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DU DIX-NEUVIEME SIECLE .

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LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE .

AUTEURS TRAGIQUES ANGLAIS ,


DEPUIS LA NAISSANCE DE L'ART DRAMATIQUE en Angleterre.

(DEUXIÈME ARTICLE.)

BIEN que les premiers essais dramatiques anglais aient


été justement laissés dans l'oubli , aussi bien que ceux
des autres nations , il existe cependant des preuves in
contestables de leur antique existence . Presque immédia
tement après la conquête normande, vers 1110 , Geoffroy,
moine normand , nommé ensuite abbé de Saint-Alban ,
fit jouer à l'abbaye de Dunstable en Angleterre , une pièce
de sainte Catherine. Apud Dunestapliam , quemdam lu
dum de sanctá Katerina QUEM MIRACULA VULGARITER AP
PELLAMUS, fecit. Mathieu Paris, qui cite ce fait ( f . 1639
p. 36 ) , écrivait vers l'an 1240. On voit par-là qu'au
moins , du temps de Mathieu Paris , les miracles étaient
un spectacle très-connu..
William Fitz Stephen , ou Stephanides , écrivain du
douzième siècle , dans une description qu'il nous a lais
sée de la ville de Londres de son temps , description
conservée par Stowe dans son Survey of London, éd. de
1599, p . 480 , rapporte que dans cette ville , au lieu de
représentations profanes , on avait coutume de mettre
en scène les miracles opérés par les saints confesseurs ,
et les vertus qui ont exalté la constance des martyrs.
Lundoniæ pro spectaculis theatralibus , pro ludis sceni
cis , ludos habent sanctiores , representationes miraculo
150 LE MERCURE

rum quæ sancti confessores operati sunt , seu representa


tiones passionum quibus claruit constanția martyrum.
Dans un mémoire des dépenses de l'université de
Cambridge en Angleterre , on trouve , à peu de temps de
là, en 1386 , une certaine somme mentionnée pour un
manteau brodé , six masques et des barbes destinées à
être employées dans une comédie ; dans le pauvre latin
d'alors , pro uno pallio brusdato et pro sex larvis et barbis
in comœdiá.
Chaucer , qui écrivait vers l'an 1420 , nous peint sa
Femme de Bath , profitant d'un voyage de son mari à
Londres , pour se rendre avec la foule des oisifs de son
quartier à la représentation des mystères (1 ).
Les miracles étaient si bien établis alors en Angle
terre comme une sainte distraction et un accompagne
ment de la dévotion , que l'abbé l'Enfant , dans son
Histoire du concile de Constance , nous rapporte qu'en
l'an 1417 , l'empereur s'étant absenté pour quelque
temps du concile , il fut accueilli à son retour par toutes
sortes de réjouissances , et que les ecclésiastiques anglais
se distinguèrent particulièrement dans cette occasion, et
firent jouer, le dimanche 31 janvier 1417, plusieurs pièces
saintes en sa présence. C'était , par exemple , la nais
1
sance de Jésus-Christ , l'arrivée des mages et le mas
sacre ordonné par Hérode , toutes en latin.
L'époque de la Fête-Dieu était le temps qu'on choi

