège des et de type 2, liée à l'utilisation inadaptée d'insuline
ou de sulfonylurées (en cas de mauvais équilibre
complications chroniques entre les médicaments hypoglycémiants, l'ali-
mentation et l'activité physique). Les glucides à
Les personnes atteintes de diabète (qu'il s'agisse action rapide, tels qu'une boisson sucrée, ou des
de diabète de type 1 ou de type 2, les consé- sucreries, permettent de pallier une hypoglycémie
quences sont les mêmes) sont exposées à un risque modérée. L'hypoglycémie grave survient lorsque
plus important de développer divers problèmes de la personne diabétique a besoin d'une assistance
santé invalidants (les médecins parlent de mor- médicale externe. Cette situation peut entraîner
bidité) et potentiellement mortels (les médecins une perte de connaissance et un coma. Un traite-
parlent de mortalité) que celles qui n'en sont pas ment rapide par glucagon ou glucose en intravei-
atteintes [1]. Ces complications peuvent être dis- neuse est alors nécessaire.
tinguées en fonction de leur cinétique d'appari- Les complications dites chroniques apparaissent
tion chez le patient diabétique. au bout de quelques années de maladie et sont
Les complications dites aiguës peuvent appa- difficilement réversibles. Un diabète mal contrôlé,
raître en quelques minutes/heures et peuvent avec une glycémie élevée en permanence, peut
être corrigées par une intervention adaptée. Les être à l'origine de maladies graves touchant le
complications aiguës du diabète, résultant d'une système cardiovasculaire, les yeux, les reins et les
hyperglycémie hors norme, sont courantes en cas nerfs, soit une panoplie particulière de patholo-
de diabète de type 1 mais peuvent aussi survenir gies regroupées sous le terme de complications du
avec certains médicaments, en cas de diabète de diabète [2–4]. En outre, les personnes atteintes
type 2. Elles peuvent entraîner des lésions neuro- de diabète sont davantage exposées aux infec-
logiques irréversibles ou le décès. En cas de dia- tions. Dans la plupart des pays à revenu élevé, le
gnostic tardif du diabète de type 1, on observe diabète est devenu une cause majeure de mala-
généralement une accumulation de cétones dans dies cardiovasculaires, de cécité, d'insuffisance
l'organisme, appelée acidocétose diabétique (voir rénale et d'amputation des membres inférieurs
Zoom 1.2). L'acidocétose diabétique nécessite (figure 6.1) [5].
une prise en charge spécifique et spécialisée. Avec L'augmentation de la prévalence du diabète
une telle prise en charge, les résultats sont en géné- de type 2 dans les pays à faible ou moyen revenu
ral satisfaisants mais le décès reste possible, surtout implique que la fréquence de ses complications
si un œdème cérébral se développe. Des études connaîtra inéluctablement une augmentation
récentes montrent que l'acidocétose diabétique importante, à moins de mettre en place une straté-
peut occasionner des troubles neurocognitifs à gie permettant une meilleure gestion du diabète.
moyen terme. En effet, il faut dix à vingt ans de diabète pour voir
Physiopathologie du diabète
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206 Physiopathologie du diabète

DANS LE MONDE, CHAQUE :

– 12 MIN : UN AVC

60 5 – 19 MIN : UN INFARCTUS DU MYOCARDE


55
50

10
– 19 MIN : UNE AMPUTATION
45

15
40

20
– 60 MIN : UNE DIALYSE
35 25
30

– 90 MIN : UNE CÉCITÉ

Figure 6.1. Le chronomètre de l'horreur.


Fréquence de survenue des complications du diabète dans le monde.
D'après Lefèbvre P. La pandémie de diabète : un fléau cardiovasculaire et une menace pour les systèmes de santé et l'économie mondiale. Med
Mal Metab 2008 ;2(2):169-79.

apparaître une ou plusieurs de ses c­ omplications. à l'hypertension. La rétinopathie diabétique est


Or, on sait que les complications du diabète plus courante chez les diabétiques de type 1. Chez
peuvent être évitées ou pour le moins retardées, les diabétiques de type 2, il existe des différences
en normalisant autant que possible en priorité la nettes de prévalence entre les Asiatiques (20 %), les
glycémie, mais aussi la lipémie, le taux de choles- Caucasiens (45 %) et les Afro-Américains (56 %).
térol et la pression artérielle. Chez les personnes atteintes de rétinopathie, le
réseau de microvaisseaux sanguins alimentant la
rétine est progressivement dégradé (microan-
Le cortège morbide giopathie), ce qui va provoquer une perte de la
associé au diabète vision. Toutefois, si la rétinopathie est détectée à
un stade précoce, un traitement peut être adminis-
Les maladies oculaires liées au diabète sont une tré pour éviter la cécité (d'où la nécessité que les
complication particulièrement redoutée du dia- personnes atteintes de diabète se soumettent à des
bète, elles comprennent essentiellement la rétino- examens ophtalmologiques réguliers). Une bonne
pathie diabétique, l'œdème maculaire diabétique, maîtrise de la glycémie réduit considérablement le
la cataracte et le glaucome. Dans la plupart des risque de rétinopathie.
pays, la rétinopathie diabétique est l'une des prin- Les maladies rénales (néphropathies) sont beau-
cipales causes de cécité parmi la population active coup plus fréquentes chez les diabétiques [6, 7].
avec des conséquences personnelles et socio- À l'échelle mondiale, plus de 80 % des insuffi-
économiques terribles, alors qu'elle est poten- sances rénales terminales sont dues au diabète, à
tiellement évitable et traitable. D'après l'analyse l'hypertension ou à une combinaison des deux.
de 35 études réalisées à travers le monde entre Le pourcentage d'insuffisances rénales terminales
1980 et 2008, la prévalence globale de la rétinopa- attribuées au diabète varie entre 10 et 67 %. La
thie chez les diabétiques, objectivée par une image- prévalence des insuffisances rénales terminales
rie rétinienne, a été estimée à 35 %. La prévalence de est jusqu'à 10 fois supérieure chez les personnes
la rétinopathie diabétique augmente avec la durée vivant avec le diabète par rapport au reste de la
du diabète, qu'il soit de type 1 ou de type 2, et est population. Dans le diabète de type 2, l'hyperten-
associée à un défaut de contrôle de la glycémie et sion précède souvent la néphropathie, tandis que
Chapitre 6. Le diabète, c'est dangereux. Pourquoi ? 207

dans le diabète de type 1, l'hypertension en est les atteintes cérébrovasculaires, l'artériopathie


une conséquence le plus souvent. L'hyperglycémie ­périphérique et l'insuffisance cardiaque congestive
induit une hyperfiltration et des altérations mor- qui survient lorsque le cœur ne peut plus pom-
phologiques dans les reins qui entraînent ensuite per le sang normalement (il n'y a donc plus suf-
une excrétion excessive d'albumine dans les urines fisamment de sang pour fournir de l'oxygène et
(albuminurie), des lésions des podocytes et une des nutriments aux organes). Ces pathologies se
perte de la surface de filtration, d'où l'utilisation manifestent sous forme d'événements spécifiques,
de l'albuminurie et de la filtration glomérulaire d'hospitalisations, d'interventions et de décès dus
comme tests de dépistage dans ce cas. Les podo- à un syndrome coronarien aigu, un infarctus du
cytes des cellules épithéliales ramifiées composent myocarde, un accident vasculaire cérébral isché-
le feuillet viscéral de la capsule de Bowman au mique et hémorragique ainsi qu'une mort subite.
niveau du glomérule rénal. Leurs ramifications L'artériopathie périphérique est aussi une cause
s'entrelacent autour des capillaires glomérulaires. importante d'amputation des membres inférieurs.
Les podocytes reposent sur une membrane basale, Collectivement, les maladies cardiovasculaires
formée par la fusion de leur lame basale avec celle représentent entre un tiers et la moitié de tous les
de l'endothélium des capillaires. Le rôle des podo- décès. Le diabète en soi induit un risque accru de
cytes est d'assurer la filtration du plasma sanguin maladies cardiovasculaires par le biais de plusieurs
pour donner l'urine primitive. Les dommages mécanismes, notamment la résistance à l'insuline,
subis par les petits vaisseaux sanguins rénaux l'inflammation, la dysfonction endothéliale et les
(microangiopathie) au cours du diabète contri- effets toxiques du glucose sur la microvasculari-
buent aussi à la néphropathie. La stratégie la plus sation. En outre, l'hyperglycémie chronique est
efficace pour réduire l'impact des néphropathies associée le plus souvent à un ensemble d'autres
liées au diabète consiste à prévenir le diabète de facteurs de risque tels que notamment l'hyper-
type 2 et, parmi les personnes vivant déjà avec le tension, la dyslipidémie et l'obésité abdominale.
diabète, à diagnostiquer et traiter la néphropathie Le tabagisme et une activité physique insuffisante
dès les premiers signes. Le diabète et la néphro- font aussi courir un risque supplémentaire impor-
pathie sont fortement associés aux maladies tant. Cette large gamme de facteurs de risque
cardiovasculaires. (qui ont des effets additifs) offre heureusement
Les maladies cardiovasculaires constituent la de nombreuses possibilités d'interventions à visée
plus importante cause de morbidité et de morta- thérapeutique. En diminuant la tension artérielle
lité chez les personnes vivant avec le diabète [4, 8– et la glycémie et en prenant des hypocholestérolé-
10]. Les études épidémiologiques indiquent que miants, il est possible de réduire de façon significa-
le risque relatif de maladies cardiovasculaires est tive le risque de maladies cardiovasculaires.
accru d'un facteur 2 lorsque le patient est dia- La neuropathie périphérique est la forme la plus
bétique. Néanmoins, le risque relatif de mala- courante de neuropathie diabétique [11, 12]. Elle
dies cardiovasculaires peut varier d'une région à touche les nerfs distaux des membres inférieurs, en
l'autre et parmi les pays à revenu élevé et à faible particulier ceux des pieds. La prévalence rapportée
revenu, et il existe peu de données spécifiques sur de la neuropathie périphérique diabétique va de 16
cette variabilité. Bien que les taux d'incidence des à près de 87 %. Une neuropathie diabétique dou-
maladies cardiovasculaires et la mortalité corres- loureuse est signalée chez 25 % des adultes vivant
pondante aient nettement diminué dans de nom- avec le diabète. Les lésions nerveuses résultent de
breux pays ces dernières décennies, ces données l'exposition des tissus nerveux à l'hyperglycémie
se limitent aux pays à revenu élevé qui repré- prolongée. Elles peuvent affecter n'importe quel
sentent seulement 10 % du monde, pendant que nerf dans l'organisme. Le type le plus courant est
les tendances et progressions dans la plupart des la neuropathie périphérique qui affecte principale-
autres pays restent inconnues. Les types les plus ment les nerfs sensoriels dans les pieds. Cela altère
courants et classiques de maladies cardiovascu- principalement la fonction sensorielle de manière
laires associés au diabète sont les coronaropathies, symétrique, entraînant des sensations anormales
208 Physiopathologie du diabète

et un engourdissement progressif. Elle peut aussi Et en prime, quelques


induire des douleurs. Ces symptômes sont parti- comorbidités
culièrement importants car, de ce fait, des bles-
sures peuvent passer inaperçues, entraînant une
supplémentaires
ulcération et des infections graves. Une neuropa-
thie peut également conduire à un dysfonction- Diabète et santé bucco-dentaire
nement érectile, à des problèmes de digestion
Le diabète est associé à un risque accru d'inflam-
ou de miction. Hormis des lésions nerveuses, les
mation de la gencive (gingivite) chez les personnes
personnes atteintes de diabète peuvent développer
dont la glycémie est mal maîtrisée. La gingivite est
des problèmes liés à une mauvaise circulation vers
à son tour une cause majeure de perte de dents et
les pieds, à la suite de lésions vasculaires (microan-
peut augmenter le risque de maladies cardiovascu-
giopathie et macroangiopathie). Ces problèmes
laires. La gestion de la gingivite ne doit pas être
augmentent le risque d'ulcération, d'infection et
négligée chez les personnes atteintes de diabète
d'amputation. Les personnes atteintes de diabète
car une hygiène buccale optimale permet d'éviter
sont exposées à un risque d'amputation jusqu'à
la perte des dents, facilite une alimentation saine
20 fois supérieur à celui des personnes qui ne sont
et améliore la maîtrise de la glycémie.
pas atteintes de cette maladie. La prévalence mon-
diale des complications du pied diabétique va de
3 % en Océanie à 13 % en Amérique du Nord. Elle Diabète et cancer
est supérieure chez les personnes vivant avec un
diabète de type 2 par rapport aux personnes vivant Un risque accru de cancer a été détecté chez les
avec un diabète de type 1. Toutefois, si le diabète adultes vivant avec le diabète de type 2 et ceux
est bien géré, une grande partie des amputations qui présentent un surpoids ou une obésité [13].
peut être évitée. Compte tenu de ces risques, il Les associations les plus probantes concernent le
est important que les personnes atteintes de dia- cancer du sein et de l'endomètre chez les femmes,
bète fassent examiner leurs pieds régulièrement. et le cancer colorectal et le cholangiocarcinome
Les femmes atteintes d'un diabète, quel qu'en soit intrahépatique (foie) dans les deux sexes. Le cho-
le type (2 ou 1), risquent diverses complications langiocarcinome est un cancer qui se développe à
pendant la grossesse, étant donné que l'hypergly- partir des cellules biliaires, les cholangiocytes, qui
cémie peut affecter le développement du fœtus tapissent la paroi des voies biliaires.
(voir Chapitre 5 – L'environnement fœtal et le Le risque va de 20 % de risque supplémentaire
risque de diabète de type 2). Les femmes atteintes (cancer du sein) à un risque presque doublé (can-
de diabète doivent donc faire l'objet d'une sur- cer de l'endomètre et cholangiocarcinome intra-
veillance intensive, avant et pendant la grossesse, hépatique). Notons également que le diabète
pour minimiser le risque de survenue de ces com- est associé à un risque moindre de cancer de la
plications. Une glycémie élevée pendant la gros- prostate. Les résultats décrits jusqu'à présent sont
sesse peut en effet entraîner, chez le fœtus, des des associations statistiques, et l'incertitude per-
modifications qui induisent une taille et un poids dure sur la nature exacte du lien entre le risque de
excessifs. Il peut en résulter des problèmes lors de cancer et le diabète. La plupart des cellules cancé-
l'accouchement, des blessures de l'enfant et de la reuses expriment les récepteurs de l'insuline et du
mère et une baisse soudaine de la glycémie (hypo- facteur de croissance IGF1 (Insulin-Like Growth
glycémie) chez l'enfant après l'accouchement. Factor 1). Une fois activées, ces voies de signali-
En outre, les enfants exposés à une hyperglycé- sation peuvent stimuler plusieurs phénotypes de
mie de longue durée dans l'utérus sont davantage cancer, notamment la prolifération, la protection
susceptibles de développer un diabète de type 2 face aux stimuli apoptotiques, l'invasion et les
plus tard au cours de leur vie (voir Chapitre 5 – métastases, ce qui peut améliorer la promotion et
L'environnement fœtal et le risque de diabète de la progression de beaucoup de types de cellules
type 2). cancéreuses. L'incidence des différents ­traitements
Chapitre 6. Le diabète, c'est dangereux. Pourquoi ? 209

par hypoglycémiants en cas de diabète de type 2 Mortalité associée


sur le risque de cancer est sujette à controverse. au diabète
Si l'on admet aujourd'hui que l'hyperglycémie et
l'hyperinsulinisme peuvent augmenter le risque de
cancer, le rôle à cet égard de l'insulinothérapie en On estime qu'environ 4,2 millions d'adultes âgés
cas de diabète de type 2 et l'éventuel effet d'at- de 20 à 79 ans sont morts, en 2019, des suites d'un
ténuation de la metformine font l'objet d'un vif diabète et de ses complications. C'est l'équivalent
débat. Mais les études récentes de suivi de patients d'un décès toutes les huit secondes. D'après les esti-
traités avec l'insuline glargine n'ont révélé aucune mations, le diabète est lié à 11 % des décès dans le
incidence de l'insulinothérapie sur la survenue monde, toutes causes confondues dans cette tranche
d'un cancer quel qu'il soit. La metformine, un d'âge. Près de la moitié (46 %) des décès liés au dia-
traitement par voie orale courant en cas de diabète bète dans la tranche d'âge 20 à 79 ans concernent les
de type 2 (voir Zoom 7.2), a été présentée par moins de 60 ans, autrement dit la population active.
contre comme une protection contre le dévelop- À l'échelle mondiale, on compte davantage de décès
pement d'un cancer, mais cette affirmation n'est liés au diabète chez les femmes (2,3 millions) que
pas universellement acceptée. chez les hommes (1,9 million). Les décès prématu-
rés et l'invalidité liés au diabète représentent en outre
un poids économique pour les pays, souvent appelé
coûts indirects du diabète. Aux États-Unis, on estime
Diabète et dépression que les décès prématurés coûtent chaque année
On a déjà mentionné l'existence d'une inflamma- 209 milliards de dollars à l'économie et que les pertes
tion cérébrale associée ou non au diabète de type 2, indirectes totales liées au diabète s'élèvent à 90 mil-
dans l'hypothalamus (voir Chapitre 4 – Diabète de liards de dollars. Une comparaison avec d'autres
type 2. Des pannes multiples). Elle touche aussi les pathologies faites en 2013 montre que, cette année-
structures impliquées dans la régulation de l'hu- là, 5 millions de personnes sont mortes du diabète
meur et de la cognition, telles que l'hippocampe. contre 1,5 million pour le VIH (SIDA [syndrome
Par exemple, certains modèles animaux d'obésité d'immunodéficience acquise]), 1,5 million pour la
associée ou non au diabète de type 2 présentent tuberculose et 0,6 million pour le paludisme. En un
une surproduction de cytokines inflammatoires an (de 2020 à 2021, donc avant l'arrivée des vaccins
dans l'hippocampe, et qui est corrélée à la survenue anti-COVID), la pandémie de COVID due au SARS-
d'altérations émotionnelles s'apparentant à certains CoV-2 a fait 3,1 millions de morts (figure 6.2) [15].
symptômes de la dépression majeure chez l'homme.
Chez les obèses et/ou diabétiques, la prévalence
des troubles de l'humeur, tels que la dépression
majeure, atteint près de 30 % des patients, c'est-à- Le danger
dire le double de ce qui est observé dans la popu- pour les artères
lation générale non diabétique de même âge. Cela
est d'importance car la dépression augmente le
risque de développer des comorbidités telles que L'artériosclérose, terme générique pour dési-
les troubles cardiovasculaires et altère la qualité de gner un épaississement de la paroi vasculaire
vie des patients [14]. Chez le sujet obèse et/ou artérielle, représente la principale cause de mor-
diabétique, les troubles neuropsychiatriques com- talité et de morbidité dans les pays occidentaux.
pliquent la prise en charge médicale du patient : L'artériosclérose débute dès le jeune âge, et vers
la mauvaise estime de soi et l'autonégligence, qui l'âge de 20 ans, des lésions artérielles fines peuvent
sont des symptômes de la dépression, participent être observées. Il s'agit d'un phénomène physio-
au mauvais suivi des traitements et des recomman- logique lié au vieillissement naturel des artères,
dations hygiéno-diététiques, avec un impact consi- mais il est considérablement accéléré par les fac-
dérable sur la qualité de vie des patients. teurs de risque cardiovasculaire.
210 Physiopathologie du diabète

5 MILLIONS

DIABÈTE

EN 2015

1,5 MILLION 0,6 MILLION

TUBERCULOSE PALUDISME

EN 2013 EN 2013

1,5 MILLION 3,1 MILLIONS

VIH (SIDA)
SARS-CoV-2 (COVID)

EN 2013
EN 1 AN (2020/2021)

Figure 6.2. Nombre (en millions) d'adultes décédés dans le monde à cause du diabète (en 2015), de la tuberculose (en
2013), du paludisme (en 2013), du SIDA (en 2013), et de la COVID-19 (en un an, de 2019 à 2020).
D'après Le Monde. Les chiffres clés du diabète, un gigantesque marché pour les laboratoires. 14 novembre 2017. Disponible sur : www.lemonde.
fr/economie/article/2017/11/14/comment-les-laboratoires-pharmaceutiques-se-sucrent-sur-le-diabete_5214671_3234.html

L'athérosclérose est une forme d'artériosclérose d'ischémie des membres inférieurs, sont dif-
touchant les vaisseaux sanguins de moyen et gros fuses et probablement ubiquitaires. Elles ne
calibre. La maladie des grosses artères, que l'on sont pas spécifiques de la maladie diabétique,
appelle donc macroangiopathie, est due à la sclé- mais elles se distinguent chez les diabétiques
rose des vaisseaux ou athérosclérose, secondaire à par leur précocité et leur sévérité. Attention donc,
un dépôt à l'intérieur des vaisseaux, que l'on appelle car le diabète n'est pas le seul coupable ! Sont
plaque d'athérome : ce dépôt entraîne donc un égale­ment en cause les autres facteurs de risque
rétrécissement des artères. Le mot athéro-throm- cardiovasculaire. Rappelons le rôle détermi-
bose signifie que l'artère est bouchée au niveau nant du tabac, de l'hypertension artérielle, de
d'une plaque par un caillot (appelé aussi thrombus). l'augmentation des lipides (cholestérol et tri-
Les artères les plus touchées sont les artères du cœur, glycérides), de la surcharge pondérale et de la
des jambes et du cou. Au niveau du cœur, ce sont les sédentarité. C'est surtout lorsque ces autres
artères coronaires qui se bouchent, entraînant l'an- facteurs de risque s'ajoutent au diabète que
gor ou angine de poitrine avec le risque d'infarctus se trouve considérablement augmentée la fré-
du myocarde. On appelle encore cette atteinte coro- quence de la macroangiopathie. Le diabétique
naropathie, et, en terme courant, crise cardiaque. Au de type 2 cumule très souvent ces facteurs de
niveau des artères des jambes, le risque est l'artérite risque, ce qui explique que ses complications
des membres inférieurs, avec ses complications de représentent la principale cause de mortalité
gangrène qui peuvent aboutir à l'amputation. Au chez le diabétique de type 2.
niveau des artères du cou, le risque est l'accident
vasculaire cérébral (AVC, attaque) avec ses consé-
quences, l'hémiplégie, par exemple. La paroi des gros vaisseaux
Chez les diabétiques, les lésions des gros
vaisseaux, responsables d'infarctus du myo- Les plaques d'athérosclérose se développant dans la
carde, d'accidents vasculaires cérébraux et paroi artérielle, il importe d'avoir quelques notions
Chapitre 6. Le diabète, c'est dangereux. Pourquoi ? 211

structurelles. Les artères sont des tubes musculaires NO [monoxyde d'azote ou oxyde nitrique]) qui
composés de trois couches : la tunique moyenne, agissent sur les cellules musculaires de la media
ou media, est la plus épaisse, flanquée de ses deux sous-jacente. L'endothéline est un peptide sécrété
annexes, l'intima, interne, et l'adventice, externe. par l'endothélium vasculaire, ayant un effet vaso-
L'adventice ou enveloppe externe est un tissu constricteur puissant sur les cellules musculaires
conjonctif classique qui assure l'arrimage de l'ar- lisses. C'est également un stimulant de la prolifé-
tère aux organes de voisinage et assure l'inner- ration cellulaire, de la fibrose et de l'inflammation.
vation et la vascularisation de sa paroi. Media et Le thromboxane A2, synthétisé par les plaquettes
intima sont normalement avasculaires. sanguines (appelées aussi thrombocytes), et la
La media est constituée de cellules musculaires prostacycline, synthétisée par les cellules vascu-
lisses artérielles disposées au sein d'une matrice laires, sont deux agents dérivés du métabolisme
extracellulaire dense. La matrice extracellulaire lipidique. Leurs effets biologiques s'opposent, le
est un assemblage de macromolécules (colla- premier étant un agrégant plaquettaire à action
gènes, protéoglycanes, élastine et glycoprotéines vasoconstrictrice, le second un antiagrégant à
de structure) qui lient des cellules homologues action vasodilatatrice. Dans les deux cas, ce sont
ou hétérologues et les organisent en tissus. Elle des eicosanoïdes formés à partir de l'acide ara-
entoure les cellules qui la synthétisent et déter- chidonique (un acide gras polyinsaturé à vingt
mine en retour leur phénotype. Les cellules mus- carbones), lui-même produit à partir de phos-
culaires lisses des parois vasculaires produisent des pholipides membranaires sous l'action de phos-
fibres de collagène assurant la solidité des artères. pholipases. L'acide arachidonique est oxydé par
Quand les parois sont au repos, le réseau de col- des COX (cyclooxygénases, enzymes qui sont
lagène est lâche. Quand la pression sanguine aug- bloquées pharmacologiquement par l'aspirine) en
mente, les fibres s'alignent. Chez le diabétique, intermédiaires (prostaglandines H et G), remaniés
le glucose sanguin en excès crée des ponts rigides à leur tour. Dans les cellules endothéliales, la pros-
entre les fibres de collagène et les parois vascu- tacycline synthétase forme la prostacycline, tandis
laires se rigidifient. que dans les plaquettes, le thromboxane synthé-
L'intima est la couche interne qui forme l'inter- tase forme le thromboxane A2. La prostacycline
face du sang et de la paroi artérielle. Elle est com- et le thromboxane A2 sont rapidement inactivés.
posée d'une assise unique de cellules endothéliales Le NO (monoxyde d'azote ou oxyde nitrique)
jointives, reposant sur une très fine zone sous- est formé d'un atome d'oxygène et d'un atome
endothéliale dépourvue de cellules et doublée d'azote. C'est un gaz dans les conditions normales
en profondeur par une épaisse lame d'élastine, la de température et de pression. Dissous, il franchit
limitante élastique interne, qui forme la frontière facilement les membranes biologiques et passe
entre intima et media. Les cellules endothéliales, d'une cellule à l'autre, constituant un messager
du fait de leur situation, assurent trois fonctions paracrine idéal. Il est synthétisé à partir de l'argi-
principales. L'endothélium est une couche throm- nine et de l'oxygène par plusieurs enzymes dites
borésistante. Il maintient la fluidité du sang au NOS (NO synthases). NO est une molécule libé-
contact de la paroi, en participant à toutes les rée par les cellules endothéliales, les macrophages,
étapes de l'hémostase. L'endothélium est une et certains neurones. L'endothélium des vaisseaux
barrière de perméabilité qui filtre et contrôle la sanguins se sert du NO pour déclencher le relâ-
pénétration de composants sanguins (molécules, chement de sa tunique de muscle lisse, provoquant
mais aussi cellules) destinés à nourrir les parties ainsi une vasodilatation et un accroissement du
internes de l'artère et à en assurer la défense et débit sanguin et une diminution de ­l'agrégation
la réparation. L'endothélium est enfin un régu- des plaquettes sanguines (thrombocytes). C'est
lateur de la vasomotricité artérielle par la sécré- aussi le plus important des neuromédiateurs non
tion de molécules contractantes (endothéline, adrénergiques non cholinergiques. En présence
thromboxane A2) et relaxantes (prostacycline, d'une quantité élevée d'ions superoxyde O2.-, le
212 Physiopathologie du diabète

monoxyde d'azote permet la formation d'ions charger en lipides, en fibrinogène, en plaquettes et


peroxynitrites, probablement impliqués dans autres cellules sanguines et en calcium pour consti-
l'apoptose de nombreux types cellulaires. tuer la plaque d'athérome. Celle-ci devient plus ou
moins importante et peut diminuer suffisamment
le calibre de l'artère pour diminuer son débit. Dans
Les lésions ce dépôt, le cholestérol est présent, mais il repré-
de la paroi artérielle sente au maximum 10 % de la masse totale. On ne
peut donc pas dire que le cholestérol bouche le
L'athérosclérose correspond à un remaniement vaisseau à lui tout seul ! Mais les diabétiques ont
réversible de l'intima des artères de gros et moyen souvent des concentrations élevées en lipopro-
calibre (aorte et ses branches, artères coronaires, téines de basse densité (LDL, pour Low Density
artères cérébrales, artères des membres inférieurs) Lipoproteins) et de faibles concentrations plasma-
par accumulation segmentaire de lipides, glucides tiques en lipoprotéines de haute densité (les HDL,
complexes, sang et produits sanguins, dépôts cal- pour High Density Lipoproteins) (voir Zoom 6.1).
caires et autres minéraux. Ces dépôts forment ce Une faible concentration de HDL constitue un
qu'on appelle des plaques d'athérosclérose : un facteur favorisant la formation des plaques d'athé-
athérome central mou (du grec atherama : loupe de rome. La partie dure, obstructive, du dépôt est
matière graisseuse ou cœur lipidique), enchâssé dans due essentiellement au calcium et au fibrinogène.
une gangue ferme de sclérose (de skleros : « dur »). Pour information, le fibrinogène est un facteur de
L'athérome débute par une strie lipidique, la coagulation sanguine (facteur 1). C'est une gly-
simple dépôt de graisse, linéaire et sans consé- coprotéine synthétisée par le foie, et qui se trans-
quence pour le flux, située entre l'endothélium et forme en fibrine sous l'action de la thrombine. Le
la media. Avec le temps, cette strie peut grossir, se fibrinogène soluble, une fois transformé en fibrine,

Zoom 6.1

Diabète, dyslipidémie et perturbation du trafic des lipoprotéines


De multiples données épidémiologiques classées selon leur densité, en chylomicrons,
indiquent que les anomalies lipidiques caracté- VLDL (Very Low Density Lipoprotein), IDL
ristiques du diabète de type 2, regroupées sous (Intermediate Density Lipoprotein), LDL (Low
le terme de dyslipidémie diabétique, jouent un Density Lipoprotein), et HDL (High Density
rôle primordial dans la plus grande fréquence et Lipoprotein) (figure 6.3).
la plus grande gravité des accidents cardiovas- Les chylomicrons sont les lipoprotéines les plus
culaires, au cours du diabète de type 2. Cette grosses, en charge du transport des triglycé-
dyslipidémie correspond à une série d'anomalies rides, du cholestérol et des vitamines liposo-
qui portent sur la quantité, la qualité et la fonc- lubles antioxydantes (vitamine E et caroténoïdes)
tionnalité des lipoprotéines [2, 8, 10, 16, 17]. d'origine alimentaire. Ils sont composés de tri-
Le souci tient au fait que toutes ces anomalies glycérides (90 %), d'esters de cholestérol, de phos-
ont des effets particulièrement athérogènes. pholipides, et d'apolipoprotéines (essentiellement
apoB-48). La formation des chylomicrons a lieu
Métabolisme lipidique normal, dans les entérocytes, au sein desquels est réalisé
lipoprotéines et échanges intertissulaires l'assemblage des composants lipidiques (trigly-
Les lipoprotéines ont en charge du transport cérides, esters de cholestérol, phospholipides) et
des lipides insolubles dans le plasma. Ce sont de la protéine apoB-48. Les chylomicrons sont
des particules sphériques dont le cœur hydro- sécrétés dans la lymphe d'où ils rejoignent la cir-
phobe est composé d'esters de cholestérol et de culation sanguine. Dans le plasma, les triglycérides
triglycérides, et dont la surface est constituée de des chylomicrons sont rapidement hydrolysés sous
phospholipides, de cholestérol libre, et d'apo l'effet d'une enzyme, la LPL (lipoprotéine lipase),
(apolipoprotéines). Les lipoprotéines sont donnant naissance à des particules résiduelles

▲ Chapitre 6. Le diabète, c'est dangereux. Pourquoi ? 213

ApoB-48 LRP ABCA1

ApoB-100 LDLR

ApoA1 SRB1

Chyl

2
AGL LPL
VLDL 2
IDL LDL
Chyl-Rem LPL

1 3 AGL Tis
HSL 5 4 Périph
AGL

LCAT HDL3
Foie HDL2
TAd
HDLn

Figure 6.3. Métabolisme des lipoprotéines et sites d'action de l'insuline.


1 : L'insuline inhibe la HSL. 2 : L'insuline active la LPL. 3 : L'insuline inhibe la sécrétion hépatique de VLDL.
4 : L'insuline augmente l'expression des LDLR. 5 : L'insuline augmente l'expression du récepteur LRP.
ABCA1 : ATP Binding Cassette Transporteur A1 ; AGL : acides gras libres ; Chyl : chylomicrons ; Chyl-Rem : remnants
des chylomicrons ; HDL : High Density Lipoprotein ; HDLn : HDL naissante ; HSL : lipase hormonosensible ; IDL :
Intermediate Density Lipoprotein ; LCAT : Lecithin-Cholesterol Acyltransferase ; LDL : Low Density Lipoprotein ; LDLR :
récepteur des LDL ; LPL : lipoprotéine lipase ; LRP : LDL-Receptor Related Protein ; SRB1 : récepteur des HDL
(Scavenger Receptor Class B Type 1) ; TAd : tissu adipeux ; VLDL : Very Low Density Lipoprotein.
D'après Vergès B. Pathophysiology of diabetic dyslipidaemia : where are we ? Diabetologia 2015 ;58(5):886–99.

appauvries en triglycérides appelées chylomicron- lation sanguine, les triglycérides des VLDL sont
remnants. Ces dernières sont captées par le foie hydrolysés sous l'action de la LPL. Au cours de
principalement à l'aide du récepteur LRP (pour cette hydrolyse progressive des triglycérides,
LDL-Receptor Related Protein) et du récepteur au une partie de la surface des VLDL (comprenant
LDL (LDLR [Low Density Lipoprotein Receptor]). des phospholipides et des apolipoprotéines C
L'insuline accélère le catabolisme des chylomi- et E) est transférée aux HDL. Cette conversion
crons en augmentant l'expression et l'activité de donne naissance aux IDL, lipoprotéines de plus
la LPL et du récepteur LRP. petite taille et moins riches en triglycérides. Ces
Les VLDL, sécrétées par le foie, sont compo- dernières vont soit être captées par le foie par
sées majoritairement de triglycérides (60 %). l'intermédiaire des récepteurs LDLR et LRP,
Elles contiennent aussi du cholestérol, des soit subir la poursuite de l'hydrolyse de leurs
phospholipides, et des apolipoprotéines (apoB- triglycérides, aboutissant ainsi à la formation
100, apoC-III, apoC-II, apoE). Dans la circu- des LDL. L'insuline réduit significativement la

214 Physiopathologie du diabète

production des VLDL, d'une part, en inhibant médiaire d'un récepteur spécifique appelé SRB1
la HSL (lipase hormonosensible), au niveau du (Scavenger Receptor Class B Type 1) (figure 6.3).
tissu adipeux, ce qui entraîne une diminution
du taux d'AGL (acides gras libres) disponibles Perturbation du trafic de lipoprotéines
pour la synthèse des VLDL et, d'autre part, par chez les diabétiques et athérome
un effet inhibiteur direct important sur la sécré- Cette belle organisation des transferts lipidiques
tion hépatique de VLDL. entre tissus est mise à mal chez les d
­ iabétiques de
Les lipoprotéines LDL représentent le produit type 2 [8, 10, 17]. Les anomalies sont multiples
final de la cascade métabolique VLDL-IDL-LDL. et vont avoir des effets athérogènes : hyper-
Elles sont responsables du transport de 70 % du triglycéridémie, baisse du HDL-cholestérol,
cholestérol. Chaque particule LDL comprend augmentation des VLDL de grande taille
une molécule d'apoB-100. Cette dernière per- (VLDL1), enrichissement des LDL et HDL en
met le captage tissulaire des LDL : c'est en effet triglycérides, oxydation des LDL, glycation des
un ligand privilégié des récepteurs LDLR, loca- apolipoprotéines (figure 6.4).
lisés à 70 % sur les hépatocytes et à 30 % sur les L'hyperlipidémie est surtout observée en
autres cellules de l'organisme. Après fixation sur période prandiale, au cours du diabète de
son récepteur, la lipoprotéine LDL est internalisée type 2. Elle est en rapport direct avec un excès
dans la cellule avec son récepteur par endocytose. de production de chylomicrons par les entéro­
Après internalisation dans la cellule, le LDLR est cytes. L'insulinorésistance semble en cause,
soit recyclé et redirigé vers la membrane cellu- puisqu'une diminution de l'effet inhibiteur de
laire, soit dégradé dans les lysosomes. La PCSK9 l'insuline sur la production intestinale de chy-
(Proprotein Convertase Subtilisin/Kexin Type 9) lomicrons a été montrée chez les diabétiques.
joue un rôle majeur dans la régulation du LDLR Il existe en outre une réduction du catabolisme
en favorisant sa dégradation par les lysosomes dans des chylomicrons secondaires à une diminution
la cellule, plutôt que son recyclage vers la mem- d'activité de la LPL, et l'expression du récepteur
brane cellulaire. L'insuline favorise le catabolisme LRP (responsable de la captation des chylomi-
des LDL, en augmentant l'expression des LDLR. cron-remnants). L'ensemble de ces mécanismes
Les lipoprotéines HDL sont sécrétées par le foie induit une augmentation nette du pool des chy-
sous forme de particules discoïdales appelées lomicrons et des chylomicron-remnants, déter-
HDLn (HDL naissantes) pauvres en cholestérol. minant pour l'hyperlipidémie postprandiale
Dans la circulation sanguine, les HDL reçoivent dont on connaît le caractère athérogène.
des apolipoprotéines (A, C et E) et des phospho- L'hypertriglycéridémie à jeun est particulière-
lipides issus de l'hydrolyse des chylomicrons et ment fréquente chez les diabétiques de type 2.
des VLDL. Les HDL vont capter du cholestérol Elle est essentiellement due à une augmenta-
libre au niveau des différentes cellules de l'orga- tion des VLDL, et principalement des VLDL
nisme. Le transfert du cholestérol intracellulaire de grande taille (VLDL1) riches en triglycérides
vers les particules HDL fait intervenir des trans- et athérogènes. L'augmentation du pool des
porteurs spécifiques, principalement ABCA1 VLDL est due à une augmentation de leur pro-
(ATP Binding Cassette Transporter A1). Les par- duction et à une réduction de leur catabolisme.
ticules HDL, en se chargeant en cholestérol, vont L'augmentation de production des VLDL appa-
progressivement augmenter de taille, donnant raît liée à la diminution de l'effet inhibiteur de
naissance aux HDL3, puis aux HDL2 (HDL de l'insuline sur la production et la sécrétion des
grande taille). Au sein des HDL, l'enzyme LCAT VLDL, et à une augmentation de la lipogenèse
(Lecithin-Cholesterol Acyltransferase) transforme de novo dans l'hépatocyte. De plus, la diminution
le cholestérol libre en cholestérol estérifié, qui de l'activité de la LPL provoque une réduction du
migre au centre de la lipoprotéine. Les HDL2 catabolisme des lipoprotéines riches en triglycé-
vont ensuite subir un catabolisme intravasculaire, rides (VLDL et LDL). Bien que la concentration
sous l'action de la lipase hépatique (HL), et ainsi plasmatique de LDL-cholestérol soit le plus sou-
donner naissance à des particules dites HDL vent normale chez les diabétiques de type 2, des
remnants captées au niveau du foie, par l'inter- modifications importantes de son métabolisme

▲ Chapitre 6. Le diabète, c'est dangereux. Pourquoi ? 215

ApoB-48 LRP ABCA1

ApoB-100 LDLR

ApoA1 SRB1

Spum
Chyl

2 8
VLDL1 Mpha

3 4 LDLox 6
AGL LPL LDLgly
3
LPL LDL

Chyl-Rem
5 1 AGL
VLDL2 IDL
LDL Tis
AGL Capt 7 Périph
TG

LCAT
HDL2 HDL3
Foie
TAd
HDLn

Figure 6.4. Principales anomalies du métabolisme des lipoprotéines au cours du diabète de type 2.
1 : Augmentation de production des VLDL. 2 : Augmentation de production des chylomicrons. 3 : Diminution du
catabolisme des lipoprotéines riches en triglycérides par diminution de l'activité de la LPL. 4 : Prépondérance de VLDL1
(de grande taille, riches en esters de cholestérol) captées préférentiellement par les macrophages. 5 : Ralentissement du
captage des LDL (diminution du nombre des LDLR). 6 : Prépondérance de LDL petites et denses (riches en triglycérides)
et de LDL oxydées, avec captation préférentielle par les macrophages. 7 : HDL dysfonctionnelles. 8 : Les VLDL1 et
les LDL oxydées ou glyquées sont alors captées par des macrophages qui se transforment en cellules spumeuses
productrices de facteurs pro-inflammatoires et prothrombogènes.
Chyl : chylomicrons ; Chyl-Rem : remnants des chylomicrons ; HDL : High Density Lipoprotein ; LDL : Low Density
Lipoprotein ; LDLR : Low Density Lipoprotein Receptor ; LPL : lipoprotéine lipase ; TAd : tissu adipeux ; TG : triglycérides ;
VLDL : Very Low Density Lipoprotein ; Mpha : macrophage ; Spum : cellule spumeuse.
D'après Vergès B. Pathophysiology of diabetic dyslipidaemia : where are we ? Diabetologia 2015 ;58(5):886–99.

sont en fait identifiées. Les LDL chez les patients Le diabète de type 2 est associé à une diminu-
diabétiques ont un catabolisme ralenti. Par voie tion du taux plasmatique de HDL-cholestérol,
de conséquence, leur temps de résidence dans le prédominant sur la sous-fraction HDL2. La
plasma est accru, ce qui les rend plus athérogènes réduction de HDL est liée à l'accroissement de
en augmentant leurs chances de pénétrer dans la son catabolisme, en partie favorisé par une aug-
paroi artérielle. Ce ralentissement du catabolisme mentation de l'activité de la lipase hépatique.
des LDL semble en partie lié à une réduction du À côté de ces perturbations importantes dans
nombre des LDLR. Par ailleurs, il n'est pas exclu la distribution des différentes lipoprotéines, la
que les modifications qualitatives des LDL (telle dyslipidémie du diabète de type 2 est associée à
la glycation de l'apoB) puissent réduire leur affi- des anomalies fonctionnelles de ces mêmes lipo-
nité pour leur récepteur LDLR. protéines. Elles ont été surtout décrites pour

216 Physiopathologie du diabète

les HDL. En effet, les HDL interviennent non forment en cellules spumeuses (figure 6.4).
seulement dans la voie de retour du cholesté- Leur nécrose provoquant la libération de leur
rol, mais elles ont aussi un rôle antioxydant et contenu lipidique qui va former le cœur de
promeuvent la vasodilatation artérielle endothé- la plaque d'athérome. Les cellules spumeuses
lium-dépendante en stimulant la production de produisent aussi des facteurs pro-inflamma-
NO par les cellules endothéliales. La capacité toires et prothrombogènes qui favorisent la
des HDL à promouvoir l'efflux du cholestérol progression de la plaque et la fragilisation de
hors des cellules est réduite. Cela résulte d'une sa matrice extracellulaire. Celle-ci augmente
diminution de l'expression d'ABCA1 (transpor- d'épaisseur, conduisant à une sténose qui
teur membranaire responsable dans le transfert diminue le débit sanguin et compromet l'oxy-
du cholestérol de l'intérieur de la cellule vers les génation des tissus irrigués par l'artère malade.
HDL), et de la glycation d'ABCA1 qui diminue La plaque n'aura pas tendance à se rompre et
son activité. Par ailleurs, les propriétés antioxy- sera stable tant que la contention exercée par la
dantes des HDL sont réduites. Cela semble être chape fibreuse protéique dominera la mollesse
la conséquence de l'hyperglycémie et de l'enri- du corps lipidique en lui permettant de résister
chissement en triglycérides des HDL. Enfin, les aux agressions physiques (hémodynamiques)
HDL ont perdu leur capacité à activer la NO et chimiques (inflammation). À tout moment,
synthase dans l'endothélium, et ce faisant, leur le processus inflammatoire risque d'augmen-
effet vasodilatateur sur l'endothélium. ter dans la plaque et de fragiliser la chape
Au final, comment se traduit dans les faits le fibreuse protéique. C'est particulièrement le
potentiel athérogène de certaines ­lipoprotéines cas lorsque les métalloprotéases libérées par les
modifiées pour aboutir à la genèse et à la macrophages et les cellules musculaires lisses
progression de l'athérome chez le diabé- digèrent les protéines de cette coque fibreuse
tique ? Toute altération de l'endothélium qui protectrice et lorsque les cytokines sécrétées
recouvre l'intima des gros vaisseaux conduit localement déclenchent l'apoptose des cellules
à l'augmentation de la perméabilité endothé- musculaires lisses. La plaque est alors suscep-
liale et favorise la pénétration des lipoprotéines tible de se rompre, ou de subir une érosion de
modifiées (petites VLDL, LDL oxydées ou son revêtement endothélial (plaque instable),
glyquées) dans la paroi artérielle. Ces lipopro- et d'exposer ainsi les molécules de facteur tis-
téines sont alors captées par des monocytes sulaire qu'elle contient au flux sanguin. Le
qui ont eux aussi traversé l'endothélium et se sang coagulera au contact du facteur tissulaire
transforment en macrophages dans l'intima. et le thrombus qui se formera risque de pro-
Ces macrophages expriment des récepteurs voquer une occlusion suffisante de la lumière
qui reconnaissent les LDL oxydées (récepteurs artérielle pour déclencher un accident vascu-
dits scavenger) facilitant ainsi leur captage et laire ischémique aigu (infarctus du myocarde,
l'accumulation intracellulaire de cholestérol accident vasculaire cérébral).
et de triglycérides. Ces macrophages se trans-

est insoluble dans le plasma sanguin (aqueux) et synthétiser des molécules d'adhésion qui vont atti-
permet la formation du caillot. Le fibrinogène rer et activer les plaquettes, les monocytes et les
intervient également dans l'inflammation. Il sti- macrophages ; elles perdent leurs jonctions serrées,
mule l'angiogenèse (formation de vaisseaux san- ce qui permet aux LDL de pénétrer dans l'espace
guins) dans les tumeurs et favorise la prolifération sous-endothélial ; et elles se mettent à produire une
des fibroblastes, facilitant l'installation des fibroses. protéine prothrombotique appelée PAI-1 (inhibi-
Quand l'endothélium artériel se trouve confronté teur de l'activateur du plasminogène 1). Ce scéna-
à ce tableau pathologique, son fonctionnement est rio catastrophe est encore aggravé par le fait que les
complètement perturbé : sa capacité à permettre macrophages et les plaquettes activées, mais aussi
une vasodilatation vasculaire va diminuer du fait les cellules endothéliales elles-mêmes, se mettent
d'un stress oxydant local qui bloque la production à produire des protéines de l'inflammation (cyto-
de NO ; les cellules endothéliales vont se mettre à kines) qui vont attirer des cellules immunitaires et
Chapitre 6. Le diabète, c'est dangereux. Pourquoi ? 217

stimuler la prolifération et la migration des cellules bue également à la neuropathie diabétique : les
musculaires lisses de la media. On retiendra donc nerfs périphériques sont irrigués par des petits
que la pathogenèse de l'athérosclérose implique vaisseaux artériels de quelques dizaines de
aussi une réaction inflammatoire entre les cellules micromètres de diamètre. Une atteinte de ces
sanguines et la paroi artérielle. Les acteurs domi- microvaisseaux nourriciers entraîne un déficit de
nants en sont les macrophages et lymphocytes du perfusion sanguine des fibres nerveuses et des
côté sanguin, les cellules endothéliales et cellules tissus environnants.
musculaires lisses du côté de la paroi artérielle.
Par l'intermédiaire des nombreux facteurs qu'elles
libèrent (cytokines, chémokines, NO, molécules Des lésions de la paroi
d'adhésion, protéases, dérivés lipidiques, facteurs des microvaisseaux
de coagulation), toutes ces cellules entretiennent
des relations complexes que la notion d'inflamma- L'atteinte de la paroi des microvaisseaux se mani-
tion aide à intégrer. Par essence, l'inflammation est feste chez les diabétiques par un épaississement
une réaction vitale de défense contre les agressions. de la membrane basale des capillaires sanguins et
L'inflammation fournit les éléments requis pour par un remaniement de la matrice extracellulaire.
détruire l'agent agresseur et pour réparer le tissu L'augmentation de l'épaisseur des membranes
lésé. Cependant, l'inflammation peut aussi dépas- basales capillaires est une anomalie précoce et
ser son but et devenir à son tour génératrice de constante chez les diabétiques, et l'hypergly-
pathologie, aggravant la lésion qu'elle visait initia- cémie augmente la synthèse des multiples pro-
lement à corriger. téines composantes de la matrice extracellulaire
L'athérome fait courir deux dangers : le premier, (telles que la fibronectine et le collagène de
d'installation lente, correspond au risque d'obtu- type 4). On considère que la microangiopathie
ration partielle ou totale de la lumière vasculaire du est spécifique du diabète (à la différence de la
fait de la croissance (lente) de la plaque ; le second, macroangiopathie).
responsable des complications aiguës, consiste en
la rupture de l'endothélium : la brèche formée est
alors obstruée par une agrégation des plaquettes
sanguines et la formation d'un caillot sanguin qui
Les cellules endothéliales
peut rapidement totalement obstruer le vaisseau. sont intoxiquées par
Ce caillot peut également se détacher et obstruer le l'hyperglycémie chronique
vaisseau en aval. La plaque peut également se déta-
cher partiellement et obstruer également l'artère. Rappelons-nous que c'est précisément le niveau
de glycémie comportant un risque d'atteinte des
capillaires de la rétine qui définit le diabète (plus
de 1,26 g/l à jeun) (voir Chapitre 1 – Comment
Le danger diagnostiquer les diabètes ?). Souvenons-nous
pour les capillaires aussi que chaque point supplémentaire d'hémo-
globine glyquée accroît le risque microvasculaire
de 30 %, et que chaque point en moins (obtenu
Les atteintes structurelles et fonctionnelles grâce à un traitement) réduit le risque de 30 %. Et
des capillaires sanguins (ce que l'on appelle cela est vrai pour tous les types de diabète et dans
microangiopathie) ont un impact majeur dans toutes les populations de la planète.
les organes qui en sont particulièrement riches, Il est maintenant bien établi que le risque de com-
tels que l'œil et le rein. Dans les reins du diabé- plication vasculaire tous types confondus est, chez
tique, les capillaires sanguins n'assurent plus la le diabétique, proportionnel au niveau glycémique
filtration du sang à la longue, ce qui impose le moyen et à la durée d'exposition à l'hyperglycémie
recours à la dialyse. La microangiopathie contri- (figure 6.5) [18]. Il correspond en quelque sorte
218 Physiopathologie du diabète

6 MICROANGIOPATHIE

INCIDENCE (%)
4
INFARCTUS DU MYOCARDE

0
6 7 8 9 10 11
HbA1c (%)

Figure 6.5. Évolution de l'incidence de l'infarctus du myocarde et des complications microvasculaires en fonction de
la valeur de l'hémoglobine A1c, ajustée selon l'âge, le sexe et groupe ethnique.
Il s'agit ici d'hommes blancs âgés de 50 à 54 ans au moment du diagnostic et avec une durée moyenne de diabète de dix
ans.
D'après Stratton IM, et al. Association of glycaemia with macrovascular and microvascular complications of type 2 diabetes (UKPDS 35) :
prospective observational study. BMJ 2000 ;321(7258):405–12.

à une « mémoire de ­l'hyperglycémie ». Les années de réduire leur capture de glucose lorsqu'elles
passées en hyperglycémies ne se rattrapent pas ! Il sont exposées à des concentrations excessives de
existe un vieil adage en diabétologie : « les vais- ­glucose. Le glucose rentre facilement dans ces
seaux sanguins du diabétique ont l'âge du patient, cellules via GLUT1, une isoforme du transpor-
plus l'âge du diabète » (plus exactement : « les vais- teur du glucose qui permet d'équilibrer en perma-
seaux du diabétique ont l'âge du patient, plus le nence les concentrations de glucose à l'extérieur
nombre d'années passées en hyperglycémie »). et à l'intérieur de la cellule (et de façon indépen-
À ce jour, les cellules endothéliales sont les dante de toute action de l'insuline). Autrement
cibles les mieux caractérisées de la toxicité de dit, ce système fait que si la concentration de glu-
l'hyperglycémie chronique. Dans un vaisseau en cose dans la lumière du vaisseau est élevée (dia-
bonne santé, l'endothélium exerce des fonctions bète), la concentration dans la cellule endothéliale
cruciales : il contrôle l'état de dilatation en pro- le sera de façon équivalente. Il en résulte que, chez
duisant le NO ; il empêche que les plaquettes et le diabétique, il existe en permanence un excès de
certaines cellules immunitaires collent à la paroi glucose intracellulaire. À l'intérieur de la cellule
du vaisseau ; il bloque le passage des LDL depuis endothéliale, quatre voies métaboliques intracel-
la lumière de l'artère vers l'espace sous-endothé- lulaires sont offertes au glucose et de fait, elles
lial (la media) ; il produit une protéine antithrom- vont toutes fonctionner de façon plus intense et
botique appelée tPA (activateur tissulaire du cataboliser les molécules de glucose chacune pour
plasminogène) qui est une enzyme protéolytique son propre compte (on parle ­ d'augmentation
initiant la fibrinolyse en activant la conversion du flux de dégradation du glucose). C'est ainsi
du plasminogène en plasmine au niveau du cail- que vont être augmentés les flux de glucose
lot sanguin ; il maintient les cellules musculaires respectivement :
lisses sous-jacentes (dans la media) dans un état • dans la voie des polyols ;
quiescent (c'est-à-dire dans une configuration où • dans la voie des hexosamines ;
ces cellules gardent leurs propriétés contractiles et • dans la voie qui fabrique des produits de glyca-
ne se divisent pas). tion avancée appelés AGE (Advanced Glycation
Les cellules endothéliales sont les premières End-Products) ;
exposées à l'hyperglycémie intravasculaire, et mal- • dans la voie qui fabrique le DAG (diacylglycé-
heureusement pour elles, elles sont incapables rol) nécessaire pour activer une s­ ignalisation
Chapitre 6. Le diabète, c'est dangereux. Pourquoi ? 219

dépendante de la protéine kinase dite PKC. quence commune d'une augmentation de


De multiples arguments expérimentaux sug- la production locale de radicaux libres pro-
gèrent que, dans des cellules endothéliales, duits par un stress oxydant intense (voir
l'activation de toutes ces voies est la consé- Zoom 6.2).

Zoom 6.2

La cellule endothéliale et l'hyperglycémie : la cible et les quatre missiles


L'efficacité des stratégies d'intensification les cellules vulnérables à l'hyperglycémie sont
du traitement antidiabétique, telles que celle des cellules qui ne peuvent pas métaboliser le
mise en place dans les grandes études cli- glucose capté de façon suffisamment efficace
niques comme DCCT (Diabetes Control and pour éviter une concentration élevée de glucose
Complications Trial) et UKPDS (UK Prospective libre dans leur cytosol.
Diabetes Study), a établi le rôle causal majeur de L'hyperglycémie entraîne passivement, par
l'hyperglycémie chronique dans l'installation simple effet de masse, sur le transport facilité, une
des lésions tissulaires chez les diabétiques. Ce augmentation du flux entrant dans le cytoplasme
qui, évidemment, ne signifie pas que l'hyper- des cellules des tissus dits non insulinosensibles,
glycémie soit responsable de tout : les compli- comme l'endothélium et les cellules musculaires
cations vasculaires sont aussi dépendantes de lisses. Tout cela est possible parce que dans ces
facteurs génétiques et de facteurs accélérateurs cellules, l'entrée du glucose est assurée par des
tels que l'hypertension. transporteurs GLUT1. En conséquence, chaque
Quand on parle d'endommagement des tissus produit de la voie de la glycolyse sera bien plus
par l'hyperglycémie, on notera d'abord que tous abondant que lorsque les conditions physiolo-
les tissus ne sont pas logés à la même enseigne : giques sont normales. Ils stimuleront des voies
seuls les cellules endothéliales des capillaires relativement accessoires d'un point de vue quan-
(dans la rétine par exemple), les cellules mésan- titatif en situation physiologique.
giales du glomérule rénal, et les neurones et cel- C'est pour cette raison que le diabète endom-
lules de Schwann dans les nerfs périphériques mage sélectivement les cellules endothéliales et
sont susceptibles d'être abîmés par l'hypergly- les cellules mésangiales. Ce sont donc des méca-
cémie. Pourquoi ces cellules sont-elles si vul- nismes internes spécifiques à ces cellules qui
nérables à l'hyperglycémie ? En cas de diabète, rendront compte de leur extrême susceptibilité
l'hyperglycémie baigne toutes les cellules de à l'hyperglycémie [19–21].
chaque tissu. Alors pourquoi les dommages se Le premier mécanisme de ce type découvert est
produisent-ils seulement dans les quelques types celui impliquant l'activation de la voie des polyols
cellulaires impliqués dans les complications du et découvert dans le nerf périphérique en 1966.
diabète ? La réponse est à rechercher au niveau C'était la première pièce du puzzle. Puis, à la
des mécanismes de captage et d'utilisation fin des années 1970, un deuxième mécanisme
du glucose par les différents types cellulaires. a émergé : la formation accrue de produits ter-
Lorsqu'elles sont exposées à l'hyperglycémie, minaux de glycation avancée, les AGE (Advance
la plupart des cellules (hépatocytes, adipo- Glycation End-Products). À la fin des années 1980,
cytes, myocytes) sont capables de maintenir la une troisième pièce du puzzle a été découverte :
concentration intracellulaire du glucose libre à l'hyperglycémie induit l'activation de certaines
un niveau normal : elles captent alors plus de isoformes de la PKC. Et à la fin des années 1990,
glucose, mais l'afflux de glucose est compensé une quatrième pièce était découverte : l'activation
par l'activation de sa dégradation intracellulaire de la voie de l'hexosamine et la modification de
(glycolyse + oxydation mitochondriale) ; de certaines protéines par la N-acétylglucosamine.
sorte que la concentration interne en glucose Passons brièvement en revue le fonctionnement
libre reste normale et constante. En revanche, de ces quatre voies (figure 6.6).

220 Physiopathologie du diabète

NADPH NADP+ NAD+ NADH


G
Sorbitol Fructose
AR

G6P
GFAT
Glucosamine-6-P UDP-GLCNAC
F6P
GLM GLT

NADH NAD+

DHAP α-Glycérol-P DAG PKC

Glycéraldéhyde-3-P

NAD+
Méthylglyoxal AGE
GAPDH

NADH

1,3 Diphosphoglycérate

•O –
2

Figure 6.6. Mécanismes des dommages cellulaires induits par l'hyperglycémie.


L'augmentation des concentrations de glucose intracellulaire libre entraîne un stress oxydatif et une augmentation
de la production d'espèces réactives de l'oxygène (ROS [Reactive Oxygen Species]), en particulier de radicaux
superoxyde (O2.-). Les ROS provoquent des cassures de brins dans l'ADN nucléaire. Les dommages à l'ADN activent
la poly(ADP-ribose) polymérase. Les polymères d'ADP-ribose générés par cette enzyme se fixent sur la GAPDH
(glycéraldéhyde-3-phosphate déshydrogénase) réduisant ainsi son activité. Le blocage de GAPDH provoque un goulot
d'étranglement dans le flux glycolytique, de sorte que les intermédiaires glycolytiques sont détournés vers la voie des
polyols, celle des hexosamines et la formation du méthylglyoxal et des AGE, et activent la PKC.
D'après Brownlee M. The pathobiology of diabetic complications : a unifying mechanism. Diabetes 2005 ;54(6):1615–25.