Therefore made I my visitations


To vigilis and to processions ,
To prechings eke , and to Pilgrimagis ,
To plays of miracles and mariages ,
And werid on me my gay skarlit gites, etc.
(PROLOGUE DE LA FEMME DE BATH. )
DU DIX-NEUVIEME SIECLE. 151
sissait d'ordinaire pour les plus brillantes représentations
de ce genre. Les mystères représentés à Chester ct à
Coventry, dans ces fêtes solennelles, sont encore conservés
en manuscrit dans la bibliothèque du Musée britanni
que , aussi bien que quelques-uns des mystères repré
sentés en Cornouaille dans la langue de la province.
A Coventry, les franciscains étaient chargés de l'ex
ploitation de ce genre d'industrie religieuse . Leur théâtre
était placé sur des charriots, et on le transportait tout
dressé dans les différens quartiers de la ville .
Ces mystères de Coventry existent parmi les manuscrits
cottoniens du Musée britannique ; mais on n'en a jamais
publié encore que des extraits fort courts. On en pro
met toutefois une édition complète en Angleterre ; mais
en France , où la religion catholique est la religion do
minante , l'état de la liberté de la presse me semble si cir
conscrit sur de tels sujets, que je ne crois pas pouvoir faire
connaître en détail des mystères représentés au quin
zième siècle , pendant la Fête-Dieu , comme faisant partie
des cérémonies extérieures du culte, et dont les reposoirs,
élevés dans nos rues , sont encore un reste ; des mystères
auxquels assistèrent même Richard III en1483 , et Hen
ri VII et la reine son épouse , qui leur donnèrent les plus
grands éloges en 1492. Le titre seul de ces pièces semble
toutefois les rapprocher davantage des Dialogues des
dieux de Lucien , que d'une représentation destinée à
édifier. Le douzième mystère a pour titre la Jalousie de
Joseph.
Quelques vers de l'original anglais suffiraient pour
faire juger de l'ensemble de la pièce.
Joseph qui , comme on le raconte dans le mystère qui
a pour titre Mariage miraculeux de Joseph et de Marie ,
n'a épousé Marie que d'après l'injonction de l'évêque
152 LE MERCURE
Issachar , témoin du miracle de la floraison de sa ba
guette , revient d'un long voyage entrepris par suite de
ses travaux de charpenterie. Il est fort bien accueilli
par sa femme , mais il ne peut s'empêcher d'être frappé
d'une nouveauté qui l'inquiète.
Dieu paraît lui-même , et ordonne à un ange d'aller
instruire Joseph de ce qu'il doit croire et de ce qu'il
doit faire.
Joseph est convaincu , et retourne vers Marie plein de
repentir et de joie. Il assure Marie qu'à l'avenir il ho
norera et vénérera son enfant. Cependant il manifeste
un peu de curiosité à Marie qui lui raconte l'apparition
de l'ange Gabriel et tout ce qui s'est passé. Joseph ex
prime sa satisfaction , remercie Dieu , et se réconcilie
avec Marie.
L'exécution de ces mystères étaît aussi grossière que
la composition en était barbare . Par exemple , dans un
des mystères de Chester , intitulé le Déluge, pour indi
quer les différens animaux choisis par Noë , on les avait
peints confusément sur l'arche , et on les montrait à me
sure qu'il les nommait. Pour représenter le Saint-Esprit,
on faisait descendre un pigeon blanc au milieu des assis
tans , à l'aide d'un trou fait dans le haut des planches et
d'une corde mobile qui retenait le pauvre animal . Trois
femmes marchant de droite à gauche , et faisant sem
blant de ramasser une fleur , tenaient lieu d'une décora
tion de jardin. Dans les miracles de la Passion qui com
prenaient toute la vie de Jésus- Christ , le même acteur
le représentait à sa naissance , pendant sa maturité et à
sa mort. Seulement pour indiquer que dans la première
partie , il était censé être enfant , on n'imaginait rien de
mieux que de lui faire manger de la bouillie avec une
petite cuiller.
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Les mystères étaient célébrés dans les églises comme


faisant partie du culte. Pour qu'aucune classe de la so
ciété ne -fût privée de cette religieuse instruction , des
compagnies d'acteurs parcouraient les provinces , visi
taient les grandes maisons et pénétraient jusque dans les
moutiers. Un canon du concile de Cologne , en 1549 ,
défendit cependant ces représentations pieuses, en latin ,
dans les couvens de filles , se fondant sur ce que les ac
teurs excitaient les passions des nonnes , virginibus com
movebant voluptatem , par leurs gestes profanes et sécu
liers , et sur ce que les saintes filles, qui admiraient le
jeu des acteurs , sans rien comprendre aux paroles lati
nes , pouvaient y trouver plus de danger que de profit.
Dans toutes ces pièces le diable jouait un grand rôle .
Ses cornes, sa grande bouche , ses yeux flamboyans , son
vaste nez , sa barbe rousse, ses pieds crochus et sa queue
recourbée , le rendaient terrible au simple auditoire des
anciens temps. Son compagnon fidèle , le vice , était le
bouffon , le gracioso de la pièce. C'était lui qui était
chargé de poursuivre le diable avec un sabre de bois , et
de le faire rugir pour la plus grande édification des fidè
les. Souvent aussi ces pièces offraient un mélange confus
de toute sorte de personnages , sacrés et profanes , chré
tiens et païens. On y voyait Virgile à côté de Moïse et
de David. Le poëte romain y était représenté , ainsi que
la tradition du moyen âge le représente presque toujours,
comme un saint prophète ( 1 ) , comme un habile inter