Augmentation du flux à travers la voie Dans ce processus de réduction du glucose


des polyols intracellulaire, l'aldose réductase consomme le
La voie de synthèse des polyols est normale- cofacteur NADPH. Or le NADPH est aussi le
ment inactive, mais devient active lorsque les cofacteur essentiel pour régénérer le glutathion
niveaux de glucose intracellulaire augmen- réduit (GSH ; c'est un piégeur de ROS, et donc
tent (du fait de l'hyperglycémie chronique). un antioxydant intracellulaire essentiel) à partir
L'enzyme limitante de la voie est l'aldose réduc- du glutathion oxydé (GSSG). En réduisant la
tase (AR), exprimée dans le cristallin, la rétine, quantité de glutathion réduit, la voie des poly-
et les endothéliums. L'aldose réductase a nor- ols augmente donc la dépendance de la cellule
malement la fonction de réduire les aldéhydes au stress oxydatif intracellulaire.
toxiques présents dans la cellule en alcools
inactifs ; mais lorsque la concentration intra- Production intracellulaire d'AGE
cellulaire de glucose libre devient trop élevée, Les produits de glycation appelés AGE
l'aldose réductase réduit le glucose en sorbitol, (Advanced Glycation End-Products) sont des
qui est ensuite oxydé en fructose (figure 6.6). produits ­
irréversibles formés lors de réac-

▲ Chapitre 6. Le diabète, c'est dangereux. Pourquoi ? 221

tions d'oxydoréduction entre des protéines et matoires, et les cellules endothéliales expriment
des acides nucléiques (ADN) et le glucose ou des protéines procoagulantes et d'adhésion ainsi
des sucres glyquants comme le méthylglyoxal que des facteurs de croissance (VEGF [Vascular
(figure 6.6). Le glucose peut se fixer spontané- Endothelial Growth Factor]). Toutes ces pro-
ment (non enzymatiquement) et de façon irré- téines favorisent la formation de l'athérome, la
versible sur les groupes aminés de la plupart des thrombose et l'augmentation de la perméabilité
molécules biologiques, et y exercer des propriétés vasculaire, et contribuent à détériorer un peu
réductrices. Ce phénomène accompagne le vieil- plus le fonctionnement vasculaire.
lissement normal, mais il est considérablement Est-il possible d'inhiber la formation des AGE ?
accéléré chez le sujet diabétique en raison de La réponse est oui, et même, depuis peu, de
concentrations tissulaires durablement élevées en rompre les ponts déjà existants entre les macro-
glucose. L'exemple type de protéine glyquée est molécules glyquées. Une molécule appelée
celui de l'hémoglobine chez le diabétique (voir aminoguanidine [20], qui est dérivée de l'hydra-
Chapitre 1 – L'hémoglobine glyquée, mètre zine, réagit spécifiquement avec les molécules
étalon du diabète). La concentration d'hémo- biologiques impliquées dans les réactions de
globine glyquée reflète l'ampleur de l'hypergly- glycation et prévient la formation des AGE en
cémie : elle est d'autant plus importante que la présence de concentrations élevées de glucose.
glycémie a été élevée au cours des trois mois pré- L'aminoguanidine est aussi capable de se fixer
cédant la mesure (les globules rouges se renouve- sur des composés glyqués et les empêche de réa-
lant tous les trois mois, on ne peut avoir une idée gir avec les molécules de collagène de la paroi
de l'hyperglycémie sur une période plus longue). vasculaire. Ainsi, le traitement prolongé d'ani-
Les AGE peuvent endommager les cellules par maux diabétiques avec de l'aminoguanidine ne
trois mécanismes : modifie en rien la glycémie et l'évolution du
• en modifiant de façon covalente des protéines diabète, mais il empêche l'accumulation d'AGE
impliquées dans la régulation de la transcription dans les tissus. Toutefois, l'aminoguanidine est
des gènes ; toxique pour le foie et ne peut être utilisée en
• en diffusant hors des cellules et en modifiant clinique humaine. Il existe en revanche d'autres
alors les molécules de leur matrice extracel- molécules, mieux tolérées, qui sont capables de
lulaire, ce qui perturbe les interactions entre casser les ponts covalents des AGE et de dimi-
matrice et cellule. La matrice extracellulaire de nuer leur concentration tissulaire.
la paroi artérielle perd sa souplesse lorsque les Activation de la PKC
ponts covalents reliant les molécules de colla- Le troisième mécanisme fait intervenir la voie
gène sont nombreux. Ces liaisons covalentes PKC. Une activation persistante et excessive de
empêchent les molécules de collagène de glisser cette voie constitue aussi une des conséquences
les unes par rapport aux autres, ce qui, normale­ de l'exposition chronique à l'hyperglycémie.
ment, autorise la distension de la paroi arté- Elle résulte principalement de l'augmentation
rielle. La présence d'AGE dans les tissus modifie de la synthèse locale de DAG (diacylglycérol)
leurs propriétés mécaniques. Une paroi arté- à partir des trioses phosphates dont la disponi-
rielle riche en AGE devient ainsi anormalement bilité est augmentée, parce que le flux glyco-
rigide, et cela contribue à l'établissement d'une lytique est accru (figure 6.6). Le DAG est un
hypertension artérielle ; cofacteur activateur critique pour les isoformes
• en diffusant dans la circulation générale et dites classiques de la PKC, à savoir -β et -δ.
en modifiant des protéines du sang telles que Lorsque ces PKC sont activées par l'hypergly-
l'albumine. Les AGE circulants peuvent se lier cémie intracellulaire, elles changent le niveau
à des récepteurs spécifiques appelés RAGE d'expression de certains gènes. Le bilan de ces
(Receptors for Advanced Glycation Endproducts) ajustements se traduit par une diminution des
portés par les macrophages et les cellules endo- effets favorables sur le fonctionnement endothé-
théliales. Suite à l'activation de leurs RAGE, les lial et une augmentation des effets ­défavorables
macrophages libèrent des cytokines pro-inflam- (figure 6.7). Pour exemple, l'expression de la

222 Physiopathologie du diabète

Hyperglycémie

DAG

PKC

eNOS ET-1 VEGF TGFb PAi-1 NF-kB NADPH oxydases

Collagène
Fibronectine ROS
Fibrinolyse

1 2 3 4 5 6

Figure 6.7. Conséquences de l'activation de la protéine kinase C induite par l'hyperglycémie (PKC).
L'hyperglycémie augmente la teneur en DAG (diacylglycérol) qui active la PKC, principalement les isoformes β et δ.
L'activation des PKC induit un certain nombre d'effets néfastes, en affectant l'expression de eNOS (oxyde nitrique
synthétase endothéliale), de ET-1 (endothéline-1), du VEGF (facteur de croissance de l'endothélium vasculaire), le
TGFβ et le PAI-1, et en activant NF-κB et les NAD(P)H oxydases. Le bilan se traduit, sur le plan fonctionneln par
une perturbation des flux sanguins locaux (1), une augmentation de la perméabilité membranaire (2) et du risque
d'occlusion capillaire et vasculaire (3 et 4), et un accroissement de l'angiogenèse (2), de l'activité pro-inflammatoire
locale (5) et du stress oxydant local (6).
D'après Brownlee M. The pathobiology of diabetic complications : a unifying mechanism. Diabetes 2005 ;54(6):1615–25.

eNOS (oxyde nitrique synthase endothéliale), tamine) en GlcN6P (glucosamine-6-phosphate)


une synthase endothéliale qui produit le NO et Glt (glutamate) (figure 6.6). Les étapes
(oxyde nitrique), puissant vasodilatateur, est suivantes métabolisent le GlcN6P en UDP-
diminuée ; celle de l'endothéline-1 (ET-1), GlcNAc (UDP-N-acétylglucosamine), UDP-
qui est un vasoconstricteur, est augmentée ; GalNAc (UDP-N-acétylgalactosamine) et en
le TGFβ (Transforming Growth Factor-β), la acide CMP-sialique, éléments constitutifs des
fibronectine, le collagène de type IV, le PAI-1 chaînes latérales glycosylées des glycoprotéines
et NF-κB sont également augmentés. et glycolipides. L'UDP-GlcNAc est d'un inté-
rêt particulier car c'est le produit final majeur
Augmentation de l'activité de la voie de la voie et le substrat obligatoire de l'OGT
des hexosamines (O-GlcNAc transférase). Cette dernière est une
Lorsque la concentration du glucose libre enzyme cytosolique et nucléaire, qui catalyse la
s'élève à l'intérieur d'une cellule (parce qu'elle modification post-traductionnelle réversible de
est exposée à une concentration élevée de glu- certaines protéines, par une réaction dite de
cose extracellulaire), l'essentiel de ce glucose O-acylation. À savoir, l'accrochage de GlcNAc
qui a été capté est métabolisé dans la voie de (N-acétylglucosamine) par liaison O- à des rési-
la glycolyse, pour fournir en premier du G6P dus sérine/thréonine portés par de nombreuses
(glucose-6-phosphate), puis du F6P (fructose- protéines. La signification fonctionnelle de la
6-phosphate), puis tous les autres intermédiaires O-GlcNAcylation a été signalée pour plusieurs
de la voie glycolytique. Une toute petite partie protéines, telles que des facteurs de transcrip-
(moins de 5 %) du F6P est cependant détour- tion (Sp1, c-myc, CREB, Stat5, PDX1), et des
née dans la voie dite des hexosamines. L'entrée enzymes cytosoliques ou nucléaires (glyco-
dans la voie de synthèse des hexosamines est gène synthase, ARN polymérase II). On pense
catalysée par la première enzyme limitante, la que l'augmentation de l'activité de la voie des
GFAT (Glutamine Fructose-6-Phosphate Amido hexosamines joue un rôle dans le développe-
Transférase) qui convertit le F6P et la Glm (glu- ment des anomalies fonctionnelles décelées au

▲ Chapitre 6. Le diabète, c'est dangereux. Pourquoi ? 223

niveau des cellules glomérulaires rénales, des GAPDH (glycéraldéhyde-3-phosphate dés-


cardiomyocytes et des cellules endothéliales de hydrogénase), et que l'inactivation de cette
la paroi carotidienne chez les diabétiques. Ces enzyme à elle seule rendait compte de la mise
effets hexosamines-dépendants sont médiés, en route des quatre voies nuisibles décrites
au moins en partie, par l'augmentation de la ci-dessus [19] (figure 6.6). En somme, un
O-GlcNAcylation. Par exemple, les modifica- seul bouton pour activer quatre missiles… Le
tions du facteur de transcription Sp1 entraînent modèle de Brownlee repose sur des observa-
une augmentation de l'expression de TGFβ et de tions cruciales. Par exemple, le diabète chez les
PAI-1 dans les cellules musculaires lisses vascu- animaux et les patients, et l'hyperglycémie à elle
laires, les cellules mésangiales et les cellules endo- seule sur les cellules in vitro, diminuent l'acti-
théliales aortiques. vité GAPDH ; l'inhibition de l'activité GAPDH
Selon Michael Brownlee [19], le chaînon man- par l'hyperglycémie ne se produit plus lorsque
quant entre ces quatre mécanismes différents la surproduction mitochondriale des ROS est
serait le stress oxydatif induit par l'hyperglycé- expérimentalement empêchée par la surexpres-
mie. Ce stress oxydant résulte d'un emballement sion mitochondriale de UCP1 (qui permet de
du cycle de Krebs dont l'hyperactivité déborde limiter la production de ROS), ou celle de la
les capacités de la chaîne respiratoire mitochon- superoxyde dismutase (SOD), une enzyme qui
driale. On a vu en effet (voir Chapitre 3 – ATP permet de dégrader les ROS.
et respiration mitochondriale : gare au stress Quelle est la conséquence du blocage de l'acti-
oxydant !) que la respiration mitochondriale est vité GAPDH ? Tous les intermédiaires glycoly-
caractérisée par la réduction complète de l'oxy- tiques qui sont en amont du point de blocage de
gène moléculaire en eau. Ce système, très effi- la voie s'accumulent. L'accumulation du glycé-
cace pour la synthèse d'ATP, laisse néanmoins raldéhyde-3-phosphate active la voie AGE, car
fuir au niveau de la chaîne respiratoire des ions le principal précurseur intracellulaire des AGE,
superoxydes (O2.--) qui sont parmi les ROS les le méthylglyoxal, est formé à partir du glycéral-
plus méchants pour les cellules. Normalement, déhyde-3-phosphate. Il active également la voie
la quantité d'ions superoxydes produite à chaque PKC, puisque le DAG est également formé de
instant reste très faible, et ils ne s'accumulent glycéraldéhyde-3-phosphate.
pas parce que les mitochondries sont équipées L'augmentation du F6P augmente le flux par
d'un système de dégradation des ROS. C'est le la voie de l'hexosamine puisque le F6P y est
job des défenses antioxydantes assurées en par- converti par l'enzyme GFAT en UDP-GlcNAc.
ticulier par le glutathion (sous sa forme réduite, Enfin, l'accumulation de glucose libre augmente
GSH) et une série d'enzymes dédiées telles que le flux à travers la voie des polyols. GAPDH
la SOD (superoxyde dismutase), la catalase, le est bien le seul responsable de la modulation
glutathion peroxydase et le glutathion réduc- coordonnée des quatre voies, puisque l'inhibi-
tase. Lorsque la fourniture de molécules de tion expérimentale spécifique de l'expression
NADH aux mitochondries devient pléthorique, de l'enzyme suffit pour déclencher leur acti-
le flux d'électrons le long de la chaîne respi- vation en l'absence de toute hyperglycémie.
ratoire devient excessif, et génère une envolée Reste à savoir comment l'hyperglycémie bloque
de la production d'ions superoxydes. Lorsque GAPDH ? Selon Brownlee, les ROS induits
les défenses antioxydantes sont débordées, des par l'hyperglycémie provoquent des cassures
ROS peuvent alors s'accumuler, réagir avec de l'ADN nucléaire. Cela active en réponse la
divers composants moléculaires de la cellule PARP (poly(ADP-ribose) polymérase), enzyme
et altérer leur fonctionnalité. de réparation de l'ADN et qui fabrique des
Un seul bouton pour activer quatre missiles polymères d'ADP-ribose. En procédant à la
fabrication des ADP-ribose, qui s'accumulent
Au début des années 2000, Brownlee a pro-
sur GAPDH et d'autres protéines, PARP modi-
posé que la production de superoxyde mito-
fierait alors GAPDH, réduisant ainsi son activité
chondrial induite par l'hyperglycémie inhibait
(figure 6.6).
l'activité d'une enzyme glycolytique clé, la
224 Physiopathologie du diabète

Quelles sont les sang. Les artères ne pouvant changer de calibre, le


conséquences fonctionnelles cœur doit fournir un travail supplémentaire pour
alimenter les organes en sang : souvent, le cœur
de ces lésions vasculaires ? des diabétiques s'hypertrophie pour fournir cet
effort supplémentaire. Ce dysfonctionnement des
Risque accru d'ischémie cellules endothéliales résulterait là encore d'une
augmentation du stress oxydant.
Quel que soit le tissu concerné, les altérations
vasculaires au sein des tissus vont provoquer une
ischémie plus ou moins sévère. On appelle isché-
mie l'arrêt ou l'insuffisance de la circulation san- Perte de contrôle
guine dans une partie du corps ou un organe. de l'angiogenèse
L'ischémie prive les cellules d'apport d'oxygène
L'angiogenèse est un processus physiologique nor-
et entraîne leur nécrose, et peut être due à l'obs-
mal qui aboutit à la formation de nouveaux vaisseaux
truction d'un vaisseau (thrombose) ou à la com-
chez l'adulte, par bourgeonnement à partir de vais-
pression d'une artère (sténose). Elle déclenche une
seaux déjà existants. Dans les conditions normales,
série de processus compensatoires visant à augmen-
une diminution de la pression partielle d'oxygène
ter le flux sanguin dans le territoire touché, et qui
dans un tissu active une chaîne de réactions qui abou-
permettent, par l'ouverture de réseaux collatéraux
tit à la naissance et à la prolifération de néovaisseaux
de suppléance et le développement de nouveaux
qui, au bout de quelques jours, apportent aux tissus
vaisseaux (angiogenèse), de prévenir la mort cel-
hypoxiques le sang et l'oxygène qui leur manquent.
lulaire au sein du tissu. Ces processus hautement
L'angiogenèse commence par la prolifération et la
contrôlés d'angiogenèse sont fortement perturbés
migration de cellules endothéliales des vaisseaux pré-
chez les diabétiques. Ils sont excessifs au niveau de
existants. Des cellules endothéliales doivent quitter
la rétine où ils sont responsables de la rétinopathie.
un capillaire existant et se frayer un chemin dans les
Ils sont par contre insuffisants au niveau des gros
tissus environnants, pour y donner naissance à un
vaisseaux, et ils contribuent à la sévérité particulière
assemblage de cellules endothéliales qui évoluera en
des cardiopathies ischémiques chez les diabétiques.
un vaisseau mature. Pour ce faire, les cellules endo-
Cette dualité de réponse à l'ischémie chez les dia-
théliales doivent d'abord sécréter des enzymes appe-
bétiques pose un problème au médecin : si une
lées métalloprotéases. Les MMP (métalloprotéases
réponse angiogénique forte est désirable au niveau
matricielles) constituent une famille de peptidases
des artères coronaires, une telle réponse est redou-
impliquées dans la dégradation protéolytique de nom-
tée au niveau de la rétine. De même, si des théra-
breuses protéines de la matrice extracellulaire mais
peutiques à visée antiangiogénique ont montré leur
aussi de protéines non matricielles. Plusieurs métallo-
efficacité dans des modèles animaux de rétinopa-
protéases sont exprimées par les cellules endothéliales
thie, de tels traitements, administrés pour traiter ou
qui répondent à un stimulus angiogénique et jouent
prévenir les rétinopathies, pourraient aggraver le
un rôle important dans la dégradation de la matrice
pronostic vasculaire chez les diabétiques.
extracellulaire qui accompagne l'invasion d'un tissu
par les vaisseaux sanguins. Certaines augmentent
Perte de contrôle aussi la libération de facteurs angiogéniques, comme
de la vasomotricité le VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor). En
revanche, les métalloprotéases peuvent aussi avoir
On constate une altération de la capacité des un effet négatif sur l'angiogenèse en produisant des
cellules endothéliales à synthétiser des facteurs facteurs antiangiogéniques à partir de molécules pré-
relaxants (NO, prostacycline) permettant le relâ- curseurs. C'est le cas pour l'angiostatine et l'endosta-
chement de la paroi des artères et, par consé- tine qui sont produites par les MMP-2, -7, -9, -12,
quent, l'augmentation du diamètre des artères à partir de précurseurs, comme le plasminogène et le
quand l'organe alimenté a besoin de davantage de collagène type 18. Au final, ces métalloprotéases sont
Chapitre 6. Le diabète, c'est dangereux. Pourquoi ? 225

capables de dégrader la membrane basale du vais- Le manque de coordination entre les effets des
seau dont elles sont issues, puis la matrice extracel- différents facteurs de croissance vasculaire, cer-
lulaire des tissus hypoxiques environnants. Chez les tains étant surexprimés tandis que d'autres sont
diabétiques, et probablement parce qu'elle est alors sous-exprimés, ou le manque de coordination
imparfaitement régulée, l'angiogenèse se traduit par dans le temps joue probablement un rôle dans
la formation de vaisseaux de petit calibre et peu fonc- l'angiogenèse pathologique chez les diabétiques.
tionnels, comme les néovaisseaux rétiniens obser-
vés chez les diabétiques. Des études expérimentales
chez l'animal diabétique ont montré que les matrices Mise à mal de la survie
extracellulaires de leurs vaisseaux sont devenues résis- des cellules endothéliales
tantes aux métalloprotéases, probablement du fait
d'une glycation importante du collagène. Chez le Les cellules endothéliales exposées à l'hyperglycé-
diabétique, les nouveaux vaisseaux qui se forment en mie ont une apoptose augmentée, ainsi que des
réaction à une ischémie n'ont pas toutes les qualités défauts de prolifération. Ces anomalies sont pro-
des néovaisseaux normaux ; notamment leurs capa- bablement en grande partie la conséquence d'un
cités de dilatation et de contraction restent insuffi- stress oxydant.
santes [22]. La néovascularisation postischémique
reste donc incomplète chez le diabétique. Des ano-
malies dans l'expression du VEGF, principal facteur Peut-on corriger
de croissance vasculaire régulateur de l'angiogenèse, les lésions vasculaires ?
ont été observées en réponse à l'hyperglycémie et au
diabète. Comme son nom l'indique, le VEGF agit Aujourd'hui, nous ne maîtrisons pas encore
essentiellement sur les cellules de l'endothélium vas- bien les conséquences vasculaires d'un diabète
culaire, même s'il a une action sur un nombre limité ancien ou mal équilibré. Mais l'augmentation
d'autres cellules (monocyte/macrophage). In vitro, inquiétante du nombre de personnes diabé-
le VEGF stimule la prolifération et la migration des tiques oblige à rechercher des solutions évitant
cellules endothéliales. Il augmente également la per- les complications vasculaires du diabète. La
méabilité microvasculaire et il est parfois nommé bonne nouvelle, c'est que toutes les compli-
facteur de perméabilité vasculaire. Le VEGF est par- cations majeures du diabète ont en commun
ticulièrement intéressant car il joue un rôle dans la de ne pas être inévitables. Leur prévention est
croissance des tumeurs. Pour satisfaire leur besoin en en effet possible par une bonne maîtrise de
oxygène et en nutriments, les tumeurs nécessitent la la glycémie, de la pression artérielle et de la
création de nouveaux vaisseaux sanguins via le méca- cholestérolémie. L'étude épidémiologique de
nisme de néoangiogenèse que favorise le VEGF. Ce référence en ce domaine, celle de l'UKPDS,
dernier est sécrété par la plupart des cellules tumo- montre que chaque diminution de 1 % de la
rales, en partie à cause du manque d'oxygénation HbA1C chez les patients diabétiques diminue
locale (hypoxie). De même, un certain nombre de le risque encouru de complications cardio-
cellules tumorales portent des récepteurs au VEGF. vasculaires. Normaliser la glycémie chez les
L'inhibition de l'angiogenèse accompagnant une patients diabétiques (idéalement, la valeur de
tumeur permettrait de stopper son développement. la HbA1c doit devenir < 7 %) permet donc de
Ainsi, une voie de recherche actuelle dans la lutte prévenir (au moins en partie) les complications
contre certains cancers est d'étudier l'action des vasculaires.
anti-VEGF. Le VEGF est également impliqué Un tel objectif nécessite un degré élevé d'édu-
dans les rétinopathies diabétiques. La dégradation cation de la personne atteinte de diabète dans la
des microvaisseaux de la rétine des personnes diabé- gestion de sa maladie, ainsi que l'accès à l'insu-
tiques peut entraîner une ischémie rétinienne, qui line, aux antidiabétiques oraux et à l'équipement
stimule la synthèse de VEGF. Ce dernier provoque de surveillance. Les personnes atteintes de diabète
alors la formation de néovaisseaux rétiniens et iriens. doivent être soutenues par des p­ rofessionnels de la
226 Physiopathologie du diabète

santé dûment qualifiés, ainsi que des systèmes de [8] Viljoen A, Joshi S, Wierzbicki A. Diabetic dyslipide-
santé qui permettent des tests sanguins réguliers mia and risk of cardiovascular disease. In: Holt RIG,
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d'un diabétique est d'autant mieux garantie que [11] Tomlinson D, Gardiner N. Glucose neurotoxicity.
le traitement du diabète est précoce. On com- Nat Rev Neurosci 2008 ;9(1):36–45.
prend alors tout l'intérêt du dépistage du diabète [12] Hartemann A, Lozeron P. Les neuropathies périphé-
riques chez les diabétiques. Médecine clinique endo-
dans la population générale. En France, on estime crinologie diabète 2015 ;74:70–3.
qu'environ 500 000 personnes sont diabétiques [13] Lega I, Lipscombe L. Diabetes, obesity, and cancer –
sans le savoir et souffriront de complications vas- pathophysiology and clinical implications. Endocr
culaires qui auraient pu être évitées. Enfin, rappe- Rev 2020 ;41(1). bnz014.
lons encore une fois que le diabète n'est pas le seul [14] Biessels GJ, Despa F. Cognitive decline and dementia
in diabetes mellitus : mechanisms and clinical implica-
facteur de risque cardiovasculaire, mais il s'ajoute tions. Nat Rev Endocrinol 2018 ;14:591–604.
à l'obésité, à l'hypertension artérielle et au tabac, [15] Le Monde. Les chiffres clés du diabète, un gigan-
tous facteurs de risque importants et qui doivent tesque marché pour les laboratoires. 14 novembre
être traités pour eux-mêmes, à côté du diabète. 2017. Disponible sur : www.lemonde.fr/
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Chapitre 7
Riposter à la maladie : comment ?

Médiquer, mais pas blème du diabète, quand les malades sauvés du


coma diabétique (l'insuline protège du coma dû
guérir à l'hypercétonémie) commencent à montrer les
signes de complications plus tardives. Une autre
Dans les années 1930, on pensait vraiment que histoire commence, encore plus complexe. On
l'insuline serait pour le traitement du diabète survit au diabète, mais on ne guérit pas. Certes,
insulinodépendant, ce qu'était l'extrait thyroïdien on a gagné une bataille, mais pas la guerre ! C'est
pour le traitement du myxœdème (de l'hypo- exactement ce qui se répétera soixante ans plus
thyroïdie). Dans ce dernier cas, l'administration tard avec la lutte contre le SIDA : l'arrivée des
de l'extrait thyroïdien par voie buccale une fois trithérapies en 1996 transformera une maladie
par jour, à dose fixe, suffit pour régler les consé- mortelle à court terme en pathologie chronique ;
quences biologiques dues au déficit de sa produc- on survit au SIDA mais on ne guérit pas.
tion endogène. Cette vision s'avéra rapidement
naïve.
Avec l'arrivée de l'insuline,
Enthousiasmant tout le diabète change de
ça, mais l'insuline ne faciès : il prend les
guérit pas le diabète traits d'une maladie
chronique et complexe
Il ne fait cependant de doute pour personne que
l'insuline est extraordinairement efficace, et l'on Cinquante pour cent des jeunes patients diabé-
comprend a posteriori que les termes de miracle tiques suivis à la Joslin Clinic à Boston, États-Unis,
et de résurrection aient été employés si souvent et décédés durant la période 1944–1950, mour-
(voir Zoom 1.1). On lit souvent que l'insuline raient d'insuffisance rénale, alors qu'ils n'étaient
a révolutionné le traitement du diabète : c'est que 2 % à mourir de la même cause avant 1937.
vrai si on considère qu'il a permis et permet tou- L'utilisation de l'insuline transforme une maladie
jours d'épargner des vies. Mais la suite n'était pas aiguë à l'issue fatale en une maladie chronique
radieuse (et ne l'est toujours pas…). L'insuline assortie de sérieuses complications à long terme.
doit être injectée en quantités variables d'un jour Même si des progrès importants ont été réalisés,
à l'autre et avec un risque permanent d'hypogly- la lutte contre les complications du diabète chro-
cémie (menace léthale) qui est mal maîtrisé. Et nique reste une priorité scientifique et clinique
oui, l'insuline est aussi un poison ! la sentence de majeure de nos jours. La découverte de l'insuline
Paracelse s'applique : c'est la dose qui fait le poi- a donc paradoxalement stimulé notre question-
son, même pour un remède. nement sur les causes et l'histoire naturelle du
Et puis, dans les années 1930, on commence diabète qui perdait son statut initial de maladie
à comprendre que l'insuline n'a pas réglé le pro- unique pour devenir une maladie complexe.

Physiopathologie du diabète
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228 Physiopathologie du diabète

Le diabète chronique est années 1970, qui révéla la responsabilité de


beaucoup plus discret, la voie métabolique des polyols dans le risque
accru de cataracte chez les diabétiques, et celle
mais tout aussi dangereux de Michael Brownlee à New York, à la fin des
années 1990, qui mit l'accent sur l'importance
On avait reconnu très tôt que l'artériosclérose du stress oxydant intracellulaire induit par l'hy-
était une complication commune du diabète perglycémie chronique dans la microangiopathie
chronique. On considérait cependant qu'elle (voir Zoom 6.2).
était non spécifique du diabète puisqu'on la Dès lors, la lutte contre l'hyperglycémie deve-
retrouvait chez des patients âgés non diabé- nait un objectif majeur pour limiter le risque de
tiques ou des obèses non diabétiques. Or, dès microangiopathie. Le concept fut universellement
les années 1930, deux observations montrèrent accepté après que la preuve eut été fournie par
pour la première fois que certaines anomalies vas- deux grandes études épidémiologiques, DCCT
culaires pouvaient être spécifiques au diabète. En (Diabetes Control and Complications Trial) réa-
1934, des cliniciens de la Mayo Clinic, Rochester, lisée aux États-Unis en 1993 pour le diabète de
États-Unis, décrivirent l'existence d'hémorra- type 1, et UKPDS (UK Prospective Diabetes
gies rétiniennes chez des patients diabétiques Study) réalisée en Grande-Bretagne en 1998
indemnes par ailleurs de toute pathologie vas- pour le diabète de type 2. Ces études qui restent
culaire. Cela signifiait pour eux que le diabète toujours de référence ont montré que l'améliora-
à lui seul abîmait les microvaisseaux de la rétine tion au long cours du contrôle glycémique per-
(capillaires sanguins). En 1936, l'analyse histo- mettait de prévenir ou de retarder l'apparition
logique post mortem de reins provenant de dia- des complications microvasculaires consécutives
bétiques, par Paul Kimmelstiel (1900–1970) et au diabète.
Clifford Wilson (1906–1997) à Boston, montre
une destructuration majeure du réseau capillaire
au niveau des glomérules rénaux. Kimmelstiel et
Wilson font la relation entre cette anomalie et
Le diabète devient une
l'existence d'une hypertension, d'une albuminurie maladie complexe, avec
sévère et d'une insuffisance rénale grave chez ces des costumes différents
mêmes patients avant leur décès. Cette idée que
le diabète pouvait être responsable d'une maladie C'est Lancereaux qui dès 1883 formalisa le
rénale spécifique (indépendante de l'athérosclé- premier l'existence de formes différentes de la
rose) fut ensuite largement reprise et argumentée maladie, avec la description du diabète maigre et
en 1954 par Knud Lundbæk à Copenhague, du diabète gras. Cette dichotomie sera conser-
Danemark. Le travail de ce dernier apporta les vée jusqu'à nos jours même si les dénominations
arguments pour définir ce qui est maintenant officielles ont subi des avatars : ainsi le diabète
reconnu sous le vocable de microangiopa- juvénile est devenu insulinodépendant, puis de
thie diabétique et qui regroupe les anomalies type 1, et dans le même temps, le diabète de
décrites dans les structures capillaires au niveau la maturité est devenu non insulinodépendant,
de la rétine (rétinopathie) ou des glomérules puis de type 2. Cette subdivision est aussi justi-
rénaux (néphropathie). Pour ce qui concerne les fiée par la découverte dans les années 1930, que
mécanismes cellulaires et moléculaires respon- certains patients diabétiques ne réagissent pas
sables de l'endommagement de ces tissus chez comme attendu à l'insuline. Harold Himsworth
les diabétiques, les propositions sont multiples, (1905–1993) en Grande-Bretagne propose que
mais restent controversées malgré des dizaines certains diabétiques soient sensibles à l'effet
d'années de recherche. Parmi les propositions hypoglycémiant de l'insuline, alors que d'autres
les plus marquantes, on retiendra celle de Jin ne le sont guère et sont décrits comme insulino-
Kinoshita à Bethesda, États-Unis, au début des insensibles ou insulinorésistants. Les premiers
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 229

sont en général plutôt minces, alors que les Histoire des


seconds sont en général plus âgés et obèses. En recommandations
1974, fut identifiée une première forme parti-
culière de diabète de type 2, le diabète MODY,
alimentaires pour
diabète avec une forte transmission génétique les diabétiques
(à la différence des formes communes). Quant
au diabète de type 1, les raisons de la disparition Le régime excluant les glucides est apparu intui-
massive des cellules bêta à l'origine de l'insu- tivement comme le seul moyen de contrôler le
linopénie sévère sont restées longtemps mys- diabète dès lors que la présence de sucre dans les
térieuses. Il fallut attendre 1979, pour que le urines a été rattachée aux aliments. La première
diabète de type 1 prenne le statut de maladie prescription d'un régime structuré à visée anti-
auto-immune (voir Chapitre 4). diabétique est à mettre à l'actif de John Rollo
(1755–1809). Cet Écossais, chirurgien en chef de
l'artillerie anglaise, proposa à l'un de ses patients
diabétiques, le capitaine Meredith, un régime
excluant les aliments d'origine végétale. Le régime
Contrôler l'alimentation. à base de lait, d'eau de chaux, de pain, de bou-
Un équilibre scabreux din et de graisse de viande avec, pour boisson, de
l'eau avec du sulfure de potassium, fit merveille
La nécessité d'une prise en charge diététique du sur la soif intense et la polyurie. Rollo démontra
diabète, dans toutes ses formes et à tous ses stades, que le régime entraînait une réduction, voire la
ne prête plus à discussion. Les patients sont eux- disparition, du sucre dans les urines. L'efficacité
mêmes convaincus de la nécessité d'un régime, rapide du régime sur la glycosurie conduisit Rollo
même si l'observance laisse bien souvent à désirer. à développer une théorie selon laquelle l'origine
Il est cependant essentiel de prendre conscience du diabète se situait dans l'estomac et provenait
que les toutes premières recommandations ont de la sécrétion exagérée d'un suc gastrique entraî-
été construites pour traiter des diabètes à une nant la formation de sucre à partir des végétaux
époque (avant 1922) où : l'insuline et a fortiori ingérés. Pour Rollo, les aliments du règne ani-
les médicaments antidiabétiques étaient incon- mal, les graisses animales, l'abstention de tout ali-
nus ; les diabètes reconnus comme tels étaient des ment végétal, et le confinement dans sa chambre
diabètes de type 1 ; les diabètes de type 2 étaient pour éviter les tentations alimentaires, étaient les
rarissimes et passaient inaperçus. Construites moyens nécessaires pour empêcher la formation
pendant des lustres sur la base de l'exclusion du du sucre. L'emploi d'alcalins, comme les coquilles
sucre et des aliments glucidiques, les recomman- d'huîtres calcinées, renforçait l'efficacité du
dations alimentaires à destination des patients dia- régime. Il lui arrivait d'enjoliver le régime de ses
bétiques s'avèrent aujourd'hui bien plus subtiles malades avec du lait, du pain, et du cognac, pour
puisqu'elles doivent faire face de nos jours à l'épi- « satisfaire le malade et ses parents ». Pour des rai-
démie de diabète de type 2. sons mystérieuses, Rollo recommanda également
Les connaissances de la chimie des aliments ont la consommation de la graisse rance et de la viande
conduit à cautionner une alimentation diversifiée non fraîche et longtemps exposée à l'air… Rollo
et équilibrée qui, paradoxalement, n'est pas plus fit rapidement des disciples, comme les Français
facile à mettre en œuvre que les régimes naïve- Guillaume Dupuytren (1775–1835), chirurgien
ment simplificateurs d'autrefois. Il en est de la et anatomiste, ou Louis-Jacques Thénard (1777–
prescription diététique comme des stratégies 1857), chimiste. Ces derniers constatèrent que
thérapeutiques médicamenteuses. Elle n'est ni le « l'urine se modifiait rapidement et finissait par
fruit d'une intuition, ni figée une fois pour toutes, ressembler à celle d'un homme sain » sous l'effet
mais étayée par des connaissances qui ne cessent d'un régime composé d'une grande quantité de
d'évoluer. soupe grasse, de lard, de vin, d'eau, et de petites
230 Physiopathologie du diabète

quantités de pain, mais que le diabète réappa- frais, le pain (à l'exception du pain au gluten ou
raissait lorsque le malade abandonnait le régime. au son), les féculents, le riz, le maïs, et les confi-
Mais des détracteurs soulignèrent rapidement que tures de toutes espèces étaient écartés parce qu'ils
le régime Rollo était difficilement acceptable par étaient transformés en « glycose ». Le lait était
le patient auquel « il répugnait rapidement ». Et également à éviter en raison de sa teneur élevée
à Paris, Armand Trousseau (1801–1867) pro- en « lactine » (lactose). Les produits carnés (sauf
posa de diminuer les aliments amylacés et préféra le foie), les poissons, les œufs, la crème, le beurre,
prôner les vertus de l'hydrothérapie et de l'exer- et les légumes verts, servis de préférence crus en
cice : « un diabétique peut, sans modifier quoi salade, étaient autorisés pour éviter « l'anorexie ».
que ce soit à son régime et s'il fait chaque jour La consommation de vin était recommandée (de
des marches à pied, retrouver pendant un certain « 1 à 2 l par 24 heures pour les hommes, de pré-
temps la santé perdue ». De son côté, Apollinaire férence de Bordeaux ou de Bourgogne, de bons
Bouchardat, (figure 7.1), médecin, hygiéniste et crus et de bonne année, ayant au moins 4 ans »),
chimiste, montra que la glycosurie était le reflet de car Bouchardat pensait que l'alcool pouvait se
la glycémie qui, elle-même, dépendait de l'absorp- substituer aux aliments amylacés (accessoire-
tion et de la combustion des aliments, et proposa ment, il possédait un vignoble dans sa Bourgogne
de supprimer de l'alimentation « toute espèce de natale…).
matière féculente et sucrée ». À la veille de la découverte de l'insuline, de
Il fut le premier à prescrire systématiquement nombreux régimes ayant pour point commun
un traitement hygiéno-diététique, à une époque la restriction plus ou moins sévère des aliments
où certains prétendaient qu'il fallait apporter glucidiques étaient donc proposés. Le plus dras-
davantage de sucre pour combattre le dépéris- tique d'entre eux étant sans doute un régime
sement induit par le diabète et compenser le de « famine » qui prétendait traiter le diabète
sucre éliminé dans l'urine. Le régime devait être de type 1, régime imaginé par Frederick Allen
d'autant plus sévère que la glycosurie était plus (1879–1964) et popularisé par Elliott Joslin
importante, puisqu'il était possible de faire dis- (figure 7.2) à Boston.
paraître la glycosurie en mangeant le moins pos- En 1913, Allen mit au point un régime pro-
sible, en étant sobre et en choisissant des aliments téiné liquide apportant seulement 400 kcal/jour,
ne contenant pas de glucose. Le sucre, les fruits la « starvation diet » (régime proche du jeûne).

Figure 7.1. Apollinaire Bouchardat (1806–1886). Figure 7.2. Elliott Joslin (1869–1962).
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 231

Il obtint effectivement une disparition de la gly- miers « libérateurs » du régime des diabétiques.
cosurie. Les aliments glucidiques étaient ensuite Il avait été impressionné par William Talbert,
réintroduits très progressivement jusqu'à ce que champion de tennis de l'époque et vainqueur
la glycosurie réapparaisse, afin de définir le niveau de la Coupe Davis, qui bien que diabétique de
des apports alimentaires pouvant être consommés type 1, traitait son diabète en mangeant normale-
sans dommages… du moins selon ses critères, ment, en faisant du sport de façon intensive, et en
car ce régime de famine entraînait des carences adaptant ses doses d'insuline au niveau d'activité.
et une dénutrition. Le personnel soignant avait Dénonçant les effets néfastes de la privation sur la
pour mission de traquer les tricheurs et de déni- croissance des jeunes diabétiques, et le développe-
cher la nourriture cachée apportée par les parents. ment de leur autonomie, il milita pour l'équilibre
Allen n'hésita pas à introduire une dimension alimentaire en affirmant haut et fort qu'aucun
morale dans son traitement, considérant que les aliment n'était interdit. En réalité, régime libre
« mauvais » diabétiques qui n'appliquaient pas ses ne signifiait pas qu'on pouvait manger et boire
consignes à la lettre seraient tenus pour respon- ad libitum, mais que les diabétiques pouvaient
sables de leurs complications. Quant à Joslin, il manger de façon saine, comme tout le monde
rédigea en 1916 une monographie rassemblant devrait le faire. Il eut bien du mal à convaincre ses
1 000 cas personnels pour démontrer l'intérêt du collègues diabétologues d'adultes, restés partisans
régime restrictif en hydrates de carbone, puisqu'il d'un régime de restriction glucidique avec exclu-
permettait de réduire la mortalité par infection ou sion totale du sucre pour prévenir les complica-
par acidose aiguë de 20 %. tions chroniques.
Dès 1922, l'utilisation de l'insuline changea le L'invention de l'indice glycémique par l'Anglo-
destin des diabétiques, en leur sauvant la vie bien Canadien David Jenkins qui proposa un nouveau
sûr, mais aussi en les exposant à des difficultés classement des aliments glucidiques basé sur leur
insoupçonnées jusque-là, telles que les hypogly- effet hyperglycémiant, et non plus sur leur com-
cémies liées à une insulinothérapie mal maîtri- position chimique ou leur pouvoir sucrant, fut
sée, et surtout les complications chroniques qui à l'origine d'un net assouplissement du régime
ont désormais le temps de se manifester puisque diabétique. La qualité des glucides (glucides com-
les diabétiques ne meurent plus précocement. plexes versus glucides simples) (voir Chapitre 5 –
Cependant, la prescription diététique ne fut guère Le sucre des aliments, nouveau grand satan. Vrai
modifiée. Le nombre de calories fut augmenté ou faux ?) s'apprécie dès lors par la mesure de
afin que les patients reprennent un poids satisfai- l'indice glycémique (IG, qui quantifie la variation
sant, mais la chasse aux aliments sucrés et la res- glycémique produite), et de la charge glycémique
triction glucidique restèrent la base du régime qui (CG, produit de IG par la quantité de glucides
par ailleurs était beaucoup plus permissif pour les présente dans l'aliment consommé). Les régimes
graisses. À l'époque, les mêmes recommandations qui donnent des IG et CG faibles permettent de
diététiques étaient délivrées pour les diabétiques diminuer le risque de diabète de type 2, et cela
de type 1 et de type 2, le surpoids n'étant pas de façon indépendante de la quantité de fibres
encore reconnu comme un paramètre à traiter. présentes. D'un point de vue chimique, parmi
La recommandation actuelle est d'adapter l'insu- les sucres dits complexes, les amidons peu rami-
linothérapie en fonction des ingesta alimentaires fiés riches en amylose induisent une hyperglycé-
(l'inverse de ce qui se faisait autrefois), facilitée par mie modérée et retardée, alors que les glucides
l'autosurveillance glycémique. composés d'amidons plus ramifiés riches en amy-
Il faut attendre les années 1950 pour voir les lopectine sont rapidement et fortement hypergly-
choses bouger, lorsque les pédiatres diabétologues cémiants. Quant aux oligosaccharides, glucides
innovèrent en proposant un régime sans interdits, dits simples, leur effet hyperglycémiant n'est pas
dit libre, dans le but de favoriser la croissance des univoque, le glucose et le saccharose ayant un IG
enfants diabétiques. En France, c'est le pédiatre bien supérieur à celui du fructose ou du lactose.
Henri Lestradet (1921–1997) qui fut un des pre- Dans la vraie vie, à quantité égale de glucides,
232 Physiopathologie du diabète

l­'effet hyperglycémiant peut donc être très diffé- tion alimentaire désigne aujourd'hui un concept
rent selon les aliments, leur mode de préparation, beaucoup plus ample, qui concerne le processus
et leur environnement alimentaire. par lequel une société modifie en profondeur sa
Aujourd'hui, l'alimentation des diabétiques manière de produire et consommer des aliments.
est proche de l'alimentation recommandée dans Depuis une dizaine d'années, le vocable est utilisé
les programmes de santé publique s'adressant à de façon grandissante dans le débat public pour
la population générale, comme l'a fait en France désigner les attentes ou les efforts entrepris par
le PNNS (Programme National Nutrition Santé). les différents acteurs de la chaîne (producteurs,
Lancé en 2001 par le ministère des Solidarités transformateurs, distributeurs, consommateurs,
et de la Santé, le programme national nutrition autorités publiques) pour respecter davantage
santé est un plan de santé publique visant à amé- l'environnement, améliorer le statut nutritionnel
liorer l'état de santé de la population française en des aliments, développer les produits bio et frais,
agissant sur l'un de ses déterminants majeurs : la produire dans des conditions plus respectueuses
nutrition. Pour le PNNS, la nutrition s'entend du bien-être animal et avec une plus grande équité
comme l'équilibre entre les apports liés à l'alimen- entre les acteurs des filières. D'un point de vue
tation et les dépenses occasionnées par l'activité historique, nous serions en train de vivre la cin-
physique. Il a été régulièrement renouvelé depuis. quième transition alimentaire de l'humanité. La
Le quatrième programme (PNNS4) a été lancé première transition alimentaire a eu lieu il y a
en septembre 2019 (https://solidarites-sante. environ 400 000 ans, lorsque Homo sapiens com-
gouv.fr/prevention-en-sante). Le régime préco- mence à utiliser le feu pour préparer les repas. La
nisé actuellement pour les diabétiques n'exclut deuxième est caractérisée par la domestication de
donc plus le plaisir alimentaire lié à l'ingestion certaines espèces végétales, il y a 12 000 ans en
d'aliments sucrés. Il a toujours pour objectif de Mésopotamie. La troisième est marquée par la
contribuer à l'équilibre glycémique. Mais, il doit division du travail entre agriculteurs, transforma-
aussi permettre de prévenir les complications car- teurs et commerçants, il y a environ 5 000 ans,
diovasculaires et de gérer le poids. Pour cette der- dans plusieurs grandes cités du monde comme
nière raison, il est un outil essentiel de la gestion Babylone. La quatrième transition alimentaire
actuelle des diabètes de type 2. est datée du milieu du xixe siècle en Amérique du
Nord et du début du xxe siècle en Europe, et a
pour caractéristique l'industrialisation et l'inté-
Le risque de diabète gration de l'alimentation dans un système écono-
mique établi et organisé autour de la production,
de type 2 est lié aux de la transformation et de la distribution des ali-
changements alimentaires ments. La cinquième transition alimentaire com-
mence au début du xxie siècle et résulte d'une
L'explosion récente (50 ans) de la prévalence du demande croissante des consommateurs des pays
diabète de type 2 est attribuée aux changements développés et émergents, en réaction aux impacts
socio-économiques et environnementaux, en par- perçus négativement du modèle agro-industriel.
ticulier ceux qui touchent à l'alimentation. On La demande de qualité concerne les dimensions
parle à ce propos de transition nutritionnelle et sanitaire, organoleptique, nutritionnelle, sociale
de globalisation des modes alimentaires. Le terme et culturelle. Quant au terme de globalisation (ou
de transition nutritionnelle (ou alimentaire) a mondialisation), il désigne l'accélération des mou-
d'abord été utilisé par les nutritionnistes pour vements et échanges d'êtres humains, de biens et
caractériser le changement dans le régime ali- de services, de capitaux, de technologies ou de
mentaire des individus qui substituent de manière pratiques culturelles sur toute la planète, depuis
croissante des produits d'origine animale aux la deuxième moitié du xxe siècle. L'alimentation
produits d'origine végétale, dans les populations humaine n'échappe évidemment pas à ces évolu-
dont le niveau économique augmente. La transi- tions (globalisation alimentaire).
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 233

Sur cette période des cinquante dernières Que recommander :


années, le poids corporel moyen individuel combien de calories ?
s'est accru pour toute la population mondiale.
L'augmentation du poids correspond essentielle-
ment à l'augmentation de la masse grasse totale Dans la majorité des cas, la cure d'amaigrissement
corporelle, facteur de risque de diabète de type 2 est le moyen le plus simple et le plus efficace pour
le plus puissant, en particulier parce qu'il pro- réduire à la fois l'hyperglycémie et l'insulinorésis-
voque une diminution de la sensibilité tissulaire tance des diabétiques de type 2, voire prévenir le
à l'insuline. Cette évolution pondérale globale diabète de type 2. L'exemple de ce qui s'est passé
est corrélée à l'augmentation des apports calo- en Norvège durant la Seconde Guerre mondiale
riques et à la diminution de l'activité physique. est particulièrement parlant : l'incidence du dia-
L'immense majorité des études épidémiologiques bète de type 2 dans la population générale nor-
(observationnelles ou interventionnelles) conclut végienne soumise à un rationnement alimentaire
que les nutriments, les aliments ou les régimes ali- sévère a chuté et est restée très faible durant toute
mentaires, ont un rôle important dans la survenue cette période, pour remonter ensuite dans les
du diabète de type 2. L'épidémiologie observa- années 1945–1950 [1] (figure 7.3).
tionnelle appliquée aux pays asiatiques (Chine, La préconisation actuelle des diabétologues est
Corée, Inde) illustre bien les conséquences d'une d'obtenir une vitesse de perte pondérale modé-
augmentation rapide (en vingt à trente ans) de la rée, comprise entre 2 et 4 kg par mois. Il faut en
consommation de sucres, de produits carnés et de effet éviter les pertes de poids trop rapides (obte-
graines raffinées et d'une diminution corrélative nues par des régimes à très basse teneur calo-
de la consommation de céréales par la popula- rique) qui s'accompagnent d'une perte de masse
tion générale : une telle transition nutritionnelle, maigre et aboutissent à des échecs à moyen terme,
ainsi qu'on la désigne souvent, conduit à une avec reprise de poids rapide dès que le patient
augmentation chronique des apports caloriques relâche ou abandonne son régime. Par contre,
sans augmentation compensatoire de la dépense les pertes de poids modérées sauvegardent la
énergétique. Cette trajectoire conduit invariable- masse maigre, évitent la fatigue en cours de cure
ment à une explosion de la fréquence des diabètes d'amaigrissement et permettent, à condition que
de type 2 dans la population générale. Il faut se le sujet soit suffisamment motivé, d'atteindre
garder de verser dans l'excès inverse, celui de la le poids à partir duquel les marqueurs biolo-
sous-alimentation chronique, car, à nouveau, les giques de risque (hypertriglycéridémie, baisse du
épidémiologistes nous ont montré que la sous-
alimentation, surtout si elle sévit pendant la vie 0,20
DIAB TYPE 2
INCIDENCE DU DIABÈTE (%)

intra-utérine ou la petite enfance (voir Chapitre 5 –


L'environnement fœtal et le risque de diabète de 0,15
type 2), accroît nettement le risque de survenue
du diabète de type 2. Comme toujours en nutri-
0,10
tion, il faut se méfier des bornes extrêmes et ne
jamais oublier que l'on navigue entre Charybde
et Scylla… 0,05
Prenons le problème à la racine. Quand on parle DIAB TYPE 1
de l'influence d'un régime alimentaire sur la santé 0,0
humaine, qu'est-ce qui est important : l'énergie 1930 1935 1940 1945 1950 1955
totale (les calories) apportée par les macronutri- Figure 7.3. Évolution de l'incidence du diabète de
ments (lipides, glucides, protéines) présents dans type 2 et du diabète de type 1, à Oslo, Norvège, dans la
le régime ? la quantité relative de chacun de ces population adulte des femmes et des hommes, de 1930
macronutriments ? la nature de chacun de ces à 1955. L'incidence est indiquée par année.
D'après Westlund K. Incidence of diabetes mellitus in Oslo, Norway to
macronutriments ? 1954. Br J Prev Soc Med 1966 ;20(3):105–16.
234 Physiopathologie du diabète

HDL-cholestérol, hypertension artérielle) Pour couvrir les besoins énergétiques du sys-


retrouvent des valeurs normales. Une réduction tème nerveux et des tissus glucodépendants, il
de l'apport calorique de 30 % par rapport aux est nécessaire de fournir un minimum de 140 g
dépenses énergétiques globales permet d'obtenir de glucides par jour pour un adulte. Pour éviter
en moyenne une perte de poids de l'ordre de 3 kg de trop activer la néoglucogenèse hépatique (et
par mois. À long terme, les résultats sont cepen- donc la protéolyse musculaire) qui est déjà exagé-
dant souvent décevants et aucun nutritionniste rée dans le diabète de type 2, il est préférable de
ne détient une solution miracle. C'est alors que monter l'apport en glucides aux alentours de 220–
les antidiabétiques oraux sont prescrits aux dia- 230 g/jour, qui permet de couvrir la consom-
bétiques de type 2 (donc en deuxième intention, mation en glucose de l'ensemble des tissus de
sur un constat d'échec du régime). Chez les dia- l'organisme. Ainsi, pour un sujet de poids normal
bétiques de type 2 de poids normal ou maigres, et soumis de ce fait à un régime normo-calorique
les mesures diététiques sont souvent moins effi- (2 200 kcal/j), l'apport glucidique correspond
caces que chez les diabétiques obèses. La pres- à 40 % des calories totales, pourcentage en des-
cription d'antidiabétiques oraux ou d'insuline sous duquel il est déconseillé de descendre. Cette
lorsque l'insulinopénie est trop sévère devient valeur « plancher » fait l'objet d'un consensus. Par
indispensable. Enfin, chez les patients non dia- contre, la valeur « plafond » est toujours discutée.
bétiques mais présentant une intolérance gluci- Dans les années 1970, plusieurs auteurs ont
dique (donc à risque élevé de faire plus tard un montré que des régimes à très haute teneur gluci-
diabète de type 2), les programmes d'interven- dique (75 % de l'apport énergétique total) étaient
tion basée sur la restriction calorique modérée capables d'améliorer l'équilibre glycémique chez
sont efficaces sur la perte de poids, et diminuent des diabétiques, qu'ils soient traités ou non par
de 60 % le risque de diabète. l'insuline. Malheureusement, ces régimes, trop
riches en hydrates de carbone et dépourvus de
toute qualité gustative, sont difficilement acceptés
par les malades et sont en général rejetés au bout
La balance glucides/lipides : de quelques jours. De telles recommandations
un équilibre difficile à trouver sont en effet peu compatibles avec la palatabilité
pour limiter la prise de poids de l'alimentation, en grande partie liée à l'apport
lipidique.
L'apport alimentaire doit respecter un cer- Quels sont les avantages et les inconvénients
tain équilibre entre glucides, lipides et protides. respectifs des glucides et des lipides en termes
Dans les pays développés, les apports conseillés de bilan énergétique ? On se concentrera sur les
en protéines coïncident en général avec ceux de aspects essentiels : densité énergétique et pala-
l'alimentation spontanée qui fournit un pour- tabilité. La notion de palatabilité, appelée aussi
centage de calories protidiques voisin de 15 % de valeur hédonique, fait référence aux caractéris-
la ration énergétique totale. Équilibrer l'apport tiques de goût et de texture d'un aliment, qui le
nutritionnel revient, le plus souvent, à modifier rendent plus ou moins agréables au palais. Cette
les pourcentages de glucides et de lipides sur les propriété intervient dans le plaisir alimentaire
85 % de calories restantes. Dans un deuxième (aliment dit palatable) qui active le système céré-
temps, il convient de choisir les apports optimaux bral de récompense. La palatabilité des glucides
entre glucides à faible et fort pouvoirs hypergly- varie beaucoup : de passable pour les glucides
cémiants, et entre acides gras saturés, polyinsa- complexes (oligosides et polyosides), à très éle-
turés et mono-insaturés. La marge de manœuvre vée pour le sucre (saccharose). Celle des lipides
du nutritionniste, en apparence relativement est bonne. Le pouvoir satiétogène des glucides est
large, est cependant soumise à un certain nombre en général supérieur à celui des lipides (mais plus
de contraintes métaboliques, gustatives, voire faible que celui des protéines). Les lipides sont
gastronomiques. réputés moins satiétogènes que les glucides ou
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 235

les protéines. Quant au coût énergétique du stoc- inférieur). Utilisé à la place du saccharose (apport
kage des glucides (ingérés en période prandiale), isocalorique) chez des diabétiques de type 2, il
il est important et nécessite 23 % de l'énergie améliore l'équilibre glycémique à court terme.
ingérée pour être convertis et stockés sous forme Malheureusement, une consommation élevée
de lipides de réserve. Par comparaison, celui des de fructose induit des effets indésirables à long
lipides ingérés est faible, et ne nécessite que 4 % terme, tels qu'une augmentation de la lipogenèse
de l'énergie ingérée pour être stockés sous forme hépatique, une hypertriglycéridémie associée au
de lipides de réserve. Pour ce qui concerne leur développement d'une stéatose hépatique et une
devenir métabolique préférentiel, les glucides augmentation des risques cardiovasculaires. Reste
ingérés sont majoritairement oxydés. Les lipides à identifier un niveau d'apport en fructose qui
ingérés sont par contre stockés facilement dès que facilite l'amélioration de la glycémie sans produire
les apports dépassent les capacités d'oxydation. les effets néfastes.