(1) Ces notions vagues et confuses sur les anciens ont été long
temps à s'éclaircir Dans un des plus anciens ouvrages anglais
écrits en vers , intitulé The Visions ofPiers Plouhman, composé
vers 1362 , et attribué à Robert Langland, prêtre du comté de Sa
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prète des livres sibyllins, et on lui faisait débiter de lon


gues tirades de vers latins , composés par quelque moine
ignorant , qui n'hésitait pas à substituer ses chants gros
siers aux accords harmonieux du cygne de l'Ausonie.
Tout cela était écouté avec recueillement par nos sim
ples ancêtres , dans toute l'Europe. Les progrès de la
réforme bannirent bientôt ces spectacles dans les pays
protestans ; mais ils continuèrent plus long-temps dans
les pays catholiques . On les retrouve à Vienne , en Au
triche , jusqu'au commencement du 18e siècle , et on peut
les voir même aujourd'hui dans tous les villages qui
avoisinent Perpignan , tels qu'ils existaient au 12º et au
13e siècles .
Bien que les mystères ne soient jamais arrivés en An
gleterre à une sagesse de composition suffisante pour leur
faire prendre rang parmi les genres littéraires, cependant,
au moment de leur proscription , ils avaient déjà beau
coup gagné , sinon en raison , du moins en imagination
poétique, par l'introduction de personnages allégoriques,
tels que la Charité , le Péché , la Mort , la Foi , et autres
personnages semblables dont on peut voir parfois l'heu
reux effet dans les Autos sacramentales de Calderon , en
espagnol , et de Gil Vicente , en portugais , espèces de
mystères perfectionnés .

lep , on trouve les vers suivans dans lesquels il range Ptolémée


parmi les poëtes avec Porphyre , Platon , Aristote et Cicéron :
Meny proverbis ich might have
And poetes to preoven hit , Porfirie and Plato ;
Aristotle , Ovidius, and ellevene, hundred ,
Tullius , Ptolemæus ; ich can not telle here names ,
Preoven pacient poverte pryns of alle virtues .
(VISIONS OF PIERS PLOURMAN.)
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Les auteurs de mystères se rapprochaient , par cette


introduction , d'un autre genre de pièces , appelées Mo
ralités , qui, à peu près à la même époque , amusaient
les loisirs d'une autre classe de la société ; car, tandis que
la classe de la société qui devait former un jour le corps
de la nation , courait avec avidité aux fêtes de l'âne ,
de la mère Sotte , et aux mystères , les classes plus éle
vées , tout -à-fait séparées des premières dans leur exis
tence habituelle , avaient aussi leurs plaisirs séparés. Oc
cupées sans cesse de jeux et de tournois , elles avaient
puisé dans leurs voyages à la Terre- Sainte , dans les
croisades , dans les communications avec la nation polie
des Maures d'Espagne, par l'intermédiaire de la France ,
le goût du luxe et de la magnificence. Pour ajouter à l'é
clat des fêtes, la mythologie et l'histoire, défigurées telles
qu'elles l'étaient alors par l'ignorance universelle, furent
mises à contribution . Hector, Alexandre , César, Arthur,
Charlemagne , Enoch , Elie , Jupiter , Mars , Neptune ,
Vénus , firent tour à tour les honneurs des fêtes données
aux rois et aux belles. On s'était d'abord contenté de les
faire paraître comme personnages muets ; plus tard on
essaya de leur donner un langage. Ces monologues débi-
tés dans les grandes occasions devaient ressembler à ceux
que , du haut de son char, Thespis prêtait à ses personna
ges , et renferment le germe de toutes les améliorations
futures. Un nouvel interlocuteur fut , avec le temps ,
ajouté au premier , et les êtres allégoriques vinrent se
mêler aux êtres réels. On vit toutes les vertus , toutes les
nuances de vertus , toutes les abstractions possibles per
sonnifiées et introduites avec un costume et un langage
appropriés à chacune. L'ouvrage de Boece sur les Conso
lations de la Philosophie , si populaire au moyen âge
156 LE MERCURE