Les recommandations Les apports en fibres


glucidiques : il faut alimentaires : quelle quantité
limiter l'hyperglycémie et sous quelle forme ?
Certaines variétés de fibres comme la gomme
De nos jours le sucre (saccharose) est voué aux
de guar, les pectines et, à un moindre degré, les
gémonies, après avoir été porté aux nues au
hémicelluloses ont la capacité d'amortir la mon-
xxe siècle. Les circonstances et les raisons de ce
tée glycémique prandiale. Dans les études à long
revirement ont déjà été abordées (voir Chapitre 5 –
terme, les améliorations de l'équilibre glycémique
Le sucre des aliments, nouveau grand satan.
sont faibles, voire absentes, avec des supplémenta-
Vrai ou faux ?). On recommande actuellement
tions quotidiennes de l'ordre de 15 à 20 g/jour.
aux diabétiques de privilégier la consommation
En pratique, ces quantités sont difficiles à dépasser
d'aliments à faible pouvoir hyperglycémiant.
en raison des désordres digestifs (ballonnements
L'index glycémique en hiérarchisant le pouvoir
abdominaux, diarrhées, nausées…) qui appa-
hyperglycémiant des aliments a aussi permis de
raissent au-dessus de ces doses (30 à 50 g/j). Par
lever un certain nombre de tabous nutritionnels
ailleurs, lorsqu'on recherche un enrichissement en
comme celui du saccharose. La plupart des tables
fibres, il est préférable de se tourner vers les ali-
indiquent que le pain blanc ou les pommes de
ments riches en fibres (fruits et légumes) plutôt
terre ont un index glycémique égal ou légèrement
que vers les fibres sous forme de compléments ali-
supérieur à celui du saccharose. Alors, pourquoi
mentaires souvent inefficaces et onéreux.
interdire la consommation des aliments conte-
nant du saccharose alors que celle du pain ou des
pommes de terre ne l'est pas ? À l'appui de cette
remarque de bon sens, des travaux ont montré
Les recommandations
que des quantités modérées (30 g/j, soit 10 % protéiques : limiter
de l'apport énergétique journalier) de saccharose, la néphropathie
consommées aux périodes de la journée où la
glycémie est la plus normale ou avant un effort La néphropathie est une des complications clas-
physique, ne compromettent pas le métabolisme siques des diabètes de type 2 comme de type 1.
glucido-lipidique chez le diabétique. Au cours de ces dernières années, de nombreux
Parmi les sucres simples, on accordera une travaux ont insisté sur le rôle de la restriction pro-
attention particulière au fructose, car il est quel- téique pour ralentir la détérioration de la fonction
quefois conseillé aux diabétiques comme substitut rénale chez le diabétique porteur d'une néphropa-
du saccharose (du fait de son index glycémique thie avérée. Ces effets sont en fait plutôt observés
236 Physiopathologie du diabète

chez des diabétiques de type 1 insulinodépen- pancréatique, premier grand succès de Bernard,
dants, et requièrent des restrictions protéiques fut déterminante pour comprendre le processus
peu compatibles avec un suivi de longue durée. d'assimilation des aliments. Ce ferment pancréa-
Les restrictions protéiques modérées (0,8 g/kg de tique était en fait la future lipase pancréatique,
poids/j) permettent une réduction significative de enzyme hydrosoluble qui est produite par les
l'excrétion urinaire de l'albumine chez les diabé- cellules acineuses du pancréas exocrine. La lipase
tiques de type 1 microalbuminuriques. Pour le pancréatique permet la digestion des triglycérides
diabète de type 2, en l'absence de données fiables, d'origine alimentaire. Elle est active à pH alcalin
il est recommandé de réduire la consommation (les ions bicarbonate produits par le pancréas exo-
de protéines à des niveaux acceptables (1 g/kg de crine neutralisent l'acidité gastrique) et fonctionne
poids/j) uniquement chez les patients ayant une avec un cofacteur, la colipase. Son activité nécessite
consommation exagérée de protéines. également la présence des sels biliaires. L'absence
de lipase pancréatique entraîne une non-digestion
des graisses (stéatorrhée). Un médicament comme
Les recommandations l'Orlistat (prescrit en cas d'obésité par exemple)
lipidiques : prévenir inhibe la lipase pancréatique entraînant une non-
les complications digestion des graisses.
L'histoire de la chimie des graisses a débuté
cardiovasculaires au xviie siècle. Elle connut son plein essor au
xixe siècle, à la suite, notamment, des travaux de
La prévalence des complications cardiovasculaires Michel-Eugène Chevreul (1786–1889), pion-
est nettement augmentée chez les diabétiques. nier de la chimie des lipides et découvreur de la
Pour cette raison, le régime doit contribuer à bougie stéarique. L'acide stéarique (suif, en grec
réduire ce risque. Le contrôle de la glycémie par ancien) est un acide gras saturé à chaîne moyenne
les mesures que nous avons envisagées plus haut (18 atomes de carbone et aucune liaison cova-
(réduction du poids, contrôle des apports glu- lente double). À température ambiante, il forme
cidiques, utilisation de glucides à faible pouvoir un solide blanc. Sa température de fusion est
hyperglycémiant) est un élément fondamental de d'environ 70 °C. L'acide stéarique est abondant
la prévention des complications vasculaires micro dans toutes les graisses animales (surtout chez les
et macroangiopathiques (voir Chapitre 6). Outre ruminants) sous la forme de tristéarate de gly-
l'hyperglycémie, le risque artériel est aussi condi- cérol (stéarine). Il est d'ailleurs le plus répandu
tionné par les dyslipidémies. des acides gras saturés après l'acide palmitique
et avant l'acide myristique. Il sert industrielle-
ment à faire des huiles, des bougies et des savons.
Les graisses alimentaires Chevreul démontra que la plupart des graisses
alimentaires étaient constituées d'acides gras et
Les médecins furent longtemps perplexes face aux de glycérol (triglycérides) et identifia plusieurs
graisses, ne sachant quelle fonction leur donner, ni acides gras. Les graisses devinrent les lipides en
comment elles s'accumulaient dans l'organisme. 1920. Lipide, lipoïde ou lipine ? L'hésitation a
Claude Bernard décrivit en 1848 le rôle du « fluide duré jusqu'en 1923, lorsque le chimiste Gabriel
pancréatique dans la digestion des graisses », du Bertrand (1867–1962) introduisit le terme de
fait de ses propriétés émulsives et saponifiantes. En lipide, calqué sur celui de glucide et de protide,
effet, l'obstruction du conduit pancréatique par créés respectivement en 1869 et 1870. Il tire
du suif fondu provoquait une stéatorrhée. La stéa- son origine de la racine grecque lipo qui signi-
torrhée se caractérise par une quantité anormale- fie « graisses ». Il fut officiellement adopté par
ment élevée de graisses (lipides) dans les selles. Elle l'Union internationale de chimie fondamentale et
est synonyme d'une atteinte de l'intestin et/ou appliquée, mais « lipoïde » restera utilisé jusqu'en
du pancréas exocrine. La découverte du ferment 1939. Les termes d'huile, de graisses concrètes, de
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 237

graisses dures ou molles, de suif, de suint, de sain- rélation positive incontestable entre le cholestérol
doux et de lard, restèrent très utilisés. Au xxe siècle sanguin des sujets de moins de 55 ans et leur mor-
furent décrits les acides gras saturés, les acides gras talité cardiovasculaire après trente ans de suivi,
mono et polyinsaturés, les acides gras n-3 pré- mais qui concluait toutefois que l'athéromatose
curseurs des prostaglandines et prostacyclines, les était un phénomène multifactoriel où le cholesté-
voies métaboliques impliquées dans la fourniture rol n'était pas le facteur causal unique, contraire-
d'énergie par les acides gras, les mécanismes du ment à ce qu'affirmait Anichkov.
stockage énergétique des triglycérides dans le tissu Pour autant, les autres lipides (les acides gras)
adipeux, le rôle du cholestérol et des lipoprotéines sont-ils aussi condamnables ? Dès 1957, le physio-
qui lui servent de transporteurs (LDL et HDL). logiste américain Ancel Keys (figure 7.4) proposait
Dans les sociétés occidentales, les lipides sont la l'existence d'une association positive entre apport
principale source calorique de l'alimentation ; à en acides gras saturés et mortalité coronarienne, le
poids équivalent, ils apportent plus d'énergie que cholestérol total évoluant dans le même sens. La
n'importe quel autre nutriment. L'excès d'apport première très grande enquête internationale est
calorique se traduit par l'accumulation de tissus celle des Seven Countries (« sept pays »), voulue et
adipeux aboutissant à la surcharge pondérale qui dirigée par le même Keys. Menée de 1970 à 1985,
peut évoluer à terme en diabète avec un risque elle est toujours citée aujourd'hui comme une réfé-
accru de micro- et macroangiopathie vasculaires. rence absolue. Elle eut un immense succès, car elle
rétablissait le dogme en affirmant sans ambiguïté
la responsabilité majeure du cholestérol et des
acides gras saturés dans la mortalité cardiovascu-
De la lipophobie dure, à la laire. Elle a analysé pendant quinze ans 15 cohortes
liporéhabilitation tranquille de 11 579 sujets, avec une mortalité cardiaque
cumulée sur ces quinze ans de 16 % (1 830 décès).
En 1913, Nikolai Anichkov (1885–1964), un Globalement, les faits étaient impressionnants
jeune chercheur russe de l'académie militaire de (même si on peut regretter le choix des pays,
médecine à Saint-Pétersbourg, lança les bases de
la théorie lipidique de l'athérosclérose en obte-
nant le développement de lésions athéroma-
teuses contenant des dépôts de cholestérol (voir
Chapitre 6) comparables à celles qui avaient été
décrites chez l'homme en soumettant des lapins à
un régime très riche en cholestérol. La gravité des
lésions était proportionnelle à l'hypercholestérolé-
mie, et partiellement réversible après une modifi-
cation du régime. Ces résultats furent contestés en
raison de l'importance de l'hypercholestérolémie
expérimentale et parce qu'ils n'avaient pas pu être
reproduits chez le chien ou le rat en raison des
particularités du métabolisme du cholestérol chez
le lapin. Cette théorie du « cholestérol coupable »
refait surface bien plus tard (en 1987) à la suite
des résultats de l'étude épidémiologique de la
cohorte de Framingham (petite ville de Nouvelle-
Angleterre, États-Unis, dont les habitants ont été
placés sous surveillance médicale régulière pen-
dant plus de trente ans). Elle montrait une cor- Figure 7.4. Ancel Keys (1904–2004).
238 Physiopathologie du diabète

puisque toute l'Europe de l'Ouest était tenue à acides gras mono-insaturés et mortalité corona-
l'écart, l'enquête se concentrant sur le Japon, la rienne. Or, à la même époque (années 1970), le
Crète, la Serbie, la Yougoslavie, les cheminots de Danois Jorn Dyerberg introduisait le concept pro-
Rome, les États-Unis et la Finlande) : la mortalité tecteur des acides gras polyinsaturés en oméga-3
cardiaque s'élève régulièrement de 4 à 24 % pour (AGPI ω3 ou AGPI n-3). Intrigués par une inci-
les valeurs de cholestérolémie entre 1,3 et 3,3 g/l, dence des événements cardiovasculaires plus faible
soit une augmentation de mortalité de 1 % pour chez les Esquimaux Inuits du Groenland ayant
chaque 0,1 g/l d'augmentation du cholestérol. conservé un mode de vie traditionnel que chez
Keys conclut à la responsabilité du cholestérol les Danois résidents au Groenland, il constata
et il y ajoute le rôle nocif des acides gras saturés. que le profil lipidique des Esquimaux Inuits était
Le dogme est cette fois définitivement en place : bien plus satisfaisant que celui des Danois, en
le cholestérol et les acides gras saturés sont une dépit d'une alimentation particulièrement riche
cause majeure de mortalité cardiaque. L'enquête en graisses (chair de cétacé, phoque, oiseaux
des sept pays devient le bréviaire des cardiologues. marins, poissons). Il attribua la rareté de l'inci-
Une autre étude célèbre confortait le dogme : dence des maladies cardiaques chez les Inuits, à la
l'étude japonaise de suivi des migrations de forte consommation d'AGPI n-3 contenus dans
Japonais à Hawaï, puis en Californie. Elle mon- les produits marins, avec une mention particulière
trait une évolution parallèle entre apport en acides pour l'EPA (acide eicosapentaénoïque) et le DHA
gras saturés et mortalité coronarienne, et entre (acide docosahexaénoïque). Au même moment,
cholestérol total et mortalité coronarienne. Une à l'autre bout du monde, l'équipe du Japonais
autre étude épidémiologique américaine publiée Takashi Terano qui s'intéressait au régime des
en 1986 montrait également une forte corrélation habitants de l'archipel d'Okinawa concluait, elle
entre apports en cholestérol et acides gras satu- aussi, que la faible prévalence des maladies car-
rés et incidence des décès par cardiopathie isché- diovasculaires dans ce coin du monde était liée à
mique, dans une cinquantaine de pays de niveaux l'importance de la consommation de poisson (de
de développement très différents dans le monde. l'ordre de 250 g/j). La saga des oméga-3 venait
Avec un petit bémol, la France ne rentrait pas dans de débuter ! L'attrait des AGPI n-3 a été ensuite
le modèle, l'exception française se manifestant par conforté par diverses études expérimentales et
un des taux de mortalité par cardiopathie isché- chez l'homme montrant qu'ils avaient des effets
mique les plus bas au monde et l'un des apports bénéfiques (modérés) sur les lipides plasmatiques
alimentaires en cholestérol et acides gras saturés (diminution des triglycérides, augmentation des
les plus élevés dans le monde (à l'époque, on avait HDL et LDL), la pression artérielle, l'agrégation
trouvé une explication en mettant en cause les plaquettaire, la thrombose, le rythme cardiaque, et
lacunes affectant le recueil des circonstances de le développement de l'athérosclérose. Il s'ensuivit
décès dans les déclarations de décès en France). un engouement des médecins et du grand public
Pour information, les cardiopathies ischémiques pour les AGPI. Des compléments alimentaires à
correspondent à une insuffisance d'apports en base d'huile de chair de poisson ont été mis sur le
oxygène et en sang du muscle cardiaque. La mala- marché dans le but de diminuer la triglycéridémie
die coronarienne stable est la forme la plus fré- et de prévenir les événements coronariens en pré-
quente. Elle se caractérise par un rétrécissement le vention cardiovasculaire primaire et secondaire.
plus souvent athéromateux des artères coronaires. Des capsules de chair de poisson gras ont même
Deux symptômes la caractérisent : l'angine de poi- été prises en charge par l'Assurance maladie de
trine et le syndrome coronarien aigu avec ou sans 1988 à 1998. Des produits alimentaires supplé-
nécrose myocardique. La mort subite et l'insuffi- mentés en AGPI n-3 (margarine, œufs) sont tou-
sance cardiaque sont les deux complications prin- jours commercialisés. Longtemps, le bien-fondé
cipales de la maladie coronarienne stable. de ces pratiques a été admis en dépit de l'absence
La grande étude de Keys mettait aussi en évi- de preuves causales formelles (médecine non fon-
dence une association négative entre apport en dée sur la preuve).
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 239

Pour résumer, se retrouve donc sur le banc minérale ou de soda… Certains pédiatres en
des accusés : une alimentation bien trop riche viennent même à déconseiller le lait maternel pour
en acides gras saturés (contenus surtout dans les les nourrissons, car trop riche en graisses satu-
graisses animales comme celles de la viande, du rées ! Plus largement, le « gras » est stigmatisé par
beurre et du lait entier) rendue responsable de une nouvelle morale. Le beurre est diabolisé en
l'augmentation du taux de cholestérol chez la même temps que les « rondeurs » physiques. Les
plupart des individus. En revanche, les acides gras nouveaux gastronomes adeptes de la « nouvelle
polyinsaturés contenus dans les huiles végétales, cuisine » chassent les graisses de leurs assiettes
en empêchant l'élévation du taux de cholestérol, pour afficher des silhouettes sveltes à l'égal de
jouent ainsi un rôle protecteur. La chasse au gras celles qui hantent les pages des magazines et les
et au gros est devenue un enjeu de santé publique écrans. Enfin, lorsque le régime s'avère insuffi-
après qu'une relation entre la consommation sant, on a recours aux médicaments : fibrates tout
de graisses et les maladies chroniques (dites de d'abord, puis résine échangeuse qui capte une
société) que sont l'obésité, le diabète et les mala- partie du cholestérol alimentaire, enfin inhibiteurs
dies cardiovasculaires ait été mise en évidence par de la synthèse du cholestérol (statines). Dans les
les épidémiologistes. Prévenir les maladies car- années 1980, ces spécialités arrivent en tête des
diovasculaires associées ou non à l'obésité ou au ventes de médicaments en France, comme aux
diabète semble donc extrêmement simple. Il suffit États-Unis (voir Zoom 8.3).
de nous (nous = la population générale) inciter à Mais les années passent et les vieux souvenirs
adopter un régime pauvre en graisses saturées et s'estompent… Depuis les études de Keys et de
en cholestérol alimentaire. Les aliments « light » Dyerberg, plusieurs décennies se sont écoulées
ou allégés en cholestérol et en graisses saturées pendant lesquelles les biochimistes et les physio-
apparaissent alors. L'ensemble des professionnels logistes ont de mieux en mieux décrit les voies du
de santé fait chorus avec les autorités sanitaires métabolisme du cholestérol et des acides gras satu-
pour recommander de limiter l'apport en graisses rés ou insaturés. Ces dernières rendent compte de
à 30 à 35 % (dont 10 % pour les graisses saturées) l'approvisionnement des cellules de l'organisme en
de la ration énergétique, et l'apport en cholestérol cholestérol et en acides gras. On découvre que c'est
à moins de 500 mg/jour. Il y avait bien quelques leur altération qui est à l'origine des dyslipidémies
études discordantes, mais elles ne suffirent pas responsables de maladies cardio-métaboliques.
à écorner le dogme. Ainsi, par exemple, la mise Cela a progressivement (mais sûrement) changé le
en évidence d'une relation inverse (!) entre les regard porté par les cliniciens sur le cholestérol et
apports en AG saturés et l'incidence des accidents les acides gras. L'étude, menée à Framingham, qui
vasculaires cérébraux rapportée dans l'étude de montrait clairement qu'il existe un rapport direct
Framingham passe inaperçue. Seule, l'exception entre le risque coronarien et le taux de cholestérol
française d'une faible mortalité coronarienne en sanguin, lorsqu'il dépasse 3 g/l, met également en
dépit d'apports élevés en graisses saturées inter- évidence l'effet protecteur du HDL-cholestérol,
roge : mais si, bien sûr, la protection des Français le « bon » cholestérol. Cette découverte relati-
contre la maladie coronarienne, c'est la consom- vise l'importance du taux de cholestérol global.
mation de vin rouge ! au grand bonheur du lobby Un fort taux de « bon » cholestérol corrige l'effet
viticole hexagonal… Il y avait bien aussi quelques négatif d'un taux de cholestérol un peu trop élevé.
esprits mal tournés qui suspectaient un effet du Mais ce sont surtout les essais de prévention des
lobby des sucriers (quand on consomme moins de maladies cardiovasculaires, par diminution du
lipides, on consomme forcément plus de glucides, taux de cholestérol, qui vont ébranler les convic-
à apport énergétique équivalent…). N'empêche, tions des inconditionnels de la lutte anticholesté-
l'American Heart Association invente un label rol. L'OMS organise en 1964 la première étude
« Bon pour le cœur » décerné aux aliments dénués à grande échelle : plus de 10 000 hommes d'âge
de cholestérol, et les étiquettes « zero fat » et « zero moyen, recrutés dans plusieurs villes d'Europe,
cholesterol » fleurissent sur les bouteilles d'eau tous en bonne santé au début de l'essai, ont un
240 Physiopathologie du diabète

taux de cholestérol élevé. La moitié d'entre eux de données issues de nouvelles études conduites
se voit prescrire du clofibrate, premier médica- dans les vingt dernières années et méthodologi-
ment hypocholestérolémiant connu, tandis que quement sérieuses. On sait maintenant que le cho-
l'autre moitié reçoit un placebo. Après cinq ans lestérol alimentaire n'a qu'une influence limitée
de ce traitement, les résultats sont stupéfiants : sur le cholestérol plasmatique. Globalement, les
si le taux de cholestérol a bien diminué chez les études prospectives ne montrent pas d'association
patients traités au clofibrate, le nombre de décès entre les apports en acides gras saturés et le risque
par infarctus est à peu près identique dans les deux cardiovasculaire, voire une relation inverse pour
groupes, et le nombre de cancers et de calculs de les accidents cérébrovasculaires (AVC). Rappelons
la vésicule augmente chez les patients traités au qu'une étude clinique est dite prospective lorsque
clofibrate ! Les fibrates terminent leur carrière. On l'exposition est mesurée avant la survenue de
se met aussi à relire de près les vieilles études. La l'événement étudié. Les études d'intervention
réanalyse de l'étude de Keys montre qu'elle est primaire (la prévention primaire tente d'éviter
biaisée : en mélangeant sept pays, en les traitant l'apparition d'une maladie) n'ont pas entraîné
comme un seul, elle globalisait les résultats sans d'effet. Les études d'intervention cardiovasculaire
tenir compte des énormes différences de choles- secondaire (la prévention secondaire vise à stop-
térolémie et de mortalité entre les pays. Dans cinq per ou à retarder l'évolution d'une maladie, ou à
des sept pays, hormis les États-Unis, les courbes réduire le risque de rechute et de chronicité) tes-
cholestérolémie/mortalité cardiaque sont presque tant une réduction sévère des acides gras saturés et
horizontales, ce qui veut dire qu'il n'y a, dans cha- une augmentation isolée des acides gras polyinsa-
cun d'eux, aucun lien entre les deux variables. Or, turés oméga-6 ont entraîné une augmentation du
la mortalité cardiaque sur quinze ans est très faible risque cardiovasculaire. Seules les études compre-
au Japon (3 %) et en Crète (4 %), un peu plus éle- nant une augmentation des acides gras polyinsatu-
vée dans les Balkans (8 %), mais elle est surtout rés oméga-6 et oméga-3 ont permis d'obtenir une
5 fois plus forte en Finlande (22 %), démontrant réduction du risque cardiovasculaire. En outre, les
que bien d'autres facteurs que le cholestérol sont études de substitution montrent qu'une substi-
impliqués dans la mortalité coronaire. Il est donc tution des acides gras saturés par les glucides est
clair que ce sont les modes de vie des pays, non délétère, excepté si les glucides ont un index gly-
le cholestérol, qui font l'essentiel des différences. cémique bas. De plus, les acides gras saturés ne
On a commencé aussi à argumenter sur l'exis- peuvent être considérés comme une entité unique.
tence de facteurs protecteurs (vin, fromage, fruits Bien que non indispensables, ils sont utiles et
et légumes, style alimentaire français). Enfin, à exercent des effets insoupçonnés : par exemple,
la cacophonie diététique qui entoure les graisses un faible apport d'acides gras saturés induit une
s'ajoute la constatation qu'après des années de synthèse endogène accrue d'acide palmitique,
régime hypolipidique, la diminution de la mor- qui s'incorpore dans les triglycérides hépatiques
talité cardiovasculaire ne se soit pas accompagnée et dans les phospholipides plasmatiques et tissu-
d'une diminution de l'incidence de ces affections. laires (ce même acide palmitique qui est vilipendé
La diminution de la mortalité cardiovasculaire lorsqu'il est apporté par la consommation de cer-
s'explique essentiellement par l'amélioration de la taines pâtes à tartiner célèbres…). Aujourd'hui, de
prise en charge et des procédures thérapeutiques. plus en plus de voix s'élèvent donc pour réhabili-
ter certaines graisses, comme celles des produits
laitiers. Alliance imprévue et involontaire, avec le
Entre diabolisation du gras retour en « grasse » des régimes hypoglucidiques
et béatification des oméga-3, « low-carb » (donc, hyperlipidiques !) qui refont
où en est-on aujourd'hui ? actuellement surface.
Il reste que les graisses alimentaires sont des
Il a fallu attendre 2010 pour qu'une révision molle sources concentrées d'énergie dont l'apport
du dogme soit envisagée devant l'accumulation dans les pays industrialisés représente 35 à 40 %
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 241

de l'apport calorique total (34 % en France acides gras mono-insaturés ; – une consommation
selon la dernière enquête INCA 3 [étude indi- limitée de viande, de corps gras solides, et de pro-
viduelle nationale de la consommation alimen- duits laitiers (chèvre et brebis essentiellement).
taire 3] datant de 2018) [2], ce qui est proche Ces pratiques alimentaires conduisent, en général,
des recommandations officielles (35 à 40 % selon à une répartition des apports en nutriments qui
l'ANSES) [3]. La restriction en graisses alimen- peut s'avérer sensiblement différente de l'alimen-
taires n'est pas dangereuse, sous réserve que soit tation standard des pays dits développés. La cuisine
assuré un apport en acides gras insaturés à hau- est savoureuse, conviviale et surveiller son alimen-
teur de 10 g/jour pour l'acide linoléique, 2 g/ tation n'est plus synonyme de faire « le régime ».
jour pour l'acide α-linolénique, mais est-elle utile ? Elle évoque le soleil, la mer et les traditions culi-
Il est actuellement recommandé que l'apport en naires de Grèce et des autres pays du pourtour
graisses saturées ne dépasse pas 10 % de la ration méditerranéen. Vue ainsi, cette « diète » [5], qui
énergétique totale (soit 20 g/j). Les acides gras n'en est pas une, est plus attrayante et plus facile
n-6, dont le chef de file est l'acide linoléique à suivre que n'importe quel régime, avec ses ali-
(huiles de tournesol, de maïs ou de pépins de rai- ments interdits et restrictions caloriques. D'autant
sin), doivent être apportés en quantité suffisante plus qu'il a des effets plutôt bénéfiques : dès les
mais non excessive. Avec un apport de l'ordre de années 1980, Keys avait popularisé l'idée que les
7 à 8 % des calories totales, on observe un effet Grecs étaient en meilleure santé cardiovasculaire
hypocholestérolémiant modéré (baisse de 10 % que les Finlandais, Américains ou Néerlandais.
pour le cholestérol plasmatique), tout en évitant Depuis, de nombreuses études épidémiologiques
les risques liés à des peroxydations lipidiques suggèrent que le régime méditerranéen pour-
excessives. L'apport d'acides gras n-3 se fait sous rait réduire le risque de développer des troubles
forme d'acide α-linolénique contenu dans cer- cognitifs, des cancers (sein, côlon), l'obésité ou le
taines huiles végétales (colza, soja), ou sous forme diabète de type 2. Il permettrait une plus grande
d'acides eicosapentaénoïque et docosahexaé- longévité et une plus longue espérance de vie en
noïque présents dans les huiles et la chair de pois- bonne santé.
son. L'engouement pour les huiles de poisson ne Ce régime méditerranéen peut être décliné de la
faisant plus l'unanimité, on retiendra qu'un peu manière suivante : la somme des apports en glu-
de poisson (une à deux fois par semaine) peut faire cides et en acides gras mono-insaturés est voisine
du bien ; davantage n'est pas forcément mieux. En de 66 % de l'apport énergétique total, et les apports
ce qui concerne les acides gras mono-insaturés, de en acides gras saturés et polyinsaturés sont en géné-
nombreux travaux ont clairement démontré que ral inférieurs à 10 % des calories totales. Les acides
les régimes riches en graisses mono-insaturées gras polyinsaturés n-3 sont apportés en majorité
entraînaient une diminution du LDL-cholestérol par les poissons gras sous forme d'acide eicosapen-
plasmatique. taénoïque (EPA), l'autre source étant représentée
Pour toutes les raisons qui viennent d'être dis- par certaines huiles végétales (colza, soja, noix)
cutées, on recommande aux diabétiques de deve- qui contiennent de l'acide alpha-linolénique, un
nir des adeptes du régime méditerranéen [4], à précurseur de l'EPA. Pour que l'apport en acides
propos duquel il serait préférable d'utiliser le plu- gras mono-insaturés soit suffisant (20 % des calories
riel plutôt que le singulier. En effet, historique- totales), la consommation d'huile d'olive est pré-
ment dénommé régime crétois, il existe autant de conisée. Question surpoids, les effets amaigrissants
régimes méditerranéens que de pays entourant la de ce régime sont assez modestes. Il n'est pas plus
Méditerranée. Toutefois, ce type d'alimentation efficace pour perdre du poids que d'autres régimes
repose sur un socle commun dont les caractéris- commerciaux, comme le régime Atkins hyperpro-
tiques sont les suivantes : – une consommation téiné et pauvre en glucides (voir ci-après), ou encore
accrue de légumes, de fruits, de produits céréa- la méthode Weight Watchers (voir ci-après). Si ce
liers, de poissons, et d'huiles végétales, avec une régime remporte un succès certain, c'est bien qu'il
mention particulière pour l'huile d'olive riche en permet une modification durable des h ­abitudes
242 Physiopathologie du diabète

a­limentaires, à la différence des régimes commer- substitutions de repas et des produits diététiques
ciaux peu efficaces sur le long terme. Le régime (23 %), et en régime coaching de type Weight
méditerranéen, équilibré, a l'avantage de renvoyer Watchers (11 %). À six mois, la perte de poids était
dos à dos ceux qui prônent l'intransigeance dog- plus souvent maintenue avec la méthode globale
matique voire l'intégrisme, et les adeptes du libéra- (76 %). Les méthodes commerciales étaient per-
lisme plus ou moins laxiste, au profit d'une attitude çues comme trois fois plus contraignantes et frus-
respectueuse à la fois des objectifs thérapeutiques et trantes que la méthode globale.
des aspirations légitimes des patients aux plaisirs de Puisque l'objectif primaire de tous ces régimes
la table. D'ailleurs, les recommandations nutrition- est de conduire à une perte de masse grasse, ils
nelles actuelles des autorités de santé européennes sont donc attractifs, sur le papier au moins, pour
et françaises se rapprochent de plus en plus des les diabétiques de type 2 qui doivent gérer leur
principes diététiques du régime méditerranéen : la surpoids ou leur obésité. Sont-ils pour autant
dernière version du PNNS (Programme national intéressants pour améliorer la physiologie des dia-
nutrition santé 2019) préconise, en plus des fruits bétiques, et en particulier l'équilibre glycémique
et légumes, de consommer davantage de légumi- et les complications cardiovasculaires ? En faisant
neuses et de céréales complètes et moins de viande maintenant un rapide inventaire des multiples
(hors volaille) et de charcuteries. régimes alimentaires populaires, on va voir qu'il
en est rarement le cas [6].
Quid des effets des
régimes tendance ? Les régimes de jeûne
Le trait commun à tous les régimes alimentaires à Dans les années 1980, 10 Irlandais militants de
la mode est que ce sont tous des régimes d'amai- l'IRA (Irish Republican Army), qui ont fait une
grissement. Saisie par la Direction générale de la grève totale de la faim sont décédés après 46 à
santé pour évaluer les risques liés aux pratiques 71 jours de jeûne total. Depuis cette date, on sait
alimentaires d'amaigrissement, l'ANSES (Agence que la survie maximale à un jeûne complet chez
nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, un sujet non obèse est de 71 jours. Cela corres-
de l'environnement et du travail) a publié, en pond à la perte de plus de 50 % de la masse maigre
2010, un rapport sur les résultats et les risques de au-delà de laquelle les organes vitaux (cœur, foie)
15 régimes parmi les plus populaires en France. ne peuvent plus assurer leur fonction. Le record
L'acceptabilité et la perception des régimes ont été absolu de durée de jeûne a été décrit en 1973,
évaluées sur un échantillon de 18 200 internautes chez un patient obèse de 207 kg soumis à un
volontaires dans le cadre de l'enquête NutriNet- jeûne total de 382 jours sous contrôle médical.
Santé. Environ un tiers des participants (85 % de Il a montré une bonne tolérance et une perte de
femmes) ont déclaré avoir pratiqué un régime poids massive qui s'est maintenue à 87 kg durant
alimentaire dans les trois dernières années écou- 5 ans. Le jeûne complet est donc très efficace pour
lées. Parmi ceux qui avaient déclaré avoir suivi au perdre du poids, mais… que se passe-t-il quand
moins un régime alimentaire au cours de leur vie, on jeûne ? L'organisme entre en situation de jeûne
on comptait 86 % de femmes, dont la majorité huit à dix heures seulement après le dernier repas.
(74 %) avait pratiqué des régimes multiples ; 9 % Il va alors s'adapter en utilisant prioritairement les
d'entre elles ayant reconnu en avoir suivi plus de sources de glucose stockées. Environ seize heures
dix. La méthode globale, fondée sur la rééquili- après le dernier repas, le glycogène hépatique est
bration alimentaire et les conseils diététiques et épuisé. L'organisme commence alors à puiser
d'hygiène de vie selon les principes du PNNS, était dans son tissu adipeux (triglycérides). Si le jeûne
appliquée dans 35 % des cas. Les autres régimes se prolonge de deux à trois jours, la production
consistaient en régimes dits commerciaux (32 %), de corps cétoniques (seule source énergétique que
en restrictions personnelles spontanées avec des le cerveau est capable de consommer à la place
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 243

du glucose) augmente alors fortement et reste ou instable (hypoglycémies et/ou hyperglycémies


élevée pendant toute la durée du jeûne. Lorsque fréquentes) ; diabète compliqué d'une insuffisance
les réserves lipidiques (graisses) fondent, l'orga- rénale et/ou de rétinopathie sévère ; diabète asso-
nisme mobilise les acides aminés contenus dans les cié à une insuffisance cardiaque ou un infarctus
protéines musculaires. Ce mécanisme permet de du myocarde, ou à une maladie intercurrente
maintenir la production hépatique de glucose en avec fièvre, diarrhées. Chez les diabétiques sans
activant la néoglucogenèse, seule façon de main- complications, le jeûne type ramadan n'est pas
tenir une fourniture minimale de glucose pour contre-indiqué. En l'état, il n'existe pas d'argu-
l'organisme. Lorsque les protéines musculaires ments solides et validés pour affirmer que le jeûne
fondent trop (protéolyse), la néoglucogenèse intermittent ou périodique est à même d'optimi-
s'effondre à son tour et la survie énergétique de ser l'état de santé ou d'empêcher la survenue ou
l'organisme est en question… Des alternatives ont l'évolution du diabète. Le jeûne intermittent n'a
été proposées à la restriction calorique par jeûne pas plus de potentialité de prévention du diabète
absolu. Elles visent à obtenir une meilleure com- de type 2 que la restriction calorique.
pliance des patients et/ou une moindre reprise Le régime restrictif d'Allen, proche du jeûne, a
de poids à moyen terme. Parmi ces modalités, repris des couleurs de façon inattendue près d'un
citons : le jeûne alterné, le jeûne intermittent, la siècle plus tard, à la suite des travaux de l'équipe
restriction calorique partielle journalière, le jeûne de l'Italo-Américain Valter Longo qui met en
des régimes détox. Chez l'obèse, le jeûne alterné avant un ersatz de jeûne rebaptisé « régime de
(jeûne complet un jour sur deux ou forte restric- longévité », et qui aurait un effet bénéfique sur
tion calorique un jour sur deux) ne permet pas la longévité et le métabolisme énergétique [7].
d'obtenir une perte de poids supérieure à une Récemment, cette équipe a suggéré que ce régime
restriction calorique continue et a l'inconvénient alimentaire permettait d'enrayer la progression
de s'accompagner d'une sensation de faim, qui la des diabètes de type 1 et de type 2 chez l'ani-
rend difficile à poursuivre sur le long terme. La mal en régénérant les cellules bêta pancréatiques.
restriction calorique intermittente (2 jours sur 7 Reste à le démontrer chez l'homme.
par exemple) ne permet pas non plus une perte de
poids supérieure à celle d'une restriction continue,
mais peut être mieux acceptée par des patients qui Les régimes hypoglucidiques
ne parviennent pas à maintenir une restriction
Le régime Atkins
calorique quotidienne. Concernant les patients
avec un cancer, il n'existe pas de preuve d'un effet Mis au point au début des années 1970, le régime
bénéfique ou délétère du jeûne, de la restriction proposé par le médecin américain Robert Atkins
calorique ou protéique sur l'efficacité des traite- (1930–2003) a connu un succès planétaire et n'a
ments anticancéreux ou le pronostic du cancer. À jamais cessé d'occuper le terrain. Taillé sur mesure
côté de ces modalités de jeûne thérapeutique, il pour les obèses carnivores d'Amérique du Nord,
existe des régimes dits détox qui connaissent une il est fondé sur un concept physiologique de
certaine vogue en France. Leur principe est d'uti- l'époque selon lequel il n'est pas possible de stoc-
liser certains modes alimentaires pour éliminer les ker les graisses en l'absence de sécrétion d'insu-
prétendues toxines. line. De ce fait, l'exclusion totale de tout aliment
Un diabétique peut-il pratiquer le jeûne ? La glucidique empêcherait l'assimilation des aliments
question se pose régulièrement aux médecins lipidiques et il serait possible de consommer des
lorsqu'il s'agit du jeûne religieux. Les trois cultes aliments protéiques ou lipidiques sans se soucier
monothéistes l'inscrivent dans leur pratique avec de l'apport calorique. La perte de poids observé
plus ou moins de rigueur, mais c'est incontesta- avec ce régime, facile à appliquer puisqu'il auto-
blement le ramadan qui est le plus exigeant. Il est rise des bonnes choses sans restriction, résulterait
formellement déconseillé à un diabétique de jeû- de la nécessité de puiser l'énergie dans les réserves
ner dans les cas suivants : diabète mal équilibré adipeuses. En réalité, la perte hydrique liée à la
244 Physiopathologie du diabète

disparition des réserves en glycogène, le poten- rapidement une perte de poids. Une amélioration
tiel fortement cétogène de ce régime, et la lassi- de l'équilibre glycémique et même une rémission
tude qu'il induit, expliquent pour une bonne part du diabète de type 2 ont pu être observées et sont
la perte de poids. Ce régime est médicalement à rattacher à la perte de poids [8]. Cette perte de
inacceptable car il accumule les inconvénients : poids n'est pas liée à la restriction glucidique par
diminution importante de la masse maigre et pas elle-même, mais à la réduction des apports calo-
seulement de la masse grasse, déficit profond en riques qui l'accompagne. En d'autres termes, tous
fibres et en micronutriments, effet athérogène au les régimes hypocaloriques, qu'ils soient associés
point qu'il a été accusé d'être un véritable pas- ou non à une diminution de l'apport en glucides
seport pour l'infarctus, et effet hyperuricémiant. ou en lipides, conduisent au même résultat en
L'hyperuricémie désigne un taux excessif d'acide termes de perte pondérale à condition que la res-
urique dans le sérum sanguin. L'acide urique triction calorique soit la même. La part des glu-
provient des purines alimentaires, du catabolisme cides de 45 à 50 % habituellement conseillée pour
des acides nucléiques cellulaires et de la purino- une alimentation équilibrée est réduite à 25 %,
synthèse de novo. Deux tiers de l'acide urique voire moins, au profit de la ration lipidique passant
sont éliminés par voie rénale et le tiers restant de 35 à 60 %. Cette majoration de la part lipidique
par voie digestive. L'hyperuricémie chronique est est susceptible de majorer le risque d'athérome à
due dans plus de 90 % des cas, à une élimination moyen et à long terme. Les régimes très restrictifs
rénale diminuée de l'acide urique associée ou non en glucides ont en outre l'inconvénient de générer
à un apport alimentaire excessif en purines. Elle des contraintes qui conduisent à un arrêt plus ou
entraîne souvent mais pas toujours, des compli- moins rapide, et à une reprise inévitable du poids
cations articulaires liées à la formation de dépôts perdu avec, très souvent, au final, un gain pondé-
d'urate de sodium au niveau métatarso-phalan- ral. Ces régimes ne sont d'ailleurs souvent que la
gien du gros orteil, révélés par la crise de goutte. redécouverte de pratiques très anciennes (régime
L'hyperuricémie peut être aussi délétère pour les Bouchardat, régime Joslin) qui n'ont jamais été
reins, et elle est reconnue comme un facteur de couronnées de succès. Le régime « low-carb » est
risque indépendant de morbidité et de mortalité par lui-même une simple remise au goût du jour
cardiovasculaire. de la recette du régime Atkins.
Dans le nouveau régime Atkins, version reloo-
kée datant de 2011, le tir est corrigé partielle-
Le régime paléolithique
ment puisqu'il est expressément recommandé
de consommer des aliments à densité nutri- Le régime paléolithique (ou régime paléo)
tionnelle élevée (fruits et légumes, selon une s'inspire des aliments que les hommes vivant à
liste précise), de bonnes graisses (réduction des l'époque du Paléolithique (Homo habilis, erectus,
apports en graisses saturées), et des protéines puis sapiens) auraient pu consommer. Il se com-
maigres (!) (origine végétale). Cette nouvelle pose d'une part importante de viandes maigres
formule ne serait pas associée à une surmorbidité (gibier, volaille), mais aussi de poisson, de racines,
cardiovasculaire. de noix et de baies. Il exclut, en revanche, les pro-
duits issus de l'agriculture et de l'industrie agroa-
limentaire, comme les céréales, les légumineuses,
Le régime « low-carb » les huiles végétales et les produits laitiers. Ce
Le régime « low-carb » est à la mode actuelle- régime fait l'objet de critiques diverses, portant
ment et fait la une des périodiques. On l'a vu, la notamment sur l'impossible comparaison entre
consommation des sucres simples est importante l'organisme et l'environnement des hommes pré-
en France, mais finalement moindre que dans le historiques et le nôtre, sur l'unicité supposée du
reste du monde. La suppression ou la restriction régime à cette époque, ou encore sur les risques
excessive des glucides ne peut être recommandée, importants de carence alimentaire, notamment en
bien que les régimes hypoglucidiques entraînent calcium.
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 245

Les régimes hyperprotéinés crits dans le traitement de l'obésité dans un cadre


médical a montré que ces régimes permettaient
Le succès des régimes dits protéinés (en fait, hyper- de limiter la fonte musculaire lors de l'amaigris-
protéinés) tient à la perte de poids rapide qu'ils sement. Le risque hépatique ou rénal est minime
induisent. Ils ont pour objectif de réduire l'apport chez des sujets en bonne santé. Ces régimes sont
calorique tout en empêchant la fonte musculaire. déconseillés chez les insuffisants rénaux (diabé-
Ils reposent sur une limitation plus ou moins dras- tiques avec néphropathie). Au total, les régimes
tique des aliments lipidiques et glucidiques, avec hyperprotéiques sont recevables d'un point de vue
un apport protéique très élevé assuré par des ali- médical, à condition d'être pris en charge médica-
ments riches en protéines, ou par des poudres et lement avec une éducation nutritionnelle et d'évi-
boissons diététiques contenant environ 80 % de ter les régimes de type LCD (Low Calorie Diet :
protéines, associés à une hydratation ad libitum < 1 200 kcal/j) et VLCD (Very Low Calorie Diet :
et à la prise de compléments minéraux et vita- < 800 kcal/j).
miniques puisque la consommation de fruits, de
légumes, de laitages et de céréales est restreinte.
Ces régimes très hypocaloriques (aux alentours Les régimes dissociés
de 800 kcal/j) sont bien tolérés au début du fait
Le principe de base de ces régimes est d'interdire
du pouvoir satiétogène des protéines et de l'effet
l'association d'aliments ou de classes alimentaires
anorexigène du β-hydroxybutyrate produit. Le
au cours d'un même repas, sans limiter la taille
bêta-hydroxybutyrate est l'un des corps céto-
des portions. Il en résulte une apparente liberté
niques, produits exclusifs des mitochondries des
dans le choix des aliments. La consommation
hépatocytes. La cétogenèse, ou voie de synthèse
exclusive d'un aliment conduit plus rapidement à
des corps cétoniques, est activée en période de
la satiété qu'un repas mixte. Nutritionnellement
jeûne prolongé ou en cas de diabète. Une fraction
déséquilibrés, socialement peu compatibles,
de l'acétyl-CoA hépatique produit en excès par
ces régimes sont contraignants et peu durables.
la β-oxydation des acides gras qui est hyperactive
L'amaigrissement initial est suivi d'une reprise
dans ces conditions, est alors utilisée pour former
pondérale rapide à l'abandon du régime.
des corps cétoniques, principalement de l'acétoa-
cétate. Le β-hydroxybutyrate résulte de la réduc-
Le régime Montignac
tion de l'acétoacétate. Ces deux corps cétoniques
sont véhiculés par le sang depuis le foie jusqu'aux Très en vogue dans les années 1990, le régime
tissus consommateurs d'énergie (myocytes et neu- proposé par le Français Michel Montignac (1944–
rones peuvent les convertir en acétyl-CoA et oxy- 2010), responsable des relations humaines dans
der cet acétyl-CoA). L'acétone (troisième corps l'industrie pharmaceutique, associe le principe de
cétonique) se forme à partir de l'acétoacétate la dissociation des aliments à l'exclusion des ali-
hépatique par décarboxylation spontanée ; l'acé- ments à index glycémique élevé. Il interdit l'asso-
tone produite passe dans le sang et est éliminée ciation au cours du même repas, d'une part, des
par diffusion dans l'air à travers la muqueuse des glucides et des lipides et, d'autre part, des pro-
poumons, à partir desquels elle est expirée. téines animales et des légumineuses ou des fécu-
À moyen terme, les régimes hyperprotéinés sont lents. L'application de ce régime, qui permettrait
asthéniants, et peu compatibles avec une augmen- de manger au restaurant, d'où son qualificatif
tation de l'activité physique. Le risque de carence de « régime des managers », nécessite une bonne
s'accroît avec la restriction énergétique et la durée. connaissance de la diététique. En pratique, étant
L'arrêt de ces régimes s'accompagne presque trop riche en lipides, il est athérogène. Mais il
toujours d'un rebond pondéral important. n'expose guère à un risque de carence puisque
L'évaluation des régimes hyperprotéiques pres- l'on peut manger « presque tout ».
246 Physiopathologie du diabète

Le régime Dukan portent soutien et entraide, avec l'aide d'un ani-


Le régime proposé par le Français Pierre Dukan mateur, afin de parvenir à leur objectif pondéral.
est l'archétype des régimes hypocaloriques hyper- Cette méthode fondée sur un régime hypocalo-
protéinés. La phase d'attaque, exclusivement rique raisonnable et diversifiée, un suivi person-
protéique pendant un à deux semaines, est sui- nel régulier et l'émulation face à un groupe, a été
vie d'une phase dite de consolidation associant dépoussiérée il y a quelques années. Le régime
les légumes aux protéines, jusqu'à ce que la proposé est nutritionnellement satisfaisant, mais le
perte de poids souhaitée soit atteinte. Pendant la patient est dépendant du groupe et acquiert peu
phase de consolidation, certains aliments (pain, d'autonomie.
fruit, féculents, et certains fromages) sont réin- Au final, on retiendra que les nombreux régimes
troduits progressivement. Le sujet doit consom- amaigrissants commerciaux populaires promettent
mer chaque jour deux cuillères à soupe de son une perte rapide de poids (sous-entendu, de
d'avoine, et suivre un régime hyperprotéiné une masse grasse) et sans effort. La plupart d'entre
fois par semaine. En contrepartie, deux repas dits eux (hypocaloriques, hyperprotidiques, disso-
de « gala » sont tolérés chaque semaine. Le succès ciés) sont efficaces à bref délai, mais frustrants, et
fulgurant de ce régime hyperprotéique très hypo- suivis d'un rebond pondéral rapide (figure 7.5).
calorique tient essentiellement au marketing très Répétés, ils menacent la masse maigre, exposent à
efficace qui a accompagné la diffusion du livre. En des carences, favorisent les troubles du comporte-
réalité, ce régime hyperprotéique très hypocalo- ment alimentaires et les troubles ­psychologiques,
rique est monotone et peu palatable. Il est efficace
sur la perte de poids, mais au prix de frustration
et de contraintes responsables d'une observance CHOUCHOU, J’AI UNE BONNE
médiocre et d'un rebond pondéral rapide dès NOUVELLE POUR TOI TUAS
PERDU 300 GRAMMES.
l'arrêt. Lorsqu'il est poursuivi plusieurs mois, il
expose à des carences multiples, et entraîne une ET TOI, MA REINE,
perte de la masse maigre et de la masse osseuse. TU AS PERDU 350 GRAMMES.
CE SOIR ON SE FAIT
Il est formellement contre-indiqué en cas de dia- UN GUEULETON, POUR
FÊTER ÇA.
bète de type 1, et en cas d'insuffisance rénale ou
d'atteinte hépatique.

Les régimes avec coaching


La pratique d'un régime alimentaire est souvent
difficile du fait d'un manque de connaissances
nutritionnelles, d'un manque de motivation, et
d'un sentiment de désarroi et de solitude face à la
difficulté. Le coaching peut aider à surmonter ces
difficultés. La méthode Weight Watchers est pro-
posée par une entreprise commerciale multinatio-
nale, bien implantée en France (45 000 membres,
900 centres). Le programme de minceur Weight
Watchers a été fondé en 1963 par la New-Yorkaise
Jean Nidetsch (1923–2015), qui était la meilleure
publicité pour son régime, car elle-même avait
lutté pour réduire son poids de 107 à 67 kg, sans
WOLINSKI
jamais reprendre de poids. Le principe est celui
de réunions au cours desquelles les membres s'ap- Figure 7.5. Le principe de réalité.
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 247

et augmentent le risque cardiovasculaire. Seuls devant un écran, télévision ou ordinateur, est un


quelques régimes et le coaching alimentaire et très bon indicateur de sédentarité et de son risque
psychologique semblent acceptables, sans parve- sanitaire. L'activité physique est définie comme un
nir à satisfaire totalement le cahier des charges mode de vie incluant une quantité hebdomadaire
de la méthode globale fondée sur l'équilibre ali- d'activité modérée, mais qui reste inférieure aux
mentaire, l'éducation nutritionnelle, et l'activité recommandations actuelles de l'OMS (150 min/
physique (voir PNNS). Un régime amaigrissant semaine pour l'adulte et 300 min/semaine pour
est un traitement à part entière, qui relève d'une l'enfant, l'adolescent et le sujet de plus de 65 ans).
prescription et d'un suivi médicalisé, à plus forte Le développement du diabète de type 2 est lar-
raison s'il s'adresse à un diabétique. Les mesures gement favorisé par les effets délétères de l'inacti-
nutritionnelles et diététiques chez le diabétique vité physique et de la sédentarité, effets qui sont
de type 2 ne sont pas très différentes de celles très souvent associés à ceux d'une alimentation
préconisées chez le sujet non diabétique. La stra- déséquilibrée chez les mêmes patients. En effet,
tégie diététique chez le diabétique de type 2 en il existe de multiples preuves cliniques du bénéfice
surcharge pondérale doit conduire à une réduc- apporté par l'activité physique régulière, pour la
tion du poids. Que le patient ait un poids normal prévention et le contrôle du diabète.
ou excessif, les conseils diététiques doivent être Dès 1926, donc très peu de temps après la
orientés vers la réduction du risque vasculaire. Cet découverte de l'insuline, il avait été remarqué que
objectif peut être atteint en agissant sur la balance l'exercice musculaire en aigu pouvait potentialiser
glucides/graisses mono-insaturées, et en tenant l'effet hypoglycémiant de l'insuline, mettant ainsi
compte des habitudes, des goûts et de l'environ- en avant, d'une part le risque d'hypoglycémie
nement du patient. Dans tous les cas, le contrôle induit par l'exercice chez des patients traités par
des apports alimentaires nécessite une éducation l'insuline, et d'autre part l'intérêt d'utiliser l'effort
individuelle et progressive. musculaire pour améliorer l'équilibre glycémique
On n'oubliera jamais qu'il est préférable de chez les patients diabétiques. De façon plus géné-
doser plutôt que d'interdire. En matière de diété- rale, il est maintenant bien établi que la pratique
tique, comme dans beaucoup d'autres domaines, d'une activité physique régulière est associée dans
il faut donc savoir raison garder, se méfier des la population tout-venant à une réduction du
engouements médiatiques passionnels et résister à risque de mortalité totale (toutes causes confon-
la cacophonie alimentaire amplifiée par les réseaux dues), de maladies cardiovasculaires (coronarienne
sociaux. en particulier) ainsi qu'à une réduction du risque
de certains cancers (côlon et sein). Les résultats
de plusieurs études épidémiologiques prospectives
indiquent également qu'une activité physique
Lutter contre la régulière diminue le risque de survenue du dia-
bète de type 2 à l'âge adulte dans la population
sédentarité et générale et chez les sujets intolérants au glucose.
promouvoir l'exercice Cet effet protecteur est retrouvé même pour des
activités modérées de la vie quotidienne telles que
Sédentarité et inactivité physique ne sont pas syno- la marche. Différentes données suggèrent égale-
nymes. Le comportement sédentaire est défini ment qu'une activité physique modérée régulière
comme tout comportement de veille, en position peut diminuer le risque d'obésité et améliorer
assise ou couchée, caractérisé par une dépense l'état psychologique et la qualité de vie. À côté
d'énergie à peine supérieure (≤ 1,5 fois) à la de ce rôle préventif de l'activité physique, il existe
dépense de repos. Est considéré comme sédentaire aussi des données solides démontrant son impor-
un sujet qui est assis plus de 7 heures par jour avec tance thérapeutique chez les patients présentant
de nombreuses périodes (2–3 heures) de position déjà un diabète de type 2. L'intérêt de l'exer-
assise ininterrompues. Le temps journalier passé cice n'est pas aussi évident pour les diabétiques de
248 Physiopathologie du diabète

type 1 et pose un problème particulier : les diabé- muscle utilise ses propres réserves en glycogène.
tiques de type 1 sont le plus souvent des patients Ensuite, le débit sanguin musculaire augmente et
jeunes, sans surpoids, qui souhaitent continuer la fourniture de glucose plasmatique prend une
ou reprendre une activité sportive en toute sécu- part progressivement croissante dans la consom-
rité, c'est-à-dire sans risque d'hypoglycémie, ni de mation énergétique musculaire. La concentration
décompensation du diabète. Chez ces patients, les en glycogène musculaire diminue de sorte que
recommandations sont plus difficiles à codifier. l'épuisement des réserves est atteint après une à
Faisons un peu de physiologie pour comprendre quatre heures (d'autant plus rapidement que l'ef-
l'intérêt de l'exercice pour le métabolisme du fort musculaire est intense). Lorsque l'exercice se
diabétique ! prolonge au-delà, bien que l'utilisation des acides
Au repos, le muscle strié oxyde principalement gras libres reste importante, l'utilisation muscu-
les acides gras libres mis en circulation par les laire du glucose plasmatique devient de plus en
adipocytes qui représentent un stock inépuisable plus élevée de sorte que l'oxydation musculaire du
d'énergie. Au début de l'exercice, le muscle uti- glucose peut représenter jusqu'à 40 % du besoin
lise le glucose provenant du glycogène intramus- énergétique total.
culaire et il libère de l'acide lactique (glycolyse Ces adaptations métaboliques à l'exercice mus-
anaérobie). Ce processus énergétique ne per- culaire sont régulées par le système neuroendo-
met l'activité musculaire que pendant quelques crine. La sécrétion de l'insuline est inhibée par
minutes. Lorsque l'exercice se poursuit, le débit l'augmentation de l'activité du système nerveux
sanguin musculaire augmente et le glucose et autonome (activation adrénergique). Quant aux
les acides gras libres sont oxydés via le cycle de concentrations plasmatiques des médiateurs de la
Krebs (métabolisme aérobie) tandis que la syn- contre-régulation (adrénaline, noradrénaline, glu-
thèse musculaire de lactate diminue. Le proces- cagon, hormone de croissance et cortisol), elles
sus énergétique aérobie possède un rendement de augmentent progressivement pendant l'exercice
production d'ATP beaucoup plus important que musculaire et vont amplifier la production hépa-
le processus anaérobie. La consommation maxi- tique de glucose, ce qui permet de maintenir
male d'oxygène ou VO2max est le volume maximal une glycémie normale malgré l'augmentation de
d'oxygène que le sujet humain peut consommer l'utilisation musculaire de glucose. Les acides gras
par unité de temps lors d'un exercice dynamique libres qui sont oxydés au même moment par les
aérobie maximal. La VO2max s'exprime habituelle- muscles proviennent de la lipolyse qui est stimu-
ment en litres de dioxygène par minute (l/min). lée par l'augmentation du tonus du sympathique
La valeur observée est le plus souvent rapportée (adrénergique), l'élévation des concentrations
à l'unité de masse corporelle pour déterminer un plasmatiques d'adrénaline et par la décroissance
VO2max qui s'exprimera alors en l/min/kg. Dans de l'insulinémie. On retiendra donc que l'inten-
des conditions habituelles chez le sujet sain, le sité et la durée de l'exercice sont les déterminants
VO2max décroît progressivement et linéairement du débit de glucose consommé par les muscles
tout au long de la vie pour atteindre vers 80 ans squelettiques, et que cette consommation de glu-
des valeurs de l'ordre de 30 à 40 % des valeurs cose se produit en l'absence de toute augmen-
observées à 20 ans. La valeur de VO2max observée tation de l'insulinémie. Cela est d'importance
constitue un bon élément de pronostic quant à pour comprendre les effets de l'exercice chez les
l'espérance de survie d'un individu sain à un âge diabétiques.
avancé. Les facteurs influençant la contribution De nombreuses études réalisées chez l'homme
des différents substrats à l'effort sont la durée de et l'animal ont permis de montrer que la contrac-
l'exercice, l'intensité de l'exercice, l'état nutrition- tion musculaire aiguë et l'insuline utilisent des
nel et l'entraînement physique. Lorsque l'exercice mécanismes de signalisation différents pour
est modéré (65 % de VO2max), l'énergie est d'abord stimuler le transport de glucose, et que l'exer-
fournie à parts égales par les glucides et les lipides. cice et l'insuline ont des effets additifs lorsqu'ils
Pendant les premières minutes de l'effort le sont appliqués conjointement. Les mécanismes
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 249

impliqués dans l'augmentation de l'utilisation normale à l'exercice : chez l'animal diabétique


du glucose en réponse à l'exercice sont de trois insulinorésistant, l'activation du transport du
ordres : une augmentation du débit vasculaire glucose induite par l'exercice est normale ; chez
local musculaire (elle peut atteindre 20 fois le les diabétiques de type 2 obèses, l'exercice mus-
débit de repos, augmentant d'autant la disponi- culaire modéré induit une augmentation normale
bilité en glucose plasmatique), une augmentation de l'utilisation de glucose ; l'activité physique
de la capacité de transport membranaire du glu- chronique chez les patients intolérants au glu-
cose de chaque myocyte, et une augmentation cose ou diabétiques de type 2 améliore le stock
du catabolisme oxydatif du glucose intracellu- de GLUT4 musculaires avec une efficacité simi-
laire. L'exercice physique aigu stimule très rapi- laire à celle enregistrée chez les sujets normaux
dement le transport de glucose musculaire chez (l'entraînement physique améliore aussi la sensi-
les rongeurs et chez l'homme par un mécanisme bilité à l'insuline elle-même, ce qui constitue un
induisant comme dans le cas de l'insuline la trans- bonus supplémentaire pour le patient). On est
location des transporteurs du glucose (GLUT4) donc en droit de se demander si l'activité physique
du compartiment intracytoplasmique de réserve, régulière améliore le contrôle glycémique au long
vers la membrane plasmique des myocytes (voir cours chez les patients diabétiques de type 2. Il
Chapitre 3). L'exercice musculaire chronique semble que oui, si l'on s'en tient à l'évolution de
exerce un effet complémentaire et plus durable : la glycémie après un programme d'entraînement
chez l'animal et l'homme, il augmente l'expres- intense de 2 semaines.
sion du gène codant GLUT4, et donc la quantité Par ailleurs, il a été montré que l'activité
totale de GLUT4 accumulée dans les myocytes. physique chez le patient diabétique de type 2
Quel est le mécanisme ? De nombreux travaux ont modifiait favorablement le profil lipidique (dimi-
permis d'exclure un mécanisme utilisant la voie de nution des triglycérides, augmentation du HDL-
signalisation de l'insuline. C'est très probablement cholestérol) et avait un effet antithrombotique.
la voie de signalisation intracellulaire utilisant la Elle provoque aussi une diminution bénéfique de
kinase AMPK (AMP-Activated Protein Kinase) la masse grasse viscérale et sous-cutanée abdomi-
qui est impliquée dans le transport de glucose nale, ce qui est en soi bénéfique pour la sensibi-
musculaire induit par la contraction. L'AMPK est lité globale à l'insuline, et qui est bien corrélé
activée par toute situation de stress déplétant la avec la baisse de la glycémie. Les efforts d'endu-
cellule en ATP (comme l'hypoxie ou la contrac- rance favorisent aussi le maintien des certaines
tion musculaire). L'AMPK, une fois activée, dévie fibres musculaires, et par là, une amélioration de
les processus cellulaires consommateurs d'ATP la sensibilité à l'insuline (plus de fibres = plus de
(comme la synthèse des acides gras) vers les pro- glucose consommé par le muscle). L'activité phy-
cessus cellulaires régénérateurs d'ATP (comme sique augmente aussi la capillarisation et le débit
l'oxydation des acides gras). Il a bien été montré sanguin musculaire. Ainsi, une activité physique
que la contraction musculaire aiguë entraîne une équivalente à au moins 2,5 heures de marche par
augmentation de l'activité enzymatique AMPK. semaine entraîne une baisse du risque d'appa-
L'exercice chronique aurait l'intérêt de stimuler rition du diabète de type 2 de 65 %, indépen-
également la synthèse des GLUT4. damment de la diététique et de l'IMC de départ.
La question est donc maintenant de savoir si ce Cet équivalent de marche peut être réalisé par
mécanisme reste fonctionnel dans les états d'insu- une activité physique modérée (marche rapide,
linorésistance tels que ceux rencontrés chez les vélo, natation, jogging, jeux de balle) ou à faible
obèses et les diabétiques de type 2 ? De très nom- intensité (marche, vélo à allure faible ou jardi-
breuses études ont exploré l'effet de l'exercice nage). Ce qui importe pour avoir des résultats,
sur le transport du glucose dans divers modèles c'est l'énergie dépensée ! En préventif comme en
animaux d'insulinorésistance et de diabète et chez curatif, l'association activité physique et équilibre
les patients diabétiques. Les conclusions sont très diététique reste le traitement de première inten-
claires et illustrent la persistance d'une adaptation tion du diabète de type 2.
250 Physiopathologie du diabète

Pour les diabétiques de type 1, les bénéfices de grande équipe soutienne un jeune pilote, mais
l'exercice musculaire sont moins évidents. Chez lorsque celui-ci est atteint d'un diabète de type 1,
le patient diabétique de type 1, les concentrations cela devient moins banal. En raison de son état
plasmatiques d'insuline correspondent à l'insuline de santé, on avait d'abord dit à Ryan Reed qu'il
injectée et donc ne diminuent pas pendant un exer- ne pourrait jamais faire de course automobile.
cice musculaire. Les risques d'hypoglycémie sont Depuis, Reed est devenu un militant du diabète
par conséquent majeurs si le patient ne diminue et a créé la fondation Ryan's Mission. Il a parti-
pas les doses d'insuline et/ou ne se supplémente cipé à plusieurs courses avec la Ford N° 16 aux
pas en glucides. L'hypoglycémie peut survenir couleurs de ses sponsors (pour 5 millions de dol-
dans les heures qui suivent l'arrêt de l'exercice, lars), Lilly Diabetes et l'ADA (American Diabetes
en particulier la nuit si l'exercice est réalisé en Association) dans le cadre de sa campagne Drive
fin d'après-midi ou dans la soirée, et cela, même to Stop Diabetes.
si les doses d'insuline ont été diminuées, mais
insuffisamment. À l'opposé, les patients qui com-
mencent l'activité musculaire avec une glycémie
élevée et la présence d'une cétonurie aggravent le L'insuline médicament
déséquilibre du diabète pendant l'effort. En effet,
la lipolyse et la cétogenèse activées par la carence
en insuline vont être stimulées pendant l'exercice
sous l'effet des hormones de contre-régulation
De la découverte au
(adrénaline, glucagon, hormone de croissance, médicament en 2 ans
cortisol). Chez le patient diabétique de type 1,
la pratique d'un sport reste cependant possible à Avec l'utilisation thérapeutique de l'insuline se
condition de respecter des règles basées sur l'auto- posent pour la première fois les questions liées à
surveillance glycémique. Celles-ci permettent au la genèse et au statut du médicament [9] : passer
patient de réaliser une activité sportive sans risque. du labo de recherche au comptoir du pharmacien ;
Le palmarès des sportifs diabétiques de haut relation entre inventeur et le fabricant ; brevetabi-
niveau montre qu'il est possible d'allier compéti- lité ; optimisation des techniques de production ;
tion et diabète de type 1. Garry Hall (États-Unis) industrialisation ; distribution mondiale ; accessi-
a remporté aux Jeux olympiques de Sydney 2000 bilité pour le patient ; standardisation ; analyse de
quatre médailles en natation dont deux médailles risque ; pharmacovigilance. Tous les ingrédients
d'or. En avril 2013, l'écurie américaine Roush sont là !
Fenway Racing annonce les débuts de Ryan
Reed, 19 ans, comme pilote automobile dans le
championnat national NASCAR (Association Industrialiser la production
nationale américaine des courses de voitures de
série) sur le Richmond Raceway (États-Unis) Avec la volonté délibérée d'éviter de mettre la
(figure 7.6). Rien d'exceptionnel à ce qu'une production d'insuline dans des mains privées,

Figure 7.6. Fast, furious… et diabétique.


Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 251

les chercheurs de Toronto prennent un brevet dans le Commonwealth, ainsi que sur les impor-
en 1921 et confient la manufacture des extraits tations, qu'ils s'efforcent de réduire au minimum.
pancréatiques aux laboratoires Connaught, petite Des questions seront posées au Parlement sur les
firme de Toronto qui faisait partie de l'université prix du médicament, et sur le sort des patients
(un « spin-off » dirait-on aujourd'hui !). Le pro- démunis. Par exemple, un médecin demande s'il
blème de l'extraction des pancréas est loin d'être faut mettre à l'insuline des malades dont on sait
résolu, et Connaught est rapidement débordé qu'ils ne pourront pas payer l'insuline à leur sortie
par la difficulté de l'entreprise. Le groupe de de l'hôpital. Un autre médecin, dans une lettre
Toronto fait alors appel à la compagnie Eli Lilly à adressée en août 1923 au MRC, fait remarquer
Indianapolis, États-Unis, déjà relativement impor- qu'un employé de bureau américain consacre
tante. Cette institution privée va donc travailler 12 % de son salaire à son traitement alors que son
avec deux institutions publiques, l'université et homologue anglais est obligé de débourser 25 %
l'hôpital général de Toronto (dans le cadre de de son salaire. L'insuline est sans doute le premier
ce qu'on appellerait aujourd'hui, un partenariat médicament indispensable et coûteux qui oblige
public/privé). à poser clairement la question des inégalités face
Pour gérer les problèmes de brevet, de finances à la santé.
et de contrôle de la qualité de l'insuline, ainsi que Ainsi organisé, le réseau mis en place facilite
les relations entre trois institutions peu habituées la circulation d'informations et de connaissances
à travailler ensemble, l'université de Toronto cruciales pour la réussite. Il faut mentionner
crée en mai 1922 un Comité de l'insuline (CI). d'emblée le rôle d'animateur et de coordonnateur
Protéger le public est le maître mot de cette ins- que joua George Clows, le directeur scientifique
tance nouvelle, qui justifie à plusieurs reprises la de la compagnie Lilly. Britannique de naissance,
prise du brevet : il s'agit de protéger les malades chimiste et physiologiste, il est un des premiers
des firmes peu fiables et des charlatans. En accord transfuges de l'institution universitaire, longtemps
avec les spécialistes américains du diabète, le CI répudié pour cette raison par la communauté
décide aussi de réserver la distribution de l'insu- scientifique. Voyageur infatigable, grand collec-
line à une élite médicale soigneusement sélec- teur et transmetteur d'informations, il presse les
tionnée, ce qui soulève des critiques acerbes dans chercheurs de Toronto d'organiser des réunions
les milieux médicaux et fait parler d'une « aristo- avec leurs collègues américains, de publier, d'or-
cratie de l'insuline ». L'université canadienne de ganiser des formations pour les médecins. La cir-
Toronto cède rapidement les droits d'exploitation culation d'informations fut tout particulièrement
du brevet au Royaume-Uni, tout en conservant importante pour la résolution des problèmes tech-
un droit de regard sur la régulation du commerce niques rencontrés.
de l'insuline. À Londres, le Medical Research La production industrielle de l'insuline rencontra
Council (MRC) joue le rôle tenu par le CI au de multiples obstacles technologiques. Il faut faire
Canada. Sous la houlette de Walter Fletcher, son avec les technologies disponibles à l'instant t ! Les
secrétaire, il organise la fabrication de l'insuline et techniques d'extraction changèrent en effet régu-
son expérimentation clinique. Fort de son auto- lièrement de 1922 à 1970. Durant les premières
rité d'organisme de recherche d'État et du brevet années, les méthodes de purification sont avant tout
cédé par Toronto, le MRC sélectionne les firmes empiriques et les chercheurs procèdent par essais
pharmaceutiques habilitées à fabriquer et à mettre et erreurs, échangeant leurs recettes de Toronto
sur le marché l'insuline, et les services hospitaliers à Indianapolis et Londres. En octobre 1922, une
qui pourront mettre en œuvre les essais cliniques. étape importante est franchie quand les chercheurs
Le MRC et le ministère de la Santé britanniques de Lilly mettent au point une méthode de préci-
contrôlent donc de près les firmes, exigent des pitation isoélectrique du principe actif. Plusieurs
informations régulières sur les prix pratiqués, la chercheurs, parmi ceux qui avaient essayé de repro-
quantité d'insuline vendue en Grande-Bretagne et duire les résultats de Toronto, avaient constaté qu'à
252 Physiopathologie du diabète

pH 5, un précipité abondant se formait, mais ils une méthode de standardisation. Les découvreurs
l'avaient éliminé sans l'analyser. Les chimistes de avaient commencé par standardiser eux-mêmes,
chez Lilly eurent l'idée de travailler sur le précipité de façon plutôt fruste, leurs extraits, en le testant
lui-même et constatèrent qu'il était en fait parti- sur des lapins. Ils proposèrent donc de considé-
culièrement riche en principe actif. Le rendement rer comme unité d'insuline, la quantité d'extrait
de la fabrication industrielle s'en trouva amélioré qui provoquait une baisse de glycémie de 45 %
considérablement. Dès la fin de 1923, Lilly pro- par rapport à la glycémie de départ. Mais, une
clame fièrement que la compagnie est en état de telle chute entraînait le plus souvent des convul-
fournir en insuline toute l'Amérique du Nord. À sions chez l'animal, de sorte que l'unité fut pas-
la même époque et alors que la production indus- sagèrement définie comme la quantité d'extrait
trielle est encore très insuffisante pour répondre à la qui entraînait l'apparition des convulsions. Par
demande considérable provoquée par les annonces ailleurs, face à l'observation d'une grande varia-
de la presse, quelques hôpitaux et cliniques com- bilité des réponses des lapins, il fut décidé de
mencent à fabriquer leur propre insuline. standardiser les animaux (peser 2 kg et être à jeun
En même temps les bases théoriques de l'en- depuis 24 heures), et de mesurer les valeurs de
treprise sont relativement faibles. On ne connaît la glycémie dans le sang, 1, 3 et 5 heures après
rien sur la nature de l'insuline, le « principe actif » l'injection d'insuline, et de calculer la valeur de
comme on l'appelle souvent, et encore moins sur l'unité d'insuline à partir d'une formule mathéma-
ses mécanismes d'action. La manufacture de l'in- tique reliant les différentes mesures. Les registres
suline illustre donc le triomphe de l'invention au indiquent que plus de 100 000 lapins furent utili-
jour le jour, de l'empirisme et de l'importance de sés en six mois pour standardiser l'insuline. Ce fut
la circulation des connaissances. Toutes choses qui donc le démarrage de la production industrielle
n'ont pas disparu 100 ans plus tard. Une autre dif- des animaux de laboratoire, déjà amorcé avec l'in-
ficulté technique inhérente au passage à la produc- dustrie des vaccins.
tion industrielle fut celle de la rapidité de collecte
et de traitement des pancréas. Tout délai de traite­
ment a pour effet de diminuer le rendement en Concevoir des
insuline, du fait de sa destruction par les enzymes essais cliniques
digestives. Pour limiter cette dégradation, il faut
collecter très rapidement les pancréas, les garder Alors qu'aux États-Unis l'expérimentation cli-
au frais et extraire l'insuline le plus rapidement nique est conduite de façon relativement libre,
possible. L'excellente organisation des énormes au Canada et en Angleterre les essais sont contrô-
abattoirs américains aurait dû faciliter en principe lés de près par le CI à Toronto et par le MRC
cet aspect des choses, mais la détérioration du pro- à Londres. Il faut se rendre compte qu'on com-
duit reste longtemps un problème. Les médecins mence à utiliser les extraits sur les malades alors
et les malades s'adaptaient à la situation en ajustant que l'unité d'insuline n'est pas encore clairement
la dose en fonction des lots d'insuline disponibles. définie, ses effets physiologiques à peine connus,
À Londres, où les abattoirs sont beaucoup plus sa méthode d'utilisation clinique entièrement à
petits et mal organisés, la collecte des pancréas construire : situation inconcevable de nos jours !
posait encore plus de problème, au point que le La plupart des médecins connaissent mal cette
MRC envisagea un moment de faire de l'insuline maladie ; très peu acceptaient d'ailleurs de prendre
de poisson (au lieu du porc). en charge cette maladie avant l'insuline, quand
Enfin, il fallut trouver des moyens pour stan- on ne pouvait empêcher les malades de mourir
dardiser les quantités d'insuline contenue dans en quelques mois. Il faut donc tout construire en
chaque préparation d'extrait pancréatique. La même temps : des outils de contrôle de la mala-
découverte de l'effet hypoglycémiant de l'insuline die, des laboratoires, des services cliniques, des
offrait un effet quantifiable qui pouvait conduire à équipes, une profession ; il faut former les méde-
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 253

cins mais aussi les malades qui ne peuvent rester valeurs individuelles ; parfois des moyennes sont
toute leur vie à l'hôpital et devront apprendre à calculées. Même si l'on parle alors de statistiques,
se servir du remède miracle. Certains médecins il faut se garder d'y voir des techniques de calcul
spécialistes américains entreront très vite dans proches de celles que nous connaissons, qui ne
l'aventure, et participeront de manière déter- feront véritablement leur apparition en médecine
minante aux essais cliniques. Parmi eux, Elliott qu'après 1930.
Joslin, figure de proue dans l'histoire du diabète
aux États-Unis, et Frederick Allen, promoteur du
régime de famine que beaucoup appliquaient alors Une réussite éclair,
aux diabétiques, donnent des conseils aux méde- malgré le choc des
cins de Toronto et intègrent la manipulation du egos, des économies
nouveau médicament dans leurs pratiques et leurs
schémas théoriques inspirés des théories des nutri-
et des nationalismes
tionnistes. Observer un régime alimentaire strict
permet d'économiser le précieux médicament, et Cette entreprise énorme et inédite pour l'époque,
les malades doivent participer à cette économie impliquant autant d'acteurs et de nationalités
par obligation morale autant que pour raisons de différentes n'a pas été sans heurs et malheurs. Ils
santé. Les recommandations thérapeutiques sont sont plus liés à des questions d'autorité et de pres-
faites avec un certain autoritarisme, notamment tige, ou à des problèmes économiques, qu'à des
sur la nécessité de suivre un régime strict et d'éco- questions scientifiques. La méfiance des universi-
nomiser l'insuline. Joslin estime d'ailleurs qu'il est taires envers l'industrie était de mise, aussi bien
bon que les patients payent l'insuline parce que en Amérique du Nord qu'en Grande-Bretagne.
cela les incitera à l'utiliser de façon judicieuse… Des remarques aigres douces furent échangées
Tous, médecins et patients, découvrent ensemble entre les Canadiens et les Britanniques. Ces der-
le plus grand danger des injections d'insuline, l'hy- niers suspectaient le CI de vouloir imposer sa
poglycémie, qui pendant longtemps leur fera plus loi au monde entier. Les conflits d'ordre écono-
peur que l'acidocétose (voir Zoom 1.2). Il faut mique furent également assez durs. Chaque pays
apprendre à reconnaître les signes avant-coureurs essayait d'importer le moins possible d'insuline et
de cette complication redoutée, qui peut conduire d'en exporter le maximum. Comme tous tenaient
aux convulsions et au coma parfois mortels. Il faut à mettre au premier plan le principe de l'intérêt
aussi apprendre à injecter la solution, pas toujours public, aucun ne pouvait invoquer ces motifs
très pure, et à ajuster les doses en fonction des économiques, et chacun chercha à discréditer
besoins et des horaires des repas. Il faut enfin l'insuline des concurrents en lui trouvant tous les
signaler en retour aux laboratoires, les lots d'insu- défauts possibles. Malgré ces conflits, la manufac-
line peu efficaces ou d'aspect trouble, de même ture de l'insuline fut une réussite. La production
que les réactions allergiques ou les abcès. Les pre- de connaissances nouvelles s'ajouta rapidement
miers résultats cliniques sur des séries de patients à celle de ce nouveau médicament dont il fallait
relativement importantes (ce qui veut dire de 50 mieux comprendre les effets et les limites. On
à 80 patients pour les plus gros services hospita- retiendra au final qu'aucune des aventures phar-
liers) sont présentés pour la première fois dans un maceutiques qui ont suivi n'a eu un succès compa-
numéro spécial du Journal of Metabolic Research rable, en termes de rapidité et d'efficacité.
paru en 1923. Les malades ne sont traités que Coïncidence, 100 ans plus tard, l'aventure que
depuis quelques mois et les médecins restent pru- nous venons de vivre avec l'invention des vaccins
dents dans leurs conclusions. Les résultats sont anti-SARS-CoV-2 se déroule selon un scénario
présentés sous forme de tableaux signalant des étonnamment similaire…
254 Physiopathologie du diabète

Au choix, pilule en 1955 de la mise au point d'une nouvelle


famille de médicaments efficaces par voie orale,
ou piqûre ? les sulfamides hypoglycémiants (appelés aussi
sulfonylurées antidiabétiques) (voir Zoom 7.1).
On se souviendra que Berson et Yalow à New
York venaient de montrer que la plupart des dia-
L'arrivée des antidiabétiques bétiques diagnostiqués à l'époque (début des
oraux, ou quand la pilule années 1960) avaient des insulinémies non négli-
concurrence la piqûre geables et produisaient donc de l'insuline. Il fut
postulé, puis démontré par Auguste Loubatières
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, un cher- à Montpellier, que les sulfonylurées activaient la
cheur de la compagnie pharmaceutique améri- sécrétion de l'insuline par les cellules bêta pan-
caine Lilly découvrit l'isothiazide, une molécule créatiques saines. Ces résultats encourageants
administrable par la bouche qui avait la parti- conduisirent au développement d'agents hypo-
cularité d'induire une hypoglycémie chez les glycémiants oraux, actifs aussi chez les patients
animaux. Cependant, lorsqu'il était testé sur des qui avaient un certain degré de cellules bêta
animaux pancréatectomisés, le médicament per- fonctionnelles (les diabétiques dits non insuli-
dait cette propriété. À l'époque, le credo était nodépendants). Leur découverte a donc conduit
que les personnes atteintes de diabète n'avaient à renforcer la solidité du nouveau concept qui
pas de pancréas fonctionnel. En toute logique, prenait corps à l'époque : celui des deux formes
le médicament de chez Lilly fut donc considéré de diabète, la forme insulinodépendante (plus
comme inutile pour le traitement du diabète et tard renommée type 1) et la forme non insulino-
son développement fut abandonné. À la même dépendante (plus tard renommée type 2). Cette
époque, des chercheurs montpelliérains travail- dichotomie allait ouvrir de nouveaux champs
lant sur les sulfamides et cherchant à dévelop- de recherche : deux maladies différentes = deux
per un nouvel antibiotique à action prolongée étiologies différentes + deux stratégies théra-
obtinrent une nouvelle forme moléculaire appe- peutiques différentes.
lée sulfonylurée. Testée chez l'homme, la L'histoire des biguanides et de la metformine,
drogue provoqua de façon totalement inatten- contemporaine de celle des sulfonylurées, suit une
due une hypoglycémie. Ce fut le point de départ trajectoire analogue (voir Zoom 7.2).

Zoom 7.1

La découverte du premier antidiabétique issu de la chimie. Progrès


et sérendipité
Les sulfamides et la sérendipité Walpole, un historien anglais, écrivit à un ami au
Serendip est l'ancien nom arabe de Ceylan/ sujet de ce conte stupide qu'il avait lu, et dans
Sri Lanka. Un conte iranien du xive siècle (Les cette lettre, il inventa le mot sérendipité, pour
Pérégrinations des trois fils du roi de Serendip, expliquer la capacité de combiner découverte et
par Amir Khosrow Dehlavi) raconte que trois sagacité.
princes du royaume de Serendip étaient capables Aujourd'hui le terme de sérendipité s'emploie
d'utiliser des indices particulièrement ténus fréquemment dans le monde scientifique pour
pour remonter logiquement à des faits dont désigner une forme de disponibilité intellec-
ils n'avaient, a priori, aucune connaissance. Le tuelle, qui permet de tirer de riches ensei-
conte inspira le Zadig de Voltaire. Les princes de gnements d'une trouvaille inopinée ou d'une
Serendip nous apprennent en fait l'art de prêter erreur. On parlera ainsi de sérendipité à propos
attention à ce qui surprend et d'en imaginer d'un brillant mais négligent chercheur anglais
une interprétation nouvelle et un enseignement qui avait la réputation d'oublier régulièrement
innovant. Bien plus tard, au xviiie siècle, Horace ses boîtes à culture, et qui, en rentrant de

▲ Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 255

vacances, eut la surprise de découvrir dans l'une


d'elles qu'une forme de moisissure avait empê-
ché le développement des bactéries. Alexander
Fleming venait de découvrir la pénicilline. En
français, « sérendipité » est un néologisme créé
par calque de l'anglais « serendipity », donc un
anglicisme. En 1945, Walter Cannon (1871–
1945), physiologiste à l'université Harvard,
Cambridge, États-Unis, introduit le mot et le
concept de sérendipité dans le monde scienti-
fique médical. Son collègue physiologiste amé-
ricain Julius Comroe en donnera une définition
métaphorique : « la sérendipité, c'est comme
chercher une aiguille dans une botte de foin et y
découvrir une fille de fermier ».
Figure 7.7. Auguste Loubatières (1912–1977).
Il se trouve que l'histoire du premier médica-
ment antidiabétique issu de la chimie illustre
parfaitement ce type de rencontre improbable. qui avait agi sur le pancréas (endocrine) en sti-
Pendant la Seconde Guerre mondiale, en rai- mulant la sécrétion de l'insuline. Poursuivant
son de la pénurie, la consommation d'aliments méthodiquement ses expériences, Loubatières
divers ne présentant aucune garantie sanitaire propose en 1946 l'usage des sulfamides hypo-
avait favorisé les maladies infectieuses et déve- glycémiants dans la forme du diabète « qui est
loppé l'usage des sulfamides antibactériens, la conséquence d'une paresse des mécanismes
découverts depuis peu. C'était le cas dans le insulinosécréteurs » (appelé de nos jours diabète
Languedoc où l'on abusait des coquillages. de type 2).
Pour soigner les nombreux cas de typhoïde, Les sulfamides hypoglycémiants prirent en fait
Marcel Janbon (1898–1996), infectiologue leur véritable essor en Allemagne. À Berlin, en
à Montpellier, obtient de la société Rhône- 1954, Hans Franke et Karl Fuchs observent à
Poulenc un sulfamide particulièrement actif le leur tour qu'un sulfamide étudié contre la pneu-
2254RP, synthétisé pour la première fois en monie, le carbutamide, provoque une hypogly-
1941. Au printemps de 1942, il en administre cémie chez les sujets normaux. Ils parviennent
de fortes doses à une trentaine de malades : ainsi aux mêmes conclusions que Loubatières.
trois d'entre eux décèdent, tandis que d'autres Le carbutamide, plus actif que le 2254RP, est
sont pris de violentes convulsions. Au même mis sur le marché en 1955 (en France, sous le
moment, Auguste Loubatières (figure 7.7), nom de Glucidoral). Il existe maintenant toute
alors assistant de physiologie à la faculté de une famille de sulfamides hypoglycémiants, en
médecine de Montpellier, étudiait les risques général plus actifs que leur ancêtre, le tolbu-
d'hypoglycémie causés par l'insuline. tamide qui lui n'est plus commercialisé. Les
Le 13 juin 1942, à la demande de Janbon, il sulfamides hypoglycémiants sont également
expérimente le 2254RP sur un chien normal à appelés sulfonylurées, par référence directe à
jeun, et montre que le sulfamide provoque une leur structure chimique commune comportant
baisse de la glycémie progressive, profonde et un groupe sulfonyle lié à un groupe urée. De
durable. Le 30 juin, pressentant que les sul- nombreuses molécules sont actuellement dis-
famides stimulent la sécrétion d'insuline, il ponibles, les principales étant le gliclazide, le
observe chez le chien totalement privé de pan- glimepiride, le glipizide, et le glibenclamide.
créas que le 2254RP ne modifie pas la glycémie ; Ces nouveaux produits sont alors indiqués dans
par contre, une petite portion de tissu pancréa- le diabète de l'obèse (diabète de type 2). Ils
tique suffit pour que le produit recouvre son sont inutiles dans le diabète insulinodépendant
efficacité. Les patients du Dr Janbon avaient (type 1) où l'insulinothérapie reste la règle. Des
donc été victimes d'une hypoglycémie pro- effets secondaires existent et sont communs
voquée par une dose trop élevée de sulfamide à tous les sulfamides (anti-infectieux, diuré-

256 Physiopathologie du diabète

mV G10mM

–70 stade stade


stade
2 3
1
Ca2+

ATP Ca2+

K+
exocytose K+
insuline

Figure 7.8. Activité électrique d'une cellule bêta pancréatique exposée à une forte concentration de glucose et
fonctionnement des canaux.
Les canaux K+/ATP sont ouverts quand la concentration intracellulaire d'ATP est faible, et fermés à concentration
élevée d'ATP. La dépolarisation initiale est due à la fermeture des canaux K+/ATP (stade 1). Elle induit une activité
électrique répétitive due à l'ouverture de canaux calciques (stade 2), qui autorise l'entrée d'ions Ca2+ et l'exocytose
des vésicules d'insuline. Elle provoque aussi l'ouverture des canaux K+ dépendants du calcium qui entraîne une
repolarisation de la membrane cellulaire (stade 3). La concentration de calcium intracellulaire s'effondre alors, ce qui
contribue à la fermeture des canaux K+ dépendants du calcium. Mais, le blocage continu des canaux K+/ATP entraîne
une repolarisation de la cellule et ouvre à nouveau les canaux Ca2+. L'insuline est à nouveau libérée et le cycle se
répète. Le glucose provoque ainsi une libération pulsatile des vésicules.

tiques ou hypoglycémiants) : allergies cutanées, camenteuse est un canal ionique qui joue un
troubles sanguins et hépatiques, intolérance rôle central dans le fonctionnement de la cellule
digestive. Le risque principal des sulfamides bêta, le canal potassium (K+) sensible à l'ATP
hypoglycémiants concerne celui d'hypogly- (canal K+/ATP) (figure 7.8). Pourquoi ? Parce
cémie grave en relation avec leur fort pouvoir que la technique permettant d'étudier les méca-
insulinosécréteur. Possibles en cas de surdo- nismes de fonctionnement des canaux ioniques
sage, les hypoglycémies sont cependant moins d'une cellule prise individuellement en permet-
fréquentes et moins brutales qu'avec l'insuline. tant le suivi en direct des phénomènes d'ouver-
Les sulfamides hypoglycémiants, toujours utili- ture, d'inactivation et de fermeture des canaux,
sés en 2022, ont ouvert la voie à la chimiothé- ne devint disponible qu'à la fin des années 1970.
rapie du diabète. Cependant, leur succès initial Cette technique, dite du patch-clamp, fut mise
s'est progressivement estompé avec l'apparition au point par les Allemands Erwin Neher et
de molécules antidiabétiques qui n'entraînent Bert Sakmann à Göttingen, et leur valut le prix
plus de risque d'hypoglycémie sévère. Nobel de médecine en 1991. Ils furent les pre-
Il a fallu attendre quarante ans pour comprendre miers à être capables de mesurer l'activité de
le mode d'action intime des sulfamides hypogly- canaux ioniques individuels, en l'occurrence
cémiants. Jusque-là, l'utilisation des sulfamides le canal du récepteur ionotrope nicotinique de
antidiabétiques était donc empirique [10]. l'acétylcholine présent dans la membrane plas-
mique des cellules musculaires. Le patch-clamp
La cible moléculaire des sulfamides est maintenant une technique électrophysiolo-
hypoglycémiants est un canal ionique gique d'enregistrement des courants ioniques
Il a fallu attendre la fin des années 1980 [11] transitant à travers les membranes cellulaires,
pour découvrir que la cible de cette classe médi- largement utilisée.

▲ Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 257

Lorsque la cellule bêta est en repos sécrétoire veau libérée et le cycle se répète. Cela signifie
(lorsque la glycémie est égale ou inférieure à que le glucose provoque une libération pulsatile
5,5 mM), elle est bien polarisée (son potentiel des vésicules. Lorsque le stimulus cesse et que
membranaire, dit de repos, est alors de l'ordre la production d'ATP intracellulaire diminue, les
de –70 à –60 mV). Cette situation (polarisation, canaux K+/ATP se rouvrent. Le potentiel mem-
pas d'activité électrique) est due au fait qu'un branaire normal est restauré et les canaux Ca2 +
certain nombre des canaux K+ sont alors ouverts, et les canaux K+ dépendants du calcium restent
parmi lesquels les canaux K+/ATP. Dès que la fermés. (figure 7.8)
cellule bêta est exposée à une concentration Les sulfonylurées, comme le glucose, pro-
extracellulaire de glucose > à 5,5 mM, elle se voquent la sécrétion d'insuline. Il était donc ten-
dépolarise et cette dépolarisation entraîne l'ap- tant de postuler que cette importante classe de
parition d'une activité électrique spontanée avec molécules avait pour mécanisme d'action le blo-
des potentiels d'action répétitifs. La longueur cage direct des canaux K+/ATP. C'est effective-
des trains de potentiels d'action va dépendre ment ce qui a été démontré par patch-clamp. En
de la concentration de glucose. Le mécanisme bloquant les canaux K+/ATP (effet direct), les
moléculaire de ce processus électrogène est sulfonylurées miment d'une certaine façon l'ef-
désormais bien compris. Les concentrations fet du glucose (effet indirect dans ce cas, médié
élevées de glucose (> à 5,5 mM) vont activer par l'ATP). Ce canal K+/ATP est un hétéro-
les mécanismes intracellulaires de production octamère formé de quatre sous-unités représen-
d'ATP induisant une augmentation de l'ATP (en tant les canaux potassiques (Kir6.2) enserrées
conjonction avec une baisse concomitante de par quatre autres sous-unités jouant le rôle de
l'ADP) disponible dans le cytoplasme et la fer- récepteur aux sulphonylurées (SUR1) [10-12].
meture des canaux K+/ATP. C'est là une étape Les sous-unités Kir6.2 ménagent un pore de
clé, car cette fermeture de canaux va provoquer perméabilité par lequel transitent les ions K+.
la dépolarisation qui entraînera la succession de Elles sont entourées par les sous-unités SUR1
toutes les autres étapes conduisant à l'exocytose qui ont un rôle régulateur. L'ATP et les sulfo-
des vésicules d'insuline (voir Chapitre 3). Cette nylurées induisent la fermeture des canaux en se
dépolarisation va en effet conduire le potentiel liant respectivement aux sous-unités Kir6.2 et
de membrane au seuil d'activation des canaux SUR1, tandis que l'ADP active les canaux en se
calcium Ca2 + voltage-dépendants. L'activation liant à un domaine de liaison aux nucléotides sur
de ces canaux provoque la production de la sous-unité SUR1. Le diazoxide, un inhibiteur
potentiels d'action répétitifs. L'ouverture de ces de la sécrétion d'insuline, se lie également à la
canaux pendant les potentiels d'action permet sous-unité SUR1 pour ouvrir les canaux.
l'entrée d'ions Ca2 +, entraînant l'augmentation On retiendra donc que l'activation de l'exo-
du Ca2 + intracellulaire nécessaire à la sécrétion cytose de l'insuline par les sulfonylurées est
d'insuline. L'augmentation de la concentration indépendante de l'effet propre du glucose sur
en ions Ca2 + dans une cellule bêta conduit à la cellule bêta. Cette capacité des sulfonylurées
la sécrétion d'insuline et a également d'autres à fermer directement les canaux explique leur
effets. Elle provoque l'ouverture d'un autre efficacité dans le diabète de type 2 où les cel-
type de canaux K+ dans la membrane cellu- lules bêta ne répondent plus adéquatement au
laire. L'ouverture de ces canaux K+ dépendants glucose. Cet avantage a néanmoins un revers :
du calcium entraîne une repolarisation de la les sulfonylurées sont capables de stimuler la
membrane cellulaire et tout autre afflux d'ions sécrétion de l'insuline même lorsque la concen-
Ca2 + à travers les canaux calciques est bloqué. tration en glucose est inférieure au seuil de
La concentration de calcium intracellulaire est 0,8 g/l. Les sulfonylurées peuvent ainsi pro-
très rapidement et efficacement abaissée par voquer des hypoglycémies chez les patients.
les pompes ioniques, ce qui contribue à la fer- L'hypoglycémie représente l'effet indésirable le
meture des canaux K+ dépendants du calcium. plus fréquent. Dans l'étude UKPDS, au moins
Mais, le blocage continu des canaux K+/ATP un épisode d'hypoglycémie par an a été rap-
entraîne une repolarisation de la cellule et ouvre porté chez 20 % des patients recevant des sul-
à nouveau les canaux Ca2 +. L'insuline est à nou- fonylurées. La découverte d'isoformes de SUR

258 Physiopathologie du diabète

présentes dans le muscle cardiaque (SUR2A) codant pour Kir6.2 et SUR1 ont cependant
et dans les muscles lisses vasculaires (SUR2B) décrit des polymorphismes associés à un risque
a conduit à s'interroger sur l'innocuité cardio- accru du diabète de type 2. Des mutations du
vasculaire des sulfonylurées. S'il existe bien des gène Kir6.2 sont à l'origine de cas (rares) de dia-
différences subtiles dans la structure des sulfo- bète néonatal permanent (PNDM) [12]. Toutes
nylurées qui font que certains (glibenclamide) ces mutations semblent réduire la sensibilité
mais pas tous (gliclazide) peuvent se fixer sur à l'ATP du canal K+/ATP, hyperpolarisent la
ces isoformes, il n'existe pas de preuve convain- membrane des cellules bêta et bloquent la sécré-
cante d'un effet indésirable des sulfonylurées tion de l'insuline. Les sulfonylurées gardent leur
sur la contractilité vasculaire (augmentation) ni efficacité et ferment encore les canaux K+/ATP
sur l'ischémique cardiaque. mutés. Cela explique que les patients PNDM
Enfin, compte tenu de leur rôle central, les peuvent souvent interrompre leurs injections
canaux K+/ATP sont des candidats évidents pour d'insuline et les compenser avec un traite-
le dysfonctionnement des cellules bêta au cours ment utilisant des sulfonylurées à forte dose. À
du diabète de type 2. Les premières études chez l'opposé, la perte d'activité du canal K+/ATP
les personnes atteintes de diabète de type 2, de fonctionnel des cellules bêta associée à de nom-
diabète de la maturité chez les jeunes (MODY) breuses mutations dans les sous-unités Kir6.2
ou de diabète gestationnel n'ont pas permis de et SUR1 a été impliquée dans la pathogenèse
détecter de mutations du gène Kir6.2 qui com- de l'hyperinsulinisme congénital, une affection
promettraient la fonction du canal. Des études caractérisée par une hypersécrétion d'insuline
à plus grande échelle de variants dans les gènes (qui peut être freinée par le diazoxide) [12].

Zoom 7.2

Les aventures de la metformine, l'antidiabétique le plus utilisé au monde


Un parcours semé d'embûches cémiants de la plante, que sont la guanidine et
L'histoire de la metformine [13] démarre en fait l'isoamylène guanidine (galégine), furent isolés
au Moyen Âge en Europe avec l'utilisation dans par le pharmacien français Georges Tanret en
la pharmacopée, de Galega officinalis, nommé 1914. Bien que la galégine ait été utilisée avec
aussi « lilas français » ou « rue-des-chèvres ». Le succès, elle fut rapidement délaissée à cause
mot galéga dériverait du grec gala (lait) et aigos de sa toxicité. En 1910, l'Allemand Albrecht
(chèvre) parce qu'il était réputé accroître la Kössel, découvreur des bases puriques et pyri-
production de lait des chèvres qui s'en nourris- midiques, Nobel de médecine en 1910, fait état,
saient. Cette légumineuse herbacée, de la famille pour la première fois, des propriétés hypoglycé-
des papilionacées, est utilisée alors pour soigner, miantes d'un dérivé de la guanidine, l'agmatine,
entre autres, les manifestations du diabète sucré extraite du sperme de hareng. De 1914 à 1918,
chez l'homme et pour augmenter la production l'Américain C. Watanabe, après avoir injecté
de lait (propriété galactogène) chez le bétail. du chlorhydrate de guanidine à des lapins,
Le Galactogil, une spécialité pharmaceutique reconnaît les propriétés hypoglycémiantes du
contenant un extrait de fleurs du Galega offi- produit. En 1921, les Allemands Erich Frank,
cinalis, a été commercialisé en France jusqu'en Rudolph Stern et Martin Nothmann observent
2015, avec comme indication le traitement de les mêmes réactions. Dans les années 1920, la
l'insuffisance de sécrétion lactée. Elle a été reti- chimie permit de synthétiser des diguanidines,
rée du marché à la suite d'une alerte émise par molécules contenant deux guanidines reliées
l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire par une chaîne alkyl de longueur variable. Deux
de l'alimentation, de l'environnement et du tra- diguanidines, les synthalines A et B, furent uti-
vail). Dès le xixe siècle, les fleurs et les graines lisées cliniquement, mais elles seront abandon-
du galéga sont utilisées pour leurs effets anti- nées rapidement car leur effet thérapeutique
hyperglycémiants. Les principes actifs hypogly- ne put être dissocié de leur toxicité. Les bigua-

▲ Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 259

nides, composés issus de la condensation de mière fois en France sous le nom évocateur de
deux molécules de guanidine avec élimination Glucophage par les laboratoires Aron en 1959.
d'une molécule d'ammoniac, sont synthétisés Le 11 décembre 1958, le Glucophage obtient le
à la même époque. La metformine (diméthyl- visa n° 2.366-19.408 du ministère de la Santé.
biguanidine) est produite pour la première À l'époque, si les produits chimiques et les pro-
fois en 1922, à Dublin, par Alphonse Werner cédés de fabrication peuvent bénéficier d'un
et James Bell. En 1929, ses propriétés hypo- brevet, leur application sous forme de médica-
glycémiantes sont mises en évidence par deux ments n'est pas protégée : le visa ministériel ne
équipes allemandes. Les dérivés de la guani- fait qu'attester que la spécialité répond bien aux
dine auraient sans doute pu se faire une place critères de définition d'un médicament. Mais,
dans le traitement du diabète, à la suite notam- quand l'État décidera de protéger l'indus-
ment des travaux systématiques que Watanabe trie pharmaceutique par un « brevet spécial de
consacra à leur action hypoglycémiante, si, au médicament », le laboratoire Aron obtiendra
même moment, en 1921, à Toronto, Banting, cette protection pour le Glucophage en France.
Best et MacLeod n'avaient découvert l'insuline. Dès les débuts du Glucophage, la metformine
Dès lors, tous les regards, y compris en France, est synthétisée par l'entreprise Delaire à Calais,
se tournent vers cette hormone naturelle, qui fabricant de produits chimiques à façon, qui
passe pour le remède incontournable du diabète livre quelques centaines de kilos de matière pre-
sucré. Il faudra attendre la fin des années 1950 mière par mois. Le comprimé de Glucophage
pour redécouvrir le potentiel clinique des bigua- est fabriqué et conditionné à Suresnes, puis
nides dans le traitement du diabète. envoyé dans les pharmacies et les hôpitaux.
C'est à ce moment que l'histoire de la metfor- À cette époque, la metformine était en concur-
mine devient une affaire française. En 1956, rence avec deux autres biguanides : la phen-
engagés par le laboratoire Aron (à l'époque, formine (phényléthyl-biguanide) développée
la maison Aron à Suresnes était une enseigne aux États-Unis, et la buformine (monobutyl-
modeste où l'on fabriquait des gouttes nasales), biguanide) développée en Allemagne. Ces deux
Jean Sterne (1909-1997), un médecin français biguanides étaient plus actifs que la metfor-
qui avait étudié la galégine à l'hôpital de la Pitié à mine, mais, à la suite de plusieurs cas mortels
Paris, et Denise Duval, pharmacienne, décident d'acidose lactique et d'accidents cardiaques, la
d'examiner l'activité hypoglycémiante et le phenformine fut retirée du marché américain
degré de toxicité de différents composés bigua- en 1976. Après confirmation d'une faible inci-
nidiques, parmi lesquels le phénéthyl-biguanide dence de cas d'acidose lactique, la metformine
(phenformine) et le diméthyl-biguanide (met- a continué à être prescrite très largement en
formine). Ils retiennent la metformine, qui pré- Europe. Les accidents liés à la prise de phen-
sente la meilleure efficacité pour la plus faible formine entachèrent toutefois la réputation de
toxicité chez l'animal (cobaye, lapin, poulet, rat, la metformine et empêchèrent sa diffusion aux
souris, chien). En 1957, Sterne, ayant acquis États-Unis. Initialement très réticents envers ce
la certitude que le produit est efficace et ne médicament européen, les États-Unis l'adopte-
présente aucun danger même tardif, convainc ront seulement en 1995. En 1998, la grande
le laboratoire Aron de l'utiliser en médecine étude multicentrique britannique UKPDS per-
hospitalière. La procédure de mise sur le mar- mettra de confirmer la place de référence de la
ché n'existait pas encore et les phases d'expé- metformine dans le traitement du diabète de
rimentation animale et clinique, beaucoup plus type 2. La metformine fait maintenant partie
simples qu'aujourd'hui, permettaient de faire dans ce pays des 10 médicaments les plus uti-
bénéficier rapidement les malades des progrès lisés. Depuis 2002, la metformine est dispo-
de la pharmacologie. Sterne réalisa les premiers nible sous forme générique. Aujourd'hui, elle
essais cliniques chez l'homme de la metformine est prescrite à plusieurs centaines de millions de
utilisée comme agent antidiabétique oral. Il personnes dans le monde, et est ainsi devenue
démontra que, parmi tous les biguanides tes- l'antidiabétique le plus utilisé. Sa posologie doit
tés, la metformine possédait le meilleur rapport être adaptée à l'état fonctionnel des reins (en
bénéfice/risque. À la suite de ces travaux, la fonction de la clairance rénale). Elle est prohi-
metformine fut commercialisée pour la pre- bée en cas d'insuffisance rénale sévère.

260 Physiopathologie du diabète

Un rapport bénéfice/risque envié metformine entraîne une diminution d'environ


La metformine est utilisée avec succès depuis 40 % de la mortalité liée aux pathologies car-
plus d'un demi-siècle dans le traitement du diovasculaires, comme l'infarctus du myocarde
diabète de type 2. Grâce à son efficacité et ses ou les attaques cérébrales (AVC), indiquant que
effets secondaires limités, la metformine est la protection cardiovasculaire de la metformine
recommandée, en l'absence de contre-indica- pourrait être dissociée de son action antihyper-
tions, comme l'antidiabétique oral de première glycémiante. L'origine des effets cardioprotec-
intention pour traiter les patients diabétiques teurs de la metformine est multiple et implique
de type 2 par l'ADA (American Diabetes également des actions affectant les systèmes
Association), l'EASD (European Association macro- et microvasculaires. La metformine est
for the Study of Diabetes) et la SFD (Société connue pour exercer un effet protecteur sur
francophone du diabète). La metformine réduit l'endothélium vasculaire en diminuant le stress
l'hyperglycémie sans risque d'hypoglycémie, oxydant cellulaire et l'inflammation. En raison
contrairement à d'autres antidiabétiques comme des effets vasculaires et des propriétés antiathé-
les sulfonylurées et l'insuline. La metformine rogènes de la metformine, son utilisation pour-
améliore la sensibilité à l'insuline, entraînant rait être étendue aux patients non diabétiques
une réduction de la résistance à l'insuline. Les présentant un risque de développer des patho-
effets secondaires liés à la prise de metformine logies vasculaires. En dépit de l'ancienneté de la
sont principalement des troubles gastro-intes- molécule et des très nombreux travaux qui lui
tinaux incluant des douleurs abdominales, des sont consacrés depuis vingt ans, le mécanisme
nausées, des vomissements et des diarrhées. d'action moléculaire de la metformine garde
Ces symptômes surviennent au début du traite- une large part de mystère [14].
ment, mais disparaissent en général rapidement. Mécanismes antihyperglycémiants de
L'acidose lactique est le risque majeur du traite- la metformine : une affaire d'énergie
ment par les biguanides. Elle résulte d'une aug- intracellulaire
mentation de la glycolyse anaérobie qui entraîne
La metformine est transportée dans les hépato-
une accumulation de lactate dans la circulation
cytes par le transporteur OCT1 (Organic Cation
provoquant une diminution du pH sanguin à
Transporter 1). Dans la cellule, elle inhibe par-
l'origine d'un état de choc. Elle fut observée
tiellement la chaîne respiratoire mitochondriale
avec la phenformine, mais elle est exception-
au niveau du complexe I (voir Chapitre 3). Il
nelle avec la metformine. Son incidence est esti-
en résulte une diminution du niveau d'énergie
mée à 3 cas pour 100 000 patients par an, soit
dans la cellule qui se traduit par une baisse des
un risque 10 à 20 fois moins important qu'avec
concentrations intracellulaires d'ATP et une
la phenformine. À cause de ce risque d'acidose
augmentation concomitante des concentra-
lactique, même s'il est minime, la metformine
tions d'AMP. La gluconéogenèse est une voie
est contre-indiquée dans toutes les situations
métabolique énergivore qui nécessite 4 ATP
pathologiques pouvant provoquer, soit une
et 2 GTP par molécule de glucose produite.
hypoxie tissulaire ou une ischémie (comme en
La diminution d'ATP en réponse à la metfor-
cas d'insuffisance cardiaque ou pulmonaire),
mine réduit en conséquence la production de
soit une accumulation de metformine dans
glucose. De plus, l'accumulation d'AMP inhibe
l'organisme par défaut d'élimination (comme
de manière allostérique la fructose-1,6-diphos-
en cas d'insuffisance rénale ou hépatique). À
phatase, une enzyme clé de la gluconéogenèse,
l'inverse des autres antidiabétiques, la met-
et diminue l'activation de l'adénylate cyclase
formine n'entraîne pas de gain de poids. Elle
stimulée par le glucagon. Il en résulte une
a également une action bénéfique sur le profil
diminution du flux gluconéogénique et une
des lipides circulants en diminuant les concen-
amélioration de l'hyperglycémie chez le patient
trations plasmatiques de triglycérides et de
diabétique de type 2.
cholestérol, procurant ainsi une protection anti-
athérogène. Contrairement à d'autres agents De manière secondaire, l'inhibition du com-
antidiabétiques (insuline ou sulfonylurées), la plexe I de la chaîne respiratoire dans la cellule
hépatique, modifie l'activité d'enzymes régu-

▲ Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 261

lées par l'ATP, l'ADP et l'AMP. En particu- lulaire. Cette réaction d'adaptation métabo-
lier, celle de l'AMPK (AMP-Activated Protein lique de la cellule implique la phosphorylation
Kinase) qui se trouve activée par la metformine. par l'AMPK d'enzymes métaboliques clés et de
L'AMPK est une sérine thréonine kinase extrê- facteurs de transcription pour aboutir au final à
mement conservée au cours de l'évolution, une modification du métabolisme du glucose et
et qui joue le rôle de détecteur métabolique des lipides. Des travaux récents ont clairement
­sensible aux variations d'énergie intracellulaire. montré que contrairement aux prédictions,
L'AMPK est un hétérotrimère composé d'une l'inhibition de la production de glucose hépa-
sous-unité catalytique α et de deux sous-unités tique par la metformine est indépendante de la
régulatrices β et γ. Elle est activée de manière voie LKB1/AMPK et d'un effet sur l'expression
allostérique par l'AMP et par phosphorylation des gènes. C'est donc bien la diminution des
de sa sous-unité catalytique par une autre kinase concentrations intrahépatocytaires en ATP due
appelée LKB1 (Liver Kinase B1). L'AMPK est à l'inhibition du complexe I mitochondrial, qui
activée chaque fois que le rapport intracellulaire serait le moteur essentiel de la réduction du flux
ATP/AMP diminue, suite à un stress métabo- gluconéogénique induite par la metformine.
lique comme l'exercice, le jeûne ou l'hypoxie. Ainsi, la metformine diminue l'hyperglycémie
Une fois activée, elle inhibe les voies métabo- par une inhibition de la production de glucose
liques anaboliques consommatrices d'ATP et hépatique en réduisant le flux gluconéogénique
active les voies cataboliques productrices d'ATP par une action purement énergétique [14]
afin de rétablir le rapport ATP/AMP intracel- (figure 7.9).

OCT1

génes NGN MET

Pyr

AMP AMPK +
FDP NADH NAD
ADP ATP
NGN ATP AMP
FBP1
ACC
F6P

LPG
G
AGOX

Figure 7.9. Mécanismes d'inhibition de la production de glucose et de la lipogenèse hépatiques par la


metformine.
La metformine (MET) est transportée dans les hépatocytes par le transporteur OCT1. Dans la cellule, elle inhibe
partiellement la chaîne respiratoire mitochondriale au niveau du complexe I, qui est sa cible primaire. Il en résulte une
diminution du niveau d'énergie dans la cellule qui se traduit par une baisse des concentrations intracellulaires d'ATP,
une augmentation concomitante des concentrations d'AMP, et une activation de l'AMPK. L'activation d'AMPK a deux
conséquences :
• l'inhibition de l'ACC ce qui diminue la lipogenèse (LPG) et favorise l'oxydation mitochondriale des acides gras
(AGox). La conséquence directe est une diminution de l'accumulation des triglycérides hépatiques et une amélioration
de la sensibilité hépatique à l'insuline ;
• une diminution de la transcription des enzymes de la néoglucogenèse (NGN).

262 Physiopathologie du diabète

Par ailleurs, la NGN est une voie métabolique Une vieille qui a encore du potentiel !
énergivore qui nécessite 4 ATP et 2 GTP par Après plus de cinquante ans au service du dia-
molécule de glucose produite. La diminution bète, cette vieille molécule pourrait avoir une
d'ATP en réponse à la metformine réduit en seconde jeunesse en prenant du service dans
conséquence la production de glucose (G). d'autres pathologies, telles que le cancer ou
Quant à l'augmentation de l'AMP, il est pro- les pathologies neurodégénératives. Plusieurs
bable qu'elle contribue aussi à inhiber la glu- études cliniques ont indiqué que la metfor-
conéogenèse hépatique via un mécanisme mine est capable de conférer un effet protecteur
indépendant de l'AMPK. En effet, l'accumula- contre le cancer indépendamment de la présence
tion de l'AMP inhibe de manière allostérique d'un diabète. Sur la base d'études observation-
la fructose-1,6-diphosphatase (FBP1), une nelles, la littérature médicale signale en effet
enzyme clé de la NGN, et diminue l'activation une association entre le diabète, en particulier
de l'adénylate cyclase stimulée par le glucagon. de type 2, et le cancer, probablement en rapport
Il en résulte une diminution du flux gluconéo- avec l'exposition chronique à l'hyperglycémie et
génique et une amélioration de l'hyperglycémie l'hyperinsulinémie relative compensatoire. La
chez le patient diabétique de type 2. metformine pourrait diminuer l'incidence de
En résumé, la MET exerce ses effets antidia- différents cancers, en réduisant l'hyperglycémie
bétiques principalement au niveau du foie par et surtout l'hyperinsulinémie. Elle agit sur les
l'inhibition de la gluconéogenèse et, dans une voies de signalisation cellulaires comme celle de
moindre mesure, au niveau de l'intestin et du l'AMPK qui est connue pour stimuler la kinase
muscle, pour aboutir à une diminution de l'hy- LKB1 (c'est un suppresseur de tumeur), ou
perglycémie et des lipides circulants, ainsi qu'à pour inhiber la protéine mTOR (Mammalian
une augmentation de la sensibilité à l'insuline. Target of Rapamycin) qui est un puissant fac-
AMPK : Adenosine Monophosphate-Activated teur de croissance et de prolifération [15]. Des
Protein Kinase ; ACC : acétyl-CoA carboxylase. méta-analyses portant principalement sur des
En complément de cet effet principal, d'autres études effectuées chez des patients atteints de
mécanismes ont été proposés pour expliquer la diabète de type 2 montrent que l'utilisation de
réduction de la production hépatique de glu- la metformine (comparativement à une absence
cose par la metformine [14]. En effet, il a été de traitement ou à d'autres traitements antidia-
montré que la metformine pouvait réduire la bétiques) est associée à un risque réduit de sur-
stéatose hépatique non alcoolique chez la souris venue de tous cancers confondus et de mortalité
obèse et chez l'homme. Par rapport à la réduc- par cancer. Cependant, ces effets restent contro-
tion de la gluconéogenèse par la metformine, versés et des études prospectives manquent. Des
cet effet, par contre, sur la stéatose dépendrait travaux, eux aussi récents, montrent que la met-
bien de l'activation de l'AMPK secondaire à formine pourrait avoir un effet neuroprotecteur
l'inhibition du complexe I de la chaîne respi- et prophylactique chez les patients avec une pré-
ratoire et à la carence énergétique engendrée disposition pour la maladie d'Alzheimer. Enfin,
par la metformine. En effet, l'activation de les effets bénéfiques de la metformine s'appa-
l'AMPK hépatique réduit la lipogenèse (en rentant à ceux observés au cours de la restriction
inhibant l'activité de l'acétyl-CoA carboxylase) calorique (lesquels concourent à prolonger l'espé-
et active l'oxydation des acides gras (en rédui- rance de vie), certains considèrent que la metfor-
sant la synthèse de malonyl-CoA, ce qui inhibe mine est un mimétique de la restriction calorique
l'entrée des acides gras dans les mitochondries) qui pourrait avoir des propriétés antivieillissantes.
(figure 7.9). Comme la stéatose hépatique est Elle induit une augmentation de l'espérance de
une pathologie associée à l'insulinorésistance vie moyenne de chez le nématode modèle et chez
hépatique, la réduction de la stéatose par la les rongeurs et même, chez ces derniers, une aug-
metformine améliore la sensibilité hépatique à mentation de la durée de vie maximum, peut-être
l'insuline et permet ainsi de rétablir le contrôle en limitant les besoins en insuline et facteur de
de la gluconéogenèse par l'insuline. croissance tel que l'IGF1. La vieille molécule n'a
donc pas fini de nous étonner !
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 263

De nouveaux antidiabétiques La recherche pour développer ces nouveaux


améliorent l'offre médicaments devient donc strictement dépen-
dante de l'état des connaissances du moment sur
la biologie du diabète de type 2. Cela souligne le
Depuis les années 1970, de nouvelles thérapies rôle essentiel joué par la recherche fondamentale
antidiabétiques médicamenteuses ont été dévelop- en endocrinologie et métabolisme à partir des
pées. Elles ont maintenant toutes une caractéris- années 1970. On en acceptera pour preuve les
tique commune : leur découverte ne dépend plus deux exemples qui suivent et qui concernent les
uniquement de la sérendipité ! (voir Zoom 7.1). deux nouvelles familles de médicaments antidia-
Elle repose d'abord sur des bases raisonnées et bétiques apparues au cours de ces 20 dernières
les données physiologiques fondamentales de années :
l'époque. Le discours de C. Bernard [16] a porté • les gliptines et les agonistes du récepteur du
ses fruits : GLP1 (voir Zoom 7.3) ;
« On ne peut juger de l'influence d'un remède • les glifozines, inhibitrices du transporteur de
sur la marche et la terminaison d'une maladie, si glucose SGLT2 (voir Zoom 7.4).
préalablement on ne connaît la marche et la termi-
naison naturelles de cette maladie. »

Zoom 7.3

L'intestin au secours du pancréas : glucose. Quelques années plus tard, en 1967,


les dérivés du GLP1 et les gliptines cette constatation est confirmée par Michael
L'introduction des antidiabétiques basés sur Perley et David Kipnis à Saint-Louis, États-
l'utilisation du GLP1 est le résultat d'un siècle Unis, qui ont l'idée astucieuse de comparer chez
d'investigations fondamentales [17]. En 1906, les individus sains l'importance de sécrétion de
des extraits de muqueuse de l'intestin grêle l'insuline dans deux conditions particulières :
porcin furent testés par Benjamin Moore en une première fois en réponse à l'administration
Grande-Bretagne, comme traitement du dia- de glucose par voie orale, et une deuxième fois
bète, dans l'espoir que « la sécrétion du pan- en réponse à une perfusion intraveineuse (IV)
créas pourrait être stimulée par la substance de glucose à débit variable qui permet de mimer
de la nature d'une hormone produite par la la courbe d'hyperglycémie obtenue précédem-
muqueuse duodénale ». En 1928, le physio- ment en réponse à la charge orale de glucose.
logiste belge Jean La Barre décrivit un effet Ils concluent que la sécrétion de l'insuline en
hypoglycémique suite à l'injection d'extraits de réponse à l'administration IV de glucose ne
muqueuse intestinale et, grâce à des expériences représente que 30 à 40 % de celle observée
de circulation croisée, il put montrer que l'effet après l'administration orale de glucose, à profils
était médié par le pancréas. Quatre ans plus tard, de glucose sanguin identiques (isoglycémies). À
La Barre nomme la substance non identifiée cette époque, le facteur intestinal insulinotrope
censée exercer cet effet, « incrétine », afin de la responsable de cet effet était inconnu.
dissocier de la sécrétine (qui stimule la sécrétion Il faut attendre l'utilisation des méthodes de
pancréatique exocrine) qui venait d'être décou- mesure de l'expression des gènes (biologie molé-
verte par les Anglais William Bayliss et Ernest culaire) pour voir le sujet progresser. En 1983,
Starling au début du siècle. Puis, en 1964, Neil le gène Gcg codant pour le glucagon humain,
McIntyre à Londres et Harold Elrick à Denver, hormone pancréatique est cloné par Graeme
États-Unis, démontrent que le glucose adminis- Bell à Chicago (voir Zoom 4.4). Les études sur
tré par voie orale provoque une réponse à l'in- sa structure montrent qu'il code un gros peptide
suline supérieure à celle provoquée par la même précurseur appelé proglucagon, qui contient,
quantité de glucose administré cette fois-ci par et c'est la surprise, outre le glucagon, un autre
voie intraveineuse. Les deux auteurs émettent peptide appelé GLP1 [17, 18]. Le gène du pro-
l'hypothèse que des facteurs dérivés de l'intestin glucagon est bien exprimé dans les cellules alpha
pourraient avoir des effets potentialisateurs sur pancréatiques, mais aussi, et c'est une autre
la sécrétion d'insuline après ingestion orale de surprise à l'époque, dans les cellules entéroen-