qu'il avait été traduit en anglo -saxon par le roi Alfred ,


et la Psychomachie de Prudence , contribuèrent sans
doute à fortifier ce goût naissant . Il est d'ailleurs vrai
de dire que , dans tous les pays , les lettres , à leur nais
sance , ont vécu d'allégories. Le vieil Homère a per
sonnifié la Terreur , le Tumulte, le Désir , la Persuasion ,
la Bienveillance ; Hésiode , dans son Bouclier d'Hercule ,
a donné un corps à l'Obscurité ; Eschyle, dans sa tragédie
de Prométhée , fait de la Force et de la Violence deux
de ses principaux personnages ; dans le fragment d'Ennius
le Chagrin est animé

Omnibus endo locis ingens apparet imagọ tristitias ;


Lucrèce a dessiné la grande ombre de la Superstition :
Quæ caput è cœli regionibus ostendebat.

Euripide enfin , dans sa tragédie d'Alceste , a fait de la


Mort un des personnages de sa pièce. Ce n'est que quand
la société est parvenue à un plus haut degré de civilisa
tion , que les poëtes peuvent observer les nuances des
mœurs sociales , et remplacer , par les tableaux de la vie
réelle , les rêves séduisans de leur imagination .
Ce goût des inventions allégoriques , si général dans le
moyen âge , doit être attribué surtout à l'influence des
troubadours. La réunion qu'ils avaient formée sous le
2
nom de Cour d'Amour , donna naissance à plusieurs au
+
tres réunions semblables en Gascogne , en Languedoc ,
en Poitou , en Dauphiné. C'était en imitation de la Cour
d'Amour que les Trouvères de Picardie avaient institué
leurs plaids et gieux sous l'ormel. Vers l'an 1300 la re "
nommée des troubadours et de leur langue s'était répan
due si loin , que , suivant les témoignages de Raymond
Montaneiro , dans son Histoire d'Aragon ( c . 261 ) , en
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Morée et à Athènes , Parlavan axi belle francis comme
dins en Paris. Le roman de la Rose , commencé vers le
milieu du 13 ° siècle , par Guillaume Lorris , continué par
le mordant Jean de Meun dans les premières années du
14º , et traduit en anglais par Chaucer , né la première
année du 15 ° siècle , devint la source d'une foule d'ou
vrages de même genre. Enfin les jeux floraux , institués
en 1324 , donnèrent au genre allégorique la popularité
la plus étendue. Dans les cours et les châteaux on ne
parla plus que par allégorie , et il devint impossible de
donner une fête ou un tournoi , et de recevoir la visite
d'un illustre chevalier , sans faire complimenter le héros
de la fête et les assistans par un de ces personnages allé
goriques. hata
Les pièces allégoriques, ou Moralités , semblent avoir
atteint leur plus haut degré de célébrité en Angleterre ,
sur la fin du règne d'Henri VII , à l'expiration du 15e
rien
siècle. Avant ce temps , il est presque impossible de***** ge
savoir de leurs auteurs . Skelton , poëte lauréat d'Hen
riVII ( 1 ), est peut-etre le plus ancien écrivain anglais de
moralités, qui nous soit connu. Parmi celles qui nous res
tent de lui , une des plus curieuses est certainement celle

(1) Skelton mournt en 1659. On appelle poëte lauréat une es


pèce d'officier littéraire suivant la cour. Il est tenu de faire une
ode pindarique deux fois par an sur le même sujet : la nouvelle
année et la naissance du prince. On lui donne pour cela cent
livres, sterling, un tonneau de vin de Porto pour le mettre en
haleine ; et il a en outre quelques autres petits priviléges . Le poëte
lauréat est aujourd'hui R. Southey, auteur, dans sa jeunesse ,
d'une tragédie républicaine de Wat Tyler , mais converți depuis
et devenu un poëte fort orthodoxe en politique comme en reli
gion. Tuoli..
1. % fp > 61
160 LE MERCURE 1