264 Physiopathologie du diabète

docrines dites L de l'intestin grêle. Pour informa- sant pour éviter que la glycémie monte trop en
tion, les cellules entéroendocrines de l'intestin période prandiale. Au sein des îlots, le récepteur
sont les cellules endocrines les plus nombreuses du GLP1 (GLP1R) est surtout exprimé par les
du corps. Elles constituent un système endocri- cellules bêta. Sa présence dans les cellules alpha
nien entérique en tant que sous-ensemble du reste contestée. Le GLP1R est une protéine à
système endocrinien, tout comme le système sept domaines transmembranaires couplée aux
nerveux entérique est un sous-ensemble du protéines G (RCPG). L'activation du GLP1R
système nerveux. Elles ne sont pas regroupées de la cellule bêta active la formation d'AMPc et
mais disséminées individuellement dans le trac- la signalisation couplée aux protéines kinases A
tus intestinal. Les hormones sécrétées incluent et aux facteurs d'échanges de nucléotides
la somatostatine (cellules D), la motiline (cel- (GEFs [Guanine Nucleotide Exchange Factor]
lules M), la cholécystokinine (cellules I), la neu- ou EPACs [Exchange Protein directly Activated
rotensine (cellules N), le GLP1, le peptide YY, by cAMP]) modulés par l'AMPc. L'activation
l'oxyntomoduline et le GLP2 (cellules L), le du GLP1R provoque une augmentation rapide
GIP (cellules K), la sécrétine (cellules S), la séro- du calcium cytosolique et au final une exocy-
tonine (cellules entérochromaffines), l'histamine tose de l'insuline. Il est important de noter que
(cellules entérochromaffines-like). l'activation du GLP1R ne conduit à la sécrétion
Les transcrits primaires et les produits de tra- d'insuline que lorsque les concentrations de glu-
duction du gène du proglucagon dans les deux cose sont supérieures à 4-5 mM. Il s'agit d'un
types de cellules sont identiques, mais le traite­ mécanisme d'amplification de la sécrétion de
ment du précurseur proglucagon (traitement l'insuline qui reste strictement glucodépendant.
dit post-traductionnel) se révèle différer dans les Le GLP1 active par ailleurs la transcription du
deux tissus : dans les cellules alpha pancréatiques, gène de l'insuline et la biosynthèse de l'insuline.
le proglucagon est clivé par PC2 en glucagon Outre ses effets sur la fourniture d'insuline, le
essentiellement ; en revanche, dans les cellules L GLP1 exerce aussi des effets sur la croissance et
intestinales, le proglucagon est découpé par une la survie des cellules bêta. Il est capable d'acti-
convertase différente (PC 1/3) en GLP1 essen- ver la réplication des cellules bêta différenciées,
tiellement (voir Zoom 4.4). Les convertases de réduire l'apoptose bêta, d'induire enfin la
sont des enzymes impliquées dans le proces- différenciation de nouvelles cellules bêta à par-
sus de maturation des peptides formés à partir tir des cellules progénitrices (néogenèse), voire
de leurs précurseurs de plus grande taille. Ces la transdifférenciation de cellules exocrines pan-
enzymes de clivage agissent de façon spécifique créatiques en cellules bêta [19]. Cependant, bien
par la reconnaissance d'un site constitué de que ces effets du GLP1 sur la régulation du cycle
deux acides aminés basiques (lysine et arginine). cellulaire bêta soient bien argumentés chez les
modèles animaux, leur pertinence pour la phy-
Les charmes du GLP1 siologie et la physiopathologie humaines reste à
Le GLP1 est produit par des cellules entéroen- établir. Le GLPI exerce un effet suppresseur sur
docrines appartenant à l'iléon et au colon, les les cellules alpha. Cet effet glucagonostatique est
cellules L. Les concentrations circulantes de dépendant du glucose et n'est également actif
GLP1 augmentent rapidement dès la prise ali- que lorsque la glycémie est élevée au-dessus de
mentaire et cela avant que les nutriments aient 4-5 mM. Les mécanismes par lesquels le GLP1
un contact direct avec les cellules L. La première réduit la sécrétion de glucagon font l'objet d'une
fonction biologique décrite pour le GLP1, celle controverse : la suppression du glucagon est-elle
qui a fait sa notoriété, est celle d'une hormone médiée par les GLP1R des cellules alpha (cer-
de type incrétine [17, 18]. D'autres hormones taines études en rapportent la présence en faible
(dont le GIP) sont soupçonnées de contribuer quantité ; d'autres, non) ? Ou est-elle induite par
à l'effet incrétine, mais aujourd'hui, de nom- des mécanismes indirects, par exemple via l'effet
breuses preuves suggèrent que l'effet incrétine glucagono-suppresseur de la somatostatine libé-
résulte principalement du GLP1. En outre la rée localement, sachant que la sécrétion des cel-
sécrétion GLP1 bloque en retour la sécrétion du lules delta est activée par le GLP1 ?
glucagon, ce qui n'est pas le cas du GIP : cette Le GLP1R est aussi bien exprimé dans les pou-
propriété rend le GLP1 doublement intéres- mons, le tissu adipeux, les reins, le cœur, les

▲ Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 265

muscles lisses vasculaires, le système nerveux cifique pour laquelle on connaît un large éven-
périphérique et un certain nombre de noyaux tail de substrats : des facteurs de croissance, des
spécifiques du système nerveux central (hypo- chimiokines, des neuropeptides, et des peptides
thalamus et tronc cérébral). À ce propos, il se vasoactifs. Elle permet ainsi la dégradation du
pourrait qu'une partie des effets physiologiques CXCL12, de l'interleukine 3, de l'érythropoïé-
insulaires du GLP1 endogène soit médiée par tine, du facteur stimulant les colonies de gra-
des voies neuronales ascendantes projetant dans nulocytes et de macrophage, et des incrétines
le système nerveux central, à côté d'une action GLP1 et GIP.
directe du GLP1 circulant sur les GLP1R de cer- Depuis les années 1990, les efforts des chimistes
tains neurones centraux [17, 18, 20]. On pense et pharmacologues ont donc porté sur la mise au
que l'activation des GLP1R dans le cerveau est point de stratégies pour contourner cette fragilité
responsable de la diminution de l'appétit et de naturelle de la molécule de GLP1. Deux types
la prise alimentaire observée après l'administra- de stratégies sont révélés fructueux [17, 18, 20].
tion de GLP1. Le GLP1 réduit la motilité gas- L'une repose sur la découverte d'inhibiteurs
tro-intestinale et freine de façon prononcée la sélectifs de la DPP4, les DDPi encore appelés
vidange gastrique des repas liquides et solides. gliptines. Ce sont de petites molécules hydroso-
Ce phénomène ralentit l'apport de nutriments lubles (donc, administrables par voie orale avant
dans l'intestin grêle à partir de l'estomac ; il est le repas) qui agissent en ralentissant la dégrada-
à l'origine d'une réduction notable des montées tion du GLP1 endogène sécrété au moment du
glycémiques postprandiales. repas, et ce faisant, prolonge son activité insu-
L'effet antihyperglycémiant du GLP1 est-il linosécrétrice (figure 7.11). L'autre repose sur
maintenu chez les diabétiques de type 2 ? Un la création de peptides analogues du GLP1 qui
grand nombre d'études menées à partir des gardent l'effet insulinosécréteur du GLP1 natu-
années 1990 permettent de répondre positive- rel, mais qui ont été rendus résistants à l'action de
ment à cette question qui est bien sûr centrale DDP4i : ces peptides synthétiques (donc admi-
pour proposer le GLP1 comme outil théra- nistrables avant le repas uniquement par injection
peutique. Les effets du GLP1, à la fois insuli- sous-cutanée) activent durablement la sécrétion
notrope et glucagonostatique, sont en effet d'insuline comme le ferait le GLP1 naturel, en
préservés [17, 18, 20]. agissant via les récepteurs du GLP1 présents sur
les cellules bêta. Ce sont tous des agonistes du
Le talon d'Achille du GLP1
récepteur du GLP1 (appelés GLP1-RA).
Il y a cependant un obstacle majeur à l'utilisa-
tion pharmacologique directe de la molécule Les gliptines
de GLP1 naturelle pour réactiver la sécré- Les recherches menées par les grands groupes
tion d'insuline chez les patients diabétiques. pharmaceutiques ont rapidement abouti à la
Le GLP1 naturel est très rapidement dégradé validation de plusieurs DPP4i spécifiques, le
après son injection dans la circulation générale premier de la série étant la sitagliptine (2006).
(demi-vie de la molécule : une à deux minutes). Ces antidiabétiques sont de nos jours très uti-
Sa dégradation est due à une enzyme appelée lisés pour le traitement des diabètes de type 2.
DPP4 (DiPeptidyl Peptidase 4). La DPP4, égale­ L'utilisation des DPP4i chez les patients permet
ment connue sous les appellations ADCP2 de doubler les concentrations de GLP1 : c'est
(Adenosine Deaminase Complexing Protein 2) moins bien que ce qu'on obtient par injection
et CD26 (Cluster of Differentiation 26), est sous-cutanée de GLP1 (ou biosimilaires), mais
très largement exprimée dans beaucoup de tis- suffisant pour obtenir une amplification de la
sus. Elle est très active à la surface des cellules risposte insulinosécrétrice prandiale chez les
hépatiques, intestinales, rénales et pulmonaires. patients. Les études précliniques sur modèles
On la trouve également sur les surfaces capil- animaux diabétiques montrent que l'utilisation
laires et sous une forme soluble dans le plasma. des DPP4i permet aussi d'augmenter la bio-
C'est une exopeptidase qui élimine les dipep- synthèse de l'insuline et de préserver la survie
tides X-proline (où X désigne un acide aminé des cellules bêta résiduelles. Ces derniers effets
variable) à partir de l'extrémité N-terminale du n'ont cependant pas été confirmés dans les
substrat. Il s'agit aussi d'une enzyme peu spé- études cliniques humaines. Les niveaux circu-

266 Physiopathologie du diabète

lants de GLP1 obtenus avec les DPP4i ne sont


sans doute pas suffisants pour obtenir un effet
satiétogène. L'effet des gliptines sur le poids
corporel est en général neutre. Au total, les glip-
tines sont particulièrement efficaces pour obte-
nir une amélioration de l'équilibre ­glycémique
en période prandiale. Leur effet sur l'équilibre
glycémique interprandial est plus modeste : elles
ne modifient pas l'insulinémie basale interpran-
diale car elles sont incapables d'initier l'insuli-
nosécrétion, à la différence des sulfonylurées ;
leur efficacité se borne à la suppression de l'hy-
perglucagonémie interprandiale, ce qui n'est
déjà pas si mal. Figure 7.10. Heloderma suspectum.
Les gliptines sont bien tolérées et n'entraînent
pas d'hypoglycémie. Ils diminuent aussi le
LDL-cholestérol. Elles peuvent être utilisées en Ils diffèrent entre eux par le type de modifi-
monothérapie de première intention lorsque les cation chimique qui assure la protection de
mesures hygiéno-diététiques s'avèrent insuffi- la molécule contre sa dégradation in vivo par
santes. Elles sont souvent prescrites en « add-on » l'enzyme DPP4. Finalement, on peut classer
(multithérapies) de la metformine ou de la pio- les GLP1-RAs en deux catégories : les agonistes
glitazone. Leur efficacité sur la HbA1c est rapide d'action rapide et les agonistes d'action pro-
d'installation, mais elle reste modeste (baisse de longée. Les agonistes d'action rapide (demi-vie
0,7 à 1 %). Leur coût est élevé. Les gliptines ont < 24 heures) doivent être administrés deux fois
des effets secondaires mineurs (urticaire). Reste (exenatide) ou une seule fois (lixisenatide) par
une suspicion sur le risque de pancréatite à long jour : les concentrations de ces agonistes fluc-
terme puisque certaines études cliniques (pas tuent donc notablement durant une journée
toutes) montrent une hyperplasie du pancréas et l'activation des récepteurs GLP1 est donc
exocrine chez certains patients. intermittente. Les agonistes d'action prolongée
(demi-vie > 24 heures) permettent une acti-
Les agonistes du récepteur du GLP1 vation plus stable des récepteurs GLP1. C'est
Les premiers agonistes du récepteur du GLP1 le cas de la préparation d'exenatide combinée
(GLP1-RAs) ont été validés à partir de 2005. à des microsphères biodégradables (demi-vie
Ils miment les effets pléiotropes du GLP1 de 14 jours ; une injection par semaine), du
endogène intestinal. Les GLP1-RAs sont des liraglutide (le squelette GLP1 y est combiné à
analogues du GLP1 modifiés pour devenir un polymère d'acides gras qui permet la fixa-
spécifiquement résistants à la dégradation par tion de l'ensemble sur l'albumine plasmatique,
DPP4. L'exenatide fut le premier analogue ce qui assure la protection contre DPP4 ; demi-
disponible du GLP1 (2005). Il est la version vie de 13 heures ; une injection par jour), du
synthétique de l'exendine-4, un peptide naturel dulaglutide (le squelette GLP1 y est fusionné
isolé des glandes salivaires d'un lézard appelé avec un fragment peptidique d'immunoglobu-
monstre de Gila (Heloderma suspectum) et line G ; demi-vie de 4 jours ; une injection par
dont l'habitat est limité au sud-ouest des États- semaine), de l'albiglutide (le squelette GLP1
Unis (figure 7.10). L'exendine-4 présente 50 % y est fusionné avec un fragment d'albumine ;
d'homologie structurelle avec le GLP1. Dans sa demi-vie de 6 jours ; une injection par semaine).
structure, l'alanine en avant dernière position Administrés par voie sous-cutanée comme
N-terminale est remplacée par la glycine, ce qui l'insuline, les GLP1-RAs miment les effets
lui confère une résistance naturelle à la DPP4 pléiotropes du GLP1 endogène intestinal
(demi-vie de deux à trois heures). (figure 7.11). Les études cliniques montrent
Plusieurs GLP1-RAs sont actuellement auto- que l'efficacité des agonistes d'action rapide sur
risés pour le traitement du diabète de type 2. la HbA1c est nette : baisse de 1 à 1,2 % pour

▲ Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 267

l'exenatide et le lixisenatide. L'efficacité des Au total, l'avènement des GLP1-RAs (injec-


agonistes d'action prolongée sur la HbA1c est tables) constitue un succès industriel et thé-
supérieure à celle des agonistes d'action courte rapeutique majeur dans la pharmacopée du
(baisse de 1,6 % avec exenatide « une fois par diabète de type 2. Ils sont donc en passe de
semaine » contre 0,9 % avec exenatide « deux devenir la classe de médicaments numéro un
fois par jour »). Les GLP1-RAs induisent une pour le traitement du diabète de type 2, à tel
perte de poids significative, et améliorent les point que la Société européenne de cardiologie
NAFL. Cette classe thérapeutique ne provoque recommande qu'ils soient désormais prescrits
pas d'hypoglycémie. Au-delà de leur effet béné- en première intention chez les patients diabé-
fique sur le contrôle de la glycémie, les essais tiques à haut risque cardiovasculaire, détrônant
de sécurité cardiovasculaire ont montré que ces ainsi la metformine. En France, les GLP1-RAs
médicaments avaient également des effets béné- commercialisés sont l'exénatide, le liraglutide,
fiques sur le risque cardiovasculaire et rénal chez le dulaglutide et le sémaglutide. Dernier né de
les patients diabétiques. Un effet secondaire est la famille, le sémaglutide [21] est le premier
la survenue de nausées et de vomissements, peptide à avoir reçu une autorisation euro-
particulièrement au début du traitement. Des péenne de mise sur le marché (2020), pour
incertitudes perdurent quant aux risques de une administration quotidienne par voie orale
pancréatite aiguë et de cancer du pancréas, dans le traitement du diabète de type 2 (nom
même si toutes les études reconnaissent que commercial : Rybelsus). La molécule active est
leur survenue à la suite d'un traitement par identique à celle qui est déjà commercialisée
GLP1-RA est extrêmement rare. Avant d'éta- pour une administration hebdomadaire injec-
blir un lien de causalité, on ne doit pas oublier table par voie sous-cutanée (nom commercial :
que le risque de faire une pancréatite aiguë est Ozempic). Elle est associée dans le sémaglutide,
spontanément (en l'absence de tout traitement à un nouvel excipient qui la protège de la dégra-
par des GLP1-RAs) trois fois plus élevé chez les dation par la pepsine gastrique et permet son
patients diabétiques de type 2 que dans la popu- absorption dans l'estomac.
lation normale.

Appétit Neuroprotection

Vidange gastique

GLP1RA

Cardioprotection
Débit cardiaque

Biosynth insuline
Prolifération cellule β
Apoptose cellule β

Effet insuline Sécrétion de l’insuline


Sécrétion du glucagon

Production de G

Utilisation de G

Figure 7.11. Sites d'action des agonistes du GLP1R (GLP1-RA).


268 Physiopathologie du diabète

Zoom 7.4

néphron

Na+ G

lumière
SGLT2

K+ Na+

GLUT2

K+ Na+

Figure 7.12. Réabsorption du glucose au niveau des tubules rénaux proximaux par SGLT2.

Le rein au secours de glucose filtré augmente, jusqu'à un seuil qui


l'hyperglycémie : les glifozines représente la capacité maximale de réabsorption
du glucose. Au-delà de ce seuil, l'excès de glu-
Rein et glycémie cose filtré est excrété dans les urines. Lorsque
Le glucose plasmatique est librement filtré au le débit de filtration glomérulaire est normal,
niveau du glomérule rénal. Chez l'homme la glycémie au-dessus de laquelle apparaît une
sain, la filtration glomérulaire de glucose est de glycosurie est de 1,70 g/l. Cependant, dans des
180 g/jour. Si le glucose filtré n'était pas réab- situations au cours desquelles la filtration glo-
sorbé, cela constituerait une perte considérable mérulaire est augmentée, comme au cours de la
de glucose (donc d'énergie) pour l'organisme. grossesse, la glycosurie apparaît à des glycémies
Heureusement, il existe un mécanisme physio- plus basses. À l'inverse, dans des situations au
logique qui permet de réabsorber la totalité du cours desquelles la filtration glomérulaire est
glucose filtré, au niveau du tubule proximal du réduite (insuffisance rénale chronique), la gly-
rein indépendamment de l'insuline. La capa- cosurie peut être absente malgré des glycémies
cité du tubule proximal à réabsorber le glucose élevées [22].
augmente au fur et à mesure que la quantité de

▲ Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 269

C'est dans la première partie du tubule proximal 180 g de glucose sont filtrés quotidiennement
que 90 % du glucose sont réabsorbés. Les 10 % et moins de 0,5 g/jour de glucose apparaissent
restants sont réabsorbés dans la partie distale du dans les urines.
tubule proximal. Cette réabsorption est réalisée Chez le diabétique de type 2, le seuil rénal
par des transporteurs de glucose [22–24]. Les de réabsorption du glucose est augmenté
cotransporteurs sodium-glucose (SGLT) sont (2,2 g/l). Cela est clairement néfaste pour le
exprimés sur la membrane apicale des cellules patient diabétique, car l'augmentation de la
rénales, alors que les transporteurs de diffu- capacité du rein à réabsorber le glucose entraîne
sion facilitée (GLUT) sont exprimés sur leur une aggravation de l'hyperglycémie. Cette aug-
membrane basolatérale (figure 7.12)). Il existe mentation de la réabsorption du glucose est liée
six membres dans la famille des cotranspor- à une augmentation de l'expression de SGLT2.
teurs sodium-glucose. Nous n'évoquerons ici La phloridzine est un glycoside naturel isolé
que deux d'entre eux, SGLT1 et SGLT2, qui pour la première fois de l'écorce des pom-
sont exprimés dans le rein. SGLT1 est princi- miers en 1835 [25]. C'est aux chimistes belges,
palement exprimé dans l'intestin, mais égale- Laurent-Guillaume De Koninck (1809–1887)
ment dans les reins. SGLT1 est responsable et Jean-Servais Stas (1813–1891) qu'il faut
de l'absorption intestinale du glucose. SGLT2 attribuer la découverte de la phloridzine. C'est
est principalement, voire uniquement, exprimé Joseph Von Mering (1849–1908) qui mit en
dans les tubules contournés proximaux rénaux. évidence les propriétés glycosuriques de la subs-
Les SGLTs sont des transporteurs dont le fonc- tance, en 1886, à Strasbourg. Les premiers tra-
tionnement implique le déplacement de deux vaux expérimentaux montrèrent que son effet
molécules différentes (sodium et glucose) dans sur la glycosurie était indépendant du pancréas,
la même direction, ce qui en fait un cotrans- du foie et du système nerveux, et que le rein
porteur. Le sodium est transporté dans le sens représentait le point d'impact essentiel de son
du gradient électrochimique. Une concentra- effet biologique. Dans les années 1960, il a été
tion intracellulaire basse de sodium est créée et montré que la phloridzine inhibe le transport
maintenue par la pompe Na+/K+ ATPase, loca- du glucose par les érythrocytes et les cellules du
lisée sur la membrane basolatérale. Le gradient rein et de l'intestin grêle. Dans les années 1980,
électrochimique permet de transporter le glu- des études expérimentales avaient cependant
cose malgré un gradient de concentration défa- fourni la preuve de concept que l'excrétion
vorable (transport actif). Une fois que le glucose rénale du glucose pouvait être utilisée dans
a été concentré dans la cellule épithéliale rénale, le traitement des états diabétiques puisque la
il diffuse en dehors de celle-ci vers le plasma, phloridzine, réduisait efficacement l'hypergly-
dans le sens du gradient de concentration, grâce cémie chez des rongeurs diabétiques [26, 27].
aux transporteurs de diffusion facilitée GLUT2. Notre laboratoire avait d'ailleurs participé à
Il est clair que la réabsorption rénale de glucose cette démonstration. Ce n'est que lorsque les
est le principal mécanisme par lequel le rein gènes de SGLT1 et SGLT2 ont été clonés dans
influence l'homéostasie glucidique. En effet, les les années 1990 que la phloridzine a été iden-
reins réabsorbent 180 g de glucose par jour. tifiée comme puissant inhibiteur compétitif des
Presque tout le glucose pénétrant dans les deux transporteurs. Cependant, cette molécule
glomérules avec les artérioles glomérulaires n'a pas été développée comme antidiabétique,
­afférentes, est filtré dans le liquide néphronique car cet inhibiteur non spécifique, en réduisant
des tubules rénaux proximaux. La majeure par- l'absorption de glucose au niveau intestinal
tie (jusqu'à 90 %) de ce glucose filtré est réab- (SGLT1), créait ainsi une malabsorption de glu-
sorbée dans le segment contourné proximal par cose et de galactose ainsi que de fortes diarrhées.
SGLT2 qui est localisé à la surface luminale des D'autre part, la phloridzine est mal absorbée
cellules tubulaires proximales. Le glucose res- dans l'intestin grêle, et sa demi-vie est courte
tant est réabsorbé un peu plus bas par SGLT1. parce que la molécule est très sensible à l'hydro-
Chez les individus normaux avec une glycémie lyse par les glucosidases intestinales. Des inhibi-
moyenne de 5,5 mM (1 g/l), environ 160 à teurs plus spécifiques ont donc été développés,

270 Physiopathologie du diabète

et les efforts de recherche ont donné naissance associés avec la metformine ou un autre agent
à une classe nouvelle d'antidiabétiques adminis- antihyperglycémiant. Leur efficacité sur la
trables par voie orale : les inhibiteurs sélectifs HbA1c est rapide d'installation (baisse de 0,6
de SGLT2 (SGLT2i, ou glifozines), le premier à 1,2 %). Le gain sur la réduction de la HbA1c
de la classe étant la canaglifozine, approuvée par peut être plus important chez des patients avec
l'EMA (European Medicines Agency) dès 2013. une hyperglycémie sévère mais une fonction
Une seule glifozine (dapaglifozine) est autorisée rénale bien préservée. La plupart des patients
en France depuis seulement 2020. bénéficient d'une perte de poids (2 à 4 kg)
avec une diminution de la masse grasse viscé-
Les inhibiteurs de SGLT2 (ou glifozines)
rale. Une baisse légère de la pression systolique
Les inhibiteurs de SGLT2 diminuent le seuil (3 à 5 mmHg) est obtenue chez les patients
rénal de réabsorption du glucose de 2,2 à hypertendus. Une étude clinique prospective
0,8 g/l (une valeur plus basse que chez les non- récente menée chez des diabétiques de type 2
diabétiques), en bloquant le fonctionnement à forts risques cardiovasculaires suggère que
du transporteur SGLT2 localisé à la surface de les glifozines réduisent le risque de mort pour
l'épithélium tubulaire proximal. La glucosurie cause cardiovasculaire (réduction de 20 %) et
artificielle ainsi créée permet d'éliminer jusqu'à d'insuffisance cardiaque (réduction de 32 %).
30 % du glucose qui a été filtré (50 à 100 g de Ce bénéfice bienvenu ne semble pas explicable
glucose peuvent être ainsi éliminés par jour), par l'amélioration au long cours du contrôle
et d'obtenir une baisse de la glycémie chez le glycémique, puisque cette protection cardiovas­
patient diabétique. À mesure que l'hypergly- culaire s'installe dès les premiers mois du traite­
cémie diminue chez le diabétique, la quantité ment. Il semble aussi être spécifique de cette
de glucose filtrée et la glycosurie diminuent de nouvelle classe médicamenteuse. Enfin, les glifo-
concert, ce qui a pour conséquence d'autolimi- zines diminueraient de 33 % le risque de dialyse,
ter l'inhibition de la réabsorption quand la gly- de transplantation et de décès d'origine rénale,
cémie est proche de la normale. Ce mécanisme et agiraient plus largement comme néphropro-
empêche donc le développement d'une éven- tecteurs vis-à-vis de l'insuffisance rénale aiguë.
tuelle hypoglycémie. L'autre intérêt de ce méca- Dans les effets indésirables, on retiendra que la
nisme antihyperglycémique tient au fait qu'il est glycosurie induite par les SGLT2i augmente le
indépendant de la présence ou non d'insuline : risque d'infections génito-urinaires (mycoses
il fonctionne même en condition d'insulinoré- vulvovaginales, infections des voies urinaires).
sistance et de défaillance complète des cellules Par ailleurs, les glifozines prédisposent à l'aci-
bêta. Il requiert néanmoins que le fonctionne- docétose (voir Zoom 1.2) chez les personnes
ment rénal soit en bon état : la filtration rénale atteintes de diabète de type 2 sans que l'on en
doit être en effet suffisamment importante pour comprenne vraiment la raison. C'est en grande
assurer une glycosurie importante. partie pour cette raison qu'elles ne sont pas
Les SGLT2i peuvent être utilisés en monothé- approuvées pour traiter le diabète de type 1.
rapie chez des patients en échec de mesures Enfin, le coût des SGLT2i est élevé.
hygiéno-diététiques [24, 28]. Ils sont souvent

La piqûre fait de la paration d'insuline à action plus lente (insuline


résistance : 100 ans plus combinée à la protamine) fut introduite en 1936
par Hans Hagedorn (1888–1971) fondateur du
tard, l'insuline reste une star Nordisk Insulin Laboratorium à Copenhague.
L'année suivante apparut l'insuline-protamine-
Pendant les 10 ans qui suivirent sa découverte, zinc, puis en 1946 l'insuline NPH (Neutral
l'insuline était disponible uniquement sous forme Protamine Hagedorn) et en 1952, les insulines
soluble avec une durée d'action courte qui néces- dites « lentes ». Ces insulines de longue durée
sitait de multiples injections journalières avec un d'action étaient attendues par les diabétologues
risque sérieux d'hypoglycémie. La première pré- et leurs patients du fait de leur maniement plus
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 271

facile (une seule injection par jour). Elles furent mais il semble qu'elles entraînent moins d'acci-
souvent critiquées car leur utilisation en routine dents hypoglycémiques.
conduisit souvent à un contrôle glycémique moins Même si des formes d'insuline administrables
satisfaisant que celui obtenu avec les multi-injec- oralement ou par voie nasale ont été/sont éva-
tions journalières de l'insuline soluble à libération luées, jusqu'à ce jour, l'administration d'insuline
immédiate. D'autre part, les insulines lentes favo- se fait par injection sous-cutanée. Du point de
risaient le risque d'hypoglycémies nocturnes non vue du patient, un progrès significatif fut le rem-
détectées par le patient car survenant pendant son placement des seringues en verre et des aiguilles
sommeil. Jusqu'en 1980, même si les méthodes métalliques, par les seringues plastiques jetables
d'extraction et de purification s'étaient considé- équipées d'aiguilles ultrafines, puis les stylos
rablement améliorées, l'insuline provenait exclusi- injecteurs apparus en premier au Royaume-Uni
vement de pancréas non humains (bœuf ou porc). en 1981. En parallèle, les dispositifs portables de
Un nouveau standard de qualité fut atteint perfusion d'insuline (implantables ou non) déve-
lorsque la production de l'insuline, humaine cette loppés à l'initiative de John Pickup à Londres sont
fois-ci, fut obtenue en utilisant les méthodes du devenus disponibles à partir des années 1970, et
génie génétique, toutes nouvelles à l'époque. On sont devenus de plus en plus sophistiqués.
désigne par ce vocable l'ensemble des procédures
et outils permettant de modifier la constitution
génétique d'un organisme en supprimant, en
introduisant ou en remplaçant une partie de son Traiter le diabète de
ADN originel. L'insuline est en effet la première
protéine d'intérêt thérapeutique à être produite type 2 par la chirurgie
de façon industrielle par une technologie uti- (bariatrique)
lisant l'ADN recombinant. Le 24 août 1978, la
compagnie Genentech, entreprise californienne La chirurgie bariatrique, c'est-à-dire le traitement
fondée en 1976 et pionnière dans le domaine chirurgical de l'obésité (du grec baros, poids, et
des biotechnologiques, obtint la première insu- iatros, médecin), a été initialement considérée
line humaine recombinante en réussissant à faire comme un traitement d'exception des obésités
exprimer chez la bactérie Escherichia coli les massives. Il est indiqué quand l'IMC est supérieur
gènes synthétiques codant respectivement pour la à 40. Ce seuil est abaissé à 35 en cas de comorbi-
chaîne A et la chaîne B de l'insuline humaine, puis dités susceptibles d'être améliorées par une perte
à associer chimiquement les deux peptides pro- de poids importante, comme un diabète, une
duits par les bactéries pour obtenir une insuline hypertension artérielle, une apnée du sommeil,
avec la séquence humaine complète. En devenant une stéatose hépatique non alcoolique ou une
en 1982 le premier produit biologique approuvé arthrose invalidante (encore appelée ostéoarthrite,
au monde, l'insuline humaine Genetech (molé- c'est une affection chronique qui se manifeste par
cule revendue depuis à Eli Lilly) devenait le pre- des douleurs persistantes aux articulations). Dans
mier succès OGM (Organisme génétiquement la plupart des pays, les indications de cette chirur-
modifié). Depuis, l'amélioration continue des gie sont précisément définies. En France, la HAS
performances de l'ingénierie génétique a permis (Haute Autorité de Santé) a fait paraître en 2009
d'obtenir de multiples insulines « désignées » qui des recommandations de bonne pratique pour les
sont autant de nouvelles formes moléculaires de adultes et les mineurs, qui concernent les indi-
l'insuline avec des propriétés pharmacologiques cations, le bilan préopératoire, la réalisation des
nouvelles et actuellement largement utilisées : interventions et le suivi postopératoire régulier.
insulines à activité fugace (lispro et aspart), insu- La chirurgie de l'obésité a commencé dans
lines à activité basale soutenue (glargine, detemir, les années 1950 aux États-Unis en réalisant les
degludec). Toutes ces insulines analogues sont premiers courts-circuits de l'intestin grêle [29–
plus coûteuses que l'insuline NPH traditionnelle, 32]. Dans ce type d'intervention, les aliments
272 Physiopathologie du diabète

consommés ne sont que très faiblement digé- de vitesse depuis 2010 en raison de données sur le
rés, la majeure partie de l'intestin étant hors-cir- long terme qui montrent une perte de poids faible
cuit. Les résultats sur le poids de cette pratique et un taux important de réinterventions. Les avan-
étaient très satisfaisants, mais les complications tages de la SG sont multiples : bonne faisabilité,
tardives pouvaient être graves : diarrhée invali- préservation du passage duodénal et minoration
dante, calculs urinaires, déminéralisation osseuse, du risque de carences (calcium, vitamines), perte
insuffisance hépatique, troubles neurologiques ou de poids importante. Les complications posto-
cardiaques. Des modifications techniques ont per- pératoires immédiates de la SG sont plus nom-
mis de diminuer ces effets secondaires, et dans le breuses qu'avec la pose d'un anneau gastrique.
même temps, se sont développées des techniques Pour créer une malabsorption, l'intestin grêle pos-
de réduction du volume gastrique. Vers 1990, la térieur (jéjunum distal + iléon) peut être abouché
mise sur le marché d'anneaux périgastriques ajus- à l'estomac : le duodénum est donc supprimé et
tables et le développement de la cœlioscopie ont les aliments sont directement déversés dans les 50
favorisé la diffusion de la chirurgie bariatrique. à 70 derniers centimètres du segment grêle. Ces
Les interventions de chirurgie bariatrique agissent bypass gastriques (Gastric By Pass, GBP) peuvent
dans ce cas, de deux manières, soit en limitant les être associés à une réduction du volume gastrique
apports alimentaires par une réduction du volume (figure 7.13). On réalise en même temps un mon-
de l'estomac, soit en créant une malabsorption des tage pour que la bile et les sécrétions pancréa-
aliments en court-circuitant un segment du tube tiques, indispensables à l'absorption des aliments,
digestif. Pour réduire le volume de l'estomac, plu- arrivent au niveau des derniers centimètres d'intes-
sieurs interventions sont possibles. tin grêle. La GBP reste l'intervention de référence
Un anneau périgastrique en silicone (Adjustable avec 50 années de recul. À long terme (12 ans),
Gastric Banding, AGB) peut être placé autour de la perte de poids après GBP peut atteindre 35 kg.
la partie supérieure de l'estomac créant un rétré- Dans une cohorte d'obèses initialement diabé-
cissement ajustable de celui-ci (figure 7.13). La tiques, la rémission du diabète est encore pré-
gastrectomie en manchon (Sleeve Gastrectomy, sente chez la moitié des patients 12 ans après la
SG) a le même but et consiste à retirer environ chirurgie. Cependant, le taux de complications
les deux tiers de l'estomac, réduisant celui-ci à un postopératoires immédiates est plus élevé qu'après
tube (figure 7.13). Le choix de l'AGB est en perte SG, et il existe un risque non nul de complications

Poche
Estomac
Poche Gastrique
réséqué
Gastrique

Anneau Estomac Estomac


Gastrique réduit court-
circuité

Canal Jejunum
Biliaire raccordé
à la poche

Boîtier
sous-cutané

SG GBP
AGB

Figure 7.13. Représentation schématique des trois interventions les plus couramment réalisées : anneau gastrique
ajustable (AGB), gastrectomie en manchon ou « sleeve gastrectomy » (SG), dérivation gastro-jéjunale ou « gastric
bypass » (GBP).
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 273

tardives (ulcère, hernie interne, occlusion). Enfin, un autre article intitulé : « Qui aurait pensé qu'une
en raison de l'exclusion du duodénum et du grêle opération est le meilleur traitement du diabète de
proximal, le GBP est associé à un risque non négli- type 2 ? » (« Who would have thought it? an opera-
geable de carences (vitaminiques, sels minéraux, tion proves to be the most effective therapy for adult-
protéines). onset diabetes mellitus »). Dans ce message où le
La chirurgie bariatrique, qui connaît un déve- spectaculaire chirurgical est associé à la générali-
loppement important (20 fois plus d'interventions sation hâtive, des auteurs américains ont proposé
de ce type en France depuis 1997 ; 60 000 inter- dès 2008 d'étendre les indications potentielles à
ventions en 2017), a prouvé son efficacité pour des patients diabètiques de type 2 non franche-
entraîner une perte de poids importante et soute- ment obèses en publiant un article intitulé : « Le
nue [33, 34]. En retour, cette dernière influence diabète de type 2, une maladie intestinale opérable ?
favorablement les facteurs de risque directement une hypothèse provocante pourtant raisonnable »
en relation avec l'excès de masse grasse. Elle a (« Is type 2 diabetes an operable intestine disease?
d'abord un impact positif sur la mortalité globale a provocative yet reasonable hypothesis »). Sur quoi
ainsi que l'ont montré des registres de grande repose tout ce tintamarre ? Par quels mécanismes,
ampleur en Suède ou aux États-Unis (baisse de la chirurgie intestinale permet-elle d'amélio-
40 % de la mortalité 15 ans après la chirurgie). rer l'équilibre glycémique chez le diabétique de
Les résultats sont particulièrement spectacu- type 2 ?
laires chez les patients obèses avec un diabète de Première explication validée par de multiples
type 2 : une rémission du diabète a été rapportée études expérimentales et cliniques [31, 32] :
dans près de 80 % des cas, même si cette propor- l'amélioration métabolique des diabètes de type 2
tion varie selon le type d'intervention chirurgicale. après chirurgie bariatrique est attribuée à l'amai-
Plusieurs études visant à comparer les résultats de grissement obtenu par restriction calorique et à la
la chirurgie bariatrique à ceux de la prise en charge réduction secondaire de l'insulinorésistance. Cette
médicale classique chez des patients obèses (IMC explication est malheureusement insuffisante, car
> 35) avec un diabète de type 2 concordent dans l'amélioration du contrôle glycémique avec les
leurs conclusions : elles montrent que l'amaigris- différentes chirurgies n'est prédite ni par l'IMC
sement et l'amélioration de l'hyperglycémie sont initial ni par la perte de poids obtenue. Cela plaide
nettement plus marqués dans les groupes chirur- donc pour la contribution de mécanismes indé-
gicaux (SG ou GBP) que dans le groupe traité pendants de la perte de poids. La recherche de ces
classiquement. Le taux de rémission du diabète derniers a conduit au cours des années récentes
est également très nettement supérieur avec le à l'identification des mécanismes à l'origine des
traitement chirurgical par comparaison à la thé- effets positifs de la chirurgie sur la satiété et l'ho-
rapie médicale. Au vu de l'ensemble de ces résul- méostasie glycémique, mécanismes qui impliquent
tats, l'American Diabetes Association, un groupe essentiellement les hormones intestinales.
d'experts européens et l'International Diabetes La chirurgie intestinale (SG, GBP) provoque
Federation ont retenu la chirurgie bariatrique un séisme dans la production des hormones intes-
comme une solution thérapeutique pour la prise tinales, puisqu'elle modifie drastiquement l'ana-
en charge du patient diabétique obèse pour autant tomie de différents segments du tube digestif
que l'IMC soit > 35. (estomac, grêle proximal, grêle distal). Les cel-
La notion que le diabète de type 2 est une lules pariétales du fundus de l'estomac sécrètent
maladie « chirurgicale » (ce qui est du charabia…) normalement une hormone, appelée ghréline,
apparaît en 1992 avec un article d'un chirurgien qui stimule la sensation de faim au niveau central.
américain qui montrait que le diabète régressait La chirurgie GBP s'accompagne d'une réduction
après bypass gastrique chez 80 % de ses patients. significative de la sécrétion de ghréline. La chirur-
Sa publication portait un titre volontairement gie SG entraîne une amputation importante de
provocateur : « Is type 2 diabetes mellitus a surgical l'estomac, ce qui conduit à une réduction encore
disease? ». Trois années plus tard, il renchérit avec plus marquée de la sécrétion de ghréline. La
274 Physiopathologie du diabète

chute de la production ghréline contribue donc cipaux bénéficiaires. La stéatose hépatique peut
à la réduction de la prise alimentaire induite par régresser après GBP en liaison avec l'amélioration
SG ou BG (diminution de la sensation de faim). de l'insulinorésistance. Enfin, le GBP modifie la
Cette diminution de ghréline n'est, par contre, flore intestinale, mais il paraît prématuré d'y ratta-
pas observée avec l'anneau gastrique ajustable cher l'amélioration de l'équilibre métabolique en
(efficacité moindre sur la satiété). La chirurgie GB raison des nombreuses inconnues qui pèsent sur le
est une approche qui court-circuite la partie proxi- rôle réel des diverses familles microbiennes dans
male de l'intestin. Diverses études expérimentales l'équilibre métabolique. Les modifications pos-
chez les rongeurs et quelques observations cli- topératoires du microbiote intestinal pourraient
niques ont montré que l'exclusion de la partie également expliquer la régression des manifesta-
proximale de l'intestin (duodénum et partie ini- tions inflammatoires de bas grade rattachées au
tiale du jéjunum) permettait à elle seule d'obtenir déséquilibre de la flore intestinale chez les obèses.
une amélioration glycémique. Il a été postulé que Au final, les nombreuses modifications hor-
des facteurs anti-incrétine (non encore identifiés) monales accompagnant les différentes techniques
étaient sécrétés par la partie proximale de l'intestin de chirurgie intestinale permettent de mieux
et que l'exclusion de celle-ci entraînait une dimi- comprendre les mécanismes impliqués dans la
nution de leur libération, conduisant donc à une perte pondérale et surtout dans les améliorations
potentialisation de l'insulinosécrétion. Plusieurs métaboliques observées, en particulier en ce qui
études ont montré que la dérivation GB augmente concerne l'homéostasie glycémique. Cette meil-
la réponse en GLP1. Il est tout à fait probable leure compréhension a deux conséquences impor-
que le contact direct et plus précoce des aliments tantes. La première est l'apparition de nouvelles
avec l'iléon (occasionné par la dérivation GBP) techniques chirurgicales visant à optimaliser les
entraîne une meilleure stimulation de la sécrétion réponses hormono-métaboliques, plutôt que de
du GLP1 par les cellules L de l'iléon. Cet effet est privilégier l'obtention d'une restriction et/ou
inexistant avec la simple restriction gastrique (SG). d'une malabsorption énergétique. La seconde
Après GBP, la sécrétion postprandiale d'insuline est la proposition récente de traiter les patients
augmente rapidement chez des patients atteints diabétiques de type 2 sans obésité sévère, par ces
de diabète de type 2, et cela indépendamment de nouvelles techniques chirurgicales. Au cours des
la perte pondérale. Certains invoquent la poten- dernières années, des travaux ont en effet rapporté
tialisation par le GLP1, d'autres, un arc réflexe des résultats favorables chez de tels patients avec
partant du jéjunum via le système nerveux cen- un IMC < 35. Avant d'adhérer à ce nouveau para-
tral. Toujours est-il que le fonctionnement global digme, il est indispensable de disposer d'études
des cellules bêta s'améliore après GBP. Plusieurs plus larges, bien contrôlées et couvrant une période
mécanismes sont proposés pour expliquer ce phé- suffisamment longue de façon à pouvoir disposer
nomène. La régression de l'hyperglycémie et de d'une évaluation objective quant au rapport béné-
l'hypertriglycéridémie induite par toutes les tech- fices/risques de ce type d'approche [33, 34].
niques de chirurgie bariatrique contribue certai-
nement à réduire le niveau de glucotoxicité et de
lipotoxicité auxquels sont exposées les cellules
bêta. L'augmentation du nombre de cellules bêta
Remplacer le pancréas
(par prolifération ou réduction de l'apoptose) est défaillant. Greffer un
également évoquée à partir de quelques observa-
tions d'hypoglycémies sévères (rares) survenues pancréas, des îlots ou
après GBP, et par des travaux sur l'animal. Par des cellules bêta ?
ailleurs, la sensibilité tissulaire à l'insuline s'ac-
croît après toutes les interventions de chirurgie Une façon de recréer la boucle fermée physiolo-
bariatrique parallèlement à la perte de poids et de gique liant la fourniture de l'insuline à la glycémie
masse grasse. Le muscle et le foie sont les prin- consiste idéalement à faire une transplantation
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 275

de cellules bêta saines qui vont se substituer aux D'autres tentatives, infructueuses de nouveau,
cellules malades (chaque cellule bêta est à la fois furent répétées dans les années 1916–1924 par
un détecteur de glucose et un producteur d'insu- Frederick Pybus, au Royaume-Uni. Les barrières
line). Chez l'homme, deux procédés permettent immunitaires, inconnues à l'époque, étaient insur-
de rétablir l'asservissement normal de chaque ins- montables, notamment pour une xénogreffe. Il
tant entre glycémie et insulinémie : la greffe de faut attendre les années 1960 pour obtenir un
pancréas total et celle d'îlots pancréatiques isolés. premier succès d'allogreffe pancréatique chez
Ils sont évidemment testés chez des diabétiques l'homme, grâce à l'utilisation des premiers immu-
de type 1. Il existe d'autres stratégies, en cours nosuppresseurs dont l'efficacité vient d'être prou-
d'études et non encore validées pour le traitement vée sur les transplantations rénale et cardiaque.
du diabète de type 1 : il s'agit de la greffe de cel- La première transplantation de pancréas humain
lules souches et de l'activation pharmacologique a été réalisée en 1966 à Minneapolis aux États-
de la régénération in situ des cellules bêta chez Unis. Du 16 décembre 1966 au 31 décembre
le diabétique lui-même. Ces approches restent 2014, plus de 48 000 greffes de pancréas dans le
pour l'heure cantonnée à la recherche expérimen- monde ont été signalées au registre international
tale au domaine préclinique (voir Chapitre 8). des greffes de pancréas, dont plus de 29 000 en
Commençons par faire le point sur le principe des provenance des États-Unis et plus de 19 000 en
greffes de pancréas ou d'îlots, les espoirs légitimes dehors des États-Unis. L'indication principale à
qu'elles suscitent aujourd'hui, mais aussi leurs une greffe de pancréas est l'insuffisance rénale en
limites encore nombreuses. On pourra ensuite phase terminale due à la néphropathie diabétique,
rêver à l'Eldorado de la thérapie régénérative… et elle implique la greffe simultanée rein-pan-
créas. Aujourd'hui, la transplantation de pancréas
montre des résultats non négligeables, avec une
Greffer un pancréas survie du patient et du greffon de 95 et 80 % à un
an, respectivement. L'insulino-indépendance du
humain ou un million patient est de 80 et 70 % environ à un et trois ans
d'îlots humains ? après la greffe. Cependant, le taux global de survie
à dix ans du greffon ne s'est pas sensiblement amé-
C'était déjà le rêve de Frederick Banting de pou- lioré au fil du temps, et reste de l'ordre de 50 %
voir greffer un pancréas sain chez l'homme pour pour les greffes pratiquées entre 1995 et 1999.
traiter son diabète : une option logique sur le L'intervention chirurgicale reste techniquement
principe, puisque le diabète venait d'être classé difficile et s'accompagne d'une certaine morbi-
comme une maladie du pancréas. Le premier essai dité et mortalité (4 %). Après la transplantation,
de transplantation de tissu pancréatique fut en fait les patients ont besoin d'immunosuppression à
tenté vingt ans avant la découverte de l'insuline, vie. Néanmoins, l'excellent contrôle glycémique,
par l'Anglais Watson Williams : le 20 décembre quand il est obtenu, peut entraîner une régression
1893, il greffa en sous-cutané trois fragments de des lésions rénales diabétiques, une stabilisation
pancréas prélevés sur un mouton (xénogreffe) ou une amélioration de la neuropathie, de l'état
chez un enfant de 15 ans souffrant de diabète avec vasculaire et de la rétinopathie. En France, envi-
acidocétose. La xénogreffe (ou xénotransplanta- ron 70 à 100 greffes pancréatiques sont réalisées
tion) désigne la transplantation d'un tissu (gref- par an.
fon) fourni par un donneur appartenant à une À cette même époque (années 1960), des bio-
espèce biologique différente de celle du receveur. logistes mettent au point pour la première fois
Elle s'oppose ainsi à l'allogreffe où le greffon pro- des méthodes qui permettent d'isoler des îlots de
vient de la même espèce que le receveur. Le porc Langerhans à partir du pancréas total chez les ron-
est l'un des animaux donneurs d'organes le plus geurs : méthode microchirurgicale inventée par
approprié pour l'humain, en raison notamment Claes Hellerström (1932–2006) à Uppsala, Suède ;
de sa disponibilité et de la taille de ses organes. méthode enzymatique, plus aisée et standardisable,
276 Physiopathologie du diabète

proche de celui rapporté avec la greffe de pan-


créas [35]. La qualité de vie des patients greffés est
nettement améliorée, et les données sur les com-
plications sont favorables, avec une moindre aggra-
vation des rétinopathies et une stabilisation de la
fonction rénale. Malgré ces succès, la transplanta-
tion d'îlots reste limitée par de nombreux obstacles
avec, entre autres, le manque de donneurs cadavé-
riques, la nécessité de disposer de deux à trois pan-
créas afin de collecter un nombre suffisant d'îlots
pour la transplantation (de l'ordre de 1 million),
les effets adverses du traitement immunosuppres-
seur au long cours, et la survie encore limitée des
Figure 7.14. Paul Lacy (1924–2005). greffons. En pratique, on estime que 10 000 îlots/
kg de poids corporel du receveur doivent être
mise au point par Paul Lacy à Saint-Louis, États- administrés pour obtenir une rémission durable
Unis (figure 7.14). C'est cette dernière méthode du diabète. Les techniques d'encapsulation, qui
qui fut adoptée et qui va permettre de préparer des sont en constante mais lente évolution, pourraient
îlots isolés cette fois-ci à partir de pancréas humain. à terme représenter une solution viable d'implan-
En 1972, Lacy démontra pour la première fois que tation insulaire, en évitant le recours aux proto-
le diabète expérimental pouvait être guéri chez le coles d'immunosuppression. Cette possibilité doit
rat par la greffe d'îlots. néanmoins encore faire ses preuves cliniques. En
Dans les années qui suivirent, les élèves de Lacy France, entre 20 et 50 greffes d'îlots sont actuel-
développèrent la transplantation des îlots humains, lement réalisées chaque année. Ces greffes d'îlots
et en firent une alternative moins invasive à la font encore l'objet d'essais cliniques [36, 37].
greffe de pancréas entier. Cette dernière repose sur
l'injection des îlots dans la veine porte du patient
diabétique (les îlots s'implantant alors dans le Greffer des îlots
parenchyme hépatique) et l'utilisation d'immu- non-humains
nosuppresseurs. La greffe d'îlots s'adresse surtout
aux patients présentant un diabète instable avec des Même si l'amélioration des techniques d'isolement
hypoglycémies sévères et non ressenties, mais qui et de purification du pancréas humain permet
ne sont pas encore parvenus au stade ­d'insuffisance d'espérer de meilleurs rendements avec une plus
rénale. Cette technique a bénéficié et bénéficie grande reproductibilité, le nombre de pancréas
encore régulièrement d'améliorations portant sur humains disponibles constituera toujours une
de la procédure de préparation et la survie des îlots limitation drastique à l'extension des indications
avant greffe. L'utilisation d'un cocktail immuno- de la greffe d'îlots (le nombre de patients diabé-
suppresseur plus adapté, mis au point en 2000 tiques insulinodépendants est d'environ 150 000
par l'équipe de James Shapiro (protocole établi à en France). Il est donc indispensable de recourir
l'université d'Alberta, Canada), a permis en par- à d'autres sources de tissus insulinosécréteurs. La
ticulier de faire un bond qualitatif et a démontré xénogreffe, c'est-à-dire la greffe d'îlots animaux
l'efficacité de ce type de thérapie cellulaire du dia- chez l'homme, est une alternative logique qui
bète. Ces améliorations ont permis d'accroître la permettrait d'envisager une application large de la
proportion de patients toujours insulino-indépen- greffe chez le diabétique insulinodépendant [38,
dants trois ans après la greffe, de 27 % en 2000, à 39]. L'insuline porcine a été longtemps utilisée
44 % en 2010. Pour certaines équipes, 50 % des pour le traitement du diabète insulinodépendant.
patients sont toujours insulino-indépendants cinq La physiologie de l'îlot de porc est relativement
ans après la greffe d'îlots, un rendement qui est proche de celle de l'îlot humain. La technique
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 277

d'isolement d'îlot de porc permet toutefois méable poreuse, qui permet le passage des élé-
d'obtenir des îlots en quantité suffisante dans la ments nutritifs et en particulier du glucose et de
mesure où cette source d'îlots est potentielle- l'insuline. Par contre, les îlots ne sont accessibles
ment illimitée. L'utilisation d'îlots de porcs nou- ni aux cellules immunes intervenant dans les réac-
veau-nés a été proposée, en raison de la meilleure tions de rejet, ni aux anticorps. Il existe plusieurs
capacité des cellules bêta à se multiplier chez le déclinaisons technologiques de l'idée. Chaque
nouveau-né. Un essai pilote a même été conduit version représente une forme de pancréas bioar-
avec des îlots de porcs fœtaux transplantés chez tificiel. Dans la microencapsulation, des capsules
quelques patients diabétiques de type 1 recevant de diamètre d'environ 300 microns entourent
déjà un traitement immunosuppresseur pour une chacune un à deux îlots. Ces capsules sont le plus
greffe de rein antérieure : il a validé la faisabilité de souvent composées de polymères (alginate et poly-
la démarche, sans toutefois montrer de bénéfice lysine). Un essai chez des singes spontanément
clinique. Le plus grand obstacle à l'évolution de diabétiques traités avec des îlots porcins contenus
cette technique reste le risque de transmission de dans des microcapsules et implantés dans la cavité
zoonose. En effet il a été démontré en culture cel- péritonéale a permis une normalisation des glycé-
lulaire que des virus présents chez le porc étaient mies chez les animaux diabétiques, en l'absence de
capables d'infecter certaines cellules humaines. La traitement immunosuppresseur, pour une durée
prise en compte justifiée de ce risque a conduit à de plus de deux ans pour certains. En dépit de
l'interdiction de toute xénogreffe chez l'homme quelques résultats cliniques prometteurs, plusieurs
en Grande-Bretagne, en l'état actuel des connais- questions restent sans réponse : la biocompatibi-
sances. Aucune législation concernant la xéno- lité de la capsule à long terme, la possibilité d'in-
greffe n'existe encore en France. duire une réaction inflammatoire non spécifique
initiée par les débris du matériel implanté dans la
cavité péritonéale. En cas de problème, l'impossi-
Encapsuler le greffon bilité de retirer ces centaines de milliers de micro-
capsules nécessaires à la correction d'un diabète,
En plus de leurs effets secondaires (favoriser les rend actuellement difficile d'envisager l'utilisation
infections virales, les lymphomes), les traitements à large échelle de ce concept chez l'homme. Dans
immunosuppresseurs actuels ne semblent pas la macroencapsulation extravasculaire, des macro-
pouvoir empêcher dans 100 % des cas le rejet du capsules, d'une taille de plusieurs centimètres,
tissu greffé (pancréas, îlots) et/ou la récidive de en forme de fibre creuse ou d'enveloppe plane,
la destruction du tissu greffé par la maladie dia- entourant les îlots, peuvent être implantées dans
bétique auto-immune. L'absence d'un marqueur différents sites de l'organisme. Un des avantages
spécifique permettant la détection précoce des potentiels est la possibilité de pouvoir retirer ces
épisodes de rejet ne fait que compliquer le pro- pancréas bioartificiels au moindre problème. Dès
blème. Quand la glycémie s'élève à nouveau, n'im- 1994 a été démontrée la survie d'îlots humains
porte quel traitement antirejet est voué à l'échec encapsulés à l'intérieur d'une fibre creuse et
puisque l'hyperglycémie traduit déjà la destruction implantés pendant quinze jours dans le tissu
de l'ensemble des îlots. Pour toutes ces raisons, il sous-cutané de diabétiques insulinodépendants
est crucial d'inventer de nouvelles modalités de en l'absence de traitement immunosuppresseur.
prévention du rejet et de la récurrence de l'auto- Comme pour les microcapsules, les problèmes de
immunité diabétique. L'encapsulation du greffon biocompatibilité ne sont pas résolus. Se pose égale­
est une réponse possible puisqu'elle permet théo- ment la difficulté de survie des îlots à long terme
riquement de soustraire le greffon à l'influence du pour ceux situés au milieu du pancréas bioartificiel
système immunitaire : c'est l'idée de l'isolation extravasculaire et le plus souvent implantés dans la
immunologique [38, 39]. Ce concept d'immuno- cavité péritonéale. En effet, l'apport en oxygène
isolation est né il y a plus de cinquante ans. Il est et en nutriments est fortement réduit à ce niveau,
fondé sur l'utilisation d'une membrane semi-per- conduisant à la nécrose du tissu au cœur des îlots.
278 Physiopathologie du diabète

Enfin, la longueur totale de fibres à implanter embryonnaires. Les cellules souches embryon-
pour guérir un diabétique de type 1 est probable- naires sont présentes lors des premiers stades du
ment de plusieurs mètres, ce qui ne manquerait développement de l'embryon. Elles sont immor-
pas de poser des problèmes. Des systèmes plans, telles et se cultivent à l'infini. Toutefois leur
plus adaptés pour l'homme, sont actuellement à obtention passe par la destruction d'un embryon
l'étude. Dans la macroencapsulation vasculari- surnuméraire, obtenu dans le cadre d'une pro-
sée, les îlots sont contenus à l'extérieur de fibres création médicalement assistée : cela soulève un
creuses à travers lesquelles circule le sang du rece- problème éthique. En France, l'utilisation de
veur. Cette technique nécessite la connexion de ces cellules en recherche est soumise à la loi de
ces fibres à une artère à une extrémité, à une veine bioéthique, qui permet la réalisation de travaux
à l'autre extrémité. Ce système a permis d'obte- à visée thérapeutique pour des maladies graves
nir une normalisation glycémique chez des chiens incurables sans traitements, après autorisation de
rendus diabétiques et recevant une greffe d'îlots l'Agence de la biomédecine.
canins macroencapsulés, en l'absence de traite- Les premières lignées de cellules souches
ment immunosuppresseur pendant une période embryonnaires humaines et appelées cellules ES
dépassant une année. Néanmoins, cette stratégie (ESC, pour Embryonic Stem Cells) ont été géné-
nécessite de pratiquer un traitement anticoagulant rées à la fin du siècle dernier à partir du blastocyste
pour éviter la survenue de thromboses. Elle reste (stade précoce de l'embryon avant son implanta-
difficile à mettre en œuvre chez le diabétique et tion), et les biologistes ont montré que ces cel-
les études cliniques restent rares, malgré des don- lules étaient pluripotentes. Le blastocyste (du grec
nées précliniques probantes. blastos, germe, et kystis, vessie) est un stade du
développement embryonnaire précoce des mam-
mifères, au cours duquel coexistent les cellules
Greffer des cellules périphériques, appelées cellules du trophecto-
derme (ou trophoblaste) à l'origine des structures
bêta humaines neuves extra-embryonnaires comme le placenta ou le
fabriquées au laboratoire cordon ombilical, et des cellules de la masse
interne, qui forment le bouton embryonnaire et
Cette idée de transplanter des cellules bêta pro- donnent naissance à l'embryon proprement dit
duites à volonté au laboratoire pour guérir les et à quelques annexes embryonnaires. Entre la
diabétiques pourrait paraitre naïve et hors du masse cellulaire interne et le trophectoderme se
champ des possibles, car elle soulève un formi- forme une cavité, le blastocèle. Les cellules de
dable défi biotechnologique : comment fabri- la masse interne (une centaine) sont les cellules
quer des ­cellules bêta fonctionnelles en nombre souches embryonnaires, qui peuvent maintenir
­suffisant pour p­ ouvoir être utilisée en biothé- leur pluripotence et ainsi produire, lors de leur
rapie du diabète ? Force est d'admettre qu'on différenciation, n'importe quel type cellulaire, y
est actuellement en train de passer du rêve à la compris les cellules germinales. Les cellules ES se
réalité, avec la découverte et l'exploration des distinguent par leur capacité à se propager dans un
cellules souches pluripotentes et les progrès réa- état indifférencié, et aussi de se différencier dans
lisés par les biologistes dans la connaissance des tous les types (plus de 200 différents) de cellules
processus fondamentaux de la différenciation qui composent notre corps, ce qui signifie qu'elles
cellulaire depuis une vingtaine d'années. Des ont un énorme potentiel thérapeutique. La faisa-
cellules souches sont naturellement présentes bilité de cette option technique (maîtriser le pas-
chez l'embryon et dans certains organes ou tis- sage à la cellule différenciée) est bien démontrée
sus adultes. Certaines cellules souches sont dites dans le cas de la production de cellules cutanées
pluripotentes car elles peuvent se différencier en utilisées dans les greffes de peau artificielle. Un
n'importe quel type de cellules de l'organisme, des grands défis actuels pour les biologistes est
sans restriction. C'est le cas des cellules souches donc de trouver les conditions pour que ces cel-
Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 279

lules ES puissent se différencier en cellules bêta ne s'agit pas là de la première application clinique
in vitro. Cependant, la même plasticité qui permet des cellules ES puisque ces cellules ont déjà été
à ces cellules souches pour générer des centaines employées chez des patients atteints de dystrophie
de types de cellules différents les rend également ou de dégénérescence maculaire. L'enthousiasme
difficile à contrôler, ce qui soulève des considé- généré par ces études a été cependant tempéré par
rations de sécurité lorsqu'il s'agit de développer la démonstration de la propension des cellules ES
un produit cellulaire dérivé de cellules souches. à former des tératomes par prolifération incon-
Pour profiter pleinement du potentiel des cellules trôlée des populations cellulaires indifférenciées.
souches, il est essentiel d'être capable de contrôler Les tératomes sont des tumeurs qui peuvent être
avec précision leur différenciation. Des années de bénignes ou malignes. Ces tumeurs sont dites
recherche fondamentale sur les voies et les signaux germinales car elles se développent à partir des
qui déterminent le destin des cellules ont rendu cellules germinales primordiales. On remarquera
la tâche plus facile. Heureusement, les voies de aussi que l'implantation chez un diabétique des
développement sont très conservées et les méca- cellules bêta néoformées in vitro impose toujours
nismes qui régulent chez l'homme la différencia- l'utilisation des immunosuppresseurs à vie. Or,
tion cellulaire sont similaires à celles qui régulent comme déjà évoqué à propos des allogreffes tissu-
ces processus dans d'autres organismes. Au pas- laires (îlots ou pancréas), les médicaments immu-
sage, on a là (une fois de plus) la démonstration nosuppresseurs ont certains effets secondaires
magistrale de l'absolue nécessité de la recherche néfastes (néphrotoxicité, hypertension, augmen-
amont (donc, fondamentale) pour innover dans tation du risque de développer des tumeurs et des
les thérapeutiques médicales. infections opportunistes). L'utilisation des cellules
Au début des années 2000 sont apparues les ES est aussi confrontée à d'autres difficultés : bar-
premières données suggérant que des cellules rières éthiques à la généralisation de l'utilisation
productrices d'insuline pouvaient être obtenues d'embryons humains (variable selon les pays),
in vitro à partir de cellules ES. Il a fallu attendre manque de reproductibilité des protocoles de
une dizaine d'années pour prouver que la fabri- différenciation de lignées cellulaires ES, obten-
cation en nombre de telles cellules à partir des tion de phénotypes divergents (en l'occurrence,
cellules ES humaines était réaliste, et que ces hépatocytaires) lors de la différenciation. D'où la
cellules avaient la capacité de corriger le diabète recherche de solutions alternatives permettant de
préexistant chez des souris. Le travail fourni par s'affranchir de ces limites.
les compagnies de biotechnologie investies sur ce Dans une telle perspective, un autre type de
sujet joue un rôle déterminant dans ces avancées. cellules souches pluripotentes, dites induites et
On peut citer celui de la société californienne appelées iPS (iPSC, pour induced Pluripotent Stem
ViaCyte. Le champ d'application en diabétologie Cells) apparaît plus séduisant. Les cellules souches
des cellules ES a été valorisé par la publication pluripotentes induites (iPS) sont des cellules
en 2014 de deux études démontrant qu'il était adultes ramenées expérimentalement à l'état quasi
possible d'améliorer les caractéristiques fonction- embryonnaire. L'histoire commence en 2006,
nelles des cellules « simili-bêta » obtenues à partir lorsque Shinya Yamanaka et son équipe de l'uni-
des cellules ES (en particulier leur capacité à sécré- versité de Kyoto, Japon, annoncent avoir réussi
ter de l'insuline en réponse au glucose, propriété à reprogrammer des cellules de souris adultes en
jusque-là manquante). En parallèle à ces études cellules iPS, en leur faisant de nouveau exprimer
précliniques confirmant aussi le potentiel des quatre gènes (normalement inactifs dans les cel-
cellules ES pour la thérapie cellulaire du diabète, lules adultes). Cette manipulation génétique vali-
les premières études cliniques ont été lancées, au dée d'abord chez la souris, puis chez l'homme,
cours desquelles des patients diabétiques de type 1 offre la capacité de produire n'importe quel genre
reçoivent un implant sous-cutané constitué de cel- de cellules (pluripotence). Sa découverte a valu
lules « simili-bêta » dérivées des ES et condition- à Yamanaka le prix Nobel de médecine en 2012.
nées dans un système de macroencapsulation. Il En 2017, la Japonaise Masayo Takahashi réalise le
280 Physiopathologie du diabète

tout premier essai clinique avec des cellules iPS, Références


pour traiter une des formes de la dégénérescence [1] Westlund K. Incidence of diabetes mellitus in
maculaire liée à l'âge (DMLA), cause de cécité. Oslo, Norway 1925 to 1954. Br J Prev Soc Med
Elle implante dans l'oeil d'une patiente âgée un 1966 ;20(3):105–16.
film de cellules créées à partir de cellules iPS, elles- [2] ANSES. INCA 3 : évolution des habitudes et modes
mêmes issues de cellules adultes de la peau du bras de consommation, de nouveaux enjeux en matière
de sécurité sanitaire et de nutrition. 12 juillet 2017.
de ce même patient. Les cellules iPS offrent dès Disponible sur : www.anses.fr/fr/content/inca-
lors une alternative à l'utilisation des cellules ES. 3-evolution-des-habitudes-et-modes-de-consomma-
Il s'agit ici d'utiliser des cellules qui proviennent tion-de-nouveaux-enjeux-en-matière-de.
du patient lui-même (fibroblastes de la peau). [3] ANSES. Alimentation et nutrition humaine.
Ces cellules, après manipulation in vitro desti- Disponible sur : www.anses.fr/fr/thematique/
alimentation-et-nutrition-humaine.
née à induire leur différenciation (reprogramma- [4] Schlienger JL, Monnier L. L'histoire « mouvemen-
tion) seront réimplantées ultérieurement chez le tée » du régime des personnes diabétiques. Med Mal
patient. Les cellules n'étant pas rejetées par le sys- Metab 2019 ;13(2):217–24.
tème immunitaire, cette stratégie permet donc de [5] Schlienger JL, Monnier L, Colette C. Histoire de
s'affranchir de tout traitement immunosuppres- l'alimentation méditerranéenne. Med Mal Metab
2014 ;8(4):455–62.
seur et de son cortège d'inconvénients. Dans le cas [6] Schlienger JL. Revue critique des régimes amaigris-
des cellules bêta, Douglas Melton et son équipe à sants populaires. Med Mal Metab 2015 ;9(5):514–20.
Harvard, aux États-Unis, ont réussi à reprogram- [7] Longo V. Le régime de longévité. Arles: Actes Sud ;
mer des fibroblastes de la peau d'un patient diabé- 2018.
tique en cellules iPS. Après une période de culture [8] Bauduceau B, Bordier L. Les régimes hypogluci-
diques (« low-carb ») : beaucoup de bruit pour une
dans des conditions appropriées, les cellules iPS vieille recette. Med Mal Metab 2020 ;14(2):136–40.
peuvent se différencier en cellules productrices [9] Sinding C. L'invention de l'insuline, entre physiolo-
d'insuline. Il faut souligner toutefois que ces cel- gie, clinique et industrie pharmaceutique. Med Sci
lules « simili-bêta » ne sécrètent de l'insuline qu'en (Paris) 2001 ;17(11):1176–81.
présence de concentrations extraphysiologiques [10] Jones P, Persaud S, Holt RIG, Cockram CS, Flyvbjerg
A, Goldstein BJ. Islet function and insulin secretion.
de glucose. Cette approche est donc encoura- In: Textbook of diabetes. 5e éd. Hoboken: John
geante, mais doit encore être améliorée [39–41]. Wiley & Sons Ltd ; 2017. p. 87–102.
L'utilisation des iPS n'est cependant pas forcé- [11] Lazdunski M. Les canaux potassiques sensibles à
ment indemne de la survenue d'éventuels effets I'ATP ou les suites imprévues de l'étude des sulfamides
non désirés. Les iPS pourraient conserver en effet hypoglycémiants. Med Sci (Paris) 1990 ;6(3):279–85.
[12] Hattersley AT, Ashcroft FM. Activating mutations in
des traces de la mémoire épigénétique des cel- Kir6.2 and neonatal diabetes : new clinical syndromes,
lules adultes spécialisées dont elles proviennent, et new scientific insights, and new therapy. Diabetes
elles subissent, dans certains cas, un vieillissement 2005 ;54(9):2503–13.
­accéléré. Enfin, le risque d'induction de mutations [13] Blicklé JF. Le parcours accidenté de la metfor-
et d'activation d'oncogènes lors du processus de mine : de l'ombre à la lumière ! Med Mal Metab
2012 ;6(4):358–62.
reprogrammation des cellules reste une menace [14] Foretz M, Viollet B. Les nouvelles promesses de
majeure. Les oncogènes (du grec onkos, masse, la metformine. Vers une meilleure compréhen-
et génos, naissance) sont une catégorie de gènes sion de ses mécanismes d'action. Med Sci (Paris)
dont l'expression favorise la survenue de cancers. 2014 ;30(1):82–9.
Ils commandent la synthèse d'oncoprotéines, pro- [15] Vancura A, Bu P, Bhagwat M, Zeng J, Vancurova I.
Metformin as an anticancer agent. Trends Pharmacol
téines stimulant la division cellulaire ou inhibant Sci 2018 ;39(10):867–78.
la mort cellulaire programmée (apoptose). Il n'en [16] Bernard C. Introduction à l'étude de la méde-
demeure pas moins que les cellules souches pluri- cine expérimentale. Paris: JB Baillière et fils ;
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Chapitre 7. Riposter à la maladie : comment ? 281

[18] Drucker DJ. Mechanisms of action and therapeutic [30] Schlienger JL. De la chirurgie bariatrique à la chirur-
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incrétines, facteurs de survie et de croissance pour les [31] Douros JD, Tong J, D'Alessio DA. The effects of baria-
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Chapitre 8
Les nouvelles armes
pour le diabétique du futur

Le pancréas artificiel, adaptation fréquente des doses d'insuline en


fonction des résultats de mesures glycémiques et
ou quand la high tech de la recherche de glucose dans l'urine. À court
terme, les accidents hypoglycémiques peuvent
permet de singer le représenter une entrave à une vie sociale et pro-
vivant fessionnelle normale ; à long terme, les épisodes
d'hyperglycémie sont responsables de la surve-
nue de complications sévères. On comprend que
Le mot « technologie » est aujourd'hui utilisé à le développement de systèmes d'administration
tort et à travers, sans qu'on perçoive exactement sa d'insuline dits en « boucle fermée », dans lesquels
signification. Pour certains, il désigne les applications l'insuline serait délivrée d'une manière automati-
de la science ; pour d'autres, il se confond avec l'ac- quement régulée par la glycémie, puisse consti-
tivité des ingénieurs, c'est-à-dire le développement. tuer un progrès décisif dans le traitement du
Sur ce sujet, je rejoins l'avis de Claude Allègre [1] diabète [2].
qui considère qu'il y a d'une part les sciences de Pendant les 40 années qui ont suivi la décou-
la nature (parmi lesquelles la physique) qui sont verte historique de l'insuline en 1921, le seul outil
destinées à en découvrir et expliquer les lois, et technologique pour traiter les diabétiques du dia-
d'autre part la technologie, qui consiste à fabri- bète a été la seringue utilisée pour injecter l'insu-
quer des objets, puis à en étudier les propriétés. line. Au début des années 1960 arrive la pompe
Ainsi, on peut faire de la recherche fondamentale mobile à perfusion intraveineuse d'insuline. Les
en technologie. Celui qui travaille à construire un premiers systèmes de contrôle de la glycémie
nouveau langage pour tel type d'ordinateur fait (appelés capteurs de glycémie) sont conçus dans
une recherche qui peut se révéler très fondamen- les années 1970. Les patients ont alors pris l'habi-
tale et, par exemple, transférable à la biologie pour tude de se piquer le bout du doigt pour connaître
décoder l'ADN. Des pans entiers de la science leur glycémie. Un geste effectué au moins 6 fois
résultent de recherches technologiques. par jour par ceux qui ont besoin des injections
Le traitement actuel, qui vise à remplacer l'in- pluriquotidiennes d'insuline. Depuis une dizaine
sulinosécrétion défaillante par l'administration d'années, leur vie a été transformée grâce à la mise
exogène d'insuline (par multi-injections, ou par au point d'un capteur placé sous la peau. Il suffit
perfusion continue au moyen d'une pompe) est de passer dessus un scanner pour avoir une estima-
imparfait. En effet, à la différence de l'insulino- tion de la glycémie et adapter la dose d'insuline.
sécrétion endogène physiologique, cette adminis- Un acte indolore et répétable à l'envi. Les pompes
tration d'insuline n'est pas régulée en permanence à perfusion d'insuline, sous-cutanée cette fois, ont
par la glycémie concomitante. Il est donc difficile été commercialisées dans les années 1980. De nos
d'éviter la survenue de pics hyperglycémiques ou jours, des milliers de diabétiques de type 1 dans
d'épisodes hypoglycémiques, même au prix d'une le monde sont ainsi équipés de deux dispositifs :
Physiopathologie du diabète
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284 Physiopathologie du diabète

un capteur implanté sous la peau qui mesure en Bergman, et qui a été le premier à représenter le
temps réel la glycémie et une pompe à insuline qui réseau de contrôle du glucose-insuline en termes
délivre des doses ajustables grâce à un fin tuyau mathématiques formels [3]. Dans un premier
lui aussi introduit sous la peau ; en fonction des temps, l'interface intelligente entre le lecteur et
informations fournies par le capteur, les patients la pompe a été assurée par un microordinateur
ajustent eux-mêmes les doses d'insuline délivrées portable, mais l'ensemble restait trop encom-
par leur pompe, en particulier pour avoir une brant pour être réellement ambulatoire. L'arrivée
quantité supplémentaire (bolus) d'insuline avant sur le marché grand public des smartphones a
chaque repas. changé la donne. Il est désormais possible d'y
L'idée d'asservir le fonctionnement de la pompe installer un module de contrôle, qui est censé
à insuline au capteur de glycémie pour réaliser un remplacer la réflexion thérapeutique du patient
pancréas artificiel n'est pas récente puisque dès diabétique. Les différents éléments, capteur,
1977, elle débouche sur la mise à point aux États- pompe et téléphone, communiquent par blue-
Unis du Biostator, le premier pancréas artificiel tooth (figure 8.1).
commercial. Ce grand appareil (de la taille d'un En diabétologie comme dans bien d'autres
réfrigérateur) ne permettait guère de quitter la domaines, la miniaturisation, l'électronique et l'in-
chambre de l'hôpital. Mais il fut largement uti- formatique font des prodiges. Malheureusement,
lisé pour la recherche clinique sur le contrôle de la rien n'est jamais parfait : la version actuelle du pan-
glycémie, et permit de valider la faisabilité d'une créas artificiel a encore des limites. L'automatisation
régulation externe de la glycémie d'un patient dia- est incomplète. Le patient doit intervenir avant
bétique, en couplant la mesure en continu de la
glycémie intraveineuse à la possibilité de perfuser
de l'insuline selon un débit approprié à la valeur de
la glycémie. Aujourd'hui, les pompes à insuline de
dernière génération contiennent des algorithmes
et reçoivent les informations du capteur : ceci leur
1
permet d'ajuster automatiquement leur débit en 3
fonction de la glycémie et de la prédiction de son
évolution dans les heures à venir.
Toute la difficulté de la mise au point du 2
­pancréas artificiel tient aux difficultés multiples
rencontrées pour développer des technologies
nouvelles appropriées : mesure en continu de la
glycémie en continu, perfusion sous-cutanée en
continu d'insuline et de glucose, construction
d'algorithmes rendant possible l'ajustement à
chaque instant de la quantité d'insuline à perfu- Figure 8.1. Un pancréas artificiel autonome.
ser à la valeur de la glycémie, système de com- Le système de capteur transmetteur (1) mesure en continu
le taux de glucose, par l'intermédiaire d'une aiguille souple
munication à distance entre le capteur de glucose insérée sous la peau. C'est l'équivalent des contrôles au
et la pompe, miniaturisation du capteur et de la bout du doigt qu'effectuent habituellement les diabétiques.
pompe. On imaginera aisément que l'un des obs- Les données sont transmises par un système sans fil au
tacles majeurs à surmonter a été (est toujours) smartphone (contrôleur). Le smartphone (2) permet au
patient de visualiser son niveau de glycémie instantané et
la mise au point d'algorithmes qui reposent tous son évolution sur une période plus longue. En pressant sur
sur la nécessité de disposer d'une modélisation une touche, l'utilisateur entre des données sur ses activités
mathématique fiable du métabolisme glucidique (repas, prise de sucre, exercice physique). La pompe (3)
humain. Ils dérivent tous d'un modèle appelé est fixée par un système adhésif et délivre l'hormone sous
la peau à la dose calculée par le contrôleur. Elle contient
modèle minimal de cinétique du glucose pro- le système de perfusion et le réservoir à insuline que le
posé en 1979 par le chercheur américain Richard patient remplit avant de mettre la pompe en fonction.
Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 285

chaque repas, en indiquant la quantité de glucides ties du corps à se réparer tout seul. Prométhée,
qu'il prévoit d'ingérer afin que le programme attaché sur un rocher pour avoir donné le feu aux
calcule la bonne dose d'insuline. Cette interven- hommes, voyait chaque jour son foie dévoré en
tion est nécessaire car l'insuline est injectée dans partie par un aigle. Lequel foie se régénérait le jour
le liquide interstitiel où baignent les cellules, et suivant pour que la litanie de la punition s'accom-
non dans le sang directement, comme c'est le cas plisse. Si les anciens avaient choisi le foie plutôt
naturellement avec le pancréas. Du coup, il faut que d'autres organes pour illustrer le mythe, c'est
quelques dizaines de minutes avant que l'insuline parce qu'ils savaient le foie capable de se régénérer
agisse réellement sur la glycémie, et donc que son en grande partie.
effet soit perçu par le capteur de glycémie. La mise La question d'une restauration thérapeutique
au point d'une insuline qui agit plus rapidement de la population des cellules bêta est évidemment
devrait permettre au pancréas artificiel d'être plus cruciale pour les diabétiques de type 1 (popu-
autonome. On parle donc pour l'heure, de sys- lation résiduelle réduite à 1 % de sa valeur nor-
tème hybride, par opposition à un système 100 % male). Elle se pose aussi chez les diabétiques de
automatique qui reste à mettre au point. La firme type 2. Contrairement au dogme en vigueur il y
américaine Medtronic a conçu en 2017 le premier a encore une dizaine d'années, les diabétologues
système hybride comportant une pompe renfer- reconnaissent maintenant que le nombre total de
mant elle-même le programme informatique (plus cellules bêta est déficitaire au cours du diabète
besoin de smartphone ou de tablette pour faire le de type 2 : on admet qu'il est réduit de moitié.
lien entre pompe et capteur). Ces systèmes en cir- Le remplacement des cellules bêta manquantes
cuit fermé sont considérés comme des dispositifs constitue donc une réponse thérapeutique
médicaux par la législation sanitaire française. Il potentielle pour rétablir la production endogène
faut bien réaliser néanmoins que le pancréas artifi- d'insuline chez ces patients qui sont de très loin
ciel n'est pas au diabétique ce qu'est le cœur arti- encore plus nombreux que les diabétiques de
ficiel pour les insuffisants cardiaques. Ce n'est pas type 1 (90 % de tous les diabètes). On a déjà évo-
un appareil que l'on va implanter dans le corps des qué les limites de la thérapie de remplacement
diabétiques et qui va faire automatiquement ce que tissulaire par la greffe d'îlots chez les diabétiques
le pancréas aurait fait si les cellules bêta n'avaient de type 1 (voir Chapitre 7 – Remplacer le pan-
pas été détruites. Seules les greffes de pancréas ou créas défaillant). Elle s'accompagne obligatoire-
d'îlots (voir Chapitre 7 – Remplacer le pancréas ment d'un traitement immunosuppresseur aux
défaillant) permettent de reproduire le fonctionne- effets quelquefois toxiques. De toute façon, le
ment d'un pancréas normal et de réguler parfaite- potentiel de ce type de traitement pour le dia-
ment au long cours et sans intervention extérieure bète de type 1 est de facto très limité, puisque
la glycémie de tout diabétique. le nombre de donneurs d'îlots humains est très
largement insuffisant pour couvrir la demande.
Dans ces conditions, il est évidemment irréaliste
de l'envisager aujourd'hui pour les diabétiques
de type 2.
Maîtriser la régénération Il existe de multiples situations pathologiques
des cellules bêta illustrant la possibilité pour un patient de régé-
nérer in situ (in vivo donc) certaines cellules au
sein d'un tissu initialement lésé. Ainsi, il a été
Entre l'espoir d'immortalité et la fatalité de la montré récemment qu'au cours de l'infarctus du
mortalité, l'humain a de tout temps cherché à myocarde, des cellules souches présentes dans la
contrer le vieillissement et la défectuosité de par- moelle osseuse sont mobilisées et migrent via la
ties fonctionnelles de son corps. Ainsi, le mythe circulation générale pour aller se différencier en
de Prométhée montre que les Grecs anciens cellules myocardiques au niveau de l'infarct. Cette
connaissaient déjà la potentialité de certaines par- régénération de cellules du muscle c­ardiaque
286 Physiopathologie du diabète

a­méliore fortement le pronostic clinique du insuliniques tout au long de la vie adulte. Jusqu'à
patient et elle peut être amplifiée par l'adminis- un passé récent, la population bêta était considé-
tration in vivo de certains facteurs de croissance. rée comme un élément peu susceptible de varia-
Appliquée au pancréas, ce type d'approche basée tions chez l'adulte, du fait de la faible capacité de
sur l'obtention d'une régénération bêta in vivo prolifération de ces cellules, comparée à celle du
pourrait avoir une application universelle à tous nouveau-né. Des données essentiellement expéri-
les types de diabète : en effet, elle est éthique- mentales obtenues chez les rongeurs de laboratoire
ment acceptable ; elle pourrait avoir peu d'effets ont bouleversé ce point de vue, et à présent tout
secondaires ; elle pourrait être peu coûteuse. le monde s'accorde sur l'existence chez l'adulte
Dans les faits, qu'en est-il réellement ? Grâce aux d'une plasticité non négligeable de la population
nombreux travaux fondamentaux menés depuis bêta. La plasticité de la population bêta se définit
plus de cinquante ans en particulier par des bio- comme sa capacité à s'adapter spontanément (en
logistes du développement, on peut commencer à augmentant ou en diminuant le nombre total des
répondre aux questions cruciales suivantes : le tissu cellules) aux modifications de la demande insuli-
pancréatique est-il capable de régénérer ? Comment nique, tout ceci pour garantir in fine un contrôle
forcer l'organisme à régénérer in situ des cellules optimal de la régulation glycémique. Cette plasti-
bêta chez un diabétique ? Cette stratégie corrige- cité physiologique se traduit par exemple, par une
t-elle le diabète ? augmentation de la population de cellules bêta à
chaque gestation, avec le retour à la normale lors
de la lactation qui suit. Évidemment, cette capa-
La population de cellules cité d'adaptation a des limites finies, et lorsque
bêta est physiologiquement les bornes extrêmes sont atteintes, la rupture de
plastique l'équilibre qui en résulte se traduit par un déficit
plus ou moins important du nombre des cellules
Les cellules bêta comme les cellules exocrines (qui bêta : c'est typiquement ce qui se produit dans les
produisent des enzymes nécessaires à la digestion) diabètes.
du pancréas sont issues de cellules épithéliales qui Il y a plusieurs options possibles actuellement
composent la paroi des canaux pancréatiques. Ces pour obtenir la régénération in vivo de cellules
canaux contiennent des cellules précurseurs (cel- bêta (figure 8.2). Elles ont toutes été validées
lules pluripotentes progénitrices) capables de se expérimentalement sur modèles animaux (donc
différencier en cellules exocrines ou endocrines en phase de recherche préclinique). On est encore
(dont bêta). Ces cellules bêta s'assemblent ensuite loin de l'application clinique… mais il n'est pas
pour former des amas endocrines, les îlots de interdit de rêver !
Langerhans. On sait maintenant que le nombre • Induction de l'autoréplication (augmentation
total d'îlots (et donc de cellules bêta) résulte d'un du nombre) des cellules bêta encore valides.
équilibre dynamique entre trois mécanismes dont • Induction de la différenciation in situ de nou-
on commence à bien comprendre le fonctionne- velles cellules bêta à partir de certaines cel-
ment : la réplication de cellules bêta différenciées lules canalaires dites progénitrices (précurseurs
préexistantes, la différenciation de cellules progé- indifférenciés). Ce mécanisme est donc une
nitrices en cellule bêta (appelée néogenèse) et la néogenèse.
mort cellulaire programmée (ou apoptose). Ces • Induction de la différenciation in situ de nou-
processus sont fondamentaux pour la mise en velles cellules bêta à partir de cellules pan-
place du développement du pancréas endocrine créatiques déjà différenciées non-bêta (cellule
chez le fœtus et le nouveau-né, mais ils sont aussi acinaire, cellule canalaire, voire cellule alpha).
nécessaires chez l'adulte pour le maintien de la Ce mécanisme est appelé transdifférenciation
population bêta et son adaptation aux besoins ou reprogrammation.
Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 287

CELLULE ACINAIRE
(AC)

REPROGRAMMATION
AC Æ b

REPROGRAMMATION CELLULE CANALAIRE


aÆb PROGÉNITRICE (P)
CELLULE CANALAIRE
(CA)
RÉPLICATION
bÆb
NÉOGENÈSE
PÆb

REPROGRAMMATION
CA Æ b

Figure 8.2. Réponses régénératives naturelles du pancréas endocrine.


Des études chez l'animal ont montré que la réplication des cellules β était un mode majeur de régénération et de réparation
dans l'homéostasie, les blessures, la grossesse, l'obésité et la résistance à l'insuline. En réponse à différentes méthodes
de destruction expérimentale de la population de cellules β chez les rongeurs de laboratoire, les conversions de cellules α
en cellules β (reprogrammation), de cellules canalaires (CA) en cellules β (reprogrammation), de cellules acinaires (AC)
en cellules β (reprogrammation), ou encore de cellules progénitrices (P) canalaires en cellules β (néogenèse), ont été
rapportées. La régénération des cellules β est plus performante chez les jeunes animaux (jeunes enfants ?). On considère
actuellement qu'elle est très réduite chez les animaux adultes et les humains adultes.

Induire la multiplication de réplication) chez le fœtus et peu après la nais-


d'une cellule bêta déjà sance, et qu'il existe toute une batterie d'hor-
mones et de facteurs de croissance naturels qui
différenciée chez un sont capables d'induire la réplication des cellules
adulte diabétique ? bêta déjà différenciées [4]. Pourtant, ces agents
ne permettent généralement pas de promouvoir
Les diabétologues vivent sur l'idée que les cellules une prolifération significative des cellules bêta
bêta chez l'adulte sont à peu près incapables de humaines. Cette incapacité à proliférer des cel-
se multiplier. Pourtant, des mutations génétiques lules bêta humaines adultes est déconcertante, car
spontanées (mais rares) dans les gènes humains ces dernières possèdent les éléments moléculaires
du cycle cellulaire peuvent donner des hyper- nécessaires qui contrôlent les différentes phases
plasies endocriniennes pancréatiques telles que du cycle cellulaire (cyclines, kinases dépendantes
l'insulinome. En condition physiologique, une des cyclines, facteurs E2F). Rappelons que le
vague de prolifération naturelle des cellules bêta cycle cellulaire des cellules de mammifères est
humaines est détectable seulement dans la petite divisé en quatre phases survenant selon un ordre
enfance (principalement la première année de la établi, chaque phase ne pouvant débuter que si
vie). La recherche fondamentale sur les modèles la précédente est totalement terminée. Le dérou-
rongeurs (à laquelle contribue notre groupe de lement correct des phases successives du cycle
recherche) nous a cependant appris que les cel- cellulaire est assuré par une famille de kinases
lules bêta se multiplient activement (on reparle sérine-thréonine dites CDK (kinases dépendantes
288 Physiopathologie du diabète

des cyclines). La chronologie de leur activation Induire une néogenèse bêta


est déterminée par leurs modifications post-tra- chez un adulte diabétique ?
ductionnelles (phosphorylations/déphospho-
rylations), et par l'association à une cycline, qui
constitue la sous-unité régulatrice du complexe On sait que plusieurs tissus intestinaux, tels que
enzymatique. On distingue les cyclines dites G1 le foie, le duodénum, la vésicule biliaire et le pan-
(cyclines C, D1–3 et E) qui contrôlent la pro- créas en particulier, dérivent tous d'un organe
gression en phase G1 et la transition G1/S, et embryonnaire commun appelé intestin primitif.
les cyclines dites mitotiques (cyclines A et B) qui À ce titre, ces tissus et en particulier le pancréas
interviennent à la transition G2/M et en mitose. contiennent tous, même à l'âge adulte, des cellules
Les E2F constituent une famille de protéines dites progénitrices qui ont gardé le potentiel de se
jouant un rôle de facteur de transcription. Ils différencier en cellules bêta dans certaines condi-
activent l'expression de gènes qui permettent à la tions. Au cours du développement embryonnaire,
cellule d'entrer en phase S. Leur action est inhi- la coopération de nombreux facteurs de transcrip-
bée par la Rb (la protéine du rétinoblastome) qui tion est requise pour la spécification de cellules
empêche l'entrée en phase S en s'associant à E2F. souches en progéniteurs successivement endo-
La manipulation directe in vitro (culture de cel- dermiques, pancréatiques, endocrines, puis finale-
lules bêta humaines) de cette machinerie molécu- ment en cellules alpha ou bêta. Parmi eux, PDX1
laire montre qu'il est cependant possible de forcer joue un rôle d'importance, sa perte induisant une
les cellules bêta à se multiplier. Néanmoins, dans agénésie précoce du pancréas chez la souris, mais
les conditions normales, de nombreux facteurs du aussi chez l'homme. En aval, un autre facteur de
cycle cellulaire semblent être séquestrés dans le transcription, Neurog3 (neurogénine 3), induit
cytoplasme des cellules bêta adultes matures. On la spécification des précurseurs pancréatiques
ne sait pas pourquoi c'est le cas ou dans quelles vers le lignage endocrine : ainsi, en l'absence de
circonstances les facteurs du cycle cellulaire pour- Neurog3, le pancréas est normalement développé,
raient être amenés à entrer dans le noyau (et donc mais totalement dépourvu de cellules endo-
à provoquer une réplication cellulaire). Une avan- crines. Une fois le programme endocrine induit,
cée potentiellement importante est venue d'une un réseau complexe de facteurs de transcription
technique de criblage à haut débit de composés. additionnels oriente progressivement la spécifica-
Elle a permis d'identifier en 2015 des inhibi- tion vers les différents destins endocrines. Parmi
teurs d'une kinase particulière appelée DYRK1A, eux, ARX (Aristaless Related homeobox) et PAX4
qui ont la propriété de puissamment stimuler la (Paired box 4) sont nécessaires à la spécification
prolifération de cellules bêta humaines cultivées des précurseurs en cellules endocrines différen-
in vitro ou de cellules bêta humaines transplan- ciées [4]. Le pancréas des souris dépourvues de
tées in vivo [5]. Avec l'inhibition de DYRK1A, ARX se caractérise par une perte de l'ensemble des
on tient là la première cible moléculaire efficace cellules alpha et une augmentation proportion-
pour manipuler la prolifération des cellules bêta nelle du nombre de cellules bêta. C'est l'inverse
humaines. DYRK1A est un membre de la famille en l'absence de PAX4, avec une perte des cellules
des kinases dites DYRK (Dual specificity Tyrosine bêta et un accroissement relatif du nombre de cel-
Regulated Kinase). Cette kinase semble jouer lules alpha.
un rôle important dans une voie de signalisation La néogenèse ou formation de nouvelles cel-
régulant la prolifération cellulaire et est impli- lules d'îlots à partir des cellules progénitrices pan-
quée dans le développement du cerveau. Le gène créatiques est largement acceptée comme étant
de DYRK1A est localisé sur le chromosome 21 responsable de la formation initiale du pancréas
dans la région critique du syndrome de Down. endocrine au cours du développement fœtal. Ce
Il est considéré comme un gène candidat pour concept est construit sur l'observation de cellules
les défauts d'apprentissage associés au syndrome insuline-positives qui bourgeonnent à partir de
de Down. l'épithélium du canal pancréatique. Nombreuses
Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 289

sont les études (dont les nôtres) qui montrent situées dans la paroi des canaux pancréatiques en
que la néogenèse n'est pas cantonnée à la période nouvelles cellules bêta [8]. La même approche
fœtale chez les rongeurs : elle persiste après la par injection rétrograde dans les canaux pancréa-
naissance et contribue à la croissance normale de tiques est envisageable chez l'homme diabétique
la population bêta. Mieux, des données obtenues (peu invasive, car réalisable sous endoscopie).
à la suite de manipulations expérimentales chez Compte tenu des résultats déjà disponibles avec
l'animal de laboratoire montrent que la néogenèse les études précliniques chez les rongeurs diabé-
est inductible dans certaines conditions. Ces don- tiques, il est même envisageable pour simplifier
nées soutiennent l'idée que la néogenèse est un encore le schéma thérapeutique, d'utiliser non
processus activable, adaptatif et dynamique (tran- plus des vecteurs géniques, mais certaines molé-
sitoire), qui permet de restaurer au moins par- cules à effet pharmacologique (GABA, artémisine,
tiellement une population bêta initialement lésée glifozines, lithium), certains facteurs de croissance
(pancréatectomie partielle, destruction chimique naturels (bêtacelluline, IGFs, GLP1), ou certains
bêta spécifique par la streptozotocine, ligature dérivés d'ARN (oligonucléotides antisens), tous
partielle du canal pancréatique). Cela est observé capables d'activer la néogenèse de cellules bêta
chez les jeunes rongeurs comme chez les adultes, à partir des précurseurs canalaires mentionnés
mais la production de cellules bêta par la néoge- ci-dessus [4, 6, 7, 9–15].
nèse adaptative est nettement moins efficace chez À titre d'illustration, voici quelques exemples
les adultes [4, 6, 7]. concrets de modes opératoires. Notre équipe de
Dans une optique de restauration thérapeutique recherche s'est intéressée à l'implication de la voie
de la population des cellules bêta, on peut donc de signalisation Wnt/bêta-caténine dans la régu-
imaginer d'agir en stimulant la néogenèse adap- lation de la masse bêta cellulaire. Pour démontrer
tative dans le pancréas des diabétiques. Comment l'importance potentielle de cette voie, nous avons
faire en pratique ? Les solutions testées jusque-là développé une stratégie qui permet de bloquer
sont multiples. Par exemple, l'administration d'un de façon très spécifique l'expression de GSK3β
vecteur génique adénoviral, permettant l'expres- (Glycogène Synthase Kinase 3β), une kinase
sion de l'activateur PDX1 dans les canaux exocrines majeure pour le fonctionnement de la voie. Cette
pancréatiques, a été testée expérimentalement stratégie repose sur l'utilisation d'un oligonucléo-
chez la souris [8]. Les adénovirus constituent une tide antisens (ARN antisens) qui bloque la traduc-
famille de virus très vaste, infectant l'humain et tion de l'ARNm de GSK3β (et donc la synthèse de
d'autres espèces animales. Ils causent chez nous la protéine GSK3β) (figure 8.3). L'administration
des rhumes bénins et pratiquement toute la popu- in vivo de l'ARN antisens (sous forme morpholino
lation y a été exposée. Leur génome est connu qui permet une meilleure pénétration de l'antisens
depuis de nombreuses années et il est facile à mani- dans les cellules) diminue temporairement l'expres-
puler. Ces virus sont donc utilisés comme outils de sion de GSK3β dans le pancréas des rongeurs, et
recherche, notamment en thérapie génique depuis provoque une augmentation des effets biologiques
plus de trente ans. Par exemple, certaines straté- (prolifération cellulaire) des effecteurs distaux (le
gies vaccinales anti-COVID-19 (AstraZeneca/ principal étant une protéine appelée bêta-caténine)
Oxford, Sputnik V, Johnson & Johnson) utilisent de la voie, du fait de la levée d'inhibition exercée
des adénovirus inoffensifs. Ces vecteurs adénovi- par la GSK3β sur ces effecteurs [12–14]. Nous
raux apportent les instructions génétiques (ADN) avons ainsi d'abord montré l'implication de la voie
nécessaires pour construire la protéine Spike du Wnt/bêta-caténine dans la croissance normale des
SARS-CoV-2 au sein des cellules de la personne cellules bêta chez le jeune rat : les effecteurs dis-
vaccinée. Ils sont par ailleurs génétiquement taux de la voie Wnt régulent la croissance normale
modifiés pour être incapables de se répliquer dans des cellules bêta pendant la période néonatale.
les cellules qu'ils infectent. L'induction de PDX1 Nous avons ensuite évalué la possibilité d'activer
grâce au vecteur adénoviral déclenche la diffé- la régénération des cellules bêta (néogenèse bêta
renciation de cellules progénitrices endocrines + prolifération bêta) dans divers modèles animaux
290 Physiopathologie du diabète

ADN ARNm Oligonucléotide animaux [7]. Outre leur effet aigu activateur de la
antisens
sécrétion de l'insuline, il est donc concevable que
des analogues du GLP1 soient aussi efficaces au
long cours en favorisant la régénération bêta. Si tel
Protéine
était le cas pour l'espèce humaine (la preuve a été
faite chez l'animal diabétique, mais la démonstra-
tion reste à faire chez l'homme), on entrerait dans
une véritable nouvelle ère pour le traitement des
diabètes : celle de la thérapie réparatrice du pan-
créas endocrine, simple à mettre en œuvre puisque
obtenue par l'administration de molécules déjà
disponibles.

Bloquage de la traduction Induire la transdifférenciation


Figure 8.3. Stratégie antisens.
(reprogrammation) de
Les oligonucléotides antisens sont des brins d'ARN cellules non-bêta en bêta
synthétiques (20 à 50 nucléotides en général) destinés à
interagir spécifiquement avec un ARNm pour inhiber la
chez un adulte diabétique ?
synthèse de la protéine correspondante. L'utilisation d'un
ARN antisens (ici, de type morpholino-oligonucléotide) On appelle transdifférenciation (ou reprogram-
permet de bloquer de façon spécifique la traduction de
mation) l'acquisition d'une identité alternative
l'ARN messager ciblé, dans la population des cellules
exposées. Le blocage est temporaire (différence par des cellules différenciées via une conversion
avec un blocage par invalidation génique qui, lui, est directe ne passant pas préalablement par un état de
définitif). Ici, la cible est la protéine GSK3β, une kinase cellule souche. Peut-on se servir de nos connais-
qui exerce normalement un rôle-frein sur l'activité de
la voie de signalisation Wnt/bêta-caténine importante
sances récentes sur les facteurs régulateurs majeurs
pour la prolifération et la différenciation des cellules β du développement des cellules bêta pour conver-
pancréatiques. La levée de l'inhibition provoque tir (reprogrammer) des cellules déjà différenciées
l'activation des effecteurs distaux de la voie (en particulier, mais non-bêta, en cellules productrices d'insu-
bêta-caténine). Ceci se traduit in fine par l'augmentation
de la réplication des cellules β déjà présentes et la
line ? La démonstration que cette idée n'était pas
différenciation de nouvelles cellules β à partir de cellules farfelue est venue d'un travail réalisé chez la souris :
précurseurs pancréatiques. il montrait qu'on peut obtenir des cellules sécré-
trices d'insuline (donc, bêta) au sein même du tissu
déficitaires en cellules bêta, en activant spécifique- hépatique, en réorientant la différenciation des cel-
ment cette voie. Nos résultats montrent que tel est lules hépatiques grâce au facteur de transcription
bien le cas, dans divers modèles de diabète induit PDX1 [16]. Concrètement, on injecte dans le foie
ou spontané [12–14]. Ils valident donc une nou- des souris un adénovirus qui sert de vecteur pour
velle cible d'intervention pour la médecine régéné- le gène codant PDX1. Une fois transfectés par les
rative de la population bêta. L'approche originale adénovirus, les hépatocytes expriment le peptide
utilisée pour la démonstration valide aussi l'utilité PDX1. Ce qui est spectaculaire, c'est que ces cel-
in vivo des oligonucléotides antisens pour moduler lules hybrides (« bêta-like ») induites par transdiffé-
de façon transitoire la croissance cellulaire compen- renciation au sein du foie des souris transgéniques
satrice (concept de l'« ARN médicament »). Nous fonctionnement suffisamment bien (comprendre :
avons aussi montré que le GLP1 était capable d'ac- produisent suffisamment d'insuline) pour corriger
tiver la régénération de cellules bêta par néogenèse l'hyperglycémie de ces mêmes souris lorsqu'elles
chez des rats diabétiques (diabète de type 2), et ont été rendues diabétiques au préalable.
ceci de façon suffisamment efficace pour entraîner On a déjà dit que les facteurs ARX et PAX4
une amélioration de l'équilibre glycémique des jouent un rôle prépondérant au cours de la genèse
Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 291

du pancréas, dans l'orientation des différents destins risquaient-elles d'être victimes d'une réaction auto-
endocrines : ont-ils capables de reprogrammer des immune similaire à celle qui détruit les cellules
cellules matures et différenciées en d'autres types bêta chez les patients atteints de diabète de type 1 ?
cellulaires ? Autrement dit, peut-on convertir des La réponse est non, car lorsqu'elles sont cultivées
cellules alpha en cellules bêta ? La réponse est oui, conjointement avec des cellules immunitaires de
puisque l'étude de divers modèles de souris trans- patients diabétiques, la réaction de toxicité reste
géniques montre que la délétion génétique d'ARX, limitée (contrairement à ce qui se produirait avec
ou l'expression forcée de PAX4, peut convertir de « vrais » cellules bêta. Reste à trouver un moyen
des cellules alpha en cellules bêta. Des chercheurs de stimuler ces adaptations cellulaires directement
suisses ont aussi rapporté chez la souris qu'une dans le pancréas des patients, sans causer d'effets
perte extrême (de 99 %) des cellules bêta peut secondaires sur d'autres cellules. Ce qui n'est pas
déclencher une conversion spontanée des cellules une mince affaire…
alpha en cellules bêta (voir Zoom 4.4) [17]. Le Bien qu'elle puisse être une source intéressante
même groupe vient de montrer en 2019 que cer- pour générer de nouvelles cellules bêta, la popula-
taines cellules endocrines pancréatiques, humaines tion alpha ne constitue au mieux que 0,1 à 0,2 %
cette fois-ci, disposent aussi de cette plasticité néces- des cellules du pancréas total. La partie exocrine
saire pour changer de fonction et produire l'insuline du pancréas, composée principalement des cel-
manquante [18]. Pour vérifier qu'elle existe éga- lules acinaires, est très majoritaire et pourrait ainsi
lement chez l'humain, ils ont travaillé sur des îlots représenter une source plus attractive de précur-
en provenance de donneurs diabétiques et de don- seurs que l'on pourrait convertir en cellules endo-
neurs sains. Dans les cellules alpha de ces îlots, les crines. De récentes études ont en effet démontré
chercheurs ont induit par manipulation génétique la plasticité de ces cellules in vitro et in vivo, et
l'expression de deux gènes codant pour PDX1 et leur capacité de transdifférenciation vers un des-
MafA. Ces facteurs de transcription sont absolu- tin endocrine. En effet, l'injection in vivo dans le
ment nécessaires au développement, à la maturation pancréas de souris adultes d'adénovirus exprimant
et à l'activité de synthèse de l'insuline, dans la cellule une combinaison de trois facteurs de transcription
bêta normale (non manipulée !) et ils sont normale- (Neurog3, PDX1 et MafA) permet la conversion
ment dormants (leur gène n'est pas exprimé !) dans des cellules acinaires infectées en cellules à insu-
les cellules alpha normales. Les chercheurs ont alors line, démontrant ainsi la possibilité d'une repro-
reconstitué in vitro des pseudo-îlots composés uni- grammation des cellules acinaires différenciées.
quement de cellules alpha. Là réside la force (et la Les cellules bêta-like induites de cette façon
difficulté) de leur démarche. Une semaine plus tard, avaient la capacité de corriger l'hyperglycémie
plus d'un tiers des cellules alpha produisaient de chez les souris rendues diabétiques [4, 8].
l'insuline et la secrétaient en réponse à la présence
de glucose. Les chercheurs ont ainsi démontré
qu'il était possible de reprogrammer un type endo-
crine naturellement non-bêta en nouvelle cellule
Inventer
bêta. Afin de vérifier la stabilité et l'efficacité fonc- les antidiabétiques
tionnelle de ces cellules bêta-like, les auteurs ont
transplanté ces pseudo-îlots chez des souris diabé- de demain
tiques. Résultat : leur hyperglycémie a été corrigée
et leur glycémie est restée normale six mois après
la transplantation. Lorsque les îlots ont été retirés,
Comment alimenter
elle s'est de nouveau déséquilibrée. Les auteurs ont le pipeline des
aussi montré que les cellules alpha, contraintes de antidiabétiques ?
produire l'insuline, n'avaient néanmoins pas perdu
leur identité cellulaire originale. Mais, du fait de Dans la profession, un pipeline de médicaments
leur nouvelle propriété de production d'insuline, désigne l'ensemble des médicaments candidats
292 Physiopathologie du diabète

qu'une société pharmaceutique développe à La galaxie des pistes


un moment donné. Il est urgent d'inventer de de recherche
nouveaux antidiabétiques, donc de remplir le
pipeline, pour faire face à la pandémie diabé-
tique et améliorer l'efficacité des soins : il faut Seule l'amélioration des connaissances physiopa-
savoir que chez un tiers des diabétiques de thologiques permet de définir de nouvelles cibles
type 2, l'objectif de normalisation du contrôle pour améliorer au final le statut métabolique du
glycémique reste actuellement hors d'atteinte. diabétique. Cette approche vaut pour le type 2
Pour ce qui concerne le diabète de type 1, trop comme pour le type 1. On verra au fil de l'eau que
de patients n'atteignent toujours pas les taux certaines molécules développées au départ avec
d'HbA1c cibles. Les complications aiguës de une indication type 2 ont finalement aussi un inté-
l'hypoglycémie sévère et l'acidocétose restent rêt pour soigner le type 1. L'absorption intestinale
des dangers omniprésents, et les complications du glucose, la production hépatique de glucose, la
dégénératrices dévastatrices à long terme, même sécrétion de l'insuline, la sensibilité à l'insuline des
si elles sont retardées par les thérapies actuelles, tissus cibles (foie, muscles striés) et les mécanismes
ne peuvent pas être évitées. Le côté très poly- responsables de l'adiposité (appétit, dépense éner-
morphe de l'étiologie et de la pathogenèse gétique) sont les étapes essentielles qui contri-
du diabète de type 2, maladie complexe qui buent à l'homéostasie glucidique et énergétique.
recouvre des combinaisons variables d'anoma- Presque toutes font actuellement l'objet de
lies multiples dans beaucoup de tissus différents, recherches thérapeutiques originales [19].
offre de ce fait l'opportunité de développer
de nombreuses approches pour optimiser le
contrôle glycémique. Certaines de ces approches Diminuer l'absorption
ciblent directement les anomalies majeures telles intestinale des glucides
que l'insulinorésistance ou le déficit de sécré-
tion insulinique. Mais plus largement, toutes La supplémentation en fibres dites alimentaires
les interventions qui se traduisent par une amé- est réputée ralentir la digestion et l'absorption
lioration de l'homéostasie glycémique sont les des glucides ingérés. Ces fibres correspondent au
bienvenues car elles portent l'espoir de diminuer matériel soluble et insoluble provenant de polysac-
la prévalence des complications. Outre son effi- charides d'origine végétale qui ne sont pas digérés
cacité biologique, tout candidat-médicament et qui persistent dans la lumière du tube digestif
antidiabétique doit présenter un profil de sécu- sous forme de gels et gommes visqueux et volumi-
rité au-dessus de tout soupçon, une bonne tolé- neux, ou de matrice grossière insoluble. En rédui-
rance et une compatibilité large avec les autres sant la vitesse de diffusion des molécules au sein
médicaments consommés par les diabétiques. de la lumière du tube digestif, elles emprisonnent
En effet, tout antidiabétique est destiné à être les glucides ingérés, ralentissent la diffusion des
consommé pendant des dizaines d'années par enzymes digestives dans la lumière et freinent
des patients la plupart du temps polymédica- l'accès des glucides à l'épithélium intestinal. Chez
mentés. Idéalement, un antidiabétique doit les diabétiques, cet effet a une influence favorable
exercer une efficacité antihyperglycémiante (mais modeste) sur l'hyperglycémie induite par le
durable, éventuellement additive à celle exer- repas (prandiale), mais reste sans conséquence pour
cée par d'autres antidiabétiques agissant par des leur glycémie basale (interprandiale). L'utilisation
mécanismes différents, sans exposer le patient au d'inhibiteurs de l'α-amylase dans le but de ralen-
risque d'hypoglycémie. Il n'en sera que mieux tir l'hydrolyse de l'amidon ingéré ne donne pas
si l'antidiabétique possède outre les propriétés de résultat convaincant. Les inhibiteurs (acarbose,
énoncées, la faculté de réduire la masse grasse et miglitol, et voglibose) des α-glucosidases produites
de diminuer les risques cardiovasculaires. par les entérocytes des villosités intestinales ont des
Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 293

effets favorables, modestes, mais bien établis, sur qui augmentent la production d'ATP par la cellule
l'hyperglycémie prandiale chez les diabétiques. bêta, ou qui induisent la fermeture des canaux K+
Leur utilisation doit être strictement ajustée en modulés par l'ATP, ou qui augmentent la concen-
fonction de la quantité de glucides fournie dans la tration cytosolique en calcium, ou qui augmentent
ration, afin d'éviter qu'une trop grande quantité l'AMPc intracellulaire et activent la kinase PKA, ou
de glucides non digérés entre dans le colon. Si tel qui activent la kinase PKC, ou encore qui bloquent
était le cas, la fermentation bactérienne pourrait les récepteurs α-adrénergiques. Parlons des candi-
produire un excès de gaz variés, d'acides gras et de dats qui restent en piste (c'est-à-dire ceux qui n'ont
glucose osmotiquement actif, à l'origine de flatu- pas d'effet collatéral toxique) [19–21].
lences et de diarrhées.
L'inhibition par les glifozines de l'absorption
duodénale du glucose (assurée par le transporteur Les activateurs de la glucokinase
SGLT1, une forme de transporteur de glucose
La glucokinase est une enzyme bien exprimée
proche de SGLT2) est une alternative récente
à la fois dans les cellules bêta et les hépatocytes,
pour ralentir l'absorption duodénale du glucose
où elle y contrôle la phosphorylation du glucose,
chez les diabétiques. Couplée ou non à l'inhibi-
dont dépend le débit de glucose qui va être méta-
tion de SGLT2, elle représente une stratégie cré-
bolisé dans la cellule (figure 8.4). Le développe-
dible compte tenu des promesses apportées par
ment d'activateurs de la glucokinase ouvre la voie à
l'utilisation quotidienne des glifozines déjà vali-
une nouvelle classe d'agents antihyperglycémiants
dées cliniquement.
capables à la fois d'augmenter la sécrétion de l'in-
suline en resensibilisant la cellule bêta au glucose,
et d'accroître l'utilisation du glucose par le foie.
Revitaliser le fonctionnement En dépit de résultats précliniques prometteurs
des cellules bêta obtenus chez des modèles animaux de diabète de
type 2, cette stratégie ne peut en l'état être appli-
On a vu (voir Chapitre 4 – Des cellules bêta en quée chez le patient diabétique, car elle augmente
burn-out) que l'épuisement fonctionnel progres- le risque hypoglycémique et devient inefficace au
sif des cellules bêta pancréatiques est un élément long cours. Mais, on sait depuis peu que la gluco-
crucial dans l'installation du diabète de type 2. Ces kinase est régulée de façon suffisamment différente
cellules sont donc une cible thérapeutique prio- dans le foie et la cellule bêta : ceci ouvre la perspec-
ritaire. Certes, il existe déjà de nombreux agents tive de développer des agonistes hépato-sélectifs
pharmacologiques qui provoquent (sulfonylurées) agissant uniquement sur le foie, et capables d'aug-
ou amplifient (DPP4i, GLP1-RA) la sécrétion d'in- menter l'utilisation hépatique de glucose sans
suline induite par le glucose (autrement dit la sécré- courir le risque hypoglycémique dû à une insuli-
tion d'insuline prandiale) et qui sont validés pour le nosécrétion trop activée. Le risque d'induire une
traitement du diabète de type 2. Bien sûr, ces molé- accumulation hépatique accrue de glycogène et de
cules aident à améliorer la sécrétion prandiale de triglycérides (lipogenèse augmentée), en réponse
l'insuline, mais la restauration reste partielle la plu- à l'activation de l'utilisation du glucose par le foie,
part du temps, et dans le cas de l'utilisation des sul- reste cependant une menace à évaluer.
fonylurées, les risques d'hypoglycémie et de prise de
poids persistent. Le catalogue des composés dotés
de capacités insulinosécrétrices ne se limite pas à Les agonistes des récepteurs
ces molécules. Il existe de nombreuses autres molé- des acides gras
cules en cours d'évaluation, et qui sont aujourd'hui
au stade des études précliniques, ou au mieux, des Les acides gras circulants peuvent interagir avec
premières études cliniques. Dans la liste des can- des récepteurs membranaires spécifiques, qui
didats insulinosécréteurs, on trouve des molécules appartiennent à la famille des récepteurs FFAR
294 Physiopathologie du diabète

GLUT

Glucokinase SU
GKA

ATP
G KATP
métab
PI K+
biosynth

PKA Protéines
GPR119 I VDDC
Ca2+ dép
ago

AMPC Ca2+
IP3
GLP1R
ago PKC GPR40
PLC
ago
Microtub
DAG

Microfil

Figure 8.4. Cibles cellulaires potentielles pour une intervention thérapeutique visant à accroître directement la
sécrétion de l'insuline par la cellule β.
Le glucose (G) est capté par les cellules β en proportion de sa concentration circulante. Il est métabolisé (G métab) pour
produire de l'ATP, qui ferme les pores de perméabilité Kir6.2 des canaux K+/ATP. Cela empêche la sortie du potassium
de la cellule, provoquant une dépolarisation membranaire localisée qui ouvre les canaux calciques voltage-dépendants
(VDCC). L'afflux de Ca2 + augmente la concentration cytosolique de Ca2 +, qui active les protéines dépendantes du calcium
(protéines Ca2 + dép) qui favorise la translocation des granules d'insuline vers la membrane plasmique et leur exocytose.
Les sulfonylurées (SU) initient la libération d'insuline principalement en se liant aux sites SUR1 qui font partie des canaux
K+/ATP. L'activation des récepteurs GLP1 et des récepteurs GPR119 par leurs agonistes (ago) respectifs, augmentent
l'activité de l'adénylate cyclase, ce qui augmente les concentrations d'AMPc. Les agonistes des récepteurs GPR40 sont
fonctionnellement liés à la PLC (phospholipase C) qui favorise la production de DAG et d'inositol triphosphate (IP3). Le
DAG active certaines formes de PKC et l'IP3 permet la libération d'ions Ca2 + à partir du réticulum endoplasmique. Les
activateurs de la glucokinase (GKA) augmentent le flux de glucose dans la glycolyse. ATP : adénosine triphosphate ;
DAG : diacylglycérol ; GLUT : isoformes 1 ou 2 du transporteur de glucose ; IP3 : inositol triphosphate ; K+/ATP : canal
potassique sensible à l'ATP ; PKA : protéine kinase A ; PKC : protéine kinase C ; Microtub : microtubules ; Microfil :
microfilaments d'actine ; PI : proinsuline ; I : insuline.