prête à prendre son essor , tout-à-coup les querelles ré


ligieuses suscitées par les premières ferveurs du protes
tantisme , arrêtèrent un instant la marche progressive des
lettres et de la poésie. Le théâtre devint une arène pour
les nouveaux débats théologiques. Les moralités quí ,
jusque-là , n'avaient embrassé que les lieux communs de
la morale , s'étendirent aux controverses religieuses et y
restèrent embarrassées comme dans un cercle tracé par
un astrologue. La religion étant l'unique affaire du
jour , il n'était pas étonnant que chacun employât tous
ses moyens pour faire triompher sa croyance. Elle était
alors ce qu'est aujourd'hui la politique , et , comme
cette derniere , elle ramenait aussi tout à elle. Les catho
liques ridiculisaient l'austérité affectée des protestans' ;
les protestans répliquaient en traduisant en scène ce
qu'ils appelaient les momeries des catholiques. Comme
.la chaire avait été interdite aux deux partis dès l'année
1547 , on épuisait toute l'irritabilité de l'esprit de parti
dans les pièces allégoriques. Le capricieux despote et
théologien Henri VIII , qui aimait à créer des sujets de
persécution, et se plaisait souvent à annuler ce qu'il venait
de confirmer , trouva qu'une telle liberté de discussion
mettait en danger sa suprématie ecclésiastique , et il dé
fendit la représentation de toute pièce religieuse. " J
Mais le levain de discorde n'en fermentait pås moins
pour être dérobé à l'œil du public . Sous le règne d'É
douard VI , les mêmes débats se renouvelèrent. Les plus
ardens de chaque parti étaient souvent ceux qui , l'année
ou la semaine précédente , avaient déployé la même ar
deur dans le parti contraire. C'est ainsi que J. Bale ,
évêque d'Ossory , écrivit à peu d'années de distance un
mystère contre les protestans et une moralité contre les
DU DIX-NEUVIEME SIECLE. 161
catholiques. La première, intitulée les Promesses de Dieu,
a pour but spécial de faire triompher la doctrine de la
grâce contre ceux qui soutenaient la doctrine du libre
arbitre et le mérite des bonnes œuvres. Elle est composée
de sept parties ou actes qui forment les sept triomphes
de la grâce opérés par Adam , Noë , Abraham , Moïse ,
Isaïe , David et Jésus. Chaque acte renferme chronolo
giquement chacun de ces triomphes séparément , et se
termine par une prière en action de grâce. L'auteur lui
même se met en scène et débite en son nom le prologue
et l'épilogue ou plutôt la protase et l'épitase , car il entre
sur-le-champ en scène.
La contre-partie de ce mystère , écrite par J. Bale après
sa conversion au protestantisme , a pour titre : Intermède
des lois de nature , de Moïse et de Jésus- Christ , cor
rompues par les débauchés , les Pharisiens et lespapistes ,
engeance vicieuse. Au titre sont ajoutés des avis sur les
costumes des six vices , fruits de l'infidélité . Il veut qué
l'idolâtrie soit vêtue en vieille sorcière , la débauche en
reclus , l'ambition en évêque , l'avarice en Pharisien , la
fausse doctrine en théologien , et l'hypocrisie en moine.
On peut voir quelques -unes de ces satires religieuses
dans les recueils de Dodsley et de Hawkins ; je ne m'y
arrêterai pas parce qu'elles ont un rapport plus direct
avec la comédie qu'avec la tragédie.
Ces scandaleux débats se prolongèrent jusqu'au règne
d'Élisabeth qui crut de sa politique de se montrer favo
rable au parti protestant , et d'imposer silence à ses an
tagonistes. A l'exemple de l'ancienne comédie grecque
dont il avait toute l'âcreté , le drame théologique se tut
ne pouvant plus nuire.
Du haut de la chaire qui leur était rouverte , les Pu
II. 11
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prête à prendre son essor , tout-à-coup les querelles re