(Free Fatty Acid Receptor). Ce sont des GPCR rité d'amplifier la sécrétion d'insuline induite par
(récepteurs couplés aux protéines G). Les le glucose. Les pharmacologues ont donc misé
chimistes ont récemment trouvé des petites molé- sur ces agonistes solubles (administrables par voie
cules non protéiques qui miment la fixation de la orale) pour booster la sécrétion de l'insuline, plu-
molécule d'acide gras sur le GPCR (ce sont donc tôt que sur les acides gras eux-mêmes. L'efficacité
des agonistes non protéiques). Les cellules bêta antihyperglycémiante des agonistes de GPR40 a
expriment plusieurs types de GPCR, en particu- d'abord été prouvée par les études précliniques,
lier GPR40 (FFAR1) et GPR119 (figure 8.4), et et a été confirmée chez les patients diabétiques
certains agonistes non protéiques ont la particula- de type 2, même si les études sur l'agoniste le
Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 295

plus prometteur (TAK-875) ont été stoppées du c­ ertains peptides hybrides conçus pour cumuler les
fait d'une hépatotoxicité. D'autres agonistes de propriétés des agonistes des récepteurs du GLP1
GPR40 sont en développement. Quand l'acti- et du glucagon permettent d'obtenir à la fois des
vation porte sur GPR119, elle déclenche dans la effets intéressants antihyperglycémiant et anoréxi-
cellule bêta normale, une amplification de la sécré- gène, lors des tests sur des modèles précliniques.
tion de d'insuline. L'autre intérêt de mobiliser les
récepteurs GPR40 et GPR119 tient au fait qu'ils
sont exprimés dans plusieurs types de cellules enté- Ralentir la sécrétion
roendocrines intestinales tels que les cellules L : et/ou l'action du glucagon
leur activation provoque une sécrétion accrue de
GLP1. Dans le tissu adipeux blanc, l'expression De vieilles études remontant aux années 1970
d'un autre type de récepteur des acides gras, le avaient montré que des anticorps antigluca-
GPR120 (aussi appelé FFAR4), a été décrit : des gon pouvaient exercer un effet hypoglycémiant.
études précliniques montrent que les agonistes de D'autres études essentiellement précliniques
ce récepteur améliorent le contrôle glycémique et utilisant des outils variés (oligonucléotides
chez les diabétiques, en provoquant une redistri- antisens antirécepteur du glucagon ; inhibiteurs de
bution favorable des lipides corporels (ils augmen- la sécrétion du glucagon) ont aussi illustré l'inté-
tent l'adipogenèse dans le tissu adipeux blanc en rêt thérapeutique de bloquer l'effet du glucagon
améliorant la sensibilité à l'insuline, et réduisent pour améliorer le contrôle glycémique chez des
l'accumulation ectopique de triglycérides). modèles animaux de diabète. Malheureusement,
aucune de ces approches n'est arrivée en dévelop-
Des agonistes du récepteur pement clinique parce qu'elles présentent deux
défauts : dégradation de la réponse contre-régu-
de GLP1, plus performants latrice à l'hypoglycémie (la sécrétion de glucagon
Bien sûr, on a déjà amplement parlé de l'utilisa- est un mécanisme précieux pour lutter rapidement
tion thérapeutique du GLP1 pratiquée depuis contre le danger d'hypoglycémie) et soupçon de
vingt ans maintenant, et qui repose sur la pro- toxicité hépatique.
tection du GLP1 endogène via l'utilisation des
DPP4i, ou sur la supplémentation en GLP1 exo-
gène administré sous diverses formes à effet plus Contrefaire l'action
ou moins prolongé (figure 8.4). La recherche biologique de l'insuline
d'une meilleure efficacité pour les agonistes
du GLP1R continue néanmoins de mobiliser Il a été récemment trouvé qu'un métabolite pro-
la recherche et le développement pharmaceu- duit par un champignon, la chaetochromine A,
tique : mise au point de l'administration continue était capable de se fixer sur la partie extracellu-
(jusqu'à 48 semaines) de l'exenatide par pompe laire du récepteur de l'insuline (sous-unité alpha
implantable de la taille d'une allumette ; dévelop- du récepteur), de mimer l'action de l'insuline en
pement d'une forme orale du semaglutide ; activa- son absence (phosphorylation de la sous-unité
tion directe de GLP1R par des petites molécules bêta du récepteur), et finalement d'exercer un
solubles non peptidiques et ayant les propriétés effet antihyperglycémiant significatif dans des
d'agoniste spécifique ; formulation de combinai- modèles animaux de diabète. Il s'agit donc d'un
sons insuline/agoniste GLP1R utilisables dans insulinomimétique (IM). Des effets antidiabé-
une même injection sous-cutanée, avec un double tiques analogues ont été décrits pour un autre
bénéfice sur l'hyperglycémie interprandiale et métabolite fongique, la déméthylasterriquinone,
l'hyperglycémie prandiale ; évaluation du concept à la différence près que cet insulinomimétique se
de peptide hybride ayant des effets cumulables fixe cette fois-ci sur la partie cytosolique du récep-
sur plusieurs récepteurs différents : par exemple, teur de l'insuline (sous-unité bêta). Ces exemples
296 Physiopathologie du diabète

SAL I IM

SOCS PIP2
IKKB
PI3K
TNFa JNK PIP3

Inhib PT1B IRS


PKC Céramides Inhib

DAG
MAPK mTOR AKT
ROS

FOXO1
Transloc
GSK3
Antiox GLUT4

AgoPPAR/RXR Transcript Capt G


PGC1a génes Métab G

Figure 8.5. Voies de signalisation intracellulaire de l'insuline illustrant quelques cibles potentielles d'intervention
thérapeutique.
De nombreuses étapes de la signalisation insulinique sont restreintes (ligne en pointillés) par des facteurs contribuant à la
résistance à l'insuline, et ces étapes constituent autant de cibles potentielles pour des interventions thérapeutiques.
PI3K : phosphatidylinositol 3-kinase ; PIP2 : phosphatidylinositol-3,4-bisphosphate ; PIP3 : phosphatidylinositol-3,4,5-
triphosphate ; PTP1B : protéine à activité tyrosine phosphatase connue pour déphosphorylant du récepteur de l'insuline
ou les IRS ; AKT : kinase aussi appelée PKB ; FOXO1 : facteur de transcription, acteur clé des réponses transcriptionnelles
à l'insuline ; GSK3 : glycogène synthase kinase 3 ; IKKB : complexe de protéines inhibitrices appelées IκB Kinases ; JNK :
kinase activée par le stress et qui appartient à la famille des MAP kinases ; MAPK : kinase activée par un mitogène ; mTOR :
kinase inhibée spécifiquement par la rapamycine (mammalian target of rapamycin) ; SOCS : suppresseur de la signalisation
des cytokines ; PKC : protéine kinase C ; Ago PPAR : agoniste du récepteur activé par les proliférateurs de peroxysomes ;
RXR : récepteur nucléaire X dont le ligand naturel est l'acide 9-cis-rétinoïque (métabolite actif de la vitamine A). Il devient
actif et se comporte alors comme un facteur de transcription, après dimérisation avec le récepteur PPAR ; PGClα :
co-activateur lα de PPAR ; DAG : diacylglycérol ; ROS : espèces réactives de l'oxygène ; I : insuline ; IM : insulinomimétique ;
SAL : acide salicylique.

apportent la preuve du concept qu'il est possible phatases responsables de la déphosphorylation des
de mimer l'action cellulaire de l'insuline en utili- tyrosines du récepteur et de la protéine IRS, et ce
sant des molécules de petite taille, non protéiques faisant, de l'extinction du signal insuline : en font
(donc administrables par voie orale) et qui rem- partie les sels de vanadium et les inhibiteurs spéci-
placent l'insuline [19] (figure 8.5). fiques de PTP1B (Protein Tyrosine Phosphatase 1B)
développés par l'industrie pharmaceutique [19].
Ces composés montrent d'indéniables qualités
Booster l'action antidiabétiques, mais leurs nombreux effets indé-
biologique de l'insuline sirables « off-target » ont bloqué jusque-là leur
passage en clinique.
Nombreuses et souvent anciennes sont les études Une autre stratégie explorée est celle qui
qui ont identifié des composés capables de poten- consiste à prolonger la durée du signal insulinique
tialiser (amplifier) l'effet intracellulaire de l'insuline intracellulaire en empêchant le rétrocontrôle néga-
par le maintien prolongé à l'état actif des kinases tif exercé par des intermédiaires générés dans la
stimulées par l'insuline (figure 8.5). C'est le cas partie aval de la voie de signalisation de l'insuline.
par exemple des composés qui inhibent les phos- Concrètement, une diminution de l'efficacité de
Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 297

l'insuline est provoquée par l'excès d'acides gras, une réduction de la glycémie interprandiale.
de diacylglycérol et de produits issus de la gluco- Pour être applicable au patient diabétique, l'effet
toxicité, toutes situations qui induisent une activa- obtenu doit cependant être partiel et rapidement
tion de certaines kinases de la famille des PKC. Or, réversible, pour éviter un risque hypoglycémique
ces dernières sont responsables de l'effondrement et ne pas empêcher la réponse contre-régulatrice.
du signal insuline, car elles phosphorylent anorma- Quand est-il dans les faits ? Il existe des inhibi-
lement des sérines constitutives de la sous-unité teurs directs de la glycogène phosphorylase qui
bêta du récepteur de l'insuline et d'IRS. D'où l'in- permettent de réduire la dégradation du glyco-
térêt des inhibiteurs de ces PKC pour interrompre gène hépatique et quelques études précliniques
ce feed-back négatif délétère : certains d'entre eux ont montré qu'ils réduisent l'hyperglycémie.
se sont révélés efficaces comme agents insulino- Mais leur efficacité clinique semble trop modeste
sensibilisateurs (études précliniques) [19]. et non durable. Les inhibiteurs directs de la glu-
On connaît d'autres signaux qui inhibent l'acti- cose-6-phosphatase bloquent l'étape ultime de
vité du récepteur et des protéines IRS : ceux par production de glucose commune aux deux voies
exemple qui sont générés en réponse à une situa- de la glycogénolyse et de la néoglucogenèse.
tion inflammatoire. Ainsi certaines cytokines proin- La glucose-6-phosphatase est en effet l'enzyme
flammatoires telles que le TNFα induisent une qui catalyse la réaction d'hydrolyse du glucose-
insulinorésistance cellulaire via des kinases parti- 6-phosphate en glucose à la fin de la néoglucoge-
culières (IKK, JNK) qui phosphorylent elles aussi nèse et de la glycogénolyse hépatiques. Exprimée
des sérines du récepteur de l'insuline et d'IRS. On essentiellement dans les hépatocytes, son rôle est
entrevoit ainsi l'intérêt de disposer d'inhibiteurs primordial : assurer la production hépatique de
de ces kinases pour améliorer l'efficacité du signal glucose, ce qui lui confère un rôle crucial dans la
insulinique. Certains ont été validés dans des sys- régulation de la glycémie. Elle n'est pas exprimée
tèmes d'étude in vitro, mais on est encore loin de par les muscles, ce qui explique que la glycogé-
l'application clinique. Dans la famille des facteurs de nolyse musculaire ne peut pas fournir du glucose
croissance fibroblastiques FGF (Fibroblast Growth dans la circulation générale (le glucose-6 phos-
Factor), le FGF21 et ses analogues ont récemment phate est utilisé sur place dans la glycolyse mus-
gagné le statut de candidat pour le traitement du culaire). L'utilisation des inhibiteurs directs de la
diabète de type 2. Le FGF21 est sécrété par le foie, glucose-6-phosphatase permet effectivement de
le tissu adipeux et les muscles. Les travaux précli- diminuer l'hyperglycémie basale, mais leur activité
niques ont montré qu'il avait plusieurs propriétés prolongée fait courir un risque élevé d'hypoglycé-
dignes d'intérêt : il accroît la sensibilité à l'insuline mie. Les inhibiteurs directs de la fructose-1,6-bis-
et favorise la survie des cellules bêta pancréatiques, phosphatase empêchent la déphosphorylation du
et il facilite, en situation de jeûne, l'oxydation fructose-1,6-bisphosphate en fructose-6-phos-
des acides gras et la néoglucogenèse hépatique. phate (c'est l'avant-dernière étape de la voie de la
Des études cliniques utilisant des analogues du néoglucogenèse avant la production de glucose-
FGF21 chez des diabétiques obèses ont validé une 6-phosphate). Les études en cours montrent qu'ils
action favorable sur la sensibilité à l'insuline, sur le réduisent partiellement la production hépatique
contrôle glycémique et le profil lipidique [19]. de glucose, et des études cliniques sont en cours.

Ralentir la production Activer directement


hépatique de glucose l'utilisation tissulaire
(foie, muscles) du glucose
Toute intervention visant à freiner les voies hépa-
tiques de la néoglucogenèse et/ou de la glycogé- Il existe un nombre élevé d'agents capables de
nolyse est à même, théoriquement, de provoquer stimuler directement (de façon indépendante
298 Physiopathologie du diabète

de l'insuline) le captage de glucose et son utili- nible pour le métabolisme par l'organisme, ou
sation métabolique par le muscle ou le tissu adi- brûler plus de calories, en faisant plus d'exercice
peux [19, 22]. Les inhibiteurs de la glycogène (voir Chapitre 7 – Lutter contre la sédentarité et
synthase kinase (GSK3) permettent d'augmen- promouvoir l'exercice). Alors : est-on capable de
ter la synthèse du glycogène et donc l'utilisation stimuler pharmacologiquement la dépense éner-
du glucose dans le foie et les muscles. Les tests gétique ? Dispose-t-on de preuves expérimentales
précliniques montrent qu'ils ont un réel effet sur du concept ?
l'hyperglycémie basale. Le passage aux études cli- En 2018, un groupe de chercheurs américains
niques chez des diabétiques pose problème car ces identifie une molécule issue du métabolisme éner-
inhibiteurs pourraient avoir des effets indésirables gétique et qui, étonnamment, permet de brûler
en favorisant la croissance tumorale dans une uti- des calories [24]. Ce métabolite, le succinate,
lisation au long cours. active la dépense énergétique d'un tissu parti-
Les agents qui activent la kinase AMPK culier, le tissu adipeux brun. Si on l'ajoute dans
(Adenosine 5'-Monophosphate Activated Protein l'eau de boisson de souris consommant un régime
Kinase) ont un potentiel antidiabétique intéres- obésogène, le succinate empêche les animaux de
sant [19, 23]. On se souviendra (voir Chapitre 7 – prendre du poids. Le succinate sanguin est en
Lutter contre la sédentarité et promouvoir fait capté et métabolisé préférentiellement par la
l'exercice) qu'elle est par exemple directement graisse brune. Il y active la production de cha-
activée par l'exercice musculaire ou la diminution leur (effet thermogénique). Cet effet dépend de
des réserves lipidiques cellulaires. Elle joue un rôle la protéine découplante UCP1 (il n'apparaît plus
sur l'expression à la membrane cellulaire du trans- chez des souris transgéniques dépourvues du gène
porteur de glucose GLUT4 et ce, indépendam- UCP1). Même si les acteurs moléculaires impli-
ment de l'insuline, comme c'est le cas au cours de qués dans le métabolisme mitochondrial du suc-
l'effort physique. L'AMPK est active dans la ­cellule cinate par les adipocytes bruns ne sont pas encore
lorsque son niveau énergétique décline (déclin de la connus, il est intéressant de transposer l'intérêt de
fourniture d'ATP). En stimulant l'utilisation du ces travaux menés chez la souris, à l'application
glucose et l'oxydation des acides gras, elle favorise clinique chez l'homme.
la restauration de la production d'ATP. Elle réduit La même année, une équipe allemande a uti-
aussi la néoglucogenèse et la lipogenèse et pourrait lisé une autre approche pour démontrer que l'on
avoir une action antitumorale. Certaines petites pouvait exploiter le potentiel thermogénique du
molécules telles que l'AICAR (5-aminoimidazole- tissu adipeux brun dans une perspective anti-
4-carboxamide-1-D-ribofuranoside) sont capables diabétique [25]. L'exposition au froid est bien
d'activer directement l'AMPK. Des études précli- connue pour augmenter la dépense énergétique
niques ont montré qu'elles améliorent le contrôle grâce à l'activation de la production de cha-
glycémique chez les rongeurs diabétiques. Par leur par le tissu adipeux brun. Les chercheurs
ailleurs, l'acide α-lipoïque, divers polyphénols, les allemands se sont d'abord concentrés sur une
salicylates (aspirine), et d'autres petites molécules protéine appelée TRPM8 (Transient Receptor
solubles ont été cataloguées comme activateurs de Potential Melastatin Subtype 8) qui intervient
l'AMPK. dans l'induction de la thermogenèse du tissu adi-
peux brun en réponse au froid. TRPM8 est un
canal ionique non sélectif, activé par les basses
Activer températures (< 28 °C), la pression et les com-
posés réfrigérants (menthol, iciline). Il joue
pharmacologiquement un rôle dans la transduction thermique froide,
le gaspillage des calories dans différentes tumeurs et d'autres pathologies
(migraine, dysfonctionnement des voies uri-
Il y a deux façons de perdre du poids : manger naires, sécheresse oculaire et obésité). L'iciline
moins pour réduire le nombre de calories dispo- est un agoniste synthétique du canal ionique
Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 299

TRPM8. Bien que structurellement non liée au Dompter l'inflammation


menthol, l'iciline produit une sensation extrême tissulaire
de froid, tant chez l'homme que chez l'animal.
Il est 200 fois plus puissant que le menthol. Elle
s'est avérée efficace dans le traitement du pru- Il est maintenant bien admis qu'une inflammation
rit. Elle pourrait avoir des effets anti-inflamma- chronique à bas bruit est observée dans le diabète
toires. Chez la souris, l'administration d'iciline, de type 2, et que des cytokines proinflammatoires
pendant deux semaines, réduit le poids corporel (IL1β, IL6, TNFα) sont impliqués dans sa patho-
et la masse grasse grâce à une augmentation de genèse (voir Chapitre 4 – Diabète de type 2, des
la dépense énergétique. Ces effets ne sont plus pannes multiples). Ces données soulèvent la ques-
observés chez les souris transgéniques qui n'ex- tion de savoir si des approches pharmacologiques à
priment plus le gène codant pour TRPM8. Dans visée anti-inflammatoire pourraient avoir une place
un deuxième temps, les auteurs se sont servis de dans la prévention et le traitement du diabète de
l'effet bien décrit du tabagisme (et de la nicotine) type 2. Les effets métaboliques des médicaments
pour supprimer la faim. Et en effet, l'adminis- anti-TNFα sont décevants : bien qu'une amélio-
tration sous-cutanée de DMPP (diméthylphé- ration de la sensibilité à l'insuline ait été observée
nylpipérazinium), un activateur du récepteur chez des patients porteurs d'une polyarthrite rhu-
nAChR-α3β4, pendant deux semaines, réduit matoïde (mais non diabétiques), ils ne permettent
efficacement la prise de poids corporel chez les pas de corriger l'hyperglycémie diabétique. Quant
souris sur régime obésogène, diminue la prise ali- aux dérivés de l'acide salicylique (aspirine), dont
mentaire spontanée (effet anorexigène) et amé- le salsalate, ils inhibent bien la voie IKKb/NF-kB
liore de façon marquée l'intolérance au glucose et améliorent le contrôle glycémique des patients
des souris. Ces effets ne sont plus observés chez diabétiques (figure 8.5). La stratégie ciblant en
les souris transgéniques déficientes en nAChR- particulier l'inhibition de l'IL1β a fourni elle aussi
α3β4 et exposées au même régime obésogène. des résultats prometteurs [26]. Dans une pre-
Dans une troisième étape, les auteurs ont traité mière démarche, le blocage pharmacologique de
les souris consommant un régime obésogène, l'action l'IL1 via son récepteur spécifique (IL1R)
avec une combinaison d'iciline et de DMPP, avec a été obtenu en utilisant un antagoniste naturel
le double objectif d'obtenir une augmentation de IL1R (IL1Ra, appelé anakinra). Des études
de la dépense énergétique et une forte réduction précliniques sur modèles de rongeurs diabétiques
de l'apport alimentaire. Cette thérapie combinée (diabète de type 2), dont les nôtres, ont d'abord
s'est révélée très efficace. Elle prévient, chez les prouvé qu'on pouvait ainsi obtenir une améliora-
souris exposées au régime obésogène, la prise de tion du diabète préexistant. Par exemple, le traite-
poids et l'apparition de la stéatose hépatique, de ment des rats diabétiques avec IL1Ra administré
l'insulinorésistance et de l'intolérance au glu- de façon chronique réduit l'hyperglycémie pran-
cose. Des études complémentaires par les mêmes diale via une amélioration de la fonction sécrétion
auteurs ont montré que les effets du DMPP et des cellules bêta et de la sensibilité hépatique et
de l'iciline passaient bien par une activation de la musculaire à l'insuline, assorties d'une réduction
protéine découplante UCP1 au niveau du tissu des marqueurs inflammatoires dans ces tissus et de
adipeux brun des souris (mimant ainsi l'effet de l'inflammation vasculaire [27, 28]. Puis, les pre-
l'exposition au froid). Ces travaux valident l'inté- mières études cliniques ont montré que l'antago-
rêt de mimer pharmacologiquement l'effet d'une nisme de l'IL1 avait un effet favorable et durable
exposition chronique au froid grâce au ciblage sur la glycémie et la fonction sécrétoire des cellules
simultané de TRPM8 et de nAChR-α3β4 : ceci bêta. Ainsi, dix études menées chez des patients
pourrait devenir une approche pour combattre atteints de diabète de type 2, et une étude menée
l'obésité et ses conséquences métaboliques chez des patients avec diabète de type 1, ont
néfastes. toutes conclu que l'antagonisme de l'IL1 p­ ouvait
améliorer la glycémie en améliorant la sécrétion
300 Physiopathologie du diabète

de l'insuline et/ou la sensibilité des tissus à cette études ont montré que même après trois ans de
dernière. Plus récemment, une grande étude greffe, 80 % des greffons gardent une production
clinique a testé l'effet d'une autre stratégie per- correcte d'insuline, malgré le traitement immu-
mettant d'inhiber la voie immune innée passant nosuppresseur d'entretien à base de rapamycine.
par l'IL1β grâce à un anticorps monoclonal anti- Rappelons que les receveurs de greffes de pan-
IL1β (appelé canakinumab). Elle démontre que le créas souffrent généralement de diabète de type 1
traitement par le canakinumab réduit de manière depuis de nombreuses années et reçoivent une
significative l'HbA1c et la survenue d'événements greffe de rein en même temps que la greffe de
cardiovasculaires majeurs par rapport à un pla- pancréas. L'immunosuppression conventionnelle
cebo, chez des patients diabétiques avec antécé- dirigée contre les cellules T (rapamycine, ciclos-
dents d'infarctus du myocarde et un taux de CRP porine A) est donc efficace pour prévenir le rejet
(Protéine C réactive) élevé [29]. des allogreffes de pancréas. Cependant tout dan-
ger d'attaque auto-immune vis-à-vis du greffon
ne peut être écarté, car certains patients, certes
Éteindre l'activation auto- minoritaires (moins de 10 %), ont une récidive du
immune et l'inflammation diabète due au développement d'une insulite des
îlots greffés.
bêta cellulaire dans le Que retenir de cela ? que le mécanisme de des-
diabète de type 1 truction sous-jacent au diabète de type 1 n'est pas
stoppé par les protocoles actuels d'immunothéra-
À la fin des années 1980, les résultats de deux pie, alors que ces derniers sont efficaces pour pro-
grandes études française et canadienne, randomi- téger les allogreffes pancréatiques contre le rejet.
sées contrôlées contre placebo chez des enfants Il est donc fortement probable que dans le diabète
atteints de diabète de type 1 d'apparition récente, de type 1, la thérapie dirigée contre les lympho-
avaient suggéré qu'une intervention immuni- cytes T ne fait que retarder la progression de la
taire, en l'occurrence avec la ciclosporine A, maladie (ce que l'on constate aussi dans d'autres
pouvait arrêter le processus de la maladie et per- maladies à médiation immunitaire telles que la
mettre la récupération de la production endo- sclérose ou la polyarthrite rhumatoïde), et que les
gène d'insuline (mesurée par l'augmentation de cellules immunitaires innées provoquent une réi-
la concentration plasmatique du peptide C). Les nitiation répétée de l'immunité adaptative. D'où
taux de rémission du diabète (HbA1c < 7,5 % l'idée de trouver des modes d'intervention immu-
et sevrage de l'insulinothérapie) ont favorable- nitaire ciblant les cellules immunitaires innées
ment augmenté tout au long du traitement. pro-inflammatoires et reposant sur l'utilisation
Malheureusement, à l'arrêt de la ciclosporine, la pharmacologique d'inhibiteurs de l'immunosti-
maladie est réapparue, entraînant l'ultime destruc- mulation et/ou des médiateurs pro-inflamma-
tion de la masse résiduelle de cellules bêta. Parce toires [30]. Ainsi, pour citer quelques exemples
que les risques associés avec un traitement médi- de thérapies ciblant l'inflammation, ont été testés
camenteux prolongé étaient significatifs (néphro- chez des enfants avec un diabète de type 1 d'appa-
toxicité et risque accru de cancer), l'utilisation de rition récente :
la ciclosporine fut arrêtée. Cependant, ces études • des antagonistes de l'IL1 (anakinra, canakinumab) ;
marquantes ont validé l'idée que le diabète de • des inhibiteurs du TNFα (etanercept, golimumab) ;
type 1 était bien une maladie auto-immune. Ces • des cytokines anti-inflammatoire (en particulier
résultats négatifs contrastent de manière frappante IL10) ;
et quelque peu paradoxale avec ceux observés avec • des antagonistes de l'IL-6 (tocilizumab) ;
l'allotransplantation de tissu pancréatique à des • des agonistes du GLP1R (liraglutide)
patients atteints de diabète de type 1. Plusieurs ou des inhibiteurs de la DDP4, qui tous
Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 301

inhibent l'expression de NF-kB, de l'in- Finalement, il apparaît que les thérapies immu-
flammasome NLRP3 et d'autres molécules nitaires ne peuvent à elles seules surmonter le
pro-inflammatoires. grave déficit de cellules bêta pour inverser la mala-
À ce jour, les résultats de ces multiples essais die. Elles semblent néanmoins avoir la capacité de
cliniques d'immunomodulation se sont révélés ralentir la perte de cellules bêta. Dans l'état actuel
globalement décevants : dans le meilleur des cas, de nos connaissances, les protocoles de thérapie
seule était obtenue une préservation transitoire de immunitaire doivent donc être associés à des stra-
la sécrétion de peptide C (reflet global de l'arrêt tégies de remplacement des cellules bêta (voir
de la dégradation de la population résiduelle de Chapitre 8 – Maîtriser la régénération des cellules
cellules bêta), assortie d'une baisse passagère de bêta), pour espérer obtenir un impact durable sur
l'HbA1c et de la dose d'insuline. le contrôle glycémique et la maîtrise de la maladie.
On a vu que les cellules B ont également un
rôle pathogène dans le diabète de type 1 lié à leur
fonctionnement comme cellules présentatrices
d'antigènes et modulatrices du microenviron- Créer une insuline
nement pancréatique (voir Chapitre 4 – Diabète intelligente
de type 1, une panne majeure). L'administration
d'un anticorps monoclonal anti-CD20 (rituxi- Développer un système de délivrance de l'insuline
mab) n'améliore pas non plus à long terme la régulé par la glycémie est l'un des défis d'optimisa-
baisse du peptide C et le fonctionnement rési- tion de l'insulinothérapie. Les dispositifs externes
duel bêta cellulaire. Des thérapies dirigées cette de pancréas artificiels sont encore en cours de per-
fois contre les cellules T, plus spécifiques et fectionnement pour être autonomes. Or, depuis
moins toxiques, sont actuellement testées dans le les années 1990 s'est développé le concept dit
diabète de type 1 et semblent moins décevantes. d'« insuline intelligente » [31]. Les insulines intel-
Une étude préclinique étude chez la souris NOD ligentes sont de petites molécules contenant à la
dans les années 1990 avait montré que l'admi- fois un fragment aliphatique (à squelette carboné
nistration d'un anticorps monoclonal anti-CD3 acyclique) et un fragment d'acide phénylboro-
pouvait induire une rémission à long terme du nique (PBA). L'incorporation de PBA fournit un
diabète auto-immun. L'engouement pour la élément de détection du glucose dans le conjugué.
cible CD3 avait pris corps avec la mise au point en Le produit final est une molécule d'insuline modi-
1980 du premier anticorps monoclonal approuvé fiée sensible au glucose. Selon cette technologie,
(OKT3) utilisé pour traiter le rejet aigu d'allo- en phase de développement, l'insuline est conte-
greffe rénale. Cependant, cette forme initiale nue dans un microgel injectable et capable de
OKT3 ayant des effets secondaires importants, délivrer de l'insuline en fonction de la glycémie.
elle fut remplacée par une version dite humanisée La reconnaissance du glucose induit des modifi-
de l'anticorps, le teplizumab, qui garde l'effica- cations physico-chimiques et un gonflement du
cité clinique sans avoir la nocivité. Testé chez des gel. Le maillage du gel devient moins dense et
patients DT1 d'apparition récente, un traitement l'insuline qu'il contenait s'échappe par diffusion.
de deux semaines par le teplizumab permet de Une fois mise au point, cette technologie offri-
maintenir le peptide C à deux ans au moins (pas rait un mode de traitement révolutionnaire pour
d'aggravation donc sur deux ans, mais pas de les patients, les libérant de l'adaptation des doses,
régression de la maladie). Il semble que le tepli- des menaces de l'hypoglycémies, du port de maté-
zumab provoque une diminution du nombre de riel (pompes, capteurs) mais aussi des traitements
cellules T effectrices (Teff) et une augmentation immunosuppresseurs nécessaires dans les greffes
de T régulatrices (Treg). de pancréas ou d'îlots.
302 Physiopathologie du diabète

Zoom 8.1

Développer un antidiabétique : 10 années à 1 milliard, si tout va bien


Définition et découverte du médicament dix ans et coûte au bas mot 1 milliard d'euros.
Est un médicament toute substance présentée En outre, une fois sur le marché, les antidia-
pour traiter, guérir ou prévenir une maladie de bétiques sont maintenant tous soumis à une
l'homme ou de l'animal. On en exige trois qua- obligation de surveillance au long cours de la
lités : l'efficacité, la spécificité et la sécurité. On survenue d'éventuels effets cardiovasculaires
admettra d'autant moins d'effets indésirables (ou autres) indésirables. Enfin, durant la vie de
que la durée du traitement sera plus longue. En l'antidiabétique, il est possible que de nouvelles
règle générale, un médicament a pour but de indications et/ou formulations de la molécule
rétablir une situation physiologique normale à (par exemple : comprimé ou solution injectable
partir d'une situation pathologique (un état de dits « combo » associant plusieurs antidiabé-
maladie). C'est typiquement le cas des antidia- tiques) soient justifiées par des études menées
bétiques. Les molécules permettant d'atteindre au fil de l'eau.
des performances au-dessus de la normale (psy- Dix années à 1 milliard pour un antidiabétique :
chostimulants, anabolisants, dopants, excitants est-ce donc une recette-choc particulière à
sexuels, etc.) n'entrent pas, pour des raisons l'industrie des médicaments pour diabétiques ?
d'éthique médicale, dans la définition du médi- Certainement pas. La créativité de l'industrie
cament telle que la ressent le praticien. Une deu- pharmaceutique des antidiabétiques présente
xième catégorie de médicaments a pour objet des traits que l'on va retrouver dans toutes les
de prévenir la maladie ou le dysfonctionnement. compagnies, quelles que soient leurs spécialités.
C'est bien évidemment le cas de tous les vac- Quelles sont les caractéristiques de l'inventivité
cins, mais d'autres médications préventives dans l'industrie pharmaceutique en général ?
sont couramment utilisées : les antiagrégants Pour obtenir de nouveaux principes actifs, on
plaquettaires contre les risques d'infarctus, la dispose de quatre démarches :
vitamine D contre le rachitisme, les antipalu- • le tri massif (screening) sur un essai biologique
déens contre la malaria, les hormones contre donné, d'une collection de molécules sélection-
l'ostéoporose. Idéalement, de plus en plus de nées pour leur diversité ;
médications préventives devraient être propo- • la synthèse de copies améliorées de molécules
sées. Dans la pratique, la démonstration de leur naturelles ou de médicaments de synthèse déjà
efficacité impose des études cliniques sur de en usage, le but étant dans ce cas d'en augmen-
longues durées et sur des cohortes importantes ter l'activité thérapeutique et/ou de diminuer
de malades. Il reste une troisième catégorie de les effets secondaires ;
médicaments, qui se distinguent par le fait qu'ils
• la valorisation de l'observation (souvent fortuite,
sont destinés à des personnes non malades. On
la fameuse sérendipté...) d'une activité biologique
y compte par exemple la pilule contraceptive,
inattendue d'une molécule (effet vasodilatateur du
mais aussi toute une série de « médicaments de
trinitro-glycérol, effet érectile du Viagra) ;
confort » tels que les tranquillisants, les hypno-
tiques, les antifatigues, les antioxydants, les vita- • l'approche rationnelle, qui consiste à identi-
mines et les oligo-éléments, les produits pour fier le mécanisme perturbé, puis à le corriger en
mieux digérer. intervenant sur les divers mécanismes régula-
teurs (enzymes, hormones, neuromédiateurs).
Les étapes de la recherche Il serait imprudent de comparer hâtivement les
et du développement : sueur, budget, mérites de chacune de ces approches. En effet,
persévérance, chance une recherche « modeste » peut aboutir à un
Identifier un nouvel antidiabétique et le faire médicament universellement apprécié ; à l'in-
progresser depuis les études précliniques et verse, une démonstration rationnelle brillante
cliniques, jusqu'à l'approbation par les autori- peut rester stérile. Étant donné le caractère
tés de santé et le marché, est une aventure qui, aléatoire de la découverte et la quasi-impossi-
quand elle se termine bien, prend au minimum bilité de planifier l'invention, les décideurs de

▲ Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 303

l'industrie pharmaceutique devraient faire appel proviennent soit de collections-maison, soit de


à toutes les approches mentionnées ci-dessus et collections achetées, soit encore de la synthèse
se rendre compte qu'elles ne sont pas mutuel- combinatoire. Un certain nombre de touches
lement exclusives. Cela est loin d'être le cas positives (appelées « hits ») sont identifiées. Des
général… essais additionnels sont pratiqués sur ces touches
La recherche et développement d'un nouveau pour confirmer leur intérêt. Il pourra s'agir de
médicament comporte deux périodes dis- tests fonctionnels permettant de préciser le
tinctes : la recherche préclinique, qui doit abou- caractère agoniste ou antagoniste vis-à-vis d'un
tir à un candidat-médicament suffisamment récepteur, ou d'un test sur une cible proche
actif et sûr pour que l'on envisage des essais pour évaluer la sélectivité. Les touches validées
chez l'homme, et la recherche clinique dont le retenues deviennent alors des chefs de file ou
but est précisément d'aboutir à une molécule têtes de séries (lead compounds). Très souvent,
efficace, sélective et sûre qui aura alors le droit à et cela distingue les approches actuelles des
l'appellation médicament. manières d'opérer plus anciennes, on étudie dès
ce moment le profil ADME (Absorption, dis-
La recherche préclinique tribution, métabolisme, excrétion) et toxicolo-
Dans la majorité des cas, la recherche préclinique gique des molécules retenues, cela afin d'éviter
démarre avec la formulation d'une hypothèse de s'engager dans de longues études de relations
de recherche et l'identification de la cible sur structure-activité, sur des molécules non biodis-
laquelle on veut intervenir (récepteur, enzyme, ponibles ou chargées d'effets toxiques inaccep-
transporteur). Le choix d'une cible adéquate, tables. En pharmacologie, la biodisponibilité
dont le dysfonctionnement est effectivement est la proportion d'une substance qui atteint
lié à une maladie, est évidemment fondamental. la circulation sanguine sous forme inchangée.
Elle se poursuit avec la mise au point d'un test C'est un outil essentiel en pharmacocinétique,
pharmacologique évaluant l'interaction molé- car la biodisponibilité doit être prise en consi-
culaire du candidat-médicament avec la cible. dération lors du calcul des doses pour des voies
De nos jours, ce test est presque toujours un d'administration autres qu'intraveineuse. La
test in vitro. Les tests de criblage distinguant chimie médicinale qui intervient ensuite a pour
les molécules actives et inactives peuvent être objectif d'optimiser la (ou les) substance(s)
traditionnels (quelques dizaines ou centaines de issue(s) du criblage (screening) en augmentant
molécules examinées) ou à haut débit (plusieurs le plus possible sa puissance, en augmentant
dizaines ou centaines de milliers de molécules ou maintenant sa sélectivité pour la cible choi-
sont testées). Le criblage à haut débit (HTS, sie, et en éliminant les effets indésirables ou
pour High-Throughput Screening) désigne dans toxiques. Par la synthèse de séries de plusieurs
le domaine de la pharmacologie, de la biochi- centaines d'analogues de la substance chef de
mie, de la génomique et de la protéomique, les file, les chimistes accèdent aux relations struc-
techniques visant à étudier et à identifier dans ture-activité. Selon les cas, leurs études sont
les chimiothèques, des molécules aux propriétés guidées par la comparaison avec des substances
nouvelles, biologiquement actives. Le criblage à déjà connues et agissant sur la même cible, ou
haut débit consiste à faire réagir simultanément encore par la modélisation sur écran graphique
un grand nombre de molécules différentes de la structure du site actif. Souvent, pour des
avec un substrat donné, en vue d'identifier, cibles très originales, les structures ne sont pas
en un minimum de temps, celles de ces molé- encore disponibles et le chimiste avance selon
cules qui présentent un intérêt éventuel pour son intuition. Une technologie robotisée de
une application déterminée. L'expression haut synthèse, la synthèse combinatoire, consiste à
débit évoque ici l'utilisation de la robotique, de faire varier à l'infini et d'une manière aléatoire
l'informatique et de la bio-informatique pour les combinaisons des groupements et des subs-
accélérer la phase de test des molécules. Les tituants attachés à une plateforme donnée. En
molécules nécessaires au criblage à haut flux bref, la recherche préclinique comprend deux

304 Physiopathologie du diabète

étapes très différentes. L'une est une phase de l'homme afin d'observer son évolution dans
découverte : c'est l'identification de la première l'organisme en fonction du temps (cinétique)
molécule active. L'autre est une phase d'opti- et d'évaluer sa toxicité. Pour cela les volontaires
misation : c'est l'amélioration des performances sont en général hébergés pendant quelques
du prototype. Les quelques molécules issues de jours dans un centre clinique spécialisé afin
cette dernière vont faire l'objet de tests addi- de subir une batterie d'examens permettant
tionnels et d'évaluation de leur activité et de de vérifier de très nombreux paramètres car-
leur toxicité chez l'animal. Les études du deve- diaques, respiratoires, sanguins, métaboliques.
nir des molécules in vivo (pharmacocinétique La phase 2 se déroule elle chez des volon-
et métabolisme) sont également entreprises. taires malades. L'objectif est de déterminer la
Elles amènent souvent les chimistes à pratiquer dose minimale efficace du médicament et ses
quelques retouches finales sur la molécule (for- éventuels effets indésirables. Une première
mulation chimique), afin de moduler sa solubi- étape permet de déterminer la dose minimale
lité et sa durée d'action ou encore d'éliminer un efficace pour laquelle les effets indésirables
défaut gênant (stabilité chimique insuffisante, sont inobservables ou minimes. Une seconde
polymorphisme, amertume, mauvaise odeur, phase consiste à administrer cette dose à 100
douleur à l'injection). L'ensemble des travaux à 300 malades, si possible pour rechercher un
précliniques doit permettre la préparation des bénéfice thérapeutique. Les essais cliniques de
premiers dossiers d'étude chez l'homme. La phase 3 portent eux sur un grand nombre de
molécule active, ayant franchi cette première malades (études multicentriques). La phase 3
étape du parcours du combattant, est mainte- permet d'évaluer l'efficacité du médicament
nant un candidat-médicament prêt à subir les sur une cohorte de patients plus importante :
aléas de la recherche clinique. de quelques centaines en cas de cancer, à des
Les études précliniques marquent donc les pre- milliers pour des maladies très fréquentes
miers pas du développement d'un médicament. comme l'hypertension. Les volontaires sont le
Elles apportent les données préliminaires sur le plus souvent répartis en deux groupes afin de
comportement d'une molécule dans des cel- comparer l'efficacité du candidat-médicament
lules mises en culture et au sein d'organismes à un traitement de référence (s'il en existe un)
animaux vivants. Lors de son évaluation pré- ou à un placebo. Cette phase dure souvent plu-
clinique, la molécule d'intérêt est testée sur sieurs années, le temps de recruter les patients
trois espèces différentes, dont un rongeur. Les et de suivre l'évolution de leur état de santé.
données étudiées sont d'ordre pharmacolo- Ces essais vont comparer le produit aux éven-
gique, pharmacocinétique et toxicologique : tuels médicaments concurrents déjà sur le mar-
mécanisme d'action, vitesse de diffusion dans ché, et essayer de déceler des effets indésirables
l'organisme, distribution de la molécule dans passés inaperçus jusque-là (voir Zoom 8.3).
les tissus, dose active, mode de transformation Un grand nombre d'étapes appelant une déci-
et d'élimination par l'organisme, devenir du sion d'arrêter ou de continuer la recherche
composé et impact environnemental, toxicité… vont se présenter en outre tout au long de ce
Toutes ces données sont obligatoires pour parcours scabreux. En cas de succès, la molé-
constituer le dossier de demande de commercia- cule est enregistrée et obtient l'autorisation
lisation. En outre, cette étape permet d'estimer de mise sur le marché (AMM en France). Il ne
la dose à administrer chez l'homme, à partir de restera plus alors qu'à s'occuper de la négo-
la dose sans effet toxique chez l'animal conver- ciation du prix commercial du médicament
tie en équivalent-homme. avec les autorités de santé nationales, du mar-
keting, du lancement et de la promotion…
La recherche clinique Alors seulement, le médicament gagnera les
On procède aux études cliniques chez rayons des pharmacies. L'observation de la
l'homme, en quatre phases. La phase 1 est sécurité du médicament et de son bénéfice
menée sur une vingtaine de volontaires, sains thérapeutique ne s'arrête pas pour autant. La
ou malades en fonction de la molécule évaluée. phase 4 prend le relais pour évaluer l'utilisa-
Il s'agit de la tester pour la première fois chez tion du médicament à long terme, dans les

▲ Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 305

conditions réelles d'utilisation (dans « la vraie grands groupes, qui se positionnent maintenant
vie »), afin de détecter des effets indésirables davantage comme acheteurs de candidats-médi-
rares, des complications tardives ou encore caments que comme créateurs. Le déclin de l'in-
des biais de prescription ou un mauvais usage novation dans l'industrie pharmaceutique peut
(voir Zoom 8.4). C'est ce qu'on appelle la être également quantifié au regard du nombre
pharmacovigilance. de molécules agréées par la FDA pour 1 milliard
de dollars, ce chiffre étant divisé par deux tous
Le mode d'organisation de la recherche
les neuf ans. Pour cette somme, nous sommes
pharmaceutique favorise-t-il la créativité ?
passés de dix médicaments à un entre 1970 et le
Le maître mot est création. La recherche de début des années 2000 ! Actuellement, plus de
nouveaux médicaments est un métier de créa- 90 % des essais cliniques de candidats-médica-
teurs. La création d'un médicament reste le ments chez l'homme aboutissent à des échecs.
fait d'équipes réduites fédérées autour d'un À ce rythme-là, si les modèles et les méthodes
créateur, d'un chercheur capable de sortir des d'innovation ne sont pas changés, la création de
sentiers battus. On en a une fois de plus la médicaments tiendra du miracle dans le futur.
démonstration en direct en 2020–2021 avec la Restons optimistes cependant puisque l'actua-
création des premiers vaccins anti-COVID-19. lité sanitaire nous montre que ce système n'est
En revanche, la nécessaire prise de précautions pas totalement dénué de capacités d'adapta-
optimales pour éviter tous les risques inhé- tion : piqué au vif par la crise globale créée par le
rents aux essais cliniques à grande échelle chez virus SARS-CoV-2, le modèle mondialisé actuel
l'homme contribue à affecter de plus en plus de l'innovation pharmaceutique s'est bruta-
de personnel à des tâches qui n'ont plus rien lement réveillé et a permis de mettre au point
à voir avec la phase de création proprement des vaccins efficaces en moins d'une année, une
dite. En effet, comme dans l'aviation civile, le performance étonnante et historique.
moindre accident provoqué par un médicament
se remarque très vite et l'opinion publique ne Les méthodes d'aujourd'hui pour découvrir
s'accommode pas du moindre écart avec la des médicaments sont-elles appropriées ?
perfection. Avec la disparition des groupes de Avant les années 1980–1985, les outils théra-
taille moyenne dans les années 1970–1980 et peutiques étaient classés en deux catégories : les
la constitution de grands groupes pharmaceu- vaccins et les médicaments, ces derniers étant
tiques (voir Zoom 8.2), les créateurs-fonda- des produits chimiques extraits de plantes ou
teurs sont éloignés des décisions, au profit des obtenus par synthèse totale. Avec la révolu-
managers et des financiers. Les personnes ayant tion de la biologie et de la génétique molécu-
des compétences scientifiques sont souvent laires, il existe maintenant, à côté des vaccins
reléguées à des positions dites techniques, loin classiques, deux classes de médicaments : les
des comités exécutifs. Les businessmen veulent petites molécules inventées par les chimistes, et
des projets à court terme, avec des objectifs de les molécules biopharmaceutiques inventées par
rentabilité d'autant plus stricts que les fusions les biologistes. Pendant longtemps, la biologie
ont engendré un endettement parfois excessif. ne permettait pas de produire des protéines en
En partie au moins pour ces raisons, la créati- grande quantité, la purification de protéines
vité a diminué de manière significative à par- issues de l'extraction d'organismes vivants étant
tir des années 1990–2000. Alors qu'en 1950, longue et fastidieuse. La création d'une boîte
80 % des futurs médicaments agréés par la FDA à outils gigantesque, permettant d'intervenir
américaine (Food and Drug Administration) sur l'expression des gènes et de leurs produits
provenaient des grandes compagnies et 20 % (les protéines) a permis la production indus-
de petites sociétés pharmaceutiques, cette pro- trielle d'anticorps monoclonaux et de protéines
portion est devenue 50/50 au cours des années recombinantes constituant la nouvelle catégo-
2005–2006 pour basculer de manière majo- rie des médicaments biopharmaceutiques. Mais
ritaire en faveur des petites entreprises depuis leur coût élevé devient un facteur limitant de
cette date [32]. La création tend à quitter les leur diffusion, dès lors que les biopharmaceu-

306 Physiopathologie du diabète

tiques doivent être utilisés dans des pathologies loin d'avoir exploré tout l'univers des possibles
impliquant des traitements de longue durée en termes de petites molécules chimiques. Il a
(par exemple, l'arthrite rhumatoïde). été calculé qu'il est possible de créer de l'ordre
Dans les années 1990, la robotisation de l'in- de 26 millions de molécules contenant au plus
dustrie manufacturière a permis la conception 11 atomes de carbone, d'azote, d'oxygène ou
et le développement intensif de robots légers et de fluor, en utilisant des méthodes de synthèse
adaptés à des manipulations de laboratoire de classiques. Seulement 63 850 ont été prépa-
recherche. C'est grâce à eux qu'il a été possible rées jusque-là, soit 0,24 % des possibilités !
de créer des collections importantes de pro- Une autre idée fausse concerne l'informatique.
duits chimiques, de les classer et de les utiliser D'aucuns pensent que la création de nouveaux
dans des expériences, elles-mêmes robotisées, médicaments viendra du brassage grâce à l'in-
sur des cibles pharmacologiques, récepteurs formatique et l'intelligence artificielle, des don-
ou enzymes. Trente ans plus tard, force est de nées massives existantes dans les différentes et
reconnaître que les méthodes HTS n'ont pas nombreuses banques de données. Même si la
conduit à de nombreuses découvertes. Cette modélisation purement informatique par ima-
robotisation permet tout au plus d'assurer cer- gerie (« in silico ») des interactions entre molé-
taines tâches répétitives, sans réduire de fait les cule et cible est une avancée majeure, suffit-elle
effectifs des personnels de recherche, comme pour faire d'une molécule, un médicament ?
cela avait pu être en partie rêvé par les diri- Certainement pas. La découverte de nouveaux
geants des grands groupes pharmaceutiques. La médicaments restera l'apanage des créateurs
montagne (celle des investissements financiers) entourés d'équipes efficaces et maîtrisant non
a donc accouché d'une souris (celle des innova- seulement les outils de la chimie et de la bio-
tions médicamenteuses). logie, mais aussi les outils informatiques pour
Par ailleurs, un certain nombre d'idées reçues, calculer, confirmer, analyser, comparer, tout en
voire fausses, circulent dans le milieu de l'indus- étant conscients que la puissance des ordinateurs
trie pharmaceutique. Ainsi, il y aurait assez de ne pourra remplacer l'instant magique de l'asso-
molécules décrites (« il suffit de regarder sur ciation d'idées, propre à la création humaine. Le
les étagères »). C'est faux, car nous sommes « in silico » ne remplacera jamais le « in cerebro » !

Zoom 8.2

La place des Big Pharma en diabétologie


Avant la fin du xixe siècle, les médicaments ment, au monde. Cette activité est exercée par
étaient fabriqués par chaque pharmacien, ou les laboratoires pharmaceutiques et les sociétés
apothicaire, à partir de diverses substances végé- de biotechnologie.
tales, voire minérales. L'industrie pharmaceu-
tique moderne est née à la fin du xixe siècle avec Les principaux laboratoires
le développement des médicaments de synthèse pharmaceutiques et ceux qui développent
issus de la chimie. Les grands laboratoires phar- des antidiabétiques
maceutiques mondiaux tirent en général leur Cinq grands groupes et une cinquantaine de
origine du développement de la chimie. multinationales [33]. Pour indication, voici les
L'industrie pharmaceutique est le secteur vingt plus gros groupes pharmaceutiques classés
économique qui regroupe les activités de selon leurs chiffres d'affaires en 2019 et la part
recherche, de fabrication et de commercia- des ventes de médicaments sur prescription. Seuls
lisation des médicaments pour la médecine Merck & Co (MSD en Europe), Sanofi, Takeda,
humaine ou vétérinaire. C'est une des industries Eli Lilly, Novo Nordisk et Servier développent
les plus rentables et importantes économique- des médicaments antidiabétiques (figure 8.6).

▲ Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 307

MÉDICAMENTS ments et créent de meilleurs moyens d'adminis-


AUTRES trer les traitements existants. Cette association
entre le gigantesque segment des populations
(mds USD) 20 40 60 80 touchées et les entités extrêmement ingénieuses
J and J qui investissent dans les traitements présente
ROCHE
PFIZER
une opportunité séduisante pour les investis-
BAYER sements financiers. Du point de vue du grand
NOVARTIS public, cette maladie véhicule depuis de nom-
MERCK
GSK breuses années une image de coûteux problème
SANOFI de santé publique parce qu'elle rapporte beau-
ABBVIE
TAKEDA coup aux laboratoires pharmaceutiques. Les
BMS médias dans leur ensemble (uniques opérateurs
ASTRA ZENECA
AMGEN
de l'information médicale du grand public) col-
BOEHRINGER portent en effet cette idée à l'envie : les ventes
GILEAD d'antidiabétiques ont rapporté 38 milliards
LILLY
NOVO de dollars en 2016 (sous-entendu : « ont rap-
BIOGEN porté aux labos »). C'est souvent ainsi que les
ASTELLAS
MYLAN chiffres sont présentés par certains médias [34],
en induisant indirectement la notion que tout
Figure 8.6. Classement des 20 plus gros groupes est bénéfice pour l'industrie concernée. Il serait
pharmaceutiques selon leurs chiffres d'affaires plus exact de dire « ont coûté à la collectivité ».
en 2019 et part des ventes de médicaments sur Quelques exemples du florilège des titres accro-
prescription. cheurs : « Diabète : la santé KO face aux lobbys.
En noir = prescriptions médicales. En blanc = reste du
Publicité, campagne d'influence… les labora-
chiffre d'affaires.
toires pharmaceutiques frappent très fort. La
prévention, elle, dispose de peu de moyens ; la
Les Big Pharma se sucrent-elles progression du diabète profite au laboratoire
avec le diabète ? danois Novo Nordisk » [35] ; « Le diabète,
Près de 10 % de la population mondiale souffre marché inépuisable pour les laboratoires phar-
d'une forme ou d'une autre de diabète. Cette maceutiques » [36] ; « Diabète : le numéro un
maladie, qui affecte à la fois les enfants et les mondial de l'insuline voit de beaux jours devant
adultes, représente environ 12 % de l'ensemble lui » [37] ; « Quand les firmes pharmaceutiques
des dépenses de santé dans le monde et devrait se sucrent avec le diabète » [38].
atteindre un coût total de 2 500 milliards de Nombreux sont en effet ceux qui incriminent
dollars au cours des dix prochaines années. Bien les milliards de dollars du business des « Big
que l'on ne puisse pas guérir le diabète, des cen- Pharma ». Le terme de « Big Pharma », popu-
taines de millions de personnes dans le monde larisé par la crise sanitaire actuelle due à la
entier peuvent mener une vie normale malgré Covid-19, désigne la concentration de l'indus-
cette maladie, grâce à des solutions médicales et trie pharmaceutique entre les mains de quelques
technologiques. mastodontes, qui tiennent fermement les rênes
Du point de vue de l'investisseur financier, d'un secteur économique présenté comme flo-
le marché du diabète est donc extrêmement rissant. Mais, oublions les affirmations dignes
intéressant. Les traitements existants, tels que du café du commerce d'autant plus péremp-
l'insuline, continuent d'afficher une demande toires qu'elles sont approximatives. La réalité
constante, ainsi que les dispositifs médicaux est beaucoup plus complexe et nuancée. Elle
connexes, tels que les lecteurs de glycémie et mérite un regard analytique et argumenté.
les pompes. En outre, de nombreuses sociétés
pharmaceutiques, biotechnologiques et biomé- Les données objectives
dicales parmi les plus importantes au monde De nos jours, on estime que le coût moyen et
recherchent activement de nouveaux médica- la durée moyenne de développement d'un nou-

308 Physiopathologie du diabète

veau médicament sont respectivement de l'ordre née des universités américaines, en 1922, pour
du milliard d'euros, et de dix ans, sachant que rencontrer à Toronto Banting et Best, à l'ori-
sur 10 000 candidats-médicaments étudiés, seul gine de la découverte de l'insuline. Les Krogh
l'un d'entre eux ira jusqu'au bout. Le marché obtiennent le droit de fabriquer l'insuline pour
pharmaceutique a généré plus de 920 milliards la Scandinavie et fondent pour cela une entre-
d'euros de chiffre d'affaires en 2019. Les dix prise, Nordisk Insulin Laboratorium. Peu
premières entreprises embauchent à elles seules après, deux de leurs anciens employés créent
800 000 personnes. Les cinq premiers groupes à une entreprise concurrente, Novo. Devenus
l'échelle mondiale (Johnson & Johnson, Roche, les deux principaux groupes pharmaceutiques
Pfizer, Bayer et Novartis) représentent environ danois, avec des spécialités très proches (insu-
un quart du marché, et seule une vingtaine line pour Novo, hormone de croissance pour
d'entreprises du secteur dépasse les 10 milliards Nordisk), ils fusionneront en 1989. Le nouvel
de chiffre d'affaires. Pas si géants que ça ! Le ensemble reste avant tout un spécialiste du dia-
Français Sanofi n'arrive qu'en huitième posi- bète. Novo Nordisk profite de la croissance de
tion du classement mondial, avec 43 milliards ses médicaments plus récents, l'insuline Levemir
d'euros de chiffre d'affaires en 2019 (puis les et son tout nouvel antidiabétique extrêmement
laboratoires Servier avec 4,6 milliards et Ipsen prometteur, l'agoniste du récepteur du GLP1
avec 2,5 milliards d'euros). Ces entreprises sont Victoza. Ces perspectives ont de quoi attiser
loin derrière les pétroliers ou la grande distri- la convoitise des géants de la pharmacie. Mais
bution. À titre de comparaison, le constructeur Novo Nordisk est contrôlé par une fondation
automobile PSA (Stellantis) a réalisé en 2019 danoise qui détient deux tiers des droits de vote
un chiffre d'affaires de 75 milliards d'euros, le et la protège de toute prise de contrôle hostile.
distributeur Carrefour a dépassé 80 milliards • Eli Lilly : La compagnie a été fondée en 1876
d'euros et le pétrolier Total 200 milliards d'eu- par le colonel Eli Lilly, un homme déterminé
ros. Et c'est peu par rapport au distributeur à créer des médicaments de qualité qui répon-
américain Walmart, qui a enregistré un chiffre daient à des besoins réels à une époque d'élixirs
d'affaires équivalent à 440 milliards d'euros peu fiables colportés par des personnages dou-
en 2019, ou aux pétroliers chinois Sinopec et teux. Son message aux générations d'employés
China National Petroleum (plus de 300 mil- qui ont travaillé pour lui était le suivant : « Prenez
liards chacun). Les Big Pharma sont donc des ce que vous trouvez ici et faites-le de mieux en
géants modestes à l'échelle du capitalisme du mieux. » Dans les années 1920, Eli Lilly a com-
xxie siècle. Ce sont actuellement des entreprises mercialisé la première préparation d'insuline
diversifiées plutôt que des « labos » au sens extraite de pancréas bovins et porcins (Iletin)
populaire du terme, uniquement dédiés à la pro- pour le traitement du diabète. Actuellement
duction de médicament à destination humaine. basée à Indianapolis (Ilinois, États-Unis), Eli
Loin de ne produire que des médicaments, les Lilly fabrique et vend des médicaments pour le
plus grosses entreprises ont diversifié leurs reve- traitement du cancer, des maladies cardiovascu-
nus : les engrais pour Bayer, la cosmétique pour laires, des désordres du système nerveux central
Johnson & Johnson, la nutrition pour GSK. et endocrinien, du diabète, des maladies infec-
Quels sont les leaders sur le marché des tieuses, ainsi que des tests de diagnostics.
antidiabétiques ? • Merck Sharp & Dohme (MSD) : C'est le nom
• Novo Nordisk : Cette société danoise est de la société américaine Merck & Co (basée à
numéro un mondial du marché de l'insuline. Kenilworth, dans le New-Jersey, États-Unis)
À l'origine de Novo Nordisk, il y a un prix partout dans le monde, en dehors des États-
Nobel et son épouse malade. En 1920, le cher- Unis et du Canada. Depuis sa création en 1891,
cheur danois, August Krogh, reçoit le Nobel MSD est l'un des leaders en santé humaine,
de médecine pour ses travaux sur le rôle des santé animale et vaccins. Avec le développement
capillaires sanguins. La même année, sa femme des premiers vaccins contre la rougeole et les
et assistante de recherche, Marie, est diagnosti- oreillons, de médicaments innovants dans le
quée diabétique. Le couple profite d'une tour- VIH, l'hépatite C et plusieurs cancers, son his-

▲ Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 309

toire est jalonnée de découvertes scientifiques d'euros de dividende au printemps 2020. Une
majeures. En 2008, elle rejoint pour la première performance qui détonne dans un contexte de
fois le cercle restreint des développeurs d'anti- restructuration critiquée de sa recherche.
diabétiques : elle lance la sitagliptine, chef de file • Servier : Servier est un groupe pharmaceu-
d'une nouvelle classe d'antidiabétiques oraux : tique français. Le laboratoire a été créé en 1954
les gliptines, inhibiteurs de la DPP4. à Orléans par Jacques Servier, par rachat d'une
• Sanofi : Fondée en 1973, Sanofi (nom com- entreprise de fabrication de sirop. Au début des
mercial créé à partir de Omnium Financier années 1970, la compagnie lance le gliclazide,
de la Santé) n'est à ses débuts qu'une « start- un antidiabétique, qui appartient à la famille des
up » de 10 salariés, filiale du groupe pétrolier sulfamides hypoglycémiants. Juridiquement le
Elf Aquitaine. Pour atteindre sa dimension groupe Servier est gouverné par une Fondation
multinationale, une politique d'acquisitions néerlandaise (Fondation internationale de
tous azimuts a marqué son histoire. En 1999, recherche Servier) sans capital et sans but lucra-
Sanofi fusionne avec une filiale de L'Oréal, tif. La croissance se fait au fil des années par la
pour donner naissance à Sanofi-Synthélabo. recherche, et touche cinq domaines (maladies
Parallèlement, l'Allemand Hoechst et le Français cardiovasculaires, immuno-inflammatoires,
Rhône-Poulenc, nés à la fin du xixe siècle, neurodégénératives, cancers et diabète) et la
s'allient pour donner naissance à Aventis, une production de médicaments génériques. Servier
société de droit français. À l'assaut de laquelle propose également des solutions de e-santé
Sanofi-Synthélabo se lance en 2004. En 2011 allant au-delà du développement de médica-
elle avale pour plus de 20 milliards de dollars ments. Dans les années 1960, les ­laboratoires
l'Américaine Genzyme (biotechnologies). Et mettent sur le marché deux nouvelles molé-
change de nom : Sanofi-Aventis redevient cules, la fenfluramine (Pondéral et Isoméride)
Sanofi. Sanofi est devenue une entreprise trans- et le benfluorex (Mediator). Le groupe a été
nationale dont les activités incluent la pharmacie mis en cause dans plusieurs affaires, dont la plus
(notamment des médicaments de prescription connue est celle du Mediator (voir Zoom 8.4).
dans les domaines du diabète, des maladies
rares, de la sclérose en plaques et de l'oncolo- Des profits, certes oui !
gie et des produits de santé grand public) et Les données publiées par l'Assurance Maladie et
les vaccins (via Sanofi Pasteur). Elle s'organise analysées par Le Monde révèlent que la facture
autour de 5 filiales principales : Sanofi Pasteur française pour les antidiabétiques s'est élevée à
pour les vaccins, Genzyme pour les biotechno- 1,3 milliard d'euros en 2016. Encore ne s'agit-il
logies, Chattem pour l'automédication, Merial là que du montant des prescriptions en ville ; il
pour la santé animale et Zentiva pour les médi- faut y ajouter le montant des médicaments pres-
caments génériques. En 2016, la Commission crits à l'hôpital ! Dans cette catégorie, le premier
européenne a approuvé la création d'une société médicament remboursé est l'insuline Lantus de
commune entre Sanofi et Google Life Sciences. Sanofi (224 millions d'euros), suivi de l'ago-
Grâce à ce partenariat, Sanofi va s'engager dans niste du récepteur du GLP1 Victoza de Novo
le contrôle en temps réel de la glycémie, grâce Nordisk (159 millions d'euros) et de la gliptine
aux nouveaux appareils sur lesquels Google a Janumet de MSD (89 millions d'euros). Le pre-
déjà travaillé. Sanofi était un leader mondial mier médicament de Lilly, l'insuline Humalog,
de la recherche sur le traitement du diabète. arrive en huitième rang (44 millions d'euros).
Mais en 2019, la société a décidé de cesser ses
recherches sur de nouveaux traitements du dia- Des prises de risque, aussi ! qui rit
bète. Elle conserve cependant la production vendredi, dimanche pleurera
de Lantus, l'insuline de longue durée la plus Deux exemples pour réaliser que la réussite du
prescrite au monde (les ventes de Lantus ont lancement d'une molécule innovante est loin
atteint 1,9 milliard d'euros en 2019). Sanofi a d'être une assurance tous risques contre les
publié de très bons résultats pour son exercice déboires économiques.
2020, avec un bénéfice net qui a plus que qua- Le premier concerne le cas de Lantus (une
druplé en un an, et le versement de 4 milliards nouvelle forme d'insuline), emblématique de

310 Physiopathologie du diabète

ce qui est en jeu pour les industriels. Sanofi, avait été considérée comme essentiellement
dont c'était l'un des piliers historiques, pâtit dès hypolipidémiante. Mais on découvrit rapide-
2016 de la chute du Lantus, son ancien médi- ment que son activité hypoglycémiante était
cament vedette dont le brevet a expiré en 2015. bien plus spectaculaire. Malheureusement, dès
Après avoir atteint 7 milliards d'euros au plus les premiers essais, avant même sa mise sur le
haut, ses ventes ont été réduites de moitié. Or marché, la ciglitazone (la première molécule de
Sanofi a tardé à renouveler son portefeuille, pre- la famille) se montrait très hépatotoxique, et
nant du retard par rapport à ses concurrents en son développement commercial fut stoppé net.
matière d'innovation. En 2019, Sanofi recentre Premier échec dans une longue série à venir.
son portefeuille vers le cancer et lance un plan Au milieu des années 1990, les glitazones
d'économies de 2 milliards d'euros. Le premier voyaient leur mécanisme d'action élucidé pour
laboratoire français tourne une page de son his- la première fois : ils devenaient les ligands d'un
toire en mettant un terme à ses activités dans le nouveau récepteur appelé PPARγ (Peroxisome
diabète et les maladies cardiovasculaires. Sanofi Proliferator-Activated Receptors gamma) per-
continue cependant d'assurer la fabrication et la mettant d'amplifier spécifiquement l'action tis-
distribution de Lantus. Mais, comment main- sulaire de l'insuline (figure 8.7). Ce récepteur
tenir un niveau de prix élevé ? En développant activé par les proliférateurs de peroxysomes est
de nouvelles formes d'insuline sans cesse amé- une protéine de la superfamille des récepteurs
liorées. C'est la stratégie adoptée par Sanofi et nucléaires liant naturellement les lipides et agis-
les deux autres leaders du marché de l'insuline sant comme facteur de transcription des gènes
(Novo Nordisk et Eli Lilly). En réalité les béné- cibles impliqués notamment dans l'adipogenèse.
fices additionnels apportés par ces insulines der- Cela ouvrait des perspectives excitantes à cette
nier cri sont modestes par rapport aux versions nouvelle famille de médicaments, qui agissait
précédentes. Elles sont achetées surtout dans chez le diabétique essentiellement en augmen-
les pays riches, et commercialement inadaptées tant la masse grasse et en améliorant la consom-
aux besoins des populations pauvres. Comme si mation de glucose par les muscles squelettiques
Apple ou Samsung offrait uniquement la ver- grâce à une redistribution des lipides muscu-
sion la plus récente de leurs smartphones à des laires vers le tissu adipeux (donc légère prise de
gens qui ont seulement besoin d'un téléphone poids). Un mécanisme scientifiquement vrai,
pour appeler leur famille. Les États-Unis, qui mais plutôt contre-intuitif ! La troglitazone fut
comptent 10 % des personnes touchées par le approuvée par la FDA sur la base d'un essai
diabète sur le globe, représentent ainsi 40 % du incluant plus de 2 500 malades. Certes, on avait
marché mondial de l'insuline. Le coût de l'in- observé que 1,9 % des malades inclus dans l'es-
suline y a quasiment doublé depuis onze ans, sai voyaient leurs transaminases (des enzymes
avec pour conséquence de faire tripler le coût dont l'élévation peut traduire une toxicité
des traitements pour les diabétiques et leurs hépatique) croître anormalement, contre 0,6 %
assureurs. dans le groupe contrôle, mais l'examen de la
Le second exemple est celui des glitazones, qui vingtaine de patients avec des transaminases
par sa gravité est devenu un vrai cas d'école. La élevées n'avait pas été source de préoccupa-
mise sur le marché des glitazones, une famille de tion particulière. En novembre 1997, quelques
médicaments antidiabétiques présentés comme mois après sa mise sur le marché, le médicament
une véritable révolution thérapeutique, a été avait déjà conduit à la notification de 135 cas
une longue et douloureuse succession d'échecs d'insuffisance hépatique sévère et 6 décès par
tant pour la firme japonaise Takeda, qui les a hépatite fulminante. La troglitazone fut retirée
découvertes, que pour les autres compagnies du marché au Royaume-Uni quelques mois
qui lui emboîtèrent le pas [39]. Douloureuse plus tard (il n'avait jamais été mis sur le mar-
aussi et surtout pour le grand nombre de ché en France). En mars 2000, on comptabili-
malades ayant reçu les différents médicaments sait 60 décès et 10 autres avaient pu être évités
issus de cette famille et qui en furent victimes. grâce à des transplantations hépatiques. Cette
À l'origine (1982) cette classe de médicaments toxicité redoutable affectait entre 1/8 000 et
(initialement dénommés thiazolidinediones) 1/20 000 patients. Trois ans de commerciali-

▲ Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 311

ligand PPAR

Ac Rétinrique

PPAR RXR

Rep
PPARa
Coactivateur
(PGC1a)
PPARg

PPRE PPARd

Figure 8.7. Mécanisme d'action cellulaire d'un ligand du PPAR.