ligieuses suscitées par les premières ferveurs du protes
tantisme , arrêtèrent un instant la marche progressive des
lettres et de la poésie. Le théâtre devint une arène pour
les nouveaux débats théologiques. Les moralités qui ,
jusque-là , n'avaient embrassé que les lieux communs de
la morale , s'étendirent aux controverses religieuses et y
restèrent embarrassées comme dans un cercle tracé par
un astrologue. La religion étant l'unique affaire du
jour , il n'était pas étonnant que chacun employât tous
ses moyens pour faire triompher sa croyance . Elle était
alors ce qu'est aujourd'hui la politique , et , comme
cette derniere , elle rámenait aussi tout à elle. Les catho
liques ridiculisaient l'austérité affectée des protestans }
les protestans répliquaient en traduisant en scène ce
qu'ils appelaient les momeries des catholiques. Comme
.la chaire avait été interdite aux deux partis dès l'année
1547 , on épuisait toute l'irritabilité de l'esprit de parti
dans les pièces allégoriques. Le capricieux despote et
théologien Henri VIII , qui aimait à créer des sujets de
persécution, et se plaisait souvent à annuler ce qu'il venait
de confirmer , trouva qu'une telle liberté de discussion
mettait en danger sa suprématie ecclésiastique , et il dé
fendit la représentation de toute pièce religieuse. 1
Mais le levain de discorde n'en fermentait pas moins
pour être dérobé à l'oeil du public . Sous de règne d'É
douard VI, les mêmes débats se renouvelèrent Les plus
ardens de chaque parti étaient souvent ceux qui , l'année
ou la semaine précédente , avaient déployé la même ar
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deur dans le parti contraire. C'est ainsi que J. Bale ,
évêque d'Ossory , écrivit à peu d'années de distance un
mystère contre les protestans et une moralité contre les
DU DIX-NEUVIEME SIECLE . 161

catholiques. La première, intitulée les Promesses de Dieu,


a pour but spécial de faire triompher la doctrine de la
grâce contre ceux qui soutenaient la doctrine du libre
arbitre et le mérite des bonnes œuvres . Elle est composée
de sept parties ou actes qui forment les sept triomphes
de la grâce opérés par Adam , Noë , Abraham , Moïse ,
Isaïe , David et Jésus . Chaque acte renferme chronolo
giquement chacun de ces triomphes séparément , et se
termine par une prière en action de grâce. L'auteur lui
même se met en scène et débite en son nom le prologue
et l'épilogue ou plutôt la protase et l'épitase , car il entre
sur-le-champ en scène.
La contre-partie de ce mystère , écrite par J. Bale après
sa conversion au protestantisme , a pour titre : Intermède
des lois de nature , de Moïse et de Jésus - Christ , cor
rompues par les débauchés , les Pharisiens et les papistes ,
engeance vicieuse. Au titre sont ajoutés des avis sur les
costumes des six vices , fruits de l'infidélité . Il veut qué
l'idolâtrie soit vêtue en vieille sorcière , la débauche en
reclus , l'ambition en évêque , l'avariçe en Pharisien , la
fausse doctrine en théologien , et l'hypocrisie en moine.
On peut voir quelques- unes de ces satires religieuses
dans les recueils de Dodsley et de Hawkins ; je ne m'y
arrêterai pas parce qu'elles ont un rapport plus direct
avec la comédie qu'avec la tragédie.
Ces scandaleux débats se prolongèrent jusqu'au règne
d'Élisabeth qui crut de sa politique de se montrer favo
rable au parti protestant , et d'imposer silence à ses an
tagonistes. A l'exemple de l'ancienne comédie grecque
dont il avait toute l'âcreté , le drame théologique se tut
ne pouvant plus nuire.
Du haut de la chaire qui leur était rouverte , les Pu
II. 11
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ritains tonnaient contre toutes les représentations drama
tiques qu'ils taxaient d'impiété. Élisabeth se vit comme
forcée de faire fermer et même de faire abattre tous les
théâtres, quels qu'ils fussent, que l'on commençait à élever
dans la cité. Elle conserva toutefois ses spectacles par
ticuliers qu'elle faisait jouer , soit dans sa chapelle par
les enfans de chœur attachés à sa maison, soit dans ses
appartemens par les femmes de sa cour. Souvent elle
même prenait un rôle dans ces pièces. C'est peut-être au
goût d'Elisabeth qu'est due la conservation des pièces
allégoriques qui , sous le nom de Masques, ont été portées
à un degré de raffinement dont n'avaient jamais approché
les mystères ni les moralités. Entre les mains de Milton
et de plusieurs autres poëtes distingués , les Masques
sont devenus une composition digne , à beaucoup d'é
gards , de prendre place parmi les autres genres littéraires
conservés aujourd'hui. Le Comus de Milton passe pour
le chef-d'œuvre des Masques .
J.-A. BUCHON.

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