Le ligand PPAR se lie à son récepteur nucléaire PPAR, qui forme un hétérodimère avec le récepteur X des rétinoïdes
(RXR). La liaison du ligand entraîne le décrochage des répresseurs (Rep), attire les coactivateurs et permet la fixation
du site actif du récepteur PPAR à sa séquence nucléotidique d'ADN spécifique appelée PPRE (élément de réponse
au PPAR). Les gènes qui portent cette séquence PPRE dans leur région promotrice sont alors transcrits. Les ARNm
qui en résultent seront ensuite traduits en enzymes et/ou transporteurs responsables des effets biologiques. Il y
a 3 types d'agonistes PPAR : PPARγ, PPARα et PPARδ. Chaque type d'agoniste offre une gamme d'effets. Les
agonistes PPARγ favorisent la lipogenèse et l'adipogenèse ; ils augmentent la sensibilité à l'insuline et l'utilisation
du glucose et freinent l'inflammation. Les agonistes PPARα ont des propriétés hypolipémiantes (augmentation de la
β-oxidation et des HDL) et des effets anti-inflammatoires. Les agonistes PPARδ favorisent la dépense énergétique
en augmentant la β-oxidation et le découplage énergétique. Les modifications structurelles sélectives des molécules
agonistes offrent la possibilité d'accentuer les effets souhaités tout en réduisant les effets indésirables.

sation s'écoulèrent avant que la FDA ordonne Cette méta-analyse réunissait 42 essais cliniques
le retrait du médicament du marché américain. réalisés chez des diabétiques et montrait globa-
Il avait fait plus de 70 morts, mais avait quand lement un surrisque d'infarctus du myocarde de
même rapporté 2 milliards de dollars. D'autres 43 % et un surrisque de mortalité, toutes causes
représentants de la famille allaient bientôt ali- cardiovasculaires confondues, de 64 %. La rosi-
menter le marché du diabète de type 2, qui glitazone était donc associée à un risque supplé-
en 2014 constituait déjà le marché thérapeu- mentaire inacceptable (en raison de la présence
tique le plus imposant et le plus prometteur sur le marché d'alternatives thérapeutiques).
(220 millions de malades). Mais, les deux nou- Pourtant, en juillet 2007, les 24 membres de la
veaux représentants, rosiglitazone et pioglita- Commission endocrinologie-métabolisme de la
zone étaient-ils plus sûrs ? Commercialisée en FDA se réunissaient pour prendre acte du pro-
1999, la rosiglitazone voyait, à peine deux ans blème, mais se prononçaient en faveur du main-
plus tard, sa toxicité cardiaque dénoncée par de tien de la commercialisation de la rosiglitazone.
nombreuses publications. Le ciel s'assombrissait Il fallut attendre encore trois années et plusieurs
un peu plus, en 2007, avec la publication dans le centaines d'infarctus du myocarde supplémen-
New England Journal of Medicine d'une méta- taires pour que la FDA émette de nouveaux
analyse confirmant le danger de ce médicament. signaux d'alarme. En mai 2011, la FDA déci-

312 Physiopathologie du diabète

dait de limiter la prescription de rosiglitazone vessie chez le rat mâle en cas d'exposition pro-
aux seuls patients qui étaient déjà traités (sans longée à la pioglitazone, aux mêmes doses que
inclure de nouveaux malades) et chez lesquels celles utilisées chez l'homme. Il n'en fut rien,
d'autres médicaments se révélaient inefficaces. puisqu'en octobre 2007, l'EMA, après avoir
Selon les pays, cette saga pharmacologique réévalué l'ensemble des données disponibles
allait connaître d'inattendus dénouements. sur les effets indésirables de la pioglitazone,
Ainsi, de manière totalement incompréhensible, concluait à une balance bénéfice/risque favo-
les États-Unis disculpaient la rosiglitazone, en rable. Si la France a finalement retiré du mar-
novembre 2013, en indiquant que les doutes sur ché la pioglitazone, la quasi-totalité des pays a
la sécurité d'utilisation du médicament étaient maintenu la commercialisation de ce nouveau
levés. Une nouvelle étude venait en effet suggé- facteur de risque de cancer chez les malades dia-
rer qu'il fallait être moins affirmatif sur l'impact bétiques. On en conclura donc que la pharma-
de la rosiglitazone en matière d'infarctus du covigilance française a fonctionné. A-t-elle bien
myocarde et d'accidents vasculaires cérébraux. fonctionné pour autant ? malgré les apparences,
En revanche, elle était toujours sur le banc des difficile d'en être sûr et certain, car en décidant
accusés à l'égard de l'insuffisance cardiaque et du d'interdire la molécule, n'a-t-on pas privé les
risque de fracture des membres inférieurs. Pour malades d'un bon antidiabétique ?
autant, la firme GSK, détentrice de la molécule, Il faut reconnaître que les firmes commercia-
avait provisionné 3 milliards de dollars dans ses lisant les glitazones se sont prêtées aux règles
comptes annuels dans la perspective d'éventuels imposées par les agences FDA, EMA en matière
procès. En France, le retrait de la rosiglitazone d'évaluation des conséquences macroangio-
était intervenu dès novembre 2010, dans la fou- pathiques du diabète (en particulier les acci-
lée des décisions de l'EMA (Agence européenne dents vasculaires cérébraux et les infarctus
des médicaments), même si, en octobre 2007, du myocarde). Pour la pioglitazone, le risque
l'AFSSAPS (Agence française de sécurité sani- était légèrement diminué : 4,4 % d'événements
taire des produits de santé, devenue en 2012, coronariens chez les patients traités contre
ANSM, Agence nationale de sécurité du médi- 5,7 % chez les patients recevant un placebo.
cament et des produits de santé) avait indiqué En revanche, il n'était pas observé de bénéfice
que la rosiglitazone avait fait l'objet d'une à l'égard de l'insuffisance cardiaque, constatée
réévaluation favorable au niveau européen. La chez 2,3 % des malades traités contre 1,8 % des
pioglitazone allait-elle suivre le même chemin ? patients recevant le placebo. Quant à la rosigli-
Ce médicament, produit par la firme japonaise tazone, la réalité clinique conduisait à une autre
Takeda, avait été mis sur le marché en 2000. évidence, à savoir une franche détérioration de
En 2005, une grande étude de prévention car- la fonction cardiaque et un surrisque d'infarc-
diovasculaire, réalisée avec la pioglitazone et tus du myocarde. Apparue en pleine période de
publiée dans The Lancet, concluait que cette révélation du scandale Mediator (2000–2010)
dernière molécule était capable d'améliorer le (voir Zoom 8.4), la saga des glitazones se ter-
pronostic cardiovasculaire en réduisant la mor- mine donc mal. Nées dans l'enthousiasme de la
talité totale, les infarctus non mortels et les acci- découverte d'un nouveau mécanisme d'action
dents vasculaires cérébraux chez des patients complétant utilement une palette thérapeutique
diabétiques de type 2 à haut risque. Mais, en faite essentiellement jusque-là de metformine
2006, les premières données cliniques suggé- et de sulfamides, les glitazones ont, les unes
rant un lien entre utilisation de pioglitazone après les autres, connu la défaite, pour cause
et cancer de la vessie étaient publiées. L'étude de toxicité hépatique, cardiaque, vésicale. Dans
montrait un certain nombre d'éléments qui leur agonie, elles ont fait vaciller l'économie des
à l'époque n'avaient pas suffisamment alerté grands groupes pharmaceutiques qui les avaient
l'opinion des spécialistes. On aurait dû mettre développées. Elles ont aussi amené les grandes
en rapport ces informations avec les observa- agences sanitaires mondiales à revoir de près
tions effectuées lors des études précliniques : leurs procédures d'évaluation du médicament.
l'expérimentation animale avait montré une Pour répondre aux exigences des autorités de
augmentation significative des tumeurs de la santé, tous les nouveaux traitements antidiabé-

▲ Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 313

tiques doivent maintenant apporter la preuve de son effet protecteur sur les fonctions cardio-
leur innocuité cardiovasculaire dans des essais vasculaires et rénales. Les données inattendues
cliniques sur des critères durs. obtenues avec les glifozines ont milité pour que
les autorités françaises reconsidèrent l'accès au
L'épineuse question de la sécurité marché français de cette classe médicamenteuse.
cardiovasculaire pour les nouveaux Ce qui permet d'éviter de nombreux décès et
antidiabétiques hospitalisations, désormais évitables ! Pour ce
Le diabète de type 2 expose, on le sait, à un qui concerne les effets cardiovasculaires des
risque accru de complications cardiovascu- « vieux » antidiabétiques, ils ont obtenu leur
laires : insuffisance coronarienne, infarctus du AMM avant les années 2000, et on ne dispose
myocarde (IM), accidents vasculaires cérébraux pas toujours de réponse claire sur leur efficacité.
(AVC) ischémiques, et insuffisance cardiaque Si les études observationnelles plaident pour un
(IC). La présence de ces complications cardio- effet cardiovasculaire favorable de la metfor-
vasculaires est aussi associée à un surrisque de mine, il n'existe pas d'étude randomisée démon-
mortalité. Depuis 2008, et à la suite de l'impact trant cet effet protecteur. Il a fallu attendre
cardiovasculaire néfaste des glitazones, tous les 2019 pour disposer de la démonstration que
nouveaux antidiabétiques sont étudiés aussi sur les sulfamides étaient neutres sur le plan car-
le plan de leur sécurité cardiovasculaire. Cette diovasculaire. Quant à l'insuline, si elle induit
dernière est appréciée par l'évaluation quantita- un certain degré de rétention hydrosodée, elle
tive d'un critère appelé MACE (Major Adverse ne présente aucune restriction particulière chez
Cardiovascular Events) qui prend en compte le patient présentant une maladie cardiovascu-
les diverses complications cardiovasculaires qui laire avérée. Une étude a démontré la neutra-
viennent d'être citées. Suite à cette obligation lité de l'effet de l'insuline glargine sur le plan
légitimement imposée par la FDA, les labora- cardiovasculaire. En revanche, la démonstration
toires développant de nouveaux antidiabétiques d'un éventuel effet protecteur de l'insuline sur
ont dû mettre en place pour chaque molécule le plan cardiovasculaire n'a jamais été rapportée
concernée d'énormes études cliniques rando- à ce jour.
misées inédites jusque-là (plusieurs dizaines de
Et l'effort de recherche dans tout ça ?
milliers de patients diabétiques dans chaque
groupe), études forcément longues (plusieurs Depuis une vingtaine d'années, l'industrie phar-
années) et extrêmement coûteuses [40]. Les maceutique mondiale y compris les industriels
gliptines (DPP4i) ont montré une neutralité du secteur est confrontée à plusieurs défis :
cardiovasculaire rassurante (mais, sans bénéfice • l'innovation des différents laboratoires de
cardiovasculaire particulier). En revanche, les recherche est sur une pente franchement des-
agonistes des récepteurs du GLP1 (GLP1-RA), cendante. Par exemple, entre 1999 et 2005,
et surtout les glifozines (SGLT2i), ont montré sur 1092 nouveaux médicaments lancés en cinq
des résultats inattendus et totalement inédits. années sur le marché, aucun n'a apporté une
Ces molécules ont en effet montré des béné- réelle innovation thérapeutique ;
fices spécifiques non liés à leurs effets sur la gly- • la concurrence des médicaments génériques,
cémie, bénéfices que n'ont jamais montrés les favorisée par les politiques de réduction des
précédents antidiabétiques, y compris la metfor- coûts de santé mises en place dans les différents
mine. En outre, certains effets favorables sur le pays développés, est de plus en plus importante.
rein ont aussi été constatés avec les glifozines. Actuellement le marché des génériques croît de
Ces données très récentes pourraient modi- 7 % par an. En 2016, le marché mondial des
fier les recommandations américaines comme médicaments a atteint les 1 000 milliards de
européennes de prise en charge de l'hypergly- dollars, dont 300 milliards de dollars pour les
cémie chez les diabétiques de type 2, qui datent médicaments génériques. L'explosion du mar-
d'avant la parution de tous ces résultats. L'effet ché des génériques n'a pas que des aspects posi-
hypoglycémiant pourrait ne plus être le juge tifs : 80 % des principes actifs génériques sont
de paix exclusif pour juger de l'efficacité d'un passés dans le domaine public ; mondialisation
antidiabétique : il serait bienvenu d'y adjoindre économique oblige, leur fabrication est majo-

314 Physiopathologie du diabète

ritairement délocalisée dans quelques pays à trer sur les objectifs suivants : occuper les mar-
bas coût de production (Inde, Chine), loin des chés clés (diabète, maladies cardiovasculaires,
pharma traditionnelles. Cela entraîne des ques- cancers, vaccins) ; privilégier les produits à fort
tions de plus en plus prégnantes de disponibilité potentiel (les « blockbusters », médicaments de
pour certaines molécules, de contrôle qualité masse dont les ventes sont supérieures à 1 mil-
(les multiples sites de production asiatiques sont liard de dollars), les produits très spécialisés dif-
difficilement contrôlables) et plus largement ficilement copiables, les produits s'adressant à
pose la question de la souveraineté stratégique la clientèle âgée des pays riches (hypertension,
nationale dans le domaine pharmaceutique ; bronchite, asthme, diabète, cancer) et pro-
• la vigilance des autorités de santé (FDA, EMA) longeant leur survie (clientèle assurée !). Les
face aux apports thérapeutiques des nouveaux pharma doivent donc jongler entre tous ces
produits et à leurs effets secondaires est mon- paramètres souvent antagonistes. Aujourd'hui,
tée de plusieurs crans. Elles édictent des normes le mode de fonctionnement des grands groupes
de sécurité de plus en plus draconiennes : le oscille finalement entre quatre typologies [41] :
nombre d'AMM est depuis dix ans en chute • le remplissage du portefeuille (ou du pipeline,
libre, et le délai entre le dépôt d'un brevet sur selon les expressions consacrées) : des médica-
une nouvelle molécule et l'AMM s'est allongé ments révolutionnaires dans les domaines de
jusqu'à quinze ans… quand ledit brevet tombe l'immunologie et de l'oncologie (par exemple,
au bout de vingt ans dans le domaine public. basés sur les dérivés de l'ARN ; pensez au vac-
Par exemple, le Zoloft, un antidépresseur et cin anti-COVID-19 développé en moins d'un
l'un des médicaments les plus rentables de l'his- an, par Pfizer/BioNtech ou Moderna) arrivent
toire de Pfizer, a perdu 80 % de son marché au sur le marché et modifient complètement le
profit des « génériqueurs » entre juin 2006, date traitement de certaines maladies majeures. Les
de la chute du brevet, et septembre 2006 ; médicaments sont considérés comme des outils
• les biotechnologies sont devenues des de précision qui constituent le meilleur moyen
approches méthodologiques incontournables de traiter les maladies, et la société est prête
dans la découverte de nouvelles molécules. Elles à dépenser des ressources considérables pour
forcent l'industrie pharmaceutique, historique- remplir la boîte à outils pharmacologique.
ment et culturellement acquise à la chimie, à se Des nouveaux médicaments permettent aux
convertir à la biologie. Le secteur des biotech- grandes sociétés pharmaceutiques américaines
nologies affiche actuellement le meilleur poten- ou européennes de rester dominantes, car elles
tiel de croissance ; seules disposent des ressources et de l'expertise
• enfin, si les besoins en matière de santé sont nécessaires pour développer des médicaments
infinis, les ressources qui peuvent y être consa- et naviguer dans le processus réglementaire de
crées sont limitées. Les systèmes de rembour- plus en plus complexe. Les compagnies phar-
sement des dépenses de santé publics ou privés maceutiques chinoises et indiennes entrent
tentent de freiner la consommation de médica- lentement mais sûrement dans le groupe des
ment en volume comme en valeur (incitation à entreprises innovantes de premier plan. Les
l'utilisation de génériques, déremboursements). établissements universitaires sont responsables
Dans certains pays, des taxes sont directement de la formation des scientifiques qui peuvent
établies sur les laboratoires pharmaceutiques. passer de manière transparente à la recherche
Pour répondre à ces défis, les laboratoires entrepreneuriale. Les partenariats public-privé
tentent de raccourcir les délais de découverte facilitent l'interaction entre les sciences fon-
et de mise sur le marché des nouveaux médi- damentales et l'industrie, et les établissements
caments. Les grands groupes travaillent sur une universitaires sont encouragés à créer des
rationalisation et un meilleur contrôle de leurs entreprises dérivées ;
frais marketing, qui est le poste principal de • l'optimisation thérapeutique : la société fait
leurs dépenses opérationnelles et représente en moins confiance à la domination pharmaco-
moyenne plus de 30 % de leur chiffre d'affaires. logique qu'auparavant, et les médicaments ne
Ces dernières années, les grands laboratoires sont perçus que comme un élément – et pas
pharmaceutiques ont donc cherché à se concen- nécessairement le principal – du traitement.

▲ Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 315

Avec l'essoufflement des percées thérapeutiques • le renoncement : de grandes compagnies


majeures depuis vingt ans, on reconnaît de pharmaceutiques quittent plusieurs domaines
plus en plus que les plus grands gains de santé thérapeutiques suite à des échecs majeurs
à court terme peuvent être obtenus en opti- d'essais de phase 3 et à des mises en cause du
misant l'utilisation des médicaments existants. sérieux de l'entreprise lors de coûteuses pour-
Les grandes sociétés pharmaceutiques tradi- suites judiciaires. La société civile est confrontée
tionnelles deviennent moins dominantes. Les à un énorme problème : comment mettre des
payeurs de soins de santé prennent l'initiative médicaments sur le marché sans un investisse-
d'organiser plus efficacement la prestation des ment privé substantiel en recherche et dévelop-
soins de santé, et les systèmes de rémunération pement sur les médicaments ? (figure 8.8). Les
au rendement deviennent plus populaires. Le partenariats entre les universités et l'industrie
diagnostic avec des biomarqueurs appropriés, sont considérés avec méfiance et les partena-
l'amélioration de l'observance, l'optimisation riats public-privé n'existent plus. Les entreprises
des dosages et des formulations et la prévention pharmaceutiques chinoises et indiennes ren-
des effets indésirables deviennent des enjeux forcent leur position de leaders mondiaux dans
majeurs dans la recherche, la pratique et l'édu- la production de médicaments génériques. Les
cation pharmaceutiques ; parties prenantes publiques tentent de trouver
• la compression des dépenses pharmaceu- de meilleurs modèles de soins ou de gestion
tiques : le débat actuel sur les problèmes de de la maladie (interventions non pharmacolo-
santé est dominé par la recherche de stratégies giques). Certaines sociétés pharmaceutiques
pour contenir la hausse rapide des coûts des traditionnelles survivent en se transformant en
soins de santé en raison des contraintes écono- sociétés qui utilisent leur expertise dans des
miques et de la croissance de la population âgée essais de confirmation d'interventions théra-
souffrant de maladies chroniques. Les dépenses peutiques développées ailleurs, ou vers une pro-
pharmaceutiques sont soumises à un examen duction sous licence.
de la part des payeurs encore plus minutieux
qu'auparavant. La pression qui en résulte sur les
revenus des sociétés pharmaceutiques conduit
ces dernières à se concentrer sur des niches à
forte valeur ajoutée. Certains des domaines thé-
rapeutiques traditionnels plus larges, tels que
les maladies cardiovasculaires ou le diabète,
connaissent une baisse marquée des investisse-
ments et des nouveaux médicaments. Le milieu
universitaire est considéré par l'industrie comme
une source de connaissances approfondies, mais
il reste indépendant, et cantonné à la recherche
fondamentale. Les collaborations financées par
le public entre les universités et l'industrie ne
sont pas considérées comme souhaitables par le
gouvernement et les régulateurs ; Figure 8.8. Le dialogue de sourds.
D'après Xavier Gorce
316 Physiopathologie du diabète

Zoom 8.3

Médicament et société : la controverse des statines


La première statine a été découverte par le culation sanguine et qui constitue le tableau
microbiologiste japonais Akira Endo à la fin le plus sévère avec un risque d'insuffisance
des années 1970, alors qu'il travaillait sur des rénale). Une grande étude épidémiologique
antibiotiques naturels fabriqués par des champi- dédiée à l'étude des effets musculaires des
gnons. Il a établi que ce type de molécule inhibe statines a conclu que 5 % des sujets sous pla-
la synthèse du cholestérol dans le foie. Les sta- cebo avaient des effets musculaires (en absence
tines agissent en bloquant l'HMG-CoA réduc- donc de statine), pour une fréquence de 10 %
tase (hydroxyméthylglutaryl-CoA réductase), chez les patients sous statine, la différence de
enzyme nécessaire à la fabrication du cholestérol 5 % constituant la part attribuable aux statines.
endogène. Elles accroissent aussi indirectement L'incidence de la rhabdomyolyse est assez faible,
la recapture du cholestérol par le foie, ce qui estimée à 2 cas pour 10 000 patients traités, en
contribue à en réduire le niveau dans le sang. sachant que la cérivastatine, la statine la plus
L'introduction des statines comme traite- pourvoyeuse de rhabdomyolyse a été retirée du
ment des dyslipidémies a révolutionné la prise marché il y a une dizaine d'années. Différents
en charge de cette pathologie, et de multiples facteurs favorisants ont été identifiés : masse
études randomisées et contrôlées ont confirmé musculaire réduite (vieillissement, sexe fémi-
que cette classe thérapeutique réduisait les évé- nin, handicap physique) ou toxicité musculaire
nements cardiovasculaires majeurs en préven- de substances prises simultanément (colchicine
tion secondaire et en prévention primaire. Cette pour le traitement de la goutte, alcool).
classe de médicaments est actuellement recom- En 2012, la FDA (Food and Drug
mandée par les agences de santé internationales Administration, États-Unis) a émis une alerte
afin de réduire le risque cardiovasculaire en sur le possible risque de troubles cognitifs consé-
diminuant le taux de LDL-cholestérol circulant cutifs à la prise de statines. Deux essais cliniques
avec un niveau de preuve très élevé. Cependant, avaient préalablement alerté sur ce risque. Dans
peu de classes thérapeutiques ont fait l'objet une étude préclinique, l'atorvastatine induisait
de polémiques aussi virulentes que les statines. une altération des fonctions mnésiques et une
Une polémique récurrente (en particulier en moindre plasticité cérébrale. On précisera que
France) niant le bénéfice de ces traitements et les fonctions dites mnésiques regroupent un
mettant en avant leur dangerosité a trouvé un ensemble de fonctions cérébrales en relation
écho certain dans la population et conduit un avec la capacité d'enregistrer, d'élaborer, de
certain nombre de patients à abandonner leur stocker, de récupérer et d'utiliser des informa-
traitement et certains médecins à douter de l'in- tions. Sur le plan neurobiologique, les souvenirs
térêt de cette classe de médicaments. sont encodés sous forme d'activités neuronales
spécifiques dans de vastes réseaux de neurones
Quelles sont les données objectives avec une configuration spatio-temporelle. Ces
disponibles pour construire une opinion caractéristiques spatiales (distribution topo-
non biaisée sur l'importance des effets logique) et temporelles (fréquence, rythme,
indésirables des statines ? cohérence des décharges neuronales) se pro-
Trois types d'effets indésirables sont reconnus à pagent à différentes structures cérébrales pour
l'heure actuelle : le risque musculaire, le risque constituer une bibliothèque de représentations
de diabète, et le risque cognitif [42–44]. On appelées traces mnésiques. Le stockage à long
estime que 10 à 25 % des patients présentent terme de ces traces mnésiques repose alors sur
des effets musculaires, qui recouvrent différents des modifications des synapses entre neurones,
tableaux cliniques : des myalgies (crampes, rai- grâce à la capacité de plasticité des neurones.
deurs musculaires) ; une myosite correspondant Quant à la plasticité cérébrale (plasticité neuro-
à une inflammation et une nécrose musculaire ; nale, neuroplasticité), c'est un terme générique
une rhabdomyolyse (situation dans laquelle des qui décrit les mécanismes par lesquels le cerveau
cellules des muscles squelettiques se dégradent est capable de se modifier lors des processus de
rapidement et libèrent leur contenu dans la cir- neurogenèse, dès la phase embryonnaire ou lors

▲ Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 317

d'apprentissages. Elle se manifeste par la capa- des facteurs de risque de diabète (surpoids), le
cité du cerveau de créer, défaire ou réorganiser sexe féminin, l'âge et l'origine ethnique (asia-
les réseaux de neurones et les connexions de ces tique) sont autant de facteurs de risque d'appa-
neurones. Ce phénomène intervient durant le rition d'un diabète sous statine. Les mécanismes
développement embryonnaire, l'enfance, la vie sous-jacents restent globalement inconnus. Le
adulte et les conditions pathologiques (lésions rôle causal (au moins en partie) de la baisse du
et maladies). Il est responsable de la diversité de LDL-cholestérol est étayé par certaines études.
l'organisation fine du cerveau chez chaque indi- La prévalence du diabète est moindre chez
vidu (l'organisation générale étant, elle, régie les patients ayant une hypercholestérolémie
par son bagage génétique) et des mécanismes familiale. Deux formes différentes (polymor-
de l'apprentissage et de la mémorisation chez phismes) du gène de l'HMG-CoA réductase et
l'enfant et l'adulte. La plasticité neuronale est qui provoquent une baisse du LDL-cholestérol
présente tout au long de la vie. sont associées à un surpoids et à une élévation
La diminution du cholestérol dans les mem- de la glycémie. D'autres mécanismes tels que le
branes neuronales ou une toxicité neuronale déficit de sécrétion d'insuline ou la réduction de
directe a été évoquée comme un mécanisme la sensibilité à l'insuline ont aussi été invoqués.
potentiel des altérations mnésiques et plas- Au total, si le risque médicamenteux lié à la
tiques. Néanmoins, deux méta-analyses dédiées prise de statine n'est pas négligeable, en parti-
au risque cognitif des statines n'ont pas per- culier au plan musculaire et au plan de la régu-
mis de conclure à une association entre la prise lation glycémique, et peut conduire à un arrêt
d'une statine et la survenue d'une altération des du traitement, ce risque est à mettre en regard
fonctions cognitives. À l'inverse, diverses études du bénéfice démontré des statines. L'arrêt des
épidémiologiques suggèrent une prévention ou statines conduit une augmentation de 45 % de
une moindre progression des troubles cogni- la mortalité chez les patients prenant moins
tifs, en bonne concordance avec de nombreuses de 80 % de leur traitement en comparaison de
études animales qui montrent un effet béné- ceux qui sont adhérents. Sur ces bases, l'ANSM
fique des statines sur les tests cognitifs, sur les (Agence nationale de sécurité du médicament)
mécanismes de plasticité cérébrale ou de neuro- a considéré en 2014 que l'augmentation de sur-
protection ainsi qu'une modulation des lésions venue de diabète de type 2 ne remettait pas en
neuropathologiques observées dans la maladie cause le rapport bénéfice/risque de l'utilisation
d'Alzheimer. De manière similaire, les données des statines [33], dans la prévention des compli-
sont rassurantes sur les liens entre dépression et cations cardiovasculaires chez les sujets à risque,
statines, aucune association n'ayant été mise en diabétiques ou non diabétiques à l'initiation du
évidence. traitement.
Concernant l'apparition d'un diabète de type 2
sous statine, la controverse est née de résul- La controverse des statines, miroir
tats épidémiologiques contradictoires, entre des relations compliquées de la société
l'étude WOSCOPS (West of Scotland Coronary française avec la médecine
Prevention Study) qui montrait une réduction En 2013, deux professeurs de médecine pari-
du risque de développement d'un diabète et siens publient un livre intitulé La Vérité sur le
l'étude JUPITER (Justification for the Use of cholestérol [45] dénonçant le lien entre le cho-
Statins in Primary Prevention : an Intervention lestérol et les maladies cardiovasculaires et en
Trial Evaluating Rosuvastatin) qui concluait conséquence la validité des études ayant démon-
sur un risque accru sous rosuvastatine. Il tré l'efficacité des statines sur la prévention car-
existe probablement une hétérogénéité entre diovasculaire, invitant de fait les patients à les
les statines, avec un risque plus élevé pour la arrêter. Les médias ont largement diffusé ces
rosuvastatine et l'atorvastatine que pour la propos. Si les protestations des autorités sani-
simvastatine. La dose paraît jouer un rôle signi- taires et de la communauté médicale françaises
ficatif avec l'apparition d'un cas sur 500 patients ont été à peu près inaudibles, le discours « antis-
traités avec des doses faibles, et d'un cas sur 155 tatines », lui, a eu des conséquences néfastes :
pour des doses fortes. L'association à d'autres une étude de l'Assurance maladie montre que
médicaments augmentant le risque de diabète, chez des utilisateurs réguliers depuis plus d'un

318 Physiopathologie du diabète

an en prévention secondaire (et donc à risque vernementales se fait au profit des organisa-
cardiovasculaire majeur), l'arrêt des statines tions non-gouvernementales sur la plupart des
entraînait un risque de décès ou d'événement grands sujets de société, et en particulier sur
cardiovasculaire non fatal dans les trois mois les questions touchant à la santé. En matière
suivant l'arrêt trois fois supérieur à celui des de santé publique, ce sentiment a par ailleurs
patients qui n'avaient pas arrêté leur traitement. été conforté sinon alimenté au cours des cin-
Les statines ont été la cible de polémiques simi- quante dernières années, par une série de péri-
laires au Royaume-Uni et au Danemark avec des péties sanitaires (présentées chaque fois comme
conséquences du même ordre. Les arrêts de sta- des scandales sanitaires) comme les affaires du
tines auraient augmenté d'environ 10 % après les sang contaminé, de l'hormone de croissance, de
périodes de polémique et ces arrêts auraient été l'amiante ou celle du Mediator (voir Zoom 8.4)
accompagnés d'une augmentation de 26 % des qui a directement percuté la diabétologie. Cette
infarctus du myocarde et de 18 % de la mortalité défiance croissante a permis l'émergence sur la
cardiovasculaire. Ces données n'ont jamais été scène publique, et notamment dans les médias
relayées dans les grands médias français… de masse (télévisions, radios, presse, Internet),
Cette crise de défiance envers les statines révèle de nombreux acteurs qui, en dépit de leur
d'importantes évolutions dans la relation de inexpertise avérée dans les champs concernés,
nos concitoyens à la médecine. En effet, il est se caractérisent généralement par des prises de
particulièrement paradoxal que les statines position radicales ou polémiques sur la plupart
puissent être aujourd'hui considérées comme des questions de santé. On en a eu une fois de
l'un des produits de santé les plus controversés, plus l'illustration en temps réel lors de la rédac-
au moins par les médias grand public, alors que tion de ces lignes réalisée durant la pandémie
le niveau de preuve concernant les risques et les COVID-19. Enfin, les réseaux numériques
bénéfices pour les patients est probablement sociaux jouent un rôle majeur dans la multipli-
l'un des plus élevés de la littérature scientifique. cation de ces controverses dans l'espace public.
Comment expliquer la forte réceptivité que Jusqu'à une époque récente, les thèses hétéro-
cette controverse rencontre au sein de la société doxes en matière de santé restaient en effet sur-
française ? De nombreux travaux sociologiques tout confinées à des revues alternatives diffusées
montrent que nos concitoyens expriment un localement par des activistes isolés. Au cours de
désenchantement croissant vis-à-vis des pro- ces dernières années, les nouvelles technologies
grès technologiques et scientifiques. Cela se de la communication ont largement désen-
traduit par une préoccupation croissante pour clavé et démocratisé les théories alternatives.
les risques manufacturés (c'est-à-dire les risques L'information médicale en ligne est aujourd'hui
produits par les activités humaines), et par un saturée de rumeurs et de fake news à un point
changement majeur dans les représentations tel que les patients en quête de réponse à des
sociales de la « Nature » qui est majoritairement questions légitimes sur leurs maladies et leurs
perçue comme une entité intrinsèquement traitements ne peuvent que s'égarer et dou-
bonne, généreuse et bienfaisante, façon Jean- ter de tout. L'idéologie du conspirationnisme
Jacques Rousseau. Dans le champ de la méde- médical est largement utilisée pour donner une
cine, ce mouvement se caractérise notamment façade militante à ces thèses hétérodoxes, façade
par le développement de pratiques alternatives qui masque souvent des arrière-pensées prosaï-
(homéopathie, naturopathie, acupuncture, quement cupides. Enfin, la surmédiatisation des
chiropractie, réflexologie) dont les preuves controverses médicales, qui privilégie l'émo-
d'efficacité (quand elles existent) sont généra- tionnel au rationnel, a un impact non négli-
lement très inférieures à celles qui caractérisent geable sur la perception collective des grandes
les médecines conventionnelles. questions de santé publique. Ces changements
Par ailleurs, il faut mentionner que la société considérables ne sont pas sans conséquences sur
française est confrontée à une crise de confiance la santé des populations (et celle des diabétiques
majeure vis-à-vis de ses institutions. Ainsi la en particulier), en particulier pour ce qui touche
perte de leadership des organisations gou- l'observance des prescriptions médicales.
Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 319

Zoom 8.4

Mediator, l'antidiabétique de trop


1967 : le groupe Servier dépose une demande
de brevet aux États-Unis couvrant un nouveau
és
composé dérivé de la phényléthylamine, le
b
ro
en SE780 (notamment pour ses propriétés ano-
és
pr
im rexigènes observées chez l'animal). Un bre-
m
vet sera également délivré dans différents pays

é
co

b
ro
30

en
européens dont la France.

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1N

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im

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pr

nfl 1971 : l'OMS attribue le nom de benfluorex


m
co

Be

Ex au composé SE780 du groupe Servier, le suf-


p
fixe -orex étant le suffixe généralement attribué
par la nomenclature de l'OMS aux agents ano-
rexigènes. Logique discutable car il existe des
anorexigènes dont la dénomination ne se ter-
Figure 8.9. L'arme du crime.
mine pas par -orex : amphétamine, fenfluramine,
phentermine…
Les laboratoires français Servier ont été condam-
nés, lundi 29 mars 2021, après dix ans de pro- 1973 : Servier demande à l'OMS que le ben-
cédure judiciaire dans le cadre du scandale fluorex ne soit plus désigné comme un ano-
sanitaire du Mediator, un médicament antidia- rexigène, mais soit renommé benzaflumine ou
bétique aux effets toxiques, longtemps abusive- benflurate. La demande est rejetée.
ment prescrit comme coupe-faim. L'entreprise 1974 : des études chez le rat concluent qu'une
pharmaceutique a été condamnée pour trom- partie au moins des effets de la fenfluramine
perie aggravée et homicides et blessures invo- in vivo est due à l'effet de son métabolite endo-
lontaires, pour avoir caché ces effets secondaires gène principal, la norfenfluramine. En France,
graves. Pour les 6 500 victimes qui se sont por- le ministère de la Santé accorde l'autorisation
tées parties civiles dans ce dossier, une page se de mise sur le marché au benfluorex (commer-
tourne, sans réel soulagement. « Moi, je suis cialisée par Servier sous l'appellation Mediator),
toujours en sursis, je suis condamné à vie, tous non pour son action anorexigène, qui n'est pas
les jours je dois prendre un médicament pour mentionnée, mais comme adjuvant au régime
rester en vie », explique une victime présente à alimentaire, dans deux indications : les hypertri-
l'audience, à Paris. Pendant les trente-trois ans glycéridémies et le diabète chez les patients en
de sa commercialisation, le Mediator aura été surcharge pondérale.
utilisé par 5 millions de Français (figure 8.9). 1977 : Servier dépose une demande d'auto-
risation de mise sur le marché belge pour le
La descente aux enfers de la potion
benfluorex. Après évaluation du dossier, la
tragique
Commission des médicaments belge émet un
1960 : il est rapporté pour la première fois au avis défavorable du fait de l'insuffisance de don-
congrès de la Société américaine de pharmaco- nées relatives aux effets à long terme du médi-
logie et de thérapeutique que la norfenflura- cament. Servier fait appel de cette décision. La
mine, un dérivé de la famille des amphétamines Commission des médicaments belge confirme
(dérivés de la phényléthylamine), exerce un son avis défavorable l'année suivante.
effet anorexigène, sans entraîner la stimulation
1988/1991 : la littérature scientifique confirme
du système nerveux central caractéristique des
que les effets de la fenfluramine (commerciali-
amphétamines classiques. La compagnie Servier
sée par Servier sous l'appellation Pondéral) chez
développe des dérivés trifluorés de la phény-
l'homme sont dus à son métabolite, la norfen-
léthylamine et parmi eux, la fenfluramine et
fluramine. Le laboratoire fabriquant, Servier, a
la dexfenfluramine qui ont de puissants effets
connaissance du fait que le benfluorex donne
anorexigènes.
chez l'humain ce même métabolite, la norfen-

320 Physiopathologie du diabète

fluramine, à des concentrations voisines de celles et avant la date prévue de son renouvellement
mesurées après administration de fenfluramine. d'AMM. Les valves cardiaques peuvent en effet
1993 : publication d'une étude rétrospective présenter des anomalies dans leur fonctionne-
établissant le risque d'HTAP (hypertension ment, liées soit à des atteintes de leur structure,
artérielle pulmonaire) sous fenfluramine. d'origine congénitale ou secondaire à certaines
1997 : les fenfluramines, en particulier l'Isomé- affections (par exemple, un vieillissement anor-
ride (forme commerciale de la dexfenfluramine) mal ou un rhumatisme articulaire aigu qui est
sont rendues responsables aux États-Unis de val- une maladie, aujourd'hui exceptionnelle, liée
vulopathies cardiaques ainsi que d'HTAP et sont à une infection survenue dans l'enfance), soit
interdites sur l'ensemble du territoire des États- à de mauvaises conditions de fonctionnement
Unis, ainsi que dans la plupart des pays de l'Union du cœur (insuffisance cardiaque de toute ori-
européenne. Aux États-Unis, près de 4 milliards gine). Ces anomalies peuvent entraîner des
de dollars d'indemnisation seront obtenus lors rétrécissements ou des fuites par défaut d'étan-
de « class actions ». La France suspend l'AMM de chéité. On parle alors d'insuffisance valvulaire.
l'Isoméride. Une enquête de pharmacovigilance Environ 2,5 % de la population présente des
sur le benfluorex est lancée en France. En effet, anomalies des valves avec une fréquence qui
le médicament est détourné comme anorexigène, augmente avec l'âge (8,5 % entre 65 et 74 ans
et son métabolisme donne le même composé et 13,2 % après 75 ans). Les conséquences sur la
toxique que l'Isoméride : la norfenfluramine. En santé des atteintes valvulaires cardiaques varient
Suisse, le benfluorex est retiré du marché en rai- considérablement : cela peut aller d'atteintes
son de doutes sur son innocuité. imperceptibles à des symptômes obligeant à des
1998 : l'URCAM (Union régionale des caisses hospitalisations et une chirurgie cardiaque.
d'assurance maladie) de Bourgogne montre 2004 : le Mediator est retiré du marché en
que plus d'un tiers des prescriptions se situent Italie.
hors autorisation de mise sur le marché (AMM), 2005 : l'Espagne interdit les préparations médi-
le Mediator ayant pris le relais de l'Isoméride cinales à base de benfluorex, en rappelant les
comme coupe-faim. Elle souligne l'utilisation risques de valvulopathies.
du Mediator pour des traitements à visée amai- 2006 : un cas de valvulopathie sous Mediator
grissante : au-delà des aspects de santé publique chez une patiente de 48 ans sans antécédent est
liés à des prescriptions inutiles, voire dange- publié à Toulouse. Survenant après sept noti-
reuses pour la santé, le constat d'une utilisation fications spontanées, cette nouvelle déclaration
en dehors du champ des indications reconnues ne conduit pas à l'interdiction et la Commission
et valides pose également une question d'ordre AMM renouvelle l'autorisation quinquennale
économique. Un tiers des prescriptions du du Mediator.
Mediator (remboursé à 65 %) sont ainsi faites Juin 2006 : la revue Prescrire rapporte 35 cas
hors AMM. français de troubles psychiatriques et de
Février 1999 : un cas d'insuffisance aortique 17 cas d'HTAP associés au Mediator. Prescrire
chez un patient prenant du Mediator est signalé s'étonne, une nouvelle fois, du maintien sur le
à Marseille, sans suite donnée, cette insuffisance marché du benfluorex (Mediator) par le labora-
aortique étant par erreur considérée comme la toire Servier. L'HTAP (hypertension artérielle
conséquence d'un infarctus. pulmonaire) est une maladie grave qui perturbe
2000 : une équipe américaine évoque le rôle de la circulation du sang à l'intérieur des poumons
la norfenfluramine dans l'induction des valvu- et caractérisée par une élévation anormale de la
lopathies associées à la dexfenfluramine (tout pression sanguine au niveau des artères pulmo-
comme à la fenfluramine). Or, la norfenflura- naires. Le symptôme principal est un essouffle-
mine est aussi un métabolite du benfluorex. ment à l'effort. Il ne faut pas la confondre avec
2003 : un premier cas d'insuffisance valvulaire l'hypertension artérielle commune (HTA). Le
cardiaque est décrit en Espagne. La molécule est risque de développer une HTAP après consom-
retirée par le laboratoire à la suite des questions mation de Mediator existe mais est extrême-
qui lui sont posées sur sa pharmacodynamie, ment rare.

▲ Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 321

7 avril 2008 : dans un courriel au Centre de annonce une série de mesures, en particulier
pharmacovigilance de Brest, un des directeurs une campagne d'information pour rechercher
du groupe Servier déclare que le Mediator se tous les patients qui ont pu prendre ce produit.
distingue radicalement des fenfluramines. Elle recommande aux personnes qui ont pris du
Février 2009 : onze cas de valvulopathies sous Mediator pendant plus de trois mois de consul-
Mediator sont signalés à l'AFSSAPS par le ter leur médecin traitant. Selon Jacques Servier,
CHU de Brest. l'affaire du Mediator est une « fabrication ».
Juillet 2009 : selon une étude du Dr Irène Décembre 2010 : dans une lettre adressée
Frachon, CHU de Brest, 70 % des malades aux médecins français, le directeur général de
souffrant d'atteintes inexpliquées de leur valvule Servier-Biopharma écrit : « les principes actifs de
mitrale ont été exposés à une prise de Mediator, Mediator et d'Isoméride sont différents, tant en
contre 6 % chez les malades ayant une cause termes de structures chimiques que d'effets bio-
connue de valvulopathie. logiques ou en termes de métabolisme ».
Octobre 2009 : malgré les alertes, une AMM 2011 : À la suite d'un rapport accablant de
est délivrée pour deux génériques du Mediator l'IGAS (Inspection générale des affaires sociales)
aux laboratoires Mylan et Qualimed. Une sur le Mediator, Xavier Bertrand, ministre de la
étude effectuée par la Caisse nationale d'assu- Santé de l'époque, lance une réforme du sys-
rance maladie à partir de sa base de données tème français de pharmacovigilance.
d'une cohorte d'un million de diabétiques Janvier 2014 : 8 350 dossiers ont été déposés
montre que le risque de chirurgie valvulaire est à l'ONIAM (Office national d'indemnisation
multiplié par près de quatre pour les patients des accidents médicaux). Deux cent quatre-
exposés au Mediator. vingt-treize d'entre eux ont reçu un avis posi-
Novembre 2009 : le benfluorex (Mediator et tif d'indemnisation. Selon l'ONIAM, ce faible
ses génériques) est retiré des pharmacies. taux d'avis positifs tient au fait que beaucoup
Juin 2010 : le groupe Servier publie dans le de dossiers reçus ne concernaient pas les deux
Quotidien du médecin et le Quotidien du phar- pathologies pour lesquelles la responsabilité des
macien un communiqué déclarant : « Face aux laboratoires Servier est reconnue : les valvulo-
nombreuses inexactitudes parues dans la presse pathies et l'HTAP (hypertension artérielle pul-
grand public, à ce jour, aucun lien de causalité monaire). Le collège évalue le pourcentage du
direct n'a été démontré entre la prise du médi- préjudice fonctionnel et transmet le dossier aux
cament et les valvulopathies. » Irène Frachon laboratoires Servier. C'est le laboratoire qui fait
publie le livre Mediator 150 mg, combien de ensuite une proposition chiffrée à la victime. Si
morts ? L'éditeur est attaqué en justice par le cette proposition est jugée insuffisante, la vic-
laboratoire Servier. Le sous-titre « Combien time peut saisir l'ONIAM qui, s'il le juge néces-
de morts ? » est censuré. La décision définitive saire, l'indemnise directement et se retourne
d'interdiction par l'Agence européenne du ensuite contre le laboratoire pour obtenir rem-
médicament est prise, avec cet avis : le lien entre boursement. Douze victimes, jugeant l'offre
benfluorex et valvulopathie est établi. de Servier insuffisante, se sont retournées vers
Octobre 2010 : publication dans la revue l'ONIAM, qui n'a pas donné suite estimant que
Pharmacoepidemiology and Drug Safety de l'offre de Servier était convenable.
l'étude de la CNAM montrant que le Mediator 2016 : plus de 6 000 dossiers ont été déposés
multipliait par trois le risque de valvulopathie et auprès de l'ONIAM. Mais les patients doivent
par quatre le risque de chirurgie valvulaire. encore renverser la présomption de fraude.
Novembre 2010 : l'AFSSAPS (Agence fran- 23 septembre 2019 : le procès pénal s'ouvre le
çaise de sécurité sanitaire des produits de santé) 23 septembre 2019, devant durer six mois. Selon
estime à 500 le nombre de morts imputés au l'ordonnance de renvoi, la prise de Mediator a
Mediator. Trois mille cinq cents personnes entraîné entre 3 100 et 4 200 hospitalisations
ont été hospitalisées. Quatre-vingts pour cent pour insuffisance valvulaire, entre 1 700 et
des complications se produisent dans les deux 2 350 chirurgies de remplacement valvulaire et,
années qui suivent l'arrêt du traitement. Elle finalement, entre 1 520 et 2 100 décès. Le pro-

322 Physiopathologie du diabète

cès regroupe près de 4 129 victimes, 376 avocats « Combien de morts ? ». Le porte-parole de
et 25 prévenus (dont 11 personnes morales). Servier a soutenu que le risque mortel restait
Les laboratoires Servier doivent répondre de infime (« 500 décès sur 2 millions de personnes
« tromperie aggravée, escroquerie, blessures et qui ont pris ce médicament, ça fait 0,025 %
homicides involontaires et trafic d'influence » des malades »). Le laboratoire avait fait paraître
et l'ANSM de « blessures et homicides involon- une publicité dans un quotidien médecin, pour
taires » devant le tribunal correctionnel de Paris. affirmer qu'« aucun lien de causalité direct n'a
Le procès, devant se terminer fin avril 2020, est été démontré entre la prise du médicament et
suspendu de mars à juin à cause de la pandémie les valvulopathies ». En 1997, l'Isoméride du
de Covid-19. Le procès terminé en juin 2020, même laboratoire Servier est interdit à la vente
la décision des juges sur la responsabilité des car il entraîne notamment de l'hypertension
prévenus, ainsi que sur les demandes d'indem- artérielle pulmonaire. En 1999, tous les coupe-
nisation des victimes et des organismes de pro- faim à base d'amphétamines sont retirés du
tection sociale, est reportée en 2021. marché en France, à l'exception du Mediator,
29 mars 2021 : les laboratoires Servier sont qui restera vendu jusqu'en 2009. Depuis au
condamnés à 2,7 millions d'euros d'amende pour moins 1990, Servier savait que le benfluorex
« tromperie aggravée et homicides et blessures (comme la fenfluramine) provoque l'apparition
involontaires ». L'ANSM, jugée pour avoir tardé dans l'organisme de la norfenfluramine.
à suspendre la commercialisation du Mediator, Mauvaise science – Le Mediator a été évalué
est condamnée à une amende de 303 000 euros. 9 fois et à chaque fois les experts ont dit que son
En outre, sur les 6 500 parties civiles qui s'étaient intérêt thérapeutique antidiabétique était faible,
constituées, celles déclarées recevables se voient sans évoquer son efficacité coupe-faim qui, elle,
attribuer plus de 180 millions d'euros de dom- était manifeste mais dangereuse. Pendant plus
mages et intérêts. Néanmoins, Servier est relaxé de trente ans, les cardiologues n'ont pas vu que
du chef d'escroquerie. Le parquet de Paris fait la cause des valvulopathies pouvait être aussi
appel de la relaxe partielle des laboratoires médicamenteuse. Le dogme des années 2000
Servier (« obtention indue d'autorisation de mise de la cardiologie française pour les valvulopa-
sur le marché » et « escroquerie »). Les labora- thies est que leur cause est « rhumatismale ». Il
toires Servier font appel de leur condamnation. faut savoir que les coupe-faim du groupe Servier,
Une instruction pour « homicides et blessures Pondéral, Mediator et Isoméride ont été com-
involontaires » est toujours en cours et devrait mercialisés respectivement en 1963, 1975 et
donner lieu à un second procès. 1985 en France, à une époque où il existait
encore des séquelles cardiaques de rhumatisme
Les ingrédients de la catastrophe sanitaire articulaire aigu (RAA), complication des angines
Business féroce – Le Mediator est mis sur le mar- mal traitées et provoquant de graves valvulopa-
ché le 1er septembre 1976. Pendant plus de trente thies dites « rhumatismales ». Le RAA a progres-
ans, un total de 134 458 828 unités seront com- sivement disparu de nos sociétés industrialisées
mercialisées à travers le monde. En France, on après-guerre, avec l'usage des antibiotiques. Les
estime à 2 millions le nombre de patients ayant séquelles cardiaques du RAA sont devenues donc
recouru au Mediator entre 1976 et 2009. Les de plus en plus rares à partir des années 1960
ventes du Mediator auraient généré un chiffre chez les personnes nées en France. Mais au fil
d'affaires de près d'un milliard d'euros entre des ans émerge un tableau de valvulopathies qui
1976 et 2009, date à laquelle le Mediator a été diverge assez sensiblement des cas typiques de
définitivement retiré. Le Mediator a longtemps valvulopathie rhumatismale et que l'on décrit
été remboursé par la Sécurité sociale alors que ses chez des personnes de plus de 60 ans, ce qui est
effets thérapeutiques étaient loin d'être établis. inhabituel. En réalité, ces valvulopathies sont
Déni, contre-information et péché par omission – provoquées par le Mediator ou l'Isoméride pres-
Le groupe pharmaceutique Servier a cherché crit à ces personnes. Mais les cardiologues, bien
à étouffer les critiques contre le Mediator. Il que parfois interpellés par ces tableaux atypiques,
a attaqué en justice Irène Frachon pour son ne remettront jamais radicalement en cause le
livre Servier obtenant la censure du sous-titre savoir établi, selon lequel toute valvulopathie

▲ Chapitre 8. Les nouvelles armes pour le diabétique du futur 323

est consécutive à un RAA même s'il n'y en a pas Inertie, culture du secret et cloisonnement des res-
eu d'observé pendant l'enfance. On sait mainte- ponsables sanitaires – Il a fallu dix ans pour objec-
nant que ces valvulopathies étaient typiquement tiver les risques liés à l'utilisation du Mediator.
médicamenteuses, mais les cardiologues ont per- L'AFSSAPS détenait des informations très impor-
sisté à les ranger dans la mauvaise case. tantes qu'elle n'a pas jugé bon de diffuser. C'est
Incurie et collusion de certains experts – Plusieurs pourtant dans ses prérogatives de prévenir des
experts émargeaient comme consultants, parfois risques. L'AFSSAPS a tardé à prendre en considé-
occultes auprès du groupe pharmaceutique. Si ration les premières observations, alors que d'autres
la notice du médicament ou dans sa description pays avaient déjà retiré le Mediator du marché.
dans le dictionnaire Vidal avait mentionné que le Dilution des responsabilités – La responsabilité
Mediator appartenait à la même classe que l'Iso- d'une trentaine de personnes morales et physiques
méride, il aurait été retiré du marché en 1998. a été reconnue par la justice : Jacques Servier
Encore fallait-il que l'AFSSAPS contrôle les (président fondateur du groupe pharmaceu-
informations données par Servier, qui affirmait tique, décédé en 2014), le directeur opération-
l'inverse. Ce qu'elle n'a pas fait. nel du groupe, une demi-douzaine d'experts
Négligences intellectuelles multiples et petits qui sont intervenus auprès de l'agence du médi-
arrangements entre certains prescripteurs et leurs cament AFSSAPS. Les laboratoires Servier sont
clients – L'AMM du Mediator prévoyait une accusés de « tromperie aggravée, escroquerie,
utilisation comme « adjuvant du régime adapté blessures et homicides involontaires par viola-
chez les diabétiques avec surcharge pondérale ». tion délibérée, et trafic d'influence » et l'ANSM
Prescrire le Mediator comme coupe-faim à un de « blessures et homicides involontaires par
patient non diabétique au seul prétexte qu'il négligence ».
était efficace pour perdre du poids n'était donc
pas autorisé. La facilité et la complaisance l'ont Quelle leçon retenir ?
souvent emporté dans l'intimité du cabinet de Quelles sont les exigences d'un système qui
certains prescripteurs… Selon les données de la permettrait de prévenir les crises comme celles
CNAM, le Mediator atteignait des records de du Mediator ? Un système efficace devrait
consommation sur la côte méditerranéenne. Une mieux séparer les lobbyistes pharmaceutiques
conséquence de la prescription hors AMM est des régulateurs des médicaments. Il devrait
que la remontée des informations de pharmaco- mieux utiliser les données des régimes d'assu-
vigilance (déclaration des effets indésirables) s'en rance nationaux (CNAM). Il devrait disposer
trouve réduite, les médecins pouvant craindre – de garde-fous mettant les décisions réglemen-
s'agissant de prescriptions hors AMM – l'enga- taires à l'abri de l'influence politique. Malgré
gement de leur responsabilité. La CNAM a long- la tristesse de l'histoire du Mediator, elle repré-
temps traîné pour fournir des éléments sur les sente aussi un tournant en permettant au pou-
prescriptions du Mediator. Sa base de données voir politique de comprendre la mécanique du
(unique au monde) est alimentée par les feuilles risque que peut présenter un médicament, et en
de soins des Français et contient notamment leur facilitant un changement du système réglemen-
consommation de médicaments. Les chiffres sont taire au profit de tous les citoyens. Adoptée en
éloquents : près de 80 % des patients, remboursés 2011 à la suite de ce scandale, la loi Bertrand
pour cet adjuvant au diabète entre 2008 et 2010, vise ainsi à prévenir les conflits d'intérêts et à
ne prenaient pas d'autre médicament contre le renforcer l'indépendance de l'expertise sani-
diabète. Traduction : il est plus que probable que taire publique en obligeant les professionnels
ces patients ont utilisé ce traitement du labora- de santé et décideurs publics à publiquement
toire Servier comme coupe-faim, c'est-à-dire en déclarer leurs liens d'intérêts avec l'industrie
dehors de ses indications officielles. Les dérives pharmaceutique. En 2012, l'AFSSAPS a été
de prescriptions du Mediator étaient donc parfai- remplacée par l'ANSM. Le fonctionnement de
tement identifiables en temps réel. Elles auraient l'Agence du médicament est réformé. L'ANSM
dû alerter les autorités et les inviter à une étroite est financée par l'État et a exclu l'industrie phar-
surveillance dès 1998. maceutique de son conseil d'administration.
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